BIBLE FILLION
La Sainte Bible Commentée d'après la Vulgate et les textes originaux
LES LIVRES DES MACHABÉES
INTRODUCTION
1° État du peuple juif au commencement de l'époque des Machabées. - « Les quatre siècles qui s'écoulèrent depuis Néhémie jusqu'à la naissance de Notre-Seigneur ne nous sont pas connus par une histoire suivie. Nous ne possédons, sur toute cette période, que les deux livres des Machabées, qui nous ont conservé la mémoire des luttes soutenues par les Juifs fidèles contre l'impiété. Si cette époque n'est point la plus prospère de l'histoire des enfants de Jacob, elle est du moins une des plus glorieuses; car la meilleure partie des Juifs, convertie par la captivité de Babylone, est maintenant irrévocablement attachée au service de Dieu.
« Les animosités de leurs voisins les avaient longtemps empêchés de rebâtir Jérusalem (Esdr. 4, 6-23; Neh. 1, 3 et 2, 3) ; quand ils·eurent reconstruit les murs de la ville, avec beaucoup de peine (Neh. 2, 10-20; 3-4), leurs ennemis ne furent pas désarmés, mais continuèrent de leur susciter toute sorte de contradictions (Neh. 6). De plus, le joug des Perses et les charges qu'ils leur imposaient étaient lourds à porter (Esdr. 7, 24; Neh. 5, 2-4; 9, 36-37). Tant de maux affaiblirent la foi et attiédirent la piété d'un certain nombre (Neh. 13, 10, 15; Agg. 1, 4; Mal. 1, 6-2, 8); cependant, ce qu'il y avait de plus sain dans la nation resta inébranlable, et s'adonna à l'étude et à la pratique de la loi avec un zèle infatigable. Les prêtres et les scribes furent, à cette époque, les défenseurs du mosaïsme. Avec Malachie finit le prophétisme de l'Ancien Testament (cf. 1 Mach. 11, 27); les scribes succèdent aux prophètes, non pour recevoir la révélation de l'avenir, mais pour conserver les écrits inspirés, les commenter, et les prêcher. La plupart des scribes, surtout dans les commencements, furent sans doute des prêtres et des lévites, comme l'était Esdras, le premier et le plus illustre de tous (Esdr. 7, 11. Cf. Mal. 2, 7; Agg. 2, 12). Cette circonstance ne contribua pas peu à augmenter l'influence du sacerdoce; il devint le champion de la religion et de la vérité, en attendant qu'i1 revêtît, en la personne des Machabées, la souveraine puissance; il défendit sa patrie et sa foi contre l'invasion des princes grecs et des idées grecques, comme les prophètes les avaient défendues contre l'invasion des monarques assyriens, chaldéens ou égyptiens, et contre le polythéisme sémitique ou chananéen.
« Après la mort d'Alexandre (323), la Palestine, se trouvant placée entre les royaumes rivaux de Syrie et d'Égypte, formés des débris de l'empire de ce grand conquérant, appartint tantôt aux Séleucides, tantôt aux Ptolémées; mais elle eut à souffrir également des uns et des autres. Elle se trouva alors pour la première fois en contact avec l'hellénisme, et ce contact, dans les villes et en particulier à Jérusalem, fut pernicieux à plusieurs. Parmi les classes élevées surtout, il s'en trouva qui se laissèrent séduire, non par ce qu'il y avait de grand et d'élevé dans la civilisation grecque, mais par ce qu'elle avait de mauvais et de favorable aux passions. L'influence nouvelle se fit sentir jusque parmi les scribes; l'un d'eux, le premier qui ait porté un nom grec, Antigone de Socho, étudia la sagesse païenne, et deux de ses disciples furent les fondateurs de la secte sadducéenne, quoiqu'il restât lui-même orthodoxe. Les juifs de la dispersion, à Alexandrie, à Antioche, en Asie Mineure et dans les villes des bords de la Méditerranée, ressentirent bien plus encore les atteintes de l'esprit hellénique, et, par contrecoup, nuisirent ainsi à leurs frères de Palestine, avec qui ils entretenaient toujours quelques rapports.
« C'est à Alexandrie, où les descendants d'Abraham étaient en grand nombre, que se forma, sous les premiers Ptolémées, cette forme particulière de judaïsme que l'on a appelée l'hellénisme, et qui consiste dans une sorte de syncrétisme, dont le but est de mettre d'accord la révélation divine avec la philosophie grecque. En se rendant en grand nombre à Jérusalem pour la célébration des fêtes religieuses, les enfants de Jacob, qui habitaient la capitale de l'Égypte, apportaient avec eux en Judée les idées nouvelles, cette commixtio dont parle l'auteur du second livre des Machabées, 14, 3.
