JesusMarie.com__Sainte Brigitte de SuĂšde
Sainte Brigitte de SuĂšde
Les Révélations Célestes
Livre 6 – 122 Chapitres

p.192 – p.464 = 262 pages
 

les Révélations de Sainte Brigitte de SuÚde sont approuvées par trois papes et par le concile de Bùles.






Chapitres :

1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18 – 19 – 20 – 21 – 22 – 23 – 24 – 25 – 26 – 27 – 28 – 29 – 30 – 31 – 32 – 33 – 34 – 35 – 36 – 37 – 38 – 39 – 40 – 41 – 42 – 43 – 44 – 45 – 46 – 47 – 48 – 49 – 50 – 51 – 52 – 53 – 54 – 55 – 56 – 57 – 58 – 59 – 60 – 61 – 62 – 63 – 64 – 65 – 66 – 67 – 68 – 69 – 70 – 71 – 72 – 73 – 74 – 75 – 76 – 77 – 78 – 79 – 80 – 81 – 82 – 83 – 84 – 85 – 86 – 87 – 88 – 89 – 90 – 91 – 92 – 93 – 94 – 95 – 96 – 97 – 98 – 99 – 100 – 101 – 102 – 103 – 104 – 105 – 106 – 107 – 108 – 109 – 110 – 111 – 112 – 113 – 114 – 115 – 116 – 117 – 118 – 119 – 120 – 121122

 

Chapitre I.

La Sainte Vierge Marie, MĂšre de Dieu, parle Ă  Sainte Brigitte de la beautĂ© de JĂ©sus-Christ, et comment les Juifs Ă©tant affligĂ©s, s'en allaient pour voir la face et pour en ĂȘtre consolĂ©s.


La MĂšre de Dieu parlait Ă  l'Ă©pouse, disant : Je suis la Reine du ciel. Mon Fils vous aime de tout son cƓur. Partant, je vous conseille de n'aimer rien que lui, car il est si dĂ©sirable, il est si beau que la beautĂ© des Ă©lĂ©ments et de la lumiĂšre comparĂ©e Ă  son Ă©clat, n'est qu'ombre, d'oĂč vient que, quand je nourrissais mon fils, je le voyais ĂȘtre si beau que mĂȘme ceux qui le regardaient, Ă©taient soulagĂ©s de leurs douleurs et consolĂ©s en leur tristesse. C’est pourquoi les Juifs disaient, quand ils Ă©taient plongĂ©s en quelque tristesse : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolĂ©s. Et bien qu’ils ignorassent qu’il fĂ»t Fils de Dieu, nĂ©anmoins, ils recevaient une grande consolation de le voir. Son corps Ă©tait si pur que jamais vermine ne s’y trouva, car les vermisseaux rendaient l’honneur et le respect Ă  leur auteur, et il ne se trouva jamais en ses cheveux aucune crasse, aucun immondice.

Chapitre 2

Notre-Seigneur parle Ă  son Ă©pouse d’un qui avait mal vĂ©cu, et qui, en la mort, avait eu une bonne volontĂ© de s’amender, s’il vivait, et dit qu’à cause de cette bonne volontĂ©, il ne fut pas condamnĂ© Ă  la peine Ă©ternelle, mais aux peines horribles du purgatoire.

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant : Celui qui est maintenant infirme, pour lequel vous priez, a Ă©tĂ© fort lĂąche Ă  mon endroit, et toute sa vie a Ă©tĂ© contraire Ă  la mienne. Mais maintenant, faites-lui dire que, s’il a volontĂ© de s’amender s’il Ă©vite la mort, je lui donnerai la gloire. Qu’on l’avertisse donc de s’amender, d’autant que je compatis Ă  lui avec une grande misĂ©ricorde. 

Or, lorsque ce malade mourait avant le premier chant du coq, Notre-Seigneur apparut derechef Ă  l’épouse et lui dit : ConsidĂ©rez combien juste je suis en mon jugement : celui-ci, qui Ă©tait infirme, est venu Ă  mon jugement, et bien qu’à raison de sa bonne volontĂ©, il ait Ă©tĂ©
jugĂ© Ă  la grĂące, nĂ©anmoins, avant qu'il soit entiĂšrement  purifiĂ©; son Ăąme endurera en purgatoire un supplice si cuisant, qu'il n'y a mortel qui le puisse comprendre. HĂ©las! qu'est-ce que ceux-lĂ  qui ont leurs volontĂ©s liĂ©es au monde, et ne sont affligĂ©s par aucune tribulations? 

 

Chapitre 3

ManiÚre dont Sainte Brigitte voyait quelque démon s'enfuyant avec confusion d'un homme qui priait, lequel le démon avait fort troublé par ses tentations, et en quelle maniÚre le bon ange déclare la vision à l'épouse.

L'Ă©pouse voyait un dĂ©mon auprĂšs d'un homme qui priait ; et ayant demeurĂ© lĂ  une heure les mains liĂ©es, soudain ce dĂ©mon s'Ă©cria d'une voix horrible et Ă©pouvantable, et tout confus, se retira de celui qui priait, duquel le bon ange parla Ă  Sainte Brigitte, disant : Ce dĂ©mon a troublĂ© quelque temps cet homme ; et d'autant qu'il ne l'a pu vaincre, il paraĂźt les mains liĂ©es, car cet homme avait gĂ©nĂ©reusement rĂ©sistĂ© au diable, de sorte que c'Ă©tait un juste jugement de Dieu que le dĂ©mon n'ait pu faire ce qu'il voulait. Le dĂ©mon pourtant a encore quelque attente de la surmonter ; mais Ă  cette heure, il a Ă©tĂ© vaincu en choses faciles, mais jamais il ne sera surmontĂ©. Or, depuis, la grĂące de Dieu de jour en jour, et partant, le dĂ©mon criait de toutes ses forces, disant qu'il avait perdu celui qu'il avait tant de fois combattues pour le vaincre et le supplanter. 
 
 

DÉCLARATION

L'homme dont il est parlĂ© en ce chapitre fut un FrĂšre tentĂ© douze ans sur le saint Sacrement, et sur le nom de la Sainte Vierge, qu'il ne pouvait prononcer sans quelque sale pensĂ©e. Par les priĂšres de Sainte Brigitte, il fut dĂ©livrĂ© de la tentation, en telle sorte qu'il ne pouvait se rĂ©jouir qu'au jour oĂč il communiait, et le nom de la Sainte Vierge lui fut Ă  l'avenir trĂšs doux Ă  la bouche et au cƓur. 

D'ailleurs, un prĂȘtre, ensorcelĂ© par une enchanteresse, concernant les mauvais dĂ©sirs charnels, priait Sainte Brigitte de vouloir prier Dieu pour lui, laquelle Ă©tant ravie en esprit, ouĂŻt : Vous admirez, ĂŽ ma fille, pourquoi le diable domine en l'homme : Il fait cela par l'inconstance de la volontĂ© des hommes, comme vous pourrez le voir en ce prĂȘtre qui a Ă©tĂ© ensorcelĂ© et charmĂ© par une femme. 

Sachez donc que cette femme a trois choses, savoir, l'infidĂ©litĂ©, l'endurcissement, les dĂ©sirs et les cupiditĂ©s de l'argent et de la chair. C'est pourquoi le diable, s'approchant d'elle, lui fournit de la lie amĂšre de son poison. Sachez aussi que la langue de cette femme sera sa fin, ses mains seront sa mort, et le diable sera le conducteur de son testament. 

Toutes ces choses arrivĂšrent de la sorte, car la troisiĂšme nuit, cette sorciĂšre fut furieuse, et ayant pris un couteau, elle se frappa en l'aine, criant Ă  la prĂ©sence et audience de tous : Venez, ĂŽ diable ! Suivez-moi. Et soudain, elle finit la vie avec une horrible voix. Mais le prĂȘtre susdit fut affranchi des tentations de la chair, et soudain il entra en religion, oĂč il fit un fruit agrĂ©able Ă  Dieu. 


Chapitre 4

JĂ©sus-Christ dit Ă  l'Ă©pouse que tout homme vertueux et sage prĂȘche gĂ©nĂ©reusement les paroles contenues en ce livre, et la grĂące aux peuples qui la dĂ©sirent, ne la refusant tant aux pauvres qu'aux riches, et de cela, il aura Dieu pour prix Ă©ternel.

Celui qui a l'or de la sapience divine est tenu de faire trois choses :
Le distribuer Ă  tous ceux qui le veulent et Ă  ceux qui ne le veulent pas ;
Il doit ĂȘtre patient et modĂ©rĂ© ;
il doit ĂȘtre raisonnable et Ă©quitable en la distribution, 

Car l'homme qui a ces excellentes vertus, a mon or, c'est-Ă -dire, ma sagesse. Qu'y a-t-il en effet de plus prĂ©cieux entre les mĂ©taux que l'or ? De mĂȘme, en mes Ă©critures, il n'y a rien de si digne que la sagesse. Je remplis de cette sagesse celui pour lequel vous me priez, et partant, il doit : 

1. PrĂȘcher sans rien craindre, comme mon soldat, ma sainte parole. Non-seulement il doit annoncer ma grĂące Ă  ceux qui la veulent ouĂŻr, mais encore Ă  ceux qui ne la veulent point ouĂŻr. 

2. Qu'il soit lui-mĂȘme patient pour l'amour de mon nom, sachant qu'il a un seigneur qui a souffert toute sorte d'opprobres. 

3. Je dis qu'il soit juste et Ă©quitable en la distribution, tant au pauvre qu'au riche ; qu'il ne pardonne Ă  personne ! Qu'il ne craigne aucun, car je suis en lui et lui est en moi. 

Quel est celui qui lui nuira, puisque je suis tout-puissant en lui et hors de lui ? Je lui donnerai un stipende fort riche pour son labeur, non certes corporel ou terrestre, mais moi-mĂȘme, en qui est tout bien, en qui est toute sorte d'abondance. 


Chapitre 5

Ici Notre Seigneur menace grandement les religieux hypocrites et superbes qui troublent en se moquant la simplicitĂ© des simples et innocents, par les cornes de mĂ©disance et des mauvaises Ɠuvres. Il les avertit nĂ©anmoins pieusement qu'ils se convertissent, et que, sans dĂ©lai, ils s'adonnent Ă  la vertu, autrement ils seront punis trĂšs griĂšvement.

Je suis le CrĂ©ateur de toutes choses, qui ne suis point crĂ©Ă©, mais je suis l'auteur des crĂ©atures. Il y a longtemps que j'ai dĂ©tournĂ© mes yeux de ce lieu-ci, Ă  raison de l'iniquitĂ© des habitants ; car comme les premiers fondateurs se hĂątaient d'aller de vetu en vertu, de mĂȘme maintenant ces modernes vont de mal en pis ; un chacun tĂąche de perdre l'autre et se glorifie de son pĂ©chĂ©. Or, maintenant, les priĂšres de ma MĂšre trĂšs-chĂšre me flĂ©chissent Ă  misĂ©ricorde ; mais il demeure encore quelque racine de cett mĂ©chante race, comme vous l'entendrez mieux par quelque simitude. 

Il y avait un pasteur qui dit Ă  son Seigneur, son Dieu : Mon Seigneur, en votre bercail, il y a peu de brebis, et encore, entre celles-lĂ , il y en a bien peu de douces. Il y a encore des bĂ©liers colĂšres qui troublent les bonnes, tĂȘte desquels n'est utile Ă  rien ; leur peau est corrompue ; leur chair est pourrie, et leurs intestins sont puants. 

Le maĂźtre rĂ©pondit : Que mes brebis douces ne se troublent point ! Je couperai la tĂȘte des bĂ©liers avec un couteau tranchant ; je leur ĂŽterai la peau, qui ne porte point de laine ; la chair (page 198 ) et les intestins seront jetĂ©s aux champs comme pourris et puants, et on les donnera aux oiseaux qui ne savent discerner ce qui est pur de ce qui est impur. 

Je suis le Seigneur qui ai en ce lieu des brebis simples, entre lesquelles il y a comme des bĂ©liers affreux en leurs cornes, qui, dĂ©chirant les brebis, arrachant la laine, et les poussant avec leurs cornes, les jettent Ă  terre : De mĂȘme eux, se moquant de la simplicitĂ© des innocents, les troublent et les jettent par terre avec les cornes de la mĂ©disance et des mauvaises Ɠuvres. Partant, leur tĂȘte, c'est-Ă -dire, leur intention, Ă©levĂ©e par les cornes de l'arrogance et de la prĂ©somption, leur sera coupĂ©e par mon jugement sĂ©vĂšre, qui est un glaive trĂšs aigu ; leur peau, c'est-Ă -dire, leur hypocrisie, de laquelle ils sont revĂȘtus au lieu de la simplicitĂ© religieuse, leur sera ĂŽtĂ©e, et pour l'hypocrisie, le diable dĂ©chirera leur Ăąme et les privera de toute sorte de biens. Aussi ils Ă©taient une chose et en montraient une autre sous un masque empruntĂ© et dissimulĂ© ; Ils me servaient de bouche et me contrariaient par Ɠuvres. Leur chair voluptueuse, qui, devant moi, est comme une vilaine femme, sera brĂ»lĂ©e et consommĂ©e par le feu sans misĂ©ricorde ; leurs intestins, c'est-Ă -dire, leurs pensĂ©es et leurs affections qu'ils ont au monde et non Ă  moi, lesquelles affections mes ennemis sont fomentĂ©s, et non moi, seront ruinĂ©es par les dĂ©mons, de sorte qu'il n'y aura point mĂ©chante affection pour laquelle ils ne soient grandement tourmentĂ©s. 

Partant, pendant qu'il en est temps encore, que leur tĂȘte, c'est-Ă -dire, que leur volontĂ© dĂ©rĂ©glĂ©e et leur superbe soient changĂ©es en humilitĂ© d'une peau simple ; Que la chair soit retenue des voluptĂ©s ; que les intestins, c'est-Ă -dire, les pensĂ©es monstrueuses, soient guĂ©ris par la pĂ©nitence salutaire, de peur que je n'exige avec rigueur et justice les peines de leurs dĂ©mĂ©rites, et que ne les soumette Ă  la puissance de Satan, de sorte qu'ils ne pourraient faire que ce qui plaira aux diables, et seraient par eux poussĂ©s d'un mal Ă  un autre. 

ADDITION

Notre Seigneur parle encore sous la parabole du pĂšre de famille sur cette maison, les habitants de laquelle disent : Pourquoi Dieu a-t-il fait cette maison de la sorte ? On rĂ©pond : D'autant qu'on n'a pas voulu faire les paroles de celui qui avertissait, car je leur donnerai des gardes regardant d'en haut, et la terre de leur voluptĂ© sera mise en servitude, et le pain leur sera donnĂ© en mesure, et on les pourra nombrer Ă  cause de leur petit nombre. 

Chapitre 6

Jésus-Christ reprend l'épouse de quelque impatience qu'elle eut, l'instruisant qu'elle ne doit plus se fùcher à l'avenir, ni répondre un seul mot à ceux qui la provoquent à cela, jusqu'à ce que l'émotion soit pacifiée, et qu'elle voie qu'elle peut profiter par ses paroles.

Je suis votre CrĂ©ateur et votre Époux ; et vous, ma nouvelle Ă©pouse, vous avez maintenant pĂ©chĂ© en quatre maniĂšres en la colĂšre. 

1.Vous avez eu de l'impatience en votre cƓur contre les paroles qu'on vous a dites, et moi j'ai souffert pour vous les coups de fouets, et Ă©tant devant le juge, je n'ai pas dit un seul mot. 

2.Vous avez rĂ©pondu rudement, et avez trop Ă©levĂ© votre voix en dĂ©daignant, et moi, j'ai Ă©tĂ© clouĂ© en un gibet ; je regardais le ciel et ne disais mot. 

3.Vous m'avez mĂ©prisĂ©, moi pour l'amour duquel vous deviez souffrir toutes choses. 

4.D'autant que vous n'avez pas Ă©difiĂ© votre prochain, car si vous eussiez Ă©tĂ© patiente aux injures, vous l'eussiez gagnĂ© ; c'est pourquoi je vous dis que dĂ©sormais vous ne vous colĂ©riez point. 

Quand vous serez provoquĂ©e Ă  colĂšre par quelqu'un, ne parlez point jusqu Ă  ce que la colĂšre, l'Ă©motion et l'occasion de la colĂšre, cessent en votre cƓur ; parlez avec douceur ou taisez-vous. Que si vous voyez que vos paroles ne profitent point, il est plus mĂ©ritoire de se taire. 

Chapitre 7

JĂ©sus-Christ commanda par son Ă©pouse Ă  un certain diacre fort dĂ©vot, de prĂȘcher la parole de Dieu avec ferveur et courage Ă  ses compagnons et aux autres pĂ©cheurs, instruisant les infirmes, reprenant les dĂ©rĂ©glĂ©s, et exposant son Ăąme Ă  la mort pour le salut des Ăąmes.

Je suis votre Dieu et le CrĂ©ateur de toutes choses, bien que je sois mĂ©prisĂ©. Vous direz Ă  celui pour lequel vous priez, et qui m'aime, vous le savez : Quand on vous a fait diacre, on vous a donnĂ© la charge de prĂȘcher ; vous en avez reçu l'autoritĂ©, afin d'instruire les infirmes et de reprendre les dĂ©rĂ©glĂ©s. Je n'ai pas refusĂ© de faire cela pour moi-mĂȘme ; cela mĂȘme ont fait mes apĂŽtres et mes disciples, qui, pour acquĂ©rir une Ăąme Ă  Dieu, ont parcouru divers lieux, citĂ©s et villes, et ont donnĂ© leurs Ăąmes pour le salut des Ăąmes. D'autant donc que votre office est de prĂȘcher, il n'est pas dĂ©cent ni expĂ©dient que vous vous taisiez, car mes ennemis sont autour de vous, et vous marchez au milieu d'eux. En vĂ©ritĂ© leur maudite gueule m'est aussi odieuse que si on mangeait mĂȘme de la viande le vendredi saint. Ils sont comme des vases ouverts de chaque bout, qui si on y versait toute la mer, ne seraient pas pourtant remplis, ni ne pourraient ĂȘtre rassasiĂ©s, la gourmandise desquels est augmentĂ©e par le pĂ©chĂ© de lascivetĂ©. 

Ils chassent et Ă©loignent d'eux mes anges, qui sont destinĂ©s Ă  leur garde, et appellent les dĂ©mons, qui sont maintenant plus proches d'eux que les bons. Ils assistent au chƓur, non pour me plaire, mais afin qu'ils ne soient repris des autres et afin de ne leur dĂ©plaire. Ils se montrent imitateurs des PĂšres anciens, mais ils sont devant moi menteurs et dissimulĂ©s pipeurs, car ils m'ont faussĂ© la foi qu'ils m'avaient promise, et trompent les Ăąmes, du bĂ©nĂ©fice desquelles elles vivent, sans en ĂȘtre reconnaissants ni par la vie ni par les priĂšres. 

Partant, je jure devant les anges et les saints, qu'en vĂ©ritĂ© je suis la vĂ©ritĂ© et que de ma bouche il n'est jamais sorti que la vĂ©ritĂ©. Que s'ils s'amendent, je permettrai que peu de temps ils marchent par la voie de leurs volontĂ©s, et aprĂšs, je les conduirai par la voie semblable aux Ă©pines et Ă  des pointes aiguĂ«s ; et afin qu'ils ne puissent s'en Ă©carter, je mettrai Ă  droite et Ă  gauche mes serviteurs, qui les empĂȘcheront de s'en dĂ©tourner, et ils les contraindront d'aller ; et de lĂ , comme un corps mort tombe Ă  terre, de mpeme promptitude leurs Ăąmes toonberont dans les prĂ©cipices de l'enfer, si profondĂ©ment que jamais ils n'en sortiront. 

Chapitre 8

Notre Seigneur donne courage à l'épouse, qui craignait de reprendre fidÚlement quelques religieux plongés en des péchés abominables, chez lesquels elle était logée, lui assurant que sa répréhension ne lui serait point imputée à péché, mais à mérite, bien qu'ils s'en scandalisassent et s'en endurcissent.

O Ă©pouse, vous avez pensĂ© Ă  part vous ce qui suit : Puisque mon Dieu Seigneur de toutes choses, tout-puissant, et a patiemment souffert le traĂźtre, pourquoi ne souffrirai-je sa crĂ©ature, ceux qui demeurent avec moi, de peur que, de mon avertissement et rĂ©prĂ©hension, ils ne deviennent pires ? 

Je rĂ©ponds maintenant Ă  cette pensĂ©e, qu'elle Ă©tait en partie pieuse mais moins fervente, car un bon soldat qui est entre les mauvais, voyant l'offense de son seigneur, s'il ne peut corriger par Ɠuvre la faute, parle pour le moins de la bontĂ© de son maĂźtre, et souffre patiemment les contumĂ©lies qui rĂ©sultent de lĂ  : de mĂȘme vous, parlez-leur fidĂšlement de leurs excĂšs, qui, Ă  raison de la diuturnitĂ© des pĂ©chĂ©s dans lesquels ils croupissent, me sont rendus abominables ; et bien qu'ils s'endurcissent en quelque maniĂšre que ce soit, Ă  raison de votre rĂ©prĂ©hension, il ne vous sera pas imputĂ© Ă  pĂ©chĂ©, mais bien Ă  plus grande rĂ©compense. Car comme les apĂŽtres, qui prĂȘchaient Ă  plusieurs, et tous ne se convertissaient pas, n'Ă©taient pas pour cela privĂ©s de la rĂ©compense, de mĂȘme vous en arrivera-t-il, car bien que tous ne vous Ă©coutent point, nĂ©anmoins, il y en aura quelques-uns qui seront Ă©difiĂ©s par vos paroles et qui seront guĂ©ris.

Dites-leur donc que, s'ils ne s'amendent, il viendra promptement et sĂ©vĂšrement Ă  eux, et tous ceux qui l'oiront en gĂ©miront de crainte et d'effroi, et tous ceux qui goĂ»teront ma sĂ©vĂ©ritĂ©, dĂ©faudront. Je les jugerai comme des larrons, par des confusions inexprimables devant les anges et tous les saints, et ce, d'autant qu'ils ont reçu l'habit de religion, non pour bien vivre. C'est pourquoi ils sont devant moi comme des larrons qui possĂšdent les biens qui ne leur appartiennent pas, mais sont Ă  ceux qui vivent bien, et comme dĂ©fraudateurs, je les jugerai et les condamnerai Ă  mon glaive, qui coupera leurs membres de la tĂȘte jusqu aux pieds. Je les remplirai encore d'un feu bouillant qui ne s'Ă©teindra jamais. Je les en ai avertis, comme un pĂšre plein de pitiĂ©, et ils n'ont point voulu m'Ă©couter ! Je leur ai montrĂ© les paroles de ma bouche plus que jamais je n'avais fait auparavant, et ils m'ont mĂ©prisĂ© ! Si j'eusse envoyĂ© mes paroles aux paĂŻens, peut-ĂȘtre se fussent-ils convertis et eussent fait pĂ©nitence. Partant, je ne leur pardonnerai point, ni ne recevrai point les priĂšres ni celles que ma MĂšre et mes saints, font pour eux, mais ils seront tout autant dans la peine que je serai dans la gloire qui sera sans fin. NĂ©anmoins, tant que leur Ăąme sera dans leur corps, ma misĂ©ricorde leur sera ouverte. 

Chapitre 9

JĂ©sus-Christ rĂ©vĂšle Ă  son Ă©pouse combien il est abominable devant Dieu qu'un prĂȘtre cĂ©lĂšbre en pĂ©chĂ© mortel, et en quelle maniĂšre les diables y assistent. Il traite aussi de la cĂ©lĂ©bration de la messe, et de sa trĂšs horrible peine, s'il ne s'amende.

Le prĂȘtre pour lequel vous me priez est comme une pincette avec laquelle il attire l'or de ma vertu ; il est comme un souffle dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© qui ne se soucie d'entendre la voix de la mĂšre. Quand il vient Ă  l'autel, deux diables assistent Ă  ses deux cĂŽtĂ©s, l'Ăąme duquel ils possĂšdent, d'autant qu'elle est morte devant moi. 

Quand il met le surhumĂ©ral, les dĂ©mons couvrent son Ăąme et l'occupent ailleurs, afin qu'elle ne pense et n'entende combien il est horrible d'approcher de mon autel, et combien pur doit ĂȘtre celui qui s'approche de moi, qui suis trĂšs pur. 

Quand il s'habille de l'aube, il se revĂȘt de la duretĂ© du cƓur et de l'indĂ©votion, d'autant qu'il croit que son pĂ©chĂ© n'est pas grand, que le supplice Ă©ternel ne sera pas si dur, et il ne lui arrive jamais Ă  l'esprit qu'elle est la joie des bienheureux. 

Quand il met l'Ă©tole, le diable pose un grand joug lourd et pesant sur son col, d'autant que la douceur du pĂ©chĂ© lui plaĂźt grandement ; et ainsi, il charge son Ăąme, ne la laisse pas gĂ©mir ni considĂ©rer son pĂ©chĂ©. 

Quand il prend la manipule, toutes les Ɠuvres divines lui sont Ă  charge, Ă  honte, et les Ɠuvres terrestres lui sont faciles. 


Quand il prend la ceinture, lors sa volontĂ© est liĂ©e au diable, de sorte qu’il propose aucunement de mourir en son pĂ©chĂ© ; et lors, ma charitĂ© se retire de lui, d’autant que sa volontĂ© se porte Ă  tout ce que le diable veut et lui suggĂšre, exceptĂ© quand les jugements effroyables de ma juste indignation le retiennent. 

Quand il prend la chasuble, lors le diable le revĂȘt de perfidie. 

Quand il dit le Confiteor, les diables rĂ©pondent et disent : Tu as menti ! Nous en sommes tĂ©moins : ta confession est semblable Ă  celle de Judas, d’autant qu’il a une chose au cƓur et une autre Ă  la bouche. 

Quand il s’aproche de l’autel, lors je dĂ©tourne ma face de lui. 

Quand il dit la messe, soit de ma MĂšre ou de quelque’autre saint, il m’est aussi agrĂ©able que si une mĂ©chante femme offrait un vase immonde Ă  quelque seigneur, ou si quelqu’un disait Ă  son ennemi :Donnez vous garde, je cherche votre mort. 

Quand il consacre mon cƓur et dit : : Ceci est mon corps, lors les diables s’enfuient de lui, et son corps demeure comme un tronc, car son Ăąme est morte devant mes yeux. 

Quand il approche mon corps de sa bouche, de la prĂ©somption qu’il a de le recevoir sans craindre, toute la troupe des dĂ©mons retourne Ă  lui, d’autant qu’il ne m’aime point. En vĂ©ritĂ©, je suis si misĂ©ricordieux que, s’il disait d’un cƓur contrit et avec rĂ©solution de s’amender : Seigneur, je vous en supplie, pardonnez mes pĂ©chĂ©s par le mĂ©rite de votre passion et de votre amour, je le prendrais, et les diables ne retourneraient point Ă  lui. Mais hĂ©las ! il n’a que la mĂ©chancetĂ© du monde en la bouche ; dans son cƓur grouillent les vers Ă  troupes, qui l’empĂȘchent de goĂ»ter ma parole ; les paroles inutiles de son cƓur le rongent incessamment et l’occupent, afin qu’il ne pense point Ă  moi. VoilĂ  pourquoi il n’arrivera jamais Ă  mon autel. 

Or, quel est mon autel, si ce n’est la table cĂ©leste et a gloire dans les cieux, dont les anges et les saints se rĂ©jouissent ? Cela est reprĂ©sentĂ© par l’autel de pierre qui est dans l’église, et sur lequel est sacrifiĂ© le corps qui fut autrefois crucifiĂ© en la croix. Les sacrifices signifiaient jadis ce qui se fait maintenant et l’Eglise. Or, que marque la table cĂ©leste, si ce n’est la jubilation et la joie des anges ? 

Or , ce prĂȘtre ne goĂ»tera jamais cette joie indicible en la gloire Ă©ternelle ; il n’assistera jamais devant ce mien autel, ni ne verra jamais ma face. Je suis comme le vrai pĂ©lican, qui leur donne mon propre sang, et les rĂ©fectionne, en cette vie et en la vie future, jusqu’à rassasiement. Or, cet aigle abominable les repaĂźtra, l’aigle dont la coutume est de ravir Ă  ses petits quelquefois les choses nĂ©cessaires, de sorte que la maigreur de la faim paraĂźt en eux tout le temps de leur vie : de mĂȘme le diable repaĂźt de ses dĂ©lectations quelque temps, afin qu’aprĂšs, il ressente la famine de la joie, faim qui durera Ă©ternellement en lui. NĂ©anmoins, je lui ferai misĂ©ricorde, s’il se convertit pendant qu’il vit. 

DECLARATION.

Ce prĂȘtre fut avocat et collecteur d’argent. Il fut dĂ©posĂ© de sa charge Ă  la persuasion de sainte Brigitte. Etant furibond, il lui dit : Vous m’avez privĂ© de mon honneur et de mon office : quel gain en avez-vous ? Il vous eĂ»t Ă©tĂ© meilleur de demeurer en votre maison, et non pas de semer des discordes. 

Elle rĂ©pondit : Tout ce que le roi a fait, je lui ai conseillĂ© pour le salut de votre Ăąme et pour votre honneur, car un prĂȘtre peut faire une telle charge sans le danger de son Ăąme. 

Il lui rĂ©pondit : Qu’avez-vous Ă  faire de mon Ăąme ? Laissez-moi passer en ce monde comme je pourrai, car mon Ăąme se contentera bien en l’autre. 

Elle lui repartit : C’est pourquoi je vous dis, et cela sans doute comme je l’ai ouĂŻ dans les jugements de Dieu, que si vous ne vous amendez et ne vous corrigez, vous n’esquiverez point le jugement et la mort effroyable, aussi vrai que je m’appelle Brigitte ! 

C’est pourquoi aussi, peu de temps aprĂšs, l’évĂȘque l’ayant privĂ© de l’église, il mourut d’une mort inouĂŻe, car lorsqu’on fondait une cloche, le mĂ©tal fondu sortit du fourneau, l’environna et le brĂ»la tout Ă  l’entour. 

Chapitre 10

La MĂšre de Dieu raconte Ă  l’épouse sa grandeur et sa dignitĂ©, et les bienfaits que tout le monde reçoit d’elle. Elle enseigne aussi la maniĂšre et es suffrages pour lesquels l’ñme d’un grand prince dĂ©cĂ©dĂ©, pour lequel sainte Brigitte priait, pouvait ĂȘtre affranchie du purgatoire. Ce document est trĂšs bon.

Je suis la Reine du ciel et la Reine de misĂ©ricorde. Je suis la voie et l’entrĂ©e des pĂ©cheurs vers Dieu, car il n’y a peine au feu du purgatoire qui ne soit, pour l’amour de moi, plus lĂ©gĂšre, plus soulagĂ©e et plus facile Ă  porter. Il n’y a pas homme si maudit qui ne puisse avoir ma misĂ©ricorde tandis qu’il vit ,d’autant qu’il n’est pas si rudement tentĂ© qu’il le serait, si je ne l’empĂȘchais ; pas un n’est si Ă©loignĂ© de Dieu, Ă  moins qu’il ne soit tout Ă  fait maudit, qui, s’il m’invoque, ne puisse retourner Ă  Dieu et sentir les effets de ma misĂ©ricorde, car moi qui suis misĂ©ricordieuse et qui ai obtenu misĂ©ricorde de mon Fils, je veux vous montrer comment votre ami dĂ©funt, duquel vous ĂȘtes affligĂ©e, pourra ĂȘtre sauvĂ© des sept plaies que mon Fils vous a manifestĂ©es. 

En premier lieu, il sera sauvĂ© du feu qu’il souffre Ă  raison de sa luxure, si quelqu’un veut, pour l’amour de lui, faire trois biens selon les trois ordres de l’Eglise, des mariĂ©s, des veuves et des vierges : marier une pauvre fille, mettre l’autre en religion, et nourrir une pauvre veuve, et ce, d’autant qu’il a excĂ©dĂ©, 1° au pĂ©chĂ© de luxure, mĂȘme dans le mariage ; 2° Ă  raison de sa superbe et ostentation, en mĂ©prisant plusieurs ; 3° pour avoir trop demeurĂ© Ă  table et laissĂ© Dieu. 

En deuxiĂšme lieu, que celui qui voudra colliger et loger trois pauvres Ă  l’honneur de Dieu un et trine, pour cette triple gueule, un an entier, leur administrant et servant de tels de tels mets qu’il avait accoutumĂ© de manger, ne mange pas qu’il ne voie manger les pauvres, afin que, par ceci, le long temps qu’il a demeurĂ© Ă  table soit rĂ©compensĂ© ; et d’ailleurs, qu’il leur donne des vĂȘtements et des lits, comme il verra leur ĂȘtre expĂ©dient et convenable. 

En troisiĂšme lieu, pour la superbe dont il a Ă©tĂ© bouffi en plusieurs sortes, doit, qui voudra, assembler sept pauvres chaque semaine pendant un an, le jour qu’il voudra ; il leur lavera les pieds humblement, s’entretenant: 

En cette premiÚre demande : Seigneur Jésus-Christ , qui avez été pris par les Juifs, ayez miséricorde de lui.

En cette deuxiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été lié à la colonne, ayez miséricorde de lui.

En cette troisiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été jugé, étant innocent, par les coupables, ayez miséricorde de lui.

En cette quatriĂšme : Seigneur JĂ©sus-Christ, qui avez Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ© de vos propres habits, et avez Ă©tĂ© revĂȘtu de vĂȘtements de dĂ©rision, ayez misĂ©ricorde de lui.

En cette cinquiĂšme : Seigneur JĂ©sus-Christ, qui avez Ă©tĂ© fouettĂ© si cruellement qu’on voyait les cĂŽtes et qu’il n'y avait point de santĂ© en vous, ayez misĂ©ricorde de lui.

En cette sixiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été souffleté et couvert de crachats, ayez pitié de lui.

En cette septiĂšme : Seigneur JĂ©sus-Christ, qui avez Ă©tĂ© Ă©tendu sur un gibet, les pieds et les mains clouĂ©s, la tĂȘte meurtrie de la couronne d’épines, vos yeux pleins de sang, ayez misĂ©ricorde de lui.

Et ayant lavĂ© les pauvres, qu’il leur donne la rĂ©fection le mieux qu’il pourra et le plus convenablement, et qu’il les prie afin qu’ils prient pour l’ñme du dĂ©cĂ©dĂ©. 

En quatriĂšme lieu, il a pĂ©chĂ© en paresse en quatre maniĂšres : 

1° Ă  aller Ă  l’église ; 

2° Ă  gagner des indulgences ; 

3° Ă  visiter les lieux saints. 

Qui voudra donc satisfaire pour le premier, qu’il aille Ă  l’église une fois par mois pendant un an pour son Ăąme, et qu’il fasse dire une messe pour les dĂ©funts. 

Pour le deuxiĂšme, qu’il aille autant de fois qu’il pourra commodĂ©ment aux lieux oĂč sont donnĂ©es des indulgences, et oĂč il verra pratiquer plus de dĂ©votion. 

Pour le troisiĂšme, qu’il envoie, par quelque homme juste et fidĂšle, des offrandes aux saints principaux de ce royaume de SuĂšde, et lĂ  oĂč le peuple a accoutumĂ© de s’assembler pour gagner des indulgences comme Ă  Saint-Erice Ă  Saint-Sigfride, et autre semblables, et qu’il rĂ©compense celui qui porte les offrandes. 

En cinquiĂšme lieu, d’autant qu’il a pĂ©chĂ© en vaine gloire et joie dĂ©rĂ©glĂ©e, qu’il assemble, s’il lui plaĂźt, tous les pauvres de la cour, ou lieux circonvoisins, une fois chaque mois pendant un an, et iceux assemblĂ©s en une Ă©glise, qu’il leur fasse dire une messe des dĂ©funts, et que le prĂȘtre, avant de commencer, les avertisse de prier pour l’ñme du dĂ©funt. La messe Ă©tant dite, que tous les pauvres soient rĂ©fectionnĂ©s en sorte qu’ils sortent contents de la table, afin que l’ñme du dĂ©funt se rĂ©jouisse de leurs priĂšres, et que les pauvres se rĂ©jouissent de la rĂ©fection. 

En sixiĂšme lieu, que jusques Ă  la derniĂšre maille, il paiera et demeurera dans la peine jusques Ă  ce que tout soit rĂ©compensĂ© et payĂ©. 

Vous devez savoir qu’à la fin de sa vie, il fut en bon Ă©tat et avait une bonne volontĂ©, non certes si fervente qu’il payĂąt tout, mais il fut pourtant du nombre des sauvĂ©s. Donc, l’homme doit considĂ©rer combien grande est la misĂ©ricorde de mon Fils, qui, pour si peu d’amour, donne un repos Ă©ternel ; et s’il n’eĂ»t eu une si bonne volontĂ©, il eĂ»t Ă©tĂ© condamnĂ© Ă©ternellement. Partant, ses parents, qui ont hĂ©ritĂ© de ses biens, doivent avoir la volontĂ© de payer pour lui ; et de fait, ils doivent payer ses dettes Ă  tous ceux Ă  qui il devait, et en les payant, ils doivent leur demander pardon, de peur qu’ils n’aient Ă©tĂ© incommodĂ©s par la longue attente, autrement, les parents du dĂ©funt porteront son pĂ©chĂ©. AprĂšs, qu’ils envoient Ă  un chacun des monastĂšres de ce royaume une offrande telle qu’ils voudront, et qu’on y fasse dire une messe ; et avant qu’on dise la messe, qu’on prie Dieu pour cette Ăąme, afin que Dieu soit apaisĂ©. AprĂšs, qu’on dise la messe pour les dĂ©funts en chaque Ă©glise paroissiale en laquelle il a eu des biens, et le prĂȘtre dira avant de cĂ©lĂ©brer : On dit cette messe pour l’ñme du dĂ©funt. S’il vous a offensĂ© par parole, fait ou commandement, je vous supplie de lui pardonner. Et aprĂšs, qu’il s’approche de l’autel. 

Pour le septiĂšme, il Ă©tait juge, et il a commis le jugement Ă  des lieutenants iniques, c’est pourquoi il est affligĂ© par les mains des diables. Mais parce que ses lieutenants faisaient mal contre leur volontĂ©, nĂ©anmoins, parce qu’il n’en eut pas le soin qu’il devait, il peut ĂȘtre affranchi de cette peine, si on l’aide par priĂšres, et surtout par le saint et auguste sacrement de l’autel, qui est le corps immolĂ© de mon Fils tous les jours sur l’autel ; car le pain qui est mis en l’autel avant ces paroles : CECI EST MON CORPS, n’est que pain ; mais les paroles Ă©tant prononcĂ©es, il se transubstantie en corps de mon Fils, qu'il a pris de moi et qui a Ă©tĂ© clouĂ© au gibet. Lors le PĂšre est honorĂ© et dorĂ© en esprit par les membres de mon Fils. Le Fils se rĂ©jouit en la puissance et la majestĂ© du PĂšre. Moi, sa MĂšre, qui vous parle, je suis honorĂ©e de toute la cour cĂ©leste qui se tourne vers celui que j’ai engendrĂ© et l’adore, et les Ăąmes des justes me rendent grĂąces de ce qu’elles ont Ă©tĂ© rachetĂ©es par lui. 

Oh ! combien est horrible aux misĂ©rables de toucher avec des mains indignes un si grand Seigneur ! 

Ce corps donc, qui est mort d’amour pour l’amour, il le peut dĂ©livrer. 

Partant, qu’on dise une messe de chaque solennitĂ© de mon Fils, savoir, une de la NativitĂ©, une de la Circoncision, de l’Epiphanie, de la FĂȘte-Dieu, de la Passion, de la PĂąques, de l’Ascension et de la PentecĂŽte. Et d’ailleurs, une messe pour chaque solennitĂ© Ă  mon honneur et gloire, et encore neuf messes en l’honneur des neuf ordres des anges. Et quand on les dira, on donnera le vivre et le vĂȘtement, afin que les anges gardiens qui ont Ă©tĂ© offensĂ©s, soient apaisĂ©s par cette petite oblation, et qu’ils puissent offrir son Ăąme Ă  Dieu. AprĂšs, qu’on dise une messe gĂ©nĂ©ralement pour tous les dĂ©funts, afin que, par icellen ils obtiennent le repos, et qu’elle soit seulement avec un digne repos. 

DECLARATION.

Cet homme-ci fut un gentilhomme misĂ©ricordieux qui apparut Ă  sainte Brigitte, disant : Il n’y a rien qui me soulage tant des peines, que l’oraison des justes et le saint Sacrement de l’autel. Mais d’autant que j’ai Ă©tĂ© juge et ai commis mes jugements Ă  d’autres qui n’aimaient guĂšre la justice, c’est pour cela aussi que je suis encore dĂ©tenu en cet exil.. Mais je serais bientĂŽt affranchi, si ceux qui m’appartiennent avaient pitiĂ© de moi avec plus de douceur. Il sera parlĂ© du mĂȘme en ce livre, Chapitre XXII. 


 

 

Chapitre 11

La MÚre de Dieu avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion douloureuse.du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion toutes choses c'etaient troublées, l'humanite , la MÚre , les anges , et tous les éléments, et les ùmes des vivants et des morts, voire les démons

Pour le jour de la Passion

La MĂšre de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant :En la mort de mon Fils, toute choses s'Ă©taient troublĂ©es, car la DivinitĂ©, qui ne s’est separĂ©e jamais non pas mĂȘme en cette heure de 1a mort, en laquelle il semblait que la DivinitĂ© bien que 1a DivinitĂ©, ne puisse souffrir ni douleur ni peine, d’autant qu’elle est impatible et immuable , le Fils patissait une douleur trĂšs amĂšre en tous ses membres. , et voire mĂȘme dans le coeur, qui nĂ©anmoins Ă©tait immortel selon la DeĂŻtĂ© . Son Ăąme Ă©tait aussi immortelle et pĂątissait beaucoup en la sĂ©paration. Les anges aussi assemblĂ©s, semblaient se troubler de voir Dieu pĂątir en l’humanitĂ©.,

Mais comment les anges se peuvent-ils troubler, Ă©tant immortels? Certainement, comme le juste, voyant son ami pĂątir quelque chose dont il lui revenait une grande gloire, se rĂ©jouirait tic l’acquisition de la gloire , et s’affligerait de ce qu’il pĂątit, de mĂȘme les anges se contristaient de sa peine, bien qu’ils soient impatibles, et se rĂ©jouissaient de la gloire et du mĂ©rite de sa passion.

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Tous les Ă©lĂ©ments aussi se troublĂšrent: le soleil et la lune perdirent leur splendeur; la terre trembla ; les pierres se fendirent; les sĂ©pulcres s’ouvrirent Ă  l’heure de la mort de mon Fils.

Tous les Gentils se troublaient en tous lieux oĂč ils Ă©taient, car il y avait alors en leur coeur comme une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’oĂč en venait le sujet. Le coeur aussi de ceux qui le crucifiaient, se troubla Ă  cette heure

mais non certes Ă  leur gloire. Les malins esprits Ă©taient encore troubles Ă  cette heure, et Ă©taient comme assemblĂ©s en un. Or, ceux qui Ă©taient dans le sein d’Abraham, Ă©taient beaucoup troublĂ©s , en telle sorte qu’ils. eussent mieux aimĂ© ĂȘtre Ă©ternellement en l'enfer que de voir une si horrible peine en leur Seigneur.

