Bible Fillion
LE LIVRE D'ESDRAS
INTRODUCTION
1° Relations du livre d’Esdras avec celui de Néhémie. - Les anciens écrivains juifs, entre autres les auteurs du Talmud (Baba bathra, f. 14, 2) et Josèphe (C. Apion, 1, 8), puis, à leur suite, les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles (Cf Méliton, ap. Euseb., Hist. Eccl., 4, 26; saint Jérôme, Prol.galeat., 27), envisageaient ces deux écrits comme formant ensemble un seul et même ouvrage. De là les titres qu’ils portent encore dans les éditions des Septante et de la Vulgate : ˝Εσδρας πρώτος, ou Liber primus Esdrae, et ˝Εσδρας δεύτερος, ou Liber Nehemiae, qui et Esdrae secundas dicitur. En réalité, « ils se relient intimement l’un à l’autre » (Man. Bibl., t.2, n. 513) par le sujet traité. Néanmoins on les regarde communément aujourd’hui comme deux livres bien distincts; et à bon droit, car leur style, malgré certaines analogies frappantes, accuse deux auteurs différents, et les premières lignes du second (Neh. 1, 1) attestent plus clairement encore cette diversité d’origine, sans parler de la tradition, dont nous allons citer le jugement.
2° L’auteur et la date de composition du livre d’Esdras. — ce nom même exprime, d’après le témoignage unanime de l'antiquité juive et chrétienne, l'auteur n’est autre qu’Esdras (en hébreu, 'Ezra'), ce prêtre si saint, ce savant docteur de la loi. Esdras scripsit librum suum, dirons-nous avec le Talmud (Baba bathra, 1. c.) et tous ceux des Pères qui se sont occupés de cette question.
Tout en adoptant ce sentiment pour une portion très considérable du livre, plusieurs critiques modernes, ont objecté l’emploi alternatif des pronoms de la première et de la troisième personne dans la seconde partie de ce petit volume (7, 1-11, l'auteur parle à la première personne; 7, 27-9, 15, à la troisième; il emploie encore la troisième au chap. 10), concluant de là que les derniers chapitres ne pouvaient être d’Esdras, comme les précédents. Objection futile, car d’autres exemples démontrent que ce passage d’une personne à l’autre avait lieu non seulement dans les narrations bibliques (témoins Isaïe, 7, 3, et 8, 1; Jérémie, 20, 1-6 et 7; 28, 1, 2 et 5; Daniel, 1-7, 1, et 7, 2-9, 27; 10, 1, et 10, 2 et ss., etc.), mais aussi chez les historiens classiques (témoin Thucydide). D’ailleurs, alors même que les pronoms changent, le style demeure constamment le même dans les pages dont on attaque ainsi à tort l'authenticité.
Esdras écrivit probablement son livre peu de temps après la grave affaire des mariages mixtes, par laquelle il le termine si brusquement; c’est-à-dire, comme l'indiquera plus explicitement le commentaire, en 459 avant J.-C. Il paraît certain , du moins, que la composition est antérieure à l'arrivée de Néhémie à Jérusalem (Pendant la vingtième année d'Artaxercès Longue-Main, qui équivaut à l'an 445 de notre ère), circonstance importante qu’Esdras n’aurait point passée sous silence si elle avait précédé les faits qu’il raconte.
3° La véracité, les sources. — Le livre d’Esdras, qui ne contient aucun récit miraculeux capable d’effaroucher les rationalistes, et qui, d’autre part, relate des épisodes d’une réalité historique trop bien garantie pour qu’on puisse les révoquer en doute, a eu la bonne fortune, - extrêmement rare pour un écrit biblique, - de voir sa véracité admise à peu près sans conteste.
Pour les derniers chapitres (7-10), l’auteur n’eut qu’à consulter ses souvenirs personnels; pour les premiers (1-6), qui relatent des événements plus anciens que lui, il lui fut facile de puiser dans les documents spéciaux, soit juifs (par exemple, pour les listes qu'il cite 1, 9-11, et 2, 2-69), soit persans (pour l'édit de Cyrus, 1, 2-4, la lettre de Réum, 4, 9 et ss., etc.), indépendamment de l'attestation des témoins encore survivants.