« Il devait résulter de là nécessairement des divisions et des partis au sein de la communauté mosaïque. C'est ce qui ne tarda pas à arriver. Les uns restèrent strictement fidèles aux vieilles traditions; on les appela les Assidéens, hasîdîm, Άσιδαῖοι, Assidaei, les pieux (1 Mach. 2, 42 (Vulg), et 7, 13; 2 Mach. 14, 6). Les autres, les hellénisants, penchèrent fortement vers les innovations étrangères, et ils reçurent le nom flétrissant d'impies et de pécheurs, iniqui, peccatores (1 Mach. 1, 12, 36 (grec, 34); 2, 44; 6, 21; 7, 5, 9; 9, 23, 58, 69, etc.). Les deux partis ne devaient pas être moins divisés en politique qu'en religion. Les Assidéens étaient les patriotes; les hellénisants étaient les soutiens des Séleucides ou des Ptolémées. A un moment donné, le parti étranger menaça d'étouffer le parti national et de faire triompher le paganisme sur les ruines de la vraie religion. C'est alors que Dieu suscita les Machabées, qui sauvèrent la religion avec la patrie (Man. Bibl., t. 2, n. 559). »
2° Le nom des Machabées. - L'on n'est pas d'accord sur son étymologie, et par conséquent sur sa signification. D'après un certain nombre d'interprètes, qui prennent pour base l'orthographe adoptée par le Talmud, Makâbi, ses quatre consonnes hébraiques (בוכבי, MKBI – la lettre iod est une consonne en hébreu - ) seraient les premières lettres des mots Mi kamôka bâ'Elîm Iehôvah, empruntés au livre de l'Exode (Ex. 15, 11. Vulgate : « Quis similis tui in fortibus, Domine ? »), et inscrits, ajoutent quelques auteurs, sur l'étendard des Machabées. Mais c'est là une pure hypothèse, contredite par le fait qu'à cette époque les abréviations de ce genre n'étaient pas encore en usage. Il faut donc rejeter, pour le même motif, les sentiments d'après lesquels le nom Machabée serait une contraction, formée, d'une manière analogue à la précédente, des mots Mattatiah kohen ben Iohaman, « Mathathias, prêtre, fils de Jean » (en outre, dans ce cas, c'est à Mathatias lui-même, et non à son fils Judas, que le surnom aurait été appliqué tout d'abord. Cf. 1 Mach. 2, 4, 66; 5, 24, etc), ou de Milhâmôt koah bi-Iûdah, « Guerres violentes dans Juda. »
Selon l'opinion la plus commune et de beaucoup la plus vraisemblable, le mot Machabée dérive directement du substantif hébreu maqqâb ( en araméen, maqqâbâ'), « marteau » (cf. 3 Reg. 6, 7; Is. 44, 12, etc., dans le texte primitif), et les Juifs donnèrent à Judas ce glorieux surnom de « Malleator », à cause de la bravoure héroïque qu'il déploya pour défendre l'indépendance de son peuple. C'est donc là un nom tout à fait identique à celui de Charles Martel (« Mon fils Judas, qui es appelé Maqqâbi à cause de ton courage », fait dire à Mathathias mourant l'écrivain juif Joseph, fils de Gorion, Hist. Jud., 3, 9).
La forme Μαχχαβαῖος, employée par les Septante, semble provenir de maqqâbâ' ; celle de notre version latine, Machabaeus, se rattache plutôt à Makâbi.
Ce nom, après avoir d'abord servi à désigner particulièrement Judas, fut ensuite appliqué soit aux divers membres de sa famille (les Machabées, Simon Machabée, etc.), soit, d'une manière encore plus générale, à ceux des Juifs qui subirent courageusement le martyre durant la persécution d'Antiochus Épiphane (tout spécialement aux sept frères « Machabées », cf. 2 Mach. 7, 1 et ss.), soit enfin aux livres qui racontent l'histoire de cette période si admirable de 1'histoire juive.
Le vrai nom patronymique de l'illustre et vaillante famille des Machabées était, comme nous l'apprend l'historien Josèphe (Ant., 14, 16, 4 : ἡ Ἀσαμωναίων γενεά), celui d'Asmonéens, et il remontait, d'après le même auteur, au grand-père, ou, selon d'autres, à l'arrière-grand-père de Mathathias (Ant., 12, 8, 1 : Ματταθίας, υίὸς 'Ιωάννου, τοῦ Σνμεῶνος, τοῦ Ἀσαμωναίου).
3° Le contenu et la division des deux livres des Machabées. — Le premier de ces livres raconte la lutte courageuse que les Juifs soutinrent contre plusieurs rois de Syrie, pour la défense de leur liberté religieuse et de leur indépendance politique, sous la conduite de Mathathias et de ses trois fils, Judas Machabée, Jonathas et Simon. Après une courte introduction (1, 1-10), dans laquelle il dit un mot des conquêtes d'Alexandre le Grand et du partage de son vaste empire, l'écrivain sacré passe tout à coup au règne d'Antiochus Épiphane. Il place tour à tour sous les yeux du lecteur les attentats criminels et sacrilèges de ce prince contre le temple, la ville sainte, la Judée, tout le peuple juif, et le début de l'insurrection d'Israël contre l'odieux tyran (1, 11-2, 70). Il donne ensuite la narration détaillée des combats, des victoires, des actes administratifs de Judas Machabée (3, 1-9, 22), de Jonathas (9, 23-12, 54) et de Simon (13, 1- 16, 17). Il conclut en mentionnant brièvement que Jean Hyrcan succéda à son père Simon (16, 18-24). En tout quatre sections : 1° Occasion du soulèvement des Juifs contre la dynastie des Séleucides (1, 1 -2, 70); 2° Les exploits de Judas Machabée (3, 1-9, 22) (c'est, de toutes façons, la partie principale du livre); 3° Le gouvernement de Jonathas (9, 23-12, 54); 4° Le gouvernement de Simon (13, 1-16, 24) (pour une analyse plus détaillée, voyez le commentaire et notre Biblia sacra, p. 1044-1074).
Le second livre n'est nullement la continuation du premier; mais il revient sur une partie considérable des faits contenus dans celui-ci, pour les relater à nouveau, d'une manière tout à fait indépendante. Il remonte un peu plus haut, puisqu'il commence son récit à la fin du règne de Séleucus IV, prédécesseur d'Antiochus Épiphane, et il va beaucoup moins loin, s'arrêtant à la délivrance de Jérusalem par Judas Machabée, la seconde année de Démétrius Ier Soter, deuxième successeur d'Épiphane. Toutefois, s'il couvre un terrain chronologique moins étendu, il donne au récit de certains événements des développements beaucoup plus longs, et il a de nombreux détails ou épisodes qui lui appartiennent entièrement en propre (voyez en particulier les chap. 4, 5, 6, 7, 10, 12, etc). Il débute par deux lettres que les Juifs de Palestine avaient adressées à leurs coreligionnaires d'Égypte, pour les inviter à célébrer la fête instituée en souvenir de la purification du temple (sur leur authenticité, voyez le Man. Bibl., t. 2, n. 576). C'est la première partie, qui est « un simple recueil de documents » (1, 1-2, 19). La seconde (2, 20-15, 40), très différente de la précédente sous le rapport du fond et de la forme, renferme un long résumé des cinq livres que Jason de Cyrène avait composés sur l'histoire des Machabées, depuis la tentative sacrilège d'Héliodore contre le temple, sous le règne de Séleucus IV, jusqu'à la mort de Nicanor, général de Démétrius Ier. On peut la subdiviser en deux sections :1° Histoire de la Judée depuis la fin du règne de Séleucus Philopator jusqu'à la mort d'Antiochus Epiphane (2, 20-10, 9); 2° Histoire de la Judée sous le règne d'Antiochus V Eupator et au début de celui de Démétrius Ier Soter (10,10-15, 40). Chacune de ces deux sections se termine par le récit de l'institution d'une nouvelle solennité religieuse. Cf. 10, 1-8, et 15, 36-37 (pour une analyse plus complète, voyez le commentaire, et notre Biblia sacra, p. 1075-1096).