Mais moi , Vierge Marie, sa MĂšre ,j'Ă©tais devant mon Fils. Pensez aussi quelle etait ma douleur Certes, personne ne le peut comprendre.

Partant, ĂŽ ma fille! souvenez vous de la passion de mon trĂšs cher Fils. Fuyez l’inconstance du 

monde, qui n’est qu’une vie passagùre et une fleur qui se fane et se fletrit soudain.

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Chapitre 12 

La MĂšre de celui qui est engendrĂ© de toute Ă©ternitĂ©, dit qu’elle est semblable Ă  un essaim d’abeilles, d’autant que son Fils, comme une abeille bĂ©nie, a rempli tout le monde de son miel trĂšs-doux, quand il descendit en son ventre, de sorte que tout venin a Ă©tĂ© ĂŽtĂ©.

La bienheureuse Vierge parle Ă  l’épouse, disant : O Ă©pouse de mon Fils, vous me saluez et me comparez Ă  un essaim d’abeilles. Certainement, j’ai Ă©tĂ© une ruche, car mon corps fut au centre de ma MĂšre comme un bois avant que l’ñme y fĂ»t infuse. Mon corps fut aussi comme un bois, quand l’ñme en fut sĂ©parĂ©e jusqu'Ă  la DivinitĂ©. Ce bois a Ă©tĂ© fait en essaim d’abeilles, quand cette bienheureuse mouche, mon Fils, sortit du ciel, et descendit Dieu vivant dans mon sein. En moi enfin fut quelque trĂšs-doux et trĂšs-pur rayon de miel, qui Ă©tait prĂ©parĂ© en toutes maniĂšres pour recevoir le trĂšs-suave miel de la grĂące du Saint-Esprit. Ce rayon a Ă©tĂ© lors rempli, quand le Fils de Dieu Ă©ternel vint en moi avec sa puissance, son amour et son honnĂȘtetĂ©. 

Il vint avec sa puissance, d’autant qu’il est mon Dieu et mon Seigneur. Il vint avec amour, car l’amour lui a fait prendre chair humaine et la mort sur un gibet. Il vint avec l’honnĂȘtetĂ©, car toute la vilenie du pĂ©chĂ© d’Adam fut Ă©loignĂ©e de moi, d’oĂč vient que le Fils de Dieu trĂšs-pur prit la chair trĂšs-pure. Mais il a l’aiguillon avec lequel nĂ©anmoins il ne pique pas, s’il n’y est provoquĂ© : de mĂȘme l’aiguillon de la justice sĂ©vĂšre de mon Fils ne pique point, s’il n’est provoquĂ© par les pĂ©chĂ©s. On a mal rĂ©compensĂ© cette abeille, car sa puissance a Ă©tĂ© donnĂ©e aux mains des iniques, son amour aux mains des cruels ; son honnĂȘtetĂ© a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©e et fouettĂ©e trĂšs-cruellement. BĂ©nie soit donc cette abeille qui a fait de mon bois une ruche, et l’a remplie de son miel avec tant d’abondance, que, par sa douceur qui m’a Ă©tĂ© communiquĂ©e, l’amertume du venin a Ă©tĂ© ĂŽtĂ©e de la bouche de tous ! 

Chapitre 13

JĂ©sus-Christ avertit son Ă©pouse de ranger tout son temps selon la volontĂ© de Dieu, et de ne rien faire, si ce n’est ce qu’elle croit plaire Ă  Dieu, et qu’elle conserve toujours la volontĂ© de persĂ©vĂ©rer toujours en la volontĂ© de Dieu, et qu’elle Ă©lĂšve toujours on esprit au ciel, et qu’elle mortifie tellement son corps en cette vie, qu’il puisse ressusciter en l’autre. 

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse : Vous devez avoir trois choses : la premiĂšre, n’allez qu’à mes volontĂ©s ; la deuxiĂšme, ne vous arrĂȘter que pour mon honneur ; la troisiĂšme, ne vous asseoir que pour l’utilitĂ© de votre Ă©poux. Or, Vous allez lors Ă  mes volontĂ©s, quand vous ne mangez, dormez, ni faites quelque autre chose, sinon comme vous connaissez qu’il plaĂźt Ă  Dieu. Or vous vous arrĂȘtez, quand vous avez une volontĂ© constante de demeurer et persĂ©vĂ©rer Ă  mon service. Or, vous ĂȘtes assise, quand vous Ă©levez incessamment votre esprit aux choses cĂ©lestes, considĂ©rant quelle est la gloire des saints et la vie Ă©ternelle. 

Vous devez ajouter Ă  ceci trois autres choses : 1-vous devez ĂȘtre disposĂ©e et prĂ©parĂ©e comme une fille qu’on veut marier, qui pense en cette sorte : J’amasserai pour mon Ă©poux tout ce que je pourrai des biens de mon pĂšre, puisque je dois ĂȘtre en adversitĂ© et nĂ©cessitĂ©. Vous en devez faire mĂȘme, car votre corps est comme votre pĂšre, duquel vous devez exiger toute sorte de travail et toute sorte de biens pour les dĂ©partir aux pauvres, afin que vous puissiez vous rĂ©jouir en moi comme en votre Ă©poux, car votre corps mourra, et il ne faut pas l’épargner en cette vie, afin qu’en l’autre il ressuscite Ă  une vie meilleure. 

En second lieu, considĂ©rez Ă  part vous comme une Ă©pouse : Si mon Ă©poux m’aime, pourquoi m’inquiĂšterais-je ? S’il est pacifique avec moi, pourquoi craindrais-je ? Partant, afin qu’il ne se courrouce point, je lui rendrai toute sorte d’honneur et ferai toujours sa volontĂ©. 

En troisiĂšme lieu, pensez que votre Ă©poux est Ă©ternel et trĂšs-riche, avec lequel vous aurez un honneur perpĂ©tuel et des richesses Ă©ternelles ; et partant, ne liez point vos affections aux richesses pĂ©rissables, afin qu’éternellement vous puissiez acquĂ©rir les richesses permanentes. 


Chapitre 14 

Notre-Seigneur dĂ©clare Ă  l’épouse comment il l’a fait nourrir en la vie spirituelle et dans les vertus, par un ange Ă  la façon d’un enfant. Il la recommande encore Ă  la Vierge. Il raconte encore comment, par une subtile ruse, il l’a arrachĂ©e au monde et l’a conduite au port du salut, et lui commande de dĂ©clarer toutes ses tentations aux pĂšres spirituels, et qu’elle fera une bonne fin. 

Un des anges parlait Ă  JĂ©sus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur, de toute votre troupe, pour l’amour que vous nous portez ! Vous avez commis cette Ă©pouse Ă  ma garde : je vous la recommande aussi, car je l’attirais comme une petite fille Ă  vous, en lui donnant des pommes ; et aprĂšs les pommes, je lui disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai du vin trĂšs-doux, d’autant qu’en la pomme, il n’y a qu’un peu de saveur, mais au vin, il y a une grande douceur et un sujet de joie Ă  l’ñme. Or, ayant goĂ»tĂ© le vin, je lui ai dit derechef : Avancez encore plus avant, car je vous dispose ce qui est Ă©ternel et en quoi est tout le bien. 

Ces choses Ă©tant dites, Notre-Seigneur dit Ă  l’épouse : Il est vrai que mon serviteur me parlait de vous, vous l’entendant ; il vous attirait Ă  moi comme avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient de moi et me rendiez grĂąces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car comme en la pomme, il n’y a qu’une petite saveur et un mĂ©diocre rassasiement, de mĂȘme mon amour ne vous Ă©tait pas alors Ă  grand goĂ»t, si ce n’est que quelque suavitĂ© fĂ»t en votre cƓur de penser Ă  moi. Mais lors vous avez passe plus outre quand vous pensiez ceci : La gloire de Dieu est Ă©ternelle, et la joie du monde fort courte et trop inutile Ă  la fin du monde. Que me sert-il d’aimer de la sorte les choses temporelles ? 

AprĂšs avoir eu cette pensĂ©e, vous commençùtes de vous abstenir courageusement des dĂ©lectations du monde, et faire les biens que vous pouviez Ă  l’honneur de mon nom ; et lors vos dĂ©sirs furent plus grands Ă  mon endroit. AprĂšs que vous eĂ»tes pensĂ© que j’étais tout-puissant et Seigneur, duquel, comme de la source, dĂ©pendent toute sorte de biens, et renonçùtes Ă  vos volontĂ©s, faisant miennes, lors de droit vous Ă©tĂ© faite mienne ; je vous ai acceptĂ©e et ai fait que vous fussiez mienne. 

Cela Ă©tant dit, Notre-Seigneur dit Ă  l’ange : Mon serviteur, vous ĂȘtes riche en moi ; votre honneur est Ă©ternel ; le feu de votre amour est inextinguible ; ma vertu est indĂ©ficiente ; vous m’avez recommandĂ© mon Ă©pouse, mais je veux que vous la gardiez encore jusqu'Ă  ce qu’elle soit arrivĂ©e Ă  l’ñge ; gardez-la bien, afin que le diable ne lui prĂ©sente Ă  l’inconsidĂ©rĂ© quelque chose mauvaise. Ayant soin de la vĂȘtir des robes des vertus, vĂȘtements de toute sorte d’éclat et de beautĂ© ; entretenez-la de mes paroles, qui sont comme de la chair fraĂźche, par lesquelles le sang est amĂ©liorĂ©, la chair infirme s’en porte mieux, et une sainte dĂ©lectation est excitĂ©e en son ame, car j’ai fait Ă  cette mienne Ă©pouse comme quelqu’un Ă  accoutumĂ© de faire Ă  son ami, lequel il attire et allĂšche par amour, lui disant : Mon ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui s’y fait et ce que vous y devez faire Ă  l’entrĂ©e. Celui qui l’a attirĂ© dans la maison ne lui montre pas d’abord les serpents et les lions farouches qui sont en la maison, afin que son ami ne soit Ă©pouvantĂ© ; mais pour la consolation de son ami, il lui fait voir les serpents comme des brebis douces, et les lions comme des ouailles trĂšs-belles, disant Ă  son ami : Mon ami, sachez que je vous aime et que je vous ai attirĂ© pour votre bien. Partant, dites Ă  vos amis tout ce que vous verrez, car ils vous consoleront et vous garderont, de sorte que ma captivitĂ© vous sera plus agrĂ©able que votre propre libertĂ©. 

De mĂȘme en ai-je fait Ă  votre Ă©gard, O ma fille bien-aimĂ©e ! Je vous ai comme attirĂ©e et captivĂ©e, quand je vous ai retirĂ©e de l’amour du monde et vous ai liĂ©e au mien ; quand je vous ai retirĂ©e des dangers du monde dans ce port de salut, dans lequel ceux que pensez ĂȘtre vierges par continence, sont vraiment des lions par malice, ceux que vous croyez des brebis par la contemplation divine, sont comme des serpents rampants Ă  terre, et par la ventre de la gueule et cupiditĂ©s insatiables. Partant, ne rapportez point ailleurs ce que vous verrez et oirez, mais bien Ă  mes amis qui vous gardent et vous instruisent, car l’Esprit qui vous a conduite au port, celui-lĂ  mĂȘme vous conduira Ă  la patrie ; et celui qui vous a conduite Ă  un bon principe, celui-lĂ  vous dirigera Ă  une meilleure fin. 

Chapitre 15

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ dit Ă  son Ă©pouse que les prĂ©lats, les grands et savants qui se glorifient et s’enrichissent de leur savoir et en vivent mal, sont comparĂ©s aux courtisanes et aux ivrognes, qui prĂ©cipitent les autres et eux-mĂȘmes dans les abĂźmes des pĂ©chĂ©s. Bien que pourtant ils eussent obligations d’ĂȘtre meilleurs que les autres, ma misĂ©ricorde nĂ©anmoins ira au-devant de celui qui se convertira, comme un pĂšre ayant recouvrĂ© son fils qui s’était perdu.

Ce prĂ©lat pour lequel vous priez dĂ©tourne ses yeux de moi et se convertit au monde avec l’ornement et l’éclat de la dignitĂ©. S’il voulait ĂȘtre Ă  moi, il me regarderait tous les jours ; il lirait mon livre avec plus d’attention, et considĂ©rerait non avec tant de soin du monde ma loi, qu’est ce qui est dit Ă  l’Église. 

Elle lui rĂ©pondit : La loi de l’Église n’est-elle pas votre loi ? 

Notre-Seigneur rĂ©pondit. Elle Ă©tait ma loi, tant que les miens l’ont lue et observĂ©e pour l’amour de moi. Or, maintenant, elle n’est point Ă  moi, d’autant qu’on la lit en la maison des dĂ©s qui jettent trois points sur un dĂ©, qui, pour une petite justice qu’ils trouvent en la loi de l’Église, en acquiĂšrent une grande somme d’argent. On ne la lit plus pour mon honneur, mais pour acquĂ©rir des richesses. 

Aux maisons des joueurs de dĂ©s se trouvent les courtisanes et les ivrognes : tels maintenant sont ceux qui lisent les lois de mon Église ; tels maintenant se nomment savants et sages, quoiqu’ils soient vraiment fous : car qu’est-ce qu’une courtisane a accoutumĂ© de faire ? certainement, elle est babillarde, lĂ©gĂšre en ses mƓurs, belle de face par le plĂątre, et bien vĂȘtue : tels sont maintenant ceux qui apprennent mes lois : ils sont babillards en plaisanteries, muets Ă  prĂȘcher ma parole et Ă  me louer, si lĂ©gers en leurs mƓurs, que mĂȘme les sĂ©culiers ont honte du dĂ©rĂšglement de leurs mƓurs ; et non-seulement ils se perdent , mais ils ravagent et prĂ©cipitent les autres par leurs pernicieux exemples ; ils n’affectionnent ni n’affectent rien tant que d’ĂȘtre vus du monde, d’ĂȘtre honnĂȘtes et honorĂ©s , et d’aller pompeux en leurs vĂȘtements , d’acquĂ©rir richesses et honneurs. Mes paroles et mes prĂ©ceptes leur sont fort amers ; ma vie et ma voie leur sont abominables. En vĂ©ritĂ©, leur conversation et leur vie sont aussi puantes devant moi qu’une courtisane, qui est la plus vile et la plus abjecte des femmes. De mĂȘme ceux-lĂ  me sont odieux par-dessus les autres ; ils disent et se glorifient de savoir mes lois, mais c’est pour dĂ©cevoir et tromper les simples, pour assouvir leurs voluptĂ©s. 

En la maison oĂč ma loi se lit, il y a des ivrognes et des incontinents, la gloire desquels est d’exceller, voire excĂ©der les autres, et de pousser leur nature aux superfluitĂ©s : tels sont maintenant les maĂźtres de la loi, qui se rĂ©jouissent des superfluitĂ©s, qui ont bien peu honte de leur excĂšs, et qui ne s’affligent nullement des offenses et des pĂ©chĂ©s d’autrui. NĂ©anmoins, s’ils lisaient vraiment ma loi, ils trouveraient qu’ils doivent ĂȘtre plus continents que les autres, et qu’ils sont plus obligĂ©s de vivre plus parfaitement. 

P.223

Or, je suis comme un seigneur puissant, aimant les brebis de plusieurs citĂ©s, lequel, bien qu’il soit puissant, n’usurpe point les brebis des citĂ©s circonvoisines ; il n’en veut d’autres que celles que la justice l’oblige d’avoir. De mĂȘme moi, qui suis CrĂ©ateur de toutes choses et suis trĂšs-puissant, je ne reçois pas pourtant, sinon ceux que je dois avoir par justice, et qui se connaissent ĂȘtre Ă  moi par amour. En vĂ©ritĂ©, quiconque se sera retirĂ© de moi, voudra retourner Ă  moi et voudra ouĂŻr ma voix, pourra ĂȘtre sauvĂ©. Une brebis errante de son propre bercail, si elle oyait la voix de sa mĂšre, ne retournerait-elle pas soudain Ă  sa mĂšre ? Et semblablement, quand la mĂšre entend la voix de celui qu’elle a enfantĂ©, elle court de toute sa force au-devant de lui, de sorte que, s’il est en sa puissance libre, il n’y a ni labeur ni peine qui l’empĂȘche de courir : de mĂȘme, moi, CrĂ©ateur de toutes choses, je reçois librement ceux qui oient ma voix, et je leur vais au-devant avec joie, et je me rĂ©jouis d’avoir retrouvĂ© l’enfant perdu, et comme une mĂšre, je me rĂ©jouis du retour de mon agneau. 

DÉCLARATION. 

L’homme dont il est ici parlĂ© fut prĂ©vĂŽt de l’Église de Saint-Pierre, puis cardinal. Plusieurs qui sont le sort de Dieu et aumĂŽniers de Dieu, thĂ©saurisent au autres les dons de Dieu, car le clerc, qui est le sort de Dieu, n’a point d’autres biens hors le vivre et le vĂȘtir, mais est des pauvres tout ce qui est par-dessus cela, d’oĂč vient que celui-lĂ  est heureux qui amasse en l’étĂ© ce dont il puisse vivre en hiver. 

Car voyez comme ses parents ont Ă©videmment dispersĂ© ce que celui-ci avait amassĂ©, ne se souciant point de son Ăąme ; mais nĂ©anmoins, d’autant qu’il a eu une bonne volontĂ© de distribuer ses biens, il est parvenu Ă  ce qu’il dĂ©sirait ; nĂ©anmoins, il eĂ»t Ă©tĂ© plus heureux s’il les eĂ»t dispensĂ©s pendant sa vie. 

Chapitre 16 

Quelque saint dit Ă  l’épouse que, si l’homme mourait chaque jour pour Dieu, il ne saurait assez remercier et reconnaĂźtre Dieu pour la gloire Ă©ternelle qu’il lui rĂ©serve.  Il raconte aussi des peines terribles qu’une femme endurait pour les dĂ©lectations de la chair qu’elle avait eues en sa vie.

Un des saints parlait Ă  sainte Brigitte, disant : Si j’avais souffert pour l’amour de Dieu autant de morts qu’il y a d’heures au monde, et que je fusse Ă  toute heure ressuscitĂ©, je ne pourrais pourtant avec tout cela reconnaĂźtre Dieu pour l’amour qu’il m’a portĂ© ; sa louange ne se retire jamais de ma bouche, sa joie de mon cƓur ; sa gloire et son honneur ne sont jamais cachĂ©s de ma vue, ni ses concerts de mon oreille.

Lors Notre-Seigneur dit au mĂȘme saint : Dites Ă  cette Ă©pouse assistante ce que mĂ©rite celui qui se soucie plus du monde que de Dieu, qui aime plus la crĂ©ature que le CrĂ©ateur, et quel supplice cette femme endure, qui, pendant qu’elle Ă  vĂ©cu, a cherchĂ© les plaisirs de la chair. 

Ce saint rĂ©pondit : Son supplice est trĂšs cruel, car pour la superbe qu’elle a eue en tous ses membres, sa tĂȘte, ses mains, ses bras et ses pieds, sont allumĂ©s comme d’un foudre horrible. Sa poitrine est piquĂ©e comme d’une peau de hĂ©risson, les Ă©pines duquel percent sa peau comme des Ă©pines, et l’affligent sans consolation. Ses bras et le reste des membres, qu’elle Ă©tendait pour embrasser avec douceur les hommes, sont comme deux serpents qui l’environnent, la rongent et le dĂ©chirent sans cesse avec dĂ©solation continuelle ; son ventre est misĂ©rablement tourmentĂ©, comme si, avec une grande force, on s’efforçait d’y planter un pal. Ses cuisses et ses genoux sont comme de la glace dure et inflexible, n’ayant point de repos ni de chaleur. Ses pieds aussi, avec lesquels, elle se portait aux dĂ©lices, avec lesquels elle a attirĂ© les autres Ă  soi, sont comme des rasoirs aigus que la taillent incessamment.

DÉCLARATIONS. 

Cette dame abhorrait fort les confessions et suivait ses volontĂ©s ; Ă©tant atteinte d’une tumeur Ă  la gorge, elle est morte sans confession. On l’a vue ĂȘtre au jugement de Dieu, laquelle tous les diables accusaient, disant et criant : Voici cette femme qui a voulu se cacher de vous et ĂȘtre connue de nous. 

Le juge rĂ©pondit : La confession est une bonne lavandiĂšre ; et d’autant qu’elle ne s’est pas voulu laver en temps et saison, elle sera maintenant noircie de vos immondices ; et d’autant qu’elle n’a pas voulu se confondre devant peu de gens, il est juste qu’elle soit confondue de tous devant tous. 

Chapitre 17

Lors le dĂ©mon dit Ă  la Sainte Vierge : Vierge, donnez-moi puissance sur celle-ci. 

La Vierge lui dit : Pourquoi ne la recevez-vous en votre puissance ? 

Le dĂ©mon lui dit : Je ne puis pas, d’autant que je ne puis pas sĂ©parer le sang du sang Ă©tant dans un vase pĂšle mĂȘle : le sang de la charitĂ© de Dieu est mĂȘlĂ© avec le sang de la charitĂ© de son cƓur. 

La Sainte Vierge Marie lui dit derechef : Pourquoi ne la laissez-vous en repos ? 

Le diable dit : Je ne le ferai jamais, car si je ne puis la faire tomber en pĂ©chĂ© mortel, je ferai en sorte qu’elle soit fouettĂ©e pour le pĂ©chĂ© vĂ©niel. Et si je ne puis encore faire cela, je jetterai en son esprit plusieurs pensĂ©es qui l’inquiĂ©teront. 

Lors la Vierge dit : Je veux l’aider, car toutes les fois qu’elle chasse ces pensĂ©es et les jette Ă  votre front, tout autant de fois les pĂ©chĂ©s lui seront pardonnĂ©s, et son prix et sa couronne s’augmenteront.

DÉCLARATION. 

Un jour, sainte Brigitte Ă©tait tentĂ©e de gourmandise ; et lors, ravie en esprit, elle vit un Éthiopien qui avait en la main comme une bouchĂ©e de pain, et un jeune homme qui avait un vase d’or. 

Lors le jeune homme dit Ă  l’Éthiopien : Pourquoi la sollicitez-vous et la tentez-vous, elle qui est commise Ă  ma garde ? 

L’Éthiopien rĂ©pondit : Je la tente, d’autant qu’elle se glorifie de l’abstinence qu’elle n’avait pas eue : c’est pourquoi je lui prĂ©sente mon pain, afin que le pain le plus bis lui soit Ă  goĂ»t. JĂ©sus-Christ n’a-t-il pas jeĂ»nĂ© quelque temps sans manger ? Les prophĂštes n’ont-ils pas mangĂ© le pain et bu Ă  mesure ? D’oĂč ils ont mĂ©rite ce qui est excellent et sublime. Et comment donc celle-ci mĂ©ritera-t-elle, qui est toujours saoule ? 

Le jeune homme rĂ©partit : JĂ©sus-Christ Ă  enseignĂ© de jeĂ»ner, non pas Ă  dĂ©biliter notablement son corps : il ne demande pas ce qui est impossible Ă  la nature, mais la modĂ©ration ; et il ne demande pas compte de la quantitĂ© et de la qualitĂ© des viandes, mais il considĂšre l’intention et l’amour avec lequel on les prend, car il faut garder la coutume de la bonne Ă©ducation avec action de grĂąces, afin que la chair ne soit dĂ©bilitĂ©e plus qu’il ne faut. 

Lors le diable disparut, et elle fut affranchie de la tentation. 


Chapitre 18.

Notre-Seigneur dit que les religieux et les personnes spirituelles qui reçoivent des consolations du Saint-Esprit, s’ils n’en remercient trĂšs-humblement Dieu, mais nĂ©gligent la grĂące et s’enorgueillissent, se dĂ©lectant au monde, sont semblables au pauvre ingrat qui, aprĂšs avoir bu, jette la boisson avec mĂ©pris devant les yeux de celui qui lui avait donnĂ© Ă  boire.

Quelques-uns sont comme un homme pauvre, indigent, qui souffre la soif, ce que le pĂšre de famille sachant, il lui donne la meilleure boisson qu’il a. Or, ayant reçu la boisson et l’ayant goĂ»tĂ©e, il dit : Ce breuvage ne me plaĂźt point, et je ne vous en rends point grĂąces ; et il jette la boisson en prĂ©sence de celui qui la lui a donnĂ©e, lui rendant contumĂ©lie pour charitĂ©. Le pĂšre de famille, ayant reçu une telle injure d’icelui, Ă©tant tout plein de douceur et de bĂ©nignitĂ©, pense Ă  part soi : Voici que mon hĂŽte m’a fait une grande injure, mais je ne veux pas pourtant me venger de lui avant de venir au jugement et que le temps en soit arrivĂ©, car lors les taches, les notes et les injures seront ĂŽtĂ©es de sa face. 

De mĂȘme m’en font plusieurs religieux, car en leur pauvretĂ© et humiliation, ils crient Ă  moi et disent : Seigneur, nous sommes accablĂ©s de mĂ©pris et de tribulations ; donnez-nous quelque consolation. Lors, j’en ai compassion, et leur donne pour consolation le meilleur vin que faire se peut, c’est-Ă -dire, mon Esprit, la douceur duquel remplit les Ăąmes, et l’ardeur duquel fait qu’ils ne se soucient point ni du mĂ©pris ni de la pauvretĂ©. Or, ayant goĂ»tĂ© le vin du Saint-Esprit et l’ayant eu quelque temps en leur cƓur, ils le nĂ©gligent et ne me remercient point, mais le jettent en ma prĂ©sence, lorsqu’ils choisissent les dĂ©lectations du monde, et quand ils se rendent orgueilleux de mes grĂąces et de mes faveurs. 

Celui que vous connaissez s’est comportĂ© de la sorte avec moi, lequel Ă©tant pauvre et dĂ©laissĂ©, mon Saint-Esprit le consolait ; quand il Ă©tait mĂ©prisĂ© et qu’il n’avait point la joie de son cƓur, je le rĂ©jouissais, car bien que je ne lui parlasse point d’une voix corporelle et qu’il ne l’ouĂźt pas sensiblement, nĂ©anmoins, mon Saint-Esprit l’avertissait de faire bien, et je l’excitais, en le rĂ©jouissant, Ă  ce qui Ă©tait le meilleur. Mais lui, ayant goĂ»tĂ© mon Esprit et ayant reçu les grĂąces de mes consolations, rĂ©pute Ă  nĂ©ant ce que je lui ai donnĂ©, et dĂ©libĂšre en son esprit de jeter devant ma face les divines et amoureuses liqueurs ; Il ne les a pas pourtant jetĂ©es encore. 

Voyez et considĂ©rez en ce fait combien je suis patient et misĂ©ricordieux, car je ne le souffre pas seulement avec patience, mais je lui distribue des biens pour ses ingratitudes ; car il est maintenant plus honorĂ© et plus estimĂ© des hommes, et les biens qu’il avait accoutumĂ© de recevoir, lui arrivent avec plus d’abondance qu’auparavant, mais lui me sert moins pour cela qu’auparavant. Il rĂ©pute mes grĂąces pour nĂ©ant et ma dilection Ă  nulle estime. Or, il s’arrĂȘte comme un homme qui dĂ©libĂšre de jeter les faveurs devant la face de celui qui l’en a enrichi, et ce, d’autant que le monde qu’il aime lui plaĂźt plus que moi ; la vie spirituelle qu’il avait embrassĂ©e lui est onĂ©reuse et Ă  dĂ©goĂ»t, et afin que vous Ă©prouviez ceci, expĂ©rimentez que l’odeur qui sortait de ses vĂȘtements pendant qu’il me servait, n’est plus, ni n’est pas de merveilles, car les anges tous pleins de force et de vertu, protĂ©gent mes amis. Or, maintenant, sa volontĂ© Ă©tant changĂ©e, l’odeur l’est aussi, et cette odeur montre aujourd’hui quelles sont son intention et sa volontĂ©. Or, qu’est-ce que je dois faire, quand on jette devant ma face, mes grĂąces et mes faveurs ? VĂ©ritablement, je le souffrirai patiemment comme un homme dĂ©bonnaire, jusqu'Ă  ce que le jour de jugement arrive et sentence gĂ©nĂ©rale, afin qu’alors apparaissent l’ingratitude et la prĂ©somption de ce prĂ©somptueux, et la patience du Seigneur qui l’a souffert.

DÉCLARATION. 

L’homme dont il est ici parlĂ© fut moine du monastĂšre de Saint-Paul, qui , ayant eu contrition de ses fautes, mourut heureusement. 

Chapitre 19. 

Notre-Seigneur se plaint des hommes qui se plaisent dans les dĂ©lices temporelles, mĂ©prisant la gloire future et les bĂ©nĂ©fices de sa passion, l’oraison desquels est comparĂ©e Ă  la voix d’une canne et au cliquetis des pierres ; tels seront damnes, et lors ils ne verront pas la gloire de Dieu dans le ciel, hors, dessous et en tout lieu, Ă  leur confusion. 

Celui que vous connaissez chante : Seigneur, dĂ©livrez-moi de l’homme mauvais. Cette voix est Ă  mes oreilles comme la voix d’un flageolet, comme l’harmonie d’une canne et comme le son du cliquetis des pierres. Or, qui pourra rĂ©pondre Ă  leur son, vu qu’on ignore ce qu’il signifie ? car son cƓur crie Ă  moi comme par trois voix. 

La premiĂšre dit : Je veux avoir les volontĂ©s. Je dormirai et me lĂšverai quand il me plaira ; je prendrai plaisir en mes paroles. Ce qui me plaĂźt et dĂ©lecte entrera en ma bouche. Je ne me soucie point de la sobriĂ©tĂ©, mais je cherche l’assouvissement de la nature ; je lui donnerai Ă  suffisance ce qu’elle dĂ©sire : je dĂ©sire avoir de l’argent en ma bourse, la douceur et la mollesse des vĂȘtements. Quand j’aurai toutes ses choses, je serai content, et je rĂ©pute Ă  fĂ©licitĂ© d’avoir ce que je dĂ©sire. 

La deuxiĂšme voix crie et dit : La mort n’est pas si dure qu’on le dit ; le jugement n’est pas si sĂ©vĂšre qu’il est Ă©crit. Les prĂ©dicateurs nous menacent de plusieurs choses dures pour nous faire prendre garde Ă  bien vivre, mais elles seront plus douces Ă  raison de la misĂ©ricorde divine. Mais pour que je puisse accomplir ici mes volontĂ©s, faire ce qui me plaĂźt et jouir du meilleur, que l’ñme aille oĂč elle pourra. 

La troisiĂšme voix criait et disait : Dieu ne m’aurait pas crĂ©Ă©, s’il ne voulait me donner le ciel ; il n’aurait pas souffert, s’il ne voulait m’introduire dans la patrie des vivants. Et pourquoi aurait-il voulu endurer une mort si cruelle ? Qui l’y a contraint ? Ou bien quelle utilitĂ© en rĂ©sulterait-il ? Je ne puis entendre ni comprendre que par l’ouĂŻe ce qu’est le royaume cĂ©leste ; je ne vois pas sa bontĂ© ; je ne sais si je le dois croire ou non. Je sais et tiens pour royaume cĂ©leste ce que je tiens. 

VoilĂ  quelles Ă©taient ses pensĂ©es et ses volontĂ©s ; c’est pourquoi aussi sa voix m’est comme le cliquetis des pierres. 

Mais je veux rĂ©pondre Ă  la premiĂšre voix de son cƓur. Mon ami, votre voix ne tend point au ciel ; la considĂ©ration de ma passion ne vous est pas Ă  goĂ»t : c’est pourquoi l’enfer vous est ouvert, d’autant que votre vie dĂ©sire les choses basses et les aime. 

Je rĂ©ponds Ă  la deuxiĂšme voix : Mon fils, la mort vous sera trĂšs-dure ; le jugement vous sera intolĂ©rable ; il est impossible que vous les fuyiez ; vous aurez une peine trĂšs-amĂšre, si vous ne vous amendez pas. 

Je rĂ©ponds Ă  la troisiĂšme voix de votre cƓur : Mon frĂšre, tout ce que j’ai fait par amour, je l’ai fait pour l’amour de vous, afin que vous me fussiez, et que, vous Ă©tant retirĂ© de moi, vous puissiez revenir Ă  moi. Or, maintenant, ma charitĂ© Ă©tĂ© Ă©teinte en vous ; Mes Ɠuvres vous sont pesantes et onĂ©reuses ; mes paroles vous semblent des fadaises, mes voies vous paraissent difficiles : c’est pourquoi il vous reste un supplice amer et la compagnie des diables, et vous ne changez votre cƓur en mieux, si vous me tournez le dos, Ă  moi qui suis votre trĂšs-dĂ©bonnaire Seigneur et CrĂ©ateur ; vous aimez mon ennemi en me mĂ©prisant ; vous foulez aux pieds mes trophĂ©es et dressez ceux de mon ennemi. 

HĂ©lĂ s ! Voici comment ceux qui semblent ĂȘtre Ă  moi sont contre moi ; voyez en quelle sorte ils s’en sont retirĂ©s. Je vois ces choses et les souffrances, et encore, ils sont si endurcis qu’ils ne veulent prendre garde Ă  ce que j’ai fait pour eux et comme j’ai Ă©tĂ© devant eux. 

1. J’ai Ă©tĂ© devant eux comme un homme dont un couteau aigu perçait les yeux ; 

2- comme un homme dont un glaive transperçait le cƓur ; 

3- comme un homme dont tous les membres ont Ă©tĂ© roidis Ă  raison de l’amertume et de la douleur de ma douloureuse passion : C’est de la sorte que j’ai Ă©tĂ© devant eux. 

Or, qu’est-ce que mon Ɠil signifie, sinon mon corps, auquel le ressentiment de ma passion fut aussi amer que la douleur en la prunelle de l’Ɠil ? NĂ©anmoins, je souffrais tout cela patiemment avec un grand amour. Mais le glaive signifie la douleur de ma trĂšs-chĂšre MĂšre, qui affligea plus mon cƓur que la douleur mĂȘme. 

En troisiĂšme lieu, tous mes membres et toutes les parties intĂ©rieures se roidirent en ma passion, et c’est ce que j’ai pĂąti pour eux. Mais hĂ©las ! Les misĂ©rables ! Ils mĂ©prisent tout cela comme un fils qui mĂ©prise sa mĂšre. Eh quoi ! Ne leur ai-je pas Ă©tĂ© comme une mĂšre qui, ayant dans le ventre son enfant, dĂ©sire l’heure de l’enfantement, afin que l’enfant naisse vivant ? Que s’il peut ĂȘtre baptisĂ©, la mĂšre n’a pas tant de peine de la mort qu’elle en aurait autrement. J’en ai fait de mĂȘme : j’ai enfantĂ© comme une mĂšre, par ma passion, l’homme des tĂ©nĂšbres de l’enfer au jour Ă©ternel. Je l’ai portĂ© et nourri comme dans mon sein avec de grandes difficultĂ©s, lorsque j’ai accompli les prophĂ©ties qui parlaient de moi ; je l’ai nourri de mon lait, quand je lui ai montrĂ© les paroles saintes et lui ai donnĂ© les prĂ©ceptes de vie. Mais lui, comme un mĂ©chant fils, mĂ©prisant les douleurs de sa mĂšre, me rend haine pour amour ; pour la douleur, des sujets de pleurs, et surajoute Ă  mes plaies de nouvelles infirmitĂ©s ; il donne Ă  ma faim des pierres, et pour Ă©tancher ma soif, il me donne de la boue. 

Or, quelle est cette douleur que l’homme me cause, vu que je suis sans changement, impassible et Dieu Ă©ternel ? En vĂ©ritĂ©, lors l’homme me fait comme endurer, quand il se sĂ©pare de moi par le pĂ©chĂ©, non pas que je sois sujet Ă  quelque douleur, mais seulement d’une maniĂšre ineffable, comme un homme a compassion d’un autre. Or, l’homme me causait alors de la douleur, quand il ignorait la gravitĂ© et la laideur du pĂ©chĂ©, lorsqu’il n’avait ni prophĂštes ni loi, ni n’avait encore les paroles de ma bouche. Or, il me cause maintenant une double douleur comme un pleur, bien que je sois impassible, quand, ayant connu mes volontĂ©s, ressenti mon amour, il s’agit contre mes commandements, et pĂšche impudemment contre la raison de sa conscience ; et c’est pourquoi plusieurs sont plus profondĂ©ment prĂ©cipitĂ©s dans l’enfer, ayant la connaissance de mes volontĂ©s, que s’ils ne l’eussent pas eue et n’eussent reçu mes commandements ; et certes, lors l’homme faisait en moi quelques plaies, bien que je sois invulnĂ©rable, lorsqu’il ajoutait pĂ©chĂ© sur pĂ©chĂ©. 

Or, maintenant, ils ajoutent sur mes plaies quelque malheur vĂ©nĂ©neux, lorsque, non-seulement ils multiplient les pĂ©chĂ©s, mais lorsqu’ils s’en glorifient et ne s’en repentent point. Or, quand l’homme me donne encore des pierres au lieu de pain, et de la boue au lieu de boisson, remarquez que, par le pain, sont entendus le profit des Ăąmes, la contrition du cƓur, le dĂ©sir divin et l’humilitĂ© fervente en charitĂ© : au lieu de ces choses, l’homme me donne des pierres, savoir, par l’endurcissement de son cƓur. Il me donne de la boue par l’impĂ©nitence et vaine confiance. Il mĂ©prise de revenir Ă  moi par les avertissements salutaires ; et par les adversitĂ©s, il dĂ©daigne de me regarder, et de peser et considĂ©rer la grandeur de mon amour. Partant, je puis me plaindre Ă  juste sujet, car je les ai enfantĂ©s comme une mĂšre en la lumiĂšre par la douleur de ma passion ; mais ils aiment mieux ĂȘtre plongĂ©s dans les tĂ©nĂšbres palpables. Je les ai repus et je les repais du lait de ma douceur, et ils me mĂ©prisent, et ajoutent impudemment la boue de leur malice Ă  la douleur de l’ignorance. Ils me rassasient du pĂ©chĂ©, bien qu’ils me dussent arroser des larmes de leurs vertus. Ils me prĂ©sentent des pierres, bien qu’ils soient obligĂ©s de me prĂ©senter leur cƓur plein de douceur. Partant, ayant patience comme un juste juge en la justice, et en la justice misĂ©ricorde, et en la misĂ©ricorde sagesse, je me lĂšverai contre eux en leur temps, et leur rendrai selon leurs mĂ©rites ; et ils verront ma gloire dans le ciel, dedans, dehors, de toutes parts, dans les vallĂ©es, sur les collines ; et ceux qui seront damnĂ©s seront confus et honteux de leur propre honte et confusion. 

DÉCLARATION. 

Celui-ci fut religieux, moine du monastĂšre de Saint-Laurent, dissolu et dissipĂ©, qui fut occis par ses ennemis et enseveli en l’Église de Saint-Laurent. 

Saint-Laurent a Ă©tĂ© vu parler au juge, disant : Qu’est-ce que ce volage fait avec les Ă©lus, lesquels ont rĂ©pandu leur sang ? Ce moine a aime les voluptĂ©s. Et cela Ă©tant dit, son corps a Ă©tĂ© jetĂ© du sĂ©pulcre puant et infect. 

AprĂšs, le juge dit Ă  l’ñme qui Ă©tait lĂ  prĂ©sente : Allez, maudite, aux incirconcis et abortifs que vous avez suivis, d’autant que vous n’avez voulu ouĂŻr la voix de votre PĂšre ! Et la vision disparut de la sorte. 


Chapitre 20.

La MĂšre de misĂ©ricorde dit que l’homme qui a la contrition et la volontĂ© de s’amender, et qui nĂ©anmoins est froid en la dĂ©votion et en l’amour de Dieu, doit impĂ©trer de Dieu une bluette de feu divin, par la frĂ©quente mĂ©ditation de la passion de JĂ©sus-Christ ; et de lĂ , elle Ă©chauffera son Ăąme par le divin amour, et elle sera allaitĂ©e des mamelles virginales, c’est-Ă -dire, de la vertu, de la crainte divine et de l’obĂ©issance. 

La Vierge Marie dit : Je suis comme une mĂšre qui a deux enfants ; mais ils ne peuvent atteindre aux mamelles de leur mĂšre, d’autant qu’elles sont trop froides et sont en une maison trop froide. NĂ©anmoins, la mĂšre les aime tellement qu’elle les couperait volontiers, s’il Ă©tait possible, pour leur utilitĂ©. 

Je suis en vĂ©ritĂ© MĂšre de misĂ©ricorde, d’autant que je fais misĂ©ricorde Ă  tous ces misĂ©rables qui me la demandent. J’ai deux enfants : l’un s’appelle la contrition de ceux qui faillent contre Dieu, mon Fils ; le second est la volontĂ© de se corriger des fautes commises. Mais les deux enfants sont trop froids, et ils n’ont aucune chaleur d’amour, et ne ressentent aucun plaisir divin, et la maison de leur Ăąme est si froide des flammes des consolations divines, qu’ils ne peuvent s’approcher de mes divines mamelles. 

Lors, mon Fils me rĂ©pondit : Ma MĂšre bien-aimĂ©e, j’enverrai pour l’amour de vous une scintille de feu en leur maison, de laquelle on pourra allumer un grand feu. Qu’on garde, fomente et nourrisse La scintille, et qu’on en chauffe vos enfants, afin qu’ils puissent recevoir vos mamelles. 

AprĂšs, la MĂšre parlait Ă  l’époux, disant : celui-lĂ  pour l’amour duquel vous me priez eut une spĂ©ciale dĂ©votion envers moi ; et bien qu’il se soit plongĂ© en des misĂšres infinies, il se confiait nĂ©anmoins en mon secours, et eut quelque amour envers moi, mais point envers mon Fils, ni crainte ; et partant, s’il eĂ»t Ă©tĂ© alors appelĂ© du monde, il eĂ»t Ă©tĂ© tourmentĂ© Ă©ternellement. Mais d’autant que je suis pleine de misĂ©ricorde, c’est pour cela aussi que je ne l’ai pas oubliĂ© ; mais il y a encore quelque espĂ©rance du bien Ă  ma considĂ©ration. S’il se voulait aider soi-mĂȘme, car il a maintenant contrition des pĂ©chĂ©s commis, et volontĂ© de s’en amender ; mais il est trop froid en la charitĂ© et dĂ©votion ; partant, afin qu’il puisse ĂȘtre chauffĂ© et recevoir mes mamelles, on doit envoyer ma scintille en son Ăąme, c’est-Ă -dire, la considĂ©ration de la passion de mon Fils, qu’il doit assidĂ»ment mĂ©diter. 

Et de fait, qu’il considĂšre ce que le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge, qui est un Dieu avec le PĂšre et le Saint-Esprit, a souffert et endurĂ© ; comment il a Ă©tĂ© liĂ©, souffletĂ© ; comment on lui a crachĂ© au visage ; comment il a Ă©tĂ© fouettĂ© jusqu’au dedans, de sorte qu’on arrachait la chair avec les fouets ; comment ayant tous les os dĂ©semboitĂ©s et tous les nerfs Ă©tendus, il Ă©tait pendu au gibet avec grande douleur ; comment, criant en la croix, il rendit l’esprit. 

