Bible Fillion

LE LIVRE D'ESTHER


INTRODUCTION



Le nom, le sujet et la division du livre. — Comme pour les livres de Ruth et de Judith, le nom est celui de l’héroïne elle-même. Les Juifs disent : Megillat ’Ester, le rouleau d‘Esther (voyez le 3° de cette Introduction, p.434), ou simplement ’Ester (parfois aussi, Megillat tout court, le rouleau par excellence).

Grand drame qui se passe en Perse, surtout dans la ville de Suse, sous le règne d’Assuérus. Les mystérieux desseins de la Providence confèrent le titre de reine à la pieuse Juive Esther, élevée par son proche parent, Mardochée. Celui-ci s’attire la haine d’Aman, le premier ministre, qui, pour se venger, obtient du roi un édit de mort contre tous les Israélites domiciliés dans l’empire perse. Mais Esther est assez puissante pour faire révoquer ce décret terrible : Aman, ses fils, et tous les ennemis des Juifs, sont mis à mort; Mardochée devient premier ministre, et le peuple de Dieu, merveilleusement sauvé, célèbre ses actions de grâces.

Trois parties principales : 1° les Juifs dans un péril extrême, 1, 1-5, 14; 2° les Juifs sauvés par Esther et Mardochée, 6, 1-10, 3; 3° appendices deutérocanoniques, qui complètent les deux premières parties, 10, 4-16, 24 (voyez les subdivisions dans le commentaire, et dans notre Biblia sacra, p.493-504).

La date des faits, l'auteur. la date de 1a composition. — Pour préciser exactement la date des faits racontés dans le livre d’Esther, il suffit de savoir quel est ce roi de Perse, Assuérus, sous le règne duquel tout s’est passé. Pendant longtemps, les meilleurs exégètes ont été en désaccord sur ce point important; mais, « un des premiers résultats de la lecture des inscriptions perses fut l'identification d’Assuérus à Xerxès...; cette conquête de la science ne fait plus l’ombre d’un doute (Appert, l.c., p.7. Tout le long du livre, les Septante emploient le nom d'Artaxercès, que nous trouverons, dans notre version latine, aux appendices deutérocanoniques (cf 11, 2 et ss.); mais il est identique à celui de Xercès) ». Assuérus est donc « Xercès Ier, fils de Darius Ier, fils d’Hystaspe. La forme hébraïque ’Ahašvéroš correspond à la forme perse Kchayarcha, en la faisant précéder de l’aleph prosthétique. Ce qui est dit de l’étendue de l’empire perse (1, 1, et 10, 1), des usages de la cour et de l’humeur capricieuse d’Assuérus convient parfaitement à Xercès. Les auteurs grecs et latins, en citant d’autres traits de son caractère, nous le présentent sous le même jour que l’écrivain hébreu : sensuel, vindicatif, cruel, extravagant. Le Lydien Pythius lui donne de grosses sommes pour la guerre contre la Grèce, traite très bien son armée, et lui demande seulement de garder l'aîné de ses cinq fils, qui servaient dans ses troupes : Xercès fait aussitôt couper le jeune homme en morceaux et passer ses soldats au milieu de ses débris sanglants (Hérod., 7, 37-39; Sénèque, de Ira, 7, 17). Parce qu’une tempête a emporté le pont de bateaux construit sur l’Hellespont pour le passage de ses bataillons, ce même roi condamne à mort le constructeur, et ordonne de fouetter la mer et de la charger de chaînes (Hérod., 7, 31). A la bataille des Thermopyles, il fait placer au premier rang, si on en croit Diodore de Sicile, les soldats mèdes, afin de les faire tous tuer. Après son échec en Grèce, il oublie ses désastres en se plongeant dans toutes sortes de débauches (Hérod., 9, 108 et ss.). Tel était Xercès, tel était Assuérus (Man. Bibl., t. 2, n. 552, 1°). » Or Xercès Ier régna de 485 à 464 avant J .-C.; en outre, comme le livre d’Esther s’ouvre à la troisième année d‘Assuérus pour s’achever à la treizième (cf. 1, 3; 3, 7; 10, 1 et ss.), la date des événements est ainsi limitée aux années 482-472 avant J.-C.

