Bible Fillion

LE LIVRE DE JOB


Le sujet et la division du livre. —- Le nom du premier des écrits didactiques et poétiques de l’Ancien Testament, d’après l’ordre suivi par la Vulgate, est, comme pour plusieurs des livres historiques, celui même du héros principal. Job, pieux et riche personnage du pays de Hus, jusqu’alors comblé de toutes les consolations humaines, est accablé soudain des maux les plus affreux qu’on puisse endurer ici-bas, Dieu le permettant pour l’éprouver. Il supporte d’abord son infortune avec une admirable patience, jusqu’à ce qu’une visite de ses trois amis, Eliphaz, Baldad et Sophar, occasionne entre eux et lui une vive discussion sur la cause de ses malheurs : ils prétendent, eux, qu’il a dû se les attirer par ses fautes, et ils l'engagent à faire pénitence pour obtenir que Dieu lui fasse miséricorde; il proteste au contraire avec énergie qu’il est innocent, mais il lui échappe, dans la chaleur du débat, quelques paroles inconsidérées sur Dieu. A bout d’arguments, les trois amis se taisent, et Job affirme plus vigoureusement que jamais son innocence, lorsque se présente un nouveau personnage, Éliu, qui, envisageant le problème à un point de vue plus exact, montre que Dieu est juste, alors même qu’il frappe des hommes qui n’ont pas conscience de l’avoir gravement offensé. Le Seigneur lui-même intervient, et tranche indirectement la question par une description magnifique de sa toute-puissance et des mystères insondables de sa sagesse. Job déplore humblement la témérité avec laquelle il s’est permis de parler de la conduite de Dieu à son égard, et il obtient non seulement son pardon, mais la récompense de sa patience.

Le livre se divise de lui-même et très naturellement en trois parties, marquées de la façon la plus nette par la forme extérieure, comme le faisait observer Saint Jérôme (Praefat. In libr. Job) : prosa incipit, versu labitur, pedestri sermone finitur. Il y a le prologue, écrit en prose, 1, 1-2, 13, qui raconte brièvement la vie antérieure de Job et l'histoire de ses malheurs; puis vient le corps du livre, 3, 1-42, 6, écrit en vers, et exposant tout au long la discussion du problème signalé plus haut; il y a enfin le rapide épilogue, 42, 7-16, écrit en prose comme le prologue, et où nous prenons congé du héros après l’avoir vu heureux comme aux premiers jours.

Le poème proprement dit se subdivise à son tour en trois parties : 1° l’ardent débat de Job avec ses trois amis sur l'origine de ses souffrances, 3,1-31, 40 (quatre sections : la première phase du débat, chap. 3-14; la seconde phase, chap. 15-21; la troisième phase, chap. 22-26; un monologue triomphant de Job, chap. 27-31); 2° l'intervention et les discours d’Eliu, 32, 1-37, 24; 3° l'intervention divine, 38, 1-42, 6 (pour les détails de cette division, voyez le commentaire, et notre Biblia sacra, p. 505-546).

Unité et beauté du plan; l’intégrité de toutes les parties du livre. — L’analyse qui précède suffit, malgré sa brièveté, pour montrer, dans le livre de Job, l'existence d'un plan et d’un enchaînement parfaits. Par le prologue, le lecteur est d’abord orienté sur la situation générale des choses; il est surtout initié aux décrets divins relativement à Job, et au but que se propose le Seigneur en permettant les malheurs du saint homme. Grâce à ces données préliminaires, il a dans la main, pour parcourir le labyrinthe des trente-neuf chapitres qui suivent, un fil conducteur qui n’est pas inutile; il n’a pas à résoudre péniblement le problème, puisqu’il en possède déjà la solution et qu’il n’aura qu’à contrôler les opérations successives. La discussion commence entre Job et ses amis, et ils ne tardent point à arriver au nœud de la question, et ce nœud va se serrant et se compliquant de plus en plus sous l’effet de leurs discours passionnés: les interlocuteurs doivent se séparer sans avoir pu se mettre d’accord. Éliu, sortant du groupe des auditeurs qui avaient assisté au débat, apporte son contingent de lumière; il donne à la question une direction nouvelle, qui prépare et fait entrevoir le dénouement, mais qui est encore bien loin de le fournir. C’est à ce moment même, tandis que les hommes sont à bout d’efforts et de connaissances, que le Seigneur apparaît, non toutefois pour donner en termes directs la solution tant cherchée, mais pour décrire ses attributs divins, tout incommensurables, qui dépassent l'intelligence et les jugements des hommes. L’épilogue achève de fournir le dénouement complet.

