PROLOGUE
Je vous ai présenté aujourd'hui la doctrine de la Sagesse. Je vous l'ai décrite triplement, selon la prudence, la réflexion et la science.
I. TOUTE science
suggérant un rapport à la Sainte Trinité, celle qu'enseigne
l'écriture
doit plus évidemment porter en soi l'empreinte de ce Mystère.
Aussi le Sage
affirme-t-il qu'il a proposé la doctrine sacrée en triple
profondeur, à cause de sa triple interprétation possible,
selon le sens moral le sens allégorique et le sens analogique.
Ce triple sens spirituel, en effet, correspond à la hiérarchie des activités de l'âme, savoir à sa purification, à son illumination, à sa perfection.
Or la purification
la conduit à la PAIX, l'illumination à la VERITE, la perfection
à l'UNION de charité.
Ces trois
termes pleinement atteints, l'âme est admise à la béatitude
et voit augmenter son mérite selon
qu'elle s'est
comportée dans leur recherche. De leur connaissance par conséquent,
d'où dépend la science
de toute l'Écriture
Sainte, dépend aussi le mérite de l'éternelle Vie.
Il faut donc
savoir, pour nous exercer dans cette triple voie, que triple en est la
manière, soit la lecture et
la méditation,
la prière et la contemplation.
PREMIERE PARTIE
LA MÉDITATION
CHAPITRE I
DE LA MÉDITATION OÙ L'AME SE PURIFIE, S'ILLUMlNE, SE CONSOMME
II. En premier
lieu il convient de s'instruire de la manière de méditer,
sachons à cette, fin que trois puissances sont en nous, et que.
polir nous exercer dans cette triple voie nous devons en faire usage,
savoir ; l'aiguillon
de la conscience, la lumière de la raison, l'étincelle de
la sagesse. Si donc tu veux te purifier, recours à l'aiguillon de
la conscience; si tu veux t'éclairer, recours à la lumière
de la raison; si tu veux devenir parfait, recours à. l'étincelle
de la sagesse. Ainsi le conseillait le bienheureux Denys à son disciple
Timothée.
Section première
PURIFICATION DE L'ÂME
1. - DE LA VOIE PURGATIVE ET DE SON TRIPLE EXERCICE.
III. La purification s'opère en exercent l'aiguillon de la conscience.
Ton premier exercice sera donc d'abord de l'exciter, ensuite de l'aiguiser, enfin de le rectifier.
Or l'aiguillon
de la conscience : 1, s'excite par la recordation du péché;
2. s'aiguise par la circonspection
envers soi
même; 3. se rectifie par la considération du bien.
1. Comment s'excite l'aiguillon de la conscience.
IV. - La recordation
du péché procède de cette manière : l'esprit
se convainc de la multitude de ses
négligences,
de ses convoitises et de ses méchancetés, car presque tous
nos péchés et tous nos maux, soit
actuels, soit
habituels, peuvent se grouper sous ces trois chefs.
NEGLIGENCE. A l'égard de la négligence sois attentif à rechercher :
1. D'abord
si tu n'as pas négligé : la garde de ton coeur, l'exact emploi
de ton temps, la pureté de ton
intention,
car en effet ces trois points méritent d'être observés
avec une souveraine diligence : que le coeur
soit gardé
attentivement, le temps employé utilement et que toute oeuvre soit
dirigée à sa juste fin. - 2.
Ensuite si
tu n'as pas négligé : la prière, l'étude, le
bien agir; parce que sur ces trois points doit très
diligemment
s'exercer et se cultiver quiconque veut porter de bons fruits ; aucun d'eux
sans les autres ne
suffira jamais.
- 3. Enfin si tu n'as pas négligé: de te repentir du péché,
de résister au mal, de profiter au
bien.
Chacun en effet
avec un soin extrême doit : pleurer le mal qu'il a commis, repousser
les tentations
diaboliques,
avancer de vertus en vertus, afin qu'il puisse ainsi parvenir à
la terre promise.
B. - CONCUPISCENCE.
V. - A l'égard
de la concupiscence qui se trouve en l'homme spirituel comme en tout homme,
tu dois
rechercher
si tu l'as cultivée, si tu la cultives peut-être encore. En
voici les signes :
1. D'abord
la convoitise de la chair se trahit par un besoin de friandises, de mollesse,
de volupté, elle te
domine donc
si tu recherches les aliments et les boissons délectables, les vêtements
et les meubles
confortables,
les entretiens et les divertissements, sensuels, qu'il est répréhensible
d'admettre
délibérément,
mais dont l'homme spirituel doit désavouer même les premiers
mouvements.
2. Ensuite
la convoitise des yeux se délecte : à savoir des choses cachées
ou secrètes, à avoir des choses
précieuses
ou chères, à voir des choses belles ou rares, en quoi se
manifeste une cupidité, avarice ou
curiosité
condamnable et préjudiciable à l'homme spirituel.
3. Enfin la
convoitise de l'esprit ou orgueil de la vie se retrouve dans le désir
de la faveur, dans le goût de
la louange,
dans l'appétit des honneurs, qui sont choses vaines et rendent vain
l'homme,- s'il s'y livre; et
que tu dois
fuir à l'égal du désir charnel. Sur toutes ces tendances,
l'aiguillon de la conscience doit stimuler
le remords
du coeur.
C. - MALIGNITÉ.
VI. - A l'égard
de la malice recherche si elle t'a dominé ou te domine encore; elle
a pour racines : la colère,
l'envie, la
tiédeur.
1. D'abord
la colère se manifeste : par l'émotion, par le geste, par
la parole; elle trouble le coeur, elle
change le
visage, elle s'exhale en clameurs; elle se trahit dans les sentiments,
dans les attitudes, dans les
actes.
2. Ensuite
l'envie se manifeste : par la tristesse du bien d'autrui, par le contentement
de son infortune, par
la mauvaise
grâce à l'assister dans son besoin.
3. Enfin la
tiédeur se manifeste : par des suspicions défavorables, par
de malignes détractions, par des
pensées
blasphématoires.
Toutes ces formes de la malignité sont donc souverainement détestables et pernicieuses.
CONCLUSION.
Ainsi l'aiguillon
de la conscience par ce tripartite examen triplement réitéré,
acquerra la diligence, la
délicatesse,
et l'austérité nécessaires au progrès spirituel.
Ton âme par cet exercice se remplira de la
salubre amertume
de la contrition.
2 - COMMENT S'AFFINE L'AIGUILLON DE LA CONSCIENCE.
VII. - Après
avoir appris de quelle façon tu dois réveiller ta conscience
par la recordation du péché,
apprends maintenant
comment tu peux l'aiguiser par la vigilance, la prudence, la circonspection
envers
toi-même.
Car il suffirait point que ta conscience fût attentive, délicate,
diligente; elle doit être exigeante,
et c'est l'oeuvre
de la circonspection. Elle le devient en évoquant : 1. le jour de
la mort qui est imminent;
2. le regard
du Juge fixé sur toi présentement; 3. le Sang de la Croix
répandu comme récent. Reprenons :
1. le jour
de ta mort est certain, incertain, irrévocable: certain quant au
fait; incertain quant au jour, au
lieu, au mode;
irrévocablement fixé et irrémissible. Si tu y songes
diligemment, plus diligemment encore tu
travailleras,
tandis que tu en as le temps, à te purifier de toute négligence,
convoitise et malignité.
Oserais-tu
t'attarder dans le péché n'étant pas assuré
du lendemain? 2. Le regard est fixé sur toi du Juge
que tu ne,
peux ni tromper, ni fléchir, ni fuir. Nul ne peut égarer
sa sagesse infaillible, ni leurrer sa justice
incorruptible,
ni décliner sa vindicte inflexible, qui ne laisse aucun bien sans
récompense, aucun mal sans
châtiment.