S’il souffle souvent cette bluette, il s’échauffera, et je l’appliquerai Ă  mes mamelles, c’est-Ă -dire, Ă  deux vertus que j’ai eues, savoir : la crainte de Dieu et l’obĂ©issance ; car bien que je n’aie jamais pĂ©chĂ©, je craignais toutefois Ă  toute heure afin que, ni par parole ne par dĂ©marche, je n’offensasse mon Dieu. Par cette crainte, j’allaiterai mon fils, savoir, la contrition de celui qui m’est dĂ©vot, pour lequel vous priez, afin qu’il se repente de ce qu’il a fait, mais encore il craindra le supplice et craindra d’offenser dĂ©sormais mon Fils JĂ©sus-Christ. J’allaiterai aussi sa volontĂ© Ă  la mamelle de mon obĂ©issance, car de fait, je suis celle qui n’a jamais Ă©tĂ© dĂ©sobĂ©issante Ă  Dieu. Je ferai donc que celui qui a Ă©tĂ© Ă©chauffĂ© de la charitĂ© de mon Fils, obĂ©ira en tout ce qu’on lui commandera. 

DÉCLARATION. 

Celui-ci fut alliĂ© de sainte Brigitte et Ă©tait grandement mondain ; il se convertit, et eut contrition de ses pĂ©chĂ©s par un avertissement divin. Il avait coutume de dire : Tant que j’ai eu horreur de la pĂ©nitence, je me suis senti chargĂ© comme d’un grand et pesant faix de chaĂźnes ; et lorsque je commençai de frĂ©quenter les confessions, je me suis senti fort allĂ©ge, et mon esprit a Ă©tĂ© fort paisible, de sorte que je ne me souciais point des honneurs et des ambitions mondaines, mais rien ne m’était si doux que de parler ou d’ouĂŻr parler de Dieu. Celui-ci, ayant reçu les sacrements et ayant en la bouche le nom vĂ©nĂ©rable de JĂ©sus, dit : O doux JĂ©sus, ayez misĂ©ricorde de moi ! et s’endormit en Notre-Seigneur. 

Chapitre 21.

La Sainte Vierge priant pour un dĂ©funt, son ami, JĂ©sus-Christ lui dit que les biens que ses successeurs ont faits pour son Ăąme, lui ont peu profitĂ©, d’autant qu’ils l’avaient fait, plus par vanitĂ© que par charitĂ© et amour de Dieu, et que nĂ©anmoins, sa peine Ă©tait soulagĂ©e par les priĂšres de la Vierge.

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La Sainte Vierge Marie parle, disant : BĂ©ni soit votre nom, ĂŽ mon Fils ! Vous ĂȘtes le Roi de gloire et le Seigneur tout-puissant, ayant la misĂ©ricorde avec la justice. Votre corps, qui a Ă©tĂ© engendrĂ© et nourri en mon ventre sans pĂ©chĂ©, a Ă©tĂ© aujourd’hui consacrĂ© pour cette Ăąme. Je vous prie donc, ĂŽ mon trĂšs-cher Fils ! Qu’il profite Ă  son Ăąme et que misĂ©ricorde lui soit faite. 

Le Fils rĂ©pondit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ ma MĂšre, bĂ©nie de toute crĂ©ature, d’autant que votre misĂ©ricorde est infinie ! Je suis semblable Ă  l’homme qui a achetĂ© Ă  grand prix un petit champ de cinq pieds dans lequel Ă©tait cachĂ© le bon or. Ce champ est l’homme qui a cinq sens, que j’ai achetĂ© et rachetĂ© par mon sang, dans lequel il y avait un or prĂ©cieux, c’est-Ă -dire, l’ñme crĂ©Ă©e par ma DivinitĂ©, laquelle est maintenant sĂ©parĂ©e du corps et demeure seule en terre. Ses successeurs sont semblables Ă  un homme puissant qui, allant au jugement, crie au bourreau : SĂ©parez avec le couteau la tĂȘte de son corps ; ne permettez point qu’il vive plus ; ne pardonnez point Ă  son sang. De mĂȘme en font-ils, car ils vont comme au jugement, quand ils prient pour l’ñme de leur pĂšre ; mais on crie au bourreau : SĂ©parez leur tĂȘte du corps. Qui est ce bourreau que le diable, qui sĂ©pare de son Dieu l’ñme qui consent Ă  ses suggestions ? Ils lui crient : SĂ©parez, quand, ayant mĂ©prisĂ© l’humilitĂ©, ils font par superbe le bien pour l’ñme ou pour l’honneur du monde, plus que par charitĂ© et amour de Dieu. 

Par la superbe, Dieu est sĂ©parĂ© de l’homme et est uni Ă  lui par l’humilitĂ©, car ils crient : Ne souffrez pas qu’ils vivent longtemps, quand ils ne se soucient point de bien faire pour le mort ; ils crient qu’il ne faut pardonner au sang, quand ils ne se soucient point de soulager sa grande peine, ni ne se soucient du temps qu’il y demeurera, pourvu qu’ils puissent accomplir leurs volontĂ©s ; ils ne se soucient de rien plus, tant ils sont liĂ©s aux honneurs du monde et rĂ©putent Ă  peu ma passion.

Lors la Sainte Vierge rĂ©pondit : J’ai vu votre justice, ĂŽ mon Fils, grandement sĂ©vĂšre, Ă  laquelle je ne m’adresse point, mais bien Ă  votre infinie misĂ©ricorde. Partant, pour l’amour de mes priĂšres, ayez misĂ©ricorde de celui-ci : il disait tous les jours les heures pour mon honneur, et n’imputez point Ă  superbe les biens que ses successeurs font pour lui : ils se rĂ©jouissent, et celui-ci pleure et est puni sans consolation aucune. 

Le Fils rĂ©pondit : BĂ©nie soyez-vous , ma MĂšre trĂšs-chĂšre ! Vos paroles sont toutes pleines de clĂ©mence et sont plus douces que le miel ; vos paroles procĂšdent et sortent d’un cƓur tout plein de misĂ©ricorde, c’est pourquoi vos paroles ne prĂȘchent que misĂ©ricorde. 

Celui pour lequel vous priez aura trois sortes de misĂ©ricorde pour l’amour de vous : 

1- Il sera affranchi des mains des dĂ©mons, qui l’affligent comme des corbeaux, car comme les oiseaux, oyant quelque grand son, laissent la proie qu’ils tiennent, Ă  cause de la peur qu’ils ont, de mĂȘme les diables quitteront, Ă  cause de la crainte qu’ils auront de vous, et ils ne la toucheront dĂ©sormais ni ne l’affligeront. 

2- Cette Ăąme sera transfĂ©rĂ©e d’une peine plus ardente Ă  une moins ardente ; 

3- mes anges la consoleront ; elle n’est pas entiĂšrement affranchie ; elle a encore besoin de secours, car vous savez et voyez la justice qui est en moi, et que personne ne peut entrer en la bĂ©atitude, s’il n’est purifiĂ© comme de l’or par le feu ; partant, en son temps, pour l’amour de vos priĂšres, elle sera entiĂšrement affranchie.

p.242 Ă  245

Chapitre 22. 

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ reçoit Ă  misĂ©ricorde quelque Ă©vĂȘque par les priĂšres de sa MĂšre, bien qu’il fĂ»t dĂ©nuĂ© de bonnes Ɠuvres ; mais s’étant depuis peu converti Ă  la contrition et Ă  une sainte rĂ©solution de mieux vivre, il l’a prĂ©venu de misĂ©ricorde et de douceur, montrant comme il devait vivre humblement, sans cupiditĂ© et de la maniĂšre dont il doit corriger ses sujets dĂ©faillants, avec misĂ©ricorde et justice. 

Le Fils de Dieu parle : Ce prĂ©lat pour lequel vous me priez, ĂŽ mon Ă©pouse ! est dĂ©jĂ  revenu Ă  moi en trois maniĂšres : 

1- comme un homme nu ; 

2- comme ayant en sa main un glaive ; 

3- comme Ă©tendant la main et demandant pardon ; et moi, pour l’amour des priĂšres de ma MĂšre, je me tourne vers lui, et je lui irai au-devant comme une mĂšre Ă  son enfant qui avait Ă©tĂ© perdu ; et bien que mes apĂŽtres, par leurs priĂšres, me l’aient recommandĂ©, ils avaient nĂ©anmoins obtenu peu, d’autant que celui-ci me fut contraire, lorsqu’il eut la dignitĂ© de l’Église, ni ne se comporta pas envers elle comme prĂ©lat. 

Or, je l’ai revĂȘtu maintenant, afin qu’il ne soit plus nu. Quelle est sa nuditĂ©, sinon le peu de bonnes Ɠuvres, lesquelles, certes, doivent revĂȘtir de l’éclat des vertus son Ăąme qui, hĂ©las ! paraĂźt nue devant ma face, bien qu’elle pense ĂȘtre habillĂ©e ? Je lui donnerai secours maintenant par les priĂšres de ma trĂšs-chĂšre MĂšre et de mes saints, afin qu’il puisse ĂȘtre touchĂ© et revĂȘtu, car il s’en venait autrement tout nu devant moi. Or, c’est lorsqu’il venait nu qu’il s’entretenait en ces pensĂ©es : je n’ai rien de bon de moi ; je ne puis rien de bien sans Dieu ; je ne suis pas digne de quelque bien, car si je savais comment je puis plaire Ă  Dieu et qu’est-ce qui lui plaĂźt, bien que je dusse mourir ; je le ferais franchement. Par une telle pensĂ©e, il vient nu Ă  moi. C’est pourquoi je lui irai au-devant et je le revĂȘtirai. 

Il eut aussi le glaive en ses mains, quand il considĂ©rait la rigueur et la fureur de mes jugements, disant Ă  part soi : Le jugement de Dieu est intolĂ©rable, et il est impossible de l’éviter ; partant, tout ce que Dieu veut de moi, je le veux librement, et ma volontĂ© est disposĂ©e Ă  faire la sienne ; je n’ai point de bonnes Ɠuvres. 

Que sa volontĂ© soit faite et non la mienne. Cette pensĂ©e et cette rĂ©solution arrachĂšrent de mes mains le glaive de ma fureur, et lui attirĂšrent ma misĂ©ricorde. 

En troisiĂšme lieu, il Ă©tendit sa main, quand il s’occupait en ces pensĂ©es : Je sais que j’ai pĂ©chĂ© outre mesure, et que je suis digne de la rigueur du jugement ; nĂ©anmoins, me confiant en votre bontĂ©, j’espĂšre secours, car vous n’avez pas mĂ©prise saint Paul persĂ©cuteur, ni rejetĂ© MagdelĂšne pĂ©cheresse. C’est pourquoi j’ai mon recours Ă  votre secours, afin que vous me fassiez selon votre grande pitiĂ© et misĂ©ricorde. 

Pour cette pensĂ©e et dĂ©sir, je lui donnerai ma main misĂ©ricordieuse, et je lui augmenterai ma douceur, s’il accomplit gĂ©nĂ©reusement ces trois choses, car il doit : 

1- chasser de lui tout orgueil et toute ostentation, et embrasser l’humilitĂ© ; 

2- qu’il arrache de son cƓur toute sorte de cupiditĂ©s, afin qu’il se gouverne dans les choses temporelles comme un bon dispensateur qui doit rendre raison Ă  son maĂźtre ; 

3- qu’il ait soin que les pĂ©chĂ©s propres et les siens ne soient nĂ©gligĂ©s, mais qu’il les corrige avec misĂ©ricorde et justice, considĂ©rant mes Ɠuvres, de moi qui ai pardonnĂ© et frĂ©quentĂ© les publicains et les courtisanes, qui ai nĂ©anmoins mĂ©prisĂ© les superbes. 

N’est-il pas Ă©crit que quelqu’un, venant Ă  moi et disant : MaĂźtre, je vous suivrai oĂč vous irez ? Il rĂ©pondit : Non, car les renards ont des taniĂšres ? Et pourquoi l’ai-je mĂ©prisĂ©, si ce n’est que j’ai vu son cƓur et sa volontĂ© qui dĂ©siraient la gloire et la nourriture sans rien faire ? et partant, ma justice a voulu qu’il fĂ»t repoussĂ©. Qu’il en fasse de mĂȘme, car quiconque viendra Ă  lui, s’humiliant et promettant de s’amender, demandant pardon, il est tenu de lui faire misĂ©ricorde. Mais celui qu’il attrapera en la volontĂ© de croupir dans son vice ni ne voudra se convertir, il le chĂątiera avec modĂ©ration et avec des verges ; on le changera avec de l’argent. 

Qu’il prenne nĂ©anmoins garde qu’il ne fasse pas le chĂątiment pour assouvir sa cupiditĂ©, mais par amour et pour l’amour de la justice, et qu’il convertisse l’argent qu’il a en tels usages qu’il en puisse rendre compte Ă  Dieu un jour, savoir, qu’il ait pris l’argent du dĂ©linquant par droit et justice, et qu’il soit employĂ© en de bons et divins usages. Que si, ayant Ă©tĂ© puni une fois en la bourse, il ne s’amende point, qu’il le prive aprĂšs du bĂ©nĂ©fice et du plus haut degrĂ© d’honneur, afin qu’étant ainsi confus, il demeure lĂ  comme un Ăąne, qui, portant auparavant une selle dorĂ©e, Ă©tait en grande rĂ©putation et en grand mĂ©pris, et qui, quand elle lui a Ă©tĂ© ĂŽtĂ©e, a Ă©tĂ© regardĂ© comme s’il Ă©tait insensĂ© : de mĂȘme en fais-je, moi qui suis le CrĂ©ateur de toutes choses : je chĂątie l’homme, 

1- par la tribulation temporelle ;

2- par les infirmitĂ©s de corps et d’esprit, par les rĂ©sistances et contradictions de sa volontĂ© ; et si lors, il ne veut se convertir, je le laisse et l’abandonne aux peines qui lui sont dues de droit et de justice. 

p.246

Chapitre 23.

La Sainte Vierge Marie apparut à l'épouse, priant son Fils pour un grand seigneur qu'elle comparait à un larron . Notre-Seigneur lui disait ses détestables péchés, et il lui faisait, en consideration de ses priÚres , trois grùces, car il lui donna un maßtre spirituel . La connaissance des peines effroyables et éternelles, et l'espérance droite de la miséricorde avec la crainte discrÚte.

La Sainte Vierge parle à son Fils et lui dit : Mon Fils, béni soyez-vous ! Je vous demande miséricorde pour ce larron , pour lequel votre épouse pleure en priant.

Le Fils rĂ©pondit et dit : Pourquoi , ĂŽ ma MĂšre , priez-vous pour luiIl a fait trois larcins : 1° il a dĂ©robĂ© les anges et mes Ă©lus ; 2° il a dĂ©robĂ© les corps de plusieurs hommes , sĂ©parant leurs Ăąmes du corps avant le temps ; 3° il a dĂ©pouille plusieurs de leurs biens, car : 1° il a dĂ©robĂ© les anges , en tant que plusieurs Ăąmes qui devaient ĂȘtre unies et associĂ©es avec les anges , en ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©es par lui par cajoleries , mauvaises Ɠuvres , exemples mauvais, par occasions et attrait du mal , et en ce qu'il souffrait les mĂ©chants en leur malice , lesquels il devait punir justement , 2° Il a commande que plusieurs innocents fussent punis et occis par colĂšre et indignation ; 3° il a usurpe les biens des innocents , et mis d'intolĂ©rables calomnies sur les misĂ©rables.

p.247

Il a encore trois autres maux avec ces trois-ci : 1° une insatiable cupidité du monde ; 2° une vie

incontinente , car bien qu'il soit lie par mariage , il n'en use pas par charité divine , mais pour assouvir ses cupidités ; 3° une superbe insupportable , de sorte qu'il ne pense pas qu'aucun lui soit semblable . Voyez quel est celui pour lequel vous priez ; vous voyez ma justice et savez ce qui est dû à chacun.

Quand la mĂšre de Jacques vint Ă  moi et qu'elle m'eut demande que l'un de ses enfants fut assis Ă  la droite et l'autre Ă  la gauche , je lui rĂ©pondis que celui qui aurait plus travaille et qui se serait plus humilie , serait assis Ă  ma droite et Ă  ma gauche . Comment donc pourra quelqu'un ĂȘtre assis Ă  ma gauche ou Ă  ma droite sans rien faire, qui n'est pas pour moi , mais contre moi ? 

La MĂšre repartit : Beni soyez-vous O mon Fils, plein de justice et misĂ©ricorde . Je vois votre justice terrible comme un feu embrase, et pas un ne s'en ose approcher ; et au contraire, je vois votre misĂ©ricorde trĂšs dĂ©bonnaire , et c'est Ă  elle que je m'adresse , que je parle ; c'est d'elle que je m'approche , car quoique j'aie bien peu de droit et de justice en votre endroit de la part du larron, et que je voie que, de ce cĂŽtĂ©-lĂ , il ne sera pas sauvĂ© si votre grande misĂ©ricorde n’y intervient, il est certainement semblable Ă  un enfant qui, bien qu’il ait la bouche, les yeux, les mains et les pieds, ne peut pas pourtant parler de la bouche, ni discerner de ses yeux entre le feu et la clartĂ© du soleil, ni ne peut marcher de ses pieds, ni travailler de ses mains : de mĂȘme en est-il de ce larron : il a accru, depuis sa naissance, en Ɠuvres du diable ; ses oreilles ont Ă©tĂ© endurcies pour ouĂŻr le bien ; ses yeux ont Ă©tĂ© obscurcis pour entendre les
choses futures ; sa bouche a Ă©tĂ© close Ă  votre louange, et ses mains ont Ă©tĂ© tout Ă  fait dĂ©biles aux bonnes Ɠuvres, en sorte que toute vertu et toute bontĂ© Ă©taient comme Ă©teintes en lui ; nĂ©anmoins, il s’arrĂȘtait sur un pied comme en un chemin fourchu.

P248

Or, ce pied n’est autre que son dĂ©sir, qui attendait que quelqu’un lui dit en quelle maniĂšre il pourrait s’amender, comment il pourrait apaiser Dieu, car encore que je dusse mourir pour lui, je le ferai franchement, disait-il. Le premier de ses pas Ă©tait la crainte et la considĂ©ration de la peine Ă©ternelle ; le deuxiĂšme, la douleur de la perte du royaume des cieux. Partant, ĂŽ mon Fils trĂšs-dĂ©bonnaire ! je vous en conjure, par votre bontĂ© et par mes priĂšres, et parce que je vous ai portĂ© en mon sein, ayez misĂ©ricorde de lui. 

Le Fils rĂ©pondit : BĂ©nie soyez-vous, ĂŽ MĂšre trĂšs-dĂ©bonnaire ! Vos paroles sont pleines de sapience et de justice ; et d’autant qu’en moi sont toute justice et toute misĂ©ricorde, je donne au larron trois biens pour trois autres qu’il m’a offert ; car d’autant qu’il a eu un bon propos de s’amender, je lui ai montrĂ© mon ami, qui lui montrera la vie. Pour le deuxiĂšme, c’est-Ă -dire, pour la connaissance sĂ©rieuse du supplice Ă©ternel, je lui ai augmentĂ© la connaissance de la gravitĂ© du supplice Ă©ternel, afin qu’il entende et ressente en son cƓur combien dure et amĂšre est la peine Ă©ternelle. Pour le troisiĂšme, savoir, pour la perte du royaume des cieux, j’ai illuminĂ© son espĂ©rance, afin qu’il fĂ»t maintenant plus sage qu’il n’avait Ă©tĂ©, et afin qu’il eĂ»t une crainte plus discrĂšte. Lors derechef la MĂšre de Dieu parla :

P249

BĂ©ni soyez-vous, mon Fils, de toute crĂ©ature, au ciel et en la terre, que vous ayez donnĂ© ces trois choses Ă  ce larron par votre justice ! Maintenant, je vous supplie de lui donner aussi votre misĂ©ricorde, car aussi vous ne faites rien sans misĂ©ricorde. Donnez-lui donc une grĂące de misĂ©ricorde en considĂ©ration de mes priĂšres et une autre pour l’amour de votre serviteur, qui me sollicite de prier pour ce larron ; mais donnez-lui la troisiĂšme grĂące pour les larmes de ma fille, votre Ă©pouse sainte Brigitte. 

Le Fils lui répartit :
BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ ma MĂšre trĂšs-chĂšre, Dame des anges, Reine de tous les esprits !
Vos paroles me sont trĂšs-douces et dĂ©lectables comme un vin trĂšs-bon, voire par-dessus tout ce qui se peut penser et qu’on peut trouver en la sapience et justice.
BĂ©nies soient votre bouche et vos lĂšvres, desquelles toute misĂ©ricorde s’écoule sur les pĂ©cheurs ! Vous ĂȘtes publiĂ©e MĂšre de MisĂ©ricorde, et l’ĂȘtes, attendu que vous considĂ©rez les misĂšres de tous, et me flĂ©chissez Ă  misĂ©ricorde ; demandez donc ce que vous dĂ©sirez, car votre charitable demande ne peut ĂȘtre vaine. 

Lors la MĂšre rĂ©pondit : Ce larron, ĂŽ mon Fils et mon Seigneur, est trop exposĂ© aux dangers ; il ne se soutient que d’un pied : donnez-lui la grĂące de pouvoir s’arrĂȘter plus ferme ; donnez-lui votre saint et auguste corps que vous avez pris du mien ; votre corps est un trĂšs-salutaire secours aux infirmes ; il rend la vue aux aveugles, l’ouĂŻe aux sourds, redresse les boiteux ; il est le trĂšs-doux et trĂšs-fort emplĂątre avec lequel les malades guĂ©rissent souvent.
Donnez-lui cette faveur qu’il ressente en soi ce secours, qu’il se plaise avec la ferveur de l'amour.

P250 

En second lieu, je vous en supplie, daignez lui montrer ce qu'il faut faire et comment il vous pourra plaire. En troisiÚme lieu , je vous en prie , que les ardeurs de sa chair soient apaisées , en considération des priÚres de ceux qui vous en supplient

Le Fils rĂ©pondit : Ma chĂšre MĂšre , vos paroles sont trĂšs douces comme le miel en mes oreilles ; mais d'autant que je suis juste et que rien ne vous peut ĂȘtre refuse , c'est pourquoi je veux dĂ©libĂ©rer sur votre demande comme un sage seigneur, non pas que, pour cela , il y ait en moi quelque changement , ou bien que vous ne sachiez et voyiez tout en moi , mais je le fais afin que mon Ă©pouse assistante puisse entendre ma sagesse.


Chapitre 24.

P251

est avec discrĂ©tion et que votre volontĂ© tend Ă  la misĂ©ricorde. C’est pourquoi je ferai misĂ©ricorde Ă  ce larron.

La MĂšre rĂ©pondit : Donnez-lui donc ce qui m’est si cher, savoir est votre corps et votre grĂące, car ce larron en est affamĂ©, et il est privĂ© de tout bien. Donnez-lui donc la grĂące, afin que sa faim soit rassasiĂ©e, sa faiblesse affermie, et sa volontĂ© enflammĂ©e au bien, qui a jusques Ă  maintenant croupi dans les ordures sans charitĂ©. 

Le Fils rĂ©pondit : Comme l’enfant Ă  qui on ĂŽte la viande meurt bientĂŽt, de mĂȘme celui-ci qui, dĂšs son enfance, a Ă©tĂ© nourri du diable, ne pourra point revivre, s’il n’est repu de ma viande. Partant, s’il dĂ©sire prendre et recevoir mon corps ; s’il dĂ©sire ĂȘtre rafraĂźchi de ses fruits, qu’il s’approche de moi avec ces trois vertus, savoir, contrition des fautes commises avec volontĂ© de s’amender et de persĂ©vĂ©rer Ă  bien faire. 

Je rĂ©ponds aux priĂšres de ceux qui les font pour lui. Il faut que le larron fasse ce que je lui dirai, s’il cherche son salut : premiĂšrement, d’autant qu’il a osĂ© rĂ©sister au Roi de gloire, pour amendement de ce forfait, il doit dĂ©fendre la foi de mon Église sainte, et donner sa vie pour sa protection, s’il en est besoin, et que, comme il a auparavant travaillĂ© pour les commoditĂ©s mondaines, il en fasse de mĂȘme, maintenant, afin que ma foi augmente, que les ennemis de la foi soient opprimĂ©s, et qu’il attire Ă  la foi tous ceux qu’il pourra, par sa parole et par son exemple, comme auparavant il a retirĂ© plusieurs du droit chemin. 

P252 

Je vous jure pour certain que, quand il n’aurait fait que prendre le bouclier pour mon honneur, avec intention de dĂ©fendre la foi, il lui sera rĂ©putĂ© pour la foi, s’il est appelĂ© en ce point mĂȘme que si les ennemis s’approchent de lui, pas un ne lui nuira. 

Partant, qu’il travaille gĂ©nĂ©reusement, car il a un maĂźtre puissant quand il me possĂšde ; qu’il combatte virilement : les stipendes sont trĂšs-grandes, savoir est la vie Ă©ternelle. Pour ce qu’il a offensĂ© les anges et tuĂ© des hommes, qu’il fasse dire tous les jours une messe de tous les saints, un an entier, oĂč il lui plaira, donnant au prĂȘtre qui les dire aumĂŽne pour vivre, afin que, par ses sacrifices, les anges soient apaisĂ©s et qu’ils tournent leurs yeux vers lui. Certes, un tel sacrifice les apaise, savoir, quand on prend mon corps, qui est un royal sacrifice, avec charitĂ© et humilitĂ©. AprĂšs, d’autant qu’il a ravagĂ© le bien d’autrui, fait injure aux veuves et aux orphelins, il doit rendre humblement tout ce qu’il sait avoir injustement, priant ceux qu’il a injuriĂ©s de lui pardonner misĂ©ricordieusement ; et d’autant qu’il ne saurait satisfaire Ă  tous ceux qu’il a injuriĂ©s et Ă  qui il a dĂ©robĂ©, qu’il fasse bĂątir en quelque Ă©glise un autel, oĂč il lui sera plus convenable, auquel il laisse de quoi cĂ©lĂ©brer une messe jusques au jour du jugement. Et afin que ceci demeure ferme et stable, il donnera autant de revenu qu’un chapelain puisse ĂȘtre entretenu. Mais d’autant qu’il n’a point eu d’humilitĂ©, il doit maintenant s’humilier autant qu’il pourra, et rappeler Ă  la paix et concorde tous ceux qu’il a offensĂ©s autant convenablement que faire se pourra. Et quand il entendra louer ou vitupĂ©rer les pĂ©chĂ©s qu’il a commis, qu’il ne les dĂ©fende jamais, ni ne se justifie, ni ne s’en glorifie jamais, mais qu’avec humilitĂ© il dise : HĂ©las ! que le pĂ©chĂ© m’a trop plu ! HĂ©las ! que m’a-t-il profitĂ© ? J’ai excĂ©dĂ© trop en prĂ©somption, et si j’eusse voulu, je m’en fusse donnĂ© garde. 

P253 

Partant, ĂŽ mes frĂšres, priez Notre-Seigneur qu’il me donne l’esprit de m’en repentir, de me convertir et de m’amender. Quant Ă  ce qu’il m’a offensĂ© par les excĂšs de la chair, qu’il rĂšgle son corps par une tempĂ©rance modĂ©rĂ©e. Que s’il Ă©coute mes paroles et les accomplit par Ɠuvres, il sera lors sauvĂ© et aura la vie Ă©ternelle. S’il fait autrement, j’exigerai de lui jusques Ă  la derniĂšre maille de ses pĂ©chĂ©s, et il aura une peine plus amĂšre de ce que je lui fais dire ceci, et il n’en a rien fait. 

Chapitre 25.

AprÚs trois ans, sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit larron

Le Fils de Dieu, parlant Ă  son Ă©pouse, lui dit : Je vous ai dit autrefois une plaisante chanson du susdit larron ; mais maintenant, je vous dis, non un cantique, mais une lamentation et malheur : S’il ne se convertit soudain de l’autre cĂŽtĂ©, il sentira horriblement les fureurs de ma justice, car ses jours seront abrĂ©gĂ©s, sa semence ne fructifiera pas ; les autres dissiperont ses richesses, et lui sera jugĂ© comme un larron pernicieux, et comme un fils rebelle qui a mĂ©prisĂ© les avertissements de son pĂšre. 

P254 

Chapitre 26. 

Notre-Seigneur dit Ă  son Ă©pouse priant pour un roi, qu’il s’efforce, pour le conseil des hommes spirituels et sages, de rĂ©parer les murs de JĂ©rusalem, c’est-Ă -dire, l’Église et la foi catholique, qui sont comme perdues, les murs de laquelle sont signifiĂ©s par la communautĂ© des chrĂ©tiens, et les vases par le clergĂ© et par les religieux.

Le Fils de Dieu parle : Que celui, dit-il, qui, de membre du diable, a Ă©tĂ© fait membre de Dieu, travaille comme ceux qui Ă©difient les murs de JĂ©rusalem, qui travaillaient pour le rĂ©tablissement de la loi, qui remettaient les vases qui avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s de la maison de Dieu. 

Mais je me plains de trois choses : 

1- que les murailles de JĂ©rusalem sont dĂ©truites. Quelles sont les murailles de JĂ©rusalem, sinon les corps et les Ăąmes des chrĂ©tiens ? car de celles-la, mon Église doit ĂȘtre bĂątie, les murailles de laquelle sont maintenant tombĂ©es, d’autant qu’elles ont fait leur volontĂ©, et non la mienne ; elles dĂ©tournent maintenant leurs yeux de moi, et ne veulent ouĂŻr ma parole ; mes paroles leur sont insupportables, mes Ɠuvres vaines, et ma passion leur est abominable Ă  mĂ©diter, ma vie intolĂ©rable, et ils disent qu’il est impossible de l’imiter. 

2. Je me plains que les instruments de ma maison sont transportĂ©s en Babylone. Quels sont les instruments de ma maison et mes vases divers, si ce n’est la disposition et la conversation des prĂȘtres et des religieux ? Leur bonne disposition et ornement ont Ă©tĂ© transportĂ©s de mon temple en la superbe du monde eu aux volontĂ©s et plaisirs propres. Ma sapience et ma doctrine leur sont vaines, mes commandements onĂ©reux ; ils ont enfreint mes promesses ; ils ont profanĂ© ma loi et les constitutions de leurs prĂ©dĂ©cesseurs, mes amis, et ont pour lois leurs inventions.

P255 

3. Je me plains que la loi de mes dix commandements est perdue. Eh quoi ! Ne lit-on pas en l’Évangile que, quand quelqu’un m’interrogeait, disant : MaĂźtre, que ferai-je pour avoir la vie Ă©ternelle ? Je lui rĂ©pondis : Gardez mes commandements, qui sont maintenant perdus et nĂ©gligĂ©s. C’est pourquoi ce roi pour lequel vous priez, doit assembler des hommes spirituels, sages de ma sagesse, s’enquĂ©rir de ceux qui ont mon esprit, et leur demander comment les murs de JĂ©rusalem doivent ĂȘtre rĂ©Ă©difiĂ©s emmi les chrĂ©tiens. Il faut que l’honneur soit rendu Ă  Dieu, que la foi droite fleurisse, que l’amour divin soit fervent, et que ma passion soit imprimĂ©e dans les cƓurs des hommes. Qu’il considĂšre aussi comment il pourra rĂ©tablir les vases en leur premier Ă©tat, c’est-Ă -dire, comment les prĂȘtres et les religieux, ayant quittĂ© la superbe, pourront embrasser l’humilitĂ© ; que les innocents aiment la chastetĂ©, et comment les mondains pourront quitter les appĂ©tits dĂ©sordonnĂ©s du monde et ĂȘtre lumiĂšre aux autres. Qu’il s’efforce aussi de faire aimer l’observance de mes commandements, et le tout avec force et sagesse. Qu’il assemble les chrĂ©tiens qui sont justes, afin qu’avec eux il rĂ©Ă©difie ce qui a Ă©tĂ© dĂ©truit. En vĂ©ritĂ©, mon Église est trop Ă©loignĂ©e de moi, de sorte que si les priĂšres de ma MĂšre n’y intervenaient, il n’y aurait point espĂ©rance de misĂ©ricorde. Or, entre tous les Ă©tats des laĂŻques, les soldats ont plus apostasiĂ© que toute leur apostasie et supplice, comme il vous a Ă©tĂ© montrĂ© ci-dessus. 


p256 

Chapitre 27. 

Notre-Seigneur dĂ©fend Ă  son Ă©pouse d’ouĂŻr des choses nouvelles, des Ɠuvres des mondains et guerres des illustres. HĂ©las ! pourquoi vous occuperiez-vous de choses si inutiles et si vaines, puisque je suis le Seigneur de toutes choses, et qu’aucune dĂ©lectation ne doit ĂȘtre chĂ©rie que la mienne ?

Que si vous vouliez ouĂŻr les faits des seigneurs et considĂ©rer les actions magnifiques, vous devriez occuper votre esprit en la considĂ©ration de mes faits, qui sont incomprĂ©hensibles et prodigieux Ă  la pensĂ©e des hommes, et admirables Ă  l’ouĂŻe. Or bien que le diable meuve les grands du monde Ă  sa volontĂ© ; bien qu’ils prospĂšrent par un mien juste jugement, nĂ©anmoins, je suis leur Seigneur, et ils seront jugĂ©s par mon juste jugement. Ils ont entrepris et formĂ© une nouvelle loi contre ma loi, et ils emploient tout leur soin Ă  ĂȘtre honorĂ©s du monde, Ă  savoir comment ils pourront acquĂ©rir des richesses, en quelle maniĂšre ils pourront accomplir leur volontĂ©, dilater leur race. C’est pourquoi je jure en ma DivinitĂ© et humanitĂ© que, s’ils meurent en tel Ă©tat, ils n’entreront point en cette terre qui Ă©tait promise en figure aux enfants d’IsraĂ«l, terre oĂč dĂ©coulaient le lait et le miel ; mais il arrivera comme Ă  ceux qui dĂ©siraient les pots de viandes, qui mouraient d’une soudaine mort ; car comme ceux-lĂ  mouraient d’une mauvaise mort corporelle, de mĂȘme ceux-ci meurent d’une mort de l’ñme.

P257 

Mais ceux qui font mes volontĂ©s entreront en la terre oĂč dĂ©coule le miel, c’est-Ă -dire, en la gloire, en laquelle il n’y a point de terre dessous ni dessus, ni de ciel plus haut ; mais moi-mĂȘme, Seigneur et CrĂ©ateur de toutes choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux cĂŽtĂ©s, dehors et dedans, d’autant que je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie mes amis d’une gloire, non de miel, mais d’une admirable suavitĂ©, de sorte qu’ils ne dĂ©sirent que moi, n’ont besoin que de moi, en qui est tout le bien. Mes ennemis ne goĂ»teront jamais ce bien, s’ils ne se convertissent de leur mĂ©chancetĂ©, car s’ils considĂ©raient ce que j’ai fait pour eux ; s’ils pensaient Ă  ce que je leur ai donnĂ©, ils ne me provoqueraient jamais de la sorte Ă  ire et Ă  indignation. Certes, je leur ai donnĂ© tout ce qui Ă©tait nĂ©cessaire, utile et dĂ©sirable, avec la due tempĂ©rance ; je leur ai permis d’avoir des honneurs avec modĂ©ration. 

Quiconque penserait Ă  part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec modĂ©ration et honnĂȘtetĂ© ce dont j’ai besoin, selon mon Ă©tat. Je rendrai Ă  Dieu honneur et rĂ©vĂ©rence ; je n’opprimerai personne ; je fomenterai les moindres ; j’aimerai tout le monde : un tel, certes, me plaĂźt en son degrĂ© d’honneur. Mais celui qui a des richesses et s’entretient en ces pensĂ©es : Puisque je suis riche, je ne prendrai rien injustement ; je ne ferai injure Ă  pas un ; je me donnerai garde des pĂ©chĂ©s mortels, j’aiderai les pauvres : celui-ci m’est agrĂ©able en ses richesses. Mais celui qui est plongĂ© dans les voluptĂ©s, s’il pense : Ma chair est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir : c’est pourquoi soudain que j’aurai une femme lĂ©gitime, je ne dĂ©sirerai point la femme de mon prochain et me prĂ©serverai de la turpitude, celui-lĂ  me peut aussi plaire.

p258 

Mais d’ordinaire, tous ceux-lĂ  prĂ©fĂšrent leur loi Ă  la mienne, d’autant qu’en leurs honneurs, ils ne veulent point avoir de supĂ©rieurs ; ils ne se peuvent jamais rassasier de leurs richesses ; ils excĂšdent en leurs voluptĂ©s par-dessus les maniĂšres louables. Partant, s’ils ne s’amendent et ne commencent une autre voie, ils n’entreront point en ma terre, en laquelle le lait et le miel sont spirituels, c’est-Ă -dire, ma douceur et l’admirable assouvissement ; ceux qui les goĂ»tent ne dĂ©sirent rien de plus et n’ont besoin de rien. 


Chapitre 28.

Une Ăąme damnĂ©e pour de grands pĂ©chĂ©s et pour n’avoir eu douleur des plaies que JĂ©sus-Christ souffrit en sa passion. Cette Ăąme est damnĂ©e comme un enfant abortif. Ceux qui gardaient le sĂ©pulcre sont marques par ceux qui poursuivaient malicieusement JĂ©sus-Christ en ses prĂ©dications, et par ceux qui le crucifiaient.

Une grande troupe paraissait ĂȘtre devant JĂ©sus-Christ, Ă  laquelle il parlait, disant : VoilĂ  que cette Ăąme n’est plus Ă  moi. Elle ne s’est non plus souciĂ©e de mes plaies et de la blessure de mon cƓur que si on eĂ»t percĂ© le bouclier de son ennemi ; elle s’est autant souciĂ©e des trous de mes mains que si un drap fripĂ© Ă©tait rompu; elle a eu autant en estime les plaies de mes pieds que si on eĂ»t coupĂ© une pomme pourrie. 

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Lors Notre-Seigneur parlait Ă  elle, disant : Vous avez souvent en votre vie demandĂ© pourquoi j’avais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande pourquoi vous ĂȘtes morte. 

Elle rĂ©pondit : D’autant que je ne vous ai point aimĂ© . 

Vous m’avez Ă©tĂ©, dit-il, comme un enfant abortif est Ă  sa mĂšre, pour lequel elle endure tout autant que s’il Ă©tait vivant. De mĂȘme je vous ai rachetĂ©e avec tant de prix et d’amertume comme un des saints, bien que vous vous en soyez souciĂ©e bien peu. Mais comme l’enfant abortif ne goĂ»te point la douceur des mamelles de sa mĂšre, ni consolation de ses paroles, ni n’est Ă©chauffĂ© en son sein, de mĂȘme vous ne jouirez jamais de la douceur ineffable de mes Ă©lus, d’autant que vous n’avez recherchĂ© autre douceur que le vĂŽtre. Vous n’oyez jamais ma parole pour votre avancement. Les paroles de votre bouche et celles du monde vous plaisaient trop, et les paroles de ma bouche vous Ă©taient amĂšres. Vous ne ressentirez jamais les effets de mon amour ni de ma bontĂ©, d’autant que vous avez Ă©tĂ© froide Ă  faire toute sorte de biens. Allez donc au lieu oĂč on a accoutumĂ© de jeter les abortifs, oĂč vous vivrez en votre mort Ă©ternelle, car vous n’avez pas voulu vivre en la lumiĂšre et en ma vie. 

AprĂšs, Dieu parlait Ă  la troupe : O mes amis, si toutes les Ă©toiles et planĂštes Ă©taient changĂ©es en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui ferais point misĂ©ricorde, d’autant qu’elle oblige ma justice Ă  la damper. 

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Cette Ăąme fut semblable Ă  trois sortes de gens : PremiĂšrement Ă  ceux qui suivaient de malice mes prĂ©dications, afin de pouvoir trouver occasion en mes paroles et en mes faits de m’accuser et de me trahir ; ils ont vu mes bonnes Ɠuvres et mes merveilles qu’autre que Dieu ne pouvait faire ; ils ont ouĂŻ ma sapience, ont approuvĂ© ma vie louable et nĂ©anmoins, ils enrageaient d’envie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais pourquoi cela ? d’autant que mes Ɠuvres Ă©taient bonnes et que leurs Ɠuvres Ă©taient mauvaises, et parce que je n’approuvais, mais je reprenais aigrement leurs pĂ©chĂ©s : de mĂȘme cette Ăąme me suivait avec son corps, non pas par le mouvement et l’attrait du divin amour, mais icelle Ă©tait traĂźnĂ©e Ă  me suivre encore pour paraĂźtre devant les hommes ; elle oyait mes commandements et les voyait de ses yeux ; elle prenait de lĂ  sujet de se fĂącher et s’en moquait ; elle ressentait ma bontĂ©, et elle n’y croyait point ; elle voyait mes amis profiter, et elle les envoyait, mais pourquoi ? d’autant que mes paroles et celles de mes Ă©lus Ă©taient contre sa malice, mes prĂ©ceptes et mes avertissements contre sa voluptĂ©, mon amour et mon obĂ©issance contre sa volontĂ© ; nĂ©anmoins, sa conscience lui dictait que je devais ĂȘtre honorĂ© par-dessus tout. Par les mouvements des astres, elle entendait que j’étais son CrĂ©ateur, et par les fruits de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les choses, elle savait que j’en Ă©tais l’auteur ; et bien qu’elle le sut, elle s’en fĂąchait et abhorrait mes paroles, d’autant que je reprenais ses mauvaises Ɠuvres. 

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En deuxiĂšme lieu, il Ă©tait semblable Ă  ceux qui me tuĂšrent, et qui disait ensemble : Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le troisiĂšme jour. Or, moi, j’avais prĂ©dit Ă  mes disciples que je ressusciterais le troisiĂšme jour ; mais mes ennemis, les amateurs du monde, ne croyaient point que je ressuscitasse avec ma justice, et ce, d’autant que les Juifs me virent comme homme pur, et ne percĂšrent point jusques Ă  la DivinitĂ©, qui Ă©tait en moi : c’est pourquoi ils pĂ©chĂšrent, non avec tant de gravitĂ©, car s’ils eussent su que j’étais Dieu, ils ne m’eussent jamais occis. 

Cette Ăąme pensait en elle-mĂȘme : Je fais ma volontĂ© comme il me plait. Je le ferai mourir sans craindre par mes volontĂ©s et par les Ɠuvres qui me plaisent et lui dĂ©plaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi ne les ferai-je donc ? car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera pas selon les Ɠuvres des hommes, car s’il voulait juger si rigoureusement, il nous eĂ»t pas rachetĂ©s ; et s’il avait tant de haine contre le pĂ©chĂ©, il ne supportait pas les pĂ©cheurs avec tant de patience. 

En troisiĂšme lieu, il est semblable Ă  ceux qui gardaient ma sĂ©pulture, qui s’armĂšrent et environnĂšrent de soldats mon tombeau, afin que je ne ressuscitasse point, disant : Gardons diligemment de peur qu’il ne ressuscite et qu’il faille le servir. De mĂȘme en faisait cette Ăąme : elle s’armait de l’endurcissement du pĂ©chĂ©, car elle gardait diligemment le sĂ©pulcre, c’est-Ă -dire, la conversation de mes Ă©lus, sur lesquels je me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles et leurs avertissements n’entrassent en son cƓur, pensant en soi-mĂȘme : Je prendrai garde de n’entendre point leurs discours de peur qu’étant piquĂ© de quelque juste ressentiment, je ne vienne Ă  laisser mes voluptĂ©s, et que je n’entende ce qui dĂ©plairait Ă  ma volontĂ© ; et de la sorte, par la malice, il se sĂ©para d’eux, avec lesquels la charitĂ© le devait unir. 

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DÉCLARATION. 

