Bible Fillion

LES LIVRES HISTORIQUES


Leur nombre. - On en compte seize en dehors du Pentateuque: l° Josué, 2° les Juges, 3° Ruth, 4° le premier livre des Rois, 5° le second livre des Rois, 6° le troisième livre des Rois, 7° le quatrième livre des Rois, 8° et 9° les deux livres des Paralipomènes, 10° Esdras, 11° Néhémie, 12° Tobie, 13° Judith, 14° Esther, l5° et 16° les deux livres des Machabées. Ces derniers sont séparés des autres, dans le canon latin, par tous les écrits poétiques et prophétiques; on leur a laissé leur rang chronologique, et ils servent ainsi de conclusion à l’Ancien Testament.

Leur nom et leur contenu. — Ces livres sont appelés à bon droit « historiques »; car, si le Pentateuque raconte l’établissement d’abord lointain, puis immédiat, de la théocratie ou du royaume de Dieu sur la terre, ils en exposent les développements successifs à travers les mille péripéties de la vie du peuple hébreu: c’est de l’histoire proprement dite qu’ils contiennent d’une manière à peu près exclusive.

Nous avons vu (Tome 1, pp. 13-14) que, dans la Bible hébraïque, six de ces livres (Josué, les Juges, 1-4 des Rois) sont groupés sous un titre spécial: nebî'im Ri'sônim  « Prophètes antérieurs (par opposition aux nebî'im 'aharônim, prophètes postérieurs, ou proprement dits » ; que six autres d’entre eux (Ruth, Esther, Esdras, Néhémie, l et 2 des Paralipomènes) appartiennent à la catégorie dite des ketubim, ou des Hagiographes; tandis que les quatre autres (Tobie, Judith, 1 et 2 des Machabées) font totalement défaut, et qu’ils sont appelés, pour ce motif, deutérocanoniques.

« Prophètes antérieurs » : beau nom, qui leur convient parfaitement à tous. En effet, les Juifs ne l’ont pas seulement donné à plusieurs de ces écrits parce que, d’après la tradition, ils auraient eu des prophètes pour auteurs, ni parce qu’ils décrivent çà et là, avec d’amples détails, le ministère de quelques grands prophètes (Samuel, Nathan, Gad, Élie, Élisée, etc., dans les livres des Rois); mais surtout « parce qu’ils relatent l’histoire du peuple de l’Alliance et du royaume de Dieu sous l’Ancien Testament, à la lumière du plan divin relatif au salut des hommes; parce qu’ils décrivent l'accomplissement des révélations divines à travers la marche historique d’Israël; parce qu’ils montrent comment le Dieu tout-puissant, roi d’Israël, a été constamment fidèle à l'alliance toute gracieuse conclue d’abord avec les patriarches, puis au Sinaï; comment il a rapproché de plus en plus son peuple, malgré des résistances coupables, du but pour lequel il l’avait choisi; comment enfin il a préparé par là le salut du monde entier. » Ce qui revient à dire plus simplement: livres prophétiques en même temps qu’historiques, parce qu’ils ont en vue, tantôt d’une manière directe et immédiate (c'est dans ces livres que nous trouverons, pour ne citer que deux faits, d'une part David, à la race duquel le Messie sera clairement rattaché (2 Reg. 7, 12 et ss. ; d'autre part, trois des aïeules du Christ : Rahab, Ruth et Bethsabée (cf Jos. 2, 1 et ss. ; Ruth, 4, 21-22; 2 Reg. 12, 24), tantôt d’une façon typique et figurée, le Messie, rédempteur d’Israël et de tout le genre humain (Tome 1, pp. 8-9). C’est donc partout l'histoire du christianisme naissant.

