Bible Fillion

LE LIVRE DE JONAS

(pour les commentaires catholiques, voyez la p. 339, n. 1. Nous n'avons à ajouter, comme ouvrage spécial, que le commentaire du Dr F. Kaulen (Librum Jonae prophetae exposuit, Mayence, 1882)


INTRODUCTION


La personne et l’époque du prophète. — Jonas, dont le nom hébreu (Yônah) signifie colombe, était fils d'Amittaï (Vulg., Amathi) (cf. 1, 1). Le quatrième livre des Rois, 14, 25, nous apprend qu’il était originaire de Gath-Hépher (Hébr. : Get-hahéfer; Vulg., Gath-Opher), petite bourgade située dans la tribu de Zabulon (cf. Jos., 19, 13), au nord de Nazareth, sur l'emplacement du village actuel de El-Méched (voyez l'Atl. Géogr., pl 7 et 11).

D’après ce même passage des Rois, Jonas vécut et prophétisa sous le règne de Jéroboam II; par conséquent, entre les années 824 à 772 avant Jésus-Christ. Il fit à ce prince une prédiction très consolante, lui promettant, de la part de Jéhovah, qu’il reprendrait à ses ennemis les provinces qu’ils avaient enlevées à ses prédécesseurs. Jonas fut ainsi le contemporain d’Amos (cf. Am. 1, 1) et d’Osée (cf. Os.,1, 1). Il est même probable que son ministère prophétique commença avant le leur, car il semble remonter tout à fait aux premières années de Jéroboam.

A part ce trait et les épisodes si remarquables que renferme le livre qui porte son nom, nous ne savons pas autre chose de sa vie. On montre son tombeau en deux endroits différents: à El-Méched et à Ninive, sur la colline nommée Nebi-Younous (« Prophète Jonas ») par les Arabes. Peut-être aucun d’eux ne l'a-t-il possédé.

Le caractère du livre de Jonas et son symbolisme prophétique. - Ce livre a un caractère tout à fait spécial parmi les écrits prophétiques. Il ressemble beaucoup plus, pour le fond comme pour la forme, aux pages des livres historiques de la Bible qui racontent la vie d'Élie et d’Élisée, qu’à celles des grands et des petits prophètes. Il ne se compose pas d’un ou de plusieurs discours prophétiques; mais il est consacré tout entier au récit d’une mission religieuse que Jonas fut chargé de remplir à Ninive, et des péripéties extraordinaires qui accompagnèrent cette mission. Néanmoins, si les compilateurs du canon biblique l’ont rangé parmi les œuvres littéraires des prophètes, c’est évidemment parce qu’il contient, lui aussi, des vérités prophétiques, qu’il n’est d’ailleurs pas difficile de découvrir.

La première de ces vérités, c’est que, contrairement aux idées fausses qui tendaient à s’accréditer de plus en plus chez les Hébreux, les païens étaient capables d’être sauvés; bien plus, que Dieu les appelait directement à la rédemption. L’envoi d’un prophète israélite à Ninive démontre de la manière la plus manifeste la réalité de cet appel, et la prompte conversion des habitants de la ville coupable fut, pour les Juifs de tous les temps, un « signe » (c'est le mot de Jésus-Christ lui-même. Cf. Luc 11, 29-32. « In condemnationem Israelis Jonas ad gentes mittitur, quod, Ninive agente paenitentiam, illi in malitia perseverent. » (Saint Jérôme)) et une leçon remarquables.

Mais il est une autre vérité encore plus importante, qui est symbolisée par un passage spécial de 1’histoire de Jonas : c’est le grand événement de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous en avons pour garant le témoignage très net et très explicite du Sauveur lui-même: « De même que le prophète Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson, de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre . » (Matth. 12, 40. Il est probable que c'est aussi à la prophétie de Jonas que le divin maître fit allusion, lorsqu'il dit à ses disciples (Luc. 24, 46) qu'il était « écrit » que le Christ devait ressusciter le troisième jour; en effet, on ne voit pas d'autre passage des saints Livres qui fixe ainsi le jours précis de la résurrection du Sauveur.)