Cette personne damnĂ©e fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, Ă©tant Ă  table, blasphĂ©mant les saints, Ă©ternuant, elle mourut soudain sans les sacrements, et son Ăąme a Ă©tĂ© vue comparaĂźtre en jugement, Ă  laquelle le Juge disait : Vous avez parlĂ© comme vous avez voulu, et avez fait comme vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le silence maintenant et que vous Ă©coutiez. 

RĂ©pondez-moi donc, sainte Brigitte l’entendant. 

Bien que je sache toutes choses, n’avez-vous pas ouĂŻ ce que j’ai dit ? Je ne veux point la mort du pĂȘcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc, le pouvant, n’ĂȘtes-vous pas revenue Ă  moi ? 

L’ñme rĂ©pondit : Certes, je l’ai ouĂŻ, mais je ne m’en suis pas souciĂ©e. 

Le Juge lui dit derechef : N’avez-vous pas ouĂŻ : Allez au feu, maudits ! et venez, mes Ă©lus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas ? 

Je l’ai ouĂŻ, dit-elle, mais je n’en croyais rien. 

Le Juge lui dit encore : N’avez-vous pas ouĂŻ que j’étais juste Juge et Ă©ternellement formidable ? Pourquoi donc ne m’avez-vous pas eu en crainte ? 

Je l’ai ouĂŻ, dit-elle, mais je m’aimais trop, et j’ai clos mes oreilles, afin de n’ouĂŻr le jugement ; j’ai endurci mon cƓur, afin de ne pas y penser. 

Le Juge dit : Il est donc juste que la tribulation et l’angoisse ouvrent votre esprit, puisque vous n’avez pas voulu entendre quand vous le pouviez. 

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Lors l’ñme a Ă©tĂ© rejetĂ©e du jugement, gĂ©missant et criant : HĂ©las ! HĂ©las ! Quelle rĂ©compense ! Mais aura-t-elle fin ? 

Soudain une voix a Ă©tĂ© ouĂŻe qui disait : Comme le premier principe de toutes choses n’aura point de fin, de mĂȘme votre misĂšre n’en aura point. 

Chapitre 29.

Il est commandĂ© Ă  sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur, figurĂ© par la manne du dĂ©sert et par la farine dont la veuve rassasia le prophĂšte. Il raconte aussi les grandes vertus, grĂąces et faveurs qui arrivent Ă  l’ñme qui communie comme il faut

Je suis votre Dieu et Seigneur, la voix duquel MoĂŻse ouĂŻt au dĂ©sert au buisson, et Jean au Jourdain. 

DĂšs ce jour, je veux que vous receviez souvent mon corps, car il est le mĂ©dicament et la viande qui affermit l’ñme : celui qui est infirme d’esprit et dĂ©bile en l’exercice de l’esprit, en est guĂ©ri et affranchi. N’est-il pas Ă©crit que le prophĂšte Ă©tait envoyĂ© Ă  la femme qui le nourrissait d’un peu de farine, et que la farine ne diminuait point jusqu’à ce que la pluie tombĂąt sur la terre ? 


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Je suis ce prophĂšte en figure, et mon corps est figurĂ© par la farine. Cette nourriture de l’ñme ne se consomme point et ne diminue point, mais nourrit l’ñme, et demeure sans ĂȘtre consommĂ©e, car la viande corporelle Ă  trois choses : 

1-Ă©tant mĂąchĂ©e, elle se rend liquide ; 

2-elle s’anĂ©antit ; 

3- elle nourrit pour quelque temps ; 

mais ma viande est, 

1-mĂąchĂ©e quant aux accidents, et n’est point mĂąchĂ©e quant Ă  la DivinitĂ© et humanitĂ© ; 

2-elle n’est point anĂ©antie, mais elle demeure la mĂȘme ; 

3- elle ne rassasie point pour un temps, mais Ă©ternellement. 

Cette viande est prĂ©figurĂ©e en la manne, que les anciens PĂšres ont mangĂ©e dans le dĂ©sert ; elle est cette viande que j’ai promise en mon Évangile, et qui rassasie Ă©ternellement. Donc, le malade croĂźt en force par la viande corporelle ; de mĂȘme aussi tous ceux qui reçoivent mon corps dignement et avec bonne intention, croissent en force spirituelle. Elle est ce fort mĂ©dicament qui, entrant en l’ñme, l’affermit et la rassasie. Ceci est cachĂ© aux sens, et la foi le dĂ©couvre Ă  l’esprit demis. Cette viande est Ă  dĂ©goĂ»t aux mĂ©chants et Ă  ceux qui goĂ»tent les douceurs du monde, Ă  ceux dont les yeux ne voient que cupiditĂ©, dont l’esprit ne discerne ni n’estime que les propres volontĂ©s. 

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Chapitre 30. 

JĂ©sus-Christ commande Ă  son Ă©pouse sainte Brigitte de conformer entiĂšrement sa volontĂ© Ă  la volontĂ© de Dieu, tant en prospĂ©ritĂ© qu’en adversitĂ©, car la volontĂ© est comparĂ©e Ă  la racine de l’arbre : que si elle est bonne, c’est-Ă -dire, si l’ñme est bonne, elle produit de bons fruits ; que si elle est inconstante, alors elle est rongĂ©e par la taupe, c’est-Ă -dire, par le diable, et l’ñme est lors remplie des vents des adversitĂ©s, ou bien elle se sĂšche sous les chaleurs du soleil, c’est-Ă -dire, de l’amour vain du monde.

Le Fils parlait Ă  son Ă©pouse : Bien que je sache toutes choses, dites-moi nĂ©anmoins en votre langage quelle est votre volontĂ©. 

Soudain l’ange rĂ©pondit pour l’épouse, disant : Sa volontĂ© est comme on lit : Votre volontĂ© soit faite en la terre comme au ciel. 

C’est ce que je demande, dit Notre-Seigneur, c’est ce que je veux, et c’est ce qui m’est une obĂ©issance trĂšs-agrĂ©able. Vous devez donc, ĂŽ mon Ă©pouse, ĂȘtre comme un arbre bien enracinĂ©, qui ne craint point trois sortes d’accidents : 

1- Si l’arbre est bien enracinĂ©, les taupes ne l’arracheront point ; 

2- Il n’est point Ă©branlĂ© par l’impĂ©tuositĂ© des vents ; 

3- Il ne sĂšche point par l’ardeur du soleil. 

Votre Ăąme est un arbre dont la principale racine est la bonne volontĂ© de Dieu. En vĂ©ritĂ©, de cette bonne racine pullulent autant de vertus qu’il y a de racines en l’arbre. Or, la racine de laquelle les autres dĂ©pendent, doit ĂȘtre forte, grosse et plus profondĂ©ment enfoncĂ©e en la terre : de mĂȘme votre volontĂ© doit ĂȘtre forte en patience, grosse en la divine charitĂ©, et profondĂ©ment abaissĂ©e en la vraie humilitĂ© ; et si votre volontĂ© est ainsi enracinĂ©e, elle ne doit point craindre les taupes.

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Mais qu’est-ce que signifie la taupe fouillant sous la terre, sinon le diable, qui va invisiblement, trompant et troublant l’ñme ? Le diable, par sa morsure, fend la racine de la bonne volontĂ©, si elle est constante Ă  pĂątir, et en la fendant de sa morsure, il la dissipe quand il suggĂšre de mauvaises affections au cƓur, tire votre volontĂ© Ă  diverses choses, et fait dĂ©sirer ce qui est contre votre volontĂ©, dit JĂ©sus-Christ Ă  sainte Brigitte. Mais la premiĂšre racine Ă©tant empoisonnĂ©e, toutes les autres le sont, et le tronc se sĂšche, c’est-Ă -dire, la volontĂ© et l’affection sont corrompues ; toutes les autres vertus sont empoisonnĂ©es et me dĂ©plaisent, si on ne s’amende par pĂ©nitence ; l’ñme est digne d’ĂȘtre sujette Ă  la domination de Satan, bien que sa volontĂ© ne parvienne Ă  l’effet extĂ©rieur. Que si la racine de la volontĂ© est forte et grosse, la taupe le peut ronger, mais non pas la fendre, et lors, par la morsure, la racine devient plus forte : de mĂȘme, si votre volontĂ© est toujours forte dans les adversitĂ©s et les prospĂ©ritĂ©s, le diable la peut bien ronger, c’est-Ă -dire, il peut lui suggĂ©rer de mauvaises pensĂ©es, mais si elle y rĂ©siste et n’y consent point de volontĂ©, lors elles ne seront point adjugĂ©es Ă  supplice, mais bien Ă  plus grand mĂ©rite, si on les souffre avec patience, et Ă  plus grande sublimitĂ© de vertu. 

Que s’il arrive que vous tombiez par impatience ou Ă  l’improviste, relevez-vous soudain par la pĂ©nitence et contrition, et lors je remets le pĂ©chĂ©, et donne patience et force contre les suggestions de Satan. 

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En deuxiĂšme lieu, si l’arbre est bien enracinĂ©, il ne doit point craindre les impĂ©tuositĂ©s des vents. De mĂȘme si votre volontĂ© est conforme Ă  la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversitĂ©s du monde, qui sont comme un vent, pensant en vous-mĂȘme que peut-ĂȘtre il vous est expĂ©dient que les tribulations du monde vous fassent souffrir. Vous ne devez pas aussi vous troubler du mĂ©pris du monde ni des affronts car j’exalte et j’abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guĂ©rir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet. Or, celui qui a une volontĂ© contraire Ă  la mienne, celui-lĂ  est affligĂ© maintenant, d’autant qu’il ne peut accomplir ce qu’il dĂ©sire, et il sera encore puni en l’autre vie, Ă  raison de sa mauvaise volontĂ© ; que s’il rĂ©signait et consignait sa volontĂ© en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversitĂ©s. 

En troisiĂšme lieu, un arbre bien enracinĂ© ne craint point les chaleurs excessives, c’est-Ă -dire, ceux qui ont une volontĂ© accomplie ne se dessĂšchent point de l’amour de Dieu par les excĂšs de l’amour du monde, ni ne sont pas retirĂ©s de l’amour de Dieu par l’homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants, leur Ăąme est bientĂŽt Ă©branlĂ©e de leur suggestion du diable, ou par les contrariĂ©tĂ©s du monde ou de l’amour vain, dĂ©sirent ce qui est inutile. Partant, cet homme n’est pas un bon arbre, duquel vous pensez maintenant : La principale racine d’icelui est coupĂ©e, savoir : Votre volontĂ© soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrasse l’austĂ©ritĂ© de la vie conscient , et lors je remets le peche , et donne patience et force contre les suggestions de Satan.

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En deuxiĂšme lieu, si l'arbre est bien enracinĂ© , il ne doit pas craindre les impĂ©tuositĂ©s des vents . De mĂȘme si votre volontĂ© est conforme Ă  la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversitĂ©s du monde , qui sont comme un vent , pensant en vous-mĂȘme que peut-ĂȘtre il vous est expĂ©dient que le tribulat insidu vous fasse souffrir . Vous ne devez pas vous troubler du mĂ©pris du monde et des affronts car j'exalte et j'abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guĂ©rir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet . Or, celui qui a une volontĂ© contraire Ă  la mienne , celui-lĂ  est affligĂ© maintenant , d'autant qu'il ne peut accomplir ce qu'il dĂ©sir , et il sera encore puni en l'autre vie , Ă  raison de sa mauvaise volontĂ© ; que s'il rĂ©signait et consignait sa volontĂ© en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversitĂ©s.

En troisiĂšme lieu , un arbre bien enracinĂ© ne craint point les chaleurs excessives, c'est-Ă -dire , ceux qui ont une volontĂ© accomplie ne se dessĂšchent point de l'amour de Dieu par les excĂšs de l'amour du monde , ni ne sont pas retirĂ©s de l'amour de Dieu par l'homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants , leur Ăąme est bientĂŽt Ă©branlĂ©e de leur entreprise et de l'amour de Dieu , ou par la suggestion du diable , ou par les contrariĂ©tĂ©s du monde ou de l'amour vain ,dĂ©sirant ce qui est inutile. Partant , cet homme n'est pas un bon arbre , duquel vous pensez maintenant :La principale racine d'icelui est coupĂ©e , savoir : Votre volontĂ© soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrassĂ© l'austĂ©ritĂ© de la vie continente , mais l'ardeur de l'amour se refroidit en lui. Je l'ai aide a raison des priĂšres de ma MĂšre. Il avait trois choses : la pauvretĂ© sans les richesses , l'infirmitĂ© en ses membres et dĂ©faut en la science . Ma volontĂ© Ă©tait que, s'il eut demeurĂ© patiemment en ces trois choses , il aurait eu une abondance Ă©ternelle, Ă©ternelle santĂ©, beautĂ© , connaissance et vision de Dieu. Et pour obtenir ces choses , je l'avais grandement aidĂ©, lui donnant la force spirituelle , lui inspirant ma volontĂ© . Mais sa volontĂ© est contraire a la mienne, se fĂąche de la pauvretĂ© , non pour l'amour de moi , mais pour son utilitĂ©; il se fĂąche de son infirmitĂ© , se fĂąchant de pĂątir ; il s'inquiĂšte de ne savoir, de peur d'ĂȘtre mĂ©prisĂ© des autres.

Partant, par le secret de ma science, il a obtenu les trois choses dont il Ă©tait trouble , car il jouit d'une plus grande abondance qu'il n'avait auparavent de necessite corporelles ; il a une plus grande science et une plus grande reputation. Partant , quand le diable le touche avec la tentation , il doit craindre la chute , d'autant que la volontĂ© principale est rompue , et que l'amour du monde est Ă©chauffĂ© en lui, soudain il quitte le bien et avance chemin aux cupiditĂ©s. Que la tribulation l'accable partout , du tout il est abattu comme un arbre frappĂ© des vents ; il n'est stable en rien , mais querelleur en tout . Que si le vent d'honneur souffle , il ne sera pas moins sollicitĂ© par les pensĂ©es de plaire Ă  tout le monde et d'ĂȘtre par tous estime bon. Et comment pourra-t-il parer sagement les coups au revers de fortune ? Voyez combien d'inconstance provient de la racine vicieuse.

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Or, que ce que je dois faire ? Je suis comme un bon jardinier : en mon jardin , il y a plusieurs arbres infructueux et peu plantureux . Si on coupe tous les bons arbres , quel est celui qui entrera aprĂšs dans ce jardin ? Que si on arrache entiĂšrement tous les arbres infructueux , le jardin sera trop difforme et dĂ©sagrĂ©able , a raisin de la fosse et de la poudre : de mĂȘme si j'appelai de cette vie tous les bons , qui entrerait aprĂšs dans le jardin de mon Eglise ? Si j'en arrachais tous les mauvais tout d'un coup , mon Eglise apparaĂźtrait trop difforme , Ă  raison des fosses et puis les autres me servitaient par la crainte de la peine, et non par amour.

C'est pourquoi je fais comme le bon enteur qui retranche du tronc tout ce qui est aride et sec et le met au feu , et ente lĂ -dessus du bon fruit : de mĂȘme je planterai des arbres doux ; je ferai des parterres de vertus et enterai lĂ -dessus ; et de temps en temps , j'en retrancherai ce qui est sec et le jetterai au feu ; je nettoierai mon jardin , de peur qu'il n'y demeure quelque chose d'infructueux qui puisse empĂȘcher les rameaux nouveaux et les fruits..

DECLARATION

Il est traité en ce chapitre d'un certain prieur qui s'étant excite à la contrition par les paroles de Jésus-Christ , se rendit aprÚs grandement dévot . Ce prieur vis Jésus-Christ lui tendant la main et lui disant : Par ces os si durs les clous sont entres.

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Ce prieur Ă©tant mort , Notre-Seigneur dit Ă  sainte Brigitte : Ce frĂšre , ton ami , n'est pas mort , mais il vit, d'autant qu'il a accompli par Ɠuvres ce que le nom de frĂšre signifie. Mais vous me pourriez demander ce que signifie le nom de frĂšre . Je vous rĂ©ponds : celui-lĂ  est vĂ©ritablement frĂšre, qui, selon la maxime commune , porte tout ce qu'il a sur son dos , qui ne dĂ©sire que Dieu , qui se contente du nĂ©cessaire , qui connaĂźt que Dieu incarnĂ© est son frĂšre et l'aime comme frĂšre.

Ce frĂšre ne pouvait qu'Ă  grand'peine se persuader que sainte Brigitte eut tant de grĂąces de Dieu . Dieu , en un ravissement , la lui montra, elle et le feu qui descendait du ciel sur elle ; et admirant cela et croyant que c'Ă©tait illusion , Ă©tant Ă©veillĂ© de ce sommeil , il fut plongĂ© dans la mĂȘme vision , en laquelle il ouĂŻt une voix qui lui dit deux fois : Aucun ne peut empĂȘcher que ce feu ne sorte , car de ma puissance , j'enverrai ce feu Ă  l'orient et Ă  l'occident, au septetrion et au midi , et il enflammera le cƓur de plusieurs.

AprĂšs ceci , ce frĂšre crut aux rĂ©vĂ©lations , et les dĂ©fendit et accomplit , et parfit par Ɠuvres ce que le nom de frĂšre signifie , et finit trĂšs heureusement sa vie.

D'ailleurs dans ce mĂȘme chapitre , il est traitĂ© de quelque frĂšre infirme depuis trois ans , le pied duquel se pourrissait et la moĂ«lle en coulait . Ce frĂšre exerça tant de patience qu'il avait toujours JĂ©sus dans son cƓur et en sa bouche , disant : O JĂ©sus trĂšs digne ! Je dĂ©sire , je dĂ©sire , oui , je dĂ©sire ce que je ne peux dire . JĂ©sus , mon dĂ©sir , venez Ă  moi . Ayant Ă©tĂ© interroge sur ce qu'il dĂ©sirait , il rĂ©pondit : Dieu ! du dĂ©sir que j'en ai , et de la vision je m'en rĂ©jouis ; voire tressaille de tel contentement , que , pour le possĂ©der , je donnerais franchement cent ans en cette infirmitĂ©.

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AprĂšs ceci, le mĂȘme frĂšre , se rĂ©jouissant , mourut Ă  minuit environ entre les mains des frĂšres . Mais le jour suivant , qui Ă©tait un dimanche, sainte Brigitte , Ă©tant ravie , en esprit , ouĂŻt : O fille , parce que les seigneurs et les maĂŻtres ne veulent point venir Ă  moi , je ramasse et attire Ă  moi les pauvres et les moins fervents , car ce pauvre idiot a aujourd'hui trouvĂ© plus de sagesse que Salomon, des richesses qui ne vieillissent jamais , et une couronne qui ne se flĂ©trira jamais

Dites aussi au frÚre qui l'a servi en la maladie, que son service lui servira comme pénitence pour ses fautes , qu'il sera affranchi des tentations, et qu'il aura une nouvelle force dans l'exercice des choses spirituelles , qu'il arrivera à la fin de ses joies , et qu'il veillera dans le repos de Lazare.

Chapitre 31

L'épouse voyait au jugement divin un démon, et une ùme semblable à la forme horrible d'un animal ; et elle était damnée , d'autant qu'elle avait persévéré dans le mal , et ne s'en était repentie à la fin . Comment Jésus-Christ est charitable et bénin aux bons, et vigoureux aux mauvais , et comment une autre ùme montait.

L'épouse voyait au jugement divin comme deux démons semblables en tous leurs membres , la bouche desquels était ouverte ; leurs yeux étaient flamboyants , leurs oreilles pendantes comme celles des chiens ; leur ventre était enflé , grandement étendu et vaste ; leurs mains étaient comme des griffes , leurs cuisses sans jointures , leurs pieds comme boiteux et comme coupes au milieu

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Lors, un d'iceux dit au Juge : Donnez-moi pour femme cette Ăąme qui m'est semblable.

Le Juge lui dit : Quel droit y avez-vous ?

Le dĂ©mon rĂ©pondit : Je vous la demande en premier lieu , puisque vous ĂȘtes juste : a-t-on pas accoutumĂ© de dire que quand un animal est semblable Ă  un autre , cet animal est fils d'un lion , car il lui ressemble, ou d'un loup, pour la mĂȘme raison ? etc. Or donc , de quelle espĂšce est cette Ăąme , ou a qui est-elle semblable , aux anges ou aux dĂ©mons ?

Le Juge lui repartit et lui dit : Elle n'est pas semblable aux anges , mais Ă  toi et Ă  tes semblables , comme il parait.

Lors le dĂ©mon , comme en se moquant , dit : Cette Ăąme Ă©tant crĂ©Ă©e des ferveurs de votre amour , vous Ă©tait semblable ; mais maintenant , ayant mĂ©prise votre douceur et clĂ©mence , elle est Ă  moi par trois sortes de droits : 1° d'autant qu'elle est semblable Ă  moi en ses dispositions ; 2° attendu qu'elle a un semblable goĂ»t ; 3° parce que nous avons un mĂȘme accord de volontĂ©s.

Le Juge répondit : Bien que je sache toutes choses, néanmoins , pour l'amour de mon épouse ici présente , dites comment cette ùme est semblable à vous en disposition .

Le démon dit : Si nous avons des membres conformes , nous avons aussi des actes conformes , car nous avons les yeux ouverts , et nous ne voyons rien ; et de fait , je ne veux voir chose quelconque qui vous appartienne ; ni elle n'a aussi voulu voir , quand elle pouvait , ce qui concernait le salut de son ùme , mais elle s'amusait aux choses temporelles .

Nous avons aussi des oreilles , mais nous n'oyons rien pour notre avancement .

P273

De mĂȘme celle-ci n'a rien voulu ouĂŻr qui appartĂźnt ou touchĂąt Ă  votre honneur ; Ă  moi tout ce qui est de vous m'est trĂšs amĂšre , c'est pourquoi la voix de votre doux concert n'entrera jamais en nos oreilles pour notre consolation et utilitĂ© . Nous avons les oreilles ouvertes , car comme elle a eu sa bouche ouverte Ă  toutes les suavitĂ©s du monde , et close aux louanges et pour vous louer, de mĂȘme ai-je la bouche ouverte pour vous offenser et pour vous troubler , si je pouvais . Et de fait , si je pouvais , je vous troublerais toujours , et vous descendrais et dĂ©bouterais du trĂŽne de votre gloire .

Ses mains sont comme les mains d'un griffon , car tout ce qu'il a pu prendre , il l'a retenu sans le laisser , et l'eĂ»t plus longuement tenu , si vous eussiez permis qu'il eĂ»t vĂ©cu davantage . De mĂȘme tous ceux qui viennent dans les mains de ma puissance , je les tiens si fermement que je ne les laisserais jamais aller , s'ils ne m'Ă©taient ĂŽtĂ©s contre mon grĂ© par votre justice .

Son ventre est enflé , d'autant que ses cupidités insatiables étaient sans bornes . Il était plutÎt rempli qu'assouvi . En vérité sa cupidité était si ardente que toute la terre ne pouvait l'assouvir ; il eut voulu encore régner dans le ciel. J'ai aussi une semblable cupidité , car si je pouvais ravager les ùmes qui sont au ciel , sur la terre et au purgatoire , je le ferai franchement ; et s'il m'en restait une seule ùme , je ne laisserai pas celle-là franche de tourments , pour assouvir mes cupidités.

Sa poitrine est aussi froide que la mienne, car elle ne vous aima jamais , ni ne prit goĂ»t Ă  vos avertissements , de mĂȘme que moi , qui ne suis touchĂ© en votre endroit d'aucune atteinte d'amour , voire Ă  raison de l'envie enragĂ©e qui me dĂ©chire au-dedans , je me laisserais tuer d'une mort amĂšre , et dĂ©sirerais que ce supplice me fĂ»t renouvelĂ© incessamment , pourvu que je vous puisse dĂ©faire , et que cela fĂ»t possible.

P274

Nos cuisses sont sans jointures , d'autant que nous n'avons qu'une mĂȘme volontĂ© , car presque dĂšs le commencement de la crĂ©ation , ma volontĂ© s'est mue contre vous , ne voulant jamais ce que vous vouliez : de mĂȘme la volontĂ© de cette Ăąme fut toujours contraire Ă  vos prĂ©ceptes et commandements.

Nos pieds sont comme boiteux et mutilĂ©s, car comme avec les pieds on court aux utilitĂ©s corporelles, de mĂȘme on s'approche de Dieu avec l'amour et les bonnes Ɠuvres.. Cette Ăąme non plus que moi , ne s'est jamais voulu approcher de vous par amour no par bonnes Ɠuvres , et partant , nous sommes semblables en tout et en l'usage des membres.

Nous avons encore un semblable goĂ»t , car bien que nous sachions que vous ĂȘtes le souverain bien , nous ne vous goĂ»tons pas pourtant ni ne savons pas combien doux et bon vous ĂȘtes . Donc , puisque nous sommes semblables en tout , jugez-nous conjointement.

Lors un des anges répondit devant Notre-Seigneur : Seigneur Dieu m aprÚs que cette ùme fut unie au corps , je la suivais toujours ni ne me séparai point d'elle , tant que je trouvai quelque bien en elle ; or , maintenant , je la laisse comme un sac vide de toute sorte de biens. Elle a eu enfin trois sortes de maux : 1° Elle réputait vos paroles à mensonge , Î Dieu ! 2° Elle croyait que votre jugement était faux . 3° Elle réputùt votre miséricorde pour néant , voire la miséricorde fut comme morte en elle.

P275

Cette ùme fut unie en mariage avec une seule femme , et garda la fidélité du mariage , non pour l'amour de Dieu , mais d'autant qu'il aimait si tendrement sa femme qu'il n'en désirait point d'autre. Elle oyait aussi des messes et assistait aux offices , non par esprit de dévotion , mais afin qu'il ne fût séparé des chrétiens et noté par eux . Elle allait aussi souvent à l'église afin d'obtenir de vous la santé corporelle , et que vous lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde , non afin que vous la protégiez des chutes. O Seigneur , vous avez plus donné à cette ùme qu'elle ne vous a servi au monde . Vous lui avez donné des enfants fameux , la santé corporelle , vous lui avez conservé les richesses et l'avez protégée des infortunes qu'elle craignait . Les secrets de votre justice lui ont donné l'accomplissement de ses cupidités , de sorte que vous lui avez donné cent pour un , et tout ce qu'elle a fait a été récompensé . Partant , je la quitte maintenant vide de toute sorte de biens.

Lors le dĂ©mon rĂ©pondit : Donc ĂŽ Juge , puisqu'elle a suivi mes volontĂ©s , puisque vous l'avez rĂ©compensĂ©e au centuple , jugez-la ĂȘtre associĂ©e avec nous . N'est-il pas Ă©crit en votre loi que lĂ  oĂč

il y aura une mĂȘme volontĂ© et un consentement de mariage , lĂ  se pouvait une conjonction de loi ? Or , il en est de mĂȘme entre cette Ăąme et les diables , car sa volontĂ© a Ă©tĂ© la nĂŽtre , et la nĂŽtre , la sienne . Pourquoi serons-nous frustrĂ©s de la sociĂ©tĂ© et conjonction mutuelle ?

Le Juge repartit et dit : Que l'Ăąme dise ce qu'il lui semble de votre mariage avec elle.

P276

Elle dit au Juge : J'aime mieux ĂȘtre dans les peines de l'enfer que de venir dans les joies du ciel , afin que vous , ĂŽ Dieu , n'ayez consolation de moi ! Vous m'ĂȘtes Ă  tant de haine que je ne me soucie point des peines , pourvu que vous n'ayez joie aucune de moi.

Lors le dĂ©mon dit au Juge : J'ai aussi les mĂȘmes volontĂ©s . J'aimerais mieux ĂȘtre Ă©ternellement tourmente que de jouir de votre gloire , si vous deviez avoir de lĂ  quelque contentement !

Lors le Juge dit à l'ùme : Votre volonté est votre juge , et vous souffrirez le jugement selon icelle.

Et lors le Juge s'étant tourne vers moi ( sainte Brigitte ) , qui voyais tout ceci , me dit : Malheur à cette ùme ! Elle est pire que le larron : elle a eu son ùme vénale ; elle a été insatiable des immondices de la chair ; elle a trompe son prochain , c'est pourquoi tous crient vengeance contre elle ; les anges détournent leur face de devant elle ; les saints fuient sa compagnie.

Lors le démon , s'approchant de cette ùme qui lui était semblable , lui dit : O Juge , me voici , moi qui suis plein de malice , qui ne suis point racheté ni ne serai point racheté. Cette ùme est comme un autre à moi , car elle est rachetée , et elle s'est rendue semblable à moi , obéissant plutÎt à moi qu'à vous . Partant , adjugez-la-moi .

Le Juge lui dit : Si vous vous humiliiez , je vous donnerais la gloire , et si cette ùme eut demande pardon avec résolution de s'amender au dernier point de la vie , elle ne fut jamais tombée en tes mains ; mais d'autant qu'elle persévéra jusqu'à la fin en ton obéissance , la justice veut qu'elle soit éternellement a toi . Néanmoins , les biens qu'elle a faits en sa vie , s'il y en a quelqu'un , restreindront ta malice , afin que tu ne la puisses tourmenter autant que tu veux.

P277

Le démon repartit : Elle est chez moi , et comme par maniÚre de dire , sa chair est ma chair , bien que je ne sois pas charnel , et son sang est mon sang , bien que je sois un esprit . Et le diable semblait se réjouir grandement de ces choses , et en menait un grand applaudissement.

Le juge lui dit : Pourquoi vous réjouissez-vous tant de la perte d'une ùme ? Dites-le en sorte que mon épouse , ici assistante , l'entende.

Le démon dit : Quand cette ùme brûle, je brûle plus ardemment , et quand je l'allume , plus je suis allumé ; mais d'autant que vous l'avez rachetée par votre sang et l'avez tellement aimée que vous vous étés donne à elle ; lorsque je la puis arracher de vous par mes suggestions , je me réjouis.

Le juge lui dit : Ta malice est grande , mais regarde, je le permets.

Voici une étoile qui montait au plus haut des cieux ; et le démon la voyant , devint muet.

Notre-Seigneur lui dit : A qui est-elle semblable ?

Le démon répondit : Elle est plus luisante que le soleil , comme je suis plus noir que la fume ; elle est toute pleine de douceur et jouit des dilections divines , et moi je suis tout plein de malice et d'amertume.

Et Notre-Seigneur lui dit : Quelles pensĂ©es en avez-vous en votre cƓur, et qu'est-ce que vous voudriez donner pour qu'elle fut en votre puissance ?

P278

Le démon répondit : Je donnerais toutes les ùmes qui sont descendues en enfer depuis Adam jusques à maintenant , pour avoir celle-là , et voudrais endurer les peines les plus dures et les plus amÚres , comme si on donnait autant de coups de poignard sur moi si multiplies qu'il n'y eut pas l'espace de la pointe d'une aiguille , voire je descendrais du plus haut du ciel jusques à l'enfer pour l'avoir en ma puissance !
 
 

Notre-Seigneur lui repartit : Ta malice est grande contre moi et contre mes Ă©lus , et moi je suis si charitable que , s'il en Ă©tait besoin, je mourrais une autre fois et j'endurerais pour chaque Ăąme et pour chacun des esprits immondes , le mĂȘme supplice que j'ai endure une fois sur la croix pour toutes les Ăąmes ! Mais vous ĂȘtes si envieux que vous ne voudriez pas qu'une seule Ăąme vint Ă  moi.

Lors Notre-Seigneur dit Ă  cette bonne Ăąme qu'on voyait comme une Ă©toile : Venez , ma bien-aimĂ©e , jouir des contentements indicibles que vous avez tant dĂ©sirĂ©s ; venez Ă  la douceur qui ne finira jamais ; venez Ă  votre Dieu et Seigneur , que vous avez tant de fois dĂ©sirĂ© . Je vous donnerai moi-mĂȘme , en qui sont tout bien et toute douceur ; venez Ă  moi du monde qui est semblable Ă  la douleur et Ă  la peine , car en lui , il n'y a que misĂšre .

Et lors Notre-Seigneur , se tournant vers moi (sainte Brigitte) , qui voyais tout cela en esprit , me dit: Ma fille , tout ceci a été fait en moi en un instant ; mais parce que vous ne pouvez entendre les choses spirituelles que par les similitudes , je vous les ai voulu montrer de la sorte , afin que l'homme comprenne combien je suis rigoureux aux méchants , et combien débonnaire aux bons.

p279

DÉCLARATION.

Une Ăąme Ă©tait prĂ©sentĂ©e au juge ; elle Ă©tait suivie de quatre Éthiopiens, qui dirent au juge : Voici la proie : suivons-la, et nous marquerons tous ses pas ; et Ă©tant une fois tombĂ©e en nos mains, qu’en ferons-nous ? 

Le juge leur dit : Qu’avez-vous Ă  intenter contre elle ? 

Le premier Éthiopien dit : Vous, Dieu, avez dit : Je suis juste et misĂ©ricordieux par-dessus les pĂ©chĂ©s. Or, cette Ăąme s’est en telle sorte comportĂ©e comme si elle avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour la damnation Ă©ternelle. 

Le deuxiĂšme Éthiopien dit : O Seigneur, vous avez dit que l’homme devait ĂȘtre juste avec son prochain et ne le tromper en rien. Or, cette Ăąme a fraudĂ© et trompĂ© son prochain, a changĂ© ce qu’elle a pu, et a pris ce qu’elle a voulu, sans dessein d’en restituer rien. 

Le troisiĂšme Éthiopien dit : Vous avez dit que l’homme ne doit point aimer la crĂ©ature par-dessus son CrĂ©ateur. Or, cette Ăąme a aimĂ© toutes choses fors vous. 

Le quatriĂšme Éthiopien dit que pas un ne peut entrer dans le ciel, si ce n’est de tout son cƓur ; mais cette Ăąme ne dĂ©sirait rien de bon, ni les choses spirituelles ne lui plurent jamais. Mais tout ce qu’elle faisait qui avait quelque apparence que c’était pour l’amour de vous, elle le faisait afin de n’ĂȘtre marquĂ©e des chrĂ©tiens qu’elle n’était pas chrĂ©tienne. 

Lors le Juge dit Ă  l’ñme : Que dites-vous de vous-mĂȘme ? 

P280 

Elle rĂ©pondit : Je vous dĂ©sire toute sorte de maux, bien que vous soyez mon CrĂ©ateur et mon RĂ©dempteur, et mon cƓur est entiĂšrement endurci ; nĂ©anmoins Ă©tant contrainte, je dirai la vĂ©ritĂ©. Je suis comme un avorton aveugle et boiteux, mĂ©prisant les avertissements du pĂšre. Ma conscience profĂšre mon jugement : il faut que je suive aux peines ceux-lĂ  dont je suivis les mƓurs et les conseils en la terre. 

Ces choses Ă©tant dites, l’ñme est sortie de devant Dieu avec de grandes larmes. Lors la vision disparut. 

A la fin de cette rĂ©vĂ©lation, il est fait mention de frĂšre Algotte, prieur et docteur en thĂ©ologie, qui, ayant Ă©tĂ© trois ans aveugle et tourmentĂ© de la pierre, finit ses jours heureusement ; car sainte Brigitte, priant pour lui afin qu’il le guĂ©rĂźt, ouĂŻt en esprit cette rĂ©ponse : Il est une Ă©toile luisante. Il n’est pas expĂ©dient que, pour le dĂ©sir de la santĂ©, son Ăąme soit noircie, car elle a dĂ©jĂ  combattu, vaincu et consommĂ© sa course. Il ne reste que la couronne, et cela ne lui sera enseignĂ© que de cette heure ; les douleurs de la chair lui seront soulagĂ©es, et l’ñme sera enflammĂ©e des feux de mon amour. 


Chapitre 32. 

Paroles de JĂ©sus-Christ Ă  son Ă©pouse, lui marquant comment les parents qui Ă©lĂšvent leurs enfants dans les mƓurs mondaines, Ă  acquĂ©rir les honneurs et la gloire mondaine, sont dĂ©signĂ©s par les serpents qui, nourrissant leurs petits, leur enseignent Ă  combattre avec l’aiguillon et venin mortifĂšre.

P281 

Quand le mĂąle et le femelle des serpents s’accouplent, ils se communiquent le venin, et de leur nature, ils engendrent un serpent venimeux ; mais le serpent, Ă©tant conçu, ne peut avoir vie que par ma faveur, car rien ne peut ĂȘtre sans moi, ni recevoir l’esprit sans ma puissance et ma vertu. Mais le serpent Ă©tant nĂ©, la mĂšre, n’ayant point de lait pour le nourrir, se pose en telle sorte sur lui et l’échauffe tellement que peu s’en faut qu’elle ne l’étouffe. Ce serpenteau, sentant au-dessus un trop grand chaud, et au-dessous un grand froid, poussĂ© par la nĂ©cessitĂ©, applique sa bouche Ă  la terre, et commence Ă  sucer et Ă  manger peu Ă  peu la terre. AprĂšs, sa mĂšre le pique Ă  la queue, pour lui enseigner de serpenter, le poussant et le retirant. AprĂšs, la mĂšre considĂšre le lieu oĂč l’ardeur du soleil est, et lĂ , elle traĂźne son serpenteau, allant devant lui lentement, afin qu’il apprenne Ă  aller et Ă  suivre ; et le voyant au soleil, la mĂšre pense si son petit a du venin pour empoisonner, et connaissant qu’il en a, elle lui enseigne Ă  piquer. Mais parce qu’il a l’aiguillon tendre encore, la mĂšre pense : Si je lui donne quelque chose de dur, son aiguillon tendre sera bientĂŽt rompu ; c’est pourquoi la mĂšre lui apporte quelque chose de mou devant lui, et puis sa mĂšre l’excite Ă  la colĂšre et Ă  la fureur, jusques Ă  ce que son petit serpenteau pique le corps mou, et que de la sorte il apprenne Ă  piquer et Ă  renforcer son aiguillon ; et l’ayant aprĂšs fortifiĂ©, il pique les pierres et les corps durs, et la mĂšre, l’ayant de la sorte instruit, le laisse. 

P282

De telle trempe est l’homme que vous connaissez : il est de fait comme un serpenteau nouveau-nĂ©, d’autant qu’il est nĂ© d’un pĂšre et d’une mĂšre qui imitent la nature du serpent, car tous deux conviennent en la nature du serpent, c’est-Ă -dire, en la superbe damnable, qui nuit Ă  l’ñme plus que nuit au corps le venin corporel. Or, enfin, ce serpent, ayant une grande affection aux ambitions et d’inextinguibles feux de voluptĂ©, brĂ»lait en l’amour impur de sa femelle, et elle brĂ»lait d’une pareille voluptĂ© en lui, c’est pourquoi ils s’approchĂšrent ensemble, bouffis d’orgueil, ayant oubliĂ© la crainte de Dieu, et engendrĂšrent un serpent venimeux d’une semence vĂ©nĂ©neuse. Et moi, parce que je suis misĂ©ricordieux, ma justice l’exigeant de la sorte, j’ai crĂ©Ă© l’ñme. Mais d’autant que la mĂšre n’avait point, pour nourrir son fils, les mamelles de la dilection divine, elle nourrit dessous soi, c’est-Ă -dire, selon l’amour du monde, et le fit Ă©lever avec les plus superbes, dĂ©sirant d’une passion insatiable comment il le pourra rendre fameux parmi les grands du monde ; et l’incitant Ă  sa ruine, il lui parle, disant : Si vous aviez ce domaine ou cette principautĂ©, vous pourriez ĂȘtre semblable Ă  votre pĂšre. Un tel honneur vous est convenable, et pour l’acquĂ©rir, vous devez faire tous vos efforts. 

Un tel serpenteau, Ă©tant ainsi nourri par sa mĂšre, Ă©chauffĂ© aux choses terrestres, refroidi du divin amour, commence de dĂ©sirer les choses terrestres, de s’y attacher, de s’y Ă©chauffer de plus en plus. AprĂšs, afin qu’il apprenne Ă  remuer les membres et Ă  dresser la tĂȘte, la mĂšre le pique lors Ă  la queue, quand elle le pousse Ă  attirer les autres Ă  soi par promesses, et Ă  se les associer par paroles et faveurs ; quand elle lui commande de ne point pardonner aux bons, afin qu’il soit appelĂ© bon, ne pardonner Ă  sa vie, et afin qu’il soit appelĂ© gĂ©nĂ©reux, n’avoir point de repos, et enfin elle lui enseigne d’éterniser son nom. Elle lui enseigne de ramper et de serpenter, le conduisant aux ardeurs du soleil, quand elle l’incite Ă  vivre superbement et dissolument, lui disant en particulier et en public : C’est de la sorte qu’ont vĂ©cu votre pĂšre et vos prĂ©dĂ©cesseurs.

P283 

C’est ainsi que les grands doivent faire ; c’est une honte de vouloir ĂȘtre plus saint qu’eux, et c’est un dĂ©shonneur de vouloir ĂȘtre plus humble qu’ils n’ont Ă©tĂ©, eux, par leurs discours doux, flatteurs et emmiellĂ©s, se sont acquis les faveurs des hommes, et en se conformant Ă  leurs mƓurs, ils ont Ă©tĂ© grandement renommĂ©s. Par ces funestes avertissements, le serpent nĂ©, attirĂ© par les vanitĂ©s et les allĂšchements de la mĂšre, la suit d’un pĂ©chĂ© Ă  un autre, jusqu’à ce qu’il soit arrivĂ© aux ardeurs de la lubricitĂ©, comme aux ferveurs du soleil ; et lĂ  oĂč il pensait commencer ses plaisirs, lĂ  il a trouvĂ© ses douleurs, et de lĂ  sont sortis les inquiĂ©tudes, les fureurs et les combats, qui lui ont Ă©tĂ© enseignĂ©s par la mĂšre. Mais d’autant que la mĂšre considĂ©rait ses infirmitĂ©s et ses faiblesses en ses forces, elle commença de lui persuader ce qui est mol, savoir, l’acquisition des choses temporelles de moindre rĂ©putation, afin de lĂ  faire progrĂšs aux honneurs mĂ©diocres qui semblent au commencement des choses douces et molles ; aprĂšs, acquiesçant aux conseils envenimĂ©s, il afflige les pauvres misĂ©rables, ravissant leurs biens ; voyant qu’ils sont faibles pour leur rĂ©sister, il injurie les uns, il pique par la haine les autres, il tue ses ennemis. AprĂšs, ayant affermi son aiguillon Ăšs choses basses, Ă©tant soufflĂ© par les ambitions de la mĂšre, il commence de monter plus haut, portant envie aux plus grands, tendant aux trahisons, suscitant des querelles, semant des discordes, de sorte qu’il ne doute point d’étendre son aiguillon jusques aux injures de l’Église, si on ne s’en donne garde soigneusement et sagement. 

p284 

Pour arracher la malice de cet aiguillon, il n’y a qu’un seul remĂšde, savoir : il faut couper la langue du serpent. Or, les sages doivent discerner cette langue et la maniĂšre dont il la faut couper. 

AprĂšs, Notre-Seigneur dit : Comme on transperce le drap sans qu’il s’en sente, et comme la pomme est Ă©corchĂ©e sans que le maĂźtre s’en sente, de mĂȘme ma passion et mes peines sont au cƓur de ce serpent, bien qu’il ne les considĂšre jamais, car il met sa foi en la prĂ©destination, disant : Si Dieu a prĂ©vu que je serais damnĂ©, pourquoi ne travaillerai-je plus ? S’il a prĂ©vu que je serais sauvĂ©, facilement il acceptera ma pĂ©nitence. Malheur Ă  lui, s’il ne s’amende promptement, car aucun n’est damnĂ© par ma prĂ©sence ! Sachez aussi que la mĂšre de ce serpent n’aura jamais ce qu’elle dĂ©sire follement, ni mĂȘme ses enfants, ni sa gĂ©nĂ©ration ne prospĂ©rera point, voire elle mourra en l’amertume et dans le chagrin, et sa mĂ©moire sera Ă©teinte.

