édition numérique du livre 1 réalisée par MartinVandal et www.JESUSMARIE.com
Paroles par lesquelles Dieu le
Créateur propose trois
belles questions : la
première, de la servitude
du mari et du commandement de la
femme ; la
deuxième, du labeur du
mari et de la prodigalité de la
femme, et la
troisième, du mépris
du maître et de l’honneur du
serviteur.
Je suis votre Créateur adorable
et votre redoutable
Seigneur. Dites-moi
trois choses que je vais vous demander,
ô mon épouse !
Comment subsiste cette maison où
la femme est habillée en
maîtresse et son
mari en serviteur ? Cela convient-il
? Alors l’épouse
répondit intimement
en sa conscience : Non, Seigneur,
il ne convient pas que
cela soit ainsi.
Notre-Seigneur lui dit : Je suis
Seigneur de toutes choses
et Roi des anges.
J’ai vêtu mon serviteur,
c’est-à-dire, mon humanité
seulement, pour
l’utilité, pour la nécessité.
Car dans le monde, j’ai
voulu être nourri et
vêtu pauvrement. Mais
vous, qui êtes mon épouse, vous
voulez être comme
maîtresse, avoir des richesses,
des honneurs, et marcher
honorablement : à
quoi servent toutes ces choses ?
Certainement, elles sont
toutes vaines, et
un jour, on les laissera toutes
avec confusion. Et de
fait, l’homme n’a pas
été créé
pour une si grande superfluité, mais pour avoir
les seules
nécessités de nature
; mais la superfluité misérable a été
inventée par la
superbe qu’on aime, et on la regarde
maintenant comme une
loi.
En deuxième lieu, est-il décent
et raisonnable que le mari
travaille depuis
le matin jusqu’au soir, et que la
femme consomme dans une
heure tout ce qui
aura été amassé
? Alors elle répondit : Il n’est pas non
plus raisonnable,
mais la femme doit vivre et faire
selon la volonté de son
mari.
Notre-Seigneur repartit : J’ai fait
comme un mari qui
travaille depuis le
matin jusqu’au soi, car j’ai travaillé
depuis ma jeunesse
jusqu’à ma
passion, montrant la voie qui conduit
au ciel, prêchant et
accomplissant les
œuvres que je prêchais.
Quand la femme qui devait être
mienne de même que
tout mon labeur, vit luxurieusement,
ce que j’ai fait ne
lui sert de rien,
et je ne trouve en elle aucune vertu
dans laquelle je
puisse me complaire.
En troisième lieu, dites-moi
: n’est-il pas indécent,
voire abominable, en
quelque maison que ce soit, que
le maître soit méprisé et
que le valet soit
honoré ? Elle répondit
: Oui, certes. Notre-Seigneur
repartit : Je suis le
Seigneur de toutes choses ; le monde
est ma maison et
l’homme devrait être
mon serviteur. Je suis le
Seigneur qui est maintenant
méprisé dans le
monde, et l’homme est honoré.
Et partant, vous que j’ai
choisie, ayez soin
de faire ma volonté, parce
que tout ce qui est dans monde
n’est que comme un
écume de mer et comme une
vision vaine.
Chapitre 41
Paroles du Créateur dites
en la présence des troupes
célestes et de
l’épouse, avec lesquelles
Dieu se plaint en quelque
manière de cinq sortes
de personnes : du Pape et de
son clergé, des mauvais
laïques, des Juifs et
des païens. Elles
traitent aussi du secours de ses amis,
par lesquels sont
entendus tous les hommes, et
de la cruelle sentence
fulminée contre les
ennemis.
Je suis le Créateur de toutes
choses. Je suis engendré du
Père avant les
astres, et suis inséparablement
en mon Père, et mon Père
est en moi, et un
Esprit en tous deux. Partant,
le Père, le Fils et le
Saint-Esprit ne sont
pas trois dieux, mais un seul Dieu.
Je suis celui qui a
promis à Abraham
l’héritage éternel.
J’ai tiré, par Moïse, mon peuple de
l’Égypte. Je suis
le même qui parlait par la
bouche des prophètes. Mon Père
m’a envoyé dans
les entrailles de la Vierge, ne
se séparant pas de moi,
mais demeurant
inséparable avec moi, afin
que l’homme, se retirant,
retournât à Dieu par
mon amour.
Or, maintenant, en la présence
de mes troupes célestes, de
vous, qui voyez
en moi et savez en moi toutes choses,
néanmoins, pour
l’instruction de mon
épouse ici présente,
qui ne peut comprendre les choses
spirituelles que par
les choses corporelles, je me plains
devant vous de cinq
hommes qui sont ici
présents, parce qu’ils m’offensent
en plusieurs choses.
Car comme autrefois
par le mot Israël j’entendais
en la loi ancienne tout le
peuple d’Israël, de
même par ces cinq hommes,
j’entends tous les hommes du
monde.
Le premier est le gouverneur de l’Église
; le deuxième son
clergé ; les
Juifs sont le troisième,
les païens le quatrième, mes amis
le cinquième.
Mais de vous, ô Judée
! j’en excepte tous les Juifs qui
sont secrètement
chrétiens, et qui me servent
avec un amour sincère, une
foi droite et par
des œuvres parfaites. Mais
de vous, païens, j’en
exceptent tous ceux qui
marcheraient par la voie de mes
commandements, s’ils
savaient comment et
s’ils étaient instruits,
et ceux qui font de bonnes œuvres
autant qu’ils
peuvent ; ils ne seront aucunement
jugés avec vous.
Donc, maintenant, je me plains de
vous, ô chef de mon
Église ! qui êtes
assis sur le siége que j’ai
donné à Pierre et à ses
successeurs, pour y être
assis avec une triple dignité
et une triple autorité : 1°
afin qu’ils aient
le pouvoir de lier et de délier
les âmes du péché ; 2°
afin qu’ils ouvrent
le ciel aux pénitents ; 3°
afin qu’ils le ferment aux
maudits et à ceux qui
me méprisent. Mais
vous, qui deviez délier les âmes et me
les présenter,
vous en êtes le meurtrier
; car j’ai établi Pierre pasteur
et gardien de mes
brebis, et vous en êtes le
dispensateur et celui qui les
blesse. Or, vous
êtes pire que Lucifer, car
lui m’enviait et ne désirait
tuer autre que moi,
afin qu’il régnât à
ma place, mais vous êtes pire que lui,
attendu que, non
seulement vous me tuez, me repoussant
de vous par
plusieurs mauvaises
œuvres, mais vous tuez les âmes
par votre mauvais exemple.
J’ai racheté de
mon sang les âmes, et je vous
les ai confiées comme à un
fidèle ami : mais
vous, vous les livrez à mon
ennemi duquel je les avais
rachetées. Vous êtes
plus injuste que Pilate, qui ne
condamnait à mort autre
que moi : mais non
seulement vous me jugez comme celui
qui n’a aucun pouvoir
et qui est indigne
de tout bien, mais vous condamnez
même les âmes innocentes
et vous pardonnez
aux coupables. Vous m’êtes
plus ennemi que Judas, qui me
vendit seul : et
vous, vous ne me vendez pas seul,
mais aussi les âmes de
mes élus par un
sale lucre et par une vanité
de nom : Vous êtes plus
abominable que les
Juifs, car ils crucifièrent
seulement mon corps, mais vous
crucifiez et
punissez les âmes de mes élus,
auxquelles votre malice et
votre
transgression sont plus amères
que le couteau tranchant.
Et partant, parce
que vous êtes semblables à
Lucifer, que vous êtes plus
injuste que Pilate,
plus cruel que Judas et plus abominable
que les Juifs, je
me plains avec
raison de vous.
Aux hommes de la deuxième
sorte, c’est-à-dire, aux
laïques, Notre-Seigneur
parle en ces termes : J’ai créé
toutes choses pour votre
utilité ; vous
étiez avec moi et j’étais
avec vous ; vous m’aviez donné
votre foi et vous
aviez juré de me servir :
or, maintenant, vous vous êtes
retirés de moi
comme un homme qui ignore son Dieu
; vous réputez mes
paroles à mensonge,
mes œuvres à vanité,
et vous dites que ma volonté et mes
commandements sont
fâcheux et trop pesants.
Vous avez enfreint la foi que
vous m’aviez donnée
; vous avez violé votre jurement
et avez laissé mon nom ;
vous vous êtes
séparés des saints,
vous vous êtes enrôlés au nombre des
diables et vous
êtes leurs compagnons.
Il vous semble qu’il n’y a que
vous qui soyez dignes
de louanges et d’honneur.
Tout ce qui est pour moi et
tout ce que vous êtes
tenus de faire, vous est difficile,
et tout ce qui vous
plaît vous est
facile : c’est pourquoi je me plains
de vous avec raison,
car vous avez
violé la foi que vous m’aviez
donnée au baptême et après
le baptême. En
outre, pour l’amour que je vous
ai montré tant en parole
qu’en effet, vous
m’accusez de mensonge ; vous m’appelez
insensé pour avoir
enduré la passion.
Notre-Seigneur parle en ces termes
aux hommes de la
troisième espèce,
c’est-à-dire, aux Juifs :
J’ai commencé la charité avec
vous ; je vous ai
élus pour mon peuple ; je
vous ai affranchis de la
servitude qui vous
écrasait sous son faix ;
je vous ai donné ma loi ; je vous
ai introduits en
la terre que j’avais promise à
vos pères ; je vous ai
envoyé des prophètes
pour vous consoler ; après,
j’ai choisi parmi vous la
vierge la plus sainte
de laquelle j’ai pris l’humanité.
Or, maintenant, je me
plains de vous,
parce que vous ne pouvez pas croire
encore, disant :
Jésus-Christ n’est pas
venu, mais il viendra.
Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes
de la quatrième
sorte, c’est-à-dire,
aux gentils : Je vous ai créés
et rachetés comme des
chrétiens, et j’ai fait
tous les biens pour l’amour de vous,
mais vous êtes comme
des insensés, car
vous ne savez ce que vous faites
; comme des aveugles,
puisque vous ne savez
où vous allez, car vous honorez
la créature pour le
Créateur, vous prenez le
faux pour le vrai, et vous courbez
le genou devant celui
qui est moindre que
vous : c’est pourquoi je me plains
de vous.
Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes
de la cinquième
sorte, c’est-à-dire, à
ses amis : O mes amis ! approchez-vous
de plus près. Et
soudain, il dit
aux troupes célestes : Mes
amis, j’ai un ami, par lequel
j’entends plusieurs
: il est comme un homme entouré
de méchants et est en une
dure captivité ;
s’il fait du bien, on enfonce une
lance dans sa poitrine.
Voyez, mes amis,
et vous tous, ô saints ! combien
de temps les
souffrirai-je en un tel
mépris.
Saint Jean-Baptiste répondit
: Vous êtes comme un miroir
sans tache, car en
vous comme dans une glace bien polie,
nous voyons et
savons toutes choses
sans parole. Vous êtes
une douceur incomparable en
laquelle nous goûtons
toute sorte de biens ; vous êtes
comme un glaive tranchant
qui jugez avec
équité. Notre-Seigneur
lui répondit alors : Mon ami, vous
dites la vérité,
car en moi, tous les élus
voient tout bien et toute
justice, voire les
diables, en quelque sorte, quoiqu’ils
ne soient pas dans
la lumière, mais en
la conscience naturelle des choses.