Voilà précisément pourquoi ces livres ne constituent pas une série d’annales complètes, régulières, de l'histoire juive; Après avoir fourni de longs renseignements sur tel personnage, sur telle période (le livre de Ruth, par exemple, ne se compose que d'un seul épisode), ils glissent rapidement sur tout un ensemble de faits, et il se trouve, en vertu de l'inspiration divine, que les points sur lesquels les écrivains insistent sont ceux qui avaient le plus d’importance pour le royaume messianique.

Sous le rapport du sujet traité, les livres historiques de l’Ancien Testament peuvent se diviser en deux groupes, selon qu’ils exposent: l° les progrès successifs, puis la décadence rapide de la théocratie juive en Palestine, jusqu’à la ruine de Jérusalem par Nabuchodonosor; 2° la manière dont Dieu daigna renouer le fil à demi brisé de l’Alliance, et reconstituer la théocratie primitive sur des bases d’abord très modestes, mais gagnant chaque jour en solidité et même en gloire. Au premier groupe appartiennent les « prophètes antérieurs » et les Paralipomènes ; au second, les huit autres livres.

En lisant Josué, nous assistons à la conquête de la Terre promise et à l’installation en quelque sorte matérielle du royaume de Dieu; au temps des Juges, les douze tribus, à travers de graves difficultés, affermissent peu à peu en elles la vie théocratique; au livre de Ruth, la race royale est préparée; les livres des Rois et des Paralipomènes nous montrent le règne théocratique atteignant son apogée de gloire et de puissance sous David et Salomon, mais allant ensuite, de chute en chute, à la ruine, malgré quelques périodes de relèvement extérieur et moral; l’idée dominante des écrits qui portent les noms d’Esdras, de Néhémie, de Tobie, de Judith et d’Esther, c’est que Dieu n’a pas abandonné totalement son peuple et qu‘il lui réserve un brillant avenir; et cet avenir commence à se produire au temps des Machabées, soit en d’éclatants faits d’armes, soit dans la régénération morale d’Israël, en attendant des jours plus beaux encore, ceux du Messie.

La période chronologique qu’embrassent ces divers écrits va de la conquête de la Terre sainte au gouvernement de Simon Machabée, c‘est-à-dire des premières années du 13è siècle (d'après la chronologie la plus communément reçue de nos jours. Voyez dans Wetzer et Welte, Kirchenlexicon, l'article « Chronologie », t. 3, p.324 et s. de la 2è édition. D'autres, il est vrai, font remonter la mort de Moïse jusqu'à la fin du 19è siècle avant Jésus-Christ) à l’an 135 avant Jésus-Christ.

La forme de tous ces livres est naturellement très variée, selon les époques et les auteurs : d’ordinaire très simple, « tantôt brève et laconique, tantôt abondante et diffuse; les répétitions y sont assez fréquentes; les transitions font défaut, et la raison même des événements n’est pas indiquée (Man. Bibl., t.2, b.412).»

Saint Augustin faisait déjà remarquer que la méthode des historiens sacrés est à peu près toujours impersonnelle. « Ils racontent... purement et simplement les faits, sans... les juger. Ils constatent que le peuple de Dieu est heureux quand il est fidèle à la loi, malheureux quand il la transgresse; c’est là, pour ainsi dire, leur philosophie de l'histoire; mais, à part cette indication du rôle de la Providence,·ils sont simples narrateurs... Cette manière d’écrire l'histoire... est très importante à noter, parce qu’elle fournit la solution de beaucoup d’objections qu’on a soulevées contre les Livres saints. On a prétendu qu’ils approuvent les actions coupables qu‘ils rapportent, parce qu’ils ne les censurent point. Rien n’est plus faux: ils n’approuvent ni ne désapprouvent les événements qu’i1s racontent; au théologien et au critique de les apprécier d’après leur nature et leurs conséquences (Man. Bibl., 1.C, 3° et 4°. Cf S. Augustin, Quaest. In Heptat., 7, 49).