Ton oeil ne sera-t-il pas perspicace à reconnaître le péché,
si tu sens peser sur toi ce regard
aigu? 3. Le
Sang de la Croix te parle un langage plus digne de toi : la mort imminente,
le rigoureux
jugement stimulent
ton intérêt personnel. Jésus crucifié s'adresse
à ton amour : Vois ce sang versé : pour
réveiller
ton coeur de sa torpeur, pour le nettoyer de ses souillures, pour amollir
sa dureté. Vois-le répandu
sur ton âme
: pour la purifier de ses taches, pour la ressusciter de la mort, pour
la féconder dans son
aridité.
Qui serait assez stupide, se sentant baigné d'un Sang si précieux,
pour laisser en soi régner
coupablement
la négligence, la convoitise et la malignité?
3. - COMMENT SE RECTIFIE L'AIGUILLON DE LA CONSCIENCE.
VIII. - Ta
conscience une fois réveillée par la recordation du péché,
aiguisée par la circonspection, il te
faut la rectifier
par la considération de son bien. Or ce bien, dont l'acquisition
redressera ta conscience
faussée
par le péché, consiste en trois vertus opposées aux
trois vices reconnus par l'examen. A la
négligence
s'oppose la générosité, à la convoitise s'oppose
l'austérité, à la malignité s'oppose la bénignité.
Ces trois
vertus acquises, ta conscience sera droite, forte et pure. A quoi nous
pouvons appliquer la parole
du Prophète
Michée (6, 8) : " Je t'indiquerai, homme, quel est le bien et ce
que de toi requiert le Seigneur
: savoir :accomplir
la justice, aimer la miséricorde et marcher soigneusement devant
ton Dieu" . Et aussi le
conseil du
Seigneur en saint Luc,(12, 35) "Que vos reins soient ceints, vos lampes
allumées, et
vous-mêmes
semblables à des serviteurs [vigilants]". IX. - Il faut commencer
par la générosité qui fraie la
voie aux deux
autres. On peut la définir : une VIGUEUR de l'esprit qui secouant
toute négligence se
dispose à
servir Dieu avec vigilance, confiance, aisance. - 2. L'austérité
la suit qu'on peut définir : une
RIGUEUR de
l'âme; elle réprime toute convoitise et rend capable d'aimer
ce qui est rude, pauvre, vil. - 3.
La bénignité
enfin est la troisième : elle est cette DOUCEUR de sentiment, cette
suavité de coeur qui
bannit toute
méchanceté; elle incline à la bienveillance, à
la tolérance, à l'allégresse intérieure.
RECAPITULATION DE LA VOIE PURGATIVE
Ici s'achève
la purification de l'âme par le moyen de la méditation, car
toute conscience pure est heureuse
et joyeuse.
Qui donc veut se purifier, qu'il exerce de la manière indiquée
l'aiguillon de sa conscience. Note
néanmoins
que la méditation peut commencer par l'un ou l'autre des sujets
proposés et passer de l'un à
l'autre, ou
demeurer fixée sur l'un ou sur l'autre, à son gré,
jusqu'à ce qu'elle ait trouvé ce qu'elle cherche.
Car le but
de la méditation est d'atteindre et de goûter la PAIX, soit
cette tranquillité, cette sérénité d'où
sourd la JOIE
spirituelle. Cette paix obtenue, l'esprit est prêt et prompt à
tendre plus haut. Cette voie
donc, où
l'on entre poussé par le remords de la conscience, conduit au sentiment
de spirituelle allégresse :
on la parcourt
dans la douleur, et dans l'amour on s'y consomme.
Section deuxième
ILLUMINATION DE L'AME
2. - DE LA VOIE ILLUMINATIVE ET DE SON TRIPLE EXERCICE
X. - Après
avoir traité de la voie purgative, il vient à traiter en
second lieu de la voie illuminative.
L'homme y
prend pour guide, non plus l'aiguillon de sa conscience, mais la lumière
de sa raison. Le rayon
de cette lumière
doit être : d'abord projeté sur les dettes remises, ensuite
étendu jusqu'aux faveurs
commises,
enfin tourné vers les récompenses promises.
PREMIER EXERCICE
CONSIDERATION DE NOTRE INDIGENCE
XI. Nous projetons
la lumière de notre intelligence sur les dettes qui nous ont été
remises lorsque nous
pesons soigneusement
les péchés que Dieu nous a pardonné, si nombreux,
si graves, pour lesquels nous
méritions
d'être soumis à tant de peine, et privés de tant et
si grands biens.
1. Cet énoncé
suffit à nourrir notre méditation; ajoutons-y pourtant la
considération des maux où nous
fussions tombés,
si Dieu l'avait permis. Nos ténèbres seront illuminées
par l'éclat de cette lumière, durant
notre diligente
méditation. Or cette lumière ne serait pas la lumière
céleste dont la clarté s'accompagne
toujours de
chaleur, si à l'illumination ne correspondait point un élan
de gratitude. Ici donc, rendons grâce
pour le pardon
qui nous a été accordé de nos péchés
commis et pour la miséricorde qui nous a gardés de
ceux où
nous auraient entraînés l'indigence, la faiblesse et la malice
de notre volonté.
DEUXIEME EXERCICE
CONSIDERATION DE NOTRE GRANDEUR
2. Nous étendrons
en second lieu ce rayon de lumière jusqu'aux faveurs qui nous ont
été commises,
savoir les
dons que nous avons à mettre en oeuvre et dont nous aurons à
rendre et le compte et les fruits.
Ces bienfaits
se groupent aussi sous trois chefs, appartenant : 1. les uns à l'intégrité
de la nature, 2. les
autres à
l'assistance de la grâce, 3. d'autres enfin au don de la surabondance.
1. A l'intégrité de la nature
revient que
Dieu vous a dotés, selon le corps, de membres complets, d'un tempérament
sain, d'une noble
fécondité;
selon les sens, d'yeux pour voir, d'oreilles pour entendre, et d'un langage
articulé; selon l'âme,
d'une raison
ouverte, d'un jugement droit, d'un coeur bon. XII. - 2. A l'assistance
de la grâce revient
d'abord que
Dieu vous a prévenus par la grâce du baptême, qui effaça
le péché originel, restitua
l'innocence,
conféra la justice par laquelle vous fûtes rendus dignes de
la vie éternelle; qu'ensuite il vous a
relevés
par la grâce de la pénitence, au temps opportun, selon le
désir qu'il excita dans votre âme et la
magnanimité
de son institution; qu'enfin il vous a honorés de la grâce
du sacerdoce qui vous a établis
dispensateurs
de la doctrine, et du pardon,. et de l'Eucharistie, c'est-à-dire
de là parole de vie plus ou
moins communiquée
dans tout acte sacerdotal.
XIII. - 3.
Au don de la surabondance ou de la plénitude revient que Dieu vous
a comblés : d'abord par la
jouissance
de l'Univers, où les créatures inférieures vous servent,
les égales vous aident, les supérieures
vous protègent;
ensuite par l'Envoi de son Fils qu'il vous livre : en frère et ami,
en rançon, et chaque jour
en nourriture
: en frère par son Incarnation, en rançon par sa Passion,
en aliment par la Consécration;
enfin par
la Mission de l'Esprit Saint : en signe de votre Acceptation, en arrhes
de votre Adoption, en gage
de vos Épousailles,
car il a fait de l'âme chrétienne sa soeur, sa fille et son
épouse. Dons merveilleux et
inestimables,
dont la méditation doit remplir votre âme de gratitude envers
Dieu.
TROISIEME EXERCICE
CONSIDERATION DE NOTRE FIN
XIV. - 3. A
l'égard de la voie illuminative, reste en dernier lieu à
considérer comment dans sa méditation
la lumière
de la raison se retourne vers la Source de tout bien pour s'entretenir
des récompenses promises.