En effet, comme, en
prison, un homme
qui avait auparavant appris les
lettres, sait ce qu’il
avait appris, bien
qu’il soit dans les ténèbres
et qu’il n’y voie pas, de
même les diables,
bien qu’ils ne voient pas ma justice
en l’éclat de ma
splendeur, la savent
néanmoins et la voient en
leur conscience. Je suis aussi
comme un glaive
qui partage en deux ; je donne à
chacun ce qu’il mérite.
Notre-Seigneur dit encore à
saint Pierre : Vous êtes
fondateur de la foi de
mon Église ; dites en présence
de ma cour céleste le droit
et la justice de
ces cinq sortes de personnes.
Saint Pierre répondit : Que
louange et
honneur vous soient à jamais
rendus pour votre amour, ô
Seigneur ! Soyez
béni de votre cour céleste,
d’autant que vous nous faites
voir et savoir en
vous toutes les choses qui sont
faites et qui seront ; en
vous, nous voyons
tout et savons tout. Or, voici
quelle est la vraie
justice : que celui qui
est assis sur votre trône
et a les œuvres de Lucifer,
perde avec confusion
le siège sur lequel il a
cru s’asseoir, et qu’il soit
participant des peines
de Lucifer. Du deuxième
: telle est la rigueur de la
justice : que celui
qui s’est retiré de la foi
descende en enfer la tête en
bas et les pieds en
haut, car il vous a méprisé,
vous qui deviez être son
chef, et il n’a aimé
que soi-même. Du troisième
: telle est ma sentence :
qu’il ne voie point
votre face, mais qu’il soit puni
conformément à sa malice
et à sa cupidité,
car les perfides et déloyaux
ne méritent point de vous
voir. Du quatrième
:
telle en est la condamnation : qu’il
soit enfermé comme un
insensé en des
lieux fort obscurs. Du cinquième
: tel est son jugement :
qu’on lui envoie
du secours.
Toutes ces choses étant entendues,
Notre-Seigneur dit : Je
jure par la voix
de mon Père, que Jean-Baptiste
ouït sur le bord du
Jourdain ; je jure par le
corps que Jean a baptisé,
vu et touché sur le bord du
Jourdain ; je jure par
l’Esprit, qui apparut en forme de
colombe sur le bord du
Jourdain, que je
ferai justice de ces cinq sortes
de personnes.
Alors Notre-Seigneur reprit et dit
au premier des cinq :
Le glaive de ma
sévérité percera
votre corps, commençant par la tête, si
profondément et si
puissamment qu’on ne le pourra jamais
arracher. Votre
siège sera submergé
comme une lourde pierre, qui ne
s’arrêtera que quand elle
sera au fond. Vos
doigts, c’est-à-dire, vos
conseillers, brûleront en un feu
de soufre puant
et inextinguible. Vos bras,
c’est-à-dire, vos vicaires,
qui devaient
s’occuper de l'avancement des âmes
et s'étendre, et qui ne
se sont étendus
que vers l’utilité et les
honneurs du monde, seront
condamnés à la peine
prononcée par David : que
ses enfants soient orphelins,
que sa femme soit
veuve, et que les étrangers
ravissent et enlèvent sa
substance. Quelle est
cette femme, sinon cette âme,
qui sera délaissée de la
gloire céleste, et
sera veuve de Dieu, son époux
? Qui sont ses enfants,
sinon les vertus
qu’il semblait avoir ? Et
les âmes simples qui étaient
sous eux leur seront
arrachées, et leurs dignités
et leurs biens seront à
d’autres. Et pour
toute dignité, ils hériteront
d’une confusion éternelle.
Après l’ornement
de leur tête sera submergé
dans le bourbier infernal, d’où
ils ne sortiront
jamais, afin que, comme ils ont
ici surpassé les autres en
honneur et en
superbe, de même ils soient
enfoncés et plongés en enfer
par-dessus les
autres, de sorte qu’ils n’en puissent
jamais sortir. Tous
les fauteurs et
imitateurs du clergé leur
seront arrachés et seront
séparés comme un mur
qu’on bat en ruine, où on
ne laisse pas pierre sur pierre,
et aucune pierre
ne sera jointe à une autre
avec le ciment, afin que ma
miséricorde ne vienne
jamais sur eux, attendu que mon
amour ne les a jamais
échauffés, et il ne
leur édifiera jamais une
demeure dans le ciel ; mais
s’étant privés de
tout
bien, ils seront tourmentés
avec leur chef.
Je parle ainsi au deuxième
: D’autant que vous ne voulez
pas me garder la
foi promise, ni m’aimer, j’enverrai
un animal qui sortira
du torrent
impétueux et vous engloutira
; et comme le torrent
impétueux coule
incessamment en bas, de même
cet impétueux animal vous
entraînera au plus
bas de l’enfer. Et comme il
vous est impossible de monter
contre le torrent
impétueux, de même
il vous est impossible de sortir jamais
de l’enfer.
Je dis au troisième : Vous,
ô Juifs ! vous ne voulez pas
croire que je suis
venu : quand je viendrai au second
jugement, vous me
verrez, non en ma
gloire, mais en la frayeur de votre
conscience, et vous
vous convaincrez que
tout ce que j’avais dit était
vrai. Maintenant, il vous
reste le châtiment
dû à vos démérites.
Je dis au quatrième : D’autant
que, maintenant, vous ne
vous souciez de
croire ni ne voulez savoir et connaître,
vos ténèbres
reluiront un jour, et
votre cœur sera illuminé,
afin que vous sachiez que mes
jugements étaient
vrais. Néanmoins, vous
ne viendrez pas à la lumière.
Je dis au cinquième : Je vous
ferai trois choses : 1° je
vous remplirai
intérieurement de mon fervent
amour ; 2° je rendrai votre
bouche plus dure
et plus forte qu’aucune pierre,
de sorte que les pierres
qu’on jettera sur
elle rejailliront sur ceux qui les
jettent ; 3° je vous
armerai tellement
qu’aucune lance ne vous nuira, mais
toutes choses
fléchiront et fondront
devant vous comme la cire devant
le feu. Donc,
raffermissez-vous et soyez
généreux, car comme
le soldat qui, dans la guerre, espère
le secours de son
seigneur, combat tout autant qu’il
trouve quelque force en
lui, de même
soyez fort et combattez, car Dieu,
votre Seigneur, vous
prêtera un secours
auquel personne ne pourra résister.
Et parce que vous
avez un petit nombre
de soldats, je vous honorerai et
vous multiplierai.
Voici que vous, mes amis, voyez et
savez que cela est en
moi, c’est pourquoi
vous demeurez devant moi stables
et fermes. Les paroles
que je viens de
dire s’accompliront : mais ceux-là
n’entreront jamais en
mon royaume, tant
que je serai Roi, à moins
qu’ils s’amendent, car on ne
donnera le ciel à
personne, si ce n’est à ceux
qui s’humilient et font
pénitence. Alors,
toute la troupe céleste répondit
: Louange à vous,
Seigneur Dieu, qui êtes
sans commencement et sans fin !
Chapitre 42
Paroles par lesquelles la Vierge
Marie exhorte l’épouse,
comment elle doit
aimer son Fils par-dessus toutes
choses, et en quelle
manière toutes les
vertus et toutes les grâces
sont renfermées en la Vierge
glorieuse.
J’ai eu éminemment trois choses
par lesquelles j’ai plu à
mon Fils, disait
la Mère de Dieu à
l’épouse : 1° l’humilité, de sorte que
ni homme, ni ange,
ni aucune créature n’a été
plus humble que moi ; 2° j’ai
eu excellemment
l’obéissance, parce que je
me suis étudiée à obéir à mon
Fils en toutes
choses ; 3° j’ai eu à
un sublime degré une charité
singulière, c’est
pourquoi j’ai été
triplement honorée de lui, car en
premier lieu, j’ai été
plus honorée que les anges
et les hommes, de sorte qu’il
n’y a pas de vertu
de Dieu qui ne reluise en moi, bien
qu’il soit la source
et le Créateur de
toutes choses. Je suis sa
créature, à laquelle il a donné
sa grâce plus
éminente qu’à tout
le reste des créatures. Secondement,
j’ai obtenu une si
grande puissance à raison
de mon obéissance, qu’il n’y a
pas de pécheur,
quelque corrompu qu’il soit, qui
n’obtienne son pardon,
s’il se tourne vers
moi avec un cœur contrit et un ferme
propos de s’amender.
En troisième
lieu, à cause de ma charité,
Dieu s’approche ainsi de moi,
de telle sorte
que qui voit Dieu me voit, et qui
me voit peut voir en
moi, comme dans un
miroir plus parfait que celui des
autres, la Divinité et
l’humanité, et moi
en Dieu ; car quiconque voit Dieu
voit en lui trois
personnes, car la
Divinité m’a enfermée
en soi avec mon âme et mon corps, et
m’a remplie de
toutes sortes de vertus, de manière
qu’il n’y a pas de
vertu en Dieu qui ne
reluise en moi, bien que Dieu soit
le Père et l’auteur de
toutes les vertus.
Quand deux corps sont joints ensemble,
ce que l’un reçoit,
l’autre le reçoit
aussi : il en est ainsi de Dieu
et de moi, car il n’y a
pas en lui de
douceur qui ne soit pour ainsi dire
en moi, comme celui
qui a un cerneau
d’une noix en donne à un
autre la moitié. Mon âme et mon
corps sont plus
purs que le soleil et plus nets
qu’un miroir. Comme dans
un miroir, on
verrait trois personnes, si elles
étaient présentes, de
même on peut voir en
ma pureté le Père,
le Fils et le Saint-Esprit, car j’ai
porté le Fils dans
mon sein avec la Divinité
; on le voit maintenant en moi
avec la Divinité et
l’humanité comme dans un
miroir, d’autant que je suis
glorieuse.
Étudiez-vous donc, ô
épouse de mon Fils ! à suivre mon
humilité ; et n’aimez
que mon Fils.
Chapitre 43
Paroles que le Fils de Dieu adresse
à l’épouse. Comment
d’un peu de bien
l’homme s’élève
à un bien parfait, et d’un peu de mal,
descend à un grand
supplice.
D’un peu de bien naît quelquefois
une grande récompense,
disait le Fils de
Dieu à l’épouse.
La datte est d’une merveilleuse odeur,
et elle renferme
une pierre : si elle est mise dans
une terre grasse, elle
s’engraisse et
fructifie, et devient peu à
peu un arbre ; mais si elle
est mis dans une
terre aride, elle se dessèche,
car elle est bien aride
pour le bien, la
terre qui se délecte et prend
plaisir dans le péché ; si
la semence des
vertus y est jetée, elle
ne s’y engraisse pas. Mais la
terre de l’esprit de
celui-là est grasse, qui
connaît le péché et se repent de
l’avoir commis ;
si la pierre de datte y est mise,
c’est-à-dire, s’il y
sème la sévérité
de
mon jugement et de ma puissance,
trois racines s’étendent
dans son esprit.
1° Il pense qu’il ne peut rien
faire sans mon secours ;
partant, il ouvre sa
bouche pour me prier. 2°
Il commence aussi de donner une
petite aumône en
on nom. 3° Il se défait
et s’affranchit des affaires pour
me servir, puis il
s’adonne au jeûne et quitte
sa propre volonté : et c’est
là le tronc de
l’arbre. Ensuite croissent
les rameaux de la charité,
quand il attire vers
le bien tous ceux qu’il peut y attirer
; puis le fruit
vient en maturité,
quand il enseigne les autres autant
qu’il sait ; il
cherche le moyen avec
une entière dévotion
d’accroître mon honneur : un tel
fruit me plaît
beaucoup. Ainsi donc, d’un
peu de bien, il s’élève à un
bien parfait et
accompli. Quand premièrement
il a pris racine par une
médiocre dévotion,
le
corps s’augmente par l’abstinence,
les rameaux se
multiplient par la
charité, et le fruit s’engraisse
par la prédication.
