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Saint Bernard de Clairvaux
Pensées
PENSÉES DE SAINT BERNARD.
 

1. « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (I Joan. V, 7). » Il y en a trois aussi sur la terre, l'esprit, l'eau et le sang. Il en est de même en enfer selon ces paroles d'Isaïe : « Leur ver ne mourra point et leur feu ne s'éteindra jamais (Isa. LXVI, 24). » A ces deux maux, le ver et le feu dont l'un ronge la conscience, l'autre brûle le corps, s'en ajoute un troisième, le désespoir, ainsi qu'on le comprend, de reste, à ces mots, «ne mourra point, ne s'éteindra jamais. » Dans le ciel, le témoignage qu'on reçoit est un témoignage de béatitude, sur la terre, c'en est un de justification; dans l'enfer, c'est un témoignage de damnation. Le premier est un témoignage de gloire, le second, de grâce, et le troisième de colère.

2. Au sujet de l'Esprit-Saint, l'Écriture nous apprend qu'il procède, qu'il souffle, qu'il habite dans les âmes, qu'il les remplit et les glorifie. Il y a deux sortes de processions ; on procède de et on procède vers. D'où procède-t-il ? Du père et du Fils. Où procède-t-il ? Vers la créature. En procédant, il prédestine : en soufflant, il appelle ceux qu'il a prédestinés; en habitant dans les âmes, il justifie ceux qu'il a appelés, en le remplissant, il comble de mérite ceux qu'il a justifiés, et en les justifiant, il enrichit de ses récompenses ceux qu'il a comblés de mérites.

3. Le Saint-Esprit convainc le monde du péché qu'il fait semblant de ne point apercevoir; de la justice qu'il ne règle pas, puisqu'il se l'attribue au lieu de l'attribuer à Dieu, et du jugement qu'il usurpe quand il a la témérité non-seulement de se juger lui-même, mais de juger les autres encore.

4. Jusqu'à ce jour l'effusion des eaux sur les habitants de Babylone, j'entends par-là la confusion des pensées, rend la terre aride et vague. En effet, tant que toute pensée flotte autour de la chair, on ne peut espérer d'elle aucun fruit de salut. Que les eaux soient donc séparées des eaux (Gen. I, 6), c'est-à-dire que l'âme revendique, comme il convient, sa part de sollicitude et de soins. Il est bien que les pensées inférieures soient renfermées dans certaines limites, que leur cours soit contenu dans un lit déterminé et qu'elles ne se répandent point au-delà de ce que la nécessité exige; les pensées supérieures n'en seront que plus à l'aise pour s'épancher et se répandre. Voilà certainement comment le Seigneur donnera sa bénédiction, et notre terre produira son fruit (Psal. LXXXIV, 13).

5. Le peuple da Dieu compte des hommes charnels et des hommes spirituels; si les premiers ne sont point sans quelque désir des biens éternels, les seconds ne sont pas non plus complètement étrangers au désir des biens temporels. La différence entre eux, c'est que les uns désirent plus ardemment tels biens et les autres tels autres, et suivant que leurs désirs se portent de préférence sur les biens spirituels ou sur les biens temporels, ils sont eux-mêmes des hommes spirituels ou des hommes charnels. De là vient que dans les bénédictions qu'Isaac donne à Jacob et à Esaü, s'il est parlé de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, il n'en est pas parlé dans le même ordre à l'un et à l'autre. « Que Dieu te prodigue, dit-il à Jacob, la rosée du ciel et la graisse de la terre, » et à Esaü : « Ta bénédiction sera dans la graisse de la terre et dans la rosée du ciel. » Or on voit à leurs préoccupations et à leurs désirs quels sont les biens que chacun d'eux préfère.

6. « La mort des pécheurs est très-mauvaise. » Elle est mauvaise par la perte du monde qu'ils aiment, et dont ils ne peuvent se séparer sans douleur. Elle est pire par la perte de leur chair dont leur âme se sent arrachée par les esprits malins. Elle est très-mauvaise par les tourments de l'enfer où le corps et l'âme sont plongés ensemble dans des feux éternels. Au contraire, la mort des bons est très-bonne ; c'est, en effet, pour eux, le repos après le travail, le bonheur de jouir d'un, monde nouveau et la sécurité pour jamais.