LE LIVRE DE JOSUÉ


Le titre et le sujet du livre. – Dans la Vulgate, Liber Josue; dans l'hébreu, simplement Yehošua‘ ; dans les Septante, Іησοΰζ Ναυή (au lieu de Nun.) ou Іησοΰζ υίòς Ναυή: tels sont les divers titres du livre dans le texte original et dans les principales versions.

Ces dénominations ont été extraites du sujet, qu’elles résument très exactement. Non que l’écrit renferme, à proprement parler, une biographie du vaillant guerrier qui eut l’honneur de succéder à Moïse en tant que chef du peuple hébreu, et d’introduire complétement les Israélites dans la Terre promise; mais Josué est en réalité le héros, et le livre s’ouvre au moment même de l’entrée en fonction du fils de Nun, pour se terminer aussitôt après sa mort. Préparatifs de la conquête du pays de Chanaan, la conquête même au milieu d’éclatants prodiges, le partage de la Terre sainte entre les tribus d’Israël, puis les dernières paroles et le dernier soupir de Josué : voilà, en abrégé, le contenu de ce sixième livre de la Bible. « Lève-toi, et franchis ce Jourdain, toi et tout le peuple avec toi, pour entrer dans le pays que je donnerai aux enfants d’Israël (Jos. I,2). Fortifie-toi et sois courageux; car c’est toi qui partageras au sort à ce peuple le pays que j’ai promis avec serment à leurs pères de leur donner (Jos. I,6). » : Ces premières lignes de l’ouvrage en donnent un résumé à peu près complet.

Les rares dates indiquées (Jos. 4, 19; 5, 6;11, 18; 14, 7-10; 23, 1, 31) semblent exiger, pour les événements racontés, une période d’environ cinquante ans.

Division. – Deux parties, suivies d’un appendice. La première partie est complètement historique; la seconde, quoique historique aussi pour la forme, est géographique et tant soit peu législative pour le fond.

Première partie : la conquête de la Terre promise, 1, 1-12, 24. - Deux sections : 1° préparatifs de la guerre sainte, 1, 1-5, 12; 2° triomphes successifs et rapides des Hébreux, qui les rendent maîtres de tout le pays, 5, 13-12, 24.

Deuxième partie : le partage de la Terre sainte après la conquête, 13,1-22, 34.- Deux sections aussi : 1° mention succincte du partage opéré précédemment par Moïse à l’est du Jourdain, 13, 1-33; 2° partage des districts cisjordaniens, récemment conquis, 14, 1-22, 34.

Appendice : les dernières paroles et les derniers actes de Josué, 23 ,1-24, 33 (Pour une analyse plus détaillée, voyez le commentaire et notre Biblia sacra). »

L'auteur. - Les anciens écrivains juifs et les Pères attribuent à Josué lui-même la composition du livre qui porte son nom, et cette tradition s’appuie sur deux passages bibliques qui ont l’un et l’autre une grande autorité. Jos. 24, 26 : Josué écrivit aussi toutes ces choses dans le livre de la loi du Seigneur (Voyez le commentaire); Eccli.(46, 1 : Jésus, fils de Navé, successeur de Moïse parmi les prophètes (Le grec porte : έν προφητείαις, « dans les prophéties » ou mieux encore : « dans les livres prophétiques », comme il ressort du prologue de l'Ecclésiastique.).

Plusieurs raisons intrinsèques corroborent ce dire de la tradition : l’emploi de la première personne du pluriel en trois endroits du texte hébreu (4, 23 et 5, 1 : ‘obrênu, littéralement, « le passer de nous, » au lieu du transiretis ou transirent de la Vulg.; 5, 6 : « à nous, » au lieu de eis); l’exemple de Moïse, qui devait exciter Josué, son disciple et son successeur, à raconter à son tour les faits importants de l’histoire théocratique auxquels il avait été mêlé; les passages multiples du livre qui révèlent le témoin oculaire (notes de topographie, relations intimes de Josué avec Dieu, etc,).