De la même manière,
par un petit mal, l’homme descend à
une malédiction, à
un supplice insupportable.
Ne savez-vous pas qu’il est
très pesant, le
fardeau des choses qui croissent
incessamment ?
Certainement, c’est un
enfant qui ne peut naître,
qui meurt dans les entrailles
de sa mère, qui la
torture et la tue ; le père
porte au tombeau et ensevelit
la mère et
l’enfant : de même le diable
en fait à notre âme, car elle
est vicieuse
comme la femme du diable, laquelle
suit en toutes choses
sa volonté, qui est
alors conçue par le diable,
quand le péché lui plaît et se
réjouit en lui :
car de même qu’un peu de pourriture
rend la mère féconde,
de même notre âme
apporte un grand fruit au diable,
quand elle se délecte et
prend plaisir
dans le péché : d’où
sont formés les membres et la force
du corps, quand on
ajoute et augmente tous les jours
péchés sur péchés. Les
péchés étant
augmentés de la sorte, la
mère s’enfle, voulant enfanter,
mais elle ne peut,
parce que la nature étant
consommée dans le péché, sa vie
l’ennuie, et elle
voudrait commettre librement plus
de péchés ; mais elle ne
peut, en étant
empêchée par le saint,
qui ne le lui permet pas. Alors,
la crainte la
saisit, la joie et la force se retirent
d’elle, parce
qu’elle ne peut
accomplir sa volonté.
Elle est environnée de toutes parts
de chagrins et de
douleurs ; alors son ventre se rompt,
quand elle désespère
de pouvoir faire
quelque chose de bien, et meurt
en même temps, quand elle
blasphème et
reprend le juste jugement de Dieu
; elle est ainsi menée
par le diable, son
père, au sépulcre
infernal, où elle est ensevelie à jamais
avec la
pourriture du péché,
elle et le fils de la délectation
dépravée.
Voilà comment le péché
s’augmente de peu et croît pour la
damnation
éternelle.
Chapitre 44
Paroles du Créateur à
son épouse. Il dit combien il est
maintenant blâmé
et
méprisé des hommes,
qui n’écoutent pas ce qu’il a fait par
charité, quand il
les a avertis par ses prophètes,
qu’il a tant souffert
pour eux, pour eux
qui ne se sont pas souciés
de la juste indignation qu’il a
exercée contre
les obstinés, les corrigeant
cruellement.
Je suis l’adorable Créateur
et le Seigneur redoutable de
toutes choses.
J’ai fait le monde, et le monde
me méprise. J’entends
résonner du monde une
voix comme la voix d’une mouche
supérieure qui amasse le
miel sur la terre ;
car comme elle vole, elle s’abaisse
aussitôt vers la
terre, et jette une
voix grandement enrouée :
de même j’entends maintenant
résonner dans le
monde cette voix enrouée,
disant : Je ne me soucie point
de ce qui vient
après toutes ces choses.
Certes, tous crient maintenant :
Je ne m’en soucie
point. Vraiment l’homme ne
se soucie pas ce que j’ai
fait. Ému de charité,
je l’ai averti par mes prophètes,
je lui ai prêché
moi-même, j’ai souffert
pour lui… Il méprise ce que
j’ai fait en ma colère,
corrigeant et punissant
les désobéissants
et les mauvais. Ils se voient mortels
et incertains de la
mort, et ils n’en tiennent aucun
compte. Ils voient et
ils entendent les
épouvantables rigueurs de
ma justice, que j’ai exercée sur
Pharaon et les
Sodomites à raison de leurs
péchés, que j’ai fulminée sur
les princes et sur
les rois, et que je promets de rendre
avec le tranchant du
glaive et autres
tribulations, et toutes ces choses
leurs sont comme
cachées. C’est pourquoi
ils volent à tout ce qu’ils
veulent comme les mouches
supérieures. Ils
volent quelquefois aussi comme en
sautant, parce qu’ils
s’élèvent par leur
superbe ; mais ils s’abaissent plutôt
quand ils retournent
à l’abominable
luxure et à leur gourmandise.
Ils amassent ainsi de la
douceur, mais pour
eux et en la terre, parce que l’homme
travaille et amasse,
non pour
l’utilité de l’âme,
mais pour celle du corps, non pour
l’honneur éternelle,
mais pour l’honneur terrestre.
Ils se tournent le bien
temporel en une
peine insupportable. Celui
qui n’est utile à rien a un
supplice éternel.
Partant, à cause des prières
de ma Mère, j’enverrai ma
voix claire qui
prêchait ma miséricorde
à ces mouches, dont mes amis se
sont exemptés et
affranchis, qui ne sont point au
monde, sinon en leur
corps ; que s’ils
l’écoutent, ils seront heureusement
sauvés.
Chapitre 45
Réponse de la Vierge Marie,
des anges, des prophètes, des
apôtres et des diables,
faite à Dieu en la personne de l’épouse, lui
témoignant sa magnificence
et sa grandeur dans la création et la rédemption, et comme
les hommes contredisent maintenant toutes ces choses, et de leur sévère
jugement.
O épouse de mon Fils, vêtissez-vous
et demeurez stable,
parce que mon Fils
s’approche de vous, disait la Mère
de Dieu à l’épouse. Sa
chair a été
serrée comme en un pressoir
: car comme l’homme a manqué
et failli
malicieusement en tous ses membres,
mon Fils a aussi
satisfait à proportion
en tous les siens. Ses cheveux
étaient étendus, ses nerfs
séparés, ses
jointures disjointes, ses os meurtris,
ses mains et ses
pieds cloués ; son
esprit était troublé
; son cœur était affligé de douleur ;
ses intestins
étaient collés à
son dos, d’autant que l’homme a péché en
tous ses membres.
Après, le Fils de Dieu parla
et dit, en présence de la
troupe céleste : Bien
que vous sachiez que toutes choses
sont faites par moi,
toutefois, à cause
de mon épouse qui est ici,
je prends la parole et je vous
demande, ô anges !
ce que cela veut dire, que Dieu
a été sans commencement et
sans fin, et ce
que veut dire ceci, qu’il a créé
toutes choses et que nul
ne l’a créé.
Répondez, et portez témoignage
en ceci.
Les anges répondirent d’une
commun voix, disant :
Seigneur, vous êtes celui
qui est, car nous vous donnerons
témoignage de trois
choses :
1° que vous êtes notre
adorable Créateur, et le Créateur de touteschoses qui sont
au
ciel et sur la terre ;
2° que vous êtes sans commencement,que vous serez sans fin, et que votre redoutable puissance durera éternellement : car sans vous rien n’a été fait, et sans vous, rien ne peut être ni subsister ;
3°
nous témoignons que nous
voyons en vous toute votre
justice, et toutes les
choses qui ont été
et seront, et toutes ces choses en
vous-même, et vos
idées, sans fin et commencement.
Puis, se tournant vers les patriarches
et les prophètes,
il leur dit : Je
vous le demande, quel est celui
qui vous a affranchis de
la servitude, pour
vous rendre la liberté, qui
a divisé les eaux devant vous,
qui vous a donné
la loi, qui a donné à
vos prophètes l’esprit de parler ?
Ils lui répondirent
: C’est vous, ô Seigneur que
nous adorons, qui nous avez
tirés de servitude,
qui nous avez donné la loi,
et qui avez incité notre
esprit à parler.
Après, il dit à sa
Mère : Ma Mère, portez témoignage de
vérité de ce que
vous savez de moi. Elle répondit
: Avant que l’ange, qui
était envoyé de
vous, fût venu à moi,
j’ai été seule avec mon âme et mon
corps. Mais quand
l’ange eut parlé, votre corps
fut en moi, avec la Divinité
et l’humanité, et
je sentis en mon corps votre corps.
Je vous ai porté sans
douleur ; je vous
ai enfanté sans angoisses
; je vous ai enveloppé de langes
; je vous ai
nourri de mon lait ; j’ai été
avec vous depuis votre
naissance jusqu’à votre
mort.
Puis, il s’adressa aux apôtres,
disant : Quel est celui
que vous avez vu,
entendu et senti ? Ils lui
répondirent : Nous avons
entendu vos saintes et
puissantes paroles, et nous les
avons écrites ; nous avons
ouï vos
merveilles signalées, quand
vous avez donné la loi
nouvelle. Par votre
parole efficace, vous avez commandé
aux démons enragés de
fureur, et ils ont
pris la fuite aux accents de votre
parole puissante. Vous
avez ressuscité
les morts et guéri les malades.
Nous avons vu avec un
corps humain. En
votre humanité, nous avons
vu vos merveilles en la gloire
divine ; nous vous
avons vu livré aux ennemis
et cloué sur la croix ; nous
avons vu en vous une
passion très amère
; nous vous avons enseveli. Nous vous
avons aperçu et
vu, lorsque vous êtes ressuscité
; nous avons touché vos
cheveux et votre
face, vos membres et vos plaies.
Vous avez mangé avec
nous, et vous nous
donniez vos paroles. Vous
êtes vraiment le Fils de Dieu
et le Fils de la
Vierge. Nous vous avons aussi
vu et touché, lorsque vous
êtes montés à
la
droite de votre Père avec
une humanité où vous êtes sans
fin.
Après, Dieu dit aux diables
: Esprits immondes, bien qu’en
votre conscience
vous cachiez la vérité,
je vous commande toutefois de dire
ce qui diminue
votre puissance. Ils lui répondirent
: Tout ainsi que les
larrons ne disent
point la vérité s’ils
ne sont mis sur le cep, de même nous
ne la disons
point si nous n’y sommes contraints
par votre divine,
infinie et terrible
puissance. C’est vous qui,
avec votre force, êtes
descendu en enfer. Vous
avez pris le droit de l’enfer.
Alors Notre-Seigneur dit :
Voici tous ceux
qui ont un esprit et ne sont point
revêtus de corps,
lesquels me disent la
vérité ; mais ceux
qui ont un esprit et un corps, savoir,
les hommes, me
contredisent et vont à l’encontre
de moi. Or, les uns
n’ignorent rien, mais
savent tout ; toutefois ils n’en
tiennent pas compte et ne
s’en soucient
pas. Les autres ignorent tout
et ne savent rien, ce qui
fait qu’ils ne s’en
soucient pas, mais disent que toutes
choses sont fausses.
Notre-Seigneur dit encore aux anges
: Ceux-ci disent que
votre témoignage
est faux, que je ne suis point Créateur,
que je n’ai pas
la connaissance de
toutes choses : c’est pourquoi ils
aiment mieux la
créature que moi. Il
dit
aussi aux prophètes : Ils
vous contredisent, disant que la
loi est vanité et
que vous avez parlé par votre
propre volonté. Mais il dit
à sa Mère : Ma
Mère, les uns disent que
vous n’êtes pas vierge, les
autres que je n’ai pas
pris mon corps de vous : ils le
savent, mais ils ne s’en
soucient pas. Puis
il dit aux apôtres : Ils vous
contredisent, d’autant
qu’ils disent que vous
êtes des menteurs, que la
loi nouvelle est sans raison et
inutile. Il y en
a d’autres qui croient que toutes
choses sont vraies, mais
ils n’en tiennent
pas compte. Maintenant donc,
je vous demande quel sera
leur juge. Ils me
répondirent tous : C’est
vous, ô Dieu adorable ! qui êtes
sans commencement
et sans fin ; c’est vous, ô
Jésus-Christ ! à qui le Père
en a donné le
jugement ; c’est vous qui êtes
le juge juste et équitable
de ceux-là. Le
Seigneur leur répondit :
Je suis maintenant le juge, moi
qui me complaignais
sur eux ; mais bien que je connaisse
et puisse toutes
choses, toutefois
prononcez sur eux votre jugement.
