D'après l'édition latin-français du Père
Guy Bougerol, aux éditions Franciscaines, Paris, 1967.
[mention ajoutée suite à un échange d'email,
le 19 juin 2008, avec le Frère Luc MATHIEU, théologien, spécialiste
de saint Bonaventure, co-auteur de la traduction, Paris].
§
1. La Largeur de la sainte Ecriture
§
2. La Longueur de la sainte Ecriture
§
3. La Hauteur de la sainte Ecriture
§
4. La Profondeur de la sainte Ecriture
§
5. Les modes de procéder de la sainte Ecriture.
§
6. Comment enseigner la sainte Ecriture.
Chapitre
1: Les sept parties de la théologie
Chapitre
2: Ce qu’il faut admettre sur la trinité des personnes et l’unité
de l’essence.
Chapitre
3: L’intelligence sensée de cette foi.
Chapitre
4: L’expression catholique de cette foi
Chapitre
5: L’unité de la nature divine dans ses multiples apparitions
Chapitre
6: L’unité de la nature divine dans ses multiples appropriations.
Chapitre
7: La toute-puissance de Dieu
Chapitre
1: La sagesse, la prédestination et la prescience de Dieu
Chapitre
9: La volonté et la providence de Dieu
PARTIE
II: LE MONDE CRÉATURE DE DIEU
Chapitre
1: La production du monde comme un tout
Chapitre
2: La nature corporelle dans sa genèse
Chapitre
3: La nature corporelle dans son être
Chapitre
4: La nature corporelle dans son agir et dans son influence
Chapitre
5: La manière dont la sainte Ecriture décrit la création
Chapitre
6: La création des esprits supérieurs
Chapitre
7: L’apostasie des démons
Chapitre
8: La confirmation des bons anges
Chapitre
9: La création de l’homme dans son âme
Chapitre
10: La création de l'homme dans le corps.
Chapitre
11: La création de l’homme corps et âme
Chapitre
12: L’accomplissement et l’ordonnance du monde achevé
PARTIE
III: LA CORRUPTION DU PÉCHÉ
Chapitre
1: L’origine du mal en général
Chapitre
2: La tentation de nos premiers parents.
Chapitre
3: La transgression de nos premiers parents
Chapitre
4: La punition de nos premiers parents
Chapitre
5: La corruption du péché originel
Chapitre
6: La transmission du péché originel
Chapitre
7: La guérison du péché originel
Chapitre
8: L’origine des péchés actuels
Chapitre
1: L’origine et la distinction des péchés capitaux
Chapitre
10: L’origine et la qualité des péchés pénaux
Chapitre
11: L’origine des péchés finals qui sont les péchés
contre le Saint Esprit
PARTIE
IV: L'INCARNATION DU VERBE
Chapitre
12: La raison pour laquelle il fallait ou il convenait que le Verbe de
Dieu s’incarne
Chapitre
1: L’union des natures dans l’Incarnation
Chapitre
3: Le mode de l’Incarnation
Chapitre
4: La plénitude des temps de l’Incarnation
Chapitre
5: La plénitude des charismes dans l’affectivité du Christ
Chapitre
6: La plénitude de la sagesse dans l’intelligence du Christ
Chapitre
7: La perfection du mérite dans l’agir du Christ
Chapitre
8: La souffrance du Christ
Chapitre
9: Comment le Christ a souffert
Chapitre
10: Le fruit de la passion du Christ
PARTIE
V: LA GRACE DU SAINT ESPRIT
Chapitre
1: La grâce, don de Dieu
Chapitre
2:
La grâce aide pour le bien méritoire
Chapitre
3: La grâce remède du péché
Chapitre
4: La ramification de la grâce dans les habitus des vertus
Chapitre
5: La ramification de la grâce dans les habitus des dons
Chapitre
7: L’exercice de la grâce dans les vérités à
croire
Chapitre
8: L’exercice de la grâce dans les objets à aimermmm
Chapitre
9: La grâce, les préceptes et les conseils
Chapitre
10: L’exercice de la grâce dans l’objet de notre prière
PARTIE
VI: LES REMÈDES SACRAMENTELS
Chapitre
1: L’origine des sacrements
Chapitre
2: La variation des sacrements
Chapitre
3: Le nombre et la distinction des sacrements
Chapitre
4: L’institution des sacrements
Chapitre
5: L’administration des sacrements
Chapitre
6: La réitération des sacrements
Chapitre
7: La constitution et l’intégrité du baptême
Chapitre
8: L’intégrité de la confirmation
Chapitre
9: L’intégrité de l’eucharistie
Chapitre
10: L’intégrité de la pénitence
Chapitre
11: L’intégrité de l’extrême-onction
Chapitre
12: L’intégrité de l’ordre
Chapitre
12: L’intégrité du mariage.
PARTIE
VII: LE JUGEMENT DERNIER
Chapitre
1: L’état du jugement final
Chapitre
3: Les suffrages de Eglise
Chapitre
4: La conflagration des feux
Chapitre
5: La résurrection des corps
Chapitre
6: La peine de l’enfer
Chapitre
7: La gloire du Paradis
Le
grand docteur des nations, grand prédicateur de vérité,
rempli du divin Esprit, comme un vase choisi et sanctifié, explique
dans ce texte, l’origine, le développement et l’aboutissement de
la sainte Ecriture qui est appelée théologie. Il insinue
que l’origine de l’Ecriture est à chercher dans l’influence de la
bienheureuse Trinité, que son développement est proportionné
à l’exigence de la capa cite humaine, que son aboutissement enfin
ou son fruit consiste dans la surabondance de la débordante félicité.
2. Car
l’origine de l’Ecriture ne se situe pas dans la recherche humaine, mais
dans la divine révélation qui provient du Père des
lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire
son nom. De lui, par son Fils Jésus-Christ s’écoule en nous
l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons
à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée
et par la foi, le Christ habite en nos coeurs. Telle est la connaissance
de Jésus-Christ de laquelle découle comme de sa source, la
fermeté et l’intelligence de toute la sainte Ecriture.
Il
est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans d’abord
posséder la foi infuse du Christ, comme la lumière, la porte
et aussi le fondement de toute l’Ecriture. Car la foi, aussi longtemps
que nous vivons en exil loin du Seigneur, est elle-même le fondement
stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes
les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être
mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de
ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété
et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun. Par
la médiation de cette foi, la connaissance de la sainte Ecriture
nous est donnée selon l’influence de la bienheureuse Trinité,
comme l’indique expressément l’Apôtre dans la première
partie du texte cité.
3. Le
développement de la sainte Ecriture n’est pas enfermé dans
les lois des raisonnements, des définitions et des divisions selon
les règles des autres sciences, il n’est pas non plus restreint
à une partie de l’universalité. Bien plutôt, puisque
la sainte Ecriture procède selon une lumière surnaturelle
pour donner à l’homme ici-bas une connaissance suffisante des choses,
comme l’exige son sa lut, tantôt par des paroles claires, tantôt
par des paroles mystérieuses, elle décrit le contenu de tout
l’univers comme dans une somme, et par là nous comprenons sa Largeur;
elle en décrit le déroule ment, et par là nous comprenons
sa Longueur; elle décrit l’excellence de ceux qui seront finalement
sauvés, et par là nous comprenons sa Hauteur; elle décrit
enfin la misère de ceux qui seront damnés, en cela consiste
la Profondeur, non seulement de cet univers, mais aussi du jugement divin.
La
sainte Ecriture décrit ainsi tout l’univers dans la mesure où
cette connaissance est utile au salut, selon sa Largeur, sa Longueur, sa
Hauteur et sa Profondeur. Elle garde encore elle-même dans son développement,
ces quatre dimensions, comme on l’expliquera plus loin, car ainsi l’exigeait
le caractère de la capacité humaine. Celle-ci, par nature,
saisit magnifiquement et d’une façon multiple de grandes et nombreuses
choses, à la façon d’un miroir parfait dans lequel l’universalité
des choses du monde est destinée à être décrite
dans l’ordre naturel comme dans l’ordre surnaturel. Ainsi, le développement
de la sainte Ecriture doit s’accorder à l’exigence de la capacité
humaine.
4. L’aboutissement
ou le fruit de la sainte Ecriture n’est pas quelconque, ç’est la
plénitude de l’éternelle félicité. Car elle
est l’Ecriture dans laquelle sont les paroles de la vie éternelle,
elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais
aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle
nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront universellement
comblés. Alors, nos désirs étant comblés, nous
connaîtrons vraiment la charité qui surpasse la connaissance
et ainsi nous serons remplis jusqu’à toute la plénitude de
Dieu. C’est à cette plénitude que la divine Ecriture s’efforce
de nous introduire selon le sens vrai du texte de l’Apôtre. C’est
donc en vue de cette fin, c’est dans cette intention que la sainte Ecriture
doit être étudiée, enseignée et entendue.
5. Pour
que nous parvenions à ce fruit et à ce terme directement
en progressant par la route droite des Ecritures, il faut commencer par
le commencement, c’est-à-dire, accéder d’une foi pure au
Père des lumières, en fléchissant les genoux de notre
coeur, afin que par son Fils dans son Saint Esprit, il nous donne la vraie
connaissance de Jésus-Christ et, avec sa connaissance, son amour.
Le connaissant et l’aimant et comme consolidés dans la foi et enracinés
dans la charité, il nous sera alors possible de connaître
la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur de la sainte Ecriture
et, par cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière
et à l’amour extatique de la bienheureuse Trinité. Là
tendent les désirs des saints, là se trouvent l’aboutissement
et l’achèvement de tout vrai et de tout bien.
6. Après avoir désiré et recherché la fin de la sainte Ecriture, après avoir cru et invoqué le principe, il faut en considérer le développement dans sa Largeur, sa Longueur, sa Hauteur et sa Profondeur, selon la voie et l’ordre que nous enseigne l’Apôtre. Sa Largeur consiste dans la multitude de ses parties, sa Longueur dans la description des temps et des âges, sa Hauteur dans la description des hiérarchies graduellement ordonnées, sa Profondeur dans la diversité des sens mystiques et des interprétations.
Le
Nouveau Testament possède semblablement des livres correspondant
à ces quatre formes. Aux légaux correspondent les Evangiles,
aux historiques les Actes des Apôtres, aux sapientiaux les Epîtres
des Apôtres et surtout de Paul, aux prophétiques l’Apocalypse.
Ainsi y a-t-il une admirable conformité entre l’Ancien et le Nouveau
Testament non seulement quant au contenu des sens, mais aussi quant à
la quadruple forme des parties. En figure et signification de ceci, Ezéchiel
a vu les roues des quatre visages et les roues au milieu l’une de l’autre,
car l’Ancien est dans le Nouveau et inversement. Dans les livres légaux
et les évangiles est la face du lion, à cause de l’éminence
de l’autorité; dans les livres historiques, la face du boeuf, à
cause des exemples de puissance; dans les livres sapientiaux la face de
l’homme, à cause de la sage prudence; dans les livres prophétiques
la face de l’aigle, à cause de l’intelligence perspicace.
2. La
sainte Ecriture est à juste titre divisée en Ancien et Nouveau
Testament et non en théorique et pratique, comme la philosophie.
Car, puisque l’Ecriture est fondée en propre sur la connaissance
de foi qui est vertu et fondement des moeurs et de la justice et de toute
vie droite, la connaissance des choses ou des données de la foi
ne peut en elle être séparée de la connaissance des
moeurs. Il en est autrement de la philosophie qui traite non seule ment
de la vérité des moeurs, mais aussi du vrai considéré
dans la pure spéculation. Donc, parce que l’Ecriture est connaissance
poussant au bien et détournant du mal et ceci par crainte et amour,
elle est divisée en deux testaments dont «toute la différence
est la crainte et l’amour ».
3. Or,
on peut être poussé au bien et détourné du mal
de quatre manières différentes, par les préceptes
de la toute-puissante majesté, par les enseignements de la vérité
très sage, par les exemples et les bienfaits de la bonté
sans faille ou par toutes ces choses rassemblées. Donc, dans le
Nouveau comme dans l’Ancien Testament, nous sont donnés sous quatre
formes les livres contenait la sainte Ecriture, en conformité des
quatre prémisses. Les livres légaux nous entraînent
par les préceptes de la toute-puissante majesté, les livres
historiques par les exemples de la bonté sans faille, les livres
sapientiaux par les enseignements de la vérité providentielle,
les livres prophétiques par le rassemblement de toutes ces formes,
ainsi qu’il y apparaît. Ils sont donc comme les mémoriaux
de toute la sagesse et de toute la doctrine de la loi.
4. L’Ecriture
est donc semblable à un large fleuve qui s’accroît sans cesse
de l’apport d’eaux nombreuses au fur et à mesure qu’il coule. Il
y eut d’abord dans l’Ecriture les livres légaux, puis survint l’eau
de la sagesse des livres historiques, ensuite la doctrine du très
sage Salomon, puis la doctrine des saints Prophètes. Enfin, la doctrine
évangélique a été révélée,
proférée par la bouche corporelle du Christ, consignée
par les Evangélistes, divulguée par les Apôtres. Il
faut y ajouter les enseignements que l’Esprit Saint en venant sur eux nous
a, par eux, enseignés, de sorte qu’ainsi conduits vers la vérité
tout entière, par l’Esprit Saint selon la promesse divine, ils donnent
à l’Eglise du Christ la doctrine de toute vérité salutaire
et répandent en parachevant la sainte Ecriture, la connaissance
de la vérité.
2. A
juste titre, le temps universel qui s’écoule sous les trois lois,
la loi donnée intérieurement, la loi donnée extérieurement
et la loi inspirée d’en-haut parcourt les sept âges et se
consomme à la fin du sixième, pour qu’ainsi le déroulement
du monde corresponde à son origine, que le déroule ment du
macrocosme corresponde au déroulement de la vie du microcosme, c’est-à-dire
de l’homme pour lequel il a été créé.
Le
premier âge du monde durant lequel eut lieu sa formation, la chute
des démons et la confirmation des anges correspond, en effet, au
premier jour où fut créée la lumière et où
la lumière fut séparée des ténèbres
Le deuxième âge durant lequel, par l’eau et le déluge,
les bons furent sauvés et les méchants anéantis, correspond
au deuxième jour où, par le firmament, les eaux furent séparées
d’avec les eaux. Le troisième âge, durant lequel Abraham fut
appelé et la synagogue commença, qui devait porter du fruit
en engendrant une progéniture pour le culte de Dieu, correspond
au troisième jour où apparut la terre et où elle produisit
la verdure. Le quatrième âge durant lequel fleurit la royauté
et le sacerdoce, car le roi David rehaussa le culte divin, correspond au
quatrième jour où furent créés les luminaires
et les étoiles. Le cinquième âge durant lequel les
exilés furent ballottés et tourmentés au milieu de
nombreux peuples correspond au cinquième jour où les eaux
grouillèrent de poissons. Le sixième âge durant lequel
le Christ est né sous les traits de l’homme, lui qui est vrai ment
l’image de Dieu, correspond au sixième jour où fut créé
le premier homme. Le septième âge qui est le repos sans fin
des âmes correspond au septième jour où Dieu se reposa
après tout l’ouvrage qu’il avait fait.
3. Ces
sept âges se distinguent ainsi par les choses remarquables qui y
furent faites en leur début, en raison desquelles ils correspondent
aux jours de la création du monde. Le premier âge est appelé
petite enfance car, comme toute l’enfance sombre dans l’oubli, ainsi ce
premier âge a été enseveli par le déluge. Le
deuxième, c’est l’enfance car, comme dans la jeunesse, nous commençons
à parler, ainsi, dans ce second âge, eut lieu la distinction
des langues. [ troisième âge, c’est l’adolescence car, de
même qu’alors la force génératrice commence à
agir, ainsi Abraham fut appelé et la circoncision lui fut proposée
et la promesse d’une postérité lui fut donnée. Le
quatrième âge, c’est la jeunesse car, comme dans la jeunesse
s’épanouit l’homme, ainsi au quatrième âge la synagogue
fleurit sous les rois. Le cinquième âge, c’est la vieillesse
car, comme dans la maturité les forces diminuent et la beauté
se dégrade, ainsi en fut-il du sacerdoce des juifs durant l’exil.
Le sixième âge, c’est la sénilité, car de même
que la sénilité est liée à la mort et possède
cependant une grande lumière de sagesse, ainsi le sixième
âge du monde se termine avec le jour du jugement et dans son déroulement
fleurit la sagesse par la doctrine dû Christ.
4. Ainsi
donc, tout ce monde est décrit par l’Ecriture dans un déroulement
ordonné s’écoulant depuis le début jusqu’à
la fin, à la manière d’un magnifique poème bien réglé
où l’on peut contempler dans le déroulement du temps la variété,
la multiplicité et l’équité, l’ordre, la rectitude
et la beauté des nombreux jugements divins procédant de la
sagesse de Dieu qui gouverne le monde Comme personne ne peut voir la beauté
d’un poème que si son regard se porte sur l’ensemble, ainsi personne
ne voit la beauté de l’ordre et du gouvernement de l’univers s’il
ne le contemple dans sa totalité. Or, personne ne vit assez longtemps
pour que ses yeux de chair en perçoivent le cours total et personne
ne peut par soi-même prévoir l’avenir. L’Esprit Saint y pourvoit
en nous donnant le livre de la sainte Ecriture dont la longueur se mesure
au déroulement du gouvernement de l’univers.
3. La
beauté est grande dans le monde, elle est encore plus grande dans
l’Eglise ornée de la beauté des charismes des saints, elle
est plus grande encore dans la Jérusalem céleste, elle est
suprême dans la Trinité souveraine et bienheureuse.
L’Ecriture
ne possède donc pas seulement une matière très haute
par laquelle elle délecte, elle surélève la pointe
de l’esprit jusqu’en haut, elle est aussi pleine de séduction et
délecte notre intelligence d’une manière admirable et, en
la délectant de plus en plus, elle l’habitue aux visions et aux
contemplations des divins spectacles.
3. Cette
triple intelligence convient aussi à l’auditeur, car personne ne
l’entend valablement que s’il est humble, pur, fidèle et studieux
S Sous l’écorce de la lettre est donc cachée une intelligence
mystique et profonde pour comprimer l’orgueil afin que, par sa profondeur
cachée sous l’humilité de la lettre, les orgueilleux soient
abaissés, les impurs rejetés, les imposteurs détournés,
les négligents excités à l’intelligence des mystères.
Et parce que l’auditeur de cette doctrine n’est pas d’un genre unique,
mais de tous les genres, et qu’il importe que tous ceux qui doivent être
sauvés connaissent quelque chose de cette doctrine, l’Ecriture possède
donc une intelligence multiple, afin de saisir tout esprit, de condescendre
à tout esprit, de dépasser tout esprit, d’illuminer et d’embrasser
tout esprit qui prête une diligente attention à cette doctrine,
par la multitude de son rayonnement.
4. La
triple intelligence de l’Ecriture convient aussi au principe dont elle
provient. Car elle vient de Dieu par le Christ et l’Esprit Saint parlant
par la bouche des Prophètes et des autres qui ont écrit cette
doctrine. Dieu ne parle pas seulement par des paroles, mais aussi par des
faits, car pour lui, dire c’est faire et faire c’est dire. Or, toutes les
choses créées, en tant qu’effets de Dieu, suggèrent
leur cause Donc, dans l’Ecriture donnée par Dieu, non seulement
les mots.doivent avoir un sens, mais aussi les faits. Le Christ docteur,
bien qu’il fut humble dans sa chair était cependant très
haut dans sa déité. Il convenait donc qu’il ait, lui et sa
doctrine, l’humilité en parole et la profondeur de la pensée
afin que, comme le Christ fut enveloppé de langes, ainsi la sagesse
de Dieu dans l’Ecriture soit enveloppée dans d’humbles figures.
L’Esprit Saint illuminait diversement et faisait des révélations
dans le coeur des Prophètes. Aucune intelligence ne peut lui échapper
et il était envoyé pour enseigner toute vérité.
Il convenait donc à sa doctrine que dans une seule parole, de multiples
sens se cachent.
5. La
triple intelligence de l’Ecriture convient enfin à sa fin, car l’Ecriture
a été donnée pour diriger l’homme vers ce qu’il faut
savoir et ce qu’il faut faire afin de parvenir à ce qu’il faut désirer.
Or, toutes les créatures ont été faites pour servir
l’homme qui tend vers la patrie céleste. L’Ecriture assume donc
les diverses images de ces créatures afin de nous enseigner, par
elles, la sa gesse qui nous dirige vers les choses éternelles. Or,
l’homme ne se dirige vers les choses éternelles que si sa puissance
de connaître saisit la vérité à croire, que
si sa puissance d’agir accomplit le bien à faire et que si sa puissance
d’aimer aspire à voir Dieu, à l’aimer et à goûter
en lui toute joie.
Donc,
l’Ecriture sainte donnée par l’Esprit Saint assume le livre de la
créature en le rapportant à sa fin selon une triple intelligence,
afin que par la tropologie nous ayons la connaissance de ce qu’il faut
faire avec courage, par l’allégorie, de ce qu’il faut croire en
toute vérité, par l’anagogie, de ce qu’il faut désirer
avec délectation.
Ainsi
purifiés par l’opération des vertus, illuminés par
une foi radieuse et rendus parfaits par une ardente charité, nous
parviendrons enfin à la récompense éternelle.
3. Ces
modes narratifs ne peuvent procéder par voie de certitude rationnelle,
car les faits particuliers ne peuvent être démontrés.
De peur que cette Ecriture ne vacille comme douteuse et risque ainsi de
moins entraîner, Dieu a donc donné à cette Ecriture,
au lieu de la certitude rationnelle, la certitude de l’autorité,
certitude si grande qu’elle surpasse toute la perspicacité de l’esprit
humain. Or, l’autorité n’est pas certaine de qui peut tromper ou
se tromper. Personne n’existe qui ne puisse se tromper et ne puisse tromper,
hormis Dieu et l’Esprit Saint. Donc, pour que l’Ecriture sainte soit à
sa manière parfaitement authentique, elle ne doit pas être
transmise par une recherche humaine, mais par la révélation
divine.
Rien
donc en elle ne doit être condamné comme inutile, rien n’est
à rejeter comme faux, rien n’est à répudier comme
impie par le fait que l’Esprit Saint, son auteur infiniment parfait n’a
pu rien dire de faux, rien de superflu, rien d’inférieur. C’est
pourquoi le ciel et la terre passeront, mais les paroles de l'Ecriture
sainte ne passeront pas qu’elles ne soient accomplies. Car, avant que le
ciel et la terre ne passent, pas un iota, pas un accent ne passera de la
loi que tout ne soit réalisé, le Sauveur en est témoin.
Celui donc qui déliera ce qu’enseigne l'Ecriture et l’enseignera
ainsi aux hommes, sera tenu pour le moindre dans le royaume des cieux;
celui qui l’exécutera et l’enseignera, celui-là sera tenu
pour grand dans le royaume des cieux.
2. Celui
qui expose l’Ecriture doit savoir que l’allégorie n’est pas requise
partout et que tous les textes ne sont pas à exposer mystiquement.
C’est pourquoi il faut noter que l’Ecriture sainte a quatre parties. La
première dans laquelle la lettre traite des choses naturelles de
l’univers et, par elles, signifie notre salut, comme il apparaît
dans le récit de la formation du monde. La deuxième dans
la quelle la lettre traite des actes et des événements de
l’histoire du peuple d’Israël et signifie par eux la rédemption
du genre humain. La troisième dans laquelle, en paroles claires,
la lettre signifie et exprime ce qui regarde notre salut quant à
la foi et aux moeurs. La quatrième dans laquelle la lettre annonce
le mystère de notre salut, partie en paroles claires, partie en
paroles énigmatiques et obscures. C’est pourquoi l’Ecriture ne peut,
dans ces différents passages, être l’objet d’une exposition
uniforme.
3. Celui
qui expose, doit diriger son exposition de l’Ecriture selon une triple
règle qui peut être tirée des paroles du bienheureux
Augustin, dans son livre De doctrina christiana.
Première
règle. Partout dans cette Ecriture où le sens premier des
mots signifie la réalité de la création ou les actes
singuliers de la vie humaine, les choses signifiées par les mots
sont signifiées en premier, et ensuite seulement les mystères
de notre salut. Là où le premier sens des mots exprime la
foi ou la charité, il ne faut chercher aucune allégorie.
Deuxième
règle. Là où les mots de cette Ecriture signifient
la réalité de la création ou la vie du peuple d’Israël
on peut chercher dans un autre texte de l’Ecriture ce que chaque chose
signifie et ensuite tirer son sens par les mots signifiant clairement la
vérité de la foi ou l’honnêteté des moeurs.
Par exemple, si l’on dit: « Les brebis engendrent des jumeaux »,
il faut montrer que « brebis » signifie ici les hommes et «
jumeaux » la double charité.
Troisième
règle. Quand un texte scripturaire possède un sens littéral
et un sens spirituel, celui qui expose doit déterminer si cette
attribution convient au sens historique ou au sens spirituel, si par hasard
les deux sens ne conviennent pas. Si les deux sens conviennent, alors on
doit affirmer le sens littéral et le sens spirituel. Si l’un seulement
con vient, on doit l’entendre spirituellement. Ainsi, le sabbat de la Loi
est perpétuel, le sacerdoce éternel, la possession de la
terre éternelle et le pacte de la circoncision éternel: tout
ceci est à entendre dans un sens spirituel.
4. Pour
pénétrer, en scrutant et en exposant avec sûreté
la forêt des saintes Ecritures, il faut tout d’abord connaître
la vérité de cette sainte Ecriture par des paroles explicites,
c’est-à-dire observer comment l’Ecriture décrit l’origine,
le développe ment et la consommation des deux corps qui s’affrontent
en s’opposant, le corps des bons qui s’humilient ici-bas pour être
exaltés éternellement dans le ciel et le corps des méchants
qui s’exaltent ici-bas et seront éternellement abattus. Ainsi l’Ecriture
traite de l’univers entier quant au sommet et au fond, quant au premier
et au dernier et quant au déroulement intermédiaire, sous
la forme d’une croix intelligible dans laquelle on peut décrire
et, en un certain sens, voir par la lumière de l’esprit, toute la
création universelle. Pour la comprendre, il faut connaître
le principe des choses, Dieu, leur création, leur chute, la rédemption
par le sang de Jésus-Christ, la réformation par la grâce,
la guéri son par les sacrements et enfin la rétribution par
la peine et la gloire éternelle.
5. Et
parce que cette doctrine, tant dans les écrits des saints que dans
ceux des docteurs, est transmise d’une manière si diffuse que pour
ceux qui accèdent à la sainte Ecriture pour l’entendre, elle
ne peut être vue et, entendue durant longtemps — à cause de
quoi les jeunes théologiens fréquemment prennent en dégoût
l’Ecriture sainte elle-même, comme incertaine et désordonnée,
comme une forêt obscure.
Prié
par des confrères de dire avec notre pauvre petite science quelque
chose de bref, dans une somme, sur la vérité de la théologie,
et cédant à leurs prières, j’ai consenti à
écrire un Breviloquium, dans lequel j’ai traité brièvement
non pas toutes les vérités à croire, mais seulement
les plus utiles, y ajoutant quelques explications selon les circonstances.
6. Parce
que la théologie traite de Dieu et du premier principe, parce que,
comme la science et la doctrine la plus élevée, elle résout
toutes choses en Dieu comme dans le principe premier et souverain, dans
l’assignation des raisons, en tout ce qui est contenu dans ce petit traité,
je me suis efforcé de chercher l’explication dont le premier principe
pour montrer ainsi que la vérité de la sainte Ecriture vient
de Dieu, traite de Dieu, est conforme à Dieu, a Dieu pour fin, de
façon que justement cette science apparaisse une, ordonnée
et, non à tort, nommée théologie.
Si
l’on trouve en cet opuscule quoi que ce soit d’imparfait, d’obscur, de
superflu ou de moins correct, qu’on m’en accorde le pardon à cause
de mes occupations, de mon manque de temps et de la pauvreté de
ma science. Si l’on y trouve quelque chose de correct, qu’on en rende à
Dieu seul l’honneur et la gloire.
Pour
que la suite apparaisse plus clairement, j’ai pris soin de présenter
d’abord les titres particuliers des chapitres, afin d’en faciliter la mémoire
et d’en rendre plus claire une vue d’ensemble. Ces chapitres sont groupés
en sept parties et sont au nombre de soixante-douze.
.
1.
La Trinité de Dieu.
2. Le
monde créature de Dieu.
3.
La corruption introduite par le péché.
4.
L’incarnation du Verbe.
5. La
grâce de l’Esprit Saint.
6. Les
remèdes sacramentels.
7. L’aboutissement
du jugement final.
Explication
2.
La sainte Ecriture ou théologie est la science qui donne une connaissance
suffisante du premier principe pour l’homme ici-bas, selon que l'exige
son salut. Or, Dieu n’est pas seulement le principe des choses et l’exemplaire
effectif de la création, il est aussi principe et exemplaire réparateur
dans la rédemption, principe et exemplaire perfectif dans la rétribution.
La
théologie ne traite donc pas seulement de Dieu créateur,
mais aussi de la création et de la créature. La créature
raisonnable qui est d’une certaine façon, fin de toutes les autres
créatures, n’a pas maintenu son état originel, mais en raison
de sa chute a eu besoin d’être réparée; la théologie
traite donc aussi de la corruption du péché, puis du médecin,
de la santé et de la médecine, et enfin de la guérison
parfaite qui sera donnée dans la gloire, tandis que les impies seront
rejetés dans le châtiment.
La
théologie est donc, et elle seule, la scier parfaite, puisqu’elle
commence au commencement, qui est le premier principe, et parvient jusqu’au
terme, la récompense éternelle. Elle commence au sommet,
le Dieu très haut, créateur de toutes choses, et s’étend
jusqu’au plus bas, le supplice de l’enfer.
3.
Elle seule est la sagesse parfaite, car elle commence à la cause
suprême, en tant que principe de tout ce qui a une cause, — là
où se ter mine précisément la connaissance philosophique
—, elle passe par la cause suprême qui est aussi remède des
péchés, et retourne à la cause suprême en tant
que celle-ci est la récompense des mérites et la fin des
désirs.
Dans
cet acte de connaissance se trouvent la par faite saveur, la vie, et le
salut des âmes. C’est à s’y appliquer que doit donc s’enflammer
le désir de tous les chrétiens.
4.
Ainsi est-il manifeste que la théologie, qui traite de questions
si nombreuses et diverses, ne constitue pourtant qu’une seule science,
dont le sujet, tour à tour:
— est
Dieu, de qui viennent tous les êtres,
— est
le Christ, par qui tous passent,
— est
l’oeuvre rédemptrice, vers laquelle tendent, est l’unique lien de
la charité qui enserre et unit tous les êtres, célestes
ou terrestres, est le donné de la foi en tant que tel, tout entier
contenu dans les livres canoniques,
— est
le donné de la foi en tant qu’il est intelligible, c’est ce dont
traitent les livres des commentateurs comme le dit saint Augustin dans
son traité De utilitate credendi: « ce que nous croyons,
nous le devons à l’autorité, mais l’exercice de notre intelligence
sur notre foi, nous le devons à notre raison »
2. Sur
la pluralité des personnes dans l’unité de nature, la foi
droite nous dit que dans une unique nature il y a trois personnes, le Père,
le Fils et l’Esprit Saint. La première ne tient son origine d’aucune
autre, la deuxième vient de la première par génération,
la troisième de la première et de la deuxième par
spiration ou procession. Mais la Trinité des personnes n’exclut
pas de l’essence di vine une unité, une simplicité, une immensité,
une éternité, une immutabilité, une nécessité,
et encore une primauté souveraine. Qui plus est, elle inclut au
plus haut point, fécondité, charité, libéralité,
égalité, parenté, conformité et inséparabilité.
La foi saine comprend que tout ceci se trouve dans la bienheureuse Trinité.
.
Explication
3. La
foi, parce qu’elle est principe du culte de Dieu et fondement de «
la doctrine conforme à la piété », exige que
l’on ait de Dieu un sens très haut et très pieux. On n’aurait
pas de Dieu un sens très haut si l’on ne croyait pas que Dieu peut
se communiquer souverainement. On n’aurait pas de lui un sens très
pieux en croyant qu’il le pour rait et ne le voudrait pas. Ayant donc de
Dieu un sens très haut jet très pieux, on dira qu’il se communique
souverainement en ayant éternellement un aimé et un «
autre-aimé-ensemble ». Ainsi Dieu est Un et Trine.
4. De
cette foi qui veut un sens très pieux de Dieu, témoigne toute
la sainte Ecriture, doctrine conforme à la piété.
Car elle déclare que Dieu a un Fils qu’il aime souverainement, le
Verbe égal à lui, « qu’il a engendré de toute
éternité et dans lequel il a disposé toutes choses
», par lequel il a produit toutes choses et les gouverne. Par lui
fait chair, à cause de sa souveraine bonté, il a racheté
les hommes de son sang précieux et a nourri l’homme racheté.
Par lui, à la fin du monde, communiquant sa miséricorde souveraine,
il libèrera de toute misère afin que par le Christ tous les
élus soient les fils du Père souverain en qui toute piété
sera consommée, celle de Dieu envers nous et la nôtre envers
Dieu.
5. De
cette foi en tant qu’elle veut un sens très haut de Dieu, non seulement
la sainte Ecriture témoigne, mais aussi toute créature, selon
ce que dit Augustin au livre XV De Trinitate, chapitre: «
Non seulement l’autorité des livres divins professe que Dieu est,
mais aussi toute la nature qui nous entoure et à laquelle nous appartenons,
proclame qu’elle a un créateur munificent qui nous a donné
un esprit et une raison naturelle par laquelle nous jugeons préférables
les vivants aux non-vivants, les êtres doués de sens à
ceux qui n’en ont pas, les êtres intelligents à ceux qui ne
le sont pas, les êtres immortels aux mortels, les êtres doués
de puissance aux impuissants, les justes aux injustes, les êtres
beaux aux difformes, les bons aux mauvais, les incorruptibles aux êtres
sujets à la corruption, les êtres immuables aux êtres
changeants, les choses invisibles aux visibles, les êtres incorporels
aux corporels, les bienheureux aux misérables.
Et
ainsi, puisque sans l’ombre d’un doute, avant les êtres créés
nous plaçons le créateur, il faut que nous proclamions qu’il
vit en plénitude, qu’il pense et comprend toutes choses, qu’il ne
peut ni mourir ni se corrompre, ni changer, qu’il n’a pas de corps mais
est un esprit tout puissant, très juste, très beau et très
heureux »
Voici
incluses dans ces douze termes les très hautes prérogatives
de l’être divin. Saint Augustin montre ensuite que ces douze se réduisent
à trois:
l’éternité,
la sagesse et la béatitude, et ces trois se réduisent à
une seule, la sagesse qui comprend un esprit engendrant, le Verbe engendré,
et l’Amour reliant l’un et l’autre; en eux, la foi le déclare, se
tient la Trinité bienheureuse. Et parce que la souveraine sagesse
suppose la Trinité, elle suppose en même temps toutes les
nobles conditions précédemment énumérées,
l’unité, la simplicité et les autres. Il est nécessaire
que toutes les prérogatives susdites de l’être divin s’accordent
avec la bien heureuse Trinité.
.
— deux
émanations
— trois
hypostases
— quatre
relations
— cinq
notions
— et
seulement trois propriétés personnelles.
Explication
2. Le
premier et souverain principe, par le seul fait qu’il est premier, est
absolument simple. Par le fait qu’il est souverain, il est très
parfait. Donc il se communique parfaitement parce que parfait, et conserve
une indivision absolue puisque souverainement simple. Etant sauve l’unité
de nature, il y a donc en lui des modes parfaits d’émanation. Or
il n’existe que deux modes parfaits d’émanation, selon la nature
et selon la volonté. Le premier est la génération,
le second la spiration ou procession. Ces deux modes se trouvent donc en
Dieu.
3. Par
ces deux émanations substantielles, émanent nécessairement
deux hypostases; il est nécessaire aussi de poser une première
hypostase qui, produisant en premier, n’émane d’aucune autre — sinon
il faudrait remonter à l’infini. Il existe donc en Dieu trois hypostases.
4.
A chaque émanation répond une double relation. Il y a donc
en Dieu quatre relations, la paternité, la filiation, la spiration
et la procession.
5. Par
ces relations, les hypostases divines se font connaître à
nous. Mais la première hypostase en qui se trouve la raison première
de toute origine, se fait connaître à nous par le fait qu’elle
n’a pas elle-même d’origine. C’est là sa propre excellence.
Nous comptons ainsi cinq notions: les quatre relations susdites et en plus,
l’innascibilité.
6. Chaque
personne possède une propriété par laquelle elle est
principalement connue. Il n’y a donc que trois propriétés
personnelles qui sont exprimées proprement et principalement par
les noms Père, Fils, et Saint-Esprit.
7. Le
propre du Père est d’être innascible ou inengendré,
d’être principe sans principe, et d’être Père. L’innascibilité
le désigne négativement, bien que conséquemment le
sens en soit positif, car elle suppose dans le Père la plénitude
fontale.
Principe sans principe désigne le Père positivement et négativement.
Père le désigne proprement, d’une manière complète
et déterminée, par une affirmation positive qui dit en même
temps une relation.
8. De
même, le Fils est Image, Verbe et Fils. Image désigne la personne
comme similitude exprimée,
Verbe comme similitude expressive,
Fils comme similitude hypostatique,
Image comme similitude conforme,
Verbe comme similitude intellectuelle,
Fils comme similitude connaturelle
9. L’Esprit
Saint est proprement le Don, il est le lien ou charité des deux,
il est aussi l’Esprit Saint. Don le désigne comme étant volontairement
donné, Charité ou lien, comme étant donné volontairement
et à titre de principe, Esprit Saint, comme donné volontaire,
principal et hypostatique.
De
là, ces trois noms, Père, Fils, Saint Esprit nous conduisent
aux propriétés personnelles des trois personnes. Tel est
ce qu’il faut tenir pour l’intelligence sensée de la foi à
la Trinité.
1.
Voici, selon les documents des saints docteurs, l’expression catholique
de cette foi: quand on parle des personnes divines,
— il
y a deux modes de prédication, soit quant à la substance,
soit quant à la relation; trois modes de supposition on vise l’essence,
ou la personne, ou la notion;
— quatre
modes de désignation de la substance, par le nom d’essence, par
le nom de substance, par le nom de personne, et par le nom d’hypostase;
— cinq
modes de parler, quis (la personne), qui (le suppôt),
quae
(la notion), quod (la substance) et quid (la quiddité).
— trois modes de différenciation: différence dans la façon d’exister (c’est-à-dire selon l’origine), différence dans la situation (relative ou non), différence dans la connaissance que nous en avons.
Explication
2. Le
premier principe est parfait en même temps que très simple.
Tout ce qui implique une perfection doit être affirmé de lui
proprement et vraiment. Mais on ne peut affirmer à son sujet quoi
que ce soit qui comporte quelqu’imperfection, à moins que cette
affirmation ne concerne la nature humaine assumée (par le Verbe),
ou qu’on ne veuille parler dans un sens métaphorique.
Il
y a dix catégories, la substance, la quantité, la relation,
la qualité, l’action, la passion, le lieu, le temps, la situation
et l’avoir Les cinq dernières, parce qu’elles concernent en propre
les choses corporelles ou sujettes au changement, ne peu vent être
attribuées à Dieu sinon par transposition et par manière
de figure. Mais les cinq premières sont attribuées à
Dieu en ce qu’elles signifient sa perfection sans cependant contrarier
sa simplicité divine. C’est pourquoi ces catégories sont
identiquement ce dont elles sont affirmées; et ainsi, par comparaison
avec le sujet en qui elles sont, on dit qu’elles passent dans la substance
en s’identifiant avec elle, sauf cependant la relation. Celle-ci en effet
a deux termes de comparaison, le sujet en qui elle se trouve et le terme
auquel elle se rapporte. Elle passe, en effet, dans la substance pour ne
pas y introduire de composition, et néanmoins de meure pour fonder
la distinction. C’est pourquoi (selon Boèce) « l’unité
réside dans la substance, et la Trinité trouve son nombre
dans la relation ».
En
conséquence, il ne reste ici que deux modes différents de
prédication, dont on peut donner la règle Suivante:
— ce
qui est affirmé selon la substance est affirmé par le fait
même de toutes les personnes, une
à
une, ensemble ou isolément.
— ce
qui est affirmé selon la relation n’est pas affirmé des trois
personnes, et i on l’affirme de plus d’une, pluralement, c’est en tant
qu’elles sont relatives, distinctes, semblables, égales, à
cause de leur relation intrinsèque.
— Quant
au nom de Trinité, il comprend à la fois les deux modes de
prédication, selon la substance et selon la relation
3. Et parce qu’il peut y avoir plusieurs relations dans une seule personne comme il y a plu sieurs personnes dans une seule nature, la distinction des notions n’implique pas la diversification de la personne dont on parie, pas plus que la distinction des personnes n’entraîne la multiplication de la nature. Et c’est pourquoi ne convient pas à l’essence ce qui convient à la notion ou à la personne, ni inversement. En conséquence de quoi, il y a trois façons de « supposer » dont on a coutume de donner la règle suivante:
— Si l’on suppose l’essence, on ne suppose pas en même temps la notion ni la personne;
— si l’on suppose la notion, on ne suppose pas en même temps l’essence ni la personne;
— si
l’on suppose la personne, on ne suppose pas en même temps l’essence
ni la notion; comme le montrent les exemples.
4.
Tandis que l’essence demeure unique, on trouve une vraie distinction dans
les suppôts de la substance. Il faut donc qu’ici la substance soit
désignée de plusieurs façons, soit en tant qu’elle
est communicable, soit en tant qu’incommunicable.
En
tant qu’elle est communicable, on la désigne dans l’abstrait par
le nom d’essence, et dans le concret par le nom de substance; en tant qu’in
communicable, soit par le nom d’hypostase, si elle est susceptible de distinction,
soit par le nom de personne, si elle est effectivement distincte. Ou bien,
en d’autres termes, si elle est distincte de quelque façon, c’est
l’hypostase, si elle est claire ment et parfaitement distincte, c’est la
personne. Voici des exemples tirés de la créature: humanité,
homme, un certain homme, Pierre. Le premier mot dit l’essence, le deuxième
la substance, le troisième l’hypostase, le quatrième la personne.
5. Dans
la personne qui est distinguée, on ne considère pas seulement
celui qui est distingué, mais aussi ce par quoi il est distinct.
C’est la propriété ou notion. Il y a donc nécessairement
cinq manières de parler ou de s’enquérir des personnes divines:
quis
pour la personne, qui pour l’hypostase parce qu’elle est, sans plus
de précision, le suppôt de la substance, quae pour
la notion, quod pour la substance, quid ou quo pour
l’essence.
6. Tous
ces modes s’enracinent dans l’unité de l’essence divine, car tout
ce qui est en Dieu est Dieu lui-même seul et un Ces modes ne posent
donc ici de différence ni selon l’essence, ni selon l’être.
C’est
pourquoi il y a en Dieu que trois manières de se différencier,
selon les modes d’être ou d’émaner, ainsi une personne diffère-t-elle
d’une personne; selon les modes d’être en relation, ainsi la personne
diffère de l’essence car une personne se réfère à
une autre, elle en est donc distinguée, mais l’essence ne se réfère
pas à une autre, il n’y a donc pas lieu à distinction; enfin
selon les modes dont nous pensons Dieu, ainsi une propriété
substantielle diffère d’une autre, par exemple la bonté et
la sagesse.
La
première différence est la plus grande qui puisse être
trouvée en Dieu, c’est celle qu’il y a entre les suppôts,
au point que l’un ne peut être nommé pour l’autre. La deuxième
différence est plus petite car elle est entre les attributs, bien
que l’un d’eux puisse être affirmé d’un autre, comme la personne
peut l’être de l’essence, quelque chose cependant est affirmé
de l’un qui ne l’est pas de l’autre, par exemple: la personne est distincte
et relative à une autre personne, l’essence non.
La
troisième différence, celle qui est dans les connotés,
est la plus petite. Car même si l’on peut employer l’un pour l’autre
et réciproquement, et dire la même chose de l’un et de l’autre,
cependant la même chose n’est pas connotée de part et d’autre
et tout te qui est signifié par deux connotés ne peut pas
être compris à la lumière d’un seul.
Du
premier mode de différenciation sort la pluralité des personnes;
du deuxième mode, la pluralité des affirmations concernant
la substance et les relations; du troisième mode, la pluralité
des propriétés essentielles et des notions, soit de toute
éternité, soit dans le temps, soit proprement, soit métaphoriquement,
soit communément, soit par appropriation Les exemples en sont manifestes.
Si l’on comprend ceci, alors apparaît ce qu’il faut penser et comment
il faut parler de la souveraine Trinité des personnes divines.
— Dieu
est sans limite, invisible et immuable;
— Néanmoins,
-il habite spécialement dans les hommes sanctifiés;
— Il
-a apparu aux Patriarches et aux Prophètes;
— Il
est descendu des cieux;
— Il
a envoyé son Fils et son Esprit Saint pour le salut du genre humain.
Bien
qu’en Dieu la nature, la puissance et l’opération de la Trinité
soient indivises, cependant la mission ou l’apparition de l’une des personnes
n’est pas la mission ou l’apparition d’une autre.
Bien
qu’aussi demeure en Dieu une souveraine égalité, cependant
seul le Père envoie sans être envoyé, l’Esprit Saint
est seulement envoyé par rap port aux deux autres personnes, encore
que parfois on dise de lui qu’il envoie l’homme assumé; mais le
Fils envoie et est envoyé, comme on peut le lire dans l’Ecriture
Explication
2. Bien
que le premier principe soit immense et sans limites, bien qu’il soit incorporel
et invisible, bien qu’il soit éternel et immuable, il est ce pendant
le principe des choses spirituelles et corporelles, naturelles et surnaturelles,
et par là des choses sujettes au changement, des choses sensibles
et limitées. Par elles, il se rend manifeste et se fait connaître,
bien qu’il soit lui-même immuable, insensible, et sans limites. Il
se rend manifeste et se fait connaître en général par
l’universalité des effets émanant de lui dans lesquels il
est si l’on peut dire par son essence, sa puissance et sa présence,
ce qui s’étend à toutes les choses créées.
Il se fait spécialement connaître par certains effets qui
conduisent spécialement à lui, en raison des quels il est
dit habiter, apparaître, descendre, être envoyé et envoyer.
— Habiter
désigne un effet spirituel auquel ré pond une acceptation,
comme l’est l’effet de la grâce sanctifiante qui rend semblable à
Dieu, conduit à Dieu et nous fait posséder Dieu et nous fait
en Dieu possédés: par là Dieu habite en nous. Par
ce que l’effet de la grâce est commun à toutes les personnes,
l’une d’elles n’habite pas sans les autres, c’est toute la Trinité
qui habite en nous.
3. —
Apparaître désigne un effet sensible avec une signification
exprimée, comme l’Esprit Saint apparaissant sous la forme d’une
colombe. Or les personnes divines sont distinctes, elles peuvent donc être
distinguées par des signes et des noms. Donc chaque personne peut
apparaître par elle-même et toutes ensemble, ou chacune d’elles
peut faire l’objet d’une apparition. Ainsi quand on dit que l’Esprit Saint
a apparu sous la forme de langues de feu ou d’une colombe, ce n’est pas
à cause d’un nouveau lien ou d’un effet spécial, mais à
cause de l’union qui existe entre celui qui est signifié et le signe
à lui assigné conformément au mode et à l’origine.
4. —
Descendre signifie chacun des deux effets précédents en y
incluant une idée de commence ment. Car Dieu est toujours présent
aux anges bienheureux dans les cieux, car il habite toujours en eux et
leur apparaît. Mais aux pécheurs sur cette terre, il est comme
absent quant à la grâce et quant à la connaissance
qu’ils ont de lui. Donc, lorsqu’il a commencé d’apparaître
ou d’habiter, de présent dans les cieux et comme absent à
nous, il devient présent sur terre. Bien qu’il n’y ait en lui aucune
mutation, cependant, pour nous, il est dit descendre.
5. —
Etre envoyé signifie les effets précédents avec l’idée
de production éternelle. Car lorsque le Père envoie le Fils
en le rendant présent à nous par la connaissance ou la grâce,
il insinue que le Fils procède de lui. Et parce que le Père
ne procède de personne, il ne peut donc jamais être dit envoyé
Le Fils, par contre, produit et est produit, il envoie donc et est envoyé.
Quant à l’Esprit Saint, il est éternellement produit mais
il ne produit que dans le temps. Il est donc proprement envoyé,
mais en voyer ne lui revient qu’à l’égard de la créature.
D’où
il apparaît que les propositions suivantes sont impropres et à
rejeter: l’Esprit Saint s’envoie lui-même, l’Esprit Saint envoie
le Fils, le Fils s’en voie lui-même, sauf si l’on veut parler du
Fils en tant que né de la Vierge.
Il
est clair aussi qu’envoyer et être envoyé ne conviennent pas
à tous, car ces mots qui signifient un effet dans la créature
expriment d’abord une relation intrinsèque de sorte qu’envoyer signifie
l’autorité, être envoyé la « sous-autorité
» quant à la procession éternelle intrinsèque.
Selon
l’enseignement de la sainte Ecriture, que toutes les propriétés
essentielles conviennent également et indifféremment aux
trois personnes,
— L’unité
est cependant appropriée au Père, vérité au
Fils, la bonté à l’Esprit Saint;
— A
partir de là on tire, selon saint Hilaire, une seconde série
d’appropriations: « l’éternité au
Père,
la beauté à l’Image, la jouissance au Don ».
