JesusMarie.com

BIBLE FILLION

La Sainte Bible Commentée d'après la Vulgate et les textes originaux

LE LIVRE DE L ECCLESIASTE


1° Le titre. — Dans la Vulgate, nous lisons en tête de ce livre les mots suivants : Ecclesiastes, qui ab Hebraeis Coheleth appellatur. En effet, les Juifs l'ont toujours appelé Qohélet, nom très exactement traduit par la locution 'Eχχλησιαστής des Septante. Notre Bible latine a adopté la dénomination grecque, qui signifie: Celui qui parle à l'assemblée. Saint Jérôme en développe très bien le sens: « Ecclesiastes graeco nomine appellatur qui cœtum, id est ecclesiam congregat; quem nos nuncupare possumus concionatorem, eo quod loquatur ad populum, et ejus sermo non specialiter ad unum, sed ad universos generaliter dirigatur. » Ce nom, qui n'apparaît pas ailleurs dans la Bible, est employé ici d'une manière symbolique, pour marquer le rôle que remplit l'auteur du livre : il y est « considéré en quelque sorte comme prédicateur et docteur de foules assemblées » (les autres traductions que l'on a parfois données du mot Qohélet sont inexactes).

Dans la Bible hébraïque, le livre de l'Ecclésiaste est rangé parmi les Ketûbim ou Hagiographes, dans la catégorie des Megillôt, entre les Thrènes et Esdras (voyez le tome 1, p. 13). Les Septante et la Vulgate l'ont placé entre les Proverbes et le Cantique.

L'auteur du livre. - D'après la croyance unanime des anciens commentateurs juifs et chrétiens, c'est le roi Salomon qui a composé le livre de l'Ecclésiaste. Même lorsqu'ils se demandent avec anxiété, à propos de certains passages: « O Salomon, où est ta sagesse? Où est ta sottise? Non seulement tes paroles contredisent celles de David, ton père, mais elles se contredisent elles-mêmes » (Talmud, traité Schabbâth, 30, a) les rabbins s'ingénient « à mainte combinaison pour justifier les contradictions dont il s'agit, au lieu de conclure de ces contradictions mêmes que Salomon... n'est pas l'auteur du livre » (L.Wogue, Hist. De la Bible, Paris, 1881, p. 61). Quant à la tradition chrétienne, Pineda la résume fort bien dans ces quelques mots : « Constans et perpetua fuit Ecclesiae de tribus Salomonis libris persuasio. » Or ces trois livres sont les Proverbes, le Cantique et l'Ecelésiaste.

Luther lança contre cette tradition antique quelques objections superficielles, qui ne trouvèrent pas d'écho. C'est Grotius qui fut, en réalité, le premier à l'ébranler, au 17ème siècle, en essayant de démontrer scientifiquement que Salomon ne saurait être l'auteur de l'Ecclésiaste. Il a entraîné à sa suite la plupart des interprètes les plus récents, non seulement parmi les rationalistes, mais aussi parmi les protestants qui croient encore à 1'inspiration des saints Livres. Il est même quelques exégètes catholiques qui se sont laissé séduire par leurs raisonnements (« L'origine salomonienne de ce livre n'est pas de foi » (Man. Bibl., t. 2, n. 844) , quoiqu'elle ait de très sûrs garants).

Pour rejeter l'ancienne croyance et « le seul argument véritable qui soit concluant en pareille matière, l'autorité du témoignage » (Man. Bibl., l.c.), on allègue des preuves purement intrinsèques, tirées du livre lui-même, et se rapportant les unes au style, les autres à la doctrine, et aussi à l'état de la société dépeint par l'Ecclésiaste. Mais, avant de citer plus longuement ces objections et d'y répondre,il est bon de répéter que le livre se donne ouvertement et formellement, dès l'abord (cf. 1, 1 et l2), comme étant l'œuvre « du fils de David, roi de Jérusalem », — expressions qui ne peuvent convenir qu'à Salomon, — et que le caractère général de l'écrit, comme aussi d'assez nombreux détails personnels qui concernent l'auteur, s'accordent parfaitement avec tout ce que l'histoire sainte nous apprend du règne de Salomon (« Des trois ouvrages de ce roi, aucun ne porte aussi manifestement le cachet royal et personnel de l'investigateur de la nature, et du monarque qui avait tout connu, le saint et le profane. » Mgr Meignan, Salomon, son règne, ses écrits. Paris, 1890, p. 272).

