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BIBLE FILLION

La Sainte Bible Commentée d'après la Vulgate et les textes originaux


PRÉFACE DE L'ÉVANGILE SELON SAINT LUC



§ 1. — NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. LUC

(Voyez Fabri, Vita di S. Luca Evangelista, Venise 1643).



Luc, en latin Lucas, en grec Λουϰᾶς, est la forme abrégée de Zucianus (Λουϰιανός), ou de Lucilius (Λουϰιλιός), ou plus probablement de Lucanus (Λουϰανός) : plusieurs anciens manuscrits de l’Itala (En particulier les Cod. Vercell., Vindobon., Cottonian. Comp. Patrizi, de Evangel. libri tres, l, 62.) intitulent en effet le troisième Evangile « Evangelium secundum LUCANUM » (Les abréviations de ce genre étaient très fréquentes chez les Grecs et les Romains ; par exemple Zénas pour Zénodore, Démas pour Démétrius, Artémas pour Artémidore, Cléopas pour Cléopater, Hermas pour Hermagoras; Alexas pour Alexandre, etc.).

Ce nom apparaît trois fois dans les écrits du Nouveau Testament, Col. 4, 14; Philem. 24; 2 Tim. 4, 11, et toujours, d’après le témoignage unanime de l'antiquité, pour désigner le troisième des évangélistes synoptiques. Mais c’est à tort que divers auteurs anciens et modernes ont essayé d'identifier S. Luc avec les deux personnages nommés « Lucius » dont il est question au livre des Actes, 13,1 (« Sed et Lucium quidam ipsum perhibent esse Lucam qui evangelium scripsit, pro eo quod solent nomina interdum secundum patriam declinationem, interdum etiam secundum græcam romanamque proferri. » Orig., Comment. In Ep. ad Rom. 16, 21. Camp. Baronius, Annal. ad ann. 58, n° 57), et dans l'Epitre aux Romains, 16, 21 (Voyez Ad. Maier, Einleit. in die Schriften des N. Test., Fribourg 1852, p. 88).

Nous possédons sur la patrie et l'origine de S. Luc des renseignements patristiques du plus grand prix.

L'historien Eusèbe et S. Jérôme s’accordent pour le faire naître à Antioche, capitale de la Syrie. Λουϰᾶςτὸ γένος τῶν ἀπʹ Ἀντιοχείας, dit le premier, Hist. Eccl. 3, 4. De même S. Jérôme : « Tertius (Evangelista) Lucas..., natione Syrus, Antiochensis, » Proœm. in Matth. (Comp. S. Jean Chrysost, Hom. in Matth. 1; Tillemont, Mémoires ecclésiast. 2 p 60.) Cette tradition, bien qu’on l’ait parfois attaquée, vaut assurément les conjectures de Greswell et d’autres protestants contemporains, qui attribuent sans la moindre apparence de raison aux villes de Troas ou de Philippes l’honneur d’avoir donné le jour à notre évangéliste.

S. Luc, par sa naissance, n’appartenait pas au judaïsme, mais à la gentilité. Cela ressort très clairement) de l'Épitre aux Colossiens, 4, 10 et ss., où S. Paul, après avoir mentionné trois de ses amis et collaborateurs, Aristarque, Marc et Jésus le Juste, en prenant soin d’ajouter qu’ils étaient Juifs d'origine (« qui sunt ex circumcisione, » verset 11), en nomme trois autres, Epaphras, LUC et Démas, sans indication du même genre, ce qui suppose que ces derniers étaient nés de parents païens. Les hébraïsmes que l’on rencontre en plusieurs endroits des écrits de S. Luc ne prouvent rien contre cette conclusion, car ils s’expliquent très bien par les sources juives auxquelles l'auteur du troisième Évangile et des Actes a dû parfois puiser. — Des quatre évangélistes, S. Luc est donc le seul qui soit issu de la gentilité. Il est très possible néanmoins, suivant une croyance qui était déjà générale du temps de S. Jérôme (Quæst. in Gen. c. 46), et qui est aujourd’hui encore assez communément admise, qu'il se soit fait affilier à la religion juive en devenant prosélyte (Voyez Matth. 23, 15, et le commentaire), avant de se convertir au christianisme. Par là s’explique sa parfaite connaissance des usages israélites.

S. Paul nous apprend que S. Luc exerçait la profession de médecin. « Salutat vos, écrit-il aux Colossiens, 4, 14, Lucas medicus carissimus. » Et l’on trouve une confirmation de ce fait non seulement dans les nombreuses assertions des écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, mais jusque dans les pages du troisième Évangile et du livre des Actes. Des termes techniques y trahissent en effet à différentes reprises le « Doctor medicus. » Par exemple, 4, 38, l’auteur prend soin de dire que la belle-mère de S. Pierre était malade d’une grande fièvre, πυρετῷ μεγάλῳ, expression qu’on rencontre précisément dans Galien. Dans les Actes, XIII, l3, 11 désigne la cécité par un mot rare, ἀχλύς, également employé par Galien. Ailleurs, Luc. 22, 44, etc., il signale des phénomènes pathologiques que les autres évangélistes avaient passés sous silence (Voyez Michaelis, Einleit., 2, p. 1079). Ces traits sont assurément significatifs.

Partant de ce fait, et s’appuyant d’une part sur ce que les noms d’esclaves étaient fréquemment abrégés en as comme celui de S. Luc (Voyez p. 1, et Kitto, Cyclopædia of bibl. Literature, s. v. Luke), d’autre part sur ce que, chez les Grecs et à Rome, les médecins étaient souvent de condition servile (Comp. Sueton., In Caio, c. 8; Senec., De benef. 3, 24; Quintil., 7, 2, n° 26), divers exégètes ont prétendu que notre évangéliste aurait été un esclave affranchi. Mais rien, dans la Bible ni dans la tradition, ne vient justifier cette singulière hypothèse.

S. Luc aurait-il été peintre en même temps que médecin ? C'était la croyance de S. Thomas d’Aquin (« Unde et B. Lucas dicitur depinxisse Christi imaginem quæ Romæ habetur ») (Summa, p. 3, q. 25, a. 3), comme aussi celle de Simon Métaphraste au milieu du dixième siècle (Vita Luc, c. v1.). Nicéphore (14ème siècle) n’est donc pas le premier, ainsi qu’on le répète souvent, à mentionner cette opinion (Hist. eccl. 2, 43; ἄϰρως τὴν ζωγράφου τέχνην ἐξεπιστάμενος. S. Luc aurait fait, d'après cet auteur, les portraits de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des principaux Apôtres.). Quoi qu’il en soit de l'authenticité des tableaux qui lui ont été attribués, il est certain, et le commentaire le fera voir à chaque instant, que S. Luc avait une âme d'artiste, et qu’il excelle dans les descriptions de tout genre, spécialement dans les portraits psychologiques (Voyez Manni, Del vero pittore Luca, Florence 1764; Faber, Bethlehem, passim; Bougaud, Jésus-Christ, 2° édit. pp. 87, 88, 93).

A quelle époque et dans quelles circonstances S. Luc devint-il chrétien? La tradition est à peu près muette sur cette question, à laquelle on ne peut répondre, par conséquent, qu’à l’aide de conjectures plus ou moins hazardées. Toutefois, S. Luc étant originaire d’Antioche, il paraît vraisemblable qu’il ait appris à connaître et adopté la religion de Jésus dans cette ville, qui posséda de si bonne heure une chrétienté florissante, formée en grande partie d’éléments païens (Comp. Act. 11, 19-30.). Tertullien insinue même, adv. Marcion, 4, 2, que S. Luc aurait été converti par l’apôtre des Gentils en personne (« Lucas, non apostolus, sed apostolicus; non magister, sed discipulus, utique magistro minor, certe tanto posterior quanto posterioris apostoli sectator, Pauli sine dubio. »): ce qui expliquerait très bien du reste leurs rapports intimes dont nous allons bientôt parler. »

S. Epiphane, adv. Hær. 51, 6, et d’autres auteurs à sa suite, font de S. Luc un des soixante-douze disciples. Quelques-uns des partisans de cette opinion allèguent, pour la justifier, que le troisième évangéliste a seul raconté l’envoi des soixante-douze, les instructions que Jésus leur adressa, leurs travaux et leur retour (Luc. 10, 1 et suiv.). Mais S. Luc les a en quelque sorte réfutés d’avance, dès le début de son Évangile (1, 1), en affirmant d’une manière implicite qu’il ne fut pas témoin oculaire des choses qu’il raconte. Au reste, « Tertullien (Loco citato.) dit comme une chose constante que S. Luc n'a point été disciple de Jésus-Christ... Le même Tertullien et S. Irénée (Lib. 1, c. 20) se contentent de l'appeler Homme apostolique (Calmet, Commentaire littéral, t. 20, p. 182, Préface sur S. Luc.). » Le canon de Muratori affirme tout aussi nettement, que S. Luc « Dominum tamen nec ipse vidit in carne. »

Le sentiment d’après lequel notre évangéliste serait l’un des deux disciples d’Emmaüs (Luc. 24, 13 et ss. Voyez Théophilacte, Comm. h. l.) ne repose pas sur des fondements plus solides.

Mais voici que S. Luc va devenir son propre biographe pour une partie considérable de sa vie. Sans se nommer, et pourtant d’une façon tellement claire qu’il est impossible de s’y méprendre (Comp. S. Irénée, Hær. 3, 14. Voyez les commentaires du livre des Actes, aux passages indiqués ci-après), il raconte en abrégé le ministère évangélique qu’il eut le bonheur d’exercer dans la société de S. Paul pendant plusieurs années. « Le très cher médecin, » partant de Troas avec l’Apôtre des nations, au moment où celui-ci se disposait à passer en Europe pour la première fois, l'accompagna jusqu’à Philippes, en Macédoine, Act. 16, 10-17 (Voyez V. Ancessi, Atlas géogr. pl. 19; R. Riess. Atlas de la Bible, pl. 5. Suivant S. Jérôme, De viris ill. c. 7, le disciple qui accompagna Tite à Corinthe pour y recueillir les aumônes des fidèles au nom de S. Paul (2 Cor. 8, l8 et ss.), ne serait autre que S. Luc.). Plus tard, Act. 20, 5 et ss., nous le retrouvons dans cette même ville avec son illustre maître : ils traversent de nouveau l’Hellespont, mais en sens contraire, pour rentrer à Troas, d’où ils font route ensemble vers Jérusalem en passant par Milet, Tyr et Césarée. Ibid. 20, l3-21, l7. Tout trahit le témoin oculaire dans ce récit plein de détails intéressants. C’est sur ces entrefaites qu’eut lieu l’arrestation de S. Paul à Jérusalem et sa longue incarcération à Césarée. Quand le grand Apôtre, après son appel à César, fut dirigé sur Rome avec d’autres prisonniers, son fidèle S. Luc le suivit encore et partagea son naufrage, ce qui nous a valu l’une des narrations les plus vivantes et les plus instructives du Nouveau Testament. Cf. Actes, 27, 1-28, l6.

Quelques années après, durant sa seconde captivité romaine, S. Paul nous montre lui-même S. Luc à ses côtés, comme un ami dont rien ne peut ébranler l'attachement : « Lucas est mecum solus ». 2 Tim. 4, 11 (Pour la chronologie de cette partie de l'histoire de S. Luc, voyez Drach, Epîtres de S. Paul, pp. 72 et 73.).