7. « Le paresseux s'est vu lapider avec du fumier de bœufs (Eccli. XXII, 2). » Les boeufs, ce sont ceux qui sont tout entiers à l'oeuvre de Dieu, ceux qui sèment dans les larmes et moissonnent dans la joie. Ceux-là regardent toutes les choses de ce monde, quelles qu'elles soient, comme du fumier. Au contraire, le paresseux, dont les ennemis voient en ricanant les jours de repos, est moqué dans son repos par ses ennemis, comme les bœufs laborieux se sentent honorés de Dieu dans leurs travaux. En effet, quand les malins esprits voient un homme paresseux aux exercices spirituels, ils lui suggèrent à tout moment des pensées terrestres à l'esprit; c'est comme s'il faisait des mottes avec ce que nous avons appelé le fumier des boeufs, pour en lapider le paresseux comme il le mérite.

8. «Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1). » Il y a trois baisers : un baiser de réconciliation, un baiser de récompense et un baiser de contemplation. Le premier se prend aux pieds, le second aux mains et le troisième à la bouche. Dans le premier on reçoit la rémission des péchés, dans le second, la récompense de la vertu, et dans le troisième, la connaissance des secrets de Dieu. Ou bien encore, l'un est le baiser de la doctrine, l'autre, de la nature, et le troisième, de la grâce.

9. L'Épouse a deux mamelles qui sont la congratulation et la compassion; deux sortes de lait, l'exhortation et la consolation. Trois parfums , la componction, la dévotion et la piété. La componction au souvenir des péchés passés, la dévotion au souvenir des bienfaits reçus, la piété à la vue des malheureux.

10. « Reviens, reviens, Sunamite, reviens, reviens, que nous te voyions (Cant. VI, 12). » Reviens d'abord de ta joie inepte, reviens en second lieu de ta tristesse inutile, reviens en troisième lieu de ta vaine gloire, reviens enfin de ton secret orgueil. La vaine gloire, c'est celle qui nous vient du dehors, que nous recueillons de la bouche des hommes. Le secret orgueil est celui qui se trouve dans notre coeur. Quand l'âme aura laissé tous ces vices, son époux jettera les yeux sur elle. Si donc elle doit s'abstenir de tout le reste, c'est afin de    se rendre digne de ses embrassements. Voilà pourquoi il lui est dit : « Reviens, reviens, que nous te voyions. »

11. Les pasteurs doivent veiller sur leur troupeau à cause de trois nécessités qui sont la discipline, la garde et la prière. La discipline, dans l'intérêt de la correction des moeurs, de peur que le troupeau commis à leur garde ne dépérisse par leur propre inconduite. La garde, à cause des suggestions du démon, de peur que leur troupeau ne soit séduit par ses ruses diaboliques. La prière, à cause de la tentation qui le presse sans cesse, de, peur qu'il ne soit vaincu par la faiblesse. La discipline réclame là rigueur de la justice, la garde veut un esprit de conseil, et la prière, des sentiments de compassion.

12. L'auteur de l'univers a fait deux créatures capables de le comprendre, l'homme et l'ange. L'homme est rendu juste par la foi et le souvenir, et l'ange, heureux par l'intelligence et la présence. Mais comme les hommes doivent un jour égaler les anges, il faut que, en attendant, ils deviennent justes par la foi, et s'élèvent à l'intelligence; car il est écrit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (Isa. VII, 9). » Ainsi la foi est la voie qui mène à l'intelligence, car elle purifie le coeur et permet à l'intelligence de voir Dieu. De même le souvenir de Dieu est le sentier qui conduit à la présence de Dieu; car quiconque a, ici-bas, le souvenir des commandements de Dieu pour les accomplir, méritera un jour de jouir aussi de sa présence. Que les anges aient donc dans le ciel l'intelligence et la présence de Dieu, et que, sur la terre, nous en ayons la foi et le souvenir.

13. Seigneur, nous sommes votre lot que vous avez gagné de votre propre main, avec votre arc et votre épée, sur le Amorrhéens (Gen. XLVII, 22). Or, votre épée, c'est votre parole vivante et efficace (Hebr. IV, 12), et votre arc, c'est votre incarnation. En effet, c'est dans ce mystère que, courbant le bois de votre sagesse, si je puis ainsi parler, et faisant fléchir avec piété, pour ainsi dire, votre divinité, vous avez tendu avec force le nerf de la chair et augmenté d'une manière ineffable, comme nous le savons, notre humanité. Nous sommes donc votre lot, et  le peuple de votre conquête (I Petr. II, 9), le peuple que vous avez acquis par la parole de la prédication et par le mystère de l'incarnation.