— Et
de là une troisième série: au Père d’être
la raison même de toute principiation, au Fils d’être la raison
de toute exemplarité, au SaintEsprit
d’être la raison de tout achèvement.
— Enfin
une quatrième série: au Père la toute-puissance, au
Fils l’omniscience, au Saint Esprit la bienveillance.
On
dit que ces attributs sont appropriés ion parce qu’ils deviennent
propres alors qu’ils demeurent communs, mais parce qu’ils nous conduisent
à l’intelligence et à la connaissance des propriétés,
c’est-à-dire; des trois personnes.
Explication
2. Le
premier principe est noble et parfait. Les conditions de l’être,
les plus nobles et les plus générales sont donc suprêmement
en lui. Ce sont l’un, le vrai, le bien qui n'affectent pas l’être
selon les suppôts mais selon notre raison. Car l’un désigne
l’être en tant qu’il est connumérable, du fait qu’en lui-même
il n’est plus susceptible de division; le vrai en tant qu’il est connaissable,
parce qu’il n’est pas susceptible d’être divisé de sa propre
espèce; le bien en tant que communicable parce qu’il n’est pas susceptible
d’être divisé de sa propre espèce; Or, cette triple
indivision comporte un ordre logique de sorte que le vrai présuppose
l’un, et le bien présuppose l’un et le vrai. Ces conditions sont
attribuées au premier principe, souverainement, par ce qu’elles
sont parfaites et générales. Elles sont appropriées
aux trois personnes parce qu’ordonnées l’une à l’autre. L’un
souverain est approprié au Père, origine des personnes; le
vrai souverain au Fils, qui vient du Père en tant que Verbe; Te
bien souverain à l’Esprit Saint, qui vient des deux en tant qu’Amour
et Don.
3. L’un
souverain est souverainement premier parce qu’il manque de tout commencement,
le vrai souverain est souverainement égal et beau, le bien souverain
est souverainement utile et profitable. De là vient la seconde appropriation
de saint Hilaire, l’éternité dans le Père qui n’a
pas de commence ment mais est absolument premier, la beauté dans
l’Image, c’est-à-dire dans le Verbe car il est souverainement beau,
la jouissance dans le Don, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint, parce
qu’il est souveraine ment profitable et communicatif. Augustin insinue
la même chose en termes différents: Dans le Père l’unité,
dans le Fils l’égalité, dans l’Esprit Saint la concorde de
l’unité et de l’égalité »
4. Ce
qui est souverainement un et premier possède la raison d’être
le principe et l’origine. Ce qui est souverainement beau possède
la raison d’exprimer et d’être exemplaire; ce qui est souverainement
profitable et bon possède la raison d’être la fin, car le
bien et la fin sont une seule et même chose. Donc, ressort la troisième
raison d’appropriation: l’efficience au Père, l’exemplarité
au Fils, la finalité à l’Esprit Saint.
5. Du
principe premier et souverain découle tout pouvoir, du premier et
souverain exemplaire tout savoir, de la fin souveraine tout vouloir Il
est donc nécessaire que le premier soit tout-puissant, omniscient
et bienveillant. L’unité première et souveraine, revenant
sur elle-même par un retour complet et parfait est toute-puissante,
de même la vérité revenant sur elle-même est
omnisciente et la bonté revenant sur elle-même atteint la
plus haute bienveillance. Ces attributs sont appropriés parce qu’ils
insinuent un ordre. Car la volonté donne d’entrer préalablement
dans la connaissance, la volonté et la connaissance présupposent
une puissance et une vertu, car « pouvoir savoir, c’est un pouvoir»
Ce
raisonnement manifeste les appropriés, les personnes auxquelles
ils sont appropriés et la raison de ces appropriations. Les derniers
attributs, puissance, sagesse et volonté sont surtout ceux par lesquels
la sainte Ecriture glorifie la souveraine Trinité. II faut donc
en parler maintenant brièvement.
1.
Dieu est tout-puissant de telle sorte cependant que ne lui sont pas attribués
les actes coupables, comme mentir ou vouloir le mal, ni les actes pénaux,
(c’est-à-dire consécutifs au péché originel)
comme craindre et souffrir, ni l actes corporels ou matériels, comme
dormir et marcher, sinon par métaphore, ni les actes contradictoires,
comme pouvoir faire plus grand que soi, ou un autre Dieu égal à
soi, ou un infini en acte, et autres choses semblables car, comme dit Anselme:
« tout ce qui ne convient pas, fût-ce quelque chose de minime,
est impossible en Dieu ». Bien qu’il ne puisse faire ces choses,
Dieu est cependant tout-puissant proprement et parfaitement.
Explication
2.
Le premier principe est puissant d’une puissance qui est pure et simple.
C’est pourquoi l’adjectif distributif qu’on y ajoute « tout »
(toute puissance) concerne toutes ces choses pour les quelles pouvoir est
pouvoir purement et simple ment. Ces choses sortent d’une puissance à
la fois complète et ordonnée.
J’appelle
puissance complète celle qui ne peut défaillir ni succomber
ni manquer de quoi que ce soit. Or la puissance défaille en péchant,
succombe en souffrant, inclut l’indigence dans les actions corporelles.
La puissance divine, parce que souveraine et parfaite, ne vient donc pas
du néant, n’est subordonnée à rien et n’a besoin de
rien d’autre, et par là elle ne peut opérer d’actes coupables,
ni d’actes pénaux ni d’actes matériels. Et ceci parce qu’elle
est puissance complète.
3. Il
y a trois aspects selon lesquels la puissance peut être dite ordonnée
— selon
l’acte
— selon
l’aptitude du côté de la créature
— selon
l’aptitude du côté de la seule incréée.
Ce
qui est possible à la puissance sous le premier aspect est non seulement
possible mais actuel.
Ce
qui est possible à la puissance sous le deuxième aspect et
non sous le premier, est possible pure ment et simplement bien que non
actuel.
Ce
qui est possible à la puissance sous le troisième aspect,
et non sous le premier et le deuxième, est possible à Dieu
mais impossible à la créature.
Ce
qui n’est possible sous aucun des aspects précédents, comme
par exemple ce qui répugne directement à l’ordre selon les
raisons et les causes primordiales et éternelles est impossible
purement et simplement: que Dieu fasse un infini en acte, qu’il fasse qu’un
être Soit en même temps qu’il n’est absolument pas, qu’il fasse
que ce qui a été n’ait pas été, et autres choses
semblables. Pouvoir ainsi est contre l’ordre et la perfection de la puissance
divine.
De
ceci apparaît tout ce qui a trait à la puissance divine. Il
apparaît aussi ce qui doit être appelé possible purement
et simplement, et impossible purement et simplement. Il apparaît
enfin que l’impossibilité de faire certaines choses ne contredit
pas la vraie toute-puissance.
.
Enoncé
En
effet, en tant qu’elle connaît tous les possibles, on l’appelle science
ou connaissance,
En
tant qu’elle connaît tout ce qui arrive dans l’univers, on l’appelle
vision,
En
tant qu’elle connaît tout ce qui est bien, on l’appelle approbation,
En
tant qu’elle connaît tout ce qui arrivera, on l’appelle prescience
ou prévision,
En
tant qu’elle connaît tout ce que Dieu fera, on l’appelle disposition,
En
tant qu’elle connaît tout ce qui est digne de récompense,
on l’appelle prédestination,
En
tant qu’elle connaît tout ce qui mérite d’être condamné,
on l’appelle réprobation.
2. Or,
elle n’est pas seulement connaissance, mais aussi raison du connaître.
Donc, en tant qu’elle est raison de connaître toutes les choses connues,
on l'appelle lumière.
En
tant qu’elle est raison de connaître les choses vues et approuvées,
on l’appelle miroir.
En
tant qu’elle est raison de connaître les choses prévues et
disposées, on l’appelle exemplaire.
En
tant qu’elle est raison de connaître les choses prédestinées
et réprouvées, on l’appelle livre de vie.
Le
livre de vie se rapporte donc aux choses en tant qu’elles retournent à
Dieu.
l’exemplaire, en tant qu’elles sortent de lui, le miroir, en tant qu’elles se passent devant la lumière se rapporte à toutes les choses.
A
l’exemplaire se rapporte l’idée, le verbe, l’art et la raison l’idée
selon l’acte qui prévoit, le verbe selon l’acte qui propose, l’art
selon l’acte qui réalise,
la
raison selon l’acte qui achève, parce que s’y ajoute l’intention
de la fin.
Mais
parce que tous ces actes sont un en Dieu, l’un est fréquemment pris
pour un autre.
3. Et bien que la sagesse divine en raison de la diversité des objets de connaissance soit assortie de divers noms, elle n’est cependant pas diversifiée pour une raison intrinsèque. Car elle connaît infailliblement les contingents, immuablement les choses sujettes au changement, les futurs comme étant présents, éternellement les choses temporelles, les choses dépendantes d’une manière indépendante, les choses créées d’une connaissance incréée, les choses autres qu’elle-même, en elle-même, et par elle-même.
Et
puisque la sagesse divine connaît les contingents infailliblement,
la liberté et la possibilité qu’a la volonté créée
de changer ses décisions existent en même temps que la prédestination
et la prescience.
Explication
4.
Le premier principe, par le fait qu’il est premier et souverain, possède
une connaissance à la fois simple et parfaite.
Parce
que cette connaissance est parfaite, elle connaît toutes choses distinctement
sous toutes les conditions que les choses ont ou peuvent avoir. Elle connaît
donc les futures comme futures, les présentes comme présentes,
elle sait les choses bonnes qui doivent être récompensées
et les mauvaises réprouvées. De là, elle est assortie
de divers noms selon qu’il a été dit plus haut.
5. Mais
la perfection de la sagesse subsiste avec la souveraine simplicité.
De là, elle connaît toutes les choses autres qu’elle-même,
en elle-même et par elle-même.
Il suit de là qu’elle connaît les choses créées d’une manière incréée, les choses qui dépendent d’autres, d’une manière indépendante,
les choses temporelles dans l’éternité,
les futures dans le présent,
les choses sujettes au changement, immuablement,
les
contingents infailliblement.
6. Ainsi
les contingents, demeurant contingents, n’en sont pas moins infailliblement
prévus par la sagesse divine, tant les contingents qui sont soumis
à la nature que ceux qui sont soumis à la liberté
de la volonté humaine.
De
là, celui qui veut comprendre vraiment comment demeurent en même
temps la liberté de la volonté créée et l’infaillibilité
de la prédestination éternelle, doit commencer à résoudre
le dernier degré puis remonter les sept degrés susmentionnés
jusqu’à la première proposition que nous avons établie,
à savoir que le premier principe connaît parfaitement toutes
choses par lui-même, ce qui est certainement vrai. A partir de cette
proposition, se conclut par un raisonnement infaillible tout ce qui a été
dit plus haut.
7. De
même que la certitude de la connaissance divine coexiste avec la
contingence des choses connues, parce que la sagesse divine est à
la fois simple et parfaite, ainsi, pour la même raison, l’unité
de la sagesse divine demeure en même temps que la diversité
des raisons et des idées. En effet, la sagesse divine est parfaite,
elle connaît donc distinctement toutes choses et chacune, les représente
toutes distinctement et parfaitement. On dit donc qu’elle possède
de chacune, des raisons et des idées comme similitudes parfaitement
expressives de ces choses.
Parce
que la sagesse divine est simple, toutes ces similitudes sont une en elle.
Il s’ensuit que de même que Dieu, par sa puissance une, produit dans
le temps, tous les êtres selon leur parfaite intégrité,
ainsi en une unique vérité exprime-t-il toutes choses éternellement.
Et de même qu’en Dieu très-haut et tout-puissant, une est
l’opération active considérée en elle-même,
cependant on dit qu’il y a plusieurs productions à cause de la pluralité
des choses produites; ainsi une est la vérité de l’acte unique
d’intelligence en Dieu et cependant on distingue plusieurs similitudes,
idées et raisons, à cause de la pluralité des choses
pensées ou existantes, ou futures ou possibles. Ces raisons ou idées,
bien qu’elles soient une vérité, une lumière et une
essence, ne sont pas cependant appelées une seule raison, ou une
seule idée. En effet, dans l’ordre de la connaissance, la raison
ou l’idée est ainsi appelée pour autant qu’elle se rapporte
à un objet, car elle désigne la similitude de la chose connue.
Cette similitude est réellement en Dieu, bien que dans l’ordre de
la connaissance elle semble appartenir au monde idéal.
8. Si
l’on recherche quelque chose de semblable dans la créature, on devra
y renoncer, car il faut dire que cela est propre à cet exemplaire
divin. Comme on l’a dit, il est à la fois simple, infini et parfait.
Cela étant compris, tout le reste suit par voie de conséquence.
Car parce que cet exemplaire est simple et parfait, il est donc acte pur.
Et parce qu’il est infini et immense, il est donc en dehors de tout genre.
C’est pourquoi cet exemplaire, alors qu’il est un, peut devenir la similitude
expressive de tous les autres êtres.
1.
La volonté de Dieu est droite de sorte qu’elle ne peut dévier
en aucune manière. Elle est efficace au point que rien ne peut l’entraver.
Elle est une, de telle sorte cependant qu’elle puisse être signifiée
de multiples façons.
2. La
volonté divine, qui est volonté de bon plaisir, est signifiée
par la volonté de l’un de ces cinq signes différents qui
sont: l’ordre, la défense, le conseil, l'accomplissement et la permission.
Tout ce qui arrive dans l’univers est disposé par la volonté
de bon plaisir selon ces cinq signes, « car la volonté de
Dieu est cause première et souveraine de toutes les formes et motions.
Rien n’arrive visiblement et sensiblement dans cette vaste et immense république
de la création qui ne soit ou ordonné ou permis depuis la
cour intérieure et invisible et intelligible de l’empereur suprême,
selon l’ineffable justice des récompenses et des peines, des grâces
et des rétributions» .
3. Et
parce que cette volonté, réglée par la rai-. son est
appelée providence, tout ce qui arrive dans l’univers est fait et
réglé par la divine providence qui est par-dessus tout irrépréhensible
parce qu’elle n’ordonne, ne défend ou ne conseille rien que de juste,
ne fait rien que de bon, ne permet rien d’in juste.
Explication
4. Le
premier principe, souverainement noble, possède une volonté
et la possède de manière noble. Or, de soi, la volonté
signifie ce par quoi, dans les êtres qui agissent selon leur propos,
est observée la règle de la rectitude et est obtenu l’efficace
de l’opération. Donc, la volonté en Dieu est droite et efficace.
Elle est droite parce qu’en Dieu volonté et vérité
sont une seule et même chose. Elle est efficace, parce qu’en Dieu
volonté et puissance sont aussi une seule et même chose.
La
volonté divine ne peut faillir à la vérité.
Elle est donc non seulement droite, mais elle est règle de rectitude.
Elle
ne peut non plus manquer de puissance. Elle est donc non seulement efficace,
mais source et origine de toute efficacité. Ainsi, rien sans elle
ne peut être fait, rien ne peut arriver contre elle, rien n’existe
qui puisse l’entraver.
5. Elle
est droite. Rien donc ne peut être droit qui ne lui soit conforme”.
Mais rien ne peut lui être conformé si cette volonté
ne se fait connaître. Il a donc fallu que la volonté divine
nous soit connue comme règle de rectitude.
Or,
il est une rectitude de nécessité, celle qui fait le bien
nécessaire et évite le mal. Il est une rectitude de perfection,
celle qui surajoute à ce qui est dû. Cette rectitude nous
est connue par un triple signe, l’ordre, la défense et le conseil.
Cela signifie que le bon plaisir divin accepte comme juste ce qui arrive
selon le précepte divin, ce qui est omis en raison de la défense
divine, ce qui est accompli selon le conseil divin. Ces signes sont les
infaillibles signes de la volonté divine en tant qu’elle est la
règle de toute rectitude.
6. La
volonté divine est efficace. Personne ne peut absolument rien faire
sans qu’elle opère et agisse en même temps. Personne ne peut
défaillir ou pécher sans en être abandonné justement.
En ce sens, deux signes existent, l’accomplissement, qui est signe de la
volonté efficiente et la permission qui est signe de la volonté
à bon droit délaissante. Elle délaisse justement car
il est juste qu’elle ad ministre les choses qu’elle a créées
sans pour au tant enfreindre les lois qu’elle a édictées.
Ainsi coopère-t-elle « aux choses qu’elle a créées
en les laissant agir de leurs propres mouvements ». Donc, si elle
laisse faillir dans le mal le libre-arbitre capable de se tourner par la
loi de nature vers le bien ou le mal, elle ne le permet qu’en toute justice.
7. En
outre, si la volonté divine prévient et sou tient par la
grâce, elle ne fait injure à personne. Elle n’agit donc pas
injustement ni en justice absolue selon l’exigence des mérites,
car les mérites n’y suffisent pas, mais gratuitement et avec miséricorde
et de quelque façon avec justice, en tant que cela provient de la
convenance de sa bonté.
Donc,
lorsqu’elle damne et réprouve, elle opère selon la justice,
lorsqu’elle prédestine, elle opère selon la grâce et
la miséricorde qui n’exclut pas la justice car tous, appartenant
à la masse de perdition, devaient être damnés. Plus
nombreux sont les réprouvés que les élus, pour montrer
que le salut vient d’une grâce spéciale et la damnation de
la justice commune. Nul donc ne peut se plaindre de la volonté divine,
car elle fait tout avec rectitude. Bien plus devons-nous rendre grâces
et honneur à l’ordonnance de la providence divine.
Si
quelqu’un se demande pourquoi la grâce est donnée plus largement
à un pécheur qu’à un autre, il faut imposer silence
à la loquacité humaine et s’exclamer avec l’Apôtre:
« O abîme de la riches se, de la sagesse et de la science de
Dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles!
Qui en effet a jamais connu la pensée du Seigneur? Qui en fut jamais
le conseiller? Ou bien qui l’a prévenu de ses dons pour devoir être
payé de retour? Car tout est de lui et par lui et pour lui. A lui
soit la gloire éternellement! Amen »
Enoncé
La totalité de la machine du monde a été produite dans l’être, dans le temps, et de rien, par un unique premier Principe, seul et souverain, dont la puissance, bien qu’incommensurable a disposé « toutes choses dans un certain poids et nombre et mesure ».
2. Il
faut entendre dans leur sens général, ces affirmations touchant
la production des choses: à partir d’elles peut se conclure la vérité
et se dissiper l’erreur.
En
disant: dans le temps, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité
du monde.
En
disant: de rien, on exclut l’erreur de ceux qui professent l’éternité
de la matière.
En
disant: par un unique principe, on exclut l’erreur des Manichéens
qui proposent la pluralité des principes.
En
disant: seul et souverain, on exclut l’erreur de ceux qui professent que
Dieu a produit les créatures inférieures par le ministère
des intelligences.
En
ajoutant: dans un certain poids et nombre et mesure, on montre que là
créature est l’oeuvre de la Trinité sous une triple causalité:
efficiente, d’où la créature reçoit l’unité,
le mode et la mesure exemplaire, par laquelle se trouve dans la créature,
la vérité, la beauté et le nombre; finale, par laquelle
se trouve dans la créature, la bonté, l’ordre et la pesanteur.
Et
tout cela se retrouve dans toutes les créatures comme vestiges du
Créateur, soit dans les choses corporelles, soit dans les choses
spirituelles, soit dans les choses à la fois corporelles et spirituelles.
3.
Explication
Pour
que l’ordre des choses soit parfait et définitif, il faut que toutes
choses soient reconduites à un seul principe. Ce principe doit être
le premier pour donner aux autres leur existence, il doit être le
plus parfait pour les conduire à leur achèvement.
Or
ce premier principe en qui se trouve l’existence ne peut être qu’unique.
S’il crée le monde, il ne peut le créer à partir de
lui-même, il le crée donc de rien.
De
plus, la production « de rien » signifie l’être après
le non-être pour ce qui est produit et, pour le principe, l’infinité
de la puissance créatrice. Parce que cela n’appartient qu’à
Dieu seul, le monde a été nécessairement produit dans
le temps par cette puissance sans limite, agissant par elle-même
et immédiatement.
4. En
outre, parce que le principe parfait dont découle la perfection
de toutes choses, agit nécessairement par lui-même, selon
lui-même et pour lui-même — il n’a besoin de rien en agissant
hors de lui —, il faut qu’il ait à l’égard de toute créature
un dessein selon la triple causalité efficiente, exemplaire et finale.
Il faut aussi que toute créature puisse être comparée
à la cause première selon cette triple causalité.
Toute créature, en effet, est constituée dans l’être
par la cause efficiente, elle est conformée à l’exemplaire,
elle est ordonnée à une fin.
Par
là, elle est une, vraie et bonne; conforme, belle et ordonnée;
mesurée, distincte et pesante (la pesanteur est, en effet, une tendance
ordonnée). Tout ceci s’applique en général à
toute créature corporelle, incorporelle, ou composée de corps
et d’esprit comme l’est la nature humaine.
Enoncé
La
nature corporelle a été produite en six jours, de sorte qu’au
commencement, avant tout temps, Dieu créa le ciel et la terre Le
premier jour a été formée la lumière; le deuxième
jour, le firmament a été créé au milieu des
eaux; le troisième jour, les eaux ont été séparées
de la terre et amassées en un seul lieu; le quatrième jour,
le ciel a été orné de luminaires; le cinquième
jour, les airs et les eaux ont été peuplés d’oiseaux
et de poissons; le sixième jour, la terre a été peuplée
d’animaux et d’hommes; le septième jour, Dieu se reposa, non pas
de son travail et de son oeuvre, car il continue toujours d’agir, mais
il s’arrêta de produire de nouvelles espèces. Il avait fait
toutes choses, soit dans leur prototype, ainsi les choses qui se propagent
par génération, soit dans leur raison séminale, ainsi
les choses qui viennent à l’être autrement.
2.
Explication
Les choses viennent du principe premier et par fait. Or, ce principe est tout-puissant, infiniment sage et souverainement bienveillant. Il fallait donc que les choses viennent à l’être de façon que dans leur création éclate cette triple perfection. L’opération divine a donc revêtu une triple forme dans la production du monde:
la création qui, par appropriation, répond à la toute-puissance, la distinction qui répond à la sagesse,
l’ornement qui répond à la bonté très généreuse.
Et
parce que la création est à partir de rien, elle a donc été
au commencement, avant tout temps, comme fondement de toutes les choses
et de tous les temps.
3. En
outre, parce que la distinction des corps peut être considérée
selon un triple aspect, elle a donc été accomplie en trois
jours. Elle est, en effet, distinction de la nature lumineuse, de la nature
limpide et de la nature opaque: ceci eut lieu le premier jour, dans la
division de la lumière et des ténèbres. Elle est aussi
distinction entre les natures limpides: ceci eut lieu le deuxième
jour, dans la division des eaux avec les eaux. Elle est enfin distinction
entre la nature limpide et la nature opaque: ceci eut lieu le troisième
jour, dans la division des eaux et de la terre. Ainsi comprend-on implicitement
la distinction entre les cieux et les éléments, comme on
l’expliquera plus loin. Ainsi donc, cette distinction a dû se faire
en trois jours.
4. L’ornement
correspond à la distinction. Il a donc été semblablement
achevé en trois jours. Il est, en effet, ornement de la nature lumineuse:
ceci eut lieu le quatrième jour dans la formation des étoiles,
du soleil et de la lune. Il est aussi ornement de la nature limpide: ceci
eut lieu le cinquième jour, lorsque les eaux produisirent les poissons
et les oiseaux pour l’ornement des eaux et des airs. Il est enfin ornement
de la nature opaque, c’est-à-dire de la terre: ceci eut lieu le
sixième jour, lorsque furent créés les animaux et
les reptiles et lorsque fut créée, pour l’achèvement
de toutes choses, la nature humaine.
5. Toutes
ces choses, Dieu aurait pu les faire en un instant. Il préféra
cependant les créer dans la succession des temps et ceci pour trois
raisons. Tout d’abord, pour donner une représentation distincte
et claire de sa puissance, de sa sagesse et de sa bienveillance. Ensuite,
pour établir une correspondance convenable entre les jours du temps
et les opérations. Enfin, comme dans la création du monde,
les semences devaient être jetées des oeuvres à venir,
de même devaient être préfigurés les temps futurs.
Ainsi,
dans ces sept jours, la distinction de tous les temps était en germe;
on l’explique par le déroulement des sept âges. C’est pour
cela qu’aux six jours d’opération est ajouté le septième
jour de repos. L’Ecriture ne dit pas que ce jour ait eu un soir. Ce n’est
pas que ce jour n’ait pas été suivi d’une nuit, mais c’est
pour préfigurer le repos des âmes qui n’aura jamais de fin.
Si l’on dit, par contre, que toutes les choses ont été faites
en même temps, on réfère les sept âges à
un point de vue angélique. Cependant, la première manière
de parler est plus conforme à l’Ecriture et aux autorités
des saints qui ont précédé et suivi le bienheureux
Augustin.
La
nature corporelle, dans sa totalité, est tout entière dans
les cieux et dans les éléments.
De
sorte que la nature céleste est divisée en trois ciels principaux,
l’empyrée, le cristallin et le firmament.
Dans
le firmament, qui est le ciel étoilé, se trou vent les sept
orbites des sept planètes: Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus,
Mercure et Lune.
Dans
la nature élémentale, on distingue les quatre sphères
du feu, de l’air, de l’eau et de la terre. Ainsi, en allant du sommet du
ciel au centre de la terre, on trouve dix mondes célestes et quatre
sphères élémentales, par quoi est constitué
dans son intégralité, distinctement, parfaitement et avec
ordre, le monde sensible tout entier.
2.
Explication
La
nature corporelle, pour être parfaite et pour exprimer la sagesse
multiforme du premier principe, requiert une multiplicité de formes,
comme on le voit chez les minéraux, les plantes et les animaux.
Il était donc nécessaire de créer quelques corps simples
qui puissent se mélanger de façon multiple pour introduire
une multiplicité de formes. Telle est la nature sujette à
la combinaison des contraires, la nature élémentale. Il était
nécessaire aussi qu’il y ait une nature par laquelle ces contraires
puissent être conciliés dans un composé. Cette nature,
libre de toute contrariété, est celle de la lumière
et du corps supracéleste
3. Et
parce que le mélange ne peut se faire que par des contraires actifs
et passifs, il a donc fallu une double contrariété dans les
éléments, dans les qua lités actives qui sont le chaud
et le froid, et dans les qualités passives qui sont l’humide et
le sec. Et parce que chaque élément agit et subit, il possède
donc deux qualités, l’une active et l’autre passive de façon
cependant que l’une soit principale et propre. Ainsi, n’y a-t-il que quatre
éléments correspondant aux quatre qualités précédentes,
combinées de façon quadruple.
4. La
nature céleste est soit uniforme et immobile, c’est l’empyrée,
qui est pure lumière; soit mobile et multiforme, c’est le firmament;
soit mobile et uniforme, c’est le ciel moyen entre l’empyrée et
le ciel étoilé, le ciel cristallin. La quatrième combinaison
qui serait multiforme et immobile est impossible car la multiplicité
donne la variété au mouvement et non le repos uniforme.
5. Il
y a trois ciels, dont le premier est tout entier lumineux, l’empyrée;
le deuxième tout entier clair, le cristallin; le troisième
lumineux et clair, le firmament. Donc, puisqu’il y a trois ciels incorruptibles
et quatre éléments variables, pour que s’établisse
la connexion nécessaire, la concorde et la correspondance, Dieu
a disposé sept orbites de planètes pour que, par la variété
de leurs mouvements et l’incorruptibilité de leurs formes, elles
soient comme un certain lien et un assemblage entre les orbites des éléments
inférieurs et celles des corps célestes supérieurs
pour achever et orner l’univers. Cet uni vers est ordonné selon
des proportions numériques et se compose des dix orbites célestes
et des autres éléments qui le rendent proportionnellement
aussi beau que parfait et ordonné de façon qu’à sa
manière, il représente son principe.
Cependant,
ils ne servent pas de signes aux temps et ne gouvernent pas les opérations
au point d’être les signes certains des futurs contingents et d’in
fluer sur le libre-arbitre par la force des constellations, ce que certains
philosophes ont appelé le « fatum »
2.
Explication
Dans
les corps célestes, en raison de leur proximité avec le premier
principe, il y a lumière, mouvement, chaleur, force: lumière
à cause de sa forme et de sa beauté, mouvement en raison
de l’influence d’en-haut, chaleur par rapport à la nature inférieure
qui la reçoit, force en raison de tout ce qui vient d’être
dit.
Ceci
étant, les corps célestes servent, par la lumière
et le mouvement, à la distinction des temps, à savoir: du
jour selon la lumière du soleil et le mouvement du firmament, du
mois selon le mouvement de la lune dans son chemin elliptique, de l’année
selon le mouvement du soleil dans le même chemin, des saisons selon
le mouvement des diverses planètes, leur opposition et leur conjonction,
leur ascension et leur descente, leur disparition et leur repos, qui donnent
naissance à la diversité des saisons.
3. Par
leur force et leur chaleur, les corps célestes influent sur la production
des choses qui naissent à partir des éléments, en
les excitant, en les poussant et en les unissant. Ainsi, selon une conciliation
inégale des contraires, ils influent sur les minéraux selon
une conciliation moins inégale, ils influent sur les végétaux;
selon une conciliation presque égale, ils influent sur les animaux;
selon une conciliation égale, ils influent sur les corps humains
qui sont faits pour la forme la plus noble, l’âme raisonnable, laquelle
est ordonné et se termine le désir de toute la nature sensible
et corporelle. Par l’âme raisonnable qui est une forme existante,
vivante, sensible et intelligente, toute la nature sensible et corporelle
est ramenée, à la manière d’un cercle intelligible,
à son principe dans lequel elle trouve sa perfection et sa béatitude.
4. Et
parce que l’âme raisonnable tend à cela par son libre-arbitre,
elle dépasse en perfection toute puissance corporelle en raison
de la liberté de son arbitre. A cause de cela, toutes choses sont
faites pour la servir. Rien ne peut la dominer sinon Dieu seul et non pas
le « fatum », ni quelque force venant de la position des astres.
5. Ainsi,
il est indubitablement vrai que nous sommes la fin de toutes choses qui
existent. Toutes les choses corporelles sont faites pour le service de
l’homme, de sorte que par toutes ces choses, l’homme est poussé
à aimer et à louer l’auteur des mondes, dont la providence
a disposé toutes choses.
Cet
univers sensible des choses corporelles est donc une maison édifiée
pour l’homme par le souverain artisan jusqu’à ce qu’il rejoigne
la demeure qui n’est pas faite par des mains d’homme et qui est dans les
cieux. De la sorte, comme l’âme, en raison du corps et de l’état
de mérite, se trouve maintenant sur terre, ainsi plus tard, le corps,
en raison de l’âme et de l’état de récompense, sera
dans les cieux.
De
tout ce qui a été dit, il faut conclure que, comme Dieu a
créé les choses avec ordre dans le temps et les a disposées
avec ordre dans l’espace, il les gouverne aussi avec ordre dans leur influence.
C’est avec le même ordre que l’Ecriture nous en donne une doctrine
suffisante, bien qu’elle ne décrive pas si explicitement la distinction
des orbites célestes et élémentales et qu’elle dise
peu de choses ou rien des mouvements et des formes des corps supérieurs
et des mélanges entre les éléments et les composés.
Qui plus est, elle ne raconte rien explicitement de la création
des esprits supérieurs parce qu’elle décrit surtout notre
univers parvenant à l’être.
2.
Explication
Le
premier principe se fait connaître à nous par l’Ecriture et
par la créature. Par le livre de la créature, il se manifeste
comme principe effectif; par le livre de l’Ecriture, comme principe de
réparation. Le principe de réparation ne peut être
connu que s’il est connu aussi comme principe effectif. Donc, la sainte
Ecriture, bien qu’elle traite principalement des oeuvres de réparation,
doit néanmoins traiter de l’oeuvre de création en tant que
celle-ci conduit à la connaissance du premier principe créateur
et réparateur. L’Ecriture est donc la connaissance sublime et salutaire:
sublime, parce qu’elle traite du principe effectif, Dieu créateur;
salutaire, parce qu’elle traite du principe réparateur, le Christ
sauveur et médiateur.
3. Et
parce que l’Ecriture est sublime, en traitant du premier principe et être
souverain, elle ne s’abaisse pas à décrire les natures spéciales,
les mouvements, les forces et les différences des êtres. Mais
elle se tient dans une certaine généralité dans laquelle
est impliqué tout ce qui est spécial, en décrivant
la création du monde quant à la disposition et à l’in
fluence à l’égard de la nature lumineuse, opaque et limpide.
4. Le
premier principe dont traite l’Ecriture possède en soi un ordre
de nature en étant principe d’existence, un ordre de sagesse en
étant principe de disposition, un ordre de bonté en étant
principe d’influence; de sorte que l’ordre de la nature possède
la simultanéité et l’égalité, l’ordre de l’influence,
la supériorité et l’infériorité.
Donc,
pour insinuer l’ordre de la nature, l’Ecriture détermine comme il
convenait que Dieu opère: au commencement, avant le déroulement
du temps, cette triple nature fut produite du non-être à l’être,
lorsqu’il est dit: Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre
et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. Le mot « ciel » insinue
la nature lumineuse, le mot « terre », la nature opaque, le
mot « eaux », la nature limpide sujette à la contrariété
ou élevée au-dessus. La Trinité éternelle est
aussi insinuée, le Père par le mot « Dieu créateur
», le Fils par le mot « Principe », l’Esprit Saint par
le mot « Esprit de Dieu » Ainsi faut-il comprendre ce qui est
dit: Celui qui vit éternellement a créé tout ensemble.
Non qu’il ait créé dans le chaos d’une confusion absolue,
comme l’ont écrit les poètes, puisqu’il a produit cette triple
nature, la supérieure au sommet, la médiane au milieu, l’inférieure
en bas. Il ne l’a pas créée non plus dans l’être dans
une distinction absolue, puisque le ciel était parfait et la terre
vague, la nature moyenne comme tenant le milieu, n’ayant pas encore atteint
la distinction parfaite.
5. Pour
insinuer l’ordre de la sagesse dans la disposition des choses, l’Ecriture
détermine que cette triple nature ne fut pas en même temps
distincte et ornée. Mais selon l’exigence de cette triple nature
créée, elle fut distincte en trois jours et ornée
en trois autres jours. De sorte que, comme Dieu a créé au
commencement la nature triple simultanément au début du temps,
ainsi avec la succession du temps en une triple mesure temporelle, c’est-à-dire
en trois jours, Dieu a fait la triple distinction de la triple nature créée.
En trois autres jours, il a fait le triple ornement de la triple nature
distincte.
6. Pour
insinuer l’ordre de la bonté dans l’in fluence, l’Ecriture détermine
que cette triple nature a été placée dans le monde
selon sa dignité et son influence. La nature lumineuse ayant la
plus grande beauté, il lui revenait d’entourer toutes choses. La
nature opaque ayant moins de beauté, il lui revenait d’être
au centre. La nature limpide tenant le mi lieu, il lui revenait d’être
au milieu. Et parce que la nature limpide est commune à la nature
céleste et à la nature élémentale et qu’en
outre la nature lumineuse convient aux deux, il est donc dit juste ment
que le firmament a été créé au milieu des eaux,
non parce que les eaux qui sont au-dessus des cieux sont liquides, froides,
pesantes et corruptibles, mais parce qu’elles sont subtiles et incorruptibles,
limpides et élevées au-dessus de toute contrariété
et par là de nature céleste et devant se situer parmi les
natures célestes en raison de la dignité de leur forme.
7. Ces
eaux occupent cette place en raison aussi de leur forme et de leur influence.
En effet, toute action corporelle dans les choses inférieures tire
sa règle, son origine et sa force de la nature céleste. Puisqu’il
y a deux qualités actives, le chaud et le froid et qu’il y a un
certain ciel principalement influent et chaud, le ciel sidéral en
raison de sa luminosité, il convenait qu’un certain ciel influe
sur le froid, c’est le cristallin. Et comme le ciel sidéral, bien
qu’il influe pour créer la chaleur, n’est pas formellement chaud,
ainsi le ciel qu’on appelle aqueux ou cristallin, n’est pas essentiellement
froid.
De
là, lorsque les saints disent que les eaux sont placées là
pour réprimer la chaleur des corps supérieurs et autres choses
semblables, il faut l’en tendre non pas formellement, mais selon l’efficience
et l’influence.
La
production des créatures, selon l’ordre que nous venons de dire,
correspond à l’ordre de la sagesse créatrice et de la divine
Ecriture, car elle est la science sublime.
8. En
outre, I’Ecriture est la science salutaire. Elle ne traite donc de l’oeuvre
de création qu’en vue de l’oeuvre de réparation. Et parce
que les anges ont été ainsi créés qu’ils n’ont
pas été rachetés après leur chute, comme on
le dira plus loin, l’Ecriture, si on la prend à la lettre, se tait
donc sur la chute et la création des anges, car leur chute ne devait
pas être suivie de réparation.
9. Parce
qu’il ne convenait pas à la sublimité de l’Ecriture qu’elle
se taise absolument sur la création de la créature la plus
sublime, elle décrit donc la création des choses comme l’exige
la science sublime et salutaire, de façon cependant que, selon le
sens spirituel de l’Ecriture, toute la création décrite par
la lettre se rapporte spirituellement à la hiérarchie angélique
et ecclésiastique. Selon le sens spirituel, dans ces trois natures
sont décrites la hiérarchie angélique par le mot «
ciel », la hiérarchie ecclésiastique par le mot «
terre » et la grâce qui irrigue les deux hiérarchies
par le mot « eaux ».
10. En
outre, par les sept jours, on entend l’état septiforme de l’Eglise
dans le déroulement des sept âges On entend aussi la conversion
septiforme des anges, de la créature à Dieu.
Ainsi,
dans tout ce que l’on vient de dire, apparaît la suffisance et la
vérité de l’Ecriture dans les diverses opinions des saints,
Augustin et autres, opinions qui ne se contredisent pas, puisqu’elles sont
vraies si on les comprend bien.
2.
Enoncé
Les
anges possèdent, dès leur création, quatre qualités
— La
simplicité de l’essence,
— la
distinction des personnes,
— le
don de la raison avec mémoire, intelligence et volonté,
— et
enfin le libre-arbitre pour choisir le bien et rejeter le mal.
Ces
quatre qualités principales sont accompagnées
de
quatre autres
— la
virtuosité dans l’agir,
— l’empressement
dans le service,
— la
perspicacité dans le savoir,
— l’immutabilité
après le choix soit dans le bien, soit dans le mal.
3.
Explication
Le
premier principe, par le fait qu’il est premier, a produit toutes choses
à partir de rien, non seule ment ce qui est proche de rien, mais
aussi ce qui est proche de lui-même non seulement la substance éloignée
de lui comme l’est la substance corporelle, mais aussi celle qui est proche
de lui, la substance intellectuelle et incorporelle qui, par le fait qu’elle
est la plus semblable à Dieu, possède la simplicité
de la nature et la distinction des personnes afin de ressembler à
Dieu par la substance commune aussi bien qu’individuelle. Cette substance
possède aussi dans l’esprit l’image de la Trinité par la
mémoire, l’intelligence et la volonté. Elle possède
enfin la liberté de la volonté afin de ressembler à
Dieu par la puissance naturelle aussi bien qu’élective, la puissance
naturelle étant marquée par l’image de Dieu, la puissance
élective par la liberté de l’arbitre.
Cette
substance ne pourrait, en effet, en aucune façon, parvenir, de façon
méritoire, à la récompense glorieuse qui rend chacun
bienheureux, si elle ne possédait le libre-arbitre de la volonté.
Or, ceci ne peut être que dans une substance rationnelle accompagnée
de mémoire, d’intelligence et de volonté.
Là
où est la raison, il faut que soit, selon Boèce, «
la substance individuée d’une nature rationnelle » Il faut
aussi qu’il y ait substance spirituelle et incorporelle et, par là,
simple, sans aucune dimension quantitative.
4. Une
telle substance, par le fait qu’elle est simple, possède la virtuosité
dans l’agir. A cause de cette virtuosité et de sa distinction personnelle,
lui revient de servir dans une charge distincte. Du fait de sa simplicité
et de sa virtuosité, lui revient la perspicacité dans le
discernement. Par le fait qu’elle est simple et perspicace, ayant une intelligence
à l’image de Dieu, elle possède la stabilité après
le choix soit dans le bien, soit dans le mal.
Ces
conditions sont liées dans leur généralité
à la création des esprits supérieurs en général.
Dieu
a fait tous les anges bons se situant cependant entre lui, souverain bien,
et le bien relatif qui est celui de la créature: de sorte que s’ils
se tournent à aimer ce qui est au-dessus d’eux, ils s’élèvent
à l’état de grâce et de gloire. Si, par contre, ils
se tournent vers le bien relatif qui est au-dessous d’eux, ils se ruent
vers le mal de la faute et de la peine, car il n’y a as de honte du péché
sans la parure de la justice.
Lucifer,
premier entre les anges, présumant d’un bien personnel, a désiré
une puissance personnelle en voulant surpasser les autres. Il tombe donc
avec tous ceux qui pensaient comme lui. En tombant, il est devenu impénitent,
obstiné, aveuglé, exclu de la contemplation de Dieu, désordonné
dans l’agir, cher chant de toutes ses forces à faire tomber l’homme
par de multiples tentations.
2.
Explication
Le
premier principe étant souverainement bon, ne fait rien qui ne soit
bon, parce que du bien ne procède que le bien. Cependant, ce qui
est créé par lui, par ce fait, lui est inférieur et
donc ne peut être le souverain bien. L’ange fut donc créé
bon par Dieu, mais pas souverainement bon. Il pouvait cependant achever
sa perfection en tendant par amour vers le souverain bien.
3. Et
parce que, par le libre-arbitre de sa volonté, il pouvait tendre
vers le souverain bien ou se tourner vers un bien personnel, Lucifer, excité
par la considération de sa beauté et de sa grandeur, à
s’aimer lui-même et à aimer son bien personnel, présuma
de sa grandeur, désira une puissance propre qu’il n’avait pas. Par
là, en présumant ainsi, il se constitua à lui-même
son principe en se glorifiant lui-même; et en désirant ainsi,
il se Constitua à lui-même son souverain bien, en se reposant
sur lui-même. Comme il n’était ni le souverain principe, ni
le souverain bien, il fallait que par Cette ascension désordonnée,
il tombât et, pour la même raison, tous ceux qui pensaient
comme lui.
4. Et
parce qu’il n’y a pas de honte du péché sans la parure de
la justice, aussitôt donc, en tombant dans le péché
et avec lui, ses semblables, il perdit sa place souveraine, l’empyrée,
descendant au plus bas, dans l’air obscur, dans l’enfer, de sorte que sa
chute dans le péché étant l’oeuvre de son libre-arbitre,
sa chute dans la peine fut l’oeuvre du juge ment divin. Et parce qu’il
possédait l’immutabilité après le choix, il devint
immédiatement obstiné dans le mal, et par là, aveuglé
et ne voyant plus le vrai, désordonné dans son action et
affaibli dans sa puissance. Sa volonté impie et son action détournée
de Dieu, se tournèrent vers la haine et l’envie de l’homme. La perspicacité
de sa raison, privée de la vraie lumière, se tourna vers
les tromperies par les divinations et les impostures. Son office personnel
éloigné du vrai service se tourna vers les tentations. Sa
virtuosité amoindrie et rapetissée s’est tournée,
autant qu’il est permis, vers les merveilles qu’il opère par des
transmutations secrètes sur les créatures corporelles. Or,
parce que toutes ces choses sont désordonnées par la volonté
que l’orgueil a dépravée, il les convertit toutes à
exciter sa superbe, cherchant à être révéré
et admiré par les hommes à l’instar de Dieu. De là
vient qu’il fait mal toutes choses Cependant Dieu juste le permet maintenant
pour le châtiment des méchants et la gloire des bons, ainsi
qu’il apparaîtra au jugement dernier.
.
De
même que les anges qui se détournèrent de Dieu furent
aussitôt obstinés par impénitence, ceux qui se tournèrent
vers Dieu furent aussitôt confirmés par la grâce et
la gloire dans leur volonté, parfaite ment illuminés dans
leur raison selon la connaissance matutinale et vespérale, parfaitement
fortifiés dans leur force de commandement ou d’exécution
et parfaitement ordonnés dans leur action de contemplation ou de
service.
Et
ceci dans une triple hiérarchie: suprême, médiane et
inférieure. A la hiérarchie suprême, appartiennent
les Trônes, les Chérubins et les Séraphins. A la hiérarchie
médiane, les Dominations, les Vertus et les Puissances. A la hiérarchie
inférieure, les Principautés, les Archanges et les Anges.
Parmi eux tous, certains ont été envoyés en service
et délégués à la garde des hommes qu’ils servent
en les purifiant, les illuminant et les parachevant, selon les ordres du
vouloir divin.
2.
Explication
Les
anges, à cause de leur ressemblance expresse et de leur proximité
au premier et souverain principe, possèdent une intelligence déiforme
et l’immutabilité après le consentement donné par
le libre-arbitre. Recevant la grâce divine, tournés vers le
souverain bien, comme ils tendaient totalement vers Dieu, ils furent confirmés
par la gloire et également rendus parfaits. Ils furent, dans leur
volonté rendus stables et heureux, dans leur raison perspicaces,
au point de connaître les choses non seulement en elles-mêmes,
mais aussi dans l’art éternel et par là, ils n’acquirent
pas seulement la connaissance du soir, mais aussi celle du matin ou peut-être
du jour, à cause de la plénitude et de la pureté absolue
de cette lumière à l’égard de laque le toute créature
peut être appelée, à juste titre, ténèbre.
Dans leur virtuosité, ils ont été parfaitement fortifiés
soit dans le commandement, soit dans l’exécution, qu’ils revêtent
un corps ou non Dans leur action, ils ont été parfaitement
ordonnés, de sorte qu’ils ne pouvaient plus se désordonner
ni en s’élevant à la contemplation de Dieu, ni en s’abaissant
au service de l’homme, car en contemplant Dieu face à face , où
qu’ils soient envoyés, c’est toujours en Dieu qu’ils courent.
3. Ils
sont créés et agissent selon un ordre hiérarchique
commencé en eux par la nature et achevé par la gloire qui,
en stabilisant l’instabilité du libre arbitre, a illuminé
leur perspicacité, ordonné leur service et renforcé
leur virtuosité, selon les quatre qualités mentionnées
plus haut La perspicacité de la raison dans la contemplation se
rapporte principalement à la vénération de la majesté
divine, à la compréhension de la vérité ou
au désir de la bonté.
Dans
la première hiérarchie, se trouvent trois ordres, les Trônes
à qui revient la révérence, les Chérubins à
qui revient la sagesse, les Séraphins à qui revient la bienveillance.
A la
parfaite virtuosité correspond la force de commandement, la force
d’exécution et la force de combat”. La première revient aux
Dominations, la deuxième aux Vertus, la troisième aux Puissances,
dont le rôle est de repousser les puissances contraires.
Au
service parfait, revient le gouvernement, la révélation et
le relèvement. Les Principautés gouvernent, les Archanges
révèlent, les Anges soutiennent parce qu’ils gardent ceux
qui sont debout de peur qu’ils ne tombent et aident ceux qui sont tombés
à ressurgir.
Ainsi, il est évident que tout cela existe dans les anges plus ou moins, selon une gradation allant des plus hauts aux plus bas. Chaque ordre angélique doit tirer son nom de la charge plus spéciale qu’il a reçue.
Enoncé
L’âme
raisonnable est une forme existante, vivante, intelligente et jouissant
de liberté.
Forme
existante, c’est-à-dire, n’existant ni par elle-même, ni de
par la nature divine, mais créée dans l’être par Dieu,
de rien.
Forme
vivante, elle vit non par une nature extrinsèque, mais par elle-même,
non d’une vie mortelle mais d’une vie perpétuelle.
Forme
intelligente, elle connaît non seulement l’essence créée,
mais aussi l’essence créatrice à l’image de laquelle elle
a été faite mémoire, intelligence et volonté.
Forme
douée de liberté, elle est toujours libre de toute contrainte.
Dans l’état d’innocence, elle était libre de toute misère
et de toute faute, elle ne l’était plus dans l’état de nature
déchue. Or, cette liberté de toute contrainte n’est rien
d’autre qu’une faculté de la volonté et de la raison, qui
sont les puissances principales de l’âme
2.
Explication
Le
premier principe est souverainement bienheureux et bienveillant. Par sa
souveraine bienveillance, il communique à la créature sa
béatitude, non seule ment à la créature spirituelle
proche de lui, mais aussi à la créature corporelle et éloignée
de lui. Il la communique cependant à la créature corporelle
et éloignée d’une façon médiate, car la loi
de la divinité est que les choses d’en bas retournent au sommet
par les choses intermédiaires. Dieu n’a donc pas fait capable de
bonheur seulement l’esprit angélique et séparé, mais
aussi l’esprit conjoint, qui est l’esprit humain.
L’âme
raisonnable est donc une forme capable de béatitude. Or, parvenir
à la récompense de la béatitude n’est glorieux qu’en
raison du mérite et il n’y a mérite que dans ce qui est fait
volontairement et librement. Il fallait donc que le libre-arbitre soit
donné à l’âme raisonnable par l’éloignement
de toute contrainte, car il est de la nature de la volonté de ne
pouvoir être contrainte en aucune façon, bien que, par sa
fau te, elle se rende misérable et esclave du péché.