Que devint l'évangéliste après la glorieuse mort de son maître ? Les sources certaines nous abandonnent ici, et nous ne pouvons parler que d’après des traditions presque toujours indécises et flottantes, quand elles ne sont pas directement contradictoires. On nous le montre du moins comme un missionnaire infatigable, qui porta en de nombreuses contrées, même jusque dans les Gaules d'après le témoignage de S. Epiphane (Hær. l. 51, 11.) le nom et la doctrine du Seigneur Jésus. L’Achaïe semble toutefois avoir été le principal théâtre de ses travaux (Comp. S. Greg. de Naz. Orat. 33, 11; Carm. 12 de veris S. Script. libris. Voyez D. Calmet, Préface sur S. Luc. p. 183.). Il mourut martyr (En Grèce, pendu à un olivier, d’après Nicéphore, Hist. Eccl. 2, 43; en Bithynie, suivant S. Isidore, De ortu et de obitu Patrum, c. 92), à un âge assez avancé (soixante-quartorze ou à quatre-vingt-un ans, selon les différentes traditions. Voyez Nicéphore et S. Isidore, l. c.), probablement durant le dernier quart du premier siècle chrétien. Sédulius (Argum. in Luc. Collect. nov. Vol. 9, p. 177.) dit expressément qu’il avait gardé, comme S. Paul, une virginité perpétuelle. En 357, la vingtième année du règne de Constance, ses précieux restes furent solennellement transportés a Constantinople (Comp. S. Jérôme, De vir. Illustr., c. 7; S. Jean Damasc. ap. Spicil. rom. ed. Mai, t. 4. p. 352.). C’est en vertu d’une tradition légendaire qu’on montre aujourd’hui son tombeau parmi les ruines d’Éphèse (Voyez Wood, Discoveries at Ephesus, et Green, Pictures from Bible Lands, p. 100).

L’Église célèbre sa fête le 18 octobre (Voyez le Martyrologe romain, hac die.).


§ 2. — AUTHENTICITÉ DU TROISIÈME ÉVANGILE.


L’authenticité du troisième évangile n’est pas moins certaine que celle des deux premières biographies de N.-S. Jésus-Christ (« Rien de très grave, ce sont les paroles de M. Renan, ne s’oppose à ce qu'on tienne Luc pour l'auteur de l'Évangile qu’on lui attribue. Luc n’avait pas assez de célébrité pour qu'on exploitât son nom en vue de donner de l’autorité à un livre. » Les Évangiles, Paris 1877, p. 252. Même ainsi formulé l'aveu ne laisse pas d’avoir son prix). Nous avons, pour la démontrer, des témoignages nombreux, qui remontent jusqu’aux temps apostoliques (Nous laissons de côté les preuves intrinsèques, dont la force probante nous paraît contestable. Voyez Langen, Grundriss der Einleit. in das N. T., Fribourg 1868, p. 44 et suiv.). Nous pourrions dire que l'authenticité du livre des Actes, dont on a établi ailleurs (Voir le commentaire. Préface, § 1) l'existence par les raisonnements les plus plausibles, est un sûr garant de celle de notre évangile, l'auteur des deux écrits étant le même, et affirmant en termes formels, Act. 1,1, qu’il n’a composé le second que pour compléter le premier. Mais, pour le moment, nous ne voulons faire appel qu’à la tradition proprement dite.

I. Les témoignages directs, c'est-à-dire ceux qui désignent nommément S. Luc comme l’auteur du troisième évangile, ne dépassent pas, il est vrai, le second siècle. Toutefois, il faut remarquer « qu’ils ne sont point l'expression du sentiment individuel des écrivains chez qui ils se rencontrent, mais qu’ils apparaissent accidentellement, comme 1'expression de la conviction antique, non interrompue et non contestée, de l'Église entière. Ces écrivains expriment le fait comme une chose que personne n’ignore. Ils n'auraient pas songé à l’énoncer si une circonstance spéciale ne les y avait appelés. Par ce caractère ecclésiastique, tout à la fois universel et héréditaire, ces témoignages, lors même qu’ils ne datent que du 2ème siècle, nous permettent donc de constater la conviction du premier. Ce qui régnait alors, en effet, ce n’était pas la critique individuelle, mais la tradition (Godet, Commentaire sur l'Évangile de Luc, 2° édit. t. l, p. 32). » Le silence de Papias, que les rationalistes aiment à nous opposer, n’enlève donc à S. Luc aucun de ses droits d’auteur (le lecteur se rappelle que Papias attribue expressément à S. Matthieu et à S. Marc la composition du premier et du second Évangile. Voir nos commentaires, t. 1, p. 8; t. 2, p. 4. On sait du reste que nous ne possédons que de rares fragments des œuvres de Papias.).

Le premier témoignage formel est celui de S. Irénée. Il est extrêmement net et précis : Λουϰᾶς δὲ ὁ ἀϰόλουθος Παύλου τὸ ὑπʹ ἐϰείνου ϰηρυσσόμενον εὐαγγέλιον ἐν βιϐλίῳ ϰατέθετο. Hær. 3, l; comp. 14, 1. Du reste, le grand évêque de Lyon cite plus de quatre-vingt fois le troisième évangile.

A la même époque (fin du second siècle), le Canon de Muratori (Voyez sur cette pièce importante le. P. de Valroger, Introd. hist. et crit. aux livres du N. T., t. l, p. 76 et suiv.) promulguait comme il suit, dans son curieux latin, l'authenticité de l’évangile selon S. Luc : « Tertio (tertium) Evangelii librum Secundo (secundum)Lucam. Lucas iste medicus post ascensum Christi, cum eo (eum) Paulus quasi ut juris studiosum secundum assumpsisset, numine (nomine) suo et opinione concriset (conscripsit); Dominum tamen nec ipse vidit in carne, et idem, prout assequi potuit, ita et ab nativitate Joannis incipet (incipit) dicere. »

Tertullien n’est pas moins explicite: « In summa, si constat id verius quod prius, id prius quod ab initio, quod ab apostolis, pariter utique constabit, id esse ab apostolis traditum, quod apud ecclesias apostolorum fuerit sacrosanctum... Dico itaque apud illas, nec jam solum apostolicas, sed apud universas, quæ illis de societate sacramenti confœderantur , id evangelium Lucæ ab initio editionis stare, quod eum maxime tuemur (Adv. Marcion. 4, 5.). »

On le voit, comme nous le disions plus haut, nous n’entendons pas seulement ici le sentiment privé d’un grand docteur, mais la croyance de toute l'ancienne Église.

Origène, cité par Eusèbe, Hist. Eccl. 6, 25, s’exprime ainsi sur le troisième évangile : Καὶ τρίτον τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν, τὸ ὑπὸ Παύλου ἐπαινούμενον εὐαγγέλιον, τοῖς ἀπὸ τῶν ἐθνῶν πεποιηϰότα (Comparez Clem. Alex., Strom. 1, 21.).

Eusèbe lui-même n’hésite pas à admettre cet évangile parmi les ὁμολογούμενα, c’est-à-dire parmi les livres sacrés universellement reconnus comme authentiques dans la primitive Église. Cf. Hist. eccl. 3, 4.

S. Jérôme enfin, car il est inutile de descendre plus bas que le quatrième siècle (Voir d’autres nombreuses citations dans le savant ouvrage de M. Westcott, A general survey of the Canon of the New Testament, 2° édit. Londres 1866), écrit dans son traité De viris illustr., c. 7 : « Lucas medicus Antiochensis, ut ejus scripta indicant, græci sermonis non ignarus fuit; sectator Pauli et omnis peregrinationis ejus comes. Scripsit Evangelium. »

On peut également regarder comme des témoins directs du plus grand prix les antiques traductions latines (l’Itala et la Vulgate), syriaques, égyptiennes, etc. , qui intitulent le troisième évangile « Secundum Lucam. »

2. Les témoignages indirects sont peut-être encore plus importants, soit parce qu’ils remontent beaucoup plus haut, soit parce que nous les recevons de la bouche des écrivains hérétiques tout aussi bien que de celle des auteurs orthodoxes, soit enfin parce qu’ils nous prouvent que le troisième évangile a toujours été ce qu’il est aujourd’hui (le lecteur studieux trouvera des documents assez complets sur cette question dans Davidson, Introduction to the study of the N. T., Londres 1868. t. 2. pp. 19-25 ; Feilmoser, Einleitung in die Bücher des N. T., 2° édit. pp. 180 et ss.; L. Hug, Einleitung in die Schriften des N. T., 3° éd. t. l, pp. 35 et ss.; C. Tischendorf, Wann wurden unsere Evangelien verfasst ? 4è éd. p. 16 et ss.; Westcott, l. c., p. 83 et ss. Nous devons nous borner ici aux principales indications.).

1° Les écrivains orthodoxes. — S. Justin, dont les citations multiples nous ont été si précieuses pour établir l’authenticité du premier évangile, ne nous sera pas ici d’un moindre secours. Recueillons d'abord quelques aveux significatifs d’exégètes rationalistes. « La connaissance qu’a Justin de l'évangile de Luc, dit Zeller, est démontrée par une série de textes dont les uns sont à n’en pas douter, les autres selon toute vraisemblance, des emprunts faits à cet écrit (Apostelgeschichte, p. 26.). » « Outre Matthieu et Marc..., Justin utilise encore l'évangile de Luc, » écrit Hilgenfeld (Der Kanon, p .25. Comp., du même auteur, das Evangel. Justin's, pp. 101 et ss.). Et Volkmar: « Justin connaît nos trois évangiles synoptiques, et les extrait presque en entier (Ursprung unserer Evangelien, p. 91. Comp. Semisch, die Denkwürdigkeiten Justin's, pp. 134 et ss.). » Quelques rapprochements justifieront ces dires.

Dialog. c. 100 : « La Vierge Marie, quand l’ange Gabriel lui annonça que l’Esprit du Seigneur viendrait sur elle et que la puissance du Très-Haut la couvrirait de son ombre, et que par conséquent l’être saint qui naîtrait d'elle serait le fils de Dieu, répondit: Qu’il me soit fait selon ta parole ! » (Voir aussi Apol. 1. 33.) Comparez Luc. 1, 26-30.

Dialog. c. 78 : « Le premier recensement étant alors fait en Judée sous Cyrinus, (Joseph) était venu de Nazareth, où il habitait, à Bethléem, où nous le trouvons maintenant, pour se faire inscrire. Il appartenait en effet à la tribu de Juda, qui habitait cette contrée. » Comp. Luc. 2, 2.

Dialog. c. c103: « Dans les mémoires composés, comme je l’ai dit, par les Apôtres et leurs disciples, il est raconté que la sueur découla par gouttes (de Jésus), tandis qu’il priait et disait : Que cette coupe, s’il est possible, s’éloigne de moi! » Comp. Luc. 22, 44.

Dialog. c. 105 : « Expirant sur la croix, il dit: Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. » Comparez Luc. 23, 46.

Rapprochez semblablement Dial. 51 de Luc. 16, 16 ; Apol. 1, 16 et Dial. 101 de Luc 18, 19; Apol. 1, 19 de Luc. 20, 34 ; Apol. 1, 66 de Luc. 22, 19, etc.

La lettre des Églises de Lyon et de Vienne (Ap. Euseb. Hist. eccl. 5, l), écrite en l’année 177, cite clairement Luc. 1, 5 et 6.

Dans celle de S. Clément de Rome, c. 13, Volkmar lui-même reconnaît un texte de S. Luc, 6, 31, 36-38 (Maier, Einleit., p. 117, mentionne quelques autres citations moins certaines provenant d’écrivains apostoliques.).

2° Les écrivains hétérodoxes (voyez Westcott, l. c., p. 237 et suiv.). — Cerdon admettait l’autorité du troisième évangile, comme nous l’apprend un ancien livre attribué à Tertullien : « Solum evangelium Lucæ, nec tamen totum, recipit (Cerdo) » (Pseudo-Tertull. De præscript. hær. c. 51).