La persécution d'Antiochus Épiphane ayant commencé l'an 175 avant J.-C. et Jean Hyrcan ayant succédé en 135 à son père, Simon Machabée, le premier livre raconte l'histoire d'environ quarante années (la petite introduction 1 Mach. 1, 1-9, résume cent cinquante-quatre ans, de 331 à 175). Le second livre ne correspond qu'à une période de quinze ans (176 à 161 avant J.-C,).
4° Les auteurs et l'époque de la composition. - 1. Il nous faut répéter le mot de saint Isidore de Séville (Etymol., 6, 2): « On ignore entièrement par quels auteurs ont été écrits les livres des Machabées. » Ils étaient Juifs, évidemment, et très dévoués à leur peuple; mais c'est là tout ce que l'on peut dire de certain. On a attribué sans raison suffisante la composition du premier livre à Jean Hyrcan, ou à l'un des fils de Mathathias, ou à la grande Synagogue. La remarquable précision de ses données topographiques rend moralement sûre l'opinion d'après laquelle celui qui l'a écrit vivait en Palestine, et non pas en Égypte, comme le veulent quelques critiques. Rien n'indique qu'il ait pris une part directe aux événements qu'il raconte si bien.
L'auteur du second livre, qui était vraisemblablement aussi domicilié en Palestine, nous dit lui-même (2 Mach. 2, 24. Voyez le commentaire) qu'il ne fut qu'un abréviateur de l'ouvrage composé en cinq livres par Jason de Cyrène; mais nous ignorons malheureusement aussi quel était ce Jason. Il vivait, ce semble, à l'époque de Judas Machabée, son héros, et il était originaire de la Cyrénaïque; mais c'est sans autre motif que la ressemblance des noms qu'on l'a parfois identifié à Jason, fils d'Eléazar, que Judas envoya à Rome comme ambassadeur, avec Eupolémos (Cf. 1 Mach. 8, 17).
2. Le premier livre. nous fournit trois données précieuses pour déterminer, au moins en gros, l'époque où il fut composé. 1° Au chap. 8, la manière dont il parle des Romains et de leur conduite généreuse envers leurs alliés, par contraste avec la tyrannie des Séleucides, prouve que Pompée ne s'était pas encore emparé de Jérusalem (68 avant J .-C,). 2° 13, 30, il affirme que le monument funéraire construit à Modin par Simon se voyait encore de son temps. Cela suppose qu'il écrivit quelques années après le gouvernement de ce glorieux frère de Judas (Simon gouverna les Juifs de 143 à 135 avant J.-C.). 3° Le résumé du gouvernement de Jean Hyrcan, fils et successeur de Simon, qui termine le livre (16, 23-24), est conçu de telle sorte, qu'il paraît supposer que ce prince était encore vivant au moment de la composition. L'opinion la plus probable est donc que l'œuvre fut publiée antérieurement à sa mort (106 avant J.-C.), et même assez longtemps avant cette date. On ne trouve, dans tout le récit, aucune allusion, quelque petite soit-elle, qui puisse se rapporter à des événements postérieurs à Jean Hyrcan.
La première des deux lettres qui servent d'introduction au second livre est datée de l'an 188 de l'ère des Séleucides (124 avant J.-C.) (cf. 2 Mach. 1, 10a). L'ouvrage, sous sa forme actuelle, n'a donc point paru antérieurement à cette époque. La seconde lettre ne porte pas de date précise; mais elle suppose que Judas Machabée vivait encore lorsqu'elle fut écrite (cf. 2 Mach. 1, 10b. Voyez le commentaire. Judas mourut l'an 161). Si, comme nous le croyons plus probable, elle raconte la mort d'Antiochus Épiphane (163 avant J.-C.) elle remonte vraisemblablement à l'année 162. C'est vers ce même temps que Jason dut composer son travail, puisqu'il signale, lui aussi, la mort d'Antiochus IV, et que le dernier des faits racontés par lui est antérieur à celle de Judas Machabée. Quant à l'œuvre de l'abréviateur, elle peut fort bien dater de la même époque que la première lettre, c'est-à-dire du règne de Jean Hyrcan. Divers critiques, il est vrai, la datent seulement du milieu du premier siècle avant notre ère, mais sans raisons suffisantes, croyons-nous.
5° Les sources et la véracité des livres des Machabées. — 1. L'auteur du premier livre ne nous dit pas formellement quelles furent ses sources; mais nous savons qu'outre ses souvenirs personnels et les récits des témoins oculaires qu'il put consulter, il en eut de très sérieuses à sa disposition. La remarque par laquelle il conclut sa narration, 1 Mach. 16, 23-24, et qui démontre de la façon la plus claire l'existence de documents officiels pour l'époque de Jean Hyrcan, suppose qu'on en avait rédigé et conservé de semblables sous les gouvernements précédents. De plus, 9, 22, il fait remarquer à ses lecteurs qu'il avait été impossible de noter par écrit tous les exploits guerriers de Judas Machabée, à cause de leur grand nombre; mais cette réflexion même nous donne à entendre qu'on en avait noté au moins quelques-uns : fait très expressément confirmé par 2 Mach. 2, l4. Enfin, l'auteur nous a communiqué tout au long une quantité relativement considérable de papiers d'État, qui datent de la période historique qu'il décrit. Cf. 8, 23-32; 10, 18-20, 25-45; 11, 30-37; 12, 6-23; 13, 36-40; 14, 20-23, 27-45; 15, 2-9, 16-21. ll en cite d'autres encore, en les abrégeant. Cf. 10, 3 et ss.; 15, 22-23. Il est donc certain qu'il put consulter, soit dans les archives publiques, soit ailleurs, des sources excellentes et très sûres. Quelques critiques rationalistes ont nié, il est vrai, l'authenticité des documents que nous venons de signaler; « mais ils ne peuvent donner aucune preuve de leur négation. Les moyens de contrôler l'exactitude de quelques-unes de ces pièces nous font défaut; pour celles qui émanent des rois de Syrie, elles portent des marques incontestables d'authenticité » (Man. Bibl., t.2, n. 563, 5°. « On n'a pas démontré la non-authenticité d'une seule d'entre elles », dit un interprète protestant (Keil)).
