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Saint Bonaventure
Ordre des Frères Mineurs--Cardinal-Évêque d'Albane--Docteur de l'église
Règle des Novices


CHAPITRE PREMIER. De l'office.

 

Les choses spirituelles doivent l'emporter en votre estime partout et toujours sur les autres. Ainsi lorsque vous êtes à l'église ou ailleurs pour célébrer l'office divin, gardez-vous de laisser divaguer votre coeur, de l'arrêter sur des objets propres à le souiller, et de l'occuper de pensées diverses. C'est un grave abus, dit saint Bernard, de. faire entendre sa voix dans l'église et d'avoir son coeur sur la place publique. Le Prophète parle ainsi des hommes coupables d'une faute semblable : Leur bouche faisait entendre des bénédictions, dit-il , et leur coeur était appliqué à maudire (1).

Lors donc que vous êtes à l'office, appliquez-vous à le réciter avec une humilité profonde, avec respect et avec crainte. La crainte du Seigneur, dit l'Ecriture, réjouira le coeur, elle apportera la joie et l'allégresse (2). Efforcez-vous de comprendre ce que vous dites, si vous le pouvez; si vous ne le pouvez pas, gardez pour ces passages le respect le plus sincère; car, selon la parole du Sage, votre respect vous fera acquérir une grâce excellente (3). Demeurez debout durant tout l'office, même celui de la sainte Vierge, excepté pourtant pendant la nuit, où, après matines

 

1 Ps. 61. — 2 Eccl., 1. — 3 Eccli., 32

 

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de ce dernier office , vous pouvez vous appuyer. N'omettez jamais cet office de la saillie Vierge, et à tout office sachez vous tenir d'une manière vraiment convenable, sans porter vos regards de côté et d'autre, sans parler avec personne. Ayez la tête un peu inclinée , les mains abaissées, ou en croix, ou placées l'une dans l'autre; mais évitez de les porter dans votre poitrine, ou de les tenir de toute autre manière inconvenante, en vous souvenant que vous n'êtes pas seulement en présence des frères, mais encore sous les yeux de Dieu et des anges. Les princes, dit le Prophète, ou autrement les anges, sont venus à sa rencontre; ils se sont unis à ceux qui chantaient ses louanges (1).

Soyez toujours prêt au moment précis, de peur que la négligence ou la honte ne vous porte à omettre quelque parole, ou que vous ne disiez votre office seulement du bout des lèvres, comme les pharisiens hypocrites, dont le Seigneur s'est plaint en leur appliquant ces paroles du Prophète : Ce peuple m'honore des lèvres, et son coeur est loin de moi (2). Veillez avec une attention sans bornes à ne rien faire et à ne rien dire qui puisse porter les autres à rire, car selon saint Isidore : Il n'y a aucun moyen d'arriver au recueillement là où l'on aime avant tout les rires et les plaisanteries. Que votre joie à vous soit toujours en Jésus, votre pensée toujours en Jésus, et dans le chant des psaumes comme dans vos méditations qu'il vous soit toujours possible de vous écrier avec David :

 

1 Ps. 67. — 2 Is., 29. — 3 Mat., 15.

 

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Les paroles de ma bouche trouveront grave à vos yeux, et la pensée de mon coeur sera toujours en votre présence (1). — A la un de chaque heure récitez le Miserere avec l'oraison Omnipotens sempiterne Deus, qui gloriosae, etc.

 
CHAPITRE II. De la prière.

 

Le Seigneur a dit dans l'Evangile qu'il fallait toujours prier et ne jamais se lasser (2). Appliquez-vous donc à consacrer votre temps à l'oraison, la lecture, de saintes méditations et à d'autres bonnes oeuvres; car celui-là ne cesse pas de prier, qui ne cesse pas de bien faire. Demeurez fréquemment et longuement en oraison, et apportez-y une profonde dévotion du coeur et l'humilité. L'oraison de celui qui s'humilie percera les nues, dit le Sage (3). Ayez ensuite la confiance d'obtenir ce qui fait l'objet de vos prières. Tout ce que vous demanderez dans la prière, vous l'obtiendrez, nous enseigne la vérité , si vous le demandez avec foi (3). Mais que cette prière ait pour appui une haute charité; car , selon saint Grégoire (5), la vertu d'une prière parfaite est une charité sublime. Qu'elle soit secrète, modeste, juste, accompagnée de larmes, fréquente, et, comme la prière n'est autre

 

1 Ps. 18. — 2 Luc., 18 . — 3 Eccl., 35. — 4 Mat., 11 . — 5 Hom. 27 in Ev.

 

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chose que l'élévation de notre esprit vers Dieu, avant de commencer à prier préparez-vous à le faire avec une dévotion intime si vous voulez arriver à goûter les délices divines. « La prière, dit saint Grégoire, est l'oeuvre du coeur et non des lèvres. Dieu ne considère pas seulement les paroles de celui qui l'invoque, mais son coeur. » Voilà pourquoi le Sage a écrit : Mon fils, préparez votre âme avant la prière et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu (1). Or, on tente Dieu quand on court sans la moindre préparation à des prières vocales et qu'on y demande à jouir de la contemplation de la Divinité. Aussi arrivera-t-on difficilement à obtenir l'objet de ses demandes : de telles prières ne sauraient s'appeler une supplication pieuse, mais un bruit confus de paroles. Si donc vous voulez ressentir de saintes affections quand vous priez, disposez votre coeur à la dévotion; c'est de cette préparation du coeur que le Prophète a dit : Votre oreille a entendu la préparation de leur coeur (2). Aussi lisons-nous dans la vie des Pères : « Tels nous voulons nous trouver dans l'oraison, tels nous devons nous préparer à être auparavant. »

Cette préparation, selon saint Grégoire, demande trois choses : La première consiste à retirer nos sens des objets extérieurs et à tendre uniquement au calme intérieur, si nous voulons empêcher notre âme, qui doit uniquement s'appliquer à Dieu en cet exercice, de se répandre sur une multitude d'objets. L'âme invisible est semblable au Dieu invisible, et ainsi en

 

1 Eccl. 18. — 2 Ps. 9.

 

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s'adressant à lui dans la prière il lui faut oublier les choses visibles afin que, libre de tout mélange terrestre, elle puisse se porter sans retard vers les célestes hauteurs; car elle pense dans la prière à s'élever à la manière d'un arbre. Voilà pourquoi le même saint Grégoire a écrit : L'homme goûte avec d'autant plus d'avidité les douceurs de la sagesse, qu'il foule aux pieds avec plus de courage, en vue de cette même sagesse, les douceurs de la chair; et ainsi le Seigneur a dit (1) : Pour vous , lorsque vous voudrez prier , entrez dans votre chambre et, après en, avoir fermé la porte, priez votre Père en secret.

Mais comme nul homme ne s'élève à la contemplation de Dieu s'il ne descend d'abord en s'humiliant lui-même , la seconde chose pour bien nous préparer à l'oraison est la considération de notre propre misère. Si vous désirez bien comprendre votre bassesse , vous qui priez , considérez l'immensité de celui à qui vous vous adressez. Vous n'êtes rien en présence du Seigneur ; vous êtes un vermisseau plein de pourriture, et il est le Dieu éternel ; vous êtes une créature mortelle et infirme, et il est le Créateur tout-puissant. Vous n'êtes rien, et cependant vous n'avez pas honoré Dieu comme votre Créateur ni comme le maître dont vous êtes l'esclave. Et ce qui est plus dangereux pour vous, vous l'avez provoqué à la colère par vos péchés, vous avez fait la guerre contre lui à ses dépens; et ainsi , loin de mériter d'être exaucé , vous êtes digne de tourments éternels. Descendez donc en esprit

 

1 Mat., 6.

 

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jusqu'à l'enfer, descendez jusqu'aux péchés infâmes dont vous êtes coupable; pesez quelle gloire vous avez perdue , quels châtiments effrayants vous avez encourus; reconnaissez votre iniquité, la justice de votre damnation , et comprenez quelle est cette Passion divine au prix de laquelle vous avez été racheté.