Dans les Philosophoumena, 6, 35 et 7, 26, nous voyons Basilide et les Valentiniens citer notre évangile (1, 15), preuve qu’ils en acceptaient l’authenticité (Comparez aussi S. Irénée, Hær. 1, 8, 4, et Luc. 2, 29, 36.). Héracléon en commente plusieurs passages (3, 17; 12, 8, 9, ap. Clem. Al, à la suite des Stromates.); Théodote argumente sur divers autres textes (Theodoti Ecloge, c. 5, 14, 85). De même les Homélies clémentines, comme on le voit en établissant une comparaison entre les passages suivants: Hom. 12, 35, 19, 2 et Luc. 10, 18 ; Hom. 9, 22 et Luc. 10, 20; Hom. 3, 30 et Luc. 9, 5; Hom. 17, 5 et Luc. 18, 6-8. etc. (Voyez Credner, Beitraege, t. 1, pp. 284-330; Zeller, Apostelgesch., p. 53.).

Mais, de tous les témoignages hérétiques favorables à l’authenticité du troisième évangile, le plus important et le plus célèbre est celui du gnostique Marcion (vers 138 de l’ère chrétienne). Désireux de faire disparaître du christianisme tout élément qui rappelât le Judaïsme, cet hérésiarque trancha, coupa à sa guise dans les écrits du Nouveau Testament, dont il garda seulement quelques épîtres de S. Paul et l’évangile selon S. Luc, non sans leur avoir fait subir des changements et des modifications considérables, pour les approprier à son système. Nous avons pour témoins de ce fait plusieurs Pères, qui lui donnèrent un grand retentissement par leurs dénonciations énergiques. « Et super haec, dit S. Irénée, id quod est secundum Lucam evangelium circumcidens, et omnia quæ sunt de generatione Domini conscripta auferens, et de doctrina sermonum Domini multa auferens.., semetipsum esse veraciorem quam sunt hi, qui evangelium tradiderunt apostoli, suasit discipulis suis; non evangelium, sed particulam evangelii tradens eis (Hær. 1, 27, 2.). » Tertullien écrivait de même : « Lucam videtur Marcion elegisse quem cæderet (Contr. Marcion, 4, 2.). » Comparez Orig. Contr. Celsum 2, 27; S. Epiphane, Adv. Hær. 42, 11; Théodoret, Haeret. Fab. 1, 24 (On trouvera dans Thilo, Cod. apocryph. N. T., pp. 401-486, et dans Volkmar, das Evangel. Marcion's, pp. 150-174, des fragments considérables de l'évangile de Marcion, recueillis à travers les écrits des Pères).

Que suit-il de ce traitement infligé par Marcion au récit de S. Luc, de manière à former ce que le fameux gnostique appelait fièrement « l’évangile du Christ? » La conclusion évidente est que le troisième évangile préexistait à Marcion, qu’il était reçu dans l’Église dès la première moitié du second siècle.—Mais les rationalistes ont prétendu tout autre chose (à la fin du 18ème siècle Semler et Eichhorn, de nos jours Schwegler, Baur, Ritschl (das Evangel. Marcions u. das kanonische Evangel. des Lucas, Tubing. 1846), etc.). Prenant pour base le fait que nous avons signalé, ils ont osé soutenir, malgré l'interprétation si claire qu’en avaient donnée les Pères les plus anciens et les plus instruits, que, bien loin de tirer son origine du troisième évangile canonique, la composition arbitraire de Marcion est beaucoup plus ancienne que l’œuvre dite de S. Luc, celle-ci n’étant en réalité qu’un remaniement tardif de celle-là. De pareilles assertions mériteraient à peine une réponse. La Providence a néanmoins permis que d’autres nationalistes devinssent sur ce point d’ardents défenseurs de la vérité, et qu’ils dévoilassent au grand jour les secrètes manœuvres de leurs rivaux : « Cette opinion, écrit Hilgenfeld (Die Evangelien, p. 27.), a méconnu la tendance réelle de l'évangile marcionite, dans le but d'attribuer au texte canonique LA DATE LA PLUS RÉCENTE POSSIBLE. » « Nous pouvons admettre comme démontré et généralement accepté, dit pareillement Zeller, non seulement que Marcion a employé un évangile plus ancien, mais encore qu’il l’a retravaillé, modifié, souvent abrégé, et que cet évangile plus ancien n’était autre... que notre S. Luc (Apostelgeschichte, l. c. Volkmar, das Evangel. Marcion's, Leipzig 1852, développe savamment la même thèse. Cédant à ces raisons, Ritschl s’est vu obligé de se rétracter, Theolog. Jahrb, 1851, pp. 528 et ss. Voyez encore, sur cette « questio vexata » des rapports de S. Luc et de Marcion, Hahn, das Evang. Marcion's, Kœnigsburg 1824 ; Heim, Marcion, sa doctrine et son évangile, Strasbourg 1862 ; Mgr Meignan, Les Évangiles et la critique au 19ème siècle, Bar-le-Duc 1864, pp. 317 et ss.). » La question est donc désormais tranchée, et Marcion devient, quoique malgré lui, un garant de l’authenticité du troisième évangile.

Ajoutons enfin que le païen Celse (Cfr. Orig. adv. Celsum, 2, 32) connaît les difficultés exégétiques qui proviennent des généalogies de Notre-Seigneur Jésus-Christ, preuve que l’Évangile selon S. Luc existait de son temps.

On a parfois attribué un caractère apocryphe aux deux premiers chapitres, qui racontent l’histoire de la Sainte Enfance de Jésus. Cette opinion, qui n’avait aucune base sérieuse, a été depuis longtemps abandonnée. Aujourd’hui, les critiques sont d’accord pour admettre l’Évangile tout entier, ou pour le rejeter tout entier (Voyez Langen, Grundriss der Einl., p. 45; Maier, Einleitung, p. 118 et ss.).


§ 3 — LES SOURCES DE S. LUC.


1. S. Luc, nous l’avons vu dans la notice biographique qui ouvre ce volume, a eu de longues et intimes relations avec l’Apôtre des Gentils. « A priori » nous devons nous attendre à trouver dans son Évangile quelques reflets de la doctrine et du style de S. Paul. Mais voici que, grâce à la tradition et à la critique, nos conjectures sur ce point vont se changer en une complète certitude.

Λουϰᾶς δὲ, lisons-nous dans S. Irénée= (Hær. 3, 1. Cfr. 14, l), ἀϰόλουθος Παύλου, τὸ ὑπʹ ἐϰείνου ϰηρυσσόμενον εὐαγγέλιον ἐν βιϐλίῳ ϰατέθετο. Origène dit semblablement : ϰαί τὸ τρίτον τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν τὸ ὑπὸ Παύλου ἐπαινούμενον εὐαγγέλιον (Ap. Euseb. Hist. eccl. 6, 25). Tertullien (Contr. Marcion. 4, 2), après avoir appelé S. Paul le « magister » et l’ « illuminator Lucæ », ajoute : « Nam et Lucæ digestum Paulo adscribere solent. Capit magistrorum videri quæ discipuli promulgarint » (Ibid, 4, 5). L’auteur de la Synopsis S. Scripturæ faussement attribuée a S. Athanase (P. 155), écrit aussi que τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν εὐαγγέλιον ὑπηγορεύθη μὲν ὑπὸ Παύλου ἀπόστολου, συνέγραφη δὲ ϰαί ἐξέδοθη ὑπὸ Λουϰᾶ. Enfin, plusieurs Pères assurent que, selon l'enseignement de divers exégètes qui vivaient de leur temps, S. Paul aurait voulu désigner directement le troisième Évangile toutes les fois que, dans ses Epîtres, il emploie cette expression : Mon Évangile (Par exemple, Rom. 2, 16; 16, 25; 2 Tim. 2, 8). Φασὶ δὲ ὡς ἄρα τοῦ ϰατʹ αὐτὸν (Λουϰᾶν) εὐαγγελίου μνημονεύειν ὁ Παῦλος εἴωθεν, ὕπηνίϰα ὡς περὶ ἰδίου τινος εὐαγγελίου γράφων ἔλεγε, Κατὰ τὸ εὐαγγελίον μου. Eusèbe, Hist. Eccl. 3, 4. « Quidam suspicantur quotiescumque in epistolis suis Paulus dicit « Juxta evangelium meum, de Lucæ significare volumine. » S. Jérôme, De viris illustr. c. 7 (Comp. S. Jean Chrys. Hom. 1 in Act. Apost.; Orig. Hom. 1 in Luc.).

Sans doute nous ne devons pas prendre trop à la lettre ces divers passages : S. Luc lui-même s’y opposerait (Voyez 1, 1 et ss.). Il ressort toutefois très clairement de leur ensemble que S. Paul a joué un rôle important dans la composition du troisième Évangile. Son influence devient tout-à-fait palpable si, de la tradition, nous passons à l'examen de plusieurs faits qui ont depuis assez longtemps attiré l'attention des interprètes et des critiques.

Premier fait. S. Paul a inséré dans sa première Épître aux Corinthiens, 11, 23 et suiv., le récit de l'institution de la divine Eucharistie : or, la narration parallèle de S. Luc, 22, l9 et suiv., d’une part s’écarte de celle des deux autres synoptiques (Comp. Matth. 26, 26 et ss., et Marc. 14, 22 et ss.), d’autre part coïncide d’une manière presque verbale avec celle de S. Paul. Cette coïncidence n’est certainement pas accidentelle (Comparez encore d'un côté Luc. 10, 7; 1 Tim. 5, 18. de l’autre Matth. 10, 11).

Second fait. On remarque, dans les écrits du grand Apôtre et dans l’Évangile selon S. Luc, un grand nombre d'idées communes. Comme son maître, l'évangéliste relève à chaque instant le caractère universel de la religion du Christ; il parle de la justification par la foi, de l’activité de la grâce divine dans la rémission des péchés, etc. Voyez en particulier les passages suivants : 1, 28, 30, 68 et ss.; 2, 3l et 32; 4, 25 et ss.; 7, 36 et ss.; 9, 56; 11, 13; 14, 16 et ss.; 17, 3 et ss., 11 et ss.; 18, 9 et ss., etc. (Voir aussi ce que nous dirons plus bas du but et du caractère du troisième Évangile, §§ 4 et 5).