Car avec sollicitude
et assiduité elle doit penser que Dieu qui ne ment point a promis,
à ceux qui croient en
Lui et qui
l'aiment : 1. l'éloignement de tous leurs maux, 2. la société
de tous les saints, 3.
l'assouvissement
de tous leurs désirs; - en Lui, qui est la source et la plénitude
de tous les biens; - qui
Lui-même
est un tel Bien qu'Il excède toute prière, tout désir,
toute estime; qui nous répute dignes de ce
grand Bien,
si nous l'aimons et tendons vers Lui par-dessus tout et pour Lui seul.
Et c'est pourquoi de tout
notre élan,
de toute notre affection, de toute notre bonne volonté, nous devons
ainsi tendre vers LUI.
Section troisième
CONSOMMATION DE L'AME
§ 3 De LA VOIE PERFECTIVE ET DE SON TRIPLE EXERCICE
XV. - Vient
en dernier lieu la manière de nous exercer à l'égard
de l'étincelle de la Sagesse. Et voici l'ordre
à suivre
: D'abord cette étincelle doit être recueillie, puis embrasée,
enfin emportée. Ce qui s'explique ainsi
: 1. Vous
la recueillerez en soustrayant votre affection à tout amour créé;
car votre coeur doit se refuser à
toute créature,
dont l'amour ou ne profite pas, ou s'il profite ne refait pas, ou s'il
refait ne satisfait pas ni
ne suffit.
Et c'est pourquoi tout amour de cet ordre doit être absolument banni
de votre coeur. XVI. 2.
Ensuite il
faut embraser cette étincelle par la concentration de tout sentiment
d'amour sur l'amour de
l'époux.
Ce qui s'opère en comparant ce même amour soit à lui-même,
soit à la charité des bienheureux,
soit à
son propre Objet, l'Epoux divin. Or, tandis que l'on considère que
par l'amour il peut être suppléé
en nous à
toute indigence; que par l'amour est accordé aux bienheureux de
tout bien l'abondance; que par
l'amour est
possédée du souverainement désirable la Présence...
alors s'embrase le coeur... XVII. - 3. A
ce moment,
il faut enfin s'évader et emporter cette étincelle au-dessus
de toute réalité sensible, imaginable,
intelligible,
dans cet ordre : De Celui que vous souhaitez d'aimer parfaitement et sans
intermédiaire, dites
vous, dans
votre méditation : d'abord qu'il ne tombe pas sous les sens, et
qu'il ne peut être vu, ni ouï, ni
odoré,
ni goûté, ni touché, mais il est tout désirable...
Ensuite qu'il n'est pas objet d'imagination; car on ne
lui peut prêter
ni terme, ni figure, ni ombre, ni mesure, ni limite; qu'il ne peut donc
pas être représenté,
mais il est
tout désirable... Enfin qu'il n'entre pas dans l'ordre rationnel,
et qu'on ne peut ni le définir, ni le
démontrer,
ni l'apprécier, ni le comprendre, ni le saisir, car son intelligibilité
dépasse toute intelligence...
mais il est
tout désirable...
§ 4 - Conclusion
XVIII - De
ce qui précède clairement découle, comment en s'y
exerçant, selon la triple voie de la
Purification,
de l'illumination, et de la Perfection, on parvient par la méditation
à la Sagesse de l'Ecriture
Sainte. Or,
non seulement les enseignements de l'Ecriture, mais toute notre culture
spirituelle est tributaire
de cette méthode.
Car toute méditation sapientielle porte : 1. ou sur les oeuvres
de l'homme, savoir : ce
qu'il fait,
ce qu'il doit faire, et pourquoi; 2. ou sur les oeuvres de Dieu, savoir
: ce qu'à l'homme il
commet, remet,
et promet; en quoi s'incluent l'oeuvre de la Création, celle de
la Réparation, celle de la
Glorification;
3. ou sur les principes des unes et des autres, savoir : Dieu, et l'âme,
et comment ils doivent
s'unir. Ici
doit s'arrêter la Méditation, parce que1a connaissance [discursive]
et toute opération de l'esprit
atteint ici
sa fin, savoir la vraie sagesse, dans laquelle est une connaissance par
expérience véridique.
COROLLAIRE
XIX. - Or dans
la MEDITATION ainsi entendue, l'âme tout entière doit s'engager,
avec toutes ses
puissances
: la raison, la syndérèse, la conscience, la volonté.
La raison, interroge, pose une question; la
syndérèse,
appréciant, propose la solution; la conscience, témoignant,
infère la sentence; la volonté,
décidant,
profère la condamnation. Prenons un cas de la voie purgative. La
raison demande: Que faire
d'un homme
qui a violé le temple de Dieu? La syndérèse répond
: Qu'il meure, ou qu'il fasse pénitence.
La conscience
déduit : Tu es cet homme ! Il te faut donc encourir la damnation,
ou accepter la pénitence.
La volonté
enfin choisit, et parce qu'elle se refuse à être à
jamais damnée, elle accepte volontairement les
rigueurs.
de la pénitence. Interprétez de la même façon
la pratique des autres voies.
LA TRIPLE VOIE (3)
LA PRIERE
CHAPITRE II
DE LA PRIÈRE
QUI DEPLORE LA MISÈRE, IMPLORE LA MISERICORDE ET
SE VOUE A
L'ADORATION
1. Après
que nous avons dit comment on parvient à la vraie Sagesse en lisant
et méditant, il vient à dire
comment on
y parvient en priant. Sachons d'abord que la prière comporte trois
parties qui sont des pas ou
degrés
: le premier est l'aveu de la misère; le deuxième, l'imploration
de la pitié; le troisième, l'offrande de
l'adoration.
Nous ne pouvons offrir à Dieu le culte de notre ado-ration, que
nous n'en ayons de lui obtenu
la grâce;
nous ne pouvons incliner la miséricorde de Dieu à nous donner
cette grâce, qu'en exposant notre
indigence
et déplorant notre misère. Toute prière parfaite doit
ainsi inclure ces trois parties; l'une sans les
autres ne
saurait suffire ni atteindre le but : les trois y sont conjointement requises.
Premier pas.
§ 1 - DU TRIPLE AVEU DE SA MISERE.
II. - De quelque
misère qu'il s'agisse, la confession en doit porter sur la commission
de la faute, l'amission
de la grâce,
la rémission de la gloire; d'où naîtront la douleur,
la honte et la crainte la douleur, à cause du
dommage; la
honte, à cause de l'opprobre; la crainte, à cause du danger.
1. La douleur naît de la
MEMOIRE du
passé, quand l'âme se recorde ce qu'elle a omis : la justice
prescrite; ce qu'elle a commis :
les actes
défendus; ce qu'elle a perdu : la vie de la grâce. 2. La honte
naît de la PENSEE du présent,
quand l'âme
regarde où elle est : aussi loin en bas qu'elle fut proche du sommet;
quelle elle est : souillée de
fange elle
qui fut parfaite image; ce qu'elle est : esclave elle qui fut libre. 3.
La crainte naît de la
PREVISION
de l'avenir, quand l'âme présume : où elle tend, car
ses pas se hâtent vers l'enfer; ce qu'elle
attend : le
jugement inévitable, juste cependant; ce qui l'attend : la solde
d'une mort éternelle.
Deuxième pas.
§ 2. - D'UNE TRIPLE IMPLORATION DE LA PITIE.
III. - De quelque
grâce qu'il s'agisse, la postulation doit être présentée
: 1. avec l'insistance du désir que
nous tenons
de l'Esprit Saint il prie en nous par des gémisse-ments inénarrables
: 2. avec l'assurance de
l'espoir que
nous tenons du Christ, mort pour nous tous; 3. avec le soin diligent d'implorer
l'assistance de
tous les justes
et de tous les saints. 1. Le DESIR est formé en nous par l'Esprit
Saint, car de lui nous
sommes éternellement
prédestinés par le Père en son Fils, spirituellement
régénérés dans le bap-tême,
unanimement
agrégés à l'Eglise. 2. L'Espoir est affermi en nous
par le Christ qui pour nous ici-bas s'est
livré
à la mort sur la Croix, au ciel se présente devant Dieu dans
la gloire, au Sacrement est offert par la
Sainte Mère
Église. 3. L'ASSISTANCE de l'assemblée des saints nous est
assurée par les anges gardiens
qui veillent
sur nous, par les saints du ciel qui prient pour nous, par les justes de
la terre qui méritent avec
nous. Quand
à la prière ces trois appoints concourent, alors efficacement
est implorée la miséricorde.