Tout cela est une très forte garantie de la véracité parfaite de notre auteur, comme l'admettent, tout en rejetant l'inspiration et la canonicité de son livre, la plupart des critiques protestants qui se sont occupés de lui (« L'importance de cet ouvrage pour la connaissance de l'histoire juive au 2ème siècle avant J.-C. peut à peine être surpassée » . « Notre livre est, sous le rapport historique, d'une valeur inappréciable ». « La valeur de ce livre est incalculable ». Etc). Non seulement sa candeur et sa simplicité sont manifestes à tout instant; mais, ce qui vaut mieux encore comme preuve, il existe une coïncidence remarquable entre sa narration et les récits des historiens grecs et romains qui ont écrit sur la même période (notamment ceux de Polybe, d'Appien, de Diodore de Sicile, de Tite-Live, de Justin, que nous aurons souvent à citer dans le commentaire). « Nulle part il ne contredit aucune assertion de ces écrivains, si ce n'est lorsqu'ils sont en désaccord les uns avec les autres. » Les monnaies des rois de Syrie contemporains des Machabées attestent aussi l'exactitude de sa chronologie.
On lui reproche cependant d'étre tombé dans quelques erreurs de détail, surtout en ce qui concerne les peuples étrangers: par exemple, « quand il dit qu'Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, avait divisé son royaume, avant sa mort, entre ses généraux (1, 7); quand il représente les Romains comme acquiesçant à toutes les requêtes qu'on leur adresse, etc. (8, l-16); quand il nous montre dans les Spartiates des frères des Hébreux (12, 6) (Man. Bibl., t. 2, n. 563). » On l'accuse aussi, lorsqu'il cite le nombre des soldats qui composaient les armées belligérantes, d'avoir augmenté celui des ennemis et diminué celui des Juifs. Nous répondrons aux objections de la première série en expliquant les passages qu'elles concernent directement (Voyez aussi F.Vigouroux, les Livres saints et la critique rationaliste, t. 4, p. 132-151 de la 2è édition ; Kaulen, Einleitung in die h. Schrift, nn. 283 et 286 de la 1ère édition; Cornely, introd. Specialis, t. 2, pars 2, p. 459-460. « Le P. Froehlich, S. J., ayant publié à Vienne, en 1744, ses Annales compendiarii rerum et rerum Syriae nummis veteribus illustrati, dans lesquelles il soutenait la véracité des deux livres des Machabées, fut attaqué par E.-F. Wernsdorff, Prolusio de fontibus historiae Syriae in libris Machabeorum, Leipzig, 1746. Le P. Froehlich répliqua par son De fontibus historiae Syriae in libris Machabaeorum prolusio in examen vocata, Vienne, 1746. Le frère de l'auteur, Gth. Vernsdorff, essaya de répondre au savant jésuite par sa Commentatio historico-critica de fide librorum Machabaeorum, Breslau, 1747. Le P. Khell, S. J., réfuta, sous le voile de l'anonyme, cette nouvelle attaque dans Auctoritas utriusque libri Machabaeorum canonico-historica asserta, et Froehlichiani annales Syriae, defensi adversus Commentationem historico-critiacam G. Wernsdorffli, Vienne, 1749. Ce dernier ouvrage demeura sans réponse ». Man. Bibl., t. 2, n. 563, note 1). Quant aux chiffres , il est possible qu'ils aient été altérés çà et là par les copistes, ou exagérés dans un sens ou dans l'autre par la rumeur populaire; mais nos adversaires seraient bien embarrassés s'il leur fallait démontrer que c'est l'auteur lui-même qui est en défaut, et le plus souvent l'exagération n'existe que dans leur propre esprit (cette réflexion s'applique également au second livre, dont, en outre, les chiffres ne sont pas toujours identiques à ceux du premier).
2. Comme nous l'avons dit plus haut, l'auteur du second livre des Machabées indique nettement ses sources, et il a même pris la peine de décrire d'une manière assez complète (cf. 2 Mach. 2, 20 et ss.) la principale, le récit de Jason, qu'il se proposait de vulgariser en l'abrégeant. Mais, ce récit s'étant perdu de très bonne heure, il nous est impossible de savoir au juste en quoi a consisté le travail de l' « epitomator ». Les narrations sont en général très développées; aussi a t-on conjecturé qu'à part de rares passages, qui sont réellement condensés (2 Mach. 13, 22-26 en est un exemple frappant), l'abréviation a plutôt consisté à supprimer des parties plus ou moins considérables de l'œuvre primitive qu'à resserrer le fond ou la forme pour en diminuer l'étendue.
Quelques critiques ont prétendu que l'abréviateur cesse de prendre Jason pour guide dans les quatre derniers chapitres (2 Mach. 12-15), et qu'il suit alors un autre document. Ils appuient leur opinion sur le fait que, dans sa petite préface (cf. 2 Mach. 2, 20), il semble limiter le récit de Jason aux règnes d'Antiochus Epiphane et d'Antiochus Eupator, tandis que les chapitres 12-15 sont consacrés aux événements du règne de Démétrius Ier. Mais cette conclusion n'est nullement fondée; car, d'une part, si l' « epitomator » ne nomme que les rois Antiochus IV et Antiochus V dans sa préface, c'est parce qu'ils jouent un rôle plus important dans la narration; d'autre part, en annonçant (2, 20) que les exploits de Judas Machabée et de ses frères formaient l'objet des cinq livres de Jason, il montre suffisamment que le règne de Démétrius n'en était pas exclu.
