Bible Fillion

LE LIVRE DE MALACHIE


INTRODUCTION


La personne et l'époque du prophète. — Les renseignements authentiques faisant à peu près complètement défaut au sujet de l'origine et de la vie de Malachie, soit dans son livre, soit dans les autres écrits bibliques, soit dans la tradition, l’opinion se forma de bonne heure que le mot hébreu Mal'âki, « mon messager » (la forme latine Malachias a été formée sur la traduction grecque des Septante, Mαλαχίας), n’était pas son vrai nom, mais une dénomination d’emploi, une sorte d’appellation idéale, attribuée à quelque prophète demeuré inconnu, ou au célèbre Esdras. Ce dernier sentiment était autrefois commun chez les Juifs, comme nous l'apprenons par saint Jérôme, qui l’avait lui-même adopté (voyez sa Praef. In Mal. On lit dans le Targum de Jonathan : « Malachi cujus nomen appellatur Ezra scriba. » 1, 1, les Septante traduisent comme s'il y avait mal'äko, et comme si mal'àk était un nom commun : άγγέλου αύτοΰ : Parole du Seigneur par l'intermédiaire de son ange). Origène et d’autres auteurs anciens ont même cru, sans doute en s’appuyant sur la traduction des Septante, que le dernier des petits prophètes aurait été un ange véritable. Mais ce sont là, ainsi qu’on l’a dit avec beaucoup de justesse, « des subtilités malheureuses, à propos d’un nom qui désigne par hasard l’emploi de celui qui le portait. »

Nous sommes mieux renseignés sur l’époque de Malachie que sur son origine et son histoire. Comme Aggée et Zacharie, il exerça son ministère après l’exil; il fut même le dernier des prophètes de l’Ancien Testament, dont il clôt très noblement la série (c'est pour ce motif que les Juifs l'ont nommé le « sceau des prophètes ». De nos jours, on a dit très gracieusement de lui, dans le même sens, qu' « il est sans doute comme une soirée tardive, qui termine un long jour, mais qu'il est aussi, en même temps, le crépuscule du matin, qui annonce un jour magnifique. »). On le prouve, non seulement par la place assignée à son livre dans le canon biblique (sur cet argument, voyez les pages 259 et 260 du tome 5), et par la tradition, qui est très claire sur ce point, mais encore par ses propres paroles. Au temps de son activité prophètique, les Juifs de Juda avaient à leur tête, non pas un chef indépendant, mais un gouverneur (d'après l'hébreu, un pâhâh. Voyez Agg. 1, 2 et la note), qui dépendait d’une autorité suprême (cf. 1, 8b); or, cette circonstance prouve que c’était encore l’ère de la domination persane. De plus, la reconstruction du temple était un fait accompli (elle fut achevée l'an 516 avant J.-C., la sixième année du règne de Darius, fils d'Hystaspe. Cf. Esdr. 6, 15), et le culte avait été entièrement réorganisé (cf. 1, 10, et 3, 1, 10); ce qui n’était point le cas à l’époque d’Aggée et de Zacharie (voyez les pages 541 et 554). Enfin, il existe une ressemblance si frappante entre la description que Malachie a tracée des défauts de ses coreligionnaires et celle que nous a laissée Néhémie sur le même sujet (comp. Mal. 2, 8 et Neh. 13, 29; Mal. 2, 10-16 et Neh. 13, 23-27; Mal. 3, 8-12 et Neh. 13, 10-12), qu’il paraît évident que ces deux saints personnages étaient contemporains. Nous pouvons préciser davantage encore : comme Néhémie rapporte cette description à la dernière période de son ministère en Judée, c’est-à-dire vers l’an 433 avant J .-C. , il est vraisemblable que telle est aussi la vraie date à laquelle Malachie exerça son rôle et écrivit son petit volume (voyez Neh. 1, 1b; 2, 1; 13, 6 et les notes).

L’état moral des Juifs en Palestine était alors bien loin d’être parfait. Une profonde dépression s’était produite sous ce rapport depuis les jours meilleurs où Aggée et Zacharie promulguaient leurs oracles. Malachie nous montre la nation théocratique mécontente de son Dieu, parce qu’elle trouvait les promesses de prospérité, annoncées par les prophètes précédents, trop lentes à se réaliser. Elle doutait de la bonté et même de la justice de Jéhovah. De là un relâchement considérable dans les mœurs du peuple. Malachie lutta de toutes ses forces contre l’envahissement de cet esprit mauvais (le Talmud le range aussi, avec Aggée et Zacharie, parmi les membres de la grande Synagogue).

Le sujet et la division du livre. — L’oracle de Malachie (l'authenticité n'a pas été attaquée sérieusement, et ne pouvait pas l'être) ne contient qu’un seul discours, remarquable par son unité, et dont le caractère prédominant est le blâme, le reproche. Prenant pour point de départ l’amour paternel du Seigneur envers les Juifs (cf. 1, 2), le prophète décrit la manière dont cet amour a été méprise, outragé, soit par les prêtres, qui se conduisaient à l’autel d’une façon scandaleuse, soit par la masse du peuple, qui transgressait ouvertement la loi. Aussi proclame-t-il bien haut que Jéhovah ne tardera pas à se présenter comme un juge sévère, pour châtier tous les coupables; il est vrai qu’en châtiant il purifiera et qu'il préparera ainsi son peuple toujours aimé à recevoir le Messie (le livre de Malachie contient des prédictions messianiques très importantes. Cf. 1, 10-11; 3, 1; 4, 5-6, voyez le commentaire).

Les interprètes ne sont pas complètement d'accord au sujet de la division du livre de Malachie. Nous avons adopté le sentiment de ceux qui le partagent en deux sections, formant une sorte d’antithèse: 1° Tout a dégénéré dans l'ancienne Alliance (1, 1-2, 17); 2° La nouvelle Alliance, désormais assez prochaine, renouvellera toutes choses (3, 1-4, 6). (pour une analyse plus complète, voyez le commentaire, et notre Biblia sacra, p. 1041-1043. Ceux qui admettent trois parties divisent ainsi le livre : 1, 1-2, 9; 2, 10-16; 2, 17-4, 6)

Comme écrivain, Malachie emploie un langage assez pur, pour l’époque de décadence littéraire où il vivait (l'absence à peu près complète d'aramaïsmes s'explique fort bien, puisque l'hébreu était alors une langue morte, qui ne pouvait plus se corrompre par l'usage). ll ne manque ni de force, ni de grandeur, ni d’originalité. Ce qui le caractérise sous le rapport du style, c’est qu’il n’adopte pas, comme d’autres prophètes, tels qu’Isaïe, Ézéchiel, Osée, Nahum, Habacuc, tantôt le genre du poète, tantôt celui de l’orateur; son genre à lui, c’est de discuter avec calme et d’être dialecticien. Il pose une question, écoute l’objection, répond à celle-ci, toujours avec beaucoup de vie (cf. 1, 2-3, 6-9, 13; 2, 10, 14-15, 17; 3, 2, 7-8; 13-14, etc.). Bref, comme l’écrivait naguère un exégète de l’école rationaliste, le livre de Malachie est « remarquable quant à la forme et quant au sujet. »