    1. Le style, a-t-on dit, diffère beaucoup de celui des Proverbes, et ne saurait être du même auteur; bien plus, on assure qu'il diffère en général de celui des parties de la Bible composées avant l'exil. Par sa prolixité, ses néologismes, ses nombreux aramaïsmes (mots ou tournures empruntés aux idiomes araméens), l'Ecclésiaste rappelle les livres d'Esther, de Néhémie, d'Esdras et des trois derniers prophètes, dont il doit être le contemporain. — Réponse. Il est certain que le style du livre de l'Ecclésiaste est par moments inférieur à celui des Proverbes; mais « la différence d'âge de l'auteur, le changement des circonstances, et aussi la différence du genre littéraire (voyez plus bas), expliquent sans peine » ce fait. « D'ailleurs, malgré des différences considérables, il y a aussi des ressemblances, et elles sont telles, surtout dans les passages sentencieux, que les adversaires eux-mêmes les ont reconnues. » (Man. Biblique, t. 2, n. 846) Les néologismes que l'on signale sont en très petit nombre, et ils s'expliquent suffisamment par le caractère philosophique de l'écrit; au surplus, il n'est pas sûr que ce soient de vrais néologismes et qu'ils aient été inconnus et inusités avant Salomon. Quant aux aramaïsmes, après en avoir cité d'abord une longue liste (on est allé jusqu'au chiffre de 90), nos contradicteurs ont été contraints d'en réduire singulièrement le nombre (20 environ), et encore plusieurs de ces expressions sont-elles communes à tous les dialectes sémitiques, de sorte qu'elles peuvent très bien remonter beaucoup plus haut que Salomon (« Les chaldaïsmes , ou aramaïsmes, sont, quand il s'agit de l'âge des livres hébreux, un critérieum fort dangereux. On prend souvent pour des chaldaïsmes certaines particularités des dialectes du nord de la Palestine, ou des traits du langage populaire. » Renan, le Cantique, p. 108); enfin les relations commerciales ou autres que ce prince eut avec les Syriens et les Chaldéens justifieraient amplement l'insertion de locutions araméennes dans l'hébreu de son temps.

    2. Seconde objection : le contenu doctrinal du livre de Qohélet serait tout à fait incompatible avec sa composition par Salomon. - Réponse. Sans doute le contenu est bien différent de celui des Proverbes et du Cantique; mais il ne pouvait pas en être autrement, puisque le genre et le but ne sont pas les mêmes. Inutile d'insister sur la divergence de doctrine qui existe entre le Cantique et l'Ecclésiaste, puisqu'il n'y a pas le moindre rapport entre les sujets traités : c'est donc de la dissemblance, et point une vraie divergence. « Le livre des Proverbes, à partir surtout du chap. 10, est un recueil de pensées détachées, une collection de sentences la plupart du temps sans rapport entre elles, et dont la relation ne s'étend pas au delà de deux ou trois versets. L'Ecclésiaste, au contraire, a pour but de faire accepter une idée, d'en poursuivre sans trêve la démonstration à travers une série de raisonnements et de pensées toujours logiquement enchaînées, soit qu'il expose, soit qu'il discute, soit qu'il exhorte. Sans cesse il est retenu par son sujet, et toute digression que le besoin de sa cause ne demande pas serait une faute. Dans les Proverbes, rien ne l'arrête; il lâche la bride à sa pensée; il la laisse aller librement, sans préoccupation d'ordre ou d'enchaînement quelconque. Bien plus, autant l'intérêt du Qohélet est de restreindre sa pensée, autant celui de l'auteur des Proverbes est de la varier, d'en multiplier les objets. » (Motais, l'Ecclésiaste, Paris, 1877, p. 43). Au reste, on a souvent exagéré les différences qui existent entre l'Ecclésiaste et les Proverbes. « Les idées favorites de Salomon, la sagesse opposée à la folie, se rencontrent dans les deux écrits. Il y a près de trois cents versets des Proverbes dont la doctrine concorde avec celle de l'Ecclésiaste, et est exprimée presque dans les mêmes termes (voyez Motais, Salomon et l'Ecclésiaste, Paris, 1876, t. 2, pp. 253 et ss.). D'ailleurs la situation de l'auteur avait beaucoup changé quand il écrivit l'Ecclésiaste. Cet ouvrage date probablement de sa vieillesse, lorsqu'il sentait tout le néant de la vie, tandis que la plupart des Proverbes appartiennent à l'époque glorieuse » de sa maturité (Man. Bibl., t. 2, n. 845).

