S. Matthieu, que le témoignage unanime de la tradition (voir le § suivant) désigne comme l’auteur du premier Évangile, était probablement originaire de la province de Galilée (un ancien manuscrit parisien l'affirme comme un fait certain. Cf Coteler., Patr. Apostol. 1, 272), de même que la plupart des autres apôtres. Nous ne savons que très-peu des chose sur sa personne et sur sa vie. D’après S. Marc, 2, 14, il était fils d’Alphée (une ancienne légende mentionnée par Winer, Bibl. Realwoerterbuch, s. v. Matthaeus, nomme son père Rucus et sa mère Chirotia) ; d’où l’on a parfois conclu qu’il était frère de S. Jacques-le-Mineur (c'est l'opinion d'Euthymius Zigabenus, de Grotius, de Paulus, de Bretschneider, de Credner, de Doddrige, d'Alford, etc.), les Évangélistes nous présentant également cet apôtre comme un fils d’Alphée. Cf. Matth. 10, 3; Marc. 3,18; Luc 6, 15. Mais cette hypothèse est à bon droit rejetée par la plupart des exégètes. En effet, une simple ressemblance de nom est loin de suffire pour créer des relations si étroites, surtout lorsqu’il s’agit d’un nom très commun, tel qu’était alors celui d’Alphée chez les Juifs de Palestine. Au reste, ni l’Évangile, ni la tradition ne comptent S. Matthieu parmi les parents de Notre-Seigneur Jésus-Christ; et pourtant il eût été frère de Jésus dans le cas ou son père n’eût pas différé d'Alphée, père de S. Jacques (voir Matth. 13, 55-56 et l'explication. Cf. Winer, Bibl. Realwoerterbuch, s. v. Alphaeus.). Nulle part non plus nous ne voyons son nom rapproché de celui de S. Jacques-le-Mineur.
Matthieu est un nom d’origine hébraïque. Sa prononciation juive était Mattaï,
םתי. Les Grecs, en y ajoutant une désinence masculine, l’ont transformé en Ματθαῖος (telle est l'orthographe la plus habituelle. Plusieurs critiques, s'appuyant sur les manuscrits B. et D. etc., écrivent Μαθθαῖος), d'où les Latins ont fait Matthaeus. Il signifie " don du Seigneur " et correspond par conséquent à Théodore ou Dieu-donné (comparez Matth. 19, 9 et ss. Avec le commentaire). L’auteur du premier Évangile ne se donne nulle part d’autre nom, et cependant, les récits parallèles de S. Marc, 2, 14 et ss. (voir le commentaire) et de S. Luc, 5, 27 et ss., nous apprennent qu’il avait porté celui de Lévi avant de s'appeler Matthieu. Les rationalistes, il est vrai, prétendent trouver dans cette divergence des récits une contradiction manifeste; d’autres commentateurs (dans les temps anciens, Héracléon, cité par Clément d'Alexandrie, Stromat. 4, 9. Origène, c. Cels, 1, 69, que l'on donne habituellement comme un adversaire de l'identité de Lévi et de S. Matthieu, la soutient au contraire ; cf. de Valroger, Introduction hist. et crit. aux livres du N. T. t. 2 p. 21. Dans les temps modernes, Grotius, annotat. In Matth. 9, 9 ; Sieffert, Ursprung des erst. Evang., Koenigsberg, 1832 p. 59 ; Michaelis, Einleitung, t. 2n. 935 ; Frisch, Dissertat. De Levi cum Matth. non confundendo, Lips, 1746) supposent que Lévi et Matthieu étaient deux personnages distincts. Mais nous n’aurons pas de peine à prouver, quand nous étudierons le fait de la conversion de S. Matthieu, d’après S. Matthieu lui-même, que ce sont là des suppositions entièrement gratuites. Comme S. Pierre, comme S. Paul, comme S. Marc, S. Matthieu aura eu successivement deux noms qui ont marqué deux périodes toute différentes de sa vie. Juif, il s’appelait Lévi ; chrétien et apôtre, il devint S. Matthieu. De même que S. Paul ne mentionne nulle part dans ses Epîtres le nom israélite qu’il avait reçu à la circoncision, de méme le premier Évangéliste se désigne seulement par son nom chrétien. Il le prend par anticipation, même avant de devenir l’Apôtre de Jésus. Les deux autres synoptiques, dont l’exactitude historique est d’ordinaire plus rigoureuse, distinguent au contraire entre la première et la seconde appellation.Avant d’entendre l’appel de Jésus, Matthieu ou Lévi exerçait la fonction de publicain, c’est-à-dire de collecteur d’impôts. Cf. Matth. 9, 9 et les passages parallèles. Cet office, que les Romains regardaient comme un déshonneur (cf l'explication de Matth. 5, 46), les Juifs comme un affreux péché qui méritait l’excommunication(cf. Ibid. et 9, 10-11 ; 11, 19 ; 18, 17 ; 21, 32), semble lui avoir procuré une certaine aisance; témoin le somptueux festin que nous lui verrons donner au Sauveur après sa conversion. Il avait sa résidence à Capharnaüm (Matth. 9, 1.7.9 ; Marc. 2 1-43), son bureau tout auprès du lac de Tibériade (Marc. 2 13-14).
On connaît les touchantes circonstances qui firent du publicain décrié un des premiers disciples de Jésus. Si le divin Maître manifesta l’immensité de son amour et de sa miséricorde en appelant Lévi à sa suite, celui-ci se montra digne d'un tel choix par la promptitude et par la générosité de sa correspondance à la grâce. Il semble avoir été le septième apôtre d'après l’ordre de la vocation; Cf. Joan. 1, 37-51 ; Matth. 4, 18-22. C’est le rang que S. Marc, 3, 18, et S. Luc, 6,15; Cf. Act. 1, 13, lui assignent dans leurs listes. Quant à lui, il ne prend que le huitième et se place après S. Thomas. Cf. Matth.,10, 3.
Il n’est plus question de lui dans l’Évangile à partir de sa vocation à l'Apostolat. Son nom revient pourtant une dernière fois dans les écrits du Nouveau Testament à l'occasion de la descente du S. Esprit et de l’élection de S. Mathias. Que devint-il ensuite? Dans quelles contrées alla-t-il prêcher la bonne nouvelle? Les renseignements de la tradition sur ces deux points sont peu nombreux, incertains et parfois même contradictoires. D’après les. témoignages de Clément d’Alexandrie (Stromat. 6) et d’Eusèbe (Hist. Eccles. 3, 24 ; cf. Iren. Adv. Haer. 3, 1, 1), il serait d’abord demeuré quelque temps à Jérusalem : ce n’est
que douze ou quinze ans après la Pentecôte qu’il se serait dirigé ἐφ'ἑτέρους. Les autres écrivains ecclésiastiques des premiers siècles lui font exercer son apostolat tantôt en Macédoine (Isidor. Hispal., de vita et morte sanctorum, c. 67), tantôt en Arabie, en Syrie, en Perse, dans le pays des Mèdes (cf. Cave, Antiq. apost., p. 553 et ss.), tantôt en Ethiopie (Rufin, Hist. Eccl. 10, 9 ; Socrate, Hist. Eccl. 1, 19).Il règne une incertitude semblable relativement à sa mort. Tandis qu’Heracléon (Ap. Clem. Alex., Stromat. 4, 9) le fait mourir d’une manière naturelle, d’autres assurent qu’il termina glorieusement ses jours par le martyre (cf. Nicéphor. Hist. Eccl. 2, 41). L’Église s’est décidée en faveur de cette seconde opinion (Breviar. Rom. 21 sept. ; Cf. Martyrol. rom., ead. die. L'ouvrage apocryphe publié par Tischendorf sous ce titre : " Actes et martyre de S. Matthieu
" est sans aucune valeur). Les Latins célèbrent la fête de S. Matthieu le 21 septembre, les Grecs le 16 décembre.
On a eu quelquefois recours à des preuves intrinsèques pour démontrer que S. Matthieu est réellement l’auteur de l’Évangile qui porte son nom. Les suivantes surtout ont été assez fréquemment alléguées. 1°S. Luc, 5, 29, raconte que Lévi, aussitôt après sa vocation à l'apostolat, donna un grand festin en l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; le premier Évangile mentionne ce repas, 9, 9 et suiv., mais sans désigner l’amphytrion. 2° S. Luc et S. Marc, comme il a été dit plus haut (voir le § 1), placent S. Matthieu au septième rang parmi les Apôtres; l’auteur du premier Évangile ne lui donne que le huitième. 3° Cet auteur est le seul qui ajoute au nom de S. Matthieu, dans sa liste des Apôtres, l’épithète humiliante de publicain. Ces détails minutieux, qui attiraient déjà l’attention d’Eusèbe et de S. Jérôme (voyez Patritii, de Evangeliis libri tres, Fribourg, p. 4 et suiv.), ont certainement leur force probante; mais il est bien évident qu’ils sont loin de suffire pour démontrer l’authenticité du premier Évangile. Nous ne les signalons donc qu’à titre de simple confirmatur. Les vrais arguments, quand il s’agit de prouver qu'un livre est authentique, ont toujours été et seront toujours les arguments d’autorité, ou les preuves extrinsèques. C’est donc spécialement sur ce genre de preuves que nous allons nous appuyer pour soutenir que l’Évangile dit de S. Matthieu est authentique sous sa forme actuelle.
Nous distinguerons, pour plus de clarté, les témoignages des écrivains orthodoxes, ceux des écrivains hétérodoxes, enfin le témoignage des Évangiles apocryphes.
1. Les témoignages des écrivains catholiques sont tantôt directs, tantôt indirects; directs quand ils affirment positivement que S. Matthieu a composé la première des quatre rédactions évangéliques; indirects quand ils se bornent à citer quelques passages de cette rédaction en leur attribuant
la valeur de textes évangéliques.1° Témoignages directs. — Le plus ancien est celui de Papias, disciple de S. Jean (S. Iren. Adv. haer. 5, 33, 4 ; Hieron. de Viris illustr. 100 18), mort l’an 130 de l’ère chrétienne. Ce saint évêque, dans un
ouvrage intitulé Λογίων ϰυριαϰῶν ἐξηγήσεις, dont l’historien Eusèbe nous a conservé quelques fragments (Hist. Eccles. 3, 39), assure que S. Matthieu a exposé les λογία, c’est-à-dire 1’histoire de Jésus (Ματθαῖος μὲν οῦν ἑβραἱδι διαλέϰτω τὰ λογία διετάξατο, ἡρμήνεῦσε δ' αὐτὰ ὠς ἠν δυνατὁς εϰαστος. Tel est le passage complet. On a vivement discuté sur le sens de λογία. Il est faux que ce mot désigne simplement, comme le prétendent les rationaliste, les paroles et les discours du Sauveur. " Ce qui prouve que pour Papias, les λογία de S. Matthieu n'excluaient point la relation des faits, c'est que lui-même avait intitulé son ouvrage Commentaire des λογία du Seigneur, ce qui ne l'empêchait pas de s'occuper des faits, de rapporter des miracles, comme le démontrent les fragments conservés par Eusèbe. De plus, en mentionnant l'évangile de' S. Marc, qui certes comprenait des récits et des discours (λεϰθέντα ἡ πραϰθέντα), Papias n'en désigne pas moins les uns et les autres, comme pour S. Matthieu, par ce terme unique : ensemble des discours du Seigneur ; preuve évidente que, pour lui, le mot λογία n'exclut nullement la relation des faits. En outre, S. Irénée, Clément d'Alexandrie et Origène appellent également nos évangiles les λογία du Seigneur. Faut-il en conclure que la partie narrative était encore absente au 3ème siècle ? Il y a bien des années que Schleiermacher et Credner ont émis l'hypothèse dont M. Renan vient de se faire le tardif écho ; mais il y a longtemps aussi que Lücke, Hug, Thiersch, Maier et tant d'autres critiques en ont démontré la fausseté. " Freppel, Examen crit. De la Vie de Jésus de M. Renan, 2è édition, p 15 et 16. Cf. J. Langen. Grundriss der Einleit. In das N. Test. p. 12).S. Irénée, l’illustre archevêque de Lyon, qui florissait vers la fin du second siècle, écrit dans son ouvrage contre les hérésies, 3, 1 :Ὁ μὲν δὴ Ματθαῖος ἐν τοῖς Ἑϐραίοις τῇ ἰδἰα διαλέϰτῳ αὐτῶν ϰαί γραφὴν ἐξἐνεγγϰεν εὐαγγελίου.
Clément d’Alexandrie, Stromat. 1, 21, affirme le même fait. Origène n'est pas moins explicite : Ώς ἐν παραδόσει μαθὼν περί τῶν τεσσάρων εὐαγγελίων, ά ϰαί μόνα ἀναντίῤῥητά ἐστιν ἐν τῇ... ἐϰϰλησία τοῦ Θεοῦ ὄτι πρῶτον μὲν γέγραπται τὸ ϰατὰ τὸν ποτὲ τελώνην, ὕστερον δὲ ἀπόστολον Ἰησοῦ Χριστοῦ Ματθαῖον (ap. Euseb. Hist. Eccl. 6, 25).
Eusèbe de Césarée, S. Cyrille de Jérusalem, S. Epiphane attribuent aussi à S. Matthieu, dans les termes les plus formels, la composition du premier Évangile. Ματθαῖος μὲν, dit Eusèbe, Hist. Eccl. 3, 24, παραδοὺς τό ϰατ αὐτὸν εὐαγγέλιον. Et S. Cyrille, Catech. 14, c. 15 : Ματθαῖος δ γράψας τὸ εὐαγγέλιον. Et S. Epiphane, haer 30, c. 3 : ὡς τὰ ἀληθῆ είπεῖν, ὅτι Ματθαῖος μόνος ἑϐραῖστὶ ἐν τῇ ϰαινῇ διαθήϰῃ ἐποιήσατο τὴν τοῦ εὐαγγελίου ἕϰθεσίν τε ϰαὶ ϰήρυγμα.
Mêmes affirmations dans l’Église latine. Tertullien appelle S. Matthieu " très fidèle commentateur de l'Évangile (De carne Christi, c. 22, Cf. cont. Marcion. 4, 2, 5) " ; le mot commentaire devant ici être pris dans le sens de " recueil de faits destiné aux générations futures ". S. Jérôme, de vir. Illustr. c. 3 (Cf. comment. in Matth. , prolog), écrit de son côté : " Matthieu, qui a aussi pour nom Lévi, publicain devenu apôtre, est le premier à avoir composé un évangile du Christ pour les croyants qui provenaient de la circoncision.
"A ces assertions patristiques, qu'il serait aisé de multiplier, surtout à partir du quatrième siècle(voir Kirchhofer, Quellensammlung zur gesch. des neutesta. Canons, Zurich 1844, p. 86 et ss. ; Tischendorf, Wann wurden unsere Evang. verfasst, 4è édit. p. 9-40), nous ajouterons deux témoignages non moins directs et non moins probants. Le premier est contenu dans la pièce célèbre connue sous le nom de canon de Muratori, qui date certainement du second siècle. Elle mentionne expressément l’Évangile selon S. Matthieu parmi les écrits inspirés (cf. Tischendorf, l. c. p. 9). Le second témoignage se déduit des titres placés en tête du premier Évangile, soit dans le texte grec, soit dans les plus anciennes versions, telles que la Peschito syrienne et l’Itala. Ces titres, qui attribuent uniformément le premier Évangile à S. Matthieu (Εὐαγγέλιον ϰατὰ Ματθαῖον, Evangelium secundum Matthaeum, etc.), supposent que, dès l’origine de l’Église, le livre regardé aujourd’hui par tous les chrétiens comme l’œuvre du publicain Lévi, existait dans les rangs des fidèles sous le même nom et avec la même autorité.
2° Témoignages indirects.- Les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles citent de nombreux passages du premier Évangile, les donnant comme des lignes inspirées : preuve que cet Évangile, sous sa forme actuelle, remonte au début du Christianisme.
Ici encore nous nous bornerons à signaler quelques exemples.
S. Clément pape, mort en 101, écrivait aux Corinthiens (1ère épitre, c. 46): Μνῄσθητε τῶν λογων Ίησοῦ τοῦ ϰυρίου ἡμῶν. Εῖπε γαρ· οὐαί τῶ ἀνθρώπῳ ἐϰείνῳ·ϰαλὸν ἦν αὐτῷ εί οὐϰ ἐγεννήθη, ἧ ἕνα τῶν ἐϰλεϰτῶν μου σϰανδαλσαι·ϰρεῖττον ἦν αὐτῷ περιτεθῆναι μύλον ϰαί ϰαταποντισθῆναι εἰς τὴν θάλασσαν, ἦ ἕνα τῶν μιϰρῶν μου σϰανδαλίσαι Il y dans ces paroles deux textes de S. Matthieu, 26, 24 et 18, 6, fondus ensemble. Comparez aussi Clem.
Rom., 1 Cor. 13 et Matth. 6, 12.S. Polycarpe, disciple de S. Jean, dit aux Philippiens (Epist. ad Philipp. c. 2) : Μνηνονεύσαντες δὲ ὧν εῖπεν ὁ ϰύριος διδάσϰων... Μὴ ϰρίνετε ῖνα μη ϰριθῆτε (Cf. Matth. 7, 1), ἐν ᾧ μέτρῳ μετρῆτε, ἀντιμετρηθήσεται ὑμῖν (Cf. Matth. 7, 2), ϰαί, ὅτι μαϰάριοι οἱ πτωϰοἱ ϰαἰ οἰ διωϰόμενοι ἕνεϰεν διϰαι ο σύνης, etc. (Cf. Matth. 5, 3-10). Voir encore Ep. ad. Philipp. c. 7, et Matth. 6, 13 ; 26, 41.
S. Ignace d’Antioche, ad Rom. c. 6, cite textuellement S. Matthieu, 16, 26. Comparez de même l’épître de S. Barnabé, c. 4 ad fin. et Matth. 20, 16; Athénagoras, Legat. pro Christ,- c. 11, 12, 22 et Matth. 5, 44 et ss.; Théophile d’Antioche, ad Antol. 3, 13-14 et Matth. 5, 28. 32. 44 et ss. Mais c’est surtout dans les écrits de S. Justin martyr qu’on trouve à glaner au point de vue qui nous occupe. Ils contiennent un nombre considérable de textes particuliers au premier Évangile, qui sont cités tantôt tels que nous les lisons aujourd’hui, tantôt après avoir été combinés les uns avec les autres, quoiqu’ils restent, même alors parfaitement reconnaissables. Il aurait été impossible à S. Justin de faire ces citations s’il n’avait eu sous les yeux un texte du premier Évangile semblable au nôtre (à propos des citations évangéliques de S. Justin, on pourra consulter avec fruit Semisch, die apostol. Denkwuerdigkeiten des Mart. Justin, Hambourg, 1848 ; Hilgenfeld, Krit. Untersuch ueber das Evang. Justin's, Halle, 1850).
On comprend maintenant que l’historien Eusèbe, Hist. Eccl. 3, 25, ait compté l’Évangile selon S. Matthieu parmi les livres canoniques dont l'authenticité était indiscutable. On comprend encore cette protestation indignée que S. Augustin adressait au Manichéen Faustus : " Si je commence à lire l’évangile de Matthieu…tu diras tout de suite : ce récit n’est pas de Matthieu, récit que l’église universelle affirme être de Matthieu, depuis les chaires des apôtres jusqu’aux évêques actuels, en une succession ininterrompu
e (cont. Faust, l. 28, c. 2)2. S. Irénée (Adv. Haer. 3, 11, 7), parlant des témoignages rendus en faveur des Évangiles par les hérétiques de son temps, s’écriait avec une sainte allégresse:" Les évangiles ont une telle autorité que même les hérétiques leur rendent témoignage. Car, c’est en s’appuyant sur eux que chacun d’entre eux essaie de confirmer sa doctrine.
" Pour nous, comme pour le grand docteur de Lyon, il sera consolant de voir l'authenticité des Évangiles, et tout d’abord celle de S. Matthieu, prouvée par les écrivains hétérodoxes des anciens temps (ici encore nous devons nous borner à de rapides indications. Les lecteurs désireux de traiter plus à fond cette question intéressante trouveront les matériaux groupés dans Hug, Einleitung in die Schriften des N. Test., 3è édit. p. 37-104, et dans Tischendorf, l. c. p. 43-71).Le fameux Basilides, contemporain des derniers membres survivants du collége apostolique, cite S. Matthieu, 7, 6 (Ap. Epiph. Haer. 24, 5). Il connait aussi l’histoire des Mages telle que la raconte le premier Évangile (cf. Hippol. Philosoph. 7, 27).
Valentin, cet autre gnostique célèbre, qui vivait dans la première moitié du second siècle, appuie son système hérétique sur deux passages de S. Matthieu, 5, 18-19 et 19, 20 et ss. (cf. Iren. adv. Haer. 1, 3, 2 et s.). — Ptolémée, son disciple, connaît également plusieurs textes de notre Évangile : on peut s’en convaincre en comparant son " épître à flore ", conservée dans les écrits de S. Epiphane (Haer. 33), avec Matth. 12, 25; 19, 8; 15, 5 et ss.; 5, 17. 39.
Isidore, fils de Basilides, mentionne (Ap. Clem. Alex. Strom. 3, 1) plusieurs versets que nous lisons au chapitre 19 (5. 10 et ss.) de S. Matthieu. Cerdo, autre hérétique du second siècle, cite (Ap. Theodor. Haeret. Fab. 1, 24, cf. Matth. 5, 38 et ss.) une partie du discours sur la montagne. D’autres sectaires moins connus, tels que les Ophites, les Naasséniens, les Séthiens, tous antérieurs au troisième siècle, cherchent aussi des bases pour leurs erreurs dans divers récits spéciaux au premier évangéliste (Pour les Ophites, voir Epiph. Haer. 37, 7. Pour les Naasséniens, Hippol. Philosophum. 5, 7 (cf. Matth. 19, 17 ; 5, 45) ; 5, 8 (cf. Matth. 13, 44 ; 23, 27 ; 27, 52 ; 11, 5 ; 7, 21 ; 21, 31 ; 2, 18 etc.). Pour les Séthiens, ibid. 5, 21 (cf. Matth. 10, 34)).
L’ouvrage hérétique connu sous le nom de " Homiliae Clementinae" contient plusieurs citations évidemment empruntées à l’Évangile selon S. Matthieu, dont quatre sont littérales, dix à peu près exactes, onze un peu plus libres (voir Semisch, die apostol. Denkwuerdigkeiten, p. 360 et ss.).
Tatien (cf. Clem. Alex. Strom. 3, 12) prétend démontrer d’après Matth., 6. 19, la légitimité de son rigoureux ascétisme. Bien plus, dans son " Diatessaron " qui est la plus ancienne de toutes les concordes évangéliques, il donne une large part au récit de S. Matthieu. Théodote et Marcion font aussi un usage très fréquent du premier Évangile (pour le premier, voir les œuvres de Clément d'Alexandrie, édit Potter, § 59, cf. Matth. 12, 29 ; § 12, cf. Matth. 17, 2 ; § 14 et 51, cf. Matth. 10, 28 ; § 86, cf. Matth. 25, 5. Pour le second, voir Tertull. adv. Marc 2, 7 ; 4, 17, 36 (cf Matth. 5, 45), 3, 13 (cf Matth. 2, 1 et ss.) ; 4, 7 ; 5, 14 (cf Matth. 5, 17) ; etc.).
Il n’est pas jusqu’aux écrivains juifs et païens qui n’aient connu l’œuvre de S. Matthieu et qui ne rendent témoignage à son antiquité. Tels sont d'une part Celse et Porphyre (Ap. Orig. adv. Cels. 1, 58 et 65); de l’autre les auteurs israélites du quatrième livre d’Esdras (cf. J. Langen, Judenthum in Palaestina, Fribourg, 1866, p. 137 et s. ) et de l’Apocalypse de Baruch (voir Langen, de apocalypsi Baruch Comment. Fribourg, 1867, p. 3 et s.).
3., Les évangiles apocryphes forment la troisième série des témoignages de l’antiquité chrétienne, favorables à l’authenticité du premier évangile canonique. Nulle part assurément ces livres ne mentionnent l'œuvre de S. Matthieu; néanmoins plusieurs de leurs récits semblent supposer son existence à l’époque ou ils furent eux-mêmes composés. Cela est particulièrement vrai des écrits connus sous les noms de Protévangile de S. Jacques, d’Évangile de Nicodème et d’Évangile selon les Hébreux. Par exemple, le chapitre 17 du " Protevangelium Jacobi " (voir Brunet, les Évangiles apocryphes, Paris, 1863, p. 111 et s.) a pour base naturelle Matth., 13, 55; le chapitre 21 est en corrélation parfaite avec Matth., 2. De même le chap. 26 avec Matth., 23, 35. Comparez aussi les chapitres 2 et 9 de l’Évangile de Nicodème (Ibid. p. 215 et ss.) avec Matth., 27, 19. 44-45. Quant a l’Évangile selon les Hébreux, il est probable, comme nous le dirons plus loin, qu’il doit directement son origine à la rédaction de S. Matthieu ; il en prouve donc l'authenticité (On trouvera le développement de ce troisième genre de preuve dans Tischendorf, l. c. p. 76 et ss. Voir aussi l'ouvrage du même auteur intitulé : de Evangel. Apocryph. Origine et usu, Hagae, 1851).
De tous les témoignages qui précèdent (le lecteur aura remarqué qu'ils appartiennent pour la plupart aux deux premiers siècles de l'ère chrétienne, circonstance qui rehausse encore leur autorité), nous pouvons conclure de la façon la plus péremptoire que le premier Évangile est authentique: Quiconque refuserait d’admettre la valeur des preuves que nous avons indiquées, devrait, s’il était conséquent avec lui-même, cesser de croire à l’authenticité de quelque livre que ce soit (voir dans Van Steenkiste, Comment. In Evang. sec Matth. Bruges, 1876, p. 13, un argument de prescription qui résume toute la thèse).
4. Et pourtant il s'est trouvé, à notre époque et en assez grand nombre, de soi-disant critiques qui n’ont pas craint de regarder l’Évangile selon S. Matthieu comme une supercherie littéraire de beaucoup postérieure à l’ère apostolique (dans les temps anciens, il n'y a guère que le Manichéen Faustus qui ait nié l'authenticité du premier Évangile ; cf. August. c. Faust. 17, 1. Au dire de Sixte de Sienne, Biblioth. Sancta, 7, 2, les Anabaptistes l'auraient pareillement rejeté comme apocryphe. Aujourd'hui ce ne sont pas seulement les rationalistes avancés, comme de Wette, Strauss et Baur, qui partagent ce sentiment ; des hommes habituellement modérés, tels que Lücke, Lachmann, Neander, l'admettent sans hésiter. Voir Langen, Grundriss der Einleit. P. 16). Ce fait est en lui-même assez étrange; mais ce qui l’est davantage encore, c’est qu’on prétende parler au nom de la science en formulant une telle assertion. Quels peuvent bien être les leviers scientifiques assez puissants pour renverser la croyance de dix-huit siècles? Aux arguments extrinsèques allégués plus haut, les adversaires du premier Évangile ne trouvent rien de sérieux à opposer. Toutes leurs preuves sont intrinsèques, et par la même subjectives, basées sur des appréciations personnelles. Il suffira de mentionner ici les principales; nous retrouverons les autres dans le commentaire, à propos des faits particuliers auxquels elles se rattachent.
1° Rien dans le premier Évangile n’annonce que l’auteur a été témoin oculaire des événements qu’il raconte. L’apôtre S. Matthieu aurait été plus précis sous le triple rapport des lieux, des dates, des personnes.
2° Le premier Évangile passe complètement sous silence des faits très importants de la vie de Jésus. Il ne dit rien, par exemple, de son ministère en Judée, de la résurrection de Lazare, de la guérison de l’aveugle-né, etc. C'est donc tout au plus un disciple des apôtres qui l’aura composé (Schneckenburger, Ursprung des erst. Kanon. Evangelium, Stuttgart, 1834).
3° Quelques actions ou paroles de Jésus sont relatées plusieurs fois en divers endroits de l’Évangile, quoique avec de légères variantes. Comparer 9, 32 et ss. avec 12, 2 et ss.; 12, 38 et ss. avec 16,1 et ss.; 14, 13 et ss. avec 15, 29 et ss.; 16, 28 avec 24, 34; 11, 14 avec 17, 11 et ss; 5, 32 avec 19, 9; 10, 40-42 avec 18, 5; etc. (De Wette, Weisse, Holtzmann).
4° Le premier Évangile contient des faits merveilleux, légendaires qu’un apôtre n’aurait certainement pas admis dans son récit (à cette assertion, l'on reconnaît le Dr Strauss ; voir Leben Jesu, passim. Voir aussi de Wette, Kurzgef. Exeget. Handbuch zum N. Test. t. 1, P. 5 4è édit.), Exemples: plusieurs apparitions d’anges dans les premières et les dernières pages de l’Évangile, l’histoire de la tentation de Jésus, ch. 4; le didrachme à la bouche du poisson, 17, 24 et ss.; la malédiction du figuier, 21, 18 et ss.; la résurrection de personnes qui étaient mortes depuis un certain temps, 17, 52 et ss.; etc.
5° Plusieurs prophéties de l’Ancien Testament, que l’auteur du premier Évangile voulait faire réaliser par Jésus, ont eu une influence visible sur la narration de certains faits. Voir 21, 7; 27, 3 et ss. Nouvelle preuve qu’aucun apôtre n’y a mis la main (De Wette, l. c. p. 6).
Il est aisé de répondre à toutes ces objections.
— 1° Nous rencontrerons, presque à chaque page du premier Évangile maint passage ou mainte expression pittoresque dont on pourrait se servir pour prouver que le narrateur avait vu de ses propres yeux la plupart des faits qu’il a insérés dans son récit. Cf. 9, 9 et ss.; 12, 9-10, 13, 49; 13I, 1; 14, 24-32; etc. Si la rédaction de S. Matthieu, comparée à celles de S. Marc et de S. Luc, est en général moins précise et moins détaillée, cela vient de ce que son plan était plus spécialement dogmatique, comme nous le dirons plus bas. — 2° Les omissions qu’on reproche à l’auteur du premier Évangile ont été complètement volontaires de sa part, puisqu’il se proposait surtout de raconter le ministère public du Sauveur en Galilée. Il connaît pourtant et il signale en passant les voyages de Jésus en Judée; Cf.4, 12; 19, 1.— 3° Les répétitions alléguées proviennent tantôt d’une fâcheuse erreur de nos adversaires, qui ont identifié des choses tout à fait distinctes, tantôt de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a certainement reproduit en différentes circonstances, durant sa vie publique, certaines paroles importantes qu’il voulait fixer dans l'esprit de ses auditeurs.— 4° et 5° Les deux dernières objections attaquent beaucoup plus la véracité du premier Évangile que son authenticité. Elles reposent d’ailleurs sur des idées préconçues, sur des préjugés dogmatiques, dont nous n'avons pas à nous occuper actuellement. — Tant qu’on n’aura pas d’autres motifs à faire valoir contre les saints Évangiles, et, grâce à Dieu, on n’en aura jamais d’autres à faire valoir, nous pouvons les regarder toujours avec confiance comme l’œuvre des saints personnages auxquels les attribue la tradition (on peut encore consulter avec fruit les ouvrages suivants sur l'authenticité de l'Évangile selon S. Matthieu : Olshausen, Apostolica Evangelii Matth. origo defenditur, Erlangen, 1835-1837 ; Davidson, Introduction to the New Testament. Lond. 1848-1851, t. 1, p. 60-111).
Vers la fin du 18° siècle et durant les premières années du 19°, plusieurs critiques, tout en admettant l’authenticité du premier Évangile considéré dans son ensemble, nièrent cependant qu’il fût en tout point l’œuvre originale de S. Matthieu (c'est l'anglais William qui passe pour avoir formulé le premier ce sentiment. Voir Davidson, l.c. p. 3 et ss. ; Danko, Historia revelationis Nov. Test. Vienne, 1867 p. 272 et ss. ; Patritius, de Evangeliis liber 1us, p. 29 et ss. L'authenticité des chapitres 1 et 2 du premier évangile est fort bien défendue dans les deux ouvrages suivants : Schubert, de infantiae. J. Chr. historiae a Matth. Et Luc. exhibitiae authentia, Griphisw, 1815 ; S.G. Müller, die Echtheit des erst. Kapitels des Ev. Matth.). Suivant eux, les deux premiers chapitres, qui racontent l’enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne remonteraient certainement pas jusqu’à l’ère apostolique. Ils auraient été ajoutés à une époque plus ou moins tardive par quelque compilateur inconnu. Deux raisons principales étaient apportées par les partisans de cette singulière opinion. 1° Il est impossible d’établir une harmonie réelle entre les récits du premier et du troisième Évangile relatifs à l’enfance du Sauveur. L’un d'eux est donc nécessairement apocryphe; or ce ne peut être que celui de S. Matthieu, puisque S. Luc se donne " ex professo " 1, 1 et 2, comme l'historiographe des premières années de Jésus. 2° Les chapitres 1 et 2 de S. Matthieu manquaient dans l’Évangile des Ebionites (cf. Epiph. Haer. 30, 13. Cet Évangile est probablement le même que celui des Hébreux) et dans le Diatessaron de Tatien (cf. Théodoret, Haeretic. Fab. 1, 20 : τὰς τε γενεαλογίας περιϰόψας ϰαὶ τὰ αλλα, ὅσα ἐϰ σπέρματος Δαϐίδ ϰατα σάρϰα γεγεννημένον τὸν ϰύριον δείϰνυσιν.) ; preuve qu’ils n’étaient pas généralement regardés comme authentiques dans la primitive Église. Mais ces raisons sont sans valeur. Les contradictions qu’on a prétendu trouver entre la narration de S. Matthieu et celle de Luc n’existent qu’à la surface et en apparence, ainsi que nous le prouverons dans le commentaire (voir aussi Patritius, l.c. p. 236 et ss.). Quant à l’omission des deux premiers chapitres de S. Matthieu dans les sources indiquées plus haut, elle avait eu lieu évidemment dans un but dogmatique, ce qui lui enlève la signification qu’on voudrait lui prêter ici. Les Ebionites voulaient un Messie tout humain, Tatien était un fauteur avoué de l’erreur des Docètes. Pour les Ebionites et pour Tatien, la généalogie du Sauveur, l’histoire de sa conception virginale et de sa naissance, son adoration par des Mages, etc., contenaient des arguments formels contre leurs hérésies ; ils trouvèrent plus commode de supprimer ces faits d’un trait de plume. Une telle suppression est plutôt favorable que contraire à l’intégrité du premier Évangile. Du reste, le début du récit de S. Matthieu ressemble trop aux pages suivantes, soit au point de vue des idées (on y voit déjà paraître, à cinq ou six reprises, ces citations de l'Ancien Testament qui sont des caractères principaux du premier Évangile ; cf. 1, 22-23 ; 2, 4-6, 15, 17, 18, 23), soit sous le rapport de la diction (voir Fritzsche, Evangelium Matth. Lipsiae, 1826, P. 849 et ss.), pour avoir été inséré par un faussaire. Bien plus, ce début est supposé par la suite de la narration. Le verset 13 du chapitre 4 est inintelligible sans la fin du second chapitre (5.23). Le verset 1 du chapitre 3 ferait un très-mauvais exorde : il se rattache au contraire fort bien aux antécédents. M. J. P. Lange a donc dit avec raison que l’on pourrait tout aussi bien séparer la tête du corps que les deux premiers chapitres des suivants (Theolog. Homil. Bibelwerk. N. Test. 1 Theil, Evangel. Matth. 3è édit. p. 3). Si l’on ajoute à ces preuves intrinsèques le témoignage très-formel de plusieurs écrivains du second et du troisième siècle (S. Irénée et Origène citent divers passages de ces chapitres. De même le païen Celse, comme nous l'avons vu précédemment. Cf. Ellicott, Hist. Lect. p. 57 ; Mill, Myth. Interpretat. of the Gospels, p. 147-171), l’on comprendra que l’intégrité de notre Évangile soit complètement hors de conteste.
Parmi les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, tous ceux qui ont eu la pensée d’établir une comparaison entre les quatre Évangiles au point de vue chronologique, assignent invariablement la priorité à celui de S. Matthieu. " Matthieu, dans son évangile, dit Origène, est le premier à avoir fait retentir la trompette sacerdotale (Hom. 7 in Jos. Edit. Ben. t. 2, p. 412 ; cf. Iren. adv. haer. 3, 1, 1). Et ailleurs : Ἀρξάμενοι ἁπὸ τοῦ Ματθαίου, ὅς ϰαὶ παραδέδοται πρῶτος λοιπῶν τοῖς Ἑϐραίοις ὲϰδεδωϰέναι τὸ εὐαγγέλιον τοῖς ἐϰ περιτομῆς πις τεύουσι (Comm. In Joann. t. 4, p. 132 ; cf. Euseb. Hist. Eccl. 6, 25). S. Augustin n’est pas moins formel sur ce point: " Pour mettre l’évangile par écrit,-- chose qu’il faut croire avoir été ordonnée par Dieu lui-même,-- du nombre de ceux que Jésus avait choisis avant sa passion, deux occupèrent respectivement la première et la dernière place, Matthieu, la première, Jean, la dernière. Pour que ceux qui écoutent la parole, semblables à des fils qu’on étreint (à deux bras), placés par le fait même au milieu, soient par eux des deux côtés fortifiés (de consen. Evangel. Lib. 1, c. 2. De même S. Jérôme, De vir. illust. c. 3. Voir Arnoldi, Comment. zum Evang. des h. Matth. p. 34 et ss.). " Ces assertions sont confirmées par la place que l’Évangile selon S. Matthieu a toujours occupée dans le canon du Nouveau-Testament.
Mais à quelle époque précise a-t-il été composé? C’est ce qu’il est impossible de déterminer d’une manière certaine, parce que la tradition cesse d’être unanime sur ce point. Théophylacte (Praefat. ad Matth.) et Euthymius Zigabenus (Comm. ad Matth.) fixent son apparition huit ans après l’Ascension (M.Gilly, dans son Précis d'introduction générale et particulière à l'Écriture Sainte, Nimes, 1868, t. 3, p. 203, accepte cette date). Le " Chronicon paschale " et l’historien Nicéphore (Hist. Eccl. 2, 45) la placent vers l’an 45 ou 48; Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. 3, 24), au moment où les apôtres se séparèrent pour aller prêcher l’Évangile par toute la terre, c’est-à-dire environ 12 ans après la Pentecôte. Cosmas Indicopleustes (Ap. Montfaucon, Collect. nova patr. Graec. t. 2, p. 245. Cf. Patritii. de Evangel. Lib. 3, p. 50) pense qu’elle aurait eu lieu aussitôt après le martyre de S. Étienne : S. Irénée semble au contraire la reculer jusques après l’an 60, lorsqu’il dit que S. Matthieu publia son Évangile " quand Pierre et Paul prêchaient à Rome et y fondaient l’Église (Adv. Haer. 3, 1, 1) ". En effet, les deux apôtres ne se trouvèrent ensemble à Rome que vers l’année 66 ou 67 de l’ère chrétienne. Les écrivains modernes adoptent tantôt l'une, tantôt l’autre de ces dates. La plupart se rangent cependant à l’opinion intermédiaire d’Eusèbe, d’après laquelle notre Évangile aurait été écrit vers l’an 45. Ce qui est certain, c’est qu’il parut avant la prise de Jérusalem par les Romains, par conséquent avant l’an 70, puisque les chapitres 23 et 24 contiennent la prophétie de cet événement.
Des exégètes contemporains (Hug, Einleitung in die Schrift. des N. T. t.2, § 5 ; A. Maier, Einleitung, p. 67 ; etc) ont cru trouver dans plusieurs passages du premier Évangile, des indices d’une composition relativement tardive. Par exemple, l'expression " usque in hodiernum diem ", 27, 8; 28, 15, qui désignerait, suivant eux, une époque de beaucoup postérieure à la résurrection du Sauveur, ou encore la parenthèse " qui legit intelligat ", 23, 35, qui prouverait qu’au moment où l’évangéliste écrivait les derniers chapitres, les Romains s’avançaient déjà contre la Judée. Mais ces interprétations sont exagérées; ἕως τῆς σήμερον est une locution juive, qui indique sans doute qu’un certain temps s’est écoulé depuis une époque déterminée, mais sans exiger que ce temps soit considérable. Dix ans, vingt ans suffiraient pour la vérifier. Quant à l’autre passage, nous dirons, en l’interprétant, qu’il contient peut-être une réflexion de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Du reste, eût-il été inséré par S. Matthieu, comme le croient un grand nombre de commentateurs, il signifie simplement que la catastrophe prédite par le Sauveur approchait, que ses symptômes précurseurs étaient visibles, non toutefois qu’elle était imminente.
On a toujours généralement admis que 1’Évangile selon S. Matthieu avait été composé en Palestine. Cela ressort très clairement des témoignages que nous a légués l’antiquité sacrée. Qu’il suffise de rappeler celui d’Eusèbe, Hist. Eccl., 3, 24 : Ματθαῖος μὲν γὰρ πρότερον Ἑϐραίοις ϰηρύξας, ὡς ἕμελλε ἐφʹ ἑτέρους ἰέναι...παραδοὺς τὸ ϰατʹ αὺτὸν εὐαγγέλιον, τὸ λοῖπον τῆ αὐτοῦ παρουσίᾳ τούτοις ἀφʹ ᾧν ἐστέλλετο διὰ τῆς γραφῆς ἀπεπλήρου. D'après la Synopse attribuée à S. Athanase, c’est à Jérusalem que le premier Évangile aurait été publié. " Comme cette ville fut le point central d’où rayonna dans tous les sens la parole évangélique, il est très vraisemblable que ce fut là aussi que ce premier Évangile vit le jour (de Valroger, Introduction historique et critique aux livres du N. Test., t. 2, p. 26).
L’opinion a prévalu, dans les temps anciens et modernes, que S. Matthieu, en écrivant son Évangile, avait surtout en vue ceux de ses compatriotes qui s’étaient, comme lui, convertis au christianisme. Les Juifs devenus chrétiens et surtout les juifs-chrétiens de Palestine, tel fut le cercle spécial auquel il s’adressa directement. Eusèbe de Césarée vient de nous le dire en termes exprès (voir la fin du § précédent). Nous avons lu plus haut (§ 2, 1, 1°) les paroles de S. Irénée et de S. Jérôme affirmant le même fait. Origène (Ap. Euseb. Hist. Eccl. 6, 25 : τοῖς ᾀπὸ Ίουδαῖσμον πιστεύσασι), S. Grégoire de Nazianze (Carm. 13, v. 31 : Ματθαῖος ἕγραψεν Εϐραίοις) et S. Jean Chrysostome (Hom. 1 in Matth.) le tiennent également pour certain. En un mot, la tradition n'a jamais hésité sur ce point. Or, les renseignements qu’elle nous a transmis sont corroborés d’une manière étonnante par le contenu, la forme, et, si l’on nous permet cette expression, le coloris du premier Évangile. Tout y indique " une œuvre judéo-chrétienne, composée pour des judéo-chrétiens (Gilly, l. c. p. 196 ; cf. Hug, Einleitung, t. 2, § 2). " Il est intéressant, sous ce rapport, de comparer l’œuvre de S. Matthieu avec celles de S. Marc et de S. Luc, qui avaient été primitivement écrites pour des lecteurs d’origine païenne. S. Marc entremêle son récit de notes archéologiques destinées à expliquer des expressions ou des coutumes juives, qui n’auraient pas été comprises en dehors du judaïsme : il définit le Corban, 7, 11, la Parascève. 15, 42, explique ce qu’il faut entendre par des mains communes,7, 2, etc. S. Luc multiplie de son côté les notes géographiques, parce que son ami Théophile, 1, 3, (Cf. Act. 1, 1), ne connaissait pas le théâtre de la vie du Sauveur. Il dit que Nazareth et Capharnaüm étaient des villes de Galilée. 1. 26; 4, 31; que le bourg d’Arimathie était en Judée, 25, 15.Il indique la distance qui séparait Emmaüs de Jérusalem. 24, 13. etc. (cf. Act. 1, 2 ; voir aussi Joann. 1, 38, 41, 42 ; 2, 6 ; 7, 37 ; 11, 18 ; etc). Rien, ou du moins à peu près rien de semblable dans S. Matthieu. Les chrétiens auxquels il destinait son Évangile étaient donc au courant de la langue, des mœurs et des localités de la Palestine ; c’étaient par conséquent d’anciens Juifs convertis. Si, en quelques rares endroits (1, 23 ; 27, 8, 33, 46), les mots hébreux sont accompagnés d’une courte interprétation, ce doit être le fait du traducteur qui fit passer dans l’idiome grec, l’œuvre araméenne de S. Matthieu (voir le § suivant). Si la doctrine des Sadducéens touchant la résurrection des morts est caractérisée d’une manière spéciale, 22, 23, cela provient de ce que la secte sadducéenne était relativement peu connue du peuple juif (cf. Jos. Ant. 18, 1, 4 ; Arnoldi, l. c. 58).
De même que l’auteur du premier Évangile a supprimé les détails qu’il croyait inutiles pour ses lecteurs, de même il a fortement appuyé surtout ce qui pouvait impressionner, intéresser davantage des chrétiens issus du judaïsme. Jérusalem est la ville sainte par excellence, Cf. 4, 5;27, 53. La Loi mosaïque ne sera pas détruite, mais transfigurée, ramenée à son idéal par le christianisme, cf. 5, 17-19. Le salut messianique a été prêché tout d’abord aux seuls Juifs, 10, 5 et s. : le ministère personnel du Sauveur leur a été spécialement réservé, 15, 25 : plus tard seulement, les Samaritains et les Gentils devaient entendre la prédication de l’Évangile. Par contre, et pour un motif analogue, les préjugés particuliers, les tendances mauvaises des Juifs ont été relevés et combattus à mainte reprise dans l'Évangile selon S. Matthieu. Ainsi, le premier évangéliste s'étend plus que les autres sur les discours dans lesquels Notre-Seigneur Jésus-Christ avait anathématisé les erreurs et les vices des Pharisiens, et opposé à leurs fausses interprétations sa doctrine toute céleste. " Ces discours, rapportés tout au long, n’avaient évidemment d’intérêt que pour des hommes vivant sous l’influence des doctrines et des coutumes pharisaïques, ne pouvaient s’adresser qu’à des lecteurs qu’il était urgent de soustraire a cette influence funeste (Vilmain, Études critiques sur les Évangiles, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Mai, 1867). " De là encore la mention de plusieurs faits ou paroles qui étaient des protestations vivantes contre la doctrine rabbinique d’après laquelle les Juifs seuls seraient sauvés par le Messie, à l'exclusion des païens; Cf. 2, 1 et ss. ; 4, 15 et 16 ; 8, 11 ; 28, 19 ; etc.
Le but et la destination d’un ouvrage sont toujours deux choses corrélatives. Écrit plus directement pour des Judéo-Chrétiens, le premier Évangile devait poursuivre un but spécial, conforme a l’origine, au caractère, aux besoins de ses lecteurs primitifs : c’est en effet ce qui a lieu. Sa tendance bien marquée, parfaitement visible à travers toutes les péripéties du récit, reconnue du plus grand nombre des exégètes, est de prouver historiquement que Jésus de Nazareth est le Messie promis aux Juifs par le Dieu de l'ancienne Alliance. Jésus a réalisé trait pour trait le grand idéal messianique des Prophètes : telle est la pensée fondamentale sur laquelle tout s’appuie, à laquelle tout est ramené dans le récit de S. Matthieu. Il est inutile de décrire l’intérêt que cette thèse, bien développée, pouvait présenter à des Juifs convertis, les services qu’elle pouvait rendre à la cause du Christianisme auprès des Israëlites demeurés incrédules. Mieux vaut indiquer rapidement la manière dont l'évangéliste est demeuré fidèle à son but depuis la première jusqu’à la dernière page. 1° Dès le début, il trace la généalogie de Jésus, afin de le rattacher ainsi à David et à Abraham, dont le Messie devait naître d'après les Prophètes. 2° Souvent, et d’une façon toute particulière, il mentionne les écrits de l’Ancien Testament, pour montrer que Jésus en a accompli tel ou tel passage messianique. Les formules dont il se sert alors sont significatives : " Ceci est arrivé pour que soit accompli ce que le Seigneur avait dit par son prophète
"; 1, 22. Cf. 2, 15. 23; 3, 14, etc. " C’est alors que s’accomplit ce qui avait été dit... "; 2, 17; 27, 9, etc. Il cite jusqu’à quarante-trois fois 1’Ancien Testament (parmi ces citations, treize sont tirées du Pentateuque, neuf des Psaumes, seize des écrits prophétiques) d’une manière directe, ce qui n’arrive que dix-neuf fois à S. Luc. 3° Dans la vie publique et dans la Passion du Sauveur, il aime à relever les traits par lesquels le divin Maître a plus ostensiblement manifesté son caractère messianique. Jésus a eu un Précurseur, 3, 3 et 11, l0; il a évangélisé de préference la province de Galilée qui avait autrefois tant souffert, 4, 14- 6; il a multiplié les miracles sous ses pas, 8, 17 ; 12, l7; volontiers il voilait son enseignement sous la forme des paraboles, 13, l4; i1 est entré un jour dans la capitale Juive triomphalement à la façon d’un roi, 21, 5-16; son peuple l’a rejeté, 21, 42, ses disciples l’ont abandonné, 26, 31-56 : tous ces faits et d’autres semblables, qui abondent dans le premier Évangile, prouvent que le but de S. Matthieu était bien de montrer l’accomplissement de la loi et des Prophètes par Notre-Seigneur Jésus-Christ. A ce point de vue, il est vrai de dire que cet Évangile " représente le côté juif de la doctrine chrétienne " (J. Langen, Grundriss der Einleitung, p. 28). Mais ce serait une erreur grossière d'ajouter avec quelques écrivains rationalistes (Schwegler, Nachapostol. Zeitalter, 1, 248 et s. ; Hilgenfeld, die Evangel. nach ihrer Entstehung, p. 106 et ss.) qu'il a judaïsé les idées du Christ et que tous ses éléments non-juifs sont des interpolations. S. Matthieu n'est pas plus un Pétrinien que S. Luc n’est un Paulinien (nos lecteurs savent que ces deux noms barbares, dérivés des noms de S. Pierre et de S. Paul, ont été inventés par les rationalistes pour désigner les prétendus partis qui se seraient formés dans l'Église chrétienne peu de temps après la mort du Christ, l'un favorable aux idées juives et conduit par S. Pierre, l'autre libéral, cosmopolite et dirigé par S. Paul. Voir Le Hir, Études Bibliques, t. 2, p. 293 et ss.), et ce n’est qu’en faussant l’histoire que l’on peut arriver à de pareilles conclusions. — Nous n’avons pas besoin de dire que, malgré le but indiqué plus haut, l’œuvre deS. Matthieu ne saurait être comparée à un écrit exclusivement dogmatique. L’auteur ne s’adresse pas seulement à l’esprit pour prouver que Jésus est le Messie promis, il s’adresse peut-être plus encore au cœur pour persuader que l’on doit vivre conformément à la doctrine du Christ (cf. Reithmayr, Einleitung in die canon. Buecher des N. T. p. 356 ; de Valroger, l. c. p. 25). Au reste, sa méthode demeure avant tout historique.
Ce point, sur lequel il n'exista pas le moindre doute pendant des siècles nombreux, est devenu, depuis la Renaissance, le plus difficile et le plus compliqué (" Der intricateste Punkt ", dit à bon droit M. Reithmayr, l. c. Voir sur cette question Schubert, Dissertat. qua in sermonem quo evangel. Matth. conscriptum fuerit inquiritur, Gotting. 1810; Grawilz, Sur la langue originale de l’Evang. de S. Matthieu, Paris, 1827; Roberts, Discussions on the Gospels. Lond. 1864; Tregelles, the original Language of S. Matth. ; les Introductions de J. Langen, Hug, A. Maier, du P. de Valroger, de M. Glaire, etc.) de tous ceux que l’on traite dans une Introduction au premier Évangile.
La tradition est cependant aussi claire, aussi formelle que possible lorsqu’il s’agit de déterminer la langue dans laquelle S. Matthieu composa son Évangile. Nos anciens écrivains ecclésiastiques affirment à l'unanimité que ce fut l’hébreu, ou plus exactement, l’idiôme araméen (souvent appelé syro-chaldaïque. M. Schegg est, croyons-nous, le seul à croire que le premier Évangile a été primitivement écrit en hébreu pur ; cf. Die heilig. Evangelien, Munich, 1863, t. 1, p. 13 et 14) qui était alors en usage dans toute la Palestine, et dont les Talmuds sont un précieux
reste. En parlant de l'authenticité du premier Évangile (§ 2), nous avons cité plusieurs de leurs témoignages : il suffira d’en rappeler ici les expressions principales.Papias : ἑϐραΐδι διαλέϰτῳ, ap. Euseb. Hist. eccl. 3, 39.
S. Irénée : ἐν τοῖς Ἑϐραίος τῇ ἰδία διαλέϰτῳ αὐτῶν, adv. Hær. 3, l.
S. Pantène, au sujet duquel Eusèbe écrit dans son histoire, 5, l0 : " On rapporte (λέγεται) qu'étant allé aux Indes, il y trouva écrit en hébreu (Αὐτοῖς τε Ἑϐραίων γράμμασῖ) l’Évangile selon S. Matthieu que S. Barthélemy avait apporté dans ces contrées." S. Jérôme, de Vir. illustr., c. 36, raconte le même fait: " Pantène rapporte que Barthélémy, un des douze apôtres, avait prêché la venue de notre Seigneur Jésus-Christ selon l’évangile de Matthieu, et que, retournant à Alexandrie, il ramenait avec lui cet évangile écrit en lettres hébraïques. "
Origène : γράμμασιν Ἑϐραΐϰοις συντεταγμένον, apud Euseb., Hist. Eccl. 6, 25.
Eusèbe de Césarée : πατρίῳ γλώττῃ, dans la langue marteernelle des Hébreux pour lesquelles il écrivait. Hist. eccl., 3, 24. Ailleurs (Ad Marin. Quaest. 2, ap. Mai, Scriptor. Vet. Nova collect. 1, p. 64 et s.), Ἑϐραΐδι γλώττῃ.
S. Jérôme : " Il (saint Matthieu) a composé un évangile en hébreu " ; Præf. in Matth.; Cf. contr. Pelag. 3, l.
De même S. Cyrille de Jérusalem, Catech. 14, S. Epiphane, Hæres. 30, 3, S. Jean Chrysostôme, S. Grégoire de Nazianze, S. Augustin, en
un mot tous les Pères de l’Eglise d'Orient comme de l’Église d’Occident (cf. Richard Simon, Histoire critique du Nouveau Testament, t. 1, p. 54-55 ; Whitty, Preface to the Gospels, sect. 5, 6, 7). De même, à leur suite, tous les commentateurs jusqu’au 16° siècle. Cette longue chaîne de témoignages, remontant d’anneau en anneau jusqu’à l'ère apostolique, ne dirime-t-elle pas la question en faveur de l’idiôme araméen? Nous l'affirmons sans hésiter, à la suite de savants critiques. " Aucun fait relatif à l’histoire des Évangiles, dit M. Cureton (Syriac Recension, p. 83. M. E. Venables, Kitto's Cyclopaedia of the Bible, s. v. Matthiew (Gospel of) termine par une réflexion analogue, une longue série de citations patristiques afférentes à la question qui nous occupe : " Un examen impartial des témoignages qui précèdent nous conduit à cette conclusion : En face d'un si grand nombre de témoins indépendants les uns des autres, nous violerions les premiers principes de la critique historique, si nous refusions d’admettre que S. Matthieu a écrit son Évangile original en hébreu. " ), n’est établi d’une manière plus pleine et plus satisfaisante. Depuis le temps des Apôtres jusqu’à la fin du 4° siècle, tous les écrivains qui ont eul'occasion de traiter de cette matière ont attesté la même chose... d’un
commun accord. Un tel fait nous paraît largement suffire pour prouver que S. Matthieu a écrit primitivement son Évangile dans le dialecte hébreu qui se parlait alors. "Malgré cette masse écrasante de témoignages, Erasme le premier (Annotat. in Matth. 8, 23; Cf. Scholia ad Hieron. Vir. illustr. c. 3 : " Mihi videtur
probabilius hoc Evanvelium eadem fuisse scriptum lingua qua cæteri scripserunt Evangelistæ; " telle est sa conclusion), essaya de prouver que l’Évangile selon S. Matthieu avait été composé en grec, de même que les trois autres. Ses recherches ne le conduisirent cependant pas au-delà d’une simple probabilité. Thomas de Vio, plus connu sous le nom de cardinal Cajetan, incliné par principe vers les opinions nouvelles et singulières, adopta la conclusion d’Erasme. Ils furent bientôt suivis 1'un et l'autre par de nombreux écrivains protestants (Calvin, Théodorre de Bèze, Calovius, etc.), qui profitèrent volontiers de cette occasion pour attaquer la valeur de la tradition en général, et pour amoindrir 1’autorité de la Vulgate (Voir Bisping, Erklaerung des Evang. nach Matth., 2è édit. p. 27). Le plus célèbre et le plus vigoureux défenseur de la thèse nouvelle fut flaccius Illyricus, qui s appliqua à en prouver la vérité par de nombreux arguments (Nov. Testam. ex versione D. Erasmi Rotterdami emendata, cum glossa compendiaria Matth. flacii Illyrici, Bâle. 4570, p. 1 et ss. On appréciera plus loin la valeur de sadémonstration, car ses successeurs n’y ont presque rien ajouté).
Masch la soutint à son tour avec beaucoup d’entrain (Essai sur la langue originale de l'Évangile selon S. Matthieu, Halle, 1755). Aujourd'hui encore, ses principaux adhérents sont des critiques protestants ou rationalistes (Par exemple, M. Renan, Histoire des langues sémitiques, p. 211 ; de Wette, Fritzsche, Credner; Thiersch, Baumgarten-Crusius, etc. On compte pourtant des noms protestants illustres parmi les partisans de la tradition, v. g. ceux d‘Eichorn, de Guericke, d’Olshausen. Aussi n’a-t-on pas été médiocrement surpris de voir naguère un célèbre professeur catholique, le Dr Hug de Fribourg-en-Brisgau, mettre " toute sa science et son rare talent de combinaison au service decette opinion négative (De Valroger, l. c. p. 29 ; Cf. Einleitung in die Schriften des N. Testam., von
Leonhard Hug. .3° édit. § 8-12). "
Pour rompre en visière avec une tradition si constante et si unanime, pour pouvoir écrire, comme l’a fait Holtzmann (Die synopt. Evangelien, 1863, p. 270-359. -Cf. Keim, Leben Jesu, 1ère édit. 1, p. 54 : " Bien que ce fût l'opinion de l'ancienne Église, c’est à peine si quelqu'un croit aujourd'hui à la composition primitive de notre Évangile en langue hébraïque): " En ce qui concerne la langue originale du premier Évangile, nous sommes en état de contredire toute la tradition ", il faut être poussé par de puissants motifs. Examinons ceux que nos adversaires répètent à tour de rôle depuis l’époque d’Érasme et de Flaccius.
Ils se sont tout d’abord appliqués à diminuer, et même à détruire complètement la force probante des témoignages que nous avons cités. De tous les Pères, disent-ils, c’est Papias qui a rapporté le premier que S. Matthieu avait composé son Évangile en hébreu : les témoignages subséquents dépendent donc du sien, s'y rattachent comme à une source unique. Or, quel cas devons-nous faire, sur un point de critique, du jugement d’un homme dont, au dire d'Eusèbe (Hist., Ecc. 3, 39), " les facultés intellectuelles étaient fort médiocres ", σφόδρα τοι σμιϰρός ὤν τὸν νοῦν? Quelque ébionite lui aura montré l'Évangile apocryphe selon les Hébreux (voir plus bas), en lui affirmant que c’était l’œuvre primitive de 1’apôtre : il l’aura cru, consigné dans ses écrits, et les autres Pères se seront faits les échos de son assertion erronée (cf. Hug, l. c. p. 16-24). Nous avouons qu’un pareil procédé d’argumentation est doué d’une force supérieure, mais pour ruiner, pour anéantir, et vraiment nous ne voyons pas ce qui resterait debout en fait de tradition, si on l'appliquait successivement à tous les points du dogme, de l'histoire, etc.
Mais revenons aux détails pour mieux apprécier l'objection. Papias, il
est vrai, était peu judicieux dans le choix de ses renseignements, et c’est ainsi qu’il se laissa induire en erreur par les Millénaires, comme l'ajoute l'historien Eusèbe. Mais fallait-il un si grand génie pour s'assurer qu’un livre avait été écrit en hébreu? Son témoignage ne saurait donc être invalidé à cause de la note sévère de l'évêque de Césarée. Quand nos adversaires affirment ensuite que tous les témoignages subséquents des SS. Pères ne sont qu’un écho de celui de Papias, ils tombent dans une erreur grossière : les écrivains ecclésiastiques que nous avons cités sont au contraire très-indépendants les uns des autres, et représentent chacun l’opinion d"une époque ou d’une Église spéciale. Des hommes tels que S. Irénée, Origène, Eusèbe, S. Jérôme, étaient assurément capables de se former un sentiment par eux-mêmes sur la matière en question, et elle leur offrait assez d'intérêt pour qu’ils prissent directement toutes les informations désirables, ainsi qu'on le voit du reste dans leurs écrits (Cf. l'article de M. L. Venables mentionné plus haut, Kitto's Cyclopaedia, s. v. Matthiew (Gospel of)). Au surplus, selon la remarque fort juste du P. de Valroger (l. c. p. 32), " si l’on pouvait expliquer par quelque intérêt polémique ou dogmatique la tradition relative au texte hébreu de S. Matthieu, la tentative de rendre cette tradition suspecte prendrait peut-être une certaine vraisemblance. Mais, tout au contraire, le désir de rendre notre texte grec plus vénérable, devait disposer à laisser dans l'ombre cette tradition. Pour qu’elle se soit propagée et transmise comme elle l’a fait, il faut qu’elle ait eu de profondes racines et que l'amour pur de la vérité historique en ait maintenu le souvenir. " Elle demeure donc inattaquable sous tous rapports.Du terrain de la tradition, nos critiques sont passés sur celui de la
philologie. La nature même de la question à traiter les y autorisait assurément : voyons s’ils y ont été plus heureux.Le premier Évangile ayant été directement composé, nous l'avons vu
et tout le monde l'admet (cf. le § précédent), pour des habitants de Palestine, convertis du Judaïsme à la religion de Jésus, S. Matthieu devait tout naturellement l’écrire dans la langue de ceux auxquels il l'adressait, c’est-à-dire dans l'idiôme araméen, et c’est là un fait qui corrobore d’une manière singulière l'ancienne tradition. On nous répond au contraire, qu'indépendamment de cette circonstance, ou plutôt qu’à cause de cette circonstance, il devait l'écrire en grec! C’est ici surtout que M. Hug a déployé toute sa science et toute son habileté (cf. Einleit. § 10, p. 30 et ss.). Il essaie de démontrer, à grand renfort de documents et de citations, qu’au premier siècle de l’ère chrétienne la langue grecque était devenue d’un usage universel en Palestine, qu’à de rares exceptions près, chacun pouvait la comprendre, la lire, la parler. Mais, outre qu’il résulterait simplement de là que S. Matthieu pouvait composer son livre en grec, et non qu’il l’a réellement écrit dans cette langue, l'affirmation du Dr Hug est exagérée d’une manière notable. Bien que, depuis Hérode, l'hellénisme sous toutes ses formes eût fait une invasion en règle dans les différentes provinces de la Palestine, le grec était encore loin d’avoir supplanté l'araméen et d’être devenu l'idiome populaire. M. Renan, dont nous sommes loin de nier la compétence en pareille matière, l’admet sans hésiter; " Nous pensons, dit-il, que le syro-chaldaïque était la langue la plus répandue en Judée, et que le Christ ne dut pas en avoir d’autre dans ses entretiens populaires... Le style du Nouveau Testament, et en particulier des lettres de S. Paul, est à demi syriaque par le tour, et l’on peut affirmer que, pour en saisir toutes les nuances, la connaissance du syriaque est presque aussi nécessaire que celle du grec... Josèphe nous apprend que ceux de ses compatriotes qui faisaient cas des lettres helléniques étaient peu nombreux, et que lui-même avait toujours été empêché, par l'habitude de sa langue maternelle, de bien saisir la prononciation du grec. " (Histoire des langues sémitiques, p. 211 et ss.) A côté de l'exemple du juif Josèphe (cf. Bell. Jud. 6, 2, 1), ou peut alléguer celui de S. Paul qui, s’adressant à la foule ameutée contre lui dans l'enceinte du temple, gagna immédiatement la sympathie de tous parce qu’il parlait en hébreu, ἐϐραΐδιδιαλέϰτῳ, Act. 22, 2. Ce fait démontre jusqu’à l'évidence que, durant la seconde moitié du premier siècle, le syro-chaldaïque était demeuré l'idiôme populaire de la Palestine. Le grec, quelque progrès qu’il eût pu faire, était encore une langue étrangère pour la masse des habitants : ceux qui la parlaient, fussent-ils fils d’Abraham, portaient le nom de Ἕλληνες, c’est-à.-dire de païens (Voir Bretschneider, Lexic man. græco-latin. s. h. v.). Pour toutes ces raisons, il était donc très-naturel que S. Matthieu n’écrivît pas en grec, mais en araméen (Cf. Arnoldi. Comm. zum Evangel. d. Matth. p. 27 et 28).Mais nos adversaires ne se tiennent pas pour battus. Pénétrant au sein même du premier Évangile pour en étudier la diction, ils prétendent que le grec dans lequel on le lit depuis le premier siècle, accuse, par sa pureté relative, une œuvre tout à fait originale et nullement une traduction. On y rencontre des tournures et des expressions élégantes, originales, bien plus, des jeux de mots, dont les équivalents ne peuvent guère avoir existé, vu la différence des langues, dans un livre écrit primitivement en hébreu. Telles sont les locutions suivantes : βαττολογεῖν et πολυλογία, 6, 7; ἀφανίζουσι ... ὅπως φανῶσι, 6, 16 ; ϰαϰοὺς ϰαϰῶς ἀπολέσει, 21, 41, etc (cf Bleek, Einleitung, p. 268 et ss. ; Holtzmann, die synopt. Evangel. p. 267 et ss.). Nous répondons qu’il y a là encore des exagérations considérables. D’autres savants (Bolten, der Bericht des Matth. Altona, 1792; Eichhorn, Einleitung. in das N. T. p. 167 et s., 284 et s.; Bertholdt, Hist. krit. Einleit. p. 1260 et ss., etc.) ont affirmé au contraire que le style grec du premier Évangile sent l’hébreu d’un bout à l’autre et qu’il abonde en fautes de traduction. Ce qui est certain, c’est qu'on y trouve des expressions de couleur tout à fait sémitique, revenant d'une manière fréquente et semblant supposer un texte original araméen; par exemple ϰαὶ ἰδού,
דהבה, que S. Matthieu emploie jusqu’à trente fois; ἀποστρέφειν, comme השיב, pour signifier: ramener, rapporter, C. 26, 52 ; 27, 7; ἐγὼ ϰύριε, 21, 30, je suis prêt. הנני ; ὀμνύειν ἐν, formé d’après l’hébreu בשבצ ב sept fois; μέχρι ou ἕως τῆς σήμερον, 11, 23; 27, 8; 8, l5, locution aimée des écrivains de l’Ancien Testament, צד־היום הדה etc. Sur ce point encore, nous avons gain de cause, ou tout au moins la question reste douteuse.Une dernière objection philologique se tire de la nature des citations
de l’Ancien Testament faites par l’auteur du premier Évangile. Ces citations sont de deux sortes : il y a celles que S. Matthieu fait en son propre nom, pour prouver le caractère messianique de Jésus (voici les principales :1, 23, Cf. Is. 7, 14 et ss.: 2, 15, Cf. Os. 11, 4; 2, 48, Cf. Jer. 31, 15 ; 2, 23; Cf. Is. 11, 1 ; 4, 15 et s; Cf. Is. 8, 23; 9, 1 ; 8, 17, Cf. Is. 53, 4; 53, 35, Cf. Ps. 75, 2; 21. Cf. Zach. 9, 9.), et celles qu’il rapporte comme simple narrateur, parce qu’elles se trouvaient dans les discours du Christ ou d’autres personnages (entre autres : 3, 3, Cf. Is. 40, 3; 4, 4, Cf. Dent. 8, 3; 4, 6, Cf. Ps. 90, 2 ; 4, 7,Cf. Deut. 6, 16; 4, 10, Cf. Deut. 6, 13; 15, 4, Cf. Ex. 20, 12: 15, 8, Cf. Is. 29, 13; 19, 5, Cf. Gen. 2, 24; 21, 42. Cf. Ps. 117, 22; 22, 39, Cf. Lev. 19, 18; 24, 15, Cf. Dan. 9, 27; 26, 31, Cf. Zach. 13, 7). Or, les premières ont lieu le plus souvent d’après le texte hébreu de 1’Ancien Testament, les autres d’une manière régulière d’après la version des Septante, alors même qu’elle s’écarte de l’hébreu. A coup sûr, c’est là un phénomène assez extraordinaire, qui méritait d’attirer 1’attention des critiques (Voir l'intéressant ouvrage d'Anger, Ratio qua loci Vet. Testam. in Evangelio Matth. laudantur, Lips. 1861-1862; Cf. Patritii, de Evangeliis libri tres, t. 2. p. 153-161.). Mais prouve-t-il comme le veulent nos adversaires (Cf. Hug, l. c. § 12, p. 60-63. Voir dans Langen, Einleitung, p. 25, d'autres conclusions singulières que l'on a tirées de ce fait), que l'Évangile selon S. Matthieu a été écrit primitivement en grec? Pas le moins du monde. Nous pourrions en déduire avec tout autant de vérité la composition du premier Évangile en langue araméenne, puisque plusieurs des citations de 1’Ancien Testament, par exemple 2, 15, Cf. Os. 11, 1 ; et 8, l7, Cf. Is. 53, 4, seraient complètement vides de sens, si elles étaient faites d’après les Septante. Quel Juif, demande à bon droit M. Langen (loc. cit.), quel Juif écrivant en grec et citant 1’Ancien Testament, se serait écarté constamment de la version officielle des Septante, pour faire lui-même une traduction indépendante du texte original? Mais, pour être impartial, nous préférons admettre avec Arnoldi (Comm. zu Matth. p. 29.), que le fait signalé ne prouve ni pour ni contre l’emploi du grec ou de l'araméen par Matthieu. Il est vraisemblable que, dans l’écrit primitif de l’Apôtre, toutes les citations étaient conformes au texte hébreu : c’est le traducteur qui, agissant avec une grande indépendance et désirant peut-être établir, toutes les fois qu’il le pouvait sans nuire au fond des choses, une ressemblance aussi grande que possible entre le premier Évangile et les deux suivants qui avaient fait alors leur apparition, aura adapté une partie des citations de S. Matthieu à la version des Septante (Baumgarten-Crusius, Comm. üb. Matth., Iena, 1845, p. 23. bien qu’opposé en principe
à la composition du premier Évangile en langue hébraïque, adopte cette explication. Cf. Smith, Diction. of the Bible, t. 2, p. 275.).Mais, nous dit-on, si S. Matthieu a écrit en hébreu, comment expliquer la prompte disparition du texte original? Est-il concevable qu’à ces âges de foi une œuvre apostolique se soit ainsi perdue, sans qu’il en restât autre chose qu’une traduction ? La réponse que Richard Simon faisait autrefois à cette objection a conservé toute sa valeur : " La raison pour laquelle
l'exemplaire hébreu ou chaldaïque ne s’est pas conservé, c’est que les églises de la Judée, pour lesquelles il fut d'abord écrit, n’ont pas subsisté longtemps. Au contraire, les Églises où la langue grecque était florissante, ont toujours duré... Ce n’est donc pas une chose extraordinaire que l'Évangile hébreu de S. Matthieu ait été perdu... Il est cependant à remarquer qu’il ne périt pas entièrement dès les premiers temps du christianisme; car la secte des Nazaréens, qui tirait son origine des premiers Nazaréens ou chrétiens de la Judée, continua longtemps de le lire dans ses assemblées.Il passa aussi aux Ebionites qui l'altérèrent en plusieurs endroits. Nonobstant ces altérations, on pouvait toujours dire que c'était l’Évangile hébreu de S. Matthieu (Histoire critique du N. T. t. 1, p. 52 et s. " L'original hébreu, dit de même Reithmeyr,
disparut sans doute d'assez bonne heure, quand se fut dissipé le petit groupe de chrétiens qui seul en pouvait faire usage. " Einleit. p. 363. Cf. Langen, l. c. p. 22.). " Le savant critique, dans ces dernières lignes, fait allusion a l’écrit célèbre qu’on appelait déjà du temps des Pères " l'Évangile selon les Hébreux " (Εὐαγγέλιον ϰαθʹ Εϐραίους, Euseb. Hist. Eccl. 3, 27; Cf. Hierou. Comm. ad Matth. 12, 13) que plusieurs écrivains ecclésiastiques des premiers siècles identifiaient déjà à l'œuvre originale de S. Matthieu. S. Epiphane n’a pas le moindre doute à ce sujet : " Ils possèdent, dit-il des Nazaréens orthodoxes, l’Évangile selon S. Matthieu très-complet en langue hébraïque : ils conservent encore aujourd’hui manifestement cet Évangile tel qu'il a été écrit primitivement en caractères hébraïques (Haer. 29, 9). " S. Jérôme parlant à différentes reprises de l'Évangile des Hébreux, affirme qu’un grand nombre de ses contemporains le regardaient comme l’écrit primitif de S. Matthieu : " Dans l’évangile selon les Hébreux…dont se servent jusqu’à maintenant les Nazaréens, évangile selon les Apôtres, ou comme plusieurs le croient, selon Matthieu, que l’on trouve encore dans la bibliothèque de Césarée (Contr. Pelagi. 3, 1.). " Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ebionites…qui est appelé par la plupart l’évangile authentique de Matthieu (Comm. ad Matth. 12, 13) ". Il dit encore : " L’évangile hébraïque de saint Matthieu lui-même est conservé jusqu’à aujourd’hui dans la bibliothèque de Césarée… Les Nazaréens de Beyrouth en Syrie, qui se servent de ce volume, m’ont accordé l’autorisation de le transcrire (De Vir. illustr. c. 3. Il raconte au chap. 2 qu’il traduisit cet Évangile de l'hébreu en grec et en latin. De ces témoignages, concluons avec Reithmayr (Traduction du P. de Valroger, t. 2, p. 39 et 40.) et avec beaucoup d’autres exégètes contemporains (entre autres J. Langen, Bisping, Van Steenkiste, Gilly, etc.), que, dans l'Évangile selon les Hébreux, " nous avons trouvé la source d’après laquelle fut rédigé l’Évangile grec de S. Matthieu, tel que nous l'avons. " L'existence de ce livre, bien qu’il ait été rangé parmi les écrits apocryphes à cause des erreurs ou des fables qu’y ajoutèrent les Ebionites (Voir dans Grabe, Spicilog. Patr. 1, 25-31, et dans Fabricius, Cod. apocr. Nov. Test 1, 355 et ss., quelques fragments de 1’ " Evangel. sec. Hebræos. "), confirme donc ce que nous avons dit plus haut, touchant la composition du premier Évangile en langue araméenne.Il nous reste à dire quelques mots de la traduction grecque qui, depuis tant de siècles, a remplacé, dans l'usage officiel comme dans l'usage privé, le texte original hébreu. Par qui a-t-elle été composée? A quelle
époque remonte-t-elle? Quels sont ses rapports avec l'œuvre primitive de S. Matthieu? On aimerait à le savoir d’une manière précise; malheureusement l’on est réduit sur ces trois points à des conjectures plus ou moins incertaines. 1° Le traducteur n’était déjà plus connu du temps de S. Jérôme: " Celui qui, par après, l’a traduit en grec n’est pas connu avec certitude " (De vir. illustr., c. 3). Il est vrai que la " Synopsis sacræ Scripturæ " rangée à tort parmi les écrits de S. Athanase (Edit. Bened. t. 2, p. 202 : τὸ μὲν οὖν ϰατὰ Ματθαῖον εὐαγγέλιον ἐγράφη ὑπʹ αὐτοῦ τοῦ Ματθαίου τῆ Εϐραῖδι διαλέϰτῳ ϰαὶ ἐξεδόθη ἐν Ἱερουσαλὴμ, ἡρμηνεύθη δὲ ὑπὀ Ἰαϰώϐου τοῦ αδελφοῦ τοῦ ϰυρίου τό ϰατὰ σάρϰα.) attribue la version grecque du premier Évangile à S. Jacques-le-Mineur ; que Théophylacte, Euthymius Zigabenus et plusieurs manuscrits la regardent comme l'œuvre de l’apôtre S. Jean; que divers auteurs anciens ou modernes ont prononcé dans le même sens les noms de S. Barnabé (Isidor Hispalens.), de S. Marc (l'exégète anglais Greswell), de S. Luc et de S. Paul (Anastasius Sinaïta); enfin que d'assez nombreux exégètes contemporains supposent que la traduction fut faite par S. Matthieu lui-même (Olshausen, Lee, Ebrard, Thierseh, etc.) ou du moins sous sa direction (Guericke) : mais ce sont là de simples assertions dénuées de fondement solide. 2° L’Évangile araméen de S. Matthieu dût être traduit de très-bonne heure en langue grecque. Il parut sans doute sous cette nouvelle forme presque aussitôt après sa publication, en tout cas bien avant la fin du premier siècle, car le texte grec était déjà répandu par toute l'Église à l'époque des Pères apostoliques. S. Clément de Rome, S. Polycarpe, S. Ignace d’Antioche 1’ont connu et cité (relire leurs citations mentionnées au § 2. 1, 22). Une traduction grecque répondait du reste à un besoin trop urgent des premiers convertis de la gentilité pour qu’elle n'ait pas été immédiatement entreprise. Aussi lisons-nous sans aucune surprise dans les fragments qui nous restent de Papias, qu’il y eut tout d’abord des essais multiples en ce sens : ἡρμήνευσε δʹ αὐτὰ (les λογια de S. Matthieu, voir § 3, 1, l°) ὡς ἦν δυνατὸς ἕϰαστος (Ap. Euseb. Hist. Eccl. 3. 39). Toutes ces versions imparfaites vécurent peu de temps; une seule reçut bientôt un caractère officiel, et les différentes chrétientés adhérèrent d’une manière inébranlable, comme si c’eût été l'original même de l’apôtre. C’est cette traduction que nous avons encore aujourd’hui. 3° Aucun écrivain de l'antiquité n’a songé à établir une comparaison entre le texte hébreu de S. Matthieu et la traduction grecque. Ce silence même, la réception prompte et uniforme du texte grec et l’autorité canonique qui lui fut conférée dès le début, prouvent qu’il reproduit exactement Évangile araméen. Nous avons cependant conclu de la classification des citations de l’Ancien-Testament en deux catégories, et du procédé spécial appliqué à chacune des deux classes, que, selon toute vraisemblance, le traducteur s’est conduit parfois d’une manière assez indépendante, sans pourtant jamais cesser d’être fidèle. C’est du texte grec que toutes les autres versions dérivent, à part une seule, en langue syriaque, qui fut faite immédiatement sur l’original hébreu, comme 1’a démontré naguère M. Cureton (Syriac Recei 3, p. 75 et ss. ; Cf. Journal asiatique, juillet 1859, p. 48 et 49; Le Hir, Études bibliques, t. 1, p. 25 et ss.)
Il est incontestable qu'on ne trouve pas dans le premier Évangile la vie
et la rapidité du récit de S. Marc, les brûlantes couleurs et les beautés psychologiques de la narration de S. Luc : c’est, comme on l’a dit (E. Venables, dans Kitto’s Cyclopædia of Bibl. Literature, t. 3, p. 114), le moins graphique de tous les Évangiles. Cela provient de ce que son auteur se borne le plus souvent à tracer les grandes lignes de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à esquisser les contours des événements, sans s’arrêter à dessiner minutieusement les traits particuliers. N’envisageant les choses que sous leur aspect général, il s’intéresse moins aux circonstances secondaires (il est cependant bien loin d’être " mager, dürftig, abgerissen ", comme le prétend Kœstlin, ap. Schanz, Composit. des Matth. Evang. p. 43.) : de là ce manque de pittoresque qui a été déjà signalé plus haut. Mais, en revanche, comme il plaît par sa noble simplicité, par son calme parfait, par sa majestueuse grandeur ! S’il est par excellence l’Évangile du royaume des cieux (l'expression ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν, " regnum cœlorum ", y revient jusqu’à trente deux fois), l’Évangile du Messie-Roi, le ton du récit est aussi vraiment royal depuis la première jusqu’à la dernière ligne. Du reste, si S. Matthieu a une certaine infériorité comme écrivain lorsqu’il rapporte les faits, il est au premier rang parmi les synoptiques pour exposer les discours du divin Maître. On peut même dire que sa spécialité comme évangéliste consiste précisément à nous montrer Jésus orateur. Il ajoute peu aux événements qu’il abrège au contraire quand ils ne se rattachent point à son but (Nous noterons dans le commentaire ceux qu’il est seul à raconter); mais il ajoute énormément aux discours et aux paroles du Sauveur. A lui seul, il a conservé jusqu’à sept grands discours se rattachant à différents sujets, et qui suffisent pour nous donner une idée complète du genre d’éloquence de Notre-Seigneur. Ce sont : 1° le sermon sur la montagne, ch. 5-7; 2° l'allocution aux douze Apôtres au moment où Jésus les envoyait prêcher 1’Évangile pour la première fois, ch. 10; 3° une apologie contre les Pharisiens, ch. 12, 25-45; 4° les paraboles du royaume des cieux, ch. 13; 5° un discours adressé aux disciples sur les devoirs réciproques des chrétiens, ch. 18; 6° une vigoureuse polémique à l’adresse de ses adversaires, ch. 23; enfin 7° une prophétie solennelle relative à la ruine de Jérusalem et à la fin du monde, ch. 24-25.Aux particularités de style qui ont été signalées à l’occasion de la discussion sur l'idiôme dans lequel fut composé le premier Évangile, nous ajouterons les suivantes, qui contribueront aussi à déterminer son caractère général. L'expression δ πατὴρ δ ἐν τοῖς οὐρανοῖς est employée seize fois par S. Matthieu, tandis qu’elle n’apparaît que deux fois dans le second
p22 Évangile, pas une seule fois dans le troisième. Jésus y est appelé sept fois υτός Δαϐίδ. La particule τότε ne revient pas moins de quatre-vingt dix fois sous la plume de l’évangéliste, pour ménager quelque transition. Les locutions ϰατʹ ὄναρ, ἡ συντελεία τοῦ αίῶνος, τάφος, προσϰυνεῖν avec le datif, rarement usitées dans les autres écrits du Nouveau-Testament, sont employées six, cinq, six, et dix fois dans notre Évangile. Les mots φρόνιμός, οἰϰιαϰός, ὕστερον, διστάζειν, συναιρεῖν λόγον, μαλαϰία, συμϐούλιον λαμϐάνειν, etc., sont également chers à. S. Matthieu (Voir Credner, Einleitung p. 63 et ss.).
l. Le but que se proposait S. Matthieu en composant son Évangile (Cf. § 5) a évidemment influé sur le choix qu’il a fait des matériaux, et sur la place qu’il leur a accordée dans le récit. Parmi les miracles et les discours du Sauveur, il a donc choisi ceux qui lui paraissaient mieux prouver le caractère messianique de Jésus, ceux qu’il pouvait plus parfaitement rattacher aux anciennes prophéties relatives à la vie du Christ. C’est pour cela qu’il touche à peine au ministère de Notre-Seigneur en Judée, tandis qu’il s’étend longuement et avec amour sur l’activité déployée par le divin Maître dans la province de Galilée. En effet, avec l’histoire de la Sainte Enfance et de la Passion, c’était bien la vie galiléenne de Jésus qui fournissait le plus de ces traits caractéristiques que S. Matthieu pouvait employer dans l'intérêt de-sa thèse dogmatique et apologétique. En les réunissant, il lui était facile de montrer en Jésus, d’après les prophètes, un Christ aimable, populaire, digne d’attirer à lui tous les cœurs.
L'ordre suivi par l'évangéliste est en général celui de la chronologie. Néanmoins, il l'abandonne souvent dans les détails secondaires, pour grouper d’après un ordre logique des événements qui ne s'étaient pas suivis d’une manière immédiate. C'est ainsi qu’il a réuni, dans les chapitres 8 et 9, de nombreux miracles de Notre-Seigneur, simplement enchaînés les uns aux autres par les vagues formules τότε, ϰαί ἐγένετο, ἐγένετο δὲ, ἐν ἐϰείνῃ τῇ ημέρα, etc. Cette manière d’accumuler les faits analogues, dans laquelle plusieurs écrivains (Cf. Ayre, Treasury of Bible Knowledge, Londres, 1866, p. 574) ont voulu voir un frappant exemple des habitudes d’ordre et de méthode que S. Matthieu avait contractées pendant qu’il exerçait les fonctions de publicain, donne beaucoup de force au
récit, et rend irrésistible la preuve que l'évangéliste désirait ainsi mettre en lumière. Mais on a fortement exagéré, quand on a prétendu découvrir presque partout, par exemple dans les chapitres 5-7, 10, 13, 21-24, des arrangements factices contraires à la réalité historique. Nous nous réservons de démontrer ailleurs tout ce qu’il y a d’erroné dans ce système ( Voir en particulier les préambules des chap. 5 et 10).2. Presque tous les exégètes s’accordent à diviser le premier Évangile en trois parties, qui correspondent à l’histoire préliminaire de Jésus, à sa vie publique en Galilée, et à la catastrophe finale qui le conduisit au Calvaire ; mais il se séparent ensuite les uns des autres quand il s’agit de déterminer le commencement et la fin de chaque partie. Plusieurs conduisent l'histoire préliminaire du Sauveur jusqu’au milieu du chapitre 4,
(§.11), et arrêtent la seconde partie à la fin du chap. 18 (Kern, Hilgenfeld, Arnoldi, Cf. Schanz. l. c. p. 37.); d’autres placent dans la première partie les chap. 1 et 2, les chap. 3-25 dans la seconde, enfin les chap. 26-28 dans la troisième (Bisping, Langen, Van Steenkiste, etc. Plusieurs des partisans de cette division vont trop loin quand ils affirment que chaque partie correspond à un des titres du Messie, la première au titre de roi, la seconde au titre de prophète, la seconde à celui de grand-prêtre; Cf. Lutterbeck, die neutestam. Lehrbegriffe, Mayence 1852, t. 2, p. 158 et ss.). Nous avons adopté cette dernière division comme la plus naturelle, en lui faisant subir toutefois une légère modification. Les §§. l-l7 du chapitre 1 nous ont semblé former un prélude général. La fin de ce chapitre et le suivant tout entier correspondent à la première partie que nous intitulons : Vie cachée de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La seconde partie, ch. 3-25, correspond à la vie publique du Sauveur; la troisième, ch. 26-27, à sa Vie souffrante. Nous avons considéré l’histoire de la résurrection, ch. 28, comme un appendice. — M. Delitzsch a inventé une division en cinq livres qu’il met ensuite en parallèle avec les cinq parties du Pentateuque, sous prétexte que l'Évangile selon S. Matthieu représente la Thora, c'est-à-dire la loi de la nouvelle théocratie; 1,1-2, l5 formeraient la Genèse; 2, 16-7, l'Exode; 8-9, le lévitique; 10-18, le livre des Nombres; 19-28, le Deutéronome. Mais cette combinaison, quelque ingénieuse qu’elle soit, n’a guère de fondement que dans la belle imagination de l'auteur (Matthæus-Evangelium, p. 60. Voir d'autres divisions dans l'ouvrage précité de M. Schanz, p. 38.).
Il nous reste à indiquer rapidement les meilleurs commentaires qui ont paru sur le premier Évangile depuis l'époque des Pères jusqu'à nos jours.
1°. Commentaires patristiques.
a. Église grecque. — Origène a expliqué l’Évangile selon S. Matthieu. Malheureusement une partie de ses τομόι s'est perdue : nous n’en possédons plus qu’une traduction latine qui commence au 13è chapitre.
S. Jean Chrysostome a composé sur le premier Évangile 9l homélies dont la réunion forme un chef-d'
œuvre d'exégèse et d’éloquence. Elles remplissent deux volumes de la patrologie de Migne.Plus tard, au 12è siècle, Théophylacte, archevêque des Bulgares, a publié un excellent commentaire grec de S. Matthieu.
De même Euthymius Zigabenus, moine de Constantinople.
b. Église latine. — S. Hilaire de Poitiers, Commentarius in Evangelium Matthaei, Migne, Patrologia latina, t. 9, col. 917 et ss.
S. Jérôme, Commentaria in Evangel. S. Matthaei, Migne, ibid. t. 26, col. l5 et ss.—Excellente interprétation.
S. Augustin, Quæstionum 17 in Evangelium sec. Matth. lib. 1. — Œuvre plutôt théologique qu'exégétique, comme celle de S. Hilaire.
5è. Bède (au 8° siècle), Commentariorum in Matthæii Evangelium lib. 4.
S. Thomas d’Aquin (13è siècle), Commentarius in Evangelium Matthæi, et Catena aurea in 4 Evangelia.
2°. Commentaires modernes.
a. Ouvrages catholiques.
Erasme de Rotterdam, Annotationes in Novum Testamentum, Bâle 1516.
Maldonat, Commentarii in 4 Evangelia, 1re édition en 1596. L’un des
meilleurs écrits qui aient été composés sur les Evangiles.Sylveira, Commentarii in textum Evangelium, edit. 6a, Lugduni,1697.
Cornelius a Lapide, Commentarii in 4 Evangelia, Anvers 1712.
Corn. Jansenius, In Sancta Jesu-Christi Evangelia Commentarius,
Louvain 1639.D. Calmet, Commentaire littéral sur tous les livres de l’Anc. et du Nouv. Testament. t. 19, l'Évangile de S. Matthieu, Paris 1725. Excellent.
Daniel Tobenz, Commentarii in SS. scripturam Novi Fæderis, Vienne, 1818.
Al. Gratz, Hist.-krit. Commentar über das Evangelium des Matthæus, Tubingue,182l-1823.
Aug. von Berlepsch, Quatuor Novi Testamenti Evangelia orthodoxe explanata, Ratisbonne, 1849.
Reischl, die heilig. Schriften des N. Testaments, Ratisb. 1866.
Lipman, het Nieune Testament onzes Heeren Jesus-Christus, 2° édition, 1861.
Arnoldi, Commentar zum Evangelium des S. Matthæus, Trêves, 1856.
Bisping, Erklaerung des Evangeliums nach Matthæus, Munster, 1867, 2° édition.
Schegg, Evangelium nach Matthæus, Munich, 1863, 2°édition.
Mgr Mac-Evilly, Exposition of the Gospels, Dublin, 1876.
Van Steenkiste, Commentarius in Evangelium secundum Matthæum, Bruges, 1876.
b. Ouvrages protestants.
Théodore de Bèze, Annotationes majores in Nov. Testam. Genève, 1565.
Hug. Grotins, Annotationes in Nov. Testamentum, Paris, 1644.
Olearius, Observationes sacræ in Evangelium Matthaei; Leipzig, 1713.
Elsner, Commentarius crit.-philolog. in Evangelium Matthæi, 1769.
Kuinœl, Comment. in libros historicos N . T. t. 1. Evangelium Matthæi, Leipzig, 1807.
Fritzsche, Quatuor Evangelia recensuit, et cum perpetuis commentariis edidit, t. 1, Evangeliam Matth. Leipzig, 1826.
Olhausen, Bibl. Commentar über die Schriften des N. Testam. t.1. die drei ersten Evangelien, Kœnigsberg,1830.
Baumgarten-Crusius, Commentar über das Evang. des Matth. Iena, 1844.
H. W. Meyer, Krit.-exeget. Commentar üb. das N. Test. t. 1, das Evangelium des Matth. 2° édit. Gœttingue, 1844.
J. P. Lange, Theolog.-homilet. Bibelwerk, N. Testam. 1 Theil. Das Evangelium nach Matth. 3° édit. Bielefeld, 1868.
Lymann Abbott, the N. Testament with notes and comments, vol. 1, Matthew. Londres 1875.
Alford, Greek Testament. t.1 the three first Gospels.
c. Ouvrages rationalistes.
Paulus, Philolog. krit. und histor. Commentar üb. das N. Testam 1-3 Th. die drei ersten Evangelien, 1800.
De Wette, Kurzgefasstes exeg. Handbuch zum N. T. t. I, Erklærung des Evang. Matthaei. Leipzig, 1836.
Ewald, die drei ersten Evangelien, Gœttingue, 1850.
Les ouvrages catholiques cités plus haut sont tous remarquables à divers titres : leur réunion forme un commentaire aussi complet que possible
sur l’Évangile selon S. Matthieu. Les ouvrages protestants et rationalistes ne sont pas sans valeur; mais nous croyons devoir rappeler ici qu’on ne peut les lire qu’avec une autorisation spéciale et de grandes précautions.
_________________________________________
PRÉLUDE.
LA GÉNÉALOGIE DE JÉSUS, 1, 1-17.
PREMIÈRE PARTIE.
LA VIE CACHÉE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, 1, 18-2, 23
l. — Mariage de Marie et de Joseph.
1. 18-2, 23.2. — Adoration des Mages. 2, 1-12.
3. — Fuite en Égypte et massacre des
SS. Innocents. 2, 13-18.4. — Retour d’exil et séjour à Nazareth.
2, 19-23.SECONDE PARTIE
VIE PUBLIQUE DE
NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, 3-20.§ l. Caractère général de la vie publique.
§2. Période de préparation. 3, 1-4, 11.
1. — Le précurseur. 3, 1-12.
2. — La consécration messianique. 3-13, 4-11.
1° Le baptême. 3, 13-17.
2° La tentation. 4, 1-11.
§3. Le ministère de Notre-Seigneur Jésus-Christ en Galilée. 4,12—18, 15.
1. — Jésus se fixe à Capharnaum et commence à prêcher. 4, 12-17.
2. — Vocation des premiers disciples. 4,18-22.
3. — Grande mission en Galilée. 4, 23-9, 34.
1° Résumé général de la mission. 4. 23-25.
2° Discours sur la montagne. 5-7.
a. Coup d’œil général sur la prédication de Jésus.
b. Le grand discours messianique.
3° Divers miracles de Jésus. 8, 1-9, 34.
a. Les miracles de Jésus considérés dans leur ensemble.
b. Guérison d'un lépreux. 8, 1-4.
c. Guérison du serviteur du centurion. 8, 5-13.
d. Guérison de la belle-mère de S. Pierre. 8, 14-17.
e. La tempête apaisée. 8, 18-27.
f. Les démoniaques de Gadara. 8, 28-34.
g. Guérison d’un paralytique. 9, 1-8.
h. Vocation de S. Matthieu. 9, 9-17.
i. La fille de Jaïre et l'hémorrhoïsse. 9, 18-26.
j. Guérison de deux aveugles. 9, 27-31.
k. Guérison d’un possédé muet. 9, 32-34.
4. — Mission des douze Apôtres. 9, 35-10, 42.
1° Nouvelle mission en Galilée. 9, 35-38.
2° Pouvoirs conférés aux Douze. 10, 1-4.
3° Instruction pastorale que Jésus leur adresse. 10, 5-42.
5. — Ambassade de Jean-Baptiste, et discours de Notre-Seigneur Jésus-Christ à cette occasion. 11, 1-30.
6. — Jésus en lutte ouverte avec les Pharisiens. 12, 1-50.
1° Polémique à propos du Sabbat. 12. 1-21.
a. Les disciples accusés de violer le Sabbat. 12. 1-8.
b. Guérison d'une main desséchée. 12. 9-14.
c. Douceur et humilité de Jésus prédites par Isaïe. 12. 15-21.
2° Polémique à propos de la guérison d’un démoniaque. 12. 22-50.
a. Jésus guérit un démoniaque: accusation des Pharisiens. 12. 22-24.
b. Réplique du Sauveur. 12. 25-37.
c. Le signe accordé aux Pharisiens. 12. 38-45.
d. La mère et les frères de Jésus. 12. 46-50.
7. — Les paraboles du royaume des Cieux. 13, 1-52.
1° Idées générales sur les paraboles évangéliques.
2° Occasion des premières paraboles de Jésus. 13. 1-3a.
3° La parabole du Semeur. 13. 3b-9.
4° Pourquoi Jésus enseigne sous la forme de paraboles. 13.10-17.
5° Explication de la parabole du Semeur. 13. 18-23.
6° Parabole de l'ivraie. 13. 24-30.
7° Parabole du grain de sénevé. 13. 31-32.
8° Parabole du levain. 13. 33.
9° Réflexion de l'évangéliste sur cette nouvelle forme d'enseignement.13. 34-35.
10° Interprétation de la parabole de l’ivraie. 13. 36-43.
11° Parabole du trésor caché. 13. 44.
12° Parabole de la perle. 13. 45-46.
13° Parabole du filet. 13. 45-50.
14° Conclusion des paraboles du royaume des Cieux. 13. 51-52.
8. — Nouvelle série d'attaques et nouveaux miracles. 13, 53-16, 12.
1° Jésus et les habitants de Nazareth. 13, 53-58.
2° singulière opinion d’Hérode au sujet de Jésus, 14, 1-2.
3° Martyre de S. Jean-Baptiste. 14.3-12.
4° La première multiplication des pains. 14, 13-21.
5° Jésus marche sur les eaux. 14, 22-33.
6° Jésus dans la plaine de Génnésareth. 14, 34-36.
7° Conflit avec les Pharisiens a propos des ablutions. 15,1-20.
8° Guérison de la fille de la Chananéenne. 15, 21-28.
9° Seconde multiplication des pains. 15, 29-39.
10° Le signe du ciel. 16. 1-4.
11° Le levain des Pharisiens et des Sadducéens. 16, 5-12.
9. — Confession et primauté de S.Pierre. 16, 13-28.
1° Ce qui précéda la promesse de la Primauté. 16, 13-16.
2° Promesse de la Primauté. 16, 17-19.
3° Ce qui suivit la promesse. 16. 20-28.
10. — La Transfiguration de N.-S. Jésus-Christ. 17, 1-22.
1° Le miracle 17. 1-8.
2° Trois incidents qui se rattachent à la Transfiguration, 17. 9-22.
a. L'avènement d’Elie. 17. 9-13.
b. La guérison d’un lunatique. 17. 14-20.
c. Seconde annonce officielle de la Passion. 17, 21-22.
11. — Dernier séjour de Jésus en Galilée. 17, 23-18, 35.
1° La double drachme. 17, 23-26.
2° Instruction sur les devoirs mutuels des chrétiens. 18, 1-35.
a. Conduite à tenir envers les petits et les humbles. 18, 1-14.
b. La correction fraternelle 18, 15-20.
c. Le pardon des injures. 18, 21-35.
§4. Voyage de Jésus à Jérusalem pour la dernière Pâque. 19, 1-20, 34.
1. — Esquisse générale du voyage. 19, 1-2.
2. — Séjour de Jésus en Pérée, 19,3-20,16.
a. Discussion avec les Pharisiens sur le mariage. 19, 3-9.
b. Entretien avec les disciples sur la virginité. 19, 10-12.
c. Jésus bénit les petits enfants. 19, 13-15.
d. Le jeune homme riche. 19, 16-22.
e. Les richesses et le renoncement. 19, 23-30.
f. Parabole des ouvriers envoyés à la vigne. 20, 1-16.
3. — Derniers incidents du voyage 20, 17-34.
a. Troisième prédiction de la Passion. 20, 17-19.
b. Ambitieuse requête de Salomé. 20, 20-28.
c. Les aveugles de Jéricho. 20, 29-34.
TROISIÈME PARTIE
DERNIÈRE SEMAINE DE LA VIE DE JÉSUS
21-271. Première section. Entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. 21,1-11
2. Deuxième section. Activité messianique de Jésus à Jérusalem pendant la dernière semaine de sa vie. 21, 12-25, 46
1. Vendeurs chassés du Temple. 21, 12-17.
2. Le figuier maudit. 21, 18-22.
3. Jésus en lutte ouverte avec ses ennemis. 21, 23-23, 39.
1° Première attaque : les délégués du Sanhédrin. 21, 23-22, 14.
a. Les pouvoirs de Jésus. 21, 23-27.
b. Parabole des deux fils. 21, 28-32.
c. Parabole des vignerons perfides. 21, 33-46.
d. Parabole du festin nuptial. 22, 1-14.
2° Deuxième attaque : les Pharisiens et le denier de César. 22, 15-22.
3° Troisième attaque : les Sadducéens et la résurrection. 22, 23-33.
4° Quatrième attaque : encore les Pharisiens. 22, 34-46.
a. Le plus grand commandement. 22, 34-40.
b. Le messie fils de David. 22, 41-46.
5° Réquisitoire de Jésus contre les Pharisiens. 23.
a. Première partie. 23, 1-12.
b. Seconde partie : les malédictions. 23, 13-32.
c. Troisième partie. 23, 33-39.
4. Discours eschatologique du Sauveur. 24-25.
1° Première partie. 24, 1-35.
a. Occasion du discours. 24, 1-3.
b. Pronostic de grandes ruines. 24, 4-35.
2° Seconde partie. 24, 36-25, 30.
a. Il faut veiller. 24, 36-51.
b. Parabole des dix Vierges. 25, 1-13.
c. Parabole du talent. 25, 14-30.
3° Troisième partie. 25, 31-46.
3. Troisième section. Récit des souffrances et de la mort du Sauveur. 26-27
1. Annonce définitive de la Passion. 26, 1-2.
2. Complot du Sanhédrin. 26, 3-5.
3. Le repas et l'onction de Béthanie. 26, 6-13.
4. Trahison de Judas. 26, 14-16.
5. Préparation de la cène pascale. 26, 17-19.
6. Cène légale et prophétie relative au traître. 26, 20-25.
7. Cène eucharistique. 26, 26-29.
8. Jésus prédit la chute de S. Pierre. 26, 20-35.
9. Agonie de Gethsémani. 26, 36-46.
10. Arrestation du Sauveur. 26, 47-56.
11. Jésus devant le Sanhédrin. 26, 57-68.
12. Le reniement de S. Pierre. 26, 69-75.
13. Jésus est conduit au prétoire. 27, 1-2.
14. Désespoir et mort de Judas. 26, 3-5.
15. Emploi des trente deniers. 26, 6-10.
16. Jésus au tribunal de Pilate. 26, 11-26.
17. Le couronnement d'épines. 26, 27-30.
18. La voie douloureuse. 26, 31-34.
19. Jésus en croix. 26, 35-50.
20. Ce qui suivit la mort de Jésus. 26, 51-56.
21. Ensevelissement du Christ. 26, 57-61.
22. Les gardes auprès du Sépulcre. 26, 62-66.
APPENDICE
LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST . 28.
a. Les saintes femmes au Sépulcre. 28, 1-10.
b. Les gardes corrompus par le Sanhédrin. 28, 11-15.
c. Jésus apparaît aux disciples en Galilée. 28, 16-20.
__________________________
1
Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham.
Jésus vient sur les bords du lac et enseigne la foule sous la forme de paraboles, vv. 1-3a. - Parabole du semeur, vv. 3b-9. - Pourquoi Jésus-Christ parle en paraboles, vv. 10-17. - Interprétation de la parabole du semeur, vv. 18-23. - Parabole de l'ivraie, vv. 24-30. - Parabole du grain de sénevé, vv. 31-32. - Parabole du levain, v. 33. - Réflexion de l'évangéliste à propos de la nouvelle méthode d'enseignement du Sauveur, vv. 34-35. - Interprétation de la parabole de l'ivraie, vv. 36-43. - Parabole du trésor caché, vv. 44. - Parabole de la perle, vv. 45-46. - Parabole du filet, vv. 47-50. - Conclusion des Paraboles du royaume des cieux, vv. 51-52. - Jésus vient à Nazareth où il est un objet de scandale pour ses compatriotes incrédules, vv. 53-58.
1. Le semeur, Matth. 13, 1-23 ; Marc. 4, 1-20 ; Luc. 8, 4-15.
2. Le froment et l’ivraie, Matth. 13, 24-30.
3. Le grain de sénevé, Matth. 13, 31 et 32 ; Luc. 13, 18 et 19.
4. Le levain, Matth. 13, 33 ; Luc. 13, 20-21.
5. La graine jetée en terre, Marc. 4, 26-29.
6. Le trésor caché, Matth. 13, 44.
7. La perle précieuse, Matth. 13, 45 et 46.
8. Le filet, Matth. 13, 47-50.
Après quelque temps d’arrêt, nous voyons apparaître un second groupe beaucoup plus considérable, et d’un type nouveau parce que le divin auteur s’y propose une nouvelle fin.
1. Le bon Samaritain, Luc. 10, 25 et ss.
2. Le serviteur sans pitié, Matth. 18, 23 et ss.
3. L’ami nocturne, Luc, 11, 1 et ss.
4. Le riche insensé, Luc. 12, 13 et ss.
5. Le figuier stérile, Luc. 13, 6 et ss.
6. Le grand festin, Luc. 14, 16 et ss.
7. La brebis perdue, Matth. 18, 12 et ss. ; Luc. 15, et ss.
8. La drachme perdue, Luc. 15, 8 et ss.
9. L’enfant prodigue, Luc. 15, 11 et ss.
10. L’habile économe, Luc, 16, 1 et ss.
11. Le pauvre Lazare, Luc, 16, 19 et ss.
12. Le juge inique, Luc. 18, 1 et ss.
13. Le Pharisien et le Publicain, Luc. 18, 1 et ss.
14. Les ouvriers à la vigne, Matth. 20, 1 et ss.
Nous pourrions aussi rattacher à cette catégorie la petite parabole des deux débiteurs, Luc. 7, 40 et ss., qui lui appartient sinon par le temps, du moins par la forme et par l’idée.
Le troisième groupe se compose de six paraboles proposées par le Sauveur durant la période finale de sa vie. Elles sont théocratiques comme les premières, et s’occupent du royaume de Dieu, mais à un autre point de vue, que nous aurons à déterminer plus loin.
Ce sont :
1. Les mines, Luc. 19, 11 et ss.
2. Les deux fils, Matth. 21, 28 et ss.
3. Les vignerons pervers, Matth. 21, 33 et ss. ; Marc. 12, 1 et ss. ; Luc. 20, 9 et ss.
4. Les noces royales, Matth. 22, 1 et ss.
5. Les vierges sages et les vierges folles, Matth. 25, 1 et ss.
6. Les talents, Matth. 25, 14 et ss.
La plupart des paraboles du premier et du troisième groupe sont spéciales à S. Matthieu qui est en effet par excellence l’évangéliste du royaume des cieux. Celles du second groupe nous ont été presque toutes conservées par S. Luc, et nous verrons, en les étudiant, qu’elles conviennent parfaitement aussi au caractère particulier de son Évangile. S. Marc n’a inséré dans son récit qu’un nombre très restreint de paraboles : c’est qu’il s’attache beaucoup plus aux actes de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’à sa prédication. L’Évangile selon S. Jean n’en contient pas une seule ; bien plus, on n’y lit nulle part le mot parabole. - Jésus n’est pas l’inventeur de ce genre littéraire : la parabole existait même longtemps avant lui, bien qu’on la rencontre déjà dans l’Ancien Testament. L’Oriental à l’esprit enflammé, à la riche imagination, prompt à revêtir sa pensée d’embellissements poétiques, employa de bonne heure une forme d’enseignement qui réunissait en des proportions si excellentes l’agréable à l’utile. Des sages ou des prophètes comme Nathan, Cf. 2 Reg. 12, 1-7, comme Salomon, Cf. Eccles. 9, 14-16, et comme Isaïe, Cf. Is. 28, 23-29, avaient composé des paraboles. A l’époque du Sauveur, cette méthode de prédication était devenue très habituelle ; les Rabbins en usaient sans cesse et plusieurs d’entre eux, tels que Hillel, Schammaï, Nohoraï, Méïr, etc., se sont fait une vraie réputation par leur habileté sous ce rapport. Quelques-unes des paraboles rabbiniques renferment des beautés réelles : mais, soit pour les détails, soit dans l’ensemble, elles ne sauraient supporter la comparaison avec celles de Jésus-Christ, qui sont tout à fait inimitables et marquées à l’image du Fils de Dieu. Plusieurs Pères, spécialement Origène, S. Ephrem, S. Augustin et S. Jean Chrysostôme se sont livrés avec succès à ce genre de composition. - Si l’on étudie les paraboles de l’Évangile, non pas seulement une à une et d’une manière isolée, mais dans leur magnifique organisme, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles renferment un corps complet de doctrine chrétienne, toute une théologie avec ses divers traités. " Elles nous offrent une grande variété de leçons en apparence indépendantes les unes des autres et qui, prises isolément, ne donnent que des résultats partiels, tandis que, si l’on vient à les comparer entre elles et à les rapprocher, elles jettent un jour merveilleux sur la théorie tout entière de la religion et de l’Église... Sous l’enveloppe de l’enseignement parabolique de Notre-Seigneur, on peut retrouver toutes les doctrines et tous les préceptes qui devaient appartenir à l’Église qu’il était venu fonder. " Card. Wiseman, Mélanges religieux, scientifiq. et littér. 1. Les paraboles du N. T. A l’enseignement ordinaire de Jésus-Christ correspond donc tout un système d’enseignement en paraboles qui exprime les mêmes idées, les mêmes dogmes, les mêmes commandements, sous une forme symbolique. Il y a là pour les théologiens une mine très féconde à exploiter. - Voir sur les paraboles évangéliques : Salmeron, Sermones in Parabolas, Anvers, 1600 ; Unger, de Parabolarum Jesu natura, interpretatione, Leipzig, 1828 ; Lisco, die Parabeln Jesu, Berlin, 1831 ; Greswell, Exposition of the Parables, Londres, 1839 ; Trench, Notes on the Parables, 2° édit. Londres, 1870.
2° Occasion des premières paraboles, vv. 1-3a. Parall. Marc. 4, 1, 2 ; Luc. 8, 4.
1
Ce même jour, Jésus, étant sorti de la maison, s’assit au bord de la mer. 2Et des foules nombreuses s’assemblèrent autour de lui, de sorte qu’il monta dans une barque et s’assit et toute la foule se tenait sur le rivage. 3Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles en ces termes :L’évangéliste, dans cette courte introduction, expose les circonstances de temps et de lieu parmi lesquelles Jésus inaugura son enseignement sous la forme de paraboles.
Matthieu chap. 13 verset 1. - Ce même jour, Jésus, étant sorti de la maison, s’assit au bord de la mer.
- Ce même jour, c’est-à-dire le jour où s’étaient passés les événements racontés au chapitre qui précède, du moins à partir du v. 22. Jésus-Christ nous fera comprendre lui-même un peu plus bas, v. 11 et ss., le rapport qui existe entre l’endurcissement volontaire d’une grande partie des Israélites à son égard et la nouvelle méthode de prédication qu’il adopta ce jour-là même. - Étant sorti de la maison : probablement de la maison où, d’après S. Marc, 3, 20, Jésus avait répondu avec tant de succès aux accusations de ses ennemis. Selon d’autres, de sa propre maison de Capharnaüm. - S'assit au bord de la mer : un de ces traits pittoresques dont les Évangiles sont remplis. Sur les bords de ce beau lac de Tibériade, témoins des plus touchants épisodes de l’histoire évangélique, le divin Maître, entouré du cercle intime de ses disciples, est venu chercher un peu de repos après la joute laborieuse à laquelle nous venons d’assister. Mais son repos ne sera pas de longue durée.Matthieu chap. 13 verset 2. - Et des foules nombreuses s’assemblèrent autour de lui, de sorte qu’il monta dans une barque et s’assit et toute la foule se tenait sur le rivage.
- Et des foules se rassemblèrent... La foule avide de le voir et de l’entendre, qui l’avait naguère en quelque sorte cerné dans la maison où il se trouvait, Cf. Marc, 3, 20, se retrouve bientôt auprès de lui sur le rivage. Comprenant ce que ce bon peuple désirait, mais ne pouvant adresser commodément la parole à un auditoire compact, qui le pressait de toutes parts, il prend une résolution soudaine. Une barque était là, près du rivage : il y monte et s’assied dans cette chaire improvisée, aussi poétique que le tour nouveau qu’il allait donner à sa doctrine. - Et toute la foule se tenait sur le rivage. Cependant la foule se range en face de lui sur la rive, se tenant respectueusement debout selon la coutume ancienne, tandis que le Maître était assis. Le Talmud raconte avec douleur que l’usage de s’asseoir pour entendre l’explication de la Loi commença quelque temps après la mort de Gamaliel, preuve, dit-il, que la maladie avait envahi le monde !Matthieu chap. 13 verset 3a. - Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles en ces termes
- Et il leur dit. Théophylacte, faisant allusion à la situation extérieure, telle qu’elle a été décrite par l’Évangéliste, compare gracieusement Notre-Seigneur Jésus-Christ à un pêcheur extraordinaire qui, avec le filet de sa parole, pêche du sein de la mer les poissons réfugiés sur le rivage. - Beaucoup de choses en paraboles. " Beaucoup ", c’est-à-dire, les sept paraboles du royaume des cieux exposées par S. Matthieu à la suite de cette petite introduction, et aussi la parabole de la graine jetée en terre, conservée par S. Marc, 4, 26-29. Car tout porte à croire que Notre-Seigneur exposa, de suite et dans la même journée, cette série entière de paraboles. Cela ressort en premier lieu de l’union étroite qui existe entre elles au point de vue du sujet : la seconde explique la première, la troisième se rattache de la même manière à la seconde pour l’éclaircir et la développer, et il en est ainsi jusqu’à la septième, qui complète et achève toutes les autres. C’est une chaîne continue dont tous les anneaux se tiennent : il n’est guère vraisemblable que ses différentes parties auront été formées à des époques séparées, comme on pourrait le supposer d’après le récit de S. Luc ; Cf. 8, 4-15 ; 13, 18-21. L’unité frappante qui règne entre les paraboles montre donc qu’elles furent en quelque sorte coulées d’un seul jet. De plus, S. Matthieu montre lui-même d’un bout à l’autre de ce chapitre qu’il a voulu suivre un ordre strictement chronologique : on le voit par le soin qu’il a pris de relier aux versets 1 et 3 toutes les sections dont se compose son récit ; Cf. vv. 10, 24, 31, 33, 36, 53. A quoi bon tous ces points de raccord s’il eût sacrifié ici la suite des événements à celle des choses ?
Voici que le semeur est sorti pour semer. 4Et pendant qu’il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin et les oiseaux du ciel vinrent et la mangèrent. 5Une autre partie tomba dans des endroits pierreux, où elle n’avait pas beaucoup de terre, et elle leva aussitôt, parce que la terre n’avait pas de profondeur, 6mais, le soleil s’étant levé, elle fut brûlée, et comme elle n’avait pas de racine, elle sécha. 7Une autre partie tomba dans des épines, et les épines grandirent et l’étouffèrent. 8Une autre partie tomba dans une bonne terre, et elle donna du fruit, quelques grains rendant cent pour un, d’autres soixante, d’autres trente. 9Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
Matthieu chap. 13 verset 3b. - Voici que le semeur est sorti pour semer.
- Cette parabole, qui nous fait assister à la formation du royaume des cieux sur la terre dans ses premiers éléments, ouvre d’une manière très naturelle le groupe des comparaisons relatives à l’empire messianique. Le début en est simple, mais expressif. On voit le semeur, en grec, le semeur en général, qui sort de sa maison, portant la semence qu’il va confier à la terre, et se dirigeant vers son champ. Bientôt l’opération commence, et nous en apprenons les résultats immédiats.Matthieu chap. 13 verset 4. - Et pendant qu’il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin et les oiseaux du ciel vinrent et la mangèrent.
- Le long du chemin. Non pas sur le chemin même, mais sur les bords, à l’endroit où le champ et la route qui le traverse ou qui le longe se rejoignent. - Et les oiseaux du ciel... Ce grain étant demeuré à la surface du sol durci, que la charrue n’avait pas remué, ne tarda pas à devenir la pâture des oiseaux. En Orient beaucoup plus qu’en Occident, le semeur est entouré d’une multitude de passereaux ou d’autres oiseaux semblables qu’il tâche, mais en vain, d’effrayer par des cris sans cesse répétés, et qui lui dévorent, d’après ses calculs, au moins un quart de son grain.Matthieu chap. 13 versets 5 et 6. - Une autre partie tomba dans des endroits pierreux, où elle n’avait pas beaucoup de terre, et elle leva aussitôt, parce que la terre n’avait pas de profondeur, 6mais, le soleil s’étant levé, elle fut brûlée, et comme elle n’avait pas de racine, elle sécha.
- Une autre partie : une autre partie du grain tomba donc dans des endroits pierreux : il faut entendre par là, comme l’indique le contexte, non pas un sol plus ou moins mélangé de cailloux, mais une surface continue de rochers simplement recouverts d’un peu de terre végétale. Ce second terrain est assurément préférable au chemin battu ; toutefois les résultats seront tout aussi désastreux. - Elle leva aussitôt... C’est un fait d’expérience que la semence placée en de telles conditions germe avec une rapidité surprenante, car elle est à l’aise et subit sans aucune perte les influences d’abord toute salutaires de la chaleur. Au printemps, les rochers de la Palestine sont les premiers couverts d’une douce verdure. Mais la mort est aussi prompte que l’avait été la première croissance. - Sole orto œstuaverunt. Les autres plantes subissaient aussi l’influence brûlante du soleil oriental ; mais, vivant sur un sol profond, elles avaient la ressource d’aller puiser, à l’aide de leurs racines, un peu d’humidité souterraine qui suffisait pour les empêcher de périr. Privées de ce secours parce que le roc sur lequel elles étaient tombées ne leur avait permis d’émettre que des radicules insuffisantes, nos pauvres herbes furent brûlées au-dedans comme elles l’avaient été au-dehors, et bientôt elles se desséchèrent complètement. Pline avait observé la fréquence de ce phénomène dans la province de Syrie :" En Syrie, une charrue légère creuse un sillon peu profond, parce que le fer triangulaire qui est en dessous brûle les semences l’été ", Hist. Nat. 17, 3.Matthieu chap. 13 verset 7. - Une autre partie tomba dans des épines, et les épines grandirent et l’étouffèrent.
- Dans les épines, d’après le grec , sur les épines ; c’est-à-dire, parmi les racines ou les graines d’herbes et d’autres plantes épineuses. La situation est donc meilleure, au premier coup d’œil, que dans les deux cas antérieurs. La terre abonde et même la bonne terre. Le mal consiste dans ce que Columelle nommait les herbes envahissantes, par conséquent dans le manque de culture suffisante. - Et les épines grandirent ; les chardons et les ronces croissent en même temps que la bonne semence à laquelle ils fournissent d’abord une ombre avantageuse. Mais ces voisins dangereux acquièrent en quelques jours une croissance considérable, enlacent de tous côtés la frêle tige du blé, la privent d’air et de lumière et finissent par l’étouffer.Matthieu chap. 13 verset 8. - Une autre partie tomba dans une bonne terre, et elle donna du fruit, quelques grains rendant cent pour un, d’autres soixante, d’autres trente.
- Une autre partie… une bonne terre. Jusqu’ici tout a péri, parce que le grain avait été ensemencé dans des conditions mauvaises ; heureusement le reste de la semence tombe sur une terre bonne, fertile et bien préparée : l’espoir du semeur ne sera donc pas totalement frustré. - Elle donna du fruit. Sans parler de la croissance qui a été tout à fait prospère, rien n’étant venu la gêner, le divin orateur passe immédiatement à la récolte, dont il mentionne les résultats variés. - Quelques grains rendant... Un sol qui produit trente, soixante et surtout cent pour un, doit être doué d’une grande fécondité. Cependant les deux derniers de ces chiffres ne sont nullement un embellissement poétique ; ils n’ont rien de surprenant pour la contrée où se trouvait alors Jésus-Christ, ni pour la Palestine en général, dont la fertilité est si fréquemment vantée soit par la Bible, soit par les écrivains profanes de l’antiquité, soit par les voyageurs modernes. " Quand le sol est riche, les fruits de la terre jubilent ", Tacite, Hist. 5.6. Isaac n’avait-il pas autrefois récolté au centuple aux environs de Gerara ? Cf. Gen. 26, 12. En mentionnant ces trois divers degrés de production, Jésus faisait-il allusion aux rendements inégaux d’une même espèce de semence, ou bien voulait-il parler de trois semences distinctes ? La première de ces interprétations semble plus conforme au texte de la parabole, où il n’est question que d’une seule sorte de grains ; toutefois rien ne s’oppose non plus à ce qu’on admette trois sortes de semences qui correspondraient aux trois degrés de fertilité. Plusieurs voyageurs nomment l’orge, le froment et le doura (petit maïs blanc) qui rendent habituellement en Palestine " trente pour un " (l’orge), " soixante pour un " (le froment) et " le centuple " (le doura). Cf. Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland, v, 59 ; Thomson, the Land and the Book, p. 83.Matthieu chap. 13 verset 9. - Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
- Celui qui a des oreilles... Cf. 11, 15. En achevant cette première parabole, le Sauveur invite ses auditeurs à réfléchir, à se demander ce qu’elle signifie et les motifs pour lesquels une quantité si considérable de la semence n’a rien produit. - Telle est la parabole du semeur, dont Jésus-Christ lui-même daignera nous donner un peu plus bas un commentaire authentique, v. 19 et ss. Elle nous montre le caractère intime, familier en même temps que profond, du nouveau genre oratoire adopté par Notre-Seigneur. Plusieurs pèlerins distingués ont fait ressortir la couleur locale dont elle est empreinte. M. Stanley, décrivant les bords du lac de Tibériade, s’exprime ainsi : " Un petit enfoncement au pied de la colline, non loin de la plaine, m’a révélé tout à coup dans le détail, et avec un ensemble que je ne me souviens pas d’avoir rencontré ailleurs en Palestine, chacun des traits de la parabole. Il y avait le champ de blé ondulant, qui descendait jusqu’au rivage. Il y avait le chemin battu qui le traversait, sans mur ni haie pour empêcher la semence de tomber çà et là sur ses bords : il était durci par le passage perpétuel des chevaux, des mulets et des pieds humains. Il y avait la bonne terre qui distingue toute cette plaine (de Gennésareth) des montagnes nues d’alentour, et qui produit une vaste quantité de blé. Il y avait le sol rocailleux qui, se détachant de la colline, s’avançait de divers côtés à travers le champ. Il y avait les larges buissons d’aines qui s’élevaient parfois au beau milieu du blé doucement agité ", Sinai and Palestine, ch. 13. De la barque sur laquelle il était assis, Jésus n’avait donc qu’à lever les yeux et qu’à décrire la scène qui se dressait en face lui.4° Motif pour lequel Jésus enseigne le peuple sous la forme de paraboles, vv. 10-17. Parall. Marc. 4, 10-12 ; Luc. 9-10.
10
Et les disciples, s’approchant, lui dirent : pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? 11Il leur répondit : c’est parce qu’à vous il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais à eux, cela n’a pas été donné. 12Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. 13C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en regardant ils ne voient pas, et qu’en écoutant, ils n’entendent et ne comprennent pas. 14Et en eux s’accomplit la prophétie d’Isaïe, qui dit : vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas ; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez pas. 15Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, et ils ont péniblement entendu de leurs oreilles et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, et qu’ils n’entendent de leurs oreilles, et qu’ils ne comprennent de leur cœur et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse. 16Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. 17Car en vérité, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.Matthieu chap. 13 verset 10. - Et les disciples, s’approchant, lui dirent : pourquoi leur parlez-vous en paraboles ?
- Les disciples, s'approchant. " Quand il fut seul, les douze qui étaient avec lui l’interrogèrent. " Marc 4, 10. Ce n’est donc pas aussitôt après avoir entendu la première parabole du royaume des cieux que les Apôtres s’approchèrent de Jésus pour lui exprimer leur étonnement : ils attendirent que Notre-Seigneur eût achevé sa prédication et que la foule, s’étant peu à peu dispersée, les eût laissés seuls avec leur Maître. Cela résulte également du récit de S. Matthieu, d’après lequel ils demandent : " Pourquoi parlez-vous en paraboles ", employant la forme du pluriel, ce qui suppose qu’ils avaient entendu plusieurs paraboles. C’est donc par anticipation que cette question, la réponse de Jésus et l’explication de la parabole du semeur, v. 18-24, ont été placées en cet endroit. D’après l’ordre des faits, tout ce passage ne devrait venir qu’après le v. 35. - Pourquoi leur parlez-vous en paraboles... Suivant S. Marc, 4, 10 et S. Luc, 7, 9, les disciples auraient seulement prié le divin Maître de leur interpréter la parole de la semence : S. Matthieu mentionne une demande d’un genre tout différent. Mais il est manifeste que les deux questions furent adressées en même temps, puisque Jésus répond à l’un et à l’autre d’après les trois synoptiques. " Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? " c’est-à-dire d’une manière obscure, énigmatique. L’étonnement des disciples suppose qu’il y avait ce jour-là quelque chose d’insolite dans l’enseignement de Notre-Seigneur. Jamais encore il n’avait employé les paraboles d’une manière aussi extraordinaire : à peine en avait-il cité une ou deux en passant, et voici que tout à coup il s’était mis à les accumuler l’une sur l’autre, ce qui avait rendu sa pensée incompréhensible. Car une parabole accompagnée de son commentaire facilite l’intelligence d’une idée, une série de paraboles qui se suivent sans aucune explication ne peut produire au contraire que l’obscurité.Matthieu chap. 13 verset 11. - Il leur répondit : c’est parce qu’à vous il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais à eux, cela n’a pas été donné.
- Il leur répondit. Jésus trouve la demande des Apôtres juste et naturelle ; aussi daigne-t-il leur expliquer très clairement les motifs de la nouveauté dont ils viennent d’être témoins. - Parce que... Cette conjonction doit être prise dans toute sa force ; elle répond au " pourquoi " des Apôtres et signifie " Parce que ". Ce n’est nullement une redondance, comme le pensent divers auteurs. - A vous : mes disciples, par opposition à la foule, à la masse des auditeurs qui sont désignés plus bas par " à eux ". - Donné : c’est un don gratuit du ciel, une grâce de choix qui n’est accordée qu’à un petit nombre d’hommes. Et en quoi consiste cette faveur particulière ? Jésus la désigne par les mots : connaître les mystères du royaume des cieux. Le royaume a ses secrets d’État que personne ne peut connaître ni comprendre sans une révélation spéciale. Combien de vérités cachées jusqu’à l’époque de Jésus, et manifestées seulement par Lui à ceux qu’il jugeait dignes de recevoir la lumière ! Sans doute beaucoup de ces vérités relatives au règne messianique avaient été déposées par Dieu dans les écrits de l’ancienne Alliance, mais en termes généralement si mystérieux, que l’intelligence humaine, livrée à ses propres forces, s’était trouvée incapable de les pénétrer. Mais Jésus dévoilait, divulguait tout à ses disciples. - A eux, cela n’a pas été donné. " Il dit cela non comme impliquant une nécessité, non comme un sort jeté témérairement et définitivement, mais pour montrer qu’ils étaient eux-mêmes la cause de leurs maux. " St Jean Chrysostome, Hom. 45 in Matth. On ne saurait donc induire de ces paroles que Jésus-Christ avait une doctrine ésotérique et une doctrine exotérique à la façon des prêtres païens et même des Rabbins juifs, l’une communiquée librement et dans toute son étendue à l’entourage favori du Maître, l’autre, considérablement restreinte, à l’usage du vulgaire non initié. Tous étaient appelés sans exception à la connaissance des mystères les plus secrets, tous avaient des grâces suffisantes pour y parvenir : si la plupart n’y arrivaient pas, ils ne pouvaient en attribuer la faute qu’à eux-mêmes, comme Jésus va le dire plus bas. - Revenons sur la signification générale du v. 11. Les Apôtres ont demandé au Sauveur : Pourquoi parlez-vous en paraboles ? Ne voyez-vous pas que vous n’êtes point compris ? Jésus a répondu : Je parle en paraboles parce que, dans le nombre de mes auditeurs, il en est qui ont reçu l’insigne privilège de comprendre les mystères évangéliques, tandis que les autres ne l’ont pas reçu. C’est donc en vertu d’un décret divin que le Sauveur s’exprimera désormais en paraboles, et ce décret provient de la différence morale qui existe entre les hommes dont est composé l’auditoire de Jésus. On ne saurait mieux définir le double motif, le double but de l’enseignement sous la forme de paraboles. La nouvelle prédication de Notre-Seigneur est marquée tout à la fois au sceau de sa condescendance et de sa sainte colère. Aux âmes bien disposées, elle portera plus facilement la lumière ; elle mettra au contraire un bandeau devant les yeux des indignes qui ne comprendront pas la vérité voilée pour eux, et ne pourront pas en abuser contre Jésus. Les littérateurs et les philosophes sont unanimes à reconnaître l’existence de ces effets. " Les paraboles ont été inventées et leur usage s’est répandu pour deux motifs. Car ce qui est le plus étonnant, c’est qu’elles servent à des fins contraires. On fait des paraboles pour voiler et masquer sa pensée, et on en fait pour l’éclairer et pour l’illustrer. " Bacon, de Sap. Vet. Cf. de Augm. Scient. 2, 13. D’une part donc la parabole obscurcit la pensée, " les figures défendent le secret contre la banalité et la vulgarité " Macrob. Somm. Scip. 1, 2. D’autre part elle l’illumine et en facilite l’intelligence ; en effet, dit Quintilien, Instit. 8, 3, 72 : " Les comparaisons ont été judicieusement inventées pour apporter de l’éclairage aux choses ". Aussi Tertullien après avoir affirmé que " les paraboles assombrissent la lumière de l’évangile ", de Res. Carn. 32, ajoute-t-il " Dieu tend la main à une foi qui est rendue plus facile par les images et les paroles représentant des personnes et des choses ", de Anima, 43. Elles ressemblent sous ce rapport, suivant une belle comparaison, à la colonne de nuée et de feu qui éclairait le peuple de l’Alliance et obscurcissait les yeux des Égyptiens (De Gerlach). Il y a en cela quelque chose de paradoxal en apparence, mais rien assurément de contradictoire, puisque l’expérience confirme tous les jours ce double résultat. Les Juifs mal disposés, ou même simplement indifférents à l’égard de Jésus, écoutaient sans comprendre et s’en allaient sans avoir rien appris ; d’un autre côté, les amis du Christ, désireux de connaître le sens de ces gracieux tableaux qui avaient piqué vivement leur curiosité, cherchaient, travaillaient, interrogeaient et finissaient par réussir. Pour eux, le nouveau système était une grâce de plus, puisqu’il les excitait à courir avec une ardeur croissante après l’intelligence des saints mystères.Matthieu chap. 13 verset 12. - Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a.
- La particule car montre que nous avons dans ce verset un développement de celui qui précède. " à vous il a été donné ... à eux, cela n’a pas été donné " : il n’y a rien d’étrange à cela, poursuit Jésus, car c’est dans la nature même des choses. La locution proverbiale qu’il cite à cette occasion (il la citera encore dans deux autres circonstances en modifiant le sens, Cf. 25, 9 ; Luc. 19, 26) est d’une vérité universelle. Elle se compose de deux parties : 1° A celui qui a : le verbe avoir a ici la signification de posséder, être riche. Quand une bonne fois on a commencé d’acquérir quelque fortune, les biens affluent et en peu de temps arrive l’abondance. Au contraire 2° à celui qui n'a pas... c’est-à-dire, d’après le contexte, celui qui n’a que peu de chose, de modestes avances qui ne méritent pas d’être prises en considération, si on les compare à ce que l’opinion du monde appelle la richesse. - On enlèvera même ce qu’il a. Tandis que le riche devient aisément plus riche encore, le pauvre qui est en retard dans ses affaires tombe facilement de plus en plus bas, et finit souvent par perdre le peu qu’il possédait. Une légende rabbinique commente ce proverbe de la façon la plus charmante : " Une femme interrogea Rabbi José et lui dit : Que signifie la parole de Daniel : Il donne la sagesse aux sages et l’intelligence aux intelligents, Dan, 2, 21 ? Il lui répondit par une parabole : Si deux hommes, un riche et un pauvre, venaient te demander à emprunter, auquel prêterais-tu ? Elle répliqua : Au riche. Pourquoi donc ? reprit le Rabbin. Parce que, dit-elle, si le riche perd son argent, il lui restera encore de quoi me payer, tandis qu’il n’en est pas de même du pauvre. Il s’écria : Tes oreilles ont-elles entendu ce qui vient de sortir de ta bouche ? Si Dieu avait donné la sagesse aux insensés, ils iraient s’asseoir, pour en parler, dans les maisons de débauche, les théâtres et les établissements de bains ; mais Dieu a donné la sagesse aux sages et ils vont s’asseoir et parler dans les synagogues ". - Cet aphorisme qui a ses équivalents anciens et modernes chez plusieurs peuples (comparez le mot de Martial, 5, 81 : " On ne donne qu’aux riches ", et la phrase française : " On ne prête qu’aux riches " a son emploi au moral non moins qu’au matériel et c’est précisément d’après sa signification spirituelle que Jésus la mentionne en ce passage. Les Apôtres et les disciples ont acquis déjà une certaine richesse au point de vue des vérités messianiques ; c’est pour cela que Dieu leur fait des révélations plus intimes, afin qu’ils s’enrichissent davantage encore. Le peuple incrédule voit diminuer chaque jour le peu de foi qui lui reste et bientôt il ne lui en restera plus rien ! - " Celui qui a … celui qui n'a pas " sont des nominatifs absolus.Matthieu chap. 13 verset 13. - C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en regardant ils ne voient pas, et qu’en écoutant, ils n’entendent et ne comprennent pas.
- C'est pourquoi... C’est la réponse directe à la question proposée par les Apôtres ; nous y voyons nettement indiqué le motif pour lequel Jésus-Christ ne commença que durant la période actuelle de sa Vie publique, et non dès le début, son enseignement sous la forme de paraboles. Jusque-là, il a prêché d’après la méthode ordinaire, disant ouvertement, simplement, ce qu’il voulait dire. Mais voici que l’enthousiasme pour sa divine personne a sensiblement diminué, la prédication directe a été reçue avec mépris, insultée même en plus d’une circonstance ; il lui arrive d’exciter le doute au lieu de provoquer la foi. Alors Notre-Seigneur l’abandonne en partie et la remplace par les paraboles, et, en agissant ainsi, il a l’intention très manifeste de châtier l’incrédulité du peuple. " Il leur parle donc obscurément sous peine de ne pas être cru, parce qu’ils ne voulurent pas comprendre les choses dures quand elles leur ont été dites clairement. Ils ont mérité qu’il leur parle ainsi, pour qu’ils ne puissent pas comprendre même s’ils le voulaient ", Maldonat. Les paraboles revêtent ainsi un caractère pénal : les Juifs seront punis de leur ingratitude en ne recevant plus comme auparavant la vérité simple et nue, et facile à saisir. - En regardant ils ne voient pas. Les yeux malades du peuple sont incapables désormais de supporter la pleine lumière : ils voient au dehors, mais leurs rayons visuels ne pénètrent pas au-delà de la surface. - Leurs oreilles sont de même devenues sourdes aux enseignements célestes, en écoutant… ils ne comprennent pas, elles entendent et pourtant elles n’entendent pas véritablement. Et, ce qui est pire, c’est que cette cécité, cette surdité sont volontaires et coupables : comment Dieu ne les châtierait-il pas ? " Le grand Dieu, par une loi inlassable, répand des cécités pénales sur les cupidités illicites ", S. Augustin. Il châtie donc d’après sa grande loi : " ce par quoi il a péché, par cela même il est puni ", aveuglant définitivement ceux qui ont fermé les yeux à la vérité.Matthieu chap. 13 verset 14. - Et en eux s’accomplit la prophétie d’Isaïe, qui dit : vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas ; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez pas.
- S'accomplit, " est totalement accomplie ", ou bien " et s’accomplit de nouveau " ; allusion à l’accomplissement partiel et imparfait qu’avait déjà reçu la prophétie d’Isaïe. En ce moment, dit Jésus, par suite de ma nouvelle méthode d’enseignement, cette prédiction se réalise d’une manière parfaite et intégrale. - La prophétie d’Isaïe, Cf. Is. 6, 9. Le prophète parlait, ou plutôt Dieu lui parlait de ses contemporains ; toutefois, d’après l’intention de l’Esprit-Saint, le divin oracle avait aussi pour but de décrire l’endurcissement et la punition terrible des Juifs au temps du Messie. Jésus-Christ le cite d’une manière assez littérale d’après les 70. Il est destiné à prouver l’assertion " en regardant " du v. 13, qui est du reste calquée sur les premières lignes du texte d’Isaïe. - Vous entendrez de vos oreilles, répétition à la façon des Hébreux, pour renforcer l’idée ; de même, vous regarderez de vos yeux. Il y a un double jeu de mots et un double paradoxe : on entend et l’on n’entend pas ; on voit et on ne voit pas.Matthieu chap. 13 verset 15. - Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, et ils ont péniblement entendu de leurs oreilles et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, et qu’ils n’entendent de leurs oreilles, et qu’ils ne comprennent de leur cœur et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.
- Le cœur de ce peuple s'est épaissi... Nous venons d’apprendre qu’Israël est aveugle et sourd ; la suite de la prophétie nous montre que cela est arrivé par sa propre faute. La graisse, chez tous les anciens, était regardée comme une cause et citée comme un symbole d’insensibilité. Cette expression est donc une figure énergique pour décrire l’état d’endurcissement moral dans lequel les Juifs étaient tombés. - Ils ont péniblement entendu, ils n’entendent qu’avec beaucoup de peine ; bien plus, ils tiennent leurs yeux hermétiquement fermés. Et pourquoi donc ? De peur qu'ils ne voient... Rien ne saurait mieux exprimer que ces paroles la liberté de leur obstination dans le mal : c’est justement pour ne pas entendre, pour ne pas comprendre, qu’ils agissent comme l’a dit le Prophète. S’ils voyaient, s’ils comprenaient, ils se convertiraient et ils seraient sauvés, tandis qu’ils veulent vivre et mourir dans leurs iniquités, malgré la damnation éternelle qui les attend. - Et que je les guérisse ; Jésus ajoute ces mots, dit S. Jean Chrysostôme, l. c., "montrant par là leur profonde méchanceté et une opposition préparée à dessein". - Notons ce qu’il y a de vérité psychologique dans ce verset. Les substantifs " cœur, oreilles, yeux " y sont répétés à deux reprises, mais dans un ordre inverse, parce que l’écrivain sacré ne voulait pas représenter le même état de choses. L’insensibilité morale qui règne dans le cœur passe de là aux oreilles, puis aux yeux : il est notoire, en effet, qu’au moral l’oreille subit l’influence du cœur et la vue celle de l’oreille. Si le cœur est endurci, l’oreille est sourde ; si l’oreille entend mal l’œil voit mal. Dans le second cas l’ordre est renversé, parce qu’il est question de conversions et que le cœur demeure la dernière citadelle à conquérir, et qu’on n’arrive à lui que par les sens de la vue et de l’ouïe. Remarquons encore que, dans le texte primitif, le prophète reçoit directement de Jéhova la mission d’endurcir et d’aveugler Israël, Cf. Vulgate, 6, 10 ; mais c’est là une manière tout orientale d’annoncer avec plus de force un avenir inévitable. Celui à qui on le prédit est censé le produire lui-même. Le Juif Kimchi admet expressément que les impératifs équivalent ici à de simples futurs et qu’ils ont simplement pour but de renforcer l’idée.Matthieu chap. 13 verset 16. - Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent.
- Mais heureux... Jésus, après avoir indiqué le motif pour lequel il parlait maintenant au peuple en paraboles, revient sur la première moitié du v. 11 et sur les privilèges conférés par Dieu à ses Apôtres. Le pronom " vos ", est placé par emphase au commencement de la phrase. Tout un peuple réprouvé ; vous, si favorisés ! - Heureux sont vos yeux... Le contraste est frappant : leurs yeux voient, leurs oreilles entendent, le peuple est aveugle et sourd. " Ils étaient des Juifs, et ils avaient été éduqués avec eux. La prophétie cependant ne leur nuit en rien, parce qu’ils avaient la racine du bien fortement implantée en eux, dans la pensée et dans le vouloir. " St. Jean Chrysostome, l. c.Matthieu chap. 13 verset 17. - Car en vérité, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.
- En vérité... Sous le sceau du serment, Jésus-Christ apporte un exemple destiné à montrer toute l’étendue de la faveur accordée aux disciples. - Beaucoup de prophètes et de justes, c’est-à-dire les hérauts de Dieu, chargés d’annoncer aux hommes ses volontés et de leur parler de son Christ ; de l’autre les Saints de toute condition. - Ont désiré voir... Ils consumaient en ardents désirs vers Celui que l’un d’entre eux avait appelé l’attente des peuples, Cf. Gen. 49, 10 : ils souhaitaient de voir le Messie et ses œuvres, d’entendre sa parole ; mais ces souhaits quoique bien légitimes, ne furent point réalisés, ne l'ont pas vu... ne l'ont pas entendu. S. Paul, dans l’épître aux Hébreux, insiste sur leurs vifs désirs demeurés inassouvis : " Ils sont tous morts ceux-là en croyants, sans avoir reçu les choses promises, mais les regardant et les saluant de loin ", Hebr. 11, 13 ; Cf. 39, 40.
18
Vous donc, écoutez la parabole du semeur. 19Si quelqu’un entend la parole du royaume et ne s’en pénètre pas, l’esprit malin vient, et enlève ce qui avait été semé dans son cœur ; c’est celui-là qui a reçu la semence le long du chemin. 20Celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux, c’est celui qui entend la parole et qui la reçoit aussitôt avec joie ; 21mais il n’a pas de racine en lui-même et il ne tient que pour un temps ; et lorsque viennent la tribulation et la persécution à cause de la parole, il est aussitôt scandalisé. 22Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui entend la parole ; mais les sollicitudes de ce monde et la séduction des richesses étouffent cette parole et la rendent infructueuse. 23Quant à celui qui a reçu la semence dans une bonne terre, c’est celui qui entend la parole et la comprend, et qui porte du fruit et donne cent, ou soixante, ou trente pour un.Matthieu chap. 13 verset 18. - Vous donc, écoutez la parabole du semeur.
- Vous donc. " Vous " est emphatique, comme " vos " du v. 16. " Donc ", puisque vous êtes appelés à recevoir des révélations qui demeureront cachées aux autres - Écoutez, comprenez ; ou bien, écoutez de nouveau cette parabole avec une interprétation authentique, qui en déterminera pour vous le sens d’une manière infaillible. - La parabole du semeur, c’est-à-dire de celui qui dissémine, propage, répand. Le divin Maître daigne se faire exégète pour nous apprendre non seulement ce que signifie cette parabole particulière, mais aussi et par là-même quelles règles générales nous devrons suivre pour interpréter toutes les autres. Ces règles ont été souvent indiquées. Elles consistent 1° à rechercher avec le plus grand soin la vérité dominante que la parabole a pour but d’enseigner ; 2° à recourir au contexte qui est souvent d’un grand secours pour fixer le vrai sens de la parabole. Ce sera tantôt une allusion de Jésus-Christ, tantôt une note de l’Évangéliste, tantôt un détail préliminaire, tantôt un épilogue, qui mettra sur la voie de l’interprétation légitime ; 3° l’idée-mère une fois trouvée, à s’occuper des détails qu’il faudra ramener toujours à cette pensée principale, car ils partent d’elle comme les rayons du centre ; 4° à éviter les analogies forcées, purement imaginaires, par conséquent à ne pas trop s’écarter du sens littéral de la parabole. Naturellement, sur ce terrain qui ne saurait être limité d’une manière précise, la sagesse et le discernement de l’interprète ont à jouer un rôle important, mais ce rôle est bien délicat, et il serait facile d’en abuser. Quant à la question de savoir jusqu’où s’étendent les traits significatifs et symboliques des paraboles, on sait qu’elle est l’objet d’une grande controverse, née dès les premiers jours de l’exégèse et venue jusqu’à nous à travers les siècles. Deux systèmes d’interprétation se sont formés depuis longtemps sur ce point. S. Jean Chrysostôme, et de nombreux commentateurs à sa suite, assurent qu’il suffit de trouver la pensée dominante, le but principal de la parabole. Il n’est pas nécessaire, disent-ils, de chercher une signification spéciale pour chacun des incidents accessoires dont elle se compose, car ces incidents ne sont nullement essentiels ; ce n’est qu’une draperie destinée à donner aux paraboles plus de grâce et de beauté. Donc, le principal une fois obtenu, ne vous inquiétez pas de détails sans valeur (S. Jean Chrysost.). L’autre école affirme au contraire que, dans une parabole, tout a une signification, même les fibres les plus ténues du récit, même les détails les plus insignifiants en apparence ; l’interprète ne doit donc rien négliger, puisque rien n’est ornement pur et simple. - On peut dire qu’il y a exagération des deux parts : Jésus-Christ lui-même a donné tort aux défenseurs de l’un et de l’autre système, car, dans l’interprétation qu’il nous a laissée des paraboles du semeur et de l’ivraie, nous le voyons tantôt descendre à plusieurs faits fort secondaires, tels que les oiseaux, les épines, la chaleur brûlante, pour les appliquer à la vie spirituelle, tantôt négliger divers incidents du même genre, montrant ainsi que ce n’étaient, dans sa pensée, que des embellissements poétiques. Il faut donc éviter l’arbitraire et se tenir autant que possible dans le juste milieu que Vitringa nous semble avoir très bien défini dans les lignes suivantes : " Me plaisent ceux qui tirent des paraboles du Christ plus de vérités que d’un précepte d’éthique illustré par une parabole. Si on peut expliquer les paraboles du Christ de façon à retrouver la doctrine du salut dans chacune de leurs parties, sans exagération et sans contorsion, j’estime qu’il faut choisir ce genre d’explication comme étant le meilleur et préférable aux autres. Plus nous tirerons des vérités solides des paroles du Verbe de Vie, plus nous aurons part à la sagesse divine ", Schriftmaessige Erklaerung der Evang. Parabeln, Francfort, 1717, in h. l. Ainsi donc, expliquons autant de traits que nous le pourrons, mais que l’exégète ou le prédicateur prenne bien garde de " résister à la tentation de ramener l’Écriture à sa propre volonté " (S. Jérôme), comme il n’arrive que trop souvent.Matthieu chap. 13 verset 19. - Si quelqu’un entend la parole du royaume et ne s’en pénètre pas, l’esprit malin vient, et enlève ce qui avait été semé dans son cœur ; c’est celui-là qui a reçu la semence le long du chemin.
- D’après S. Luc, 8, 11, Jésus plaça en tête de son explication ces mots importants : " La semence, c'est la parole de Dieu ". Le semeur figure évidemment Jésus-Christ, puis d’une manière générale tous ceux qui sont chargés de prêcher la parole de Dieu. Le champ dans lequel est jetée la semence représente, par ses différentes parties, les cœurs des hommes plus ou moins bien préparés pour recevoir la divine parole. Notre-Seigneur suit pas à pas les détails de la parabole, indiquant tantôt au propre, tantôt par de nouvelles images, le sens de chacun d’eux. De même qu’il avait distingué quatre espèces de terrains, il distingue aussi quatre sortes d’âmes, dont trois ne savent pas profiter de la prédication évangélique. - 1. Le chemin battu. Si quelqu'un entend... ; ces mots sont au nominatif absolu. - La parole du royaume, la parole du royaume messianique, par conséquent la doctrine de l’Évangile. - Et ne s'en pénètre pas, par sa faute, bien entendu. Cf. v. 14 et 15. Le cœur de cet auditeur a été volontairement endurci : il est devenu tout à fait indifférent aux choses du ciel, qui tombaient sur lui comme la semence sur le bord du chemin ; il manque totalement de " réceptivité " à leur égard. Aussi ne reçoit-il pas la parole divine, et, pour lui, il n’est pas même question de germination, à plus forte raison de croissance et de fruits. - L'esprit malin, " diable " dit S. Luc, " satan " d’après S. Marc. Les oiseaux avaient guetté avidement le grain lancé par la main du semeur sur les bords du champ ; le démon épie de même la semence céleste pour l’enlever dès qu’elle sera tombée sur une âme qu’il sait mal disposée : il lui ôte ainsi les chances pourtant bien faibles de succès qu’elle pourrait encore avoir. Le chef du royaume infernal s’oppose de toutes ses forces à ce qui est de nature à fortifier, à accroître le royaume de Dieu. - Enlève : c’est un enlèvement prompt et habile, qu’il n’est pas malaisé au prince des démons d’accomplir. - Ce qui avait... Tournure singulière et inattendue, que l’on traduit habituellement par la phrase suivante : Celui-là ressemble au grain semé sur le bord du chemin. Mais pourquoi ne pas conserver ici et dans le s vv. 20, 22 et 23, où elle est fidèlement reproduite, cette assimilation très logique et très réelle de la parole du cœur qui la reçoit, de la graine et du champ où elle est semée ? Ce n’est pas sans raison que Jésus semble confondre ensemble ces divers objets : ils ne valent rien l’un sans l’autre. Que peut la semence en dehors du champ ? le champ privé de la semence ? Il faut leur union mutuelle pour produire quelque chose. Voilà pourquoi le divin Interprète assimile l’auditeur à la parole évangélique, en employant à quatre reprises la formule : " Qui a été semée ".Matthieu chap. 13 verset 20. - Celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux, c’est celui qui entend la parole et qui la reçoit aussitôt avec joie.
- Dans les endroits pierreux. Après avoir caractérisé plus haut une âme complètement insensible à la prédication de l’Évangile, Jésus passe à une autre catégorie d’auditeurs figurée par le terrain rocheux, ou plutôt par le roc à peine couvert d’un peu de terre végétale, vv. 5 et 6. La ressemblance est parfaite : cette terre avait reçu la semence et l’avait fait promptement germer en lui communiquant sa chaleur fécondante ; de même ce genre d’auditeurs qui reçoit la parole avec joie, la surface de leurs cœurs est aisément remuée, promptement échauffée. Doués d’une vive impressionnabilité, ils se laissent électriser tout d’abord par la beauté, l’amabilité de la doctrine chrétienne ; aussi la reçoivent-ils avec joie et empressement. " Les voilà les coeurs qui, à la seule douceur d’une parole entendue, jouissent déjà des promesses célestes ", V. Bède.Matthieu chap. 13 verset 21. - Mais il n’a pas de racine en lui-même et il ne tient que pour un temps ; et lorsque viennent la tribulation et la persécution à cause de la parole, il est aussitôt scandalisé.
- Il n'a pas de racine en lui-même. Malgré cet heureux début et ces dehors qui promettent, il y a là en réalité le même manque de réceptivité que dans le premier cas. Ces hommes n’ont pas ce que Cicéron nommait " une vertu attachée à de profondes racines ", Phil. 4, 13. , ils ne sont point ce que les Pères grecs aimaient à nommer, en faisant allusion à cette parabole, des enracinés : auditeurs superficiels, ils sont conséquemment auditeurs temporaires. " Qui croient pour un temps, dit S. Luc 8, 13, et qui cessent de croire au temps de la tentation ". En effet, il suffit d’une épreuve, d’une tribulation, pour ruiner les belles espérances qu’ils avaient données tout d’abord. Dès qu’ils s’aperçoivent que la parole divine, qu’ils avaient cependant reçue avec tant d’entrain, va être pour eux la source de quelques maux temporels, ils l’abandonnent lâchement, honteusement : aussi se dessèche-t-elle comme le fait le gazon du rocher sous les rayons d’un soleil brûlant. - Il est aussitôt scandalisé... " Ce qui a toujours connu le succès est abattu par l’échec ", Fr. Luc, Comm. in h.l. Ne semblerait-il pas que Quintilien commente ce passage, lorsqu'il écrit, Inst. 1. 3, 3-5 : " Ces génies précoces ne parviennent jamais à maturité. Ils n’ont pas fait de grandes choses, car ils ont produit trop tôt. Il n’y avait pas en profondeur chez eux de véritable force, et ils ne parvinrent pas à faire pousser toutes leurs branches. C’est tout à fait comme les semences répandues sur le sol, elles se gâtent vite. Et au milieu des épines, elles sont étouffées par les mauvaises herbes avant la moisson ". Mais Quintilien parte du domaine intellectuel, et Jésus du domaine moral.Matthieu chap. 13 verset 22. - Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui entend la parole ; mais les sollicitudes de ce monde et la séduction des richesses étouffent cette parole et la rendent infructueuse.
- Parmi les épines. Les premiers auditeurs de la parole céleste lui avaient créé des obstacles dès le principe, aussi n’avait-elle pas même pu germer en eux ; les autres, après avoir favorisé sa première croissance, s’étaient bientôt opposés à ses progrès ultérieurs ; ceux dont parle maintenant le divin Maître la laissent grandir davantage et même monter en épis, mais pour eux comme pour les autres la semence demeure finalement stérile. Cependant le terrain de leur cœur est bon et profond : malheureusement il est rempli d’épines ; de là l’insuccès qui attend la prédication évangélique dans cette partie du grand champ humain. - Les épines sont de deux sortes très distinctes. - 1° Les sollicitudes de ce monde : les soucis et les ennuis de cette vie, lorsqu’ils préoccupent et absorbent une âme, l’entraînent de divers côtés, selon le mot de Térence, et peuvent être extrêmement funestes à la parole divine que la Providence y a semée. - 2° La séduction des richesses. Les richesses et les délices du siècle ne le sont pas moins quand on en abuse ; elles peuvent même produire des effets plus pernicieux encore. Chacune de ces causes, prise à part, " a fortiori " leur réunion, étouffe la semence évangélique, qui se trouve ainsi empêchée, " par la prospérité et l’adversité ", selon l’expression de S. Thomas d’Aquin. La locution séduction des richesses est remarquable : la richesse y est personnifiée et dépeinte sous les traits d’une femme qui induit le monde en erreur en le flattant. " Qui me croirait jamais, dit à ce sujet saint Grégoire le Grand, si je disais que les épines représentent les richesses, surtout parce que les unes piquent, et les autres plaisent. Et pourtant ce sont bien des épines, car par les piqûres de leurs pensées elles lacèrent l’esprit. Et, comme elles entraînent jusqu’au péché, elles infligent donc réellement une blessure. Jésus a raison de donner aux richesses le qualificatif de fausses. Elles sont fausses puisqu’elles ne peuvent pas demeurer avec nous longtemps. Elles sont fausses parce qu’elles ne sont pas capables de chasser la stérilité de notre pensée. "Matthieu chap. 13 verset 23. - Quant à celui qui a reçu la semence dans une bonne terre, c’est celui qui entend la parole et la comprend, et qui porte du fruit et donne cent, ou soixante, ou trente pour un.
- Dans une bonne terre. Terre excellente, soit au sens matériel, soit dans l’application qu’en fait ici Jésus à la classe des auditeurs parfaits de la prédication céleste ; excellente encore non seulement par sa nature et sa constitution intime, mais aussi par la culture constante et les soins assidus qu’elle a reçus : elle est donc bonne à tous égards et d’une manière absolue. - Et qui porte du fruit : la semence y croît sans peine, mais surtout elle y fructifie avec abondance. Cependant le terrain moral des âmes saintes, de même que le sol proprement dit, ne fait pas valoir d’une manière uniforme la graine qui lui a été confiée : de là ces moissons toujours abondantes, mais inégales, qu’on y recueille. Les plus parfaits fournissent les mesures les plus considérables. " La même grâce spirituelle qui est reçue également par tous les croyants au baptême (et de mille autres manières) est augmentée ou diminuée ensuite par notre conduite et nos actions, comme il est dit dans l’Évangile que la semence du Seigneur a été répandue également partout, mais qu’à cause de la diversité des terrains, elle n’a pas le même sort. Elle donne du trente pour un ou du soixante ou du cent. " St Cyprien Ép. 69.
24
Il leur proposa une autre parabole, en disant : le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ. 25Mais, pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, et sema de l’ivraie au milieu du blé, et s’en alla. 26Lorsque l’herbe eut poussé, et produit son fruit, alors l’ivraie parut aussi. 27Et les serviteurs du père de famille, s’approchant, lui dirent : seigneur, n’avez-vous pas semé du bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? 28Il leur répondit : c’est l’homme ennemi qui a fait cela. Ses serviteurs lui dirent : voulez-vous que nous allions l’arracher ? 29Et il dit : non, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. 30Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes pour la brûler ; mais amassez le blé dans mon grenier.Matthieu chap. 13 verset 24. - Il leur proposa une autre parabole, en disant : le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ.
- Une autre parabole... Tandis que la parabole du semeur nous a été conservée par les trois synoptiques, celle-ci ne se rencontre que dans le premier Évangile. Elle partage avec la précédente l’honneur d’avoir été interprétée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cf. vv. 36-43. Elles s’unissent d’ailleurs étroitement l’une à l’autre par les leçons qu’elles renferment. Si la première nous apprend qu’une partie considérable de la semence évangélique est perdue, parce qu’elle tombe sur un mauvais terrain, la seconde nous montre que, même sur la bonne terre, tout ne prospère pas à souhait, mais que là aussi le mal croît à côté du bien. La première nous a fait voir comment la parole divine parvient aux hommes et comment ils la reçoivent ; la seconde raconte les progrès de cette semence toute céleste et les dangers qui accompagnent son développement extérieur. - Il leur proposa. " Leur " se rapporte aux foules qui entouraient Jésus, Cf. vv. 2, 36 et devant lesquelles furent prononcées les trois premières paraboles. Les vv. 10-23 sont comme nous l’avons dit, une intercalation anticipée : le pronom ne retombe donc pas uniquement sur les disciples de Jésus. - Le Royaume est semblable : formule dont Jésus-Christ se sert fréquemment pour introduire ses paraboles ; Cf. 18, 23 ; 22, 2 ; 25, 1 ; etc. " Le royaume de Dieu est semblable ", ou selon d’autres, " est devenu semblable ". - A un homme. Le royaume messianique ne ressemble pas précisément à cet homme, mais à tout l’incident qui va suivre et dans lequel il jouera le rôle principal : c’est donc là une tournure impropre, employée ici et en d’autres endroits, Cf. v. 45, etc., par abréviation. - Du bon grain : le contexte suppose que ce grain avait été choisi, épuré, de manière à être sans aucun mélange au moment où il fut confié à la terre. Dans le royaume du Christ, il se passe quelque chose de semblable à l’action d’un cultivateur qui sème d’excellent blé dans son champ.Matthieu chap. 13 verset 25. - Mais, pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, et sema de l’ivraie au milieu du blé, et s’en alla.
- Pendant que les hommes dormaient. Expression pittoresque pour désigner le temps de la nuit. Nous dirions de même : Quand tout le monde dormait. Il ne s’agit donc pas exclusivement ici des serviteurs et du fermier, ni d’une négligence coupable de leur part. " Quand les hommes dormaient. Il ne dit pas les gardiens (ou les serviteurs comme au verset 28) ; s’il avait dit les gardiens, nous aurions compris qu’on les accusait de négligence. Mais il dit hommes, pour que nous comprenions que c’était sans faute de leur part qu’ils s’étaient abandonnés au sommeil ", Cajetan in h. l. C’est pendant la nuit, à la dérobée par conséquent et à l’insu de tous, que fut commise la mauvaise action qui va suivre. Le divin Maître n’a pas voulu dire autre chose. - Et sema : le texte latin indique " sema de nouveau ", heureuse expression pour indiquer de secondes semailles pratiquées peu de temps après d’autres, dans un même champ. - De l'ivraie, plante nommée Zawân par les arabes et Zonim par le Talmud. Il s’est formé une double opinion parmi les linguistes relativement à cette appellation, les uns lui donnant une origine sémitique, Cf. Buxtorf, Lexic. Talmud. s. v., les autres la croyant dérivée du grec et adoptée par les langues orientales, ce qui paraît aujourd’hui plus probable. L’herbe ainsi désignée ne doit pas différer du " Lolium temulentum ", ou ivraie, qu’on rencontre presque à chaque pas en Palestine non moins que dans nos contrées. Les graines qu’elle produit, assez semblables à celles du froment, mais en général de couleur noirâtre, sont depuis longtemps renommées pour leurs dangereux effets. Mêlées en partie notable à la nourriture, elles causent le vertige, des convulsions et même la mort : de là l’épithète de funeste que Virgile donne à l’ivraie dans ses Géorgiques, 1, 154. - Et s'en alla. Après avoir réussi à accomplir son œuvre pleine de malice, il se hâte de disparaître. Les actes de ce genre ne sont inouïs, paraît-il, ni en Orient, ni même en Occident. Le Dr Robert assure, Oriental Illustrations, p. 541, que plus d’un cultivateur indien a vu son champ gâté de la sorte, et pour de longues années, dans l’intervalle d’une nuit. Le Rév. Alford raconte dans son commentaire qu’il eut à souffrir lui-même d’une méchanceté du même genre à Gaddesby, comté de Leicester. Ce qui prouve que la malice du monde n’a pas changé.Matthieu chap. 13 verset 26. - Lorsque l’herbe eut poussé, et produit son fruit, alors l’ivraie parut aussi.
- Lorsque l'herbe eut poussé : l’herbe déterminée par le récit, c’est-à-dire le blé et l’ivraie tout ensemble. - Et produit son fruit : les deux sortes d’herbe montent peu à peu et produisent chacune son épi. - Alors l'ivraie parut... Jusqu’à ce moment, il n’avait pas été possible de les distinguer ; le champ paraissait rempli de bon froment : maintenant on voit qu’il contient aussi une grande quantité de mauvaise herbe. Ce trait est tout à fait conforme à la nature de l’ivraie et à sa ressemblance parfaite avec le froment durant toute la période de leur croissance : tant que leur développement n’est pas complet, l’œil le plus exercé les confondrait neuf fois sur dix ; mais, dès que l’épi est sorti de la gaine, un enfant les distingue sans peine. St Jérôme avait noté ce fait de ses propres yeux : " Entre le froment et la zizanie, que nous appelons nous ivraie, quand ils sont encore en herbe et que l’épi n’a pas encore été formé, il y a une grande ressemblance, et il est difficile ou impossible de les distinguer l’un de l’autre ", Comm. in h. l.Matthieu chap. 13 verset 27. - Et les serviteurs du père de famille, s’approchant, lui dirent : seigneur, n’avez-vous pas semé du bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?
- Les serviteurs, s'approchant... Les serviteurs s’aperçoivent du fâcheux mélange qui apparaît maintenant dans le champ de leur Maître et, ne pouvant en comprendre l’origine, ils s’adressent directement au père de famille pour qu’il veuille bien éclaircir ce mystère. - N'avez-vous pas semé... Ils savent combien il est soigneux et vigilant : évidemment, il n’a pu semer dans son champ qu’un excellent grain ; leur étonnement n’en devient que plus grand, le fait que plus inexplicable.Matthieu chap. 13 verset 28. - Il leur répondit : c’est l’homme ennemi qui a fait cela. Ses serviteurs lui dirent : voulez-vous que nous allions l’arracher ?
- C'est l'ennemi qui a fait cela. Le Maître devine sans peine de quel côté doit provenir le mal : c’est son ennemi qui s’est rendu coupable d’un pareil méfait, désireux de satisfaire ainsi un noir projet de vengeance. - Ses serviteurs lui dirent. Ces bons serviteurs font preuve d’un vrai zèle pour les intérêts du père de famille : ils s’offrent courageusement pour aller arracher une à une les mauvaises herbes qui remplissent le champ, ce qui ne serait pas une petite peine. - Voulez-vous ?, puisqu’il en est ainsi. - L'arracher. Le grec emploie le conjonctif délibératif qui donne plus de vigueur à la phrase.Matthieu chap. 13 verset 29. - Et il dit : non, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé.
- Et il dit : Non. Le Maître n’accepte pas leurs offres de service. Cependant, " on ne doit pas blâmer le dédain qu’on a pour la zizanie, mais il faut quand même le rendre raisonnable ", Bengel. Leur zèle, en effet, quelque grand et quelque désintéressé qu’il fût, était loin d’être bien éclairé, comme le leur indique le père de famille en motivant son refus. - De peur qu'en arrachant... Le danger ne venait plus de la difficulté de distinguer les deux plantes l’une de l’autre, puisque, d’après ce que nous avons dit, l’ivraie se manifestait maintenant avec la différence qui la caractérise, (" l'ivraie parut aussi ", v. 26) ; il venait de la difficulté d’arracher la mauvaise herbe sans endommager la bonne. On a remarqué, en effet, dans les champs où l’ivraie et le froment poussent côte à côte, que leurs racines s’entremêlent et s’enlacent, de telle sorte qu’il est impossible d’extraire l’ivraie sans nuire au blé d’une manière considérable.Matthieu chap. 13 verset 30. - Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes pour la brûler ; mais amassez le blé dans mon grenier.
- Laissez croître l'un et l'autre... Après avoir rejeté le projet imparfait de ses serviteurs, le Maître en propose un autre qui produira le même résultat, sans présenter aucun inconvénient. Il faut laisser croître et mûrir l’ivraie à côté du froment jusqu’à l’époque de la moisson. Alors les deux plantes sont plus distinctes que jamais, et, lorsqu’elles ont été tranchées ensemble par la faucille, il est aisé de les séparer sans nuire aucunement au bon grain. - Je dirai aux moissonneurs. L’ordre que ce cultivateur intelligent donnera aux moissonneurs se décompose en trois parties. Ils devront, en premier lieu, mettre à part toute l’ivraie ; cela fait, ils la lieront en gerbes destinées à être toutes jetées au feu, excellente précaution qui anéantira les mauvaises graines qu’elle contient ; enfin ils amasseront le blé dans les greniers de la ferme, après l’avoir battu dans le champ même, suivant la mode orientale. Grâce à ses sages précautions, on aura une récolte très pure, en dépit des machinations perfides de l’homme ennemi.
31
Il leur proposa une autre parabole, en disant : le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, qu’un homme a pris et semé dans son champ. 32C’est la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu’elle a crû, elle est plus grande que tous les autres légumes, et elle devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter sur ses branches.Matthieu chap. 13 verset 31. - Il leur proposa une autre parabole, en disant : le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, qu’un homme a pris et semé dans son champ.
- Une autre parabole. S. Jean Chrysostôme marque en ces termes la connexion qui existe entre cette parabole et les deux précédentes : Comme Jésus-Christ leur avait déjà dit que les trois quarts de la semence s’étaient perdus, et que la quatrième partie restante avait encore souffert un grand dommage, ils devaient être portés à s’effrayer et à dire: Qui seront donc ceux qui croiront, et combien y en aura-t-il peu qui seront sauvés? C’est à cette crainte que Jésus-Christ veut remédier par la parabole du grain de sénevé à l’aide de laquelle il raffermit leur foi et leur fait voir l’Évangile s’étendant sur toute la terre. Il choisit pour cela la comparaison de cette semence qui représente parfaitement cette vérité ", Hom. 46 in Matth. Il s’agit pour la troisième fois de semence : mais tandis que les deux premières paraboles avaient reçu des développements assez considérables, celle-ci et les quatre suivantes sont simplement dessinées d’après leurs principaux contours. - Un grain de sénevé. La plante qui sert de base à cette parabole est, suivant toute probabilité, la " sinapis nigra " de Linné, du sénevé noir), la moutarde, comme nous l’appelons vulgairement en France. On l’a toujours volontiers cultivée dans les jardins de Palestine : elle croît même à l’état sauvage dans la plus grande partie de l’Orient. Sa graine consiste en de petits globules ronds, renfermés dans une gousse, au nombre de 4 à 6.Matthieu chap. 13 verset 32. - C’est la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu’elle a crû, elle est plus grande que tous les autres légumes, et elle devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter sur ses branches.
- C'est la plus petite... Cette graine, continue le Sauveur, est la plus petite de toutes les semences. En soi et d’une manière absolue, il n’est pas exact de dire que la graine de sénevé est la plus petite de toutes ; c’est du moins l’une des plus menues parmi celles que l’on semait en Orient : aussi était-elle devenue proverbiale pour désigner une quantité à peine perceptible. " Pour la quantité d’un grain de sénevé, pour la quantité d’une gouttelette de sénevé ", ces formules reviennent à chaque instant dans le Talmud, comme synonymes d'une dimension très minime. Le Coran parle dans le même sens, Surate 31. Cf. Matth. 17, 20. Jésus-Christ emploie donc cet exemple à la façon de ses compatriotes. Or, " Dans les sentences des paraboles, nous n’avons pas coutume de parler subtilement en philosophe, mais d’après la façon de penser et de s’exprimer du peuple ", Maldonat ; Cf. Lightfoot, Hor. Talmud. in Matth. h. l. - Lorsqu'elle a crû, lorsqu’elle sera parvenue à sa pleine croissance. - Elle est plus grande que tous les autres légumes ; assertion qui se réalise à la lettre en Palestine, comme nous l’apprennent de nombreux documents anciens et modernes. La " synapis nigra " atteint facilement là-bas une hauteur de dix pieds. Les voyageurs Irby et Mangles rencontrèrent dans la vallée du Jourdain une petite plaine qui en était couverte, et cette plante montait aussi haut que la tête de leurs chevaux. Le Dr Thomson en vit d’autres échantillons qui dépassaient la tête d’un cavalier. Ces traits nous aident à comprendre les faits suivants racontés par le Talmud : " R. Simon a dit : j’avais dans mon champ une tige de sénevé, dans lequel j’avais l’habitude de grimper, comme on a l’habitude de faire dans un figuier ", Hieros. Peah. f. 20, 2. " R. Joseph donne comme exemple que son père lui avait donné trois tiges de sénevé. L’une d’elles fut arrachée et on y trouva neuf boisseaux de senevé, et de ses branches il formait par entrelacement un abri pour le figuier. " Kethub. f. 3, 2. - Et elle devient un arbre. Plusieurs auteurs, prenant ces mots à la lettre, ont supposé que Jésus voulait parler dans cette parabole, non de la plante herbacée que nous avons décrite, mais d’un arbre proprement dit, de l’arbre à moutarde ou " Salvadora persica " qui croît en divers endroits de la Terre Sainte, et spécialement aux environs de la mer Morte. Toutefois, cette opinion est communément rejetée par les exégètes, soit parce que Notre-Seigneur a lui-même formellement classé parmi les légumes (" elle est plus grande que tous les autres légumes ") le végétal auquel il emprunte les divers traits de cette parabole, soit parce que l’expression " devient un arbre " est suffisamment justifiée par les dimensions prodigieuses auxquelles le sénevé parvient en Orient. - De sorte que les oiseaux du ciel... Trait gracieux qui a pour but de montrer les développements considérables de ce qui n’était naguère qu’une graine bien petite : Maldonat le confirme d’après des scènes dont il avait été fréquemment témoin en Espagne. " Les oiseaux aiment extrêmement ses grains : C’est pourquoi, au cœur de l’été, ils ont coutume, pour manger la semence, de se poser sur ses branches qui ne se cassent pas sous le poids du grand nombre de ces oiseaux ", Comm. in h. l. - Viennent habiter... Ils s’y perchent non seulement pour manger plus commodément les graines, mais pour y passer la nuit. " Habiter " n’a pas ici le sens de " nicher " que lui attribuent quelques exégètes à la suite d’Érasme. - Le but de cette parabole est facile à découvrir : de même qu’un grain de sénevé, malgré sa petitesse proverbiale donne bientôt naissance à une plante qu’on peut comparer à un arbre ; de même le royaume des cieux, faible et à peine perceptible à son début, acquiert en peu de temps des proportions étonnantes et tous les peuples viennent lui demander un abri. Les Pères ont exprimé cette idée avec leur éloquence accoutumée : " La prédication de l’évangile est la plus petite de toutes les disciplines philosophiques. Au premier abord, elle n’a pas l’apparence de la vérité, quand elle prêche un homme Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Compare cette doctrine avec les dogmes des philosophes et avec leurs livres, avec l’éclat de leur éloquence et la beauté de leur style, et tu verras comme elle est plus petite que toutes les semences la semence évangélique. Quand leur semence à eux croît, elle ne montre rien de vivace, rien de vigoureux. Tout est flasque et languissant. Mais cette prédication qui semblait petite au tout début, quand elle moissonnera dans l’âme d’un croyant ou dans tout l’univers, elle ne s’élèvera pas comme une plante potagère, mais comme un arbre ", St. Jérôme, Comm. in h. l. Cf. August. Serm. 44, 2.
33
Il leur dit une autre parabole : le royaume des cieux est semblable au levain qu’une femme a pris et mêlé dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte soit levée.Matthieu chap. 13 verset 33. Il leur dit une autre parabole : le royaume des cieux est semblable au levain qu’une femme a pris et mêlé dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte soit levée.
- Une autre parabole. On a depuis longtemps observé que, parmi les sept paraboles du royaume des cieux, il y en a six qui sont accouplées deux à deux par la signification à peu près identique qu’elles présentent : ce sont la troisième et la sixième, la seconde et la septième. Dans la troisième parabole, Notre-Seigneur Jésus-Christ s’était proposé, comme nous venons de le voir, de prophétiser le développement progressif de son royaume, et d’indiquer la force mystérieuse mais active qui produisait ce développement. Il continue, dans la parabole du levain, d’exprimer la même pensée à l’aide d’une autre image, de manière à la présenter ainsi sous une face nouvelle. - Du levain ; l’étymologie de ce mot est instructive. " Fermentum ", primitivement " fervimentum ", dérive de " ferveo " ; de même en français, " levain " du bas-latin " levare ". Dans ces trois langues, le nom indique très clairement l’effet. Le royaume des cieux ressemble donc, nous dit Jésus, à une certaine quantité de levain : on voit par là son énergie intrinsèque et pénétrante. - Qu'une femme a pris... : c’est la femme qui, au sein de la famille, est d’ordinaire chargée de pétrir le pain, surtout en Orient ; Cf. Levit. 26, 26. - Et mêlé, c’est-à-dire mélangé : le levain, bien mêlé à la pâte, disparaît bientôt complètement, comme si on eût voulu le cacher à dessein. - Dans trois mesures de farine. La mesure (Satum en latin) vient du grec lequel dérive lui-même de l’hébreu, seâh, par l’intermédiaire du Chaldéen, sâta. Or, le seâh était une mesure juive équivalente à un épha, à deux hin, à vingt-quatre log, en fin de compte au contenu de 144 œufs. D’après l’historien Josèphe, Antiq. 9, 2, le seâh correspondait à une boisseau et demi d’Italie. Il semble que trois de ces mesures formaient la quantité habituelle de farine que l’on pétrissait à la fois ; Cf. Gen. 18, 6 ; Jud. 6, 19 ; 1 Reg. 2, 24. - Jusqu'à ce que toute la pâte soit levée : le levain, mélangé à cette masse de farine, agit aussitôt sur elle et la fait fermenter tout entière. " Voyez, s’écriait S. Paul, quelle petite quantité de levain suffit pour préparer une grande quantité de pain ! " 1 Cor. 5, 6. Ici encore, comme dans la parabole du grain de sénevé, nous avons de grands effets produits rapidement par des causes qui semblent n’avoir avec eux aucune proportion réelle. Mais ce n’est pas une répétition pure et simple d’une même pensée. La parabole précédente montrait le royaume de Dieu grandissant et se manifestant au-dehors ; celle-ci fait voir davantage l’action secrète de l’Évangile, ses qualités assimilantes, la manière dont il envahit et compénètre les éléments étrangers placés à sa portée. Quelle étonnante fermentation produite dans l’humanité par la prédication de l’Évangile !
34
Jésus dit toutes ces choses au peuple en paraboles ; et il ne leur parlait pas sans paraboles, 35afin que s’accomplît ce qui avait été dit par le prophète : j’ouvrirai ma bouche en paraboles, je publierai des choses cachées depuis la création du monde.Matthieu chap. 13 verset 34. - Jésus dit toutes ces choses au peuple en paraboles ; et il ne leur parlait pas sans paraboles.
- Toutes ces choses, c’est-à-dire les quatre premières paraboles du royaume des cieux, v. 3-9, 24-31. - Au peuple, Cf. v. 2 ; par opposition aux disciples qui seuls entendirent les trois autres paraboles et les différentes explications rattachées par Jésus à son nouveau genre de prédication, v. 1-23, 37-52. - Et il ne parlait pas sans paraboles. Il ne faudrait pas presser le sens de cette réflexion et l’appliquer à tout le reste de la Vie publique de Notre-Seigneur, car nous verrons encore Jésus employer parfois devant la foule l’enseignement direct. L’évangéliste veut surtout désigner la période actuelle.Matthieu chap. 13 verset 35. - Afin que s’accomplît ce qui avait été dit par le prophète : j’ouvrirai ma bouche en paraboles, je publierai des choses cachées depuis la création du monde.
- Afin que s'accomplît. Jésus-Christ cite au peuple de nombreuses paraboles, non seulement parce que les Juifs aimaient cette forme de prédication, non seulement parce qu’il voulait châtier leur incrédulité en leur présentant la vérité couverte d’un voile, Cf. v. 11-17, mais encore parce que les Écritures avaient annoncé, quoique d’une façon toute mystérieuse, que le Messie devait agir ainsi. S. Matthieu ne perd pas un seul instant de vue le but qu’il s’est tracé : il profite de toutes les occasions pour montrer que les moindres traits de la vie de Jésus ont été prophétisés dans l’Ancien Testament. - Ce qui avait été dit... Le passage qui suit étant tiré du psaume 77, 78 d’après l’hébreu, et ce psaume étant attribué à Asaph dans l’inscription qui précède, c’est ce Lévite célèbre qui est désigné par les mots par le Prophète : il porte en effet dans la Bible, 3 Par. 29, 30, le nom de " voyant " qui équivaut au tire de Prophète. - J'ouvrirai ma bouche en paraboles... " Ecoute, ô peuple, ma doctrine ; prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche. Car je vais ouvrir la bouche pour m’exprimer en paraboles, je vais raconter les mystères des temps anciens ". Ainsi commence, d’après l’hébreu, le psaume cité par S. Matthieu, et dans lequel Asaph célèbre les actions merveilleuses opérées par Jéhova en faveur de son peuple depuis la sortie d’Égypte. Le poète appelle paraboles et énigmes, choses cachées, les grandes choses que le Seigneur avait daigné accomplir pour sauver Israël et pour l’installer heureusement dans la Terre promise. Pour des yeux divinement éclairés, comme l’étaient les siens, ces faits éclatants renfermaient des enseignements prophétiques et pleins de mystères qui intéressaient toutes les générations à venir. C’est pourquoi il les chantait avec un saint enthousiasme, à la manière d’une fontaine dont les eaux sortent en bouillonnant. Cependant Asaph, en écrivant ce verset, ignorait selon toute vraisemblance qu’il servait personnellement de type au Messie, lequel viendrait réaliser un jour dans sa plénitude le rôle qu’il ne jouait lui-même qu’en passant. Mais l’Esprit-Saint, inspirateur de ces lignes, le savait, et c’est lui qui révéla à S. Matthieu leur sens messianique demeuré caché pendant plusieurs siècles. " Ce qui nous fait comprendre la façon dont nous devons interpréter ce qui a été écrit en paraboles. Il ne faut pas nous s’en tenir à la lettre, mais y voir des mystères abscons ", St Jérôme, Comm. in h. l. - Depuis la création du monde ; l’hébreu dit seulement " ab olim ", c’est-à-dire depuis les temps les plus reculés de l’histoire juive. L’évangéliste, avec sa liberté accoutumée remonte jusqu’aux premiers jours du monde, afin de pouvoir mieux appliquer ce passage à Notre-Seigneur Jésus-Christ. En effet, tandis qu’Asaph divulguait seulement les mystères de l’histoire des Hébreux, Jésus dévoilait ceux qui étaient renfermés dans l’histoire de toute l’humanité depuis la création. Ainsi donc, le Sauveur, en imitant le genre littéraire employé autrefois par le Prophète, son représentant mystique, accomplissait un oracle du Saint-Esprit qui se rapportait finalement, quoique d’une manière indirecte, à sa personne sacrée. - On le voit, S. Matthieu nous fait connaître au moyen de cette citation, un nouveau motif de la méthode d’enseignement récemment adoptée par Jésus-Christ. L’auteur du livre de l’Ecclésiastique, faisant la description d’un sage, n’avait-il pas dit que " l’homme sage doit entrer dans les mystères des paraboles, qu’il pénétrera le secret des proverbes, et qu’il se nourrira du sens-caché des paraboles ? " Eccli. 39, 1, 3. Puisque, dans le pays et à l’époque du Christ, l’idée de la sagesse s’alliait si étroitement à l’usage des paraboles, et cela non point par suite d’un caprice de la foule, mais d’après la définition même des livres inspirés, " il convenait à Jésus de se conformer à cette manière de voir, si profondément enracinée dans les esprits, de façon à se concilier l’attention et le respect que méritait un sage, " Card. Wiseman, Mélanges religieux : Les Paraboles, page 27.
36
Alors Jésus, ayant renvoyé les foules, vint dans la maison et ses disciples s’approchèrent de lui, en disant : expliquez-nous la parabole de l’ivraie du champ. 37Et leur répondant, il leur dit : celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme. 38Le champ est le monde ; le bon grain, ce sont les enfants du royaume ; l’ivraie, ce sont les enfants d’iniquité. 39L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde, les moissonneurs, ce sont les anges. 40Or, comme on arrache l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu, il en sera de même à la fin du monde. 41Le Fils de l’homme enverra ses anges, qui enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité, 42et ils les jetteront dans la fournaise de feu. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. 43Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.Matthieu chap. 13 verset 36. - Alors Jésus, ayant renvoyé les foules, vint dans la maison et ses disciples s’approchèrent de lui, en disant : expliquez-nous la parabole de l’ivraie du champ.
- Ayant renvoyé les foules. - Après avoir prononcé la quatrième parabole, v. 33, Jésus descendit de la barque sur laquelle il était monté pour parler plus commodément à son vaste auditoire, Cf. v. 2, et congédia doucement la foule. - Vint dans la maison ; il s’agit de la même maison qu’au v. 1. (Voir l’explication). - Ses disciples s'approchèrent... Confondus jusqu’alors avec le reste des auditeurs, les disciples profitent du premier moment où ils se trouvent seuls avec leur Maître pour lui demander plusieurs explications dont ils avaient besoin. Ils commencèrent naturellement par la question du v. 10, à laquelle ils en joignirent une seconde, comme nous l’avons vu d’après S. Luc, 8, 9 : " Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole " . Puis, quand Jésus eût daigné leur faire la double réponse que nous avons expliquée, v. 11-23, ils ajoutèrent : Expliquez-nous..., ce qui nous a valu l’interprétation authentique d’une seconde parabole relative au royaume des cieux. - La parabole. Cette parabole offrait une difficulté sérieuse : pourquoi, en effet, l’ivraie dans le royaume des cieux ? Les Apôtres n’avaient pas réussi à comprendre la présence du mal dans le séjour par excellence du bien sous toutes ses formes.Matthieu chap. 13 verset 37. - Et leur répondant, il leur dit : celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme.
- Leur répondant. Le bon Maître accède volontiers à leur désir et dans un style clair et concis, il leur explique la parabole de l’ivraie de même qu’il avait interprété auparavant celle de la semence. - Le bon grain. Deux semeurs bien différents l’un de l’autre étaient apparus tout à tour sur la scène, pour répandre, l’un le bon grain, l’autre l’ivraie. Le premier, c’est le Fils de l'homme, par conséquent Jésus-Christ lui-même ; n’est-il pas, en effet, le propriétaire du champ spirituel de l’Église et des saintes âmes figurées par le froment ?Matthieu chap. 13 verset 38. - Le champ est le monde ; le bon grain, ce sont les enfants du royaume ; l’ivraie, ce sont les enfants d’iniquité.
- Le champ est le monde. Le monde, c’est-à-dire non seulement l’État juif, comme on l’a quelquefois affirmé, mais la terre toute entière. Et pourtant, la parabole n’a directement en vue que le royaume des cieux. Toutefois, le monde d’alors, bien qu’il fût loin d’appartenir dans son intégrité au royaume messianique, est considéré ici en tant qu’il était destiné à former peu à peu l’Église chrétienne, après avoir reçu partout la bonne semence de l’Évangile. - Les enfants du royaume ; hébraïsme pour dire : les sujets, les citoyens du royaume de Dieu ; Cf. 8, 12. Ce sont les bons chrétiens. On leur oppose les enfants d'iniquité, d’après le grec " les fils du méchant " ou du démon. Il faut entendre par là les impies et les pécheurs qui imitent les œuvres et la conduite perverses du démon. Dans l’Église, comme dans le champ signalé par Jésus, il y a donc et il y aura jusqu’à la fin des temps le mal à côté du bien ; car, dit S. Augustin, " Autre est la condition du champ (la vie présente), autre est le repos du grenier (la vie future)… Ces paraboles et ces figures nous enseignent que jusqu'à la fin du monde l’Église sera formée du mélange des bons et des méchants, de telle sorte que les bons soient soustraits à toute souillure involontaire de la part des méchants, soit que ceux-ci soient ignorés, soit qu'on les tolère pour la paix et la tranquillité de l’Église, pourvu cependant qu'il ne devienne pas nécessaire de les révéler ou de les accuser. En effet, ce désir de la paix ne doit pas dégénérer en abus jusqu'à endormir toute vigilance, jusqu'à suspendre entièrement toute correction, toute dégradation, toute excommunication,… de peur que la patience sans la discipline ne favorise l'iniquité, et que la discipline sans la patience ne brise l'unité ", Avertissement aux Donatistes après la conférence, 6.Matthieu chap. 13 verset 39. - L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde, les moissonneurs, ce sont les anges.
- L'ennemi... Méchant par sa nature, que peut-il produire sinon le mal ? Il est appelé ennemi par antonomase, c’est-à-dire l’ennemi du Christ et de son royaume. Satan et le Messie travaillent donc à côté l’un de l’autre dans le grand champ du monde : mais le premier fait le mal tandis que le second fait le bien ; le premier n’a qu’un souci, celui de détruire selon la mesure de ses forces les heureux résultats opérés par son rival. - Qui l'a semée ; c’est au démon et à ses opérations funestes et à son esprit pervers qu’il communique à une certain nombre d’hommes, c’est à lui seul et nullement à Dieu qu’il faut attribuer le mal moral qui existe en ce monde. Toute la mauvaise graine qui envahit le champ a été semée par lui. - La fin du monde, la fin du siècle présent suivie du jugement messianique, qui inaugurera la période éternelle du royaume des cieux dans son état transfiguré. - Les moissonneurs. Il est plusieurs autres traits particuliers de la parabole que Jésus n’explique point : mais, après les détails qu’il vient de donner, il était si facile de compléter l’interprétation ! Il est évident, par exemple, que les serviteurs du père de famille, c’est-à-dire du Fils de l’homme, Cf. v. 37, représentent les Apôtres qui, plus d’une fois, pressés par leur zèle, auraient voulu extirper imprudemment les mauvaises herbes plantées dans le champ messianique, au risque d’arracher en même temps les bonnes.Matthieu chap. 13 verset 40. - Or, comme on arrache l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu, il en sera de même à la fin du monde.
- A partir de cet endroit, Jésus-Christ donne un peu plus d’ampleur à son explication : au lieu des indications rapides qu’il s’était contenté de tracer jusqu’ici, il donne une description complète et solennelle du sort final des bons et des méchants. - Comme on arrache l'ivraie... " Jésus enseigne avec grâce que les mauvais sont tolérés maintenant par la décision très sage de Dieu ", Rosenmuller in h. l. Cependant, il n’en sera pas toujours ainsi : il viendra une heure terrible où le mal cessera tout à coup d’être souffert à côté du bien dans le royaume des cieux, et alors il sera fauché, jeté au feu comme l’ivraie de la parabole. En attendant, ce mélange de bien et de mal que Dieu tolère dans son Église est un mystère profond, qui a souvent exercé la sagacité des théologiens et de nos grands orateurs. Voir Bourdaloue, Sermon 5 pour le 5è dimanche après l'Épiph. : Sur la société des justes avec les pécheurs ; Massillion, sermn 20, Mardi de la troisième semaine de Carême : Sur le mélange des bons et des méchants.Matthieu chap. 13 verset 41. - Le Fils de l’homme enverra ses anges, qui enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité.
- Ses anges enlèveront, image poétique car en latin le verbe a le sens de cueillir, lier : les anges moissonneront en quelque sorte les méchants. - Tous les scandales, les scandales des doctrines hérétiques, des principes corrupteurs, des péchés de tout genre ; ou plutôt, les auteurs de ces différentes espèces de scandales ; car l’abstrait est employé ici pour le concret. : " Ce qui veut dire : les rapaces avec les rapaces, les adultères avec les adultères, les homicides avec les homicides, les voleurs avec les voleurs, les railleurs avec les railleurs, chacun avec son semblable ", S. Augustin. Le triage dont parle Jésus a lieu dès maintenant, à la mort de chaque individu ; mais il se fera en grand et d’une manière décisive à la fin des temps.Matthieu chap. 13 verset 42. - Et ils les jetteront dans la fournaise de feu. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
- Dans la fournaise de feu. Cf. 6, 30. L’enfer, avec son feu vengeur, est comparé à une fournaise ardente où les damnés seront torturés affreusement. Peut-être y a-t-il dans cette expression une allusion à un supplice spécial, très fréquent dans l’antiquité, qui consistait à jeter le condamné dans un four embrasé. Cf. Deut. 3, 19 et ss. - Des pleurs et des grincements de dents... : symbole des tourments atroces que les méchants auront à endurer éternellement ; Cf. 8, 12. " Les pleurs qui viennent de la douleur, le grincement de dents qui vient de la fureur ", St. Bernard.Matthieu chap. 13 verset 43. - Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
- Alors les justes. Jésus mentionne aussi, par mode de contraste et pour ne point finir par un tableau si désolant, la récompense incomparable que les bons, les " fils du royaume ", recevront à jamais dans le ciel. - Brilleront. Le texte grec signifie resplendir, être lumineux. Cet éclat resplendissant des justes figure le bonheur, la gloire dont ils seront inondés auprès de Dieu (Cf. Dan. 12, 3), de Dieu que Notre-Seigneur appelle délicatement leur Père à eux, pour montrer la douceur des relations qu’ils auront perpétuellement avec lui. - Que celui qui a des oreilles... ; Cf. 11, 15. A la fin de ce commentaire, qui contient des vérités si importantes, Jésus-Christ ajoute pour ses disciples, comme autrefois pour toute la foule, un appel pressant à de sérieuses réflexions.
44
Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. L’homme qui l’a trouvé le cache, et dans sa joie il va, vend tout ce qu’il a, et achète ce champ.Matthieu chap. 13 verset 44. - Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ...
- Le royaume des cieux... Ainsi qu’on l’a indiqué plus haut (voir la note du v. 33) la cinquième et la sixième paraboles sont associées pour exprimer une même idée, comme l’avaient été la troisième et la quatrième. Plus haut, Jésus s’était proposé de décrire la force, l’efficacité du royaume des cieux ; maintenant il en veut décrire le prix et la valeur. Là, le royaume messianique nous avait été présenté en lui-même et objectivement ; ici nous le voyons davantage au subjectif, et nous apprenons ce que nous devons faire pour nous l’approprier. La cinquième parabole, de même que les deux suivantes, semble n’avoir été prononcée que devant le cercle intime des disciples ; Cf. v. 36. On ne les trouve que dans le premier Évangile. - Un trésor : il faut conserver à ce mot son acception générale et populaire. Il est défini en ce sens par le jurisconsulte Paulus : " Un trésor est un argent déposé depuis si longtemps qu’on en a perdu le souvenir, et qui n’a plus de propriétaire. " Il s’agit donc en ce passage d’un vrai trésor d’or ou d’argent, et non, comme le veut Schoettgen, d'une " abondance de froment enfouie dans le champ ", ce qui n'est pas naturel. - Caché dans un champ. L’Oriental, au caractère soupçonneux, a toujours aimé à enfouir ses objets les plus précieux, supposant que c’était le meilleur moyen de les mettre en sûreté. Ce que faisaient sous ce rapport les habitants de la Palestine, Cf. Jerem. 41, 8 ; Job. 3, 21 . Prov. 2, 4, leurs successeurs le font encore aujourd’hui pour soustraire leurs richesses aux atteintes des Arabes maraudeurs. Aussi, les fouilles pratiquées en divers lieux de la Terre Sainte par les voyageurs européens dans l’intérêt de la science présentent-elles souvent de grandes difficultés, parce que les indigènes supposent toujours qu’elles sont motivées par la recherche de quelque trésor. - L'homme… le cache. Après son heureuse découverte, l’heureux homme dont parle Jésus-Christ s’empresse de confier de nouveau à la terre les richesses qu’il a trouvées : c’est une précaution jalouse pour s’en assurer l’entière possession, comme on le voit par le contexte. - Dans sa joie. On pourrait le traduire ainsi : Par suite de la joie que lui avait causée cette trouvaille inespérée. - Il vend tout..., il s’appauvrit momentanément pour s’enrichir à tout jamais. Il lui faut une somme dont il puisse disposer immédiatement, et, pour se la procurer, il n’hésite pas à vendre tout ce qu’il possède : peut-être perdra-t-il d’abord quelque chose, mais il sait qu’il y aura bientôt pour lui une ample compensation. - Et achète ce champ, et en même temps le précieux trésor dont il jouira sa vie durant. Jésus n’apprécie pas la moralité de cette conduite ; il se borne à mentionner un exemple, qu’il propose à tous d’imiter en ce qui concerne l’acquisition du royaume des cieux. Du reste, d’après la coutume juive de cette époque, confirmée par l’enseignement des Rabbins, chacun était censé le propriétaire absolu de tout ce qu’il trouvait dans ses biens meubles ou immeubles : " Si quelqu’un achète des fruits à son voisin et y découvre à l’intérieur de l’argent, cet argent lui appartient ", Bav. Mez. 2, 4. " Le rabbi Emi trouva une urne pleine de pièces d’argent. Il acheta le champ pour posséder l’argent de plein droit ", ibid. f. 28, 2. Aussi, dans les contrats de vente, pour prévenir toute cause de discussion et de litige, avait-on l’habitude d’insérer la formule suivante : " J’achète cet objet avec tout ce qui est dessus ou dedans ". D’après le droit romain, les trésors découverts par le propriétaire d’un immeuble lui appartenaient en entier : trouvés sur le bien d’un autre, ils devaient être partagés avec le propriétaire. - La morale de cette parabole est bien claire ; le trésor, c’est la foi, l’Évangile, la vérité chrétienne ; quand Dieu daigne nous le faire rencontrer, nous devons aussitôt nous efforcer de l’acquérir au prix des plus grands sacrifices, sans hésiter à nous dépouiller de tout, s’il le faut, pour en faire notre possession privée.
45
Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de bonnes perles. 46Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé, a vendu tout ce qu’il avait, et l’a achetée.Matthieu chap. 13 verset 45. - Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de bonnes perles.