3. En
outre, forme apte à la béatitude, elle est capable de Dieu
par mémoire, intelligence et volonté en cela, elle est à
l’image de la Trinité à cause de l’unité dans l’essence
et de la trinité dans les puissances. Il fallait donc que l’âme
puisse connaître Dieu et toutes choses et, par là, qu’elle
soit marquée à l’image de Dieu.
Or,
parce qu’aucun bienheureux ne peut perdre la béatitude, rien ne
pouvait être capable de béatitude sans être incorruptible
et immortel. Il fallait donc que l’âme raisonnable soit vivante,
de par sa nature, d’une vie immortelle.
4. Enfin,
parce que tout être qui attend d’un autre la béatitude et
qui est immortel, est sujet au changement dans son être moral et
incorruptible dans son être, l’âme n’est donc pas elle-même,
elle n’est pas de la nature divine — puisqu’elle est sujette au changement
—; elle n’est pas non plus produite à partir d’autre chose, ni engendrée
par la nature, puisqu’elle est immortelle et incorruptible. Ainsi, cette
forme ne peut être introduite dans l’être par génération,
car tout ce que la nature engendre est par nature corruptible De ceci il
apparaît combien la fin de la béatitude impose nécessairement
les conditions indiquées à l’âme ordonnée à
la béatitude.
5. Parce
qu’elle est capable de béatitude, l’âme est immortelle. Donc,
lorsqu’elle est unie à un corps mortel, elle peut en être
séparée. Par là, elle est non seulement forme, mais
aussi substance singulière. Elle n’est donc pas unie au corps seulement
comme perfection, mais comme moteur. Ainsi, elle achève par son
essence ce qu’elle meut également par sa puissance. Or, parce qu’elle
ne donne pas seule ment d’être, mais aussi de vivre, de sentir et
de comprendre, elle possède donc une puissance végétative,
sensitive et intellective. Par la puissance végétative, elle
engendre, nourrit et fait croître; principe de quiddité dans
la génération, de qualité dans la nutrition, de quantité
dans la croissance “. Par la puissance sensitive, elle appréhende
les choses sensibles, retient ce qu’elle a appréhendé, compose
et divise ce qu’elle a retenu; elle appréhende par les cinq organes
extérieurs des sens qui correspondent aux cinq corps principaux
du monde, elle retient par la mémoire, compose et divise par l’imagination
qui est la première puissance d’association. Par la puissance intellective,
elle discerne le vrai, repousse le mal et recherche le bien; elle discerne
le vrai par la raison, repousse le mal par l’irascible, recherche le bien
par le concupiscible.
6. En
outre, parce que la connaissance est distinction du vrai, et que l’affectivité
est répulsion et attirance, l’âme entière est divisée
en connaissance et affectivité.
7. Allons
plus loin. La connaissance du vrai est double: elle est connaissance du
vrai comme vrai ou du vrai comme bien, elle est aussi connaissance du vrai
éternel, supérieur à l’âme, ou temporel, inférieur
à elle. De là, la puissance de connaissance, en tant qu’intelligence
et raison, se divise ainsi: l’intelligence en intelligence spéculative
et intelligence pratique, la raison en portion supérieure et portion
inférieure. Ce sont là fonctions diverses plutôt que
puissances distinctes
8. Enfin,
l’appétit peut se porter vers quelque chose de deux façons,
selon un instinct naturel ou selon une délibération et un
arbitre. Ainsi, la puissance affective se divise en volonté naturelle
et en volonté élective qui est la volonté proprement
dite. Parce qu’une telle élection est indifférente aux partis
qu’elle peut prendre, elle vient donc du libre-arbitre.
Cette
indifférence vient d’une délibération à laquelle
se joint la volonté. Le libre-arbitre est donc faculté et
de la raison et de la volonté, de sorte que, comme le dit saint
Augustin, il comprend toutes les puissances raisonnables que nous avons
mentionnées plus haut. Saint Augustin dit en effet: « Lorsque
nous parlons du libre-arbitre, nous ne parlons pas d’une partie de l’âme,
mais de l’âme tout entière.»
Du
concours de ces puissances, la raison faisant retour sur elle-même
et de la volonté l’accompagnant, naît l’intégrité
de la liberté qui est principe de mérite et de démérite,
selon que l’on choisit le bien ou le mal.
Le
corps du premier homme a été créé et formé
du limon de la terre de telle façon qu’il était sou mis à
l’âme et, à sa manière, doué de proportion.
Il étaie doué de proportion dans sa complexion harmonieuse,
dans son organisation belle et multiple et dans la droiture de sa stature.
Il était soumis, obéissant sans se rebeller, engendrant et
engendrable sans sensualité, plein de vie sans défaillance,
immuable et absolument incorruptible, car la mort ne l’atteignait pas.
A cause de cela, le paradis terrestre lui fut donné comme habitation
paisible.
La
femme a été formée d’une côte de l’homme pour
être sa compagne et l’aider dans la propagation sans péché.
Il
lui fut donné aussi l’arbre de vie, dont la végétation
était continue et qui le rendait parfaitement immuable d’une immortalité
perpétuelle.
2.
Explication
Le
premier principe est, dans la création, tout puissant, souverainement
sage et infiniment bon et il le manifeste d’une certaine façon dans
toutes les créatures. Il devait donc par-dessus tout le manifester
dans la dernière et la plus noble des créatures, l’homme,
qu’il produisit le dernier de toutes les créatures et en qui devait
apparaître et éclater la consommation des oeuvres divines.
3. Pour
que dans l’homme soit manifestée la puissance de Dieu, il fut créé
à partir des natures les plus distantes, en les unissant dans une
seule personne et nature. Ce sont le corps et l’âme dont le premier
est substance corporelle, l’autre l’âme, substance spirituelle et
incorporelle. Ces deux substances sont les plus distantes dans leur genre.
4. Pour
que se manifeste la sagesse de Dieu, le corps fut créé proportionné
à sa façon à l’âme. Donc, puisque le corps est
uni à l’âme comme à ce qui l’achève, le meut
et l’élève à la béatitude, pour qu’il soit
conformé à l’âme vivifiante, il reçut une complexion
harmonieuse non quant au poids ou à la masse, mais dans l’égalité
de la justice naturelle qui le dispose au mode de vie le plus noble. Pour
qu’il soit conformé à l’âme qui le meut, par la multiplicité
des puissances, il reçut une multiplicité d’organes pleins
de charmes, d’art et de conductibilité, comme on le voit dans le
visage et dans la main qui est l’organe des organes. Pour être conformé
à l’âme qui l’élevait vers le ciel, il reçut
la station debout et la tête dirigée vers le haut. Ainsi,
la rectitude du corps témoignait de la rectitude de l’esprit.
5. Enfin,
pour que soit manifestée dans l’homme la bonté et la bienveillance
de Dieu, l’homme fut créé sans aucune tache ni faute et sans
aucun châtiment ni misère. Car, comme le premier principe
est tout en même temps souverainement bon et juste, parce qu’il est
souverainement bon, il ne peut faire l’homme que bon, et, par là,
innocent et droit parce qu’il est souverainement juste, il ne peut lui
infliger de peine, car il n’avait absolument pas péché. Ainsi,
il donna ce corps à l’âme raisonnable pour qu’il lui soit
soumis et qu’il n’y ait en lui aucune lutte de rébellion, aucune
corruption de la mort. Ainsi, le corps était conforme à l’âme
de sorte que, comme l’âme était innocente et cependant pouvait
tomber dans la faute, le corps était impassible et cependant pouvait
tomber dans la peine. Il pouvait donc ne pas mourir et pouvait mourir Il
pouvait posséder la suffisance et tomber dans le besoin. Il pouvait
être soumis à l’âme et pouvait aussi entrer en rébellion
et en lutte avec elle.
6. C’est
pourquoi, dans cet état, le corps était tel qu’il pouvait
partager sa semence pour la propagation de la race avec l’être du
sexe féminin qui devenait également principe avec lui. Il
pouvait aussi consommer sa substance nutritive par l’action de la chaleur;
il pouvait néanmoins se restaurer en mangeant des arbres du paradis,
ses humeurs intérieures étant ainsi renouvelées ou
maintenues par l’arbre de vie. Cet arbre possédait la vertu d’être,
comme le dit Augustin non seulement nourriture mais aussi sacrement.
Donc,
l’incorruption et l’immortalité du corps d’Adam provenait: principalement
de l’âme comme d’une forme unificatrice et influente; du corps qui,
par sa complexion bonne et harmonieuse, était apte à la recevoir;
de l’arbre de vie qui le vivifiait et le nourrissait; enfin du gouvernement
de la divine providence qui le conservait du dedans et le protégeait
du dehors.
Il
a été donné à l’homme
— un
double sens, intérieur et extérieur, de l’es prit et de la
chair,
— un
double mouvement, impératif dans la volonté et exécutif
dans le corps,
— un
double bien, visible et invisible,
— un
double précepte, de nature et de discipline. Le précepte
de nature était: Croissez et multipliez; le précepte de discipline
était: Ne mangez pas de l’arbre de la science du bien et du mal.
Selon
quoi, il a été donné à l’homme une aide quadruple,
la science, la conscience, la syndérèse et la grâce
qu’il possédait en suffisance pour demeurer dans le bien et par
là avancer, et pour éviter le mal et éviter d’y tomber.
2.
Explication
Le
premier principe a fait ce mode sensible pour se manifester lui-même,
c’est-à-dire que par ce monde, comme par un miroir et un vestige,
l’homme doit remonter à Dieu créateur qu’il doit aimer et
louer. Selon quoi, il y a deux livres, l’un écrit intérieurement
qui est l’art et la sagesse éternelle de Dieu, l’autre écrit
au-dehors, le monde sensible. Donc, puisqu’il existait une créature
douée de sens interne pour connaître le livre intérieur,
c’était l’ange, et qu’il existait une autre créature douée
du sens extérieur, c’était chaque animal, la perfection de
l’univers de mandait qu’il existât une créature douée
de ce double sens pour connaître le livre écrit à l’intérieur
et au-dehors, c’est-à-dire la sagesse et son oeuvre. Et parce que
dans le Christ se trouve réunies la sagesse éternelle et
son oeuvre en une seule personne, il est appelé le livre écrit
au-dedans et au-dehors pour le salut du monde.
3. Parce
qu’à chaque sens correspond un mouvement, il a été
donné à l’homme un double mouvement: le premier selon l’impulsion
de la raison dans l’esprit, le second selon l’impulsion de la sensibilité
dans la chair. Il appartient au premier de commander, au second d’exécuter
selon la rectitude de l’ordre. Quand le contraire arrive, alors la rectitude
et le gouvernement de l’âme sont jetés hors de leur condition.
4. Parce
qu’à chaque mouvement et à chaque sens correspond une tendance
vers un certain bien, un double bien a été proposé
à l’homme: « le premier visible, le second invisible; le premier
temporel, le second éternel; le premier charnel, le second spirituel.
De ces biens, Dieu a donné l’un et promis l’autre, pour que le premier
soit possédé gratuitement et le second recherché par
le mérite ».
5. Parce
que ce bien est donné en vain s’il n’est pas gardé, et promis
en vain si l’on n’y parvient pas, un double précepte a été
donné à l’homme: le premier naturel pour garder le bien donné,
le second disciplinaire pour gagner le bien promis, qui ne peut être
mérité mieux que par la pure obéissance. L’obéissance
est pure quand le précepte oblige par lui-même et non pour
une autre raison. Un tel précepte est appelé précepte
disciplinaire parce qu’il enseigne par lui-même combien est grande
la puissance de l’obéissance qui, par son mérite, conduit
au ciel, et, par son mépris, précipite en enfer. Ce précepte
n’est pas donné à l’homme à cause du besoin qu’aurait
Dieu de l’hommage de l’homme, mais pour indiquer le moyen de mériter
la couronne par une pure et volontaire obéissance.
6. Parce
que l’homme, en raison de sa nature imparfaite, formée à
partir de rien et non confirmée par la gloire, pouvait tomber, le
Dieu très bienveillant lui a apporté une aide quadruple:
aide double de la nature et aide double de la grâce. Dieu a insufflé
une double rectitude à cette nature: l’une pour juger droitement,
c’est la conscience, l’autre pour vouloir droitement, c’est la syndérèse
dont le rôle est d’exciter contre le mal et de stimuler pour le bien.
Dieu a surajouté la double perfection de la grâce: celle de
la grâce gratis data qui était la science illuminant
l’intelligence pour se connaître elle-même, connaître
son Dieu et ce monde créé pour elle et celle de la grâce
gratum
faciens qui était la charité habilitant l’affectivité
à aimer Dieu par dessus tout et le prochain comme soi-même.
Ainsi,
avant la chute, l’homme possédait une nature parfaite, survêtue
aussi de la grâce divine. Par là, il résulte manifestement
que si l’homme est tombé, ce ne fut que par sa faute, car il a méprisé
l’obéissance.
De
tout ce que l’on vient de dire, on peut conclure que la création
du monde est semblable à un livre dans lequel éclate, est
représentée et est lue la Trinité créatrice
selon un triple degré d’expression par mode de vestige, d’image
et de ressemblance. L’idée de vestige se trouve dans toutes les
créatures l’idée d’image, dans les seules créatures
intelligentes ou esprits raisonnables; l’idée de ressemblance, dans
les seules créatures déiformes. Ainsi, comme par les degrés
d’une échelle, l’intelligence humaine est capable de s’élever
graduellement jusqu’au principe souverain, qui est Dieu.
2.
Explication
Toutes
les créatures ont un rapport et une dépendance vis-à-vis
de leur Créateur. Elles peuvent lui être comparées
d’une triple manière, soit comme au principe de création,
soit comme à l’objet qui les meut, soit comme au don qui les habite.
De la première manière, tout ce qui est fait lui est comparé,
de la seconde manière toute intelligence, de la troisième
tout esprit juste et agréable à Dieu.
Tout
ce qui est fait, si peu d’être ait-il, a Dieu pour principe. Toute
intelligence, si peu de lumière ait-elle, est capable de saisir
Dieu par la connaissance et l’amour. Tout esprit juste et saint possède
le don du Saint Esprit infus en lui.
3. La
créature ne peut avoir Dieu pour principe sans lui être configurée
selon l’unité, la vérité et la bonté. Elle
ne peut avoir Dieu pour objet sans le saisir par la mémoire, l’intelligence
et la volonté. Elle ne peut posséder Dieu comme don infus
sans lui être configurée par la foi, l’espérance et
la charité, qui sont le triple don. Or, la première conformité
est lointaine, la deuxième proche, la troisième toute proche.
On appelle donc la première vestige de la Trinité, la deuxième
image, et la troisième ressemblance.
4. L’esprit
raisonnable tient donc le milieu entre la première et la dernière;
la première est inférieure, la deuxième intérieure,
la troisième supérieure. Donc, dans l’état d’innocence,
lorsque l’image n’était pas viciée, mais rendue déiforme
par la grâce, le livre de la créature suffisait, dans lequel
l’homme pouvait s’exercer lui-même à saisir la lumière
de la sagesse divine. De sorte qu’il était si sage qu’il voyait
toutes choses en lui-même, qu’il les voyait en elles-mêmes
et qu’il les voyait dans l’art éternel, par le fait que les choses
ont un triple être, l’être dans la matière, c’est-à-dire
dans leur nature propre, l’être dans l’intelligence créée
et l’être dans l’art éternel, ainsi que le dit l’Ecriture,
Dieu dit: « Que soit, il fit et ce fut fait ».
5. A
cause de cette triple vision, l’homme a reçu un triple regard comme
le dit Hugues de Saint Victor un regard de chair, un regard de raison et
un regard de contemplation: le regard de chair pour voir le monde et tout
ce qui est dans le monde, le regard de raison pour voir l’esprit et tout
ce qui est dans l’esprit, le regard de contemplation pour voir Dieu et
tout ce qui est en Dieu. Ainsi, par le regard de chair, l’homme voit les
choses qui sont hors de lui, par le regard de raison les choses qui sont
en lui, par le regard de contemplation les choses qui sont au-dessus de
lui. Ce regard de contemplation n’atteint la perfection de son acte que
dans la gloire, s’il perd par la faute et récupère par la
grâce, la foi et la connaissance des Ecritures. Par elles l’esprit
humain est purifié, illuminé et perfectionné pour
contempler les choses célestes.
L’homme
déchu ne peut y parvenir sans d’abord reconnaître ses défauts
et ses propres ténèbres. Il ne peut le faire qu’en considérant
et en observant la ruine de la nature humaine.
.
Enoncé
Le
péché n’est pas une essence, mais une défaillance
et une corruption qui affecte le mode, l’espèce et l’ordre dans
la volonté créée Ainsi, la corruption du péché
est contraire au bien lui-même, elle n’a cependant d’être que
dans le bien, elle ne tire son origine que d’un bien, ce qu’est certes
le libre-arbitre de la volonté. Celui-ci n’est pas souverainement
mauvais puisqu’il peut vouloir le bien, il n’est pas souverainement bon
puisqu’il peut tomber dans le mal.
Explication
2. Le
premier principe, étant l’être par lui-même et non par
un autre, doit nécessairement être sa propre fin, donc souverainement
bon, sans aucun défaut. Il n’y a pas et ne peut y avoir un mal premier
et souverain, car premier principe signifie suprême perfection, et
souverain mal signifie défaut extrême. Donc, puisque le premier
principe, être suprême et parfait, ne peut défaillir
ni dans l’être ni dans l’agir, il n’est pas le mal souverain, ni
un mal quelconque, et ne peut en aucune façon être le principe
du mal.
Cependant,
étant tout-puissant, il peut conduire le bien du non-être
à l’être même sans appui d’aucune matière. Ce
qu’il fit lorsqu’il forma la créature à laquelle il donna
l’être, l’intelligence et la volonté. La créature,
oeuvre du souverain bien a été créée selon
une triple causalité; elle a dans sa substance et dans sa volonté
un mode, une espèce et un ordre. Elle a été faite
pour accomplir ses oeuvres par Dieu, selon Dieu et pour Dieu, selon le
mode, l’espèce et l’ordre mis en elle.
3. Créée
à partir du néant et donc déficiente, elle pouvait
défaillir de son agir-pour-Dieu au point d’agir pour elle-même
et non pour Dieu, et par là même ni par Dieu, ni selon Dieu,
ni pour Dieu. Ceci est le péché qui est corruption du mode,
de l’espèce et de l’ordre. Etant un défaut, il n’a pas de
cause efficiente, mais il a une cause déficiente, le défaut
de la volonté créée.
4. Le
péché étant corruption n’est corruption que du bien.
Or, toute corruption se trouve dans une chose corruptible; le péché
ne se trouve donc que dans le bien. Ainsi, puisque la volonté libre
cor rompt en elle-même le mode, l’espèce et l’ordre en défaillant
du vrai bien, tout péché en tant que tel provient de la volonté
comme de sa source première et se trouve dans la volonté
comme dans son propre sujet. C’est ce que fait la volonté quand,
par sa faillibilité, sa mutabilité et sa versatilité,
elle méprise le bien sans défaut et immuable et s’attache
au bien changeant.
5. De
ceci résulte que le « péché n’est pas recherche
des choses mauvaises, mais abandon des choses meilleures ». Il est
donc dans l’appétit de la volonté, corruption du mode, de
l’espèce et de l’ordre, et par là « tellement volontaire
que s’il n’est pas volontaire, ce n’est pas un péché »
Si l’on a compris ceci, on rejette manifestement l’opinion impie des Manichéens
qui affirmaient l’existence d’un mal souverain premier principe de tous
les maux. On voit aussi quelle est l’origine du mal et quel en est le sujet.
Enoncé
2. Dieu
avait créé l’homme dans la félicité du paradis,
en deux sexes, le mâle et la femelle. Le diable envia l’homme; ayant
revêtu l’aspect du serpent, il aborda la femme. Il lui demanda d’abord:
«
Pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit de ne pas manger? Puis il affirma: «
Vous ne mourrez pas ». Enfin il fit une promesse: « Vous serez
comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Par cette tentation,
il voulait faire tomber la femme plus faible et par elle ensuite terrasser
le sexe mâle, ce qu’il fit avec la permission de Dieu.
Explication
3. Le
premier principe est tout-puissant dans la création, il est aussi
très droit dans le gouvernement.
«
Il gouverne les choses qu’il a créées en les laissant agir
de leur propre mouvement »
Parce
que l’homme était ainsi créé qu’il devait par venir,
par la victoire dans le combat, à la récompense du repos
éternel, Dieu, qui savait que l’homme succomberait à la tentation,
devait cependant permettre que l’homme soit tenté par celui qui
savait, pouvait et voulait.
Parce
que le diable, auparavant doué de science et de rectitude, était
tombé par son orgueil et était devenu rusé et envieux,
il voulait tenter par envie et le savait par astuce. Il tenta donc pour
autant qu’il le put et que Dieu le permit. Ce fut par une permission divine
qu’il revêtit l’aspect du serpent pour que non seulement on puisse
connaître son astuce, mais aussi pour que, par cet aspect, la ruse
diabolique dans la tentation soit connue de tous les fils d’Adam.
4. En
outre, ce fut également par permission divine que la tentation porta
sur le précepte de discipline, de sorte que, vaincu ou vainqueur,
le diable fît connaître à tous le mérite de l’obéissance
ou le démérite de la désobéissance. Mais ce
fut par sa ruse qu’il commença par la femme, car il est plus facile
de faire tomber le moins fort; comme c’est par ruse que l’ennemi entre
dans la cité par le côté le moins défendu.
5. De
même, la manière dont il procéda dans la tentation
vient d’une grande ruse, car il procéda en éprouvant, en
forçant et en alléchant. Il commença l’épreuve
en interrogeant, força en affirmant, allécha en promettant.
Il interrogea d’abord sur la cause du précepte pour conduire la
raison dans le doute. Le doute acquis: « de peur que par hasard nous
ne mourions »: alors il affirma pour conduire l’irascible dans le
mépris. Enfin il fit une promesse pour mettre en appétit
le concupiscible. Ainsi il opéra cette triple manoeuvre pour amener
la liberté de l’arbitre à con sentir, car le libre-arbitre
est faculté de raison et de volonté qui contient également
les trois appétits, rationnel, irascible et concupiscible. Le diable
allécha la femme selon ces trois appétits par un triple objet
désirable, la science que désire l’appétit rationnel,
la perfection à l’instar de Dieu que désire l’irascible,
et la douceur de l’arbre que désire le concupiscible. Ainsi il tenta
tout ce qui dans la femme était tentable par tout ce qui pouvait
l’induire en tentation; ce sont les trois objets désirables du monde,
la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la superbe de
la vie L’origine de toute tentation vient de ces trois objets, le monde,
la chair ou le diable.
1. La
femme en consentant à la tentation du diable, désira la science
et l’excellence à l’instar de Dieu, elle désira également
goûter la douceur de l’arbre défendu, elle tomba enfin dans
la transgression du précepte.
Non
contente de cela, elle offrit le fruit de l’arbre défendu et induisit
l’homme en tentation.
Celui-ci
ne voulant pas contrister ses charmes, ne blâma pas la femme, mais
consentit au mauvais conseil qu’elle lui donnait et, goûtant le fruit
qu’elle lui offrait, il se fit à son tour transgresseur du précepte
divin.
Explication
2. On
a dit plus haut que le premier principe a donné à l’homme
un double sens et un double appétit par rapport au double livre
et au double bien, de façon que l’homme puisse dans la liberté
de son arbitre se tourner vers l’un ou l’autre. La femme ayant entendu
la suggestion extérieure du serpent, ne recourut pas au livre intérieur
qui s’offre pour être lu au jugement droit de la raison. Mais selon
son sens propre, elle s’en tint au livre extérieur et commença
de rechercher le bien extérieur. Et parce que son sens n’atteignit
pas le vrai infaillible, son appétit commença de se tourner
vers le bien changeant. Elle désira donc ce que le diable promettait
et consentit à faire ce qu’il suggérait. Désirant
la science parfaite, elle s’éleva dans l’orgueil. Elevée
dans l’orgueil, elle fut du coup séduite par la gourmandise et ainsi
terrassée par la désobéissance. Le premier mouvement
eut lieu dans son esprit, le deuxième dans sa sensibilité,
le troisième dans son action.
Et
de même que la tentation, partant d’en-bas, parvint plus haut, car
à partir du sens de l’ouïe elle conduisit du désir au
consentement, ainsi par un mouvement contraire, le désordre commençant
par en haut parvint jusqu’en bas et fit consommer un unique péché,
cela, pour la nature humaine, est le commencement de tout péché
et la source des maux.
3. Car
la femme alléchée allécha l’homme qui semblablement
tourné vers le livre extérieur et vers le bien changeant,
en appréciant trop la compagnie de la femme et la consolation de
sa présence, ne voulut ni la blâmer, ni contrister ses charmes.
Et
parce qu’il aurait du la blâmer et ne la blâma pas, le péché
de la femme lui est imputé Et parce qu’il ne voulut pas contrister
ses charmes en la repoussant, il commença de, s’aimer trop lui-même
et ainsi s’éloignant de l’amitié divine, tomba dans la gourmandise
et la désobéissance.
4. La
transgression du précepte fut donc commune à l’un et l’autre,
bien que pour des raisons différentes, car la femme fut séduite
et non l’homme. Dans les deux cependant, dans l’homme et dans la femme,
il y eut désordre de haut en bas: d’abord dans l’esprit ou raison,
puis dans la sensibilité et enfin dans l’action. L’un et l’autre
furent donc terrassés par la désobéissance et alléchés
par la gourmandise, car l’un et l’autre s’étaient élevés
par l’orgueil, la femme en désirant et en briguant ce qu’elle n’avait
pas encore, l’homme en aimant et en appréciant trop ce qu’il avait
déjà. D’où la femme en mangeant crut être exaltée,
mais Adam s’estimant. quelque chose de grand et d’agréable à
Dieu, crut devoir être moins gravement puni. En effet, il n’avait
encore éprouvé la rigueur de la sévérité
divine
Ainsi,
l’un et l’autre s’étant élevés au-dessus de soi d’une
façon désordonnée, tombèrent misérablement
en dessous de soi, de l’état d’innocence et de grâce à
l’état de faute et de misère.
1. L’homme
et la femme, aussitôt après leur faute, sentirent le châtiment
de la rébellion et de la honte dans leur chair et pour couvrir leurs
parties sexuelles, ils se firent des pagnes.
Après
le jugement divin, l’homme encourut le châtiment du travail et de
la pauvreté, le châtiment de la faim et de l’indigence, le
châtiment de la mort et du retour à la poussière, comme
le dit l’Ecriture: "Maudit soit le sol à cause de toi, etc."
A la
femme un double châtiment fut infligé, celui des multiples
afflictions dans la conception et des douleurs dans l’enfantement et celui
de la sujétion à l’homme dans la communauté. Ainsi
ce péché fut assez gravement puni qu’ils avaient commis en
mangeant de l’arbre défendu, bien qu’il ait été inconsidérément
perpétré.
Explication
2. Le
premier principe est providence souveraine dans le gouvernement et rectitude
parfaite dans la présidence. Il ne laisse absolument rien de désordonné
dans l’univers. Parce que la faute conduit justement au châtiment,
le déshonneur du péché fut immédiatement suivi,
chez nos premiers parents, de l’honneur du jugement, afin que ce qui fut
désordonné en tombant de l’ordre de la nature retombe aussitôt
dans l’ordre de la justice. Car cet ordre double enlace à ce point
toutes choses que ce qui tombe de l’un retombe dans l’autre
3. L’un
et l’autre de nos parents, en s’enorgueillissant en esprit et en cédant
à la gourmandise de la chair, furent désobéissants
envers celui qui leur était supérieur. Par le juste jugement
de Dieu, ce qui leur était inférieur devint désobéissant
envers eux, en particulier ces parties du corps par lesquelles se fait
l’union des sexes, les membres servant à la puissance de génération.
Et parce que cela ne provenait pas de leur nature mais de leur propre faute,
ils en rougirent et se couvrirent.
4. En
outre, parce que l’homme, ayant méprisé ce qui était
souverainement délectable, rechercha la délectation dans
la chair, le juste jugement de Dieu lui infligea le travail et la peine
de la faim et de la soif.
5. Enfin,
parce qu’il choisit pour le bien de la chair de se séparer du bien
de l’esprit, par le juste jugement de Dieu l’âme contre son gré
est séparée de la chair par la mort et le retour à
la poussière. Pour cela, comme Dieu avait donné à
l’homme, selon l’ordre de la nature, un corps soumis à l’âme
pouvant se propager sans débauche, pouvant se maintenir en vie sans
défaillance, immuable sans que la mort intervienne, ainsi, après
le péché, tout cela, selon l’ordre de la justice, lui fut
enlevé et le contraire infligé. De la sorte la faute ne demeurerait
pas impunie et désordonnée, ce que la divine providence n’aurait
absolument pu souffrir.
6. Et
parce que le péché commença par la femme, son châtiment
fut doublé. S’étant enorgueillie dans l’esprit, elle encourut
la sujétion; ayant vu et désiré l’arbre doux à
manger, elle encourut la douleur enfin ayant rompu le joug de l’obéissance,
elle encourut le lien et le poids de multiples afflictions.
Ainsi
apparaît avec quel ordre la divine providence a infligé de
multiples châtiments à l’homme et les a doublés dans
la femme afin que « le déshonneur du péché ne
soit pas sans l’honneur de la justice »
2.
Enoncé
Le
mode selon lequel le genre humain est corrompu par le péché
originel est le suivant: Tout être engendré par l’union de
l’homme et de la femme naît par nature fils de la colère,
parce qu’il est privé de la rectitude de la justice originelle.
L’absence
de cette rectitude nous fait encourir, quant à l’âme, un quadruple
châtiment la faiblesse, l’ignorance, la méchanceté
et la concupiscence, quadruple châtiment qui est infligé à
cause du péché originel.
Ces
châtiments spirituels sont bien sûr accompagnés dans
le corps par un châtiment multiple, de multiples imperfections, de
multiples travaux, de multiples maladies et de multiples douleurs.
A ces
châtiments s’ajoutent celui de la mort et du retour à la poussière,
celui de l’absence de la vision de Dieu et de la perte de la gloire céleste,
non seulement chez les adultes, mais aussi chez les enfants non baptisés.
Ceux-ci cependant sont punis, par rapport aux autres, d' « un châtiment
très adouci » car ils ne subissent que la peine du dam, sans
la peine du sens.
Explication
3. Le
premier principe fait toutes choses par lui, selon lui et pour lui. Il
est donc nécessaire qu’il soit souverainement bon et absolument
droit, et par là souverainement pieux et juste. Ainsi, tous les
sentiers de Dieu sont amour et vérité ou jugement. Or si,
dès le commencement, Dieu avait créé l’homme au milieu
de tant de misères, il n’y aurait ni pitié, ni justice, parce
qu’une telle misère opprimerait son oeuvre, sans qu’auparavant il
y ait eu de faute. De même, si Dieu nous avait remplis de tant de
misères ou permis que nous le soyons sans aucune faute, la divine
providence ne nous gouvernerait ni avec piété, ni selon la
justice.
Donc,
s’il est très certain que le premier principe est, dans la création
et dans la providence, absolument droit et souverainement clément,
il est nécessaire qu’il ait créé le genre humain de
telle façon que dès le commencement il n’y ait en lui ni
faute, ni misère; il est nécessaire aussi, qu’il l’administre
de telle façon qu’il ne permette en nous la misère qu’en
raison d’une faute préalable.
Donc,
parce qu’il est très certain que nous avons contracté, de
par notre origine, une multiple misère de châtiment, il est
certain que nous naissons tous par nature, fils de la colère, et
pour cela privés de la rectitude de la justice originelle, cette
privation nous l’appelons la faute originelle
4. Toute
faute signifie qu’on s’est éloigné du bien immuable pour
aller vers le bien changeant. S’éloigner du bien immuable, c’est
s’éloigner de la force, de la vérité et de la bonté
souveraines; aller vers le bien changeant c’est tendre à lui d’un
amour indu; ainsi la perte de la justice originelle conduit à la
faiblesse, à l’ignorance, à la méchanceté et
à la concupiscence.
.
5. En
outre, abandonner le bien immuable pour le bien changeant, c’est se rendre
indigne de l’un et de l’autre. Ainsi, en raison de l’absence de la justice
originelle, l’âme perd le repos temporel dans le corps par une multiple
corruption et par la mort, elle est enfin privée de la vision de
la lumière éternelle, perdant le bonheur de la gloire tant
pour l’âme que pour le corps.
6. Enfin,
l’absence de cette justice chez ceux qui naissent n’est pas due au mouvement
de leur volonté ni à une délectation actuelle. Ainsi,
après cette vie, la peine du sens dans l’enfer n’est pas la dette
du péché originel, car la justice divine punit non au-dessus
de la mesure, mais en dessous. La miséricorde surabondante l’accompagne
toujours.
Il
faut croire que le bienheureux Augustin l’a pensé, bien que les
mots dans leur lettre semblent sonner autrement, à cause de son
aversion pour l’erreur des pélagiens qui concédaient à
ces enfants une certaine félicité. Pour les ramener à
une juste mesure, il a trop abondamment glissé aux extrêmes.
Le
mode de transmission du péché originel est le suivant: Bien
que l’âme ne vienne pas à l’existence par transmission, le
péché originel est cependant passé de l’âme
d’Adam dans celles de sa postérité par la médiation
de la chair engendrée dans la concupiscence. De sorte que, comme
la chair d’Adam avait été infectée par l’âme
pécheresse et portée au désir désordonné,
de même engendrée dans le désir désordonné
et traînant avec elle l’infection des vices, elle a infecté
et vicié l’âme.
Cette
infection dans l’âme n’est pas seulement châtiment, elle est
aussi péché. Ainsi, la personne corrompt la nature et la
nature corrompue corrompt à son tour la personne En tout ceci, la
justice divine est sauve, à laquelle on ne peut nullement imputer
l’infection de l’âme, bien que Dieu en la créant l’infuse
et en l’infusant l’unit à la chair infectée.
2.
Explication
Le
premier principe avait fait l’homme à son image pour s’exprimer
lui-même. Il l’avait ainsi créé dans son corps de telle
sorte que tous les hommes sortiraient du premier homme comme d’un principe
radical, et dans son âme afin qu’elle fût sa ressemblance expresse,
tant dans l’être que dans la durée, tant dans l’intelligence
que dans l’amour, de sorte que tous les esprits raisonnables émaneraient
immédiatement de Dieu lui-même comme d’un principe premier
et immédiat. Et parce que l’esprit, plus excellent s’approche davantage
du premier principe, Dieu créa l’homme de façon que l’esprit
commande au corps et que le corps soit soumis à l’esprit créé
aussi long temps qu’il obéirait à l’Esprit incréé.
Par contre, si l’esprit n’obéissait plus à Dieu, par le juste
jugement divin, son corps se rebellerait contre lui. Ce qui eut lieu lorsqu’Adam
pécha.
3. Donc,
si Adam avait résisté, son corps serait demeuré obéissant
à l’esprit, et il l'aurait transmis tel à sa postérité,
et Dieu lui aurait infusé l’âme de sorte que, unie à
un corps immortel et lui obéissant, elle aurait possédé
l’ordre de la justice et l’immunité contre tout châtiment.
Du fait qu’Adam a péché et que la chair s’est rebellée
contre l’esprit, il fallait qu’il la transmette telle à sa postérité
et que Dieu infuse l’âme comme il l’avait instituée dès
l’origine. Or, l’âme, dès lors qu’elle s’est unie à
une chair rebelle, ne possède plus l’ordre naturel de la justice
par lequel elle devait régner sur tout ce qui lui est inférieur.
Unie à la chair, l’âme doit la conduire ou être conduite
par elle. Puisqu’elle ne peut plus conduire une chair rebelle, elle se
laisse nécessairement conduire par elle, et encourt la maladie de
la concupiscence. Ainsi encourt-elle en même temps l’absence de la
justice due et la maladie de la concupiscence. De ces deux châtiments
comme de l’aversion et de la conversion, on dit que le péché
originel est, selon Augustin et Anselme, établi dans son intégralité.
4. Il
était dans l’ordre absolu que la nature humaine soit ainsi créée,
et une fois créée ainsi propagée; et que si elle péchait,
elle soit ainsi châtiée, comme on l’a dit plus haut. Dans
la création a été sauvegardé l’ordre de la
sagesse, dans la propagation l’ordre de la nature, dans la punition l’ordre
de la justice. Il apparaît qu’il n’est pas contraire à la
justice divine que le péché soit transmis à la postérité.
5. En
outre, le péché originel ne pouvait être transmis dans
l’âme que si le châtiment de la rébellion avait précédé
dans la chair. Le châtiment n’existait que si l’avait précédé
la faute. La faute procède non d’une volonté ordonnée,
mais d’une volonté désordonnée et ainsi non de la
volonté divine, mais de la volonté humaine. La transmission
du péché originel vient donc du péché du premier
homme et non de Dieu, non de la nature créée, mais du vice
perpétré. Ainsi, ce que dit Augustin est vrai que «
ce n’est pas la propagation mais le désir désordonné
qui transmet le péché originel à la postérité
».
Le
mode de guérison du péché originel est le suivant.
La
faute est guérie de telle façon que demeure le châtiment
temporel, comme il apparaît chez les enfants baptisés.
Il
est guéri quant à l’imputation du châtiment éternel,
cependant de telle façon qu’il demeure quant à l’acte et
au mouvement de la concupiscence.
Il
est guéri chez les parents, néanmoins de telle façon
que ceux-ci guéris par le baptême, le transmettent encore
à leurs enfants.
La
tache du péché originel est enlevée de telle façon
que demeurent les conséquences, contre les quelles il nous faut
lutter aussi longtemps que nous vivons ici-bas, car en personne la concupiscence
n’est absolument éteinte par la grâce commune.
Je
dis cela à cause de la bienheureuse Vierge, en qui cette concupiscence
fut éteinte dans la conception du Fils de Dieu, par une grâce
singulière
2.
Explication
De
même que l’infection dérive chez tous du principe créé
par lequel se fait la propagation des corps, et ce par la partie inférieure,
la chair, ainsi, la guérison doit provenir du principe incréé
par lequel sont infusées les âmes et ce, par la partie supérieure,
l’es prit. Parce que, du côté de l’esprit, il y a entre les
hommes une distinction telle que selon elle, l’esprit n’est pas propagé
à partir d’un autre mais sort immédiatement de Dieu, la grâce
curative infusée dans notre esprit par Dieu concerne chacun en tant
qu’il est une personne singulière et individuelle, et non en tant
que produit selon la puissance de la nature. Donc, parce que le péché
originel a infecté également la personne et la nature, la
personne dans la volonté et la nature dans la chair, la tache originelle
est guérie dans l’esprit tandis que demeure l’infection et les désordres
dans la chair.
3. Et
parce que l’homme engendre non en tant que guéri dans l’esprit,
mais en tant que corrompu dans la chair, non en tant qu’être spirituel
mais en tant qu’être charnel, bien qu’il soit baptisé et ainsi
lavé en lui-même du péché originel, il transmet
cependant ce péché à ses enfants.
4. En
outre, parce que l’imputation du châtiment éternel concerne
la difformité de l’esprit et de la personne, que le mouvement concerne
l’inclination de la chair et de la nature, ainsi par le baptême,
le péché originel disparaît quant à l’imputation,
mais demeure cependant quant à l’acte
5. Enfin,
parce que l’affliction temporelle con cerne la condition humaine selon
la chair, et que la chair demeure toujours sujette à une certaine
infection, elle doit toujours demeurer sujette à la pénalité.
Donc, puisque la pénalité et la corruption ne sont pas enlevées
de la chair par la grâce, ces désordres, la concupiscence
et la maladie des membres peuvent subsister avec la grâce curative.
C’est
pourquoi, bien que la concupiscence soit peu à peu diminuée
sans que la racine en soit arrachée, elle n’est jamais totalement
enlevée chez l’homme ici-bas, sauf chez la bienheureuse Vierge par
une grâce singulière. La Vierge, en effet, a conçu
celui qui était l’expiation de toute faute. Une grâce singulière
lui a donc été donnée par laquelle toute concupiscence
fut éteinte en elle dans sa racine pour concevoir le Fils de Dieu
sans aucune souillure, ni corruption du péché. « Car
il convenait que la Vierge possédât la plus grande pureté
qui puisse se concevoir en-dessous de Dieu; cette Vierge à qui Dieu
le Père avait voulu donner le Fils unique qu’il a engendré
de son coeur, égal à lui-même et qu’il aimait comme
lui-même, de telle sorte qu’il serait naturellement un seul et même
Fils commun de Dieu le Père et de la Vierge. Le Fils lui-même
avait choisi de faire substantiellement de la Vierge, sa mère. L’Esprit
Saint voulait et fit que la Vierge, conçût et mit au monde
celui dont il procédait. ».
Enoncé
Il
faut tenir en somme que le péché actuel prend son origine
dans la volonté libre de chacun par suggestion, délectation,
consentement et accomplissement, selon ce que dit S. Jacques: « Chacun
est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre.
Puis la convoitise ayant conçu, donne naissance au péché,
et le péché parvenu à son terme, enfante la mort ».
Si
la suggestion et la délectation demeurent en deçà
du consentement, le péché est véniel.
S’il
y a consentement et oeuvre accomplie en matière défendue
par la loi divine, c’est un péché mortel consommé.
Si
le péché reste entre les deux, de sorte que le consentement
ne va pas jusqu’à l’acte, ou bien parce que le voulant il ne le
peut pas, alors la volonté est imputée de ce fait et n’est
pas moins coupable que si elle avait été jusqu’au fait; ou
bien si ne voulant pas aller jusqu’à l’acte il veut pourtant jouir
intérieurement de la délectation, alors la femme mange, mais
non l’homme. Bien que le péché ne soit pleinement consommé,
il est cependant considéré comme un péché mortel
parce que quand la femme mange, tout l’homme a mérité d’être
condamné. Cela a sur tout lieu dans les péchés charnels.
2.
Explication
Le
péché signifiant un éloignement de la volonté
par rapport au premier principe, en tant que la volonté est faite
pour agir à partir de lui-même, selon lui et par lui, tout
péché est un détournement de l’esprit, c’est-à-dire
de la volonté qui, par nature, est capable de vertu ou de vice Le
péché actuel est donc le détournement actuel de la
volonté. Ce détournement peut être si grand qu’il anéantit
l’ordre de la justice, c’est le péché mortel qui enlève
la vie, en séparant l’âme de Dieu vie de l’âme juste.
Ou bien ce détournement est si minime que, sans anéantir
cet ordre de la justice, il le perturbe quelque peu, c’est le péché
véniel, ainsi appelé parce que nous pouvons en obtenir rapidement
le pardon du fait qu’il n’enlève pas la grâce et ne fait pas
encourir l’inimitié de Dieu.
L’ordre
de la justice veut que le bien immuable soit préféré
au bien passager, le bien honnête au bien utile, la volonté
de Dieu à la volonté propre, de sorte que le jugement de
la droite raison passe avant la sensualité. La loi de Dieu prescrit
cet ordre et interdit son contraire. C’est pourquoi quand le bien changeant
est préféré au bien éternel, quand le bien
utile est préféré au bien honnête, quand notre
volonté est préférée à la volonté
de Dieu, quand l’appétit sensuel est préféré
à la droite raison, alors c’est le péché mortel, dont
S. Ambroise dit qu’il est « transgression de la loi divine et désobéissance
aux commandements célestes ». Le péché mortel
est commis soit en omettant ce que prescrit la loi divine, soit en faisant
ce qu’elle défend. Ainsi il y a deux genres de péché,
l’omission et la transgression
3. Quand
le bien changeant est ainsi aimé plus qu’il ne doit, mais non préféré
au bien immuable, quand l’utilité n’est pas préférée
à l’honnêteté, quand notre volonté est aimée
plus qu’il ne faut mais non préférée à la volonté
divine, quand la chair désire mais n’est pas préférée
au jugement de la droite raison, alors ce n’est pas le péché
mortel, mais le péché véniel, car bien qu’il soit
à côté de la loi , il n’est cependant pas directement
contre elle. L’appétit sensuel n’est préféré
à la droite raison que si la raison y consent. On ne peut donc commettre
de péché mortel en deçà du consentement.
4. Si
cependant la sensualité est mue d’une façon désordonnée,
ce désordre inclinant au mal, bien que la raison n’y consente pas,
il y a quelque péché parce que l’ordre de la justice est
lésé en quelque façon.
Dans
l’état d’innocence, la sensualité n’était mue que
selon le mouvement de la raison. Tant que l’homme y demeurait, il ne pouvait
y avoir de péché véniel.
Maintenant,
la sensualité s’oppose à la raison que nous le voulions ou
non. Aussi commettons-nous nécessairement des péchés
véniels par les mouvements premiers, qui certes peuvent être
rejetés un à un mais ne peuvent être globalement évités,
car ils sont si bien péchés qu’ils sont aussi peines du péché.
Ils sont donc, à juste titre, appelés véniels car
de ce fait ils méritent le pardon.
5. Mais
la raison n’est pas obligée de consentir. Si donc après la
délectation elle consent à l’oeuvre, il y a plein consentement
et par là péché consommé, car il parvient jusqu’à
l’homme, c’est-à-dire jusqu’à la partie supérieure
de la raison dont dépend la plénitude du consentement.
6. Le
consentement n’est pas seulement dans l’acte, il est aussi dans la délectation;
en lui, la partie inférieure de la raison suit la sensualité.
Donc si dans la délectation sensuelle la raison succombe à
la sensualité, la femme obéit au serpent, et ainsi y a-t-il
boule versement de l’ordre établi et donc de la justice. Pour cette
raison on commet un péché mortel — bien que de moindre gravité.
Il n’est pas imputé seulement à la femme, mais aussi à
l’homme qui devait la retenir et l’empêcher d’obéir au serpent.
Ainsi il apparaît que dans tout péché actuel se trouve
une certaine imitation du premier péché, comme l’explique
le Grand Docteur, Augustin, au chapitre du De Trinitate.
.
1. Il
faut maintenant descendre jusqu’à l’origine des péchés
en particulier. Parmi eux, il y a des péchés capitaux, des
péchés pénaux et des péchés finals ou
irrémissibles, en d’autres termes, des premiers, des intermédiaires
et des derniers.
Aux
péchés actuels, on reconnaît un principe, une double
racine, un triple foyer, une tête septiforme ou péché
capital.
Le
principe unique est l’orgueil selon qu’il est écrit Le principe
de tout péché, c’est l’orgueil.
La
double racine c’est la crainte provoquant une fausse honte et l’amour enflammant
d’une mauvaise ardeur.
Les
trois foyers sont, selon les trois concupiscences du monde, la chair, les
yeux et la superbe de la vie.
La
tête septiforme, l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse,
l’avarice, la gourmandise, la luxure. Parmi ces péchés, les
cinq premiers sont spirituels, les deux derniers, charnels.
2.
Explication
Le
péché mortel est un éloignement actu du premier principe.
On ne s’éloigne du premier principe qu’en le méprisant, soit
en lui-même, soit dans son précepte. Or, le mépris
du premier principe est l’orgueil. Toute faute ou offense mortelle trouve
donc nécessairement son principe dans l’orgueil.
3. Personne
ne méprise le principe souverain ou son précepte par soi-même
si ce n’est parce qu’il veut par soi-même acquérir quelque
chose d’autre ou craint de le perdre. Tout péché actuel tire
donc nécessairement son origine d’une double racine, la crainte
et l’amour. Ce sont les racines des maux, mais non également.
4. Car
toute crainte tire son origine de l’amour. Personne ne craint de perdre
quelque chose sinon parce qu’il aime la posséder. La crainte est
donc nourrie par ce qui nourrit l’amour. Or l’amour est désordonné
à l’égard du bien changeant. Ce bien changeant est triple
intérieur, c’est la supériorité, extérieur,
c’est la fortune, inférieur, la licence de la chair. De là,
il y a nécessairement trois foyers des péchés actuels
dont il a été parlé plus haut. Tous les péchés
actuels naissent du mouvement de l’âme qui se porte vers ces trois
foyers.
5. Tout
cela arrive de sept manières différentes. Il y a donc sept
péchés capitaux, source de tous les vices. Car notre volonté
est désordonnée en désirant ce qu’on ne doit pas désirer
ou en refusant ce qui n’est pas à refuser.
Quand
la volonté désire ce qui n’est pas désirable, c’est-à-dire
un bien présent ou changeant ou ayant l’apparence du bien: si ce
bien est intérieur, c’est la supériorité individuelle
qu’aime l’orgueil; si ce bien est extérieur, c’est l’aisance matérielle
qu’aime l’avarice; si ce bien est inférieur, il est délectable
parce qu’il sert à la conservation de l’individu, tel l’aliment,
qui est délectable pour le goût et désiré par
la gourmandise; il est délectable parce qu’il sert à la conservation
de la race, tel le coït qui est délectable pour le toucher
et désiré par la luxure. Quand la volonté est désordonnée
parce qu’elle refuse ce qu’elle ne devait pas refuser, elle le fait d’une
triple façon selon le principe de son refus. Ou bien elle refuse
selon l’instinct rationnel perverti, c’est l’envie; ou bien elle refuse
selon l’instinct de défense, c’est la colère; ou bien elle
refuse selon l’instinct du désir, c’est la paresse. Ainsi parce
qu’il y a quatre choses principales désirables et trois forces instinctivement
repoussées, il n’y a que sept péchés capitaux.
6. En
outre, la pensée d’une chose désirable est accompagnée
de délectation, la pensée d’une chose à refuser est
accompagnée de douleur. Ainsi, quatre péchés sont
liés à la joie, les trois autres sont liés à
la tristesse et à la peine. On les appelle cependant tous péchés
capitaux parce qu’ils sont désordres principaux et principes de
beaucoup d’autres désordres, chacun influant à sa façon.