    3. Le tableau que l'auteur de l'Ecclésiaste trace de la société, au milieu de laquelle il vivait ne saurait se concilier non plus, dit-on, avec l'époque de Salomon, et dénoterait une composition très tardive; Qohélet parle comme un homme entouré de juges iniques et de ministres ambitieux, vivant au milieu d'un peuple dont la religion n'est souvent qu'un pur formalisme, exposé à des révolutions soudaines, etc.; or comment Salomon aurait-il pu tenir un tel langage, lui dont le règne fut toujours si florissant? - Réponse. Salomon ne s'est pas proposé de décrire uniquement ce qui se passait sous ses yeux en Palestine; ses peintures de mœurs vont plus loin, et conviennent à ce qui a lieu plus ou moins dans tous les temps et dans toutes les contrées, surtout dans les Etats de l'Orient. Même sous son règne il y eut, spécialement vers la fin, de nombreuses misères. D'autre part, « les nombreux détails relatifs à la puissance, aux entreprises luxueuses et aux méditations philosophiques de l'auteur..., ne peuvent guère convenir qu'à Salomon. » Ici encore, le fond même du livre parle donc en faveur de ce prince.

Au surplus, les critiques qui formulent ces diverses objections se réfutent mutuellement lorsqu'il s'agit de bâtir après avoir détruit, c'est-à-dire de fixer une époque pour la composition du livre de l'Ecclésiaste. Toutes les périodes de l'histoire juive comprises entre la mort de Salomon (975 avant J .-C.) et le règne d'Hérode le Grand ont été indiquées tour à tour comme témoins de la naissance de cet écrit (cf. Gletmann, Commentarius in Ecclesiasten, Paris, 1890, pp. 22-29). On voit par là « combien sont peu certains et concluants les signes intrinsèques sur lesquels on prétend s'appuyer pour déterminer l'auteur et la date, puisque l'examen d'un livre si court amène à des résultats si divergents et si contradictoires » (Man. Bibl., t. 2, p. 844, note).

Le sujet et le but du livre de l'Ecclésiaste. - Les mots omnia vanitas qui retentissent jusqu'à vingt-cinq fois dans ce petit livre, comme un douloureux refrain, expriment assez bien la pensée dominante, quoiqu'ils n'embrassent qu'une partie du sujet. «Ostendit (Ecclesiastes), disait Hugues de Saint-Victor, omnia esse vanitati subjecta: in his quae propter homines facta sunt, vanitas est mutabilitatis; in his quae in hominibus facta sunt, vanitas mortalitatis (In Ecclesiast. Hom. 1). » Bossuet est plus complet: «Totus hic liber unica velut argumentatione concluditur; cum vana omnia sub sole sint, vapor sint, umbra sint, ipsumque nihilum, id unum in homine magnum verumque esse, si Deum timeat, praeceptis ejus pareat, ac futuro judicio purum atque integrum se servet (au début de la préface placée en avant de son commentaire sur l'Ecclésiaste). » Ou, plus brièvement avec l'auteur de l'Imitation (1, 1, 4) : « Vanitas vanitatum, et omnia vanitas, praeter amare Deum et illi soli servire. »