- Un marchand. Cf. v. 24. Le royaume des cieux ressemble moins à ce négociant qu’à l’ensemble de sa conduite, telle qu’elle sera décrite dans les vv. 45 et 46 par le divin Maître. - Qui cherche de bonnes perles : c’est en cela que consiste sa profession ; il est marchand de perles, mais il ne veut que d’excellentes perles. Or, il en existe de qualité commune, inférieure même (voir dans Bochart, Hierozoïcon 2, 4, 5-8, dans Pline, Hist. Nat. 9, 35, et dans Origène, Comm in Matth. h. l.). Pour en avoir de bonnes, il faut donc les chercher, et c’est ce que fait notre marchand. L’idée principale de la sixième parabole, ce qui la distingue de la cinquième, est renfermé par conséquent dans le mot " cherche ". Précédemment, on trouvait sans chercher ; cette fois on ne trouve qu’après de longues et sérieuses recherches.Matthieu chap. 13 verset 46. - Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé, a vendu tout ce qu’il avait, et l’a achetée.
- Une perle de grand prix. Les fatigues du négociant sont enfin récompensées ; il rencontre une perle d’un grand prix qui suffira pour faire sa fortune. " Une " est emphatique ; une seule, mais elle est précieuse. Les anciens attachaient en effet aux belles perles une immense valeur, c’était pour eux, au témoignage de Pline, le plus estimable des bijoux. " Les prix des pierres précieuses sont le principe et le sommet de toutes choses ", Hist. Nat. 9, 15. - Il s'en est allé, il s’en retourne promptement dans son pays, car il est allé au loin pour la trouver, vend tous ses biens et revient au plus vite l’acheter. - Conclusion pratique : " Apprenez à apprécier les pierres précieuses, vous les négociants du royaume des cieux ", S. August. Serm. 37, 3. L’Évangile est une perle sans pareille que nous devons chercher patiemment, acquérir généreusement ; Cf. Ps. 18, 11 ; 118, 127. " La parole et la vérité évangélique est cachée dans ce monde comme un trésor et tous les biens y sont renfermés. On ne peut l’acheter qu’en vendant tout. On ne peut la trouver qu’en la cherchant avec la même ardeur qu’on cherche un trésor. Car il y a deux choses qui nous sont entièrement nécessaires; le mépris des biens de la vie, et une vigilance exacte et continuelle ", S. Jean Chrysost., Hom. 47 in Matth. Le caractère unique de la perle précieuse rappelle, d’après le même Père, que la vérité est une, et qu’il ne saurait y avoir plusieurs fois chrétiennes distinctes les unes des autres.47
Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer, et ramassant des poissons de toute espèce. 48Lorsqu’il est plein, les pêcheurs le tirent, et s’étant assis sur le bord du rivage, ils choisissent les bons et les mettent dans des vases et rejettent les mauvais. 49Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, 50et ils les jetteront dans la fournaise de feu. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.Matthieu chap. 13 verset 47. - Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer, et ramassant des poissons de toute espèce.
- Est encore semblable... Un lecteur superficiel pourrait s’imaginer aisément que cette parabole est une répétition pure et simple de la seconde, car il existe entre elles, nous l’avons dit, une certaine analogie. Le filet rempli de poissons bons et mauvais, de même que le champ qui produit l’ivraie à côté du froment, ne nous apprend-il pas que l’Église de Jésus-Christ, aussi longtemps qu’elle subsistera sur la terre, sera formée d’un mélange hétérogène de bien et de mal ? Oui sans doute, mais les différences sont plus grandes encore et plus profondes que la ressemblance. Là, Jésus-Christ avait insisté sur la coexistence actuelle des justes et des impies au sein de son royaume ; ici, il appuie davantage sur leur séparation future. Là, on voyait les méchants semés par l’ennemi dans le champ messianique, et le père de famille ne permettait pas qu’on les en arrachât ; ici, ils sont séparés violemment des bons par l’ordre de Dieu. Là, il s’agissait du développement progressif du royaume des cieux : ici, c’est sa consommation finale qui est surtout représentée. - Un filet. Ce mot, venu du grec dont nous avons fait " seine ", désigne un long filet traînant, " vasta sagena ", comme l’appelle Manilius. On en porte les bouts au moyen de bateaux, de manière à renfermer un grand espace en pleine mer ou en plein lac, puis on rapproche ces bouts, et alors tout ce qui se trouve renfermé dans l’intérieur est pris. Cf. Trench, Synonymes of the New Testam. §64. Ce symbole convient à merveille dans la parabole, pour dévoiler l’étendue et le caractère envahissant du royaume de Dieu. - Jeté dans la mer. Le lac fournit à son tour une comparaison. La plupart de celles que nous avons entendues jusqu’ici avaient été empruntées aux champs qui s’étalaient en face de Jésus sur le rivage. - Des poissons de toute espèce. Ce dernier mot, " piscium ", n’est pas dans le texte grec, mais il est bien dans la pensée, que la Vulgate a rendue plus claire par cette petite addition intelligente. Tout est donc saisi pêle-mêle dans les plis du filet, les mauvais poissons aussi bien que les bons,Matthieu chap. 13 verset 48. - Lorsqu’il est plein, les pêcheurs le tirent, et s’étant assis sur le bord du rivage, ils choisissent les bons et les mettent dans des vases et rejettent les mauvais.
- Les pêcheurs le tirent, trait pittoresque, mais qui n’est qu’un ornement du récit, tandis que le trait suivant, et s'étant assis sur le bord du rivage, plus pittoresque encore, a une signification réelle dans la parabole, car il indique le soin et l’attention avec lesquels on va procéder au choix des poissons captifs :- Ils choisissent les bons et les mettent dans des vases. " Les petits vases sont les sièges des saints, et les grands, les secrets de la vie bienheureuse ", dit S. Augustin, Serm. 348, 3.
- Rejettent les mauvais, en dehors du filet, sur le rivage, comme des objets sans valeur, destinés à périr et à se purifier. Par conséquent, dans l’application, en-dehors du royaume des cieux et du séjour des élus.Matthieu chap. 13 versets 49 et 50. - Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, 50et ils les jetteront dans la fournaise de feu. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
- A la fin du monde ; Cf. v. 4. Jésus explique rapidement cette parabole, qui ne présentait du reste aucune difficulté sérieuse après l’interprétation qu’il avait faite de celle de l’ivraie. Quand l’heure solennelle de la fin du monde sera venue, Dieu examinera très attentivement tout ce que contiendra l’Église représentée par le filet. Ce sera l’œuvre du jugement final. - Les anges... sépareront les méchants... Cf. les vv. 41 et 42, dont nous avons ici une reproduction à peu près littérale. La dernière des paraboles relatives au royaume des cieux nous rappelle d’une manière très vive l’éternité malheureuse ; aussi S. Jean Chrysostôme l'appelle-t-il la parabole effrayante, l. c. De son côté, S. Grégoire le Grand écrivait à propos des mots qui la terminent : " Il faut craindre plutôt qu’expliquer ", Hom. 11 in Evang. - Elle prouve contre Luther et Calvin que l’Église actuelle n’est pas exclusivement un " chœur des prédestinés ".14° Conclusion des paraboles du royaume des cieux, vv. 51 et 52.
51
Avez-vous compris tout cela ? Ils lui dirent : oui. 52Il leur dit : c’est pourquoi tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes.Matthieu chap. 13 verset 51. - Avez-vous compris tout cela ? Ils lui dirent : oui.
- Dans le grec, ce verset commence par les mots " Jésus leur dit ", qui manquent dans l’Itala, dans quelques autres versions anciennes, et dans plusieurs manuscrits importants, tout aussi bien que dans la Vulgate. Leur authenticité est très douteuse et ils sont regardés par les meilleures critiques comme une interpolation. - Avez-vous compris : " Toutes ces choses ", c’est-à-dire toutes les paraboles relatives au royaume des cieux, spécialement les trois dernières que les disciples, par un privilège spécial, avaient été seuls à entendre. - Ils lui dirent : oui. Sans hésiter, ils répondent affirmativement à la question du Sauveur. Non qu’ils eussent tout saisi dans le détail ; du moins ils avaient pu comprendre la signification générale des paraboles, grâce aux explications que Jésus leur avait données pour les mettre sur la voie des mystères contenus sous l’écorce des comparaisons.Matthieu chap. 13 verset 52. - Il leur dit : c’est pourquoi tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes.
- Il leur dit : c'est pourquoi... " De quelle chose Jésus dit-il c'est pourquoi, il n’est pas facile de le dire ", Maldonat. Il n’y a guère que deux manières de rattacher ce mot aux antécédents : 1° puisque je vous ai montré par mes exemples les différentes manières dont on peut prêcher l’Évangile ; 2° puisque vous avez compris. Cette seconde liaison semble préférable, parce qu’elle n’est pas tirée d’aussi loin que l’autre. Au reste, les exégètes sont d’accord pour dire que la conséquence exprimée par " c'est pourquoi " n’est pas très rigoureuse. " Eh bien ! en vérité ! " telle serait sa vraie traduction. - Tout scribe. Scribe, non pas dans le sens exclusivement juif de cette expression (Cf. l’explication de 2, 4), mais en général, pour signifier : Tout savant, tout docteur. - Instruit, docte, d’après le grec, est un verbe au participe passé passif, " qui a été instruit, enseigné " ; ce n’est pas un adjectif. - De ce qui regarde le royaume. Cette locution signifie : " Pour le royaume des cieux, en vue du royaume messianique ". Les docteurs qui ont reçu une instruction particulière, en vue de l’enseignement qu’ils auront eux-mêmes à donner plus tard dans l’Église de Dieu, ne sont autres que les Apôtres et généralement tous les prédicateurs de l’Évangile. Jésus va maintenant leur tracer leurs devoirs sous la forme d’une belle comparaison. - Semblable à un père de famille. Les choses matérielles, les coutumes de la vie de famille, vont encore servir à illustrer les choses spirituelles et surnaturelles. - Qui tire de son trésor. Ici le mot trésor n’a pas le sens spécial qu’il avait au v. 44 : il reprend sa signification primitive et désigne tout lieu où l’on renferme des richesses ou des provisions de divers genre, pour en faire usage quand on en aura besoin. - Des choses nouvelles et des anciennes, des objets de toute espèce et de toute saison, les uns déjà anciens, les autres neufs et frais. Le père de famille que Jésus propose comme un modèle à ses disciples est un économe prudent qui, après avoir soigneusement assemblé des provisions variées, sait les faire servir à propos, selon les besoins et les désirs de ses enfants ou de ses hôtes : il ne donne pas toujours des choses anciennes, il n’en donne pas toujours de nouvelles, mais il mélange habilement les unes et les autres, se conduisant d’après les circonstances. Tel doit être le pasteur des âmes. " Le bon maître, qui a enrichi son esprit des trésors d’une érudition variée, sera toujours prêt, selon les exigences de son enseignement, à mettre la main sur ce qui lui sera nécessaire et à recourir à l’expérience des temps anciens aussi bien qu’à des idées nouvelles : il adaptera à sa doctrine les maximes, les proverbes et les sentences des sages qui ne sont plus, ainsi que les événements de l’histoire ; en même temps, il saisira toutes les actualités ou les objets présents et en tirera d’utiles leçons pour ses disciples ", Card. Wiseman, Mélanges religieux, etc...1. Paraboles, p. 22. Il faut donc au prédicateur, à l’apôtre, des connaissances abondantes et variées. Notre-Seigneur ne pouvait pas démontrer avec plus de vigueur et en moins de mots l’absolue nécessité d’une grande science pour le prêtre. Quelques Pères ont vu dans les choses anciennes et nouvelles dont parle Jésus l’indication de la Loi et de l’Évangile, de l’Ancien et du Nouveau Testament ; mais il vaut mieux conserver aux adjectifs " nouvelles " et " anciennes " leur signification générale. - Nous avons achevé l’explication des Paraboles du royaume des cieux ; mais, avant de passer à un autre sujet, il sera bon de jeter un regard rétrospectif sur ces admirables comparaisons et de montrer leur union harmonieuse, au moyen de quelques idées d’ensemble. Chacune d’elles est relative à l’Église de Jésus considérée dans toute son étendue, c’est-à-dire depuis sa fondation jusqu’à sa consommation à la fin des temps ; mais cette relation n’a pas lieu de la même manière, car elles nous présentent chaque fois le royaume messianique sous un aspect nouveau, sous une des ses faces multiples, de telle sorte que chaque fois aussi, nous recueillons une nouvelle leçon : c’est donc la diversité la plus heureuse dans la plus parfaite unité. Elles nous ont fait assister à la croissance, aux développements du royaume de Dieu sur la terre, depuis sa fondation par Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu’à sa glorieuse transfiguration dans le ciel, la première commençant précisément par la fondation et la dernière nous conduisant à la consommation. Est-ce à dire cependant, comme on l’a prétendu, qu’elles correspondent toutes, et d’une manière exclusive, à une époque précise de l’histoire ecclésiastique, par exemple, la parabole de la semence au siècle apostolique, celle de l’ivraie à la période des anciennes hérésies, celle du grain de sénevé à l’ère constantinienne, et ainsi de suite ? Bengel, entre autres auteurs, l'affirme catégoriquement : " En marge des propriétés communes et perpétuelles du royaume des cieux ou de l’Église, nous trouvons ces sept paraboles qui possèdent un sens très secret, même dans des périodes et des âges différents de l’Église, de telle sorte que l’une vient en complément de l’autre, chacune commençant là où l’autre finit ", Gnomon Novi Testam. in h. l. Mais non! Il y a évidemment dans ce système beaucoup d'exagération et beaucoup d'arbitraire; car, si les paraboles ont prophétisé quelque chose, - et il en est ainsi pour un grand nombre d’entre elles, - c’est l’avenir général de l’Église plutôt que les traits particuliers de son histoire, ce sont les lois universelles qui la régiront dans le cours des siècles et non des périodes isolées, déterminées. C’est ainsi que la parabole du semeur expose les motifs du succès et de l’insuccès que rencontre en général la prédication évangélique lorsqu’elle est annoncée au monde. Celle de l’ivraie décrit les obstacles qui attendent le royaume des cieux lorsqu’il a été constitué nouvellement en quelque endroit et qu’il travaille à son développement intime : elle fait en même temps connaître le véritable auteur de cette opposition hostile et prédit le triomphe définitif de l’Évangile. Les deux paraboles suivantes, le grain de sénevé et le levain, expriment la croissance du royaume messianique sur la terre, d’après le double mode par lequel elle se manifeste : il y a l’énergie extrinsèque figurée par le grain de sénevé, et la force intrinsèque figurée par le levain. Les quatre premières paraboles avaient montré le royaume de Dieu s’offrant au monde et l’envahissant peu à peu ; celles du trésor caché et de la perle précieuse déclarent ensuite quels sont les devoirs des hommes à son égard et la manière dont ils sont obligés de tout abandonner pour se le procurer, quand ils ont eu le bonheur de le découvrir. Enfin, la parabole du filet fait voir comment le bien et le mal, après avoir longtemps existé l’un auprès de l’autre dans le royaume du Christ, seront séparés éternellement par Dieu à la fin des temps. Il règne donc entre nos sept paraboles un enchaînement logique qui ne laisse rien à désirer et grâce auquel elles s’expliquent et se complètent mutuellement. - En arrivant à la fin de ce premier groupe, nous pouvons maintenant apprécier avec connaissance de cause la beauté des paraboles évangéliques, et comprendre avec quelle justesse S. Bernard pouvait porter sur elles le jugement suivant : " La surface vue de l’extérieur est magnifiquement décorée. Et si quelqu’un en brise le noyau, il trouvera à l’intérieur tout ce qu’il y a de plus délectable et de réjouissant ". Il n’y a rien dans le langage humain qui puisse leur être comparé sous le triple point de vue de la simplicité, de la grâce et de la richesse intérieure. Ce sont des modèles accomplis et inimitables, de charmants tableaux dans lesquels l’idée dominante est mise en relief par les contrastes les plus frappants, au moyen des couleurs les plus variées. Mais quelque séduisante que soit leur forme extérieure, les vérités qu’elles renferment sont encore mille fois plus admirables. Ce sont des trésors inépuisables de doctrine, de consolation et d’exhortation ; à chaque méditation nouvelle qu’on leur consacre, on y découvre des splendeurs intimes dont on ne s’était pas encore rendu compte. " Simples pour les simples, elles sont assez profondes pour les plus profonds penseurs ; c’est, comme toute l’Écriture, un cours d’eau qu’un agneau peut passer à gué et dans lequel l’éléphant peut nager à son aise ", Lisco, die Parabeln Jesu 2° édit. p. 16.8 - A une nouvelle série d’attaques, Jésus répond par de nouveaux miracles. 13, 53-16, 12.
Il semble d’abord difficile d’apercevoir le lien qui sert à unir les faits isolés que l’on rencontre dans cette partie du premier Évangile. Mais, en l’étudiant plus attentivement, on ne tarde pas à remarquer qu’il y règne un double courant opposé et, en même temps, dans l’attitude générale du Sauveur, la transformation progressive que nous avons eu déjà l’occasion de signaler. Ce double courant consiste d’une part dans l’incrédulité universelle qui gagne constamment du terrain autour de Jésus ; de l’autre dans la bonté infatigable du divin Maître, qui répond par des bienfaits insignes à l’ingratitude et aux procédés injurieux de la plupart de ses concitoyens. La foi en son rôle messianique, si vive aux premiers jours, amoindrie peu à peu, continue à décroître notablement. Nous avons ici de frappants exemples de ce triste état de choses dans la conduite des habitants de Nazareth et des autorités juives à son égard. Mais Jésus ne se lasse pas de faire le bien, et nous le verrons deux fois de suite procurer une nourriture miraculeuse à des foules considérables. Néanmoins, il se retire discrètement à mesure qu’on se retire de lui. Si la première période de sa Vie publique, l’année heureuse, avait été marquée par des courses apostoliques presque perpétuelles, celle-ci l’est par d’autres voyages non moins fréquents, mais dont le motif est bien différent, car ils avaient pour but de conduire Notre-Seigneur loin des ingrats qui ne veulent plus de lui ou des persécuteurs qui l’attaquent sans ménagement.
1° Jésus vient à Nazareth où il est une occasion de scandale pour ses compatriotes. 13, 53-58. Parall. Marc. 6, 1-6.
53
Il arriva que, lorsque Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là. 54Et étant venu dans son pays, il les instruisait dans leurs synagogues, de sorte qu’ils étaient dans l’admiration et disaient : D’où viennent à celui-ci cette sagesse et ces miracles ? 55N’est-ce pas là le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? Et Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ? 56Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses ? 57Et ils étaient choqués à son sujet. Mais Jésus leur dit : un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa maison. 58Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité.Matthieu chap. 13 versets 53 et 54. - Il arriva que, lorsque Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là. 54Et étant venu dans son pays, il les instruisait dans leurs synagogues, de sorte qu’ils étaient dans l’admiration et disaient : D’où viennent à celui-ci cette sagesse et ces miracles ?
- Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles..., c’est-à-dire aussitôt après l’intéressante journée qui a rempli la plus grande partie des chapitres 12 et 13. - Il partit de là. Il quitta pour un temps les bords du lac de Tibériade, où avaient eu lieu plusieurs des scènes racontées plus haut. Cf. vv. 1 et 2. - Et étant venu dans son pays. La patrie proprement dite du Sauveur était Bethléem ; mais ce n’est certainement pas la cité de David que l’Évangéliste veut désigner en cet endroit, puisqu’il n’est question nulle part d’une visite faite par Jésus au lieu de sa naissance, et que d’ailleurs S. Matthieu ne s’occupe, durant toute la Vie publique, que du séjour de Notre-Seigneur en Galilée. Il s’agit donc ici d’une patrie adoptive, et telle était Nazareth, où il avait été élevé, Luc. 4, 16 ; Cf. Matth. 2, 23. - Il les instruisait. Les auditeurs sont vaguement indiqués par l’expression, ainsi qu’il arrive fréquemment dans le premier Évangile, (Cf. la note de 4, 23) ; mais ils sont très nettement déterminés par le contexte. - Dans leurs synagogues ; mieux, d’après le texte grec, dans la synagogue au singulier ; la variante semble être une corruption du texte, car Nazareth était une ville bien peu considérable pour avoir plusieurs synagogues. - Ce voyage du Sauveur à Nazareth est l’objet d’une vive controverse. En effet, tandis que les deux premiers synoptiques le racontent à peu près dans les mêmes termes et le placent vers la même période du ministère public de Jésus, S. Luc lui attribue une date beaucoup moins tardive, Cf. 4, 16-30, et ajoute à sa narration des détails très particuliers, bien que le fond présente dans les trois rédactions des caractères de ressemblance. Ces divergences soulèvent une grosse difficulté d’harmonie évangélique. Sommes-nous en face d’un fait unique ou de deux événements distincts ? - Les exégètes se partagent sur ce point en deux groupes à peu près égaux, les uns identifiant les deux épisodes, les autres les séparant au contraire. Voici les principales raisons alléguées de part et d’autre. Il n’est pas croyable, disent les partisans de la fusion des deux visites en une seule, que Jésus soit revenu à Nazareth après avoir reçu de ses compatriotes la réception odieuse que nous lisons dans S. Luc. En outre, si Notre-Seigneur vint deux fois dans sa patrie, n’est-il pas bien étonnant qu’il ait été traité de la même manière à chacun des séjours qu’il y fit, qu’on lui ait adressé les mêmes paroles, Cf. Luc. 4, 22, qu’il ait cité le même proverbe, Cf. Luc. 4, 24, qu’il ait été empêché de manifester sa puissance miraculeuse, Cf. Luc. 4, 23 ? Il n’y eut donc qu’une seule visite, qui a été rapportée dans tous ses détails par S. Luc, seulement esquissée par les deux autres synoptiques. Tel est l’avis de S. Augustin, de Sylveira, de Maldonat, de J. P Lange, d’Olshausen, etc. Ceux qui croient devoir distinguer les deux épisodes, et parmi eux nous pouvons citer Patrizzi, Curci, Schegg, Wieseler, Tischendorf, Arnoldi, Bisping, etc., répondent : 1° qu’il s’était écoulé un temps suffisant entre le premier et le second séjour pour donner à la passion le temps de se calmer, de sorte que Jésus pouvait venir maintenant à Nazareth sans aucun danger sérieux ; 2° que s’il existe entre les deux visites des ressemblances frappantes, favorables à l’identité, il règne aussi entre elles des différences plus notables encore qui exigent la séparation des faits. Nous devons avouer que la question est délicate, et qu’il est bien difficile de se prononcer entre deux opinions qui paraissent également raisonnables, également appuyées. Si les événements sont distincts, pourquoi les Évangélistes qui racontent le second ne disent-ils pas un seul mot du premier ? Pourquoi S. Luc, qui expose le premier, demeure-t-il entièrement muet sur le second ? Mais, d’un autre côté, s’ils sont identiques, comment se fait-il que les écrivains sacrés leur aient attribué des dates si diverses ? Néanmoins, tout bien considéré, les divergences qui règnent entre les récits nous semblent plus frappantes que les ressemblances ; voilà pourquoi nous nous décidons à soutenir la non-identité des séjours. - Ils étaient dans l'admiration, ils étaient vivement frappés, hors d’eux-mêmes. Les merveilles que les habitants de Nazareth contemplaient en Jésus auraient été, pour des esprits bien disposés, un secours très efficace, qui les eût portés à reconnaître la divinité de sa mission ; elles ne pouvaient servir qu’à aveugler des âmes étroites, remplies de préjugés vulgaires. - D'où viennent cette sagesse... La sagesse, surtout une telle sagesse. - Et ces miracles : le don d’opérer de nombreux et d’éclatants miracles. Tout cela en un homme qui leur paraît si commun ! Comment concilier les œuvres et la personne de celui qui les produit ? D’autre part les œuvres sont palpables, on ne saurait en nier la réalité. Donc, " d'où " ? voilà le problème à résoudre pour ces sceptiques.Matthieu chap. 13 verset 55. - N’est-ce pas là le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? Et Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ?
- N'est-ce pas là... Celui-ci ! terme dédaigneux qu’ils emploient trois fois de suite dans trois versets. Ils développent ici la raison principale de leur incrédulité à l’égard de Jésus. Comment est-il possible, veulent-ils dire, qu’un homme d’une si humble origine, dont les parents, si bien connus de nous, n’ont rien que de très-ordinaire, qu’un homme qui n’a reçu aucune instruction spéciale, qui a vécu si longtemps parmi nous comme un pauvre artisan, manifeste tout-à-coup tant de sagesse, tant de puissance ? - Le fils du charpentier. Par l’appellation également méprisante de " charpentier ", ils désignaient S. Joseph, qu’ils croyaient être le vrai père de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce mot, de même que le grec, est assez vague et peut signifier tout ensemble " artisan forgeron " et " artisan menuisier ". Bien que plusieurs Pères, en particulier S. Ambroise et S. Hilaire, aient adopté le premier sens, il est plus conforme à la tradition de faire du Père adoptif du Sauveur un ouvrier qui travaillait le bois. On croit généralement qu’il était charpentier. S. Justin et un Évangile apocryphe, Cf. Thilo. Cod. apocr. 1, 368, supposent qu’il fabriquait des jougs et des charrues. L’opinion commune est qu’il était mort depuis quelques années et qu’il n’avait pas assisté au début de la Vie publique de Jésus. - Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie ; qui se rapproche de la forme hébraïque " Miriam ". Cf. 1, 18. - Et ses frères... Les habitants incrédules de Nazareth nous fournissent du moins de précieux renseignements sur la parenté de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon la chair. Mais ils nous obligent en même temps d’étudier un point compliqué, difficile, dont, à deux reprises déjà (Cf. notes de 1, 25 et de 12, 46), nous avons renvoyé l’examen, et qui est depuis des siècles l’objet d’une lutte ardente entre les catholiques et les hérétiques. Il s’agit de déterminer le degré de parenté qui unissait Jésus à ceux que le Nouveau Testament appelle assez fréquemment ses frères. On a écrit de longs et de nombreux ouvrages à ce sujet. Naturellement, nous devons nous borner à un simple aperçu du problème ; nous nous efforcerons cependant, autant que la nature et l’étendue d’une note le permettront, d’être complet en même temps que concis, et de n’omettre aucun argument important. C’est en effet l’honneur virginal de Marie qui est mis en question, et nous voudrions pouvoir le défendre de toutes nos forces. Voici d’abord deux points hors de contexte pour tout vrai catholique : 1° C’est un dogme de foi que Marie est demeurée vierge, non seulement avant et pendant, mais encore après la naissance du Sauveur. Voir la Théologie au traité de l’Incarnation. 2° Ce dogme s’appuie sur une tradition constante et universelle : s’il fut parfois attaqué ; il trouva immédiatement de vigoureux défenseurs. " Il y en a qui ont nié que la Sainte Vierge ait persévéré dans sa virginité. Nous ne pouvons pas laisser passer cela comme un sacrilège non condamné ", St Ambroise de Instit. Virg. c. 5, 35. La question est donc toute résolue pour nous du côté de l’autorité. Il nous reste à voir comment la tradition et le dogme catholique peuvent se concilier avec l’Écriture-Sainte, ou plutôt comment ils s’appuient sur le témoignage des saints Livres. - L’expression " frères de Jésus " revient neuf fois dans l’Évangile : Matth. 12, 46 ; Marc. 3, 31 ; Luc. 8, 19 ; Matth. 13, 55 ; Marc. 6, 3 ; Joan. 2, 12 ; Joan. 7, 3, 5, 10. Les principaux endroits où on la rencontre en dehors de la narration évangélique sont : Act. 1, 14 ; 1 Cor. 9, 5 ; Galat. 1, 19. Divers hérétiques, notamment les Ebionites, les Antidicomarianistes, les partisans du fameux Helvidius, la plupart des protestants contemporains, admettent que, partout où elle se trouve, elle doit être prise dans le sens strict pour désigner des frères réels, ou plus exactement des demi-frères de Jésus, issus après sa naissance des relations conjugales de Joseph et de Marie. Au contraire, d’après la doctrine orthodoxe, le titre " frères de Jésus " ne doit jamais s’entendre à la lettre parce qu’il ne désigne nullement des enfants nés de Marie, la mère bénie du Sauveur. Les exégètes catholiques sont unanimes là-dessus, et c’est en effet le point capital. Ils ne diffèrent entre eux que sur le mode et le degré de parenté qui existait entre " les frères de Jésus " et Marie, ou son divin Fils ; en d’autres termes , sur la signification exacte qu’il faut donner ici au mot " Frères ". On peut ramener à trois les opinions qui se sont formées à ce sujet dès la plus haute antiquité. - a. Les frères et les sœurs de Jésus seraient le fruit d’un mariage de lévirat conclu, d’après la loi juive, entre S. Joseph et la femme de Cléophas, frère de S. Joseph, était mort sans enfants : Joseph avait alors épousé sa veuve dont il eut six enfants, (quatre fils, Jacques, Joseph, Simon, Jude, et deux filles) qui, conformément aux prescriptions légales, Cf. Deut. 25, 6, portaient le nom de Cléophas, comme s’ils fussent nés véritablement de lui. Tout cela aurait eu lieu, bien entendu, avant le mariage de S. Joseph avec la Sainte Vierge. Théophylacte dans les temps anciens, Tholuck de nos jours, se sont déclarés favorables à ce sentiment. Mais ce n’est là qu’une série de conjectures sans fondement sérieux, qui semblent avoir été inventées tout exprès pour résoudre un problème difficile. - b. " Quelques auteurs, dit Origène, s’appuyant sur le soi-disant Évangile de Pierre et sur le livre de Jacques, prétendent que les frères de Jésus sont des fils que Joseph aurait eus d’une première femme avec laquelle il aurait été marié avant d’épouser Marie ". Plusieurs écrits apocryphes mentionnent en effet cette tradition, en particulier l’Évangile de la Nativité de Marie, l’Évangile de l’Enfance du Sauveur, l’histoire de Joseph le charpentier, Cf. Tischendorf, Evang. apocr. p.10 et ss. ; divers Pères de l’Église, par exemple S. Épiphane, S. Grégoire de Nysse et S.Hilaire, l’ont aussi formellement admise. Mais S. Jérôme la juge très sévèrement :" Il y en a qui imaginent que les frères de Jésus sont les fils d’une autre femme de Joseph, se laissant entraîner par les délires des apocryphes ", Comm. in Matth. 12, 49. Une telle origine est en effet une base bien fragile. - c. D’après le sentiment commun des catholiques et de plusieurs exégètes protestants, les frères de Jésus étaient simplement les fils de Cléophas et de Marie, sœur de la très-sainte Vierge. " Pour nous, comme nous l’avons dit dans le livre écrit contre Helvidium, les frères de Jésus ne sont pas les fils de Joseph, mais des cousins germains du Sauveur. Nous pensons que les fils de Marie sont les fils d’une tante de Jésus qui se trouve être la mère de Jacques le mineur, de Joseph et de Jude " St Jérôme, l. c. Ainsi pensent Hégésippe, Papias, Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, Théodoret, S. Isidore, S. Augustin, parmi les Pères, la plupart des commentateurs du Moyen-Age et des temps modernes, et telle est en effet l’opinion la plus sérieuse et la plus conforme à la narration évangélique, comme nous allons essayer de le démontrer. - 1°. Le substantif " frère " dans les langues orientales et spécialement dans l’hébreu, a une signification très étendue : les plus doctes hébraïsants l’affirment sans hésiter. " Le nom de frère avait, chez les Juifs, un sens large. On l’entend de plusieurs façons, tantôt comme un parent, tantôt comme un cousin ", Gesenius, Thesaurus ling. hebr. et chald. Il est à ce sujet des passages de la Bible qui sont devenus classiques ; Cf. Gen. 13, 8 ; 14, 16 ; 24, 48 ; 29, 12 ; 2 Reg. 10, 13. Les Septante, en les traduisant, ont reproduit littéralement l’hébreu. Il n’était donc pas contraire à l’usage grec de désigner par " frère " d’autres parents que les frères proprement dits. Par conséquent, saint Matthieu a pu employer ce substantif pour indiquer les cousins de Notre-Seigneur Jésus-Christ. - 2° Au pied de la croix du Sauveur, entre Marie Madeleine et Salomé, nous voyons d’une part, d’après S. Matthieu, 17, 56 et suiv. et S. Marc. 15, 40 ; Cf. 16, 1, Marie, mère de Jacques et de Joseph ; de l’autre, d’après S. Jean, 19, 25, la Mère de Jésus et sa sœur, Marie " de Cléophas ". En combinant les deux récits, il devient évident que Marie, mère de Jacques et de Jean, mentionnée par les synoptiques, doit être confondue ou avec la très-sainte Vierge, ou avec sa sœur Marie, épouse de Cléophas. La première hypothèse tombe d’elle-même, car on ne saurait jamais expliquer pourquoi S. Matthieu et S. Marc auraient désigné la mère de Notre-Seigneur, dans un pareille circonstance, par le nom de deux de ses autres fils. Conséquemment, la seconde hypothèse reste vraie, et Marie, sœur de la Sainte Vierge, épouse de Cléophas, ne diffère pas de la mère de S. Jacques et de Joseph. Ainsi donc, d’après les Évangiles, la Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ a une sœur (ou peut-être une belle-sœur, comme nous le dirons plus bas) qui porte également le nom de Marie, et qui a deux fils, Jacques, ou Jacques le Mineur, Cf. Marc. 15, 40 ; Luc. 24, 10, et Joseph. D’un autre côté, l’un des Apôtres se nomme Jacques, fils d’Alphée ou de Cléophas. Ce même Apôtre est appelé par S. Paul " frère du Seigneur ", Gal. 1, 19 ; il a un frère nommé Jude, Luc. 6, 16 ; Act. 1, 13, qui se dit, lui aussi, frère de Jésus, Jud. 1, 1. Évidemment, ce Jacques, ce Joseph, et ce Jude sont fils de Cléophas et de Marie, sœur de la sainte Vierge, par conséquent, " cousins " de Notre-Seigneur. Quant à Simon, il n’apparaît pas en-dehors de ce passage. Heureusement, la tradition nous fournit à son sujet des données très importantes pour le point qui nous occupe. Hégésippe qui, vers l’an 140 de l’ère chrétienne, consigna fidèlement en cinq livres l’histoire des choses mémorables qui avaient eu lieu dans l’église de Jérusalem depuis son origine, raconte, à propos de l’élection de Simon, successeur de S. Jacques sur le siège épiscopal de la ville sainte, qu’on choisît de préférence cet autre fils de Cléophas, parce qu’il était pareillement cousin du Sauveur. Puis il ajoute : " Cléophas était le frère de Joseph ". Cf. Valroger, Introd. au Nouv. Testam. 2, p. 347. Nous avons ici la confirmation parfaite des résultats obtenus à l’aide des écrits inspirés. Simon est frère de saint Jacques-le-Mineur ; il l’est donc aussi de Joseph et de Jude, et les quatre fils de Cléophas sont simplement cousins de Jésus-Christ. Hégésippe nous fait connaître de plus à quel titre ils le sont : c’est parce que leur père est frère de S. Joseph. Il suit de là qu’ils n’étaient pas même des cousins proprement dits, mais de simples cousins germains légaux et putatifs du Sauveur, puisque S. Joseph, leur oncle, n’était lui-même que le père légal et putatif de Jésus. Il suit encore de là que Marie, leur mère, n’était probablement pas la vraie sœur, mais seulement la belle-sœur de la Sainte Vierge. - 3° Sans doute, les " frères de Jésus " sont mentionnés d’une manière assez régulière à côté de sa Mère soit dans les Évangiles, soit dans les Actes de Apôtres ; Cf. Matth. 12, 46 ; Marc. 3, 31 ; Luc. 8, 19 : Joan. 2, 12 ; Act. 1, et cette circonstance ne laisse pas que d’être assez remarquable ; mais il est plus étonnant encore qu’ils n’aient jamais été appelés les fils de Marie, mère du Christ. Ce rapprochement s’explique du reste par les relations étroites qui existaient entre les deux familles. La plupart des commentateurs admettent en effet qu’après la mort de saint Joseph, arrivée selon toute vraisemblance avant la Vie publique du Sauveur, Marie se retira avec son divin Fils chez son beau-frère Cléophas, de telle sorte que les familles furent fondues en une seule ; Jésus fut alors regardé comme le frère des enfants de Cléophas. Selon d’autres, c’est Cléophas qui serait mort le premier, et S. Joseph aurait reçu chez lui la veuve et les enfants de son frère. Nous avons connu plusieurs familles dans lesquelles, par suite d’adoptions semblables, des cousins se traitaient entre eux, et étaient traités par tout le monde, de frères et de sœurs. - 4° Enfin, si, comme le prétendent nos adversaires, Marie a eu d’autres enfants que Jésus, comment s’expliquer la conduite de Notre-Seigneur sur la croix, au moment de son dernier soupir ? N’est-ce pas à S. Jean qu’il la confia ? Et pourtant deux membres du collège apostolique étaient " ses frères " : c’est donc qu’ils ne l’étaient pas dans le sens strict, autrement leur aurait-il enlevé le privilège et le droit de prendre soin de leur mère ? - Concluons de toutes ces preuves que Jésus n’eut aucun frère proprement dit, selon la chair, mais seulement des parents plus ou moins rapprochés qui appartenaient à la famille de S. Joseph ou de la très sainte Vierge, ou de l’un et de l’autre en même temps.Matthieu chap. 13 verset 56. - Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses ?
- Et ses sœurs. " Sœur " a ici tout à fait le même sens que " frère " au verset précédent. D’anciennes traditions donnent deux cousines seulement à Notre-Seigneur, et les nomment tantôt Assia et Lydia, tantôt Marie et Salomé ; cependant l’expression toutes semble indiquer qu’elles étaient en nombre plus considérable. - D'où lui viennent... Après ce raisonnement singulier, les habitants de Nazareth croient pouvoir répéter avec plus de force leur question du v. 54. Comme si la sagesse et les miracles avaient quelque chose de commun avec la naissance et la parenté ! Ces incrédules avaient bien oublié l’histoire juive !Matthieu chap. 13 verset 57. - Et ils étaient choqués à son sujet. Mais Jésus leur dit : un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa maison.
- Et ils étaient choqués. Quelques auteurs ont conclu de cette locution que les compatriotes de Notre-Seigneur allèrent jusqu’à attribuer à Satan, ainsi que l’avaient déjà fait les Pharisiens, les dons surnaturels qui brillaient en lui ; mais le texte ne suppose rien de semblable. Nous y lisons simplement que l’humble origine de Jésus fut pour les habitants de Nazareth une occasion de ruine spirituelle, une pierre contre laquelle ils vinrent se heurter, pour leur malheur, sur le chemin du salut. Mais leur chute n’était-elle pas bien volontaire ? - Un prophète n'est méprisé... Il existe dans toutes les littératures des proverbes populaires de ce genre, ainsi qu’on peut le voir dans l’ouvrage de Wetstein, Hor. talm. in Evang. Nous nous contenterons d'en citer quelques-uns. " Ce qui appartient à la maison est sans valeur ", Sénèque, de Benef. 3, 3. " Il était méprisé par les siens, comme la plupart des choses domestiques ", Protogène. Cf. Pline, Hist. Nat. 35, 36. S. Jérôme explique ce fait par les rivalités jalouses qu’on rencontre si fréquemment dans les petites localités : " C’est une chose naturelle de voir les citoyens envier d’autres citoyens ; ils ne regardent pas les œuvres actuelles de l’homme fait, mais ils se souviennent de la fragilité de l’enfance, comme s’ils n’étaient pas parvenus eux aussi à l’âge adulte par les mêmes étapes ", Comm. in h. l. " Les hommes ont coutume, dit Théophylacte, de mépriser les choses familières, de porter aux nues les étrangères, de les admirer et de les vanter ". C’est ainsi que les prophètes juifs avaient été admirablement bien reçus par les étrangers, tandis que les mauvais traitements leur étaient prodigués dans leur propre pays.Matthieu chap. 13 verset 58. - Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité.
- Les habitants de Nazareth ont cru punir le Sauveur ; ce sont eux au contraire qui sont châtiés. - Il ne fit pas beaucoup de miracles. Jésus se contenta, raconte S. Marc, 6, 5, de guérir quelques malades en leur imposant les mains. - A cause de leur incrédulité. Pourquoi eût-il déployé selon sa coutume sa toute-puissance merveilleuse ? C’eût été peine perdue, vu les dispositions de ses compatriotes. Celui qui exigeait constamment la foi avant de procéder à quelque miracle, cache ou diminue l’éclat de ses prodiges quand il n’a devant lui que des incrédules. N’a-t-il pas dit qu’il ne faut pas donner à la légère les choses saintes aux indignes ?Singulière opinion d'Hérode au sujet de Jésus (vv. 1 et 2). - Histoire de l'emprisonnement et du martyre de S. Jean-Baptiste (vv. 3-12). - La première multiplication des pains (vv. 13-21). - Jésus marche sur les eaux (vv. 22-32). - Il vient dans la plaine de Gennésareth où il opère de nombreux miracles (vv. 33-36).
2° Opinion singulière d’Hérode au sujet de Jésus, 14, 1 et 2. Parall. Marc. 6, 14-16 ; Luc. 9, 7-9.
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En ce temps-là, Hérode le tétrarque apprit ce qui se disait de Jésus, 2et il dit à ses serviteurs : c’est Jean-Baptiste ; il est ressuscité d’entre les morts, et c’est pour cela que des miracles se font par lui.Matthieu chap. 13 verset 1. - En ce temps-là, Hérode le tétrarque apprit ce qui se disait de Jésus.
- En ce temps-là. Cette vague formule semble indiquer, d’après S. Marc, 6, 6 ss. et 30, la période durant laquelle les Apôtres prêchaient deux à deux en Galilée, tandis que Jésus lui-même exerçait le ministère pastoral à travers les bourgades et les cités ; Cf. 11, 1. - Hérode le tétrarque apprit. - Le tétrarque Hérode, nommé aussi Hérode Antipas, était fils d’Hérode-le-Grand et de la Samaritaine Malthace. Cf. Jos. Ant. 17, 1-3. Son père, après lui avoir destiné primitivement la partie principale de son héritage, c’est-à-dire la Judée, la Samarie et l’Idumée, se borna ensuite à lui léguer la Galilée et la Pérée. Le titre de tétrarque qu’il portait était alors très usité. Employé d’abord d’une manière conforme à l’étymologie pour désigner des chefs qui gouvernaient le quart d’un pays, Cf. Strabon, 14, il était à peu près indifféremment appliqué, sous l’empire romain, aux princes tributaires qui n’avaient pas une importance suffisante pour être appelés rois. - Ce qui se disait de Jésus. Il semble tout d’abord extraordinaire qu’Hérode Antipas n’ait entendu parler de Jésus qu’à une époque si tardive. Il n’y a pourtant là rien que de très naturel, si l’on se rappelle quelques circonstances de lieu, de temps et de personnes. Notre-Seigneur avait passé en Judée une partie notable de la première année de son ministère public, ne faisant alors en Galilée, où vivait Hérode, que de courtes apparitions ; son ministère dans cette dernière province n’avait commencé à proprement parler qu’après l’incarcération du Précurseur. Cf. 4, 12. Du reste, les fêtes de la cour et les soucis de la politique ne laissaient guère au tétrarque ambitieux, efféminé, le temps de s’occuper de miracles et de choses religieuses. Il avait pu entendre mentionner en passant le nom et les actes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais il n’avait trouvé là rien qui fût digne de l’attention d’un prince. " Les oreilles et les cours des rois résonnent de toutes les nouveautés. Mais c’est à peine si leur parviennent les choses spirituelles répandues partout ", Bengel. Aujourd’hui cependant, la renommée du Sauveur est si grande qu’elle s’impose même à Hérode ; et puis, maintenant que le tétrarque est agité par le remords, sa conscience est plus impressionnable et il est frappé de ce qu’il entend raconter au sujet de Jésus. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. in Matth. Il n’est donc pas nécessaire de recourir avec Baronius et Grotius, pour expliquer cette ignorance d’Hérode, à des " alibis " qui sont en contradiction avec l’histoire ; car le tétrarque était bien alors dans ses États et nullement à Rome, ou en guerre avec Arétas.Matthieu chap. 14 verset 2. - Et il dit à ses serviteurs : c’est Jean-Baptiste ; il est ressuscité d’entre les morts, et c’est pour cela que des miracles se font par lui.
- A ses serviteurs, c’est-à-dire d’après la coutume orientale, à ses courtisans et à ses ministres. Cf. 1 Mach. 1, 8, où les généraux et les autres officiers supérieurs d’Alexandre-le-Grand sont appelés ses serviteurs. Selon la rédaction de S. Luc, les courtisans auraient suggéré les premiers l’avis que nous allons entendre ; mais la conciliation des deux récits est aisée. Hérode, frappé de cette réflexion, l’adopte et la répète comme une idée personnelle. - C'est. Jésus, dont on venait de lui apprendre les œuvres éclatantes. - Lui. Jean-Baptiste, que le tétrarque avait fait mourir quelque temps auparavant. - Ressuscité d'entre les morts. Les frayeurs auxquelles Hérode est en proie depuis cette action cruelle lui représentent la résurrection du Précurseur comme un fait d’autant plus vraisemblable qu’il était plus fâcheux pour lui. - Et c'est pour cela : Parce que ce n’est pas un homme ordinaire, mais un ressuscité. Bien que S. Jean-Baptiste n’eût fait aucun miracle de son vivant, Cf. Joan. 10, 41, il semblait juste et naturel que, rendu à la vie et doué des privilèges d’un autre monde, il pût opérer désormais les prodiges les plus remarquables. - Des miracles désigne encore en cet endroit, Cf. 13, 54, la puissance miraculeuse. Ce mot est au nominatif et sujet du verbe opérer, qui a une signification intransitive : " Le pouvoir de faire des miracles est actif en lui ". Divers auteurs (Grotius, Gratz, etc.) ont vu dans cette croyance d’Hérode des traces de métempsychose ; elle n’en contient pourtant aucune. Le tétrarque ne prétend pas que l’âme de Jean-Baptiste anime maintenant un nouveau corps ; il se contente d’affirmer que le Précurseur est ressuscité, ce qui est bien différent.
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Car Hérode s’était saisi de Jean, et l’avait fait lier et mettre en prison, à cause d’Hérodiade, femme de son frère, 4parce que Jean lui disait : il ne t’est pas permis d’avoir cette femme. 5Et voulant le faire mourir, il craignit le peuple, qui regardait Jean comme un prophète. 6Or, le jour de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa au milieu des convives, et elle plut à Hérode ; 7aussi lui promit-il avec serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait. 8Avertie d’abord par sa mère, elle lui dit : donne-moi ici sur un plat la tête de Jean-Baptiste. 9Le roi fut attristé ; mais, à cause de son serment et de ceux qui étaient à table avec lui, il ordonna qu’on la lui donnât. 10Et il envoya décapiter Jean dans la prison. 11Et sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui l’apporta à sa mère. 12Alors ses disciples vinrent, prirent son corps et l’ensevelirent ; puis ils allèrent l’annoncer à Jésus.A l’occasion du fait psychologique qu’il vient de signaler, S. Matthieu fournit à ses lecteurs trois notices rétrospectives du plus haut intérêt, concernant l’incarcération, vv. 3-5, le supplice, vv. 6-11, et la sépulture, v. 12, de S. Jean-Baptiste.
Matthieu chap. 14 verset 3. - Car Hérode s’était saisi de Jean, et l’avait fait lier et mettre en prison, à cause d’Hérodiade, femme de son frère.
- La particule car est explicative. L’évangéliste se propose en effet d’indiquer le motif pour lequel Hérode avait si facilement admis la croyance superstitieuse mentionnée au v. 2. - S'était saisi ; ce parfait et les deux suivants doivent se traduire par le plus-que-parfait, Cf. Winer, Grammat. §41, 5, car ils décrivent des événements de beaucoup antérieurs à l’opinion qu’Hérode s’était formée relativement à Jésus. - Et l'avait fait lier... S. Matthieu avait touché deux fois déjà dans sa narration, mais d’une manière très rapide, à l’emprisonnement du Précurseur, Cf. 4, 12 ; 11, 2 : il se réservait d’en parler dans un cadre approprié au moment où il ferait l’histoire du martyre de S. Jean. C’est peu de temps après la scène intéressante d’Ennon, dont le souvenir a été conservé par le quatrième Évangile, Cf. Joan. 3, 22 et ss., et tandis qu’il se trouvait dans la province de Pérée, sur le territoire d’Antipas, que Jean-Baptiste avait été arrêté par le tétrarque voluptueux. L’historien Josèphe place sa prison à Machérus ou Machéronte, citadelle colossale bâtie par Alexandre Jannée dans une des vallées les plus sauvages du N.-E. de la mer Morte. Cf. Jos. Ant. 18, 5. 2. - Les mots A cause d'Hérodiade... contiennent le motif de cette incarcération injuste et sacrilège. Hérodiade, la Cléopâtre juive, était fille d’Aristobule et petit-fille d’Hérode-le-Grand. Par son aïeule Mariamne, elle appartenait à l’illustre famille des Hasmonéens ; mais son caractère était tout à fait celui des Hérodes, car elle était comme eux ambitieuse, violente, passionnée. Jeune encore, on l’avait mariée à Hérode-Philippe, frère de son père et d’Antipas : de là le titre que lui donne S. Matthieu, femme de son frère. Ce Philippe, qu’il ne faut pas confondre avec le tétrarque du même nom, Cf. Luc. 3, 1, également fils d’Hérode-le-Grand et frère d’Antipas, avait été déshérité par son père et vivait à Rome en simple particulier. Cf. Jos. Ant. 17, 1, 2. La situation inférieure de son mari ne laissait aucun repos à Hérodiade. Aussi, quand son oncle Hérode Antipas, venu à Rome pour des affaires d’État, lui eut fait l’aveu de l’ardente et criminelle passion qu’il avait conçue pour elle, elle n’hésita pas un seul instant à accepter la proposition qu’il lui fit de l’épouser et de partager avec elle son trône à Tibériade. Il fut seulement convenu entre eux que le tétrarque répudierait aussitôt sa femme légitime, fille du roi de Pétra, Arétas. Celle-ci, avertie à temps, alla se réfugier chez son père, qui ne tarda pas à se venger, par une guerre désastreuse pour Hérode, de l’outrage fait à sa famille. En attendant, le honteux mariage s’accomplit en Galilée, au grand scandale de tout le peuple.Matthieu chap. 14 verset 4. - Parce que Jean lui disait : il ne t’est pas permis d’avoir cette femme.
- Jean lui disait. Le Précurseur ne tarda pas à se faire l’écho de l’indignation publique qu’il partageait si vivement. Il dit en face, ou du moins il fit dire en son nom au tétrarque : Il ne t'es pas permis... L’union d’Hérode et d’Hérodiade était en effet criminelle à plusieurs points de vue. C’était d’abord un double adultère, puisqu’ils avaient auparavant contracté l’un et l’autre un mariage légitime et que leurs conjoints vivaient encore. C’était en outre un inceste formel, attendu qu’Hérodiade était non seulement la nièce, mais surtout la belle-sœur d’Antipas, et qu’une alliance conjugale était expressément interdite par la loi dans ces conditions ; Cf. Levit. 18, 16 ; 20, 21. Il n’y avait d’exception que pour le cas bien connu du lévirat, Deut. 25, 5. S. Jean-Baptiste joue dans cette circonstance un rôle admirable, en rapport parfait avec sa sainteté et son courage. " Jean n’atténuait pas la force des vérités amères par des paroles conciliantes. Il n’y a pas que ses habits qui n’étaient pas mous; ses paroles non plus ", Bengel, Gnomon, h. l. Plus d'une fois, dans des cas analogues, les souverains Pontifes et les évêques n'ont pas craint de dire à leur tour aux grands de la terre : " Il ne t’est pas permis de l’avoir ". - Josèphe, Ant. 28, 5, 2, allègue une autre raison de l’emprisonnement de S. Jean-Baptiste. Hérode, dit-il, aurait craint que ce saint personnage n’usât de sa grande influence sur les Juifs pour les pousser à la révolte contre un gouvernement qui était loin de leur plaire. Ces deux motifs peuvent avoir agi de concert sur l’esprit du tétrarque : ils ne s’excluent donc pas l’un l’autre. Mais on s’accorde à donner sous tout rapport la préférence au récit de l’Évangile. C’est donc pour avoir osé protester contre l’énormité d’une telle alliance que le Baptiste fut enchaîné.Matthieu chap. 14 verset 5. - Et voulant le faire mourir, il craignit le peuple, qui regardait Jean comme un prophète.
- Et voulant le faire mourir. S. Marc raconte les choses différemment et, ce semble, avec plus d’exactitude. D’après lui, c’est Hérodiade surtout qui nourrissait contre le nouvel Élie les projets homicides de Jézabel contre l’ancien : mais Hérode avait encore assez d’énergie pour entraver les desseins de cette femme, car, ajoute l’Évangéliste, il craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il suivait ses conseils pour beaucoup de choses et il l’écoutait volontiers. Marc. 6, 49. 20. Ces détails, contradictoires en apparence, coïncident cependant fort bien : ils dépeignent au vif la lutte qui se passait dans le cœur du tétrarque. L’âme faible et mobile d’Antipas était un composé d’idées contraires, tour à tour prédominantes selon que régnait la bonne ou la mauvaise influence. Parfois donc il voulait sauver son prisonnier qu’il estimait, qu’il consultait même dans les affaires difficiles : d’autres fois, excité contre lui par Hérodiade, il formait la résolution de le mettre à mort ; mais sur le point d’exécuter son décret, il s’arrêtait tout à coup pour un motif politique. - Il craignit le peuple ; il redoutait une sédition de la part du peuple, qui, dévoué au Précurseur, aurait pu faire payer cher au tyran la mort de celui que tous regardaient comme un grand prophète. Quand on est ainsi ballotté entre le bien et le mal et qu’on est faible comme Hérode, ce n’est jamais le bien qui triomphe : la suite des faits ne le montre que trop.Matthieu chap. 14 verset 6. - Or, le jour de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa au milieu des convives, et elle plut à Hérode
– Le jour de la naissance. Divers auteurs ont cru que le mot naissance (" natale ") désignait dans l’antiquité l’anniversaire du couronnement ou la prise de possession d’un prince (Heinsius, Paulus, etc.). Cette signification est contraire à l’usage classique. Il s’agit, comme on le pense généralement, de l’anniversaire de la naissance. Dès les temps les plus reculés, on avait coutume de fêter solennellement ce jour-là, Cf. Jer. 40, 2 et ss., par toutes sortes de réjouissances, et en particulier par un grand festin auquel on conviait ses amis et ses proches. Aussi trouvons-nous tous les officiers royaux et les principaux personnages de la Galilée à la table du tétrarque, d’après le second Évangile. Cf. Marc. 6, 21. - La fille d'Hérodiade dansa. En Orient, la danse est souvent unie aux repas, comme chez nous la musique, pour leur donner plus d’intérêt et de solennité ; mais au lieu des danseuses à gages, c’est la fille même d’Hérodiade qui vient exécuter dans la circonstance présente, au milieu de la salle du festin et devant tous les convives, une de ces pantomimes singulières dont se compose la chorégraphie orientale. Elle se nommait Salomé, Cf. Jos. Ant. 18, 5, 4 : Hérodiade l’avait eue de son mariage légitime avec Hérode-Philippe. Elle épousa plus tard son oncle le tétrarque d’Iturée, puis en secondes noces son cousin Aristobule, roi de Chalcis. D’après l’historien Nicéphore, Hist. lib. 1. c. 20, sa mort aurait été marquée au sceau des vengeances divines. Comme elle marchait en hiver sur un étang gelé, elle enfonça tout à coup dans l’eau jusqu’aux épaules ; la glace s’étant alors resserrée lui trancha la tête. Il est probable que la danse qui lui gagna si complètement les bonnes grâces d’Antipas était digne, par son caractère voluptueux, du monarque, d’Hérodiade et de leurs amis.Matthieu chap. 14 verset 7. Aussi lui promit-il avec serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait.
- Aussi est la traduction littérale du grec : parce qu’elle avait réussi à lui plaire à un si haut degré. - Avec serment : les Orientaux ont toujours aimé renforcer leurs promesses en y ajoutant quelque serment. - Tout ce qu'elle demanderait. Le tétrarque charmé, échauffé d’ailleurs par le vin, ne met pas de bornes à sa munificence. Il ne se doutait guère, il est vrai, de l’abus que Salomé allait faire de la liberté qui lui était laissée.Matthieu chap. 14 verset 8. - Avertie d’abord par sa mère, elle lui dit : donne-moi ici sur un plat la tête de Jean-Baptiste.
- Avertie. L’expression grecque est énergique et pittoresque : elle signifie littéralement " conduite plus loin ", c’est-à-dire plus loin qu’elle ne serait avancée d’elle-même, si elle eût été livrée à ses seules idées. Le récit suppose qu’immédiatement après avoir reçu la promesse d’Hérode, Salomé était allée en faire part à sa mère qui n’assistait pas au festin, conformément à l’étiquette orientale ; Cf. Marc. 6, 24-25. La circonstance était trop excellente pour qu’Hérodiade n’en profitât pas dans l’intérêt d’une vengeance longtemps et ardemment souhaitée. Sa fille revient bientôt dans la salle du banquet et demande à son instigation la tête de Jean-Baptiste. - Ici sur un plat. Affreuse en elle-même, la demande était rendue plus affreuse encore par ce détail barbare : en plein repas de fête, une tête sanglante sur un plateau saisi peut-être au milieu de la table ! - Tout donne à croire, dans les narrations parallèles de S. Matthieu et de S. Marc, que le palais où avait lieu le festin était très rapproché de la prison dans laquelle languissait le Précurseur, de sorte que le vœu de Salomé put être immédiatement exaucé. Aussi les exégètes admettent-ils communément qu’Hérode célébrait sa fête à Machéronte même, dans une des salles splendides qu’il avait fait construire au sein de la forteresse. De Tibériade, il aurait fallu plusieurs jours pour l’aller et le retour du bourreau.Matthieu chap. 14 verset 9. - Le roi fut attristé ; mais, à cause de son serment et de ceux qui étaient à table avec lui, il ordonna qu’on la lui donnât.
- Le roi fut attristé. S. Jérôme et S. Hilaire ne croient pas pouvoir mettre cette parole d’accord avec le " voulant le faire mourir " du v. 5, à moins d’affirmer que la tristesse du tétrarque était feinte et hypocrite : " L’hypocrite et l’artisan de mort présentait comme de la tristesse sur son visage la joie qu’il ressentait dans son cœur ", St Jérôme, Comm in h. l. Mais ce sentiment est peu vraisemblable. La tristesse d’Hérode était réelle, de même que son estime pour le Baptiste, de même que les craintes qui lui étaient inspirées par la possibilité d’une révolte de la part du peuple : cette contradiction apparente se justifie très bien au point de vue psychologique dans une âme d’un tel caractère. - Le roi : nous avons vu qu’Hérode était simplement tétrarque et qu’il ne portait pas le titre de roi. L’évangéliste l’appelle roi dans le sens général et populaire de ce mot. Cf. 2, 22. Plus tard, sur les instances réitérées d’Hérodiade, et jaloux de voir son neveu Agrippa élevé à la dignité royale par l’empereur, Hérode fit un voyage à Rome tout exprès pour obtenir le même honneur : il reçut une sentence qui l’exilait à Lyon. Après avoir passé quelques années dans cette ville, il alla probablement mourir en Espagne. Cf. Jos. Bell. Jud. 2, 9, 6. - A cause de son serment ; comme si un pareil serment était obligatoire ! Il craint d’être parjure après s’être engagé à la légère et de la façon la plus vague, et il ne craint pas de commettre une énorme atrocité ! - Et de ceux qui étaient à table. Le faux point d’honneur, tel est le second motif qui lui fait surmonter sa tristesse et son indécision. " Et pourquoi ne craignait-il pas ce qui était plus grave ? demande St Jean Chrysostôme. Car si tu craignais d’avoir des témoins du parjure, il te fallait à bien plus forte raison redouter un meurtre si criminel, dont un si grand nombre seraient témoins ", Hom. 48 in Matth.Matthieu chap. 14 verset 10. - Et il envoya décapiter Jean dans la prison.
- Et il envoya, sous-entendu " le bourreau " ; c’est un hébraïsme très fréquent dans l’Ancien Testament. - Décapiter : verbe dénominatif, formé de la préposition " de " et de " collum ", il signifie trancher la tête. - Dans la prison, sans aucune formalité extérieure par conséquent, et sans concours.Matthieu chap. 14 verset 11. - Et sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui l’apporta à sa mère.
- Et sa tête fut apportée, immédiatement et en pleine fête, si l’anniversaire d’Hérode fut célébré, comme nous le croyons, dans la citadelle de Machéronte. - Et donnée à la jeune fille. Quel contraste ! Les peintres les plus habiles ont aimé à le reproduire, entre autres Andrea del Sarto, le Guerchin, le Guide, Bernardino Luini, Giorgione. - Qui l'apporta à sa mère. Hérodiade dût alors être satisfaite. S. Jérôme raconte, contr. Rufin. l. 3, c. 11, que cette femme cruelle se mit aussitôt à percer avec une épingle la langue qui avait prononcé le " Il ne t'est pas permis ", de même que Fulvie avait fait autrefois pour Cicéron. Que c’est bien là une cour orientale ! Tout s’y rencontre en même temps : l’impudicité, l’ivresse, les folles promesses, la barbarie la plus révoltante, le servilisme hideux et lâche qui approuve facilement les crimes du Maître. S. Jean Chrysostôme, dans l'admirable homélie qu'il a composée sur ce passage, Hom. 48 in Matth., donne libre cours à son indignation : " considérez, je vous prie, tout l’ensemble de ce festin, et vous verrez que c’était le diable qui y présidait. Premièrement tout s’y passe dans les délices, dans la fumée du vin et des viandes, ce qui ne peut avoir que de malheureuses suites. Tous les conviés sont des méchants, et celui qui les convie est le plus méchant de tous. De plus la licence et le libertinage y règnent souverainement. Enfin on y voit une jeune fille qui, étant née du frère mort, rendait ce mariage illégitime, et que sa mère devait cacher comme un témoignage public de son impudicité, qui entre au contraire avec pompe et avec magnificence au milieu de ce festin, et au lieu de se maintenir dans l’honnêteté propre à son sexe, s’expose aux yeux de tous, avec une impudence que n’auraient pas les femmes les plus débauchées... Qu’y a-t-il de pire que cette barbarie qui consiste à demander la mort comme une grâce, une mort inique, un meurtre au milieu d’un banquet, une mort demandée publiquement et impudemment. "Matthieu chap. 14 verset 12. - Alors ses disciples vinrent, prirent son corps et l’ensevelirent ; puis ils allèrent l’annoncer à Jésus.
- Après avoir raconté le martyre de Jean-Baptiste, S. Matthieu dit un mot de la sépulture honorable qui lui fut donnée par ses disciples. - Les disciples vinrent. On leur avait permis de visiter leur Maître dans sa prison, on leur permet maintenant d’ensevelir sa précieuse dépouille. - Et l'ensevelirent. D’après une ancienne tradition, le corps du Précurseur aurait été transporté et enterré à Sébaste, l’ancienne Samarie, dans la province de ce nom. - Ils allèrent l'annoncer. Les honneurs funèbres une fois rendus à S. Jean, ses disciples viennent trouver Jésus et lui annoncent la douloureuse nouvelle, sachant qu’elle devait l’intéresser plus que personne. Il est beau de les voir accourir ainsi auprès du Sauveur : on aime à croire, à la suite de S. Jean Chrysostôme, Hom. 49, qu’ils s’attachèrent définitivement à lui, leur Maître leur ayant obtenu par sa mort le don d’une foi complète, qu’il n’avait pu réussir toujours à leur communiquer durant sa vie.
13
Jésus, l’ayant appris, partit de là dans une barque, pour se retirer à l’écart dans un lieu désert et les foules, l’ayant appris, le suivirent à pied des villes voisines. 14En sortant de la barque, il vit une foule nombreuse, et il en eut compassion et il guérit leurs malades. 15Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui, en disant : ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoyez les foules, afin qu’elles aillent dans les villages pour s’acheter des vivres. 16Mais Jésus leur dit : il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger. 17Ils lui répondirent : nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. 18Il leur dit : apportez-les-moi ici. 19Et après avoir ordonné à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit ; puis, rompant les pains, il les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent aux foules. 20Et tous mangèrent, et furent rassasiés ; et on emporta les restes : douze corbeilles pleines de morceaux. 21Or le nombre de ceux qui mangèrent fut de cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.Matthieu chap. 14 verset 13. - Jésus, l’ayant appris, partit de là dans une barque, pour se retirer à l’écart dans un lieu désert et les foules, l’ayant appris, le suivirent à pied des villes voisines.
- Nous trouvons ici pour la première fois les quatre Évangélistes en parallélisme, car le fait suivant est le premier de ceux que S. Jean raconte de concert avec les synoptiques. - L'ayant appris. Le complément du verbe ne retombe pas uniquement sur la mort de S. Jean-Baptiste, qui a été rapportée en dernier lieu, mais aussi sur l’opinion d’Hérode, dont il a été question au début du chapitre, vv. 1 et 2. C’est en effet à propos de cette opinion singulière que S. Matthieu a inséré dans sa narration le supplice du Précurseur. Cependant, il est probable que Jésus apprit vers la même époque, sinon en même temps, les deux nouvelles ; c’est-à-dire que Jean-Baptiste avait été décapité et qu’Hérode était vivement désireux de le voir lui-même, afin de s’assurer s’il n’était pas sa victime ressuscitée, Luc. 9, 9. La manière dont les faits sont enchaînés dans l’Évangile semble nous donner le droit de conclure qu’ils n’avaient été séparés en réalité que par de courts intervalles. Quoi qu’il en soit, la première multiplication des pains eut lieu, d’après une précieuse notice chronologique de S. Jean, 6, 4, peu de temps avant une Pâque que l’on croit être la seconde la Vie publique du Sauveur. Voir dans l’Introduction générale notre Harmonie évangélique. - Se retirer à l'écart. Le motif de cette prompte retraite est suffisamment indiqué dans le contexte. Jésus paraît avoir voulu éviter le voisinage d’Hérode, prévoyant que ce prince, simplement curieux dans le principe, ne tarderait pas à lui devenir tout à fait hostile et à entraver son œuvre avant que son heure fût venue. S. Marc, 6, 30-31, suggère une autre raison. Les Apôtres étaient venus récemment rejoindre leur Maître, après avoir achevé avec succès leur grande mission ; mais ils étaient fatigués et avaient besoin de repos. Notre-Seigneur se décide donc à gagner aussitôt la rive orientale du lac qui était beaucoup moins habitée. Là, il trouvera sans peine un lieu désert où ses disciples jouiront d’un peu de calme ; là il ne sera plus sur le territoire d’Antipas, mais sous la juridiction du tétrarque Philippe, le seul des Hérodes qui ne fût pas cruel. " Là " désigne l’endroit où Jésus-Christ se trouvait quand il reçut les nouvelles indiquées plus haut : c’était sur la rive droite du lac, comme on le voit par la suite du récit. - Dans une barque. Il traversa le lac du N.-O. au N.-E. ; puis ayant débarqué, il remonta le long du Jourdain et arriva, après une marche qui ne fut pas de longue durée, au lieu solitaire qu’il cherchait. - Dans un lieu désert : près de Bethsaïda, nous dit S. Luc. 9, 10, c’est-à-dire, près de Bethsaïda-Julias, ville distincte de la patrie de Pierre et d’André, et bâtie à l’orient du Jourdain, dans la province de Gaulanite. Cf. Raumer, Palæstina, 4° édit., p. 122. Elle était précisément entourée d’une région déserte et inhabitée, qui convenait très bien pour le but que le Sauveur voulait atteindre. " Un caractère général de ce rivage, quand on le compare avec celui de l’Occident, c’est précisément la solitude qui y règne... Il offrait ainsi un refuge naturel à quiconque voulait éviter la vie active des rives opposées ", Stanley, Sinaï and Palestine, p. 571. - A l'écart : seul par rapport à la foule, mais ses disciples étaient avec lui ; Cf. v. 15. - Les foules l'ayant appris. Les multitudes considérables que nous trouvons à cette époque auprès de Notre-Seigneur étaient attirées aux alentours de Capharnaüm par la proximité de la Pâque. Venues de toute la haute Galilée, elles attendaient le départ des caravanes qui devaient bientôt se mettre en route pour la ville sainte. Étant arrivées à la résidence habituelle de Jésus, elles le cherchent avec empressement, car il y avait déjà longtemps qu’elles le connaissaient, qu’elles l’aimaient. On leur apprend qu’il venait de s’embarquer pour passer sur l’autre rive : elles n’hésitent pas à se mettre immédiatement en marche pour le rejoindre, tant elles étaient avides de le voir et de l’entendre. - A pied, en contournant la partie septentrionale du lac : le Jourdain fut franchi à gué ou au moyen de quelque pont qui pouvait exister alors au-dessus de son embouchure. Il est bien consolant de contempler l’enthousiasme du peuple galiléen pour le divin Maître. - Des villes voisines : l’Évangéliste veut parler des nombreuses petites villes qui s’élevaient sur le rivage occidental du lac et qui regorgeaient de monde en ce moment, pour la raison que nous avons indiquée.Matthieu chap. 14 verset 14. - En sortant de la barque, il vit une foule nombreuse, et il en eut compassion et il guérit leurs malades.
- En sortant. Avant d’être rejoint par la foule, Jésus avait eu le temps de gagner le lieu solitaire qu’il cherchait pour lui et pour ses disciples, v. 13 ; Cf. Joan. 6, 3-6 : il en sort pour aller au-devant de ce bon peuple qui lui était si dévoué. C’est à tort qu’on a vu dans le mot " sortant " l’indication de son débarquement. - Il guérit leurs malades... Ces hommes pleins de foi avaient apporté jusque là leurs malades : Jésus les récompense en rendant la santé à tous ceux qui en avaient besoin. " Et il commença à leur enseigner beaucoup de choses, et il leur parlait du royaume de Dieu " ajoutent s. Marc, 6, 34, et s. Luc, 9, 11.Matthieu chap. 14 verset 15. - Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui, en disant : ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoyez les foules, afin qu’elles aillent dans les villages pour s’acheter des vivres.
- Le soir étant venu. Plus bas, v. 23, l’Évangéliste dira encore, mais pour désigner une heure beaucoup plus avancée de la journée : " Le soir étant venu ". L’archéologie sacrée nous apprend en effet que les Juifs comptaient chaque jour deux soirs très distincts, qui commençaient, le premier, à la neuvième heure (3h de l’après-midi), le second à la douzième (6 heures). S. Luc, s’exprimant avec sa précision accoutumée, dit qu’au moment où les disciples s’approchèrent de Jésus pour le prier de renvoyer la foule, " le jour commençait à baisser " ; Luc. 9, 12. - Disant : Ce lieu est désert... On était assez éloigné de tout lieu habité ; pour peu que Jésus retînt encore la foule en continuant de lui parler, comment pourrait-elle gagner avant la nuit les bourgades les plus voisines ? - L'heure est avancée : l’heure en général, par conséquent le jour, le temps du jour. D'après Fritzsche, " le temps opportun, c’est-à-dire bon pour enseigner et guérir. "; selon Grotius, " le temps du repas ". Mais ces interprétations ajoutent au texte des pensées qui lui sont étrangères; Cf. Marc. 6, 35. - Renvoyez les foules. Le Sauveur pouvait congédier le peuple soit en cessant de lui parler, soit en l’engageant directement à se retirer. - Pour s'acheter des vivres. Les Apôtres ont remarqué que cette foule est entièrement dépourvue de vivres. Partie dans la matinée des environs de Capharnaüm pour se mettre à la recherche de Jésus, elle a déjà consommé le peu de provisions qu’elle pouvait avoir apportées.Matthieu chap. 14 verset 16. - Mais Jésus leur dit : il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger.
- Jesus leur dit. Les détails de cet intéressant dialogue sont exposés d’une manière plus complète dans les récits de S. Marc et de S. Jean. Il existe du reste des variantes assez notables entre les quatre narrateurs, mais elles ne sont nullement essentielles et n’impliquent pas la moindre contradiction, comme S. Augustin le prouvait déjà victorieusement, de Cons. Evang. 2, 46. Il est aisé d’obtenir une conciliation parfaite en combinant les traits particuliers à chaque évangéliste. - Il n'est pas nécessaire qu'ils s'en aillent. Pourquoi ce bon peuple serait-il forcé d’aller si loin en quête de quelques vivres ? Ne peut-il pas trouver ici même tout ce dont il a besoin ? - Donnez-leur vous-mêmes... Le Sauveur met ses disciples à l’épreuve par ce langage extraordinaire ; il veut exciter leur foi, les préparer au miracle qu’il opère déjà dans sa pensée, " car il savait bien, dit S. Jean. 6, 6, ce qu’il allait faire ". Peut-être sa parole n’est-elle pas totalement dépourvue d’ironie : dans ce cas, il les aurait châtiés avec bonté de l’empressement qu’ils semblent avoir mis à renvoyer la foule, pour se tirer eux-mêmes d’une situation désagréable.Matthieu chap. 14 verset 17. - Ils lui répondirent : nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons.
- Nous n'avons ici... Les pains et les poissons n’appartenaient pas aux disciples : c’était, d’après S. Jean, 6, 9, la propriété d’un jeune homme qui avait accompagné la foule. Mais, selon la judicieuse remarque de Grotius, " On dit qu’ils avaient tout ce qu’il fallait pour l’acheter ". Ces objets étaient donc à eux en ce sens qu’ils pouvaient les acquérir dès qu’ils le voudraient. Les pains étaient d’orge, Cf. Joan. l. c. ; les poissons étaient probablement salés et fumés, selon la coutume des contrées voisines du lac. Ces deux mets formaient le viatique accoutumé des riverains de la mer de Tibériade et du Jourdain.Matthieu chap. 14 versets 18 et 19. - Il leur dit : apportez-les-moi ici. 19Et après avoir ordonné à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit ; puis, rompant les pains, il les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent aux foules.
- Apportez-les moi. Jésus se fait apporter les cinq pains et les deux poissons qui vont servir de matière à l’un de ses miracles les plus éclatants. Puis, à la façon d’un hôte qui, avant de commencer le repas, distribue aux convives leurs places respectives, il établit entre ses nombreux invités un ordre harmonieux qui rendra le service plus facile. Voir les détails dans S. Marc et S. Luc. - S'asseoir sur l'herbe. La région dans laquelle se trouvait Jésus abonde en pâturages, comme tant d’autres endroits déserts de la Palestine au printemps, - et c’était précisément alors cette saison de l’année, - elle est couverte d’une herbe longue et serrée qui fournit pour ce repas providentiel les couches usitées aux festins des anciens : de là le mot " s'asseoir ". Ayant pris les cinq pains. Il prit les cinq pains à la fois et c’était chose facile, car les pains orientaux ont toujours été minces et légers. Ils ressemblent encore à des galettes qui ont l’épaisseur d’un doigt et la largeur d’une assiette ordinaire, Cf. Robinson, Palæstina, 3, p.40 et 293 ; de Wette, Archæologie, § 133. - Levant les yeux. En agissant ainsi, Jésus paraît s’être conformé à une ancienne coutume religieuse des Juifs. Au commencement de chaque repas, le père de famille prenait un pain et le bénissait en prononçant sur lui, les yeux levés au ciel, une formule traditionnelle qui avait probablement une grande analogie avec la suivante, dont les Israélites se servent aujourd’hui : " Sois béni, Jéhova notre Seigneur, roi du monde, qui fais sortir le pain de la terre ". Celui, dit le Talmud, qui jouit d’une chose sans action de grâces, ressemble à un homme qui volerait Dieu. Mais Jésus faisait assurément quelque chose de plus qu’une simple action de grâces. En levant les yeux vers le ciel, il s’unissait à son divin Père, il montrait la source de la puissance merveilleuse qu’il allait manifester. En bénissant les pains, il leur communiquait la fécondité en vertu de laquelle ils devaient rassasier une si grande quantité de personnes. - Rompant les pains. " Jésus , en les rompant , y répandit l'abondance " , dit saint Jérôme, Comment. in h. l. Luc de Bruges ajoute avec beaucoup de justesse : " La multiplication des pains a commencé par cette fraction de Jésus; elle s’est amplifiée par la distribution des disciples; et elle a trouvé son apogée dans les mains de ceux qui les ont mangés ". Tel est en effet le mode le plus naturel et le plus raisonnable de la multiplication des cinq pains. Il en fut de même pour les poissons. - Il les donna à ses disciples... L’analogie qui existe entre ce passage et l’institution de la sainte Eucharistie est vraiment remarquable ; Cf. 26, 26 : elle le devient davantage encore si l’on se rappelle que, le lendemain de ce miracle, Jésus promit, dans la synagogue de Capharnaüm, l’institution de l’adorable Sacrement de l’autel ; Cf. Joan. 6, 22 et ss. - Les disciples les donnèrent aux foules. La distribution aurait été trop lente si le Sauveur eût entrepris de la faire lui-même : c’est pourquoi il en chargea ses Apôtres qui, en moins d’une heure, grâce à l’organisation de la foule par groupes de cinquante et de cent, purent s’en acquitter aisément.Matthieu chap. 14 verset 20. - Et tous mangèrent, et furent rassasiés ; et on emporta les restes : douze corbeilles pleines de morceaux.
- Ce verset et le suivant contiennent quatre traits particuliers destinés à relever la grandeur du prodige. - 1° Tous mangèrent. Tous les assistants, sans exception, purent manger leur part des cinq pains et des deux poissons. Il le fallait bien du reste, s’ils ne voulaient pas s’en retourner à jeun, puisqu’il n’y avait pas d’autres vivres dans le lieu désert où ils avaient rejoint Notre-Seigneur. - 2° Et furent rassasiés : non-seulement chacun eut sa part, mais chacun fut rassasié complètement. Et pourtant, cette foule qui était demeurée si longtemps sans rien prendre et qui avait fait une marche et une station également fatigantes, devait avoir un grand besoin de nourriture. - 3° Et on emporta les restes. Le sujet de " emporta " est " les disciples " sous-entendu. Si peu de vivres pour tant de monde ! Néanmoins, après que tous ces convives de la Providence eurent assouvi leur faim, il y eut des restes considérables: Douze corbeilles pleines. La " corbeille " était un panier d’osier que les Juifs portaient d’ordinaire avec eux dans leurs voyages pour y mettre leurs provision. Cette coutume leur avait valu de la part du grand satyrique romain l’épithète de cistophores (porteurs de corbeilles). Mart. Epigr. 5, 17, Cf. Juven. Sat. 3, 14. Chaque Apôtre, muni de sa corbeille, parcourut les rangs après le repas, et la rapporta pleine à Jésus. Il y eut ainsi beaucoup plus de restes qu’il n’y avait eu d’abord de mets à consommer.Matthieu chap. 14 verset 21. - Or le nombre de ceux qui mangèrent fut de cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
- 4° Le nombre de ceux qui mangèrent... Ce trait, le dernier des quatre, complète et explique le premier, " tous mangèrent ", en précisant le nombre des convives. - Cinq mille hommes, environ cinq mille. Jésus avait rarement eu autour de lui des réunions d’hommes aussi imposantes. - Sans compter les femmes et les enfants... : car il n’était pas d’usage, chez les Juifs, de les faire entrer dans un dénombrement. Il ne devait y en avoir du reste qu’une quantité restreinte, attendu que l’assemblée se composait de pèlerins, et que les femmes et les enfants n’étaient pas obligés de se rendre à Jérusalem pour les fêtes. - Jésus a rempli d’une manière généreuse et grandiose les fonctions de père de famille. Il est encore plus généreux, plus distingué dans le banquet eucharistique offert par lui tous les jours, à tous les hommes, depuis tant de siècles ! Les rationalistes ont attaqué ce prodige en employant leurs procédés ordinaires : ils l’ont réduit, comme les autres miracles, tantôt à un mythe, tantôt à une légende, tantôt à une parabole transformée. Nous renvoyons, pour l’exposé et pour la réfutation de leurs systèmes, à l’ouvrage de M. Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, etc. 5° édit. t. 2, p. 509. D’un autre côté, les anciens exégètes catholiques sont tombés parfois dans l’exagération et la minutie, en essayant de déterminer au juste ce qui demeurera toujours un mystère pour nous, c’est-à-dire la nature exacte de ce miracle ; Cf. Cornel. a Lap. in loc. Il est préférable de dire avec S. Hilaire : " Les prodiges trompent l’œil. Pendant que tu vois des fragments dans une main, tu aperçois dans l’autre main des pains entiers. Ni les sens ni la vue ne perçoivent le déroulement de cette opération incompréhensible. Quelque chose est qui n’était pas. On voit ce qu’on ne comprend pas. Il ne reste plus qu’à croire que tout est possible à Dieu ", de Trin. 3, 6. Ou bien, si l'on désire une explication, celle de Saint Augustin n'est-elle pas suffisante : " C’est un grand miracle. Mais il n’y a pas lieu de tant nous étonner du fait, si nous prenons en considération celui qui l’accomplit. Celui qui a multiplié cinq pains dans les mains de ceux qui les rompaient est celui qui multiplie les semences dans la terre : la semence de quelques grains suffit pour remplir des greniers. On ne s’en étonne pas parce que cela a lieu à chaque année. Ce n’est pas la banalité du fait qui enlève l’admiration, mais l’accoutumance ", Serm. 130, 1.
22
Aussitôt Jésus pressa ses disciples de monter dans la barque, et de le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. 23Et lorsqu’il eut renvoyé la foule, il monta seul sur une montagne pour prier et le soir étant venu il était là seul.24 Cependant la barque était battue par les flots au milieu de la mer car le vent était contraire. 25Mais, à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux, marchant sur la mer. 26Et le voyant marcher sur la mer, ils furent troublés, et dirent : C’est un fantôme. Et ils poussèrent des cris de frayeur. 27Aussitôt Jésus leur parla, en disant : Ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur. 28Pierre lui répondit : Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi sur les eaux. 29Jésus lui dit : Viens. Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l’eau pour aller à Jésus. 30Mais, voyant la violence du vent, il eut peur et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, sauve-moi. 31Et aussitôt Jésus, étendant la main, le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? 32Et lorsqu’ils furent montés dans la barque, le vent cessa. 33Alors ceux qui étaient dans la barque vinrent et l’adorèrent, en disant : tu es vraiment le Fils de Dieu.S. Marc et S. Jean, de même que S. Matthieu, supposent que ce nouveau miracle suivit immédiatement la multiplication des pains. S. Luc ne le raconte pas. Jésus va nous apparaître encore comme le Roi suprême de la nature, qui la dompte, qui la soumet à toutes ses volontés.
Matthieu chap. 14 verset 22. - Aussitôt Jésus pressa ses disciples de monter dans la barque, et de le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.
- Aussitôt : dès que le repas fut terminé. - Il pressa ses disciples. " Pressa " ne traduit qu’imparfaitement le verbe grec, qui montre mieux la répugnance des disciples à se séparer alors de leur Maître, et les instances ou plutôt les injonctions formelles de Jésus pour les éloigner. Mais pourquoi les Apôtres tenaient-ils tant à demeurer auprès de Notre-Seigneur dans la circonstance présente ? Pourquoi, d’un autre côté, Jésus-Christ exigea-t-il si énergiquement leur départ immédiat ? Le quatrième Évangile nous met sur la voie de l’explication qui convient à ce double problème. Nous y voyons en effet qu’après le miracle de la multiplication des pains, une grande fermentation se produisit dans la foule qui en avait été témoin. Elle voulait aussitôt proclamer Jésus son Messie, et le conduire en triomphe à Jérusalem pour le couronner et l’installer sur le trône. Or les Apôtres ne se seraient que trop facilement ralliés à ce projet, car ils partageaient encore, sur le rôle du Christ, la plupart des préjugés du vulgaire : Jésus les soustrait donc aux influences de la multitude en les renvoyant sans délai. Du même coup, il enlève à cette foule enthousiasmée des auxiliaires sur lesquels elle comptait pour l’accomplissement de son dessein. Il fit échouer de la sorte avec beaucoup d’habileté le plan singulier qu’on avait conçu à son sujet. - Dans la barque : c’était la même barque qui les avait amenés le matin ; elle était encore sur le rivage. - Et de le précéder. Les apôtres devaient s’embarquer à l’instant, traverser le lac de l’Est à l’Ouest, et aller attendre leur Maître sur la rive occidentale. Jésus ne leur indique ni le temps où il les rejoindra, ni la manière dont il effectuera ce petit voyage, car il a ses mystérieux desseins. Il ajoute seulement qu’il va d’abord congédier la foule.Matthieu chap. 14 verset 23. - Et lorsqu’il eut renvoyé la foule, il monta seul sur une montagne pour prier et le soir étant venu il était là seul.
- Lorsqu'il eut renvoyé la foule : il y réussit aisément, à l’aide de ces bonnes et douces paroles dont il avait le secret. D’ailleurs, il put s’échapper sans peine, étant seul et n’ayant pas à conduire avec lui douze disciples sympathiques aux folles idées de la multitude. - Il monta sur une montagne. Ce devait être la montagne par excellence de la région où se trouvait alors le Sauveur. S. Jean nous apprend, 6, 3 ; Cf. 15, que Jésus s’était retiré sur cette même montagne avec ses disciples aussitôt après avoir débarqué : elle eût été le lieu de son repos sans la nouvelle direction donnée tout à coup aux événements par la Providence. - Pour prier. Ces prières qui accompagnent les événements les plus solennels de la vie de Jésus demeureront toujours pour nous un profond mystère : elles sont uniques en leur genre, car c’étaient les supplications, les adorations d’une âme hypostatiquement unie à la divinité : elles constituent l’un des actes principaux du sacerdoce de Jésus-Christ. " N’assigne pas le fait d’aller monter pour prier à celui qui a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains. Mais à celui qui, après avoir appris la mort de Jean, se retire dans la solitude. Je ne dis pas cela dans le but de lui attribuer deux personnes. Mais ses œuvres se répartissent entre Dieu et l’homme ", Saint Jérôme, Comm. in h. l. Les anciens commentateurs aiment à relever, dans un but moral, les circonstances de temps et de lieu parmi lesquelles Jésus accomplit sa prière. - Le soir étant venu : voir la note du v. 15. " Les ténèbres recouvraient déjà la terre ", lisons-nous dans S. Jean, 6, 17. - Il était là, seul parce que la foule s’était peu à peu écoulée, voyant qu’elle ne pouvait pas réaliser son projet.Matthieu chap. 14 verset 24. - Cependant la barque était battue par les flots au milieu de la mer car le vent était contraire.
- Cependant la barque... Le récit nous ramène aux Apôtres qui, bien qu’ils se fussent embarqués depuis plusieurs heures, n’avaient pu réussir à traverser le lac. Ils étaient seulement au milieu de la mer, ou, selon les données plus exactes du quatrième Évangile, à 25 ou 30 stades de leur point de départ (le lac avait environ 40 stades de large d’après Josèphe, Bell. Jud. 1. 3, 35) quoiqu’ils eussent constamment ramé. Cf. Joan. 6, 19. - Était battue par les flots : le grec, par une expression pittoresque, représente cette pauvre barque comme mise à la torture par les vagues. - Car le vent était contraire. Ces mots contiennent l’explication d’un retard aussi extraordinaire. Un vent violent qui venait de l’Ouest avait soulevé une tempête soudaine sur le lac. Nous avons déjà fait ressortir, Cf. 8, 24, la fréquence et la rapidité de ces phénomènes dans le bassin de la mer de Galilée : voici encore quelques observations intéressantes d’un voyageur contemporain, longtemps domicilié en Palestine. " Mon expérience me permet de compatir d’une manière particulière à la longue et pénible lutte nocturne des disciples contre le vent. Il m’est arrivé de passer une nuit dans l’ouadi Schoukalyif, à trois milles du lac. Le soleil s’était à peine couché que le vent commença à se précipiter sur les flots, et il continua de souffler toute la nuit avec une rage toujours croissante, de sorte que, lorsque nous atteignîmes le rivage, le lendemain matin, la surface du lac ressemblait à celle d’un immense chaudron en ébullition. Le vent s’élançait avec une telle furie de toutes les vallées situées au N.-E. et à l’E., qu’il eût été complètement impossible à des rameurs, malgré les plus vigoureux efforts, de faire aborder une embarcation à n’importe quel point de cette côte ". Thomson, the Land and the Book. p. 374.Matthieu chap. 14 verset 25. - Mais, à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux, marchant sur la mer.
- Mais Jésus n’oubliait point ses Apôtres, bien qu’il eût permis cette nouvelle épreuve beaucoup plus pénible pour eux que la première tempête (8, 24 et ss.) comme le montre S. Jean Chrysostôme avec sa délicatesse accoutumée : " Les disciples sont de nouveau ballottés par des vagues. Ils sont, comme antérieurement, brimbalés par une mer déchaînée. Mais ils avaient Jésus dans leur bateau, autrefois, quand ils eurent à essuyer la tempête. Maintenant ils sont seuls et loin du rivage. Car il leur présente petit à petit et par degrés des défis de plus en plus grands, pour qu’ils soient capables de tout supporter courageusement. La première fois qu’ils étaient sur le point de sombrer il était avec eux endormi, pour être plus prêt à leur porter secours. Mais il est absent maintenant pour mettre davantage leur patience à l’épreuve. Et il permet que la tempête fasse rage en pleine mer, et que les flots s’agitent toute la nuit, pour qu’il ne reste apparemment aucun espoir de salut ", Hom. 5 in Matth. - A la quatrième veille. Avant la conquête romaine, les Juifs, de même que les Grecs, divisaient la nuit en trois parties appelées veilles qui duraient quatre heures chacune : la première de six à dix heures du soir, la seconde de dix heures du soir à deux heures du matin, la troisième de deux à six heures du matin. Depuis la soumission de la Palestine par Pompée, ils avaient adopté la division romaine en quatre veilles de trois heures (6 à 9, 9-12, 12-3, 3-6). C’est donc entre trois et six heures du matin que Notre-Seigneur Jésus-Christ vint rejoindre les Apôtres. Ceux-ci avaient lutté pendant presque toute la nuit contre la tempête : Il avait passé le même temps en prière sur la montagne. - Jésus vint à eux, indiquant le point de départ. - Marchant sur la mer, c’est-à-dire, d’après Paulus et d’autres rationalistes, sur le rivage, en longeant le bord du lac ; suivant Bolten, en nageant. Comme si une indication si claire était susceptible de plusieurs interprétations ! Strauss lui-même n’hésite pas à reconnaître que l’écrivain sacré a voulu raconter un fait miraculeux ; il est vrai que ce n’était qu’un mythe !Matthieu chap. 14 verset 26. - Et le voyant marcher sur la mer, ils furent troublés, et dirent : C’est un fantôme. Et ils poussèrent des cris de frayeur.
- Et le voyant. Quand Jésus se fut rapproché de la barque, ses Apôtres aperçurent à travers les ténèbres cette forme humaine qui marchait sur les flots, apparaissant et disparaissant tour à tour au milieu des mouvement des vagues. - Ils furent troublés ; on le comprend sans peine, en de telles circonstances. A la frayeur que leur causait l’orage, se joignit un effroi d’un nouveau genre et plus pénible encore, leur imagination troublée leur faisant croire à une apparition. - C'est un fantôme. Une pareille supposition paraît tout d’abord surprenante de la part d’hommes robustes, habitués à braver bien des dangers. Mais on cesse d’en être étonné quand on se souvient que la croyance aux fantômes avait poussé, dès les temps les plus anciens, de profondes racines chez toutes les nations. Dans l’Égypte, en Grèce, à Rome, chez les Juifs, la possibilité ou plutôt la réalité des apparitions ne faisait pas l’objet du moindre doute : l’histoire de l’antiquité païenne et la littérature rabbinique en sont remplies. Ce sont tantôt les démons ou mauvais esprits, tantôt les âmes des damnés, les " larvæ " des Romains, qui profitent de la nuit pour venir tourmenter les hommes. Imbus de ces idées depuis leur enfance, les Apôtres se croient subitement en face d’un de ces spectres nuisibles dont ils ont si souvent entendu parler, et qui font encore la terreur des Juifs modernes. Notons encore que plusieurs d’entre eux étaient des pêcheurs et que c’est cette catégorie d’hommes avec celle des marins qui a de tout temps le plus ajouté foi aux fantômes et aux revenants. - Ils poussèrent des cris de frayeur : détail pittoresque et plein de naturel.Matthieu chap. 14 verset 27. - Aussitôt Jésus leur parla, en disant : Ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur.
- Aussitôt. Le bon Maître répond immédiatement à ce cri d’angoisse. Sa voix bien connue se fait entendre au milieu de l’ouragan, pour prononcer des paroles douces et rassurantes : Prenez courage ; c’est moi, ne craignez pas ! - C'est moi ; moi, votre meilleur ami, et point une apparition hostile.Matthieu chap. 14 verset 28. - Pierre lui répondit : Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi sur les eaux.
- A la marche miraculeuse de Jésus sur le lac de Tibériade s’associe, dans le premier Évangile, un épisode intéressant, versets 28-31, dont le chef des Apôtres fut le héros. - Pierre lui répondit. " On trouve Pierre dans tous les lieux de la foi la plus ardente ", S. Jerôme, Comm. in h. l. Il nous apparaît bien, dans ce petit tableau, avec son caractère particulier, si facile à reconnaître : prompt, enthousiaste, généreux, puis se laissant troubler et décourager par le premier obstacle. Les autres disciples ne sont pas encore revenus de leur effroi que déjà il a adressé une réponse à Jésus. - Seigneur, si c'est toi. Ce n’est pas un doute proprement dit qu’il exprime en tenant ce langage : il croit vraiment que c’est Jésus qui est auprès de la barque sur les flots ; autrement lui donnerait-il son titre accoutumé ? Surtout, lui demanderait-il la faveur suivante et, sur une parole, se précipiterait-il dans les eaux violemment agitées ? La pensée est donc : Puisque c’est vous ! - Ordonne : il connaît la toute-puissance de Jésus, il sait que d’un mot le Sauveur pourra opérer un grand prodige. - Moi de venir à toi sur les eaux... Il désire accomplir lui-même ce qu’il voit faire à son Maître. " Non seulement il crut que Jésus pouvait marcher sur les flots, mais il crut qu’il pouvait communiquer aux autres cette capacité. Et il désira le rejoindre rapidement ", Saint Jean Chrysostôme Hom. 50 in Matth. S. Pierre expose délicatement sa prière, lui donnant une forme pleine de respectueuse tendresse pour Notre-Seigneur : ce qu’il désire, ce n’est pas tant de marcher sur les flots que de se servir des flots pour aller au-devant de Jésus, " venir à toi ".Matthieu chap. 14 verset 29. - Jésus lui dit : Viens. Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l’eau pour aller à Jésus.
- Viens. Au " Ordonne " de son Apôtre, le Sauveur répond par cette simple parole qui contenait l’ordre demandé. Pierre profite sans hésiter de la permission qui lui est accordée ; il franchit le rebord de la barque et se met à marcher sur les eaux à la rencontre du Sauveur. Tout réussit donc à souhait pendant quelques instants.Matthieu chap. 14 verset 30. - Mais, voyant la violence du vent, il eut peur et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, sauve-moi.
- Voyant la violence du vent. La tempête en effet était loin d’être calmée, et, maintenant qu’il est hors de l’embarcation, il voit, c’est-à-dire il ressent beaucoup plus la violence du vent qui soulève les vagues en tous sens. - Aussitôt, son courage faiblit, il eut peur : l’homme naturel, qui avait disparu devant la foi, prend le dessus. " Il ne suffit donc pas d’être près du Christ, si on ne l’est par la foi. ", S. Jean Chrysostome l. c. L’Apôtre marche sans peine sur le lac agité aussi longtemps qu’il pense à Jésus : sa foi le porte, son amour le conduit. Mais dès qu’il détourne ses regards du divin Maître pour se souvenir du danger et de lui-même, il chancelle et trouve bientôt un juste sujet de crainte. - Il commençait à enfoncer. Toute son habileté de nageur disparaît sur les flots en furie et il se sent enfoncer peu à peu ; mais il sait qu’il y a tout auprès de lui quelqu’un qui est capable de le sauver. Faisant de nouveau appel à toute la vivacité de sa foi, il s’écrie : Sauve-moi. Il y a loin de ce cri de détresse à la demande du v. 29. Saint Augustin donne à ce trait une belle signification morale : " Il faut voir dans Pierre la condition de tous les êtres humains. Si le vent des tentations cherche à nous faire chavirer, ou si l’eau des épreuves s’apprête à nous submerger, appelons le Christ ", Serm. 14 de Verbis Domini.Matthieu chap. 14 verset 31. - Et aussitôt Jésus, étendant la main, le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?
- Et aussitôt. La seconde demande de S. Pierre est exaucée tout aussi formellement que la première : Jésus n’est jamais lent à secourir ses amis. Cf. v. 27. - Étendant la main, le saisit : détails qui font revivre sous nos yeux cette scène touchante. mais si le Sauveur est toujours bon, il n’oublie pas la leçon méritée par son disciple, et il lui indique sur le ton d’un doux reproche le vrai motif de l’humiliant échec qui lui était survenu. - Homme de peu de foi. Ce n’était pas la violence du vent, mais la diminution subite de sa foi qui l’avait fait enfoncer dans l’eau. - Pourquoi as-tu douté. Le verbe employé dans le texte grec, signifie hésiter entre deux partis, pencher de côté et d’autre sans savoir au juste quelle direction l’on prendra, et c’était précisément ce qu’avait fait S. Pierre. Ainsi, " On ne lui reproche pas d’être sorti du navire, mais de ne pas avoir persévéré dans la foi ", Bengel.Matthieu chap. 14 verset 32. - Et lorsqu’ils furent montés dans la barque, le vent cessa.
- Et lorsqu'ils furent montés. Jésus et Pierre montent ensemble dans la barque et alors un troisième prodige s’unit aux deux qui précèdent pour les compléter. - Le vent cessa. Jésus avait marché sur les eaux, il avait permis à S. Pierre d’y marcher à son tour ; maintenant il calme subitement l’orage. Car ce fut là aussi un effet de son pouvoir surnaturel, comme l’admettent tous les exégètes croyants. - Le poète Prudence a quelques beaux vers dans son " Apotheosis " sur la marche de Jésus en pleine mer de Galilée.Taddeo Gaddi et le peintre anglais Richeter ont traduit de leur côté ce miracle d’une manière saisissante. Le point de vue moral a été également très bien présenté par les commentateurs patristiques.
Matthieu chap. 14 verset 33. - Alors ceux qui étaient dans la barque vinrent et l’adorèrent, en disant : tu es vraiment le Fils de Dieu.
- Ce verset décrit l’impression profonde produite sur les assistants par le triple prodige dont ils venaient d’être témoins. - Ceux qui étaient dans la barque : non-seulement les Apôtres, mais aussi les bateliers et les autres passagers qui pouvaient avoir profité du départ de la barque pour se faire transporter sur la rive occidentale. - Vinrent ; ils s’approchent tous ensemble de Jésus, dès qu’il est entré dans l’embarcation, et se prosternent devant lui (adorèrent) en s’écriant : Tu es vraiment le Fils de Dieu. Il y a là, vu les circonstances, quelque chose de plus que le simple titre de Messie. Après ces brillants prodiges opérés coup sur coup, les assistants pressentent que Jésus doit posséder une nature surhumaine et divine. Néanmoins il est peu vraisemblable qu’ils comprissent dès lors toute la profondeur de cette expression.
34
Lorsqu’ils eurent traversé la mer, ils vinrent dans la terre de Gennésareth. 35Et les hommes de ce lieu, l’ayant reconnu, envoyèrent dans toute cette région, et lui présentèrent tous ceux qui étaient malades. 36Et ils le priaient de leur laisser seulement toucher la frange de son vêtement. Et tous ceux qui la touchèrent furent guéris.Matthieu chap. 14 verset 34. - Lorsqu’ils eurent traversé la mer, ils vinrent dans la terre de Gennésareth.
- L’Évangéliste raconte ici la fin du voyage occasionné par les recherches d’Hérode, vv. 34-36. - Lorsqu'ils eurent traversé la mer. La tempête une fois apaisée et le vent redevenu favorable, la sainte troupe eut bientôt franchi les quelques stades qui la séparaient encore du rivage, Cf. Joan. 6, 21, et elle vient débarquer dans la terre de Gennésareth. Les manuscrits et les éditions du texte grec, écrivent ce nom propre de trois manières : quelle que soit l’orthographe véritable, il est clair qu’ils s’agit de la belle et fertile plaine de Gennésareth, située à l’O. du lac, au pied des montagnes, entre Capharnaüm et Tibériade. Les Arabes la nomment aujourd’hui El-Ghuweir, le petit Ghôr : Josèphe en trace une description enthousiaste, Bell. Jud. 3, 10, 8.Matthieu chap. 14 verset 35. - Et les hommes de ce lieu, l’ayant reconnu, envoyèrent dans toute cette région, et lui présentèrent tous ceux qui étaient malades.
- L'ayant reconnu... Dans une région aussi peuplée et où il était si connu, Jésus ne pouvait pas manquer d’attirer immédiatement l’attention. - Les hommes de ce lieu : hébraïsme, pour " habitants ". Ces bons riverains du lac veulent partager avec toute la contrée la bénédiction que leur apporte la présence du Sauveur. - Envoyèrent ; ils envoient des messagers aux alentours pour annoncer son arrivée. Un grand concours se forme sur-le-champ, avec le cortège accoutumé d’infirmes et de malades que l’on conduisait auprès du Thaumaturge.Matthieu chap. 14 verset 36. - Et ils le priaient de leur laisser seulement toucher la frange de son vêtement. Et tous ceux qui la touchèrent furent guéris.
- Et ils le priaient. L’Évangéliste nous a conservé un trait bien édifiant de la foi vive et simple des habitants de la plaine de Gennésareth : ils priaient respectueusement Jésus-Christ de leur laisser toucher les franges de son vêtement, ce qu’il leur accordait volontiers. Nous avons vu plus haut, en racontant la guérison de l’hémorrhoïsse, Cf. 9, 20, ce qu’il faut entendre par ces franges. - Le texte latin porte vel (même), dans le sens de seulement. - Et tous ceux... Les résultats de ce contact furent aussi instantanés, aussi complets qu’autrefois : une entière guérison était immédiatement obtenue. Dans le texte latin, le verbe utilisé est persanabantur : " On a raison d’employer le mot persanabantur pour indiquer que les malades étaient guéris au complet. Car étant un mot composé, il est plus fort qu’un mot simple. ", Fritsche. - Après avoir satisfait les désirs de tous, Jésus prit la direction du Nord, et vint à Capharnaüm, où il prononça l’admirable discours qui nous a été conservé par S. Jean, 6, 23 et ss.1
Alors des scribes et des pharisiens de Jérusalem s’approchèrent de Jésus, en disant : 2Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne lavent pas leurs mains lorsqu’ils mangent du pain. 3Mais Jésus leur répondit : Et vous, pourquoi violez-vous le commandement de Dieu à cause de votre tradition ? Car Dieu a dit : 4Honore ton père et ta mère ; et : Que celui qui maudira son père ou sa mère soit puni de mort. 5Mais vous, vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que je fais à Dieu vous profitera, 6ne sera pas tenu d’honorer son père ou sa mère. Ainsi, vous avez annulé le commandement de Dieu par votre tradition. 7Hypocrites, Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit : 8Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ; 9ils me rendent un culte inutile, enseignant des doctrines et des commandements humains. 10Puis, ayant appelé à lui les foules, il leur dit : Écoutez et comprenez. 11Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. 12Alors les disciples, s’approchant, lui dirent : Savez-vous que les pharisiens, en entendant cette parole, se sont scandalisés ? 13Mais il répondit : Toute plante que mon Père céleste n’a pas plantée sera déracinée. 14Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse. 15Pierre, prenant la parole, lui dit : Expliquez-nous cette parabole. 16Et Jésus dit : vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? 17Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, et est jeté dans un lieu secret ? 18Mais ce qui sort de la bouche part du cœur, et c’est là ce qui souille l’homme. 19Car c’est du cœur que sortent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes. 20Voilà les choses qui souillent l’homme ; mais manger sans s’être lavé les mains ne souille pas l’homme.Matthieu chap. 15 verset 1. - Alors des scribes et des pharisiens de Jérusalem s’approchèrent de Jésus, en disant
- Les versets 1 et 2 indiquent l’occasion de ce nouveau conflit. - Alors : d’après le contexte, l’incident que S. Matthieu va raconter aurait eu lieu dans la plaine de Gennésareth, peu de temps après la marche miraculeuse de Jésus sur les eaux. Mais, si l’on rapproche le premier Évangile du quatrième, il devient plus probable qu’il s’écoula entre les deux épisodes un temps plus ou moins considérable. Nous renvoyons le second après le discours prononcé à Capharnaüm et même après la Pâque mentionnée par S. Jean, 6, 2 ; voir l’Harmonie évangélique. On sait que l’expression Alors est souvent, dans la narration de S. Matthieu, une formule générale destinée à unir des faits entre lesquels il n’a pas toujours existé une vraie connexion chronologique. - Des scribes de Jérusalem. Les mots de Jérusalem peuvent se rapporter ou au verbe s'approchèrent, ou aux substantifs scribes et Pharisiens. Dans ce dernier cas, ils indiqueraient simplement que les Scribes et les Pharisiens en question se trouvaient alors par hasard en Galilée. Nous préférons toutefois, à la suite d’un grand nombre de commentateurs, la première liaison qui paraît plus conforme à l’ensemble du récit. Les adversaires du Sauveur seraient donc venus tout exprès de Jérusalem pour étudier sa conduite, afin de l’accuser et de le faire condamner dès qu’ils en trouveraient l’occasion. N’oublions pas que le parti pharisaïque avait arrêté le dessein de se débarrasser de Jésus aussi promptement que possible ; Cf. 12, 14. Les membres de la secte étaient disséminés à travers toute la Palestine ; mais ceux de Jérusalem avaient sur les autres une supériorité généralement reconnue. Wettstein, in h. l : " Les principaux, i.e. ceux qui étaient supérieurs par l’autorité et le statut social ". Les Pharisiens de Galilée, se reconnaissant incapables de lutter contre Jésus qui les avait plusieurs fois battus et humiliés, ont recours à leurs frères de la capitale : de là cette députation qui s’approche actuellement du Sauveur pour l’attaquer.Matthieu chap. 15 verset 2. - Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne lavent pas leurs mains lorsqu’ils mangent du pain.
- Pourquoi vos disciples... Comme dans plusieurs circonstances analogues, Cf. 9, 14 ; 12, 2, c’est la conduite des disciples qui est mise en avant par ces ennemis artificieux. Ils sous-entendent naturellement que le Maître en est responsable : aussi est-ce Jésus lui-même qu’ils accusent par ce moyen détourné. - La tradition des anciens. On appelait ainsi un code de prescriptions innombrables surajoutées par les docteurs à celles de la loi et transmises de génération en génération au moyen de l’enseignement oral. Leurs noms hébreux étaient paroles des Scribes, ou tradition, loi orale. Les traditions ont toujours joué un rôle important pour la religion révélée, et elles sont même nécessaires pour compléter les saints Livres ; mais les Juifs en abusaient alors singulièrement. Il s’était formé au sein de leurs écoles une multitude d’interprétations dites traditionnelles, qui avaient acquis une importance et une autorité surprenantes. Elles étaient pratiques pour la plupart ; aussi avaient-elles surchargé outre mesure la vie religieuse qu’elles rendaient tout extérieure, aux dépens de la vraie piété. On en trouve une très grande quantité dans le Talmud. S. Paul fait allusion à ces traditions lorsqu’il écrit aux Galates qu’avant sa conversion il défendait avec une ardeur jalouse les traditions de ses pères, Gal. 1, 14. De plusieurs passages du Pentateuque exagérés ou mal compris, on avait conclu que les traditions jouissaient d’une valeur égale ou même supérieure à celle de la loi ; Cf. Deut. 4, 14 ; 17, 10. De là des maximes sacrilèges qui abondent dans les livres rabbiniques : " Les mots des anciens ont plus de poids que ceux des prophètes. Les paroles des scribes sont à chérir plus que les paroles de la loi ", Beracoth, f. 3, 2. " La Bible ressemble à l’eau, les paroles des anciens au vin " Soph. 13, 2 ; Cf. Rohling, der Talmudjude, A. 3 ; etc. - L’expression " anciens " représente les anciens docteurs qui avaient formé ou transmis les traditions ; Cf. Hebr. 11, 2. On sait qu’en pareille matière l’antiquité a une valeur considérable ; aussi les Pharisiens appuient-ils sur ce mot : la tradition des anciens. - Car ils ne lavent pas leurs mains. Ils mentionnent maintenant le point spécial qui était si audacieusement foulé aux pieds par les Apôtres. Pour bien comprendre la portée de l’accusation, il faut savoir que, parmi les prescriptions humaines signalées plus haut, celles qui concernaient le lavement des mains, avaient, aux yeux des Pharisiens, une importance extraordinaire. Sur un précepte particulier du Pentateuque, Lev. 16, 11, on avait échafaudé un système prodigieux, qui, d’après les calculs d’un patient Talmudiste, ne comprenait pas moins de 613 ordonnances ; Cf. M’Caul, Nethivoth Olam § 10. Quelques faits prouveront avec quelle rigueur on s’y conformait dans la pratique. Un rabbin, nommé Eléazar, s’étant permis de négliger l’ablution des mains, fut excommunié par le Sanhédrin, et, après sa mort, on alla jusqu’à placer une grosse pierre sur son cercueil pour montrer qu’il avait mérité le supplice de la lapidation ; Bab. Berach. 46, 2. " N’eût-on que la quantité d’eau nécessaire pour se rafraîchir, on doit en conserver une partie pour se laver les mains ", Hilch. Berach. 6, 19. Aussi, R. Akiba, plongé dans une sombre prison et n’ayant qu’une provision d’eau suffisante pour soutenir sa vie, préféra-t-il se laisser mourir de soif plutôt que de violer la tradition. Il y a, suivant le Talmud, des démons dont la fonction consiste à nuire à quiconque n’est pas fidèle à l’ablution des mains. " Le démon Schibta repose sur les mains des hommes pendant la nuit ; et si une personne touche sa nourriture avec des mains non lavées, alors le démon repose sur sa nourriture et la rend dangereuse ", Bab. Taanith f. 20, 2. Le traité talmudique, les Mains, est consacré tout entier à cette curieuse matière : il y est question " de la quantité d’eau qui suffit à cette lotion, de la lotion des mains, de l’immersion, de la première eau et de la seconde, de la sorte de lotion, du temps, de l’ordre à observer quand le nombre des convives dépasse ou ne dépasse pas le chiffre cinq ", etc. ; Lightfoot, Hor. Talm. in h. l. On était exhorté à ne pas ménager l’eau car, dit un rabbin, " Celui qui utilise beaucoup d’eau pour l’ablution des mains, obtiendra beaucoup de richesses en ce monde " ; Cf. Buxtorf, Synag. Jud. Cap. 4. - Lorsqu'ils mangent du pain. Le pain est mis pour toute sorte de nourriture, conformément à l’hébraïsme. C’était surtout avant les repas, ou plutôt avant de prendre quelque nourriture que ce fût, qu’on était forcé de se laver les mains : mais on y obligeait encore en mille autres circonstances. - On voit, par cette accusation des Scribes et des Pharisiens, que les Apôtres se donnaient une certaine liberté relativement à l’ablution des mains : ils avaient vu leur Maître s’en dispenser parfois, Cf. Luc. 11, 37, 38, et, quand ils avaient quelque raison, par exemple lorsqu’ils étaient pressés, ils ne craignaient pas de faire comme lui. Leur conduite avait été promptement connue des Pharisiens qui la traitent maintenant d’affreuse transgression : le Talmud n’affirme-t-il pas que manger sans s’être lavé les mains constitue une faute plus grande que la fornication ? Cf. Sota, 4, 2.Matthieu chap. 15 verset 3. - Mais Jésus leur répondit : Et vous, pourquoi violez-vous le commandement de Dieu à cause de votre tradition ? Car Dieu a dit...
- Jésus leur répondit. A la question des Pharisiens, Jésus n’adresse d’abord qu’une réponse indirecte, v. 3-9, renfermée dans un vigoureux argument destiné à confondre ses adversaires en leur opposant leurs propres actes. Sans s’occuper de ce que ses disciples ont fait ou n’ont pas fait, il répond par une autre accusation à l’accusation des Scribes. - Et vous ; c’est-à-dire " vous aussi, vous-mêmes ". Les voilà mis à leur tour sur le banc des accusés, mais pour un motif autrement grave. - Violez le commandement de Dieu. Les Apôtres, au dire des Pharisiens, avaient violé une tradition humaine. Mais ceux-ci transgressaient d’une manière habituelle les commandements de Dieu lui-même. Quel grief de la part d’hommes qui étaient les défenseurs-nés de la loi divine ! - A cause de votre tradition. Jésus établit par ces mots une opposition ouverte entre les préceptes du Seigneur et ceux des Pharisiens. Non-seulement la secte hypocrite viole la Thora : mais c’est dans l’intérêt de ses traditions qu’elle la viole. Les traditions pharisaïques sont donc irréligieuses, immorales ; et pourtant on ose accuser les Apôtres de ne les avoir pas toujours observées ? Avec quelle force l’accusation n’est-elle pas rétorquée ? - Car Dieu a dit. Le Sauveur prouve par un exemple, vv. 4-6, la vérité de ce qu’il vient de dire.Matthieu chap. 15 verset 4. - Honore ton père et ta mère ; et : Que celui qui maudira son père ou sa mère soit puni de mort.
- Honore. Le quatrième commandement, qui relie les préceptes de la seconde table à ceux de la première, a une importance fondamentale parmi les préceptes divins : c’est pourquoi Jésus le choisit entre tous les autres pour argumenter contre les Pharisiens. Il cite deux des paroles de Jéhova qui le formulent. La première est tirée du texte même du Décalogue, Ex. 20, 12 ; elle renferme tous les devoirs des enfants à l’égard de leurs parents, par conséquent celui de les assister dans leurs besoins temporels, car le verbe " honorer " a certainement cette signification dans les saints Livres ; Cf. 1 Tim. 5, 3, 17. " L’honneur dans les Écritures ne se trouve pas tant dans les salutations et les charges que dans les aumônes et l’offrande de dons ", S. Jérôme : - Celui qui maudira. Cette seconde citation tirée de l’Exode, 21, 17, contient un raisonnement " à plus forte raison " ; car si une simple parole coupable prononcée par un mauvais fils contre ses parents entraîne une sentence de mort, que sera-ce d’un abandon complet dans leurs nécessités ? - Puni de mort, d’après l’hébreu : " qu'il meure en étant tué ". Souvent les Orientaux répètent le verbe de cette manière pour renforcer l’idée.Matthieu chap. 15 verset 5. - Mais vous, vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que je fais à Dieu vous profitera.
- Mais vous, par opposition à " Dieu a dit " du v. 3. - Quiconque aura dit... Origène avouait qu’il ne serait jamais venu à bout de comprendre ce passage si un Juif ne le lui eût éclairci. En effet, la connaissance des usages hébraïques de ces temps est tout à fait nécessaire pour expliquer la formule suivante, prononcée par les mauvais fils qui voulaient se soustraire à l’obligation de venir en aide à leurs parents. - Tout don, etc. Au lieu de " don ", S. Marc, 7, 11, emploie l’expression technique " Corban " (de approcher, offrir) qui désignait non pas un présent quelconque, mais une offrande religieuse faite à Dieu ou au temple. Quand on avait une fois prononcé le simple mot Corban sur une propriété, sur une somme d’argent, sur n’importe quel objet, ces choses étaient par là-même irrévocablement consacrées à Dieu. Cf. Jos. Contr. App. 1, 22. Il régnait sur elles une sorte d’interdit relativement à toute autre personne que le donataire. - Vous profitera. Vous participerez aux grâces et aux bénédictions que mon offrande attirera sur notre famille entière ; tenez-vous donc pour satisfaits, car il m’est désormais impossible de vous soulager. La phrase reste suspendue à la fin du verset, comme si Jésus n’eût pas voulu prononcer la barbare condition autorisée par les principes pharisaïques : " ne sera obligé à rien ". Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : tout ce que j’offrirai au Seigneur vous profitera, se sera acquitté de ses obligations à leur égard, et il ne sera pas tenu de leur venir en aide. On peut traduire le texte grec autrement que n’a fait la Vulgate, et donner à la pensée ce tour beaucoup plus simple : " Est un don de moi tout ce qui t’est utile, tout ce qui peut te faire progresser ". Tous mes biens, à l’aide desquels je pourrais vous secourir, sont Corban ; je les ai promis à Dieu, il ne m’est donc pas possible de faire quoi que ce soit pour vous ; Cf. S. Jean Chrys. Hom 51 in Matth. Cette interprétation semble exigée par la formule hébraïque du vœu de Corban ; car elle a été providentiellement conservée dans le Talmud où elle fait de fréquentes apparitions, c’est Corban, disait-on ; c’est offert à Dieu, ce avec quoi je pourrais t’être utile. Ou encore : Que ce soit Corban..., car la traduction par l’optatif est également permise ; elle dramatise même la situation en nous montrant un fils barbare qui, au moment où ses parents nécessiteux implorent un secours, s’écrie pour échapper à leurs sollicitations importunes : " Corban ". " Quand ils réalisaient que des choses avaient été consacrées à Dieu, les parents, plutôt qu’encourir le nom de sacrilèges, les rejetaient sans hésiter, préférant demeurer dans l’indigence ", Saint Jérôme. Ce mot produisait un effet magique, car il permettait à l’enfant sans cœur de jouir d’une manière égoïste de toutes ses possessions, sous prétexte que, les ayant consacrées à Dieu, il ne pouvait plus les aliéner. D’après la Vulgate, les mots vous profitera signifie : J’ai donné à Dieu tout ce que je possède, mais vous en retirerez un profit spirituel. (commentaire Fillion 1903). " Personne ne conteste que celui qui parle ainsi ne remette ses biens à des usages sacrés. Mais selon la doctrine des scribes, il ne s’est pas engagé à les consacrer. Il ne se serait obligé qu’à aider de ses ressources la personne à qui il a dit ces choses ", Lightfoot, Hor. Talm. in h. l. Aussi, n’étaient-ce pas seulement les fils dénaturés, mais encore les débiteurs sans conscience, qui avaient recours à un moyen si commode d’esquiver les obligations les plus sacrées : le Juif qui interpréta ce passage à Origène lui avoua franchement les honteux avantages que ses compatriotes savaient retirer du Corban.Matthieu chap. 15 verset 6. - Ne sera pas tenu d’honorer son père ou sa mère. Ainsi, vous avez annulé le commandement de Dieu par votre tradition.
- Dans le texte latin, la phrase est introduite par la particule et avec le sens de " et ita ", par conséquent, ainsi. Les commentateurs qui admettent au verset précédent la fin de phrase non prononcée dont nous avons parlé, supposent que celui-ci contient d’un bout à l’autre une réflexion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. - Ne sera pas tenu d'honorer, c’est-à-dire de secourir ses parents, sous prétexte qu’il aura consacré au Seigneur tout son superflu. D’autres, s’appuyant sur le " Codex Vaticanus ", dans lequel la conjonction " et " a été omise, pensent au contraire que la première moitié du v. 5 continue d’exposer la règle établie par les Pharisiens. Dans ce cas, la phrase serait complète, et il n’y aurait rien à sous-entendre. " Vous dites : Quiconque dit à son père ou à sa mère, Corban tout ce avec quoi je pourrais vous soulager, celui-là n’est pas obligé d’honorer son père ou sa mère ". Les exemples d’une pareille cruauté filiale ne sont nullement imaginaires, ainsi qu’il est aisé de le voir dans le Talmud, traité Nédarim, 5, 6 ; 8. 1. Le cas avait été prévu par les Rabbins, qui l’avaient résolu à la manière indiquée par Notre-Seigneur. " L’homme est lié par le Corban ", répondaient-ils sans pitié. Il est vrai que plusieurs d’entre eux, notamment R. Eliézer, protestaient ouvertement contre les décisions de la majorité, et plaçaient les obligations filiales au-dessus du Corban ou de tout autre vœu semblable ; mais leurs voix isolées n’avaient aucune autorité. Cf. Wettstein, Schoettgen, h. l. Il est vrai aussi que les écrits talmudiques renferment de belles recommandations relativement à la piété filiale, celles-ci par exemple : " Le fils est tenu de nourrir son père, de lui donner à boire, de le vêtir, de le loger, de le conduire ici et là, de lui laver la face, les mains et les pieds ", Tosaphta in Kiddusch. c. 1. ; " Le fils est tenu de nourrir son père, et même de mendier pour lui. ", Kidd. f. 61, 2, 3 ; mais ces prescriptions étaient réduites à l’état de phrases mensongères par l’affreuse tradition contre laquelle Jésus s’élève avec tant d’énergie. Le Sauveur a donc bien raison d’ajouter : Vous avez annulé... Il ne dit plus comme auparavant, v. 3 : Vous transgressez, vous violez ; mais, ce qui est beaucoup plus fort : Vous avez anéanti, annulé. L’exemple qu’il venait de citer lui permettait de tirer cette nouvelle conclusion. N’avaient-ils point, par leur tradition, réduit à néant le quatrième commandement de Dieu ? On aurait pu prouver qu’il en était de même pour plusieurs autres préceptes des plus graves. - Votre tradition. Les Pharisiens avaient mis en avant " la tradition des anciens " : Jésus affecte de répéter que c’est leur tradition à eux, Cf. v. 3 ; elle n’a point par conséquent le passé glorieux, ni l’origine divine qu’ils voudraient lui attribuer par ce titre imposant.Matthieu chap. 15 verset 7. - Hypocrites, Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit...
- Fidèle à sa coutume, Jésus-Christ confirme ses propres raisonnements par l’autorité des Saintes Écritures, vv. 7-9. Il jette d’abord à la face des Pharisiens l’épithète outrageante assurément, mais bien méritée, d’hypocrites. Tout en renversant la Loi de Dieu, ne feignaient-ils pas d’en être les observateurs les plus zélés ? " Si les hypocrites étaient divisés en dix parties, on en trouverait neuf à Jérusalem et une dans le reste du monde " ; ce proverbe de R. Nathan vient naturellement à la pensée, quand on se rappelle que les hommes auxquels Jésus tenait ce langage sévère étaient de Jérusalem, v. 1. - Bien prophétisé : le grec a " pulchre ", parfaitement bien. Ici, comme partout ailleurs, nous prenons le verbe " prophétiser " dans le sens strict. Sans doute, en écrivant les paroles citées par Jésus, Isaïe, 29, 13, voulait seulement caractériser l’état religieux de ses contemporains et l’imperfection de leurs rapports avec Jéhova ; mais les traits de son tableau s’appliquaient aussi, dans l’intention de l’Esprit-Saint, à l’époque du Messie, qui devait les voir se réaliser une seconde fois et plus complètement. Il y eut donc l’accomplissement typique et imparfait au temps du Prophète, et l’accomplissement réel, parfait, au temps du Christ. Il est en effet certain, selon la pensée fort juste de Grotius, " Un prophétie peut se réaliser plusieurs fois, de façon à ce qu’elle convienne à ce temps-ci et à un temps éloigné, non seulement par l’effet mais par le sens divin des paroles ". Nous ne saurions donc admettre ici une simple accommodation. Jésus affirme très explicitement que la prédiction d’Isaïe concernait les Pharisiens en personne, de vous… " Isaïe a prédit longtemps auparavant la corruption de ce peuple. Car il avait longtemps auparavant fait aux Juifs le même reproche que Jésus-Christ leur fait ici : " Vous violez les commandements de Dieu, " leur dit Jésus-Christ : Ils m’honorent en vain, avait dit le Prophète : " Vous suivez, " dit Jésus-Christ, vos propres maximes de préférence aux lois de Dieu: Ils publient, dit le Prophète, des maximes et des ordonnances humaines ", S. Jean Chrys. Hom. 51 in Matth.Matthieu chap. 15 verset 8. - Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi...
- Ce peuple, des Hébreux. Dieu disait habituellement : Mon peuple, mais ce peuple est tel qu’il n’en veut plus, qu’il le renie en quelque sorte : aussi parle-t-il de lui comme d’une nation étrangère. - M'honore des lèvres : un culte des lèvres, c’est un culte purement extérieur, qui n’a rien de foncier, ni d’intime, mais dont toutes les œuvres consistent en de pures formalités plus ou moins fidèlement accomplies au-dehors. - Mais son cœur... A ce culte, qu’il regarde comme une injure, Jéhova oppose la religion du cœur, qui est la seule vraie, la seule parfaite, la seule digne de Dieu et de l’homme.Les contemporains de Jésus, comme ceux d’Isaïe, malgré leurs longues prières, leurs nombreux sacrifices, leurs observances sans fin, étaient en réalité très éloignés du Seigneur, car " les commandements humains et les doctrines humaines ne vont jamais au-delà du pied ou de la main, tandis que Dieu veut le cœur de son peuple ", Stier, Reden des Herrn Jesu, in h. l.
Matthieu chap. 15 verset 9. - Ils me rendent un culte inutile, enseignant des doctrines et des commandements humains.
- Un culte inutile. Dans le texte latin, " sine causa " (litt. : sans cause, sans motif), qui n’existe pas dans l’hébreu. La traduction des Septante, que S. Matthieu suit ici librement, porte l’expression correspondante. " Sine causa " est donc synonyme de en vain, sans profit, donc inutile. C’est tout à fait en vain qu’ils me servent : leur culte étant nul, vicié dans sa source, toute la peine qu’ils se donnent est perdue. Plusieurs exégètes (Arnoldi, etc.) traduisent cependant par " sans raison " : ils n’ont aucun motif de me servir comme ils le font, puisque je ne leur ai rien demandé de semblable. Mais cette interprétation est moins naturelle que la première. - Enseignant des doctrines. La théologie des Juifs se réduisait alors, comme nous l’avons suffisamment indiqué, à un code de nombreuses prescriptions humaines. Rabbi un tel a dit ceci, Rabbi un tel a dit cela : tel est son résumé fidèle, dont le détail encombre les gros volumes du Talmud. Le dogme même s’était pour ainsi dire transformé en morale entre les mains des casuistes qui étaient alors les grands maîtres en Israël.Matthieu chap. 15 verset 10. - Puis, ayant appelé à lui les foules, il leur dit : Écoutez et comprenez.
- Ayant appelé... Jésus rompt brusquement son entretien avec les Pharisiens et les Scribes. Il leur a prouvé qu’ils avaient tort, il a confondu leur orgueil, il leur a enseigné le vrai moyen de plaire à Dieu ; cela suffit. Il n’a plus rien à dire à ces adversaires incorrigibles et de mauvaise foi. Mais il se tourne avec bonté vers le peuple qui l’entourait, et qui, par respect pour ses docteurs, s’était tenu à quelque distance pendant la discussion. Il veut mettre la foule en garde contre les théories pharisaïques, l’éclairer sur un point d’une extrême gravité que les théologiens d’alors avaient obscurci et même faussé complètement, puisque, au lieu de la vraie sainteté, ils n’enseignaient plus qu’une perfection nominale, extérieure. - Écoutez et comprenez. Le Sauveur excite ainsi l’attention de son auditoire populaire ; car ce qu’il va dire est tout à la fois important et difficile à comprendre, vu la forme sentencieuse et paradoxale qu’il doit donner à son langage.Matthieu chap. 15 verset 11. - Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme.
- Ce n'est pas ce qui entre... A l’impureté purement légale, Jésus oppose le grand principe de la vraie pollution, la pollution des âmes, indiquant ce qui souille l’homme et ce qui ne le souille pas. Il commence par le côté négatif. Ce n’est pas, dit-il, ce qui entre dans la bouche qui est capable de rendre l’homme impur ; puis, passant au côté positif, il ajoute : Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui peut souiller l’homme. Par cette antithèse hardie, Jésus se transporte donc tout d’un coup au cœur de la question qui avait fait l’objet de la controverse précédente. Vos disciples, Seigneur, mangent sans se laver auparavant les mains ; par là-même ils contractent une souillure. Qu’importe ? reprend le Sauveur, puisque c’est du dedans et du dehors que vient l’impureté. Deux choses sont ici à noter. 1° Le mot bouche est pris dans un double sens, car il désigne d’abord la bouche en tant qu’elle reçoit et prépare la nourriture pour l’estomac ; puis la bouche en tant qu’elle profère les pensées qui lui sont communiquées à elle-même par le cœur. Il s’agit donc tour à tour, si nous pouvons parler ainsi, de la bouche physique et de la bouche morale. On comprend que la seconde seulement puisse avoir de l’influence sur la moralité des actes humains. - Cette distinction établie par Jésus nous rappelle une belle parole du Juif Philon : " La bouche, dit-il, par laquelle, selon la pensée de Platon, entrent les choses mortelles, tandis que les choses immortelles en sortent. Car c’est par là que pénètrent les aliments et la boisson, mais c’est par là que sortent les paroles, les lois immortelles de l’âme immortelle par laquelle est dirigée la vie de la raison ", de Opif. Mundi, 1, 29. - 2° Le verbe souille doit s’entendre exclusivement d’une souillure spirituelle et intérieure, qui ne saurait jamais être produite par les aliments, fussent-ils portés à la bouche par des mains non lavées. En effet, en soi et indépendamment des circonstances de désobéissance à des lois divines, d’intempérance, etc., la nourriture est une chose tout à fait indifférente pour l’homme : elle ne saurait ni le sanctifier, ni le rendre impur. Il n’en est pas de même des paroles mauvaises qui, lorsqu’elles s’échappent du cœur, comme un trésor rempli d’immondices, Cf. 23, 35, souillent profondément celui qui les prononce. Au lieu de " souille ", le texte grec emploie un verbe que la version latine du second Évangile a plus exactement traduit par " communicare ", Cf. Marc. 7, 15, 18, 20, 23, rendre commun, c’est-à-dire profane. La pensée, réduite à sa plus simple expression, pourrait s’exprimer ainsi : C’est dans l’homme proprement dit, dans l’homme intérieur, qu’il faut chercher la raison de la sainteté ou de la malice. - Il n’est pas besoin d’ajouter que les mots ce qui sort de la bouche ne doivent pas être pris absolument, mais dans un sens figuré, pour représenter les paroles mauvaises qui s’échappent du cœur par la bouche. - On s’est parfois demandé si, en tenant un tel langage, Jésus n’abrogeait pas purement et simplement toutes les lois mosaïques relatives au pur et à l’impur, et plusieurs interprètes ont cru pouvoir répondre affirmativement ; mais c’est là, croyons-nous, une exagération. Il est plus exact de dire que Jésus-Christ se contentait alors de préparer les voies à l’abrogation future, ou plutôt à la transformation successive de la Loi. Nous avons pour garants de notre assertion non seulement l’existence de prescriptions cérémonielles à un époque assez avancée de la prédication apostolique, Cf. Act. 15, 20, 29, mais encore les termes mêmes employés par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne dit point : Aucune nourriture ne souille, mais : Ce qui entre dans la bouche ; comme s’il eût craint d’aller trop loin ; Cf. S. Jean Chrys. Hom. 51. " Le Christ ne dit donc rien ici contre la loi qui établissait une distinction entre les mets. Car le temps n’en était pas encore venu. Mais il le fait indirectement. En enseignant que rien n’est impur par nature, il allait contre ce que pensaient les Pharisiens, et laissait donc entendre que cette loi n’était pas immuable ", Grotius.Matthieu chap. 15 verset 12. - Alors les disciples, s’approchant, lui dirent : Savez-vous que les pharisiens, en entendant cette parole, se sont scandalisés ?
- S'approchant. Jésus se borne à adresser au peuple cette parole profonde, laissant à chacun le soin de l’interpréter et d’en faire l’application à sa conduite. Il entre ensuite dans un maison avec ses disciples, Cf. Marc. 7, 17, et c’est avec eux seuls, en petit comité, que se continue l’entretien. Les Apôtres ont deux questions à proposer à leur Maître : l’une le concerne directement, et c’est à elle qu’ils donnent la priorité avec une touchante délicatesse ; l’autre, par laquelle ils terminent, les regarde eux-mêmes d’une manière spéciale. - Savez-vous : ils ne doutent pas qu’il ne sache déjà ce qu’ils ont à lui communiquer, car ils ont maintes fois remarqué qu’il connaissait les choses les plus cachées ; ils tiennent néanmoins à l’avertir, car il y va, croient-ils, de ses plus chers intérêts. - En entendant cette parole : la parole du v. 11 que Jésus venait d’adresser au peuple, et que les Pharisiens, demeurés tout auprès, avaient entendue et comprise. D’après quelques auteurs " cette parole " désignerait les vv. 2-9 : mais cela est peu vraisemblable, car les Pharisiens n’avaient pu être surpris, scandalisés, de ce que le Sauveur leur avait dit à eux-mêmes en termes directs, bien qu’ils en eussent été probablement blessés. - Sont scandalisés ; ils avaient manifesté leur état de scandale par leurs gestes, leurs murmures, toute leur attitude et c’est ainsi que les Apôtres en ont été informés. Le scandale des ennemis de Jésus consistait en ce qu’ils avaient cru apercevoir dans ses paroles le renversement de la Loi, ou tout au moins un dangereux spiritualisme. Comme Notre-Seigneur n’avait absolument rien dit qui pût être la matière du plus léger scandale, de là vient l’épithète de pharisaïque pour caractériser le " scandale reçu mais non donné ". Mais les Pharisiens cherchaient du scandale, et quiconque en cherche en trouve aisément. - En avertissant ainsi leur Maître, les disciples font assurément preuve de zèle humain, naturel, puisqu’ils paraissent craindre que Jésus ne se soit conduit imprudemment et n’ait fourni à ses adversaires des armes contre lui.Matthieu chap. 15 verset 13. - Mais il répondit : Toute plante que mon Père céleste n’a pas plantée sera déracinée.
- Il leur répondit. Le Sauveur rassure ses Apôtres au moyen de deux images très énergiques, empruntées l’une au règne végétal, l’autre à la vie humaine, et desquelles il résulte que l’on n’a rien à craindre des Pharisiens, attendu qu’ils sont destinés à une ruine prochaine. On s’est demandé si ce sont les Pharisiens personnellement, ou leurs doctrines, qui sont désignés par cette expression et les exégètes n’ont pas manqué de se quereller sur ce point, malgré le peu d’importance qu’il présente. Ce n’est en effet qu’une question de mots. Il nous semble que Jésus ne pensait nullement à séparer les hommes des doctrines, puisque c’était leur association qui formait le parti pharisaïque. La plantation figure donc et la secte et son système. C’est une image toute biblique ; Cf. Ps. 1 ; Is. 5, 7 ; 60, 21, etc. - N'a pas plantée... Parmi les plantes d’un jardin, il en est que l’horticulteur a plantées de sa propre main ; il en est d’autres qui ont poussé d’elles-mêmes, et celles-ci sont mauvaises pour la plupart, ou du moins elles encombrent et gênent les premières : le jardinier soigneux ne tarde pas à les arracher. De même, parmi les plantes spirituelles qui croissent dans le jardin des âmes, il en est de bonnes que la main du Père céleste cultive avec amour ; il en est de mauvaises qu’il extirpe, et de ce nombre seront les Pharisiens. Le Précurseur, s’adressant à ces mêmes hommes, les avait déjà comparés à des arbres stériles aux pieds desquels gisait la hache toute prête à les abattre, Cf. 3, 10. D’un autre côté, S. Ignace Martyr, écrivant à la chrétienté de Tralles, c. 9, lui adressait l’exhortation suivante, qui contient une allusion manifeste à notre verset : " Fuyez les mauvais rejetons (les hérétiques) ; les fruits qu’ils portent donnent la mort et quiconque en mange périra. Car ce n’est point là une plantation du Père ".Matthieu chap. 15 verset 14. - Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse.
- Laissez-les... Il n’y a pas lieu de s’inquiéter des Pharisiens. En quoi sont à craindre des hommes semblables à de mauvaises herbes que l’on arrachera bientôt ? En quoi sont à craindre de pauvres aveugles qui se jettent dans le fossé et qui y périssent misérablement ? Telle est la seconde image, qui n’a guère besoin de commentaire. Elle exprime au fond la même idée que la première : elle ajoute pourtant un trait important au tableau, car elle nous montre les Juifs conduits en masse à leur perte par ces guides pervers auxquels ils se sont imprudemment confiés. - Ce sont des aveugles : au point de vue spirituel et pour ce qui concerne les choses divines ; ils ne le montraient que trop. - Qui conduisent des aveugles. La conjonction " et " n’est pas dans le texte grec ; cette légère différence ne change rien au sens. La note qui venait d’être donnée aux Pharisiens : Ce sont des aveugles, était loin d’être bonne ; celle-ci est pire encore. En effet, si c’est un immense malheur d’être aveugle, surtout au moral, c’en est un beaucoup plus grand de l’être quand on est chargé par office de conduire les autres hommes : que dire du cas présent, dans lequel et les guides et les personnes à diriger étaient pareillement privées de la vue ? car le peuple juif n’était pas moins aveugle que ses Docteurs. - Si un aveugle... Jésus décrit en peu de mots le dénouement tragique, inévitable, d’un tel état de choses. Quand un aveugle est assez téméraire pour vouloir conduire un autre aveugle ; quand un aveugle est assez insensé pour accepter la direction de l’un de ses semblables, la catastrophe finale est facile à prévoir. - Ils tombent tous deux. Tel sera le sort des Juifs et de leurs guides. - La seconde moitié du verset est proverbiale. On trouve des locutions du même genre chez les classiques, par exemple : " C’est comme si un aveugle pouvait montrer le chemin ", Horace ; etc.Matthieu chap. 15 verset 15. - Pierre, prenant la parole, lui dit : Expliquez-nous cette parabole.
- Pierre, prenant la parole. Satisfaits sur ce point, les Apôtres proposent à Jésus une seconde question ; ils le font par l’intermédiaire de S. Pierre, leur organe accoutumé. Cf. Marc, 7, 17. Sur l’emploi particulier du verbe prendre la parole, voir 9, 25 et le commentaire. - Expliquez-nous, Cf. 8, 3. - Cette parabole. Saint Pierre prend ici le mot parabole dans le sens large et général de l’hébreu, pour désigner, selon l’interprétation très exacte d’Euthymius, une parole énigmatique, une sorte d’aphorisme, comme le prouve la réponse du v. 11 ; les deux images que Jésus avait plus récemment exposées à ses Apôtres, v. 13 et 14, étaient claires par elles-mêmes et ne requéraient aucune explication.Matthieu chap. 15 verset 16. - Et Jésus dit : vous aussi, êtes-vous sans intelligence ?
- Jésus dit. En entendant cette demande, Jésus laisse échapper une exclamation de surprise. - Êtes-vous aussi. Même vous, qui devriez mieux comprendre que personne. Encore ! après tant d’explications que je vous ai déjà données, après des jours nombreux passés auprès de moi. - Sans intelligence. Cette lenteur d’intelligence spirituelle de la part de ses disciples les plus intimes affligeait vivement le divin Maître : il donne néanmoins avec sa bonté ordinaire l’interprétation demandée, usant en même temps d’une simplicité hardie qui rend son langage aussi clair qu’expressif.Matthieu chap. 15 verset 17. - Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, et est jeté dans un lieu secret ?
- Ne comprenez-vous pas : d’après le grec, " pas encore ". - Tout ce qui entre... Jésus explique la première moitié du v. 11 en décrivant le sort réservé aux aliments lorsqu’ils ont passé de la bouche dans l’estomac. Après que l’assimilation des matières nutritives a été opérée, ce qui en reste va dans le ventre, " sans entrer dans son cœur ", ajoute S. Marc, 7, 19 ; puis est jeté. Comment donc l’homme pourrait-il être souillé par des objets qui n’ont rien de commun avec lui, qui ne font point partie de son être moral ? On le voit, dans le phénomène de la digestion, le Sauveur ne prend que la partie la plus favorable à sa thèse, sans s’occuper des autres points. Du reste, les éléments nutritifs qui sont absorbés par l’homme restent eux-mêmes étrangers à son être spirituel et moral : ils n’atteignent que son organisation matérielle. La comparaison demeure donc juste à tous égards.Matthieu chap. 15 verset 18. - Mais ce qui sort de la bouche part du cœur, et c’est là ce qui souille l’homme.
- Dans ce verset et dans le suivant, la seconde moitié du v. 11 est à son tour expliquée. - Mais ce qui sort. Notons bien que Jésus ne dit pas " tout ce qui sort ", car tout ce qui est proféré par la bouche ne rend pas l’homme impur : les mauvaises choses opèrent seules ce funeste résultat. - Part du cœur. Les grandes pensées viennent du cœur ; les ignobles en sortent également, et quand ces pensées trouvent une expression sur nos lèvres, ce n’est pas la bouche qu’il faut louer ou accuser, mais le foyer intérieur qui leur a donné la vie. Le cœur étant l’homme d’après la psychologie biblique, on comprend sans peine que le mal qui en procède profane vraiment et dégrade sa vie morale.Matthieu chap. 15 verset 19. - Car c’est du cœur que sortent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes.
- Car c'est du cœur. Triste nomenclature, qui sert de développement à la première partie du verset précédent " que... sortent ". Dans cette énumération, on est tout d’abord surpris de rencontrer des actes proprement dits, tandis que l’argumentation de Jésus semblerait exiger qu’il fût mention de paroles ; mais, dit Maldonat : Il dit qu’il n’y a pas seulement les paroles qui procèdent de la bouche, bien que ce soient elles surtout qui en sortent, mais même les faits et toutes les actions. Car toutes les œuvres sont d’abord conçues dans le cœur. Elles ne peuvent sortir que de la bouche, qui est l’unique voie de sortie du cœur. Et parce que chaque chose respecte la façon dont nous sommes faits naturellement, à savoir que tout ce que nous faisons doit être conçu dans l’âme, prononcé ensuite par la bouche, et nous voilà parvenus à la fin. C’est ainsi que les œuvres procèdent de la bouche par les paroles ", Comm. in Matth., 15, 18. Tel est le motif pour lequel nous lisons ici les noms de l’homicide, de l’adultère, de la fornication et du vol.Matthieu chap. 15 verset 20. - Voilà les choses qui souillent l’homme ; mais manger sans s’être lavé les mains ne souille pas l’homme.
- C’est sur la différence qui existe entre l’estomac et le cœur que repose tout le raisonnement du Sauveur. Ces deux organes sont des centres de vie ; mais, tandis que le premier fonctionne indépendamment de l’homme, le second est le foyer de sa volonté, de sa liberté. Du cœur et du cœur seul dépend donc la moralité de nos actes. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, revenant au point de départ et à la question que lui avaient posée les Scribes, v. 2, conclut en disant : Manger sans s'être lavé... Si l’on omet de se laver les mains avant de prendre son repas, on peut bien souiller la nourriture que l’on mange ; mais cette nourriture ne pouvant rendre l’homme véritablement impur, d’après ce qui été prouvé plus haut, v. 17, il suit de là que les ablutions si sévèrement prescrites par les Pharisiens ne sont qu’un rite tout à fait indifférent. Les Apôtres ont pu les négliger sans commettre de faute.8° Guérison de la fille de la Chananéenne, 15, 21-28. Parall. Marc. 7, 24-30.
21
Étant parti de là, Jésus se retira du côté de Tyr et de Sidon. 22Et voici qu’une femme cananéenne, venue de ces contrées, s’écria, en lui disant : Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David, ma fille est affreusement tourmentée par le démon. 23Mais il ne lui répondit pas un mot. Et ses disciples, s’approchant de lui, le priaient, en disant : Renvoyez-la, car elle crie derrière nous. 24Il répondit : je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. 25Mais elle vint et l’adora, en disant : Seigneur, secourez-moi. 26Il répondit : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. 27Mais elle dit : Oui, Seigneur ; mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. 28Alors Jésus lui répondit : O femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait comme tu le veux. Et sa fille fut guérie à l’heure même.Matthieu chap. 15 verset 21. - Étant parti de là, Jésus se retira du côté de Tyr et de Sidon.
- Étant parti de là ; c’est-à-dire de l’endroit où il se trouvait au moment de l’épisode qui vient d’être raconté. La dernière note topographique de S. Matthieu, 14, 34, nous avait montré le Sauveur dans la plaine de Gennésareth ; mais nous avons dit, en expliquant le premier verset du chap. 15, que Jésus s’était transporté depuis à Capharnaüm. - Se retira. Ce mot semble avoir été choisi à dessein pour indiquer que le nouveau déplacement de Notre-Seigneur était en réalité une prudente retraite, destinée à détourner pendant quelque temps l’attention des Pharisiens irrités ; Cf. 14, 13. - Du côté de Tyr et Sidon. Ces deux villes, qu’on trouve fréquemment associées dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, représentent ici la Phénicie tout entière dont elles avaient été successivement la capitale. Leur territoire faisait partie de la province romaine de Syrie : entre elles et la Palestine il n’existait donc plus en ce moment que des limites morales, marquées par la différence des religions et des mœurs. Jésus-Christ, durant son voyage actuel, alla-t-il vraiment sur le sol de l’ancienne Phénicie, ou bien se borna-t-il à venir jusqu’auprès, sans y pénétrer ? C’est un point vivement débattu entre les interprètes de l’Évangile. Certains amènent le Sauveur " aux confins de la Palestine, et aux portes de Tyr et de Sidon ", Kuinoel ; cf. Vatable, Grotius, etc. les autres, à la suite de S. Jean Chrysostôme et de Théophylacte, font franchir à Jésus les frontières juives. S. Marc nous paraît affirmer trop clairement le passage de Notre-Seigneur à travers les régions phéniciennes. Cf. S. Marc. 7, 31, pour que nous hésitions le moins du monde à adopter ce sentiment. Le Sauveur, parti des bords du lac, prit la direction du Nord-Ouest, traversa les montagnes de Galilée, et, après quelques jours de marche, arriva sur le territoire païen. Sans doute, il avait autrefois défendu à ses disciples d’aller avant sa mort évangéliser les régions habitées par les Gentils, Cf. 10, 5 ; mais remarquons bien qu’il n’y vient nullement lui-même pour exercer le saint ministère. Il s’y retire momentanément, comme avait fait autrefois le prophète Élie, persécuté sur sa terre natale. " Même si Jésus ne s’était pas rendu dans ces villes des Gentils pour leur prêcher l’évangile, il voulut quand même leur en donner comme un avant-goût, parce que le temps approchait où, après être rejeté par les Juifs, il se tournerait vers les païens ", Fr. Luc. Comm. in h. l.Matthieu chap. 15 verset 22. - Et voici qu’une femme cananéenne, venue de ces contrées, s’écria, en lui disant : Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David, ma fille est affreusement tourmentée par le démon.
- Et voici relève le caractère inopiné de l’incident. - Une femme cananéenne. Une antique tradition la nomme Justa ; sa fille se serait appelé Bérénice. Cf. Hom. Clement. 2, 19. D’après S. Matthieu, elle était Cananéenne ; S. Marc, 7, 26, en fait une Syro-Phénicienne. Mais ces données sont l’une et l’autre exactes, car les Juifs appelaient les Phéniciens des Cananéens, parce qu’ils étaient en effet d’origine cananéenne. Le premier Évangéliste a donc employé l’appellation générale et le second la dénomination particulière. - Venue de ces contrées. Cette femme apprend de quelque manière l’approche de Jésus-Christ et, avant qu’il n’eût mis le pied sur le territoire phénicien, elle se précipite à sa rencontre pour obtenir la grâce qu’elle désire. Elle habitait donc tout près de la frontière juive. Ce renseignement de l’Évangéliste semble supposer que le miracle eut lieu sur le sol galiléen, avant l’entrée de Jésus en Phénicie. - Ayez pitié de moi : cependant, ce n’est point un privilège personnel qu’elle implore, mais " la pieuse mère faisait sienne la misère de sa fille ", Bengel. - Fils de David. Voisine des Juifs, la Cananéenne a entendu parler de leurs croyances particulières et de leurs espérances religieuses, dont ils ne faisaient aucun mystère. Elle sait qu’ils attendent un Messie qui sera fils du grand roi David, l’ami et l’allié du Phénicien Hiram ; elle a appris en outre que Jésus était regardé par un nombre considérable de ses compatriotes comme le Libérateur promis. Voilà pourquoi elle l’appelle " Fils de David ", toute païenne qu’elle est. S. Marc, 3, 8 et S. Luc, 6, 17, avaient noté précédemment que la réputation de Notre-Seigneur s’était répandue jusque dans les régions de Tyr et de Sidon, et qu’on était venu de ces contrées lointaines chercher quelques faveurs auprès de lui. - Affreusement tourmentée : la pauvre mère met en avant cette circonstance digne de pitié : sa fille souffrait affreusement. - Par le démon ; elle indique en même temps la nature du mal, qui consistait en une possession. Les païens eux-mêmes croyaient aux démons et aux démoniaques ; il n’est donc pas nécessaire de recourir à une affiliation de la Cananéenne au Judaïsme en qualité de prosélyte, pour expliquer son assertion. Quelle touchante prière, bien digne d’une mère !Matthieu chap. 15 verset 23. - Mais il ne lui répondit pas un mot. Et ses disciples, s’approchant de lui, le priaient, en disant : Renvoyez-la, car elle crie derrière nous.
- Il ne lui répondit pas... Jésus soumit la suppliante à une rude épreuve. Lui, si bon, si compatissant, qui d’ordinaire allait au-devant des infortunés, qui du moins a toujours exaucé leurs prières ! Et pourtant il n’adresse pas même un seul mot à la Cananéenne. " Comme cela était nouveau et surprenant ! Il accueille les Juifs ingrats, et ne renvoie pas ceux qui essayent de le tenter. Mais celle qui accourt à lui, qui prie et supplie, qui manifeste de la piété sans avoir été éduquée dans la loi et les prophètes, il ne daigne même pas lui donner une réponse ", St Jean Chrysostome Hom. 52. " Le Verbe n'a pas de paroles, dit encore le saint Docteur, la fontaine est scellée, la médecine refuse ses remèdes ". Mais il veut donner à cette femme l’occasion de manifester toute sa foi. - Ses disciples, s'approchant. Les disciples eux-mêmes, quoique habitués à voir bien des misères réunies autour de Jésus, sont attendris par cette scène ; jamais encore ils n’avaient vu leur Maître se montrer sourd à une pareille requête : ils prennent donc sans hésiter le parti de la malheureuse mère. - Le priaient ; dans le grec on lit " interrogeaient " ; mais ce verbe a souvent aussi le sens de demander, en particulier dans la version des 70, dans S. Luc et dans S. Jean. - Renvoyez-la : locution équivoque, employée à dessein par les Apôtres, qui ne veulent pas avoir l’air d’imposer un miracle à leur Maître. Toutefois, ici elle doit évidemment être prise en bonne part, comme le montre la réponse négative de Jésus, v. 24 : " Congédiez-la en exauçant ses désirs ". - Car elle crie. Ils mentionnent un motif spécial qui leur fait désirer le prompt départ de cette femme, par conséquent la prompte guérison de sa fille : en répétant sa demande à haute voix, elle attirait l’attention sur le Sauveur, qui désirait précisément demeurer inconnu dans ce pays. Cf. Marc. 7, 24. La raison était habilement choisie pour appuyer la prière de la Chananéenne, soit que les disciples fussent réellement émus de pitié, soit qu’à leur attendrissement se joignit le déplaisir de se voir l’objet d’une scène bruyante, à laquelle ils eussent été heureux d’échapper au plus tôt. Ces derniers mots " derrière nous " signifient : en nous suivant, ce qui suppose que la plus grande partie de l’épisode se passa en plein air, bien qu’il eût commencé dans une maison ; Cf. Marc. 7, 24, et S. Augustin. de Cons. Evang. 2, 49.Matthieu chap. 15 verset 24. - Il répondit : je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël.
- Il répondit. La réponse si longtemps attendue arrive enfin : mais c’est un refus aussi dur que le silence de tout à l’heure ; la suppliante, qui avait cru sa cause gagnée lorsqu’elle entendit les Apôtres intercéder pour elle, dût être vivement attristée, en voyant son espoir déçu. - Je n'ai été envoyé... Nous laissons ici la parole à S. Augustin : " Ces paroles nous posent une question. S’il n’est envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël, comment, nous, les Gentils parviendrons--nous au troupeau du Christ ? Que signifie cette exclusion mystérieuse ? Ne savait-il donc pas qu’il était venu pour avoir une église dans toutes les nations ? Comment peut-il dire qu’il n’est envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui périssent ? Comprenons donc que sa présence corporelle, sa naissance, la vertu de sa résurrection il ne devait les manifester qu’à ce peuple ", Serm. 77, 2. Toute difficulté disparaît ici en effet si, à la façon de S. Augustin, on établit une distinction entre l’œuvre de Jésus-Christ considérée en général, et son ministère personnel : celle-là était vaste comme le monde ; celui-ci, d’après le plan divin, devait être limité au Judaïsme. Ce n’est qu’en de rares circonstances que la fontaine scellée déborda vers cette époque, en signe des torrents de grâces qui devaient s’en échapper un jour ; Cf. 8, 5 et ss. - Aux brebis perdues : plus haut déjà nous avons rencontré cette métaphore. Cf. 9, 36. Jérémie, 50, 6, appelle aussi les Israélites des brebis qui périssent.Matthieu chap. 15 verset 25. - Mais elle vint et l’adora, en disant : Seigneur, secourez-moi.
- Elle vint. Tout autre personne qu’une mère se serait aussitôt retirée humiliée, découragée ; mais la Cananéenne ne se décourage point, elle ne se retire pas. Au contraire elle s’approche davantage de Jésus, et, se prosternant à ses pieds elle l'adora, elle lui dit avec le sentiment de la confiance la plus entière : Secourez-moi. S. Jean Chrysostôme a un beau mouvement d’éloquence pour faire ressortir la grandeur de cette foi, la fermeté de cette persévérance ; Cf. Hom. 52 in Matth.Matthieu chap. 15 verset 26. - Il répondit : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens.
- Il répondit. La situation se détend peu à peu, et déjà l’on prévoit quel sera le dénouement. Notre-Seigneur a d’abord refusé de répondre ; s’il a pris ensuite la parole, c’était pour dire à ses disciples que leur intercession était inutile : mais voici qu’enfin il parle à la pauvre mère. Il lui adresse toutefois en apparence une véritable injure. Se comparant à un père de famille, il affirme qu’il ne doit pas donner aux chiens le pain destiné à nourrir ses enfants. Il n'est pas bien : il ne convient pas, cela ne saurait pas être. - Le pain ; ici, les grâces et les faveurs messianiques, tels qu’étaient les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ. - Des enfants désigne les Juifs qui étaient vraiment alors les enfants de Dieu, sa famille privilégiée : aux chiens représente les païens auxquels les Israélites donnaient habituellement ce titre injurieux. - Jeter est un terme humiliant qui continue l’image ; on donne le pain aux enfants, on le jette aux chiens. Cependant, on voit que Jésus a tâché d’adoucir le trait : car, dans le texte grec, dès le v. 25 nous trouvons le diminutif " petits chiens ", qui est moins blessant que l’appellation ordinaire " chiens ". Le Sauveur compare donc la Cananéenne et les païens en général non pas aux chiens délaissés qui remplissent les rues des villes orientales, mais aux petits chiens nourris et soignés dans la plupart des familles ; c’est précisément cette expression qui va donner une fin heureuse à l’incident.Matthieu chap. 15 verset 27. - Mais elle dit : Oui, Seigneur ; mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
- Mais elle dit. Elle devrait être accablée par la réponse directe qui lui est enfin venue du Sauveur ; car, plus elle a insisté, plus le refus a été accentué. Mais, dit S. Jean Chrysostôme, " cette femme étrangère témoigne une vertu, une patience, et une foi incomparable, au milieu des injures dont on l’outrage; et les Juifs, après avoir eu tant de grâces du Sauveur, n’ont pour lui que de l’ingratitude. Je sais, dit-elle, Seigneur, que le pain est nécessaire aux enfants ; mais puisque vous dites que je suis " une chienne ", vous ne me défendez pas d’y avoir part. Si j’en étais entièrement séparée, et qu’il me fût défendu d’y participer, je ne pourrais pas même prétendre aux miettes. Mais quoique je n’y doive avoir qu’une très-petite part, je n’en puis être néanmoins tout à fait privée, bien que je ne sois qu’une chienne; c’est au contraire parce que je suis une chienne que j’y dois participer ", Hom. 52. Sa foi lui fait ainsi trouver dans paroles de Jésus un argument irrésistible, bien qu’elles parussent tout à fait écrasantes. - Oui, Seigneur, ce que vous dites est vrai ; il n’est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner même aux petits chiens de la maison ; aussi n’est-ce point là ce que je vous demande. Daignez seulement vous souvenir que les chiens se tiennent auprès de la table de leur maître et qu’ils se nourrissent humblement des miettes qui tombent à terre. La Cananéenne prouve à Jésus qu’il est possible, sans nuire à l’intérêt des enfants, de donner quelque nourriture aux petits chiens qui leur servent de jouet, qu’il est possible, par conséquent, de l’exaucer elle-même sans priver le peuple privilégié. Mais ne signifie pas " et pourtant ", mais " et en effet " : la Chananéenne ne propose pas une objection à Notre-Seigneur, elle entre dans son idée et la confirme en en tirant la conséquence logique. On ne sait qu’admirer le plus dans sa réplique, où brillent tout à la fois l’humilité, l’esprit, la confiance. " Après l’avoir bien écouté et compris, elle lui répond avec ses propres paroles. Elle réfute poliment l’objection qu’il lui avait faite ", Cornel. a Lap. in h. l.Matthieu chap. 15 verset 28. - Alors Jésus lui répondit : O femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait comme tu le veux. Et sa fille fut guérie à l’heure même.
- Comment Jésus n’aurait-il pas cédé après une pareille réponse ? Il loue d’abord publiquement la foi persévérante de la Cananéenne : Ta foi est grande. A d’autres il était souvent obligé de dire " de peu de foi " ; ici, c’est l’expression opposée qu’il emploie. - Après l’éloge vient une autre récompense non moins précieuse pour cette pauvre mère : Qu'il te soit fait. L’effet suivit immédiatement la parole de Jésus et la démoniaque fut délivrée à l’instant même, malgré la distance qui la séparait du divin Thaumaturge. - Cet épisode si touchant a inspiré au peintre Germain Drouais un tableau remarquable qui orne les galeries du Louvre.
29
Etant parti de là, Jésus vint près de la mer de Galilée ; et montant sur une montagne, il s’y assit. 30Alors des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des muets, des aveugles, des boiteux, des estropiés et beaucoup d’autres malades et elles les jetèrent à ses pieds et il les guérit : 31de sorte que les foules étaient dans l’admiration, voyant les muets parler, les boiteux marcher, les aveugles voir ; et elles glorifiaient le Dieu d’Israël. 32Or Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : J’ai pitié de cette foule ; car il y a déjà trois jours qu’ils restent avec moi, et ils n’ont rien à manger ; et je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur qu’ils ne défaillent en chemin. 33Les disciples lui dirent : Comment donc trouverons-nous, dans ce lieu désert, assez de pains pour rassasier une si grande foule ? 34Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? Ils lui dirent : Sept, et quelques petits poissons. 35Alors il ordonna à la foule de s’asseoir par terre. 36Et prenant les sept pains et les poissons, et rendant grâces, il les rompit, et les donna à ses disciples et les disciples les donnèrent au peuple. 37Tous mangèrent, et furent rassasiés ; et on emporta sept corbeilles, pleines des morceaux qui étaient restés. 38Or ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, sans compter les enfants et les femmes. 39Ayant ensuite renvoyé la foule, il monta sur une barque, et vint dans la région de Magédan.Matthieu chap. 15 verset 29. - Etant parti de là, Jésus vint près de la mer de Galilée ; et montant sur une montagne, il s’y assit.
- Étant parti de là, c’est-à-dire, d’après les versets 21 et 22, " du côté de Tyr et de Sidon ". - Jésus vint près de la mer de Galilée. S. Marc, dont le récit est plus explicite, 7, 31, rapporte que Jésus, " quittant le territoire de Tyr, s’en vint par Sidon auprès de la mer de Galilée, en traversant la Décapole " : ce qui suppose un voyage considérable, accompli en forme de demi-cercle dans les régions septentrionales de la Palestine. Voir notre commentaire sur S. Marc. - Montant sur une montagne, en grec, comme de coutume, Cf. 5, 1 ; 14, 23, l’article désignant la montagne spéciale sur laquelle Jésus-Christ s’installa avec ses disciples. C’était à l’Est du lac.Matthieu chap. 15 verset 30. - Alors des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des muets, des aveugles, des boiteux, des estropiés et beaucoup d’autres malades et elles les jetèrent à ses pieds et il les guérit.
- S'approchèrent... Le divin Maître, qui avait joui pendant quelques semaines de la solitude promise autrefois à ses Apôtres, Cf. Marc, 6, 31, retrouve bientôt son cortège accoutumé, dès qu’il est de retour dans ces contrées où il est plus connu et où il lui serait impossible de demeurer caché. L’empressement dut cette fois être d’autant plus considérable qu’on avait été privé du Sauveur depuis un certain temps. - Ayant avec elles... Les multitudes qui accourent auprès de lui de toutes les directions se présentent avec leur accompagnement ordinaire de malades et d’infirmes. On signale pour la première fois une catégorie spéciale d’infortunés qui viennent implorer la pitié du Thaumaturge, les debiles de la Vulg., ceux qui étaient estropiés des pieds ou des mains. L’Évangéliste emploie une expression pittoresque pour décrire l’empressement, la précipitation même qui régnait alors dans l’entourage de Jésus : Elles les jetèrent à ses pieds. Comme il y avait beaucoup de malades, c’était à qui ferait passer le plus promptement le sien, parce que l’on craignait que Notre-Seigneur ne se retirât avant de les avoir tous guéris. Peut-être S. Matthieu voulait-il aussi représenter la foi vive qui animait le peuple ; " car ils s’en remettaient à son jugement, et ils ne doutaient en rien qu’il pouvait les guérir ", Berlepsch. - Et il les guérit. Parmi les guérisons qui furent opérées alors, S. Marc, 7, 32-37, mentionne plus spécialement celle d’un sourd-muet qui eut de fait un caractère extraordinaire.Matthieu chap. 15 verset 31. - De sorte que les foules étaient dans l’admiration, voyant les muets parler, les boiteux marcher, les aveugles voir ; et elles glorifiaient le Dieu d’Israël.
- Dans l'admiration. L’écrivain sacré relève l’admiration qu’avait excitée parmi le peuple cette série de prodiges plus nombreux que de coutume : l’énumération qu’il fait ensuite, les muets parler, etc., forme un petit tableau plein de vie, dont la réalité devait, on le comprend, exciter à un haut degré l’enthousiasme de tous les témoins. - Elles glorifiaient. Quelques manuscrits grecs ont l’imparfait, comme la Vulgate ; le " textus receptus " emploie l’aoriste. - Le Dieu d'Israël, en tant qu’il était le Dieu national des Juifs. La foule le glorifie, parce qu’elle sait bien que de lui seul peut venir la puissance surnaturelle qui se manifeste en Jésus.Matthieu chap. 15 verset 32. Or Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : J’ai pitié de cette foule ; car il y a déjà trois jours qu’ils restent avec moi, et ils n’ont rien à manger ; et je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur qu’ils ne défaillent en chemin.
- Ayant appelé ses disciples. " Il veut paître ceux qu’il a guéris. Il réunit donc ses disciples et leur parle de ce qu’il fera, pour qu’en leur faisant dire qu’ils n’ont pas de pain dans le désert, ils comprennent mieux la grandeur du signe ". Il est touchant de voir Jésus, la Sagesse incarnée, tenir conseil avec ses Apôtres sur le moyen de soulager ce pauvre peuple, qui allait bientôt éprouver les souffrances de la faim, si on ne lui venait promptement en aide. Les disciples étaient sans doute dispersés parmi la foule : c’est pourquoi il est dit que Jésus les convoqua. - Jésus… leur dit. Par quelques paroles d’une délicatesse toute divine, le Sauveur expose et met pour ainsi dire en délibération le point spécial qui occupe sa pensée. - J'ai pitié de cette foule. Le cœur du bon Pasteur apparaît tout entier dans ce mot qui exprime si bien la sympathie et la tendresse. - Il y a déjà trois jours. Il y avait donc trois jours que Jésus était envahi constamment par la multitude ; mais ce n’est point pour lui-même qu’il s’en souvient, c’est à cause d’elle, craignant qu’elle n’ait à souffrir bientôt d’un séjour aussi prolongé dans un lieu désert. - Ils n'ont rien à manger. Les provisions que chacun avaient apportées étaient entièrement consommées. Il est touchant de remarquer que la foule ne semble pas s’en apercevoir, ni en redouter les inconvénients. Elle est si bien auprès de Jésus qu’elle cesse de songer aux besoins matériels : c’est pourquoi le bon Maître daigne prendre l’initiative en sa qualité de père de famille. - Je ne veux pas les renvoyer : je ne veux absolument pas. Il ne peut se faire à cette idée. Il craindrait qu'ils ne défaillent : comme on était en plein désert d’après le v. 33, le peuple aurait dû, sans le miracle de Notre-Seigneur, aller très loin chercher des vivres et beaucoup de personnes auraient pu se trouver mal le long du chemin.Matthieu chap. 15 verset 33. - Les disciples lui dirent : Comment donc trouverons-nous, dans ce lieu désert, assez de pains pour rassasier une si grande foule ?
- Les disciples lui dirent. En établissant l’état des choses, Jésus-Christ n’a pas dit un mot du prodige qu’il a le dessein d’accomplir. On dirait qu’il voulait s’en faire suggérer extérieurement la pensée. Mais il s’adresse à de bien mauvais conseillers : les Apôtres en effet ne sont frappés que d’un point, l’impossibilité complète où ils sont de nourrir une telle foule en un tel lieu. - Comment donc... Comme ils s’appuient sur chaque parole ! Dans le désert, une assez grande quantité de pain, rassasier une foule si considérable, et surtout trouverons-nous : qu’y pouvons-nous, Seigneur ? Où est leur foi ? Ne semblent-ils pas dire comme autrefois leurs ancêtres incrédules : " Dieu peut-il apprêter une table au désert ? " Ps. 77, 19. Les voilà en apparence aussi perplexes que s’ils n’eussent pas assisté à une scène semblable quelques mois ou quelques semaines auparavant ! De cette réflexion réellement surprenante des Apôtres, et de la ressemblance indéniable qui existe entre les deux multiplications des pains, les rationalistes ont cru pouvoir conclure qu’il n’y eut en réalité qu’un seul fait, lequel fût ensuite dédoublé par suite d’une confusion survenue de bonne heure dans les documents qui servirent de source aux évangélistes. Mais on irait loin avec de tels principes. La distinction des deux événements est démontrée aussi clairement que possible. Les narrateurs les séparent ; c’est donc qu’ils furent séparés dès leur origine : comment en effet des historiens dont l’un, S. Matthieu, avait été témoin oculaire, l’autre, S. Marc, témoin auriculaire, auraient-ils pu se tromper si grossièrement sur une chose des plus simples. De plus, malgré leur ressemblance générale, les deux incidents diffèrent l’un de l’autre sur presque tous les points. La localité n’est plus la même : précédemment Jésus se trouvait au N.-E. du lac, auprès de Bethsaïda-Julias ; maintenant il est à l’E., sur le territoire de la Décapole. La date n’est pas la même : un temps plus ou moins considérable s’écoula entre les deux miracles. Les détails ne sont pas les mêmes : ici c’est Jésus qui prend l’initiative, là c’étaient les disciples qui attiraient son attention sur le manque de vivres, Cf. 14, 15 ; on a sept pains au lieu de cinq, quatre mille hommes à nourrir au lieu de cinq mille ; on recueille sept corbeilles au lieu de douze. Enfin l’issue n’est pas la même, puisque après le premier prodige nous trouvions une marche de Jésus sur les eaux et la cessation miraculeuse d’une tempête, tandis qu’après le second nous voyons le Sauveur s’embarquer et gagner simplement la rive occidentale. - Ajoutons que Notre-Seigneur lui-même distingue nettement les deux prodiges. Cf. 16, 9-10 ; Marc. 8, 19. Assurément, l’embarras des Apôtres est extraordinaire ; mais savaient-ils s’il plairait à leur Maître de renouveler une seconde fois le même miracle ? Jésus n’agissait pas toujours d’une façon identique dans des situations analogues ; il pouvait donc avoir cette fois ses moyens spéciaux qu’ils ne soupçonnaient pas. N’osant l’interroger, n’osant lui rappeler ce qu’il a fait précédemment pour nourrir la foule, ils font, afin de se tirer d’embarras, une réponse vague qui n’indique en aucune manière un manque réel de foi, puisqu’ils mentionnent seulement leur propre impuissance et point celle de Jésus. Et puis, eussent-ils momentanément oublié le premier miracle, n’est-ce pas bien là l’histoire du cœur humain qui cesse si vite de se rappeler, à chaque danger, les délivrances antérieures dont il a été l’objet de la part de Dieu ? Jéhova ouvre un passage aux Israélites à travers la mer Rouge : à peine arrivés sur l’autre rive, ils murmurent parce qu’ils ne trouvent pas d’eau douce et ils se demandent si le Seigneur est réellement avec eux. Il leur envoie des cailles en abondance et, quelque temps après, Moïse lui-même doute que Dieu puisse fournir de la viande à toute cette multitude ! Le même cas pouvait très bien se présenter pour les Apôtres qui étaient encore faibles dans la foi ; Cf. 16, 8.Matthieu chap. 15 verset 34. - Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? Ils lui dirent : Sept, et quelques petits poissons.
- Combien avez-vous. Sans prendre garde à leur réponse, Jésus va droit au fait et introduit directement les préliminaires du prodige.Matthieu chap. 15 verset 35. - Alors il ordonna à la foule de s’asseoir par terre.
- De s'asseoir. Cf. 14, 19.Matthieu chap. 15 verset 36. - Et prenant les sept pains et les poissons, et rendant grâces, il les rompit, et les donna à ses disciples et les disciples les donnèrent au peuple.
- Et prenant... Ces détails diffèrent à peine de ceux que nous avons rencontrés à la première multiplication des pains. La bénédiction est représentée ici par les mots rendant grâces.Matthieu chap. 15 verset 37. - Tous mangèrent, et furent rassasiés ; et on emporta sept corbeilles, pleines des morceaux qui étaient restés.
- Sept corbeilles. " Dans le premier miracle, le nombre des pains correspondait au nombre des mille; le nombre des corbeilles au nombre des apôtres. Dans l’autre le nombre des pains correspondait au nombre des corbeilles ", Bengel, Gnomon in Matth. 16, 9-10. Plus haut, 14, 20, les corbeilles portaient le nom latin de " cophini ", actuellement, elles reçoivent celui de " sportæ ". Ce changement n’est pas le produit d’un simple hasard, mais il indique une véritable différence. Laquelle ? c’est ce qu’on ne saurait dire au juste parce que les renseignements précis font défaut : un passage des Actes des Apôtres, 9, 25, prouve cependant que la " sporta " devait avoir des dimensions beaucoup plus considérables que le " cophinus ", puisqu’elle était capable de contenir un homme. Elle consistait sans doute en une sorte de hotte ou de grand panier.Matthieu chap. 15 verset 38. - Or ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, sans compter les enfants et les femmes.
- Sans compter... L’évangéliste avertit le lecteur, comme dans sa précédente narration, 16, 21, qu’il ne fait pas entrer en ligne de compte les femmes et les jeunes enfants. Cette note a évidemment pour but de rehausser la grandeur du miracle.Matthieu chap. 15 verset 39. Ayant ensuite renvoyé la foule, il monta sur une barque, et vint dans la région de Magédan.
- Le repas achevé, Jésus congédie la foule, s’embarque avec ses disciples, et vient aborder la région de Magedan, c’est-à-dire sur le territoire de Magédan. Ce nom propre a été de tout temps pour les exégètes une source de sérieuses difficultés. En effet, 1° on ignore quelle était sa véritable prononciation, trois variantes principales existant dans les manuscrits et les versions. 2° Pour augmenter encore l’obscurité, S. Marc, 8, 10, mentionne, à propos du débarquement de Jésus, une localité toute différente, qu’il appelle Dalmanutha et qui n’est citée nulle part ailleurs. Il est probable cependant que Dalmanutha était simplement un hameau situé dans le voisinage de Magédan ou de Magdala. (Voir notre commentaire sur ce passage de S. Marc). 3° Le doute qui plane sur le nom propre s’étend, comme il est naturel, à la direction même du voyage de Jésus. Toutefois, Magédan étant un pays tout à fait inconnu, les critiques adoptent de préférence la leçon du texte grec, qui est appuyée d’ailleurs sur de graves autorités. Alors tout s’éclaircit, car le bourg de Magdala s’élevait certainement sur la rive occidentale du lac de Gennésareth, au Nord de Tibériade, à l’endroit où l’on voit aujourd’hui le village mahométan de Medjel. De la ville jadis florissante de sainte Marie-Madeleine, il ne reste que des ruines et quelques misérables masures : la situation est rendue pittoresque non seulement par le voisinage du lac, mais encore par une énorme roche calcaire qui surplombe le village et au pied de laquelle coule un rapide et clair ruisseau.Les Pharisiens, unis aux Sadducéens, demandent pour la seconde fois à Jésus un signe céleste (v. 1). - Sévère réponse du Sauveur qui les renvoie de nouveau au signe de Jonas (vv. 2-4). - Jésus passe avec ses disciples sur la rive orientale (v. 5). - Le levain des Pharisiens et des Sadducéens. Singulier incident auquel cette expression donne lieu (vv. 6-12). - Jésus vient à Césarée de Philippe et interroge les Apôtres touchant l'opinion du peuple à son sujet (vv. 13-14). - Confession de S. Pierre (vv. 15-16). - Promesse de la Primauté (vv. 17-19). - Jésus prescrit aux Douze de ne pas annoncer encore publiquement qu'il est le Christ Fils de Dieu (v. 20). - Il leur prédit clairement sa passion et sa résurrection (v. 21). - S. Pierre est sévèrement réprimandé parce qu'il ne veut pas entre parler de passion pour son Maître (vv. 22-23). - Nécessité de l'abnégation chrétienne (vv. 24-26). - Double apparition du Fils de l'homme en qualité de Souverain Juge (vv. 27-28)
10° Le signe du ciel, 16, 1-4. Parall. Marc. 8, 11-13.
1
Alors les pharisiens et les sadducéens s’approchèrent de lui pour le tenter, et ils le prièrent de leur faire voir un signe qui vînt du ciel. 2Mais il leur répondit : Le soir venu, vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge. 3Et le matin : Il y aura aujourd’hui de l’orage, car le ciel est sombre et rougeâtre. 4Vous savez donc discerner l’aspect du ciel, et vous ne pouvez pas connaître les signes des temps. Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. Et les laissant, il s’en alla.Matthieu chap. 16 verset 1. - Alors les pharisiens et les sadducéens s’approchèrent de lui pour le tenter, et ils le prièrent de leur faire voir un signe qui vînt du ciel.
- S'approchèrent de lui. A peine Jésus est-il de retour du voyage qu’il avait semblé entreprendre tout exprès pour échapper aux embûches des Pharisiens, que ces perfides ennemis l’assaillent pour lui tendre un nouveau piège. Selon leur coutume, ils viennent accompagnés : Pharisiens et Sadducéens, dit le premier évangéliste. Mais, tandis que leurs associés ordinaires en pareille circonstance étaient les Scribes ou docteurs de la Loi, Cf. 12, 38 ; 15, 1, etc., qui appartenaient en grand nombre à la secte, cette fois ils se liguent, pour attaquer Jésus, avec les Sadducéens, c’est-à-dire avec leurs adversaires les plus déclarés. Aussi une telle connivence a-t-elle paru tout à fait invraisemblable à plusieurs exégètes rationalistes (de Wette, Strauss), qui se sont hâtés d’affirmer que le fait est évidemment controuvé. Comme s’il n’était pas naturel et fréquent de voir des hommes ou des partis, quoique très hostiles entre eux, conclure un accord momentané afin d’affronter de concert un ennemi commun ! Ce que les sectes les plus dissidentes ont fait tant de fois contre l’Église, les Pharisiens et les Sadducéens le faisaient déjà contre son divin fondateur. Du reste, les Pharisiens ne s’étaient jamais montrés bien délicats relativement à leurs alliances, lorsqu’il s’était agi de nuire au Sauveur : unis un jour aux disciples de S. Jean, Cf. Marc. 2, 18, ils n’avaient pas craint, le lendemain, de faire cause commune avec les Hérodiens qui étaient pourtant les partisans avérés des Romains, Cf. Marc. 3, 6. Ces bizarres alliances, dont on trouve des exemples à chaque page de l’histoire ecclésiastique, ont fait dire à Tertullien, avec autant de force que de vérité : " Le Christ est toujours crucifié entre deux larrons ". C’est donc la hiérarchie tout entière, représentée par ses deux éléments, le sacerdoce et la science officielle, que nous trouvons en ce moment auprès du divin Maître. - Pour le tenter. " C’était de mauvaise foi qu’ils le questionnaient : ils ne faisaient que chercher une occasion de le calomnier ", Rosenmüller. Les questions adressées à Jésus par les Pharisiens avaient rarement un autre but ; elles dissimulaient presque toujours un piège destiné à ruiner sa réputation auprès du peuple, ou à fournir quelques motifs sérieux de l’accuser devant les tribunaux religieux du pays. - Un signe qui vînt du ciel. Un signe du ciel, un miracle opéré sous leurs yeux dans les régions sidérales ou atmosphériques, tel est l’objet de leur demande. Ils voudraient que Notre-Seigneur arrêtât le soleil comme Josué, qu’il fit éclater subitement un orage comme Samuel, ou descendre le feu du ciel comme Élie. Alors ils consentiraient à reconnaître sa dignité messianique. Quant à ses nombreux prodiges antérieurs, que personne ne songeait alors à révoquer en doute, ils n’avaient pour les Pharisiens aucune force probante, le démon pouvant l’avoir aidé à les accomplir ; mais un signe céleste serait certainement divin, Dieu, d’après les idées superstitieuses des Juifs, s’étant réservé à lui seul le droit d’opérer des miracles dans l’atmosphère ou le firmament. L’insuffisance des miracles précédents est clairement insinuée dans la demande des Pharisiens et des Sadducéens. Cette demande n’est du reste pas nouvelle ; nous l’avons déjà entendue il y a quelque temps, 12, 38 ; Cf. Luc. 11, 16. Bien plus, dès le début de sa Vie publique, sous les galeries du temple, Jésus avait été sommé déjà de produire un signe, Cf. Joan. 2, 18, et tout récemment, dans la synagogue de Capharnaüm, Cf. Joan. 6, 30, ceux qui avaient été nourris par lui la veille d’une manière toute miraculeuse n’avaient-ils pas eu l’audace de lui dire : " Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? ". Voilà bien ces Juifs caractérisés par S. Paul : " Les Juifs réclament des signes miraculeux ", 1 Cor. 1, 22.Matthieu chap. 16 verset 2. - Mais il leur répondit : Le soir venu, vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge.
- Il leur répondit. Réponse tout à fait spirituelle et habilement rattachée à la demande des adversaires. Ils ont parlé du firmament, Jésus leur en parle à son tour ; mais pour tirer de là un argument qui les couvrira de confusion. - Le soir venu. Le Sauveur fait appel à leur expérience personnelle, cela avec d’autant plus de finesse que les Rabbins aimaient beaucoup à s’occuper des pronostics de la température. Le Talmud contient de nombreuses règles qu’ils avaient établies pour aider la population agricole de la Palestine à deviner le beau et le mauvais temps. - Il fera beau ; le grec a simplement : Beau temps ! sans verbe. C’est une exclamation vivante.Matthieu chap. 16 verset 3. - Et le matin : Il y aura aujourd’hui de l’orage, car le ciel est sombre et rougeâtre.
- Rougeâtre. Dans le texte grec, il n’y a qu’un seul et même verbe pour exprimer la rougeur du soir et celle du matin. - Les deux deux proverbes populaires cités par Notre-Seigneur sont, chez nous comme en Orient, d’une frappante vérité ; aussi toutes les nations en ont-elles de semblables pour désigner les mêmes phénomènes. Pline : " Le soleil annonce des vents, si les nuages rougissent avant le lever du soleil. Si les nuages rougissent au coucher du soleil, ils présagent pour le lendemain une journée sereine ", Hist. Nat. 18, 78. On trouvera d'autres exemples dans l'ouvrage de Wettstein. Au figuré, nous pourrions dire que la rougeur qui se manifestait au coucher de l’ancienne Alliance, présageait la belle et splendide aurore du Nouveau Testament ; et même, que le lever de l’Église, annoncé à l’horizon par des couleurs éclatantes, présageait l’orage pour la synagogue incrédule. Saint Jérôme, parlant des versets 2 et 3, écrivait : " Cela ne se trouve pas dans la plupart des manuscrits " ; leur authenticité n'est cependant l'objet d'aucun doute.Matthieu chap. 16 verset 4. - Vous savez donc discerner l’aspect du ciel, et vous ne pouvez pas connaître les signes des temps. Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. Et les laissant, il s’en alla.
- Vous savez discerner. S. Marc ajoute qu’avant de commencer sa réponse, le Sauveur poussa un profond soupir. Dans le texte latin se trouve " la face du ciel ", métaphore gracieuse qui rappelle le passage suivant d'Aulu-Gelle, 13, 29 : " Ce n’est pas seulement pour les corps des hommes qu’on emploie le mot face, mais pour toutes sortes d’autres choses. Car on parle de la face de la montagne, du ciel et de la mer, couramment, même si improprement ". Les Pharisiens et leurs alliés savent donc prédire la pluie ou le beau temps d’après la figure que fait le ciel ; mais qu’on ne leur demande pas les signes d’une température plus relevée, car ils les ignorent entièrement. - Les signes des temps... Il est aisé de comprendre le sens de cette expression. Les signes des temps, ce sont en général les phénomènes caractéristiques qui se produisent dans la suite des siècles, les grandes crises historiques qui déterminent la couleur d’une époque déterminée ; dans le cas présent, c’étaient les signes avant-coureurs de la venue du Christ, par exemple l’accomplissement des anciennes prophéties, les miracles de Jésus, l’ensemble de sa conduite. - Vous ne pouvez pas connaître ? avec interrogation. Ne pourriez-vous pas discerner également ces signes ? Le sceptre n’est-il pas sorti de Juda ? Les semaines de Daniel ne se sont-elles pas écoulées ? Le Précurseur n’a-t-il pas fait son apparition ? La fermentation extraordinaire qui règne maintenant dans tous les esprits au sujet du Christ n’indique-t-elle pas que de grandes choses se préparent ? Mais ils ferment volontairement les yeux à la lumière : c’est pourquoi ils ne voient pas. Quelle ironie sanglante dans le reproche que Jésus adresse à ces prêtres et à ces docteurs : Vous êtes de bons astrologues, mais c’est tout ! - Le Sauveur ajoute, comme dans une circonstance analogue, 12, 39 : Cette génération mauvaise... etc. Mais, cette fois, il ne donne aucune explication sur le rapport de ressemblance qui existe entre lui et Jonas. A quoi bon perdre le temps en vaines discussions avec ces adversaires de mauvaise foi ? Aussi, il s'en alla. Il leur tourne le dos ! Cette conduite était sévère, mais ils avaient bien mérité la sainte indignation du Sauveur. Ils avaient cru humilier Jésus-Christ en exigeant de lui un signe qu’ils s’attendaient bien, d’après sa réponse d’autrefois, à ne pas obtenir, et ce sont eux qui sont confondus. - Léonard de Vinci a composé un beau tableau qui représente une des discussions du Sauveur avec les Pharisiens : on y admire surtout le contraste frappant qui existe entre le visage doux, serein, resplendissant de Jésus et les physionomies dures et sombres de ses interlocuteurs.
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Or ses disciples, étant passés sur l’autre rive, avaient oublié de prendre des pains. 6Il leur dit : Voyez, et gardez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens. 7Mais ils pensaient et se disaient entre eux : C’est parce que nous n’avons pas pris de pains. 8Jésus, le sachant, dit : Hommes de peu de foi, pourquoi pensez-vous en vous-mêmes que vous n’avez pas de pains ? 9Ne comprenez-vous pas encore, et ne vous souvenez-vous pas des cinq pains distribués à cinq mille hommes, et du nombre de paniers que vous avez emportés ? 10Ni des sept pains distribués à quatre mille hommes, et du nombre de corbeilles que vous avez emportées ? 11Comment ne comprenez-vous pas que ce n’est pas au sujet du pain que je vous ai dit : Gardez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens ? 12Alors ils comprirent qu’il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu’on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens.Matthieu chap. 16 verset 5. - Or ses disciples, étant passés sur l’autre rive, avaient oublié de prendre des pains.
- Étant passés. Ce verset nous fait connaître la direction du voyage entrepris par Notre-Seigneur à la fin de la scène précédente, v. 4. S. Matthieu ne mentionne que les disciples, parce qu’ils sont les héros de l’incident qui va suivre. Fritzsche se trompe quand il affirme qu’ils étaient seuls durant cette traversée, et qu’ils revenaient alors de la rive orientale à la rive occidentale, pour rejoindre leur Maître qui les y avait précédés après la seconde multiplication des pains, 15, 39. En comparant les relations des deux premiers synoptiques, Cf. Marc. 8, 10, 13, 14, il eût été facile d’éviter cette erreur, car elles disent clairement que Jésus et ses disciples ne s’étaient point séparés. - Sur l'autre rive : de Magdala (voir note de 16, 39), ils se dirigent par mer vers Bethsaïda-Julias, Marc. 8, 22, au N.-E. par conséquent. C’était la troisième fois que Jésus franchissait le lac et allait chercher un asile sur le rivage oriental contre les persécutions des grands : il avait fui d’abord le despotisme de la cour, 14, 13, puis celui des défenseurs des traditions humaines, 15, 21 ; maintenant il évite la hiérarchie d’Israël. - Avaient oublié. A quel moment précis eut lieu cet oubli ? était-ce à Magdala, avant l’embarquement ? ne serait-ce pas plutôt à Bethsaïda, après la traversée, et au moment de s’enfoncer dans les régions désertes du Nord ? C’est ce qu’il est difficile de déterminer avec certitude : le récit de S. Marc paraît cependant favoriser davantage le premier sentiment car il suppose que la conversation de Jésus avec ses disciples eut lieu sur la barque. - Le départ avait été si précipité, si inattendu, que les Apôtres avaient oublié de se munir des provisions qu’ils emportaient d’ordinaire avec eux.Matthieu chap. 16 verset 6. - Il leur dit : Voyez, et gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens.
- Il leur dit. La pensée du Sauveur était demeurée fixée sur la conduite indigne des Pharisiens et des Sadducéens à son égard : lui-même il était resté silencieux pendant une partie de la traversée. Tout à coup, brusquement et sans transition, il dit à ses Apôtres : Voyez, et gardez-vous... Le premier de ces deux verbes était destiné à attirer leur attention, le second à les mettre en garde contre un danger que Jésus signale au moyen d’une métaphore : du levain des Pharisiens... Il voulait désigner par là, comme nous l’apprenons au v. 12, la doctrine corrompue et corruptrice des sectaires. C’était, sous ce rapport, une locution toute rabbinique. Du reste, même chez les païens, le levain était regardé comme un symbole de corruption, de putréfaction morale. S. Paul dans ses Épîtres aux Galates, 5, 9, et aux Corinthiens, 1 Cor. 5, 6, en fait aussi l’emblème d’un enseignement dangereux ou d’une conduite perverse qui gâtent tout ce qu’ils atteignent. C’est à cause des éléments impurs qu’il renferme, que la Loi mosaïque l’éloignait sévèrement de tout ce qui touche au culte divin, et en interdisait partout l’usage durant les solennités pascales.Matthieu chap. 16 verset 7. - Mais ils pensaient et se disaient entre eux : C’est parce que nous n’avons pas pris de pains.
- Ils pensaient. Les Douze, en ce moment, font un quiproquo singulier. Prenant à la lettre les paroles de leur Maître et passant du levain au pain, ils croient que Jésus leur défend, en haine des adversaires avec lesquels il vient de lutter, d’accepter ou d’acheter du pain provenant des Pharisiens et des Sadducéens. Or, comme ces deux sectes avaient beaucoup de partisans dans toute la Palestine, ils se demandent avec anxiété : Qu’allons-nous faire, puisque nous n’avons pas apporté de pain avec nous ? - Entre eux, comme le dit S. Marc, 8, 16 ; Cf. Rom. 1, 24 ; Col. 3, 13. Il s’agit donc d’un échange de pensées entre les Apôtres, et non de réflexions isolées que chacun aurait formées dans son esprit. - La particule c'est parce que, a, suivant divers auteurs, le sens récitatif ; selon d’autres, et plus probablement, elle signifie " à cause de cela " : Il parle ainsi parce que nous avons oublié d’acheter des pains ; il nous punit par là de notre négligence.Matthieu chap. 16 verset 8. - Jésus, le sachant, dit : Hommes de peu de foi, pourquoi pensez-vous en vous-mêmes que vous n’avez pas de pains ?
- Jésus, le sachant. Le Sauveur s’apercevant de leur erreur grossière les reprend avec une juste sévérité. Qu’ont-ils à s’inquiéter à propos d’un pain matériel ? - De peu de foi. Leur foi a-t-elle donc tout à fait disparu ? Jésus relève tout d’abord, dans sa réponse, ce manque de foi des Apôtres (vv. 8-10), puis il leur explique, mais seulement d’une manière négative, la parole qui les a tant surpris (v. 11).Matthieu chap. 16 versets 9 et 10. - Ne comprenez-vous pas encore, et ne vous souvenez-vous pas des cinq pains distribués à cinq mille hommes, et du nombre de paniers que vous avez emportés ? 10Ni des sept pains distribués à quatre mille hommes, et du nombre de corbeilles que vous avez emportées ?
- Ne comprenez-vous pas ? Ces mots forment à eux seuls une phrase complète : N’avez-vous donc pas encore l’intelligence ouverte aux choses que je vous dis ? Ils équivalent au v. 16 du chap. précédent : " êtes-vous sans intelligence ? ". - Ne vous souvenez-vous pas. C’est un autre grief. S’ils ne comprennent pas encore, du moins pourraient-ils se souvenir. Ont-ils donc oublié les deux multiplications de quelques pains opérées naguère par Jésus ? En compagnie de Celui qui a pu nourrir avec si peu de chose plusieurs milliers d’hommes, ont-ils à craindre de mourir de faim ? - Cinq pains... Là-dessus, Notre-Seigneur leur rappelle ses deux grands miracles, en mentionnant les plus petits détails, afin de mieux réveiller leur foi. - Du nombre paniers… de corbeilles. La forme interrogative donne beaucoup de vie à la pensée. Les Apôtres, qui avaient recueilli les restes des pains miraculeux, savaient mieux que personne le nombre des corbeilles.Matthieu chap. 16 verset 11. - Comment ne comprenez-vous pas que ce n’est pas au sujet du pain que je vous ai dit : Gardez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens ?
- Comment ? Comment est-il possible que vous ne compreniez pas, alors que l’idée est si simple ? - Ce n'est pas au sujet du pain : ce n’est pas d’un pain ordinaire et matériel qu’il leur a parlé, mais d’un pain figuré, spirituel. - Que je vous ai dit. Fritzsche et d'autres auteurs suppléent un ou deux mots, de façon à obtenir la phrase suivante : " Ce n'est pas du pain que je vous ai parlé, mais je vous ai dit : Gardez-vous etc. ". On admet plus communément qu’il faut un point après " vous ", et, qu’après le blâme adressé aux disciples, Jésus répète avec énergie son avertissement du v. 6 : " Prenez garde au levain des Pharisiens et des Sadducéens ".Matthieu chap. 16 verset 12. - Alors ils comprirent qu’il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu’on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens.
- Alors ils comprirent. Jésus n’a pas expliqué directement ce qu’il entendait par le levain des sectaires ; mais il a mis ses Apôtres sur la voie, et maintenant ils comprennent qu’il était question de doctrines et non de pain. " Une question se pose. Comment comprendre que le Christ leur commande en ce texte de se méfier de leur doctrine, après qu’il leur ait demandé auparavant de faire tout ce qu’ils enseignaient. Je réponds que, dans le premier texte, il s’agissait des Pharisiens et des Scribes assis sur la chaire de Moïse, i.e. expliquant sa loi. Quant ils s’acquittent de ce devoir, il faut les croire. Il ne parle pas ici de la loi de Moïse, mais du ferment qui leur est propre, i.e. de leur doctrine hérétique. C’est contre cela qu’il ordonne de se mettre en garde ". Maldonat.9. - Confession et Primauté de S. Pierre, 16, 13-28. Parall. Marc. 8, 27-39 ; Luc. 9, 18-27.
En abordant l’explication de ce passage, les exégètes déclarent à l’envi, même les exégètes protestants, même les exégètes rationalistes, qu’il renferme des paroles et des actes de la plus haute conséquence. La confession enflammée de Pierre, les magnifiques promesses que cet Apôtre reçoit en échange, l’annonce claire et directe de la Passion et de la Résurrection, ce sont là en effet des événements extraordinaires, même dans une vie semblable à celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais, pour le commentateur catholique, cet incident prend aussitôt des proportions supérieures, puisqu’il nous fait assister à l’origine sublime de la Papauté. Admirons la conduite du Sauveur et les gradations parfaites qu’il fait suivre à son œuvre. Il a réuni les brebis dispersées, il a constitué des pasteurs ; mais il faut, pour le remplacer lui-même quand il aura quitté la terre, un Chef suprême du bercail, et c’est ce Chef qu’il va maintenant établir. Il accomplit donc une démarche décisive pour l’établissement et pour la perpétuité de son Église, puisqu’il se choisit un successeur, un représentant visible, non-seulement pour quelques années, mais pour toute la durée du monde. Aussi est-ce avec un esprit plein de foi, avec un cœur plein de reconnaissance que nous étudierons ces lignes toute divines. - S. Luc, qui s’était séparé depuis quelque temps des deux autres synoptiques, les rejoint de nouveau pour raconter de concert avec eux l’un des événements les plus important de la Vie publique du Sauveur. Son récit est toutefois moins complet, moins exact que celui de S. Matthieu et de S. Marc. C’est du reste le premier évangéliste qui, en sa qualité de témoin oculaire, a pu nous conserver les détails les plus nombreux et les plus précis. Dans sa narration nous distinguerons trois parties : la promesse de la Primauté, versets 17-19, ce qui la précéda, vv. 13-16, et ce qui la suivit, vv. 20-28.
1° Ce qui précéda la promesse de la Primauté, vv. 13-16.
13
Jésus vint aux environs de Césarée de Philippe, et il interrogeait ses disciples, en disant : Que disent les hommes qu’est le Fils de l’homme ? 14Ils lui répondirent : Les uns, qu’il est Jean-Baptiste ; les autres, Élie ; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes. 15Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? 16Simon Pierre, prenant la parole, dit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant.Matthieu chap. 16 verset 13. - Jésus vint aux environs de Césarée de Philippe, et il interrogeait ses disciples, en disant : Que disent les hommes qu’est le Fils de l’homme ?