Troisième Pas
§ 3. - Du TRIPLE HOMMAGE D'ADORATION
IV. - A quelque
titre qu'on doive honorer Dieu, l'hommage de l'adoration s'exprime par
trois actes : Dans
son désir
de trouver grâce, notre coeur doit : 1. s'incliner en révérence
et adoration de Dieu; 2. se dila-ter
en gratitude
et bienveillance; 3. s'exalter en la com-plaisance, pour entrer dans le
colloque de l'Époux avec
l'Épouse,
selon que l'enseigne l'Esprit Saint au Cantique que si ce colloque est
droitement ordonné, il
s'épanouit
dans une merveilleuse exultation et jubilation, au point que l'âme
est jetée hors d'elle-même et
s'écrie
: " Il nous est bon d'être ici" (Math., 17, 4). La prière
alors doit trouver là son terme; mais elle ne
doit pas se
désister plus tôt, c'est-à-dire avant qu'elle n'ait
pénétré dans le secret du Tabernacle admirable,
jusqu'à
la Maison de Dieu, où résonne la voix joyeuse du Convive
(Ps., 41, 5). V. - 1. Pour t'incliner à
révérence,
admire l'immensité divine et vois ta propre petitesse; 2. pour te
dilater à bienveillance, rends-toi
attentif à
la bénignité divine et vois ta propre indignité; 3.
pour t'exalter à complaisance, pense et repense à
la charité
divine et vois ta propre tiédeur; tant que par cette comparaison
tu parviennes à sortir de toi.
MOTIFS ET ACTES DE LA RÉVENCENCE
VI. 1. LA révérence
que nous témoignons à Dieu, nous la lui devons à trois
titres : a. comme au Père par
qui nous somme,
formés, reformés, éduqués; b. comme au Seigneur
par qui nous sommes : arrachés à la
gueule de
l'ennemi, rachetés de la prison d'enfer, embauchés pour la
vigne du Maître. 2. comme au Juge
devant lequel
nous sommes accusés, convaincus, confessés : le cri de notre
conscience nous accuse,
l'évidence
de notre vie nous convainc, le regard de la divine Sagesse nous contraint
aux aveux; aussi la
sentence est-elle
de droit contre nous proférée; et notre révérence
envers Dieu doit-elle être d'abord très
profonde,
ensuite plus profonde, enfin sans fond; d'abord comme une inclination,
ensuite comme une
génuflexion,
enfin comme une prostration. Ainsi, par la première, nous nous soumettons
à Lui, par la
deuxième,
nous nous démettons de nous-mêmes, par la troisième,
nous nous remettons nous-mêmes à
Lui, Par la
première, nous nous réputons déjà très
petits; par la deuxième, encore amoindris; par la
troisième
enfin, anéantis.
MOTIFS ET ACTES DE LA BIENVEILLANCE.
VII. - 2. LA
BIENVEILLANCE que nous exerçons envers Dieu, nous devons semblablement
la
manifester
par un triple mouvement car elle doit être d'abord très grande,
encore plus grande, enfin sans
mesure : très
grande, considérée notre indignité; plus grande encore,
considérée l'ampleur de sa grâce;
sans mesure
enfin, considérée l'immensité de sa miséricorde;
ou bien : très grande déjà à cause des dons
à
nous commis;
plus grande encore, à cause des maux à nous remis; sans mesure
enfin, à cause des biens à
nous promis;
ou encore très grande, à raison de l'intégrité
de la nature : plus grande encore, à raison du
surcroît
de la grâce; immense enfin, à raison du don de la surabondance.
Au premier temps, le coeur se
dilate et
s'étend; au deuxième, il s'ouvre et se distend; au troi-sième,
il se répand, selon la parole de
Jérémie
(Lament., 2,19) : " Répands comme de l'eau ton coeur. "
MOTIFS ET ACTES DE LA COMPLAISANCE.
VIII. 3. LA
COMPLAISANCE que nous plaçons en Dieu, nous nous y élevons
par un triple élan nos
sentiments
doivent s'accorder aux sentiments de Dieu de telle sorte : d'abord qu'à
chacun plaise que Dieu
seul se complaise
en lui; ensuite qu'à chacun plaise qu'il ne se plaise qu'en Dieu
seul; enfin, qu'à chacun
plaise que
les autres commu-niquent à cette complaisance. Le premier est déjà
grand, le deuxième plus
grand encore,
le troisième enfin très grand. Au premier temps, l'amour
est gratuit; on aime en Dieu qu'il
est DIEU.
Au deuxième temps, l'amour est dû: on aime Dieu parce qu'il
est DIEU. Au troisième, l'amour
est à
la fois gratuit et dû (l'amour se multiplie par l'amour et s'exalte)
: le premier Amour crucifie le monde
à l'homme;
le deuxième crucifie l'homme au monde; le troisième crucifie
l'homme pour le monde, en sorte
qu'il souhaite
de mourir pour tous, afin que tous plaisent à Dieu et se complaisent
en Dieu. (Galat, 6, 14).
CONCLUSION.
ICI EST LE
DEGRE TERMINAL de la parfaite charité; nul ne doit, avant de l'avoir
touché, s'estimer
parfait. Or
est atteinte cette perfection quand Dieu trouve le coeur non seulement
décidé, mais avide de
mourir pour
le salut de ses frères ; selon ce que Paul disait : " Pour moi,
plus que volontiers, je dépenserai
[tout] et
me surdépenserai (moi-même] pour vos âmes " (2 Cor.,
12,15). A cette parfaite dilection du
prochain,
nous ne parviendrons néanmoins qu'après avoir atteint la
parfaite charité envers Dieu, pour
l'amour de
qui nous aimons le prochain; car le prochain n'est aimable qu'en Dieu,
ou à cause de Dieu.
§ 4. - DE SIX ETAPES DE L'AMOUR DE DIEU
IX. - (Or comment
peut-on savoir qu'on aime Dieu parfaitement?) Voici l'exposé de
six étapes que l'âme
parcourt l'une
après l'autre pour arriver à cette per-fection. 1. Le premier
pas est la SUAVITE. L'homme
y apprend
à goûter combien le Seigneur est suave. Ce qu'il obtient en
vaquant à Dieu, en chômant du
temporel par
de saintes méditations; parce que selon le Psalmiste, " ce qui lui
reste de connaissance fait à
Dieu fête
"; et vous le saurez quand vos méditations sur l'amour de Dieu engendreront
cette suavité en
votre coeur.
(Ps., 33, 9; Ps. 75, 10). 2. Le deuxième pas est l'AVIDITE. Quand
l'âme en effet a
commencé
à s'accoutumer à cette douceur, il en naît en elle
une si grande faim que rien ne peut l'assouvir,
sinon la possession
parfaite de Celui qu'elle aime. Or comme l'atteindre est impossible dans
le temps
présent
parce qu'il est loin, continuellement elle s'élance et sort [de
soi] par un amour [extatique]
s'exclamant
et répétant avec Job (7, 17) : " Mon âme préfère
une mort violente, mes os appellent le trépas
" , parce
que " de même que le cerf soupire après les sources d'eau,
ainsi mon âme sou-pire après toi, ô
Dieu " (Ps.,
41, 17).
X. - 3. Le
troisième pas est la SATIETE qui naît de l'avi-dité
même. Désirant Dieu avec une véhémence
excessive
et emportée vers les choses d'en haut, tout ce qui la retient en
bas se tourne pour l'âme à
dégoût.