Ils lui dirent : Tout ainsi qu’au
commencement du monde,
tout le monde périt
par les eaux du déluge, de
même le monde mérite maintenant
de périr par le
feu, parce, maintenant, l’iniquité
et l’injustice sont
plus grandes qu’elles
ne l’étaient alors.
Le Seigneur répondit : D’autant
que je suis juste et
miséricordieux, je ne
juge pas sans miséricorde,
et je ne fais pas miséricorde
sans justice.
C’est pourquoi, à cause des
prières de ma très chère Mère
et de mes saints,
j’enverrai encore une fois ma miséricorde
au monde ; mais
si le monde ne
veut ni l’écouter ni l’embrasser,
ma justice n’en sera que
plus rigoureuse.
Chapitre 46
Paroles de louange que se disaient,
en présence de
l’épouse, la Mère
et son
Fils. Comment Jésus-Christ
est maintenant réputé des
hommes, très vil, très
difforme et très déshonnête.
Éternelle damnation de ceux
qui le traitent
ainsi.
La Vierge Marie parlait à
son Fils, disant : Soyez béni,
mon Fils, vous qui
êtes sans commencement et
sans fin ; vous qui avez eu un
corps très honnête
et décent plus que tout autre
; vous qui avez été l’homme
le plus adroit et
le plus vertueux qui ait existé
; vous qui avez été la
plus digne créature
du monde !
Son Fils lui répondit, disant
: Ma Mère, les paroles qui
sortent de votre
bouche, me sont agréable,
et abreuvent les plus secrètes
pensées de mon cœur
comme d’un breuvage très
doux et suave ; vous m’êtes plus
doux qu’aucune
créature du monde.
Car comme on voit en un miroir divers
visages, mais
qu’aucun plaît davantage que
le propre, de même, bien que
j’aime mes saints,
je vous aime toutefois d’un amour
plus ardent, plus
singulier, et plus
excellent, d’autant que je suis
engendré de votre chair.
Vous êtes comme la
myrrhe choisie, dont l’odeur monte
jusqu’à la Divinité et
la conduit en
votre corps : la même odeur
a attiré votre corps et votre
âme jusqu’à elle,
où vous êtes maintenant
en corps et en âme. Vous, soyez
bénie, parce que
les anges se réjouissent
à cause de votre beauté ; et à
raison de votre
vertu, tous ceux qui vous invoquent
avec un cœur pur
seront délivrés.
Tous
les démons tremblent à
votre lumière ; ils n’oseraient pas
s’arrêter en
elle, parce qu’ils veulent toujours
êtres dans les
ténèbres. Vous
m’avez
donné une triple louange,
disant, 1° que j’avais un corps
très honnête, 2°
que j’étais un homme très
adroit, 3° que j’étais la plus
digne de toutes les
créatures. Mais ceux-là
seulement qui ont un corps et une
âme contredisent
ces trois choses, car ils disent
que j’ai un corps
déshonnête, que je
suis
un homme très abject et maladroit,
et que je suis la plus
vile de toutes les
créatures. Qu’y a-t-il
en effet de plus déshonnête que de
provoquer les
hommes au péché ?
Ils disent aussi que le péché n’est pas
si difforme, et
qu’il ne déplaît pas
tant à Dieu, comme on dit, car,
disent-ils, rien ne
peut être, si Dieu ne le veut,
et tout a été créé par lui.
Pourquoi donc ne
nous servirons-nous pas des choses
qui ont été faites pour
notre utilité ?
La fragilité de la nature
a demandé cela, et tous ceux qui
ont été devant
nous et qui sont à présent,
ont vécu et vivent maintenant
de la sorte.
A présent, ma Mère,
les hommes me parlent ainsi, tournant
mon humanité en
déshonneur, en laquelle j’ai
apparu vrai Dieu entre les
hommes, et par
laquelle j’ai dissuadé le
péché, et j’ai montré combien il
était lourd et
pesant, comme si j’avais conseillé
le déshonneur et la
saleté. Certes, ils
disent qu’il n’y a rien de plus
honnête et qui plaise
davantage à leur
volonté que le péché,
bourreau de l’âme. Ils disent
aussi que je suis un
homme très déshonnête
; car qu’y a-t-il de plus déshonnête
que lui, qui,
lorsqu’il dit la vérité,
est frappé de pierres sur la
face, et sur sa bouche
qui se brise. Et en outre,
il entend l’opprobre de ceux
qui disent : S’il
était homme, il se défendrait
et se vengerait.
Voilà comment ils me traitent.
Je leur parle par la
bouche des docteurs et
par la sainte Écriture, mais
ils disent que je suis un
menteur. Ils
frappent ma bouche à coups
de pierres et à coups de
poings, quand ils
commettent un adultère, un
homicide et un mensonge, et
disent : S’il était
homme, s’il était Dieu très
puissant, il vengerait une
telle transgression.
Mais je supporte avec patience toutes
ces choses, et je
les entends tous les
jours, disant que la peine n’est
point éternelle et
fâcheuse, comme on le
prétend, et disent que mes
paroles véridiques sont des
mensonges.
En troisième lieu, ils me
croient la plus vile créature du
monde : car qu’y
a-t-il de plus vil et de plus abject
en une maison qu’un
chat ou un chien,
pour lesquels, si quelqu’un voulait
librement faire un
échange, il recevrait
un cheval ? Mais l’homme m’estime
moins qu’il n’estime un
chien, d’autant
que, s’il devait perdre son chien
ou me choisir, il ne
voudrait pour cela me
recevoir, il me rebuterait plutôt
que de le perdre. Mais
quelle est la
chose, si petite qu’elle soit, qu’on
ne désire avec un
plus fervent amour
qu’on ne me désire moi-même
? S’ils m’estimaient en effet
plus qu’aucune
créature, ils m’aimeraient
plus que toute autre ; mais il
n’est rien de vil
et d’abject qu’ils n’aiment plus
que moi. Ils ont pitié
de toutes choses ;
de moi ? nullement. Ils sont
marris de leurs dommages
propres et de ceux de
leurs amis ; ils se fâchent
d’une petite parole ; ils sont
dolents et
affligés de ce qu’ils offensent
les autres, plus
excellents qu’eux, mais ils
ne s’affligent pas de ce qu’ils
m’offensent, moi qui suis
le Créateur de
toutes les créatures.
Quel est l’homme, si abject qu’il
soit, que l’on
n’écouterait pas, s’il parlait,
à qui on ne donnerait pas
quelque chose,
s’il donnait ? Je suis donc
la plus abjecte et la plus
vile de toutes les
créatures en leur présence,
d’autant qu’ils ne me croient
digne d’aucun
bien, quoique je leur aie donné
tout ce qu’ils ont.
Donc, ô ma Mère, comme
vous avez goûté plus que tout autre
ma sagesse
infinie, et qu’il n’est jamais sorti
de votre bouche que
la vérité, de même
il ne sortira jamais de la mienne
que la vérité. Je
m’excuserai en la
présence de mes saints, devant
le premier qui a dit que
j’avais un corps
très déshonnête,
et je prouverai jusqu’à l’évidence que
j’ai un corps très
honnête, sans péché,
sans difformité, et il sera en
opprobre éternel à
la
face du monde. Quant à
celui qui disait que mes paroles
étaient un
mensonge, et ne savait pas si j’étais
Dieu ou non, je lui
prouverai vivement
que je suis vraiment Dieu : et celui-là,
comme une boue
puante, tombera dans
l’enfer. Quant au troisième,
qui m’a jugé et estimé être
la plus vile de
toutes les créatures, je
le jugerai et le condamnerai à un
supplice éternel,
de sorte qu’il ne verra jamais la
splendeur de ma gloire
ni ma joie
incomparable.
Après, Notre-Seigneur dit
à l’épouse : Soyez ferme et
constante en mon
service. Vous êtes venue
comme entre quelque mur, vous y
avez été
emprisonnée. Vous ne
pouvez ni sortir de cette prison ni
la percer.
Supportez donc volontairement une
petite tribulation, et
vous éprouverez en
mon bras, dont les pouvoirs sont
adorables, un repos
éternel. Vous avez
connu la volonté de mon Père,
vous entendez la parole de
son Fils, et vous
sentez les mouvements amoureux de
mon Esprit. Vous avez
une consolation et
un contentement indicibles en la
parole de ma Mère et de
mes saints : donc,
soyez ferme et constante, sinon
vous sentirez les
horribles rigueurs de ma
justice, par laquelle vous serez
contrainte de faire ce
dont je vous avertis
maintenant avec tant d’amour.
Chapitre 47
Comment Notre-Seigneur s’entretenait
avec son épouse et
lui objectait les
paroles de la nouvelle loi.
Comme la nouvelle loi est
maintenant réprouvée
et rejetée du monde, et
comment les mauvais prêtres ne
sont point prêtres de
Dieu, mais des traîtres
à son égard. Malédiction et
damnation des mauvais
prêtres.
Je suis ce Dieu éternel, qui
était jadis appelé le Dieu
d’Abraham, le Dieu
d’Isaac et le Dieu de Jacob.
Je suis Dieu, ce législateur
qui a donné la
loi à Moïse, laquelle
était comme un vêtement. Car comme
la mère qui a un
enfant dans son sein, lui prépare
des vêtements, de même
Dieu a préparé une
loi, qui n’était autre chose
qu’un vêtement, une ombre et
une figure des
choses qui se devaient faire.
Pour moi, je suis couvert
de ce vêtement de
la loi ; et comme l’enfant qui,
devenu plus grand, se
dépouille de ses vieux
vêtements pour en prendre
de nouveaux, ayant accomplie et
déposé le vêtement
de la vieille loi, je me suis revêtu
d’un nouveau,
vêtement, c’est-à-dire,
de la nouvelle, et je l’ai donné
à tous ceux qui ont voulu
être vêtus comme
moi. Or, ce vêtement n’est
ni étroit ni difficile, mais il
est en tout et
partout modéré et
proportionné. Je n’ai pas commandé en
effet de trop
jeûner, de trop travailler,
ni de se tuer ou de faire
l’impossible, mais de
faire des choses propres et convenables
pour châtier ou
modérer l’âme et le
corps. Car quand le corps
est trop attaché au péché, le
péché se consomme
et le réduit au néant.
C’est pourquoi, dans la loi
nouvelle, se trouvent
deux choses : 1° une tempérance
modérée, et un droit et
légitime usage de
toutes les choses qui servent et
pour l’âme et pour le
corps ; 2° la
facilité de garder la loi,
parce que celui qui ne peut
s’arrêter en une
chose, le peut en une autre.
On trouve en elle qu’à celui
qui ne peut être
vierge, il est permis d’être
marié ; que celui qui tombe
peut se relever.