14. Dans la circoncision du Seigneur, il n'y eut ni nerf de rompu, ni os de brisé, et les parties les plus résistantes du corps sont demeurées intactes. Mais la peau a été ouverte, de la chair a été coupée et du sang répandu, pour que la mollesse et la concupiscence fussent châtiées. En effet, c'est dans la chair qu'est le péché, car c'est là qu'il habite; si vous entendez bien les choses, la peau est le manteau qui le recouvre, et le sang, le torrent qui le porte et l'excite. La vraie circoncision en esprit, non pas seulement à la lettre, consiste donc à déchirer par la componction du coeur et la confession de la bouche, le voile de l'excuse et de la dissimulation; à rompre, par la correction des moeurs, l'habitude du péché, à mettre eu fuite, enfin, comme il est nécessaire que ce soit, les actions du péché et à jeter au vent le foyer de la concupiscence.

15. « Les mages offrirent au Seigneur de l'or, de la myrrhe et de l'encens (Matt., II, 11). » Peut-être ces présents, eu égard au temps et au lieu, paraissaient-ils nécessaires; l'or, avec sa valeur, à cause de la pauvreté; la préparation de la myrrhe, à cause de la délicatesse ordinaire au corps d'un enfant; le parfum de l'encens, à cause du sale séjour d'une étable. Pour nous, comme tout cela est passé, offrons-lui des présents qu'il puisse accepter; l'onction de la myrrhe, dans la communion de la vie en commun ; une espèce d'encens,          dans la bonne odeur d'une bonne réputation; l'éclat de l'or, dans la pureté de notre vie, en sorte que nous ne songions plus à rechercher la faveur de nos frères dans une vie pleine de complaisance pour eux, ni la vaine gloire dans une opinion flatteuse de leur part en ce qui nous concerne, mais uniquement l'honneur de Dieu et le bien de nos frères.

16. Avant tout, que les religieux soient exempts de tout murmure. Peut-être aux yeux de quelques-uns n'est-ce qu'un péché léger que le murmure, mais il n'en est pas ainsi aux yeux de celui qui nous engage à l'éviter avant tout. Oui,je crois qu'il ne regardait pas le murmure comme peu de chose, celui qui disait à des murmurateurs : « Ce n'est pas contre nous que vous murmurez, c'est contre le Seigneur; car pour nous, que sommes-nous (Exod. XVI, 8) ? » Non plus que celui qui s'est exprimé ainsi : « Ne murmurez point, comme firent quelques-uns qui ont murmuré aussi, et qui ont péri sous la main de l'ange exterminateur (I Cor. X, 10). » Cet ange exterminateur est celui qui avait été placé là, précisément pour éloigner les murmurateurs des confins mêmes de cette bienheureuse cité, et pour les repousser loin des confins de celle à qui il est dit : «Jérusalem, loue le Seigneur, Sion loue ton Dieu ; il a établi la paix jusqu'aux confins de tes états. (Psal. CXLVII, 1 et 3). » En effet, il n'y a rien de commun entre le mur mure et la paix, entre l'action de grâce et la détraction, entre le zèle amer et les paroles de louanges. Tenons-nous en à la parole de ces trois témoins, et quels témoins! et sachons que nous devons éviter avec tout le soin possible la peste du murmure.

17. Il y en a trois (a) avec qui nous devons nous réconcilier, ce sont les hommes, les anges et Dieu; avec les hommes par des oeuvres à découvert, avec les anges, par des signes cachés, avec Dieu par la pureté du coeur. En effet, pour ce qui est des couvres que nous devons faire devant les hommes, voici ce qui est écrit : « Que votre lumière :luise devant les hommes, afin que, en voyant vos bonnes couvres, ils glorifient votre père qui est dans les cieux (Mat. V, 16).» Quant aux anges, David a dit : « Je chanterai pour vous, Seigneur, en présence des anges (Ps. CXXVII. 1). » Or, les signes cachés sont les gémissements, les soupirs, l'usage du cilice, et les autres marques de la pénitence qui plaisent particulièrement aux anges; ce qui a fait dire : «Il y aura joie, parmi les anges de Dieu, lorsqu'un seul pécheur fera pénitence (Luc. XV, 10).» Mais pour nous réconcilier avec Dieu, nous n'avons besoin ni d'oeuvres, ni de signes, mais d'un coeur pur et simple ; car il est écrit : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8), » et encore : « Si votre œil est simple (Matth. VI, 22), » et le reste.