De là, bien que certains d’entre eux concernent principalement le
refus, ils possèdent cependant leurs objets de délectation.
L’en vie veut posséder un bien propre sans associé, donc
intégralement; la colère le veut sans contraire, donc imperturbablement,
la paresse le veut sans aucun travail, donc infatigablement.
Et
parce qu’ils n’obtiennent pas facilement leur fin, ils traînent avec
eux une grande foule de vices pour atteindre de cette façon ce qu’ils
désirent, ou pour refuser ce qu’ils repoussent. Pour cela, on les
appelle péchés capitaux, comme des principes dont découlent
tous les autres.
Bien
que le mal de la faute et le mal de la peine soient des maux différents,
certains sont cependant péchés et aussi peines du péché.
D’une manière spéciale, on appelle péchés et
peines du péché ceux qui sont accompagnés de douleur
et de tristesse, comme l’envie, la paresse et d’autres semblables. D’une
manière moins spéciale, on appelle ainsi ceux qui sont accompagnés
d’une pure dépravation de la nature, ou bien de honte, comme le
sont ceux au regard desquels on dit que le pécheur est livré
à son sens propre dépravé. D’une manière générale,
on appelle ainsi les péchés qui sont « entre la première
apostasie et l’ultime châtiment de l’enfer on peut les appeler aussi
péchés et peines du péché » selon ce
que dit Grégoire, que « les crimes sont punis par les crimes
»
Bien
que l’on parle également de péché et de peine du péché,
il faut cependant savoir que toute peine en tant que peine est juste et
vient de Dieu, mais qu’aucune faute n’est juste et ne peut provenir de
Dieu, mais vient seulement du libre-arbitre.
La
peine qui est purement peine est infligée par Dieu; celle qui est
liée à la faute ou qui incline à la faute est contractée
ou produite
2.
Explication
Le
mal est retrait vis-à-vis du premier principe par le fait qu’il
nuit au bien. Il ne nuit au bien qu’en l’excluant. Or le bien existe dans
le mode, l’espèce et l’ordre. Tout mal est corruption du mode, de
l’espèce ou de l’ordre. Or, l’ordre est double, ordre de la nature
et ordre de la justice. L’ordre de la nature est dans le bien naturel,
l’ordre de la justice dans le bien moral. Parce que le bien naturel se
trouve dans toute nature, le bien moral existe nécessairement dans
la volonté: l’ordre de la nature existe donc dans toute nature,
l’ordre de la justice dans la volonté élective. Parce que
la volonté est un « instrument se mouvant soi-même »
alors que la nature ne l’est pas, l’ordre de la justice est un ordre non
seulement fait, mais facteur, tandis que l’ordre de la nature n’est qu’un
ordre fait. Donc, parce que le mal peut écarter l’ordre de la justice
et l’ordre de la nature, le mal est donc double, mal de la faute et mal
de la peine.
3. En
outre, parce que l’ordre de la justice est un ordre volontaire, «
le mal de la faute est une affection volontaire, tandis que le mal de la
peine est une affection involontaire »
4. Enfin,
parce que l’ordre de la justice qui existe dans la volonté est un
ordre facteur, « le mal de la faute qui en est la privation est un
mal que nous faisons, tandis que le mal de la peine est un mal que nous
subissons ». Et parce qu’il n’y a pas de passion que ne précède
naturellement une action, et pas d’action qui ne soit suivie d’une certaine
passion, il n’y a aucune peine qui ne soit méritée par une
faute antécédente, ni aucune faute que ne suive quelque peine.
5. Parce
que ce que nous faisons vient de nous, que ce que nous subissons peut venir
de nous et des autres, d’une cause supérieure ou inférieure,
toute faute vient de nous, mais toute peine ne vient pas de nous, certaines
sont faites par nous, d’autres nous sont infligées, d’autres enfin
contractées.
6. Parce
qu’il est juste que celui qui fait ce qu’il ne doit pas subisse ce qu’il
doit, toute peine en tant que peine est juste et vient de la divine providence,
car elle est ordonnée à la faute et rétablit l’ordre
que le péché a détruit.
7. Parce
que le fait de subir une peine peut venir du rejet du bien naturel ou du
bien moral joint au bien naturel, certaines peines sont purement peines,
certaines sont peines et fautes, car le bien moral qui est la justice n’est
rejeté que par une injustice qui est la faute. La première
peine vient de Dieu, et en tant que peine et en tant qu’elle est, elle
vient de Dieu, dis-je, non comme d’un auteur, mais comme d’un vengeur.
La seconde, puisqu’elle est faute ne vient pas de Dieu pour autant qu’elle
est, mais seulement en tant que relative à l’ordre. Elle est encourue,
si elle suit un péché actuel, elle est contractée
si elle suit le péché originel.
8. Si
l’on entend le mal dans son sens propre, en tant que privation du bien
naturel, affection involontaire et mal que nous subissons, il ne coïncide
pas avec le mal de la faute bien qu’il en soit une conséquence.
Si on l’entend dans son sens large, en parlant du mal que nous subissons
soit à cause de nous, soit pour d’autres causes, soit dans la nature,
soit dans la volonté, il coïncide avec le mal de la faute,
mais ne s’applique pas aux mêmes choses ni de la même façon,
car ce qui est faute de soi est appelé la peine d’un péché
précédent, ou bien la faute en tant qu’action est appelée
peine en tant que passion.
Ainsi,
apparaît comment, dans quelle mesure et pourquoi la même chose
peut être appelée péché et peine de péché.
Bien
qu’en général tout péché soit dirigé
contre Dieu trois et un, on parle, par appropriation, de péché
contre le Père, contre le Fils et contre l’Esprit Saint.
On
dit que ce péché contre l’Esprit Saint est irrémissible
en ce siècle et en l’autre, non parce qu’il ne peut être remis
en ce siècle, mais parce qu’il est rarement ou presque jamais remis
en ce siècle quant à la faute, et parce qu’il n’y aura aucune
ou presque aucune rémission pour ce péché dans le
siècle futur, quant à la peine.
Les
péchés de ce genre sont au nombre de six, la haine de la
grâce fraternelle, l’attaque contre la vérité reconnue,
le désespoir, la présomption, l’obstination de l’esprit et
l’impénitence finale
2.
Explication
Parce
que le péché est retrait vis-à-vis du premier principe
trois et un, tout péché déforme l’image de la Trinité
et corrompt l’âme elle-même dans sa triple puissance, irascible,
rationnelle et concupiscible. Il provient du libre-arbitre qui porte en
soi la marque de la Trinité: du Père, parce qu’il est faculté;
du Fils, parce qu’il est raison; du Saint Esprit, parce qu’il est volonté.
3. Bien
que ces trois éléments concourrent ensemble dans toute faute,
chacun d’eux peut, par son défaut, être à l’origine
du désordre des autres. Le défaut dans la faculté
est impuissance, le défaut dans la raison est ignorance, le défaut
dans la volonté est méchanceté. De là, puisque
certains péchés viennent de l’impuissance, certains de l’ignorance,
certains de la méchanceté et puisque la puissance est attribuée
au Père, la sagesse au Fils et la volonté au Saint Esprit,
on dit que certains péchés sont contre le Père, d’autres
contre le Fils, d’autres contre le Saint-Esprit. Parce que, rien n’est
plus dans la volonté que la volonté elle-même et que
la volonté elle-même est l’origine du péché,
aucun péché n’est plus volontaire et péché
pur que celui qui provient de la corruption dans la volonté.
Un
acte peut être involontaire de deux manières, par violence
subie ou par ignorance, c’est-à-dire par défaut de puissance
ou par défaut de science quand la volonté par sa seule corruption,
bien qu’elle puisse résister et sache que ceci est mal, choisit
quel que chose, on dit alors qu’elle pèche par une méchanceté
certaine Un tel péché procède purement de la méchanceté
du libre-arbitre de la volonté et attaque directement la grâce
du Saint-Esprit. Et parce que le péché procède purement
de la liberté de l’arbitre, il n’a pas la moindre excuse et à
cause de cela rien ne doit, à celui qui est puni, être pardonné
dans le châtiment. Parce qu’il attaque directement la grâce
du Saint Esprit par laquelle se fait la rémission du péché,
on l’appelle irrémissible, non parce qu’il ne peut en aucune façon
être remis, mais parce que, en tant que tel, il attaque directement
le médicament et le remède par lequel est accomplie la rémission
du péché.
4. Parce
que la rémission du péché est faite par Dieu moyennant
la grâce pénitentielle accordée dans l’unité
de l’Eglise, on distingue les péchés selon leur opposition
à ces trois éléments. Ils s’opposent à la grâce
pénitentielle en elle-même, ou dans la relation avec Dieu
qui la donne, ou dans la relation avec l’Eglise en qui elle est reçue.
S’ils
s’opposent à la grâce dans sa relation avec l’unité
de l’Eglise, parce que l’unité de l’Eglise est établie dans
la foi et la charité, dans la grâce et la vérité,
il y a un double péché, la haine de la grâce fraternelle
et l’attaque de la vérité reconnue
S’ils
s’opposent à la grâce dans la relation avec Dieu qui la donne,
puisque tous les sentiers de Dieu, quant à la justification sont
surtout amour et vérité, il y a un double péché,
celui qui s’oppose à la miséricorde, le désespoir,
celui qui s’oppose à la justice, la présomption de l’impunité.
Enfin,
s’ils s’opposent à la grâce pénitentielle en elle-même
ou selon elle-même, il y a double péché, car elle fait
revenir des péchés commis et éviter ceux à
commettre. Dans le premier cas, c’est l’obstination, et dans le second
cas l’impénitence finale, ou volonté de ne pas faire pénitence.
C’est là l’espèce propre du péché contre l’Esprit
Saint. L’impénitence finale signifie la continuation du péché
jusqu’à la fin, telles sont les séquelles de tous les péchés
mortels qui ne sont par remis en cette vie et surtout de tous les genres
de péchés contre l’Esprit Saint.
5. Ainsi
tout péché trouve son principe dans l’orgueil et sa consommation
ou sa fin dans l’impénitence finale. Celui qui parviendra dans cet
état tombe en enfer; dont aucun de ceux qui pèchent mortellement
ne peut être délivré sinon par l’intervention de la
grâce du médiateur, le Christ. C’est pourquoi l’universalité
de ceux qui doivent être sauvés désirait son incarnation.
A ce médiateur, Notre Seigneur, tout honneur et toute gloire dans
les siècles des siècles. Amen.
Après
avoir parlé de la Trinité de Dieu, du monde créature
et de la corruption du péché, nous devons maintenant traiter
brièvement de l’Incarnation par laquelle le Verbe incarné
est devenu salut et restauration du genre humain, non parce que Dieu ne
pouvait sauver ou libérer autrement le genre humain, mais parce
qu’aucun autre moyen n’était plus digne et convenable au réparateur,
à celui qui devait être réparé, à la
réparation.
2.
Explication.
Le
principe effectif des choses ne pouvait et ne devait être que Dieu.
Or, réparer les choses créées n’est pas moindre que
les produire dans l’être, de même qu’être ordonné
au bien n’est pas moindre qu’être simplement. Il était donc
très convenable que le principe réparateur des choses soit
le Dieu souverain afin que, Dieu ayant créé toutes choses
par le Verbe incréé, il les guérisse toutes par le
Verbe incarné. Donc, parce que Dieu a fait toutes choses avec puissance,
sagesse et bonté ou bienveillance, il convenait qu’il les répare
pour montrer sa puissance, sa sagesse, sa bienveillance. Quoi de plus puissant,
en effet, que d’unir les extrêmes souverainement éloignés
en une seule personne? Quoi de plus sage et de plus convenable que, pour
la perfection de l’univers entier, soient unis le premier et le dernier,
le Verbe de Dieu principe de toutes choses et la nature humaine de toutes
les créatures la dernière dans le temps? Quoi de plus bienveillant
que le Seigneur, pour le salut du serviteur, ait pris la condition d’esclave?
Bien plus, ceci est le fait d’une telle bonté qu’on ne peut rien
penser de plus clément, de plus affectueux, de plus amical. Ce mode
était donc le plus convenable à Dieu réparateur pour
manifester sa puissance, sa sagesse et sa bienveillance.
3. En
outre, l’homme en tombant dans le péché s’était détourné
et éloigné du principe tout-puissant, souverainement sage
et bienveillant. Il se précipita dans la faiblesse, l’ignorance
et la méchanceté et par là, de spirituel, il devint
charnel, animal et sensuel. Il était donc incapable d’imiter la
vertu, de connaître la lumière et d’aimer la bonté
de Dieu. Donc, à cause de cela, il convenait tout à fait
que l’homme en cet état soit réparé de telle façon
que le premier principe condescende vers lui en se rendant pour lui connaissable,
aimable et imitable. Et parce que l’homme charnel, animal et sensuel ne
connaissait, n’aimait et ne poursuivait que des biens proportionnés
ou semblables à lui-même, pour arracher l’homme à cet
état, le Verbe s’est fait chair afin que l’homme, qui lui aussi
était chair, puisse le connaître, l’aimer et l’imiter. Ainsi,
l’homme en connaissant, en aimant et en imitant Dieu est guéri de
la maladie du péché.
4. Enfin,
l’homme ne pouvait être parfaitement réparé que s’il
récupérait l’innocence de l’esprit, l’amitié de Dieu
et sa propre excellence par laquelle il est soumis à Dieu seul.
Or, ce ne pouvait être que par Dieu devenu serviteur. Il convenait
donc que le Verbe s’incarne. Son excellence, l’homme ne pouvait la récupérer
que si le réparateur était Dieu, car s’il avait été
pure créature, l’homme aurait été alors soumis à
cette pure créature et n’aurait pas ainsi récupéré
son statut d’excellence S L’amitié de Dieu, il ne pouvait pas davantage
la récupérer sinon par un médiateur valable qui pouvait
poser la main sur chacun des deux extrêmes et était conforme
aux deux, ami des deux et donc semblable à Dieu par la divinité
et semblable à l’homme par l’humanité. L’innocence de l’esprit,
l’homme ne pouvait la récupérer que si son péché
était remis. Or, la justice divine ne devait la remettre que par
une satisfaction convenable. Seul Dieu pouvait satisfaire pour tout le
genre humain, seul l’homme le devait, lui qui avait péché.
Il convenait donc tout à fait que le genre humain soit réparé
par un Dieu-homme né de la race d’Adam.
L’excellence
ne pouvait être récupérée que par le réparateur
le plus excellent, l’amitié ne pouvait être restaurée
que par un médiateur souverainement amical, l’innocence ne pouvait
être recouvrée que par l’auteur d’une satisfaction suffisante.
Or, le réparateur infiniment parfait ne peut être que Dieu,
le médiateur souverainement amical ne peut être qu’un homme,
l’auteur d’une satisfaction suffisante doit être à la fois
Dieu et homme. L’incarnation du Verbe convient donc parfaitement à
notre réparation, de sorte que le genre humain venu à l’être
par le Verbe incréé, tombé dans le péché
en délaissant le Verbe inspiré, ressurgit du péché
par le Verbe incarné.
Au
sujet du Verbe incarné, il nous faut considérer trois questions
l’union des natures, la plénitude des charismes et le martyre des
souffrances pour le rachat du genre humain. Au sujet de l’union des natures,
il faut considérer trois aspects pour comprendre le mystère
de l’Incarnation: l’oeuvre, le mode et le temps.
2. L’incarnation
est l’opération de la Trinité dans laquelle eut lieu l’assomption
d’une chair par la Déité et l'union de la Déité
avec une chair. Ainsi, ce n’est pas seulement l’assomption de la chair
sensible, mais aussi de l’esprit raisonnable avec ses puissances végétative,
sensitive et intellective. Ainsi encore, l’union n’a pas lieu dans l’unité
de la nature mais de la personne, non d’une personne humaine mais d’une
personne divine, non d’une personne assumée mais d’une personne
assumante, non de n’importe quelle personne mais de la personne du seul
Verbe. L’union est telle dans la personne que tout ce qui est dit du Fils
de Dieu est dit du fils de l’homme et vice versa, sauf cependant ce en
quoi est exprimée l’union ou ce qui renferme une négation
3.
Explication.
L’oeuvre
de l’incarnation est opérée par le premier principe, non
seulement en tant que principe effectif dans la production, mais aussi
en tant que principe réparateur dans la guérison, dans la
satisfaction et dans la réconciliation. Donc, l’incarnation, en
tant qu’elle signifie un certain effet est l’oeuvre du premier principe
qui fait toutes choses par sa souveraine Puissance. Or, la substance, la
force et l’opération sont absolument unes et indivises entre les
trois personnes. Il est donc nécessaire que l’oeuvre de l’incarnation
découle de la Trinité tout entière.
4. L’incarnation
est aussi l’oeuvre du premier principe, en tant q principe réparateur
par la guérison. Or, tout le genre humain était tombé
et vicié, non seulement dans son âme, mais aussi dans sa chair.
Il était donc nécessaire qu’il soit assumé tout entier
pour être tout entier guéri Et parce que la partie charnelle
nous est plus connue et est plus distante de Dieu, pour que la dénomination
en soit plus expressive, l’humiliation mieux exprimée et notre sanctification
plus profondément expliquée, on nomme cette oeuvre non pas
inanimation, mais incarnation.
5. En
outre, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe
réparateur dans la satisfaction. Or, il n’y a satisfaction que par
celui qui le doit et le peut. L’homme seul le doit, Dieu seul le peut.
Il fallait donc que dans la satisfaction concourrent les deux natures,
la nature divine et la nature humaine. Et parce qu’il est impossible que
la nature divine concourre avec une autre nature comme partie dans la constitution
d’un tiers, parce que la nature divine ne se transforme pas dans une autre
nature et qu’une autre nature ne se transforme pas, dans la nature divine,
à cause de sa simplicité et de son immutabilité absolues,
la Déité et l’humanité ne sont pas unies dans l'unité
d’une nature ou d’un accident, elles sont unies dans l’unité d’une
personne et hypostase. Et parce que la nature divine ne peut subsister
en aucun autre suppôt qu’en sa propre hypostase, cette union peut
exister non dans l’hypostase ou personne d’un homme, mais dans une hypostase
ou personne divine. Ainsi, par cette union, le premier principe dans l’une
de ses hypostases s’est fait lui-même suppôt d’une nature humaine.
Il n’y a donc ici qu’une seule personnalité et qu’une seule unité
personnelle, celle de celui qui assume.
6. Enfin,
l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur
dans la réconciliation. En réconciliant, il est médiateur.
Or, la médiation convient en propre au Fils de Dieu, donc aussi
l’incarnation. Car le médiateur doit être le milieu entre
l’homme et Dieu pour reconduire l’homme à la connaissance, à
la conformité et à la filiation divines Nul n’est plus valable
médiateur que la personne qui produit et qui est pro duite, qui
est milieu des trois personnes. Nul ne peut mieux reconduire à la
connaissance de Dieu que le Verbe, par lequel le Père se déclare,
ce Verbe qui est unissable à la chair, comme le verbe humain l’est
à la voix. Personne ne peut mieux reconduire à la conformité
divine que celui qui est l’image du Père. Personne ne peut mieux
reconduire à la filiation adoptive que le Fils par nature. Et pour
cela, à nul autre ne convient de se faire fils de l’homme qu’au
Fils de Dieu lui-même
7. En
raison de l’incarnation, le même est à la fois fils de l'homme
et Fils de Dieu, puisque « deux choses identiques à une troisième
sont identiques entre elles ». Il y a donc nécessairement
« communication des idiomes », à moins qu’il ne s’agisse
d’un mot incluant quelque répugnance: tels sont les mots incluant
l’idée d’union d’une nature à l’autre, comme unir, s’incarner,
assumer et être assumé; en des mots incluant la négation
de quelque chose dont l’opposé appartient à l’autre nature,
comme commencer d’être, être créé, etc. mots
dans lesquels s’ajoute une instance contre la règle donnée,
pour la raison que nous avons dite.
L’ange
ayant annoncé à la bienheureuse Vierge Marie que le mystère
de l’incarnation devait s’opérer en elle, la Vierge le crut, le
désira et l’accepta. L’Esprit Saint survint en elle pour la sanctifier
et la féconder. Par sa puissance, « la Vierge conçut
le fils de Dieu, Vierge elle l’enfanta et demeura Vierge après sa
naissance ».
Elle
conçut non seulement une chair, mais aussi une chair animée
et unie au Verbe, pure de tout péché et absolument sainte
et immaculée, en raison de quoi on la dit mère de Dieu et
en raison de quoi elle est la très douce Vierge Marie.
2.
Explication.
L’incarnation
est l’oeuvre provenant du premier principe en tant que principe réparateur
selon un mode convenable, universel et parfait. Car il convient que la
sagesse de Dieu opère convenablement, que sa libéralité
opère universellement, que sa force opère parfaitement.
3. L’incarnation
est l’oeuvre du premier principe en tant q principe réparateur selon
un mode convenable. Or, il est convenable que le médicament corresponde
à la maladie, la réparation à la chute, le remède
au préjudice. Puisque le genre humain était tombé
par la suggestion du diable, par le consentement de la femme trompée,
il fallait qu’ici, au contraire, un bon Ange conseillât le bien,
que la Vierge crût et consentît au bon conseil et que la charité
de l’Esprit Saint la sanctifiât et la fécondât en vue
d’une conception immaculée, afin qu’ainsi « les contraires
puissent être guéris par les contraires » De même
que la femme, trompée par le diable, connue dans la concupiscence
et cor rompue par l’homme, a transmis à tous la faute, la maladie
et la mort, de même la femme, instruite par l’Ange, sanctifiée
et fécondée par l’Esprit Saint, sans aucune corruption de
l’esprit ou du corps pour rait engendrer une progéniture qui donnerait
à tous ceux qui s’en approchent la grâce, la santé
et la vie.
4. En
outre, l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe
réparateur selon un mode universel. Par le Verbe incarné,
en effet, est réparée la chute des hommes et des anges, des
êtres célestes et des êtres terrestres et des hommes
dans les deux sexes. Pour que le remède soit universel, il convenait
qu’au mystère de l’incarnation concourrent l’Ange, la femme et l’homme:
l’Ange comme annonciateur, la Vierge comme génitrice, l’homme comme
enfant conçu. L’ange Gabriel était le messager du Père
éternel, la Vierge immaculée était le temple de l’Esprit
Saint, l’enfant conçu était la personne même du Verbe.
Ainsi, dans la rédemption universelle le concours a été
réuni des trois de la triple hiérarchie, divine, angélique
et humaine pour faire voir non seulement la Trinité de Dieu, mais
aussi la généralité du bienfait et la libéralité
du souverain rédempteur. Parce que la libéralité est
appropriée à l’Esprit Saint, l’est aussi la sanctification
de la Vierge en laquelle fut opérée la conception du Verbe,
bien que cette oeuvre soit agie par la Trinité entière. On
dit cependant, par appropriation, que la Vierge a conçu de l’Esprit
Saint.
5. Enfin,
l’incarnation est l’oeuvre du premier principe en tant que principe réparateur
selon un mode parfait. C’est pourquoi la conception devait s’accomplir
avec perfection dans l’enfant, dans l’acte de concevoir et dans la force
de conception. La perfection fut complète dans l’enfant, c’est-à-dire
qu’à l’instant même de la conception, il y eut non seulement
séparation d’un germe, mais aussi affermissement, configuration,
vivification par l’âme et déification par la Déité
qui s’unissait. Ainsi, la Vierge a vraiment conçu le Fils de Dieu
en raison de l’union de la chair à la Déité par le
moyen de l’esprit raisonnable qui, en tant que moyen de convenance, rendait
la chair capable de cette union.
La
perfection fut aussi complète dans l’acte de concevoir, car parmi
les quatre manières de faire un homme, trois avaient déjà
été utilisés: le premier, sans homme ni femme en Adam;
le deuxième, d’un homme sans femme en Eve; le troisième,
d’un homme et d’une femme, en tous les enfants nés dans la concupiscence.
Il convenait pour achever la perfection de l’univers que la quatrième
manière fût introduite: d’une femme sans semence de l’homme,
par la force du souverain créateur. La perfection fut enfin complète
dans la force ou vertu, c’est-à-dire que dans la conception du Fils
de Dieu ont concouru ensemble la vertu innée, la vertu infuse et
la vertu incréée. La vertu innée a préparé
la matière, la vertu infuse l’a mise à part en la purifiant,
la vertu incréée a achevé en un instant ce que la
vertu créée n’aurait pu faire que successive ment. Ainsi,
la bienheureuse Vierge Marie fut mère d’une manière absolument
parfaite, en concevant le Fils de Dieu lui-même sans le secours d’un
homme, par la fécondation de l’Esprit Saint. Car dans l’âme
de la Vierge, l’amour de l’Esprit Saint brûlait de façon si
singulière que dans sa chair la force de l’Esprit Saint accomplissait
des merveilles, sa grâce excitant, aidant et élevant la nature,
selon que l’exigeait une conception aussi admirable.
Bien
que Dieu ait pu s’incarner dès le commencement, il ne le voulut
cependant qu’à la fin des siècles, après la loi de
nature et la loi figurée, après les Patriarches et les Prophètes
auxquels et par les quels l fut promise. Après eux, Dieu a daigné
s’incarner, comme à la fin et à la plénitude des temps,
ainsi que le dit l’Apôtre: « Mais quand vint la plénitude
du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet
de la loi afin de racheter les sujets de la loi »
2.
Explication.
L’incarnation
est l’oeuvre du premier principe en tant que réparateur comme il
convient à la liberté de l’arbitre, à la sublimité
du remède, à l’intégrité de l’univers, car
l’Artisan souverainement sage a, en agissant, considéré ces
trois choses.
La
liberté de l’arbitre requiert de n’être entraînée
à rien contre son gré. Dieu devait donc racheter le genre
humain de façon que celui qui voudrait chercher le Sauveur trouverait
le salut et que celui qui ne voudrait pas chercher le Sauveur ne trouverait
par conséquent pas le salut. Personne ne cherche le médecin
s’il ne se reconnaît être malade, personne ne cherche le docteur
s’il ne se reconnaît ignorant, personne ne cherche une aide s’il
ne se reconnaît impuissant. Donc, parce que l’homme au commencement
de sa chute s’enorgueillissait alors de sa science et de sa puissance,
Dieu prévoya donc le temps de la loi de nature, durant lequel l’homme
se convaincrait de son ignorance. L’ignorance une fois reconnue, restait
l’orgueil de la puissance qui faisait dire aux hommes: il y a un Dieu qui
agit, il n’y en a pas qui commande. Il ajouta donc la loi qui enseigne
par des préceptes moraux et qui accable par des préceptes
rituels, afin qu’ayant acquis la science et reconnu son impuissance, l’homme
se réfugie auprès de la miséricorde divine pour implorer
la grâce qui nous est donnée dans l’avènement du Christ.
Donc, l’incarnation du Verbe devait venir après la loi de nature
et la loi de l'Ecriture.
3. En
outre, la sublimité du remède requiert d’être cru d’une
foi ferme et aimé d’une charité ardente comme un mystère
secret et salutaire. Il convenait donc qu’avant la venue du Christ se pré
sentent les multiples témoignages des Prophètes, explicites
dans les paroles et implicites dans les figures pour que, de leurs témoignages
multiples et fermes, le mystère soit certain et ne laisse place
à aucun doute. Il convenait aussi que se présentent les multiples
promesses et les désirs ardents pour que l’on attende le bienfait
promis, qu’attendu il soit retardé, que retardé il soit désiré
plus longtemps et que longtemps désiré, il soit aimé
avec plus de ferveur, reçu avec plus de reconnaissance et conservé
avec plus de sollicitude.
4. Enfin,
l’intégrité et la perfection de l’univers requiert que toutes
choses soient ordonnées dans l’espace et dans le temps. En cela,
l’oeuvre de l’in carnation est la plus parfaite des oeuvres divines. Donc,
puisque l'on doit procéder de l’imparfait au parfait et non dans
le sens inverse, cette oeuvre devait se produire à la fin des temps
afin que, comme le premier homme qui était l’ornement du monde sensible
tout entier avait été créé en dernier, c’est-à-dire
au sixième jour pour achever le monde, ainsi le second homme, achèvement
du monde racheté tout entier, dans lequel le premier principe s’unit
au dernier, « Dieu au limon », est venu à la fin des
temps, au sixième âge, qui est l’âge propre à
l’exercice de la sagesse, à l’affaiblissement de la concupiscence,
au passage du trouble au repos. Tout cela convient au sixième âge
de l’histoire du monde en vue de l’incarnation du Fils de Dieu.
5. L’avènement
du Christ eut lieu au temps de la loi de grâce, il révéla
la miséricorde promise et inaugura le sixième âge,
ce qui signifie la plénitude, car la loi de grâce accomplit
la loi de l’Ecriture, la venue de la promesse l’accomplit. Le sixième
âge en raison de la perfection du sexénaire signifie la plénitude.
On dit donc que l’avènement du Fils de Dieu est la plénitude
des temps, non parce qu’il clôt le temps, mais parce qu’il accomplit
les mystères du temps. Le Christ ne devait pas venir au début
du temps, c’eût été trop tôt. Il ne devait pas
non plus différer jusqu’à la fin ultime, car c’eût
été trop tard. Il convenait, en effet, que le Sauveur introduise
le temps du remède entre celui de la maladie et celui du jugement.
Il convenait au médiateur de précéder certains de
ses membres et d’en suivre d’autres. Il convenait que le guide parfait
se manifeste au moment favorable de la course vers le prix. C’est donc
à la fin des temps, avant le terme et près du jugement final,
afin que, stimulés par la crainte du jugement, attirés par
l’espoir de la récompense, animés par la perfection du modèle,
nous suivions le guide avec vigueur et perfection, de vertu en vertu jusqu’à
atteindre au prix du bon heur éternel.
2.
Enoncé.
Dans
le Christ, dès sa conception, il y eut plénitude de toute
grâce en tant que grâce de la personne singulière, en
tant que grâce capitale et en tant que grâce d’union.
Par
la grâce de la personne singulière, il possède l’immunité
de toute faute, tant en acte qu’en puissance, car il ne pécha point
et ne put pécher. Par la grâce d’union, il est digne non seulement
de la félicité de la gloire, mais aussi de l’adoration de
latrie qui est le culte de révérence dû à Dieu
seul. Par la grâce capitale, il influe le mouvement et le sens à
tous ceux qui viennent à lui par la foi droite ou par les sacrements
de la foi, qu’ils aient précédé sa venue ou raient
suivie. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: «
Hosanna au fils de David »
3.
Explication.
La
réparation est l’opération du premier principe qui provient
de lui selon la libéralité et reconduit à lui selon
la conformité. Elle s’opère donc par la grâce et la
déiformité. La grâce provient, en effet, de Dieu libéralement
et rend l’homme conforme à Dieu. Le principe rédempteur répare
par la grâce. Or, toute chose est plus pleine et parfaite dans sa
source et son origine que partout ailleurs. Il faut donc que dans notre
principe réparateur le Christ Seigneur se trouve la plénitude
de toute grâce. Le principe réparateur dans la réparation
est principe, milieu et extrême, extrême dans la satisfaction,
mi lieu dans la réconciliation, principe dans l’influence. Il est
donc nécessaire que dans le Christ, se trouve la plénitude
de la grâce, en tant qu’il satisfait, qu’il réconcilie et
qu’il influe. Etant extrêmement capable de satisfaire, il doit être
agréable à Dieu et par conséquent parfaitement exempt
de tout péché. Dans l’homme, cela ne peut être que
par le don de la grâce divine. Dans le Christ existe donc une grâce
le sanctifiant et le confirmant, que nous appelons grâce de la personne
singulière.
4. En
outre, le médiateur n’est capable de réconcilier que s’il
possède en soi l’une et l’autre nature, la supérieure et
l’inférieure, celle qu’il faut adorer et celle qui adore. Ce ne
peut être que par une union sanctifiante et gratuite. Il faut donc
poser dans le Christ une grâce au-dessus de toute grâce et
objet de la plus grande vénération. On l’appelle grâce
d’union, par laquelle le Christ homme est Dieu béni au-dessus de
tout et donc objet du culte de latrie.
5. Enfin,
le principe n’est capable d’influer que s’il possède en soi la plénitude
fontale et originelle, plénitude qui n’est pas seulement de suffisance,
mais aussi de surabondance. Il faut donc que le Verbe incarné soit
plein de grâce et de vérité, de sorte que tous les
justes puissent recevoir de sa plénitude, comme tous les membres
reçoivent de la tête l’in flux du mouvement et du sens. C'est
pourquoi on l’appelle grâce capitale, parce que, de même que
la tête possède en elle la plénitude des sens, qu’elle
est conforme aux autres membres, les gouverne et distribue le bienfait
de son influence à ceux qui sont reliés à elle, le
Christ, ayant en soi la surabondance de la grâce, étant semblable
à nous par la nature, étant saint et juste plus que tous,
distribue à tous ceux qui accèdent à lui le bienfait
de la grâce et de l’esprit par lesquels le sens et le mouvement sont
donnés dans les êtres spirituels.
6. On
ne peut accéder au Christ que par la foi ou le sacrement de la foi.
Or, la foi au Christ est la même dans les êtres passés,
présents et futurs. Donc, le principe d’influence dans le Christ
concerne tous les êtres passés, présents et futurs
qui croient en lui et sont régénérés en lui,
qui sont unis à lui par la foi et qui deviennent par l’influx de
sa grâce membres du Christ, temples de l’Esprit Saint et par là
fils de Dieu le Père, unis entre eux par l’indivisible lien de la
charité. Ce lien, la distance dans l’espace ne peut le rompre, l’éloignement
dans le temps ne peut le déchirer.
Ainsi,
tous les justes où qu’ils soient et quel que soit le temps où
ils vécurent, forment l’unique corps mystique du Christ, recevant
le sens et le mouvement d’une seule tête, à partir de la plénitude
fon tale, radicale et originelle de toute grâce qui habite dans le
Christ comme dans une source.
Dans
le Verbe incarné, le Christ Notre Seigneur, habite la plénitude
de toute sagesse, non seulement à l’égard du contenu de la
connaissance, mais aussi à l’égard des différents
modes de connaître.
Dans
le Christ, en effet, se trouve la connaissance éternelle dans la
Déité, la connaissance sensible dans la sensibilité
et la chair, la connaissance de science dans l’âme et l’esprit. Cette
dernière fut triple, par la nature, par la grâce et par la
gloire. Ainsi, le Christ a possédé la sagesse comme Dieu
et comme homme, comme bienheureux et comme pèlerin ici-bas, comme
illuminé par la grâce et bien formé par la nature.
Il y a donc eu dans le Christ cinq modes de connaissance.
Le
premier mode est conforme à la nature divine par ce mode, le Christ
a connu tous les actuels et les possibles, les finis et les infinis, d’une
connaissance actuelle et compréhensive.
Le
second mode se rapporte à la gloire: par ce mode, le Christ a connu
tous les actuels et finis d’une connaissance actuelle et compréhensive;
les infinis, seulement d’une connaissance infuse ou extatique.
Le
troisième mode se rapporte à la grâce: en ce mode,
le Christ a connu tout ce qui concerne la rédemption du genre humain.
Le
quatrième mode est conforme à sa nature intègre, comme
la possédait Adam: par ce mode, le Christ a connu tout ce qui concerne
la constitution de l’univers.
Le
cinquième est conforme à l’expérience sensible: par
ce mode, le Christ a connu tout ce qui arrive aux organes des sens, mode
selon lequel on dit qu’il a appris, de ce qu’il souffrit, l’obéissance
“.
2.
Explication.
Le
propre du principe réparateur est de nous racheter par la libération
de sa grâce, c’est aussi de le faire par la providence de sa sagesse.
Ce qui a été créé selon l’ordre de la sagesse
ne peut être réparé sans la lumière et l’ordre
de la sagesse. Et donc, comme le Christ a dû être exempté
de toute faute, il a dû aussi être libéré de
toute ignorance et par là totalement rempli de la lumière
et de l’éclat de la sagesse supérieure. C’est pourquoi il
jouissait d’une connaissance parfaite selon l’une et l’autre nature dans
leur propre puissance cognitive, et selon chaque mode d’existence des êtres.
3. Les
choses possèdent l’être dans l’art éternel, dans l’esprit
humain et dans leur réalité propre il fallait donc que le
Christ possède cette triple connaissance des choses. Les choses
peuvent être connues dans l’art éternel d’une double manière,
par leur artisan lui-même ou par celui qui contemple cet art. Semblablement,
les choses peuvent être et être connues dans l’esprit d’une
double manière (même en dehors de toute science acquise, dont
l’imperfection ne convient pas au Christ), selon un habitus inné
ou selon un habitus infus. En conséquence, il a été
nécessaire à la parfaite plénitude de sa sagesse,
que le Christ Dieu et homme possède les cinq modes de connaissance
décrits: connaissance des choses dans l’art éternel, par
sa nature divine et par la vision de gloire; connaissance dans son esprit,
par habitus naturel et inné, comme connurent Adam et les Anges,
et par habitus gratuit et infus, comme connaissent les saints de Dieu illuminés
par l’Esprit Saint; connaissance des choses dans leur réalité
propre par la voie des sens, de la mémoire et de l’expérience,
par quoi, en nous-même, une chose inconnue devient connue Mais dans
le Christ une chose connue selon un de ces modes la lui fait connaître
selon un autre.
4. Parce
que la substance, la force et l’opération divine sont immenses,
en conséquence, selon le premier mode qui vient de la nature divine,
le Christ comprend actuellement les infinis; car, d’une certaine manière
ineffable pour le souverain Infini, toute infinité est finie.
5. Quant
à la créature, quelque soit son degré d’élévation,
elle est limitée dans sa substance, dans sa force et dans son opération.
Toutefois l’esprit humain ne peut se reposer que dans le bien infini sans
proprement le comprendre, car l’infini n’est pas compris par le fini, si
on prend le mot compréhension dans son sens propre. En conséquence,
selon le deuxième mode de connaissance, l’âme du Christ, par
la vision de gloire comprend tout ce que peut comprendre la nature finie
béatifiée par le bien infini auquel elle est souverainement
unie; et par là, elle s’étend aux finis d’une compréhension
actuelle, aux infinis seulement par un habitus infus ou même dans
l’extase. Car l’âme du Christ ne peut s’égaler au Verbe, ni
en science ni en rien d’autre.
6. En
outre, la grâce concernant surtout l’oeuvre de réparation,
selon le troisième mode de connaissance, le Christ a connu par la
grâce la plus parfaite, toutes les choses qui concernent notre rédemption,
beaucoup plus parfaitement et mieux que ne l’aurait pu l’un quelconque
des Prophètes ou même des Anges.
7. De
plus, la nature de l’homme étant par faite pour être à
la tête de toutes les créatures et les connaître en
tant qu’elles devraient le servir, comme il apparut dans la condition du
premier homme, selon le quatrième mode de connaissance, le Christ
a donc connu tout ce qui concerne la constitution de la machine mondiale,
plus parfaitement que ne l’aurait pu faire Adam.
8. Enfin,
le sens percevant les choses seulement comme un objet présent, selon
le cinquième mode de connaissance, celui de la connaissance sensible,
le Christ ne connaissait pas toutes les choses en même temps, mais
seulement celle-ci ou celle-là, selon qu’il était opportun
à la réparation du genre humain.
Dans
le Christ Seigneur, habitaient la perfection et la plénitude de
tout mérite.
En
premier lieu, en raison de celui qui méritait et qui était
non seulement homme, mais Dieu. En second lieu, en raison du temps durant
lequel il méritait, depuis le premier instant de sa conception jusqu’à
l’heure de sa mort. En troisième lieu, quant à ce par quoi
il méritait, l’habitus parfait de charité et l’exercice parfait
de la vertu dans la prière, l’action et la souffrance. En quatrième
lieu, en raison de celui pour qui il méritait, non seulement pour
lui-même, mais aussi pour nous, bien plus pour tous les justes. En
cinquième lieu, en raison de ce qu’il a mérité pour
nous, non seulement la gloire, mais aussi la grâce et le pardon,
non seulement la gloire de l’esprit, mais aussi la transfiguration du corps
et l’ouverture des portes du ciel. En sixième lieu, en raison de
ce qu’il a mérité pour lui, car bien qu’il n’ait pas mérité
la glorification de son âme qu’il possédait déjà,
il a cependant mérité la glorification de son corps, l’accélération
de sa résurrection, la glorification de son nom et la dignité
de sa puissance de Juge. En septième lieu, en raison de la manière
dont il a mérité. On peut, en effet, mériter de trois
manières ou bien en obtenant un titre qu’on n’avait pas avant, ou
bien en accroissant le titre que l’on avait déjà, ou bien
en obtenant à un nouveau titre ce que déjà l’on possédait.
De toutes ces manières, le Christ a mérité pour nous;
mais pour lui, seule ment de la troisième. C’était l’oeuvre
de la plénitude de grâce de l’Esprit Saint, par laquelle le
Christ était à la fois bienheureux et dans l’état
de mériter, de sorte que tous nos mérites se fondent sur
son mérite.
2.
Explication.
Dans
le principe réparateur, le Christ Notre Seigneur, habitait nécessairement
la plénitude de la grâce et de la sagesse qui sont pour nous
source d’une vie droite et sainte. Il fallait donc que le Christ possède
la plénitude et la perfection de tout mérite selon tout mode
de plénitude Car dans le Christ habite la plénitude de la
grâce d’union par laquelle il était Dieu depuis le premier
instant de sa conception, possédant la vision de gloire et le mouvement
du libre-arbitre. Il était donc nécessaire que le Christ
possède la perfection du mérite en raison de l’excellente
dignité de celui qui méritait et de la remarquable opportunité
du temps.
3. En
outre, il possédait la plénitude de la grâce de la
personne singulière qui l’établissait fermement dans la charité
et dans la perfection de toutes les vertus, à la fois en habitus
et en acte. Il était donc nécessaire que son mérite
soit plénier en tout ce par quoi il l’obtenait: sa charité
radicale et les actes de ses multiples vertus.
4. De
plus, en lui était la plénitude de la grâce capitale,
par laquelle il a exercé une pleine influence sur ses membres. Il
possédait donc la plénitude de mérite non seulement
pour lui, mais pour nous. De même qu’il a une influence sur tous
nos biens spirituels en raison de sa déité, de même,
en raison de l’humanité assumée, il a mérité
les biens de la vie pré sente et ceux du bonheur éternel.
5. Enfin,
la plénitude de si grands charismes supposait nécessairement
dans le Christ une souveraine et parfaite félicité dans la
partie supérieure de lui-même, bien que selon l’économie
de notre salut il était pèlerin ici-bas. Il possédait
donc la perfection du mérite en raison de ce qu’il méritait
pour lui-même, non pas la gloire et la béatitude concréées
avec son âme, qui précédaient naturelle ment en lui
tout mérite, mais seulement ce qui ne pouvait normalement coexister
avec l’état de pèlerin ici-bas, par exemple la transfiguration
de la chair et son exaltation à la plus haute dignité.
6. De
là vient aussi qu’il possédait la perfection du mérite
en raison de la manière de mériter. Dès le premier
instant de sa conception, il avait une plénitude parfaite, et mérita
donc aussitôt tout ce qu’il pouvait mériter pour lui-même.
Il put, en cela, mériter à un nouveau titre ce qu’il aurait
pu déjà mériter autrement. Mais il ne pouvait, pour
lui, acquérir un titre qu’il n’avait pas encore ou accroître
le titre qu’il avait déjà, car il ne pouvait en aucune manière
avancer dans la sainteté, étant parfaitement saint dès
le commencement. Il mérita cependant pour nous, qui, par son mérite,
sommes justifiés par sa grâce, avançons dans la justice
et recevons la couronne de la gloire éternelle.
7. Ainsi,
dans le mérite du Christ prennent racine tous nos mérites,
qu’ils soient satisfactions des peines ou qu’ils nous obtiennent la vie
éternelle.
Nous ne sommes dignes, en effet, d’être absous de l’offense au souverain
Bien ni de gagner l’immensité de la récompense, qui est Dieu,
que par le mérite de l’Homme-Dieu à qui nous pouvons et devons
dire: « Toutes nos oeuvres, tu les fais en nous, Seigneur ».
Il est, dis-je, le Seigneur à qui le Prophète s’adresse:
« J’ai dit au Seigneur: tu es mon Dieu parce que tu n’as pas besoin
de mes biens. »
2.
Enoncé.
Le
Christ n’a pas assumé seulement une nature humaine, il en a aussi
assumé les défauts. Il a assumé, en effet, les peines
corporelles, comme la faim, la soif et la lassitude; il a assumé
aussi les peines spirituelles comme la tristesse, les gémissements
et la crainte; mais il n’assuma pas toutes les pénalités
corporelles, comme le sont les défauts des multiples maladies; ni
toutes les pénalités spirituelles comme le sont l’ignorance
et les rébellions de la chair contre l’esprit; il n’assuma pas n’importe
comment ces défauts, car il reçut la nécessité
de souffrir de telle façon qu’il ne pouvait rien souffrir contre
son gré, que ce soit le gré de la Déité ou
le gré de la raison, bien que la passion fut contre la volonté
de la sensualité et de la chair, comme l’exprime la prière
du Sauveur: « Non comme je le veux, mais comme tu veux »
3.
Explication.
Le
principe réparateur remplit nécessairement l’office de médiateur
dans la réconciliation. Il est donc nécessaire qu’il ait
une convenance avec les deux extrêmes, non seulement quant à
la nature, mais aussi quant aux conditions de cette nature. Donc, puisque
Dieu est juste et bienheureux, impassible et immortel, puisque l’homme
tombé est pécheur et misérable, passible et mortel,
il était nécessaire que le Christ fût médiateur
de Dieu et des hommes, pour pouvoir reconduire l’homme à Dieu, communier
avec Dieu dans la justice et la béatitude, avec l’homme dans la
passibilité et la mortalité de sorte que, possédant
« la mortalité passagère et la béatitude permanente
» il reconduisit l’homme de la misère présente à
la vie bienheureuse, comme au contraire, l’ange mauvais, possédant
l’immortalité avec la misère et l’injustice, fut le médiateur
faisant tom ber l’homme dans la faute et la misère par sa sug gestion.
Donc, puisque le Christ médiateur a dû posséder l’innocence
et la béatitude céleste en même temps que la mortalité
et la passibilité, il dut être en même temps pèlerin
ici-bas et citoyen du ciel.
Il
eut en lui quelque chose de chacun de ces états, selon qu’il est
dit avoir assumé de l’état d’innocence l’immunité
du péché, de l’état de nature déchue la mortalité,
de l’état de gloire la béatitude de la jouissance parfaite.
4. En
outre, parce, que les pénalités dues au péché,
comme le sont ces quatre pénalités infligées à
cause du péché originel, l’ignorance, l’infirmité,
la méchanceté et la concupiscence ne peuvent subsister avec
la parfaite innocence: en conséquence, le Christ ne devait pas les
assumer et ne les assuma pas. Par contre, les peines qui sont exercice
de la vertu parfaite et témoignage d’une humanité vraie et
non feinte, sont surtout celles qui concernent la nature en général,
comme la faim et la soif en l’absence d’aliment, la tristesse et la crainte
en présence d’un préjudice en conséquence, le Christ
devait les assumer et les assuma.
5. Enfin,
aucun innocent ne doit endurer une peine contre son gré, car ce
serait contre l’ordre de la justice divine; aucun mortel ne veut mourir
et souffrir selon le désir de la nature, qui fuit naturellement
la mort. Le Christ devait endurer ces pénalités sans cependant
souffrir contre le gré de sa raison, non seulement à cause
de la béatitude et de la Déité toute-puissante unie
à lui, par laquelle il pouvait toutes les chasser, mais aussi à
cause de sa parfaite innocence qui, selon l’ordre de la justice naturelle,
lui permettait de ne rien souffrir contre son gré; ainsi, souffrait-il,
mais bien contre l’inclination et l’appétit naturel qui est dans
la sensibilité et dans la chair.
C’est
pourquoi quand le Christ pria selon la raison, il exprimait la volonté
de sa chair par laquelle il fuyait la passion, lorsqu’il disait «
Que ce calice s’éloigne de moi. » Il conforma cependant la
volonté de sa raison à la volonté du Père et
la posa avant l’appétit de sa chair, lorsqu’il disait: « Non
ma volonté, mais la tienne. »
Donc,
une volonté n’était pas contraire à l’autre, car «
il voulait selon la volonté divine ce qui était juste, il
consentait selon la volonté de la raison à la justice, mais
il récusait la peine selon la volonté de sa chair, sans cependant
accuser la justice. Chaque volonté opérait son oeuvre et
suivait son objet: la volonté divine la justice, la volonté
de chair la nature". Il n’y avait donc dans le Christ aucune lutte ni combat,
mais un ordre paisible et une tranquillité ordonnée.
Le
Christ a souffert d’une souffrance générale, d’une souffrance
dure, d’une souffrance ignominieuse, d’une souffrance à la fois
mortelle et vivifiante.
Le
Christ a souffert d’une souffrance générale, quant à
sa nature humaine, non seulement dans tous ses membres corporels, mais
aussi dans toutes les puissances de son âme, bien qu’il ne pouvait
rien souffrir selon sa nature divine.
Il
a souffert d’une souffrance dure, non seulement en éprouvant de
la douleur par la souffrance des plaies, mais aussi en compatissant, à
cause de nos péchés.
Il
a souffert d’une souffrance ignominieuse, à cause du gibet de la
croix qui était un supplice des plus abjects et à cause de
la compagnie des méchants, les larrons parmi lesquels il a été
compté.