Nous passons ainsi à la troisième chose , à l'amour brûlant de Jésus-Christ , notre Rédempteur. Si donc vous voulez aimer Jésus-Christ , considérez la grandeur de son amour pour vous (1): Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis; mais Jésus-Christ a dépassé cette mesure : il est mort pour ses ennemis. Pensez à ces immenses bienfaits de Dieu. Vous aviez mérité d'être livré à des supplices éternels par vos péchés , et pour vous racheter, vous délivrer de l'abîme de l'enfer , vous établir en la société des anges , le Fils de Dieu a voulu naître d'une pauvre femme , subir les supplices les plus cruels , mourir d'une mort horrible , et après sa mort , descendre aux enfers , et tout cela afin de vous délivrer de la damnation et de vous placer en l'assemblée des élus. Elevez-vous en esprit jusqu'à cette assemblée des esprits bienheureux et des saints , et là , embrasé tout entier de la charité divine , commencez à prier avec une ferveur telle que vous puissiez dire avec le Prophète : Mon coeur s'est échauffé au-dedans de moi, et le feu s'est enflammé en ma méditation (2). Si vous prolongez votre prière, contemplez cette Jérusalem triomphante et soyez digne de

 

1 Joan., 15. — 2 Ps. 38.

 

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vous écrier alois avec l'Apôtre : Notre demeure est dans les cieux (1).

Ayez toujours un certain nombre de prières déterminées , et ne les omettez jamais si vous n'y êtes forcé par une nécessité évidente ou par la maladie. D'abord , dites tous les jours à la louange de Dieu et de la bienheureuse vierge Marie cent fois Notre Père avec le Gloria Patri, etc., et autant de fois la Salutation angélique avec des génuflexions. Récitez également tous les jours les sept psaumes de la pénitence avec les litanies pour vos bienfaiteurs vivants , et les vêpres des morts pour les défunts; ajoutez-y d'autres prières selon que le Seigneur vous l'inspirera. Cependant, en ces diverses prières, veillez plus à les faire avec dévotion qu'à en compléter le nombre; et lorsque vous avez trouvé Jésus-Christ , laissez là votre prière , jouissez de celui que vous avez cherché, et dites avec l'Epouse : J'ai trouvé le Bien-Aimé de mon âme, je le possède, je ne le laisserai point aller (2). Ensuite , quand Jésus se retire lui-même , achevez l'oraison que vous avez commencée. Je vous conseille d'être toujours fidèle à ces enseignements , car le succès véritable ne consiste pas à entreprendre , mais à persévérer jusqu'à la fin.

Priez donc, ô mon bien aimé frère, et exercez-vous à la prière : les supplices de l'enfer sont promis à l'infortuné qui ne prie pas. Priez avec instance, ô mon frère , dit saint Bernard , priez parce que celui-là est dit avoir une tunique entachée de sang , qui nourrit

 

1 Philip., 3. — Cant., 3.

 

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sa chair de la sueur des pauvres. Or, cela vous arrive par les joies de ce monde. Répandez-vous donc en gémissements lamentables sur un tel malheur: autrement vous rendrez dans les tourments ce que vous aurez pris ici-bas au milieu des délices. Appliquez-vous à prier avec d'autant plus de ferveur et de persévérance, avec une dévotion d'autant plus ardente, que vous avez été comblé de bienfaits plus considérables. Chacun , dit saint Grégoire (1), doit être d'autant plus humble et plus empressé à servir Dieu à raison des grâces reçues , qu'il aura un compte plus rigoureux à rendre. Que votre oraison ait toujours pour objet, les bienfaits de Dieu et qu'elle soit accompagnée d'actions de grâces ; qu'elle ait pour objet les crimes dont vous êtes coupable et les fautes du prochain , et qu'elle soit accompagnée d'une vive douleur et de larmes abondantes. C'est là cette échelle sur laquelle Jacob vit les anges monter et descendre. Une fois chaque jour séparez-vous de la société de vos frères , efforcez-vous de rappeler votre esprit de toute sollicitude , de toute pensée illicite ; pénétrez-vous d'une profonde humilité de coeur et d'une tendre dévotion, et repassez avec actions de grâces les bienfaits de votre Créateur à votre égard , surtout l'humilité de son Incarnation, la rigueur cruelle de ses tourments et la honte extrême de sa mort. Voici de quelle manière saint Bernard vous exhorte à méditer la Passion du Sauveur. « O homme , arrêtez le regard de votre âme et voyez par quelle dette de reconnaissance

 

1 Hom. 9 in Evang.

 

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vous êtes lié vis-à-vis du Seigneur. Contemplez la sueur de sang , l'opprobre des soufflets, la cruauté des fouets, la couronne d'épines, les paroles de blasphème, l'injure des crachats, le fardeau de la croix , le crucifiement. Voyez les yeux languissants de Jésus, la pâleur de son visage, l'aliment du fiel , le breuvage du vinaigre; voyez sa tête inclinée et l'agonie de ses derniers instants. Qu'ajouterai-je de plus? La vie a été livrée pour nous à la mort. » après avoir médité le plus long- temps possible toutes ces choses , tournez vos regards sur vous-même et pensez que Jésus-Christ a souffert non-seulement ces tourments, mais encore bien d'autres peines pour vous délivrer de la servitude du démon. Et vous, ingrat, vous n'avez point connu les bienfaits de votre Créateur, alors qu'il vous rachetait par sa mort; loin de l'aimer avec plus d'ardeur, vous l'avez attaqué par vos péchés: il s'en plaint lui-même par son Prophète en disant : Ils me rendaient le mal pour le bien et la haine pour l'amour que je leur portais. Méditez le plus longuement possible et avec amertume sur les fautes diverses dont vous vous êtes rendu coupable et sur leur Brièveté , et par une conséquence naturelle , pesez quelle gloire vous avez perdue, quels supplices vous avez mérités ; et , à cette pensée , que votre âme se fonde de douleur, que votre repentit s'exhale en larmes amères et dites en réalité avec le Prophète : Mes yeux ont versé des ruisseaux de larmes parce qu'ils n'ont point gardé votre loi (1).

 

1 Ps. 118.

 

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Enfin levez-vous plein d'espérance en la miséricorde de Jésus-Christ , car il est patient et riche en miséricorde. — Priez-le donc avec confiance et humilité, lui qui vous a racheté par sa mort, et , après un tel bienfait , vous a tiré du monde pour vous placer dans la vie religieuse ; priez-le , dis-je , de vous conserver sans tache jusqu'à la fin dans l'assemblée des saints. Terminez en l'invoquant pour l'Eglise romaine.

 
CHAPITRE III. De la confession.