- Jésus vint, ou plutôt " alors qu'il venait ". S. Marc, 8, 27, suppose en effet que Jésus était déjà sur le territoire de Césarée, et qu’il en parcourait les hameaux lorsqu’eut lieu l’incident actuel. - Aux environs de Césarée. Après avoir traversé Bethsaïda-Julias, Marc. 8, 22, le Sauveur, suivant en amont le cours du Jourdain, arriva auprès de Césarée de Philippe : une journée de marche avait pu lui suffire pour franchir la distance qui sépare ces deux villes. Césarée avait porté pendant longtemps le nom de Panéas, qui lui venait du mont Panium, dédié à Pan, auprès duquel elle était bâtie. On a prétendu, mais à tort, qu’elle avait succédé à Lesem, Laïs ou Dan de l’Ancien Testament. " Son emplacement est unique : combinant à un rare degré les éléments de la grandeur et de la beauté. Elle reposait à la base méridionale du puissant Hermon, qui s’élève majestueusement à une hauteur de sept à huit mille pieds. Les eaux abondantes de la source du Jourdain répandent tout autour une fertilité luxuriante : c’est une gracieuse succession de taillis, de pelouses et de champs cultivés ", Robinson, Palæstina, t, 3, p. 614. Après la mort d’Hérode-le-Grand, Panéas était échue avec la province de Gaulanite dont elle faisait partie au tétrarque Philippe qui l’avait agrandie, embellie et dédiée à Tibère. C’est alors qu’elle fut nommée " Cæsarée de Philippe ", Césarée en l’honneur de l’empereur, de Philippe en l’honneur du tétrarque et pour qu’on put la distinguer d’une autre Césarée, située sur les bords de la Méditerranée, au Sud du Carmel, et connue sous le nom de " Cæsarée de Straton " ou " Cæsarée de Palestine ". De cette glorieuse cité, il ne reste aujourd’hui que des ruines et un petit village appelé Banias : c’est donc l’appellation primitive qui a reparu après de longs siècles, celles que la flatterie lui avait imposées (Césarée, puis Néronias au temps d’Agrippa 2) n’ayant pas survécu à sa splendeur. Mais cette splendeur existait dans tout son éclat au moment de la visite du Sauveur. - Et il interrogeait... Dans cette contrée lointaine, perdue à l’extrémité septentrionale de la Palestine, Jésus adresse à ses Apôtres une question extraordinaire, parmi des circonstances que les deux autres évangélistes ont signalées. C’était, dit S. Marc, 8, 27, le long du chemin ; c’était, ajoute S. Luc, 9, 18, au sortir d’une prière solitaire. - Que disent les hommes... Nous lisons dans le texte grec : " que me disent " ; la Vulgate, de concert avec plusieurs manuscrits (B. Sinaït.), plusieurs versions anciennes (l’éthiop., la copte, la syr., la persane, l’anglo-saxone) et plusieurs Pères (S. Irénée, S. Ambroise, etc), a rejeté le pronom comme superflu. Son authenticité est cependant regardée comme plus probable : il donne à la question plus de force, plus de solennité : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? " Hommes " est un hébraïsme, et désigne le peuple en général, surtout le peuple croyant qui accompagnait si volontiers Jésus. - Les deux derniers mots, Fils de l'homme, sont une simple apposition au pronom. " Qui disent-ils que je suis, moi qui, par humilité, ai coutume de m’appeler fils de l’homme ? " Sylveira in h. l. Jésus connaissait mieux que personne les pensées et les dires du peuple à son égard, et il n’y attachait pas une grande importance, sachant bien, comme le disait S. Jean dans une autre circonstance, 2, 25, " ce qui était dans l’homme ". Cette question n’est donc pas posée pour elle-même ; son but est d’en introduire une seconde beaucoup plus importante.Matthieu chap. 16 verset 14. - Ils lui répondirent : Les uns, qu’il est Jean-Baptiste ; les autres, Élie ; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes.
- Ils lui répondirent. Leurs rapports continuels avec les multitudes qui suivaient Jésus leur ont permis de connaître à fond les dispositions et les jugements populaires relativement à leur Maître : ils peuvent donc répondre avec l’exactitude la plus parfaite. - Les uns... les autres. D’après S. Marc, 6, 14-15, et S. Luc, 9, 7-8, la plupart de ces opinions avaient déjà fait leur apparition à la cour d’Hérode Antipas, où elles s’étaient peut-être même formées. Le tétrarque, comme nous l’a montré S. Matthieu, 14, 1-2, avait adopté la première : C’est Jean-Baptiste, s’était-il écrié après avoir entendu parler de Jésus ; il est ressuscité d’entre les morts, c’est pourquoi il opère des miracles. Beaucoup de personnes faisaient un raisonnement semblable ; d’autres, au contraire, établissaient une grande différence entre le Précurseur et Jésus de Nazareth, Cf. 11, 18-19. - Élie. Il y avait, dans le zèle brûlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, quelque chose qui pouvait faire penser au grand prophète de Thisbé, dont on attendait du reste la réapparition avant l’avènement du Messie. - Jérémie. Le rapport est plus difficile à saisir ; mais les Juifs croyaient aussi que Jérémie serait un des précurseurs du Christ, et qu’il ressusciterait pour venir lui servir de héraut ; Cf. Joseph Gorion ap. Wettstein, Hor. Talm. h. l. - Ou l'un des prophètes. " Ils croyaient que l’un de leurs anciens qui étaient célèbres par leurs miracles était revenu à la vie non pas de nom seulement, mais en toute vérité ", Fr. Luc, Comm. in h. l. La célèbre prédiction de Moïse, annonçant que Dieu donnerait un jour aux Juifs un prophète semblable à lui, Deut. 18, 15, pouvait fort bien s’être dénaturée dans l’esprit des contemporains du Sauveur, et avoir donné lieu à cette opinion bizarre. - Les quatre opinions signalées par les Apôtres prouvent que Jésus-Christ jouissait d’une grande réputation auprès du peuple ; car, tout en variant beaucoup sur sa nature, on s’accordait généralement à le regarder comme un personnage important. Mais ce n’était que du petit nombre qu’il recevait son véritable titre, le titre de Messie, puisque les disciples ne mentionnent pas même ce sentiment. Et pourtant, ne semble-t-il pas qu’après chacun de ses principaux miracles les individus comme les multitudes se sentaient portés à l’acclamer comme le Christ ? Mais d’une part la réserve de Notre-Seigneur, son opposition aux préjugés messianiques du vulgaire, d’autre part les calomnies des Pharisiens, avaient refroidi l’enthousiasme de la foule, qui s’était mise à ne plus voir en Jésus qu’un Précurseur du Libérateur promis.Matthieu chap. 16 verset 15. - Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ?
- Jésus reprend : Mais vous, qui dites-vous que je suis ? - Et vous : ces deux mots sont emphatiques. Vous, mes disciples privilégiés, les auxiliaires et les continuateurs futurs de mon œuvre. Vous, par opposition aux croyances erronées de la foule qu’ils venaient d’énumérer. " En leur adressant cette nouvelle question : " Et vous, qui dites-vous que je suis? " il voulait leur faire comprendre que leurs sentiments devaient être beaucoup plus relevés, et se distinguer complètement des basses pensées de la multitude... C’est pour cela qu’il leur dit: " Et vous, qui dites-vous que je suis? " c’est-à-dire, vous qui êtes continuellement avec moi, qui me voyez faire un si grand nombre de miracles, qui en avez fait vous-mêmes en mon nom, " qui dites-vous que je suis? ", S. Jean Chrys. Hom 54 in Matth. Notons bien toute l’importance que Jésus attache à la foi, à la confession explicite de ses Apôtres touchant la christologie proprement dite. Et cela se comprend. N’était-ce pas, ne sera-ce pas toujours la base de tout le reste ? C’est la première fois qu’il les interroge d’une manière directe sur l’opinion qu’ils se sont formée à son sujet ; mais l’heure de l’épreuve n’est pas éloignée, quelques mois seulement le séparent de sa Passion, et avant la crise, il veut savoir s’il peut compter sur eux. Moment solennel et décisif ! car si la réponse des Apôtres est telle que la souhaite et que l’attend Jésus, l’Église du Nouveau Testament va être séparée de la théocratie de l’Ancien ; elle sera définitivement fondée.Matthieu chap. 16 verset 16. - Simon Pierre, prenant la parole, dit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant.
- Prenant la parole... Écoutons encore S. Jean Chrysostôme, l. c. : " A cette question, que fera Pierre, la bouche des Apôtres ? Toujours ardent, coryphée du chœur apostolique, alors que tous sont interrogés, c’est lui qui répond. Quand Jésus leur demandait le sentiment du peuple, ils ont tous parlé ; maintenant qu’il désire connaître leur opinion personnelle, Pierre s’élance en avant, prévient tous les autres et s’écrie : Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant ". Pour quiconque a étudié dans les Évangiles le caractère et la conduite de S. Pierre, il n’est pas étonnant que ce soit lui qui réponde ici le premier : c’était en effet sa coutume de parler au nom de tous. Mais il est important de faire observer que, dans le cas présent, il s’inquiète moins de manifester au Sauveur le sentiment commun des Apôtres, que sa croyance personnelle ; autrement, pourquoi Jésus le féliciterait-il plus bas d’avoir reçu une révélation particulière ? Pourquoi ne s’adressait-il qu’à lui dans les magnifiques promesses qui vont suivre ? Ou bien, s’il a parlé au nom de tous, il ne suit pas de là que tous auraient pu faire la même réponse. Les autres Apôtres se rangèrent à sa confession, mais elle ne cesse pas pour cela de lui appartenir en propre. " Confesser une chose et se ranger à l’avis de celui qui l’a confessée sont deux actes tout à fait distincts ", dit fort bien M. Schegg. C’est en ce sens seulement que nous dirons avec S. Thomas : " Il répond, pour lui et pour les autres ". - Vous êtes le Christ. Cette profession de foi est pleine d’énergie et annonce une parfaite certitude. " Il dit fermement : Tu es, et non Je dis que tu es ", Bengel. S. Pierre répond comme un homme qui exprime une conviction indubitable, ce qu’il croit être un dogme réel : son langage est celui de la foi vive et de la parfaite adoration. Toi, le Messie, dût-il dire en hébreu, donnant au Messie sa signification restreinte, pour désigner l’Oint de Dieu par excellence, le Christ unique au monde. Mais Pierre n’a exprimé qu’une partie de sa pensée ; se faisant l’écho de la voix céleste du baptême, il complète sa confession en disant : Le Fils du Dieu vivant. Pour tout interprète impartial, non imbu de préjugés dogmatiques, il est évident que ces mots doivent être pris ici dans leur sens strict. Ailleurs, nous l’avons vu, Cf. 4, 3, 6 ; Marc. 3, 12 ; Joan. 1, 49, etc., ils pouvaient avoir une signification figurative, s’employer comme un synonyme de Messie, représenter le Christ en tant qu’il devait être uni à Dieu par les liens d’une étroite amitié ; mais ici cela est tout à fait impossible. Cette impossibilité résulte 1° de l’addition de l’épithète " vivant " qui fait allusion à la vertu génératrice de Dieu et par conséquent à la filiation réelle de Jésus ; 2° de la réponse de Notre-Seigneur au v. 17. Le divin Maître atteste que c’est le Père céleste lui-même qui a daigné communiquer à Pierre d’une manière surnaturelle l’objet de sa profession de foi. L’apôtre a donc proclamé une vérité nouvelle pour lui et qu’il eût été incapable d’atteindre par ses seules forces. Or, ne savait-il pas depuis longtemps, et n’avait-il pas pu apprendre autrement que par une révélation spéciale, que Jésus était le Messie promis ? 3° De l'unanimité de la tradition sur ce point : " L'apôtre Pierre, par la révélation du Très Haut, alla au-delà des choses corporelles et surmonta les limites humaines avec les yeux de son esprit, vit qu'il était le Fils du Dieu vivant, et reconnut la gloire de Dieu ", S. Léon-le-Gr. Serm. de Transfig. " Ces paroles du Sauveur nous font voir que si saint Pierre ne l’eût reconnu pour le vrai Fils de Dieu, et né de sa propre substance, cette confession n’eût point été l’effet d’une révélation divine… il a donc confessé qu’il était le Fils de Dieu de manière excellente ", S. Jean Chrysost. Hom. 54. Et de même tous les autres Pères. Il n’y a que les rationalistes qui, pour des raisons faciles à comprendre, se refusent à prendre l’expression " Fils du Dieu vivant " dans sa signification supérieure et obvie. Suivant eux, S. Pierre sera donc tombé, en un moment si solennel, dans une tautologie presque banale. Mais c’est ce que nous ne saurions admettre. Ce qu’il avait naguère pressenti avec les autres disciples, Cf. 14, 33, Pierre, divinement éclairé, l’exprime maintenant avec toute l’ardeur de la foi. Vous êtes le Christ, bien plus, vous êtes le Fils du Dieu vivant ! D’autres disent que vous êtes Jean-Baptiste, Élie, Jérémie, quelque ancien prophète ; mais cela est faux, car vous êtes le Messie. Vous vous appelez humblement le Fils de l’homme ; mais quoique vous nous apparaissiez sous la forme d’un serviteur, vous pouvez sans injustice et sans blasphème vous dire le Fils de Dieu, car vous l’êtes. Quelle vigueur dans cette phrase où l’article précède, pour les mieux accentuer, tous les mots capables de le recevoir ! Comme elle contient bien toutes les vérités essentielles du Christianisme ! Le caractère messianique de Jésus, sa divinité, son Incarnation, un Dieu vivant et fécond, la pluralité des personnes divines : tous ces dogmes et les conséquences qu’ils renferment découlent clairement de la confession du Prince des Apôtres.
17
Jésus lui répondit : Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. 18Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.19Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les cieux.Matthieu chap. 16 verset 17. - Jésus lui répondit : Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux.
- A la profession de foi de son disciple, Jésus répond, lui aussi, par une confession : confession non moins grave, non moins solennelle, qui s’adresse indirectement à toute l’Église chrétienne, directement, immédiatement à celui qui s’était fait, avec un si bel élan d’amour, l’interprète de ses frères. - Tu es bienheureux. Jésus commence par féliciter son disciple, ou plutôt par le proclamer bienheureux, à cause de l’étonnante faveur qu’il a reçue de Dieu. - Simon, fils de Jonas ; Notre-Seigneur mentionne à dessein l’ancien nom de l’Apôtre, son nom terrestre en quelque sorte, pour établir un contraste avec la glorieuse appellation de l’avenir. " Simon ", c’était le nom donné à S. Pierre au jour où il fut circoncis ; " Bar-Jona " était une dénomination patronymique qui signifie " fils de Jona ". Nous retrouverons la même composition dans plusieurs autres noms évangéliques, par exemple Barabbas, Barthélemi, Bartimée. - Parce que... Jésus passe à l’indication du motif spécial qui lui a fait dire à Simon fils de Jona : " Tu es bienheureux ". Ce motif est exprimé d’abord d’une manière négative : " Ce n’est pas la chair et le sang qui te l’ont révélé ", puis en termes positifs : " mais mon Père qui est dans les cieux ". - La chair et le sang. Pour parler comme il l’a fait, le chef des Apôtres a reçu évidemment des instructions extraordinaires, il a eu des révélations en partage (t'ont révélé) ; mais quel était le principe révélateur ? Afin de dire ce qu’il n’a pas été, Jésus-Christ emploie une formule hébraïque qui revient plusieurs fois dans la Bible, Cf. Eccli. 14, 19 ; Gal. 1, 16 ; Eph. 6, 12, et à chaque instant dans le Talmud pour désigner l’homme en tant qu’être faible, ignorant, misérable. La chair et le sang, c’est-à-dire les hommes, ou bien l’instinct naturel, ou encore ces deux éléments réunis : Ce que tu viens de dire, Simon fils de Jona, ne vient d’aucun principe humain ; ce n’est pas le fruit d’un enseignement que d’autres mortels, tes frères, auraient pu te transmettre ; ce n’est pas non plus le produit de ta sagesse et de tes réflexions personnelles. Le divin seul a pu te faire connaître le Fils ; Cf. 11, 27 ; 1 Cor. 12, 3. - En disant Père qui est dans les cieux, Jésus accepte et confirme la déclaration de son Apôtre, entendue d’après le sens que nous avons indiqué. Celui qu’il appelle son Père est au ciel, c’est Dieu lui-même, dont il est le Fils par une génération éternelle. Le poète Juvencus a très-bien paraphrasé cette parole du Sauveur à S. Pierre :Matthieu chap. 16 verset 18. - Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.
- Après la félicitation, la récompense. Dans ce beau verset, il n’est pas un mot qui n’ait son importance particulière. - Je te dis. Tu m’as dit qui je suis ; moi aussi je vais t’apprendre en échange qui tu es ; ou bien, d'après S. Léon, " de même que mon Père t'a manifesté ma divinité, de même je te fais connaître ta supériorité ", Serm. 3 in anniv. Assumpt. Le Sauveur calque visiblement sa confession sur celle de S. Pierre. L’Apôtre avait dit : Vous êtes le Christ ; Jésus lui répond : Tu es Pierre (Petrus). Dans la langue araméenne, que Notre-Seigneur parlait alors, l’équivalent de " Petrus " est Kêpha, dont on a fait en latin Cephas. Ce mot signifiant pierre ou rocher, la vraie traduction serait, Petra : " tu es Petra ". Mais les traducteurs grec et latin ont préféré donner au nom propre la forme masculine qui était plus conforme au génie de leurs langues. De la sorte, le jeu de mots qui existait dans le texte original a en partie disparu : Tu es Céphas, avait dit Jésus-Christ, et sur ce Céphas je bâtirai mon Église. Notre langage le reproduit de la façon la plus heureuse : Tu es Pierre, et sur cette pierre, etc. Mais ce n’est là qu’un détail de grammaire et il en est de plus importants. Jésus avait donné prophétiquement le nom de Céphas au fils de Jona dès la première entrevue qu’ils eurent ensemble, Cf. Joan. 1, 43 ; il lui en confirme aujourd’hui la possession, et il indique en même temps le but qu’il se proposait en faisant cette transformation. Simon-Pierre, vous réaliserez désormais en toute vérité le sens de la dénomination nouvelle que je vous ai autrefois imposée. - Sur cette pierre. Selon toutes les lois grammaticales, ce que Jésus appelle " cette pierre " ne doit pas différer de l’homme qu’il a nommé précédemment " Petrus ". Le Kêpha, le rocher sur lequel il veut bâtir son Église, n’est autre que le Kêpha à qui il adresse la parole, c’est-à-dire S. Pierre, et il faut faire une véritable violence à la phrase pour prétendre, comme S. Augustin et plusieurs anciens exégètes protestants, que Jésus voulait désigner sa propre personne par les mots " sur cette pierre ". On croit simplifier les choses en ajoutant que Notre-Seigneur montra, par un geste, qu’il parlait certainement de lui-même : on ne réussit qu’à les rendre plus singulières. N’aurait-ce pas été une contradiction flagrante, et Jésus n’eût-il pas retiré d’une main ce qu’il accordait de l’autre ? Que dirait-on d’un architecte qui, après avoir préparé une pierre d’assise et après l’avoir fait conduire sur le terrain, la négligerait entièrement et bâtirait sur un autre fondement l’édifice qu’il voulait tout d’abord appuyer sur elle ? - Je bâtirai mon Église. C’est dans cette circonstance imposante que l’Église de Jésus-Christ est nommée pour la première fois d’une manière directe ; il était juste qu’elle reçût de son divin fondateur lui-même, et précisément à l’heure où il en posait la première pierre, l’appellation historique sous laquelle elle devait devenir si célèbre dans la suite des âges. Ce nom sacré vient de deux mots grecs dont la réunion signifie convoquer : il désigne par conséquent une assemblée publique. Chose étonnante, le mot synagogue a presque le même sens, rassembler ; mais quelle différence entre les sociétés représentées par ces deux expressions synonymes ! Dans les anciens temps, le peuple juif, en tant qu’il formait une congrégation religieuse, était désigné par le nom de Kâhal, Cf. Lev. 16, 17 ; Deut. 31, 30 ; Jos. 8, 35 ; etc. ; et, aujourd’hui encore, toute communauté israélite assez importante pour avoir son temple et son culte prend le nom de Kéhila ; Cf. Coypel, Le Judaïsme, p. 37. L’Église chrétienne est la Kéhila de Jésus, l’Église chrétienne est donc la réalisation du Royaume messianique sur la terre. - Cette Église, Notre-Seigneur dit qu’il la bâtira sur Pierre comme sur un fondement inébranlable : il la compare ainsi à un édifice construit en l’honneur de Dieu, et destiné à recevoir tous les hommes pour les abriter et les sauver. Il en est lui-même l’architecte : Je bâtirai ! et, en constructeur habile, il a soin d’appuyer son temple sur une base solide, qui défiera les efforts combinés du temps et des tempêtes ; Cf. 7, 25. Si le temple de Jérusalem était bâti sur le rocher du Moria, l’Église du Christ s’élève plus fièrement encore sur le rocher vivant qui se nomme S. Pierre et le pape de Rome. - Tout est parfaitement clair jusqu’ici : Simon-Pierre est choisi entre tous les disciples, entre tous les Apôtres de Jésus, pour être le fondement de l’Église chrétienne. " La formulation du Christ a une telle puissance évocatrice, qu'il semble difficile de lui associer un commentaire plus simple ; car il décrit clairement et distinctement la fondation ; clairement et distinctement l'édifice ; clairement et distinctement la relation qui unit réciproquement l'édifice et sa fondation ", Passaglia, Comment. de praerogavitis B. Petri. Ratisb. 1850 p. 456. Une courte explication pourra cependant n’être pas déplacée. Comment S. Pierre peut-il être dans un sens spécial, d’une manière extraordinaire, le fondement de l’Église, puisque, en d’autres passages des Saints Livres, Jésus d’une part, de l’autre tous les Apôtres sans exception, reçoivent une attribution identique ? " La pierre de fondation, dit S. Paul, 1 Cor. 3, 11, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ ". Cf. 1 Petr. 2, 4-6. Parlant aux Éphésiens, 2, 20, S. Paul dit encore : " vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même " ; Apoc. 21, 14. Ce sont les protestants, et l’on devine aisément dans quelle intention, qui ont fait cet insidieux rapprochement. Mais l’objection se résout sans peine. Oui, le palais de Jésus est assis sur plusieurs pierres fondamentales : les Apôtres, S. Pierre, le Christ. Et pourtant, S. Pierre peut et doit être appelé le fondement de l’Église d’une façon toute particulière et unique. 1° " Si c’est le Christ qui bâtit l’Église, il la fonde sur Pierre ; si c’est Pierre qui bâtit l’Église, il la fonde sur le Christ. Y a-t-il donc là une contradiction ? Une maison peut-elle avoir une double base ? Non, s’il s’agit d’une maison de pierre ou de bois ; oui, s’il s’agit de l’Église, parce qu’elle a un double caractère, en tant qu’elle est la société visible et spirituelle des croyants. Si c’est le Christ qui bâtit l’Église, il doit la bâtir comme un édifice visible sur un fondement visible, qui est Pierre, attendu qu’il trône lui-même dans le ciel à la droite de Dieu. Si c’est Pierre qui la construit, il doit la bâtir sur le Christ, autrement elle cesserait d’être l’Église du Christ " ; Schegg, Comm. in h. l. La conciliation est parfaite à ce point de vue. 2° Elle est tout aussi simple pour ce qui regarde les autres Apôtres. " Voyez, tandis que les disciples du Christ sont grands parmi les hommes et dignes des hautes places, Pierre est appelé pierre, pour recevoir dans la foi le fondement de l'Église ", s'écrie S. Grégoire de Nazianze. Simon-Pierre, d’après la pensée du saint Docteur, est donc fondement d’une manière unique, exclusive, relativement aux autres membres du collège apostolique, puisque ceux-ci ne sont des bases de l’Église qu’autant qu’ils sont appuyés eux-mêmes sur la pierre vraiment fondamentale qui est Simon, fils de Jona. Nous devons encore nous poser ici une autre question. En quel sens Jésus a-t-il déclaré qu’il bâtirait son Église sur Céphas ? Il semble tout naturel de répondre que le Sauveur voulait désigner la personne même du prince des Apôtres et, comme nous le disons plus bas, tous les successeurs de S. Pierre. Comment se fait-il donc que plusieurs Pères exégètes distingués pour la plupart, S. Jean Chrysostôme, S. Hilaire, S. Grégoire de Nysse, S. Augustin, S. Cyrille, Cf. Maldonat in h. l..., aient assuré que le fondement sur lequel Jésus-Christ a bâti l’Église c’est simplement la foi ou la confession de son disciple ? Les protestants n’ont pas manqué de relever cette opinion, pour attaquer la Primauté de S. Pierre et des Pontifes Romains, ses successeurs. " Certains pères affirment que la foi ou la confession de Pierre a été la pierre sur laquelle l’Église a été fondée, Cela est vrai en termes de cause mais non de forme. Car, cette confession fut la cause méritoire pour laquelle l’Église a formellement été édifiée sur Pierre ", Jansenius in h.l. Mais, ici encore, la conciliation est aisée : ce n’est pas sur la foi de S. Pierre considérée d’une manière abstraite que Jésus-Christ a promis d’établir son Église, car cela n’aurait aucun sens, mais sur cette même foi concrétisée, c’est-à-dire sur S. Pierre croyant, sur S. Pierre à cause de sa foi. - Et les portes de l'enfer... En face du glorieux édifice qu’il se propose de construire, le Sauveur voit maintenant en esprit un autre édifice dressé contre le sien, le menaçant d’une ruine complète. Mais rassurons-nous ; cet édifice ténébreux ne réussira jamais à renverser l’Église de Jésus. Quel est-il ? Notre-Seigneur le désigne par une expression figurée : les portes de l’Enfer. Pour se faire une juste idée de cette expression, il ne faut pas la prendre dans le sens restreint des temps modernes, mais dans son acception ancienne, en particulier dans son acception juive. Elle n’indique donc pas directement ce que nous appelons l’enfer, la région des démons et des réprouvés, mais le Schéôl, l’Hadès, le sombre royaume des morts, que les anciens plaçaient dans les entrailles de la terre et qu’ils nommaient " Abîme " pour ce motif. Or les Orientaux, les Hébreux spécialement, se représentaient l’empire des morts comme une citadelle munie de portes solides qui laissent bien pénétrer à l’intérieur les âmes des trépassés, mais qui ne leur permettent jamais de sortir, une fois qu’elles sont entrées ; Cf. Cant. 8, 6 et s. ; Job. 38, 17 ; Is. 38, 10 ; Ps. 107, 18 ; Illiade. 5, 646 ; etc. Ces portes semblent béantes pour engloutir tour à tour les fondateurs et les membres de l’Église, y compris Jésus-Christ et S. Pierre. Toutefois, le divin Maître affirme qu’elles ne l’emporteront pas dans cette lutte morale. Elle seront au contraire vaincues elles-mêmes : " Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? " Cor. 15, 55, pouvons-nous répondre à leurs attaques incessantes. Cette interprétation, qui paraît plus conforme aux données fournies par l’archéologie biblique et à l’image dont Jésus s’est servi pour dépeindre l’Église, est communément admise par les exégètes modernes. Elle revient à dire, sans figure, que l’Église du Sauveur, bâtie sur le roc, n’a rien à craindre de la mort. Mais les anciens auteurs expliquaient ce passage un peu différemment. Pour eux, il s’agit de l’enfer proprement dit, de l’empire de Satan et des damnés. Les portes de cet affreux séjour représentent les puissances infernales avec les nombreux alliés qu’elles possèdent en ce monde, tels que le péché sous ses différentes formes, les doctrines perverses des hérétiques et des impies, les persécutions dirigées contre l’Église. En effet, dans l’antique Orient, c’est aux portes des villes que se tenaient les assemblées judiciaires présidées par les autorités du pays, de sorte que le mot " porte " était devenu synonyme de pouvoir public, comme on le voit encore par l’expression Sublime-Porte conservée jusqu’à nos jours. D’après cette seconde interprétation, Jésus-Christ promettait à son Église, et aux chefs chargés par lui de la diriger, une victoire constante sur le démon et tous ses suppôts. Elle sera incessamment attaquée ; mais, appuyée sur le fondement indéfectible que lui a donné le divin architecte, elle n’a pas à craindre d’être jamais ébranlée. Le lecteur peut faire son choix entre les deux opinions, elles sont l’une et l’autre parfaitement admissibles et expriment très bien, quoique sous des aspects différents, la pensée de Jésus. On peut aussi les réunir en une seule, de manière à comprendre sous les mots " Porte de l’Enfer " tous les pouvoirs hostiles à l’Église, tout ce qui peut la menacer dans le cours des siècles : le royaume de la mort et le royaume de Satan ne sont-ils pas en un sens une seule et même chose ? - Ne prévaudront pas. Le verbe " prævalere ", de même que son équivalent grec, peut recevoir une signification transitive ou intransitive ; on le traduira par " vaincre " dans le premier cas, par " prévaloir " dans le second. La mort ne prévaudra pas sur l’Église, Satan ne la vaincra jamais ; Cf. Bretschneider, Lexic. Manuale in libr. N. T. - Contre elle. On peut se demander si le pronom démonstratif " elle " retombe sur " pierre " ou sur " église ". Bien que la grande majorité des Pères et des commentateurs le fassent rapporter à l’Église, nous préférons le rattacher à la pierre qui doit servir de base à l’édifice mystique de Jésus. Nos raisons sont les suivantes : 1° Au point de vue grammatical, ce sentiment n’est pas moins licite que l’autre. 2° Jésus ne parle de l’Église que d’une manière secondaire et comme en passant : c’est du fondement, de la pierre inébranlable qu’il s’occupe avant tout ; il paraît donc naturel que le pronom désigne le sujet principal du discours. 3° Notre interprétation, sans rien changer aux droits généraux de l’Église, est plus favorable aux privilèges particuliers de saint Pierre, que Jésus se proposait directement de mettre en relief, et, par conséquent, aux privilèges particuliers des souverains Pontifes : l’infaillibilité personnelle des Papes en ressort d’une manière très-évidente. Nous sommes heureux de voir que Mgr Mac-Evilly adopte aussi cette opinion dans son commentaire récemment publié. Cf. Wettstein, in h. l. ; Bouix, de Papa, t. 2, p. 173. Quoiqu'il en soit, concluons avec Origène, Comm. in h. l. : " Notre-Seigneur ne précise pas si c'est contre la pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église ou si c'est contre l'Église elle-même, bâtie sur la pierre, que ces portes de l'enfer ne prévaudront pas. Mais il est évident qu'elles ne prévaudront ni contre la pierre, ni contre l'Église ".Matthieu chap. 16 verset 19. - Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les cieux.
- Autres prérogatives pour expliquer et pour développer la première. - Et je te donnerai... Remarquons le pronom placé en avant : à toi entre tous, à toi d’une manière spéciale et supérieure. Le verbe est au futur, comme " je bâtirai " du v. 18, parce qu’il est seulement question d’une promesse qui sera réalisée plus tard, et non d’une entrée immédiate en fonctions. - Les clés du royaume des cieux, c’est-à-dire de l’Église. Cette image des clefs continue celle du verset précédent, où le royaume des cieux était comparé à un édifice solidement assis sur le rocher : la construction est achevée et l’architecte livre le bâtiment à celui qui en doit être le régisseur souverain. La figure ne change donc que relativement à S. Pierre qui, après avoir été appelé plus haut le fondement de la maison, en est maintenant constitué l’intendant. Le sens de cette nouvelle image ne saurait être douteux. On sait en effet que, dans tous les temps et dans tous les pays, l’action de livrer à quelqu’un les clefs d’une ville, d’une forteresse, d’un édifice, a symbolisé l’autorité complète qu’on lui accordait sur les personnes et sur les objets renfermés dans cette ville, cette forteresse, cet édifice. " Et moi, dit Jéhova par la bouche du prophète Isaïe, 22, 22, je placerai sur ses épaules (du Messie) la clef de la maison de David, et il ouvrira et personne ne pourra ouvrir " ; Cf. Apoc. 1, 18 ; 3, 7. Jésus place dans le même sens les clefs du royaume messianique sur les épaules de S. Pierre, comme un emblème de domination universelle dans l’Église, dont il est établi par là-même le chef suprême. - Et tout ce que tu lieras... Troisième métaphore, qui se rattache à la seconde et qui exprime, elle aussi, un pouvoir vraiment royal. Pour la bien comprendre, il faut tout d’abord déterminer la signification des verbes " lier " et " délier ". Les commentateurs sont loin d’être d’accord sur ce point. Plusieurs ont dit que lier signifie attacher à l’Église de Jésus, délier, séparer, retrancher de cette même Église. D’autres ont vu dans ces expressions l’indication du pouvoir spécial de remettre ou de retenir les péchés. Ou bien, on a traduit " lier " par défendre, déclarer illicite, " délier " par permettre déclarer licite : ce sentiment, adopté par un assez grand nombre d’interprètes, s’appuie sur l’usage fréquent, dans le Talmud, d’une formule analogue pour désigner l’interdiction ou la licéité d’une chose ; Cf. Lightfoot, Hor. talm. On a enfin regardé cette locution comme l’emblème d’une puissance absolue, d’une juridiction universelle conférées à S. Pierre par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et telle est, croyons-nous, l’interprétation véritable. Outre qu’elle a sur les trois autres l’avantage de mieux cadrer avec le contexte, en ne posant aucune limite à l’autorité spirituelle du prince des Apôtres, et en n’insérant pas au milieu d’idées générales un détail isolé, restreint, il est aisé de la confirmer à l’aide de plusieurs exemples que nous fournit l’antiquité. L’historien Josèphe, Bell. Jud. 1, 5, 2, parlant des Pharisiens, nous les montre s’insinuant avec habileté dans les bonnes grâces d’Alexandre, et s’emparant peu à peu du gouvernement tout entier. Alors, ajoute-t-il, ils pouvaient délier et lier à leur gré, c’est-à-dire qu’ils agissaient en maîtres absolus. De même, par conséquent, dans le passage que nous étudions. Du reste, le pronom relatif " tout ce que ", deux fois répété, n’indique-t-il pas suffisamment que Jésus confiait tout à son Apôtre, sans restriction, sans exception, qu’il le nommait son plénipotentiaire ici-bas ? Lie ou délie, use du pouvoir législatif, judiciaire, doctrinal qui t’est confié ; Dieu, dont tu es le représentant sur la terre, ratifiera tout dans le ciel. " Son jugement terrestre fait jurisprudence au ciel ", S. Hil. In Matth. h. l. ; " Par ces paroles on rend hommage au privilège insigne du docteur Pierre, d’après lequel ses décrets concordent avec les divins ", Fritzsche. Sans doute, nous entendrons bientôt Notre-Seigneur Jésus-Christ adresser au collège apostolique tout entier les paroles qu’il prononce en ce moment d’une manière exclusive pour S. Pierre : " En vérité je vous le dis, tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ", 16, 18. Mais il est évident qu’en accordant aux onze autres cette autorité extraordinaire, requise par les besoins de l’Église primitive, il ne les égalera pas à S. Pierre constitué antérieurement leur chef. Il ne les établit pas fondements de son Église d’une manière absolue, il ne leur confie pas sans restriction les clefs du royaume des cieux, comme il l’a fait pour Simon-Pierre. Leur juridiction, quelque étendue qu’elle soit, n’est pas sans limites ; car, avant d’en être investis, ils ont été placés sous la direction d’un supérieur, qui continuera d’être pour eux ce qu’avait été Jésus-Christ. - Récapitulons les promesses faites par Jésus au fils de Jona. Il lui donnera la solidité du roc, et, sur cette base contre laquelle les efforts les plus violents de l’empire ténébreux viendront perpétuellement s’émousser, il construira le magnifique édifice qui est son Église ; puis il déposera entre ses mains toute-puissantes et fidèles les clefs du royaume des cieux ; enfin il lui remettra son blanc-seing, contresignant, approuvant d’avance tous les actes qu’il jugera utiles ou nécessaires au bon gouvernement de l’Église. De bonne foi, nous le demandons à tout lecteur impartial des saints Évangiles, n’y a-t-il là qu’une promesse commune ou sans valeur ? La primauté de S. Pierre ne ressort-t-elle pas visiblement de ces lignes divines ? Cette primauté ne confère-t-telle pas à l’élu du Christ la priorité de juridiction aussi bien que la priorité d’honneur ? Nous sommes heureux de pouvoir le dire, plusieurs exégètes protestants, laissant de côté tout préjugé de secte, l’affirment aussi hautement que nous. " Il n’y a pas de doute que Pierre ne reçoive en cet endroit la primauté parmi les Apôtres, en tant que le Christ le choisit de préférence, comme celui dont l’activité apostolique sera la condition d’existence de la société fondée par lui ", Meyer, Krit. exeg. " L’Église protestante n’aurait jamais dû nier que ces paroles s’appliquent à Pierre d’une manière personnelle, et qu’elles ne le concernent pas comme simple représentant des autres Apôtres : surtout elle n’aurait pas dû le nier en recourant à des interprétations peu naturelles ", Stier, Reden des Herr. Jesus, in h. l. Ces mêmes auteurs ajoutent, il est vrai, qu’ils n’acceptent pas " les conséquences romaines " (Meyer. ibid.) de ces textes. Pour nous nous les acceptons avec foi et avec amour, comme la seule doctrine vraiment catholique, comme l’expression de l’enseignement des Pères, des conciles et des docteurs, comme la conclusion logique des promesses faites par Jésus-Christ à son Apôtre. Nous confessons avec Origène, mais dans un sens plus exact que le sien, que le Christ dit ces choses non seulement à Pierre mais aussi à tous les Pontifes romains ses successeurs. L’Église, en effet, n’est pas un édifice matériel bâti une fois pour toutes et abandonné à lui-même ; c’est un édifice vivant et mystique qui se renouvelle constamment, et qui a besoin d’un fondement vivant et mystique. Par conséquent, " si tout cela avait été dit de la personne de Pierre, comme le veulent les hérétiques, à la mort de Pierre l'Église se serait éteinte ; car la destruction du fondement entraîne la destruction de la chose ", Sylveira in h. l. Aussi, les évêques de l'univers catholique naguère réunis en concile général au Palais du Vatican sous la présidence du glorieux et bien-aimé Pie IX, après avoir solennellement affirmé la primauté de S. Pierre, que la promesse de Notre-Seigneur Jésus-Christ exprimait en termes directs, Cf. la Constitution " Pastor aeternus ", cap. 1, ont-ils justement déduit de cette même promesse deux corollaires renfermés dans les décrets suivants : " Si donc quelqu'un dit que ce n'est pas par l'institution du Christ ou de droit divin que le bienheureux Pierre a des successeurs dans sa primauté sur l'Église universelle, ou que le Pontife romain n'est pas le successeur du bienheureux Pierre en cette primauté, qu'il soit anathème ". - " Le Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l'Église, jouit, par l'assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu'elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l'Église ", ibid. chap. 4. Nous renvoyons du reste pour les développements dogmatiques, qui concernent plutôt le théologien que l’exégète, aux grands ouvrages théologiques, notamment au livre déjà cité du P. Passaglia, " Commentarius de prærogativis B. Petri ". - Les peintres ont aussi commenté à leur manière la confession du prince des Apôtres et les promesses que Jésus lui adressa en échange : le Guide, fra Angelico, Bellini, Nicolas Poussin, le Pérugin, Raphaël ont laissé sur ce double fait des compositions pleines de grandeur.
20
En même temps, il ordonna à ses disciples de ne dire à personne qu’il était Jésus, le Christ. 21Dès lors Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, qu’il souffrît beaucoup de la part des anciens, et des scribes, et des princes des prêtres, et qu’il fût mis à mort, et qu’il ressuscitât le troisième jour. 22Et Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre, en disant : A Dieu ne plaise, Seigneur ; cela ne vous arrivera pas. 23Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Va-t’en derrière moi, Satan ; tu m’es un obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes.24
Alors Jésus dit à ses disciples : si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, et qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. 25Car celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, la trouvera. 26Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Ou qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? 27Car le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres.Trois paroles de Jésus, toutes d’une gravité particulière, suivirent immédiatement la promesse de la Primauté. La première, verset 20, avait pour but de recommander aux Apôtres un silence complet sur ce qui venait de se passer ; la seconde, v. 21, accompagnée d’un incident extraordinaire, vv. 22 et 23, leur annonce les prochaines souffrances et la mort de leur Maître ; la troisième, vv. 24-28, leur rappelle la nécessité du parfait renoncement.
Matthieu chap. 16 verset 20. - En même temps, il ordonna à ses disciples de ne dire à personne qu’il était Jésus, le Christ. - Première parole de Jésus.
- En même temps, aussitôt après la double confession de Pierre relativement à Jésus et de Jésus relativement à Pierre. - Il ordonna, il leur enjoignit formellement. Les deux autres synoptiques expriment cet ordre en termes très énergiques, pour montrer toute l’importance que Jésus y attachait. " Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne ", Marc. 8, 30 ; " Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne ", Luc. 9, 21. - De ne dire à personne, à personne absolument jusqu’à sa Résurrection. - Qu'il était Jésus, le Christ. " Il " est emphatique ; lui-même et pas un autre. De cette injonction du Sauveur, il suit, d’après les observations très justes de S. Jérôme et de Grotius, que, durant la mission que les Apôtres avaient récemment prêchée aux Galiléens, ils s’étaient bornés, suivant les recommandations antérieures de leur Maître, Cf. 10, 7 et parall., à proclamer la proximité de l’avènement du Messie, sans dire que Jésus était personnellement le Christ. - Mais pourquoi cet ordre qui a lieu de sembler étrange ? Nous avons répondu autrefois à cette question, en indiquant le motif pour lequel Jésus interdisait si fréquemment aux malades qu’il guérissait, aux possédés qu’il délivrait, de faire connaître le miracle dont ils avaient été l’objet. L’heure actuelle ne convenait pas pour une révélation de ce genre. Le peuple n’était pas encore capable de recevoir l’enseignement messianique proprement dit : les Apôtres n’étaient pas davantage en état de le porter ; ils avaient besoin d’être instruits, formés plus longuement par Jésus, d’être fortifiés, éclairés par l’Esprit Saint. Ce n’est qu’après la Résurrection du Sauveur que les prédicateurs et l’auditoire seront suffisamment préparés. Comme les disciples auraient pu supposer, à la suite de la confession de S. Pierre et de la réponse de Jésus, que le temps était venu de manifester hautement le caractère messianique et divin de leur Maître, celui-ci met des bornes à leur enthousiasme par un commandement sévère.Matthieu chap. 16 verset 21. - Dès lors Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, qu’il souffrît beaucoup de la part des anciens, et des scribes, et des princes des prêtres, et qu’il fût mis à mort, et qu’il ressuscitât le troisième jour.
- Seconde parole. - Dès lors, à partir de cet instant, sur l’heure. - Commença. Auparavant déjà, et presque aussitôt après l’ouverture de sa Vie publique, Jésus avait prophétisé sa Passion et la mort qu’il devait endurer sur la croix ; Cf. Joan. 2, 19 ; 4, 14. Toutefois il s’était exprimé en termes assez obscurs, qui ne devaient être bien compris qu’après l’accomplissement de sa prophétie. Aujourd’hui, il parle pour la première fois de cet événement douloureux d’une manière claire et directe dans le cercle intime de ses Apôtres. Il vient de leur révéler avec une précision inaccoutumée sa nature et son rôle ; il les a confirmés dans la foi à l’égard de sa personne : l’heure est donc excellente pour leur faire connaître de graves détails qui, communiqués plus tôt, auraient pu les scandaliser. Du reste, la Passion n’est pas éloignée : ne faut-il pas qu’ils soient préparés à cette terrible épreuve ? - A montrer. Ce mot a été choisi à dessein pour marquer la clarté des paroles du Sauveur dans cette circonstance. Il ne se borna pas à quelques allusions, à de vagues indications ; il " montra " d’une façon très explicite, comme on le voit par le contexte. - Qu'il fallait. Il s’agissait donc, non pas d’une simple convenance à laquelle il eût été aisée de se soustraire, mais d’une vraie nécessité, en tant du moins que Dieu avait décrété, puis annoncé par ses prophètes, que le Christ souffrirait et mourrait pour racheter le monde ; Cf. 26, 54 ; Luc. 24, 26. - Les disciples apprennent ensuite de la bouche de Notre-Seigneur, 1° le théâtre de sa Passion, Jérusalem ; 2° l’étendue de ses souffrances, qu'il souffrît beaucoup : en latin, " multa " : de grandes quantités de souffrances ; 3° le nom du tribunal qui les décrétera en premier lieu, des anciens, et des scribes... : elles seront le résultat d’une conspiration générale des autorités juives, désignées par les trois sections qui composaient le Sanhédrin ; Cf. 2, 4 et le commentaire ; 4° la mort qui en sera la conséquence, et qu'il fût mis à mort ; 5° enfin la résurrection glorieuse qui terminera le tout, qu'il ressuscitât le troisième jour. Ce n’est pas sans raison que Jésus mentionne sa résurrection en même temps que sa mort. " Notre Rédempteur, prévoyant que sa Passion jetterait le trouble dans l’âme de ses apôtres, leur prédit bien à l’avance, et les souffrances de cette Passion, et la gloire de sa Résurrection. Ainsi, en le voyant mourir comme il le leur avait annoncé, ils ne douteraient pas qu’il dût également ressusciter ". S. Grégoire le Grand, Hom. 2 in Evang. Voilà pourquoi il ajoute encore que sa résurrection suivra de près sa mort et qu'elle aura lieu dès le troisième jour.
Matthieu chap. 16 verset 22. - Et Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre, en disant : A Dieu ne plaise, Seigneur ; cela ne vous arrivera pas.
- Les Apôtres ne comprirent pas ces choses. Nous verrons plus tard la peine qu’eut Notre-Seigneur à les faire entrer dans leur esprit, même après sa résurrection, tant un Messie souffrant et humilié était loin des préjugés dont ils avaient été imbus. S. Pierre ne comprit pas mieux que les autres Apôtres : à peine a-t-il fait la déclaration qui lui a valu l’approbation éclatante du Sauveur, qu’une parole d’erreur remplace sur ses lèvres son noble témoignage. - Le prenant à part ; en grec, le prenant à part, car son respect pour la personne de Jésus ne lui permettait pas d’adresser à son Maître des reproches publics, Cf. Euthymius in h. l. Ou bien, d'après Érasme, " le prenant par la main, comme le fait habituellement un ami pour donner un conseil ". Sainte liberté, dans tous les cas, par laquelle on peut juger de la bonté de Notre-Seigneur dans ses rapports avec les Douze. - Commença. Ce mot n’est pas moins exact qu’au verset précédent. Ici, il signifie que l’Apôtre n’eut pas le temps d’aller bien loin dans ses objurgations familières, Jésus ne lui ayant pas permis d’achever. - A le reprendre : S. Pierre osa en venir jusque-là. Il se mit, comme nous dirions, à gronder son Maître avec une certaine vivacité. L’ardeur de son affection l’entraîne cette fois au-delà des bornes de la sagesse. Il n’y a qu’un instant, c’était Dieu qui parlait par la bouche de l’Apôtre ; maintenant c’est Simon Bar-Jona en personne, et c’est dans la chair et dans le sang qu’il puise sa révélation. - A Dieu ne plaise ; sous-entendu que Dieu te soit propice ! que Dieu t’en garde ! Cf. 2 Reg. 20, 20 ; 23, 17, etc. - Cela ne vous arrivera pas. " Cela ", ce dont Jésus venait de parler, sa passion et sa mort. Non, ce n’est pas possible, cela n’arrivera jamais, s’écrie S. Pierre avec d’énergiques protestations que lui arrache une nouvelle si pénible, reçue au moment de son plus grand bonheur et de son plus haut enthousiasme. Être Messie et souffrir, être le Fils de Dieu et mourir ! Ces idées ne peuvent pénétrer dans son esprit ; aussi les rejette-t-il absolument. Mais il s’attire par là un reproche sévère de Jésus.Matthieu chap. 16 verset 23. - Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Va-t’en derrière moi, Satan ; tu m’es un obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes.
- Se retournant. " tournant le dos ", dit Fritzsche : ce serait alors un geste qui exprimerait un mécontentement suprême et qui serait directement opposé à la protestation de S. Pierre. Selon d’autres, Jésus se serait simplement retourné vers Pierre et les autres disciples qui marchaient à sa suite ; Cf. Marc. 8, 33. - Va-t-en derrière moi, Satan. Quelles paroles, surtout si on les compare à celles que Jésus-Christ avait adressées à S. Pierre quelques instants auparavant ! Ce sont, après tout, celles-là même dont Jésus s’était servi pour congédier le démon à l’issue de la tentation ; Cf. 4, 10. Mais le chef des Apôtres ne se conduisait-il pas alors à l’égard de Jésus comme l’avait fait le tentateur ? C’est pourquoi Notre-Seigneur va jusqu’à lui donner le nom de Satan, c’est-à-dire de contradicteur. - Tu m'es un obstacle. Ces mots contiennent l’indication du motif pour lequel Jésus n’a pu conserver cette fois, extérieurement du moins, son égalité d’âme accoutumée : son disciple a essayé de le scandaliser, d’être pour lui une pierre d’achoppement sur le chemin du Golgotha, et le Sauveur, dans son amour pour ceux qu’il est venu racheter par la souffrance et par la croix, est extrêmement sensible sur ce point. - Tes pensées ne sont pas celles... Image délicate dans la Vulgate : Tu ne goûtes pas les choses du ciel, ou mieux encore : Les choses du ciel ne sont pas à ton goût. Le texte grec dit simplement " non cogitas " ; ton intelligence est fermée aux pensées divines, tu ne les comprends pas ; Cf. Rom. 8, 5. Pierre, en effet, a parlé comme un homme naturel, qui n’entend rien au plan de Dieu. Il redoute la souffrance et la mort, et ce n’est que par la mort et la souffrance que pourra s’opérer la Rédemption ! Voir de très beaux développements sur ce passage dans la 54 ème homélie de S. Jean Chrysostôme.Matthieu chap. 16 verset 24. - Alors Jésus dit à ses disciples : si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, et qu’il porte sa croix, et qu’il me suive.
- Troisième parole. - Alors Jésus dit... La leçon que Jésus-Christ se propose d’unir à cet incident ayant une importance universelle pour son Église, il eut soin, d’après S. Marc, 8, 34, de faire approcher la foule qui se tenait alors à quelque distance. Quand elle se fut groupée autour de sa personne divine, il tira la morale de la scène qui s’était passée entre S. Pierre et lui. Les lignes suivantes de S. Jean Chrysostôme expriment fort bien la liaison qui existe entre les deux scènes : " le Fils de Dieu ne se contenta pas d’une réprimande si sévère. Il voulut faire voir quelle était la vanité des paroles de cet apôtre, et quel serait le fruit, au contraire, que tout le monde tirerait de sa passion. Vous m’exhortez, lui dit-il, à avoir pitié de moi-même et vous désirez que ces souffrances ne m’arrivent pas; et moi je vous dis au contraire que non-seulement il vous serait très-dangereux de vous opposer à ma croix et d’empêcher que je ne meure pour vous, mais que vous périrez très-certainement et que vous ne pourrez prétendre aucune part au salut, si vous n’êtes disposé vous-même aux souffrances et toujours prêt à la mort. Il veut que ses disciples reconnaissent qu’il n’était pas indigne de lui de mourir en croix et de mourir non-seulement pour les raisons qu’il leur avait déjà dites, mais encore pour les grands avantages que sa mort produirait pour toute la terre ", Hom. 55. - Si quelqu'un veut... Tournure aimable pour exprimer une chose nécessaire et difficile. Il faut bien qu’on marche à la suite de Jésus, en d’autres termes, que l’on se fasse son disciple, si l’on veut arriver au salut ; mais comme de fait personne ne devient malgré lui disciple de Jésus-Christ, Dieu abandonnant cette démarche à la liberté individuelle, Notre-Seigneur dit en ce sens : Si quelqu’un a cette volonté bien arrêtée, à quoi doit-il s’attendre ici-bas, quelle sorte de vie faut-il qu’il embrasse ? Jésus l’indique très explicitement. - Qu'il renonce à lui-même : c’est l’élément fondamental de la vie chrétienne ; elle commence par le renoncement poussé à ses dernières limites, jusqu’à l’abnégation du moi. Sans ce détachement, tout le reste n’est rien ; par ce détachement, la transformation chrétienne est opérée en un clin d’œil. Quelle profonde philosophie dans ce précepte de Jésus ! "C’est peu, remarque saint Grégoire, Hom. 32 in Evang., de renoncer à ce qu’on a, mais c’est considérable de renoncer à ce qu’on est ". Quelle profonde philosophie dans ce précepte de Jésus ! S. Jean Chrysostôme fait observer que le Sauveur " ne nous dit pas simplement que nous n’épargnions pas (notre corps) ; mais que nous "le renoncions", c’est-à-dire que nous l’abandonnions aux périls et aux souffrances, et que nous ayons moins de compassion de lui que d’un étranger ou d’un ennemi ", loc. cit. - Une belle métaphore que nous avons déjà rencontrée, 10, 38, exprime mieux encore l’étendue du renoncement exigé par Notre-Seigneur Jésus-Christ de tous ses disciples sans exception : - Qu'il porte sa croix. La croix, l’instrument du supplice le plus honteux, saisie avec empressement, glorieusement et constamment portée par chaque chrétien : perspective affreuse si nous étions livrés à nous-mêmes. Mais le Sauveur ajoute par mode d’encouragement : - et qu'il me suive, promettant ainsi de nous précéder sur la route du Calvaire. Il indique aussi par ces derniers mots la part active que nous devons prendre à notre rédemption. Renoncer à soi-même, c’est une chose négative : mais porter sa croix et suivre le divin Crucifié, c’est du positif, c’est de l’action.Matthieu chap. 16 verset 25. - Car celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, la trouvera.
- Ce verset et le suivant contiennent de puissants motifs destinés à rendre plus facile aux chrétiens l’accomplissement des préceptes pénibles que Jésus vient de leur imposer. Agir selon les prescriptions du Christ, quelque dures qu’elles soient pour la nature, c’est sauver son âme : agir autrement, c’est la perdre sans retour. Montrant donc la fin de toute vie humaine, Notre-Seigneur rappelle à ses auditeurs soit pour les effrayer, soit pour les encourager, les châtiments ou les récompenses qui les attendent après leur mort. Or, dit-il, en face de ces récompenses, qu’est-ce que perdre la vie en ce monde puisqu’on la gagne ainsi pour l’éternité ? Qu’est-ce que sauver sa vie sur la terre, puisqu’on la perd ainsi à tout jamais ? - Nous avons précédemment expliqué cette sentence paradoxale, car Jésus l’avait déjà prononcée lorsqu’il envoyait les Apôtres prêcher l’Évangile à leurs compatriotes. Cf. 10, 39.Matthieu chap. 16 verset 26. - Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Ou qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ?
- Que sert à l'homme. Nouvel aphorisme étroitement lié à celui du v. 25, et probablement emprunté au Ps. 49, 7 et 8. - De gagner le monde entier. C’est une concession que fait ici Notre-Seigneur. Soit, je le veux bien, vous réussirez à conquérir le monde entier. Son argument n’en aura que plus de force, puisque ce n’est qu’une bien minime partie de l’univers et de ses trésors qui devient le partage des ambitieux même les plus privilégiés. Il s’adresse aux âmes nombreuses qui font du monde présent, sous ses formes variées, honneurs, richesses, plaisirs, l’objet de leurs poursuites suprêmes, qui placent toute leur fin dans les créatures. - S'il perd son âme... On vient de voir, v. 25, qu’on ne saurait tout à la fois gagner le monde et sauver son âme. Si quelqu’un réussit à conquérir en tout ou en partie l’univers dans le sens indiqué par Jésus, cela suppose donc qu’il a perdu sa vie spirituelle et supérieure en même temps qu’il acquérait les biens matériels. Les mots s'il perd représentent en effet une perte totale et non pas simplement un dommage plus ou moins considérable. - Qu'est-ce-que l'homme donnera… " Car, que donnera l’homme en échange de son âme ? A-t-il une autre âme qu’il puisse donner pour la racheter ? Si vous avez perdu de l’argent, vous le pouvez remplacer par d’autre argent. Si vous avez perdu une maison ou des esclaves, ou quelque autre chose semblable, vous pouvez les racheter. Mais si vous perdez votre âme, vous n’en avez point d’autre que vous puissiez donner en échange pour la recouvrer ", S. Jean Chrysost. Hom. 55 in Matth. De même que, la vie physique une fois perdue, il est tout à fait impossible de la recouvrer, quelque compensation qu’on offrît à cette intention ; de même et à plus forte raison, si l’âme est perdue, condamnée, possédât-t-on l’univers et tous les biens qu’il renferme, on ne trouvera rien d’équivalent, qui puisse servir de rançon pour elle. " De l'argent perdu, c'est une perte ; l'honneur perdu, c'est une perte plus importante ; l'âme perdue, tout est perdu " (Proverbe flamand). - C’est ainsi que, dans un langage très simple mais très frappant, Jésus-Christ fait comprendre à tous ceux qui liront ou entendront ces paroles jusqu’à la fin des temps la valeur inappréciable de l’âme. On sait l’impression qu’elles produisirent sur S. François-Xavier.Matthieu chap. 16 verset 27. - Car le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres.
- Car le Fils de l'homme... Dans le texte latin, enim (car) sert trois fois de trait d’union dans trois versets consécutifs, Cf. vv. 25 et 26 : les idées sont en effet très étroitement enchaînées. Jésus a posé les conditions d’une vie vraiment chrétienne, v. 24 ; il a ensuite indiqué la récompense éternelle, ou les châtiments sans fin qu’on peut s’attirer en remplissant ces conditions avec fidélité, vv. 25 et 26. Maintenant, il transporte l’auditeur au jugement dernier, où se fera la distribution des châtiments et de la récompense. A cette heure solennelle, le Fils de l’homme fera un second avènement : avènement nécessaire d’après le plan divin ; avènement glorieux, Dans la gloire de son Père, c’est-à-dire qu’alors Jésus-Christ apparaîtra comme représentant de Dieu le Père, par conséquent revêtu, même pour ce qui concerne sa sainte humanité, de la splendeur et de la majesté divines, Cf. 26, 64 : c’est pour cela qu’il sera entouré d’anges qui exécuteront ses jugements ; avènement qui aura pour but d’assigner à chacun son sort éternel dans l’autre vie, et alors il rendra... C’est en ce moment que recevront leur belle couronne ceux qui auront renoncé à eux-mêmes pour être les fidèles disciples de Jésus, et porté courageusement leur croix à sa suite. - Selon ses œuvres ; le grec emploie le singulier pour désigner collectivement l’ensemble de la vie morale. - S. Jean Chrysostôme avoue qu’il était vivement effrayé, toutes les fois qu’il entendait ce verset à cause des terribles menaces qu’il renferme ; mais il contient aussi de magnifiques promesses pour les bons.Matthieu chap. 16 verset 28. - En vérité, je vous le dis, il y en a quelques-uns de ceux qui sont ici présents, qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant en son règne.
- Passage bien difficile, si l’on en juge par la divergence qui règne parmi les exégètes. Deux points nous paraissent toutefois hors de conteste. Le premier, c’est qu’il s’agit ici d’un jugement solennel qui sera porté par le Fils de l’Homme ; cela ressort clairement des derniers mots du verset. Le second, c’est que ce jugement diffère des grandes assises qui auront lieu à la fin du monde, puisque plusieurs des auditeurs actuels de Jésus doivent en être témoins. Ces deux principes nous aideront à apprécier les interprétations discordantes des commentateurs. - En vérité. Notre-Seigneur Jésus-Christ vient d’annoncer son avènement futur en qualité de Juge souverain des vivants et des morts. Il confirme cette nouvelle par sa formule accoutumée de serment, ajoutant que le Fils de l’homme apparaîtrait plus tôt que son auditoire ne le pensait peut-être. - Quelques-uns de ceux. Ces mots doivent être pris à la lettre ; ils désignent plusieurs de ceux qui entouraient alors le divin Maître et nous avons vu (note du v. 24) que l’assistance était formée en partie par les Apôtres, en partie par la foule. - Ne goûteront pas la mort. " Goûter la mort ", cela signifie simplement " mourir ". C’est une figure fréquemment employée par les Syriens, les Arabes et dans le langage rabbinique, Cf. Buxtorf, Lexic. talm. p. 895) : la mort y est présentée sous la forme d’un breuvage amer dans lequel chacun doit tremper ses lèvres. - Avant d'avoir vu. Cela encore doit se prendre à la lettre : avant de mourir, quelques-unes des personnes qui recueillaient alors avidement les paroles de Jésus-Christ devaient être témoins oculaires du grave événement auquel il faisait allusion. Mais quel est cet événement ? C’est ce qui nous reste maintenant à déterminer. S. Matthieu le décrit d’une manière plus complète que les deux autres synoptiques : S. Luc, en effet, se contente de l’appeler " le règne de Dieu ", 9, 29 ; S. Marc, 8, 39, est un peu plus explicite, car il dit que ce sera " le royaume de Dieu venant avec force ". Le premier Évangéliste affirme que le Fils de l’Homme viendra lui-même : Le Fils de l'homme venant en son règne. L'ablatif, qui existe dans le texte grec tout aussi bien que dans la Vulgate et qui a un cachet assez extraordinaire, a été certainement employé à dessein au lieu de l’accusatif. Il signifie que, lors de la manifestation prédite en ce moment, Jésus-Christ ne viendra pas " dans son royaume " d’une manière proprement dite, comme à la fin des temps, mais " avec son royaume ", c’est-à-dire avec une puissance royale, dont les effets feront dire à tous ceux qui les contempleront : Voilà l’œuvre du Roi-Messie ! Par conséquent, nous ne croyons pas qu’il faille entendre ce passage d’une apparition personnelle de Jésus, quelle qu’elle soit. Nous l’appliquerons, avec la plupart des exégètes modernes, à un avènement mystique du Sauveur, à un jugement historique opéré visiblement par lui, mais sans sa présence extérieure et visible. Or, parmi les actes judiciaires accomplis par Notre-Seigneur, nul ne nous paraît mieux convenir que le grand et terrible fait de la ruine du peuple juif et de Jérusalem, sa capitale. Jésus s’y manifesta comme un juge sévère, inaugurant ainsi la série des décrets redoutables lancés depuis sa Résurrection jusqu’au jugement général et dernier. D’un autre côté, la destruction de Jérusalem n’était séparée que par quarante années environ de la prédiction du Sauveur, de sorte que plusieurs membres de l’auditoire purent facilement en être témoins. Telle est l’opinion de Grotius, de Wettstein, d’Ewald, de Beelen, de Reischl, de Schegg, etc. D’autres auteurs préfèrent rattacher la promesse de Notre-Seigneur à la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, à la diffusion victorieuse de l’Évangile par toute la terre, à la fin du monde, à la Résurrection de Jésus lui-même, ou encore à sa Transfiguration, (nous devons dire que ce dernier sentiment a été communément adopté par les Pères et par les exégètes du moyen-âge) : mais il est aisé de voir que ces interprétations diverses viennent toutes se heurter contre l’une ou l’autre des deux règles que nous avons fixées plus haut, d’après les expressions mêmes du Sauveur. Dans plusieurs d’entre elles il n’est nullement question d’une manifestation de Jésus-Christ en tant que Juge ; d’autres ne sauraient s’accorder avec les mots " quelques-uns de ceux qui sont ici présents ne goûteront pas la mort ". Quant à la dernière, malgré la grave autorité de ses anciens défenseurs, nous nous permettrons de faire observer qu’elle prêterait à Notre-Seigneur une singulière assertion. Qu’aurait-il promis aux auditeurs assez nombreux dont il était alors entouré ? Que plusieurs d’entre eux ne mourraient pas dans le courant de la semaine suivante et qu’il leur serait donné de contempler un de ses glorieux mystères. Il nous semble difficile que Jésus ait pu s’exprimer ainsi à propos d’un événement si prochain.ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 17
La Transfiguration de Notre-Seigneur Jésus-Christ (vv. 1-8). - Jésus défend aux témoins de ce mystère d'en parler avant sa Résurrection (v. 9). - La vérité sur l'avènement d'Élie (vv. 10-13). - Le Sauveur guérit un lunatique possédé du démon (vv. 14-17). - Puissance de la foi (vv. 18-20). - Seconde annonce de la Passion (vv. 21-22). - Le didrachme miraculeusement obtenu pour l'impôt du temple (vv. 23-26)
1
Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les conduisit à l’écart sur une haute montagne. 2Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. 3Et voici que Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui. 4Alors Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il nous est bon d’être ici ; si vous le voulez, faisons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et une pour Élie. 5Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les couvrit ; et voici qu’une voix sortit de la nuée, disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le. 6Les disciples, l’entendant, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis d’une grande crainte. 7Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et leur dit : Levez-vous, et ne craignez pas. 8Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul.Matthieu chap. 17 verset 2. - Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige.
- Après les détails préliminaires contenus dans le premier verset, nous arrivons au fait même de la Transfiguration, qui commença, rapporte S. Luc, 9, 29, immédiatement après une nouvelle et mystérieuse prière de Jésus. Le phénomène est d’abord exprimé par un seul mot, transfiguré de la Vulgate, puis décrit à l’aide de quelques circonstances particulières. Le verbe métamorphoser s’emploie surtout pour désigner un changement extérieur du visage. S. Luc l’explique par une périphrase : " l’aspect de son visage devint tout autre ". C’est en effet sur la physionomie, qui est la partie la plus mobile et la plus intelligente du corps humain, que se manifestent tout d’abord les transfigurations, de quelque nature qu’elles soient. On sait que la joie, un mouvement de vive affection, la sainteté, les communications intimes avec Dieu, illuminent et transforment le visage, faisant passer sur lui une beauté, un éclat inaccoutumés. L’on a vu des saints transfigurés de la sorte au lit de mort, à l’oraison, après la sainte communion. Les Prophètes l’étaient parfois quand Dieu leur révélait sa volonté. Moïse, en descendant du Sinaï, avait un visage si resplendissant qu’il était impossible aux Hébreux de fixer les yeux sur lui. Ex. 34, 29. Mais il y a ici quelque chose de plus que le rayonnement d’une âme céleste brillant sur une physionomie humaine ; il y a plus qu’un reflet de la Divinité transformant le visage d’un saint. C’est le Verbe divin lui-même qui dépose momentanément la forme de serviteur, sous laquelle il a consenti à se cacher humblement par amour pour nous, et qui revêt la forme de Fils unique du Père. A ce point de vue, nous dirons avec l’Ange de l’Ecole que la Transfiguration fut beaucoup moins un miracle que la cessation temporaire d’un miracle habituel ; car c’était en vertu d’un prodige réel que le Sauveur voilait et dissimulait l’éclat dont sa nature divine eût sans cesse inondé sa sainte humanité : " quand il le voulait, cela ne se voyait pas, et quand il le voulait, cela se voyait, aussi apparut-il dans sa splendeur ". - Devant eux : c’est sous les regards ravis des trois Apôtres que Jésus fut tout à coup transfiguré. - S.Matthieu note deux traits caractéristiques dont ils furent témoins : 1° Son visage resplendit... : Cette clarté lumineuse, éblouissante (comme le soleil), qui s’échappait du visage de Notre-Seigneur fut produite par un rayonnement intérieur de sa divinité. L’enveloppe mortelle de son corps, qui était d’ordinaire comme un écran chargé d’arrêter sa gloire, fut elle-même pénétrée, envahie, par ses splendeurs. - 2° Ses vêtements... Les vêtements mêmes de Jésus participent à l’éclat merveilleux qui émanait de tous ses membres : son corps brille à travers eux pour ainsi dire. Ils deviennent étincelants non pas comme la neige, comme le dit la Vulgate, mais comme la lumière ainsi que nous lisons dans le texte grec. Telles furent, pour ce qui concerne la personne sacrée du Sauveur, les principales circonstances de la Transfiguration. Elles nous montrent, dans ce mystère, un vrai prélude de la Résurrection, de l’Ascension, de la gloire éternelle du ciel. L’Évangéliste va passer maintenant aux circonstances plus extérieures du prodige, vv. 3-5.Matthieu chap. 17 verset 3. - Et voici que Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui.
- Et voici... Trois fois de suite, Cf. v. 5, l’interjection " Voici " introduira des particularités surprenantes d’un fait où tout est merveilleux. Ici, nous voyons apparaître de nouveaux témoins de la Transfiguration, témoins mystérieux, envoyés par le Père céleste, de même que Pierre, Jacques et Jean avaient été amenés par Jésus. - Apparurent. S. Jérôme a lu " apparut ", de même que plusieurs manuscrits latins : le verbe est en effet au singulier dans le texte grec. Ce fut une apparition réelle, objective, non pas une simple vision des Apôtres, comme le prétendent plusieurs interprètes à la suite de Tertullien. " Il était conforme à la raison que, puisque le Christ se montrait dans une gloire non feinte ni imitée, mais véritable et nette, les témoins ne devaient pas être faux ou emportés par l'imagination, mais véridiques ", Maldonat. Cf. S. Luc. 9, 30 et s. ; 2 Petr. 1, 16-18. - Moïse et Élie. Ainsi que les Pères l’ont fréquemment attesté, Moïse et Élie venaient, comme les deux principaux représentants de l’ancienne Alliance, rendre hommage au fondateur de la nouvelle : Moïse au nom de la Loi, Élie au nom des Prophètes ; Moïse qui avait été le médiateur de la théocratie juive, Élie qui avait contribué plus que tout autre à sa restauration et à son rétablissement durant des jours mauvais. " L'Évangile est appuyé sur le témoignage de la loi et des prophètes. Voilà pourquoi, lorsque le Seigneur voulut montrer sa gloire sur la montagne, il était debout entre Moïse et Élie. Au milieu d'eux il recevait tous les honneurs ; à ses côtés la loi et les prophètes lui rendaient témoignage ", S. Aug. Sermon 252. Ainsi donc, suivant une pensée très juste de M. de Pressensé, " tandis que le faux Judaïsme repousse le Messie, le véritable, dans ses plus authentiques représentants, le reconnaît et l’adore. L’ancienne Alliance et la Nouvelle se rejoignent sur le mont glorieux comme la justice et l’amour s’uniront bientôt sur une autre colline qui est déjà à l’horizon de Jésus ", Jésus-Christ, son temps, etc. p. 483. - Mais, s’est-on demandé, comment les trois Apôtres surent-ils que c’étaient Moïse et Élie qui s’entretenaient alors avec Jésus ? Ils le connurent ou par quelque signe extérieur qui les caractérisait, ou par l’objet même de l’entretien dont ils entendirent des fragments, ou par une communication subséquente de Jésus, ou, ce qui est plus probable, par une révélation immédiate :dit fort bien Sédulius, Carm. Pasch. 286. - Les anciens exégètes se sont vivement inquiétés du mode d’apparition de Moïse, pour lequel il existait en effet une difficulté spéciale, puisqu’il ne lui a pas été donné, comme à Élie, de vivre en chair et en os jusqu’à ce jour. Mais c’est là une question plus curieuse qu’utile, à laquelle il suffit de répondre par le mot de S. Thomas : " Moïse fut là en âme seulement. Mais de quelle manière fut-il vu ? Il faut dire : comme les Anges sont vus ". - S'entretenant avec lui. S. Luc nous fera connaître dans sa généralité le sujet de cette conversation mystique : " Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem ", Luc. 9, 31. C’est de la Passion que l’on parle en un tel moment ! A l’acte même de la glorification passagère du Sauveur s’unit l’indication détaillée des nombreuses souffrances par lesquelles il doit mériter pour sa sainte humanité une gloire sans interruption et sans fin.
Matthieu chap. 17 verset 4. - Alors Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il nous est bon d’être ici ; si vous le voulez, faisons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et une pour Élie.
- Pierre, prenant la parole. Sur cet emploi particulier du verbe " prendre la parole ", comparer 11, 25 et l’explication. - D’après le troisième Évangile, 9, 33, c’est au moment où les augustes interlocuteurs de Jésus commençaient à se retirer, que S. Pierre, enivré de délices et sachant à peine ce qu’il disait, Cf. Marc, 9, 5 ; Luc. l. c., s’écria tout à coup en s’adressant au divin Maître : Il nous est bon d'être ici (en grec, beau et bon tout à la fois). Les mots " nous " et " ici " sont emphatiques. Nous tous, tant que nous sommes, y compris Moïse et Élie que l’Apôtre songeait précisément à retenir. Restons ici : notre séjour en ce lieu est trop plein de suavité pour que nous songions si promptement à le quitter. S. Pierre exprime son bonheur en termes simples et naïfs. S. Jean Chrysostôme, Théophylacte et Euthymius lui prêtent, mais à tort, une pensée lâche et imparfaite : " Comme il craignait ce qu’il avait entendu dire, il n’y avait pas longtemps, savoir que Jésus-Christ devait aller à Jérusalem pour y souffrir... Il crut que ce lieu était sûr et qu’il valait mieux y demeurer ", S. Jean Chrys. Hom. 56 in Matth. - Dans l’espoir de mieux faire accepter sa proposition, Pierre ajoute plus naïvement encore qu’il est tout prêt à construire avec ses deux amis trois tentes où Jésus, Moïse et Élie pourront commodément s’installer. - Si vous le voulez. Tournure délicate : il ne fera rien sans la permission expresse de son Maître. - Trois tentes : il pensait à des cabanes de feuillage, semblables à celles qui servaient aux Juifs de demeures transitoires pendant la fête des Tabernacles. Pour un séjour prolongé, tel qu’il le souhaitait, des habitations étaient nécessaires au sommet de la saint Montagne : il s’offre résolument pour en construire aussitôt. - Une pour vous... Dans cette énumération faite selon l’ordre de la dignité, Pierre s’oublie totalement lui-même ainsi que ses deux compagnons. C’est qu’il s’envisage et qu’il les envisage avec lui comme des serviteurs de l’auguste assemblée. Pour eux, un abri n’est pas nécessaire : qu’on les laisse seulement où ils sont, ils ne demandent rien de plus. Les choses célestes et les choses terrestres étaient pour le moment toutes confondues dans son esprit par suite du bonheur qu’il éprouvait. Il oublie qu’un pareil moment ne saurait durer, être fixé sur la terre.Matthieu chap. 17 verset 5. - Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les couvrit ; et voici qu’une voix sortit de la nuée, disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le.
- Cependant la scène change tout à coup et nous voyons éclater de nouveaux prodiges. - Voici qu'une nuée... C’est la tente divine, au lieu des tentes fabriquées de main d’homme que proposait S. Pierre. Dans l’Ancien Testament, les théophanies, ou manifestations de Jéhova, étaient toujours accompagnées d’une nuée, Dieu dissimulant sa gloire sous cette enveloppe mystérieuse, parce que des yeux mortels n’en auraient pu supporter l’éclat, Cf. Ex. 16, 10 ; 40, 32 et ss. ; Num. 11, 25, etc. ; delà ces mots bien connus du Psalmiste : " des nuées, tu te fais un char, tu t'avances sur les ailes du vent ", Ps. 103, 3. La nuée lumineuse qui apparaît soudain est donc un symbole de la présence divine, de la Schechina, pour employer le langage consacré des Rabbins. - Les couvrit. Eux, c’est-à-dire les trois principaux personnages que S. Pierre vient de nommer, Jésus, Moïse et Élie. Le pronom ne se rapporte ni aux seuls disciples, ni à toute l’assistance, comme il ressort très clairement du récit de S. Luc, 9, 34. Quoique brillante, la nuée qui descendait du ciel enveloppa le Sauveur et ses deux visiteurs à la façon d’un voile : ils disparurent dans ce sanctuaire dont les trois Apôtres demeuraient exclus. - Ce prodige avait à peine eu lieu, qu’un nouveau miracle était produit : - Et voici qu'une voix. C’était la voix du Père céleste, comme l’indique le nom de Fils qu’elle donne à Jésus. Elle a salué le Messie au moment de son baptême, Cf. 3, 17 ; elle le saluera plus tard encore à la veille de sa Passion, Cf. Joan. 12, 28, elle le salue aujourd’hui pour le proclamer Législateur de la nouvelle Alliance. - Disant. Les paroles qu’elle prononce diffèrent à peine de celles qu’elle avait fait entendre autrefois sur les bords du Jourdain, " Celui-ci est mon Fils ", dit-elle d’abord. Ces mots sont presque littéralement empruntés au second Psaume, v. 7. Les suivants : " bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances ", sont tirés d’Isaïe, 42, 1. Les derniers enfin, écoutez-le, obéissez-lui, ne sont que la reproduction pure et simple de la recommandation adressée au Hébreux par Moïse relativement au Messie, Deut. 18, 15 ; de sorte que Dieu le Père réunit ici trois prophéties messianiques pour les appliquer lui-même à Jésus. Voilà donc la confession de S. Pierre, 16, 16, confirmée directement par le ciel !Matthieu chap. 17 verset 6. - Les disciples, l’entendant, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis d’une grande crainte.
- Les disciples, l'entendant... " car la fragilité humaine ne peut supporter la vue d'une gloire bien au-dessus d'elle ; l'épouvante s'empare de tout son être, et elle tombe la face contre terre ", S. Jérôme in h.l. Ce n’est point pour adorer la majesté divine qu’ils se jettent à terre, leur attitude est celle de l’effroi ; Cf. Gen. 17, 3 ; Jud. 13, 20 ; Ezech. 1, 28 ; 3, 23 ; Dan. 8, 17 ; 10, 9, etc. Prosternés, ils couvrent leurs visages de leurs mains, sans oser regarder ce qui se passe alentour ; car c’était une persuasion des Juifs qu’on ne saurait voir Dieu sans mourir.Matthieu chap. 17 verset 7. - Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et leur dit : Levez-vous, et ne craignez pas.
- Jésus, s'approchant. Cependant le miracle de la Transfiguration est terminé : mais les Apôtres, qui l’ignorent, demeurent la face contre terre, et il faut que le bon Maître s’approche d’eux pour les avertir. - Les toucha : il les touche doucement pour leur monter qu’il est lui-même auprès d’eux et qu’ils n’ont rien à redouter, Cf. Os. 6, 5-7 ; Dan. 10, 9-10 ; Apoc. 1, 17 ; puis il leur adresse quelques paroles aimables, afin de les rassurer de la voix en même temps que du geste.Matthieu chap. 17 verset 8. - Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul.
- Levant les yeux... Détail pittoresque, tout à fait naturel. Les Apôtres étaient tellement effrayés de ce qu’ils avaient vu et entendu, qu’ils se bornèrent d’abord à lever timidement la tête pour regarder autour d’eux. - Mais ils n’aperçurent que Jésus : la nuée céleste avait disparu, Moïse et Élie s’étaient retirés : le Christ seul était là sous ses traits habituels, sous la forme de serviteur, semblable à un homme ordinaire. - Tel fut, dans ses principaux détails le grand mystère de la Transfiguration. Il resta gravé d’une manière ineffaçable dans l’esprit des trois Apôtres qui en avaient été témoins. S. Jean y fait évidemment allusion lorsqu'il s'écrie, dans le Prologue de son Évangile, 1, 14 : " nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique ". S. Pierre le raconte tout au long dans sa seconde Épître, 1, 16-18 : " Ce n’est point en suivant des fables ingénieuses que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été les témoins de sa grandeur. Car il reçut de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque cette voix descendit sur lui d’une gloire magnifique : C’est ici mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu ; écoutez-le. Et nous avons entendu cette voix venue du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne ". Ce récit du prince des Apôtres, rapproché de la narration évangélique, démontre jusqu’à l’évidence le caractère réel et littéral du glorieux phénomène de la Transfiguration. Et pourtant, il n’est sorte d’interprétations ridicules qu’il n’ait reçues de nos jours dans le camp rationaliste. On a vu dans la Transfiguration de Notre-Seigneur tantôt un rêve pur et simple (Kuinœl, Neander), tantôt un rêve accompagné d’orage (Gabler), tantôt un jeu de lumière atmosphérique, c’est-à-dire un mélange extraordinaire d’ombres et de clartés (Paulus, Ammon), tantôt une entrevue de Jésus avec deux disciples inconnus (Venturini, Hase), tantôt un mythe (Strauss, Schulz), tantôt une allégorie (Weisse, B. Bauer), etc. D’autre-part, sans aller aussi loin du côté négatif, plusieurs auteurs anciens et modernes, par exemple Tertullien, adv. Marc. 4, 22, Heder et Gratz, ont prétendu que la Transfiguration a été un fait purement subjectif, une vision et rien de plus, bien que cette vision fût quelque chose de surnaturel. D’autres l’ont regardée comme un événement en partie subjectif, - l’apparition de Moïse et d’Élie, - en partie objectif - la transfiguration proprement dite (Meyer, etc.). Pour la réfutation de ces systèmes, nous renvoyons le lecteur à la polémique rationaliste de M. l’abbé Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, t. 3, p. 94 et ss. C’est une tâche plus agréable de noter quelques-uns des nombreux chefs-d’œuvre de peinture inspirés par cette scène grandiose, en particulier ceux de Bellini, de Pordenone, du Pérugin, de fra Angelico, de Raphaël. Dans la fresque de fra Angelico, les bras du Christ sont tendus en croix et rien n’est plus majestueux que sa pose et que le regard dont il accompagne cette muette allusion au sacrifice sanglant qui approche. M. Charles Blanc, dans son Histoire des peintres, décrit ainsi l’œuvre de Raphaël : " Radieuse figure du Christ, illuminant le Thabor, suspendue en l’air et portée sur l’aile de Dieu ; puis les trois disciples éblouis, terrassés par la lumière qui émane du visage et des vêtements du Fils de l’homme, vision glorieuse qu’Élie et Moïse peuvent seuls contempler... La tête du Christ fut le suprême effort du génie de Raphaël. Après l’avoir achevée, il ne toucha plus les pinceaux et la mort vint le frapper en ce moment ". Cf. Gœthe, Werke, éd. in 24 de Cotta, t. 20, p. 134. - Ajoutons enfin que, suivant la doctrine des Saints Pères, la Transfiguration de Jésus-Christ est un consolant emblème et une garantie vivante de notre future résurrection : " Par sa transfiguration… il fonde l'espérance de l'Église, en faisant découvrir à tout le Corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l'honneur qui avait resplendi dans leur chef ", S. Léon-le-Grand, Serm. 94 sur la transfiguration. " Dans la Transfiguration… est annoncée la gloire ultime de la résurrection ", S. Grégoire-le-Grand, Moral. 32, 6.2° Trois incidents qui se rattachent à la Transfiguration, vv. 9-22.
9
Lorsqu’ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de ce que vous avez vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. 10Ses disciples l’interrogèrent alors, en disant : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? 11Mais Jésus leur répondit : Il est vrai qu’Élie doit venir, et qu’il rétablira toutes choses. 12Mais je vous dis qu’Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas connu, mais ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que le Fils de l’homme doit souffrir par eux. 13Alors les disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parlé.Matthieu chap. 17 verset 9. - Lorsqu’ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de ce que vous avez vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
- Losqu'ils descendaient... L’entretien commença immédiatement après la scène de la Transfiguration, tandis que Jésus et ses disciples descendaient le long des flancs rapides de l’Hermon. Le Sauveur intima d’abord aux trois Apôtres la défense de raconter les faits qu’ils avaient eu le bonheur de contempler. - Jésus leur donna cet ordre : c’était un ordre formel, à l’exécution duquel il tenait vivement. - Ne parlez à personne : le secret devait être absolu ; il n’était pas même permis à ceux auxquels Jésus-Christ l’imposait d’en faire part aux autres membres du collège apostolique. Toutefois, ce secret ne les obligeait pas à perpétuité : la Résurrection du Sauveur y mettrait fin prochainement. - Jusqu'à ce que le Fils de l'homme... S. Luc, bien qu’il ne mentionne pas la défense de Jésus, a soin de nous dire cependant que " les disciples se turent, et ne dirent à personne, en ces jours-là, rien de ce qu’ils avaient vu ", 9, 36 ; S. Marc, 9, 8 et 9, signale tout à la fois l’ordre du Maître et l’obéissance des disciples. Mais quelles raisons pouvaient bien porter Notre-Seigneur à exiger de ses amis ce silence extraordinaire ? Nous les avons indiquées précédemment, lorsque nous avons rencontré des injonctions du même genre ; Cf. surtout 16, 20. Il en est une autre plus particulière que S. Jérôme déduit, dans les termes suivants, du fait même de la Transfiguration : " Il ne veut pas que cet événement soit prêché au peuple, dans la crainte que la grandeur même du prodige ne le rendît incroyable, et que la croix qui devait suivre la manifestation d'une si grande gloire ne fut un scandale pour les esprits grossiers ", Comm. in h.l. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 56 in Matth. En prescrivant le secret, même pour les Apôtres, Jésus se proposait sans doute aussi d’éviter de fâcheuses rivalités dans le cercle de ses meilleurs amis. - Dans le texte latin, le mot visionem doit s’entendre ici d’une manifestation objective, pleine de réalité : il n’est nullement synonyme de vision, comme le montrent les expressions plus claires de S. Marc (9, 9), " ce qu'ils avaient vu ", et de S. Luc (9, 36), " ce qu'ils avaient vu ". Cf. Act. 7, 31 ; 9, 10-12 ; 10, 3 ; 11, 5 ; etc.Matthieu chap. 17 verset 10. - Ses disciples l’interrogèrent alors, en disant : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ?
- Ses disciples l'interrogèrent. Les détails importants qui vont suivre font complètement défaut dans le troisième Évangile : S. Marc les raconte presque dans les mêmes termes que S. Matthieu. - Pourquoi donc... Sur quoi repose ce " donc " ? Quel enchaînement y a-t-il entre les antécédents et la question que les Apôtres adressent à Notre-Seigneur d’une manière si soudaine ? Les exégètes varient beaucoup d’opinion lorsqu’il s’agit d’établir la connexion logique des idées dans ce passage. Plusieurs rattachent l’objection des disciples à la défense que Jésus venait de leur intimer. Vous ne nous permettez pas de parler de ces choses : serait-ce parce que les Scribes nous trompent quand ils annoncent le futur avènement d’Élie ? D’autres attribuent la réflexion des Apôtres à l’étonnement où ils étaient de voir que le prophète Élie n’avait fait son apparition qu’après Jésus, bien qu’il dût être le précurseur du Christ, selon l’enseignement des Docteurs. Cf. S. Jean Chrys. Hom. 56 in Matth ; Euthymius, etc. Suivant un troisième sentiment qui semble plus naturel, c’est le brusque départ d’Élie qui inquiétait les Apôtres. Pourquoi, pensaient-ils, nous dit-on qu’Élie viendra et rétablira toutes choses, puisque, après une si courte apparition, il a aussitôt disparu sans rien faire ? - Etc. - Quoi qu’il en soit de l’enchaînement particulier, la liaison générale est claire : " ceux qui pensaient que l'avènement du Christ (c'est-à-dire sa prise de possession en tant que roi messianique) était imminent, et qui ne voyaient pas venir Élie, s’interrogeaient ", Maldonat in h. l. - Il faut qu'Élie vienne auparavant. Les mots essentiels sont " il faut " et " auparavant " : le prophète viendrait nécessairement et son avènement précéderait celui du Christ. La question mystérieuse du retour d’Élie sur la terre intéressait vivement les Juifs : il n’est donc pas surprenant qu’elle fît partie de l’enseignement des Scribes, et que les Apôtres eussent si bien retenu ce qu’on leur avait appris à ce sujet. Les écrits talmudiques en sont remplis : ils cherchent de toutes manières à fixer l’époque précise de l’apparition du Prophète. Mais ils n’ont réussi à déterminer qu’un point, regardé comme certain par les Rabbins, savoir qu’Élie ne fera pas son apparition en un jour de sabbat. Les Juifs modernes ne s’occupent pas moins d’Élie que leurs ancêtres, car ils ont la ferme confiance que ce saint personnage s’occupe d’eux à toute heure, et qu’il assiste, quoique invisible, à leurs cérémonies religieuses et à leurs fêtes de famille. Cf. Coypel, Le Judaïsme, p. 102, 229 ; Stauben, Scènes de la vie juive en Alsace, p. 96.Matthieu chap. 17 verset 11. - Mais Jésus leur répondit : Il est vrai qu’Élie doit venir, et qu’il rétablira toutes choses.
- Jésus leur répondit. Réponse précieuse qui jette une vive lumière sur une question jusqu’alors très confuse. - Élie doit venir : en grec, au présent, mais avec le sens du futur. Donc Élie viendra, il viendra un jour en personne : les Docteurs de la Loi n’ont pas tort quand ils annoncent cet événement. Et, quand il sera venu, il rétablira toutes choses, il opérera, spécialement dans son peuple, une restauration morale universelle, selon la parole du Seigneur qui termine le livres des prophéties de l’Ancien Testament : " Voici, je vous enverrai Elie, le prophète, avant que le jour de l'Éternel arrive, ce jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d'interdit ", Malach. 4, 5, 6. S. Mais à quelle époque Élie viendra-t-il, puisque Jésus-Christ affirme catégoriquement qu’il doit venir ? A la fin du monde, avant le second avènement du Christ, comme l’enseignent unanimement les Pères et les Docteurs catholiques. Les protestants se refusent pour la plupart à admettre cette interprétation, disant que le v. 12 corrige le v. 11 et montre " qu’Élie est déjà venu ". Mais nous leur répondrons avec un des leurs, homme de talent et de bonne foi : " Quiconque, dans cette réponse du Christ, voudrait enlever la confirmation manifeste et frappante de ce fait qu’un avènement d’Élie est encore à réaliser, doit faire une grande violence aux paroles ", Stier, Reden des Herrn Jesu in h. l. Nier l’avènement futur et personnel d’Élie c’est, dit Bellarmin, une hérésie, ou une erreur qui approche de l’hérésie. De Rom. Pontif. l. 3, c. 6.Matthieu chap. 17 verset 12. - Mais je vous dis qu’Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas connu, mais ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que le Fils de l’homme doit souffrir par eux.
- Mais je vous dis. Exact sur un point, l’enseignement des Scribes relativement à Élie était incomplet, inexact, sur un autre. Dans la prophétie de Malachie, ils n’avaient pas su, ou du moins ils n’avaient pas pu distinguer deux sens distincts, qui concernaient le double avènement du Christ, et le double avènement corrélatif de son Précurseur. Élie doit venir, telle est la signification littérale de la prédiction, d’après le v. 13. Et pourtant, indépendamment de ce sens littéral, il en est un autre non moins vrai, mais seulement typique, suivant lequel la prophétie a déjà reçu une première réalisation. En effet, Élie est déjà venu, le type, l’image fidèle d’Élie a déjà paru au milieu du monde juif, et ce type, cette image, c’est Jean-Baptiste, dont il avait été prédit dès avant sa naissance qu’il précéderait le Christ dans la force et dans l’esprit d’Élie. Cf. Luc. 1, 17. Ainsi donc, " il ne faut pas s’étonner si, après avoir dit " qu’Élie est déjà venu ", il dit néanmoins qu’il doit venir encore pour rétablir toutes choses. L’un et l’autre était véritable. Quand il dit " qu’Élie viendrait pour rétablir tout ", il marque, comme j’ai dit, le véritable Elie et la conversion des Juifs; et lorsqu’il dit " qu’il est déjà venu", il marque saint Jean qu’il appelle Élie, parce qu’il remplissait la mission que remplissait Élie ", S. Jean Chrysost. Hom. 57. - Et ils ne l'ont pas connu. Du Précurseur, comme du Christ, il est écrit que " les siens ne l’ont point reçu ". Malgré la grande affluence de peuple que nous avons vue autour de lui, 3, 5, la majorité des Juifs était demeurée insensible à sa prédication ; surtout elle n’avait pas reconnu son vrai rôle, elle n’avait pas sur voir en lui le Précurseur du Messie ; Cf. 11, 18. - Mais il lui ont fait... Allusion au long emprisonnement et à la mort de Jean-Baptiste : tout ce qu’ils ont voulu, c’est-à-dire tout ce que souhaitaient leurs passions mauvaises, ils l’ont accompli en lui. Sans doute, cette accusation ne retombe pas directement sur le peuple juif tout entier, puisque c’était Hérode avec sa cour corrompue qui avait fait mourir le Précurseur ; mais, si l’on avait reconnu sa dignité, on aurait su le défendre contre le tyran. - Dans le texte latin, l’expression " facere in aliquo " est un hébraïsme. - C'est ainsi que le Fils de l'homme. Les mauvais traitements infligés à Jean-Baptiste rappellent à Jésus-Christ ceux qu’il endurera bientôt à son tour de la part des Juifs, et il associe de nouveau à la Transfiguration le souvenir de ses souffrances prochaines.Matthieu chap. 17 verset 13. - Alors les disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parlé.
- Alors les disciples comprirent... Cette fois, contre leur habitude, ils ont immédiatement compris les paroles de leur Maître. Ils voient que, dans leur dernière partie, elles désignent le Précurseur, et ils savent maintenant comment concilier la disparition d’Élie avec le caractère messianique de Jésus. - Du reste, Notre-Seigneur avait dit un jour publiquement au Juifs, mais probablement en l’absence des Douze, que S. Jean était " le prophète Élie qui doit venir ", Matthieu, 11, 14 : voir l’explication.
14
Lorsqu’il fut venu vers la foule, un homme s’approcha de lui, et se mit à genoux devant lui, et lui dit : Seigneur, ayez pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre beaucoup ; car il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l’eau. 15Je l’ai présenté à vos disciples, et ils n’ont pu le guérir. 16Jésus répondit : O génération incrédule et perverse, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous souffrirai-je ? Amenez-le-moi ici. 17Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant, qui fut guéri à l’heure même. 18Alors les disciples s’approchèrent de Jésus en particulier, et lui dirent : Pourquoi n’avons-nous pas pu le chasser ? 19Jésus leur dit : à cause de votre incrédulité. Car en vérité, je vous le dis, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici à là, et elle s’y transporterait ; et rien ne vous serait impossible. 20Mais cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et le jeûne.Matthieu chap. 17 verset 14. - Lorsqu’il fut venu vers la foule, un homme s’approcha de lui, et se mit à genoux devant lui, et lui dit : Seigneur, ayez pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre beaucoup ; car il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l’eau.
- Lorsqu'il fut venu... Quel contraste ! De la montagne de la Transfiguration, où le ciel s’était en quelque sorte confondu avec la terre, Jésus descend dans la vallée des larmes, pour y contempler le spectacle des plus terribles conséquences du péché. " Ici se déroule une scène très différente de celle qu'attendait Pierre, v. 4. Pendant que Moïse était sur la montagne, le peuple se corrompit, Ex. 32, 7. Pendant que Jésus était sur la montagne, une affaire au sein du peuple n'avait pas été bien gérée ", Bengel, Gnomon in h. l. On sait le parti que le génie de Raphaël a su tirer de ce contraste dans son tableau de la Transfiguration que nous signalions précédemment. Tandis que la partie supérieure de la fresque est consacrée au mystère de la glorification de Jésus, on voit au bas, au milieu des Apôtres impuissants et de la foule incrédule, le jeune possédé qui s’agite violemment et dont les traits contractés, livides, font ressortir davantage la physionomie de Jésus. - Un homme s'approcha... Dès qu’il aperçoit le Sauveur, ce malheureux père se détache de la foule et se précipite au-devant de lui ; puis, tombant à genoux, il lui adresse la prière motivée que nous ont conservée les trois premiers Évangiles. C’est d’abord un cri de pitié : Ayez pitié de mon fils, poussé avec d’autant plus de douleur et d’énergie que le suppliant n’avait pas d’autre fils, Cf. Luc. 9, 38. C’est ensuite la description émue des souffrances qu’endure ce pauvre enfant, et des dangers qu’il court, qui est lunatique. Nous avons dit, en expliquant le v. 24 du chap. 4, que cette expression était une désignation populaire de certaines maladies sur lesquelles la lune, dans ses différentes phases, était censée avoir, ou avait en réalité quelque influence. Au trouble des organes s’était joint, d’après le contexte, un autre mal encore plus affreux, puisque cet infortuné jeune homme était possédé du démon. - Et qui souffre beaucoup : les détails pathologiques plus complets du second et du troisième évangéliste nous montrent combien étaient affreuses les souffrances endurées par ce démoniaque. Son état, tel qu’ils le décrivent, présente de très grands rapports de ressemblance avec l’épilepsie. - Souvent il tombe... Ces mots indiquent le caractère subit et dangereux des crises : elles avaient lieu dans des circonstances telles que le malade risquait d’y trouver à chaque instant une mort horrible. Le médecin Caelius Aurelianus, dans son traité des maladies chroniques, 1, 4, dépeint presque dans les mêmes termes la situation précaire de quelques-uns de ses patients atteints du haut mal : " se souillant en tombant dans des lieux publics, soumis à des dangers extérieurs, faisant des chutes, tombant dans des fleuves ou dans la mer ".Matthieu chap. 17 verset 15. - Je l’ai présenté à vos disciples, et ils n’ont pu le guérir.
- Je l'ai présenté. Il était venu la veille, pendant la courte absence de Jésus, Cf. Luc. 9, 37 ; n’ayant trouvé que les Apôtres, ils les avait priés de guérir son fils. Ceux-ci s’étaient mis aussitôt à l’œuvre pour chasser le démon ; mais en vain, car il avait résisté victorieusement à tous leurs exorcismes.Matthieu chap. 17 verset 16. - Jésus répondit : O génération incrédule et perverse, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous souffrirai-je ? Amenez-le-moi ici.
- Jésus répondit. Cette nouvelle remplit le divin Maître d’une sainte tristesse et d’une sainte indignation auxquelles il donna immédiatement libre cours. - O génération incrédule... Autant la signification de ce reproche est claire, autant il est difficile de déterminer la partie de l’assistance sur laquelle il retombe. Suivant Origène, il serait adressé directement aux disciples et à eux seuls ; au contraire, d’après la plupart des anciens commentateurs, Cf. Maldonat in h. l., il n’était appliqué qu’au reste de l’assemblée, à l’exclusion des Apôtres. Il nous paraît plus juste de dire avec Olshausen, Stier et plusieurs autres, qu’il concerne tout à la fois le père du démoniaque, la foule et les disciples. En effet, si le mot " génération " est trop vaste pour ne désigner que les Apôtres, l’entretien particulier que ceux-ci auront bientôt avec Jésus, Cf. vv. 18 et 19, prouvera suffisamment qu’ils méritaient eux aussi, jusqu’à un certain point, l’épithète d’incrédules. Mais, d’autre part, ce furent avant tout les sentiments imparfaits des assistants qui contribuèrent à prêter main forte au démon et à lui donner la victoire sur les neuf disciples. De même que Jésus n’avait pu opérer de nombreux prodiges à Nazareth, à cause de l’incrédulité de ses concitoyens, Cf. 13, 58, de même ses Apôtres étaient restés impuissants dans la circonstance présente, parce que ceux qui les entouraient n’avaient pas une foi suffisante, digne d’un miracle. - La seconde épithète, perverse, désigne un bouleversement moral, un triste désordre de l’âme ; Cf. Deut. 32, 5. - Jusqu'à quand... Ces paroles semblent si dures, elles sont de prime abord si extraordinaires sur les lèvres de Notre-Seigneur que S. Jérôme croit devoir en adoucir l'effet en disant, du reste avec beaucoup de délicatesse et de vérité : " Non pas que nous devions en conclure qu'il était lassé d'eux, et que sa gentillesse et sa douceur finirent par éclater en paroles de colère ; mais qu'il était semblable à un médecin voyant son malade agir contre ses prescriptions, et qui dirait : Combien de temps devrai-je vous visiter dans votre chambre ? Combien de temps gâcherez-vous mon travail, car je vous prescris une chose et vous en faites une autre ? ", Comm. in h. l. Douloureusement ému, le Sauveur voudrait que sa tâche fût enfin achevée, et qu’il pût jouir au ciel de la paix et du repos, après tant d’ennuis que lui causent ceux qu’il est venu sauver. - Amenez-le. Son mécontentement n’est pas un obstacle à sa bonté et il se dispose à guérir le jeune malade, qu’il commande de lui amener. - Moi ici est emphatique, à moi, puisque vous avez été si faibles. Le général va réparer la défaite de ses officiers inférieurs.Matthieu chap. 17 verset 17. - Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant, qui fut guéri à l’heure même.
- Et Jésus le menaça... La Vulgate a traduit par le masculin et appliqué à l’enfant le pronom dont le genre est douteux dans le texte grec. Nous préférerions le neutre, les réprimandes divines de Jésus s’adressant plutôt au démon qu’au possédé. Les récits de S. Marc et de S. Luc décrivent la scène terrible qui se produisit alors, et les violences que l’esprit mauvais fit subir à sa victime avant de la quitter pour toujours. Néanmoins, le démon fut bien forcé d’obéir, " et l’enfant fut guéri à l'heure même ".Matthieu chap. 17 verset 18. - Alors les disciples s’approchèrent de Jésus en particulier, et lui dirent : Pourquoi n’avons-nous pas pu le chasser ?
- Ce verset et les deux suivants contiennent la relation d’une intéressante conversation qui eut lieu presque aussitôt après le miracle entre Jésus et ses Apôtres, touchant l’impuissance de ces derniers. - En particulier. Le Maître et les disciples sont actuellement seuls ; la foule s’est dispersée, et ils ont pu se retirer dans une maison voisine. Cf. Marc. 9, 27. L’entretien est ouvert par les Apôtres eux-mêmes qui interrogent naïvement et familièrement le Sauveur, suivant leur habitude. - Pourquoi n'avons-nous pas pu ? Ils n’ont pas bien compris le sens du reproche adressé par Jésus à la génération incrédule et perverse ; il ne leur est pas venu à la pensée qu’il pouvait bien les concerner aussi. De plus, comme ils avaient déjà fait usage, et victorieusement, du pouvoir que Jésus-Christ leur avait conféré sur les démons, Cf. Luc. 10, 17, ils se demandent avec une certaine amertume quel a été le motif de leur récent insuccès, et de la pénible humiliation qui en a été la conséquence.Matthieu chap. 17 verset 19. - Jésus leur dit : à cause de votre incrédulité. Car en vérité, je vous le dis, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici à là, et elle s’y transporterait ; et rien ne vous serait impossible.
- Jésus leur dit. Jésus leur dévoile simplement la raison secrète qu’ils désirent connaître, et profite de cette occasion pour leur donner une leçon de la plus haute importance. - A cause de votre incrédulité : telle a été la cause de leur défaite. Eux aussi, ils sont incrédules, non pas sans doute " in stricto sensu ", à la façon des Scribes ou du peuple qu’animent des sentiments pharisaïques, mais du moins d’une manière relative. Ils n’ont pas la foi que Jésus serait en droit d’attendre d’eux après les grâces et les lumières spéciales dont ils ont été comblés. Plusieurs manuscrits grecs portent, " à cause de votre foi limitée ", mais c’est là une correction malheureuse, qui provient manifestement du désir d’enlever à la réprimande du Sauveur quelque chose de sa dureté apparente. - Car en vérité... Après avoir appliqué d’avance le sceau du serment à la promesse qu’il va faire, Jésus-Christ propose à ses disciples l’image de la foi parfaite, dont il développe les effets tout-puissants. - Si vous aviez la foi ; non pas simplement la foi théologale, mais ce que l’on a nommé " fides miraculosa ", cette foi vive, efficace, cette confiance complète en Dieu, qui permettent d’accomplir des prodiges étonnants avec la plus grande facilité. - Comme un grain de sénevé. " Ce grain paraît fort peu de chose, rien de plus méprisable à la vue , mais au goût rien de plus acre. N'est-ce pas l'emblème de la ferveur brûlante et de la vigueur intime de la foi dans l’Église ? ", S. August. Serm 256. Nous croyons qu’ici encore Notre-Seigneur fait plutôt allusion à la petitesse du grain de sénevé qu’à l’âcreté et à la force intrinsèque de la moutarde ; Cf. 13, 31. " Jésus-Christ, pour montrer qu’un peu d’une véritable foi produisait des effets prodigieux, la compare à cette graine ", S. Jean Chrysost. Hom. 57 in Matth. De même qu’il ne faut qu’une étincelle pour allumer un violent incendie, de même, pour réaliser les merveilles dont parle Jésus, il suffit d’un peu de foi réelle et vigoureuse. Assurément, plus on en aura, plus on sera puissant ; mais c’est la qualité qui importe avant tout. - Vous diriez à cette montagne : en prononçant ces mots, le Sauveur indiquait de la main la montagne de la Transfiguration, l’Hermon et sa masse gigantesque. - Transporte-toi d'ici à là : nouveau geste pour montrer l’endroit où la montagne devrait se transporter dans cet étrange déplacement. - Et elle s'y transporterait, docile comme un enfant à la voix de son maître. Et c’est une quantité de foi simplement égale à un grain de sénevé qui changerait de place un montagne énorme ! La plus petite mesure concevable de pouvoir spirituel suffit donc pour réduire à l’obéissance les puissances les plus colossales de ce monde. " Si vous me demandez: Quand donc les Apôtres ont-ils transporté des montagnes? je vous répondrai qu'ils ont opéré des prodiges bien plus grands en ressuscitant plusieurs fois des morts. Mais l'histoire nous apprend qu'après les Apôtres, des saints qui leur étaient inférieurs ont réellement transporté des montagnes dans des nécessités pressantes ", S. Jean Chrysost. l. c. Parmi les Saints de second rang auxquels fait allusion le grand évêque de Constantinople, qu'il suffise de mentionner l'histoire bien connue de S. Grégoire le Thaumaturge ; Cf. Eusèbe, Hist. Eccl. 7, 23. Grotius, dans son commentaire, cite deux autres exemples plus récents : " Je n’irai pas non plus nier… que se soit réalisé ce que l’on dit ici quand, à la prière de Nonon, un bloc de pierre énorme s’est déplacé vers Soracte, selon le martyrologe ; et quand la même chose s’est produite en présence du calife babylonien en 1225 à la demande d’un évêque arménien. Gardons-nous de mépriser ces auteurs. " Voir aussi Corneille de Lapierre, Comm. in h. l. Il faut donc prendre à la lettre cette promesse de Jésus-Christ, que nous lui entendrons répéter dans plusieurs autres circonstances ; Cf. 21, 21 ; Luc. 17, 6. Elle confère aux vrais croyants autre chose que le pouvoir d’accomplir des prodiges dans l’ordre moral. " Que la foi ait opéré des miracles dans le monde extérieur, dit le protestant Stier, et qu’elle en opère encore de temps à autre, il n’y a pour le nier que les fous, qui s’imaginent qu’avec leur incrédulité ils peuvent réussir à mettre de côté tous les faits de l’histoire ", Reden des Herrn Jesu, in h. l. La foi, il est vrai, fait rarement usage de cette puissance que Jésus lui a concédée ; car elle comprend que les occasions où elle doit l’exercer prudemment, d’une manière conforme au plan divin, ne se présentent pas tous les jours : elle n’en use que sous l’influence des inspirations célestes. Le Sauveur n’a point donné par là au premier venu le droit de bouleverser la géographie physique du globe, selon la réflexion pittoresque du P. Curci, Lezioni, 3, p. 275. - Mais il ne permet pas seulement aux hommes doués d’une foi robuste d’être des arracheurs de montagnes comme disaient les Rabbins des orateurs éloquents, Cf. Buxtorf, Lexic. talmud. p. 1653, aussi ajoute-t-il : Et rien ne vous serait impossible : tout ce qui sera conforme à la volonté de Dieu, utile à mon royaume, vous le pourrez. La foi met ainsi entre nos mains l’omnipotence divine.Matthieu chap. 17 verset 20. - Mais cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et le jeûne.
- Mais cette sorte de démon. Tout est possible à la foi, et pourtant il est des œuvres qu’elle accomplit plus difficilement que d’autres : telle est la signification de ce " mais " placé en tête du v. 20. Jésus, revenant directement à la question que lui avaient posée les Apôtres, montre que le contrôle des esprits mauvais est une chose plus malaisée que l’action de transporter les montagnes : il faut donc, pour remplir le rôle d’exorciste, une foi d’une énergie particulière, activée par de grands moyens. Les exégètes se demandent si, par les mots " cette sorte ", Notre-Seigneur a voulu désigner toute la race des démons en général, S. Jean Chrysost., ou seulement la catégorie à laquelle appartenait l’esprit infernal que les Apôtres n’avaient pas été capables d’expulser. Ce second sentiment nous paraît le plus probable ; c’est du reste le plus généralement adopté. - Que par la prière... Évidemment, il s’agit ici de la prière et des jeûnes de l’exorciste, bien que des esprits bizarres aient essayé d’en faire les œuvres du possédé lui-même. Évidemment aussi, cette prière et ce jeûne ne doivent pas être considérés isolément, mais dans leur union avec la foi qui forme le sujet de l’entretien, ou mieux encore, comme moyens d’accroître et d’aviver la foi. Jésus veut dire que, dans certaines circonstances, le Thaumaturge est en présence de démons supérieurs et si puissants qu’une foi commune est insuffisante pour les expulser : les Apôtres venaient précisément de se trouver dans un cas semblable. Quand cela arrive, il faut exciter sa foi pour la mettre à la hauteur du prodige que l’on veut accomplir ; or, la prière et le jeûne produisent sous ce rapport des résultats aussi prompts qu’infaillibles. La prière, qui est au fond un acte de foi, fortifie considérablement cette vertu dans un cœur. Vivre dans la prière, c’est vivre dans la foi ; il en est de même du jeûne. " Le jeûne uni à la foi produit une très grande force ", S. Jean Chrysost. Hom. in l. c. Ces deux moyens réunis sont donc, suivant la belle comparaison du saint Docteur, deux ailes qui nous transportent bien haut dans les régions de la foi. " Celui donc qui sait unir la prière au jeûne a, pour ainsi dire deux ailes plus rapides que les vents; il ne se laisse atteindre dans la prière ni par l'ennui, ni par la tiédeur, défauts si communs dans un grand nombre; mais il est plus ardent que le feu et plus élevé que la terre, et un tel homme est par dessus tout redoutable au démon ", ibid.
21
Pendant qu’ils se trouvaient en Galilée, Jésus leur dit : Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes, 22et ils le feront mourir, et le troisième jour il ressuscitera. Et ils furent vivement attristés.Matthieu chap. 17 versets 21 et 22.
- Pendant qu'ils se trouvaient. Le grec dit : tandis qu’ils retournaient en Galilée. Jésus et les siens avaient quitté cette province pour aller dans la Gaulanite, Cf. 16, 4, 5, 13 ; ils y rentrent maintenant après une absence qui paraît avoir duré quelques semaines. Ils franchirent probablement le Jourdain en face de Césarée et traversèrent toute la Haute-Galilée pour descendre à Capharnaüm, v. 23. Ce voyage fut mystérieux et secret, comme nous l’apprend S. Marc, 9, 29. - Jésus leur dit. Chemin faisant, le Sauveur réitère à ses disciples la triste nouvelle qu’il leur avait déjà communiquée peu de jours avant sa Transfiguration : Le Fils de l'homme doit être livré... Plus l’heure de la Passion approche, plus il faut que les Apôtres s’habituent au cri terrible " Crucifie le " qu’ils entendront bientôt retentir. Or, nous l’avons vu, l’ère de la Passion a été en quelque sorte inaugurée sur la montagne de la Transfiguration : voilà pourquoi Jésus insiste avec force sur la nécessité de ses souffrances, afin de préparer ses disciples et de les fortifier contre l’épreuve. - Doit être livré, : c’est une nécessité ; le décret divin a été lancé et il faut qu’il s’exécute. - Entre les mains des hommes. Les mains des hommes sont de méchantes mains, David le savait par expérience, Cf. Par. 22, 13 ; aussi, le Fils de l’homme recevra-t-il d’elles les plus mauvais traitements, qu’il résume ici dans le mot mourir. La première fois que Jésus avait prédit ses souffrances et sa mort, il l’avait fait en termes plus explicites, Cf. 16, 21 ; mais il est vraisemblable que l’évangéliste ne nous livre ici que le thème de la conversation du Sauveur, sans entrer dans tous les détails. - Et le troisième jour il ressuscitera. Notre-Seigneur unit de nouveau l’annonce de sa Résurrection à celle de sa Passion ; il ne veut pas que le moindre doute existe sur ce point dans l’âme des Apôtres. S’il doit souffrir et mourir, le triomphe le plus complet ne tardera pas à suivre ses humiliations. Cependant les disciples, en entendant ce discours, furent surtout frappés des idées sombres qu’il contenait ; aussi, ils furent vivement attristés. Précédemment, ils s’étaient indignés dans un premier mouvement de surprise ; aujourd’hui, ils comprennent qu’il y a quelque chose de réel dans la nouvelle funeste que leur transmet leur Maître, puisqu’il y revient ainsi pour la seconde fois. Et comme sa mort devait être le renversement de tous leurs préjugés, la ruine de leurs beaux rêves messianiques, ils s’attristent vivement lorsqu’ils pressentent qu’elle aura lieu. Leur tristesse eût été beaucoup plus vive encore, s’ils avaient pu prévoir que Jésus devait être livré par l’un d’entre eux aux mains de ses bourreaux.11. - Dernier séjour de Jésus-Christ en Galilée, 17, 23 - 18, 35.
Rentré en Galilée après les événements importants qui avaient signalé son voyage à Césarée de Philippe, Jésus y passa dans la retraite les quelques jours qui le séparaient de ce sacrifice qu’il avait prédit à deux reprises. Ce fut pour lui un temps de calme, qu’il consacra à l’instruction et à la formation de ses Apôtres : mais c’était un calme précurseur de l’orage qui devait éclater bientôt. Nous en avons un signe dans l’attitude des Galiléens à son égard. Si pleins d’enthousiasme il y a peu de mois, ils le délaissent maintenant, car les calomnies des Pharisiens ont porté leur fruit, transformant l’amour en froideur. Du reste, l’évangéliste passe rapidement sur ce dernier séjour de Jésus-Christ en Galilée : il se borne à signaler l’intéressant miracle du didrachme, et une instruction du Sauveur touchant les rapports des chrétiens entre eux.
1° La double drachme, 17, 23-26.
23
Lorsqu’ils furent venus à Capharnaüm, ceux qui recevaient les didrachmes s’approchèrent de Pierre, et lui dirent : Votre maître ne paye-t-il pas le tribut ? 24Il dit : Oui. Et quand il fut entré dans la maison, Jésus devança sa pensée, en disant : Que te semble-t-il, Simon ? De qui les rois de la terre reçoivent-ils le tribut ou le cens, de leurs fils ou des étrangers ? 25Pierre répondit : Des étrangers. Jésus lui dit : Les fils en sont donc exempts. 26Mais, pour que nous ne les scandalisions pas, va à la mer, et jette l’hameçon, et tire le premier poisson qui montera, et en lui ouvrant la bouche tu trouveras un statère ; prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi.Matthieu chap. 17 verset 23. - Lorsqu’ils furent venus à Capharnaüm, ceux qui recevaient les didrachmes s’approchèrent de Pierre, et lui dirent : Votre maître ne paye-t-il pas le tribut ?
- S. Matthieu nous a seul conservé le souvenir de ce miracle qui rentrait du reste tout particulièrement dans son plan, car il contient une preuve très forte du caractère messianique de Jésus-Christ. Il n’offrait au contraire qu’un intérêt secondaire pour les lecteurs du second et du troisième Évangile. - Lorsqu'ils furent venus à Capharnaüm. Jésus et les Apôtres arrivent à Capharnaüm : c’était peu de temps avant la fête des Tabernacles, qui allait les appeler à Jérusalem ; Joan. 7, 2 et ss. Cf. notre Harmonie évangélique. - Ceux qui recevaient les didrachmes... Ce dernier mot est au pluriel neutre, de même que dans le texte grec. Il désigne une monnaie d’argent qui avait, comme le montre l’étymologie, la valeur de deux drachmes attiques, c’est-à-dire d’environ deux francs. Cf. Anth. Rich. Dictionn. des antiquités rom. et grecq. p. 229, 240. Il s’agit évidemment ici d’un impôt à payer par Notre-Seigneur Jésus-Christ : tout le contexte le prouve. Mais était-ce un impôt civil dû à l’empire romain, comme le denier qui servira bientôt à tenter le Sauveur, Cf. 22, 19, ou un impôt théocratique et religieux, destiné à subvenir à l’entretien du culte juif ? C’est ce que nous avons tout d’abord à déterminer ; faute de cette précaution, nous nous exposerions à ne pas comprendre la signification du miracle et la haute conséquence dogmatique qu’il renferme. Plusieurs anciens écrivains ecclésiastiques, entre autres Clément d’Alexandrie, Origène, S. Augustin, S. Jérôme, Sédulius, et à leur suite divers commentateurs modernes (Maldonat, Corn. de Lapierre, Wieseler, etc.), ont vu dans ce didrachme le paiement d’un tribut ordinaire et civil. D’autres Pères (S. Hilaire, S. Ambroise, Théophylacte, Théodoret) et la plupart des exégètes contemporains pensent au contraire que le tribut réclamé du Sauveur était essentiellement religieux et sacré. Entre ces deux opinions, le choix est à peine permis de nos jours, la question ayant été pleinement élucidée : en effet, toutes les circonstances du récit démontrent que l’impôt demandé n’était point politique, mais national et théocratique. Ceux qui le prélèvent ne portent pas le nom de publicains ; ce sont des employés spéciaux qui ne ressemblent en rien aux terribles collecteurs dont nous avons autrefois tracé le portrait. L’argumentation de Jésus perd toute sa force, et même sa justesse, dans le premier sentiment : elle devient au contraire irrésistible d’après le second. Enfin, le tribut sacré des Juifs consistait précisément en une double drachme. C’était une taxe très ancienne, imposée autrefois par Dieu lui-même à tous les Israélites âgés de de vingt ans, pour subvenir aux frais du culte. Cf. Ex. 30, 13. Elle avait été fixée à un demi-sicle en monnaie juive, mais les monnaies grecques et romaines ayant en grande partie supplanté celle des Juifs depuis la conquête de la Palestine, on avait remplacé, dans le langage courant, le nom du demi-sicle par celui de son équivalent, le didrachme. Quand le temple eut pris la place du tabernacle, cet impôt continua d’être payé, Cf. 2 Paral. 24, 6 ; mais il semble n’être devenu bien régulier qu’après le retour de la captivité. Cf. 2 Esdr. 10, 33. A l’époque de Notre-Seigneur, il était certainement annuel, comme nous l’apprennent les deux grands écrivains juifs, Josèphe, loc. cit. Cf. 18, 19, 1 et Philon de Monarch. 2, 3. D’après ce dernier, les Juifs dispersés à travers toutes les provinces de l’empire romain étaient eux-mêmes très exacts à le faire porter à Jérusalem par des délégués spéciaux, détail confirmé par Cicéron dans son discours " pro Flacco " : " C'était la coutume de transporter tous les ans de l'Italie, et de toutes les provinces, à Jérusalem, de l'or amassé par les Juifs; un édit de Flaccus défendit cette exportation aux Asiatiques ", et c'était là un chef d'accusation très grave contre le client de Tullius. Après la ruine du temple et la conquête de l’État juif, Vespasien adjugea le demi-sicle ou didrachme au Capitole romain. Cf. Jos. Bell. Jud. 7, 6, 6. - De Pierre... Pourquoi les agents du temple ne s’adressent-ils pas directement à Jésus ? Sans doute par suite du respect que leur inspirait sa personne. Mais ils connaissent le pêcheur Pierre, établi depuis si longtemps à Capharnaüm, et c’est à lui qu’ils rappellent la dette de son Maître. On devait payer le didrachme au mois de Adar, le dernier de l’année religieuse des Juifs. - Votre Maître ne paye-t-il pas... ? La demande est polie et délicate : ce n’est pas avec de pareils ménagements qu’auraient procédé les publicains sans retenue. Du reste, le traité du Talmud, parlant des procédés employés pour faire rentrer cet impôt, affirme qu’ils étaient toujours doux et convenables : " En tout lieu avec douceur ils sollicitaient un demi sicle ". Malgré le tour négatif que les collecteurs donnent à leur question, ils attendent une réponse affirmative, ainsi qu’il arrive dans de nombreuses phrases grecques du même genre. C’est comme s’ils eussent dit : Votre Maître paie sans doute l’impôt ?Matthieu chap. 17 verset 24. - Il dit : Oui. Et quand il fut entré dans la maison, Jésus devança sa pensée, en disant : Que te semble-t-il, Simon ? De qui les rois de la terre reçoivent-ils le tribut ou le cens, de leurs fils ou des étrangers ?
- Il dit : oui. S. Pierre n’hésite pas un instant à donner une réponse affirmative, soit que Jésus eût payé le demi-sicle d’une manière régulière les années précédentes, soit que l’Apôtre eût cru faire injure à la piété de son Maître, en supposant qu’il se dispensait d’une chose qui était regardée par tout le monde comme l’accomplissement d’un devoir religieux important. - Et quand il fut entré dans la maison. Cependant Jésus, suivi de ses Apôtres, était entré dans la maison qui lui servait de domicile durant ses fréquents séjours à Capharnaüm. Quand Pierre l’y eut rejoint, il devança sa pensée, il prévint la communication que son disciple allait lui faire au sujet du tribut, manifestant ainsi sa connaissance parfaite des secrets du cœur humain. Le chef du sacré Collège s’était trop avancé en affirmant que son Maître payerait l’impôt du temple ; il avait oublié momentanément que Notre-Seigneur était " le Christ, Fils du Dieu vivant ", et, qu’en vertu de cette double prérogative, il n’était pas obligé d’acquitter le tribut théocratique ; bien plus que, par suite d’une haute convenance, il devait ne plus le payer depuis qu’il avait accepté dans toute son étendue le rôle messianique, depuis qu’il s’était laissé proclamer Fils de Dieu dans le sens strict. C’est pourquoi Jésus lui rappelle ses titres d’exemption, en lui adressant la question suivante : Que te semble-t-il... Quelle est ton opinion sur ce point ? - Les rois de la terre : Jésus appuie sur ce dernier mot, car il veut établir un rapprochement entre les rois terrestres et le Roi du ciel. Prenant pour terme de comparaison ce qui a lieu dans les familles des princes de ce monde, il en déduit, par un raisonnement a fortiori, le genre de conduite que doit tenir dans le cas présent le Fils du roi céleste. - Le tribut ou le cens. Ces mots représentent deux choses distinctes : les taxes levées sur les marchandises et la cote personnelle. - Des étrangers : ce sont, d’après le contexte, tous ceux qui n’appartiennent pas à la famille du roi, fussent-ils d’ailleurs sujets du royaume.Matthieu chap. 17 verset 25. - Pierre répondit : Des étrangers. Jésus lui dit : Les fils en sont donc exempts.
- Pierre répondit... La solution n’était pas malaisée. Chacun sait que, dans tout État civil, les fils des rois sont exempts des impositions ; ce sont les étrangers, c’est-à-dire les citoyens ordinaires, qui paient. - Les fils en sont donc exempts... Jésus tire maintenant la conclusion du dilemme, le droit des princes terrestres étant ici l’image parfaite de son propre droit. Donc je suis exempte, moi " Fils de Dieu ", moi, chef de la théocratie, de ce tribut du temple que vous voulez me faire payer, et qu’on prélève précisément pour mon Père et pour moi. L’argumentation est tout à fait rigoureuse pour prouver la liberté dont jouissait Notre-Seigneur Jésus-Christ touchant le tribut en question : " Ce didrachme était exigé par la Loi, cependant il n'était pas dû par le Fils du Roi, mais par les étrangers. Car pourquoi le Christ paierait-il une rançon au monde, alors qu'il est venu pour enlever le péché du monde ? Pourquoi devrait il se racheter du péché, lui qui est venu pour racheter les péchés de tous ? Pourquoi devrait-il se racheter de la servitude, lui qui s'est dépouillé pour donner la liberté à tous ? Pourquoi devrait-il se racheter de la mort, lui qui a pris chair, pour que par sa mort il obtienne pour tous la résurrection ? ", S. Ambroise, Ep. 7 à Justus 12. Mais elle n’est pas moins rigoureuse à un autre point de vue, comme l’ont déjà remarqué les Pères. Elle prouve en effet de la manière la plus irréfragable que Jésus-Christ est Fils de Dieu par nature et dans le sens strict. " Le didrachme pouvait être exigé du Christ en tant qu'homme. Mais pour montrer qu'il qu'il n'était pas soumis à cette loi, et pour que soit manifestée en lui la gloire divine de son père, il a donné l'exemple des enfants des rois de la terre, qui ne sont pas soumis à l'impôt ", S. Hilaire, Comm. In Matth. h. l. " Remarquez comme il distingue ceux qui sont fils de ceux qui ne le sont pas. S’il n’eût pas été véritablement Fils de Dieu, c’eût été en vain qu’il eût rapporté l’exemple des enfants des rois de la terre... Car Jésus-Christ ne parle pas simplement des enfants, mais des enfants véritables, des enfants légitimes qui ont part à l’héritage et au royaume de leur père ", S. Jean Chrys. Hom. 58 in Matth. A propos du pluriel les fils, qui semble au premier regard moins énergique que le singulier, Sylveira faisait cette juste observation : " Jésus parlait toujours très modestement de lui-même. Il ne dit pas : je suis libre. Mais il énonce une proposition générale qui laisse entendre qu’il l’est ". On peut dire plus exactement encore avec Grotius : " Il utilise le pluriel, non pas parce qu’il étend aux autres cette liberté, mais parce que la comparaison le voulait ainsi, celle qu’il avait tirée non des coutumes et des mœurs d’un seul roi, mais de tous ". On comprend maintenant que Jésus n’aurait pas pu argumenter de la même manière, s’il eût été question d’un impôt civil exigé par la loi romaine : le Sauveur en effet n’était pas Fils de César. C’est donc à une autre preuve qu’il aurait dû recourir dans ce cas, pour s’exonérer du tribut.Matthieu chap. 17 verset 26. - Mais, pour que nous ne les scandalisions pas, va à la mer, et jette l’hameçon, et tire le premier poisson qui montera, et en lui ouvrant la bouche tu trouveras un statère ; prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi.
- Pour que nous ne les scandalisions pas. Placé au-dessus de la loi par sa nature divine, Notre-Seigneur daigne pourtant se mettre sous la loi commune par condescendance et par amour. Pierre avait maladroitement engagé la parole du Maître, et il était désormais difficile de retirer la promesse qu’il avait faite, sans causer dans la ville un véritable scandale. On aurait pu mal interpréter le refus du Sauveur, y voir une marque de mépris pour le temple et pour le culte divin ; car on ne connaissait qu’imparfaitement les relations étroites qui l’unissaient à Dieu. " Les personnes qui s'occupent des affaires de ce monde se sentent facilement agressées par les saints lorsque de l'argent est en jeu " dit Bengel avec sa finesse ordinaire, Gnomon in h. l. - Va à la mer : Capharnaüm étant sur le bord du lac de Tibériade, Simon n’avait que quelques pas à faire pour obéir au précepte de Jésus. - Tire le premier poisson, le premier qui mordra à l’hameçon, le premier qui sera pris. Ce poisson miraculeux a sa légende. " Une idée populaire attribue les taches noires qu’on voit sur les épaules de la merluche à l’impression qu’y laissèrent le pouce et l’index de S. Pierre, quand le prince des Apôtres les serra pour extraire le didrachme que ce poisson avait à la bouche... La dorade, qu’on appelle le poisson de S. Pierre dans plusieurs contrées de l’Europe, dispute à la merluche l’honneur de porter les marques des doigts apostoliques comme un mémorial perpétuel du prodige ", Moule, Heraldry of fish. - Tu trouveras un statère : c'était une pièce d’argent de la valeur du sicle juif ; il équivalait donc à deux didrachmes ou à quatre drachmes attiques, Cf. v. 24, et suffisait par conséquent pour payer l’impôt de deux personnes. De là ces autres paroles de Jésus : - Et donne-le-leur pour moi et pour toi. L’expression est à remarquer. Le Sauveur ne dit point pour nous, parce que ce n’est pas au même titre que Lui et son disciple livreront la taxe du temple. Il a bien soin de séparer sa personne de celle de Pierre. Tu paieras pour moi, bien que je sois exempt, pour toi, puisque tu tombes sous la loi. - L’ordre est donné, mais, chose remarquable, l’évangéliste n’en raconte pas l’exécution, bien qu’elle ait évidemment suivi de près le dialogue que nous venons de lire. Pierre sortit donc, jeta sa ligne dans le lac et en retira un poisson qui avait un statère à la bouche, puis il paya l’impôt avec cette pièce de monnaie. Un vrai miracle avait eu lieu, miracle qui était un effet soit de la toute-puissance de Notre-Seigneur, soit de sa science divine. Rien n’est plus simple que ce prodige, et pourtant il est peu d’actions de Jésus qui aient subi autant d’attaques de la part des rationalistes. Il était inutile, nous dit-on, et par là-même indigne de Jésus, qui ne faisait jamais de miracle pour son propre intérêt. De plus, il était impossible ; car quel est le poisson de taille médiocre qui puisse à la fois tenir un statère à la bouche et mordre néanmoins à l’hameçon. C’est donc un mythe, une simple anecdote de pêcheurs introduite dans l’Évangile, ou encore un fait naturel embelli. Par exemple, le Sauveur voulait dire à Pierre : " Tu prendras un poisson que tu pourras vendre pour un statère ", Koecher, Analecta, in h. l. ; comparer Paulus qui développe longuement cette absurdité. Mais de pareilles interprétations sont, comme le dit justement Meyer, de vrais prodiges exégétiques, plus extraordinaires que le miracle qu’elles cherchent à renverser. Aussi les laisserons-nous de côté (Cf. Dehaut, l’Évangile expliqué, t. 3, p. 110), pour nous borner à répondre à l’objection tirée de l’inutilité prétendue de ce fait miraculeux. Assurément, Notre-Seigneur aurait pu se procurer d’une autre manière la somme dont il avait besoin, il est possible même qu’elle fût alors contenue dans la bourse commune que portait Judas. Mais la leçon qu’il voulait donner à S. Pierre et aux autres Apôtres exigeait un miracle. On avait en pratique oublié sa dignité ; par suite d’une parole inconsidérée de l’un des siens, il se voyait obligé de payer un tribut dont il était totalement exempt ; ne fallait-il pas qu’il maintînt ses droits lésés et sa dignité un instant méconnue ? C’est ce qu’il fait d’abord de vive voix. Mais, cela pouvant ne pas suffire pour certains, il ajoute au raisonnement des paroles l’argumentation encore plus éloquente des faits. S’il consent à payer le tribut, ce sera d’une façon merveilleuse, par laquelle il sera clairement démontré qu’il est vraiment le Fils de Dieu. " Il paya donc l'impôt, mais tiré de la bouche d'un poisson, pour que soit reconnue sa majesté ", Clarius in h. l. ; Cf. Orig. Comm in h. l. - Ce prodige a fourni au Titien et à Maraccio le sujet de peintures remarquables.Interrogé par ses disciples, Jésus indique quels sont les sujets les plus distingués du royaume des cieux, vv. 1-4. - Quiconque reçoit les petits reçoit Jésus lui-même, v. 5. - Malheur à ceux qui les scandalisent, v. 6. - Danger des scandales et manière de leur résister, vv. 7-9. - Grandeur incomparable des petits et des humbles, vv. 10-11. - Parabole de la brebis perdue, vv. 12-14. - Instruction sur la correction fraternelle, vv. 15-17. - Étonnantes promesses de Jésus-Christ à son Église, vv. 18-20. - Le pardon des injures doit s'accorder d'une manière illimitée, vv. 21-22. - Parabole du mauvais serviteur, destinée à éclairer ce précepte, vv. 23-35.
2° Devoirs réciproques des chrétiens, 18, 1-35.
Ce titre général nous paraît résumer aussi bien que possible les différentes matières traitées par Jésus dans cette longue et importante instruction qu’il adresse à ses Apôtres. Elles concernent toutes, en effet, la conduite que les sujets du royaume messianique doivent tenir les uns à l’égard des autres. Au fond, c’est un commentaire admirable du grand précepte de la charité que nous entendons ici. Sur ce thème inépuisable, le divin Maître propose trois variations principales : la première traite de l’amour des petits sous ses différentes formes, vv. 1-14 ; la seconde de la correction fraternelle, vv. 15-20 ; la troisième enfin du pardon des injures, vv. 21-35.
Le premier de ces points est traité dans les versets 1-4, le second dans les dix versets suivants (5-14).
α. Le premier dans le royaume des cieux, vv. 1-4. Parall. Marc. 9, 32-35 ; Luc. 9, 46-48.
1
A cet instant les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? 2Jésus ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d’eux, 3et dit : En vérité, je vous le dis, à moins que vous ne vous convertissiez, et que vous ne deveniez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. 4C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux.Matthieu chap. 18 verset 1. - A cet instant les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ?
- L’évangéliste commence par indiquer l’occasion de ce beau discours. Ce fut une question adressée par les Apôtres à leur Maître. - À cet instant. Cette date se rapporte manifestement à l’incident qui précède ; elle montre que l’instruction du Sauveur fut prononcée peu de temps après l’épisode du didrachme. Il dût s’écouler néanmoins entre les deux faits un léger intervalle, pendant lequel S. Pierre alla s’acquitter de la mission que Jésus lui avait confiée. Le v. 21 prouve en effet qu’il assistait à l’entretien. - Les disciples s'approchèrent. D’après la relation plus exacte de S. Marc, 9, 32 et 33, l’initiative vint de Jésus lui-même et non des Apôtres. Ceux-ci, avant d’entrer à Capharnaüm, avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Quand ils furent installés dans la maison qui leur servait d’abri commun, Jésus, ayant entendu, ou connaissant par sa toute-science ce qui s’était passé entre eux, leur demanda : De quoi vous occupiez-vous le long du chemin ? Ils se taisaient, ajoute naïvement ou malicieusement le narrateur. Ils sont tout confus, car ils comprennent à-demi leur tort. Après quelques instants de silence, l’un d’eux s’enhardissant posa au Sauveur, suivant le récit de S. Matthieu, cette question qui était en même temps une réponse implicite à la demande adressée par lui : Quel est le premier dans le royaume des cieux ? On peut dire aussi que le premier évangéliste abrège et condense les faits, comme en d’autres occasion analogues ; Cf. 8, 5, 6, etc. - Qui donc. On peut se demander quelles sont les prémisses desquelles découle ce donc des Apôtres, ou, ce qui revient au même, quelle fut l’occasion des pensées de rivalité, d’ambition, que nous voyons s’agiter dans leur cœur. " L'occasion de l'interroger est fournie par le fait qu'il avait dit à Pierre d'aller pêcher à la mer ", S. Thomas. Mais nous préférons dire, avec Maldonat, que " La mission qu'il avait confiée à Pierre n'avait pas fait naître en eux cette réflexion, mais avait fait croître une pensée déjà existante ". Plusieurs faits récents avaient réveillé les vieux préjugés des disciples ; par exemple, les paroles adressées par Jésus à S. Pierre après sa confession glorieuse, la faveur spéciale accordée à trois privilégiés de l’accompagner pour une mission demeurée secrète, et ces préférences avaient précisément coïncidé avec des expressions du Sauveur qui annonçaient, quoique d’une manière obscure, l’établissement de son royaume dans un prochain avenir. - Le plus grand. On peut donner à ce comparatif le sens du superlatif " le plus grand ". Quel est le premier, le majordome (de Wette), dans le royaume des cieux ? Ils parlent au présent, " est ", parce qu’ils supposent que Jésus-Christ a déjà nommé en secret le vice-roi messianique. Selon d’autres, " grand " doit rester au comparatif ; alors les Apôtres demanderaient seulement quels devaient être les premiers en général, comparativement aux sujets inférieurs, quels étaient par conséquent les meilleurs moyens d’obtenir un rang élevé dans l’empire du Christ. - Dans le royaume des cieux. Ils ne pensent pas au ciel, tant s’en faut ; mais au règne terrestre du Messie, tel qu’ils se le représentaient d’après les idées populaires alors en vogue en Palestine. Leur erreur ne consiste pas à supposer qu’il y aura des premières et des dernières places dans le royaume des cieux, mais à croire que cette hiérarchie sera constituée d’après des idées tout humaines.Matthieu chap. 18 verset 2. - Jésus ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d’eux
– Ayant appelé un enfant. Les Apôtres ont besoin d’une leçon : pour la rendre plus frappante et la graver plus avant dans leur mémoire, Jésus l’associe à une action symbolique des plus gracieuses et des plus touchantes. Il appelle un petit enfant qui se trouvait là par hasard, et le place au milieu du groupe des Apôtres, à côté de lui, ajoute S. Luc, 9, 46 ; non sans le caresser tendrement, d’après une note délicate de S. Marc, 9, 35. On a fait mainte supposition au sujet de cet enfant béni : c’était un orphelin (Paulus), un jeune disciple qui suivait Jésus et les Apôtres (Bolten), etc. Suivant une ancienne tradition, déjà mentionnée par Eusèbe et adoptée par l’Église grecque, l’enfant caressé par Jésus serait devenu plus tard S. Ignace martyr. Cf. Nicom. Hist. Eccl. 2, 35. " Selon la coutume des peuples orientaux, dit Wettstein à propos de cet acte symbolique, le Christ avait l'habitude d'illustrer sa doctrine par des images corporelles qui frappent la vue ".Matthieu chap. 18 verset 3. - Et dit : En vérité, je vous le dis, à moins que vous ne vous convertissiez, et que vous ne deveniez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
- Et dit. Jésus explique à présent d’une manière directe ce que proclamait si haut déjà le seul aspect du petit enfant placé au milieu des Apôtres. Il énonce d’abord un principe général, qu’il présente sous la forme d’une exhortation pour le rendre plus compréhensible, et qu’il appuie d’un serment solennel. - À moins que vous ne vous convertissiez : les Apôtres ont besoin d’un changement moral, d’une conversion ; la question qu’ils ont proposée à leur Maître le prouve surabondamment. Ils doivent donc donner une direction nouvelle à leur esprit qu’ont envahi l’orgueil et l’ambition. - Les mots suivants, et que vous ne deveniez comme de petits enfants, indiquent ce que Jésus entend par cette nouvelle direction : l’enfant que le bon Maître tient par la main, voilà le modèle des Apôtres ! " Il met au milieu d’eux tous, un modèle de l’humilité qu’il exige, pour les instruire par les yeux, et pour leur donner un exemple sensible de la simplicité et de la douceur à laquelle il les exhortait. Car un enfant est exempt d’envie et de vaine gloire, il ne désire point l’honneur ni la préférence ; mais il possède souverainement la simplicité qui est comme la reine des vertus. Il faut donc que nous soyons non-seulement sages et courageux comme des hommes parfaits, mais encore simples et humbles comme des enfants ", S. Jean Chrys. Hom. 58 in Matth. ; Cf. S. Hilaire, in h.l. - Vous n'entrerez pas : Vous n’entrerez certainement pas. Quelle conclusion inattendue pour les Apôtres ! Ils parlent d’une première place et Jésus les menace d’une exclusion totale ! - Dans le royaume des cieux : dans l’Église du Christ ramenée à sa véritable idée, et envisagée surtout comme la société des élus dans le ciel.Matthieu chap. 18 verset 4. - C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux.
- C'est pourquoi. C’est la conséquence du principe formulé plus haut. En s’exprimant ainsi, Jésus-Christ répond directement à l’interrogation de ses disciples : Quel est le plus grand dans le royaume des cieux ? - Se rendra humble ; au lieu de cette leçon qu’on lit aussi dans le " textus receptus ", de nombreux témoins ont le futur, qui paraît avoir de grandes chances d’authenticité. Pour être grand dans le royaume messianique, il faut donc, non pas précisément s’humilier à la façon des enfants, puisque un petit enfant ne s’humilie pas à proprement parler, mais s’humilier de manière à leur ressembler. " L'enfant ne s'humilie pas, mais il est humble ", dit justement Valla. - Sera le plus grand... Cela découle très naturellement du v. 3. S’il est nécessaire de se faire petit pour entrer dans le royaume des cieux, plus on se sera anéanti, plus on sera devenu semblable à un enfant, plus aussi on y aura une place élevée. " Celui qui imite l'innocence des enfants sera grand, car plus il sera humble, plus il sera élevé ", S. Thomas. C’est ainsi que l’humilité, vertu à peu près inconnue des païens, devient une condition essentielle du Christianisme. Les Apôtres durent être bien confondus en entendant un pareil langage, qui dirimait leur controverse d’une manière si extraordinaire et si peu prévue.
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Et quiconque reçoit en mon nom un enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. 6Mais si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une de ces meules qu’un âne tourne, et qu’on le plongeât au fond de la mer. 7Malheur au monde à cause des scandales. Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive. 8Si ta main ou ton pied te scandalise, coupe-le, et jette-le loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie manchot ou boiteux, que d’avoir deux mains ou deux pieds, et d’être jeté dans le feu éternel. 9Et si ton œil te scandalise, arrache-le, et jette-le loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie n’ayant qu’un œil, que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans la géhenne de feu. 10Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans le ciel voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux. 11Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu.12
Que vous semble-t-il ? Si un homme a cent brebis, et qu’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s’est égarée. 13Et s’il arrive qu’il la trouve, en vérité, je vous le dis, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. 14De même, ce n’est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu’un seul de ces petits périsse.Matthieu chap. 18 verset 5. - Et quiconque reçoit en mon nom un enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même.
- Jésus a déclaré que la vraie grandeur consiste dans l’humilité : il prouve maintenant la vérité de cette assertion, en indiquant les honneurs réservés aux petits et aux humbles dans le royaume messianique. Il encourage par là-même les disciples à acquérir cette humilité, qui leur procurera des avantages considérables de la part des hommes et de la part de Dieu. - Et quiconque reçoit. Ce mot comprend tous les bons traitements qu’un homme est capable de rendre à ses semblables, tous les témoignages extérieurs par lesquels nous pouvons manifester notre affection à ceux qui nous sont chers. Il n’est donc pas seulement question ici de l’hospitalité matérielle, d’un accueil bienveillant, mais aussi des soins accordés aux âmes, de la protection spirituelle. - Un enfant comme celui-ci. D’après divers exégètes, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parlerait dans tout ce passage que des enfants proprement dits (Bengel, Arnoldi, de Wette, etc.) ; selon d’autres auteurs, il n’aurait en vue que les enfants spirituels et mystiques, c’est-à-dire les hommes devenus, conformément à son précepte des vv. 3 et 4, humbles comme des enfants (S. Jean Chrysost., Théophylacte, Meyer, etc.). Mieux vaut peut-être réunir ces deux opinions extrêmes, en soutenant avec Corneille de Lapierre que le Sauveur pensait tout à la fois au symbole et à la chose symbolisée, à ceux qu’on nomme enfants dans le langage ordinaire et aux hommes qui se font petits comme eux pour l’amour de Jésus. Si les idées conviennent davantage aux enfants mystiques, les pronoms démonstratifs employés à diverses reprises par le divin orateur, Cf. vv. 4, 5, 6, 10, attestent qu’il englobe aussi dans sa pensée les vrais enfants, innocents et faibles comme celui qui était alors auprès de lui. - En mon nom : au nom de Jésus-Christ, c’est-à-dire par amour pour lui, et parce que ces petits auxquels on témoigne de l’affection sont ses disciples. Si on ne les traitait avec bonté que par suite d’un attachement naturel, c’est une créature que l’on recevrait et point Notre-Seigneur Jésus-Christ. - Me reçoit moi-même. Cf. 10, 40, 42. Le Sauveur vit dans les siens, même dans les plus humbles : ce que l’on fait aux membres, le chef le regarde comme fait à lui-même. Quel honneur pour les enfants et les petits dont parle Jésus ! Le monde les méprise ou les néglige ; ceux qui les reçoivent et les aiment seront bénis du Christ, leur grand protecteur.Matthieu chap. 18 verset 6. - Mais si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une de ces meules qu’un âne tourne, et qu’on le plongeât au fond de la mer.
- Si quelqu'un scandalise. Il y a là une antithèse évidente ; car scandaliser, c’est le contraire de bien accueillir. Si donc quelques hommes sans délicatesse, ou plutôt sans principes, s’oubliaient jusqu’à porter au mal, soit au point de vue des mœurs, soit au point de vue de la foi, ceux que Jésus appelle des enfants au propre et au figuré, qu’ils apprennent ici la grandeur de leur crime ! - Un de ces petits, une de ces âmes pures et candides, qui devraient inspirer le respect même aux plus mauvais. - Il vaudrait mieux. Avec de nombreux interprètes, nous donnons à cet indicatif le sens du conditionnel : mieux vaudrait pour lui. La faute en question est si énorme, elle sera si sévèrement punie, qu’il eût été préférable pour son auteur de subir la mort la plus affreuse, s’il eût pu de la sorte éviter de la commettre. Du moins il aurait sauvé son âme et celle de sa malheureuse victime. - Qu'on suspendît... Le sens de ces mots est bien clair. Ils désignent une mort certaine, à laquelle il est impossible d’échapper. Mais Jésus a traduit sa pensée avec plus d’énergie en lui donnant un tour pittoresque, au moyen d’images empruntées aux coutumes anciennes. Chez plusieurs peuples, en particulier chez les Romains, chez les Grecs, chez les Syriens et chez les Phéniciens (non toutefois les Juifs), existait le supplice de la submersion, qui consistait à précipiter dans les eaux de la mer ou d’un fleuve les criminels qu’on y avait spécialement condamnés. On avait soin de leur attacher au cou une grosse pierre, afin de leur enlever toute chance salut. La meule dont parle Notre-Seigneur désigne donc ici une grosse pierre en général. En effet, les Juifs employaient alors deux sortes de meules, l’une plus petite que l’on faisait mouvoir à la main, Cf. 24, 41 et l’explication ; l’autre de dimensions beaucoup plus considérables, qui était mise en mouvement par des animaux, spécialement par des ânes : de là l’épithète d’ " asinaria ". - Au fond de la mer : dans la haute mer, par opposition aux bas-fonds qui sont auprès du rivage. Ce nouveau trait a également pour but d’insister sur la certitude, l’infaillibilité de la mort qui résultera d’un tel supplice. Et pourtant il serait moins affreux de périr en d’aussi tristes conditions 1° que de scandaliser un petit, 2° que de s’exposer aux châtiments éternels de l’enfer, d’après les versets 8 et 9.Matthieu chap. 18 verset 7. - Malheur au monde à cause des scandales. Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive.
- Cependant un cri de compassion s’échappe du cœur de Jésus. Le Sauveur des âmes vient de prononcer le nom du scandale : il pense tout à coup aux maux affreux, irréparables, qui seront produits dans le monde par ce perfide ennemi de la Rédemption ; et en face de ce sombre tableau, il ne peut s’empêcher de maudire la cause de la damnation d’un grand nombre d’hommes. - Malheur au monde à cause des scandales : par le scandale en effet les bons se laisseront entraîner au mal, et surtout ces enfants auxquels Jésus s’intéresse si vivement. Les directeurs des âmes savent combien il en est qui se laissent enlacer par ce terrible engin de Satan. - Car il est nécessaire... Jésus ne veut point parler, bien entendu, d’une nécessité absolue, métaphysique, mais d’une simple nécessité relative. S. Paul dira plus tard dans le même sens que l’hérésie est nécessaire, Cf. 1 Cor. 11, 19. Il faut des scandales vu la nature corrompue du monde présent, vu la force du mal et la puissance des démons, vu l’inclination des hommes au péché ; il en faut aussi vu le plan divin, le scandale devant être comme un crible qui sépare les mauvais des bons, comme l’épreuve dont notre liberté a besoin pour montrer ce qu’elle est capable de faire par elle-même. - Mais malheur à l'homme... " Le premier malheur exprime la commisération, c'est comme si le Christ disait : Que le monde est malheureux, à cause des scandales si nombreux qui se produiront partout... Le second malheur est menaçant, c'est comme si le Christ disait : Une peine très grave sera infligée à celui qui créée le scandale ", Van Steenkiste, Comm. in h. l. Bien que le scandale soit nécessaire en général, Jésus a le droit de maudire les personnes scandaleuses, parce que cette nécessité laisse intacte la liberté individuelle, de sorte que les scandales particuliers sont des crimes tout à fait volontaires. " Quand Jésus-Christ dit: " Il est nécessaire qu’il arrive des scandales ", cette nécessité ne détruit point le libre arbitre et ne force point la volonté ", S. Jean Chrysost. Hom. 59 in Matth. : toute cette homélie est à lire : elle contient des détails remarquables sur ce verset et sur les trois suivants. Voir aussi S. Hilaire, Comm in h. l.Matthieu chap. 18 versets 8 et 9. - Si ta main ou ton pied te scandalise, coupe-le, et jette-le loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie manchot ou boiteux, que d’avoir deux mains ou deux pieds, et d’être jeté dans le feu éternel. 9Et si ton œil te scandalise, arrache-le, et jette-le loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie n’ayant qu’un œil, que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans la géhenne de feu
. - Dans ces deux versets, Notre-Seigneur nous enseigne comment il nous sera possible d’échapper au scandale, dont il a décrit plus haut la malice et le caractère dangereux. Il reproduit pour cela des paroles qu’il avait déjà prononcées au commencement de son ministère public, sur la montagne de Kouroun-el-Hattîn, Cf. 5, 29 et 30 : mais leur sens subit une modification importante, de même que leur enchaînement. Là il n’était question que des péchés honteux, ici elles désignent toute espèce de scandale ; là il s’agissait des désirs dépravés qui émanent de notre propre corruption, ici Jésus parle surtout de la corruption extérieure qui peut rejaillir sur nous et nous gâter, si nous ne prenons des moyens énergiques pour l’éloigner. Du reste, le divin Maître ne se contente pas de répéter purement et simplement ses sentences d’autrefois : il y ajoute plusieurs traits intéressants. Par exemple, il mentionne un nouveau membre, le pied, qui n’avait pas été nommé dans le Discours sur la Montagne. Il donne aussi à l’idée une tournure plus originale, quand il dit qu’il vaut mieux entrer dans le royaume des cieux avec un seul bras (tel est en effet le sens de debilem d’après le texte grec) ou avec un seul pied, ou avec un seul œil, que d’être damné avec un corps parfait. Il indique enfin plus clairement la nature de la Géhenne. Tandis qu’il s’était contenté autrefois de prononcer le nom de cet affreux séjour, il en caractérise ici les supplices et l’éternelle durée par les mots le feu éternel, la géhenne de feu, qui rappellent le feu inextinguible dont le Précurseur menaçait les Pharisiens et les Sadducéens, Cf. 3, 12. A part ces différences du fond et de la forme, ce langage métaphorique est d’une intelligence aisée : nous renvoyons donc le lecteur à nos anciennes explications. Qu'il suffise donc de résumer comme suit avec S. Jérôme la pensée du Sauveur : " Si quelqu'un, leur dit-il, vous est aussi étroitement uni que votre main, votre pied, votre œil, s'il est pour vous d'une utilité incontestable, plein de vigilance et de sollicitude pour vos intérêts, mais qu'il vous soit une cause de scandale et vous entraîne dans l'abîme par le contraste de ses mœurs déréglées, il vous est beaucoup plus avantageux de rompre toute liaison avec lui et de renoncer aux avantages temporels que vous en retiriez, que de conserver près de vous une cause certaine de ruine en tenant aux avantages que vous procurent ces parents et ces amis. Chaque fidèle connaît ce qui peut lui nuire, ce qui est pour son âme une cause de séduction ou de tentation fréquente. Or, il vaut mieux qu'il vive dans la solitude que de perdre la vie éternelle pour les biens si fragiles de la vie présente ", Comm. in h. l. La fuite et la séparation, tels sont donc les vrais remèdes du scandale. Il faut traiter les personnes scandaleuses, quelque chères et nécessaires qu’elles nous puissent être, comme on traite un membre gangrené qui met tout le corps en danger. - Disons encore, pour plus de clarté, que les vv. 8 et 9 traitent exclusivement du scandale reçu, tandis que le v. 7 traitait tout à la fois du scandale soit donné soit reçu dans sa première partie, et uniquement du scandale donné, dans la seconde.Matthieu chap. 18 verset 10. - Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans le ciel voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux.
- Gardez-vous de mépriser. Après cette petite digression sur les scandales, vv. 7-9, dans laquelle il avait été entraîné par l’ardeur de son zèle et de son amour pour le salut des âmes, Notre-Seigneur Jésus-Christ revient aux enfants, et aux humbles dont ils sont l’image. Complétant la série des préceptes qu’il a déjà donnés à leur sujet, il dit que, bien loin de faire peu de cas de ces êtres mesquins en apparence, il faut au contraire les tenir en grande estime, parce qu’ils ont réellement une très haute valeur. Cet ordre cadre fort bien avec les deux précédents : si on n’accueille pas les petits avec assez d’honneur, si on craint si peu de les scandaliser, cela ne provient-il point d’ordinaire de ce qu’on ne les apprécie pas suffisamment ? - Jésus appuie sur les mots " Prenez garde ! Pas un seul ! ". Il démontre ensuite de deux manières la grandeur de ceux dont il a pris si chaudement la défense dès le début de son instruction : 1° par la conduite de Dieu à leur égard, v. 10, 2° par sa propre manière d’agir envers eux, vv. 11-14. - Car je vous dis. Ce serment introduit la première preuve de la grandeur incontestable des " petits ", et le premier motif pour lequel on doit bien se garder de les mépriser : Dieu les juge si grands, si estimables, qu’il a donné à chacun d’eux, pour les protéger, un des anges qui composent sa cour dans le ciel. - Expliquons quelques expressions. Leurs anges : des anges qui appartiennent en quelque sorte aux petits et aux humbles, qui sont spécialement chargés de les défendre, d’en prendre un soin perpétuel. - Dans le ciel. S. Grégoire-le-Grand a sur ce mot une profonde pensée, pour expliquer comment les anges peuvent être en même temps dans le ciel auprès de Dieu, et sur la terre auprès de leurs pupilles. " Les anges ne cessent jamais de voir la face du Père, même quand ils sont envoyés vers nous; ils descendent jusqu'à nous pour nous protéger de leur présence toute spirituelle, et cependant ils demeurent par la contemplation intérieure dans le lieu qu'ils viennent de quitter, car ils conservent, en venant à nous, le don de la vision divine, et ne sont point privés, par conséquent, des joies de la contemplation intérieure ", Moral. Cap. 2 ; Cf. S. Thom. Comm. in h. l. - Voient sans cesse la face. Voir le visage d’un personnage éminent, se tenir devant lui, Cf. Luc. 1, 19, ce sont des expressions orientales qui désignent les rapports intimes qu’on peut avoir avec ce personnage, le rôle important que l’on joue à sa cour, si c’est un roi ; Cf. Esth. 1, 14 ; 2 Reg. 25, 19 ; Jerem. 52, 25, etc. En disant que les anges assignés par le Seigneur comme gardiens aux enfants ont l’honneur de contempler sans cesse la face du Père céleste, Jésus exprime par là-même leur haute dignité. " Le Sauveur ne parle pas ici de tous les anges indistinctement, mais de ceux qui ont la prééminence sur les autres ", S. Jean Chrys. l. c. Ce sont pour ainsi dire les plus distingués d’entre les anges (ceux que les Rabbins appelaient " anges de la face "), qui ont été choisis pour protéger les petits. - On sait que ce passage est justement et depuis longtemps envisagé par les théologiens catholiques comme un lieu classique en faveur de l’existence des anges gardiens. Ce point de doctrine, vaguement énoncé dans l’Ancien Testament, Cf. Ps. 34, 7 ; 90, 11, est clairement supposé dans les écrits juifs et dans le Nouveau Testament, Cf. Act. 12, 15 ; Hébr. 1, 14 ; voir le commentaire de M. Drach sur les Epîtres de S. Paul, p. 716 ; mais nulle part il n’est défini avec autant d’évidence que dans la parole actuelle de Jésus. Aussi, les Pères interprètent-ils tous dans ce sens l’assertion du divin Maître, Cf. S. Thomas, Catena in h. l., et nous ne voyons guère quelle autre signification on pourrait lui attribuer. Les protestants sérieux, qui étudient la Bible sans préjugés de secte, abandonnent sur ce point les erreurs de leurs devanciers : nous avons été heureux de constater ce progrès dans les commentaires de Grotius, d’Alford, de Meyer et de Stier. " Le monde en général, écrit ce dernier, jouit sans doute de la protection et des services des anges, mais seulement d’une manière éloignée, indirecte, et non pas dans le sens de l’appropriation personnelle qui est dénotée ici par les mots : Leurs anges. Le pronom leurs associé à anges a certainement le pouvoir de spécialiser, et on ne saurait dire qu’il fait disparaître dans une généralité absorbante la prééminence accordée à chaque individu. Il indique donc une allusion réelle à des anges gardiens spéciaux, donnés aux personnes ", Reden des Herrn Jesu, in h. l. Le même auteur conclut un peu plus bas : " Nous oublions trop les anges, bien que le Christ nous fasse souvenir d’eux. Surtout nous ne parlons pas assez à nos enfants de leurs anges, et nous-mêmes qui croyons, nous ne pensons pas suffisamment aux nôtres ". Il est notoire, du reste, que plusieurs philosophes païens croyaient à l’existence d’anges ou de génies gardiens. - Voilà donc l’excellence des enfants et des petits bien démontrée par Jésus. En effet, s'écrie S. Jérôme, in h. l., " Qu'elle est grande la dignité des âmes, puisqu'à chacune d'elles, aussitôt son entrée dans la vie, Dieu donne un ange pour veiller à sa garde ! ".Matthieu chap. 18 verset 11. - Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu.
- Ce verset fait défaut dans plusieurs manuscrits anciens, en particulier dans le Cod. Sinaïtique et dans plusieurs versions : quelques Pères l’ont semblablement omis. Néanmoins son authenticité est maintenue à bon droit par les meilleurs critiques, à cause des nombreuses autorités qui l’appuient. Il contient, quoique ce ne soit pas dit explicitement, la seconde preuve de la grandeur des " petits " réels et figurés, le second motif pour lequel on doit éviter de les dédaigner : Le Fils de l’Homme est venu du ciel en terre tout exprès pour les sauver ! - Venu sauver ce qui était perdu. C’est la devise du Christ, à laquelle il s’est admirablement conformé toute sa vie ; l’Incarnation n’avait d’ailleurs pas d’autre but. Cf. Rom. 14, 15 ; 1 Cor. 8, 11. Mais pourquoi le Sauveur désigne-t-il d’une manière si générale, par un participe neutre, l’humanité coupable et, parmi ses rangs pressés, les enfants, auxquels il pense d’une manière plus spéciale ? Il le fait précisément pour montrer qu’il n’exclut personne du salut apporté par lui au monde, comme aussi pour mieux décrire l’état pitoyable de ceux qu’il venait racheter. C’était une masse hideuse, informe, destinée en bloc à la damnation éternelle. " Quelle parole incommensurable et avec quelle simplicité elle est exprimée ! Voilà l’échelle de Jacob dressée devant nos yeux : les petits sont en bas, viennent ensuite leurs anges, puis le Fils de l’Homme, qui est descendu du sein du Père, puis au sommet, v. 14, le Père céleste lui-même avec son bon plaisir ". Stier, l. c. - " Voyez au contraire par combien de considérations Jésus-Christ veut que vous ayez égard même aux plus petits. Il prend un petit enfant, et le met au milieu de ses disciples. Il leur commande de devenir comme de petits enfants, et leur dit que quiconque en recevrait de tels en son nom, le recevrait lui-même: et que quiconque les scandaliserait, souffrirait d’épouvantables supplices. Il ne se contente pas de dire que ces auteurs de scandale seraient jetés dans la mer avec une meule attachée au cou. Il prononce encore un double malheur contre eux; et il nous commande de les couper et de les retrancher de nous, quand ils nous seraient ,aussi nécessaires que nos mains ou que nos yeux. Il nous engage aussi à honorer ces petits par le respect que nous devons aux anges qui les gardent. Il nous y exhorte encore plus puissamment par ses propres souffrances, par ce qu’il a enduré pour eux: car en disant: " Le Fils de l’homme est venu pour sauver ce qui était perdu", il nous marque clairement sa croix ". Ces lignes de S. Jean Chrysostôme résument très bien la partie de l'instruction que nous avons étudiée jusqu'ici.Matthieu chap. 18 verset 12. - Que vous semble-t-il ? Si un homme a cent brebis, et qu’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s’est égarée.
- La parole d’or du v. 11 est développée dans les versets 12-14 par la célèbre et touchante parabole de la brebis perdue. S. Luc, lui aussi, 15, 1-7, a conservé cette parabole qui rentrait du reste parfaitement dans son plan. Toutefois, il existe des divergences notables entre sa relation et celle de S. Matthieu, sinon pour le fond même, du moins pour les circonstances accessoires. Ainsi, l’auditoire est très distinct, de même l’époque, de même l’occasion, de même le but et la tendance, de même l’enchaînement général, de même enfin plusieurs traits particuliers. Les exégètes qui ont été frappés de ces différences, et nous sommes de ce nombre, séparent les deux récits, et supposent que Jésus-Christ a prononcé deux fois cette parabole en l’associant à des événements divers. Les autres commentateurs admettent que c’est bien la même parabole qui a été racontée par les évangélistes ; mais que l’un d’eux, plus probablement S. Matthieu, l’a sortie de son cadre primitif pour la relier à une autre catégorie d’idées. Cependant, outre qu’une pareille allégation n’est pas sans gravité, il est d’autant mieux permis de croire à une répétition de la part de Jésus, que les Rabbins avaient eux-mêmes une parabole analogue, et que cette image de la brebis perdue se prête de la manière la plus naturelle à des combinaisons variées. - Que vous semble-t-il ? Manière de provoquer l’attention des Apôtres, et de les engager à bien saisir le cas qui va leur être proposé : Que pensez-vous du fait suivant ? - Si un homme a... dans le grec, si cent brebis sont échues à quelqu’un. - Cent brebis : chiffre rond, qui représente un assez beau troupeau, même en Orient. Au reste les Juifs employaient volontiers les nombre cent et quatre-vingt-dix-neuf dans leurs comparaisons faites sous forme de paraboles ou de proverbes ; Cf. Lightfoot, Horæ talm. in h. l. - L'une d'elles s'égare. Une seule brebis sur cent, c’est en soi peu de chose ; mais le bon Pasteur ne calcule pas au point de vue de ses intérêts personnels, il ne pense qu’à la mort misérable qui attend la pauvre égarée. - L’amour étant ainsi le mobile de sa conduite, Ne laisse-t-il pas... : cet abandon momentané était tout-à-fait nécessaire ; le Pasteur en effet aurait été mis dans l’impossibilité de se livrer à des recherches actives, s’il eût emmené avec lui tout le troupeau. - Sur les montagnes. De nombreux interprètes ont rattaché ces mots à " aller chercher ", comme s’ils avaient pour but de peindre au vif le dévouement du bon Pasteur, en représentant les courses fatigantes qu’il entreprend à travers les montagnes pour trouver la brebis perdue. Mais il vaut mieux adopter le sens de la Vulgate, et faire dépendre " sur les montagnes " de " laisse ". Sur le sommet des montagnes, il existe habituellement de gras pâturages et c’est là, dans les meilleurs conditions par conséquent, que le pasteur laisse son troupeau lorsqu’il part pour se mettre en quête de la brebis égarée. - Aller chercher : Il n’attend pas qu’elle revienne d’elle-même, mais il s’élance à sa poursuite, avec la sollicitude la plus admirable. Bel exemple pour les pasteurs spirituels de tous les temps !Matthieu chap. 18 verset 13. - Et s’il arrive qu’il la trouve, en vérité, je vous le dis, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées.
- Et s'il arrive. Le divin narrateur exprime un doute : il n’est pas sûr, en effet, que le berger retrouve sa brebis, surtout au moral et dans l’application, puisque les âmes qui ont quitté le bercail de Jésus pour courir après les fausses joies du monde sont libres de refuser d’y rentrer, malgré tous les efforts du bon Pasteur. - En vérité je vous le dis. Ce nouveau serment s’échappe du cœur aimant de Jésus : on sent ici que l’auteur de la parabole et le bon Pasteur se confondent ; le premier exprime ce que le second a fréquemment expérimenté. - Elle lui cause plus de joie. Profonde vérité psychologique dont chacun a pu éprouver la vérité dans quelque circonstance de sa vie. François Luc en donne une excellente explication : " Le sens n'est pas : une seule brebis retrouvée est préférée ou davantage estimée qu'un grand nombre de brebis jamais perdues ; mais il est : le maître éprouve une joie unique et immédiate grâce à cette brebis, joie que celles qui sont restées ne lui procurent pas : d'un côté parce que cette façon étonnante de penser et de se réjouir se produirait pour celle-ci (la découverte,veux-je dire de la brebis perdue) ce qui ne se produit pas pour les autres ( d'où même les hommes ont coutume de penser et de se réjouir davantage de circonstances nouvelles et heureuses que de plus anciennes même plus importantes), d'autre part parce que la satisfaction de l'esprit pour cette brebis retrouvée au regard de la tristesse précédente pour la perte de cette même brebis récemment perdue serait ressentie davantage que ce qui est inhérent à l'esprit pour toutes les autres ensemble, parce que dans tous les cas cela est considéré comme plus important ". - Quelques Pères, entre autres S. Irénée et S. Ambroise, ont cru que les quatre-vingt-dix-neuf brebis de la parabole représentent les bons Anges, tandis que la brebis perdue figurerait le genre humain. De plus, ils appliquent les mots " aller chercher " à l’Incarnation du Verbe. Mais il est vraisemblable qu’en parlant ainsi ils voulaient plutôt faire une application pratique, que donner une interprétation littérale ; autrement leur langage serait inexact et en contradiction ouverte avec celui de Jésus. En effet, d’après le prélude, v. 11, et la conclusion de la parabole, v. 14, le troupeau tout entier est l’image de l’humanité ; les brebis demeurées fidèles désignent les justes, celle qui s’égare représente les pécheurs pour lesquels Notre-Seigneur met tout en œuvre afin de les sauver ; Cf. S. Jérôme, Comm. in h. l.Matthieu chap. 18 verset 14. - De même, ce n’est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu’un seul de ces petits périsse.
- De même... retombe sur la parabole tout entière et sur la conduite du pasteur. De même que le propriétaire des cent brebis n’en veut pas laisser périr une seule, de même aussi le Père céleste, qui regarde les hommes comme ses chères brebis. - La volonté de votre Père... Le texte latin signifie " volonté devant votre Père ", qui est un hébraïsme. Les Hébreux se représentent les décrets divins comme quelque chose de fixe, d’immuable, gravé en traits d’airain en face du Souverain Maître qui les contemple. - Qu'un seul périsse. Pas un seul ! D’où il suit que personne n’est prédestiné à la damnation, quoi qu’aient dit certains hérétiques. - De ces petits. Si telle est la volonté de Dieu à l’égard des humbles, nous aussi, - et telle est la morale visiblement renfermée dans les paroles par lesquelles Jésus conclut ce beau sujet, - nous aussi nous devons travailler avec zèle au salut de ces petits qui lui sont chers. " Ne négligeons donc jamais les petits et ceux qui nous paraissent méprisables, puisque c’est là proprement ce que nous a voulu apprendre Jésus-Christ ", S. Jean Chrysost. Hom. 59 in Matth. Quel admirable sermon sur la valeur des âmes les plus insignifiantes en apparence ! et comme il doit réchauffer le dévouement sacerdotal !b. La correction fraternelle, vv. 15-20.
Ce passage et le suivant, jusqu’à la fin du chapitre, ne se trouvent que dans le premier Évangile.
Matthieu chap. 18 verset 15. - Si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.
- Si . La suite de l’Instruction roulera toujours sur nos devoirs à l’égard du prochain, mais le point de vue n’est plus le même. Précédemment, le divin Maître a indiqué la nature des rapports que l’on devait avoir avec les enfants et les faibles, en particulier les précautions à prendre pour ne pas les scandaliser, pour ne point les offenser ; il prescrit maintenant les règles à suivre dans le cas où l’on aurait été soi-même lésé, offensé gravement par autrui. Ces règles peuvent se résumer dans les deux mots suivants : grands ménagements pour les personnes, grande sévérité pour les fautes. Il y a, dit Jésus, trois démarches à faire, suivant les circonstances diverses qui peuvent se présenter, c’est-à-dire suivant que la contrition du coupable sera plus ou moins prompte, plus ou moins facile à exciter. La première démarche est décrite au v. 15. - Va. L’offensé ne doit pas attendre que l’agresseur vienne lui présenter des excuses ; il fera lui-même charitablement les premières avances, n’oubliant pas qu’il s’agit d’un frère, ton frère, quoique d’un frère qui a mal agi. - Reprends-le, en grec, convaincs-le de sa faute, montre-lui qu’il a gravement péché. - Entre toi et lui seul, sans témoins par conséquent : procédé plein de délicatesse et de douceur, qui devra toucher le cœur du coupable et l’amener à résipiscence, s’il est encore accessible à la bonté. - S'il t'écoute, tout porte à croire qu’il reconnaîtra humblement sa faute. - Dans ce cas, tu auras gagné ton frère. Mais pour qui sera-t-il gagné ? Pour l’offensé lui-même selon les uns, l’union momentanément troublée devant reparaître alors dans toute son étendue ; plus probablement, selon les autres, pour Dieu et pour le royaume messianique, dont le mauvais frère s’était séparé par sa faute. Et quel bonheur de pouvoir gagner un pécheur dans ce sens !Matthieu chap. 18 verset 16. - Mais, s’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire soit réglée par l’autorité de deux ou trois témoins.
- Seconde démarche. - S'il ne t'écoute pas. Mais il est possible aussi que le coupable refuse de se repentir et de réparer l’offense qu’il a faite. Jésus-Christ trace, pour cette hypothèse, une nouvelle ligne de conduite qui sera comme un jugement en seconde instance. - Prends encore avec toi ... L’amour repoussé redouble ses efforts, mais ne pouvant agir seul, il appelle des auxiliaires à son secours, comme fait le bon médecin qui voit qu’il lui est impossible de lutter seul contre une maladie obstinée. La seconde démarche consiste donc dans un nouvel avertissement donné par la personne lésée. Mais cette fois elle se présente avec un ou deux frères qu’elle s’est associés pour donner plus d’autorité à sa parole. " Afin de convaincre plus facilement celui qui commet une faute, qu'il a péché, quand non seulement la personne offensée se prononce sur cela (car s'agissant de ce qui le touche tout homme se trompe très facilement) mais même quand deux ou trois le confirment ", Sylveira in h.l. - Une ou deux personnes... Ces paroles, empruntées littéralement à la Loi mosaïque, Deut. 19, 15, font allusion au nombre de témoins requis dans toute affaire litigieuse : Jésus les cite pour appuyer et pour légaliser en quelque sorte sa seconde recommandation. - Que toute l'affaire soit réglée. Dans le texte latin, " Verbum ", comme dans le texte primitif de la Loi, désigne une affaire juridique. " Stet ", signifie : être décidé. " Les juges hébreux exigent la même chose de celui qui a péché contre son frère. Hieros. Ioma, fol. 44, 3, et Babyl. Ioma, fol. 87, 1, Samuel dit : Quiconque pèche contre son frère, il est nécessaire de lui dire : J'ai péché envers toi. S'il accepte, bien. Sinon qu'il en amène d'autres et qu'il le rende bienveillant à leur égard, etc. Mais notre Sauveur exige de faire preuve d'une charité plus grande, de celui évidemment qui est lésé ", Lightfoot, Hor. Hebr. in Math. h.l.Matthieu chap. 18 verset 17. - S’il ne les écoute pas, dis-le à l’Église ; et s’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain.
- Troisième démarche ou jugement en troisième instance. Si le coupable fait encore le récalcitrant, alors il n’y a plus de ménagements à garder ; il faut proclamer hautement sa faute. - Dis-le à l'Église. On se demande comment il a pu venir à la pensée de quelques exégètes, de Théophylacte et de Fritzsche par exemple, que Jésus voulait parler ici de l’Église juive, de la synagogue. A quel titre en effet serait-il question d’elle en ce passage ? Non, c’est l’Église chrétienne, Cf. 16, 18, l’assemblée des fidèles représentée par ses chefs, qui est chargée par le Sauveur de juger le procès en dernier ressort. Pour le chrétien, il n’y a pas d’autorité supérieure à celle-là ; c’est donc à elle qu’il porte, pour qu’elle les tranche au nom de Dieu, toutes les questions difficiles qui peuvent surgir entre lui et ses frères. Si cette recommandation de Jésus eût toujours été suivie dans la pratique, jamais un chrétien n’aurait conduit un autre chrétien devant les tribunaux civils. On y fut fidèle durant un certain temps ; mais déjà S. Paul se plaignait avec force des abus étranges qui se manifestaient sous ce rapport, Cf. 1 Cor. 6, 1 et ss. C’est ici néanmoins qu’on trouve l’origine des tribunaux ecclésiastiques, dont il reste encore quelques vestiges dans nos officialités diocésaines. - S'il n'écoute pas l'Église, et il est bien à craindre qu’il n’en soit ainsi, après les deux marques antérieures d’endurcissement donnée pas le pécheur. Mais comment traiter un opiniâtre qui ne s’est laissé toucher ni par les avis bienveillants de la charité, ni par les remontrances de l’autorité ? Il n’y a plus qu’une chose à faire à son égard, l’expulser du sein de l’Église, le retrancher impitoyablement de la société des Saints : c’est ce qu’exprime la locution qu'il soit pour toi... Le langage de Jésus est ici coloré de Judaïsme ; Notre-Seigneur parle d’après les idées et la manière d’agir de ses concitoyens. Pour eux, nous l’avons vu, Cf. 9, 11 et l’explication, les païens et les publicains étaient de vrais excommuniés, avec lesquels on devait demeurer " éloignés " ; les païens à cause de l’idolâtrie à laquelle ils se livraient, les publicains, fussent-ils Israélites, à cause de leurs concussions. Les écrits rabbiniques sont formels à ce sujet. " Il est interdit à un Juif d'être seul avec un païen, de voyager avec païen ", Maimon. " Un Juif qui devient publicain doit être exclu de la société ", Hieros. Demai, f. 23, 1. Par ces deux expressions typiques, empruntées aux mœurs des Juifs, le Sauveur transmet donc à son Église le droit d’excommunication à l’égard de ses membres devenus indignes : ce point est tout à fait évident, malgré les réclamations des protestants en sens contraire. Toute société, du reste, n’est-elle pas armée du droit d’exclusion ?Matthieu chap. 18 verset 18. - En vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié aussi dans le ciel.
- Quelle que soit la sentence que l’Église croira devoir prononcer, Dieu promet de la ratifier du haut des cieux : telle est la liaison de ce verset avec le précédent. Nous entendons ici la confirmation anticipée des décrets judiciaires portés par l’Église de Jésus. Ce qu’elle jugera par l’intermédiaire de ses chefs n’aura pas la valeur d’une décision humaine : comme elle est un tribunal vraiment divin, ses arrêts auront la sanction du ciel. C’est donc le blanc-seing de Dieu qu’elle reçoit en ce moment. Nous renvoyons, pour les détails et spécialement pour le sens des verbes lier et délier, à l’explication que nous avons donnée plus haut, 16, 18, de la parole identique adressée par Jésus à S. Pierre. Les pouvoirs conférés directement aux Apôtres, indirectement à leurs successeurs, sont sans réserve : ils embrassent le for intérieur aussi bien que le for extérieur ; voilà pourquoi on les applique aussi en théologie au tribunal de la Pénitence. Nous avons montré cependant qu’ils ne sont pas prépondérants, comme ceux du prince des Apôtres. S. Pierre aura le droit de paître les brebis et les pasteurs : ses collègues n’auront d’autorité que sur les brebis seulement. - Voici une réflexion de S. Jean Chrysostôme qui montre bien l'unité de tout ce passage et la manière dont le v. 18 se rattache aux prescriptions de Jésus relatives à la correction fraternelle : " Vois-tu comment Jésus-Christ menace le frère qui a péché d’une double punition, des jugements de l’Église et des tourments de l’enfer? et il le menace des premiers, afin qu’il évite les seconds. Il veut qu’on lui fasse craindre d’être retranché de la compagnie des fidèles et d’être lié sur la terre et dans le ciel, afin que la frayeur l’adoucisse et le fasse rentrer en lui-même. ... C’est pourquoi Jésus-Christ établit trois différents jugements qui se succèdent l’un à l’autre. Il ne veut pas retrancher d’abord ce criminel de son Église. Après le premier jugement il veut voir si le second ne l’ébranlera pas, et après que le second lui a été inutile, il veut l’épouvanter par le troisième. S’il s’opiniâtre contre tous ces remèdes, il lui représente enfin l’état où il sera lorsqu’il tombera entre les mains de Dieu même, et le supplice qu’il en doit attendre ".Matthieu chap. 18 verset 19. - Je vous dis encore que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre, quoiqu’ils demandent, ils l’obtiendront de mon Père qui est dans les cieux.
- Établissons d’abord l’enchaînement des pensées qui paraît au premier regard assez difficile à saisir, et qui a été fixé très différemment par les commentateurs. " Tout ce qui précède était une invitation à la charité et à la concorde; le Sauveur sanctionne cet appel par la récompense qu'il promet ", dit S. Jérôme. D’après le saint Docteur, la promesse actuelle de Jésus-Christ aurait donc pour but d’exposer les avantages incomparables de la charité qui a été recommandée dans toute cette première moitié du chapitre. Mais on peut reprocher à cette liaison d’être trop vague. Suivant d’autres exégètes, Jésus continuerait d’effrayer, par un contraste, les pécheurs revêches qui pourraient être tentés de ne pas se soumettre à l’Église : non seulement ils seraient retranchés de son sein, mais, par suite même de l’excommunication, ils cesseraient d’avoir part à de précieuses faveurs, développées dans les vv. 19 et 20. Nous préférons voir ici, avec Bengel, la confirmation des pouvoirs qui viennent d’être conférés, v. 18, aux Apôtres et à l’Église. Non content de ratifier les jugements portés par ceux qu’il a faits dépositaires de sa puissance, Dieu agréera tous leurs désirs, exaucera toutes leurs prières, à cause de l’union étroite qui existe entre eux et lui. L’identité de volonté qui existe entre Dieu et l’Église est donc exprimée de nouveau sous une autre forme. Jésus semble indiquer lui-même que telle est le véritable lien des pensées, puisqu’il commence par dire qu’il va répéter la même idée : Je vous dis encore. Nous avons ici une admirable promesse, remplie d’encouragements sublimes. - Si deux d'entre vous : deux personnes seulement, aussi peu qu’il en faut pour former une société, la société la plus petite possible. Il est vrai que ces personnes sont supposées chrétiennes, " deux d'entre vous ". A ces deux chrétiens on demande une chose très simple, l’accord, s'accordent, la symphonie, pour employer la gracieuse expression du texte grec. Qu’y a-t-il de plus facile que l’harmonie entre deux personnes, si elles ont intérêt à s’entendre ? - En échange de cette chose si simple, on leur promet la faveur la plus précieuse : quoiqu'ils demandent.. C’est un nouveau blanc-seing. Quel que soit l’objet de leur demande, pourvu bien entendu qu’il rentre dans le plan divin, elles l’obtiendront sûrement : Jésus lui-même s’en fait garant.Matthieu chap. 18 verset 20. - Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.
- C’est la même promesse réitérée, expliquée. - Là où deux ou trois : ici encore, une société à peine ébauchée. Et puis, peu importent le temps et le lieu ; une chose seulement est requise : Rassemblés en mon nom. Dès là que le nom de Jésus, ses intérêts, sa gloire, sont le but de la réunion, on a droit à l’avantage promis et cet avantage est immense : Je suis au milieu d'eux. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Deux ou trois chrétiens réunis au nom de Jésus-Christ ne représentent-ils pas l’Église tout entière ? et Jésus peut-il être séparé de cette Église dont il est le chef ? Les rabbins disaient aussi que " si deux sont assis à une table et s'entretiennent de la loi, le symbole de la présence divine repose sur eux ", Pirke Aboth, 3, 2. - Il existe sur les vv. 19 et 20 de belles applications morales des Saints-Pères : elles concernent tantôt les avantages de la concorde et de la charité fraternelle, tantôt les conditions de la bonne prière. On les trouvera réunies dans la " Catena " de S. Thomas.
21
Alors Pierre, s’approchant de lui, dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? 22Jésus lui dit : je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. 23C’est pourquoi le royaume des cieux a été comparé à un roi, qui voulut faire rendre leurs comptes à ses serviteurs. 24Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents. 25Mais, comme il n’avait pas de quoi les rendre, son maître ordonna qu’on le vendit, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait, pour acquitter la dette. 26Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Ayez patience envers moi, et je vous rendrai tout. 27Touché de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller, et lui remit sa dette. 28Mais ce serviteur, étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et le saisissant, il l’étouffait en disant : rends-moi ce que tu me dois. 29Et son compagnon, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Aie patience envers moi, et je te rendrai tout. 30Mais il ne voulut pas ; et il s’en alla, et le fit mettre en prison, jusqu’à ce qu’il lui rendît ce qu’il devait. 31Les autres serviteurs, ayant vu ce qui était arrivé, en furent vivement attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. 32Alors son maître le fit appeler, et lui dit : serviteur méchant, je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’en avais prié ; 33ne fallait-il donc pas avoir pitié, toi aussi, de ton compagnon, comme j’avais eu pitié de toi ? 34Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il payât tout ce qu’il devait. 35C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur.Matthieu chap. 18 verset 21. - Alors Pierre, s’approchant de lui, dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ?
- Alors Pierre, s'approchant. En ce moment, S. Pierre, qui se trouvait mêlé aux autres Apôtres, fait quelques pas pour se rapprocher de Jésus, car il a une question à lui adresser. La correction fraternelle, sur laquelle ont porté les avis donnés en dernier lieu par Notre-Seigneur, présuppose dans l’offensé une grande générosité de cœur et un parfait esprit de pardon, puisqu’il doit être disposé à oublier les torts du prochain à son égard, si le coupable reconnaît sa faute et s’en repent. Mais jusques à quand et combien de fois devra-t-on pardonner, dans le cas nullement imaginaire d’une récidive de la part de l’offensant ? C’est ce que le prince des Apôtres désirerait savoir. Telles est la transition généralement admise et la plus vraisemblable du reste. " L'argumentation de Jésus, v. 15-17 avait eu pour but que le pardon soit accordé. C'est pourquoi Pierre demande au maître s'il faut pardonner sept fois à autrui ", Berlepsch, Comm in Matth. - Simon-Pierre expose avec sa franchise et sa simplicité accoutumées le cas de conscience qui a fortement impressionné sa vive imagination : - Combien de fois. La construction de la phrase latine est tout à fait orientale. Un classique aurait dit : " Quoties peccanti fratri dimittam ? " - Jusqu'à sept fois ? Sept, le nombre sacré ! S. Pierre devait se croire bien généreux en fixant cette limite, car les Rabbins de son temps n’exigeaient que trois pardons à l’égard du coupable quand il était relaps. " Les hommes pardonneront un offense une fois, une seconde fois, une troisième fois, mais ne pardonneront pas la quatrième fois ", Babyl. Joma. f. 86, 2. En doublant ce chiffre, et en ajoutant une unité au nouveau nombre obtenu, l’Apôtre croyait sans doute entrer largement dans l’esprit libéral et conciliant de la loi chrétienne. Son langage était bien dans le genre de la morale judaïque, qui aimait à préciser les obligations par des chiffres !Matthieu chap. 18 verset 22. - Jésus lui dit : je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
- Jésus lui dit. Jésus recule la limite " à l'infini " ; car tel est le sens de sa réponse. Tu me demandes la mesure du pardon ; je te dis que cette mesure consiste à pardonner sans mesure. - Je ne te dis pas jusqu'à sept fois... Jésus trouve à bon droit ce chiffre beaucoup trop restreint : il le prend donc et le transforme à l’aide d’une multiplication : jusqu'à soixante-dix fois sept fois. Les commentateurs ne sont toutefois pas d’accord sur la somme totale produite par le calcul du Sauveur, les expressions du texte grec pouvant recevoir deux interprétations notablement différentes. L’une semble plutôt signifier soixante-dix fois sept, l’autre, selon la traduction de la Vulgate, soixante-dix fois sept fois. Néanmoins Origène, S. Augustin et de nombreux exégètes modernes à leur suite, traduisent cette locution comme si la particule " et " existait entre les deux nombres dont elle se compose : soixante-dix fois et sept, 70 + 7, par conséquent soixante-dix-sept fois. Ils s’appuient sur un passage de la Genèse, 4, 24, auquel, d’après eux, le Sauveur ferait ici une évidente allusion, et où nous entendons le farouche Lamech annoncer que si l’on se permettait envers lui quelque grave injure, son sang serait vengé, non pas seulement sept fois comme celui de Caïn, son ancêtre, mais soixante-dix-sept fois, d’après les 70. Ce rapprochement ne manque pas de beauté, Cf. S. Hilaire, in h. l. Jésus veut ainsi que le pardon chrétien aille jusqu’où s’étendait la vengeance antique. A la formule de haine et de représailles proposée par Lamech, il oppose la formule de l’amour parfait et du pardon illimité, car telle est manifestement la signification du chiffre qu’il mentionne. " J'ose le dire, quand même il aurait péché septante fois huit fois, pardonnez-lui; eût-il péché cent fois, pardonnez-lui encore; en un mot, toutes les fois qu'il pèche, ne cessez de lui pardonner. Car si Jésus-Christ, bien qu'il ait trouvé en nous des milliers de péchés, nous les a tous pardonnés, ne refusez donc pas de faire vous-mêmes miséricorde, ainsi que l'Apôtre vous le recommande en ces termes ( Col 3,13 ): "Vous pardonnant entre vous les sujets de plainte que vous pourriez avoir les uns contre les autres, comme Dieu vous a pardonné en Jésus-Christ (cf. 2Co 5,10 ) ", S. August. de Verbis Dom. Serm. 15.Matthieu chap. 18 verset 23. - C’est pourquoi le royaume des cieux a été comparé à un roi, qui voulut faire rendre leurs comptes à ses serviteurs.
- Ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ vient de dire à S. Pierre dans un langage condensé, mathématique, touchant le pardon absolu des injures, il va maintenant l’illustrer par une admirable parabole, vv. 23-35. - C'est pourquoi : c’est-à-dire, parce qu’on doit pardonner non seulement un certain nombre de fois, mais aussi souvent qu’on est offensé. Cette expression rattache la parabole à la réponse du v. 22. - Le royaume des cieux a été comparé à un roi ; Cf. 13, 24. 45. Nous avons déjà fait observer que ce langage n’est pas complètement logique, car, dans les versets qui suivent, le royaume messianique est moins comparé au roi qu’à toute sa conduite telle qu’elle est dépeinte par Jésus. - À ses serviteurs. Ce sont les ministres, et les ministres les plus distingués du roi, qui sont ainsi désignés d’après la coutume orientale. Suivant le contexte, il s’agit surtout des officiers spécialement chargés d’administrer les finances et les revenus du roi.Matthieu chap. 18 verset 24. Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents.
- Et lorsqu'il eut commencé : dès l’ouverture des comptes ; ce qui n’a pas lieu de surprendre dans une contrée où il y a toujours eu de si grandes malversations financières. Il suffit de commencer une enquête pour découvrir aussitôt des injustices criantes. - On lui en présenta un : circonstance notée soit pour montrer que le débiteur fut amené malgré lui devant son maître dont il avait à redouter la juste rigueur, soit pour faire allusion aux usages de l’Orient, d’après lesquels on ne se présente jamais à la cour que dûment introduit selon les règles du cérémonial. - Qui lui devait. Le roi avait prêté ou confié à ce malheureux la somme mentionnée plus bas : mais l’officier, ayant voulu faire là-dessus de belles spéculations pour s’enrichir, avait sans doute tout perdu comme tant d’autres agioteurs. - Dix mille talents. Somme énorme en soi et surtout pour l’époque. Nous le comprendrons mieux si nous prenons la peine de la comparer avec d’autres chiffres pécuniaires signalés dans la bible comme très élevés. On n’employa que 29 talents d’or à la construction du Tabernacle, malgré toute la richesse qui y fut déployée, Cf. Ex. 38, 24 ; la reine de Saba offrit 120 talents à Salomon et c’était un présent considérable, Cf. 3 Reg. 10, 10 ; le roi d’Assyrie imposa à Ézéchias un tribut de 30 talents, Cf. 4 Reg. 18, 14 ; David mit en réserve pour la construction du temple la somme de 3000 talents à laquelle les princes en ajoutèrent une autre de 5000, Cf. 1 Par. 24, 4-7. Et ce ne sont pas seulement huit mille talents que nous avons ici, mais dix mille ! Le talent, comme va le montrer l’indication de sa valeur, n’était pas une monnaie courante ; c’était une monnaie idéale dont on se servait dans les évaluations de numéraire, à la façon de nos millions. Il y en eut, dans l’antiquité, de trois espèces très distinctes : le talent attique, le talent hébreu qui valait le double de l’attique et le talent syriaque qui valait le huitième de l’hébreu, le quart de l’attique. Duquel est-il question dans ce passage ? On les a proposés tous les trois ; mais il n’y a guère que les deux premiers qui puissent venir sérieusement en ligne de compte, les exégètes qui ont pensé au troisième n’ayant eu recours à lui que pour obtenir une somme moins considérable, ce qui n’est pas une raison. D’une part il semble naturel que le Sauveur ait compté par talents hébreux, puisqu’il était Juif et qu’il parlait en ce moment à des Juifs ; d’un autre côté, il est certain que le talent attique était alors d’un usage universel dans tout l’empire romain, et même en Palestine : il est donc possible aussi que Notre-Seigneur l’ait employé dans cette circonstance. Le talent attique se composait de 60 mines et la mine comprenait cent drachmes, ce qui faisait 6000 drachmes (soit 6 Kg d'argent) par talent. Un talent vaudrait à peu près 6000 francs [environ 2400€ 2015], et dix mille talents 60 millions de francs [environ 24 millions d'Euros 2015]. Nous arriverions au double si Jésus avait parlé du talent hébreu. La somme dans un cas comme dans l’autre, est donc vraiment colossale pour ce temps-là, et particulièrement si nous songeons qu’elle était due par un seul homme. Les Romains n’exigèrent pas davantage d’Antiochus-le-Grand après sa défaite, et Darius n’offrit pas davantage à Alexandre pour obtenir de lui qu’il arrêta le cours de ses conquêtes en Asie.Matthieu chap. 18 verset 25. - Mais, comme il n’avait pas de quoi les rendre, son maître ordonna qu’on le vendit, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait, pour acquitter la dette.
- Comme il n'avait pas de quoi les rendre. On conçoit sans peine que le débiteur ait été incapable de solder cette somme dans son entier ; mais le récit semble supposer une situation financière encore plus embarrassée et une insolvabilité complète. - Le roi, justement irrité de cet abus de confiance, se propose d’abord d’agir suivant toute la rigueur des mœurs orientales contre le ministre infidèle : son maître ordonna qu'on le vendit, et avec lui, sa femme et ses enfants... La Bible renferme quelques exemples d’après lesquels un pareil droit semble avoir été reconnu, dans l’État juif, aux créanciers qui ne pouvaient pas rentrer autrement dans leurs fonds, Cf. Ex. 22, 3 ; 4 Reg. 4, 1 ; Levit, 25, 39 ; Nehem. 5, 8. Toutefois, les prescriptions relatives à l’année jubilaire, Cf. Deut. 15, 1, 2, Jos. Ant. 3, 12, 3, adoucissaient considérablement ces mesures rigoureuses chez les Juifs, si tant est qu’elles aient été habituellement exercées. La loi romaine était très explicite et très sévère sur ce point, livrant le débiteur pieds et poings liés aux créanciers, comme nous le verrons plus bas, v. 28. - Et tout ce qu'il avait, la vente ne devant certainement pas procurer un produit égal à la dette.Matthieu chap. 18 verset 26. - Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Ayez patience envers moi, et je vous rendrai tout.
- Se jetant à ses pieds. Le coupable n’a qu’une ressource, et il en fait un usage immédiat, dès qu’il entend la sentence sans appel de son Maître. Il se prosterne devant lui, et, dans cette attitude humiliée, il implore sa pitié avec larmes. Du reste ce qu’il demande, ce n’est nullement la remise de sa dette : il n’oserait pas même songer à obtenir une telle faveur dans les conditions indiquées ; il désire simplement un délai. - Ayez patience, donnez-moi un peu de temps. - Je vous rendrai tout. Pas de compromis ni de concordat, il rendra tout. Que ce trait est naturel ! c’est bien là le langage d’un pauvre débiteur aux abois, qui fait de belles promesses pour échapper aux angoisses de l’heure présente. Dans un an, il ne pourra guère mieux payer qu’aujourd’hui ; mais il espère et se fait illusion.Matthieu chap. 18 verset 27. - Touché de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller, et lui remit sa dette.
- Le maître touché de compassion. Une conduite si humble touche le cœur du roi, qui, oubliant ses menaces récemment proférées, accorde à l’officier coupable la grâce la plus entière. Les rentrées en grâce aussi soudaines et de tels actes de générosité ne sont pas chose rare dans les cours orientales, où le bon plaisir du prince est la loi principale et produit à tour de rôle de terribles orages et d’étranges pardons. - Le laissa aller ; c’est la première faveur royale : elle est opposée à l’ordre antérieur de vendre le ministre à l’encan. La liberté au lieu d’un affreux esclavage. - La seconde faveur n’est pas moins grande : - Lui remit sa dette. Au lieu du délai souhaité, il accorde purement et simplement la remise des soixante ou des cent vingt millions.Matthieu chap. 18 verset 28. - Mais ce serviteur, étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et le saisissant, il l’étouffait en disant : rends-moi ce que tu me dois.
- Nous arrivons au cœur de la parabole et à la leçon principale qu’elle est destinée à donner aux disciples de Jésus. - Ce serviteur étant sorti. La narration nous le montre au moment où il sort tout heureux du palais, après la scène à laquelle nous avons assisté. Cette circonstance est notée à dessein pour mieux faire ressortir l’indignité de sa conduite? - Il trouva... il rencontre par hasard à la porte de la résidence royale un de ses collègues, ministre du roi comme lui, quoique probablement à un degré inférieur. Le débiteur insolvable de tout à l’heure devient maintenant créancier ; car il se rappelle, lui à qui on vient de faire grâce d’une somme énorme, que ce collègue lui doit cent deniers ! - Qui lui devait cent deniers. Le denier valait treize centimes environ de moins que la drachme antique : la somme due n’atteignait donc pas 90 francs. Qu’était-ce que cette dette, en face des nombreux millions dont il a été parlé plus haut ? - Le saisissant, il l'étouffait. Détails pittoresques, qui peignent au vif l’odieuse conduite du créancier sans pitié. A peine a-t-il aperçu son débiteur qu’il se précipite sur lui, et le saisit violemment à la gorge de manière à l’étrangler. D’après le droit romain, le débiteur incapable d’acquitter ses dettes pouvait être conduit par ses créanciers au tribunal des prêteurs " par tout moyen, et même la main au collet ", s’il résistait. - Le langage est conforme à l’action : Rends-moi ce que tu dois, demande-t-il brutalement, sans penser à la faveur immense qu’il a reçue il n’y a qu’un instant. La certitude de la dette ne saurait être mise en doute, car elle ressort clairement du contexte, " qui lui devait ", v. 28, " ce que tu me dois " v. 29, comme aussi de l’idée même de la parabole. Cette tournure est simplement un hellénisme et une manière plus énergique d’affirmer un fait indubitable. - Quel contraste entre cette barbarie et la bénignité du roi !Matthieu chap. 18 verset 29. - Et son compagnon, se jetant à ses pieds, le priait, en disant : Aie patience envers moi, et je te rendrai tout.
