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BIBLE FILLION

La Sainte Bible Commentée d'après la Vulgate et les textes originaux

LE LIVRE DE L ECCLESIASTIQUE


INTRODUCTION


Les noms et le caractère canonique de ce livre. — Dans les diverses éditions du texte grec, il est appelé Σοφία 'Ιησού υίού Σειράχ, « Sagesse de Jésus, fils de Sirach, » ou, par abréviation, Σοφία Σειράχ, « Sagesse de Sirach. » A peu près de même dans la version syriaque: « Sagesse du fils de Sira. » Ces titres, on le voit, renferment deux notions, puisqu’ils indiquent tout ensemble la nature du livre et son auteur. Les Pères grecs, plus rarement les Pères latins, emploient parfois le nom de « Sagesse qui enseigne toute vertu », déjà attribué aux Proverbes ('Ηπανάρετος σοφία. Panaretos Jesu filii Sirach liber (saint Jérôme). Voyez le tome 4, p. 423). Saint Jérôme nous apprend que les Juifs désignaient aussi l’écrit du fils de Sirach par la dénomination de « Paraboles ».

Quoique hellénique par sa dérivation, le titre d’Ecclesiasticus (sous-entendu liber (dans les citations bibliques, Eccli., tandis qu'on emploie le signe Eccl. -ou Eccle. - pour l'Ecclésiaste)) provient des anciens écrivains de l'Église latine, et aucun des auteurs grecs de l'antiquité n’en fait usage. On le trouve déjà dans les œuvres de saint Cyprien et de Rufin; plus tard, dans ceux de Cassiodore et de Rhaban Maur. Ce nom, « formé d’après l’analogie de celui de l’Ecclésiaste » (voyez le tome 4, p. 547), tire évidemment son origine du fréquent emploi que l’on faisait dans l'Église, pour les lectures publiques, du volume sacré qu’il sert à désigner: « c’était le livre de l'Église, de l'assemblée » (Manuel biblique, t. 2, n. 876).

La canonicité de l’Ecclésiastique est niée par les Juifs actuels et par toutes les sectes protestantes. Les catholiques la regardent comme une vérité de foi, car elle a été formellement définie par les conciles. Elle est démontrée par une série non interrompue de témoignages, que fournit aussi bien la tradition juive que la tradition chrétienne : en effet, ce ne sont pas seulement les Pères en très grand nombre, dans l'Église soit orientale, soit occidentale, qui citent l’Ecclésiastique comme livre divin (en employant la formule : « L'Écriture dit, » ou d'autres paroles identiques. Voyez Cornely, Historia et critica introductio in utriusque Testamenti libros sacros, t. 2, pars 2, 2, p. 255-257); les Juifs eux-mêmes le citent aussi dans le Talmud, ou en d’autres écrits, sans distinguer entre lui et les autres parties de la Bible (ils usent eux aussi, dans ce cas, des formules : « Il est écrit, Il est dit, Il est ainsi écrit dans le livre de Ben-Sira (du fils de Sira) ». Le commentaire signalera les principales de ces citations rabbiniques). D’ailleurs, sa présence dans la Bible des Septante montre qu’il faisait partie du canon des Juifs d’Égypte. Quelques passages du Nouveau Testament prouvent que les apôtres ont connu l’Ecclésiastique : s’ils ne lui empruntent pas des citations directes, il est manifeste que divers passages de leurs écrits sont un écho de ses pages. Comparez Joan. 14, 23, et Eccli. 2, 18; 1 Tim. 6, 9, et Eccli. 11, 10; surtout Jac. 1, 19, et Eccli. 5, 13. C’est parce qu’il ne fait point partie de la Bible hébraïque, qu’il est rangé parmi les livres deutérocanoniques de l’Ancien Testament.

De l’aveu des meilleurs exégètes catholiques (entre autres Cornelius a Lapide, Serarius, Bonfrère. Voyez Cornely, l.c., p. 260), le Prologue du traducteur, placé en avant du premier chapitre, n’est ni inspiré ni canonique; en effet, selon la parole de saint Jérôme, « aliud (est) vatem esse, aliud interpretem. »

Le sujet et l'importance du livre. — Le sujet est fort bien indiqué par le nom grec de Σοφία, car l’Ecclésiastique « embrasse tout le domaine de la sagesse et la pratique de toutes les vertus »; le fils de Sirach est vraiment « un éducateur de sagesse », comme s’exprimait Clément d’Alexandrie. A la façon du livre des Proverbes, il a constamment recours aux maximes, aux comparaisons, et même aux énigmes, pour communiquer aux hommes ses saintes leçons; mais il est tout à la fois plus complet et plus étendu. La matière est extraordinairement riche. En outre, l’auteur a ajouté les exemples aux préceptes, en concluant son écrit par un magnifique éloge des personnages de l’Ancien Testament qui avaient le mieux pratiqué les enseignements de la Sagesse.