On a allégué, il est vrai, quelques épisodes qui sembleraient plus récents que Josué, entre autres, la prise d’Hébron par Caleb (Jos. 15, 13-20), la cohabitation des Jébuséens à Jérusalem avec les membres de la tribu de Juda (Jos. 15, 63), et la conquête de Lésem par les Danites (Jos. 19, 47) : épisodes que 1’on recule jusqu'à l’époque des Juges, d’après Jud. I, 10-15; I, 8; 18, 7. Mais il n’est pas du tout certain que ces incidents ne datent point de l’époque de Josué. Ou bien ils auront été ajoutés, comme le récit de sa mort (Jos. 24, 29-33), par l’un des « anciens » qui lui survécurent (comp. 24, 31), sans que l'authenticité ou l'intégrité du livre puissent être attaquées pour cela.

La fameuse théorie de l’Hexateuque, qui rattache les pages du livre de Josué au Pentateuque comme un « sixième tome » , et qui en explique également l’origine par des documents surajoutés et remaniés à différentes époques, ne repose sur aucune base sérieuse. L’unité de cet écrit et son indépendance se montrent à tout instant. Évidemment il n’est pas sans quelque ressemblance avec le Pentateuque, vu qu’il date à peu près du même temps; mais il manifeste une véritable originalité pour le fond et pour la forme (« L'auteur (du livre de Josué) suppose clos le livre de la Loi, Jos. 8, 31; 23, 6; il reproduit la division du pays à l'est du Jourdain, 13, et l'énumération des villes de refuge, 20, qui se lisaient déjà Num. 32, Deut, 4; il est exempt d'un certain nombre d'archaïsmes qu'on observe dans les écrits de Moïse; il a pour plusieurs mots une prononciation particulière, etc. » Man. Bibl, t. 2, n. 7. ces derniers détails témoignent de sa complète indépendance).

Le but du livre de Josué consiste, sous le rapport extérieur, à poursuivre le récit de l’histoire d'Israël; mais davantage encore à manifester, par ce récit, l'admirable fidélité du Seigneur à l’égard de son peuple. Jéhovah a tenu admirablement toutes ses promesses, et il a introduit miraculeusement les Hébreux dans la contrée qu’il avait depuis si longtemps donnée à leurs pères comme un héritage anticipé : tout ce qui tend à démontrer cette thèse est mis en relief; le reste est passé sous silence. Comme conséquence pratique pour le peuple, nécessité d’une parfaite obéissance à tous les préceptes de Jéhovah.

Mais le livre de Josué a encore un autre but, de beaucoup supérieur au précédent, quoique moins direct : c’est de nous présenter dans son héros un type remarquable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le nom de Josué, Yehošua‘, « salut de Jéhovah » est à peu près identique à celui de Jésus, šua‘. Cf . Num. 13 , 16; 14, 6, 30. Aussi les Septante et divers passages de la Vulgate n’établissent-ils aucune différence dans la reproduction qu’ils en donnent (΄Іησοϋς Ναυή, Eccli. 46, 1; cf. Act. 7, 45; Hebr. 4, 8, etc,). L’œuvre de Josué, c’est-à-dire la conquête et le partage de la Terre promise, symbolise celle de Jésus-Christ, vainqueur du monde et du démon, et notre introducteur dans la Palestine mystique de l’Église et du ciel.

Ouvrages à consulter. — Dans l'antiquité, les Quaestiones in Josuam de Théodoret; aux temps modernes, A. Masius, Josue imperatoris historia illustrata, Anvers, 1574; N. Serarius, Commentarius in Josue, Mayence, 1609-1610; J. Bonfrère, Comment. in Josue, Judices et Ruth, Paris, 1631 ; les notes de Cornelius à Lapide et de Calmet. Pour les questions d’introduction, voyez le Manuel biblique, t. 1, nn. 413-444, et Cornely, Introductio specialis in historicos Vateris Testamenti libros, Paris, 1887, pp. 170-205.


_______________