 

a Nicolas de Clairvaux, à la fin de sa vingt-quatrième lettre à Pierre de Celles s'exprime ainsi: «  Renvoyez-moi l'opuscule qui commence ainsi : Il y en a trois avec qui nous devons nous  réconcilier; et nos heures de Notre-Dame que vous avez. »

AUTRES PENSÉES DE SAINT BERNARD
 

Tirées de la bibliothèque des Dunes

 

18. « Le temple de Dieu ëst saint et ce temple c'est vous (I Cor. III, 17). » Le temple de Dieu c'est le cloître des religieux. Ce cloître a deux murailles. Ce sont les actifs et les contemplatifs, Marthe et Marie, l'une extérieure et l'autre intérieure. La muraille intérieure réclame deux rangs de pierres, je veux dire la fuite des vices de la curiosité et de la volupté. La muraille extérieure en veut également deux, ce sont des religieux exempts de dol et de turbulence. Aussi le Seigneur a-t-il dit « Le serviteur fidèle et prudent (Matth. XXIV, 45) ; » fidèle, c'est-à-dire, sans dol; prudent, c'est-à-dire, sans turbulence. La muraille du fond qui réunit les deux premières, ce sont les prélats et tous ceux qui entrent dans le cloître et en sortent fidèlement, selon ce qui est dit du Seigneur lui-même : « Il part de l'extrémité du ciel, et il va jusqu'à l'autre extrémité, il n'y a personne qui se cache à sa chaleur (Psal. XVIII, 7). »

19. Il y a cinq causes pour lesquelles l'homme apprend : pour savoir, pour qu'on sache qu'il sait, pour vendre sa science, pour édifier et pour s'édifier. Pour savoir, c'est curiosité; pour qu'on sache qu'il sait, c'est vanité; pour vendre sa science, c'est simonie; pour édifier, c'est charité; pour s'édifier, c'est humilité. Ceux qui mangeaient au milieu de la pourpre ont embrassé l'ordure et le fumier (Thr. IV, 4), c'est-à-dire, ont pris soin de leur ventre.

20. Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. La première crainte est celle qui ramène sur leurs pas ceux qui marchaient à la mort; c'est à cette crainte que succède la tristesse du monde que l'espérance de l'éternité dissipe.

21. On demande généralement si, dans l'ordre du temps, l'amour de Dieu précède celui du prochain. Il semble qu'il le précède, puisque nous ne pouvons aimer le prochain pour Dieu que nous ne commencions par aimer Dieu lui-même ; d'un autre côté, l'amour du prochain semble être antérieur à celui de Dieu, parce qu'il est écrit : «Comment celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas (I Joan. IV, 20) ? » Mais il faut savoir que l'amour de Dieu est considéré à deux points de vue différents, à l'état d'amour qui commence et à l'état d'amour qui s'est nourri. Or, l'homme commence à aimer Dieu avant le prochain, mais comme cet amour ne peut se perfectionner s'il ne se nourrit, et qu'il ne croît que par l'amour du prochain, il faut donc que le prochain soit aimé. Voilà comment l'amour de Dieu précède, à l'état d'amour commençant, l'amour du prochain, et comment il est précédé par celui-ci au contraire, en tant que amour qui se nourrit par l'amour du prochain. Si donc il se trouve des hommes qui appartiennent à votre juridiction, réclamez-les, retenez-les avec charité, avec amour, en songeant à leur salut, et craignez de perdre leur âme en épargnant leur corps. Conduisez-vous ainsi, et vous serez obligé de subir une foule de gens sur lesquels vous ne pourrez exercer la discipline. Recourez aux menaces et soyez sans crainte; car le Seigneur fera miséricorde et justice à tous ceux qui souffrent l'injustice.

22. « Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Matth. XIX, !9). » Chacun doit aimer son prochain comme soi-même, et amener tous ceux qu'il pourra, par la consolation de la bienfaisance, par les leçons de la doctrine ou par la force de la discipline, à rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Celui qui ne se décide à cela que par discrétion est un homme prudent, celui qui n'en est détourné par aucune crainte, est fort; celui qui n'en est éloigné par aucune autre plaisir, est tempérant, et celui qui ne s'en retire point par orgueil, est juste.

23. « La louange de Dieu n'est pas belle dans la bouche du pécheur (Eccli. XV, 9), » mais dans la bouche du pécheur pénitent, elle est fructueuse, dans celle du pécheur justifié, elle est belle. De même lorsqu'on fume les champs, ce n'est pas beau, mais c'est fertilisant, et plus tard, quand la moisson se fera, ce sera beau.

24. Il y a quatre choses qui empêchent la confession; la crainte qu'elle ne nous perde; la honte parce qu'elle humilie; l'espoir de quelque honneur ou de quelque avantage temporel, si on passe pour innocent; la crainte de ne point obtenir ces mêmes choses si on ne passe plus pour innocent.

25. Il y a huit trinités dont la première est la souveraine et indivise Trinité; père, Fils et Saint-Esprit. La seconde est la trinité déchue. l a troisième est la trinité qui l'a fait choir. La quatrième est celle dans laquelle elle est chue. La cinquième, celle par laquelle elle s'est relevée, et cette dernière se subdivise en trois autres trinités. La trinité déchue est la mémoire, la raison, et la volonté. La mémoire a été affaiblie de trois manières, c'est-à-dire, par des pensées affectueuses, ou onéreuses eu oiseuses. La raison a été aveuglée aussi de trois manières, parce quelle reçoit souvent le vrai pour le faux, et vice-versa; le licite pour l'illicite, et réciproquement. La volonté a été souillée de trois façons, pur la concupiscence de la chair, par le désir des yeux et par l'ambition du siècle. La trinité par laquelle la seconde est chue, c'est la suggestion, la défection et le consentement. La trinité où elle est chue, c'est l’infirmité, la fétidité, la cécité. La trinité par laquelle elle se relève, s'est la foi, l'espérance et la charité. II y a trois sortes de foi : la foi des préceptes, des signes et des promesses. L'espérance aussi est triple ; il y a l'espérance du pardon, l'espérance de la grâce et l'espérance de la gloire. La charité également est triple : on aime de tout son coeur, de tonte son âme et de toutes ses forces.

26. Tout couvent doit avoir deux murs, l'un extérieur et l'autre intérieur. Ce dernier, ce sont les religieux claustraux le premier, ce sont tous les religieux d'obédience. Les premiers ne doivent être adonnés ni à la curiosité, ni à la volupté; les seconds ne doivent être ni turbulents, ni trompeurs. Mais comme il est rare que la paix règne entre ces deux sortes de religieux, il y a une troisième muraille placée à l'extrémité, en face, et qui relie les deux premières l'une à l'autre. C'est l'abbé, le prieur, et les antres frères spirituels. Le fondement, c'est la règle que chacun a embrassée.

27. Rapport entre les sept dons du Saint-Esprit et les sept apparitions de notre Seigneur après sa résurrection. D'abord, il se montre aux femmes à qui il est dit par l'Ange : « Ne craignez pas (Matt. XXVIII, 9). » Voilà l'esprit de crainte. Il apparaît à Pierre qui l'avait renié: esprit de piété. Il se montre à la femme à qui il dit : « Ne me touchez pas, car, je ne suis pas encore remonté vers mon père (Joan. XX, 17) : » esprit de science. Il s'est fait voir aux onze sur la montagne où il les avait conduits et où il leur         dit : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre (Matt,. XXVIII, 18) : » esprit de force. Il apparut aux deux disciples qui allaient à Emmaüs, dont il est dit « Et il leur ouvrit l'intelligence pour qu'ils comprissent les Écritures (Luc. XXIV, 45) . » esprit d'intelligence. Enfin, il s'est fait voir à ses disciples prosternés à ses pieds, quand il s'est élevé dans les cieux, car c'est de lui qu'il est dit : « Je suis la sagesse et j'habite au plus haut des cieux (Eccl. XXIV, 9) : » voilà pour l'esprit de sagesse.

