Bible Fillion

LA PROPHÉTIE D'EZECHIEL


La personne du prophète.- Ézéchiel (en hébreu, Yehézqé’l, « Dieu est fort », ou « Dieu réconforte » (d’après les Septante, Іεζεχιήλ, forme sur laquelle ont été calqués les noms latins Ezechiel et Hezechiel) était, comme il nous l’apprend lui-même (cf. 1, 8), fils de Buzi, et appartenait à la race sacerdotale, par conséquent à la partie aristocratique de la nation juive. Il avait été déporté en Chaldée avec le roi Joachim (cf. 1, 2; 33, 21; 40, 1. En 599, ou, selon d'autres, en 598), onze années environ avant la destruction de Jérusalem. Nous le voyons installé, avec ses compagnons de captivité, à Tel-Abîb, sur les bords du fleuve Chobar (voyez 3, 15 et le commentaire). ll était marié; mais il eut la douleur de perdre sa femme sur la terre d’exil, neuf ans après son mariage (cf. 24, 16 et ss.).

Il avait environ trente ans (voyez la note de 1, 1), et il s’en était écoulé cinq depuis sa déportation (cf. 1, 2-3), lorsqu’il fut appelé au ministère prophétique. Il exerça cette auguste fonction pendant vingt-deux années au moins jusqu'à la vingt-deuxième année de sa captivité, la seizième depuis la prise de Jérusalem par les Chaldéens. Cf. 29, 17), à l'époque la plus désastreuse de l’histoire juive, s’efforçant, conformément aux ordres divins, soit d’enlever à ses compatriotes exilés les folles illusions dans lesquelles ils étaient entretenus par les faux prophètes au sujet de Jérusalem et de 1’État théocratique, soit de les consoler par de saintes et glorieuses promesses. Il remplissait ainsi en Chaldée, au milieu des déportés, un rôle en tous points semblable à celui que Jérémie exerçait à Jérusalem. Il jouissait d’une grande influence auprès de ses coreligionnaires (Cf. 8, 1; 14, 1; 20, 1, etc.).

On ignore les autres circonstances de sa vie. D’après une ancienne tradition juive (Cf. Pseudo-Epiph., de Vitis prophet., 9; S. Isid. Hispal., de Vita et morte Sanctor., c. 29), il aurait été mis à mort par un prince de son peuple, auquel il reprochait son idolâtrie. Du moins, il est certain qu’il mourut sur la terre étrangère, sans revoir sa patrie. « L’énergie et la forte trempe de son caractère, qui avaient leur racine dans la foi, lui tirent supporter avec patience et courage les épreuves de la captivité. Profondément attaché à la religion de ses pères, rempli des sentiments du plus ardent patriotisme, c’était bien le prophète qu’il fallait pour soutenir ses frères emmenés avec lui en exil... Jamais il ne se conduit comme un homme ordinaire; il se comporte toujours, il pense, il voit, il agit comme un prophète soutenu par le bras de Dieu et plein d’une force surnaturelle (Man. Biblique, t. 2; n. 1023). » L’auteur du livre de l’Ecclésiastique, 49, 10-11, fait de lui un bel éloge. On l’a surnommé « le prophète de la divine fidélité », à cause des promesses qui remplissent la dernière partie de son écrit, de même que Jérémie a été appelé « le prophète de la divine justice ».

L’authenticité et l’intégrité du livre d’Ézéchiel n’ont jamais été attaquées sérieusement. L’éco1e rationaliste, habituellement si audacieuse, se dit pleinement satisfaite, et marche de concert avec la tradition. « Le livre d’Ézéchiel, dit un de ses principaux chefs, est du nombre de ceux qui se font remarquer, du commencement à la fin, par une telle unité de style et de diction, que l’on doit écarter même le plus léger soupçon qu’une partie quelconque aurait été interpolée (Comparez cette autre parole d'un commentateur protestant : « S'il est un des livres de l'Ancien Testament qui porte au front le sceau de l'authenticité, et qui possède encore pour nous la forme sous laquelle il est sorti des mains de son auteur, c'est le livre d'Ézéchiel. ») L’auteur se nomme très fréquemment, et, à part deux passages (1, 3; 24, 24), il emploie toujours la première personne lorsqu’il parle de lui-même. Il est donc sans cesse à l’avant-scène, et son caractère comme prophète, son genre comme écrivain sont tellement tranchés, qu’il n’est guère possible de se tromper sur son compte (On ne lit pas en tête du livre d'Ézéchiel, comme on le fait pour ceux de la plupart des autres prophètes, un titre désignant l'auteur, l'époque et le sujet. Cf. Is. 1, 1; Jer. 1, 1, etc.).