Tout se suit donc et s’enchaîne admirablement à travers chacune des pages du livre de Job, et tout y avance d’une manière très régulière, quoique à pas lents. On voit par là qu’il n’est pas possible de supprimer une seule des parties dont se compose cet admirable écrit, sans rendre aussitôt les autres très obscures ou incompréhensibles, sans rompre cette unité si harmonieuse et briser les anneaux de la chaîne. De soi-disant critiques, rationalistes ou protestants, n’ont pas craint cependant de rayer d’un trait de plume des passages considérables: tantôt le prologue et l’épilogue, de façon à ne laisser qu’un torse incomplet (le prologue est visiblement supposé dans le corps du poème; cf. 8,4; 29, 5, 18, etc. De même l'épilogue; cf. 13, 10; 16, 21; 22, 30) ; tantôt les pages 27,11 28, 28, que l’on prétend être incompatibles avec les discours antérieurs de Job sur la justice rétributive du Seigneur, comme si la pensée du saint homme était condamnée à n’avancer jamais ; tantôt, et plus particulièrement, les discours d’Éliu, sous prétexte que leur genre diffère de tout le reste (différence réelle, mais attribuable au caractère même de ce nouvel interlocuteur) (voyez la note de 32, 1); tantôt la dernière partie des discours de Dieu, 40,10-41, 25 (les descriptions de l'hippopotame et du crocodile), quoique, de l‘avis d’autres rationalistes, le style « soit celui des meilleurs endroits du poème » , et ne manifeste rien moins qu’une interpolation. Vraiment, a-t-on dit à bon droit, il faut avoir perdu le goût de la beauté esthétique pour avancer de pareilles théories. Et nous pourrions citer les preuves extrinsèques, c’est-à-dire les témoignages multiples de la tradition, qui démontrent que le livre de Job nous a été transmis tel qu’il a été composé, sans changement essentiel.

Le but du livre de Job. - L'idée principale et dominante de ce sublime poème n’est pas moins consolante qu’importante. C‘est le grand et douloureux problème qui occupe et qui trouble si souvent le cœur de l’homme, même parmi les clartés du Nouveau Testament : l’origine de la souffrance ici-bas, la cause des misères multiples qui atteignent le genre humain, et, plus spécialement, la cause des souffrances du juste (voyez les psaumes 36 et 72, qui traitent également ce thème). Ce mystérieux problème ne se déroule pas d’une façon abstraite, sous forme de dissertation philosophique; il est discuté à propos d’un cas très concret, ce qui lui communique beaucoup plus de vie, d'intérêt, de clarté. On recherche donc, au fond, les principes qui dirigent le Seigneur dans sa conduite envers les hommes soumis au feu de l'épreuve, et l’on arrive, comme conclusion, à une complète justification de sa Providence. Les trois amis de Job n’ont qu’une théorie étroite relativement à la distribution des biens et des maux en ce monde : pour eux, la souffrance est toujours et uniquement le résultat du péché. Éliu soupçonne qu’elle peut avoir un caractère pédagogique et être infligée aux justes eux-mêmes; le prologue et l'épilogue la montrent clairement, dans le cas spécial de Job, comme une épreuve destinée à sanctifier davantage un homme déjà très vertueux. La conclusion est donc qu’il faut adorer et se taire, la dernière raison de nos souffrances n’étant autre que la sagesse infaillible de Dieu.

A côté de ce but dogmatique, il y a aussi le but moral, qui consiste à fournir, dans la patience de Job, un exemple perpétuel de courage aux âmes éprouvées. C’est ce qu’exprime parfaitement saint Jacques (5, 10-11) : « Prenez, mes frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Voici, nous dirons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment. Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorde, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion. » Sous ce rapport, Job a eu le grand honneur d’être regardé comme le type et la figure de Jésus-Christ, l’auguste et innocente victime, qui a tant souffert sans se plaindre (Cf. saint Grégoire le Grand, Moralium libri, préface, 6, 14. Sur le célèbre passage messianique du chap. 19, vers. 21 et ss., voyez le commentaire).