En d'autres termes, l'expérience nous apprend que toutes les aspirations, tous les efforts de l'homme sont « vanité des vanités »; qu'il ne trouve rien de réel, de solide parmi les biens terrestres; qu'ici-bas toutes les situations sont marquées au sceau de l'imperfection, du dégoût, du souci, d'une inégalité dénuée de cause apparente, du malaise universel. Heureusement la foi aussi nous transmet ses leçons. Elle nous enseigne que le monde est gouverné jusque dans les plus petits détails par un Dieu saint, juste et bon. Voilà deux faits opposés, contradictoires, qui créent pour l'homme un douloureux problème. Ce problème de la vie humaine, l'Ecclésiaste renonce à le résoudre d'une manière théorique; il préfère le trancher plus facilement, en allant droit aux conclusions pratiques. Voulez-vous être heureux? demande-t-il. Attachez-vous à Dieu comme à un rémunérateur juste et sage; puis, en attendant la rémunération parfaite, jouissez des rares éclaircies de bonheur qui illuminent votre vie, car c'est là un don du Seigneur lui-même. Ainsi donc, « au milieu du néant et des misères de la vie, il faut espérer dans la justice de Jéhovah, et s'en rapporter à la sagesse incompréhensible et absolument mystérieuse de ses conseils. Jéhovah semble sommeiller; mais Jéhovah aura son jour et ses grandes assises (12, 14), où il redressera le monde, où il jugera le juste et l'injuste (Mgr Meignan, Salomon, son règne, ses écrits, p. 282). »

Il est aisé, d'après cela, d'indiquer le but que se proposa Salomon en composant ce livre. Ce but n'est ni simplement théorique, comme on l'a souvent affirmé (montrer la vanité de tous les biens terrestres; indiquer la nature du souverain bien; prouver l'immortalité de l'âme, etc.), ni simplement pratique (nous apprendre à vivre dans la paix et dans un bonheur relatif, malgré les vicissitudes et les misères de l'existence humaine, etc,). C'est un heureux mélange de théorie et de pratique: élever l'homme au-dessus de tous les objets sensibles, même de ceux qui lui paraissent les plus magnifiques, exciter ainsi en lui une vigoureuse aspiration vers des biens d'un ordre supérieur (ce sont là les paroles de S. Grégoire de Nysse, In Eccles., hom. 1), et lui montrer comment il doit régler sa vie pour parvenir à la félicité dont Dieu lui laisse la jouissance ici-bas. Or régler sa vie, c'est éviter l'usage coupable et immodéré des biens terrestres; c'est, en toutes choses, se souvenir du compte qu'il faudra rendre un jour à Dieu; c'est, en un mot, craindre le Seigneur et pratiquer sa loi sainte. Tous les détails du livre convergent vers cette fin (voyez Cornely, Introductio in utriusque Testamenti libros sacros, t. 2, 2è partie, pages 165-166).

Le caractère général de l'Ecclésiaste. - C'est faute d'avoir bien compris le sujet et le but de cet écrit qu'on l'a souvent apprécié, de nos jours surtout, d'une manière si étrange et si fausse. On y a découvert toutes les erreurs anciennes et modernes, plus particulièrement le scepticisme, le fatalisme, le pessimisme, les doctrines d'Épicure, des contradictions perpétuelles (voyez sur ces points l'ouvrage magistral de M. l'abbé Motais, Salomon et l'Ecclésiaste, t. 1, pp. 151-507, ou son abrégé, l'Ecclésiaste, pages 70-118). Ce n'est point ici le lieu de réfuter en détail ces fausses assertions, que le commentaire sapera, du reste, par la base, en établissant le véritable sens de chaque verset ou série de versets, et par là même de l'ensemble (voyez aussi le Man. Biblique, t.2, nn. 852-859, et Mgr Meignan, l.c., pp. 259 et ss.). Il sera bon cependant d'indiquer en quelques mots le genre, la « manière » de l'auteur; plus d'une difficulté disparaîtra ainsi de prime abord.

