Bible Fillion

LE LIVRE DE TOBIE


INTRODUCTION


Le nom, le sujet, la division. — Le nom est celui des deux héros du livre, qui en furent vraisemblablement aussi les auteurs (voyez plus bas, p.334, au 3°.). Le titre varie néanmoins légèrement dans les différentes versions. En grec: Βίβλος λόγων Τοβίτ (ou Τοβείτ), parfois simplement Τοβίτ. Dans la Peschito syriaque : Liber rerum Tobit. Dans les traductions latines: Liber Tobiae, ou Tobias, ou Tobit et Tobias (sur cette différence de noms, voyez 1, 1 et le commentaire), ou, ce qu’il y a de meilleur peut-être, Liber utriusque Tobiae.

Le sujet, charmant et populaire, est bien connu : c’est l’histoire des deux Tobie et des merveilleuses bontés du Seigneur à leur égard. Le père, si saint, si éprouvé, si patient, si récompensé; le fils, bien saint aussi, qui sert d’instrument à Dieu pour faire cesser les malheurs soit de son père, soit de sa cousine Sara, et qui est lui-même étonnamment béni. Tout se résume en ces quelques mots.

La division peut être différemment présentée. Par exemple, « six sections formant autant de tableaux : 1° Vertus et épreuves de Tobie, 1, 1-3, 6; 2° Vertus et épreuves de Sara, 3, 7-23; 3° Voyage du jeune Tobie en Médie, 3, 24-6, 9; 4° Son mariage avec Sara, 6, 10-9, 12; 5° Son retour à Ninive, 10, 1-11, 21; 6° Conclusion: manifestation de l'ange Raphaël, dernières années de Tobie, 12, 1-14, 17 (Manuel biblique, t. 2, n. 527). » Nous avons adopté le partage suivant : deux parties, dont la première, 1, 1-3, 25, sert d’introduction au reste du livre, en décrivant, dès l'abord, les épreuves si cruelles de Tobie et de Sara; la seconde, 4, 1-14, 17, raconte la façon toute providentielle dont Dieu mit fin à ces épreuves par l’intermédiaire du jeune Tobie. Pour les subdivisions de ces deux parties, nous , admettons les sections ou tableaux qui viennent d’être indiqués (voyez le commentaire, et notre Biblia sacra, p. 468-478). Il est certain que ce petit livre « forme un tout parfaitement coordonné, et disposé avec un art admirable (Man. Bibl., 1. c.) ».

Le but du livre de Tobie et son utilité. — On peut distinguer le but principal et le but secondaire. La fin principale du livre est évidemment de démontrer que Dieu met parfois les justes, dans le creuset de l’épreuve, mais qu’il transforme ensuite leurs maux en toute sorte d’avantages, même temporels, quand ils ont fait preuve de constance et de fidélité. Sous ce rapport, le livre de Tobie ne diffère de celui de Job que par la forme (Comp. 2, 12 et ss. « Le livre de Tobie nous offre un tableau intime des vertus, des souffrances et des joies de l'exil de Tobie. Ce n'est pas le froid récit d'évènements fortuitement rapprochés mais le tableau plein de simplicité et de grandeur des épreuves d'un homme juste et miséricordieux. Tobie est un second Job. » Haneberg, Histoire de la révélation biblique, t.2, p. 92 de la traduction française). De part et d’autre, c’est une justification de la Providence divine; « mais, dans Job, le problème du mal est discuté théoriquement, ici il est résolu, pour ainsi dire, en action, par les incidents de la vie vulgaire (Man. Bibl., t. 2, n. 534). »

Le but secondaire est de fournir « un parfait modèle de la vie domestique ». A ce titre notre livre a été justement appelé « le manuel des époux ». En effet, « l'exemple du jeune Tobie montre comment doivent se contracter et se célébrer les unions agréables à Dieu. L’humanité, l’amour paternel, la piété filiale, la douceur et la probité des deux Tobie sont le développement de la pensée fondamentale... Ainsi, ce livre devient le livre élémentaire des parents qui veulent fonder une famille agréable à Dieu, et marcher courageusement au-devant des épreuves de la vie (Haneberg, l. c.). »

Il abonde donc en nombreux enseignements moraux, qui ne le rendent pas moins utile qu’intéressant. Au point de vue historique, il nous fournit de très précieux détails sur la vie de famille chez les Hébreux et sur la situation des Israélites déportés en Assyrie. Son importance n’est pas moindre pour le dogme, puisqu’il développe notablement ce que nous avions appris jusque-là dans l’Ancien Testament sur l'existence et le rôle des anges, bons ou mauvais, et en particulier sur les anges gardiens. Il ouvre enfin, dans le beau cantique du chap. 13, de grandioses perspectives messianiques.