ADDITION. 

Le Fils de Dieu parle, disant : Qu’on se donne bien garde de cette espĂšce de serpent, et qu’on ne se confie point Ă  ses inventions, car le jugement de Dieu approche, et ses jours ne seront point prolongĂ©s.

P285

Une autre fois, Notre-Seigneur apparut, disant : Sachez pour certain que ces diables n’obtiendront point ce qu’ils dĂ©sirent, ni ses enfants ne prospĂšreront point, ni sa mĂ©moire ne sera point provignĂ©e en gĂ©nĂ©rations. 

Chapitre 33.

Dieu le PĂšre parle Ă  son Fils, montrant comme il est semblable Ă  l’époux, qui a tant aimĂ© l’épouse qu’il a Ă©tĂ© crucifiĂ© pour l’amour d’elle ; mais elle a aimĂ© l’adultĂšre et a tuĂ© l’époux. En quelle maniĂšre sont signifiĂ©s l’ñme par l’épouse, le lit nuptial par l’Église, les portes du cabinet par la volontĂ©, l’adultĂšre par les dĂ©lectations de la chair. Il prĂ©dit aussi que l’épouse sera l’épouse de JĂ©sus-Christ.

Le PĂšre parle Ă  son Fils, lui disant : Vous ĂȘtes semblable Ă  l’époux qui a Ă©pousĂ© une Ă©pouse belle de face et honnĂȘte en ses mƓurs, l’a introduite en son lit nuptial et l’a aimĂ©e comme soi-mĂȘme. De mĂȘme vous, ĂŽ mon Fils, vous avez Ă©pousĂ© une Ă©pouse nouvelle, quand vous avez brĂ»lĂ© de tant d’amour et de charitĂ© envers les Ăąmes, que vous avez voulu ĂȘtre dĂ©chirĂ© et mourir au gibet de la croix pour l’amour d’elles, et les avez introduites en votre sainte Église, que vous avez dĂ©diĂ©e par votre sang, comme en un lit nuptial. Mais hĂ©las ! son Ă©pouse est maintenant adultĂšre ; les portes du cabinet nuptial sont closes, et au lit de la vraie Ă©pouse. L’adultĂšre est couchĂ©e trĂšs-mĂ©chamment, qui s’entretient en ces pensĂ©es : Quand mon mari sera endormi, dĂ©pouillĂ© dans son lit, lors je lui mettrai le poignard au sein et le tuerai, car il ne me contente point. 


p 286 

Or, qu’est-ce que l’ñme signifie, sinon les Ăąmes que vous avez rachetĂ©es de votre sang, lesquelles, bien qu’elles soient plusieurs en nombre, ne sont nĂ©anmoins qu’une Ă©pouse Ă  raison de l’unitĂ© de la foi et de la charitĂ©, et plusieurs d’icelles sont maintenant adultĂšres, d’autant qu’elles aiment le monde plus que vous, ĂŽ mon Fils ! Elles cherchent le plaisir d’autrui, et non le vĂŽtre. Les portes de votre cabinet nuptial, c’est-Ă -dire, de l’Église, sont closes. Qu’est-ce que signifient les portes, sinon la bonne volontĂ©, par laquelle Dieu entre dans les Ăąmes ? Elle est close comme ne contentant rien de bon, mais elles font la volontĂ© de leurs ennemis, car tout ce qui leur plaĂźt, tout ce qui est dĂ©lectable Ă  leur corps, c’est tout ce qu’elles dĂ©sirent, honorent et poursuivent, et c’est ce qu’elles estiment ĂȘtre bon et saint. Mais votre volontĂ©, qui est ce que les hommes devaient choisir avec ferveur, dĂ©sirer avec ardeur et donner tout pour vous, est nĂ©gligĂ©e et mĂ©prisĂ©e ; et aussi quelques-unes, par aventure, entrent quelquefois en dedans des portes de vos cabinets nuptiaux, mais ce n’est pas pour accomplir vos volontĂ©s, pour vous y aimer de tout leur cƓur, mais seulement par honte des hommes, de peur d’ĂȘtre estimĂ©s iniques, et afin qu’elles ne soient reconnues publiquement ce qu’elles sont devant Dieu. 

P287 

Si donc la porte de votre lit nuptial est mal close, et il y a plus de plaisir Ă  frĂ©quenter les adultĂšres que vous, elles conspireront de vous tuer quand vous serez couchĂ© en votre lit : en vĂ©ritĂ©, c’est lorsque vous leur avez paru tout nu, quand vous avez reçu le corps des pures entrailles de la Sainte Vierge sans laisser l’humanitĂ© ; et lorsqu’ils vous voient au saint et auguste sacrement, ils pensent qu’il n’y a que le seul pain, bien que vous y soyez vrai Dieu et vrai homme, que les yeux obscurcis des tĂ©nĂšbres du monde ne peuvent voir ne pĂ©nĂ©trer. 

Vous leur semblez encore endormi quand vous les souffrez sans les punir, et c’est ce qui les fait entrer impudemment dans votre temple, pensant en eux-mĂȘmes : J’entrerai et je recevrai le corps de JĂ©sus comme les autres ; nĂ©anmoins, je ferai ce que bon me semblera quand je l’aurai reçu, car que me profite ou nuit-il de le recevoir ou de ne le recevoir pas ? HĂ©las ! qu’ils sont misĂ©rables ! car lors ils vous tuent en quelque maniĂšre dans leurs cƓurs, afin que vous ne rĂ©gniez pas en eux, bien que vous soyez immortel, et en tout lieu, par la puissance de votre DivinitĂ©. 

Mais parce qu’il n’est pas dĂ©cent que vous soyez sans une bonne Ă©pouse, c’est pourquoi j’enverrai mes amis, afin qu’ils vous amĂšnent une Ă©pouse trĂšs-pure, belle, nouvelle, honnĂȘte en mƓurs, dĂ©sirable, et qu’ils l’introduisent en votre lit nuptial. Or, ces miens amis seront aussi prompts que des oiseaux, d’autant que mon Esprit les conduira ; ils seront forts comme ceux devant les mains desquels les murailles sont renversĂ©es. Ils seront magnanimes comme ceux qui ne craignent point la mort et sont prĂȘts Ă  donner leur vie. Ceux-ci vous amĂšneront une Ă©pouse nouvelle, c’est-Ă -dire, les Ăąmes de mes Ă©lus, et ce avec grand honneur, Ă©clat, dĂ©votion et charitĂ©, avec labeur et persĂ©vĂ©rance invincible. Je suis celui qui parle maintenant, qui ai criĂ© au Jourdain et au dĂ©sert : Celui-ci est mon Fils bien-aimĂ©. Mes paroles seront bientĂŽt accomplies. 

P288 


Chapitre 34. 

La MĂšre de Dieu dĂ©clare Ă  l’épouse par une similitude comment la Sainte Vierge impĂ©tra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de priĂšre, et s’applique aux Ă©lus qui sont au monde. Ces paroles promettent malĂ©diction aux superbes, misĂ©ricordes aux humbles. Ce livre contient encore des paroles par lesquelles il est donnĂ© pouvoir Ă  certaines personnes de chasser les dĂ©mons, et d’accorder ceux qui ont dissension, spĂ©cialement les rois de France et d’Angleterre.

La Sainte Vierge Marie dit : Mon Fils est semblable Ă  un roi qui a une citĂ© en laquelle il y a soixante-et-dix princes. En tout ce domaine, il n’y en avait qu’un seul qui Ă©tait fidĂšle au roi. Lors les fidĂšles, voyant que les infidĂšles n’attendaient que la mort et la damnation, Ă©crivirent Ă  une dame trĂšs-familiĂšre au roi, la priant de prier Dieu pour eux, et qu’elle dit au roi qu’il leur Ă©crivĂźt quelques avertissements par lesquels ils retournassent Ă  leur devoir. Elle parla au roi de l’importance du salut des infidĂšles . 

Le roi lui dit : Il ne leur reste que la mort, et ils en sont dignes. NĂ©anmoins, en considĂ©ration de vos priĂšres, je leur Ă©crirai deux mots. 

Au premier sont trois choses : La damnation qu’ils mĂ©ritent ; 

2- la pauvretĂ© et la confusion ; 

3- la honte et la confusion comme Ă  des pourceaux. 

Le deuxiĂšme mot est que celui qui s’humiliera aura la grĂące et jouira de la vie. 

P289

Mais quand la lettre oĂč Ă©taient ces deux paroles, fut parvenue Ă  ces infidĂšles, quelques-uns d’entre eux dirent : Nous sommes aussi forts que le roi, et partant, dĂ©fendons-nous. Les autres dirent : Nous ne nous soucions point de la mort ni de la vie, nous en nĂ©gligeons l’évĂšnement. Les autres dirent : Aussi, tout ce que nous avons ouĂŻ est faux et controuvĂ© ; cette lettre n’a jamais Ă©tĂ© de la bouche et de l’intention du roi. 

Ayant donc ouĂŻ ces rĂ©ponses, ces fidĂšles Ă©crivirent Ă  ladite dame familiĂšre du roi, disant : Ces infidĂšles ne croient point aux paroles du roi ni aux nĂŽtres, c’est pourquoi demandez au roi qu’il leur envoie un signe signalĂ©, afin qu’ils croient que la lettre est du roi. 

Ce que le roi oyant, dit : Deux choses appartiennent spĂ©cialement au roi, la couronne et le bouclier. Personne ne peut porter la couronne royale que le roi. Le bouclier du roi pacifie et rĂ©concilie ceux qui ont dĂ©bat entre eux. Je leur enverrai donc ces deux choses, pour voir s’ils se convertiront de leur malice et s’ils croiront Ă  mes paroles.

Ce roi ne signifie que mon Fils, qui est Roi de gloire, Fils de Dieu Ă©ternel et le mien. Il a le monde auquel il y a soixante-dix langues comme autant de domaines, et en chaque langue, un ami de mon Fils, c’est-Ă -dire, il n’y a point langue en laquelle mon Fils n’ait quelque ami, qu’on signifie nĂ©anmoins en un, Ă  raison de l’unitĂ© de foi et d’amour. Mais moi, je suis la Dame trĂšs-familiĂšre au roi, et mes amis, voyant les misĂšres du monde, m’ont envoyĂ© leurs priĂšres, me suppliant d’apaiser mon Fils irritĂ© contre le monde, mon Fils qui, Ă©tant flĂ©chi par mes paroles et celles des saints, a envoyĂ© au monde ces paroles de sa bouche, qui Ă©taient presçues de toute Ă©ternitĂ© ; et afin que la cruautĂ© et mĂ©crĂ©ance des hommes ne pensassent que c’étaient des paroles controuvĂ©es, j’ai impĂ©trĂ© la couronne et le bouclier du Roi, en signe, la couronne pour la puissance qui sera donnĂ©e Ă  un sur les esprits immondes ; le bouclier pour les ouvrages de la paix, qui seront donnĂ©s Ă  un autre, savoir, rĂ©former et pacifier les cƓurs Ă  un cƓur, et la mutuelle charitĂ©. Or, les paroles de mon Fils ne sont quasi que deux mots, savoir, malĂ©diction contre ceux qui s’endurcissent, et humilitĂ© Ă  ceux qui s’humilient. 

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Ces choses Ă©tant dites, le Fils parlait Ă  la MĂšre : BĂ©nie soyez-vous comme une mĂšre qui est envoyĂ©e afin de prendre une Ă©pouse pour son Fils ! C’est aussi ainsi que je vous envoie Ă  mes amis, afin qu’ils unissent les Ăąmes Ă  moi par un mariage spirituel, tel qu’il est dĂ©cent et convenable Ă  Dieu. Partant, en considĂ©ration de votre grande misĂ©ricorde et du fervent amour dont vous aimez les Ăąmes, je vous donne autoritĂ© sur cette couronne et ce bouclier, afin que, non-seulement vous la puissiez communiquer Ă  deux, mais Ă  ceux auxquels vous voudrez. Vous ĂȘtes pleine de misĂ©ricorde, et partant, vous attirez toute ma misĂ©ricorde sur les pĂ©cheurs. Bienheureux soit celui qui vous servira, car il ne sera dĂ©laissĂ© ni en la vie ni en la mort ! 

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AprĂšs, la MĂšre de Dieu parla Ă  l’épouse : Il est Ă©crit que saint Jean-Baptiste alla au-devant de la face de mon Fils, lequel tout le monde ne vit pas, d’autant qu’il Ă©tait retirĂ© dans les dĂ©serts : de mĂȘme je vais au-devant du jugement effroyable de mon Fils avec misĂ©ricorde et clĂ©mence. Dites donc de ma part Ă  celui qui a la couronne que toutes fois et quantes qu’il ressentira en soi l’Esprit d’amour et de ferveur de mon Fils, et que le mauvais esprit le vexera, il dise ces paroles : 

Dieu le PĂšre, qui ĂȘtes avec le Fils et le Saint Esprit, CrĂ©ateur de toutes choses et Juge d’icelles ; qui avez envoyĂ© votre Fils au sein de la Vierge pour notre salut. Je te commande, ĂŽ esprit immonde ! je te commande de sortir, pour sa gloire et pour les priĂšres de la Sainte Vierge, de cette crĂ©ature de Dieu, au nom de celui qui est nĂ© de la Vierge, JĂ©sus-Christ, un Dieu, qui est PĂšre, Fils et Saint-Esprit.

AprĂšs, on dira de ma part Ă  l’autre qui a le bouclier : Vous m’avez envoyĂ© souvent comme votre messager Ă  Dieu, et j’ai priĂ© souvent mon Fils pour vous. Or, maintenant, je vous prie d’aller, vrai messager, au souverain chef de l’Église, car bien que Lucifer y soit, nĂ©anmoins, les paroles de mon Fils y seront accomplies selon da volontĂ©. Mais quand il sera arrivĂ© en France, ayant assemblĂ© les princes, qu’il leur dise devant eux ces paroles : Que Dieu, qui est avec le PĂšre et le Saint-Esprit, CrĂ©ateur de toutes choses, qui a daignĂ© descendre dans les entrailles de la Sainte Vierge, et unir l’humanitĂ© au Verbe, sans se sĂ©parer de la DivinitĂ© ; qui a eu un si grand amour envers la crĂ©ature, que, voyant la lance, les clous aigus et tous les instruments de mort devant soi, il aima mieux mourir, souffrir toutes les peines horribles, avoir les nerfs dĂ©chirĂ©s, les mains et les pieds percĂ©s, que de se dĂ©partir de l’amour qu’il portait Ă  l’homme ; que Dieu, par sa passion, vous rĂ©unisse tous en un cƓur, dont vous ĂȘtes depuis si longtemps sĂ©parĂ©s ; enfin qu’il lui propose les peines horribles de l’enfer, les joies indicibles des justes, et les supplices des mauvais, comme mon Esprit le lui a inspirĂ©. 

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Chapitre 35. 

Notre-Seigneur montre Ă  l’épouse la maniĂšre dont un moine Ă©tait purifiĂ© en cette vie par les infirmitĂ©s du corps, et sa gloire Ă©tait manifestĂ©e sous espĂšce d’une Ă©toile. En quelle maniĂšre l’ñme damnĂ©e d’un autre religieux Ă©tait attendue par neuf dĂ©mons devant le prince des dĂ©mons ; et il lui est rendu raison pourquoi les mauvais religieux sont tolĂ©rĂ©s de Dieu.

Le Fils de Dieu parlait Ă  l’épouse : Vous avez vu, dit-il, l’ñme de ce moine rayonnante comme une Ă©toile, et Ă  bon droit, car il Ă©tait luisant et ardent en sa vie comme une Ă©toile, et il m’a aimĂ© par-dessus toutes les crĂ©atures. Il a vĂ©cu en l’observance et en la fidĂ©litĂ© de ses rĂ©solutions. Cette Ăąme aussi vous Ă©tait montrĂ©e avant qu’elle mourĂ»t en cet Ă©tat, oĂč elle Ă©tait avant qu’elle fĂ»t arrivĂ©e au dernier pĂ©riode de sa vie, et quand les signes Ă©vidents de la mort commençaient Ă  paraĂźtre. 

Cette Ăąme donc, s’approchant du dernier pĂ©riode de sa vie, vint en purgatoire, et ce purgatoire Ă©tait son corps, dans lequel elle Ă©tait purifiĂ©e par le feu de ses douleurs et de ses infirmitĂ©s. Et c’est pourquoi elle vous Ă©tait montrĂ©e comme une Ă©toile enclose dans un vase, et cela, pour montrer comme elle avait brĂ»lĂ© des feux de mon amour ; c’est pourquoi elle est maintenant en moi et je suis en elle ; car si une Ă©toile venait en un feu trĂšs-lumineux, elle ne paraĂźtrait pas plus Ă©clatante, de mĂȘme ce religieux enclos en moi et moi en lui d’une maniĂšre ineffable, se rĂ©jouira de cette joie qui n’a point de fin. Or, Ă©tant en purgatoire, il brĂ»lait d’un si grand amour en mon endroit, et moi envers lui, qu’il rĂ©putait la vĂ©hĂ©mence de la douleur trĂšs-lĂ©gĂšre. Sa joie a commencĂ© en tristesse et a fait son progrĂšs en l’éternitĂ©. Ce que le diable regardant, et voulant trouver en elle quelque formalitĂ© de droit pour l’amour qu’elle m’avait portĂ©, il eĂ»t volontiers donnĂ© toutes les Ăąmes pour celle-ci. 

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Une autre Ăąme vous Ă©tait montrĂ©e, que le diable possĂ©dait par neuf sortes de droits. Je vous ai montrĂ© son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous veux montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passĂ©es en un point devant Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne puissent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es que corporellement. 

Cette Ăąme donc Ă©tant parvenue au supplice, soudain sept dĂ©mons allĂšrent au-devant de leur prince, disant : Cette Ăąme est Ă  nous. 

Le dĂ©mon de superbe disait en premier lieu : Elle est mienne, d’autant qu’elle n’a rĂ©putĂ© personne ĂȘtre lĂ©gal, et a autant voulu ĂȘtre sur les autres que je le suis. 

Le dĂ©mon de cupiditĂ© disait : En deuxiĂšme lieu, elle n’a jamais pu ĂȘtre assouvie comme moi : partant, elle est Ă  moi. 

Le troisiĂšme dĂ©mon de rĂ©bellion disait : Cette Ăąme Ă©tait liĂ©e et obligĂ©e Ă  l’obĂ©issance ; mais elle a Ă©tĂ© en tout rebelle Ă  Dieu et obĂ©issante Ă  la chair : partant, elle est Ă  moi. 

Le quatriĂšme dĂ©mon de la gourmandise disait : elle a excĂ©dĂ© Ă  manger Ăšs heures illicites, comme je lui suggĂ©rais, et n’a point voulu l’abstinence : partant, elle est Ă  moi. 


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Le cinquiĂšme dĂ©mon de vaine gloire disait : Elle a chantĂ© pour la vaine gloire et ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fĂąchait, et lors, j’élevais sa voix et l’aidais Ă  chanter plus haut : partant, elle est Ă  moi. 

Le sixiĂšme dĂ©mon de propriĂ©tĂ© disait : Elle devait ĂȘtre pauvre au monde et n’avoir rien de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une fourmi tout ce qu’elle pouvait, et le possĂ©dait sans l’avoir demandĂ© Ă  son supĂ©rieur : partant, elle est Ă  moi. 

Le septiĂšme dĂ©mon, qui est le mĂ©pris de la religion, disait : Elle Ă©tait obligĂ©e d’observer en certain temps, et toutes ses actions, les temps ordonnĂ©s ; mais au contraire, elle avait tout dĂ©rĂ©glĂ© : elle mangeait et buvait quand elle voulait ; dormait, veillait, parlait quand il lui plaisait, et le tout sans discipline rĂ©guliĂšre : partant, elle est Ă  moi. 

Lors, le prince des dĂ©mons disait : Par exemple, vous, ĂŽ esprit de superbe ! d’autant que vous l’avez possĂ©dĂ©e dedans et dehors, entrez en elle ; et partant, entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle avait le corps, le cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et les jointures, tout s’écoulĂąt et se fracassĂąt. 

Il dit au deuxiĂšme dĂ©mon : Esprit de cupiditĂ©, vous l’avez possĂ©dĂ©e selon votre dĂ©sir, et elle n’était jamais rassasiĂ©e : partant, entrez en elle avec un venin trĂšs-ardent, et comme un plomb fondu, brĂ»lez-la si misĂ©rablement qu’elle en soit et tout et partout affligĂ©e sans fin et sans repos. 

Il dit au troisiĂšme diable : Esprit de rĂ©bellion : Vous l’avez possĂ©dĂ©e en tout, et elle vous a plutĂŽt obĂ©i qu’à Dieu : partant, entrez en elle comme un glaive trĂšs-aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme un glaive qui perce le cƓur, qui ne peut sortir

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Il dit au quatriĂšme dĂ©mon, c’est-Ă -dire, Ă  l’esprit de gourmandise : Elle a consenti Ă  toutes les intempĂ©rances : partant, brisez-la de vos dents et dĂ©chirez son cƓur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnĂ©s en aient chacun sa part, et qu’ils l’affligent sans cesse et sans la consommer. 

Il dit au cinquiĂšme dĂ©mon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez pas qu’en toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ; et pour la vanitĂ© du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie qu’elle cherchait au monde sera changĂ©e en pleurs et misĂšres Ă©ternelles. 

Il dit au sixiĂšme diable : Esprit de propriĂ©tĂ©, entrez en elle avec l’amertume, et faites qu’elle ne jouisse jamais d’aucun contentement ; mais en son lieu, elle sera riche des confusions Ă©ternelles, des damnations horribles, et des malheurs qui n’auront jamais de fin. 

Il dit au septiĂšme diable, c’est-Ă -dire, Ă  l’esprit de mĂ©pris de religion : D’autant qu’elle a aimĂ© et pratiquĂ© le dĂ©rĂšglement, qu’elle ait un temps tout dĂ©rĂ©glĂ©, oĂč la rigueur du froid et l’ardeur du chaud ne finiront jamais. 

Lors soudain en un moment apparurent deux dĂ©mons devant le prince des diables, disant : Nous avons aussi part en cette Ăąme. Le premier dit : Cet homme fut un prĂȘtre, et il n’a pas vĂ©cu comme un prĂȘtre, et partant, il est ma part. 

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Le deuxiĂšme dĂ©mon dit : Il avait en sa tĂȘte quelque lieu oĂč la couronne de gloire devait ĂȘtre posĂ©e, et il ne l’a pas eue, et partant, il est Ă  moi. 

Le prince des dĂ©mons rĂ©pondit et dit : Qu’on lui change le nom de prĂȘtre et qu’il soit appelĂ© Satan. Et d’autant qu’il a nĂ©gligĂ© d’avoir la couronne de gloire, qu’on pose en sa place l’opprobre de malĂ©diction et de dĂ©jection Ă©ternelle. 

AprĂšs, Notre-Seigneur parlait Ă  son Ă©pouse : Voici, mon Ă©pouse, quelle est cette rĂ©compense et combien elle est diffĂ©rente de l’autre : ces deux Ăąmes ont Ă©tĂ© d’une mĂȘme profession, mais bien inĂ©gales en leur rĂ©compense. Ne savez-vous pas pourquoi je vous montre ces choses ? Certainement, c’est afin que les bons soient rĂ©compensĂ©s, et que les mauvais, sachant cet horrible jugement, ses convertissent. En vĂ©ritĂ© je vous dis que les hommes de cette profession se retirent grandement de moi, comme vous le pourrez entendre par un exemple. 

Je suis semblable au pĂšre de famille qui a pris des ouvriers auxquels il a commis le fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les fossĂ©s, et le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, mĂ©prisant le commandement de leur maĂźtre, rapportĂšrent les ustensiles Ă  leur Seigneur, et dirent : Le fossoir n’est point aigu et la terre est trop sĂšche, et nous ne pouvons point travailler en icelle ; le balai est trop faible et le vase trop pesant : nous ne le saurions porter. 

Ces professeurs en font de mĂȘme, car je leur ai commis comme Ă  ceux qui cultivent la terre, la parole pour la prĂȘcher, et la puissance de cultiver les cƓurs par la terreur de mes jugements ; mais hĂ©las ! ils ne s’en servent point, mais ils les mĂ©prisent et en prennent d’autres, d’autant qu’ils emploient mes paroles et mon institution au soulagement du corps, Ă  plaire aux hommes et Ă  s’enrichir de plus en plus ; les cƓurs des hommes sont maintenant trop durs, et les paroles de Notre-Seigneur moins aiguĂ«s pour exciter la dĂ©votion : et partant, ils proposent aux hommes des sujets agrĂ©ables ; ils cachent ma justice ; ils dissimulent de reprendre les pĂ©chĂ©s, en quoi ils font que les pĂ©cheurs croupissent confidemment en leurs pĂ©chĂ©s, et s’en repentent avec moins de douleur. 

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En deuxiĂšme lieu, je leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossĂ©, c’est-Ă -dire, je voulais qu’ils aimassent l’humilitĂ© et la pauvretĂ©, mais elle est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne voulons rien avoir, comment vivrons-nous ? Si nous sommes entiĂšrement humiliĂ©s, qui nous retirera ? TrompĂ©s donc et déçus de ce faux prĂ©texte, ils sont autant superbes sur les autres qu’ils devraient ĂȘtre humbles. 

Je leur ai encore donnĂ© un vase pour porter la terre, c’est-Ă -dire, afin qu’ils pratiquassent l’abstinence des choses corporelles ; mais ils ont jetĂ© ce vase Ă  mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mĂȘmes labeurs que nos pĂšres, nous dĂ©faudrons et seront mĂ©prisĂ©s du tout en cette abstinence, de sorte donc que tout ce qu’il y a de bon dans la religion leur est pesant, et ils font ce que bon leur semble. 

Or, qu’est-ce que je dois faire, mes instruments Ă©tant jetĂ©s par terre, et eux refusant de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon votre volontĂ©, faites vos Ɠuvres propres, et vous trouverez votre fruit ; ayez l’honneur du monde pour l’honneur Ă©ternel, ses richesses et son amitiĂ© pour les choses cĂ©lestes, 

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les voluptĂ©s du siĂšcle pour les dĂ©lices qui n’auront jamais de fin. Je jure en ma vĂ©ritĂ© que si je n’avais Ă©gard Ă  deux biens qui me les font souffrir, une maison de ceux-lĂ  ne demeurerait pas sur pied : le premier est la priĂšre de ma trĂšs-chĂšre MĂšre, qui me prie incessamment avec leur patron ; le second est ma justice, car bien que je sois tenu de leur faire aucune misĂ©ricorde Ă  raison de leur malice, nĂ©anmoins, pour les offrandes qui me sont agrĂ©ables, je les tolĂšre, car elles sont comme des instruments qui profitent aux autres ; car de leur chant et prĂ©dication, les autres sont excitĂ©s de plus en plus Ă  la dĂ©votion, et prennent sujet et occasion de profiter ; mais ceux-lĂ  s’abaissent jusques aux fondriĂšres infortunĂ©es, d’autant que, non pour l’éternitĂ©, mais vĂ©ritablement pour le lucre, ils sont serviteurs ; et peu s’en trouvent d’autres, et si peu qu’à peine s’en trouve-t-il un sur cent ! 

DÉCLARATION. 

Une Ăąme apparut, revĂȘtue du scapulaire et horriblement difforme en tout. Lors JĂ©sus-Christ dit : Quelque peuple ouĂŻt le peuple d’IsraĂ«l remporter la victoire partout, et craignant de lui ĂȘtre sujet, envoya des lĂ©gats ayant aux pieds de vieux souliers, et du pain fort dur en leurs sacs, afin qu’en mentant, ils feignissent d’ĂȘtre des terres les plus lointaines. Mais la vĂ©ritĂ© Ă©tant connue, ils furent rĂ©duits en perpĂ©tuelle servitude. 

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De mĂȘme plusieurs religieux, feignant de ne l’ĂȘtre pas, servent le monde sous l’habit de religion, sont exclus de l’hĂ©ritage Ă©ternel, du nombre desquels est celui-ci, dont l’ñme est possĂ©dĂ©e du diable par neuf sortes de droits. 

1. D’autant qu’étant superbe, il se prĂ©fĂšre aux autres, faisant semblant d’ĂȘtre vertueux, Ă©tant nĂ©anmoins tout plein de vices. 

2. D’autant qu’il dĂ©sirait ce qu’il voyait, n’étant pas content du nĂ©cessaire. 

3. D‘autant qu’il obĂ©it seulement Ă  ce qui le contente ; le reste, il le fait par contrainte, ou il cherche l’occasion de fuir. 

4. D‘autant qu’il se plaĂźt Ă  l’intempĂ©rance, compagne de ceux qui font un Dieu de leur ventre. 

5. D‘autant qu’il cherche Ă  ĂȘtre louĂ© de tous, et non de Dieu ; c’est pourquoi il prĂȘche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des choses signalĂ©es. 

6. D‘autant qu’il se glorifie dans les choses superflues et a un habit Ă©tranger, la propriĂ©tĂ© duquel devait ĂȘtre la vraie pauvretĂ©. 

7. D‘autant qu’il ne se rĂ©glait pas aux heures, mais suivait en tout les dĂ©sirs de la chair. 

8. D‘autant qu’il allait Ă  l’autel impudiquement et effrontĂ©ment, sanctifiant et absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens du pĂ©chĂ©, et Ă©tant en tout digne de rĂ©prĂ©hension. 

9. D‘autant qu’indignement il porte le signe de gloire en sa tĂȘte, ayant confĂ©dĂ©ration et alliance avec mon ennemi : partant, s’il ne s’amende, il boira et sentira les rigueurs de ma justice. 

Elle rĂ©pondit : O mon Dieu ! Il dit les messes, il prĂȘche, et ses prĂ©dications agrĂ©ent Ă  plusieurs : Peut-il donc ĂȘtre ailleurs qu’en votre Esprit ? 

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Notre-Seigneur rĂ©pondit : Ses prĂ©dications sont de mon Esprit ; mais quand il ne prĂȘche point avec charitĂ© ni avec la pure intention avec lesquelles un prĂ©dicateur doit prĂȘcher, il n’a pas l’effet de la prĂ©dication ; et lors mon Esprit n’opĂšre point en lui ; il mĂąche le fourrage, il suce la queue du serpent et cherche les fleurs pĂ©rissables. 

Lors elle repartit : O Seigneur, je n’entends pas ce que vous dites : partant, expliquez-le moi, je vous en supplie. 

Notre-Seigneur lui dit : Lors il mĂąche le fourrage, quand pain Ă©ternel ne lui est point Ă  goĂ»t, quand la divine sapience n’entre point dans son cƓur, ma sapience qui dit : Venez Ă  moi, humbles, et je vous rĂ©fectionnerai. Or, lors il suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine intelligence ne lui est point Ă  goĂ»t, mais bien la prudence du diable, qui dit : Mangez, et vos yeux vous seront ouvert. Il cherche les fleurs pĂ©rissables, quand il ne se soucie point du fruit de la divine et Ă©ternelle douceur, mais a incessamment en la bouche les paroles du monde et de la chair. 

Chapitre 36.

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ rĂ©vĂšle Ă  son Ă©pouse comment, Ă  raison de trois biens qui Ă©taient aux cƓurs vides et purs des apĂŽtres, le Saint-Esprit y a Ă©tĂ© envoyĂ© en trois maniĂšres. Comment le Saint-Esprit n’entre point dans les cƓurs des hommes pleins de cupiditĂ© et de superbe. Notre-Seigneur veut que le vin des paroles de ce livre soit communiquĂ© Ă  ses amis, lesquelles paroles seront ensuite publiĂ©es aux autres.

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Pour le jour de la sainte PentecĂŽte. 

Je suis celui qui vous parle Ă  vous, qui, un tel jour, ai envoyĂ© Ă  mes apĂŽtres le Saint-Esprit, qui est venu Ă  eux en trois maniĂšres : 

1-comme un torrent ; 

2-comme un feu ; 

3- en espĂšce de langues. 

Or, il est venu Ă  eux, les portes Ă©tant closes, d’autant qu’ils Ă©taient retirĂ©s, et ils avaient trois sortes de biens, car 

1-ils avaient la volontĂ© de garder la chastetĂ© et de vivre chastement en tout ; 

2- ils avaient une profonde humilitĂ© ; 

3- tout leur dĂ©sir Ă©tait envers Dieu, d’autant qu’ils ne soupiraient qu’aprĂšs lui. 

Ils Ă©taient comme trois vases purs et vides, c’est pourquoi le Saint-Esprit descendit en eux et les remplit. Il vint comme un torrent, les remplissant entiĂšrement de sa douceur et de sa divine consolation. Il vint comme un feu, car il enflamma tellement leurs cƓurs des ferveurs du divin amour, qu’ils n’aimaient et ne craignaient que Dieu. En troisiĂšme lieu, il vint en espĂšce de langues, car comme la langue est dans la bouche, et que nĂ©anmoins elle ne nuit point la bouche, mais est utile pour parler, de mĂȘme le Saint-Esprit, Ă©tant dans leurs Ăąmes, ne leur faisait dĂ©sirer autre que lui-mĂȘme ; la sapience divine les avait rendus Ă©loquents, la vertu du Saint-Esprit, faisant l’office de la langue, disait toute vĂ©ritĂ©. 

Donc, ces vases, Ă©tant vides, et d’ailleurs, grandement dĂ©sireux, furent dignes de recevoir le Saint-Esprit, car il n’entre point en ceux qui sont remplis et pleins. Or, ceux-lĂ  sont remplis qui ont leur cƓur rempli de pĂ©chĂ©s et de vilenies, et ceux-lĂ  sont comme trois vases sales : 

le premier est plein de fiente si puante des hommes que personne n’en peut souffrir la puanteur ; 

le deuxiĂšme est plein comme de la corruption et pollution trĂšs-vile, que personne ne peut goĂ»ter ; 

le troisiùme est plein de sang trùs-corrompu et pourri, que pas un ne peut regarder à raison de l’abomination .

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De mĂȘme les mĂ©chants sont pleins des abominations et des cupiditĂ©s du monde, qui sont puantes devant ma face et devant celles de mes saints, bien plus que la fiente des hommes, car que sont les choses temporelles, sinon fiente ? Les misĂ©rables se plaisent en cette mĂ©chante vilenie. 

Au deuxiĂšme vase, il n’y a que luxure et incontinence en toutes ses Ɠuvres ; cette incontinence m’est plus amĂšre que la corruption. Je ne souffrirai point cela, et encore moins entrerai-je en eux par ma grĂące. Comment pourrais-je, moi qui suis la puretĂ© mĂȘme, entrer en ces corrompus ? Comment moi, qui suis le vrai feu de la vraie dilection, enflammerais-je ceux qu’un grand feu de luxure enflamme ? 

Le troisiĂšme est de superbe : elle m’est comme un sang corrompu, car c’est elle qui corrompt les hommes au-dedans et au dehors, ĂŽte la grĂące que Dieu donne, et rend l’homme abominable devant Dieu et le prochain. Or, celui qui sera rempli de la sorte, ne pourra ĂȘtre rempli de la grĂące du Saint-Esprit. 

Or, je suis comme un homme qui a du vin Ă  vendre, lequel, en voulant boire, en donne plutĂŽt Ă  ses amis et Ă  ses familiers pour le goĂ»ter, et aprĂšs, le fait crier par les carrefours, disant que ce vin est bon, que qui en voudra vienne : de mĂȘme, j’ai un vin trĂšs-bon, c’est-Ă -dire, une douceur ineffable, laquelle j’ai fait goĂ»ter Ă  mes amis, qui ont ouĂŻ les paroles qui procĂšdent de ma bouche. Entre tous ceux qui croyaient que le vin Ă©tait bon, Ă©tait celui qui est venu Ă  moi ce jourd’hui, ayant comme trois vases Ă  remplir, car il est venu ayant la volontĂ© d’ĂȘtre continent, de se retirer de la vanitĂ©, de s’humilier profondĂ©ment et de dĂ©sirer tout ce qui me plaĂźt.

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C’est pourquoi j’ai aujourd’hui rempli ses vases, car 1. il sera plus Ă©clatant par ma sapience divine, plus Ă©clairĂ© pour comprendre mes mystĂšres, et plus prompt Ă  la contemplation qu’auparavant. 2. Je l’ai rempli de charitĂ©, et il sera plus fervent que jamais Ă  tout bien. 3. Je lui ai donnĂ© une crainte discrĂšte, de sorte qu’il ne craint que moi et ne cherche que ce qui me plaĂźt. Afin donc qu’il sache appeler les autres Ă  goĂ»ter mon vin, qu’il Ă©coute les paroles que j’ai prononcĂ©es, qui sont Ă©crites, afin qu’ayant oui combien je suis charitable et juste, il ait autant de soin d’appeler les autres Ă  goĂ»ter la douceur de mon vin incomparable. 

DÉCLARATION. 

Ce frĂšre suivait sainte Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit sainte Brigitte comme couronnĂ©e de sept diadĂšmes, et vit le soleil comme tout noirci ; de quoi s’étonnant, il ouĂŻt une voix qui lui disait : Ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre, qui ayant relui comme un soleil, sera mĂ©prisĂ© par l’opprobre des hommes ; et cette femme que vous voyez aura l’épi d’une grĂące de Dieu septuple, laquelle est signifiĂ©e par la couronne septuple que vous avez vu, et ceci vous sera en signe que vous serez guĂ©ri de cette infirmitĂ©. Vous retournerez aux vĂŽtres et serez Ă©levĂ© Ă  une plus grande dignitĂ©. 

Etant retournĂ©, il fut fait abbĂ©, faisant progrĂšs de vertu en vertu. 

P304 

Chapitre 37. 

La Sainte Vierge parle Ă  l’épouse. En quelle maniĂšre la Sainte Vierge est saluĂ©e de quatre sortes d’hommes : des vrais amis par amour, des autres par crainte de la peine, des autres pour ĂȘtre riches, des hypocrites par la prĂ©somption d’obtenir pardon. Les deux premiers sont rĂ©compenses entre les spirituels, le troisiĂšme temporellement, le quatriĂšme abominablement.

La Sainte Vierge Marie disait : Il y a quatre sortes de gens qui me servent : 

Les premiers sont ceux qui laissent en mes mains leur volontĂ©, leur conscience et tout ce qu’ils font pour mon honneur ; leur salutation m’est agrĂ©able comme une boisson trĂšs-douce. 

Les deuxiĂšmes sont ceux qui craignent la peine, et par la crainte, pĂ©chĂ©. Je leur donne, s’ils persĂ©vĂšrent, la diminution de la mauvaise crainte, l’accroissement de la vraie charitĂ©, et la science par laquelle ils apprennent Ă  aimer Dieu avec raison et sagesse. 

Les troisiĂšmes sont ceux qui Ă©lĂšvent Ă©minemment mes louanges ; mais ils n’ont autre affection ni intention, sinon que les richesses et les honneurs temporels leur soient accrus. Et partant, comme un seigneur Ă  qui on envoie quelque don, et qui en renvoie un Ă©gal, de mĂȘme, d’autant qu’eux demandent des choses temporelles ni ne dĂ©sirent rien si chĂšrement, je leur donne ce qu’ils demandent, et je les rĂ©compense en cette vie prĂ©sente. 

Les quatriĂšmes sont ceux qui feignent d’ĂȘtre bons, et nĂ©anmoins, ont le pĂ©chĂ© en dĂ©lectation, car ils pĂȘchent en secret quand ils peuvent, de peur qu’il ne semble aux hommes que soudain qu’on implore la Sainte Vierge, on obtient soudain le pardon ; leur voix me plaĂźt comme le son d’un vase argentĂ© par dehors, et qui, au dedans, est plein de fiente trĂšs-puante que personne ne peut souffrir. 

Tels sont quelques-uns par la mauvaise volontĂ© qu’ils ont de pĂ©cher. 

P305 


Chapitre 38. 

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ dit Ă  son Ă©pouse qu’il y a deux esprits, l’un bon et l’autre mauvais. Or, les signes du Saint-Esprit sont la douceur de l’esprit et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont l’anxiĂ©tĂ© et l’inquiĂ©tude de l’esprit procĂ©dant de la cupiditĂ© ou de la colĂšre.

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant : Le bon esprit est au cƓur de l’homme. Or, quel est ce bon esprit, sinon Dieu ? qu’est Dieu sinon la gloire et la douceur des saints ? Dieu est en eux, ils sont en lui ; et lors ils ont tout le bien quand ils ont Dieu, sans lequel rien n’est bon. Partant, celui qui a l’Esprit de Dieu a Dieu, et toute la milice cĂ©leste et tout bien ; Semblablement, quiconque a le mauvais esprit en soi, a tout le mal en soi. Or, quel est cet esprit mauvais, sinon le diable ? Or, le diable n’est que peine et tout mal. Celui donc qui a le diable a en soi la peine et tout le mal. Or, comme l’homme de bien ne ressent point d’oĂč ou comment est versĂ©es en soi la douceur du Saint-Esprit, ni ne la peut goĂ»ter parfaitement, bien qu’en partie, de mĂȘme l’homme mauvais, quand il est angoissĂ© par les cupiditĂ©s, quand il soupire aprĂšs les ambitions, quand il est blessĂ© de colĂšre, ou corrompu par la luxure ou d’autres vices, a une peine du diable et un indice de l’éternelle inquiĂ©tude, bien qu’en cette vie, on ne puisse la comprendre comme elle est. Malheur Ă  ceux qui adhĂšrent Ă  cet esprit !

P306 


Chapitre 39.

L’épouse voyait que le dĂ©mon prĂ©sentait au jugement divin sept livres contre l’ñme d’un soldat dĂ©cĂ©dĂ© ; mais le bon ange prĂ©senta pour lui un livre oĂč l’ñme n’était point damnĂ©e Ă©ternellement, d’autant que, le diable l’ignorant, elle s’était repentie intimement Ă  la fin de ses jours. Elle est nĂ©anmoins condamnĂ©e, dans le purgatoire, Ă  sept peines, Ă  raison de ses pĂ©chĂ©s, jusques au jour du jugement, car elle avait autant dĂ©sirĂ© de vivre. Mais JĂ©sus-Christ rĂ©vĂšle trois remĂšdes par lesquels elle pourrait ĂȘtre affranchie plus tĂŽt ; et de fait, soudain trois peines lui ont Ă©tĂ© remises par les priĂšres de la Sainte Vierge et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucĂ©e, mais diffĂ©rant Ă  quelque temps, JĂ©sus-Christ la met en dĂ©libĂ©ration.

Un dĂ©mon apparut au jugement divin, qui tenait une Ăąme d’un dĂ©cĂ©dĂ© toute tremblante comme un cƓur pantelant. Ce dĂ©mon dit alors au Juge : Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette Ăąme depuis sa naissance jusques Ă  la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais nĂ©anmoins, elle est Ă  la fin tombĂ©e en mes mains, et pour gagner Ă  moi, je me suis comportĂ© avec toute sorte d’impĂ©tuositĂ©, comme un torrent quand la brĂšche est faite, Ă  qui rien ne rĂ©siste, sinon quelque digue, c’est-Ă -dire, votre justice, laquelle n’est pas encore Ă©prouvĂ©e contre cette Ăąme ; c’est pourquoi je ne la possĂšde pas encore assurĂ©ment. Je la dĂ©sire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamĂ©, voire si enragĂ© de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous ĂȘtes juste Juge, pourquoi est-elle plutĂŽt tombĂ©e en mes mains qu’en celles de son ange ? 

p307

Le Juge rĂ©pondit : d’autant que ses pĂ©chĂ©s sont en plus grand nombre que ses bonnes Ɠuvres. 

Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles. 

Le dĂ©mon rĂ©pondit : J’ai un livre tout plein de ses pĂ©chĂ©s. 

Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre ? 

Le dĂ©mon rĂ©pondit : Son nom est DĂ©sobĂ©issance. En ce livre sont sept livres, et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus. 

Le Juge rĂ©pondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes choses, nĂ©anmoins, dites-les, afin que votre volontĂ© et ma bontĂ© soient connues. 

P308

Le dĂ©mon rĂ©pondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont trois colonnes : 

la premiùre est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres ; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait plus sages que les autres

La deuxiĂšme colonne Ă©tait d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient Ă©tĂ© donnĂ©s, des vĂȘtements et des autres choses. 

La troisiĂšme Ă©tait d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beautĂ© de ses membres, de sa noble race et de ses Ɠuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux. 

Le deuxiĂšme livre Ă©tait la CupiditĂ©. Ce livre avait trois colonnes : la premiĂšre Ă©tait spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses pĂ©chĂ©s n’étaient pas si grands qu’on le disait, et indignement a-t-il dĂ©sirĂ© le royaume cĂ©leste, qui ne se donne qu’aux purs. 

La deuxiĂšme, d’autant qu’il a plus dĂ©sirĂ© d’ĂȘtre au monde qu’il n’était nĂ©cessaire, et que sa volontĂ© ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race, afin de nourrir ses hĂ©ritiers, non Ă  l’honneur de Dieu, mais Ă  l’honneur du monde. 

La troisiĂšme fut qu’il dĂ©sirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il acquĂ©rait des biens temporels.

Le troisiĂšme livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes : 

La premiĂšre fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui. 

La deuxiĂšme, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui. 

La troisiĂšme, que, par envie, il a nui secrĂštement au prochain par ses conseils, tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incitĂ© les autres Ă  des choses semblables 

P309 

Le quatriĂšme livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes : 

La premiĂšre Ă©tait l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant Ă  ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel ou tel conseil ? Quelle rĂ©compense en aurai-je, si je lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait grandement affligĂ©, pouvant ĂȘtre instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant Ă©difier et ne le faisant point.

La deuxiĂšme colonne est que, pouvant purifier ceux qui Ă©taient en dissension, il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui Ă©taient en trouble, il n’en voulait rien faire. 

La troisiĂšme colonne Ă©tait l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eĂ»t donnĂ© cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez trĂšs-bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut ĂȘtre cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance, afin que les autres profitent. 

P310

Le cinquiĂšme livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes : 

La premiĂšre : il Ă©tait fainĂ©ant aux bonnes Ɠuvres pour votre honneur et pour accomplir vos prĂ©ceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son temps. L’utilitĂ© et la voluptĂ© de son corps lui Ă©taient trĂšs-chĂšres. 

La deuxiĂšme colonne : il Ă©tait oisif en ses pensĂ©es, car quand vous lui inspirez quelque pensĂ©e, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup. 

La troisiĂšme : il Ă©tait lĂąche Ă  parler, Ă  prier pour son utilitĂ© et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent Ă  dire des paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantitĂ©, vous seul le connaissez. 

Le sixiĂšme livre Ă©tait la ColĂšre ; il avait trois colonnes : 

La premiĂšre : d’autant qu’il se colĂšrait contre son prochain des choses qui ne lui Ă©taient point utiles. 

La deuxiĂšme : d’autant qu’il a laissĂ© le prochain par sa colĂšre en ses Ɠuvres, d’autres fois en aliĂ©nant le sien. 

La troisiĂšme : d’autant que, par sa colĂšre, il troublait son prochain. 

Le septiĂšme livre Ă©tait la VoluptĂ©; il avait aussi trois colonnes : 

La premiĂšre : d’autant qu’il Ă©tait impudique dans ses paroles et dans ses actes. 

La deuxiĂšme : il Ă©tait trop pĂ©tulant en ses paroles impures. 

La troisiĂšme Ă©tait qu’il nourrissait trop dĂ©licatement son corps, se prĂ©parant des superfluitĂ©s de mets dĂ©licats pour contenter sa sensualitĂ© et pour ĂȘtre estimĂ© grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait Ă  table plus longtemps qu’il ne devait, ne considĂ©rant pas le temps qu’il y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requĂ©rait mais bien pour prier ou travailler. 

P311 

Voici, ĂŽ Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette Ăąme. 

Or, le Juge ne disant mot, la MĂšre de misĂ©ricorde, qui semblait ĂȘtre fort loin, s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable. 

Le Fils rĂ©pondit : Ma chĂšre MĂšre, si la justice n’est pas dĂ©niĂ©e au diable, pourquoi vous serait-elle dĂ©niĂ©e, Ă  vous qui ĂȘtes ma MĂšre et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime. 

Lors la MĂšre parlait au diable, disant : Je te commande de rĂ©pondre Ă  trois choses que je te demande ; et bien que tu le fasses Ă  regret, tu y es obligĂ© par la justice, d’autant que je suis ta maĂźtresse. 

Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensĂ©es des hommes ? 

Le diable dit : Non, sinon celles-lĂ  qui se manifestent par l’Ɠuvre extĂ©rieure, et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggĂšre dans le cƓur, car bien que j’aie perdu ma dignitĂ©, nĂ©anmoins, par la subtilitĂ© de ma nature, il m’est demeurĂ© tant de sagesse que par la disposition de l’homme, j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaĂźtre les bonnes pensĂ©es des hommes. 

La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ĂŽ diable, bien que contraint : qu’est-ce qui peut effacer les Ă©crits de ton livre ? 

Le diable rĂ©pondit : Une seule chose, qui est la charitĂ©, car quiconque l’obtient dans son cƓur, soudain l’écriture de mon livre est effacĂ©e. 

La Sainte Vierge lui dit pour la troisiĂšme fois : Dis-moi, ĂŽ diable ! quelqu’un peut-il ĂȘtre si mĂ©chant et si corrompu qu’il ne puisse venir Ă  rĂ©sipiscence pendant qu’il vit ? 

P312 

Le diable rĂ©pondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la grĂące, car quand quelque pĂ©cheur que ce soit change sa mauvaise volontĂ© en une bonne, est atteint des feux de la charitĂ© divine et veut demeurer ferme en icelle, tous les dĂ©mons ne sauraient le retenir. 

Ces choses Ă©tant ouĂŻes, la MĂšre de misĂ©ricorde dit Ă  ceux qui Ă©taient Ă  l’entour d’elle : Cette Ăąme, Ă  la fin de sa vie, s’est convertie Ă  moi et m’a dit : Vous ĂȘtes MĂšre de misĂ©ricorde et faites misĂ©ricorde aux misĂ©rables. Je suis indigne de prier votre Fils, d’autant que mes pĂ©chĂ©s sont trop grands et ne trop grande quantitĂ© ; j’ai trop provoquĂ© sa colĂšre, aimant plus mes voluptĂ©s et le monde que Dieu, mon CrĂ©ateur : partant, je vous supplie d’avoir misĂ©ricorde de moi, car vous ne la refusez Ă  pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis Ă  vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender, convertir ma volontĂ© Ă  votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon CrĂ©ateur : partant, je vous prie, ĂŽ trĂšs-clĂ©mente Dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensĂ©es et paroles, cette Ăąme vint Ă  moi Ă  la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? car qui est celui-lĂ  qui, priant un autre de tout son cƓur et avec rĂ©solution de s’amender, ne mĂ©rite d’ĂȘtre exaucĂ© ? Combien plus dois-je ouĂŻr ceux qui crient Ă  moi, qui suis MĂšre de misĂ©ricorde !

P313

Le diable rĂ©pondit : Je n’ai rien su d’une telle volontĂ© ; mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons Ă©videntes. 

La MĂšre rĂ©pondit : Tu es indigne que je te parle. NĂ©anmoins, parce que cela peut servir au prochain, je te rĂ©pondrai : O misĂ©rable, tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut ĂȘtre effacĂ© que par la divine charitĂ©. 

Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournĂ©e Ă  lui, dit au Juge : O mon Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si toutes choses sont lĂ  entiĂšrement Ă©crites, ou s’il y a quelque chose d’effacĂ©. 

Lors le Juge dit au diable : OĂč est ton livre ? 

Et le diable dit : En mon ventre et ma mĂ©moire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de mĂȘme en ma mĂ©moire sont toute malice et toute mĂ©chancetĂ©, qui sont puantes devant moi comme une corruption ; car quand je me suis retirĂ© de vous et de votre lumiĂšre par la superbe, lors j’ai trouvĂ© en moi toute sorte de malice, et ma mĂ©moire a Ă©tĂ© obscurcie Ăšs biens divins, et en cette mienne mĂ©moire est Ă©crite toute l’iniquitĂ© des pĂ©cheurs. 

Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui Ă©crit dans ton livre, ce qui est effacĂ© des pĂ©chĂ©s de cette Ăąme, et de le dire publiquement. 

Le diable rĂ©pondit : Je vois dans mon livre ĂȘtre Ă©crit des choses que je n’ai jamais pensĂ©es, car je vois que ces sept choses sont effacĂ©es, et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie. 

AprĂšs, le Juge dit au bon ange qui Ă©tait lĂ  prĂ©sent :OĂč sont les bonnes Ɠuvres de cette Ăąme ? 

P314 

Elles sont en votre prĂ©sence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nĂ©cessaire d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charitĂ©, c’est pourquoi vous marquez votre volontĂ© Ă  ceux qu’il vous plaĂźt, pourquoi, depuis que cette Ăąme fut jointe Ă  son corps, j’ai Ă©tĂ© toujours avec elle. J’ai Ă©crit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouĂŻr ce livre, il est en votre puissance. 

Le Juge rĂ©pondit : Je ne puis juger sans les avoir ouĂŻ d’avance ; et ayant connu les biens et les maux, lesquels Ă©tant bien considĂ©rĂ©s, la justice demande alors qu’il soit jugĂ© ou Ă  la mort ou Ă  la vie. 

L’ange rĂ©pondit : 

Mon livre est son obĂ©issance par laquelle il vous a obĂ©i, et en icelle, il y a sept colonnes : 

La premiĂšre est le baptĂȘme . 

La deuxiĂšme est l’abstinence, au jeĂ»ne, des Ɠuvres illicites, pĂ©chĂ©s, et aussi des voluptĂ©s et des tentations de la chair. 

La troisiĂšme est l’oraison et le bon propos qu’il a eu. 

La quatriĂšme est les bonnes Ɠuvres en aumĂŽnes et autres Ɠuvres de misĂ©ricorde. 

La cinquiĂšme est l’espĂ©rance qu’il avait en vous. 

La sixiĂšme est la foi qu’il a eue comme chrĂ©tien. 

La septiÚme est la divine charité.

Ces choses Ă©tant dites, le Juge lui dit encore : OĂč est votre livre ? 

En votre vision et amour, ĂŽ mon Seigneur ! dit l’ange. 

Alors la Sainte Vierge, dĂ©trĂŽnant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardĂ© votre livre ? Comment s’est effacĂ© ce qui y Ă©tait Ă©crit ? 

Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous m’avez déçu ! 

P315 

AprĂšs, le Juge dit Ă  sa trĂšs-bĂ©nigne MĂšre : Vous avez avec raison, obtenu en ce fait absolution et avez avec justice gagnĂ© cette Ăąme. 

Le diable cria aprĂšs : J’ai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ĂŽ Juge, combien de temps tiendrai-je cette Ăąme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites. 

Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais dis-moi, ĂŽ diable ! bien que je sache toutes choses, si cette Ăąme doit entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la vĂ©ritĂ© de la justice. 

Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un dĂ©cĂšde sans pĂ©chĂ© mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charitĂ© de justice, doit avoir le ciel. Cette Ăąme donc, n’étant point morte en pĂ©chĂ© mortel et ayant eu la divine charitĂ©, est prĂȘte Ă  entrer dans le ciel, aprĂšs qu’elle aura Ă©tĂ© purifiĂ©e. 

Le Juge rĂ©pondit : Puisque donc je te permets de dire la vĂ©ritĂ© de ma justice, dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaĂźt et quelle doit ĂȘtre la justice de cette Ăąme. 

Le diable rĂ©pondit : Qu’elle soit purifiĂ©e en telle sorte qu’il n’y reste aucune tĂąche, car bien qu’elle soit Ă  vous, pourtant elle ne peut arriver Ă  vous avant qu’elle ne soit purifiĂ©e. Et d’autant que vous, ĂŽ Juge, m’avez demandĂ©, je vous demande maintenant, comment elle doit ĂȘtre purifiĂ©e et combien de temps elle sera en mes mains. 

P316

Le Juge rĂ©pondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait endurĂ© la peine selon la grandeur de la faute, car elle a pĂ©chĂ© en trois maniĂšres : trois en la vue, trois en l’ouĂŻe, trois en l’attouchement, et partant, elle doit ĂȘtre punie triplement en la vue : 

1. Elle doit voir ses pĂ©chĂ©s et ses abominations ; 

2. elle te doit voir en ta malice ; 

3. elle doit voir les peines terribles des autres Ăąmes ; et que semblablement elle soit affligĂ©e en l’ouĂŻe en trois maniĂšres : 

1. Elle doit ouĂŻr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouĂŻr les louanges propres et les dĂ©lectations du monde ; 

2. elle doit ouĂŻr les cris Ă©pouvantables et les moqueries des dĂ©mons, 

3. les opprobres et les misĂšres effroyables, d’autant qu’elle a Ă©coutĂ© avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu. 

Elle est aussi affligĂ©e en trois maniĂšres en l’attouchement : 

1. elle sera brĂ»lĂ©e d’un feu trĂšs-ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tĂąche qui ne soit purifiĂ©e dans le feu ; 

2. elle pĂątira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brĂ»lait en ses cupiditĂ©s et Ă©tait glacĂ©e en ma charitĂ© ; 

3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensĂ©e qui ne soit purifiĂ©e, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passĂ© par la coupelle Ă  la volontĂ© du possesseur. 

Lors le diable demanda derechef combien de temps cette Ăąme serait en cette peine. 

P317

Le Juge rĂ©pondit : Tout autant de temps que sa volontĂ© Ă©tait de vivre au monde ; et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques Ă  la fin du monde, elle est obligĂ©e d’endurer cette peine jusques Ă  la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charitĂ© et me dĂ©sire ardemment, souhaitant d’ĂȘtre avec moi et d’ĂȘtre sĂ©parĂ© du monde, celui-lĂ  mĂ©rite d’avoir le ciel sans peine, d’autant que l’exercice de cette vie prĂ©sente est sa purification. Or, celui qui craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et voudrait Ă  raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-lĂ  aurait une peine plus lĂ©gĂšre dans le purgatoire ; mais celui qui a volontĂ© de vivre jusques au jour du jugement , bien qu’il ne pĂ©chĂąt mortellement, mais seulement pour l’amour qu’il a Ă  cette vie, celui-lĂ  doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement. 

Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de misĂ©ricorde, dit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Fils, pour votre justice, qui est en toute misĂ©ricorde ! car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, nĂ©anmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remĂšde on peut appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et quel pour Ă©teindre un feu si ardent, et comment aussi cette Ăąme peut ĂȘtre affranchie des mains des diables. 

Le Fils rĂ©pondit : Rien ne peut vous ĂȘtre refusĂ©, car vous ĂȘtes la MĂšre de misĂ©ricorde, et vous cherchez et procurez la consolation Ă  tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui Ă©teignent ce feu et dĂ©livrent des mains des dĂ©mons : la premiĂšre, si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice veut que cette Ăąme soit purifiĂ©e, ou par les priĂšres des saints, ou par aumĂŽnes, bonnes Ɠuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxiĂšme est par des aumĂŽnes trĂšs-grandes, car par elles, le pĂ©chĂ© est Ă©teint comme le feu par l’eau. La troisiĂšme est par les messes et sacrifices, et par les priĂšres des amis. Ce sont ces trois choses qui la dĂ©livreront de ces trois peines. 

P318

La MĂšre de misĂ©ricorde rĂ©pondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes Ɠuvres qu’il a faites pour vous ? 

Le Fils rĂ©pondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifestĂ© aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole ni la moindre pensĂ©e pour mon honneur, qu’elles n’aient leur rĂ©compense, car toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu qu’elles ne seraient. 

AprĂšs, la Sainte Vierge dit Ă  son Fils : Pourquoi est-ce que cette Ăąme demeure immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante ? 

Le Juge rĂ©pondit : Le prophĂšte a Ă©crit de moi que je fus comme un agneau muet devant le tondeur : vĂ©ritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma justice veut que, comme cette Ăąme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis. 

P319 

La MĂšre rĂ©pondit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon doux Fils, qui ne faites rien sans justice ! Vous avez dĂ©jĂ  dit que vos amis pourraient secourir cette Ăąme, et vous savez que cette Ăąme m’a servie en trois maniĂšres : 

1- par abstinence, jeĂ»nant les vigiles de mes fĂȘtes, et, et le faisant pour mon nom ; 

2- elle disait mes heures ; 

3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma priĂšre. 

Le Fils rĂ©pondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses priĂšres sont exaucĂ©es et le plus tĂŽt ; et d’autant que vous m’ĂȘtes la plus chĂšre par-dessus tous , demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donnĂ©. 

La MĂšre rĂ©pondit : Cette Ăąme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouĂŻe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ĂŽ mon Fils trĂšs-cher, 

1- de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque votre justice l’exige de la sorte, et Ă  laquelle je ne puis aller contre, selon la justice de votre misĂ©ricorde. 

2- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle n’entende l’opprobre et la confusion.

3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir, qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mĂ©rite de ressentir, d’autant qu’elle Ă©tait froide en votre charitĂ©. 

Le Fils rĂ©pondit : BĂ©nie soyez-vous, ma MĂšre trĂšs-chĂšre ! Rien ne peut vous ĂȘtre refusĂ©. Que votre volontĂ© soit faite. 

La MĂšre rĂ©pondit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ, mon trĂšs-cher Fils, pour l’amour et la misĂ©ricorde que vous portez aux Ăąmes ! 

P320 

Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange vous soit, 

Seigneur Dieu, CrĂ©ateur et Juge de tous ! Cette Ăąme dĂ©vote m’a servi en sa vie ; elle a jeĂ»nĂ© pour mon honneur ; elle m’a louĂ©, moi et tous les amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie, Seigneur, faites-lui misĂ©ricorde pour l’amour de nos priĂšres. Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les dĂ©mons n’aient point puissance d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son Ăąme, s’ils n’en sont empĂȘchĂ©s, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misĂšre ni l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grĂące sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ĂŽ Seigneur plein de misĂ©ricorde, en considĂ©ration de nos priĂšres, la grĂące de savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possĂ©dera un jour la gloire Ă©ternelle. 

Le Juge rĂ©pondit : Ma justice veut que les dĂ©mons obscurcissent son Ăąme, d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensĂ©e de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se souciait d’ĂȘtre sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous, ĂŽ mes amis ! avez ouĂŻ et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez accomplies par Ɠuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez. 

Or, lors tous les saints rĂ©pondirent : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ Dieu, en votre justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni ! 

P321

AprĂšs, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagnĂ© cette Ăąme des que l’ñme fut unie Ă  ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait ordonnĂ©, et elle faisait quelquefois ma volontĂ©. Partant, je vous en prie maintenant, ĂŽ mon Seigneur, ayez misĂ©ricorde d’elle. 

Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons dĂ©libĂ©rer sur ce sujet. 

Et Lors la vision disparut. 

DÉCLARATION. 

L’homme dont il est parlĂ© en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres. Sa femme fit de grandes aumĂŽnes pour l’amour de lui, qui mourut Ă  Rome, comme il avait Ă©tĂ© prĂ©dit d’elle au livre III, chapitre XII. 


Chapitre 40. 

Quatre ans aprĂšs que sainte Brigitte, Ă©pouse, eut eu la susdite vision, oĂč on voyait une Ăąme condamnĂ©e Ă  ĂȘtre au purgatoire jusques au jour du jugement, elle vit derechef la mĂȘme Ăąme ĂȘtre prĂ©sentĂ©e au jugement divin par l’ange, comme Ă  demie revĂȘtue, pour laquelle il priait Notre-Seigneur avec la milice cĂ©leste, et laquelle Notre-Seigneur affranchit entiĂšrement des peines, et la transporta en la gloire comme une Ă©toile reluisante, par les priĂšres des anges et des saints, et par les larmes et les priĂšres de ses amis vivants.

Pour le jour des morts. 

AprĂšs que quatre ans se furent Ă©coulĂ©s, sainte Brigitte vit derechef l’ñme susdite comme un jeune enfant trĂšs-beau Ă  demi vĂȘtu. Or, lors elle dit au Juge, qui Ă©tait assis sur un trĂŽne Ă©minent, assistĂ© de mille millions des saints, qui tous l’adoraient Ă  raison de sa patience et de son amour : O juge souverain, cette Ăąme, pour laquelle je priais, vous me dites que vous l’affranchiriez. Or, maintenant, nous tous assemblĂ©s vous prions et demandons misĂ©ricorde pour elle ; et bien que nous sachions que tout est en votre dilection, nĂ©anmoins, Ă  raison de votre Ă©pouse ici prĂ©sente, nous parlons d’une maniĂšre humaine, bien que cela ne soit en nous de mĂȘme maniĂšre. 

P322

Le Juge rĂ©pondit : Si un chariot Ă©tait plein de gerbes et qu’un chacun en prĂźt une poignĂ©e, le nombre et le poids diminueraient : de mĂȘme en est-il maintenant, car plusieurs larmes de charitĂ© m’ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es pour cette Ăąme : partant, le jugement veut qu’elle vienne Ă  votre garde ; et vous, apportez-la au repos que l’Ɠil n’a vu, que l’oreille ne peut ouĂŻr, qu’elle-mĂȘme ne saurait comprendre, si elle Ă©tait en la chair, lĂ  oĂč il n’y a point de ciel au-dessus ni de terre au-dessous, oĂč la hauteur est incomprĂ©hensible, la longueur indicible, la largeur admirable et la profondeur incomprĂ©hensible ; oĂč Dieu est sur toutes choses au delĂ  et entre toutes choses, rĂ©git, contient toutes choses, sans ĂȘtre contenu par aucune. 

Or, aprĂšs, on vit que cette Ăąme montait au ciel aussi reluisante que l’éclat d’une Ă©toile. 

Et lors le Juge dit : Le temps viendra bientĂŽt oĂč je profĂ©rerai mes jugements et ferai ma justice contre la famille de ce dĂ©funt, car cette race monte avec superbe, mais elle descendra par la rĂ©compense de la superbe. 

P323

Chapitre 41.

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ reprend un roi et les hommes temporels qui attribuent les victoires, non Ă  Dieu, mais Ă  leur industrie et Ă  la grandeur de leur armĂ©e, et leur force corporelle, disant : Nous allons Ă  la guerre contre les ennemis, Ă  l’exemple de David contre Goliath, mettant notre espĂ©rance en Dieu, avec nĂ©anmoins la discrĂ©tion humaine, car celui qui a Dieu pour coopĂ©rateur, vaincra  trĂšs-facilement. 

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse et lui dit que ce roi est un enfant. Vous le pourrez conjecturer en sa conduite et en son armĂ©e innombrable. David, Ă©tant pasteur, ne vainquit-il pas le gĂ©ant ? Mais comment ? Fut-ce par la sagesse et la puissance ? non, certes, mais par la vertu divine, car si Dieu n’eĂ»t Ă©tonnĂ© l’audace du gĂ©ant et n’eĂ»t animĂ© l’esprit de David, comment un enfant aurait-il assailli un gĂ©ant, et comment une pierre aurait terrassĂ© un si fort et eĂ»t touchĂ© un si docte et expert, si , en cette pierre, il n’y eĂ»t pas eu la vertu de Dieu ? Certainement, celui qui combat avec Dieu vainc facilement, et celui qui s’appuie en la vertu divine n’a pas besoin de tant de force corporelle, mais bien de foi et de charitĂ©. Les hommes du monde pensent vaincre par la force corporelle, et mettent l’heureuse issue de leur combat et l’industrie des hommes, et quand ils ont vaincu, ils attribuent plus la victoire Ă  l’industrie des hommes qu’à la vertu divine, bien que ni les bons ni les mauvais ne
puissent ĂȘtre vainqueurs sans la permission divine et sans sa justice, car souvent on voit les bons qui prospĂšrent sur les mauvais, et quelquefois, par un juste et occulte jugement de Dieu, les mauvais sur les justes ; et d’autant qu’il y a peu d’hommes qui considĂšrent la patience et la justice de Dieu, Ă  raison de leur grande nĂ©gligence, c’est pourquoi, c’est pourquoi la vertu divine est peu estimĂ©e dans les combats, mais on attribue tout a l’homme comme puissant.

P324

Je n’ai pas dit sans sujet que ce roi est un enfant, car quand l’enfant voit deux pommes, l’une toute dorĂ©e Ă  l’extĂ©rieur, mais trĂšs-bonne et fraĂźche au-dedans, il choisit plutĂŽt celle qui est belle Ă  l’extĂ©rieur et corrompue Ă  l’intĂ©rieur, d’autant qu’il ne sait considĂ©rer que l’extĂ©rieur. De mĂȘme en fait ce roi : il lui est avis qu’il est beau et excellent de marcher avec une grande armĂ©e, mais il ne considĂšre pas la misĂšre qui est au-dedans ; il ne considĂšre pas combien de famines, de douleurs et d’angoisses s’ensuivront, et combien de misĂ©rables mourants de faim y sont entrĂ©s et s’en retourneront plus misĂ©rables. Or, il lui semble vil et abject de marcher avec une petite armĂ©e, mais une grande utilitĂ© y est cachĂ©e. Qu’il aille donc avec une petite armĂ©e et avec humilitĂ© : je remplirai sa conscience de la divine sapience ; je fortifierai son corps de la force divine, car je puis faire d’un infirme un fort, un sublime d’un humble, un honorable d’un abject. Partant, dites-lui qu’il ne craigne point, qu’il mette son espĂ©rance en moi, et qu’il fasse ce qu’il pourra avec la sapience divine et la considĂ©ration humaine : ce qu’il pourra de la sorte, oĂč la sagesse humaine manquera, la charitĂ© et la bonne volontĂ© l’excuseront.

P325 

ADDITION. 

Le Fils de Dieu parle : Celui qui dĂ©sire visiter les terres des infidĂšles, doit avoir cinq choses : 

1- il doit dĂ©charger sa conscience par la contrition et vraie confession, comme s’il devait mourir soudain. 

2- Il doit dĂ©poser toutes les lĂ©gĂšretĂ©s de ses mƓurs et de ses vĂȘtements, ne prenant point garde aux modes nouvelles, mais aux modes louables que ses prĂ©dĂ©cesseurs ont instituĂ©es ; 

3- ne vouloir avoir autre temporel que ce qui est nĂ©cessaire pour vivre et pour l’honneur de Dieu, et que, s’il sait qu’il ait acquis quelque chose d’injuste, lui ou ses parents, qu’il le restitue, bien qu’il soit grand ou petit. 

4- Qu’il s’efforce que les infidĂšles viennent Ă  la vraie foi, ne dĂ©sirant point leurs richesses ni chevances, si ce n’est ce qui est nĂ©cessaire Ă  leur corps. 

5- Vouloir franchement mourir pour l’honneur du Dieu, et de la sorte se disposer afin qu’il mĂ©rite d’arriver Ă  une mort louable.

Chapitre 42.

La MĂšre de Dieu se loue du soin qu’elle a eu de plaire Ă  Dieu. Elle dit aussi qu’en cela, elle ne cherche pas sa propre louange, mais l’honneur de Dieu. Elle demande Ă  son Fils, pour l’épouse, les vĂȘtements cĂ©lestes des vertus, la viande sacrĂ©e de son corps, et un esprit plus fervent que son Fils donnera, si son Ă©pouse a l’humilitĂ©, la crainte et l’action de grĂące. 

P326

La MĂšre de Dieu parle : DĂšs ma jeunesse, j’ai pensĂ© Ă  l’honneur de mon Fils, et j’ai Ă©tĂ© toujours soigneuse de lui plaire. Bien que l’honneur soit moindre en la bouche propre, nĂ©anmoins, je ne parle pas Ă  la façon du monde, qui cherche sa propre louange, mais je cherche en ceci l’honneur de Dieu, mon Fils, qui a d’une maniĂšre admirable attachĂ© le soleil Ă  la poudre ; il a enclos le feu non consumant, mais enflammant en l’ariditĂ© ; il a produit le fruit trĂšs-digne et trĂšs-doux sans humiditĂ©.

AprĂšs, se tournant vers le Fils, elle dit : BĂ©ni soyez-vous, mon Fils ! Je suis quasi comme cette femme qui est exaucĂ©e devant Dieu pour les coupables, et demande misĂ©ricorde pour les plus faibles : de mĂȘme je vous prie pour ma fille, car elle est honteuse ; elle est votre Ă©pouse, l’ñme de laquelle vous avez rachetĂ©e de votre sang ; vous l’avez illuminĂ©e et Ă©chauffĂ©e de vos feux d’amour, excitĂ©e par votre bontĂ© et Ă©pousĂ©e par votre misĂ©ricorde. Mon Fils, je vous supplie humblement de lui donner trois choses : 

1- des vĂȘtements convenables Ă  la fille et Ă  l’épouse du Roi des rois, car si l’épouse du roi n’est point revĂȘtue des vĂȘtements royaux, elle est mĂ©prisĂ©e ; si elle est trouvĂ©e moins dĂ©cente, elle est en opprobre. Donnez-lui des vĂȘtements non terrestres, mais cĂ©lestes, non de ceux qui sont reluisants au dehors, mais ceux qui reluisent de charitĂ© et de chastetĂ© au-dedans. Donnez-lui l’habitude des vertus, afin qu’elle ne mendie point l’extĂ©rieur, et faites qu’elle ait au-dedans l’abondance, afin qu’elle puisse reluire au-dedans par-dessus les autres.

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2- Donnez-lui la viande trĂšs-dĂ©licate, car votre Ă©pouse est accoutumĂ©e aux viandes grossiĂšres, et maintenant elle est accoutumĂ©e Ă  vos viandes, car c’est cette viande qui touche et

N’est point vue ; on la tient et on ne la sent pas ; elle rassasie, et les sens n’en savent rien, elle entre et elle est partout oĂč les hosties sont consacrĂ©es. Cette viande est votre prĂ©cieux corps, que l’agneau rĂŽti prĂ©figurait, car l’humanitĂ© que vous avez prise de moi a accompli cela. La DĂ©itĂ© avec l’humanitĂ© montre que cela est heureusement accompli. Donnez donc, ĂŽ mon trĂšs-cher Fils, cette viande Ă  votre Ă©pouse, car sans elle, elle dĂ©faut, et par elle et avec elle, elle est renouvelĂ©e comme un malade Ă  toute sorte de biens.

3- Donnez-lui, ĂŽ mon Fils, un esprit plus fervent, car il est un feu qui ne s’éteint jamais, qui nous rend vil tout ce qui est dĂ©lectable en ce monde, et nous fait espĂ©rer les joies futures. Donnez-lui donc cet esprit, ĂŽ mon Fils !

Lors le Fils rĂ©pondit, disant : Ma trĂšs-chĂšre MĂšre, vos paroles sont trĂšs-douces, mais comme vous savez, il est nĂ©cessaire que celui qui cherche les choses sublimes, fasse les fortes et les humbles. Partant, trois choses lui sont nĂ©cessaires : 

1- l’humilitĂ©, par laquelle on obtient la sublimitĂ©, afin qu’il sache qu’il a les biens de la grĂące, et non de ses mĂ©rites ; 

2- qu’il rende le service qu’il doit Ă  l’auteur de la grĂące ; 

3- la crainte qu’il ne perde la grĂące donnĂ©e. Afin donc qu’il obtienne et possĂšde les trois choses que vous avez demandĂ©es ; qu’il ne nĂ©glige les trois prĂ©cĂ©dents avis, car il ne lui sert de rien d’avoir obtenu, s’il ne sait possĂ©der ce qu’il a obtenu ; et plus douloureusement afflige d’avoir perdu ce qu’on avait obtenu, que si on ne l’avait jamais possĂ©dĂ©.

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Chapitre 43. 

L’épouse se troublait de ce qu’elle n’obĂ©issait point au PĂšre spirituel avec patience et joie. JĂ©sus-Christ dit que si elle prend la rĂ©solution de parfaitement obĂ©ir, bien que quelquefois la volontĂ© y rĂ©siste, elle a nĂ©anmoins, obĂ©issant de la sorte, un grand mĂ©rite, et les pĂ©chĂ©s passĂ©s en sont purifiĂ©s. Notre-Seigneur donne aussi les armes spirituelles du combat, c’est-Ă -dire, les vertus par lesquelles les justes combattent et surmontent, et les injustes sont terrassĂ©s et vaincus. 

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous ? Et bien que je sache toutes choses, nĂ©anmoins je le veux comme connaĂźtre par votre dire, afin que vous sachiez aussi qu’est-ce que je vous rĂ©ponds.

L’épouse rĂ©pondit : Je crains deux choses et me trouble de deux choses : 1- d’autant que je suis trop impatiente Ă  obĂ©ir et moins joyeuse Ă  pĂątir ; 2- que vos amis sont assaillis de tribulations et que vos ennemis les surmontent.

Notre-Seigneur rĂ©pondit : Je suis celui Ă  qui vous vous ĂȘtes donnĂ©e pour obĂ©ir, et partant, Ă  toute heure et Ă  chaque moment que vous consentez Ă  obĂ©ir et que vous voulez obĂ©ir, bien que la chair y rĂ©siste, il vous sera imputĂ© Ă  mĂ©rite et Ă  purification de vos pĂ©chĂ©s. Au deuxiĂšme, savoir, que vous vous troublez de la contrariĂ©tĂ© de mes amis, je rĂ©ponds par un exemple. Deux hommes combattent, l’un deux jette ses armes et l’autre s’en munit. Celui qui a jetĂ© ses armes ne sera-t-il pas vaincu plus facilement que celui qui les amasse ?

P329

Il en est de mĂȘme maintenant, car mes ennemis jettent leurs armes tous les jours.
Trois sortes d’armes sont nĂ©cessaires pour combattre : 

la premiĂšre est ce qui porte l’homme, comme un cheval, etc. 

La deuxiĂšme, ce par quoi l’homme se dĂ©fend, comme le glaive, etc. 

La troisiĂšme, ce qui munit le corps, comme la cuirasse, etc. 

Mais mes ennemis ont perdu, en premier lieu, le cheval de l’obĂ©issance, par lequel ils Ă©taient portĂ©s Ă  toute sorte de biens, car c’est celle-lĂ  qui conserve l’amitiĂ© avec Dieu et garde Ă  Dieu la foi promise. Ils ont encore jetĂ© le glaive de la crainte divine, par lequel le corps est retirĂ© des voluptĂ©s, et le diable se sĂ©pare de l’ñme et n’ose s’en approcher. Ils ont encore perdu la cuirasse, qui les dĂ©fendait des dards, c’est-Ă -dire, ils ont perdu la divine charitĂ©, qui rĂ©jouit dans les choses adverses, protĂ©ge dans les prospĂšres, purifie dans les tentations et adoucit les douleurs. Leur cuirasse, qui est la sagesse divine, croupit dans la boue. Les armes du col, c’est-Ă -dire, les pensĂ©es divines, sont aussi tombĂ©es, car comme par le col la tĂȘte est mue, de mĂȘme, par les divines pensĂ©es, l’esprit doit prendre mouvement Ă  tout ce qui concerne la gloire divine. Mais hĂ©las ! les divines pensĂ©es sont maintenant tombĂ©es, c’est pourquoi la tĂȘte est maintenant gisante avec les infirmes et est agitĂ©e des vents. Les armes aussi de sa poitrine sont oubliĂ©es et nĂ©gligĂ©es, c’est-Ă -dire, la contrition avec la rĂ©solution  de s’amender n’est plus. Ils se rĂ©jouissent dans leurs pĂ©chĂ©s, et dĂ©sirent ĂȘtre plongĂ©s en eux tant qu’ils vivent. Les armes de leurs bras, c’est-Ă -dire, les bonnes Ɠuvres leur sont vaines et odieuses, car ils font audacieusement ce qu’ils veulent, et n’en ont point de honte.

P330

Mais mes chers amis se munissent de plus en plus des armes, car ils courent sur le cheval de l’obĂ©issance, comme de fidĂšles serviteurs, laissant l’empire de leurs volontĂ©s Ă  Dieu. Ils combattent contre les vices en la crainte de Dieu, comme de bons soldats. Ils souffrent avec amour toutes les rencontres fĂącheuses, comme de gĂ©nĂ©reux combattants, attendant le secours de Dieu, se munissent de la sapience divine et de la patience contre les mĂ©disants et criminateurs, comme ceux qui se sont retirĂ©s et Ă©loignĂ©s du monde. Ils sont prompts et agiles aux choses divines, comme l’air qui va partout. Ils sont fervents vers Dieu plus que l’épouse aux embrassements de son cher Ă©poux. Ils sont prompts comme des cerfs, et forts pour fouler aux pieds toutes les dĂ©lectations du monde, soigneux au travail comme des fourmis, vigilants comme des sentinelles.

Tels sont mes amis, et ils se munissent chaque jour des armes des vertus, lesquelles les ennemis mĂ©prisent, et partant, ils sont vaincus facilement. Donc, le combat spirituel qui est avec patience et amour divin, est plus noble et plus Ă©minent que le combat corporel, et plus odieux au diable, car le diable ne s’efforce point d’îter les choses corporelles, mais bien de corrompre les vertus, et de ravir la patience et la constance Ăšs vertus. Partant, ne vous troublez pas, si quelques choses contraires assaillent mes amis, car il leur revient de lĂ  de grandes rĂ©compenses.

P331

Chapitre 44. 

Notre-Seigneur dit Ă  son Ă©pouse qu’il est semblable au vitrier qui replace les vitres cassĂ©es, c’est-Ă -dire, les Ăąmes, jusqu’à ce que le royaume cĂ©leste soit plein. Il se dit aussi semblable Ă  l’abeille, qui  convertit en miel les herbes, c’est-Ă -dire, qu’il convertit les paĂŻens, desquels il tirera de grandes douceurs, c’est-Ă -dire, plusieurs Ăąmes. 

Je suis comme un bon vitrier qui fait de cendres plusieurs vases ; et bien que plusieurs se gĂątent, il ne cesse pas pourtant d’en faire de nouveaux, jusques Ă  ce que le nombre des vases soit rempli. J’en fais de mĂȘme, d’autant que, d’une infime matiĂšre, je fais une crĂ©ature excellente, savoir, l’homme ; et bien que plusieurs se soient retirĂ©s de moi par leurs mauvaises Ɠuvres, je ne cesse pas pourtant d’en former d’autres, jusqu’à ce que le chƓur des anges et les lieux vides du ciel soient remplis.

Je suis aussi semblable Ă  une bonne mouche Ă  miel qui, sortant de sa ruche, vole sur les belles herbes qu’elle a vues de loin, sur lesquelles elle cherche les belles et odorifĂ©rantes fleurs ; mais quand elle s’en approche, elle les trouve sĂšches et trouve l’odeur Ă©vaporĂ©e. Mais aprĂšs cela, elle cherche une nouvelle herbe plus Ăąpre, dont la fleur est plus petite, dont l’odeur n’est pas trop forte, dont la suavitĂ© est plaisante, mais elle est petite. La mouche Ă  miel fiche son pied en cette herbe, en tire de la liqueur, et la porte Ă  sa ruche jusqu’à ce qu’elle l’ait emplie.

P332

Or, je suis cette mouche Ă  miel, moi, CrĂ©ateur et Seigneur de toutes choses, qui sortis de la ruche, lorsqu’étant nĂ©, j’apparus en forme humaine visible. Or, je cherchai une herbe fort belle, c’est-Ă -dire, le genre humain, qui est beau par la foi, doux par la charitĂ© et fructueux par la bonne conversation ; mais maintenant, il dĂ©gĂ©nĂšre et dĂ©choit de son premier effet, semble seulement beau de nom, mais paraĂźt difforme d’effet, fructueux pour le monde et pour la chair, et stĂ©rile Ă  Dieu et Ă  l’ñme, trĂšs-doux pour soi et trĂšs-amer Ă  moi, c’est pourquoi il tombe et s’anĂ©antit. Or, moi, je suis comme une mouche Ă  miel, qui Ă©lis une autre herbe en quelque maniĂšre Ăąpre, c’est-Ă -dire, les paĂŻens rebutĂ©s de moi par leurs mƓurs, quelques-uns desquels ont des fleurs petites et quelque peu de douceur, c’est-Ă -dire, la volontĂ© par laquelle ils se convertiraient franchement et me serviraient, s’ils savaient comment et s’ils avaient qui les ouĂźt. De cette herbe j’en tirerai autant de douceur que j’en aurai besoin pour remplir ma ruche, et je ne veux autant approcher d’eux qu’il ne leur manquera point de suavitĂ©, afin que la mouche Ă  miel ne soit frustrĂ©e de son travail ; et ce qui est vil et abject croĂźtra Ă  merveille et parviendra Ă  une grande beautĂ©, mais ce qui semble beau diminuera et se rendra laid et difforme.

P333

Chapitre 45. 

JĂ©sus-Christ dit Ă  sa MĂšre que les hommes aveugles d’esprit peuvent recouvrer la vue, de sorte qu’ils pourront voir Dieu et l’aimer par-dessus tout en trois choses : en la considĂ©ration de la justice temporelle, de la bontĂ©, savoir, par la beautĂ© des crĂ©atures, et de la toute-puissance et sapience. Or, tous ceux qui croient que le mal et le bien viennent des constellations des astres, se trompent.

La Sainte Vierge Marie parle : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! Bien que je ne puisse m’attrister, nĂ©anmoins, j’ai compassion du genre humain, de trois choses : 

1- d’autant que l’homme a des yeux et est aveugle, car il voit sa captivitĂ© et la suit ; il se moque de votre justice, et il rit quand il satisfait Ă  sa cupiditĂ© ; il tombe en un point dans les peines Ă©ternelles, et il perd la gloire qui n’a point de fin.

2- J’ai compassion de l’homme, d’autant qu’il affecte et regarde avec joie la monde, ne considĂšre point votre misĂ©ricorde, cherche ce qui est petit et rejette tout ce qui est grand.

3- Je compatis, d’autant que vous Ă©tant Dieu de tous, nĂ©anmoins votre honneur est oubliĂ© et nĂ©gligĂ© de tous, et vos Ɠuvres sont mortes devant eux : partant, ĂŽ mon Fils trĂšs-doux, ayez misĂ©ricorde d’eux.

Pa334

Le Fils rĂ©pondit : Tous ceux qui sont au monde et qui sont de bonne conscience voient qu’au monde la justice rĂšgne, par laquelle les pĂ©cheurs sont punis. Si donc les excĂšs corporels sont punis des hommes par la justice, combien plus il est juste que l’ñme immortelle soit punie de Dieu immortel ! L’homme pourrait voir et entendre ceci, s’il voulait ; mais d’autant qu’il tourne ses yeux vers le monde et ses affections Ă  ses voluptĂ©s, c’est pourquoi il suit la nuit, comme l’homme suit les biens fugitifs et a Ă  haine les biens permanents.