Autant les exégètes protestants et rationalistes font l'éloge du premier livre des Machabées sous le rapport de la crédibilité, autant ils se défient du second livre dont ils attaquent tout du long la véracité. Ils lui reprochent de « nombreuses erreurs historiques », « des préjugés et des idées préconçues, qui le rendent en certains points indigne de confiance », « de la prédilection pour le merveilleux », de fréquentes contradictions avec les récits du premier livre. Ici encore nous renvoyons au commentaire pour la réfutation détaillée des principales objections (voyez aussi Kaulen, l.c., p. 243-244; Cornely, l.c., p. 462-472; F.Vigouroux, les Livres saints et la critique rationaliste, p. 151-177 de la seconde édition). Qu'il suffise de répondre actuellement d'une manière générale: 1° que les préjugés existent, mais qu'on les trouve beaucoup moins dans notre auteur que dans ses adversaires, très souvent injustes; 2° que les faits « merveilleux » nous sont présentés sciemment comme des manifestations de la puissance divine en faveur des Juifs (cf. 2 Mach. 2, 19 et ss.; 3, 25 et ss.; 5, 2; 11, 8; 15, 12, etc.), et que l'on ne voit pas pourquoi le Seigneur n'aurait point fait alors de grands prodiges, comme à d'autres époques critiques de l'histoire juive, afin de sauver son peuple; 3° que, pour attaquer sérieusement la véracité du livre, il faut démontrer ou que l'abréviateur a condensé d'une manière infidèle les récits de Jason, ou que celui-ci lui-même ne mérite aucune confiance : deux démonstrations pareillement impossibles; 4° que, pour crier plus facilement à la contradiction entre les deux livres des Machabées, on a multiplié les passages prétendus parallèles, et qu'on a ainsi opposé l'une à l'autre des narrations qui n'ont rien de commun entre elles, ou qui exposent des épisodes différents d'un même fait (cela est vrai surtout des expéditions de Judas Machabée contre les Syriens et contre les petits peuples païens voisins de la Palestine. Cf. 1 Mach. 3-7 et 2 Mach. 8-16. Le P. Patrizi a magistralement traité cette question dans son bel ouvrage De consensu utriusque libri Machabaeorum, Rome, 1856.).
6° Langues dans lesquelles ont été composés les livres des Machabées. — 1. Le premier livre a été certainement écrit en hébreu; mais le texte primitif s'est perdu de très bonne heure, et nous ne le connaissons que par l'intermédiaire de la traduction grecque insérée dans la Bible des Septante. Saint Jérome affirme (Prologus galeatus : « Machabaeorum primum librum hebraicum reperi. ») avoir vu de ses propres yeux le texte hébreu. Suivant Origéne (cf. Eusèbe, Hist. Eccl., 6, 25, 2), le livre aurait été intitulé en hébreu: Σαρβὴθ σαρβανέελ ce qui équivaut vraisemblablement à : Šarbat šar bené 'El, « Histoire du prince des fils de Dieu » (c.-a-d. : Histoire de Judas, chef des Juifs) (d'autres lisent : Šarbît šaré bené 'El, Sceptre des princes des fils de Dieu; c.-à-d., Gouvernement des Machabées.)
Le témoignage des deux Pères les plus familiarisés avec la langue et la littérature hébraïques est à lui seul décisif. Il est d'ailleurs si visiblement confirmé par le texte grec lui-même, qu'aucun doute n'existe et ne saurait exister sur ce point. « A travers la traduction en grec alexandrin, semblable à celui des Septante, perce la phrase sémitique; les expressions sont helléniques, la construction et la manière de parler sont hébraïques (Man. Bibl., t. 2, n. 565). » Tantôt nous rencontrons des hébraïsmes particulièrement durs, qui ne peuvent s'expliquer que par le fait d'une version fidèle, mais servile (Nous ne pouvons signaler ici que quelques exemples ; le commentaire en indiquera d'autres. Le livre s'ouvre 1, 1 par la formule tout hébraïque χαί ἐγένετο, vayyehi, « Et factum est »; cf. Jud. 1, 1; Ruth, 1, 1, etc. 1, 4 (Vulg., 5), ἐγένοντο αύτῶ είς φόρον (c'est l'hébreu hayyâh lâmâs). 1, 15 (Vulg. 16) ἐπράθησαν τοῦ ποιῆσαι τὸ πονηρόν (comp. l'hébreu de 3 Reg. 21, 20 : hitmakkerkâ la'ašôt hârâh). 1, 16 (Vulg. 17), ἐτοιμάσθη ἡ βασιλεία (hébr. : vattikôn kammalkût). 1, 38, διάβολος πονηρός (hébr. : sâtân ra'). 2, 19, οίχος τῆς βασιλείας (hébr.: beit hammalâkâh). 5, 40, δυνάμενος δυνήσεται πρὸς ήμᾶς (hébr.: yâkol jûkal lânû). Etc.); tantôt ce sont des fautes de traduction, qui supposent évidemment un original hébreu (Par exemple : 1, 44 (Vulg. , 46), le mot βιϐλία, livres, employé dans le sens de ἐπιςτολή, lettre, comme l'hébreu sefârîm; 2, 8, έγένετο ὁ ναὸς αὐτῆς ὡς ἀνἠρ ἄδοξος, au lieu de ὡς ἀνδρὸς ἀδόξον (le traducteur n'a pas compris que les mots vayyehi beitah kesil nibzeh sont une ellipse pour vayyehi beitah kebeit kesîl... 4, 19, la traduction ἔτι πληροῦντος ( au lieu de λαλοῦντος) suppose qu'on a confondu mâlal, parler, avec mâlâ', remplir. Etc.). Cette traduction doit être très ancienne; il est probable qu'elle fut entreprise peu de temps après l'apparition de l'écrit original.