On a reconnu depuis longtemps que ce « tissu bigarré de sentences courtes et longues » a une très grande importance morale et dogmatique, et ceux-là mêmes qui refusent de regarder l’Ecclésiastique comme un livre divin, admirent volontiers ses beautés de tout genre et vantent son utilité. « Tous les états, dit un écrivain protestant, toutes les conditions, toutes les époques, les situations les plus spéciales de la vie y trouvent une plénitude de règles et de conseils excellents. » Après une réflexion du même genre, Martini, archevêque de Florence au siècle dernier et auteur d’une traduction très estimée de la Bible en italien, donne cet excellent conseil pratique : « Je souhaiterais de tout mon cœur que ce livre, avec celui des Proverbes et la Sagesse, fût comme le premier lait dont on nourrisse 1’âme de la jeunesse, parce que ces écrits sont les plus utiles pour former non seulement leur esprit, mais aussi leur cœur, lui donner de hautes pensées, le fortifier contre la séduction des passions, lui inspirer les vrais et utiles principes qui doivent diriger l’homme dans la vie présente et le rendre digne de la vie éternelle » (cité par le Man. Bibl., t. 2, n. 882). Mais les Canons apostoliques n’avaient-ils pas déjà prescrit cette même règle (Can. 85)? « Ut adolescentes, disent-ils, addiscant etiam Sapientiam eruditi Sirach. » Et certes, ce qui, dans ce livre, convient à la jeunesse, ne s’applique pas moins à l'âge mûr. Voilà pourquoi le grand exégète catholique Cornelius a Lapide disait de son côté : « Christiani omnes, virtutis et perfectionis avidi, avide hunc librum volvant, legant et re1egant. » (Préface de son commentaire sur l'Ecclésiastique, cap. 4, p. 29).

L’Ecclésiastique est également remarquable pour son dogme, spécialement dans sa première partie, qui contient des choses très excellentes sur Dieu, ses attributs et ses œuvres extérieures; sur l'homme, son état primitif, sa chute et les suites du péché originel; sur les fins dernières; sur les espérances messianiques (Voyez le Man. Bibl., l.c., n. 885).

La division. - « Le livre de l’Ecclésiastique forme un tout, mais il n’est pas rigoureusement suivi; il est écrit sans plan d’ensemble, et avec la liberté d’allures qui est commune aux écrivains orientaux, surtout dans les ouvrages de ce genre; les pensées ne sont pas reliées entre elles, ainsi qu’il arrive fréquemment dans les recueils de sentences; les digressions abondent: de là la difficulté ou plutôt l'impossibilité d’en faire une analyse méthodique.» (Ibid., n. 883). On ne peut marquer, lorsqu’il s’agit de la division générale, que les très grandes lignes, qui sont rares ici. Après le Prologue en prose, composé par le petit-fils de l’auteur, commence le livre proprement dit, écrit tout entier en vers. Il se divise en deux parties : la première, 1, 1-42, 14, renferme des préceptes moraux de tout genre, soudés les uns aux autres, presque sans suite logique (deux paragraphes : 1° prélude, qui décrit l’origine de la sagesse, 1, 1-40; 2° préceptes divers, 2, 1-42, 14); la seconde, 42, 15-50, 23, fait l’éloge soit du Créateur, soit des principaux personnages de l’Ancien Testament (deux paragraphes aussi : 1° hymne au Créateur, 42, 15-43, 37; 2° hymne des Pères, 44, 1-50, 23). Un épilogue termine le tout, 50, 24-51, 38 (on trouvera une analyse plus détaillée dans le commentaire. Voyez aussi notre Biblia sacra, p. 730-795).

Ça et là le texte grec insère des titres rapides, qui caractérisent un groupe de pensées : par exemple, 24, 1, Αίνεσις σοφίας, Éloge dela sagesse, 30, 1, Περίτέχνων, Des enfants, etc. (pour les autres titres, voyez les notes). Il n’en reste à peu près aucune trace dans la Vulgate.

Il règne entre notre version latine et la traduction grecque une divergence assez importante pour l’ordre des chapitres 30 (à partir du vers. 27) -36 (jusqu’au vers. 16). Ce qui, dans la Vulgate, est marqué 30, 27-33, 15, est devenu 33, 16-36, 16, dans le texte grec, et vice versa. La Vulgate a pour elle le syriaque, l’arabe et l'enchaînement naturel des pensées. L’interversion qui a eu lieu dans les Septante est sans doute le résultat d’un accident (quelques pages déplacées, ou mal numérotées une première fois; puis les copistes conservant cet ordre fautif. Il arrive très souvent aussi que les versets n'ont pas été partagés de la même manière dans le grec et dans le latin. A moins d'indication contraire, nous citons toujours d'après la Vulgate).