28. Il y a quatre sortes de grâces : la grâce de la création, celle de la rédemption ou de la miséricorde, la grâce qui donne et celle qui récompense. La première est celle par laquelle tout a été fait. La seconde, celle par laquelle le Verbe s'est fait chair. La troisième, celle par laquelle il est plein de grâce, et la quatrième, celle par laquelle il est plein aussi de vérité.

29. La paix aussi se divise en quatre. La paix avec Dieu et celle avec le prochain, la paix dans la chair et la paix dans l'esprit. Mais pour que toutes ces paix soient solides, il faut leur donner un fondement; la paix de la chair reposera sur la tempérance; la paix de l'esprit, sur la force; la paix avec le prochain, sur la prudence; la paix avec Dieu sur la justice. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, » voilà la paix avec Dieu : «et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. II, 14). » C'est la paix avec le prochain : «Paix à vous, voyez mes mains et mes pieds (Luc. XXIV, 39), » c'est la paix de la chair: « Recevez le Saint-Esprit (Joan. XX, 22). » C'est la paix de l'esprit.

30. «Les mouches, qui, en mourant dans un parfum en détruisent la bonne odeur, » ce sont la vanité, la curiosité et la volupté; c'est parce qu'elles se trouvent en abondance en Égypte et autour des Égyptiens, que nous ne pouvons offrir le sacrifice de la justice et de la charité, en Égypte, au Seigneur notre Dieu. Voilà pourquoi nous allons au désert, c'est-à-dire, dans la solitude de notre coeur. « par une route de trois jours. » En parlant du premier jour, l'Époux dit à l'Épouse : « Venez dans mon jardin, ma soeur, mon Épouse (Cant. V. 1), » c'est-à-dire, venez dans le verger où sont plantées de bonnes vertus. Le second jour est celui dont l'Épouse se réjouit et dit . « Le Roi m'a introduite dans son cellier au vin (Cant. I, 3), » c'est-à-dire, dans les délices des saintes Écritures. Le troisième jour, c'est la chambre à coucher, c'est la plénitude de l'amour, quand l'Époux et l'Épouse jouissent mutuellement l'un de l'autre. Or, remarquez contre la vanité, la solidité des vertus; contre la curiosité, le goût multiple et varié des Écritures; contre la volupté, la chambre à coucher de ce souverain amour.

31. La charité a deux mamelles, la compassion et la congratulation. La mamelle de la compassion verse le lait de la consolation, et à la mamelle de la congratulation on suce le lait de l'exhortation.

32. Il y a trois choses qui conservent l'unité, ce sont la patience, l'humilité et la charité. Voilà les armes dont un soldat du Christ doit se pourvoir; il doit prendre la patience en guise de bouclier, pour la porter et l'opposer à droite et à gauche à toutes les adversités. L'humilité lui servira de cuirasse, et protégera son coeur au dedans. La charité sera sa lance; il s'en servira, comme dit l'Apôtre, pour provoquer tous les autres au duel de la charité, et, en se faisant tout à tous, pour combattre les combats du Seigneur. Il faut aussi qu'il prenne le casque du salut, je veux dire l'espérance, pour prémunir et protéger sa tête, c'est-à-dire le chef même de son âme. Qu'il se saisisse également du glaive de la parole de Dieu, et qu'il monte le dextrier du bon désir. Il faut tuer Goliath avec son propre glaive, je veux dire la vaine gloire par la considération de la vaine gloire elle-même.

33. Il y a deux fins dernières, la mort et la vie, c'est vers ces deux fins dernières que nous volons des deux ailes de la crainte et de l'espérance déployées. De deux de nos ailes, je veux parler de la pénitence du cœur et de la confession de la bouche, nous nous voilons les pieds, selon ce mot de l'Apôtre, « on croit de coeur pour la justice et on con fesse de bouche pour le salut (Rom. X, 10). » De deux autres ailes, l'amour de Dieu et l'amour du prochain, nous nous voilons la tête ; c'est ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Soit que nous soyons emporté hors de nous c'est pour Dieu; soit que nous nous tempérions, c'est pour vous (II Cor. V, 13). »