L'Ecclésiaste n'est ni un moraliste qui écrit une homélie sur la vertu, ni un philosophe qui compose un traité sur la vanité de la vie, ni un prophète qui délivre un divin message à un peuple coupable; c'est un homme qui a vécu, qui « a tout vu, tout connu : la puissance, la science, le plaisir, la société des hommes à tous ses degrés, les mystères du cœur humain et ses entraînements », et qui raconte très simplement les résultats de son expérience et de ses réflexions, en vue d'instruire les autres hommes, et de les aider à surmonter les tentations et les embarras par lesquels il avait passé lui-même. Il le fait, pour ainsi dire, dans un dialogue intime avec son âme, dont les deux « parties », comme les nomment les auteurs mystiques, la supérieure et l'inférieure, mais cette dernière surtout, proposent tour à tour leurs sentiments et font entendre des voix bien différentes (mais ce n'est pas un entretien proprement dit, entre deux personnes distinctes, dont l'une ferait les objections et l'autre les réponses, comme on l'a quelquefois pensé). De là ce va-et-vient si mouvementé de pensées. « C'est comme la lutte entre les deux principes dont parle l'épître aux Romains (chap. 7); c'est comme le retour perpétuel de la strophe et de l'antistrophe dans les Pensées de Pascal... Chaque spéculation et chaque impression du cœur humain est exposée et entendue successivement, » souvent sans la moindre transition, ce qui produit parfois ces apparences de contradictions, de scepticisme, de pessimisme, dont les hommes irréligieux ont abusé à maintes reprises, bien que l'auteur traite son sujet avec un grand respect et un profond esprit de religion. ll « semble noter ses pensées dans l'ordre même où elles s'offraient à lui, sans s'arrêter pour les arranger et les organiser. Il signale les difficultés d'une manière très sincère, telles qu'il les voyait; s'il est incapable de les résoudre, il n'essaye point de cacher sa propre ignorance, mais il les abandonne à Dieu, dont la puissance et la justice sont pour lui une réponse à toutes les objections ». Voilà pourquoi le pour et le contre se succèdent par moments sans interruption. Qohélet est rond et franc dans ses appréciations, et il ne cache pas son désenchantement des choses humaines; mais il n'est pas moins loyal dans ses nobles élans de sagesse et de résignation, dans ses exhortations au fidèle accomplissement du devoir, et dans le sursum corda qu'il redit à toutes ses pages.

Plan et division. - « L'allure du livre n'est donc ni régulière, ni méthodique; il suffit à Salomon, pour l'unité du plan conçu par lui, que l'examen des choses ramène à la thèse principale, comme à un refrain: Tout ici-bas est vanité et affliction d'esprit. » (Mgr Meignan, Salomon, p. 287). Néanmoins, quoique l'Ecclésiaste n'ait pas été écrit avec la rigoureuse méthode d'un traité philosophique, il est aisé d'y reconnaître un plan et un ordre très réels.

On a dit avec assez de justesse que l'ordre général de notre livre est le même que celui de l'épître aux Hébreux, c'est-à-dire qu'il consiste en une succession continuelle de morceaux didactiques et d'exhortations. Mais nous pouvons préciser beaucoup mieux encore, et partager les douze chapitres de Qohélet en quatre parties, précédées d'un court prologue et suivies d'un court épilogue. Le prologue, 1, 2-11, contient en abrégé le sujet du livre: Vanitas vanitatum et omnia vanitas! Si l'on envisage la vie humaine en dehors de Dieu, on n'y rencontre que « changements et oubli ». La première partie, 1, 12-2,26, expose, sous forme de confession, les expériences multiples de Salomon, et leur résultat relativement au problème du bonheur humain, cherché seulement parmi les choses de la terre. Dans la seconde partie, 3, 1-5, 19, l'auteur démontre que l'homme, cet être si dépendant et si peu maître de sa propre destinée, est absolument impuissant à acquérir le bonheur par ses propres efforts. La troisième partie, 6, 1-8, 15, fournit quelques excellentes règles pratiques pour arriver au bonheur. La quatrième partie, 8, 16-12, 7, démontre que la vraie félicité consiste ici-bas dans la possession de la sagesse. L'épilogue, 12, 8-14, résume le livre entier, et donne comme solution complète du problème la crainte de Dieu et la fidélité à garder ses commandements (pour les détails de l'analyse, voyez le commentaire, et aussi notre Biblia sacra, pages 698-795).

Cette division rend compte du plan de l'auteur sacré, au moins dans ses traits principaux. La suite des pensées n'est pas toujours rigoureuse, la liaison des idées surtout n'est pas partout apparente...; il y a des oscillations dans l'exposition, quelques répétitions, et quelques parenthèses; mais il est impossible néanmoins de méconnaître l'idée dominante de chacune des parties» (Man. Bibl., t. 2, n. 851).

