Bible Fillion

LA PROPHÉTIE D ’OSÉE


(voyez, aux pages 259 et 260 du tome 5, quelques idées générales sur le nombre, l'ordre canonique et la classification chronologique des écrits des Petits Prophètes. Les meilleurs commentateurs catholiques de ces oracles souvent difficiles sont : dans l'antiquité, Théodoret de Cyr (Enarrationes in duodecim Prophetas) et saint Jérôme (Commentaria in Prophetas minores); aux temps modernes, F. Ribera (In librum duodecim Prophetarum commentarii, Anvers, 1571), Sanchez (Comment. In Prophetas minores et Baruch, Lyon, 1621); de nos jours, P.F. Ackermann (Prophetae minores perpetua annotatione illustrati, Vienne, 1830), P. Schegg (Die kleinen Propheten übersetzt und erklaert, Ratisbonne, 1854), Knabenbauer (Commentarius in duodecim Prophetas minores, Paris, 1887). Pour les passages messianiques, voyez L.Reinke, Die messianischen Weissagungen bei den grossen und kleinen propheten des A. T., t. 4 et 5, Giessen, 1861-1862) .


Le nom, la patrie et l'époque d’Osée. — Son nom hébreu était Hôšéa', Sauveur (selon d'autres, salut; le concret pour l'abstrait). Les Septante l’ont transformé en Ώσηέ, et de là vient la forme latine , « Osee ». On ne sait absolument rien de son père Beéri; rien non plus de son histoire personnelle, à part les rares détails qu’il raconte lui-même au début de son livre.

D’après une ancienne tradition, il aurait appartenu à la tribu d’Issachar (saint Jérôme, in Os., 1, 1 le fait naître à Bethsamès, ville de cette tribu, mentionnée au livre de Josué, 19, 22; mais saint Isidore de Séville, de Vita et obit. Sanct., 41, 3, lui donne pour berceau une autre localité demeurée inconnue, qu'il nomme Bélémoth, pareillement située sur le territoire d'Issachar). L’étude attentive de ses prophéties rend à peu près certaine l'opinion d’après laquelle il aurait fait partie du royaume des dix tribus. En effet, l° son style a parfois une saveur araméenne, qui rappelle le langage de la Palestine du nord. C'est ainsi qu’il emploie le sîn () ou le samech (), au lieu du schîn () (cf. 2, 8; 8, 4; 9, 12, et Jud. 12, 6, et le commentaire); la simple aspiration aleph (), au lieu du () (cf. 13, 15); la forme causative tiphil, au lieu de l'hiphil accoutumé (cf. 16, 3 : tirgalti); qimôš, pour qinôš (cf. 6, 9), etc. 2° La manière dont il parle de diverses localités du royaume d’Israël montre que la topographie de cette contrée lui était familière. Cf. 5, 1; 6, 8-9; 12, 11 et ss; 14, 5-6, etc. 3° Pour lui, le royaume du nord est « le pays » par antonomase (cf. 1, 2); et, trait qui est encore plus caractéristique, il nomme le roi d’Israël « notre roi » (cf. 7, 5). Par contre, il ne fait aucune mention directe ni de Jérusalem, ni de ses rois, ni du temple; celles de ses allusions qui concernent le royaume de Juda sont présentées de telle sorte, que 1’on sent, en les lisant, que ce pays lui était étranger (elles sont généralement brèves et rapides. Cf. 1, 7; 4, 15; 5, 5; 6, 11; 10, 11; 11, 12; 12, 2). « Tout le long (du livre) nous voyons que l’Israël des dix tribus est à la fois la patrie chère au prophète et la sphère propre de son activité. »

Dès les premières lignes de son petit volume (1, 1), Osée désigne lui-même la date générale de son ministère prophétique, qu’il exerça, d’une part, sous les· quatre rois de Juda : Ozias (811-758 av. J .-C.), Joathan (758-743), Achaz (743-727), et Ézéchias (727-698); d’autre part, au temps de Jéroboam II, roi d’Israël (825-784). On croit communément qu’il inaugura sa mission vers la fin du règne de ce dernier prince, et qu’il l’acheva au commencement du règne d’Ezéchias: ce qui fait une durée d’environ soixante ans, pendant lesquels Osée vit passer les divers rois qui se succédèrent rapidement sur le trône d'Israël, au milieu d'une « effroyable anarchie », aussitôt après la mort de Jéroboam II (cf. 4 Reg.15, 8-31). Osée fut donc contemporain d’Amos, d'Isaïe (cf. Is. 1, 1) et de Michée (cf. Mich. 1, 1); mais Amos ne prophétisa pas au delà du règne d’Ozias (cf. Am. 1, 1), et, de plus, il écrivit certainement avant notre auteur, qui lui fait plusieurs emprunts (cf. Os. 4, 15, et Am. 5, 8; Os. 8, 14, et Am. 1, 4, 7; Os. 11, 10, et Am. 1, 2; Os. 4, 5; 5, 8; 10, 5, et Am. 5, 5). Osée reprend, pour ainsi dire, le fil prophétique à l’endroit même où Amos l’avait laissé, et il le conduit jusqu’à la ruine du royaume d’Israël.

