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BIBLE FILLION

La Sainte Bible Commentée d'après la Vulgate et les textes originaux

LE LIVRE DES LAMENTATIONS

LE LIVRE DES THRÈNES


Son nom et sa place dans le canon biblique.— Ce petit livre est appelé par les Juifs tantôt 'Ekah, d'après son premier mot (Quomodo dans la Vulgate), tantôt Qînôt, ou lamentations, et c'est sur ce second nom qu'ont été calquées les dénominations de Θρήνοί, Threni ou Lamentationes, des Grecs et des Latins (l'élègie de David sur la mort de Saül et de Jonathas porte aussi le nom de qînah (cf. 2 Reg. 1, 17); de même différentes complaintes insérées dans les livres prophétiques (cf. Jer. 7, 29, et 9, 19; Ez. 2, 10; 11, 1, 14; 26, 17, etc.; Am. 5, 1, et 8, 10).

Dans la Bible hébraïque, il fait partie des cinq Megillôt ou rouleaux, rangés eux-mêmes parmi les Ketûbim ou Hagiographes (voyez le t. 1, p. 13); il y occupe le troisième rang, entre Ruth et l'Ecclésiaste. Dans la Vulgate comme dans les Septante, il a été rattaché d'une manière toute naturelle aux œuvres de Jérémie, et il paraît certain que telle était aussi sa place primitive dans le texte original; nous avons pour garants de ce fait Origène (In Ps. 1), saint Épiphane (Adv. Haer., 8, 6), saint Hilaire (Prolog. In Ps. 15), saint Jérôme (Prolog. galeatus), qui, énumérant les livres scripturaires dont les Juifs admettaient l'authenticité, mentionnent comme un écrit unique la prophétie de Jérémie et les Thrènes.

Sa forme poétique. — Les Thrènes sont donc un poème élégiaque, composé de cinq chants, qui correspondent exactement aux cinq chapitres de ce petit livre. Les quatre premiers chants sont alphabétiques ou acrostiches (« Jeremias civitatis suae ruinas quadruplici planxit alphabeto » a dit saint Jérôme, Praef. In Jerem.), avec cette différence que, dans le premier, le second et le quatrième, chaque verset commence tour à tour par une des vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu, tandis que, dans le troisième, chacune des lettres est placée en tête de trois versets consécutifs. C'est pour cela que la Vulgate et les Septante ont conservé, en tête des versets, les noms des lettres hébraïques : aleph, beth, ghimel, daleth, etc. (aux chap. 2, 3 et 4, la lettre phé précède le 'aïn, qu'elle devrait suivre régulièrement; on ignore la cause de cette transposition). « On aurait pu s'attendre à ce qu'un procédé artistique aussi peu spontané... eût apporté plus d'entraves à l'expression des sentiments... (Toutefois) cette forme pouvait être maintenue avec assez de facilité pour ne pas embarrasser un poète bien doué... Assurément, ce sont moins des plaintes passionnées que des méditations douloureuses, des retours vers le passé, des descriptions. L'élément didactique se montre plus d'une fois, et cette parenté avec le genre de poésie qui poursuit le même but fit probablement choisir la forme alphabétique, appropriée à l'expression d'une série de proverbes » (comparez dans le texte hébreu les Ps. 25, 34, 112, 119 (Vulg. 118), et Prov. 31, 10-31. Peut-être est-ce comme une digue que le poète s'était faite à dessein, pour limiter et contrôler sa douleur. Quoiqu'il en soit, « cet ordre alphabétique ne nuit en rien à l'expression naturelle des sentiments; il ressemble au lit serré d'un fleuve qui détermine le cours des eaux; à travers les rochers qui resserrent la rive, jaillissent les ondes les plus fraîches et les plus rapides » (Haneberg, Hist. de la révélation bibl., t. 1, p. 353 de la trad. Franç.). Le cinquième chant n'est pas acrostiche, sans doute parce qu'il contient une prière, et que la réflexion y cède le pas à l'essor plus libre des sentiments.

Autre particularité du livre des Thrènes sous le rapport de la forme extérieure: le premier et le second chant sont composés de longs vers à trois membres (1, 7 et 2, 19, les vers ont quatre membres, par exception), dont chaque membre est coupé par une césure en deux parties inégales; les vers du quatrième chant n'ont que deux membres, coupés de la même manière; ceux du troisième chant ont un seul membre, avec césure; ceux du cinquième ont deux membres, sans césure (dans notre Biblia sacra, p. 905-915, on trouvera ces divers détails marqués typographiquement).

On est frappé de voir, en étudiant ce touchant poème, que le troisième chant (chap. 3) est le morceau principal, autour duquel gravitent, pour ainsi dire, les quatre autres; il est vraiment le sommet et le point culminant de la pièce entière, aussi bien par sa position que par « sa richesse plus grande » sous le rapport des pensées, et son « ordonnance plus soignée ».

Ces divers traits montrent à quel point l'art littéraire brille dans le livre des Thrènes; il est presque unique sous ce rapport dans l'Ancien Testament. Le parallélisme des membres, qui constitue l'élément principal de la poésie hébraïque, y est cependant moins régulier qu'ailleurs; il est plus fréquemment rythmique et synthétique que synonymique et antithétique (voyez, sur ces expressions, le t. 3, pages 483-485).