La forme littéraire de l'Ecclésiaste. - Sous le rapport littéraire, ce livre appartient au genre poétique dit šal, ou didactique (voyez le tome 3, p. 483), aussi bien que les Proverbes. Cependant le plus souvent il est écrit en simple prose, mais en prose oratoire, munie d'un certain rythme; tel est habituellement le cas lorsque Salomon expose les résultats de sa propre expérience et ses réflexions personnelles. Ce n'est que par moments, surtout lorsqu'il passe à l'exhortation, qu'il emploie le vrai langage de la poésie, et qu'il a recours au parallélisme. Voyez, entre autres passages, 5, 2, 5; 7, 2-10, 12; 8, 8; 9, 8, 11, et la fin du chap. 12. Sa diction reçoit de là un caractère bigarré, qu'on trouve quelquefois chez les écrivains arabes.

Certaines formules, qui retentissent fréquemment à travers le livre, comme des refrains mélancoliques, produisent un effet saisissant et témoignent d'un art très réel dans la composition. « Notre poète a du délicat, du gracieux dans l'expression, beaucoup de finesse dans l'association des pensées et des sentences. » Il y a de la vigueur dans le coloris, « malgré quelques négligences et un peu de diffusion. » En plusieurs endroits, « l'Ecclésiaste se manifeste comme un vrai maître de la parole: » par exemple, « quand il représente, 1, 4-11, l'éternel va-et-vient du cours des choses, et quand il peint, 12, 2-7, la vie humaine qui touche à son terme, et enfin se brise. »

L'importance du livre de l'Ecclésiaste est avant tout morale. Il dissipe les illusions et décrit avec une rare vigueur le néant de tous les biens terrestres, la fragilité de toutes les joies humaines. Par là même il élève et fortifie l'âme dans les situations heureuses, et la console dans le malheur. Saint Jérôme raconte qu'il le lut avec Blaesilla, pour exciter sa sainte amie au mépris des choses de la terre. Saint Augustin est plus complet lorsqu'il dit que si ce gracieux petit volume démontre la vanité de cette vie, c'est uniquement pour nous faire désirer une autre vie dans laquelle, au lieu de « la vanité qui est sous le soleil », il y a la vérité sous Celui qui a créé le soleil. Et cent assertions semblables des moralistes anciens et modernes.

Le philosophe aussi trouve à gagner dans la lecture de cet écrit, qui résout un problème si important et agite de si graves pensées. Il y trouve la clef d'un profond mystère, et apprend à connaître le moyen de réduire ses doutes au silence.

Enfin, d'une manière muette et indirecte, le livre de l'Ecclésiaste a un certain cachet messianique, puisque, en décrivant avec tant d'énergie les souffrances endurées par l'humanité sous le régime de la nature pure, et même de l'Ancien Testament, il fait naître en elle le désir du vrai bonheur, que Jésus-Christ seul devait apporter sur la terre.

Auteurs à consulter. — Saint Jérôme, Commentarius in librum Ecclesiasten ad Paulam et Eustochiam; Hugues de Saint-Victor, In Ecclesiasten Homiliae 19 (au 12ème siècle); Pineda, Commentarium in Ecclesiasten, Anvers, 1620 (ouvrage aussi complet que solide); Bossuet, Liber Ecclesiastes; les commentaires de Corneille de la Pierre, de Maldonat et de D. Calmet; Vegni, L'Ecclesiaste secondo il testo ebraico, doppia traduzione con proemio e note, Florence, 1871 ; A. Motais, Salomon et l'Ecclésiaste, Étude critique sur le texte, les doctrines, l'âge et l'auteur de ce livre, Paris, 1876; du même, L'Ecclésiaste, Paris, 1877 (résumé du précédent); Mgr Meignan, Salomon, son règne, ses écrits, Paris, 1890; G. Gietmann, Commentarius in Ecclesiasten et Canticum canticorum, Paris, 1870 (le meilleur de tous les commentaires catholiques).