Caractère historique du livre.- Depuis longtemps on a prétendu que le poème de Job est une fiction pure et simple, inventée de toutes pièces, le héros lui-même n’ayant jamais existé; ce serait donc « d’un bout à l’autre un poème purement allégorique, un roman religieux et philosophique ». Selon d’autres, ce serait « un poème mixte, c’est-à-dire une œuvre d‘imagination brodée sur un fond historique ». Il est aisé de démontrer que toute la série des faits racontés correspond vraiment à une réalité objective.

Job est un personnage historique très réel. Rien de plus évident à la manière dont plusieurs écrivains sacrés parlent de lui; Ézéchiel surtout, qui le rapproche d’autres hommes célèbres, Noé et Daniel, dont l’existence ne fait pas l’ombre d’un doute (ez. 14, 14, 20; cf. Tob. 2, 12, 15; Jac. 5, 11). Les traditions juive et chrétienne l’affirment très expressément aussi; et l’on y trouve à peine çà et là une voix discordante : par exemple, chez les Juifs, ce docteur qui prétendait que « Job n’a pas existé et n’a pas été créé (par Dieu), mais n’est qu’une parabole » (Talmud, traité Bab bathra, fol. 15, a), et, chez les chrétiens, l’audacieux Théodore de Mopsueste, qui fut condamné par le v° concile général, pour avoir soutenu une erreur semblable (l'Église latine célèbre la fête de Job le 10 mai; l'Église grecque, le 6 mai). Le ton du livre nous conduit à la même conclusion, car partout « le lecteur éprouve irrésistiblement l’impression que les faits sont réels ». Si l’on objecte la perfection de la forme, et l'invraisemblance que des discours admirables jusque dans leurs moindres détails aient pu être improvisés sur place, nous répondrons à la suite de M. Le Hir : « On peut croire avec le plus grand nombre des interprètes que Job et ses amis n’ont prononcé que le fond des discours qu‘on leur met à la bouche, et que la diction appartient à l'auteur sacré, sans être autorisé pour cela à ne voir dans tout l‘ouvrage qu’une fiction poétique (Le livre de Job, p. 232-233). »

Il est dit très formellement, dès le début du prologue, que Job était originaire du pays de Hus (1, 1; voyez le commentaire); par conséquent, il ne faisait point partie du peuple hébreu. A quelle époque vivait-il? Très vraisemblablement sous l'ère nommée patriarcale, antérieure à Moïse et à la sortie d'Égypte. C'est ce qu’indiquent avec beaucoup de clarté les principaux traits du livre et ses principales omissions. Le caractère général de Job et de son temps dénote des mœurs très antiques. Sa longévité (Job vécut au moins 180 ans d'après 42, 16; 240 ans d'après les Septante) nous fait remonter aussi bien haut dans l’histoire. De même sa religion, car il pratique un monothéisme parfait (cf. 34, 26-27, etc.) or, depuis les temps mosaïques, le culte de l’unique vrai Dieu semble avoir été la part exclusive des Hébreux. Job exerce dans sa famille les fonctions de prêtre (cf. 1, 5), à la manière des patriarches. De plus, le livre, qui contient plus d’une allusion aux premiers événements de l’histoire du monde (la création, la chute, les géants et leurs crimes, le déluge), n‘en fait aucune à la législation du Sinaï et à la nation théocratique. D’autre part, Job est plus récent qu’Abraham et qu’Esaü, puisque deux de ses amis en descendaient. Mais on ne peut pas préciser davantage.

L’auteur et l'époque de la composition. — Pour ce qui regarde ce double point, les plus savants auteurs en sont réduits à mentionner des séries plus ou moins longues de conjectures, et à avouer ensuite qu’ « il est impossible de dire au juste par qui et à quel temps le livre de Job a été rédigé » (Man. Bibl., t. 2, n. 610). Telle était déjà la conclusion de saint Grégoire le Grand : « Qui haec scripserit, valde supervacue quaesitur. » (L. c., c. 1) La composition a été attribuée tour à tour à Job lui-même, à l’un de ses amis, à Éliu, à Moïse ou à quelqu’un de ses contemporains, à Salomon ou à son époque, à Isaïe, à Daniel et à bien d’autres. On voit qu’aucune tradition ne s’est formée à ce sujet. Quant au style, on s’en est servi pour appuyer toute sorte d’opinions. Il est parfait, et révèle un maître, un génie: voilà pourquoi on l’a cru digne de Moïse et de Salomon; mais, tantôt il contient des expressions très anciennes, employées seulement dans le Pentateuque (notamment la monnaie appelée qesîtah ; voyez la note de Gen. 33, 19), et tantôt il en présente d’autres qui paraissent relativement récentes. Il est certain que la composition remonte plus haut que Jérémie, puisque ce prophète a fait divers emprunts au poème (Cf. Jer. 12, 1 et Job 21, 7; Jer. 17, 1 et Job 19, 23; Jer. 20, 14-18, et Job 3, 3-10; Jer. 20, 17 et Job 3, 11; etc). Aujourd’hui l’on admet plus communément que ce magnifique poème appartient à l’époque de Salomon, l’âge d’or de la littérature sacrée.