 

Pour obtenir la rémission de ses péchés il faut une contrition amère , une confession sincère et une satisfaction proportionnée à la grandeur des fautes. Avant de vous présenter, rappelez donc soigneusement à votre esprit, si vous ne voulez rien oublier en vous confessant, rappelez avec une douleur profonde les fautes commises depuis votre dernière confession en votre coeur, par votre bouche et vos oeuvres, en omettant le bien, en faisant le mal. Après avoir ainsi représenté en rougissant chaque chose à votre esprit , allez trouver le prêtre et, ayant déposé votre manteau, mettez-vous à genoux; ensuite découvrez-vous la tête, joignez les mains et récitez le Confiteor jusqu'à Ideo precor. Alors commencez à déclarer les fautes que vous avez faites le plus fréquemment , et à chacune d'elles avouez que c'est par votre faute. Quand vous

 

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avez fini , dites en dernier lieu : « Je me déclare coupable de ces péchés et de beaucoup d'autres soit mortels , soit véniels , soit omis , soit déjà confessés , péchés commis par tous mes sens : la vue , l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher, et qui ont offensé mon Créateur. »

Cette accusation suffit pour les confessions fréquentes; mais si vous voulez entrer en plus de détails, mentionnez les transgressions de la règle et surtout celles concernant l'obéissance, la pauvreté, la chasteté, et faites connaître en quoi vous avez manqué à ces vertus. De même encore accusez-vous de votre ingratitude et de votre manque de respect pour les bienfaits temporels et spirituels du Seigneur. Vous connaissez bien peu les derniers, surtout le bienfait de la rédemption et de la vocation religieuse , quoique vous ayez dû en faire souvent le sujet de vos méditations. Vous êtes également ingrat pour les premiers , car vous ne rendez pas à Dieu vos actions de grâces comme vous le devez pour les aumônes reçues , et vous ne priez pas pour vos bienfaiteurs. Parlez aussi de votre faible charité envers Dieu et le prochain : vous n'aimez point Dieu de tout votre coeur, comme vous y êtes obligé; vous n'obéissez pas à ses conseils et à ses préceptes selon l'étendue de ses désirs , et , ce qui est plus dangereux, vous résistez fréquemment à sa volonté. Vous n'aimez pas non plus le prochain , comme vous le devez; vous ne vous réjouissez pas de sa prospérité, et vous ne lui portez pas la compassion voulue dans ses malheurs.

 

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Faites connaître vos pertes de temps : vous demeurez oisif une partie du jour à entendre des paroles vaines et inutiles, des paroles perverses ou propres à vous porter à rire. Dites les pensées inconvenantes et nuisibles, oiseuses et impures auxquelles vous n'avez pas opposé avec humilité la résistance dont vous étiez capable ; et même, ce qui est pire, peut-être avez-vous négligé de réprimer les premiers mouvements de la chair quand vous les avez sentis s'élever en vous. Déclarez vos immortifications dans le boire et le manger, et autres satisfactions inutiles, les jugements faux et téméraires, la joie frivole et la tristesse, l'inclination au mal , la langueur pour le bien , l'orgueil. invétéré , la vaine gloire , l'envie , l'ostentation , l'avarice, la paresse, la luxure, le peu de douleur que vous éprouvez de vos péchés déjà confessés et de plusieurs autres choses que la conscience vous re-proche. En faisant de telles accusations, pensez véritablement aux fautes de chaque espèce dont vous êtes coupable, et après avoir reçu votre pénitence, ayez toujours soin de baiser la terre. Que votre confession soit fréquente, sincère, entière, accompagnée de honte, de larmes et de douleur et sans la moindre excuse. Si vous pouvez vous confesser tous les jours,. vous faites bien; si vous ne le pouvez pas, tâchez au moins de ne pas retarder au-delà de trois jours et de faire une fois tous les ans une confession générale

 

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CHAPITRE IV. Un sacrement de l'Eucharistie.

 

L'Apôtre, en parlant de ce sacrement si élevé au-dessus de nos pensées, a dit : Celui qui le reçoit d'une manière indigne, mange et boit son jugement (1). Lors donc que vous vous proposez de communier, appliquez-vous durant toute la semaine à vous y préparer par une douleur continuelle de vos fautes, la confession et une pieuse oraison. C'est de cette préparation que l'Apôtre voulait parler quand il disait : Que l'homme s'éprouve lui-même et qu'il mange ainsi de ce pain, et qu'il boive de ce calice (2). Si vous devez communier le dimanche, efforcez-vous pendant les trois jours précédents de pénétrer votre esprit de ferveur, de façon à vous trouver le vendredi étranger à toute pensée immonde. Ayez toujours les yeux de votre esprit arrêtés sur Jésus crucifié, couronné d'épines, abreuvé de vinaigre et de fiel, saturé de crachats et d'opprobres, accablé de blasphèmes par les pécheurs, consumé par une mort cruelle, percé d'un coup de lance et enseveli par la main des hommes. Repassez ces choses en votre âme durant ce jour soit en mangeant , soit en buvant, soit en toute autre action; rappelez-vous votre Créateur attaché à la croix et soyez transpercé de douleur; montrez

 

1 I Cor., 11. — 2 I Cor., 11.

 

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pendant tout le jour la tristesse dont vous êtes rempli en votre coeur et en votre corps , et dites avec l'Apôtre : Loin de moi de me glorifier autrement que dans la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).

Le samedi , proposez-vous d'éviter entièrement la société de vos frères et de garder le repos de l'esprit, car c'est un jour de repos ; imposez à vos lèvres un silence rigoureux, et au moins en ce jour, non-seulement retranchez toute parole oiseuse, mais parlez à peine pour les choses nécessaires. Il est bon, dit Jérémie, d'attendre dans le silence le salut de Dieu (2). Jusqu'aux Complies, consacrez votre temps à la lecture ou à de saintes méditations. Après Complies, allez à l'église et là rappelez votre Lime à elle-même, et pensez avec douleur et amertume de coeur aux fautes que vous avez commises contre votre Créateur; dites avec le Prophète : Je repasserai devant vous toutes mes années dans l'amertume de mon âme (3).

Lorsque vous avez intention de communier, ayez toujours soin de jeûner la veille, et après Matines ne vous livrez plus au sommeil, mais veillez dans la prière, en vous souvenant que l'on trouve surtout le Sauveur en une semblable veille, car lui-même a dit (4) : Ceux qui veillent dès le matin pour me chercher, me trouveront. Après la communion , rentrez en votre cellule, et, transporté de joie d'un semblable bonheur, soupirez ardemment après la félicité promise par la Vérité elle-même quand elle a dit : Celui

 

1 Gal., 6. — 2 Thren., 3. — 3 Is., 38. — Prov., 8.

 

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qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle (1). Ensuite récitez immédiatement les psaumes de la pénitence , et prenez garde durant tout le jour de ne laisser sortir aucune parole coupable ou inutile de cette bouche qui a reçu Jésus-Christ, votre aliment glorieux : vous ne pouvez boire à la fois sans pécher le calice du Seigneur et le calice des démons (2).

Quant à la communion fréquente , je n'ose donner d'autre conseil que celui donné par saint Augustin : je ne loue ni ne blâme la réception quotidienne de l'Eucharistie, et je ne saurais voir sans horreur tous les hommes sans distinction s'en approcher chaque dimanche. Le faire en conservant encore de l'affection au péché, c'est charger sa conscience et non la purifier; mais quand même jusqu'alors on se serait rendu coupable, si l'on n'a plus la volonté d'offenser Dieu , si l'on satisfait par des larmes et des prières, l'on peut s'approcher avec sécurité. Cependant j'entends parler ici uniquement de ceux dont l'âme est exempte de péché mortel.

 
CHAPITRE V. Du manger.

 

Lorsque la cloche annonce l'heure du repas , demeurez en silence et examinez comment vous vous êtes comporté dans l'oraison, la lecture et vos divers emplois , afin de pouvoir en sûreté de conscience

 

1 Joan., 6. — 2 I Cor., 10.

 

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prendre part au repas qui vous est prépare avec les aumônes des autres; car les pécheurs, en vous communiquant ainsi une portion de leur bien , n'ont point pour but de vous donner les moyens de vous entretenir de partis ou de guerres, ou de vivre dans l'oisiveté, mais de vous porter à répandre pour eux d'incessantes prières devant le Seigneur. Si vous vous trouvez coupable de paresse, si vous avez proféré des paroles illicites, gémissez en votre coeur et craignez le compte qu'il vous faudra rendre de l'usage des bienfaits reçus; occupez-vous en ces pensées jusqu'au moment où l'on sonnera le second coup, et appliquez-vous pendant ce temps à prier pour vos bienfaiteurs.