Comme saturée, elle ne sent point d'attrait pour ce qui n'est pas
son Bien-Aimé. De même qu'un
estomac rempli
prend la nourriture dont on le surcharge à nausée plutôt
qu'à profit, ainsi fait l'âme en
cette étape
à l'égard de tout le terrestre. 4. Le quatrième est
l'EBRIETE; elle naît du rassa-siement : on y
aime Dieu
de tant d'amour, que non seulement on se lasse des consolations, mais qu'on
cherche pour
consolations
les épreuves et qu'on s'y délecte; et pour l'amour de celui
qu'on aime, on se réjouit dans les
peines, les
opprobres et les souffrances, ainsi que l'Apôtre. De même qu'un
homme ivre se dévêt sans
pudeur et
reçoit les coups sans les sentir, ainsi en est-il à cette
étape (Prov., 23, 24). XI. - Le cinquième
est la SECURITE
qui naît de l'ivresse. De ce que l'âme se sent tellement aimer
Dieu que pour lui
volontiers
elle supporterait tout dommage et toute honte, elle bannit toute crainte
et conçoit tant d'espoir
du secours
divin, qu'elle estime que rien ne pourra plus la séparer de Dieu.
A cette étape en était l'Apôtre
quand il disait
" Qui nous séparera de la charité du Christ?... Car j'ai
l'assurance que ni la mort ni la vie ni
aucune créature
ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ
Notre-Seigneur " (Joan., 4,
18; Rom.,
8, 35). 6. Le sixième est une TRANQUILLITE vraie et pleine qui communique
une telle paix
et quiétude,
que l'âme se trouve en quelque sorte en silence et en sommeil, et
comme logée dans une
arche de Noé
où rien ne peut la troubler. Qui peut en effet troubler une âme
que ne point plus la piqûre de
la cupidité,
que n'excite plus l'aiguillon de la crainte? Dans une telle âme est
la PAIX. Ici est le stade
dernier et
le repos. Ici le vrai Salomon s'accoise parce qu'il a fixé son séjour
dans la PAIX (Ps., 75, 3).
C'est pourquoi
avec beaucoup de convenance ces six étapes sont désignées
par les six marches par
lesquelles
on accédait au trône de Salomon. D'où il est dit aux
Cantiques : " Le milieu est une broderie,
oeuvre d'amour
" , parce qu'il est impossible de parvenir à cette tranquillité
sinon par la chanté. Mais
celle-ci acquise,
il est très facile à l'homme d'accomplir tout ce qui est
de la perfection, soit agir, soit pâtir,
soit vivre,
soit mou-rir (Cant.,3 10; III Reg., 10, 18). Que tous nos soins donc soient
de profiter dans la
charité,
puisque sa croissance implique la perfection de tous les biens, que daigne
nous accorder CELUI
qui vit et
règne au siècle des siècles. Amen.
§ 5. - RECAPITULATION DES DEUX PREMIERES PARTIES
XII. - POUR
AVOIR sous la main les définitions précé-dentes, notez
: Celui qui veut avancer dans cette
voie de perfection
doit : 1. par la MÉDITATION se servir de l'aiguillon de sa conscience,
le réveiller,
l'aiguiser,
le redresser; de la lumière de sa raison, l'étendant, la
dila-tant, la retournant sur soi; de l'étincelle
du vrai savoir,
l'accueillant, l'embrasant, la surélevant. 2. Par la PRIERE : d'abord
déplorer sa misère avec
douleur, à
cause du dommage; avec honte, à cause de l'opprobre; avec crainte,
à cause du risque; ensuite
implorer la
miséricorde : avec un désir véhément par l'Esprit
Saint, avec une ferme espérance par Jésus
Crucifié,
avec l'assistance et le suffrage des saints; enfin adorer Dieu, lui rendant
respect, bienveillance et
complaisance.
De la part de Dieu nous préviennent ses admirables perfections,
et c'est la majeure; de
notre part
suit leur considération; et c'est la mineure; ainsi se présente
l'adoration comme conclusion.
CONCLUSION
Qui s'exercera
ainsi avec ferveur et constance, il avancera dans la charité par
les six étapes énumérées; il
parviendra
à la perfection de la tranquillité où se trouve une
multiple paix, et comme la fin du repos légué
par le Seigneur
aux Apôtres (Joan., 14, 27). D'où il faut noter que saint
Paul, en chaque salutation,
souhaite la
grâce et la paix, la grâce comme achèvement de la paix.
En écrivant à Timothée; il interpose
entre la paix
et la grâce la miséricorde, qui est de l'une et l'autre le
principe.
TROISIEME PARTIE
LA CONTEMPLATION
CHAPITRE III
DE LA CONTEMPLATION QUI CONDUIT AU VRAI SAVOIR § 1. - PREAMBULE
I. - APRES
avoir expliqué de quelle manière nous devions nous exercer
à la sagesse par la méditation et la
prière,
nous insinuerons maintenant avec brièveté comment nous parviendrons
au vrai savoir par voie de
contemplation.
Par la contemplation en effet notre esprit passe jusqu'à la Jérusalem
céleste, modèle sur
qui est formée
l'église, selon l'Exode (35, 40): " Contemple et reproduit le modèle
qui t'a été montré sur la
montagne ".
Il est en effet nécessaire que l'Église militante se conforme
à l'église triomphante, les mérites
aux récompenses,
les voyageurs aux Bienheureux, autant du moins qu'il est possible. Or,
dans la gloire
triple est
la dot qui forme la perfection de la récompense, savoir : 1. l'obtention
de la suprême paix
éternelle;
2 .la vision manifeste de la suprême vérité; 3. la
plénière fruition de la suprême bonté ou charité.
C'est par
là aussi que se distinguent les trois ordres de la suprême
hiérarchie céleste, les Trônes, les
Chérubins,
les Séraphins. A celui donc qui veut mériter de parvenir
à cette béatitude, il est nécessaire
d'acquérir,
autant qu'il se peut ici-bas, ces trois états de gloire : 1. le
repos de la Paix; 2. la splendeur de la
Vérité;
3. la douceur de la Charité. Efforçons-nous donc de parvenir
à ces trois états, par trois degrés,
selon la triple
voie : purgative, où l'âme expulse le péché;
illurninative, où l'âme imite le Christ; unitive, où
l'âme
accueille l'Époux. Or chacune à ses degrés : il faut
accéder par le plus bas, si l'on veut s'y élever
jusqu'au suprême.
I. - LE REPOS DE LA PAIX
§ 2. - DE VII DEGRES PAR LESQUELS ON S'ELEVE AU REPOS DE LA PAIX
Il. - Les degrés
qui conduisent au Repos de la paix sont les sept ci-après énumérés
: La PUDEUR se
rencontre
d'abord, dans la recordation du péché et selon les quatre
aspects de celui-ci, savoir : sa
magnitude,
sa multitude, sa turpitude, son ingratitude. La FRAYEUR en deuxième
lieu, dans l'attente
anxieuse du
jugement, et selon quatre aspects, savoir : le dérèglement
de l'activité, l'aveuglement de la
raison, l'endurcissement
de la volonté, la condamnation finale, La DOULEUR en troisième
lieu, dans
l'appréciation
du dommage, et selon quatre aspects, savoir : la perte de l'amitié
divine, la privation de
l'innocence,
la lésion de la nature, la dissipation de la vie passée.
La CLAMEUR en quatrième lieu, dans
l'imploration
d'une quadruple assistance : de Dieu-Père, du Christ-Sauveur, de
la Vierge-Mère, de l'Église
triomphante.
La RIGUEUR en cinquième lieu, dans l'extinction du foyer de la concupiscence
et sous ses
quatre aspects,
savoir : d'aridité, qui est indévotion; de perversité,
qui est malice; de volupté, qui est
convoitise;
de vanité, qui est orgueil. L'ARDEUR en sixième lieu, dans
le désir du martyre, et pour quatre
motifs, savoir
: la perfection de la rémission de l'offense, la perfection de la
purification de la souillure, la
perfection
de la satisfaction à la peine, la perfection de la sanctific ion
en grâce. Enfin, septième étape,
l'ASSOUPISSEMENT
à l'ombre du Christ. Là est l'arrêt et le repos. Là
l'homme se sent couvert par
l'ombre des
ailes divines, en sorte qu'il ne brûle plus ni de l'ardeur du désir,
ni de la crainte du châtiment.