La forme poétique du livre de Job; ses beautés littéraires. — Les Hébreux n’ayant jamais eu de drame ni d’épopée (voyez l'introduction aux livres poétiques, p. 483 de ce volume), c’est d’une manière inexacte que l’on a essayé parfois de ranger le livre de Job dans l’un ou l’autre de ces grands genres classiques. Le drame, auquel on l’a le plus souvent rattaché, « demande une action extérieure; il n’y a qu’une lutte intérieure dans le livre de Job. » Ce poème, quoique clairement didactique par son but, est avant tout lyrique par sa forme, son élan, ses mouvements. Le parallélisme est presque partout à deux membres d’une longueur à peu près uniforme.

Les beautés sont de premier ordre et vantées universellement. « Poème si parfait dans son plan, et si grandiose dans son exécution ! Un des plus grands chefs-d’œuvre littéraires du monde entier. Art admirable dans l'ensemble comme dans les détails. Style majestueux, sonore, lapidaire. Portraits des divers personnages gravés comme par un artiste, en traits vigoureux et délicats. La narration historique est claire et rapide; elle offre la simplicité et la grâce des lettres antiques; les dialogues abondent en sorties véhémentes, en images vivantes, en soudains contrastes entre la lutte passionnée et la contemplation calme, profonde et grave des vérités spirituelles. L’intérêt va grandissant jusqu’à la fin. ll n’y a point de poésie que l’on puisse comparer au livre de Job. ». Voilà le résumé concis des appréciations portées sur le livre de Job par les poètes, les critiques et les commentateurs.

Les difficultés d'interprétation et leurs causes. — Les pages de cet incomparable poème comptent sans contredit, presque dans toute leur étendue, parmi les plus difficiles de toute la Bible. Saint Jérôme dit que c’est « un livre figuré, glissant; une anguille ou une murène » qui s’échappe à l’instant même où l’on croit la mieux saisir. En effet, nulle part on ne trouve un style si relevé, des expressions si rares, des images aussi hardies, des réticences plus fréquentes. Et si cela est vrai du texte hébreu, on doit l'affirmer davantage encore des versions, et surtout de celle des Septante, qui a maltraité dune manière étonnante le livre de Job. La Vulgate n’est pas sans défaut, comme l’avoue saint Jérôme avec candeur; néanmoins on s’accorde à reconnaître que « c’est un travail excellent pour son époque », que « le traducteur n’y a épargné ni temps, ni peine, ni argent, procédant avec indépendance et avec goût ». Elle est supérieure à toutes les traductions anciennes.

Ouvrages à consulter. — Peu d’écrits bibliques ont été autant étudiés et commentés que celui qui porte le nom de Job; mais il n’entre dans notre plan de citer que les meilleurs travaux publiés par des exégètes catholiques. Ce sont: Moralium libri, sive Expositio in librum B. Job, de saint Grégoire le Grand, « étude gigantesque, qui laisse à peine passer sans le toucher un point de dogme ou de morale; » le commentaire de saint Thomas d’Aquin, Venise, 1505; Commentariorum in librum Job libri tredecim, de Jean de Pineda, Madrid, 1597 à 1601; le commentaire de Sanctius (Sanchez), Lyon, 1625; Job elucidatus, de B. Cordier, Anvers, 1646; F. Vavassor, Jobus brevi commentario et metaphrasi poetica illustratus, Paris, 1638; les commentaires de Tirin, de Menochius et de Calmet; das Buch Job übersetzt und erklœrt, de Welte, Fribourg-en-Brisgau, 1849; Lesêtre, le Livre de Job, Paris, 1886; surtout Commentarius in librum Job, du P. J. Knabenbauer, Paris, 1886.