Lorsque vous entrez au réfectoire , prenez place, si vous le pouvez sans inconvénient , auprès de ceux dont la conduite se distingue par une plus grande régularité. Avant de manger, dites le Gloria in excelsis ou trois fois Notre Père, et invoquez le noua de la sainte Trinité en faisant le signe de la croix. Ensuite vous commencerez à prendre votre nourriture avec crainte et amertume de coeur afin d'accomplir en vous cette parole de Job (1) : Je soupire avant que de manger. Saint Bernard dit sur ce sujet : « Lorsque vous prenez votre repas, ne vous livrez pas tout entier à cette action, mais tournez votre attention vers la lecture si on en fait une en ce moment; si on ne lit pas, pensez à Dieu afin de donner à la fois aux deux hommes qui sont en vous, un aliment convenable à leurs besoins. »

 

1 Job., 3.

 

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Tenez-vous à table d'une manière honnête, la tête toujours couverte, sans laisser vos yeux errer çà et là, ni parler à personne, si vous n'y êtes forcé par une nécessité réelle; et ne vous inquiétez pas de ce que les autres mangent, dans quelle mesure et de quelle manière ils le font. Coupez votre pain peu à peu et versez votre vin avec modération. Evitez, en mangeant, d'avoir tout votre pain coupé devant vous et votre verre rempli. Ensuite ne commencez pas le premier et ne finissez pas le dernier. Lorsque vous êtes en bonne santé , ne choisissez pas le pain le meilleur et ne témoignez pas de dédain pour celui d'une qualité moindre, de peur d'offenser Dieu et de scandaliser le prochain; mais mangez de lion coeur ce qu'il y a de plus médiocre. N'imitez pas la voracité des gourmands, qui font leur Dieu de leur ventre, selon la parole de l'Apôtre; mais mangez avec bienséance et honnêteté, comme il convient à un religieux, à un disciple de la très-sainte pauvreté. Lorsque vous buvez, ayez soin de tenir votre verre en la manière voulue, et dites après un Ave, Maria, de peur que ce qui vous est donné comme un soutien ne vous devienne une occasion de ruine, car le vin excite la concupiscence : le vin, dit l'Ecriture , est une source d'intempérance (1). Aussi l'Apôtre écrit-il aux Ephésiens : Ne vous laissez point aller aux excès du vin, d'où naissent les dissolutions; et ailleurs : usez d'un peu de vin (2). Soyez donc toujours fidèle à mêler d'eau votre vin. Ne cherchez jamais à vous en

 

1 Prov., 20. — 2 Eph., 5. — I Tim., 5.

 

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procurer d'une qualité meilleure , et lorsqu'on vous en offre de tel, refusez si vous le pouvez convenablement. N'offrez point de présents à table, si ce n'est peut-être à ceux qui sont proches de vous*. A la fin, ramassez soigneusement les miettes et mangez-les, car le Seigneur a dit : Recueillez les morceaux de peur qu'ils ne se perdent (1).

 
CHAPITRE VI. De la sobriété.

 

Le Seigneur a dit dans l'Evangile (2) : Prenez garde que vos coeurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes et du vin. Appliquez-vous donc à fuir en tout temps de semblables excès et choisissez la sobriété pour votre partage. L'intempérance, dit le Sage, en a tué plusieurs, mais l'homme sobre prolonge ses jour (3). Dans vos repas, que la faim, et non la saveur des mets, serve d'aiguillon à votre appétit; cédez au besoin en mangeant, et non au plaisir : une âme surchargée par l'abondance des aliments devient inepte à la prière. Durant votre vie entière , usez d'une nourriture commune et prenez-la avec une grande réserve; car la satiété et l'intempérance traînent à leur suite la luxure et la fureur; et pour ne pas excéder

 

* C'était un usage chez les anciens de faire à la fin du repas des présents aux convives et même d'en recevoir d'eux.

1 Joan., 6. — 2 Luc., 22. — 3 Eccli., 37.

 

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les justes bornes dans le boire et le manger, imposez-vous autant de retenue que vos forces vous permettent et non au-delà : il vaut mieux manger peu et à plusieurs reprises chaque jour, que de le faire plus rarement et avec excès. A quoi bon, dit saint Augustin, prolonger son jeûne tout le jour et saturer ensuite son âme d'aliments (1)?

Au reste, ayez soin de ne vous procurer aucun mets spécial ou recherché. Mais quand vous êtes en bonne santé, sachez vous contenter des choses ordinaires de la maison , comme le pain , le vin et le plat qui vous est servi. Si l'on vous présente quelque chose de plus et que vous en ayez besoin, usez-en avec modération comme il convient à un serviteur de Dieu et à un disciple de la sainte pauvreté. Cependant abstenez-vous toujours des aliments qui sont plus propres à exciter la gourmandise qu'à soutenir vos forces, tels que les mets inusités, délicats, formés d'espèces variées (2), etc. C'est assez , dit saint Bernard , pour tout assaisonnement d'un peu de sel , de pain et de la faim. Cependant ne permettez pas non plus sous ce prétexte que l'on vous serve autrement que les autres : ce ne serait pas de l'abstinence de votre part, mais une vaine ostentation de sainteté. Abstenez-vous aussi durant le repas de juger vos frères s'ils n'imitent pas votre abstinence et de les condamner (3): Que celui qui mange, dit l'Apôtre , ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas se garde de condamner celui qui mange; car celui qui mange le fait pour

 

1 Serm. de temp. 56. — 2 Epist. 1. — 3 Rom., 14.

 

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plaire au Seigneur, et celui qui ne mange pas le fait également pour plaire au Seigneur. Ne prenez jamais rien hors du réfectoire si vous n'y êtes forcé par un besoin réel ou par la maladie ; mais suivez toujours la vie commune quand elle est édifiante, et ne vous en éloignez jamais lorsque vous êtes en bonne santé.

Ayez soin de jeûner pendant le carême de l'Epiphanie, celui en l'honneur des saints Apôtres, qui dure depuis l'Ascension jusqu'à la Pentecôte, et tous les samedis de l'année. Si une telle rigueur nous semble au-dessus de nos forces, rappelez-vous Jésus, le Maître de l'univers : il a été soumis aux angoisses accablantes de la croix, couronné d'épines, percé de clous et, dans sa soif, abreuvé de fiel et de vinaigre. Une telle pensée vous rendra possible et facile non-seulement la privation de quelques aliments, mais le support de toute rigueur et de toute peine. Quand on se souvient de la Passion de Jésus-Christ, dit saint Grégoire, il n'y a rien de si dur qu'on n'accepte avec égalité d'âme.

Abstenez-vous surtout, ô mon frère, des aliments délicats et échauffants : ce sont autant de tisons de luxure. Evitez en tout temps, dans le boire et le manger, la superfluité et l'avidité, et agissez de façon à ressentir encore après vos repas l'aiguillon de la faim, si vous voulez être rassasié à la table du festin éternel. Il est impossible, dit saint Jérôme , de jouir des biens présents et des biens futurs, de remplir son corps ici-bas et son âme dans le ciel, de passer des délices du monde aux délices des anges, d'être glorieux au ciel

 

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et sur la terre. Bienheureux donc ceux qui ont faim et soif dans le temps : ils seront rassasiés dans l'éternité (1).

 
CHAPITRE VII. Du sommeil.