Mais cette loi est maintenant réprouvée
et méprisée à
cause du mal, car ils
disent que cette loi étroite
est fâcheuse et difforme ;
ils l’appellent
étroite, d’autant qu’elle
recommande de s’abstenir des
choses nécessaires et
de fuir les choses superflues.
Or, ils veulent jouir et
s’assouvir de
toutes ces choses qui sont hors
de raison, comme les
juments par-dessus les
forces de leur corps, c’est pourquoi
elle leur est
étroite. Secondement,
ils disent qu’elle est fâcheuse,
d’autant que la loi
ordonne de prendre la
volupté avec raison et en
ce temps, mais ils veulent
accomplir leur volupté
plus que de raison et plus qu’il
n’est ordonné. En
troisième lieu, ils
disent qu’elle est difforme, parce
que la loi commande
d’aimer l’humilité,
et de déférer et d’attribuer
tout notre bien à Dieu ; mais
ils veulent
s’enorgueillir des biens qu’ils
ont reçus de Dieu, et
s’élever : c’est
pourquoi elle leur est difforme,
et de la sorte, ils
méprisent mon vêtement.
J’ai achevé et accompli
plus tôt tout ce qui était de la
vieille loi, et
après, j’ai commencé
la nouvelle, parce que les corps qui
appartenaient à la
vieille étaient grandement
difficiles pour durer jusqu’à
ce que je vinsse au
dernier jugement. Mais ils
ont jeté avec mépris le
vêtement dont l’âme
était couverte et revêtue,
c’est-à-dire, la foi droite, et
ils ajoutent et
amoncellent péchés
sur péchés, d’autant qu’ils veulent
aussi me trahir.
David ne dit-il pas en son psaume
: Ceux qui mangeait mon
pain méditent
contre moi une trahison ? Par ces
paroles, je veux que
vous remarquiez deux
choses : 1° parce qu’il ne veut
point dire ici : Ils
pensent mal ; il a
parlé comme si la chose était
déjà passée ; 2° de ce que
le passé dénote
qu’il n’y a qu’un seul homme qui
ait trahi. Pour moi, je
vous dis que
ceux-là me sont traîtres
qui sont au présent, non pas ceux
qui ont été ou
qui seront, mais ceux qui vivent
maintenant. Je vous dis
aussi qu’il n’y a
pas un homme traître, mais
qu’il y en a plusieurs.
Or, vous me demanderez peut-être
: N’y a-t-il pas deux
pains, l’un invisible
et spirituel, dont les anges et
les saints se nourrissent,
l’autre de la
terre, dont vivent les hommes ?
Mais les anges et les
saints ne veulent
autre chose, sinon que tout soit
conforme à votre volonté,
et les hommes ne
peuvent rien, sinon comme il vous
plaît : comment donc
peuvent-ils vous
trahir ?
Je vous réponds à cela,
ma cour céleste l’entendant, afin
que vous sachiez
qu’ils savent et voient toutes choses
en moi, mais le tout
se dira pour
votre sujet : Il y a vraiment deux
sortes de pain : l’un
des anges, qu’ils
mangent en mon royaume, afin de
se rassasier d’une gloire
ineffable :
certes, ceux-là n’ont garde
de me trahir d’autant qu’ils
ne veulent que ce
que je veux. Mais ceux-là
me trahissent, qui mangent mon
pain à l’autel.
Je suis vraiment ce pain, dans lequel
on voit trois choses
: la rondeur, la
figure et le goût, parce que,
comme sans pain toute viande
est presque sans
goût et comme de nul appui,
de même, sans moi, tout ce qui
est, est sans
goût, faible et vain.
J’ai aussi la figure du pain, parce
que je suis de la
terre, car je suis né d’une
Mère vierge, ma Mère tire sa
source d’Adam,
Adam, de la terre. J’ai aussi
la rondeur où ne se
trouvent ni commencement
ni fin, parce que je suis sans commencement
et sans fin.
Personne ne peut
considérer ni trouver de
fin ou de commencement en ma
sagesse incroyable, en
ma puissance infinie, en mon éternelle
charité. Je suis
d’une manière
admirable en toutes choses, par-dessus
toutes choses et
hors de toutes
choses. Bien que quelqu’un
volât sans relâche et toujours
aussi vite qu’une
flèche, jamais il ne trouverait
ni la fin ni le fond de ma
puissance, de ma
vertu.
Donc, à cause de ces trois
choses, savoir, le goût, la
figure, la rondeur,
je suis ce pain que l’on voit et
que l’on sent sur l’autel
; mais il est
changé en mon corps, qui
a été crucifié. Car de même
qu’une chose aride et
sèche brûle soudain,
si le feu y est mis, et en même temps
est consumée, et
il ne demeure rien du bois qui lui
est apposé, mais tout
est converti en
feu, de même, ces paroles
étant prononcées, savoir : CECI
EST MON CORPS, ce
qui a été pain auparavant,
est au moment même, changé et
transsubstantié en
mon corps, et ne se brûle
point par le feu, comme le bois,
mais par ma
Divinité. Partant,
me trahissent ceux-là qui mangent
indignement de mon
pain.
Mais quel meurtre pourrait être
plus abominable que
lorsque quelqu’un se tue
soi-même ; ou quelle trahison
plus détestable que lorsque
deux personnes
conjointes ensemble par un lien
indissoluble, comme, par
exemple, les
personnes mariées, se trahissent
l’un l’autre ?
Mais que fait le mari quand il veut
trahir sa femme ? Il
lui dit : Allons,
ma femme, en un tel lieu, afin que
j’accomplisse ma
volonté avec vous.
Or,
étant prête en tout
et partout à suivre la volonté de son
mari, elle s’en va
avec lui avec une vraie simplicité.
Mais lorsqu’il a
trouvé un lieu propre
et un temps opportun pour mettre
son entreprise à
exécution, il tire contre
elle trois instruments de trahison
: certes, l’un est
tellement pesant qu’il
la tue d’un seul coup ; l’autre
est tellement aigu qu’il
entre aussitôt dans
les entrailles ; le troisième
est en telle sorte qu’elle
est bientôt
étouffée, car il lui
enlève l’air vital. Mais après que
da femme est morte,
ce traître dit en lui-même
: Maintenant, j’ai fait le mal
: s’il est
découvert et publié,
je serai condamné à mort. C’est
pourquoi il s’en va,
et met le cadavre de sa femme en
un lieu caché, de peur
que son péché ne
soit découvert.
Les prêtres qui me trahissent
agissent de la sorte : car
nous sommes liés
ensemble par un seul lien, quand
ils prennent le pain, et
que, proférant les
paroles sacramentelles, ils le changent
en mon vrai corps,
que j’ai pris de
la Vierge. Tous les anges
ensemble ne pourraient faire
cette chose, parce
que j’ai donné cette dignité
aux prêtres seuls, et les ai
élevés pour les
plus grandes charges : mais il me
font comme des traîtres,
car ils me
montrent une face joyeuse et gracieuse,
et me mènent en un
lieu caché et
secret pour me trahir. Ces
prêtres-là montrent alors leur
face joyeuse et
gracieuse, quand ils semblent être
bons et simples devant
tous ; mais quand
ils s’approchent de l’autel, ils
me conduisent en une
prison. Alors, comme
l’époux ou l’épouse,
je suis prêt à accomplir leur
volonté, mais ils me
trahissent.
1° Ils m’appliquent une chose
bien lourde et bien pesante,
lorsque le divin
office leur est grandement fâcheux
et ennuyeux, quand ils
le disent en mon
honneur : car ils disent plutôt
cent paroles pour plaire
au monde et pour
avoir ses bonnes grâces, qu’une
seule pour mon honneur ;
ils donneraient
plutôt cent marcs d’or pour
le monde qu’un denier pour moi
; ils
travailleraient cent fois plus pour
leur propre utilité et
pour celle du
monde, qu’une seule fois pour mon
honneur ; ils
m’accablent par ce fardeau,
comme si j’étais mort dans
leur cœur.
2° Ils me frappent comme avec
un fer aigu, qui entre dans
mes entrailles,
lorsque le prêtre s’approche
de l’autel, qu’il se souvient
d’avoir péché et
s’en repent, pensant en soi-même
avec une ferme volonté de
pécher de
nouveau, dès qu’il aura achevé
l’office. Bien,
disent-ils, je me repens de
mon péché, mais je
ne quitterai point l’occasion en
laquelle j’ai péché,
afin de ne plus pécher :
ceux-là me frappent comme avec un
fer très aigu.
3° Mon esprit est presque suffoqué
quand ils pensent ainsi
entre eux : C’est
une chose bonne et délectable
d’être avec le monde ; c’est
une chose bonne
de s’abandonner à toute sorte
de voluptés ; et pour moi,
je ne puis m’en
empêcher. Je suivrai
en tout et partout ma volonté
corrompue pendant que je
suis jeune ; car quand je viendrai
sur le point de ma
vieillesse, alors je
m’abstiendrai de toutes ces choses
et je m’en corrigerai.
Mon esprit est
suffoqué de cette pensée
très méchante.
Mais on demande comment leur cœur
se refroidit tellement
et devient si tiède
pour tout bien, de sorte qu’il ne
pourra jamais
s’échauffer ni se relever
en
ma charité. Je vous
dis qu’il sera comme de la glace : en
effet, comme la
glace, bien qu’on y mette le feu,
ne produit pas des
flammes, mais au
contraire se fond et se sèche,
de même seront ceux qui ne
s’élèvent pas au
chemin de la vie éternelle,
mais qui se dessèchent et ne
tiennent compte
d’aucun bien, quoique je leur aie
donné ma grâce, et
qu’ils aient entendu
les paroles d’avertissement que
je leur ai envoyées. Ils
me trahissent donc
en ceci, savoir : ils se montrent
simples et ne le sont
pas ; ils sont
accablés et troublés
à raison de l’honneur qu’ils me
doivent et dont ils
devraient se réjouir merveilleusement
; ils ont la volonté
de pécher, et ils
promettent d’être pécheurs
jusqu’à la fin. Ils me cachent
presque, ils me
mettent en un lieu occulte, quand
ils pensent entre eux :
Je sais que j’ai
péché ; toutefois,
si je m’abstiens du sacrifice, je serai
jugé de tous et
je serai confus. Et de la
sorte, ils s’approchent
impudemment de l’autel,
me mettent devant eux, me manient,
moi qui sis vrai Dieu
et vrai homme, que
les anges craignent et adorent.
Je suis avec eux comme en
un lieu caché,
d’autant que personne ne sait ni
ne considère combien ils
sont difformes ou
dépravés, devant lesquels,
moi qui suis Dieu, je demeure
couché comme en
cachette, parce que, bien que l’homme
quelque méchant
qu’il soit, pourvu
qu’il soit prêtre et qu’il
ait prononcé ces paroles,
savoir : CECI EST MON
CORPS, le consacre véritablement,
et je demeure devant
lui, moi qui suis
vrai Dieu et vrai homme. Mais
dès que je suis dans sa
bouche, alors, je me
retire de lui par grâce (1)
Moi, ma Divinité, et mon
humanité ; mais la
forme et le goût du pain lui
demeurent, non que je ne sois
véritablement
aussi bien avec les méchants
qu’avec les bons, à cause de
l’institution du
sacrement, mais parce que les bons
et les méchants n’ont
pas semblable
effet. Je vous dis que tels prêtres
ne me sont point vrais
prêtres, mais
vrais traîtres, car ils me
vendent et me trahissent comme
des Judas. Je
jette la vue sur les païens
et sur les Juifs, mais je n’en
vois point de si
abominables, de si détestables
qu’eux, parce qu’ils ont le
même péché par
lequel Lucifer est tombé. Maintenant aussi, je vous dis
que leur jugement, et le jugement
de ceux qui leur sont semblables, ne sont
autre chose que malédiction
: tout ainsi que David a maudit ceux qui n’ont
point obéi à Dieu,
lequel, étant juste roi et prophète tout ensemble,
ne les a point maudits en son ire,
ou par mauvaise volonté, ou par
impatience, mais par justice.