Troisième fait. Souvent, la ressemblance n'existe pas seulement entre les pensées : elle atteint même les expressions. Nous pourrions, à la façon de Holtzmann (Die synopt. Evangelien, Leipzig 1863, pp. 316 et ss.) et de Davidson (Introduction, t. 2, pp. 12 et ss.), remplir des pages entières de locutions communes à S. Paul et à S. Luc. Il suffira d’en citer quelques-unes, choisies parmi celles qui n’ont été employées que par ces deux écrivains sacrés : Ἄδηλος, Luc. 11, 44 et 1 Cor. 14, 8; αἰφνίδιος, Luc. 21, 34 et I Thess. 5, 3; αἰχμαλωτίζειν, Luc. 9, 54 et 2 Cor. 10, 5; ἀλλʹ οὐδέ, fréquemment de part et d’autre; ἀναλῶσαι, Luc. 1x, 54 et Gal. 5, 15, 2 Thess. 2, 8; ἀνταπόδομα, Luc. 14, 12 et Rom. 11, 9; ἀπολύτρωσις, Luc. 21, 18 et souvent dans S. Paul; ἀροτριᾶν, Luc. 17, 7 et 1 Cor. 9, 10; ἐϰδιώϰειν, Luc. 11, 49 et 1 Thess. 2, l5; ἐπιμελεῖσθαι, Luc. et 1 Tim. 3, 5 ; ϰατάγειν, Luc. 5, 11, Actes. et Rom. 10, 6; ϰυριεύειν, Luc, 22, 25 et Rom. 6, 9; ὀπτασία, Luc., Act. et 2 Cor. 12, l ; πανουργία, Luc. 20, 23 et 2 Cor. 4, 2, 11, 3; ὑπωπιάζειν, Luc. 18, 5 et 1 Cor. 9, 27, etc., etc. Comparez aussi Luc. 4, 22 et Col. 4, 6; Luc. 4, 36 et 1 Cor. 2, 4; Luc. 6, 36 et 2 Cor. 1, 3; Luc. 6, 48 et 1 Cor. 3, 10; Luc. 8, 15 et Col. 1,10, 11; Luc. 10, 8 et 1 Cor. 10, 27; Luc. 11, 36 et Eph. 5, l3; Luc. 11, 41 et Tit. 1, 15, etc. On le voit, « l’esprit de l'évangéliste était tout imprégné des vues et de la phraséologie de S. Paul (Davidson, l. c., p. 19.). » Aussi les critiques même les plus sceptiques avouent-ils qu’il est impossible de méconnaître l'affinité qui existe entre l’Évangile selon S. Luc et les épîtres de S. Paul (Voir Gilly, Précis d'introduction à l'Écriture Sainte, t. 3, p. 221. Il est vrai que quelques-uns d’entre eux, par exemple l'Anonyme saxon (Cfr. l'excellent ouvrage de M. Vigouroux, la Bible et les découvertes modernes, t. 1, p. 21 et ss. de la 2e édit.) et l'école de Tubingue (ibid. p. 79 et ss.), ont conclu de là que notre Évangile est « un écrit de tendance » destiné à opérer une conciliation entre le Paulinisme et le Pétrinisme; mais nous avons vu ailleurs (Commentaire sur S. Matth., p. 18) le cas qu'il faut faire de pareilles assertions.).

2. De même que S. Pierre (Voyez l'Évangile selon S. Marc, p. 11 et 12), S. Paul a donc aussi d’une certaine manière son Évangile. Néanmoins, s’il exerça sur la rédaction de S. Luc une influence incontestable, il ne l'exerça pas d’une manière exclusive. La tradition est de nouveau très explicite sur ce point. S. Irénée. Hær. 3, 10, l, appelle S. Luc « sectator et discipulus Apostolorum » (Comp. 3, 14, 1 et 2). S. Jérôme dit de lui, d’après des témoignages antérieurs, qu’il n’avait pas seulement appris l'Évangile de la bouche de l’Apôtre S. Paul, « SED ET A CETERIS APOSTOLIS » (De viris illustr. l. c.). Suivant Eusèbe (Hist. eccl. 3, 4), Λουϰᾶς... τὰ πλεῖστα συγγεγονὼς τῷ Παύλῳ, ϰαὶ τοῖς λοιποῖς δὲ οὐ παρέργως τῶν ἀποστόλων ὡμιληϰὼς, ἧς ἀπὸ τούτων προσέϰτήσατο ψυχῶν θεραπευτιϰῆς, ἐν δυσιν ἡμῖν ὑποδείγματα θεοπνεύστοις ϰαταλέλοιπε βιϐλίοις .

Mais S. Luc est lui-même encore plus affirmatif dans son Prologue, 1, 1 et ss. : « Quoniam quidem multi conati sunt ordinare narrationem quæ in nobis completæ sunt rerum, sicut tradiderunt nobis qui ab initio ipsi viderunt et ministri fuerunt sermonis, visum est et mihi, assecuto omnia a principio diligenter, ex ordine tibi scribere, optime Theophile » (Voyez le Commentaire.).

L'évangéliste S. Luc n’ayant pas eu le bonheur de contempler de ses propres yeux les événement divins qu’il voulait raconter, fait ainsi connaître à ses lecteurs à quelles sources il recourut pour se procurer des matériaux bien authentiques. Avant tout, il s’adressa à des témoins oculaires de la vie de Jésus (S. Paul ne l’avait pas été), et il recueillit de leur bouche les traditions qu’ils avaient fidèlement conservées. Or, « si nous cherchons, dans le cercle des Apôtres, quels hommes peuvent lui avoir fourni des renseignements, l’histoire nous montrera d’abord S. Barnabé, fondateur de l'Église d’Antioche..., ensuite S. Pierre, avec lequel S. Luc fit certainement connaissance à Antioche..., puis S. Jacques de Jérusalem, frère du Seigneur, avec lequel notre évangéliste entra en relation (Act. 21, 18), et qui, étant membre de la sainte Famille, pouvait lui donner les renseignements les plus sûrs au sujet des premiers temps de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (De Valroger, Introduction hist. et critique aux livres du N. T., t. 2, p. 77 et sv. Petrus Cantor (vers la fin du 12ème siècle) pensait déjà que S. Luc avait recueilli de la bouche même de la Très-Sainte Vierge la plupart des traits qui remplissent les deux premiers chapitres de son Évangile. Comp. Pitra, Spicilegium Solesmense, 2, 67; Wiseman. Mélanges religieux, etc., p. 166 et ss. Cette pieuse opinion n'a rien que de très vraisemblable; aussi a-t-elle été adoptée même par des exégètes protestants. Cfr. entre autres Grotius, Annotat. in Luc. 2, 5). Dans le cercle moins intime, il est vrai, mais plus nombreux des disciples, il fut plus facile encore à S. Luc de recueillir de précieuses informations sur le ministère du Sauveur. Ses longs voyages, ses séjours à Jérusalem, à Antioche, à Césarée de Palestine, en Grèce, à Rome, durent le mettre en rapport avec cent personnes dignes de foi, qui lui apprirent sur Notre-Seigneur Jésus-Christ les ravissants détails qu’il nous a seul conservés.

La tradition orale, telle fut donc la principale source à laquelle il puisa. Mais il eut aussi à sa disposition les documents écrits dont il parle dans son Prologue. C’étaient, comme nous dirions aujourd’hui, des « Essais » plus ou moins considérables, s’occupant, les uns peut-être de la vie entière de Jésus, les autres, la plupart sans doute, du compte-rendu fragmentaire de telle ou telle partie de son ministère public, par exemple, de ses discours, de ses miracles, d’autres encore de son Enfance, de sa Passion, etc. S. Luc puisa dans une pièce de ce genre sa généalogie de Jésus, 3, 23 et ss., probablement aussi le « Benedictus », le « Magnificat », le « Nunc dimittis », sinon tout le récit des premières années du Précurseur et de Jésus (Voyez Maier, Einleitung, p. 107.). — A-t-il également mis à profit les Évangiles de S. Matthieu et de S. Marc, composés, selon toute vraisemblance, avant le sien? Les critiques se sont prononcés en sens contradictoires sur cette question, qui a été de nos jours vivement débattue. On trouvera dans notre Introduction générale les éléments de cette grave et délicate controverse, qui ne forme qu’une partie accessoire dans la vaste discussion relative aux rapports réciproques des trois synoptiques.

C’est d'une façon toute arbitraire que divers rationalistes d’outre-Rhin ont essayé de reconstituer exactement, dans le détail, les sources dont S. Luc fit usage pour composer l’Évangile qui porte son nom. Schleiermacher (Ueber die Schriften des Lukas, Berlin 1817. Comp. Gfrœrer, Gesch. des Urchristenthums, 2, 1, pp. 33 et ss.) s’est cru assez perspicace pour distinguer dans le troisième Evangile quatre séries de documents antérieurs à S. Luc, et compilés, cousus ensemble, par le narrateur. Kœstlin (Der Ursprung u. die Composition der synopt. Evangelien, 1853) constate de son côté des sources de provenance judaïque, d’autres sources d’origine Samaritaine. Il n’y a rien de solide dans cette critique exagérée (Voir Maier. l. c., p. 106. note 2.).


§ 4. —DESTINATION ET BUT DU TROISIÈME ÉVANGILE.


Ici encore, l’auteur lui-même nous fournit de précieux renseignements. Nous n’avons donc pas à insister beaucoup sur ces deux points, grâce au Prologue que nous avons cité plus haut en grande partie.

l. Chose nouvelle et même unique dans la littérature évangélique, la biographie de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon S. Luc commence par une dédicace : Ἔδοξε ϰάμοὶ... σοι γράψαι, ϰράτιστε Θεόφιλε, 1, 3. Nous indiquerons dans le commentaire les principales opinions qui se sont formées dès l'antiquité la plus reculée sur ce mystérieux personnage, auquel est dédié le troisième Évangile. Il suffira de dire actuellement que ce devait être un homme d’une certaine distinction, païen d’origine et converti au Christianisme. S. Luc, se conformant à une coutume alors en vogue dans l'empire romain, le prit, suivant l'expression consacrée, pour son « patronus libri ». Mais, quoiqu’il s’adresse directement à Théophile, cela ne veut pas dire qu’il n’ait écrit en réalité que pour lui. Un livre de ce genre n’avait pas été composé pour une destination si restreinte. Par l’intermédiaire de son illustre ami, l'évangéliste présentait donc son œuvre, ainsi que les Pères l'affirmaient déjà, soit d’une manière plus spéciale aux Églises grecques ( « Lucas igitur, qui inter omnes Evangelistas græci sermonis eruditissimus fuit, quippe ut medicus, et qui Evangelium Græcis scripserit ». S. Jérôme, Epist. 20. ad Damas. Μάρϰος δʹ Ἰταλίν ἔγραψε θαύματα Χριστοῦ, Λουϰᾶς Αχαΐδι. S. Greg. Naz. Carmen de veris: S. Script. Libris, 12, 31. Λουϰᾶς δʹ Ἕλλαδι σεπτὰ Θεοῦ τάδε θαύματα ἔγραψεν. Id. Carm. 22, 5, 1.), soit à tous les convertis de la Gentilité (Orig. ap. Euseb. Hist. Eccl. 3, 4 : τοῖς ἀπὸ τῶν ἐθνῶν), soit même en général à tous les chrétiens (S. Jean Chrysost., Hom. in Matth. 1 : ὁ δὲ Λουϰᾶς ᾅτε ϰοινῆ πᾶσι διαλεγόμε νος). Un examen attentif du troisième évangile corrobore ces données de la tradition, et montre que S. Luc n’avait pas en vue, comme S. Matthieu, des lecteurs issus, au moins pour la plupart, du Judaïsme. En effet, un grand nombre de ses explications auraient été parfaitement inutiles pour des Juifs, tandis qu’elles étaient indispensables pour des Gentils. Par exemple, 4, 3, « Descendit in Capharnaum, civitatem Galilææ »; 8, 26, « Navigaverunt ad regionem Gerasenorum, quæ est contra Galilæam » ; 21, 37, « Morabatur in monte qui vocatur Oliveti »; 22, 1, « Appropinquabat autem dies festus Azymorum, qui dicitur Pascha »; 23, 51, « Ab Arimathæa, civitate Judææ »; 24, l3, « Ibant... in castellum, quod erat in spatio stadiorum sexaginta ab Jerusalem, nomine Emmaus », etc. Comparez 2, 1 et 3, l, où l'évangéliste désigne par le règne et par le nom de deux empereurs romains la date de la naissance de Jésus et du ministère de S. Jean-Baptiste.

2. Le but du troisième évangile n’est pas moins clair que sa destination. C’est avant tout un but historique. Composer une biographie du Sauveur plus complète et mieux coordonnée que toutes celles qui avaient paru jusque-là (Comp. 1, 1-3), fournir par conséquent à ses lecteurs un nouveau moyen d’affermir leur foi (« Ut cognoscas eorum verborum, de quibus eruditus es, veritatem », 1,4), telle fut la double fin que se proposa S. Luc.