 

Lorsque l'heure de vous livrer au sommeil sera venue, mais sans jamais la prévenir, vous prendrez de l'eau bénite, et ensuite en allant vous reposer vous réciterez quelque prière. Après avoir fait le signe de la croix sur votre lit et vous être humblement re-commandé au Seigneur, vous vous coucherez d'une manière honnête et convenable sur le côté droit ou sur le côté gauche, et jamais autrement. Vous éviterez, en dormant, de mettre vos mains dans votre poitrine, d'élever les jambes, de les avoir découvertes, et vous aurez soin de tenir votre tunique toujours étendue de façon à ne jamais être trouvé par personne dans un état inconvenant.

Après vous être placé de la sorte sur votre lit, récitez des psaumes, ou bien méditez quelque sujet, ou, ce qui est mieux encore, représentez-vous Jésus-Christ attaché à la croix. Si vous êtes fidèle à ces pratiques, le démon trouvera à peine le moment de vous faire sentir ses attaques; car le pieux souvenir de Jésus met en fuite la multitude des esprits infernaux. Lorsque vous vous levez , rappelez-vous de

 

1 Mat., 5.

 

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suite votre Sauveur crucifié, et, parmi les hommes, ne connaissez rien , si ce n'est Jésus et Jésus crucifié. « Qu'il soit tout entier crucifié en votre coeur , dit saint Bernard, celui qui pour vous a été suspendu à la croix. » Faites ensuite le signe de la croix, allez sans tarder à l'église, et là, prenant de l'eau bénite, dites (1): Seigneur, j'entrerai dans votre maison; et, rempli de votre crainte, je vous adorerai dans votre saint temple. Conduisez-moi, Seigneur, dans la voie de votre justice, rendez droite ma voie devant vos yeux, à cause de mes ennemis. Arrivé au pied de l'autel, mettez-vous à genoux , offrez à Dieu vos adorations, répandez des larmes si vous le pouvez, faites la prière que le Seigneur vous inspirera , re-commandez-vous à lui avec une profonde humilité de coeur, et ayez soin d'être toujours à l'église avant le commencement de l'office, afin de recueillir votre esprit en la présence de Dieu et d'apporter une attention plus libre à ce que vous aurez à dire.

Que vos actions soient en tout temps établies sur la charité; autrement elles ne vous seront d'aucun mérite aux yeux de Dieu. La vertu de charité est telle, dit saint Augustin , que sans elle le don de prophétie et le martyre sont regardés comme un néant. Servez volontiers ceux qui célèbrent la messe, et faites-le avec une profonde humilité de coeur et de corps, avec respect et dévotion. N'attendez pas qu'un autre vous invite; mais plutôt offrez-vous de vous-même, et durant cette action agissez en tout avec la plus vigilante

 

1 Ps. 5.

 

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sollicitude, de peur que le prêtre (ce dont Dieu vous préserve!) n'ait à souffrir quelque embarras par votre négligence. Faites aussi avec zèle, et de préférence à tout le reste, les autres choses qui sont nécessaires ou utiles, comme de nettoyer le linge, laver la vaisselle , servir les malades et les autres frères, etc.

Lorsque vous êtes occupé à rendre quelque service aux frères, évitez de parler, à moins que l'on ne vous interroge, et alors faites-le à voix basse. Aimez plutôt à écouter en gardant le silence, car l'homme enclin à parler ne prospérera pas sur la terre (1). Vous devez visiter fréquemment et avec tendresse les malades, vous présenter à eux au moins deux ou trois fois chaque jour pour leur rendre les services dont ils pourraient avoir besoin , selon que l'indique la règle. En cela les religieux doivent agir comme ils voudraient voir les autres agir à leur égard , et cependant avoir soin de ne point se répandre trop en paroles, parce que, au rapport du Sage , les longs discours ne seront pas exempts de péchés (2).

 
CHAPITRE VIII. De la fuite de l'oisiveté.

 

L'oisiveté est pour beaucoup une occasion d'offenser Dieu , et l'Écriture a dit (2): L'oisiveté a enseigné bien du mal. Soyez donc en tout temps appliqué soit à

 

1 Ps. 139. — 2 Prov., 10. — Eccl., 33.

 

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chanter les louanges de Dieu , soit à accomplir des oeuvres de charité. Pourquoi demeurez-vous là durant tout le jour sans travailler (1)? Il n'est pas étonnant que votre ennemi vous fasse tomber aussi souvent. Faites toujours quelque chose , dit saint Jérôme , afin que toujours le démon vous trouve occupé'. Exercez-vous surtout à prier fréquemment et avec ferveur, à lire et à remplir les divers services de la maison. Que votre vie se passe tout entière en ces trois choses : prier sans cesse , lire, servir principalement les anciens, les étrangers , les malades ; et après vous être acquitté de vos emplois divers , ne consumez pas le reste de votre temps à ne rien faire avec les frères , mais tous les jours retirez-vous de suite à votre cellule et là priez ou lisez jusqu'à l'heure de Tierce. N'en sortez pas sans y être contraint par une nécessité urgente , et rappelez-vous ce mot de saint Bernard : que les anges considèrent nos cellules comme le ciel, car souvent on s'élance de là pour s'élever dans les cieux.

CHAPITRE IX. De l'honnêteté.

 

L'honnêteté dans le maintien de nos sens est, l'ornement des vertus. Ainsi vous devez la faire briller sagement en toutes vos paroles et vos actions. Que tout se fasse parmi vous, dit l'Apôtre,

 

1 Mat., 20. — 2 Epist. ad rust.

 

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dans la bienséance et avec ordre (1). Si vous désirez trouver cette honnêteté et avec elle le bonheur attaché à la vertu , si vous voulez la conserver facilement, après l'avoir trouvée , efforcez-vous de mettre en pratique les conseils suivants : Commencez par vous adonner fréquemment et avec ferveur à l'oraison : c'est à l'oraison que vous pouvez appliquer ces paroles de la Sagesse : Tous les biens à la fois me sont venus avec elle ; et par son entremise j'ai possédé une honnêteté sans bornes (2) . Efforcez-vous ensuite d'éviter les entretiens inutiles , de ne dire ni entendre aucune parole oiseuse : Les entretiens mauvais, dit l'Apôtre, corrompent les bonnes moeurs (3). Fuyez , en troisième lieu , la société des hommes dissolus et sans réserve, moquez-vous des caresses des flatteurs, méprisez les présents, ayez en horreur les discours des semeurs de rapports et des murmurateurs , des médisants et des calomniateurs, car de tels hommes , au témoignage de l'Ecriture, sont détestables aux yeux de Dieu (4). N'avancez rien avec personne sans avoir prémédité et réglé vos paroles , sans un but d'utilité et de convenance. Abstenez-vous de toute duplicité et de toute dissimulation dans vos entretiens, parce qu'il y a mensonge , selon saint Augustin , à parler de la sorte , et c'est pourquoi le même saint dit ailleurs : « Que vos paroles passent sous la lime avant d'arriver à votre langue. »

Gardez-vous également de murmurer, de juger les autres et de les reprendre , à moins que vous ne les

 

1 Cor., 14 . — 2 Sap., 7. — 3 II Cor. — 4 Rom., 1.

 

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voyiez offenser Dieu ouvertement; mais de votre côté lorsque vous êtes repris, mettez-vous à genoux et avouez votre tort aussitôt, que vous soyez ou non coupable. C'est le propre des âmes vertueuses, dit saint Grégoire , de redouter le mal même où il n'est pas. Ensuite quelque offense que vous receviez de la part d'un autre, ne répondez pas, mais recourez à la patience en disant : Il est juste que toutes les créatures se soulèvent contre moi. Je suis un homme plein d'orgueil; j'ai offensé toute ma vie l'Auteur suprême des créatures; je l'offense encore fréquemment et sous le moindre prétexte.