Fiction ou réalité? — Le livre de Jonas est tellement rempli de faits merveilleux, que les païens déjà s'en moquaient (« Hoc genus quaestionis (spécialement en ce qui concerne le poisson) multo cachinno a pagani graviter irrisum animadverti. » Saint Augustin, Ep. 52, quaest. 7). Des païens le sarcasme a passé aux rationalistes, dont la première règle d’herméneutique, lorsqu’il s’agit des saintes Écritures, consiste dans la négation du surnaturel. Aussi, pour se débarrasser de miracles si extraordinaires et si gênants, ont-ils eu recours aux « interprétations les plus aventureuses » (réflexion très juste de M.Reuss, l'un des membres les plus renommés de l'école dite critique) regardant cette narration tantôt comme une fiction complète, tantôt comme un mélange de roman et de réalité (voyez les détails et la réfutation dans F.Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, Paris, 1890, t. 4, p. 358 et ss.), mélange dans lequel tous les éléments miraculeux sont légendaires.

Mais le caractère historique du livre est démontré de la façon la plus claire par l’application que Notre-Seigneur Jésus-Christ s’en est faite. Si le miracle du poisson, qui est le plus surprenant de tous, n’eût été qu'une allégorie ou une légende, comment le Sauveur aurait-il pu le citer comme un type formel de sa résurrection? Il est également certain que les anciens Juifs, si sévères en ce qui touchait à la Bible, n’auraient point placé le livre de Jonas parmi les écrits prophétiques s’ils n’avaient cru pleinement a la vérité objective des faits qu'il raconte tout au plus l’eussent-ils rangé dans ce cas parmi les hagiographes (cf. Tob. 14, 4-6, 15 (texte grec); Josèphe, Ant. 9, 10, 2.). La tradition chrétienne a été aussi constante et générale sur ce point. Enfin, le récit même, dans les détails comme dans l’ensemble, produit, à quiconque le lit sans idées préconçues, l’impression intime et forte que le narrateur a voulu exposer tout du long des faits réels, et non des histoires inventées. Comme l’a dit saint Augustin (Loc. Cit., quaest. 6), « aut omnia divina miracula credenda non sunt, aut hoc cur non credatur causa nulla est. »

L'auteur et le style. — Etant donnée l’objectivité historique du livre qui porte le nom de Jonas, on ne voit aucun motif sérieux de ne pas admettre que le prophète l’a personnellement composé. On objecte, il est vrai, à ce sentiment: 1° l’emploi de la troisième personne au lieu de la première dans le cours du récit; 2° la remarque « Ninive était une grande ville » (3, 3), qui semble supposer que cette cité avait cessé d’exister, ou du moins avait considérablement perdu de son importance, au temps de la composition du livre; 3° les aramaïsmes du langage; 4° dans la prière du chap.2, quelques réminiscences de psaumes que l’on prétend relativement récents.

Mais ces objections se réfutent facilement. La forme impersonnelle donnée à la narration est plus naturelle, plus modeste, et aussi plus ordinaire dans les passages analogues des saints Livres (notamment, dans les livres de Moïse, dans les parties historiques du livre de Jérémie et de Daniel. Nos adversaires n'auraient pas manqué de regarder l'emploi de la première personne comme une preuve de non-authenticité). Ninive « était », en effet, une très grande ville lorsque Jonas vint y prêcher. Les aramaïsmes, dont on a d’ailleurs exagéré l’importance, s’expliquent par la nationalité du prophète : les Galiléens avaient, dans leur idiome, un certain nombre d’expressions araméennes. Quant aux emprunts faits au psautier, ils proviennent de poèmes plus anciens que celui de Jonas, ou bien, ce sont les auteurs des psaumes qui sont les emprunteurs. C’est donc sans raison que divers critiques ont reculé la composition du livre de Jonas jusqu’à l’époque de 1’exil, et même au delà de l’exil.

Sous le rapport du style, ce livre est écrit en simple prose, à l’exception du cantique d’action de grâces (2, 2-10). La partie descriptive est très vivante, très dramatique; le poème ne manque ni de force ni de beauté.

La division. — Quatre parties, qui correspondent à peu près aux quatre chapitres : 1° la désobéissance et le châtiment de Jonas, 1, 1-2, 1 ; 2° la prière du prophète et sa délivrance, 2, 2-11 ; 3° la prédication de Jonas à Ninive et son admirable résultat, 3, 1-10; 4° Jonas, mécontent du pardon accordé aux Ninivites, est réprimandé par le Seigneur, 4, 1-11 (pour une analyse plus complète, voyez le commentaire et notre Biblia sacra, p. 1014-1016).