- Se jetant à ses pieds. C’est exactement la scène du v. 26 qui se reproduit ici : l’attitude du débiteur est la même, ses paroles sont les mêmes aussi. Il y a pourtant cette différence que le suppliant de tout à l’heure est actuellement le créancier tout-puissant : raison de plus, ce semble, pour qu’il se laisse attendrir par ce geste et cette prière qui lui ont valu sa propre grâce, d’autant mieux qu’il a tant reçu et qu’on lui demande si peu ! Hélas, dit S. Jean Chrysostôme, Hom. 51 in Matth., " Il n’eut pas même de respect pour les paroles dont il venait de se servir pour obtenir miséricorde, et qui lui avaient mérité la remise de dix mille talents. Il ne reconnut plus ce port bienheureux où il s’était sauvé lui-même ".Matthieu chap. 18 verset 30. - Mais il ne voulut pas ; et il s’en alla, et le fit mettre en prison, jusqu’à ce qu’il lui rendît ce qu’il devait.
- Mais il ne voulut pas : il refuse donc durement la grâce qu’on implore de sa piété ; bien plus, il traîne lui-même son malheureux débiteur en prison, s'en alla et le fit mettre en prison, n’étant satisfait qu’après avoir vu les portes de ce triste séjour se refermer sur lui. - Ces derniers mots du verset, jusqu'à ce qu'il lui rendît, achèvent la description de sa cruauté ; ils montrent la résolution énergique où il est de ne pas faire dans l’avenir la moindre remise à son collègue.Matthieu chap. 18 verset 31. - Les autres serviteurs, ayant vu ce qui était arrivé, en furent vivement attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.
- Ayant vu ce qui était arrivé... Les autres ministres du roi, témoins de cette barbarie, en sont profondément attristés, et, prenant le parti de la victime contre le malfaiteur, ils vont aussitôt dénoncer à leur maître l’acte injustifiable qui avait eu lieu en leur présence.Matthieu chap. 18 verset 32. - Alors son maître le fit appeler, et lui dit : serviteur méchant, je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’en avais prié
– Alors son maître le fit appeler. Le coupable est introduit pour la seconde fois. Le prince, avant de châtier ce misérable comme il le mérite, lui décrit, avec tout le calme d’un juge désormais inexorable, l’énormité de sa faute récente. Il l’appelle serviteur méchant : titre infamant qu’il ne lui avait pas donné dans la première entrevue. Puis il établit un frappant contraste entre la miséricorde dont il avait été l’objet et celle qu’il avait refusé de faire à son ami. - Je t'ai remis toute ta dette : " tout " est mis en avant, comme au v. 26. - Parce que tu m'en avais prié : en effet, le débiteur du roi n’avait eu qu’à formuler une demande pour la voir immédiatement exaucée, ou plutôt pour recevoir cent fois plus qu’il ne souhaitait.Matthieu chap. 18 verset 33. - Ne fallait-il donc pas avoir pitié, toi aussi, de ton compagnon, comme j’avais eu pitié de toi ?
- Il fallait ! c’était en quelque sorte une nécessité de justice dans les conditions exposées par la parabole. Ne devait-il pas profiter de la belle leçon qu’il avait reçue, s’attendrir comme on s’était attendri sur lui ? Le roi se tait : l’accusé garde le silence : il comprend qu’il essaierait désormais en vain d’obtenir un nouveau pardon, après une telle aggravation de sa culpabilité. C'est la juste réflexion de S. Rémi : " Remarquons qu'on ne voit pas que ce serviteur ait osé faire aucune réponse à son maître, ce qui nous apprend, qu'au jour du jugement et cette vie une fois terminée, tout moyen de justification nous sera ôté ".Matthieu chap. 18 verset 34. - Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il payât tout ce qu’il devait.
- Et son maître, irrité. Le roi si gravement offensé ne connaît plus de ménagements ; il s’abandonne librement à son indignation. - Le livra aux bourreaux : Grotius et d’autres auteurs ont voulu faire du mot bourreaux un simple synonyme de geôliers, parce que, disent-ils, le supplice de la torture avait été aboli chez les Romains à l’époque du Sauveur. Mais qu’importe cette raison ? Bien que plusieurs traits de la parabole cadrent avec les prescriptions du droit romain, Notre-Seigneur ne s’astreint pas à les prendre toujours pour règles dans les tableaux qu’il trace. Du reste, ce n’est plus comme débiteur insolvable que l’officier royal est puni, mais à cause de sa conduite barbare ; le monarque est donc parfaitement en droit de le livrer aux bourreaux. - Jusqu'à ce qu'il payât : en réalité, c’est à une prison perpétuelle que le coupable est condamné, comme l’ont déjà remarqué les SS. Pères, puisqu’il ne pourra jamais remplir la condition qui lui est imposée. " Il paiera toujours sans pouvoir jamais s'acquitter ", S. Rémi. " Quant à ces expressions: " avant d'avoir payé ", je m'étonnerais fort qu'elles ne signifiassent pas la peine que nous appelons éternelle ", S. August. de Serm. Dom. in Mont. 1, 11. - Tout ce qu'il devait : expression encore plus générale et, par conséquent, plus forte que " tout " du v. précédent. Le roi ne fera pas la moindre concession. - On connaît la grave discussion théologique qui est née autrefois de ce passage. Puisque le roi, qui représente Dieu, réclame de nouveau le paiement intégral d’une dette qu’il avait auparavant remise de la façon la plus complète, ne suit-il pas de là que les péchés pardonnés peuvent revivre ? Là-dessus ardents débats dont il existe déjà des traces à l’époque des Pères, Cf. S. August. de Baptismo c. Donat. 1, 12, mais qui retentirent surtout au moyen-âge, Cf. Petr. Lombard, Sent. 4, dist. 22 ; S. Thom. Aq. Summ. Theol. p. 3, q.88 ; Hug. à S. Victore, de Sacram. 2, 14, 9, etc. La vraie solution est contenue dans les lignes de S. Thomas bien des fois reproduites : " Les péchés remis ne reviennent pas par un péché subséquent. Il peut arriver, toutefois, qu'un tel péché contienne virtuellement la culpabilité des fautes antérieures, par cela seul que, méprisant la bonté de Dieu, il est plus inexcusable ". Quand Dieu, dans la parabole, réclame " tout ce qu'il devait ", ce n’est point de la dette antérieure qu’il est question, car elle a cessé d’exister ; il parle de la nouvelle dette contractée par une nouvelle offense. Mais laissons ces questions de l’école, et revenons au deux derniers traits de la parabole. " Jamais reproche ne fut plus convaincant, s’écrie Bourdaloue, ni jamais aussi châtiment ne fut plus juste. Pour peu que nous ayons de lumières et de droiture naturelle, il n’y a personne qui ne sente toute la force de l’un, et qui n’approuve toute la rigueur de l’autre. Car que pouvait répondre ce serviteur impitoyable, et si dur à se faire payer sans délai une somme de cent deniers, lors même que son Maître, touché pour lui de compassion et ayant égard à sa misère, venait de lui remettre jusqu’à dix mille talents ? Si donc, irrité d’une telle conduite, le Maître ne diffère pas à punir ce misérable, s’il le traite comme ce malheureux a traité son débiteur, et s’il le fait enfermer dans une étroite prison, c’est un arrêt dont l’équité se présente d’abord à l’esprit, et dont la raison est évidente ". Sermon pour le 23ème dimanche après la Pentecôte.Matthieu chap. 18 verset 35. - C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur. -
C'est ainsi que mon Père. C’est la morale de la parabole. Mais citons encore Bourdaloue. " Voilà, mes chers auditeurs, la figure, et dès que nous en demeurons là, nous n’y voyons rien qui nous surprenne, ni rien qui ne soit conforme aux lois d’une étroite justice. Mais laissons la figure, et faisons-en l’application. Jésus-Christ l’a faite lui-même dans notre Évangile, et il y a sans doute de quoi nous étonner. Car c’est ainsi, dit le Fils de Dieu, que notre Père céleste se comportera envers vous. Quelle menace ! et à qui parle le Sauveur du monde ? A vous, chrétiens, et à moi, si nous ne pratiquons pas à l’égard du prochain la même charité que ce Dieu de miséricorde a tant de fois exercée en notre faveur, et qu’il exerce encore tous les jours ; si dans les offenses que nous recevons du prochain, nous nous livrons à nos ressentiments et à nos vengeances ; si nous ne pardonnons pas, si nous ne remettons pas libéralement toute la dette, ou si nous ne la remettons pas sincèrement et de bonne foi ". - " Ainsi " c’est-à-dire comme le roi de la parabole ; Cf. 6, 14, 15. Il saura punir avec la même rigueur, de même qu’il sait pardonner avec la même bonté. - De tout son coeur, en toute sincérité et vérité ; " sans se livrer à des œuvres de vengeance, sans conserver de la méchanceté dans le cœur ", Hug. a S. Victore, l. c. " Le Seigneur a précisé de tout son cœur de façon à proscrire toute réconciliation fictive ", S. Jérôme in h.l. - L’application des divers traits de cette parabole est si claire, si aisée, qu’il est à peine utile de relever les points les plus saillants. Le roi n’est autre que Dieu lui-même. Le serviteur qui doit dix mille talents, c’est l’homme, qui a tant offensé le Seigneur, et qui a ainsi contracté envers lui des dettes énormes auxquelles il lui est tout à fait impossible de satisfaire. Mais le Père céleste, touché de sa misère, a daigné lui accorder la remise entière de sa dette. Le second débiteur, c’est le prochain. Nous avons souvent les uns à l’égard des autres quelques obligations ; mais, comparées à ce que nous devons à Dieu, nos créances réciproques sont tout au plus dans la proportion de cent deniers à dix mille talents. Traités par le Seigneur avec tant de miséricorde, si nous refusons de remettre à nos frères les petites dettes que la faiblesse humaine leur a fait contracter envers nous, si nous ne leur pardonnons pas généreusement et promptement leurs offenses, Dieu nous traitera nous-mêmes avec la plus grande rigueur. - On trouvera ces pensées admirablement développées dans la 61ème homélie de S. Jean Chrysostome et dans la " Catena " de S. Thomas d’Aquin. - Bossuet fait ressortir avec sa majesté accoutumée la gloire qui rejaillit d’un pareil enseignement sur Jésus-Christ et sur l’Église : " La philosophie avait bien tâché de jeter quelques fondements de cette doctrine ; elle avait bien montré qu’il était quelquefois honorable de pardonner à ses ennemis ; mais ce n’était pas une vertu populaire ; elle n’appartenait qu’aux victorieux. On leur avait bien persuadé qu’ils devaient se faire gloire d’oublier les injures de leurs ennemis désarmés, mais le monde ne savait pas encore qu’il était beau de leur pardonner, avant même de les avoir abattus. Notre Maître miséricordieux s’était réservé de nous enseigner une doctrine si humaine et si salutaire : c’était à lui de nous faire paraître ce grand triomphe de la charité, et de faire que ni les injures ni les opprobres ne pussent jamais altérer la candeur ni la cordialité de la société fraternelle ". Sermon pour le 5° dimanche après la Pentecôte.Jésus quitte la Galilée et s'en vient en Pérée, vv. 1-2. - Polémique du Sauveur contre les Pharisiens touchant l'indissolubilité du mariage, vv. 3-9. - Invitation à la virginité, vv. 10-12. - Jésus bénit les petits enfants, vv. 13-15. - Le jeune homme riche, vv. 16-22. - Danger des richesses au point de vue du salut, vv. 23-26. - Récompense généreuse accordée à ceux qui ont tout quitté pour suivre Jésus, vv. 27-30.
Le temps de la Pâque approche, et Jésus quitte la Galilée pour se rendre à Jérusalem où il doit non seulement accomplir la Loi mosaïque en mangeant l’agneau pascal, mais aussi accomplir son propre sacrifice. Les chapitres 19 et 20 du premier Évangile contiennent sur ce dernier voyage du Sauveur de beaux et de touchants détails. Après avoir dit adieu à la Galilée, Jésus vient en Pérée, où il demeure quelque temps. S. Matthieu raconte plusieurs épisodes de ce séjour, 19, 1-20, 16. Enfin le Jourdain est franchi et l’on entre en Judée, ce qui donne lieu à d’autres traits caractéristiques, desquels il ressort avec évidence que la fin de Notre-Seigneur est proche, 20, 17-34. - Outre l’intérêt particulier qui s’attache aux faits racontés dans tout ce passage, il y a aussi l’intérêt plus grand encore des leçons morales données par Jésus. Ces leçons pourraient s’intituler : Portrait des vrais disciples du Christ, car elles expriment clairement ce que doit être, surtout sous le rapport du détachement et de l’humilité, le véritable partisans de Jésus. Notre-Seigneur, avant de quitter les siens, profite de toutes les occasions qui se présentent pour les former et pour les instruire. - Nous trouvons au début de ce paragraphe, 19, 1-2, une esquisse générale du voyage ; S. Matthieu expose ensuite assez longuement les principaux faits qui signalèrent le séjour de Jésus-Christ dans la province de Pérée, 19, 3-20, 16 ; enfin une troisième partie, 20, 17-34, est consacrée aux événements qui précédèrent d’une manière immédiate l’entrée à Jérusalem.
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Et il arriva que, lorsque Jésus eut achevé ces discours, il partit de Galilée et vint aux confins de la Judée, au delà du Jourdain. 2Des foules nombreuses le suivirent, et il y fit des guérisons.Matthieu chap. 19 verset 1. - Et il arriva que, lorsque Jésus eut achevé ces discours, il partit de Galilée et vint aux confins de la Judée, au delà du Jourdain.
- Et il arriva. Parole solennelle qui ouvre une période importante de la vie de Notre-Seigneur. - Lorsque Jésus eut achevé ces discours. S. Matthieu veut désigner par là toute l’instruction du chap. 18, composée, nous l’avons vu, de conseils étroitement liés et formant une belle unité. Mais notons bien que c’est une simple formule de transition, par laquelle l’évangéliste clôt le ministère de Jésus en Galilée, et non pas une date rigoureusement exacte. En effet, si nous comparons les récits de S. Jean et de S. Luc avec ceux de S. Matthieu et de S. Marc, nous arrivons promptement à la conviction qu’il existe ici dans les deux premiers Évangiles une lacune considérable. De l’automne de l’an 782 U. C., S. Matthieu nous transporte brusquement au printemps de 783, passant sous silence plusieurs voyages de Jésus à Jérusalem et d’importantes péripéties qui remplissent à peu près dix chapitres du troisième Évangile, Cf. Luc 9, 51 - 17, 11, et cinq du quatrième, Cf. Joan. 7, 2- 11, 54 ; comparez notre Harmonie évangélique et l’explication de ces passages. S. Matthieu voulant omettre les détails qui ne rentraient pas dans son plan, unit selon sa coutume le dernier des événements qui précède ces lacunes volontaires et le premier qui les suit, comme s’il y avait eu entre eux une connexion immédiate d’après l’ordre chronologique. C’est pour cela que nous trouvons le voyage du Sauveur à Jérusalem rattaché à l’instruction du Chapitre 18, bien que plusieurs mois se fussent écoulés dans l’intervalle. - Il partit de Galilée. Jésus quitte la Galilée pour n’y plus revenir, puisqu’il se rend maintenant à Jérusalem afin d’y consommer son sacrifice, Cf. ch. 21 et suivants. - Et vint aux confins de la Judée. La proposition précédente désignait le point de départ ; celle-ci en marque le but précis, la Judée. D’après plusieurs commentateurs, il est vrai, l’évangéliste ne parlerait ici que des confins de la Judée ; mais c’est une erreur, car l’expression indique très habituellement l’arrivée sur le territoire proprement dit d’une contrée : ce n’est guère que par exception qu’elle signifie : " s’arrêter dans les régions limitrophes " ; Cf. Bretschneider, Lexic. man. - Au-delà du Jourdain. L’autre côté du Jourdain par rapport à la Galilée, c’est évidemment la rive orientale du fleuve ; par conséquent il est impossible de rattacher ces deux mots à " confins de la Judée ", comme l’ont fait plusieurs exégètes, attendu qu’aucune partie de la Judée n’a jamais été située sur la rive droite du Jourdain. Il faut donc nécessairement les faire dépendre du " vint ", ce qui donne un sens très précis : Jésus, quittant la Galilée pour aller en Judée, passa par la Pérée. Le texte grec de S. Marc, 10, 1, ne permet pas le moindre doute sur ce point. Nous avons déjà dit qu’il y avait deux routes pour venir de Galilée à Jérusalem : la première, qui était la plus directe, traversait la Samarie ; la seconde faisait un long détour par la Pérée. Voir l’Atlas de M. l’abbé Ancessi, pl. 16. S. Matthieu détermine ainsi tout à la fois, et en quelques mots, le point de départ, " la Galilée ", le but, " les confins de la Judée ", et la direction, " au-delà du Jourdain ", du dernier voyage de Notre-Seigneur. Il en marquera plus loin les principales stations, Cf. 19, 15 ; 20, 17, 29 ; 21, 1. - La province de Pérée, que nous n’avons pas encore eu l’occasion de décrire, était située, comme son nom l’indique, à l’Orient du Jourdain, au-delà par rapport aux trois autres provinces juives, qui formaient la partie principale de la Terre-Sainte. Son territoire, qui s’étendait, dans le sens large, depuis les sources du Jourdain jusqu’à l’extrémité méridionale de la mer Morte, avait été notablement réduit ; car, au temps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Cf. Josèphe, Bell. Jud. 3, 3, 3, la Pérée était bornée au Nord par le petit fleuve Hiéromax (aujourd’hui Schériat-el-Mandour), et au Sud par l’Arnon. Les limites de l’Est et de l’Ouest étaient d’une part le désert, de l’autre le Jourdain ; Cf. Raumer, Palæstina, 4° édit. p. 225, et les cartes de van de Velde, Stieler, R. Riess, etc. Les planches 15 et 16 de l’Atlas géographique de M. Ancessi sont inexactes sur ce point. Nous avons vu que la Pérée appartenait au tétrarque Hérode Antipas, depuis la mort d’Hérode-le-Grand. Elle diffère beaucoup, pour la configuration générale, des autres provinces situées à l’Ouest du Jourdain. C’est un vaste plateau que recouvre partout un riche tapis de verdure ; mais sa surface, au lieu d’être unie, est couverte de dunes nombreuses aux ondulations variées, qui semblent avoir été jetées là dans une complète confusion. La partie septentrionale abonde en magnifiques bois de sycomores, de hêtres, de térébinthes, d’ilex et de figuiers ; la partie méridionale est beaucoup plus découverte, et les arbres y sont très clairsemés. Ce vaste plateau ondulé est pour ainsi dire profondément déchiré à trois reprises par les vallées du Yarmouk, du Jabbok et de l’Arnon. Dressé à pic du côté du Jourdain, il descend au contraire lentement dans la direction de l’Est, et finit par se mêler à la plaine immense qui va rejoindre le désert. Le caractère de la Pérée a toujours été pastoral, comme celui de ses habitants. A l’époque du Sauveur, c’était une province très florissante, remplie de villes splendides qu’ornaient des temples et des théâtres somptueux. Aujourd’hui, on n’y voit guère que des ruines. Les Turcs et les Bédouins rivalisent à qui transformera le plus promptement ce riche pays en un affreux désert. La mauvaise administration des uns, la paresse et le brigandage des autres auront bientôt obtenu ce triste résultat.Matthieu chap. 19 verset 2. - Des foules nombreuses le suivirent, et il y fit des guérisons.
- Des foules nombreuses le suivirent. Ce détail et les suivants, Cf. vv. 13 et 16, semblent prouver que l’accueil fait au Sauveur dans la Pérée fut excellent. A peine y a-t-il pénétré que nous voyons autour de lui des foules nombreuses qui l’écoutent religieusement, ainsi qu’il arrivait autrefois en Galilée. Comme il n’avait pas encore séjourné dans cette province, ses ennemis n’avaient pas eu l’occasion de le calomnier devant le peuple : voilà pourquoi les multitudes lui sont complètement favorables, les préjugés n’étant pas encore venus diminuer le respect qu’on éprouvait pour lui. - Il y fit des guérisons ; Cf. 12, 5. Il guérit ceux qui en avaient besoin. - Y, en Pérée, dans la contrée désignée en dernier lieu par les mots " au-delà du Jourdain ".
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Alors les Pharisiens s’approchèrent de lui pour le tenter ; et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour quelque cause que ce soit ? 4Il leur répondit : N’avez-vous pas lu que Celui qui créa l’homme dès le commencement, créa un homme et une femme, et qu’il dit : 5A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair ? 6Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni. 7Ils lui dirent : Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme un acte de divorce et de la renvoyer ? 8Il leur dit : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes ; mais au commencement, il n’en était pas ainsi. 9Or je vous dis que quiconque renvoie sa femme, si ce n’est pour infidélité, et en épouse une autre, commet un adultère, et que celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère.Matthieu chap. 19 verset 3. - Alors les Pharisiens s’approchèrent de lui pour le tenter ; et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour quelque cause que ce soit ?
- Alors les Pharisiens... En Pérée même, comme en Galilée, comme en Judée, nous rencontrons bientôt les ennemis acharnés de Jésus, les Pharisiens, qui, n’osant encore en venir aux voies de fait à son égard, essaient du moins de lui tendre des pièges pour l’attaquer ensuite devant le peuple, ou même devant les tribunaux religieux du pays. De quelque côté que le Sauveur dirige ses pas, il est sûr de rencontrer ces sectaires qui ont reçu pour mot d’ordre de ne lui laisser aucun repos. - Pour le tenter. La question qu’ils vont lui proposer était alors l’une des plus brûlantes de la morale judaïque, comme nous l’avons indiqué en commentant le Discours sur la Montagne, Cf. 5, 31 et 32 : les deux célèbres écoles d’Hillel et de Schammaï luttaient avec acrimonie sur la signification de quelques mots obscurs du texte de la Loi, la première affirmant que, par " il découvre en elle une tare ", Cf. Deut. 24, 1-4, il fallait entendre n’importe quel motif, la seconde restreignant le divorce à l’adultère. Les Pharisiens s’arrangent donc de façon à lancer Jésus dans la guerre que se faisaient ces deux partis : sa décision, pensaient-ils, ne pouvait manquer d’être favorable ou bien aux partisans d’Hillel, et alors les Schammaïtes mécontents se déclareraient contre lui, ou bien aux disciples de Schammaï et dans ce cas les Hillélites ne sauraient lui pardonner cet affront public. " Ils veulent le prendre dans ce dilemme sans réplique, et le faire tomber dans le piège, quelle que soit sa réponse ", S. Jérôme Comm. in h. l. Divers interprètes (de Wette, Ewald, Bisping, etc.) font observer en outre que Jésus se trouvait alors sur le domaine d’Hérode Antipas ; les Pharisiens pouvaient bien se proposer aussi de le compromettre envers le prince adultère ; car ils prévoyaient que sa réponse ressemblerait à celle du Précurseur, " Il n'est pas permis ", et peut-être qu’alors Antipas averti traiterait Jésus comme il avait traité Jean-Baptiste. Ce serait ainsi un piège d’un second genre. - Pour quelque cause que ce soit. C’est ici le point captieux de la question : elle est posée dans le sens d’Hillel et de manière à provoquer une réponse négative, conforme aux principes de Schammaï. Joseph, cet historien raconte du reste froidement, comme une chose naturelle, que sa première femme l’ayant abandonné, il en épousa une seconde qu’il chassa lui-même après qu’elle lui eût donné trois enfants, pour en prendre encore une troisième. C’était l’application parfaite de la théologie d’Hillel. Voir d’autres détails dans notre commentaire de 5, 31.Matthieu chap. 19 verset 4. - Il leur répondit : N’avez-vous pas lu que Celui qui créa l’homme dès le commencement, créa un homme et une femme, et qu’il dit...
- Il leur répondit. Hillel, disait le Talmud, délie ce que lie Schammaï. Mais Hillel allait beaucoup plus loin, car il déliait en réalité ce qu’avait lié Moïse, bien plus, ce que le Seigneur lui-même avait lié. Jésus liera non seulement comme Moïse et Schammaï, mais comme Dieu. Dans sa réponse, vv. 4-6, qui est un modèle parfait de sagesse, de vigueur et de clarté, il évite admirablement le piège que lui avaient tendu ses adversaires. Sans se prononcer pour aucune des deux écoles, sans rien dire qui pût blesser même un Hérode, il ramène le mariage à l’idéal voulu par Dieu, proclame franchement l’indissolubilité de cette sainte institution, et tranche tous les abus qui s’étaient glissés ou qui avaient été tolérés dans la théocratie juive. - N'avez-vous pas lu est ironique, ainsi lancé à la face d’hommes qui se prétendaient parfaitement instruits de toute leur religion ; d’autant mieux que les deux textes cités par Jésus se trouvent à la première page de la Bible. - Celui qui créa l'homme ; le divin Créateur lui-même. - Dès le commencement. Cette expression, qui correspond au mot " Au commencement ", par lequel s’ouvre la Genèse, retombe sur le second verbe " créa " et non sur le premier ; aussi la virgule devait-elle être placée après " homme ". La pensée obtient ainsi beaucoup plus de force. " La caractéristique essentielle est que, dès les origines mêmes du monde, l'homme et la femme vivent en société ", Fritszche. Jésus s’appuie donc sur ce fait que Dieu, dès qu’il créa l’homme, le créa dans les conditions qui vont être indiquées. " Dans tout examen et toute interprétation, dit fort bien Bengel, il faut recourir aux origines de l'institution divine ", Gnomon in h. l. - Créa un homme et une femme. A part un léger changement dans le texte latin, " fecit " au lieu de " creavit ", ce passage se retrouve textuellement dans la Genèse, 1, 27 : c’est une première citation que fait Notre-Seigneur. Elle convient parfaitement à la thèse qu’il veut démontrer. Dieu a créé les deux premiers membres de la grande famille humaine dans un état tel, qu’ils étaient manifestement désignés au mariage, mais à un mariage d’un à un. Il n’a pas produit un homme et plusieurs femmes, ou bien une seule femme et plusieurs hommes, de sorte que la polygamie eût été nécessaire dès le début de l’humanité. Bien plus, d’après toute l’énergie du texte sacré, il n’a pas même créé un seul homme et une seule femme, mais " un mâle et une femelle ", c’est-à-dire deux individus de différents sexes, qui se complètent et se nécessitent l’un l’autre, et qui deviennent ainsi le type de l’indissolubilité du mariage. Le pluriel " un homme et une femme " après un substantif au singulier " homme " n’est pas moins remarquable : il y a là l’indication d’une unité et d’une dualité mystérieuses. - Tel est le premier argument de Jésus : c’est une réponse de Dieu lui-même, et par la voie des faits, à la question qu’avaient posée les Pharisiens. Nous allons entendre dans le verset suivant une seconde réponse divine, formulée dans le langage humain. - Et il dit. Ces mots seraient beaucoup mieux placés au commencement du v. 5, conformément à la division du texte grec.Matthieu chap. 19 verset 5. - A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair ?
- C’est une autre citation biblique opposée par Jésus à ses adversaires : elle est tirée du second chap. de la Genèse, v. 24. Mais comment le Sauveur peut-il rapporter à Dieu lui-même les paroles qu’elle renferme, puisque c’est par Adam qu’elles furent prononcées, comme un glorieux épithalame, au moment où le Créateur lui présentait celle qu’il lui avait destinée pour épouse ? Cette petite difficulté a été résolue depuis longtemps par S. Augustin : " Toutefois, dans l’Évangile, Notre-Seigneur attribue ces paroles à Dieu lui-même, nous indiquant ainsi qu'Adam n'était que son prophète, et que c'est Dieu qui parlait par sa bouche ", Du mariage et de la concupiscence, L. 2, 12. Le mot d’Adam étant une prophétie manifeste, c’est Dieu lui-même qui la fit par la bouche du premier homme. - A cause de cela. Déduction tirée par Adam des circonstances qui avaient accompagné la création d’Eve. La première femme n’avait pas été formée de la terre, mais de la substance même du premier homme. Ce fait même, s’écrie Adam, et Jésus après lui, prouve l’indissolubilité du mariage : l’homme et la femme devraient être à tout jamais unis comme ils l’étaient avant la séparation mystique opérée par Dieu. - L'homme quittera. Adam prophétise ce qui aura lieu plus tard, dès la première génération issue de lui. Sans père, sans mère, sans généalogie, il ignorait personnellement ce que c’était que renoncer aux relations les plus intimes pour se donner tout entier à une épouse : à défaut d’expérience, il avait la révélation d’en haut pour l’éclairer. - Son père et sa mère. Le père et la mère, symbole de ce que l’homme a de plus cher avant de s’attacher à une femme en vue de l’épouser. Adam exprimait ainsi la nature du mariage, le représentant comme un lien très étroit qui dissout immédiatement tous les autres. Ainsi que le disait Adam, c’est bien à l’occasion du mariage que l’on abandonne le plus souvent d’une manière définitive la maison paternelle et la douce société d’une mère. - Il s'attachera à sa femme : le grec et l’hébreu, " conglutinari ", expriment plus fortement encore l’union morale produite entre deux âmes par le nœud sacré du mariage : ce nouvel amour l’emporte sur tous les autres et les remplace tous. Cf. Gen. 24, 67. - Et ils seront deux dans une seule chair. Cette parole, qui est la principale du texte, décrit avec une sainte liberté les mystères du mariage et le contrat indissoluble dont ils sont la figure. Deux en un, ou mieux encore deux en une seule chair, et à tout jamais. " Deux " n’est pas dans l’hébreu ; mais on le trouve déjà dans le Pentateuque samaritain, eux deux, et dans la traduction des 70, les deux, avec l’article : " qui seront deux ". Cette fois, ce n’est plus d’une simple union morale qu’il s’agit, mais de l’unité physique, de l’association de deux organismes en un seul ; Cf. 1 Cor. 6, 16. " De même que, avant la séparation du premier homme en deux individus de divers sexes, la femme formait une unité corporelle avec l’homme, de même, dans le mariage, elle redevient un seul corps avec lui, l’union organique primitive se trouvant ainsi rétablie ", Bisping.Matthieu chap. 19 verset 6. - Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni.
- Ainsi. Conséquence directe des derniers mots de la citation. Ne formant plus qu’un seul être malgré la pluralité des personne, ils ne sont plus deux comme auparavant, mais une seule et même chair. On voit combien Jésus insiste sur ce point qui est essentiel pour la thèse. Vous me demandez si le divorce est permis pour toute sorte de raison. Mais regardez ce que Dieu, l’instituteur du mariage, a fait au moment de la création ; écoutez ce qu’il a dit. Après avoir étroitement uni le premier homme et la première femme avant leur mariage, il les unit non moins étroitement après, manifestant ainsi d’une manière visible ses saintes volontés. - Que l'homme ne sépare donc pas. C’est la conclusion de tout le raisonnement qui précède. Remarquons de nouveau l’emploi du neutre et de l’abstrait, au lieu du pluriel et du concret qui sembleraient d’abord plus naturels. - Ce que Dieu a uni : attaché au même joug. Dieu lui-même a institué cette union intime, soit par le fait de la création, soit par les paroles prononcées au moment du mariage d’Adam. - Que l'homme ne sépare pas. L’homme par opposition à Dieu. Que la créature ne prétende pas pouvoir détruire par ses caprices, par ses passions mauvaises, l’œuvre sublime du Créateur. Voilà la décision du Christ : Non, il n’est point licite de se séparer de sa femme : la loi naturelle s’y oppose, v. 4, et même la loi divine, v. 5.Matthieu chap. 19 verset 7. - Ils lui dirent : Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme un acte de divorce et de la renvoyer ?
- Ils lui dirent. Les Pharisiens sont doublement déconcertés après cette réponse, car d’une part Jésus a échappé à leurs embûches, de l’autre il a exposé, en employant les expressions mêmes de la Bible, une doctrine qui est loin de plaire à leurs préjugés et à leurs passions. Ils reprennent cependant leur sang-froid pour lui faire une objection qui n’est pas dépourvue d’habileté. - Pourquoi donc. S’il est vrai, comme vous le dites, que la monogamie est d’institution divine, si le mariage dûment contracté est indissoluble jusqu’à la mort, comment est-ce que Moïse a pu nous commander le divorce ? - Moïse : de nouveau ils opposent à Jésus l’autorité du grand législateur. Moïse, l’homme de Dieu n’a pu assurément nous prescrire une conduite condamnée par le Seigneur, et ses paroles, telles qu’on les lit dans le texte même de la Loi, Deut. 24, 1 et ss., autorisent très clairement le divorce. - Prescrit ; ils durent prononcer ce verbe avec emphase, de même que le nom glorieux de Moïse. - Un acte de divorce, Cf. la note de 5, 31.Matthieu chap. 19 verset 8. - Il leur dit : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes ; mais au commencement, il n’en était pas ainsi.
- Solution victorieuse de l’objection des Pharisiens. - On oppose Moïse à Jésus ; le divin Maître, après avoir expliqué la conduite du Législateur, l’oppose à son tour à la volonté de Dieu. - À cause de la dureté de votre cœur, en vue de la dureté bien connue de vos cœurs, eu égard à votre mauvais caractère. Moïse n’ignorait pas que ce défaut vous rendait incapables de supporter la Loi primitive dans toute sa force idéale : de là les ménagements qu’il a pris. Mais ces ménagements sont une honte pour vous, puisqu’ils proviennent de votre faiblesse morale. Comparez Ezéchiel 3, 7, où le Juifs sont appelés expressément, durs de cœurs ; voir aussi Deut. 9, 29. Du reste, poursuit Jésus, vous avez singulièrement exagéré la conduite de Moïse sur ce point : il est faux de prétendre qu’il vous a ordonné le divorce, il l’a simplement toléré, permis. Ce que vous appelez une injonction n’est qu’une dispense temporaire, dont le but avéré était même d’imposer des bornes à vos passions, en ne permettant la séparation des époux qu’à certaines conditions plus ou moins onéreuses. - Au commencement ; comme au v. 4 : au commencement du monde, quand Dieu institua le mariage. - Il n'en était pas ainsi. Le divorce n’existait pas alors, le mariage était tout à fait indissoluble. " Quoiqu’il semble donc que je sois maintenant l’auteur de cette loi, vous voyez combien elle est ancienne, et qu’elle a été très-religieusement établie dès le commencement du monde ", S. Jean Chrys., Hom. 62 in Matth. L’unité absolue du mariage était si bien comprise dans les temps anciens, que Lamech, ce descendant de Caïn qui osa la violer le premier en prenant deux femmes à la fois, crut devoir non pas se justifier, mais se mettre en garde contre les violences de ses semblables par un épithalame sanglant et impie, bien différent de celui d’Adam ; Cf. Gen. 4, 23 et 24. - La réponse de Jésus est décisive, et l’objection tombe d’elle-même devant cette explication authentique de la conduite de Moïse. Le Législateur n’a pas commandé, il a seulement permis le divorce ; de plus, il ne l’a permis que comme un moindre mal, et non point parce qu’il était conforme à la volonté primitive de Dieu et à la nature des choses, puisque au contraire " au commencement il n'en était pas ainsi ". Remarquons l’accumulation affectée des pronoms " vos, votre " : la dispense a été tolérée pour vous, mais elle ne durera pas toujours. Voici en effet que Jésus la lève solennellement.Matthieu chap. 19 verset 9. - Or je vous dis que quiconque renvoie sa femme, si ce n’est pour infidélité, et en épouse une autre, commet un adultère, et que celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère.
- Or je vous dis. " Après les avoir réduit au silence, il établit sa loi avec autorité ", S. Jean Chrys. l. c. En tant qu’il est le Législateur de la nouvelle Alliance, Jésus-Christ promulgue sa Loi sur le mariage, par opposition à celle de l’Ancien Testament ou plutôt, il se borne à rétablir dans son intégrité la Loi primitive qu’il a développée plus haut, vv. 4-6. La dispense mosaïque était une imperfection qui ne pouvait convenablement subsister dans le royaume du Messie, où tout doit être parfait. - Quiconque renvoie... Ce décret de Jésus n’est pas nouveau pour nous : déjà nous l’avons rencontré, tout à fait le même quant à l’idée, à peu près le même dans les termes, lorsque nous lisions le Discours sur la Montagne : " Mais moi je vous dis que quiconque renverra sa femme, si ce n’est en cas d’infidélité, la fait devenir adultère, et celui qui épouse une femme renvoyée commet un adultère ", Cf. 5, 32. Nous en avons alors expliqué la teneur générale ; mais il nous faut maintenant aborder de front l’étude difficile et intéressante des mots si ce n'est pour infidélité, ou bien si ce n'est à cause de sa fornication , que nous avions réservée pour le passage actuel. Ces deux formules sont complètement identiques ; il est même possible que Jésus ait employé deux fois les mêmes expressions sans la moindre variante. Ici, en effet, comme dans le Discours sur la Montagne, plusieurs manuscrits grecs et latins, la version copte, Origène, S. Jean Chrysostôme et S. Augustin lisent si ce n'est à cause de sa fornication. - Il n’y a pas de doute que le mot " fornication ", ne doive s’entendre de l’adultère proprement dit, puisqu’il est question de fautes contre les mœurs commises par une personne mariée. Il a cette signification dans l’Ancien Testament, Cf. Lévit. ch. 18 et 20, et chez les auteurs classiques. Notre-Seigneur pouvait difficilement employer ici l’expression plus exacte " adultère ", car alors on aurait eu cette phrase singulière : Quiconque renvoie son épouse, si ce n’est à raison d’un adultère, commet un adultère, etc. Voir Bretschneider, Lex. Man. s.v. - Les grecs et les protestants prétendent, en pratique comme en théorie, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout en supprimant le divorce dans les autres cas tolérés chez les Juifs, l’a cependant autorisé si l’un des époux se rend coupable d’adultère. D’après l’enseignement de l’Église catholique, tel qu’il a été formulé par les conciles de Florence et de Trente, Jésus interdit ici le divorce d’une manière absolue, parce qu’il proclame d’une manière également absolue l’indissolubilité du mariage. Nous avons à justifier cet enseignement. Nos preuves seront tirées du contexte, des autres écrits du Nouveau Testament et enfin de la tradition. - 1° Le contexte. Il semble tout d’abord que Notre-Seigneur Jésus-Christ, après avoir affirmé que le mariage est indissoluble de sa nature, établit une exception pour le cas d’adultère ; mais une lecture plus approfondie de tout ce passage montre bientôt qu’on ne saurait adopter une telle opinion sans mettre aussitôt Jésus-Christ en contradiction avec lui-même. Le Créateur, a-t-il dit aux Pharisiens, a indissolublement uni les époux dès l’origine. - Ceux que les liens du mariage ont associés forment un organisme unique, inséparable, que l’homme n’a pas le droit de disjoindre. Que si Moïse a permis le divorce aux Israélites moyennant certaines conditions, c’était par pure tolérance et à l’encontre de l’institution primitive. Aussi désormais, dans le royaume messianique, reviendra-t-on strictement au plan divin. Voilà ce qu’a décrété Notre-Seigneur Jésus-Christ comme chef et législateur de ce royaume. La loi qu’il a portée est universelle, absolue. S’il établit une exception, une seule, sa belle argumentation tombe à l’instant, détruite par sa propre parole ; car alors, lui aussi, il posera comme les Juifs le principe que le divorce peut exister dans certains cas, contrairement au droit naturel et au droit divin. Les mots si ce n'est à cause de sa fornication ne sauraient donc désigner ce que la théologie appelle " liens du mariage ", ni établir par conséquent un cas spécial dans lequel le divorce serait régulièrement permis. - Nous défions les protestants de réfuter cet argument. Mais Notre-Seigneur se contredirait encore d’une autre manière si la parenthèse si ce n'est à cause de sa fornication créait une véritable exception à la règle générale. D’une part, en effet, dans la première partie du verset, il affirmerait que l’union est dissoute par la mauvaise conduite de la femme, de sorte que le mari lésé demeure libre de convoler à de nouvelles noces ; d’autre part, dans la seconde partie de son décret, " celui qui épouse une femme renvoyée ", il interdirait à tout homme de s’unir à l’épouse infidèle. Il supposerait donc en même temps que le lien du mariage est dissous par l’adultère et qu’il ne l’est pas. Car il est bien certain que la phrase " qui épouse... " doit se prendre dans un sens absolu, général ; elle est tout à fait indépendante des mots si ce n'est à cause de sa fornication, qui auraient dû être répétés une seconde fois s’ils avaient quelque influence sur elle. La concession faite par Jésus pour le cas d’adultère doit donc nécessairement s’entendre d’une simple séparation, avec défense complète de contracter un second mariage. Tout est bien simple dans le décret du Sauveur, quand on veut l’examiner sans idées préconçues. Il se compose en quelque sorte de trois articles distincts se complétant l’un l’autre, et répondant soit à la question, soit à l’objection des Pharisiens : - Art. 1er. Il n’est permis à un mari de se séparer de sa femme que dans l’hypothèse où celle-ci se conduit mal. - Art. 2. Même dans ce cas, il ne peut épouser une autre femme, sans commettre le crime d’adultère. - Art. 3. Quiconque épouse la femme infidèle, séparée de son mari légitime, se rend également coupable d’adultère. Ainsi interprétée, la loi est très intelligible, très logique, et elle coupe court aux tristes abus du divorce ancien et moderne. - Non seulement telle fut la pensée du divin Maître quand il prononça ce texte célèbre, mais telle fut aussi la pensée de ses auditeurs. Les Apôtres en particulier, nous le verrons bientôt, Cf. v. 10, ne comprirent pas autrement que l’a fait depuis l’exégèse catholique le sens des paroles du Sauveur. S’il en est ainsi, s’écrient-ils, des rapports de l’homme avec sa femme, il est mille fois préférable de ne pas se charger d’un joug si pesant ! Eussent-ils été effrayés à ce point, si Jésus avait toléré le divorce, au moins dans le cas où la femme mènerait une conduite gravement irrégulière ? - Ces preuves ont paru si frappantes à plusieurs écrivains protestants, que l’un d’eux, le grave Dr Stier, admet volontiers qu’il y a tout au moins dans ces paroles de Notre-Seigneur un conseil pressant de ne pas divorcer, même en cas d’adultère. Alford va plus loin ; après avoir avoué franchement son embarras, il écrit cette ligne significative : " Il semble que, d’après la signification littérale des expressions de Jésus, un nouveau mariage ne devrait pas être permis, même dans l’hypothèse d’un adultère ". Nous aimons à prendre acte de pareilles déclarations, qui valent des arguments nombreux. - Pour compléter la démonstration qui précède, il nous reste à signaler quelques conjectures inventées par les exégètes et les théologiens catholiques, dan le but de mettre la doctrine de l’Église sur ce point important tout à fait à couvert des attaques de l’erreur et du schisme. 1. Divers auteurs, donnant au mot " fornication " un sens figuré, le traduisent comme s’il était synonyme d’idolâtrie, de paganisme. Alors, l’exception établie par Jésus se confond avec celle qui est mentionnée par S. Paul dans sa première Épître aux Corinthiens, 7, 15. 2. D’après Dœllinger, Christenth. und Kirche, p. 391 et ss., 458 et ss., " fornication " ne désigne que la stricte fornication, par conséquent, une faute contre les mœurs commise par la femme avant le mariage. Si le mari en a plus tard connaissance, il aura le droit de contracter une seconde alliance, la première ayant été invalide. (On se demande d’où pourrait provenir l’invalidité !). 3. Suivant M. Schegg, Notre-Seigneur excepterait le cas d’adultère parce que, la loi mosaïque étant alors appliquée dans toute sa rigueur, l’épouse infidèle devait être certainement lapidée. Le mariage était donc réellement dissous par l’adultère, c’est-à-dire par la mort. 4. Pour le P. Patrizzi " fornication " équivaut à " mariage invalide, concubinage " ; d’après cela, il est évident que le divorce pourrait et même devrait être prononcé, puisque l’homme et la femme, pour un motif ou pour un autre, n’auraient pas été véritablement unis devant Dieu. 5. Le Dr Hug, pense que, par la clause " si ce n'est à cause de sa fornication ", Notre-Seigneur Jésus-Christ établissait une exception sérieuse ; mais c’était une simple concession pour les Juifs, encore devait-elle être retirée après un certain temps. 6. A la suite de S. Augustin, de Adulterin. Conjug. 1, 9, 9, plusieurs commentateurs ont pris les mots litigieux dans un sens négatif, de manière à faire dire au Sauveur : J’affirme que le mariage est indissoluble en général ; quant au cas particulier de l’adultère, je ne m’en occupe pas actuellement ; Cf. Bellarmin, de Matrim. l. 1,c. 16. 7. Enfin quelques auteurs, Cf. Oischinger, die christliche Ehe. Schaffouse, 1852, trouvent plus simple de traduire cette même clause au rebours de ce qui se fait habituellement. Elle signifierait, suivant eux : y compris l’adultère, même dans le cas où la femme se conduirait mal. Il serait trop long d’apprécier en détail ces divers systèmes : aucun d’eux ne nous attire du reste, car il y a dans tous plus ou moins d’arbitraire. Qu'il suffise de dire avec le P. Perrone : " Il n'est pas suffisant, pour qu'une opinion soit acceptée, que la croyance catholique la mette à l'abri ; il faut de plus qu'elle soit vraie ". - 2° Si nous cherchons maintenant à expliquer à l’aide des autres écrits du Nouveau Testament ce passage difficile de S. Matthieu, la lumière se fait davantage encore, et la doctrine catholique reçoit la confirmation la plus parfaite. Il y a d’abord les textes parallèles des deux autres synoptiques, puis les décisions apostoliques de S. Paul. - a. Les textes parallèles à celui de S. Matthieu ne présentent pas la moindre difficulté, car ils sont exprimés d’une manière absolue, sans faire la moindre mention de la clause embarrassante du premier Évangile. Nous lisons dans S. Marc, 10, 11 : " Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère " ; et dans S. Luc, 16, 18 : " Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet un adultère ". Ici, pas d’exception d’aucune sorte : adultère pour celui qui contracte un nouveau mariage après un prétendu divorce, adultère pour celui qui épouse la femme renvoyée par son mari ; et cela, en toute hypothèse. Voilà, suivant une règle bien connue d’exégèse, notre passage obscur éclairci par des passages pleins de netteté, qui exposent sous son vrai jour la vraie pensée de Jésus, telle qu’elle ressortait d’ailleurs du contexte de S. Matthieu. - b. Les décisions de S. Paul sur cette matière ne diffèrent point de celles de son Maître. L’Apôtre des nations maintient à deux reprises dans ses Épîtres, et de façon la plus catégorique, l’indissolubilité complète du mariage chrétien : " À ceux qui sont mariés, je donne cet ordre – il ne vient pas de moi, mais du Seigneur – : que la femme ne se sépare pas de son mari ; et même si elle est séparée, qu’elle reste seule, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; et que le mari ne renvoie pas sa femme... La femme reste liée aussi longtemps que son mari est en vie ", 1 Cor. 7, 10, 11, 39. Nous nous trouvons de nouveau en face d’un précepte qui n’est pas celui de l’Apôtre, il a bien soin de le dire, mais qui remonte au Seigneur Jésus lui-même. Et encore : " Ainsi, la femme mariée est liée par la loi à son mari s’il est vivant ; mais si le mari est mort, elle est dégagée de la loi du mari. Donc, du vivant de son mari, on la traitera d’adultère si elle appartient à un autre homme ; mais si le mari est mort, elle est libre à l’égard de la loi, si bien qu’elle ne sera pas adultère en appartenant à un autre ", Rom. 7, 2, 3. On ne peut rien désirer de plus clair : le mariage une fois contracté subsiste perpétuellement ; la mort seule en peut dissoudre les liens. Et l’Apôtre n’a pas innové. Voir l’explication détaillée de ces textes dans le Commentaire de M. Drach, Epître de S. Paul, p. 52 et 161. - 3° La tradition a très généralement interprété les clauses " si ce n'est à cause de sa fornication ", comme nous l’avons fait nous-même. Pour Hermas, pour S. Justin, pour Athénagore, pour Clément d’Alexandrie, pour Origène et pour la plupart des autres Pères, le mariage est indissoluble même en cas d’adultère. " Cette opinion est défendue par des auteurs plus anciens, assez nombreux et plutôt bons ", dit à bon droit Maldonat qui a traité ce point d’une manière vraiment magistrale. Il y eut parfois sans doute quelques hésitations ; mais elles sont relativement rares, et elles ne tardèrent pas à disparaître, entraînées par le courant de la vérité. Ce n’est donc pas sans raison que l’Église du Christ, appuyée sur la parole de son divin Fondateur, a proscrit et continuera toujours de proscrire le divorce. De savants écrivains, en particulier P. Perrone, De matrimonio christiano, t. 3, cap. 2 et 3, et Roskevany, De indissolubilitate matrimonii, Carrière, Prælectiones theologicæ majores de Matrimonio, Paris 1837, t. 1, p. 287 et ss. ont de nos jours vaillamment combattu contre les adversaires grecs et protestants du mariage chrétien, en mettant en pleine lumière le sens de ce célèbre verset de S. Matthieu. Laissons les hommes de parti pris soutenir sans preuves que la sévérité de l’Église en matière de divorce est l’occasion de honteux abus dans certaines contrées catholiques où elle propage, nous dit-on, " une sauvage romantique " (J. P. Lange) : nous renvoyons aux gazettes des tribunaux des provinces protestantes de l’Angleterre et de l’Allemagne dans lesquelles le divorce pour cause d’adultère est en pleine vigueur. Ils y apprendront des faits autrement graves que ceux qu’ils nous reprochent. " Dans les débats qui ont eu lieu, il n’y a pas longtemps, au parlement d’Angleterre, sur la nécessité de restreindre la faculté de divorcer, l’évêque de Rochester avança que, sur dix demandes de divorce pour cause d’adultère, il y en avait neuf où le séducteur était convenu d’avance, avec le mari, de lui fournir des preuves de l’infidélité de sa femme ", de Bonald, du Divorce considéré au 19è siècle, ch. 11. Les Juifs avaient déjà trouvé ce secret pour arriver au divorce et on le trouvera partout où existera une pareille liberté. Indépendamment de toutes les preuves exégétiques, ne serait-ce pas là une raison suffisante de croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il prononçait les mots " si ce n'est à cause de sa fornication ", n’a pas pu leur donner le sens voulu par les hérétiques ? Remercions le divin Rédempteur qui, en rétablissant dans toute leur intégrité les lois primitives par lesquelles avait été réglée la sainte institution du mariage, a opposé une forte digue à la corruption humaine, et qui a tout spécialement réintégré la femme dans ses droits si lésés chez tous les peuples de l’antiquité, sans en excepter le peuple juif.
10
Ses disciples lui dirent : Si telle est la condition de l’homme à l’égard de la femme, il n’est pas avantageux de se marier. 11Il leur dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela a été donné. 12 Car il y a des eunuques qui sont nés tels dès le sein de leur mère, et il y a des eunuques qui ont été faits tels par les hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne.
Ces trois versets contiennent un précieux enseignement de Jésus que S. Matthieu nous a seul conservé.
Matthieu chap. 19 verset 10. - Ses disciples lui dirent : Si telle est la condition de l’homme à l’égard de la femme, il n’est pas avantageux de se marier.
- Ses disciples lui dirent. Les Apôtres sont effrayés d’une loi matrimoniale si sévère, alarmés des conséquences qu’elle entraîne, et ils expriment leurs inquiétudes à leur Maître avec leur franchise accoutumée. - Si telle est : " telle ", comme vous venez de le dire ; si le mariage est tout à fait indissoluble, de sorte qu’il n’y ait plus moyen de recourir au divorce quand le joug conjugal est devenu trop lourd à porter. - La condition : le substantif latin " causa " est traduit de bien des manières. La Peschito syriaque lui donne le sens de " accusation ",Cf. 27, 77 ; selon d’autres il signifie " raison, condition ", ou bien " chose, négoce ", ou encore " cas ". L’idée est claire néanmoins : Si tels sont les principes qui règlent l’union de l’homme et de la femme dans le royaume messianique. - Il n'est pas avantageux de se marier ; ou, ce qui revient au même, " mieux vaut ne pas se marier ". Dès là que vous prohibez le divorce qui avait été jusqu’à ce jour une espérance ou un refuge pour les époux mal assortis, le mariage peut devenir pour beaucoup la source de maux d’autant plus difficiles à supporter qu’ils devront être perpétuels. Il est donc préférable de se soustraire d’avance à ces épreuves, en évitant un engagement qui peut être un piège aussi bien qu’une bénédiction. La Bible et les proverbes de tous les peuples relèvent d’une manière piquante les adversités qui se rencontrent parfois dans le mariage, et les misères que peut faire endurer à un homme une femme d’un mauvais caractère ; Cf. Eccl. 25 et 26. " Il est plus aisé de combattre contre soi-même et contre la concupiscence de la nature que de souffrir l’importunité d’une femme de mauvaise humeur ", S. Jean Chrysost., Hom. 62 in Matth.Matthieu chap. 19 verset 11. - Il leur dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela a été donné.
- Il leur dit. A cette réflexion de ses disciples, dictée par les sentiments imparfaits de la nature, Jésus-Christ fait une réponse bien délicate. Vous dites vrai, il vaut mieux garder la virginité ; mais apprenez à quelles conditions, car il en est de plusieurs sortes. Il élève ainsi très visiblement le célibat au-dessus du mariage, mais sans abaisser, sans condamner ce dernier état que Dieu lui-même avait institué. - Tous ne comprennent pas : dans le texte latin, le verbe capiunt signifie contenir et se dit habituellement d’un vase et de sa capacité plus ou moins considérable ; mais il s’agit ici d’une capacité morale, intellectuelle. Tous ne comprennent pas cette chose ; tous ne sont pas capables de la réaliser. La version syriaque et d’anciens interprètes adoptent ce dernier sens. C’est une figure élégante et très classique. - Cette parole, la supériorité réelle de la virginité sur le mariage. - Mais seulement... " Il relevait ainsi le célibat, et montrait que c’était une grande chose; afin que les louanges qu’il lui donnait y attirassent à l’avenir ses disciples ", S. Jean Chrysost., Hom. 62 in Matth. " Ceux à qui cela n'a pas été donné, ou ils ne veulent pas, ou ils n'accomplissent pas ceux qu'ils veulent ; mais ceux à qui cela a été donné, veulent de telle sorte que ce qu'ils veulent ils l'accomplissent ", S. Aug. De gratia et lib. Arbitr. c. 4. L’état de virginité n’est pas la règle, mais l’exception, et ceux qui ont le bonheur de se trouver dans cette glorieuse exception n’y sont pas d’eux-mêmes, mais par une grâce particulière du ciel. L’instinct qui porte l’homme au mariage est le plus fort des instincts naturels. Pour lui résister victorieusement, la volonté humaine ne suffit pas ; il faut de plus un secours venu d’en haut, comme le dit si bien le Sage : " je savais que je ne pourrais jamais obtenir la sagesse si Dieu ne me la donnait, et il me fallait déjà du discernement pour savoir de qui viendrait ce bienfait. Je me tournai donc vers le Seigneur et lui fis cette prière ", Sagesse. 8, 21 ; 1 Cor. 7, 35.Matthieu chap. 19 verset 12. - Car il y a des eunuques qui sont nés tels dès le sein de leur mère, et il y a des eunuques qui ont été faits tels par les hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne.
- Car il y a. Ce verset explique le précédent, surtout les dernières paroles, " ceux à qui cela a été donné ". - Eunuque est un mot calqué sur le grec, qui désignait d’après l’étymologie " cubile, lectus ", et " curo ", les serviteurs ou esclaves préposés dans l’Orient au service du gynécée. Ici, Jésus l’emploie dans un sens général pour représenter les hommes qui ne se marient pas. Il distingue trois catégories d’eunuques : il y a les eunuques de nature, ceux qui sont devenus tels par la malignité des hommes, ceux qui le sont pour un motif surnaturel. La première catégorie, qui sont nés tels, comprend tous les hommes qui, pour des raisons physiques de divers genre, sont nés incapables de mariage : leur virginité n’a rien de méritoire, car elle a lieu indépendamment de leur volonté. Dans la seconde classe, qui ont été faits par les hommes, Jésus place les malheureux castrats, comme on les appelait à Rome, qui n’étaient alors que trop nombreux dans tout l’Orient. Comme ils étaient destinés la plupart du temps à la garde des femmes, on prenait des mesures honteuses et cruelles pour s’assurer de leur continence : mais c’était une virginité forcée, qui avait lieu le plus souvent contre le gré de la volonté et qui n’atteignait nullement le cœur. Les Rabbins distinguent aussi dans le Talmud l'eunuque né, et l'eunuque fait. Après avoir nommé ceux qui ne se marient point pour des motifs humains, Jésus range dans une troisième catégorie les hommes qui gardent le célibat en vue de Dieu et pour sa gloire, qui se sont eux-mêmes rendus tels, au moral bien entendu ; car, cette troisième espèce de chasteté ne provient point d’une cause involontaire ou forcée : elle est librement, volontairement embrassée, et en cela consiste précisément sa supériorité sur les deux autres. Il s’agit donc d’eunuques spirituels, qui sont devenus tels par un conflit vigoureux de l’esprit contre la chair et par la grâce toute-puissante de Dieu, comme l’indiquait le v. 11. On sait qu’Origène, prenant à la lettre ces paroles du Christ, se mutila de ses propres mains : sa conduite a été justement réprouvée, la bonne foi seule put l’excuser ; Cf. le Dictionn. encyclop. de la Théologie cathol. de Wetzer et Welte, art. Origène. - A cause du royaume des cieux. Ces mots expriment le but et le motif principal de la virginité chrétienne : on va au-devant d’elle pour s’assurer le royaume des cieux, pour y arriver plus facilement en évitant les encombres et les dangers inséparables du mariage. C’est ce que développe admirablement S. Paul : " Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche comment plaire au Seigneur. Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé ", 1 Cor. 7, 32-33. - Que celui qui peut comprendre... Cf. 11, 15 ; 13, 43. " Que chacun interroge ses forces pour voir s'il peut remplir les devoirs qu'impose la virginité et la pureté. La chasteté a des charmes naturels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne. C'est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les appelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage: "Que celui qui peut combattre, ne refuse pas le combat, qu'il remporte la victoire et qu'il triomphe ", S. Jérôme ; Cf. Bellarm. de Monachis, 2, 31. Voilà l’étendard de la virginité levé bien haut par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Des milliers de saintes âmes ne tarderont pas à se grouper autour de lui, car si l’époux abandonne son père et sa mère pour s’attacher à son épouse, l’âme virginale sait tout quitter aussi et même avec un empressement plus vif encore, pour adhérer à son divin fiancé ; Cf. Ps. 44, 11. 12.
13
On lui présenta alors de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains et priât pour eux. Et les disciples les repoussaient. 14Mais Jésus leur dit : Laissez ces petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. 15Et leur ayant imposé les mains, il partit de là.Scène gracieuse et touchante, vraiment digne de Jésus, que les trois synoptiques ont racontée de concert. Après le mariage sanctifié par le Christianisme, nous trouvons les enfants qui en sont le fruit : Jésus les bénit, de même qu’il avait béni l’institution qui leur donne la vie.
Matthieu chap. 19 verset 13. - On lui présenta alors de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains et priât pour eux. Et les disciples les repoussaient.
- Alors : sans doute immédiatement après le double entretien qui précède, ou du moins peu de temps après. - On lui présenta... Pour désigner ces enfants privilégiés, les deux premiers évangélistes emploient l’expression générale de " petits enfants " ; S. Luc nous dit avec plus de précision que c’étaient des nourrissons, de petits enfants encore à la mamelle. Cette action des mères provenait d’une foi vive en la puissance et en la sainteté de Jésus. Lui ayant vu faire quelques-uns des miracles mentionnés au v. 2, ou bien les connaissant par ouï-dire, elles veulent que ce grand personnage attire les faveurs du ciel sur leurs enfants, et c’est dans ce but qu’elles les lui apportent. - Afin qu'il leur impose les mains. Cette cérémonie nous apparaît dès l’Ancien Testament comme un symbole de la bénédiction ; Cf. Gen. 41, 14 ; Ex. 29, 10 ; 4 Reg. 4, 34. De la synagogue elle passa promptement dans la liturgie chrétienne ; Cf. Act. 6, 6 ; 8, 17, etc. Il paraît que c'était une coutume ancienne de conduire les enfants auprès des Rabbins pour les faire bénir ; Cf. Buxtorf, Synag. Jud. cap. 7. - Et priât pour eux : la parole devait ainsi produire directement ce que le geste signifiait. - Les disciples les repoussaient. S. Marc est plus exact : " les disciples les écartèrent vivement ", 10, 13. Les disciples avaient en ce moment le cœur bien dur. Tout ce qu’on peut dire pour les excuser, c’est qu’ils pensaient agir dans l’intérêt de leur Maître, voulant lui éviter ce qui était à leurs yeux ou une requête importune, ou une occupation peu digne de lui. Ils avaient bien mal compris ou bien vite oublié la leçon qu’il leur avait autrefois donnée à Capharnaüm ; Cf. 18, 1 et ss.Matthieu chap. 19 verset 14. - Mais Jésus leur dit : Laissez ces petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.
- Mais Jésus leur dit. Les pensées du Sauveur diffèrent totalement des leurs. Il s’indigne d’abord contre leur zèle mal entendu, Cf. Marc. 10, 14, puis il prononce en faveur de ces aimables et innocents petits êtres qu’on lui amenait l’une de ses paroles les plus belles, les plus divines. En effet, dit admirablement S. Irénée, " Il est passé par chaque âge, il a été un enfant pour les enfants, sanctifiant les enfants, parmi les petits un petit, sanctifiant ceux de cet âge, et en même temps il a été pour eux un modèle de piété, de justice et d'obéissance ", Lib. 2, c. 22, §4. - Laissez ces petits enfants... douce invitation qui rappelle celle que Jésus adressait un jour " aux brisés de cœur et aux écrasés d’esprit ", Cf. Ps. 33, 19 : " Venez à moi vous tous qui peinez ! ". - Le royaume des cieux est pour ceux... L’enfant et le royaume des cieux sont faits l’un pour l’autre. Mais de quels enfants Jésus parle-t-il dans cette sentence finale ? Il l’indique clairement par les expressions dont il se sert. " Il n'a pas dit le Royaume des cieux est à eux, mais à ceux qui leur ressemblent, pour indiquer non seulement les enfants jeunes, mais tous les hommes qui se rendent semblables à eux ", dit fort bien Maldonat d'après Euthymius. Les Apôtres se figuraient sans doute que pour mériter l’attention du Maître, il fallait que ces enfants devinssent semblables à eux ; Jésus leur apprend pour la seconde fois que, s’ils veulent eux-mêmes sa bienveillance, ils doivent se transformer en enfants. Cf. Marc et Luc. l. c.Matthieu chap. 19 verset 15. - Et leur ayant imposé les mains, il partit de là.
- Leur ayant imposé les mains. Il satisfait donc pleinement le pieux désir des humbles femmes qui lui avaient apporté leurs enfants. Bien plus, à sa bénédiction il ajoute de tendres caresses. Cf. Marc, 10, 16. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ est grand et divin dans ce passage ! - Deux peintres français, Bourdon et Hipp. Flandrin, inspirés par cet acte de son ineffable bonté, y ont puisé la matière de deux œuvres capitales. Les pasteurs des âmes trouveront à leur tour dans la conduite du souverain Prêtre de la nouvelle Alliance un modèle parfait qu’ils imiteront en se montrant pleins de zèle à l’égard des enfants. - Il partit de là, c’est-à-dire de la localité inconnue de la Pérée où s’était passée cette scène ravissante.
16
Et voici qu’un homme s’approcha, et lui dit : Bon Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? 17Jésus lui dit : Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon. Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. 18Lesquels ? Lui dit-il. Jésus dit : Tu ne commettras pas d’homicide ; Tu ne seras pas adultère ; Tu ne déroberas pas ; Tu ne diras pas de faux témoignage ; 19Honore ton père et ta mère ; et, Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 20Le jeune homme lui dit : J’ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse ; que me manque-t-il encore ? 21Jésus lui dit : Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, et suis-moi. 22Lorsque le jeune homme eut entendu cette parole, il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.Matthieu chap. 19 verset 16. - Et voici qu’un homme s’approcha, et lui dit : Bon Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ?
- Et voici. Fait surprenant qui succède à un autre fait surprenant. Il eut lieu au moment où Jésus se mettait en route après avoir béni les petits enfants. Cf. Marc. 10, 17. - Un homme, Cf. 8, 19. C’était un jeune homme, d’après le v. 22, probablement un chef de synagogue selon S. Luc, 18, 18. - S'approcha. S. Jérôme et plusieurs autres commentateurs anciens supposent que ce jeune homme vint trouver Jésus " non pour s'instruire, mais pour le mettre à l'épreuve ", et c’est d’après cette idée préconçue qu’ils interprètent toutes ses paroles. Mais tout, dans l’ensemble du récit, indique au contraire que ce jeune homme se présentait de bonne foi et avec d’excellentes intentions : il ne lui manqua que le courage pour accomplir le conseil du divin Maître. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 63 in Matth. - Bon Maître. Il vient donc à Jésus comme à un Docteur qui lui inspire une entière confiance, et dont il attend les avis sur une question de la plus haute gravité pour sa vie intérieure. - Que dois-je faire de bon. Le jeune homme a des idées peu précises sur la perfection et sur le moyen d’y arriver : il lui semble pourtant qu’elle doit consister dans quelque bonne œuvre particulière et il voudrait que Jésus daignât l’éclairer là-dessus. - Pour avoir la vie éternelle. " Que ferai-je pour avoir ? " Le raisonnement est très juste : la grande récompense que désire ce jeune homme, le salut éternel, ne peut s’obtenir que par des actes méritoires. Les Rabbins s’intéressaient aussi à cette question, et ils ont indiqué en plusieurs endroits du Talmud les meilleurs moyens de devenir, selon le langage consacré " fils des siècles futurs ", ou bien " digne du monde futur ". Qui donc, se demandaient-ils, possédera la vie éternelle ? R. Jochanan disait : Celui qui ajoute la Geülla (prière pour la Rédemption) aux autres prières du soir. R. Afhu : Celui qui récite trois fois par jour le Ps. 145, etc. Cf. Wettstein. Peut-être notre jeune homme connaissait-il déjà ces réponses : on conçoit qu’elles ne l’eussent point satisfait, et qu’il vînt chercher plus de lumière auprès de Jésus. Telle est la première partie de l’entretien, qui se compose de trois questions du jeune chef et de trois répliques du Sauveur.Matthieu chap. 19 verset 17. - Jésus lui dit : Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon. Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements.
- Pourquoi m'interroges-tu... Le " textus receptus " diffère ici notablement de la Vulgate, car il porte " Pourquoi dis-tu que je suis bon ? Seul Dieu est bon " ; de telle sorte que Jésus-Christ aurait répondu tout à fait dans les mêmes termes d’après les trois évangélistes ; Cf. Marc. 10, 18 ; Luc. 18, 19. Toutefois, des autorités aussi graves que nombreuses, entre autres les manuscrits B. D. L. 1. 22. 251, l’Itala, les versions saxonne, copte, arménienne, syriaque, éthiopienne et plusieurs Pères, reproduisent la leçon de la Vulgate à laquelle les auteurs modernes donnent généralement la préférence. Le " textus receptus " aura probablement été corrigé d’après les deux autres synoptiques, qui reproduisent sous une forme plus claire la parole du divin Maître. - Ici, Notre-Seigneur manifeste tout d’abord un certain étonnement de se voir interrogé touchant ce qui est bien. En effet, ajoute-t-il, Dieu seul est bon. Vous désirez connaître le bien par excellence pour votre âme. Mais Dieu n’est-il pas, et lui seul, l’archétype de tout bien ? C’est donc à lui qu’il faut recourir ; ainsi votre demande est superflue : puisqu’il n’y a qu’un seul être absolument bon, il ne peut y avoir qu’une seule chose absolument bonne, l’accomplissement de ses volontés. - Si tu veux entrer... Le Sauveur exprime maintenant en propres termes ce qu’il venait de dire implicitement par la proposition qui précède. La locution dans la vie équivaut à celle qu’avait employée le jeune homme au v. 16 : " avoir la vie éternelle ". - Garde les commandements, c’est-à-dire les dix préceptes du Décalogue. " je sais que son commandement est vie éternelle ", dira plus tard Notre-Seigneur d’une manière plus directe. Cf. Joan. 12, 50. " Rien n’est bon que la Loi ", s’écriait le Talmud, Rosch hasch. f. 59, et la Loi n’était bonne qu’en tant qu’elle était l’expression de la volonté de Dieu.Matthieu chap. 19 verset 18. - Lesquels ? Lui dit-il. Jésus dit : Tu ne commettras pas d’homicide ; Tu ne seras pas adultère ; Tu ne déroberas pas ; Tu ne diras pas de faux témoignage
- Lesquels ? L’interrogateur n’est pas satisfait de cette réponse générale ; il voudrait quelque chose de plus précis. Quels sont, demande-t-il, parmi les nombreux commandements de la Loi, ceux que je dois plus spécialement observer pour acquérir la perfection et la vie éternelle ? Ou bien, il ne peut croire que la perfection intérieure consiste dans l’accomplissement de préceptes communs, qui s’adressent à tous les hommes sans exception ; il prie donc le Maître de lui dire quels sont les commandements particuliers qu’il a en vue. - Jésus dit. Notre-Seigneur se borne à citer, par manière d’exemple, quelques-uns des préceptes les plus connus du Décalogue, montrant ainsi quel était le vrai sens de son premier avis, " garde les commandements ". Les commandements signalés par le Sauveur sont tous empruntés à la seconde table, soit parce qu’ils sont d’un accomplissement plus constant et plus difficile, soit parce que les préceptes de la première table ont été résumés dans la réponse antérieure de Jésus, v. 17.Matthieu chap. 19 verset 19. - Honore ton père et ta mère ; et, Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
- Honore... Jésus avait mentionné d’abord quatre préceptes négatifs, le cinquième, Cf. Exod. 20, 13-16 ; il passe maintenant à deux préceptes positifs, dont l’un forme le quatrième commandement du Décalogue, Ex. 20, 12, tandis que l’autre, tu aimeras ton prochain..., Levit. 19, 18, récapitule toutes les prescriptions de la seconde table : c’est le grand commandement de l’amour du prochain, qui fait observer d’un seul coup toute la Loi ; Cf. Rom. 13, 9 ; Gal. 5, 12.Matthieu chap. 19 verset 20. - Le jeune homme lui dit : J’ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse ; que me manque-t-il encore ?
- J'ai observé toutes ces choses, répond le jeune homme, et même dès ma jeunesse. " Cet adolescent ment ", s’écrie S. Jérôme, indigné d’une telle réflexion. Mais pourquoi l’interlocuteur de Jésus n’eût-il pas dit la stricte vérité ? Pourquoi n’aurait-il pas, depuis son enfance, pratiqué la sainteté légale, évité toute faute grossière ? Il se trompe sans doute quand il affirme qu’il a fidèlement accompli " toutes ces choses " : mais son erreur est involontaire, provenant beaucoup plus de l’infériorité du mosaïsme que de son propre esprit. Est-ce complètement sa faute s’il s’est arrêté à la lettre des préceptes divins, s’il n’en a pas compris toute l’étendue ? Du moins il pressent qu’il lui manque quelque chose d’essentiel, et il désire vivement que la lumière se fasse dans son âme. Aussi demande-t-il encore : Que me manque-t-il encore ? : Sous quel rapport suis-je encore en déficit, imparfait ? S. Jean Chrysostôme, moins sévère que le grand exégète romain, admire cette franche et loyale question : " Et sans s’arrêter là, il ajoute aussitôt: " Que me reste-t-il encore à faire " ? marquant par, toutes ces circonstances un désir ardent de posséder la vie éternelle; mais particulièrement en ce qu’il croyait qu’après avoir accompli les commandements dont Jésus-Christ lui parlait, il lui manquait encore quelque chose pour acquérir ce qu’il souhaitait ", Hom. 63 in Matth. Nous croyons, nous aussi, qu’il y avait dans ce jeune homme de grandes qualités, une noblesse d’âme inaccoutumée, d’ardents désirs du bien, et un certain degré de bonne volonté. C’est à coup sûr cet heureux ensemble qui le rendit cher à Jésus : " Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima ". Marc. 10, 21.Matthieu chap. 19 verset 21. - Jésus lui dit : Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, et suis-moi.
- Le Sauveur, après l’avoir excité, préparé, consent enfin à lui indiquer la voie parfaite sur laquelle il désire s’élancer généreusement à la conquête du salut éternel. - Si tu veux être parfait. Si c’est une volonté réelle qui agite en ce moment votre cœur, si votre demande est sincère. " Est parfait ce à quoi il ne manque rien ", Bengel. Si vous voulez être quelqu’un à qui il ne manque rien sous le rapport spirituel. - Va, retournez dans votre demeure pour un temps. - Vends ce que tu as : c’est le conseil évangélique de la pauvreté volontairement embrassée pour l’amour de Dieu. Peu d’instants auparavant, vv. 11, 12, Jésus avait proposé un autre conseil évangélique, celui de la virginité. - Si Notre-Seigneur recommande tout d’abord à son interlocuteur un complet renoncement, ce n’est pas qu’il suffise, pour être parfait, de vendre ses biens et de les donner aux pauvres ; c’est là du moins un commencement de perfection. Tant qu’on est trop vivement attaché aux biens terrestres, le perfectionnement moral est d’une impossibilité absolue, et tel était précisément l’état de ce jeune homme. Pour lui, le premier cas consistait donc à se défaire de ses richesses : cela fait, la divine société de Jésus eût promptement enrichi son âme de toutes les vertus chrétiennes. Le Sauveur se borne à mettre le doigt sur la plaie principale. - Donne-le aux pauvres, avec sagesse et la joie d’une sainte charité. " Le Christ n'a pas dit, donne à à tes parents, ou à des amis riches (S. Remi), car cela est un acte d'amour humain, par lequel tu ne renies pas tes richesses, mais tu les conserves sous ta garde : ainsi tu ne renonces pas à l'esprit du monde... mais, donne aux pauvres, de qui tu n'attends aucune contrepartie ; Dieu seul te récompensera, car c'est un acte pur de donner l'aumône aux pauvres et de renoncer aux richesses ", Corn. a Lap. in h. l. - Et tu auras un trésor dans le ciel. Admirable et sainte rhétorique de Jésus, qui sait entourer de fleurs et de promesses les œuvres difficiles qu’il prescrit, afin de rendre ainsi l’obéissance moins pénible à la nature ! " Comme il était ici question des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à s'en dépouiller, il lui montre que la récompense qu'il accordera sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la distance qui sépare le ciel de la terre: "Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor dans le ciel"; car un trésor annonce la richesse et la durée de la récompense ", S. Jean Chrysost. l. c. C’est du reste la doctrine du Discours sur la Montagne appliquée à un cas particulier ; Cf. 5, 12 ; 6, 20. - Puis viens : littéralement, " et ici ! ". Après cet acte préparatoire, hâtez-vous de venir me rejoindre pour vivre habituellement avec moi comme l’un de mes disciples privilégiés. Tel est en effet le sens des mots suis-moi ; Cf. 9, 9 ; 8, 22. Quelle grâce pour cet heureux jeune homme ! Mais, hélas ! il ne sut pas en profiter, ni réaliser l’espoir que nous avions conçu de lui au début de cette narration.Matthieu chap. 19 verset 22. - Lorsque le jeune homme eut entendu cette parole, il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
- Lorsque le jeune homme eut entendu... Quelle sorte de réponse attendait-il donc du bon Maître ? Quoi qu’il en soit, celle qu’il a reçue en dernier lieu produit immédiatement un effet désastreux sur son âme, dont elle révèle toute la faiblesse. - Il s'en alla tout triste, il s’en va sans rien dire : qu’aurait-il pu ajouter, puisqu’il refusait le moyen de perfection qu’il avait demandé avec tant d’instance ? Il s’en va plein de tristesse, ajoute S. Matthieu qui put remarquer de ses propres yeux la désolation empreinte sur la physionomie de ce pauvre jeune homme : plein de tristesse parce qu’il lui était dur de désobéir à Jésus, mais plus dur encore de lui obéir. - Car il avait de grands biens... Réflexion profonde de l’évangéliste, pour expliquer ce départ précipité. Violemment tiré en sens contraires, ce cœur sans énergie se laissa entraîner en bas. " O or misérable, s’écrie S. Augustin, or ardemment souhaité par l’avarice, péniblement gardé au milieu de mille soucis ; or, source de travaux, cause de grands dangers pour ceux qui le possèdent ; or qui énerve les vertus, or mauvais maître, traître serviteur ; or qui brille pour la perte de son propriétaire, or qu’on ne trouve que pour se damner, or dont l’amour transforme en Judas ". Serm. 28, de Verbis Apost.
23
Et Jésus dit à ses disciples : En vérité, je vous le dis, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. 24Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. 25Les disciples, ayant entendu cela, furent très étonnés ; et ils disaient : Qui donc pourra être sauvé ? 26Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu. 27Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Nous, voici que nous avons tout quitté, et que nous t’avons suivi ; qu’y aura-t-il donc pour nous ? 28Jésus leur dit : En vérité, je vous le dis, vous qui m’avez suivi, lorsque, au temps de la régénération, le Fils de l’homme siégera sur le trône de sa gloire, vous siégerez, vous aussi, sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. 29Et quiconque aura quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle. 30Mais beaucoup des premiers seront les derniers, et beaucoup des derniers seront les premiers.Matthieu chap. 19 verset 23. - Et Jésus dit à ses disciples : En vérité, je vous le dis, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux.
- Et Jésus... Cette conclusion inattendue de l’entretien répandit la tristesse sur toute l’assistance. Cependant, après un moment de silence, Jésus prend la parole pour rattacher à ce douloureux incident une leçon de la dernière gravité. - Il est plus facile... Le jeune homme riche était sur le seuil du royaume des cieux : n’était-ce pas la richesse qui l’en avait éloigné tout d’un coup, peut-être à tout jamais ? On pourrait grouper autour de cette terrible sentence du Sauveur une longue série de proverbes populaires, empruntés à tous les siècles et à tous les pays, qui lui serviraient de commentaire en exprimant de mille manières les dangers nombreux de la richesse. Qu'il suffise de citer quelques maximes inspirées : " Qui aime l’or ne pourra rester juste, qui court après le gain se laisse fourvoyer. Beaucoup sont tombés pour avoir aimé l’or ; leur perte était inévitable. Heureux le riche qui fut trouvé sans reproche et n’a pas couru après l’or ", Livre de Ben Sirac le Sage, 31, 5, 6, 8. Les livres des Saints Pères abondent aussi sur ce point en avertissements éloquents : " C'est pour cela que les pauvres sont plus disposés à croire les maximes de notre religion que les riches : ils ne trouvent pas dans leur condition tant d'obstacles à la foi. Les autres sont non seulement embarrassés dans la jouissance des biens du monde, mais chargés de chaînes; ils sont accablés du joug de la concupiscence, cette maîtresse impérieuse qui les attache à la terre, et qui les empêche de lever les yeux au ciel. Le chemin de la vertu est si étroit que l'on n'y saurait entrer avec beaucoup de bagage ", Lactance Livre 7.4 ; cf. S. Jean Chrysost. Hom. 63. Si les riches réussissent à entrer dans le royaume des cieux, ce ne sera donc pas en tant que riches ; ce sera plutôt malgré leurs richesses.Matthieu chap. 19 verset 24. - Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux.
- Je vous le dis encore. Avant de réitérer solennellement, et sous une forme beaucoup plus énergique, son assertion du v. 23, Notre-Seigneur Jésus-Christ en atteste de nouveau la vérité sous le sceau du serment. - Il est plus facile à un chameau... Ce texte a donné autrefois naissance à une foule d’étranges discussions. Dès les temps anciens, il existait déjà une tendance à en corriger la dureté apparente. " Un chameau passant par le trou d’une aiguille semblait une image ridicule ; alors en mettant le mot câble à la place de celui de chameau, on crut avoir rétabli une analogie plus naturelle entre les termes de la comparaison : un câble passant par le trou d’une aiguille, " Wiseman, Mélanges religieux scientif. etc., traduits par F. de Bernhardt, p. 17. Cette opinion est déjà signalée par Théophylacte. On en rencontre aussi les traces dans des notes écrites sur la marge des anciens manuscrits. Mais on imagina encore quelque chose de plus extraordinaire. Il aurait existé à Jérusalem une porte très basse et très étroite destinée aux piétons seulement et nommée à cause de sa petitesse " le trou d’aiguille " ; c’est à cette porte que Notre-Seigneur ferait actuellement allusion. Mais aucun interprète sensé ne voudrait aujourd’hui recourir à de pareilles tentatives pour corriger la parole du divin Maître. " On ne saurait douter, dit encore le Card. Wiseman, que cette expression ne fût une sorte de proverbe pour indiquer une impossibilité (ou du moins une difficulté considérable, Cf. Bustorf, Lexic. Talm. p. 1722). En effet, à part un changement dans le nom de l’animal dont il est parlé, on retrouve la même sentence usitée dans l’Asie centrale et dans l’Asie orientale. Dans ces pays, la plus grande des bêtes de somme est l’éléphant, et c’est lui qui fournit naturellement le sujet de la comparaison. On lit dans le Bava Metria, un des traités du Talmud, qu’une personne répond à une autre qui lui raconte certaines nouvelles peu croyables : Vous arrivez peut-être de la ville de Pumbeditha, où l’on fait passer un éléphant par le trou d’une aiguille ? Dans un autre livre (Berachoth) il est écrit : Ils ne sauraient montrer ni une palme d’or, ni un éléphant passant par le trou d’une aiguille. Le Dr Franck attribue un proverbe analogue aux Indiens : Comme si un éléphant essayait de passer par une étroite ouverture ! Le chameau était pour l’Asiatique occidental ce que l’éléphant était pour celui des contrées plus orientales... Ainsi les Arabes possèdent le même proverbe et le chameau y figure comme dans l’Évangile ", ibid. p. 17 et 18. En effet nous lisons dans le Coran : " Ceux qui taxent nos signes de fausseté et qui les rejettent verront les portes du ciel se fermer contre eux et ils n’entreront pas dans le paradis jusqu’à ce qu’un chameau puisse passer par le trou d’une aiguille ", Sur. 7, 38. Il existe dans toutes les langues des hyperboles du même genre qui expriment sous une forme pittoresque et paradoxale une impossibilité morale : Corneille de Lapierre en cite une intéressante collection. On connaît celle de Jérémie, 13, 23 : " Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère, changer de pelage ? Et vous pourriez faire le bien, vous, les habitués du mal ? ". Entendues à la lettre, ces locutions représentent des choses impossibles ; mais le contexte prouve qu’il s’agit seulement d’une impossibilité relative, comme nous le verrons au v. 26. - Dans ces terribles sentences du Sauveur on croirait entendre un développement de la malédiction " Malheur à vous les riches ! ".Matthieu chap. 19 verset 25. - Les disciples, ayant entendu cela, furent très étonnés ; et ils disaient : Qui donc pourra être sauvé ?
- Ayant entendu cela. " Cela ", c’est-à-dire les deux décrets qui précèdent, versets 23 et 24, et dont l’effet dut être d’autant plus considérable qu’ils se rattachaient à un fait qui les justifiait complètement. - Furent très étonnés, ou plutôt, ils furent vivement frappés et terrifiés. - Qui donc, demandent-ils, pourra être sauvé ? Cette induction était bien légitime. Euthymius sous-entend comme si les Apôtres avaient seulement pensé au malheur des riches qui se damnent ; mais à quoi bon rétrécir l’idée ? Il vaut mieux supposer qu’ils parlent de tous les hommes en général, parce qu’ils savent que tous, même les pauvres, sont attachés de quelque manière aux biens de ce monde. Cf. S. August. Quæs. evang. l. 1. q 26. S. Jean Chrysostôme prête ici aux disciples un sentiment très délicat et tout apostolique : " Ces paroles jettent le trouble dans l'âme des Apôtres qui, cependant, menaient une vie pauvre; mais ils sont inquiets pour le salut des autres, et ont déjà les entrailles paternelles qui conviennent aux docteurs et aux maîtres des nations. Ils lui disent donc: "Qui pourra être sauvé ? ", Hom. 73 in Matth.Matthieu chap. 19 verset 26. - Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu.
- Jésus, les regardant. Le divin Maître jette d’abord sur ses Apôtres effrayés un regard plein de douceur et de bonté, afin de les rassurer déjà par ce geste significatif ; puis il tempère, à l’aide d’une profonde distinction, la sévérité de ses paroles. Vous me demandez si après la sentence que j’ai prononcée, le salut est encore possible ; je réponds sans figure : Cela est impossible aux hommes. C’est-à-dire du côté des hommes, si l’on n’envisage que leurs propres forces. Mais, tout est possible à Dieu, et par conséquent l’homme, en s’appuyant sur la toute-puissance divine, pourra surmonter les dangers des richesses et parvenir au salut. " Ce chameau, dit agréablement le vén. Bède, Comm. in Luc. 19, qui ayant déposé le fardeau de sa bosse, est passé par le trou, c'est le riche qui a abandonné le poids de ses richesses pour entrer plus facilement par la porte étroite de l'éternel bonheur ". Quelle consolation dans ces mots : Du côté de Dieu, tout est possible ! Celse raconte que les chrétiens les répétaient souvent.Matthieu chap. 19 verset 27. - Alors Pierre, prenant la parole, lui dit : Nous, voici que nous avons tout quitté, et que nous t’avons suivi ; qu’y aura-t-il donc pour nous ?
- Après avoir exposé le danger des richesses, Notre-Seigneur Jésus-Christ fait connaître, à l’occasion d’une réflexion du prince des Apôtres, les avantages immenses du renoncement chrétien, vv. 27-30. - Prenant la parole, Cf. 11, 25 : c’est une réponse sinon aux paroles de Jésus, du moins à l’ensemble de la scène et de la situation. Le Sauveur avait promis au jeune homme un trésor dans le ciel, s’il consentait à tout quitter pour s’attacher à sa personne, v. 21 : Pierre rappelle au divin Maître que telle a été précisément la conduite des Apôtres. Nous, dit-il avec emphase, avons tout quitté. " Quelle grande confiance ! Peter était un pêcheur, il n'était pas riche ; il se procurait la nourriture par le travail de ses mains et sa compétence de pêcheur : et cependant il dit avec confiance : nous avons tout quitté ! ", S. Jérôme. Mais les Apôtres n’avaient-ils pas abandonné promptement et généreusement le peu qu’ils possédaient sur une simple parole de Jésus ? Cf. 4, 18 et ss. ; 9, 9. D’ailleurs, c’est un fait d’expérience que le pauvre ne tient pas moins à sa chaumière que le riche à son palais. Aussi, conclut S. Augustin, " Celui qui renonce à ce qu'il a et à ce qu'il pourrait souhaiter renonce au monde entier ", Epist. 157, 39. De même S. Grégoire, Hom. 5 in Evang : " Celui-là quitte véritablement tout, qui quitte non seulement tout ce qu'il a, mais même tout ce qu'il peut désirer ". - Et que nous t'avons suivi : la seconde condition avait été remplie tout aussi fidèlement que la première : il y avait alors de longs mois qu’ils accompagnaient leur Maître, partageant sa bonne et sa mauvaise fortune. - Qu'y aura-t-il donc pour nous ? L’affectueux regard et la consolante parole du Sauveur ont produit tout à coup un merveilleux changement : il y a en effet un contraste étrange entre la question actuelle de Pierre et celle qu’il adressait l’instant d’auparavant, de concert avec ses collègues, v. 25. Encouragé par la bonté du Maître, il désire apprendre de lui quelle est la récompense spéciale qu’il réserve dans le ciel à ses disciples les plus fidèles et les plus privilégiés.Matthieu chap. 19 verset 28. - Jésus leur dit : En vérité, je vous le dis, vous qui m’avez suivi, lorsque, au temps de la régénération, le Fils de l’homme siégera sur le trône de sa gloire, vous siégerez, vous aussi, sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël.
- La réponse du Sauveur ne se fait pas attendre : elle décrit une récompense magnifique qui dépasse toute espérance. Vous qui m'avez suivi : Vous, mes Apôtres, qui m’avez été fidèles entre tous. - Au temps de la régénération : belle expression qui ne désigne ni une régénération morale (Fischer, Paulus, etc.), ni la résurrection générale des hommes (Théophylacte, Euthymius), mais ce mystérieux rajeunissement de toute la nature, si magnifiquement décrit par S. Paul, Rom. 8, 19 et ss., et par S. Pierre, 2 Petr. 3, 12, qui aura lieu à la fin du monde. Le péché d’Adam a tout souillé : son souffle empesté a flétri non seulement l’homme, mais aussi toutes les créatures inférieures placées sous sa domination. Toutefois, après avoir été à la peine à cause de nous, la nature sera un jour à la gloire avec nous. " Pour assister à la glorification des enfants de Dieu et pour en relever la splendeur, la création verra disparaître ses chaînes d’esclavage, et elle se revêtira d’une magnificence que l’intelligence humaine ne saurait maintenant pressentir. Elle ne sera pas seulement rétablie dans l’état primitif qu’elle a si promptement perdu, mais elle quittera sa forme périssable, ses voiles de deuil, pour se parer d’un vêtement de fête incorruptible ", Reithmaur, Comment. zu Rom. 8, 21, p. 430. Cette seconde naissance de la nature est nommée par les Rabbins " renovatio mundi " ; Cf. Buxtorf, Lex. Talm. p. 712. C’est donc au moment où sera réalisé l’oracle de l’Apocalypse, 21, 5 : " Voici que je fais toutes choses nouvelles ", que s’accomplira la présente promesse de Jésus. - Le Fils de l'homme siégera... ; autre circonstance qui nous transporte à la fin des temps ; Cf. 16, 27 ; 25, 31. Alors Jésus viendra juger tous les hommes et il prendra l’attitude accoutumée des Juges. " La position la plus convenable pour un juge est la position assise, par laquelle, indépendamment de l'autorité, l'esprit se montre calme et tranquille, ce qui est très nécessaire au juge pour rendre une bonne sentence ", Fr. Luc, Comm. in h.l. - Sur le trône de sa gloire : hébraïsme ; un classique aurait dit : " Sur son trône glorieux ". Cf. 1 Reg. 2, 8. - Vous siégerez vous aussi : le pronom est répété une seconde fois, soit par emphase, soit à cause de la phrase incidente qui s’est glissée au milieu de la promesse du Sauveur. Jésus fait ici allusion à ce qui se passe dans les tribunaux suprêmes présidés par les Rois en personne. Le prince occupe le trône central et supérieur ; autour de lui, de chaque côté, sont rangés ses premiers ministres, qui lui servent d’assesseurs. " Par une analogie humaine certes, mais noble, l'action judiciaire s'apparente à la justice divine pleine de grandeur ", Fr. Luc. l. c. On le voit, sous cette forme symbolique, Notre-Seigneur accorde à ses Apôtres une large part à sa dignité et à ses prérogatives personnelles. - Sur douze trônes : chacun des Douze aura son trône. Mais Judas ? se demande S. Jean Chrysostôme. Judas sera remplacé par son successeur, S. Mathias. Au reste, le Sauveur s’adresse moins aux Apôtres pris isolément qu’à tout le collège apostolique considéré dans son ensemble : les questions de personnes n’ont rien à faire dans ce passage. - Vous jugerez : ils jugeront, non pas sans doute d’une manière absolue, car ce rôle n’appartient qu’à Dieu et à son Messie, mais en union avec Jésus-Christ, et dans un sens réel, positif. Si S. Paul accorde ce pouvoir à tous les justes, Cf. 1 Cor. 6, 2, n’est-il pas naturel que les Apôtres en jouissent les premiers, d’une manière exceptionnelle et supérieure ? Ce n’est donc pas simplement un langage figuré que parle ici Notre-Seigneur. - Les douze tribus d'Israël. Plusieurs anciens écrivains, Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 64 in Matth., supposent qu’il est ici question de l’Israël proprement dit, des Juifs selon la chair : en conséquence, ils donnent au verbe " juger " le sens de condamner. En tant que juges, les Apôtres auraient, d’après cette pensée, la mission spéciale de condamner au dernier jour leurs concitoyens demeurés incrédules. Mais il vaut mieux, avec la plupart des exégètes, appliquer ces choses à l’Israël mystique, c’est-à-dire à l’Église tout entière de Jésus. C’est à son égard en effet que les Douze exerceront surtout leur pouvoir judiciaire à la fin des temps.Matthieu chap. 19 verset 29. - Et quiconque aura quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle.
- Ce n’est pas tout. Jésus développe encore à un autre point de vue ses splendides promesses. - Et quiconque aura quitté. Il élargit tout à coup sa pensée ; ce ne sont pas seulement les Apôtres qui seront récompensés des généreux sacrifices qu’ils ont accomplis pour le Christ : quiconque (" omnis ", sans exception), aura imité leur renoncement courageux, aura part aux bénédictions du Sauveur. Remarquons cependant une différence : à présent qu’il s’adresse indistinctement à tous les chrétiens, Jésus se borne à mentionner des récompenses générales, qui n’ont rien de commun avec la prérogative accordée aux Douze dans le précédent verset. - Sa maison, ou ses frères... Le Sauveur énumère, sous forme d’exemple, quelques-uns des objets principaux auxquels le cœur humain s’attache le plus, et qu’il lui est par là-même plus difficile de quitter. C’est la maison qui ouvre la liste, cette maison que l’on aime parce qu’on y a pour ainsi dire établi son propre temple où l’on s’adore de mille manières ; ce sont les champs, les vastes propriétés foncières, qui la ferment. Entre la demeure et les champs, Jésus nomme, dans une belle gradation ascendante, les personnes chéries qui constituent le cercle le plus intime de la famille : frères et sœurs, père et mère, épouse et enfants ; chaîne multiple qui enserre doucement et légitimement notre cœur, mais qu’il est si difficile de briser. Aussi combien seront bénis ceux qui, pour le nom de Jésus, ou, selon la rédaction de S. Marc, 10, 29, pour Jésus lui-même et pour l’Évangile, auront la force de se débarrasser de tous ces liens ! Le paraphraste juif du Cantique des Cantiques, Targum du Cantique, 8, 7, prête à Dieu cette belle parole : " Si quelqu’un voue la richesse de sa maison pour acquérir la sagesse dans l’exil, je le lui rendrai au double dans le monde à venir ". Mais les promesses du Sauveur Jésus sont autrement magnifiques ! Quiconque aura tout abandonné pour lui recevra le centuple, le centuple et pas seulement le double, et cela, d’après l’assertion formelle de Notre-Seigneur dans les deux autres Évangiles, " en ce temps déjà ", Marc. 10, 30 ; Luc. 18, 30, dès cette vie même. Puis, après la récompense du temps, viendra celle de l’autre vie, possédera la vie éternelle, avec ses joies inénarrables et éternelles.Matthieu chap. 19 verset 30. - Mais beaucoup des premiers seront les derniers, et beaucoup des derniers seront les premiers.
- Mais beaucoup... La particule annonce évidemment une antithèse, qui va nous apparaître sous la forme d’un grave avertissement, succédant à de douces et glorieuses promesses. Le proverbe énigmatique contenu dans ce verset sera répété un peu plus bas comme un refrain, à la suite de la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, 20, 16 : cette circonstance prouve que nous n’en pourrons bien déterminer la signification qu’après avoir auparavant expliqué la parabole. L’idée générale qu’il propose est celle-ci : Prenez garde, car un grand nombre de ceux qui sont aujourd’hui les premiers seront plus tard les derniers, tandis que les derniers passeront au premier rang.La Parabole des ouvriers envoyés à la vigne, vv. 1-16. Jésus, partant pour Jérusalem, prédit une troisième fois à ses Apôtres sa Passion, sa mort et sa Résurrection, vv. 17-19. - Demande insensée de la mère de S. Jacques et de S. Jean, vv. 20-24. - Manière d'exercer l'autorité dans le royaume du Messie, vv. 25-28. - Jésus guérit deux aveugles au sortir de Jéricho, vv. 29-34.
1
Le royaume des cieux est semblable à un père de famille, qui sortit de grand matin afin de louer des ouvriers pour sa vigne. 2Et étant convenu avec les ouvriers d’un denier par jour, il les envoya à sa vigne. 3En sortant vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient oisifs sur la place publique. 4Et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste. 5Et ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième et vers la neuvième heure, et il fit de même. 6Et étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d’autres qui se tenaient là, et il leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici tout le jour sans rien faire ? 7Ils lui dirent : Parce que personne ne nous a loués. Il leur dit: Allez, vous aussi, à ma vigne. 8Lorsque le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant : Appelle les ouvriers, et paye-leur le salaire, en commençant par les derniers, et en finissant par les premiers. 9Ceux qui étaient venus vers la onzième heure vinrent donc, et reçurent chacun un denier. 10Les premiers, venant ensuite, crurent qu’ils recevraient davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier. 11Et en le recevant, ils murmuraient contre le père de famille, 12disant : Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et vous les avez traités comme nous, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur. 13Mais il répondit à l’un d’eux : Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? 14Prends ce qui t’appartient, et va-t-en ; je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux ? Ou ton œil est-il méchant parce que je suis bon ? 16Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ; car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.Matthieu chap. 20 verset 1. - Le royaume des cieux est semblable à un père de famille, qui sortit de grand matin afin de louer des ouvriers pour sa vigne.
- Est semblable. Le texte grec ajoute " est en effet semblable ", rattachant ainsi cette parabole aux derniers versets du chap. 19 avec lesquels elle a de très étroites relations : elle présente en effet une nouvelle face de la réponse du Sauveur à la question de S. Pierre, 19, 27. Il est fâcheux que la division de l’Évangile en chapitres l’ait extérieurement séparée d’un épisode sans lequel il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de la comprendre. Quoique les détails dont elle se compose soient de la plus grande clarté, l’idée qu’elle renferme et le but auquel elle tend ne se découvrent pas sans peine. On pourrait la placer sous ce rapport à côté de la Parabole de l’économe infidèle, Luc. 16, 1 et ss. : elles ont occasionné l’une et l’autre la composition de nombreuses monographies qui, en multipliant les interprétations, n’ont malheureusement pas toujours contribué à répandre la lumière. S. Jean Chrysostôme se demande plusieurs fois avec une certaine anxiété, comme l’on fait en face d’un problème obscur, " Que signifie cette parabole ? ". Expliquons d’abord le sens littéral dont l’intelligence nous permettra de résoudre ensuite plus aisément les difficultés d’ensemble. - Un père de famille ; Cf. 13, 24. 45. Dans le royaume des cieux, il se passera quelque chose de semblable à la conduite de ce père de famille, telle qu’elle nous sera décrite par Jésus. - Qui sortit de grand matin, " avec l’aurore " dit le texte grec. Ce zélé propriétaire devance le jour, soit pour être plus sûr de trouver les journaliers dont il a besoin, soit pour leur faire commencer à l’heure accoutumée, sans qu’il y ait une seule minute perdue, les travaux auxquels il les destine. La journée commençait chez les Hébreux avec le lever du soleil : " Le travail commence au lever du soleil et se termine à l'apparition des étoiles ", Bava metsia, f. 83, 2 ; Cf. Lightfoot, Hor. hebr. in h. l., et il fallait un certain temps pour se rendre à la vigne. - Afin de louer des ouvriers : il s’agit de ces ouvriers qu’on prend à la journée, et qui sont souvent mentionnés par les auteurs grecs et latins sous les noms de " mercenarii ".Matthieu chap. 20 verset 2. - Et étant convenu avec les ouvriers d’un denier par jour, il les envoya à sa vigne.
- Étant convenu, de concert, disaient délicatement les grecs , toute convention dans laquelle les partis se mettent d’accord ressemblant, pour ces artistes, à un harmonieux concert des esprits. - Un denier par jour, " pour ce jour " par conséquent. Le père de famille ne prend les ouvriers que pour ce jour-là, et il promet à chacun d’eux un denier : cette somme, assurément modique aujourd’hui, mais relativement considérable à l’époque de Notre-Seigneur, semble avoir été alors le salaire accoutumé d’une journée de travail. Cf. Tob. 5, 14, d’après la traduction des Septante, et les citations du Talmud dans l’ouvrage de Wetstein. La solde quotidienne des guerriers romains était aussi d’un denier ; Cf. Tacit. Ann. 1, 17.Matthieu chap. 20 verset 3. - En sortant vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient oisifs sur la place publique.
- En sortant vers la troisième heure. Le jour naturel et proprement dit commençait chez les anciens au lever du soleil, et se terminait à son coucher ; Cf. Levit. 23, 32. Avant l’exil, les Juifs le divisaient en quatre parties, le matin, midi, le soir et le crépuscule. Plus tard, ils adoptèrent les heures telles qu’elles existaient chez la plupart des peuples, c’est-à-dire des heures irrégulières dont la longueur variait suivant les saisons. Il était convenu que le jour avait douze heures ; le lever du soleil fixait le commencement de la première, les onze autres étaient réglées d’après l’intervalle qui s’écoulait depuis lors jusqu’au moment où le soleil disparaissait à l’horizon. On a calculé que le plus long jour durait en Palestine 14 heures 12 minutes selon notre division actuelle, et le plus court seulement 9 heures 48 minutes, ce qui fait une différence de 22 minutes entre une heure du plus long jour et une heure du plus court. Quand on compare la troisième heure des Juifs à 9 heures du matin en Europe, leur sixième heure à midi, et ainsi de suite, on ne parle donc que d’une manière approximative : le quart, la moitié du jour, etc., seraient des locutions plus exactes. - Sur la place publique. Le " forum " romain, qui servaient primitivement de local aux marchés, étaient chez les anciens, plus encore que de nos jours, l’endroit où se réunissaient les oisifs et aussi tous ceux qui cherchaient de l’occupation pour la journée. Dans les pays vignobles de la Bourgogne, et partout ailleurs sans doute, c’est sur la place publique que se réunissent les ouvriers qui désirent être employés aux travaux des vignes. Le voyageur Morier mentionne l’existence d’un usage analogue en Perse : " A Hamadan, nous observâmes que chaque matin, avant le lever du soleil, une troupe nombreuse de paysans se réunissaient sur la place du marché, leurs pelles à la main, attendant qu’on les louât à la journée pour travailler dans les champs voisins. Cette coutume me frappa comme une heureuse explication de la parabole du Sauveur, surtout quand, repassant par le même endroit à une heure assez avancée du jour, nous en trouvâmes d’autres debout et oisifs. Chose étonnante, leur ayant demandé le motif de leur oisiveté, ils nous répondirent, eux aussi, que personne ne les avait pris à gages ", Second Journey through Persia, p. 265. - Oisifs. Ils l’étaient malgré eux, puisqu’ils ne se trouvaient sur le marché que pour chercher de l’ouvrage.Matthieu chap. 20 verset 4. - Et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste.
- Allez, vous aussi. Vous aussi, comme ceux que j’y ai déjà envoyés dès la première heure du jour. - Ce qui sera juste... Le père de famille ne stipule cette fois rien de positif relativement au salaire, parce qu’une partie notable de la journée s’est déjà écoulée. Il agira envers eux selon les principes de l’équité, c’est tout ce qu’il leur promet : ils supposèrent sans doute qu’il leur donnerait le soir environ les trois-quarts d’un denier.Matthieu chap. 20 verset 5. - Et ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième et vers la neuvième heure, et il fit de même.
- Et ils y allèrent. Ils connaissaient probablement le propriétaire ; voilà pourquoi ils acceptent volontiers la proposition, se confiant à sa générosité et à sa justice. - Vers la sixième et la neuvième heure, c’est-à-dire vers le milieu du jour et vers le début de sa quatrième partie. La première, la troisième, la sixième et la neuvième heures, - dont le souvenir a été conservé dans les quatre petites heures du Bréviaires, - correspondaient au commencement des quatre veilles qui formaient la division des nuits. Elles sont souvent mentionnées dans l’Évangile, comme étant les principales du jour. - Il fit de même : comme à la troisième heure. Il trouva d’autres mercenaires oisifs, et il les envoya aussi travailler à sa vigne.Matthieu chap. 20 versets 6 et 7. - Et étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d’autres qui se tenaient là, et il leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici tout le jour sans rien faire ? 7Ils lui dirent : Parce que personne ne nous a loués. Il leur dit: Allez, vous aussi, à ma vigne.
- Vers la onzième heure... Il n’y avait plus alors qu’une seule heure de jour et de travail ; Cf. v. 12. " Comment se fait-il que vers la neuvième, et même que vers la onzième heure, le père de famille rencontre encore des ouvriers inoccupés ? La parabole ne le dit pas. Le Maître est satisfait de la réponse générale qu’il reçoit : Personne ne nous a pris à gages. Il aurait pu leur demander : Mais où étiez-vous donc à la troisième, à la sixième et à la neuvième heures ? Toutefois la parabole passe sur ce détail qui n’intéressait en rien le but de la comparaison ", Schegg, in h. l. Elle attache du moins une importance visible et toute particulière à ces ouvriers de la onzième heure : leur bonne volonté, supposé même qu’elle fût tardive, suffit au père de famille, qui les envoie comme tous les autres travailler à sa vigne.Matthieu chap. 20 verset 8. - Lorsque le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant : Appelle les ouvriers, et paye-leur le salaire, en commençant par les derniers, et en finissant par les premiers.
- Lorsque le soir fut venu. A la fin de la douzième heure et aussitôt après le coucher du soleil. Un article très explicite de la Loi juive enjoignait strictement à tous ceux qui avaient employé des mercenaires de leur payer le jour même, avant la nuit, le montant de leur salaire, parce qu’ils pouvaient en avoir besoin aussitôt ; Cf. Deut. 24, 15. Fidèle à cette prescription, le père de famille donne des ordres pour qu’on règle les comptes de ses ouvriers. - Dit à son intendant : cet agent était un serviteur supérieur dont les fonctions avaient une assez grande ressemblance avec celles des régisseurs actuels : il était chargé du temporel, et veillait sur les esclaves ou employés de la maison. - Paye-leur le salaire. Le père de famille n’indique pas ici la somme spéciale qu’il fallait donner aux différentes catégories d’ouvriers ; mais il avait averti auparavant le procureur de ses généreuses intentions. - En commençant par les derniers : les derniers, ce sont les ouvriers de la onzième heure ; les premiers, ce sont les ouvriers engagés dès le matin. Entre ces deux classes, venaient les trois autres, qui devaient se succéder aussi dans un ordre inverse de celui qu’elles avaient suivi pour se mettre au travail.Matthieu chap. 20 versets 9-12. - Ceux qui étaient venus vers la onzième heure vinrent donc, et reçurent chacun un denier. 10Les premiers, venant ensuite, crurent qu’ils recevraient davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier. 11Et en le recevant, ils murmuraient contre le père de famille, 12disant : Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et vous les avez traités comme nous, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur.
- Les ordres du Maître sont fidèlement exécutés : les ouvriers de la onzième heure, payés les premiers, reçoivent chacun un denier complet. Quand tous les autres ont passé, les ouvriers de la première heure, qui ont vu donner un denier à chacun, se figurent que la somme sera sans doute doublée pour eux : mais ils n’obtiennent rien de plus que le prix convenu. - En le recevant, ils murmuraient. Déçus et mécontents, ils se plaignent à haute voix, accusant le père de famille d’injustice à leur égard : c’est l’envie qui se manifeste dans toute sa laideur. Le v. 12 résume leurs paroles insolentes. - Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure : d’après le grec " " unam horam " : locution singulière dans laquelle le verbe " faire " a le sens d’ " employer ", Cf. Act. 15, 33 ; 18, 23 ; 2 Cor. 11, 25 ; du Cange, Diction. s. v. " facere ", ou de " travailler ", Cf. Ruth 2, 19, dans la traduction des 70. - Vous les avez traités comme nous : égaux au point de vue du salaire, comme s’il n’y avait pas eu entre eux et nous la plus grande dissemblance sous le rapport du travail et de la peine. - Le poids du jour et de la chaleur. Belle métaphore. Le poids du jour, c’est toute sa durée : ces mots expriment la longueur du travail. Le poids de la chaleur, c’est une circonstance particulière qui fait très bien ressortir la fatigue des premiers ouvriers venus dès le matin : tandis qu’un grand nombre de leurs camarades ont travaillé à la fraîcheur du soir, ils ont été eux-mêmes exposés pendant la plus grande partie du jour aux feux brûlants du soleil. Le travail dans une vigne, par un soleil d’été, doit être en effet particulièrement pénible en Orient.Matthieu chap. 20 verset 13. - Mais il répondit à l’un d’eux : Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ?
- Il répondit à l'un d'eux. C’était vraisemblablement le meneur de la troupe : il avait exprimé son mécontentement avec plus de violence que les autres ; c’est pour cela que le père de famille s’adresse tout spécialement à lui. - Mon ami : ce terme peut devenir, selon les circonstances, une appellation de tendresse ou de simple indifférence. On appelle souvent " mon ami " des inférieurs que l’on connaît à peine et auxquels on ne sait pas quel autre titre l’on pourrait donner. Sous le rapport de la justice, comme sous tous les autres, la conduite du père de famille était inattaquable : la convention librement conclue le matin même entre lui et les ouvriers ne portait-elle pas expressément que ceux-ci recevraient un denier pour salaire ? Puisque les mécontents ont osé porter la querelle sur le terrain du droit, c’est sur ce terrain même que le Maître se défend d’une manière victorieuse.Matthieu chap. 20 versets 14 et 15. - Prends ce qui t’appartient, et va-t-en ; je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux ? Ou ton œil est-il méchant parce que je suis bon ?
- Il se défend aussi en alléguant son autorité absolue en ce qui regarde ses propres biens, et l’usage qu’il en peut faire à son gré. - Prends… et va-t-en. Parole sévère sous une forme polie ; il congédie froidement l’insolent qui s’est permis de censurer sa manière d’agir. - Je veux donner... Et comme c’est une résolution légitime, qui ne viole les droits de personne, qui est même à l’avantage d’un grand nombre, pourquoi ne la mettrait-il pas à exécution ? - Ne m'est-il pas permis... On lit dans le grec : " Ou ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mes biens ? ". La Vulgate n’a pas traduit ces trois mots. - Ou ton œil est-il méchant... Le mauvais œil, Cf. Prov. 28, 22 ; Eccli. 31, 3 ; 35, 8, 10, est aussi connu que redouté dans tout l’Orient et même dans l’Europe du Sud. Il symbolise ici l’envie, ce vice dont le nom latin suppose précisément des regards méchants jetés sur les avantages du prochain. " L'envie, dit Cicéron, Tusc. 3, 9, vient du fait de regarder de trop près les biens d'autrui ". - L’entretien et la parabole se terminent ainsi brusquement. Le père de famille tourne le dos aux mécontents et les laisse humiliés, confondus.Matthieu chap. 20 verset 16. - Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ; car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.
- Maintenant, Jésus tire la morale de la parabole, en répétant, après l’avoir tant soit peu modifié, le proverbe qui avait servi de prélude à ce petit drame intéressant. Cf. 19, 30. - Ainsi... " Sic ", selon ce que vous venez d’entendre. Dans le royaume messianique, les choses se passeront comme dans cette parabole. - Les derniers seront les premiers... Plus haut, ch. 19 v. 30, Jésus avait parlé tout d’abord du sort des premiers : beaucoup des premiers seront les derniers ; ici, il commence par les derniers : les événements racontés dans la parabole réclamaient cette inversion, ou du moins la rendaient plus naturelle. Autre différence : plus haut, Notre-Seigneur avait dit qu’un grand nombre de ceux qui étaient au premier rang seraient relégués au dernier, tandis qu’ici il généralise la pensée en employant des termes absolus : Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers. Toutefois, le sens est le même, comme le démontre la phrase finale où nous retrouvons l’expression " beaucoup " ; il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Les derniers devenus les premiers, ce sont évidemment, d’après la parabole, les ouvriers des dernières heures du jour, qui ont été traités avec tant de bonté par le père de famille ; les premiers devenus les derniers, ce sont les ouvriers de la première heure, qui, bien qu’ils reçoivent le salaire convenu, sont néanmoins dépassés par les autres en ce sens que le père de famille est plus généreux à l’égard de ceux-ci. - Car il y beaucoup d'appelés... Autre sentence mystérieuse ajoutée à la première pour la justifier et l’éclaircir. Plusieurs manuscrits (B. L. Z. Sinait. etc.) et versions anciennes ne la contiennent pas : néanmoins son authenticité n’est pas douteuse, vu le grand nombre des témoins qui l’attestent. Son omission peut s’expliquer en partie par ce qu’on appelle un Homoiotéleuton (ressemblance entre fragments de phrases) qui aura trompé quelques copistes. Nous apprenons donc par ces mots le motif pour lequel tant de premiers deviendront les derniers et réciproquement : c’est un changement qui n’a rien d’injuste, ni d’arbitraire, mais qui est au contraire basé sur les décrets les plus légitimes. En effet, conclut Jésus, beaucoup (c’est-à-dire, en réalité, tous) sont appelés, appelés par Dieu à travailler dans la vigne messianique et à recevoir ensuite la récompense de leurs travaux ; mais, peu sont élus : ceux qui deviennent finalement l’objet d’un choix privilégié ne forment malheureusement que la minorité, beaucoup des appelés ne méritant pas d’être élus. Pour revenir encore au texte de la parabole, les " appelés " sont tous les ouvriers recrutés dans le cours de la journée par le père de famille : les élus sont figurés par ceux qui se seront montrés dignes de la récompense finale. - Reprenons à présent la question de S. Jean Chrysostôme : " Que signifie cette parabole ? " Il est plusieurs points sur lesquels tout le monde est d’accord et nous allons d’abord les noter. Le père de famille, c’est Dieu, Cf. Joan. 15, 1, qui invite tous les hommes sans exception à travailler dans sa vigne. Cette vigne même n’est autre que le royaume messianique, l’Église du Christ, si souvent comparée à une vigne dans les Saintes Écritures. Le procureur représente Notre-Seigneur Jésus-Christ, chargé par son Père d’exercer une haute surveillance sur sa vigne mystique, et de récompenser les bons ouvriers à la fin des temps. La place publique sur laquelle le père de famille va chercher les journaliers dont il a besoin, c’est le monde. Les ouvriers figurent les hommes ; plus spécialement les pasteurs des âmes qui travaillent d’une manière particulière à la vigne du Seigneur. Mais que dénotent les différentes heures du jour ? Que dénote le denier distribué aux ouvriers à la fin de la journée ? Par-dessus tout, quelle leçon précise ressort de cette parabole pour les Apôtres et pour nous ? - 1. Les heures du jour. Plusieurs Pères ont pensé que les différentes heures de la journée correspondent à des époques distinctes de l’histoire de l’humanité, depuis ses débuts les plus reculés jusqu’à la fin du monde. Telle est l’opinion de S. Grégoire-le-Grand : " La vigne est l'Église universelle, qui a produit des ceps, c'est à dire des saints, depuis le juste Abel jusqu'au tout dernier saint qui sera né avant la fin du monde. Le matin est la période allant de Adam à Noé; la troisième heure, de Noé à Abraham; la sixième heure, d'Abraham à Moïse, la neuvième de Moïse à la venue du Seigneur; la onzième heure va de la venue du Seigneur à la fin du monde ", Hom. 19 in Evang. ; Cf. Orig. in Matth. tract. 10 ; S. Irénée. l. 4. cap. 70. D’après ce sentiment, les ouvriers de la première, de la troisième, de la sixième et de la neuvième heure seraient exclusivement les Juifs (" l'ancien peuple hébraïque ", S. Grégoire), tandis que les ouvriers de la onzième heure représenteraient les Gentils ; Cf. S. Hilaire, Comm. in Matth. Mais d’autres Pères, et à leur suite la plupart des commentateurs modernes et contemporains, ont adopté une interprétation beaucoup plus naturelle, qui permet de faire de notre parabole une explication tout à la fois plus étendue et plus profonde. Les heures du jour représentent les différentes périodes de la vie humaine auxquelles l’appel de Dieu se fait entendre et vient enchaîner victorieusement, définitivement, les cœurs. Tous les hommes, en effet, ne reçoivent pas à la même époque de leur existence la grâce qui les transforme à tout jamais. Quelle différence entre eux sous ce rapport ! Les uns, heureux ouvriers de la première heure, sont appelés à la foi et à la sainteté dès leur enfance : ils naissent pour ainsi dire dans la vigne même du Seigneur ; " ceux qui comme le Psalmiste (Ps 21, 11) peuvent dire : dès le ventre de ma mère, tu es mon Dieu ", S. Jérôme, Comment in h. l. De la sorte, le jour de travail correspondrait, pour chaque individu, à toute la durée de sa vie : mais on aura plus ou moins travaillé, selon qu’on se sera converti à une époque plus ou moins tardive. Le soir, c’est-à-dire à l’heure de la mort, chacun reçoit déjà sa récompense particulière, en attendant qu’elle soit solennellement proclamée au jugement général. - 2. Le denier. Il est assez de mode, dans le camp des exégètes protestants, de voir dans ce denier la figure d’une récompense purement temporelle, quoique on ait beaucoup de peine à définir au juste sa nature. La plupart des interprètes catholiques répondent au contraire avec S. Augustin : " Ce denier est la vie éternelle ", Serm. 343 ; et telle est bien l’idée qui semble nettement ressortir de l’ensemble de la parabole. Il existe cependant sur ce point une difficulté que S. Jean Chrysostôme, Hom. 114 in Matth., faisait déjà remarquer à ses auditeurs. Comment peut-on concevoir qu’il y ait des mécontents et des envieux dans le ciel ? Est-il possible de se figurer des âmes qui, après avoir reçu la récompense éternelle représentée par le denier, se plaignent à Dieu de son insuffisance, et jettent des regards jaloux sur le sort des autres bienheureux ? " Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller aux murmures ", S. Grégoire, Hom. 19 in Matth. Mais la difficulté est plus spécieuse que sérieuse, et il y a plusieurs moyens de la résoudre. On peut répondre d’abord avec S. Jean Chrysostôme, loc. cit., que, dans les paraboles de même qu’en général dans les comparaisons, il ne faut pas vouloir presser tous les détails. " Dans ces figures paraboliques il n'est pas nécessaire d’expliquer chaque mot. Mais quand nous avons bien compris la fin et le but de toute la parabole, nous devons nous en servir pour notre édification, sans faire tant d’efforts pour éclaircir tout le reste " . Voir l’introduction aux Paraboles, en tête du chapitre 13. On peut répondre encore que, sous cette image, Jésus-Christ a voulu, comme nous l’expliquerons plus bas, cacher un grave avertissement à l’adresse de ceux qui, ayant reçu de bonne heure l’appel de Dieu et y ayant correspondu fidèlement, pourraient être tentés ensuite de se négliger, ce qui leur ferait perdre leurs avantages antérieurs. Quoique le denier soit le même pour tous les ouvriers, c’est-à-dire, bien qu’ils reçoivent tous la vie éternelle en prix de leurs travaux, il est bien évident qu’il y aura des degrés dans leur gloire et dans leur félicité : " La vie éternelle sera également accordée à tous les saints, comme le figure ce denier donné à tous comme la récompense commune de leur travail. Le denier, qui est le même pour tous, signifie que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les saints dans le ciel, mais tous n'auront pas la même gloire. De même, les étoiles brillent perpétuellement dans le ciel ; mais certaine brillent plus que d'autres ", S. Aug. in Luc. c. 15. Ou encore, d'après Bellarmin, de Aetern. Felic. Sanct. 5 : " De même que le soleil apparaît plus brillant aux aigles qu'aux autres oiseaux, et de même que le feu réchauffe plus ceux qui en sont proches que ceux qui en sont éloignés, ainsi dans la vie éternelle certains verront plus clair et se réjouiront plus que d'autres " ; S. Thom. Sum. Theol. p. 1. q. 12. a. 6. - 3. L’idée mère de la parabole. Cette idée a été bien différemment exprimée ; elle l’a même été parfois d’une manière assez superficielle ; par exemple, quand on a soutenu que Jésus se proposait simplement, dans ce discours figuré, de mettre en lumière l’égalité des récompenses célestes pour les élus, sans égard à la date de leur conversion. Pour d’autres, le point culminant de la parabole consiste dans la parfaite liberté de Dieu relativement au salut des hommes : il peut y appeler qui bon lui semble et quand il lui plaît, sans avoir à rendre de compte à personne. Maldonat ne s'écarte de ces deux sentiments que par une nuance lorsqu'il dit : " La parabole veut montrer que le salaire est proportionnel non pas au temps pendant lequel quelqu'un a travaillé, mais au travail et à l'effort qu'il a faits ". Malheureusement ces interprétations, et plusieurs autres qui leur ressemblent, viennent toutes se heurter contre quelque détail important du récit, qu’elles faussent ou qu’elles n’expliquent pas. Plusieurs écrivains anciens et modernes se rapprochent davantage de la vérité en voyant dans cette parabole l’annonce terrible, quoique aimablement dissimulée, de l’exclusion de la plupart des Juifs du royaume messianique (Van Steenkiste, Schegg, Greswell, etc). Il est certain en effet qu’il y est indirectement question d’un châtiment divin, bien que chacun y reçoive de fait un salaire : ce châtiment, déguisé sous les reproches sévères adressés par le père de famille à l’ouvrier qui murmure (v. 14 : " Prends ce qui t'appartient et va-t-en " ; v. 15 : " Ton œil est-il méchant parce que je suis bon ? ") apparaît d’une manière manifeste dans le proverbe qui sert de cadre à la parabole, 19, 30 ; 20, 16, et surtout dans les dernières paroles, qui supposent la damnation d’un grand nombre d’hommes : " il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ". Nous croyons toutefois que la menace n’atteint pas les seuls Juifs ; elle s’adresse plutôt en général à tous les hommes qui, appelés par Dieu à une vie sainte, conforme aux vérités et à la morale chrétiennes, ne se conduisent pas ensuite de façon à mériter l’élection proprement dite. Bien plus, ainsi qu’il semble ressortir du contexte et de la liaison étroite qui existe entre la parabole et la question de S. Pierre, 19, 27, la menace retombe sur les Apôtres eux-mêmes, pour le cas où ils ne profiteraient pas du céleste appel, accompagné pour eux de tant de grâces et formulé de si bonne heure. L’exemple de Judas prouve que l’avertissement n’était pas inutile, même en ce sens restreint. N’était-il pas le plus signalé d’entre ces premiers qui sont devenus les derniers par leur faute, et qui verront un jour les publicains et les pécheresses entrer dans le royaume des cieux, Cf. 21, 31, tandis qu’ils en seront à tout jamais exclus ? - Il est intéressant pour l'exégète d'avoir à noter, à côté de cette profonde parabole, deux morceaux littéraires qui ont avec elle une certaine analogie et qui sont tirés l'un du Talmud et l'autre du Sunna, recueil arabe où sont entassés les propos attribués à Mahomet par la tradition. On pourra faire la comparaison. 1° La parabole juive : " A qui peut on comparer R. Bon bar Chaija ? A un roi qui embaucha plusieurs ouvriers, parmi lesquels s'en trouvait un qui effectua extraordinairement bien son travail . Que fit le roi ? Il le prit à l'écart et marcha avec lui çà et là. Quand le soir fut venu, les ouvriers vinrent, pour recevoir leur salaire, et il lui donna un salaire complet. Les ouvriers murmurèrent en disant "nous avons travaillé dur toute la journée, et cet homme seulement deux heures, et pourtant il a reçu le même salaire que nous". Le roi leur dit :"Il a travaillé plus en deux heures, que vous pendant la journée entière". Ainsi R. Bon a travaillé plus pour la Loi pendant 28 ans, que d'autres en 100 ans ". Hieros. Berach. Fol. 5, 3 ; Cf. Ligthfoot in h. l. C'est on le voit le commentaire de cette parole du Sage, Sap. 4, 13 : " Arrivé au but en peu de temps, il a parcouru tous les âges de la vie ". 2° La parabole arabe. Les Juifs, les chrétiens et les Mahométans sont comparés à trois groupes de journaliers, embauchés à différentes heures du jour, le matin, à midi et dans la soirée. Les ouvriers embauchés en dernier lieu reçoivent à la fin de la journée deux fois autant que les autres. Les Juifs et les chrétiens se plaignent en disant : Seigneur, vous avez donné deux carats à ceux-ci et à nous un seul carat. Le Seigneur leur demande : Vous ai-je fait tort dans votre salaire ? Ils répondent : Non. Eh bien, apprenez, reprend Dieu, que le reste est une surabondance de ma grâce. Cf. Gerock, Christol. des Koran, p. 141.17
Or Jésus, montant à Jérusalem, prit à part les douze disciples, et leur dit : 18Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort ; 19et ils le livreront aux païens, pour qu’ils se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; et il ressuscitera le troisième jour.Matthieu chap. 20 verset 17. - Or Jésus, montant à Jérusalem, prit à part les douze disciples, et leur dit
– Or Jésus, montant à Jérusalem. Le moment venu, Jésus quitte sa retraite de Pérée pour aller à Jérusalem consommer son sacrifice. La capitale juive étant bâtie sur un plateau élevé, l’expression " monter à Jérusalem " était devenue technique, ou plutôt populaire, pour désigner un voyage qui avait cette ville pour terme : elle revient à chaque instant dans la Bible. Cf. 3 Reg. 12, 27, 28 ; Ps. 122, 3, 4 ; Luc. 2, 42 ; 18, 31 ; Joan. 2, 13 ; 5, 1 ; 7, 8, 10, etc. Jos. Ant. 2, 3, 1. - Prit à part... C’est donc sur la route même, et chemin faisant, qu’eut lieu l’entretien dont les trois synoptiques nous ont conservé le souvenir. Les Douze seuls entendirent ces parole mémorables de Jésus : l’Évangile le note formellement, il prit à part les douze disciples. Jésus voyageait sans doute en ce moment au milieu d’une société nombreuse : il prit à part ses Apôtres proprement dits, pour leur faire la grave communication qui va suivre : c’était une nouvelle que les autres disciples, non encore avertis, n’étaient pas capables de porter. Mais au contraire, il faut que les Douze soient avertis de nouveau, de crainte qu’ils ne soient trop scandalisés quand les événements s’accompliront.Matthieu chap. 20 verset 18. - Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort.
- Voici que nous montons. " Voilà que déjà se produit, dans cette montée devant les portes (de Jérusalem), ce que je vous ai quelquefois annoncé au sujet de ma mort ", Jansenius. La particule fait ressortir la proximité de l’accomplissement : c’est durant le voyage actuel que la Passion de Jésus aura lieu. - Le Fils de l'homme sera livré : première trahison, laissée dans le vague pour ce qui regarde l’auteur ; l’indication ne sera complétée que le soir du Jeudi Saint. Cf. 26, 2 et ss. - Aux princes des prêtres... C’est le Sanhédrin juif qui est désigné par ces mots. Cf. 2, 4. - Ils le condamneront : livré tout d’abord au Sanhédrin, Jésus sera condamné à mort par ce tribunal suprême ; mais l’exécution de la sentence viendra d’ailleurs, ainsi qu’il sera dit au verset suivant.Matthieu chap. 20 verset 19. - Et ils le livreront aux païens, pour qu’ils se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; et il ressuscitera le troisième jour.
- Et ils le livreront aux païens. Deuxième trahison dont les auteurs sont cette fois clairement indiqués. Nous n’avons plus un verbe passif, " sera livré ", mais un verbe actif avec son sujet bien distinct. Cette trahison nouvelle placera Jésus entre des mains pires encore, s’il est possible, que le premières. Prisonnier d’abord du Sanhédrin qui avait du moins un semblant d’autorité théocratique, il deviendra le prisonnier des païens. " Païen " est la traduction de l’hébreu du nom donné par les Israélites à tout ce qui n’était pas Juif. - Pour qu'il soit moqué... Ces trois verbes affirment le but et le résultat final de cette cruelle livraison du Christ aux païens de Rome : de plus, ils contiennent en abrégé les principales scènes de la Passion. - Il ressuscitera : comme autrefois, ce mot revient à la façon d’un rayon lumineux destiné à jeter l’espoir dans le cœur des Apôtres. A deux reprises déjà, Cf. 16, 21 et 17, 21-22, et à des intervalles assez rapprochés, nous avons entendu des prédictions semblables à celle-ci ; mais la dernière des trois est de beaucoup la plus explicite. La première ne faisait aucune mention de la trahison, ni de la croix ; dans la seconde la trahison est indiquée, mais assez vaguement ; la troisième distingue les deux manières dont Jésus-Christ sera livré à ses ennemis, elle distingue aussi très nettement les divers actes du drame douloureux de la Passion, les outrages, la flagellation, le crucifiement. Tout y est donc très bien marqué. C’est un résumé de la Passion, un sommaire de ses souffrances écrit d’avance par Jésus. " L'annonce de ce qui allait arriver a été faite avec presque les mêmes mots que ceux avec lesquels la réalité est présentée ci-dessous 27,27-31 ", Fritzsche - S. Matthieu omet de signaler l’effet produit sur les Apôtres par cette communication du Sauveur : S. Luc, 18. 34, le fait en termes intéressants.
20
Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui avec ses deux fils, et se prosterna en lui demandant quelque chose. 21Il lui dit : Que veux-tu ? Ordonnez, lui dit-elle, que mes deux fils, que voici, soient assis l’un à votre droite, et l’autre à votre gauche, dans votre royaume. 22Mais Jésus répondit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? Ils lui dirent : Nous le pouvons. 23Il leur dit : Oui, vous boirez mon calice ; quant à être assis à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner ; ce sera pour ceux auxquels mon Père l’a préparé. 24Les dix, ayant entendu cela, s’indignèrent contre les deux frères. 25Mais Jésus les appela à lui, et leur dit : Vous savez que les princes des nations les dominent ; et que les grands exercent la puissance sur elles. 26Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais que celui qui voudra devenir le plus grand parmi vous soit votre serviteur, 27et que celui qui voudra être le premier parmi vous soit votre esclave ; 28de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et pour donner sa vie comme la rançon d’un grand nombre.Matthieu chap. 20 verset 20. - Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui avec ses deux fils, et se prosterna en lui demandant quelque chose
. - Cette scène offre un singulier contraste. Nous y voyons une complète confirmation de la réflexion de S. Luc, ch. 18 v. 34 : " Eux ne comprirent rien à cela ". Jésus achève à peine la prédiction relative à ses souffrances et à sa mort qu’on vient briguer les premières places dans son empire ! Il est vrai qu’il a ajouté tout aussitôt qu’il ressusciterait, et cela signifie pour les Apôtres qu’il se dispose à fonder le royaume messianique tel qu’ils l’attendent. Ils comprennent du moins que son voyage actuel à Jérusalem est décisif et qu’il va y prendre enfin possession de son trône : l’heure était donc urgente pour ceux qui ambitionnaient le rôle de premiers ministres. Aussi comme elle est avidement saisie ! - la mère des fils de Zébédée s’approcha. Les deux fils de Zébédée n’étaient autres que S. Jacques le Majeur et S. Jean l’évangéliste, Cf. 10, 3. Ce n’est pas sans surprise assurément qu’on trouve ces deux âmes d’élite à une pareille scène, surtout en un pareil moment. Leur mère s’appelait Salomé (comparez Marc. 15, 40 et Matth. 27, 56) : elle était du nombre de ces saintes femmes qui avaient coutume d’accompagner Notre-Seigneur Jésus-Christ dans ses voyages. C’est à elle que S. Matthieu attribue l’initiative dans la circonstance présente, tandis que S. Marc fait agir directement les deux frères ; mais le premier évangéliste, qui fut du reste témoin oculaire, est plus exact pour les premiers détails de l’épisode. Il nous montre les deux fils du Tonnerre s’avançant à la suite leur mère. Celle-ci se chargea de formuler la demande, car il était plus délicat d’agir ainsi ; peut-être se disait-elle qu’il serait plus difficile au Sauveur de refuser la requête d’une femme. - Et se prosterna. Arrivée tout auprès de Jésus, elle fait d’abord la prostration accoutumée ; puis, comme une autre mère non moins célèbre, Bethsabé, Cf. 3 Reg. 2, 20, avant de rien préciser, elle dissimule ses grands désirs sous une humble formule : en lui demandant quelque chose. Tout serait gagné, en effet, si Jésus daignait s’engager d’avance, en promettant de lui accorder en général tout ce qu’elle demandera.Matthieu chap. 20 verset 21. - Il lui dit : Que veux-tu ? Ordonnez, lui dit-elle, que mes deux fils, que voici, soient assis l’un à votre droite, et l’autre à votre gauche, dans votre royaume.
- Que veux-tu ?. Le Sauveur déjoue la politique maternelle en demandant brusquement, sèchement, l’objet précis de la supplique. - Cette fois Salomé s’exprime avec toute la clarté désirable. - Dis, c’est-à-dire " ordonne ". - Mes deux fils que voici est pittoresque : elle montre à Jésus ses deux fils agenouillés derrière elle. - L'un à votre droite... Dans tous les temps et chez tous les peuples, les deux places d’honneur ont été, comme elles le sont aujourd’hui, à la droite et à la gauche du personnage principal ; Cf. 3 Reg. 2, 19 ; Ps. 44, 10 : 109,1 ; Jos. Ant. 6, 11, 7. " Dans les temps à venir, le Dieu très saint fera asseoir le roi Messie à sa droite, et Abraham à sa gauche ", Talmud (ap. Wetstein). Salomé demandait en conséquence pour ses deux fils le rang de premiers ministres dans le royaume futur de Jésus. C’est bien une mère prise sur le fait, mais une mère oubliant momentanément la grâce pour écouter les inspirations de la nature. Les Saints Pères, sans excuser Salomé, veulent qu'avant de la juger nous nous rappelions ce qu'elle était : " Si c'est une erreur, c'est une erreur de tendresse ; les entrailles d'une mère ignorent la patience… Souvenez vous qu'elle était mère, pensez à cette mère ", S. Ambr. Lib. 5 de fide, c. 2. " En présentant sa demande, la mère des fils de Zébédée commet une erreur de femme emportée par l'amour, ne sachant pas ce qu'elle demandait ", S. Jérôme.Matthieu chap. 20 verset 22. - Mais Jésus répondit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? Ils lui dirent : Nous le pouvons.
- Jésus répondit. Le Sauveur accueille cette étrange demande avec une grande bonté. Les suppliants méritaient un blâme qu’ils reçoivent immédiatement : toutefois, ce blâme est adressé non pas à la mère, mais aux fils qui étaient les plus coupables en cette affaire : c’étaient eux peut-être qui avaient eu la première idée de ce petit complot. " Que personne ne s’étonne de voir ici tant d’imperfection dans les apôtres. Le mystère de la Croix n’avait pas encore été consommé, et la grâce du Saint-Esprit ne s’était pas encore répandue sur eux. Si vous désirez savoir quelle a été leur vertu, considérez ce qu’ils ont fait ensuite, et vous les verrez toujours élevés au-dessus de tous les maux de la vie ", S. Jean Chrys. Hom. 65 in Matth. - Vous ne savez pas ce que vous demandez. Vous agissez comme des enfants qui ne comprennent pas la portée de leurs demandes : vous avez, de plus, une idée très fausse de mon royaume, qui n’est pas ce que vous supposez. - Jésus fait ressortir ensuite les difficultés qu’ils doivent se résoudre à affronter pour arriver à la position élevée qu’ils ambitionnent : - Pouvez-vous boire le calice...? Il y a des coupes royales de différentes sortes : celle dont parle ici Jésus est évidemment, d’après le contexte, la coupe amère de sa Passion et de sa mort. Auront-ils assez de courage pour la vider avec lui jusqu’à la lie ? Cette belle métaphore du calice, pour représenter des destinées heureuses ou malheureuses, revient fréquemment dans la Bible et dans les classiques, Cf. Ps. 10, 6 ; 15, 5 ; 22, 5 ; Jérém. 25, 15. Les fils de Zébédée demandent des couronnes : Jésus leur présente sa croix ! - Nous le pouvons. L’amour ardent, quoique encore imparfait, qu’ils portaient à Jésus leur inspire cette réponse généreuse : Oui, nous le pouvons. S. Jacques et S. Jean étaient en réalité, et ils le prouveront bientôt l’un et l’autre, deux des membres les plus courageux du collège apostolique.Matthieu chap. 20 verset 23. - Il leur dit : Oui, vous boirez mon calice ; quant à être assis à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner ; ce sera pour ceux auxquels mon Père l’a préparé.
- Jésus répond : Vous boirez mon calice. Il prophétise ainsi, comme l’admet la tradition, les souffrances réservées aux fils de Zébédée : " Je vous prédis que vous serez honorés du martyre, et que vous souffrirez comme moi ", S. Jean Chrys. Hom. 65 in Matth. S. Jacques le Majeur vida le premier d’entre les Apôtres la coupe des persécutions et du martyre, Cf. Act. 12, 2 ; S. Jean vécut le plus longtemps et souffrit jusqu’à la fin de sa vie : la prédiction s’est donc accomplie à la lettre. Mais ce n’est pas tout. Pour jouir des places supérieures désirées par les deux disciples, il faut encore qu’une autre condition soit réalisée. - Il ne m'appartient pas... Jésus parle ici, selon le beau langage de S. Augustin, " à la façon d'un serviteur " : quand il parle en tant que Dieu, il ne craint pas de dire : " Tout ce qui est à moi est à toi ". Il ne fait donc en aucune façon l’aveu de son impuissance touchant la requête qui lui est exposée ; mais il approprie à son Père céleste, comme en d’autres circonstances, Cf. 11, 25 ; 16, 17, tout ce qui concerne l’élection et la prédestination des Apôtres. Théophylacte fait à ce sujet, d'après S. Jean Chrysostôme, une frappante comparaison : " Si un roi avait proposé une couronne d'or à celui qui l'emporterait sur tous les autre à la course dans le stade, et si, alors qu'il la tenait à la main, l'un de ceux qui, non seulement n'avaient pas gagné mais même n'avaient pas couru, lui réclamait la couronne, il répondrait à juste titre : Tu peux courir certes mais il m'appartient de donner cette couronne non pas à toi mais à ceux pour qui elle a été prévue, c'est à dire aux vainqueurs ; en réalité cela ne signifierait pas qu'il ne peut donner, alors que c'est son privilège propre, mais qu'il ne doit la donner qu'aux vainqueurs pour qui elle avait été prévue ". ; Cf. Jansen. in h. l. Il y a une double antithèse dans les paroles de Jésus : 1° " Mon calice, à mon Père " ; 2° " vous donner, à ceux pour qui cela a été préparé ".Matthieu chap. 20 verset 24. - Les dix, ayant entendu cela, s’indignèrent contre les deux frères.
- Ayant entendu cela. En entendant ces discours, les dix autres Apôtres ne peuvent s’empêcher de manifester ouvertement leur indignation contre les deux fils de Zébédée. Ce n’est pas qu’ils eussent eux-mêmes des idées plus parfaites touchant le royaume de Jésus. Ils croient leurs droits lésés par les deux frères ; car, eux aussi, ils désirent posséder les premières places.Matthieu chap. 20 verset 25. - Mais Jésus les appela à lui, et leur dit : Vous savez que les princes des nations les dominent ; et que les grands exercent la puissance sur elles.
- Jésus les appela à lui. Jésus groupe alors autour de lui toute la troupe apostolique : les dix s’étaient tenus à quelque distance pendant la scène qui vient d’être racontée, bien qu’ils s’en fussent très bien rendu compte, comme l’a montré le v. 24. Les apôtres ont tous besoin d’une leçon, car ils ont tous manifesté leur ambition humaine : le Maître la leur donne avec une grande douceur. Pour les corriger, il établit un parallèle entre la fausse grandeur, telle qu’elle existe dans le monde, et la vraie grandeur, telle qu’elle doit se manifester dans le royaume messianique. 1° La grandeur mondaine, que les Apôtres doivent éviter, v. 25. - Vous savez : Jésus fait appel à leur expérience relativement à un point bien connu, même des hommes les plus humbles. - Les princes des nations, c’est-à-dire les princes qui gouvernent les païens ; voir 20, 19 et la note correspondante. - Les dominent. Le verbe composé du texte grec, exprime une domination violente, absolue, qui n’a été que trop à la mode chez les princes païens ; Cf. Ps. 10, 5, 10 ; et voici que les Apôtres de Jésus voulaient dominer à la façon des païens ! - Les grands : en grec, au positif : les grands en général, les ministres des rois. - Exercent la puissance : encore un verbe dans la composition duquel entre la préposition sur, ce qui donne habituellement un mauvais sens à la pensée ; il s’agit donc de nouveau d’un pouvoir odieusement exercé. - Sur elles, non pas " sur les rois ", comme le veulent Rosenmüller et Stier, mais " sur les nations ".Matthieu chap. 20 verset 26. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais que celui qui voudra devenir le plus grand parmi vous soit votre serviteur.
- 2° La vraie grandeur chrétienne, que les Apôtres doivent pratiquer (vv. 26-28). Après avoir rappelé ce triste exemple des païens, Jésus trace aux Apôtres et à tous les dignitaires chrétiens de l’avenir une ligne de conduite tout opposée, concernant l’exercice de leur autorité. - Il n'en sera pas ainsi, c’est-à-dire à la manière des rois et des grands de la gentilité. - Mais celui qui voudra devenir... Ces mots supposent qu’il y aura, dans l’Église du Christ, des rangs supérieurs et des rangs inférieurs, des hommes qui commanderont et d’autres qui obéiront : il est impossible aux hérétiques de le nier, malgré leur désir de faire table rase dans le Christianisme afin de le mieux renverser. - Soit votre serviteur ; le contraire de la grandeur humaine.Matthieu chap. 20 verset 27. - Et que celui qui voudra être le premier parmi vous soit votre esclave.
- Jésus continue de développer la même pensée, mais en lui donnant plus de force : en effet, premier dit plus que " le plus grand " ; esclave indique une situation inférieure à celle de " serviteur ". Autrefois, 18, 2 et suiv. le Sauveur avait proposé un petit enfant à ses disciples comme un exemple de la grandeur chrétienne : actuellement, allant plus loin, il leur demande de se faire les serviteurs et les esclaves de tous. Les grands devenant les serviteurs de la foule, le premier de tous transformé en esclave ! Admirable antithèse, ou mieux, paradoxe frappant qui n’est pas demeuré à l’état de simple conseil ; Cf. 1 Cor. 4, 9-13. Telle s’est toujours montrée l’autorité ecclésiastique, dont le représentant suprême, le vicaire de Jésus-Christ, s’intitule humblement " serviteur des serviteurs de Dieu ".Matthieu chap. 20 verset 28. - De même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et pour donner sa vie comme la rançon d’un grand nombre.
- Notre-Seigneur avait commencé cette leçon importante donnée aux Apôtres, en signalant un mauvais exemple dont ils devaient s’éloigner ; il la termine par un autre exemple, exemple sublime et divin qu’ils doivent imiter. - De même que, au lieu de " il n'en sera pas ainsi " du v. 26. - N'est pas venu pour être servi, pour se faire servir. - Mais pour servir : tel a bien été constamment le rôle du Fils de l’homme ; ce n’est pas en vain qu’il était venu sur la terre sous la forme d’un esclave. Cf. Phil. 2, 7. - Et donner sa vie ; hébraïsme pour " vitam ". Jésus mentionne, dans cette dernière phrase, la partie la plus importante, comme aussi la plus humiliante, de son ministère à notre égard. Il a daigné laver nos souillures, porter le fardeau sous lequel nous étions écrasés. - La rançon, en latin redemptio ; le mot grec signifie proprement rançon ; Cf. Is. 53, 10. - Un grand nombre, ce que les théologiens appellent la " satisfactio vicaria " de Jésus-Christ. Maldonat explique l'expression " un grand nombre " par une bonne distinction : " Si l'on considère du moins son souhait, il est mort pour tous les hommes sans exception... Si l'on considère le résultat,il a touché non pas tous les hommes mais beaucoup, parce que tous n'ont pas voulu le recevoir. ". De même S. Thomas : " Il ne dit pas pour tous, parce que " pour tous " indique la quantité nécessaire ; tandis que " pour beaucoup ", à savoir les élus, se réfère à la réalité ". Les écrits du Nouveau Testament emploient tantôt " tous ", Cf. 2 Cor. 5, 14 ; 1 Tim. 2, 6, d’après le texte grec ; 1 Joan. 2, 2, etc., et tantôt " nombreux ", Cf. Rom. 3, 25 ; 5, 6 ; Eph. 5, 2, etc., lorsqu’ils font allusion au salut des hommes, selon que leurs auteurs veulent désigner objectivement ou subjectivement ceux pour lesquels Notre-Seigneur Jésus-Christ a enduré la souffrance et la mort.
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Lorsqu’ils sortaient de Jéricho, une grande foule le suivit. 30Et voici que deux aveugles, assis au bord du chemin, apprirent que Jésus passait ; et ils crièrent, en disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous. 31Et la foule les reprenait, pour les faire taire ; mais ils criaient plus fort, en disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous. 32Jésus s’arrêta, et il les appela, et leur dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? 33Ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux soient ouverts. 34Ayant pitié d’eux, Jésus toucha leurs yeux ; et aussitôt ils recouvrirent la vue, et le suivirent.Matthieu chap. 20 verset 29. - Lorsqu’ils sortaient de Jéricho, une grande foule le suivit.
- Ils sortaient de Jéricho. Entre l’épisode auquel a donné lieu la supplique de Salomé et la guérison des deux aveugles, Jésus est entré dans la ville de Jéricho, où il a fait un rapide séjour dont S. Luc (9, 1-27) raconte le principal incident. S. Matthieu se borne à exposer un miracle qui fut opéré, dit-il, au moment où le Sauveur quittait la ville. - Jéricho. " Jéricho était alors une des plus florissantes cités de la Judée, et se trouvait sur le grand chemin des caravanes, dans une plaine d’une luxuriante fertilité, qui était arrosée par le Jourdain et par le fameux cours d’eau que le prophète Elisée avait miraculeusement assaini. Une délicieuse fraîcheur tempérait l’ardeur du ciel tropical qui brûle les steppes voisines de la mer Morte. Aussi, toute cette contrée formait une ravissante oasis parée de tout ce que la végétation a d’éclatant et de varié dans ce pays du soleil. Les montagnes de Judée, colorées par une lumière de feu, l’encadraient à l’Ouest, tandis que vers l’Orient le Jourdain disparaissait sous les roseaux et allait se perdre dans le lac maudit. Jéricho, placée comme au milieu d’un verger de palmiers et d’arbres fruitiers de toute espèce, s’appelait la ville des parfums. Au lieu des chétives masures qui attristent aujourd’hui la plaine, elle présentait l’aspect d’une ville populeuse et riche, et les pèlerins qui venaient du Nord se plaisaient à faire halte au sein d’une si merveilleuse abondance, " de Pressensé, Jésus-christ, sa vie, etc. p. 542. Jéricho, était située, d’après Josèphe, à 50 stades du Jourdain et à 150 stades (environ 7 lieues) de Jérusalem : l’écrivain juif dit que son territoire était vraiment divin, Bell. Jud. 4, 8, 3. C’est de Jéricho que Josué avait entrepris la conquête de la Terre promise ; c’est de Jéricho que Jésus entreprend la conquête du monde. Il quitte en effet cette ville afin d’aller à Jérusalem se sacrifier pour le salut de tous les hommes. - Une grande foule le suivit... Notre-Seigneur n’est plus seul avec ses disciples ; une foule considérable l’accompagne : ce sont vraisemblablement les pèlerins venus du Nord de la Palestine, qui se rendent en caravane à Jérusalem pour y célébrer la Pâque.Matthieu chap. 20 verset 30. - Et voici que deux aveugles, assis au bord du chemin, apprirent que Jésus passait ; et ils crièrent, en disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous.
- Deux aveugles. L’occasion se présente tout à coup pour le Sauveur de faire un double miracle devant ces nombreux témoins : l’évangéliste en raconte les divers traits avec une grande précision. Ainsi, il n’omet pas de nous dire que les pauvres aveugles étaient assis sur le bord de la route, suivant une coutume qui n’a pas changé depuis. - Apprirent : entendant un bruit extraordinaire de pas et de voix, ils s’informent de sa raison d’être, et on leur apprend que c’est Jésus qui passe, entouré d’une nombreuse multitude. Jésus, c’est peut-être le salut pour eux ! Ils le connaissent de réputation, ils savent qu’il a rendu la vue à beaucoup d’infortunés qui leur ressemblaient. Aussi, avec quelle ardeur ils implorent sa pitié ! - Seigneur, fils de David. " Seigneur " n’est ici qu’une simple formule de politesse. Il n’en est pas de même des mots fils de David par lesquels ils terminent leur courte mais pressante prière, car c’était une confession très explicite du caractère messianique de Jésus. Cf. 9, 27. Bel acte de foi de la part de ces malheureux ! Ils croient que Notre-Seigneur est le Christ par excellence ; ils croient en outre qu’il peut les guérir miraculeusement : Isaïe n’a-t-il pas prédit du Messie qu’il ouvrirait les yeux des aveugles ? Cf. Is. 29, 18 ; 35, 5.Matthieu chap. 20 verset 31. Et la foule les reprenait, pour les faire taire ; mais ils criaient plus fort, en disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous.
- La foule les reprenait. " Ce n'est point par honneur pour le Sauveur qu'ils font taire ces deux aveugles, mais parce qu'il leur faisait peine d'entendre affirmer par ces aveugles ce qu'ils niaient eux-mêmes, c'est-à-dire que Jésus était fils de David ", écrit S. Hilaire sur ce passage. Mais tel ne nous paraît pas avoir été le vrai motif qui inspira la foule, car rien n'indique dans le récit qu'elle ait été défavorable à Jésus. Elle craignait plutôt que les voix lamentables des aveugles n’incommodassent le Maître qu’elle suivait respectueusement, dont elle écoutait peut-être les paroles avec avidité, tout en poursuivant sa marche. - Mais ils criaient plus fort : on leur dit de se taire, et il crient au contraire avec un redoublement d’énergie : ils n’ont que ce moyen d’attirer l’attention du Christ et, s’ils laissent passer l’occasion, tout espoir sera perdu pour eux.Matthieu chap. 20 verset 32. - Jésus s’arrêta, et il les appela, et leur dit : Que voulez-vous que je vous fasse ?
- Jésus s'arrêta ; en grec, " il se tint debout immobile ". Voilà donc les efforts des aveugles couronnés d’un plein succès. Le divin Maître, qui a paru pendant quelques instants indifférent à leurs supplications afin d’éprouver leur foi, s’approche d’eux avec bonté. C’est encore pour les mettre à l’épreuve qu’il leur demande, bien qu’il fût si manifeste, l’objet de leur requête. Ou encore, " il leur demande ce qu'ils veulent, afin que leur réponse rende évidentes leur infirmité et la puissance qui doit les guérir ", S. Jérôme in h. l.Matthieu chap. 20 verset 33. - Ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux soient ouverts.
- Que nos yeux soient ouverts... Leur cri de détresse, qui avait été jusqu’alors indéterminé, se transforme en une prière bien précise. " Seigneur, que je voie ", avait déjà répondu un autre aveugle à la même question. Cf. Marc. 10, 51. S. Grégoire-le-Grand, Hom. 2 in Evang., veut que nous procédions comme eux dans nos prières et que nous allions toujours droit au but : " Ne demandons au Seigneur ni des richesses trompeuses, ni des présents terrestres, ni des honneurs passagers, mais la lumière; non la lumière circonscrite par l’espace, limitée par le temps, interrompue par la nuit, et dont nous partageons la vue avec les animaux; mais demandons cette lumière que seuls les anges voient avec nous, qui ne débute par aucun commencement et n’est bornée par aucune fin ".Matthieu chap. 20 verset 34. - Ayant pitié d’eux, Jésus toucha leurs yeux ; et aussitôt ils recouvrirent la vue, et le suivirent.
- Ayant pitié d'eux. Quelle est l’affliction qui le trouvait insensible ? - Jésus toucha leurs yeux : c’était, nous l’avons vu en mainte occasion, sa méthode accoutumée de guérir les infirmités de ce genre. - Et aussitôt ils recouvrirent la vue : effet merveilleux, instantané, de ce léger contact. Il y eut un autre effet non moins remarquable : et le suivirent. " Ces aveugles, qui étaient assis près de la ville de Jéricho, retenus par leur infirmité et qui ne pouvaient que gémir et crier, suivent maintenant Jésus, moins par le mouvement des pieds que par leurs vertus ", S. Jérôme. Ils se mêlent tout joyeux au cortège, et accompagnent probablement le Sauveur jusqu’à Jérusalem, lui témoignant ainsi leur reconnaissance. - Ce fait avait lieu, selon toute vraisemblance, un vendredi, huit jours avant la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ. - Nous n’avons rien dit encore de la difficulté qu’il présente au point de vue de la concorde évangélique, difficulté assez sérieuse, qui a été un écueil pour la sagacité de plus d’un exégète. En voici brièvement l’exposé et la solution la plus probable. Selon S. Matthieu, le miracle est accompli au sortir de Jéricho, et deux aveugles recouvrent la vue ; d’après S. Luc, au contraire, Jésus ne guérit qu’un seul aveugle, et il le guérit au moment de son entrée dans la ville. Le récit de S. Marc ne s’accorde avec aucune des deux autres narrations, mais il prend en quelque sorte une situation intermédiaire. Comme S. Matthieu, le second évangéliste place le prodige au moment du départ de Jésus ; comme S. Luc, il ne mentionne qu’un aveugle. Où se trouve l’exacte vérité ? Des trois côtés à la fois, ont répondu quelques commentateurs, entre autres S. Augustin, De Cons. Evang. 2, 65, Lightfoot, Harm. of the N. Test., et Greswell, d’après lesquels les synoptiques auraient relaté trois faits distincts. Mais ne serait-il pas bien étonnant qu’auprès de la même ville un miracle de même nature eût été si souvent renouvelé parmi des circonstances tout à fait identiques ? Aussi plusieurs auteurs, de nos jours Bisping, Wieseler, Ebrard, Van Steenkiste, etc., se bornent-ils à distinguer deux prodiges, dont l’un aurait été opéré quand Jésus entrait dans Jéricho, l’autre quand il en sortait. Mais n’est-il pas plus naturel encore de dire, comme l’on fait S. Jean Chrysostôme, Théophylacte, Maldonat, Grotius, et après eux la plupart des interprètes, que nous sommes ici en face d’un seul et même événement, bien qu’il n’ait pas été relaté par les trois évangélistes avec une rigoureuse exactitude ? " Touts les faits sont à ce point semblables, qu'il ne semble pas possible qu'il s'agisse de miracles distincts ", Maldonat. Cela posé, la contradiction apparente porte sur deux points seulement, le nombre des aveugles et l’heure du miracle. Sur le premier point, nous dirons avec S. Augustin qu’il dût y avoir deux aveugles, puisque S. Matthieu l’affirme formellement, mais que l’un d’eux, pour un motif ou pour un autre, peut-être parce qu’il était moins connu, disparut de bonne heure de la tradition évangélique : c’est pourquoi S. Marc et S. Luc se contentent d’en mentionner un seul. Nous avons déjà rencontré une disparition analogue à propos des démoniaques de Gérasa, Cf. 8, 28. Relativement au second chef de divergence, on admet assez communément la solution suivante : Quand Jésus entrait à Jéricho, un aveugle se mit à implorer sa pitié, Cf. Luc. 18, 35 ; mais le Sauveur passa sans l’exaucer sur-le-champ. A son départ, il le retrouva, mais cette fois avec un autre aveugle, à la porte de la cité : il daigna les guérir l’un et l’autre, comme le raconte S. Matthieu. Le troisième évangéliste, dit, il est vrai, que le miracle eut lieu dès l’entrée de Jésus ; mais c’est là une anticipation sans importance, une de ces petites licences que les historiens anciens se permettaient fréquemment, et qui n’atteint en rien la substance du récit ; Cf. Maldonat, Jansenius, Sylveira, Corneille de Lapierre, Bengel, etc. - Sous ce titre : " Les aveugle de Jéricho ", il existe deux belles peintures de Nic. Poussin et Philippe de Champaigne, comme aussi une charmante poésie de Longfellow.L'entrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ à Jérusalem ouvre une nouvelle période de sa vie, connue généralement sous le nom de Vie souffrante, quoique, à proprement parler, la Passion n'ait compris que les vingt-quatre dernières heures. A partir de ce moment, le récit évangélique, qui s'était borné pour l'ordinaire à consigner les actions et les paroles les plus saillantes du Sauveur, se transforme pour ainsi dire en un journal très circonstancié, qui nous permettra de suivre Jésus-christ heure par heure, jusqu'au " tout est consommé " du Calvaire. Les événements acquièrent en effet une importante capitale puisque c'est alors que se consomma le grand œuvre de la Rédemption. Il n'est pas besoin de dire que nous étudierons avec un redoublement de foi et d'amour ces pages dont chaque trait nous rappelle la parole de s. Jean " À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang ", Apoc. 1, 5. Nous diviserons en trois sections cette partie de l'Évangile selon S. Matthieu : la première expose l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, 21, 1-11 ; la seconde décrit avec beaucoup de détails l'activité messianique du Sauveur dans la capital juive durant la dernière semaine de sa vie, 21, 12-25, 46, et spécialement sa lutte victorieuse contre ses ennemis ; la troisième enfin contient le récit de ses souffrances et de sa mort, 26, 1-27, 66.
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Quoique le premier avènement de Jésus-Christ, contre l'attente des Juifs, dût se passer en humilité, il ne devait pas être destitué de cette gloire et de cet éclat que les Juifs attendaient. Cet éclat était nécessaire pour leur faire voir que, tout humble qu'était le Sauveur et tout méprisable qu'il paraissait selon le monde, il y avait dans ses actions et dans sa personne de quoi lui attirer la plus grande gloire que les hommes puissent donner sur la terre, et jusqu'à le faire roi, si l'ingratitude des Juifs et une secrète dispensation de la sagesse de Dieu ne l'eût empêché. C'est donc ce qui parut à cette entrée, la plus éclatante et la plus belle qui fut jamais, puisqu'on y voit un homme, qui paraissait le dernier de tous les hommes en considération et en puissance, recevoir tout d'un coup de tout le peuple, dans la ville royale et dans le temple, des honneurs plus grands que n'en avaient jamais reçu les plus grands rois. Voilà donc cet éclat dont nous parlons : mais le caractère d'humiliation et d'infirmité, inséparable de l'état du Fils de Dieu sur la terre, n'y devait pas être oublié, et nous l'y verrons aussi ". Bossuet, Méditat. sur l'Évangile, la dernière semaine, 1er jour. Tous les exégètes ont relevé ce mélange étonnant de gloire et d'humilité qui nous frappera dans le triomphe de Jésus, le seul qu'il ait permis qu'on lui décernât de son vivant. Mais il fallait qu'il employât ce dernier moyen pour toucher les cœurs rebelles : c'était une preuve suprême de son caractère messianique donnée à Jérusalem incrédule, sous la forme prédite anciennement par les Prophètes. Cf. vv. 4 et 5.
Entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, vv. 1-11. - Vendeurs chassés du Temple, vv. 12-13. - Guérison de plusieurs infirmes, v. 14. - Indignation hypocrite des Pharisiens : Jésus les réduit au silence et vient à Béthanie, vv. 15-17. - Le figuier desséché, vv. 18-19. - Leçon rattachée par Jésus-Christ à ce miracle, vv. 20-22. - Origine du pouvoir de Notre-Seigneur et de celui de Jean-Baptiste, vv. 23-27. - Parabole des deux fils, vv. 28-32. - Parabole des vignerons homicides, vv. 33-44. - Fureur des Pharisiens quand ils voient que ces paraboles les concernent, vv. 45-46.
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Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem, et qu’ils furent arrivés à Bethphagé, près de la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, 2en leur disant : Allez au village qui est devant vous, et aussitôt vous trouverez une ânesse liée, et son ânon avec elle ; déliez-la et amenez-la moi, 3et si quelqu’un vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il les laissera emmener. 4Or tout cela s’est fait, afin que s’accomplît ce qui avait été dit par le prophète : 5Dites à la fille de Sion : voici que ton roi vient à toi plein de douceur, monté sur une ânesse et sur l’ânon de celle qui porte le joug. 6Les disciples allèrent et firent ce que Jésus leur avait ordonné.Matthieu chap. 21 verset 1. - Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem, et qu’ils furent arrivés à Bethphagé, près de la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples.
- Nous discuterons un peu plus loin, 26, 2, les principales données chronologiques de l’Évangile relatives à la Passion et nous pourrons fixer alors avec connaissance de cause la date des événements les plus importants. En attendant, nous admettrons comme un point hors de conteste la tradition ecclésiastique d’après laquelle l’entrée solennelle du Sauveur à Jérusalem aurait eu lieu dans la journée du Dimanche qui précéda immédiatement la Pâque, c’est-à-dire le 10 du mois de Nisan (2 avril de l’an de Rome 782). - Lorsqu'ils approchèrent. Pour venir de Jéricho à Bethphagé, Jésus avait dû traverser pendant plusieurs heures l’une des régions les plus sauvages de la Palestine : une des plus belles paraboles du divin Maître, Cf. Luc. 10, 25 et ss., nous fournira l’occasion de la décrire. - Bethphage, en hébreu Beth-Phaghé, maison des figues. C’était un petit village, ou même probablement un simple hameau formé de quelques maisons, et situé sur la route de Jéricho à Jérusalem. Il était à peu de distance de Béthanie, Cf. Marc. 11, 1 ; Luc. 19, 29 ; mais on ne sait pas au juste dans quelle direction. L’emplacement traditionnel que l’on montre aux pèlerins à l’Ouest et à environ dix minutes de Béthanie semble réunir en sa faveur les meilleures garanties d’authenticité ; Cf. Schegg, Gedenkbuch einer Pilgerreise, t. 1. p. 361 et ss. Sepp; Jerusalem, t. 1. p. 579 et ss. Il correspond du reste très bien au renseignement que nous fournit encore S. Matthieu, car il se trouve près de la montagne des Oliviers, sur le revers oriental de cette montagne célèbre qu’il nous faut ici décrire en peu de mots. Elle se dresse à l’E. de la ville sainte, dont elle n’est séparée que par la profonde vallée du Cédron. Son nom, Cf. Zach. 14, 4, lui vient des nombreux oliviers qui couvraient autrefois, et qui couvrent encore en partie ses flancs. Elle ne s’élève guère que de trois cents pieds au-dessus du mont Sion, bien que son altitude réelle soit de 2724 pieds au-dessus du niveau de la mer. Elle présente trois sommets arrondis qui portent, dans la direction du N. au S., les nom suivants : " Viri Galilæi ", montagne de l’Ascension, montagne du Scandale. Le sommet central est le plus haut des trois. Tandis que le versant occidental descend par une pente rapide jusqu’au lit du Cédron, celui de l’Orient domine à peine le plateau élevé, solitaire, sur lequel étaient autrefois les villages de Béthanie et de Bethphagé. La vue admirable dont on jouit du haut du mont des Oliviers a été vantée par tous les voyageurs. A l’Ouest Jérusalem avec ses églises, ses mosquées, ses rues, ses jardins, ses ruines et son admirable ceinture de murs crénelés ; au Nord les hauteurs de Samarie qui s’élèvent graduellement : au Sud les montagnes de Juda jusque vers Hébron ; à l’Est des vallées profondes et sauvages, qui serpentent à travers des rochers nus, jetés pêle-mêle les uns sur les autres, puis dans le lointain la mer Morte aux couleurs azurées, derrière laquelle se dresse comme une muraille gigantesque la longue chaîne des montagnes de Moab : tout cela forme une perspective émouvante que le regard ne se lasse pas de savourer ; Cf. Schegg, loc. cit., p. 362 et ss. Mais le cœur y est encore plus ému que les yeux, quand il songe aux longs et fréquents séjours que Jésus fit sur le mont des Oliviers pendant les derniers temps de sa vie. - Jésus envoya. On pourrait supposer, d’après la relation des trois synoptiques, que l’entrée solennelle de Jésus-Christ dans Jérusalem eut lieu le même jour que le départ de Jéricho, Cf. 20, 29 et ss. Mais le quatrième évangéliste nous apprend qu’il s’écoula au moins un jour, Cf. Joan. 12, 2, entre ces deux événements, Jésus s’étant arrêté vingt-quatre heures, peut-être même trente-six heures, à Béthanie dans la maison de S. Lazare et de ses sœurs Marthe et Marie. S. Matthieu raconte aussi ce séjour, 26, 6 et ss., mais un peu plus loin et sans tenir compte de l’ordre chronologique, parce qu’il a hâte pour le moment d’introduire Jésus en qualité de Messie dans la capitale juive et dans le temple. - Deux de ses disciples. " Quels étaient ces deux disciples, dit Maldonat avec sa réserve accoutumée, un interprète prudent n’a pas à le rechercher, un lecteur prudent doit préférer l’ignorer, puisque les évangélistes ne l’ont pas précisé. Ils l’auraient fait certainement s’ils avaient jugé que nous avions intérêt à le savoir ". Les anciens avaient hasardé sur ce point toutes sortes d’hypothèses contradictoires dont il est inutile de s’occuper.Matthieu chap. 21 verset 2. - En leur disant : Allez au village qui est devant vous, et aussitôt vous trouverez une ânesse liée, et son ânon avec elle ; déliez-la et amenez-la moi.
- En leur disant. Le triomphateur donne lui-même des ordres pour organiser son prochain triomphe : il le fait avec la dignité d’un prophète et d’un Homme-Dieu. Pour une entrée triomphale à Jérusalem du côté de l’Est, aucune localité ne convenait mieux que Bethphagé comme point de départ : c’est donc dans le voisinage de ce hameau que Jésus confie la mission suivante à ses deux envoyés. - Au village qui est devant vous, c’est-à-dire en face de vous. En prononçant ces mots, Jésus montrait du doigt les deux ou trois métairies dont se composait Bethphagé. Il dit ensuite aux disciples qu’à l’entrée même du hameau, aussitôt, ils trouveraient une ânesse attachée, et son ânon auprès d’elle. C’est ainsi qu’il embrassait dans sa prédiction les plus petits détails ; Cf. Marc. 11, 2 ; Luc. 19, 30. Mais pourquoi ces animaux ? La réponse est aisée. Le Sauveur veut entrer dans Jérusalem à la façon d’un roi victorieux ; pour cela il lui faut une monture, car il ne conviendrait pas à un triomphateur de s’avancer à pied, perdu au milieu des rangs de la foule. C’est donc la monture de son triomphe que Jésus-Christ envoie chercher. - Déliez-la et amenez-la. Jésus se présente comme le Messie et avec toute l’autorité de ce divin personnage : tout lui appartient en tant qu’il est le chef suprême du peuple juif ; il a par conséquent le droit de tout réquisitionner sur son passage. C’est en vertu de ce droit indiscutable qu’il dispose de l’ânesse et de l’ânon comme un maître.Matthieu chap. 21 verset 3. - Et si quelqu’un vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il les laissera emmener.
- Et si quelqu'un... L’hypothèse était très vraisemblable ; elle se réalisa de fait d’après les passages parallèles de S. Marc et de S. Luc : il était donc convenable de prévenir les disciples pour leur éviter tout embarras. - Vous dit quelque chose, soit pour vous demander raison de la liberté que vous prenez, soit pour se plaindre d’une manière d’agir qui pourrait rendre votre honorabilité douteuse. Dans ce cas, ils se contenteront de répondre que " le Maître en a besoin ". - Le Seigneur. M. Alford est d’avis que cette expression est synonyme de Jéhova dans ce passage ; d’autre la traduisent par Roi-Messie. Elle désigne à coup sûr Jésus-Christ en tant qu’il était le Seigneur par excellence, le vrai roi d’Israël, dont tous les Juifs avec leurs biens étaient la complète propriété. - Aussitôt il les laissera emmener. L’Itala et les manuscrits B. D. ont le futur comme la Vulgate ; mais la plupart des textes grecs portent le présent. Il y a dans cette dernière explication du Sauveur quelque chose de mystérieux qui rappelle une communication analogue à laquelle nous arriverons bientôt, Cf. 26, 18. Mais nous nous garderons bien de supposer, à la suite de plusieurs exégètes, que le divin Maître avait à Bethphagé des amis avec lesquels il avait combiné d’avance toute cette scène. Non, il n’y avait pas eu le moindre arrangement préalable ; de la part de Jésus tout eut lieu en vertu d’une prescience prophétique, analogue à celle dont Samuel avait fait preuve à l’égard de Saül, Cf. 1 Reg. 10, 2-7, quoique bien supérieure, puisque le Sauveur était Dieu.Matthieu chap. 21 verset 4. - Or tout cela s’est fait, afin que s’accomplît ce qui avait été dit par le prophète
– Or tout cela. S. Matthieu fait ici une grave réflexion, pour montrer la manière dont cet acte de Jésus se rattachait au plan divin relatif au Messie. En envoyant les deux disciples à Bethphagé pour y accomplir la mission détaillée dans les versets 2 et 3, Notre-Seigneur se proposait, comme en d’autres circonstances semblables, d’accomplir une prophétie de l’Ancien Testament. Tout ce qui avait été prédit à son sujet par les prophètes flottait sans cesse devant son esprit, et il en accomplissait à l’heure voulue par la Providence les points les plus minutieux. - L’adjectif " tout " manque dans l’Itala, dans versions copte et éthiopienne et dans les manuscrits C. D. L Z : il n’y a pourtant pas lieu de douter de son authenticité. - Afin que s'accomplît. Cf. 1, 22 et l’explication. Nous protestons de nouveau contre le " sens consécutif " que Maldonat ne cesse pas de donner à cette formule. - Par le prophète. Cf. Zach. 9, 9.Matthieu chap. 21 verset 5. - Dites à la fille de Sion : voici que ton roi vient à toi plein de douceur, monté sur une ânesse et sur l’ânon de celle qui porte le joug
. - Dites à la fille de Sion. Ces premiers mots du texte ne sont nullement de Zacharie : ils sont d’Isaïe, 62, 11, auquel l’évangéliste, qui cite de mémoire, les emprunte peut-être à son insu. Du reste la prophétie de Zacharie s’ouvrait aussi par une petite introduction du même genre : " Exulte fille de Sion. Jubile, fille de Jérusalem. Voici ton roi etc... ". Le changement est sans importance, et s’explique sans peine par la ressemblance des expressions. Sion est la plus haute des collines sur lesquelles Jérusalem était bâtie : la fille de Sion est donc, par correspondance entre terme propre et terme figuré, la capitale juive elle-même. Les villes sont fréquemment appelées en Orient les filles des localités sur lesquelles elles s’élèvent. On peut dire aussi que le mot fille désigne ici d’une manière collective tous les habitants de Jérusalem, représentés sous la figure d’une vierge. - Voici : cette particule attire l’attention ; elle annonce un fait remarquable, important. - Ton roi, le roi par excellence et en même temps le roi de Jérusalem. Il lui appartient en tant qu’elle est la métropole du royaume messianique, en tant qu’il lui a été spécialement promis. - Tient à toi. Nouvelle emphase dans le pronom : il est à toi et c’est pour toi qu’il vient, car tu es la résidence qu’il s’est choisie et dont il veut prendre possession. - Dans cette entrée du Messie-Roi tout annonce la paix. Le prophète a soin de relever par deux circonstances particulières ce côté pacifique du triomphe du Christ. 1° Son caractère est la bonté même, il est plein de douceur : il se présente pour sauver, non pour détruire ; la justice l’accompagne : loin de lui les violentes conquêtes ! C’est ce que dit le texte complet de Zacharie : " Il vient à toi en homme juste et en sauveur ; et il est pauvre ". Le mot que S. Jérôme traduit par " pauvre ", a plutôt dans ce passage la signification de " doux ". Comme on le voit par plusieurs anciennes versions (70, chald, etc.) auxquelles s’est conformé S. Matthieu, et par les interprétations des commentateurs juifs. 2° La monture du Christ n’a rien de commun avec des intentions belliqueuses, monté sur une ânesse... " Il ne fera point cette entrée monté sur un char magnifique comme les rois, il n’imposera point de tributs, il, n’exigera point d’impôts, il ne sera point fier et superbe. Il ne se fera point craindre par le grand nombre de gardes qui l’accompagnent; mais il témoignera en toute chose une douceur et une humilité toute divine. Qu’on demande aux juifs quel autre roi que Jésus est jamais entré dans Jérusalem monté sur un âne? ", S. Jean Chrysost. Hom. 66 in Matth. Le nom hébreu et son équivalant grec étant des deux genres, il serait possible, d’après un assez grand nombre d’interprètes, que les mots suivants, et sur l’ânon de celle qui porte le joug, fussent des expressions synonymes de " ânesse ", de sorte que nous aurions, dans le texte primitif de la prophétie, trois locutions parallèles pour désigner un seul et même animal. Dans ce cas, la préposition " et " devrait se traduire par " évidemment, bien entendu ", car elle serait explicative et point copulative, ainsi que s’expriment les grammairiens dans leur étrange langage. En faveur de ce sentiment, on allègue d’une part le parallélisme poétique des Hébreux, d’autre part les trois autres évangélistes qui ne font mention que de l’ânon. Mais ne ressort-il pas au contraire de l’ordre même donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ, v. 2, dans l’intention d’accomplir la prophétie, et de l’exécution de cet ordre, v. 7, que l’Esprit-Saint, en inspirant Zacharie, avait deux animaux en vue ? Pourquoi Jésus aurait-il expressément commandé qu’on lui amenât l’ânon et sa mère, pourquoi S. Matthieu eût-il ajouté qu’il agissait ainsi pour réaliser une ancienne prédiction, si cette prédiction n’eût parlé que d’un seul animal ? - Fils de celle qui porte le joug. Les Orientaux accumulent volontiers les synonymes, comme on le voit par un exemple analogue extrait du Targum " sur le petit du lion, fils de la lionne ". Le mot " qui porte le joug " (subjugalis) est un peu obscur : c’est une traduction littérale du substantif grec que S. Matthieu a emprunté à la version d’Alexandrie, où il est employé plus de vingt fois comme synonyme. Il désigne en général toutes les bêtes de somme. L’hébreu dit simplement : " fils des ânesses ". Telle est donc la monture du Christ-Sauveur faisant son entrée solennelle à Jérusalem. Les Juifs l’ont prise pour le thème des légendes les plus ridicules, qu’on trouve fidèlement consignées dans le Talmud. Tantôt c’est le roi Sapor promettant d’envoyer au Messie un noble coursier pour remplacer ce vil équipage, et recevant d’un rabbin cette fière réponse : Vous n’avez pas de cheval aux cent taches, semblable à l’âne du Christ. Tantôt c’est la généalogie de cet âne, prouvant qu’il remonte en droite ligne à ceux de Moïse et d’Abraham, etc. ; Voir Lightfoot, Wetstein in h.l. Un rabbin du moyen âge, Emmanuel Ben-Salomo, lancé en plein dans le rationalisme, montre d’une manière tout opposée combien il avait perdu l’esprit théocratique, quand il ose, dans un de ses sonnets célèbres, parler au Messie dans les termes suivants : " Si tu ne peux faire ton apparition que sur une monture si misérable, je te conseille d’abandonner plutôt complètement l’œuvre de la Rédemption " ; Cf. A. Geiger, Allg. Einleitung in die Wissenschaft des Judenthums, p. 132 et 214. - Les Saints Pères se livrent volontiers, lorsqu'ils étudient ce passage du prophète Zacharie, à de touchantes considérations allégoriques : " On peut encore y voir une figure de la spéculation et de la pratique, de la science et des œuvres. Cette ânesse qui avait été domptée et qui portait le joug, représente la synagogue qui avait porté le joug de la loi, et le petit de l’ânesse, le peuple des Gentils fougueux et indompté ; car, dans le plan de Dieu, la Judée fut la mère des nations ", S. Jérôme in h. l. ; de même s. Justin, Origène, S. Cyrille et plus tard S. Thomas d'Aquin et S. Bonaventure.Matthieu chap. 21 verset 6. - Les disciples allèrent et firent ce que Jésus leur avait ordonné.
- Les disciples allèrent. " Jésus savait ce qu’il voulait, qui était l’accomplissement des prophéties ; mais une vertu cachée exécutait tout le reste... Ainsi, dans cette occasion, l’ânesse et l’ânon se trouvèrent à point nommé près du lieu où devait se faire la célèbre entrée ", Bossuet, Méditations, dern. semaine, 3° jour. La Providence a tout préparé pour le triomphe du Messie, et les disciples exécutent sans peine la commission qu’ils ont reçue.
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Ils amenèrent l’ânesse et l’ânon, mirent sur eux leurs vêtements et le firent asseoir dessus. 8Or, une foule nombreuse étendit ses vêtements sur le chemin ; d’autres coupaient des branches d’arbres, et en jonchaient le chemin. 9Et les foules qui précédaient Jésus, et celles qui le suivaient, criaient : Hosanna au fils de David. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux. 10Et lorsqu’il fut entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et disait : Quel est celui-ci ? 11Et le peuple disait : C’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée.Matthieu chap. 21 verset 7. - Ils amenèrent l’ânesse et l’ânon, mirent sur eux leurs vêtements et le firent asseoir dessus.
- L'ânesse et l'ânon. L’ânon était encore indompté, comme le note S. Marc, 11, 2 ; on amène sa mère avec lui pour le rendre plus docile, bien que celle-ci ne dût pas servir de monture à Jésus. Cf. Marc. 11, 7 ; Luc. 19, 35 ; Joan. 12, 14. - Mirent sur eux leurs vêtements... au moment où ils reviennent près de leur Maître, les deux disciples étendent sur le dos de l’ânesse et de l’ânon, en guise de selles ou plutôt de housses à la façon de l’Orient, ces grands manteaux que les Hébreux portaient toujours avec eux, et qui pouvaient au besoin leur servir de couverture pendant la nuit ; voir l’explication de v. 40. - Et le firent asseoir dessus, c’est-à-dire sur les vêtements. C’est en effet l’explication la plus naturelle. Cependant quelques exégètes admettent que l'évangéliste aurait considéré les deux animaux comme un tout indivis, ou bien il aurait voulu dire que Jésus monta à tour de rôle sur l'ânesse et sur l'ânon. Cette dernière conjecture, adoptée par plusieurs écrivains anciens, est complètement invraisemblable : celle de Strauss, qui font monter Notre-Seigneur " en même temps " sur les deux animaux pour tourner l'Évangile en ridicule, est indigne d'un homme sensé.Matthieu chap. 21 verset 8. - Or, une foule nombreuse étendit ses vêtements sur le chemin ; d’autres coupaient des branches d’arbres, et en jonchaient le chemin.
- Tous les préparatifs sont terminés et le cortège se met en marche, formant une procession glorieuse ; mais dans cette marche triomphale il n’y a rien de politique ni de profane, les moindres détails manifestent au contraire un caractère franchement religieux, le seul du reste qui fût digne du Messie. L’évangéliste a décrit avec amour tous les traits de cette scène unique. Il nous montre d’abord l’assistance nombreuse qui se pressait autour de Jésus, une foule nombreuse : c’étaient des Juifs venus de toutes les régions de la Palestine à Jérusalem pour y célébrer la Pâque ; ils étaient allés au-devant de Jésus à Béthanie et ils l’accompagnent jusqu’au temple au milieu des marques les plus touchantes de leur foi et de leur amour. - Étendit ses vêtements... Les plus rapprochés du Sauveur enlèvent leur Mehîl, comme avaient fait les deux disciples, v. 7, et ils les étendent au milieu de la route sur son passage comme des tapis. C’était là une manifestation tout orientale dont nous trouvons des traces dès l’époque de Jéhu, Cf. 4 Reg. 9, 13, et qui s’est conservée jusqu’à nos jours. Le Dr Robinson raconte en effet qu’en 1834 le consul anglais de Damas s’étant rendu à Bethléem, les habitants de cette ville, qui s’étaient révoltés contre les Turcs et qui redoutaient les représailles les plus terribles, allèrent au-devant de lui pour implorer sa protection et se mirent à étendre leurs vêtements sous les pieds de son cheval, de la façon la plus spontanée ; Palæstina, t. 2, p. 383. Nous lisons dans les Antiquités de l’historien Josèphe, 2. 8, 5, que les Juifs rendirent le même honneur à Alexandre-le-Grand quand il fit son entrée à Jérusalem. - D'autres coupaient... La route était, sur tout le parcours, bordée d’oliviers et d’autres arbres touffus auxquels il était aisé d’enlever quelques rameaux sans leur nuire : chacun se munit d’une branche en signe de joie. On répandit aussi des feuilles sous les pas de Jésus comme nous faisons encore au jour de la Fête-Dieu. On avait fêté de la même manière le héros juif Judas Machabée, le jour où il avait purifié le temple après l’avoir repris aux infidèles. Cf. 2 Mach. 10, 7.Matthieu chap. 21 verset 9. - Et les foules qui précédaient Jésus, et celles qui le suivaient, criaient : Hosanna au fils de David. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux.
- Après les actes viennent les paroles. Le cortège fut d’abord silencieux pendant quelque temps ; mais bientôt, " lorsqu’il approchait déjà de la descente de la montagne des Oliviers, toutes les foules des disciples, transportées de joie, se mirent à louer Dieu à haute voix pour toutes les merveilles qu’ils avaient vues ", Luc. 19, 37. Une double circonstance fit éclater tout à coup l’enthousiasme. A cet endroit marqué par S. Luc, la ville sainte apparaissait soudain dans toute sa magnificence, et en avant se dressait le temple éblouissant de splendeur ; Cf. 24, 1 et le commentaire. A la vue de la capitale du Messie, à la vue de son palais auquel on le conduit, la foule ne peut se contenir et elle se livre librement à ses joyeux transports. D’un autre côté, c’est là sans doute qu’une seconde procession, partie de Jérusalem pour aller à la rencontre du Sauveur, rejoignit le cortège qui venait de Bethphagé, Cf. Joan. 12, 17. Quand ces deux multitudes arrivèrent en face l’une de l’autre, cernant avec amour Jésus au milieu d’elles, l’allégresse fut à son comble et des cris de bénédiction s’échappèrent de toutes les poitrines. - Les foules qui précédaient Jésus, et celles qui le suivaient : ces mots désignent sans doute les deux foules distinctes que nous venons de signaler, et qui opérèrent leur jonction sur le sommet du mont des Oliviers. - Hosanna. Il est intéressant de signaler les réflexions inspirées par cette expression juive à deux des plus célèbres Pères de l'Église Latine. S. Augustin, qui ignorait l'hébreu, donne l'interprétation suivante, mélangée de vrai et de faux : " Hosanna... est une exclamation de prière; elle indique un sentiment plutôt qu’une chose précise: ainsi sont les mots que, dans la langue latine, on appelle interjections : par exemple, dans la douleur, nous disons : hélas ! ou dans la joie nous disons : oh ! ". Le plus docte hébraïsant de l'antiquité, S. Jérôme, se rapproche davantage de la vérité lorsqu'il détermine ainsi l'étymologie et le sens du mot Hosanna : " 'Osi' signifie Sauve ; 'Anna' est l'exclamation de la personne qui prie. Si l'on veut former un seul mot, l'on dira 'Osianna' ou, en éliminant la voyelle médiane, Osanna ", Epist. ad Damas. La prononciation primitive de cette locution hébraïque était Hoschiah-Na ; plus tard on écrivit Hoschah-Na par abréviation, puis Hoschahna en un seul mot, d’où nous avons fait Hosanna, à la suite des Grecs et des Latins. Ses racines étaient le verbe sauver. Elle signifie : Sauve donc ! comme traduisent les Septante. C’était par conséquent une prière ardente et pleine de foi qui semble s’être transformée plus tard en un cri d’allégresse, en un souhait de bonheur. Les Juifs la répétaient des milliers de fois à la fête des Tabernacles, en agitant des palmes qu’ils tenaient à la main, et en faisant une procession autour de l’autel des holocaustes. On comprend donc que, dans la circonstance présente, elle soit venue spontanément sur toutes les lèvres en l’honneur du Messie, que la foule désigne par son nom populaire de Fils de David. La locution entière " Hosanna au fils de David " signifie : Sauve donc le Fils de David, c’est-à-dire : Seigneur, bénissez le Messie ! - Béni soit celui qui vient. Après la prière pour le Christ, vient un salut au Christ : qu’il soit le bienvenu dans sa cité, dans son temple ! - Au nom du Seigneur, au nom de Jéhova, muni d’une mission toute divine. Zorobabel, faisant son entrée dans le second temple après la captivité de Babylone, fut accueilli par des acclamations semblables. - Nous n’avons pas dit encore que la phrase " béni soit celui qui vient au nom du Seigneur " est empruntée au Ps. 117, v. 26, qui jouait aussi un grand rôle dans la liturgie de la fête des Tabernacles : les habitants de Jérusalem, dit-on, chantaient ce verset à l’arrivée des pèlerins pour les saluer. Mais qui mieux que Jésus a mérité d’être appelé le Bienvenu ? - Hosanna au plus haut des cieux. Par cette nouvelle formule, le peuple prie le Seigneur, dont le trône est au plus haut des cieux, de ratifier dans son glorieux séjour les souhaits de bonheur qu’il forme pour le Messie. Voilà donc Jésus acclamé publiquement à Jérusalem comme le Christ, par une multitude innombrable, et il accepte ces hommages populaires, lui qui pendant si longtemps les avait refusés, imposant silence à ceux qui les lui rendaient avant l’heure voulue par son Père !Matthieu chap. 21 verset 10. - Et lorsqu’il fut entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et disait : Quel est celui-ci ?
- Les versets 10 et 11 décrivent l’effet produit dans l’intérieur de la ville par cette entrée triomphale. Après avoir côtoyé lentement le flanc occidental de la montagne des Oliviers et franchi la vallée du Cédron, le cortège pénètre dans la sainte cité, et se dirige vers le temple. - Toute la ville fut émue. Trente-trois ans auparavant, Jérusalem s’était déjà troublée à l’occasion de Jésus, Cf. 2, 3 : mais alors c’étaient seulement des princes étrangers qui annonçaient sa naissance, tandis qu’aujourd’hui il vient en personne dans la capitale du royaume théocratique. " Émue " : le texte grec marque une violente agitation. Mille sentiments, l’amour, la haine, la crainte, l’espérance et le doute, se croisent dans les cœurs de ces hommes, venus de tous les coins du monde pour la solennité pascale, et qui attendaient alors si ardemment leur Messie. - Qui est celui-ci, demandaient les étrangers qui ne connaissaient pas Jésus, ou qui du moins n’avaient pas pu l’apercevoir au milieu d’une affluence si considérable.Matthieu chap. 21 verset 11. - Et le peuple disait : C’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée.
- Le peuple. S. Matthieu désigne ainsi les multitudes qui avaient pris part à la marche triomphale. Elles donnent volontiers le renseignement qu’on leur demande. Celui que nous accompagnons en triomphe, comme le Christ promis, c’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée. On se borne à citer son nom, sa patrie et le titre que le peuple lui conférait habituellement : cela suffisait, car ses miracles et sa prédication étaient connus du plus grand nombre. - Tel fut le triomphe de Notre-Seigneur Jésus-Christ. " Dans les autres entrées, on ordonne aux peuples de parer les rues, et la joie pour ainsi dire est commandée. Ici tout se fait par le seul ravissement du peuple. Rien au dehors ne frappait les yeux : ce roi pauvre et doux était monté sur un ânon, humble et paisible monture ; ce n’était point ces chevaux fougueux, attachés à un chariot, dont la fierté attirait les regards. On ne voyait ni satellites, ni gardes, ni l’image des villes vaincues, ni leurs dépouilles ou leurs rois captifs. Les palmes qu’on portait devant lui, marquaient d’autres victoires ; tout l’appareil des triomphes ordinaires était banni de celui-ci... On conduit le Sauveur avec cette pompe sacrée par le milieu de Jérusalem jusqu’à la montagne du temple. Il y parait comme le Sauveur et comme le Maître, comme le Fils de la maison, le Fils de Dieu qu’on y sert. Ni Salomon qui en fut le fondateur, ni les pontifes qui y officiaient avec tant d’éclat, n’y avaient jamais reçu de pareils honneurs ", Bossuet, Méditations, la dernière semaine, 1er jour. - On a remarqué que l’entrée du Sauveur à Jérusalem eut lieu le dix du mois de nisan, c’est-à-dire au jour même où l’agneau pascal devait être choisi et mis à part jusqu’à l’heure du sacrifice. Cf. Ex. 12, 3, 6. Jésus, le véritable agneau pascal, qui allait faire disparaître bientôt toutes les autres victimes, était ainsi conduit, à l’heure fixée par Moïse, au lieu de son immolation. Aussi a-t-on appelé à bon droit son triomphe une procession de sacrifice ; nous pouvons donc sans erreur regarder cette solennité comme le début de sa Vie souffrante. - L’entrée de Jésus à Jérusalem a été dignement célébrée par le pinceau de Lebrun, de Jos. Fuhrich, et d’Hyppolyte Flandrin (fresque de S. Germain-des-Prés).
LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
12
Jésus entra dans le temple de Dieu, et il chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple, et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes. 13Et il leur dit : Il est écrit : ma maison sera appelée une maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. 14Alors des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit. 15Mais les princes des prêtres et les scribes, voyant les merveilles qu’il avait faites, et les enfants qui criaient dans le temple, et qui disaient : Hosanna au fils de David, s’indignèrent, 16et ils lui dirent : Entends-tu ce qu’ils disent ? Jésus leur dit : Oui. N’avez-vous jamais lu cette parole : de la bouche des enfants, et de ceux qui sont à la mamelle, vous avez tiré une louange parfaite ? 17Et les ayant laissés, il s’en alla hors de la ville, à Béthanie, où il demeura.Matthieu chap. 21 verset 12. - Jésus entra dans le temple de Dieu, et il chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple, et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes.
- Jésus entra. Nous devons répondre tout d’abord à deux questions préliminaires : 1° Cette expulsion des vendeurs diffère-t-elle de celle que l’évangéliste S. Jean raconte presque au début de la Vie publique de Notre-Seigneur, 2, 13 et ss. ? 2° Eut-elle lieu le jour même de l’entrée solennelle à Jérusalem, ou seulement le lendemain ? - Sur le premier point notre réponse sera franchement affirmative. Nous distinguerons avec la plupart des exégètes deux purifications du temple très distinctes l’une de l’autre, et séparées par environ trente mois d’intervalle (Voir la discussion des preuves dans le commentaire du quatrième Évangile). Le premier comme le dernier acte du ministère public de Jésus-Christ pendant sa vie mortelle aura donc consisté à purifier le temple profané par les Juifs et devenu un vil " marché ". Le rôle du Messie ne pouvait ni mieux commencer, ni mieux finir. - Relativement à la seconde question, nous abandonnerons la chronologie de S. Matthieu, pour suivre celle de S. Marc, qui est beaucoup plus exacte. Le premier évangéliste paraît en effet supposer que l’expulsion des vendeurs suivit immédiatement l’entrée de Jésus à Jérusalem et dans le temple ; Cf. vv. 1, 10, 12 et ss. ; de même S. Luc, 19, 29, 41, 45 et ss. ; mais S. Marc affirme en termes formels qu’elle n’eut lieu que le jour suivant, c’est-à-dire le lundi de la semaine sainte. Voici, d’après sa relation, l’ordre très précis des faits. Le triomphe se termine sous les portiques du temple, où Jésus est conduit par la foule. Là, Notre-Seigneur examine toutes choses (" Il parcourut du regard toutes choses ", Marc 11, 11) à la façon d’un roi nouvellement introduit dans son palais. Mais il est tard, et le divin Maître retourne à Béthanie avec les Douze. Le lendemain matin, il reprend en compagnie de ses Disciples la route de Jérusalem et, après avoir maudit le figuier stérile, il entre de nouveau dans le temple, cette fois pour faire disparaître les abus qu’il a remarqués la veille et pour chasser sans pitié les vendeurs (Marc. 11, 11, 12, 15, et ss.). S. Matthieu a donc groupé les événements d’après l’ordre logique, comme en plusieurs autres endroits de son Évangile. Nous aurons bientôt un nouvel exemple de la liberté qu’il prend à l’égard des dates. - Dans le temple de Dieu. Il était d’usage, même chez les peuples païens, de terminer les triomphes dans un temple, afin de rapporter toute gloire à la divinité. Jésus avait une raison spéciale de se conformer à cette coutume. C’est comme Messie qu’il venait d’être conduit triomphalement à Jérusalem ; mais le Messie avait un rôle foncièrement religieux, et, à ce titre, le temple était sa résidence habituelle : c’est donc au temple que devait s’achever sa marche glorieuse. Nous passons maintenant au LUNDI SAINT. - Et il chassa tous ceux qui vendaient... Les Rabbins parlent souvent de ce commerce dont l’origine remonte probablement à la fin de la captivité babylonienne. Des Juifs nombreux venaient des contrées les plus éloignées, pour célébrer à Jérusalem les fêtes d’obligation : il fallait donc qu’ils pussent se procurer aux alentours du temple les victimes, le sel, le vin, la farine, l’huile, l’encens et autres objets nécessaires pour le sacrifice. Mais les prêtres, oubliant les lois les plus élémentaires du respect pour les lieux sacrés, avaient établi des boutiques, et un grand marché à bestiaux dans l’enceinte même du temple. - Dans le temple, c’est-à-dire dans la cour gigantesque nommée Cour des Gentils, parce qu’il était permis aux païens d’y pénétrer. On trouvait là des bœufs et des brebis par milliers, Cf. Lightfoot Hor. hebr. in h. l. ; et il est aisé de comprendre le bruit, les scandales que devait produire un tel rassemblement. Jésus indigné chasse tout ensemble hommes et bêtes, acheteurs et vendeurs. - Les tables des changeurs. Nous avons vu, Cf. 17, 24, que tout Israélite devait payer chaque année l’impôt du temple, qui consistait en un demi-sicle : les étrangers profitaient de leur voyage à Jérusalem à l’occasion des fêtes pour s’en acquitter. Mais, comme l’on n’admettait que la monnaie sainte et nationale, on avait également laissé s’établir sous les parvis, des changeurs qui, moyennant un droit assez considérable prélevé par eux sur les monnaies grecques et romaines, fournissaient à tout venant le demi-sicle exigé pour le culte. De là vient la dénomination de Kolboz, donnée dans la langue rabbinique au profit usuraire qu’ils retiraient de leur trafic. - Les sièges de ceux qui vendaient des colombes. Les colombes formaient le sacrifice des pauvres ; on en immolait chaque jour un très grand nombre. Les marchands qui les vendaient les tenaient dans des cages exposées sur des tables, et ils étaient eux-mêmes assis en face, sur des sièges que l’évangéliste appelle ici sièges, bien que ce nom désigne habituellement dans le Nouveau Testament les chaires des Docteurs. Jésus renverse sans pitié les tables des changeurs avec l’or et l’argent qui s’y trouvait, et les tréteaux des marchands de colombes. Quelle scène singulière dût s’ensuivre ! Les grands maîtres des différentes écoles de peinture, entre autres Jouvenet (au musée de Lyon), Panini, Rembrandt, Albert Durer, Bonifazio, etc., se sont complu à la représenter.Matthieu chap. 21 verset 13. - Et il leur dit : Il est écrit : ma maison sera appelée une maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs
. - Il leur dit. Le divin Maître ajoute la parole à l’action pour condamner les abus que nous venons de décrire. Son saint zèle lui arrache de fortes expressions, qu’il emprunte aux livres prophétiques pour leur communiquer encore une plus grande énergie. - Il est écrit : dans Isaïe, 56, 7 et dans Jérémie, 7, 11. Le Sauveur réunit les deux textes de manière à n’en faire qu’un seul. Ma maison s’appellera " Maison de prière pour tous les peuples ", disait Jéhovah par la bouche d'Isaïe. Il demandait au contraire à son peuple infidèle par l'intermédiaire de Jérémie : " Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? " Au moyen d’une légère modification, Jésus produit un contraste frappant, et montre à l’assistance stupéfaite qu’elle a elle-même (vous, avec emphase), par sa conduite indigne, transformé en un repaire de brigands le lieu le plus saint qui fût au monde, la maison du vrai Dieu. Là en effet où la prière seule devait se faire entendre, n’était-on pas assourdi tout le jour par les cris des marchands, les querelles des agioteurs, les beuglements des troupeaux ? Le spectacle qu’on y contemplait n’était-il point celui qu’on peut voir dans une caverne où des voleurs se disputent à l’occasion des biens qu’ils y ont amoncelés ! Noble conduite, vraiment digne du Messie ! Aussi, bien qu’ils soient peut-être cent contre un, les marchands n’osent résister à Jésus. Est-ce à dire, comme le pensait Origène, que Notre-Seigneur ait réduit ses adversaires à l’impuissance en recourant à son pouvoir de Thaumaturge ? Une pareille conjecture est tout-à-fait inutile ; car ce n’est pas la seule fois qu’on a vu un homme énergique tenir tête à des foules hostiles et les manier à son gré. Et dans Jésus il y avait plus que de la vigueur morale. " Sans doute, un feu céleste rayonnait de ses yeux, et la splendeur de la majesté divine reluisait sur son visage ", S. Jérôme. - M. Schegg fait ici une observation pleine de justesse : c’est que les derniers jours passés par Jésus-Christ dans la capitale juive sont des jours de jugement et de sainte colère contre le peuple juif. " Nous trouvons ce caractère judiciaire et terrible dans tout ce que le Sauveur fait et dans tout ce qu’il dit à partir de cet instant jusqu’à sa mort : dans la malédiction du figuier, dans la prophétie relative à la ruine de Jérusalem, les " Malheur " lancés contre les Pharisiens et les Scribes, même dans les paraboles. Il est venu pour juger, son rôle de pasteur a pris fin ; les deux houlettes pastorales sont brisées. Il brise la houlette Amabilité à la porte du Temple, quand il expulse les acheteurs et les vendeurs ; il brise la houlette Alliance au moment où le Sanhédrin compte à Judas les trente deniers de sa trahison, Cf. Zach. 11, 7-14.Matthieu chap. 21 verset 14. - Alors des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit.