Le sujet et la division du livre d’Osée. — C’est le royaume schismatique d’Israël qui est l’objectif immédiat, principal, presque unique, de cet écrit. Durant la longue période de l'activité prophétique d’Osée, « la condition religieuse et morale de ce royaume rendit constamment nécessaires les mêmes reproches; c’est pour cela que l’on entend, à travers le livre entier, l’accent uniforme du reproche et de l’exhortation au sujet de l’idolâtrie, de l’injustice, des agissements antithéocratiques, comme aussi l’accent de la menace. » Toutefois les promesses ne manquent pas non plus; elles se montrent très nettes, et relativement fréquentes, à côté des plaintes et des objurgations sévères. L’on a remarqué, de nos jours surtout, que ces menaces terribles et ces promesses consolantes s’appuient sur une base identique, que le prophète Osée a la gloire d’avoir mise très spécialement en relief, à savoir: l’amour de Jéhovah pour son peuple; l’amour outragé, saintement jaloux, qui s’irrite et se venge; l’amour, malgré tout, qui pardonne et qui sauve. Telle est « la note dominante de la plaidoirie d’Osée » (on l'a nommé, à ce point de vue, « le prophète des peines tragiques de l'amour »).

Il est de toute évidence que nous n’avons, dans ces quelques pages, qu’un résumé très concis des oracles d’Osée; mais ce résumé nous donne fort bien l’idée de ce qu’était sa parole. Notre écrivain sacré, en rédigeant son livre vers la fin de sa vie, l’a divisé en deux parties, dont chacune exprime des pensées analogues, mais sous une forme extérieure très diverse. Dans la première partie, qu’on peut appeler le livre des symboles (1, 1-3, 5), le prophète raconte et explique deux actions figuratives (la première, dans les chap. 1 et 2; la seconde, au chap. 3), extraordinairement « énergiques et saisissantes » , qui prédisent au royaume d’Israël les malheurs que lui attireront ses infidélités envers le Seigneur. La seconde partie (4, 1-14, 10) contient deux discours prophétiques (le premier, 4, 1-11, 11; le second, 11, 12-14, 10. Les commentateurs ne sont pas complètement d'accord au sujet de cette subdivision, car le second livre « forme une suite continue, sans points d'arrêt bien marqués »; du moins, nous la croyons préférable à toutes les autres qui ont été proposées), dans lesquels Osée blâme vertement les crimes de ses concitoyens, et leur annonce les terribles représailles du Seigneur : c’est le livre des discours, qui se termine, comme le premier, par de belles promesses d’avenir. Le fond des pensées et le sens général sont « essentiellement les mêmes » dans les deux discours. Chacun d’eux se compose de ce triple élément : les reproches, les menaces, les promesses (pour une analyse plus complète, voyez notre Biblia sacra, p. 996-1003).

La première partie est certainement la plus ancienne des deux: elle date du règne de Jéroboam II, puisque le trône est encore occupé par un membre de la famille de Jéhu (cf. 1, 4), et qu’une grande prospérité matérielle règne dans le pays (cf. 2, 5, 11-12), ce qui cessa d’être vrai sous les princes suivants. Le passage 7, 7, paraît indiquer l’époque de Manahem (vers 770. voyez le commentaire). Ce qui est dit 13, 11 , se rapporte probablement au dernier roi d'Israël, également nommé Osée (vers 730. Comp. Aussi 12, 1 et 4 Reg. 17, 4. Osée seul est mentionné, parmi les rois d'Israël, comme ayant recherché l'alliance avec l'Égypte.) Notre prophète paraît donc s’être conformé à1’ordre chronologique, lorsqu'il condensa le livre de ses oracles.