L'auteur et l'époque. — Dans le texte grec et la plupart des autres anciennes versions Tobie l’ancien est mis directement en scène et parle à la première personne aux premières pages du livre (1, 2b-3, 6) (« Moi, Tobie, je marchais tous les jours de ma vie dans les voies de la vérité et de la justice, et je faisais de nombreuses aumônes à mes frères, » etc.). De plus, dans ce même texte grec, il est dit formellement, 12, 20, que l’ange Raphaël, avant de remonter au ciel engagea les deux Tobie à écrire le récit des merveilles dont ils avaient été l’objet: γράψατε πάντα τά συντελεσθέντα είς βιβλίον (« Écrivez dans un livre tout ce qui s'est accompli « . La Vulgate dit narrate, au lieu de γράψατε). Or il est tout naturel de supposer que cette recommandation fut religieusement exécutée; les éditions grecques l'insinuent même, en ajoutant, 13, 1 , que « Tobie écrivit une prière de louange », c’est-à-dire son beau cantique, ce qui implique qu’il joignit au chant d’action de grâces la narration des faits qui l'avaient occasionné (l'absence de ces détails dans la Vulgate n'enlève rien de leur importance à ces renseignements, car notre version latine abrège souvent, comme il sera dit plus bas.). Les exégètes catholiques anciens et modernes, s’appuyant sur ces données, ont admis pour la plupart que les deux Tobie sont les auteurs, en même temps que les héros, du livre qui porte leur nom, et ce sentiment n’a rien que de très vraisemblable, d’autant mieux qu’à tout instant de minutieux détails révèlent le témoin oculaire. A coup sûr, il faut faire exception pour les deux derniers versets 14 16-17 qui racontent la mort du jeune Tobie et qui furent ajoutés par quelqu’un de ses enfants.

L’époque de la composition du livre se trouve déterminée par là même; il remonte aux premiers temps de la déportation des Israélites du Nord en Assyrie, puisque Tobie paraît avoir vécu sous le règne de Salmanasar (voyez 1, 2, et le commentaire), vers la fin du 8ème siècle avant J.-C.

Caractère historique du livre. —- On le nie hautement dans le camp rationaliste, en réalité à cause des miracles qu’il raconte en si grand nombre. La plupart des commentateurs protestants adoptent cette même opinion, quoique en alléguant d’autres motifs, et ne voient dans le livre de Tobie qu'une fiction, qu’un pieux roman.

L’objection tirée des miracles ne prouve absolument rien. Les autres seraient plus sérieuses si elles étaient fondées; mais elles ne sont qu’apparentes et futiles: · qu'il suffise de les indiquer ici, car la réfutation sera plus claire et mieux à sa place dans le commentaire.

Le livre de Tobie contiendrait des erreurs géographiques. Ainsi la ville de Rages ne fut bâtie, d’après Strabon (Geogr., 11, 12, 6), que par Séleucus Nicator; elle ne peut donc avoir existé au temps de Salmanasar. De plus cette même ville est donnée, 3, 7, comme la résidence de Sara, tandis que, plus loin (9, 6), Azarias est envoyé du lieu qu’habitait Sara à Ragès (voyez la note de 3, 7).

Le livre de Tobie contiendrait des erreurs historiques. 1° D’après 1, 18, Sennachérib serait fils de Salmanasar; ce qui est faux, puisqu’il était fils de Sargon (voyez la note de ce passage). 2° Il est affirmé, 1, 2, que Tobie, qui appartenait à la tribu de Nephthali, fut déporté par Salmanasar, tandis que, d’après 4 Reg. 15, 29, c’est Théglathphalasar qui emmena cette tribu en captivité (voyez la note de 1, 2).

Le livre de Tobie contiendrait des erreurs dogmatiques, dans ses assertions relatives soit à l’ange Raphaël, soit au démon Asmodée. Mais, quand on examine de prés les choses sans idée préconçue, l’on voit que ces assertions sont en parfaite conformité avec les autres passages de la Bible où il est question des bons et des mauvais anges, et que, si elles ajoutent quelques traits nouveaux, cela a lieu d’après le développement progressif de la révélation d’un livre à l’autre de l’Ancien Testament.