34. Remarquez que la crainte engendre la componction, la componction, le renoncement à tout, celui-ci la vraie humilité et cette dernière la vraie confession, où se trouve la purification de tous les vices. La confession fait pulluler les vertus; une fois devenues grandes ces dernières font la pureté du coeur en quoi consistent la vraie sagesse et la charité parfaite. Après cela, il faut savoir que c'est l'esprit de crainte qui donne la crainte ; l'esprit de piété, la componction; l'esprit de science, le renoncement aux choses présentes; l'esprit de force, la traie humilité; car l'humilité vainc tout; l'esprit de conseil donne la confession; l'esprit d'intelligence, l'acquisition des vertus ; l'esprit de sagesse, la parfaite pureté du coeur et l'amour.

35. Il y a quatre ordres dans la maison de Dieu; en effet, les uns se prosternent aux pieds de Jésus, tels les Éthiopiens, telle Marie pénitente et confessant ses péchés. Il y en a qui sont assis à ses pieds, telle la même Marie quand elle écoute sa parole. Quelques-uns sont couchés sur son sein, et d'autres assis à ses côtés. Les deux premiers ordres vivent pour eux-mêmes, le troisième vit pour lui et pour le prochain, c'est Jean l'Évangéliste, puisant et suçant la paix dans le sein du Seigneur, et l'annonçant au peuple. Le quatrième vit pour le prochain; c'est l'Apôtre qui dit: « Pour moi, j'ai combattu un bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi (II Tim. IV, 7), » et qui, en conséquence, continue avec confiance : « Une couronne de justice m'est réservée. » Aussi, dit-il, « je désire être dégagé des liens du corps et me trouver avec le Christ. Mais il est plus utile pour votre bien que je demeure encore envie (Philip. I, 23). » Ceux-là ne craignent point de vivre et ne refusent point de mourir.

36. Il y a un orgueil aveugle, un orgueil vain, et un troisième orgueil vain et aveugle en même temps. Il est aveugle, quand on croit avoir ce qu'on n'a point : il est vain quand on se glorifie de l'opinion que les hommes conçoivent de nous, en nous estimant ce que nous ne sommes point . il est aveugle et vain en même temps, quand, nous nous glorifions en nous-mêmes, et quand nous voulons être glorifiés par les autres du bien qui n'est point en nous.

37. L'humilité est suffisante, abondante ou surabondante. Suffisante, elle est soumise à ses supérieurs, et ne se préfère point à ses égaux. Abondante, elle se soumet à ses égaux et ne se préfère point à ses inférieurs. Surabondante, elle se soumet à ses inférieurs. C'est elle qui inspirait le Seigneur lorsqu'il disait à saint Jean : « Laissez-moi faire pour le moment, car c'est ainsi qu’il faut que nous accomplissions toute justice (Matt. III, 15). »

38. Quiconque veut plaire parfaitement à Dieu, doit briller par sa chasteté non moins que par sa charité. Or, pour ce qui est de la chasteté, elle est quintuple : il y a la chasteté des oreilles et celle des yeux, la chasteté de l'odorat, celle du goût et celle du tact. Quant à la charité, elle est quadruple. En effet, il en est une, selon l'Apôtre, « qui croit tout, (I Cor. XIII, 7), » c'est-à-dire qui n'est pont soupçonneuse; une qui « espère tout, » elle n'est point paresseuse; une qui «souffre tout, » elle ne murmure point; une qui « supporte tout,» elle n'est point impatiente. Voilà neuf vertus qu'on ne peut posséder sans être parfait et sans mener sur la terre la vie des neuf choeurs des anges. C'est en ce sens que l'Apôtre a dit : « Notre vie est dans les cieux (Philipp. III, 20). » Et s'il m'est permis de le dire, l'homme qui mène cette vie a plus de mérite que les anges. En effet, chez l'homme ce genre de vie est un acte de vertu, et chez l'ange c'est le fait de sa dignité.