Au sujet de l’auteur, il existe différentes hypothèses, mais pas de tradition proprement dite qui s’impose. Saint Augustin et d’autres attribuent la composition du livre à Esdras; le Talmud, aux « hommes de la Grande Synagogue »; Clément d’Alexandrie et divers auteurs après lui, à Mardochée en personne. Sans être certaine, cette dernière conjecture est la plus plausible des trois; du moins, elle ne présente rien d’impossible (les passages 10, 20 et 32, tels qu'on les lit dans la Vulgate, semblent attribuer la composition du livre entier à Mardochée; mais, d'après l'hébreu, ils peuvent bien ne désigner que la lettre du premier ministre aux gouverneurs des provinces, et les annales des rois perses et mèdes). Si quelques traits de la fin paraissent un peu plus récents, notamment 9, 22-10, 1, rien n’empêche qu'ils n’aient été ajoutés par une autre main.

Le lieu et l’époque de la composition sont plus faciles à fixer avec certitude. L’auteur cite des documents qu’il n’a pu consulter que dans les archives persanes (cf. 9, 32; 10, 2; 13, 1-7; 16, 1-24); il est vraisemblable qu’il aura écrit à Suse même. Un nombre considérable de détails ne peuvent guère provenir que d'un témoin oculaire (cf. 1, 6;8, 10, 14-15, etc.); en tout cas, la fraîcheur et la précision du récit font penser à un contemporain d’Esther. Le style indique à peu près la même époque que celle des Paralipomènes, d‘Esdras et de Néhémie.

But et caractère du livre d’Esther. — Le but n’est pas seulement, comme l'affirment quelques auteurs contemporains, de raconter l’origine de la fête de Purim ou des Sorts, instituée en souvenir de la délivrance des Juifs (cf. 9, 20-32; 16, 22-24). Il est, au fond, le même qu’au livre de Judith (voyez la page 380), et consiste à donner une nouvelle preuve éclatante du soin avec lequel Jéhovah veillait sur son peuple, pour écarter de lui tout péril, et le préserver en vue du Messie promis. Voyez 10, 12-13; 11, 9 et ss.; 13, 15 et ss.; 14, 5 et ss.

Les Juifs ont attaché de tout temps « une importance particulière à cet opuscule, le seul ouvrage complet, avec le Pentateuque, qui se lise obligatoirement au temple; le seul qui, avec le Pentateuque, ait conservé sa forme antique de rouleau (Lazare Wogue, Histoire de la Bible et de l'exégèse biblique jusqu'à nos jours; Paris, 1881, p. 70-71). » Aussi le Talmud contient-il cette assertion : « Les Prophètes et les Hagiographes pourront être anéantis; mais le Pentateuque ne périra point; pareillement, le volume d'Esther est impérissable (Traité Megilloth, 1, 7). » Il respire un ardent et courageux patriotisme.

La forme est claire et simple, pittoresque et vivante; les tableaux dramatiques se présentent presque à toutes les pages; les portraits des quatre principaux personnages (Esther, Mardochée, Assuérus, Aman) sont d’une vérité saisissante. Les mots d’origine persane sont relativement fréquents; de même les expressions hébraïques de date plus récente et les aramaïsmes : ce qui s’explique par le lieu et l’époque de la composition.

Le caractère historique et la canonicité du livre. — On s’est plu, de nos jours, à attaquer la véracité de certains détails, que l’on a affecté de regarder comme invraisemblables. Ces détails, relatifs surtout au roi Assuérus, s’expliquent sans peine par ce que l’histoire nous révèle des mœurs et de la nature de ce prince despotique (voyez le 2°, page 434, et le commentaire, passim.). Bien plus, des traits nombreux du livre sont en parfaite conformité avec les usages persans, tels qu’ils nous sont connus par les auteurs classiques (notamment par Hérodote, qui sera souvent cité dans les notes exégétiques). La fête des Sorts, célébrée de tout temps dans Israël depuis le règne de Xercès 1er (cf. 2 Mach. 15, 37; Josèphe, Ant., 11, 6, 13), atteste la croyance de la nation théocratique à la vérité des faits sur lesquels cette solennité était fondée.