Le livre de Tobie contiendrait des détails, contraires à la saine morale, notamment le « mensonge » de l’ange ,(5, 18), des dires exagérés sur l’aumône (4, ll.), etc.

Preuves bien faibles, auxquelles nous opposons les détails généalogiques (voyez 1, 1 et 2, 22 dans le texte grec), historiques (Cf. 1, 2, 5, 18, 24; 13, 11; 14, 6), géographiques, chronologiques, par lesquels le livre de Tobie se présente lui-même à nous comme une réalité vécue, comme une série d’événements objectifs, comme l’opposé de la fiction et de l’allégorie.

5° La canonicité du livre de Tobie a été définie successivement par les conciles de Trente (Sess. 4) et du Vatican (Sess. 3, cap. 2), et elle s’appuie sur une tradition irrécusable. Ce petit volume manque, il est vrai, dans la Bible hébraïque, et c’est pourquoi on le range parmi les écrits deutérocanoniques (voyez le tome 1, p. 13, et le Man. Bibl., t.1, n. 30); mais il était admis quand même par les Juifs, puisqu’on le trouve dans la traduction des Septante, et que les rabbins le citent volontiers (surtout dans le Midraš Bešit) .'Du reste, c’est des mains des Juifs que l’Église chrétienne l’a reçu, et l’on ne comprend pas que les protestants le rejettent comme apocryphe, dès lors que de nombreux Pères le mentionnent ouvertement comme un livre inspiré, faisant partie intégrante de la Bible (voyez le Man. Bibl., t. 1, nn. 31-33). Nous pouvons tirer un argument semblable des fresques des catacombes, qui reproduisent presque en entier l'histoire de Tobie. « Ces représentations, si souvent répétées dans la primitive Église alors que rien ne se faisait en ce genre, soit dans les cimetières, soit dans les basiliques, sans l’autorité des pasteurs, prouvent jusqu’à l'évidence que le livre de Tobie fut dès les premiers temps placé dans le canon des Livres saints (Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2è édition, p. 761). »

Texte primitif et traductions. — Saint Jérôme, dans sa Praefatio in Tobiam, a écrit ces mots : librum sermone chaldaeo conscriptum; d'où l’on a conclu parfois que le livre de Tobie avait été écrit primitivement en chaldéen. Mais le saint docteur voulait dire seulement qu’il avait fait sa traduction sur un texte chaldéen. Aujourd’hui, l’on admet communément, et il est à peu près certain que la langue originale fut l'hébreu (l'opinion d'après laquelle le livre de Tobie aurait été composé en grec mérite à peine d'être mentionnée).

Ce texte primitif est depuis longtemps perdu (les deux textes hébreux que l'on possède sont des traductions, dont la plus ancienne paraît dater du 5ème siècle après J.C.), et les différentes versions anciennes qui en existent diffèrent tellement les unes des autres, qu’il est assez souvent impossible à la critique de reconstituer la leçon originale. Les traducteurs ont agi avec beaucoup de liberté : tel détail contenu dans la version grecque est omis par la Vulgate, ou réciproquement; le même nom propre revêt les formes les plus multiples, etc. Mais hâtons-nous de dire que ces variantes n’atteignent que la surface, et nullement le fond du livre, qui est partout identiquement le même.

Parmi ces traductions, signalons la syriaque, l’italique, l'arménienne, la chaldéenne, mais surtout la grecque des Septante (il en existe trois recensions principales, qui correspondent à d'anciens manuscrits : le Codex Vaticanus, le Sinaiticus et l'Alexandrinus. Voyez le Man. Bibl. , t.2, n. 523), et celle de saint Jérôme, que la Vulgate nous a transmise. Quoique cette dernière semble avoir fréquemment abrégé et résumé le texte original, c’est elle peut-être qui s'en rapproche le plus, et on la regarde comme excellente à tous les points de vue.

Ouvrages à consulter. - N. Serarius, In libros Tobiam, Judith, Esther, Machabaeos, Mayence, 1599; F. Justinianus, Tobias explanationibus historicis et documentis moralibus illustratus, Rome, 1620; G. Sanctius, In libros Ruth, Esdrae, Nehemiae, Tobiae, etc., Lyon, 1628; l’abbé Gillet, Tobie, Judith et Esther, Paris, 1879. Pour les questions d'introduction, voyez Cornely, Historica et critica Introductio in utriusque Testamenti libros sacros, t. 2, pp. 370 et suiv.