Le second livre des Machabées a été composé primitivement en grec. Saint Jérôme n'est pas moins catégorique à ce sujet qu'à propos du premier livre : « Secundus (liber Mach.) graecus est » (Prol. Galeat.). Et il ajoute aussitôt la preuve intrinsèque à celle du témoignage: « Quod ex ipsa quoque phrasi probari potest. » En effet, il suffit de parcourir quelques lignes pour se rendre compte que l'auteur principal, Jason de Cyrène (le grec était la langue parlée dans cette ville) et son abréviateur savaient très bien le grec. « A part quelques hébraïsmes (par exemple, ἀδελφοί pour compatriotes, σπέρμα pour proles, etc. Voir aussi 14, 24; 8, 15, 27, etc. Ces idiotismes sont encore plus dans la manière de concevoir les choses que dans les mots. ») que l'on rencontre chez tous les écrivains juifs qui ont rédigé leurs ouvrages en grec le style est pur, et pour le fond semblable à celui des ecrivains profanes du dernier siècle avant J .-C. La phrase est arrondie, coulante et riche en locutions véritablement grecques » (Καλὸν χαί ἀγαθόν, 15, 12, etc. Cf. 4, 37, 40; 6, 12; 15, 39, etc. Ce livre contient aussi des mots et des locutions rares. Il aime à rapprocher des mots de même nature (ἄγειν ἀγῶνα, 4, 18; cf. 22; 12, 22; 15, 37), à faire des antithèses de mots (εὐμένειαν..., δυσμένειαν, 6, 29; cf. 5, 6, etc.). » Man. bibl., t. 2, n° 573, 1°). Cela est vrai aussi des deux lettres placées en tête du livre (2 Mach. 1, 1-10a; 1, 10b-2, 19. Elles hébraïsent à peine, et il est remarquable que Jérusalem n'y est pas désignée par son nom hébreu ʹΙερουσαλὴμ, comme dans la traduction grecque du premier livre, mais par la forme grécisée ʹΙεροσόλυμα (cf. 2 Mach. 1, 1-10), tout aussi bien que dans la partie historique (cf. 2 Mach. 3, 6, 9; 4, 9, etc)). Du reste quoique écrites par des Juifs de Jérusalem, elles durent être composées en grec; autrement elles n'auraient pas été comprises des destinataires, les Juifs d'Égypte, qui avaient cessé de parler et de lire l'hébreu.
« La version latine de notre Vulgate n'a pas été faite par saint Jérôme; c'est celle de l'ancienne Italique. Elle traduit en général très fidèlement le texte grec, mais non sans un certain nombre de changements d'additions ou d'omissions, presque tous d'ailleurs sans importance » (Man. Bibl., t. 2; n. 567, 2°).
7° Le style et le genre des deux livres. — 1. Le style du premier livre des Machabées est généralement simple, sobre, sans ornements, assez concis et rappelle celui des anciens écrits historiques de 1'Ancien Testament. L'auteur évite de se mettre personnellement en scène. Il demeure d'ordinaire très calme, et mélange fort peu ses réflexions et ses impressions aux récits, laissant les faits parler eux-mêmes. Çà et là cependant il s'anime et devient éloquent, à l'occasion soit des grands malheurs, soit des grands triomphes d'Israël; dans ce cas, il devient véritablement poète et nous donne des descriptions imagées, rythmées, munies de ce qu'on nomme, dans la poésie hébraïque, le parallélisme des membres (voyez le tome 3, p. 483-486). Comp. 1, 26-29; 38-42; 3, 3-9, 35 et ss.; 4, 38-40; 14, 4-5, 8-15. Par moments, ce sont ses personnages eux-mêmes qui composent d'admirables élégies ou prières, qu'il aime à citer en propres termes. Cf. 2, 7-13, 49-60; 3, 18-21, 50-53; 4, 8-11, 30-33; 7, 41-42, etc.
La diction du second livre est généralement plus chaude, mais aussi plus artificielle, et sent parfois la rhétorique. A part quelques passages assez rares (voyez la page 632, 2), elle ne vise nullement à la brièveté. L'auteur ajoute à tout instant à sa narration des réflexions subjectives, qui lui sont suggérées par les circonstances bonnes ou mauvaises, tristes ou joyeuses, des événements. On dirait qu'il aime les longs mots, les phrases à effet. L'abréviateur n'est peut-être pas sans affectation dans les deux passages qui sont certainement de lui : 2 Mach. 2, 20-32, et 15, 38-39. Mais cette chaleur et ce côté plus personnel de l'œuvre la rendent très attrayante, le lecteur se mettant aussitôt à partager, s'il n'a pas d' « idées préconçues », les sentiments du narrateur.
2. Le ton religieux qui règne dans les deux écrits est aussi très intéressant à signaler, car il nous aide à mieux comprendre le genre et la manière de leurs auteurs. L'Israélite qui a composé le premier livre était certainement un homme d'une ardente piété, dévoué à la loi et au culte sacré, rempli d'horreur pour les infamies d'Antiochus Épiphane et des Syriens, croyant de toute son âme à une Providence qui dirige les moindres événements humains; on sent, à travers ses pages, « un courant souterrain très profond de sentiments théocratiques. » Et pourtant il évite, en tant qu'écrivain, de manifester ces sentiments. Il ne mentionne aucun miracle proprement dit et ne moralise presque jamais. Bien plus, « on a remarqué que le nom de Dieu manque presque complètement dans le premier livre des Machabées, quoiqu'il y soit très souvent parlé du Seigneur... Le mot Dieu, correspondant à 'El ou 'Élohîm, ne se lit qu'une fois dans le texte grec, 3, 10; encore manque-t-il, à cet endroit,... dans tous les bons manuscrits. Le mot Seigneur, par lequel les Septante ont rendu dans leur version le tétragramme divin Jéhovah, se lit trois fois (4, 24, et 7, 37, 41) dans les éditions ordinaires, mais n'est jamais non plus dans les meilleurs manuscrits (« La Vulgate a assez souvent Deus et Dominus. Nous y lisons Deus caeli (3, 18), Deus (3, 53, etc), Dominus (3, 22; 4, 10, etc.), quoique ces noms ne soient pas dans le grec. »). Cependant, si le mot est absent, l'idée ne l'est pas... Ou bien Dieu est désigné sous le nom de Ciel, ou bien il est parlé de lui simplement, soit à la troisième personne, soit à la seconde (« Cf. 1 Mach. 3, 18, 19, 22, 50-53, 60; 4, 10, 24, 30, 40, 55; 5, 33; 7, 37, 41; 12, 15; 16, 3 »)... La raison de cette particularité nous échappe » (Man. Bibl., t. 2, n. 564. « Le livre d'Esther ne contient pas non plus le nom de Dieu dans sa partie protocanonique. »).