- A l’épisode qui précède, S. Matthieu rattache, vv. 14-17, divers faits secondaires qui eurent lieu dans le Temple aussitôt après la scène principale. - S'approchèrent... " Le nouveau roi a d’abord purifié à nouveau son palais, puis il s’est assis sur son trône. Il a ensuite distribué ses dons à son peuple avec une munificence royale, faisant ainsi une chose digne du lieu où il se trouve. Il confirme par des signes célestes l’éloge de la foule, et démontre que c’est à lui que reviennent véritablement le droit et l’honneur du Messie, auquel les prophètes ont attribué des signes de cette sorte, Is. 35, 5-6 ", Luc de Bruges. - Des aveugles et des boiteux, l’entourage accoutumé de Jésus, toujours traité par le divin Maître avec une si grande bonté ! - Et il les guérit. Il change ainsi le Temple en un asile de miséricorde et de salut, tandis que ses compatriotes en faisaient une caverne de bandits.Matthieu chap. 21 verset 15. - Mais les princes des prêtres et les scribes, voyant les merveilles qu’il avait faites, et les enfants qui criaient dans le temple, et qui disaient : Hosanna au fils de David, s’indignèrent.
- Les princes des prêtres, c’est-à-dire les chefs des vingt-quatre familles sacerdotales, ou du moins quelques-uns d’entre eux. Plusieurs Docteurs de la Loi les accompagnent. Ils sont évidemment blessés de la conduite que Jésus s’était permise dans le Temple, dont ils étaient constitués les gardiens, Cf. v. 23, car elle contenait pour eux une rude leçon. - Les merveilles, cette expression grecque, fréquemment employée par les auteurs classiques, ne se trouve qu’en cet endroit du Nouveau Testament. Elle désigne, d’après le contexte, tout à la fois la purification du Temple et les guérisons miraculeuses mentionnées au verset précédent. - Et les enfants qui criaient... Trait délicieux qui n’a été conservé que par le premier évangéliste. Les petits enfants - on les trouve partout où il y a une foule, - se sont réunis eux aussi autour de Jésus. Ils étaient au premier rang quand il guérit les aveugles et les boiteux ; enthousiasmés, ils se mettent à répéter de toutes leurs forces les vivats qu’ils avaient entendus la veille. Cet écho de l’Hosanna triomphal dut être bien doux au cœur de Jésus ! - Mais quel contraste odieux ! - S'indignèrent : Ces voix fraîches et pures qui louent leur plus grand ennemi sont pour les prêtres quelque chose d’insupportable. Afin de les étouffer, ils vont se donner des airs hypocrites de zèle pour la gloire de Dieu et pour les droits du Messie.Matthieu chap. 21 verset 16. - Et ils lui dirent : Entends-tu ce qu’ils disent ? Jésus leur dit : Oui. N’avez-vous jamais lu cette parole : de la bouche des enfants, et de ceux qui sont à la mamelle, vous avez tiré une louange parfaite ?
- S’adressant à Jésus, ils lui demandent : Entends-tu... ? C’est de leur part un reproche manifeste. Ne vois-tu pas que leurs exclamations signifient que tu es le Christ ? Comment donc peux-tu les supporter ? Impose-leur silence. - Jésus ne se méprend pas sur leurs intentions ; mais, sans en tenir aucun compte, il accroît encore le supplice de ces envieux par le sang-froid et la sagesse de sa réponse. - Oui. Oui sans doute, j’entends ce qu’ils disent ; mais pourquoi les ferais-je taire ? et il prouve ensuite à l’aide d’une parole inspirée qu’ils ont parfaitement raison. - N'avez-vous jamais lu : Cf. 12, 5, etc. Jésus considère ces enfants comme un chœur de prophètes inconscients, mais qui parlent sous l’impulsion divine, et tel est précisément le sens du beau passage emprunté au Ps. 8, v. 3. - De la bouche des enfants... C’est-à-dire que Dieu est loué, glorifié par ce qu’il y a de plus petit, de plus humble. Jésus s’applique à lui-même ce texte que le Psalmiste adressait tout d’abord à Jéhova ; mais on admet généralement que le Psaume 8 est messianique au moins d’une manière indirecte. Il est très souvent cité dans les écrits du Nouveau Testament ; Cf. 1 Cor. 15, 17 ; Eph. 1, 12 ; Hebr. 2, 6, etc. - Voilà donc les enfants qui bénissent Notre-Seigneur, tandis que les prêtres et les docteurs lui lancent l’injure. Néanmoins, après cette réponse habile, les ennemis du Sauveur sont confondus, et ils n’ont aucune réplique à lui faire. - La particule quia qui introduit en latin le texte du psaume est récitative. Cf. 5, 21, etc.Matthieu chap. 21 verset 17. - Et les ayant laissés, il s’en alla hors de la ville, à Béthanie, où il demeura.
Jésus tourna le dos à ces incrédules et, quittant la ville, il gravit la montagne des Oliviers, pour aller passer la nuit dans sa retraite favorite, à Béthanie, à quinze stades, Cf. Joan.11, 18, c’est-à-dire environ trois quarts d’heures de Jérusalem. Nous décrirons ailleurs ce village hospitalier. Voir le commentaire sur S. Luc, 10, 3.
Le matin, en revenant à la ville, Il eut faim. 19Et voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha ; mais il n’y trouva que des feuilles. Et il lui dit : Qu’à jamais il ne naisse de toi aucun fruit. Et aussitôt le figuier se dessécha. 20Voyant cela, les disciples s’étonnèrent, et dirent : Comment s’est-il desséché en un instant ? 21Jésus leur répondit : En vérité, je vous le dis, si vous aviez la foi et que vous n’hésitiez pas, non seulement vous feriez ce que j’ai fait à ce figuier, mais quand même vous diriez à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer, cela se ferait. 22Et quoi que ce soit que vous demandiez avec foi dans la prière, vous le recevrez.
Matthieu chap. 21 verset 18. - Le matin, en revenant à la ville, Il eut faim.
- Le lendemain. D’après le récit de S. Marc (voyez l’explication du v. 12), il faut diviser en deux actes le récit de cet événement. Le premier acte eut lieu le lundi matin, avant l’expulsion des vendeurs : il correspond aux vv. 18-19. Le second acte, vv. 20-22, ne se passa que le mardi de la semaine sainte, au moment où Jésus venait à Jérusalem pour la troisième fois depuis l’épisode de Jéricho, 20, 29 et ss. - Il eut faim. Les anciens commentateurs se demandent à la suite de S. Jean Chrysostôme : " comment eut-il faim le matin ? " et ils supposent généralement que ce fut une faim factice ou miraculeuse (comparez Maldonat, Corneille de Lapierre, etc.). Mais à quoi bon ce subterfuge ? Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait-il pas adopté notre nature avec toutes ses infirmités ? et ses fatigues des jours précédents ne suffisent-elles pas pour expliquer cette faim matinale ? En tout cas, elle lui fournit l’occasion de donner une grave leçon à ses apôtres.Matthieu chap. 21 verset 19. - Et voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha ; mais il n’y trouva que des feuilles. Et il lui dit : Qu’à jamais il ne naisse de toi aucun fruit. Et aussitôt le figuier se dessécha.
- Voyant un figuier. Le figuier, " ficus carica " de Linné, a toujours été l’un des arbres les plus communs de la Palestine, où il est volontiers cultivé à cause de ses fruits succulents ; Cf. Deut. 8, 8 ; Stanley, Sinaï and Palestine, p. 187, 421, 422. Il abondait aux environs de Jérusalem et particulièrement auprès de Bethphagé, la " maison des figues " par antonomase. Jésus, allant de Béthanie à la ville sainte, remarqua un de ces arbres entre tous les autres ; c’est, nous dit S. Marc, 12, 13, qu’il était déjà couvert de feuilles, circonstance extraordinaire pour la saison, et qui attirait aussitôt l’attention des passants. - Près du chemin. Pline rapporte dans son histoire naturelle, 15, 17, que l’on plantait volontiers le figuier sur le bord des routes, parce qu’on s’imaginait que son exubérance de sève était absorbée par la poussière, ce qui arrêtait la croissance des branches gourmandes et contribuait à donner aux fruits une qualité supérieure. - Il s'en approcha. Fritzsche, singulier à ses heures, donne à cette phrase pourtant si claire le sens de " monta dans l'arbre ", comme si la préposition grecque exprimait toujours un mouvement ascensionnel proprement dit ! Jésus s’approche donc de cet arbre dans l’espoir d’y trouver quelques figues pour calmer sa faim, mais il n'y trouva rien, du moins rien en fait de fruit ; car son feuillage était luxuriant. Quelques détails sont ici nécessaires pour que nous puissions bien comprendre en quoi consistait, si l’on peut parler ainsi, le tort du figuier et le motif pour lequel il fut maudit par Jésus, comme s’il eût été un agent moral. Dégageons d’abord complètement de ce fait la prescience du Christ. Quand il s’approche de l’arbre, il sait fort bien qu’il n’y trouvera que des feuilles ; mais il agit ici en tant qu’homme, et son omniscience n’est pas le moins du monde en cause. On sait que le figuier émet ses fruits assez longtemps avant de produire des feuilles. " Son feuillage apparaît plus tard que ses fruits ", Pline, Hist. Nat. 16, 499 ; cf. Arnoldi, Palaestina, p. 64. Mais ils ne sont généralement mûrs qu’au mois d’août. Toutefois, il est aussi des figues printanières (la " ficus præcox " de Pline, Hist. nat. 15, 19 ; la Biccoura des Hébreux, l’albacora des Espagnols) qui mûrissent en juin, parfois en mai et même en avril, au temps de la Pâque, dans les ravins chauds et abrités du mont des Oliviers ; Cf. Thomson, the Land and the Book, p. 349. Enfin, il existe encore une troisième sorte de figue appelée tardive, qui passe fréquemment l’hiver sur l’arbre et qu’on peut recueillir encore au printemps. Ainsi donc, bien que ce ne fût pas alors la vraie saison des figues, Notre-Seigneur pouvait chercher et trouver soit des fruits printaniers, soit des fruits tardifs ; il le pouvait d’autant mieux que l’arbre auquel il s’adressait était déjà couvert de feuillage, et manifestait ainsi une précocité extraordinaire. - Qu'à jamais il ne naisse de toi aucun fruit : Telle fut la sentence prononcée par Jésus contre cet arbre stérile. Il est puni non seulement parce qu’il est sans fruit, mais encore et surtout parce qu’étant en avance sur les figuiers voisins au point de vue du feuillage, il annonce pour ainsi dire avec ostentation qu’il les dépasse en fertilité. Il est important de noter ce fait pour l’explication du symbole. - Et aussitôt le figuier se déssécha. La sentence reçoit à l’instant sa réalisation ; non que l’arbre ait été immédiatement desséché des pieds à la tête ; mais la sève cesse de monter et de descendre, peu à peu elle se coagule et ne communique plus la vie : les belles feuilles vertes s’étiolent et retombent le long des branches ; puis le soleil, dardant ses rayons sur elles, les grille complètement. Toutefois il fallut une bonne partie de la journée pour que ces divers phénomènes fussent produits : on ne s’en aperçut pas sur-le-champ. - S. Hilaire remarquait déjà que, parmi les nombreux miracles du Sauveur, il n’en est qu’un seul qui ait une apparence de dureté et qu’il a lieu sur un végétal, non sur une créature raisonnable : " C’est en cela que nous pouvons trouver une preuve de sa bonté. En effet, lorsqu’il voulut prouver par des exemples qu’il venait sauver le monde, il fit sentir les effets de sa toute-puissance aux corps des hommes, établissant ainsi l’espérance des biens futurs, et le salut des âmes par la guérison des maux de cette vie ; mais maintenant qu’il veut donner un exemple de sa sévérité contre les rebelles opiniâtres, c’est en faisant mourir un arbre qu’il nous donne l’image des châtiments futurs ". Mais pourquoi ce miracle ? Pourquoi frapper ainsi un arbre dépourvu de raison et de responsabilité ? Se proposait-il simplement, comme on l’a dit, de fortifier la foi de ses disciples en vue de la Passion ? Voulait-il, comme on l’a dit encore, éloigner par une manifestation de sa puissance divine le scandale qu’aurait pu leur causer cette faim anticipée, qui l’avait obligé de chercher sa nourriture à la façon des autres hommes ? Ce seraient là, il faut l’avouer, des motifs bien étranges et qui eussent exigé du Sauveur des miracles à chaque pas durant cette dernière semaine. Tout devient clair si nous disons avec Bossuet, Méditations, dernière semaine, 20è jour, à la suite d’Origène et de S. Jérôme : " C’est une parabole de choses, semblable à celle de paroles que l’on trouve en S. Luc, ch. 13, 6, " et cette parabole concernait, d’après les mêmes Pères, la synagogue juive, bien qu’elle fût alors comme un arbre verdoyant, était cependant complètement stérile et dépourvue de fruits de salut. " Cet arbre qu’il rencontre dans le chemin, c’est la synagogue et les assemblées des Juifs… il n'y a rien trouvé, si ce n'est des feuilles, bruissantes de promesses, de traditions pharisaïques et d'étalage de la Loi, ornements de paroles mais sans aucun fruit de vérité ", S. Jérôme, Comm. in h. l. ; cf. S. Hilaire, ib. Combien le peuple juif, comblé des faveurs divines, n’était-il pas en avance sur les autres nations ! Quelles douces espérances ne devait-on point concevoir à la vue de ses lois, de son culte, de ses écrits inspirés ? Et pourtant les fruits faisaient défaut : le divin agronome prend donc la hache pour le frapper. Tel est le sens de la malédiction du figuier : c’est une action typique, un symbole prophétique du châtiment réservé aux Juifs dans un prochain avenir. Plusieurs des discours subséquents de Jésus, 21, 26-44 ; 22, 1-14 ; 23, 24, 25, seront le commentaire enflammé de cet acte qu’il accomplit avec la sainte colère d’un juge souverain. - Cependant un jour viendra, jour de repentir et de conversion, où l’arbre desséché reverdira par un nouvel effet de la puissance divine, Cf. Rom. 11, 25 et s. ; alors, le peuple juif croira en Notre-Seigneur Jésus-Christ, portera par lui des fruits nombreux qui lui mériteront le salut. Il ne faut donc pas urger les mots à jamais de la sentence. - Luc de Bruges fait ici une excellente réflexion morale : " Que cet exemple nous serve à nous aussi : si nous sommes semblables à ce figuier, ayant l'apparence de la piété, mais reniant ce qui en fait la force (2 Tim. 3, 5), nous serons réprouvés avec les Juifs ", Comm. in h. l.MARDI DE LA SEMAINE SAINTE.
Matthieu chap. 21 verset 20. - Voyant cela, les disciples s’étonnèrent, et dirent : Comment s’est-il desséché en un instant ?
- Comme nous l’avons dit plus haut, v. 18, S. Matthieu a sacrifié ici l’ordre chronologique à l’ordre logique. Il aime à présenter les événements d’un seul jet, sans s’inquiéter des intervalles de temps qui ont pu en séparer les différentes parties, sans tenir compte de la perspective historique qui est au contraire chère à S. Marc. C’est donc seulement le mardi matin, vingt-quatre heures après la malédiction prononcée par le Sauveur, que les Apôtres revirent le figuier sur lequel elle était tombée. Le lundi soir, en retournant à Béthanie, ils avaient peut-être pris un autre chemin, ou bien l’obscurité les avait empêchés de remarquer l’effet merveilleux de la parole de Jésus. Maintenant qu’ils ont devant eux cet arbre complètement desséché, à tout jamais stérile, ils éprouvent un vif étonnement, ils s'étonnèrent. Et pourtant, ils avaient été témoins de miracles sans nombre et beaucoup plus surprenants ; mais c’est le propre des manifestations surnaturelles de plonger ceux qui les contemplent dans une admiration toujours croissante et toujours nouvelle, parce qu’elles révèlent constamment un nouveau côté de la puissance divine. - Comment s'est-il desséché en un instant ? Jésus n’a parlé que d’une stérilité perpétuelle, et voici que le figuier a perdu même la vie, et si rapidement ! Cette circonstance inattendue contribua sans doute à accroître l’étonnement des Apôtres. Comprirent-ils le symbole caché sous cette mort ? Il est possible qu’ils n’en aient saisi que plus tard toute la signification. Jésus du moins pouvait redire ces paroles inspirées autrefois au prophète Ézéchiel : " Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. ", Ezech. 17, 24. Les Juifs seront abandonnés et les païens participeront au salut messianique.Matthieu chap. 21 verset 21. - Jésus leur répondit : En vérité, je vous le dis, si vous aviez la foi et que vous n’hésitiez pas, non seulement vous feriez ce que j’ai fait à ce figuier, mais quand même vous diriez à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer, cela se ferait.
Notre-Seigneur ne laisse passer aucune occasion d’instruire ses disciples. Partant de la réflexion qu’ils viennent d’exprimer, il en profite pour aviver leur foi. Ce prodige vous étonne ; mais ne vous ai-je pas déjà fait connaître que vous pourrez en opérer vous-mêmes de plus considérables, si vous avez une foi vive ? Nous avons en effet rencontré et commenté précédemment, Cf. 17, 19, l’assurance grandiose que Jésus donne en ce moment aux Douze : elle ne subit que de légères modifications tirées des circonstances. - Et que vous n'hésitiez pas. Le texte grec emploie le verbe qui signifie : débattre le pour et le contre, " disceptare ", ce qui exprime bien une hésitation de l’esprit. - Vous feriez ce que j'ai fait, en grec, ce qui est arrivé au figuier. Vous pourrez comme moi maudire un arbre et le faire périr à l’instant. - A cette montagne. Jésus montrait soit le mont des Oliviers, soit la colline de Sion, soit la montagne du Mauvais Conseil, selon l’endroit où il était alors. - Dans la mer, la mer Méditerranée, située cependant à une assez grande distance de Jérusalem.Matthieu chap. 21 verset 22. - Et quoi que ce soit que vous demandiez avec foi dans la prière, vous le recevrez.
- Jésus, dilatant sa promesse, passe du particulier au général. Ce n’est pas seulement une espèce de miracles, mais tous les prodiges sans exception que ses disciples pourront accomplir au moyen de la foi. - Dans la prière : réflexion importante, qui a pour but de montrer que le thaumaturge, outre sa foi, a encore besoin d’un secours spécial du ciel pour réussir. Sa puissance personnelle n’est rien ; tout ce qu’il produit, il le produit par Dieu dont il est l’instrument et auquel il doit en conséquence s’unir par une fervente prière. Ce verset rappelle aussi les résultats tout-puissants et infaillibles de la prière ; Cf. 7, 8, 9 ; 18, 19.
La foule avait manifesté trop d’amour envers Jésus pour que ses adversaires, non moins désireux de plaire au peuple qu’ils l’étaient d’assouvir leur vengeance, osassent attaquer celui dont ils avaient juré la mort. C’est à peine si, le dimanche pendant le triomphe, Luc. 19, 39, et le lundi saint, Matth. 21, 15, 16, ils se sont permis de lui faire une timide observation, quoique leur jalousie et leur haine fussent plus vives que jamais, Cf. Marc. 11, 18 ; Luc. 19, 47-48. Mais depuis, ils se sont enhardis et nous allons les voir dans la journée si remplie du Mardi saint, attaquer Jésus les uns après les autres : Sanhédristes, Pharisiens, Hérodiens, Sadducéens, tous viendront par groupes lui tendre des pièges habiles, essayant de ruiner son autorité aux yeux du peuple, ou de trouver dans ses réponses quelque prétexte pour l’arrêter et le faire mourir. Mais ce sont eux qui seront tour à tour battus, confondus. Il est vrai qu’alors leur rage ne connaîtra plus de bornes : aussi à partir de ce jour les événements vont-ils se précipiter d’une façon toute tragique. - La scène entière se passe sous les galeries du temple.
1° Première attaque. Les délégués du Sanhédrin, 21, 23 - 22, 14.
C’est naturellement le Sanhédrin, en qualité d’autorité supérieure des Juifs au point de vue religieux, qui commence l’attaque. Ses délégués interrogent le Sauveur sur le pouvoir au nom duquel il agit. Après une réponse habile qui les déconcerte entièrement, 21, 23-27, Jésus, prenant l’offensive, leur annonce, sous le voile bien transparent de trois paraboles, 21, 28-32 ; 33-46 ; 22, 1-14, le sort terrible qui attend toute la nation juive.
23
Lorsqu’il fut arrivé dans le temple, les princes des prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent de lui pendant qu’il enseignait, et lui dirent : Par quelle autorité faites-vous ces choses ? Et qui vous a donné ce pouvoir ? 24Jésus leur répondit : Je vous adresserai moi aussi, une question ; si vous m’y répondez, je vous dirai, moi aussi, par quelle autorité je fais ces choses. 25Le baptême de Jean, d’où était-il, du ciel ou des hommes ? Mais ils raisonnaient entre eux, et disaient : 26Si nous répondons : du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? Et si nous répondons : des hommes, nous avons à craindre la foule ; car tous regardaient Jean comme un prophète. 27Ils répondirent donc à Jésus : Nous ne savons. Et il leur répondit, lui aussi : Je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses.Matthieu chap. 21 verset 23. - Lorsqu’il fut arrivé dans le temple, les princes des prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent de lui pendant qu’il enseignait, et lui dirent : Par quelle autorité faites-vous ces choses ? Et qui vous a donné ce pouvoir ?
- Dans le temple. C’est là, comme dans son palais messianique, que Jésus passa une grande partie du lundi et du mardi de la semaine sainte. Un mot de l’évangéliste, il enseignait, nous apprend quelle était sa principale occupation : il consacrait les dernières heures de sa vie à instruire ces pauvres brebis égarées d’Israël qui lui étaient si chères, et que des pasteurs pervers conduisaient à la ruine. Lui, il essaie au contraire de les ramener à Dieu et de les convaincre de sa céleste mission. Les parvis du temple étaient alors remplis de pèlerins qui s’attroupaient volontiers auprès du prophète populaire de Nazareth, demeurant là de longues heures sous le charme de sa sublime parole. Cf. Luc. 19, 48. - Les princes des prêtres et les anciens. A ces deux catégories, S. Marc, 11, 27, et S. Luc, 20, 1, en ajoutent une troisième, celle des Scribes ou Docteurs de la Loi : nous avons ainsi les trois classes qui composaient le grand Conseil ; voir l’explication du chap. 2, v. 4. Il est probable toutefois que le Sanhédrin ne vient pas tout entier auprès de Jésus, mais qu’il se contenta d’envoyer une députation choisie parmi ses membres les plus influents. - Par quelle autorité... Cette question était légitime en apparence, puisque le Sanhédrin était tenu de veiller à la pureté de la doctrine théocratique ; mais, après les preuves si évidentes que Notre-Seigneur avait fournies de sa mission divine, l’acte des Sanhédristes était au fond une indignité masquée sous les dehors de la légalité. De quel front prétendaient-ils vérifier les pleins pouvoirs, le titre doctoral de Celui qui était en communication manifeste avec Dieu, qui menait la vie la plus sainte, qui semait les miracles sous ses pas ? " Maître, avait dit avec raison Nicodème deux ans auparavant, nous savons que c’est Dieu qui vous a constitué Docteur, car personne ne peut faire les miracles que vous opérez à moins d’avoir Dieu avec lui ", Joan. 3, 2. Qu’eût été, en face de pareilles garanties, un brevet de Rabbin délivré en dûe forme par Gamaliel ? Vieille question, du reste, déjà posée au Sauveur par les prêtres au début de sa Vie publique, quoique d’une manière moins pressante ; Cf. Joan 2, 18. - Et qui vous a donné... Seconde demande, parallèle à la première qu’elle développe en la rendant plus précise : ils veulent connaître non seulement la source générale d’où lui vient son autorité, mais encore la personne qui la lui a conférée. - Ce pouvoir : le pouvoir d’agir comme il le faisait depuis trois jours. Ces mots désignent donc tout ensemble l’entrée triomphale, la purification du Temple, l’enseignement public, les hommages de la foule acceptés sans entraves, etc.Matthieu chap. 21 verset 24. - Jésus leur répondit : Je vous adresserai moi aussi, une question ; si vous m’y répondez, je vous dirai, moi aussi, par quelle autorité je fais ces choses.
- Les membres du grand Conseil espéraient causer de la sorte à Jésus un embarras dont il lui serait impossible de sortir. Ou bien il répondra qu’il est le Messie et alors on l’accusera de blasphème, Cf. 26, 65 ; ou bien il ne pourra pas légitimer les droits qu’il s’arroge et il sera humilié devant le peuple ; ou bien, mais on ne songeait guère à cette hypothèse, ce seront les interrogateurs eux-mêmes qui seront pris dans leur propre filet : c’est pourtant ce qui arriva. - Je vous adresserai moi aussi... Jésus ne répond pas directement à la question qui lui est posée. La vraie réponse ressortira toutefois d’une manière très claire de sa façon de procéder ; mais ce seront ses adversaires eux-mêmes qui devront la donner. " Un dicton populaire dit : Un mauvais nœud d'un arbre sera frappé avec un mauvais coin ou un mauvais clou. Notre-Seigneur pouvait réfuter les calomnies de ceux qui le tentaient, par une réponse claire ; mais il aime mieux leur poser une question pleine de prudence, pour qu’ils soient condamnés, ou par leur silence ou par leur science prétendue ", S. Jérôme. Il leur pose donc une contre-question en promettant de satisfaire leur désir dès qu’ils auront satisfait le sien. - Une question : hébraïsme, une chose, un petit mot seulement.Matthieu chap. 21 verset 25. - Le baptême de Jean, d’où était-il, du ciel ou des hommes ? Mais ils raisonnaient entre eux, et disaient...
- Le baptême de Jean. Jésus ne mentionne que le côté le plus caractéristique, le point central du ministère de Jean-Baptiste ; mais il a en vue l’activité tout entière du Précurseur. - Du ciel, c’est-à-dire " ex Deo ", comme le fait remarquer Wettstein : " Les Talmudistes emploient fréquemment le mot ciel pour désigner Dieu, par opposition aux hommes ", Hor. in h. l. - Ou des hommes. Jean-Baptiste, dans ce second cas, aurait été simplement l’homme d’un parti, un fanatique, ou plutôt un imposteur sans mission. Le dilemme du Christ est parfait : la mission du Précurseur ne pouvait venir que de Dieu ou des hommes, du ciel ou de la terre. Quoi qu’ils répondent, les délégués du Sanhédrin recevront un coup d'un " argument tranchant ". Du reste leur embarras nous découvre mieux que toute autre chose l’habileté de la question du Sauveur : on dirait que l’évangéliste prend plaisir à décrire leur confusion, qu’il avait d’ailleurs contemplée de ses propres yeux. - Ils raisonnaient entre eux. Il ne s’agit plus pour eux d’attaquer leur adversaire, ils ont à se défendre sur leur propre terrain, et ils tiennent conseil pour le faire avec prudence.Matthieu chap. 21 verset 26. Si nous répondons : du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? Et si nous répondons : des hommes, nous avons à craindre la foule ; car tous regardaient Jean comme un prophète.
- Sommaire intéressant de la délibération. On y voit des hypocrites qui se demandent non pas de quel côté se trouve la vérité, mais ce qu’ils doivent dire pour ne pas se compromettre. S’ils répondent que Jean-Baptiste était un envoyé de Dieu, Jésus lancera aussitôt contre eux, ils le prévoient bien, ce reproche terrible : Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui ? Jean n’a-t-il pas à mainte reprise affirmé catégoriquement que je suis le Christ ? Cf. Joan. 1, 33. S’il était prophète et envoyé de Dieu, pourquoi donc ne croyez-vous pas en moi ! Voilà le raisonnement qu’ils redoutaient dans cette première hypothèse. - Nous avons à craindre la foule. D'après S. Luc, " le peuple tout entier va nous lapider ". Comme ils manifestent bien par ce langage la bassesse de leur caractère ! Au fond ils ne croient pas à la mission du Précurseur, et pourtant ils font semblant d’y croire par politique, de crainte d’indisposer le peuple contre eux s’ils avouaient hautement leur incrédulité. Telle était la valeur morale des hommes qui exerçaient alors chez les Juifs une autorité suprême en fait de religion. - Car tous... Indication du motif qui leur fait craindre d’exaspérer l’opinion publique, s’ils nient l’origine divine du rôle de S. Jean. Hérode, lui aussi, avait hésité pendant quelque temps à faire mourir le Baptiste, parce qu’il redoutait de soulever une révolte parmi le peuple. Cf. 16, 5. - Regardaient : ce verbe, de même que le grec, a ici le sens de " estimer, considérer ". Cf. Bretschneider, Lexic. græc. latin. in libr. N. T. s. v. 6°.Matthieu chap. 21 verset 27. - Ils répondirent donc à Jésus : Nous ne savons. Et il leur répondit, lui aussi : Je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses.
- Ils répondirent. Placés dans une alternative embarrassante, ils essaient d’en sortir par une réponse évasive. Mais leur Nous ne savons mensonger était une complète défaite, surtout si l’on se rappelle que la foule était là, assistant à toute cette discussion, et qu’elle entendit l’aveu que ses maîtres faisaient de leur ignorance. Jésus achève de les accabler en disant : je ne vous dirai pas non plus... Mais, s’écrie S. Jean Chrysostôme : le Seigneur ne devait-il donc pas les instruire, puisqu’ils ignoraient ? Il ajoute aussitôt : C’est à bon droit qu’il refusa de leur répondre, parce qu’ils agissaient avec malice. Hom. 67 in Matth. " Il leur démontre ainsi qu’ils le savent fort bien, mais qu’ils ne veulent pas répondre, et qu’il sait aussi que répondre, mais qu’il ne veut pas le faire, parce que eux-mêmes ne veulent pas dire ce qu’ils savent ", S. Jérôme. Quelle dignité et quelle majesté royales brillent ici en Jésus !
28
Que vous semble-t-il ? Un homme avait deux fils ; et s’approchant du premier, il lui dit : Mon fils, va aujourd’hui travailler à ma vigne. 29Celui-ci répondit : Je ne veux pas. Mais ensuite, touché de repentir, il y alla. 30S’approchant ensuite de l’autre, il lui dit la même chose. Celui-ci répondit : J’y vais, seigneur. Et il n’y alla pas. 31Lequel des deux a fait la volonté de son père ? Ils lui dirent : Le premier. Jésus leur dit : En vérité, je vous le dis, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. 32Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui ; et vous, voyant cela, vous ne vous êtes pas repentis ensuite, pour croire en lui.Matthieu chap. 21 verset 28. - Que vous semble-t-il ? Un homme avait deux fils ; et s’approchant du premier, il lui dit : Mon fils, va aujourd’hui travailler à ma vigne.
- Que vous semble-t-il ? Par cette vague formule de transition, Jésus commence une série de belles et frappantes paraboles, par lesquelles il leur fera contempler comme dans un miroir la honte de leur conduite, la gravité de leurs fautes, et la grandeur du châtiment qui les attend. La première, celle des deux fils envoyés à la vigne, se borne presque à exposer en gros la situation : aussi est-elle moins menaçante. Elle est du reste d’une exégèse très facile. - Un homme : cet homme représente Dieu, " de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom ", Eph. 3, 15. Il a deux fils, Cf. Luc. 15, 11, qui figurent, d’après les vv. 31 et 32, deux catégories de Juifs contemporains du Sauveur, les Pharisiens et leurs imitateurs d’une part, de l’autre les publicains, les pécheresses et tous ceux qui leur ressemblaient au moral. C’est à tort que plusieurs auteurs ont vu dans le premier fils l’image des Gentils, dans le second celle de la nation juive en général. Jésus-Christ nous montre en effet par son commentaire authentique que, si nous voulons nous restreindre au sens littéral et historique de la parabole, l’explication doit se faire dans les limites même du Judaïsme. Mais on peut se donner une plus grande latitude quand on commente cette parabole au point de vue moral. - S'approchant du premier. L’ordre est intimé avec la plus grande bonté. Remarquons-y l’adverbe aujourd'hui qui réclame une obéissance immédiate. " Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur " Ps. 94, 7 et 8.Matthieu chap. 21 verset 29. - Celui-ci répondit : Je ne veux pas. Mais ensuite, touché de repentir, il y alla.
- Je ne veux pas. Le refus est brutal, irrespectueux au dernier degré : ce mauvais fils ne cherche pas même à adoucir sa désobéissance par une réponse polie. Il est en cela l’image de tant de pécheurs éhontés qui ont perdu toute pudeur, et que leurs fautes ont cessé de faire rougir. " Une vie dans le péché n'est rien d'autre en réalité qu'un cri, qu'une déclaration : Nous ne voulons pas faire la volonté de Dieu ", Gerhard. Il est en particulier l’image des publicains, qui avaient d’abord reçu sans en tenir aucun compte les exhortations à la pénitence que le Seigneur leur avait adressées par la bouche du Précurseur et du Messie. Toutefois les natures brusques et violentes ne sont pas toujours les plus mauvaises ; il arrive fréquemment qu’elles se repentent avec générosité et qu’une conversion sincère fasse place à leurs débordement passés : telle fut l’histoire de ce fils rebelle. - Il y alla. Il est digne de remarque que dans plusieurs manuscrits grecs, ainsi que dans les versions copte et syrienne, le verset 29 est devenu le trentième et réciproquement.Matthieu chap. 21 verset 30. - S’approchant ensuite de l’autre, il lui dit la même chose. Celui-ci répondit : J’y vais, seigneur. Et il n’y alla pas.
- S'approchant ensuite de l'autre. Le père s’approche de son second fils et agit envers lui de la même manière, c’est-à-dire qu’il lui commande comme au premier d’aller travailler dans sa vigne. Cette fois l’ordre est reçu avec une politesse et un respect affectés : J'y vais, Seigneur ; dans le grec, moi, Seigneur ! sous-entendu, j’y vais. On eût dit de même en hébreu. Le titre de seigneur est à noter. Les fils, chez les Hébreux comme aujourd’hui chez les Anglais, le donnaient parfois à leur père ; mais il ne sert ici qu’à mieux voiler une conduite pleine d’hypocrisie, et une désobéissance formelle, et il n'y alla pas. Ainsi faisaient les Pharisiens et les Scribes et les prêtres juifs : zélés pour Dieu et pour son culte, si l’on n’envisage que l’extérieur, ils allaient très souvent dans la pratique contre ses injonctions les plus importantes, Cf. le chap. 23, l’honorant du bout des lèvres, mais ayant en réalité le cœur séparé de lui. Ils montrèrent bien le fond de leur âme quand Jésus leur apporta le royaume des cieux.Matthieu chap. 21 verset 31. Lequel des deux a fait la volonté de son père ? Ils lui dirent : Le premier. Jésus leur dit : En vérité, je vous le dis, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu.
- Lequel des deux. Jésus, pour rendre l’application plus piquante, fait résoudre le cas par les délégués du Sanhédrin, les obligeant ainsi à prononcer leur propre culpabilité, puisqu’ils étaient représentés par le second fils. Leur solution est parfaite : Le premier, répondent-ils sans hésiter. Le premier fils avait en effet racheté par son repentir la désobéissance outrageante dont il s’était rendu coupable tout d’abord : au contraire la conduite hypocrite du second présentait un caractère extrêmement odieux que rien n’avait réparé dans la suite. - En vérité, je vous le dis... Jésus faisant maintenant disparaître le voile des figures, exprime clairement sa pensée. - Les publicains et les prostituées. Les publicains et les femmes de mauvaise vie sont nommés comme les représentants des plus grands pécheurs ; ces deux classes étaient traitées chez les Juifs avec le plus profond mépris, la première parce qu’on voyait en elle le type de l’injustice et du servilisme antipatriotique, la seconde à cause de l’immoralité qu’elle personnifiait. - Vous devanceront, c’est-à-dire ils entreront avant vous dans le royaume des cieux. Cela ne veut pas dire cependant que les Pharisiens et leurs semblables y entreront aussi. - Quel rapprochement honteux pour les prêtres et les docteurs superbes auxquels Notre-Seigneur Jésus-Christ s’adressait alors !Matthieu chap. 21 verset 32. - Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui ; et vous, voyant cela, vous ne vous êtes pas repentis ensuite, pour croire en lui.
- Car Jean est venu... Nous trouvons dans ce verset le motif pour lequel les publicains et les pécheresses précéderont les hiérarques juifs dans le royaume de Dieu. Ceux-ci n’ont pas tenu compte de la prédication du Précurseur, tandis que les autres ont cru et se sont convertis. - Dans la voie de la justice. Jésus veut dire que le Précurseur apportait aux Juifs le moyen de parvenir aisément à la vraie justification, et par là-même au salut. Des commentateurs assez nombreux croient cependant que cette locution désigne plutôt la vie sainte et parfaite de Jean-Baptiste. Le sens général serait alors celui-ci : Jean s’est présenté à vous comme un homme parfait, attestant sa mission divine par son éminente sainteté, et néanmoins, vous avez refusé de croire en lui. - Ont cru en lui. Nous trouvons dans les récits évangéliques plusieurs exemples de ces conversions étonnantes, Cf. Luc. 3, 12 ; 7, 29, opérées par le langage véhément du Précurseur. - Et vous, voyant cela. Les hiérarques étaient déjà bien coupables de n’avoir pas reconnu immédiatement l’autorité de S. Jean-Baptiste et de n’avoir pas accepté les moyens de salut qu’il leur présentait : ils le sont davantage encore parce qu’ils n’ont point profité des beaux exemples qu’ils recevaient ainsi des pécheurs les plus endurcis. Le repentir des publicains et des courtisanes était un miracle moral qui équivalait pour S. Jean à des lettres de créance venues directement du ciel. Les prêtres et les Docteurs auraient dû le comprendre et se rendre, quoique tardivement, à l’évidence de cette preuve. Leur culpabilité se trouve notablement aggravée par ce second refus dénué de toute excuse. " Il a fait paraître en tout une sagesse extraordinaire, " et cependant vous ne l’avez point cru ". Et ce qui augmente votre crime, c’est que les publicains mêmes et les femmes perdues ont cru en lui; et de plus, c’est " que vous qui avez vu leur exemple, n’avez point été touchés ensuite de repentance pour croire au " moins après eux ", vous qui deviez croire avant eux. Ainsi vous êtes entièrement inexcusables, comme ils sont dignes de toute louange. Et considérez, je vous prie, combien de circonstances relèvent ici l’infidélité des uns et la foi des autres. Il est venu à vous et non à eux. Vous n’avez point cru en lui, et ils n’en ont point été scandalisés, Ils ont cru en lui, et vous n’en avez point été touchés ", S. Jean Chrys. Hom. 67 in Matth.
33
Ecoutez une autre parabole. Il y avait un père de famille, qui planta une vigne, l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, et y bâtit une tour ; puis il la loua à des vignerons, et partit pour un pays lointain. 34Or, lorsque le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons, pour recueillir les fruits de sa vigne. 35Mais les vignerons, s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, et en lapidèrent un autre. 36Il leur envoya encore d’autres serviteurs, en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même. 37Enfin il leur envoya son fils, en disant : Ils auront du respect pour mon fils. 38Mais les vignerons, voyant le fils, dirent entre eux : Voici l’héritier ; venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. 39Et s’étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent. 40Lors donc que le maître de la vigne sera venu, que fera-t-il à ces vignerons ? 41Ils lui dirent : Il fera périr misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons, qui en rendront les fruits en leur temps. 42Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, celle-là même est devenue la pierre d’angle ; c’est le Seigneur qui a fait cela, et c’est une chose admirable à nos yeux ? 43C’est pourquoi, je vous dis que le royaume de Dieu vous sera enlevé, et qu’il sera donné à une nation qui en produira les fruits. 44Et celui qui tombera sur cette pierre, s’y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera. 45Lorsque les princes des prêtres et les pharisiens eurent entendu ces paraboles, ils comprirent que Jésus parlait d’eux. 46Et, cherchant à se saisir de lui, ils craignirent les foules, parce qu’elles le regardaient comme un prophète.Matthieu chap. 21 verset 33. - Écoutez une autre parabole. Il y avait un père de famille, qui planta une vigne, l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, et y bâtit une tour ; puis il la loua à des vignerons, et partit pour un pays lointain.
- Une autre parabole. Les députés du Sanhédrin auraient assurément souhaité que Jésus s’en tînt à la parabole des deux fils, car ils sentaient que le terrain devenait de plus en plus brûlant, leur situation de plus en plus fausse. Mais la leçon est loin d’être terminée, et il faut qu’ils écoutent jusqu’au bout les rudes vérités que le Sauveur doit encore leur faire entendre. Les rôles ont bien changé depuis le début de cette scène, Cf. v. 23. Ceux qui interrogeaient tout à l’heure le divin Maître avec tant de désinvolture sont maintenant réduits, d’après la fine observation de Stier, à se tenir devant lui comme de petits enfants qu’il catéchise et auxquels il pose des questions humiliantes. Toutefois, comme le dit Bossuet, " c’est à nous que Jésus parle aussi bien qu’aux Juifs, écoutons donc et voyons, sous la plus claire et sous la plus simple figure qui fut jamais, toute l’histoire de l’Église ", Méditat. sur l’Evang., dernière semaine du Sauveur, 28e jour. Nous avons en effet dans cette parabole l’histoire complète de l’Église juive, puis en abrégé celle de l’Église chrétienne désignée par la conversion des Gentils. Mais le but que se propose ici Notre-Seigneur est avant tout d’annoncer la réprobation de la nation juive et de ses chefs. Son langage devient de plus en plus expressif. " Dans la parabole précédente, il avait fait sentir aux sénateurs, aux Docteurs et aux pontifes, leur iniquité ; il leur va faire avouer maintenant le supplice qu’ils méritent. Car il les convaincra si puissamment, qu’ils seront eux-mêmes contraints de prononcer leur sentence ", Bossuet, ibid. La parabole des deux fils décrivait donc simplement un fait passé ; celle des Vignerons, bien qu’elle contienne plusieurs traits rétrospectifs, a surtout un caractère prophétique. - Il y avait un père de famille. C’est encore Dieu, le chef de la grande famille humaine répandue sur toute la terre, à travers tous les siècles : mais on l’envisage plus spécialement dans ses rapports avec le peuple d’Israël qui constituait la partie privilégiée de sa famille. - Qui planta une vigne. Nulle image ne revient plus fréquemment que celle de la vigne dans les divers écrits de l’Ancien Testament, pour représenter le royaume de Dieu sur la terre, et en particulier la théocratie juive ; Cf. Deut. 32, 32 ; Ps. 79, 8-16 ; Is. 27, 1-7 ; Jer. 2, 21 ; Ezech. 15, 1-6 ; 19, 10 ; Os. 10, 1, etc. ; aussi un cep, une grappe de raisin, une feuille de vigne étaient-ils, à l’époque des Macchabées, les emblèmes accoutumés de la Judée. Mais nulle part la comparaison n’a été mieux développée que dans les premiers versets du 5è chap. d’Isaïe auxquels Jésus fait en ce moment une évidente allusion, ou plutôt qu’il s’approprie en partie dans sa parabole. Voici, d’après l’hébreu, ce cantique de la vigne, gracieux et triste tout ensemble, composé par le fils d’Amos pour dépeindre les relations de Jéhova avec son peuple de prédilection : " Je veux chanter pour mon bien-aimé un cantique de mon bien-aimé au sujet de sa vigne. Mon bien-aimé avait une vigne sur un sommet des plus gras. Il creusa un fossé autour d’elle et la débarrassa de ses pierres et y planta des ceps de Sorec, et bâtit une tour au milieu d’elle et une cave ; et il s’attendait à lui voir produire des raisins, mais elle rapporta des fruits sauvages. Maintenant donc, habitants de Jérusalem et citoyens de Juda, jugez entre moi et ma vigne. Qu’ai-je dû faire de plus à ma vigne que je n’aie pas fait ?... Eh bien ! je vais vous déclarer ce que je ferai désormais à ma vigne. J’enlèverai sa haie, et elle ne sera plus protégée ; je renverserai son mur, et elle sera foulée aux pieds. Et je la transformerai en un lieu sauvage : elle ne sera plus taillée et elle ne sera plus sarclée, et elle produira des épines et des chardons et je commanderai aux nuages de ne plus arroser cette vigne. La vigne de Jéhova, le dieu des armées, c’est la maison d’Israël, et les habitants de Juda sont la plantation qui le ravissait... Il a espéré la justice, et voici l’iniquité ; la perfection, et voici les cris de douleur ! " Jéhova ne se contenta donc point de planter sa vigne. " Il fait lui-même la plus grande partie de ce que ces serviteurs devaient faire eux-mêmes. Il plante sa vigne, il l’environne d’une haie, et fait tout le reste. Il ne leur laisse à faire que fort peu de choses, c’est-à-dire à entretenir cette vigne et à conserver en bon état ce qui leur avait été confié. Car nous voyons par le rapport de l’Évangile que ce Maître si sage n’avait rien omis ", S. Jean Chrysost. Hom. 68 in Matth. - Quelques traits signalés de concert par Isaïe et par Notre-Seigneur nous montrent jusqu’où était allée sa sollicitude. Il l'entoura d'une haie : il l’entoure d’un mur protecteur qui arrêtera toute incursion hostile. C’était, sous le rapport physique, cette mer aux rivages inhospitaliers, ces déserts du Sud et de l’Est, ces montagnes du septentrion, cette profonde vallée du Jourdain, qui rendaient le territoire juif si facile à défendre, si difficile à envahir. Cf. Stanley, Sinai and Palestine, p. 112 et ss. C’était, sous le rapport moral, cet ensemble de prescriptions rigoureuses, minutieuses, qui séparaient totalement le peuple théocratique de toutes les autres nations, formant, selon le langage du Talmud, une haie autour de la Loi ; " Il a mis autour de lui le mur d’enceinte des précepteurs célestes, et a confié sa garde aux anges ", S. Amb. Hexam. 3, 12. - Creusa un pressoir. L’emploi du verbe " creuser " montre qu’il s’agit plutôt d’une cuve inférieure (" lacus vinarus " des Latins), que d’un pressoir proprement dit. Le pressoir des anciens Orientaux consistait en deux cuves superposées : dans la première on amoncelait les raisins que les vignerons écrasaient en les foulant aux pieds ; le jus, qui s’échappait par une ouverture pratiquée au bas, coulait dans la seconde cuve, placée sous terre et fréquemment taillée dans le roc. Plusieurs Pères ont pensé que le " pressoir " du cantique et de la parabole désigne les prophètes de l’ancienne Alliance. " Il a creusé un pressoir, il a préparé le réceptacle pour recueillir l'esprit des prophètes ", S. Irénée, contr. Haer. 4, 36 ; Cf. S. Hilaire, in h. l . - Bâtit une tour. Cette tour devait servir tout d’abord à protéger la vigne, selon la coutume orientale des temps anciens et modernes. C’est là que le gardien s’installe nuit et jour, à l’époque de la maturité des fruits, pour empêcher les maraudeurs et les animaux sauvages de venir saccager la récolte. On y place aussi les instruments qui servent à la culture, et le propriétaire s’y établit parfois pendant la durée des vendanges ; Cf. Jahn, Archæologie, 1, § 76 ; Tobler, Denkblætter aus Jerusal. p. 113. - Il la loua à des vignerons. Il existait, chez les Juifs comme dans nos contrées, deux sortes de contrats pour la location des vignes : tantôt le vigneron s’engageait à payer chaque année au propriétaire une somme d’argent déterminée ; tantôt il était simplement métayer et partageait les fruits ou le vin avec le maître de la vigne. Le v. 34 nous apprend que le père de famille de la parabole préféra le bail du second genre. Tous ces détails préliminaires étant terminés, il partit pour un pays lointain, comptant sur la fidélité des vignerons. Par ce lointain voyage, dit fort bien Bengel, Gnomon in h.l., " Le silence divin permet aux hommes d'agir selon leur libre arbitre ". - Telle est donc la situation : tout y est clair et l’on n’a qu’à relire le cantique d’Isaïe pour faire l’application de ces premiers détails : leur objet évident est de montrer que Dieu a fait tout ce qu’il devait, et bien au-delà, pour la prospérité spirituelle de son peuple choisi.Matthieu chap. 21 verset 34. - Or, lorsque le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons, pour recueillir les fruits de sa vigne.
- Le temps des fruits, l’époque de la vendange. Le propriétaire de la vigne envoie chercher sa part de raisins, conformément aux conventions arrêtées. - Fruits de sa vigne. Le pronom désigne le père de famille. Plusieurs anciens manuscrits latins ont " suos ". - Dans la vigne mystique de Jéhova, il n’y a pas de temps spécial affecté à la récolte, parce qu’elle doit porter perpétuellement des fruits : mais le raisin ne croît qu’une fois chaque année sur les ceps matériels. - Les serviteurs envoyés par Dieu représentent les prophètes, ces messagers d’élite qu’il se vante dans les Saints Livres d’avoir délégués à chaque instant vers son peuple : " Inlassablement je vous ai envoyé tous mes serviteurs les prophètes, pour dire : "Revenez chacun de votre mauvais chemin, rendez meilleurs vos actes et n’allez pas suivre d’autres dieux pour les servir ; vous habiterez sur le sol que je vous ai donné, à vous et à vos pères", Jer. 35, 12 ; Cf. 25, 3. Mais, ajoute le Seigneur avec tristesse, " Vous n’avez pas prêté l’oreille, vous ne m’avez pas écouté ". La même chose aura lieu dans la parabole.Matthieu chap. 21 verset 35. - Mais les vignerons, s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, et en lapidèrent un autre.
- Mais les vignerons... Chardin, Voyage en Perse, t. 5, p. 384, édit. Langlès, décrit en ces termes, d’après divers faits dont il avait été témoin, les inconvénients nombreux qui résultent en Orient du second système de location mentionné plus haut : " Cet accord, qui paraît un marché de bonne foi et qui le devrait être, se trouve être néanmoins une source intarissable de fraude, de contestation et de violence, où la justice n’est presque jamais gardée, et ce qu’il y a de fort singulier c’est que le seigneur est celui qui a toujours du pire, et qui est lésé ". Rien n’a donc changé dans ce pays extraordinaire. Mais, à l’époque du Sauveur et longtemps auparavant, c’étaient des droits autrement sérieux qui étaient violés sans pudeur, c’était un Seigneur autrement honorable qui se trouvait injurié et lésé. - Quand les serviteurs du propriétaire se présentent pour recevoir en son nom la part de la récolte qui lui revient, les vignerons leur font subir les traitements les plus indignes, frappant l’un, tuant l’autre, en condamnant un troisième au supplice affreux de la lapidation. Les mots battirent, tuèrent, lapidèrent forment ainsi une gradation ascendante, chacun d’eux exprimant un nouveau degré de rébellion et d’atrocité. - Au moral, quand Jéhova envoya ses prophètes à la nation juive, comment furent-ils traités ? Jésus le dira plus bas, 23, 37 ; S. Étienne le dira de même à ses bourreaux : " Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils point persécuté ? " Act. 7, 52 ; S. Paul le répétera dans l’Épître aux Hébreux, 11, 36-38 : " D’autres ont subi l’épreuve des moqueries et des coups de fouet, des chaînes et de la prison. Ils furent lapidés, sciés en deux, massacrés à coups d’épée. Ils allèrent çà et là, ... manquant de tout, harcelés et maltraités ... Ils menaient une vie errante dans les déserts et les montagnes, dans les grottes et les cavernes de la terre. "Matthieu chap. 21 verset 36. Il leur envoya encore d’autres serviteurs, en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même.
- Il leur envoya encore. Admirable patience, longanimité vraiment prodigieuse du Maître de la vigne. Combien d’autres, et en toute justice, auraient vengé aussitôt la première insulte ? Mais lui, il attend avec bonté, il daigne même envoyer d’autres serviteurs pour toucher ainsi le cœur des vignerons séditieux. C’est que ce propriétaire est l’image du Dieu qui daigne s’appeler dans les Écritures, Ps. 102, 8, " tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ". Cet acte de condescendance est pourtant inutile, car il ne ramène ni les vignerons de la parabole, ni les Juifs figurés par eux, au sentiment de leur devoir. - Ils les traitèrent de même : les nouveaux envoyés sont traités avec la même barbarie que les premiers.Matthieu chap. 21 verset 37. - Enfin il leur envoya son fils, en disant : Ils auront du respect pour mon fils.
- Enfin. Nouvelle tentative plus miséricordieuse que les autres : toutefois ce sera la dernière, car si les vignerons ne respectent pas le fils même de leur propriétaire, s’ils osent lever sur lui des mains criminelles, ils ne mériteront plus aucune pitié, et on agira contre eux avec toute la rigueur du talion. - Mon Fils, fils unique et bien-aimé, dit S. Marc, 12, 6. - Les Saints Pères se sont fréquemment appuyés sur ce verset pour prouver la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; S. Ambroise, par exemple, qui écrit dans son traité " De fide ", 5, 7 : " Vois pourquoi il a d'abord envoyé des serviteurs, puis ensuite son fils : pour que tu sache que le Fils unique de Dieu jouit du pouvoir divin, et n'a ni le nom ni de part commune avec les serviteurs ". Le père de la parabole espérait que les vignerons respecteraient son fils ; quant à Dieu, observe S. Jean Chrysostôme, l.c., " sachant que son Fils allait être tué, il l'envoya cependant ".Matthieu chap. 21 verset 38. Mais les vignerons, voyant le fils, dirent entre eux : Voici l’héritier ; venez, tuons-le, et nous aurons son héritage.
- Le triste récit continue. - Voyant le fils, dès qu’ils le reconnaissent de loin. - Entre eux ; mieux " inter se " d’après le contexte : ils ourdissent entre eux le plus noir complot. - Venez, tuons-le. Tel avait été le langage des fils de Jacob à Dothaïn, quand ils virent s’approcher d’eux leur frère Joseph, type de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Venez, avaient-ils dit, donnons-lui la mort, Gen. 37, 20. Tel avait été, Matth. 12, 14 ; Marc. 3, 6 ; Joan. 7, 1 ; 11, 50-53 ; Luc. 19, 47, tel devait être encore, Cf. Matth. 26, 4 ; 27, 1, le langage des hiérarques. - Et nous aurons son héritage. Ceux qui parlent ainsi dans la parabole n’avaient été jusque-là que des vignerons à gages ; ils supposent qu’après avoir tué l’héritier, ils pourront partager entre eux la vigne et en jouir librement. Mais comme le fait remarquer S. Augustin, ils se trompent étrangement. " Ils ont tué pour prendre possession ; et parce qu'ils ont tué, ils ont tout perdu ". S. Hilaire applique ce trait à la Synagogue dans les termes suivants : " Le dessein des vignerons est de s'emparer de l'héritage du fils tué ; ils ont le vain espoir de s'approprier la gloire de la Loi, une fois le Christ mort ", Comm. in h.l. L’erreur des membres du Sanhédrin n’est donc pas moins étrange que celle des vignerons.Matthieu chap. 21 verset 39. - Et s’étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent. 40Lors donc que le maître de la vigne sera venu, que fera-t-il à ces vignerons ?
- S'étant saisis de lui. Cette résolution cruelle est exécutée sans retard. On se saisit du fils-héritier, bien qu’il arrive avec des intentions de paix et de miséricorde ; on le traîne en dehors de la vigne et on le fait périr sous les coups. - Ils le jetèrent hors de la vigne. En citant ce trait, Jésus faisait évidemment allusion à une circonstance qui accompagna sa mort. Lui aussi, il fut conduit hors de la vigne, c’est-à-dire hors de Jérusalem, pour y subir le dernier supplice, " Jésus… a souffert sa Passion à l’extérieur des portes de la ville ", Hebr. 13, 12-13 ; Cf. Joan. 19, 17. Tout est prophétique dans ces derniers versets (37 et suiv.) : Notre-Seigneur a sous les yeux les scènes de sa Passion, qu’il raconte comme si elles s’étaient déjà réalisées, tant il est sûr, par sa prescience divine, que ses ennemis se porteront contre lui aux dernières extrémités.Matthieu chap. 21 verset 40. - Lors donc que le maître de la vigne sera venu, que fera-t-il à ces vignerons ?
- Poussé à bout par tant de crimes et surtout par la mort de son fils unique, le maître de la vigne viendra enfin lui-même pour exiger des coupables un compte sévère. Comment les traitera-t-il alors ? Jésus, à l’imitation d’Isaïe, 5, 3, fait résoudre cette question par ceux-là mêmes dont il avait décrit la conduite à la fin de la parabole.Matthieu chap. 21 verset 41. - Ils lui dirent : Il fera périr misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons, qui en rendront les fruits en leur temps.
- Il fera périr ces misérables, ou, d’après le grec, " ces méchants ". Ils répondent avec justesse et impartialité, montrant par un de ces jeux de mots que les Orientaux emploient si volontiers, que le châtiment sera en conformité parfaite avec la nature des criminels : misérables, ils périront misérablement. C’était la sentence de leur propre condamnation qu’ils prononçaient : les sicaires Juifs et le Romain Titus furent chargés par Dieu de l’exécuter. - D'autres vignerons. Après avoir prédit leur propre destruction et celle de leur peuple, ils annoncent avec une égale vérité la conversion future des Gentils, auxquels Dieu confiera sa vigne et qui se montreront des vignerons fidèles. - En leur temps, c’est-à-dire au temps de la récolte. La parabole est maintenant terminée. S. Jean Chrysostôme , Hom. 68 in Matth., relève la multiplicité des leçons qu’elle renferme malgré sa parfaite unité. " Jésus-Christ découvre beaucoup de choses par cette parabole. Il fait voir aux Juifs avec quel soin la providence de Dieu a toujours veillé sur eux; qu’elle n’a rien omis de tout ce qui pouvait contribuer à leur salut; qu’ils ont toujours été portés à répandre le sang ; qu’après qu’ils ont tué si cruellement les prophètes, Dieu, au lieu de les rejeter avec horreur, leur avait envoyé son propre fils. Il leur marque encore par cette figure qu’un même Dieu était l’auteur de l’Ancien et du Nouveau Testament : que sa mort produirait des effets admirables dans le monde; qu’ils devaient attendre une terrible punition de l’attentat par lequel ils allaient le faire mourir sur une croix. Que les gentils seraient appelés à la connaissance du vrai Dieu, et que les Juifs cesseraient d’être son peuple ".Matthieu chap. 21 verset 42. - Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, celle-là même est devenue la pierre d’angle ; c’est le Seigneur qui a fait cela, et c’est une chose admirable à nos yeux ?
- L’image change tout-à-coup, tant le langage de Jésus est vif et rapide ; mais l’idée reste absolument la même. " Il avait auparavant comparé l’Église à une vigne, il la compare maintenant à une construction que Dieu a bâtie, ainsi que le fait S. Paul (1 Cor. 3,9) ; et ceux qu'il avait auparavant appelés cultivateurs, il les appelle maintenant bâtisseurs ; Celui qu'il avait auparavant appelé le Fils, il l’appelle maintenant une pierre, comme S. Jérôme et Euthymius l'ont observé ", Maldonat in h.l. - N'avez-vous jamais lu. Formule familière de Jésus quand il s’adresse à des personnes instruites. Elle introduit ici une confirmation solennelle de la sentence que les Sanhédristes venaient de prononcer contre eux-mêmes. Oui, vous avez bien répondu : n’avez-vous pas lu en effet ce passage des Écritures qui ratifiait d’avance le jugement que vous avez porté ? - Dans les Écritures ; Cf. Ps. 117, 22 et ss. ; Is. 28, 16. Il y a là une prophétie messianique très importante, que S. Pierre rappellera plus tard à son tour au Sanhédrin. Cf. Act. 4, 11 ; 1 Petr. 2, 4 et suiv. - La pierre. Le substantif est à l’accusatif en vertu de la loi d’attraction, Cf. Joan. 14, 24 : c’est là une tournure dont on trouve de fréquents exemples chez les classiques grecs et latins. - Qu'ont rejetée. Les architectes et les entrepreneurs ont rejeté cette pierre, comme inutile, ou comme impropre à la construction ; mais un architecte supérieur en a jugé autrement et, par suite de son intervention toute-puissante, à ce bloc dédaigné (hic emphatique) a été précisément attribué le principal rôle, car il est devenu le nœud et le fondement de tout l’édifice. L’expression pierre d'angle, désigne une pierre angulaire qui réunit et maintient par la base deux murs principaux. Quelle est cette pierre ? Les Rabbins sont unanimes pour dire qu’elle figure le Messie. " R. Salomon au sujet de Michée 5, 1. C’est le Messie, fils de David, de qui il est écrit : la pierre qu’ils ont rejetée etc. " Abarbanel au sujet de Zacharie 4, 10. " La pierre d’airain indique le messie roi. Et il complétera par : la pierre qu’ils ont rejetée. ", Wettstein. Mais S. Paul nous l’a dit aussi en termes magnifiques, Eph. 2, 19-22 : " vous êtes concitoyens des saints, ... vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même. En lui, toute la construction s’élève harmonieusement pour devenir un temple saint dans le Seigneur. En lui, vous êtes, vous aussi, les éléments d’une même construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit Saint ". Quant aux constructeurs qui l’ont méprisée et rejetée, ce sont les chefs spirituels du Judaïsme : mais une pareille conduite leur attirera une juste punition. - C'est le Seigneur qui a fait cela... " cela ", c’est-à-dire la réintégration de la pierre dans l’édifice auquel elle était destinée. Jéhova lui-même s’est chargé d’accomplir cette œuvre de justice, et de rendre au Messie la place qu’on lui enlevait indignement. - Dans le texte grec, le pronom est au féminin, (Cf. Ps. 117, 22 et ss. d’après les Septante), ce qui est une traduction littérale de l’hébreu. On sait que les Hébreux n’ont pas de genre neutre et qu’ils l’expriment très souvent par le féminin.Matthieu chap. 21 verset 43. - C’est pourquoi, je vous dis que le royaume de Dieu vous sera enlevé, et qu’il sera donné à une nation qui en produira les fruits.
- Après avoir démontré la faute de ses compatriotes, Jésus passe à la promulgation solennelle du châtiment qui les attend. Ce châtiment sera tout à la fois négatif et positif. Le côté négatif est indiqué au v. 43. - C'est pourquoi... parce que vous avez rejeté le Messie, parce que vous avez mis à mort le Fils de Dieu. - Le royaume de Dieu vous sera enlevé... Vous cesserez d’être le peuple privilégié du Seigneur ; les droits spéciaux que vous aviez à faire partie du royaume de Dieu sur la terre vous seront enlevés sans miséricorde. - Il sera donné à une nation... Dieu se formera une nouvelle nation théocratique, un Israël mystique dont l’élément prépondérant sera pris parmi les païens. Et tandis que les Juifs, semblables à des vignerons infidèles, n’ont pas fourni à Dieu les fruits qu’il attendait, cette nouvelle nation, l’Église chrétienne, lui rapportera d’abondantes récoltes. - Les fruits. Les derniers mots du verset nous ramènent à la parabole qui précède.Matthieu chap. 21 verset 44. - Et celui qui tombera sur cette pierre, s’y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera.
- Côté positif du châtiment des Juifs, exprimé sous l’image de la pierre angulaire qu’ils ont si criminellement repoussée. Jésus reprend ainsi le langage figuré qu’il avait en partie abandonné au v. 43. - Celui qui tombera... On tombe sur cette pierre quand on offense volontairement le Christ. On se précipite sur lui pour le renverser et le détruire, mais les agresseurs se brisent infailliblement contre ce bloc inébranlable. C’est ce qui arrivera aux Juifs déicides. - Celui sur qui elle tombera. Même pensée répétée avec une nuance et d’une manière plus énergique ; car si un vase fragile ne manque pas d’être brisé quand on le heurte contre une pierre, il est littéralement réduit en poussière, anéanti, quand cette pierre vient à rouler d’en haut sur lui. La pierre fameuse de la vision de Daniel, 2, 34-35, avait pulvérisé de la sorte la statue qui représentait les royaumes impies hostiles à celui du Christ ; les ennemis de Jésus ou de son Église, quel que soit leur nom, n’auront pas une autre destinée : ils seront écrasés par la pierre angulaire.Matthieu chap. 21 verset 45. - Lorsque les princes des prêtres et les pharisiens eurent entendu ces paraboles, ils comprirent que Jésus parlait d’eux.
- Pharisiens. On n’avait parlé plus haut que des princes des prêtres et des anciens ; mais ces derniers appartenant pour la plupart au parti pharisaïque qui avait la majorité dans le grand Conseil, l’évangéliste les désigne ici sous le nom général de Pharisiens, pour mieux marquer quel était leur esprit. On peut dire aussi que plusieurs membres de la secte s’étaient joints aux délégués du Sanhédrin, espérant jouir de l’humiliation de Jésus. - Jésus parlait d'eux. Cette connaissance les jette dans un trouble semblable à celui qu’éprouva le roi David quand Nathan lui eût fait prononcer d’une façon analogue sa propre condamnation. Mais elle redouble en même temps leur rage et leur haine contre Jésus.Matthieu chap. 21 verset 46. - Et, cherchant à se saisir de lui, ils craignirent les foules, parce qu’elles le regardaient comme un prophète.
- Cherchant à se saisir de lui. Ils pensent un instant à se saisir de sa personne pour exécuter l’arrêt de mort qu’ils avaient porté depuis longtemps contre lui ; mais la crainte les retient. En recourant aux voies de fait, ils ont peur de s’attirer la colère de la foule qui est visiblement disposée en faveur de leur ennemi, elle le prend en effet pour un prophète, Cf. v. 11, et il est probable qu’elle le défendrait par la force si on essayait de l’arrêter sous ses yeux.Parabole du festin nuptial, vv. 1-14. - Les Pharisiens et le denier de César, vv. 15-22. - Les Sadducéens et le dogme de la résurrection, vv. 23-33. - Jésus fait connaître à ses adversaires les deux plus grands commandements de la Loi, vv. 34-41. - Il les réduit au silence à propos de la filiation du Messie, vv. 42-46.
d. Parabole du festin nuptial, 22, 1-14.
1
Jésus, prenant la parole, parla de nouveau en paraboles, disant : 2Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit faire les noces de son fils. 3Et il envoya ses serviteurs appeler ceux qui étaient invités aux noces, mais ils ne voulaient pas venir. 4Il envoya encore d’autres serviteurs, en disant : Dites aux invités : J’ai préparé mon festin, mes bœufs et mes animaux engraissés sont tués ; tout est prêt, venez aux noces. 5Mais ils ne s’en inquiétèrent pas, et s’en allèrent, l’un à sa ferme et l’autre à son commerce ; 6les autres se saisirent de ses serviteurs et les tuèrent, après les avoir accablés d’outrages. 7Lorsque le roi l’apprit, il fut irrité et ayant envoyé ses armées, il extermina ces meurtriers, et brûla leur ville. 8Alors il dit à ses serviteurs : Les noces sont prêtes, mais ceux qui avaient été invités n’en étaient pas dignes. 9Allez donc dans les carrefours et appelez aux noces tous ceux que vous trouverez. 10Ses serviteurs, s’en allant par les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons, et la salle des noces fut remplie de convives. 11Le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et il aperçut là un homme qui n’était pas revêtu de la robe nuptiale. 12Il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir la robe nuptiale ? Et cet homme demeura muet. 13Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents. 14Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.Matthieu chap. 22 verset 1. - Jésus, prenant la parole, parla de nouveau en paraboles, disant...
- Prenant la parole ; Cf. 11, 25 et le commentaire. C’est une réponse aux sentiments des Pharisiens et des hiérarques juifs, exprimés dans les derniers versets du chapitre précédent. - De nouveau en paraboles. Pluriel de catégorie, puisque l’évangéliste ne nous communique ensuite qu’une seule parabole. C’est du moins la troisième que Jésus adressa ce jour-là à ses ennemis : ce qu’il avait fait autrefois pour le peuple de Galilée, Cf. chap. 13, il le renouvelle aujourd’hui à l’intention des chefs suprêmes du Judaïsme, avec cette différence qu’alors il se proposait surtout d’instruire, tandis qu’aujourd’hui son but principal est de présager des ruines prochaines.Matthieu chap. 22 verset 2. - Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit faire les noces de son fils.
- Nous trouverons dans le troisième Évangile, Cf. Luc. 14, 16 et suiv., une parabole qui a beaucoup d’analogie avec celle que nous présente actuellement le récit de S. Matthieu. Plusieurs auteurs de renom (Théophylacte, Maldonat, etc.), s’appuyant sur cette ressemblance extérieure, ont cru pouvoir identifier les deux compositions. Mais ils n’ont pas assez remarqué que l’époque, l’occasion, plusieurs détails importants, diffèrent d’une manière considérable ; Cf. S. Aug. De consens. Evang. 2. 7 ; S. Greg. le Grand, Hom. 38 in Evang. Nous les traiterons, à la suite du grand nombre des exégètes, comme deux pièces très distinctes. Tout au plus pourrait-on dire avec Unger : " Il semble que Matthieu a rapporté une parabole que Jésus a reprise plus tard, en la modifiant, en la corsant et en la rendant plus sévère, et en l’appliquant à l’ensemble du peuple juif ", de Parab. Jesu, p. 122 - La parabole commence par la formule accoutumée : " Le royaume des cieux est semblable ". Elle a en grande partie le même objectif que celle des vignerons perfides : elle s’en écarte toutefois en ce sens que là, Dieu nous apparaissait sous les traits d’un propriétaire qui réclame son bien, tandis qu’ici il se manifeste comme un roi généreux qui fait des présents. Là sa colère provenait de ce qu’on avait refusé de satisfaire ses droits légitimes, ici elle a pour cause le refus criminel des faveurs qu’il daigne offrir. Ces deux paraboles se complètent ainsi l’une l’autre. Ajoutons que la dernière n’annonce pas seulement la destruction imminente de la théocratie mosaïque, mais qu’elle prédit encore le châtiment de tous les mauvais chrétiens. Cette double pensée la divise même en deux parties bien tranchées, dont la première comprend les versets 1-7, la seconde les versets 8-14. - Les noces de son fils. L’expression, Cf. Gen. 29, 22 ; Tob. 8, 29 ; 1 Mach. 9, 37 ; 10, 58 ; Esth. 9, 22, désigne tantôt le rite même du mariage, tantôt les réjouissances solennelles, spécialement le grand festin, qui ont partout et toujours accompagné la célébration des noces. Il s’agit ici de toutes ces choses à la fois. Mais quel est le roi qui daigne inviter ses sujets au mariage de son Fils ? et quelle alliance est sur le point d’être conclue par celui-ci ? Ce roi figure Dieu le Père, le " Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs ", comme l’appellent nos Saints Livres ; son Fils c’est le Christ contractant une union intime avec l’Église, union représentée plus d’une fois dans le Nouveau Testament sous les traits d’un mariage mystique ; Cf. Joan. 3, 29 ; Matth. 9, 15 ; Luc. 22, 18. 30 ; 2 Cor. 11, 2 ; Eph. 5, 32 ; Apoc. 19, 7. " Les noces représentent la très étroite union du Christ avec l’Église, la foi jurée de part et d’autre, et le lien de l’alliance contractée, pour engendrer des enfants spirituels, qui rempliront toute la terre ", Vitringa, in Apoc. 19, 7. C’est en l’honneur de ce mariage sublime que le Psalmiste composa le glorieux épithalame, " D'heureuses paroles jaillissent de mon cœur quand je dis mes poèmes, etc. ", Ps. 44, 1.Matthieu chap. 22 verset 3. - Et il envoya ses serviteurs appeler ceux qui étaient invités aux noces, mais ils ne voulaient pas venir.
- Il envoya ses serviteurs. Chez les Orientaux, ces grands amis du formalisme et des cérémonies, il y a presque toujours plusieurs invitations réitérées pour une seule et même fête. Après les avoir avertis d’une manière générale, on les fait prévenir encore à l’approche de la solennité ; Cf. Esth. 5, 8 ; 6, 14, et les récits des voyageurs modernes ap. Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland, t. 5 in h. l.. C’est ce que nous remarquons dans la circonstance présente. Les serviteurs chargés d’appeler les invités portaient chez les Romains les noms techniques de " vocatores, invitatores " (ceux qui appellent, qui convoquent). Ils représentent, d’après le contexte de la parabole, les prophètes, spécialement le dernier d’entre eux, S. Jean-Baptiste, et les disciples mêmes de Jésus, Cf. Matth. 10 ; Luc. 10, qui avaient fait retentir aux oreilles des Juifs, les premiers invités, ce cri d’une autre parabole : " Voici l'époux, allez à sa rencontre !Matthieu chap. 22 verset 4. - Il envoya encore d’autres serviteurs, en disant : Dites aux invités : J’ai préparé mon festin, mes bœufs et mes animaux engraissés sont tués ; tout est prêt, venez aux noces.
- Il envoya encore... Nous admirons ici encore, Cf. 21, 36, 37, la bonté de Dieu qui, malgré l’endurcissement criminel opposé par les hommes à l’effusion de ses grâces, essaie de les toucher par de nouveaux bienfaits. Cette seconde série de serviteurs qui portent un appel plus pressant figure les missionnaires évangéliques, se répandant à travers les rues de Jérusalem et par toute la Palestine après la Passion du Sauveur, alors que Dieu pouvait dire en toute vérité par leur bouche : Mon festin est prêt, la victime a été immolée ; accourez donc aux noces de mon Fils ! Cf. Joan. 6, 51, 59. - Festin, désigne un second déjeuner qui avait lieu vers le milieu de la journée, Cf. Jos. Ant. 5, 4, 2, et qui, en Orient, ouvrait la solennité des noces. Le festin principal, " cène ", n’avait lieu que le soir ; il est indiqué par les mots suivants de notre verset. - Mes animaux engraissés ; en grec, ce qui a été engraissé. Cette expression désigne peut-être la volaille, Cf. Hor. Ep. 1, 7, 39, plus probablement les moutons engraissés pour la circonstance. Le roi n’a rien ménagé car il veut que le repas soit digne de lui et de son Fils.Matthieu chap. 22 verset 5. - Mais ils ne s’en inquiétèrent pas, et s’en allèrent, l’un à sa ferme et l’autre à son commerce ;
- Ils ne s'en inquiétèrent pas. Les premiers invités négligent donc généralement de venir participer au banquet royal, qui a été préparé tout exprès pour eux : triste image des Juifs qui refusèrent pour la plupart d’accepter l’invitation mille fois plus honorable que le Seigneur avait daigné leur adresser à maintes reprises. Sourds aux premiers messages des disciples, ils le furent davantage encore aux suivants. - Et s'en allèrent... La parabole partage en deux classes les invités récalcitrants. Les uns, dont il est question dans ce verset, se montrent simplement indifférents ; les autres imitent envers les serviteurs la conduite barbare des vignerons. Cf. 21, 35-36. - L'un à sa ferme ; en grec, dans son propre champ. Il veut jouir des choses qu’il possède déjà : c’est le type du propriétaire. - L'autre à son commerce... Il veut acquérir des richesses dont il pourra jouir à son tour ; c’est le type du marchand dont la fortune est encore à faire.Matthieu chap. 22 verset 6. - Les autres se saisirent de ses serviteurs et les tuèrent, après les avoir accablés d’outrages.
- Se saisirent... Les invités de cette seconde catégorie prennent à l’égard des serviteurs, et, partant, du roi leur maître, une attitude tout-à-fait hostile : ils retiennent prisonniers ces hommes dont tout le crime consiste à avoir été pour eux les messagers d’une grande faveur. Mais ils ne se bornent pas à cette première injustice ; Jésus en mentionne deux autres de la plus haute gravité. Ce sont des outrages particuliers (accablés d'outrages), tels que coups, insultes, etc., et enfin la mort, (les tuèrent). L’application de ces divers traits prophétiques est contenue tout entière au livre des Actes où nous voyons les Apôtres 1° arrêtés de vive force comme des malfaiteurs, Act. 4, 3 ; 5, 18 ; 8, 3 ; 2° affreusement maltraités, Act. 5, 40 ; 14, 5-19 ; 16, 23 ; 17, 5 ; 21, 30 ; 23, 2 ; 3° massacrés cruellement, Act. 7, 58 ; 12, 3.Matthieu chap. 22 verset 7. - Lorsque le roi l’apprit, il fut irrité et ayant envoyé ses armées, il extermina ces meurtriers, et brûla leur ville.
- Le Roi … fut irrité. Jamais colère n’avait été plus légitime, car c’est le roi lui-même qui avait été offensé dans la personne de ses ambassadeurs, et ces sortes d’affronts réclament une prompte et terrible vengeance ; Cf. 2 Reg. 10 ; dans notre histoire contemporaine, le dey d’Alger et le coup d’éventail donné au ministre du roi de France. Mais quelles proportions prend aussitôt l’injure quand on se rappelle que le roi de la parabole n’est autre que Dieu lui-même ! Aussi comment les coupables pourront-ils résister à sa fureur ? Il lance contre eux ses armées, c’est-à-dire, d’après S. Grégoire, Hom. 38 in Evang., les anges, ministres ordinaires de ses volontés ; plus probablement , les légions de Rome (S. Irénée, Contr. Hær. 4, 36) chargées, comme autrefois les phalanges assyriennes, Is. 10, 5 ; 13, 5 ; Jerem. 25, 5, etc, d’exécuter ses décrets de vengeance. - Il extermina, il les fait périr à leur tour. - Brûla leur ville. Allusion frappante à la ruine de Jérusalem. On a remarqué depuis longtemps que Jésus-Christ dit ici " leur ville ", bien que la ville appartînt au roi et fût sa résidence. Mais il l’a répudiée, il a cessé de la regarder comme sienne : c’est en qualité de ville étrangère, ennemie même, qu’il la traite sans pitié. - Après avoir prophétisé plus haut, vv. 5 et 6, la brutale conduite des Juifs envers ses Apôtres, le divin Maître prédit ici avec la plus grande précision les châtiments qu’ils s’attireront par là même. Plusieurs de ses interlocuteurs furent peut-être écrasés ou brûlés vifs sous les débris fumants du temple, auprès duquel cette prophétie épouvantable était prononcée.Matthieu chap. 22 verset 8. - Alors il dit à ses serviteurs : Les noces sont prêtes, mais ceux qui avaient été invités n’en étaient pas dignes.
- Seconde partie de la parabole, vv. 8-14. " On voit encore dans ces deux paraboles que ce ne sont point les gentils qui sont appelés les premiers, mais les Juifs; et que, comme Dieu ne donne sa vigne à d’autres qu’après que les vignerons non-seulement n’en ont pas reçu le maître, mais qu’ils l’ont même fait mourir cruellement, il n’appelle aussi ces derniers aux noces qu’après que les autres ont refusé d’y venir " S. Jean Chrysostôme, Hom. 69 in Matth. – Alors il dit... Les Apôtres suivirent constamment la même règle. C’est à vous, disait S. Paul à la colonie israélite d’Antioche de Pisidie, Act. 13, 46, que nous devions prêcher en premier lieu la parole de Dieu ; mais puisque vous vous en jugez indignes, voici que nous allons nous adresser aux Gentils. - Les noces sont prêtes. La fête des noces se célébrera quand même ; l’abstention des Juifs et leur incrédulité n’empêcheront pas le divin fiancé d’épouser son Église. Bien plus, le mariage aura toute la solennité qu’on s’était proposé de lui donner : les hôtes seuls seront transformés. - N'en étaient pas dignes. Les Juifs ont montré surabondamment, par leur manière d’agir envers Notre-Seigneur Jésus-Christ et envers ses Apôtres, qu’ils ne méritaient point de participer au salut messianique. S’ils sont exclus, c’est par leur propre faute. Comme les premiers invités avaient des titres qui leur donnaient le droit d’assister au festin nuptial, le roi prend acte de leur indignité : ils ne pourront nullement se plaindre et rejeter la faute sur lui.Matthieu chap. 22 verset 9. - Allez donc dans les carrefours et appelez aux noces tous ceux que vous trouverez.
- Allez donc... Dieu donne des ordres pour une nouvelle invitation. Mais, tandis que la précédente avait été limitée aux descendants d’Israël, celle-ci est universelle et ne souffre pas d’exception. - Appelez tous ceux que vous trouverez, dit-il à ses serviteurs, les Apôtres. Sans figure, " allez enseignez toutes les nations ", 28, 19. Tout le genre humain, sans distinction de rang, de patrie, d’âge, de sexe, de condition, est invité aux noces de l’Agneau ; mieux encore, tout le genre humain est appelé à devenir la fiancée du Christ, car, suivant la belle pensée de S. Augustin, In Epist. 1 Joan. Tract. 2, " Ce n'est pas comme dans les noces charnelles où il y a ceux qui assistent aux noces et celle qui se marie. Dans l’Église, ceux qui assistent aux noces, s'ils le font dans de bonnes dispositions, deviennent l’Épouse ". Le filet évangélique sera donc jeté dans le vaste océan du monde, ramassant des poissons de toute sorte, les bons pour les améliorer encore, les mauvais pour leur communiquer une bonne nature, sans quoi ils seront plus tard rejetés, comme le montre la suite de notre parabole. - Les interprètes ne sont pas d’accord sur le sens de l’expression carrefours, qui peut désigner soit les croisées des rues (S. Jean Chrys., Schleusner), soit les places publiques sur lesquelles elles débouchent (Kuinœl), soit enfin les banlieues de la ville où elles se terminent (Grotius). Dans les deux premiers cas, le roi enverrait ses serviteurs dans les parties les plus fréquentées de la cité ; dans le troisième, on verrait mieux son intention d’appeler les Gentils, situés en dehors du territoire théocratique ; Ezech. 48, 30 où les mots signifient les portes de la ville.Matthieu chap. 22 verset 10. - Ses serviteurs, s’en allant par les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons, et la salle des noces fut remplie de convives.
- Ses serviteurs, s'en allant... Les serviteurs exécutent à la lettre les prescriptions de leur Maître, sans s’inquiéter des qualités morales de ceux qu’ils convient en son nom. C’est ainsi que le diacre Philippe se rendit en Samarie pour y annoncer l’Évangile, Act. 8, 5, que S. Pierre consentit à baptiser le païen Corneille, Act. 8, 42, que S. Paul évangélisa tout l’univers romain, annonçant la pénitence et le salut à tous ceux qui voudraient en profiter. Et de toutes parts, en effet, on se convertit au Christianisme ; on accourt à la salle du festin nuptial qui se trouve bientôt remplie de convives. Le refus des Juifs n’a donc pas empêché les noces ; d’autres invités ont pris leur place et voilà tout.Matthieu chap. 22 verset 11. - Le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et il aperçut là un homme qui n’était pas revêtu de la robe nuptiale.
- Le roi entra. Quand chacun a pris sa place à l’orientale sur les canapés rangés autour des tables (discumbentes), le roi entre dans la salle pour faire honneur à ses hôtes. - Pour voir. Il ne vient pas dîner avec eux ; mais, à la façon des grands personnages qui font une invitation considérable parmi leurs vassaux, il veut seulement les saluer, voir si on prend soin d’eux, si tout se passe convenablement. Tout à coup, il s’aperçoit qu’un des convives a violé une des règles les plus essentielles de la bienséance : il est venu au palais, il assiste au festin couvert de ses vêtements ordinaires, sans s’être paré de la robe nuptiale. - La robe nuptiale. Pour bien comprendre la faute et la punition de ce convive, nous avons à préciser soit au propre, soit au figuré, la nature de cet habit qui était indispensable dans la circonstance présente. Une robe nuptiale, c’est assurément un vêtement de fête, une parure distinguée, digne en un mot d’une cérémonie aussi solennelle que l’a toujours été la célébration d’un mariage. On regarderait comme un homme mal élevé, et même comme un insulteur effronté, quiconque viendrait assister à un repas de noces avec des vêtements malpropres et communs. Mais il existe en Orient une coutume spéciale qui rehaussait encore dans le cas présent l’énormité de l’injure. Quand une personne de distinction fait des invitations pour un repas solennel, elle ne manque pas d’envoyer à tous les futurs convives une robe ou caftan de gala (l’équivalent du " cœnatorium " des Romains, Cf. Anth. Rich, Diction. des Antiquit. rom. et grecq. s. v. Cœnatoria, Synthesis) dont ils devront se couvrir quand ils viendront prendre part au festin. " On ne saurait croire, dit Chardin, Voyage en Perse, t. 3, p. 230, la dépense que fait le roi de Perse pour ces présents-là. Le nombre des habits qu’il donne est infini. On en tient toujours ses garde-robes pleines. On les tient dans les magasins, séparés par assortiment ". (Le célèbre voyageur raconte ensuite qu’un grand-vizir fut mis à mort pour n’avoir pas voulu se soumettre à l’étiquette). Fût-on le plus pauvre des hommes, on n’avait donc aucun motif à alléguer pour se dispenser d’arriver à la fête avec un vêtement convenable, puisque l’amphitryon en avait à l’avance fait les frais. On trouvera sur cette coutume d’intéressants détails dans Rosenmüller, das alte und neue Morgenland, t. 5, p. 75 et suiv. Plusieurs exégètes ont prétendu, il est vrai, qu’elle peut bien n’être que d’introduction relativement récente, et qu’elle n’est d’ailleurs pas nécessaire pour l’interprétation de la parabole. Nous répondrons qu’on en trouve plusieurs indices très anciens dans la Bible, Gen. 45, 22 ; Jud. 14, 22 ; 4 Reg. 5, 22, et qu’elle est supposée d’une manière tacite par le récit du Sauveur, auquel elle communique une vie et une force nouvelles. Grâce à elle en effet on est plus à même de comprendre pourquoi le roi est si vivement offensé, pourquoi le coupable est dans l’incapacité absolue de se disculper, pourquoi il est si gravement puni. - Au figuré, que représente cette robe nuptiale ? Les Saints Pères seront ici nos meilleurs guides, et nous fourniront les renseignements les plus sûrs. Plusieurs d’entre eux l’ont regardée comme un emblème de la foi : " Le vêtement nuptial est la vraie foi, qui origine de Jésus-Christ et de sa justice ", Auct. Oper. Imp. Cf. S. Basile in Is. 9. Quelques-uns pensent qu’elle symbolise tout ensemble la foi et l’amour : " La robe nuptiale, c'est la foi et l'amour ", S. Ambr. Expos. in Luc. 7 ; " Ayez la foi et l'amour : c'est cela la robe nuptiale ", S. August. Sermo 90. Ils affirment néanmoins pour la plupart, " magno consensu " dit Grotius, et les exégètes catholiques affirment à leur suite que la robe nuptiale figure la sainte charité avec la sainteté produite par elle dans une âme. Telle est bien la véritable interprétation ; car eussions-nous la foi, si nous manquons d’amour, si nous ne sommes ornés de bonnes œuvres, il nous sera impossible d’être admis dans le royaume glorieux que représente ici la salle du festin. " Le vêtement nuptial c'est la grâce de l'Esprit et la blancheur du vêtement céleste que nous avons reçu après profession de foi parfaite, et qu'il nous faut conserver sans tache et sans souillure jusqu'au jour de la grande réunion dans le royaume des cieux ", S. Hilaire, in h. l. Déjà Isaïe parlait dans le même sens des vêtements de salut, 61, 10, dont était recouvert le Messie.Matthieu chap. 22 verset 12. - Il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir la robe nuptiale ? Et cet homme demeura muet.
- Mon ami, Cf. 20, 13 et le commentaire. - Comment es-tu entré ici : C’est un étonnement mêlé de colère. Comment avez-vous osé vous permettre une pareille démarche dans ces conditions ? " N’y a-t-il donc qu’à entrer dans le festin dès qu’on y est appelé, et la vocation fait-elle tout ? Gardez-vous bien de le croire ", Bossuet, l. c. 33è jour. L’adverbe ici est emphatique : ici, en un lieu si honorable. - Sans avoir la robe..., et me faisant ainsi la plus grossière injure. " Celui qui ne porte pas le vêtement de noces montre son mépris ", S. Irénée, c. Haer. 4, 36. Cicéron reprochait à Vatinius comme faute impardonnable le fait d’être venu en costume de deuil à un repas solennel donné par Quintus Arrius. C’était là, dit le grand orateur, un outrage public pour l’hôte et pour les autres convives, In Vatin. 12, 13. - Cet homme demeura muet ; littéralement, il fut bâillonné. Quelle excuse en effet eût-il pu alléguer pour se défendre ? Il confesse donc sa culpabilité par son silence même.Matthieu chap. 22 verset 13. - Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
- Le roi dit aux serviteurs. Ces ministres diffèrent des serviteurs mentionnés plus haut à différentes reprises, (vv. 3, 4, 6, 8), car ils ne portent pas les mêmes noms. Ces derniers étaient sans doute les exécuteurs des hautes œuvres, ainsi qu’il ressort du contexte. - La sentence n’est précédée d’aucun jugement ; mais la faute n’était-elle pas évidente ? Elle est donc immédiatement châtiée. - Liez-lui les mains... On commence par lier à ce malheureux les pieds et les mains, signe de l’impuissance où seront les pécheurs d’échapper aux châtiments affreux que la divine justice tient pour eux en réserve. Il pourrait se défendre ; quelques liens le rendent immobile, impuissant. - Dans les ténèbres extérieures. On l’enlève ensuite et on le jette hors de la salle brillamment illuminée dans laquelle il a pénétré comme un intrus. Nous avons indiqué plus haut, Cf. 8, 12, à propos d’une expression identique, l’idée que représentent ces ténèbres extérieures. Elles sont l’image de l’éternelle damnation. " Les ténèbres seront extérieures, parce que les pécheurs seront alors totalement en dehors de Dieu… entièrement séparés de la lumière de Dieu ", Pierre Lombard, 4 dist. 50. Cet homme " a voulu entrer dans l’intérieur de la maison avec des dispositions funestes, chassez-le : plus il a voulu entrer au-dedans, plus il faut le pousser au-dehors. Mais qu’y trouvera-t-il, le malheureux ? Loin de la maison de Dieu où la lumière réside, où la vérité se manifeste, où Jésus-Christ luit éternellement, où les saints sont comme des astres, qu’y trouvera-t-il ? sinon les ténèbres d’un éternel cachot ", Bossuet, l. c. - Il y aura des pleurs... ; Cf. 8, 12 ; 13, 42 ; figure des tourments les plus affreux qu’il faudra endurer à tout jamais.Matthieu chap. 22 verset 14. - Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.
- Beaucoup d'appelés... par cette formule, Jésus conclut la parabole du festin des noces et indique la morale que ses auditeurs en doivent tirer pour eux-mêmes. Nous la connaissons, du reste, pour l’avoir récemment étudiée à la fin d’une autre parabole ; Cf. 20, 16. Beaucoup d’appelés : tous les Juifs, en effet, vv. 3-4, puis après eux tous les Gentils, vv. 9-10, avaient reçu le divin appel. Mais peu d’élus : et pourtant, dirons-nous avec S. Augustin, ne semble-t-il pas qu’il n’y ait eu qu’un seul damné parmi tant de convives ? " Quel était cet homme? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au milieu de cette foule de convives ? " Voici la réponse : " Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que cet homme représentait à lui seul un corps composé d’un grand nombre de membres ; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de la salle, et de le précipiter dans les tourments qu’il avait mérités, il a, en effet, immédiatement ajouté : Car il y a beaucoup d’appelés, et peu d’élus. Comment? ... L’homme réprouvé a été chassé, les élus sont restés : il y a peu d’élus, parce que ce malheureux réprouvé en représente, dans sa personne, une multitude d’autres ", Enarrat in Ps 61, 6. L’adjectif " peu " retombe du reste sur toute la parabole et fait allusion par conséquent à l’exclusion de l’immense majorité des Juifs. - Ainsi donc, les Juifs rejetés parce qu’ils sont incrédules ; les païens appelés à leur place, mais rejetés, eux aussi, du salut messianique, s’ils se montrent indignes des grâces de Dieu : tel est l’abrégé de cette belle instruction du Sauveur. - Nous trouvons, dans le Talmud, Schabbath f. 153, 1, une parabole qui a plus d’un point de contact avec celle que nous venons d’expliquer, bien qu’elle soit loin de l’égaler en richesse et en profondeur. Un certain Rabbi Eliézer fait à ses disciples cette singulière recommandation : Revenez à résipiscence un jour avant votre mort. Mais, observent-ils justement, l’homme peut-il connaître le jour où il doit mourir ? Eh bien ! répond Eliézer, puisqu’il en est ainsi, il faut donc faire pénitence aujourd’hui même, afin que vos vêtements soient blancs tous les jours, comme l’a dit Salomon, Eccl. 9, 8, c’est-à-dire afin que votre âme soit toujours innocente et pure. Là-dessus, un autre Rabbin, Jochanan ben-Zachaï, prend la parole et dit : Cette chose est semblable à un homme qui avait invité ses serviteurs à un festin, mais sans leur indiquer le temps précis du repas. Les plus sages d’entre eux se parèrent et s’établirent auprès de la porte du roi, disant : manquerait-il quelque chose au palais du roi ? Tout n’est-il point préparé ? Les autres en vrais insensés qu’ils étaient, se livrèrent comme d’ordinaire à leurs occupations en disant : Quel est le repas qui ne demande un certain temps et du travail pour être préparé ? Nous avons donc plus de temps qu’il n’en faut pour nous orner. Mais voici que le roi ayant appelé tout à coup ses convives, les plus sages serviteurs entrèrent en sa présence en vêtements de gala, tandis que les serviteurs insensés se présentèrent couverts d’habits malpropres. Le roi alla plein de joie au devant des sages serviteurs ; mais, enflammé de colère contre les serviteurs insensés, il s’écria : Que ceux qui se sont ornés pour le festin prennent place et qu’ils mangent et qu’ils boivent ! Que les autres au contraire se tiennent debout en face des premiers et qu’ils se contentent de regarder ! Cf. Meuschen, Novum Testam. ex Talmude et antiquit. Hebr. illustratum, p. 106.
15
Alors les pharisiens, s’étant retirés, tinrent conseil sur le moyen de le surprendre dans ses paroles. 16Et ils lui envoyèrent leurs disciples avec les hérodiens, qui lui dirent : Maître, nous savons que vous êtes véridique et que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité sans vous inquiéter de personne car vous ne regardez pas la condition des hommes. 17Dis-nous ce que tu en penses : Est-il permis de payer le tribut à César ou non ? 18Mais Jésus, connaissant leur malice, dit : Pourquoi me tentez-vous, hypocrites ? 19Montrez-moi la monnaie du tribut. Et ils lui présentèrent un denier. 20Et Jésus leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? 21Ils lui dirent : De César. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. 22Ayant entendu cela, ils furent dans l’admiration et le laissant, ils s’en allèrent.Matthieu chap. 22 verset 15. - Alors les pharisiens, s’étant retirés, tinrent conseil sur le moyen de le surprendre dans ses paroles.
- Alors. Après avoir entendu ces paroles si sévères, auxquelles les délégués du Sanhédrin n’avaient pas trouvé un seul mot à répondre, les Pharisiens, qui avaient été témoins de toute cette scène, Cf. 21, 45, se retirent pour concerter un plan de conduite contre Jésus. Bien loin de produire le résultat qu’on avait espéré, l’enquête du grand Conseil n’avait réussi qu’à rendre plus glorieux le piédestal sur lequel se tenait Jésus : les chefs suprêmes de la religion juive avaient été humiliés devant le peuple et leur adversaire triomphait. Comment venger l’honneur du mosaïsme ? Telle est la question discutée dans ce conseil que Satan présidait d’une manière invisible. Comme il n’était pas possible alors d’employer la force ouverte, Cf. 21, 46, on s’arrête à la résolution suivante : poser à Jésus des questions insidieuses, qui l’obligeront de faire des réponses compromettantes, de telle sorte qu’on pourra l’attaquer directement, ou du moins que le peuple se séparera de lui. - Le moyen de le surprendre ; l’expression grecque est très énergique : elle signifie proprement " prendre dans un filet ", à la façon des oiseleurs ou des chasseurs. Le filet des Pharisiens devait être le langage même du Sauveur, ses paroles qu’on l’amènerait adroitement à prononcer.Matthieu chap. 22 verset 16. Et ils lui envoyèrent leurs disciples avec les Hérodiens, qui lui dirent : Maître, nous savons que vous êtes véridique et que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité sans vous inquiéter de personne car vous ne regardez pas la condition des hommes.
- Leurs disciples. Tout d’abord, ils ne se présentent pas eux-mêmes ; mais ils députent auprès de Jésus plusieurs de leurs disciples, c’est-à-dire quelques-uns de ces étudiants qui suivaient alors à l’université célèbre de Jérusalem les cours de Gamaliel et de plusieurs autres Pharisiens distingués. C’était une habile tactique : interrogé par les Rabbins eux-mêmes, Jésus, reconnaissant en eux ses ennemis invétérés, aurait pu se tenir sur ses gardes ; il sera au contraire sans défiance en face de jeunes Talmidim, (nom donné aux étudiants dans la langue juive) qui viendront lui poser respectueusement un cas de conscience et faire appel à ses lumières. Saul, le futur S. Paul, qui se distinguait déjà par son fanatisme religieux et qui faisait alors ses cours à Jérusalem, faisait peut-être partie de cette députation. - Avec les Hérodiens. Qu’étaient ces Hérodiens qui accompagnent les disciples des Pharisiens auprès de Notre-Seigneur ? Il est assez difficile de le déterminer. Leur nom indique toutefois infailliblement qu’ils tenaient aux Hérodes de quelque manière (comparez les mots " Pompeiani, Cæsariani, Mariani ", par lesquels on désignait à Rome les partisans de Pompée, de César, de Marius). Il est probable que ce n’étaient pas de simples courtisans, mais plutôt des hommes influents qui s’associaient à la politique romaine de la famille royale, dans la pensée qu’il n’y avait pas d’autre moyen de préserver l’existence déjà si précaire de l’état juif. Bien qu’ils fussent d’ordinaire en lutte avec les Pharisiens, qui abhorraient le joug de Rome et la famille d’Hérode, ils ne craignent pas de se coaliser avec eux contre Jésus, l’ennemi commun. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’avait lieu cette ligue impie. Cf. Marc. 3, 6 et l’explication. Nous comprendrons mieux tout à l’heure le motif spécial de leur concours dans la circonstance actuelle. - Maître ; ils dirent en hébreu " Rabbi ", traitant en apparence Jésus-Christ comme l’un de leurs maîtres. Du reste, tout leur prélude vise à attirer la bienveillance du Seigneur : les disciples ne le cèdent en rien à leurs Docteurs en fait d’hypocrisie. " Ils commencent par la flatterie, dit Bossuet, car c’est par là que l’on commence toujours lorsqu’on veut tromper quelqu’un ". Ils relèvent donc avec affectation : 1° la parfaite orthodoxie de l’enseignement de Jésus, vous enseignez la voie de Dieu... La voie de Dieu c’est l’ensemble des préceptes voulus par lui et que l’homme doit suivre comme on suit un grand chemin ; 2° l’indépendance bien connue de celui qu’ils consultent : sans vous inquiéter de personne... ; il ne s’inquiète pas des hommes, de leurs faveurs, de leur disgrâce, du qu’en dira-t-on. (L’expression est élégante et classique) ; 3° son impartialité : vous ne regardez pas la condition des hommes... ; c’est l’hébraïsme si fréquent, favoriser quelqu’un aux dépens d’un autre.Matthieu chap. 22 verset 17. - Dis-nous ce que tu en penses : Est-il permis de payer le tribut à César ou non ?
- Dis-nous. La demande est habilement enveloppée dans le compliment : Nous avons toute confiance en vous, et vous le méritez ; daignez donc nous répondre avec votre liberté et votre droiture accoutumées, sur un point important qui concerne l’honneur de Jéhova et de son peuple privilégié. Ils ont l’air d’avoir discuté le point en question avec les Hérodiens, sans avoir pu tomber d’accord à son sujet. - Est-il permis de payer. Il est bon de nous souvenir de la situation politique des Juifs à cette époque. Directement soumis, du moins à Jérusalem et dans toute la Judée, à l’autorité romaine, dépouillés de leur autonomie à part quelques détails illusoires, forcés de payer le tribut à l’empereur, ils aimaient cependant à se bercer dans de folles idées d’indépendance : le peuple de l’Alliance pouvait-il donc être assujetti réellement à des infidèles ? De là des velléités de révolte qui se faisaient jour par quelques émeutes à l’occasion des grandes fêtes, et qui devaient aboutir bientôt à une ruine complète. Le parti pharisaïque tout entier, c’est-à-dire les hommes les plus instruits et en apparence les plus saints de la nation, s’agitaient sourdement contre la domination romaine, et spécialement contre les impôts qu’ils regardaient comme une honte pour les Juifs. - À César. Le prince régnant était alors Tibère ; mais ce nom servait depuis quelque temps déjà à désigner en général les empereurs romains. La question est maintenant très claire : Un Juif, peut-il, en conscience, d’après les principes théocratiques, payer le tribut à l’empereur ? ou bien, se rappelant qu’il n’a d’autre roi que Jéhova, contre lequel il se révolterait en reconnaissant l’autorité d’un prince terrestre, n’est-il pas tenu de se soustraire à l’exigence injuste de l’impôt ? Elle est présentée de telle sorte que Jésus, ce semble, pourra difficilement se tirer d’affaire par une échappatoire. Enfin tout en paraissant très particulière, elle est en réalité des plus vastes, puisque, en admettant la légitimité ou l’illégitimité du tribut, on se prononçait par là-même sur le caractère licite ou illicite de l’obéissance générale à l’empire.Matthieu chap. 22 verset 18. - Mais Jésus, connaissant leur malice, dit : Pourquoi me tentez-vous, hypocrites ?
- Avant de donner la solution désirée, Jésus fait d’abord voir à ses ennemis qu’il connaît à fond leur malice, et qu’il n’est pas dupe de leurs flatteries. - Connaissant leur malice. Dans le cas en effet où il eût décidé contre le tribut, ils étaient prêts à le livrer aussitôt entre les mains du gouverneur, ainsi que le dit formellement S. Luc, 20, 20 ; et c’était pour cela sans doute qu’ils avaient amené avec eux les Hérodiens, partisans avoués des Romains. Dans le cas contraire, ils se proposaient de le décrier auprès du peuple comme l’ennemi de la théocratie, et il eût été facile alors de changer en mépris et en haine les sentiments de cette multitude fanatique, qui attendait surtout le Messie parce qu’elle espérait être délivrée par lui du joug de Rome, et spécialement d’impôts qui pesaient lourdement sur la nation. - Pourquoi me tentez-vous ? Jésus fait tomber tout-à-fait le masque hypocrite dont ils s’étaient couverts : Pourquoi me tendez-vous la plus noire embûche sous les dehors de la simplicité, d’un faux amour pour la vérité ? Pourquoi voulez-vous me conduire, sous prétexte de religion, sur le terrain brûlant de la politique ?Matthieu chap. 22 verset 19. - Montrez-moi la monnaie du tribut. Et ils lui présentèrent un denier.
- Après leur avoir montré qu’il connaît tout ce qui se passe dans leurs cœurs, il répond, mais d’une manière bien inattendue, à la question qu’ils lui ont posée. Ils se troublent et pâlissent sous son regard accusateur ; mais sans leur faire d’autre reproche, il leur demande, avec un calme majestueux et divin, la monnaie du tribut, une des pièces de monnaie dont ils se servaient pour payer le tribut à l’empereur. - Un denier : on lui présente un denier romain ; voir Matth. 18, 38 et le commentaire.Matthieu chap. 22 verset 20. - Et Jésus leur dit : De qui est cette image et cette inscription ?
- Le divin Maître poursuit son interrogatoire, changeant ainsi les rôles, comme il se plaisait à le faire dans toutes les occasions semblables. Plaçant le denier en face de ses interlocuteurs, il leur demande : De qui est cette image... ? En écrivant ces lignes, nous avons sous les yeux un denier d’argent frappé durant le règne de Tibère : comme nos monnaies modernes, il porte à l’avers la tête (" imago ") du monarque, autour de laquelle on lit la légende (" superscriptio ") suivante : AUGUSTUS TIB. CÆSAR. L’usage de graver l’effigie des princes sur les monnaies de Rome ne remonte qu’à César. Auguste l’adopta, et ce fut depuis une règle définitive. Parfois les légendes, au lieu de se dérouler en cercle autour de l’image, étaient écrites au-dessous sur deux ou trois lignes parallèles.Matthieu chap. 22 verset 21. - Ils lui dirent : De César. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
- De César. L’effigie est celle de l’empereur et la légende contient son nom, répondent les étudiants auxquels Jésus fait si bien la leçon. - Rendez donc. Prenant alors cette assertion pour point de départ, le divin Maître prononce l’une de ses sentences les plus profondes, les plus riches en heureuses conséquences, si elle n’eût jamais été oubliée dans la pratique. - A César ce qui est à César. C’est la première partie de la décision : elle répond directement au cas de conscience du v. 17, et règle les devoirs de l’homme, du chrétien surtout, à l’égard de la puissance civile. Si cette image, si cette devise sont celles de César, le denier qui les porte appartient à l’empereur : les hommes qui ont actuellement ce denier entre les mains, qui l’emploient sans scrupule dans leurs contrats d’achat et de vente, montrent par là-même qu’ils agissent sous l’autorité de César, qu’ils sont ses vassaux ; si César leur redemande sa propriété en forme d’impôts et de tribut, ils ne doivent pas hésiter à obéir. Le raisonnement est parfait et les Juifs eux-mêmes en admettaient la force probante : " En tout lieu où la monnaie d'un roi est en vigueur, les habitants reconnaissent ce roi comme leur maître ". Ce langage est du grave Maimonides, tr. Gezelah, c.v. - Toutefois, l’enseignement qui est encore plus important : Et à Dieu ce qui est à Dieu. Ces mots règlent la conduite de l’homme, du chrétien, envers Dieu. Ils montrent qu’au-dessus des autorités de la terre, il y a l’autorité divine, à laquelle nous devons aussi le respect, l’obéissance et l’amour (" Donne à César ton argent, et à Dieu ta personne ", dit vigoureusement Tertullien, de Idol. 15) ; que ces deux autorités, l’humaine et la divine, ne sont nullement incompatibles, mais qu’elles peuvent exister de concert pour le bonheur de l’humanité. Ils renferment en outre les gouvernements dans de justes bornes, qu’ils ne sauraient outrepasser sans impiété, et ils leur enseignent le grand principe de la vraie politique : respecter, s’ils veulent être respectés eux-mêmes, les droits sacrés de la religion et de la conscience ; s’allier à Dieu, c’est-à-dire à l’Église, pour empêcher le mal, pour propager la vérité, pour procurer le bien matériel, intellectuel et surtout moral des peuples. Mais où est aujourd’hui la politique chrétienne, basée sur cette parole d’or du Sauveur Jésus ?Matthieu chap. 22 verset 22. - Ayant entendu cela, ils furent dans l’admiration et le laissant, ils s’en allèrent.
- Toute l’assistance est émerveillée ; les tentateurs eux-mêmes, car ce sont eux qui semblent directement désignés, ne peuvent s’empêcher, malgré leurs dispositions hostiles et malgré leur échec, d’admirer la sagesse de Jésus. Toutefois, ils se retirent silencieux. Quelle réplique pouvaient-ils adresser au Sauveur ? - Cet épisode était trop caractéristique pour que les meilleurs peintres n’essayassent pas de la reproduire sur la toile. Valentin, et surtout Titien, se sont rendus célèbres l’un par son " Denier de César ", l’autre par son " Christo della moneta ".
23
Ce même jour, les Sadducéens, qui disent qu’il n’y a pas de résurrection, s’approchèrent de lui et l’interrogèrent, 24en disant : Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfant, son frère épousera sa femme et suscitera une postérité à son frère. 25Or il y avait parmi nous sept frères. Le premier, ayant épousé une femme, mourut ; et n’ayant pas eu de postérité, il laissa sa femme à son frère. 26Il en fut de même du second, et du troisième, jusqu’au septième. 27Enfin, après eux tous, la femme mourut aussi. 28A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme, puisque tous l’ont eue ? 29Jésus leur répondit : Vous êtes dans l’erreur, ne comprenant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. 30Car, à la résurrection, les hommes ne prendront pas de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. 31Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : 32Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. 33Et les foules, entendant cela, étaient dans l’admiration de sa doctrine.Matthieu chap. 22 verset 23. - Ce même jour, les sadducéens, qui disent qu’il n’y a pas de résurrection, s’approchèrent de lui et l’interrogèrent.
- Ce même jour, c’est-à-dire le surlendemain de l’entrée triomphale, Cf. Marc. 11, 11, 12, 20, 27 ; 12, 18, par conséquent le mardi saint. Bossuet, Méditations, Dern. semaine, 40è jour, l’appelle " le jour des interrogations " ; mais c’est aussi, ajoute-t-il, " le jour des résolutions les plus admirables que la sagesse incarnée ait données aux hommes ". - Les Sadducéens : nous avons déterminé autrefois, note du chap. 3, v. 7, le caractère général de cette secte, qui n’était guère moins célèbre alors que celle des Pharisiens. L’évangéliste fait ici au sujet des Sadducéens une déclaration bien surprenante : qui disent qu'il n'y a pas de résurrection. Comment des Juifs, et des Juifs qui appartenaient en grand nombre à la race sacerdotale et lévitique, pouvaient-ils nier un dogme si important de la religion judaïque ? Mais le fait de cette négation est aussi avéré que possible. Non seulement les deux autres synoptiques l’attestent comme S. Matthieu, Cf. Marc. 12, 18 ; Luc. 20, 27, non seulement le livre des Actes le mentionne à son tour, Cf. 23, 6 et suiv., et rattache au matérialisme sadducéen l’une des scènes les plus intéressantes de la vie de S. Paul ; mais des écrits exclusivement juifs le confirment dans les termes les plus expressifs. " Les Pharisiens, dit l’historien Josèphe, Ant. 18, 1, 3-4, croient que les âmes possèdent une force immortelle et qu’il y a des récompenses ou des châtiments pour ceux qui, pendant leur vie, ont pratiqué la vertu ou le vice... Les Sadducéens au contraire sont d’avis que l’âme disparaît avec le corps ". Dans le traité Aboth de de Rabbi Nathan, c. 5 ; Cf. Geiger, Usrschrift, p. 105, nous lisons le trait suivant qui est un vivant commentaire du passage de Josèphe : " Les Sadducéens se servent toujours de vases en or et en argent ; non pas par fierté, mais en tenant ce propos : C’est comme une tradition entre les Pharisiens de se tourmenter dans cette vie, et cependant ils n’auront rien dans l’autre monde ". Le traité Tanchum, fol. 3, n'est pas moins formel : " Les Sadducéens niaient et disaient : le nuage s’estompe et disparaît. De la même façon, après être descendu dans le sépulcre, on ne revient pas ". Donc, anéantissement de l’âme au moment de la mort, point de vie future, point de résurrection des corps, telles étaient les affirmations hérétiques des Sadducéens. - L'interrogèrent : d’une manière hostile, bien entendu, ainsi qu’il résulte du contexte. Quoique ennemis des Pharisiens, les Sadducéens faisaient cependant cause commune avec eux lorsqu’il s’agissait de ruiner Jésus et sa doctrine ; Cf. 12, 38 ; 16, 1, 6, 11 ; 22, 23, 34 ; Act. 4, 1 ; 5, 17, etc. Néanmoins, leur haine semble avoir connu quelques mesures jusqu’à la Passion du Sauveur.Matthieu chap. 22 verset 24. - En disant : Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfant, son frère épousera sa femme et suscitera une postérité à son frère.
- Comme les disciples des Pharisiens, ils proposent un cas de conscience à Jésus, cas habilement choisi, basé sur la Loi mosaïque, et bien capable d’embarrasser tout autre casuiste que Notre-Seigneur. - Maître ; eux aussi, ils donnent d’abord poliment à leur antagoniste le titre de Rabbi. - Moïse a dit. L’autorité qu’ils mettent en avant n’est autre que celle du grand Législateur lui-même, qui, au Deutéronome, 25, 5 et 6, établit en effet la loi dont il s’agit : " Quand des frères habiteront ensemble et que l’un d’eux sera mort sans enfants, la femme du défunt ne contractera pas de mariage avec un étranger ; mais un frère de son premier mari l’épousera pour susciter une postérité à son frère, et au premier-né qu’il aura d’elle il donnera le nom du défunt, de crainte que son nom ne périsse en Israël ". On voit par ce texte que la citation des Sadducéens est exacte pour le sens, quoique elle soit libre quant à la forme. Cette prescription, qui du reste n’était point particulière aux Juifs, mais qu’on retrouve également chez plusieurs anciens peuples, tels que les Perses, les Egyptiens, les Hindous, et aujourd’hui encore chez les Gallas et les Circassiens, Cf. de Wette, Archæologie, 3è édit. § 157, est connue sous le nom de Loi du Lévirat, c’est-à-dire Loi du mariage avec les beaux-frères. Elle avait pour but de maintenir la branche aînée de chaque famille, et d’empêcher une trop grande aliénation des biens. Elle n’était pas limitée aux frères du mari mort sans enfants ; elle s’étendait aux proches parents, comme nous l’apprend le Livre de Ruth, 3, 9-13. Elle n’était pas strictement obligatoire ; mais celui qui refusait de s’y soumettre encourait une sorte d’infamie, manifestée par une cérémonie humiliante. Cf. Deut. 25, 7-10 ; Ruth. 4, 1-11. On trouvera du reste des explications complètes sur cette Loi dans les manuels d’archéologie biblique, spécialement dans Saalschütz, das Mosaische Recht, p. 754-764, 2è édit.. ; Keil, Bibl. Archæolog. t. 2, p. 62 et ss. Voir aussi le Dictionn. encyclopéd. de la Théologie cath. publié par Weizer et Welte, traduit par Goschler, art. Lévirat. - Sans enfant. Dans le texte latin : " filium " , mais il n’est pas nécessaire de prendre le mot " fils " à la lettre ; il a ici la signification générale d’enfant. C’est ainsi du reste que la plupart des versions anciennes ont traduit l’hébreu dans le texte même de la Loi, Deut. 25, 5 (Vulg. " absque liberis ") ; c’est ainsi que les Rabbins et les commentateurs chrétiens l’ont expliqué pour la plupart. Du reste, dans les récits originaux de S. Marc, 12, 19, et de S. Luc, 20, 28, les Sadducéens emploient eux-mêmes cette expression vague. Il ressort en effet d’autres prescriptions mosaïques que le mariage du Lévirat ne pouvait pas avoir lieu si le défunt avait laissé au moins une fille ; Cf. Num. 27, 8 ; Keil, loc. cit., p. 65, note 3. - Son frère épousera sa femme. Dans le texte grec, le verbe, formé de beau-frère, signifie épouser en qualité de beau-frère ; il désigne donc très bien la nature du mariage en question. - Et suscitera une postérité à son frère. Le premier fruit de cette nouvelle union recevait le nom du frère défunt, comme s’il eût été issu directement de lui ; il était constitué son héritier. De là venait la distinction établie chez les Juifs entre la paternité naturelle et la paternité légale, que nous avons signalée à l’occasion de la généalogie de Notre-Seigneur Jésus-Christ.Matthieu chap. 22 verset 25. - Or il y avait parmi nous sept frères. Le premier, ayant épousé une femme, mourut ; et n’ayant pas eu de postérité, il laissa sa femme à son frère.
- Après le texte qui servira de point de départ à l’objection des Sadducéens, voici un trait emprunté, semblent-ils dire, au domaine de la vie réelle et qui n’a rien d’impossible en soi, bien qu’il dût plus vraisemblablement avoir été inventé par eux pour la circonstance, S. Jean Chrys. Hom. 70 in Matth. Le cas est présenté avec beaucoup d’esprit et d’ironie, de manière à jeter du ridicule sur l’état futur des ressuscités.Matthieu chap. 22 versets 26 et 27. - Il en fut de même du second, et du troisième, jusqu’au septième. 27Enfin, après eux tous, la femme mourut aussi.
- Jusqu'au septième : c’est-à-dire, jusqu’à ce que les sept frères eussent contracté à tour de rôle cette singulière union, et trouvé la mort peu de temps après. - La femme meurt elle-même la dernière, et c’est alors que, selon les Sadducéens, la situation se complique d’une manière étrange.Matthieu chap. 22 verset 28. - A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme, puisque tous l’ont eue ?
- A la résurrection, dans l’état de résurrection, après la résurrection. - Duquel des sept... ? Quand la femme et ses sept maris consécutifs se retrouveront dans un autre monde, auquel des sept appartiendra-t-elle ? Ils appuient avec emphase sur ce chiffre, pour mieux faire ressortir la difficulté. Quand même il n’y aurait eu que deux mariages; la question se poserait de la même manière ; mais en les multipliant outre mesure, les Sadducéens ont réussi à rendre l’objection plus piquante. La loi existe, veulent-ils dire, et c’est Moïse qui l’a établie ; elle est donc légitime, immuable. Mais voyez à quelles conséquences absurdes elle vous conduit, si vous admettez le dogme de la résurrection : un pareil dogme est donc évidemment inadmissible. - Tous l'ont eue. Ils insistent pour prouver que les sept maris avaient des droits égaux sur la femme, à laquelle ils avaient tous été semblablement unis sur la terre. Divers Rabbins, après avoir discuté un cas semblable quoique moins compliqué, avaient néanmoins décidé que la femme appartiendrait dans le ciel au premier mari. " La femme qui a épousé deux maris en ce monde sera rendue au premier mari dans le monde futur ", Sohar Gen. f. 24, 96. Sur ces Rabbins comme sur les Sadducéens tombe le reproche suivant de Jésus.Matthieu chap. 22 verset 29. - Jésus leur répondit : Vous êtes dans l’erreur, ne comprenant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu.
- Jésus leur répondit. On ne sait qu’admirer le plus, de la patience ou de la sagesse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans la réponse qu’il fait aux Sadducéens. Il n’y a rien de rebutant dans les paroles qu’il leur adresse : ce sont de malheureux égarés, gravement coupables sans doute, mais qui du moins se montrent tels qu’ils sont et qui ne cherchent pas, comme les Pharisiens, à se couvrir d’un masque hypocrite. A eux aussi toutefois le Sauveur dira franchement leurs vérités. - Dans l'erreur, s’écrie-t-il d’abord : leur refus de croire à la résurrection les établissait en effet, non seulement dans un état d’erreur, mais encore dans un état de véritable hérésie. Jésus leur indique ensuite les deux motifs pour lesquels ils se trompent d’une manière si grossière sur le point en litige : 1° Ne comprenant ni les Écritures, ils ignorent les Saintes Écritures dans lesquelles la doctrine de la résurrection est si clairement affirmée ; 2° Ni la puissance de Dieu, ils ignorent la puissance de Dieu, devant laquelle tous les obstacles disparaissent.Matthieu chap. 22 verset 30. - Car, à la résurrection, les hommes ne prendront pas de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel.
- Dans ce verset, Jésus prouve d’abord aux Sadducéens qu’ils ignorent la grandeur de la puissance divine. Ils la croient limitée, ils supposent qu’au ciel les relations et les conditions de la vie présente doivent nécessairement exister, sans que Dieu puisse rien modifier. C’est une erreur grossière. Dieu n’est-il pas tout-puissant et celui qui a créé notre nature n’est-il pas capable de la transformer à son gré ? Et c’est précisément ce qu’il fera dans l’autre vie, après la résurrection générale. Avec une nouvelle naissance Dieu donnera à nos corps de nouvelles qualités : aussi, pour conserver un peuple dont tous les membres seront immortels, il n’ y aura besoin ni de mariage, ni de génération. Donc l’objection des Sadducéens tombe complètement à faux. " Dans le monde futur, dit aussi le Talmud, Berachoth f. 17, il ne sera pas nécessaire de manger, ni de boire, ni de se multiplier par le mariage, ni d'acheter ou de vendre… mais les justes siégeront, leurs couronnes sur la tête, et ils jouiront de la splendeur de Dieu ". - On n'épousera... est dit des hommes, qui ont un rôle plus actif dans le choix d’une épouse ; ni on ne sera épousé est dit des femmes qui n’avaient alors au contraire qu’un rôle passif, leurs parents choisissant ou acceptant pour elles celui qui devait être le compagnon de leur vie. - Ils seront comme les anges. L’état des ressuscités ne ressemblera point à tous égards à celui des anges ; mais leur nature deviendra sous plus d’un rapport, et spécialement pour ce qui concerne le mariage et les infirmités des sens, conforme à la nature angélique. C’est ce que l’Apôtre S. Paul développe dans un admirable langage, 1 Cor. 15, 42-44 : " Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Ce qui est semé périssable ressuscite impérissable ; ce qui est semé sans honneur ressuscite dans la gloire ; ce qui est semé faible ressuscite dans la puissance ; ce qui est semé corps physique ressuscite corps spirituel ; car s’il existe un corps physique, il existe aussi un corps spirituel ". Remarquons bien que les Sadducéens niaient l’existence des anges, Cf. Act. 23, 8 ; mais le Sauveur ne redoute pas leurs négations et il est prêt à les satisfaire sur ce point comme sur celui de la résurrection ; voilà pourquoi il introduit cette idée secondaire.Matthieu chap. 22 verset 31. - Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit...
- Jésus passe maintenant à l’autre cause d’erreur qu’il avait alléguée au début de sa réponse, v. 29, et il prouve à ses adversaires qu’ils ne connaissent certainement pas les divines Écritures, car autrement ils auraient été frappés depuis longtemps des textes nombreux qu’elles contiennent en faveur de la doctrine de la résurrection. - Ce que Dieu... Parmi tous ces textes, celui que Notre-Seigneur choisit, emprunté comme l’on sait au livre de l’Exode, 3, 6, n’est certainement pas le plus fort, du moins à première vue. Isaïe 26, 19, Ézéchiel, 37, 1-14, Daniel, 12, 2, affirment en termes plus énergiques la résurrection future ; mais les Sadducéens ont appuyé leur objection sur la Loi, c’est par un passage de la Loi que le divin Maître leur répondra. Il en appelle aux livres de Moïse, bien plus, à la parole même de Dieu, comme à une autorité suprême qu’ils ne pourront ni récuser, ni interpréter d’une manière allégorique, ainsi qu’ils semblent avoir fait souvent pour les passages des écrits prophétiques directement opposés à leurs erreurs. D’ailleurs, les Rabbins citent pareillement ce même texte pour démontrer l’immortalité de l’âme et la Résurrection ; Cf. Lightfoot, Hor. hebr. in h. l. Schœttgen, ibid. - Vous a dit : c’est pour vous-mêmes que le Seigneur parlait dans cette circonstance solennelle, il réfutait ainsi d’avance votre hérésie abominable.Matthieu chap. 22 verset 32. - Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
- Il faut observer que c’est longtemps après la mort d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que Jéhova se nomme le Dieu de ces trois grands patriarches, fondateurs de la nation choisie. De là le raisonnement que Notre-Seigneur Jésus-Christ fait ensuite sur cette dénomination que Dieu avait daigné s’imposer lui-même, afin de manifester ainsi son amour pour les ancêtres d’Israël. - Dieu n'est pas le Dieu des morts... Profonde réflexion qui forme la mineure du syllogisme employé par Jésus. La conclusion n’est pas exprimée parce qu’elle est tout à fait évidente : Donc Abraham et Isaac et Jacob sont vivants ; donc les morts ressusciteront. R. Manasse Ben-Israel, dans son curieux ouvrage " de Resurrectione mortuorum ", dont le premier livre est dirigé contre les Sadducéens, argumente absolument de la même manière que Jésus : " Quand le Seigneur apparut pour la première fois à Moïse, on lit qu’il a dit : Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, qui étant morts ne sont plus, mais des vivants, parce que les vivants existent. Le patriarche a donc raison de déduire de ce texte que les âmes vivent ", Pars. 1, c. 10, 6. Mais Jésus a-t-il bien prouvé ce qu’il fallait ? De son argumentation ne résulte-t-il pas simplement que l’âme est immortelle ? Toutefois l’admiration de la foule d’une part, v. 33, de l’autre le silence des Sadducéens qui s’avouent par là-même vaincus, v. 35, démontrent que la réponse de Jésus est tombée juste et que son raisonnement était irréfutable. D’après la théologie judaïque le dogme de la résurrection des corps et celui de l’immortalité de l’âme sont en effet intimement unis : si les Saints Livres proclament l’existence d’une vie éternelle pour l’homme, ce doit être pour l’homme tout entier, tel qu’il fut créé par Dieu à l’origine, tel qu’il apparaît sur cette terre. Or, sans la résurrection des corps, l’homme serait imparfait, incomplet. Nous serons donc rétablis dans notre état primitif et l’âme rejoindra le corps pour n’en être jamais séparée. Du reste, les Sadducéens ne rejetaient précisément la résurrection future, que parce qu’ils refusaient d’admettre la continuation de l’existence individuelle après la mort. Pour les confondre, il suffisait d’établir que la vie personnelle n’est pas détruite par la mort, ni plongée dans ce grand tout qu’ils appelaient l’âme de Dieu. Cf. Langen. das Judenthum in Palæstina zur Zeit Christi, Fribourg, 1867, p. 347.Matthieu chap. 22 verset 33. - Et les foules, entendant cela, étaient dans l’admiration de sa doctrine.
- Ce verset décrit l’effet produit par le nouveau triomphe de Jésus. - Les foules : la foule nombreuse qui assistait à cette scène, Cf. 21, 23, est au comble de l’enthousiasme et de l’admiration. On s’était pourtant proposé de diminuer l’autorité, le prestige du divin Maître auprès du peuple ; mais c’est le contraire qui a lieu, et ce sont ses adversaires qui sont confondus. D’après S. Luc, 20, 39, des Docteurs de la Loi, présents à l’entretien, ne purent contenir leur ravissement et ils s’écrièrent : Maître vous avez bien dit. " Joignons-nous à ces Docteurs... Mais ce n’est pas de vains applaudissements que Jésus cherche. S’il a bien dit, profitons de sa doctrine. Vivons comme devant éternellement vivre : ne vivons pas comme devant mourir, pour terminer tous nos soins à cette vie... Vivons pour Dieu, aimons-le de tout notre cœur : c’est ce qu’il va nous enseigner dans la lecture suivante ", Bossuet, Médit. Dern. Semaine, 41è jour.
34
Mais les pharisiens, ayant appris qu’il avait réduit les sadducéens au silence, se rassemblèrent ; 35et l’un d’eux, docteur de la loi, lui fit cette question pour le tenter : 36Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? 37Jésus lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. 38C’est là le plus grand et le premier commandement. 39Mais le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40Dans ces deux commandements sont renfermés la loi et les prophètes.Matthieu chap. 22 verset 34. - Mais les pharisiens, ayant appris qu’il avait réduit les sadducéens au silence, se rassemblèrent.
- L’évangéliste indique d’abord l’occasion de cette nouvelle entrée en lutte des Pharisiens. Honteusement défaits peu d’instants auparavant dans la personne de leurs disciples, Cf. v. 15 et suivants, ils apprennent tout à coup, et non sans un malin plaisir, que le parti sadducéen vient d’éprouver à son tour un échec complet. Quelle gloire et quelle joie pour eux, s’ils pouvaient, en face d’une aussi nombreuse assistance, prendre dans un piège habilement tendu ce Jésus qui venait de battre leurs adversaires ! Ils remporteraient de la sorte une double victoire. Stimulés par cette pensée, ils reviennent aussitôt à la charge, espérant être plus heureux que par le passé. - Il avait réduit les sadducéens au silence : le texte grec emploie de nouveau l’expression pittoresque et très énergique qui signifie proprement museler, bâillonner ; au figuré, imposer silence. - Se rassemblèrent : en grec, selon toute vraisemblance, " en un même lieu " ; Cf. Act. 2, 1. Le sens serait au contraire d’après Kuinœl et plusieurs autres commentateurs : " conspirant de même dans un même but ".Matthieu chap. 22 verset 35. - Et l’un d’eux, docteur de la loi, lui fit cette question pour le tenter
- Ce Scribe sert de porte-parole aux Pharisiens : on l’a chargé, à cause de son habileté, d’adresser à Jésus la question captieuse qui compromettra l’ennemi commun du parti. - Pour le tenter : ici comme en plusieurs autres endroits, l’évangéliste emploie cette formule pour mettre en relief les mauvaises dispositions des interlocuteurs de Jésus. Le cas de conscience posé par le Docteur dans la circonstance présente semble tout d’abord très innocent ; mais il était dans son origine et dans son but, le fruit d’une odieuse perversité, et c’est ce que veut faire remarquer S. Matthieu.Matthieu chap. 22 verset 36. - Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? -
La loi juive comptait, au dire des Rabbins, 613 préceptes. Or, quand on a devant soi un nombre si considérable de commandements, il est assez naturel de se demander quels sont ceux qui obligent plus ou moins. Telle était la pensée de R. Simlaï : " Si Moïse nous a prescrit 365 lois négatives et 248 lois positives (on avait remarqué que le nombre des premières équivaut aux jour de l’année commune, celui des secondes à la totalité des membres du corps humain !), assurément tous ces préceptes ne sauraient être également importants, ni toutes les transgressions également coupables. Quels sont donc les commandements importants et quelles sont les lois les moins urgentes ? " Traité Makkoth. Grande discussion à ce sujet dans les écrits talmudiques : il n’est pas tellement aisé de déterminer les " præcepta gravia et les " præcepta levia " ! Ne pouvant s’accorder pour le détail, les Rabbins finirent par décider que Dieu n’avait pas marqué ses commandements au point de vue de leur importance, afin que l’homme fût excité par là-même à n’en négliger aucun ; Cf. Debarim R. 4, ad Deut. 22, 6. Et voici qu’on veut embarrasser Notre-Seigneur en lui posant cette question à laquelle personne n’avait pu répondre ! - Le plus grand, grand d’une manière absolue, par conséquent " le premier de tous les commandements ", ainsi que nous lisons dans S. Marc, 12, 28. Quel est donc le premier commandement de la Thora, celui sur lequel elle repose comme sur une base inébranlable ?Matthieu chap. 22 verset 37. - Jésus lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit.
- Jésus cite librement, d’après la traduction des Septante un verset bien connu du Deutéronome, 6, 5, dans lequel, au moyen de synonymes accumulés à la façon orientale, l’amour de Dieu par-dessus tout est énergiquement inculqué. " On trouve en abondance la loi contenue dans cette parole continuellement répétée. Il agit ainsi pour montrer que l’homme doit brûler pour Dieu d’un si grand amour qu’il ne permette à aucune faculté de son âme de laisser quoi que ce soit exclure, diminuer ou transférer à une créature l’amour qu’il porte à son Dieu", Victor d'Antioche, Maxima Biblioth. Vet. Patr. t. 4. " Le souverain bien, que l’on dit aussi être le meilleur et le plus grand, personne ne doute qu’on doive l’aimer. Mais on ne doit rien aimer plus que lui. Voilà ce que signifient et qu’expriment les paroles suivantes : de toute son âme, de tout son cœur, et tout son esprit ", S. August. De Mor. Eccles. Lib. 1 cap. 12. On a souvent cherché à préciser le sens exact et la différence de ces trois expressions, de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit ; mais les exégètes qui ont tenté ce travail difficile n'ont guère abouti qu'à se contredire les uns les autres, sans pouvoir rien affirmer de clair et de certain. Le précepte, tel qu’il est exprimé, revient donc à ces mots de S. Bernard : " La mesure d’aimer Dieu c’est d’aimer sans mesure. "Matthieu chap. 22 verset 38. - C’est là le plus grand et le premier commandement.
- Après avoir rappelé à ses auditeurs ce commandement de la Loi, Jésus le qualifie et affirme qu’il n’y en a pas d’autre qui lui soit supérieur : il les prime tous et de beaucoup. Qui oserait le nier ? - Voilà la réponse qu’on demandait au Sauveur : il la rend aussi précise, aussi catégorique que possible, et montre à ces esprits étroits, à ces cœurs sans amour, quel est tout à la fois le principe et la fin, l’origine et le terme de la Loi et de la religion : c’est la charité pour Dieu. Qu’ils s’attachent donc vraiment à lui au lieu de se perdre dans mille détails mesquins qui les distraient.Matthieu chap. 22 verset 39. - Mais le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
- Toutefois le Sauveur, désireux d’instruire même ses ennemis, dépasse dans ses explications le but qu’ils lui ont fixé. " Interrogé sur le seul premier commandement, il ne pensa pas pouvoir taire le second, parce que le premier ne peut pas exister véritablement sans l’autre ", Victor d’Antioche. – Le second lui est semblable. Ce second commandement est semblable au premier, c’est-à-dire de même nature que lui : tel est le sens de l’adjectif. - Le texte Tu aimeras ton prochain... en est emprunté au Lévitique, 19, 18. Tout y est parfaitement clair : prochain désigne tous les hommes sans exception ; comme toi-même indique le mode et le degré de notre affection pour nos frères.Matthieu chap. 22 verset 40. - Dans ces deux commandements sont renfermés la loi et les prophètes.
- Jésus conclut maintenant sa réponse par un trait général, qui montre le rôle que jouent, relativement à la Loi tout entière, les deux grands préceptes qu’il vient de signaler. - Ces deux commandements, avec emphase. - Sont renfermés ; en grec : sont suspendus : belle figure qui fait du double commandement d’amour le point d’appui de toute la législation théocratique. (Nous avons dit précédemment, Cf. 5, 17 et le commentaire, que l’expression la Loi et les Prophètes désignait chez les Juifs l’ensemble des préceptes révélés). La loi est ainsi ramenée par Jésus à ses deux principes généraux, à deux prescriptions universelles qui comprennent tout le reste et qui embrassent, sans en excepter un seul, la multitude sans nombre de nos devoirs soit envers Dieu, soit envers nos semblables. Le Décalogue, ce divin résumé de la Loi morale et religieuse, est lui-même condensé dans ces deux prescriptions, puisque l’ordre d’aimer Dieu renferme la première table, tandis que l’ordre d’aimer le prochain s’étend à la seconde. S. Paul avait donc raison de dire Rom. 13, 10, que l’amour est la plénitude de la Loi. En effet, écrit S. Grégoire-le-Grand, Hom. 27 in Matth., " Ce qui est commandé ne se solidifie que par la seule charité. Car de même que les nombreux rameaux d’un arbre poussent d’une seule racine, les nombreuses vertus ne tirent leur origine que de la seule charité. Et le rameau d’une bonne œuvre ne garde quelque verdeur que s’il demeure dans la racine de la charité ".
41
Les pharisiens étant rassemblés, Jésus les interrogea, 42en disant : Que vous semble-t-il au sujet du Christ ? De qui est-il fils ? Ils lui répondirent : de David. 43Il leur dit : Comment donc David, inspiré par l’Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur, en disant : 44Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis l’escabeau de tes pieds ? 45Si donc David l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? 46Et personne ne pouvait rien lui répondre, et, depuis ce jour, nul n’osa plus lui proposer des questions.Matthieu chap. 22 verset 41. - Les pharisiens étant rassemblés, Jésus les interrogea.
- " Après avoir répondu, lui-même les interroge aussi ", S. Jean Chrys. Hom 71. Après être sorti victorieux du quadruple interrogatoire que ses ennemis lui avaient fait subir, Jésus leur pose à son tour une question embarrassante, pour achever ainsi leur défaite.Matthieu chap. 22 verset 42. - En disant : Que vous semble-t-il au sujet du Christ ? De qui est-il fils ? Ils lui répondirent : de David.
- Que vous semble-t-il... Cette demande générale sert d’introduction : elle est aussitôt précisée par les mots : De qui est-il fils ? - La réponse était des plus faciles : toutes les prophéties inspirées ne disent-elles pas avec la plus grande netteté que le Christ doit être le rejeton de David selon la chair ? Cf. 2 Reg. 7, 12 ; 28, 1-6 ; Is. 11, 1 etc. ; Matth. 1, 1 et le commentaire.Matthieu chap. 22 verset 43. - Il leur dit : Comment donc David, inspiré par l’Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur, en disant...
- Jésus fait une objection aux Pharisiens. Ils ont dit que le Messie doit être fils de David et ils ont bien dit ; mais, cela posé, comment se fait-il que David appelle le Messie son Seigneur dans un passage célèbre des Psaumes, écrit inspiré par l'Esprit, c’est-à-dire par l'Esprit-Saint, Marc. 12, 36, d’après une inspiration venue directement du ciel ? Ainsi que l’observe Mgr Mac Evilly, Philippe de Macédoine aurait-t-il jamais donné à son fils, Alexandre-le-Grand, le titre de Monseigneur ? Les mots inspiré par l'Esprit contiennent une preuve très forte en faveur du dogme de l’inspiration des Saintes Écritures.Matthieu chap. 22 verset 44. - Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis l’escabeau de tes pieds.
- Le Sauveur cite maintenant le texte auquel il vient de faire allusion ; c’est le premier verset du Ps. 109, (Hébr. 110). - Le Seigneur a dit, en hébreu Jéhova ; Dieu par conséquent. - À mon Seigneur, en hébreu Ladôni, à mon Seigneur, c’est-à-dire au Christ, d’après l’interprétation constante des exégètes catholiques, juifs et protestants ; Cf. Hengstenberg, Christologie des Alt. Testam. 1, p. 139 et suiv., et surtout d’après l’interprétation authentique et divine de Jésus. C’est sur ce titre que repose toute la démonstration : il désigne nécessairement un être supérieur, puisque un roi aussi puissant que David se croit obligé de le donner au personnage dont il chante la grandeur dans ce Psaume. La suite de la citation rehausse encore la force du mot Ladôni, car elle prouve que le prophète royal ne pouvait avoir en vue qu’un héros vraiment divin. - Assieds-toi à ma droite ; Cf. 20, 21. Jéhova place son Christ, le Seigneur de David, à sa propre droite dans le Ciel : au jour de l’Ascension, l’humanité sainte de Jésus reçut en effet cette place d’honneur. - Jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis... A la fin du monde seulement les ennemis du Messie lui auront été soumis d’une manière absolue ; est-ce à dire qu’alors il cessera de siéger à la droite de Jéhova ? Tout au contraire, son règne parfait n’existera qu’à partir de cet instant. La conjonction " jusqu'à " n’a donc pas ici un sens exclusif, Cf. 1, 25 et l’explication : elle entr’ouvre plutôt le domaine de l’éternité. - L'escabeau de tes pieds : image d’une entière soumission, de l’humiliation la plus complète.Matthieu chap. 22 verset 45. - Si donc David l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ?
- Raisonnement sur le texte, pour mieux faire ressortir la difficulté proposée plus haut, v. 43. Comment le Messie peut-il être tout à la fois le fils et le Seigneur de David ? N’est-ce pas là une étrange situation, qu’il suffit de signaler pour en démontrer l’impossibilité ? Lactance, 4, 12, tire une conclusion semblable : " David, qui était roi, aurait-il pu appeler son seigneur un autre que le Christ et que le Fils de Dieu, qui est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ? ". On devine aisément le but que se proposait Notre-Seigneur en adressant une pareille question aux Pharisiens. " Il voulait par là leur faire lever les yeux à une plus haute naissance selon laquelle il n’est pas fils de David, mais Fils unique de Dieu ; et ils n’avaient qu’à continuer le Psaume pour trouver cette naissance éternelle, puisque Dieu même parle ainsi dans la suite : Je vous ai engendré de mon sein devant l’aurore, dans les splendeurs des saints ". Bossuet, Médit. dern. semaine, 52è jour. Nous avons par conséquent dans ce passage une preuve des plus convaincantes en faveur de la divinité de Jésus-Christ : il est Dieu et homme tout ensemble ; il est Dieu, bien qu’il soit le Fils de David selon la chair.Matthieu chap. 22 verset 46. - Et personne ne pouvait rien lui répondre, et, depuis ce jour, nul n’osa plus lui proposer des questions.
- Les orgueilleux Pharisiens sont de nouveau réduits au silence en face de tout le peuple, et, ce qui était plus humiliant, sur un point essentiel de la religion mosaïque, sur la nature du Messie ! Un autre Psaume, 2, 7, Isaïe, 9, 6, Michée, 5, 2, n’avaient-ils donc pas affirmé la filiation divine du Christ ? Mais ils ne savent pas, ou du moins ils ne veulent pas savoir. - Nul n'osa plus... Battus sur toute la ligne, sans espoir de pouvoir remporter l’avantage sur un adversaire qui leur est si visiblement supérieur en sagesse, les Sanhédristes, les Hérodiens, les Pharisiens et les Sadducéens renoncent à rentrer en lice avec Jésus. " Depuis ce temps ils se tinrent dans le silence; qui à la vérité n'était pas un silence volontaire, mais forcé ; parce qu'ils n'avaient plus rien à lui dire. Ses réponses précédentes les avaient tant abattus, qu'il ne pouvaient plus résister", S. Jean Chrys. Hom. 71. S’ils osent désormais attaquer Jésus, ce sera par la violence, entourés de soldats bien armés, Cf. 26, 47.Réquisitoire de Jésus contre les Scribes et les Pharisiens. - Il faut respecter les Docteurs de la Loi en tant qu'ils représentent l'autorité légitime ; mais il ne faut pas imiter leur conduite privée, vv. 1-3. - Quelques-uns de leurs exemples, que les chrétiens doivent éviter, vv. 4-12. - Le Sauveur prononce contre les Scribes et les Pharisiens huit malédictions terribles dans lesquelles il décrit leurs principaux vices, vv. 13-32. - Il annonce les châtiments prochains qui les attendent, vv. 33-36. - Tendre appel à Jérusalem, v. 37. - Adieux de Jésus au temple et à la théocratie, vv. 38-39.
Tandis que S. Marc et S. Luc se contentent de notifier brièvement ce discours, notre évangéliste l’a conservé dans son intégrité primitive. C’est un réquisitoire en règle, un acte d’accusation vraiment terrible, mais suffisamment justifié par les principes pervers des Pharisiens, leur conduite hypocrite et l’influence dangereuse qu’ils exerçaient sur le peuple. Il faut que ce pauvre peuple soit prémuni contre leurs artifices, il faut que les mobiles secrets de ces hommes iniques et superbes soient dévoilés. Il est beau de voir le divin Maître consacrer à cet acte tout à la fois protecteur et vengeur les derniers instants de son ministère public. Ce discours achevé, sa voix ne retentira plus devant la foule pour l’instruire, et les disciples seuls l’entendront désormais. - Ici encore, on a prétendu (Olshausen en particulier, dont c’est la constante pratique) que S. Matthieu a réuni par une compilation assez habile plusieurs paroles de Notre-Seigneur, prononcées en différentes circonstances ; mais l’unité parfaite du fond et de la forme proteste contre une pareille assertion. Que deviendrait du reste la vérité évangélique, si les historiens de Jésus prenaient habituellement de pareilles libertés à l’égard de ses paroles et des actions ? - Ce réquisitoire peut être divisé en trois parties. Dans la première, v. 1-12, l’orateur décrit sommairement le caractère moral des Pharisiens et des Docteurs de la Loi, puis il met ses disciples en garde contre leur manière d’agir. Dans la seconde, v. 13-32, il dénonce solennellement leur hypocrisie. Dans la troisième, v. 34-39, il prédit leur châtiment prochain et pleure sur Jérusalem qui partagera leur destinée.
1
Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples, 2en disant : Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse. 3Observez donc et faites tout ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas selon leurs œuvres, car ils disent, et ils ne font pas. 4Ils lient des fardeaux pesants et insupportables et ils les mettent sur les épaules des hommes ; mais ils ne veulent pas les remuer du doigt. 5Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes ; c’est pourquoi ils portent de larges phylactères et de longues franges. 6Ils aiment les premières places dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, 7et à être salués dans les places publiques, et à être appelés Rabbi par les hommes. 8Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car vous n’avez qu’un seul Maître, et vous êtes tous frères. 9Et ne donnez à personne sur la terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, qui est dans les cieux. 10Et qu’on ne vous appelle pas maîtres, car vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ. 11Celui qui est le plus grand parmi vous, sera votre serviteur. 12Quiconque s’élèvera, sera humilié, et quiconque s’humiliera, sera élevé.Matthieu chap. 23 verset 1. - Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples.
- Courte introduction au discours de Jésus. La particule alors détermine l’époque où fut prononcé le réquisitoire : ce fut aussitôt après les incidents décrits dans le chapitre qui précède, par conséquent sous les galeries du Temple, Cf. 24, 1. Les mots suivants, aux foules et aux disciples, indiquent la partie spéciale de l’assistance à laquelle s’adressait alors Notre-Seigneur. Comme dans une occasion analogue, Cf. 15, 10, après avoir répondu victorieusement aux questions insidieuses de ses ennemis, il se tourne vers le peuple et vers ses disciples, pour dénoncer l’esprit pharisaïque et pour en arrêter ainsi les effets pernicieux.Matthieu chap. 23 verset 2. En disant : Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse.
- Jésus commence par reconnaître et par établir de la manière la plus forte l’autorité de ces hommes dont il va ensuite attaquer les abus. Il tient à montrer pour le présent et pour l’avenir qu’il ne faut pas mépriser le divin ministère, à cause de l’indignité de ceux qui l’exercent. Obéissance et respect à l’autorité légitime, quelle que soit la valeur morale des hommes qui en ont été revêtus : voilà un grand principe chrétien que l’on oublie trop facilement. - Sur la chaire de Moïse. Le grec a " Moysis " au génitif, ce qui est plus régulier. - Sont assis, au prétérit dans le texte latin, pour désigner un acte ancien et qui persévère. L’image contenue dans ces mots est facile à comprendre ; nous l’employons nous-mêmes tous les jours quand nous disons par exemple du vénéré Léon 13 qu’il est assis sur la chaire de Pierre. C’est une métaphore tirée de la coutume qu’ont les docteurs d’enseigner du haut d’une chaire. Moïse étant le Législateur, le Docteur par excellence des Hébreux, tous ses successeurs autorisés étaient censés l’avoir remplacé à tour de rôle dans la chaire qui symbolisait sa mission divine. Du reste, l’expression, être assis sur son siège, était devenue, dans le langage rabbinique, un terme technique pour signifier " succéder à quelqu’un ". Or, à l’époque du Sauveur, les successeurs de Moïse étaient les Scribes et les Pharisiens, chargés de commenter, d’interpréter la Loi. - Les Scribes et les Pharisiens. Il arrive souvent à Jésus de réunir ces deux noms, qui méritaient en effet, à plus d’un titre, d’être associés. Nous avons vu, Cf. 3, 7 et la note correspondante, que les Docteurs de la Loi appartenaient pour la plupart au parti pharisaïque, dont ils étaient les chefs et les régulateurs. " Pharisiens " exprime donc le genre, " Scribes " une espèce particulière de ce genre.Matthieu chap. 23 verset 3. - Observez donc et faites tout ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas selon leurs œuvres, car ils disent, et ils ne font pas.
- Dans la première partie de ce verset, Jésus tire la conclusion du fait qu’il vient de signaler, comme on le voit par la particule donc. - Tout ce qu'ils vous disent... Il est bien évident que Notre-Seigneur ne parle pas ici d’une manière absolue, malgré la généralité des expressions qu’il emploie ; autrement il se contredirait, puisqu’il a dit ailleurs à ses disciples, Cf. 16, 11, 12, de prendre garde au levain, c’est-à-dire à la doctrine des Pharisiens ; puisque, dans ce discours même, v. 16 et suiv., il attaquera plusieurs de leurs décisions. Il faut donc rattacher son langage actuel aux paroles du verset précédent, et alors on obtient, selon la juste distinction de Grotius, ce sens très acceptable : " Par le droit qu’ils ont d’enseigner, et en tant qu’interprètes de la loi, ils vous ont prescrit ce que vous devez faire ". Jésus envisage donc en ce moment les Scribes comme les dépositaires de l’autorité de Moïse, comme les Docteurs légitimes du peuple, et il suppose, à ce titre, qu’ils s’acquittent régulièrement de leur mandat, qu’il n’y a dans leurs interprétations de la parole divine rien de contraire au dogme ni à la morale. Ce principe établi, il les traitera comme de simples particuliers et il flagellera leurs vices et leur corruption. - Observez et faites. Répétition de l’idée pour inculquer l’obéissance. Plusieurs manuscrits grecs, quelques versions anciennes et plusieurs Pères renversent l’ordre des deux verbes. - Selon leurs œuvres. Après avoir posé l’important principe que nous venons de lire, Jésus traite désormais les Scribes et les Pharisiens comme des hommes ordinaires, et il attaque sans ménagement leurs vices personnels, leurs erreurs privées. Respectez leur office, mais détestez leurs œuvres. " Prenez garde, dit poétiquement S. Augustin, Serm. 46 in Ezech., qu’en cueillant la bonne doctrine comme une fleur parmi les épines, vous ne vous laissiez déchirer la main par le mauvais exemple. " - Le Sauveur expose ensuite deux des principaux motifs pour lesquels on doit se bien garder d’imiter les Pharisiens. Le premier est résumé dans les mots ils disent et ils ne font pas et développé au v. 4. " Ils prescrivent, mais ils ne pratiquent pas " : Jésus, au contraire, le modèle des Docteurs, agit en conformité avec son enseignement. S. Paul, dans l’Épître aux Romains, 2, 21-23, donne un commentaire énergique du reproche adressé par Notre-Seigneur aux Pharisiens : " Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ! Toi qui proclames qu’il ne faut pas voler, tu voles ! Toi qui dis de ne pas commettre l’adultère, tu le commets ! Toi qui as horreur des idoles, tu pilles leurs temples ! Toi qui mets ta fierté dans la Loi, tu déshonores Dieu en transgressant la Loi ". Saul, qui avait étudié aux pieds des Scribes, Saul Pharisien zélé, connaissait à fond les mœurs de ses anciens maîtres.Matthieu chap. 23 verset 4. - Ils lient des fardeaux pesants et insupportables et ils les mettent sur les épaules des hommes ; mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.
- Ils lient des fardeaux. Belle métaphore. On a coutume de lier ensemble plusieurs petits paquets embarrassants, afin de pouvoir les porter avec moins de gêne : les Docteurs juifs font de même. Toutefois, comme il s’agit des épaules d’autrui et non des leurs, les petits fardeaux qu’ils accumulent deviennent si nombreux, si pesants qu’on en est bientôt écrasé. Les épithètes pesants et insupportables conviennent parfaitement à ces prescriptions minutieuses, rigoureuses, innombrables, que les Pharisiens prétendaient imposer au peuple en les décorant du nom de traditions. Nous en avons indiqué plusieurs, notamment celles qui concernent le sabbat et les ablutions : on en trouvera d’autres plus intolérables encore dans l’ouvrage bien connu du pasteur anglais M’Caul " Nethivoth olam ". Voir en particulier le chap. 53 : Combien les lois rabbiniques sont onéreuses pour les pauvres. - Les remuer du doigt... Il y a là une antithèse frappante et pittoresque, qui faisait dire à Bengel, Gnomon in h.l. : " L’écriture a quelque chose d’incomparable dans la description qu’elle fait des traits particuliers des âmes ". Quelle odieuse inconséquence dans ces directeurs sans pitié ! Ils ne touchent pas même du doigt les fardeaux énormes qu’ils ordonnent aux autres de porter.Matthieu chap. 23 verset 5. Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes ; c’est pourquoi ils portent de larges phylactères et de longues franges.
- Voici cependant un point à propos duquel les Scribes et les Pharisiens manifestent un vrai zèle, sans craindre un grand déploiement d’activité : c’est lorsqu’il est question d’acquérir l’estime des hommes par tous les moyens. - Toutes leurs actions... Jésus condense dans cette phrase le second motif qui devait exciter ses auditeurs à fuir les exemples pharisaïques. - Pour être vus, et par suite pour être loués, pour être estimés. Tout est donc extérieur dans la conduite de ces hommes, tout tend à l’effet, Cf. v. 20 : ils ne travaillent point pour Dieu, mais pour eux-mêmes. - Notre-Seigneur signale dans la seconde moitié du v. 5 et dans les deux suivants divers traits de la vie soit religieuse, soit profane des Pharisiens, qui justifient ce reproche accablant. Le Discours sur la Montagne nous en avait déjà révélé plusieurs. Cf. 6, 2, 5. 16. - Premier trait : Ils portent de larges phylactères. Les phylactères, voir dans l’Ancien Testament, Ex. 13, 16 ; Deut. 6, 8 ; 11, 18 , étaient de petites bandes de parchemin sur lesquelles étaient écrits les quatre passages suivants du Pentateuque : Ex. 12, 2-10 ; 11-17 ; Deut. 6, 4-9 ; 11, 13-22. Pliées délicatement, ces bandes étaient placées dans une capsule en basane, laquelle était elle-même fixée sur une lanière de cuir dont les deux extrémités servaient à attacher tout l’appareil soit au front, soit au bras gauche. Il y avait ainsi deux sortes de Tephillines, les Tephillines de la tête et les Tephillines de la main. L’obligation de les porter pendant la prière et pendant plusieurs autres actes religieux est déduite par les Juifs de ces paroles de Moïse au livre du Deutéronome, 6, 6-8 : " Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur... tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front ". Leur usage semble d’ailleurs remonter à une assez haute antiquité, et il est probable qu’il était général au temps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le nom donné aux Tephillines par les Juifs Hellenistes, signifie " préservatif " : peut-être l’avait-on choisi pour exprimer que cet ornement sacré était un symbole visible rappelant à l’Israélite qu’il doit observer fidèlement les divins préceptes (S. Just. Mart., Dial. cum Tryph.) ; peut-être aussi doit-il conserver sa signification habituelle d’amulette, à cause des idées superstitieuses que les Juifs d’autrefois (Cf. Targ. ad Cant. 8, 3 ; Winer, Realwœrterbuch, s. v. Amulete, Phylacterien) et d’aujourd’hui (Cf. Coypel, le Judaïsme, p. 65) ont attaché à son emploi. Les dimensions de chacune des parties dont se composaient les Tephillines avait été déterminées mathématiquement, comme toutes choses l’étaient dans le Judaïsme : mais les Pharisiens se plaisaient à élargir démesurément soit l’étui de basane, qui contenait les membranes de parchemin, soit les courroies qui servaient à maintenir les phylactères au bras et au front : ils affectaient ainsi une plus grande piété et un plus grand attachement aux moindres observances religieuses. C’est à cela que le Sauveur fait allusion dans sa mordante critique. - Sur les Telliphines on peut consulter Lightfoot, Hor. hebr. in h. l. ; le dictionnaire biblique de D. Calmet au mot Phylactères ; le Dictionn. Encyclopédique de Wetzer et Welte, trad. par Goschler. s. v. Thephillin ; Buxtorf, Synag. jud. c. 9 ; id. Lexic. talm. p. 1743 ; Léon de Modène, Cérémonies des Juifs, 1, 11, 4, etc. Les Perses avaient aussi un appareil de prière analogue à celui des Juifs ; de même les Indiens, qui se munissent des " saints cordons " des Brahmanes. S. Jérôme et S. Jean Chrysostôme mentionnent, mais pour la condamner, la coutume qu’avaient de leurs temps certaines " femmelettes " chrétiennes, de se suspendre au cou des éditions-miniatures des Évangiles (" parvula evangelia "), pour faire parade de leur dévotion et de leur foi. - Et de longues franges. Autre allusion à une pratique religieuse des Juifs. Nous avons eu l’occasion de parler plus haut, Cf. 9, 20, des franges de laine bleue (en hébreu, tzizith) que les Hébreux, en vertu d’une prescription divine, Cf. Num. 15, 38, portaient aux coins de leur manteau, pour se rendre sans cesse présent par ce signe extérieur le souvenir des commandements de Jéhova. De nos jours encore, les Israélites sont fidèles à porter les tzizith, comme les phylactères, à partir de l’âge de treize ans : ils les ont toutefois modifiés et relégués au-dessous des vêtements. Ce ne sont plus que deux petits sacs de toile qui tombent l’un sur la poitrine, l’autre sur le dos à la façon d’un scapulaire, et qui renferment de petites franges bariolées de bleu. On récite en les revêtant la prière suivante : Sois loué, Éternel notre Dieu, roi de l’Univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements et qui nous as donné le précepte des tzizith ; Cf. Coypel, ouvrage cité, p. 66. - Les Pharisiens dilataient leurs franges de même que leurs Tephillines et pour un motif semblable. S. Jérôme ajoute dans son commentaire qu’ils inséraient en outre des épines très aiguës qui leur déchiraient les pieds à chaque pas : ils se donnaient ainsi un plus grand air de sainteté.Matthieu chap. 23 verset 6. - Ils aiment les premières places dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues.
- Second trait : il faut à ces saints personnages les premières places en tout lieu. A chacun son rang : telle était, dans les placements de divers genre, la règle des Orientaux qui sont encore plus pointilleux que nous sous ce rapport. Les Scribes et les Pharisiens, se croyant supérieurs à tous les autres hommes, agissaient en conséquence de manière à obtenir partout le premier rang. - Les premières places dans les festins. Assistaient-ils à un repas, il leur fallait, d’après le texte grec, les places d’honneur sur la couche ou le divan : c’était, chez les Hébreux, Cf. Luc. 14, 8 et ss. ; Jos. Ant. 15, 2, 4, l’extrémité supérieure du " lectus tricliniaris ". Jésus fut un jour témoin des misérables petites manœuvres auxquelles les Pharisiens se livraient pour conquérir les places les plus distinguées, Cf. Luc. l. c., et il en fit le sujet d’une belle parabole. - Les premiers sièges dans les synagogues. Assistaient-ils à quelque assemblée religieuse dans les synagogues, ils recherchaient les premiers sièges, situés à l’entrée de ce que nous appellerions le sanctuaire, en avant du meuble sacré qui contient les rouleaux bibliques. Ceux qui occupaient ces places avaient toute l’assistance en face d’eux : rien de mieux pour les Pharisiens qui ne demandaient qu’à être vus.Matthieu chap. 23 verset 7. - Et à être salués dans les places publiques, et à être appelés Rabbi par les hommes.
- Troisième trait : amour des Scribes pour les salutations respectueuses et pour les titres. - Salués dans les places publiques : ils voulaient que tous les passants s’inclinassent devant eux ; c’est pourquoi ils avaient édicté une loi spéciale, obligeant leurs inférieurs à leur donner cette marque de respect dans les rues et sur les places publiques. Cf. Kidduschin, f. 33 ; Chullin, f. 54. - Être appelés Rabbi. " Rabbi ", était le titre de respect donné par les Juifs à leurs Docteurs. Nous avons vu les Pharisiens eux-mêmes, Cf. 22, 16, 36, l’adresser à Notre-Seigneur Jésus-Christ tout aussi bien que les Apôtres. Le quatrième évangéliste, 1, 39, le traduit en connaissance du sujet par le mot grec " Magister " des Latins, et tel est aussi son équivalent accoutumé dans le récit des synoptiques. De même que " magister " est formé de " magis, magnus ", de même Rabbi dérive de l’adjectif rab, qui signifie grand. Suivant quelques hébraïsants, ce serait le pronom suffixe de la première personne, de sorte que Rabbi équivaudrait à : Mon Maître. Rabban ou Rabboni, Cf. Joan. 20, 16, était encore un titre plus relevé, selon la règle suivante qu'on trouve dans Aruch : " L'ordre respecté par tous est le suivant : Rabbi est plus grand que Rab, et Rabban es plus grand que Rabbi ". Rabbi était cependant le plus usité. Il s’est conservé dans le mot Rabbin, de même que Rab subsiste encore dans l’appellation de Rebb, que les Juifs de plusieurs contrées assignent à ceux de leurs coreligionnaires qui font preuve d’une certaine connaissance du Talmud. Cf. L. Kompert, Nouvelles juives, trad. par Stauben, Paris 1873, p. 2. Dans le " textus receptus " Rabbi, est répété deux fois de suite, et il est possible que Notre-Seigneur ait fait à dessein cette réduplication, pour mieux dépeindre la sotte vanité des Docteurs : Ils aimaient à s’entendre dire, Rabbi, Rabbi ! Plusieurs passages talmudiques, cités par Lightfoot, redoublent aussi le titre de la même manière : " R. Akibah dit à R. Eleazaro : Rabbi, Rabbi ", Hieros, Moed Katon, f. 81, 1. " Alors qu'un certain docteur approchait de sa ville, ses amis allèrent à sa rencontre, disant : Salut, Rabbi, Rabbi, Docteur, Docteur ! ". Un disciple, enseignaient les Scribes, qui omet de saluer son Maître en lui disant Rabbi, provoque la majesté divine à s’éloigner d’Israël. Babyl. Berach. f. 27, 2.Matthieu chap. 23 verset 8. - Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car vous n’avez qu’un seul Maître, et vous êtes tous frères.
- Depuis cet endroit jusqu’au v. 12 inclusivement, le Sauveur tire pour ses disciples la morale des reproches qu’il vient d’adresser aux Pharisiens. Bien loin d’imiter l’orgueil des Docteurs juifs, ils doivent au contraire aimer et pratiquer dans toute son étendue l’humilité chrétienne. - Mais vous est emphatique : vous, mes disciples, par opposition aux Scribes et aux Pharisiens. - Ne vous faites pas appeler Rabbi. Les livres juifs racontent que le titre de Rabbi n’est pas antérieur à l’époque d’Hérode-le-Grand, et qu’auparavant les hommes les plus illustres d’Israël étaient tout simplement appelés par leur nom, ce qui, ajoutent-ils, était encore plus honorable. " Au cours des siècles précédents, ceux qui étaient les plus dignes n'avaient pas besoin d'avoir un titre, Rabbi, Rabban, ou Rab ; car Hillel était originaire de Babylone, et à son nom n'a pas été ajouté le titre de Rabbin ; et pourtant il était bien de ceux qui étaient nobles parmi les prophètes ", Aruch, l. c. Et ces livres avaient raison ; mais on ne les écoutait guère. Jésus tient le même langage à ses disciples : il ne veut pas que les chrétiens courent après les honneurs et les distinctions, qu’ils recherchent avidement les titres, comme le faisaient les Pharisiens. Mais il est bien évident d’autre part qu’il ne proscrit pas les titres d’une manière absolue dans son Église. Le respect mutuel et l’existence d’une hiérarchie exigent l’emploi de certaines expressions honorifiques : vouloir les supprimer à la façon des démagogues et des Puritains, en s’appuyant sur les vv. 8-10 ce serait forcer le sens des paroles de Jésus et tomber dans un autre genre de Pharisaïsme. - Notre-Seigneur indique ensuite le motif de sa recommandation : vous n'avez qu'un seul maître... Pour les chrétiens, il n’y a qu’un seul chef proprement dit, qui est le Christ, ainsi que l’ajoute le " textus receptus " à la suite de plusieurs manuscrits. Lui seul mérite donc véritablement le nom de Rabbi. - Et vous êtes tous frères. Si les disciples de Jésus sont frères, ils sont égaux par conséquent ; pourquoi donc ambitionneraient-ils des titres qui sembleraient protester contre cette égalité fraternelle ? Il y a pourtant bien loin entre cette fraternité chrétienne et la fraternité révolutionnaire qui prétend niveler toutes les situations sociales.Matthieu chap. 23 verset 9. - Et ne donnez à personne sur la terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, qui est dans les cieux.
- Jésus montre qu’on ne doit ni rechercher les titres honorifiques, ni les employer avec affectation à l’égard des autres. - Ab, " pater " en chaldéen Abba, d’où dérivent les noms de " abbas ", abbé, était un titre aimé des Rabbins. Le Talmud de Babylone raconte que le roi Josaphat, apercevant un Docteur, descendit de son trône et l’embrassa respectueusement en disant : Rabbi, Rabbi, ô père, ô maître, ô maître ! Maccoth, f. 24, 1. Le nom de père est donc pris ici au figuré et non dans le sens strict : il ne désigne pas les pères selon la nature, mais les pères spirituels qui engendrent ou l’intelligence en l’instruisant, ou le cœur en le formant et en le sanctifiant. - Sur la terre, par opposition au ciel, où habite notre vrai Père à qui nous disons chaque jour : Notre Père qui êtes aux cieux. Si donc " on vous appelle père parce que vous en faites la fonction, elle est déléguée, elle est empruntée. Revenez au fond : vous vous trouverez frère et disciple ", Bossuet, Méd. sur l’Évangile, Dern. Semaine, 57è jour.Matthieu chap. 23 verset 10. - Et qu’on ne vous appelle pas maîtres, car vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ.
- Ici " maître " est probablement employé dans le sens de l’hébreu, prince, seigneur : autrement, nous aurions une répétition pure et simple du verset 8. Il est visible que Jésus veut établir une gradation dans la pensée.Matthieu chap. 23 verset 11. - Celui qui est le plus grand parmi vous, sera votre serviteur.
- Le Sauveur avait exprimé peu de jours auparavant, en face des seuls Apôtres, Cf. 20, 26, cette grande loi de la supériorité chez les chrétiens : il la répète en ce moment pour la faire contraster avec l’orgueil des Pharisiens et des Docteurs juifs. " Comme il n’y a rien qui soit comparable à la vertu de l’humilité, Jésus-Christ a soin d’en parler souvent à ses disciples... Il exhorte ses disciples à acquérir ce qu’ils souhaitent, par une voie qui semble toute contraire... Parce qu’il faut nécessairement que celui qui veut être le premier, devienne le dernier de tous ", S. Jean Chrys. Hom. 72.Matthieu chap. 23 verset 12. - Quiconque s’élèvera, sera humilié, et quiconque s’humiliera, sera élevé.
- Le divin Maître termine la première partie de son réquisitoire par cette phrase proverbiale qui semble lui avoir été familière. Cf. Luc. 14, 11 ; 18, 14. On prête au célèbre Hillel une sentence analogue : " Mon humilité m'élève, et mon élévation m'humilie ", ap. Olshausen in h. l. - Ces deux maximes ne font du reste que donner un nouveau tour à une vérité pratique enseignée déjà par le Sage, Prov. 29, 23 : L’humiliation suit l’orgueilleux et la gloire accompagne l’humble d’esprit. Cf. Job. 22, 29 ; Ezech. 17, 24 ; Jac. 4, 6 ; Petr. 5, 5.
130
Or, malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez le royaume des cieux devant les hommes ; car vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous ne laissez pas entrer ceux qui désirent entrer. 14Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous dévorez les maisons des veuves, en faisant de longues prières ; c’est pourquoi vous recevrez un jugement plus rigoureux. 15Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, après qu’il l’est devenu, vous faites de lui un fils de la géhenne deux fois pire que vous. 16Malheur à vous, guides aveugles, qui dites : Si quelqu’un jure par le temple, ce n’est rien ; mais si quelqu’un jure par l’or du temple, il est engagé. 17Insensés et aveugles. Car lequel est le plus grand ? L’or, ou le temple qui sanctifie l’or ? 18Et si quelqu’un jure par l’autel, ce n’est rien ; mais si quelqu’un jure par le don qui est sur l’autel, il est tenu. 19Aveugles. Car lequel est le plus grand ? Le don, ou l’autel qui sanctifie le don ? 20Celui donc qui jure par l’autel, jure par l’autel et par tout ce qui est dessus. 21Et quiconque jure par le temple, jure par le temple et par celui qui y habite. 22Et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu, et par celui qui y est assis.23
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et qui avez abandonné ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la foi. Il fallait faire ceci, et ne pas omettre cela. 24Guides aveugles, qui filtrez le moucheron, et qui avalez le chameau. 25Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au dedans, vous êtes pleins de rapines et d’impureté. 26Pharisien aveugle, nettoie d’abord le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors devienne pur aussi.27
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous êtes semblables à des sépulcres blanchis, qui, au dehors, paraissent beaux aux hommes, mais qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture. 28Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes ; mais, au dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité.29
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et qui ornez les monuments des justes. 30et qui dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. 31Par là, vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. 32Vous comblez donc la mesure de vos pères.33
Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous au jugement de la géhenne ?
Cette partie consiste en huit apostrophes véhémentes auxquelles l’interjection " Malheur ", qui les précède régulièrement, donne la forme de malédictions. " Le Christ fait preuve d’une âpreté étonnante envers les Scribes et les Pharisiens jusqu’à la fin du chapitre, les accusant surtout d’hypocrisie. Non dans un mouvement de colère impuissante, mais après mûre réflexion et délibération ", Maldonat, Comm. in h.l. Jésus est cependant venu pour bénir : mais comment pourrait-il s’empêcher de maudire ces hommes qui anéantissent auprès de son peuple son œuvre de salut ?
Première malédiction, v. 13.
Matthieu chap. 23 verset 13. - Or, malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez le royaume des cieux devant les hommes ; car vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous ne laissez pas entrer ceux qui désirent entrer.
- Dans quelques versions et dans les manuscrits E. F. G. H. K. etc., ce verset a changé de place avec le 14è ; mais l’ordre suivi par la Vulgate est le mieux accrédité. - Malheur à vous. La particule " Or " établit une transition entre la première et la seconde partie du discours, en même temps qu’elle introduit la première malédiction. - Parce que vous fermez. Chaque fois qu’il lancera contre les Pharisiens un " Malheur " terrible auquel il leur sera impossible d’échapper, Jésus le motivera par l’indication de quelque faute grave dont ils se rendaient coupables. Ici, il leur reproche tout d’abord de damner ceux qu’ils étaient chargés de conduire au ciel. L’idée est exprimée sous une frappante métaphore. - Le royaume des cieux... Le royaume des cieux ressemble à un palais qui est destiné à recevoir tous les hommes : la porte du palais, c’est la foi en Jésus-Christ. Or, les Scribes ont la clef de cette porte. En croyant eux-mêmes à la mission divine de Jésus, en excitant leurs subordonnés à y croire, ils pourraient ouvrir le royaume des cieux, et telle était le noble rôle que la Providence leur avait départi. Mais ils préfèrent le fermer et pour eux-mêmes et pour les autres. Notons l’expression devant les hommes, c’est-à-dire " aux hommes qui en étaient près ", ce qui aggrave la faute des Docteurs. - Vous n'y entrez pas : ils restent volontairement en dehors, à cause de leur incrédulité et à cause de leur corruption morale. - Vous ne laissez pas entrer... C’était là un crime énorme, qui méritait bien d’ouvrir cette longue série de reproches. L’Évangile tout entier nous montre le peuple bien disposé en faveur de Jésus. Il entrait avec empressement dans le royaume messianique et il eût suffi d’un mot prononcé par les Docteurs pour changer cet heureux élan en une foi vive et profonde ; mais ce sont eux au contraire qui ont étouffé les bons sentiments de la foule, eux qui l’ont surexcitée contre le Christ. " mon peuple, faute de connaissance, sera, lui aussi, réduit au silence " Osée 4, 6. Malheur donc, ajoutait-il ensuite, à ceux qui devaient lui procurer la science et qui ne la lui ont pas donnée !Seconde malédiction, v. 14.
Matthieu chap. 23 verset 14. - Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous dévorez les maisons des veuves, en faisant de longues prières ; c’est pourquoi vous recevrez un jugement plus rigoureux.
- La critique a dirigé depuis longtemps de sérieuses attaques contre l’authenticité de ce verset. Indépendamment de la transposition signalée plus haut, on lui reproche d’avoir été omis par les manuscrits grecs B. D. Z. et Sinait., par les versions armén., saxon., l’Itala, par plusieurs manuscrits de la Vulgate et par plusieurs Pères. Aussi Albert-le-Grand le regardait-il déjà comme une interpolation. Il y a néanmoins un si grand nombre de témoins qui lui sont favorables, que nous n’hésitons pas à le croire authentique. - Parce que vous dévorez... Autre métaphore pittoresque. - Les maisons est pris dans le sens de fortune, comme dans la Genèse, 45, 48 , au livre d’Esther, 8, 1 (d’après la traduction grecque) et dans les auteurs classiques ; Cf. Hagen, Sprachl. Erœterung, zur Vulgata, p. 94. - Des veuves. Circonstance doublement aggravante, car il est facile d’abuser d’une veuve qui n’a personne pour la défendre : c’est un butin aisé pour un Docteur habile ; d’un autre côté il y a un plus grand crime à la dépouiller, parce qu’on la met ainsi dans une situation désolante pour le reste de ses jours. - En faisant de longues prières. Cf. S. Marc, 12, 40 : " Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés ", et S. Luc, 20, 47 : " Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés ". Jésus indique par ces mots le moyen qu’employaient les Rabbis d’alors pour soutirer l’argent des veuves : ils s’offraient pour faire à leur intention de longues prières en échange desquelles ils exigeaient ou du moins acceptaient des sommes considérables. Mais ce trafic infâme et sacrilège sera châtié comme il le mérite. - C'est pourquoi vous recevrez… " Tout homme qui fait une action criminelle mérite d’en être puni; mais celui qui se voile alors d’un prétexte de piété, et qui colore sa malice d’une apparence de vertu, mérite d’en être encore beaucoup plus puni ", S. Jean Chrys. Hom. 73 in Matth. Rien de plus juste donc qu’une punition plus grande pour de tels criminels.Troisième malédiction, v. 15
Matthieu chap. 23 verset 15. - Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, après qu’il l’est devenu, vous faites de lui un fils de la géhenne deux fois pire que vous.
- Notre-Seigneur Jésus-Christ reproche maintenant aux Scribes et aux Pharisiens leur prosélytisme de mauvais aloi, dont les païens eux-même se moquaient. Ses premières paroles, vous parcourez la mer et la terre, décrivent avec ironie le zèle de ses ennemis pour faire des prosélytes, toute la peine qu’ils se donnaient à cette intention ; Cf. Joseph. Ant. 20, 2, 3. Elles équivalent à l’expression proverbiale des Latins " omnem lapidem movere " : ne laisser aucune pierre non retournée, donc ne rien laisser sans avoir essayé de le travailler. Le mot latin " aridam " est calqué sur l’hébreu (le féminin au lieu du neutre) et représente la terre ; Cf. Gen. 1, 10 ; Agg. 2, 7 ; Jon. 1, 9 : 2, 11 ; etc. César et d’autres auteurs latins emploient " aridum ". - Les paroles suivantes, pour faire un prosélyte, indiquent le résultat obtenu par tant de marches et de contre-marches : on finit par faire UN prosélyte ! Puisque les exégètes protestants appliquent le v. 14 aux prêtres catholiques, nous pouvons bien leur rendre la pareille et jeter, d’après des rapports officiels signés par leur coreligionnaires (voir l’ouvrage de M. Marshall : Les missions chrétiennes, passim), le v. 15 à la face des missionnaires anglicans, méthodistes, luthériens et autres, qui obtiennent les mêmes résultats que les Pharisiens, après une même dépense d’efforts et d’argent. - Le nom de prosélyte vient du grec, " je m’approche ", et il servait à désigner les païens convertis au Judaïsme (en hébreu " qui vient du dehors "). Il y avait deux sortes de prosélytes, les prosélytes de la porte, et les prosélytes de la justice. Les premiers se bornaient à abjurer le paganisme et à observer les sept commandements dits de Noé parce que le Seigneur les aurait imposés à ce patriarche (ce sont : la fuite de l’idolâtrie, du blasphème, du meurtre, de l’impudicité, du vol, la prohibition de se nourrir de sang ou de viandes étouffées, la loi d’obéissance) ; les autres étaient circoncis et englobés dans le peuple théocratique, dont ils suivaient toutes les coutumes religieuses et civiles. Comparez l’article Prosélytes dans les Dictionnaires de Dom Calmet et de Wetzer et Welte. - Après qu'il l'est devenu, scil. " prosélyte ". - Fils de la géhenne, hébraïsme qui signifie " digne de l’enfer ". - Deux fois pire que vous. Les Hérodes à Jérusalem, Poppée à Rome, sont de frappants exemples du fait allégué par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Talmud même montre par quelques phrases vigoureuses le cas que les Juifs honnêtes faisaient de la plupart des prosélytes (et des Sodomites auxquels on ne craint pas de les associer) : " Les prosélytes empêchent l'avènement du Messie. Les prosélytes sont comme la gale d'Israël ", Cf. Babyl. Niddah, f. 13, 2. C’était un dicton populaire qu’aucun homme sensé ne voudrait se fier à un prosélyte, même après 24 générations, Cf. Jalkuth Ruth, f. 163, 1. Voilà donc à quoi aboutissaient les efforts des Docteurs pour sauver les païens : ils les rendaient pires qu’eux-mêmes, les scandalisant après les avoir éclairés, de telle sorte qu’un prosélyte ne tardait pas à présenter un affreux mélange de vices juifs et de vices païens. Rien n’est plus exact que ce triste trait de psychologie. " Nous sommes par nature plus portés à imiter les vices que les vertus, et en matière de choses mauvaises le maître est facilement dépassé par son disciple ", Maldonat in h. l. Voir sur ce sujet la savante dissertation de J. Andr. Danz, " Cura Judaeorum in conquirendis proselytis ", insérée dans le " Nov. Testam. Ex Talmude illustratum " de Meuschen, p. 649 et suiv. - Il est inutile de faire observer que Jésus n’attaque nullement le prosélytisme en général, qui est un acte de zèle, mais les abus qui peuvent s’y attacher.Quatrième malédiction, vv. 16-22.
Matthieu chap. 23 verset 16. - Malheur à vous, guides aveugles, qui dites : Si quelqu’un jure par le temple, ce n’est rien ; mais si quelqu’un jure par l’or du temple, il est engagé.
- Dans ce quatrième " Malheur ", Jésus attaque les faux principes des Scribes relativement au serment. Il leur a déjà déclaré la guerre sous ce rapport, dès le début de sa Vie publique, Cf. 5, 33 et ss. ; mais il veut renverser encore leurs théories perverses pour rendre son acte d’accusation plus complet. Du reste, la question n’est pas traitée au même point de vue, car nous avons ici des détails nouveaux. - Guides aveugles : et comme tels ils périront misérablement, en perdant avec eux tous ceux qui se mettront sous leur conduite ; Cf. 15, 14. Les exemples qui suivent prouvent jusqu’où allait leur aveuglement ; aussi cette épithète est-elle répétée jusqu’à trois reprises dans ce passage. Cf. vv. 17 et 19. - Par le temple. On jurait fréquemment alors par le Temple, " per habitaculum hoc, " ainsi qu’on s’exprimait dans la formule habituelle du serment. - Ce n’est rien ; par conséquent on ne doit rien en pareil cas, un serment de ce genre étant censé nul et de nulle valeur. Mais on n’a qu’à modifier légèrement la formule, à jurer par les riches ornements d’or du Temple, ses vases précieux, ses trésors, aussitôt on est tenu d’accomplir le serment !Matthieu chap. 23 verset 17. - Insensés et aveugles. Car lequel est le plus grand ? L’or, ou le temple qui sanctifie l’or ?
- Jésus démontre par une simple réflexion l’inconséquence absurde d’une pareille manière d’agir. A la question qu’il pose à ses adversaires, on ne pouvait faire qu’une seule réponse : Le Temple ! Mais si le temple est bien supérieur à l’or qu’il contient, n’est-il pas souverainement insensé de se conduire dans la pratique comme si l’or du Temple valait mieux que le Temple, comme si l’or du Temple sanctifiait le Temple ? Nous avons ainsi un premier principe du Sauveur touchant les termes suivants : Jurer par une chose inférieure ne peut pas faire contracter une obligation plus grande que jurer par un objet supérieur.Matthieu chap. 23 verset 18. - Et si quelqu’un jure par l’autel, ce n’est rien ; mais si quelqu’un jure par le don qui est sur l’autel, il est tenu.
- Le Sauveur apporte ici un second exemple des serments alors usités chez les Juifs et des distinctions ridicules qu’on y établissait d’après l’enseignement des Docteurs. Jurer par l’autel des holocaustes, ce n’était rien ; mais si l’on jurait par les victimes offertes et consumées sur cet autel, on devait accomplir son serment sous peine de parjure et de sacrilège. - Le premier quelqu'un (quicumque dans le texte latin) est au nominatif absolu, comme au v. 16, la phrase restant suspendue.Matthieu chap. 23 verset 19. - Aveugles. Car lequel est le plus grand ? Le don, ou l’autel qui sanctifie le don ?
- Notre-Seigneur raisonne sur cet exemple de même qu’il l’a fait sur le précédent. La valeur de l’autel vient-elle du sacrifice offert sur lui ? Ou n’est-ce-pas lui, au contraire, qui communique tout son prix à la victime, rendant sacré ce qui n’avait été que profane jusqu’alors ? Les Scribes étaient vraiment bien aveugles pour ne pas voir des choses si évidentes.Matthieu chap. 23 verset 20. - Celui donc qui jure par l’autel, jure par l’autel et par tout ce qui est dessus.
- Par ces paroles, Jésus-Christ établit un second principe relativement au serment : Jurer par la partie d’un tout ne crée pas une obligation supérieure à celle qui est produite par l’action de jurer au nom de l’objet tout entier. - Et par tout ce qui est dessus... Les victimes recevant de l’autel leur valeur véritable, elles s’incorporent en quelque sorte à lui de manière à n’en pouvoir plus être séparées, même dans une formule de serment.Matthieu chap. 23 verset 21. - Et quiconque jure par le temple, jure par le temple et par celui qui y habite.
- Troisième principe de la plus haute gravité : Jurer par le Temple, ou par l’autel, ou par tout autre objet semblable, c’est jurer en fin de compte par Dieu lui-même, auquel se rapportent toutes les créatures. Les Rabbins niaient l’existence de cette relation en fait de serment. Voici en effet ce que nous lisons au traité Schebuoth, f. 35, 2 : " Puisque, en plus de Dieu, créateur du ciel et de la terre, existent aussi le ciel et la terre, il ne fait aucun doute que celui qui jure par le ciel et la terre ne jure pas par celui qui les a crées, mais par les créatures ". Mais que signifierait un serment qui ne reposerait que sur une chose inanimée ? Les Romains semblent avoir connu ces singulières distinctions des Israélites ; de là l'épigramme mordante de Martial contre un Juif, Cf. Martial, Epigr 1, 97 :Anchialum est sans doute une forme corrompue des mots hébreux Chaï haëlohim, Chaï haël, par lesquels on prêtait quelquefois serment.
Matthieu chap. 23 verset 22. - Et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu, et par celui qui y est assis.
- C’est un nouveau développement du troisième principe. On jure par Dieu toutes les fois qu’on jure par la nature. Ici encore, les conclusions de Jésus sont diamétralement opposées à celles des Pharisiens. Ceux-ci disaient, en effet, comme leurs interprètes subséquents : " Si quelqu'un jure par le ciel, la terre, le soleil, etc., cela n'est pas un serment ", Maimonid. Hal. Scheb. c. 12. - Ainsi se termine la quatrième malédiction, dans laquelle Notre-Seigneur renverse par une argumentation brillante, pleine de logique, les conclusions immorales et absurdes de ses adversaires en matière de serment.Cinquième malédiction, vv. 23-24.
Matthieu chap. 23 verset 23. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et qui avez abandonné ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la foi. Il fallait faire ceci, et ne pas omettre cela.
- Le Sauveur reproche aux Scribes, dans ce cinquième " Malheur ", d’être scrupuleux dans les petites choses et larges sans mesure pour des obligations très graves. Il apporte deux exemples à l’appui de son blâme, l’un dans ce verset, l’autre dans le suivant. - Qui payez la dîme. Payer la dîme d’une chose, (Cf. Luc. 18, 12, " je verse le dixième de tout ce que je gagne "), en donner à qui de droit la dixième partie, soit en valeur, soit en nature. Cette dîme, dont on trouve des traces chez tous les peuples de l’antiquité, avait été prescrite à la nation théocratique comme un tribut à Jéhova son roi ; Cf. Levit. 27, 30 et ss. ; Num. 18, 21 ; Deut. 14, 22 et s. Elle était annuelle et embrassait tous les produits du sol et le bétail. C’étaient les Lévites et les prêtres qui en bénéficiaient. Relativement aux fruits de la terre, on avait établi ce principe général que les articles comestibles tombaient tous sous la loi de la dîme ; mais l’usage en avait notablement restreint l’application, aussi n’exigeait-on en rigueur de justice que la dîme des trois récoltes mentionnées nommément au Deutéronome, ch. 14, v. 23. Le reste était laissé à la dévotion d’un chacun ; Cf. Carpzov. Apparat. biblic. p. 619, 620. Les Scribes affectaient sur ce point comme sur beaucoup d’autres une minutieuse exactitude, et on les voyait porter aux lévites la dîme même des légumes les plus insignifiants, suivant cette règle qu'ils avaient adoptée : " Tout ce qui est transformé en nourriture, ce qui est conservé, ce qui est produit par la terre, doit être soumis à la dîme ", Maaseroth, cap. 1 hal. 1 . - Jésus signale trois plantes spéciales, pour montrer jusqu’où s’étendait le scrupule pharisaïque : 1° la menthe, en grec, l’herbe à la suave odeur, probablement la " mentha sylvestris " de Linné qui croît abondamment en Syrie, ou du moins l’une de ses nombreuses variétés. Les Juifs en aimaient soit le goût, soit le parfum ; aussi la mélangeaient-ils à leurs mets comme condiment ; ils en suspendaient même des branches dans les synagogues pour y répandre un bon air. - 2° L’anis (" anethum graveolens "), plante aromatique de la famille des ombellifères, dont la feuille et la graine étaient employées par les anciens soit comme assaisonnement, soit comme remède ; Cf. Pline, Hist. Nat., 19, 61 ; 20, 74. " L'aneth, disent les Rabbins, doit être soumis à la dîme, comme graine et comme herbe ", R. Solom ap. Lightfoot in h. l. - 3° Le cumin ou Cammôn, le " cum inum sativum " de Linné, autre ombellifère dont les graines odoriférantes avaient aussi des propriétés médicinales, Cf. Pline, Hist. Nat., 19, 8. Les Juifs la cultivaient dans leurs jardins, en compagnie de la menthe et de l’anis. - Tous les préceptes divins n’étaient pas traités par les Pharisiens avec autant de fidélité et de rigueur : tandis qu’une vaine ostentation rendait ces hypocrites exacts aux petites lois d’une observance facile, ils négligeaient totalement, ainsi que le leur reproche Jésus, les commandements de la plus haute gravité, entre autres ceux qui concernent la justice, la miséricorde, c’est-à-dire la charité à l’égard du prochain (dans l’Ancien Testament ; Cf. Mich. 6, 8 ; Os. 12, 6 ; Zach. 7, 9), enfin la fidélité à leurs promesses. " Il cite trois obligations, opposées aux trois faciles, et beaucoup plus importantes ", Bengel. - Après avoir établi le contraste immoral qui existe dans la conduite des Scribes, Notre-Seigneur donne une sérieuse leçon à ces superbes Docteurs. - Il fallait faire ceci... " ceci " désigne les trois choses nommées en dernier lieu ; c’étaient elles qu’il fallait accomplir avant tout. Cela se rapporte aux dîmes indiquées plus haut. Il est donc bon d’être fidèle aux lois les plus petites par leur objet, mais il est encore meilleur et plus nécessaire de ne pas méconnaître les grands principes moraux sur lesquels s’appuie la vraie religion.Matthieu chap. 23 verset 24. - Guides aveugles, qui filtrez le moucheron, et qui avalez le chameau.
- Jésus poursuit le développement du même reproche, et cite un second exemple de l’inconséquence étonnante des Scribes. D’une part, ils filtrent le moucheron, d’autre part, ils avalent le chameau. Cette antithèse frappante repose sur l’usage qui existait à l’époque de Notre-Seigneur, non seulement chez les Juifs mais aussi chez les Grecs et les Romains, de filtrer le vin, le vinaigre et les autres liqueurs (" liquare vinum " des classiques latins). Toutefois, tandis que cette coutume n’avait lieu la plupart du temps que dans un but de propreté, elle était pour les Pharisiens un acte religieux auquel ils ne se seraient pas permis de manquer, parce qu’alors en avalant même par mégarde quelque petit insecte (en grec, mouche à vin) noyé dans la liqueur, ils auraient enfreint les lois relatives à la pureté légale, qui avaient pour eux une si grande importance ; Cf. Lev. 11, 20, 23, 41, 42 ; 17, 10-14. Un moucheron n’était-il donc pas un animal impur ? Voilà pourquoi ils filtraient, ordinairement à travers un linge de lin, tout ce qu’ils buvaient. Les Bouddhistes agissent de même, pour un motif semblable, dans l’Hindoustan et dans l’île de Ceylan. - Tout en prenant des précautions si considérables pour ne pas violer la Loi dans les détails les plus minimes, les Docteurs juifs ne craignaient pas de la blesser dans ses prescriptions les plus urgentes : c’est ce qu’indique l’hyperbole contenue dans les mots suivants, " avalez le chameau ". Le chameau, qui est aussi un animal impur, est opposé au moucheron à cause de sa grosse taille : il est censé être tombé dans le breuvage des Scribes qui l’avalent sans scrupule, eux qui n’auraient pas osé boire du vin non filtré, de crainte de se rendre impurs en avalant un animalcule. - La locution employée par Jésus était proverbiale selon toute vraisemblance. Nous avons pensé que le lecteur prendrait volontiers connaissance d’une pièce officielle, émanée récemment de la synagogue de Cologne, et prouvant que l’opération de filtrage subsiste encore en principe chez les Juifs orthodoxes. C’est un acte par lequel est déclaré licite, le vin de Champagne préparé par un négociant de Reims pour l’usage spécial des Juifs. Nous traduisons littéralement l’hébreu moderne dans lequel il a été composé. " J’atteste par les présentes que, du pays de France, de la ville de Reims, est venu auprès de moi il y a deux ans, le sieur N. négociant en vins de Champagne ; il m’a dit qu’il était prêt à fabriquer du vin " cosher " (licite), dont pourraient se pourvoir les Israélites fidèles aux lois de leurs pères. Après qu’il se fût engagé à exécuter tout ce que je lui prescrirais, je partis pour Strasbourg afin d’y chercher des hommes fidèles et éprouvés. Les ayant trouvés, je les envoyai à Reims, chez le négociant susdit, non sans les avoir instruits de tout ce qui concerne le " cosher ". Ils y sont allés trois fois : la première à l’époque où l’on pressure le raisin, la seconde au moment où l’on met le vin en bouteilles, la troisième lorsqu’on débouche les bouteilles pour y verser encore un peu de vin afin de les remplir. Ces hommes ont préservé le vin de toute atteinte étrangère, et chaque fois qu’ils s’en retournaient chez eux, ils ont fermé la cave et ont apposé les scellés sur la porte, et la clef est restée entre leurs mains. Quand tout fut achevé, ils ont scellé les bouteilles et ont placé sur chacune d’elles deux signes dont " cosher " (licite). Ainsi donc tout le vin fourni par le marchand susdit est " cosher " quand il est dans des bouteilles marquées de ces deux signes, et il est permis d’en boire pour la Pâque ".Sixième malédiction, vv. 25-26.
Matthieu chap. 23 verset 25. - Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au dedans, vous êtes pleins de rapines et d’impureté.
- Jésus condamne maintenant les Scribes, parce qu’ils sont aussi impurs au fond de leur âme qu’ils s’efforcent de paraître purs au dehors. - Le dehors de la coupe... Allusion aux ablutions sans nombre auxquelles les Pharisiens soumettaient, avant les repas, tous les objets qui leur servaient à table, comme l’affirme S. Marc. 7, 4 : " ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats ". - Au-dedans... La pureté vient du dedans et doit se répandre de là sur la vie extérieure ; mais, chez les Pharisiens, il n’y a que le dehors qui soit pur : l’intérieur est affreusement corrompu. - Vous êtes pleins de rapines. Dans le texte grec, le verbe est à la troisième personne du pluriel ; il se rapporte à la coupe et au plat dont le contenu est supposé acquis au moyen de la violence et de l’impureté. - Et d'impureté. Dans le " textus receptus " intempérance, impureté.Matthieu chap. 23 verset 26. - Pharisien aveugle, nettoie d’abord le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors devienne pur aussi.
- Pharisien aveugle. Jusqu’ici les apostrophes étaient toujours au pluriel : celle-ci, adressée au singulier, est d’un effet vif et saisissant. - Nettoie d'abord... C’est-à-dire, d’après le sens du grec au verset précédent : Fais que ton breuvage et ta nourriture ne proviennent plus de l’injustice ; éloigne de ta coupe et de ton plat tout ce qui peut vraiment les profaner. D’après la Vulgate : Commence par purifier ton âme. Du reste, les deux sens reviennent à peu près au même. - Malgré les ablutions les plus multipliées, la coupe n’est donc vraiment pure que lorsque l’intérieur en est pur ; à quoi sert-il d’avoir une coupe bien brillante au dehors, si elle est malpropre et immonde au dedans ? Et tel était précisément le cas des Pharisiens et des Scribes.Septième malédiction, vv. 27-28.
Matthieu chap. 23 verset 27. - Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous êtes semblables à des sépulcres blanchis, qui, au dehors, paraissent beaux aux hommes, mais qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture.