Il
a souffert d’une souffrance mortelle par la séparation de l’âme
et du corps, étant cependant sauve l’union de l’une et de l’autre
avec la Déité. Car est anathème qui dit que le Fils
de Dieu a, pendant un temps, quitté la nature qu’il avait assumée.
2.
Explication
Le
principe réparateur, ayant produit le genre humain dans l’ordre,
a dû aussi le réparer dans l’ordre. Il doit donc le réparer
de façon que soit sauve la liberté de l’arbitre, sauf aussi
l’honneur de Dieu, sauf enfin l’ordre du gouvernement universel.
Donc,
parce qu’il a dû réparer en sauvegardant la liberté
de l’arbitre, il a réparé en donnant l’exemple le plus efficace
l’exemple le plus efficace est celui qui invite et conduit au sommet des
vertus. Or, rien ne conduit mieux l’homme à la vertu que l’exemple
de subir la mort à cause de la justice et de l’obéissance
divine, la mort, dis-je, pas n’importe laquelle, mais la mort la plus pénible.
Rien ne peut mieux inciter à la vertu qu’une telle bonté
par laquelle le Fils de Dieu très haut, a livré son âme
pour nous, sans aucun mérite de notre part, mais plutôt de
nombreux démérites. Cette bonté nous est montrée
d’autant plus qu’il a souffert et voulu souffrir pour nous des peines plus
lourdes et plus abjectes. Dieu n’a pas voulu épargner son propre
Fils, mais il l’a livré pour nous tous; comment avec lui ne nous
accordera-t-il pas toute faveur? Par quoi nous sommes invités à
l’aimer et en l’aimant à l’imiter.
3. En
outre, parce qu’il a dû réparer en sauve gardant l’honneur
de Dieu, le Christ a réparé en offrant un sacrifice de satisfaction.
« C’est satisfaire que de payer à Dieu l’honneur qui lui est
dû ». Or, l’honneur soustrait à Dieu par l’orgueil et
la désobéissance à l’égard de quoi l’homme
est tenu, n’est restitué que par l'humiliation et l’obéissance
à ce à quoi l’homme n’est aucunement tenu. Donc, parce que
le Christ Jésus en tant que Dieu était égal au Père
dans la forme de Dieu, en tant qu’homme innocent il n’était nullement
débiteur de la mort; lorsqu’il s’anéantit lui-même
et devint obéissant jusqu’à la mort il remboursa Dieu de
ce qu’il ne lui avait pas arraché, par le sacrifice d’une satisfaction
parfaite et offrit le sacrifice très agréable pour une expiation
parfaite envers Dieu,
4. Enfin,
parce qu’il a dû réparer en sauvegardant l’ordre du gouvernement
universel, le Christ a donc réparé par un remède convenable.
Or, il est très convenable que les contraires Soient guéris
par les contraires L’homme voulait être aussi sage que Dieu. Il pécha
en voulant se délecter de l’arbre défendu de sorte qu’il
tomba dans la débauche et s’éleva dans la présomption
et que tout le genre humain a été infecté, a perdu
l’immortalité et encouru la mort. Pour que l’homme soit racheté
par un remède convenable, Dieu-fait-homme a voulu s’humilier et
souffrir sur le bois de la croix contre l’universelle infection, il a souffert
d’une souffrance générale, contre la débauche d’une
souffrance dure, contre la présomption d’une souffrance ignominieuse,
contre la mort méritée et non voulue, il a voulu souffrir
une mort non méritée mais volontaire.
5. La
corruption générale avait infecté en nous non seulement
le corps et l’âme, mais aussi toutes les parties du corps et toutes
les puissances de l’âme. Le Christ a donc souffert dans toutes les
parties de son corps et dans toutes les puissances de son âme et
dans la portion supérieure de sa raison qui se délectait
souverainement en Dieu en tant que raison et à cause de son union
à ce qui lui était supérieur, mais qui souffrait souverainement
en tant que nature et à cause de son union à ce qui lui était
inférieur, car le Christ était tout à la fois pèlerin
ici-bas et citoyen du ciel.
6. En
outre, parce que la débauche avait infecté violemment en
nous l’âme et la chair, nous induisant aux péchés charnels
et aux péchés spirituels, le Christ a souffert d’une souffrance
dure dans la chair et compati d’une souffrance amère dans son âme.
Et parce que sa chair avait une complexion parfaitement équilibrée
et une parfaite vivacité des sens, parce que son âme possédait
une charité suprême envers Dieu et une piété
souveraine envers le prochain il était normal que la douleur de
l’une et de l’autre ait été très intense.
7. De
plus, parce que l’enflure de l’orgueil surgit parfois intérieurement
par la présomption, par fois extérieurement par l’ostentation
et la flatterie, pour racheter toute superbe, le Christ a donc souffert
ces deux genres d’ignominie en souffrant en lui-même et dans la compagnie
qu’il eût dans sa passion.
8. Enfin,
parce que toutes ces souffrances n’atteignaient pas la nature divine impassible
mais seulement la nature humaine, dans la mort du Christ la division de
l’âme et de la chair s’est donc opérée de façon
que soit sauve l’unité de la personne et l’union tant de la chair
que de l’âme avec la Déité.
L’union
de l’âme avec le corps fait un homme et le fait vivant. Le Christ
n’était plus homme durant les trois jours de sa mort, bien que son
âme et sa chair soient demeurées unies au Verbe. Parce que
la mort dans la nature humaine ne pouvait entraîner la mort dans
la personne qui a toujours été vivante: la mort est donc
morte dans la vie, et par la mort du Christ, la mort a été
absorbée dans la victoire et le prince de la mort a été
vaincu, et par là, l’homme a été délivré
de la mort et de la cause de la mort par le mérite de la mort du
Christ comme par le moyen le plus efficace.
Il
faut tenir fermement que l’âme du Christ, après la Passion,
est descendue aux enfers ou limbes, pour libérer non pas tous les
hommes, mais ceux qui, parmi les membres du Christ, étaient morts
dans la foi vivante ou dans les sacrements de la foi.
L’âme
du Christ ressuscita des morts le troisième jour en reprenant le
corps qu’elle avait vivifié, mais non plus tel qu’il était
auparavant, car auparavant il était passible et mortel; après
qu’il eût ressuscité, il était impassible et immortel,
vivant pour toujours.
Après
quarante jours, il monta aux cieux où, exalté au-dessus de
toute créature, il est assis à la droite du Père On
doit comprendre ceci non quant à la localisation, ce qui ne convient
pas à Dieu le Père, mais quant à l’excellence des
biens, car le Christ réside dans les biens supérieurs du
Père.
Enfin,
après un intervalle de dix jours, il envoya sur les Apôtres
l’Esprit Saint promis, par lequel l’Eglise des nations a été
rassemblée et ordonnée selon les diverses distributions d’offices
et de grâces.
2.
Explication
Parce
que le Christ, en tant que Verbe incréé a formé parfaitement
toutes choses, de même, en tant que Verbe incarné, il dut
les réformer parfaitement. Car il convient que le principe parfait
ne laisse pas descendre son oeuvre en dessous de la perfection. Le principe
réparateur devait donc mener le remède de la rédemption
humaine à la perfection. Pour être parfait, ce remède
devait donc être suffisant et efficace.
3. Parce
que suffisant, ce remède s’étendit donc au ciel, à
la terre et aux enfers. Par le Christ les enfers ont été
récupérés, la terre guérie, le ciel réintégré,
de sorte qu’il récupéra les enfers par le pardon, guérit
la terre par la grâce, réintégra le ciel par la gloire
ainsi, après la passion, l’âme du Christ descendit aux enfers
pour libérer ceux qui y étaient morts dans les péchés;
il monta aux cieux en ramenant les captifs pour réintégrer
la Jérusalem céleste; il envoya l’Esprit Saint pour édifier
la Jérusalem terrestre. Toutes ces choses sont une conséquence
nécessaire exigée pour que la rédemption humaine soit
suffisante.
4. En
outre, parce que ce remède fut efficace tant pour ceux qui précédèrent
la venue du Christ que pour ceux qui la suivent et qui ont accédé
au Christ et y accèdent et furent et sont ses membres — tels sont
ceux qui adhèrent à lui par la foi, l’espérance et
la charité —; ce remède devait donc avoir une efficacité,
en premier lieu, pour ceux qui croyaient dans le Christ, qui, en croyant,
espérèrent et, en espérant, aimèrent; et par
là, le Christ devait donc immédiatement descendre aux enfers
pour les libérer. Le Christ, par sa passion, ouvrit les portes du
ciel, lui qui, en satisfaisant, écarta le glaive de feu et, en changeant
la sentence divine, écarta tous ses membres de l’enfer.
5. Ce
remède devait aussi avoir une efficacité excellente pour
ceux qui suivent la venue du Christ, afin qu’en les attirant à la
foi, à l’espérance et à la charité, il les
ramène enfin à la gloire céleste. Donc, pour édifier
dans la foi, par laquelle aussi nous croyons qu’il a voulu nous racheter
par sa mort et qu’il a pu nous ramener à la vie par sa résurrection;
il a donc voulu ressusciter à la vie immortelle, après cependant
un espace de temps convenable, c’est-à-dire trente-six heures. Il
a montré par là qu’il était vrai ment mort; et il
ne devait pas aller plus vite de peur que, s’il ressuscitait trop tôt,
on crût qu’il n’était pas vraiment mort et qu’il avait feint
d’être mort; il ne devait pas non plus attendre plus longtemps, de
peur qu’en demeurant toujours dans la mort, on le crût impuissant
et qu’il ne puisse rappeler personne à la vie: il ressuscita donc
le troisième jour.
6. De
plus, pour élever dans l’espérance, il monta vers la gloire
céleste que nous espérons. Mais parce que l’espérance
ne naît que de la foi en l’immortalité future, il ne monta
pas immédiatement, mais après un intervalle de quarante jours,
pendant lequel, par de multiples miracles et arguments, il prouva sa vraie
résurrection, par laquelle l’esprit est consolidé dans la
foi et emporté vers l’espérance de la gloire céleste.
7. Enfin,
pour enflammer dans la charité, le Christ envoya le feu de l’Esprit
Saint au jour de la Pentecôte. Et parce que personne ne peut être
rempli de ce feu s’il ne prie, ne cherche et ne frappe avec une espérance
instante et importune; il ne l’envoya donc pas immédiatement après
son ascension, mais après un intervalle de dix jours, durant lequel
les disciples en jeûnant, en priant et en gémissant, se disposèrent
à recevoir l’Esprit Saint.
Ainsi,
comme il avait respecté l’heure de sa passion, il respecta l'heure
de sa résurrection, de son ascension et de l’envoi de l’Esprit Saint,
pour fonder les trois vertus et en raison de nombreux mystères impliqués
dans ces temps.
8. Et
parce que l’Esprit Saint, qui est charité et que l’on possède
par la charité est l’origine de tous les charismes, lorsqu’il descendit,
la plénitude des charismes fut répandue pour embraser le
corps mystique du Christ. Et parce que dans un corps par fait, il doit
y avoir divers membres, divers offices et activités de ces membres
et divers charismes en vue de ces offices, en conséquence «
à l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnée par l’Esprit;
à tel autre une parole de science; à un autre la foi; à
tel autre le don de guérir; à tel autre la puissance d’opérer
des miracles; à tel autre les diversités des langues; à
tel autre le don de les interpréter. Mais tout cela c’est le seul
et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à
chacun en particulier, comme l’entend », selon sa providence et sa
libéralité providentielle.
Enoncé
En
tant que don venant de Dieu, la grâce est un don qui est donné
et infusé par Dieu, sans intermédiaire; car, avec elle et
en elle est donné l’Esprit Saint qui est le don incréé,
excellent et parfait, descendant du Père des lumières par
le Verbe incarné, selon que Jean, dans l’Apocalypse, vit un fleuve
splendide, semblable à du cristal, jaillir du trône de Dieu
et de l’Agneau.
Elle
est aussi un don, par lequel l’âme acquiert la perfection et la dignité
d’épouse du Christ, de fille du Père éternel et de
temple du Saint Esprit; ce qui ne peut s’obtenir d’aucune façon
sinon par la bienveillante condescendance et la condescendante bienveillance
de la Majesté éternelle par le don de sa grâce.
Elle
est enfin un don qui purifie l’âme, l’illumine et la parfait, ce
don qui la vivifie, la réforme et la stabilise; l’élève,
l’assimile et l’unit à Dieu et ainsi la rend acceptable. C’est pourquoi
un tel don est appelé, à juste titre, et doit être
appelé grâce gratum faciens.
3.
Explication
Le
premier principe créateur, dans sa souveraine bienveillance, a fait
l’esprit raisonnable capable de la béatitude éternelle. Le
principe réparateur a réparé pour le salut cette capacité
rendue caduque par le péché. Or, la béatitude éternelle
consiste dans la possession du souverain Bien. Ce bien est Dieu, bien infiniment
supérieur au service humain le plus éminent. Nul homme n’est
digne d’accéder à ce bien souverain qui transcende toutes
les limites de la nature, à moins que Dieu, dans sa condescendance,
ne l’élève au-dessus de lui-même.
Or,
Dieu ne condescend pas par son essence immuable, mais par une influence
émanant de lui. L’esprit n’est pas élevé au-dessus
de lui-même en un endroit dans l’espace, mais par une qualité
déiforme. Il est donc nécessaire à l’esprit raisonnable,
pour devenir digne de l’éternelle béatitude, de participer
à cette influence déiforme. Or, cette influence déiforme,
parce qu’elle est de Dieu, selon Dieu et pour Dieu, rend l’image de notre
esprit semblable à la bienheureuse Trinité, non seulement
quant à son mode d’origine, mais aussi en ce qui concerne la droiture
du choix et la quiétude de la, jouissance. Qui possède cela
est immédiatement ramené à Dieu, comme il lui est
immédiatement rendu semblable. C’est pourquoi ce don est donné
immédiatement par Dieu, principe influent.
Tant
et si bien que de même qu’émane immédiate ment de Dieu
l’image de Dieu, ainsi émane immédiatement de Dieu la similitude
de Dieu, qui est la perfection déiforme de l’image divine. On peut
donc l’appeler l’image de recréation.
4. En
outre, parce que celui qui jouit de Dieu possède Dieu, avec la grâce
qui, par sa déiformité, dispose à la jouissance de
Dieu, est donné le don incréé qui est l’Esprit Saint.
Quiconque la possède, possède Dieu.
5. Et
parce que nul ne possède Dieu qu’il ne soit très spécialement
possédé par lui, nul ne possède et n’est possédé
par Dieu qu’il ne l’aime par-dessus tout et incomparablement et ne soit
aimé par lui comme l’épouse par l’époux, nul n’est
ainsi aimé qu’il ne soit adopté comme fils pour l’héritage
éternel, la grâce sanctifiante rend donc l’âme temple
de Dieu, épouse du Christ et fille du Père éternel.
Cela
ne pouvant se réaliser que par la souveraine bienveillance et condescendance
de Dieu, cette réalisation ne vient pas d’un habitus quelconque
naturellement présent en nous, mais seulement d’un don divin, gratuitement
infus. C’est l’évidence pour qui pèse ce qu’il en est d’être
temple de Dieu, fils de Dieu, uni indissolublement et comme matrimonialement
à Dieu par le lien de l’amour et de la grâce.
6. Enfin,
parce que notre esprit ne peut être rendu conforme à la bienheureuse
Trinité que selon la droiture de l’élection, que par la force
de la vertu, la splendeur de la vérité et la ferveur de la
charité: la force de la vertu purifie l’âme, la stabilise
et l’élève; la splendeur de la vérité l’illumine,
la réforme et l’assimile à Dieu; la ferveur de la charité
la perfectionne, la vivifie et l’unit à Dieu. Et à cause
de tout cela, l’homme plaît à Dieu et en est agréé;
cette influence déiforme renferme donc les dix actes précédemment
indiqués tout en portant un nom qui correspond au dernier, le plus
parfait: on l’appelle, en effet, grâce gratum faciens, car
celui qui la possède est rendu agréable à Dieu puisqu’elle
est non seulement donnée gratuitement par Dieu, mais qu’elle est
aussi selon Dieu et pour Dieu. En cela, l’oeuvre émanant de Dieu
fait retour à Dieu en qui s’achève, à la manière
d’un cercle intelligible, la consommation de tous les esprits raisonnables.
2.
Enoncé
Le
mot « grâce » présente trois significations quand
on parle de la grâce comme aide pour le mérite, on doit se
rappeler que ce terme peut s’employer dans un triple sens: général,
spécial et propre. Dans un sens général, il désigne
le secours divin libéralement et gratuitement départi à
la créature pour tout acte sans distinction, quelle que soit la
nature de l’acte de cette créature. Sans un tel secours, nous ne
pouvons ni faire quelque chose, ni durer dans l’être. Dans son sens
spécial, la grâce est une aide que Dieu donne pour préparer
à recevoir le don de l’Esprit Saint par lequel il accède
ainsi à l’état de mérite. On appelle cette aide, grâce
gratis data. Sans elle, nul ne peut faire en suffisance ce qu’il peut pour
se préparer au salut.
Dans
son sens propre, la grâce est une aide que Dieu nous donne pour mériter;
on l’appelle grâce gratum faciens. Sans elle, nul ne peut
mériter, ni avancer dans le bien, ni parvenir au salut éternel.
Cette grâce, en effet, comme racine du mérite, précède
tout mérite. Pour cela, il est dit qu’elle « prévient
la volonté pour qu’elle veuille et qu’elle l’accompagne pour qu’elle
ne veuille pas en vain ».
Personne
donc ne peut la mériter en justice, mais « c’est elle qui
mérite son accroissement par Dieu ici-bas, afin qu’ayant augmenté,
elle mérite d’être consommée » au ciel et dans
la gloire sans fin par Dieu lui-même auquel appartient d’infuser,
d’augmenter et de consommer la grâce selon la coopé ration
de notre volonté et selon le dessein ou bon plaisir de la prédestination
éternelle.
3.
Explication
Le
premier principe, par sa vertu toute-puissante et sa magnanime libéralité
a produit à l’être toute créature à partir du
néant. La créature a donc de soi le non-être, elle
reçoit tout son être d’un autre. Elle fut ainsi créée
pour que, par son indigence, elle ait toujours besoin de son principe et
pour que le premier principe, par sa bonté, ne cesse de se communiquer
à elle. Donc, puisque l’esprit raisonnable, par le fait même
qu’il est tiré du néant, est en soi imparfait puisque, du
fait de sa nature limitée et indigente, l’esprit raisonnable est
replié sur lui-même et aime son propre bien; du fait qu’il
doit tout à Dieu, il est totalement dépendant de Dieu. Imparfait,
il tend de soi au non-être; replié sur lui-même, il
ne peut par lui-même s’élever jusqu’à la rectitude
de la parfaite justice; totalement dépendant de Dieu, et Dieu n’ayant
pas besoin de ses biens, il ne peut rien faire de lui-même et par
sa propre vertu qui constituât Dieu son débiteur surtout à
l’égard de la récompense éternelle qui est Dieu, si
ce n’est par la divine condescendance. Donc, pour être sauvé
dans l’être, étant imparfait, il a besoin perpétuelle
ment de l’aide de la présence, du soutien et de l’influence de Dieu
par laquelle il est maintenu dans l’être. Bien que cette influence
soit universelle dans toutes les créatures, on l’appelle cependant
grâce, car elle ne procède pas d’une dette, mais de la libéralité
de la bonté divine.
Donc
aussi, pour se préparer au don de la grâce d’en haut, l’esprit
raisonnable, étant replié sur lui même, a besoin surtout
après la chute, du don d’une autre grâce gratis data, afin
d’être habilité aux actes moralement bons qui sont bons en
vertu des circonstances. Ces actes ne peuvent aucunement être appelés
bons que s’ils procèdent d’une intention droite, c’est-à-dire
s’ils sont faits non pour nous mais en vue du souverain Bien vers lequel
notre esprit replié sur lui-même ne s’élève
que si Dieu le prévient par quelque grâce gratis data.
Donc
enfin, pour faire des oeuvres méritant la récompense éternelle,
l’esprit raisonnable étant totalement dépendant de Dieu et
son entier débiteur, a besoin du don de la grâce gratum
faciens par laquelle Dieu condescend jusqu’à lui, en acceptant
son image et sa volonté avant d’accepter l’oeuvre qui en émane.
Car, « la cause étant plus noble que l’effet », nul
ne peut se rendre meilleur, ni faire oeuvre agréable qui plaise
à Dieu, à moins de se complaire d’abord à ce que Dieu
le regarde lui-même avant de regarder ses offrandes. Et c’est pourquoi
le mérite s’enracine dans la grâce gratum faciens dont
le propre est de rendre l’homme digne de Dieu. Aussi bien nul ne peut-il
la mériter en justice, mais seulement en convenance.
4. Une
fois possédée, la grâce mérite son propre accroissement
ici-bas par son bon usage et le mérite en justice. En effet, Dieu
seul étant le principe et la source de cette grâce, il est
le seul principe de son accroissement en l’infusant, la grâce en
est aussi le principe en le méritant et s’en rendant digne, le libre-arbitre
en coopérant et en méritant, dans la mesure où il
coopère à la grâce et fait sien ce qui est l’oeuvre
de grâce.
5. Ainsi,
le libre-arbitre, par la grâce, mérite en justice non seulement
l’accroissement de cette grâce ici-bas, mais aussi en toute justice,
son achèvement dans l’état de gloire et cela à cause
de la sublimité de don de l’Esprit Saint chez celui qui coopère
au mérite; à cause de la vérité du Dieu qui
l’a promis à cause du caractère instable du libre-arbitre
consentant et persévérant jusqu’à la fin; à
cause de la difficulté de l’état de mérite; à
cause de la dignité du Christ médiateur, lui notre chef qui
doit être glorifié avec ses membres; à cause de la
libéralité du Dieu rémunérateur qui ne peut
décemment rétribuer avec parcimonie l’hommage d’une obéissance
fidèle; à cause de la supériorité de l’oeuvre
procédant de la charité, qui au regard du juge pèse
autant que l’amour dont elle émane, amour qui préfère
incomparablement Dieu à toutes les créatures et ne peut donc
être récompensé en suffisance et en convenance si ce
n’est par Dieu souverain Bien.
Pour
ces sept raisons, la grâce septiforme ne fait pas mériter
la gloire éternelle seulement en convenance, mais aussi en justice.
Le
libre-arbitre, bien que « tout-puissant sous la main de Dieu »,
peut néanmoins se précipiter par lui-même dans le péché.
Mais il ne peut absolument pas se relever sans le secours de la grâce
divine appelée grâce gratum faciens.
Cette
grâce, bien que remède suffisant contre le péché,
n’est cependant donnée à l’adulte que si son libre-arbitre
y consent. D’où l’on peut conclure que la justification de l’impie
requiert le concours de quatre éléments
le don de la grâce
l’expulsion
de la faute la contrition
le
mouvement du libre-arbitre.
La
faute est expulsée par le don de Dieu, non par le libre-arbitre,
mais cependant pas sans lui. Car il est du rôle de la grâce
gratis data de rappeler le libre-arbitre du mal et de l’exciter au bien;
il est du rôle du libre-arbitre de consentir à cette grâce
ou de la rejeter; celui qui y consent reçoit la grâce et la
recevant coopère avec elle afin de parvenir enfin au salut.
2.
Explication
Le
premier principe, par le fait qu’il est premier et tout-puissant, est la
cause de tout ce qui a lieu dans l’univers, sauf des péchés
qui sont des « transgressions de la loi divine et des désobéissances
aux commandements célestes ». Rien ne lui est rebelle, injurieux
et offensant sinon le péché qui, en méprisant le précepte
de Dieu et en nous détournant du bien immuable, offense Dieu, déforme
le libre-arbitre, détruit le don gratuit et enchaîne au supplice
éternel. Or, la déformation de l’image et la destruction
de la grâce est comme un anéantissement dans l’être
du bien, de l’état et de la vie de la grâce; l’offense faite
à Dieu a autant de poids que Dieu lui-même est grand, comme
la peine éternelle possède un aspect infini, il est donc
impossible que l’homme se relève de sa faute s’il n’est pas recréé
dans la vie surnaturelle, si l'offense ne lui est remise, s’il n’est pas
gracié de la peine éternelle. Seul celui qui fut le principe
créateur est aussi principe re-créateur, le Verbe éternel
du Père qui est le Christ Jésus, médiateur entre Dieu
et les hommes, qui créant tout à partir du néant,
crie par lui-même sans aucun intermédiaire.
3. Parce
qu’il recrée en reformant par l’habitus de grâce et de justice
celui que le mal de la faute a déformé, en absolvant par
une satisfaction de justice celui qui a été condamné
à la peine, c’est dire qu’il nous répare en supportant pour
nous la peine dans la nature humaine qu’il a assumée et en infusant
la grâce réformatrice qui, en nous unissant à son origine,
nous fait membres du Christ. Par là, de l’âme pécheresse
qui avait été ennemie de Dieu, prostituée du diable
et esclave du péché, la grâce fait l’épouse
du Christ, le temple de l’Esprit Saint et la fille du Père éternel.
C’est là l’oeuvre de l’infusion gratuite et condescendante du don
de la grâce.
4. En
outre, Dieu reformant sans infirmer les lois inscrites dans la nature,
il donne donc cette grâce au libre-arbitre de telle manière
qu’il ne force pas mais laisse libre son consentement. Et donc, pour que
la faute soit expulsée, il est non seulement nécessaire que
la grâce soit introduite mais aussi que le libre-arbitre de l’adulte
— car chez les enfants, la foi de l’Eglise et le mérite du Christ
suffit, et leur impuissance obtient l’impunité — il faut, dis-je,
que le libre-arbitre se conforme à l'expulsion de la faute en détestant
tous les péchés c’est ce que nous appelons contrition. Il
est nécessaire aussi que l’adulte se conforme à l’introduction
de la grâce en goûtant et en acceptant le don divin: c’est
ce que nous appelons le mouvement du libre-arbitre. Ainsi, le concours
de ces quatre éléments est nécessaire à la
justification de l’impie.
5. Enfin,
la prédisposition à une forme complémentaire devant
lui être conforme, pour que le libre-arbitre se dispose à
la grâce gratum faciens, il a besoin de l’appui d’une grâce
gratis data. Parce qu’il est du rôle de la grâce de ne pas
forcer le libre-arbitre mais de la prévenir et de passer ensemble
à l’acte, dans notre justification concourrent l’acte du libre-arbitre
et celui de la grâce, harmonieuse ment et avec ordre, de sorte que
le rôle de la grâce est d’exciter le libre-arbitre, celui du
libre-arbitre est de consentir à cette excitation ou de la rejeter.
S’il y consent, il se prépare à la grâce gratum
faciens, car c’est là faire ce qui est en lui; ainsi disposé,
la grâce gratum faciens lui est infusée à laquelle
il peut coopérer s’il le veut, alors il mérite, ou qu’il
peut contrarier par le péché, alors il démérite.
S’il coopère jusqu’à la fin, il mérite de parvenir
au salut éternel.
6. Est
donc vrai ce que dit Augustin que « celui qui t’a créé
sans toi ne te justifie pas sans toi ». Est vrai aussi que ce n’est
pas l’oeuvre de celui qui veut ou qui concourt, mais de Dieu qui fait miséricorde.
Est vrai aussi que nul ne peut s’enorgueillir de ses mérites car
Dieu ne couronne rien d’autre en nous que ses dons. Dieu s’est, en effet,
réservé de distribuer libéralement les dons de sa
grâce afin que l’homme apprenne à n’être pas ingrat
et à ne pas se glorifier en lui-même comme s’il n’avait rien
reçu, mais à se glorifier dans le Seigneur.
Est
vrai aussi que, bien que le libre-arbitre ne puisse par lui-même
accomplir la loi, ni produire en lui la grâce, il est -cependant
inexcusable s’il ne fait pas ce qu’il peut, car la grâce gratis data
est toujours prête à la prévenir, par l’appui de laquelle
il peut faire ce qui est en lui. Quand il le fait, il possède la
grâce gratum faciens. Lorsqu’il a obtenu cette grâce,
il accomplit la loi divine et fait la volonté de Dieu. Lorsqu’il
l’a faite, il parvient enfin à la béatitude éternelle
à cause des oeuvres méritoires qui sont totalement oeuvres
de la grâce et totalement oeuvres du libre-arbitre, bien que la grâce
en soit la cause principale, comme le dit saint Augustin: « La grâce
est au libre-arbitre comme le cavalier au cheval. » Comme un cavalier,
la grâce dirige, mène et conduit le libre-arbitre jusqu’au
port de la félicité éternelle en nous exerçant
dans les oeuvres de la vertu parfaite selon le don de cette grâce
septiforme.
2.
Enoncé
Bien
que la grâce gratum faciens soit une, il y a pourtant sept
vertus gratuites qui dirigent la vie humaine: trois vertus théologales,
la foi, l’espérance et la charité; quatre vertus cardinales,
la prudence, la tempérance, la force et la justice. Celle-ci, en
un sens, est vertu générale, en un autre sens, une vertu
spéciale et propre.
Ces
sept vertus, bien que distinctes et possédant leur excellence propre,
sont cependant connexes et égales entre elles au regard du même
objet. Bien qu’informées gratuitement par la grâce, les vertus
gratuites peuvent cependant devenir informes par la faute, à l'exception
de la charité seule. Elles peuvent être à nouveau informées
par la pénitence lorsque survient la grâce qui est l’origine,
la fin et la forme des vertus.
3.
Explication
De
même que le principe créateur, par sa perfection suprême,
en donnant la vie de la nature non seulement donne de vivre quant à
l’acte premier, mais aussi quant à l’acte second qui est l’agir,
il est de même nécessaire que le principe réparateur
donne la vie à l’esprit dans l’être gratuit quant à
l’être et quant à l’agir. Et parce que, d’un vivant selon
la vie première, multiples sont les opérations vitales pour
la parfaite manifestation de cette vie, puisque les actes se diversifient
par leur objet et que la diversité des actes requiert la distinction
des habitus, bien qu’il n’existe qu’une seule grâce vivifiante, elle
doit cependant se ramifier dans divers habitus à cause des diverses
opérations.
Certaines
oeuvres morales sont premières comme croire, certaines intermédiaires
comme comprendre le donné de la foi, certaines enfin sont dernières
comme voir les choses comprises. Dans les premières, l’âme
est rectifiée, dans les secondes, elle est équipée,
aidée dans ses opérations par les seconds, et élevée
enfin à la perfection par les derniers, dans les troisièmes,
elle est consommée. La grâce gratum faciens doit donc
se ramifier en habitus des vertus qui rectifient l’âme, en habitus
des dons qui l’équipent [pour la rendre plus souple, plus opérante]
et en habitus des béatitudes qui la consomment.
4. En
outre, parce que la rectitude parfaite de l’âme requiert d’être
rectifiée dans sa double face, supérieure et inférieure
et par rapport à la fin et par rapport à ce qui conduit à
la fin, il est donc nécessaire que, dans sa face supérieure
en qui réside l’image de la Trinité, l’âme soit rectifiée
par les trois vertus théologales. De cette façon, comme l’image
de création consiste dans la trinité des puissances en l’unité
d’essence, ainsi l’image de recréation consiste dans la trinité
des habitus en l’unité de grâce par lesquels l’âme est
portée en droite ligne vers la souveraine Trinité selon les
appropriations des trois personnes. Ainsi, la foi conduit à croire
et à assentir à la vérité souveraine, l’espérance
à prendre appui sur la grandeur suprême et à attendre
tout d’elle, la charité à désirer et à aimer
le Bien souverain.
5. Il
est nécessaire aussi que l’âme, quant à sa face inférieure,
soit rectifiée par les quatre vertus cardinales. Car la prudence
rectifie le rationnel, la force l’irascible, la tempérance le concupiscible,
la justice rectifie toutes ces puissances dans leur rapport avec autrui.
Et parce que cet « autrui » peut être d’une façon
déterminée le prochain, un même homme peut être
rapporté à soi-même en tant qu’autrui, cet autrui peut
être aussi Dieu lui-même, la justice englobe ainsi toutes les
puissances. Elle est non seule ment vertu cardinale, mais aussi vertu générale
embrassant la rectitude de toute l’âme puisqu’elle est appelée
« rectitude de la volonté ». De là vient qu’elle
ne comprend pas seulement les vertus ordon nées au prochain, comme
l’équité et la libéralité, mais aussi les vertus
ordonnées à soi-même comme la pénitence et l’innocence
et enfin les vertus ordon nées à Dieu comme l’adoration,
la piété et l’obéissance.
6.
Enfin, parce que toute rectitude des vertus, selon l’être gratuit
découle de la grâce comme de son origine et de sa racine,
et selon l’être méritoire elle se réfère à
la charité comme à son origine, à sa forme et à
sa fin, les autres vertus gratuites sont connexes quant à leur habitus
et égales quant aux actes méritoires. De là aussi,
les autres habitus des vertus peuvent être informes, la charité
seule exceptée qui est la forme des vertus. Lorsqu’on les possède
sans la grâce et la charité qui sont la vie des vertus, alors
elles sont informes. Lorsque la grâce s’y surajoute, alors elles
sont formées, ornées et rendues acceptables par Dieu. Comme
les couleurs sont invisibles sans la lumière, lorsque celle-ci survient,
elles deviennent alors lumineuses, belles et plaisantes à l’oeil.
Ainsi, de même que la lumière et les couleurs ne font qu’une
seule chose au point de départ et qu’une seule lumière suffit
à rendre visibles de multiples couleurs, ainsi en est-il de la grâce
et des habitus informes: lorsqu’ils sont formés, ils ne font qu’un
sous l’angle du mérite et de la grâce, et une seule grâce
suffit néanmoins à informer et à sanctifier les divers
habitus.
Les
dons de la grâce gratuite sont nombreux et, dans un sens général
il n’est pas absurde d’affirmer que tous les habitus donnés par
Dieu peuvent être appelés dons de Dieu. Cependant, il existe,
dans un sens spécial et propre, sept dons du Saint Esprit qu’Isaïe
énumère et nomme, en parlant de la fleur qui naît de
la tige de Jessé, c’est-à-dire du Christ dont il est dit
que repose sur lui l’Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence,
esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété
et que le remplit l’esprit de crainte du Seigneur. Dans cette énumération,
il procède en descendant du sommet et en les unissant afin de montrer
la distinction, la connexion, l’origine et l’ordre des dons.
2.
Explication
Le
principe réparateur, par sa souveraine libéralité,
ne donne pas seulement la grâce pour rectifier l’âme par les
vertus contre les entraves des vices, mais aussi pour l’équiper
par les dons contre les obstacles dus aux séquelles des vices. Les
dons gratuits se multiplient donc selon qu’il est nécessaire à
un équipement suffisant. Puisque l’âme a besoin d’être
équipée de sept manières, pour sept raisons, les dons
du Saint Esprit doivent être au nombre de sept. Car il faut que l’âme
soit équipée contre les entraves des vices, pour l’exercice
des facultés naturelles, comme pour le développement des
vertus gratuites, dans la souffrance, dans l’action, dans la contemplation,
dans la vie active et la vie contemplative.
3. En
premier lieu, pour repousser facilement les entraves des vices, les sept
dons du Saint Esprit nous sont donnés, la crainte contre l’orgueil,
la piété contre l’envie, la science contre la colère
qui est comme une folie, la force contre la paresse qui rend l’esprit incapable
du bien, le conseil contre l’avarice, l'intelligence contre la gourmandise,
la sagesse contre la luxure.
4. En
second lieu, pour équiper les facultés naturelles, les dons
de l’Esprit Saint doivent être sept. L’appétit irascible a,
en effet, besoin d’être équipé pour accomplir de bonnes
actions tant dans la prospérité que dans l’adversité:
dans la prospérité il est équipé par la crainte,
dans l’adversité par la force. L’appétit concupiscible a
besoin d’être préparé à aimer le prochain, ce
que fait la piété et à aimer Dieu, ce que fait le
goût de la sagesse. L’appétit rationnel a besoin d’être
aidé c la contemplation, l’élection et l’accomplissement
de la vérité, Le don de l’intelligence l’aide dans la contemplation
du vrai, le don de conseil dans le choix du vrai, le don de science dans
l’accomplissement de ce qui a été choisi. Par le don de science,
nous nous comportons droite ment au sein d’une génération
dévoyée et perverse.
5. En
troisième lieu, pour nous aider à accomplir les offices des
sept vertus, il faut sept dons de l’Esprit Saint. La crainte, en effet,
aide la tempérance en crucifiant la chair, la piété
aide la vraie justice, la science aide la prudence, la force aide la patience,
le conseil aide l’espérance, l’intelligence aide la foi, la sagesse
aide la charité. Ainsi, de même que « la charité
est mère et consommation de toutes les vertus », la sagesse
l’est aussi des dons, de sorte que le Sage parle en toute vérité
en disant que « avec elle me sont venus tous les biens et par ses
mains d’innombrables richesses ».
6. En
quatrième lieu, les dons sont au nombre de sept pour aider à
souffrir en conformité avec le Christ. Or, le Christ fut conduit
à souffrir par la volonté du Père, la nécessité
humaine et le zèle de sa vertu. La volonté divine l’a conduit
en tant que connue par l’intelligence, en tant qu’aimée par la sagesse,
en tant que révérée par la crainte. Notre nécessité
l’a conduit, car pour la découvrir, il faut la science et pour y
compatir s’y ajoute la piété. Enfin, la générosité
de la puissance l’a conduit, en tant que prévoyante dans le choix
par le conseil, en tant que ferme dans l’exécution par la force.
Ainsi les dons sont-ils au nombre de sept.
7. En
cinquième lieu, pour aider l’action, sept dons nous sont octroyés
par l’Esprit Saint. Car pour aider l’action, il est nécessaire que
nous soyons prêts à éviter le mal, c’est l’oeuvre de
la crainte. La pour suite du bien nous est facilitée de deux façons
s’il s’agit d’un bien nécessaire la science et la piété
nous y aident, l’une dirigeant et l’autre accomplissant; s’il s’agit d’un
bien surérogatoire, le conseil nous dirige et la force achève.
Il faut aussi que nous reposions dans le meilleur quant à l’intelligence
du vrai et quant à l’amour du bien: le don de l’intelligence nous
aide à la première, au second, le don de sagesse en lequel
est le repos.
8. En
sixième lieu, pour nous aider à la contemplation, les dons
de l’Esprit Saint sont au nombre de sept. La vie hiérarchique et
contemplative exige que l’âme soit purifiée, illuminée
et parachevée. Elle doit être purifiée de la concupiscence,
de la méchanceté, de l’ignorance, de la faiblesse ou impuissance.
C’est là l’oeuvre respective de la crainte, de la piété,
de la science, de la forte. Nous avons besoin d’être illuminés
dans les oeuvres de restauration et de condition première: c’est
l’oeuvre du conseil et de l’intelligence. Nous atteignons la perfection
par l’accession au sommet qui consiste en une seule réalité,
c’est l’oeuvre de la sagesse. Ainsi l’arche de la contemplation se rétrécit
depuis la large base jusqu’au sommet étroit d’une coudée.
9. En
septième et dernier lieu, pour aider simultanément à
l’action et à la contemplation, il faut sept dons de l’Esprit Saint.
La vie contemplative doit, à cause de notre conversion à
la Trinité, posséder trois dons qui l’aident: la crainte
dans le respect de la majesté, l'intelligence dans la compréhension
de la vérité, la sagesse dans la dégustation de la
bonté. La vie active qui est tournée vers l’action et le
support des adversités doit en posséder quatre, la piété
pour agir, la force pour supporter et pour diriger les deux, la science
et le conseil. De là, puisqu’une direction est nécessaire
qui rend l’action plus aidée, il y a coordination des dons. Il y
a aussi plusieurs dons qui se rapportent à l’intelligence car la
lumière de la connaissance aide efficacement à guider nos
pas dans le droit chemin.
Il
y a sept béatitudes que le Sauveur énumère dans le
Sermon sur la montagne, la pauvreté en esprit, la douceur, les larmes,
la faim et la justice, la miséricorde, la pureté du coeur
et la paix.
A ces
béatitudes, à cause de leur perfection et de leur plénitude
se rattachent douze fruits de l’Esprit et cinq sens spirituels. Ce ne sont
pas de nouveaux habitus mais un état de jouissance et un usage des
spéculations spirituelles qui remplissent et consolent les esprits
des justes.
Explication
Le
principe réparateur étant parfait et parfaite ment réparateur
et reformateur par le don gratuit, le don de la grâce émanant
de lui avec libéralité et abondance doit donc se ramifier
jusqu’aux habitus des perfections qui, parce qu’elles sont proches de la
fin reçoivent, à juste titre, le nom de béatitudes.
De l’intégrité de la perfection, des modes de perfection
et des dispositions à la perfection, on comprend leur suffisance,
leur nombre et leur ordre.
3. En
premier lieu, l’intégrité de la perfection exige nécessairement
une retraite complète devant le mal, une progression à fond
dans le bien et une parfaite stabilité dans le mieux. Parce que
le mal procède de l’enflure de l’orgueil, de la rancoeur de la méchanceté
ou de la langueur de la concupiscence, pour s’éloigner au mieux
de ce triple genre de mal, trois béatitudes sont nécessaires,
à savoir la pauvreté en esprit éloignant du mal de
l’orgueil, la douceur éloignant du mal de la rancoeur et les larmes
éloignant du mal de la sensualité et de la langueur de la
concupiscence.
Puisque
le parfait progrès dans le bien est tendu dans l’imitation de Dieu
et toutes les voies du Seigneur étant miséricorde et vérité,
il existe donc une double béatitude selon ces deux voies, la faim
ou zèle de la justice et l’amour de la miséricorde. La stabilité
dans le mieux vient d’une connaissance claire ou d’un amour paisible. Il
existe donc deux béatitudes ultimes, la pureté du coeur pour
voir Dieu et la paix de l’esprit pour jouir parfaitement de lui.
4. En
second lieu, si l’on considère les modes de perfection, il faut
sept béatitudes. Car c’est la perfection de la religion, du gouvernement
et de la sainteté intérieure. La perfection de la religion
requiert nécessairement le renoncement au bien privé, la
considération du bien fraternel et le désir du bien éternel:
la première est l’affaire de la pauvreté en esprit, la seconde
de la douceur de l’amour, la troisième de l’amertume des larmes.
La perfection du gouvernement requiert nécessairement deux béatitudes,
le zèle de la justice et l’amour de la miséricorde, car la
miséricorde et la vérité gardent le roi. Le gouvernement
dans l’Eglise militante doit être organisé selon ces deux
béatitudes.
La
perfection de la sainteté intérieure requiert nécessairement
la pureté de la conscience et la tranquillité de toute l’âme
par la paix divine sur passant tout ce que l’homme peut penser.
5. En
troisième lieu, si l’on considère les dispositions préalables,
il doit exister sept béatitudes. Car la crainte doit éloigner
du mal et de l’occasion du mal. La racine de tous les maux étant
la cupidité, la crainte dispose donc à la pauvreté
en esprit dans laquelle l’humilité se joint à la pauvreté
pour qu’ainsi l'homme parfait soit éloigné de la source de
toute faute, c’est-à-dire de l’orgueil et de la cupidité.
La pauvreté en esprit est donc le fondement de toute perfection
évangélique. Il doit d’abord partir de ce fondement, celui
qui veut parvenir au sommet de toute perfection évangélique,
selon ce que dit Matthieu au ch. 19: « Si tu veux être parfait,
va, vends tout ce que tu possèdes »: c’est là l’humilité
qui fait que l’homme, en se renonçant, prend sa croix et suit le
Christ qui est le principal fondement de toute perfection.
La
crainte dispose donc à la pauvreté en esprit. La piété
dispose à la douceur, car celui qui aime quelqu’un ne l’irrite pas
et n’est pas irrité par lui. La science dispose aux larmes, parce
que nous savons par la science que nous sommes écartés de
l’état de béatitude dans cette vallée de misère
et de larmes. La force dispose à la faim de la justice, car celui
qui est fort tient si avidement à la justice qu’il préfère
se séparer de la vie corporelle plutôt que de la justice.
Le conseil dispose à la miséricorde et place cet acte au-dessus
de tous les holocaustes.
L’intelligence
dispose à la pureté du coeur, car la spéculation de
la vérité purifie notre coeur de toutes les imaginations.
La sagesse dispose à la paix? Car la sagesse nous unit au vrai et
au bien souverain dans lesquels se trouvent la fin et la tranquillité
de tout notre appétit rationnel.
6. Lorsque
cette paix est acquise, il s’ensuit nécessairement une délectation
spirituelle surabondante qui est contenue dans les douze fruits pour insinuer
la surabondance des délectations. Le nombre douze est, en effet,
surabondant qui insinue l’exubérance des charismes spirituels par
lesquels l’âme sainte jouit et se délecte. Alors, l’homme
est apte à la contemplation, à la vision et à l’embrassement
de l’époux et de l’épouse, lesquels surviennent quand il
possède les sens spirituels par lesquels il voit la souveraine harmonie
sous l’aspect du Verbe, il goûte la souveraine douceur sous l’aspect
de la Sagesse comprenant les deux précédents aspects, le
Verbe et la Splendeur, il sent le parfum souverain sous l'aspect du Verbe
inspiré dans le coeur, il étreint la souveraine suavité
sous l’aspect du Verbe incarné habitant en nous corporellement et
se laissant par nous toucher, embrasser, étreindre par l’ardente
charité qui, par l’extase et le transport, fait passer notre esprit
de ce monde au Père.
7. De
là découle manifestement que les habitus des vertus disposent
principalement à l’exercice de la vie active, les habitus des dons
au loisir de la vie contemplative, les habitus des béatitudes à
la perfection des deux.
Les
fruits de l’Esprit qui sont la charité, la joie, la paix, la patience,
la longanimité, la bonté, la bénignité, la
mansuétude, la confiance, la modestie, la continence, la chasteté,
désignent les délectations qui suivent les oeuvres parfaites.
Les
sens spirituels désignent les perceptions mentales de la vérité
contemplée. Cette contemplation exista chez les Prophètes
par révélation dans une triple vision corporelle imaginative
et intellectuelle, chez les autres justes, elle part de la spéculation
qui commence dans le sens et parvient à l’imagination et passe de
l’imagination à la raison, de la raison à l’entendement,
de l’entendement à l’intelligence, de l’intelligence à la
sagesse ou connaissance excessive qui commence en cette vie et s’achève
dans la gloire éternelle.
8. Dans
ces degrés consiste l’échelle de Jacob dont le sommet touche
le ciel et le trône de Salo mon sur lequel est assis le Roi très
sage, vraiment pacifique et plein d’amour comme l’époux très
beau et tout désirable que les anges désirent contempler
et vers lequel soupire le désir des âmes saintes comme le
cerf désire les fontaines des eaux. Ce désir fer vent, à
la manière d’un feu, rend notre esprit non seulement agile pour
monter mais aussi, par une certaine docte ignorance, il l’élève
au-dessus de lui-même dans la ténèbre et l’extase pour
qu’il dise non seulement avec l’épouse: « Nous courons à
l’odeur de tes parfums », mais aussi avec le prophète: «
La nuit est ma lumière au milieu des délices ». Cette
lumière nocturne et délicieuse, personne ne l’a vue hormis
celui qui l’éprouve, personne ne l’éprouve que par la grâce
divine qui n’est donnée qu’à celui qui s’y exerce. Il faut
donc considérer maintenant les oeuvres méritoires.
L’exercice
de la grâce dans les objets à aimer comme l’est tout ce qui
est de l’ordre de la charité,
L’exercice
de la grâce dans les oeuvres à accomplir comme le sont les
préceptes de la loi divine,
L’exercice
de la grâce dans l’objet de notre prière comme le sont les
demandes de l’oraison dominicale.
Enoncé
Bien
que, par la foi, nous soyons astreints à croire bien des choses
qui dépassent la raison, et, dans un sens général,
tout ce qui est contenu et énoncé dans le canon de la sainte
Ecriture, cependant dans un sens spécial et propre, on appelle articles
de foi ceux qui sont contenus dans le symbole apostolique. Ils sont au
nombre de douze, si l’on se place au point de vue de ceux qui publièrent
le symbole, mais dont le nombre est de quatorze, si nous considérons
les vérités à croire comme les fondements de tout
l’objet de notre foi.
3.
Explication
En
lui-même, le premier principe souverainement vrai et bon est, dans
son oeuvre, souverainement juste et miséricordieux. Au vrai souverain
est dû un assentiment ferme, au bien souverain un amour fervent,
au juste souverain une soumission totale, au souverain miséricordieux
une prière confiante. Or, la grâce ordonne notre esprit au
culte dû au premier principe. La grâce dirige donc et règle
les exercices dûs et méritoires dans ce qu’il y a à
croire, à aimer, à suivre et à demander comme le requiert
la vérité, la bonté, la justice et la miséricorde
souveraine dans la Trinité bienheureuse.
4. Il
faut croire la vérité, croire plus encore une vérité
plus haute et par conséquent croire souverainement la souveraine
vérité. Or la vérité du premier principe est
infiniment plus grande que toute vérité créée
et plus lumineuse que toute lumière de notre intelligence. Aussi
étant donné la réalité vers laquelle est bien
tourné justement notre esprit dans la foi, il faut qu’il croie plus
la vérité souveraine qu’elle ne se croit elle-même
et se soumette à l’obéissance du Christ, et par conséquent
qu’il croie non seulement ce qui est conforme à la raison mais aussi
ce qui la dépasse et va contre l’expérience des sens. S’il
s’y refuse, il ne rend pas à la souveraine vérité
l’hommage qui lui est dû puisqu’il préfère le jugement
de sa propre science à la révélation de la lumière
éternelle. Cela ne peut se faire sans l’enflure de l’orgueil et
de l’arrogance.