Osée envisagé comme écrivain et comme prophète. — « Saint Jérôme a caractérisé le style d’Osée en disant de lui : Commaticus est, et quasi per sententias loquens (Praef. In duodecim Prophetas). Ce jugement est très juste. Profondément pénétré des iniquités de son peuple, Osée s’exprime par phrases coupées et brisées; les propositions ne sont pas reliées entre elles, les images se précipitent et s’accumulent; son langage ressemble à un torrent impétueux. Le prophète a cependant un cœur brûlant d’amour pour ses frères, et plein de confiance en la bonté et la miséricorde de Dieu : ce contraste entre l’indignation que lui causent les péchés d’Israël et l’espérance que lui donne l’affection paternelle de Dieu pour les péchés de Jacob, est la source des plus grandes beautés de son livre. » Manuel biblique, t. 2, n. 1067. « On peut affirmer à bon droit qu'Osée et Joël sont, parmi les plus anciens prophètes, les deux plus grands poètes, chacun à sa manière. Osée a une imagination vive et riche; son langage est plein d'énergie, et aussi de tendresse et de chaleur, malgré quelques images fortes, fruits de sa hardiesse et de son originalité poétiques, et témoins de la simplicité des mœurs de son temps. Tout en lui est original, … remarquable par la force de la pensée et la beauté de l'expression. » Ewald, cité par M. Vigouroux, l.c.) Osée est donc, en tant qu’écrivain, « un homme d’émotion plutôt que de logique » et il contraste, sous ce rapport, avec son contemporain Amos, « le prophète de l’argumentation bien agencée. » Ce va-et-vient perpétuel des pensées, ce brusque passage d’une image à une autre, joints à une grande concision dans l'expression, le rendent difficile à interpréter.

Envisagé au point de vue des oracles qu’il contient, le livre d’Osée a une importance particulière. Bien qu’il ne prédise qu’un seul fait de la vie du Christ, et cela d’une manière typique, indirecte (cf. 11, 1 et le commentaire), il annonce du moins très clairement que le Messie devait naître de David (cf. 3, 3 et ss.), et il trace un admirable tableau du bonheur des temps messianiques (14, 1 et ss.; cf. 2, 1-3, 16 et ss., etc.). Le Nouveau Testament le cite jusqu’à neuf fois, ce qui est beaucoup pour des pages si courtes (cf. Os. 1, 10; 2, 23; et Rom. 9, 25-26; 1 Petr. 2, 10; Os. 6, 1 et 1 Cor. 15, 4; Os. 6, 6 et Matth. 9, 13; 12, 7; Os. 10, 8 et Luc. 23, 30; Apoc. 6, 16; Os. 11, 1 et Matth. 2, 15; Os. 14, 3 et Hebr. 13, 15). Jérémie y fait de fréquentes allusions (cf. Os.1, 2 et Jer. 3, 6, 8; Os. 1, 11 et Jer. 3, 18; Os. 2, 24 et Jer. 3, 19; Os. 3, 5 et Jer. 30, 9; Os. 4, 2 et Jer. 7, 9; Os. 8, 13; 9, 9 et Jer. 14, 10, etc.). Osée complète singulièrement, par le portrait moral si désolant qu’il nous a laissé de son époque, les courtes notices du 4ème livre des Rois (cf. 4 Reg. 14, 23-29; 15, 8-31; 17, 1-6.).

4° L'authenticité du livre d’Osée est tellement évidente, qu’elle est admise presque unanimement, même par l’école rationaliste. En effet, des descriptions si vivantes, si caractéristiques, ne peuvent dater que du temps auquel elles se rapportent; elles sont le fruit immédiat des circonstances douloureuses qu’elles peignent en termes si émus. Un témoin oculaire était seul capable de tenir un pareil langage. En outre, les allusions faites de temps en temps à l’histoire contemporaine nous conduisent à la même conclusion, car elles supposent récents, et connus de tous, les événements qu’elles signalent parfois sans la moindre explication (voyez, entre autres passages, 5, 13 et 10, 6). Or, on ne voit guère à quel écrivain on pourrait attribuer tout cela, sinon à celui qu’une constante tradition et que le livre lui-même (cf. 1, 1; 3, 1 etc) désignent très clairement comme l’auteur. « Le résumé de ce qui avait été prêché pendant une période de cinquante ans (au moins) put à peine être entrepris par un autre que par le prédicateur lui-même, surtout, comme c’est ici le cas, lorsque ce résumé porte le sceau d’un caractère si individuel » (pour les commentaires catholiques, voyez la liste placée à la p. 339, à laquelle il faut ajouter, en ce qui concerne spécialement Osée, A.Scholz, Kommentar zum Buche des Propheten Hoseas, Wurtzbourg, 1882.).