C’est ce qu'exprime fort bien l'historien Eusèbe (Hist. Eccl. 3, 24.) : Ὁ δὲ Λουϰᾶς ἀρχόμενος ϰαὶ αὐτὸς τοῦ ϰατʹ αὐτὸν συγγράμματος τὴν αἰτίαν προύθηϰε, δἰ ἣν πεποίηται τὴν σύνταξιν· δηλῶν, ὡς ᾄρα πολλῶν ϰαὶ ᾄλλων προπετέστερον ἐπιτετηδευϰότων διήγησιν ποιήσασθαι ὧν αὐτὸς πεπληροφορητο λόγων, ἀναγϰαίως ἀπαλλάτων ἡμᾶς περὶ τοὺς ᾄλλους ἀμφηρίστου ὑπολήψεως, τὸν ἀσφαλῆ λόγον, ὧν αὐτὸς ἱϰανῶς τὴν ἀλήθειαν ϰατειλήφει, ἐϰ τῆς ᾅμα Παύλω συνουσίας τε ϰαὶ διατριϐῆς ϰαὶ τῆς τῶν λοιπῶν ἀποστόλων ὁμιλίας ὠφελημένος, διὰ τοῦ ἰδίου παρέδωϰεν εὐαγγελίου. Durant l’ère apostolique, les discours et les actions de N.-S. Jésus-Christ formaient la base de l'enseignement chrétien; la catéchèse des premiers prédicateurs s’appuyait toute entière sur la vie du Maître. En écrivant à son tour un abrégé de cette vie divine, S. Luc contribuait donc éminemment à la diffusion du christianisme. Dix-huit siècles après leur première apparition, ses pages inspirées contribuent encore à fortifier dans les cœurs les convictions chrétiennes. C’est seulement en ce sens qu’elles ont un but dogmatique.


§ 5. — CARACTÈRE DE L'ÉVANGILE SELON S. LUC.


1. Comme nous l’avons indiqué plus haut, en parlant des rapports de ressemblance qui existent entre le troisième évangile et les épîtres de S. Paul, ce qui frappe surtout quand on étudie l'œuvre de S. Luc en tant qu'évangéliste, c’est son universalité. Les limites du christianisme y sont aussi vastes que le monde. Jésus y apparaît comme le Sauveur de tous les hommes sans exception, même des païens : « imo et gentium » ajouterons-nous avec S. Paul. Aucune distinction n’y est établie, sous le rapport du salut, entre les Juifs et les Gentils, les Grecs et les barbares, les justes et les pécheurs : on dirait plutôt que si, d'après S. Luc, il y a quelque privilège à ce point de vue, ce sont les Gentils, les barbares et les pécheurs qui en jouissent (Nous ne voulons pas dire, assurément, que les autres récits évangéliques n'enseignent pas la même doctrine mais nous essayons de mettre en lumière le côté spécifique et caractéristique du troisième Évangile. Voyez Bougaud, Jésus-Christ, 2ème éd., pp. 89 et ss).

Citons quelques exemples à l’appui de cette théorie. S. Luc, 3, 23 et ss., communiquant à ses lecteurs la généalogie de Jésus, ne remonte pas seulement jusqu’à Abraham, ainsi qu’avait fait S. Matthieu ; d’anneau en anneau, il va jusqu’au père de toute l’humanité : « Qui fuit Adam, qui fuit Dei. » A la naissance du Rédempteur, les anges, après avoir annoncé d’abord ce grand évènement à des pasteurs juifs, se hâtent d’en indiquer les heureuses conséquences pour tous les hommes: ἐν ἀνθρώποις εὐδοϰία, 2, 14 (Comparez 2, l et ss., où Jésus nous est montré comme un sujet de César, comme un citoyen de l'empire romain.). Quarante jours plus tard, c’est la bouche d’un fils de Jacob qui profère ces mots sublimes : « Lumen ad revelationem gentium, et gloriam plebis tuæ Israel, » 2, 32. Au début de sa vie publique, Jésus lui-même, à propos d’un passage d’Isaïe, rappelle bien haut à ses compatriotes que, dès les jours d’Elie et d’Elisée, des païens avaient reçu les bénédictions divines de préférence aux Israélites. Cfr. 4, 25-27. Ailleurs, 9, 52-56, 17, 11-16, nous le voyons accorder ses bienfaits même aux samaritains maudits. La parabole du festin, 14, 16-24, annonce de même que les Gentils auront part au salut messianique.

Par combien de traits analogues S. Luc ne relève-t-il pas la prédilection accordée par le bon Pasteur aux âmes les plus pauvres, les plus égarées ! Qu’i1 suffise de mentionner ceux de la pécheresse, 7, 37 et ss., et de l’enfant prodigue, 15, 11 et ss., comme deux des types les plus célèbres (« A peine est-il une anecdote, une parabole propre à Luc qui ne respire cet esprit de miséricorde et d'appel aux pécheurs... L'Évangile de Luc est par excellence l'Évangile du pardon ». E. Renan, les Évangiles, p. 266 et ss. Il est vrai que M. Renan ajoute aussitôt : « Toutes les détorses lui sont bonnes (à S. Luc!) pour faire de chaque histoire évangélique une histoire de pécheurs réhabilités ». De quel côté sont vraiment les « détorses » ?).

Tandis qu’il met ainsi constamment en relief les dispositions bienveillantes que Dieu nourrit, non-seulement à l'égard des Juifs, mais encore à l'égard des païens et des pécheurs, S. Luc passe sous silence les détails qui auraient pu blesser les convertis du paganisme (Voyez Patrizi, de Evangeliis, 1, 78), ou du moins qui présentaient moins d’intérêt pour eux (Davidson, Introduction, t. 2, p. 44 et suiv.).

2. Nous indiquerons mieux encore le caractère du troisième évangile en faisant voir la manière dont S. Luc a tracé le portrait de Jésus.

Fidèle à sa promesse, il a donné à l’Église la plus complète de toutes les biographies du divin Maître (« On a calculé qu’un tiers du texte de Luc ne se trouve ni dans Marc ni dans Matthieu ». E. Renan, les Évangiles, p. 266. Comparez Bougaud, Jésus-Christ, 2° éd., p. 92 et suiv.; S. Irénée, 3, 14). Prenant le mystère de l’Incarnation pour point de départ, il conduit le lecteur jusqu’à l’Ascension de Jésus, à travers tous les faits principaux qui constituent notre rédemption. Sans lui, nous n’eussions connu que d’une manière très imparfaite l'enfance et la vie cachée de Notre-Seigneur : grâce aux détails qui remplissent ses deux premiers chapitres, nous pouvons nous faire une juste idée de cette importante période. Sa description de la vie publique abonde en traits nouveaux, qui comblent de nombreuses lacunes. Un passage considérable, 9, 51-18, l4, lui appartient presque totalement en propre: il est de même seul à raconter les épisodes de Nazareth, 4, l6 et ss., et de Zachée, 19, 2-10. On compte, durant cette époque de la vie de Jésus, jusqu’à douze paraboles (1° Les deux débiteurs, 7, 40-43; 2° le bon Samaritain, 10, 30-37; 3° les deux amis, 11, 5-10; 4° le riche insensé, 12, 16-21; 5° le figuier stérile, 13, 6-9; 6° la drachme perdue et retrouvée, 15, 8-10; 7° l'enfant prodigue. 15, 11-32; 8° l'économe infidèle, 16, 1-8 ; 9° le riche et Lazare, 16, 19-31 ; 10° le juge inique, 18, 1-8; 11° le Pharisien et le publicain, 18, 9-14; 12° les mines, 19, 11-27) et cinq miracles (1° La première pêche miraculeuse, 5, 5-9; 2° la résurrection du fils de la veuve, 7, 11-17; 3° la guérison d’une femme infirme, 13, 11-17; 4° la guérison d’un hydropique, 14, 1-6; 5° les dix lépreux, 17, 12-19) qu’on ne trouve pas en dehors du troisième évangile. Son récit de la passion n’est pas moins riche en particularités du plus grand prix, telles que la sueur de sang et l’apparition de l'ange consolateur à Gethsémani, 22, 43 et 44, l'interrogatoire chez Hérode, 23, 6-12, les paroles de Jésus aux saintes femmes, 23, 27-31, l'épisode du bon larron, 23, 39-43 (Comparez encore 22, 61 : « Le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre; 23, 34, etc.). On voit par ces traits nombreux que les recherches de S. Luc n’avaient pas été vaines. Nous en signalerons beaucoup d’autres dans le commentaire.

Il a pourtant omis plusieurs incidents remarquables, rapportés par les deux premiers synoptiques: par exemple, la guérison de la fille de la Chananéenne, la marche de Jésus sur les eaux, la seconde multiplication des pains, la malédiction du figuier, et divers autres miracles (Voici ses principales omissions: Matth. 14, 22-16, 12 (cfr. Marc. 6, 45-8, 26) ; Matth. 19, 2-12; 20, 1-16, 20-28 (Cfr. Marc. 10, 35-15) ; Matth. 26, 6-13 (Cfr. Marc. 14, 3-9); Matth. 17, 23-26, etc.).

L’image de Jésus qui se dégage du récit de S. Luc a un caractère tout-à-fait spécial. Ce n’est pas celle du Messie promis aux Juifs, comme dans S. Matthieu; ce n’est pas celle du fils de Dieu, comme dans S. Marc et dans S. Jean: c’est celle du fils de l’homme, vivant parmi nous, semblable à l’un de nous. Les premières pages du troisième évangile sont très significatives à ce point de vue, car elles nous montrent, par une série de rapides gradations, le développement humain de Jésus. D’abord ϰαρπὸς τῆς ϰοιλίας (« le fruit de ton sein »), 1, 42, le Sauveur devient successivement βρέφος (« le nouveau-né »), 2, l6, puis παιδίον (« le petit enfant »), 2, 27, puis παῖς: (« enfant »), 2, 40, enfin ἀνήρ, homme parfait, 3, 22. Quoique hypostatiquement uni à la Divinité, ce fils de l’homme est pauvre, il s’humilie, il s’agenouille à chaque instant pour prier (Cf. 3, 2l; 9, 29; 11, l ; 22, 32, etc.) (« Sicut verus Pontifex (Jesus) obtulit preces; nam in Evangeli oæspe legitur orasse, et maxime apud Lucam » S. Anselme, In Epist. ad Hebr. cap. 5.), il souffre, et nous le voyons même pleurer (19, 4l). Mais, d’un autre côté, c’est le plus aimable des enfants des hommes : nous le disions dans la première partie de ce paragraphe, la miséricorde déborde de son cœur sacré, il s’apitoie sur toutes les misères, physiques ou morales, il met du baume sur toutes les plaies. Tel est le Jésus de S. Luc.

3. Ajoutons encore quelques points dignes d’observation touchant le caractère du troisième évangile.

1° On l’a parfois appelé « l’Évangile des contrastes. » C’est par un contraste qu’il débute, les doutes de Zacharie mis en opposition avec la foi de Marie. Bientôt après, 2, 34, il nous montre Jésus comme une occasion de ruine pour les uns, comme une cause de salut pour les autres. Plus tard, dans la reproduction abrégée du sermon sur la montagne, il place les malédictions à côté des béatitudes. L'orgueilleux Simon et l’humble pécheresse, Marthe et Marie, le bon pauvre et le mauvais riche, le Pharisien et le publicain, les deux larrons : ce sont là quelques autres frappants contrastes du troisième évangile (Voyez Kitto, Cyclopædia of the Bible, s. v. Luke (Gospel of)).