(1) Note : Il ne faut pas penser
que Jésus-Christ se
retire des espèces
sacramentelles quand un mauvais
prêtre le reçoit, mais il
s’en retire quant
à l’humanité et la
Divinité, c’est-à-dire, en tant que
l’un ni l’autre n’y
font les effets que le sacrement
auguste fait aux bons,
savoir, force,
augmentation de grâces, etc.
comme il est aussi expliqué
ensuite.
Que toutes les choses donc qu’ils
reçoivent de la terre et
qui leur sont
utiles et profitables, soient maudites,
d’autant qu’ils ne
louent point
Dieu, leur Créateur, qui
leur a donné d’une main libérale
et amoureuse ces
choses ! Que la viande et le breuvage
qui entrent dans
leur bouche, qui
nourrissent et entretiennent leur
corps, pour être un jour
la pâture des
vers, et leur âme, pour être
plongée dans l’enfer, soient
maudits ! Maudit
soit leur corps, qui ressuscitera
pour l’enfer et brûlera
sans fin ! Que
leurs ans soient maudits, les ans
qu’ils ont vécu
inutilement ! Maudite soit
l’heure où ils ont commencé
d’entrer dans l’enfer,
puisqu’elle ne finira
jamais ! Que leurs yeux, par lesquels
ils ont vu la
lumière du ciel, soient
maudits ! Maudites soient leurs
oreilles, par lesquelles
ils ont entendu mes
douces et attrayantes paroles, dont
ils n’ont pas tenu
compte ! Que leur
goût soit maudit, par lequel
ils ont goûté mes dons
favorables ! Maudit soit
leur odorat, par lequel ils ont
senti et flairé les
parfums agréables, et
n’ont pas tenu compte de moi, qui
suis la plus agréable et
la plus choisie
de toutes les choses du monde !
Mais on demande : Comment seront-ils
maudits ?
Certainement, leur vue est
maudite, parce qu’ils ne verront
point en moi la vision de
Dieu, mais les
ténèbres palpables
et les intolérables supplices de
l’enfer. Leurs oreilles
sont maudites, parce qu’ils n’entendront
point mes douces
paroles, mais les
cris d’horreur et de désespoir
de l’enfer. Leur goût est
maudit, parce
qu’ils ne goûteront point
la joie de mes biens éternels,
mais une éternelle
amertume. Leur attouchement
est maudit, parce qu’ils ne
me toucheront pas,
mais toucheront un feu ardent et
éternel. Leur odorat est
maudit, parce
qu’il ne flairera pas les parfums
agréables qui sont en
mon royaume, parfums
qui surpassent toutes les odeurs
aromatiques, mais ils
auront en enfer une
puanteur plus amère que le
fiel, plus puante que le
soufre. Ils sont
maudits du ciel, de la terre, et
de toutes les créatures
insensibles,
d’autant que celles-là obéissent
à Dieu et le louent, et
celles-ci l’ont
méprisé. A cette
cause, je jure en ma vérité, moi qui
suis la vérité même,
que, s’ils mourraient de la sorte
en la disposition où ils
sont maintenant,
jamais ma charité ni ma vertu
ne les embraseront ni ne les
défendront, mais
ils seront damnés éternellement.
Chapitre 48
Comment, en la présence
de l’épouse et de la troupe
céleste, la Divinité
parle à l’humanité
contre les chrétiens, tout ainsi que
Dieu parlait à Moïse
contre le peuple d’Israël.
Comment les mauvais prêtres
aiment le monde et
méprisent Jésus-Christ.
De leur malédiction et damnation.
Dieu dit à une grande armée
qu’on voyait au ciel : Voici
que je vous parle
en faveur de mon épouse,
qui est ici présente, à vous qui
savez, entendez et
voyez en moi toutes choses, mes
amis l’entendant. Je vous
parle tout ainsi
que quelqu’un fait à soi-même
: de même ma Divinité parle
à l’humanité.
Moïse demeura quarante jours
et quarante nuits sur la
montagne avec le
Seigneur. Quand le peuple
eut vu qu’il restait si
longtemps, il prit de
l’or, le jeta dans le feu, d’où
fut fait un veau, qu’il
appela Dieu. Alors
Dieu dit à Moïse : Le
peuple à péché : je l’effacerai
comme on efface une
chose écrite sur un livre.
Moïse lui répondit : Non, mon
Seigneur !
souvenez-vous que vous les avez
mis hors de la mer Rouge,
et que vous leur
avez fait des choses merveilleuses.
Si donc vous les
effacez, où est à
présent votre promesse ?
Je vous prie, mon Seigneur, de ne
point faire cela,
parce qu’alors vos ennemis diraient
: Le Dieu d’Israël est
méchant : il a
tiré de la mer son peuple,
et il l’a fait mourir au
désert. Dieu fut adouci
et apaisé par ces paroles.
Je suis ce Moïse en figure.
Ma Divinité parle à
l’humanité comme à
Moïse,
disant : Voyez et regardez ce que
votre peuple a fait,
comment il m’a
méprisé. Tous
les chrétiens seront tués, et leur foi sera
effacée. Mon
humanité lui répondit
: Non, mon Seigneur ! souvenez-vous
que vous l’avez
tiré hors de la mer du péché
par mon sang, quand j’ai été
déchiré depuis la
plante des pieds jusqu’au sommet
de la tête ; je leur ai
promis la vie
éternelle. Je vous
prie donc d’avoir pitié et compassion
d’eux à raison de
ma passion.
La Divinité, ayant entendu
ces paroles, en fut apaisée et
adoucie, et dit :
Que votre volonté soit faite,
d’autant que tout jugement
vous est donné.
Regardez, mes amis, combien est
grande cette charité.
Mais maintenant, je
me plains devant vous, mes amis
spirituels, savoir : les
anges et les
saints, et devant mes amis corporels
qui sont au monde, et
qui toutefois n’y
sont pas, sinon de corps, je me
plains de ce que mon
peuple a amassé du bois
et en a fait du feu, dans lequel
il a jeté de l’or, d’où
s’est levé un veau
qu’ils adorent comme Dieu.
Il se tient debout, comme un
veau, sur quatre
pieds, ayant une tête, un
gosier et une queue.
Or, Moïse tardant trop à
descendre de la montagne, le
peuple dit : Nous ne
savons ce qui lui est arrivé.
Et il lui déplut d’avoir
été par lui tiré
de
la captivité. Ils dirent
: Cherchons un autre Dieu qui
marche devant nous.
Les méchants prêtres
en agissent maintenant ainsi, car ils
disent : Pourquoi
mènerons-nous une vie plus
austère que celle des autres,
ou quelle
récompense en aurons-nous
? Il nous est bien meilleur de
vivre en paix et
selon notre volonté
Aimons et chérissons le monde duquel
nous sommes
assurés, car nous n’avons
aucune certitude, aucune
assurance de sa promesse.
Ensuite, ils amassent du
bois, c’est-à-dire, ils
appliquent tout leur soin
à l’amour du monde ; ils
y allument le feu, lorsqu’ils se
livrent avec
ardeur à l’amour du monde
; mais ils le brûlent, quand,
dans leur esprit, la
volupté s’échauffe,
et qu’ils la mettent à exécution.
Ensuite, ils y
jettent l’or, c’est-à-dire
: la charité et l’honneur
qu’ils me devraient
donner, ils les donnent à
l’honneur du monde. Alors se
lève le veau,
c’est-à-dire, l’amour de
monde est accompli ; et cet amour
a quatre pieds,
savoir : la paresse, l’impatience,
la vaine joie et
l’avarice. Car ces
prêtres-là, qui devraient
être toujours près de moi pour
mon honneur et pour
ma gloire, portent à regret
l’honneur qu’on me rend ; ils
usent et passent
le reste de leur vie dans la joie
trompeuse du monde, et
ne sont jamais
contents ni rassasiés des
biens temporels.
Ce veau a aussi une tête et
un gosier, c’est-à-dire,
qu’ils n’ont d’autre
but que la satisfaction de leur
gourmandise, de sorte
qu’elle ne peut jamais
être rassasiée, quand
même toute la mer entrerait dans
eux. La queue de ce
veau, c’est leur malice, d’autant
que, s’ils pouvaient,
ils ne permettraient
pas qu’aucun possédât
ce qui lui appartient. Certes, par
leur exemple
dépravé et par leur
mépris, ils blessent et corrompent
tous mes serviteurs.
Voilà de quel amour leur
cœur est porté à ce veau, et
quelle joie et quel
plaisir ils y prennent. Mais
ils pensent de moi comme ces
Juifs pensaient
de Moïse, et disent : Il y
a longtemps qu’il est absent ;
ses paroles sont
vaines et ses œuvres fâcheuses
; faisons maintenant notre
volonté, et
qu’elle et notre puissance soient
notre Dieu. De plus,
non contents de ces
choses, ils ne m’oublient pas tout
à fait, mais ils me
regardent comme une
idole. Les gentils idolâtres
adoraient du bois, des
pierres et des hommes
morts, du nombre desquels ils adoraient
une idole que
s’appelait Béelzébut.
Les prêtres de cette idole
lui offraient de l’encens et
faisaient des
génuflexions devant elle
avec des applaudissements et des
louanges. Tout ce
qui, dans leur sacrifice, était
vain et inutile, tomba, et
les oiseaux et
les mouches le mangèrent
; mais toutes les choses qui
étaient utiles, les
prêtres les réservaient
pour eux, fermaient la porte de
leur idole, et
gardaient la clef, de peur que quelqu’un
n’y entrât et
découvrît leur
dessein pernicieux.
À présent, les prêtres
m’en font de même : ils m’offrent
de l’encens,
c’est-à-dire, ils prêchent
de belles paroles, non pas à
raison de mon amour
et de ma charité, mais pour
leur louange propre, et pour
leur ravir quelque
chose de temporel : car tout ainsi
qu’on ne prend pas
l’odeur de l’encens,
mais qu’on le sent et qu’on le voit,
de même leurs paroles
ne font aucun
effet à leurs âmes,
de sorte qu’elles y puissent prendre
racine, où elles
puissent être détenues,
mais on entend seulement le son
des paroles, et
elles semblent donner quelque plaisir
à l’oreille pour un
temps ; ils
m’offrent des prières, mais
ils ne me plaisent point. Ils
sont comme ceux
qui prêchent mes louanges
du bout des lèvres, mais dont le
cœur garde le
silence. Ils se tiennent presque
contre moi, criant de
leur bouche, mais
ils font avec leur cœur tout le
tour du monde. S’ils
devaient parler à
quelque homme qui eût quelque
charge et quelque dignité,
leur cœur
accompagnerait la parole, de peur
qu’ils ne s’écartassent
en parlant, et ne
fussent par hasard remarqués
peu sensés en quelques-unes.