5. En
outre, la vérité qui dépasse la raison ou est hors
de sa portée n’est pas une vérité qui saute aux yeux
ou apparente, mais une vérité plutôt enveloppée
de mystère très difficile à croire. Il faut donc pour
la croire fermement que la lumière de la vérité élève
l’âme et que le témoignage l’affermisse.
Le
premier effet est l’oeuvre de la foi infuse, le second de l’Ecriture sainte.
Les deux découlent de la vérité souveraine par Jésus-Christ,
qui est Splendeur et Verbe, et par l’Esprit Saint qui montre et enseigne
la vérité et aussi amène à croire. L’autorité
apporte donc un appui à la foi et la foi donne son assentiment à
l’autorité. Or, l’autorité réside principale ment
dans la sainte Ecriture qui a été composée par l’Esprit
Saint toute entière, pour diriger la foi catholique. La vraie foi
ne s’écarte donc pas de l’Ecriture mais plutôt y assentit
d’un assentiment vrai.
6. Enfin,
la vérité à laquelle nous sommes astreints de croire
par la foi et dont traite principalement la sainte Ecriture n’est pas n’importe
quelle vérité, mais vérité de Dieu, soit comme
elle est dans sa nature propre, soit comme elle est dans sa nature assumée.
— car dans la connaissance de cette vérité consiste la récompense
du ciel et le mérite ici-bas —. Les articles de foi, fondements
de la foi, regardent donc la divinité ou l’humanité. Or il
faut considérer la divinité dans les trois personnes, le
Père engendrant, le Fils engendré et l’Esprit Saint procédant,
et dans une quadruple opération: la création dans l’être
de nature, la réparation dans l’être de grâce, la résurrection
dans la réparation de la vie et la glorification dans le don de
la gloire. Il y a donc sept articles qui regardent la divinité.
De
même, il nous faut considérer l’humanité du Christ
comme conçue de l’Esprit Saint, née de la Vierge, souffrant
sur la croix, montant aux cieux et venant au jugement dernier. Il y a donc
sept articles qui concernent l’humanité, ce qui fait en tout quatorze
à la manière des sept étoiles et des sept candélabres
d’or au milieu desquels marchait le Fils de l’homme.
7. Parce
que le Christ est un dans sa nature divine et sa nature humaine, une est
seulement la vérité souveraine qui est la raison de croire
unique, première, souveraine, que le temps ne modifie pas. Donc
de tous les articles de foi mentionnés ci-dessus, une est seulement
la foi en une seule et même réalité, immuable dans
le présent comme dans le passé et comme dans l’avenir, bien
qu’elle soit plus claire et explicite dans les temps qui ont suivi le Christ
que dans ceux qui ont précédé sa venue, comme le Nouveau
est plus clair que l’Ancien des deux testaments dans lesquels sont contenus
les articles de foi.
8. L’Esprit
Saint ayant réuni par les douze Apôtres comme par les témoins
les plus solides, ces articles de foi contenus dans la profondeur des Ecritures,
ces articles ont donc été rassemblés en un seul symbole
des apôtres. On peut donc dire que ces articles sont au nombre de
douze comme les apôtres, car chaque apôtre a posé un
article comme une pierre vivante dans l’édification de la foi. L’Esprit
Saint l’a justement préfiguré dans les douze hommes qui ont
tiré douze pierres du lit du Jourdain pour construire l’autel du
Seigneur.
Toutes
les oeuvres divines sont très bonnes, mais nous devons cependant
aimer de charité proprement dite quatre objets:
Dieu
éternel, ce que nous sommes, notre prochain, notre corps.
Dans
cette charité, il faut garder l’ordre et la mesure de telle sorte
que
— Dieu
soit aimé le premier, par-dessus tout et pour lui-même, en
second lieu, ce que nous sommes, en Dieu et pour Dieu, en troisième
lieu, notre prochain comme nous-mêmes, enfin notre corps, moins que
nous et moins que le prochain, comme un bien moins important.
Pour
nous rendre capable de cet amour, nous sont donnés un habitus de
charité et un double commandement qui contient toute la loi et les
prophètes, non seulement de l’Ancien Testament mais aussi du Nouveau.
2.
Explication
Le
premier principe étant premier est souverain. Etant souverain, il
est souverainement bon. Etant souverainement bon, il est souverainement
bienheureux et souverainement béatifique. Etant souverainement béatifique,
il est jouissance inépuisable. Etant jouissance inépuisable,
il mérite qu’on adhère à lui par amour et qu’on se
repose en lui comme en notre fin.
Or
l’amour droit et ordonné qu’on appelle charité se porte en
premier lieu sur ce bien dont il jouit et en lequel il se repose. Ce bien
est la raison d’aimer. La charité aime donc en premier lieu ce bien
comme béatifique, elle aime ensuite les autres biens qui sont aptes
à être béatifiés par lui. Or le prochain étant
fait pour parvenir à la béatitude avec nous et notre corps
étant, lui aussi, créé pour parvenir à la béatitude
avec l’esprit, il n’existe donc que quatre objets à aimer de charité,
Dieu, notre prochain, notre esprit et notre corps.
3. En
outre, Dieu étant au-dessus de nous comme le Bien suprême,
notre esprit étant en nous comme un bien intrinsèque, notre
prochain étant à côté de nous comme notre bien
apparenté, notre corps enfin étant un bien au-dessous de
nous comme un bien assujetti, il faut, dans l’amour, observer l’ordre suivant:
Dieu aimé le premier, par-dessus tout et pour lui-même, en
second lieu notre esprit en Dieu au-dessus de tout bien caduc, en troisième
lieu notre prochain près de nous comme un bien semblable, enfin
notre corps au-dessous de nous comme le bien inférieur, et après
notre corps le corps du prochain, car l’un et l’autre sont bien inférieurs
par rapport à notre esprit.
4. Enfin,
l’amour étant le poids de l'esprit et l’origine de toute affection
mentale qui facilement se retourne sur soi et tend difficilement vers le
prochain et plus difficilement encore s’élève jusqu’à
Dieu, bien que la charité ait quatre objets, un double commandement
nous est donné: l’un nous dirige vers Dieu, l’autre vers le prochain.
5. Or,
tous les commandements se rapportent à Dieu ou au prochain comme
à leur fin et à ce qui y conduit, dans ces deux commandements
est donc enfermée la totalité des préceptes et la
compréhension de toutes les Ecritures.
La
charité est elle-même racine, forme et fin des vertus, les
reliant toutes à la fin ultime et les unis sant toutes ensemble,
entre elles et avec ordre, elle est donc le poids de toute inclination
ordonnée et le lien de l’union parfaite, elle garde l’ordre dans
les divers objets à aimer quant à l’affectivité et
quant aux oeuvres; elle possède l’unité dans l’habitus en
n’ayant qu’une seule fin et un unique et principal aimé, ce qui
constitue la raison d’aimer tous les autres objets qui par le lien de l’amour
sont ordon nés à être réunis en un seul Christ
tête et corps, qui contient en lui-même l’universalité
des sauvés.
Cette
unité commence maintenant ici-bas, mais elle se consomme dans la
gloire éternelle, selon la prière du Seigneur: « Qu’ils
soient un, comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, pour qu’ils
soient consommés dans l’unité. » Lorsque, par le lien
de la charité, cette unité sera consommée, Dieu sera
tout en tous dans l’éternité certaine et la paix parfaite,
tout étant commun par l’amour, tout sera disposé avec ordre
par la bienveillance, tout sera en étroite relation par cette disposition
et tout sera indissolublement lié par cette cohésion.
Dans
la loi mosaïque, se trouvent des préceptes judiciaires, figuratifs
et moraux. Ce sont les dix préceptes du décalogue consignés
dans les deux tables par le doigt de Dieu.
La
loi évangélique modère en supprimant les préceptes
judiciaires, libère en accomplissant les préceptes figuratifs,
rend parfait en augmentant les préceptes moraux. Elle ajoute des
exemples édifiants, des promesses d’encouragement et des conseils
de perfection,
ainsi,
les conseils de pauvreté, d’obéissance et de chasteté
à l’accomplissement desquels le Christ Notre Seigneur invite celui
qui veut être parfait.
2.
Explication
Le
premier principe, souverainement bon en lui même, est souverainement
juste dans son oeuvre et dans la disposition du gouvernement universel.
Le
comble de la justice est de la chercher avide ment non seulement en soi,
mais aussi dans autrui; la justice consistant à se conformer aux
règles du droit, il appartient donc à la justice divine d’inculquer
et de signifier à l’homme les règles de la justice, non seulement
en les édictant sous la forme d’une vérité d’enseignement,
mais aussi en les prescrivant et en les ordonnant sous la forme d’une volonté
de commandement. La grâce rendant notre volonté conforme à
la divine volonté: il lui appartient donc de nous disposer à
obtempérer et à nous soumettre à ces règles
de justice selon l’ordre de la loi donnée par Dieu.
3. En
outre, on peut obtempérer aux commandements divins pour deux motifs,
par crainte de la peine ou par amour de la justice; le premier motif est
celui des imparfaits, le second des parfaits. Dieu a donc donné
à l’homme une double loi: l’une de crainte et l’autre d’amour, l’une
engendrant la servitude et l’autre conduisant à l’adoption des enfants
de Dieu.
Ainsi,
puisqu’il convient à ceux qui sont dans la crainte et l’imperfection
d’être terrifiés par des jugements, conduits par des signes
et également dirigés par des préceptes: la loi mosaïque,
qui est loi de crainte, contient des préceptes judiciaires, figuratifs
et moraux.
Mais
il convient à ceux qui sont dans la perfection et dans l’amour de
recevoir le clair enseignement des exemples, la large promesse des récompenses
et la haute perfection des conseils: la loi évangélique contient
donc ces trois éléments.
La
loi mosaïque diffère de la loi évangélique en
ceci: celle-là est loi de figure, celle-ci de vérité;
celle-là est loi de peine, celle-ci de grâce; celle-là
est la lettre, celle-ci l’esprit; celle-là conduit à la mort,
celle-ci fait vivre; celle-là est loi de crainte, celle-ci d’amour;
celle-là est loi de servitude, celle-ci de liberté; celle-là
est un fardeau, celle-ci toute facilité.
4. Enfin,
les règles qu’imposent la nécessité de la justice
sont contenues dans les divins préceptes or, il est de la justice
de « rendre à chacun son dû »; il est donc nécessaire
d’avoir certains préceptes moraux qui nous ordonnent à Dieu,
certains au prochain selon le double précepte de la charité,
ce que l’Esprit Saint a voulu insinuer par ce mystère des deux tables
que l’on dit pour cela écrites par le doigt de Dieu.
Or,
Dieu étant trois, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, il
convient d’adorer sa souveraine majesté, de professer sa souveraine
vérité et d’accepter sa souveraine charité, selon
les trois puissances irascible, rationnelle et concupiscible par l’acte
de l’oeuvre, de la bouche et du coeur: le commandement de la première
table est donc triple, qui correspond aux trois prémices, l’adoration
soumise, la profession véridique et l’observance du sabbat.
5. Le
prochain étant image de la Trinité: à lui, en tant
qu’il porte l’image du Père est due la piété en tant
qu’il porte l’image du Fils, la véracité; en tant qu’il porte
l’image de l’Esprit Saint, la bonté. Les commandements de la seconde
table sont donc au nombre de sept: deux regardent la piété,
le premier qui ordonne la piété prescrivant d’honorer son
père, l'autre qui interdit l’impiété en interdisant
de tuer; en ce qui regarde la véracité qui consiste principalement
dans la parole, son commandement interdit de porter un faux témoignage;
quatre commandent la bonté, à laquelle s’opposent la cupidité
et la concupiscence qui peuvent l’une et l’autre être dans l’action
ou dans le coeur tu ne commettras pas l’adultère, tu ne désireras
pas la femme, tu ne voleras pas et tu ne désireras pas le bien d’autrui.
Or, ces préceptes s’ordonnent selon les torts plus ou moins grands
qui peuvent être portés à la justice. Ainsi les règles
concernant la nécessité de la justice doivent-elles être
contenues dans les dix préceptes.
6. La
justice atteint à la perfection en s’éloignant parfaitement
du mal et dans la faute et dans sa cause; or, tout mal provient d’une triple
racine, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la superbe
de la vie: il y a donc trois conseils évangéliques qui nous
éloignent parfaitement de cette triple racine. Ce sont des conseils
car, pour éloigner parfaitement du mal, ils ne séparent pas
seule ment des choses illicites, mais aussi des choses licites et permises
mais pouvant être occasion de mal; par là, ils ne contiennent
pas seulement la suffisance de la justice, mais aussi son abondance, ainsi
qu’il convient à la perfection de la loi évangélique
et à l’exercice de la grâce de perfection.
Bien
que Dieu soit très libéral et plus prompt à donner
que nous à recevoir, il veut cependant être prié par
nous, afin d’avoir l’occasion de distribuer les dons de la grâce
de l’Esprit Saint.
Il
veut être prié non seulement d’une prière mentale qui
est « l’élévation de l’esprit vers Dieu », mais
aussi d’une prière vocale qui est « la demande à Dieu
de ce qui convient », non seulement par nous-mêmes mais aussi
par les saints comme par des coadjuteurs que Dieu nous donne, afin que
ce que nous sommes peu dignes de demander par nous mêmes, nous puissions
le demander par les saints.
Puisque
nous ne savons que demander pour prier comme il faut, de peur que nous
n’errions dans l’incertitude, Dieu nous a transmis une formule dans la
prière qu’il a composée. Celle-ci condense, en sept demandes,
tout ce que nous devons demander.
2.
Explication
Souverainement
vrai et bon en lui-même, le premier principe est aussi miséricordieux
et juste dans son oeuvre. Miséricordieux, il condescend très
volontiers à la misère humaine par l’infusion de a grâce.
Egalement juste, il ne donne le don parfait qu’à celui qui le désire,
la grâce, à celui qui le remercie, sa miséricorde,
à celui qui reconnaît sa misère. Ainsi la liberté
de l’arbitre est sauve, la noblesse du don n’est pas galvaudée et
le culte de l’honneur de Dieu demeure intègre.
Et
puisque celui qui prie le fait pour quêter le secours de Dieu, alléguer
sa propre misère et rendre grâce pour le bienfait donné
gratuitement, la prière dispose à recevoir les divins charismes.
Dieu veut être prié pour répandre ses dons.
3. En
outre, pour que le désir tende efficace ment vers le ciel, il faut,
pour obtenir les dons de Dieu, que notre amour soit fervent, notre pensée
recueillie et notre attente certaine et ferme. Et comme notre coeur est
fréquemment tiède, souvent dispersé et souvent aussi
effrayé par le remords du péché et n’ose pas de lui-même
comparaître devant la face de Dieu, le Seigneur a voulu que nous
ne priions pas seulement mentalement, maïs aussi vocalement pour exciter
notre coeur par des paroles et pour recueillir nos pensées par le
sens des mots.
Il
a voulu aussi que nous le priions par les saints et que les saints prient
pour nous, pour donner confiance aux timides: afin que ceux qui n’osent
ou ne peuvent pas demander par eux-mêmes, soient exaucés grâce
à des intercesseurs qualifiés. Ainsi, l’humilité de
la prière est sauve chez ceux qui prient.
Sa
grandeur est proclamée dans les Saints intercesseurs, sa charité
et son unité éclatent: en effet ceux qui sont en bas recourent
avec confiance à ceux qui sont en haut et ceux qui sont en haut
condescendent libéralement à ceux qui sont en bas.
4. Enfin,
Dieu juste et miséricordieux ne doit exaucer que les prières
qui tendent à son honneur et à notre salut; les demandes
qui concernent la récompense du ciel et le secours ici-bas sont
de cet ordre; les premières sont au nombre de trois, les secondes
au nombre de quatre: les demandes de l’oraison dominicale qui nous enseignent
ce que nous devons demander utilement sont donc au nombre de sept.
Celles
qui concernent l'honneur de Dieu et la récompense du ciel sont au
nombre de trois, l’intelligence de la vérité, le respect
de la majesté et l’accord de la volonté: autrement dit, la
vision du vrai souverain qui ne peut être vu que des coeurs purs
et saints; on la demande en disant: Que ton nom soit sanctifié,
c’est-à-dire que la connaissance de ton nom soit accordée
aux coeurs parfaits, saints et purs; la possession de la grandeur suprême
qui fait les rois et par lequel est fondé le royaume; on la demande
en disant: que ton règne arrive; la jouissance du bien suprême
que seuls reçoivent ceux dont la volonté est conforme à
la volonté de Dieu; on la demande en disant: que ta volonté
soit faite sur la terre comme au ciel. Les demandes qui concernent le passage
dans cette vie regardent le don d’un bien profitable ou la fuite d’un mal
nuisible. Le don d’un bien profitable est demandé dans le pain quotidien
ou supersubstantiel, dans lequel on demande tout ce qui est nécessaire
à la conservation de la vie présente de l’esprit ou du corps.
La fuite du mal nuisible est demandée dans les trois dernières
phrases car le mal est passé, futur ou présent. Autrement
dit, il est mal du péché, de la tentation ou de la peine.
On demande que s’éloigne le premier dans le pardon des offenses,
le second dans la victoire sur les tentations, le troisième dans
la délivrance de l’oppression des maux.
Ainsi,
il y a en tout sept demandes dans les quelles se trouve tout ce que l’on
doit demander. Cela est ainsi afin que les sept demandes correspondent
aux sept charismes et dons de la grâce septiforme.
5. faut
noter que la sainte Ecriture nous pro pose la considération d’un
septuple septénaire
1° des péchés capitaux
2°
des sacrements
3° des vertus
4°
des dons
5° des béatitudes
6°
des demandes
7°
et des récompenses glorieuses, trois spirituelles et quatre corporelles,
comme on le dira plus loin,
— le
premier septénaire des péchés: tout ce dont nous devons
nous éloigner,
— le
second septénaire des sacrements: les moyens de progresser,
— le
dernier septénaire des récompenses: les biens à désirer,
— l’avant-dernier
septénaire des demandes: les choses à demander,
— le
septénaire intermédiaire des vertus, des dons et des béatitudes:
les étapes à franchir.
Ainsi,
sept fois le jour, louant le nom du Seigneur et le priant, demandons la
grâce septiforme des vertus, des dons et des béatitudes, par
laquelle nous vaincrons la tentation septiforme des péchés
capitaux et nous parviendrons à l couronne septiforme des récompenses
glorieuses, en nous aidant en outre de la médecine septiforme des
sacrements donnés par Dieu pour la réparation du genre humain.
Enoncé
2. Les
sacrements sont des signes sensibles, insti tués par Dieu comme
remèdes, dans lesquels « opère secrètement,
sous l’enveloppe du sensible, une force divine » de telle sorte «
qu’ils représentent par similitude, signifient par institution,
confèrent par sanctification une certaine grâce spirituelle
». Par elle, l’âme est guérie de la faiblesse des vices.
C’est à cela principalement que les sacrements sont ordonnés
comme à leur fin ultime; toutefois, ils servent aussi à rendre
humble, à instruire, à éprouver. Ce sont là
des fins secondaires ordonnées à la fin principale.
Explication
3. Le
principe réparateur qui est le Christ crucifié, c’est-à-dire
le Verbe Incarné, dispense toutes choses avec une suprême
sagesse parce qu’il est Dieu et guérit de façon très
clémente parce que divine ment incarné. Il doit donc restaurer
et guérir le genre humain malade, de la manière qui convient
au malade lui-même, à la maladie, à son occasion et
à la guérison de la maladie elle-même. Or, le médecin
est le Verbe Incarné, Dieu invisible dans une nature visible. L’homme
malade n’est pas seule ment esprit ni seulement chair, mais esprit dans
une chair mortelle. La maladie est la faute originelle qui infecte l’esprit
par l’ignorance et la chair par la concupiscence. L’origine de cette faute,
attribuable principalement au consentement de la raison, n’en trouve pas
moins son occasion dans les sens charnels.
Pour
que le remède corresponde à toutes ces circonstances, il
fallait donc qu’il ne soit pas seulement spirituel, mais qu’il participe
aussi des signes sensibles. Ainsi, le sensible, ayant été
pour l’âme occasion de chute, lui fournirait l’occasion de se relever.
Les signes sensibles, comme tels, n’ont pas une orientation efficace à
la grâce, même si, de par leur nature, ils en offrent une lointaine
représentation. Cela explique la nécessité pour l’auteur
de la grâce de les instituer pour signifier et de les bénir
pour sanctifier. Ils pouvaient ainsi représenter par similitude
naturelle, signifier par l’apport de l’institution, sanctifier par la bénédiction
qui vient s’y adjoindre. Ils pouvaient aussi préparer à la
grâce par laquelle notre âme doit être soignée
et guérie.
4. En
outre, la grâce de guérison n’est pas accordée aux
orgueilleux, aux incrédules ni aux dédaigneux. Ces signes
sensibles devaient donc être don nés par Dieu non seulement
pour sanctifier, donner la grâce et par là guérir,
mais encore pour enseigner par leur signification, rendre humble par leur
réception, exercer par leur diversité. De telle sorte qu’une
fois la paresse chassée du concupiscible par l’exercice, l’ignorance
chassée de la raison par l’enseignement, l’orgueil chassé
de l’irascible par l’humilité, l’âme toute entière
serait rendue guérissable par la grâce du Saint Esprit, qui
nous réforme selon ces trois puissances, à l’image de la
Trinité et du Christ.
5. Enfin,
comme c’est par le moyen de ces signes sensibles, institués par
Dieu, que la grâce du Saint Esprit est reçue et que c’est
en eux que la trouvent ceux qui s’approchent de ces mêmes signes,
ces sacrements sont appelés récipients et cause de la grâce.
Ce n’est pas que la grâce soit contenue en eux substantiellement
ou produite de façon causale, puisqu’on ne doit la placer que dans
l’âme seule et qu’elle ne peut être produite que par Dieu seul.
Ces appellations leur viennent du fait que c’est en eux et par eux que,
par un décret divin, on doit puiser la grâce de guérison
du souverain médecin, le Christ, « bien que Dieu n’ait pas
lié sa puissance aux sacrements ».
6. De
ce qui précède, on voit donc non seulement l’origine des
sacrements, mais encore leur usage et leur fruit. A leur source, il y a
le Christ Seigneur; leur usage exerce, instruit et rend humble; leur fruit
est la guérison et le salut des hommes. On voit aussi quelle est
leur cause efficiente, à savoir, l’institution divine; leur cause
matérielle, c’est-à-dire la représentation du signe
sensible; leur cause formelle, la sanctification gratuite; leur cause finale,
la guéri son médicinale des hommes. Si l’on tient compte
du fait que « la dénomination vient de la forme et de la fin
» il s’ensuit qu’on appelle les sacrements des remèdes de
sanctification. C’est par eux en effet que l’âme est ramenée
de la souillure des vices à la sanctification parfaite. En conséquence,
bien que les sacrements soient corporels et sensibles, on doit cependant
les vénérer comme saints, car ils signifient des mystères
sacrés, préparent aux charismes sacrés et sont donnés
par le Dieu très sacré; ils ont reçu la consécration
divine par une institution et une bénédiction sacrées;
ils sont constitués pour le culte très sacré de Dieu
dans l’Eglise sacrée. Ils méritent donc à juste titre
d’être appelés sacrements.
.
1. Les
sacrements ont été institués dès le commencement
pour la guérison de l’homme, ils ont toujours accompagné
sa maladie et dureront jusqu’à la fin des siècles. Mais il
y en eut certains dans la loi de nature, d’autres dans la loi écrite,
d’autres enfin sous la grâce. Parmi tous ceux-ci, les derniers venus
ont plus de clarté en signification et ont une dignité plus
haute par la grâce qu’ils produisent. Dans la loi de nature, il y
eut des oblations, des sacrifices et des dîmes. Dans la loi écrite,
la circoncision fut intro duite, l’expiation apparut et, à ce qui
existait auparavant, vint s’ajouter une grande diversité d’oblations,
de dîmes et de sacrifices. Puis, dans la loi nouvelle, « furent
établis des sacrements moins nombreux, plus utiles, plus efficaces
» et plus dignes en excellence. Ces derniers ont à la fois
accompli et annulé tous les sacrements précédents.
Explication
2. Le
Verbe Incarné, principe de notre restau ration, source et origine
des sacrements est très clément et très sage. Parce
que très clément, il n’a pas permis que la maladie du péché
demeurât sans le remède du sacrement; parce que très
sage, se conformant au décret de son immuable sagesse, qui gouverne
tout de façon parfaitement ordonnée, il a mis en oeuvre des
remèdes nombreux et variés selon la vicissitude des temps.
Aussi, étant donné que « dès le commencement,
dans le cours des temps et à l’approche de plus en plus imminente
de la venue du Christ, grandissait toujours davantage l’effet de salut
et la connaissance de la vérité, il était convenable
que les signes de salut eux-mêmes varient les uns après les
autres, avec la succession des temps. Ainsi, l’effet de la grâce
divine croîtrait en résultat salutaire et en même temps
la signification apparaîtrait toujours plus clairement dans les signes
visibles eux-mêmes.» Il a donc « été statué
d’organiser le sacre ment de l’expiation et de la justification d’abord
par l’oblation, ensuite par la circoncision et enfin par le baptême.
En effet, la forme et la similitude de cette même purification se
trouvent d’une manière cachée dans l’oblation, s’expriment
avec plus de clarté dans la circoncision et apparaissent de façon
encore plus manifeste dans le baptême ». De là vient
que « les sacrements des premiers temps selon l’expression de Hugues,
furent comme l’ombre de la vérité, ceux de l’âge intermédiaire
comme leur figure ou image, ceux des derniers temps, c’est-à-dire
de l’époque de la grâce, comme leur corps » parce qu’ils
contiennent en eux-mêmes la vérité et la grâce
de la guérison qu’ils rendent présentes et parce qu’ils confèrent
de façon actuelle ce qu’ils promettent.
3. En
outre, étant donné que la présence de la vérité
et de la grâce qui se manifestent dans la loi de grâce, ne
pouvait, en raison de leur excellence et de leur variété,
en oeuvre et en pouvoir, être exprimée comme il le fallait
par un seul signe, il en résulte qu’en tout temps et sous toute
loi il y eut plusieurs sacrements pour exprimer cette vérité
et cette grâce. Toutefois, c’est principalement sous la loi figurative,
dont le propre est de préfigurer, que des signes nombreux et variés
précédèrent qui, par leur diversité, devaient
exprimer de plusieurs façons la grâce du Christ et la faire
valoir plus parfaitement. La mettant en valeur de façon multiple,
ces mêmes signes devaient nourrir les petits enfants, exercer les
imparfaits, briser les rigides en les surchargeant, les dompter en vue
du joug de la grâce et en quelque sorte les amollir.
4. En
dernier lieu, avec l’arrivée de la vérité, l’ombre
s’efface et la figure annonciatrice atteint son but; l’ayant obtenu, son
usage et son acte doivent cesser. De là, s’explique qu’avec la venue
de la grâce, les sacrements et les signes anciens ont été
accomplis en même temps qu’annulés, car ils étaient
des signes qui annonçaient l’avenir et un peu comme de lointains
présages Les nouveaux sacrements ont également été
institués comme indiquant la grâce présente et rappelant
d’une certaine manière la passion du Seigneur, qui est source et
origine de la grâce de guérison, en nous comme en ceux qui
ont précédé la venue du Christ. Pour ceux cependant
qui ont précédé cette venue, la passion est comme
un paie ment promis; pour ceux qui la suivent, comme un paiement acquitté.
Et puisque la grâce n’est due à la promesse du paiement qu’en
raison de son accomplissement et qu’elle doit être plus abondante
une fois le paiement acquitté que lorsqu’il est seulement promis,
il s’ensuit que la passion du Christ sanctifie de façon plus immédiate
les sacrements de la loi nouvelle et découle en eux par une grâce
plus abondante. Ainsi les sacrements anciens ont préparé
les nouveaux et conduit vers eux comme le chemin conduit au but, le signe
au signifié, la figure à la réalité et comme
l’imparfait mène au parfait et le prépare.
1. Il
y a sept sacrements, selon la correspondance avec la grâce septiforme
qui, par le septénaire du temps, nous ramène au principe,
au repos et au cercle de l’éternité, comme au huitième
âge de la résurrection universelle Or, la porte de ces sacrements
est le baptême. Viennent ensuite la confirmation, l’eucharistie,
la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. Celui-ci,
bien que placé le dernier, à cause de la maladie de la concupiscence
qui s’y attache, fut cependant introduit au paradis avant tous les autres,
même avant le péché.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Christ Seigneur, Verbe Incarné, est
puissance et sagesse de Dieu et notre miséricorde. Il doit pour
cette raison, sous la loi de grâce, instituer ses sacrements avec
puissance, sagesse, clémence et convenance pour qu’absolument rien
ne manque à notre guérison, autant que cela convient à
la vie présente. Mais les trois choses sui vantes concourent à
la guérison parfaite d’une maladie: l’expulsion de la maladie, l’introduction
de la santé et la conservation du salut commencé. En premier
lieu, l’expulsion de la maladie. Pour la guérison parfaite, il faut
expulser parfaitement et totalement la maladie. Or, celle-ci revêt
sept formes trois de culpabilité, c’est-à-dire la faute originelle,
la faute mortelle et la faute vénielle et quatre de pénalité,
c’est-à-dire l’ignorance. la malice, la faiblesse et la concupiscence.
Comme dit S. Jérôme « ce qui guérit le talon
ne guérit pas l’oeil ». Il a donc fallu employer sept médicaments
pour mieux chasser cette maladie septiforme: contre le péché
originel, le baptême; contre le péché mortel, la pénitence;
contre le péché véniel, l’extrême-onction; contre
l’ignorance, l’ordre; contre la malice, l’eucharistie; contre la faiblesse,
la confirmation et contre la concupiscence, le mariage qui la tempère
et l’excuse.
3. En
second lieu, la guérison parfaite ne peut exister sans que soit
rendue la santé complète. Cette dernière, par rapport
à l’âme, consiste dans l’usage des sept vertus, à savoir
les trois théologales et les quatre cardinales. Il a donc fallu,
pour restaurer leur sain usage, instituer les sept sacrements. Le baptême,
en guérissant, dispose à la foi, la confirmation à
l’espérance, l’eucharistie à la charité, la pénitence
à la justice, l’extrême-onction à la persévérance,
complément et sommet de la force, l’ordre à la prudence,
le mariage à la tempérance à conserver, car elle est
attaquée surtout par la faiblesse de la chair, mais guérie
par l’honnêteté des noces.
4. Enfin,
la guérison parfaite ne peut exister sans la conservation du salut
commencé. Celui-ci, par ail leurs, ne peut être conservé
dans le choc de la bataille à moins qu’on ne s’aligne dans l’armée
de l’Eglise, terrible comme une armée prête au combat. Comme
ce résultat s’obtient par l’armure de la grâce sep tif orme,
il était donc nécessaire qu’il y ait sept sacrements. Car,
pour que cette armée soit parfaitement et continuellement pourvue,
formée qu’elle est de parties corruptibles, elle a besoin de sacrements
qui fortifient, qui relèvent et qui renouvellent: qui fortifient
ceux qui combattent, qui relèvent ceux qui tombent, qui renouvellent
les mourants. Le sacrement qui fortifie, le fait soit pour ceux qui entrent
dans la lutte: c’est le baptême, soit pour ceux qui sont déjà
dans le combat: c’est la confirmation, soit pour ceux qui en sortent: c’est
l’extrême-onction. Quant au sacrement qui relève, il le fait
soit par rapport à la faute vénielle et c’est l’eucharistie
ou par rapport à la faute mortelle et c’est la pénitence.
Les sacrements qui renouvellent peuvent le faire soit dans l’être
spirituel et nous avons alors le sacrement de l’ordre dont le propre est
d’administrer les sacrements, soit dans l’être naturel et nous avons
le mariage qui, renouvelant la multitude dans l’être de nature, base
de tout le reste, fut introduit en premier, avant tous les autres. Toute
fois, à cause de la maladie de la concupiscence qui lui est jointe
et parce qu’il est le moindre au point de vue de la sanctification, malgré
qu’il soit, par la signification, un grand sacrement, il est placé
le dernier parmi les remèdes spirituels et la dernière place
lui revient. Du fait que le baptême est le sacre ment de ceux qui
entrent dans la lutte, la confirmation celui des combattants, l’eucharistie
celui de ceux qui refont leurs forces, la pénitence le sacrement
de ceux qui resurgissent, l’extrême-onction celui des mourants, l’ordre
le sacrement de ceux qui embauchent de nouveaux soldats, le mariage le
sacrement de ceux qui les préparent, cela fait apparaître
clairement la suffisance et l’ordre des remèdes et des armes sacramentels.
1. Le
Christ a institué les sept sacrements de la loi de grâce comme
médiateur du Nouveau Testament et principal auteur de la loi par
laquelle il a appelé aux promesses éternelles, donné
des préceptes directeurs et institué les sacrements qui sanctifient.
Il les a institués sur la base de paroles et d’éléments
pour rendre évidente leur signification et efficace leur sanctification,
de telle sorte qu’ils signifient toujours la vérité, mais
ne possèdent pas toujours l’efficacité curatrice, non par
un défaut de leur part, mais à cause de celui qui les reçoit.
Il les insti tua de diverses manières certains par confirmation,
approbation et achèvement, comme le mariage et la pénitence;
d’autres par insinuation et en présidant à leur début,
comme la confirmation et l’extrême-onction; d’autres enfin en présidant
à leur début, en les achevant et en les recevant lui-même,
comme le baptême, l’eucharistie et l’ordre. Ces trois derniers, il
les a institués pleinement, et même, il a été
le premier à les recevoir.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Christ crucifié, Verbe Incarné,
est,
parce que Verbe, égal et consubstantiel au Père. Il possède
une puissance, une vérité, une bonté souveraines et,
de ce fait, une souveraine autorité. Il lui revient donc en propre
d’inaugurer le Nouveau Testament et c’est encore à lui qu’il appartient
de donner une loi intégrale et suffisante, conformément aux
exigences d’une puissance, d’une vérité et d’une bonté
souveraines. En raison de sa souveraine bonté, il a proposé
des promesses béatifiantes; en raison de sa vérité
suprême, il a donné des préceptes directeurs; en raison
enfin de sa puissance souveraine, il a établi des sacrements secourables.
Ainsi, par les sacrements, notre vertu pouvait être réparée,
lui permettant de s’acquitter des préceptes directeurs et, par eux,
on pouvait parvenir aux promesses éternelles, tout cela étant
obtenu, dans la loi évangélique, par l’action du Verbe Eternel,
le Christ Seigneur, en tant qu’il est voie, vérité et vie.
3. En
outre, le principe réparateur n’est pas seulement le Verbe en tant
que Verbe, mais encore le Verbe en tant qu’il s’est incarné Ce Verbe,
par le fait même de son Incarnation, s’offre à tous pour leur
faire connaître la vérité et se présente à
tous ceux qui s’approchent de lui dignement, avec la grâce de la
guérison. De là vient que le Verbe Incarné, en tant
que rempli de grâce et de vérité et pour que les sacrements
aient une signification plus claire et une plus grande efficacité
sanctificatrice, les a voulus constitués à la fois d’éléments
et de paroles. Ainsi, alors que les éléments s’offriraient
aux yeux et les paroles aux oreilles, deux sens qui sont au plus haut point
cognoscitifs, ces éléments et ces paroles rendraient évidente
la signification exprimée. De plus, lès paroles viendraient
sanctifier les éléments pour que l’efficacité de la
guérison humaine devienne plus accomplie. Cette guérison
n’est pas accordée à celui
qui
s’y oppose et qui lutte dans son coeur contre la source de la grâce.
C’est pourquoi les sacrements ont été institués de
façon à signifier toujours et universellement, mais à
ne sanctifier que ceux qui les approchent dignement et avec une entière
sincérité
4. Enfin,
même si le Verbe Incarné est source de la grâce sacramentelle,
il y eut cependant une certaine grâce sacramentelle avant l’Incarnation,
une autre qui ne fut donnée qu’après la mission du Saint
Esprit et une autre enfin qui se place entre les deux. Il a donc fallu
que les sacrements soient institués de façon diverse. Car
avant l’Incarnation, la componction pénitentielle et la génération
matrimoniale étaient nécessaires; c’est pourquoi le Verbe
n’a pas institué à nouveau ces deux sacrements mais, les
prenant déjà institués par lui et comme inscrits dans
la conscience par la loi naturelle, il les a achevés et confirmés
dans la loi évangélique quand il prêcha la pénitence,
qu’il assista aux noces et qu’il approuva la loi du mariage, comme il ressort
de maints endroits de l’Evangile. Avant la mission du Saint Esprit, ce
dernier ne fut pas donné pleinement pour la confirmation et pour
la confession publique du nom du Christ. Il n’y eut pas non plus d’onction
plénière de l’âme pour la sortie de ce monde. C’est
pourquoi ces deux sacrements, à savoir la confirmation et l’extrême-onction,
le Christ lui-même n’en fut l’auteur que de façon initiale
et ne fit que les insinuer la confirmation, en imposant les mains sur les
enfants et en annonçant à l’avance que ses disciples seraient
baptisés dans le Saint Esprit; l’extrême-onction, en envoyant
ses disciples guérir par l’onction d’huile, comme il est rapporté
dans Marc. Dans l’époque intermédiaire, il y eut la régénération,
l’organisation de l’Eglise et la nutrition spirituelle. C’est pourquoi
le Christ a institué complètement et claire ment ces trois
sacrements: le baptême, l’eucharistie et l’ordre. Le baptême
d’abord, en le recevant, en lui donnant sa forme et en le faisant connaître
aux autres; l’ordre, en donnant d’abord le pouvoir de lier et de délier
les péchés du genre humain puis celui de confectionner le
sacrement de l’autel; l’eucharistie, en se comparant au grain de froment,
en confectionnant et en donnant à ses disciples, dans l’imminence
de sa passion, le sacrement de son corps et de son sang. C’est pourquoi
ces trois sacrements ont dû être institués distinctement
et intégralement par le Christ et figurés dans la loi ancienne
de multiples façons comme sacrements substantiels du Nouveau Testament
et revenant en propre au Législateur, c’est-à-dire au Verbe
Incarné.
1. Ce
pouvoir ne revient régulièrement qu’au seul genre humain.
Dans l’administration de tous les sacrements, l’intention est nécessaire
chez celui qui administre. Dans quelques sacrements, en plus de l’intention,
l’ordre sacerdotal ou pontifical est une nécessité. L’ordre
pontifical est requis dans l’administration de la confirmation et de l’ordre,
tandis que l’ordre sacerdotal est nécessaire pour administrer l’eucharistie,
la pénitence et l’extrême-onction. Quant au baptême
et au mariage, bien qu’ils reviennent au prêtre, ils peuvent être
administrés de fait en dehors de l’ordre sacerdotal, surtout dans
le cas de nécessité. Ceci étant, les sacrements peuvent
être administrés par les bons et les mauvais, par les fidèles
et les hérétiques, dans l’Eglise et hors d’elle, mais en
tenant compte que dans l’Eglise, ils sont administrés validement
et fructueusement tandis qu’en dehors d’elle, ils sont administrés
sans fruit bien que validement
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, étant donné
que c’est en tant que Dieu et en tant qu’homme qu’il a institué
les sacrements pour le salut de l’homme, a réglé, comme il
convenait, qu’ils seraient administrés aux hommes, par le ministère
des hommes, pour que soit conservée la conformité du ministre
au Christ Sauveur et à l’homme lui-même à sauver. Parce
que le Christ Sauveur a sauvé l’humanité selon que l’exigeaient
l’équilibre de la justice, la dignité de l’ordre et la sécurité
du salut — en effet, il a opéré notre salut de façon
juste, ordon née et certaine — il s’ensuit que c’est selon ces trois
exigences qu’il a confié aux hommes l’administration des sacrements.
Tout d’abord, l’équilibre du droit exige que les oeuvres de l’homme,
en tant qu’homme ne se fassent pas avec précipitation. Il exige
encore que les oeuvres de l’homme, en tant que ministre du Christ, s’y
rapportent de quelque façon; que les oeuvres de l’homme, en tant
que ministre du salut, se réfèrent de quelque manière
au salut, soit en général soit en particulier. Or, l’administration
des sacrements est une oeuvre de l’homme, en tant que raisonnable, en tant
que ministre du Christ et en tant que ministre du salut. De là vient
la nécessité d’administrer avec intention, celle de quelqu’un
qui entend faire ce que le Christ a institué pour le salut de l’homme,
ou du moins, faire ce que fait l’Eglise, en quoi est renfermée l’intention
générale en question car l’Eglise elle-même administre
les sacrements pour le salut des fidèles de la façon dont
elle les a reçus du Christ.
3. Ensuite,
la dignité de l’ordre exige que les grandes choses soient confiées
aux grands, les petites aux petits et les intermédiaires à
ceux de moyenne importance. Or, il y a des sacrements qui regardent principalement
la perfection de la puissance ou de la dignité, comme la confirmation
et l’ordre; certains ont rapport à la nécessité, comme
le baptême et le mariage; ce dernier engendre et l’autre régénère
à une existence qui s’impose. Certains autres tiennent le milieu,
tels l’eucharistie la pénitence et l’extrême onction. On infère
de tout cela que les premiers, en tant que les plus élevés,
ne peuvent être administrés que par les évêques
et les pontifes, en tant que cela relève du droit commun; les autres,
en tant que moins élevés, peuvent être administrés
par n’importe quels ordres et personnes inférieurs, surtout dans
le cas de nécessité, ce que je dis en pensant au baptême;
les sacrements intermédiaires, enfin, ne peuvent être administrés
que par les seuls prêtres, eux qui, pour ainsi dire, tiennent le
milieu entre les évêques et les personnes inférieures.
4. Enfin
la sécurité du salut exige que les choses se passent de telle
sorte qu’il n’y ait pas de place pour le doute; or, personne n’est sûr
de la bonté et de la foi du ministre qui, en soi, n’est pas sûr
lui-même d’être digne d’amour ou de haine. Si donc les sacrements
ne pouvaient être administrés que par les bons, personne ne
pourrait être certain de les avoir reçus. Il faudrait ainsi
les renouveler sans cesse et la méchanceté de l’un porterait
préjudice au salut de l’autre. En outre, il n’y aurait aucune stabilité
dans les degrés de la hiérarchie de l’Eglise militante dont
le rôle principal consiste à administrer les sacrements. Il
convenait donc que l’administration des sacrements fût confiée
à l’homme non pas en raison de la sainteté qui varie avec
la volonté, mais en raison de l’autorité qui, en tant que
telle, demeure toujours. A cause de cela, il fallait que cette autorité
s’étende aux bons et aux mauvais, à ceux qui sont dans l’Eglise
et à ceux qui sont en dehors d’elle. Toutefois, étant donné
que personne ne peut être sauvé en dehors de l’unité
de foi et de charité, unité qui nous constitue fils et membres
de l’Eglise, les sacrements ne procurent pas le salut s’ils sont reçus
en dehors de l’Eglise, bien que ce soient de vrais sacrements. Ils peuvent
toutefois devenir utiles si la personne revient à la mère
Eglise, unique épouse du Christ, cet époux qui ne reconnaît
comme dignes de l’héritage éternel que les fils de cette
même Eglise. De là ce que dit Augustin Contre les Donatistes.
« La comparaison de l’Eglise au paradis nous indique que les hommes
peuvent recevoir son baptême, même hors d’elle, mais que personne,
en dehors d’elle, ne peut recevoir ou posséder le bienheureux salut.
Car de la fontaine du paradis, au dire de l’Ecriture, des fleuves s’écoulaient
abondamment, même à l’extérieur. On les mentionne chacun
par son propre nom et tous savent par quelles régions ils coulent
et qu’ils s’étendent hors du paradis. Ce n’est pourtant pas en Mésopotamie
ou en Egypte, où ces fleuves parvenaient, que se trouve la félicité
de la vie dont on nous rapporte l’existence au paradis. Il arrive donc
ceci: alors que l’eau du paradis est en dehors de lui, la béatitude
ne se trouve toutefois qu’à l’intérieur. Ainsi donc, le baptême
de l’Eglise peut se trouver en dehors d’elle; le don de la vie bienheureuse
par contre ne se trouve qu’à l’intérieur d’elle, laquelle
aussi a été fondée sur le roc et a reçu le
pouvoir de lier et de délier. Elle est seule à tenir et à
posséder tout le pouvoir de son époux et Seigneur. Par ce
pouvoir conjugal, elle peut même, de servantes, engendrer des fils
qui auront part à l’héritage s’ils demeurent dans l’humilité,
mais qui resteront dehors s’ils deviennent orgueilleux. Bien plus, puisque
nous luttons pour l’honneur et l’unité de l’Eglise, n’allons pas
attribuer aux hérétiques ce que chez eux nous reconnaissons
lui appartenir, mais enseignons-leur par des arguments que ce qu’ils ont
de par l’unité ne vaut pour le salut que s’ils viennent à
cette même unité ».
1. Même
si c’est un aspect commun à tous les sacrements de ne pas être
renouvelés sur la même personne et la même matière
quand il s’agit d’une même raison, et cela, pour qu’il n’y ait pas
outrage au sacrement toutefois, de façon spéciale, il y a
trois sacrements qui ne peuvent jamais être réitérés
le baptême, la confirmation et l’ordre. Car ces trois sacrements
impriment chacun un caractère intérieur qui ne s’efface pas.
De ces caractères, celui du baptême est le fondement des autres.
Ces derniers ne peuvent être imprimés sans que d’abord celui
du baptême le soit. Il en résulte que si un non-baptisé
est ordonné, absolument rien ne se produit, mais tout est à
reprendre. En effet, « quand il est clair qu’une chose n’a pas eu
lieu, on ne peut la considérer comme réitérée
»
2. Notre
principe réparateur, c’est-à-dire le Verbe Incarné,
en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté souveraines,
ne fait rien d’inefficace, de déraisonnable et d’infructueux. Or,
il doit surtout agir ainsi dans ses oeuvres les plus nobles telles que
celles qui restaurent le genre humain. Mais comme les sacrements appartiennent
à cette catégorie d’oeuvres divines, il s’ensuit qu’on leur
fait outrage, d’une certaine manière, lorsqu’on les réitère
sur la même matière, la même personne et pour une même
rai son. Cette manière de faire laisse entendre, en effet, que ce
qui avait été administré d’abord était inefficace,
déraisonnable et infructueux. Cela va contre les exigences de la
puissance, de la sagesse et de la bonté souveraines du principe
réparateur lui-même. Car ces attributs sont toujours présents
pour agir dans ces sacrements et par eux.
Explication
3. De
plus, parmi ces sacrements réparateurs qui contiennent tous l’efficacité
de la puissance divine pour restaurer le genre humain, il y en a qui ont
été institués seulement comme remèdes pour
les maladies et d’autres qui l’ont été non seulement à
cette fin, mais aussi pour fixer, discerner et ordonner les degrés
hiérarchiques dans l’Eglise. Ajoutons que les maladies peuvent varier,
guérir et revenir; les degrés de l’Eglise par contre doivent
être fermes, solides et inébranlables. Il s’ensuit que les
sacrements, concernant les maladies qui peuvent renaître, ont des
effets transitoires et de ce fait peuvent être réitérés
pour une nouvelle cause. Il est nécessaire au contraire que les
sacrements qui concernent les degrés hiérarchiques et des
situations de foi déterminées confèrent, en plus des
effets curatifs, certains effets permanents en vue d’une distinction fixe
et stable des degrés et des conditions dans l’Eglise. Et comme cela
ne peut se produire par des moyens naturels ni par des dons gratuits de
l’ordre de la grâce sanctifiante, il est nécessaire que cela
se fasse par certains signes, imprimés gratuitement et de manière
indélébile, sur une substance incorruptible, à savoir
l’âme incorruptible, à partir d’un principe incorruptible
et en harmonie avec l’incorruptibilité. Ces signes, on les appelle
caractères. Comme ils ne sont jamais effacés, ils ne peu
vent ainsi être réitérés, pas plus que les sacrements
qui les impriment.
4. Finalement,
il y a une triple situation de foi qui permet de poser des distinctions
dans le peuple chrétien, c’est-à-dire dans l’armée
de la hiérarchie ecclésiastique, à savoir la situation
de la foi engendrée, de la foi raffermie et de la foi multipliée.
Selon la première situation, on distingue les fidèles des
incrédules; par la deuxième, on distingue les forts des faibles
et par la troisième, les clercs des laïcs. De là vient
que ces sacrements, qui regardent la triple situation dont on vient de
parler, impriment des caractères qui, imprimés de façon
indélébile permettent à ces sacrements de toujours
distinguer. De ce fait, ils ne peuvent jamais être réitérés.
Le baptême concerne la situation de foi engendrée dans laquelle
le peuple de Dieu se distingue des incrédules comme les Israélites
se distinguaient des Egyptiens; la confirmation a rapport à la situation
de foi raffermie, par où le peuple fort se distingue des faibles,
comme les lutteurs se distinguent de ceux qui ne sont pas aptes au combat;
l’ordre regarde la situation de foi multipliée, par quoi les clercs
se distinguent des laïcs, comme les lévites se distinguaient
des autres tribus. C’est la raison pour laquelle des caractères
ne sont imprimés que dans ces trois sacrements.