Lorsque vous allez à l'église, ayez toujours soin , si vous le pouvez , de fléchir le genou devant l'autel , soit en entrant, soit en sortant; car il est écrit : Que tout genou fléchisse au nom de Jésus (1). De même, lorsque vous allez par la maison ou dehors, ayez toujours un pas modéré, les mains dans une position convenable, les yeux baissés, retenus et non errants çà et là. « Un oeil sans pudeur, dit saint Isidore, est l'indice d'un coeur impudique. » Quand vous voyez les frères occupés à ne s'entretenir ni de Dieu ni des saintes Ecritures, mais d'autre chose, retirez-vous aussitôt, surtout s'ils murmurent contre quelqu'un ou s'ils parlent de guerres : Leur langage, dit l'Ecriture, est comme un glaive aigu (2).

Maintenant si vous désirez mettre d'une manière plus parfaite ces conseils en pratique, efforcez-vous d'être toujours humble en votre coeur et en vos oeuvres,

 

1 Phil., 2 — 2 Ps. 56.

 

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parce que, selon saint Grégoire, recueillir les autres vertus sans l'humilité, c'est porter de la poussière contre le vent (1).

 
CHAPITRE X. De la tentation.

 

L'ennemi du genre humain a coutume de se porter en secret sur la voie des fidèles et de les attaquer par la tentation, comme saint Pierre nous l'enseigne dans ce passage où il est dit  (2): Le démon, votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. C'est pourquoi ii vous faut, selon le conseil du Sage, apporter la plus grande sollicitude à la garde de votre âme (3). Lors donc que vous vous sentez en butte à ses assauts, recourez à Jésus-Christ : il est fidèle et il vous fera tirer avantage de la tentation même. Dites lui : Secourez-moi , « Seigneur mon Dieu , ne vous éloignez pas de moi;

hâtez-vous de me venir en aide, Seigneur, vous le Dieu de qui dépend mon salut ; délivrez-moi de mes ennemis puissants et de ceux dont la haine me poursuit. Placez-moi près de vous, Seigneur, et que la main de qui que ce soit combatte contre moi. Quand des armées entières s'élèveraient contre moi , mon coeur ne craindrait pas. »

Pensez ensuite que tout homme, par le péché,

 

1 Hom. 7, in cv. — 2 I Pet., 5. — 3 Prov., 4.

 

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se rend indigne de la gloire inestimable des bienheureux, et s'expose aux tourments horribles et infinis des damnés. Ces deux choses, si vous y êtes fidèle, éloigneront de vous la tentation. Si cependant le tentateur cherche encore à l'emporter, méditez souvent la Passion cruelle de Jésus-Christ ; car, au rapport de l'Ecriture (1), en occuper sa pensée, c'est une sagesse consommée, et celui qui veillera en sa présence sera bientôt en sûreté; ou autrement : si la Passion du Rédempteur s'imprime bien en notre âme, il n'y aura plus de place en notre chair pour les attaques de la tentation : elle est une armure contre nos ennemis, elle est cette armure dont l'Apôtre a dit :  Revêtez-vous de l'armure de Dieu afin de pouvoir vous défendre des embûches du diable (2). Et c'est avec raison que saint Paul s'exprime ainsi : Aucun moyen ne saurait être plus efficace à ruiner promptement les armées de l'enfer. Jésus-Christ a souffert dans la chair, dit également saint Pierre , armez-vous donc de cette même pensée (3). Saint Bernard s'exprime encore plus clairement sur ce sujet (4): « Toutes les fois , dit-il , que vous vous sentirez attaqué par des pensées honteuses, entraîné à des désirs pervers , représentez aux regards de votre âme comment Jésus-Christ a été crucifié pour vous. Regardez comment il a été trahi par Judas , traité ignominieusement, blasphémé, meurtri de soufflets, jugé, condamné, dépouillé, flagellé , accablé sans ré serve d'injures et d'opprobres, crucifié entre deux

 

1 Sap., 6. — 2 Ephes., 6.— 3 I Pet., 4.— 4 De int. Dom., c. 38

 

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voleurs, déchiré de clous, souillé de crachats, couronné d'épines, abreuvé de fiel, percé d'une lance ; comment le sang a coulé de toutes les parties de son corps, et comment, ayant incliné la tête, il rendit l'esprit. Ainsi votre Rédempteur est mort pour vous sur la croix , et vous ne comprenez pas de quelle pensée détestable vous vous souillez en votre âme. »

 
CHAPITRE XI. De la familiarité avec les personnes du monde.

 

Durant tout le cours de votre vie, appliquez-vous , autant que vous le pouvez convenablement , à éviter les rapports trop intimes avec les personnes du monde ; le monde, selon le langage de l'Ecriture , se compose d'une génération perverse et infidèle (1). Lorsque vous serez forcé , par nécessité ou dans un but utile , de voir ces sortes de personnes , parlez de choses dignes et avantageuses, et si elles portent la conversation sur des sujets mondains, les guerres et autres frivolités, ne les suivez point dans une telle voie, quand même on devrait vous accuser de singularité. Dites avec le Prophète : Que ma bouche ne s'entretienne point des oeuvres des hommes (2).

Soyez toujours timide au milieu du monde et jamais eu pleine sécurité; gardez l'humilité , l'honnêteté, et

 

1 Deut., 31. — 2 Ps. 16.

 

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ne vous livrez pas à de longues conversations, afin d'accomplir celte parole de l'Evangile : Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre Père qui est dans le ciel (1). Fuyez les personnes du sexe comme des serpents; ne liez aucune conversation avec elles sans un besoin urgent et n'arrêtez jamais vos regards sur leur visage. Si une femme s'entretient avec vous, oubliez ses paroles le plus promptement possible : Ses discours sont plus doux que l'huile, dit le Prophète, et ils sont des traits aigus (2). C'est pourquoi saint Augustin nous dit également : « Que vos entretiens avec les personnes du sexe soient austères, courts et rigides. Vous ne devez pas les éviter avec moins de soin parce qu'elles sont saintes : plus leur vertu est élevée , plus elles attirent avec force , et à l'occasion d'une conversation innocente, le poison d'une concupiscence coupable se répand en nos coeurs. Croyez-moi, ajoute notre saint, je suis évêque , je vous parle en Jésus-Christ selon la vérité et je ne mens pas : j'ai vu , sous un semblable prétexte, tomber les cèdres du Liban et les chefs du troupeau ; j'ai vu tomber des hommes dont je ne redoutais pas plus la chute que celle d'un Grégoire de Nazianze et d'un Ambroise. Fuyez donc les piéges de semblables personnes : vous n'êtes ni plus saint que David , ni plus fort que Samson , ni plus sage que Salomon. »

 

1 Mat. 5. — 2 Ps. 54.

 

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CHAPITRE XII. Qu'il ne faut point juger les autres.