Or on ne peut
accéder usque-là que par la soif du martyre, ni à
cette soif que par l'extinction de la
convoitise,
ni à. celle-ci que par le suffrage imploré, ni à ce
suffrage que par le dommage déploré, ni à ce
regret que
par la crainte du jugement, ni à cette crainte sans s tre souvenu
et humilié de ses fautes. Que
celui donc
qui veut jouir du repos de la PAIX avance selon l'ordre qui lui est assigné.
II. - LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ
§ 3. --
DE VII DEGRÉS PAR OU L'ON PARVIENT A LA SPLENDEUR DE LA
VÉRITÉ
III. - SEPT
sont aussi les degrés par lesquels, dans la voie de l'Imitation
du Christ, on atteint la splendeur
de la vérité,
et ce sont : l'assentiment de la raison, le sentiment de la compassion,
le regard de l'admiration,
l'ardeur de
la dévotion, le vêtissement de la ressemblance, l'embrassement
de la Croix, l'éblouissement de
la Vérité,
dans lesquels tu avanceras selon cet ordre : IV. - CONSIDERE - QUI est
celui qui souffre, et
soumets-toi
à Lui par l'assentiment de ta raison : Crois fermement que le Christ
est vraiment : le Fils de
Dieu, le Principe
de toutes choses, le Sauveur des hommes, le Rétributeur des mérites
de tous. - QUEL
est celui
qui souffre, et unis-toi à Lui par un sentiment de compassion :
compatissant au très innocent, au
très
doux, au très noble, au très aimant. - Combien GRAND celui
qui souffre; sors de toi vers Lui, par le
regard de
l'admiration : attentif à le voir immense : en puissance, en beauté,
en félicité, en éternité. Admire
donc : cette
puissance annihilée, cette beauté décolorée,
cette félicité tor rée, cette éternité
expirée. - Pour
quelle CAUSE
souffre celui qui souffre; oublie-toi pour Lui par un excès de dévotion,
car il souffre : pour
ta rédemption,
pour ton illumination, pour ta sanctification, pour ta glorification. -
En quelle FORME il
souffre, et
revêts-toi du Christ par l'effort de l'imitation, Il a souffert très
volontier par rapport au
prochain,
très sévèrement par rapport à toi, très
obéissamment par rapport à Dieu, très prudemment par
rapport à
l'adversaire Efforce-toi donc de te revêtir de bénignité
envers le prochain, de sévérité envers
toi-même,
d'humilité envers Dieu, de défiance envers le démon,
selon l'image qu'en toi tu dois porter du
Christ, -
De quel POIDS sont les souffrances de celui qui souffre; et embrasse la
Croix dans le désir de la
Compassion,
en sorte que, comme a souffert la toute-puissance, impuissante dans ses
liens; la bonté,
avilie dans
les outrages; la sagesse, ridicule sous s moqueries; la justice, convaincue
d'iniquité par le
supplice,
toi-même tu te voues à la passion de la Croix, passion pleine
: d'injustice dans les choses,
d'outrages
dans les paroles, d'indignité dans les gestes, de supplices dans
les tourments, - Les
CONSÉQUENCES
enfin de ce qu'il souffre; et capte la splendeur de la vérité
par l'oeil de ta
contemplation.
Car parce que l'AGNEAU a souffert : voici que les VII Sceaux du Livre sont
rompus
(Apocalypse,
5, 5). Or ce Livre est la connaissance univer lle des choses, dans laquelle
sept notions
restaient
voilées à l'homme, qui par l'efficacité de la Passion
du Christ lui ont été révélées, savoir
: Dieu
admirable,
l'Esprit intelligible, le Monde sensible, le Paradis désirable,
l'Enfer horrible, la Vert louable, le
Péché
imputable. Par la Croix en effet est manifesté : - Dieu, digne d'admiration
en sa suprême et
inscrutable
sagesse, en sa suprême et incorruptible justice, en sa suprême
et inénarrable miséricorde. Car
sa haute sagesse
a déçu le démon, sa haute justice a requis le prix
de la rançon, sa haute miséricor a livré
pour nous
son Fils. Ces attributs, dignement considérés, nous manifestent
Dieu admirable. - L'ESPRIT
capable d'intelligibilité,
selon sa triple espèce, savoir : en grandeur de bénignité
dans les Anges, en
grandeur de
dignité dans les Hommes, en grandeur de malignité dans les
démons. Car les Anges ont
permis que
leur Seigneur fût crucifié, les hommes sont estimés
à ce prix que pour eux le Fils de Dieu fût
crucifié,
mais à la suggestion des démons. - Le MONDE, esclave des
sens parce qu'il est un LIEU où
règnent
la cécité, puisqu'il n'a pas connu la vraie et suprême
lumière; la stérilité, puisqu'il a méprisé
Jésus-Christ
comme infécond; l'iniquité, puisqu'il a condamné et
mis à mort son Dieu et Se neur
amoureux et
innocent. - Le PARADIS à jamais DESIRABLE puisqu'en lui se voit
: le faite de toute gloire,
le déploiement
de toute allégresse, l'amas de toute opulence; car Dieu, pour nous
restituer cette habitation,
s'est fait
homme vil, miséreux et pauvre; et là : la hauteur cepta l'abjection,
la justice subit la
condamnation,
l'opulence assuma l'indigence : le très haut Empereur en effet accepta
l'abjecte servitude,
pour que nous
fussions sublimés en gloire; le très juste Juge subit la
condamnation la plus sévère, pour
que ous fussions
justifiés de toute coulpe; le très opulent Seigneur assuma
l'extrême pauvreté, pour que
nous fussions
enrichis de son abondance. - L'ENFER toujours HORRIBLE étant un
lieu rempli
d'indigence,
de bassesse, d'ignominie, de calamité et de toute misère.
S'il fut nécessaire que le Christ
souffrit pour
relever l'homme du péché et y satisfaire, combien plus fortement
sera-t-il nécessaire ue les
damnés
subissent tous ces maux pour la juste rétribution de leur dette
et sa compensation! - La VERTU
véritablement
LOUABLE, savoir selon son prix, selon son éclat, selon son fruit
: selon son prix, car le
Christ donna
sa vie plutôt que de contredire à la vertu; selon son éclat,
car il resplendissait au milieu
même
des outrages; selon son fru , parce qu'un seul exercice parfait de la vertu
spolia l'enfer, rouvrit le
ciel, restaura
la terre. - Le PECHE individuellement IMPUTABLE et combien détestable,
puisque à sa
rançon
est exigé : un prix si lourd, une expiation si grande, un remède
si amer; tant et tant qu'il a fallu qu'à
y satisfaire
se vouât Dieu uni en unité de personne à l'homme le
p s noble, par le plus abject abaissement,
à cause
de l'arrogance, car nulle n'est plus superbe; par la plus dépouillée
pauvreté, à cause de la cupidité,
car nulle
n'est plus avide; par la plus âpre acerbité, à cause
de la lasciveté, car nulle n'est plus ssolue. V. -
Voilà
donc comment toutes choses en la Croix se manifestent; toutes choses en
effet à ces SEPT se
réduisent.
D'où la Croix est la clé, la porte, la voie et la splendeur
de la Vérité. "Celui qui la prend et la suit
de la manière
assignée ici ne marche pas dans les ténèbres, mais
il aura la LUMIERE de vie " (Joan, 8,
12; Mat.,
16, 24).
§ 4. - LA DOUCEUR DE LA CHARITÉ.