L’auteur. — Les Pères parlent assez fréquemment de l’Ecclésiastique comme s’il était l’œuvre de Salomon; mais c'est dans un sens très large qu’ils tiennent ce langage. Ils attribuent parfois aussi tous les psaumes à David, même après avoir dit formellement qu’il n’était pas 1'auteur du psautier considéré dans son intégrité : ce n’est pas d'une autre manière qu’ils donnaient une origine salomonienne à l’ensemble des livres sapientiaux, puisqu’ils se corrigent ensuite eux-mêmes lorsqu’ils parlent en termes plus précis.

Il n’y a pas le moindre doute sur ce point: c’est Jésus, fils de Sirach (en hébreu šûa' , abréviation de Yehošûa', Josué), ben Sîra' ), qui a composé le livre de l'Ecclésiastique. Il a lui-même signé son travail (50, 29), et son petit-fils, devenu son traducteur, l’a contre-signé dans le Prologue. Divers auteurs pensent que ce fait est de foi, puisqu’i1 est signalé dans le cours de l’écrit et qu’il entre dans le domaine de l'inspiration.

Nous ne savons à peu près rien de sa vie, sinon ce qu’il en a raconté personnellement, en termes plus ou moins directs. C’était un habitant de Jérusalem (50, 29), et il avait beaucoup voyagé, non sans péril, pour compléter son éducation en acquérant une plus grande expérience (34, 12-13); il s’était préparé à la composition de son livre par une étude approfondie de la sainte Écriture (Prologue). « Quant à l’époque où il florissait, elle est incertaine. Son livre nous fournit un moyen de résoudre la question, en nous indiquant le nom du grand prêtre juif, Simon, fils d’Onias (50, 1-21), sous lequel il avait vécu, et qu’il avait vu officier dans le temple; mais comme le même nom a été porté par deux pontifes différents, tous deux fils d’Onias (à savoir: Simon I, dit le Juste, qui vivait du temps de Ptolémée, fils de Lagus, vers 290 avant Jésus-Christ, et Simon II, qui était grand prêtre quand Ptolémée IV Philopator voulut entrer de vive force dans la ville de Jérusalem; cf. 3 Mach, 1, 2, dans la Bible grecque), les critiques se partagent: les uns font Jésus contemporain du Simon le plus ancien, les autres du plus récent. Le traducteur, dans son prologue, fournit une autre donnée chronologique : il nous dit qu’il alla lui-même en Égypte sous le règne de Ptolémée Evergète. Par malheur, il y a aussi deux rois qui ont porté ce surnom : l’un, Ptolémée III, fils et successeur de Ptolémée II Philadelphe, 247- 222; l’autre, Ptolémée VII, dit aussi Physcon, frère de Ptolémée Philométor, 170-117; de sorte qu’il est également difficile de décider quel est le roi d'Égypte dont parle le petit-fils de l'auteur de l'Ecclésiastique. L’opinion la plus communément reçue place la composition de l’ouvrage vers 280, la traduction vers 230 (l'opinion opposée assigne à la composition de l'Ecclésiastique la date de l'an 180 environ, et à la traduction celle de l'an 130); elle fait vivre Jésus ben Sirach du temps de Simon I, et son petit-fils sous Ptolémée III Evergète I. Quoiqu’elle ne soit pas à l’abri de toute difficulté, elle est cependant la plus vraisemblable. 1° L’éloge du chapitre 50 ne peut se rapporter qu’à Simon I, dit le Juste; le contemporain de l’auteur est représenté, en effet, comme un pontife très remarquable, ce qui ne saurait convenir à Simon II, dont l'histoire ne dit aucun bien. 2° Le grand prêtre de l’Ecclésiastique est qualifié de libérateur de son peuple (cf. 50, 4), ce qui peut s’appliquer à Simon I, mais non à Simon II, sous le pontificat duquel ni le peuple ni le temple n’avaient besoin de protecteur spécial. 3° Du temps de Simon II, les idées païennes, contre lesquelles s’élevèrent les Machabées, avaient déjà fait de grands progrès; elles étaient propagées par les fils de Tobie; comme elles étaient en horreur aux Juifs fidèles, on ne s’expliquerait point que, si l’auteur de l’Ecclésiastique avait écrit à cette époque, il ne les eût pas condamnées; on s’expliquerait moins encore qu’il eût loué Simon II, qui avait pris parti pour les fils de Tobie. Il s’élève contre les Samaritains (50, 28); à plus forte raison aurait-il condamné les faux frères qui imitèrent les mœurs des Hellènes. 4° Ajoutons enfin que le Ptolémée Evergète, ou Bienfaiteur, dont parle le prologue de l’Ecclésiastique, ne peut guère être que le premier qui a porté ce nom. Les monuments ne donnent pas le surnom d’Evergète à Physcon, mais seulement au successeur de Philadelphe » (Man. Bibl. , t. 2, b. 878)