Quelle différence sous ce rapport, lorsqu'on passe du premier livre des Machabées au second! Autant le premier narrateur est réservé en fait de choses religieuses, autant le second aime à communiquer sur ce point ses impressions les plus intimes. Il écrit très souvent les mots Dieu et Seigneur (d'après le texte grec dit « reçu », θέος soixante-quatre fois, χὐριος quarante-huit fois). « Le côté religieux de l'histoire est placé continuellement devant l'esprit du lecteur, à qui l'on apprend, à chaque page, que l'impiété et le blasphème reçoivent de Dieu un châtiment sévère, que la prière est exaucée, que Dieu combat ouvertement en faveur de ses saints et qu'il les délivre, que, s'il permet qu'ils soient affligés, c'est dans l'intention de les purifier, et que, eussent-ils à souffrir ce qui peut arriver de pire à l'homme dans cette vie, ils seront récompensés à la résurrection. » On a remarqué aussi l'enthousiasme avec lequel il mentionne à tout moment le temple et les choses du culte. Il en fait, pour ainsi dire, « le centre de toute sa narration. »
Ces diverses particularités des deux auteurs tiennent surtout à la différence de leur but, de leur tempérament intellectuel et de leur formation littéraire. Le premier a voulu simplement raconter l'histoire des Machabées; le second s'est proposé en outre un but homilétique, et c'est pour cela qu'il adresse, directement ou indirectement, des exhortations morales perpétuelles à ses lecteurs. Le premier a pris pour guides les anciens historiens d'Israël; le second a subi très visiblement l'influence des écrivains et des rhéteurs grecs de son temps.
8° La question de canonicité. - Les deux livres des Machabées manquent dans la Bible hébraïque, et c'est pour cela qu'on les range parmi les écrits nommés deutérocanoniques (voyez le tome 1, page 13); mais l'Église les a toujours regardés comme faisant partie du catalogue des livres inspirés. Les témoignages des écrivains ecclésiastiques sur ce point ne sont pas moins anciens que nombreux. L'Épître aux Hébreux, 11, 35, fait une allusion très évidente à 2 Mach. 6, 19 et 22a (ces mots de saint Paul : ἄλλοι δἑ ἐτυμπανίσθησαν οὐ προσδεξἄμενοι τὴν ἀπολύτρωσιν, sont un écho manifeste de ce que l'histoire des Machabées raconte du saint vieillard Éléazar : Ὁ δὲ τὸν μετʹεὐχλείας θάνατον... ἀναδεξἀμενος, ... ἐπὶ τὸ τὐμπανον προσῆγε..., ἵνα... ἀπολυθῆ τοῦ θανάτου). Au 1er siècle, Hermas (Pastor, Mand. 1, 1) semble emprunter un court passage à 2 Mach. 5, 28. A partir du 2ème siècle, les citations abondent en Orient et en Occident. Clément d'Alexandrie (Strom., 1, 21), Origène (De princip., 2, 1, etc.), saint Ephrem (In Dan. 8 et 12), Tertullien (Adv. Jud., 4), saint Cyprien (Exhort. ad mart., 5), saint Hippolyte (De Antichr., 49), et plus tard saint Athanase (In Ps. 78), saint Cyrille d'Alexandrie (In Joel., 1, 4), saint Ambroise (De Jacob et vita beata, 2, 10 et ss.), saint Jérôme (In Is. 23, 2; in Gal. 3, 14), saint Jean Chrysostome, etc., les conciles d'Hippone, de Carthage et de Trulle, les catalogues de saint Innocent I et de saint Gélase, placent, comme l'ont fait à leur suite les conciles de Trente (Sess. 4) et du Vatican (Sess. 3, cap. 2), les deux livres des Machabées dans le canon biblique (sur l'épithète d'apocryphes appliquée à nos deux livres par saint Jérôme dans son Prologus galeatus, et, à sa suite, par un certain nombre d'interprètes du moyen âge, voyez le Man. Bibl., t. 2, n. 34. Ces mêmes auteurs les traitent d'ailleurs absolument comme les autres écrits inspirés, et en tirent des conclusions dogmatiques). Nous n'avons donc qu'à répéter la parole de saint Augustin (De Civit. Dei, 18, 36): « Machabaeorum libros... Ecclesia pro canonicis habet. » D'ailleurs, l'Itala ne les contenait-elle pas, peut-être dès le 1er siècle? Ce n'est qu'au 16ème siècle que les protestants les ont éliminés du canon biblique, sous prétexte que les Juifs ne les avaient point admis. Mais leur présence dans la Bible des Septante démontre que les Juifs d'Alexandrie les regardaient comme canoniques et inspirés, et, même en Palestine, l'historien Josèphe estimait tellement le premier livre des Machabées, qu'il l'a en grande partie inséré dans sa narration.
9° La chronologie suivie dans les deux livres des Machabées est celle de l'ère des Séleucides, qui s'ouvrit le 1er octobre 312 avant J.-C. (comp. 1 Mach. 1, 11 : ἐν ἕτει... Ἐλλήνων. Voyez H.Waddington, les Ères employées en Syrie, dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1865, p. 35-42, et surtout Patrizi, De consensu utriusque libri Mach., p. 15-44). Mais, tandis que l'auteur du premier livre place le commencement des années au printemps, au mois de nisan, selon la coutume juive, Jason ou son abréviateur le met au mois de tišri, en automne; ce qui produit entre eux quelques divergences. Comparez 1 Mach. 7, 1, et 2 Mach. 14, 4; 1 Mach. 6, 16, et 2 Mach. 11, 21, 33; 1 Mach.6, 20, et 2 Mach. 13, 1. Dans ces passages, le premier livre rattache aux années 149, 150 et 151 de l'ère des Séleucides des événements qui, d'après le second, n'auraient eu lieu qu'en 148, 149 et 150. La contradiction n'est qu'apparente, d'après le principe qui vient d'être indiqué (voyez Patrizi, l.c., p. 27-44).
Nos deux auteurs suivent habituellement l'ordre chronologique; néanmoins ils l'abandonnent parfois, le second surtout, pour grouper les faits d'après l'ordre logique. C'est ainsi que, 1 Mach. 5, les campagnes de Judas Machabée contre les petits peuples païens voisins de la Judée sont réunies comme si elles avaient eu lieu sans interruption, tandis que nous voyons, d'après 2 Mach. 10 et 12, qu'il y eut quelque intervalle entre plusieurs d'entre elles. De même, l'auteur du second livre attribue à la mort d'Antiochus Épiphane (cf. 2 Mach. 9, 1 et ss.), à la première expédition du général syrien Lysias et à d'autres faits encore, une place qu'ils n'eurent pas en réalité. C'est donc à tort qu'on a opposé, ici encore, les deux récits l'un à l'autre, comme s'ils se contredisaient (cf. 2 Mach. 10, 10 et ss. Voyez la note qui précède ce passage). Voici, d'après l'ordre chronologique, un tableau comparatif des principaux faits racontés dans les deux livres des Machabées.