VI. - DE SEPT
PAS OU DEGRES PAR LESQUELS ON PARVIENT A LA
DOUCEUR DE
CHARITE
Les DEGRES
d'accès à la douceur de charité par la conception
de l'Esprit Saint sont les suivants : la
vigilance
soucieuse, la confiance confortante, le désir enflammé, l'ardeur
soulevante, la complaisance
accoisante,
la liesse délectable, l'adhésion unissante; et dans cet ordre
tu dois les parcourir, toi qui veux
atteindre
par la charité à la perfection et à l'a ur de l'Esprit
Saint. Il est nécessaire en effet : - Que la
vigilance
te soucie, à cause de la CELERITE de la venue de l'Époux,
de sorte que tu puisses faire tiennes
ces paroles
du Psalmiste : " Dieu, mon Dieu, dès le matin je veille et t'attends...",
et ces autres du
Cantique :
" Je dors et mon coeur ille...", et celles-ci du Prophète : " Mon
âme t'a désiré dans la nuit, et
mon esprit,
dans mes entrailles, des le matin a veillé pour toi s (Ps., 62,
2; Cant., 5, 2; Isaïe, 26, 9). - Que
la confiance
te réconforte à cause de la CERTITUDE de la venue de l'Epoux;
en sorte que tu puisses dire
: "En toi,
Seigneur, j'ai espéré, je ne serai jamais confondu", et avec
Job : "Alors qu'il me tuerait,
j'espererais
encore en lui" (Ps 30, 2; ob. 13, 15). - Que le désir t'enflamme,
à cause de la DOUCEUR de
l'Époux,
en sorte que tu répètes avec le Psaume : " Comme le cerf
désire l'eau des fontaines, ainsi mon
âme
soupire vers toi, O Dieu", ou avec le Cantique : "Fort comme la mort est
l'amour ", ou encor : "Je
languis d'amour..,
" (Ps., 41, 2; Cant., 8, 8; 2, 5). - Que l'ardeur te soulève à
cause de la SUBLIMITE de
l'Époux,
et que tu dises : "Qu'ils sont aimés, tes tabernacles, Dieu puissant";
et avec l'Épouse :
"Entraîne-moi,
je courrai... ", ou avec Job : "La mort m'est à désir" (Ps.
83, 2; Cant. 1, 3; Job. 15). - Que
la complaisance
t'apaise, à cause de la BEAUTE de l'Époux, en sorte que ta
puisses dire : "Mon Bien-
Aimé
est à moi et moi à lui, mon Bien-Aimé est blanc et
vermeil ", ainsi que fait l'épouse (Cant. 2, 16;
5,10). - Que
l'allégresse te délecte à cause de 1a PLENITUDE de
l'Époux, en sorte que tu redises : "Selon
la multitude
de mes douleurs en mon coeur, mon âme s'est réjouie dans l'abondance
des consolations", ou
encore : "Combien
grande est la multitude de tes ouceurs, ô Dieu"; et avec l'Apôtre
: "Je surabonde de
joie... "
(Ps. 93, 19; Ps. 30, 20; 2 Cor. 7, 4). - Que l'adhésion te conglutine
à Lui, à cause de la FORCE
DE L'AMOUR
de l'Époux; en sorte que tu puisses dire : "Le bien pour moi est
d'adhérer à Dieu", ou
encore : "Qui
nous séparera de la charité de Dieu?" (Ps. 72, 28; Rom.,
8, 35).
VII. - Entre
ces degrés l'ordre est tel qu'on n'a pas d'arrêt avant le
dernier et qu'on n'atteint celui-ci que
par les degrés
intermédiaires, ainsi mutuellement disposés : au premier
degré s'exerce la réflexion, dans les
suivants domine
l'affection. La gilance en effet considère combien légitime,
utile et délectable est d'aimer
Dieu. Engendrée
de là, la confiance engendre, à son tour, le désir;
et celui-ci l'ardeur, jusqu'à ce que l'âme
atteigne à
l'union, au baiser et à l'étreinte; où daigne nous
co uire Celui qui vit et règne au siècle des
siècles.
Amen.
§ 5. - RECAPITULATION
VIII. - BRIEVEMENT
ces étapes peuvent ainsi se résumer : 1° D'abord, distingue
sept pas pour la
purification
: à cause de tes déportements, rougis; à cause du
jugement, frémis; à cause du châtiment,
gémis;
à cause de ta guérison, implore un subside; à cause
de l'adversaire, étouffe tes passions; à cause de
l couronne,
aspire au martyre; et pour t'abriter, approche-toi du Christ. 2° Ensuite,
distingue sept pas vers
l'illumination
: considère qui est celui qui souffre : que la foi te captive; quel
est celui qui souffre : que la
compassion
te contriste; quelle grandeur en Celui qui souffre : que l'admiration te
stupéfie; pour quel
cause? et
confiant rends grâce; en quelle forme? et suis-le pour lui ressembler;
de quelles souffrances sans
mesure? Embrase-toi
pour l'embrasser; et ce que tu dois en conclure? Comprends et contemple.
3° Enfin,
distingue
sept pas vers la voie unitive : que la vigilance te rende attentif au rapide
passage de l'Époux; que
la confiance
te rende fort à cause de la certitude de sa venue; que le désir
t'embrase à cause de la douceur
du Bien-Aimé;
que la f veur te soulève jusqu'à sa sublimité; que
la complaisance t'apaise dans sa beauté;
que la liesse
t'enivre sur la plénitude de son amour; que l'attachement te conglutine
par la puissance de cet
amour; afin
que toujours l'âme dévote, en son coeur dise à s Seigneur
: "Je te cherche, je t'attends, je te
désire,
je me tends vers toi, je te saisis, en toi j'exulte, à toi j'adhère
enfin comme à mon BIEN ".
§ 6. - AUTRES DISTINCTIONS DES PROGRES EN NEUF ÉTAPES
IX. - Notez
que les étapes du progrès spirituel pourraient encore autrement
être fixées, selon une trois fois
triple ordonnance,
accordée à leur triple hiérarchie : trois étapes
sont d'abord nécessaires à chacune; savoir
: l'AMERTUME,
la GRATITUDE et la SIMILITUDE; et cela depuis le péché. Car
si l'homme n'avait
pas péché,
il eût suffi de deux pas, la gratitude et la similitude; la reconnaissance,
à cause de la grâce; la
ressemblance,
à cause de la justice. Aujourd'hui est en outre nécessaire
l'amertume de la pénitence
médicinale
: les péchés en effet perpétrés par délectation
ne peuvent s'effacer que par une afflictive
contrition.
1° Dans cette amertume entre comme éléments : l'appréciation
des péchés, à cause de notre
propre malice;
le souvenir des douleurs, à cause des souffrances du Christ; la
postulation des remèdes, à
cause des
misères du prochain. 2° Dans la gratitude entre comme éléments
: l'admiration des bienfaits, à
cause de1a
création du néant; l'annihilation des mérites, à
cause de la réparation du péché; l'action de
grâce,
à cause de l'arrachement de l'enfer; la création faite à
l'image; la rédemption par son propre sang;
l'arrachement
jusqu'à la hauteur des cieux. 3° Dans la similitude entre comme
éléments : un regard de
vérité
élevé au-dessus de soi; un sentiment de charité dilaté
vers le prochain; un effort de virilité ordonné à
l'intérieur.
1. EXPLICATION SUR LA SIMILITUDE
- Ainsi s'opère
l'élévation au-dessus de soi dans un regard de vérité
d'abord par la contemplation des
choses divines,
oeuvre d'intelligence; ensuite par l'examen des univers créés,
oeuvre de science; enfin par
la sujétions
des pensées, oeuvre de foi formée. - Semblablement, l'extension
autour de soi s'accomplira
diligemment
en un sentiment de charité : d'abord par appétit des choses
éternelles, oeuvre de sapience; par
embrassement
des félicités rationnelles, oeuvre d'amitié; enfin
par rejet des voluptés charnelles, oeuvre de
modération.
- Pareillement, l'effort de virilité qui s'exercera sur toi-même
emploiera d'abord l'attaque des
difficultés,
oeuvre de courage, ensuite l'accomplissement d'actions louables, oeuvre
de magnanimité; enfin
l'acceptation
des humiliations, oeuvre d'humilité.