4° Sujet, but et division du livre d'Esdras. — Le sujet, c’est la très simple histoire du retour et de l’établissement en Judée, d’abord sous la conduite de Zorobabel, puis sous celle d’Esdras lui-même, d’un certain nombre de Juifs jusque-là captifs en Chaldée. Deux faits principaux sont mis en relief; la reconstruction du temple, accompagnée de très grandes difficultés (chap. 1, 3-5, 7), et l'affaire des mariages mixtes (ch. 9-10). Comme les autres historiens sacrés, Esdras ne se propose nullement d’être complet. Il choisit, parmi les événements, ceux qui cadrent et s’harmonisent le mieux avec son plan, et il glisse rapidement sur le reste, ou l’omet entièrement. Il commence là où s’était arrêté l’auteur des Paralipomènes (voyez 2 Par. 36, 20-23, et le commentaire), dont il continue ainsi les annales (c'est pour ce motif que saint Hilaire intitule assez ingénieusement notre livre : Sermones dierum Esdrae. Voyez l'introduction aux Paralipomènes, p.5, 2°).
Son dessein est de raconter brièvement les premiers essais de reconstitution du peuple théocratique, depuis l'édit de Cyrus, qui mit fin officiellement à la captivité de Babylone, jusqu’à la huitième année d’Artaxercés Longue-Main : cela, en vue d’encourager les descendants des premiers colons à poursuivre, à achever l’œuvre si péniblement inaugurée; en vue aussi de leur montrer qu’ils pouvaient compter à leur tour sur le secours de Dieu, s’ils obéissaient fidèlement à la loi.
Deux parties. 1° 1, 1-6, 22 : retour en Judée, sous la conduite de Zorobabel, d’une première caravane de Juifs exilés, et reconstruction du temple. 2° 7, 1-10, 44 : Esdras conduit en Palestine une seconde caravane d’exilés et continue l'œuvre commencée. La première partie embrasse une période de vingt ans: depuis l’édit de Cyrus jusqu’à la sixième année de Darius (536 à 516 avant J .-C.). La seconde ne comprend qu’un intervalle de douze mois : d’avril 459 au mois d’avril suivant. Les deux parties sont donc séparées par un hiatus de cinquante-sept années, sur lesquelles le récit demeure entièrement muet.
5° Caractère du livre d’Esdras. - C’est, sous le rapport du fond et de la tendance, un caractère qui rappelle beaucoup celui des Paralipomènes (voyez les pages 6 et 7). Comme les Paralipomènes, Esdras cite volontiers des listes de noms, des généalogies. Comme les Paralipomènes, il insiste fréquemment sur le rôle de la Providence dans les affaires humaines, et surtout dans les affaires du peuple juif (cf. 5, 5; 7, 9,28; 8, 22-23, 31 ;9, 7, 9, 14; 10, 14, etc,). Comme les Paralipomènes, il manifeste le plus vif intérêt pour les choses de la religion (reconstruction du temple, rétablissement du culte, importance attribuée aux lévites, célébration des fêtes, soin des vases sacrés; cf. 1, 7-11 ; 3,4; 6, 18-19, 22; 7, 19 ;8, 24-30, 33-34, etc.).
Au point de vue de la forme, grande ressemblance avec la prophétie de Daniel, et mélange analogue d’hébreu et de chaldéen. Dans le texte original, la plus grande partie du livre a été écrite en hébreu (1, 1-4, 7;6, 19-22;7, 1-11; 7, 27-10, 44); le reste (c’est-à-dire certains documents officiels, 4, 8-22; 5, 6-17; 6, 6-12; 7, 12-26, et le récit de la construction du temple, 4, 13-6, 18) est en chaldéen. Çà et là nous rencontrerons des expressions d’origine persane; ce qui n’aura pas lieu de nous surprendre, puisque les Juifs avaient alors de fréquents rapports avec la Perse. Le ton du livre, dans son ensemble, est le ton digne et uniforme de l’histoire.
Rien de directement messianique,et pourtant tout conduit au Messie et prépare sa venue, puisque c’est son peuple qui se reforme, purifié par l'épreuve, et son temple que l’on rebâtit.
6° Ouvrages à consulter. - C. Sanchez, Commentarius in libros Ruth, Esdrae, Nehemiae, Lyon, 1628; Nic. Lombard, In Nehemiam et Esdram commentarius litteralis, moralis et allegoricus, 1643; les commentaires de Cornelius a Lapide et de dom Calmet; Clair, Esdras et Néhémias, Paris, 1882.