2° La part laissée aux femmes est aussi un trait caractéristique de cette œuvre admirable. En aucune autre des rédactions évangéliques il n’est si longuement question de la Sainte Vierge. Ste Élisabeth, Anne la prophétesse, la veuve de Naïm, Marie-Madeleine et ses compagnes (8, 2 et 3), les sœurs de Lazare, les « filles de Jérusalem » (23, 28), et bien d’autres, apparaissent tour à tour dans le récit de S. Luc comme des preuves vivantes de l'intérêt que portait Jésus à cette partie alors si humiliée, si maltraitée de l'humanité (voyez l'intéressant opuscule de A. Wünsche, Jesus in seiner Stellung mit den Frauen, Berlin 1872 ).

3° S. Luc est le poète, l'hymnologue du Nouveau Testament. A lui seul il nous a conservé quatre cantiques sublimes, le Magnificat de Marie, le Benedictus de Zacharie, le Nunc dimittis du vieillard Siméon, enfin le Gloria in excelsis chanté par les anges. — Il est aussi l’évangéliste psychologue. Il parsème son récit de réflexions délicates et profondes, qui jettent un grand jour sur les faits dont elles sont rapprochées. Comparez 2, 50 et 51; 3, 15; 6, 11; 7, 25, 30, 39; 16, 14; 20, 20; 22, 3; 23, 12, etc.

4° Au fond, la composition de S. Luc surpasse certainement en beauté celles de S. Matthieu et de S. Marc. Elle ravit l’esprit et le cœur, et contribue puissamment à faire connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ. S. Marc l'emporte cependant sur S. Luc pour le pittoresque et le dramatique des récits : ce qui n’empêche pas le troisième évangile de contenir une foule de traits graphiques, par exemple 3, 2l, 22; 4, l ; 7, l4; 9, 29, etc.


§ 6. — LANGUE ET STYLE DU TROISIÉME ÉVANGILE.


C'est en grec que S. Luc composa son évangile; il n’y a jamais eu le moindre doute à ce sujet.

L'antiquité jugeait déjà très favorablement son style. « Evangelistam Lucam, écrivait S. Jérôme (Comment. in Is. 6, 9. Comp. De viris illustr., l. c., Epist. 20 ad Damas), tradunt veteres Ecclesiœ tractatores...magis Græcas litteras scisse quam Hebræas. Unde sermo ejus, tam in Evangelio quam in Actibus Apostolorum..., comptior est et sæcularem redolet eloquentiam » (« L’Évangile de Luc est le plus littéraire des Évangiles... Luc... montre une vraie entente de la composition. Son livre est un beau récit bien suivi,... joignant l’émotion du drame à la sérénité de l'idylle. » E. Renan, Les Évangiles, p. 282 et suiv. « Notre ignorance est telle aujourd’hui, qu'il y a peut-être des gens de lettres qui seront étonnés d’apprendre que S. Luc est un très grand écrivain. » Chateaubriand, Génie du Christianisme, liv. 5, c. 2. »). En effet, aucun des autres évangélistes ne l’égale sous ce rapport. Sa diction est facile, généralement pure, parfois même d’une exquise élégance. Le prologue en particulier est tout-à-fait classique.

Mais des détails et des exemples feront mieux ressortir la culture littéraire de S. Luc. Signe de la plus haute importance quand il s’agit de démontrer la connaissance d’une langue, notre évangéliste emploie un nombre considérable d’expressions. A lui seul, il fait usage de plus de mots grecs que S. Matthieu, S. Marc et S. Jean réunis. Les mots composés, qui marquent si délicatement les nuances variées de 1a pensée, reviennent à chaque instant sous sa plume. Il a une prédilection pour ceux dans la composition desquels entrent les prépositions ἐπὶ et διὰ (e. g. διαϐαλλειν, διαγινώσϰειν, διαγρηγορεῖν, διάδοχος, διαϰούειν, διαμάχεσθαι, διαπορεῖν, διασπείρειν, ἐπιϐιϐάζειν, ἐπιβουλὴ, ἐπιγίνεσθαι, ἐπιδεῖν, ἐπίεναι, έπιϰουρία, ἐπιρίνειν, ἐπιμελῶς). Ses phrases sont pour la plupart bien formées (quelle différence, par exemple, entre la lourde phrase de S. Marc, 12, 38 et suiv., βλέπετε ἀπὸ τῶν γραμματέων τῶν θελόντων ἐν στολαῖς περιπατεῖν ϰαὶ ἀσπασμοὺς ἐν ταῖς ἀγοραῖς, et celle de S. Luc, 20, 46, προσέχετε ἀπό... τῶν θελόντων..., ϰαὶ φιλούντων ἀσπασμούς !); il les varie avec aisance. Les constructions les plus compliquées ne sont pas un embarras pour lui.

Il prend soin d’éviter les expressions ou les idées trop hébraïques qui auraient pu présenter de l'obscurité à ses lecteurs. C’est ainsi qu’il emploie ἐπιστάτης au lieu de ῥαϐϐί (six fois), ναὶ, ἀληθῶς ou ἐπʹ ἀληθείας au lieu de ἀμήν (On rencontre pourtant sept fois cet adverbe dans le troisième Evangile; mais S. Matthieu l’a employé trente fois, S. Marc quatorze fois), νομιϰοί au lieu de γραμματεῖς (six fois), ἄπτειν λύχνον au lieu de ϰαίειν λύχνον, φόρος au lieu de ϰῆνσος, etc. Il appelle le lac de Gennésareth λίμνη et non θάλασσα (Voyez Kitto, Cyclopædia, l. c. ). Parfois néanmoins, surtout dans les deux premiers chapitres, ainsi qu’il a été dit précédemment, quelques hébraïsmes se sont glissés dans ses phrases. Les principaux sont: l° ἐγένετο ἐν τῷ..., ’ויהיב (vingt-trois fois, deux fois seulement dans S. Marc, jamais dans S. Matthieu); 2° ἐγένετο ὡς,ױהיכ;3° οἶϰος dans le sens de « famille  » à la façon de בית ; et 4° le nom de Ὕψιστος ( עליזן ), appliqué à Dieu (cinq fois, une seulement dans S. Marc); 5° ἀπὸ τοῦ νῦν, כוצתה (quatre fois, jamais dans les autres évangiles); 6° προσέθετο πέμψαι 20, 11, 12 (Voyez Davidson, Introduction, p. 57).

Parmi les particularités de construction les plus remarquables du troisième évangile on peut signaler les suivantes : l° Le participe mis au neutre et accompagné de l’article, pour remplacer un substantif; v. g. : 4, 16, ϰατὰ τὸ εἰωθος αὐτῷ; 8, 34, ἰδόντες τὸ γεγεννημένον; 22, 22; 24, 14, etc. 2° L'auxiliaire « être » construit avec le participe, au lieu du verbe au « tempus finitum » Cf. 4, 31 ; 5, l0; 6, 12; 7, 8, etc. (Quarante-huit fois.) 3° L’article τὸ placé en avant d’une phrase interrogative, v. g. : 1, 63, ἐνένευον δὲ τῷ πατρί αὐτοῦ, τὸ τί ἄν θέλοι ϰαλεῖσθαι αὐτόν ; 7, 11; 9, 46, etc. 4° L’infinitif précédé de l’article au génitif, pour marquer un résultat ou un dessein; Cf. 2, 27; 5, 7; 21, 22, etc. (En tout, vingt-sept fois : une fois seulement dans S. Marc, six dans S. Matthieu.) 5° L’emploi fréquent de certains verbes au participe, pour donner plus de vie et de couleur au récit; par exemple, ἀναστάς (dix-sept fois), στραφείς (sept fois), πεσών, etc. 6° εἰπεῖν πρός (soixante-sept fois) (Une fois seulement dans le premier Évangile.), λαλεῖν πρὸς (quatre fois), λέγειν πρὸς (dix fois).

Voici maintenant quelques-unes des expressions propres à l’auteur du troisième évangile, ou qui du moins reviennent le plus souvent dans son récit (On en trouvera la liste à peu près complète dans Davidson, l. c., pp. 58-67. Voir aussi Kitto, Cyclopædia of the Bible, l. c., et Westcott, Introduction to the study of the Gospels,5° éd., p. 377 et suiv.) : Κύριος au lieu de Ἰνσοῦς (quatorze fois), σωτέρ et σωτηρία, χάρις (huit fois), εὐαγγελίζομαι (dix fois), ὑποστρέφω (vingt-et-une fois), ὑπάρχω (sept fois), ᾅπας (vingt fois), πλῆθος (huit fois), ἐνώπιον (vingt-deux fois, jamais dans les deux premiers évangiles), ἀτενίζω, ᾄτοπος, βουλή, βρέφος, δεόμαι, δοχή, ἐφιστάναι, ἐξαίφνης, θάμϐος, θεμέλιον, ϰλάσις, λεῖος, ὀνόματι, ὀδυνᾶσθαι, ὁμοθυμαδόν, ὁμιλεῖν, οιϰόνομος, παιδεύω, παύω, πλέω, πλὴν, παραχρῆμα, πράσσω, σιγάω, σϰιρτάω, τυρϐάζομαι, χήρα, etc.

S. Luc emploie quelques mots latins grécisés ; ἀσσάριον , 12, 6; δηνάριον, 7, 41 ; λεγέων, 8, 30; μόδιον, 11, 33; σουδάριον, 19, 20.


§ 7. —— TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION.


A défaut de renseignements certains sur ces deux points, nous pouvons du moins apporter des conjectures probables.

1. Le livre des Actes, ainsi qu’on l’admet généralement, fut écrit vers l’an 63 (Voyez Gilly, Précis d'Introduction générale et particulière à l'Écriture Sainte, t. 3, p. 256; P. de Valroger, Introduction histor. et critiq., t. 2, p. 158.). Or, dès ses premières lignes, ce livre s’annonce comme une suite et un complément du troisième Evangile (1, 1 : Τὸν μὲν πρῶτον λόγον ἔποιησάμην περὶ πάντων, ᾦ Θεόφιλε, ᾧν ἡρξατο ὁ Ἰησοῦς ποιεῖν τε ϰαὶ διδάσϰειν. Les mots Τὸν πρῶτον λόγον désignent certainement l'Évangile selon s. Luc). L’auteur indique par là même qu’il avait composé depuis un certain temps la biographie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, quand il se mit à écrire l'histoire du Christianisme naissant. L’an 60 de l’ère chrétienne, telle est donc la date approximative de l’Évangile selon S. Luc. C’est celle que la plupart des exégètes ont adoptée, d’après un raisonnement analogue à celui que nous venons de faire. Il est vrai que divers manuscrits et auteurs grecs mentionnent expressément la quinzième année qui suivit l’Ascension comme celle où S. Luc publia le premier de ses écrits (Μετά ιέ χρόνους τῆς τοῦ Σωτῆρος ἡμῶν ἀναλήψεως.Théophylacte et Euthymius); mais ces données paraissent tout-à-fait exagérées (Voyez de Valroger, l. c., p. 86.). L'exagération est pire encore de la part des critiques, presque tous rationalistes, qui reculent la composition de notre Évangile jusqu'à une période plus ou moins avancée du second siècle (Volkmar, l’an 100; Hilgenfeld, de 100 à 110; Davidson, vers l’année115; Baur, en 130, etc.). En effet, des arguments par lesquels nous avons démontré plus haut (§. 2) l’authenticité du troisième Évangile, il résulte qu’une pareille opinion est tout-à-fait insoutenable au point de vue historique (voici encore quelques autres sentiments particuliers sur la date de l’Évangile selon S. Luc : Alford, de 50 à 58; MM. Vilmain et Gilly. 53; Bisping et Olshausen, 64; Maier, entre 67 et 70; von Burger, vers 70 ; Credner, de Wette, Bleek, Reuss, etc., après 70; Holtzmann, entre 70 et 80; Keim, en 90. On voit, par ces variantes, qu'il y a nécessairement quelque chose de subjectif dans la fixation des dates de ce genre, quand la tradition n’a pas clairement parlé. M. E. Renan montre qu'il ne connaît pas tous les auteurs, lorsqu’il écrit : « Tout le monde admet que le livre est postérieur à l'an 70. » Les Évangiles, p. 252 et 253. Il ajoute pourtant : « Mais d’un autre côté il ne peut être de beaucoup postérieur à cette année).