5. Du
fait que la distinction entre « peuple » et « non-peuple
» est première et radicale, vient que le caractère
baptismal est le fondement de tous les autres. En conséquence, si
ce caractère n’est pas d’abord posé en fondement rien ne
pourra être édifié au-dessus. Il faut alors recommencer.
Si au contraire il existe, les autres peuvent être imprimés
et ne doivent jamais plus être réitérés. De
plus, les trois sacrements qui impriment ces caractères ne doivent
pas être réitérés pour n’importe quelle raison.
Une peine grave doit être imposée à ceux qui de fait
se le permettent, à cause de l’outrage envers le divin sacrement.
Pour les quatre autres, avec des raisons diverses, ils peuvent être
renouvelés sans qu’il y ait cet outrage.
Enoncé
2. Pour
qu’une personne soit baptisée vraiment et en plénitude, l’expression
de la forme vocale insti tuée par le Seigneur est requise, à
savoir « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint
Esprit, Amen ». On ne doit pas omettre de paroles, ni en intercaler,
ni invertir l’ordre des mots donnés plus haut, ni changer les noms
sus-indiqués. Est requise aussi l’immersion ou l’ablution de l’eau
sur tout le corps ou au moins sur une partie plus digne et, d’une manière
telle, que l’expression (des paroles) et l’immersion se fassent par un
seul et même sujet et en même temps. Ceci étant, s’il
n’y a pas fiction dans le baptisé, lui est conférée
la grâce qui régénère, qui rectifie et qui purifie
de toute faute. Pour obtenir de meilleurs effets, on fait au préalable,
comme actes préparatoires, le catéchisme et l’exorcisme,
tant auprès des enfants que des adultes. A remarquer toutefois que
chez les adultes la foi personnelle est requise tandis que pour les enfants
la foi d’autrui suffit.
Explication
3. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, en tant que principe
très parfait et parfaitement suffisant, doit restaurer le genre
humain par les remèdes des sacrements, de telle sorte qu’il n’y
ait en eux rien de superflu, de désordonné, rien même
de diminué; ainsi, il a dû faire en sorte que le sacrement
de baptême et les autres fussent intègres, selon que l’exigeaient
sa puissance, notre salut et aussi notre maladie. Mais puisque la puissance
qui nous restaure appartient à la Trinité tout entière
en laquelle la sainte Mère Eglise croit de coeur, qu’elle confesse
en parole et qu’elle proclame en signes, en distinguant les trois personnes
et en affirmant leur propriété, leur ordre et leur origine
naturelle; comme aussi cette puissance est encore celle de la passion du
Christ qui est mort, a été enseveli et est ressuscité
le troisième jour, il fallait alors, pour exprimer cela dans le
sacrement qui est le premier de tous et dans lequel, d’abord et principalement,
cette puissance opère, que la Trinité fût exprimée
par une dénomination distincte, propre et ordonnée, en ce
qui regarde la forme commune. A remarquer cependant qu’au temps de l’Eglise
primitive cette expression a pu se faire au nom du Christ en qui la Trinité
est incluse. Il fallait aussi qu’on mentionne, de façon propre et
ordonnée, le mot baptiser, en même temps que se fait la triple
immersion, dans la mesure où cela convient, immersion qui exprime
la mort du Christ, sa sépulture et sa résurrection après
trois jours. Et parce que ces deux puissances opèrent ensemble et
dans le seul Christ Sauveur, chacune de ces deux choses (l’expression de
la formule et l’immersion) doit se faire par un seul et même sujet,
simultanément, pour conserver l’unité du sacrement et pour
signifier l’unité dans notre Médiateur.
4. En
plus, notre salut exigeait de commencer par la régénération
ou rénovation dans l’être de grâce qui confère
l’être spirituel, en lavant ce qui est impur, en chassant les ténèbres
et en refroidissant la concupiscence qui, de façon universelle,
souille tout homme qui descend d’Adam par génération. Pour
ces raisons, le premier sacrement, celui qui régénère,
a dû être constitué par un élément qui
fût, de par ce qu’il représente naturellement, en conformité
avec le triple effet susdit de la grâce qui commence notre salut.
Car l’eau, par sa pureté, nettoie; par sa transparence elle est
porteuse de lumière, par sa froideur elle refroidit. Il faut ajouter
que parmi tous les liquides elle est l’élément le plus commun.
Pour ces raisons, le sacrement de notre régénération
a dû être réalisé par de l’eau, quelle qu’elle
soit — car n’importe quelle eau est toujours de la même espèce
— et aussi pour que personne ne puisse risquer son salut à cause
d’un défaut de matière.
5. Enfin,
notre maladie, contre laquelle principalement existe le baptême,
est le péché originel. Il prive l’âme de la vie de
la grâce et de la rectitude qui habilite à toutes les vertus;
il l’incline d’une certaine façon à tout genre de faute.
Ce péché se transmet par une source extérieure et
« rend l’enfant capable de concupiscence et l’adulte concupiscent
de fait. »; il réduit aussi à la servitude diabolique
et au pouvoir du prince des ténèbres. En conséquence,
pour que soit apporté par ce sacrement, sous forme d’action contraire,
un remède suffisant, il convenait qu’en lui soient données
la grâce de régénération à l’encontre
de la privation de la vie gratuite, la grâce qui rectifie sous forme
des sept vertus à l’en contre de la privation de la vertu habilitante,
la grâce qui purifie de toute faute à l’encontre de la tendance
à tout désordre vicieux.
6. Comme
le péché originel se contracte par une source extérieure
et rend l’enfant apte à la concupiscence et l’adulte concupiscent
de fait, une foi et une pénitence personnelles sont nécessaires
à l’adulte. Pour l’enfant au contraire suffisent la foi et la pénitence
des autres, à savoir celle qui se trouve dans l’ensemble de l’Eglise.
Et puisque le baptême doit arracher de la servitude diabolique et
de la puissance du prince des ténèbres aussi bien les enfants
que les adultes, il s’ensuit que les uns et les autres doivent être
exorcisés pour chasser la puissance contraire. Ils doivent de même
être catéchisés: les adultes, pour qu’une fois expulsée
l’obscurité de l’erreur, ils soient formés à la foi;
les enfants pour que les parrains sachent ce qu’ils doivent leur enseigner,
afin qu’une déficience humaine ne vienne pas empêcher le sacrement
de baptême d’atteindre sa fin.
1. Pour
son intégrité, est requise la forme vocale qui, selon l’usage
le plus commun, est ceci: Je te signe du signe de la croix, je te confirme
du chrême du salut, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Amen. Est requis aussi le chrême, fait d’huile d’olives et de baume.
Lorsque, avec ce chrême, le signe de croix est imprimé au
front par la main de l’évêque, qui se sert de la formule de
la confirmation, le sacrement est reçu. Par lui, l’homme est confirmé
comme combattant pour confesser le nom du Christ avec audace et publiquement.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, a été
conçu éternellement dans le coeur du Père et est apparu
en chair à l’homme, dans le temps et de façon sensible. Ainsi,
il ne restaure personne à moins que Lui-même ne soit conçu
par une foi qui vient du coeur et, cru désormais, à moins
d’être professé comme il convient par une profession extérieure.
Est de ce genre, une profession véridique, pleine de vérité,
qui n’est pas seulement une vérité spéculative, mais
aussi pratique. Cette dernière est celle en qui il n’y a pas seulement
« l’adéquation de l’intellect, de la parole et de la chose
», mais où tout l’homme est modelé sur la vérité
selon la connaissance de la raison, la complaisance de la volonté
et l’adhésion vertueuse, pour que cela se fasse par tout le coeur,
par toute l’âme et par tout l’esprit; que ce soit d’un coeur pur,
avec une bonne conscience et une foi non feinte. Une telle profession est
intègre, capable de plaire et intrépide: intègre,
en raison de celui qui en est l’objet; agréable, en raison de celui
devant qui elle est faite; intrépide, en raison de celui qui doit
la faire. Ce but, un homme pusillanime n’est pas capable de l’atteindre,
à moins d’être confirmé par la grâce d’en-haut.
C’est donc pour cela que le sacre ment de confirmation fut institué
par Dieu comme venant immédiatement après le baptême.
3. Mais
comme la fin rend nécessaire les moyens qui y sont ordonnés
ce sacrement sera intègre par l’exigence de la profession mentionnée
et par ses conditions, à savoir les trois dont on a parlé.
En premier lieu, parce que la profession doit être intègre
et que cette intégrité n’existe que si l’on confesse le Christ
vrai homme, crucifié pour les hommes et vrai Fils de Dieu incarné,
en tout égal au Père et au Saint Esprit dans la Trinité,
il s’ensuit que la for me vocale n’exprime pas seulement l’acte de confirmer,
mais aussi le signe même de la croix et le nom de la bienheureuse
Trinité.
4.De
plus, la profession doit être capable de plaire en raison de celui
devant qui elle est faite; elle doit l’être devant Dieu et devant
les hommes. Elle ne peut plaire à Dieu que s’il y a la lumière
de l’intelligence et la pureté de la conscience; elle ne peut plaire
au prochain que s’il y a l’odeur d’une bonne réputation et d’une
vie honnête. C’est pour quoi, pour désigner ces réalités
dans l’élément extérieur, on fait un mélange
d’huile d’olives qui est pure et de baume qui est odoriférant. On
veut signifier pas là que la profession, à laquelle ce sacrement
ordonne et dispose, doit être accompagnée de la pureté
de conscience et d’intelligence, jointe à l’odeur suave tant de
la vie que de la réputation, afin qu’il n’y ait aucune opposition
entre le langage et la conscience ou entre le langage et la réputation.
Cette opposition ferait qu’une telle profession ne serait pas acceptée
de l’homme ni approuvée par le Christ.
5. Enfin,
une telle profession doit être intrépide, de sorte que personne
n’omette, par honte ou par crainte, de dire la vérité, ni
que personne n’ait peur ou honte, en temps de persécution, de confesser
publiquement la mort ignominieuse du Christ en croix. par ce fait surtout
qu’on serait effrayé à la pensée de tomber dans une
peine et une ignominie semblables à celles de la passion. Cette
crainte et cette honte apparaissent surtout sur la figure et particulièrement
sur le front. En conséquence, pour chasser toute honte et toute
crainte, une main pleine d’autorité est imposée et elle confirme;
une croix est imprimée sur le front pour qu’on n’ait pas honte de
confesser la foi publiquement et qu’on n’ait pas peur de soutenir n’importe
quelle peine et ignominie, s’il en est besoin, pour confesser le nom du
Christ, comme un vrai combat tant oint pour le combat et comme un soldat
vaillant qui porte au front le signe de son roi et l’étendard triomphal
de sa croix, prêt avec lui à pénétrer avec assurance
les formations ennemies Car on ne peut prêcher librement la gloire
de la croix si on en craint la peine et l’ignominie, selon ce que disait
S. André « Si j’étais effrayé par l’ignominie
de la croix, je n’en prêcherais pas la gloire. »
1. Dans
ce sacrement, le vrai corps et le vrai sang du Christ ne sont pas seulement
signifiés, mais aussi contenus vraiment sous les deux espèces,
à savoir celles du pain et du vin, comme sous un seul et non sous
un double sacrement. Il en est ainsi après la consécration
sacerdotale qui se fait en prononçant la formule vocale instituée
par le Seigneur sur le pain ceci est mon corps; sur le vin ceci est le
calice de mon sang. Par ces paroles, prononcées par le prêtre
avec l’intention de confectionner le sacre ment, chaque élément
est changé, selon la substance. au corps et au sang de Jésus-Christ.
Les espèces sensibles demeurent et dans chacune d’elles est contenu
tout le Christ, totalement, non de façon circonscriptive, mais sacramentellement.
Sous ces espèces, le Christ nous est encore proposé en nourriture.
Celui qui la reçoit dignement, par une manducation non seulement
sacramentelle, mais encore spirituelle, faite de foi et de charité,
est incorporé davantage au Corps Mystique du Christ, il se restaure
et se purifie. Au contraire, celui qui s’approche indignement, mange et
boit sa propre condamnation, agissant sans discernement à l’égard
du très saint corps du Christ.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, a une puissance surabondante
et un jugement rempli de sagesse. Aussi, nous a-t-il donné les sacrements
selon que l’exigent sa sagesse et sa surabondance. Parce que surabondant,
en octroyant les remèdes aux maladies et les dons de grâce,
il ne s’est pas contenté d’instituer un sacrement qui nous engendrerait
dans l’être de grâce, à savoir le baptême, et
un autre qui nous ferait croître et nous fortifierait, une fois engendrés,
comme la confirmation, mais aussi un sacrement qui nous nourrirait après
avoir été engendrés et avoir grandi et c’est l’eucharistie.
C’est pourquoi ces trois sacrements sont donnés à tous ceux
qui accèdent à la foi. Mais notre nourriture, en ce qui regarde
l’être de grâce, se propose, pour chacun des fidèles,
de conserver la dévotion envers Dieu, l’amour envers le prochain
et la délectation au-dedans de soi. Or, la dévotion envers
Dieu s’exerce par l’offrande du sacrifice, l’amour du prochain par la communion
à un seul sacrement et la délectation au-dedans de soi même
par la réfection du viatique. Cela explique pour quoi notre principe
réparateur a donné ce sacrement de l’eucharistie comme un
sacrifice d’oblation, un sacrement de communion et un viatique de réfection.
3. Comme
notre principe réparateur n’est pas seulement surabondant, mais
qu’il possède en outre la suprême sagesse, à qui il
revient de tout faire avec ordre, il a donc agi ainsi: il a décidé
de nous pro poser un sacrifice, un sacrement et un viatique, selon qu’il
convient au temps de la grâce révélée, à
l’état de pèlerin et à notre capacité. Et d’abord,
parce que le temps de la grâce révélée exige
qu’on n’offre point une oblation quelconque, mais une oblation pure, agréable
et plénière; et nulle autre n’est telle sinon celle qui fut
offerte sur la croix, à savoir le corps et le sang du Christ, de
là vient qu’il faut nécessairement qu’en ce sacrement soit
contenu, non pas seulement de façon figurative, mais aussi en vérité,
le corps du Christ en tant qu’oblation adaptée à ce temps.
Semblablement, parce qu’il est conforme au temps de grâce que le
sacrement de la communion et de l’amour ne se contente pas de les signifier,
mais qu’il y enflamme pour qu’il « produise ce qu’il signifie »
comme
par ailleurs ce qui nous enflamme le plus à l’amour mutuel et qui
unit le plus les membres, c’est l’unité du Chef à partir
duquel s’écoule en nous l’amour mutuel, par la force diffusive,
unitive et transformante de l’amour, de là vient que ce sacrement
contient le vrai corps du Christ et sa chair immaculée, en tant
qu’il se diffuse en nous, qu’il nous unit les uns aux autres et nous transforme
en lui par l’ardente charité avec laquelle il s’est donné
à nous, s’est offert pour nous, s’est redonné à nous
et demeure avec nous jusqu’à la fin du monde. De cette manière
aussi, la réfection qui convient à l’ère de la grâce
est une réfection spirituelle, commune et salutaire. Or, la réfection
de l’esprit est le Verbe de vie. De ce fait la réfection spirituelle
d’un esprit vivant dans la chair est le Verbe Incarné ou la chair
du Verbe qui est une nourriture commune et salutaire. En effet, même
si elle est unique, tous cependant se sauvent par elle. Puis donc qu’il
n’y a pas d’autre aliment spirituel, commun et salutaire, que le vrai corps
du Christ lui-même, il y a nécessité pour ce corps
d’être contenu vraiment dans ce sacrement, comme l’exige la perfection
du sacrifice propitiatoire, du sacrement unitif et du viatique de réfection,
conformément à ce qui doit être au temps du Nouveau
Testament, de la grâce révélée et de la vérité
du Christ.
4. En
outre, il n’appartient pas à l’état de pèlerin ici-bas
de voir le Christ à découvert, en raison du voile de l’énigme,
et pour que la foi soit méritoire. Il ne convient pas non plus que
la chair du Christ soit touchée avec les dents, à cause de
l’horreur que nous avons de la chair crue ° et de l’immortalité
de ce corps lui-même. C’est pourquoi il était nécessaire
que le corps et le sang du Christ soient livrés sous les voiles
de symboles très saints et de similitudes adaptées et expressives.
Et comme aucune nourriture et aucun breuvage ne sont plus aptes à
la réfection que le pain et le vin, rien n’est plus capable non
plus de signifier l’unité du corps du Christ, réel et mystique,
que le pain, fait de grains sans tache, et le vin, exprimé des grains
de raisins très purs réunis ensemble. Il fallait donc que
ce fût sous ces espèces plutôt que sous d’autres que
le sacrement fût présenté. Et comme le Christ devait
se trouver sous ces espèces, non selon un changement qui l’affectât
lui-même, mais plutôt les espèces, c’est pourquoi, au
moment où sont proférées les deux formules rapportées
plus haut, qui insinuent la présence du Christ sous ces espèces,
s’opère la conversion de chaque substance au corps et au sang, que
demeurant que les seuls accidents comme signes qui contiennent le corps
lui-même et aussi qui l’expriment.
5. Parce
que le corps bienheureux et glorieux du Christ ne peut être divisé
en ses parties, ni séparé de l’âme, non plus que de
la souveraine Divinité, c’est pourquoi, sous chacune des espèces,
se trouve le seul Christ, tout entier et indivisé, c’est-à-dire
le corps, l’âme et Dieu. Et par là aussi, il n’y a sous les
deux espèces qu’un seul et très simple sacrement qui con
tient tout le Christ. Et parce que chaque partie d’une espèce signifie
le corps du Christ, il s’ensuit qu’il est tout entier aussi bien dans toute
l’espèce que dans chacune de ses parties, qu’elle soit entière
ou divisée. Ainsi, il n’est pas là en tant que circonscrit,
comme occupant un lieu, ayant une position, étant perceptible par
quelque sens corporel et humain, mais se dérobant à toute
perception pour permettre à la foi d’exister et d’être méritoire.
Pour qu’en plus ce corps ne soit pas saisi, les accidents continuent de
se comporter comme auparavant, bien qu’ils soient sans sujet aussi longtemps
qu’ils demeurent dans leurs propriétés naturelles et qu’ils
sont aptes à nourrir.
6. Enfin,
puisque notre capacité de recevoir efficacement le Christ ne vient
pas de la chair mais de l’âme, non du ventre mais de l’esprit; comme
aussi l’esprit n’atteint le Christ que par la connaissance et l’amour,
par la foi et la charité, en sorte que la foi illumine en vue de
la réflexion et que la charité enflamme à la dévotion,
ainsi faut-il que celui, qui veut s’approcher dignement du corps du Christ,
le mange spirituellement, pour ainsi le mâcher par la réflexion
de foi et se l’assimiler par la ferveur de l’amour. Par là, il ne
transforme pas le Christ en soi, mais c’est lui-même plutôt
qui est comme projeté dans son Corps Mystique. Il en ressort manifestement
que celui qui s’approche avec tiédeur, sans dévotion et avec
légèreté, mange et boit sa propre condamnation, car
il outrage un si grand sacrement. Il est donc conseillé à
ceux qui ne se sentent pas assez purs d’âme et de corps, ou même
sans dévotion, de différer la réception, jusqu’à
ce que, préparés à manger le véritable agneau
sans tache, ils s’en approchent avec dévotion et respect.
7. C’est
pourquoi aussi il est prescrit que ce sacrement soit célébré
avec une particulière solennité, quant au lieu, de même
qu’au temps, quant aux paroles et aux prières, quant aux vêtements
dans la célébration de la messe, de sorte que tant les prêtres
eux-mêmes qui célèbrent que ceux qui reçoivent
ce sacrement, recueillent le don de la grâce qui les purifie, les
illumine, les perfectionne, les restaure, les vivifie et les transforme,
de la façon la plus ardente, au Christ lui-même, par un amour
excessif.
1. Ce
sacrement est « la seconde planche de salut après le naufrage
». Peut y recourir celui qui fait naufrage par le péché
mortel, tant qu’il est dans cette vie, tant et autant de fois qu’il voudra
implorer la clémence divine. Ses parties intégrantes sont
la contrition du coeur, la confession orale et la satisfaction par les
oeuvres. A partir de là, la pénitence est complète
lorsque le pécheur abandonne de fait toute faute mortelle commise,
l’accuse verbalement, la déteste de coeur et se propose de ne jamais
plus pécher. Lorsque ces éléments se rencontrent de
la manière qui convient avec l’absolution, qui est don née
par celui qui possède l’ordre, le pouvoir et la juridiction, l’homme
est absous du péché, réuni à l’Eglise et réconcilié
avec le Christ moyennant le pouvoir sacerdotal. De ce jugement, ne relève
pas seulement l’absolution, mais encore l’excommunication et la remise
des peines, ce qui revient en propre à l’évêque, en
tant qu’il est l’époux de l’Eglise.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, par le fait même
qu’il est Verbe, est la source de la vérité et de la sagesse;
par le fait qu’il est Incarné, il est la source de la bonté
et de l’indulgence. C’est pourquoi il doit restaurer le genre humain par
les remèdes sacramentels et surtout contre la maladie principale,
qui est le péché mortel, comme il convient à un pontife
rempli de pitié à un médecin expérimenté
et à un juge équitable, pour qu’apparaissent ainsi dans notre
guérison la clémence, la prudence et la justice souveraines
du Verbe Incarné.
3. En
premier lieu, notre guérison du péché mortel par la
pénitence, doit manifester la souveraine clémence du Christ
lui-même, pontife plein de pitié; par ailleurs, la souveraine
clémence du Pontife sur passe tous les péchés de l’homme,
de quelque sorte et aussi nombreux qu’ils soient et autant de fois qu’ils
aient été commis. Il suit de là qu’il revient au Pontife
très clément lui-même de recevoir les pécheurs
au pardon, non une fois ou deux, mais autant de fois qu’ils imploreront
d’une manière suppliante la clémence de Dieu. Or, cette clémence
est implorée vraiment et de façon suppliante quand interviennent
les gémissements de la pénitence. L’homme peut s’y convertir
aussi longtemps qu’il est dans cette vie car il a le pouvoir de s’incliner
vers le bien et vers le mal. On en conclut: quels que soient la gravité,
le moment et le nombre de ses fautes, le pécheur peut trouver refuge
dans le sacrement de pénitence qui lui remet ses péchés.
4. En
outre, dans notre guérison, doit se manifester la souveraine prudence
du Christ lui-même, le médecin expert. La prudence du médecin
apparaît dans l’application des remèdes contraires qui suppriment
non seulement la maladie mais aussi la cause. Et comme le péché
contre Dieu vient de la délectation, du consentement et de l’accomplissement
c’est-à-dire du coeur, de la bouche et de l’action, le médecin
souverainement prudent a fixé les dispositions sui vantes: contre
le désordre du pécheur, qui se fait selon la triple puissance,
à savoir l’affective, la dis cursive et l’opérative, désordre
qui s’actue par la complaisance occulte de la délectation, il y
aurait réforme du pénitent selon la triple puissance sus
dite: la pénitence douloureuse conçue dans le coeur par la
componction, exprimée de bouche par la confession et consommée
dans les oeuvres par la satisfaction. Et parce que tous les péchés
mortels détournent du Dieu unique, s’opposent à la grâce
unique et pervertissent la seule principale rectitude de l’homme, il est
nécessaire, pour que le remède de la pénitence soit
suffisamment complet dans ses parties, que la pénitence porte sur
tous les péchés, quant au passé par le déplaisir
au sujet des péchés commis, quant au présent en cessant
de les commettre et quant au futur par le propos de ne récidiver
ni dans le même péché ni dans quelque autre
C’est
en s’éloignant ainsi totalement de la faute par la pénitence
qu’on recevra la grâce divine et qu’on obtiendra par elle le pardon
de tous les péchés.
5. Enfin,
notre guérison doit manifester l’équitable justice du Christ
juge. Or, il ne lui revient pas en personne de juger avant le jugement
dernier et final. Pour cette raison, il a dû constituer des juges
pour les jugements particuliers qui précèdent la fin. Et
puisque ces juges sont comme des intermédiaires entre Dieu offensé
et l’homme qui offense, intermédiaires proches du Christ et chefs
du peuple; comme aussi ceux-là surtout sont proches du Seigneur
et ses familiers en raison de leur charge, qui ont été consacrés
principalement pour son ministère, c’est-à-dire les prêtres,
c’est pourquoi est conférée, à tous ceux qui sont
constitués dans l’ordre sacerdotal et à eux seuls, le pouvoir
des deux clefs, à savoir la clef de la science pour discerner et
la clef qui donne le pouvoir de lier et de délier pour porter un
jugement et accorder le bienfait de l’absolution.
6. Pour
éviter la confusion, on ne place pas n’importe qui à la tête
de n’importe quel autre dans l’Eglise militante, puisque la hiérarchie
ecclésiastique elle-même doit être ordonnée selon
le pouvoir judiciaire; or, ce pouvoir de lier et de délier a d’abord
été concédé au seul premier et souverain prêtre,
à qui a été conféré, en tant que chef
suprême, le pou voir universel. Ensuite, selon les Eglises particulières,
le pouvoir se divise en diverses parties, de telle manière qu’il
descend du chef unique, d’abord dans les évêques, puis dans
les prêtres. C’est pourquoi même si chaque prêtre possède
l’ordre et le pouvoir des clefs, ce pouvoir cependant ne s’étend
qu’à ceux qui leur sont soumis de façon ordinaire, à
moins qu’un pouvoir plus étendu leur soit concédé
par celui qui a la juridiction ordinaire. Mais comme cette juridiction
réside principalement dans le chef suprême, ensuite dans l’évêque
et enfin dans le prêtre qui a charge d’âme, elle peut être
confiée à un autre par n’importe lequel de ceux-ci, de façon
certes suffisante par celui qui est de degré inférieur, davantage
par l’évêque et en plénitude par le chef suprême.
7. Une
telle juridiction réside dans le souverain Pontife et même
dans les évêques, non seulement pour juger entre Dieu et l’homme
au for interne, mais aussi au for externe entre homme et homme. Cela leur
revient comme à ceux à qui ont été confiés
le gouvernement et la garde de l’Eglise, comme l’épouse est confiée
à l’époux. De là vient que les prélats ont
le glaive qui leur permet de frapper, en faveur de la défense du
droit, par l’excommunication et aussi le pouvoir de prodiguer les trésors
des mérites de l’Eglise, mérites qu’ils ont en dépôt
et en garde et qui viennent tant de la tête que des membres. Cela
se fait en déliant. De sorte que, comme de vrais juges chargés
par Dieu, ils possèdent le pouvoir entier de lier et de délier
par lequel ils peuvent frapper les impénitents, réprimer
les rebelles et toutefois absoudre les vrais pénitents et les réconcilier
avec Dieu et avec la sainte Mère Eglise.
1. Elle
est le sacrement de ceux qui quittent cette vie. Elle prépare et
dispose à la santé parfaite. Elle a aussi la capacité
de détruire les péchés véniels et de rendre
la santé corporelle si cela est utile au malade. A l’intégrité
de ce sacrement sont requis: de l’huile pure mais consacrée, l’expression
vocale des prières, l’onction du malade sur sept parties déterminées,
à savoir sur les yeux, les oreilles, les narines, les lèvres,
les mains, les pieds et les reins. Ce sacre ment ne doit être donné
qu’aux adultes et à ceux qui le demandent, qu’en péril de
mort. Il doit être conféré par la main et le ministère
du prêtre. On en déduit qu’entre ce sacrement et la confirmation
il y a sept différences: dans l’efficacité, la matière,
la forme, dans le su jet, dans celui qui administre le sacrement, dans
le lieu et le temps
Explication
2. Voici
la raison explicative de ce qui précède. Notre principe réparateur,
le Verbe Incarné, nous res taure en tant que médiateur entre
Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ; en tant que Jésus,
il a à sauver; en tant que Christ, oint, il doit faire dériver
dans les autres la grâce de l’onction. Il lui revient donc, dans
ses sacrements, d’accorder l’onction salutaire. Mais pour que l’âme
soit parfaitement guérie elle a besoin d’un triple genre de santé,
c’est-à-dire pour la vigueur de l’action, la suavité de la
contemplation et la félicité de la saisie immédiate.
La première est la santé de ceux qui entrent dans l’armée
de l’Eglise, la seconde appartient à ceux qui y président,
à qui il revient d’instruire les autres, le troisième enfin
appartient à ceux qui en sortent par la mort. De là vient
que le Seigneur a institué non seulement une onction sacramentelle
dans la confirmation, mais une autre qui tient le milieu, dans l’ordre
pontifical et une dernière lorsqu’il y a péril de mort.
3. Mais
comme « la fin rend nécessaire ce qui y est ordonné
», il s’ensuit que ce sacrement doit opérer, être intègre,
être reçu et administré selon l’exigence de cette fin.
Et d’abord, comme l’opération de ce sacrement doit se régler
sur la fin et que celle-ci consiste pour lui en ce qu’il a été
institué pour atteindre plus facilement et plus promptement le salut
du bonheur perpétuel; comme par ailleurs ce but est atteint par
la dévotion qui élève l’âme et par la décharge
des fautes vénielles et autres séquelles qui la poussent
vers ce qui est en bas, il suit que ce sacrement possède l’efficacité
d’exciter à la dévotion, de remettre les péchés
véniels et de détruire plus facilement les scories du péché.
De plus, il est expédient pour plusieurs malades de vivre encore
pour accumuler de nouveaux mérites. De là vient que ce sacrement
soulage même fréquemment de la maladie en revigorant l’âme
dans le bien et en la déchargeant du mal. C’est ce que dit le bienheureux
Jacques: la prière de la foi sauvera le malade et s’il a commis
des péchés, ils lui seront remis.
4. De
plus, l’institution de ce sacrement doit correspondre à l’exigence
de la fin. Celle-ci est l’acquisition du salut en esprit par la rémission
des fautes. Le salut à son tour regarde la santé et la pureté
de la conscience intérieure, selon laquelle le juge céleste
porte son jugement. C’est la raison pour laquelle doit se trouver dans
ce sacrement de l’huile pure et consacrée, car elle désigne
la sainteté et l’éclat qui résident dans le sanctuaire
de la conscience. Mais comme l’homme mortel n’a pas de pouvoir sur ce salut,
c’est pour cela que la prière et la formule vocale s’expriment par
des paroles déprécatives pour obtenir le don de la grâce.
Et parce que l’âme contracte des maladies spirituelles dans le corps,
selon les quatre puissances qui le régissent, à savoir le
sensible, l’interprétative, la générative et la progressive,
c’est pour cela que les membres qui sont au service de ces puissances reçoivent
une onction. Or, il y a cinq sens, à savoir les yeux pour la vue,
les oreilles pour l’ouïe, les narines pour l’odorat, les mains pour
le toucher et la bouche pour le goût et aussi pour une autre puissance,
l’interprétative. De plus. les pieds servent pour la marche et les
reins pour la génération — il est indigne et honteux, en
effet, de toucher et même de nommer les parties génitales.
Pour ces raisons, l’onction doit être faite aux sept endroits indiqués
pour qu’ainsi l’homme soit disposé par ce sacrement à recevoir
la plénitude de la santé par la destruction de toute faute
vénielle.
5. Enfin,
la réception de ce sacrement dépend de sa fin. Celle-ci consiste
en un passage plus rapide au ciel par l’enlèvement du fardeau des
péchés véniels et la conversion de l’esprit à
Dieu. C’est pourquoi, elle ne doit être donnée qu’aux adultes,
qui pèchent véniellement et à ceux seulement qui la
demandent et qui, par la dévotion, sont tournés vers les
choses d’en-haut. Elle ne doit encore être donnée qu’à
ceux qui sont en péril de mort et pour ainsi dire en pas sage vers
un autre état. Et comme ce sacrement est pour ceux qui sont en péril
et que malgré cela il a une matière sainte, l’huile consacrée,
c’est pour cela que pour éviter un péril, il doit être
communément confié aux prêtres et, à cause de
la consécration de l’huile, il ne doit être touché
que par des mains consacrées.
6. En
conclusion, de la diversité de la fin dans la confirmation et l’extrême-onction
provient leur diversité dans l’efficacité, dans la matière
et la forme, dans le lieu et le temps, dans le sujet et le ministre: dans
l’efficacité, car le sacrement de confirmation dispose à
mieux lutter tandis que l’extrême-onction dispose à s’envoler
plus rapidement; dans la matière, car la confirmation use d’huile
mêlée de baume tandis que l’extrême-onction se sert
d’huile pure; dans la forme, car pour la confirmation elle est indicative,
tandis que pour l’extrême-onction elle est déprécative.
Quant au lieu, la confirmation est administrée sur le front et l’extrême-onction
l’est en plusieurs endroits; pour le temps, la confirmation est reçue
quand on est en santé et l’extrême-onction quand on est malade;
quant au sujet, la confirmation est donnée non seule ment aux adultes
mais encore aux enfants, tandis que l’extrême-onction est réservée
aux adultes; quant au ministre, la confirmation est donnée par les
évêques, tandis que l’extrême-onction l’est par n’importe
quel prêtre. Toute cette diversité provient de la fin. En
effet, comme la chose est apparue clairement, la diversité dans
les fins prochaines introduit la diversité dans les réalités
qui doivent finalement s’ordonner à ces fins.
1. «
L’ordre est un signe par lequel un pouvoir spirituel est accordé
à l’ordonné » Bien que l’ordre soit un des sept sacrements,
il est toutefois constitué de sept degrés. Le premier est
celui des portiers, le second des lecteurs, le troisième des exorcistes,
le quatrième des acolytes, le cinquième des sous-diacres,
le sixième des diacres et le septième des prêtres.
Sous ces degrés, comme par mode de préparation, se place
la tonsure cléricale et aussi le psalmistat. Au-dessus de ces degrés
par mode de complément, se placent l’épiscopat, le patriarcat
et la papauté. De ces derniers dépendent les autres ordres
qui doivent être conférés par des signes déterminés,
tant sous le rap port de la vue que de l’ouïe, en observant toutefois
la solennité qui s’impose quant au temps, au lieu, à la charge
et à la personne.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, comme Dieu et comme
homme. a institué les remèdes sacramentels pour le salut
des hommes, avec ordre,
distinction
et puissance selon l’exigence de sa bonté, de sa sagesse et de sa
puissance. De là vient qu’il a confié aux hommes des remèdes
sacramentels, à dis penser non pas n’importe comment, mais de la
manière qu’exigent l’ordre, la distinction et la puissance. Il a
donc fallu distinguer et mettre à part, pour remplir ce genre d’office,
certaines personnes à qui serait confié, de droit ordinaire,
un tel pouvoir. Comme un tel choix ne pouvait se faire que par des signes
sacrés, comme sont les sacrements, il a donc fallu qu’il y ait un
sacrement qui fût un signe sacré, ordinatif, distinctif et
potestatif, pour conférer les autres sacrements d’une manière
distinctive, potestative et ordinative. C’est pourquoi l’ordre se définit:
«
un certain signe par lequel un pouvoir spirituel est conféré
à l’ordonné ». De sorte que dans sa défi nition
sont renfermés en même temps les trois éléments
énumérés plus haut et qui groupent en somme ce qui
est exigé par l’intégrité de l’ordre.
3. D’abord,
parce que l’ordre est un signe qui distingue et qui sépare de tout
le peuple, afin que le sujet soit totalement consacré au culte divin,
il suit qu’une certaine distinction précède les ordres, par
la tonsure et la couronne, qui signifient le retranchement des appétits
temporels et l’élévation de l’es prit vers les choses éternelles.
On veut montrer par là que le clerc tout entier est député
au culte divin. C’est pourquoi il dit en recevant la couronne: Le Seigneur
est la part de mon héritage, etc. Et comme il doit être instruit
dans les louanges divines, qui consistent surtout dans les psaumes, le
psalmistat pré cède, comme un préambule, les autres
ordres. Isidore le met toutefois, en parlant dans un sens large, au nombre
des ordres
4. En
second lieu, parce que l’ordre est un signe ordinatif et ordonné
également dans son être même; parce qu’aussi l’ordre
consiste en une disparité et une distinction complète des
degrés, selon que l’exige la grâce septiforme, à la
dispensation de laquelle le sacrement de l’ordre est principalement ordonné,
de là vient qu’il y a sept ordres disposés par degrés
jus qu’au sacerdoce en qui se trouve leur perfection. Car il lui revient
de consacrer le sacrement du corps du Christ en qui réside la plénitude
de toutes les grâces. Les six autres ordres sont donc comme des sous-services
du sacerdoce et comme des degrés par lesquels on monte au trône
de Salomon Ils sont six à cause de la perfection du nombre, pour
cette raison que « six » est le premier nombre parfait et également
parce que l’exigent ainsi la perfection de cet office et ce qui est nécessaire
pour le remplir. Car il doit y en avoir qui servent comme de plus loin,
d’autres, de façon plus rapprochée, d’autres enfin de façon
très voisine, afin que rien ne manque à un ministère
ordonné. Et parce que n’importe lequel de ces ministères
se dédouble selon l’acte purgatif et illuminatif, il s’ensuit qu’il
y a six ordres ministériels, et un septième, de tous le plus
parfait, par lequel est réalisé le Sacrement de l’autel et
qui reçoit son achèvement dans un ordre unique, comme dans
un terme ultime et complet.
5. Enfin,
l’ordre est un signe de pouvoir, non seulement par rapport à l’administration
des autres sacrements, mais encore par rapport à lui-même.
Or, un pouvoir qui s’exerce sur un autre est un pouvoir excellent. Pour
cette raison, il ne lui revient pas seulement un pouvoir simple, comme
c’est le cas pour un ordre simple, mais encore l’éminence du pouvoir
telle qu’elle se trouve dans ceux à qui revient la fonction d’administrer
les ordres de façon ordinaire. Or, l’excellence se dilate d’autant
plus qu’elle descend plus bas et elle s’unifie d’autant plus qu’elle s’élève
plus haut. De là vient qu’il y a plusieurs évêques,
moins d’archevêques, très peu de patriarches et un seul père
des pères, qui a juste titre est appelé pape, en tant qu’il
est l’unique, le premier et le souverain père de tous les pères,
bien plus, de tous les fidèles. Il est aussi le hiérarque
principal, l’époux unique, chef sans partage, Pontife suprême,
vicaire du Christ, source, origine, et règle de tous les principats
ecclésiastiques. De lui dérive comme du sommet, jus qu’aux
plus humbles membres de l’Eglise, le pou voir ordonné, comme l’exige
la dignité éminente de la hiérarchie ecclésiastique.
6. Comme
cette dignité réside principalement dans l’ordre, il ne faut
conférer ce sacrement qu’avec grand discernement et grande solennité,
et donc, il ne faut pas que ce soit par n’importe qui, à n’importe
qui, n’importe où et à n’importe quel moment. Mais ces ordres
doivent être donnés à des personnes instruites, honnêtes
et exemptes de toute irrégularité. Ceux qui le reçoivent
doivent être à jeun. Ce doit être dans un lieu sacré,
durant la messe et aux temps prescrits par le droit ecclésiastique.
Ils doivent être dispensés par les évêques, à
qui reviennent de conférer les ordres, de confirmer par l’imposition
des mains, de consacrer les moniales et les abbés et de faire la
dédicace des églises. Car toutes ces réalités,
en raison de leur importance, ne peuvent être conférées
que par ceux qui possèdent la prééminence du pouvoir.
1. «
Le mariage est l’union légitime de l’homme et de la femme, dans
un genre de vie inséparable » Cette union n’a pas existé
seulement après le péché, mais même avant. Le
sacrement de mariage fut d’abord institué comme une fonction; maintenant,
il n’a pas seulement ce rôle, mais il est aussi un remède
à la maladie de la volupté. Au début, il signifiait
l’union de Dieu et de l’âme; maintenant, il signifie en plus l’union
du Christ et de l’Eglise et celle des deux natures dans l’unité
de la personne. Cette union se réalise par le libre consentement
des volontés de la part des deux personnes, consentement extérieurement
exprimé par un signe sensible. Elle reçoit son achèvement
dans l’union charnelle. En effet, on dit que le mariage a son point de
départ dans la pro messe, qu’il est ratifié par les paroles
de la célébration, mais qu’il trouve son accomplissement
final dans l’union charnelle. Ce sacrement comporte trois biens: «
la fidélité, l’enfant et le sacrement ». Il y a en
plus douze empêchements qui entravent sa réception et qui
l’annulent une fois contracté. Ils sont contenus dans les vers qui
suivent:
Erreur,
condition, voeu, parenté, crime,
Disparité
de culte, violence, ordre sacré, lien, honnêteté;
Si
tu es parent par alliance, si par hasard tu es impuissant;
Tout
cela interdit le mariage et l’annule
S'il
est contracté.
Explication
2. Notre
principe réparateur, le Verbe Incarné, du fait qu’il est
Verbe de Dieu, est source de sagesse dans les cieux; du fait même
qu’il est incarné, il est source de clémence sur terre. C’est
pourquoi, du fait même qu’il est Verbe incréé, il a
formé le genre humain par une suprême sagesse; par le fait
même qu’il est incarné, il le réforme par une souveraine
clémence. Il répare donc le genre humain par clémence
parce que d’abord il l’a fait réparable par sagesse. Elle exigeait,
en raison de son ordre souverain, que le Verbe crée le genre humain
capable de persévérer, capable de tomber, capable aussi d’être
relevé, comme on l’a montré précédemment Puis
que le Verbe de Dieu, dans sa sagesse, a fait l’homme capable de persévérer,
de tomber et de se relever, comme cela convenait, de là vient qu’il
a réglé la propagation du genre humain de telle sorte que
la manière même de se propager lui fournît ce qu’il
fallait pour persévérer, pour se relever, comme aussi, dans
cette propagation, il y a quelque chose, à savoir la concupiscence
qui vient du péché, qui transmet la maladie. Or, la persévérance
de l’homme lui venait de l’union de son âme à Dieu par l’amour
unitif, et cela de façon très chaste, singulière et
individuelle. Le remède, lui, venait de l’union de la nature divine
avec la nature humaine, dans l’unité, de l’hypostase et de la personne,
unité introduite par la grâce divine en tant que singulière
et individuelle. C’est pour cela que Dieu a décrété
dès l’origine que la propagation se ferait par l’union de l’homme
et de la femme, union individuelle et singulière qui, avant le péché,
signifierait l’union de Dieu et de l’âme, ou de Dieu et de la hiérarchie
sub-céleste. Après le péché, par contre, elle
signifierait l’union de Dieu et de la nature humaine, ou du Christ et de
l’Eglise. C’est pourquoi cette union est un sacrement dans les deux cas,
à savoir avant et après, bien que de façon différente,
quant à la signification et à l’usage. Comme le mariage était
déjà un sacrement avant que sur vienne la maladie, la concupiscence
venant ensuite par le péché est excusée par le mariage
plutôt qu’elle ne le vicie. Car ce n’est pas la maladie qui corrompt
le médicament, mais c’est ce dernier qui doit guérir la maladie
De ce qui précède, apparaissent claire ment la nature du
mariage et le comment de son institution divine.
3. Ajoutons
que chacune des unions spirituelles susdites, signifiées dans le
sacrement de mariage, est l’union de deux êtres dont l’un agit et
influe et l’autre est patient et reçoit. De plus, cette union est
pro duite par le lien de l’amour qui procède de la pure volonté.
De là vient que le mariage doit être l’union de deux personnes,
différentes sous l’aspect de l’action et de la passion, c’est-à-dire
de sexe masculin et féminin, et cette union s’opère par le
seul consente ment. Et parce que la volonté n’apparaît à
l’extérieur que par des signes qui l’expriment, il faut que le consentement
mutuel s’exprime à l’extérieur Le consentement, en tant qu’il
porte sur l’avenir, n’est pas à proprement parler un consentement,
mais la promesse de consentir: comme par ailleurs le consentement porté
avant l’union charnelle ne produit pas l’union plénière,
car il n’y a pas encore une seule chair, il suit que les paroles portant
sur l’avenir font que le mariage est commencé, celles qui regardent
le présent le confirment, mais c’est l’union charnelle qui lui donne
son achèvement. En effet, les époux ne font plus alors qu’une
seule chair et un seul corps. Par cette union, le mariage signifie pleinement
celle qui existe entre nous et le Christ, car alors, le corps de l’un est
pleinement communiqué au corps de l’autre, selon le pouvoir que
chacun a sur son conjoint en vue de la procréation.
4. C’est
pourquoi, dans le mariage il y a trois biens: le sacrement, à cause
du lien indissoluble, la fidélité en raison de l’acquittement
du devoir conjugal et l’enfant comme une conséquence de deux biens
précédents.
5. Enfin,
comme cette union matrimoniale doit procéder du libre consentement
en vue d’unir des personnes distantes dans la loi unique du mariage et
que cela peut être empêché de douze manières,
il s’ensuit qu’il y a douze empêchements de mariage. En voici la
preuve. Pour qu’il y ait consentement matrimonial, on requiert la liberté
dans le consentement, la liberté dans celui qui le donne et l’idonéité
à l’union. Mais la liberté dans le consentement est enlevée
par deux choses, selon les deux parties de l’involontaire: l’ignorance
et la violence. De là viennent deux empêchements: l’erreur
et la violence. La liberté dans celui qui consent est supprimée
par le fait que quelqu’un est uni à un autre, Soit à Dieu,
soit à l’homme. Si c’est à Dieu, cela peut se faire par un
voeu exprès ou par quelque chose qui comporte un voeu. Le premier
cas se réalise dans le voeu, le second dans l’ordre sacré.
Si c’est à l’homme, cela peut se faire de deux manières:
ou par un lien existant ou par un lien précédent. Le premier
cas arrive quand quelqu’un est uni à une femme; le second se rencontre
dans un crime, quand un ou une adultère a commis le meurtre du conjoint,
ou bien, alors que celui-ci était encore vivant, a promis de contracter
mariage. On a donc ainsi quatre empêchements: le voeu, l’ordre sacré,
le lien et le crime. L’idonéité à l’union réside
dans une distance convenable entre les personnes. Elle est supprimée
par une trop grande proximité ou par un trop grand éloigne
ment. La trop grande proximité vient de la génération
ou de quelque chose de semblable, comme la parenté légale
ou spirituelle. Elle vient encore de l’union des sexes ou par le fait d
avoir contracté des fiançailles. Ainsi, on arrive à
trois empêchements: la parenté, l’affinité et l’honnêteté
de droit public. La trop grande distance est considérée soit
du point de vue naturel, comme lorsque l’union charnelle est impossible,
soit du point de vue du sort, alors qu’il s’agit de choses sur lesquelles
on ne peut rien, comme cela est clair dans le cas où l’un est esclave
et l’autre libre, soit encore du point de vue de la religion chrétienne,
comme lorsque l’un est baptisé et l’autre pas. On arrive ainsi à
trois empêchements: l’impuissance, l’erreur sur la condition et la
disparité de culte. Il y a donc au total douze empêchements
qui, sous l’inspiration du Saint Esprit, ont été introduits
dans l’Eglise. Bien que tous les sacrements lui aient été
confiés, elle a reçu commission spéciale de réglementer
le sacrement de mariage, à cause des nombreux cas divers qui peuvent
se présenter à son sujet et aussi à cause de la maladie
qui l’accompagne, maladie suprêmement infectieuse et qui ne connaît
pas de mesure. C’est pourquoi, il revient à l’Eglise elle-même
de limiter les degrés de parenté, comme il lui semble expédient
selon les temps de juger de la légitimité ou de l’illégitimité
des personnes et d’effectuer les séparations. Mais elle ne doit
ni ne peut jamais annuler un mariage contracté légitimement,
car l’homme, quelque grande que soit sa puissance, ne peut séparer
ceux que Dieu a unis, car tous demeurent soumis au jugement de Dieu lui-même.
Enoncé.
Il
est sûr que le Jugement universel aura lieu; Dieu le Père
y jugera les vivants et les morts, les bons et les méchants, par
Jésus-Christ Notre Seigneur, et il rendra à chacun selon
l’exigence de ses mérites.
Dans
ce jugement aura lieu l’ouverture des livres le livre des consciences s’ouvrira,
et les mérites comme les démérites de tous seront
connus de tous et de chacun, par la puissance du livre de vie, le Verbe
incarné.
Car
sous sa forme divine, le Verbe incarné apparaîtra aux seuls
bons; mais sous sa forme humaine, il promulguera la sentence, et il apparaîtra
aux bons comme aux méchants, « apparence terrifiante pour
les méchants, aimable pour les justes »
2.
Explication
Le
premier Principe, parce que le premier est par soi, selon soi, pour soi;
ainsi, il est efficience, forme et fin, il produit, il gouverne et il achève
l’univers. Il produit selon la sublimité de sa puissance, il gouverne
selon la rectitude de la vérité, il consomme l’univers selon
la plénitude de sa bonté.
La
sublimité de la puissance exigeait la production de la création
comme vestige, mais aussi comme image; créature sans raison et créature
raisonnable; créature soumise au mouvement de l’élan naturel,
et créature douée de volonté libre.
Or
la créature à l’image de Dieu, parce que capable de Dieu,
est capable de béatitude; la créature raison nable est capable
d’une discipline, la créature douée de volonté libre
peut s’ordonner ou se désordonner par rapport à la loi de
justice.
Dès
lors, la rectitude de la vérité devait imposer à l’homme
une loi qui l’invite à la béatitude, l’instruise de la vérité,
l’oblige à la justice, sans pour autant contraindre la libre volonté,
qui peut, à son gré, suivre ou abandonner la justice; Dieu
en effet « gouverne les choses qu’il a créées en les
laissant agir selon leurs mouvements propres »
Comme
néanmoins la plénitude de la bonté réa lise
la consommation de l’univers selon les exigences de la souveraine puissance
et de la droite vérité, la bonté suprême accorde
la consommation de la béatitude à ceux qui ont observé
la justice imposée par la rectitude de la vérité,
à ceux qui ont accepté la discipline, à ceux enfin
qui ont préféré aux biens transitoires le bonheur
suprême et sans fin.