Or, les prêtres prient devant
moi presque comme les hommes
qui sont en
extase, qui parlent autrement de
bouche que leur cœur ne
leur dicte et le
leur suggère, paroles dont
l’auditeur ne peut tirer une
assurance certaine.
Ils fléchissent les genoux
devant moi, c’est-à-dire, ils
me promettent
l’humilité et l’obéissance,
mais en vérité, ils sont
humbles comme Lucifer ;
ils obéissent à leurs
désirs et non aux miens. Ils
germent aussi la porte
sur moi et gardent la clef, quand
ils ne me louent ; et
alors, ils ouvrent
la porte sur moi et me louent, quand
ils disent : Que
votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel
; mais ils la ferment sur
moi, lorsqu’ils
font leur volonté et ne veulent
voir ni ouïr la mienne,
comme si elle était
d’un homme enfermé et de
nulle puissance. Ils gardent la
clef lorsque
quelques-uns veulent faire ma volonté,
et ils les en
retirent par leur
exemple, et s’ils pouvaient librement,
ils leur
défendraient aussi que ma
volonté ne sortît en
effet et ne fût accomplie que selon
leurs désirs
déréglés.
Après, ils gardent en leur sacrifice toutes les
choses qui leur
sont nécessaires et utiles,
et exigent pour eux tout
l’honneur et tous les
devoirs qu’ils peuvent. Mais
le corps de l’homme que la
mort frappe, pour
lequel principalement ils devraient
offrir des sacrifices,
ils le jugent et
le tiennent comme inutile, l’abandonnant
aux mouches,
c’est-à-dire, aux
vers, se souciant fort peu de ce
qu’ils lui doivent et du
salut de son âme.
Mais qu’a-t-il été
dit à Moïse : Tuez ceux qui ont fait
cette idole. Là, si
quelques-uns sont morts, tous ne
le sont pas. Mes paroles
viendront
maintenant, et les tueront, quelques-uns
pour le corps et
pour l’âme, pour
être éternellement
damnés ; les autres pour la vie, afin
qu’ils se
convertissent et vivent ; ceux-ci
à une mort soudaine,
d’autant que ces
prêtres-là me sont
grandement odieux. Et de grâce, à quoi
les comparerai-je
? Ils sont semblables au fruit d’épine
qui, au-dehors, est
beau et rouge,
mais qui, au-dedans, est plein d’immondices
et
d’aiguillons. Ils
s’approchent ainsi de moi comme
des hommes rouges par la
charité, afin de
paraître purs et nets au dehors,
mais ils sont au dedans
pleins d’immondices
et d’ordures. Si ce fruit
est de nouveau mis en terre,
d’autres épines en
sortiront et croîtront : de
même ceux-là cachent dans leur
cœur comme dans
la terre leurs péchés
abominables et leurs détestables
malices, et de la
sorte, ils ont pris tellement racine
dans le mal, qu’ils
n’ont pas même
honte après de le mettre
en lumière, de s’en vanter, de
s’en glorifier. Les
autres, en prennent, non seulement
l’occasion de pécher,
mais sont aussi
grièvement blessés
et scandalisés dans leur âme, pensant
ainsi entre eux :
Si le prêtres font ceci, à
plus forte raison il nous est
permis de le faire.
Certes, ceux-là ne
sont pas seulement semblables au
fruit de l’épine, mais
à l’épine même,
parce qu’ils dédaignent et méprisent les
corrections et
admonitions qu’on leur fait, et
ne réputent personne plus
sage qu’eux.
C’est pourquoi ils pensent pouvoir
faire tout ce qu’ils
veulent. Partant,
je jure en ma Divinité et
en mon humanité, tous les anges
l’entendant, que
je briserai la porte qu’ils ont
fermée sur ma volonté ; et
elle sera
accomplie, et la leur sera anéantie
et fermée sans fin
dans l’intolérable
supplice. À cause de
quoi, comme il est dit d’ancienneté,
je commencerai
mon jugement par mon clergé
et par mon autel.
Chapitre 49
Paroles que Jésus-Christ
adressait à son épouse. Comment
en figure
Jésus-Christ ressemble
à Moïse tirant le peuple d’Égypte.
Comment les
méchants prêtres,
lesquels, au lieu de ses prophètes, il a
choisis pour ses
plus grands amis, crient maintenant
: Retirez-vous de
nous.
Le Fils de Dieu parlait à
son épouse : Dès la
commencement, je me suis
comparé en figure à
Moïse. Lorsqu’il tirait le peuple de
l’insupportable
captivité, l’eau, à
droite et à gauche, se tenait ferme et
arrêtée comme un
mur. Certainement, je suis
ce Moïse en figure : j’ai tiré
le peuple
chrétien de la servitude,
c’est-à-dire, je lui ai ouvert
le ciel et montré
le chemin. Mais maintenant,
j’ai élu pour moi d’autres
amis plus signalés
et plus secrets que les prophètes,
savoir : les prêtres,
qui n’entendent pas
seulement ma parole, et voient quand
ils me voient
moi-même ; mais aussi ils
me touchent avec leurs mains sacrées,
ce qu’aucun des
prophètes ni des anges
ne pourrait faire. Ces prêtres-là,
que j’ai choisis de
toute éternité pour
amis au lieu de mes prophètes,
crient après moi, non avec
désir et charité
comme les prophètes, mais
ils crient avec deux voix
contraires, car ils ne
crient pas comme prophètes
: Voyez, ô Seigneur, parce que
vous êtes doux ;
mais ils crient : Retirez-vous de
nous, parce que vos
paroles sont amères,
et vos œuvres sont lourdes et pesantes
et nous font du
scandale. Voyez ce
que ces méchants prêtres
disent. Je demeure devant eux
comme une brebis
très douce, dont ils prennent
la laine pour se vêtir et le
lait pour se
nourrir ; et maintenant, en récompense
d’un tel amour, ils
m’on en horreur
et en abomination. Je demeure
devant eux comme un hôte
qui dit : Mon ami,
donne-moi les choses nécessaires
à la vie, parce que j’en
ai besoin, et tu
recevras de Dieu une très
bonne récompense. Mais ceux-là
me chassent comme
un loup, épiant les brebis
du père de famille, à raison de
ma simplicité. A
cause de mon hospitalité,
ils me troublent, et ils
refusent de me recevoir,
et ils me traitent comme un traître
indigne de loger chez
eux. Mais que
doit faire l’hôte, lorsqu’il
est repoussé ? Ne doit-il
pas prendre les
armes contre le domestique qui l’a
repoussé ? nullement,
car cela n’est pas
justice, d’autant que celui qui
jouit de son bien peut le
donner et le
refuser à qui bon lui semble.
Que doit donc faire l’hôte
? Certainement,
il est tenu et obligé de
dire à celui qui le refuse : Mon
ami, puisque vous
ne voulez pas me recevoir, je m’en
irai à un autre qui me
fera miséricorde,
qui me dira, venant à moi
: Vous, soyez le bienvenu, mon
Seigneur ! Tout ce
que j’ai est à votre service.
Soyez maintenant maître,
car pour moi, je
veux être serviteur et hôte
en une hôtellerie où j’entends
une telle voix.
Il me plaît d’y demeurer et
d’y loger, car je suis comme
l’hôte rebuté et
repoussé des hommes.
Mais bien que je puisse entrer
partout par ma
puissance, toutefois je n’y entre
point, ma justice en
étant éloignée
:
j’entre en ceux qui, avec une bonne
volonté, me reçoivent,
non pas comme
hôte, mais comme vrai Seigneur,
et qui mettent leur
volonté entre mes mains.
Chapitre 50
Paroles de louange et de bénédiction
que la Mère et le
Fils se disaient. De
la grâce concédée
par le Fils à sa Mère, pour ceux qui
sont détenus en
purgatoire et pour ceux qui demeurent
en ce monde.
La Mère de Dieu parlait à
son Fils, disant : Mon cher
Fils, que votre nom
soit éternellement béni
avec votre Divinité infinie ! Il y
a en votre
Divinité trois choses merveilleuses,
savoir : votre
puissance, votre sagesse
et votre vertu.
Votre puissance infinie est comme
un feu très ardent,
devant lequel tout ce
qui est fort et ferme est coupé
et rompu, comme la paille
desséchée par le
feu. Votre sagesse inscrutable
est comme la mer, qui ne
peut être épuisée
à
cause de sa grandeur, et qui couvre
les vallées et les
montagnes, lorsque
ses flots impétueux croissent
et décroissent : de même
personne ne peut
arriver ni atteindre à la
connaissance de votre sagesse,
ni ne peut trouver
les voies pour la sonder et y parvenir.
Oh ! que sagement
vous avez créé
l’homme et l’avez constitué
et établi sur toutes vos
créatures ! Oh ! que
vous avez sagement disposé
et mis en ordre les oiseaux en
l’air, les bêtes
sur la terre, les poissons dans
la mer, et leur avez donné
à tous et leur
temps et leur ordre ! Oh ! que merveilleusement
vous
donnez et ôtez la vie à
tous ! Oh ! que sagement vous donnez
la sagesse aux
insensés, et l’enlevez
aux superbes ! Votre insigne et
prodigieuse vertu est
comme la lumière du
soleil qui luit aux cieux et remplit
la terre de son éclat
: il en est de
même de votre vertu, qui rassasie
les choses d’en haut et
d’en bas et les
remplit toutes. Pour cela,
soyez béni, ô mon cher Fils !
vous qui êtes mon
aimable Dieu et mon Seigneur de
majesté !
Son Fils lui répondit : Ma
Mère bien-aimée, vis paroles me
sont douces et
agréables, parce qu’elles
proviennent de votre âme, qui
est toute belle et
toute pure. Vous êtes
comme la belle et blonde aurore,
qui, vous levant
avec clarté et sérénité,
avez jeté vos rayons lumineux sur
tous les cieux,
et votre lumière et fermeté
surpassent tous les anges.
Par votre ineffable
clarté, vous avez doucement
attiré à vous le vrai Soleil,
c’est-à-dire, ma
Divinité, en tant que soleil
de ma Divinité venant en
vous, il s’est lié et
uni à vous ; et vous avez
été plus que tous échauffée de
sa chaleur par mon
amour, et par ma sagesse divine,
vous avez été, plus que
tous, illuminée de
sa splendeur. Par vous se
sont dissipées les épaisses
ténèbres de la terre,
et tous les cieux ont été
illuminés. Je vous dis en
vérité que votre pureté
incomparable, qui m’a plus davantage
que la pureté des
anges, a attiré en
vous mon adorable Divinité,
afin que vous soyez enflammée
du feu de cet
Esprit divin, par lequel vous avez
enfermé en votre sein
le vrai Dieu et le
vrai homme, et par lequel l’homme
a été illuminé et les
anges se sont
réjouis.
Partant, ô ma Mère !
soyez bénie de votre Fils béni. Pour
cet effet, vous
ne me demanderez rien qui ne vous
soit accordé ; et à
cause de vous, tous
ceux qui demanderont ma miséricorde
avec volonté de se
corriger, recevront
ma grâce, parce que, de même
que la chaleur procède du
soleil, ainsi, par
vous, toute miséricorde sera
donnée : car vous êtes comme
une fontaine qui
s’épand de toutes parts au
long et au large, et de
laquelle ma miséricorde
découle sur les méchants.
De nouveau la Mère répondit
à son Fils : Mon Fils, que
toute gloire et toute
vertu soient avec vous. Vous
êtes mon Dieu et ma
miséricorde. Tout ce
que
j’ai de bien est de vous.