Avant J.-C. |
|
1 Mach. |
2 Mach. |
336-323 |
Règne d'Alexandre le Grand |
1, 1-7 |
|
323-187 |
Les successeurs d'Alexandre jusqu'à Séleucus IV, roi de Syrie |
1, 8-10 |
|
187-176 |
Règne de Séleucus IV; tentative sacrilège d'Héliodore |
|
3, 1-4, 6 |
176-175 |
Avènement d'Antiochus Épiphane |
1, 11 |
4, 7a |
176-171 |
Règne d'Antiochus jusqu'à sa seconde expédition en Égypte |
1, 12-16 |
4, 7b-50 |
171-170 |
Seconde expédition d'Antiochus Épiphane en Égypte |
1, 17-20 |
5, 1-10 |
170 |
Il vient à Jérusalem, massacre les habitants et pille le temple |
1, 21-28 |
5, 11-21 |
170-168 |
Philippe le Phrygien gouverne la Judée avec cruauté |
|
5, 22-23 |
168 |
Nouveau massacre et nouveau pillage à Jérusalem par Apollonius |
1, 29-42 |
5 24-27 |
188-167 |
L'édit d'Antiochus et la persécution religieuse |
1, 43-67 |
6, 1-7, 42 |
167 |
Soulèvement de Mathathias |
11, 1-70 |
|
166-165 |
Premiers exploits de Judas Machabée |
3, 1-26 |
8, 1-7 |
168-165 |
Ses victoires sur Nicanor et Gorgias |
3, 27-4, 27 |
8, 8-36 |
165-164 |
Première expédition de Lysias |
4, 28-35 |
|
165-164 |
Dédicace et purification du temple |
4, 36-59 |
10, 1-9 |
165-164 |
Judas Machabée fortifie Jérusalem et Bethsura |
4, 60-61 |
|
164-163 |
Campagnes de Judas contre les peuples païens voisins de la Judée |
5, 1-68 |
10, 15-38; 12, 3 46 |
164-163 |
Mort d'Antiochus Epiphane; avènement de son fils Eupator |
6, 1-16 |
9, 1-29 |
163 |
Seconde expédition de Lysias en Judée; traité de paix |
|
10, 10-14; 11, 1-38 |
163-162 |
Troisième expédition de Lysias et conclusion d'uue paix plus solide |
6, 17-63 |
13, 1-26 |
162 |
Mort d'Antiochus Eupator, avènement de Démétrius Ier |
7, 1-4 |
14, 1-2 |
162 |
Alcime est élevé au souverain pontificat |
7, 5-25 |
14, 3-14 |
162-161 |
Expédition de Nicanor contre les J ulfs |
7, 26-50 |
14, 15-15, 40 |
161 |
L'ambassade de Judas auprès des Romains |
8, 1-32 |
|
161-160 |
Expédition de Bacchidès en Judée, mort de Judas |
9, 1-22 |
|
160-159 |
Guerre de Bacchidès contre Jonathas, successeur de Judas |
9, 23-57 |
|
158-157 |
Seconde expédition de Bacchidès en Judée |
9, 58-72 |
|
157-152 |
Jonathas gouverne en paix les Juifs |
9, 73 |
|
152-151 |
Guerre civile entre Alexandre Balas et Démétrius Ier |
10, 1-50 |
|
151-150 |
Entrevue de J onathas avec les rois de Syrie et d'Égypte |
10, 51-66 |
|
148-147 |
Démétrius II envoie une armée contre les Juifs |
10, 67-69 |
|
147-146 |
Guerre civile entre Alexandre Balas et Démétrius II |
11, 1-18 |
|
146-145 |
Mort de Balas et avènement de Démétrius, qui honore Jonathas |
11, 19-37 |
|
146-145 |
Guerre civile entre Démétrius II et Tryphon |
11, 38-59 |
|
145 |
Campagne victorieuse de Jonathas contre les partisans de Démétrius |
11, 60-74 |
|
145-144 |
Jonathas envoie des ambassadeurs à Rome et à Sparte |
12, 1-23 |
|
144 |
Diverses campagnes de Jonathas |
12, 24-38 |
|
144 |
Il est fait prisonnier par Tryphon |
12, 39-54 |
|
144-143 |
Mort de Jonathas; son frère Simon lui succède |
13, 1-33 |
|
142 |
Le roi de Syrie reconnait l'indépendance de la Judée |
13, 34-42 |
|
141 |
Simon s'empare de Gazara et de la citadelle de Jérusalem |
13, 43-54 |
|
141-140 |
Expédition de Démétrius II contre les Parthes |
14, 1-3 |
|
140-139 |
Période de paix et de prospérité pour les Juifs |
14, 4·49 |
|
139-138 |
Antiochus Sidétès envahit la Syrie et lutte contre Tryphon |
15, 1-25 |
|
138-137 |
Il viole le pacte conclu avec les Juifs et lance une armée contre eux |
15, 26-16, 10 |
|
136-135 |
Simon meurt assassiné |
16, 11-17 |
|
135-106 |
Gouvernement de Jean Hyrcan |
16, 18-24 |
|
10° Les principaux commentateurs catholiques des livres des Machabées sont: N. Serarius (In sacros divinorum Bibliorum libros Tobiae..., Machabaeorum commentarius, Mayence, 1599), Sanchez (In libros Ruth, Esdrae..., Machabaeorum commentarius, Lyon, 1628), Cornelius a Lapide et Calmet. Voir aussi l'ouvrage si remarquable du P. Patrizi, qui a été plusieurs fois cité dans cette introduction; F. de Saulcy, Histoire des Machabées, Paris, 1880, et Hugo Weiss, Judas Makkabaeus, ein Lebensbild aus den Zetzten grossen Tagen des Israelitischen Volkes, Fribourg-en-Brisgau, 1897.