Puisque
certains agissent ainsi et que d’autres font le contraire, au gré
variable des volontés, qui, dans l’état de voie, demeurent
secrètes et libres de leur choix, le jugement universel est nécessaire
pour manifester la sublimité de la puissance, la rectitude de la
vérité, la plénitude de la bonté.
Alors
aura lieu la juste rétribution des récompenses, la déclaration
ouverte des mérites et l’irrévocable promulgation des sentences.
Dans la juste rétribution des récompenses se manifestera
la plénitude de la bonté, dans la déclaration des
mérites apparaîtra la rectitude de la vérité
et l’irrévocable promulgation des sentences montrera la sublimité
de la vertu et de la puissance souveraine.
La
juste rétribution tout d’abord concerne la faute et sa dette pénale,
la justice et son prix de gloire. Or tous les fils d’Adam possèdent
l’une et l’autre, la faute ou la justice. Il est donc nécessaire
que tous soient jugés d’un jugement de rétribution qui glorifie
les justes et condamne les impies.
3. La
déclaration ouverte des mérites ensuite exige l’apparition
simultanée de ce qu’il fallait faire et de ce qui a été
fait ou omis, selon les circonstances variées, par la libre volonté
humaine.
L’ouverture
du livre des consciences sera l’apparition des mérites, l’ouverture
du livre de vie sera la manifestation de la justice, norme d’approbation
ou de désaveu des mérites.
Or
dans le livre de vie, tous (les mérites) sont écrits simultanément
et clairement et dans les consciences ils (les mérites) sont écrits
réellement. Ainsi la confrontation des deux livres ouverts publiera
la déclaration de tous les mérites, et dévoilera à
soi-même et aux autres les secrets des coeurs. Comme le veut Augustin;
ce livre est « la force qui merveilleusement rappellera toutes choses
à la mémoire de chacun », pour la claire manifestation
de l’équité des jugements divins dans l’éclatante
lumière de la vérité.
4. Enfin
la sentence irrévocable doit être promulguée par quelqu’un
que l’on puisse voir et entendre et dont l’autorité soit sans appel.
Mais
tout le monde ne pourra voir la lumière souveraine, elle échappera
aux regards ténébreux; sans la déiformité de
l’esprit et la fruition du coeur la vision face à face est impossible.
Le juge devra donc apparaître sous le visage de la créature.
Comme
d’autre part une simple créature ne possède pas une autorité
suprême et sans appel, notre juge devra être Dieu pour trancher
par autorité suprême, et homme pour contester visiblement
avec les pécheurs.
L’unique
voix de l’arbitre suprême terrifiera les coupables et rassurera les
innocents; ainsi son seul visage suffira à réjouir les justes
et atterrer les impies.
1. Dans
la perspective de l’état final, il faut distinguer spécialement
ce qui précède, ce qui accompagne et ce qui suit le jugement.
La peine du purgatoire et les suffrages de l’Eglise sont comme deux préambules
au jugement
Le
feu du purgatoire est un feu corporel qui afflige l’esprit des justes,
dans la mesure où ils n’ont pas, en cette vie, accompli la pénitence
et la satisfaction proportionnée à leur culpabilité,
dans la mesure où ils ont contracté (des scories) à
consumer.
Le
tourment du purgatoire est moins grave qu’en enfer mais plus lourd qu’en
ce monde; toutefois, les âmes du purgatoire gardent toujours l’espérance
et elles savent qu’elles ne sont pas en enfer; et pourtant en raison de
l’intensité de leur peine, il leur arrive peut-être de ne
pas y penser.
Ce
feu corporel infligé aux esprits les purifie des dettes, des souillures
et des séquelles du péché; et lorsque leur purification
est suffisante, ils prennent immédiatement leur essor et sont introduits
dans la gloire du paradis
3.
Explication
Le
principe premier, parce que premier, est infini ment bon et parfait, et
c’est pourquoi il aime infiniment le bien et déteste souverainement
le mal; or la bonté infinie ne tolère pas que le bien demeure
sans récompense, elle ne doit pas tolérer davantage que le
mal demeure impuni.
Lorsqu’il
arrive à des hommes justes de décéder sans avoir totalement
accompli leur pénitence en cette vie, sous peine de troubler l’harmonie
de l’ordre universel, leur mérite de la vie éternelle ne
peut rester sans récompense et le vice de leur faute ne peut rester
dans l’impunité; il est donc nécessaire qu’ils soient finalement
récompensés, nécessaire également qu’ils soient
temporairement punis à la mesure de leur dette et de leur culpabilité.
Toute
faute commise offense la divine majesté, fait tort à l’Eglise,
et déforme l’image divine, inscrite en notre esprit; ce (triple
désordre) affecte surtout la faute mortelle, mais le péché
véniel y dispose.
Or
toute offense requiert châtiment, le dommage exige satisfaction et
la difformité appelle la purification. La peine requise sera donc
punition juste, satisfaction équitable et purification suffisante.
4. Tout
d’abord cette peine devra punir juste ment. Dès lors, l’esprit qui
dédaigne le bien éternel et suprême pour se soumettre
à un bien infime devra se voir soumis à des réalités
inférieures; il recevra ainsi la peine des êtres qui occasionnèrent
la faute; à cause d’eux, en effet, il a dédaigné Dieu
et il s’est avili lui-même.
Par
conséquent, l’ordre de la justice exige que l’esprit soit puni par
un feu matériel. Puisque l’ordre de la nature unit l’âme au
corps pour lui influer la vie, l’ordre de justice unira l’âme au
feu matériel; digne de châtiment, l’âme recevra la punition
du feu.
Cependant
l’homme juste, en état de grâce, mérite seulement une
peine transitoire. Sa peine sera proportionnée à la gravité
de son péché et à la légèreté
de sa pénitence passée. C’est pourquoi la peine temporaire
du feu matériel sera plus ou moins longue, plus ou moins vive en
fonction de la dette exigée par l’offense. « Il est nécessaire,
affirme l’admirable docteur Augustin, que la douleur consume autant que
l’amour adhérait » Plus l’amour mondain avait d’adhérence
dans l’intime des fibres du coeur, plus la purification est difficile.
5. La
peine, en outre, devra être satisfactoire. La satisfaction implique
la liberté du vouloir et l’état de voie, or le purgatoire
n’est pas un état de mérite et sa peine est très peu
volontaire. Le manque de liberté dans la volonté qui souffre
sera donc suppléé par l’acuité de la souffrance.
Toutefois
ceux qui sont purifiés possèdent la grâce et ils ne
peuvent plus la perdre, c’est pourquoi ils ne peuvent ni ne veulent être
totalement absorbés par la tristesse, ils ne peuvent sombrer dans
le désespoir ou se révolter dans le blasphème. Leur
châtiment certes est lourd, mais il est tout autre que le tourment
de l’enfer et plus léger; car ils savent indubitablement que leur
état diffère de l’enfer où les damnés sont
torturés sans rémission.
6. Cette
peine enfin doit être purifiante et cette purification est spirituelle.
Partant, ou bien le feu possède une vertu spirituelle qui lui est
divinement donnée, ou bien, comme j’incline à le croire,
la vertu même de la grâce intérieurement présente
est aidée par la peine extérieure, et ainsi l’âme déjà
punie pour ses offenses, exonérée de ses dettes, subit une
purification suffisante, il ne reste plus en elle aucune difformité
pour faire obstacle à la gloire.
Dès
l’instant où l'esprit en sa fine pointe est disposé à
recevoir l’influence déiforme de la gloire, lorsque sa purification
est consommée et que la porte est ouverte, il prend son essor, le
feu de la charité le soulève, plus rien ne l’appesantit,
ni l’impureté de l’âme, ni la dette du péché.
Il ne con vient pas à la miséricorde ou à la justice
divine de différer le don de la gloire lorsqu’elle trouve une demeure
appropriée. Le retard de la récompense serait en effet une
grande peine, et un esprit déjà purifié ne doit pas
être puni davantage.
Les
suffrages de l’Eglise sont utiles aux morts, et j’entends par suffrages
ce que l’Eglise fait en faveur des morts: sacrifices, jeûnes, aumônes,
ainsi que les prières et les peines volontairement assumées
pour accélérer et faciliter l’expiation de leurs fautes.
Les
suffrages aident les morts, non pas tous, mais ceux qui sont au purgatoire,
« les moyennement bons ». Les suffrages sont inutiles pour
les « très mauvais », ceux qui sont en enfer; inutiles
également pour les « très bons », ceux qui sont
au ciel. Bien plus, les bienheureux aident l’Eglise militante de leurs
mérites et de leurs prières, et ils obtiennent de nombreux
bienfaits à ses membres.
L’efficacité
des suffrages dépend plus ou moins des mérites personnels
des défunts d’une part et de la charité des vivants, d’autre
part, dont la sollicitude s’applique plus à certains défunts
qu’à d’autres. Cette efficacité porte sur l’adoucissement
des peines ou pour accélérer la libération, selon
qu’en dispose la providence divine, au mieux des âmes.
2.
Explication
Le
principe premier, parce qu’infiniment bon, doit être d’une extrême
rigueur à l’encontre du mal, il doit être aussi d’une extrême
douceur à l'égard du bien. Si les justes, en raison d’une
rigoureuse justice, souffrent au purgatoire pour la dette de leurs péchés,
il est normal qu’ils soient soulagés, aidés et réconfortés,
en raison de la bonté miséricordieuse, car ils sont installés
dans la misère, et ils ne peu vent en sortir ni par leurs oeuvres,
ni par leurs mérites.
L’application
des suffrages par ceux qui en ont le pouvoir est conforme à l’économie
providentielle. Toutefois, les droits de la justice demeurent et la douceur
de la miséricorde ne peut s’y opposer ou s’en séparer.
Or
la rectitude de la justice doit maintenir l’honneur divin, le gouvernement
de l’univers et la qualité humaine du mérite. C’est pourquoi
la souveraine providence a disposé que les suffrages sont valables
au bénéfice des âmes du purgatoire, selon l’harmonie
de la miséricorde et de la justice, c’est-à-dire de manière
à sauvegarder la dignité de l’honneur divin, l’ordre de l’univers
et la qualité humaine du mérite.
3. L’application
des suffrages doit respecter la justice qui vise par-dessus tout le maintien
de l’honneur divin. Or, l’honneur de Dieu exige, pour le moins, que la
dette des fautes soit acquittée par des oeuvres satisfactoires et
pénales. Les oeuvres où la compensation satisfait à
l’honneur de Dieu prendront, au plus haut point, valeur de suffrages. Le
jeûne, la prière, l’aumône constituent trois oeuvres
de satisfaction particulièrement valables, mais le sacrifice de
l’autel l’emporte; c’est surtout à la messe qu’est rendu à
Dieu l’honneur qui lui est dû: nul en effet n’est plus agréable
à Dieu que celui qui est offert en sacrifice.
Ainsi
les oeuvres satisfactoires constituent les suffrages de l’Eglise, mais
le meilleur suffrage est dans la célébration de la messe.
D’ailleurs, saint Grégoire, au livre IV des Dialogues insinue
que certains défunts ont été rapidement délivrés
de grandes peines par l’application de messes.
La
pompe des obsèques, le raffinement des funérailles, et les
choses de ce genre n’entrent pas dans la catégorie des suffrages.
C’est pourquoi saint Augustin écrit dans son livre De cura pro
mortuis agenda: « Le raffinement des funérailles, la richesse
de la sépulture et la pompe des obsèques sont beaucoup plus
une consolation pour les survivants qu’un secours pour les morts. »
4. La
justice sauvegarde l’ordre et le gouvernement de l’univers; par conséquent,
dans la communication des influences, l’ordre et la convenance doivent
être respectés, dans l’émanation des influences entre
les êtres, il doit y avoir un ordre de relations entre l’origine
et le terme de réception. L’inférieur ne peut influer sur
le supérieur ou sur un être éloigné à
tous égards par la disproportion. Les suffrages de l’Eglise ne peuvent
donc avoir d’efficacité pour ceux qui sont en enfer, puisqu’ils
sont totalement séparés du corps mystique du Christ. Aucune
influence spirituelle n’atteint les damnés ou ne leur est utile,
pas plus que l'influence de la tête n’atteint des membres amputés.
Les
suffrages de l’Eglise n’ont pas d’utilité pour les bienheureux,
puisqu’ils vivent dans un état absolument supérieur, et que
parvenus au terme, ils ne peuvent monter plus haut. Bien au contraire,
les bienheureux nous sont utiles par leurs prières — ce qu’ils ont
d’ailleurs mérité dans leur chair — il est donc conforme
à l’ordre divin que nos prières soient offertes aux saints
pour que ceux-ci à leur tour intercèdent en notre faveur
et nous obtiennent les bienfaits de Dieu.
Les
suffrages finalement servent aux seuls justes qui sont au purgatoire. Soumis
à la peine et incapables de s’aider, ils sont inférieurs
aux vivants, mais en raison de leur justice ils sont conjoints aux autres
membres de l’Eglise, c’est donc à juste titre, en raison de l’ordre
et de la convenance, que les mérites de l’Eglise peuvent les secourir.
5. La
justice enfin doit être observée pour peser l’exigence des
mérites les suffrages qui s’adressent aux défunts en général
sont utiles pour tous et chacun des bons selon sa mesure, ils sont cependant
plus efficaces pour ceux qui ont mérité davantage cette utilité
et cette efficacité, lorsqu’ils étaient en état de
voie.
Les
suffrages appliqués spécialement pour certains défunts
correspondent à une intention droite et qui vient de Dieu, ils correspondent
aussi à une institution ecclésiastique qui assurément
n’est pas vaine. Ces suffrages ont donc plus de valeur pour ceux qui sont
spécialement désignés, et pourtant, les autres y communient
d’une certaine manière. Toutefois, bien qu’ils soient spirituels,
les suffrages n’aident pas les autres autant que la personne principalement
désignée En effet, pour une plus grande faute la justice
divine exige une plus forte amende, et pour plusieurs fautes plusieurs
amendes. L’exemple de la lumière qui éclaire également
les convives d’une même table ne convient pas ici. Il faut assimiler
les suffrages aux rançons des captifs plutôt qu’à la
diffusion et à l’influx lumineux.
Quelle
est maintenant, d’une manière déterminée, l’efficacité
des suffrages pour chacun en particulier ? Celui-là seul le sait
définitivement, qui seul apprécie le poids, le nombre et
la mesure dans les dettes, les fautes et les intercessions.
Dire
que la figure de ce monde passera ne signifie pas une destruction totale
de l’univers sensible. Sous l’action du feu, les végétaux
et les animaux seront consumés, les éléments seront
purifiés et rénovés, surtout l’air et la terre, les
justes seront purifiés et les réprouvés brûlés.
Alors,
le mouvement du ciel s’arrêtera, et dans les éléments
du monde corporel se réalisera une rénovation et une quasi
glorification, lorsque le nombre des élus sera au complet.
2.
Enoncé
.
Le
principe de l’ordre universel est infiniment sage. En toutes ses actions
il observe l’ordre de la sagesse, mais il doit par-dessus tout respecter
cet ordre dans le domaine de la consommation finale. Il n’y aura pas discordance
entre le commencement et le milieu, entre le milieu et la fin. Dans l’univers
tout entier harmonieusement ordonné, apparaîtra la sagesse
ordinatrice, la bonté et la grandeur du principe premier.
Conformément
à l’ordre de la sagesse, Dieu a créé le monde sensible,
le macrocosme en vue du microcosme, c’est-à-dire l’homme situé
au milieu entre le monde inférieur et Dieu. Toutes les parties de
l’univers doivent s’harmoniser, et l’habitation doit s’accorder à
l’habitant: à l’homme créé bon correspondait un monde
bon et en repos; lorsque l’homme chute, le monde se détériore;
la perturbation pro fonde de l’homme retentit dans le monde; leur purification,
leur rénovation correspondent; et lorsque l’homme enfin est consommé,
l’univers doit rentrer dans le repos.
4. La
perturbation de l’univers doit répondre à celle de l’homme,
comme la stabilité et l’effondre ment correspondaient à l’état
d’innocence de l’homme et à sa chute. Or, le jugement futur manifestera
la sévérité du juge; tous les coeurs seront terrifiés
mais cette terreur touchera surtout les pécheurs qui ont méprisé
le Seigneur de l'univers. Ainsi toute la création subira l’ardeur
jalouse de Dieu, elle se conformera à son auteur mais aussi à
celui qui l’habite, dans un horrible ébranlement des pôles
terrestres.
3.
Explication
Pour
provoquer cette commotion des éléments, rien n’est plus intense,
plus rapide et plus terrifiant que le feu jaillissant de toutes parts.
Le feu précèdera donc la face du juge; il ne jaillira pas
d’un seul endroit mais de partout à la fois; il y aura un rassemblement
général du feu élémentaire et terrestre, du
feu du purgatoire et du feu de l’enfer. Le feu infernal brûlera les
réprouvés, le feu du purgatoire purifiera les justes, le
feu terrestre consumera les végétaux et les animaux, le feu
élémentaire affinera les éléments et les disposera
à leur transfiguration.
Dans
le même temps, toutes les autres créatures seront bouleversées,
les hommes et les démons; les anges eux-mêmes seront terrifiés
du spectacle.
5. En
outre, comme l’homme a besoin d’être purifié, le monde en
a besoin aussi. Dans la situation de la fin des temps, l’homme aura besoin
d’être purifié des scories, de l’avarice et de la méchanceté,
comme dans les premiers temps, il avait fallu le purifier de la boue de
la luxure. Or, cette purification finale devra être rapide, intime
et parfaite.
Le
monde au commencement fut détruit et comme purifié de l'ardeur
et la fange de la luxure par la fraîcheur de l’eau; à la fin
des temps, le refroidisse ment de la charité, le froid de la malice
et de l’avarice envahiront le monde vieilli; il faudra donc le détruire
et le purifier par le feu. A raison de la profondeur extrême des
adhérences, l’action purifiante devra être intime, violente
et rapide. Seul parmi les éléments, le feu comporte ces qualités
d’action. La face du monde consumée par le feu correspondra ainsi
à l’inondation du déluge.
6. La
rénovation du monde doit ensuite correspondre à la rénovation
de l’homme; mais le renouvellement sous une forme nouvelle ne va pas sans
la perte de la forme ancienne et sans une nouvelle prédisposition;
or, le feu possède le pouvoir d’expulser la forme étrangère,
il possède un pouvoir de subtilité apparenté à
la nature céleste. Il opère donc du même coup la purification
et la rénovation, double efficacité, relative à la
venue du juge qu’elle précède et qu’elle suit.
La
transformation établira une nouveauté sans vieillissement
ultérieur; ce renouvellement n’est donc pas au pouvoir de la créature;
aussi bien, dans la purification et la rénovation le feu agira selon
sa nature pour enflammer, purifier, dilater, évaporer, mais un pouvoir
qui dépasse la nature accompagnera l’action du feu, pour déclencher
la conflagration et compléter ses effets.
7. La
consommation enfin du monde correspondra à celle de l’homme. L’homme
sera consommé lorsque le nombre des élus dans la gloire sera
au complet; toutes choses tendent à cet état comme à
la fin ultime et à la plénitude. Lorsque le nombre des élus
sera au complet, le mouvement de la nature céleste s’arrêtera
et entrera dans le repos, les changements des éléments prendront
fin, la génération dans les animaux et les plantes cessera.
Tous ces êtres sont ordonnés à la plus noble des formes
qui est l’âme raisonnable; la stabilité des âmes entraîne
la stabilité et l’achèvement dans les autres êtres.
On
parle de récompense à propos des corps célestes, parce
qu’ils possèdent la plénitude de la lumière et le
repos. Les éléments qui n’ont plus le pouvoir de se multiplier
par échanges mutuels sont dits morts, mais cette mort dans l’activité
et la passivité, affecte surtout les qualités actives sans
toucher à la substance. Les végétaux et les êtres
doués de sensibilité n’ont pas une puissance de vie perpétuelle
et de durée sempiternelle. Or, la durée perpétuelle
caractérise l’état de noblesse finale, végétaux
et animaux seront donc consumés dans leur nature propre, ils seront
pourtant préservés dans leurs principes et, pour ainsi dire,
dans leur semblable, l’homme, qui possède une ressemblance avec
toute créature p conséquent, on peut avancer que dans la
rénovation et la glorification de l’homme toute la création
sera rénovée et glorifiée.
1.
Enoncé
Les
méchants ressusciteront avec les difformités et les pénalités,
les misères et les défauts qu’ils ont amassés dans
l’état de voie.
Chez
les bons, « la nature sera conservée et le vice enlevé
», et tous ressusciteront dans l’intégrité du corps,
dans la maturité de l’âge, et l’équilibre harmonieux
des membres; ainsi tous les saints arriveront à l'homme parfait,
à la mesure de la pleine maturité du Christ.
Bons
ou mauvais, les corps ressusciteront selon l’identité numérique
qui les constituait auparavant et ils seront composés des mêmes
parties. La réalité de leur nature sera conservée,
non seulement dans les principaux membres et l’humeur radicale, mais encore
dans les cheveux et les autres membres qui concourent à la beauté
du corps. « Dispersée aux quatre vents et aux quatre coins
du monde, la poussière du corps humain fera retour à l’âme
qui, antérieurement, l’avait animée, lui avait donné
vie et croissance »
2.
Explication
Le
principe premier, parce que premier et suprême, est absolument universel
et suffisant. Il est donc le principe de la nature, de la grâce et
de la rétribution ou encore principe infiniment puissant, clément
et juste. Pour parler selon une certaine appropriation, la constitution
des natures se rattache à la toute-puissance, le don de la grâce
à la clémence et à la rétribution à
la justice souveraine. Toutefois, la puissance, la clémence et la
justice ne peuvent absolument pas se séparer entre elles, chacune
est dans chacune des autres. C’est pourquoi l’oeuvre de la rétribution
doit nécessairement se conformer aux exigences de la droite justice,
de la grâce qui réforme et de la nature à compléter.
Or
la justice exige que l’homme soit puni ou récompensé dans
son âme et dans son corps, car il n’a pas mérité ou
démérité dans son âme seule ou dans son corps
seul, mais à la fois dans son âme et dans son corps.
La
grâce de restauration exige que le corps tout entier soit assimilé
à sa tête le Christ; le cadavre du Christ restait inséparablement
uni à sa Divinité, il devait donc nécessairement ressusciter.
L’achèvement
de la nature exige que l'homme soit composé, à la fois d’une
âme et d’un corps, comme d’une matière et d’une forme, doués
d’un mutuel désir et d’une mutuelle inclination.
Ainsi
la constitution de la nature, l’infusion de la grâce et la rétribution
de la justice qui ordonnent l’univers entier, exigent la résurrection
future des corps.
Sous
ces trois aspects, le monde entier proclame que l’homme ressuscitera, ceux
qui se rendent sourds à cette vérité de foi sont sans
excuse, et c’est à juste titre que l’univers entier se soulèvera
contre eux.
3. La
résurrection est exigée selon l’ordre de la justice divine.
Or, la justice divine rend à chacun ce qui lui revient de son séjour
temporel; et toute âme une fois unie à un corps, ne serait-ce
qu’un instant, est, dans ce corps en état de faute ou en état
de grâce; il est donc nécessaire que tous ressuscitent.
Cependant
l’état de rétribution est distinct de l’état de voie
et la résurrection appartient à l’état de rétribution.
Il ne doit pas y avoir de confusion dans l’ordre de l’univers, car la foi
doit garder le mérite de croire à ce qu’elle ne voit pas;
d’autre part, l’équité de la justice divine doit apparaître
avec la plus grande certitude et la plus grande clarté et enfin,
la consommation et la rétribution finale doit se faire simultanément
pour les anges et pour les hommes; pour toutes ces raisons de justice,
tous ressusciteront en même temps, pour ce qui est de la loi commune.
Ce que je précise à cause du Christ et de sa bienheureuse
Mère, la glorieuse Vierge Marie.
Toutefois,
les méchants méritent la peine et la misère, les bons
méritent la gloire; et, bien qu’ils ressuscitent en même temps,
leur condition sera très dissemblable. Comme les méchants
ne ressusciteront pas pour la vie mais pour le supplice, ils ressusciteront
avec leurs infirmités, leurs difformités et leurs défauts.
4. La
résurrection, en outre, doit avoir lieu selon les exigences de la
consommation de la grâce. La grâce parfaite nous rend conforme
à notre chef, le Christ; en lui ne se trouvait nul défaut
corporel, mais l’âge accompli, la stature requise, et la beauté
du visage. Il convient donc que les bons ressuscitent dans les meilleures
conditions, c’est-à-dire que leurs défauts soient supprimés
et leur nature préservée.
Un
membre manquant sera remplacé; une excroissance sera ôtée;
les déviations seront corrigées l’enfant, par la vertu divine,
parviendra à l’âge du Christ ressuscité (il ne s’agit
pas pourtant d’une égalité de poids); le vieillard décrépit
reviendra au même âge du Christ; le géant ou le nain
auront une taille harmonieuse. Ainsi tous arriveront intègres et
parfaits à l’homme accompli, à l’âge de la plénitude
du Christ.
5. Enfin
la résurrection doit se réaliser conformément aux
exigences de la perfection de la nature. Un esprit raisonnable exige par
nature de vivifier son propre corps, car « l’acte propre doit s’accomplir
dans sa matière propre » Sans l’identité numérique
du corps, il n’y aurait donc pas de vraie résurrection.
L’âme
raisonnable est immortelle et, comme elle est douée d’un être
perpétuel, elle exige, par nature, de posséder un corps pour
lui influer perpétuelle ment la vie. Du fait qu’un corps est uni
à une âme, de par l’union même, il est ordonné
à l’incorruption perpétuelle. Il s’agit d’une ordination
nécessaire pour ce qui constitue la substance du corps tout entier,
comme les principaux membres, l’humeur radicale et la chair spécifique.
L’ordination est seulement de convenance pour la chair du point de vue
matériel, et pour les parties accidentelles du corps.
Les
premières parties sont donc ordonnées à la résurrection
selon un ordre nécessaire et toutes les autres selon un ordre de
convenance.
C’est
Dieu qui a imprimé cet ordre au sein de la nature et la nature est
incapable de le réaliser, car la nature ne peut ressusciter un mort,
et pourtant la providence divine n’a rien opéré en vain;
il est donc nécessaire que le corps soit restauré dans son
identité numérique, immortel et constitué de toutes
ses parties, de manière à sauvegarder toute entière
la vérité de la nature.
Mais
tout cela n’est pas dans le pouvoir de la nature, c’est seulement dans
son désir. La nature ne peut pas restaurer dans son identité
numérique un corps détruit, car elle n’a pas pouvoir sur
la substance totale de l’être; elle ne peut davantage rendre un corps
immortel, car tout ce qui est soumis à la génération
est soumis par nature à la corruption, la nature ne peut enfin rassembler
ce qui es dispersé.
La
résurrection ne dépend ni des raisons séminales, ni
des causes naturelles, elle dépend donc nécessaire ment de
la cause première; elle se réalisera donc dans un déroulement
admirable et surnaturel selon l’ordre de la divine volonté.
2.
Enoncé
La
peine de l’enfer est subie dans un lieu corporel et inférieur où
tous les réprouvés, hommes et démons, seront éternellement
torturés.
Le
même feu corporel tourmentera et brûlera les esprits et les
corps — cependant ce feu qui sans cesse affligera les corps ne les consumera
jamais — et l’intensité de la peine sera en proportion des démérites
de chacun.
A la
peine du feu s’ajoutera le tourment de toute la sensibilité, la
peine du ver et la privation de la vision divine; il y aura donc diversité
dans ces peines, et diversité dans l’acuité, et perpétuité
dans l’acuité, ainsi la fumée des tourments s’élèvera
dans les siècles des siècles pour le supplice des réprouvés.
3.
Explication
Le
principe premier, parce que premier est suprême, et tout ce qu’il
possède, il le possède à un degré infini; il
est donc infiniment juste. Il agira donc dans la rétribution conformément
à son infinie rectitude car il ne peut ni agir contre soi, ni se
renier, ni contester sa justice. Conformément à sa droiture,
il punira le péché selon la grandeur de la faute et il punira
surtout ceux qui ont méprisé la loi de miséricorde
et sont tombés par leur impénitence sous le coup de la plus
stricte justice.
Or,
dans sa rigueur, la justice apprécie non seule ment la faute en
sa racine mais encore dans les circonstances aggravantes; c’est pourquoi
il est normal que le juste exige des impies jusqu’au dernier centime de
leurs dettes: « la laideur du péché ne se tolère
pas sans la beauté de la justice. »
La
puissance se manifeste dans la création, la sagesse dans le gouvernement,
la clémence dans restauration de l’univers, de même la justice
se manifeste dans le châtiment du péché. La justice
divine punira donc l’impiété du pécheur selon les
exigences de la culpabilité. Or l'impénitence finale succède
à la faute mortelle, qui constitue un désordre perpétuel,
voluptueux et divers; à ce désordre correspondra une pénalité
éternelle, douloureuse et multi forme.
4. A
un désordre perpétuel correspondra une peine qui durera toujours.
Le péché commis perdure dans l’âme s’il n’est jamais
regretté; il sépare l’âme de Dieu, c’est-à-dire
de la vie éternelle, et il procède de la volonté qui
voudrait jouir toujours de son péché. Sans doute ce plaisir
transitoire est momentané, mais le désordre lui-même
contient une raison de durée perpétuelle. Pour répondre
au désordre, la peine doit priver l’homme de sa fin. Puisque l’homme
n’a pas mis fin à sa permanente volonté de désordre
en se retirant du péché, il est normal que Dieu, en sa volonté
éternelle, ne cesse pas de la punir. Il a péché contre
l’infini, il obtient une peine infinie. Il ne s’agit pas certes d’une peine
infinie en intensité, mais d’une durée sans fin. Après
la mort, l’âme adhère toujours au mal et sans repentir possible,
et de même, Dieu châtie sans commutation de sentence, car la
permanence du désordre dans les damnés le requiert.
5. Le
désordre de la jouissance exige une peine afflictive. Tout plaisir
est puni par le déplaisir contraire. Dans le péché,
l’esprit se tourne vers un bien privé, momentané et partiel,
pour en jouir égoïstement, et par là, il méprise
le pouvoir et la seigneurie de Dieu. Pour châtier parfaitement ce
plaisir vicieux, où la jouissance est liée au mépris,
il est normal que le pécheur, homme ou ange, soit précipité
dans un lieu inférieur, loin de l’état de gloire, c’est-à-dire
au plus profond de l’enfer.
Il
est normal aussi qu’il soit soumis à l’action afflictive de la nature
inférieure. Ce n’est pas une substance spirituelle qui le fera souffrir,
mais bel et bien une substance corporelle et inférieure, la du monde
corporel. Il croupira dans la fange brûlera dans le soufre et le
feu.
Par
nature, l’esprit est préposé au corps, et il lui communique
l’influx vital et le mouvement; or, la faute pervertit la dignité
de la nature spirituelle et la soumet en quelque sorte à la bassesse
et au néant du péché. Il rentre dans l’ordre de justice
que le pécheur, homme ou pur esprit, soit lié au feu corporel,
non certes pour lui communiquer l’influx vital mais au contraire pour en
subir le châtiment décrété par Dieu. La torture
du pécheur sera atroce car indissolublement lié au feu, il
en éprouvera toute l’horreur d’une répulsion naturelle et
sensible, et d’une appréhension que Dieu intimera.
L’action
de ce feu est proportionnée aux dispositions du péché,
de la dette et de la souillure qui résulte du plaisir désordonné.
Or ce désordre n’est pas égal pour tous; les uns brûlent
plus, les autres moins, comme brûlent différemment le bois
et la paille au contact du même feu
L’action
du feu se règle sur le degré de culpabilité d’un pécheur
à un autre, mais la culpabilité ne varie pas chez un même
sujet, elle n’est plus soumise à la croissance, à la diminution
ou au changement. C’est pourquoi, par ordre et disposition divine, le feu
brûle toujours sans jamais consumer, il afflige sans détruire,
car il n’agit pas de manière à s’étendre, mais de
manière à troubler la paix de l’âme en son corps et
de l’esprit en lui-même. Il ne s’agit pas d’une nouvelle perte, mais
de la continuité dans la perte de la paix. Dès lors, dans
la même peine, la rigueur ne supprime pas l’éternité
et l’éternité ne supprime pas la rigueur.
6. La
diversité du désordre entraîne enfin la diversité
de la peine. Tout péché mortel actuel est constitué
par une aversion déréglée vis-à-vis de la lumière
et la bonté infinies, et par une conversion déréglée
vers le bien transitoire, et enfin par un désordre de la volonté
contraire aux impératifs de la conscience En raison de ce triple
désordre, ceux qui commettent un péché actuel et qui
tomberont sous le coup de la réprobation, seront soumis à
une triple pénalité: privation de la vision à cause
de l’aversion, peine du feu à cause de la conversion, et peine du
ver à cause de la révolte de la volonté contre la
raison. Frappés d’une peine multiple, les damnés subiront
une torture variée, aigu éternelle, et la fumée de
leurs tourments s’élèvera dans les siècles des siècles.
Amen.
La
gloire céleste est constituée en elle-même d’une récompense
substantielle, consubstantielle et accidentelle.
La
récompense substantielle consiste dans la vision, la fruition et
la possession de l’unique bien suprême qui est Dieu. Les bienheureux
le verront face à face, c’est-à-dire à nu et sans
voile.
Ils
s’en réjouiront avec ardeur et délectation.
Et
enfin ils le posséderont pour toujours.
Ainsi
se vérifiera la parole de saint Bernard « Dieu sera plénitude
de lumière pour la raison, abondance de paix pour la volonté
et continuelle éternité pour la mémoire. »
La
récompense consubstantielle consiste dans la gloire corporelle (dite
« seconde étoile »). Lime tend plus parfaitement vers
« le ciel suprême », lorsqu’elle a reçu la glorification
de son corps qui se définit par les quatre dots: clarté,
subtilité, agilité, impassibilité. Les degrés
dans les dots varieront avec les degrés dans la charité.
La
récompense accidentelle ou auréole, consiste dans un certain
surcroît de beauté spéciale. L’opinion des docteurs
la confère à trois espèces d’oeuvres: le martyre,
la prédication et la continence virginale.
Il
faut noter que la hiérarchie et la distinction dans les trois aspects
de la gloire sera conforme aux exigences des mérites.
2.
Explication
Le
principe premier, parce que premier, possède l’infini d’unité,
de vérité et de bonté et du même coup la puissance,
la sagesse, la clémence et la justice suprêmes. Il est normal
que Dieu manifeste dans ses oeuvres ses perfections invisibles. Comme principe
de l’univers sensible, Dieu le produit, le gouverne, le restaure, le récompense
et le consomme; mais il fait éclater sa puissance dans la production,
sa sagesse dans le gouvernement, sa clémence dans la restauration
et sa justice dans la rétribution consommée.
Pour
manifester sa puissance et susciter la louange, la gloire et l’honneur,
il a créé toutes choses à partir de rien, il a fait
la matière corporelle proche du néant, et la substance spirituelle
proche de lui-même et en même temps, il a réuni dans
l’unité de l’homme, dans l’unité de sa nature et de sa personne,
l’âme raisonnable et la matière corporelle. Pour manifester
sa sagesse, il gouverne toutes choses selon l’ordre extrême de ses
prévisions. C’est lui-même qui dirige l’homme en sa partie
supérieure, à savoir l’esprit en l’illuminant; il dirige
aussi la partie inférieure de l’homme, c’est-à-dire le corps,
par le libre arbitre de la volonté; ainsi le corps et son domaine
sont soumis aux directives de l’esprit, l’esprit est soumis à la
direction de Dieu. Pour manifester sa clémence, il a restauré
l’homme déchu en assumant la nature de l’homme, en acceptant les
condamnations, et enfin en subissant la peine. Ainsi, la souveraine miséricorde
rendait le miséricordieux semblable au misérable, non seulement
dans la dignité de sa nature créée, mais jusque dans
les défauts de sa nature déchue, afin de le relever de son
état de misère.
Pour
manifester sa justice, il rend à chacun selon les exigences de ses
mérites, aux méchants la peine et aux justes la gloire éternelle.
Ainsi l’exige la rétribution équitable, la restauration gratuite,
le gouvernement ordonné, et la production puissante; car la consommation
de tout cela est dans la fin.
3. La
glorification des justes doit se conformer aux exigences d’une juste rétribution
et d’une production puissante. Or dans sa puissance, Dieu a produit l’esprit
raisonnable, proche de Dieu, capable de Dieu, capable de la bienheureuse
Trinité elle-même selon le dynamisme inné de l'image.
Dans les justes en effet, c’est à la Trinité que l’esprit
tout entier de l’homme s’est consacré selon l’intégrité
de l’image.
Par
conséquent nul autre que Dieu ne peut récompenser, accomplir
ou achever la capacité de l’esprit raisonnable. Ainsi la récompense
donnée sera la déiformité de la gloire, qui rend l’esprit
conforme à Dieu, de telle sorte qu’il le voit clairement par sa
raison, qu’il l’aime pleinement par sa volonté et qu’il le retienne
pour toujours dans sa mémoire. Alors l’âme toute entière
vivra, toute entière elle recevra la dot des trois puissances de
l’esprit, elle sera toute configurée à Dieu, elle lui sera
toute unie, elle se reposera toute en lui, trouvant en lui comme en tout
bien la paix, la lumière et l’éternelle satiété
l’âme sera constituée « dans l’état parfait de
tous les bien rassemblés » et, vivant d’une vie éternelle,
elle sera proclamée bienheureuse et même glorieuse.
4. La
récompense doit concorder avec les exigences d’une juste rétribution
d’une production puissante mais aussi d’un gouvernement ordonné.
Dans
sa production. Dieu a lié le corps à l’âme et il les
a unis l’un à l’autre par une tendance mutuelle et naturelle. Il
a soumis le corps à la direction de l’âme et il l’a créé
dans l’état de mérite. Pour s’exercer à mériter,
l’esprit doit condescendre et porter son attention à diriger le
corps.
Or,
en raison de son désir naturel, l’âme ne sera pleinement bienheureuse
qu’à l’instant où son corps lui sera restitué, car
elle possède une tendance naturelle et innée à le
reprendre.
D’autre
part, il est dans l’ordre de gouvernement que le corps restitué
à l’esprit lui soit soumis et conforme en tous points, autant du
moins qu’un corps puisse se conformer à un esprit.
Si
l’esprit est éclairé par la vision de la lumière éternelle,
un très grand éclat de lumière doit en rejaillir sur
le corps.
Si l’âme est devenue extrêmement spirituelle par l’amour de l’Esprit souverain, le corps doit posséder une subtilité, une spiritualité correspondante.
Puisque
la possession de l’éternité rend l’esprit absolument impassible,
il est normal que l’impassibilité totale, interne et externe, appartienne
au corps.
Puisqu’enfin
tout cela donne à l’esprit une extrême promptitude à
tendre vers Dieu, la même agilité doit se retrouver dans le
corps glorieux.
Ces
autres propriétés accordent et soumettent le corps à
l’esprit. On dit que le corps est doté de ces quatre propriétés
principales, car il devient par là capable de suivre l’esprit et
le loger dans la région céleste qui est le domaine des bienheureux.
Il est également assimilé aux corps célestes par les
quatre propriétés qui graduellement éloignent le corps
céleste des quatre éléments.
Ainsi
la quadruple dot des corps rend le corps parfait en lui-même, conforme
à sa demeure céleste et conforme à l’esprit béatifié.
C’est en effet par la médiation de l’esprit que la plénitude
de la douceur et l’ivresse de la béatitude peut rejaillir et, autant
qu’il est possible, dériver depuis le sommet et la tête qui
est Dieu jusqu’à l’extrémité du vêtement, qui
est le corps
5. Enfin
la récompense doit correspondre à une juste rétribution,
une production puissante, un gouvernement ordonné et aussi une restauration
glorieuse.
Or,
chez les divers membres du Christ, le charismes de la grâce se diversifient
selon les dons intérieurs, mais aussi selon les activités
extérieures, dans les habitus internes et dans les états
de vie externe, selon la perfection de la charité dans l’esprit
et selon la beauté et la splendeur de la perfection dans l’activité
corporelle.
Il
est donc normal que certains membres, en plus de l’étole de l’âme
avec ses trois dots et de l’étole du corps avec ses quatre dots,
héritent d’une certaine excellence d’honneur et de joie proportionnée
à l’excellence de leur perfection et de leur splendeur dans l’activité
vertueuse.
Or,
le triple genre d’opérations qui l’emportent en perfection, en beauté
et en spéciale splendeur correspond au triple dynamisme de l’âme.
Au dynamisme de la raison correspond la prédication de la vérité
qui achemine les autres au salut; au dynamisme du désir correspond
le refus parfait des désirs égoïstes par l’intégrité
perpétuelle de la continence virginale; au dynamisme de l’effort
correspond le support de la mort pour l’honneur du Christ. Ainsi les prédicateurs,
les vierges et les martyrs recevront l’auréole, cette excellence
de la récompense accidentelle. Car l’auréole affectera la
beauté de l’âme mais aussi celle du corps puisqu’elle n’est
pas conférée à la volonté seule mais en raison
de l’activité extérieure qui s’approprie le mérite
et la récompense de la charité. La récompense de la
charité consiste d’ailleurs dans la dot septiforme, triple pour
l’âme et quadruple pour le corps; toute la consommation y est contenue,
c’est-à-dire l’intégrité et la plénitude de
tous les biens qui concernent l’achèvement de la gloire.
6. Pour
exposer la qualité et la grandeur de ces biens, je laisserai la
parole au bienheureux Anselme. Il dit, en effet, en fin du Proslogion:
« Eveille-toi maintenant, mon âme, élève toute
ton intelligence, et médite, dans la mesure du possible, la qualité
et la grandeur de ce bien. Si tous les biens pris un à un sont délectables,
pense attentivement combien doit être délectable ce bien qui
contient l’agrément de tous les biens, non pas tel que nous l’éprouvons
dans les choses créées, mais aussi différent que le
Créateur diffère de la créature. Si la vie créée
est bonne, combien plus la vie créatrice. Si le salut opéré
est agréable, combien plus le salut qui opère tout salut.
Si la sagesse dans la connaissance de l'univers est digne d’amour, combien
plus la sagesse qui a créé l’univers à partir du néant.
Enfin s’il y a de grandes et nombreuse jouissances dans les objets de plaisir,
quelle sera la magnificence de la jouissance en celui qui a créé
les objets mêmes de plaisir. »
7. «
Celui qui jouira de ce bien » que possédera-t-il et que lui
manquera-t-il? Tout ce qu’il voudra, certes, il l’aura, et il n’aura pas
ce qu’il ne voudra pas. Car là se trouveront les biens du corps
et les biens de l’âme, tels que l’oeil n’en a jamais vu, l'oreille
n’en a jamais entendu, et que le coeur de l’homme n’en a jamais conçu.
Pourquoi donc, petit homme, t’égares-tu à travers la multiplicité
pour chercher les biens de ton âme et de ton corps? Aime un seul
bien, en qui sont tous les biens et cela suffit. Désire le bien
simple, qui est tout bien et c’est assez. Qu’aimes-tu, ma chair, que désires-tu,
mon âme? Il y a là tout ce que vous aimez, tout ce que vous
désirez. Si la beauté vous plaît, les justes auront
l’éclat du soleil. Est-ce la vélocité, la force, la
liberté d’un corps, à quoi rien ne fait obstacle, ils ressembleront
aux anges de Dieu, car on sème un corps animal, mais il ressuscite
un corps spirituel, par la puissance certes et non par la nature. Est-ce
une vie longue et saine, ils trouveront là une saine éternité,
une éternelle santé, car les justes vivront à jamais
et le salut des justes vient du Seigneur. Est-ce la satiété,
ils seront rassasiés quand apparaîtra la gloire de Dieu. Est-ce
l’ivresse, l’abondance de la maison de Dieu les enivrera. Est-ce la musique,
là-bas les choeurs des anges chantent sans fin la louange de Dieu.
Est-ce non pas l’impure, mais la pure volupté, tu les abreuveras,
Dieu, au torrent de ta volupté. Aiment-ils la sagesse, la sagesse
même de Dieu se montrera à eux. Désirent-ils l’amitié,
ils aimeront Dieu plus qu’eux-mêmes, ils aimeront les autres comme
eux-mêmes, et Dieu les aimera plus qu’ils ne s’aimeront eux-mêmes,
car ils aimeront Dieu et eux-mêmes et les autres par Dieu même,
et Dieu les aimera eux et les autres par lui-même. Cherchent-ils
la concorde, ils auront tous une seule volonté, car il n’y en aura
pas d’autre que la volonté de Dieu. Aspirent-ils à la puissance,
leurs volontés seront toutes-puissantes comme celle de Dieu. De
même que Dieu, en effet, peut ce qu’il veut par lui-même, par
lui, ils pourront ce qu’ils voudront, car ils ne voudront que ce que Dieu
voudra et Dieu voudra tout ce qu’ils voudront. Aiment-ils l’honneur et
la richesse, Dieu établira ses serviteurs bons et fidèles
sur de grands biens; bien plus, on les appellera fils de Dieu et dieux,
et ils le seront et là où sera son Fils, ils seront eux-mêmes,
héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. S’ils aspirent
à la véritable sécurité, ils possèderont
la certitude que jamais et en aucune façon ces biens ou plutôt
ce bien ne leur manquera, car ils seront sûrs de ne pas le perdre
de leur propre gré, ils sont sûrs que Dieu leur ami ne l'enlèvera
pas à ses amis malgré eux, et ils sont certains que rien
de plus puissant que Dieu ne pourra, contre leur gré, les séparer
eux-mêmes et Dieu. »
8. «
Quelle intensité de joie résultera-t-il d’un bien d’une telle
qualité et d’une telle grandeur? Coeur humain, coeur indigent, coeur
habitué aux malheurs, bien plus, submergé dans le malheur,
combien tu te réjouirais si tu possédais l’abondance de ces
biens? Demande à l’intime de toi-même si tu peux saisir la
joie d’une telle béatitude personnelle. Or bien sûr, si un
autre, si quelqu’un que tu aimes à l’égal de toi-même
possède la même béatitude, ta propre joie sera doublée,
car tu te réjouirais autant pour lui que pour toi-même. Si
maintenant, deux ou trois ou beaucoup plus possédaient le même
bonheur, tu te réjouirais autant pour chacun d’eux que pour toi-même,
puisque tu aimerais chacun d’eux comme toi-même. Ainsi dans la parfaite
charité de l’innombrable multitude des Anges et des hommes bienheureux,
où nul n’aime l’autre moins que soi-même, chacun se réjouira
autant pour chacun des autres que pour lui-même. Si le coeur de l’homme
peut à peine concevoir sa propre joie d’un si grand bien, comment
concevra-t-il des joies si nombreuses et si grandes? Et certes, dans la
mesure où l’on aime quelqu’un, on se réjouit de son bonheur;
c’est pour quoi, dans cette parfaite félicité chacun, sans
comparaison, aimera plus Dieu que lui-même et tous les autres avec
lui; ainsi, au-delà de toute mesure, il se réjouira plus
du bonheur de Dieu que de son propre bonheur et de celui de tous les autres
avec lui. Mais s’ils aiment ainsi Dieu de tout leur coeur, de tout leur
esprit, de toute leur âme, et que néanmoins tout le coeur,
tout l’esprit, toute l’âme ne suffise pas à égaler
la valeur de l'amour, il est sûr qu’ils se réjouiront de tout
leur coeur, de tout leur esprit, de toute leur âme, et que pourtant
tout le coeur, tout l’esprit, toute l’âme ne suffira pas à
épuiser la plénitude de la joie. »
9. « Je n’ai donc pas encore exprimé ou conçu, Seigneur, à quel point tes Bienheureux se réjouiront. Bien sûr, ils se réjouiront autant qu’ils aimeront, ils aimeront autant qu’ils connaîtront. Mais encore à quel degré pourront-ils te connaître et t’aimer? En cette vie, certes, l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et le coeur humain n’a jamais soupçonné à quel point ils te connaîtront et t’aimeront en l’autre vie. Je t’en supplie, mon Dieu, que je te connaisse, que je t’aime, pour que je me réjouisse en toi; et si ce n’est pas pleinement possible en cette vie que, du moins, je progresse chaque jour, jusqu’à l'instant où viendra cette plénitude; ici-bas que ta connaissance se développe en moi et que là-haut elle s’épanouisse; que ton amour ici-bas s’accroisse et que là-haut il arrive à la plénitude; que ma joie, ici-bas, soit grande en espérance et que là-haut elle soit plénière en réalité. Seigneur, par ton Fils tu nous commandes, ou plutôt à qui tu nous conseilles de demander et tu nous promets de recevoir, de telle sorte que notre joie soit totale. Dieu fidèle, je recevrai comme je te le demande, que ma joie soit parfaite. Je te demande, Seigneur, ce que tu nous conseilles par notre Conseiller admirable: et je recevrai; ce que tu nous promets par ta Vérité, c’est-à-dire que ma joie soit parfaite. En attendant, mon esprit méditera, ma langue parlera, mon coeur aimera ce bonheur, ma bouche l’exprimera, mon âme sera affamée, ma chair assoiffée, toute ma substance éprise de désirs, jusqu’au moment où j’entrerai dans la joie de mon Seigneur, le Dieu trine et un, qui est béni dans les siècles des siècles. »
Amen.
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