2. S. Jérôme, dans la Préface de son commentaire sur S. Matthieu, parlant de l'Évangile selon S. Luc, dit qu’i1 fut composé « in Achaiæ Beotiæque partibus. » S. Grégoire de Nazianze place également l'origine du troisième Évangile ἐν Ἀχαΐαδι. Mais l’antique version syrienne nommée Peschito affirme au contraire, dans un titre, que S. Luc publia et prêcha son Évangile à Alexandrie-la-Grande. Ne sachant auquel de ces deux renseignements contradictoires il valait mieux se ranger, les exégètes ont compliqué la question en fixant d’autres berceaux à l'œuvre évangélique de S. Luc, par exemple Ephèse (Kœstlin. Cette opinion est complètement invraisemblable), Rome (Ewald, Keim, Olshausen, Maier, Bisping, etc.) et Césarée de Palestine (Bertholdt, Kuinœl, Humphrey, Ayre, Thiersch, Thomson, etc). Lardner, Hilgenfeld et Wordsworth se rapprochent toutefois du sentiment de S. Jérôme quand ils font écrire S. Luc, le premier en Grèce, les deux autres en Macédoine. Rome ou Césarée conviendraient très bien au point de vue historique, S. Luc ayant eu tout le temps de composer son Évangile durant les loisirs forcés que lui donna la longue captivité de S. Paul dans ces deux villes (Comp. Act. 23, 33; 24, 27; 28, 14 et ss., et les commentaires). Mais l’autorité du grave S. Jérôme fait impression sur nous, et nous ne croyons pas qu’on ait des motifs suffisants pour rejeter son témoignage.


§ 8. — PLAN ET DIVISION


1. Le plan de S. Luc est contenu tout entier dans ces lignes du Prologue, 1, 3 : « Visum est et mihi, assecuto omnia A PRINCIPIO diligenter, EX-ORDINE... scribere ». ᾌνωθεν et ϰατεξῆς, tels sont les mots les plus importants de cette déclaration. Notre évangéliste voulait donc remonter aussi haut que possible dans l’histoire de Jésus; d’un autre côté, il se proposait de coordonner de son mieux les évènements d’après leur suite naturelle et chronologique. Il a tenu fidèlement sa promesse. En premier lieu, personne, pas même S. Matthieu, ne reprend les choses d’aussi loin que lui pour ce qui concerne la vie humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Commencer son récit par la naissance du Sauveur ne lui paraissait pas suffisant; il a donc exposé d'abord l’étonnant mystère de l’Incarnation. Mais, comme si cela même n’eût pas encore été assez, il a placé avant ce divin épisode l'annonciation faite à Zacharie et la nativité du Précurseur.

En second lieu, S. Luc est, plus qu’aucun autre évangéliste, attentif aux dates et à l'ordre historique des faits. Le plus souvent, dans ses pages lucides, les incidents se suivent à la manière même dont ils se sont passés : les enchaînements factices y sont plus rares que dans les deux autres synoptiques. Tantôt il fixe clairement les époques, v. g.,1, 5; 2, 1, 2, 42; 2, 23; 9, 28, etc., ayant même parfois recours au synchronisme pour les mieux indiquer (comp. 3, 1 et 2); tantôt, il unit entre eux les divers incidents par des formules de transition qui en démontrent la connexion réelle. Comparez 4, 14, 16, 31, 38, 42, 44; 5, 1, 12, 17, 27; 6, 1, 6,12; 7, 1, 11; 8, 1, etc. Cela ne veut pas dire, néanmoins, qu’il se soit toujours rigoureusement astreint à l’ordre chronologique: le commentaire et l'Harmonie évangélique placée à la suite de notre Introduction générale montrent des exceptions sous ce rapport: mais ces cas sont peu nombreux, et n'empêchent pas le plan de S. Luc d’être en somme très régulier.

L’exactitude chronologique de notre écrivain sacré se manifeste encore avec un caractère assez frappant par le soin qu’il prend d’entourer les conversations du Seigneur Jésus des circonstances secondaires qui leur avaient servi de cadre (Voyez surtout 9, 51—18, 14).

2. On a divisé de bien des manières 1’Évangile selon S. Luc, au moyen de combinaisons plus ou moins ingénieuses, c'est-à-dire plus ou moins artificielles. Behrmann (Bibelwerk für die Gemeinde, t. 1, p. 271 et suiv.) le partage en quatre sections : l’histoire préliminaire, 1, 5-4, 13, le ministère de Jésus en Galilée, 4, 14-9, 50, le récit du dernier voyage à Jérusalem, 9, 51-18, 30, la Passion, la Résurrection et l’Ascension, 18, 31-24, 53. Davidson (Introduction, p. 25) admet cinq divisions : 1° l'enfance de Jean-Baptiste et de Jésus, 1 et 2; 2° les préliminaires du ministère public de Jésus, 3, 1-4, 13; 3° la Vie publique en Galilée, 4, 14-9, 50 ; 4° ce qu’on nomme parfois la « gnomologie », avec l’entrée à Jérusalem, 9, 51-21, 38; 5° les derniers incidents jusqu’à l’Ascension, 22-24. Plus communément, quoique avec différentes nuances, on se borne à trois parties, qui correspondant à la Vie cachée, à la Vie publique, à la Vie souffrante et ressuscitée de Notre-Seigneur Jésus-Christ (M. Gilly, Précis d'introduction, l. c. : 1, 1-4, 13; 4, 14-21, 38 ; 22-24. M. Langen : 1 et 2; 3-21; 22-24. Le Dr van Oosterzee : 1 et 2; 3, 1-19, 27; 19, 28- 24, 53). Telle sera aussi notre division, dont on trouvera plus bas les détails.


§ 9. — COMMENTAIRES.



S. Ambroise a composé sur le troisième Évangile un commentaire complet, que l’on peut ranger parmi ses meilleures œuvres exégétiques (Expositio Evangelii secundum Lucam libris decem comprehensa). Le saint Docteur appartient, comme l'on sait, à l’école allégorique et mystique : souvent il ne fait qu’indiquer le sens littéral, pour s’étendre sur ses sujets de prédilection. S. Jérôme lui reproche de trop jouer sur les mots.

Antérieurement, Origène avait écrit cinq livres de commentaires sur S. Luc : on n’en possède qu’un très petit nombre de fragments (Ap. Migne, Patrol. græca, t. 13, col. 1901 et ss.). En revanche, il nous reste du « Doctor Adamantinus » trente-neuf Homiliae in Lucam traduites par S. Jérôme (Ibid., col. 1801-1900. Le texte grec a été perdu).

Les explications du Vén. Bède (In Lucæ EvangeIium expositio, ap. Migne, Patrol. lat. t. 92, col. 301 et ss.), de Théophylacte (Enarratio in Evang. Lucæ, ap. Migne, Patr. græc., t. 123, col. 691 et ss.), d’Euthymlus Zigabenus (Interpretatio Evangelii Lucae, ibid., t. 129, col. 857 et ss.), sont, pour le troisième Évangile, ce qu’elles avaient été pour les deux précédents, c'est-à-dire pleines d’excellentes choses malgré leur brièveté.

Nicétas Serron, diacre de l’Église de Constantinople, puis évêque d’Héraclée (11ème siècle), a réuni dans une sorte de Chaîne (Συναγωγὴ ἐξηγὴσεων εἰς τὸ ϰατὰ Λουϰᾶν ἀγιον εὐαγγελίον... παρἀ Νιϰῆτα διαϰόνου), naguère publiée par le Card. A. Mai (Scriptor. vet. nova Collectio, t. 9, pp. 626 et ss.), un grand nombre d’explications patristiques relatives à notre Évangile. Cordier a rendu un service analogue aux exégètes dans les premières années du 17ème siècle (Corderii Catea græcor. Patrum in Lucam, Anvers 1627).

Dans les temps modernes, outre les œuvres d’Érasme, de Maldonat, de Cornélius à Lapide, de Cornélius Jansénius, de Luc de Bruges et de Noël Alexandre, qui embrassent les quatre Évangiles, nous n’avons à signaler, parmi les catholiques, que deux commentaires spéciaux sur S. Luc, celui de Stella, publié en 1575 et fréquemment réédité depuis, et celui de Tolet, qui parut en 1612 (Commentarii in sacrosanctum J. C. D. N. Evangelium sec. Lucam).

Les plus récentes explications du troisième Évangile composées par des écrivains orthodoxes sont celles de MM. Reischl, Schegg, Bisping (Voir les titres de ces ouvrages dans l’Évangile selon S. Matthieu, p. 29), Curci (Il Nuovo Testamento volgarizzato ed esposto in note esegetiche e morali. Vol. 1 Vangeli sec. Matteo, Marco e Luca, Torino, 1879), et de Mgr Mac Evilly (An Exposition of the Gospel of S. Luke, consisting of an Analysis of each chapter, and of a commentary critical, exegetical, etc., Dublin, 1879). Celles des exégètes hérétiques sont beaucoup plus nombreuses : les principales proviennent des Docteurs de Wette, Kuinœl, H. Meyér, Ewald, Baumgarten-Crusius (Voir l'ÉvangiIe selon S. Matth, ibid), Bornemann (Scholia in Lucae Evangelium, Lips. 1830), von Burger (Die Evangelien nach Matthæus, Markus u. Lukas deutsch erklœrt, Nœrdlingen, 1865), van Oosterzee (Das Evang. nach Lukas theologisch-homilet. bearbeitet, 3° édit., Leipzig. 1867), Bleek (Synoptische Erklærung der drei ersten Evangelien, herausgeg. von Holtzmann, Leipz. 1862), Behrmann, Keil (Commentar über die Evangelien des Markus und des Lukas, Leipzig 1879), Sevin (Synoptische Erklœrung der drei ersten Evangelien, Wiesbaden 1873), Zittel (Die vier Evangelien übersetzt u. erklœrt, 2. Theil, das Evangelium nach Lukas, etc. Karlsruhe, 1880) en Allemagne, des Révérends Abbott (The Gospel according to Luke, with notes, comments, etc., Londr. 1878), Wordsworth (The N. Test. of our Lord J. C. : The four Gospels, Lond. 1877), Plumptre (A N. Test. Commentary for Engl. Readers, t. 1, Lond. 1878), Trollope (The Gospel according to S. Luke, with Prolegomena, Appendices, a. grammat. and explanatory notes, Cambridge. 1877), Alford (The New Testament for English Readers, t. 1, 3° édit. Cambridge, 1872), Jones (Speaker's Commentary, New Test. vol. 1, Londr. 1878), Farrar (The Gospel according to S. Luke, with maps, notes and introduction, Cambridge 1880) et Norris (The New Testament... with Introduction a. Notes, vol. 1, The four Gospels, Lond. 1880) en Angleterre, de M. Godet (Commentaire sur l'Évangile de S. Luc, Neuchâtel 1872, 2° édit) en Suisse.