- Sous une autre image, ce " Malheur " de Jésus exprime tout à fait la même pensée que le précédent. - Semblables à des sépulcres. Il y a là une nouvelle allusion aux mœurs du temps. Chaque année, vers le 15 adar, quelques semaines avant la Pâque, tous les tombeaux étaient blanchis au badigeon, soit par honneur pour les morts, soit surtout pour qu’ils devinssent bien visibles, de sorte que personne ne les touchât par mégarde, ce qui eût suffi pour faire contracter une souillure légale, Cf. Num. 19, 16. Cet usage est constaté par plusieurs passages des livres rabbiniques ; v. g. Maasar Scheni, v, 1 : " Ils marquent les places des tombeaux avec de la chaux, qu'ils ont adoucie en la diluant dans l'eau ". Ibid. f. 55 : " Ne voient-ils pas les tombeaux avant le mois d'adar ?… Pourquoi les peignent-ils ainsi ? Pour les traiter comme s'il s'agissait de lépreux. Le lépreux crie : Impur, impur : et de même le tombeau te crie : Saleté et te dit : ne t'approche pas ". – Qui paraissent beaux. Les sépulcres fraîchement blanchis produisaient un bel effet au milieu de la verdure et du paysage ; on en peut juger par les tombeaux musulmans qui, fréquemment lavés à l’eau de chaux comme ceux des Juifs, se détachent agréablement des noirs massifs de cyprès qui les entourent : mais la corruption la plus affreuse ne règne pas moins sous ces pierres peintes et sculptées. Et c’est là, dit Jésus, une fidèle image des Pharisiens. Quelle comparaison ! Comme elle met à nu la dépravation de leurs cœurs ! Les hypocrites de leur espèce sont appelés dans le Talmud des hommes peints : " Les hommes peints sont ceux dont l'apparence externe ne correspond pas à la nature intérieure ; ils sont colorés à l'extérieur, mais pas à l'intérieur ", Bab. Sota, f. 22, 2, glose.Matthieu chap. 23 verset 28. - Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes ; mais, au dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité.
- Le v. 28 contient purement et simplement l’application de l’image qui précède. Le Sauveur ne craint pas de dire en face aux Pharisiens et aux Docteurs pourquoi il les avait comparés à des sépulcres blanchis. Ne sont-ils pas en apparence d’une justice exemplaire ? Mais en réalité l’iniquité ne règne-t-elle pas dans leurs cœurs ?Huitième malédiction, vv. 29-32.
Matthieu chap. 23 verset 29. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et qui ornez les monuments des justes.
- Par une brusque transition, Jésus-Christ passe tout à coup à une autre sorte de tombeaux, pour accabler ses adversaires sous une malédiction plus terrible, plus inattendue que toutes les autres, dans laquelle il caractérise mieux que jamais leur odieuse hypocrisie. - Des tombeaux aux prophètes... Quiconque a jeté les yeux sur une photographie ou sur une gravure représentant Jérusalem, n’a pas manqué de remarquer aux alentours divers sépulcres célèbres, certainement contemporains de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qui portent de nos jours encore les noms de Tombeau des prophètes, tombeau de Zacharie, etc. ; Cf. Tobler, Topographie von Jerusalem, t. 2, p. 227 et ss. ; l’Atlas de M. Ancessi, pl. arch. 19. Les Orientaux, juifs ou musulmans, ont toujours aimé à construire, à embellir, ou à conserver de siècle en siècle de brillants mausolées en l’honneur de leurs saints personnages. Les Pharisiens partageaient ce zèle ; mais, comme le prouve la suite des paroles du Sauveur, c’était moins par respect pour les prophètes et pour les justes défunts que pour se donner à eux-mêmes un air de plus grande perfection.Matthieu chap. 23 verset 30. - Et qui dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes.
- Jésus veut montrer maintenant que le langage des Scribes sur ce point est en conformité parfaite avec leur conduite, c’est-à-dire plein de vénération et d’amour en apparence, mais en réalité plein d’une affreuse hypocrisie. Ils prétendent que, s’ils eussent vécu à l’époque de leurs pères qui ont massacré les prophètes, ils n’auraient point pris part à leurs meurtres sacrilèges. " Qu’il est aisé, s’écrie Bossuet, ouvrage cité, 62è jour, d’honorer les prophètes après leur mort, pour acquérir la liberté de les persécuter vivants! ". La Bible de Berlembourg fait sur ce verset une observation pleine de finesse : " Demandez à l’époque de Moïse : Quels sont donc les saints ? Ce sera Abraham, Isaac, Jacob, mais nullement Moïse qui mériterait au contraire d’être lapidé. Demandez à l’époque de Samuel : Quels sont les saints ? Moïse et Josué, répondra-t-on ; mais point Samuel. Adressez la même question du vivant du Christ, et vous verrez que les saints seront tous les anciens prophètes avec Samuel, mais point le Christ ni ses Apôtres. " C’est le développement du vieil adage : " Qu'il soit déifié, à la condition qu'il soit mort ".Matthieu chap. 23 verset 31. - Par là, vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes.
- Conclusion foudroyante pour les Pharisiens. Nous n’aurions pas été, avaient-ils dit, les complices de nos ancêtres pour donner la mort aux prophètes, si nous eussions été leurs contemporains. Mais, reprend Jésus, vous avouez donc par là-même que vous êtes les fils de ces homicides sacrilèges ? Ils rendent ainsi, non seulement contre leurs pères, mais encore contre eux-mêmes un témoignage d’autant plus frappant qu’il est tout à fait spontané. - Vous êtes les fils de ceux qui ont tué : descendants des impies qui ont massacré les prophètes, ils en ont les mœurs, les instincts sanguinaires, selon l’axiome populaire qui se vérifie complètement en eux : Tel père, tel fils. Cette insinuation était manifestement dans la pensée de Notre-Seigneur, comme on le voit dans le verset suivant.Matthieu chap. 23 verset 32. - Vous comblez donc la mesure de vos pères.
- Apostrophe emphatique, remplie d’une sainte colère. Montrez-vous, l’heure en est venue, les dignes fils de vos pères : achevez l’œuvre qu’ils ont commencée. Me voici ! voici mes disciples ! frappez comme ils savaient frapper. Jésus provoque en quelque sorte ses ennemis, ou plutôt il prophétise ce qu’ils accompliront bientôt. La locution comblez la mesure contient une belle figure ; elle signifie jeter dans un vase la dernière goutte, qui le fera déborder, et qui fera éclater les vengeances divines ? La coupe où sont tombées les iniquités d’Israël est en effet à peu près remplie : les Pharisiens vont combler la mesure par leur déicide et par leurs persécutions contre le Christianisme. Alors Dieu justement irrité les brisera eux et leur nation. Ce sera l’idée dominante de la troisième partie du réquisitoire.c. Troisième partie du Discours, vv. 33-39.
Matthieu chap. 23 verset 33. - Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous au jugement de la géhenne ?
- Cette partie débute par une terrible menace dont Jésus emprunte, dirait-on, et l’idée et les termes à la prédication du Précurseur. Aux Pharisiens venus sur les bords du Jourdain pour l’entendre, Jean-Baptiste n’avait-il pas adressé, trois ans auparavant, cette question à laquelle ils s’étaient trouvés incapables de répondre : " Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? ", Matthieu, 3, 7. Depuis lors, ils se sont enfoncés de plus en plus dans le mal ; aussi sont-ils désormais tout à fait mûrs pour le châtiment. Ils n’ont profité ni des lumières que leur apportait le Baptiste, ni de celles plus vives encore que Jésus leur avait fournies : comment pourraient-ils échapper à l’enfer ? - L’expression jugement de la géhenne est toute rabbinique, Cf. Wetstein, in h. l. ; elle désigne une sentence qui condamne au feu éternel de la géhenne.Matthieu chap. 23 verset 34. - C’est pourquoi, voici que je vous envoie des prophètes, et des sages, et des scribes ; et vous tuerez et crucifierez les uns, et vous flagellerez les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville.
- C'est pourquoi rattache ce verset à la pensée précédente : Jésus veut expliquer pourquoi les Pharisiens et les Scribes n’échapperont point aux jugements divins. - Je vous envoie. Mot magistral qui énonce l’autorité suprême du Messie : " De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ", dira-t-il ailleurs (Joan. 20, 21) à ses Apôtres. - Des prophètes, et des sages, et des scribes. Ce sont les messagers évangéliques qui sont désignés par ces locutions juives : les docteurs chrétiens lancés dans le monde, et tout d’abord en Palestine, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, rempliront en effet d’une manière équivalente les rôles de ces divers personnages de l’Ancien Testament. - Et vous tuerez... On trouvera au livre des Actes et dans l’histoire du premier siècle de l’Église la réalisation parfaite de cette sombre prophétie : S. Étienne lapidé, S. Siméon crucifié, Cf. Eusèbe, Hist. Eccl. 3, 32, les Apôtres flagellés, S. Paul poursuivi de ville en ville, sont des témoins irrécusables de la vérité des paroles du Sauveur. - Voilà donc en quoi consiste le culte des Pharisiens pour les Prophètes : ils ornent de fleurs les tombeaux de ceux qui ne sont plus, et massacrent ceux que Dieu leur envoie à eux-mêmes. Ils pouvaient bien gémir sur la barbarie de leurs aïeux !Matthieu chap. 23 verset 35. - Afin que retombe sur vous tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste, jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l’autel.
- Afin que retombe. Les exégètes n’ont jamais été d’accord sur la signification de la conjonction afin que en cet endroit. Plusieurs la traduisent par " ita ut ", sous prétexte que le langage biblique exprime habituellement sous une forme causative ce qui n’est en réalité qu’une simple conséquence. D’autres en plus grand nombre lui conservent son acception ordinaire, " afin que ", dont nous ne voyons aucune raison de nous écarter ici. Puisque Dieu est déterminé à châtier les Pharisiens coupables déjà de tant de fautes, pourquoi ne leur fournirait-il pas l’occasion de commettre un dernier crime qui accélérera l’heure de ses vengeances, dès là qu’ils seront complètement libres de résister au mal ? - Tout le sang innocent. Le sang innocent, (Cf. 4 Reg. 21, 16 ; 24, 4 ; Jerem. 26, 15 ; Thren. 4, 13), que d’autres passages de l’Écriture, Gen. 4, 10 ; Hebr. 12, 24 ; Apoc. 6, 10, représentent comme criant vengeance vers le ciel, est supposé tomber à la façon d’un poids écrasant sur la tête de ceux qui l’ont injustement versé ; Cf. 28, 55. Sans figure, Jésus veut dire que la responsabilité, en même temps que le châtiment de tant d’homicides infâmes, retombera sur les Scribes et sur toute la nation juive. - Le sang d'Abel. Le meurtre d’Abel, qui ouvre d’une manière si lamentable l’histoire de l’homme déchu, Cf. Gen. 4, 8 et ss., avait fait couler sur la terre les premières gouttes de sang innocent. Depuis, quelle longue chaîne de crimes analogues dans la race choisie, jusqu’à l’époque fixée par Jésus ! Le Sauveur en rend les Pharisiens en particulier et tous les Juifs en général responsables, à cause de la solidarité qui unit les membres d’une même famille. Or, ceux auxquels il tenait ce langage ne remontaient-ils pas en droite ligne jusqu’à Adam par Abraham et par Noé ? " En vertu de l’unité de l’espèce, dit M. Schegg, personne n’existe à part et seulement pour soi ; il vit dans l’ensemble auquel il appartient, et dont il partage les destinées comme le rameau partage celles de l’arbre. D’après cette loi, chaque génération ne commence pas à pécher en son propre nom, mais elle continue les crimes de la génération qui l’a précédée, et la dette est accumulée, additionnée, bien que cette addition ait lieu d’après un calcul soustrait à notre appréciation ; puis, quand vient le moment de régler des comptes, quand arrivent les châtiment divins, alors les descendants expient vraiment et littéralement les fautes de leurs ancêtres. Mais il est évident que nous ne voulons parler ici que du châtiment temporel et terrestre, de ce châtiment qui ne manque jamais d’être infligé, Dieu l’eût-il différé pendant des siècles ". C’est en ce sens que les Juifs contemporains du Sauveur devaient être punis pour le crime de Caïn et pour d’autre meurtres commis longtemps avant leur naissance. - Zacharie, fils de Barachie. Du premier de tous les meurtres, qui était d’autant plus coupable que c’était un fratricide, le Sauveur passe à un autre assassinat d’un genre atroce, commis dans le lieu saint et raconté dans le dernier livre de la Bible hébraïque, 2 Par. 24, 20 et ss. Il est en effet très probable que ce Zacharie auquel Notre-Seigneur fait allusion ne diffère pas de celui dont il est question au second livre des Paralipomènes : telle est l’opinion commune des exégètes modernes et de la plupart des anciens. Du reste, voici d'après S. Jérôme le résumé de la discussion qui existait dès le temps de ce Père sur ce passage difficile, et qui est restée depuis à peu près au même point. " Quel est ce Zacharie, fils de Barachie, car nous trouvons dans l'Écriture un grand nombre de personnes nommées Zacharie ? Pour nous prémunir contre toute erreur, Notre-Seigneur ajoute : "que vous avez tué entre le temple et l'autel". Les uns pensent que ce Zacharie est le onzième des douze petits prophètes, et le nom de son père est favorable à cette opinion ; mais l'Écriture ne nous dit pas dans quelle circonstance il a été tué entre le temple et l'autel, d'autant plus que de son temps il restait à peine quelques ruines du temple. D'autres veulent que ce soit Zacharie, père de Jean-Baptiste. Cette explication n'étant pas appuyée sur l'autorité de l'Écriture, peut être rejetée aussi facilement qu'on l'admet. D'autres prétendent qu'il s'agit de Zacharie qui fut tué par Joas, roi de Juda, entre le temple et l'autel, c'est-à-dire sur le parvis; mais il faut remarquer que ce Zacharie ne fut pas fils de Barachias, mais du grand-prêtre Joiadas. Barachias, dans la langue hébraïque, veut dire le béni du Seigneur, tandis que le nom de Joiadas signifie, en hébreu, la justice. On lit cependant dans l'Évangile dont se servent les Nazaréens, fils de Joiadas, au lieu de fils de Barachias ", Comm. in Matth. Lib. 4 ch. 3 A ces trois sentiments, on en a ajouté un quatrième, qui a trouvé son point d'appui dans les lignes suivantes de l'historien Josèphe, Bell. Jud. 4, 6, 4 : " Les Zélotes, irrités contre Zacharie, fils de Baruch, résolurent de lui donner la mort. Ils étaient vexés de le voir ennemi du mal, ami du bien : il possédait en outre de grandes richesses. Deux des plus hardis le saisirent et l’assassinèrent au milieu du temple ". Les noms et les circonstances cadrent fort bien avec le fait raconté par Jésus ; seulement, le divin Maître parle d’un événement qui devait s’être accompli depuis un certain nombre d’années (que vous avez tué), tandis que le meurtre mentionné dans les annales de Josèphe n’eut lieu qu’environ quarante ans après la Passion. Il faut donc revenir à l’opinion de S. Jérôme qui ne présente, après tout, qu’une difficulté dont la solution n’est nullement embarrassante. Il est possible en effet que les mots " fils de Barachie " soient une faute de copiste, comme l’admettent Paulus, Fritzsche, etc., d’autant mieux qu’ils manquent totalement dans le passage parallèle de S. Luc, 11, 51. Il se peut aussi que le père de Zacharie ait porté simultanément les noms de Joïada et de Barachie (Grotius, Bengel, Kuinœl), car il n’était pas rare chez les Juifs d’avoir en même temps deux appellations distinctes. - Entre le temple et l'autel, par conséquent entre le Naos, ou le temple proprement dit, qui se composait du Saint et du Saint des Saints, et l’autel des holocaustes situé en avant du vestibule. Cf. l’Atlas d’archéologie biblique de M. Ancessi, pl. 10. Cette circonstance aggravait singulièrement le crime. Un pareil attentat, commis en pareil lieu sur la personne d’un saint prêtre, était devenu tristement célèbre dans l’histoire juive. " Ils ont commis sept crimes ce jour-là. Ils ont tué le prêtre, prophète et juge ; ils ont versé le sang innocent, et pollué la cour. Et cela arriva le jour du Sabbat, et le jour de l'Expiation ", Talmud, Sanhed. f. 96, 2. C’étaient, d’après les Rabbins, sept sacrilèges ajoutés à l’homicide. Et encore : " R. Judan interrogea R. Acham : En quel lieu ont-ils tué Zacharie ? Dans la cour des femmes ? Dans la cour des Israélites ? Il lui répondit : Ni dans la cour des Israélites, ni dans la cour des femmes, mais dans cour du Grand Prêtre ", ibid. Aussi bien, le récit devenant légendaire cite d’étranges détails destinés à montrer jusqu’où serait allée la rigueur de la vengeance divine après cet attentat. Le sang de Zacharie, demeuré sur les dalles du vestibule dans un état d’ébullition permanente sans qu’il fût possible de l’enlever ou de le calmer, aurait été aperçu 250 ans plus tard par Nabuzardan, général en chef des troupes de Nabuchodonosor. " Qu'est-ce que cela signifie ? ", demanda-t-il aux Juifs ? - C'est le sang, lui répondent-ils, des veaux, des agneaux et des boucs, que nous avons offert sur l'autel. Apportez donc, dit-il, des veaux, des agneaux et des boucs, pour vérifier que ce sang provient d'eux. Ils amenèrent des veaux, des agneaux et des boucs et ils les tuèrent, et ce sang continua à bouillonner ; mais le sang des animaux tués ne bouillonnait pas. Dévoilez-moi ce secret, dit-il, ou je ferai déchirer la chair de vos poitrines. Ils lui dirent : C'est un Prêtre, un Prophète et un Juif, qui a prédit à Israel ces maux dont tu nous fais souffrir, et nous nous sommes rebellés contre lui, et nous l'avons tué. Et moi, dit-il, je calmerai ce sang. Il fit venir des Rabbins, les tua et cependant le sang ne se calma pas. Il fit venir des enfants de l'école rabbinique, les tua, et le sang ne se calma pas. Il fit ainsi immoler 94000 personnes, et cependant le sang ne se calma pas. Il s'approcha alors et dit : " O Zacharie, pour t'apaiser j'ai fait périr les meilleurs des tiens, veux tu que je les fasse tous périr? " Et le sang de Zacharie cessa alors de bouillonner ", ibid. Il est bien difficile que l’allusion de Jésus ne se soit pas rapportée à un fait devenu si populaire à Jérusalem.Matthieu chap. 23 verset 36. - En vérité, je vous le dis, toutes ces choses retomberont sur cette génération.
- En vérité (amen) je vous le dis. " Il insiste en employant le mot amen, et en répétant le jugement qu'il prononce, pour que personne ne puisse prendre la menace à la légère ", Maldonat in h.l. - Retomberont ; ce verbe mis en avant corrobore également la pensée et rend la menace plus terrible. - Toutes ces choses. Tous les meurtres, tous les crimes que Jésus vient de reprocher aux Juifs retomberont sur eux sous la forme d’effroyables châtiments, et c’est dans un avenir rapproché que la punition sera infligée, comme l’indiquent les derniers mots du verset, sur cette génération. La génération actuellement existante, qui sera la dernière de la théocratie juive, en verra la pleine réalisation. Mais c’est justice, car n’a-t-elle pas traité Notre-Seigneur Jésus-Christ plus cruellement que Caïn n’avait traité Abel ? Cent fois plus coupable que les générations auxquelles elle succède, elle sera aussi plus sévèrement punie. - Ce n’est pas la seule fois dans l’histoire que les abominations des siècles antérieurs se sont accumulées pour écraser ensuite sous leur poids une seule génération : la fin du siècle dernier a présenté en France sous ce rapport plus d’une analogie avec ce qui s’était passé au moment de la destruction de l’état juif.Matthieu chap. 23 verset 37. - Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu
. - Après les terribles paroles que nous venons d’entendre, en voici d’autres qui respirent une tendresse toute maternelle. Jésus voudrait épargner à son peuple les affreux malheurs qu’il lui a prédits depuis le v. 33 : il essaie donc de le toucher par une apostrophe pleine d’un brûlant amour, mais en même temps pleine de tristesse, parce qu’il prévoit l’inutilité de ce dernier effort. On sent en quelque sorte son divin cœur palpiter à travers ces lignes. - Jérusalem... Il ne s’agit plus des Pharisiens ni des Scribes ; c’est à Jérusalem, nommée deux fois par compassion et par amour, Cf. S. Jean Chrys. Hom. 74 in Matth., que le Sauveur s’adresse comme au centre de la théocratie. (Le nom de la capitale juive est Ierouschalaïm.) - Qui tues… qui lapides. Les verbes sont au présent parce que Jérusalem était dans l’habitude d’égorger, de lapider les prophètes et les autres ministres sacrés que Dieu daignait lui envoyer pour la convertir. - Combien de fois ai-je voulu... Et pourtant, d’après S. Matthieu et les autres synoptiques, Jésus-Christ ne semble avoir exercé aucun ministère à Jérusalem avant la circonstance présente. Mais ces paroles mêmes démontrent qu’il y était venu fréquemment, et qu’il y avait rempli à diverses reprises un rôle très actif en vue de sauver la malheureuse cité. L’évangéliste S. Jean nous donnera un commentaire complet de ce " combien de fois ". Origène et d’autres anciens auteurs pensent du reste qu’en le prononçant Jésus tenait compte non seulement de son activité personnelle, mais encore de celles des prophètes qui l’avaient précédé ; Cf. S. Jérôme, Comm. in h. l. - Tes enfants. Les fils de Jérusalem, ce sont ses habitants : c’est, par extension, tout le peuple juif dont elle était la capitale. - Comme une poule... Belle et forte image qui peint au vif l’amour de Jésus pour ses compatriotes, et la protection toute maternelle dont il aurait voulu les environner ; Cf. Ps. 16, 6 ; 36, 7 ; Is. 31, 5 ; etc. " La poule aperçoit l’oiseau de proie dans les airs et aussitôt elle groupe avec anxiété ses poussins autour d’elle. Jésus voyait avec angoisse les aigles romaines s’approcher des enfants de Jérusalem pour les dévorer, et il s’efforçait par les plus doux moyens de les sauver ", J. P. Lange, in h. l. - Mais hélas ! ses tentatives devaient échouer contre l’insensibilité, l’ingratitude et l’aveuglement de ces malheureux Juifs, et tu ne l'as pas voulu ! Jésus s’en plaint avec un sentiment de profonde tristesse, en même temps qu’il dégage sa responsabilité. Malheur donc à ceux qui n’auront pas voulu se laisser sauver ! Car l’amour méprisé amènera les catastrophes prophétisées plus haut.Matthieu chap. 23 verset 38. - Voici que votre maison vous sera laissée déserte.
- L’aile protectrice sous laquelle on a refusé de s’abriter s’étant retirée complètement, les coups les plus redoutables viendront frapper les Juifs. Le temps présent, employé dans le texte grec indique mieux encore la proximité de la ruine. - Votre maison. Jésus appelle ainsi le temple dans l’enceinte duquel il prononçait ce discours, ou bien Jérusalem, ou encore l’ensemble de la théocratie. Notons le pronom " votre ". Rien de tout cela n’est désormais la maison de Jéhova : il n’en veut plus ! C’est simplement la demeure d’un peuple coupable qu’il se dispose à châtier. - Déserte. Une maison est vide quand son maître a cessé de l’habiter ; Jérusalem, abandonnée par le Messie, ressemblera à une habitation délaissée, qui tombe en ruines. Il y a longtemps que Jérémie, parlant au nom de Dieu, avait prédit cette calamité : " J’ai abandonné ma maison, délaissé mon héritage, livré ma bien-aimée à la poigne de ses ennemis ", Jerem. 12, 7 ; et David, maudissant ses ennemis, n’avait rien trouvé de plus terrible contre eux que l’imprécation suivante : " que leur camp devienne un désert, que nul n'habite sous leurs tentes ! " Ps. 68, 26.Matthieu chap. 23 verset 39. - Car je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais, jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.
- Notre-Seigneur, expliquant le verset qui précède, fait voir la manière dont se réalisera la menace qu’il contient. - Vous ne me verrez plus. Dans quelques jours, il sera séparé d’eux par la mort et, à partir de ce moment, ils cesseront de le contempler jusqu’à l’époque de la résurrection générale et de son second avènement. Car ce sont ces grands événements de la fin du monde qui sont désignés par les mots : Jusqu'à ce que vous disiez : Béni. - Naguère, des amis nombreux poussaient en son honneur cette glorieuse acclamation pour lui souhaiter la bienvenue dans les murs de Jérusalem comme au Messie promis, Cf. 21, 9. Quand il reviendra en qualité de Juge suprême, la nation juive convertie en masse, Cf. Rom. chap. 11, le saluera joyeusement par ces mêmes paroles. La fin du grave réquisitoire dont nous achevons l’explication ouvre donc un horizon consolant auquel on n’aurait pas osé s’attendre. " Les Juifs ont donc un temps marqué pour le repentir; qu'ils confessent que celui qui vient au nom du Seigneur est béni, et ils seront admis à contempler le visage du Christ ", S. Jérôme in h. l. On aime à voir se terminer par un rayon d’espoir le dernier discours de Notre-Seigneur Jésus-Christ à la foule des Juifs. - Quelques commentateurs ont singulièrement rapetissé la pensée du Sauveur en lui faisant dire qu’il ne se montrerait pas à la foule pendant les deux jours suivants, c’est-à-dire jusqu’à la fête de Pâque, à l’occasion de laquelle, nous assure-t-on sans la moindre preuve, les Juifs se saluaient par les mots " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ". Le P. Patrizzi, Lib. 1. de Evang. Quæst. 4, §1, n’est guère plus heureux lorsqu’il accuse S. Matthieu d’avoir troublé en cet endroit l’ordre chronologique : d’après lui, le chap. 23 raconterait un fait antérieur à ceux qui sont contenus dans le chap. 21, de sorte que, par la prophétie du v. 39, Jésus annoncerait simplement son entrée triomphale à Jérusalem !Discours eschatologique de Jésus. - Occasion de ce discours, vv. 1-3. - Les signes avant-coureurs de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde, vv. 4-35. - Exhortations pratiques : il faut veiller parce que le dernier jour est incertain, vv. 36-51.
Ce discours, qui forme la sublime conclusion de l’activité doctrinale de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les trois premiers Évangiles, se divise en trois parties très distinctes. La première est surtout théorique, 24, 1-35 ; la seconde est plus spécialement pratique, 24, 36-25, 30 ; la troisième est encore plus théorique que la première, 25, 31-46. Il contient sur la ruine de Jérusalem, sur le second avènement du Christ et sur la fin du monde d’importantes instructions, destinées à éclairer les Apôtres et l’Église future. Le nom de " Discours eschatologique " qu’on lui donne habituellement, est donc tiré de son objet. C’est S. Matthieu qui le reproduit de la manière la plus complète : S. Marc et S. Luc ont abrégé la première partie, ils omettent même presque entièrement la seconde. - Suivant un système préconçu que nous avons déjà jugé plusieurs fois (voir les préambules des chap. 5 et 10), Olshausen prétend que la rédaction du premier évangéliste a considérablement amplifié l’instruction originale du Sauveur. Ici encore, S. Matthieu aurait cousu ensemble des pièces rapportées, rapproché des paroles évangéliques appartenant à différentes époques ; Cf. Bibl. Commentar über sæmmtl. Schrift. des N. Testam. 3è édit. t. 1. p. 858. Nous croyons au contraire, pour les raisons indiquées ailleurs, que ce discours fut prononcé par Jésus tel que nous le lisons ici. Les amalgames dont parle Olshausen sont entièrement opposés au genre simple et à la parfaite véracité des historiens du Christ. Voir Stier, Reden Jesu, in h. l.
1° Première partie, 24, 1-35
Dans son récent ouvrage sur l’Histoire évangélique, p. 697, M. Reuss appelle très justement ce passage " l’un des plus célèbres " de la vie de Jésus-Christ. Nous ajouterons que c’est aussi l’un des plus difficiles, comme le montrent les nombreuses monographies auxquelles il a donné lieu et les interprétations très variées qu’il a reçues.
1
Jésus, étant sorti du temple, s’en allait. Alors ses disciples s’approchèrent, pour lui faire remarquer les constructions du temple. 2Mais il leur répondit : Voyez-vous tout cela ? En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. 3Et comme il était assis sur le mont des Oliviers, ses disciples s’approchèrent de lui en particulier et lui dirent : Dis-nous quand ces choses arriveront et quel signe il y aura de ton avènement et de la fin du monde.Matthieu chap. 24 verset 1. - Jésus, étant sorti du temple, s’en allait. Alors ses disciples s’approchèrent, pour lui faire remarquer les constructions du temple.
- Jésus, en cet instant, quittait à tout jamais le temple de Jérusalem : il ne devait plus en franchir le seuil. La prophétie du chapitre précédent, 23, 38, commençait donc à s’accomplir. - Pour lui faire remarquer. Pourquoi les Apôtres eurent-ils alors la pensée d’attirer l’attention de leur Maître sur les constructions du temple ? Origène s'était déjà adressé cette question : " On se demande naturellement pourquoi ils lui montrent les constructions du temple comme s'il ne les avait jamais vues. La raison en est que Notre-Seigneur ayant prédit plus haut la ruine du temple, les disciples qui l'entendirent, s'étonnèrent qu'un édifice de cette grandeur et de cette magnificence dût être entièrement détruit, et ils lui en firent voir la beauté, pour le fléchir en faveur de cet édifice, et l'engager à ne point accomplir les menaces qu'il avait faites ", D. Thomae Catena in Matth. h. l. Peut-être serait-il vrai de dire qu’ils désiraient lui faire expliquer sa pensée, qu’ils avaient insuffisamment comprise. - Les constructions du temple ; par conséquent l’ensemble gigantesque des bâtiments qui composaient le temple, et dont le seul emplacement occupe la cinquième partie du terrain sur lequel Jérusalem est bâtie ; voir Riess, Bibel Atlas, pl. 6. La magnificence et la richesse de ces constructions étaient devenues proverbiales. Qui n’a pas vu le temple d’Hérode, disait-on, n’a pas vu de bel édifice. Cf. Lightfoot, Hor. Hebr. in h. l. M. J. Fergusson, si compétent sur cette matière, n’hésite pas à affirmer que le temple d’Hérode formait, " l’une des combinaisons architecturales les plus splendides de l’ancien Monde ", Smith, Diction. of the Bible, art. Temple. Situation admirable et extrêmement pittoresque au-dessus de la vallée du Cédron, avec la ville bâtie en amphithéâtre sur les collines avoisinantes, vastes terrasses superposées et entourées de galeries aux mille colonnes, édifices aux formes variées, élégamment groupés, revêtus d’or et de pierres précieuses, tout s’unissait pour faire une masse harmonieuse que l’œil ne se lassait pas de contempler. M. Ancessi en donne une silhouette dans son Atlas archéologique, pl. 9, d’après les plans de M. de Vogué. Voir les descriptions dans Josèphe, Bell. Jud. 5, 5, 6 ; Lightfoot, Description templi Hierosol. ; Winer, Bibl. Realwœrterbuch, s. v. Tempel ; de Wette, Archæologie, §238 ; Keil, Handbuch der bibl. Archæologie, t. 1, p. 141 ; les dictionnaires de D. Calmet et de Wetzer et Welte, art. Temple ; etc.Matthieu chap. 24 verset 2. - Mais il leur répondit : Voyez-vous tout cela ? En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée.
- Voyez-vous ? Dans le grec, ne voyez-vous pas ? A son tour, Jésus attire leur attention sur ces bâtiments magnifiques, afin de mieux mettre en relief la sentence qui va suivre. Sous le sceau du serment, en vérité je vous le dis, il annonce dans les termes les plus clairs et les plus explicites que de ce temple merveilleux il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera impitoyablement renversé. L’oracle fut réalisé à la lettre, comme nous le savons par l’histoire. Après s’être emparé de Jérusalem, Titus fit démolir par ses soldats, quoique à regret, les murs de la ville et du temple incendié. Ce qui restait des fondements fut complètement anéanti à l’époque de la restauration impie tentée par Julien l’Apostat. On lira sans doute avec intérêt le récit que nous a laissé sur ce dernier fait le païen Ammien Marcellin, 23, 1 ; Cf. Théodoret, 3, 17 ; Sozom, 5, 31 : " Il voulait relever... ce magnifique temple de Jérusalem, qu'après une série de combats meurtriers livrés par Vespasien, Titus avait enfin enlevé de vive force. Il chargea de ce soin Alypius d'Antioche... Alypius, bien secondé par le correcteur de la province, poussait en conséquence les travaux avec vigueur; quand soudain une éruption formidable de globes de feu, qui s'élancèrent presque coup sur coup des fondements même de l'édifice, rendit la place inaccessible aux travailleurs, après avoir été fatale à plusieurs d'entre eux ". " Pendant la nuit, ajoute l’historien Socrate, Hist. Eccl. 3, 20, un violent tremblement de terre fit sauter les pierres des anciens fondements du temple et les lança au loin avec les maisons voisines ". Où est maintenant cette masse de marbre blanc qui ressemblait, au dire des contemporains, à une montagne de neige ? Où sont ces pierres aux couleurs variées qui représentaient les vagues de l’océan ? Jésus a dit vrai : il n’est pas resté deux pierres réunies. Il prophétisait la destruction la plus complète, et la destruction la plus complète est survenue. " Les ruines mêmes ont péri " : Cf. Lightfoot, Hor. Hebr. in h.l.Matthieu chap. 24 verset 3. Et comme il était assis sur le mont des Oliviers, ses disciples s’approchèrent de lui en particulier et lui dirent : Dis-nous quand ces choses arriveront et quel signe il y aura de ton avènement et de la fin du monde.
- Il était assis... Détail pittoresque. La scène qui précède avait eu lieu au moment où le Sauveur quittait le Temple : celle-ci se passe une demi-heure plus tard. Notre-Seigneur a gravi en silence le Mont des Oliviers. Arrivé au sommet de la colline, il s’est assis en face du Temple, Cf. Marc. 13, 3, à l’endroit d’où les armées romaines devaient bientôt se précipiter sur la ville. Il contemple avec tristesse l’édifice dont il vient de prédire la ruine, et qui, de ce lieu élevé, paraissait plus riche encore et plus beau que de près. La troupe apostolique se tenait à quelque distance. Quatre des disciples, Cf. Marc. l. c., s’approchent alors du divin Maître, en particulier, c’est-à-dire sans que d’autres témoins fussent présents, pour l’interroger sur le Quand et le Comment des faits qu’il a prophétisés. Pour bien comprendre leur question, il faut se rappeler que, d’après la christologie judaïque, la destruction de Jérusalem et du Temple, l’avènement du Messie et la fin du Monde devaient être trois événements à peu près simultanés ; Cf. Stier, Reden des Herrn, in h. l. ; Reuss, Histoire évangélique, p. 597 et ss. " Les disciples, écrit ce dernier, ne voyaient dans la ruine du Temple, dont leur Maître leur offrait la perspective, que l’un des incidents d’une révolution beaucoup plus grande : de celle-là même que S. Matthieu signale en parlant de la consommation du siècle. Loin donc de se récrier au sujet d’une menace qui aurait dû effaroucher leur patriotisme religieux, ils la considèrent comme une confirmation indirecte de leurs espérances messianiques, et loin de se livrer à un sentiment de tristesse autrement si naturel, c’est la curiosité de l’attente intéressée qui leur dicte leur question. " - Quand ces choses arriveront. " Ces choses " retombe sur la prophétie de Jésus, par conséquent sur la ruine du Temple. - Quel signe il y aura. Le mot grec habituellement employé dans le Nouveau Testament pour désigner l’apparition du Christ, Cf. les versets 27, 37, 39 ; 1 Thess. 2, 19 ; 3, 13 ; 4, 15 ; 5, 23 ; 2 Thess. 2, 1, etc ; Jos. Ant. 20, 2, 2., signifie présence. Il est synonyme des substantifs Épiphanie (Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ) dans 1. Tim. 6, 14 ; 2 Tim. 4, 1, 8, et Apocalypse (Révélation de notre Seigneur Jésus Christ), 1 Cor. 1, 7 ; 2 Thess. 1, 7 ; 1 Petr. 1, 7. 13 ; comme eux, il désigne un avènement solennel, destiné à fonder ouvertement, d’une manière définitive, le royaume messianique. - Et de la fin du monde. En latin : la consommation du siècle. Les apôtres nommaient ainsi ce que nous appelons en termes à peu près identiques la fin du monde, Cf. Gen. 49, 1 ; Is. 2, 2 ; Mich. 4, 1, Daniel, 12, 13 ; S. Pierre, 1 Petr. 1, 5 ; " la dernière heure " de S. Jean, 1 Joan. 2, 18, sans parler de plusieurs autres expressions équivalentes cités dans nos saints Livres. Voir Olshausen, bibl. Comment., t. 1, p. 871, 3è édit. - Il y a trois parties dans la demande des disciples : ils veulent savoir 1° quand aura lieu la catastrophe particulière prophétisée par Jésus ; 2° à quel signe précurseur ils pourront reconnaître l’approche de son avènement glorieux ; 3° quel sera également le signe de la fin des temps. En étudiant la réponse de Notre-Seigneur, nous verrons qu’il donne sur ces trois points de nombreux éclaircissements.
Première strophe, vv. 4-14.
4
Et Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous égare. 5Car beaucoup viendront sous mon nom, disant : je suis le Christ, et ils en égareront beaucoup. 6Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres. Gardez-vous de vous troubler car il faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin. 7Car on verra se soulever peuple contre peuple, et royaume contre royaume ; et il y aura des pestes et des famines et des tremblements de terre en divers lieux. 8Et tout cela ne sera que le commencement des douleurs.9
Alors on vous livrera aux tourments et on vous fera mourir ; et vous serez en haine à toutes les nations, à cause de mon nom. 10Alors aussi beaucoup seront scandalisés, et ils se trahiront et se haïront les uns les autres. 11Et de nombreux faux prophètes surgiront et séduiront beaucoup de monde. 12Et parce que l’iniquité abondera, la charité d’un grand nombre se refroidira. 13Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé.14
Et cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la fin.Matthieu chap. 24 verset 4. - Et Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous égare.
- Et Jésus leur répondit. C’est ici qu’éclate entre les exégètes le dissentiment dont nous avons parlé. Ils ne peuvent en effet se mettre d’accord sur l’objet direct de la première partie du discours de Notre-Seigneur, non plus que sur la manière dont chaque pensée se rattache à cet objet. Pour plusieurs, l’instruction entière concernerait la ruine de Jérusalem et la destruction de l’état juif. Selon d’autres, elle serait uniquement relative à la fin du monde. Lightfoot, MM. Norton, Barnes, Brown et A. Clarke soutiennent la première hypothèse ; S. Irénée, S. Hilaire, S. Grégoire-le-Grand et quelques auteurs modernes défendent la seconde. Entre ces deux opinions qui semblent directement opposées à différentes paroles de Jésus (voir les versets 15-20, 29-31 avec leur explication), et qui, pour ce motif, n’ont jamais trouvé qu’un petit nombre de défenseurs, il en existe une troisième adoptée déjà par S. Jérôme et S. Augustin, et autour de laquelle se sont de tout temps rangés la plupart des commentateurs. Elle consiste à dire que, dans sa prophétie, Notre-Seigneur a tout à la fois en vue la destruction de Jérusalem et la consommation des siècles. Toutefois, l’harmonie est loin d’être parfaite même sur ce terrain commun. Nous ne tardons pas à y rencontrer des divisions ou du moins des nuances. Suivant un système assez répandu, les deux prédictions seraient exprimées parallèlement dans chaque verset du discours, la même image pouvant s’appliquer tout ensemble et à la ruine de la théocratie juive et à la fin du monde. D’après une autre conjecture, ces deux idées seraient au contraire entièrement séparées ; mais les traits relatifs à chacune d’elles auraient été proférés à dessein avec si peu d’ordre qu’il est moralement impossible de les retrouver tous avec certitude. Suivant l’opinion qui nous paraît la plus raisonnable (voir les commentaires de Schegg, Bisping, Stier, etc.), on distingue dans la première partie du discours eschatologique plusieurs séries de versets qui traitent alternativement de la ruine de Jérusalem et de ce qui doit se passer à la fin des temps. Il serait trop long de discuter ces divers sentiments : une lecture attentive du texte et du commentaire suffira pour montrer que celui que nous adoptons explique pour le mieux la pensée de Jésus et fait disparaître la plupart des difficultés. - Il ne faut cependant pas s’attendre à une parfaite clarté sur les points mystérieux que Jésus va développer : le Sauveur, en effet, ne se propose point de satisfaire la curiosité de ses disciples, ni d’enflammer leur imagination. Il veut plutôt les préparer aux événements qu’il décrit que leur en fournir une description adéquate. Aussi ne leur dira-t-il rien de l’époque à laquelle auront lieu les grandes crises historiques qu’il annonce, et plusieurs de ses paroles demeureront obscures jusqu’à ce qu’elles aient été mises en lumière par leur accomplissement. - Dans les versets 5-35 nous trouvons trois strophes d’inégale étendue, analogues à celles qui existent dans les discours habituellement rythmiques des anciens Prophètes. A trois reprises, la pensée prend une direction nouvelle, de manière à produire des tableaux variés. Tout d’abord, Jésus répond en termes généraux à la question de ses Apôtres, leur indiquant quels seront les pronostics communs de la ruine de Jérusalem et de la fin des temps, vv. 5-14 : c’est la première strophe. Dans la seconde, vv. 15-22, il revient d’une manière spéciale à la destruction de l’empire juif, dont il décrit les calamités et les signes. Enfin, dans la troisième, vv. 23-35, il parle spécialement aussi de la fin du monde, des malheurs qui l’accompagneront et des moyens par lesquels on pourra reconnaître son approche. - Prenez garde. Les disciples, nous l’avons vu, avaient confondu dans leur demande plusieurs choses qui devaient être séparées par des intervalles considérables lorsqu’elles se réaliseraient. Au début de sa réponse (première strophe), Notre-Seigneur mélange comme eux les divers points sur lesquels il se proposait de les instruire : il envisage donc comme si c’était un seul et même acte la ruine de la capitale juive et la consommation du siècle. Il l’avait déjà fait plusieurs fois en d’autres circonstances ; Cf. 10, 23 ; 16, 28. Après tout, n’existe-t-il pas entre ces deux événements la plus étroite union, malgré leur distinction réelle ? Ils sont le commencement et la fin d’une même œuvre, la scène initiale et la scène finale d’une grande et unique tragédie divine. S’ils se correspondent ainsi l’un à l’autre, le Sauveur a pu, comme les Prophètes, les contempler ensemble d’un seul coup d’œil. Les années et les siècles, en s’écoulant, devaient rétablir la perspective qui demeurait invisible pour les premiers auditeurs et les premiers lecteurs. - Ne vous égare. Avis plein de gravité sur lequel le divin Maître reviendra plus loin, vv. 23-25, et qui a pour but de faire pressentir aux disciples les dangers terribles des temps qu’ils désirent connaître. " Ils étaient peu prémunis encore contre l’effet moral des déceptions qui attendaient leurs espérances et des luttes qu’ils rencontreraient dans leur chemin ; de plus, ils étaient très disposés à se laisser éblouir et égarer par le mirage des illusions que leur propre simplicité ou le fanatisme des enthousiastes... pouvaient faire naître dans leur esprit ". Reuss, Histoire évangélique, p. 600.Matthieu chap. 24 verset 5. - Car beaucoup viendront sous mon nom, disant : je suis le Christ, et ils en égareront beaucoup.
- Par la description de plusieurs dangers contemporains soit de la fin des temps, soit des derniers jours de Jérusalem, Jésus motive son exhortation sévère : Prenez garde ! - Les disciples pourraient d’abord être séparés de leur Maître par des séducteurs qui, à l’aide de mille artifices, se feront passer pour le Messie. Ces séducteurs seront nombreux ; ils s’appuieront sur le nom du vrai Christ qu’ils usurperont avec une sacrilège audace, et malheureusement ils ne réussiront que trop à égarer les âmes. - Le livre des Actes, 5, 35 ; 21, 38, et l’historien Josèphe, Ant. 20, 5, 8 ; 8, 6 ; Bell. Jud. 2, 35, 5, parlent de plusieurs de ces faux Rédempteurs qui provoquèrent en Judée, peu de temps après la mort de Jésus-Christ, de graves mouvements insurrectionnels : les Juifs accouraient en foule autour d’eux, s’attendant à une délivrance miraculeuse du joug romain. Ce fanatisme redoubla pendant le siège de Jérusalem ; il redoublera surtout à l’approche de la fin du monde. Voir dans l’ouvrage de MM. les abbés Lemann, La question du Messie et le Concile du Vatican, p. 22 et suiv., Lyon, 1869, une liste assez complète des Pseudo-Messies avec des documents historiques à l’appui. " Non pas une fois, non pas dix fois, s’écrient douloureusement les auteurs, mais vingt-cinq fois nos ancêtres ont été le jouet de ce mirage : pour avoir méconnu le Messie là où il était, on était réduit à le chercher là où il n’était pas ". L’anglais Buck, dans son Dictionnaire théologique, compte jusqu’à 29 faux Messies.Matthieu chap. 24 verset 6. - Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres. Gardez-vous de vous troubler car il faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin.
- Ce n’est pas seulement la séduction qui pourra égarer les disciples : la terreur suscitera pour eux le même danger. - Vous entendrez parler de guerres. Le bruit des combats, le cliquetis des armes, ne tardera pas à retentir tout auprès d’eux. Ces guerres auront lieu dans le voisinage. - Bruits de guerres représente au contraire des guerres lointaines, qu’on ne connaît que par la renommée et les rumeurs publiques, mais qui menacent de s’approcher bientôt et dont la seule perspective suffit pour glacer d’effroi ; Cf. Jer. 4, 19. - La paix la plus parfaite régnait dans tout le monde romain au moment de la naissance du Christ : peu de temps après sa mort la guerre sévit avec toutes ses horreurs, particulièrement en Palestine. Elle sévira de même au moment de la catastrophe finale. - Gardez-vous de vous troubler. S. Jean Chrysostôme donne au verbe le sens de " être dans le trouble " : il désigne plutôt le trouble de l’âme causé par l’effroi, trouble si dangereux dans les circonstances décrites par Jésus, car il est un fâcheux conseiller. Le vrai disciple fixera solidement son cœur en Dieu, et demeurera calme pendant la tempête. - Car il faut... ; Cf. 18, 7. La guerre, comme les scandales, n’est pas d’une nécessité absolue ; mais la malice des hommes la rend nécessaire d’une manière relative. Puisqu’elle doit exister, il faut que les chrétiens sachent en supporter les rigueurs avec tranquillité. Du reste, continue Jésus, ce ne sera pas encore la fin. Les bouleversements produits par la guerre ne seront pas la fin, soit pour Jérusalem, soit pour le monde ; ils en seront seulement le présage. Bien d’autres malheurs devront arriver encore avant la consommation suprême.Matthieu chap. 24 verset 7. Car on verra se soulever peuple contre peuple, et royaume contre royaume ; et il y aura des pestes et des famines et des tremblements de terre en divers lieux.
- Car on verra se soulever... C’est l’explication des premiers mots du v. 6. Tacite, au début de ses Histoires, 1, 2, semble avoir écrit le commentaire de ce passage : " Une époque féconde en catastrophes, ensanglantée de combats, déchirée par les séditions, cruelle même durant la paix : quatre princes tombant sous le fer ; trois guerres civiles, beaucoup d'étrangères, et souvent des guerres étrangères et civiles tout ensemble; des succès en Orient, des revers en Occident ; l'Illyrie agitée ; les Gaules chancelantes ; la Bretagne entièrement conquise et bientôt délaissée ; les populations des Sarmates et des Suèves levées contre nous ; le Dace illustré par ses défaites et les nôtres ; le Parthe lui-même prêt à courir aux armes pour un fantôme de Néron ; et en Italie des calamités nouvelles ou renouvelées après une longue suite de siècles ; des villes abîmées ou ensevelies sous leurs ruines, dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée par le feu, voyant consumer ses temples les plus antiques ; le Capitole même brûlé par la main des citoyens ". Jésus prophétise donc ici de violentes commotions, en particulier ces formidables crises politiques qui ensanglantèrent le monde, spécialement la Syrie et la Palestine, où les Juifs furent massacrées en grand nombre par leurs ennemis. Cf. Jos. Bell. Jud. 2, 17 ; 18, 1-8. - Des pestes et des famines. A côté de la guerre et du tumulte des nations, il prédit aussi d’autres calamités non moins désastreuses ; d’abord la peste et la famine ; puis des tremblements de terre qui renverseront des villes entières. Tous ces malheurs eurent lieu entre l’Ascension du Sauveur et la ruine de Jérusalem : les écrivains sacrés et profanes nous l’apprennent très explicitement. Tacite, Ann. 16, 37, et Suétone parlent d’une peste qui enleva, seulement à Rome, 30 000 hommes en quelques mois. L’auteur du livre des Actes, 11, 28, et Flavius Josèphe, Ant. 20, 2, 3, mentionnent la famine qui ravagea tout le monde romain sous le règne de Claude. Les tremblements de terre furent très fréquents dans l’empire entre les années 60 et 70 ; Cf. Tacite, Ann. 14, 16 ; Senec. Quæst. natur. 6, 1 ; Jos. Bell. Jud. 4, 4, 5. Mais ces malheurs passés ne sont qu’un faible prélude de ceux qu’on verra éclater vers la fin des temps. - Les Rabbins rattachent pareillement de grandes angoisses publiques à l’avènement du Messie. Sohar chadasch, f. 8, 4 : " A cette époque, le monde sera agité par des guerres, les nations s'opposeront aux nations, et les villes à d'autres villes : Les embûches se renouvelleront contre l'état d'Israel ". Bereschith rabba, sect. 42, f. 41, 1 : " R. Eleazar, fils d'Abina, dit : Si vous voyez des royaumes s'insurger les uns contre les autres, alors faites attention et regardez au pied du Messie " . Pesikta rabb. f. 2, 1 : " R. Levi dit : Au temps du Messie la peste viendra dans le monde et détruira les impies ". - L’expression en divers lieux a reçu deux interprétations contradictoires. Selon de Wette et d’autres exégètes, elle signifierait " en tous lieux ". Wetstein, Grotius, etc. la traduisent par " en de nombreux lieux ". Ce second sens est le plus vraisemblable.Matthieu chap. 24 verset 8. - Et tout cela ne sera que le commencement des douleurs.
- " mais ce ne sera pas encore la fin ", avait dit plus haut, v. 6. Notre-Seigneur : il répète ici cette pensée. Tout cela, toutes ces affreuses tribulations qu’il vient d’énumérer ne sont qu’un préambule, le commencement des douleurs, annonçant d’autres tribulations plus grandes encore. Que sera-ce donc aux derniers jours ? L’expression employée dans le texte grec est littéralement : le début des douleurs de l’enfantement. " La métaphore des femmes en couches est utilisée pour rappeler que les premières douleurs qui annoncent l'enfantement sont cependant bien petites si on les compare aux tortures qui accompagnent la naissance de l'enfant " . S. Paul, dans l'Épître aux Romains, 8, 22, décrit sous la même figure les souffrances de la création dégénérée : " la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. "Matthieu chap. 24 verset 9. - Alors on vous livrera aux tourments et on vous fera mourir ; et vous serez en haine à toutes les nations, à cause de mon nom.
- Du tableau des malheurs qui attendent l’humanité dans son ensemble, le divin Prophète passe à celui des peines réservées spécialement à ses disciples. - Alors ; non pas après, mais pendant les grandes calamités extérieures signalées dans les versets qui précèdent. - On vous livrera... Le monde nourrira des dispositions hostiles à l’égard des chrétiens et, dans sa haine, il les persécutera de mille manières, il les massacrera brutalement. Qu’on lise les Actes des Apôtres et l’on y verra à chaque page la réalisation de ces sombres prédictions dès l’origine du Christianisme. Et, depuis cette époque lointaine, quand est-ce que l’Église du Christ n’a pas été persécutée ? La haine qu’elle inspire aux méchants redouble à mesure que s’avance l’ère de la consommation. - Vous serez en haine... Race détestée, dit Tacite parlant des chrétiens. Les Juifs de Rome, dans l’entrevue qu’ils eurent avec S. Paul, lui dirent aussi : " Tout ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on s’oppose partout à elle ", Act. 28, 22.Matthieu chap. 24 verset 10. - Alors aussi beaucoup seront scandalisés, et ils se trahiront et se haïront les uns les autres.
- A partir de ce verset, Jésus signale les tristes conséquences qui résulteront pour plusieurs d’entre ses disciples des persécutions dirigées contre eux par le monde. - Beaucoup seront scandalisés. De nombreux chrétiens viendront se heurter contre les obstacles extérieurs et, manquant de force, ils seront bientôt renversés. Sans figure, ils abandonneront lâchement leur foi, quand il leur en coûtera quelque chose pour la garder. - Ils se trahiront. Ces apostats désireux de conquérir les bonnes grâces des païens par un zèle monstrueux, dénonceront leurs anciens frères et les livreront aux tribunaux. Voici l'accomplissement d'après Tacite, Annales 15, 44 : " On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres ". - Se haïront les uns les autres, quoique l’essence du Christianisme consiste précisément dans l’amour fraternel. Cf. Joan. 15, 17.Matthieu chap. 24 verset 11. - Et de nombreux faux prophètes surgiront et séduiront beaucoup de monde.
- A ces dissensions funestes, à ces trahisons qui viendront rompre tristement les rangs des fidèles, se joindra bientôt un autre danger qui accompagne toujours les époques de crise, le danger des doctrines erronées. Des faux prophètes, c’est-à-dire des hérésiarques, prêcheront ouvertement l’erreur, et, dans le désarroi où les persécutions auront jeté les fidèles, ils ne réussiront que trop à en pervertir un grand nombre. Jésus leur donne le nom de faux prophètes parce que les fauteurs des hérésies nouvelles ne manquent jamais de se dire les envoyés de Dieu. Dès la seconde moitié du premier siècle, nous voyons, en conformité avec la prédiction du Sauveur, les hérésies pulluler dans l’Église, menaçant d’envahir tout le champ que les Apôtres avaient ensemencé avec tant de peine. Comparez Act. 20 ,30 ; Gal. 1, 7-9 ; Rom. 16, 17-18 ; Col. 2, 17 et ss. 1 Tim. 1, 6, 7. 20 ; 6, 3-5, 20, 21 ; 2 Tim. 2, 18 ; 3, 6-8 ; 2 Petr. 2 ; 1 Joan. 2, 18, 22, 23, 26 ; 4, 1-3 ; 2 Joan. 7 ; 2 cor. 11, 13, etc. Voir aussi l’histoire ecclésiastique de cette époque dans Darras, Rohrbacher, Mœhler, etc. La fin du monde fera germer cette fâcheuse ivraie avec un redoublement de vigueur.Matthieu chap. 24 verset 12. - Et parce que l’iniquité abondera, la charité d’un grand nombre se refroidira.
- L'iniquité abondera. Ce verbe indique un accroissement considérable, une sorte de débordement du mal. - L'iniquité, l’opposition directe à la loi divine, l’iniquité en général, l’éloignement volontaire des principes vitaux du Christianisme. L’iniquité ne cesse jamais d’exister et d’agir dans le monde ; mais elle est surtout active aux époques de crises dont parle Notre-Seigneur. " Dans les jours précédent l'avènement du Messie, disent les rabbins, Sota, 9, 15, l'impudence augmentera ". - Ce redoublement de malice produira le résultat le plus déplorable, que Jésus exprime sous une belle image : La charité se refroidira. La charité, c’est l’amour en général, c’est la charité chrétienne, dont Dieu est l’objet principal et direct. Le divin Maître ne veut donc pas désigner ici d’une manière spéciale l’amour des fidèles les uns pour les autres, comme l’ont pensé Maldonat, Arnoldi, Buchner, etc. Cela posé, l’amour est une flamme ardente qui brûle sans cesse : hélas ! le vent des persécutions l’éteindra, la refroidira dans le cœur d’un grand nombre. - D'un grand nombre, avec l’article, représente la masse, la plupart des chrétiens. Il n’y aura que les âmes d’élite qui ne deviendront pas tièdes ou indifférentes sous le coup des dangers extérieurs.Matthieu chap. 24 verset 13. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé.
- Voici pourtant une parole de puissant encouragement parmi ces prophéties désolantes : le salut sera possible pour les hommes vigoureux ! - Celui qui persévérera. Persévérer, " sauver à travers ", ou, d’après le grec, résister. C’est garder au milieu des difficultés et des obstacles la foi en Jésus, l’amour pour Jésus, la pratique des devoirs imposés par Jésus ; c’est d’après le contexte, ne pas se laisser scandaliser par les maux du dehors, v. 10, ne pas se laisser induire en erreur par les faux prophètes, v. 11, ne pas se laisser refroidir intérieurement, v. 12. - Mais, pour que cette persévérance soit vraie, elle ne doit pas être passagère : il faut qu’elle dure jusqu'à la fin, c’est-à-dire, autant que les dangers prophétisés ; en tout cas, pour chaque fidèle jusqu’à la fin de sa vie. A ce prix, mais seulement à ce prix, on sera sauvé, on participera au salut messianique, mélange de gloire et de bonheur qui durera pareillement " jusqu'à la fin ", ou plutôt sans fin.Matthieu chap. 24 verset 14. - Et cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la fin.
- Jésus signale un dernier événement, événement plein d’importance et de consolation, qui devra se passer avant la fin de Jérusalem comme avant la fin des temps. - Cet Évangile. " L’évangéliste s’oublie en cet endroit, dit sottement de Wette, Kurzgef. exeget. Handbuch zum N. Test. t. 1, 1ère partie, in h. l., car il suppose que Jésus fait allusion à l’Évangile écrit plus tard par lui ". Comme si le pronom " cet " ne désignait pas l’Évangile oral prêché par le Sauveur lui-même ! - L’épithète du royaume précise la nature de la bonne nouvelle ; c’est celle du royaume par excellence, du royaume que le Christ a fondé. - Dans le monde entier. Dût-on voir avec S. Jean Chrysostôme une hyperbole dans cette expression, il est certain qu’elle ne s’applique pas seulement à la Palestine : elle s’étend pour le moins au monde romain, probablement même à l’univers entier, puisqu’il est question, une ligne plus bas, de " toutes les nations ". Le mieux est de dire que l’Évangile devait être proclamé dans tout l’empire romain avant la destruction de la nation juive, et sur toute la terre avant la fin du monde. Le premier s’est parfaitement accompli. " Cet Évangile du royaume sera prêché par toute la terre… avant la fin de Jérusalem. Car saint Paul marque assez que l’Évangile avait déjà couru dans tout le monde avant même la destruction de cette ville : " Leur voix , dit-il, s’est répandue dans toute la terre. (Rom. X, 10.) Et ailleurs : " L’Évangile que vous avez entendu a été prêché à toute créature qui est sous le ciel". (Col. I, 6.) C’est ainsi qu’on voit cet apôtre passer de Jérusalem dans l’Espagne pour y prêcher l’Évangile. Et si saint Paul a lui seul porté la foi dans une si grande étendue de provinces, jugez de ce que tous les autres Apôtres auront pu faire ", S. Jean Chrys. Hom. 75 in Matth. - Témoignage à toutes les nations. Tout à la fois un témoignage pour les peuples et contre les peuples, selon les circonstances : témoignage favorable dans le cas où ils accepteront la vérité chrétienne, car alors ils seront sauvés par elle ; au contraire témoignage accusateur, s’ils rejettent l’Évangile. Les exégètes se partagent entre ces deux interprétations du datif " aux nations " ; nous préférons les adopter l’une et l’autre, croyant obtenir ainsi un sens plus vrai et plus complet. - Et alors. Quand tous les signes précédemment indiqués, et spécialement ce dernier, auront apparu. - Viendra la fin. Jésus donne collectivement ce nom à la fin de Jérusalem, puis à celle du monde : il oppose la " consommation " au début dont il avait parlé au v. 8.Deuxième strophe, vv. 15-22.
15
Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. 16Alors que ceux qui sont en Judée s’enfuient dans les montagnes, 17et que celui qui sera sur le toit n’en descende pas pour emporter quelque chose de sa maison, 18et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas pour prendre sa tunique. 19Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là. 20Priez pour que votre fuite n’ait pas lieu en hiver, ou un jour de sabbat. 21Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais. 22Et si ces jours n’avaient été abrégés, nulle chair n’aurait été sauvée ; mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés.Matthieu chap. 24 verset 15. Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne.
- Quand donc vous verrez. Après avoir décrit les pronostics et les préludes communs aux deux grandes époques touchant lesquelles ses disciples l’avaient interrogé, le divin Maître revient maintenant sur chacune d’elles pour les faire connaître plus en détail. Il suit l’ordre des temps, et s’occupe en premier lieu de la catastrophe qui engloutira Jérusalem avec l’état juif. - L'abomination de la désolation. Ces mots sont une traduction littérale du grec, et cette locution grecque, empruntée aux Septante, avait été elle-même calquée sur l’hébreu du prophète Daniel. Ils sont assez obscurs dans les trois langues. Ils équivalent d’après Maldonat à " désolation abominable et redoutable ", selon d’autres à " abomination horrible ". Du moins, ce qui est clair, c’est qu’ils prédisent quelque chose d’affreux, un sacrilège épouvantable. - Dont a parlé le prophète Daniel. Jésus montre, par cette phrase incidente, qu’il n’entend point formuler un présage nouveau et inouï jusqu’alors. L’abomination de la désolation dont il parle a été prédite depuis longtemps par l’un des plus grands prophètes du Judaïsme, Dan. 9, 27 ; Cf. 11, 31 ; 12, 11 ; ses auditeurs la connaissent donc par ouï-dire, au moins d’une manière générale. - Établie : expression pittoresque qui personnifie la désolation, la présentant aux regards comme établie et domiciliée pour ainsi dire dans le lieu saint. - Quel est ce lieu sacré ? Notons que l’article manque dans le texte grec, " dans un lieu saint " ; de sorte que les paroles de Jésus peuvent ne pas désigner directement le temple de Jérusalem, mais soit la Terre Sainte tout entière (Bengel, de Wette, Baumgarten-Crusius), soit la ville de Jérusalem prise dans son ensemble. Cependant, si l’on se reporte au texte même de Daniel cité librement par Notre-Seigneur, on voit qu’il y est fait mention expresse du temple : " sur une aile du Temple il y aura l’Abomination de la désolation " ; aussi, n’est-il pas douteux que Jésus-Christ ait voulu exprimer la même pensée que le Prophète. Si nous parcourons les derniers temps de l’histoire juive, nous ne voyons guère que les scènes sanglantes opérées dans le temple par les Zélotes, Cf. Joseph. Bell. Jud. 4, 5, 10 ; 3, 10 ; 3, 10, qui puissent cadrer parfaitement avec la prédication du Sauveur. Plusieurs Pères, S. Hilaire en particulier, ont pensé à l’Antéchrist ; mais il n’est pas question de lui dans cette strophe. D’autres exégètes (S. Jean Chrys., Euthym., etc.) supposent que Jésus avait en vue l’érection des statues de Titus et d’Adrien sur l’emplacement du temple, ou l’incendie de cet édifice par les Romains : toutefois, ces événements furent postérieurs à la ruine de Jérusalem, tandis que la prédiction parle d’un fait qui devait la précéder, car elle suppose qu’on aura encore le temps de fuir quand éclatera l’abomination de la désolation. (Voir d’autres opinions dans Maldonat, Comm. in h. l). La profanation du lieu saint par les Zélotes s’accorde au contraire parfaitement avec la prophétie de Jésus. Elle fut d’ailleurs d’autant plus horrible qu’elle avait pour auteurs des adorateurs de Jéhova. On en trouvera le récit détaillé dans le bel ouvrage de M. de Champagny, Rome et la Judée. - Que celui qui lit... D’après S. Jean Chrys., Euthymius, Hengstenberg, Ewald, Stier, etc., cette parenthèse aurait été insérée par le Sauveur lui-même ; elle ferait partie de son discours primitif, et rappellerait aux lecteurs du livre de Daniel que les malheurs de Jérusalem et du temple auront lieu bientôt. M. Schegg, qui partage ce sentiment, cite la parole analogue qui revient fréquemment sur les lèvres de Jésus : " Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ". Mais il est plus probable que ces mots ne furent point prononcés par Notre-Seigneur : c’est plutôt une réflexion de l’évangéliste, un avis pressant qu’il adresse à tous ceux qui lisaient dans les premiers temps ce passage de son récit. Prenez garde, leur disait-il, l’heure annoncée par le Maître n’est-elle point arrivée et n’est-il pas temps de prendre les précautions auxquelles il vous invite ? Ce sens est le plus naturel et la plupart des commentateurs l’ont adopté.Matthieu chap. 24 verset 16. - Alors que ceux qui sont en Judée s’enfuient dans les montagnes.
- Ce verset et les suivants, 16-20, fournissent quelques moyens d’échapper aux calamités qui tomberont prochainement sur Jérusalem. - Alors reprend la pensée momentanément interrompue par la parenthèse. " Lorsque vous verrez... alors... ". - Ceux qui sont en Judée. Jésus s’adresse surtout aux habitants de la Judée, parce que, plus rapprochés de Jérusalem autour de laquelle allaient se livrer les combats les plus acharnés, ils étaient exposés par là-même à de plus grands dangers. - Le mot d’ordre, c’est s'enfuient ! Il faut fuir au plus vite, comme Loth de Sodome, ou, selon l’expression de Flavius Josèphe, comme l’on s’enfuit d’un vaisseau qui sombre. - Dans les montagnes. En temps d’invasion, l’on se réfugie de préférence dans les montagnes, qui offrent des abris naturels contre la fureur de l’ennemi. Les montagnes de Judée, et celles qui sont situées de l’autre côté du Jourdain, abondent en cavernes qui pouvaient servir de refuge en cas de danger. On sait que les chrétiens de Jérusalem et de la Judée, dociles à cette recommandation de Jésus-Christ, se retirèrent dans la montagneuse Pella, en Pérée, dès qu’ils virent approcher les armées de Rome et qu’ils y trouvèrent le salut ; Cf. Euseb. Hier. Eccl. 3, 5.Matthieu chap. 24 versets 17 et 18. - Et que celui qui sera sur le toit n’en descende pas pour emporter quelque chose de sa maison, 18et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas pour prendre sa tunique.
- Jésus démontre par deux exemples familiers, tirés de la vie pratique, qu’il ne faudra pas différer la fuite d’un instant. - Premier exemple, v. 17 : Celui qui sera sur le toit. Nous avons dit, Cf. 10, 27 et l’explication, que les toits des maisons orientales sont habituellement plats : on aime à s’y retirer à divers moments de la journée. - N'en descende pas... Le plus souvent, dans les habitations des Levantins, deux escaliers conduisent au sommet du toit : l’un est extérieur et aboutit à la rue ou aux champs ; l’autre est intérieur et communique avec les appartements. C’est à ce second escalier que Jésus fait allusion. La fuite qu’il recommande est si pressante qu’elle ne permet pas même de descendre du toit dans la maison, pour y aller chercher quelque objet qu’on désirerait sauver. Il faut se précipiter aussitôt dans la rue ou dans la campagne et s’échapper sans délai. - Second exemple, v. 18 : Celui qui sera dans les champs, occupé au travail des champs. - Ne retourne pas, scil. " dans sa maison ". - Prendre sa tunique, ou mieux, d’après le grec, sa toge, son pallium, désigne en effet un vêtement supérieur servant de manteau. Ce passage est plein de couleur locale. Les ouvriers juifs, comme les nôtres, se dépouillaient de leurs vêtements de dessus pour travailler plus aisément ; mais ils en avaient besoin pour se présenter en public d’une manière convenable. Néanmoins, le Sauveur ne veut pas qu’ils retournent les chercher dans leurs maisons. Qu’ils s’occupent avant tout de sauver leur vie ! - Ces avis, donnés sous une forme hyperbolique, font très bien ressortir la gravité des périls qui fondront sur Jérusalem.Matthieu chap. 24 verset 19. - Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là.
- Conséquence logique des versets qui précèdent. La fuite, et une prompte fuite, sera nécessaire : malheur donc à ceux qui seront retardés par quelque obstacle ! Ils risqueront de tomber entre les mains d’un ennemi qui ne fera pas de quartier. - Enceintes ou qui allaiteront. Notre-Seigneur signale deux catégories spéciales de personnes à plaindre au moment d’une fuite précipitée, les femmes enceintes et celles qui ont des enfants encore à la mamelle. " Malheur aux femmes qui seront grosses, parce que le poids qui les chargera les rendra moins disposées à se sauver par la fuite ; malheur aux femmes qui allaiteront, parce que, retenues dans la ville par l’affection de leurs enfants nouveau-nés, ne pouvant les sauver d’une si grande misère, elles seront contraintes de périr aussi avec eux "S. Jean Chrys., Hom. 76 in Matth.Matthieu chap. 24 verset 20. - Priez pour que votre fuite n’ait pas lieu en hiver, ou un jour de sabbat.
- Dès l’heure présente, les disciples de Jésus, avertis par leur Maître, doivent conjurer le Seigneur de faire disparaître les obstacles indépendants de leur volonté qui pourraient s’opposer à leur fuite. Nous trouvons ici l’indication d’un nouvel empêchement ; mais, tandis que le précédent était tiré de deux circonstances personnelles, celui-ci est déduit de deux circonstances de temps. - En hiver : c’est un obstacle qui provient de la nature. En hiver, le mauvais temps retarde notablement la marche : dans l’Orient c’est la saison des pluies et les chemins, mauvais à toute époque, deviennent alors impraticables. Cf. Lightfoot, Hor. hebr. in h. l. - Ou un jour de sabbat : obstacle qui provient d’un précepte divin. Les Juifs - car c’était pour les chrétiens issus du Judaïsme que parlait alors Jésus - ne pouvaient parcourir aux jours de sabbat que de courtes distances, rigoureusement fixées ; Cf. Act. 1, 12. Le " sabbati iter " était d’après les Rabbins de 2000 coudées, équivalentes à 6 stades grecs, à 750 pas romains. Il est vrai que cette loi souffrait des exceptions, comme nous l’apprend le Talmud : " Si quelqu'un est poursuivi par des païens ou par des voleurs, ne lui est-il pas permis de profaner le sabbat ? Nos rabbins ont dit que cela lui est permis, pour sauver sa vie ", Bammidbar R. S. 23, f. 231, 4. Mais il y avait aussi des Docteurs sévères qui ne les autorisaient jamais, ou des disciples scrupuleux qui refusaient d’y avoir recours. Jésus, du reste, parle en termes généraux, indépendamment de toute exception. Remarquons encore que les chrétiens de la Judée, en prenant la fuite au jour du sabbat, pouvaient s’attirer des persécutions de la part de leurs anciens coreligionnaires, qui les regarderaient comme des profanateurs.Matthieu chap. 24 verset 21. - Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais.
- Ce verset et le suivant font ressortir par anticipation le caractère affreux des calamités qui devaient bientôt tomber sur Jérusalem et sur les Juifs. - L’adverbe alors se rapporte à l’époque mentionnée, dans les vv. 15 et 16. La conjonction car relie la description des vv. 20 et 22 à l’idée qui précède : Jésus indique à ses disciples pourquoi ils devront fuir sans retard. - Une grande tribulation. La tribulation qui accompagna le siège et la prise de la capitale juive fut horrible en effet. On frémit en lisant les détails que nous a conservés l’historien Josèphe, Bell. Jud. passim. Il y eut alors des horreurs, des atrocités sans parallèles dans l’histoire du monde. A Jérusalem seulement, 1 100 000 Juifs furent égorgés, 97 000 furent faits prisonniers et condamnés soit à de cruels supplices, soit à un dur esclavage. On en crucifia un si grand nombre que " l’espace manquait pour les croix et les croix pour les condamnés ". La famine enlevait " des maisons et des familles entières " ; les mères mangeaient leurs propres enfants. Voir les récits de M. de Champagny. Rome et la Judée, chap. 14-17 ; de M. de Saulcy, Les derniers jours de Jérusalem, Paris 1866 ; de M. Renan, l’Antechrist. Faisant allusion aux paroles suivantes de Jésus, " pas eu de pareille ", S. Jean Chrysostôme peut donc s'écrier en toute vérité : " Ceci ne doit point être pris pour une exagération, et l’histoire de Josèphe en justifie assez la vérité. On ne peut pas dire non plus que cet auteur, étant chrétien, a pris plaisir à exagérer ces malheurs pour faire voir la vérité de ce que Jésus-Christ prédit ici, puisque Josèphe était juif, et des plus zélés d’entre les Juifs qui sont venus après la naissance du Sauveur. Cependant il dit que ces malheurs ont passé tout ce que l’on peut s’imaginer de plus tragique, et il assure que les Juifs ne se sont jamais trouvés réduits à de si étranges extrémités ", Hom. 76 in Matth. Flavius Josèphe conclut aussi sa description lugubre par des réflexions tout à fait identiques à celle du Sauveur : " Aucune autre ville n’a jamais souffert tant de misères... Si les malheurs du monde entier depuis la création étaient comparés à ceux que les Juifs endurèrent alors, on les trouveraient inférieurs aux leurs ". - Depuis le commencement du monde, à partir de la création du monde ; jusqu'à présent, jusqu’au moment où Notre-Seigneur faisait cette prédiction, Joël, 2, 2, et Daniel, 12, 1, emploient des formules identiques.Matthieu chap. 24 verset 22. - Et si ces jours n’avaient été abrégés, nulle chair n’aurait été sauvée ; mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés.
- Notre-Seigneur, à la façon des Prophètes, s’exprime comme si les événements qu’il annonce avaient déjà reçu leur accomplissement : de là l’emploi du plus-que-parfait. Ce qu’il dit ici est une lueur d’espoir au milieu de la tempête. Dieu, qui est Père même lorsqu’il châtie, se souviendra donc de sa miséricorde ; c’est pourquoi il diminuera le nombre de ces jours affreux : autrement, tous les Juifs eussent péri. - Nulle chair (hébraïsme pour " tout homme " ; Cf. Gen. 6, 12 et ss. ; Act. 2, 16) doit en effet se restreindre au peuple juif. Nous admettons cependant sans peine, avec M. Schegg, que le regard prophétique de Jésus était aussi dirigé, tandis que sa bouche prononçait ces paroles, sur les catastrophes finales et sur les angoisses des derniers temps qui les réaliseront dans toute leur étendue. Mais elles regardent directement les compatriotes et les contemporains du Sauveur. Alford signale dans son commentaire plusieurs combinaisons providentielles qui abrégèrent d’une manière notable le siège et par suite les maux de Jérusalem. 1° Hérode Agrippa avait entrepris de réparer les fortifications de la ville, de manière à la rendre imprenable ; mais son entreprise fut bientôt arrêtée par l’empereur Claude ; Cf. Jos. Ant. 19, 7, 2. 2° Les Juifs, en proie à des divisions intestines, avaient négligé de se préparer à un siège sérieux. 3° Leurs magasins de blé furent incendiés peu de temps avant l’approche de Titus : ils contenaient, au dire de Josèphe, des provisions pour plusieurs années. 4° Titus commença soudainement l’attaque et les assiégés abandonnèrent d’eux-mêmes une partie des ouvrages fortifiés. Cf. Jos. Bell. Jud. 6, 8, 4. Au reste, le général romain reconnut lui-même le doigt de Dieu dans les incidents du siège : " Dieu a combattu pour nous, et c’est lui qui a privé les Juifs de leurs fortifications : car qu’est-ce qu’auraient pu contre ces tours des bras ou des engins humains ? " - À cause des élus. A coup sûr, ce n’était pas sur les coupables que le cœur divin s’apitoyait ; mais il voulait sauver les bons, les élus, qui eussent partagé, sans les mesures prises par sa Providence, le sort malheureux des méchants ; Cf. Gen. 28, 29 et suiv.Troisième strophe, vv. 23-25.
Matthieu chap. 24 verset 23. Alors si quelqu’un vous dit : Voici, le Christ est ici ; ou : Il est là, ne le croyez pas.
- Cet " alors " est loin d’être parallèle à ceux des vv. 16 et 21. De l’avis commun des interprètes, il nous fait franchir tout d’un coup de longs siècles d’intervalle, pour nous conduire des derniers jours de Jérusalem à la fin du monde. Cf. S. Jean Chrys., Hom. 76 in Matth. De même Maldonat : " Le Christ passe donc de la fin et de la ruine des Juifs à la fin du monde ; la dévastation de Jérusalem est en effet une figure et une image de la dévastation et de la fin du monde ". Ce brusque changement de matières n’est cependant indiqué que par le contexte ; mais il est clairement indiqué, car les nouvelles prédictions que nous allons entendre ne peuvent convenir qu’au second avènement du Christ, et par là-même qu’à la fin des temps considérée soit en elle-même, soit dans sa période de préparation. C’est ainsi que les Prophètes de l’Ancien Testament passaient rapidement d’une chose à l’autre, du début d’une ère à sa fin. - Les premières instructions du Christ touchant la consommation des siècles, vv. 23-27, se bornent à développer l’idée contenue dans le v. 5 et déjà appliquée partiellement à la fin du monde. Elles mettent l’Église de l’avenir en garde contre les dangers qui lui surviendront de la part des faux prophètes et des faux messies. - Le Christ est ici... La narration est pittoresque et rapide. Elle décrit une rumeur qui circule de bouche en bouche et qui ne tarde pas à devenir publique. - Ne le croyez pas. Précieux avertissement par lequel Jésus-Christ a préservé son Église d’un dangereux enthousiasme à l’époque des derniers jours.Matthieu chap. 24 verset 24. - Car il s’élèvera de faux christs et de faux prophètes, qui feront de grands signes et des prodiges, au point de séduire, s’il était possible, même les élus.
- Nous trouvons dans ce verset et dans les suivants les motifs de la sage incrédulité recommandée par Jésus. C’est d’abord l’apparition d’une multitude d’imposteurs qui se feront passer les uns pour le Messie lui-même, les autres pour ses précurseurs ou ses compagnons. Le danger de les croire et de se laisser égarer par eux sera d’autant plus grand qu’ils accompliront des prodiges sataniques, que l’on risquera de confondre avec des miracles divins opérés à l’appui de leur mission. - Qui feront : ils fourniront, ils opéreront. - De grands signes. S. Paul, 2 Thess. 2, 9-10, parlant de l’Antéchrist, relève aussi l’éclat de ses prodiges " La venue de l’Impie, elle, se fera par la force de Satan avec une grande puissance, des signes et des prodiges trompeurs, avec toute la séduction du mal, pour ceux qui se perdent du fait qu’ils n’ont pas accueilli l’amour de la vérité, ce qui les aurait sauvés. - Et des prodiges. Les mots " signes " et " prodiges ", sont assez souvent associés dans la Bible ; ils représentent à peu près la même idée. Il existe cependant entre eux une légère différence : " prodige " désigne surtout le côté extérieur du miracle, sa nature extraordinaire, merveilleuse, qui étonne l’esprit ; " signe " est le nom qui lui convient en tant qu’il appuie et confirme quelque chose en dehors de lui. - Au point de séduire... La même pensée est exprimée avec une nuance dans le récit de S. Marc, 13, 22. Tandis que Jésus-Christ signale, d’après le premier Évangile, une conséquence funeste que l’œuvre des thaumaturges diaboliques pourrait avoir sans un secours spécial de Dieu, il indique simplement, d’après le second, le but que se proposent ces ouvriers d’iniquité. Au reste, le texte de S. Matthieu peut se ramener au même sens que celui de S. Marc. - S'il était possible. " C’est-à-dire : s’il était possible que la force créée l’emporte sur le décret du Créateur, sur son bon plaisir, et sur les forces qui les protègent. Ce qui veut dire que si les dits élus étaient abandonnés à leur prudence et à leurs propres forces, ils tomberaient inévitablement. C’est donc avec raison que saint Augustin écrit dans la correction et la grâce, au chapitre 7 : " Si quelqu’un d’eux périt, c’est Dieu qui serait pris en faute. Mais personne d’entre eux ne périt, car Dieu ne se fait pas défaut à lui-même. Si quelqu’un d’eux périt, Dieu est vaincu par le vice humain. Mais aucun d’entre eux ne périt, parce que Dieu n’est vaincu par rien. C’est le Christ lui-même qui dit de ces brebis : personne ne les arrachera de ma main ". Cette belle explication est de Jansénius.Matthieu chap. 24 verset 25. - Voici que je vous l’ai prédit.
- Cf. S. Marc, 13, 23, qui est un peu plus explicite. Les chrétiens sont donc bien avertis, et ce sera leur faute s’ils se laissent séduire par les faux Messies. Grâce aux lumières que Jésus-Christ leur a données plusieurs siècles à l’avance (le divin Maître se place au point de vue des fidèles qui se rappelleront plus tard ses avertissements), ils pourront attendre patiemment sa venue sans qu’aucun éclat mensonger réussisse à les égarer.Matthieu chap. 24 verset 26. Si donc on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez pas ; Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez pas.
- Ce point a tant d’importance, il sera parfois si difficile aux derniers jours de distinguer le vrai du faux, que le divin Maître revient encore sur la même pensée pour notre plus grande utilité. - Si donc : maintenant que vous êtes avertis. Les vv. 26 et 27 renferment une conséquence du précédent. - Dans le désert, scil. " le Christ ". Nous avons ici une spécification et un développement des adverbes " ici " et " là " du v. 23. On entendra donc dire autour de soi, lorsque s’approcheront les suprêmes péripéties, tantôt qu’il s’est manifesté dans le voisinage, mais d’une manière secrète, dans le lieu retiré. Ce substantif désigne en effet, par opposition au désert, les appartements les plus retirés d’une maison, une retraite rapprochée mais secrète et mystérieuse. Voir les lexiques grecs, Bretschneider, Lexic. man. græco-lat. in libros N. T. Leipzig, 1824, t. 2, p. 487. Jésus interdit à ses disciples dans le premier cas toute démarche extérieure (ne sortez pas), dans le second même la simple foi. Ces bruits sont des mensonges absurdes qui ne méritent pas qu’on s’en occupe.Matthieu chap. 24 verset 27. - Car comme l’éclair part de l’orient et se montre jusqu’à l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme.
- Le vrai Christ, quand il fera son second avènement, apparaîtra simultanément à tous les hommes ; il n’y aura donc pas lieu d’aller le chercher en quelque endroit particulier. L’image qui exprime cette idée est pleine de force et de beauté. L’éclair, localisé au premier instant de sa naissance, envahit aussitôt l’horizon entier ; tous l’aperçoivent en même temps. " Vous savez, mes frères, comment paraît un éclair. II n’a besoin ni de précurseur ni de héraut pour annoncer sa venue. il paraît en un moment à tout le monde sans qu’on en puisse douter. C’est ainsi que le Sauveur paraîtra tout d’un coup par toute la terre dans l’éclat de la gloire dont il sera accompagné ", S. Jean Chrys. Hom 76 in Matth.Matthieu chap. 24 verset 28. - Partout où sera le cadavre, là s’assembleront les vautours.
- Si l’on en juge par les nombreuses interprétations qu’a reçues ce verset, il doit contenir une véritable énigme ; les exégètes ne peuvent tomber d’accord à son sujet. C’est à coup sûr un proverbe, qui rappelle des paroles analogues de Job, 39, 30, d’Osée, 8, 1, et d’Habacuc, 1, 8. C’est de plus un proverbe prophétique, déjà cité par Notre-Seigneur dans une autre circonstance. Cf. Luc. 17, 37. Mais quelle est sa portée ? que doit-il prophétiser ? - Étudions d’abord les deux expressions principales. Corpus signifie certainement " cadavre " ; le grec ne laisse pas de doute sur ce point. Cf. Bretschneider, Lex, Man. t. 2, p. 365. Aquilœ a un sens général c’est-à-dire qu’il ne désigne pas uniquement les aigles, mais aussi les vautours, les gros oiseaux de proie. Les aigles en effet ne se nourrissent pas de cadavres et ils n’existent guère en Palestine, Jésus emploie donc ce mot dans son acception populaire. Cela posé, la phrase entière rappelle un fait bien connu. " S'il y a un vautour, attends-toi à trouver un cadavre ", disait de même Sénèque. Les oiseaux de proie accourent promptement aux lieux où se trouvent des cadavres. Passons maintenant à l’application. Ceux qui pensent qu’ici encore il est question de Jérusalem et de sa ruine, disent que le cadavre figure cette ville corrompue, tandis que les aigles représenteraient les armées de Rome lancées contre elle (Lightfoot, Wettstein, etc). Les partisans de cette opinion ne manquent pas de faire observer que les enseignes romaines étaient précisément surmontées d’un aigle. Mais, nous l’avons vu, le contexte leur donne tort, puisqu’il ne s’agit plus maintenant que de la fin du monde dans l’instruction de Jésus. Suivant d’autres écrivains, parmi lesquels nous mentionnerons Bisping, Hengstenberg, de Wette, Kistemaker et Abbott, les cadavres aussi bien que les aigles doivent se prendre au moral, pour symboliser d’une part la mort spirituelle, le péché, d’autre part les terribles jugements de Dieu contre les pécheurs. Le sens serait : Comme les cadavres appellent les vautours, de même la corruption morale appelle les châtiments du ciel. Selon MM. Schegg et Crosby, les aigles sont l’emblème des faux Christs et des faux prophètes ; le cadavre, la figure du monde pervers des derniers jours. Par conséquent, les imposteurs se rassemblent là où règne le dérèglement de l’intelligence du cœur. Il est aisé de voir que ces deux interprétations ne sont pas moins opposées au contexte que la première. Pourquoi ne pas adopter simplement l’explication traditionnelle, d’après laquelle ce verset serait quant au sens entièrement parallèle au précédent, et dirait en termes figurés ce que l’autre avait exprimé au propre et directement ? C’est l’opinion de S. Jean Chrysostôme, de S. Jérôme, du Vén. Bède, d’Euthymius, pour ne citer que quelques noms anciens, et de la plupart des commentateurs catholiques. " Cela signifie que tous les hommes seront rassemblés à l'endroit ou lui-même sera, pour y être jugés, comme les aigles se rassemblent autour des cadavres ", Maldonat. Cf Jansenius, Van Steenkiste, Arnoldi, etc.Matthieu chap. 24 verset 29. - Aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil s’obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.
- Les détails qui vont suivre décrivent les différentes scènes dont se composera le grand drame du second avènement du Christ à la fin des temps. Nous y retrouvons les mêmes images que dans les tableaux analogues tracés par les Prophètes ; Cf. Is. 13, 10 ; 24, 18 et s. ; 34, 4 ; Ezéch. 32, 7 ; Joël, 2, 10, 28 ; Agg. 2, 21 et ss. - Après la tribulation... Ces jours terribles sont ceux de l’Antéchrist : Notre-Seigneur laisse à dessein dans l’ombre leur nombre et leur durée. D’ailleurs, il ne faut pas confondre la tribulation qu’ils amèneront avec les malheurs spéciaux à Jérusalem et à la Palestine, qui ont été signalés plus haut, v. 21. - Le soleil s'obscurcira... Toute une catégorie de signes effroyables apparaîtra au firmament, inaugurée par des éclipses extraordinaires du soleil et de la lune. Il faut nous demander ici ce que l’on doit penser de la valeur intrinsèque de ces tableaux. Seraient-ce des embellissements poétiques ? de simples métaphores pour dépeindre la fin du monde sous des couleurs plus vives ? On l’a dit, mais sans preuves suffisantes. S. Augustin, Epist. 80, Grotius, Lightfoot et d’autres se rabattent sur des sens allégoriques et mystiques. Par exemple, "S. Augustin... pense que le soleil représente le Christ, et la lune l’Église ; ils seront obscurcis, parce que, en raison de la gravité de la persécution, ils seront moins visibles à l'humanité. Les étoiles tombantes sont les saints qui abandonneront leur foi. Les puissances des cieux sont les chrétiens qui seront ébranlés dans leur foi ", Van Steenkiste, Comment. in Evang. sec. Matth. t. 1, p. 428. Il est aisé de voir que ces interprétations n’ont pas le moindre fondement ; elles sont d’ailleurs réfutées par la contradiction qui règne entre leurs auteurs pour l’explication des détails. Reste donc le sens strict et littéral, qui est généralement admis et dont la vérité nous semble incontestable. C’est en effet la doctrine universelle de la bible qu’à la fin du monde il y aura des bouleversements étranges dans la nature physique. Bornons-nous à citer 2 Petr. 3, 5-7, comme un résumé de cet enseignement. Le sens littéral ne présente du reste aucune difficulté, pourvu qu’on prenne garde de ne pas exagérer les traits particuliers. - Les étoiles tomberont... Jésus emprunte cette expression aux idées populaires de son temps. Les anciens supposaient les étoiles attachées à la voûte solide du firmament. Les astres tomberont donc et s’entrechoqueront d’une manière épouvantable pour annoncer la fin du monde actuel. - Les puissances des cieux. Quoique les anges soient plusieurs fois désignés dans l’Ancien Testament, le plus souvent, et en particulier dans ce passage, c’est l’ensemble des corps célestes indépendamment du soleil et de la lune qui est appelé " Vertu des cieux " (comparez Deut. 4, 19 ; 17, 3 ; 4 Reg. 17, 16 ; 23, 5 ; Is. 34, 4 ; Dan. 8, 10, etc. Voir la note savante de M. Schegg au tome 3, p. 565, de son commentaire). Il est possible aussi, selon quelques interprètes, que le Sauveur ait eu l’intention de représenter par ces mots les lois ou les forces qui sont actives au firmament pour soutenir l’édifice céleste et en maintenir dans l’équilibre les différentes parties.Matthieu chap. 24 verset 30. - Alors le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel, avec une grande puissance et une grande majesté.
- Et alors... Adverbe solennel qui a déjà retenti bien des fois depuis les premières phrases du Discours eschatologique ; Cf. vv. 9, 10, 14, 16, 21, 23 : il marque pour ainsi dire les principales scènes des grands actes prophétisés par Notre-Seigneur. Il retombe ici sur les catastrophes du v. 29, et prépare l’incident grandiose qui précédera immédiatement l’apparition du Souverain Juge. - Le signe du Fils de l'homme. Quel sera ce signe ? Le texte grec donne à supposer qu’il s’agit d’un signe bien connu, du signe qui caractérise par excellence le Fils de l’homme. Aussi les Pères répondent-ils presque unanimement que ce sera la croix du Sauveur. " Le signe du Fils de l'homme qui a fait les choses célestes, celles qui se trouvaient dans les cieux et celles qui se trouvaient sur terre, apparaîtra alors : en d'autres termes la puissance que le Fils de l'homme a fait éclater lorsqu'il était attaché à la croix ", S. Cyrill. Hyeros., 12, p. 105. " Sa croix paraîtra alors plus éclatante que le soleil... sa croix sera la marque de sa justification et le trophée de son innocence ", S. Jean Chrys. Hom 76 in Matth. De même S. Augustin, S. Jérôme, etc. L’Église confirme ce sentiment dans ses offices liturgiques où elle fait chanter le verset suivant : " Ce signe de la croix sera au ciel lorsque le Seigneur viendra pour juger " (Fest. Invent. S. Crucis). Toutes les autres interprétations sont arbitraires, entre autres l’étoile d’Olshausen, l’apparition lumineuse de Meyer, etc. Ewald et Fritzche confondent plus arbitrairement encore le signe du Messie avec le Messie lui-même. - Les tribus de la terre... Le texte grec exprime par un verbe plus énergique la douleur que fera éclater parmi les peuples réunis pour le jugement la vue du signe du Fils de l’homme, faisant en même temps une allitération qui vient après, " ils se frapperont la poitrine ". Dans un passage célèbre du prophète Zacharie, 12, 10-14, dans un autre passage plus célèbre encore d’Isaïe, 53, 1 et ss., ce sont les seuls Juifs qui déplorent les traitements affreux qu’ils ont fait subir au Christ dans leur aveuglement : ici nous voyons tous les peuples pleurer, parce qu’ils auront tous été coupables ; Cf. Apoc. 1, 7 ; 6, 15-17. - Venant sur les nuées... Comme dans toutes les théophanies. Cf. Ps. 17, 10-12 ; Is. 19, 1. Telle avait été du reste la vision de Daniel, 7, 13 : " Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ". Voir aussi Matth. 16, 27 ; 26, 64. Le Fils de l’homme se présentant pour le jugement suprême sera comme un autre Jéhova sur un autre Sinaï. - Avec une grande puissance... La force et la majesté, double attribut qui convient au Souverain Juge du monde, double emblème des pleins pouvoirs qu’il aura reçus de son Père. Dans le texte latin, " Virtus " ne désigne pas les anges, ainsi que l’ont cru plusieurs exégètes.Matthieu chap. 24 verset 31. - Et il enverra ses anges, avec la trompette et une voix éclatante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre.
- Les nations qu’on nous a montrées tout à l’heure pleurant à l’apparition de la croix dans les airs, figuraient sans doute les hommes qui seront encore vivants sur la terre au moment de la fin du monde. Maintenant, Jésus-Christ donne ses ordres pour faire assembler devant lui tous ceux qu’il doit juger : les anges sont chargés de ce ministère. - Avec la trompette... Avec une trompette à la voix retentissante. Il n’y a aucune raison de ne pas croire à la réalité de la trompette du Jugement dernier : S. Paul a sur ce point des paroles très formelles (Cf. 1 Cor. 15, 52 , 1 Thess. 4, 16, 17 et l’explication de ces passages par M. Drach et M. Van Steenkiste), prises dans leur sens obvie par la tradition tout entière. - Ils rassembleront les élus. Jésus ne mentionne que les élus, parce qu’ils seront convoqués les premiers : mais les réprouvés ne seront pas oubliés. Cf. 24, 41 et ss. - Des quatre vents, c’est-à-dire des quatre points cardinaux d’où soufflent les vents, par conséquent de toutes les directions. Voir des figures semblables dans 1 Par. 9, 24 ; Ezech. 37, 9 ; Apoc. 7, 1 etc. - Depuis une extrémité des cieux... C’est un éclaircissement donné à l’image qui précède : mais il eût mieux valu traduire d’après le grec et d’après la locution hébraïque qu’il imite (Cf. Deut. 4, 32), car la dimension de hauteur ne signifie rien ici.Matthieu chap. 24 verset 32. - Apprenez une comparaison prise du figuier. Quand ses branches sont déjà tendres, et que ses feuilles naissent, vous savez que l’été est proche.
- Le Sauveur cite maintenant un phénomène naturel très gracieux, pour démontrer l’indubitable certitude des choses qu’il a prédites. Le figuier étant un des arbres les plus communs de la Palestine, toute image empruntée à sa culture et à sa vie était facilement intelligible. Jésus veut donc qu’on prenne ce végétal pour maître, qu’on aille chercher auprès de lui une importante leçon. - Une comparaison : une parabole dans le sens large, c’est-à-dire un exemple, une comparaison capable de mettre une vérité en relief. - Ses branches sont tendres. La sève monte au printemps et rend les jeunes branches des arbres tendres et délicates ; alors les bourgeons éclatent et les feuilles ne tardent pas à s’épanouir. - Ses feuilles naissent ; le texte latin emploie une tournure passive (" ses feuilles nées "), le grec emploie une forme active, " ses branches produisent des feuilles " ; Cf. Wilke, Clav. philol. s. v. La Vulgate a traduit comme si le verbe était à l’aoriste second passif. Jésus signale en effet une chose bien connue. - L'été est proche. Même en Palestine, le figuier est un arbre tardif, dont les feuilles ne poussent communément qu’au mois de mai. Voir notre explication notre explication de 21, 9.Matthieu chap. 24 verset 33. - De même, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est aux portes.
- Jésus applique maintenant sa comparaison. Les lois qui régissent la vie des plantes étant invariables, il est facile de calculer les diverses saisons de l’année d’après l’apparition de tel ou tel phénomène de végétation. De même pour la fin du monde ou pour la ruine de Jérusalem. Quand on verra s’accomplir toutes ces choses, tous les incidents notifiés par le divin Prophète dans la première partie de son discours, on saura que les événements dont ils sont les signes avant-coureurs se réaliseront bientôt. - Est proche n’a pas de sujet visible. Les exégètes substituent à tour de rôle les mots suivants : le Messie (Grotius, Meyer, de Wette), le jugement (Ebrard et Schegg), le royaume de Dieu (Olshausen, J. P. Lange, etc), ce qui a été prédit plus haut, etc. Cette dernière opinion a nos préférences, parce qu’elle nous semble mieux traduire la pensée de Jésus : les trois autres sont trop restrictives. - Aux portes. Métaphore facile à saisir et qu’on trouve en d’autres endroits de la Bible ; Cf. Gen. 4, 7 ; Jac. 5, 9. Une chose qui est déjà sur le seuil est une chose inévitable, qui fera instantanément son apparition.Matthieu chap. 24 verset 34. - En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que toutes ces choses n’arrivent.
- En vérité... C’est le serment accoutumé du Sauveur. Il est destiné à renforcer ici une assertion des plus graves, et des plus positives. - Cette génération ne passera pas. Pour bien saisir le sens exact de cette assertion, il importe d’abord de déterminer celui des mots " cette génération ". Comme les expressions des Grecs, de l’hébreu ou les expressions analogues dans toutes les langues, elle ne s’emploie pas toujours pour représenter les hommes qui vivent à une époque donnée de l’histoire ; ce mot signifie aussi race, nation. Mais quel peuple était à la pensée de Jésus quand il tenait ce langage imposant ? S. Jean Chrysostôme, S. Grégoire, S. Thomas et d’autres croient qu’il voulait désigner la nation chrétienne en général, qui doit en effet persister jusqu’à la fin du monde. S. Jérôme généralise davantage encore et applique l’expression à la race humaine tout entière. Plusieurs auteurs (voir Abbott, The new Testament, vol. 1, p. 26 et ss.) la restreignent au peuple juif, qui devait être miraculeusement préservé jusqu’au second avènement du Christ, malgré ses malheurs et sa dispersion, pour être, disent-ils, comme une preuve vivante et perpétuelle de la vérité des prédictions du divin Maître. Nous croyons, avec d’autres exégètes (en particulier Reischl et Bisping), qu’il est mieux d’établir ici une distinction. En considérant de près les versets 34 et 35, on voit qu’ils forment la péroraison et la récapitulation de toute la première partie du Discours eschatologique. Or, à partir du v. 4, il a été question de deux événements distincts, la ruine de Jérusalem et la consommation des siècles. Il nous semble donc que les mots " cette génération " ont un double sens suivant qu’ils retombent sur l’un ou sur l’autre de ces événements. En tant que Jésus faisait allusion aux maux de Jérusalem, ils représentent les Juifs alors existants ; en tant qu’il voulait décrire la fin du monde, ils désignent tout le peuple juif qui persévérera, comme on l’exprimait plus haut, jusqu’aux derniers jours, pour rendre hommage à la véracité de Jésus. Il y aurait ainsi dans le v. 34 une de ces prophéties à double perspective qu’on rencontre si souvent dans les Saints Livres. - La signification de toutes ces choses est déterminée par ce que nous venons de dire : tout ce que le Sauveur a prophétisé depuis le v. 4.Matthieu chap. 24 verset 35. - Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.
- Enfin Jésus affirme que ses paroles n’ont à craindre aucun démenti, tout se réalisera comme il l’a prédit. - Un rapprochement inattendu fortifie son affirmation. - Le ciel et la terre... Le ciel et la terre, ces parties de la création qui semblent si robustes, si stables, Cf. Jer. 31, 35 et 36, passeront cependant ; ils seront complètement transformés, sinon détruits en totalité ; Cf. 2 Petr. 3, 7 ; 1 Cor. 7, 31. Mais les assertions du Christ demeureront. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus transitoire, de plus fugitif qu’une parole. Cependant, quand la parole profère une vérité immuable, appuyée sur un décret divin, elle reste jusqu’à son accomplissement intégral et parfait. - Le v. 35 manque dans le Cod. Sinaïtique, et Tischendorf l’omet dans ses éditions les plus récentes ; néanmoins son authenticité est suffisamment garantie par sa présence dans les deux autres rédactions synoptiques, Marc. 13, 31, Luc. 21, 33, et dans tous les témoins ordinaires.
Des grands tableaux qu’il a tracés, Jésus déduit un certain nombre d’exhortations pratiques qui devaient être pour ses Apôtres et pour son Église de la dernière utilité. Elles répondent à la question des disciples : " Dis-nous quand ces choses arriveront ", v. 3, non toutefois pour proclamer des dates certaines, mais au contraire pour insister sur l’incertitude du moment précis de l’accomplissement. De là la vigilance perpétuelle qu’elles recommandent.
36
Quant à ce jour et à cette heure, personne ne les connaît, pas même les anges des cieux, mais le Père seul. 37Ce qui arriva aux jours de Noé arrivera aussi à l’avènement du Fils de l’homme. 38Car de même que, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, 39et qu’ils ne surent rien, jusqu’à ce que le déluge vint et les emporta tous, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. 40Alors deux hommes seront dans un champ : l’un sera pris, et l’autre laissé. 41Deux femmes moudront à la meule : l’une sera prise, et l’autre laissée. 42Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra. 43Sachez-le bien, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait certainement, et ne laisserait pas percer sa maison. 44C’est pourquoi, vous aussi, soyez prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne savez pas. 45Quel est, pensez-vous, le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur ses gens, pour leur distribuer leur nourriture en temps convenable ? 46Heureux ce serviteur, si son maître, à son arrivée, le trouve agissant ainsi. 47En vérité, je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens. 48Mais si ce serviteur est méchant, et dit en son cœur : Mon maître tarde à venir, 49et s’il se met à battre ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, 50le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s’y attend pas, et à l’heure qu’il ne connaît pas, 51et il le séparera, et lui assignera sa part avec les hypocrites ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.Matthieu chap. 24 verset 36. - Quant à ce jour et à cette heure, personne ne les connaît, pas même les anges des cieux, mais le Père seul.
- Ce jour, cette heure : le jour et l’heure de l’apparition du Christ pour le jugement dernier, auquel tous les détails se rapportent à peu près exclusivement jusqu’à la fin du discours. Ces deux expressions réunies renforcent l’idée et désignent un temps bien précis, bien exact ; la minute, comme nous dirions en français. - Ce jour, le jour par excellence qui terminera l’innombrable série de tous les autres ; Cf. Luc. 10, 12 ; 1 Thess. 5, 4 ; 2 Tim. 1, 12, 18 ; 4, 8. - Personne ne les connaît : cette connaissance n’a été communiquée à aucune créature. Les anges eux-mêmes, ces esprits pourtant si éclairés, ces amis intimes à qui Dieu fait habituellement part de ses projets, ne la possèdent point. D’après la rédaction de S. Marc. 13, 32, après les mots " pas même les anges des cieux ", Jésus-Christ ajouta " pas même le Fils ". Cette restriction sera expliquée en son lieu. Lachmann et d’autres critiques, sur la foi de quelques manuscrits (B. D. a. b. c.) l’ont insérée dans le présent verset de S. Matthieu ; mais à tort, comme le prouvent les témoignages très explicites de S. Jérôme et de S. Ambroise. - Mais le Père seul. Dieu seul connaît donc l’époque précise de la fin du monde : c’est son secret ; par conséquent il serait insensé en même temps qu’il serait impie dans une certaine mesure de vouloir la fixer. L’Église l’a du reste interdit sous des peines sévères.Matthieu chap. 24 verset 37. - Ce qui arriva aux jours de Noé arrivera aussi à l’avènement du Fils de l’homme.
- Aux jours de Noé, c’est-à-dire au temps du déluge. Notre-Seigneur va établir durant l’espace de trois versets, 37-39, une comparaison entre le déluge et son second avènement, pour faire comprendre aux chrétiens le caractère inopiné, l’arrivée soudaine du Jugement dernier et par suite la nécessité de s’y préparer. - Arrivera aussi... Le déluge tomba tout à coup sur un monde incrédule, quoique averti par divers signes évidents ; de même le dernier jour, qui surprendra la plupart des hommes malgré les symptômes indiqués par Jésus.Matthieu chap. 24 verset 38. - Car de même que, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche.
- Développement pittoresque des mots " comme aux jours de Noé ", très conforme du reste au récit de la Genèse. - Les hommes mangeaient : en grec, mot énergique qui signifie tantôt manger d’une manière gloutonne, à la façon des bêtes fauves, tantôt manger à son aise, avec gourmandise. Voir Bretschneider, Lex. man. t. 2, p. 528. La tournure du texte marque l’habitude, une chose qui se fait régulièrement. Boire, manger, se marier, formait donc toute la vie des hommes vers l’époque du déluge : ils n’existaient en quelque sorte que pour la jouissance matérielle. Pour eux l’accessoire était devenu le principal. On comprend maintenant la réflexion de la Genèse, 6, 12 : " sur la terre, tout être de chair avait une conduite corrompue ", et la haine de Dieu pour une race si dissolue. - Se mariaient est dit des hommes, qui prennent les femmes en mariage ; le verbe qui suit, mariaient leurs enfants, s’applique aux parents des fiancées, conformément à l’usage oriental d’après lequel les jeunes filles sont données en mariage par leurs proches, sans égard pour leurs affections personnelles. - Jusqu'au jour... La construction de l’arche dont ils étaient tous les jours témoins, l’entrée même de Noé dans l’arche, n’arrêtèrent point dans ses plaisirs cette race dépravée. Uniquement attentive aux désirs de la chair, elle négligea pour sa perte tous les avertissements du ciel ; Cf. 1 Petr. 3, 19.Matthieu chap. 24 verset 39. - Et qu’ils ne surent rien, jusqu’à ce que le déluge vint et les emporta tous, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme.
- Ils ne surent rien, ils ne comprirent rien, ou du moins ils ne voulurent rien croire jusqu’au dernier instant. Mais les menaces divines eurent leur cours quand même. Le déluge éclata et il eût bientôt enlevé, emporté, balayé jusqu’au dernier tous ces voluptueux. " Quand les gens diront : " Quelle paix ! Quelle tranquillité ! ", c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper. " 1 Thess. 5, 3.Matthieu chap. 24 verset 40. - Alors deux hommes seront dans un champ : l’un sera pris, et l’autre laissé.
- Deux exemples familiers montrent jusqu’à quel point sera soudaine l’arrivée du Souverain Juge, et combien d’hommes seront surpris par elle dans l’état de péché, de manière à mériter une condamnation sévère. - Alors, lorsque aura lieu l’avènement du Fils de l’homme ; Cf. v. 39. - Deux hommes seront dans un champ. Jésus suppose deux ouvriers travaillant ensemble dans le même champ. Malgré l’identité de leur occupation au moment suprême, quelle différence dans leur sort final ! L'un sera pris ; en bonne part. Il sera pris par les anges, v. 31, et placé au nombre des élus, Cf. Joan. 14, 3. Au contraire, l'autre laissé. Laissé de côté par les esprits bienheureux que le Christ avait chargés de réunir tous ses saints pour la récompense éternelle, il fera partie du nombre des réprouvés, que les démons viendront chercher ensuite. Dans le texte grec, les verbes sont au présent. On dirait que Jésus-Christ siège déjà sur son trône, et qu’il contemple les faits tels qu’ils se passeront un jour.Matthieu chap. 24 verset 41. - Deux femmes moudront à la meule : l’une sera prise, et l’autre laissée.
- Deux femmes, et deux seulement, occupées à moudre avec des moulins à main. Tout est de la plus parfaite exactitude dans cette courte description, comme nous l’apprenons par les récits des voyageurs. Les grands moulins ont toujours été extrêmement rares en Orient : en revanche, presque chaque ménage possède son petit moulin portatif dont les femmes, et habituellement les servantes ou les esclaves, Cf. Ex. 11, 5 ; Jud. 16, 21, se servent pour moudre la provision de blé nécessaire aux repas quotidiens de la famille. " A peine installés, raconte l’Anglais Clarkes, dans la maison de Nazareth qu’on nous avait désignée comme logement, nous aperçûmes par la fenêtre, dans la cour voisine, deux femmes en train de moudre du blé, qui nous rappelèrent très vivement à la pensée la parole Jésus, Matth. 24, 41... Elles étaient assises sur le sol, en face l’une de l’autre, et entre elles on voyait deux pierres plates et arrondies. Au milieu de la pierre supérieure se trouvait une ouverture dans laquelle on versait le blé, et sur le côté une poignée de bois verticale qui servait à la faire tourner. L’une des femmes, avec la main droite, poussait cette poignée à l’autre femme assise devant elle et celle-ci la poussait à son tour à la première : la meule tournait ainsi très rapidement sous leur impulsion commune. En même temps, chacune jetait de la main gauche un peu de blé dans l’ouverture, et l’on voyait sortir le son et la farine aux côtés de la machine ". Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland, Leipzig 1820, t. 5, p. 94 ; Cf. Thomson, the Land and the Book, Londres 1876, p. 526 : une gravure intéressante est jointe à la description. On a trouvé près d’Abbeville un de ces moulins à main dont les deux meules réunies pèsent à peine 50 livres ; elles n’ont pas plus d’un pied de diamètre. - Ces exemples signifient que les hommes seront surpris par le jugement, que tels ils seront alors tels ils comparaîtront à la barre du Juge suprême, enfin que de leur état moral à cette heure décisive dépendra leur éternité heureuse ou malheureuse.Matthieu chap. 24 verset 42. - Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra.
- Avec ce verset, qui pourrait servir de texte à la seconde partie du discours, commence une longue exhortation à la vigilance, que nous verrons se poursuivre sous des faces variées jusqu’au milieu (v. 30) du chapitre suivant. - Veillez donc. La conséquence est bien naturelle, vu l’incertitude complète qui régnera sur l’époque précise de la fin des temps. - Votre Seigneur : le Christ, qui est notre Seigneur et Maître. Nous savons qu’il viendra infailliblement ; cela suffit, quoique l’heure soit incertaine. Bien plus, l’heure étant incertaine, il est indispensable pour nous de veiller constamment.Matthieu chap. 24 verset 43. - Sachez-le bien, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait certainement, et ne laisserait pas percer sa maison.
- Sachez-le. Le pronom est mis en avant avec emphase, pour attirer l’attention sur une chose remarquable. - Si le père de famille savait ; un père de famille quelconque. Ce verset contient l’abrégé d’une parabole pleine d’intérêt. - A quelle heure : dans le grec, à quelle veille. Nous avons parlé plus haut de la division de la nuit chez les Juifs en quatre veilles de trois heures chacune. Cf. 20, 3-5, et l’explication. - Il veillerait ; en grec, il eût veillé et n’eût pas laissé, etc. Jésus suppose que le malheur est arrivé faute de vigilance. La Vulgate place le fait tout entier dans l’avenir. - Percer sa maison : littéralement, " être percé à travers " ; les habitations des Orientaux étaient surtout construites en briques cuites au soleil, en pisé, en pierres mobiles : il était donc facile de faire des trous dans les murs pour s’y introduire. - Voir des avertissements semblables dans 1 Thess. 5, 1-10 ; 2 Petr. 3, 10 ; Apoc. 3, 3 ; 16, 15.Matthieu chap. 24 verset 44. - C’est pourquoi, vous aussi, soyez prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne savez pas.
- C'est pourquoi, en conséquence, avertis par cet exemple frappant. - Soyez prêts. Faisons au spirituel ce qu’un père de famille bien avisé ne manque pas de faire au temporel ; gardons nos demeures, et le voleur, à quelque moment qu’il vienne, ne nous surprendra pas. - A l'heure que vous ne savez pas... Cela est vrai dès à présent pour chaque individu, de même que ce sera vrai d’une manière générale pour tout le genre humain aux derniers jours du monde, selon la pensée de S. Jérôme, in Joël. c. 2. S. Augustin, Ep. 199, parle dans le même sens : " Le dernier jour viendra pour chacun, quand viendra le jour où il sortira de la vie dans le même état où le trouvera le jugement dernier. Tout chrétien doit donc veiller afin que l'avènement du Seigneur ne le surprenne pas sans être préparé. Or, celui-là ne sera pas trouvé prêt au dernier jour du monde, qui n'aura pas été trouvé prêt au dernier jour de sa vie ".Matthieu chap. 24 verset 45. - Quel est, pensez-vous, le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur ses gens, pour leur distribuer leur nourriture en temps convenable ?
- Les v. 45-51 contiennent une nouvelle parabole imparfaite que le divin Maître avait déjà citée, mais dans des circonstances très différentes et avec une variété évidente de détails ; Cf. Luc. 12, 42-46. - Quel est, pensez-vous... Formule destinée à exciter l’attention des auditeurs ; Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 77 in Matth. - Le serviteur fidèle et prudent. Le contexte prouve qu’il s’agit d’un serviteur élevé, d’un intendant de maison à qui incombent des devoirs tout particuliers. De là cette juste réflexion de saint Hilaire : " Bien que le Seigneur nous ait recommandé à tous en général une vigilance continuelle sur nous-mêmes, il ordonne aux princes du peuple, c'est-à-dire aux Apôtres, aux évêques et aux prêtres, une sollicitude toute particulière dans l'attente de son avènement ". Remarquons les deux qualités essentielles que doit posséder le bon serviteur dont parle Jésus : la fidélité à son maître, à ses obligations, et la prudence, une profonde sagesse. - Sur ses gens... Famille dans l’ancien sens de cette expression, pour désigner les autres esclaves de la maison, " famulitium, servitium ". - Le maître qui a ainsi confié à un serviteur le soin de diriger les autres est Dieu lui-même ou le Christ. - Pour leur distribuer... But de cette prépondérance. La parabole fait allusion aux rations quotidiennes que le " dispensator " était chargé de distribuer aux esclaves placés sous sa juridiction. Le pronom " leur " est au pluriel parce que " familia " est un nom collectif. - En temps convenable, scil. " au temps fixé ".Matthieu chap. 24 verset 46. - Heureux ce serviteur, si son maître, à son arrivée, le trouve agissant ainsi.
- Heureux. Régulièrement, on devrait lire : " Ce serviteur, que... ", C’est le serviteur que son Maître... etc., puisque Jésus répond ici à la question posée au verset précédent. Mais ce tour nouveau donné à la réponse, ce " Heureux " prononcé avec emphase, font ressortir le mérite et la récompense du bon serviteur. - Agissant ainsi, c’est-à-dire en plein exercice de ses fonctions, occupé à distribuer des vivres aux autres serviteurs au temps fixé par le maître.Matthieu chap. 24 verset 47. - En vérité, je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens.
- Sur tous ses biens ; parce que celui qui est fidèle dans les petites choses le sera pareillement dans les grandes. Celui qui n’avait été qu’un intendant inférieur, deviendra ainsi, en récompense de sa bonne conduite, le régisseur de tous les biens du Maître. - Mais c’est au ciel, non sur la terre, que Dieu donnera cette glorieuse récompense : comment donc chacun des pasteurs fidèles et prudents pourra-t-il être chargé d’administrer toutes les possessions du divin Maître ? " Cette promotion ne sera pas comme les promotions terrestres, où l’éminence de l’un exclut celle de l’autre ; elle ressemblera plutôt à la diffusion de l’amour dans laquelle plus il y a pour chacun en particulier, plus il y a pour tous ensemble ", Alford, Comm. in h. l.Matthieu chap. 24 verset
48. - Mais si ce serviteur est méchant, et dit en son cœur : Mon maître tarde à venir. - Mais si... Il nous reste à entendre la contre-partie ; car, si l’on trouve des serviteurs fidèles qu’on est heureux de récompenser, il en existe aussi de mauvais qu’on est obligé de châtier sévèrement. - Ce serviteur est méchant. L’intendant avait reçu, par anticipation, v. 45, les surnoms de " prudent et fidèle " dans la supposition qu’il se conduirait bien ; il est maintenant appelé " mauvais " de la même manière, dans l’hypothèse qu’il remplira mal ses devoirs les plus graves. - En son cœur, c’est-à-dire en lui-même. Le cœur est pour les Hébreux le siège de la réflexion ; c’est là que l’homme s’entretient avec lui-même, qu’il combine ses plans, etc. - Mon maître tarde... Le Maître est absent, et son retour, que l’on croyait devoir être prochain, se fait attendre au-delà du temps calculé par l’intendant. Ce misérable profitera de ce délai pour abuser de la manière la plus criante de la confiance qui a été placée en lui et de l’autorité qu’on lui a laissée. Mais Jésus donne seulement le début de son monologue affreux ; la suite n’est que trop bien exprimée par les actes.Matthieu chap. 24 verset 49. - Et s’il se met à battre ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes.
- S'il se met... Aussitôt dit, aussitôt fait. Heureusement, il ne pourra que commencer, car l’arrivée soudaine de son maître mettra promptement un terme à sa conduite indigne. - A battre ses compagnons : c’est le premier crime, qui consiste dans l’oppression cruelle et injuste des autres serviteurs. - S'il mange et boit : c’est le second, l’orgie aux dépens du maître dont on dilapide les biens. - Avec les ivrognes. Naturellement le coupable a pris pour compagnons de ses débauches ceux dont il ne peut attendre que des applaudissements flatteurs et d’encourageants exemples. Les Arabes ont un proverbe plein de vérité : Dis-moi avec qui tu manges et je te dirai qui tu es.Matthieu chap. 24 verset 50. - Le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s’y attend pas, et à l’heure qu’il ne connaît pas.
- Comme nous l’avons dit, le retour subit du père de famille déjouera tous les calculs du serviteur infidèle. On ne pense plus à lui, on croit que son absence durera longtemps encore, et voici qu’il apparaît tout-à-coup, et qu’il saisit son intendant en flagrant délit de cruauté, de vol. Il en sera de même de la venue du Fils de l’homme pour le jugement.Matthieu chap. 24 verset 51. - et il le séparera, et lui assignera sa part avec les hypocrites ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
- Il le séparera. Ce mot indique certainement quelque supplice insigne. Lequel ? On ne saurait l’affirmer d’une manière tout-à-fait certaine. Il est probable cependant, d’après le grec, qu’il signifie scier en deux, ou bien mutiler, écarteler. Ces tortures existaient chez les Juifs aussi bien que chez les Grecs et les Romains. Cf. Jud. 19, 29 ; 1 Reg. 15, 33 ; 2 Reg. 12, 31 ; 3 Reg. 3, 25, etc. ; parmi les profanes, Diod. Sic. 1, 2 ; Herod. 3, 17 ; Tite-Live, 1, 28 ; Horace, Sat. 1, 1, 99 ; Suet. Calig. c. 27. Voir Breitschneider, Lex.man. T. 1, p. 251. Les locutions latines " flagris tergum secare, discindere, distruncare ", ont fait croire à quelques exégètes (Paulus, de Wette, Kuinœl, etc.) que " séparera " représente ici la flagellation. D’après S. Jérôme, Maldonat, Grotius et d’autres, ce verbe signifierait simplement " congédier ". Mais ce serait une peine bien bénigne dans la circonstance. - Sa part : hébraïsme qui marque aussi le sort, la destinée. - Avec les hypocrites. Cet homme s’est conduit comme un véritable hypocrite, profitant de l’absence de son maître pour faire le mal ; il est juste qu’il soit traité comme tel. - Là, c’est-à-dire dans le lieu spécial réservé au supplice des hypocrites. - La formule Il y aura des pleurs... désigne évidemment en ce passage, comme dans tous les autres où nous l’avons déjà rencontrée, Cf. 7, 12 ; 13, 42-50 ; 22, 12 et parall., la damnation éternelle et les tourments de l’enfer. Les Rabbins s’accordent pour placer les hypocrites dans la Géhenne et Dante, Inferno, 23, 58, relègue au sixième enfer ceux qu’il appelle ironiquement " la foule des Ombres ".Suite du Discours eschatologique. - Parabole des dix vierges, vv. 1-13. - Parabole des talents confiés par le Maître à ses serviteurs, vv. 14-30. - La scène du Jugement dernier avec tous ses détails, vv. 31-46.
Deux paraboles et une description, tel est l'abrégé de ce chapitre. Les deux paraboles appartiennent à la seconde partie du discours eschatologique : elles continuent la leçon commencée. " C'est, sous une autre figure, un autre avertissement de se tenir prêt. Combien Jésus le répète-t-il ? Et cependant nous sommes sourds. Il semble n'avoir destiné les derniers jours de sa vie qu'à nous préparer à la mort, et que ce soit là son unique affaire : c'est en effet celle d'où tout dépend ". Bossuet, Méditation sur l'Évangile, la dernière semaine du Sauveur, 89ème jour.
b. Parabole des dix vierges, vv. 1-13
1
Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l’époux et de l’épouse. 2Or, cinq d’entre elles étaient folles, et cinq étaient sages. 3Les cinq folles, ayant pris leurs lampes, ne prirent pas d’huile avec elles ; 4mais les sages prirent de l’huile dans leurs vases avec leurs lampes. 5L’époux tardant à venir, elles s’assoupirent toutes, et s’endormirent. 6Mais, au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : Voici l’époux qui vient ; allez au-devant de lui. 7Alors toutes ces vierges se levèrent, et préparèrent leurs lampes. 8Mais les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. 9Les sages leur répondirent : De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous, allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous. 10Mais pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux vint, et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée. 11Enfin les autres vierges viennent aussi, en disant : Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous. 12Mais il leur répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. 13Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l’heure.Matthieu chap. 25 verset 1. - Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l’époux et de l’épouse.
- Cette parabole compte parmi les plus belles de l'Évangile. Pour la bien comprendre, il est nécessaire de connaître les principales cérémonies qui accompagnaient autrefois la célébration du mariage chez les Juifs : mais d'une part ces cérémonies ont été si complètement décrites par les anciens auteurs, d'autre part elles se sont conservées avec tant de fidélité parmi les Syriens, les arabes et les autres habitants des pays bibliques, qu'il est aisé de s'en faire une exacte représentation. Le trait essentiel d'un mariage juif n'était pas, comme chez nous, l'acte religieux ; c'était la translation solennelle de la fiancée dans la maison qu'elle devait désormais habiter avec son mari. Le soir des noces, car cette translation avait habituellement lieu durant les premières heures de la nuit, l'époux richement habillé et coiffé du gracieux turban que mentionne Isaïe, 61, 10, se rendait avec ses paranymphes(cf. 9, 15 et l'explication) chez les parents de sa future épouse. Celle-ci, également revêtue du costume nuptial, dont les principales parties étaient le voile très ample qui l'enveloppait tout entière, la ceinture, et la couronne, l'attendait entourée de ses amies, les dix vierges de notre parabole. Alors le cortège se mettait en marche avec accompagnement de musique, de torches, et des démonstrations de la joie la plus vive. Voir dans le commentaire de M. Abbott, p. 269, une gravure qui représente une procession de mariage telle qu'on en rencontre de nos jours encore dans les rues de Jérusalem. Arrivés à la maison du fiancé, les invités entraient et les portes étaient immédiatement fermées : personne ensuite n'était admis. On signait le contrat de mariage et chacun prenait sa part d'un somptueux festin. - Nous renvoyons, pour des descriptions plus détaillées à Smith, Dictionary of the Bible, s.v. Marriage ; Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland, t. 5, p. 97 ; Weltzer et Welte, diction. Encyclop de la théologie cath ; traduit par Goschler, art. Mariage (jour du) chez les Hébreux ; D. Calmet, dictionn. de la Bible, s. v. Noces ; Selden, Uxor hebraica. Comparez aussi les ouvrages qui s'occupent directement de l'Archéologie biblique, en particulier ceux de Keil et de Saalschütz. Comme le fait observer M. Reuss, Hist. évangél. p. 612, " plusieurs circonstances sont ici laissées de côté, comme étrangères au but de la parabole. Ainsi, il n'est pas fait mention de la fiancée, ni des amis de l'époux ". Jésus se borne à relever les traits dont il avait besoin pour recommander la vigilance à ses disciples. - Alors : à l'époque dont il était question à la fin du chap. 24 ; quand le Fils de l'homme viendra juger les vivants et les morts. - Sera semblable… Nous avons expliqué plus haut cette formule ; cf. 13, 24, etc. Au jour du jugement, il se passera dans le royaume des cieux quelque chose de semblable à ce qui arriva aux dix vierges de la parabole. - Dix vierges. Le choix de ce chiffre n'est sans doute pas un effet du hasard ; il est probable que c'était le nombre ordinaire de jeunes filles qui accompagnaient la fiancée le soir de son mariage. Il était du reste très-aimé des Juifs, comme le remarque Lightfoot : aussi avait-on réglé qu'il fallait au moins dix personnes pour former une assemblée civile ou religieuse ; cf. Baehr, Symbolik des Mos. Cultus, t. 1, p. 175. - Ayant pris leur lampes. Les vierges se munissent de lampes parce que la procession devait avoir lieu pendant la nuit, comme nous l'avons indiqué. Les Grecs et les Romains employaient de préférence les torches dans des circonstances semblables : " Ne vois-tu pas les flambeaux agiter leurs chevelures d'or ? ", Catull. Ep. 98 ; " Ils portaient, comme pour la guider à quelque repas nuptial, des torches brillantes devant leur maîtresse ", Apulée, l'âne d'or, liv. 10. Cf Hom. Il. 18, 492 et ss. Les Juifs se servaient plus volontiers de ces petites lampes de terre ou de métal, usitées dans toute l'antiquité, et dont nos musées contiennent de nombreux échantillons. Cf. Ant. Rich, Diction. des antiquités rom. et grecq., traduct. française s. v. Lucerna. Ils les suspendaient parfois à l'extrémité d'un bâton. - Allèrent au-devant… Les dix vierges quittent leurs propres demeures pour aller rejoindre la fiancée : avec elle elles attendront l'arrivée de l'époux. C'est en ce sens qu'elles vont au-devant de lui, quoique de fait ce soit lui qui vienne au-devant d'elles d'après la coutume. Les mots et de l'épouse sont probablement apocryphes, car on ne les trouve presque dans aucun manuscrit grec. La Vulgate les reproduit d'après l'ancienne Itala : on les lit également dans la version syriaque.Matthieu chap. 25 verset 2. Or, cinq d’entre elles étaient folles, et cinq étaient sages.
- Le récit fait connaître une différence notable qui existait entre ces dix vierges. Elles formaient deux groupes bien distincts, malgré leur ressemblance extérieure. Toutes sont vierges, toutes sont les compagnes de l'épouse, elles sont toutes munies de lampes ardentes, toutes elles vont au-devant du fiancé ; mais cinq d'entre elles seulement sont des vierges sages, les cinq autres reçoivent le nom d'insensées, qui manquent de prévoyance.Matthieu chap. 25 verset 3. - Les cinq folles, ayant pris leurs lampes, ne prirent pas d’huile avec elles.
- Le divin narrateur, développant l'idée qui précède, expose le motif de sa distinction et montre en quoi consiste la folie de ces malheureuses vierges. Les lampes antiques ne contenaient qu'une très-modique quantité d'huile, qui se trouvait bientôt épuisée. Aussi, quand on sortait pour un temps considérable, emportait-on une provision d'huile dans des vases faits exprès, pour les remplir de nouveau. C'est ce que Chardin observa dans les Indes : d'une main on tenait la lampe, dans l'autre on portait le petit vase plein d'huile. Cf. Rosenmüller, loc. cit. p. 98. Les vierges folles prennent bien leurs lampes allumées, mais elles n'emportent aucune provision pour les garnir au besoin. Elles paieront fort cher cette imprévoyance.Matthieu chap. 25 verset 4. - Mais les sages prirent de l’huile dans leurs vases avec leurs lampes.
- Les cinq vierges sages se sont au contraire munies de tout ce qui leur est nécessaire pour la nuit. Elles pourront, s'il le faut, attendre longtemps et sans inconvénient l'arrivée de l'époux. Évidemment, c'est dans cet oubli des unes, dans cette prévoyance des autres, que consiste le point central, le nœud de la parabole. Aussi avons-nous à rechercher ici ce que figure la provision d'huile de laquelle les deux groupes de vierges tirent leur caractère spécial, leur récompense ou leur condamnation. Le sentiment catholique a toujours été clair sur ce point : les Pères sont à peu près unanimes pour dire que, si la foi est symbolisée par les lampes qui brillent entre les mains des dix vierges, l'huile destinée à garnir ces lampes représente la charité avec les bonnes œuvres qu'elle produit. " Ceux dont la foi est droite et la vie pure sont semblables aux cinq vierges sages ; mais ceux qui font profession de la foi chrétienne, sans chercher à assurer leur salut par les bonnes œuvres, ressemblent aux cinq vierges folles ", S. Greg., Hom. 12 in Evang. De même S. Jérôme, h. l. : " Les vierges qui ont de l'huile sont celles qui, en plus de leur foi, ont l'ornement des bonnes œuvres – celles qui n'ont pas d'huile sont celles qui semble confesser la foi, mais négligent les œuvres de vertu. " Cf. Orig. in Matth. Tract. 32 ; S. Jean Chrys. Hom. 87 in Matth. ; S. Hilaire in loc. ; D. Calmet, Jansénius, etc. Les protestants, pour trouver dans cette parabole une confirmation de leur système, voudraient au contraire que les lampes fussent l'emblème des bonnes œuvres, l'huile celui de la foi. Mais, si les vierges folles étaient dépourvues de la lumière de la foi, comment pouvaient-elles aller au-devant du céleste époux ! On conçoit très bien, d'un autre côté, que, tout en ayant la foi, elles aient négligé de l'alimenter par les œuvres qui procèdent de la charité : aussi leurs lampes, bientôt dépourvues d'huile, ne tardèrent-elles pas à perdre peu à peu de leur éclat et à s'éteindre ensuite complètement. De là leur exclusion du festin des noces.Matthieu chap. 25 verset 5. - L’époux tardant à venir, elles s’assoupirent toutes, et s’endormirent.
- Par ces paroles, comme l'ont remarqué plusieurs exégètes (Trench, Abbott, etc.), Notre-Seigneur insinue que son second avènement ne devait pas être immédiat, et qu'il pourrait même se faire attendre assez longtemps, cf. 24, 48, beaucoup plus longtemps que ne le conjecturaient les premiers disciples. Ce n'est toutefois qu'une insinuation, l'époque de la fin du monde devant toujours demeurer incertaine. Cf. 24, 36, 42, 44, 50. On connaît la belle réflexion de S. Augustin : " Le jour de notre mort nous est inconnu, afin que nous nous tenions sur nos gardes tous les jours de notre vie ". Cf. Tertull., De Anima, 33. - Elles s'assoupirent toutes ; toutes, les sages aussi bien que les insensées. Elles commencent par sommeiller puis elles tombent bientôt dans un sommeil proprement dit. La narration distingue d'une manière pittoresque ces deux états successifs. Trait du reste bien naturel : il est si facile de s'assoupir, puis de dormir complètement quand on attend, surtout pendant la nuit ! - Que signifient cet assoupissement et ce sommeil qui gagnent même les cinq vierges prudentes ? On ne saurait le déterminer avec certitude. S. Augustin pense que c'est l'image de la mort. Pour d'autres, c'est la figure des négligences véniellement coupables, qui échappent même aux âmes les plus pieuses. Maldonat, croyons-nous, est plus près de la la vérité lorsqu'il écrit : " J'interprète ce sommeil comme le fait de cesser de penser à la venue du Seigneur ". Nos dix vierges ont fait, ou s'imaginent avoir fait tous les préparatifs nécessaires pour aller au-devant du fiancé : elles l'attendent maintenant en pleine sécurité. Cette interprétation qui est probablement la véritable, nous est suggérée par S. Hilaire, in h.loc. : " L'attente des croyants est un sommeil tranquille ".Matthieu chap. 25 verset 6. - Mais, au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : Voici l’époux qui vient ; allez au-devant de lui.
- " Ce sera donc tout d'un coup, au milieu du calme de la nuit, alors que tous se livrent paisiblement au repos et que le sommeil est le plus profond ", S. Jérôme, h. l. L'époux arrive tout à coup à une heure où l'on a en quelque sorte cessé de l'attendre. - Un cri se fait entendre : ce sont les gardiens qui poussent ce cri, ou bien ceux qui font partie du cortège du fiancé. Il existe à Jérusalem, chez les chrétiens du rite latin, un usage singulier dont l'origine semble remonter à ce verset. Quand il y a un mariage à célébrer, c'est à minuit que la procession nuptiale sort de la maison du fiancé, au son d'une bruyante musique qu'accompagnent des cris violents, pour se rendre chez la fiancée, et de là, par le plus long chemin, à l'Église du S. Sépulcre où a lieu la cérémonie religieuse. Cf. Tobler, Denkblætter, p. 320. - Voici l'époux... Ces acclamations correspondent au bruit de la trompette angélique qui annoncera l'arrivée du Christ pour le jugement général. Cf. 24, 31.Matthieu chap. 25 verset 7. - Alors toutes ces vierges se levèrent, et préparèrent leurs lampes.
Éveillées par ce signal, les dix vierges se lèvent au plus vite pour courir au-devant de l'époux. - Et préparèrent leurs lampes. La locution élégante des Latins et des Grecs " orner une lampe " désigne une double opération. Les lampes portatives des anciens, nous l'avons vu, étaient généralement de petites dimensions ; il fallait donc y verser assez souvent de l'huile . De plus, l'on devait de temps en temps moucher la mèche pour enlever les lumignons qui s'étaient formés à son extrémité ; on devait l'élever légèrement au fur et à mesure qu'elle se consumait. On avait pour cela un petit instrument spécial, attaché à la lampe par une chaînette, et dont on a découvert de nombreux spécimens. Voir la gravure donnée par A. Rich, Dictionn. des Antiq. rom. et grecq., au mots Lucerna bilychnis et Acus, n. 4.Matthieu chap. 25 verset 8. - Mais les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.
- Alors seulement, les vierges folles ont conscience de leur conduite imprévoyante. Quelle tristesse et quel désespoir dût les saisir ! Elles attendent l'époux, on l'annonce, elles prennent leurs lampes pour se précipiter à sa rencontre et voici qu'elles s'aperçoivent, mais trop tard, que l'huile leur manque pour les alimenter ! Dans leur détresse, elles implorent la charité de leurs compagnes, Donnez-nous…, espérant que celles-ci consentiront à partager avec elles la provision qu'elles ont apportée. - Nos lampes s'éteignent, au présent ; les cinq lampes flambaient encore, mais mollement, et déjà par soubresauts, comme il arrive à un luminaire de ce genre qui est sur le point de s'éteindre.Matthieu chap. 25 verset 9. - Les sages leur répondirent : De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous, allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous.
- Hélas ! La réponse des vierges sages n'est pas et ne pouvait pas être favorable. Elle est exprimée d'une manière elliptique, ainsi qu'il convient dans un moment de grande hâte (Bengel, Gnomon in loc.). C'est un refus formel, quoique poli : refus du reste plein de sagesse, comme l'indique le motif allégué par les vierges : De peur … En partageant, ne s'exposeraient-elles pas à manquer d'huile toutes les dix ? (S. Jean Chrysostôme, de Pœnit. Hom. 8). - Allez chez ceux qui en vendent. On a vu parfois de l'ironie dans ce conseil ; S. Augustin par exemple, qui s'écrie " Ce n'est pas un conseil, c'est une dérision ", Serm. 93, 11. Mais cela serait-il bien digne des vierges sages, surtout en un pareil moment ? Non, elles ne se rient point cruellement du malheur de leurs amies, elles leur indiquent plutôt le seul moyen qui reste à celles-ci de pouvoir encore participer à la fête des noces. Qu'elles se hâtent d'aller acheter de l'huile chez les marchands !Matthieu chap. 25 verset 10. - Mais pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux vint, et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée.
- Elles suivent aussitôt l'avis de leurs sœurs, espérant qu'elles pourront revenir à temps pour accompagner l'époux. Mais, pendant qu'elles vont chez les marchands, qu'elles les éveillent et leur demandent la provision qui leur est nécessaire, le fiancé vient, les vierges sages s'unissent à lui et entrent avec lui dans la salle du festin. Elles sont prêtes ! Elles ont réalisé la recommandation des Pirké Aboth : " Ce siècle est semblable à l'entrée, et le siècle futur à la salle de repas. Prépare-toi dans l'entrée, afin que tu puisses entrer dans la salle de repas ". - La porte fut fermée : le cortège nuptial une fois entré la porte est fermée, soit pour que rien ne vienne troubler la joie des convives, soit pour qu'il soit impossible aux indignes de pénétrer. M. Trench à qui nous empruntons cette réflexion, cf. Notes on the Parables of our Lord, 11ème édit., p. 263, rappelle très à-propos le mot suivant de S. Augustin : Dans le royaume des cieux, l'ennemi n'entre pas, ni l'ami ne sort.Matthieu chap. 25 verset 11. - Enfin les autres vierges viennent aussi, en disant : Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous.
- La fête a commencé, et les vierges folles accourent à la maison nuptiale. Elles comprennent bientôt leur malheur en voyant la porte fermée. Elles implorent alors la pitié de l'époux. - Seigneur, Seigneur : c'est un cri d'angoisse qu'elles répètent deux fois pour mieux marquer l'instance de leur supplication. Mais il est trop tard : il n'est plus temps de crier merci quand a sonné l'heure du jugement (pensée de S. Augustin) !Matthieu chap. 25 verset 12. - Mais il leur répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas.
- La réponse du fiancé, si dure dans sa brièveté, montre en effet que désormais aucun autre convive ne saurait être admis au repas de noces. Ni les prières, ni les gémissements, ni le repentir même n'en peuvent forcer l'entrée. Ces vierges n'ont-elles pas eu assez de temps pour se préparer ! - Je ne vous connais pas ! Il ne les a a pas aperçues dans le cortège, il a donc raison de dire qu'elles sont des inconnues pour lui. Il les rejette ainsi à tout jamais. - La description suivante, tracée par M. W. Ward dans son ouvrage " View of the Hindoes ", et cité par M. Lymann Abbott, New. Testam., t. 1, p. 272, ne manquera pas d'intéresser le lecteur, en même temps qu'elle servira d'illustration à la scène finale de notre parabole. Il s'agit d'un mariage indien. " Après deux ou trois heures d'attente, vers minuit, on annonça enfin, presque dans les termes mêmes de l'Écriture : Voici le fiancé qui vient, allez au-devant de lui. Alors chacun d'allumer sa lampe et, la portant à la main, de courir pour prendre dans la procession la place qui lui convenait. Quelques-uns avaient perdu leurs luminaires et n'étaient pas prêts : mais il était trop tard pour aller les chercher et la cavalcade se mit en marche vers la maison de l'épouse. Le fiancé, soulevé dans les bras de ses amis, fut placé sur un siège magnifique au milieu de la société. La porte de la maison fut close immédiatement et gardée par des cipayes. Moi et plusieurs autres nous demandâmes instamment, mais en vain, la permission d'entrer. "Matthieu chap. 25 verset 13. - Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l’heure.
- C'est la morale de la parabole. Jésus l'adresse à ses Apôtres et à tous les chrétiens, pour qu'ils évitent le malheureux sort des vierges folles. - Vous ne savez ni le jour ni l'heure ; cf. 24, 42. " afin que la sollicitude de la foi soit éprouvée par une attente pleine d'anxiété, les yeux constamment fixés sur ce jour, parce qu'elle l'ignore constamment, craignant tous les jours parce qu'elle espère tous les jours ", Tertullien de Anima, 33. Un écrivain anglais, M. Arnot, fait remarquer le frappant contraste qui existe entre la nature insignifiante du trait qui forme le fond de cette parabole et la sublimité de la leçon qui en ressort. " Quelques jeunes filles de la campagne arrivant trop tard pour un mariage et se trouvant pour ce motif exclues de la fête, en soi ce n'est assurément pas un grand événement ; et pourtant je connais à peine d'autres paroles écrites dans le langage humain qui contiennent une leçon plus éclatante que la conclusion de ce récit. " - Il nous reste encore à ajouter quelques mots pour compléter l'application de la parabole. Au dire de S. Jean Chrysostôme et de plusieurs autres commentateurs anciens, les dix vierges représenteraient seulement les personnes qui ont fait profession de virginité, dans le sens strict et littéral de cette expression. Mais c'est là une erreur que réfutaient déjà S. Augustin et S. Jérôme. Ce dernier écrit : " cette parabole me paraît avoir une signification différente et se rapporter, non pas seulement à ceux qui sont vierges de corps, mais à tout le genre humain ". La parabole convient donc sans exception à tous les hommes, ou du moins, d'après S. Augustin, " à toutes les âmes qui possèdent la foi catholique ". - L'époux est évidemment le Christ, célébrant ses noces avec l'Église ; la maison où on l'attend figure ce monde. Il viendra à la fin des temps pour conduire au ciel sa fiancée, mais tous n'auront pas le bonheur de l'accompagner : les âmes vigilantes, dont les vierges sages sont le type, participeront seules à l'éternel festin des noces. - Disons enfin pour être complet sur la Parabole des dix vierges, que l'art chrétien en a fait au moyen âge un de ses sujets favoris. Elle a été souvent représentée parmi les scènes du jugement dernier qui ornent le portail de nos vieilles cathédrales. " On rencontre, dit M. de Caumont, Architecture relig. au moyen âge, p. 345, dans les voussures des portes dix statuettes de femmes, les unes tenant soigneusement à deux mains une lampe en forme de coupe ; les autres tenant négligemment d'une seule main la même lampe renversée. Le sculpteur a toujours eu soin de placer les vierges sages à droite du Christ et du côté des bienheureux, les vierges folles à sa gauche, du côté des réprouvés ". Voir l'ouvrage de M. l'abbé Cerf sur la cathédrale de Reims, description du portail du Nord, t. 2, p. 54 et ss.
14
Car il en sera comme d’un homme qui, partant pour un long voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens. 15Il donna à l’un cinq talents, et à un autre deux, et à un autre un seul, à chacun selon sa capacité ; puis il partit aussitôt. 16Celui qui avait reçu cinq talents s’en alla, les fit valoir, et en gagna cinq autres. 17De même, celui qui en avait reçu deux, en gagna deux autres. 18Mais celui qui n’en avait reçu qu’un, s’en alla, creusa dans la terre et cacha l’argent de son maître. 19Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte. 20Et celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, et présenta cinq autres talents, en disant : Seigneur, vous m’avez remis cinq talents ; voici que j’en ai gagné cinq autres.21
Son maître lui dit : C’est bien, bon et fidèle serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. 22Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi, et dit : Seigneur, vous m’avez remis deux talents ; voici que j’en ai gagné deux autres. 23Son maître lui dit : C’est bien, bon et fidèle serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. 24Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha aussi, et dit : Seigneur, je sais que vous êtes un homme dur, qui moissonnez où vous n’avez pas semé, et qui ramassez où vous n’avez pas répandu ; 25c’est pourquoi j’ai eu peur, et j’ai caché votre talent dans la terre ; le voici, vous avez ce qui est à vous.26
Mais son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai pas répandu ; 27il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais retiré avec intérêt ce qui est à moi. 28Enlevez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a dix talents. 29Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; mais, à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il semble avoir. 30Quant à ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.Cette parabole est spéciale à S. Matthieu, comme la précédente. S. Marc, dans un résumé extrêmement succinct, 13, 34-36, la mélange avec les exhortations tirées de la conduite du bon et du mauvais serviteur, cf. Matth. 24, 45-51, mais de manière à la rendre à peu près méconnaissable. Quant à S. Luc, il nous a conservé cf. 19, 11-27, une parabole qui a tant de ressemblance avec celle des talents, que de nombreux critiques ont cru pouvoir les confondre (S. Jérôme, S. Ambroise, Maldonat, Meyer, Olshausen, etc.). Toutefois, il existe aussi entre les deux récits des différences considérables, qui ont pu autoriser d'autres critiques plus nombreux encore à penser que " ce sont proprement deux paraboles racontées par Jésus dans le même but sans doute, mais à deux occasions différentes, et avec des modifications que nous ne devons pas considérer comme ayant été produites par le manque de précision de la tradition. " Parmi ces différences, M. Ed. Reuss, Histoire évangél., p. 614, dont nous venons de citer les paroles, mentionne 1° l'élément politique et messianique introduit dans le texte de S. Luc et qui manque totalement ici ; 2° plusieurs détails particuliers que nous signalerons nous-mêmes dans notre explication du troisième Évangile. Il aurait pu ajouter la distinction des dates, qui a été bien tranchée par les deux narrateurs. Voir Trench, Notes on the Parables, Par. 14.
Matthieu chap. 25 verset 14. - Car il en sera comme d’un homme qui, partant pour un long voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens.
- La particule car introduit un nouveau motif de vigilance, exprimé, lui aussi, sous une forme allégorique. La parabole des dix vierges et celles des talents se ressemblent donc au point de vue de la leçon générale qu'elles renferment. L'exhortation est au fond la même, bien qu'il y ait des nuances et une gradation dans la pensée. Ainsi, tandis que la parabole précédente nous montrait les vierges attendant leur maître, celle-ci nous fait voir les serviteurs travaillant, agissant pour lui : d'un côté, par conséquent, c'est la vie active du chrétien ; de l'autre, c'est la vie contemplative, qui est plus spécialement décrite. Mais, quoique la nécessité de la diligence au service de Dieu soit fortement inculquée des deux parts, on comprend mieux, dans la seconde parabole, la sévérité des comptes qu'il faudra rendre un jour. On peut établir encore, d'après Gerhard, Harm. Evang., p. 164, le rapprochement suivant entre les deux objets - lampes et talents - qui forment la substance des deux fictions : " La lampe qui brille est le talent que l'on met en œuvre ; la lampe éteinte, le talent qui ne rapporte rien et que l'on a enterré ". Voilà pour l'enchaînement général ; passons maintenant à l'explication des traits particuliers. - Un homme. Cet homme est la figure de Notre-Seigneur Jésus-Christ, souverain Juge des vivants et des morts. - Partant pour un long voyage ; allusion à la mort prochaine et à l'Ascension du Sauveur. Sur le point d'enlever à l'Église sa présence visible, il ressemblait en effet à un homme qui, au moment de partir pour un lointain voyage, met ses affaires en ordre et laisse des instructions à ses serviteurs. " À cause de l’amour qu’il avait pour les saints qu’il laissait sur la terre, il dit que c’est à regret qu’il retourne vers le Père, bien qu’il lui fût pénible de demeurer dans le monde ", Auct. Operis Imperf., Hom. 53. - Appela ses serviteurs : ses propres esclaves, qui lui appartenaient complètement, réellement. Ce sont tous les chrétiens, dont Jésus-Christ est devenu Maître par sa Passion et par sa mort ; ou encore, tous les hommes, qui sont la propriété absolue du Dieu-Créateur. Le sens de la parabole est en effet général et il n'y a aucune raison de le restreindre. - Et leur remit … Ce n'est pas de sa part une donation proprement dite, nous le verrons par la suite du récit : mais ce n'est pas non plus un simple dépôt. Il leur confie ses biens pour qu'ils les administrent et qu'ils les fassent valoir en son absence. Aujourd'hui rien de semblable ne se passe parmi nous. Quand un maître de maison s'éloigne pour un temps considérable, il ne pense guère à remettre à chacun de ses serviteurs une somme d'argent, pour qu'ils la lui remettent au moment de son retour plus ou moins grossie par leurs spéculations et par leur industrie. Mais c'était un usage très commun dans l'antiquité, cf. Smith, Diction. of Greek a. Rom. Antiq. s. v. Servus, et c'est à cet usage que Notre-Seigneur rattache sa parabole. - Les biens confiés aux esclaves par le riche père de famille représentent les grâces de tout genre, spécialement les faveurs spirituelles, que Dieu accorde en si grande abondance à tous les hommes. Ce sont pareillement des sommes à faire valoir. - Notons, avant de quitter ce verset, qu'il est inachevé, la phrase demeurant suspendue. On peut le compléter de deux manières : ou en admettant l'ellipse du sujet, " le Royaume des cieux est semble à un homme… qui appela... ", ou en suppléant un membre de phrase à la fin : " Ainsi fera le Fils de l'homme ".Matthieu chap. 25 verset 15. - Il donna à l’un cinq talents, et à un autre deux, et à un autre un seul, à chacun selon sa capacité ; puis il partit aussitôt.
- Le Maître de la parabole avait trois principaux esclaves : le récit mentionne ce qu'il confie à chacun d'eux avant son départ. - Cinq talents. Le premier reçoit cinq talents, c'est-à-dire, d'après les indications que nous avons données plus haut, cf. la note de 18, 24, la somme relativement considérable d'environ 12000 € en 2015 (voir A. Rich, Dictionnaire des Antiq. Rom. et grecq. s. v. Talentum). Il est curieux d'observer en passant que la signification métaphorique du mot talent dans toutes les littératures modernes, pour désigner n'importe quel avantage de la nature ou de la grâce, remonte à ce passage de l'Évangile : les langues anciennes ne la connaissaient pas. - A un autre deux : 4800€ d'après le calcul précédent. - A un autre un : 2400€. - À chacun selon sa capacité … Réflexion importante, qui explique l'inégalité de la répartition des sommes. Tous reçoivent quelque chose : il n'est pas un seul homme en effet qui n'ait été comblé des dons célestes. " Car il n'y en a pas un seul qui puisse dire véritablement : Je n'ai point reçu de talent, ainsi je n'ai rien dont on puisse me demander compte... Considérons donc ce que nous avons reçu, et soyons vigilants à bien le dépenser ", S. Grégoire le Grand, Hom. 9 in Evang. Mais tous ne reçoivent pas une somme identique : à l'un le Maître confie beaucoup, à l'autre il donne moins, à l'autre moins encore. Sur quoi se règle-t-il quand il distribue ses bienfaits avec cette mesure inégale ? Sur la capacité, sur les talents administratifs, sur la fidélité prévue d'un chacun, de telle sorte que tout est parfaitement équitable dans sa conduite. Admirons ce trait délicat de la divine bonté qui proportionne ainsi les dons, et par conséquent la responsabilité, à la force dont il a muni chaque individu. " Dieu a tout disposé harmonieusement dans son Église. À personne il n’impose des fardeaux au-dessus de ses forces ; à personne il ne refuse le don proportionnel à ses forces ", Cajetan, in h. l. L'égalité se trouve par là-même rétablie d'une certaine manière, et personne ne peut se plaindre, puisque personne ne devra rendre compte que de ce qu'il aura reçu. - Il partit aussitôt : immédiatement, sans laisser d'ordres précis relativement à l'administration des biens qu'il avait distribués. Il abandonne tout à l'action libre et spontanée des trois esclaves. Remarquons aussi qu'il ne fait connaître en aucune façon l'époque de son retour : il veut surprendre tout à coup les gens de sa maison.Matthieu chap. 25 verset 16. - Celui qui avait reçu cinq talents s’en alla, les fit valoir, et en gagna cinq autres.
- La suite de la narration, vv. 16-18, nous fait connaître ce qu'il advint des sommes confiées aux serviteurs, après le départ du maître. - Le premier se met aussitôt en mouvement. Il ne veut pas perdre un seul instant, puisque " le temps est de l'argent ", comme on l'a défini de nos jours. - Les fit valoir. Cf. Bretschneider, lex. Man. t. 1, p. 408. Il se mit à trafiquer, à faire du négoce avec ses cinq talents. Cette expression très classique fait ressortir encore le zèle industrieux du serviteur. L'argent et les bénéfices eussent-ils été à lui par avance, qu'il ne se serait certainement pas donné une plus grande peine. - Et en gagna cinq autres. Le cent pour cent ! C'est un bénéfice considérable mais qui n'est pas rare dans le commerce, quand tout réussit à souhait. Il faut remarquer, d'ailleurs, d'après le v. 19, que le serviteur eut " beaucoup de temps " pour doubler ainsi la somme qu'il avait reçue. Puissions-nous multiplier de même les grâces que Dieu a daigné nous confier comme des trésors à faire valoir !Matthieu chap. 25 verset 17. - De même, celui qui en avait reçu deux, en gagna deux autres.
- Le second esclave, en agissant comme le premier, gagne également le double de la somme déposée entre ses mains. Pour lui aussi, le bénéfice ne provint pas d'une spéculation heureuse faite en un seul jour, d'un coup de bourse, dirions-nous aujourd'hui, mais d'un négoce long, pénible, actif.Matthieu chap. 25 verset 18. - Mais celui qui n’en avait reçu qu’un, s’en alla, creusa dans la terre et cacha l’argent de son maître.
- Bien différente fut la conduite du troisième serviteur. - Il s'en alla. A son tour, il se met en mouvement, mais, pour des motifs qu'il nous dira ci-après, v. 24, ce n'est point pour multiplier son talent par d'habiles trafics. - Creusa la terre. Détail pittoresque. Il fait un creux en terre, et y dépose purement et simplement l'argent de son maître. Les anciens aimaient à cacher de la sorte les objets précieux qu'ils voulaient mettre en sûreté : plus d'un champ possède encore leur secret ! - Notons que cet esclave ne dilapide pas injustement les biens qu'il a reçus : sa faute consiste à ne rien faire pour les accroître. Au moral, ceux-là imitent sa coupable conduite, qui ne tirent aucun profit des grâces de Dieu et qui demeurent toujours les mêmes, malgré les nombreuses bénédictions qu'ils reçoivent pour leur avancement spirituel. Grotius, Annot. in h. l., ajoute une réflexion pleine de justesse : " C’est celui qui avait reçu le moins que le Christ choisit comme exemple de négligence, pour que personne ne s’attende à être exempté d’un effort pénible, sous prétexte qu’il n’a pas reçu les plus grands dons ".Matthieu chap. 25 verset 19. - Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte.
- Nous arrivons au dénouement. Longtemps après : nouvelle insinuation semblable à celle du v. 5. En effet, dit S. Jérôme, " il s'écoule beaucoup de temps entre l'ascension du Sauveur et sa venue ". - Le Maître revint. Notre Maître à tous viendra de la même manière pour le jugement final. - Et leur fit rendre compte... De chacun des trois serviteurs il exige sur-le-champ un compte rigoureux.Matthieu chap. 25 verset 20. - Et celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, et présenta cinq autres talents, en disant : Seigneur, vous m’avez remis cinq talents ; voici que j’en ai gagné cinq autres.
- Ils sont mentionnés dans le même ordre que précédemment, d'après une gradation décroissante. Avec quel bonheur le premier dût offrir, à côté des cinq talents qui lui avaient été confiés, cinq autres, les cinq autres qui étaient le fruit de sa courageuse industrie ! Son langage est triomphant, quoique modeste : regarde !, et il montre au Maître la grosse somme qu'il a su lui gagner en sus.Matthieu chap. 25 verset 21. - Son maître lui dit : C’est bien, bon et fidèle serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.
- La réponse du Maître est pleine de bonté. Elle commence par un mot d'encouragement, bien !, parfait ! Douce parole à s'entendre adresser par Dieu ! - Elle se poursuit par un éloge : Bon et fidèle serviteur : deux titres également glorieux. Elle s'achève par une splendide récompense : Je t'établirai sur beaucoup... Remarquons ici deux frappants contrastes : la somme confiée à ce bon serviteur était pourtant considérable, mais elle n'est rien si on la compare aux biens infinis que Dieu lui donnera éternellement dans le ciel. 2° il a été fidèle en tant que serviteur ; il deviendra désormais seigneur et maître. - Entre dans la joie... Cette phrase finale est diversement interprétée. Plusieurs commentateurs (Clericus, Kuinœl, Schott, etc.) donnent à " joie " le sens de festin et ils traduisent : Sois mon convive, partage le joyeux repas par lequel je vais célébrer mon retour. N'est il pas pas plus simple et plus juste de dire que la joie du maître, c'est la joie qu'il possède par lui-même, qu'il peut communiquer à ses amis et à laquelle il invite précisément le serviteur fidèle qui lui a gagné cinq talents ? Que s'il y a quelque chose d'obscur dans l'expression, l'idée est parfaitement claire : " Ce seul mot renferme tout le bonheur de l’autre vie ", S. Jean Chrys. Hom. 78 in Matth. " La joie entre en nous, dit admirablement S. Augustin, cité par Bossuet, Médit. sur l'Évang., in h. l.) lorsqu'elle est médiocre. Mais nous entrons dans la joie quand elle surmonte la capacité de notre âme, qu'elle nous inonde, qu'elle regorge et que nous en sommes absorbés : ce qui est la parfaite félicité des saints. " Car nous ne devons pas oublier que le Maître c'est Dieu, que la joie offerte par lui n'est autre que les délices éternelles du ciel. - On lira encore avec plaisir les lignes suivantes du théologien Gerhard, Harm. Évang. ap. Trench, Notes on the Parables, p. 275 : " Cette joie est tellement grande que l’homme ne peut ni la contenir ni en être contenu. Voilà pourquoi c’est l’homme qui entre dans cette joie incompréhensible. La joie n’entre pas dans l’homme comme s’il pouvait la contenir ". L'expression employée par Jésus-Christ a donc une très grande énergie.Matthieu chap. 25 versets 22 et 23. - Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi, et dit : Seigneur, vous m’avez remis deux talents ; voici que j’en ai gagné deux autres. 23Son maître lui dit : C’est bien, bon et fidèle serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.
- Le second serviteur s'approche à son tour et la même scène se reproduit. Il présente avec confiance la somme qu'il a doublée au prix de mille labeurs : le Maître le félicite, et le récompense généreusement. On est surpris, tout d'abord, de lui voir décerner absolument les mêmes éloges et la même rémunération qu'au premier, car il n'avait gagné que deux talents tandis que celui-ci en avait gagné jusqu'à cinq. S. Hilaire, Comm. in Matth. chap. 27, faisait déjà cette remarque : " ce qu'ils ont reçu et ce qu'ils ont rapporté diffèrent ; mais ils reçoivent chacun la même récompense du seigneur ". Mais, si l'on se souvient que le second esclave n'a reçu que deux talents, tandis que le premier en avait reçu cinq, on voit que leur mérite, de même que leur bénéfice, est relativement égal. Tous deux, ils ont doublé la somme qui leur avait été confiée.Matthieu chap. 25 verset 24. Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha aussi, et dit : Seigneur, je sais que vous êtes un homme dur, qui moissonnez où vous n’avez pas semé, et qui ramassez où vous n’avez pas répandu.
- La scène change soudain à l'approche du troisième esclave. Sentant bien, par l'accueil fait aux autres, ce qu'il y a de faux dans sa situation, il essaie de pallier sa faute en alléguant de vaines excuses. Mais il ne réussit qu'à l'aggraver par l'insolence de son maintien et de ses paroles. - Je sais que vous êtes un homme dur. C'est là un impudent mensonge : mais tout est bon pour un coupable sans conscience et sans délicatesse, qui veut échapper par n'importe quel moyen au châtiment qu'il sait avoir mérité. - A l'aide de deux locutions proverbiales, ce misérable prétend développer et appuyer le reproche qu'il vient d'adresser à son Maître. 1° Moissonner ce qu'on n'a pas semé, cela signifie " s'approprier le bien d'autrui ", ou encore " s'enrichir en se servant des travaux de ses semblables ". C'est ce second sens qu'il faut adopter ici, car le mauvais serviteur n'accuse pas son maître d'injustice ni de vol, mais seulement de dureté. - 2° ramassez où vous n'avez pas répandu... La pensée est tout à fait la même, quelque soit du reste la signification du verbe latin " sparsisti ", au sujet de laquelle les exégètes sont depuis longtemps divisés. Les uns le traduisent par " vanner ", les autres par " semer " : nous admettons le premier sens, pour éviter une tautologie. - Après avoir cité l'accusation de ce mauvais serviteur, Bossuet s'écrie, Médit. Sur l'Évang., dern. semaine, 90° jour : " A Dieu ne plaise que Dieu soit ainsi ! Car où n'a-t-il pas semé et quels dons n'a-t-il pas répandus ? Mais Jésus-Christ veut nous faire entendre par cette espèce d'excès combien est grande la rigueur de Dieu dans le compte qu'il redemande. Car il n'y a rien qu'il n'ait droit d'exiger de sa créature infidèle et désobéissante, dont le fonds étant à lui tout entier, il a droit de punir son ingratitude des plus extrêmes rigueurs. "Matthieu chap. 25 verset 25 - c’est pourquoi j’ai eu peur, et j’ai caché votre talent dans la terre ; le voici, vous avez ce qui est à vous.
- Après l'exorde du v. 24, destiné à rejeter sur le maître lui-même, s'il était possible, et sur son mauvais caractère, tous les méfaits de ses serviteurs, l'esclave paresseux arrive enfin à sa propre conduite. Il voudrait la faire passer pour de la timidité, pour le résultat de craintes légitimes. En imitant les autres, veut-il-dire, je risquais de perdre dans des spéculations malheureuses l'argent dont vous m'aviez chargé et alors de quelle manière m'eussiez-vous traité ? - Mais tout cela n'est que mensonge et qu'arrogance ! " Celui qui aurait dû honnêtement reconnaître sa faute, et supplier son Maître, le calomnie au contraire, et affirme qu'il a agi avec prévoyance, de peur qu'en cherchant à faire du profit il ne hasarde le capital ", S. Jérôme in loc. A la fin de son discours, il atteint le comble de l'impudence : " vous avez ce qui est à vous ", vous n'avez pas le droit d'exiger davantage. Voici votre talent, je vous le rends au complet : par conséquent nous sommes quittes. Ce malheureux serviteur ne pouvait pas être plus mal inspiré : la suite des faits va nous l'apprendre.Matthieu chap. 25 verset 26. - Mais son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai pas répandu.
- Le maître, prenant un ton justement sévère, réfute par un argument " ad hominem " son indigne serviteur ; il retourne contre lui ses propres paroles, pour le condamner plus fortement. - Mauvais et paresseux. Deux épithètes bien différentes de celles qui avaient été appliquées aux deux autres esclaves. Mauvais, parce qu'il a osé calomnier son maître ; paresseux, comme le montre sa conduite. - Tu savais... Tu le savais ! Tu es donc sans excuse, puisque tu as fait volontairement tout ce qu'il fallait pour m'irriter. L'ignorance seule aurait pu te servir de défense.Matthieu chap. 25 verset 27. Il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais retiré avec intérêt ce qui est à moi.
- Tu devais tirer la conséquence, d'ailleurs si évidente, qui ressortait de ton raisonnement. - Remettre mon argent... Dans le grec, on a une expression pittoresque qui signifie " jeter une somme d'argent sur la table d'un banquier " ; cf. Luc. 198, 23. - Aux banquiers. Les " numularii " remplissaient chez les anciens le rôle de nos changeurs modernes : ils y associaient celui de banquiers, car ils tenaient une banque ouverte, recevant et prêtant à intérêt. - J'aurais retiré avec intérêt. Le bénéfice eût pu être considérable, car les taux étaient très élevés dans l'antiquité. Bien entendu, il serait tout à fait arbitraire de prétendre prouver par ce trait de notre parabole la légitimité de l'usure. Quand Notre-Seigneur appuie quelques instructions sur les usages de la vie commune, il n'entend nullement se prononcer par là-même sur leur valeur morale. - Le sens de la réflexion adressée ici au mauvais serviteur est bien clair : si tu n'avais pas assez d'énergie pour te livrer à un négoce pénible qui t'eût permis de doubler mon talent, du moins pouvais-tu le grossir sans beaucoup de peine. Pour cela il n'était pas même nécessaire de creuser un trou en terre, comme tu l'as fait : il suffisait de jeter l'argent sur la table d'un changeur. Au moral : " Il entend par là que s’il n’a pas osé se servir du don de Dieu dans des actions remplies de péril, il doit quand même s’en servir dans des actions qui sont profitables sans être périlleuses ", Cajetan, in h.l. Il est tant de manières d'utiliser les grâces de Dieu, les talents qu'ils nous a confiés : Malheur à qui les laisserait dormir sans fruit, puisque tous sont capables d'en tirer quelque avantage !Matthieu chap. 25 verset 28 - Enlevez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a dix talents.
- Après les considérants, vv. 26 et 27, nous avons la sentence qui occupe trois versets, 28-30. L'esclave coupable est d'abord condamné à être dépouillé de la somme qui lui avait été confiée. Rien de plus naturel et de plus juste que cette privation. A quel titre ce mauvais serviteur garderait-il le talent du maître ? - Donnez-le... C'est le premier des trois serviteurs qui en bénéficie. Sans doute, un talent est bien peu de chose en comparaison de la récompense qu'il a déjà reçue, v. 21 ; mais ce trait est destiné à confirmer le proverbe du v. 29, par lequel le père de famille justifie sa conduite.Matthieu chap. 25 verset 29. - Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; mais, à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il semble avoir.
- Voir l'explication du proverbe au chap. 13, v. 12, où nous avons déjà rencontré cet adage dans une autre instruction de Jésus. - Cicéron exprime une pensée semblable lorsqu'il dit : " Les mêmes lois de la nature, qui, par le motif de l'intérêt général, interdisent la moindre entreprise sur le bien d'autrui, justifient, par le même motif, le citoyen sage, laborieux, bien méritant, dont la perte serait un dommage public, d'enlever ce qui lui est absolument nécessaire pour ne pas mourir au citoyen oiseux qui jouit du superflu ", Offic. 3. Plusieurs commentateurs, après avoir rappelé l'analogie qui existe entre les faits du monde naturel et ceux du monde moral, mentionnent fort à propos la loi bien connue d'après laquelle un membre du corps humain devient plus vigoureux et plus souple par l'exercice, tandis qu'il perd graduellement sa force et jusqu'à la puissance d'agir si on le laisse constamment immobile. Il en est de même, ajoutent-ils, des dons que le Seigneur répand sur nous : utilisés, ils se multiplient ; négligés, ils dépérissent. Voir Abbot, Comment. h. l. ; Trench, Notes on the Parables, 13ème édit., p. 283.Matthieu chap. 25 verset 30. - Quant à ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
- Voici la partie la plus terrible de la sentence : non-seulement l'esclave coupable est dépouillé du talent qu'il avait reçu, il est en outre condamné à une peine infamante et sévère. On le nomme à bon droit serviteur inutile, puisqu'il n'a pas su tirer parti de sa situation pour avancer les intérêts de son maître en même temps que ses intérêts propres. - Jetez-le : l'opposé de " entre dans la joie ", vv. 21 et 23. Tandis que les deux autres avaient mérité d'entrer dans des relations tout à fait intimes avec leur Seigneur, lui, il est éloigné à tout jamais de sa présence. Et remarquons bien que cet homme aurait pu être plus coupable. Que serait-ce s'il eût consommé en débauches l'argent dont il avait le dépôt ? Aussi demanderons nous avec S. Augustin : " Que doivent donc attendre ceux qui ont dissipé dans la débauche le bien du maître, si ceux qui l'ont conservé avec paresse sont ainsi condamnés ? ", Enarrat in Ps 38, 4 ; " Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux ", Enarrat. in Ps. 99, 10. - Dans les ténèbres extérieures. Nous avons dit ailleurs, cf. 8, 12, ce qu'il faut penser de ces ténèbres extérieures, comme aussi des pleurs et des grincements de dents de ceux que la main divine y a relégués impitoyablement. - Les Pères nous ont laissé, comme conclusion de cette parabole, une sentence qui en résume très bien l'enseignement moral, et que plusieurs ont même attribuée à Jésus lui-même : faites valoir vos talents, faites-leur rapporter de gros intérêts. Cf. Anger, synopsis, p. 274. Oui, faisons-les valoir si nous ne voulons pas mériter le sort de ce malheureux serviteur. S. Augustin, dans un touchant discours prononcé pour l'anniversaire de son élévation à l'épiscopat, serm. 339, 3, s'applique à lui-même la parabole des talents, et il raconte qu'elle le délivra d'une tentation dangereuse. La pensée lui était venue de renoncer aux travaux extérieurs du saint ministère pour s'abandonner aux saintes douceurs d'une vie contemplative ; mais, après avoir bien pesé toutes choses, il disait : " l’Évangile me glace d'effroi ". Et pourtant, " Est-il rien de meilleur, de plus doux, que de puiser sans bruit extérieur dans les trésors divins ? Voilà ce qui est bon, ce qui est agréable. Mais prêcher, reprendre, corriger, édifier, s'inquiéter pour chacun, quelle charge, quel poids, quel travail ! Qui ne le fuirait ? Mais l’Évangile m'épouvante ". Et il continua de se dépenser pour les âmes, conformément à la volonté du divin Maître. Que chacun demeure donc dans la sphère où le Seigneur le veut, et qu'il y mette vigoureusement en œuvre les dons qu'il a reçus d'en haut, craignant de devenir un serviteur inutile ! - Ainsi se termine la troisième série des paraboles de Notre-Seigneur Jésus-Christ (voir la note placée en tête du chap. 13). Prononcées durant les huit ou dix derniers jours de la vie du Sauveur, entre son entrée solennelle à Jérusalem et sa Passion, elles prophétisent la consommation finale du royaume de Dieu. On y voit le peuple Juif exclu de ce royaume, cf. Matth. 21, 22, et les conditions auxquelles les autres hommes pourront y être admis, ibid. 25. leur couleur est généralement sombre. On a pu dire avec beaucoup de vérité qu'elles sont aux paraboles de la première série, qui étaient, elles aussi, presque toutes données par S. Matthieu, ch. 13, ce que la prophétie du chap. 24 est au Sermon sur la Montagne. Rev. Plumptre, dans Smith Dict. of the Bible. s. v. Parable.
31
Or, lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa majesté. 32Toutes les nations seront assemblées devant lui et il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs 33et il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. 34Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès l’établissement du monde. 35Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; 36j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi. 37Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger ; avoir soif, et que nous vous avons donné à boire ? 38Quand est-ce que nous vous avons vu étranger, et que nous vous avons recueilli ; ou nu, et que nous vous avons vêtu ? 39Ou quand est-ce que nous vous avons vu malade ou en prison, et que nous sommes venus à vous ? 40Et le roi leur dira : En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. 41Il dira ensuite à ceux qui seront à gauche : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. 42Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; 43j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. 44Alors ils lui répondront, eux aussi : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, ou avoir soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et que nous ne vous avons pas assisté ? 45Alors il leur répondra : En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. 46Et ceux-ci iront au supplice éternel, mais les justes à la vie éternelle."
Après avoir préparé ses fidèles au jugement dernier avec tant de soin, il est temps qu'il nous fasse voir ce jugement ; et c'est ce qu'il fait dans le reste de ce chapitre ". Bossuet, l. c., 91è jour. La description que nous allons étudier est unique en son genre dans l'histoire de Jésus. Elle est dramatique, vivante et en même temps d'une majestueuse simplicité. C'est un sublime développement des vv. 30 et 31 du 24è chapitre.Matthieu chap. 25 verset 31. Or, lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa majesté.
- Tout se tient dans le Discours eschatologique, de même que tout se tient dans son accomplissement. "Or" établit la liaison entre le tableau du Jugement final, et les diverses mentions qui en ont été faites dans les parties antérieures de l'instruction. - Dans sa majesté ; cf. 19, 28 ; 24, 30. Le souverain Juge fera soudain son apparition solennelle ; il se présentera plein de gloire et d'éclat : " Il montrera sa majesté, qui était alors cachée. Il oppose le silence du temps présent au temps futur, et sa première venue à la seconde ", Maldonat in h. l. " Il est déjà venu une fois non pour éclater dans sa gloire, mais pour souffrir les injures et les outrages. Mais alors il s'assiéra sur le trône de sa gloire ", S. Jean Chrys. Hom 79 in Matth. - Avec tous les anges ; cf. 16, 27. Tous les anges seront là de même que tous les hommes. " Quelle publicité ! " s'écrie justement Bengel, Gnomon, in h. l. - Il s'assiéra. C'est la posture des juges et des rois en face de leurs sujets ; cf. Ps 9, 5, 8, etc. Aussi le verbe " s'asseoir " est-il parfois employé par les classiques avec le sens de " juger ". Cet usage était si constant à Rome, que la chaise curule accompagnait les empereurs même dans les provinces ou dans les expéditions guerrières. Le Fils de l'homme sera donc assis pour nous juger. - Sur le trône de sa majesté, c'est-à-dire le trône qui représente sa majesté souveraine.Matthieu chap. 25 verset 32. - Toutes les nations seront assemblées devant lui et il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs.
- Cf. 24, 31 ; au signal donné par les anges. - Devant lui, en tant qu'il sera le Juge suprême universel. - Toutes les nations. Ce ne sont pas seulement les païens qui sont mentionnés ici, comme l'affirment plusieurs auteurs protestants (Keil, Olshausen, Stier, Alford, etc.) ; ce ne sont pas non plus seulement les chrétiens (Euthymius), mais tous les peuples sans exception, tous les hommes qui auront existé depuis le commencement du monde, à quelque religion qu'ils aient appartenu. Il s'agit en effet d'un jugement général. - Et il séparera : séparation symbolique qui est déjà un jugement préalable. Jusque-là, tous les hommes avaient été mélangés, sans égard à leur caractère moral. Cf. 13, 24 et ss. " Les " désigne les hommes dont se composent les peuples et qui seront jugés chacun individuellement. Toute nationalité, du reste, aura alors disparu : il n'y aura donc pas à séparer les peuples des peuples, mais les méchants des bons, ainsi qu'il ressort du contexte. Les anges seront de nouveau chargés de cette opération. Cf. 13, 49. - Comme le berger. Gracieuse comparaison, empruntée à la vie pastorale, pour expliquer une scène terrible. Les brebis et les chèvres, les boucs et les béliers, en Orient surtout, ne forment qu'un seul et même troupeau, et le berger les conduit ensemble au pâturage. Cf. Gen. 30, 33 et ss. ; Cant. 1, 7, 8. Mais le soir on les sépare pour les mettre dans des étables distinctes. Ainsi fera le Souverain Juge à la fin des temps.Matthieu chap. 25 verset 33. - Et il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.
- Les brebis, c'est à dire les bons, dont les brebis sont la figure ; car elles représentent chez tous les peuples la douceur, la docilité, l'innocence. Le côté droit a de même toujours été regardé comme le plus honorable : c'est la place du bonheur et de la bénédiction. Cf. Gen. 48, 17. - Les boucs : c'est-à-dire les méchants, dont les boucs sont l'emblème à cause de leur indocilité, de leur puanteur et de leur impureté. " Il n'a pas dit les chèvres, mais les boucs, animal sans retenue et qui agresse avec ses cornes ", S. Jérôme in h.l. - A gauche. Le côté du malheur, dont le seul nom était regardé comme un pronostic fâcheux ; aussi les Grecs, si enclins à la superstition, évitaient-ils de le prononcer. Il est intéressant de se rappeler ici que les anciens plaçaient généralement l’Élysée ou le séjour des bienheureux à droite, le Tartare ou séjour des méchants à gauche.Matthieu chap. 25 verset 34. - Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès l’établissement du monde.
- La sentence est maintenant promulguée, vv. 34-45, sous la forme d'un double dialogue qui est censé avoir lieu entre le Christ et les deux catégories d'hommes dont il vient d'être question. - Premier dialogue et sentence des bons, vv. 34-40. Alors : après la séparation mentionnée plus haut, quand chacun occupera la place que lui aura méritée sa vie sur la terre. - Le roi dira. Cf. 16, 28. Le royaume éternel du Messie commence : aussi, celui qui tout à l'heure encore, vv. 31, était nommé Fils de l'homme, prend-il un titre conforme à sa vraie dignité. - Ceux qui seront à sa droite : se tournant vers eux avec un visage bienveillant, un air plein de bonté. - Venez. Tous les mots portent, dans cette sentence de bonheur. Le premier renferme la plus douce invitation. La Vulgate l'a parfaitement traduit quant au sens ; mais le texte grec, ici !, est autrement énergique. Il inspirait à Fr. Luc de Bruges, Comm in h.l., cette belle réflexion : " Cette parole dénote une affection amicale toute spéciale, par laquelle le Christ invite suavement les élus à venir au roi, au seigneur et premier possesseur du royaume où il retournera bientôt, et où il les introduira avec lui ". - Bénis. Quel nom ! Et que de choses dans ce simple nom ! Bénis de toute éternité, bénis dans les siècles des siècles, prédestinés, justifiés, glorifiés. Ou, pour parler mieux encore avec S. Augustin : " Aimés de Dieu avant l'existence du monde, appelés du milieu du monde, purifiés et sanctifiés dans le monde, destinés enfin à être exaltés après la fin du monde ". Soliloq. - Possédez, recevez en héritage. Il n'y aura pas de possession plus magnifique, il n'y en aura pas non plus de plus sûre, car " on ne possède bien, dit Bossuet, l.c., 93è jour, que ce qu'on a pour l'éternité : le reste échappe et se perd ". - Le Royaume, le royaume messianique considéré dans sa consommation glorieuse, et dégagé de tout élément infirme et terrestre (voir le commentaire de 3, 1). - Préparé... L'expression peut signifier " dès l'origine du monde ", ou bien " avant la création ". La plupart des exégètes sont favorables au second sens. Dans les deux cas, Jésus fait ressortir ici l'admirable tendresse manifestée par Dieu à l'égard de ses élus. Longtemps avant leur création, il pensait aux récompenses dont il devait les gratifier, il leur préparait des jouissances et une gloire sans fin.Matthieu chap. 25 verset 35. - Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli.
- Après avoir prononcé le décret qui fixera éternellement le sort bienheureux des justes, Jésus, remplissant par anticipation les fonctions de souverain Juge, signale la manière dont ils auront gagné leur splendide couronne. - J'ai eu faim... N'est-il-pas surprenant de l'entendre simplement nommer, comme motifs du bonheur éternel des élus, quelques œuvres de miséricorde ? " Que ces choses sont faciles ! s'écrie S. Jean Chrysostôme, l. c. Il ne dit pas : J'étais en prison et vous m'avez délivré ; j'étais malade et vous m'avez guéri ; il dit simplement : vous m'avez visité, vous êtes venus à moi. " Mais remarquons que ce sont là de simples exemples. Du reste, tous les actes mentionnés par le Christ exigent plus ou moins de peines et de sacrifices. Et puis, c'est à dessein qu'il les choisit parmi les moins difficiles, pour montrer que si l'on peut obtenir une telle récompense pour un verre d'eau, pour une bonne parole, à plus forte raison s'en rendra-t-on digne par des œuvres d'une perfection plus relevée. Il y a là un argument " a fortiori " qu'il ne faut pas perdre de vue. Enfin, comme l'a dit S. Grégoire de Nazianze, " Dans aucun de ses attributs Dieu n’est autant honoré que dans sa miséricorde ". Ces pensées nous aideront à comprendre pourquoi Jésus ne parle que d’œuvres purement matérielles, pourquoi il ne prononce pas même le nom de la foi. - Vous m'avez recueilli. Le verbe grec correspondant ne signifie pas seulement rassembler, mais il est pareillement employé dans le sens de donner l'hospitalité.Matthieu chap. 25 verset 36. - J’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi.
- Le verset précédent louait dans les élus la pratique de trois œuvres de miséricorde ; celui-ci en signale trois autres. - J'étais nu : en haillons, à demi vêtu, selon la signification étendue du mot " nudus ", confirmée par un passage de Sénèque, de Benef. 5, 3 : " En voyant un homme mal vêtu et couvert de haillons, on dit qu'on a vu un homme nu ". - Vous m'avez visité. La visite des malades a toujours passé chez les Juifs pour un des premiers exercices de la charité fraternelle. " Dieu, qu'il soit béni ! visite les malades, Gen. 18, 1 ; de même toi aussi, visite les malades ", lisons-nous dans le Talmud, Sota, 14, 1. - Vous êtes venus à moi. Dans l'antiquité, les portes des prisons s'ouvraient beaucoup plus aisément qu'aujourd'hui aux parents et amis qui désiraient voir quelque incarcéré ; cf. Jer. 32, 8 ; Matth. 11, 2 ; Act. 24, 23, etc. C'est qu'on n'y subissait généralement qu'une arrestation préventive. On connaît ce principe du droit criminel des Romains : " Les prisons ne sont établies que pour garder les criminels, et non pas pour les punir ". Aussi les personnes pieuses et charitables allaient-elles fréquemment visiter et consoler les prisonniers. Les usages actuels de l'Occident restreignent d'une manière notable l'exercice de cet acte de charité : ceux de l'Orient sont demeurés aussi larges que par le passé ; cf. Rosenmüller, das alte u. neue Morgenland, t. 5, p. 101. - Aux six œuvres de miséricorde dont le Sauveur prédit ici la sublime récompense, les théologiens en ont ajouté une septième, l'ensevelissement des morts, dont Tobie a donné de si beaux exemples, cf. Tob. 12, 12, et ils les ont réunies dans un vers mnémotechnique (" visito, poto, cibo, redimo, tego, colligo, condo ") c'est-à-dire : Donner à manger à celui qui a faim, donner à boire à celui qui a soif, vêtir celui qui est nu, exercer l'hospitalité, visiter les malades, racheter les captifs, ensevelir les morts.Matthieu chap. 25 versets 37-39. - Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger ; avoir soif, et que nous vous avons donné à boire ? 38Quand est-ce que nous vous avons vu étranger, et que nous vous avons recueilli ; ou nu, et que nous vous avons vêtu ? 39Ou quand est-ce que nous vous avons vu malade ou en prison, et que nous sommes venus à vous ?
- La réponse des justes occupe trois versets, 37-39 : elle paraît tout d'abord très-extraordinaire. En effet, peut-on se demander, les bienheureux ignoreraient-ils donc l'Évangile et ses promesses ? Auront-ils oublié, au dernier jour, que d'après cette parole même de Jésus et d'autres semblables, cf. 10, 40-42, etc., qu'ils avaient lues, goûtées, pratiquées tant de fois sur la terre, le bien fait au nom du Christ à toute sorte d'affligés sera récompensé comme s'il avait été fait directement au Christ en personne ? Assurément, ils ne l'auront pas oublié. Aussi les exégètes s'accordent-ils à reconnaître qu'il ne faut pas trop presser ce détail du grand drame. La réponse des élus sera plutôt mentale qu'extérieure, et l'étonnement qu'elle exprime viendra moins d'une surprise proprement dite, produite par une nouvelle inattendue, que d'un profond sentiment d'humilité. " Ils sont stupéfaits d'être ainsi exaltés, et par la grandeur de leur propre gloire ; ou parce que le bien qu'ils ont fait leur semblera si faible " (cf. Rhaban Maur, in h. l. ; Luc de Bruges, Corneille de Lapierre, etc.). On peut aussi dire avec Euthymius, Jansénius, etc., que cette réponse a été introduite par Jésus dans la description grandiose du Jugement dernier pour lui fournir l'occasion de recommander très-fortement les œuvres de charité. Ce serait une sorte de parabole insérée au milieu de traits qui deviendront un jour historiques. - Quand est-ce... La réponse appuie et insiste sur ce pronom qui est répété à chaque verbe. Les élus représentent modestement à Jésus que ce n'est pas à lui personnellement qu'ils ont rendu les services pour lesquels ils reçoivent une si haute récompense.Matthieu chap. 25 verset 40. - Et le roi leur dira : En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
- Le Souverain Juge leur adresse une aimable réplique, qui est la conclusion de leur bienheureuse sentence. - Toutes les fois que… résume toutes les œuvres de miséricorde énumérées plus haut. - L'un de ces plus petits ; cf. 10, 42. Ici Jésus ne désigne pas seulement les Apôtres, ni les chrétiens, mais en général tous les infortunés : ils sont ses frères, il vit en eux en tant qu'il est le vrai chef de l'humanité, il a pour eux une affection spéciale parce que son existence sur la terre a été semblable à la leur. " ces " est pittoresque : Jésus est censé les montrer du geste.. - C'est à moi... Jésus ne faisant avec les malheureux qu'un seul corps mystique, cette conclusion est aussi naturelle qu'elle est encourageante. Voici d'après Schoettgen, Horae talm. in h.l., un passage talmudique analogue à la parole du Sauveur : " Rabbi Afin a dit : Chaque fois qu'un pauvre se tient devant ta porte, Dieu saint et béni se tient à sa droite ; si tu lui donnes, sache que tu recevras de celui qui se tient à sa droite une récompense ; si tu ne lui donnes rien, sache que tu en sera puni par celui qui se tient à sa droite ". Mais quelle force supérieure dans la pensée de Jésus ! Lui seul connaît toutes les œuvres miséricordieuses qu'elle a inspirées au sein du Christianisme. Les principes humanitaires de la philanthropie ne sont, auprès d'elle, qu'une vaine et froide déclamation, qui ne produit que de rares dévouements.Matthieu chap. 25 verset 41. Il dira ensuite à ceux qui seront à gauche : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.
- Nous arrivons à la terrible sentence des méchants, vv. 41-45. Dans ses divers détails, dans ses termes mêmes, elle est parallèle à la sentence des bons, ce qui en fait ressortir la triste différence. En effet, quoique semblables, les deux décrets sont complètement opposés l'un à l'autre, comme l'a été d'ailleurs la vie des hommes sur lesquels ils retombent. - Retirez-vous. Ce mot est le plus effroyable de tous ceux qui composent la seconde sentence : il implique de la part de Dieu la haine la plus vive pour ceux qu'il rejette ainsi, de même qu'il présente aux damnés la face la plus dure de leur châtiment. Aussi est-ce dans la séparation de Dieu que consiste essentiellement " la peine du dam ", de même que le bonheur des élus consiste avant tout dans l'union éternelle avec Dieu. Écoutons Bossuet : " Au lieu de ce Venez si ravissant, plein d'une admirable douceur, qui satisfera le cœur de l'homme sans lui laisser rien à désirer, les méchants, les impénitents entendent cet impitoyable Allez, retirez-vous ! O paroles qu'on ne peut assez méditer : venez ! Allez ! Taisons-nous ; tais-toi ma langue, tes expressions sont trop faibles. Mon âme, pèse ces mots qui comprennent tout le bonheur et le malheur, et toute l'idée de l'un et de l'autre : Venez, allez. Venez à moi où est tout le bien. Allez loin de moi où est tout le mal ". Méditat. Sur l'Evang. Dern. Semaine, 93è et 97è jour. - Maudits, exécrés, dévoués irrévocablement à toutes les horreurs et à tous les supplices. Jésus avait appelé les justes " Bénis de mon Père " ; ici, il dit simplement : " Maudits ". Les Saints Pères ont noté la cause de cette omission volontaire d'un nom que le Sauveur aimait à prononcer. " Remarquez aussi que s'il a dit: "Les bénis de mon Père",il ne dit pas ici: "Les maudits de mon Père"; car le Père est la source de toute bénédiction, mais chacun devient pour soi-même une cause de malédiction, en faisant des œuvres dignes de malédiction ", Origène. Dieu ne sait que bénir : les maudits sont donc ceux qui se maudissent eux-mêmes. - Au feu. Après la peine du dam vient la peine des sens, dont l'agent principal sera le feu qui consumera les réprouvés, feu réel et proprement dit (voir le savant opuscule de Passaglia, de Aeternitate poenarum deque igne aeterno commentarii, Ratisb. 1854) quoique différent des nôtres à plusieurs égards ; en même temps feu éternel, comme le dit expressément Jésus. L'adjectif éternel doit en effet se prendre à la lettre : ce n'est pas une hyperbole populaire pour désigner un temps considérable, c'est une réalité terrible. - Qui a été préparé... Même réflexion qu'à propos du mot maudits. " Ce n’est point moi, dit-il, qui vous ai préparé ces feux. Je vous ai bien préparé un royaume, mais ces flammes n’étaient destinées par moi que pour le démon et pour ses anges. C’est vous seuls que vous devez accuser de votre malheur, et vous vous êtes précipités volontairement dans ces abîmes ", S. Jean Chrys. Hom. 79 in Matth. Ce sont nos péchés et ceux des démons qui ont creusé l'enfer : Dieu n'en est pas le créateur d'une manière positive. - La mention de Satan et des autres esprits mauvais a aussi pour but de mieux faire comprendre l'étendue des peines de l'enfer, la présence de ces anges rebelles devant ajouter considérablement aux tourments des damnés.Matthieu chap. 25 versets 42 et 43. - Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; 43j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.
- La seconde sentence est motivée comme la première et de la même façon. Les œuvres les plus élémentaires de la charité chrétienne, si elles sont volontairement omises, peuvent donc être l'occasion d'un malheur éternel pour les hommes, de même qu'elles peuvent leur procurer, s'ils les pratiquent avec fidélité, le bonheur sans fin du ciel. D'où il est aisé de conclure que si de simples négligences dans le service du prochain peuvent amener un résultat si affreux, les crimes positifs envers Dieu et envers les hommes le produiront plus infailliblement encore.Matthieu chap. 25 verset 44. - Alors ils lui répondront, eux aussi : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, ou avoir soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et que nous ne vous avons pas assisté ?
- Ils lui répondront, c'est-à-dire comme l'avaient fait les bienheureux, v. 37. - Quand est-ce que... Volontiers, veulent-ils dire, nous aurions accompli ces actes de miséricorde à l'égard du Christ, si nous en avions eu l'occasion. Mais ils prétendent que cette occasion heureuse leur a toujours manqué. Méritent-ils donc un tel châtiment pour une faute qui n'a pas dépendu d'eux-mêmes ?Matthieu chap. 25 verset 45. - Alors il leur répondra : En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.
- Alors il répondra. Le souverain Juge n'acceptera pas cette vaine excuse ; car, dit S. Jérôme, in h. l., " Cela signifie clairement que dans chaque pauvre, un Christ affamé est nourri, un Christ assoiffé est désaltéré, un Christ errant est logé sous un toit, un Christ nu est vêtu, un Christ malade reçoit des visites, un Christ emprisonné est réconforté par des visites ". Il nous avait assez clairement avertis. - À l'un de ces plus petits : ce comparatif équivaut au superlatif du v. 40. - Vous ne l'avez pas fait. Nous empruntons encore à Schoettgen un texte rabbinique : " Ils n’ont pas restauré l’âme du pauvre avec de la nourriture et du breuvage. Ni Dieu non plus ; qu’il en soit béni ! C’est dans le monde futur qu’il recevra leurs âmes. "Matthieu chap. 25 verset 46. - Et ceux-ci iront au supplice éternel, mais les justes à la vie éternelle.
- Les deux sentences ont été prononcées ; Jésus, dans un épilogue majestueux et sublime, nous fait maintenant assister à leur exécution. - Et ceux-ci iront.. ; les réprouvés dont il a été parlé en dernier lieu. - Au supplice éternel : mots effrayants, sur la signification desquels il ne règne pas le moindre doute ; de Wette lui-même, malgré son rationalisme ardent, est forcé de l'admettre. Du reste, comme le remarque justement S. Grégoire, Dial. 4, c. 44, " Si elles sont fausses les punitions dont le Christ nous menace pour enrayer l’injustice, elles sont fausses également les promesses qu’il fait pour nous inciter à pratiquer la justice ". Les deux éternités, celle du ciel et celle de l'enfer, sont corrélatives : si l'une tombe, comment l'autre subsistera-t-elle ? Cf. S. Augustin, de Civitate Dei, 21, 23. Aussi étaient-elles un dogme de foi chez les Juifs de même qu'elles le sont dans le catholicisme. On ne trouverait pas, dans l'Écriture, un seul mot qui puisse faire espérer aux damnés la cessation de leurs souffrances. - A la vie éternelle. Expression bien chère aux écrivains du Nouveau Testament, puisqu'ils l'emploient jusqu'à 44 fois. Elle ne désigne pas simplement l'existence, même une existence heureuse et sans fin, mais la vie essentielle, la vie dans ce qu'elle a de plus parfait. - Notons, d'après Bengel, Gnomon, in h. l ., que la sentence n'est pas exécutée dans le même ordre qu'elle avait été prononcée. " Le Christ s'adressera d'abord aux justes, en présence des injustes qui entendront ; mais les injustes s'en iront les premiers, les justes assistant ainsi à leur châtiment ". Jésus n'ajoute rien au mot " éternelle " : la toile tombe et la double éternité commence, la décision étant sans appel. Le divin Maître achève ainsi ce terrible discours.Jésus annonce sa Passion d'une manière définitive, vv. 1 et 2. - Complot du Sanhédrin pour le faire mourir, vv. 3-5. - Le repas et l'onction de Béthanie, vv. 6-13. - Judas offre aux princes des prêtres de leur livrer son Maître, vv. 14-16. - Jésus envoie deux disciples à Jérusalem pour y préparer la cène pascale, vv. 17-19. - Pendant le repas, il annonce qu'un des Douze le trahira, vv. 20-25. - Institution de la Sainte Eucharistie, vv. 26-29. - Jésus prédit le triple reniement de S. Pierre et la fuite des Apôtres, vv. 30-35. - L'agonie de Gethsémani, vv. 36-46. - Arrestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vv. 47-56. - Le Sauveur comparaît devant le Grand Conseil qui le condamne à mort, vv. 57-68. - Reniement de S. Pierre, vv. 69-75.
Les fonctions prophétiques du Christ sont terminées : son rôle sacerdotal va commencer, car nous abordons ici la narration proprement dite de la Passion. Les quatre évangélistes se sont unis pour l'écrire, et, si nous ne les avons vus que rarement raconter tous ensemble le même fait, désormais leurs récits seront presque toujours parallèles. Aucun d'eux ne pouvait passer sous silence des événements d'une telle gravité, d'un tel intérêt pour le lecteur chrétien. Ils se complaisent même à nous fournir des détails plus nombreux que partout ailleurs. En effet, ils l'avaient compris, " l'histoire de la Passion est la plus haute et la plus sainte des histoires, c'est le point central autour duquel roule toute l'histoire du monde ", Heubner. Les exégètes, comme les évangélistes, aiment à s'étendre sur ces incidents, si beaux malgré la tristesse dont ils sont empreints. Plusieurs ont même composé sur la Passion de Notre-Seigneur des monographies considérables dans lesquelles ils en étudient les moindres traits, en s'éclairant de toutes les lumières que peut procurer l'archéologie profane et sacrée. Nous signalons spécialement les ouvrages suivants au lecteur studieux : Ant. Bynæus, de Morte J. Chr., Amsterd. 1691-1698, 3 vol. in-4° ; J. Val. Henneberg, Commentar über die Geschichte der Leiden u. des Todes Jesu Chr., Leipz., 1822 (ces deux auteurs sont protestants) ; Friedlieb, Archæologie der Leidengeschichte, Bonn, 1842 ; Jos. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, Fribourg-en-Brisgau, 1864 ; C. Fouard, la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Rouen 1876.
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Et il arriva que, lorsque Jésus eut achevé tous ces discours, il dit à ses disciples : 2Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours, et le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié.Matthieu chap. 26 verset 1. - Et il arriva que, lorsque Jésus eut achevé tous ces discours, il dit à ses disciples.
- Et il arriva... S. Matthieu emploie volontiers ces mots comme une formule de transition dans les circonstances solennelles ; cf. 7, 28 ; 11, 1 ; 13, 53 ; 19, 1. Ils lui servent ici à introduire le dénouement final. - Achevé tous ces discours. L'évangéliste voudrait-il parler de tous les discours prononcés par Notre-Seigneur depuis le début de sa Vie publique ? S. Thomas d'Aquin, Wichelhaus, Bisping, etc., l'ont pensé. Mais nous croyons qu'il fait seulement allusion aux dernières instructions de Jésus, contenues dans les trois derniers chapitres, 23-25, et adressées en partie au peuple, en partie aux Apôtres. - Il dit à ses disciples... Quand leur fit-il la confidence que nous allons entendre ? Selon toute vraisemblance, peu d'instants après avoir achevé son discours eschatologique, par conséquent le mardi soir. La phrase même de S. Matthieu paraît le dire assez clairement ; car elle suppose qu'il n'y eut pas d'intervalle notable entre la conclusion du Discours et la communication faite aux Douze par le Sauveur. Voilà donc Jésus retiré désormais dans le cercle calme et intime des siens, se préparant d'une manière immédiate au sacrifice.Matthieu chap. 26 verset 2. - Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours, et le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié.