Le texte et les versions. -1 L’Ecclésiastique fut composé en hébreu : le traducteur le dit formellement au milieu de son prologue (saint Jérôme, Praef. In libr. Salomonis, affirme avoir vu le texte original), et, ne l'eût-il pas dit, ce fait est suffisamment attesté par les nombreux hébraïsmes dont le livre est parsemé. Voici quelques exemples. 17, 3 : ήμέρας άριθμού, littéralement, « des jours de nombre, » c.-à-d. des jours peu nombreux; expression calquée sur l’hébreu yemé mispar. 17,10: διαθήχην άιώνος, « une alliance de siècle (hébr.: berit ‘ôlâm), » c.-à-d. une alliance éternelle. 19, 20: άπό προσώπου βρέφους, littéralement, « a facie infantis (hébr.: mippené ‘ôlel), » c.-à-d. à cause de l’enfant, etc.

Plusieurs inexactitudes du traducteur lui-même démontrent pareillement ce fait: il s’est trompé parfois sur la signification des mots hébreux, de sorte que, pour retrouver le vrai sens, qui a été obscurci par là même, il faut reconstituer le texte primitif, et alors toute obscurité disparaît. Ainsi, le passage Eccli. 24, 37, parle de la lumière, en latin comme en grec, d’une manière très imprévue.

Qui mittit disciplinam sicut lucem

et assistens quasi Gehon in die vindemiae.


Le parallélisme demande un nom de fleuve dans le vers. 37a, comme dans le vers. 37b, à la suite de l'énumération du Phison, du Tigre, de l’Euphrate et du Jourdain (vers. 35-36). L'hébreu devait porter kaye’ôr, « comme le Nil » le traducteur a lu ka’ôr, « comme la lumière ». De même, Eccli. 25, 15 (d’après le numérotage du grec) , χεφαλή est mis au lieu de φάρμαχον (hébr. : rô’š). La version latine, pour donner un sens au grec, a traduit (25, 22) : Non est caput nequius super caput colubri, en ajoutant le mot nequius, etc. (Man. Bibl., t. 2, n.879).

Cette traduction grecque, préparée en Égypte par le petit-fils de l'auteur, est la plus ancienne et la principale de toutes. Malheureusement les copistes l’ont assez souvent dénaturée; de là ses nombreux points de divergence soit avec les versions latine et syriaque, soit avec les citations de l'Ecclésiastique par les Pères grecs. Il est admis que notre Vulgate, malgré ses imperfections de détail, se rapproche davantage du texte primitif. Elle n’est cependant pas l'œuvre de saint Jérôme; elle faisait partie de l'antique Itala, et le savant docteur ne l’a pas même corrigée. Elle n’a pas été faite d'après l'hébreu, mais d’après la traduction grecque; aussi abonde-t-elle en expressions helléniques qu’elle a simplement copiées sans les traduire: acediare, achuris, agonizare, aporiabitur, apostatare, baptizare, cataclysmus, eucharis, in eremo, phantasia, poderes, thesaurizare, etc. Elle contient aussi un nombre considérable d’expressions populaires qui n'apparaissent pas ailleurs dans la Vulgate; entre autres, abhorreo, acide, adincrescant, affabilis, compartior, defunctio, implanare, pessimari, religiositas, etc. On y remarque çà et là des négligences, de petites omissions ou additions (les principales seront notées dans le commentaire).

Les commentateurs catholiques de l’Ecclésiastique sont relativement peu nombreux. Quoique les Pères et les anciens écrivains ecclésiastiques l’aient lu volontiers et souvent recommandé, ils n’en ont pas laissé d’explication proprement dite. Rhaban Maur est le premier qui l’ait interprété, et plutôt d’une manière mystique que d’après le sens littéral. Ses meilleurs commentateurs sont, dans les temps modernes, Cornelius Jansenius de Gand, Cornelius a Lapide (œuvre très complète), Bossuet (Libri Salomonis..., Sapientia, Ecclesiasticus cum notis) , Emmanuel Sa (In Ecclesiasticum commentarium) , Calmet; de nos jours, Lesêtre (l’Ecclésiastique, Paris, 1880).