En second lieu, l’homme peut voir et considĂ©rer, s’il veut, que, s’il y a de la beautĂ© dans les plantes, les arbres ; que si, en ce qui est au monde, il y a quelque chose dĂ©sirable, combien plus Dieu est beau et dĂ©sirable, le Seigneur et CrĂ©ateur de toutes choses ! Que si la gloire temporelle, passagĂšre et pĂ©rissable, est dĂ©sirĂ©e avec tant d’ardeur, combien plus est dĂ©sirable la gloire Ă©ternelle ! Cet homme pourrait voir cela, car il a bien l’intelligence pour comprendre que ce qui est plus grand et plus excellent doit ĂȘtre plus aime que ce qui est moindre et ce qui ne vaut guĂšre. Mais d’autant que l’homme penche toujours aux choses infĂ©rieures, comme les animaux irraisonnables, bien qu’il doive tendre et regarder toujours en haut, c’est pourquoi toutes ses Ɠuvres sont comparĂ©es Ă  la toile d’araignĂ©e. Il laisse la beautĂ© des anges ; il suit les choses passagĂšres, c’est pourquoi il fleurit comme le foin pour peu de temps, et tombe aussi bientĂŽt comme le foin.

P335

En troisiĂšme lieu, ils savent en conscience, et certes, ils ont crĂ©Ă© afin de connaĂźtre qu’il y a un Dieu, crĂ©ateur de toutes choses, car s’il n’y avait pas un  crĂ©ateur d’icelles, tout ce qui est rĂ©glĂ© serait en dĂ©sordre, quoique toutes choses soient bien rĂ©glĂ©es, exceptĂ© celles que l’homme dĂ©rĂ©glĂ© ; et bien qu’il semble aux hommes qu’en l’ordre de la nature, il y a du dĂ©rĂšglement, d’autant qu’il ignore le cours des planĂštes et le cours du temps, d’autant que Dieu les leur a  cachĂ©s Ă  raison des pĂ©chĂ©s. Si donc, il y a un seul Dieu, et celui-lĂ  bon, d’autant que tout bien dĂ©pend de lui, pourquoi l’homme ne l’honore-t-il pas par-dessus tous, puisque la raison lui dicte qu’il doit ĂȘtre honorĂ© par-dessus tous, puisque tout dĂ©pend de lui ? Mais l’homme, comme vous avez dit, a deux yeux, et il ne voit rien, voire lui-mĂȘme s’aveugle par les blasphĂšmes malheureux, d’autant qu’il rapporte aux Ă©toiles la bontĂ© ou le malheur des hommes, ou bien au destin et Ă  la fortune, l’évĂšnement des choses prospĂšres ou adverses, comme si en eux, il y avait quelque chose de divin qui pĂ»t engendrer ou faire quelque chose, bien que le destin ou la fortune ne soit rien pour tout, car la disposition de l’homme et de toutes choses a Ă©tĂ© prĂ©vue en la prescience divine, et est conduite constamment selon l’exigence de chaque chose ; certainement les Ă©toiles ne font pas que l’homme soit bon ou mauvais, bien qu’on voie en icelles plusieurs choses raisonnables, savoir est, selon les conditions et qualitĂ©s de la nature et l’exigence des saisons. Les hommes pourraient-ils, s’ils voulaient, prĂ©voir ces choses ?

P336

La MĂšre de Dieu rĂ©pondit : Tout homme qui a bonne conscience entend fort bien que Dieu est plus aimable que toute autre chose, et qu’il doit tĂ©moigner cela par Ɠuvres ; mais d’autant qu’une membrane a couvert ses yeux, bien que la paupiĂšre soit saine, c’est pourquoi ils n’y voient pas tous. Mais qu’est-ce que cette membrane signifie, sinon la considĂ©ration des choses futures, qui a couvert la connaissance de plusieurs. 

Partant, je vous supplie, ĂŽ mon trĂšs-cher Fils, de vouloir manifester Ă  quelqu’un quelle est votre justice, non pas afin que sa honte et sa misĂšre s’accroissent, mais afin que la peine qu’il mĂ©rite soit diminuĂ©e, et afin qu’on connaisse et qu’on craigne votre justice ; car lĂ  oĂč le sac est plein de quelque chose, et oĂč le vase est plein de lait, l’homme ne saura ce qui y est contenu, s’il ne le vide, de mĂȘme, bien que votre justice soit grande, si vous ne la manifestez  par un manifeste jugement, elle sera crainte de peu, d’autant que vos Ɠuvres admirables se sont avilies par la longueur du temps et par la grandeur des pĂ©chĂ©s.

En deuxiĂšme lieu, je vous supplie qu’il vous plaise manifester votre misĂ©ricorde par quelqu’un de vos chĂ©ris pour la dĂ©votion des autres et pour la consolation des misĂ©rables.

En troisiÚme lieu, je vous supplie que votre nom soit honoré, afin que les diligents le connaissent et que les tiÚdes en soient allumés.

Le Fils rĂ©pondit : OĂč plusieurs amis entrent et prient, ils sont dignes d’ĂȘtre exaucĂ©s : combien plus quand une trĂšs-chĂšre dame entre ! Qu’il soit donc fait comme vous dĂ©sirez. Ma justice sera si Ă©videmment manifestĂ©e, que les membres de ceux qui l’expĂ©rimenteront, et desquels les Ɠuvres viendront en public, trembleront.

En deuxiĂšme lieu, je donnerai Ă  une personne misĂ©ricorde, autant qu’elle en pourra prendre et qu’elle en aura besoin ; son corps sera exaltĂ© et son Ăąme glorifiĂ©e, en sorte que ma misĂ©ricorde en sera manifestĂ©e.

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AprĂšs, la MĂšre de Dieu parla, disant : Les lieux des religieux sont Ă©loignĂ©s du bien ; ils sont fondĂ©s sur la glace ; leur fondement Ă©tait autrement d’or trĂšs-pur. Dessous ces lieux, il y a une cave trĂšs vaste. Quand la chaleur du soleil sera en vigueur, la glace fondra, et ce qui a Ă©tĂ© Ă©difiĂ© tombera dans l’abĂźme. Partant, ĂŽ mon Fils, ayez misĂ©ricorde d’eux. La chute est horrible ; les tĂ©nĂšbres et les peines y sont sans fin. 

Chapitre 46. 

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge d’obtenir de Dieu son parfait amour. Elle lui rĂ©pondit : Pour l’obtenir, qu’elle suive six paroles de l’Évangile contenues en ce chapitre. 

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge disant : Oh ! que Dieu est doux ! Ceux qui le prient ressentent de la consolation en toutes leurs douleurs. Partant, ĂŽ trĂšs-bĂ©nigne MĂšre, je vous supplie d’arracher de mon cƓur toutes les affections des choses du monde, en sorte que votre trĂšs-cher Fils soir mon trĂšs-cher et bien-aimĂ© jusques Ă  la mort.

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La MĂšre rĂ©pondit : D’autant que vous dĂ©sirez avoir chĂšrement mon Fils, suivez les paroles que lui-mĂȘme a profĂ©rĂ©es en l’Évangile : Matthieu 18. V. 21
1
- Ce que j’ai dit au riche : Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez-moi.
2- Ne soyez point soigneux du lendemain.
3- Voyez comme les passereaux sont repus : combien plus le PĂšre cĂ©leste repaĂźtra les hommes ! 

4- Rendez Ă  CĂ©sar ce qui est Ă  CĂ©sar, et Ă  Dieu ce qui est Ă  Dieu.
5- Cherchez en premier lieu le royaume de Dieu.
6-  Vous tous qui avez faim, venez Ă  moi, et je vous rĂ©fectionnerai. 

Certainement, celui-lĂ  semble vendre tout, qui ne se conserve que la substance nĂ©cessaire pour la nourriture de son corps, et distribue le reste aux pauvres pour l’honneur de Dieu, et non pour l’honneur du monde, Ă  l’intention d’avoir l’amitiĂ© avec Dieu, comme il apparaĂźt en  saint GrĂ©goire, et en autres rois et princes qui ont Ă©tĂ© aimĂ©s de Dieu, bien qu’ils eussent des richesses et en donnassent aux autres, comme ceux qui ont laissĂ© toutes choses tout d’un coup pour servir Dieu, mendiant aprĂšs les autres ; car ceux qui ont eu les richesses seulement pour l’honneur de Dieu, s’en fussent librement privĂ©s, si la volontĂ© de Dieu eĂ»t Ă©tĂ© telle. Or, les autres ont embrassĂ© une autre sorte de pauvretĂ©, laquelle ils dĂ©siraient pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi Ă  tout homme qui a des biens justement acquis, ou bien des pensions, il est permis d’en recevoir les fruits pour son entretien, pour sa famille et pour la gloire de  Dieu, et qu’il donne le superflu aux amis de Dieu. En deuxiĂšme lieu, il ne doit se soucier du lendemain, car bien que vous n’ayez que le corps nu, espĂ©rez en Dieu, et celui qui nourrit les passereaux vous nourrira, puisqu’il vous a rachetĂ©e de son sang.

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Je lui rĂ©pondis : O Dame trĂšs-chĂšre, qui ĂȘtes belle, riche et vertueuse : belle, d’autant que vous n’avez jamais pĂ©chĂ© ; riche, d’autant que vous ĂȘtes trĂšs-aimĂ©e de Dieu ; vertueuse, d’autant que vous ĂȘtes parfaite en toutes vos Ɠuvres : partant, oyez-moi, ĂŽ ma Dame, moi qui suis riche de pĂ©chĂ©s et pauvre de vertus. Nous avons ce jourd’hui le vivre et ce qui nous est nĂ©cessaire ; demain nous ne manquerons. Comment donc pourrions-nous ĂȘtre sans soins, quand nous n’avons rien ? car bien que l’ñme ait ses consolations de Dieu, l’autre nĂ©anmoins, qui est le corps, dĂ©sire et appĂšte sa vie.

La Sainte Vierge répondit : Si vous avez quelque chose de superflu et dont vous vous puissiez passer, vendez ou engagez-le, et vivez sans soins.

Je lui rĂ©pondis : Nous avons des vĂȘtements dont nous nous servons la nuit et le jour, et peu de vaisselle pour notre table. Le prĂȘtre a trois livres, et avons pour la messe un calice et les autres ornements.

La Sainte Vierge repartit : Le prĂȘtre ne doit pas ĂȘtre sans livres, ni vous sans messes, ni on ne doit dire la messe sans ornements trĂšs-purs. Votre corps ne doit point ĂȘtre nu, mais revĂȘtu pour les hontes et pour Ă©viter le froid, partant, vous avez besoin de toutes ces choses.

Sainte Brigitte rĂ©pondit : Ne dois-je pas emprunter de l’argent pour quelque temps ?

La MĂšre rĂ©pondit : Si vous ĂȘtes assurĂ©e de la rendre Ă  temps fixe, empruntez-en, et non autrement, car il vous profite beaucoup plus de ne manger de tout un jour que d’exposer votre foi Ă  l’incertitude.

Et moi, je lui dis : Ne dois-je pas travailler pour gagner ma vie ?

La Mùre lui repartit : Qu’est-ce que vous faites tous les jours et maintenant ?

J’apprends la grammaire, j’écris et je prie.

Lors la MĂšre dit : Il ne faut laisser tel travail corporel.

Et moi, je lui dis : Et qu’aurons-nous pour vivre demain ?

La MĂšre dit : Demandez-en au nom de JĂ©sus, si vous n’avez autre chose. 

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Chapitre 47. 

La MĂšre de Dieu  dit de l’homme qui parle de Dieu, que, s’il est mĂ©prisĂ© et moquĂ© Ă  raison de cela et qu’il prenne patience, son Ăąme est alors rendue belle. Celui qui afflige son corps pour l’honneur de Dieu, ressentira les divines douceurs et sera enrichi des faveurs divines. Si l’on mĂ©dit de lui et qu’il ne porte point de haine, son Ăąme sera revĂȘtue de vĂȘtements prĂ©cieux et agrĂ©ables Ă  Dieu. Les amis de Dieu s’affligent afin d’attirer les Ăąmes. 

La MĂšre de Dieu dit Ă  sainte Brigitte : Ne vous troublez pas, s’il vous faut parler de Dieu Ă  ceux qui ne vous entendent pas franchement, car quiconque est confus et le supporte franchement pour l’amour de Dieu, cela rendra belle son Ăąme, d’autant que l’ñme de l’homme qui entend la dĂ©traction faite contre soi, et nĂ©anmoins ne hait point le mĂ©disant, est ornĂ©e comme de vĂȘtements trĂšs-riches, de sorte que l’Époux, qui est un Dieu en trois personnes, dĂ©sire que cette Ăąme soit plongĂ©e dans les dilections Ă©ternelles de la DĂ©itĂ©.

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Que les amis de Dieu donc tĂąchent avec peine de convertir ceux qui aiment mieux les cupiditĂ©s et l’orgueil que Dieu, car ils gisent comme sous une montagne, voilĂ  pourquoi il faut tĂącher de les arracher aux dĂ©pends mĂȘmes de leur vie ; car comme celui qui voit ses frĂšres gisants sur la pente d’une montagne, souvent frappe la montagne pour en arracher des pierres, quelquefois les coupe doucement, afin que, tombant au-dessous, elles ne se brisent, quelquefois frappe plus fort, afin qu’il se retire du danger, de mĂȘme les amis de Dieu travaillent, afin que les Ăąmes soient sauvĂ©es. Partant, comme il y en a peu qui aient eu la foi droite quand mon Fils monta au ciel, de mĂȘme maintenant ceux qui accomplissent ce commandement : Vous aimerez Dieu sur toutes choses et le prochain comme vous-mĂȘmes, c’est-Ă -dire, les amis de Dieu vont maintenant Ă  la conversion des chrĂ©tiens, qui autrefois allaient aux paĂŻens ; car comme il est impossible que ceux-lĂ  puissent obtenir le ciel, qui, ayant reçu la foi, ne l’ont point gardĂ©e, de mĂȘme il est impossible que les chrĂ©tiens qui meurent sans charitĂ© jouissent de la gloire. 


Chapitre 48. 

JĂ©sus-Christ se compare Ă  un mĂ©decin. Des mĂ©decines et des malades. 

Notre-Seigneur JĂ©sus parle Ă  son Ă©pouse : Je suis comme un bon mĂ©decin, auquel courent tous ceux qui savent que sa potion est douce. Or, ceux qui goĂ»tent la douceur de sa mĂ©decine, considĂ©rant qu’elle est salutaire, soudain vont Ă  la maison de l’apothicaire ; mais ceux qui la trouvent aigre, s’en retirent.

Il en est de mĂȘme de la mĂ©decine spirituelle, qui est le Saint-Esprit, car l’Esprit de Dieu est doux au goĂ»t, affermit tous les membres et s’écoule dans le cƓur, afin de le rĂ©jouir et de le fortifier contre les tentations.

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Moi, Dieu, je suis ce mĂ©decin, qui suis prĂȘt Ă  donner ce breuvage Ă  tous ceux qui le dĂ©sirent avec amour. Or, celui-lĂ  est sain et propre Ă  le recevoir qui n’a pas volontĂ© de croupir dans le pĂ©chĂ© ; mais ayant goĂ»tĂ© une fois cette divine potion, il s’y plaĂźt  toujours ; au contraire, ceux qui ont dĂ©sir de demeurer dans le pĂ©chĂ©, ne se plaisent point Ă  avoir l’Esprit de Dieu. 

Chapitre 49. 

La MĂšre de Dieu montre qu’elle a Ă©tĂ© conçue sans pĂ©chĂ©. 

La MĂšre de Dieu parle : Si quelqu’un, voulant jeĂ»ner, avait le dĂ©sir de manger, mais que la volontĂ© rĂ©sistĂąt au dĂ©sir, que le supĂ©rieur Ă  qui il doit obĂ©ir lui commandĂąt de manger, et qu’il mangeĂąt par obĂ©issance, manger serait alors de plus grand mĂ©rite que le jeĂ»ne : de mĂȘme maniĂšre arriva en la conjonction de mes parents, quand je fus conçue. La vĂ©ritĂ© est que je fus conçue sans pĂ©chĂ© originel, car comme il n’y a que mon Fils et moi qui n’ayons pĂ©chĂ©, aussi il n’y a pas eu de mariage plus honnĂȘte que celui de mes parents.

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Chapitre 50. 

La Vierge Marie dit Ă  l’épouse qu’il n’y a rien qui plaise tant Ă  Dieu que d’ĂȘtre aimĂ© des hommes, et le montre par un exemple d’une femme paĂŻenne qui aima fort son CrĂ©ateur. 

La MĂšre de Dieu parle Ă  sainte Brigitte, lui disant qu’il n’y a rien qui plaise tant Ă  Dieu que quand l’homme l’aime sur toutes choses. Je vous en donnerai une similitude d’une femme paĂŻenne : ne sachant rien de la foi catholique, elle s’entretenait en ces pensĂ©es : Je sais de quelle maniĂšre je suis, et je connais mes parents. Je crois aussi qu’il est impossible que j’eusse le corps, les membres, les entrailles, les sens, si quelqu’un ne me les eĂ»t donnĂ©s ; et partant, il y a quelque CrĂ©ateur qui m’a faite une si belle crĂ©ature, et non une crĂ©ature difforme, comme les vermisseaux et les serpents. Il me semble aussi que, bien que j’eusse plusieurs maris, et que, si tous m’appelaient, je courrais plutĂŽt Ă  mon CrĂ©ateur qui m’appelle qu’aux voix de tous ceux-lĂ . J’ai aussi plusieurs fils et filles : nĂ©anmoins, si j’avais de la viande en ma main et savais que mon CrĂ©ateur en dĂ©sire, je l’îterais franchement Ă  mes enfants et la prĂ©senterais Ă  mon CrĂ©ateur. J’ai aussi plusieurs possessions dont je dispose selon mes vouloirs : si je savais nĂ©anmoins que la volontĂ© de mon CrĂ©ateur est autre, je les laisserais, renonçant Ă  ma volontĂ©, et en disposerais Ă  l’honneur de mon CrĂ©ateur.

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Mais voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme paĂŻenne, car il lui a envoyĂ© un de ses amis qui l’a instruite en la foi sainte, et Dieu a visitĂ© son cƓur de lui-mĂȘme, comme vous le pourrez entendre des paroles de la susdite femme, car quand cet homme de Dieu lui prĂȘchait qu’il y avait un seul Dieu sans commencement et sans fin, crĂ©ateur de toutes choses, elle lui dit : Il est bien croyable que celui qui m’a crĂ©Ă©e et qui a crĂ©Ă© toutes choses, n’a pas par-dessus soi de crĂ©ateur, et il est vraisemblable que sa vie est Ă©ternelle, puisqu’il m’a pu donner la vie.

Mais quand cette femme ouĂŻt que le mĂȘme CrĂ©ateur avait pris l’humanitĂ© d’une Vierge, qu’il avait prĂȘchĂ© lui-mĂȘme, elle dit : Il est bien fait de croire que Dieu fait de bonnes Ɠuvres. Mais vous, ĂŽ mon ami ! dites-moi quelles furent les paroles qui furent profĂ©rĂ©es de la bouche du CrĂ©ateur, car je veux renoncer Ă  ma volontĂ© et lui obĂ©ir selon qu’il a parlĂ©.

Or, l’ami de Dieu prĂȘchant et lui parlant de la passion, de la croix et de la rĂ©surrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : BĂ©ni soit Dieu qui a manifestĂ© son amour en la terre tel qu’il l’avait au ciel ! Partant, comme je l’aimais auparavant, je suis maintenant obligĂ©e de l’aimer comme voie droite et comme RĂ©dempteur, me rachetant de son propre sang. Je suis encore obligĂ©e de l’aimer de toutes mes forces et de le servir de tous mes membres. D’ailleurs, je suis obligĂ©e d’arracher de moi tous les dĂ©sirs que j’ai eus en mes passions, fils et parents, et seulement aimer et dĂ©sirer mon CrĂ©ateur en la gloire et en la vie qui ne finissent jamais.

La MĂšre de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande rĂ©compense, Ă  raison de la dilection : de mĂȘme la rĂ©compense est donnĂ©e Ă  un chacun selon qu’il aime Dieu pendant qu’il vit au monde. 

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Chapitre 51. 

Il est traitĂ© d’une doctrine fort utile contre les ennemis de l’ñme, et contre les envieux qui dĂ©sirent aux hommes la confusion, le dommage et la vie courte.

Cet homme que vous reconnaissez a trois ennemis : le premier est auprĂšs de lui ; il est lĂ  oĂč il est ; il dort et veille avec lui, et il ne le voit point. Le deuxiĂšme lui est familier, il est prĂšs de lui quand il veille, et il ne l’oit point. Le troisiĂšme ne lui est pas familier ; il ne le connaĂźt pas, et celui-ci le hait.

Le premier ennemi est le diable, qui le tente de superbe, de cupiditĂ©, et de plusieurs autres choses ne plusieurs maniĂšres. Contre cet ennemi, il doit se munir d’un fouet, pensant : O diable, vous ne donnez rien de bon : pourquoi me rendrai-je superbe ? Vous me cherchez aussi pour me perdre, et JĂ©sus-Christ me donne la vie. Partant, il est raisonnable que je fuie ta volontĂ© et que je suive la volontĂ© de Dieu et ses prĂ©ceptes. Partant, quiconque veille ou dort avec une telle intention, menace de son fouet le diable, qui, en Ă©tant Ă©pouvantĂ©, s’enfuit.

P346

Le deuxiĂšme ennemi, ce sont ses familiers et ses serviteurs qui lui disent : Vous encourez de grands dommages, si vous ĂȘtes trop juste ; vous pourrez faire votre profit en dissimulant plusieurs choses ; si vous ĂȘtes trop humble, vous serez mĂ©prisĂ© : c’est pourquoi amassez des richesses, et faites-nous riches tous ; dĂ©sirez les honneurs du monde, et nous nous rĂ©jouirons avec vous. Cet ennemi se fait ouĂŻr tous les jours, et partant, il faut Ă©difier un grand mur contre cet ennemi, afin qu’on ne l’entende : ce mur est la bonne volontĂ©, savoir, qu’il dĂ©sire embrasser plutĂŽt la pauvretĂ© avec la justice que les richesses avec l’injustice, et plutĂŽt avoir la confusion avec l’humilitĂ© que l’honneur avec la superbe, et qu’il rĂ©ponde Ă  son ennemi, mauvais conseiller : Si je fais contre Dieu, priez et avertissez-moi, car lors je me rĂ©jouirai plutĂŽt que je ne m’en attristerai. Qu’on mette donc entre l’ennemi et lui un tel mur, de sorte que le vent de ses paroles flatteuses frappe contre le mur, et non contre le cƓur, afin qu’il ne s’éloigne de l’amour divin.

Le troisiĂšme ennemi est celui qu’il ne connaĂźt pas. Ceux-lĂ  dĂ©sirent sa honte et confusion, son dommage et sa vie trĂšs-courte, afin qu’ils jouissent des prospĂ©ritĂ©s et obtiennent ses richesses. Partant, qu’il ait contre cet ennemi une corde forte, c’est-Ă -dire, l’amour de Dieu et du prochain, dĂ©sirant souffrir tout ce que Dieu veut qu’il pĂątisse, ne voulant endommager personne ; et lors l’opprobre et la confusion que ses ennemis voulaient jeter en son front, lui rĂ©ussira Ă  honneur, le dommage Ă  utilitĂ©, la vie courte Ă  longs jours, et l’ennemi est tellement liĂ© qu’il ne peut plus nuire. 

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Chapitre 52. 


L’épouse admire et se rĂ©pute indigne devant JĂ©sus-Christ de la grĂące qu’elle a de voir et d’ouĂŻr en esprit ce qui se fait au ciel, en purgatoire et en enfer, et plusieurs autres choses excellentes qui sont  dĂ©clarĂ©es en ce chapitre. 

Louange vous soit, ĂŽ mon Dieu ! pour toutes les choses crĂ©Ă©es, dit sainte Brigitte, et honneur pour toutes vos vertus ! Que tous vous servent pour l’amour que vous leur portez. Moi, indigne et pĂ©cheresse dĂšs ma jeunesse, je vous rends grĂąces, ĂŽ mon Dieu, d’autant que vous ne refusez la grĂące Ă  ceux qui vous la demandent, quoique pĂ©cheurs, mais vous leur faites misĂ©ricorde et pardon, ĂŽ Dieu trĂšs-doux ! Ce que vous faites avec moi est admirable : quand il vous plaĂźt, vous endormez mon cƓur d’un sommeil spirituel, et excitez et relevez mon Ăąme pour voir, ouĂŻr et sentir les choses spirituelles. O mon Dieu, que vos paroles sont douces Ă  mon Ăąme ! Elle les avale comme une douce liqueur, et elles entrent dans mon cƓur avec grande joie, car quand j’entends vos paroles, je suis rassasiĂ©e, et mĂȘme je suis famĂ©lique : rassasiĂ©e, d’autant qu’il n’y a rien qui me plaise que vos paroles ; famĂ©lique, d’autant que je dĂ©sire de les ouĂŻr avec ferveur. Partant, ĂŽ mon Dieu ! donnez-moi la grĂące de faire toujours votre volontĂ©.

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JĂ©sus-Christ rĂ©pondit : Je suis sans commencement et sans fin, et tout ce qui est crĂ©Ă© par ma puissance, disposĂ© par ma sagesse et gouvernĂ© par mon jugement ; toutes mes Ɠuvres sont aussi rangĂ©es par la charitĂ© : partant, rien ne m’est impossible. Mais ce cƓur est trop dur, qui ne n’aime ni ne me craint, bien que je sois gouverneur et juge de toutes choses, mais fait plutĂŽt la volontĂ© du diable, qui est son bourreau, qui donne Ă  boire largement le venin par le monde, qui ne peut donner la vie aux Ăąmes, mais bien la mort de l’enfer. Ce venin est la pĂ©chĂ©, qui est doux au goĂ»t, bien qu’amer Ă  l’ñme, et tous les jours, il est rĂ©pandu par les mains du diable sur plusieurs. Mais qui a ouĂŻ de telles choses, que la vie soit offerte aux hommes et qu’ils choisissent la mort ? NĂ©anmoins, moi, Dieu de tous, je suis patient et je compatis Ă  leurs misĂšres. Je fais certainement comme le roi qui, envoyant du vin Ă  ses serviteurs, leur dit : Buvez-en en quantitĂ©, car il est bon et salutaire : il donne aux malades la santĂ©, aux tristes la joie, un cƓur gĂ©nĂ©reux Ă  ceux qui se portent bien, et ce vin n’est envoyĂ© que dans les grappes mĂȘmes. De mĂȘme j’envoyai mes paroles, qui sont comparĂ©es au vin, Ă  mes serviteurs, par vous, qui ĂȘtes mon vase. Certainement, mon Saint-Esprit vous enseignera oĂč il vous faut aller et ce qu’il vous faut dire : c’est pourquoi parlez courageusement, et faites sans crainte ce que je vous commande, car pas un ne me surmontera.

Lors je lui rĂ©pondis : O Roi de toute gloire et celui qui verse la sagesse et qui donne toutes les vertus, pourquoi m’employez-vous Ă  un tel office, moi qui ai consommĂ© ma jeunesse en pĂ©chĂ©s ? Je suis certainement comme un Ăąne insensĂ©, et suis dĂ©fectueuse en toute sorte de vertus. J’ai manquĂ© en tout, et ne me suis amendĂ©e en rien.

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Le Saint-Esprit rĂ©pondit : Qui serait Ă©tonnĂ© si quelque seigneur faisait de la monnaie ou du mĂ©tal qu’on lui offrirait, des couronnes, des anneaux, ou des coupes pour son usage ? De mĂȘme, il n’est pas de merveilles si je choisis et reçois les cƓurs de mes amis qui me sont offerts, et si je fais en eux ma volontĂ©. Et d’autant que l’un a plus petit entendement que l’autre, de mĂȘme je me sers de la conscience et de l’esprit d’un chacun, selon que je vois expĂ©dient pour mon honneur, car le cƓur du juste, c’est ma monnaie : c’est pourquoi soyez prompte et constante Ă  faire mes volontĂ©s.

Ensuite la Mùre de Dieu me parla : Qu’est-ce que les femmes superbes disent en votre royaume ?

Je suis une d’icelles, c’est pourquoi je suis confuse de parler en votre prĂ©sence.

Et la MÚre de Dieu dit : Bien que je sache cela mieux que vous, néanmoins je le veux ouïr de votre bouche.

Quand on nous prĂȘchait l’humilitĂ© vraie, nous disions que nos parents possĂ©daient des possessions trĂšs-amples et de mƓurs trĂšs-excellentes. Pourquoi ne les imiterons-nous donc ? Notre mĂšre allait de pair avec les premiers ; elle Ă©tait excellemment et noblement vĂȘtue, et avait plusieurs serviteurs ; elle nous a Ă©levĂ©s avec honneur : pourquoi mes filles ne doivent-elles hĂ©riter de telles choses, auxquelles j’appris de se comporter noblement et de vivre avec joie corporelle ? Je leur ai enseignĂ© de mourir avec de grandes dignitĂ©s.

P350

La MĂšre de Dieu dit : Toute femme qui suit cette route et ces discours par Ɠuvres, va par une voie droite dans l’enfer ; et partant, une telle rĂ©ponse est dure et amĂšre, car que profite tout cela, puisque le CrĂ©ateur de toutes choses n’a jamais portĂ© une robe superbe, tant qu’il a demeurĂ© en terre ? Certainement, telles femmes ne considĂšrent point la face de JĂ©sus, quelle elle Ă©tait en la croix, sanglante et pĂąle de peines et de tourments, et ne soucient point des opprobres qu’il a ouĂŻs, ni de la mort ignominieuse qu’il a choisie et soufferte pour nous, ni ne se souviennent point du lieu oĂč il a rendu l’esprit ; car lĂ  oĂč les larrons reçurent les supplices qu’ils mĂ©ritaient, c’est lĂ  que mon Fils a Ă©tĂ© crucifiĂ© ; et moi, la plus chĂšre de toutes les crĂ©atures, et qui suis la vraie humilitĂ©, j’assistai lĂ . Et partant, ceux qui se gouvernent superbement et pompeusement, et donnent aux autres sujets de les imiter, sont semblables Ă  un aspersoir qui, Ă©tant plongĂ© dans une liqueur ardente, brĂ»le et tache tous ceux qui en sont aspergĂ©s : de mĂȘme quand les superbes donnent sujet de mauvais exemple et de mauvaise Ă©dification, ils brĂ»lent les Ăąmes ; et partant, je veux faire maintenant comme une bonne mĂšre qui, dĂ©terrant ses enfants, leur montre les verges, lesquelles les serviteurs voient aussi ; mais les enfants, les voyant, craignent d’offenser la mĂšre, la remerciant de les avoir menacĂ©s pour Ă©viter les coups. Mais les serviteurs craignent d’ĂȘtre fouettĂ©s, s’ils manquent, et de la sorte, par cette crainte, les enfants font plusieurs biens, et les serviteurs moins de mal qu’ils ne faisaient.

P351

Partant, d’autant que je suis MĂšre de misĂ©ricorde, je veux vous montrer la peine du pĂ©chĂ©, afin que les amis de Dieu soient fervents de l’amour de Dieu, et les pĂ©cheurs, sachant de danger, fuient pour le moins le pĂ©chĂ© par la crainte ; et de la sorte, je fais misĂ©ricorde aux bons, afin qu’ils obtiennent une plus grande couronne au ciel, et au mauvais, afin qu’ils endurent moins de peines, et il n’y a pas pĂ©cheur si grand que je ne sois toute prĂȘte Ă  lui aller au-devant et que mon Fils ne soit disposĂ© Ă  lui donner la grĂące, s’il demande misĂ©ricorde avec amour.

Et aprĂšs cela apparurent trois femmes : la mĂšre, la fille et la niĂšce ; mais la mĂšre et la niĂšce apparurent mortes, et la fille apparut vive. Or, la susdite mĂšre apparaissait morte, semblait ramper par terre dans un lieu fort obscur et boueux, le cƓur de laquelle semblait arrachĂ©, et les lĂšvres semblaient coupĂ©es. Le menton tremblait, et les dents, blanches et longues, grinçaient en la bouche. Les narines Ă©taient rongĂ©es, et ses yeux arrachĂ©s pendaient aux joues avec deux nerfs. Son front semblait creux et avalĂ©, et au lieu du front Ă©tait un grand et tĂ©nĂ©breux abĂźme. En la tĂȘte, il n’y avait point de crĂąne, et son cerveau bouillait comme du plomb fondu et de la poix Ă©chauffĂ©e. Son col Ă©tait aussi secouĂ© comme un bois qui tourne autour, lequel un fer trĂšs-aigu coupĂ© sans cesse. Sa poitrine ouverte Ă©tait pleine de vermisseaux longs qui grouillaient l’un sur l’autre, et ses bras ressemblaient Ă  un manche d’un tailleur de pierres ; ses mains Ă©taient comme des clous Ă  nƓuds et longs, et toutes les jointures Ă©taient dĂ©semboitĂ©es, de sorte que quand l’une montait, l’autre descendait sans cesse. Un serpent long et grand Ă©tait du plus haut de l’estomac jusques en bas, qui, baissait sa tĂȘte avec la queue envenimait ses entrailles, et tournait incessamment comme une roue. Ses cuisses et ses jambes ressemblaient Ă  deux bĂątons Ă©pineux pleins de pointes trĂšs-aiguĂ«s. Ses pieds Ă©taient comme des pieds de crapauds.

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Lors cette mĂšre, qui Ă©tait comme morte, parlait Ă  sa fille qui Ă©tait vivante, lui disant : Oyez, lĂ©zarde et fille pleine de venin. Malheur Ă  moi que j’aie Ă©tĂ© votre mĂšre ! Je suis celle qui vous ai mise au nid de superbe, oĂč vous croissiez, y Ă©tant Ă©chauffĂ©e, jusqu’à ce que vous avez atteint l’ñge ; et elle vous a tellement plu que vous avez consommĂ© en icelle tout votre temps. Partant, je vous dis que tout autant de fois que vous tournez les yeux superbement sur quelqu’un, comme je vous ai enseignĂ©, tout autant de fois vous jetez Ă  mes yeux du venin tout bouillant avec une intolĂ©rable ardeur ; et toutes fois et quantes que vous profĂ©rez des paroles orgueilleuses que vous avez apprises de moi, tout autant de fois j’avale des breuvages trĂšs-amers ; toutes fois et quantes que vos oreilles sont remplies de vent de superbe, qui excite les orages de l’arrogance, qui sont : ouĂŻr les louanges de votre corps bien proportionnĂ©, dĂ©sirer les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, tout autant de fois frappe en mes oreilles un son horrible qui m’étourdit avec un vent brĂ»lant. Malheur donc Ă  moi qui suis en l’extrĂȘme pauvretĂ© et misĂšre ! Je suis pauvre, d’autant que je n’ai rien de bon ni n’en ressens ; misĂ©rable, parce que je suis assaillie de toute sorte de maux.

Mais vous, ma fille, vous ĂȘtes semblable Ă  la queue de la vache, qui va par les lieux boueux, qui toutes les fois qu’elle meut la queue, salit tous ceux qui sont auprĂšs d’elle. De mĂȘme en faites-vous, ma fille, vous qui n’avez point la divine sagesse, et allez selon vos dĂ©sirs et les mouvements de votre corps. Partant, toutes les fois que vous imitez les coutumes que j’ai fait couler en votre esprit en la jeunesse, savoir, les pĂ©chĂ©s que je vous ai enseignĂ© de faire, tout autant de fois ma peine est renouvelĂ©e et mes feux brĂ»lent avec plus d’ardeur. Partant, ma fille, pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre sang ? Quel honneur avez-vous d’avoir Ă©tĂ© en mon ventre auprĂšs de l’ordure et nourrie d’ordure ? Votre sortie a Ă©tĂ© honteuse, et les immondices de mon sang Ă©taient votre robe en la naissance. Or, maintenant, mon ventre, qui vous a portĂ©e, est rongĂ© par les vers.

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Mais pourquoi me plaindre de toi, ma fille, puisque j’ai plus de sujet de me plaindre de moi-mĂȘme ? car il y a trois choses qui affligent le plus mon cƓur : 1- Ă©tant crĂ©Ă©e de Dieu pour la gloire cĂ©leste, j’abusais de ma conscience, et me suis disposĂ©e pour les peines de l’enfer ; 2-Dieu m’ayant crĂ©Ă©e belle comme un ange, je me suis rendue difforme moi-mĂȘme, de sorte que je suis plus semblable au diable qu’à l’ange de Dieu ; 3- j’ai mal changĂ© le temps qui m’était donnĂ© ; j’ai prĂ©fĂ©rĂ© le moment c’est-Ă -dire, la dĂ©lectation du pĂ©chĂ©, pour lequel je ressens maintenant des maux infinis dans l’enfer, Ă  l’éternitĂ© glorieuse !

Et lors, elle dit Ă  l’épouse : Vous qui me voyez, vous ne me concevez que par similitudes. Certes, si vous me voyiez comme je suis, vous mourriez d’effroi, car tous mes membres sont comme des dĂ©mons. Et partant, l’Écriture est vraie quand elle dit que, comme les justes sont membres de Dieu, de mĂȘme les pĂ©cheurs sont membres du diable. J’en fais maintenant l’expĂ©rience. Les dĂ©mons sont comme clouĂ©s Ă  mon Ăąme, d’autant que moi-mĂȘme je me suis disposĂ©e Ă  une si grande difformitĂ©.

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Mais Ă©coutez encore davantage. Il vous semble que mes pieds sont comme des crapauds : cela est d’autant qu’opiniĂątrement je me suis arrĂȘtĂ©e dans le pĂ©chĂ© ; c’est pourquoi aussi les diables sont toujours avec moi, me rongeant sans jamais se rassasier ; mes jambes et mes cuisses sont comme des bĂątons Ă©pineux, d’autant que ma volontĂ© a suivi les concupiscences de la chair et les voluptĂ©s. Mais les os de mon dos sont tous dĂ©semboitĂ©s, et l’un s’émeut contre l’autre, d’autant que mon esprit se plaisait trop aux consolations mondaines, et s’affligeait trop des adversitĂ©s et des fĂącheries du monde. Et comme le dos s’émeut selon le mouvement de la tĂȘte, de mĂȘme ma volontĂ© ne devait se mouvoir que selon les volontĂ©s de Dieu, qui est l’origine de tout bien. Mais d’autant que je n’ai pas fait cela, je pĂątis justement ce que vous voyez. Mais d’autant qu’un serpent se glisse du bas de l’estomac jusques en haut, et Ă©tant comme un cercle, environne mon ventre, cela est d’autant que mes voluptĂ©s ont Ă©tĂ© dĂ©rĂ©glĂ©es, et voulaient tout possĂ©der, pour pouvoir dĂ©pendre beaucoup avec indiscrĂ©tion ; c’est pourquoi le serpent court incessamment par mon intĂ©rieur, sans me donner trĂȘve ni repos.

Quant Ă  ce que ma poitrine est ouverte et rongĂ©e des vers, cela montre la vraie justice divine. Certes, j’aimais la pourriture plus que Dieu, et mon cƓur Ă©tait liĂ© aux choses passagĂšres ; et partant, comme de petits vermisseaux s’engendrent les grands, de mĂȘme mon Ăąme est remplie de dĂ©mons, comme engendrĂ©s de l’amour que j’avais pour la pourriture et l’ordure. Mes bras semblent aussi comme dĂ©manchĂ©s, d’autant que mon dĂ©sir tendait Ă  la longue vie et Ă  vivre longtemps dans le pĂ©chĂ©.

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Je dĂ©sirais aussi que le jugement de Dieu fĂ»t plus doux que l’Écriture ne dit ; et nĂ©anmoins, la conscience me disait bien que mon temps Ă©tait court et que le jugement de Dieu Ă©tait effroyable ; mais au contraire, les dĂ©sirs des voluptĂ©s et des pĂ©chĂ©s me dictaient faussement que ma vie serait longue, et que le jugement de la fureur divine ne serait pas si effroyable ; et de telles suggestions renversaient ma conscience, et aprĂšs, ma volontĂ© et ma raison suivaient mes dĂ©lectations et mes voluptĂ©s. C’est pourquoi aussi le diable s’émeut en mon Ăąme contre ma volontĂ©, et ma conscience entend et ressent que le jugement de Dieu est juste.

Mes mains sont comme une massue longue, d’autant que je n’ai pas gardĂ© les commandements de Dieu ; et par la mĂȘme raison, mes mains me servent Ă  la pesanteur et non Ă  l’usage.

Mon col tourne comme un bois au tour et qui est taillĂ© avec un ciseau, et c’est parce que les paroles divines n’ont point Ă©tĂ© Ă  goĂ»t Ă  mon cƓur, mais lui Ă©taient amĂšres, d’autant qu’elles reprenaient ses dĂ©lectations et ses voluptĂ©s : c’est pourquoi un fer aigu est toujours fichĂ© Ă  mon gosier.

Mes lĂšvres sont coupĂ©es, d’autant qu’elles Ă©taient promptes Ă  parler de la vanitĂ© et superbe et de la cajolerie, mais grandement lĂąches Ă  parler de Dieu. Ma joue paraĂźt tremblante et les dents me grincent, d’autant que je donnais de la viande Ă  mon corps, afin que je parusse belle, dĂ©sirable, saine et forte Ă  toutes les dĂ©lices du corps ; et mes dents sont en continuel grincement, d’autant que tout leur ouvrage a Ă©tĂ© inutile pour le bien de l’ñme. Mes narines sont coupĂ©es, d’autant que mĂȘme vous punissez de telle peine ceux qui sont atteints des crimes dont celui-ci est atteint, afin qu’il ait de la honte, et moi, j’en ai la confusion Ă©ternelle !

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Quant Ă  ce que les yeux sont pendus par deux nerfs jusques aux joues, cela est juste, car comme les yeux se plaisaient en la beautĂ© des joues par ostentation de superbe, de mĂȘme maintenant ils sont arrachĂ©s par trop pleurer, et pour confusion, pendant aux joues. Justement aussi mon front est avalĂ©, et Ă  sa place sont des tĂ©nĂšbres palpables, d’autant que j’ai couvert mon front du voile de superbe, et j’ai voulu me glorifier et paraĂźtre belle ; mon front est maintenant obscur et difforme ; mais d’autant que le cerveau bout et s’écoule, comme le plomb s’émeut et est flexible selon la volontĂ©, qui Ă©tait en mon cerveau, allait selon les mouvements de mon cƓur, bien que je susse fort bien ce qu’il fallait faire. Mais mĂȘme la passion du Fils de Dieu n’était point gravĂ©e dans mon cƓur, mais s’enfuyait et s’en Ă©coulait comme chose que je savais bien, et m’en souciais bien peu. D’ailleurs, j’étais autant attentive au sang qui coulait des membres du Fils de Dieu qu’à la poix, et je fuyais les paroles de charitĂ© comme de la poix, de peur qu’elles ne me dĂ©tournassent des dĂ©lices corporelles, et qu’elle ne me troublassent quand j’en jouissais. Quelquefois nĂ©anmoins, j’oyais la parole de Dieu pour le respect des hommes, mais elle sortait avec la mĂȘme facilitĂ© de mon cƓur qu’elle y Ă©tait entrĂ©e. C’est pourquoi aussi mon cerveau s’écoule comme une poix ardente. Mes oreilles sont aussi bouchĂ©es avec des pierres fort dures, d’autant que les paroles de superbe entraient en elles avec joie, et de lĂ  s’écoulaient doucement

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Dans mon cƓur. Et d’autant que j’ai fait toutes choses pour l’amour du monde et pour la vanitĂ©, mes oreilles n’entendront jamais les concerts et les agrĂ©ables mĂ©lodies.