39. Une sainte âme mortifie sa chair pour la garantir de la pourriture des vices, quand elle renonce, par continence, à toutes les voluptés du monde; on peut dire alors qu'elle embaume son corps de myrrhe, afin que, après le jugement, il demeure intact de la corruption; éternelle. Mais lorsque, dans l'ardeur de ses désirs, elle s'élève aux choses du ciel et repousse de la chambre de son coeur toutes les pensées superflues, elle fait, de son coeur, sous les yeux de Dieu, comme un encensoir, où elle amasse, par la charité, des vertus qui sont comme des charbons ardents qui la consument, en présence de Dieu, du feu de la charité. Et tandis qu'elle élève vers Dieu de pures et ferventes prières, c'est comme si elle faisait monter, de l'encensoir, la fumée de l'encens, pour répandre une bonne odeur en présence de son bien-aimé, et pour exciter sans cesse ceux qui l'approchent de plus près, à l'amour de Dieu, par ses bonnes oeuvres.

40. « Vous ne ferez pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère (Exod. XXXIV, 26. ) » Le chevreau c'est le pécheur ; la mère, ce sont nos premiers parents de qui nous descendons tous; le lait, ce sont les péchés qui découlent de la faute originelle. » Vous ne ferez pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère, » cela veut donc dire, qu'il ne faut pas laisser vivre le pécheur dans ses péchés jusqu'au jour de sa mort, mais le rappeler avant ce moment-là à la pratique des bonnes oeuvres, pour qu'il ne périsse point.

41. « Il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre, l'esprit, l'eau et le sang ( I Ioan. V, 8). » Par sa venue, le Seigneur a mis fin à la circoncision et aux autres baptêmes, et il a institué le baptême où il a voulu que ces trois choses rendissent sur la terre le témoignage de chrétienté. Écoutez comment fait le sang du Christ ; c'est un signe qui nous apprend que nous devons mourir au péché, selon ce mot de l'Apôtre : « Ignorez-vous que, baptisés en Jésus-Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés (Rom. VI, 2) ? » L'eau qui recouvre le corps comme une sorte de tombeau, nous dit que nous ne devons pas être plus longtemps esclaves du péché, « car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême, dans sa mort. » L'esprit vivifie et fait que, après avoir été ensevelis dans l'élément de l'eau, nous ressuscitions renouvelés par le Saint-Esprit, « afin que nous marchions dans une nouvelle vie, de la même manière que le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père. » Or ces trois témoins, opérant de concert pour la même chose, ne font qu'un, selon le mot de Saint Jean. Un dans le mystère, non point dans leur nature. Le sang est donc le témoin de la mort, l'eau celui de la sépulture, et l'Esprit, le témoin de la vie. Le sang a rapport au prix, l'eau, à la purification, et l'Esprit, à la rénovation de l'esprit. Le sang du Seigneur nous rachète, l'eau des fonts sacrés nous lave, l'Esprit nous fait enfants de Dieu par l'adoption.

42. « A la quatrième veille, il vint à eux (aux apôtres), en marchant sur la mer (Matt. XIV ). » Le premier sommeil est la crainte nocturne, c'est-à-dire la crainte des adversités. La veille qui le suit est produite par la prudence. Le second sommeil, c'est la flèche qui vole durant le jour, c'est-à-dire la tentation qui nous vient dans la prospérité ; la veille qui le suit est produite par la force. Le troisième sommeil c'est la chose qui marche dans les ténèbres, je veux dire la vaine gloire; la veille qui le suit est la justice. Le quatrième sommeil, c'est le démon de midi et ses incursions, je veux dire l'intempérance. Alors le Seigneur vient à eux en marchant sur la mer. Il marche bien dessus, lui, mais Saint Pierre enfonce dans ses flots. Au premier abord, on le prend pour un fantôme, mais ensuite on le reconnaît. Les plus craintifs, mais qui n'ont point cessé d'être fidèles, louent le Seigneur en voyant ces choses.

43. La prière requiert sept choses. Elle doit être dictée par la foi, selon ce mot de l'Évangile : « Tout ce que vous demandez eu priant, croyez que vous l'obtiendrez, et vous l'obtiendrez en effet (Marc. XI, 24). n Puis, elle doit être pure, à l'exemple de la prière d'Abraham qui éloignait les oiseaux de ses sacrifices. En troisième lieu, il faut qu'elle soit juste, en quatrième lieu assidue, en cinquième lieu humble, en sixième lieu fervente : ces deux qualités se retrouvent dans l'image tirée du grain de sénevé; en septième lieu, il faut qu'elle soit dévote.

 

FIN DES PENSÉES.
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome02/index.htm
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