 

Personne n'a reçu le soin de juger les secrets des coeurs, comme nous l'enseigne l'Apôtre quand il nous dit : Ne jugez point avant le temps (1); mais suspendez votre jugement jusqu'à ce que le Seigneur vienne, qui exposera à la lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui produira au grand jour les plus secrètes pensées des coeurs. Gardez-vous donc de juger ou de mépriser jamais les autres; mais quand vous voyez le prochain faire quelque close qui vous déplaît , avant de vous prononcer , commencez par abaisser votre regard sur vous, afin de voir si vous n'avez aucun reproche à vous adresser. Si vous vous reconnaissez coupable, alors appliquez-vous à vous-même le jugement que vous vouliez porter sur un autre; condamnez-vous en disant avec le Prophète (2) : C'est moi qui ai commis l'iniquité, et ne soyez pas comme l'hypocrite qui ne considère jamais ses défauts et présume toujours bien de soi, tandis qu'il juge les autres, les déchire, les condamne et veut découvrir une paille dans leurs yeux sans vouloir reconnaître la poutre qui l'aveugle. La Vérité elle-même flétrit une pareille conduite dans ces paroles (3) : Hypocrite, ôtez premièrement la poutre de votre oeil, et alors

 

1 II Cor.,4.— 2 II Reg, 24. — 3 Mat., 7.— Luc., 6.

 

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vous verrez comment vous pourrez tirer la paille de l’oeil de votre frère. De là ces autres paroles d'un poète exprimant la même chose : « O vous qui découvrez une paille dans l'oeil de Notre frère, rejetez loin de vous la poutre qui trouble vos regards. »

« Avez soin, dit saint Bernard (1), de n'être pas un scrutateur curieux de la vie des autres, ni un juge téméraire. Quand même votre frère commettrait une action digne de blâme, quand même vous en seriez témoin , ne le jugez pas , mais plutôt excusez-le, excusez son intention si vous ne pouvez excuser sa conduite., prétextez l'ignorance, la

surprise, le hasard. Si l'évidence du mal est telle que vous ne puissiez l'excuser eu aucune façon, pensez au moins en vous-même et dites-vous : La tentation a été terriblement violente. Qu'aurait-elle fait de moi s'il lui eût été donné de m'attaquer avec un tel empire? » Ne soyez clone pas enclin à juger les autres ou à vous répandre en murmures sur leur compte; mais exercez plutôt votre jugement sur vous, considérez-vous vous-même et dites avec le Prophète : Je ferai connaître mon iniquité et j'occuperai ma pensée de mon péché (2).

 

1 In Cant., serm. 40. — 2 Ps. 37.

 

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CHAPITRE XIII. De l'obéissance.

 

On ne saurait marcher plus sûrement dans la voie du salut qu'en faisant abnégation de soi-même par une humble obéissance. Voilà pourquoi Jésus-Christ a dit à ses disciples (1) : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même par la soumission de l'obéissance, qu'il porte sa croix par la mortification de la chair , et qu'il me suive enfin par la perfection de sa vie. C'est justement que le Seigneur invite à cette soumission de l'obéissance , car par elle on obtient une victoire merveilleuse contre ses ennemis : L'homme obéissant, dit le Sage, se glorifiera de ses victoires (2). Dieu lui-même se laisse vaincre par l'obéissance, et saint Grégoire nous dit : « Si nous obéissons à nos supérieurs, Dieu à son tour se montrera obéissant à nos prières. » Une seule prière d'un pécheur obéissant, ajoute saint Augustin, est exaucée plus promptement que dix mille faites par un homme insoumis.

Appliquez-vous donc durant votre vie entière à vous soumettre et à obéir humblement selon Dieu , non-seulement à vos supérieurs, mais encore à vos inférieurs , sans vous dire : Qui m'a donné cet ordre? II n'est pas permis à un inférieur d'examiner : il se

 

1 Luc., 9. — 2 Prov., 21.

 

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hâte d'obéir en toute simplicité. Prenez garde de ne jamais, soit en public , soit en secret, arracher sous prétexte d'obéissance, par vous ou par d'autres, ce qui est selon vos désirs; ce n'est point là obéir, mais abuser de sa volonté propre. « Si quelqu'un s'efforce ouvertement ou en secret , dit saint Bernard , de se faire commander par son père spirituel ce qu'il a résolu d'accomplir, celui-là se trompe s'il s'imagine avoir pratiqué l'obéissance : il n'a point obéi à son supérieur en cette circonstance, mais son supérieur lui a obéi (1). » Qu'il craigne celui-là, parce que ce qui brûle en enfer, c'est la volonté propre. «Otez cette volonté , dit encore saint Bernard , et il n'y aura plus d'enfer. » Evitez donc de manifester votre volonté dans votre intérêt particulier , surtout lorsqu'elle diffère de celle des supérieurs. « C'est un grand mal que la volonté propre s'écrie le même saint, puisque par elle noire bien cesse d'être un bien. »

Si un ordre difficile à accomplir vous inspire du mécontentement , pensez bien vite à Jésus-Christ : il était le Roi des rois , le Seigneur des seigneurs , et il s'est humilié lui-même, il s'est rendu obéissant jusqu'à mourir ; il a dit : Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais la volonté de mon Père qui m'a envoyé (2). Si vous voulez marcher sur les traces de votre Dieu , dites aussi : Je suis sorti du monde non pour faire ma volonté, mais celle des autres.

Maintenant, quelle doit être la perfection de l'obéissance , saint Bernard nous le fait connaître dans les

 

1 Serm. de trib. ord. eccl. — 2 Joan., 6.

 

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paroles suivantes : « Le vrai obéissant , dit-il , ignore tout retard; il ne renvoie pas au lendemain l'accomplissement des ordres qu'il a reçus ; mais ses yeux sont aussitôt prêts à voir, ses oreilles à entendre , sa langue à parler, ses mains à agir, ses pieds à marcher, et il se recueille tout entier en lui-même pour faire la volonté de son supérieur (1). »

 
CHAPITRE XIV. De la pauvreté.

 

La pauvreté volontaire étant la base première de tout l'édifice spirituel , observez-la donc strictement durant votre vie en toutes ces choses qui passent, et n'ayez rien sous le ciel de plus que ce que la règle a accordé à vos besoins.

Que les frères, nous dit-elle, n'aient rien en propre, ni maison , ni aucune autre chose (2). Et en effet , au rapport de saint Jean , tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie (3). Les choses de ce monde passent et sont opposées aux biens célestes. Soyez donc toujours pauvre si vous ne voulez pas être rejeté du ciel. L'homme, dit saint Grégoire, se sépare d'autant plus du divin amour qu'il cherche davantage son bonheur ici-bas. Au contraire, plus il méprise les objets terrestres, plus il s'approche de Dieu. C'est

 

1 Serm. de Obed. — 2 Reg., c. 6. — I Joan., 2.

 

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pourquoi l'Apôtre écrivait : Je regarde tout comme de la boue afin de gagner Jésus-Christ (1). Ainsi méditez sans cesse les choses du ciel pour arriver au mépris de celles de la terre. Si nous considérions la valeur et la multitude des biens qui nous sont promis dans la gloire , tout ce que le monde possède perdrait son prix à nos yeux. Bienheureux donc les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient (2).

Mais si la pauvreté des biens terrestres nous conduit à la gloire des élus, vous devez donc vous efforcer de la garder dans toute sa rigueur , cette pauvreté , et surtout dans vos livres , vos sandales , vos habits , veiller à n'avoir que les choses strictement requises pour vos besoins, ne pas considérer comme nécessaires les superflues et craindre même comme des inutilités celles qui sont de rigueur. Nous croyons user seulement du nécessaire , et nous possédons , si nous voulons y regarder de près , une foule d'objets inutiles. Ainsi n'ayez rien ni par vous-mêmes ni par l'entremise d'un autre , et soyez attentif à ne rien conserver en votre cellule en dehors de ce qu'il faut. Et ici j'entends parler même des choses les plus minimes , de peur que la négligence sur ce point n'entraîne en des excès plus considérables. Vous avez échappé à de graves dangers , dit saint Augustin, prenez garde de n'être point submergé par un grain de sable; car, au rapport de l'Ecriture, la pauvreté est un arbre de vie pour ceux qui l'embrassent, et celui qui se tient

 

1 Philip., 3. — 2 Mat., 5.

 

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uni à elle est vraiment heureux (1). Si donc vous lui demeurez fidèle jusqu'à la fin de votre vie, vous pourrez entrer dans la félicité céleste : la Vérité elle-même l'a promise aux pauvres parfaits quand elle a dit : Bienheureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux leur appartient. Ce royaume est d'autant plus avantageux qu'il est plus abondant en richesses, d'autant plus à l'abri de tout danger qu'il est plus sublime , d'autant plus ineffable en ses délices qu'il est plus brillant de splendeur, d'autant plus illustre que ses habitants sont plus glorieux. Daigne nous y conduire Celui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles.