2. CONSIDERATIONS SUR LA TRIPLE VOIE
X. - La PURIFICATION
s'opère dans l'amertume où se trouve : d'abord la contrition,
par rapport à soi:
elle doit
être douloureuse, à cause des maux qui accablent toi, le Christ
et le prochain, oeuvre de tristesse;
ensuite la
compassion, par rapport au Christ : elle doit être craintive, à
cause des jugements cachés et
néanmoins
vrais, bien qu'incertains, quant au temps, au jour et à l'heure,
oeuvre de révérence; enfin la
commisération
par rapport au prochain : elle doit être suppliante, à cause
du patronage de Dieu toujours
préparé,
en vertu des mérites du Christ et de l'intercession des saints :
oeuvre de confiance. -
L'ILLUMINATION
s'opère dans la similitude ou se trouve : d'abord un regard vers
la Vérité première,
élevé
vers les notions incompréhensibles, tourné vers les intelligibles,
anéanti devant les révélées; ensuite
un sentiment
de charité, élevé vers Dieu, tourné vers le
prochain, anéanti pour le monde; enfin une virile
activité,
élevée vers les choses recommandables, tournée vers
les communicables, anéantie pour les
méprisables.
- La PERFECTION enfin s'opère dans la gratitude où se retrouve:
la vigilance, qui se lève
pour chanter
l'utilité des bienfaits; l'allégresse, qui exulte pour jubiler
de la précieuseté des dons; la
complaisance,
qui s'approche pour recevoir le baiser de la libéralité du
Donateur.
§ 7. D'UNE DOUBLE CONTEMPLATION DES CHOSES DIVINES
XI. - Note
que le regard de vérité doit être porté en haut
vers les actions incompréhensibles; et ce sont les
mystères
de la Suprême TRINITE. Vers ELLE nous nous élevons par la
contemplation. Et ce
mouvement
s'opère de deux façons : soit par affirmation (ou position);
soit par négation (ou
retranchement);
la première suit saint Augustin, la seconde Denys.
1. LA VOIE DE POSITION
Par voie de
position, nous comprenons qu'en la Divinité, certains attributs
peuvent être considérés comme
communs, certains
comme propres, certains comme appropriés et tenant le milieu entre
ceux-là et ceux-ci.
Comprends
en conséquence, et si tu le peux, contemple les attributs communs;
et vois d'abord, que Dieu
est essence
première, nature parfaite, vie bienheureuse, qui entre soi ont une
nécessaire connexion.
Ensuite, applique-toi,
et si tu le peux, vois que Dieu est éternité actuelle, simplicité
comblante et
immobilité
motrice, qui semblablement sont corrélatives et connexes. Enfin,
considère que Dieu est
lumière
inaccessible, esprit immuable et paix incompréhensible, qui incluent
non seulement unité
d'essence,
mais en outre Trinité parfaite. 1. La lumière en effet, en
tant que rayonnante, engendre la
splendeur,
la splendeur et la lumière produisent la chaleur, de sorte que la
chaleur procède de l'une et de
l'autre, mais
non par mode de génération. Si donc Dieu est vraiment lumière
inaccessible, où splendeur et
chaleur soient
substance et hypostase, en Dieu véritablement est un Père,
un Fils, un Esprit Saint, qui
constituent
PROPREMENT les divines Personnes. 2. Ensuite un Esprit, en tant que Principe,
conçoit et
produit de
soi un Verbe et d'eux émane un Don d'amour, et ces processions se
trouvent en tout esprit
parfait. Si
donc Dieu est esprit incorruptible, il est normal que dans l'être
divin soit un premier Principe,
un Verbe éternel,
un Don parfait, qui sont selon leurs vraies propriétés les
divines Personnes. 3. La Paix
enfin aussi
exige union entre plusieurs. Or seuls les semblables peuvent être
parfaitement conjoints; mais
pour être
semblables, il faut l'être ou deux d'un tiers ou l'un d'un autre.
Puisque dans la Divinité, deux ne
peuvent être
d'un tiers de la même manière, il s'impose donc que si en
Dieu est une vraie PAIX, ce soit
d'une Première
Origine et de son Image et de leur mutuelle Connexion. XII. - En Dieu d'autre
part les
appropriations
se manifestent selon une triple distinction : 1. Les attributs d'abord
appropriés sont l'Unité,
la Vérité,
la Bonté. L'Unité est attribuée au Père, parce
qu'il est Origine; la Vérité au Fils, parce qu'il est
Image; la
Bonté à l'Esprit, parce qu'il est Lien. 2. Ensuite sont appropriés
le Pouvoir, le Savoir, le Vouloir
: le Pouvoir
au Père, comme Principe; le Savoir au Fils, comme Verbe; le Vouloir
à l'Esprit, comme Don.
3. Enfin sont
appropriées la Sublimité, la Beauté, la Suavité:
la Sublimité au Père, à cause d'unité et
pouvoir; car
sublimité se dit d'une puissance sans paire. La Beauté au
Fils, par vérité et savoir; car savoir
inclut multitude
d'idées, et vérité unité, la beauté
se disant de la pluralité réduite à l'unité.
La Suavité à
l'Esprit Saint,
par vouloir de bonté, soit bienveillance; car où la suprême
Bonté est incluse à la volonté se
trouve la
souveraine douceur ou suavité. Donc en Dieu existe la Sublimité
formidable, la Beauté
admirable,
la Suavité désirable. ICI ARRETE-TOI! Telle est l'élévation
à Dieu par voie d'affirmation.
2. LA VOIX DE NEGATION
XIII. - Mais
une autre voie conduit plus haut, savoir la voie de négation, parce
que selon Denys, les
affirmations
sont de notions disjointes, la négation est vraie elle semble dire
moins, mais elle exprime
davantage.
Or cette méthode d'élévation procède par reniement
de toute chose; de sorte qu'en ces
négations
s'établisse un ordre qui, passant des choses inférieures
jusqu'aux supérieures, se conclut sur une
suréminente
affirmation. Par exemple on dit : Dieu n'est pas saisissable par les sens,
car il est au-dessus
des sens;
ni par l'imagination, ni par l'intelligence, car il est au-dessus de tout
mode de connaître; il n'entre
pas dans la
catégorie de l'existence, car IL EST CELUI QUI EST. Alors le regard
de vérité se porte à
travers cette
ténèbre de l'esprit et monte plus haut et s'enfonce plus
avant parce qu'il se dépasse lui-même
et tout le
créé. Ce mode d'élévation est le plus noble,
et cependant pour qu'il soit parfait, il préexige
l'autre, comme
la consommation, l'illumination; et la négation, l'affirmation.
Et cette ascension est d'autant
plus vigoureuse
que sa poussée est plus intime, d'autant plus fructueuse que l'affection
est plus pénétrée.
C'est pourquoi
il est grandement utile de s'y exercer souvent.
3. AUTRE MODE HIERARCHIQUE DE LA CONTEMPLATION
XIV - Note
enfin que la Vérité doit être :1° dans la première
Hiérarchie : évoquée par le gémissement et
la
prière,
oeuvre des Anges; écoutée dans l'étude et la lecture,
oeuvre des Archanges; annoncée par
l'exemple
et la prédication, oeuvre des Principautés. 2° Dans la
deuxième Hiérarchie : rejointe comme
refuge et
lieu d'abandon, oeuvre des Puissances; appréhendée par le
zèle et l'émulation, oeuvre des
Vertus; conjointe
dans le mépris de soi et la mortification, oeuvre des Dominations.
3° Dans la troisième
Hiérarchie
: adorée par le sacrifice et la louange, oeuvre des Trônes;
admirée en sortie de soi et
contemplation,
oeuvre des Chérubins; étreinte dans le baiser de la dilection,
oeuvre des Séraphins. Note
diligemment
tout ce que je t'ai enseigné parce qu'en cela est UNE FONTAINE DE
VIE.