Le su jet et le but du livre. — Les Thrènes ont pour objet de chanter les faits racontés en abrégé au chap. 25 du 4ème livre des Rois (comp. Jer. 39 et 52), c.-a-d. la totale destruction du royaume de Juda par Nabuchodonosor, la dévastation du pays, la prise, le pillage et la ruine de Jérusalem, les malheurs du peuple emmené en captivité; en un mot, les scènes les plus douloureuses et les plus émouvantes de la catastrophe finale. Chaque chant embrasse dans leur ensemble tous ces divers points, car l'idée mère du poème ne va pas se ramifiant d'une façon distincte dans chacun des chapitres. Toutefois, la première élégie fait plus directement allusion à l'état d'abandon et aux humiliations de Jérusalem; la seconde, au rôle terrible que joua le Seigneur lui-même dans la ruine de la malheureuse cité; la troisième expose au peuple comment ses souffrances doivent le conduire à la pénitence et à l'espoir; la quatrième parle surtout du châtiment des classes dirigeantes; la cinquième demande le rétablissement de la nation.

C'est bien à tort qu'on a vu parfois dans les Thrènes une prophétie proprement dite. Non, les Qînôt ne prédisent pas la ruine future de l'État juif; elles décrivent des faits déjà accomplis; leur auteur est un témoin oculaire, qui raconte ce qui s'est passé sous ses yeux. Quant aux applications qu'on a faites soit du livre entier, soit de quelques-unes de ses parties, à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la sainte Vierge et à l'Église, elles sont simplement spirituelles et accommodatrices.

Le but du poète est bien exprimé dans les lignes suivantes: « Amener insensiblement les Juifs, si profondément affligés, à la vraie connaissance de leurs fautes nombreuses, et par conséquent à la vraie plainte et à la vraie douleur; transformer leur chagrin sauvage en prière... : voilà ce que s'est proposé l'auteur. » Ou encore: « En de telles calamités, le cœur humain se dessèche, ou se fond; il devient insensible, ou s'abandonne au désespoir. L'intention du poète est de prémunir ses compatriotes contre l'un et l'autre de ces excès. Il veut qu'ils pleurent avec lui, mais comme lui. »

L'auteur des Thrènes. - La tradition juive et chrétienne a constamment désigné le prophète Jérémie comme l'auteur de cet admirable poème. Les Septante se sont faits les interprètes de la croyance des Juifs sur ce point lorsqu'ils ont mis, en tête du livre, la petite introduction historique que nous lisons également dans la Vulgate (les mots et animo amaro suspirans et ejulans ne se trouvent que dans notre version latine), et, sous une forme tout à fait abrégée, dans la paraphrase chaldaïque (« Dixit Jeremias propheta et sacerdos magnus ». Le texte hébreu commence d'une manière abrupte, sans rien de pareil) : or ce témoignage nous porte à deux cents ans au moins avant l'ère chrétienne, et il suppose une tradition beaucoup plus ancienne. Nous n'avons pas à insister sur la tradition chrétienne, tant elle est évidente.

Les arguments intrinsèques sont tellement d'accord avec cette preuve extrinsèque, que les critiques, d'ordinaire si hardis, n'ont essayé qu'assez rarement d'enlever à Jérémie la gloire d'avoir composé les Thrènes (voyez leurs raisons dans Knabenbauer, Commentar. In Danielem..., Lamentat. et Baruch, Paris, 1891, p. 367-374) : tout rappelle son genre, ses pensées, son langage, son caractère comme homme et comme écrivain. « La manière de Jérémie s'y révèle, pour ainsi dire, à chaque ligne; ce sont les mêmes peintures..., les mêmes images, la même véhémence de sentiments. » (Man. Biblique, t. 2, n. 1015. Voyez dans Knabenbauer, l.c., p. 370-372, la liste des principales ressemblances sous le rapport du style). Les détails pleins de fraîcheur et de vie qui apparaissent à tout instant s'expliquent par la présence de l'auteur à Jérusalem, au milieu des scènes terribles et lugubres qu'il décrit. Cette dernière circonstance démontre que Jérémie dut composer ses Lamentations peu de temps après la prise et l'incendie de Jérusalem. On montre encore, à l'ouest et non loin de la capitale juive, une grotte où il se serait enfermé pour écrire les Thrènes.

Leur beauté littéraire et leur emploi liturgique. —Bossuet disait, à propos des Thrènes : « Jérémie est le seul qui ait égalé les lamentations aux calamités. » Et, en effet, « dans tout le domaine de la douleur humaine exprimée par des paroles, depuis les lamentations les plus tragiques de la classique Hellade jusqu'aux plaintes d'Ossian et des Niebelungen, on trouverait difficilement quelque chose que l'on pût comparer à ces élégies sacrées, tant pour la profondeur du pathétique que pour la grandeur et la noblesse du langage. »

Ce poème si justement admiré joue depuis longtemps un rôle spécial dans la liturgie soit juive, soit chrétienne. Les Juifs le chantent dans leurs synagogues le 8 ab (mois qui correspond à une partie de juillet et à une partie d'août), jour auquel ils célèbrent l'anniversaire de la destruction des deux temples. Il leur est en outre recommandé d'en faire une lecture privée, toutes les fois que la mort vient porter le deuil dans leurs familles. L'Église latine en a inséré une portion notable dans l'office des trois derniers jours de la semaine sainte : les plaintes du poète sont alors placées d'une manière spirituelle « sur les lèvres du Christ, dont Jérémie était la figure, et dans la bouche de l'Église, qui déplore... les souffrances du Sauveur et les péchés de ses enfants ».

Les Commentaires catholiques composés pour expliquer le sens littéral des Thrènes sont peu nombreux. En dehors de ceux des grands exégètes qui ont expliqué la Bible entière, nous n'avons guère à mentionner que les œuvres suivantes : die Klagelieder des Propheten Jeremias, par Schœndorfer (Prague, 1876); Commentarius in Danielem prophetam, Lamentationes et Baruch, par le P. Knabenbauer (Paris, 1891).