- Vous savez ; il s'agissait d'un fait bien manifeste. - Dans deux jours, après deux jours. Cette date est assez vague en elle-même, parce qu'elle autorise plusieurs manières de supputer les jours. Il est cependant probable qu'elle équivaut à notre formule " après-demain ". La Pâque commençant cette année-là dans la soirée de jeudi, comme nous le dirons plus loin, cf. v. 17 et le commentaire, ce dût être réellement le mardi que Jésus-Christ tint ce langage à ses Apôtres. - La Pâque se fera. La Pâque était la première et la plus solennelle des trois grandes fêtes de l'année ecclésiastique chez les Juifs. Au livre de l'Exode, chap. 12, où son origine est racontée, on voit qu'elle fut instituée en souvenir de la dixième plaie d'Égypte. L'ange de Jéhovah, passant devant les maisons pendant la nuit qui suivit la première célébration du festin pascal, immola tous les premiers-nés des Égyptiens ; ceux des Hébreux furent sauvés par le sang de l'agneau dont ils avaient marqué leurs portes. De ce passage terrible ou miséricordieux dériva l'appellation de la solennité, d'après les indications de Dieu lui-même, cf. Ex. 12, 27, 28. - La fête de Pâque commençait le soir du 14 nisan et durait toute une octave à partir de ce moment, c'est-à-dire jusqu'au soir du 21. Le 15 et le 21 étaient les deux jours principaux : on les chômait d'obligation. Jésus fait évidemment allusion à la soirée préliminaire du 14, aux premières vêpres, dirions-nous aujourd'hui, puisqu'il parle de la trahison de Judas, qui eut lieu vers la fin de cette même soirée. - Sera livré... Rappelant aux Douze des révélations antérieures, cf. 16, 21 ; 20, 18, le divin Maître ajoute que la Pâque prochaine amènera pour eux et pour lui de graves événements. C'est alors en effet que le Fils de l'homme sera trahi, crucifié, ainsi qu'il l'a prédit. Cette prophétie ajoute aux précédentes un élément nouveau : elle fixe d'une manière très précise l'époque de la Passion du Christ. Jésus ne veut pas que les Apôtres soient pris au dépourvu par l'arrivée soudaine, imprévue d'un pareil fait. - Dans le grec, on lit est livré au présent : ce temps marque mieux la proximité de la Passion et surtout son caractère irrévocable. " Jésus était prêt à tout supporter, et déjà l’ennemi s’agitait ", dit fort bien Bengel.
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Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la cour du grand prêtre, appelé Caïphe ; 4et ils tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse, et le faire mourir. 5Mais ils disaient : Que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple.Matthieu chap. 26 verset 3. - Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la cour du grand prêtre, appelé Caïphe.
- Alors se rapporte aux deux premiers versets de ce chapitre et désigne encore la soirée du mardi. Au moment même où Jésus tenait aux Apôtres le langage que nous venons d'entendre, les membres du Sanhédrin se réunissaient donc pour comploter contre lui. Souvenons-nous qu'en ce jour-là, quelques heures auparavant, il les avait profondément humiliés, ouvertement accusés devant le peuple ; cf. 21, 23 et ss., 46 ; 22 ; 23. Le Sauveur annonce sa mort : ses ennemis la décident. Lui, il en connaît l'heure précise : pour eux l'époque est incertaine. Il y a là un rapprochement et un contraste frappants. - Les princes des prêtres et les anciens... La " Recepta " grecque mentionne également les Scribes, d'où il suit que nous allons assister à une réunion complète et officielle du Sanhédrin. Voir sur la composition de ce corps célèbre 2, 4 et le commentaire. - Dans la cour du grand-prêtre... L'assemblée n'a pas lieu dans le Gazzith, ou salle " des pierres taillées ", qui était située dans les dépendances du temple (voir Ancessi, Atlas archéologique, pl. 9 et 10), et où devaient régulièrement se tenir les séances de ce genre : mais elle est convoquée chez le prince des prêtres, son président. Nous essaierons d'indiquer plus bas les motifs de cette anomalie. L'expression latine " atrium " désigne tantôt une grande pièce rectangulaire communiquant immédiatement avec le vestibule et pouvant servir de lieu de réunion (cf. A. Rich, Dictionn. des antiq. rom. et grecq. s. v. Atrium) , tantôt une cour intérieure entouré de galeries et de portiques, cf. vv. 58-69, etc., tantôt enfin par synecdoque la maison même dont l'atrium faisait partie. Nous nous arrêtons ici à ce dernier sens avec plusieurs exégètes (Fritzsche, de Wette, Schegg. cf. Bretschneider, Lexic. man. t. 1, p. 144). L'évangéliste note comme une circonstance extraordinaire que le grand Conseil s'assembla dans le palais du grand-prêtre. - Appelé Caïphe. L'expression " appelé " est d'une exactitude parfaite ; le vrai nom du prince des prêtres était Joseph ; cf. Fl. Joseph, Ant. 18, 2, 2 et 4, 3. Le surnom de Caïphe était devenu sa dénomination usuelle et populaire. Cet homme sinistre avait été élevé au souverain Pontificat par le procureur Valérius Gratus : il en exerça les fonctions pendant 17 ou 18 ans, jusqu'à ce qu'il fut déposé par le Proconsul Vitellius, a. D. 36. La suite du récit évangélique nous dévoilera son caractère et la part qu'il prit à la condamnation de Jésus. La toute-puissance ecclésiastique et la toute-puissance judiciaire qu'il réunissait entre ses mains en faisaient alors plus haut personnage du Judaïsme.Matthieu chap. 26 verset 4. - Et ils tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse, et le faire mourir.
- Ils tinrent conseil. Conseil ou plutôt conciliabule satanique, ainsi qu'il ressort de la ligne suivante. - La conjonction pour indique tout à la fois le but et le résultat de l 'assemblée. - Se saisir de Jésus par ruse. Tel fut l'objet principal de la discussion : arrêter Jésus par ruse, d'une façon clandestine, sans exciter aucun émoi parmi ses partisans. - Et le faire mourir. La mort du Sauveur avait déjà été décidée depuis assez longtemps, cf. 12, 14 ; Marc. 3, 6 ; récemment encore on était revenu sur ce projet d'une manière définitive, cf. Joan. 10, 47-53. Cette fois, il s'agit donc avant tout de son arrestation. Aussi le substantif " ruse " ne retombe-t-il que sur le premier des deux verbes. Quand Jésus sera tombé entre les mains des Sanhédristes, il n'auront plus besoin de ruse pour le faire disparaître : le principal est de se saisir de sa personne. Déjà l'on voit qu'il ne faudra pas s'attendre à un procès régulier : ces détails préliminaires laissent deviner que le Sanhédrin visait " à une exécution sommaire, si ce n'est à un assassinat ". Reuss, Hist. Évangél. p. 619.Matthieu chap. 26 verset 5. - Mais ils disaient : Que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple.
- Après cette décision générale, ils prennent une détermination particulière. - Pas pendant la fête. Dans le grec, pendant la fête, c'est-à-dire pendant toute l'octave pascale. En effet, le danger eût été à peu près le même jusqu'à la fin, la plupart des pèlerins venus à Jérusalem pour la Pâque ne s'en allant qu'à l'issue complète de la solennité. La Vulgate semble à tort restreindre l'expression au premier jour de la fête. - De peur qu'il n'y ait du tumulte. Les Sanhédristes qui opinent en faveur d'un délai allèguent ainsi leur motif déterminant. Parfois sans doute il arrivait aux autorités juives de retarder les exécutions capitales jusqu'à l'époque des grandes fêtes, afin de produire sur les masses une salutaire impression d'effroi par le spectacle des supplices qui attendaient les coupables ; mais, dans le cas actuel, on comprenait que l'effet pourrait être totalement manqué, bien plus, qu'un mouvement séditieux était fort à craindre, le peuple étant en grande partie favorable à Jésus. Ses plus chauds partisans n'étaient-ils pas des Galiléens, c'est-à-dire des hommes remuants, facilement irritables ? A cette époque, du reste, rien n'était plus commun à Jérusalem qu'une émeute au moment d'une fête. Les textes de Flav. Josèphe, Bell. Jud. 1, 4, 3 ; cf. 2, 12, 1 ; 4, 7, 2, prouvent que ses compatriotes étaient coutumiers du fait. L'avis d'attendre la fin de la Pâque et le départ de la foule était donc très prudent, car il assurait la réussite du projet antérieurement adopté. Il paraît toutefois manifeste qu'il ne portait pas sur le fait de l'arrestation de Jésus, laquelle devait avoir lieu le plus tôt possible, dès qu'une circonstance heureuse la faciliterait : il ne concernait probablement que l'exécution du Sauveur. - Telle fut la résolution votée en dernier lieu. Et pourtant, chose étonnante, Notre-Seigneur fut mis à mort publiquement, non-seulement durant l'octave pascale, mais, selon l'opinion que nous croyons la plus probable, au jour principal de la solennité, le 15 nisan, au su et au vu de tout le peuple. Pourquoi ce brusque revirement d'idées ? Sans nul doute, parce que le Sanhédrin apprit bientôt que ses craintes de sédition n'étaient pas fondées, et il l'apprit quand il vit Judas, l'un des Apôtres, trahir si facilement son Maître. Jésus, qu'ils supposaient tant aimé du peuple, avait donc des adversaires jusqu'au sein de son cercle le plus intime ? Assurément, tout un parti nombreux parmi ses partisans pensait comme Judas, agirait comme Judas, et l'on pouvait sans danger affronter l'opinion publique. La victoire serait ainsi plus éclatante pour les Pharisiens, la défaite de Jésus serait plus écrasante. C'est pour cela que le Grand Conseil revint plus tard sur sa décision. - On trouvera dans Fabricius, Codex apocr. Nov. Test. t. 3, p. 487 et ss., le protocole apocryphe de la séance du Sanhédrin que S. Matthieu a résumée dans ces trois versets. Des pièces encore plus intéressantes, recueillies par MM. les abbés Lémann et réunies dans leur récent opuscule : Valeur de l'assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus-Christ, Lyon, 1876, permettent de reconstituer en grande partie la liste des personnages qui composaient alors le Grand Conseil des Juifs, et d'apprécier leur valeur morale. En lisant ces documents, on comprend que, d'une cour suprême ainsi constituée, abstraction faite de la haine qu'elle portait à Jésus, celui-ci ne pouvait attendre ni justice, ni pitié.
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Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, 7une femme s’approcha de lui avec un vase d’albâtre, plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête, pendant qu’il était à table. 8Les disciples, voyant cela, s’indignèrent et dirent : A quoi bon cette perte ? 9Car on aurait pu vendre ce parfum très cher, et en donner le prix aux pauvres. 10Mais Jésus, sachant ce qu’ils disaient, leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Car elle a fait une bonne action à mon égard. 11En effet, vous avez toujours des pauvres avec vous ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. 12Cette femme, en répandant ce parfum sur mon corps, l’a fait en vue de ma sépulture. 13En vérité, je vous le dis, partout où sera prêché cet évangile, dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire.Matthieu chap. 26 verset 6. - Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, 7une femme s’approcha de lui avec un vase d’albâtre, plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête, pendant qu’il était à table.
- S. Luc a raconté plus haut, 7, 37 et ss., une histoire semblable, dans laquelle on voit pareillement une femme s'approcher de Jésus tandis qu'il est à table chez un Juif nommé Simon, et lui parfumer les pieds qu'elle essuie ensuite avec ses cheveux. Serait-ce le même repas ? La même onction ? Non, car il existe entre les récits des différences notables qui seront indiquées dans l'explication du troisième Évangile. En outre la date n'est évidemment pas la même. Il faut être rationaliste pour vouloir réunir quand même les deux faits, et pour attribuer à une tradition mensongère la séparation d’événements qui s'étaient confondus à l'origine. Mais, si les uns veulent ravir injustement à l'Évangile quelques-uns de ses plus beaux fleurons, d'autres multiplient les incidents sans raison comme sans utilité. C'est ainsi qu'Origène, S. Jérôme, Théophylacte, Lightfoot, etc., admettent jusqu'à trois onctions, parce qu'ils ne croient pas pouvoir concilier la narration de S. Jean avec celle de S. Matthieu et de S. Marc. Nous réfuterons cette erreur en son lieu. Voir Joan. 12, 1-11 et le commentaire. - A Béthanie. Cf. 21, 1 et l'explication. La date du repas et de l'onction de Béthanie est pour les exégètes un objet de sérieuse discussion. Plusieurs, supposant qu'il règne ici un enchaînement parfait dans la relation de S. Matthieu, maintiennent l'époque fixée au v. 2 . D'après eux, les trois incidents que nous avons rencontrés depuis le commencement du chap. 26 (cf. vv. 1-2 ; 3-5 ; 6 et suiv.) auraient eu lieu en un seul et même jour, le mardi saint, avant-veille de la Pâque. Mais ces auteurs semblent n'avoir pas lu les lignes de S. Jean, 12, 1-3, qui leur infligent un formel démenti : " Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où habitait Lazare… On donna un repas en l’honneur de Jésus... Marie avait pris une livre d’un parfum... elle versa le parfum sur les pieds de Jésus ". Tout est clair dans ce récit, la date de l'onction est nettement déterminée : elle eut lieu six jours avant la Pâque, c'est-à-dire le vendredi ou le samedi qui précéda immédiatement la Passion. S. Matthieu et S. Marc n'ont donc pas donné à ce fait sa place chronologique : ils en ont reculé volontairement la narration, qu'ils reprennent maintenant d'une manière rétrospective. Nous verrons plus bas, v. 14, quel motif a pu leur inspirer l'idée de ce déplacement. - Simon le lépreux. C'est le nom de celui qui fut l'hôte du Sauveur en cette circonstance mémorable. L'épithète de " lépreux " était un surnom soit ancien déjà et héréditaire dans sa famille où il y aurait eu autrefois quelque personne atteinte de la lèpre, soit récent et personnel, en souvenir de sa guérison opérée peut-être par Jésus lui-même. Simon et une dénomination très commune chez les Juifs, on distinguait d'ordinaire par des surnoms ceux qui la portaient : v. g. Simon Bar-Jona, Simon le Cananéen, etc. Des traditions qui paraissent apocryphes font de de Simon le lépreux tantôt le père de Lazare, tantôt le mari de sainte Marthe ; cf. Niceph. Hist. Eccl. 1, 27. Il est du moins vraisemblable qu'il était l'ami de S. Lazare et de ses deux sœurs. Quelques auteurs ont pensé, mais sans le moindre fondement, qu'il était déjà mort à cette époque.Matthieu chap. 26 verset 7. - Une femme s’approcha de lui avec un vase d’albâtre, plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête, pendant qu’il était à table.
- S'approcha de lui : pendant un repas solennel qui fut donné en l'honneur de Jésus dans la maison de Simon. - Une femme. S. Jean a conservé son nom : c'était Marie, sœur de Marthe et de Lazare, l'amie si dévouée du Sauveur. Cf. Luc. 10, 39 et ss. ; Joan. 11, 1 et ss. - Avec un vase d'albâtre. On nommait ainsi chez les grecs de petits vases ordinairement à long col où l'on conservait les parfums de prix. Pline l'Ancien, Hist. Nat. 3, 20, dans la définition qu'il en donne, montre d'où leur venait ce nom : " Le vase des onguents qui était creusé dans la pierre d’albâtre servait, selon la coutume, à préserver de la corruption ". Leur matière était donc ordinairement l'albâtre, substance calcaire de couleur blanchâtre qui se polit comme le marbre, mais qui se taille très facilement. Souvent aussi ils étaient d'onyx, ou d'autres substances précieuses. Cf. Smith, Diction. of the Bible, s. v. Alabaster : plusieurs gravures sont jointes à l'article ; A. Rich, Dictionn. des Ant. rom. et grecq. p. 19. - Un parfum de grand prix. Le parfum renfermé dans le vase était du nard, d'après S. Marc et S. Jean. Judas en fixa la valeur à trois cent deniers, Joan. 12, 5. - Sur sa tête : de même S. Marc. S. Jean dit au contraire : " elle oignit les pieds de Jésus ". La conciliation est aisée : pour la faire il suffit de dire que Marie parfuma et la tête et les pieds du Sauveur. En agissant de la sorte, la sœur de Lazare ne se livrait pas à une démonstration extraordinaire, car c'était la coutume chez les Juifs, cf. Ps. 22, 5 ; Luc 7, 46, de répandre pendant les repas des huiles précieuses et des eaux de senteur sur la tête des invités de distinction qu'on voulait honorer d'une manière particulière. Elle avait toutefois dans le cas actuel une raison spéciale qui sera révélée plus bas (v. 12) par Jésus. - Il était à table : couché à table, à la façon des anciens.Matthieu chap. 26 verset 8. - Les disciples, voyant cela, s’indignèrent et dirent : A quoi bon cette perte ?
- Les disciples voyant cela… S. Marc : " quelques-uns s’indignaient ". S. Jean : " Judas Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit alors... ". S. Matthieu généralise selon son habitude, pour abréger. On comprend fort bien du reste que, Judas ayant exprimé à ses voisins de table le mécontentement que lui causait l'acte ou plutôt la dépense de Marie, plusieurs autres disciples aient partagé ses idées et s'en soient fait l'écho. Mais tandis que le traître ne pensait en réalité qu'à son profit personnel, les autres étaient vraiment guidés par leur souci des pauvres. - Cette perte : la perte du parfum. C'était pour eux une prodigalité inutile. Quelques gouttes de nard précieux n'auraient-elles pas suffi à la rigueur ?Matthieu chap. 26 verset 9. - Car on aurait pu vendre ce parfum très cher, et en donner le prix aux pauvres. - Ils essaient de justifier leur jugement sévère.
- Très cher. Nous avons déjà indiqué, d'après S. Jean, cf. Marc. 14, 5, la valeur considérable du parfum répandu sur la tête de Jésus. Pline, Hist. Nat. 12, 26 ; 13, 4, va plus loin, car il fixe le prix du nard à 400 deniers la livre. C'était l'équivalent du salaire d'un ouvrier pour toute une année de travail. - Et donner le prix aux pauvres. Cette destination du parfum eût été, au dire des disciples, beaucoup plus méritoire et beaucoup plus convenable. Mais, dit très-bien M. de Pressensé, Jésus-Christ, son temps, sa vie... p. 551, " l 'argument des pauvres opposé à Marie n'est qu'un sophisme. C'est bien le cas de répéter : Il faut faire ceci et ne pas négliger cela. Certes, celui qui s'est identifié aux pauvres et a dit que ce qu'on leur ferait on le ferait à lui-même, a suffisamment garanti leurs intérêts. La piété ne saurait prendre exclusivement la forme de l'aumône ; il faut aussi qu'elle remonte directement à Dieu en Jésus, sous peine de ne plus le reconnaître bientôt sous le voile de la pauvreté et de plus accomplir qu'un acte purement humain. Les pauvres ont tout à gagner à cette adoration ; c'est quand le nard précieux a été répandu que les mains s'ouvrent le plus généreusement pour les secourir. Celui qui est avare pour Dieu le sera pour ses créatures... à côté des devoirs journaliers et permanents de la charité qu'il ne faut pas négliger, il y a des occasions extraordinaires où la piété doit se manifester d'une manière exceptionnelle et suivre librement son impulsion ".Matthieu chap. 26 verset 10. - Mais Jésus, sachant ce qu’ils disaient, leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Car elle a fait une bonne action à mon égard.
- Jésus devine leurs pensées ; ou bien, leurs murmures parviennent jusqu'à lui. Il aurait pu adresser aux coupables des reproches sévères ; mais, tout en faisant avec chaleur l'apologie de sa sainte amie, il préfère les reprendre avec bonté, mêlant suivant sa coutume l'instruction à la réprimande. - Pourquoi faites-vous de la peine ... à cette femme. " La conduite des disciples à l'égard du Seigneur manquait de respect ; mais il le leur reproche moins que le fait de troubler la femme ", observe judicieusement Bengel. C'est elle en effet qu'il défend avant tout. - Une bonne action ; le grec porte " une belle œuvre " : ce qui est beau dans l'ordre moral est bon par là-même, et réciproquement. L'acte de Marie à l'égard de Jésus portait l'empreinte visible de cette beauté, et par conséquent de cette bonté : il respirait les sentiments les plus vifs de l'amour, de la foi, de la piété envers Jésus.Matthieu chap. 26 verset 11. - En effet, vous avez toujours des pauvres avec vous ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours.
- Tirant des murmures de ses disciples un argument personnel, Notre-Seigneur établit entre les pauvres et lui-même un contraste qui aura pour effet de mettre davantage en relief la faute des mécontents. - Toujours des pauvres … ; ils ont et auront toujours auprès d'eux quantité de pauvres et, s'ils le veulent, ils pourront leur faire du bien. Cf. Marc. 14, 7. - Vous ne m'aurez pas toujours... Litote qui signifie : Je ne suis avec vous que pour bien peu de temps. N'ayant à jouir de la présence visible de leur Maître que pendant un nombre de jours si restreint, ils n'auront plus guère l'occasion de rendre honneur à sa sainte humanité. Pourquoi donc voient-ils avec tant de déplaisir l'hommage qu'on vient de lui rendre ?Matthieu chap. 26 verset 12. - Cette femme, en répandant ce parfum sur mon corps, l’a fait en vue de ma sépulture.
- Jésus développe les dernières paroles du verset qui précède, afin de montrer sous son vrai jour l'action mystérieuse de Marie et d'en dévoiler le symbolisme remarquable, l'éclatant mérite. Vous ne m'aurez pas toujours et vous semblez ne pas vous en préoccuper : mais cette femme y pense, et c'est pourquoi elle m'honore de la sorte. Ne voyez-vous pas que ce qu'elle vient de faire est un embaumement anticipé ? - En vue de ma sépulture. Le verbe grec résume les nombreux devoirs funèbres (lavages, onctions, embaumement, revêtement) que les anciens, et les Orientaux surtout, rendaient aux corps des trépassés avant de les porter au tombeau. Ces devoirs, la sœur de Lazare les avait rendus par avance à Jésus-Christ en vertu d'un pressentiment prophétique ; ou du moins, si elle n'avait pas songé à la signification figurative de son onction, Dieu lui avait inspiré cet acte comme un type inconscient de la mort prochaine du Sauveur.Matthieu chap. 26 verset 13. - En vérité, je vous le dis, partout où sera prêché cet évangile, dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire.
- Après la louange, la récompense. La promesse qui va sortir des lèvres de Jésus est unique en son genre : le divin Maître la prononce d'une manière emphatique, après l'avoir placée sous la sauvegarde du serment. - Partout où sera prêché... : c'est-à-dire en tous lieux et dans tous les temps, d'après d'autres paroles de Jésus, cf. 28, 19-20. - Cet Évangile ; cf. 24, 14. La prédication évangélique ; la vie, les mystères, la doctrine du Fils de l'homme. - Dans le monde entier ; ces mots déterminent le sens de " partout ". - On racontera... La prophétie s'est admirablement accomplie. " On sait au contraire par toute la terre, et on le dit encore tous les jours après la révolution de tant de siècles, qu’une femme pécheresse est venue dans la maison d’un lépreux répandre, en présence de douze hommes, un parfum de grand prix sur la tête d’un autre homme. La mémoire de cette action ne s’est jamais effacée. Les Perses, les Indiens, les Scythes, les Thraces, la race des Maures, et les habitants des îles Britanniques ont appris et racontent partout ce que cette femme fait aujourd’hui en secret dans la maison d’un pharisien. ", S. Jean Chrys., Hom. 80 in Matth. Quelle gloire pour Marie de voir son nom à tout jamais associé à l'Évangile et à la Passion de Jésus !
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Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla trouver les princes des prêtres 15et leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ils convinrent de lui donner trente pièces d’argent. 16Depuis ce moment, il cherchait une occasion favorable pour le livrer.Matthieu chap. 26 verset 14. - Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla trouver les princes des prêtres.
- Pour ne pas commettre d'erreur au sujet de cette date et de l'événement qu'elle introduit sur la scène évangélique, il faut se souvenir que les vv. 6-13 ne sont pas à leur place régulière (voir la note du v. 6) et qu'ils auraient fait partie du chapitre 21, si le narrateur eût suivi rigoureusement l'ordre des temps. De la sorte, le v. 14 se rattache d'une manière immédiate aux versets 3-5, et nous avons deux " alors " parallèles, qui représentent l'un et l'autre la soirée du mardi saint. Le Sanhédrin avait tramé contre Jésus le noir complot que nous savons : au même instant, par une coïncidence providentielle, Judas se décidait à trahir son Maître. Nous rechercherons bientôt les motifs qui ont pu pousser le traître à un acte si infâme, cf. v. 15 : son mobile déterminant, ou, pour employer une image populaire, la goutte d'eau qui fit déborder le vase déjà plein, fut sans doute le reproche que Jésus adressa dans la maison de Simon-le-lépreux à quelques disciples mécontents et plus spécialement à lui ; cf. Joan 12, 4 et ss. C'est pour cela que S. Matthieu et S. Marc ont rompu en cet endroit la chaîne chronologique des faits, afin de rapprocher la trahison de Judas de l'onction de Marie. - Un des douze. Les évangélistes associent habituellement cette formule à l'action de Judas pour en faire ressortir doute l'énormité. - Les princes des prêtres. L'hostilité de la caste sacerdotale à l'égard de Jésus n'était un secret pour personne ; elle s'était tout récemment encore affichée au grand jour. Il est naturel que Judas ait songé à en profiter pour atteindre ses propres fins. Il va donc trouver quelques-uns des princes des prêtres. Ceux-ci sortaient précisément de la séance dans laquelle l'arrestation de Jésus avait été votée : on juge de leur surprise et de leur joie maligne.Matthieu chap. 26 verset 15. - Et leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ils convinrent de lui donner trente pièces d’argent.
- Offre révoltante et cynique qui, mieux que les raisonnements étranges de nos beaux esprits contemporains, montre sous son vrai jour le caractère de Judas et la nature de son œuvre. S'il est exact de dire, à certains points de vue, que la trahison de Notre-Seigneur Jésus-Christ par l'un de ses Apôtres constitue un " problème psychologique des plus difficiles " (Reuss, Hist. évang. p. 623), il est faux d'ajouter que " nos Évangiles ne nous fournissent que des éléments insuffisants pour sa solution ". Non seulement ils signalent le fait matériel de la trahison, mais ils en laissent encore entrevoir assez clairement les causes morales. Aussi les Pères et les anciens auteurs avaient-ils estimé Judas à sa juste mesure ; cf. S. August. De Cons. Evang. 3, 4 S. Jérôme in h. l. ; Maldonat, Corn. a Lap., Jansénius, etc. Mais ceux qui, de nos jours, ont attaqué Jésus avec tant de violence, n'avaient-ils pas intérêt à prendre le parti du traître, à pallier leur faute en excusant la sienne ? C'est ainsi qu'ils ont cherché à l'idéaliser, à le transformer en héros tragique. " Sans nier, écrit M. Renan, Vie de Jésus, 1ère édit. p. 382, que Judas de Kerioth ait contribué à l'arrestation de son Maître (même à M. Renan, il serait assez difficile de le nier!), nous croyons que les malédictions dont on le charge ont quelque chose d'injuste. Il y eut peut-être dans son fait plus de maladresse que de perversité... Il ne semble pas qu'il eût complètement perdu le sentiment moral puisque, voyant les conséquences de sa faute, il se repentit et, dit-on, se donna la mort ". Pourquoi ne pas dire simplement, comme d'autres auteurs l'insinuent, que Judas a livré son Maître par excès d'amour ? Croyant fermement au rôle messianique de Jésus, il ne voyait pas sans peine la lenteur avec laquelle il établissait son royaume. Pour l'obliger à sortir de cette réserve, il aurait fait semblant de le trahir, en le plaçant dans une situation telle que, toute retraite lui étant impossible, il devrait forcément proclamer sa mission divine, et recourir aux prodiges éclatants, aux manifestations populaires. Le trône de David serait ainsi rapidement et glorieusement conquis (cf. Schollmeyer, Jesus und Judas, p. 52, Lunebourg 1846 ; K. Hase, Leben Jesu, p. 231 et ss. 5ème édit.). Sans s'avancer autant, divers écrivains modernes ont eu recours à des hypothèses pour le moins assez singulières, afin d'expliquer la conduite de Judas. Il aurait été mû, selon les uns, par un sentiment de haine sauvage et de vengeance féroce qui se serait éveillé dans son cœur, soit à la vue de S. Pierre nommé prince des Apôtres et de S. Jean choisi pour disciple privilégié, soit à la suite de quelques avertissements sérieux de Jésus ; selon d'autres, par un désappointement très vif, le royaume messianique, sur les joies humaines et les gloires terrestres duquel il comptait, lui apparaissant désormais dans toute sa nudité au point de vue des espérances mondaines ; suivant d'autres encore, par la crainte de voir bientôt Jésus renversé par ses puissants ennemis, auquel cas ses disciples seraient exposés aux dangers les plus graves. – Mais non, tels ne furent pas les mobiles réels et principaux de l'action de Judas : une sordide avarice, le désir d'un misérable gain dominèrent dans sa trahison tout autre motif. " C'était un voleur ", lisons-nous en propres termes dans le récit inspiré, Joan. 12, 6 ; et ne peint-il pas lui-même son acte sous son caractère véritable, quand il dit brusquement aux princes des prêtres : " Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? ". Un homme qui tient un pareil langage n'a rien que de vil et de vulgaire : une trahison proposée en termes semblables ne peut trouver aucun palliatif ; c'est la plus honteuse et la plus détestable qui se puisse commettre. " Qui pourrait assez s’étonner de la malignité de Judas qui va de lui-même trouver les Juifs pour leur vendre son Maître, et qui le leur vend à si vil prix? ", S. Jean Chrys. Hom. 80 in Matth. Nous verrons, en étudiant le quatrième Évangile, cf. Joan. 6, 60 et ss., que les sombres projets de Judas contre son Maître remontaient à une date assez éloignée ; mais son âme n'était arrivée que par degrés à cet excès d'infamie et d'impudence. - Et je. On dirait qu'il appuie sur ce pronom personnel. Moi, son apôtre ; moi à qui la réussite sera si facile. Cf. Luc de Bruges, in h. l. - Ils convinrent. " Nouvel Achitophel, Judas est reçu avec des transports de joie par les membres du Sanhédrin, comme le premier l'avait été au conseil des rebelles convoqué par Absalon ", Lémann, Valeur de l'assemblée, etc. p. 54. D'après les récits de S. Marc, 14, 11, et de S. Luc, 22, 5, les princes des prêtres ne livrèrent pas aussitôt à Judas le prix de sa trahison : ils promirent seulement de le lui remettre plus tard, sans doute après qu'il aurait exécuté lui-même la partie du contrat qui le concernait. - Trente pièces d'argent. S. Matthieu est le seul à noter exactement la somme offerte à Judas. Ce qu'il appelle pièce d'argent ne peut être que le sicle d'argent, ou sicle du sanctuaire, qui valait un peu plus que le sicle commun. La monnaie sacrée entrait seule dans le trésor du Temple : les prêtres n'en pouvaient pas promettre d'autre à Judas. Or le sicle du sanctuaire était, d'après l'historien Josèphe, Ant. 3, 8, 2, l'équivalent de quatre drachmes attiques, ou plus exactement, selon S. Jérôme, de trois drachmes et un tiers. Cf. Comm. in Mich. 19. Cent drachmes produisent dans notre monnaie la somme de 100 fr. environ (en 1895 ; soit environ 38 000€ en 2014 – source INSEE) : somme assurément bien faible, même si l'on tient compte des changements considérables survenus dans la valeur vénale et usuelle de l'argent depuis cette époque lointaine. Aussi a-t-on eu parfois recours à des suppositions de tout genre, pour expliquer que Judas s'en soit contenté. Les trente sicles n'étaient que des arrhes, dit le Dr Sepp, Leben Jesu, t. 6, p. 22. Les Sanhédristes agissaient ainsi par ironie, pensent d'autres auteurs ; ou bien, Judas espérait obtenir davantage une fois sa trahison consommée. Les rationalistes (Strauss, de Wette, Ewald), trouvent plus simple d'affirmer que la tradition, c'est-à-dire la narration évangélique, est dans l'erreur. Assurément, la somme était relativement modique : mais, outre que la cupidité, quand elle a été surexcitée, se contente de peu, il faut voir dans cette circonstance un trait providentiel. Dieu permit qu'on offrît précisément trente sicles à Judas, pour réaliser ainsi l'oracle prophétique de Zacharie, 11, 12 et ss. ; cf. Matth. 27, 9 : " Ils ramassèrent les trente pièces d’argent ". Les Pères aimaient déjà à faire observer que, d'après la Loi, Ex. 21, 32, on payait cette même somme comme indemnité au maître dont on avait tué involontairement l'esclave. Le sang de Jésus, comme celui d'un esclave, fut donc payé trente pièces d'argent. - La légende s'est emparée des trente deniers pour leur attribuer une origine et des vicissitudes historiques tout-à-fait surprenantes. Voir Hoffman, das Leben Jesu nach den Apokryphen, Leipzig, 1851, p. 333 ; Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 41.Matthieu chap. 26 verset 16. - Depuis ce moment, il cherchait une occasion favorable pour le livrer.
- Depuis ce moment. A partir du moment où l'infâme marché avait été conclu. - Il cherchait : Judas se tient aux aguets comme une bête fauve, épiant une occasion favorable de temps et de lieu pour livrer Jésus entre les mains de ses bourreaux. Nous l'avons vu (note du v. 5) le résultat de cette trahison fut de fixer l'incertitude du Grand conseil. Il n'est plus question d'attendre que la fête soit passée, que les masses populaires se soient écoulées. On profitera du premier moment opportun puisque les circonstances sont si ouvertement favorables au Sanhédrin.
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Or, le premier jour des azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Où voulez-vous que nous vous préparions ce qu’il faut pour manger la pâque ? 18Jésus leur répondit : Allez dans la ville, chez un tel et dites-lui : Le Maître dit : Mon temps est proche ; je ferai la pâque chez toi avec mes disciples. 19Les disciples firent ce que Jésus leur avait ordonné et préparèrent la pâque.JEUDI SAINT
Le mercredi de la semaine sainte semble complètement passé sous silence dans les quatre Évangiles, du moins d'après le système chronologique en faveur duquel nous allons nous prononcer. Jésus demeura sans doute ce jour-là dans sa retraite de Béthanie, priant, méditant, se préparant à souffrir et à mourir. Aucun incident extraordinaire ne l'ayant marqué, les écrivains sacrés n'en ont pas tenu compte et ils nous conduisent directement au Jeudi Saint.
Matthieu chap. 26 verset 17. - Or, le premier jour des azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Où voulez-vous que nous vous préparions ce qu’il faut pour manger la pâque ?
- Nous devons aborder ici l'une des questions les plus compliquées, les plus controversées de l'histoire évangélique, une question qu'il faut désespérer de voir jamais résoudre d'une manière satisfaisante pour tous, puisque, après des discussions séculaires qui l'ont agitée sous toutes ses faces, elle semble n'avoir pas fait un seul pas en avant et qu'elle sépare aujourd'hui encore les meilleurs exégètes en plusieurs camps opposés. Nous voulons parler de la Chronologie de la Passion. Jusqu'ici cependant, nous avons pu, jour par jour et sans beaucoup de peine, suivre Notre-Seigneur à travers les diverses péripéties de sa dernière semaine : mais c'est au point précis où nous sommes arrivés que commencent de grandes difficultés et de grandes divergences. Notre plan ne nous permet pas de traiter à fond cet intéressant problème, nous devons nous contenter d'en étudier seulement les points les plus importants. Les lecteurs désireux de l'élucider d'une manière plus complète trouveront de nombreux matériaux dans les ouvrages suivants qui l'ont savamment étudié : Bynaeus, de Morte J. Ch. 1, 3 §§ 19-32 ; Carpzov, Apparatus antiquit. Sacr. p. 429 et ss. ; B. Lamy, Traité historique de l'anc. Pâque des Juifs où l'on examine à fond la question si Jésus-Christ fit cette Pâque la veille de sa mort, Paris, 1693 ; Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. 2, p. 3, page 150 et ss. ; Calmet, Dissertation sur la dernière Pâque de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tête du Comment. sur l'Ev. de S. Matth. ; Hardouin, Comment. de supremo Paschate Christi, Paris 1693 ; Jos. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, chap. 6, p. 57-146 ; Fouard, La Passion de Jésus-Christ, chap. 1, p. 1-20 ; Robinson, English Harmony of the Gospels, 8, §§ 133-158 ; Andrews, Life of our Lord, p. 423-460. - La passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ remonte à l'an 782 de l'ancienne ère romaine, c'est-à-dire l'an 29 de l'ère vulgaire rectifiée (15ème année du règne de Tibère) : tel est le sentiment le plus probable et le plus commun (voir le chapitre intitulé Chronologie des Évangiles dans notre Introduction générale). Voilà pour l'année. Quant au jour, les évangélistes affirment très catégoriquement que le Sauveur mourut un vendredi, peu de temps avant l'ouverture du repos sabbatal, cf. Marc. 15, 42 ; Luc. 23, 54 ; Joan. 19, 31, et au temps de la Pâque. Mais était-ce le 15 nisan, c'est à dire le jour même de la Pâque, ou le 14 nisan, veille de cette grande solennité ? Tel est, en réalité, le point principal du débat, et c'est de lui surtout que nous avons à nous occuper. Mais on envisage habituellement le problème sous une autre forme. Comme la cène légale, qui était célébrée dès les premières vêpres, servait d'introduction à la Pâque juive, on se demande si le repas auquel Jésus-Christ participa la veille de sa mort avec les Douze doit se confondre avec elle, ou si ce fut un festin pascal anticipé. Dans le premier cas, Notre-Seigneur serait mort le 15 nisan, le grand jour de la solennité ; dans le second cas, sa Passion aurait eu lieu le 14 nisan, la veille de la Pâque. - En quel jour le Sauveur mangea-t-il donc l'agneau pascal ? La question serait toute tranchée s'il n'existait que trois rédactions évangéliques, celles des synoptiques ; car il y est dit clairement et en divers termes que Jésus mangea la Pâque en même temps que ses coreligionnaires " le premier jour des pains Azymes ", c'est-à-dire le 14 nisan au soir, ainsi qu'il était prescrit par la Loi ; cf. Matth. 26, 17 et ss. ; Marc 14, 12 et ss. ; Luc. 22, 7 et ss. Il n'y a pas l'ombre d'un doute à ce sujet ; le témoignage des trois évangélistes est irrécusable, et les expressions qu'ils emploient ne sauraient signifier autre chose. Toute la difficulté vient de S. Jean, dont le récit semble, à première vue, contredire celui des autres Évangiles, en fixant un jour plus tôt la manducation de l'agneau pascal par Jésus-Christ. Trois passages surtout méritent d'être allégués : 13, 1 ; 18, 28 ; 19, 14. Dans le premier, il est dit que le dernier repas de Jésus avec ses disciples eut lieu avant le commencement de la fête. Dans le second, nous apprenons que le vendredi matin, au moment où Notre-Seigneur comparut devant Pilate, les Juifs n'avaient pas encore mangé la Pâque. Dans le troisième enfin, le jour où Jésus fut crucifié est appelé " parasceve Paschae ", le jour des préparatifs pour la fête. Il suit de là que, cette année, la Pâque aurait été célébrée un samedi et la cène légale un vendredi soir, donc Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait devancé d'un jour la manducation de l'agneau pascal. Voilà l'état des faits d'après les récits de l'Évangile : les synoptiques déclarent que Jésus-Christ mangea la Pâque au temps prescrit et mourut le jour de la fête ; S. Jean paraît dire au contraire qu'il ne put célébrer la sainte cène à l'heure légale, puisqu'il fut crucifié avant que la solennité fût régulièrement commencée. Comment concilier des affirmations qui semblent si opposées ? Pour eux, la contradiction est palpable, flagrante : il est impossible de la faire disparaître. Mais elle ne les gêne pas, disent-ils, cf. Ed. Reuss, Histoire Evang., p. 628 ; ou plutôt elle les arrange beaucoup, puisqu'ils partent de là pour attaquer la véracité et partant la divinité des Évangiles. Nous ne les suivrons pas sur ce terrain de la négation, car nous croyons avec l'Église que les écrivains sacrés ne peuvent pas se contredire véritablement, ainsi que s'exprimait Philoponus, traitant de cette même question, De Pasch. Disput. ap. Gallandi, Biblioth. vet. Patr. t. 12, p. 605. Passons donc aux systèmes imaginés par les exégètes croyants pour mettre S. Jean d'accord avec les synoptiques. On peut en faire deux classes principales. Suivant une première opinion, tous les évangélistes fixeraient la date de la mort du Sauveur au 14 nisan, celle de la dernière cène au 13 nisan. D'après un autre sentiment, les évangélistes s'entendraient pour dire que Jésus a été crucifié le 15 nisan, et qu'il a célébré le festin pascal le 14. Les partisans de ce dernier système ont, ce semble, une tâche relativement plus facile quand il s'agit de donner des preuves. Leur rôle consiste 1° à s'appuyer sur l'autorité des synoptiques ; 2° à expliquer les trois difficultés tirées du quatrième Évangile, de manière à effacer toute apparence de contradiction ; 3° à réfuter les objections de leurs adversaires. L'autorité des synoptiques est, nous l'avons vu, d'un très grand poids, à cause de la clarté, de l'identité de leurs affirmations. D'un autre côté, sans faire aux textes la moindre violence, on peut, à l'aide de l'archéologie sacrée, ramener les expressions douteuses employées par S. Jean à un sens qui s'harmonise parfaitement avec les récits de S. Matthieu, de S. Marc et de S. Luc. " Avant la fête ", cf. Joan. 13, 1, cela veut dire avant le grand jour de la solennité (15 nisan), par conséquent le soir du 14 nisan, ou le premier jour des pains azymes, d'après le langage des synoptiques. " Manger la Pâque ", Joan. 18, 28, ce n'est pas nécessairement manger l'agneau pascal, c'est encore participer aux autres sacrifices qu'on immolait dans la journée du 15 nisan. Enfin la locution Joan 19, 14 peut signifier " la veille de la Pâque ", elle est également très classique pour désigner la vigile du samedi qui survenait dans l'octave pascale, ou plus simplement le vendredi de la Pâque. Nous nous bornons à indiquer ici ces solutions : les détails seront mieux à leur place dans l'explication du quatrième Évangile. Pour le moment, il suffit d'avoir brièvement démontré " qu'il n'y a, soit dans le langage de S. Jean, soit dans les circonstances qu'il décrit, rien qui nous oblige ou qui nous permette de croire, selon les règles d'une loyale interprétation, que le disciple bien-aimé a eu l'intention de corriger le récit des synoptiques ". - Les objections des adversaires portent sur un assez grand nombre de faits particuliers : sûrs de rencontrer tôt ou tard les moins importantes sur notre route, nous n'envisagerons actuellement que les deux plus notables. 1° D'après la Loi, cf. Ex. 12, 22, il était rigoureusement prescrit aux Juifs de passer toute la nuit qui suivait le festin de la Pâque dans le lieu même où il avait été célébré. Comme nous voyons Jésus quitter le cénacle avec ses Apôtres peu d'heures après la cène racontée par les Évangiles, il est manifeste que ce n'était pas la cène légale ; cf. D. Calmet, Dissert. sur la Dern. Pâque ; Theile, über die letzte Mahlz. Jesu, Neues krit. Journal der theol. Literat. 1824 t. 2, p. 161. - La tradition juive fournit une réponse facile. En effet, les Rabbins enseignent formellement que l'ordonnance sur laquelle est fondée l'objection fut seulement obligatoire pour la nuit de la première Pâque. Il y avait alors une raison spéciale de ne point sortir, l'Ange exterminateur ravageant le pays ; mais plus tard, ce motif n'existant plus, la prescription cessa elle-même d'être en vigueur ; cf. Lightfoot, De minister. templi, c. 12 ; Bynaeus, De morte J. Chr., c. 2, 21. - 2° On objecte encore que les quatre récits évangéliques attribuent à leurs personnages juifs, depuis le jeudi soir jusqu'au déclin du vendredi, des actions incompatibles avec le repos qui était de règle aux jours de fête. Par exemple, Judas sort sur un mot de Jésus, et les autres apôtres croient qu'il va faire des emplettes pour la fête, cf. Joan. 13, 29 ; le Sanhédrin tient plusieurs séances, Matth. 26, 5 ; Luc. 22, 66 ; Jésus est arrêté et conduit de tribunal en tribunal, Matth. 27, 1-2 et parall. ; on le condamne à mort, Matth. 26, 66 ; Joseph d'Arimathie et Nicodème ensevelissent le corps du Sauveur, Matth. 27, 57 et ss., etc. Donc toutes ces choses n'eurent lieu qu'avant l'ouverture de la Pâque, d'où il suit que Jésus fut mis à mort le 14 nisan et qu'il mangea l'agneau pascal dès le 13. - Nous répondons que l'incompatibilité entre ces actes et le grand jour de la Pâque est moins réelle qu'on l'a supposé. Car 1. le repos prescrit pour les fêtes était beaucoup moins rigoureux que celui du Sabbat ; cf. Patrizzi, de Evang. p. 512 ; 2. Le Talmud, Hilcoth Jom Tob, c. 4, §20, autorise pendant les jours de fêtes tous les achats pressants à condition qu'on ne remettra que plus tard l'argent au vendeur ; 3. les jugements n'étaient pas interdits en ces mêmes jours, du moins pour ce qui concernait les affaires criminelles : on requérait seulement les juges de ne pas écrire alors la sentence, cf. Lightfoot, Hor. talm. in Matth. 27, 5 ; 4. on sait pertinemment (voir Mischna c. 10, §§3-4) que les exécutions capitales étaient parfois réservées pour les grandes solennités, afin d'imprimer au peuple des craintes salutaires. Au reste, ce furent les Romains et non les Juifs qui se chargèrent de tous les détails du crucifiement de Notre-Seigneur. - Tandis que les partisans du second système d'harmonie chronologique sont d'accord les uns avec les autres, du moins sur la plupart des points, pour présenter leurs preuves à la manière dont nous l'avons fait nous-même, les défenseurs du premier sentiment se séparent bientôt en catégories distinctes, selon les hypothèses spéciales auxquelles ils donnent leur préférence. C'est qu'en face des assertions si catégoriques des synoptiques il est bien difficile de démontrer que la dernière cène n'eut pas lieu à l'heure légale, la veille du grand jour de Pâque, le soir du 14 nisan. Il faut donc nécessairement recourir à des conjonctures qui plaisent aux uns et déplaisent aux autres, signe manifeste de leur faiblesse intrinsèque. Nous n'indiquerons que les principales en y ajoutant une critique rapide. 1° Don Calmet, Lamy et quelques autres exégètes ont pensé que la cène dont parlent les synoptiques ne serait pas le festin pascal, mais un simple repas d'adieu à l'issue duquel le Sauveur aurait institué la sainte Eucharistie. - Mais, s'il en avait été réellement ainsi, pourquoi les trois premiers évangélistes mentionneraient-ils d'une manière si expresse le premier jour des pains azymes, les préparatifs faits par deux disciples en vue de la Pâque ? Comment Notre-Seigneur eût-il pu dire, cf. Luc. 22, 15, qu'il avait ardemment souhaité de " manger cette Pâque " avec les siens avant de mourir ? Tout, dans le récit des synoptiques, prouve qu'il s'agissait d'une vraie cène légale. - 2° Grotius, Movers, Arnoldi, Sepp, Aberle, etc., établissent une distinction entre ce qu'ils nomment une cène pascale commémorative et le repas légal. Puis ils prétendent que Jésus-Christ, dans la prévision qu'il mourrait le 14 et ne pourrait manger l'agneau pascal avec son peuple, anticipa d'un jour la cène accoutumée. C'est ce festin anticipé que raconteraient les synoptiques. - La distinction et la supposition sont également arbitraires. Une cène pascale sans l'agneau qui était rigoureusement prescrit eut été insignifiante ; or, les agneaux de la Pâque n'étaient immolés que le 14 nisan dans l'enceinte du temple. De plus, rien n'indique une anticipation dans les récits de S. Matthieu, S. Marc et de S. Luc. Le repas dont ils narrent quelques incidents eut lieu le jour accoutumé et avec toutes les cérémonies requises par la Loi. - 3° Un exégète ingénieux et savant, quoique parfois un peu aventureux, le docteur Hug, cf. Einleit. in die Schrift. des N. Test. 4ème édit. 2, p. 198 et ss., croit semblablement à une anticipation de la Pâque par Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais il a recours à une autre démonstration. Selon lui, l'usage se serait peu à peu introduit parmi les Galiléens de manger l'agneau pascal dès le soir du 13 nisan : Jésus étant originaire de Galilée aurait bénéficié l'année de sa mort du privilège dont jouissaient ses compatriotes. - Malheureusement le Talmud, auquel M. Hug emprunte ses preuves, dit seulement que les travaux étaient interrompus dès la soirée du 13 nisan dans la province de Galilée, sans ajouter autre chose. - 4° L'année de la mort du Sauveur, d'après les P. Peteau et Tillemont, tous les ans et d'une manière régulière suivant Carpzov, Ideler et Serno, les Juifs auraient célébré la Pâque deux jours de suite, le 14 et le 15 nisan, dans la crainte qu'il ne se glissât quelque erreur dans la fixation de la solennité, par suite des différences qui existaient entre l'année civile et l'année astronomique. Jésus se serait décidé en faveur du 14, de là sa célébration de la cène légale dans la soirée du 13 ; au contraire la plupart des Juifs auraient choisi le 15. - Mais ce sont là des conjonctures sans fondement sérieux. Il en est de même d'autres hypothèses analogues qu'il ne nous est pas possible de citer au long : elles ne sont du reste que des modifications plus ou moins heureuses des précédentes et manquent pareillement de bases solides. Aussi nous est-il impossible pour ce qui nous concerne d'en adopter aucune. - Après cet exposé, nous croyons être en droit de conclure que, sans avoir la prétention de rejeter comme dénuée de valeur une opinion soutenue par des écrivains nombreux et distingués, nous trouvons du moins beaucoup plus vraisemblable le sentiment que nous avons proposé à la suite d'autres exégètes non moins nombreux : il nous paraît en effet plus clair, mieux appuyé sur l'Évangile, plus conforme aux usages des Juifs, et plus facile à défendre. D'ailleurs on peut l'appeler le " sentiment ecclésiastique ", d'après les paroles suivantes de Dom Calmet : " Le sentiment commun des deux églises, de la grecque et de la romaine, est que Notre-Seigneur avait célébré la Pâque légale avec ses disciples le jeudi au soir, quatorze de Nisan, et que le vendredi, jour de Pâque, quinzième du même mois, il avait été crucifié et mis à mort. C'est sur cela qu'est fondé l'usage de n'employer dans l'Église latine que du pain azyme ou sans levain dans nos mystères, dans la supposition que notre Sauveur, ayant célébré la Pâque comme les Juifs, n'a point usé d'autre pain. Il est inutile d'alléguer pour ce sentiment les témoignages des Pères et des nouveaux docteurs. On avoue que presque généralement tous l'ont suivi ; et il est même supposé dans le Concile de Trente (Sess. 13, c. 1) comme communément reçu dans l'Église ". Dissert. sur la dern. Pâque, Comment. littéral, t. 19, p. 146, Paris 1725. - Le premier jour des azymes. On appelait pains azymes, cf. Levit. 7, 12, des galettes très minces dans la composition desquelles il ne devait pas entrer la plus petite parcelle de levain, et qui remplaçaient le pain fermenté pendant toute la durée de la solennité pascale. Aussi la Pâque était-elle appelée fête des Azymes. Dès le 14 nisan vers midi, on brûlait avec le plus grand soin tout le pain levé qui se trouvait dans les maisons, et, à partir de la cène légale jusqu'au soir du 21, on ne se servait que de pain azyme. " Le premier jour des Azymes " était donc de fait le jour où l'on commençait à remplacer le pain fermenté par le pain sans levain, c'est-à-dire le 14 nisan, bien qu'à proprement parler la fête ne s'ouvrît que le soir, au moment où l'on consommait l'agneau pascal. Théophylacte, Euthymius et, de nos jours le Dr Sepp violent les règles les plus essentielles de la grammaire pour montrer à tout prix que Notre-Seigneur ait mangé la Pâque " la veille des Azymes " soit le 13 nisan. - Les disciples s'approchèrent. Ce fut probablement dans la matinée, car les préparatifs de la cène étaient assez nombreux et demandaient un temps considérable. Nous les indiquerons plus loin. Jésus se trouvait alors selon toute vraisemblance à Béthanie. - Où, dans quelle maison. Le divin Maître et ses disciples étant étrangers à Jérusalem, il fallait qu'ils trouvassent un logement pour y célébrer le festin pascal. - Nous vous préparions ; ils lui parlent comme à un père de famille auquel revenait dans cette solennité le rôle principal. - Manger la Pâque, pour " pascha ad comedendum ". C'est un hébraïsme, qui existe aussi dans le texte grec. S. Matthieu et les autres synoptiques désignent ici le repas solennel par lequel la fête de Pâque était inaugurée chez les Juifs et dont le mets le plus essentiel était l'agneau pascal ; cf. Bretschneider, Lexic. Man. t. 2, p. 329.Matthieu chap. 26 verset 18. - Jésus leur répondit : Allez dans la ville, chez un tel et dites-lui : Le Maître dit : Mon temps est proche ; je ferai la pâque chez toi avec mes disciples.
- Le divin Maître, interpellé comme le chef de la famille apostolique, donne aussitôt ses ordres pour la fête. Sa réponse concerne surtout le point précis sur lequel on l'avait consulté. - Allez dans la ville : à Jérusalem ; preuve que Jésus et les siens en étaient alors une certaine distance. C'est dans la capitale juive que devait être célébré le festin de la Pâque : les ordres de Jéhovah étaient formels là-dessus et remontaient jusqu'aux premiers jours de la théocratie, cf. Deut. 16, 5-7, comme du reste la plupart des autres ordonnances relatives à cette grande solennité. - Chez un tel. Parole mystérieuse, qui a bien des fois exercé la sagacité des interprètes. Dans le grec : " vers un tel ". Jésus n'aurait-il pas prononcé un nom propre au lieu de ce terme vague ? Plusieurs auteurs l'ont pensé. Ils ajoutent que S. Matthieu le retrancha de son récit pour un motif qu'il ne nous est plus possible de déterminer (Meyer), ou plus simplement encore parce qu'il l'avait oublié (Henneberg). Mais il paraît certain que le Sauveur ne dût indiquer aucun nom, puisque, d'après les récits plus complets de S. Marc et de S. Luc, il donna à ses deux envoyés un signe particulier à l'aide duquel ils arriveraient aisément chez celui qui leur offrirait une chambre pour la cène. Les vraies paroles de Notre-Seigneur sont conservées dans le second et le troisième Évangile. S. Matthieu, qui voulait abréger, selon sa fréquente habitude, les a condensées dans la simple phrase " Allez chez un tel ". Mais il en bien gardé l'esprit. Car il est évident que, si Jésus se servit d'un moyen tout à fait extraordinaire pour faire connaître aux deux disciples délégués la maison dans laquelle ils devaient préparer la Pâque, il avait pour cela un pressant motif : et ce motif était, du consentement général des exégètes, la crainte que Judas, connaissant plusieurs heures d'avance le local où Jésus mangerait l'agneau pascal, n'allât le désigner aux princes des prêtres ; et alors, une arrestation anticipée aurait pu empêcher ou du moins troubler l'institution de la sainte Eucharistie. Grâce au langage mystérieux du divin Maître, le traître ne connut la maison que le soir en y entrant, et il était trop tard alors pour avertir ses complices. Or S. Matthieu, par sa formule abrégée, garde très bien le secret de Jésus. S. Augustin avait raison d'écrire, de cons. Evang. l. 2, c. 80 : " (S. Matthieu) ajoute de lui-même: "Chez un tel", non que le Seigneur se soit exprimé de la sorte, mais pour nous faire entendre qu'il y avait un homme dans la ville à qui le Seigneur adressait ses disciples pour lui préparer la Pâque ". - Le Maître dit : le Maître par excellence ; cf 23, 8, 10. Ces mots supposent que la personne vers laquelle les deux disciples étaient envoyés connaissait Notre-Seigneur, et qu'elle devait lui offrir volontiers l'hospitalité pour la soirée. Y avait-il eu entre elle et Jésus quelque arrangement préalable sur ce point ? De graves auteurs l'ont pensé ; d'autres le nient. Il est certain du moins qu'il y eut un miracle dans la manière dont les envoyés du Sauveur furent conduits au cénacle. Voir S. Marc, 14, 13-16 et le commentaire. - Mon temps. Non pas " tempus de quo convenimus " d'après Kuinoel, ni " le temps auquel je dois célébrer la Pâque " d'après Grotius, Neander, etc., car de pareilles traductions affaiblissent la pensée, mais " le temps de ma mort " ; cf. S. Jean Chrysost. Hom. 81 in Matth., Maldon., Luc de Bruges, Jansenius, E. Reuss, etc. C'est une manière pressante d'appuyer sa demande : Je vais mourir bientôt ; accordez-moi cette dernière faveur ! - Chez toi. Quel honneur pour cet inconnu ! Il y avait alors à Jérusalem plus d'une maison dévouée au Christ, qui l'eût reçu bien volontiers ! Du reste, à l'occasion des solennités pascales, tous les habitants de la capitale pratiquaient la plus large hospitalité à l'égard des frères étrangers. Le Dr Sepp prétend, mais sans la moindre apparence de raison, que le personnage auquel Notre-Seigneur fait tenir ce langage n'était autre que Nicodème. - Je ferai la pâque. Le présent au lieu du futur : le divin Maître parle avec autorité. " Faire la Pâque " était la formule technique dont on se servait pour désigner la célébration des rites principaux de la fête ; cf. Ex. 12, 48 ; Num. 9, 4 ; Hebr. 11, 28. Les classiques en avaient de semblables. - Avec mes disciples. Jésus ne s'invite point à participer au repas du maître de la maison ; il demande seulement une chambre séparée, dans laquelle il mangera l'agneau pascal avec ses Apôtres. Car, d'après la tradition, c'est dans le sens très restreint qu'il faut prendre ici le mot " disciples " : le Sauveur n'eut pas d'autres témoins que les Douze durant ces heures solennelles du cénacle.Matthieu chap. 26 verset 19. - Les disciples firent ce que Jésus leur avait ordonné et préparèrent la pâque.
- Nous savons par le témoignage de S. Luc, 22, 8, que les deux disciples choisis par Jésus furent S. Pierre et S. Jean. - Ils préparèrent la pâque. C'était une opération assez compliquée. Il fallait porter au temple l'agneau d'un an, sans tache et sans défaut, qui avait été mis en réserve quelques jours auparavant pour servir de victime pascale ; on l'immolait dans l'après-midi suivant un rite particulier dont les détails ont été conservés dans le Talmud, traité Pesachim, 5, 6-8. Les chefs de famille ou leurs délégués étaient introduits par groupes dans la cour du Temple : au signal donné, chacun égorgeait son agneau. Des prêtres rangés sur deux lignes recevaient le sang des victimes dans des bassins d'or ou d'argent, qu'ils faisaient parvenir de main en main à celui de leurs collègues qui était le plus rapproché de l'autel. Celui-ci vidait les coupes au pied de l'autel et les renvoyait aux sacrificateurs. Les agneaux étaient ensuite dépecés, mais avec les plus grandes précautions, car non n'en devait pas briser un seul os, cf. Ex. 12, 46. La graisse était mise en réserve pour être brûlée sur l'autel des holocaustes. Quand ces préparatifs préliminaires avaient été accomplis dans le Temple au chant des Psaumes, on emportait les agneaux dans les habitations particulières pour les faire rôtir au four. Deux pièces de bois de grenadier, attachées en forme de croix, cf. S. Justin, Dial. Cum Tryph. c. 40, les maintenaient dans une situation déterminée par la coutume. Voir Smith, Diction. of the Bible, Art. Passover. Préparer la Pâque, c'était encore se procurer des pains azymes, le vin, les herbes amères, le Charoceth, sorte de sauce épaisse et rougeâtre composée de dattes, de figues, d'amandes et d'épices reliées entre avec du vinaigre, et les divers mets qui devaient compléter le repas. Enfin il fallait organiser la table et orner la salle du festin : mais cette dernière opération était déjà faite quand les disciples se présentèrent à la maison que Jésus leur avait indiquée, cf. Marc. 14, 15 ; Luc, 22, 12.
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Le soir étant venu, il se mit à table avec ses douze disciples. 21Et pendant qu’ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira. 22Vivement attristés, ils commencèrent chacun à lui dire : Est-ce moi, Seigneur ? 23Il leur répondit : Celui qui met avec moi la main au plat est celui qui me trahira. 24Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, selon ce qui a été écrit de lui ; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi. Il aurait mieux valu pour cet homme de n’être jamais né. 25Judas, celui qui le trahit, prenant la parole, lui dit : Est-ce moi, Maître ? Jésus lui répondit : Tu l’as dit.Matthieu chap. 26 verset 20. - Le soir étant venu, il se mit à table avec ses douze disciples.
- Le soir étant venu, c'est-à-dire après le coucher du soleil, car c'est à ce moment que s'ouvrait la solennité pascale. Le 15 nisan était censé commencer alors, selon la coutume juive de compter les jours du soir au soir. - Il se mit à table. D'après la Loi, Ex. 12, 11, on devait manger l'agneau pascal debout, les reins ceints, un bâton à la main, en un mot dans l'attitude des voyageurs ; mais cette prescription ne tarda pas à tomber en désuétude, avec beaucoup d'autres qui avaient été portées spécialement en vue de la " Pâque Égyptienne ", comme parlent les Rabbins, cf. Pesachim 9, 5. " La Pâque perpétuelle " ne présentait plus le caractère simple et austère des anciens temps : une foule de règles nouvelles s'étaient introduites, en particulier celle de célébrer la cène légale étendus sur des divans peu élevés. " L'usage veut, dit le Talmud, Hieros. Pesach. f. 37, 2, que les serviteurs mangent debout ; à cette époque, ils mangeaient allongés, pour manifester qu'ils quittaient la condition de serviteur pour devenir libres ". Le changement de condition avait amené le changement d'attitude. - Avec ses douze disciples. Le nombre des convives qui pouvaient se réunir pour la cène pascale ne devait pas être inférieur à dix : généralement, il n'excédait guère le chiffre de 20. La société de choix réunie autour de Jésus tenait le milieu entre ces deux extrêmes. Euthymius Zigabenus est seul à prétendre que le Sauveur avait invité plusieurs disciples indépendamment de ses Apôtres. Il est du reste réfuté par le récit évangélique qui ne mentionne que les Douze.Matthieu chap. 26 verset 21. - Et pendant qu’ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira.
- Pendant qu'ils mangeaient. Les nombreuses et touchantes cérémonies qui accompagnaient le festin de la Pâque sont résumées dans ces deux mots par l'évangéliste. Mais nous croyons devoir en indiquer au moins quelques unes, choisies parmi les plus importantes, afin de placer sous les yeux du lecteur un tableau vivant de ce que fit le divin Maître pendant cette soirée. Jésus, couché à la place d'honneur et représentant le père de famille, prit d'abord une coupe, la remplit de vin et la fit circuler parmi l'assemblée après y avoir lui-même trempé ses lèvres, en disant : Sois béni, Seigneur notre Dieu, qui as créé le fruit de la vigne. Tous se lavèrent alors les mains, puis la table fut apportée au milieu des convives. Après qu'une bénédiction spéciale eut été prononcée sur les herbes amères, chacun en prit quelques feuilles et les mangea en les assaisonnant avec le Charoceth. C'est alors seulement que l'agneau pascal fut placé sur la table en face de Jésus. Le Sauveur prit la parole pour expliquer à ses disciples la signification de la fête et de ses rites, ainsi qu'il était réglé par la Loi, cf. Ex. 12, 26 ; après quoi, tous chantèrent la première partie de la prière nommée Hallel, c'est-à-dire les Psaumes 112 et 113 (hébr. 113, 114) ? Une seconde coupe fut vidée ; Jésus prit quelques pains azymes, les rompit, en mangea un morceau avec des herbes amères et du Charoceth et distribua le reste aux disciples. Il bénit ensuite l'agneau pascal et les autres viandes sacrées qui l'accompagnaient. En ce moment commença le repas proprement dit. Le rituel laissait une certaine liberté aux convives pour cette partie de la cérémonie : il était toutefois réglé que l'agneau symbolique serait consommé en dernier lieu et qu'on ne mangerait plus rien ensuite. Ce repas achevé, une troisième coupe, bénite par Jésus comme les deux premières, circula parmi les convives. On chanta la seconde partie de la prière Hallel, Ps. 114-117 (hébr. 115-118). Une quatrième coupe terminait ordinairement la cène. Cependant, si quelqu'un des assistants le désirait, on pouvait en faire passer une cinquième, à condition de réciter le grand Hallel, Ps. 119-136 (hébr. 120-137), comme conclusion générale de la cène. On devait se retirer avant minuit. Voir, pour de plus amples détails, Lightfoot, Hor. Hebr. in Matth. 26, 20, 26, 27 ; Otho, Lexic. Talm. s. v. Pascha ; Friedlieb, Archaeologie der Leidengesch. ; Langen, die letzten Lebenstage Jesu, ch. 7. - En vérité, je vous le dis. La chose que Jésus est sur le point de prédire va paraître si incroyable aux Douze, qu'il en garantit d'avance la parfaite vérité par sa formule ordinaire de serment. - L'un de vous. Il y a beaucoup d'emphase et de tristesse dans ce " vous ". - Me trahira. Plusieurs jours auparavant, Jésus avait déjà prophétisé la trahison dont il serait l'objet, cf. 20, 18 ; 26, 2 ; en ce moment, il précise davantage et annonce que le traître sortira des rangs de ses Apôtres.Matthieu chap. 26 verset 22. - Vivement attristés, ils commencèrent chacun à lui dire : Est-ce moi, Seigneur ?
- Le Maître trahi par l'un d'eux ! Cette nouvelle tomba sur le cercle apostolique, sur les innocents et sur le coupable, comme un coup de foudre. Les onze sont désolés, consternés ! Les évangélistes, S. Jean surtout, ont fort bien décrit le trouble jeté par cette parole parmi les disciples de Jésus. - A peine revenus de leur première stupéfaction, ils prennent tour à tour la parole pour demander à leur maître : Est-ce moi ? En grec : " ce n'est sans doute pas moi ? " exprime plus délicatement la même idée, car il suppose que la réponse sera négative. Tel devait être le langage d'une âme qui n'avait pas le moindre soupçon de sa culpabilité.Matthieu chap. 26 verset 23. - Il leur répondit : Celui qui met avec moi la main au plat est celui qui me trahira.
- Dans sa réponse, le Sauveur répète avec énergie sa première assertion, se contentant d'y ajouter un détail qui fait mieux ressortir l'odieux caractère de la trahison. - La main au plat. Jésus fait allusion à une coutume qui subsiste encore dans l'Orient moderne, au grand désagrément des voyageurs européens. Les mets sont habituellement servis sur de vastes plats dans lesquels chaque convive, la main armée d'un morceau de pain, puise directement les viandes, les sauces et les légumes. - On a souvent pris à la lettre cette parole du Sauveur, dont on a conclu qu'au moment où elle a été prononcée, Judas étendait de fait la main vers le plat commun (D. Calmet, Corn. a Lap., Rosenmüller, Fritzsche, de Wette, etc.). Mais il n'est pas possible de lui attribuer ce sens, puisque alors Judas eût été clairement désigné comme le traître, tandis que nous savons, d'après S. Jean 13, 20, que son crime demeura encore un mystère pour la plupart des Apôtres. C'est donc une expression générale pour dire : L'un de mes amis les plus intimes. Cf. Ps. 40, 10 : " Même l'ami, qui avait ma confiance et partageait mon pain, m'a frappé du talon ". - Au plat désignait un plat de grande dimension. - Celui est emphatique, comme plus haut " vous ".Matthieu chap. 26 verset 24. - Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, selon ce qui a été écrit de lui ; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi. Il aurait mieux valu pour cet homme de n’être jamais né.
- A cette réponse qui ne faisait que confirmer sa première assertion, le Sauveur ajoute une déclaration solennelle, une grave menace, destinée s'il en est temps encore à ramener le traître à de meilleurs sentiments. - Le Fils de l'homme. " Pour ce qui est " par opposition à " tandis que " qui vient ensuite. Jésus établit un frappant contraste entre sa personne et celle du traître, entre les fins si distinctes qui leur sont réservées. - S'en va. Majestueuse parole, dont le Christ aimait à se servir pour désigner sa mort prochaine ; cf. Joan. 7, 33 ; 8, 22. Elle exprime en même temps, comme le remarquent les anciens exégètes, la parfaite liberté de Jésus au point de vue de ses souffrances. " Le Christ montre que sa mort ressemble davantage à une transition qu’à une véritable mort. Par ces mêmes paroles, il nous fait comprendre qu’il est allé librement à la mort ", Victor d’Antioche in Marc. 14, 21 ; Cf Maldonat in h.l. - Comme il est écrit... L'obéissance parfaite, malgré la liberté ; les prophéties seront accomplies jusqu'aux moindres détails. - Mais malheur. Menace d'un malheur éternel ; terrible inscription gravée par Jésus-Christ lui-même sur la tombe de Judas. - Il aurait mieux valu... En effet, dit S. Jérôme, in h. l., " mieux vaut le néant que les tourments éternels de l'enfer ! ". Et pourtant, Dieu a créé Judas ! Jésus en a fait son Apôtre, prévoyant bien qu'il le trahirait ! Grand mystère théologique. Mais " Dieu juge le présent, et non pas le futur; il ne condamne pas selon sa pré-science, s'il reconnaît quelqu'un qui lui déplaira plus tard ; mais sa bonté et sa clémence sont si grandes, qu'il choisit celui qui le servira bien pendant un temps, sachant cependant qu'ensuite il deviendra méchant. Il lui donne ainsi la possibilité de se convertir et de faire pénitence ". La solution du problème est tout entière dans ces lignes de S. Jérôme, adv. Pelagian. 3. Sur les vives et curieuses discussions des scolastiques à propos de la phrase " Il aurait mieux valu... ", voir Maldonat, in h. l. - Stier, auteur protestant, écrit à bon droit (die Reden des Herrn Jesu, h. l.) : " Ces mots, pris à la lettre et en toute rigueur, ferment à jamais la porte de l'espérance. Ils écartent toute pensée d'un salut ultérieur et final ; car, s'il pouvait y avoir une rédemption pour l'âme de Judas dans les futures révolutions des âges, il serait meilleur pour lui d'avoir reçu la vie ". Aussi Krummacher dit-il que Notre-Seigneur n'a jamais prononcé de parole plus épouvantable.Matthieu chap. 26 verset 25. - Judas, celui qui le trahit, prenant la parole, lui dit : Est-ce moi, Maître ? Jésus lui répondit : Tu l’as dit.
- Prenant la parole. Le traître, foudroyé d'abord plus que personne par la révélation inattendue de Jésus, v. 21, n'avait point pris part à la question des autres, v. 22. Il craint maintenant que son silence ne dévoile sa faute. Il demande donc à sont tour, avec les dehors du plus profond respect : Est-ce moi ? On s'indigne à la vue de sa froide impudence. Mais on admire la douceur de Jésus. Tu l'as dit, se contente-t-il de répondre, employant une formule d'adhésion fréquemment usitée chez les Juifs, les Grecs et les Romains. Oui, c'est toi, tu le sais bien. Ces mots furent prononcés à voix basse de manière à n'être entendus que de Judas, ainsi qu'il ressort du récit plus complet de S. Jean, 13, 28-29.
26
Or, pendant qu’ils dînaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples, en disant : Prenez et mangez ; ceci est mon corps. 27Et, prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, en disant : Buvez-en tous ; 28car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés. 29Or, je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je le boirai de nouveau avec vous, dans le royaume de mon Père.Matthieu chap. 26 verset 26. - Or, pendant qu’ils dînaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples, en disant : Prenez et mangez ; ceci est mon corps.
- Les synoptiques, qui ont passé rapidement sur la cène légale, s'étendent davantage sur le banquet eucharistique, car il avait pour eux une tout autre importance. En distribuant à ses Apôtres un peu de pain, un peu de vin, et en leur donnant l'ordre d'agir de même dans la suite des âges à l'égard des chrétiens, Jésus n'instituait-il pas le plus sublime des sacrements ? Ne laissait-il pas à son Église le mémorial le plus parfait de son amour, en même temps que la continuation du sacrifice du Calvaire ? Cf. Conc. Trid. Sess. 13, c. 2. Voici donc notre véritable agneau pascal, qui va remplacer les ombres et les figures. - Pendant qu'ils dînaient. Le texte latin pourrait avoir le sens de " pendant qu'ils dînaient ", ou bien de " alors qu'ils avaient dîné ". Bynaeus, Wetstein, Kuinoel, Baumgarten Crusius et d'autres adoptent la seconde traduction, qui est en réalité plus conforme aux récits de S. Luc, 22, 20, et de S. Paul, 1 Cor. 11, 25. La plupart des exégètes anciens et modernes admettent la première qui est plus grammaticale. Au fond, cela revient à peu près au même. En droit, le repas légal n'était pas régulièrement terminé quand Jésus institua le sacrement de l'autel, puisque le calice eucharistique se confond avec la cinquième coupe pascale (voir les notes des versets 21 et 27) ; néanmoins, on pouvait dire qu'il l'était de fait, puisqu'on avait dû cesser de manger avant même de prendre la troisième coupe. Un évangéliste a donc pu employer l'expression " pendant le repas ", un autre écrire " après le repas " ; tout dépend du point de vue auquel chacun d'eux s'est placé. S. Matthieu, qui veut nous montrer le Nouveau Testament sortant de l'Ancien comme une fleur naît de la racine, rattache la cène eucharistique à la cène légale. Les termes " pendant qu'ils dînaient " sont parallèles à " pendant qu'ils mangeaient " du verset 21. - Jésus prit du pain. Il n'y avait alors dans le cénacle et dans la maison que du pain azyme, le seul, nous l'avons vu, qui fût licite depuis le milieu du 14 nisan jusqu'au soir du 21. L'Église latine suit donc fidèlement l'exemple de Jésus, quand elle se sert exclusivement de pain sans levain pour la confection de la sainte Eucharistie. - Du pain, du vin, telles sont entre les mains du Sauveur, telles seront à tout jamais les seules matières du sacrifice par excellence. Ainsi se réalisait la prédiction juive d'après laquelle, lorsque le Messie viendrait remplir les fonctions de prêtre selon l'ordre de Melchisédech, les substances animales cesseraient d'être immolées en sacrifice, car elles céderaient la place à deux espèces végétales, le pain et le vin ! Cf. Sepp, Leben Jesu, Th. 3, p. 410. - Il le bénit. D'après S. Thomas d'Aquin et plusieurs interprètes (Maldonat, Luc de Bruges, etc.), cette expression représenterait l'acte même de la consécration sacramentelle. On croit très généralement qu'elle correspond à la bénédiction que le père de famille prononçait sur les pains azymes, avant de les distribuer aux convives (voir l'explication du v. 21), et qui consistait pour l'ordinaire dans la phrase suivante : " Béni soit Celui qui produit le pain de la terre ". - Le rompit. De même qu'il avait précédemment rompu les pains azymes avant de manger la Pâque. Cette fraction du pain dans la cène légale symbolisait les souffrances qu'avait autrefois endurées le peuple juif ; elle figurait, dans la cène eucharistique, la Passion et l'immolation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On sait que ce rite, imité par les apôtres et leurs successeurs, avait fait donner aux mystères eucharistiques le nom de " fraction du pain " dans la primitive Église. Cf. Act. 2, 42 ; 1 Cor. 10, 16, etc. - Et le donna : Jésus ne communia pas les Apôtres d'après le mode aujourd'hui usité dans l'Église ; il leur déposa successivement dans la main un morceau du pain consacré. Cela ressort du mot " prenez " et des anciennes coutumes ecclésiastiques. - Ceci est... " Hélas ! S'écrie le protestant Olshausen, Bibl. Comment. über saemmtl. Schrift. des N. Test. 3ème édit. t. 2 p. 441, en abordant l'explication des paroles de la consécration, le banquet de l'amour a servi jusqu'à notre époque d'occasion aux polémiques les plus violentes et les plus tristes que l'histoire de l'Église et l'histoire du dogme aient à enregistrer ". Les expressions employées par Notre-Seigneur sont cependant si claires dans leur sublimité ! Mais la théologie négative a tout fait pour amonceler des nuages autour d'elles. Il n'entre pas dans notre plan de les étudier ici au point de vue dogmatique ; de nombreux et d'illustres auteurs ont publié en ce sens des essais remarquables dans lesquels la matière est traitée à fond : nous y renvoyons le lecteur. Voir en particulier Wiseman, The real presence of the body and blood of our Lord J. Chr. in the blessed Eucharist. Londres, 1855 (excellent traité traduit dans les Démonstrations Evangéliq. de Migne, t. 15, col. 1159 et ss.) ; Franzelin, Tractatus de SS. Eucharistiae Sacramento et Sacrificio, Romae 1868, p. 31-70. Notre rôle consiste donc simplement à faire l'exégèse des paroles prononcées par Jésus en ce moment solennel, paroles des plus importantes qui soient sorties de sa bouche, puisqu'elles établissent tout ensemble le sacrifice de la nouvelle Alliance, le sacrement de l'Eucharistie et le nouveau sacerdoce destiné à remplacer celui de la race lévitique. - Le pronom démonstratif " ceci " est pris substantivement. C'est à dessein que le Christ l'a employé au neutre ; le masculin " ce " n'eût désigné directement que le pain, " ce pain ". " Ceci " signifie d'une manière générale : Ce que je vous présente, ce qui de mes mains va passer dans les vôtres. - La copule " est " n'a sans doute pas été proférée par Notre-Seigneur, car le langage araméen, dans lequel il s'exprimait alors, l'omet en pareille circonstance. Mais la copule était exigée par le génie des idiomes indo-germaniques, et c'est à bon droit qu'on l'a insérée dans la formule de consécration. Toutefois, de ce que nous venons de dire il ressort évidemment que " est " ne saurait signifier ici, non plus qu'au v. 28, " signifie, représente ", comme l'a si souvent requis depuis Zwingle. Si je montrais à un enfant une pierre, un morceau de pain, en lui disant : Ceci du pain, ceci une pierre, songerait-il jamais à traduire : Ceci représente une pierre, du pain ? Ceci mon corps, ou ceci est mon corps ne peut donc signifier qu'une chose : Ce que vous voyez est vraiment mon corps, indépendamment de toutes les apparences. Ainsi le veulent la grammaire, la logique, et le simple bon sens. - Mon corps. La grammaire, la logique et le simple bon sens exigent pareillement que l'on traduise ces deux mots par " mon corps ", mon vrai corps. Prétendre que Jésus ne pensait à offrir aux Apôtres que le symbole de son corps est une assertion tout à fait gratuite, pour ne rien dire de plus. Quand on présente un symbole, on l'indique de quelque manière, à moins que le fait ne soit évident par lui-même. Or, le Sauveur a montré au contraire d'une façon très expresse qu'il entendait parler d'une réalité, lorsqu'il a caractérisé la valeur de ce corps donné aux apôtres, cf. Luc. 22, 19 ; 1 Cor. 11, 24. Le corps de Jésus livré pour nous n'était assurément pas un symbole. - On aura déjà remarqué la grande ressemblance qui existe entre les cérémonies de la cène eucharistique et celles de la cène légale que nous avons résumées plus haut : Jésus bénit, partage et distribue à ses disciples le pain consacré, de même qu'il avait béni, qu'il avait rompu, qu'il leur avait distribué les pains azymes. Ce n'est pas tout encore. En découpant l'Agneau pascal, il avait prononcé une formule particulière que nous n'avons pas encore citée : " Ceci est le corps de l'agneau pascal " ; cf. Buxtorf, Dissert. Phil.-theolog. Bâle, 1662, p. 346. On voit que d'un bout à l'autre, à part les modifications nécessaires, la cène nouvelle est en quelque sorte calquée sur l'ancienne, Jésus voulant ainsi montrer la relation qui existait entre la réalité et la figure. Mais on voit en même temps que, si l'ancienne formule désignait un vrai corps, en chair et en os, la formule nouvelle ne peut désigner, elle aussi, qu'un vrai corps et non pas un simple symbole. Nous rendrons compte en un autre endroit (Commentaire sur S. Luc. 22, 19) de la différence qui existe entre les formules de consécration dans les Évangiles et dans les Liturgies. - Tel est le sens naturel des mots " Ceci est mon corps ". Les Apôtres, la tradition tout entière les ont compris et traduits comme le fait l'Église. L'erreur en matière si grave serait inconcevable. - Quand Jésus eût proféré ces merveilleuses paroles, un miracle de premier ordre fut instantanément produit : le pain, pour employer le langage de l'Église, fut aussitôt transsubstantié au corps du Sauveur ; les accidents restèrent, mais la substance avait disparu et la promesse faite autrefois par le Christ, cf. Joan. ch. 6, était accomplie. Nous avions une nourriture céleste qui donne l'immortalité.Matthieu chap. 26 verset 27. - Et, prenant le calice, il rendit grâces, et le leur donna, en disant : Buvez-en tous.
- Mais, pour que le banquet d'amour fût complet, il fallait un breuvage de même nature. Jésus passe donc à une seconde consécration. - Prenant le calice. La coupe qui a circulé plusieurs fois déjà pendant le festin légal va porter aux Apôtres une liqueur toute divine. Sa forme était bien éloignée de celle de nos calices modernes. C'était, selon toute probabilité, un gobelet peu profond, très évasé, muni d'un pied fort bas et de deux petites anses, imité des modèles grecs et romains comme la plupart des ustensiles juifs à cette époque. Cf. A. Rich, Diction. des Ant. rom. et grecq. au mot Calix ; Smith, Dict. of the Bible, art. Cup. La légende n'a pas manqué de s'en emparer, comme elle avait fait des trente pièces d'argent : elle le fait remonter de main en main jusqu'au patriarche Noé. Cf. Sepp, Leben Jesu-Chr., t. 5, p. 90 et ss. Dans ce calice Jésus versa du vin rouge, cf. Lightfoot, Hor. hebr. in h. l., car c'est le plus commun en Palestine et c'est lui, dit Tertullien, qui représente mieux le sang. Il y versa aussi un peu d'eau. La tradition l'enseigne très généralement. Origène maintient cependant l'emploi du vin, sous prétexte qu'il symbolise mieux le sang très-pur du Sauveur. Mais le rituel juif prescrivait en termes formels de mêler de l'eau au vin dans les coupes du festin légal (Cf. Lightfoot, de Minister. Templi, c. 13, n. 3), avec l'une desquelles le calice eucharistique dût se confondre, comme l'admettent communément les exégètes. La troisième coupe était appelée dans le langage liturgique des Juifs " coupe de la bénédiction ", nom que S. Paul donne précisément aux espèces sacramentelles, cf. 1 Cor. 10, 16 ; c'était elle qui était regardée comme la principale, parce qu'elle suivait immédiatement la manducation de l'agneau pascal. Pour ces motifs, divers auteurs (Lightfoot, Hor. Talm. in h. l. ; Paulus, Exeg. Handb., t. 3, p. 497 ; Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.) ont pensé que c'est elle qui eut l'honneur d'être transformée au corps et au sang du Sauveur. D'autres interprètes se sont déclarés en faveur de la quatrième coupe ; d'autres en faveur de la cinquième qui mettait fin à la cène. Nous verrons, en expliquant le mot " tous ", que cette dernière hypothèse est probablement la plus vraie des trois. - Il rendit grâces ; en grec, " Eucharistie ", action de grâces, donné au divin sacrement de l'autel, que Jésus instituait alors en rendant grâces à son Père. D'autres rites, ceux-là même que le prêtre reproduit chaque jour en consacrant les espèces du vin, durent être suivis par Jésus : il éleva légèrement la coupe et regarda le ciel, comme devait faire le père de famille pendant le festin de la Pâque, d'après la tradition juive. Cf. la glose de Bab. Berach. f. 51, 1. - Le leur donna : il fit passer le calice de main en main, après leur avoir recommandé d'en boire tous sans exception : Buvez-en tous. Ce " tous " a reçu des interprétations bien diverses, parfois même bien ridicules. C'est ainsi que les protestants, et en général les partisans de la communion sous les deux espèces, ont prétendu que Jésus l'aurait dirigé tout exprès, dans un pressentiment prophétique, contre l'Église catholique qui devait plus tard retirer aux laïques l'usage du calice ; voir Buxtorf, Dissert. de coena Domini, p. 323. Suivant Corneille de Lapierre, in h. l., Notre-Seigneur voulait simplement montrer à ses disciples et à leurs successeurs que les deux espèces du pain et du vin sont de rigueur pour que le sacrifice de la messe soit complet, mais qu'il n'appartient qu'aux seuls prêtres de communier sous les deux espèces. Maldonat et le P. Perrone, Theolog. Dogmat., lib. 8, § 198, font une autre conjecture sur l'intercalation du mot " tous ". Il avait pour but, disent-ils, d'insinuer aux disciples que, tous devant participer à ce calice unique, il fallait que chacun prit ses précautions de manière à en laisser aux autres. - Assurément, aucune de ces explications n'aura dû paraître satisfaisante à nos lecteurs. De concert avec M. J. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 185 et suiv., nous leurs proposons l'interprétation suivante qui a le double avantage de ne rien contenir d'excentrique et d'être appuyée sur les coutumes sacrées des Juifs. Nous avons dit, note du v. 21, qu'à la fin du repas légal, quand on avait récité la seconde partie de l'Hallel, les convives avaient le droit de proposer une cinquième coupe. Nous croyons que Notre-Seigneur, usant de ce droit, remplit pour la cinquième fois le calice qui avait servi à l'assemblée : bien plus, c'est alors qu'il consacra le vin en son sang. Mais comme chacun était libre, d'après les instructions du rituel, d'accepter ou de refuser cette dernière coupe, il prit soin d'indiquer à ses apôtres qu'ils devaient tous y participer. De là l'insertion de l'adjectif " tous ".Matthieu chap. 26 verset 28. - Car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés.
- De là aussi celle de la particule car : Buvez-en tous, attendu que ce n'est pas un breuvage ordinaire, mais mon propre sang. - La seconde formule de consécration est " mutatis mutandis " la reproduction de la première ; elle en est par là-même la confirmation. Aussi le protestant Stier, Reden des Herrn., h. l., a-t-il raison de dire que ceux qui seraient tentés d'interpréter d'une manière superficielle ou erronée l'une des deux paroles d'institution peuvent trouver dans l'autre le vrai sens voulu par Jésus. C'est ce qu'indiquait déjà Tertullien dans son vigoureux langage : " En instituant, dans la mention du calice, un testament signé de son sang, il confirme par là même que c’est la substance de son corps, car le sang ne peut pas appartenir à un autre corps qu’à un corps charnel " (cité par Stier). - Ceci est : Le sujet est indéterminé de même qu'au v. 26. Ceci, ce que contient cette coupe. - Mon sang ; mon vrai sang, et non son symbole. La phrase " Ceci est mon corps " avait directement changé le pain au corps du Sauveur ; la phrase semblable " Ceci est mon sang " transsubstantia directement le vin en son sang. Les paroles de Jésus furent en effet, comme l'enseigne la théologie, des paroles opérantes. Aux hérétiques qui osent affirmer, avec l'anglais J. Morison, que la cène eucharistique est " une parabole pour l’œil, le toucher, le goût ", nous répondons avec S. Thomas d'Aquin que l’œil, le toucher, le goût se trompent s'ils ne veulent juger que d'après les apparences. L’Eucharistie est un mystère qui réclame la foi. - La nouvelle alliance. L'ancienne alliance, conclue entre Jéhovah et le peuple juif, avait été inaugurée, scellée au pied du Sinaï par le sang de nombreuses victimes ; cf. Ex. 24, 5-8 ; Hebr. 9. Moïse, jetant sur le peuple quelques gouttes de ce sang, avait dit " Voici le sang de l'alliance que l'Éternel a faite avec vous selon toutes ces paroles " (Ex., 24, 8). Jésus veut de même inaugurer et sceller par du sang répandu la nouvelle alliance dont il est le médiateur : toutefois c'est son propre sang qui rachètera l'humanité. - Pour beaucoup ; c'est-à-dire pour tous, cf. 20, 28, ou du moins pour tous ceux qui s'en feront l'application. - Sera répandu : allusion à la Passion du lendemain. En grec, le verbe est au présent, pour mieux marquer que le sang du Sauveur allait couler dans quelques heures à peine, comme une libation agréable à Dieu. Il suit encore des mots " répandu pour beaucoup " que la liqueur contenue dans la coupe après la consécration était substantiellement la même que le sang qui devait être versé le vendredi saint pour le salut du monde. - Pour la rémission des péchés. Les souffrances et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avaient pas d'autre but que celui de remettre les péchés des hommes. " Le sang de Jésus... nous purifie de tout péché " 1 Joan. 1, 7 ; cf. Hebr. 9, 14 ; 1 Petr. 1, 19 ; Apoc. 1, 5. - Nous parlerons ailleurs (explication de S. Luc, 22, 20) des variantes qui existent entre les Évangiles à propos de cette seconde formule ; elles sont plus considérables encore que celles qui existent au sujet de la première.Matthieu chap. 26 verset 29. - Or, je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je le boirai de nouveau avec vous, dans le royaume de mon Père.
- Après avoir institué et laissé à son Église un double gage de son amour, le divin sacrement de l'autel et le saint sacrifice de la Messe, Jésus-Christ annonce qu'il n'a plus qu'à mourir. - Je ne boirai plus : désormais, à partir de cet instant. Selon toute probabilité (voir la note de Marc 14, 25), Jésus n'avait communié sous aucune des deux espèces. Il avertit donc ses apôtres que, bien qu'il leur ait recommandé à tous sans exception de boire à la coupe eucharistique, il n'y trempera pas lui-même ses lèvres. - De ce fruit de la vigne. Expression poétique pour désigner le vin. Les Protestants ont parfois conclu de ces paroles que, même après la consécration, il existait du vin dans le calice qui circulait alors entre les mains des disciples ; plusieurs des leurs (Olshausen, Stier, etc.) les réfutent sans peine en montrant que le Sauveur ne parlait pas exclusivement de la liqueur contenue dans la coupe, mais du vin d'une manière générale. - Jusqu'à ce jour : le jour de la Résurrection, d'après les auteurs grecs ; le ciel, d'après le contexte. - Je le boirai... Il est évident qu'ici le langage de Notre-Seigneur ne doit pas être pris à la lettre : c'est une métaphore orientale, du reste parfaitement biblique, destinée à représenter les délices du ciel, comparées à celles d'un festin. - De nouveau, c'est-à-dire " d'une façon nouvelle est sans précédent ", suivant S. Jean Chrysostôme, Hom 82 in Matth. et Théophylacte ; " une nouvelle fois " d'après d'autres ; plus simplement : nouveau, meilleur, supérieur. - Dans le royaume de mon Père : dans le royaume messianique parvenu à sa consommation bienheureuse et glorieuse. - C'est ainsi qu'en terminant la cène, Jésus-Christ associe la joyeuse pensée de son règne futur au triste tableau de ses souffrances. Pour nous, la sainte eucharistie qu'il venait d'instituer est donc en même temps un mémorial et un emblème prophétique : un mémorial au point de vue du passé, car elle nous rappelle la Passion du Christ ; un emblème prophétique au point de vue de l'avenir, puisqu'elle est le type du festin des noces de l'agneau que nous célébrerons éternellement au ciel.
30
Et, après avoir dit l’hymne, ils allèrent à la montagne des Oliviers. 31Alors Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon sujet. Car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32Mais, après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. 33Pierre, prenant la parole, lui dit : Quand même tous seraient scandalisés à ton sujet, moi je ne serai jamais scandalisé. 34Jésus lui dit : En vérité, je te le dis, cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. 35Pierre lui dit : Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas.Matthieu chap. 26 verset 30. - Et, après avoir dit l’hymne, ils allèrent à la montagne des Oliviers.
- Après avoir dit l'hymne. S. Matthieu désigne ainsi la seconde partie de l'Hallel (cf explication du v. 21) ou, suivant l'opinion que nous avons adoptée, le grand Hallel (Ps. 119-136 ; hebr. 120-137) qu'on devait réciter quand on avait pris la cinquième coupe. On a prétendu, il est vrai, que Notre-Seigneur avait composé un hymne tout exprès pour la circonstance : mais c'est là une hypothèse légendaire basée sur des récits apocryphes. Cf. August. Ep. 237, ad Ceretium Episc. ; Grotius et Calmet in h. l. - Ils allèrent ; ils quittèrent le cénacle, puis la ville, pour se rendre au-delà du torrent de Cédron. - A la montagne des Oliviers : plus exactement (cf. v. 36) au jardin de Gethsémani, situé au pied du mont des Oliviers.Matthieu chap. 26 verset 31. - Alors Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon sujet. Car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées.
- Alors. D'après le contexte, ce mot indiquerait que la prédiction de Jésus relative au prochain reniement de S. Pierre eut lieu sur le chemin de Gethsémani ; mais S. Luc, 22, 31 et ss. et S. Jean 13, 36 ; cf. 14, 31, la placent au cénacle : d'où il suit que la particule alors, ici comme en d'autres endroits, sert à S. Matthieu de formule générale pour passer d'une scène à une autre, sans égard pour un ordre strictement chronologique. Patrizzi et d'autres auteurs croient rétablir plus parfaitement l'harmonie entre les récits, en admettant qu'il y eut deux prédictions successives du même fait, l'une pendant, l'autre après la cène. Mais il nous paraît difficile que Jésus ait répété deux fois les mêmes choses à des intervalles si rapprochés. - Vous serez tous : tous sans exception, même S. Pierre, S. Jacques et S. Jean. - Scandalisés. Ce n'est pas une apostasie proprement dite, mais seulement une désertion momentanée, un lâche abandon, que Jésus prédit en ce moment. - A mon sujet, pour " à cause de moi ". Je serai pour vous une occasion de chute ; ma Passion sera un obstacle contre lequel votre faiblesse viendra se heurter, de manière à vous renverser pour un instant. - Car il est écrit. Cette triste conduite des Apôtres avait été prévue de Dieu, et depuis longtemps l'Écriture l'avait annoncée. Cf. Zach. 13, 7. - Je frapperai... Le texte de Zacharie n'est pas cité textuellement par S. Matthieu ; nous retrouvons du moins le sens exact de la prophétie dans l'Évangile. Là, Jéhovah s'adressant à son glaive, lui disait : " Épée, lève-toi sur mon pasteur ... Frappe le pasteur, et que les brebis se dispersent! " Ici, il annonce qu'il frappera directement le pasteur. Ce pasteur est évidemment Notre-Seigneur Jésus-Christ, cf. Joan. 10, 11 : les brebis sont le symbole des Apôtres qui, au premier danger, s'enfuirent et se dispersèrent comme un troupeau timide et sans défense. Leur foi était vive sans doute, mais elle ne devait pas résister complètement au choc des événements dont ils allaient bientôt être les témoins.Matthieu chap. 26 verset 32. - Mais, après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée.
- Le passage prophétique de Zacharie se terminait par une promesse consolante de Jéhovah. Après l'allocution terrible à son glaive que nous avons entendue, le Seigneur ajoutait : " Et je tournerai ma main vers les faibles ", annonçant ainsi qu'il sauverait les pauvres brebis, même après leur folle coupable dispersion. Jésus fait aux Apôtres une promesse analogue. - Mais, après que... ; " mais ", par opposition à la fuite des disciples. - Je serai ressuscité : parole de joie et de grand encouragement, que le Sauveur n'omet jamais de prononcer chaque fois qu'il prédit les circonstances douloureuses de sa Passion. - Je vous précéderai... Après sa mort, les Apôtres quitteront Jérusalem et la Judée, pour se réfugier en Galilée, dans cette province qui leur était chère à tous, à cause des joies si douces que leur avait procurées la société de Jésus ; dans cette province où ils seront à l'abri des hiérarques acharnés contre le christianisme naissant : le divin Maître leur promet, non seulement d'aller les y rejoindre, mais de s'y trouver avant eux pour les recevoir. Ce qu'il fit en effet, comme nous le verrons bientôt, 28, 10-16 ; Cf. Joan. 21 ; 1 Cor. 15, 6.Matthieu chap. 26 verset 33. - Pierre, prenant la parole, lui dit : Quand même tous seraient scandalisés à ton sujet, moi je ne serai jamais scandalisé.
- Le chef du sacré Collège refuse de croire qu'il abandonnera lâchement son Maître. Emporté par l'indignation qu'excitait dans son cœur une telle prophétie, il s'écrie avec sa véhémence accoutumée : - Quand même tous... Les autres feront ce qu'ils voudront, il n'a pas à s'en préoccuper actuellement ; pour lui jamais, ni pendant cette nuit, cf. v. 31, ni en aucune autre circonstance. " Il a commis un double crime dans ces paroles si hardies; le premier de résister à la parole expresse de son maître; et le second de se préférer aux autres disciples : et j’en ajouterais même un troisième, par lequel il s’attribuait tout comme venant de lui-même et de ses seules forces ", dit S. Jean Chrysostôme, Hom. 82 in Matth. Mais il ajoute ensuite, et en toute vérité, que la faute du prince des Apôtres provenait de son grand amour.Matthieu chap. 26 verset 34. - Jésus lui dit : En vérité, je te le dis, cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois.
- Jésus répète d'un ton plus ferme et plus solennel sa précédente assertion, qu'il a soin pourtant de préciser davantage, pour en mieux montrer la parfaite certitude. En outre, il l'applique cette fois directement à son contradicteur. - Avant que le coq chante. Les Grecs nommaient " chant du coq " la troisième veille de la nuit, celle qui s'écoulait entre minuit et trois heures, parce que c'est alors que le coq fait entendre son chant matinal. Partant de là, divers auteurs ont pensé que Notre-Seigneur avait eu l'intention de désigner cette partie spéciale de la nuit, également connue des Latins sous le nom de " Gallicinium ", cf. Pline, Hist. Nat. 10, 21 ; amm. Marcell. 22. Mais il vaut mieux laisser laisser à sa parole la signification plus générale qu'admettait déjà la version syriaque : " Avant que la nuit se soit écoulée ", ou mieux encore, d'après S. Marc, 14, 30 : Avant que le coq ait cessé de chanter. - Tu me renieras trois fois. Le malheureux disciple, dans quelques heures, aura renié son Maître jusqu'à trois fois. Les autres abandonneront seulement Jésus ; mais lui, le chef du Collège apostolique, il ira jusqu'au reniement ! Cf. vv. 67-74 et parall.Matthieu chap. 26 verset 35. - Pierre lui dit : Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas.
- De même que Jésus avait maintenu sa triste prédiction, de même S. Pierre maintient sa première promesse, en la renforçant de son mieux. - Quand il me faudrait... Fidèle jusqu'au bout, jusqu'à la mort s'il le faut ! s'écria-t-il impétueusement. Tout en blâmant sa présomption qui le faisait trop compter sur lui-même, pas assez sur Dieu, les Pères ne peuvent s'empêcher d'admirer et de louer son courage, issu d'un amour généreux. - Je ne te renierai pas : la négation est doublée, pour représenter une impossibilité absolue. - De même … Les autres apôtres affirment tous avec la même vigueur qu'ils mourront plutôt que d'abandonner leur Maître. Jésus les laisse dire sans insister davantage, voyant bien qu'ils étaient en ce moment trop surexcités pour comprendre ses avis et pour en tenir compte.
36
Alors Jésus vint avec eux dans un domaine appelé Gethsémani ; et il dit à ses disciples : Asseyez-vous ici, pendant que j’irai là pour prier. 37Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et affligé. 38Alors il leur dit : Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici, et veillez avec moi. 39Et s’étant avancé un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; cependant, qu’il en soit non pas comme je veux, mais comme tu veux. 40Et il vint vers ses disciples, et les trouva endormis ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ? 41Veillez et priez, pour que vous ne tombiez pas dans la tentation. L’esprit est rapide, mais la chair est faible. 42Il s’en alla encore une seconde fois, et il pria, en disant : Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite. 43Il revint de nouveau, et il les trouva endormis car leurs yeux étaient appesantis. 44Et les quittant, il s’en alla encore, et il pria pour la troisième fois, en disant les mêmes paroles. 45Puis il vint à ses disciples, et leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous ; voici que l’heure approche, et le Fils de l’homme sera livré aux mains des pécheurs. 46Levez-vous, allons ; voici que celui qui doit me trahir approche.NUIT DU JEUDI AU VENDREDI
Matthieu chap. 26 verset 36. - Alors Jésus vint avec eux dans un domaine appelé Gethsémani ; et il dit à ses disciples : Asseyez-vous ici, pendant que j’irai là pour prier.
- C'est ici que commence la Passion proprement dite du Sauveur. Elle s'ouvre par une des scènes les plus douloureuses que Jésus ait eu à endurer avant sa mort. Seule, l'agonie de la croix peut être comparée à l'agonie de Gethsémani. Les tortures infligées par les hommes, quelque déchirantes qu'elles puissent être, sont cependant peu de chose à côté des souffrances morales qui sont directement imposées par Dieu ; or, c'est Dieu lui-même qui fit porter à l'âme du Sauveur, dans le jardin de Gethsémani, l'horrible poids de tous les péchés du monde. - Jésus vint avec eux dans un domaine. Ce domaine était situé au-delà du torrent de Cédron, cf. Joan. 18, 1, au pied du mont des Oliviers. Le pèlerin trouve précisément au N.E. de Jérusalem, non loin de la porte Saint Étienne et des remparts, de l'autre côté du Cédron, un emplacement à peu près carré, long de 160 pieds anglais, large de 150, qu'on lui dit ou plutôt qu'on lui prouve, d'après une tradition qui remonte au moins jusqu'à Constantin (cf. Euseb. Onomasticon, s. v. Gethsemani ; S. Jérôme, ibid. ; Sepp, Jerus. u. das. Land, 1864 t. 1, p. 564 et ss.), avoir été le théâtre de l'agonie de Jésus. Les Pères franciscains, aux soins desquels il est depuis longtemps confié, l'ont récemment entouré de grands murs ; ils y ont planté à profusion la fleur dite de la Passion, la rose, le romarin, et le " Graphalium sanguineum ", ou Goutte de sang, qu'une gracieuse légende fait naître de la sueur sanglante de Jésus. Mais le principal ornement de ce précieux enclos consiste dans huit oliviers énormes, aux troncs noueux, au rare feuillage, que des connaisseurs font remonter jusqu'à deux mille ans, cf. O. Strauss, Sinai u. Golgotha, 8ème édit. p. 224, et qui purent en effet échapper comme par miracle aux coupes nombreuses pratiquées dans les environs de Jérusalem par Pompée, par Titus, par Adrien et par les croisés. Cf. Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Paris 1837, t. 2, p. 181 ; Lamartine, Voyage en Orient, t. 1, p. 470 ; Mgr. Mislin, les Saints Lieux, 1re édit. t. 2, p. 4 et ss. ; Fouard, la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 25. - Appelé Gethsemani. L'étymologie la plus probable de ce nom est Gath Schemâné, " pressoir d'huile ". Le jardin aurait été ainsi appelé à cause du pressoir qui s'y trouvait pour écraser les olives au temps de la récolte. D'autres préfèrent Ghé Schemâné, " vallée d'huile ", c'est-à-dire vallée fertile, ou vallée produisant beaucoup d'huile ; mais alors, comment appliquer l'insertion du T ? Cf. Winer, bibl. Realwoerterbuch, s.v. - Il dit à ses disciples : il n'en restait que huit, Judas étant parti et trois autres apôtres S. Pierre, S. Jacques et S. Jean devant accompagner Jésus ; cf. v. 37. - Asseyez-vous, c'est-à-dire " restez ". - Pendant que j'irai là. " Ici, là " : Jésus désignait les deux endroits du geste. On a justement rapproché de ces paroles celles d'Abraham laissant ses serviteurs au pied du Moria qu'il allait gravir avec Isaac : " Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne ; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous ", Gen. 22, 5. Jésus ne va-t-il pas, dans sa prière d'agonie, s'étendre sur l'autel avec la foi d'Abraham et la résignation d'Isaac ? Cf. Stier, Reden des Herrn, in h.l.Matthieu chap. 26 verset 37. - Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et affligé.
- La présence de tous les disciples pendant le drame douloureux et solennel qui se préparait eût troublé le recueillement de Jésus : du reste, leurs dispositions actuelles n'étaient nullement conformes à la situation par laquelle il allait passer. Il prend donc seulement avec lui les trois apôtres les plus intimes, Pierre, le chef du sacré Collège, qui venait de manifester si chaudement son amour, les fils de Zébédée, qui avaient consenti à vider en compagnie de Jésus la coupe d'amertume ! Tous ensemble, ils s'enfoncent plus avant dans le jardin. Ceux qui avaient été témoins de la Transfiguration glorieuse du divin Maître allaient contempler de près son humiliation. - Il commença. C'est le prélude de la lutte terrible que Jésus va soutenir. - Triste et affligé. Ces deux mots expriment le sentiment de la douleur, mais d'une douleur parvenue à divers degrés d'intensité. Le premier correspond à l'opposé de se réjouir ; le second représente une tristesse excessive, de poignantes angoisses ; Suidas l'explique par " être extrêmement affligé, n'en pouvoir plus " ; Euthymius par " avoir l'âme lourde " ; Hésychius par " être en agonie ". S. Justin, Dial. cum Tryph. 125, dit que cette douleur avait paralysé l'âme de Jésus, de même qu'autrefois la main mystérieuse de l'ange avait fait pour la force de Jacob. Et ce n'est là que le commencement de l'agonie du Sauveur !Matthieu chap. 26 verset 38. - Alors il leur dit : Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici, et veillez avec moi.
- Jésus ne peut s'empêcher de faire aux amis qui l'accompagnent l'humble aveu de l'immense douleur qui pèse sur son cœur. - Mon âme est triste : dans le grec, " ayant de la tristesse tout autour de soi ". - A en mourir. Être triste jusqu'à la mort, c'est être en proie à un chagrin supérieur aux forces humaines et capable de faire mourir. D'autres, avant Notre-Seigneur Jésus-Christ, avaient usé de cette locution pour représenter la tristesse parvenue à son degré suprême ; Cf. Jon. 4, 9 ; Jud. 16, 16 ; Eccli. 37, 2 ; mais, si c'était pour eux une hyperbole, c'était pour Jésus une entière réalité. Un homme ordinaire eût infailliblement succombé sous un si lourd fardeau. " Ah ! Seigneur, s'écrie Bourdaloue, 1er Sermon sur la Passion, 1re partie, votre douleur est comme une vaste mer, dont on ne peut sonder le fond, ni mesurer l'immensité. Ce fut pour grossir et enfler cette mer que tous les péchés des hommes, ainsi que parle l'Écriture, entrèrent comme autant de fleuves dans l'âme du Fils de Dieu... Faut-il s'étonner si tout cela, suivant la métaphore du Saint-Esprit, ayant formé un déluge d'eaux dans cette âme bienheureuse, elle en demeure comme absorbée , " - Demeurez ici : synonyme de " asseyez vous ici " du v. 36, " restez ici ". - Et veillez avec moi. Même les plus intimes parmi les intimes ne devaient pas être les témoins immédiats de l'agonie du Sauveur : pour de tels combats et de telles souffrances on a besoin de solitude. La pensée que ses trois meilleurs Apôtres veillent à quelque distance sera une consolation pour le cœur de Jésus.Matthieu chap. 26 verset 39. - Et s’étant avancé un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; cependant, qu’il en soit non pas comme je veux, mais comme tu veux.
- S. Luc précise exactement la distance : " il s'éloigna d'eux à la distance d'environ un jet de pierre " , 22, 41. On montre dans le jardin de Gethsémani une sombre grotte dans laquelle Notre-Seigneur se serait retiré pour son agonie. Un peu plus loin est un rocher qui aurait servi de banc aux trois disciples et près de là l'emplacement sinistre de la trahison, que mentionnait déjà le pèlerin de Bordeaux en 333. - Il se prosterna ; il se prosterna tout de son long, prenant l'attitude de l'anéantissement, de la désolation, mais aussi de la parfaite soumission. - Priant. La prière est son meilleur remède en ce moment terrible. L’Esprit Saint a daigné conserver pour notre instruction et notre consolation perpétuelles la formule qui s'échappa du cœur et des lèvres de Jésus. Bien qu'elle soit rapportée avec quelques variantes par les synoptiques, elle est au fond la même dans leurs récits. On y remarque trois éléments principaux : un appel plein de confiance au Père éternel, une pressante supplication, la résignation la plus absolue. - Mon Père : Dieu demeure son Père, quoiqu'il l'accable de souffrances. Tout prosterné qu'il est dans la poussière, Jésus conserve le sentiment complet de sa dignité, de sa divine filiation. - S'il est possible. C'est à ce Père bien-aimé que Notre-Seigneur adresse sa requête ; mais, avant de la formuler, il témoigne déjà de sa parfaite soumission. S'il est possible ! En effet, ce n'était pas absolument impossible : Jésus ne subissait pas les coups d'un inexorable destin. Et pourtant, les décrets célestes relatifs à la Passion du Christ ne sont-ils pas arrêtés de toute éternité ? N'est-ce point parce qu'il les connaît que le Sauveur est si profondément troublé ? C'est pourquoi, " Il ne prie pas comme s’il doutait de la puissance et de la volonté de son Père, ou de ce qui arriverait. Il exprime avec véhémence le désir de sa volonté naturelle, mais de façon à ce qu’elle soit en tout soumise au bon plaisir du Père ", Luc de Bruges, in Matth. h.l. ; Cf. Corn. a Lap. C'est donc de sa nature humaine que s'échappe ce désir conditionnel. - S'éloigne de moi. Belle métaphore. Qu'il passe devant moi sans que je doive le boire. Par conséquent : Qu'il s'éloigne de moi ! - Ce Calice : C'est-à-dire l'amère douleur dont la coupe était parfois l'emblème chez les anciens ; cf. 20, 22 et le commentaire. Ce calice que Notre-Seigneur Jésus-Christ devait vider jusqu'à la lie, c'était d'abord la Passion et la mort avec toutes leurs horreurs. " L’âme veut naturellement être unie au corps, et cela habitait l’âme du Christ, car il a mangé, bu et a eu faim. La séparation [de son âme] allait donc contre le désir naturel. La séparation lui causait donc de la tristesse ", S. Thomas d'Aquin, [26, 38]. Mais telle n'était pas la cause unique, ni même la cause principale des angoisses du Christ : la supposition contraire serait une injure pour son âme capable de tous les héroïsmes. Aussi, le docteur angélique a-t-il soin d'ajouter, Summ. Theol. p. 3, q. 46, art. 6, ad. 4 : " Le Christ n'a pas seulement souffert de la perte de sa vie corporelle, mais aussi pour les péchés de tous les hommes ". Nos péchés, nous l'avons déjà indiqué d'après Bourdaloue, furent la vraie raison de son immense douleur. C'est leur poids accablant qui l'écrasait et lui faisait crier merci vers la divine justice. - Cependant. En tant que victime, le Sauveur tremblait et gémissait ; mais, en tant que prêtre, il se soumet sans réserve au bon plaisir de son Père. " Cette parole : " Que ce calice, s’il se peut, s’éloigne de moi ", montre l’humanité ; mais celle-ci : " Néanmoins, non ma volonté, mais la vôtre ", fait voir la résignation d’une âme forte et vertueuse et nous apprend à obéir à Dieu en dépit des répugnances de la nature ", S. Jean Chrys., Hom. 83 in Matth. La nature humaine du Christ peut bien trembler sous l'impression d'une vive souffrance, mais elle ne saurait être rebelle, résister réellement à la volonté céleste. Si, d'après une frappante comparaison, le cœur de l'homme ressemble à un vase plein d'eau, mais au fond duquel il y a de la boue, des immondices que la moindre agitation fait remonter à la surface : l'âme de Jésus, exempte de tout péché, ne renferme qu'une très pure liqueur. Il n'est pas de tentation, d'agitation qui puisse la troubler le moins du monde (Pensée de Rambach). - Non pas comme je veux, mais comme tu veux. Passage célèbre dans l'histoire du dogme. L'Église s'est justement appuyée sur lui pour foudroyer les hérésies des Monophysites et des Monothélites. Cf. Petavius, Théol. Dogm. t. 4, lib. 4, c. 6-9 ; Perrone, de Incarnat. N° 453. Il y a en Jésus Christ deux natures et deux volontés, la nature et la volonté humaine, la nature et la volonté divines. Le Sauveur lui-même marque cette double distinction. En tant qu'homme, il voudrait échapper aux souffrances atroces qu'il endure ; mais en tant qu'il est un avec Dieu le Père et avec l'Esprit Saint, il accepte généreusement la coupe d'amertume. Le " vouloir "humain étant en collision avec le " vouloir " de Dieu, l'issue de la lutte n'est pas douteuse. " Comme tu veux ", tel en est le glorieux résultat. Assurément, l'évangéliste ne nous raconte pas tout le conflit ; il se contente d'en exprimer clairement les deux phases, la phase de poignante agonie, et la phase de complète victoire. La prière de Jésus n'est que le résumé d'une longue oraison.Matthieu chap. 26 verset 40. - Et il vint vers ses disciples, et les trouva endormis ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ?
- Après avoir ainsi triomphé de ses terreurs, le Fils de l'homme revient auprès de ses trois disciples privilégiés. On dirait que son cœur déchiré désirait chercher quelque consolation dans l'amitié de ces Apôtres. Mais Dieu voulait que Jésus fût privé même d'une marque de sympathie humaine durant ces heures terribles. - Les trouva endormis. Sommeil bien surprenant de la part de tels disciples et après la recommandation si pressante de Jésus, cf. v. 38. Ils dorment tous les trois ; ils étaient prêts, il n'y a qu'un moment, à donner leur vie pour lui, et voici qu'ils ne peuvent pas même résister au sommeil pendant quelques instants pour lui tenir compagnie et pour compatir à sa douleur ! Mais, Jésus le savait mieux que personne, leur sommeil n'accusait pas en eux un manque de sympathie : c'est au contraire la tristesse, nous dit le physiologiste S. Luc, 22, 45, qui les avait ainsi engourdis. D'ailleurs, la nuit était déjà assez avancée, et la journée avait été très pénible, surtout pour deux d'entre eux, S. Pierre et S. Jean, qui s'étaient trouvés constamment sur pied pour faire les préparatifs de la cène. - Ainsi, vous n'avez pas pu. Cependant Jésus se plaint doucement à eux de leur abandon apparent. Il leur avait demandé bien peu, et ce peu ils avaient été incapables de le lui accorder. - Une heure. Ces mots, bien qu'il ne faille pas en presser la signification, déterminent le temps qu'avait duré la première partie de l'agonie du Sauveur.Matthieu chap. 26 verset 41. - Veillez et priez, pour que vous ne tombiez pas dans la tentation. L’esprit est rapide, mais la chair est faible.
- A son reproche amical, Jésus ajoute un avis bien précieux, qu'il n'adressait pas seulement aux trois Apôtres qui étaient alors auprès de lui, mais qu'il étendait par la pensée à ses disciples à venir. - Veillez et priez. Veiller, prier : ce sont les deux grands actes du chrétien, en tout temps et plus spécialement au moment du danger. La vigilance avertit de la présence de l'ennemi ; la prière aide à le vaincre. - Pour que vous ne tombiez pas... " Entrer dans la tentation " ou, pour rendre l'hébraïsme plus complet, " entrer dans la main de la tentation ", cf. Wittsius et Grotius in h. l ., est une expression pittoresque et énergique qui signifie : succomber complètement à la tentation, se laisser subjuguer par elle de manière à devenir son esclave. Pour Pierre, Jacques et Jean, le danger le plus immédiat était celui d'abandonner ou de renier le Messie : ce danger étant imminent, ainsi que Jésus le leur avait prédit, ils devaient veiller et prier pour s'y préparer ; mais voici qu'au contraire ils dormaient comme s'ils eussent été dans la plus parfaite sécurité ! - L'esprit est rapide. Par un aphorisme important, dont la vérité ne fut que trop bien démontrée pendant cette nuit douloureuse, le Sauveur motive l'avertissement qu'il vient de donner à ses disciples. Il connaît sans doute leur bonne volonté, mais il connaît aussi leur faiblesse, et c'est contre cette dernière qu'il veut les mettre en garde. - Rapide, ardent, généreux, plein d'entrain. Les Apôtres ont montré l'ardeur de leur esprit quand ils ont promis à leur Maître de mourir avec lui s'il le fallait. - Mais la chair est faible. Tandis que l'esprit immatériel a de nobles élans, de ferventes aspirations qui portent l'homme en haut, la chair mortelle et animale l'entraîne au contraire en bas, soit parce qu'elle est incapable de suivre l'esprit, soit parce qu'ayant ressenti plus que lui les atteintes du péché, elle est plus imbue de corruption et de malice. Entre ces deux parties qui composent la nature humaine, il existe un triste contraste, souvent décrit par l'apôtre S. Paul, et dont Jésus expérimentait alors personnellement les effets. Mais en lui la chair fut domptée par l'esprit ; tandis qu'en ses disciples l'esprit est souvent défait et outragé par la chair.Matthieu chap. 26 verset 42. - Il s’en alla encore une seconde fois, et il pria, en disant : Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite.
- Encore une seconde fois. Pléonasme qui n'était pas rare chez les Hébreux. - Il s'en alla. Les consolations terrestres même les plus légitimes lui faisant défaut, Jésus retourne auprès de son Père : là seulement il pourra trouver le réconfort dont il a besoin. - Mon Père... Sa nouvelle prière diffère à peine de celle que nous avons entendue plus haut. Elle se compose tout à fait des mêmes éléments. Néanmoins il la modifie légèrement, pour insister davantage sur la soumission la plus complète. La demande directe a même disparu : elle n'apparaît plus que voilée sous l'expression d'un entier assentiment aux volontés divines. - Si ce calice ne peut... Dieu veut qu'il boive la coupe amère jusqu'à la lie : la continuation de ses angoisses intérieures en est pour lui un indice manifeste. Il se prépare donc à une obéissance absolue. - Que ta volonté soit faite. " Ce ne sont pas les paroles de quelqu’un qui ne fait qu’accepter ce qu’il ne peut pas éviter, mais qui acquiesce de toute son âme ", Rosenmüller, Scholia in Matth., h.l.Matthieu chap. 26 verset 43. - Il revint de nouveau, et il les trouva endormis car leurs yeux étaient appesantis.
- Après s'être livré pendant quelque temps à ces sentiments de résignation, et après avoir forcé la nature à subir les lois de l'esprit, Jésus s'approche pour la seconde fois de ses disciples ; mais de nouveau il les trouve endormis. L'Évangéliste semble vouloir excuser leur sommeil en disant que leurs yeux étaient appesantis. A qui n'est-il pas arrivé d'avoir les paupières alourdies par la fatigue ou par l'ennui ? On a de la peine alors à les tenir ouvertes ; elles se ferment comme si elles étaient de plomb.Matthieu chap. 26 verset 44. - Et les quittant, il s’en alla encore, et il pria pour la troisième fois, en disant les mêmes paroles.
- Il ne les réveille pas ; mais, renonçant aux témoignages d'affection par lesquels il espérait soulager un peu sa douleur, il gagne pour la troisième fois sa profonde retraite du jardin. - Il pria pour la troisième fois. Tant que dure la lutte intérieure, il prie. C'est ce que S. Luc exprime admirablement : " Étant en agonie, il priait plus instamment ... ", 22, 44. Voir dans le récit de ce même évangéliste les détails relatifs à l'apparition de l'ange et à la sueur de sang du Sauveur. - En disant les mêmes paroles. Jésus répète la seconde formule, v. 42, qui exprimait, son cœur le lui disait, le sentiment le plus conforme aux circonstances et aux divins décrets. De nouveau il acquiesce donc à tout sans hésiter. Après ce troisième assaut, sa victoire est complète : les souffrances pourront tomber sur lui sous les formes les plus cruelles et les plus variées, il les subira avec un courage invincible. Relevons en passant la leçon morale qui se dégage pour nous de cette admirable scène. " Jésus-Christ nous apprend, par son exemple, dans l'agonie de l'âme et du corps, à prier ; il prendra pitié de nous, quand même la défaillance ne nous laisserait que la force de répéter les mêmes paroles ". Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 30.Matthieu chap. 26 verset 45. - Puis il vint à ses disciples, et leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous ; voici que l’heure approche, et le Fils de l’homme sera livré aux mains des pécheurs.
- Puis il vint... " Lorsque Notre-Seigneur revient vers ses disciples, et qu'il les trouve endormis, la première fois, il leur en fait un reproche ; la seconde fois, il se tait ; la troisième fois, il leur ordonne de se reposer " , dit S. Hilaire notant la différence des visites que Jésus fit aux apôtres après chacune de ses prières. Tous les interprètes ne sont cependant pas de son avis sur le sens des mots dormez maintenant. Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Meyer et d'autres croient qu'ils expriment une piquante ironie : " Voici qu'on va m'arrêter ; dormez si vous en avez le courage ! " Mais l'ironie nous paraît peu naturelle, peu digne de Jésus en un pareil moment. Rien n'indique qu'il se soit départi à cet instant de l'esprit de douceur qui avait animé tous ses actes et toutes ses paroles pendant cette soirée mémorable. Nous préférons donc, avec la plupart des commentateurs, prendre la phrase dans sa signification obvie : " Dormez maintenant et prenez du repos! ", dit fort bien S. Augustin, de Cons. Evang. Livre 3, chap. 4. Désormais, il est assez fort pour se passer de tout secours humain : il permet donc aimablement à ses amis de se reposer jusqu'à l'arrivée du traître. - Reposez-vous ; cette expression marque un repos complet et favorise l'opinion que nous venons d'adopter. Le divin Maître n'a pu l'employer que pour accorder réellement aux trois disciples toute liberté de chercher dans un sommeil réparateur quelque trêve à leurs fatigues et à leurs inquiétudes. - Voici que l'heure approche... C'est comme s'il disait : Profitez de ce répit bien court qui vous est laissé. Avec quel calme l'âme de Jésus, rassérénée par la prière et par l'abandon le plus parfait au plan divin, envisage les affreuses souffrances qui l'attendent !Matthieu chap. 26 verset 46. - Levez-vous, allons ; voici que celui qui doit me trahir approche.
- Levez-vous. Il s'écoula un temps plus ou moins considérable entre ces paroles et celles du verset précédent. Sous la garde leur Maître, les apôtres s'endormirent. Puis, Jésus les éveilla au moment de l'arrivée du traître et de ses sicaires. - Allons. Il veut aller au-devant de ses bourreaux. " Il se dirige vers ses persécuteurs, et se présente de lui-même à la mort : " Levez-vous, allons ", c'est-à-dire, afin qu'ils ne vous trouvent pas en proie aux appréhensions et à la crainte, marchons de nous-mêmes à la mort, et qu'ils soient témoins de l'assurance et de la joie de celui qu'ils vont faire souffrir ", S. Jérôme in h.l. Tant son triomphe a été complet !
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Comme il parlait encore, voici que Judas, l’un des douze, arriva, et avec lui une foule nombreuse, armée d’épées et de bâtons, envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. 48Or, celui qui le trahissait leur avait donné un signe, en disant : Celui que j’embrasserai, c’est lui ; saisissez-le. 49Et aussitôt, s’approchant de Jésus, il dit : Je te salue, Maître. Et il l’embrassa. 50Jésus lui dit : Mon ami, pourquoi es-tu venu ? Alors ils s’avancèrent, mirent les mains sur Jésus et le saisirent. 51Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant la main, tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui coupa l’oreille.52Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. 53Penses-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m’enverrait à l’instant plus de douze légions d’anges ? 54Comment donc s’accompliront les Écritures, qui annoncent qu’il en doit être ainsi ? 55En même temps, Jésus dit à la foule : Vous êtes venus comme après un voleur, armés d’épées et de bâtons, pour vous emparer de moi ; tous les jours j’étais assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté. 56Mais tout cela s’est fait afin que ce que les prophètes ont écrit fût accompli. Alors tous les disciples, l’abandonnant, s’enfuirent.Matthieu chap. 26 verset 47. - Comme il parlait encore, voici que Judas, l’un des douze, arriva, et avec lui une foule nombreuse, armée d’épées et de bâtons, envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple.
- Jésus achevait à peine d'annoncer l'arrivée de Judas, que celui-ci se présentait à l'entrée du jardin. - Un des douze. S. Matthieu avait déjà noté plus haut, v. 14, cette circonstance qui ajoute tant de noirceur au crime du traître ; il la signale une seconde fois, de concert avec les autres évangélistes, pour mieux flétrir le misérable qui avait abusé de tant de grâces. - Arriva... Judas se rend exactement à Gethsémani, parce qu'il savait, d'après S. Jean, 18, 2, que c'était la retraite favorite du Sauveur. Il avait supposé que son Maître y était venu aussitôt après la cène. Pour lui, il était sorti du cénacle avant les autres, cf. Joan. 13, 30 ; afin d'aller avertir les princes des prêtres et leur demander la troupe avec laquelle il se présentait actuellement. - Une foule nombreuse. Dans cette bande sinistre on remarquait un certain nombre de valets du Sanhédrin, une cohorte romaine, Cf. Joan. 18, 3, et même plusieurs d'entre les Sanhédristes qui avaient voulu assister à l'arrestation de leur ennemi. Cf. Luc. 22, 52. Chemin faisant, elle s'était sans doute grossie en recrutant quelques fanatiques et quelques curieux. - Armée d'épées. Le mot employé dans le texte grec indique l'épée courte, à un seul tranchant, qui était alors d'un fréquent usage. C'étaient vraisemblablement les soldats qui en étaient munis. Quant aux bâtons, ils devaient armer les fanatiques qui s'étaient associés aux sicaires envoyés par le Grand Conseil. On avait fait un grand déploiement de forces pour arrêter Notre-Seigneur, car on voulait à tout prix s'emparer de sa personne et l'on craignait quelque résistance de la part de ses amis. - Le participe envoyée manque dans le texte grec, comme dans la rédaction de S. Marc.Matthieu chap. 26 verset 48. - Or, celui qui le trahissait leur avait donné un signe, en disant : Celui que j’embrasserai, c’est lui ; saisissez-le.
- Un signe. Le traître pense à tout. Jésus ne sera pas seul dans le jardin ; du reste, c'est la nuit, bien que la lune ait pu luire alors dans son plein ; enfin la plupart de ceux qui forment l'escorte de Judas ne connaissaient peut-être pas personnellement Notre-Seigneur. Il fallait par conséquent un signe pour qu'on le distinguât sans peine au milieu de son entourage. - Celui que j'embrasserai. En Orient, le baiser a toujours été un des modes de salutation les plus fréquents. Chez les Juifs en particulier les disciples avaient coutume de saluer leur Maître en le baisant. Le signe de Judas est donc choisi aussi bien que possible pour sauvegarder les apparences et dissimuler sa trahison aux yeux des autres apôtres. C'est ce qui fait dire à S. Jérôme : " Il a à ce point honte devant les disciples, qu'il ne livre pas ouvertement le Seigneur à ses persécuteurs, mais par le signe du baiser ". Mais d'un autre côté, quelle noirceur n'y a-t-il pas à transformer le signe de l'amitié, de la tendresse, en celui de la trahison la plus perfide ? - C'est lui : lui, par antonomase. Celui que nous cherchons. - Saisissez-le. S. Marc ajoute " et emmenez-le sous bonne garde ". Le traître craignait que Jésus, dont il connaissait la puissance miraculeuse, n'en fît usage pour s'échapper des mains de ses geôliers.Matthieu chap. 26 verset 49. - Et aussitôt, s’approchant de Jésus, il dit : Je te salue, Maître. Et il l’embrassa.
- Après s'être ainsi entendu avec les gens de son escorte, Judas s'approche de Jésus avec tous les dehors de l'affection et du respect. - Je te salue, Maître ! C'est l'expression hypocrite de son prétendu respect. - Il l'embrassa. C'est l'expression non moins hypocrite de son affection. Affreux baiser, dont celui de Joab, cf. 2 Reg. 20, 9 et ss., avait été le type ; c'est à cause de l'horreur légitime qu'il inspire que l'Église a supprimé le baiser de paix dans la liturgie du Jeudi saint. On dirait, d'après le texte grec, que le traître affecta de le prolonger, ou même de le répéter à différentes reprises, pour mieux cacher son jeu. Et Jésus se laissa faire ! Il ne retira point son visage divin pour se soustraire à cette infâme caresse.Matthieu chap. 26 verset 50. - Jésus lui dit : Mon ami, pourquoi es-tu venu ? Alors ils s’avancèrent, mirent les mains sur Jésus et le saisirent.
- Du moins il voulut montrer au traître qu'il n'était pas induit en erreur par cette marque extérieure d'amitié. - Mon ami. Quelques auteurs attribuent encore à cette expression une signification ironique. Ce serait, suivant eux, un synonyme de " homme très mauvais ". Nous préférons la regarder comme une parole de bonté adressée au traître pour le toucher. Au reste, il est à remarquer que Notre-Seigneur, d'après le texte grec, ne donna pas à Judas le doux nom d'ami, mais fit usage du titre que les Docteurs employaient à l'égard de leurs disciples en des moments de condescendance et de familiarité. Cf. Schleussner, Lexic. ad N.T. s.v.h. ; Bretschneider, Lexic. Man., ibid. - Pourquoi es-tu venu. Exclamation de douloureuse surprise, et en même temps reproche justement sévère sous une forme pleine de délicatesse. Il y a dans ces mots un appel foudroyant à la conscience et au cœur de Judas. Le Sauveur ajouta, d'après le récit de S. Luc : " Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme! ". - Alors ils s'avancèrent : non pas seulement d'une manière immédiate ; auparavant eut lieu la scène racontée par S. Jean, 18, 4-8. - Mirent les mains... S. Jean Chrysostôme ne peut s'empêcher de dire en citant ce trait : " Cependant ils n'auraient rien pu faire, si lui-même ne l'avait permis ! " Hom. 83 in Matth. " Que n'étais-je là avec mes Francs ! " s'écriait un héros bien connu en entendant le récit de la Passion.Matthieu chap. 26 verset 51. - Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant la main, tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui coupa l’oreille.
- Il y eut cependant quelqu'un pour prendre la défense de Jésus au moment de son arrestation. Ce fut S. Pierre, dissimulé il est vrai sous la vague expression un de S. Matthieu, mais clairement désigné par le quatrième Évangéliste, Cf. Joan. 18, 10. Pourquoi S. Matthieu ne l'a-t-il pas nommé ? De crainte, a-t-on répondu souvent, d'attirer sur lui les vengeances des Juifs, puisqu'il vivait encore au moment où paraissait le premier Évangile. Ce motif n'est pas sans valeur quoiqu'il soit rejeté par la plupart des exégètes modernes. - Étendant la main : détail pittoresque. - Son épée. Voir dans S. Luc, 22, 38 et ss., la méprise singulière des disciples, par suite de laquelle S. Pierre s'était muni de ce glaive qui faillit compromettre gravement toute la troupe apostolique. - Frappa le serviteur... Le serviteur du grand-prêtre blessé par S. Pierre s'appelait Malchus. Cf. Joan. 18, 10. - Lui coupa l'oreille. Emporté par son ardeur inconsidérée, et se souvenant de ses récentes promesses, Simon-Pierre voulait fendre le crâne de l'un des sbires qui accompagnaient Judas ; mais sa précipitation lui fit manquer son coup et il n'atteignit que l'oreille droite de Malchus, Cf. Joan. l.c.Matthieu chap. 26 verset 52. - Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée.
- Pierre avait de nouveau brandi son glaive et se disposait à frapper un autre adversaire, quand Jésus l'arrêta par une ordre formel accompagné d'une grave réflexion. - Remets... C'est l'ordre : Pierre doit sur-le-champ remettre le glaive au fourreau. A sa place, c'est-à-dire dans le fourreau, comme dit S. Jean. - Car tous ceux... C'est la réflexion qui motive l'ordre. Elle consiste en un axiome dont la signification générale est que la violence ne sert de rien, mais qu'elle retombe sur son auteur ; ou que le zèle aveugle est ordinairement nuisible. - Qui prendront l'épée. Il est évident qu'il ne s'agit point ici du " droit du glaive " que possèdent les sociétés, et qui leur est nécessaire pour se défendre : le proverbe s'adresse seulement aux particuliers qui, sans une nécessité réelle, tireraient le glaive arbitrairement : ces imprudents sont bien avertis qu'il existe une sorte de talion dont ils seront tôt ou tard les victimes. - Jésus ne dit pas autre chose à S. Pierre : c'est donc très arbitrairement que plusieurs exégètes, entre autres Euthymius et Grotius, voient dans ces paroles une prédiction de la ruine future des Juifs et des Romains. On peut en rapprocher à plus juste titre le proverbe célèbre " Ecclesia non sitit sanguinem ", l'Église n'est pas assoiffée de sang.Matthieu chap. 26 verset 53. - Penses-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m’enverrait à l’instant plus de douze légions d’anges ?
- Jésus signale à l'Apôtre trop ardent un second motif pour lequel il aurait dû se tenir sur la réserve. - Penses-tu. L'Apôtre semblait prouver par sa conduite qu'il ignorait la puissance de son Maître : celui-ci lui rappelle l'influence personnelle dont il jouit auprès de Dieu. Il lui suffirait d'adresser une simple prière à son Père céleste pour en obtenir un prompt et puissant secours, qui réduirait à néant les efforts de ses ennemis. Il peut donc se passer de toute intervention humaine. - Qui m'enverrait ; il me fournira, il placera à mes côtés. - A l'instant, sur l'heure. - Douze légions d'anges. La légion, ainsi nommée parce qu'on choisissait primitivement parmi les citoyens romains les hommes qui la composaient, n'eut pas toujours le même nombre de soldats. Néanmoins, depuis l'époque de Marius, elle en comprenait habituellement six mille, sans compter un corps d'auxiliaires assez considérable et une aile de cavalerie forte de trois cents hommes. Cf. A. Rich. Dictionn. des antiquités rom. et grecq. au mot " Legio ". A prendre ce chiffre rond de 6000 hommes, l'armée angélique formée de douze légions -autant de légions que Jésus avait d'Apôtres- aurait compris 72000 combattants. On comprend qu'avec une telle troupe le Sauveur eût pu défier tous ses adversaires. Mais il se gardera bien d'adresser à Dieu une prière qui lui procurerait cette armée : n'a-t-il pas accepté le rôle de Rédempteur ? Il saura le remplir jusqu'au bout.Matthieu chap. 26 verset 54 . - Comment donc s’accompliront les Écritures, qui annoncent qu’il en doit être ainsi ?
- Comment donc... En effet, dans le cas où son Père lui enverrait douze légions d'anges pour l'arracher à ses bourreaux, comment s'accompliraient les Écritures, où il est prédit si clairement que le Christ doit souffrir et mourir pour le salut du monde ? Cf. Is. 53 ; Dan. 9, 26 ; etc. Jésus ne saurait donner un démenti aux divins oracles. - Ainsi... Il y a ici un hébraïsme évident, en même temps qu'une ellipse. " Il nous faut comprendre, dit très bien Maldonat (Comm. in h.l) comment se réaliseront les Écritures qui disent : parce qu’il faut qu’il en soit ainsi. Ce parce que des Hébreux joue habituellement le rôle d’un infinitif : qui disent qu’il en sera ainsi ". " Ainsi ", c'est-à-dire, comme cela a lieu en réalité. - Sur il doit en être ainsi, voir 16, 21 et l'explication.Matthieu chap. 26 verset 55. - En même temps, Jésus dit à la foule : Vous êtes venus comme après un voleur, armés d’épées et de bâtons, pour vous emparer de moi ; tous les jours j’étais assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté.
- Bien qu'il se livre à ses ennemis, Jésus leur reproche cependant avec une majestueuse autorité la honte et la lâcheté de leur conduite à son égard. Il les fait trembler sous son regard et sous ses reproches sévères. - Comme après un voleur... Leur grand nombre, leurs armes, ce lieu solitaire, cette heure nocturne, tout ne semblerait-il pas indiquer qu'ils sont à la recherche d'un brigand dangereux ? Et pourtant le Sauveur n'avait jamais cherché à se mettre à l'abri de leurs poursuites, ainsi qu'il le dit en opposant sa manière d'agir si franche et si ouverte à leurs perfides manœuvres. - Tous les jours : tous les jours, lorsqu'il était à Jérusalem pendant le temps des fêtes, et spécialement durant cette dernière semaine, il avait passé de longues heures sous les portiques du temple, chez ses adversaires par conséquent, puisque beaucoup d'entre eux appartenaient au parti sacerdotal ; et là, dans l'endroit le plus public de la capitale juive, à quoi s'occupait-il ? A enseigner pacifiquement des foules pacifiques. Il eût donc été facile aux sergents du sanhédrin de l'arrêter, puisqu'il se trouvait alors sans défense. Pourquoi ne l'ont-ils point fait ? " Mais c'est ici votre heure, et la puissance des ténèbres " ajoute ironiquement le Sauveur d'après S. Luc, 22, 53.Matthieu chap. 26 verset 56. - Mais tout cela s’est fait afin que ce que les prophètes ont écrit fût accompli. Alors tous les disciples, l’abandonnant, s’enfuirent.
- Mais tout cela... : c'est-à-dire la manière dont vous me traitez. Plusieurs auteurs regardent ces paroles comme une réflexion de l'évangéliste (Erasme, Bengel, Jansénius, Schegg, etc.). L'opinion commune les attribue très-justement à Jésus. Il n'y a pas de raison de les lui enlever. Le divin Maître répète donc à ses bourreaux la pensée qu'il venait d'exprimer à S. Pierre, v. 54, et qu'il avait redite jusqu'à quatre fois dans cette mémorable soirée, cf. vv. 24 et 31, tant elle occupait son esprit. " Il s'attache fortement à l'Écriture, soit qu'il parle aux Juifs exaspérés, soit qu'il s'adresse à ses dociles apôtres. Il confond ceux-là dans leur folie par des preuves tirées de l'Écriture, il fortifie ceux-ci dans leur découragement par les promesses consolantes des Saints Livres. Il en appelle aux Écritures dans ses véhémentes discussions avec les hommes ; il en appelle aux Écritures quand il consent à mourir pour eux. A Satan, il répond par Il est écrit, et il demande à son Père que l'Écriture soit accomplie ". Stier, Reden des Herrn, in h.l. - Les disciples s'enfuirent. Ainsi se réalisa la récente prédiction du Sauveur, v. 31. Voyant que leur Maître rejetait toute idée de résistance humaine et qu'il refusait en même temps de recourir aux secours d'en haut, ils craignent pour leur propre liberté, peut-être pour leur propre vie, et ils mettent l'une et l'autre en sûreté par une prompte fuite. Le Pasteur était frappé, les timides brebis se dispersaient. Mais quoique prévu et annoncé, ce coup dut être bien sensible au cœur de Jésus.
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Mais ceux qui avaient arrêté Jésus le conduisirent chez Caïphe, le grand prêtre, où les scribes et les anciens s’étaient rassemblés. 58Or, Pierre le suivait de loin, jusqu’à la cour du grand prêtre ; et étant entré, il s’assit avec les serviteurs, pour voir la fin. 59Cependant les princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir 60et ils n’en trouvèrent pas, quoique beaucoup de faux témoins se fussent présentés. Enfin il vint deux faux témoins, 61qui dirent : Celui-ci a dit : Je peux détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. 62Alors le grand prêtre, se levant, lui dit : Tu ne réponds rien à ce que ces hommes déposent contre toi ? 63Mais Jésus se taisait et le grand prêtre lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. 64Jésus lui répondit : tu l’as dit. Car je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel. 65Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : Il a blasphémé, qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici que vous venez d’entendre le blasphème. 66Qu’en pensez-vous ? Ils répondirent : Il mérite la mort. 67Alors ils lui crachèrent au visage et ils le frappèrent à coups de poing ; d’autres lui donnèrent des gifles, 68en disant : Prophétise-nous, Christ, qui est-ce qui t’a frappé ?Matthieu chap. 26 verset 57. - Mais ceux qui avaient arrêté Jésus le conduisirent chez Caïphe, le grand prêtre, où les scribes et les anciens s’étaient rassemblés.
- Cependant, la troupe qui avait arrêté Notre-Seigneur se mit en marche pour le conduire devant ses Juges, si l'on peut donner ce nom à des hommes qui longtemps auparavant avaient décrété sa mort. S. Matthieu et les deux autres synoptiques ne disent rien d'une première audience, tout à fait privée, il est vrai, qui eut lieu chez Anne, ainsi que le raconte S. Jean, 18, 12-14, 24, et ils passent immédiatement à l'interrogatoire officiel auquel le Sanhédrin assistait au grand complet. - Les scribes et les anciens s'étaient rassemblés: la chambre sacerdotale est mentionnée un peu plus bas, v. 59. Ils sont à leur poste attendant leur victime que le traître est allé chercher à Gethsémani, accompagné, nous l'avons vu, de quelques-uns d'entre eux. Cette fois encore, cf. v. 3, c'est dans le palais de Caïphe que se tient l'Assemblée, et non dans le local ordinaire du Gazzith. Et pourtant, il était enjoint sous peine de nullité " ipso facto " que les arrêts de mort fussent prononcés dans cette salle. Le Talmud et ses commentateurs le disent expressément : " Lorsqu'on quitte le Gazzith, on ne peut porter contre qui que ce soit une sentence de mort ", Abod. Zar. c. 1, f. 8, 1. " Il ne pouvait y avoir de sentence capitale qu'autant que le Sanhédrin siégeait en son lieu ", Maimonid. tr. Sanh. c. 14. Pourquoi donc cette anomalie dans la circonstance présente ? Les interprètes l'expliquent différemment. Plusieurs l'ont regardée comme l'une de ces injustices criantes qui abondent dans le procès de Jésus. D'autres disent que la séance de nuit ne fut pas précisément officielle, et que la sentence ne fut proclamée d'une manière valable et définitive que le lendemain matin, dans la réunion mentionnée par S. Luc, 22, 66 ; alors on se serait assemblé dans le Gazzith (" in concilium suum "). Il est plus probable qu'il faut rattacher ce fait à la privation du " droit du glaive " infligée au Sanhédrin par les Romains. Le Talmud est formel là-dessus. Quatre années environ avant la mort de Jésus, racontent les Rabbins, Rome ayant enlevé aux Sanhédristes le droit d'exécuter les sentences capitales, ils cessèrent de tenir leurs séances dans la salle des Pierres taillées et vinrent siéger dans la ville. Cf. Sanhédr. f. 24, 2 ; Avod. Zar. f. 8, 2. C'est donc pour cela qu'on se serait réuni chez le Grand-Prêtre.Matthieu chap. 26 verset 58. - Or, Pierre le suivait de loin, jusqu’à la cour du grand prêtre ; et étant entré, il s’assit avec les serviteurs, pour voir la fin.
- Ce verset forme une parenthèse au milieu du récit ; mais les détails qu'il contient ont pour but de préparer la triste scène du reniement de S. Pierre, qui sera racontée plus loin, vv. 69-75. Le prince des Apôtres avait d'abord pris honteusement la fuite avec ses collègues : bientôt cependant, confus de sa faiblesse, il s'était enhardi et il avait suivi, quoique de loin, la bande qui emmenait Jésus captif. C'était du moins une marque de fidélité qu'il fut seul avec S. Jean à donner au Sauveur. - Jusqu'à la cour... Quand le cortège fut parvenu à l'entrée de la cour intérieure que nous avons mentionnée en expliquant le v. 3, Pierre fut obligé de s'arrêter ; mais le disciple bien-aimé, qui survint alors, l'introduisit dans l'atrium à ciel ouvert sur lequel s'ouvraient les principaux appartements du palais. Cf. Joan. 18, 15-18. C'était un coup hardi, digne de ces deux Apôtres dévoués entre tous à Jésus. - Il s'assit avec les serviteurs. Les valets du Sanhédrin et les serviteurs du grand-prêtre, désignés sous le nom de " ministres ", après avoir conduit leur prisonnier à la salle d'audience dans laquelle quelques-uns d'entre eux seulement étaient restés, s'étaient retirés dans la cour. S. Jean, 18, 18, les montre assis autour d'un brasier qu'ils avaient allumé à cause du froid. Pierre prit place à côté d'eux. - Pour voir la fin. Son intention était de voir l'issue de l'interrogatoire. Non qu'il lui fût possible d'entrer dans la salle où se trouvait l'assemblée ; mais, à une distance si rapprochée, il ne tarderait pas à connaître le sort réservé à son Maître. Hélas ! De tristes événements l'attendent lui-même dans le milieu si dangereux où il s'est imprudemment jeté !Matthieu chap. 26 verset 59. - Cependant les princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir.
- Plus favorisés que S. Pierre, nous pouvons, grâce au récit évangélique et aux données de l'archéologie, pénétrer jusque dans la salle d'audience, et voir de près la conduite inique des Sanhédristes, qui jouent en même temps, contrairement à toutes les lois humaines, le double rôle de Juges et d'accusateurs. - Les conseillers sont assis en demi-cercle sur des coussins. Au centre de l'hémicycle, sur des estrades élevées, se tiennent le Nasi ou président, c'est-à-dire Caïphe dans la circonstance présente, et le vice-président, qui était peut-être Anne, ancien grand-prêtre. Ils ont auprès d'eux les Sages, conseillers ordinaires du Sanhédrin. A chacune des extrémités de l'hémicycle est placé un secrétaire : celui de droite a pour mission de recueillir tout ce qui est à la décharge du divin accusé, celui de gauche notera tout ce qui lui sera défavorable. La tâche du premier sera facile : Au milieu de la salle nous apercevons le Sauveur, entouré de sergents d'armes qui veillent sur lui. Voir. Selden, de Synedr., p. 663 et ss. ; Lémann, Valeur de l'assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus-Christ, p. 6 et ss. - Ils cherchaient un faux témoignage... Parole bien significative ! Les Sanhédristes ont décidé en principe la mort de leur ennemi, comme l'expriment les derniers mots du verset. - Pour le faire mourir. Voilà leur but : ils veulent à tout prix, dit S. Jean Chrysostôme, assouvir leur rage sanguinaire. Et pourtant il leur faut au moins un simulacre de justice, et, par conséquent, une apparence d'accusation sérieuse. Mais quelle accusation sérieuse formuleront-ils contre Jésus ? N'a-t-il pas réfuté, en les couvrant eux-mêmes de confusion, toutes leurs attaques précédentes ? Ils le savent ; aussi ont-ils pris leurs mesures en conséquence. De faux témoins, subornés par eux, sont là dans la salle d'audience, prêts à faire tomber sur Jésus les charges les plus mensongères. La qualification de " faux " attribuée dans le récit évangélique aux témoignages que cherchaient les Juges n'est pas seulement vraie, comme le pensait Euthymius, au point de vue du narrateur ; elle est exacte sous tous rapports. Les Sanhédristes savaient d'avance que ces témoignages étaient faux, et néanmoins ils étaient déterminés à régler sur eux leur jugement. Mais leur attente perfide fut frustrée par la Providence : il ne devait pas être dit que Jésus serait condamné même pour une apparence de forfait. Tout son crime sera d'affirmer et de prouver qu'il est le Messie.Matthieu chap. 26 verset 60. - Et ils n’en trouvèrent pas, quoique beaucoup de faux témoins se fussent présentés. Enfin il vint deux faux témoins.
- La conduite du Sauveur toujours si sainte, et en même temps si pleine de sagesse, n'offrait pas de prise même aux faux témoignages. Aucune des accusations dirigées contre lui n'avait un air de vérité, de légalité suffisant pour que ses Juges, quoique dépourvus de conscience et de pitié, osassent s'en servir pour le condamner. Et cependant, l'évangéliste l'affirme expressément, les faux témoins ne manquaient pas ! Mais, ajoute S. Marc, 14, 56, " les témoignages ne s'accordaient pas ". Or, d'après la loi, cf. Num. 35, 30 ; Deut. 14, 15 ; 17, 6, " un témoignage était de nulle valeur si ceux qui le portaient n'étaient pas d'accord sur tous les points du même fait ", Sanhedr. 5, 2. Cf. Lémann, Valeur de l'Assemblée, etc. p. 78. - Enfin il vint ; en dernier lieu, après une longue série de témoignages entachés de nullité, on entend une déposition qui fournira peut-être au Sanhédrin le prétexte tant désiré. - Deux faux témoins. Deux témoins, faux à la vérité, mais c'est juste le nombre requis : peu importe le reste : La sentence pourra être enfin prononcée.Matthieu chap. 26 verset 61. - Qui dirent : Celui-ci a dit : Je peux détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours.
- Celui-ci a dit. La parole qui servait de base à cette fausse accusation remonte aux premiers jours de la Vie publique du Sauveur. Grâce à S. Jean qui nous l'a conservée, 2, 19, nous pouvons contrôler l'assertion mensongère des deux accusateurs. Jésus avait dit : " Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ", langage qui n'avait rien d'irrespectueux pour le temple, soit qu'on le considérât en lui-même, soit qu'on l'envisageât au point de vue du sens voulu par Notre-Seigneur. En lui-même, il était purement hypothétique et signifiait : supposez que ce temple soit détruit, je le rebâtirai. Au point de vue de sa signification réelle, il ne contenait aucune allusion au temple proprement dit, car il désignait le corps de Jésus, que ce divin Maître se chargeait de ressusciter quand les Juifs l'auraient fait mourir. Mais, défiguré par la sottise ou par la malice des faux témoins, il devenait immédiatement sacrilège, puisqu'il contenait une menace contre l'objet le plus sacré du Judaïsme. " Ce témoignage visait à les convaincre de son impiété, puisqu'il proposait de détruire le temple très saint, et de sa présomption ou de ses facultés magiques, puisqu'il proposait de le rebâtir ", Jansen. in h. l.Matthieu chap. 26 verset 62. - Alors le grand prêtre, se levant, lui dit : Tu ne réponds rien à ce que ces hommes déposent contre toi ?
- Caïphe, en entendant cette accusation, se leva comme s'il eût été en proie à l'indignation la plus vive, et comme s'il eût voulu, par une attitude pleine de respect, protester contre l'outrage fait au culte de Jéhovah. Mais ce geste théâtral et les paroles qui le suivirent n'avaient-ils pas plutôt pour but de masquer une nouvelle défaite, et de faire oublier à l'assistance que ce témoignage était frappé de nullité aussi bien que les autres ? En effet, nous lisons dans S. Marc, 14, 59, que les deux derniers témoins eux-mêmes ne pouvaient tomber d'accord. Le grand-prêtre presse donc l'accusé de fournir des explications pour se justifier, s'il le peut. - Tu ne réponds rien... Niez-vous l'accusation ? Ou bien, avez-vous réellement proféré ces paroles ? Et alors, ne voulez-vous pas nous indiquer le sens que vous leur attribuiez ? Ce mode d'interrogation est brutal : de la part du président d'un tribunal, il constitue une véritable indignité, en même temps qu'une injustice criante. - A ce que ces hommes... La ponctuation du texte grec produit un sens qui diffère légèrement de celui de la Vulgate. Au lieu d'une phrase unique, on en obtient deux, ce qui rend la pensée plus pressante : " Tu ne réponds rien ? À ce que ces hommes déposent contre toi ? ".Matthieu chap. 26 verset 63. - Mais Jésus se taisait et le grand prêtre lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu.
- Mais Jésus se taisait. Le Sauveur accomplissait, par ce silence d'une ultime dignité, l'oracle du Roi Prophète, Ps. 37, 13-15 : " Ceux qui cherchaient un prétexte pour m'ôter la vie, et qui voulaient me perdre, disaient des choses vaines et fausses ; ils ne pensaient qu'à me tendre des pièges. Mais j'ai été à leur égard comme un sourd qui n'entend pas, et comme un muet qui n'ouvre pas la bouche. " Au reste, à quoi lui eût-il servi de se défendre ? " Il était inutile de répondre, puisqu’il n’y avait personne qui voulut écouter. Il n’y avait qu’un simulacre de jugement. Et ce concile n’était en effet qu’une assemblée d’homicides et de voleurs. ", S. Jean Chrysost. Hom. 84 in Matth. Aux calomnies de ces accusateurs Jésus n'oppose qu'un noble silence, bien qu'il lui eût été facile de les réduire à néant, comme il avait fait tant de fois. Son heure est venue ! Il laisse agir ses bourreaux. - Alors le grand prêtre... Caïphe, blessé par le silence du Sauveur, affecte de recourir aux grands moyens. Toujours debout, il adresse à l'accusé ces paroles solennelles : Je vous adjure par le Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ, Fils de Dieu. - Je t'adjure, " faire jurer, obliger à prêter serment ". Par cette formule, Caïphe forçait donc Notre-Seigneur Jésus-Christ de répondre, en même temps qu'il plaçait sa réponse sous le sceau du serment. Comparez Gen. 24, 3 ; 50, 5. - Par le Dieu vivant, au nom du Dieu vivant. On rappelait ainsi à l'accusé que Jéhovah allait être témoin des paroles qu'il prononcerait, et que Dieu saurait au besoin venger le parjure. - Si tu es le Christ. Jésus devra dire clairement au Sanhédrin s'il est, oui ou non, le Messie promis. Il faut que sa confession soit entière et ne laisse subsister aucun doute. - Les commentateurs sont partagés sur le sens des mots Fils de Dieu, qui terminent la question de Caïphe. Plusieurs les regardent comme un simple prédicat d'honneur, synonyme de " Messie " ; d'autres pensent que le grand-prêtre les employa pour désigner une vraie filiation divine (Olshausen et Stier parmi les protestants, Bisping parmi les catholiques). Il ne nous semble pas douteux que cette seconde interprétation ne soit la véritable. Caïphe, qui veut en finir, qui veut obtenir de Jésus une réponse dont il se servira pour le condamner sûrement, demande par là-même le plus possible. Le Sauveur avait souvent affirmé devant les Juifs, pendant la dernière période de sa vie, qu'il avait Dieu pour père : le Nasi ne l'ignore point, de là cette forme précise donnée à la question. Il faut qu'il soit impossible à l'accusé d'éluder cette fois une réponse.Matthieu chap. 26 verset 64. - Jésus lui répondit : tu l’as dit. Car je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel.
- " Jésus respecte sur les lèvres du grand-prêtre la majesté du nom de Dieu. Il cède à une interpellation dont il connaît la malice, mais qui est revêtue de ce qu'il y a de plus auguste dans la religion. Il n'est pas trompé par la dissimulation du pontife, mais il veut honorer le nom divin dont celui-ci se sert pour la couvrir ", Lémann, Valeur de l'Assemblée, etc. p. 82. Ainsi adjuré, il va donc énoncer la vérité pleine et entière. - Tu l'as dit, répond-il simplement. Tu l'as toi-même déclaré ; oui, je suis le Messie, fils de Dieu. Jésus corrobore ensuite son assertion par une déclaration majestueuse qu'il profère avec le calme et l'autorité d'un roi. - Car je vous le dis : Dans le texte latin on lit " néanmoins... ", tandis que le texte grec a plutôt le sens de " en effet... ". Il n'y aura pas d'opposition entre ce que le Seigneur va dire et ce qu'il vient immédiatement d'exprimer : au contraire, la suite de la pensée est une conséquence directe du " Tu l'as dit ". Je suis le Christ, et la preuve, c'est que vous me verrez assis à la droite du Tout-Puissant. - Désormais peut seulement signifier " à partir de cet instant " (cf. S. Luc. 22, 69). Cet adverbe ne saurait désigner, comme le veut Maldonat, le jour du jugement dernier d'une manière exclusive. La Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ est le point de départ du nouvel ordre de choses prédit en ce moment. Cf. Joan. 13, 31. - Vous verrez. Les Juges du Sauveur expérimenteront personnellement, verront de leurs propres yeux ce qu'il annonce : ils assisteront aux débuts de sa gloire. Ne furent-ils pas témoins des miracles du Golgotha, de la Résurrection, de la Pentecôte, des prodiges opérés par les Apôtres, de l'établissement rapide de l'Église, puis de la ruine terrible de Jérusalem ? Et ces événements n'ont-ils pas été les préludes, et le type, et le gage infaillible du second avènement de Jésus, que les membres du Grand Conseil contempleront de même au dernier jour ? - Le Fils de l'homme : titre bien humble, que le divin accusé prend à dessein pour établir un frappant contraste entre sa situation présente et l'état glorieux qu'il prophétise. - Assis à la droite... Lui si méprisé, si outragé à l'heure actuelle, on le verra trônant à la droite de Dieu, Cf. 22, 44, avec toute la gloire d'un Juge suprême. Il sera assis comme ses accusateurs le sont présentement, et muni de toute la puissance céleste. - Sur l'hébraïsme puissance de Dieu pour " de Dieu tout-puissant ", cf. Buxtorf, Lexic. Talm. p. 385 ; c'est l'abstrait pour le concret. - Venant sur les nuées... Cf. 24, 30 ; Dan. 7, 13-14. Tout l'avenir judiciaire du Sauveur, toutes les manifestations historiques de son pouvoir à travers les siècles, avec la ruine de Jérusalem et la fin des temps comme points culminants, sont compris dans cette magnifique description. Non-seulement Jésus affirme qu'il est le Messie : mais il atteste en outre qu'il prouvera par des faits la réalité de son caractère messianique et de sa divine filiation. Jamais témoignage plus important n'était sorti des lèvres de Jésus ; car jamais Notre-Seigneur n'avait proclamé d'une manière aussi claire, aussi officielle, aussi sacrée, les titres auxquels il prétendait. Mais, répondre comme il venait de le faire, en face d'une telle assemblée, c'était saisir d'avance la croix et la couronne d'épines, c'était prononcer sa propre condamnation. La sentence ne se fera pas longtemps attendre.Matthieu chap. 26 verset 65. - Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : Il a blasphémé, qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici que vous venez d’entendre le blasphème.
- Un juge ami de la justice et de la vérité aurait dû instituer une enquête pour examiner l'assertion de l'accusé. Jésus en effet n'était pas le premier venu. Sa vie, sa prédication et ses miracles, rapprochés du témoignage qu'il venait de se rendre solennellement à lui-même, ne contenaient-ils pas la preuve la plus authentique et la plus irréfragable ? Mais il s'agissait bien d'enquête et de justice ! On voulait la mort du Sauveur, et, depuis le commencement jusqu'à la fin, c'est dans le sens d'une condamnation à la peine capitale que les débats sont dirigés. Caïphe, oubliant son rôle de président, continue de jouer celui de premier accusateur. - Il déchira ses vêtements. L’Orient a toujours été par excellence le pays des manifestations extérieures : la douleur, l'effroi, l'indignation, et en général toutes les vives émotions, y étaient représentés par des actes qui, naturels dans le début, étaient devenus purement conventionnels. Tel était, chez les Juifs, le signe usité et même prescrit, lorsqu'on entendait un blasphème ou qu'on était témoin d'une action sacrilège. Il consistait à déchirer aussitôt avec les marques d'une sainte colère les vêtements dont on était couvert. Cf. 4 Reg. 18, 17 ; Act. 19, 13 ; etc. Les rabbins, qui se complaisaient dans cette sorte de détails, avaient déterminé minutieusement la manière dont devait s'opérer cette lacération. " La déchirure des vêtements se fait debout. Elle part du cou d’en avant, non d’en arrière. Elle ne se fait pas sur les côtés ou sur les franges du vêtement. La longueur de la déchirure est d’une palme. On ne déchire ni la chemise ni le manteau d’extérieur, mais tous les autres vêtements que l’on porte, même au nombre de dix ", Maimonides, cité par Buxtorf, Lexic. Talm. p. 2146 ; cf. Otho, Lexic. Rabb. s. v. Blasphemus, Laceratio ; Schoettgen, Hor. Hebr. in h.l. - Caïphe saisit donc violemment le haut de sa robe, et il la déchira à partir du col jusque vers la poitrine. En même temps il s'écriait : Il a blasphémé. Cet homme est coupable de blasphème, puisqu'il ose se dire le Christ, le Fils de Dieu. Mais n'était-ce-pas le grand-prêtre lui-même qui blasphémait en ce moment, puisqu'il refusait à Jésus les titres auxquels il avait droit d'une manière si manifeste, et qu'il le traitait comme le dernier des malfaiteurs ? - Qu'avons-nous encore besoin... Caïphe était heureux de pouvoir se passer de témoins : un long et minutieux interrogatoire, conduit avec partialité, ne lui avait que trop bien démontré l'inutilité de ce moyen pour condamner Notre-Seigneur. Il ose donc prétendre, afin d'enlever tout scrupule à ses collègues, et pour prévenir les accusations de l'opinion publique, que désormais cette formalité n'est plus nécessaire, tandis que la loi l'enjoignait aux Juges avec une grande rigueur. - Vous venez d'entendre... Vous êtes vous-mêmes des témoins suffisants !Matthieu chap. 26 verset 66. - Qu’en pensez-vous ? Ils répondirent : Il mérite la mort.
- Qu'en pensez-vous ? C'est-à-dire, quelle est votre opinion sur la culpabilité de l'accusé et par conséquent, sur le châtiment qu'il mérite ? C'est un vote en masse et par acclamation que le grand-prêtre demande, toujours malgré la loi, d'après laquelle les juges devaient absoudre ou condamner chacun à leur tour. Cf. Sanhed. 15, 5. Et puis, " après avoir qualifié d'horrible blasphème la réponse de Jésus-Christ, après avoir déclaré qu'il n'est plus besoin de nouvelles preuves ni de nouveaux témoignages pour porter contre lui une peine capitale, demander à ses collègues ce qu'il leur en semble, n'est-ce pas la plus amère des dérisions ? " Lémann, Valeur de l'assemblée, etc. p. 86. - Mais les Sanhédristes ne s'en inquiètent guère, leur jugement est depuis longtemps arrêté. Ils répondent conformément au désir du grand-prêtre : Il mérite la mort. C'était d'ailleurs la sentence prononcée par Dieu lui-même contre le crime attribué à Jésus : " Celui qui blasphémera le nom de l'Éternel sera puni de mort ", Lévitique, 24, 16. Après ce cri déicide, la séance fut levée : le Grand Conseil avait atteint son but, car Jésus était condamné à mort. - S. Luc et S. Jean nous fourniront de nouveaux renseignements sur la conduite du tribunal suprême des Juifs dans la partie du procès de Notre-Seigneur qui fut de son ressort ; mais ceux que nous avons lus dans le premier Évangile suffisent largement pour nous permettre de conclure qu'il y eut dans cette circonstance un abus affreux de la justice. Nous avons relevé quelques-unes des illégalité du procès : MM. Les abbés Lémann qui l'ont révisé " en fils d'Israël ", c'est-à-dire au point de vue de la Loi juive, dans l'ouvrage intéressant que nous avons déjà cité plusieurs fois (Valeur de l'Assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus-Christ, Lyon 1876), y ont découvert jusqu'à vingt-sept irrégularités manifestes, dont les moins graves entraînaient la nullité de la sentence. Si plusieurs de ces irrégularités n'atteignent que les formes légales de la procédure judaïque, la plupart d'entre elles sont des injustices révoltantes que réprouve le droit général, indépendamment des circonstances de temps et de pays : M. Dupin l'a montré dans un opuscule célèbre intitulé : Jésus devant Caïphe et Pilate, Paris, 1829 (cf. Baum garten-Crusius, De causa J. Ch. coram Judaeis acta et coram Pilato Opusc. Théol. Jena, 1836). On s'assemble pour condamner ; c'est d'après ce plan arrêté que les débats sont conduits. On écarte les témoins à décharge : les témoins à charge seront seuls entendus. La voix de l'accusé est bruyamment étouffée par la voix du président. Pour tout dire en un mot avec S. Jean Chrysostôme, Hom. 84 : " ils étaient eux-mêmes les accusateurs, les témoins, les examinateurs et les juges: eux seuls tenaient lieu de tout ". Et pourtant, il s'est trouvé de nos jours des écrivains qui ont entrepris de légitimer au point de vue juridique la condamnation de Jésus ! Cf. Salvador, Hist. des institutions de Moïse et du peuple hébreu. 4, p. 163 et ss., Paris, 1828 ; du même, Jésus-Christ et sa doctrine, Paris, 1836 ; Saalschülz, Mosaisches Recht, t. 2, p. 623, Berlin 1853.Matthieu chap. 26 verset 67. - Alors ils lui crachèrent au visage et ils le frappèrent à coups de poing ; d’autres lui donnèrent des gifles.
- Lorsque la sentence du Sauveur eut été prononcée, une scène affreuse, presque inouïe dans les annales des peuples civilisés, commença. Le divin condamné fut abandonné par le Sanhédrin aux valets et aux sergents d'armes qui lui firent subir les derniers outrages. Sans doute, ce ne furent pas directement les membres du Grand Conseil qui se rendirent coupables des infamies racontées par les synoptiques : S. Luc, 22, 63-65, rejette très-clairement la faute sur les officiers subalternes qui gardaient Jésus. Ils n'en demeurent pas moins responsables de ces brutalités sans nom qu'ils pouvaient à coup sûr empêcher. - Ils lui crachèrent au visage. En un instant, la sainte face du Sauveur fut couverte d'immondes crachats. Cet affront n'était pas moins sanglant dans l'antiquité que de nos jours ; cf. Rom. 12, 14 ; Deut. 14, 9. - A coups de poing : ils l'accablèrent de coups de poing. - Des gifles... des soufflets appliqués avec la main étendue. Les bourreaux du Sauveur accomplissaient sans le savoir ces paroles typiques de Job : " Ils n'ont pas rougi de me cracher au visage. Ils m'ont fait mille outrages ; ils ont infligé des soufflets à mes joues. Ils se sont rassasiés de mon opprobre ". 16, 11 ; 30, 10.Matthieu chap. 26 verset 68. - En disant : Prophétise-nous, Christ, qui est-ce qui t’a frappé ?
- Prophétise-nous. L'insulte amère est ajoutée aux coups. S. Marc et S. Luc racontent que, pour la rendre plus mordante, on avait voilé le visage de Jésus. Le divin Maître qui a consenti, durant l'agonie du jardin, à vider la coupe jusqu'à la lie, accepte tout sans se plaindre, selon la prophétie d'Isaïe 50, 6, 7 : " J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. "69
Cependant Pierre était assis dehors, dans la cour et une servante s’approcha de lui, en disant : Toi aussi, tu étais avec Jésus de Galilée. 70Mais il le nia devant tous, en disant : je ne sais pas ce que tu dis. 71Et comme il franchissait la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. 72Et il le nia de nouveau avec serment : Je ne connais pas cet homme. 73Peu après, ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : Certainement tu es aussi de ces gens-là car ton accent te fait reconnaître. 74Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer qu’il ne connaissait pas cet homme. Et aussitôt le coq chanta. 75Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et étant sorti dehors, il pleura amèrement.Matthieu chap. 26 verset 69. - Cependant Pierre était assis dehors, dans la cour et une servante s’approcha de lui, en disant : Toi aussi, tu étais avec Jésus de Galilée.
- Cette scène a toujours été l'objet de vives discussions, parce qu'il est peu d'endroits du récit évangélique où il règne une aussi grande divergence parmi les historiens de Jésus. En rapprochant les unes des autres les quatre rédactions, le lecteur verra que, si les évangélistes notent expressément trois actes distincts et consécutifs de négation, conformément à la prophétie du Sauveur, cf. Matth. 26, 34 et parall., ils diffèrent d'une manière notable sur les questions de lieux, de personnes, etc. Les rationalistes crient naturellement à la contradiction, suivant leur coutume ; puis, en vertu de cette assertion qu'ils supposent infaillible, ils rejettent le récit des synoptiques pour s'en tenir à celui de S. Jean, qui serait plus vraisemblable parce qu'il est plus simple, disent-ils. Les commentateurs croyants voient au contraire dans ces légers écarts de détails un nouvel exemple de l'indépendance des quatre évangélistes, et, par suite, une preuve frappante de leur véracité. Sur ce point comme sur tous les autres, l'harmonie s'établit sans difficulté, sans coup de force : tous les hommes de bonne foi l'admettent. Le principe posé par Bengel, Gnomon, in h.l., et généralement suivi depuis par les commentateurs, facilite beaucoup la solution de ce petit problème évangélique. " Le triple reniement de S. Pierre consiste, non pas dans trois actes isolés, mais dans trois circonstances distinctes, où l'Apôtre renia plusieurs fois son Maître ", Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 186 ; Cf. p. 60 et ss. Le " tu me renieras trois fois " ne doit donc pas se restreindre à trois paroles sorties de la bouche de S. Pierre ; car, si l'on additionnait les différentes occasions dans lesquelles le chef des Apôtres renia Jésus d'après les quatre évangélistes, on obtiendrait jusqu'à six (Denys le chartreux), sept (Cajetan) et même huit négations (Paulus). La prédiction admet un sens plus large. En combinant ensemble toutes ces négations, on obtient trois groupes de questions et de réponses ou, si l'on veut, trois actes successifs qui se composent chacun de plusieurs scènes variées, c'est-à-dire trois actes durant lesquels S. Pierre, interrogé à diverses reprises par des personnes nouvelles, renia plusieurs fois Notre-Seigneur Jésus-Christ. (voir ces groupes à la note de Joan. 18, 27). Cela suffit pour réaliser l'expression " trois ". Quant aux écrivains sacrés, ils ont librement choisi parmi tous les détails du fait ceux qui leurs convenaient ou qu'ils connaissaient le mieux : des traits qu'ils omettent ou de ceux qu'ils racontent chacun en particulier, on ne peut rien conclure contre la narration des autres. Les dissemblances qui règnent entre eux ne sont donc que des variantes sans gravité. - Pierre était assis... Après avoir exposé sans l'interrompre l'interrogatoire de Jésus et ses suites immédiates, S. Matthieu revient sur un triste incident qui s'était passé dans la cour du palais, tandis que, non loin de là, Notre-Seigneur était jugé par le Sanhédrin. Il le raconte tout d'un trait, bien qu'il se fût composé de parties distinctes, séparées par des intervalles assez considérables. Il rappelle d'abord que S. Pierre, durant les débats, était demeuré assis dehors dans la cour, avec les serviteurs. Plus haut, v. 58, il est vrai, il avait été dit que Simon-Pierre s'était glissé à l'intérieur : mais le narrateur pensait alors à la rue, que l'Apôtre venait de quitter pour passer dans l'intérieur de la cour. Il écrit maintenant " dehors ", par opposition avec les appartements, et surtout à la salle dans laquelle Jésus était jugé. Voir dans Abbott, the N. Test. t. 1, p.303, le plan d'une maison orientale avec sa cour intérieure. - Tandis que Pierre, inquiet du cours que prenaient les événements, se chauffe en silence, pensant à son Maître, une servante, la portière d'après S. Jean, 18, 17, s'approche de lui, le regarde avec attention, et lui dit tout à coup : Toi aussi, tu étais avec Jésus de Galilée, c'est-à-dire, tu le suivais habituellement, tu es l'un de ses disciples. La portière faisait cette conjecture en voyant l'air triste, effrayé de l'Apôtre. Telle n'était pas l'attitude des gardes qui avaient arrêté Jésus ! La servante pouvait aussi avoir aperçu S. Pierre dans la société du Sauveur.Matthieu chap. 26 verset 70. - Mais il le nia devant tous, en disant : je ne sais pas ce que tu dis.
- C'était peu de temps après l'entrée de Pierre dans la cour. Pris au dépourvu par cette brusque interrogation, il se trouble et faiblit. - Il le nia devant tous : circonstance aggravante ; toute l'assistance fut témoin de sa première négation. - Je ne sais pas ce que tu dis. La réponse est évasive. C'est comme s'il disait : J'ignore de quoi il est question. Mais ce n'en est pas moins un reniement sous une forme indirecte. Il n'ose pas dire qu'il est le disciple de Jésus ; quand on lui parle de son Maître, il prétend lâchement ne pas comprendre. Et il suffit d'une servante pour l'intimider à ce point. " Cette colonne qui se croyait si ferme, la voilà ébranlée jusque dans ses fondements par le moindre souffle du vent ! " S. Augustin, 113è traité, in Joan. c. 18.Matthieu chap. 26 verset 71. - Et comme il franchissait la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth.
- Mal à l'aise après ce qui vient d'arriver, S. Pierre veut fuir ; il se dirige du côté de la porte pour s'échapper. - Il franchissait la porte ; grand portail couvert et voûté qui donnait d'un côté sur la rue, de l'autre sur la cour, et qui conduisait de l'une à l'autre. Mais une autre servante l'aperçoit et fait à son sujet la même réflexion. Cependant elle ne s'adresse pas directement à lui, mais à ceux qui se trouvaient près du portail. - Avec Jésus de Nazareth. La première esclave avait appelé Jésus un Galiléen ; celle-ci le nomme Nazaréen. Elle sait qu'il est de Nazareth, ou bien on donnait peut-être indifféremment au Sauveur ces deux noms.Matthieu chap. 26 verset 72. - Et il le nia de nouveau avec serment : Je ne connais pas cet homme.
- C'est la seconde négation, hélas ! Formelle cette fois, et aggravée d'un serment, avec serment. L'Apôtre s'apercevant qu'on n'ajoutait pas foi à une simple assertion de sa part se mit à jurer qu'il ne connaissait pas Jésus. Et comment le nomme-t-il ? Je ne connais pas cet homme : cet homme, ou plus mal encore, l'homme !Matthieu chap. 26 verset 73. - Peu après, ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : Certainement tu es aussi de ces gens-là car ton accent te fait reconnaître.
- Il s'écoula, d'après S. Luc, 22, 58, environ une heure entre la seconde et la troisième négation de S. Pierre. - Ceux qui étaient là... Le bruit qu'un des disciples de Jésus était dans l'atrium s'était répandu peu à peu : les serviteurs du grand-prêtre et les valets du Sanhédrin se mirent à la recherche de cet étranger audacieux qui n'avait pas craint de se glisser parmi eux. Ils n'eurent pas de peine à le reconnaître. - Certainement tu es aussi... Les servantes ont communiqué leurs soupçons, et comme elles avaient entendu quelques phrases de S. Pierre, elles ont sans doute fait part aux gens du Sanhédrin du trait particulier qui inspire à ceux-ci une entière certitude : Vous êtes Galiléen, c'est évident, votre langage le prouve ; vous êtes donc un de ses disciples. On savait en effet que la plupart des adhérents de Jésus avaient été recrutés en Galilée. " L'un d'eux " est méprisant. - Ton accent te fait reconnaître... La présomption n'était nullement hasardée. Il n'était pas plus difficile à un Jérusalemite de reconnaître un Galiléen au seul parler, qu'à un Parisien de distinguer à la prononciation un habitant de Marseille ou de l'Auvergne. Les Galiléens avaient un dialecte à part qui différait notablement, surtout par ses incorrections et sa dureté, de l’idiome plus doux et plus pur usité en Judée. Idiotismes, négligences grammaticales, accent spécial, tout cela les trahissait en un instant. Ils confondaient plusieurs sons (f et b, k et ch aspiré) ; ou bien, ils omettaient des syllabes entières, ce qui donnait parfois lieu à des quiproquos burlesques ou à de malicieuses plaisanteries dont le Talmud a conservé plusieurs exemples. On comprend donc que S. Pierre ait pu difficilement cacher son origine galiléenne.Matthieu chap. 26 verset 74. - Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer qu’il ne connaissait pas cet homme. Et aussitôt le coq chanta.
- Néanmoins, il affirme plus fort que jamais qu'il ne connaissait point Jésus. Terrifié à la pensée qu'on pouvait arriver à connaître sa conduite dans le jardin, - un des parents de Malchus venait en effet d'insinuer qu'il croyait l'avoir vu à Gethsémani, cf. Joan. 18, 26, - Pierre renforce sa troisième négation par des anathèmes et des serments. - Il prononce contre lui-même toute sorte d'imprécations, pour le cas où il ne dirait pas la vérité. - Il se mit à jurer, comme au v. 72 ; affirmer sous le sceau du serment. Il y a dans les trois reniements une gradation ascendante facile à saisir : après la négation simple, v. 70, vient la négation accompagnée du serment, v. 72, puis en troisième lieu la négation corroborée d'imprécations et d'anathèmes. L'apôtre infidèle commençait de s'anathématiser lui-même, lorsque tout à coup le coq fit entendre sa voix stridente.Matthieu chap. 26 verset 75. - Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et étant sorti dehors, il pleura amèrement.
- Ce cri rappelle immédiatement à S. Pierre la prédiction si récente de Jésus, cf. v. 34, qui ne s'était que trop bien réalisée. Avant le chant du coq, le chef de la troupe apostolique avait renié trois fois son Maître. Le cœur brisé par son souvenir, il fuit au plus vite le théâtre de sa honteuse chute ; il sort de la cour et s'en va dans la rue pour se livrer librement à sa douleur. - Il pleura amèrement : dans le texte grec est à l'imparfait, " il pleurait ", ce qui exprime un acte fréquent et prolongé. La faute avait été grande, mais elle fut aussitôt expiée par une vive et profonde contrition. " Saint Apôtre, heureuses ont été vos larmes qui, en diluant la culpabilité de la faute, ont eu le pouvoir du saint baptême ", S. Léon, Serm. 9 de Passione. On connaît la tradition consignée dans les écrits de S. Clément pape, d'après laquelle les larmes de S. Pierre auraient duré autant que sa vie cf. Corn. a Lap. in h.l.
Jésus est conduit chez Pilate, vv. 1 et 2. - Désespoir et mort de Judas, vv. 3-5. - Les trente deniers, jetés par lui dans le Temple, sont consacrés à l'achat d'un champ pour la sépulture des étrangers, vv. 6-10. - Jésus au tribunal de Pilate, vv. 11-14. - Jésus et Barabbas, vv. 15-21. - Le divin Maître est condamné à être crucifié, vv. 22-25. - La flagellation, v. 26. - Le couronnement d'épines, vv. 27-30. - La " Via dolorosa ", vv. 31-34. - Jésus est crucifié entre deux voleurs, vv. 35-38. - On l'accable d'injures, vv. 39-44. - Les ténèbres, v. 45. - " Eli, Eli, lamma sabacthani ", vv. 46-49. - Jésus expire sur la croix, v. 50. - Prodiges qui accompagnèrent la mort du Christ, vv. 51-53. - Le centurion et les saintes femmes au pied de la croix, vv. 54-56. - Jésus est enseveli dans le tombeau de Joseph d'Arimathie, vv. 57-60. - Les deux Marie et les soldats romains auprès du sépulcre, vv. 61-66.
1
Le matin étant venu, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le faire mourir. 2Et l’ayant lié, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Ponce Pilate, le gouverneur.VENDREDI SAINT
Matthieu chap. 27 verset 1. - Le matin étant venu, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le faire mourir.
- Le matin étant venu. Le récit avait été interrompu par l'intercalation du reniement de S. Pierre : le récit renoue le fil momentanément brisé. Le matin donc, de grand matin, dit S. Marc, les Sanhédristes se réunissent de nouveau " contre Jésus ". Leur séance de la nuit s'est prolongée très tard, et pourtant, dès les premières lueurs du jour, ils sont déjà debout pour achever leur œuvre de vengeance ! - Ils tinrent conseil. Ces mots indiquent une nouvelle assemblée officielle, ainsi que l'admettent la plupart des commentateurs. S. Luc seul en a conservé les détails, 22, 66-71. Du reste, elle fut rapide et n'eut guère lieu que pour la forme. Mais on la crut nécessaire pour sauvegarder les apparences. En effet, il était contraire à la loi juive de traiter les affaires capitales durant la nuit, Sanhedr. c. 4, 1, c'est-à-dire entre le sacrifice du soir et celui du matin. Or, les débats du procès et la condamnation de Jésus s'étaient passés en entier pendant cet intervalle. Il fallait réparer cette irrégularité, de crainte de s'exposer à des protestations gênantes. - Pour le faire mourir ; cf. 26, 4-59. " Qu'on y prenne garde ? Il ne s'agit point de réviser la sentence prononcée la veille. Jésus est condamné, irrévocablement condamné. Il s'agit uniquement de le livrer à la mort avec des formes et un appareil juridiques capables d'en imposer " ; Lémann, Valeur de l'Assemblée, etc., p. 91. Avant tout, dans cette seconde séance, on veut aviser aux moyens de mettre à exécution la sentence qui a été portée précédemment. On cherche les griefs que l'on pourra présenter à Pilate, on se demande quelle est la meilleure manière de formuler l'accusation pour forcer le gouverneur romain de condamner Jésus à son tour.Matthieu chap. 27 verset 2. - Et l’ayant lié, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Ponce Pilate, le gouverneur.
- Et l'ayant lié. Notre-Seigneur avait été enchaîné dès le premier instant de son arrestation, cf. Joan. 18, 12 ; mais on lui avait probablement enlevé ses chaînes ou ses liens pendant ses divers interrogatoires. On l'en recharge pour plus de sûreté quand on le conduit du palais de Caïphe au prétoire. - Ils le livrèrent à Ponce-Pilate. Ponce-Pilate, ce lâche magistrat qui eut une si grande influence sur la fatale issue du procès de Jésus, gouvernait depuis l'an 26 la Judée et Jérusalem au nom de l'empereur Tibère et sous la dépendance du proconsul de la province de Syrie. Le titre que lui attribuent nos deux textes latin et grec n'est point parfaitement exact : la vraie nature de ses fonctions était exprimée dans le langage officiel par le mot " procurateur ". Cf. Tac. Annal. 15, 44 : " Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus ". Il était le sixième des procurateurs de la Judée ; cf. Winer, Bibl. Realwoerterb. s.v. Procuratoren. Son administration dura dix années entière (26-36) au grand ennui des Juifs qu'il ne cessa de malmener pendant cette longue période. Hostile à leurs institutions et à leur religion, il outrepassa souvent contre eux ses pouvoirs, au point de violer ouvertement les libertés que Rome leur avait laissées après la conquête. C'est ainsi qu'il ne craignit pas d'introduire dans Jérusalem et de suspendre aux murs de son palais des boucliers qui portaient le nom de plusieurs divinités païennes ; Philo, ad Caium, § 38. Une autre fois, il confisqua l'argent sacré qui provenait du rachat de certains vœux et l'employa à la construction d'un aqueduc ; cf. Jos. Bell. Jud. 2, 9, 4. Ces actes arbitraires et d'autres semblables, Cf. Luc. 13, 1 ; Jos. Ant. 13, 3, 1, suscitèrent des mouvements insurrectionnels qu'il noya sans pitié dans le sang. Mais nous verrons plus loin (note du v. 26) qu'il finit par être lui-même victime de ses rigueurs inconsidérées. - Nous avons à rechercher en attendant le motif pour lequel les membres du Sanhédrin, après avoir condamné Notre-Seigneur Jésus-Christ, le conduisent au gouverneur Romain. L'expression employée par l'Évangéliste est significative ; " ils livrèrent ", c'est précisément celle dont le Sauveur s'était autrefois servi en prophétisant cette circonstance de sa Passion : Le Fils de l'homme, avait-il dit, sera livré aux princes des prêtres et aux Scribes qui le condamneront à mort et qui le livreront aux gentils ; Matth. 20, 18-19 et parall. On amène Jésus à Pilate pour le lui livrer, pour l'abandonner entre ses mains comme un criminel qui doit mourir. Mais pourquoi n'exécutent-ils pas eux-mêmes leur sentence ? Il ne fallait rien moins qu'une dure nécessité pour amener ces prêtres et ces docteurs superbes à implorer l'assistance d'un magistrat romain, et surtout d'un Romain tel que Pilate. S'ils lui soumettent leur jugement, c'est parce qu'ils sont incapables de l'accomplir sans l'intervention romaine. Ils l'avouent en propres termes dans le quatrième Évangile : " Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort " (Joan. 18, 31). Nous savons en effet par l'histoire que, depuis de longues années, Rome avait enlevé aux Juifs le droit de vie et de mort, autrement dit " droit du glaive ". Le Sanhédrin avait bien conservé la puissance dérisoire de prononcer des arrêts de mort ; mais les Romains s'étaient réservé le droit de réviser la sentence et de l'exécuter. C'est pour cela que nous trouvons les Conseillers au prétoire. Ils sont venus en masse à la suite de leur victime, espérant en imposer à Pilate par leur grand nombre. L'heure matinale qu'ils ont choisie donnait en même temps à leur démarche l'aspect d'une affaire pressante et de la dernière gravité. - Le procurateur résidait habituellement pendant la plus grande partie de l'année à Césarée de Palestine, sur les bords de la mer. Mais, à l'époque des fêtes, il venait ordinairement s'installer pour quelque temps à Jérusalem, avec des troupes surnuméraires, pour être à même de réprimer plus facilement les émeutes qui ne manquaient guère d'éclater alors par suite du fanatisme des Juifs. Le palais d'Hérode, situé à l'Ouest de la ville, lui servait d'habitation dans ces circonstances. Cf. Jos. Bell. Jud. 2, 14, 8 ; Philon, ad Caium, 38. Néanmoins, cette année-là, il dut s'établir dans la citadelle Antonia, au N.O. du temple, puisque c'est en cet endroit qu'une ancienne tradition place les scènes de la flagellation et de l' " Ecce Homo ". C'est donc là que fut conduit Jésus. Pour y arriver, il eut à franchir au milieu des insultes de la foule une partie considérable de la ville, la maison du grand-prêtre étant située, selon toute vraisemblance, près du sommet du mont Sion. Cf. Schegg, Gedenkbuch einer Pilgerreise, t. 1, p. 275 ; Ancessi, Atlas géograph. pl. 17 : Riess, Bibel Atlas, pl. 6.
3
Alors Judas, qui l’avait trahi, voyant qu’il était condamné, poussé par le repentir, rapporta les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens, 4en disant : J’ai péché, en livrant le sang innocent. Mais ils dirent : Que nous importe ? C’est ton affaire. 5Ayant jeté les pièces d’argent dans le temple, il se retira, et alla se pendre.S. Matthieu est le seul à raconter cet incident terrible. Toutefois nous lisons au livre des Actes, 1, 18, une narration analogue que S. Pierre en fit aux disciples, lorsqu'il fut question de remplir la place laissée vide par Judas dans le collège apostolique.
Matthieu chap. 27 verset 3. - Alors Judas, qui l’avait trahi, voyant qu’il était condamné, poussé par le repentir, rapporta les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens.
- " Alors ", c'est-à-dire quand le Sanhédrin, après les deux séances dans lesquelles il avait décrété officiellement la mort de Jésus, se mit en marche pour conduire sa victime au gouverneur romain. - Qui l'avait trahi : formule sinistre ajoutée au nom de Judas pour le stigmatiser. - Voyant qu'il était condamné. Le traître comprend que Jésus est condamné dans ressource et qu'on veut sérieusement sa mort. Qu'est-ce à dire ? Ignorait-il donc, en le trahissant, qu'on en viendrait à cette extrémité ? Dom Calmet et d'autres exégètes l'ont pensé. Mais cela paraît peu vraisemblable. Il vaut mieux, pour expliquer l'espèce de stupéfaction qui saisit alors Judas, recourir à la psychologie. Souvent il arrive que les grands criminels ne sentent bien l'énormité de leurs attentats qu'après les avoir consommés ; Tacite déjà l'affirmait, annal. 14, 10 : " C'est quand Néron eut consommé le crime qu'il en comprit la grandeur ". C'est en ce sens que Judas est rempli d'horreur par la condamnation de Jésus, quoiqu'il l'eût prévue et facilitée. - C'est aussi en ce sens qu'il se repent : Poussé par le repentir. Écoutons là-dessus une réflexion très juste de J. Jean Chrysostôme, Hom. 85 in Matth. : " Le démon commence toujours par de petites choses, et qu’il conduit insensiblement les hommes jusqu’aux plus grands crimes, d’où il les jette ensuite dans le désespoir qui est le comble de tous les autres. Car celui qui désespère après son crime, sera plus damné pour son désespoir que pour son crime qui en est la cause ". Du reste, les anciens auteurs ont justement comparé la pénitence de Judas à celle de Caïn : comme celle du premier fratricide, elle consista sans doute en un vif sentiment de douleur et de crainte ; mais le divin amour et l'espérance en furent éloignés. Cf. Thom. Aq. Comm. In h.l. Aussi est-ce à bon droit que le texte grec exprime simplement le désir que ce qui a été fait n'ait pas été fait, désir mêlé de regrets et même de remords, mais sans aucun changement réel du cœur, sans repentir sérieux. S. Pierre s'était repenti de la bonne manière : Judas au contraire n'a qu'une fausse contrition qui accroît sa faute bien loin de la diminuer. - L'évangéliste note cependant un signe frappant du remords qui le dévorait : Il rapporta les trente pièces d'argent. En haine du crime qu'il a commis, il se prive librement du gain horrible que lui a valu sa trahison. Peut-être se flattait-il, en rendant l'argent et en déclarant la parfaite innocence de Jésus, d'obtenir son élargissement.Matthieu chap. 27 verset 4. - En disant : J’ai péché, en livrant le sang innocent. Mais ils dirent : Que nous importe ? C’est ton affaire.
- J'ai péché. Il confesse ouvertement son iniquité, dont il indique ensuite toute l'étendue en ajoutant : en livrant le sang innocent. Livrer le sang innocent est un hébraïsme pour signifier : Livrer à ses ennemis un homme innocent qu'il va faire mourir ainsi de la manière la plus injuste. Judas avait donc bien compris, comme nous l'affirmions plus haut, le résultat presque infaillible de sa trahison. - Le témoignage qu'il rend actuellement à Jésus est très fort : celui qui proclame ainsi la parfaite innocence du Sauveur est un disciple qui a vécu plusieurs années dans son intimité et qui l'a étudié de près avec des sentiments hostiles. - Que nous importe ? Répondent froidement les princes des prêtres et les anciens. En quoi cela nous regarde-t-il ? Toute leur malice perce dans ces mots : on y voit de plus en plus qu'ils voulaient se débarrasser de Jésus à n'importe quel prix. Ils l'ont condamné non parce qu'il est coupable, mais parce qu'ils le détestent. Peu leur importe donc son innocence, attestée tardivement par leur complice. - Ils ajoutent ironiquement : C'est ton affaire. Si tu as péché, vois comment tu pourras réparer ta faute ; mais cela ne nous concerne en rien. Que Bengel a raison de dire, Gnomon in h.l. : " Impies sont ceux qui ont agi comme des cohéritiers, mais qui ont dévié. Pieux sont ceux qui n’ont pas agi comme des cohéritiers, mais qui se sont amendés par après ! ".Matthieu chap. 27 verset 5. - Ayant jeté les pièces d’argent dans le temple, il se retira, et alla se pendre.
- Ayant jeté les pièces d'argent. La réponse brutale des prêtres mit le comble au désespoir de Judas. Il commence par jeter dans le temple, comme un témoignage contre eux et pour rescinder l'infâme contrat, les trente pièces d'argent qui ont causé sa perte. - Dans le temple. Il est vrai que l'accès de l'enceinte sacrée était réservé exclusivement aux prêtres : mais les laïques pouvaient entrer dans le vestibule du temple, et c'est là sans doute que Judas jeta les trente deniers. Il est possible aussi, comme le conjecturent des auteurs sérieux (Meyer, Alford, Tregelles, Fouard, etc.) que le traître, dans un élan désespéré, ait envahi le Saint pour y lancer les trente deniers. Ensuite il s'en alla, probablement hors de la ville, et il mit fin à ses jours d'une manière honteuse et criminelle. Il se pendit ! Et pourtant on a essayé parfois de donner au verbe une signification figurée. Grotius, Hammond, Perizonius (De Morte Judae, Lugd. Bat. 1702) etc. le traduisent par " mourir de chagrin, se consumer de désespoir " : mais à quoi bon faire ainsi de l'arbitraire pour donner à Judas une mort honorable qu'il n'a pas eue ? D'un autre côté, Origène et Ligthfoot se livrent, quoique en des sens très divers, à tous les écarts d'une imagination ardente lorsqu'ils représentent, le premier, Comm. in Matth. h.l., Judas se précipitant par une mort volontaire dans le séjour des trépassés pour y devancer son Maître, se jeter à ses pieds et implorer sa miséricorde ; le second, le diable saisissant le traître au moment où il sortait du temple, l'enlevant dans les airs et le lançant à terre après l'avoir étranglé. Cf. Hor. Talm. in Matth. in h.l. La réalité ne fut ni si belle, ni si affreuse, quoiqu'il lui reste suffisamment d'horreurs. Les détails cités par S. Pierre dans le discours que nous avons signalé plus haut ne contredisent en rien le récit de l'Évangile. Plusieurs rationalistes (cf. K. Hase, Leben Jesu p. 165) n'hésitent pas à le reconnaître. Toute la différence consiste dans les points de vue divers auxquels se placent les deux narrateurs. Tandis que S. Matthieu insiste davantage sur l'action personnelle de Judas, le prince des Apôtres note surtout l'action de la Providence qui permit qu'une circonstance horrible vint s'ajouter à la mort du traître. Voir Warneccius, de Suspension Judae, ap. Iken, Thesaurus phil.-Theolog. t. 2, p. 304 et ss.
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Mais les princes des prêtres, ayant pris les pièces d’argent, dirent : Il ne nous est pas permis de les mettre dans le trésor, parce que c’est le prix du sang. 7Et ayant tenu conseil, ils en achetèrent le champ d’un potier, pour la sépulture des étrangers. 8C’est pourquoi ce champ a été appelé jusqu’à ce jour Haceldama, c’est-à-dire champ du sang. 9Alors s’accomplit ce qui avait été prédit par le prophète Jérémie : Ils ont reçu les trente pièces d’argent, prix de celui qui a été évalué, qu’on a évalué de la part des enfants d’Israël, 10et ils les ont données pour le champ d’un potier, comme le Seigneur me l’a ordonné.Ce trait est encore particulier à S. Matthieu.
Matthieu chap. 27 verset 6. Mais les princes des prêtres, ayant pris les pièces d’argent, dirent : Il ne nous est pas permis de les mettre dans le trésor, parce que c’est le prix du sang.
- M. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 260, a raison de dire que la mort accompagna de toutes manières l'odieuse trahison de Judas. Mort du traître lui-même ; mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; enfin achat d'un champ de repos pour les morts. L'évangéliste nous montre d'abord l'embarras des princes des prêtres lorsqu'ils eurent trouvé les trente pièces d'argent que le traître avait jetées avant son suicide. Ces hommes qui ont trempé sans hésiter leurs mains dans le sang de Jésus sont saisis tout à coup de scrupules : " Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! " 23, 24. Le " trésor " désigne ici le trésor du temple, formé des sommes offertes par la piété des fidèles pour l'entretien du culte. Dieu avait expressément interdit de faire entrer dans ce trésor l'argent provenant de sources impures en elles-mêmes, ou censées impures chez les Juifs. Cf. Deut. 23, 18 ; Sanhedr. f. 112. Les prêtres argumentent et jugent qu'il n'est pas convenable de verser dans le trésor sacré ce qu'ils nomment justement le prix du sang. Les trente deniers étaient pour ainsi dire tout entachés du sang qu'ils avaient servi à acheter.Matthieu chap. 27 verset 7. Et ayant tenu conseil, ils en achetèrent le champ d’un potier, pour la sépulture des étrangers.
- Ils tiennent donc conseil pour délibérer sur l'usage qu'on devra faire de cet argent. Leur réunion n'eut probablement pas lieu ce jour même, car il leur procura d'autres occupations nombreuses ; mais le lendemain, ou peu de temps après la mort du Sauveur. Il est vraisemblable que le potier avait épuisé en grande partie l'argile contenue dans ce champ : c'est pourquoi on put acquérir à bas prix un terrain devenu à peu près inutile. Le champ payé avec les trente deniers de Judas servirait donc à la sépulture des étrangers. Les prêtres croyaient accomplir ainsi une œuvre pie, digne d'une somme qui était doublement sacrée à leurs yeux. Par le mot " étrangers " il faut entendre non pas les païens, ou du moins les païens exclusivement, mais avant tout les Juifs de la diaspora qui pouvaient mourir à Jérusalem au temps des fêtes ou à d'autres moments.Matthieu chap. 27 verset 8. C’est pourquoi ce champ a été appelé jusqu’à ce jour Haceldama, c’est-à-dire champ du sang.