Cependant les critiques sont d’accord pour reconnaître que le texte hébreu d'Ézéchiel a souffert plus que celui de beaucoup d’autres parties de 1’Ancien Testament. Cela tient sans doute à l'obscurité d’un certain nombre de passages. La traduction des Septante permet de corriger assez fréquemment les leçons fautives; mais on ne saurait toujours la prendre pour guide, car elle est souvent arbitraire et inexacte (Elle s'est permis en maint endroit d'abréger le texte. D'ailleurs, elle reproduit elle-même une partie des fautes de l'hébreu. Voyez Kaulen, Einleitung in die h. Schrift, 1876, p. 327).

Le sujet et la division du livre. — Le sujet, dans son ensemble, a beaucoup d’analogie avec celui que traite Jérémie; et cela n’est pas étonnant, puisque les deux prophètes étaient contemporains. D’une part, des reproches et des menaces, soit à l’égard des Juifs, soit à l’égard des païens : la nation théocratique, déjà si humiliée, le sera davantage encore; Jérusalem sera prise et détruite, le peuple déporté en masse; les païens aussi seront châtiés pour leurs crimes. D’autre part, des promesses de pardon et de rétablissement à l’adresse des Israélites, après qu’ils auront été purifiés par la souffrance. Le Seigneur devra donc punir, car sa justice et sa sainteté l'exigent; mais il n’oubliera pas ses antiques promesses, et le jour viendra ou il les exécutera fidèlement. Tel est le double thème de la prophétie d'Ézéchiel: « la destruction de Jérusalem et le châtiment du peuple juif, la reconstitution de la nation théocratique sur des bases nouvelles et son bonheur sans fin. »

L’organisme du livre est conforme à cette double idée. Après un prologue (1, 1 -3, 21) qui raconte la manière dont Ézéchiel fut appelé par Dieu à exercer le ministère prophétique, nous trouvons deux parties très distinctes. La première (3, 22—32, 32) annonce les terribles jugements par lesquels Jéhovah se propose de punir, d’abord son peuple si coupable, puis les païens, dont les crimes ne réclament pas moins la divine vengeance. La seconde (33, 1- 48, 35) prédit de grandes consolations à Israël, régénéré et transformé. Chaque partie se subdivise en deux sections. Première partie: 1° le ministère prophétique d'Ézéchiel contre les Juifs (3, 22-24, 27); 2° ses oracles contre les païens (25, 1-32, 32). Deuxième partie : 1° la résurrection du peuple juif et la ruine des ennemis du royaume de Dieu (33, 1-39, 29); 2° 1’institution de la nouvelle théocratie (40, 1-48, 35) (pour une analyse plus détaillée, voyez le commentaire, et notre Biblia sacra, p. 924-973).

Les oracles contenus dans la première partie sont antérieurs à la destruction de Jérusalem et à la ruine de l'État juif; ceux de la seconde partie ne furent révélés à Ézéchiel qu’après ces faits tragiques. « La destruction de la capitale de la Judée est donc le point central de tout le livre. Avant la catastrophe, le but d’Ézéchiel est d’exciter au repentir de leurs fautes ceux qui vivent dans une fausse sécurité, de les prémunir contre la confiance aveugle qu’ils mettent dans le secours de l’Égypte (17, 15-17; cf. Jer. 37; 6), car elle ne pourra les sauver des mains des Babyloniens, et de les assurer que le siège de la cité sainte est proche et leur malheur inévitable. Après ce terrible événement, il s’occupe surtout de consoler les captifs par la promesse de la délivrance future et le retour dans la patrie; il les encourage en même temps par l’assurance des bénédictions messianiques. » (Man. bibl., t. 2, n° 1026.)