Vous êtes comme la semence qui
n’a point été
semée, et qui, toutefois,
a crû et donné son fruit au
centuple et mille pour
un. Toute miséricorde
prend sa source de vous, laquelle,
parce qu’elle est
indicible et innumérable,
peut bien à propos être
signifiée par le nombre
cent, par lequel est marquée
la perfection, parce que
toute perfection et
tout profit dépendent de
vous.
Le Fils dit à sa Mère
: Ma Mère, vraiment, vous m’avez
fort bien comparé à
la semence qui n’a point été
semée, et qui toutefois a
crû, d’autant que je
suis venu en vous avez ma Divinité
et mon humanité, et
elle n’a point été
semée avec mélange,
laquelle a toutefois crû en vous, et
de laquelle ma
miséricorde a coulé
abondamment en tous et pour tous ;
partant, vous avez
bien dit. Maintenant donc,
demandez tout ce que vous
voudrez, et il vous
sera donné, car vous tirez
puissamment ma miséricorde
infinie, par les
douces paroles de votre bouche.
Sa Mère lui répondit,
disant : Mon Fils, d’autant que j’ai
acquis et obtenu
de vous miséricorde, j’ose
vous demander miséricorde et
secours pour les
pauvres misérables.
Certes, il y a quatre lieux : le
premier est le ciel,
où sont les anges et les
âmes des saints, qui n’ont besoin
de personne,
sinon de vous, qu’ils possèdent
d’une manière ineffable,
car en vous, ils
jouissent à souhait de tout
bien. Le deuxième lieu, c’est
l’enfer
effroyable, dont les habitants sont
remplis de malice et
de désespoir, et
sont exclus de toute miséricorde
: c’est pourquoi
éternellement rien de bien
ne peut entrer en eux. Le
troisième lieu est le
purgatoire ; ceux qui y
sont détenus ont besoin d’une
triple miséricorde, parce
qu’ils sont affligés
triplement : 1° ils sont troublés
en l’ouïe, parce qu’ils
n’entendent que
cris, douleurs, peines et misères
; 2° ils sont affligés
par la vue, attendu
qu’ils ne voient rien que leur misère
; 3° ils sont
affligés par
l’attouchement, d’autant qu’ils
sentent la chaleur
intolérable du feu et la
gravité des peines.
Mon Fils et mon Seigneur, donnez-leur
miséricorde à
raison de mes prières.
Son Fils lui répondit : Je
leur donnerai librement, par
considération pour
vous, une triple miséricorde
: 1° leur ouïe sera allégée,
leur vue sera
adoucie, leur peine sera plus douce
et plus agréable. De
plus, tous ceux
qui maintenant sont en la plus grande
peine du purgatoire,
viendront au
milieu, et ceux qui sont au milieu
viendront en une peine
légère ; mais ceux
qui sont en une peine légère,
s’en iront dans le repos
éternel.
Sa Mère lui répondit
: Mon Seigneur, louange et honneur
vous soient donnés !
Et incontinent après, elle
ajouta et dit à son cher Fils :
Le quatrième
lieu, c’est le monde, dont les habitants
ont besoin de
trois choses : 1° de
contrition pour leurs péchés
; 2° de satisfaction ; 3° de
force pour le
bien.
Son Fils lui répondit : Quiconque
invoquera votre nom et
aura espérance en
vos prières, avec la résolution
de corriger et d’amender
ce qu’il aura fait,
ces trois choses lui seront données,
et après, le royaume
céleste, car je
sens tant de douceur en vos paroles
que je ne puis refuser
ce que vous me
demandez ; car aussi vous ne voulez
que ce que je veux.
Enfin, vous êtes
comme la flamme luisante et ardente
par laquelle les
lumières éteintes
sont
allumées, et leur ardeur
augmente davantage : de même, à
raison de votre
charité, qui a monté
dans mon cœur et m’a attiré à vous,
ceux qui sont morts
et tièdes dans les péchés
comme de la fumée noire et
fâcheuse, revivront en
la vie vivante de mon amour infini.
Chapitre 51
Paroles de bénédiction
de la Mère de Dieu à son Fils, en
présence de
l’épouse. En quelle
manière le Fils glorieux figure très
bien sa très douce
Mère par une fleur éclose.
La Mère de Dieu parlait à
son Fils, disant : Que votre nom
soit
éternellement béni,
ô Jésus-Christ, mon très cher Fils !
Honneur soit rendu
à votre humanité par-dessus
toutes les choses qui ont été
créées. Gloire
soit à votre Divinité
éternelle, par-dessus tous les
biens, Divinité qui est
un Dieu avec votre humanité.
Son Fils lui répondit : Ma
très chère Mère, vous êtes
semblable à cette
fleur qui est éclose et qui
a crû en une vallée proche de
laquelle il y
avait cinq hautes montagnes.
Cette fleur est sortie de
trois racines, avec
une tige droite, laquelle n’avait
aucuns nœuds ; elle
avait cinq feuilles
pleines de toute sorte de suavité
et de douceur. Or,
cette humble vallée
s’est élevée avec
sa fleur par-dessus ces cinq montagnes,
et ses feuilles se
sont élargies et épandues
sur toute l’étendue du ciel et
par-dessus tous les
chœurs des anges. C’est vous,
ma Mère bien-aimée, qui
êtes cette vallée,
à
raison de votre humilité,
que vous avez eue par-dessus les
autres. Celle-ci
a dépassé les cinq
montagnes. La première montagne,
c’était Moïse, à
raison
de sa puissance, car par ma loi,
il a eu puissance sur mon
peuple comme si
ce peuple eût été
enfermé dans son poing : mais vous avez
enfermé dans votre
sein le Seigneur et le législateur
divin de toutes les
lois : partant, vous
êtes plus élevée
que cette montagne. La deuxième montagne
était Élie, qui a
été tellement saint
qu’il fut ravi et élevé en corps et en
âme en un lieu
sait : mais votre âme, ma
très chère Mère, est montée, et
avec elle, votre
corps très pur, par-dessus
tous les chœurs des anges :
partant, vous êtes
plus haute et plus éminente
qu’Élie. La troisième
montagne, c’était la
force incomparable de Sanson, laquelle
il a eue par-dessus
tous les hommes,
et toutefois, le diable l’a vaincu
et surmonté par sa
tromperie et sa
subtilité : mais vous avez
surmonté le diable par votre
force admirable :
partant, vous êtes plus forte
que Samson. La quatrième
montagne, c’était
David, qui a été selon
mon cœur et selon ma volonté,
lequel toutefois est
tombé en péché
abominable et cruel : mais vous, ma Mère,
vous avez suivi en
tout et partout les arrêts
et les décrets de ma volonté,
et n’avez jamais
péché. La cinquième
et la dernière montagne, c’était
Salomon, qui a été
rempli de sagesse, et qui toutefois
devint insensé : mais
vous, ma Mère,
vous avez été remplie
de toute sagesse, et n’avez jamais
été insensée,
déçue
ni trompée : partant, vous
êtes bien plus éminente que
Salomon.
Or, cette fleur est sortie de trois
racines, d’autant que,
dès votre
jeunesse, vous avez eu trois choses
: l’obéissance, la
charité et
l’intelligence divine. Certes,
de ces trois racines s’est
élevée cette tige
droite et sans aucun nœud, c’est-à-dire,
votre volonté,
qui ne fléchissait
jamais qu’à la mienne.
Cette fleur aussi a eu cinq
feuilles, qui se sont
étendues par-dessus tous
les chœurs des anges. Vraiment,
ma Mère, vous êtes
cette fleur à cinq feuilles.
La première feuille, c’est
votre honnêteté, en sorte que
mes anges, la
considérant, ont vu qu’elle
surpassait la leur, qu’elle
était beaucoup plus
éminente en sainteté
et en honnêteté que la leur ;
partant, vous êtes plus
excellente que les anges.
La deuxième feuille, c’est
votre miséricorde, qui a été si
grande que,
lorsque vous voyez la misère
de toutes les âmes, vous en
avez une grande
compassion, et vous avez souffert
et enduré une grande
peine en ma mort.
Les anges sont pleins de miséricorde
; toutefois ils ne
souffrent jamais de
douleur : mais vous, ma très
chère Mère, vous avez eu
pitié des misérables,
lorsque vous sentiez toute la douleur
de ma mort, et avez
voulu souffrir et
endurer plus de douleur à
raison de votre miséricorde, que
d’en être exempte
: partant, votre miséricorde
a excédé et surpassé celle de
tous les anges.
La troisième feuille, c’est
votre douceur : Certes, les
anges sont bons et
débonnaires, et désirent
le bien à tous : mais vous, ma
très chère Mère,
comme un ange, vous avez eu en votre
âme et en votre
corps, devant votre
mort, la volonté de bien
faire à tous, et l’avez fait très
spécialement ; et
à présent, vous ne
la refusez à aucun de ceux qui vous
demandent avec raison
leur profit et leur avancement :
et partant, votre douceur
est plus
excellente que celle des anges.
La quatrième feuille, c’est
votre prodigieuse et admirable
beauté, car les
anges, considérant entre
eux la beauté des uns et des
autres, et admirant la
beauté de toutes les âmes
et de tous les corps, voient que
toute la beauté
de votre âme surpasse toutes
les choses qui sont créées,
et que l’honnêteté
de votre corps surpasse celle de
tous les hommes, qui ont
été créés
du néant
: et de la sorte, votre beauté
a surpassé tous les anges
et toutes les
choses qui ont été
créées.
La cinquième feuille, c’était
votre divine délectation,
d’autant que rien ne
vous plaisait que Dieu, comme rien
autre chose ne délecte
les anges sinon
Dieu, et chacun d’eux sent et ressent
en soi une indicible
délectation. Mais
lorsqu’ils ont vu quel était
le contentement, la
délectation que vous
preniez avec Dieu, il leur semblait
en leur conscience que
la leur brûlait
comme une lumière en la divine
charité ; mais voyant que
votre délectation
était comme un monceau de
bois brûlant avec un feu très
véhément et très
ardent, qui s’élevait si
haut que sa flamme approchait de
ma Divinité,
partant, ma très douce Mère,
ils conclurent que votre
délectation brûlait,
et montait par-dessus tous les chœurs
des anges ; et
d’autant que cette
fleur a eu ces cinq feuilles, savoir
: l’honnêteté, la
miséricorde, la
douceur, la beauté et la
grande délectation, elle était
remplie de toute
douceur et de toute suavité.
Or, quiconque voudra goûter
la douceur et la
suavité, doit s’en approcher
et la recevoir en soi, comme
vous avez fait, ma
bonne Mère ; car vous avez
été si amoureusement douce à
mon Père, qu’il vous
a toute reçue en son esprit,
et votre amoureuse douceur
lui a plu par-dessus
toutes les autres.
Cette fleur aussi porte la semence
par la chaleur et par
la vertu du soleil,
duquel croît le fruit.
Mais ce soleil béni, savoir, ma
Divinité, a reçu
l’humanité de vos entrailles
vierges : car de même que la
semence, en
quelque endroit qu’elle soit semée,
engendre telles fleurs
que la semence a
été, de même
mes membres ont été conformes et semblables
aux vôtres en forme
et en face ; toutefois, j’ai été
homme, et vous, vous avez
été Vierge Mère.
Cette vallée et sa fleur
ont été éminemment élevées
par-dessus toutes les
montagnes, quand votre corps et
votre âme sainte ont été
exaltés par-dessus
tous les chœurs des anges.