- C'est pourquoi : parce que ce cimetière avait été acheté avec le prix du sang de Jésus. Le nom vint-il directement des princes des Prêtres ? Ou bien était-ce une de ces dénominations populaires par lesquelles la multitude caractérise si promptement certains actes ? Il est difficile de le déterminer, quoique la seconde hypothèse nous paraisse la plus vraisemblable ; cf. Act. 1, 18-19. - Haceldama, plus exactement Hakal-Dema qui signifient en araméen " champ du sang ". D'après S. Matthieu, le sang serait celui de Jésus, ce qui fait dire à S. Jean Chrysostôme : " ils achetèrent un champ pour la sépulture des étrangers, qui devait être une preuve manifeste et un monument éternel de leur trahison. Car le nom seul de ce champ est comme une voix éclatante qui publie partout le crime qu’ils ont commis ", Hom. 85 in Matth. D'après S. Pierre, Act., l.c., ce serait celui de Judas, car c'est dans le champ du potier qu'auraient eu lieu le suicide du traître et l'effusion affreuse de son sang. Mais rien n'empêche que les deux circonstances réunies aient contribué à la formation du nom Haceldama. - Jusqu'à ce jour : jusqu'à l'époque de la composition du premier Évangile. L'emploi de cette formule donne clairement à entendre qu'il s'écoula un temps notable entre la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l'apparition du récit de S. Matthieu. Aux pèlerins qui visitent Jérusalem, on montre, depuis l'époque de S. Jérôme, Cf. Onomasticon, s.v. Acheldama, le sinistre Champ du sang, sur un plateau étroit qui domine la vallée d'Hinnom, vers l'endroit où elle vient rejoindre le torrent de Cédron. Cf. R. Riess, Bibelatlas, pl. 6. On y voit un édifice à moitié ruiné qui dût servir autrefois de charnier. Son nom arabe est Hak-ed-damm. Il est tout entouré de tombeaux et de grottes sépulcrales, mais il a cessé lui-même d'être un lieu de sépulture depuis le siècle dernier. Son terrain est crétacé : on a longtemps cru au moyen-âge qu'il avait la propriété de consumer rapidement les corps : c'est pourquoi on en venait chercher de loin des masses considérables. Les Pisans ont ainsi formé leur Campo Santo. Des voyageurs dignes de foi assurent qu'il y a tout auprès du Champ du sang d'assez grandes quantités d'argile où l'on vient encore puiser. Ce trait confirmerait l'authenticité du lieu désigné par la tradition. Voir Kraft, Topographie Jerusalems, p. 183 ; Sepp, Jerusalem u. das h. Land, t. 1, p. 241 et ss. ; Robinson, Palaestina, t. 2, p. 178 et ss.Matthieu chap. 27 versets 9 et 10. - Alors s’accomplit ce qui avait été prédit par le prophète Jérémie : Ils ont reçu les trente pièces d’argent, prix de celui qui a été évalué, qu’on a évalué de la part des enfants d’Israël, 10et ils les ont données pour le champ d’un potier, comme le Seigneur me l’a ordonné.
- Dans l'emploi fait par les princes des prêtres des trente deniers qui avaient été remis à Judas, S. Matthieu voit la réalisation d'une prophétie importante de l'Ancien Testament, et il la signale, conformément à son but, pour montrer que Jésus est vraiment le Christ promis aux Juifs. - Ce qui avait été prédit par le prophète Jérémie : Le nom de Jérémie, que l'on rencontre dans la plupart des manuscrits et des versions, crée en cet endroit de très sérieuses difficultés, car on ne trouve dans les écrits de ce prophète rien qui ressemble au passage cité par S. Matthieu. D'un autre côté, Zacharie a quelques lignes qui sont à peu près identiques à celles que l'évangéliste attribue à Jérémie ; cf. Zach. 11, 12-13. Comment expliquer cet état de choses ? Origène s'en préoccupait déjà et tous ceux qui, depuis lui, ont étudié le premier Évangile ont dû s'en préoccuper à leur tour. Jansénius, Comment. in Harmon. Evang., c. 140, comptait dix opinions qui s'étaient formées sur ce point délicat. Aujourd'hui, il faudrait peut-être en compter vingt si l'on voulait être complet ; mais nous nous restreindrons aux plus sérieuses. Les manuscrits 33 et 157, les versions syriaque, persane, etc., omettant le nom de Jérémie, plusieurs auteurs ont pensé qu'il s'était glissé dans le récit par suite d'une interpolation. Ils rétablissent donc ce qui était suivant eux le texte primitif en supprimant le mot Jérémie. D'autres, qui croient la leçon actuelle authentique (Origène, S. Augustin, de Cons. Evang. 3, 7, S. Jérôme, affirment expressément qu'elle l'est en réalité), supposent que S. Matthieu mentionne soit une prédiction orale de Jérémie, restée inédite jusque là, soit un passage de ses écrits qui se serait perdu (Berlepsch, Ewald, etc.), ou qui aurait été supprimé à dessein par les Juifs (S. Jean Chrysostôme), soit un texte de quelque ouvrage apocryphe faussement attribué au prophète (Origène ; S. Jérôme est hésitant). Lightfoot qui prétend prouver, à l'aide de diverses traditions juives, que le livre de Jérémie a occupé pendant quelque temps la première place dans la Bible hébraïque, conclut de là que S. Matthieu a voulu désigner tous les écrits prophétiques en nommant Jérémie. Tout cela est assez arbitraire. Il reste une conjecture qui nous semble mériter assez de confiance. Elle consiste à dire que S. Matthieu, usant d'une liberté dont on trouve plus d'un exemple chez les vieux écrivains juifs, aurait combiné, amalgamé ensemble plusieurs passages prophétiques, tirés en partie de Jérémie, en partie de Zacharie, et donné au texte ainsi produit le nom du plus célèbre des deux prophètes. Plusieurs passages de Jérémie, en particulier 189, 2 et ss., 32, 8-14, peuvent se prêter à une combinaison de ce genre. Le prophète d'Anathoth y parle d'un champ, et même d'un champ de potier situé dans la vallée d'Hinnom, que le Seigneur ordonna d'acheter. Dans la prédiction de Zacharie, il n'est pas question de champ ; mais les trente pièces d'argent y sont nettement déterminées. Pourquoi S. Matthieu, éclairé par l'Esprit-Saint et envisageant les prédictions antiques au brillant reflet de l'histoire de Jésus, n'aurait-il pas composé un alliage qui manifestait mieux la pensée des Prophètes ? D'ailleurs, nous l'avons vu, dès les premières pages de son Évangile (cf. 2, 23 et le commentaire ; voir aussi Marc. 1, 2, 3 et l'explication), extraire de tous les prophètes réunis un texte qu'aucun d'eux pris à part n'avait écrit : " Il sera appelé Nazaréen ". C'est un résumé, analogue, quoique moins extraordinaire, qu'il fait à sa dernière page. (On trouvera dans Hengstenberg, Christologie des A. Test. t. 2, p. 257 et ss., des preuves détaillées de cette opinion qui remonte du reste jusqu'à Sanctius). Mais comme sa citation se rattache davantage au texte de Zacharie, pour l'expliquer nous aurons plus spécialement recours aux paroles de ce prophète. Dans son douzième chapitre, Zacharie agit au nom de Jéhovah, et représente d'une manière symbolique l'ingratitude de la nation juive à l'égard de son Dieu. Il est pasteur d'un troupeau qui figure Israël ; fatigué des ennuis que lui causent ses brebis, il demande son compte pour se retirer ensuite. On lui offre le prix dérisoire de trente deniers ; mais Dieu lui commande de jeter cet argent dans le Temple. " Et je saisis, raconte-t-il d'après le texte hébreu, les trente deniers ". Jéhovah lui dit : " Jette-le au potier, ce prix magnifique auquel ils m'ont estimé ". Il obéit aussitôt à cet ordre : " Et je les jetai au potier dans la maison du Seigneur ". D'après S. Matthieu, les trente pièces d'argent prophétisaient la somme pour laquelle Jésus-Christ, le bon pasteur, fut livré à ses ennemis. C'est à ce vil prix qu'il fut taxé par les princes des prêtres, comme autrefois Zacharie, représentant de Jéhovah. L'évangéliste cite librement, à la façon des Targums, afin de rendre l'application plus sensible. De là les changements de personnes, les insertions de mots nouveaux et les autres modifications qu'il introduit dans le texte prophétique. Mais il ne change rien à la substance de la prédiction. - Dans le champ du potier. C'est Jérémie qui a prêté cette idée à S. Matthieu, du moins d'une manière complète. Dans Zacharie, nous lisons communément " au potier ". Mais Jérémie ayant été chargé par le Seigneur d'acheter le champ d'un potier, ce qui était évidemment un symbole, l'évangéliste a rapproché cette action de celle de Zacharie et il a obtenu de la sorte une paraphrase typique qui coïncide exactement avec l'histoire de Jésus. Grâce à S. Matthieu, nous pouvons donc mieux comprendre comment d'anciennes prophéties, après s'être réalisées une première fois à une époque déjà éloignée, ont obtenu au moment de la Passion du Sauveur un second accomplissement qui était en réalité le principal, bien qu'il fût demeuré caché jusque là dans les plans mystérieux de la Providence.
11
Or Jésus comparut devant le gouverneur, et le gouverneur l’interrogea en ces termes : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus lui répondit : Tu le dis. 12Et comme il était accusé par les princes des prêtres et les anciens, il ne répondit rien. 13Alors Pilate lui dit : N’entends-tu pas quels graves témoignages ils portent contre toi ? 14Mais il ne lui répondit pas un seul mot, de sorte que le gouverneur en fut très étonné. 15Or, le jour de la fête, le gouverneur avait coutume de délivrer un prisonnier, celui que le peuple demandait. 16Il avait alors un prisonnier célèbre, nommé Barabbas.17Comme ils étaient donc assemblés, Pilate leur dit : Qui voulez-vous que je vous délivre ? Barabbas ou Jésus, qui est appelé Christ ? 18Car il savait que c’était par envie qu’ils l’avaient livré. 19Pendant qu’il était assis sur son tribunal, sa femme lui envoya dire : Qu’il n’y ait rien entre toi et ce juste car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui.20Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent le peuple de demander Barabbas et de faire périr Jésus. 21Le gouverneur, prenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ? Ils dirent : Barabbas. 22Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, qui est appelé Christ ? 23Ils répondirent tous : Qu’il soit crucifié. Le gouverneur leur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Et ils crièrent encore plus fort, en disant : Qu’il soit crucifié. 24Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte allait croissant, prit de l’eau, et se lava les mains devant le peuple, en disant : Je suis innocent du sang de ce juste ; c’est à vous de voir. 25Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.26Alors il leur délivra Barabbas, et après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié.C'est dans le troisième et dans le quatrième Évangile que cette scène a été le plus exactement décrite. Cependant S. Matthieu, quoiqu'il abrège ou qu'il supprime plusieurs détails, a très bien conservé à cet intéressant et douloureux tableau son caractère original. Il s'applique spécialement à relever les incidents qui prouvent l'innocence de Jésus, comme aussi les diverses tentatives de Pilate pour le sauver.
Matthieu chap. 27 verset 11. - Or Jésus comparut devant le gouverneur, et le gouverneur l’interrogea en ces termes : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus lui répondit : Tu le dis.
- La particule " Or " sert de transition, de même qu'au verset 1. Elle ferme la longue parenthèse ouverte au verset 2, et nous ramène au prétoire à la suite de Jésus et du Sanhédrin. Voilà la douce et innocente victime debout devant un nouveau tribunal et devant un nouveau juge. Pilate ne sera pas moins inique que Caïphe. Du moins il est sans parti pris contre Jésus ; tout au contraire, il s'intéresse vivement à son sort, et dirige les débats dans un sens favorable à l'accusé. - Il l'interrogea... Puisque le procurateur devait confirmer ou annuler la sentence du sanhédrin, d'après les prescriptions romaines, il fallait bien qu'il fît subir à son tour un interrogatoire à Jésus. - Es-tu le roi des Juifs ? Cette question qu'il lui pose tout d'abord, d'après le récit de S. Matthieu, devient plus intelligible quand on a lu les rédactions de S. Luc et de S. Jean. Pilate avait demandé en premier lieu aux Sanhédristes les charges qu'ils portaient contre le Sauveur, et ceux-ci l'avaient accusé d'élever un trône contre celui de César et de se dire roi des Juifs. C'est alors seulement que le gouverneur interpella directement Jésus pour savoir s'il était en effet le roi des Juifs. - Tu le dis, c'est-à-dire : Oui, je le suis. Cf. 26, 64. Notre-Seigneur proclame sa royauté devant Pilate, de même qu'il avait proclamé sa dignité messianique en face du Sanhédrin. C'est sans doute à ce courageux témoignage que S. Paul fait allusion dans sa première Épître à Timothée, 6, 13. Jésus ne répondit ainsi qu'après avoir échangé plusieurs phrases avec Pilate et lui avoir fait connaître la nature toute spirituelle de son royaume. Cf. Joan. 18, 33-37.Matthieu chap. 27 verset 12. - Et comme il était accusé par les princes des prêtres et les anciens, il ne répondit rien.
- Les membres du Grand Conseil l'interrompent bruyamment pour protester contre ses prétentions et pour diriger contre lui les accusations les plus violentes, les plus injustes. A leur égard, Jésus reprend sa majestueuse attitude de la nuit, cf. 26, 63. Les déclarations qu'il a faites au gouverneur suffisent ; il n'a pas à se défendre davantage. Maintenant que son heure est venue, il serait indigne de lui d'entrer en lutte avec des ennemis aussi passionnés. " Maudit, il ne maudit pas ; tourmenté, il ne menace personne ; mais il s'abandonne à celui qui le juge avec injustice ". 1 Petr. 2, 23.Matthieu chap. 27 verset 13. - Alors Pilate lui dit : N’entends-tu pas quels graves témoignages ils portent contre toi ?
- Pilate est frappé de ce noble silence. Jamais encore, dans sa longue administration, il n'a rencontré un si noble accusé. Touché de pitié, il ne peut retenir une exclamation pleine de sympathie pour Jésus. " Ne vois-tu pas, lui demande-t-il, quels témoignages accablants ils portent contre toi ? " . Ils l'accusaient, en effet, de pousser les Juifs à la révolte dans toute l'étendue de la Palestine, cf. Luc. 23, 5. Pilate qui avait compris son innocence dès le premier instant, cf. Luc, ibid. v. 4, voudrait le voir réduire à néant par quelques paroles les accusations des Sanhédristes.Matthieu chap. 27 verset 14. - Mais il ne lui répondit pas un seul mot, de sorte que le gouverneur en fut très étonné.
- Même silence de la part de Jésus. Oui, il lui serait aisé de se défendre et de se justifier : mais n'a-t-il pas promis de mourir pour le salut des hommes ? Pour s'encourager dans ce moment d'angoisse, il pense aux lignes sublimes par lesquelles, six cent ans auparavant, Isaïe décrivait sa Passion : " S'il a été sacrifié, c'est qu'il l'a voulu ; voilà pourquoi, il n'a pas ouvert la bouche. Comme une brebis conduite à la boucherie, comme un agneau en présence de celui qui le tond, il se tait, et n'ouvre même pas la bouche ", Is. 53, 7. - Le gouverneur en fut très étonné. L'étonnement de Pilate se change en admiration : il admire cette dignité, ce calme, ce mépris de la mort. Pourquoi le procurateur, écoutant la voix de sa conscience, ne mit-il pas aussitôt Jésus en liberté ? Nous le comprendrons mieux en étudiant le passage parallèle de S. Jean : Il craint de déplaire à ces Juifs qu'il méprise pourtant, et d'être accusé par eux auprès de César de n'avoir pas réprimé les audacieuses menées d'un homme qui voulait se faire roi de Jérusalem. Mais, apprenant alors que Jésus était Galiléen, il croit se débarrasser habilement de cette cause délicate en la faisant trancher par Hérode qui se trouvait en ce moment dans la capitale ; cf. Luc. 23, 6-12. L'expédient ne réussit pas, une heure ou deux après, nous retrouvons Jésus au prétoire.Matthieu chap. 27 verset 15. - Or, le jour de la fête, le gouverneur avait coutume de délivrer un prisonnier, celui que le peuple demandait.
- Pilate, en homme habile et rusé, prend une autre voie pour dégager de toutes manières sa responsabilité dans le procès de Jésus. Il lui répugne de condamner l'accusé ; il n'ose pas le relâcher de lui-même et lutter ainsi en face contre le tribunal suprême des Juifs. Il se souvient tout à coup d'une coutume qui le tirera, pense-t-il, complètement d'embarras. Le jour de la fête désigne évidemment la Pâque, d'après le contexte ; cf. Joan. 18, 39. C'était la fête par excellence du Judaïsme. Il avait coutume : d'après S. Luc, " il était obligé de " : Il ne s'agit donc pas seulement d'une ancienne coutume, mais d'un droit réel, dont les Juifs pouvaient réclamer l'exécution. Était-ce un privilège que les Romains leur avaient accordé après la conquête pour se donner un certain air de générosité ? Rosenmüller, Friedlieb, M. Fouard et d'autres exégètes l'ont pensé. Mais la plupart des commentateurs supposent avec plus de vraisemblance que c'était un usage établi très-anciennement par les Juifs eux-mêmes, en souvenir de la délivrance du joug Égyptien, et simplement maintenu par les Romains. Cela ressort des paroles adressées au peuple par Pilate, selon la rédaction de S. Jean, 18, 39 : " C'est la coutume qu'à la fête de Pâque je vous délivre quelqu'un " . Le gouverneur donne expressément à la coutume une origine judaïque. Il existait toutefois des usages analogues chez les païens ; à Rome, on enlevait aux esclaves leurs chaînes pour la fête des " Lectisternia ", et en Grèce les prisonniers eux-mêmes pouvaient prendre part aux solennités célébrées en l'honneur de Bacchus. - Celui que le peuple demandait. C'était la foule qui choisissait. Mais, dans la circonstance présente, Pilate se promet de diriger le choix de telle sorte que Jésus puisse bénéficier du privilège à l'exclusion de tout autre captif.Matthieu chap. 27 verset 16. - Il avait alors un prisonnier célèbre, nommé Barabbas.
- Le prisonnier " célèbre " que Pilate veut opposer à Jésus était un de ces bandits qui ravageaient alors la Palestine : il s'était rendu coupable d'assassinat. Cf. Luc. 23, 19 ; Joan. 18, 40. Son nom, Barabbas, est mentionné par les quatre évangélistes. Les hébraïsants modernes ne sont pas d'accord sur l'étymologie de cette dénomination commune alors chez les Juifs (cf. Lightfoot, Hor. Hebr. p. 489), mais qui est écrite de quatre manières différentes dans les manuscrits grecs. Les uns l'expliquent par Bar-rabba, fils du docteur (Langen, etc.) ; d'autres par Bar-rabbân, fils de notre maître (Ewald, etc.) ; d'autres enfin par Bar-abba, fils du père. S. Jérôme admettait déjà et très-justement, croyons-nous, cette dernière interprétation, in Ps. 108, cf. Theophyl. in h.l. Il est possible pourtant que Abba ait été un nom propre. Barabbas serait alors une de ces appellations patronymiques si fréquentes chez les Sémites, et signifierait fils d'Abba. Cf. Simonis, Onomasticon N. T. p. 38. Un grand nombre de manuscrits grecs, peu anciens à la vérité, mais corroborés par la version arménienne, appellent Jésus Barabbas, soit ici soit au v. 47, le malfaiteur que Pilate opposa au Sauveur. Cette leçon, qu'Origène affirme avoir parfois rencontrée, a été adoptée par plusieurs critiques distingués, tels que Lachmann, Fritzsche et Tischendorf. Mais la plupart des commentateurs la rejettent à bon droit : si elle eût été authentique, comment pourrait-on expliquer son omission dans les manuscrits anciens et dans les versions les plus importantes ?Matthieu chap. 27 verset 17. Comme ils étaient donc assemblés, Pilate leur dit : Qui voulez-vous que je vous délivre ? Barabbas ou Jésus, qui est appelé Christ ?
- Le gouverneur, par une diversion habile, donne le choix entre cet homme et Jésus à la foule qui s'est massée devant le prétoire depuis le commencement des débats. - Barabbas ou Jésus ? Quel contraste ! Aussi ne doute-t-il nullement qu'on ne choisisse aussitôt Jésus. La décence la plus élémentaire obligera le peuple à sauver Notre-Seigneur plutôt qu'un vil scélérat. - Qui est appelé Christ. Pilate appuya sans doute sur ces mots. Prenez garde, c'est peut-être votre Messie. Voudriez-vous le laisser mourir ? Le procurateur suppose, suivant la pensée de S. Jean Chrysostôme, que s'ils se refusent à l'absoudre en tant qu'innocent, ils consentiront du moins à le gracier par honneur pour la solennité pascale.Matthieu chap. 27 verset 18. - Car il savait que c’était par envie qu’ils l’avaient livré.
- Il avait été facile à un juge exercé comme l'était Pilate de deviner le véritable motif qui poussait les Sanhédristes à demander la condamnation de Jésus. La passion avec laquelle ils l'avaient accusé, la répétition constante des mêmes charges, sans preuve sérieuse ; d'un autre côté l'attitude, le langage et la physionomie du Sauveur, qui n'indiquaient rien moins qu'un malfaiteur, peut-être aussi les renseignements que Pilate avait pu recevoir soit pendant que Jésus était conduit chez Hérode, soit auparavant, tout lui avait fait comprendre que les poursuites avaient été intentées par le plus bas de tous les mobiles.Matthieu chap. 27 verset 19. - Pendant qu’il était assis sur son tribunal, sa femme lui envoya dire : Qu’il n’y ait rien entre toi et ce juste car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui.
- Le gouverneur venait de remettre à la foule le soin d'absoudre Jésus ; c'est en ce sens qu'il l'avait ostensiblement éclairée pour diriger son choix. Il avait même pris place sur son tribunal et s'était assis sur la chaise curule qui dominait l'estrade (Gabbatha, cf. Joan. 19, 13) pour confirmer le vote du peuple, et prononcer selon toutes les formalités romaines une sentence d'acquittement en faveur de Jésus, lorsqu'il se produisit un incident remarquable, qui ne fit que fortifier son dessein de mettre Notre-Seigneur en liberté. - Sa femme lui envoya dire. Primitivement, il était interdit d'une manière très sévère aux magistrats romains envoyés dans les provinces d'emmener leurs femmes avec eux. Cette loi fut rapportée par Tibère : mais il fut établi que les gouverneurs et autres officiers seraient responsables de la conduite de leurs femmes et spécialement des intrigues qu'elles pourraient nouer ; cf. Tac. Annal. 3, 33-34. Il n'est donc pas surprenant de rencontrer Claudia Procula, ou simplement Procla, comme l'appelle la tradition (cf. Nicephor, Hist. Eccl. 1, 30), auprès de Pilate, son mari, en Judée et même à Jérusalem. Cette femme intervient tout à coup d'une manière touchante dans le procès de Jésus, comme le prouve le message pressant qu'elle envoie au procurateur. Son langage est clair : Ne condamne pas ce juste ! Fait-elle dire par un serviteur. " Ce juste " : c'est un beau nom qu'elle donne à Jésus. Elle connaissait peut-être le Sauveur par ouï-dire, car sa réputation était toujours allée en grossissant depuis les débuts de sa Vie publique. Ou bien, c'est en songe qu'elle avait été merveilleusement éclairée sur le caractère du Sauveur. En effet, bien que plusieurs auteurs modernes aient regardé le songe de la femme de Pilate comme un fait purement naturel, produit par les événements de la dernière nuit qu'elle aurait appris avant de s'endormir, il nous semble impossible de n'y pas voir, à la suite des Pères et de la généralité des interprètes, un vrai prodige surnaturel. Toutefois les écrivains ecclésiastiques n'apprécient pas de la même manière la nature de cet incident. Il en est (S. Ignace, ad Philipp. c. 5, Le Vénérable Bède, S. Bernard, l'auteur du poème Heliand) qui l'attribuent au démon. Satan aurait voulu, disent-ils, en suscitant à Jésus de vives et puissantes sympathies, empêcher l’œuvre de la Rédemption d'être complète. La plupart cependant, en particulier Origène, S. Jean Chrysost, S. Augustin, etc., supposent, et bien justement, une origine toute céleste au songe de la femme du gouverneur. M. Reisch, Comm. in h.l., fait à ce sujet de sages réflexions : " En face des faux témoignages des hommes, nous voyons le ciel incessamment occupé à procurer au Sauveur tout l'assistance qui était compatible avec les divins décrets, et surtout à attester son innocence et sa sainteté. En ce moment, le Judaïsme n'était ni capable, ni digne de recevoir une révélation supérieure. A la fin, comme autrefois au commencement de la vie du Christ, les avertissements divins s'adressent à des étrangers ". Cf. S. Hilaire, Comm. in h.l. - J'ai beaucoup souffert. Ces mots indiquent que les détails du songe avaient revêtu un caractère effrayant et terrible : mais de crainte de tomber dans l'arbitraire, nous préférons nous dispenser de toute conjecture à ce sujet. Les païens attachaient une très grande importance aux songes, qu'ils croyaient directement venus de Zeus, selon l'expression du vieil Homère. - Aujourd'hui, par conséquent dans la seconde partie de la nuit. Il n'était guère alors que 7 ou 8 heures du matin. Tel fut le langage qui fut porté à Pilate de la part de sa femme. Il annonce, dans celle qui l'avait transmis, non seulement un intérêt passager pour Notre-Seigneur, mais encore une âme profondément religieuse, bien élevée au-dessus des préjugés étroits du paganisme. L'historien Josèphe nous apprend, Bell. Jud. 20, 2, qu'un grand nombre de femmes romaines, gagnées par les beautés dogmatiques et morales de la religion mosaïque, s'étaient fait recevoir prosélytes. La femme de Pilate, d'après l'Évangile apocryphe de Nicodème (chap. 2) qui renferme souvent des détails dignes de foi, aurait fait construire de nombreuses synagogues. Pourquoi, après la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne serait-elle pas devenue chrétienne ? Une tradition qui remonte au moins jusqu'à l'époque d'Origène, voir ses Hom. in Matth. 35, affirme expressément sa conversion. Le ménologe grec va même jusqu'à la placer au rang des Saints ; Cf. Calmet, Dictionn. de la Bible, au mot Procla. Nous pouvons en tout cas nous écrier avec Origène, à la fin de cet épisode intéressant, dont S. Matthieu seul nous a gardé le souvenir : " Nous disons que l'épouse de Pilate est bienheureuse, car en songe elle a beaucoup souffert à cause de Jésus ".Matthieu chap. 27 verset 20. - Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent le peuple de demander Barabbas et de faire périr Jésus.
- L'intervention de cette noble Romaine en faveur de Jésus ne devait pas avoir plus de puissance sur le cœur de Pilate que le témoignage de Judas, cf. v. 4, n'en avait eu sur la volonté des Sanhédristes. Ceux-ci étaient trop endurcis, celui-là était trop faible pour se laisser influencer par n'importe quel témoignage favorable au divin accusé. D'ailleurs, pendant que la grâce agissait visiblement sur Pilate par l'intermédiaire de sa femme pour qu'il se conduisît en juste juge, le démon se servait des princes des prêtres et des autres membres du Sanhédrin pour forcer en quelque sorte la main au lâche gouverneur. " Son épouse l'avertissait, la grâce l'éclairait dans la nuit, la divinité s'imposait ", S. Ambr. Exp. in Luc., l. 10, c. 100. - Ils persuadèrent le peuple. L'évangéliste nous les montre parcourant les rangs de la foule, durant la courte interruption de l'audience occasionnée par l'incident que nous venons de lire, et, à force de mensonges et d'accusations perfides, persuadant à ce peuple mobile de demander la liberté pour Barabbas. - Et de faire périr Jésus. Choisir Barabbas, c'était laisser Jésus sous le coup de la condamnation portée contre lui ; c'était par conséquent, les Sanhédristes n'en doutaient pas, obtenir prochainement de Pilate, qu'ils voyaient faiblir, l'autorisation d'exécuter leur arrêt de mort.Matthieu chap. 27 verset 21. - Le gouverneur, prenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ? Ils dirent : Barabbas.
- Après avoir reçu le message de sa femme, Pilate reprend la séance un moment suspendue, et il réitère sa question du v. 17 : Lequel de ces deux hommes voulez-vous que je vous délivre ? La multitude, aveuglée par les insinuations haineuses des prêtres et des Scribes, ose préférer Barabbas à Jésus ! " La foule, comme une troupe de bêtes féroces qui suivent la voie large, demanda qu’on lui délivrât Barabbas ... Tous ceux encore qui sont semblables aux Juifs, ou dans leur croyance ou dans leur vie, veulent la délivrance de Barabbas ", Orig. in h.l.Matthieu chap. 27 verset 22. - Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, qui est appelé Christ ?
- Pilate est visiblement désappointé, déconcerté, par cette préférence à laquelle il était loin de s'attendre. Mais, cachant aussitôt son dépit et jouant au plus fin, il fait une nouvelle tentative pour obtenir de la foule la mise en liberté de Jésus. Je vous accorde la grâce de Barabbas, c'est votre droit. Mais que ferai-je de Jésus ? C'était insinuer aux Juifs qu'il lui répugnait de le condamner et qu'il l'élargirait volontiers s'ils retiraient l'accusation portée contre lui.Matthieu chap. 27 verset 23. - Ils répondirent tous : Qu’il soit crucifié. Le gouverneur leur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Et ils crièrent encore plus fort, en disant : Qu’il soit crucifié.
- Tous, le peuple et les membres du Grand Conseil, poussent de concert un cri déicide : Qu'il soit crucifié ! Pour Jésus ils ne demandent pas la mort pure et simple, mais le supplice si douloureux, si ignominieux de la croix, auquel la loi romaine condamnait tous les séditieux qui ne jouissaient pas du droit de cité. Pilate réplique : Quel mal a-t-il fait ? C'est-à-dire : Il n'a commis aucun crime : comment donc pouvez-vous exiger que je le condamne à mort ? Mais des représentations aussi timides devaient rester sans influence sur une populace altérée de sang. En entendant la dernière observation de Pilate, les Juifs se mirent à crier avec un redoublement de rage : qu'il soit crucifié ! Ils attendent impatiemment leur Messie ; puis, quand il se présente les mains chargées de bienfaits, voilà l'accueil qu'ils lui réservent !Matthieu chap. 27 verset 24. - Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte allait croissant, prit de l’eau, et se lava les mains devant le peuple, en disant : Je suis innocent du sang de ce juste ; c’est à vous de voir.
- Pilate s'aperçoit trop tard qu'il est débordé. Ce sera toujours le sort de ces politiques, prétendus sages, qui s'imaginent pouvoir endormir les passions populaires par des concessions dangereuses, sans penser que les masses, devenant de plus en plus exigeantes, renverseront bientôt les faibles digues par lesquelles on avait cru pouvoir arrêter leurs violences. Non seulement Pilate n'a rien obtenu en échange de ses fâcheuses avances ; mais il voit que ses efforts pour calmer la foule n'aboutissent qu'à la surexciter davantage. Une émeute réelle est à craindre. Que fera-t-il ? Il comprendra peut-être enfin qu'un acte de vigueur est seul capable d'arracher un innocent à la mort, et de se soustraire lui-même à une infamie ? Non ! Il se fait apporter de l'eau, se lave les mains devant le peuple en attestant qu'il n'est pour rien dans le supplice de Jésus ; puis, croyant avoir ainsi tranquillisé sa conscience, éloigné toute injustice de son cœur, il abandonne la victime aux bourreaux qui l'attendent ! - Il se lava les mains. Quand un meurtre dont l'auteur était demeuré inconnu avait été commis sur le territoire d'une ville juive, les principaux habitants devaient, d'après la loi, Deut. 21, 1-9 ; cf. tr. Sota 8, 6, se laver les mains auprès du cadavre en protestant de leur innocence. De là on a conclu que l'acte de Pilate était une imitation de cette coutume juive (Rosenmüller, de Wette, Friedlieb, etc.). Mais il existait chez les Grecs et chez les Romains, pour les homicides involontaires, des purifications expiatoires que le procurateur connaissait. Il n'avait donc rien à emprunter aux Juifs. Au surplus les actions symboliques de ce genre sont très naturelles et peuvent se rencontrer chez tous les peuples. - Devant le peuple. Toute l'assemblée put le voir, car il était toujours sur son estrade élevée ; cf. v. 19. - Je suis innocent du sang… Pilate explique par quelques paroles le sens de son action : il déclare qu'il ne veut participer en rien à la mort de Jésus, et décline toute responsabilité dans cette odieuse affaire. Comme Judas, v. 4, comme sa femme, v. 19, Pilate décerne à Jésus le titre de juste, mais sa déclaration a une importance beaucoup plus grande, car c'est en tant que Juge qu'il la fait, du haut de son tribunal. Toutefois, en protestant de l'innocence du Sauveur, il s'accuse ouvertement lui-même de l'injustice la plus révoltante. Il a beau dire encore au peuple : cela vous regarde (cf. le v. 4 et son explication) il n'en a pas moins commis devant Dieu et devant l'histoire un vrai meurtre judiciaire sur la personne adorable de Jésus. " Il lui est permis de se laver les mains, mais cela n’effacera jamais ses mauvaises actions. Même s’il pense pouvoir enlever de ses membres toute trace du sang du juste, son esprit demeurera quand même contaminé par ce sang. Car il tue le Christ celui qui le livre à la mort ", S. Augustin Serm. 118 de temp. En effet, ajoute S. Léon, Serm. 8 de Pass., " Des mains purifiées ne purifient pas une âme contaminée ; des doigts lavés avec de l’eau n’expient pas le crime qu’ils ont commis, avec l’âme pour complice ". Qu'on nous permette de citer encore une page admirable, que nous empruntons à un mandement célèbre publié par Mgr Pie le 22 février 1861 : " depuis dix-huit siècles, il est un formulaire en douze articles que toutes les lèvres chrétiennes récitent chaque jour. Dans ce sommaire de notre foi, rédigé avec tant de concision par les apôtres, figurent, en outre des trois noms adorables des personnes divines, le nom mille fois béni de la femme qui a donné la naissance au Fils de Dieu, et le nom mille fois exécrable de l'homme qui lui a donné la mort. Or cet homme, ainsi marqué du stigmate déicide, cet homme ainsi cloué au pilori de notre symbole, quel est-il donc ? Ce n'est ni Hérode, ni Caïphe, ni Judas, ni aucun des bourreaux juifs ou romains ; cet homme, c'est Ponce Pilate. Et cela est justice. Hérode, Caïphe, Judas et les autres ont eu leur part dans le crime ; mais enfin, rien n'eût abouti sans Pilate. Pilate pouvait sauver le Christ, et sans Pilate on ne pouvait mettre le Christ à mort... Lave tes mains, ô Pilate ! Déclare-toi innocent de la mort du Christ. Pour toute réponse, nous dirons chaque jour, et la postérité la plus reculée dira encore : je crois en Jésus-Christ, le Fils unique du Père, qui a été conçu du Saint-Esprit, qui est né de la Vierge Marie, et qui a enduré mort et passion sous Ponce-Pilate ". Voir, sur le jugement de Pilate, Thomasius, De injusto Pontii Pilati judicio ; Dupin, Jésus devant Caïphe et Pilate, §9 et 10 ; J. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, ch. 12 et 14. Et cependant, comme le fait observer M. Dupin, il ne paraît pas que Pilate ait été un homme méchant : mais il était fonctionnaire public, il tenait à sa place, il fut intimidé par des cris qui révoquaient en doute sa fidélité à l'empereur. Il craignit une destitution et il céda. La Providence se vengea de lui en permettant que, peu d'années après la mort de Jésus (A.D. 36), il fût destitué par le proconsul de Syrie Vitellius, à cause de sa conduite tyrannique à l'égard des Samaritains. Cf. Joseph Ant. 18, 4. Déféré ensuite au tribunal de l'empereur, il fut, dit-on, banni à Vienne dans les Gaules. Une autre tradition le relègue sur la montagne suisse, située auprès du lac de Lucerne, qui porte aujourd'hui son nom : un jour pour mettre fin à ses remords, il se serait précipité dans les eaux du lac. Eusèbe raconte aussi que Pilate mit lui-même fin à ses jours, comme Judas, cf. Hist. Eccl. 2, 7. De bonne heure il se forma autour du nom de Pilate une littérature apocryphe que les Pères mentionnent et dont les païens se moquaient, cf. Orig. c. Cels. ; Euseb. H. E. 9, 5. Il en existe encore de nombreux restes que Fabricius, Thilo et Tischendorf ont recueillis dans leurs collections sous les titres de " acta Pilati, epistolae duae Pilati ad Tiberium, Paradosis Pilati ", etc. L'Évangile de Nicodème traite aussi des mêmes faits dans sa première partie ; cf. Brunet, les Évangiles apocryphes, 2e édit., Paris, 1863, p. 215 et ss. La base de ces détails légendaires serait un rapport officiel envoyé vraisemblablement par Pilate à l'empereur Tibère sur le procès de Jésus, et signalé par S. Justin martyr, apol. 1, et par Tertullien, apol. c. 21.Matthieu chap. 27 verset 25. - Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.
- La foule assume sans hésiter la responsabilité de Pilate essaie, quoique en vain, de rejeter loin de lui. Elle s'écrie d'une voix unanime : Que son sang retombe sur nous... cf. 23, 35 ; 2 Reg. 1, 16 ; Jerem. 51, 35 ; Act. 18, 6. Chez les Juifs, lorsque des juges avaient prononcé une sentence de mort, pour attester leur parfaite impartialité dans les débats, ils s'approchaient du condamné, élevaient leurs mains au-dessus de sa tête et disaient : Que ton sang retombe sur toi ! La multitude qui a condamné Jésus à l'instigation du Sanhédrin vocifère au contraire : Que son sang retombe sur nous ! Elle ajoute même : Et sur nos enfants. Elle souhaite ainsi que tout le châtiment de la faute, s'il y a faute et châtiment, lui soit infligé à elle-même ainsi qu'à la génération suivante. Quarante ans après, cette horrible imprécation était pleinement réalisée. Le sang de Jésus retombait sur la nation déicide, sous la forme des fléaux terribles prédits plus haut, ch. 24, par le Sauveur. Du reste, comme l'affirme justement S. Jérôme, in h.l. : " Cette imprécation pèse encore aujourd'hui sur les Juifs, et le sang du Seigneur s'attache à eux jusqu'à ce jour. C'est pourquoi Isaïe a dit : quand vous étendrez vos mains, je cacherai mes yeux de vous, et quand vous multiplierez vos prières, je ne les exaucerai point ; vos mains sont pleines de sang ".Matthieu chap. 27 verset 26. - Alors il leur délivra Barabbas, et après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié.
- C'est la consommation de l'infamie à laquelle Pilate avait misérablement consenti. Il leur abandonne Barabbas dont ils ont demandé la mise en liberté, puis il remet Jésus à ses propres licteurs pour qu'ils lui fassent subir le supplice de la croix. Mais pourquoi, auparavant, fit-il flageller le divin Maître ? Il existe sur ce point deux conjectures principales. Pour les bien comprendre, il faut savoir que, d'après le code criminel des Romains, la flagellation pouvait être infligée dans trois conditions distinctes : 1° comme moyen d'extorquer des aveux à l'accusé : c'est ce qu'on appelait mettre à la question ; 2° comme châtiment proprement dit, inférieur à la peine de mort ; 3° comme partie intégrante du crucifiement ? Cela posé, et rien ne montrant, dans le récit évangélique, que Jésus ait été flagellé pour qu'il avouât de prétendus crimes, on peut faire les hypothèses suivantes : Ou sa flagellation était, dans l'intention de Pilate, un supplice qui terminerait le procès et au-delà duquel le gouverneur ne se laisserait pas entraîner par la violence des Juifs ; ou elle ne fut qu'un terrible prélude de la mort sur la croix. Saint Jérôme admet ce second sentiment lorsqu'il écrit : " Pilate ne fit en cela qu'exécuter la loi romaine, qui ordonnait de flageller d'abord celui qui devait être crucifié " (Comm. in h. l.). S. Jean Chrysostôme et S. Augustin (Traité 116) favorisent la première opinion. " L'unique dessein de Pilate était, sans doute, d'assouvir la rage des Juifs par le spectacle de ses tourments, de les forcer ainsi à se déclarer satisfaits, et de les amener à ne point pousser la cruauté jusqu'à le faire mourir ". Et telle est bien, croyons-nous, l'impression qui résulte de la narration de S. Jean, ch. 18 et 19, où l'on voit que Pilate ne chercha, dans la flagellation de Notre-Seigneur, qu'un nouvel expédient pour le sauver, qu'un nouveau moyen d'apitoyer les Juifs. Quoi qu'il en soit, le divin Maître fut cruellement flagellé. " Jésus est alors livré aux soldats, pour être frappé; et ils déchirent avec des fouets ce corps très saint, cette poitrine divine. Tout cela s'est fait, parce qu'il est écrit: " De nombreux coups de fouets sont réservés aux pécheurs " ( Ps 32,10 ), et que cette flagellation nous en délivre, car l'Écriture dit à l'homme juste : le mal n'approchera point de toi, ni le fouet de ton tabernacle ", S. Jérôme in h.l. – Flageller. Que d'affreuses tortures dans cette simple parole : Horace appelle à bon droit la flagellation " un supplice horrible ". Le condamné, après qu'on avait mis à nu la partie supérieure de son corps, était attaché à une colonne assez basse, de manière à courber le dos ; il se trouvait ainsi exposé à toute la violence des coups. Des licteurs, ou à leur défaut des soldats, s'armaient alors de verges flexibles, ou de bâtons, ou de fouets composés de lanières de cuir et munis tantôt d'aiguillons tantôt d'osselets ou de balles de plomb ; puis ils frappaient de toutes leurs forces la malheureuse victime. Le sang jaillissait, les chairs volaient en lambeaux ; bientôt le patient tombait évanoui aux pieds de ses bourreaux, qui n'en continuaient pas moins leur besogne farouche. Le nombre de coups n'était limité par aucune loi chez les Romains ; tout était abandonné sous ce rapport à l'arbitraire des licteurs. Aussi arrivait-il fréquemment que, lorsqu'ils s'arrêtaient épuisés, ils ne trouvaient plus qu'un cadavre horriblement défiguré. (Voir la description d'une flagellation dans Cicéron, In Verrem, 5 ; cf. Philon, in Flacc. § 10). Tel fut le supplice enduré par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Comme un vulgaire criminel, il fut lié à une petite colonne qu'on vénérait dès le quatrième siècle à Jérusalem, cf. Itiner. Burdigal, p. 590, ed. Wesseling, et qui fut transportée depuis à Rome, dans l'église de Sainte Praxède (voir le savant Mémoire de M. Rohault de Fleury sur les instruments de la Passion, p. 264 et ss.). Son divin corps fut déchiré par de nombreux coups de fouet ; son sang coula abondamment. Mais les Juifs demeurèrent sans pitié. Comme des bêtes fauves qui, après avoir goûté du sang, en veulent jusqu'à satiété, ils furent eux aussi de plus en plus altérés : il fallait le crucifiement pour assouvir leur soif féroce. - Il le leur livra. Toutefois, ce ne fut pas immédiatement que Pilate consentit à laisser crucifier Jésus. Nous verrons dans le quatrième Évangile, 14, 4-16, qu'après la flagellation il essaya encore de l'arracher à la mort. En outre, ce ne fut pas directement aux Juifs qu'il le livra, mais aux soldats de la garnison, qui étaient seuls chargés d'exécuter la sentence.
27
Alors les soldats du gouverneur, emmenant Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte. 28Et l’ayant dépouillé, ils le revêtirent d’un manteau rouge 29puis, tressant une couronne d’épines, ils la mirent sur sa tête, et un roseau dans sa main droite ; et fléchissant le genou devant lui, ils se moquaient de lui, en disant : Salut, roi des Juifs. 30Et crachant sur lui, ils prenaient le roseau et lui frappaient la tête.Matthieu chap. 27 verset 27. - Alors les soldats du gouverneur, emmenant Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte.
- " N'était-ce donc pas assez de tant d'outrages déjà faits au Fils de Dieu ? Et, puisqu'il était enfin condamné à mourir, fallait-il ajouter à l'injustice et à la rigueur de cet arrêt de si amères insultes et de si barbares cruautés ? Il semble, dit S. Chrysostôme, que tout l'enfer en cette triste journée fût déchaîné, et eût donné le signal pour soulever tout le monde contre Jésus-Christ. Car ce ne sont plus même les Juifs, ce ne sont plus les princes des prêtres, ce ne sont plus les Scribes et les Pharisiens, qui pouvaient avoir des raisons cachées et particulières de haine contre ce divin Sauveur ; ce ne sont plus là, dis-je, ceux qui le persécutent ; mais ce sont les soldats de Pilate, ce sont des Gentils et des étrangers qui en font leur jouet, et qui le préparent au supplice et à l'ignominie de la croix par les plus sensibles dérisions, et par toutes les inhumanités que leur inspire une brutale férocité ", Bourdaloue, Exhortat. sur le Couronnement de Jésus-Christ. Aussitôt après la flagellation, ceux des soldats de Pilate qui remplissaient les fonctions de licteurs, recouvrirent Jésus de ses vêtements et le conduisirent au prétoire. Ce prétoire désignait le quartier général des fonctionnaires romains qui étaient munis d'un commandement militaire. L'autorité de Pilate étant tout ensemble militaire et civile, sa résidence portait toujours et partout le nom de prétoire. Nous avons vu (cf. la note du v. 2) que le procurateur habitait alors dans la citadelle Antonia, au N.O. du Temple, qui servait en même temps de caserne à ses troupes. - Toute la cohorte. Les barbares soldats, voulant s'égayer aux dépens de la victime qu'on venait de leur livrer, rassemblent tout autour d'eux la cohorte, c'est-à-dire les cinq ou six cents hommes qui formaient la garnison habituelle de Jérusalem.Matthieu chap. 27 verset 28. - Et l’ayant dépouillé, ils le revêtirent d’un manteau rouge.
- Alors se passa une scène des plus cruelles. On commence par dépouiller de nouveau Jésus de sa tunique supérieure : puis on jette sur ses épaules non pas un lambeau de pourpre, comme on le répète si souvent, mais une chlamyde d'écarlate, selon la description très correcte de S. Matthieu. On nommait ainsi un manteau fait de laine grossière, teinte en rouge, cf. Pline, Hist. Nat. 22, 2, 3, que les soldats romains portaient par dessus leur armure. C'était une pièce d'étoffe carrée ou rectangulaire dans laquelle on se drapait de différentes manières. Une broche ou une boucle la fixait soit sur l'épaule gauche, soit au-dessous du cou.Matthieu chap. 27 verset 29. - Puis, tressant une couronne d’épines, ils la mirent sur sa tête, et un roseau dans sa main droite ; et fléchissant le genou devant lui, ils se moquaient de lui, en disant : Salut, roi des Juifs.
- Nous comprenons maintenant le but que se proposaient les soldats. " Ils avaient entendu dire que Jésus prenait la qualité de roi et, pour se jouer de cette royauté, prétendue selon leur sens, le dessein qu'ils forment est de lui en déférer avec une espèce de cérémonie et d'appareil tous les honneurs, et d'observer à son égard tout ce que l'on a coutume de pratiquer envers les rois ", Bourdaloue, l.c. Ils avaient déjà revêtu le Sauveur du manteau royal ; ils lui ceignent à présent le front d'une couronne. Mais ce fut un rude diadème que Jésus dût porter. Munis de gantelets, les soldats le tressent à la hâte, avec quelques branches flexibles cueillies sur l'un de ces arbustes épineux qui abondent en Palestine. On aimerait à savoir au juste quelle sorte d'épines fut employée pour ce cruel usage : mais on est réduit sur ce point à des conjectures. Le naturaliste suédois Hasselquist, Travels, p. 260, s'est, justement peut-être, prononcé en faveur du Nabk ou Nabek, dont les rameaux pleins de souplesse et couverts d'épines très aiguës convenaient d'autant mieux au but que se proposaient les soldats, que ses feuilles d'un vert foncé ressemblent beaucoup à celles du lierre : le lierre servant à former des couronnes triomphales, l'ironie eût été ainsi sanglante de toutes manières. Avec le " Rhamnus paliurus ", communément appelé " Spina Christi ", on n'aurait réussi qu'avec peine à former un diadème proprement dit, parce que ses branches sont peu flexibles. Mais on put fort bien, comme l'explique M. Rohault de Fleury (L.C., p. 202 et ss.), d'après les reliques authentiques de la sainte couronne, s'en servir pour former une sorte de bonnet épineux qui aurait couvert et déchiré toute la tête de Jésus. - Sur sa tête. Grotius, contemplant en esprit le divin chef du Sauveur ainsi couronné d'épines, a fait un beau rapprochement : " La malédiction a commencé dans les épines, Gen. 3, 18, et a pris fin dans les épines. Le lys au milieu des épines, Cant. 2, 2 ". – Un roseau dans sa main droite. A côté du manteau et de la couronne, il fallait bien un simulacre de sceptre, pour compléter les insignes royaux. Un roseau à tige épaisse et solide, probablement un roseau de Chypre, semblable à ceux que nous appelons joncs d'Espagne, en fit l'office. - Fléchissant le genou. Quand le roi eût été revêtu de tous ses ornements, on procéda à la cérémonie de l'hommage-lige, qui fut une caricature horrible des usages prescrits en pareil cas. 1° Les soldats font ironiquement la génuflexion devant Jésus ; 2° Ils le saluent en disant d'un ton moqueur : Salut, roi des Juifs. Il était bien roi pourtant, malgré leurs railleries amères !Matthieu chap. 27 verset 30. Et crachant sur lui, ils prenaient le roseau et lui frappaient la tête.
- 3° Ils lui crachent au visage, remplaçant par cette grossière injure le baiser accoutumé en pareille circonstance d'après le cérémonial des Orientaux. 4° Lui arrachant des mains son sceptre de roseau, ils lui en donnent sur la tête des coups violents, qui font pénétrer de toutes parts les épines. Mais ils ont beau mépriser, avilir et profaner autant qu'il est en leur pouvoir la dignité royale de l'Homme-Dieu ; malgré eux, et jusqu'à un certain point par eux, elle est établie, consolidée. Du reste, Jésus ne reçoit-il pas leurs indignes traitements avec la noblesse et la dignité d'un roi ? - On ne trouve dans l'histoire que de rares exemples d'outrages comparables à ceux que cette vile soldatesque fit subir à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Pilate persévérant dans sa lâche tolérance. Dion Chrysost, 4, p. 69, parle d'un malfaiteur condamné à mort, que des Persans placèrent sur un trône royal, et accablèrent de mille insultes avant de l'exécuter. On cite encore, d'après Philon, in Flacc. § 6, une scène analogue, mais moins cruelle, qui se passa dans la ville d'Alexandrie peu de temps après la mort du Sauveur. Les habitants païens de la cité profitèrent d'un séjour que fit au milieu d'eux Hérode Agrippa I, pour se moquer insolemment de lui et de tous les Juifs dont il était roi. Ils prirent un fou, le couvrirent d'ornements dérisoires qui devaient simuler les insignes de la royauté, lui composèrent une garde royale qui était armée de bâtons en guise de lances, et ils lui rendirent d'une façon ironique tous les hommages que les rois ont coutume de recevoir. Ils voulaient montrer par cette manifestation qu'ils méprisaient la royauté d'Hérode. Les soldats de Pilate témoignèrent de la même manière, mais avec beaucoup plus de brutalité, de leur mépris pour l'autorité royale du Fils de l'homme. Cf. Rosenmüller, Das A. und N. Morgenland, t. 5, p. 111, 112.
31
Lorsqu’ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier. 32Comme ils sortaient, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus. 33Et ils vinrent au lieu appelé Golgotha, c’est-à-dire, lieu du crâne. 34Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; mais, quand il l’eut goûté, il ne voulut pas boire.Matthieu chap. 27 verset 31. - Lorsqu’ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier.
- S. Jean racontera, 19, 4 et ss., la scène de l'Ecce Homo, par laquelle le procurateur essaya une dernière fois d'exciter la commisération du peuple et d'obtenir la délivrance de Jésus. S. Matthieu l'omet volontairement, pour passer aussitôt au dénouement tragique de la Passion. Il nous montre les soldats enlevant au Sauveur la chlamyde qui lui avait servi de manteau de pourpre, le recouvrant de sa tunique, et le conduisant au Calvaire. Ici commence donc le chemin de croix, dont le parcours dut être si douloureux pour Notre-Seigneur Jésus-Christ après les tortures qu'il avait déjà endurées depuis la veille au soir. Un centurion à cheval, qui avait la haute direction du supplice (Tacite le nomme " Exactor mortis " ; sénèque : " Centurio supplicio praepositus " ; cf. J.P. Lange, Comm. In h. l.) ouvre la marche. Un héraut vient ensuite, proclamant le crime du condamné. Derrière lui se traîne péniblement le divin cruciarius (c'était le nom classique des crucifiés), chargé du lourd instrument de son supplice : il est entouré des soldats qui doivent l'attacher à la croix, puis le garder jusqu'à sa mort. Les deux voleurs qu'on a résolu d'exécuter en même temps que lui le suivent, portant également leurs croix et accompagnés de leurs bourreaux. De chaque côté et en arrière surtout, se presse une foule bruyante qui prodigue à Jésus les humiliations et les injures.Matthieu chap. 27 verset 32. - Comme ils sortaient, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus.
- Comme ils sortaient. Ce mot ne saurait désigner la sortie du prétoire, puisqu'elle a été mentionnée à la fin du verset précédent. Il représente donc, comme l'admettent la plupart des exégètes, le moment où le cortège franchissait la porte de la ville qui conduisait au Golgotha. En effet, d'après la loi juive, cf. Num. 15, 35 et ss. ; 3 Reg. 21, 13 ; Act. 7, 58 ; Lightfoot, Hor. Talm. in h.l. ; de même que d'après la coutume romaine, cf. Cicer. in Verr. 5, 66 ; Plaut. Mil. Gl. 2, 4, 6, les exécutions avaient toujours lieu en dehors des cités. - Un homme de Cyrène. On sortait donc de l'enceinte de Jérusalem, lorsqu'on fit la rencontre de Simon le Cyrénéen. Son surnom indique qu'il était originaire de la Cyrénaïque, province située sur la côte septentrionale de l'Afrique, dans laquelle Ptolémée Lagos avait autrefois établi, avec des privilèges considérables, une colonie de cent mille Juifs. Cf. Jos. c. Appion. 2, 4. Tout porte à croire (cf. Marc. 15, 21 et le commentaire) qu'il était alors domicilié à Jérusalem. Mais il est peu probable qu'il fût déjà chrétien, et que les soldats lui aient imposé pour ce motif la corvée signalée par l'évangéliste, comme s'ils eussent voulu se donner le malin plaisir de faire porter la croix du Maître par un de ses disciples (Grotius et Kuinoel). Il serait néanmoins étonnant qu'il n'eût pas embrassé plus tard le Christianisme. S. Marc, l.c., mentionne ses deux fils comme des chrétiens bien connus à Jérusalem, et d'anciens martyrologes le comptent lui-même au nombre des saints (voir Richard, Dic. Hist. t. 5, p. 92). - Qu’ils contraignirent. Nous avons expliqué plus haut, 5, 41, l'origine du verbe réquisitionner, obliger. Les soldats romains eurent bientôt fait connaître sa signification dans tout l'empire, et spécialement en Judée, Cf. Jos. Ant. 20, 3, 4, où ils aimaient à rendre chacun " corvéable à merci ". Quelle joie pour eux, dans la circonstance présente, de faire porter un fardeau à un Juif en un jour de fête solennelle ! - De porter la croix. Mais pourquoi dérogèrent-ils cette fois à la coutume mentionnée plus haut, d'après laquelle c'était le devoir du condamné de porter sa croix jusqu'au lieu de l'exécution ? Il serait peu naturel de supposer, dans ces cœurs qui avaient désappris la pitié, un sentiment de sympathie pour Jésus. S'ils le déchargent, c'est plutôt par crainte de voir leur victime expirer avant d'arriver au sommet du calvaire. On comprend sans peine que Notre-Seigneur, épuisé par les souffrances de tout genre qu'il endurait depuis environ dix heures, manquât de force pour gravir, la croix sur les épaules, la pente du Golgotha. La tradition parle à bon droit de ses chutes réitérées. Quand les soldats le virent à bout de forces à l'endroit le plus difficile du chemin, ils le déchargèrent de sa croix, et, apercevant alors Simon de Cyrène qui venait à la rencontre du cortège, ils lui imposèrent la fonction de la porter jusqu'au calvaire. Fonction humiliante en elle-même, mais glorieuse dans cette occasion : c'est elle qui a immortalisé le nom de l'humble Cyrénéen.Matthieu chap. 27 verset 33. - Et ils vinrent au lieu appelé Golgotha, c’est-à-dire, lieu du crâne.
- Au lieu appelé Golgotha. La vraie prononciation de ce mot dans la langue araméenne était Goulgoltha ; en hébreu pur, on eût dit Goulgoleth. Son étymologie est Galal, rouler ; sa signification est assez bien indiquée dans la traduction que donnent S. Matthieu, S. Marc et S. Jean : le lieu du crâne. Mais S. Luc est plus exact quand il traduit simplement par le crâne. - Quelle était l'origine de cette singulière dénomination ? Plusieurs exégètes, parmi lesquels S. Jérôme, le Vénérable Bède, Rosenmüller, Baumgarten-Crusius, Berlepsch, etc., ont pensé qu'elle avait été donnée au terrain sur lequel fut crucifié Notre-Seigneur, parce que c'était le lieu ordinaire des exécutions capitales à Jérusalem. On leur objecte à juste titre : 1° que les anciens n'avaient pas comme nous des emplacements fixes pour y exécuter les criminels ; ils choisissaient tantôt un local, tantôt un autre, selon les circonstances ; 2° que, si leur sentiment était fondé, les évangélistes auraient employé le pluriel, et non : le lieu du crâne au singulier. S. Cyrille de Jérusalem proposait déjà une autre opinion beaucoup plus naturelle, qui est adoptée aujourd'hui par la plupart des commentateurs. Le nom de Golgotha, ou de Calvaire, comme nous disons d'après la Vulgate, viendrait simplement de la forme que présentait anciennement le rocher qui se dressait au lieu témoin de la mort du Sauveur ; cf. J. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 369 et ss. Il exista autrefois un troisième sentiment, signalé par plusieurs Pères, cf. Orig. in Matth. h. l. ; S. Athan. in Luc. 22, 33 ; S. Ambroise in Luc. 10, etc., d'après lequel le Golgotha aurait été ainsi nommé parce qu'Adam y avait reçu primitivement la sépulture. " J'ai eu connaissance d'une ancienne tradition selon laquelle Christ a été crucifié à l'endroit où le corps du premier homme, Adam, a été enseveli ; ainsi, comme chaque homme meurt en Adam, chacun recevra la vie dans le Christ ", Origène. Mais S. Jérôme n'hésitait pas à traiter cette tradition de légende : " elle chatouille les oreilles du peuple, et cependant elle n'est pas vraie ". C'est de là du moins que vient l'antique usage de placer au-dessous du crucifix deux ossements croisés et surmontés d'une tête de mort. - Le Golgotha était situé en dehors de Jérusalem, cf. v. 32 ; 28, 11 ; Hebr. 13, 12, quoique près des murs de la ville, cf. Joan. 19, 20. Si l'on vénère actuellement dans l'enceinte même de la capitale juive le double emplacement de la mort et de la sépulture de Jésus, cela tient à une troisième série de fortifications et de remparts, construite peu d'années après la Passion par Hérode Agrippa, et englobant le Calvaire avec toute la partie N-O de Jérusalem, cf. Jos. Bell. Jud. 5, 4, 2. Voir R. Riess, Bibel-Atlas, pl. 6 et comparer les plans de Jérusalem ancienne et de Jérusalem moderne. - Il s'est fait de nos jours un grand bruit touchant l'authenticité du Golgotha traditionnel, qui a été vivement contestée au nom même de la topographie. Le théologien américain Robinson, Palaestina, Halle 1841, t. 2, p. 268 et ss. et Neue Untersuchungen über die Topogr. Jerusalems, Halle 1847, le médecin allemand Titus Tobler, Golgotha, seine Kirchen u. Kloester, S. Gall. 1851, l'anglais Fergusson, An Essay on the ancient. Topogr. of Jerusal., se sont montrés des plus ardents à l'attaque. Mais on leur a répondu avec un entrain égal au leur, et par des preuves péremptoires. Il demeure bien démontré que la tradition relative à l'emplacement du Calvaire est légitime et inébranlable. Il n'entre pas dans notre plan de retracer les détails de cette grave discussion. On en trouvera un excellent résumé dans la dissertation qui termine l'ouvrage de M. J. Langen sur la Passion de Notre-Seigneur (die letzten Lebenstage Jesu, p. 363-421). Voir aussi Schultz, Jerusalem, Berlin 1845 ; G. Williams, The holy City, Londres 1845 ; Krafft, die Topogr. Jerusalems, Bonn 1846 ; Tischendorf, Reise in den Orient, Leipzig 1846 ; Sepp, Jerusalem u. das h. Land, Schaffouse 1862, t. 1 p. 174 et ss. On ne remarquera pas sans plaisir que plusieurs de ces défenseurs du Golgotha et du S. Sépulcre sont de doctes protestants.Matthieu chap. 27 verset 34. - Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; mais, quand il l’eut goûté, il ne voulut pas boire.
- " Donnez des liqueurs fortes à celui qui périt, et du vin à celui qui a l'amertume dans l'âme : Qu'il boive et oublie sa pauvreté, et qu'il ne se souvienne plus de ses peines ". De ce passage du livre des Proverbes, 31, 6, 7, était née chez les Juifs, à une époque déjà reculée, la coutume d'offrir aux condamnés, au moment où allait commencer leur supplice, une coupe remplie d'un breuvage énergique qui, les enivrant à demi, les rendait moins sensibles à la violence des tortures. C'était habituellement une mixture composée d'un vin généreux et de myrrhe ou d'encens : la propriété qu'elle avait d'engourdir ou même de paralyser l'esprit lui avait valu chez les Romains le nom significatif de " sopor ". À Jérusalem, les dames de la plus haute noblesse s'étaient réservé le privilège de la préparer. Cf. Lightfoot, Hor. Talm. in Matth. h. l. ; Kippingius, de Cruce p. 67 et ss. C'est à cet usage que S. Matthieu fait actuellement allusion de concert avec S. Marc, 15, 23. Toutefois, tandis que le second évangéliste parle clairement de " vin myrrhé ", le premier emploie des expressions d'après lesquelles, si on les prenait à la lettre, il s'agirait moins d'un adoucissement apporté aux souffrances de Jésus, que d'une nouvelle insulte ajoutée à toutes celles qu'il avait déjà subies. " Ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ", ou même d'après la Recepta grecque, " du vinaigre mêlé de fiel ". Mais, outre que la plupart des versions et de nombreux manuscrits portent " vinum ", comme la Vulgate, on doit se rappeler que le même mot grec peut représenter le vin et le vinaigre, de même myrrhe peut s'appliquer à toutes les substances amères. Cf. Bretschneider, lexic. Man. t. 2, 615. Il n'est donc pas impossible de ramener sur ce point la narration de S. Matthieu à celle de S. Marc. Un vin mêlé d'amertume ne diffère pas beaucoup du vin mêlé de myrrhe. Au reste, S. Matthieu semble avoir voulu, lorsqu'il écrivait ce passage, faire allusion au Psaume prophétique 69, où il est dit, v. 21 : " Ils mettent du fiel dans ma nourriture, et, pour apaiser ma soif, ils m'abreuvent de vinaigre ". Il aura sacrifié l'exactitude parfaite au désir de faire un beau rapprochement. - Quand il l'eut goûté. Jésus se contenta de tremper ses lèvres desséchées dans le breuvage que lui avaient préparé des mains amies. Mais ce fut tout : il ne voulut pas boire. On comprend le motif qui dicta son refus. Celui qui vient racheter l'humanité par ses souffrances veut endurer le dernier supplice sans la moindre mitigation, avec une conscience pleine et entière. A d'autres les mélanges qui engourdissent l'esprit et les sens : le Christ doit avoir toutes les puissances de son âme parfaitement vivantes tandis qu'il se sacrifiera pour nous. C'est pour cela qu'il éloigne le calice de vin aromatisé que lui présentaient des personnes bien intentionnées, mais peu intelligentes de sa vraie nature et de son vrai rôle.
35
Après qu’ils l’eurent crucifié, ils partagèrent entre eux ses vêtements, les tirant au sort, afin que s’accomplît ce qui avait été prédit par le prophète : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré ma tunique au sort. 36Et s’étant assis, ils le gardaient. 37Ils mirent au-dessus de sa tête une inscription, indiquant le sujet de sa condamnation : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. 38En même temps, on crucifia avec lui deux voleurs, l’un à sa droite, et l’autre à sa gauche. 39Et les passants le blasphémaient, hochant la tête, 40et disant : Allons, Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix. 41Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui, avec les scribes et les anciens, et disaient : 42il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ; s’il est le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43Il a confiance en Dieu : que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ; car il a dit : Je suis le Fils de Dieu. 44Les voleurs qui avaient été crucifiés avec lui, lui adressaient les mêmes insultes. 45Or, depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, il y eut des ténèbres sur toute la terre.46Et vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : Eli, Eli, lamma sabacthani ? C’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? 47Quelques-uns de ceux qui étaient présents, l’ayant entendu, disaient : il appelle Élie. 48Et aussitôt l’un d’eux, accourant, prit une éponge et la remplit de vinaigre ; et l’ayant attachée à un roseau, il lui donnait à boire. 49Mais les autres disaient : Laisse, voyons si Élie viendra le délivrer. 50Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.Matthieu chap. 27 verset 35. - Après qu’ils l’eurent crucifié, ils partagèrent entre eux ses vêtements, les tirant au sort, afin que s’accomplît ce qui avait été prédit par le prophète : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré ma tunique au sort.
- La sévère simplicité avec laquelle les Évangélistes racontent les scènes, pourtant si émouvante, de la Passion du Fils de Dieu, a été fréquemment admirée. Elle est un gage manifeste de leur parfaite impartialité. " Leurs narrations ne seraient pas plus incolores, si c'étaient des rapports officiels émanés de Pilate ou de ses subordonnés. On n'y rencontre pas une seule épithète destinée à exprimer ou à exciter soit l'indignation contre les bourreaux, soit la compassion pour la victime. Il n'y est pas fait de tentative pour déduire quelque conclusion doctrinale. Les écrivains se bornent à constater les faits... Ils ont exposé le drame du Calvaire aux yeux du monde tels qu'ils l'ont vu. Chaque génération nouvelle contemple à travers une atmosphère claire et limpide l'image du Crucifié, que ne recouvre aucune draperie formée par la rhétorique du sentiment ", L. Abbott, the N. Test. t. 1, p. 303. Nous aimerions pourtant trouver dans l'Évangile quelques détails sur le crucifiement du Sauveur. Les écrivains sacrés n'en donnent aucun, parce qu'ils supposaient le supplice de la croix, si fréquent à cette époque, bien connu de tous leurs lecteurs. Heureusement, il est facile de combler cette lacune, grâce aux nombreuses données de l'archéologie. Nous parlerons d'abord de la croix, puis du crucifiement. - 1 La croix. Cet antique et douloureux instrument de supplice reçut dans le cours des temps les formes les plus variées. Après avoir été à l'origine un simple poteau auquel on attachait le condamné, il ne tarda pas, grâce à l'addition d'une branche transversale, à prendre un aspect complètement nouveau. On eut ainsi, selon la manière dont cette branche fut rattachée au tronc primitif, trois sortes de croix. La première, plus connue sous le nom de croix de S. André, était en forme d'X ; la seconde, appelée parfois croix de S. Antoine, ressemblait à la lettre T ; la troisième ne différait de la seconde que par une légère projection du montant principal au-dessus de la traverse : c'est la croix latine avec laquelle nous sommes familiarisés depuis notre enfance. Il est moralement certain que la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ eut cette dernière forme. Si les anciens monuments de l'art chrétien laissent la question douteuse, c'est parce que la croix du deuxième type y alterne avec celle du troisième, cf. Langen, die letzten Lebenstage Jesu, p. 322, la tradition paraît la trancher en faveur de la croix latine. En effet, les comparaisons par lesquelles les Pères essayent souvent de décrire la croix du Sauveur, v.g. un homme qui nage ou un oiseau qui vole (S. Jérôme, in Marc. c. 11), Moïse priant les bras étendus (S. Justin Mart., Dial. c. Tryph. c. 90 ; cf. Minut. Felix, Oct. c. 29), l'étendard romain (Tertull, Apol. c. 16) , les quatre points cardinaux (S. Maxime de Turin, de cruce Dom. hom. 3), un hameçon (S. Greg, Illum. ap. Spicil. Solesm. t. 1, p. 500), etc., ne peuvent guère s'appliquer qu'à la croix latine. D'ailleurs, la tablette attachée au-dessus de la tête du Sauveur, cf. v. 37, eût nécessairement transformé une croix en forme de T en croix latine. Les croix étaient d'ordinaire peu élevées : elles atteignaient tout au plus le double de la taille d'un homme. Nous savons par le témoignage d'autres anciens que le corps du patient était assez rapproché du sol pour que les bêtes sauvages pussent le dévorer. Cf. Sueton. Ner. 49. Elles étaient munies vers le centre de la tige d'un morceau de bois projeté en avant sur lequel, d'après l'expression consacrée, le condamné montait à cheval (voir dans S. Justin, Dial. c. Tryph., c. 91, et dans S. Iren. adv. Haeres. 2, 42, des expressions analogues). Ce support était nécessaire pour soutenir le corps du crucifié : autrement les mains, sur lesquelles tout le poids aurait porté, se seraient bientôt déchirées, et la victime aurait roulé jusqu'à terre. Cf. Tert. adv. Nat. 1, 12 ; Senec. Ep. 101. Le petit tabouret qu'on place habituellement sous les pieds de Jésus en croix aurait pu remplir le même but ; mais il n'est pas probable qu'il ait existé. Les auteurs anciens n'en font pas mention : S. Grégoire de Tours est le premier à le signaler. Ce sont sans doute les artistes qui l'ont inventé afin de pouvoir supprimer le chevalet dont la représentation eût été choquante. - 2. Le crucifiement. Les soldats chargés de l'exécution, cf. Senec. de Ira, 1, 17, Jos. Ant. 19, 1, 6, dépouillaient d'abord le condamné de ses vêtements : telle était la règle, cf. Artemidor. Oneirocrit. 2, 58, et la tradition suppose qu'elle fut exécutée pour Notre-Seigneur Jésus-Christ comme pour les condamnés vulgaires. Néanmoins, nous savons par maint passage des classiques grecs et latins (voir des citations dans Langen, l.c., p. 305) que le mot latin " nudus " ne doit pas toujours s'entendre d'une nudité complète. On peut donc légitimement affirmer que le voile respectueusement jeté autour des reins de Jésus crucifié n'est pas une pure fiction de l'art chrétien. Il est déjà mentionné dans l'Évangile apocryphe de Nicodème, ch. 10 ; de plus son emploi était rigoureusement exigé par les convenances juives, cf. tr. Sanhedr. c. 6, 3, et même romaines, cf. Horat. Ep. 1, 11, 18 ; S. August. de Civ. Dei 14, 17 ; Dionys. Halicarn. 7, 72 ; Langen, l.c., p. 306. Après que le condamné ait été dépouillé de ses habits, on procédait au crucifiement. Il y avait deux manières de le pratiquer. Parfois la croix était d'abord étendue sur le sol, les soldats y attachaient le condamné, puis elle était dressée et consolidée. Mais cette méthode n'était qu'assez rarement employée. Le plus souvent, on commençait par planter en terre l'instrument du supplice : le patient était ensuite hissé sur la cheville que nous avons décrite, et on lui clouait les mains et les pieds aux différentes branches de la croix. C'est ainsi que Notre-Seigneur dut être crucifié. " Est plus vraisemblable l’opinion selon laquelle le Christ a été crucifié après que la croix ait été érigée, plutôt que quand elle était encore posée par terre. Lipsius montre, en effet, dans la croix, 2, 7, que la plupart du temps les condamnés à mort étaient crucifiés de cette façon. Et dans les auteurs anciens, on rencontre souvent ces expressions : monter sur la croix, placer sur la croix, hisser sur la croix. Elles signifient clairement que la croix était déjà érigée quand ont les clouait dessus. Il est certain qu’Athanase a dit dans son sermon sur la passion : il est venu au lieu où il avait à monter sur la croix. Et Hilaire dans la trinité, livre 10 : il a été élevé sur le bois. Saint Bonaventure, Rodolphe et Tolet sont du même avis. Bynoeus aussi, dans de la mort du Christ, 3, 6 ", Benoit XIV, dans des fêtes, C.7, 86. Le docte Pontife aurait pu ajouter que c'était l'opinion de la plupart des Pères et de presque tous les commentateurs ; Cf. Gretser, de Cruce t. 1, p. 59 et ss. Adrichomius mentionne il est vrai, Theatr. terrae sanctae, § 118, une autre tradition, d'après laquelle Jésus aurait été cloué à la croix avant d'être élevé en l'air ; mais elle est relativement tardive et ne présente que fort peu de garanties. - Les mains étaient fixées les premières au bois de la croix au moyen d'énormes clous, dont M. Rohault de Fleury cite plusieurs spécimens dans son mémoire sur les Instruments de la Passion, p. 172 et ss. Les pieds étaient ensuite percés de la même manière. C'est dans cette opération et dans ses suites affreuses que consistait à proprement parler, dit Tertullien, adv. Marc. 3, 19, l'atrocité du crucifiement. Une double discussion s'est élevée touchant la manière dont les pieds divins du Sauveur furent attachés à la croix. 1° Plusieurs rationalistes (Paulus, von Ammon, etc.) prétendent qu'ils n'auraient pas été cloués, mais simplement liés avec des cordes. Ils allèguent en preuve de leur assertion un passage de S. Jean, 20, 25, où Notre-Seigneur, parlant de ses blessures, ne mentionne que celles des mains et du côté , nullement celles des pieds. Mais nous leur opposons l'autorité du Christ lui-même, d'après le récit de S. Luc, 24, 39 et ss. : " Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai... Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. " Nous leur opposons encore le témoignage unanime de la tradition (cf. en particulier S. Justin Martyr, c. Triph. 97 ; Tertull. c. Marcion. 3, 19 ; C. Cyprien, etc. ; Friedlieb, Archaeologie der Leidengesch., p. 144 et ss.) qui voit dans le crucifiement du Sauveur l'accomplissement de la célèbre prophétie : " Ils ont percé mes mains et mes pieds ", Ps. 22, 17. Nous leur opposons enfin le texte suivant de Plaute, Mostell. 2, 1, 13 : " Je donnerai un talent au premier qui grimpera au gibet, mais à condition qu'on lui clouera deux fois les mains, deux fois les pieds ". De cette offre singulière, il ressort évidemment que la coutume ancienne était de clouer les pieds aussi bien que les mains à l'arbre de la croix ; l'extraordinaire de la demande consiste en ce qu'on voudrait ici que chaque membre dût percé de deux clous. Au reste, nos adversaires démasquent leur jeu lorsqu'ils ajoutent que, la mort de Jésus n'ayant été qu'apparente, il n'est pas étonnant qu'il pût faire si promptement usage de ses pieds. S'il est question en divers endroits de cordes destinées à lier les coupables à la croix, cf. Pline, Hist. Nat. 28, 11 ; Xen. Ephes. 4, 2, etc., cela prouve qu'elles étaient souvent employées en même temps que les clous. Pour plus de commodité, on attachait les mains et les pieds avant de les percer. S. Hilaire réunit ensemble " Les chaînes des cordes qui le liaient et les plaies des clous qui le transperçaient ". - 2° La seconde discussion porte sur le nombre des clous qui servirent à fixer les pieds du Sauveur à la croix. Dans un poème faussement attribué à S. Grégoire de Nazianze, " Christus patiens ", v. 1463 et ss., la croix est appelée " bois à trois clous ", ce qui suppose que les deux pieds auraient été placés l'un sur l'autre et percés d'un seul clou, comme on le voit sur de nombreux crucifix. La paraphrase de Nonnus, in Joan. 19, 91, semble attester le même fait, quoique en termes assez obscurs. De nos jours, Movers (Zeitschr. für Phil. u. Kath. Theolog. 15, 183 et ss.) s'est également prononcé en faveur de cette opinion. Mais il est beaucoup plus probable que chaque pied fut attaché isolément par un clou distinct. Telle a toujours été l'opinion commune : voir la monographie de Corn. Curtius " de Clavis dominicis ", Anvers 1670. S. Cyprien, qui avait souvent assisté à des crucifiements, parle au pluriel " des clous qui perçaient les pieds ", Serm. de Pass. S. Ambroise. Orat. de obitu Theodos. § 47, Rufin, Hist. Eccl. 2, 8, Theodoret, Hist. Eccl. 1, 17, S. Grégoire de Tours, de Glor. martyr. 6, mentionnent expressément les quatre clous qui furent employés pour crucifier Notre-Seigneur. Du reste, il eût été extrêmement difficile de n'attacher les pieds du condamné avec un seul clou. La position du condamné, la forme de la croix, l'absence d'un support pour les pieds, auraient été de sérieux obstacles à cette dernière partie de l'exécution. - On s'est demandé parfois si les sculpteurs et les peintres ont raison de représenter l'image du divin Crucifié avec la couronne d'épines sur la tête. Ceux des anciens auteurs qui se sont occupés de cette question font une réponse affirmative, par exemple Origène, in Matth. , h.l., et Tertullien, contr. Judaeos, c. 13. L'Évangile de Nicodème, 1, 10, raconte aussi que les soldats, après avoir dépouillé Jésus de ses vêtements, lui passèrent un linge autour des reins et lui mirent de nouveau sur la tête son diadème douloureux. Il était d'ailleurs naturel que le " roi des Juifs " fût crucifié par les Romains avec cet attribut de sa royauté. Sur tous les points relatifs à la croix et au crucifiement nous renvoyons le lecteur aux savants ouvrages de Lipsius, de Cruce, de Salmasius, id., de Kippingius, de Cruce et Cruciariis, de Gretser, de Cruce Christi, et de Bartholinus, Hypomnemata de Cruce. Voir encore Smith, diction. of the Bible, s.v. Cross, Crucifixion ; Wetzer et Welte, Dict. Encyclop. au mot Crucifiement ; Winer, Realwoerterbuch, s.v. Kreuzigung. - Ils partagèrent entre eux ses vêtements. Lorsque les soldats eurent accompli leur horrible tâche, ils se partagèrent aussitôt les vêtements de la victime qui, de par la loi, Digest. 48, 206, De bonis damnatorum, l. 6, étaient adjugés aux bourreaux. Ils étaient quatre : ils firent donc quatre parts. - Les tirant au sort. Les portions étant nécessairement inégales, le sort fut chargé de décider celle de chacun. Cf. Joan. 19, 23, 24. - Afin que s'accomplît … Ces mots et la fin du verset sont omis par de nombreux manuscrits grecs et latin, par plusieurs Pères et plusieurs versions : aussi la plupart des critiques les rejettent-ils du texte comme apocryphes. C'est probablement une glose marginale empruntée à S. Jean, 19, 24, et insérée dans le texte de S. Matthieu par un copiste. - Par le prophète. La citation est tirée du Psaume 21, v. 19 ; elle est faite d'après les Septante.Matthieu chap. 27 verset 36. - Et s’étant assis, ils le gardaient.
- Le partage terminé, les bourreaux s'assoient aux pieds de la croix pour garder Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette coutume de monter la garde auprès des crucifiés jusqu'au moment où ils expiraient, est mentionnée par les auteurs classiques ; cf. Pétrone, Sat. 3, 6 ; Plutarque, Vita Cleom. 38. Elle avait pour but d'empêcher les parents ou les amis des suppliciés de venir les détacher de la croix pour essayer de les sauver à force de soins. Fl. Josèphe raconte, Vita, 75, qu'un de ses amis fut délivré de cette manière et rendu à la vie. Le crucifiement ne produisait pas directement la mort, car l’hémorragie était bientôt arrêtée par l'enflure des parties percées par les clous. Le patient demeurait donc souvent des jours entiers sur la croix avant de rendre le dernier soupir. Cf. Pétrone, l.c. ; Euseb. Hist. Eccl. 8, 8. Les soldats ne le quittaient pas un seul instant.Matthieu chap. 27 verset 37. - Ils mirent au-dessus de sa tête une inscription, indiquant le sujet de sa condamnation : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.
- Ils mirent. Plusieurs exégètes croient devoir donner au parfait le sens du plus-que-parfait, parce qu'ils supposent à bon droit que la tablette avait été attachée à la croix avant le tirage au sort des vêtements de Jésus. D'autres, pour le même motif, vont jusqu'à dire qu'il y aurait eu dans ce passage, par la maladresse des copistes, une transposition des versets : l'ordre primitif eût été, vv. 33, 34, 37, 38, 35, 36, 39. Enfin, M. Fouard, La Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 122, conjecture que, dans la précipitation avec laquelle Jésus fut condamné et traîné au supplice, on aurait oublié d'abord l'inscription : Pilate se serait souvenu plus tard seulement de cette formalité légale, et le titre ne serait parvenu sur le Calvaire qu'après la fin du crucifiement. Les deux dernières hypothèses nous paraissent peu vraisemblables ; la première est plus naturelle, mais elle n'est nullement nécessaire, car l'on peut très bien traduire par le parfait : quand l'opération du crucifiement fut achevée, les soldats placèrent l'inscription sur la croix, au-dessus de la tête du crucifié. C'était une petite planche, habituellement blanchie au gypse, et nommée dans le langage juridique " titulus " ou " elogium " par les Latins, cf. Luc. 23, 38. L'indication du crime du supplicié y était écrite en abrégé. Elle était souvent portée en avant du condamné ou suspendue à son cou tandis qu'on le conduisait du prétoire au lieu de l'exécution. Elle était écrite le plus souvent en noir, parfois en caractères rouges. Nous savons, cf. Luc 23, 38, que l'inscription de Jésus-Christ était écrite en trois langues, en grec, latin et hébreux, pour que tout le monde pût la comprendre. Elle varie dans les quatre Évangiles, bien qu'elle soit partout la même quant à la substance. D'après S. Matthieu, elle exprimait : 1° le nom du coupable (celui-ci est Jésus), 2° la nature de sa faute (le roi des Juifs). Roi des Juifs, c'est-à-dire, qui se dit roi des Juifs ; c'était un crime de lèse-majesté romaine.Matthieu chap. 27 verset 38. - En même temps, on crucifia avec lui deux voleurs, l’un à sa droite, et l’autre à sa gauche.
- Après que Jésus eût été attaché à la croix ou, mieux encore, pendant son propre crucifiement, puisque chaque condamné avait une escouade spéciale de soldats chargée de son exécution. - Deux voleurs. Le substantif grec désigne plutôt des brigands que des voleurs vulgaires. Les deux larrons crucifiés avec Jésus faisaient sans doute partie de ces bandes qui, au dire de l'historien Josèphe, Ant. 16, 10, 8 ; 20, 8, 10 ; Bell. Jud. 2, 12-13, infestaient alors la Palestine, et dont un nombre considérable furent condamnés au supplice de la croix sous le gouvernement de Félix ; peut-être même, comme on l'a parfois conjecturé, étaient-ils les complices de Barabbas. Voir dans S. Luc, 23, 39-43, de touchants détails sur leurs derniers moments. Jésus était placé entre eux, à la place la plus humiliante dans cette circonstance.Matthieu chap. 27 verset 39. - Et les passants le blasphémaient, hochant la tête.
- " Une sorte de commisération, de respect pour la souffrance, entoure d'ordinaire les plus vils criminels dès qu'ils sont montés sur l'échafaud ; Jésus n'eut pas même cette triste consolation ". Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 144. Trois catégories d'insulteurs, la foule en général, vv. 39-40, les Sanhédristes, vv. 41-43, et les larrons, v. 44, vont lancer contre lui les paroles les plus outrageantes. C'est la multitude sans pitié qui commence. - Les passants : Ceux qui allaient à la ville ou qui en revenaient, les curieux qui étaient là tout exprès pour voir les suppliciés et surtout Jésus, etc. Ce mot prouve que Jésus avait été crucifié sur le bord d'un chemin fréquenté, conformément du reste à la coutume romaine ; cf. Cic. Verr. 5, 66 ; Quitil. Decl. 274. - Ils blasphémaient : le verbe grec a le sens d'insulter ; mais les outrages dirigés contre Jésus étaient en réalité des blasphèmes proprement dits. - Hocher la tête était chez les Hébreux un geste de moquerie et de mépris. Comparez Ps. 21, 8 ; 109, 25 ; Job. 16, 4 ; Jerem. 18, 16.Matthieu chap. 27 verset 40. - Et disant : Allons, Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix.
- L'Évangéliste a conservé quelques-uns des sarcasmes de la foule. - Allons. C'est une interjection qui dénote évidemment la dérision et le reproche dans la circonstance présente, bien qu'elle exprimât parfois l'admiration ; Cf. Dio Cassius, 63, 20. Elle manque dans la plupart des manuscrits grecs. - Toi qui détruis le temple de Dieu. Cette injure mordante se rattache à l'assertion de Jésus citée par Saint Jean, 2, 19, et récemment rappelée à la mémoire du peuple par la déposition des faux témoins, Matth. 26, 61. - Sauve-toi toi-même. Si tu es assez puissant pour détruire les gigantesques constructions du Temple et pour le relever en trois jours, il doit t'être bien facile de te délivrer toi-même ! Les insulteurs ne se doutent guère que, dans trois jours, Jésus aura réédifié le temple auguste de sa sainte humanité qu'ils viennent de détruire si cruellement. - Si tu es le Fils de Dieu. Le Christ devant être doué du pouvoir d'opérer toute sorte de prodiges, Jésus, qui prétendait à ce titre, devait pouvoir aisément descendre de la croix, malgré les clous qui l'y retenaient attaché.Matthieu chap. 27 verset 41. - Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui, avec les scribes et les anciens, et disaient
... - L'évangéliste a conservé quelques-uns des sarcasmes de la foule. C'est la seconde classe d'insulteurs. Elle se composait, d'après la mention expresse de notre évangéliste, des princes des prêtres, des Scribes et des Anciens, c'est-à-dire des trois chambres du Sanhédrin, qui étaient venues en grande partie pour se repaître des souffrances et des humiliations de leur victime.Matthieu chap. 27 verset 42. - Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ; s’il est le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui.
- S. Matthieu nous communique les sarcasmes des Sanhédristes, comme il avait fait pour ceux du peuple. La multitude s'était adressée directement à Jésus ; en hommes bien appris, les membres du Grand Conseil parlent de lui à la troisième personne, mais leur outrage n'en devient que plus mordant. - Il a sauvé les autres. Allusion aux nombreux miracles de guérison accomplis par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les Sanhédristes eux-mêmes admettent donc que le Sauveur a opéré de vrais prodiges : c'est un aveu précieux que nous recueillons de leur bouche pour l'opposer aux rationalistes. " Même les Scribes et les Pharisiens, dit S. Jérôme, in h. l., reconnaissent malgré eux qu' " il en a sauvé d'autres ". Puis le saint Docteur ajoute, rétorquant contre les ennemis du Christ la suite de leur insulte : " Votre propre jugement vous condamne donc, car puisqu'il en a sauvé d'autres, il aurait pu s'il l'avait voulu se sauver lui-même ". - S'il est le roi d'Israël : c'est-à-dire, s'il est le Messie, dont une des principales prérogatives devait être de gouverner la nation d'Israël. Cf. 2, 18. Les Sanhédristes empruntent du reste ce sarcasme à la récente assertion de Jésus, cf. 26, 64, et à l'inscription même que chacun pouvait lire au-dessus de sa tête, v. 37. Ils demandent ironiquement à Jésus l'éclatant prodige que la foule avait déjà réclamé quelques instants auparavant. A ce prix, ils promettent de croire en lui et de le reconnaître pour le Messie, le Fils de Dieu. Citons encore S. Jérôme : " Promesse mensongère : Car qu'y a-t-il de plus grand, est-ce de descendre de la croix encore vivant, ou de se relever de la tombe après être mort ? C'est pourtant ce qu'il a fait, et ils n'ont pas cru ; ils n'auraient donc pas cru s'il était descendu de la croix ". Mais de pareilles promesses ne coûtaient guère à ces imposteurs. Et puis, ils étaient si sûrs d'avoir à tout jamais ruiné leur ennemi et sa puissance !Matthieu chap. 27 verset 43. - Il a confiance en Dieu : que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ; car il a dit : Je suis le Fils de Dieu.
- Abusant d'une manière indigne des Saintes Écritures, les prêtres et les Docteurs juifs osent citer dérisoirement contre Jésus un passage du Psaume 21, qui était généralement regardé comme messianique. On lit au v. 9 de ce cantique, d'après les Septante et la Vulgate : " Il a espéré au Seigneur, qu'il le délivre ! Qu'il le sauve, puisqu'il l'aime ! " Travestissant la pensée, ils mettent un " si " plein d'ironie à la place du " car " tout à fait affirmatif du texte. Qu'il le délivre, s'il l'aime ! Mais, pensaient-ils, il se gardera bien de le délivrer. - S'il l'aime. Le verbe hébreu correspondant signifie tout à la fois vouloir et aimer. - Car il a dit… Se reportant aux assertions personnelles de Jésus, les Sanhédristes les mentionnent pour insinuer qu'elles sont entièrement fausses, Dieu le laissant mourir sur la croix ; ce qui n'arriverait pas s'il était vraiment le Messie.Matthieu chap. 27 verset 44. - Les voleurs qui avaient été crucifiés avec lui, lui adressaient les mêmes insultes.
- Les brigands crucifiés aux côtés du Sauveur mêlent eux-mêmes leurs voix à ce triste concert d'injures. - Les voleurs. De prime abord, ce pluriel semble contredire le récit de S. Luc, 23, 39 et ss., d'après lequel un seul des larrons aurait pris part aux insultes lancées contre Jésus ; mais la conciliation est facile. " on peut penser que les deux larrons l'ont d'abord insulté ; mais quand le soleil s'est caché, la terre a tremblé, … , l'un d'eux a cru en Jésus, et a réparé son refus initial de croire en confessant sa foi ", S. Jérôme in h. l. ; de même Origène, S. Cyrille, S. Jean Chrysost., Théophylacte, etc. On peut dire aussi que S. Matthieu, cf. Marc. 15, 32, parle en termes généraux pour abréger : le pluriel serait employé par synecdoque, ou bien ce serait un pluriel de catégorie. Telle est l'opinion de S. Augustin, de Cons. Evang. 3, 16.Matthieu chap. 27 verset 45. - Or, depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, il y eut des ténèbres sur toute la terre.
- Les vv. 45-50 exposent les circonstances extraordinaires au milieu desquelles eut lieu la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La sixième heure : c'est-à-dire à partir de midi. D'après S. Marc, 15, 25, il y avait alors déjà trois heures que le Sauveur était sur la croix. S. Jean raconte il est vrai, 19, 14, que vers la sixième heure du jour Jésus entrait seulement chez Pilate ; mais nous prouverons ailleurs que le quatrième évangéliste suppute ici les heures d'après une méthode particulière. - Il y eut des ténèbres. Vers le milieu du jour, au moment où commençait l'agonie du divin Maître, il se produisit tout à coup un assombrissement extraordinaire du soleil et de l'atmosphère. Ces ténèbres, que les trois synoptiques signalent d'une manière solennelle et à peu près dans les mêmes termes, cf. Marc. 15, 33, Luc. 23, 44, n'étaient pas le résultat d'une éclipse, ainsi qu'on le faisait remarquer dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, cf. Orig. in h. l. ; Victor Cap. de cycl. Pasch. Spicil. Solesm. 1, 297 ; Evang. Nicod. c. 11, attendu que la lune était alors dans son plein. Elles n'avaient non plus aucun rapport avec l'obscurité qui précède d'ordinaire les tremblements de terre, puisque la commotion mentionnée plus bas, v. 51, était miraculeuse. C'était un fait providentiel, un vrai prodige en vertu duquel la nature semblait prendre le deuil au moment où le Fils de Dieu allait rendre le dernier soupir. Les hommes se montraient sans pitié pour lui ; mais le monde inanimé lui témoignait ainsi une sorte de sympathie. De même que la nuit s'était illuminée soudain d'une nouvelle clarté à la naissance de Jésus, de même le jour s'obscurcit tristement à ses derniers instants. - Sur toute la terre. Des exégètes assez nombreux, parmi lesquels nous citerons Origène, Maldonat, Erasme, Kuinoel, Olshausen, pensent que le mot " terre " doit se restreindre ici, comme en d'autres passages de la Bible, à une zone particulière, c'est-à-dire à la Judée, ou tout au moins à la Palestine. Au contraire, la plupart des Pères et plusieurs commentateurs anciens et modernes prennent l'expression à la lettre. On peut du moins admettre avec Bleek, Synopt. Comment. 2, 471, Langen, die letzten Lebenstage Jesu p. 343, et d'autres auteurs, que les ténèbres s'étendirent bien au-delà des limites de la Palestine, et qu'elles envahirent au loin les provinces de l'empire romain. On connaît le mot célèbre qu'aurait prononcé Denys l'Aéropagite au moment où le ciel fut ainsi assombri : " Le Dieu de la nature souffre, et la machine du monde doit s'en aller en pièces ". Tertullien ne craignait pas d'alléguer aux autorités romaines ces ténèbres merveilleuses comme un fait connu de tous et consigné dans les archives publiques. " Au même instant, écrivait-il dans son Apologie, c. 21, le jour fut privé de soleil, qui n'était arrivé qu'au milieu de sa course. Ce prodige fut certainement pris pour une éclipse par ceux qui ne savaient pas qu'il avait aussi été prédit pour la mort du Christ. Et pourtant vous le trouvez consigné dans vos archives comme un accident mondial ". - Jusqu'à la neuvième. Vers trois heures de l'après-midi ; l'obscurité dura donc jusqu'au moment de la mort de Jésus.Matthieu chap. 27 verset 46. - Et vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : Eli, Eli, lamma sabacthani ? C’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
- S. Matthieu passe aux derniers instants du Sauveur, pour signaler un trait douloureux de son agonie. Sous la pression violente d'une angoisse extrêmement vive qui déchirait son âme, Jésus poussa un grand cri et prononça une phrase pleine de désolation. - Eli, Eli … Des sept paroles du Christ mourant, c'est la seule qui ait été conservée dans le premier Évangile. Elle est empruntée au Psaume 21, dont la première partie semblerait écrite après coup par un témoin de la Passion. L'évangéliste la cite d'abord dans l’idiome syro-chaldéen, qui était parlé en Palestine au temps de Jésus et par Jésus lui-même : cela était nécessaire pour faire comprendre le jeu de mots du verset suivant. Dans l'hébreu pur, il y a Lamma hazabthani au lieu de Lamma sabacthani. - Cette exclamation, qui suppose un véritable abîme de douleur dans l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ, contient un mystère très profond. Comment le Messie a-t-il pu se dire abandonné de Dieu son Père ? Comment concilier en lui cette affreuse angoisse avec la béatitude qui doit nécessairement régner dans le cœur d'un Dieu ? Mais hâtons-nous de dire, malgré les assertions contraires de Celse, de Julien l'Apostat et des rationalistes modernes, que cette désolation n'a rien de commun avec le désespoir. Jésus se plaint sans doute, mais sa plainte est filiale et soumise. Il en appelle à Dieu, mais cela prouve qu'il a confiance en lui, car " celui qui peut parler à Dieu, dit très bien Stier, Reden des Herrn Jesu, in h. l., doit avoir Dieu avec lui ". Aussi, pour expliquer ce cri mystérieux à l'aide d'une image naturelle, " volontiers nous songerions à ces hautes montagnes dont la cime s'élève fière et triomphante au-dessus des nuées qui pèsent sur la terre. Souvent, tandis qu'une lumière vive et pure couronne leur front de majestueuses clartés, une effroyable tempête s'attache à leurs flancs ; mais ni les sombres nuées sillonnées d'éclairs, ni la foudre frappant sans relâche et répandant à leurs pieds l'effroi, la dévastation et l'horreur, ne troublent l'éternelle sérénité qui règne à leur sommet ", Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 161.Matthieu chap. 27 verset 47 - Quelques-uns de ceux qui étaient présents, l’ayant entendu, disaient : il appelle Élie.
- On a parfois affirmé (S. Jérôme, Euthymius, etc.) que ces hommes étaient des soldats romains qui, ne comprenant que le premier mot du cri de Jésus, " Eli, Eli ", auraient supposé par une singulière méprise que le divin Crucifié appelait le prophète Élie. Mais comment les bourreaux de Rome auraient-ils connu Élie ? La réflexion étrange il appelle Élie avait donc des Juifs pour auteurs. Dans quel sens fut-elle faite ? Était-ce un travestissement impie et brutal du texte cité par Jésus, de telle sorte que " le plus terrible cri d'angoisse qui ait jamais retenti sur la terre, la parole la plus sacrée de lamentation, auraient été dérisoirement transformés par un esprit plein de malice " ? Stier, l. c. Beaucoup d'interprètes le pensent. M. Schegg, et après lui le Dr Langen, font judicieusement observer que les Juifs respectaient trop le nom divin pour se permettre à son sujet une aussi indigne plaisanterie. Voir Olshausen, in h. l. Ils supposent donc que la parole de Jésus aura été mal entendue et qu'elle aura donné lieu à un quiproquo involontaire, quoique il ne soit pas dénué complètement d'une certaine malice, cf. v. 49. - " Il " est, dans le texte latin (iste), une expression de dédain : Le voilà qui appelle Élie !Matthieu chap. 27 verset 48. - Et aussitôt l’un d’eux, accourant, prit une éponge et la remplit de vinaigre ; et l’ayant attachée à un roseau, il lui donnait à boire.
- Jésus s'était écrié presque en même temps : J'ai soif. Cf. Joan, 19, 28 et ss. L'un des assistants, saisi de pitié, prend aussitôt les moyens de calmer cette soif brûlante qui était un des plus grands tourments des crucifiés ; cf. Bisping, p. 563, note ; Smith, Diction. of the Bible, s.v. Crucifixion. - Prit une éponge. Il y avait là une éponge dont les bourreaux s'étaient probablement servis pour essuyer le sang qui les couvrait : piquée à l'extrémité d'un bâton, elle pouvait servir du moins à humecter les lèvres du patient. C'était le meilleur moyen de le désaltérer un peu dans les circonstances où il se trouvait. - La remplit de vinaigre. Le breuvage des soldats romains se nommait " posca " : c'était tantôt un mélange d'eau et de vinaigre, tantôt du mauvais vin. L'homme compatissant qui s'était ému au cri de Jésus trempa l'éponge dans la provision de " posca " qui était auprès de la croix pour les soldats de garde. - L'ayant attachée à un roseau : c'était, dit S. Jean, 19, 29, un rameau d'hysope.Matthieu chap. 27 verset 49. - Mais les autres disaient : Laisse, voyons si Élie viendra le délivrer.
- Les autres Juifs veulent l'empêcher d'accomplir cet acte de miséricorde. Laisse ! C'est-à-dire, ne fais pas cela. Ils ajoutent avec ironie : Voyons si Élie viendra… Ils supposaient que Jésus avait appelé à son secours le prophète Élie qui, d'après les prophètes, cf. Malach. 4, 5, 6, comme d'après l'Évangile, cf. Matth. 11, 14 et Luc 1, 17, devait avoir avec le Messie les rapports les plus intimes. Ces hommes cruels prétendent donc malicieusement qu'il vaut mieux laisser Jésus : son Élie va venir sans doute pour le rafraîchir et pour le délivrer. - Entre les versets 49 et 50, les manuscrits B, D, G, L. Sinaït. intercalent la ligne suivante : " et un autre prenant une lance, perce son côté et il en coula de l'eau et du sang ". Mais c'est là évidemment un emprunt apocryphe fait au quatrième Évangile, 19, 34. Condamnée au point de vue de la critique du texte, cette addition n'est pas moins malheureuse sous le rapport théologique ; car, si elle exprimait un fait réel, Jésus serait mort du coup de lance, opinion qui a été quelquefois soutenue, mais que le pape Clément V a justement réprouvée au concile de Vienne (an. 1311) comme contraire au récit sacré ; cf. Joan. 19, 30-37.Matthieu chap. 27 verset 50. - Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.
- Un premier cri avait été mentionné plus haut, v. 46. Quelles paroles s'échappèrent alors des lèvres du Sauveur en même temps que son dernier soupir ? S. Matthieu ne le dit pas ; mais nous l'apprenons dans la narration de S. Luc, 23, 46 : " Jésus s'écria d'une voix forte: Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira. " - Un grand cri. Les trois synoptiques ont pris soin de noter ce trait extraordinaire qui prouve, comme le disaient déjà les Pères, que Notre-Seigneur mourut librement, de son plein gré. - Il rendit l'esprit. Ici, il faut aimer, adorer et se taire.
51
Et voici que le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas, et la terre trembla, et les pierres se fendirent, 52et les tombeaux s’ouvrirent, et beaucoup de corps des saints qui s’étaient endormis ressuscitèrent, 53et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la ville sainte, et apparurent à beaucoup de personnes. 54Le centurion et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre et tout ce qui se passait, furent saisis d’une grande frayeur et dirent : Vraiment cet homme était le Fils de Dieu. 55Il y avait là aussi, à quelque distance, des femmes nombreuses, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, pour le servir ; 56parmi elles était Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.Matthieu chap. 27 verset 51. - Et voici que le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas, et la terre trembla, et les pierres se fendirent.
- Parmi les événements qui suivirent immédiatement la mort du Sauveur, S. Matthieu en signale trois principaux : 1° Quelques phénomènes miraculeux dans le domaine de la nature et dans le royaume des morts, v. 51-53 ; 2° l'appréciation du centurion, v. 54 ; 3° la conduite des saintes femmes, v. 55-56. - Et voici. Ce début est solennel et annonce de grandes choses. Du reste, on a depuis longtemps remarqué que la narration de S. Matthieu, qui est habituellement si calme et d'une si austère simplicité, prend tout à coup en ce passage un ton plus élevé : elle est poétique et rythmée comme un chant de triomphe ; les phrases s'y succèdent rapidement, en cadence, précédées de la conjonction et. - Le voile du temple. Il y avait deux voiles principaux dans le temple de Jérusalem. Le premier était situé devant le Saint, qu'il séparait du vestibule ; le second était à l'entrée du Saint des Saints. Cf. Ex. 26, 31 et ss. ; Levit. 16, 23 ; Philo, Vita Moys. 3, 6. Ils étaient l'un et l'autre très épais et richement ornés ; cf. Jos. Bell. Jud. 5, 5, 4 et 5. Tout porte à croire que c'est du second que l'évangéliste a voulu parler. En effet, 1. c'était le voile par excellence, 2. S. Matthieu et S. Marc le désignent par son appellation ordinaire ; 3. le symbole devient beaucoup plus significatif si c'est l'entrée du Saint des Saints lui-même qui fut ainsi miraculeusement ouverte ; cf. Winer, Bibl. Realwoerterbuch, c. v. Tempel, note 7. Malgré la prépondérance de ces motifs, D. Calmet, Hug et d'autres se décident en faveur du premier voile. Lightfoot, Descriptio templi hierosolym. c. 15, sect. 2, essaie de mettre tout le monde d'accord en conjecturant que les deux voiles furent déchirés en même temps ; mais son hypothèse n'a pas le moindre fondement. Ce phénomène ne fut pas le résultat du tremblement de terre, puisqu'il le précéda de quelques instants : ce fut le premier des prodiges qui eurent lieu après la mort du Sauveur. L'idée qu'il exprime d'une façon toute dramatique est facile à saisir. Le voile qui rendait le sanctuaire impénétrable à tout autre regard qu'à celui du Grand-Prêtre signifiait, d'après le beau langage de S. Paul, Hebr. 9, 8, que la voie du véritable sanctuaire restait fermée, tant que le premier tabernacle continuait d'exister. Aussi demeura-t-il à sa place tant qu'il n'y eut, pour effacer les péchés des hommes, que le sang impuissant des boucs et des taureaux, ibid. 10, 4. Mais, dès que la divine victime, seule capable de satisfaire la justice infinie de Dieu, eut expiré sur le Calvaire, cet épais rideau, qui avait symbolisé pendant un si grand nombre d'années la séparation entre le Créateur et la créature, se déchira mystérieusement, l'Esprit Saint montrant ainsi que désormais l'entrée du Saint des Saints était ouverte. On peut dire encore que le temple marquait de cette manière la part qu'il prenait à la douleur universelle causée par la mort de Jésus : comme on l'a vu, les Orientaux déchiraient leurs vêtements en signe de deuil. - Depuis le haut jusqu'en bas, par conséquent dans toute sa longueur. D'après une note de l'Évangile apocryphe " secundum Hebraeos " conservée par S. Jérôme, Comm. in Matth., 27, 51, cf. Epist. 149, qu. 8, et reproduite quant à la substance dans le Talmud de Jérusalem, tr. Ioma 6, 4, le linteau de pierre auquel était attaché ce voile aurait été tout d'abord brisé : " Dans cet évangile dit des Hébreux, nous lisons non pas que le voile du temple s'est déchiré, mais que le linteau du temple, d'une immense grandeur, s'est rompu et s'est divisé ", S. Jérôme l.c. Ce trait expliquerait pourquoi la déchirure commença par le haut. - La terre trembla. La terre, comme le firmament, exprimait ainsi sa sympathie à l'occasion de la mort du Christ. Elle fut saisie de mouvement convulsifs, " C’est comme si elle avait été mue de son centre, et de son lieu ", Sylveira in h.l., quand son auteur rendit le dernier soupir, de même que le corps humain se met parfois à trembler sous l'empire de la tristesse et du chagrin de l'âme. - Les pierres se fendirent. Ce phénomène, qui fut une conséquence du tremblement de terre, se produisit au Golgotha et dans les environs de Jérusalem. De nos jours encore, on voit dans la basilique du saint Sépulcre une fissure extraordinaire du rocher de Golgotha, signalée déjà par S. Cyrille, Catech. 13, c. 33. Au lieu d'avoir été produite dans le sens des veines de la pierre, ainsi qu'il arrive habituellement dans les circonstances analogues, elle partage le roc de manière à croiser perpendiculairement les différentes couches qui le composent. Aussi des témoins dignes de foi l'ont-ils regardée comme le résultat évident d'un miracle. Cf. Millar, Hist. of the propagation of Christianity, cité par Mgr M'Evilly, Comm. in h. l.Matthieu chap. 27 verset 52. - Et les tombeaux s’ouvrirent, et beaucoup de corps des saints qui s’étaient endormis ressuscitèrent.
- S. Matthieu a seul mentionné ce dernier prodige, qui surpasse tous les autres en grandeur. Le tremblement de terre, en même temps qu'il fendait les rochers les plus durs, faisait rouler hors de leurs gonds les énormes pierres qui fermaient l'entrée des sépulcres juifs. Cf. v. 60 ; Joan. 11, 38, etc. Mais ce n'est pas tout : Plusieurs de ces monuments funèbres ainsi ouverts rendirent leurs morts qui, d'après la description du verset suivant, accoururent dans la ville et se manifestèrent à de nombreux témoins. - Beaucoup de corps de saints… De quelle manière et dans quel sens eurent lieu ces résurrections merveilleuses ? Les exégètes se sont de tout temps séparés sur ce point délicat. On peut cependant réduire à trois les opinions principales qu'ils ont émises. 1° Les morts dont parle S. Matthieu seraient ressuscités à la façon de Lazare, l'ami du Christ ; c'est-à-dire que leur âme aurait été de nouveau unie à leur corps, pour une seconde vie d'une durée plus ou moins longue. Tel est le sentiment de Théophylacte. Mais on lui oppose justement l'expression " apparurent " du v. 53, qui suppose de simples apparitions, par conséquent une résurrection momentanée. 2° Origène, S. Jérôme, S. Thomas d'Aquin, et à leur suite Maldonat, Arnoldi, Brown, Mgr Mac-Evilly, M. Fouard, etc., pensent que cette résurrection était définitive ; c'eût été une anticipation de celle de tous les hommes à la fin du monde. Sur les bienheureux qui en furent l'objet, la mort aurait donc à jamais perdu son empire : bien plus, ils auraient eux-même accompagné Jésus dans le ciel en corps et en âme au jour de son Ascension. Mais cette opinion n'est-elle pas réfutée dans l'Épître aux Hébreux, 11, 39, 40 ? N'a-t-elle pas contre elle la croyance générale d'après laquelle, à part le Sauveur et la glorieuse Vierge Marie, personne avant la fin du monde n'entrera dans le Ciel avec un corps transfiguré ? 3° Suivant le système adopté par MM. Schegg et Bisping, la merveille dont l'évangéliste fait ici mention ne consiste pas dans des résurrections proprement dites, mais dans de simples apparitions temporaires, semblables à celles des anges, ou mieux encore à celle de Moïse sur la montagne de la Transfiguration. Ce n'est donc pas sous l'enveloppe réelle de leurs corps, c'est sous des fantômes extérieurs qui leurs correspondaient, que les saints personnages choisis par Dieu se montrèrent à Jérusalem. - Quels furent les Saints de l'Ancien Testament qui eurent ainsi l'honneur de participer en un certain sens à la Résurrection du Sauveur ? On a souvent nommé Adam, Noé, Abraham, David, d'après les Acta Pilati, cf. Thilo, Cod. Apocr. N. T. p. 810, ou encore, S. Joseph, S. Jean-Baptiste, etc. On ne sait rien de précis à ce sujet : il semble plus vraisemblable, d'après le contexte, que la plupart d'entre eux avaient appartenu à la génération contemporaine, puisque nous les voyons se faire reconnaître d'un grand nombre. - Qui s'étaient endormis. Dès les premiers jours du Christianisme, le verbe " s'endormir " devint un gracieux euphémisme pour signifier mourir ; cf. 1 Tess. 4, 4. De là le nom de dortoir, en grec, (d'où cimetière) donné aux champs des morts.Matthieu chap. 27 verset 53. Et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la ville sainte, et apparurent à beaucoup de personnes.
- Ewald et Fritzsche prennent cette expression dans le sens actif : " Sortant de leurs sépulcres après que Jésus les eût ressuscités ". Mais il faut faire violence au texte pour traduire d'une manière si peu naturelle et si peu grammaticale. Il s'agit évidemment de la résurrection personnelle du Sauveur. C'est donc seulement après que Jésus-Christ fut sorti d'entre les morts, que les âmes d'élite auxquelles il communiqua en quelque manière le privilège de sa résurrection, quittèrent leurs tombeaux et vinrent se montrer aux habitants de Jérusalem. Il convenait en effet qu'elles ne se manifestassent pas avant qu'il eût quitté son propre sépulcre. Il suit de là qu'elles ne ressuscitèrent probablement elles-mêmes qu'après lui : autrement, qu'auraient-elles fait dans les monuments funèbres depuis le vendredi soir jusqu'au dimanche matin ? Aussi est-ce l'avis commun des exégètes que ces détails sont racontés ici par anticipation. Seuls, les premiers mots du v. 52, " les tombeaux s'ouvrirent ", sont donc à leur place chronologique. Mais, après avoir parlé de l'ouverture miraculeuse des tombeaux, l'évangéliste ajoute très-naturellement, d'après l'ordre logique, d'autres faits merveilleux dont ils furent encore le théâtre un peu plus tard. - Dans la cité sainte. Cf. 4, 5 et le commentaire. La sainte cité s'était hélas transformée en cité déicide. - Ils apparurent à beaucoup. Tel était le but de leur entrée dans Jérusalem. Ils y viennent comme des témoins, comme des preuves vivantes de la résurrection de Jésus. C'est pour cela qu'ils multiplient leurs apparitions. Plus on les verra, plus il y aura de cœurs qui croiront au caractère messianique de Notre-Seigneur et à sa divinité.Matthieu chap. 27 verset 54. - Le centurion et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre et tout ce qui se passait, furent saisis d’une grande frayeur et dirent : Vraiment cet homme était le Fils de Dieu.
- S. Matthieu fait part maintenant à ses lecteurs de l'impression produite par les prodiges qu'il vient de décrire, sur les soldats romains qui avaient assisté à la mort de Jésus, et d'une grave réflexion qu'ils leur inspirèrent. Il nomme d'abord le centurion, c'est-à-dire l'officier sous les ordres duquel le crucifiement avait eu lieu. Les mots suivants, ceux qui étaient avec lui, désignent les simples soldats qui avaient rempli le rôle de bourreaux, et qui montaient actuellement la garde autour du corps de Jésus. Ces hommes rudes et grossiers, à la vue du tremblement de terre et des autres phénomènes extraordinaires qui l'accompagnaient (les ténèbres, le cri surnaturel du Sauveur mourant, la rupture des rochers), ne purent réprimer un vif sentiment de crainte. Convaincus d'une certaine manière de la divinité de leur victime, ils redoutent sa vengeance, puisque ce sont eux-mêmes qui l'ont mise à mort. - Le Fils de Dieu. Dans quel sens affirment-ils que Jésus est le fils de Dieu ? Il est bien difficile de le déterminer, comme on le voit par le grand désaccord qui règne sur ce point entre les interprètes. S. Luc, 23, 47, place sur les lèvres du centurion une expression beaucoup plus vague : " Certainement, cet homme était juste ", et il est possible que la qualification de Fils de Dieu équivalût simplement pour ces païens à celle d'ami de Dieu. Peut-être aussi faisaient-ils alors dans le sens strict un véritable acte de foi en la nature divine de Jésus-Christ. Ils avaient entendu dire, soit chez Pilate, cf. Joan. 19, 7, soit récemment au pied de la croix, Matth. 27, 40, que Jésus prétendait avoir droit au titre de Fils de Dieu : de tous les prodiges qui s'étaient passés au moment de sa mort, ils concluent qu'il était vraiment Dieu ainsi qu'il l'avait affirmé. " Au milieu de ce scandale de la passion, le centurion confesse que Jésus est Fils de Dieu, tandis qu'au sein de l'Église, Arius le proclame une simple créature ", S. Jérôme in h.l. " C’est donc avec raison que le centurion est la figure de la foi de l’Église, lui qui, aussitôt que le voile qui couvrait les mystères célestes est déchiré par la mort du Seigneur, le proclame un homme vraiment juste et le vrai Fils de Dieu, alors que la synagogue garde le silence ", Rhaban Maur, ap. Thom. Aq. Cat in h.l.Matthieu chap. 27 verset 55. - Il y avait là aussi, à quelque distance, des femmes nombreuses, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, pour le servir.
- A côté de ces païens qui révèrent Jésus, nous trouvons un autre groupe ami et fidèle. Il est composé d'un nombre assez considérable de pieuses Juives, qui s'étaient attachées à lui depuis longtemps par la foi de l'esprit et par le dévouement du cœur. Tandis que les Apôtres ont lâchement pris la fuite, elles ont eu le courage de suivre Jésus jusqu'au Calvaire. Leur présence a consolé ses derniers instants. Même après sa mort, elles demeurent au poste que leur sainte affection leur avait fixé : elles ne s'éloigneront que lorsqu'on aura rendu les derniers devoirs à ses restes sacrés. - À quelque distance. Par convenance, pour ne pas se trouver mêlées à la foule brutale qui entourait la croix. Cependant, plusieurs d'entre elles n'avaient pas craint de s'avancer jusqu'auprès du Sauveur mourant ; cf. Joan. 19, 25. - Qui avaient suivi… Ces saintes femmes suivaient habituellement le Sauveur dans ses voyages ; cf. Luc. 8, 1-3. Elles étaient venues avec lui de Galilée à Jérusalem à l'occasion de la Pâque actuelle. - Pour le servir. " Servir " ne désigne pas seulement les services en général que l'on peut rendre au prochain. Il signifie parfois d'une manière spéciale, et c'est ici le cas, fournir le nécessaire. Cf. Matth. 4, 11 ; 25, 44 ; Marc. 1, 13 ; 15, 41 ; Luc. 8, 3 ; 1 Petr. 4, 10-11, etc. Voir aussi Bretschneider, Lex. Man. t. 1, p. 226. L'évangéliste veut donc dire que les amies de Jésus subvenaient à ses besoins temporels, et à ceux de ses disciples.Matthieu chap. 27 verset 56. - Parmi elles était Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.
- Après avoir mentionné leur noble conduite, il nomme les plus célèbres d'entre elles. - Marie Madeleine, ou Marie de Magdala, petite ville située sur les bords du lac de Tibériade, au Sud de Capharnaüm ; cf. 15, 39 dans le texte grec. Nous aurons à examiner plus tard, s'il faut confondre Marie Madeleine avec Marie sœur de Lazare. - Marie Jacobé : Cette autre Marie était la femme de Cléopas et, comme nous l'avons dit ailleurs, cf. Joan. 19, 25 et l'explication de Matth. 13, 55-56, la sœur ou la belle-sœur de la Sainte Vierge. Ses fils Jacques et Joseph étaient par conséquent les " frères " de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le premier ne diffère pas de l'Apôtre S. Jacques-le-Mineur ; du second on ne connaît pas autre chose que le nom. - La mère des fils de Zébédée : Salomé, Marc. 15, 40, était là, elle aussi, réparant par sa courageuse présence l'acte de faiblesse auquel l'avait entraînée naguère, cf. 20, 20, un amour trop naturel pour ses deux fils.
57
Lorsque le soir fut venu, il vint un homme riche d’Arimathie, nommé Joseph, qui était aussi disciple de Jésus. 58Cet homme alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu’on rendît le corps. 59Et ayant pris le corps, Joseph l’enveloppa d’un linceul blanc. 60Et le déposa dans son tombeau neuf, qu’il avait fait tailler dans le roc ; puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau, et il s’en alla. 61Or, Marie Madeleine et l’autre Marie étaient là, assises en face du sépulcre.Matthieu chap. 27 verset 57. - Lorsque le soir fut venu, il vint un homme riche d’Arimathie, nommé Joseph, qui était aussi disciple de Jésus.
- Les Grecs appelaient " soir ", tantôt la partie de la journée comprise entre trois et six heures, c'est-à-dire ce que nous nommons après-midi, cf. 8, 16 ; 14, 15 et Marc. 4, 35 ; tantôt les dernières heures du jour, celles qui précèdent immédiatement la nuit ; cf. 14, 15-23. C'est du premier de ces deux soirs qu'il est question dans cet endroit, comme il ressort du récit de S. Marc, 15, 42. - Il vint. Plusieurs commentateurs ont pensé que Joseph d'Arimathie était allé au Calvaire avant de se rendre chez Pilate : c'est possible, mais le texte sacré n'en dit absolument rien. " Il vint " est en effet parallèle à " alla trouver " du verset suivant, cf. Marc. 15, 43 ; Luc. 23, 52, et ces deux verbes réunis semblent n'exprimer qu'une seule et même démarche. - Un homme riche. Cette circonstance n'était pas sans valeur. Elle donnait à Joseph une plus grande autorité pour se présenter chez Pilate et pour lui exposer sa requête. Du reste, ce pieux disciple avait une autre source de crédit et d'influence : c'était son titre de Membre du Sanhédrin. cf. Luc. 23, 50 et ss. - D'Arimathie. On n'a pas encore réussi à fixer d'une manière certaine la situation d'Arimathie. Les voyageurs et les géographes hésitent entre trois localités principales : Ramleh, Renthieh et Neby-Samouil. La première, bâtie sur une dune qui s'élève au-dessus de la riche plaine de Saron, près de la route de Jaffa à Jérusalem, à 30 km environ de cette dernière ville, a en sa faveur une tradition qui semble remonter au moins jusqu'aux croisades, et qui semble même s'appuyer sur le témoignage d'Eusèbe et de S. Jérôme, puisque ces deux anciens auteurs, l'un dans son Onomasticon, s. v. Armathem Sophim, l'autre dans l'épitaphe de sainte Paule, placent Arimathie dans le voisinage de Lydda, c'est-à-dire de la Loudd actuelle, dont Ramleh n'est distant que d'une lieue. Cf. Raumer, Palaestina, 4è édit. p. 217 et 448 ; Schegg, Gedenkbuch einer Pilgerreise, t. 1, p. 229 ; Kitto, Cyclopedia of the Bible, s. v. Arimathaea. Le village de Renthieh, situé un peu plus au nord (voir la carte de Van de Velde), est loin de réunir des chances aussi avantageuses : les auteurs qui l'identifient avec la patrie de Joseph, en particulier M. Thomson, the Land and the Book, 2è édit. p. 525, et M. Ayre, Treasury of Bible Knowledge, s. v. Arimathaea, ne peuvent guère baser leur sentiment que sur une simple probabilité. Neby-Samouil possède au contraire des titres assez sérieux. Les Arabes nomment ainsi une colline pittoresque qui se dresse au N. O. de Jérusalem et sur laquelle était autrefois bâtie, selon toute probabilité, le bourg de Ramathaïm, patrie du prophète Samuel ; cf. 1 Reg. 1, 1-19. La ressemblance d'appellations a décidé quelques topographes et commentateurs, cf. Sepp, Jerusalem u. das h. Land, t. 2, p. 13 et ss., à chercher sur le Neby-Semouil l'emplacement de l'ancienne Arimathie. Nous doutons cependant qu'elle suffise pour contrebalancer la tradition citée plus haut et pour déposséder Ramleh. - Quoi qu'il en soit, au moment de la mort de Jésus, Joseph d'Arimathie avait sans doute quitté depuis un certain temps le lieu de sa naissance pour se fixer à Jérusalem, puisqu'il venait de se faire ériger un tombeau de famille dans la capitale ; cf. v. 60. - Nommé Joseph. S. Joseph avait été chargé par la Providence de protéger l'enfance du Sauveur ; un autre Joseph reçoit d'elle la mission de veiller à sa sépulture. Joseph était un des disciples de Jésus, de là le zèle qu'il déploie pour honorer son Maître ; mais son adhésion était demeurée secrète " par crainte des Juifs ", comme nous le lirons dans le quatrième Évangile, Joan. 19, 38.Matthieu chap. 27 verset 58. - Cet homme alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu’on rendît le corps.
- Il vint au prétoire en suppliant. Néanmoins, il y vint en homme courageux et résolu, ainsi que le fait remarquer S. Marc, 15, 43 : " Il eut l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus ". - Demanda le corps. D'après la loi juive, cf. Deut. 21, 23 ; Jos. Bell. Jud. 4, 5, 2, les corps des condamnés devaient être détachés du gibet, puis enterrés avant le coucher du soleil, le jour même du supplice. Au contraire, suivant la coutume romaine, les cadavres des crucifiés demeuraient souvent des jours entiers sur la croix, abandonnés aux oiseaux de proie ou aux animaux sauvages, à moins qu'on ne les fît brûler au bout d'un certain temps. Cf. Horat. Ep. 1, 16, 48 ; Plaute, Mil. glor. 2, 4, 19. Les magistrats avaient cependant le pouvoir de les concéder aux parent ou aux amis qui les réclamaient pour leur donner une sépulture honorable. Cf. Ulpian. 43, 24, 1, de Cadav. punit. C'est ce qui explique la démarche de Joseph d'Arimathie. - Pilate ordonna. Le gouverneur commença par s'assurer que Jésus avait cessé de vivre, Marc. 15, 44-45. Sur les renseignements qu'il reçut du centurion préposé au crucifiement, il accéda sans peine à la demande de Joseph. Il se plia d'autant plus facilement à la coutume juive dans cette circonstance, qu'il n'avait condamné Jésus qu'à regret, et qu'il croyait ainsi réparer jusqu'à un certain point son acte de faiblesse.Matthieu chap. 27 verset 59. - Et ayant pris le corps, Joseph l’enveloppa d’un linceul blanc.
- Le corps du Sauveur fut respectueusement descendu de la croix ; on procéda ensuite, mais à la hâte, parce que l'heure du repos sabbatal approchait, à son ensevelissement. Comme les amis de Jésus se proposaient de rendre les derniers devoirs à sa dépouille sacrée d'une manière plus solennelle dans la matinée du dimanche, cf. Marc. 16, 1 ; Luc. 24, 1, ils se bornèrent le vendredi à lui donner une sépulture rapide et provisoire. - Joseph l'enveloppa. Après l'avoir lavé et parfumé, on l'entoura de bandelettes suivant l'usage, Joan. 19, 39-40, et on l'enveloppa finalement dans un linceul de lin. - Un linceul blanc, c'est-à-dire neuf, n'ayant pas encore servi.Matthieu chap. 27 verset 60. - Et le déposa dans son tombeau neuf, qu’il avait fait tailler dans le roc ; puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau, et il s’en alla.
- S. Jean, 19, 41-42, s'est chargé de commenter ces mots. " Dans le lieu où il fut crucifié se trouvait un jardin, et, dans le jardin, un sépulcre neuf dans lequel personne n'avait encore été mis. C'est là qu'ils placèrent Jésus à cause de la Parascève des Juifs, le sépulcre se trouvant à proximité. " Le sépulcre était la propriété de Joseph d'Arimathie : on achevait à peine de le creuser. Jésus y fut donc enseveli le premier. - Qu'il avait fait tailler dans le roc. Nous avons dit ailleurs, cf. 23, 29 et le commentaire, qu'aux environs de Jérusalem il y avait de nombreux tombeaux taillés dans le roc. D'après divers détails notés dans le quatrième Évangile, 20, 5-6, 11, celui de Joseph d'Arimathie semble avoir consisté en une chambre unique, taillée horizontalement dans le rocher : le corps du Sauveur dut être placé au milieu de cette salle funèbre. - Il roula une grande pierre. Ces pierres énormes, que les Juifs avaient coutume de placer à l'entrée de leurs sépulcres, étaient destinées à éloigner les bêtes féroces et les voleurs. Leur nom signifiait " ce qu'on roule ". Elles étaient parfois habilement encastrées dans le roc, et munies d'une fermeture à secret ; cf. de Saulcy, Art judaïque, p. 235 et ss.Matthieu chap. 27 verset 61. - Or, Marie Madeleine et l’autre Marie étaient là, assises en face du sépulcre
. - " Lorsque les autres abandonnèrent le Seigneur, les femmes continuent à le veiller …. et elles méritent ainsi d'être les premières à voir sa résurrection ", S. Jérôme, in h. l. Marie-Madeleine est la première à ce poste d'amour. Avec elle s'y trouve l'autre Marie, c'est-à-dire Marie, mère de Jacques et de Joseph, mentionnée au v. 56. Elles sont là dans l'attitude de la douleur. Il leur est impossible de s'éloigner de Jésus, même après sa mort : de plus, elles avaient désiré savoir en quel lieu son corps serait déposé, parce qu'elles voulaient l'embaumer plus complètement quand le repos du sabbat aurait cessé. Cf. Marc. 15, 47 ; Luc. 23, 55 et suiv.SAMEDI SAINT
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Le lendemain, qui était le jour après la Préparation, les princes des prêtres et les pharisiens allèrent ensemble trouver Pilate, 63en disant : Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, lorsqu’il vivait encore : Après trois jours je ressusciterai. 64Ordonnez donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent dérober son corps, et ne disent au peuple : Il est ressuscité d’entre les morts ; dernière imposture qui serait pire que la première. 65Pilate leur dit : Vous avez des gardes ; allez, gardez-le comme vous l’entendez. 66Ils s’en allèrent donc, et pour s’assurer du tombeau, ils en scellèrent la pierre et y mirent des gardes.Matthieu chap. 27 verset 62. - Le lendemain, qui était le jour après la Préparation, les princes des prêtres et les pharisiens allèrent ensemble trouver Pilate.
- Le lendemain : dans la journée du samedi saint. Par Parascève, les Juifs hellénistes désignaient le jour de la Préparation, jour qui précédait le sabbat ou les fêtes solennelles. Ce nom était tiré des préparatifs spéciaux qu'il fallait faire durant les vigiles, afin de n'avoir pas à violer le repos sacré du lendemain ; cf. Jos. Ant. 16, 6, 2. Au Livre de Judith, 8, 16, on trouve l'expression équivalent de veille du sabbat. Mais pourquoi l'évangéliste s'est-il servi d'une périphrase aussi singulière, lorsqu'il pouvait dire simplement et avec beaucoup plus de clarté " sabbat " ou " jour du sabbat " ? Le sabbat ayant une importance bien supérieure à celle de sa vigile, il paraît tout d'abord surprenant qu'on l'ait désigné ici non pas d'une manière directe, mais d'après le jour précédent. Plusieurs explications ont été imaginées pour rendre raison de cette expression. Cf. von Gumpach, Üb. den altjüd. Kalender, p. 62. La plus naturelle, qui est aussi la plus communément admise, consiste à dire que le nom de Parascève entra de bonne heure dans le langage liturgique de l'Église pour désigner le jour de la mort du Sauveur. Comme, au point de vue chrétien, ce jour l'emportait sur tous les autres, on comprend aisément qu'il ait servi de centre pour leur dénomination, sans que le sabbat fit exception à cette coutume. La locution " jour après la Parascève " est donc employée dans un style tout à fait chrétien, bien qu'elle soit empruntée aux idées juives. - Les princes des prêtres et les pharisiens. Ils se présentaient chez Pilate comme délégués du Sanhédrin. Nous savons que le parti Pharisaïque était largement représenté dans le grand Conseil, et que les princes des prêtres formaient l'une des trois Chambres dont se composait le Sanhédrin. - Les Sanhédristes redoutent Jésus même après sa mort : apprenant que son corps a été laissé à la disposition de ses amis, ils veulent empêcher ceux-ci d'en abuser pour tromper le peuple. De là l'entrevue qu'ils sollicitent de Pilate. Il est difficile de déterminer au juste l'heure à laquelle ils se présentèrent au prétoire. Ce serait, suivant D. Calmet, dès l'ouverture du sabbat, par conséquent le vendredi soir après le coucher du soleil. Mais la plupart des commentateurs placent la visite des Sanhédristes soit dans la matinée, soit dans la soirée du samedi : le sens obvie des mots le jour suivant favorise ce sentiment.Matthieu chap. 27 verset 63. - en disant : Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, lorsqu’il vivait encore : Après trois jours je ressusciterai.
- Seigneur était un titre honorifique alors fréquemment usité dans les relations sociales. - Nous nous sommes souvenus. Les délégués du Sanhédrin s'excusent en quelque sorte de venir encore troubler le procurateur pour cette affaire ; mais ils avaient oublié un point de la dernière gravité, qu'il importait de lui faire régler au plus tôt. - Cet imposteur. Expression de mépris, qui fait dire à Rosenmüller, Schol. in h.l. : " Même après sa mort, ils ne cessèrent pas de couvrir Jésus d’ignominie. Horace lui-même applique ce mot à un saltimbanque ou un marchand ambulant qui trompe les hommes avec des colifichets et des babioles ". - Lorsqu'il vivait encore. Donc il était vraiment mort : les Pharisiens en étaient certains. Nous recommandons cette parole à ceux des rationalistes modernes qui, pour expliquer la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ont recours à une simple syncope, dont il serait revenu au bout de quelques heures. Voir Dehaut, l'Évangile expliqué, médité, t. 4, p. 414 et suiv., 5è édit. - Après trois jours je ressusciterai. Le verbe est au présent dans le texte grec, ce qui exprime mieux la parfaite certitude avec laquelle Jésus avait tenu ce langage. " Après trois jours ", c'est-à-dire le troisième jour qui suivra ma mort, comme nous l'avons démontré précédemment. Voir 12, 40 et le commentaire. Du reste cela ressort très clairement du v. 64 et d'un texte analogue de S. Luc, 23, 7. - La prophétie que mentionnent ici les Sanhédristes semble n'avoir été annoncée qu'aux Apôtres en des termes aussi formels. Cf. Marc. 8, 31. Plusieurs exégètes (Mgr Mac-Evilly, J.P. Lange, etc.) ont conjecturé que les ennemis du Sauveur l'avaient connue par une révélation du traître. Mais il est possible qu'elle se fût divulguée d'une autre manière. Du reste, plusieurs passages évangéliques déjà signalés, spécialement Joan. 2, 19 ; Matth. 12, 39, 40, suffisent pour expliquer la citation des Pharisiens.Matthieu chap. 27 verset 64. - Ordonnez donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent dérober son corps, et ne disent au peuple : Il est ressuscité d’entre les morts ; dernière imposture qui serait pire que la première.
- Après les considérants, vient la demande : ordonnez en vertu de votre autorité supérieure. De lui-même, le Sanhédrin n'aurait pas eu le droit de prendre la mesure qu'il implore de Pilate. C'eût été un abus de pouvoir que les Romains n'auraient pas toléré. - Soit gardé : par une escouade de soldats du prétoire. - Jusqu'au troisième jour : c'est à dire jusqu'au dimanche soir. Jésus ayant promis de ressusciter le troisième jour après sa mort, ce jour passé, s'il restait dans le tombeau, son imposture deviendrait manifeste et l'on n'aurait plus besoin de gardes. - Au peuple : à la foule sans instruction qu'il est si aisé d'induire en erreur. Cette expression laisse percer le dédain que les Pharisiens superbes nourrissaient pour le peuple illettré. Cf. Joan. 7, 49. - Imposture qui serait pire. Ils exposent la conséquence fâcheuse qui résulterait de la croyance du peuple à la résurrection de Jésus. C'est cette croyance même qu'ils désignent par le nom de dernière imposture ; la première erreur était la foi au caractère messianique du Sauveur. " Remarquez, dit fort bien M.L. Abbott sur ce passage, New. Testam. with notes, t. 1, p. 322, qu'ils corroborent sans en avoir conscience l'argument basé sur le fait de la résurrection de Jésus. Supposé que le Christ soit ressuscité d'entre les morts, il faut admettre à l'instant tout ce qui est impliqué dans la foi à un Christianisme surnaturel ".Matthieu chap. 27 verset 65. - Pilate leur dit : Vous avez des gardes ; allez, gardez-le comme vous l’entendez.
- La réponse de Pilate est laconique et froide : si le gouverneur accède à cette nouvelle demande des membres du Sanhédrin, c'est encore en les humiliant. - Vous avez des gardes. Selon la traduction du grec, le texte se comprend comme suit. Dans le premier cas, Pilate aurait rappelé aux princes des prêtres qu'il avait déjà mis des soldats à leur disposition soit pour protéger les abords du temple et les préserver de tout tumulte pendant la fête, soit plus récemment encore pour crucifier Jésus. Pourquoi venaient-ils lui demander un nouveau détachement de ses troupes ? Autre possibilité, qui serait peut être plus exacte, Pilate aurait purement et simplement consenti à la requête de ses visiteurs importuns.- Allez. Pilate, ne voulant pas s'occuper davantage de l'affaire qui lui était proposée, congédie sèchement les Sanhédristes. - Comme vous l'entendez
; c'est-à-dire, aussi bien que vous le pourrez ; ou bien, à votre guise, selon le but que vous désirez atteindre.Matthieu chap. 27 verset 66. - Ils s’en allèrent donc, et pour s’assurer du tombeau, ils en scellèrent la pierre et y mirent des gardes.
- Ils se retirent plein de joie d'avoir si facilement réussi, et se hâtent de prendre les précautions nécessaires pour empêcher toute fraude de la part des amis de Jésus. Ils établirent auprès du sépulcre un poste de soldats romains auxquels ils recommandèrent une sévère vigilance. - Ils scellèrent la pierre. Ce fut donc leur première opération. Pour se prémunir même du côté des gardes, qui auraient pu se laisser gagner par les amis de Jésus et leur livrer son corps, ils commencèrent par mettre les scellés sur le sépulcre, de telle sorte qu'il fût impossible de l'ouvrir sans rompre les cachets de cire dont ils l'avaient muni. On trouve parfois des scellés semblables sur les anciennes tombes égyptiennes. - Ils y mirent des gardes. Un poste romain se composait habituellement de seize hommes : sur ce nombre, il y avait toujours quatre soldats de garde. On les relevait toutes les trois heures. Le caractère providentiel de ces mesures prises par le Sanhédrin attirait déjà l'attention des Saints Pères : elles servirent, disaient-ils, à mieux établir l'authenticité du miracle de la résurrection. " Tout ce qu’ils ont gagné par leurs artifices, c’est qu’ils ont rendu sa résurrection plus célèbre et plus constante; de sorte qu’on ne peut en douter raisonnablement, puisqu’il ressuscita en présence des Juifs mêmes et des soldats. ", S. Jean Chrysost., Hom. in Matth. h. l. " Le soin qu'ils prirent de garder Jésus a servi à notre foi. Plus le corps du Christ était protégé, plus la puissance de sa résurrection était évidente ", S. Jérôme, in h.l. Sans les précautions minutieuses du Grand Conseil, l'histoire de l'enlèvement du cadavre par les disciples, cf. 28, 13-15, se serait partout propagée avec un succès plus grand encore.
Les deux Marie viennent au sépulcre, v. 1. - Apparition de l'ange du Seigneur et frayeur des gardes, vv. 2-4. - L'ange annonce aux saintes femmes la résurrection de Jésus et les envoie porter cette nouvelle aux Apôtres, vv. 5-7. - Elles obéissent et sont favorisées d'une des premières apparitions du Sauveur, vv. 8-10. - Les soldats romains corrompus par le Sanhédrin, vv. 11-15. - Jésus apparaît à ses disciples sur une montagne de Galilée, vv. 16-17. - Il les munit de pleins pouvoirs et leur fait une promesse consolante, vv. 18-20.
"
Car tu ne livreras pas mon âme au séjour des morts, Tu ne permettras pas que ton bien-aimé voie la corruption ", s'était écrié David, Ps. 15, 10, en tant qu'il était le type du Messie. S. Matthieu nous montre, dans la dernière page de son Évangile, la manière dont cette glorieuse prophétie s'est réalisé en Jésus. C'est avec sa simplicité accoutumée de langage, quoique pourtant avec une joie qu'on voit percer à travers son récit, qu'il décrit ce grand événement qui forme vraiment, comme le disait l'apôtre des Gentils, 1 Cor. 1, 14-22, la base de notre foi et du Christianisme tout entier. - Si les rationalistes ont attaqué violemment les miracles ordinaires de Jésus, on peut dire qu'ils se sont déchaînés avec une véritable fureur contre le prodige de sa Résurrection. Et l'on devait s'y attendre ; comment en effet ceux qui prétendaient anéantir la religion chrétienne n'auraient-ils pas essayé de renverser la colonne fondamentale qui la soutient depuis dix-huit siècles ? Pour parvenir à leurs fins, ils n'ont reculé devant aucun moyen, et n'ont pas craint d'accuser les évangélistes de mensonge ou de manœuvres encore plus indélicates. - Fidèle à notre rôle de simple commentateur, nous ne les suivrons pas à travers les obscurs labyrinthes de leur critique toute négative. Il suffira d'indiquer ici le plus sérieux de leurs griefs et d'en prouver brièvement l'inanité. S'appuyant sur les variantes parfois assez considérables qui existent entre les quatre récits évangéliques relativement au fait de la Résurrection, ils prétendent que ce sont des contradictions réelles ; d'où ils concluent que les narrations ne méritent aucune créance. A cette assertion, nous opposons les considérations suivantes : 1° Il est vrai qu'il existe entre les quatre évangélistes, touchant le miracle de la Résurrection, des divergences assez notables. 2° Ces divergences s'expliquent de la façon la plus simple : elles proviennent de ce que les évangélistes ne donnent tous qu'une relation incomplète, chacun à son point de vue spécial, des événements qui eurent lieu entre la Résurrection de Jésus et son Ascension. 3° Ces divergences, dont on trouve de fréquents exemples chez tous les écrivains indépendants qui ont écrit sur un même sujet, n'ont absolument rien de commun avec les contradictions proprement dites . Entre les quatre récits, l'harmonie s'établit même assez facilement, comme l'admet quiconque n'est pas sous l'influence d'idées préconçues, et comme le prouvent les nombreux essais de conciliation qui ont eu lieu depuis les premiers siècles chrétiens jusqu'à nos jours. Cf. S. Augustin, de Consens. Evang. 3, 61-85 ; Tischendorf, Synops. Evang. p. 49 et suiv. 4° Sur les points essentiels, il règne un accord parfait entre les évangélistes ; les différences ne portent que sur des détails secondaires. Le récit, de même que le fait lui-même, demeure donc inébranlable. Dans sa narration, qui est la plus courte et la moins détaillée des quatre, S. Matthieu se borne aux traits principaux : il signale seulement la visite des saintes femmes au sépulcre, la fuite des gardes et une apparition de Jésus à ses disciples.
1
Le sabbat passé, lorsque le premier jour de la semaine commençait à luire, Marie-Madeleine et l’autre Marie vinrent pour voir le tombeau. 2Et voici qu’il se fit un grand tremblement de terre car un ange du Seigneur descendit du ciel et s’approchant, il renversa la pierre et s’assit dessus. 3Son visage était comme l’éclair et son vêtement comme la neige. 4A cause de lui les gardes furent terrifiés et devinrent comme morts. 5Mais l’ange, prenant la parole, dit aux femmes : Ne craignez pas, vous ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. 6Il n’est pas ici ; car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été mis. 7Et hâtez-vous d’aller dire à ses disciples qu’il est ressuscité, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai prédit. 8Elles sortirent aussitôt du tombeau, avec crainte et avec une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. 9Et voici que Jésus vint au-devant d’elles, en disant : Je vous salue. Elles s’approchèrent, et embrassèrent ses pieds et l’adorèrent. 10Alors Jésus leur dit : Ne craignez pas; allez, dites à mes frères de partir pour la Galilée ; c’est là qu’ils me verront.Matthieu chap. 28 verset 1. - Le sabbat passé, lorsque le premier jour de la semaine commençait à luire, Marie-Madeleine et l’autre Marie vinrent pour voir le tombeau.
- La première partie de ce verset est assez obscure, surtout dans la Vulgate : heureusement, on peut l'éclaircir à l'aide des autres récits. - Le sabbat passé. Cette locution ne désigne pas le soir du samedi ; mais, comme on le voit par le contexte, le début du jour suivant. Le grec porte " tard dans le sabbat ", c'est-à-dire après le sabbat. Ce sens est garanti par de nombreux exemples tirés des classiques. Cf. Philostrat. Vit. Apoll. 4, 18, après l'achèvement des mystères ; Thucyd, 4, 96, le jour fini ; etc. Voir Bretschneider, Lexic. Man. t. 2, p. 195. ; Hagen, Sprachl. Eroerterungen zur Vulgata, p. 101. Cependant, on peut admettre aussi avec Maldonat que cette expression représente par métaphore tout le temps écoulé entre le samedi soir et le dimanche matin : " Ce que l’évangéliste appelle le soir du sabbat, ce n’est pas le temps vespéral qui s’écoule entre le jour et la nuit, mais toute la nuit, à la fin de laquelle, c’est-à-dire à l’aurore, on dit que les femmes sont venues au sépulcre ". Toutefois, cette interprétation nous paraît moins exacte. - A luire. Le verbe grec correspondant se dit habituellement des astres, quand on veut dépeindre les premiers rayons qu'ils envoient sur la terre en apparaissant à l'horizon ou au firmament ; mais on l'emploie souvent aussi pour représenter le crépuscule du matin, les premières lueurs du jour. Le " premier jour de la semaine " est un terme technique emprunté au langage liturgique des anciens Juifs, pour désigner le lendemain du sabbat, le jour du Seigneur (d'où nous avons fait Dimanche), comme l'a plus tard nommé l'Église. De même que nous prenons le dimanche pour point de départ, dans la numération chrétienne des jours, de même les Hébreux rapportaient au sabbat tous les jours suivants de la semaine. Le premier jour après le sabbat est donc la dénomination juive du dimanche, qui demeura en usage dans la chrétienté pendant un certain nombre d'années. Cf. Act. 20, 7 ; 1 Cor. 16, 2 ; Joan. 20, 1. - De toutes les explications qui précèdent, il suit que la phrase obscure de S. Matthieu pourrait se traduire simplement par ces mots : à l'aube du dimanche. Cf. Luc. 14, 1 ; Joan. 20, 1. - Marie-Madeleine... Nous retrouvons ici les deux saintes femmes qui avaient été mentionnées plus haut, 28, 61. Demeurées les dernières auprès du sépulcre dans la soirée du vendredi, elles arrivent les premières le dimanche matin. Il est vrai que S. Marc, 16, 1, et S. Luc, 14, 10, nomment encore plusieurs autres des amis de Jésus. - Pour voir le tombeau. Plus exactement, elles venaient pour embaumer le corps du Sauveur, et pour compléter sa sépulture que l'approche du sabbat avait interrompue.Matthieu chap. 28 verset 2. - Et voici qu’il se fit un grand tremblement de terre car un ange du Seigneur descendit du ciel et s’approchant, il renversa la pierre et s’assit dessus.
- Les versets 2-4 racontent des faits antérieurs à l'arrivée des saintes femmes. C'est pendant qu'elles étaient en route que l'ange descendit du ciel et ouvrit le tombeau : elles le trouvèrent assis sur la pierre ; il ne fit donc pas sous leurs yeux sa première apparition. - Et voici… Cette particule annonce un prodige éclatant. Le vendredi soir, au moment où Jésus expirait, une violente commotion s'était fait sentir aux alentours du Calvaire, cf. 27, 51, 54 ; un ébranlement du même genre se produisit le dimanche matin dans le voisinage du sépulcre. Il avait pour but de montrer aux sentinelles romaines, placées là par le Sanhédrin, le caractère surnaturel et divin de tout ce qui se passait alors. - Car un ange du Seigneur… explique la relation qui existait entre le tremblement de terre et l'apparition de l'ange. - Il renversa la pierre. Brisant les scellés du Grand Conseil, l'envoyé céleste roule de côté cette énorme pierre et ouvre ainsi le sépulcre de Jésus. On admet généralement, à la suite des Pères, que la résurrection du Sauveur avait eu lieu quelques instants auparavant. Ce n'est pas pour Lui que le tombeau fut ouvert, mais pour les saintes femmes et pour les disciples. Ce signe devait leur dire dès leur approche : " Il n'est pas ici, il est ressuscité ", Cf. v. 6. Quant au fait même de la Résurrection, il est complètement passé sous silence par les écrivains sacrés : c'est un mystère dont il n'a pas plu à l'Esprit-Saint de nous révéler les détails. Les Pères le comparent à la naissance miraculeuse de Jésus. " Les Juifs perfides ont scellé la pierre du monument pour que Christ n’ait pas d’issue. Mais comment ne pouvait-il pas sortir du sépulcre celui qui est sorti du sein non souillé de sa mère en préservant sa virginité ? ", S. August. Serm. 138 de tempore ; Cf. Euthymius, in h.l. Glorieux triomphe, devant lequel il faut encore adorer et nous taire ! - Il s'assit : l'ange prend ainsi l'attitude d'un conquérant qui foule aux pieds ses ennemis vaincus ; c'est lui qui est désormais le vrai gardien du saint Sépulcre, mais du sépulcre vide.Matthieu chap. 28 verset 3. - Son visage était comme l’éclair et son vêtement comme la neige.
- Après avoir indiqué les actes du divin messager, l'évangéliste décrit en quelques mots son apparition extérieure. Tout son être, et spécialement son visage, était éblouissant de clarté. Il ressemblait en tous points à un homme transfiguré. C'est ainsi que se manifestent habituellement les anges. Cf. Dan. 10, 5, 6 ; Act. 1, 10 ; 10, 10 ; Apoc. 10, 1, etc.Matthieu chap. 28 verset 4. - A cause de lui les gardes furent terrifiés et devinrent comme morts.
- Effet produit sur les soldats romains par cette apparition soudaine : ce fut une panique irrésistible. - Terrifiés : dans le texte grec, le verbe dénote une frayeur extrêmement violente ; cf. 21, 10. D'ailleurs, le trait suivant montre bien jusqu'à quel point les gardes furent terrifiés : ils devinrent semblables à des morts, c'est-à-dire qu'ils tombèrent à la renverse et qu'ils demeurèrent quelque temps étendus à terre, sans pouvoir ou du moins sans oser se relever.Matthieu chap. 28 verset 5. - Mais l’ange, prenant la parole, dit aux femmes : Ne craignez pas, vous ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié.
- L'ange répond au sentiment d'effroi qu'éprouvaient les saintes femmes, et prend la parole pour faire cesser leur trouble. - Vous est emphatique : Vous, les amies du Sauveur, vous n'avez aucune raison d'être effrayées : c'est la joie, non la peur, qui doit vous agiter. Laissez ce dernier sentiment aux ennemis du Christ. Ce pronom " vous " est donc opposé à " gardes " du verset précédent. - Car je sais. L'ange continue de rassurer Marie Madeleine et ses compagnes, en leur disant qu'il connaît le pieux motif de leur visite au sépulcre de Jésus. - Jésus, qui a été crucifié. Il n'hésite pas à mentionner cette circonstance, qui est désormais un sujet de gloire pour le Rédempteur ; Cf. 1 Cor. 1, 23 et suiv. : elle sert du reste à rendre plus frappant le contraste qui existe entre la récente humiliation du Christ et son triomphe mentionné au verset suivant. " L’ange enseigne le nom, nomme la croix, parle de la passion, reconnaît la mort, mais il confesse bientôt après la résurrection ; sans tarder il confesse le Seigneur ", S. Pierre Chrysologue, sermon 76.Matthieu chap. 28 verset 6. - Il n’est pas ici ; car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été mis.
- Le langage de l'ange est rapide et vivant. Il est reproduit à peu près dans les mêmes termes par les trois synoptiques. Cf. Marc. 16, 6 ; Luc. 24, 6. - Comme il l'avait dit. " Et si vous ne me croyez pas, souvenez-vous de ses propres paroles ", S. Jean Chrys. Hom. in h. l. Ce n'est pas un fait inouï que l'ange annonce ; Jésus n'avait-il pas prédit depuis longtemps à ses disciples qu'il ressusciterait le troisième jour ? Voici que ses prédictions se sont glorieusement accomplies. - Venez et voyez. Douce invitation destinée à fortifier encore la foi des saintes femmes ! Elles ont vu placer le corps de Jésus dans le sépulcre ; elles peuvent maintenant se convaincre par leurs propres yeux que ce sépulcre est vide. Le divin Maître est donc vraiment ressuscité. - Le Seigneur : les disciples désignaient fréquemment Jésus-Christ par ce titre. Cf. Joan. 20, 18 ; 21, 7 ; etc. Mais, comme il le mérite plus que jamais depuis sa victoire sur la mort, dorénavant les écrivains sacrés se complairont à le lui attribuer sans cesse.Matthieu chap. 28 verset 7. - Et hâtez-vous d’aller dire à ses disciples qu’il est ressuscité, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai prédit.
- Après une courte pause durant laquelle les saintes femmes entrèrent dans le sépulcre, selon que l'ange les y avait exhortées, celui-ci reprit son allocution. - Hâtez-vous. Il faut qu'elles aillent au plus vite porter aux disciples la bonne nouvelle qu'elles viennent elles-mêmes d'apprendre. - Il vous précède … Autre nouvelle consolante, qui n'est d'ailleurs que la confirmation d'une prédiction antérieure de Jésus ; cf. 26, 32. On ne doit pas exagérer la signification du verbe au présent, comme si l'ange eût voulu dire : Voici qu'il est déjà sur le chemin de la Galilée pour aller vous attendre dans cette province. D'après le sens naturel de la phrase, Jésus sera en Galilée quand ses disciples y arriveront. - Il vous précède. Le messager céleste termine son petit discours en certifiant que tout se passera réellement comme il l'a dit. Les saintes femmes auront bientôt le bonheur de voir le divin Ressuscité : il donne sa parole d'ange qu'il en sera vraiment ainsi.Matthieu chap. 28 verset 8. - Elles sortirent aussitôt du tombeau, avec crainte et avec une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
- Les amies du Sauveur exécutent sur le champ la recommandation de l'ange. Par un trait pittoresque, le narrateur nous les montre, au sortir du tombeau, se dirigeant en toute hâte, courant vers le lieu où étaient réunis les apôtres, pour leur annoncer la résurrection de Jésus. Il ajoute aussi un détail psychologique plein d'intérêt : avec crainte et avec une grande joie . L'association de la crainte et de la joie dans un même cœur et au même moment paraît peut-être au premier abord un phénomène impossible, parce qu'il ressemble à une contradiction. Il est cependant très ordinaire qu'on éprouve à la fois ces deux sentiments sous le coup d'une bonne nouvelle inespérée. " Je ne me connais pas, s'écrie un personnage de Térence, L'Andrienne, 5, 4, 34, tant mon esprit est agité en même temps par la crainte, par la joie et par l'espérance, quand je considère ce bonheur si grand et si peu attendu ". Ou bien, l'effroi des saintes femmes avait été causé par la vue de l'ange, cf. v. 5, tandis que leur joie provenait des heureuses nouvelles qu'elles avaient entendues. L'adjectif grande retombe sur les deux substantifs, qu'il détermine de la même manière.Matthieu chap. 28 verset 9. - Et voici que Jésus vint au-devant d’elles, en disant : Je vous salue. Elles s’approchèrent, et embrassèrent ses pieds et l’adorèrent.
- Ce verset et le suivant contiennent le récit abrégé de l'apparition que Jésus fit aux saintes femmes peu de temps après leur sortie du sépulcre. Sur la manière de concilier la narration de S. Matthieu avec celles de S. Marc, 16, 9-11, et de S. Jean, 20, 11-18, voir l'explication de ces deux passages. - Jésus vint au-devant d'elles. Puisqu'elles se rendaient à la ville, il semblait donc en venir lui-même. Il prononça probablement la formule hébraïque " la paix soit avec vous ". - Elles s'approchèrent . Ce fut leur premier mouvement : dès qu'elles aperçurent Jésus, elles s'approchèrent de lui avec amour. - Elles embrassèrent ses pieds. Elles saisirent respectueusement ses pieds pour les baiser. C'est de la même manière que la Sunnamite avait témoigné sa vénération au prophète Elisée, 4 Reg. 4, 27. - Et l'adorèrent. Elles demeurèrent quelque temps prosternées, dans le sentiment d'une profonde adoration pour le Fils de Dieu ressuscité.Matthieu chap. 28 verset 10. - Alors Jésus leur dit : Ne craignez pas; allez, dites à mes frères de partir pour la Galilée ; c’est là qu’ils me verront.
- Ne craignez pas. Parole d'encouragement qui accompagna plusieurs des apparitions du Christ. Cf. Luc. 24, 36. L'amour que ses disciples avaient pour lui et la joie qu'ils éprouvaient à le voir ne les empêchaient pas de ressentir un premier mouvement d'effroi bien naturel, quand il se montrait soudain à leur côtés. - Allez, dites… Le langage est ému et rapide. Il reproduit, dans son ensemble, les recommandations de l'ange, v. 7 ; mais avec des variantes délicates, vraiment dignes de Jésus. La principale consiste dans le titre de frères que le divin Maître daigne adresser à ses disciples ; cf. Joan. 20, 19. Peu d'instants avant sa mort, il les avait appelés ses amis, Joan. 15, 14-15 ; mais ce nom ne suffisait pas à son cœur, il en fallait un autre plus doux et plus tendre encore pour exprimer toute l'affection qu'il avait pour les siens. - De partir. L'ange avait seulement fait annoncer aux Apôtres qu'ils trouveraient Jésus en Galilée : le Sauveur leur intime l'ordre d'aller l'y rejoindre. Rien ne pressait toutefois dans cette prescription : elle ne devait être exécutée qu'après la fête. - C'est là qu'ils me verront. Dès le soir même du jour de la résurrection, Jésus devait se manifester aux siens sur le chemin d'Emmaüs, Luc. 24, 13 et ss., et à Jérusalem, Joan. 20, 19 et ss. ; mais ce ne furent là que des apparitions transitoires, qui eurent lieu seulement devant un petit nombre d'amis intimes. En Galilée, au contraire, il rassemblera autour de lui tout le troupeau dispersé de ses disciples, afin de leur donner ses dernières instructions. Cette province fidèle, où il avait trouvé tant d'amour, convenait beaucoup mieux que l'hostile capitale pour ces réunions sacrées, qui devaient exercer une si grande influence sur la fondation de l'Église.
11
Lorsqu’elles furent parties, quelques-uns des gardes vinrent à la ville et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé. 12Ceux-ci s’étant assemblés avec les anciens, et ayant tenu conseil, donnèrent une forte somme d’argent aux soldats, 13en leur disant : dites : ses disciples sont venus pendant la nuit, et ils l’ont enlevé tandis que nous dormions. 14Et si le gouverneur l’apprend, nous le persuaderons, et nous vous mettrons à couvert. 15Les soldats, ayant reçu l’argent, agirent d’après ces instructions ; et ce bruit s’est répandu parmi les Juifs jusqu’à ce jour.Nous avons dans ce petit paragraphe d'intéressants détails qui sont particuliers à S. Matthieu, comme la plupart de ceux qu'il a conservés sur la Résurrection.
Matthieu chap. 28 verset 11. - Lorsqu’elles furent parties, quelques-uns des gardes vinrent à la ville et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé.
- Les saintes femmes venaient seulement de quitter le sépulcre pour aller délivrer aux Apôtres le double message de l'ange et de Jésus, lorsque arriva le fait suivant. - Quelques-uns des gardes. Revenus de leur première terreur, cf. v. 4, les gardes avaient sans doute repris le chemin de la ville. Ils déléguèrent alors quelques-uns d'entre eux auprès des princes des prêtres, pour annoncer les faits surnaturels dont ils avaient été témoins. Comme Pilate les avait placés, pour la corvée qu'ils avaient remplie pendant la nuit, sous la juridiction immédiate des prêtres juifs, cf. 27, 62, 65, 66, c'est à ces personnages qu'ils vont rendre compte de ce qui s'est passé.Matthieu chap. 28 verset 12. - Ceux-ci s’étant assemblés avec les anciens, et ayant tenu conseil, donnèrent une forte somme d’argent aux soldats.
- Le sujet change tout à coup, ainsi qu'il arrive souvent dans les récits grecs ; cf. Winer, Gramm. des neutestam. Sprachidioms, § 67, 1. Il était question des soldats romains, et c'est des prêtres qu'il s'agit à présent. Ceux-ci convoquent les membres du Sanhédrin pour une nouvelle séance qui sera, par son objet, le digne couronnement de toutes les précédentes. - Ayant tenu conseil. Ces mots indiquent une résolution officielle, prise après délibération de l'assemblée. - Une forte somme. Ils ont acheté la coopération du traître ; ils achètent maintenant le silence des soldats romains, ce qui fut tout aussi facile, quoique beaucoup plus coûteux. Les Sanhédristes, fidèles à eux-mêmes, ne reculent devant aucune infamie pour arriver à leurs fins honteuses. Chose remarquable : ils n'essaient pas même d'accuser les gardes d'avoir été infidèles ou négligents. C'est donc qu'ils croyaient eux-mêmes à la résurrection de Jésus. Autrement, ils auraient tout d'abord recouru à ce moyen pour répandre l'erreur qu'ils désiraient accréditer. Mais les soldats prouvèrent sans doute qu'ils étaient parfaitement en règle. A Rome en effet chaque homme de garde, au moment de se diriger vers le poste qu'on lui assignait, recevait une tablette sur laquelle était marquée son heure de corvée. Il la remettait ensuite au surveillant qui s'assurait de la vigilance des sentinelles. On pouvait donc avoir des preuves matérielles que tout s'était bien passé.Matthieu chap. 28 verset 13. - En leur disant : dites : ses disciples sont venus pendant la nuit, et ils l’ont enlevé tandis que nous dormions.
- Les princes des prêtres font la leçon aux soldats pour leur apprendre la manière dont ils devront propager l'erreur parmi le peuple, touchant le fait de la Résurrection du Sauveur. Ils diront que les disciples de Jésus sont venus pendant la nuit, et ont enlevé son corps pour faire croire à un prodige. - Ils l'ont enlevé. Voler un objet que des soldats bien armés protègent, cela pouvait paraître assez invraisemblable ; aussi les instructeurs ont-ils soin d'ajouter : Vous direz que cela s'est passé pendant que vous dormiez. - Tandis que nous dormions. C'était pourtant une nouvelle absurdité, car on pouvait objecter avec S. Augustin, in Ps. 63, 7 " S'ils dormaient, qu'ont-ils pu voir ? S'ils n'ont rien vu, comment peuvent ils témoigner ? ". Mais c'était la réalisation de cette parole de l'écriture, Ps. 26, 12 : " l'iniquité a menti à elle-même ". Et puis, mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! Infâme conseil, qui n'a pas été seulement pratiqué de nos jours.Matthieu chap. 28 verset 14. - Et si le gouverneur l’apprend, nous le persuaderons, et nous vous mettrons à couvert.
- Si le gouverneur l'apprend : Il ne s'agit pas du honteux marché que les prêtres venaient de conclure avec les soldats romains, mais l'enlèvement du corps de Jésus pendant le prétendu sommeil de ces derniers. Dans le cas où Pilate aurait appris que ses soldats avaient ainsi failli à leur devoir, ils eussent couru les plus grands dangers, le manque de vigilance de la part d'une sentinelle ayant toujours été regardé comme une sorte de trahison passible des peines les plus graves. Les Romains avaient même pris des mesures spéciales pour empêcher leurs sentinelles de s'abandonner au sommeil : par exemple, ils leurs prescrivaient de déposer leur bouclier avant de se rendre à leur poste, parce qu'il arrivait aux soldats de garde, lorsqu'ils étaient fatigués, de s'assoupir la tête appuyée sur le bord du bouclier, Tit. Liv. 24, 33 ; cf. Senec. Ep. 36. Erasme et d'autres exégètes donnent au verbe " apprend " le sens de " s'il vous traduit en conseil de guerre " ; mais cette interprétation semble un peu recherchée. Il vaut mieux traduire avec le plus grand nombre : si ce bruit parvient à ses oreilles. - Nous le persuaderons. Ils opéreront en lui cette persuasion, soit en usant de leur crédit pour le calmer, soit en le gagnant à son tour à prix d'argent, car les magistrats romains placés à la tête des provinces étaient loin d'être inaccessibles à la vénalité. - A couvert, c'est à dire indemnes ; Les Sanhédristes promettent donc en toute hypothèse l'impunité aux gardiens du sépulcre.Matthieu chap. 28 verset 15. - Les soldats, ayant reçu l’argent, agirent d’après ces instructions ; et ce bruit s’est répandu parmi les Juifs jusqu’à ce jour.
- N'ayant rien à craindre et beaucoup à gagner, les soldats acceptent l'argent et les conditions du Sanhédrin. " Si l'argent l'a emporté sur un disciple … il ne faut pas s'étonner qu'il ait raison des soldats " (S. Jean Chrysostôme, Hom. 90 in Matth. ). Le mensonge fit son chemin, quelque absurde qu'il fût. Les autorités juives, d'après S. Justin, Dial. cum Tryph., c. 108, auraient même pris la précaution d'envoyer des messagers pour le divulguer parmi les communautés israélites dispersées par toute la terre. - Jusqu'à ce jour, c'est à dire jusqu'à l'époque de la composition du premier Évangile ; voir la Préface. Dans son curieux ouvrage sur le Judaïsme (Entdecktes Judenthum, 1, p. 189 et ss.), Eisenmenger prouve que cette erreur grossière circula pendant longtemps dans les cercles juifs. - Les rationalistes ont trouvé tout cet épisode, vv. 11-15, complètement invraisemblable, et ils l'ont pour ce motif retranché de ce qu'ils appellent la rédaction primitive du premier Évangile. Il est au contraire très naturel et en conformité parfaite avec le caractère du Sanhédrin, tel qu'il nous est apparu dans les pages précédentes de S. Matthieu. Nous renvoyons à nos adversaires, sans l'examiner davantage, leur audacieuse négation.
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Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait indiquée. 17Et le voyant, ils l’adorèrent ; cependant, quelques-uns eurent des doutes. 18Et Jésus, s’approchant, leur parla ainsi : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. 19Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, 20et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.Matthieu chap. 28 verset 16. - Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait indiquée.
- Ce passage contient le récit de la plus importante des apparitions faites par Jésus à ses disciples depuis sa résurrection. Il clôt dignement l'histoire du Sauveur, dans le premier Évangile. - Onze disciples. Hélas ! Le nombre sacré de douze n'existait plus ; mais il sera bientôt complété. Cf. Act. 1, 15-26. L'évangéliste ne mentionne que les Apôtres, d'où l'on a parfois conclu qu'ils furent seuls témoins de l'apparition racontée dans les lignes suivantes. Cependant les commentateurs admettent pour la plupart que de nombreux disciples assistèrent aussi à cette scène glorieuse. On croit même qu'elle ne différait pas de celle que S. Paul mentionne dans sa première Épître aux Corinthiens, 15, 6 ; Cf. Olshausen, Stier, Ebrard, Drach, in h. l. Dans ce cas, qui nous paraît le plus probable, les Onze seraient nommés comme les principaux personnages, comme ceux à qui s'adressaient plus directement les paroles prononcées par le Christ ressuscité, vv. 18-20. - S'en allèrent. Nous avons dit plus haut, note du v. 10, qu'ils ne quittèrent pas immédiatement Jérusalem pour se rendre en Galilée. D'après la narration de S. Jean, 20, 20-26, ils étaient encore dans la capitale huit jours après la Résurrection. - Sur la montagne. La montagne sur laquelle devait avoir lieu l'entrevue avait été clairement déterminée par Jésus, soit la veille de sa mort, cf. 26, 32, soit dans une des apparitions de Jérusalem. Malheureusement, S. Matthieu n'en ayant pas fait connaître le nom, il faut renoncer à savoir quelle elle était. On a pensé au Thabor, au mont des Béatitudes, et même au Carmel, bien qu'il fût situé en dehors de la Galilée. Disons simplement avec l'Évangile que c'était une montagne de la Galilée.Matthieu chap. 28 verset 17. - Et le voyant, ils l’adorèrent ; cependant, quelques-uns eurent des doutes.
- Dès que le divin Maître apparut, les disciples se prosternèrent à ses pieds, avec les sentiments les plus vifs de la foi et de l'amour. - L'évangéliste fait pourtant une restriction : quelques-uns eurent des doutes. Assurément ce ne furent pas les Apôtres qui doutèrent ; comment l'auraient-ils pu après avoir déjà contemplé à plusieurs reprises Jésus ressuscité ? Cf. Luc. 24, 19-26. Il y a donc là une nouvelle preuve qu'ils n'étaient pas seuls sur la montagne, mais que d'autres disciples, dans le sens large de l'expression, les y avaient accompagnés. Ceux-ci, bien qu'on leur eût certifié le fait de la Résurrection, bien qu'ils vissent actuellement le Sauveur de leurs propres yeux, hésitèrent pourtant encore à croire que ce fût vraiment lui. Les Onze, dans une circonstance semblable, Luc. 24, 36-37, n'avaient-ils pas supposé que c'était un fantôme qui leur apparaissait ? Il n'est donc pas nécessaire de traduire, comme on le fait quelquefois, le verbe par le plus-que-parfait : Tous l'adorèrent, c'est-à-dire crurent en lui, bien que plusieurs eussent douté auparavant. Ce sens est contraire à la pensée que voulait exprimer S. Matthieu. Après avoir présenté la masse des assistants à genoux devant Jésus, il se reprend pour noter que plusieurs d'entre les disciples n'avaient pas encore une foi parfaite.Matthieu chap. 28 verset 18. - Et Jésus, s’approchant, leur parla ainsi : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre.
- Jésus s'approche des siens afin de mieux montrer à tous, et par la voix et par le geste, que c'est bien lui qui est en leur présence. Il répond ainsi au doute qui vient d'être signalé. - Tout puissance. Cet exorde est majestueux, imposant. " Il leur montre ses lettres patentes qui témoignent de l’autorité avec laquelle ils les crée apôtre et leur accorde des pouvoirs ", Maldonat in h.l. - Toute puissance sans exception, sans limite aucune, lui a été conférée par son Père. - Les expressions suivantes, dans le ciel et sur la terre, ne sont pas moins universelles ; elles représentent le royaume de Dieu selon son étendue la plus vaste. Cf. 3, 2 et le commentaire. Le Messie ressuscité, triomphant, exerce donc partout la fonction royale. Rien ne peut se soustraire à sa domination : il n'y a que Dieu qui ne lui soit point soumis. C'est la réalisation magnifique et complète du Ps. 8, qui parle en si beaux termes de la puissance de l'homme idéal, et par conséquent du Messie. C'est aussi la réalisation de plusieurs glorieuses promesses faites par Dieu à son Christ dans les écrits des prophètes : " Je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession ", Ps. 2, 8. " Je regardai pendant mes visions nocturnes, et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu'un de semblable à un Fils de l'homme; il s'avança vers l'ancien des jours, et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, la gloire et le règne; et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit ", Dan. 7, 13-14. Ces citations déterminent la nature du pouvoir dont parle ici Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne s'agit nullement de la puissance qu'il possède en tant que Fils de Dieu, car celle-là ne lui a pas été donnée, mais d'une autorité nouvelle, que lui ont méritée ses humiliations et ses souffrances, cf. Philipp. 2, 9, 10, d'un pouvoir dont il fut investi au jour de sa Résurrection, en tant que Rédempteur et Sauveur. Voir Maldonat, in h. l.Matthieu chap. 28 verset 19. - Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
- Après avoir posé la base de la puissance surhumaine qu'il allait conférer aux Apôtres, Jésus en décrit tout à la fois la nature et l'exercice. C'est en Galilée qu'il leur avait conféré leurs premiers privilèges ; Cf. 10, 1 et ss. : c'est en Galilée qu'il confirme et qu'il complète leurs titres, achevant par ce grand acte son œuvre messianique sur la terre. Muni lui-même de pleins pouvoirs, il nomme les Apôtres ses délégués, ses représentants. - Enseignez est une traduction inexacte d'un verbe grec qui signifie à proprement parler " transformez en disciples ". Sans doute, comme l'a dit S. Paul, il n'y a pas de disciples sans enseignement ; mais cette idée est exprimée plus bas, v. 20. Ce que le Sauveur indique tout d'abord par ce verbe, c'est la conversion en général, qu'il décomposera ensuite en ses deux éléments principaux. - Toutes les nations. Autrefois, Cf. 10, 5, Jésus avait fixé des limites assez étroites au ministère de ses apôtres ; actuellement il les envoie à la conquête du monde entier. Toutes les nations appartiennent à la sphère dans laquelle ils devront déployer leur activité. L'histoire du Christianisme et de sa diffusion à travers le monde prouve jusqu'à quel point il s'adapte à toutes les contrées sans exception, indépendamment du caractère national, des mœurs, de la civilisation. - Les baptisant. Deux choses sont nécessaires pour faire des disciples : il faut d'abord initier les individus, puis les instruire ; elles sont successivement marquées par Jésus. La première consiste dans le baptême, cette condition nécessaire de l'entrée dans le royaume des cieux ; Cf. Joan. 3, 3. - Au nom. Le texte grec implique un mouvement ; les anglais traduisent " dans le nom ", les allemands " sur le nom ", ce qui exprime mieux la communion qui est établie par le baptême entre le baptisé et la saint Trinité, la participation du baptisé à la nature divine, grâce à l'adoption filiale dont il devient l'objet, son incorporation à Jésus-Christ. Cf. Gal. 3, 27 ; 1 Cor. 12, 13 ; Rom. 6, 3. Il est vrai que, d'après plusieurs auteurs, telle ne serait pas la signification des mots, qui indiqueraient plutôt l'obligation de croire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. C'est ainsi que les Corinthiens, Cf. 1 Cor. 1, 17, n'avaient point été baptisés au nom de Paul, parce que leur foi n'avait pas pour objet l'Apôtre, mais le Christ. D'autres commentateurs s'arrêtent à l'interprétation suivante de Maldonat : " Le sens des paroles est : les baptisant non en votre nom, mais au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est-à-dire qu’elles déclarent et qu’elles attestent que ce que vous faites, vous ne faites pas en votre personne, mais en la personne du Père, du Fils et du Saint-Esprit ". Jésus désignerait ainsi l'autorité au nom de laquelle le ministre du sacrement de baptême ouvre aux hommes la porte de l'Église. Mais nous nous en tenons au premier sens, qui est le plus beau et le plus obvie. - du Père et du Fils… A propos des mots " les baptisant au nom du... ", Tertullien disait dans son Traité du Baptême, c. 13, qu'on y trouve tout ensemble " la loi qui oblige tous les hommes à recevoir le baptême, et la formule par laquelle on doit l'administrer ". D'autres témoignages non moins anciens et non moins graves nous apprennent de même que, dès les premiers du temps du Christianisme, on prononçait sur les baptisés, lorsqu'on les lavait avec l'eau régénératrice, les noms des trois personnes divines ; cf. Just. Mart. Apol. 1 ; Hom. Clem. 11, 26, etc. Preuve que Jésus, en proférant ces noms sacrés dans la circonstance présente, faisait dépendre de leur citation explicite l'efficacité du sacrement de baptême.Matthieu chap. 28 verset 20. - Et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.
- Jésus fait connaître une seconde condition qui n'est pas moins essentielle que la première pour qu'on devienne vraiment son disciple. Elle consiste dans l'accomplissement intégral de ses volontés, dans l'acceptation de toute sa doctrine. En effet, les mots " tout ce que je vous ai commandé " n'embrassent pas seulement la morale chrétienne ; ils s'appliquent aussi au dogme chrétien, qu'il faut admettre en entier sous peine de faire naufrage dans la foi. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 90. - Et voici. Jésus termine son allocution par une magnifique promesse, qui contenait pour les Apôtres et pour leurs successeurs l'encouragement le plus puissant : Je suis avec vous. Je suis, au présent ; je demeure sans cesse et fidèlement avec vous. Seuls que pourraient-ils en face de tant d'obstacles qui vont se déchaîner contre eux ? Mais Jésus sera auprès d'eux pour les éclairer, pour les défendre au milieu de leurs difficultés et de leur périls. - Tous les jours. Et cette présence intime, efficace, durera tous les jours, pendant tout le temps de leur vie, et après eux tous les jours encore : elle sera vraiment perpétuelle. - Jusqu'à la fin des temps. La fin du monde, c'est-à-dire l'achèvement de l’œuvre de la Rédemption, mettra seule un terme à ces relations étonnantes. Jusque là, Jésus ne quittera pas un seul instant ceux qu'il a choisis pour le représenter sur la terre. Donc l'Église du Christ, indéfectible et infaillible, suivra son cours à travers les âges, sans avoir rien à craindre des vicissitudes humaines, toujours forte, toujours dans le vrai, parce que son divin Époux la protège. " En leur promettant qu'il sera avec ses disciples jusqu'à la fin des temps, il leur assure qu'ils vivront pour toujours, et qu'il ne se séparera jamais de ceux qui croient ", S. Jérôme. - S. Matthieu laisse le lecteur sur cette consolante promesse. Le mot amen, qu'on lit dans le texte grec, est vraisemblablement apocryphe : c'est le souhait d'un pieux copiste. Mais à quoi bon ce souhait ? Jésus a promis sans condition, et il montre depuis dix-huit siècles qu'il n'a pas oublié sa parole.
Table des matières
EVANGILE SELON S.MATTHIEU . PREFACE 1 § 1. — NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. MATTHIEU. 1
§ 2. — AUTHENTICITÉ DU PREMIER ÉVANGILE. 2 § 3. — INTÉGRITÉ. 7 § 4. — TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION DU PREMIER ÉVANGILE. 8 § 5. — DESTINATION ET BUT DE L'ÉVANGILE SELON S. MATTHIEU. 9 § 6. — LANGUE DANS LAQUELLE FUT ÉCRIT LE PREMIER EVANGILE. 11 § 7 — CARACTÈRE DU PREMIER ÉVANGILE. 16 § 8. — PLAN ET DIVISION. 17 § 9. — COMMENTAIRES 18DIVISION SYNOPTIQUE DE L'ÉVANGILE SELON S.MATTHIEU 19
EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 1 24 La Généalogie de Jésus. 1, 1-17. Parall. Luc. 3, 23-38. 24 Le titre, v.1. 24 L’arbre généalogique, vv. 2-16. 25 Récapitulation, v. 17 28LA VIE CACHEE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST 32
1. – Le mariage de Marie et de Joseph 1, 18-25 32 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 2 38 2. – Adoration des Mages, 2, 1-12 38 3. – Fuite en Égypte et massacre des saints Innocents, 2, 13-18. 46 a. Fuite en Égypte, vv. 13-15. 46 b. Massacre de saints Innocents, vv. 16-18. 48 4. – Retour d’exil et séjour à Nazareth, 2, 19-23. Parall, Luc, 2, 39 50VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST, 3-20 54
§ 1. Caractère général de la vie publique 54 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 3 55 § 2. Période de préparation. 3, 1-4, 11 55 1. – Le Précurseur, 3, 1-12. Parall. Marc, 1, 1-8 ; Luc, 3, 1-18 55 2. - La consécration messianique de Jésus. 3, 13 - 4, 11 63 1° Le baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 3, 13-17. Parall. Marc. 1, 9-11 ; Luc. 3, 21-22. 63 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 4 67 2° - La tentation du Christ. 4, 1-11. Parall. Marc., 1, 12-13 ; Luc., 4, 11-13. 67 a. La mise en scène, vv. 1-2. 67 b. Première tentation, vv. 3-4. 69 c. Deuxième tentation, vv. 5-7. 71 d. Troisième tentation, v. 8-10. 72 e. Conclusion, v. 11. 74 § 3. Le ministère de Jésus en Galilée 4, 12-18, 35. 74 1. - Jésus se fixe à Capharnaüm et commence à prêcher, 4, 12-17 Parall. Marc., 1, 14-15 ; Luc., 4, 14-15. 74 2. Vocation définitive des premiers disciples. 4, 18-22 . Parall. Marc. 1, 16-20 ; Luc. 5, 1-11. 77 3. - Grande mission en Galilée. 4, 23-9, 34 80 1° Résumé général de la mission. 4, 23-25. Parall. Marc. 1, 35-39 ; Luc. 4, 42-44 80 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 5 83 2° Discours sur la montagne. 5-7 Parall. Luc. 6, 17-49. 83 A. Coup d’œil général sur la prédication de N.-S. Jésus-Christ. 83 B. Préambule, 5, 1-2. 84 C. Le grand discours messianique, 5. 3 - 7. 27. 88 α. Les Béatitudes ou conditions d’entrée du Royaume des cieux, 5, 3-12. 88 β. Devoirs des fonctionnaires du royaume messianique, v, 13-16. 93 γ. Rapports entre le royaume messianique et la théocratie juive, v. 17-48. 95 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 6 110 δ. Droits et obligations des sujets du royaume messianique. 6, 1 - 7, 23. 110 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 7 125 ε. Difficultés sérieuses que l’on rencontre sur le chemin du ciel, vv. 13-23. 128 ζ. Conclusion du discours, vv. 24-27. 132 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 8 134 3° - Divers miracles de Jésus, 8, 1-9, 34. 134 a. Les miracles de Notre-Seigneur Jésus- Christ considérés dans leur ensemble. 134 b. Guérison d’un lépreux, 8, 1-4. Parall. Marc., 1, 40-45 ; Luc., 6, 12-16. 135 c. Guérison du serviteur d’un centurion, 8, 5-13. Parall. Luc., 7, 1-10. 138 d. Guérison de la belle-mère de S. Pierre et d’autres nombreux malades, vv. 14-17. Parall. Marc.; 1, 29-34 ; Luc., 4, 38-41. 141 e. Miracle de la tempête apaisée, 8, 18-27. Parall. Marc., 4, 35-40 ; Luc.; 8, 22-25. 143 L’ordre de départ et son motif, v. 18. 143 Deux disciples imparfaits, vv. 19-22. 143 La tempête et son apaisement miraculeux, vv. 23-27. 145 f. Guérison des démoniaques de Gadara, vv. 28-34. 147 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 9 153 g. Guérison d’un paralytique, 9, 1-8 Parall. Marc. 2, 1-12 ; Luc. 5, 17-26. 153 h. Vocation de S. Matthieu, vv. 9-17. Parall. Marc., 2, 13-22 ; Luc., 5, 27-39. 156 i. Résurrection de la fille de Jaïre et guérison de l’hémorrhoïsse, vv. 18-26. Parall. Marc., 5, 21-43, Luc., 8, 40-56 ; 162 j. Guérison de deux aveugles, 9, 27-31. 166 k. Guérison d’un possédé muet, 9, 32-34. 167 4. Mission des douze Apôtres, 9, 35-10, 42. 168 1° Nouvelle mission en Galilée, 9, 35-38. 168 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 10 171 2° Pouvoirs conférés aux douze Apôtres en vue de leurs premiers travaux évangéliques, 10, 1-4. Parall. Marc. 6, 7 ; Luc. 9, 1 et 2. 171 3° Instructions pastorales de Jésus-Christ à ses apôtres, 1, 5-42. 176 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 11 196 5. - Ambassade de Jean-Baptiste et discours prononcé par Jésus-Christ à cette occasion. 11, 1-30. Parall. Luc. 7, 18-35 ; 10, 13-16. 196 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 12 213 6. - Jésus en lutte ouverte avec les Pharisiens, 12, 1-50. 213 1° Polémique à propos du Sabbat, vv. 1-21. 213 a. Les disciples de Jésus accusés par les Pharisiens de violer le sabbat. vv. 1-8. Parall. Marc. 2, 23-28 ; Luc. 6, 1-5. 213 b. Guérison d’une main desséchée, vv. 9-14. Parall. Marc. 3, 1-6 ; Luc. 6, 6-11. 217 c. Douceur et humilité de Jésus-Christ prédites par Isaïe, vv. 15-21. 219 2° Polémique à propos de la guérison d’un démoniaque, vv. 22-50. Parall. Marc. 3, 20-35 ; Luc. 11, 24-32 ; 8, 19-21. 221 a. Guérison d’un démoniaque sourd et muet : accusation des Pharisiens, vv. 22-24. 221 b. Réplique vigoureuse de Jésus à l’attaque de ses adversaires, vv. 25-37. 222 c. Le signe accordé aux Pharisiens, vv. 38-45. 228 d. La mère et les frères de Jésus, vv. 46-50. 232 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 13 234 7. Les paraboles du royaume des cieux. 13, 1-52. 234 1° Idées générales sur les paraboles évangéliques. 234 2° Occasion des premières paraboles, vv. 1-3a. Parall. Marc. 4, 1, 2 ; Luc. 8, 4. 236 3° Première parabole du royaume des cieux : le semeur. vv. 3b-9. Parall. Marc. 4, 3-9 ; Luc. 8, 5-8. 237 4° Motif pour lequel Jésus enseigne le peuple sous la forme de paraboles, vv. 10-17. Parall. Marc. 4, 10-12 ; Luc. 9-10. 239 5° Explication de la parabole du semeur, vv. 18-23. Parall. Marc. 4, 13-20 ; Luc. 8, 11-15. 243 6° Seconde parabole du royaume des cieux : l’ivraie, vv. 24-30. 246 7° Troisième parabole du royaume des cieux : le grain de sénevé, vv. 31 et 32. Parall. Marc. 4, 30-32 ; Luc. 13, 18 et 19. 248 8° Quatrième parabole : le levain, v. 33. Parall. Luc. 13, 20 et 21. 249 9° Réflexion de l’évangéliste touchant la nouvelle méthode d’enseignement du Sauveur, vv. 34 et 35. 250 10° Interprétation de la parabole de l’ivraie, vv. 36-43 251 11° Cinquième parabole du royaume des cieux : le trésor caché, v. 44. 253 12° Sixième parabole du royaume des cieux : la perle, vv. 45 et 46. 254 13° Septième parabole du royaume des cieux : le filet, vv. 47-50. 255 14° Conclusion des paraboles du royaume des cieux, vv. 51 et 52. 256 8 - A une nouvelle série d’attaques, Jésus répond par de nouveaux miracles. 13, 53-16, 12. 258 1° Jésus vient à Nazareth où il est une occasion de scandale pour ses compatriotes. 13, 53-58. Parall. Marc. 6, 1-6. 258 ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 14. 263 2° Opinion singulière d’Hérode au sujet de Jésus, 14, 1 et 2. Parall. Marc. 6, 14-16 ; Luc. 9, 7-9. 263 3° Le martyre de S. Jean-Baptiste. 14, 3-12. Parall. Marc. 6, 17-29. 264 4° La première multiplication des pains, 14, 13-21.Parall. Marc. 6, 30-44 ; Luc. 9, 10-17 ; Joan. 6, 1-13. 267 5°Jésus marche sur les eaux, 14, 22-33. Parall. Marc. 6, 45-53 ; Joan. 6, 14-22. 270 6° Jésus dans la plaine de Gennésareth, 14, 34-36. Parall. Marc. 6, 53-56. 274 ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 15 276 7° Conflit avec les Pharisiens au sujet des ablutions, 15, 1-20. Parall. Marc. 7, 1-23. 276 8° Guérison de la fille de la Chananéenne, 15, 21-28. Parall. Marc. 7, 24-30. 284 9° Seconde multiplication des pains, 15, 29-39. Parall. Marc. 7, 31 - 8, 10. 287 ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 16 291 10° Le signe du ciel, 16, 1-4. Parall. Marc. 8, 11-13. 291 11° Le levain des Pharisiens et des Sadducéens, 16, 5-12. Parall. Marc. 8, 14-21. 293 9. - Confession et Primauté de S. Pierre, 16, 13-28. Parall. Marc. 8, 27-39 ; Luc. 9, 18-27. 294 1° Ce qui précéda la promesse de la Primauté, vv. 13-16. 295 2° Promesse de la Primauté, vv. 17-19. 297 3° Ce qui suivit la promesse de la Primauté, 16, 20-27. Parall. Marc. 8, 30-39 ; Luc. 9, 21-27. 302 ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 17 308 10. La Transfiguration 17, 1-22. 308 1° Le miracle, vv. 1-8. Parall. Marc. 9, 1-7 ;Luc. 9, 28-36. 308 2° Trois incidents qui se rattachent à la Transfiguration, vv. 9-22. 313 a. Entretien relatif à l’avènement d’Élie. vv. 9-13. Parall. Marc. 9, 8-12. 313 b. Guérison d’un lunatique, vv. 14-20. Parall. Marc. 9, 13-28 ; Luc. 9, 37-43. 315 c. Seconde annonce officielle de la Passion, vv. 21-22. Parall. Marc. 9, 29-31 ; Luc. 9, 44-45. 318 11. - Dernier séjour de Jésus-Christ en Galilée, 17, 23 - 18, 35. 319 1° La double drachme, 17, 23-26. 319 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 18 323 2° Devoirs réciproques des chrétiens, 18, 1-35. 323 a. Quels sont les sujets les plus distingués du royaume des cieux et comment on doit se conduire envers eux, vv. 1-14. 323 α. Le premier dans le royaume des cieux, vv. 1-4. Parall. Marc. 9, 32-35 ; Luc. 9, 46-48. 323 β. Conduite à tenir envers les petits et les humbles, vv. 5-14. 325 b. La correction fraternelle, vv. 15-20. 330 c. Le pardon des injures, vv. 21-35. 332 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 19 339 §4. Voyage de Jésus à Jérusalem à l’occasion de la dernière Pâque, 19, 1-20,34 339 1. - Esquisse générale du voyage, 19, 1, 2. Parall. Marc. 10, 4. 339 2. - Séjour de Jésus, en Pérée, 19, 3-20, 16. 340 a. Discussion avec les Pharisiens touchant l’indissolubilité du mariage, 19, 3-9. Parall. Marc. 10, 2-12. 340 b. Entretien avec les disciples sur la virginité, vv. 10-12. 346 c. Jésus bénit les petits enfants, 19, 13-15. Parall. Marc. 10, 13-16 ; Luc. 18, 15-17. 348 d. Le jeune homme riche, 19, 16-22. Parall. Marc. 10, 17-22 ; Luc. 18, 18-23. 349 e. Dangers des richesses et avantages du renoncement, 19, 23-30. Parall. Marc. 10, 23-31 ; Luc. 18, 24-30. 351 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 20 356 f. Parabole des ouvriers envoyés à la vigne, 20, 1-16. 356 3 - Derniers incidents du voyage, 20, 17-19. 361 a. Troisième prédiction de la Passion, 20, 17-19. Parall. Marc. 10, 32-34 ; Luc. 18, 31-34. 361 b. Requête ambitieuse de Salomé pour ses deux fils, 20, 20-28 - Parall. Marc. 10, 35-45. 362 c. Guérison des aveugles de Jéricho, 20, 29-34. Marc. 10, 46-52 ; Luc. 18, 35-43. 365TROISIÈME PARTIE Dernière semaine de la vie de Jésus, Chap. 21-27. 368
1. Première section : Entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, le Dimanche des Rameaux, 21, 1-11. 368 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 21 369 a. Préparatifs du triomphe, vv. 1-6. 369 b. L’entrée triomphale, vv. 7-11. 372 2. Deuxième section : Activité messianique de Jésus-Christ à Jérusalem durant la dernière semaine de sa vie. 21, 12 - 25, 46. 374 1. - Vendeurs chassés du temple, 21, 12-17. Parall. Marc. 11, 15-19 ; Luc. 19, 45-48. 374 2. - Le figuier maudit, 21, 18-22. Parall. Marc. 11, 12-14, 20-24. 377 3. - Jésus en lutte ouverte avec ses ennemis, 21, 23 - 23, 39. 380 1° Première attaque. Les délégués du Sanhédrin, 21, 23 - 22, 14. 380 a. Discussion touchant les pouvoirs de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 21, 23-27. - Parall. Marc. 11, 27-23 ; Luc. 20, 1-8. 380 b. Parabole des deux fils, 21, 28-32. 382 c. Parabole des vignerons perfides, 21, 33-46. Parall. Marc. 13, 1-12 ; Luc. 20, 9-19. 384 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 22 390 d. Parabole du festin nuptial, 22, 1-14. 390 2° Seconde attaque : Les Pharisiens et le denier de César, 22, 15-22. Parall. Marc. 12, 13-17 ; Luc. 20, 20-26. 395 3° Troisième attaque : Les Sadducéens et la résurrection, 22, 23-33. Parall. Marc. 12, 18-27 ; Luc. 20, 27-40. 398 4° Quatrième et dernière attaque : Les Pharisiens, 22, 34-46. 401 a. Le plus grand commandement de la Loi, 22, 34-40. - Parall. Marc. 12, 28-34. 401 b. Le Messie fils de David, 22, 41-46. Parall. Marc. 12, 35-37 ; Luc. 20, 41-44. 403 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 23 405 5° Le réquisitoire de Jésus contre les Pharisiens et les Scribes, chap. 23. Parall. Marc. 12, 38-40 ; Luc. 20, 45-47. 405 a. Première partie, vv. 1-12. 405 b. Seconde partie du Discours, vv. 13-33. 409 c. Troisième partie du Discours, vv. 33-39. 417 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 24 421 4. - Discours eschatologique du Sauveur, 24, 1-25, 46 421 1° Première partie, 24, 1-35 421 a. Occasion du discours, vv. 1-3. Parall. Marc. 13, 1-4 ; Luc. 21, 5-7. 421 b. Les signes avant-coureurs de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde, 24, 4-35. Parall. Marc. 13, 5-31 ; Luc. 21, 8-33. 423 2° Seconde partie du Discours, 24, 36-25, 30. 435 a. Il faut veiller ; Motifs tirés de l’incertitude du dernier jour, 24, 36-51. 435 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 25 440 b. Parabole des dix vierges, vv. 1-13 440 c. Parabole des talents, vv. 14-30. 444 3° Troisième partie, 25, vv. 31-46. 449 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 26 455 3. Troisième section. - Récit des souffrances et de la mort du Sauveur, 26, 1-27, 66. 455 1. - Annonce définitive de la Passion, 26, 1-2 455 2. - Complot du Sanhédrin, vv. 3-5 Parall. Marc 14, 1-2 ; Luc 22, 1-2 456 3. - Le repas et l'onction de Béthanie, vv. 6-13. Parall. Marc. 14, 3-9 ; Joan. 12, 1-11. 457 4. - Trahison de Judas vv. 14-16 Parall. Marc. 14, 10-11 ; Luc. 22, 3-6 460 5. - Préparation de la cène pascale, vv. 17-19. - Parall. Marc. 14, 12-16 ; Luc, 22, 7-13. 462 6. - Cène légale et prophétie relative au traître, vv. 20-26. Parall. Marc. 14, 18-20 ; Luc. 22, 14, 21-23 ; Joan. 13, 1-30. 467 7. - La cène eucharistique. vv. 26-29. Parall. Marc. 14, 22-25 ; Luc. 22, 15-20. 469 8. - Jésus prédit le reniement de S. Pierre et la fuite des Apôtres, vv. 30-35. - Parall. Marc. 14, 26-31 ; Luc. 22, 34 ; Joan. 13, 36-38. 472 9. - Agonie de Gethsémani, vv. 36-46. Parall. Marc. 14, 32-42 ; Luc. 22, 39-46. 474 10. - Arrestation de Jésus, vv. 47-56. Parall. Marc. 14, 43-52 ; Luc. 22, 47-53 ; Joan. 18, 1-11. 478 11. - Jésus devant le Sanhédrin et condamné à mort, vv. 57-68. Parall. Marc. 14, 53-65 ; Luc. 22, 54-65 ; Joan. 18, 19-23. 482 12. - Le reniement de S. Pierre, vv. 69-75 . Parall. Marc. 14, 66-72 ; Luc. 22, 55-62 ; Joan. 18, 15-18, 25-27. 487 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 27 490 13. - Jésus conduit au prétoire, 27, 1-2. Parall. Marc. 15, 1 ; Luc. 23, 1 ; Joan. 18, 29. 490 14. - Désespoir et mort de Judas, vv. 3-5. 491 15. - Les trente deniers servent à l'achat d'un cimetière, vv. 6-10. 493 16. - Jésus devant Pilate, vv. 11-26. Parall. Marc. 16, 2-15 ; Luc. 23, 2-5, 13-15 ; Joan. 18, 29-19, 1. 495 17. - Scène du couronnement d'épines, vv. 27-30. Parall. Marc. 15, 16-19 ; Joan 19, 2-3. 501 18. - La voie douloureuse, vv. 31-34. Parall. Marc. 15, 20-23 ; Luc. 23, 26-32 ; Joan. 19, 16-17. 503 19. - Jésus en croix, vv. 35-50. Parall. Marc. 15, 24-37 ; Luc. 23, 33-46 ; Joan. 19, 18-30 505 20. - Ce qui suivit la mort de Jésus, vv. 51-56. - Parall. Marc. 15, 38-41 ; Luc. 23, 47-49. 512 21. - Ensevelissement de Jésus, vv. 57-61. Parall. Marc. 15, 42-47 ; Luc. 23, 50-56 ; Joan. 19, 38-42. 515 22. - Les gardes auprès du sépulcre, vv. 62-66. 517 EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU CHAPITRE 28 520 1. Les saintes femmes au sépulcre, vv. 1-10. Parall. Marc. 16, 1-8, Luc. 24, 1-8. 520 2. Les gardes romains corrompus par le Sanhédrin, vv. 11-15 523 3. Jésus apparaît à ses disciples en Galilée, et les munit de pleins pouvoirs, vv. 16-20. 525