Ézéchiel date très habituellement ses oracles. Cf. 2, 1 ; 8, 1; 20, 1; 24, 1; 26, 1 , 17; 30, 20; 31, 1; 32, 1, 17; 33, 21 , etc. Le plus souvent la place qu’ils occupent dans son livre est celle que leur assignait l’ordre chronologique. Parfois cependant (notamment dans la seconde section de la première partie, chap. 25-32), cette règle a subi des exceptions.

Le genre spécial d'Ézéchiel comme écrivain. -- Dès le début du livre, on est frappé de la quantité considérable des visions et des actions symboliques qu’il raconte. Elles en constituent, à vrai dire, le fond, car la plupart des oracles qu’il renferme reçoivent cette forme (Ézéchiel est très sobre de détails historiques). Cette circonstance lui donne un cachet tout particulier. Non seulement les symboles abondent dans les écrits d’Ézéchiel, mais « il les expose et les développe plus longuement et avec plus de détail qu’aucun écrivain inspiré. De plus, un grand nombre de ses images sont nouvelles, et empruntées au milieu dans lequel il vivait. (Man. Bibl., t.2, n. 1024) »

Il suit naturellement de là qu’il est assez souvent obscur et difficile à interpréter. Saint Jérôme (Praefat. In Ezech.) le nomme sous ce rapport « l’océan des Écritures, le labyrinthe des mystères de Dieu », ajoutant que « le commencement et la fin du volume sont enveloppés d’obscurités (spécialement) grandes », à cause desquelles il était interdit, dans l’ancienne synagogue, de lire les prophéties d’Ézéchiel avant l’âge de trente ans. Mais, d’un autre côté, ces visions et ces symboles communiquent une vigueur remarquable à ses oracles, qui plaçaient d’avance sous les yeux des Juifs, de la manière la plus vivante, les événements annoncés.

Le style d’Ézéchiel est d’ordinaire simple et sans recherche. Il manifeste souvent « de la sublimité, de la tendresse, une beauté et une mélodie qui lui sont tout à fait propres ». Il ne manque pas de variété; par moments il devient véhément, dramatique, plein d’élan et de grandeur. Ses passages poétiques sont remarquables. Il emploie un certain nombre d’expressions qui, sans cesse mêlées à ses écrits, leur donnent un caractère à part : telles sont l’appellation « Fils de l’homme », qui revient plus de cent fois (cf 2, 1, 3, 6, 8; 3, 1, 3, 4, etc); les phrases « Ils sauront que je suis le Seigneur (plus de soixante-dix fois. cf. 5, 13; 6, 10; 14, 7, 27, etc) », et « La main du Seigneur fut sur moi (cf. 1, 3; 3, 22, etc) »; les formules « Ainsi dit Adonaï Jéhovah », et « Oracle de Jéhovah » ou « d’Adonaï (la première, plus de cent fois; la seconde, plus de quatre-vingt dix fois) », Je suis vivant! Dit le Seigneur (cf. 5, 11; 14, 16, 18, 20; 16, 48, etc), Pones ou convertes ou obfirmabis faciem tuam (cf. 4, 3, 7; 6, 2; 13, 17, etc); la désignation du peuple juif par l’épithète domus exasperans (cf. 2, 5, 6, 8; 3, 9, 26, 27, etc). Il a aussi des particularités grammaticales, et il fait usage, çà et là, de mots hébreux qu’on ne trouve nulle part ailleurs, ou de mots chaldéens, dont la présence dans ses écrits s'explique par son séjour en pleine Babylonie (voyez Knabenbauer, Comment. In Ezech, p. 11).

Les meilleurs commentateurs catholiques d’Ézéchiel sont, dans l'antiquité, Théodoret de Cyr et saint Jérôme; aux temps modernes, Maldonat (In Ezechielem commentarium); de nos jours, le P. Knabenbauer, Commentarius in Ezechiel prophetam, Paris, 1890. Voyez aussi, pour les passages messianiques, L. Reinke, Die messianischen Weissagungen, t. 4, p. 1 et ss., et G.K. Mayer, Die messian. Weissagungen in Ezechiel, Vienne, 1865.