DIVISION SYNOPTIQUE DE L'ÉVANGILE SELON S. LUC



PROLOGUE. 1, 1-4.

PREMIÈRE PARTIE

VIE CACHÉE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 1-2.

1. — Annonciation de Zacharie et conception miraculeuse de Jean-Baptiste. 1, 5-25.

2. — L'Annonciation de Marie et l’Incarnation du Verbe. 1, 26-38.

3. — La Visitation et le Magnificat. 1, 39-56.

4. — Les premières années de Jean-Baptiste. 1, 57-80.

1° Nativité du Précurseur. 1, 57-58.

2° La circoncision de Jean-Baptiste et le Benedictus. 1, 59-79.

3° Éducation et développement de S. Jean. 1, 80.

5. — Noël. 2, 1-20.

1° Jésus naît à Bethléem. 2, 1-7.

2° Les premiers adorateurs de Jésus. 2, 8-20.

6. — La circoncision de Jésus. 2, 21.

7. — La présentation de Jésus au temple et la purification de Marie. 2, 22-38.

1° Les deux préceptes. 2, 22-24.

2° Le saint vieillard Siméon. 2, 25-35.

3° Sainte Anne. 2, 36-38.

8. — Vie cachée de Jésus à Nazareth. 2, 39-52.

1° Abrégé de l'enfance de Jésus. 2,39 et 40.

2° Jésus parmi les Docteurs. 2, 41-50.

3° De douze à trente ans. 2, 51-52.


DEUXIÈME PARTIE

VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 3, 1-19, 28.

Ière SECTION. —PÉRIODE DE TRANSITION ET D'INAUGURATION : LE PRÉCURSEUR ET LE MESSIE. 3, 1-4, 13.

1. — Ministère de S. Jean-Baptiste 3, 1-20.

1° L'apparition du Précurseur. 3, 1-6.

2° Prédication de Jean-Baptiste. 3, 7-18.

3° S. Jean est mis en prison. 3, 19-20.

2. —Les préliminaires du ministère de Notre-Seigneur. 3, 21-4, 13.

1° Le baptême de Jésus. 3, 21-22.

2° La généalogie de Jésus. 3, 23-38.

3° La tentation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 4, 1-13.

2ème SECTION. —MINISTÈRE DE JÉSUS EN GALILÉE. 4, 14-9, 50

1. — Retour de Jésus en Galilée, et coup d’œil général sur les débuts de son ministère. 4, 14-15.

2. — Jésus à Nazareth. 4, 16-30.

3. — Jésus à Capharnaum. 4, 31-44.

a. Aperçu général de l'activité du Sauveur à Capharnaum. 4, 31-32.

b. Guérison d’un démoniaque. 4, 33-37.

c. Guérison de la belle-mère de S. Pierre et d’autres malades. 4, 38-41.

d. Retraite de Jésus sur les bords du lac. Il évangélise la Galilée. 4, 42-44

4. — La pêche miraculeuse et les premiers disciples de Jésus. 5, 1-11.

5. — Guérison d'un lépreux. 5, 12-16.

6. — Guérison d’un paralytique. 5, 17-26.

7. — Vocation de S. Matthieu et faits qui s’y rattachent. 5, 27-39.

8. — Les épis et le jour du sabbat. 6, 1-5.

9. — Guérison d'une main desséchée. 6, 6-11.

10. — Choix des Apôtres et discours sur la montagne. 6, 12-49.

a. Jésus choisit les douze Apôtres. 6, 12-16.

b. Discours de Jésus sur la Montagne. 6, 17-19.

1) La mise en scène. 6, 17-20a

2) Première partie du discours : Le vrai bonheur. 6, 20b-26.

3) Deuxième partie du discours : La vraie charité. 6, 27-38.

4) Troisième partie du discours : Règles de vraie sagesse. 6, 39-49.

11. — Le serviteur du centurion. 7, 1-10.

12. — Résurrection du fils de la veuve de Naïm. 7, 11-17.

13. — Jésus, Jean-Baptiste, et la génération présente. 7, 18-35.

1° L'ambassade du Précurseur. 7, 18-23.

2° Discours à propos de l'ambassade. 7, 24-35.

14. — Simon le Pharisien et la pécheresse. 7, 36-50.

15. — Un voyage apostolique de Jésus. 8, 1-3.

16. — Deux journées consécutives de Jésus. 8. 4-56.

1° La parabole du semeur et son explication. 8, 4-15.

2° Nécessité d'écouter attentivement la divine parole. 8, 16-18.

3° La vraie famille de Jésus. 8, 19-21.

4° La tempête miraculeusement apaisée. , 8, 22-25.

5° Le possédé de Gadara. 8, 26-39.

6° L'hémorrhoïsse et la fille de Jaïre. 8, 40-56.

17. — L’envoi des Douze. 9, 1-6.

18. — Opinion d’Hérode au sujet de Jésus. 9, 7-9.

19. — Retour des Douze et multiplication des pains. 9, 10-17.

20. — Confession de S. Pierre et première annonce de la Passion. 9, 18-27.

21. — La Transfiguration. 9, 28-36.

22. — Guérison d’un paralytique. 9, 37-43.

23. — Seconde prédiction officielle de la Passion. 9, 44-45.

24. — Leçon d’humilité et de tolérance. 9, 46-50.

3° SECTION. — RÉCIT DU DERNIER VOYAGE DE JÉSUS À JÉRUSALEM. 9, 51-19, 28.

1. — Les Samaritains inhospitaliers. 9, 51-56.

2. — Ce qu’il faut pour suivre Jésus. 9, 57-62.

3. — Les soixante-douze disciples. 10, 1-24.

4. —La parabole du bon Samaritain. 10, 25-37.

5. — Marthe et Marie. 10, 38-42.

6. — Entretien sur la prière. 11, 1-13.

7. — Le blasphème des Pharisiens et le signe du ciel. 11, 14-36.

8. — Première malédiction contre les Pharisiens et les Scribes. 11, 37-54.

9. — Divers enseignements à l'adresse des disciples et du peuple. 12, 1-59.

1° Première série d'avertissements aux disciples. 12, 1-12.

2° Étrange interruption, et parabole du riche insensé. 12, 13-21.

3° Seconde série d’avertissements aux disciples. 12, 22-53.

4° Grave leçon pour le peuple. 12, 54-59.

10. — Nécessité de la pénitence. 13, 1-9.

1° Deux faits historiques qui prouvent cette nécessité. 13, 1-5.

2° Parabole du figuier stérile. 13, 6-9.

11. — Guérison d’une femme infirme. 13, 10-17.

12. — Paraboles du grain de sénevé et du levain. 13, 18-21.

13. — Grave réponse à une demande vaine. 13, 22-30.

14. — Le renard Hérode. 13, 31-35.

15. — Jésus dans la maison d’un Pharisien en un jour de sabbat. 14, 1-24.

1° Guérison d’un hydropique. 14, 1-6.

2° Le repas, accompagné des instructions du Sauveur. 14, 7-24.

16. — Ce qu’il en coûte pour suivre Jésus. 14, 25-35.

17. — La miséricorde de Dieu à l'égard des pécheurs. 14, 1-32.

1° Occasion du discours. 15, 1-3.

2° La parabole de la brebis égarée. 15, 4-7.

3° La parabole de la drachme perdue. 15, 8-10.

4° La parabole de l’Enfant prodigue. 15, 11-32.

18. — Du bon usage des richesses. 16, 1-31.

1° L’économe infidèle. 16, 1-12.

2° L'avarice des Pharisiens réprouvée par la parabole du pauvre Lazare. 16, 14-31.

19. — Quatre avis importants. 17, 1-10.

20. — Guérison des dix lépreux. 17, 11-19.

21. — L’avènement du royaume de Dieu. 17, 20-37.

22.— Parabole de la veuve et du juge inique. 18, 1-8.

23. — Parabole du Pharisien et du publicain. 18, 9-11.

21. — Jésus et les petits enfants. 18, 15-17.

25. — L’épisode du jeune homme riche. 18, 18-30.

26. — Jésus prédit de nouveau sa Passion. 18, 31-34.

27. — L’aveugle de Jéricho. 18, 35-43.

28. — Zachée. 19, 1-10.

29. — La parabole des mines. 19, 11-28.

TROISIÈME PARTIE

VIE SOUFFRANTE ET GLORIEUSE DE JÉSUS. 19, 29-24, 53.

1. — Entrée solennelle du Messie dans sa capitale. 19, 29-44.

1° Préparatifs du triomphe. 19, 29-35.

2° La marche triomphale. 19, 36-44.

2. — Jésus règne en Messie dans le temple. 19, 45—21, 4.

1° Expulsion des vendeurs. 19, 45 et 46.

2° Description générale du ministère de Jésus dans le temple. 9, 47-48.

3° Le Sanhédrin et l'origine des pouvoirs de Jésus. 20, 1-8.

4° Parabole des vignerons rebelles. 20, 9-19.

5° Question relative à l’impôt. 20, 20-26.

6° Les Sadducéens défaits à leur tour. 20, 27-40.

7° David et le Messie. 20, 41-44.

8° Jésus dénonce les vices des scribes. 20, 45-47.

9° L’obole de la veuve. 21, 1-4.

3. — Discours sur la ruine de Jérusalem et la fin des temps. 21, 5-36.

a. Occasion du discours. 21, 5-7.

b. Partie prophétique du discours. 21, 8-33.

c. Partie morale du discours. 21, 34-36

4. — Coup d’œil d’ensemble sur les derniers jours du Sauveur. 21, 37-38.

5. — Trahison de Judas. 22, 1-6.

1° Le Sanhédrin cherche le moyen de se défaire de Jésus. 22, 1-2.

2° Judas et le Sanhédrin. 22, 3-6.

6. — La dernière cène. 22, 7-30.

1° Préparatifs de la Pâque. 22, 7-13.

2° Les deux cènes. 22, 14-23.

7. — Conversation intime rattachée à la cène. 22, 24-38.

8. — L'agonie de Jésus à Gethsémani. 22, 39-46.

9. — L'arrestation de Jésus. 22, 47-53.

10. — Reniement de S. Pierre. 22, 54-62.

11. — Jésus insulté par les valets du Sanhédrin. 22, 63-65.

12. — Jésus devant le Sanhédrin. 22, 66-71.

13. — Jésus comparaît devant Pilate et devant Hérode. 23, 1-25.

1° Première phase du jugement devant Pilate. 23, 1-7.

2° Jésus devant Hérode. 23, 8-12.

3° Seconde phase du jugement devant Pilate. 23, 13-25.

14. — La via dolorosa. 23, 26-32.

15. — Jésus meurt sur la croix. 23, 33-46.

1° Le crucifiement. 23, 33-34.

2° Les insulteurs et le bon larron. 23, 35-43.

3° Les derniers moments de Jésus. 22, 44-46.

16. — Témoignages rendus au Sauveur aussitôt après sa mort. 23, 47-49.

17. — Sépulture de Jésus et préparatifs de son embaumement. 23, 50-56.

18. La Résurrection de Jésus et ses preuves. 24, 1-43.

1° Les saintes femmes trouvent le sépulcre vide. 24, 1-8.

2° Elles avertissent les disciples qui refusent de croire. 24, 9-11.

3° S. Pierre au sépulcre. 24, 12.

4° Jésus apparaît aux disciples d'Emmaüs. 24, 13-35.

5° Jésus apparaît aux disciples réunis dans le cénacle. 24, 36-43.

19. — Les dernières instructions de Jésus. 24, 44-49.

20. — L’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 24, 50-53.