 
CHAPITRE XV. Du silence.

 

Les consolations célestes nous sont souvent refusées quand nous nous livrons à de trop longues conversations; observez donc durant toute votre vie un silence rigoureux dans les moments désignés pour cela et dans les lieux où il vous est défendu de parler. Votre force, dit l'Ecriture (2), sera dans le silence et l'espérance. Gardez-le en quelque lieu que vous vous trouviez, à l'office divin, dans l'accomplissement de vos divers services, et partout où il y a plus de trois frères. Depuis Complies jusqu'au lendemain après Tierce , ne parlez point si vous n'êtes interrogé , ou si vous

 

1 Prov., 3. — 2 Is., 30.

 

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n'êtes contraint de le faire par un motif de nécessité ou d'utilité. L'âme qui n'est pas fortifiée par le rempart du silence , dit saint Grégoire , est aisément percée des traits de l'ennemi. La bouche de l'homme, ajoute saint Augustin, doit être comme une muraille; il ne doit l'ouvrir que pour louer Dieu , s'accuser et rendre service.

Gardez donc le silence et ne prononcez jamais aucune parole de médisance , de bouffonnerie ou toute autre parole inconvenante. Non-seulement vous aurez à rendre compte au jour du jugement des conversations oiseuses , nuisibles et dangereuses , mais encore d'une seule parole inutile prononcée par vous, selon l'enseignement du Sauveur (1). Voilà pourquoi le Prophète a dit : Ils ont été dans la joie parce qu'ils ont gardé le silence (2). Si vous voulez éviter les paroles dangereuses, commencez par vous abstenir de celles qui sont inutiles. Celui qui ne réprime pas les paroles oiseuses, dit saint Augustin, s'en permettra bientôt de coupables. De là ce conseil du Sage : Jeune homme, ouvrez à peine la bouche dans votre propre cause; et lorsque vous aurez été interrogé deux fois, répondez en peu de mots (3). Mais surtout gardez le silence sur les choses du siècle et les différentes guerres; n'aimez point à en entendre parler : de telles conversations sont un venin mortel pour les âmes; c'est de ceux qui les tiennent qu'il est écrit : Ils se sont servis de leurs langues pour tromper avec adresse; ils ont sur leurs lèvres le venin des aspics (4).

 

1 Mat., 12. — 2 Ps. 106. — 3 Eccl., 32. — 4 Ps. 12.

 

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* Pendant que frère Bonaventure, de sainte mémoire , alors ministre général de son Ordre et ensuite cardinal , se trouvait à la maison des Frères mineurs de Paris, un frère assez avant en son intimité y faisait alors ses études. C'était un jeune homme d'un caractère excellent. Il alla le trouver un jour et le supplia ardemment de vouloir bien lui apprendre comment il pourrait, dans l'ordre, conserver sa jeunesse irrépréhensible et sans tache, et croître en mérites pour la vie éternelle. Alors frère Bonaventure, poussant un grand soupir, lui répondit :

 

Mon fils, si vous voulez demeurer sans péché et exempt de toute souillure en la vie religieuse, rappelez-vous les six conseils suivants et ayez-les sans cesse présents à votre pensée : nous les avons puisés dans les enseignements et les exemples des saints Pères.

1° Soyez toujours fidèle à l'oraison et ù la lecture des saints livres. Pour y arriver et ne point vous relâcher, visitez souvent l'église le jour et la nuit et aimez votre cellule par-dessus tout. Qu'on ne vous voie jamais hors d'elle ou de l'église , passer votre temps avec d'autres dans l'oisiveté sur les places ou les chemins ; mais , quand l'office ou le repas est terminé, quand vous avez rempli vos charges ou les commandements de vos supérieurs, revenez de suite à votre cellule sans lever les yeux, et là rendez-vous à vous-même.

2° Veillez sur toute chose à bien garder l'honnêteté en votre coeur et en tous vos sens. Pour y arriver,

 

* Ce qui précède ces avis a été écrit par un religieux de l'ordre des Frères mineurs.

 

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n'ayez jamais de liaison spirituelle trop intime avec personne; mais vivez d'une manière commune avec tout le monde, en sorte qu'on ne remarque en vous rien d'extraordinaire ni de singulier.

3° Exercez une vigilance sans bornes sur votre langue , et quand vous êtes avec les autres , ne parlez que de choses nécessaires et seulement lorsque l'on vous interroge. Ne louez personne et ne blâmez ni les absents ni ceux qui vous écoutent quand même les autres vous en donneraient l'exemple.

4° Soyez souverainement attentif à ne jamais rapporter ce que vous avez appris des autres , si ce n'est pourtant les choses propres à édifier.

5° Rappelez souvent en votre coeur le souvenir des bienfaits de Dieu et de vos péchés , des félicités du ciel et des peines de l'enfer. Pensez aussi à tous ceux qui sont dans la tribulation et aux misères de ce monde.

6° Soyez fidèle à ne jamais juger personne en votre coeur ni en vos paroles, si ce n'est vous-même. — Observez ces choses et vous vous sauverez au milieu des hommes.

 RÈGLE DES NOVICES.

 

RÈGLE DES NOVICES.

PETIT AVANT-PROPOS.

CHAPITRE PREMIER. De l'office.

CHAPITRE IV. Un sacrement de l'Eucharistie.

CHAPITRE V. Du manger.

CHAPITRE VII. Du sommeil.

CHAPITRE VIII. De la fuite de l'oisiveté.

CHAPITRE IX. De l'honnêteté.

CHAPITRE X. De la tentation.

CHAPITRE XI. De la familiarité avec les personnes du monde.

CHAPITRE XII. Qu'il ne faut point juger les autres.

CHAPITRE XIII. De l'obéissance.

CHAPITRE XIV. De la pauvreté.

CHAPITRE XV. Du silence.

 
PETIT AVANT-PROPOS.

 

Réformez-vous par le renouvellement de votre esprit afin de connaître quelle est la volonté vraiment bonne, agréable et parfaite de Dieu (1). En parlant aux Romains, saint Paul s'adresse aux novices, à des hommes autrefois défigurés dans le monde par le péché et plongés dans les ténèbres, afin de les inviter, maintenant qu'ils sont dans la vie religieuse, à se réformer par une résolution inébranlable et à devenir des hommes tout lumineux, en sorte que l'on puisse dire d'eux : Vous étiez naguère ténèbres; mais aujourd'hui vous êtes une lumière dans le Seigneur : marchez comme des enfants de lumière (2).

Ceux donc qui désirent se réformer en leur esprit et en tous leurs actes, doivent s'appliquer à régler leur vie d'après les dispositions précédentes. Ils connaîtront la volonté vraiment bonne du Seigneur dans la rémission du péché qui les défigure; sa volonté vraiment délicieuse dans l'infusion de la grâce qui renouvelle, et sa volonté parfaite dans la jouissance de la gloire qui récompense. Là en effet ils recevront un diadème de splendeur de la main du Seigneur Jésus, qui rendra à chacun selon ses oeuvres, car il est juste et il aime la justice.

 

1 Rom., 12. — 2 Ephes., 5.

 
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm
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