Sous le rapport de la canonicité, il faut distinguer deux parties dans le livre d’Esther : les deux premiers tiers, 1, 1-10, 3, existent seuls dans la Bible hébraïque; le reste, 10, 4-16, 24, en est absent. La première partie est donc protocanonique, comme l’on dit ; la seconde, deutérocanonique (voyez le tome 1, p. 12 et 13, et le Man. Bibl., t. 1, n. 35), c’est-à-dire égale à l’autre au point de vue de l'inspiration, mais reçue plus tard dans le canon sacré. Cette seconde partie se compose de sept fragments distincts, qui sont entremêlés au récit dans la traduction des Septante, mais que saint Jérôme a groupés ensemble dans la Vulgate, et placés à la fin du livre : 1° prologue, qui contient le songe de Mardochée (Vulg.,.11,2-12, 6; dans les Septante, avant 1, 1); 2° l’édit d’Assuérus contre les Juifs (Vulg., 13, 1-7; Septante, à la suite de 3, 13); 3° le message pressant de Mardochée à Esther pour l’inviter à se présenter devant Assuérus (Vulg., 15, 1-3; Septante, après 4, 8); 4° les prières de Mardochée et d’Esther (Vulg.,13, 8-14, 19; Septante, après 4, 17); 5° la description de la visite d’Esther au roi (Vulg., 15, 4-19; Septante, à la suite de 5, 1-2) ; 6° le décret d'Assuérus en faveur des Juifs (Vulg., 16, 1-24; Septante, après 8, 13); 7° épilogue, qui donne l'interprétation du songe de Mardochée (Vulg., 10 , 4-11, 1; Septante, après 10, 3).

Il est certain que ces fragments firent primitivement partie du texte du livre. Il existe plusieurs anciens midrašim (commentaires) juifs qui les contiennent; l'historien Josèphe les a connus (cf. Ant., 11, 6, 1 et ss.); la paraphrase chaldaïque les renferme, aussi bien que les Septante; les traducteurs alexandrins, dans les dernières lignes du livre (Vulg., 11, 1(voyez le commentaire)), affirment clairement qu’ils les ont reçus de Jérusalem environ deux siècles avant l'ère chrétienne : que faut-il de plus, en fait de témoignages, pour une démonstration solide? Les preuves intrinsèques viennent aussi corroborer l'argument extrinsèque et attester que, sans ces passages, le livre d’Esther serait ·mutilé, incomplet. On a remarqué depuis longtemps que la partie protocanonique ne contient pas une seule fois le nom de Dieu, qu’il n’y est question ni du choix spécial que le Seigneur avait fait des Juifs pour qu’ils fussent sa nation sainte, ni de leur histoire antérieure, tandis que ces détails, qui caractérisent si bien tous les écrits inspirés, abondent dans les fragments deutérocanoniques. Qu’on remette ces derniers à leur place, ce fait bizarre et anormal disparaît; ils complètent admirablement le livre, et lui donnent sa vraie couleur théocratique. Ils en devaient donc faire partie intégrante à l’origine; mais il est probable, comme le supposait Aben-Esra, que le petit volume d’Esther fut traduit aussitôt en persan, pour être annexé aux annales de l’empire; or évidemment, cette rédaction officielle, purement historique, omit tout ce qui eût été en opposition avec la religion de la plupart des sujets de l'empire: étant la plus répandue, elle a pris place de préférence à l‘autre dans la Bible hébraïque. Notons encore que, le plus souvent, le style des morceaux deutérocanoniques annonce visiblement un original hébreu; si les deux édits (cf. 13, 1-7; 16, 1-24) ont un cachet grec assez accentué, cela tient ou au genre plus large qu’y a adopté le traducteur, ou mieux encore à ce qu’il les aura reproduits tels qu’ils furent publiés dans les provinces persanes de langue grecque.

Dans la Bible hébraïque, le livre d’Esther n’occupe point la même place que dans les Septante et la Vulgate; il est rangé, avec les quatre autres megillot, parmi les hagiographes, entre Job et Daniel (voyez le tome 1, p. 13).

Ouvrages à consulter : les commentaires de Serarius, Calmet, Cornelius a Lapide; J.-A. Nickles, de Estherae libro, Rome, 1855; J. Oppert, Commentaire historique et philologique du livre d'Esther, d’après la lecture des inscriptions perses, Paris, 1864; B. Neteler, Die Bücher Esdras, Nehemias und Esther, Münster, 1877; Gillet, Tobie, Judith et Esdras, Paris, 1879.