Mais vous me pourriez demander si je n’ai fait aucune bonne Ɠuvre. Je vous rĂ©ponds : J’ai fait comme celui qui rogne la monnaie et la rend Ă  son maĂźtre, car je jeĂ»nais , je faisais des aumĂŽnes et d’autres bonne Ɠuvres, mais tout cela par crainte de l’enfer et pour Ă©viter les douleurs corporelles. Mais d’autant que la charitĂ© n’était point en mes Ɠuvres, elles ne m’ont point servi pour obtenir le ciel ; elles n’ont pas Ă©tĂ© pourtant sans rĂ©compense.

Vous pourriez encore vous enquĂ©rir quelle je suis intĂ©rieurement en ma volontĂ©, puisque je suis difforme au-dedans. Je vous rĂ©ponds : Ma volontĂ© est comme l’homicide et le parricide : de mĂȘme je dĂ©sire toute sorte de maux Ă  mon CrĂ©ateur, qui m’a Ă©tĂ© nĂ©anmoins trĂšs-bon et trĂšs-doux.

AprĂšs, la niĂšce morte de la susdite bisaĂŻeule, morte aussi, parla Ă  la mĂšre qui vivait encore : Oyez, ĂŽ scorpion, ma mĂšre ! Malheur Ă  moi, d’autant que vous m’avez déçue, car vous m’avez montrĂ© un visage doux, mais vous m’avez cruellement percĂ© le cƓur. Vous m’avez donnĂ© trois mauvais conseils ; j’ai appris trois autres choses de vos actions, et vous m’avez montrĂ© trois voies en votre procĂ©dĂ©. Le premier conseil a Ă©tĂ© d’aimer charnellement pour obtenir les amitiĂ©s charnelles ; le deuxiĂšme, de dĂ©penser prodigalement les biens pour l’honneur du monde ; le troisiĂšme, d’avoir le repos pour les plaisirs de la chair. Certainement, ces conseils m’ont Ă©tĂ© grandement dommageables, car d’autant que j’ai aimĂ© charnellement, j’ai maintenant la honte et l’envie spirituelle ; et parce que j’ai prodigalement dĂ©pensĂ© les biens, je suis privĂ©e des dons de Dieu en la vie, et aprĂšs la mort, j’ai Ă©tĂ© remplie de confusion ; et d’autant que je me plaisais aux dĂ©lices charnelles, Ă  l’heure de la mort, les ingratitudes et les chagrins de l’esprit me saisirent sans considĂ©ration aucune.

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J’ai aussi appris trois choses de vos Ɠuvres, savoir :1-d’en faire quelques bonnes sans quitter le pĂ©chĂ© qui me plaisait, comme celui qui, mĂȘlant le venin avec le miel, n’offrait que du venin au juge qui, Ă©tant justement irritĂ©, l’épandit sur celui qui le lui offrait ; de mĂȘme j’expĂ©rimente le mĂȘme avec beaucoup de douleur et de tribulation ; 2-une façon et mode admirable de m’habiller, savoir des souliers mignons Ă  mes pieds, des gants façonnĂ©s Ă  mes mains, montrer ma gorge toute nue.

Ce linge dĂ©liĂ© marquait l’éclat de mon corps, qui a tellement offusquĂ© l’éclat de mon Ăąme que je ne me souciai de sa beautĂ©. Mes souliers ou sandales, dĂ©couverts au-dessus, signifiaient ma foi sans les Ɠuvres, qui ont laissĂ© mon Ăąme toute nue. Les gants aux mains signifiaient la vaine espĂ©rance que j’ai eue, car j’appuyais mes espĂ©rances en mes Ɠuvres, dont j’attendais misĂ©ricorde, sans que j’aie jamais considĂ©rĂ© la justice divine, ni n’ai point ressenti sa fureur, ce qui me donna le libertinage au pĂ©chĂ©. Mais quand la mort s’approchait, mon linge tomba de mes yeux sur terre, c’est-Ă -dire, sur mon cƓur, lors l’ñme se connut et se vit toute nue, voyant que mes pĂ©chĂ©s Ă©taient grands et mes Ɠuvres fort petites, et j’en avais tant de honte et de confusion que je ne pus entrer dans le palais du Roi des cieux. Or, lors les dĂ©mons me trouvĂšrent, et me donnĂšrent de grandes peines et douleurs, oĂč j’étais moquĂ©e avec confusions insupportables.

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La troisiĂšme que j’appris de vous, ma MĂšre, c’est de revĂȘtir le serviteur des habillements du maĂźtre, et le maĂźtre, des habillements du serviteur. Ce maĂźtre est l’amour de Dieu ; le serviteur est la volontĂ© de pĂ©cher. Partant, la charitĂ© devant rĂ©gner dans mon cƓur, j’ai posĂ© la volontĂ© de pĂ©cher, laquelle j’ai lors revĂȘtue des vĂȘtements du Seigneur, quand je me suis servie des crĂ©atures pour l’assouvissement de mes voluptĂ©s, et j’ai donnĂ© au Seigneur quelques restes, et encore iceux par crainte et non par amour. Mon cƓur donc se rĂ©jouissait du succĂšs de mes voluptĂ©s, d’autant que le Seigneur en Ă©tait chassĂ© et banni, et le serviteur bien reçu et caressĂ©.

J’ai appris de vous ces trois choses. Vous m’avez aussi montrĂ© trois voies en votre dĂ©marche : la premiĂšre Ă©tait Ă©clatante, en laquelle Ă©tant entrĂ©e, je fus aveuglĂ©e de sa splendeur. La deuxiĂšme fut courte, et labile comme la glace, en laquelle je tombais pas Ă  pas. La troisiĂšme Ă©tait trop longue, et quand j’y marchais, un torrent impĂ©tueux m’emporta sur une montagne en une fosse profonde qui Ă©tait lĂ .

En la premiĂšre voie est marquĂ© le progrĂšs de ma superbe, qui fut trop brillante, car l’ostentation, fille de la superbe, donna tant d’éclat Ă  mes yeux que je ne considĂ©rai point la fin, et partant, je fus aveugle.

En la deuxiÚme voie est marquée la rébellion.

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Le temps de rĂ©bellion n’est pas long en cette vie, car aprĂšs la mort, l’homme est contraint d’obĂ©ir. En vĂ©ritĂ©, il m’a Ă©tĂ© fort long, car quand je passai par un pas, c’est-Ă -dire, par l’humilitĂ© de la confession, soudain je retombai Ă  mes pĂ©chĂ©s ; c’est pourquoi je n’ai point Ă©tĂ© constante en l’obĂ©issance, mais je tombais soudain dans mes pĂ©chĂ©s comme celui qui chemine sur la glace. Ma volontĂ© Ă©tait froide, d’autant que je ne quittais les dĂ©lectations du pĂ©chĂ©, de sorte que quand j’avançais un pas Ă  la confession, confessant mes pĂ©chĂ©s, je retombais en un autre pas, d’autant que je voulais le pĂ©chĂ© et je me plaisais Ă  me confesser souvent.

La troisiĂšme voie fut que je m’attendais Ă  pouvoir pĂ©cher sans avoir une grande peine, pouvoir vivre longtemps et ne m’approcher point de l’heure de la mort. Et ayant avancĂ© chemin par cette voie, un torrent impĂ©tueux, savoir, la mort, qui donne Ă  un autre, m’enleva et me chargea de peines, renversant mes pieds. Or, quels sont ces pieds, si ce n’est que, les infirmitĂ©s m’accablant, je ne pouvais avoir soin des utilitĂ©s de mon corps, et moins de celles de l’ñme ? C’est pourquoi je tombai en une profonde fosse, quand le cƓur, qui Ă©tait haut et superbe, endurci dans le pĂ©chĂ©, creva, et l’ñme tomba en la fosse de la peine du pĂ©chĂ©. Et partant, cette voie a Ă©tĂ© trop longue commençait. Malheur donc Ă  moi, ĂŽ ma mĂšre ! car tout ce que j’appris de vous avec joie, je le pleure maintenant avec amertume !

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D’ailleurs, cette fille morte parlait encore Ă  l’épouse, qui voyait ceci : Oyez, vous qui me voyez. Il vous semble que ma tĂȘte et ma face sont comme un tonnerre qui fulmine au-dedans, et mon col est mis comme dans une presse garnie de clous. Mes bras et mes pieds sont comme des serpents trĂšs-longs ; mes jambes et mes cuisses sont comme deux canaux d’eau coulants du toit tout glacĂ©s. Mais encore une peine m’est la plus amĂšre de toutes : car comme si une personne avait tous les canaux des esprits vitaux bouchĂ©s, et comme si toutes les veines pleines de vent se serraient dans le cƓur et crĂšveraient Ă  raison de la violence du vent, de mĂȘme je suis disposĂ©e au-dedans misĂ©rablement, Ă  raison du vent de la superbe qui m’a Ă©tĂ© trĂšs-agrĂ©able. NĂ©anmoins, je suis en la voie de la misĂ©ricorde, car lorsque j’étais accablĂ©e d’infirmitĂ©s,  je les louai le mieux qu’il me fut possible, mais nĂ©anmoins avec un esprit de crainte. Mais la mort s’approchant, la considĂ©ration de la passion de JĂ©sus-Christ me vint en l’esprit, savoir, qu’elle Ă©tait beaucoup plus douloureuse que la douleur que je mĂ©ritais Ă  raison de mes fautes, et par une telle considĂ©ration, j’ai obtenu les larmes, gĂ©missant, voyant que Dieu m’avait tant aimĂ©e, et que je l’avais aimĂ© si peu ; car lors je le regardai des yeux de l’esprit et lui dis : O Seigneur, je crois que vous ĂȘtes mon Dieu. Ayez misĂ©ricorde de moi, ĂŽ Fils de la Vierge, pour l’amour de votre amĂšre passion. J’amenderais maintenant ma vie, si j’en avais le temps. Et en ce point-lĂ , je fus soudain allumĂ©e d’une scintille de charitĂ© en mon cƓur, de sorte que la passion de JĂ©sus me semblait plus amĂšre que ma mort. Et lors mon cƓur creva, et mon Ăąme vint Ăšs mains des dĂ©mons, pour ĂȘtre prĂ©sentĂ©es au jugement de Dieu, car il Ă©tait indigne que les anges d’un grand Ă©clat et d’une grande beautĂ© portassent une Ăąme si difforme.

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Or, au jugement de Dieu, les dĂ©mons criant que mon Ăąme fĂ»t condamnĂ©e Ă  l’enfer, le Juge rĂ©pondit : Je vois une scintille de charitĂ© en son cƓur, qui ne doit ĂȘtre Ă©teinte, mais qui doit ĂȘtre devant moi, et partant, je juge l’ñme Ă  ĂȘtre purifiĂ©e jusques Ă  ce qu’étant dignement purifiĂ©e, elle mĂ©rite de me possĂ©der.

Vous pourriez encore vous enquĂ©rir si je serai participante de tous les biens qu’on fait pour moi. Je vous rĂ©ponds par similitude : car comme si vous voyiez une balance, et s’il y avait en l’un des bassins du plomb qui l’abaissĂąt, en l’autre une chose lĂ©gĂšre qui l’enlevĂąt en haut, plus on la chargerait, voire emporterait le poids du plomb : de mĂȘme en est-il de moi, car d’autant plus ai-je hantĂ© le pĂ©chĂ©, d’autant plus suis-je descendue en peine. Et partant, tout ce qu’on fait Ă  l’honneur de Dieu pour moi, cela m’enlĂšve de la peine, et spĂ©cialement l’oraison, et les biens que font les hommes justes et amis de Dieu et les charitĂ©s qu’on fait des biens bien acquis. Telles choses m’approchent de Dieu de jour en jour.

AprĂšs cela, la MĂšre de Dieu parla Ă  l’épouse : Vous admirez comment moi, qui suis Reine du ciel, et vous, qui vivez au monde, et cette Ăąme, qui est en purgatoire, et l’autre en enfer, parlent ensemble. Je vous dirai cela. Je ne me retire jamais du ciel, d’autant que je ne serai jamais sĂ©parĂ©e de la vision de Dieu, ni l’ñme qui est en enfer ne sera jamais sĂ©parĂ©e des peines, ni l’autre du purgatoire, qu’elle ne soit entiĂšrement purifiĂ©e, ni vous ne viendrez Ă  nous avant la sĂ©paration du corps ; mais votre Ăąme et votre intelligence sont Ă©levĂ©es dans le ciel, pour y entendre les paroles de Dieu, et il vous est permis de faire savoir quelques peines de l’enfer et du purgatoire aux mauvais, afin qu’ils prennent garde Ă  eux et aux bons, pour consolation et avancement. Or, sachez que votre corps et votre Ăąme sont unis en terre,  et le Saint-Esprit vous donne l’intelligence, afin que vous connaissiez ses saintes volontĂ©s.

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DÉCLARATION 

Il  est parlĂ© en ce chapitre de trois femmes, l’une desquelles entra dans un monastĂšre, faisant pĂ©nitence tout le temps de sa vie avec  grande perfection. 

Chapitre 53.

Notre-Seigneur reprend la superbe des prĂ©lats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets, de peur qu’à l’exemple d’HĂ©li, ils ne soient damnĂ©s. 

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Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, lui disant : C’est une grande chose, voire c’est un monstre horrible que lĂ  oĂč le Roi de gloire s’est humiliĂ©, lĂ  l’homme obligĂ© Ă  rendre compte, s’enorgueillisse, car si quelqu’un est supĂ©rieur aux autres, il ne doit s’enorgueillir d’ĂȘtre prĂ©lat, mais plutĂŽt craindre, car tous sont Ă©gaux en nature et toute puissance est de Dieu. En vĂ©ritĂ©, si celui que Dieu fait supĂ©rieur est bon, il profite Ă  son salut et Ă  celui des autres ; s’il est mauvais, c’est la permission de Dieu, pour la correction des sujets et Ă  sa plus grande condamnation, ni n’est point de merveille, mais digne et juste, que l’homme qui a nĂ©gligĂ© de se soumettre Ă  son CrĂ©ateur, expĂ©rimente la domination de l’infĂ©rieur et ses conseils. Donc, quand quelqu’un est contraint d’ĂȘtre supĂ©rieur ou dĂ©sire l’ĂȘtre, qu’il se montre tel Ă  ses sujets, qu’il soir dĂ©sirable Ă  raison de ses mƓurs et de sa bonne vie, utile en la justice et Ă©quitĂ©. Enfin de sa nature, celui qui est prĂ©lat doit s’humilier et ses mesurer par sa propre mesure, afin qu’il ne s’élĂšve par-dessus soi-mĂȘme, et qu’il apprenne en soi d’avoir compassion des autres. Qu’il craigne aussi que, de la mĂȘme mesure qu’il mesure les autres, on ne le mesure (Matt.4.Luc. 16.), car moi, Dieu et homme, je me suis tellement tempĂ©rĂ© que, bien que je connusse les dĂ©fauts des hommes par ma science infaillible, je les ai voulu connaĂźtre par les peines, par les croix, en les expĂ©rimentant ; et enfin, pour me donner en exemple Ă  eux, j’ai commencĂ© plutĂŽt par faire que par commander et enseigner ; j’ai voulu servir, et non ĂȘtre servi. De mĂȘme en a fait ma trĂšs-chĂšre MĂšre, car bien qu’elle fĂ»t maĂźtresse des apĂŽtres, elle a Ă©tĂ© la plus humble de tous, et elle a Ă©tĂ© quasi un des moindres : c’est pourquoi aussi elle a montĂ© Ă  la souveraine fĂ©licitĂ©.

Que le prĂ©lat donc apprenne en ses propres infirmitĂ©s Ă  supporter les dĂ©fauts des sujets, et qu’il prenne garde qu’il ne donne sujet ou occasion aux autres de pĂ©chĂ© et de ruine par ses paroles et ses exemples, en abusant de sa puissance, car il n’y a rien qui provoque tant l’ire de Dieu, attire, entraĂźne mĂȘme les hommes Ă  pĂ©cher, que la lascivetĂ© des prĂ©lats, car si HĂ©li, le grand-prĂȘtre, fĂ»t demeurĂ© en la vigueur du sacerdoce et eĂ»t aimĂ© ses enfants spirituellement, comme jadis PhinĂ©es et MoĂŻse, toute sa gĂ©nĂ©ration eĂ»t Ă©tĂ© sauvĂ©e ; mais d’autant qu’il voulut plaire charnellement Ă  ses enfants, il laissa sa mĂ©moire en tribulation et sa postĂ©ritĂ© en confusion. 

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Chapitre 54. 

JĂ©sus-Christ dit que le monde Ă©tait comme une solitude, et il a illuminĂ© le monde et a montrĂ© le chemin du ciel. Il a envoyĂ© ce livre ; ceux qui le recevront et le garderont par Ɠuvre, seront sauvĂ©s.

La Sainte Vierge Marie parle Ă  sa fille, disant : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Fils ! Vous ĂȘtes le principe, sans principe du temps, et puissance sans laquelle nul n’est puissant. Je vous en prie, mon Fils, achevez puissamment ce que vous avez sagement commencĂ©.
Le Fils rĂ©pondit : Vous ĂȘtes comme un boisson douce Ă  celui qui a soif, et comme une fontaine arrosant les choses arides, d’autant que, par vous, tout grĂące fleurit. C’est pourquoi je ferai ce que vous demandez.

Le Fils parle encore : Le monde, avant mon incarnation, Ă©tait comme une solitude en laquelle il y avait un puits dont l’eau Ă©tait fort trouble et immonde. Tous ceux qui en buvaient avaient plus de soif, et ceux qui avaient mal aux yeux s’en trouvaient pis. AuprĂšs de ce puits, il y avait deux hommes, l’un desquels criait, disant : Buvez en assurance, car le mĂ©decin est venu qui ĂŽtera toutes les langueurs. L’autre disait : Buvez joyeusement. Il est vain et inutile de dĂ©sirer ce qui est incertain.

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Sept voies conduisaient Ă  ce puits, c’est pourquoi ce puits Ă©tait dĂ©sirĂ© de tous.  Ce monde est semblable Ă  la solitude, oĂč sont les bĂȘtes, les arbres infructueux et les eaux immondes ; car l’homme dĂ©sirait comme une bĂȘte Ă©pandre le sang de son prochain ; il Ă©tait infructueux Ăšs Ɠuvres de justice, et immonde par l’incontinence et cupiditĂ©. Les hommes cherchaient un puits trouble en cette solitude, qui Ă©tait l’amour du monde, et son honneur, qui est haut en orgueil, trouble en la sollicitude et soin de la chair, et par les sept pĂ©chĂ©s capitaux. L’entrĂ©e Ă©tait ouverte Ă  ce puits. Les deux hommes qui Ă©taient auprĂšs du puits sont les docteurs des Gentils et des Juifs, car les docteurs des Juifs Ă©taient orgueilleux de leur loi qu’ils avaient et qu’ils n’observaient pas ; et d’autant qu’ils Ă©taient 

infatigables en leur cupiditĂ©, ils incitaient le peuple Ă  chercher les richesses temporelles, disant : Vivez assurĂ©ment, car le Messie viendra, et il restituera toutes choses. Les docteurs des Gentils disaient : Usons des crĂ©atures que vous voyez, d’autant que le monde fut crĂ©Ă© pour nous rĂ©jouir. 

L’homme demeurant ainsi plongĂ© en son aveuglement, et ne considĂ©rant pas la grandeur divine ni les choses futures, lors moi, un avec le PĂšre et le Saint-Esprit, suis venu au monde, et m’étant revĂȘtu de l’humanitĂ©, je prĂȘchai, disant que ce que Dieu avait promis et que MoĂŻse avait Ă©crit, Ă©tait accompli. Aimez donc les choses cĂ©lestes, car les choses mondaines passent, et je donnerai les choses cĂ©lestes.

J’ai aussi montrĂ© sept voies par lesquelles l’homme se retire de la vanitĂ©, car j’ai montrĂ© la pauvretĂ© et l’obĂ©issance ;  j’ai enseignĂ© les jeĂ»nes et l’oraison ; je fuyais quelquefois les hommes et demeurais seul en priĂšre. J’ai embrassĂ© les opprobres ; j’ai choisi les douleurs et les labeurs ; j’ai soutenu les peines et la mort ignominieuse.

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Or, j’ai montrĂ© par moi-mĂȘme cette voie par laquelle mes amis marcheraient dĂšs longtemps ; mais maintenant cette voie est ruinĂ©e. Les gardiens dorment, les passants se plaisent aux vanitĂ©s et nouveautĂ©s, c’est pourquoi je me lĂšverai et ne me tairai pas. J’îterai la voix de la joie, et je louerai ma vigne Ă  d’autres, qui rendront les fruits en son temps. En vĂ©ritĂ©, selon la commune maxime, entre les ennemis se trouvent des amis : partant, j’enverrai Ă  mes amis mes paroles plus douces que le miel, plus prĂ©cieuses que l’or, et ceux qui les auront et les garderont, auront un trĂ©sor qui ne s’épuise jamais et qui s’augmente jusqu’à la vie Ă©ternelle. 

Chapitre 55.
 

 

La MĂšre de Dieu explique en ce chapitre de grandes choses touchant sa Conception.

Pour le jour de la Conception de la Vierge Marie.

La MĂšre de Dieu dit : Quand mon pĂšre et ma mĂšre s’unirent par le lien du mariage, l’obĂ©issance eut plus de pouvoir que la volontĂ© ; plus opĂ©ra lĂ  la charitĂ© divine que la voluptĂ© charnelle, car l’heure en laquelle je fus conçue se peut bien appeler heure dorĂ©e et prĂ©cieuse, d’autant que les autres mariĂ©s s’unissent par voluptĂ© charnelle, et mes parents s’unirent par obĂ©issance et par le commandement divin. Donc, ma conception a Ă©tĂ© Ă  bon droit dorĂ©e, car lors le principe de salut prit en quelque maniĂšre quelque commencement, et les tĂ©nĂšbres s’allaient rendre Ă  la lumiĂšre, car Dieu a voulu faire en son Ɠuvre une chose rare et signalĂ©e, qui a Ă©tĂ© cachĂ©e aux siĂšcles, comme il fit jadis en la verge
fleurissante. Mais sachez que ma conception n’a pas Ă©tĂ© connue de tous, car Dieu a voulu que, comme devant la loi Ă©crite, la loi naturelle procĂ©dĂąt, et le choix libre du bien et du mal, et qu’aprĂšs, la loi Ă©crite vĂźnt, qui retiendrait le frein Ă  tous les mouvements effrĂ©nĂ©s, de mĂȘme il a plu Ă  Dieu que ses amis aient doutĂ© pieusement de ma conception, afin qu’un chacun montrĂąt son zĂšle jusqu’à ce que la vĂ©ritĂ© parĂ»t au temps que la sagesse avait ordonnĂ© 

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Chapitre 56. 


La Sainte Vierge montre que sa Nativité est la porte des vraies joies, etc. Elle se plaint des femmes qui ne considÚrent cela avec dévotion.

Pour le jour de la NativitĂ©. 

La Sainte Vierge Marie parle : Quand ma mĂšre m’engendra, je sortis par la porte commune, car aucun ne doit naĂźtre par autre maniĂšre, exceptĂ© JĂ©sus-Christ, qui, Ă©tant le CrĂ©ateur de tout le monde, a voulu aussi naĂźtre admirablement et d’une maniĂšre tout ineffable. Mais quand je fus nĂ©e, les diables le surent et pensĂšrent en eux-mĂȘmes : Voici qu’une Vierge est nĂ©e, qu’est-ce que nous ferons, car il arrivera en elle quelque chose de grand ? Si nous lui appliquons tous les rets des finesses de notre malice, elle les rompra comme des Ă©toupes. Si nous regardons son intĂ©rieur, nous la trouverons grandement munie, ni on ne trouve en elle aucune tache oĂč on puisse mettre la pointe du pĂ©chĂ© : C’est pourquoi il est Ă  craindre que sa puretĂ© nous donnera de la peine, sa grĂące dissipera toute notre force, sa constance nous foulera Ă  ses pieds. 

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Or, les amis de Dieu, qui attendaient depuis longtemps, disaient, Dieu les inspirant : Pourquoi nous affligerons-nous davantage ? Il nous faut plutĂŽt rĂ©jouir, car la lumiĂšre qui illuminera nos tĂ©nĂšbres est nĂ©e ; nous dĂ©sirs sont accomplis. Les anges se rĂ©jouirent aussi, bien que leur joie soit toujours en la vision divine, disant : Quelque chose de dĂ©sirable est nĂ© en la terre, et c’est une merveille d’amour par laquelle la paix du ciel et de la terre sera affermie, et nos ruines seront rĂ©parĂ©es.

De vrai, ma fille, je vous dis que ma naissance fut le commencement des joies, car lors apparut cette verge d’oĂč est Ă©close la fleur que les rois et les prophĂštes dĂ©siraient voir. AprĂšs que j’ai Ă©tĂ© plus ĂągĂ©e et que j’ai pu comprendre mon CrĂ©ateur, j’ai Ă©tĂ© intimement touchĂ©e d’un amour indicible, et je dĂ©sirais Dieu de tout mon cƓur. J’ai Ă©tĂ© aussi conservĂ©e d’une grĂące admirable, en sorte qu’en mes jeunes et tendres annĂ©es, je ne consentais pas au pĂ©chĂ©, d’autant que l’amour de Dieu, le soin des parents, la nourriture et honnĂȘte Ă©ducation, la conservation des faveurs et la ferveur de connaĂźtre Ă©minemment Dieu, persĂ©vĂ©raient en moi.

Or, maintenant je me plains que les femmes qui sont engendrĂ©es et engendrent avec horreur, naissant avec immondices, se dĂ©lectent en icelles, et ne considĂšrent point la puretĂ© de ma naissance, mais sont pires que les juments, d’autant qu’elles vivent sans raison ; elles vivent de vrai selon la chair : c’est pourquoi leur voluptĂ© passera ; l’esprit de puretĂ© se retira ; les joies Ă©ternelles s’enfuiront d’elles ; l’esprit d’impuretĂ© qu’elles suivent les enivrera.

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Chapitre  57. 

La Vierge Marie dit à sainte Brigitte pourquoi elle se purifia, etc. et elle parle aussi du glaive qui transperça son cƓur.

Pour le jour de la Purification.

La Sainte Vierge Marie dit Ă  l’épouse de son Fils : Ma fille, sachez que je n’avais point besoin de purification comme les autres femmes, car mon Fils, qui est nĂ© de moi, m’avait purifiĂ©e, et je n’avais pas contractĂ© une des plus petites taches, lorsque j’engendrai mon Fils, qui est la puretĂ© mĂȘme. Mais nĂ©anmoins, afin que la loi et les prophĂštes fussent accomplis, j’ai voulu vivre en la loi, ni je ne vivais pas selon les apparents du siĂšcle, mais je conversais humblement avec les humbles. Je n’ai voulu avoir en moi quelque chose de particulier, tant j’aimais tout ce qui touchait l’humilitĂ© !

Un jour, comme aujourd’hui, ma douleur prit accroissement, car bien que je susse par l’inspiration divine que mon Fils pĂątirait, nĂ©anmoins, lorsque  SimĂ©on dit qu’il me serait le glaive de douleur et qu’il me serait le signe que l’on contredirait, cette douleur perça mon cƓur avec plus d’amertume, douleur, certes, qui ne se retira jamais de mon cƓur, jusqu'Ă  ce qu’en corps et en Ăąme je montai au ciel, bien qu’il fĂ»t tempĂ©rĂ© par les consolations du Saint-Esprit. Je veux que vous sachiez que, ce jour-lĂ , ma douleur fut en six maniĂšres :

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1- En ma connaissance, car autant de fois que je le regardai, que je l’emmaillotai, que je voyais ses mains et ses pieds, tout autant de fois mon esprit Ă©tait comme plongĂ© en une nouvelle douleur, car je pensais comment on le crucifierait.
2- En mon ouĂŻe, car tout autant de fois que j’oyais les opprobres qu’on vomissait contre mon Fils, les mensonges et les embĂ»ches, mon esprit Ă©tait comme emportĂ© par la douleur, de sorte qu’à grand peine il se pouvait tenir ; mais la vertu divine donna la maniĂšre et l’honnĂȘtetĂ©, afin qu’on ne remarquĂąt en moi rien d’imparfait.
3-  En la vue, car quand je vis qu’on fouettait mon Fils, qu’on le clouait, qu’on le pendait en un gibet, je tombai comme morte ; mais prenant courage, je demeurai auprĂšs, debout et souffrant tout cela si patiemment que mes ennemis ni autres ne trouvaient en moi que douleur.
4-  En l’attouchement, car moi et les autres descendĂźmes mon Fils de la croix ; je l’enveloppai et le mis dans le sĂ©pulcre, et de la sorte, ma douleur augmentait tellement qu’à peine mes mains et mes pieds avaient-ils la force de me soutenir. Oh ! que volontiers j’eusse voulu alors ĂȘtre ensevelie avec mon Fils !
5-  Je souffrais Ă  raison du dĂ©sir vĂ©hĂ©ment que j’avais d’aller au ciel, aprĂšs que mon Fils y fut montĂ©, car la longue demeure que je fis en terre aprĂšs son dĂ©part augmentait grandement ma douleur.
6-  Je souffrais de la tribulation des apĂŽtres et des amis de Dieu, la douleur desquels Ă©tait ma douleur, craignant toujours qu’ils ne succombassent aux tentations et tribulations, et dolente, d’autant que les paroles de mon Fils Ă©taient contrariĂ©es par tout. Or, bien que la grĂące de Dieu persĂ©vĂ©rĂąt toujours avec moi et que ma volontĂ© fĂ»t selon la sienne, nĂ©anmoins ma douleur fut continuelle, mĂȘlĂ©e avec la consolation, jusqu’à ce que je fusse au ciel, en corps et en Ăąme auprĂšs de mon Fils. Partant, ĂŽ ma fille, que cette douleur ne se retire jamais de votre cƓur, car sans les tribulations, peu de gens seraient sauvĂ©s. 

Chapitre  58. 

La Sainte Vierge parle Ă  sainte Brigitte des douleurs qu’elle eut quand il fallut fuir en Égypte. 

La Sainte Vierge Marie parle Ă  l’épouse de son Fils, disant : Je vous ai parlĂ© de mes douleurs ; mais la douleur que j’avais quand il fallut fuir en Égypte avec mon Fils ne fut pas des moindres, ni quand j’ouĂŻs qu’on tuait les enfants innocents, qu’HĂ©rode poursuivait mon Fils ; et bien que je susse ce qui Ă©tait Ă©crit de mon Fils, nĂ©anmoins mon cƓur, Ă  raison de la grandeur de l’amour que j’avais envers mon Fils, Ă©tait rempli de douleur et d’amertume. Or, maintenant, vous me pourriez demander qu’est-ce que fit mon Fils tout ce temps-lĂ  avant sa passion. Je rĂ©ponds comme l’Évangile : Il Ă©tait soumis Ă  ses parents, et il se gouverna comme les autres enfants, jusqu’à ce qu’il fĂ»t arrivĂ© Ă  un grand Ăąge. Il fit des merveilles en sa jeunesse, montrant comment les crĂ©atures servaient leur CrĂ©ateur. Comment les idoles se turent et comment plusieurs idoles tombĂšrent Ă  son arrivĂ©e en Égypte ; comment les Mages prĂ©dirent que mon Fils serait le signe de grandes choses futures ; comment aussi le ministĂšre des anges apparut ; comment il n’apparut jamais en son corps ni en ses cheveux aucune immondice, il n’est pas besoin que vous sachiez toutes ces choses, puisqu’en l’Évangile, il y a des signes de la DivinitĂ© et humanitĂ© qui peuvent Ă©difier vous et les autres.

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Or, quand il eut  atteint un plus grand Ăąge, il Ă©tait continuellement en la priĂšre et obĂ©issance. Il monta avec nous aux fĂȘtes ordonnĂ©es en JĂ©rusalem et en autres lieux ; sa vue et sa parole Ă©taient agrĂ©ables et admirables, de sorte que plusieurs qui Ă©taient affligĂ©s disaient : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolĂ©s. Et augmentant en Ăąge et sagesse dont il Ă©tait plein dĂšs le commencement, il travaillait de ses mains tout ce en quoi dĂ©cence n’était point lĂ©sĂ©e ; il nous parlait, nous disait en particulier des paroles de consolation et des discours de Dieu, de sorte que nous Ă©tions remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de la pauvretĂ© nous assaillaient, il ne nous faisait point de l’or ni de l’argent, mais il nous exhortait Ă  la patience, et il nous dĂ©fendit et nous protĂ©gea des envieux. Quant aux nĂ©cessitĂ©s, les gens de bien et notre propre travail nous y aidaient, de sorte que nous Ă©tions seulement secourus pour la seule nĂ©cessitĂ© sans superfluitĂ© aucune, car nous ne cherchions qu’à servir Dieu. AprĂšs cela, il confĂ©rait familiĂšrement en la maison avec ceux qui venaient voir pour les difficultĂ©s de la loi et signification des figures, et disputait publiquement quelquefois avec les sages, de sorte qu’ils admiraient et disaient : Voici que le fils de Joseph enseigne les maĂźtres : quelque grand esprit parle en lui.

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Un jour, j’étais plongĂ©e en la considĂ©ration de sa passion ;  j’en Ă©tais saisie de tristesse. Il dit : Ne croyez-vous pas, ma MĂšre, que je suis en mon PĂšre et que mon PĂšre est en moi ? Quoi ! avez-vous Ă©tĂ© polluĂ©e en mon entrĂ©e et en ma sortie ? avez-vous Ă©tĂ© triste ? Pourquoi donc vous affligez-vous ? car la volontĂ© de mon PĂšre veut que je souffre la mort, voire ma volontĂ© est telle avec celle de mon PĂšre. Ce que j’ai de mon PĂšre ne peut pas pĂątir, mais bien la chair que j’aie reçue de vous, afin que la chair d’autrui soit rachetĂ©e et que l’esprit soit sauvĂ©. Il Ă©tait aussi si obĂ©issant que quand Joseph lui disait quelquefois sans y penser : Faites cela ou cela, il le faisait, et de la sorte, il cachait la puissance de sa DivinitĂ©, que Joseph et moi Ă©tions seuls Ă  connaĂźtre, d’autant que nous l’avons vu souvent entourĂ© d’une lumiĂšre admirable, et avons ouĂŻ les voix et concerts des anges qui chantaient sur lui. Nous avons aussi vu les esprits immondes qui n’avaient pu ĂȘtre chassĂ©s par les exorcistes approuvĂ©s en notre loi, sortir Ă  la vue de mon Fils.

Que ces choses soient continuellement en votre mĂ©moire, et remerciez Dieu d’avoir voulu manifester par vous son enfance.

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Chapitre  59.

La Sainte Vierge raconte à sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Élisabeth, etc.

La MĂšre  de Dieu dit Ă  sainte Brigitte : Quand l’ange m’annonçait que le Fils de Dieu naĂźtrait de moi, soudain que j’eus consenti, je ressentis en moi quelque chose d’admirable et d’inaccoutumĂ© ; et partant, admirant cela, soudain je montai, afin de la consoler, Ă  sainte Élisabeth, ma cousine, qui Ă©tait enceinte, et pour parler avec elle de ce que l’ange m’avait dit ; mais m’étant venue au-devant auprĂšs d’une fontaine, et nous Ă©tant baissĂ©es et embrassĂ©es, son enfant se rĂ©jouit en son ventre d’une maniĂšre admirable. Je fus alors touchĂ©e en mon cƓur d’un nouveau ressentiment de joie, de sorte que ma langue profĂ©rait des paroles de Dieu incomprĂ©hensibles, et Ă  grand peine mon Ăąme les comprenait-elle, tant elle Ă©tait dans les ressentiments de la joie !

Or, Élisabeth admirant la ferveur de l’Esprit qui parlait en moi, et moi admirant semblablement en elle la grĂące de Dieu, nous demeurĂąmes quelques jours ensemble, bĂ©nissant Dieu. AprĂšs cela, une pensĂ©e commença Ă  solliciter mon esprit avec quelle dĂ©votion et comment je me devais gouverner aprĂšs avoir reçu une si grande grĂące ; qu’est-ce que je devais rĂ©pondre Ă  ceux qui me demanderaient comment j’aurais conçu, ou qui Ă©tait le pĂšre de l’enfant qui devait naĂźtre, ou que dirais-je Ă  Joseph, si l’ennemi le tentait et entrait en soupçon de moi.

Pendant que ces pensĂ©es roulaient en mon esprit, un ange, semblable Ă  celui qui m’était apparu auparavant, me dit : Notre Dieu, qui est Ă©ternel, est avec vous et en vous : ne craignez donc, car lui vous donnera la grĂące de parler ; il dirigera vos pas et vos lieux ; il accomplira son Ɠuvre avec vous puissamment et sagement. Or, Joseph, Ă  qui vous ĂȘtes recommandĂ©e, s’étonnera quand il apprendra que vous ĂȘtes enceinte, et se rĂ©putera indigne d’habiter avec vous.

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Et comme Joseph Ă©tait en anxiĂ©tĂ© et ne savait ce qu’il fallait faire, l’ange lui dis dans son sommeil : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandĂ©e, car comme vous l’avez ouĂŻ d’elle, ainsi est-il, car elle a conçu de l’Esprit de Dieu, et elle enfantera un Fils qui sera le Sauveur du monde. Servez-la donc fidĂšlement, et soyez tĂ©moin et gardien de sa pudeur.

Depuis ce jour-lĂ , Joseph me servit comme sa maĂźtresse, et moi je m’humiliai aux plus petites de ses Ɠuvres. AprĂšs, j’étais en continuelle oraison, Ă©tant rarement vue, voyant rarement, et sortant trĂšs-rarement, si ce n’était aux fĂȘtes principales. J’étais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prĂȘtres disaient, ayant quelque temps destinĂ© aux Ɠuvres manuelles. Je fus discrĂšte au jeĂ»ne, selon qui ma nature le pouvait supporter pour le service de Dieu. Tout ce que nous avions de superflu, nous le donnions aux pauvres, contents de ce que nous avions. Mais Joseph me servit si fidĂšlement qu’on n’ouĂŻt jamais de sa bouche une parole de cajolerie murmure, jamais courroux, car il Ă©tait trĂšs-patient en la pauvretĂ©, soigneux en son labeur oĂč il Ă©tait nĂ©cessaire, doux Ă  ceux qu’il reprenait, obĂ©issant Ă  mon service, prompt dĂ©fenseur de ma virginitĂ©, trĂšs-fidĂšle tĂ©moin des merveilles de Dieu. Il Ă©tait aussi tellement mort au monde et Ă  la chair qu’il ne dĂ©sirait que les choses cĂ©lestes. Il Ă©tait aussi si croyant aux promesses de Dieu qu’il disait incessamment : PlĂ»t Ă  Dieu que je vive, et que je vive, et que je voie les volontĂ©s de Dieu accomplies ! car rarement venait-il aux assemblĂ©es des hommes et a leurs conseils, car tout son dĂ©sir fut d’obĂ©ir aux volontĂ©s divines, c’est pourquoi sa gloire est maintenant grande.

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Chapitre  60. 

La MĂšre de Dieu dit Ă  l’épouse de son Fils que saint JĂ©rĂŽme ne douta point de son assomption au ciel, etc. 

La MĂšre de Dieu parla Ă  sainte Brigitte : Que vous a dit ce docteur, inventeur de paroles, que l’épĂźtre de saint JĂ©rĂŽme qui parle de mon assomption ne doit ĂȘtre lue en l’Église de Dieu, d’autant qu’il lui semble que saint JĂ©rĂŽme douta de mon assomption au ciel, d’autant qu’il dit qu’il ne sait pas si je suis montĂ©e au ciel en corps et en Ăąme, ou par qui j’ai Ă©tĂ© portĂ©e, moi, MĂšre de Dieu ?

Je rĂ©ponds Ă  ce docteur et dis que saint JĂ©rĂŽme ne douta point de mon assomption ; mais d’autant que Dieu ne lui avait point dĂ©clarĂ© ouvertement la vĂ©ritĂ©, il voulut plutĂŽt en douter pieusement que la dĂ©finir, Dieu ne l’ayant point montrĂ©e. Mais souvenez-vous, ma fille, de ce que je vous ai dit ci-dessus, que saint JĂ©rĂŽme aimait les veuves, imitateur des moines parfaits, asserteur et dĂ©fenseur de la vĂ©ritĂ©, qui vous a aussi mĂ©ritĂ© l’oraison avec laquelle vous  me saluez. Partant, j’ajoute maintenant que saint JĂ©rĂŽme fut une trompette flĂ©chissante par laquelle parlait le Saint-Esprit, et la flamme embrassĂ©e de ce feu qui vint sur moi et sur les apĂŽtres le jour de la PentecĂŽte. Heureux donc sont ceux qui oient cette trompette et la suivent !

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Chapitre  61. 

La MĂšre de Dieu montre en ce chapitre pourquoi elle vĂ©cut longtemps aprĂšs l’ascension de son Fils.

La MĂšre de Dieu parle, disant : Souvenez-vous, ma fille, que quatre fois j’excusai saint JĂ©rĂŽme discourant de mon assomption. Or, maintenant, je vous montrerai la vĂ©ritĂ© de mon assomption.

J’ai vĂ©cu longtemps aprĂšs l’ascension de mon Fils, et Dieu l’a voulu, afin que les Ăąmes fussent converties Ă  Dieu, ayant vu ma patience invisible et le rĂšglement de mes mƓurs, que mes apĂŽtres et mes Ă©lus fussent affermis. Et de fait aussi, la naturelle disposition de mon corps requĂ©rait que je vĂ©cusse durement, afin que ma couronne fĂ»t augmentĂ©e, car tout le temps que j’ai vĂ©cu aprĂšs l’ascension de mon Fils, j’ai visitĂ© les lieux oĂč il a pĂąti et oĂč il a manifestĂ© ses merveilles, aussi sa passion Ă©tait empreinte dans mon cƓur. Mes sens aussi Ă©taient abstraits et retirĂ©s de ce qui est du monde, d’autant que j’étais incessamment enflammĂ©e de nouveaux dĂ©sirs, et rĂ©ciproquement exercĂ©e par des douleurs ; mais nĂ©anmoins, ma douleur et ma joie Ă©taient si tempĂ©rĂ©es que je n’omettais rien de ce qui touchait le service de Dieu. Je conversais aussi parmi les hommes, et je prenais bien peu de ce qui plaisait aux hommes. Mais d’autant que mon assomption n’a Ă©tĂ© connue Ă  plusieurs et prĂȘchĂ©e de par Dieu, qui est mon Fils, il l’a voulu de la sorte, afin que la foi de son ascension fĂ»t enracinĂ©e dans les cƓurs des hommes, car les hommes Ă©taient endurcis en la crĂ©ance de son ascension, combien plus si mon assomption eĂ»t Ă©tĂ© prĂȘchĂ©e dĂšs le commencement ! 

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Chapitre  62. 

La Sainte Vierge narre à sainte Brigitte l’annonciation que l’ange lui fit de sa mort, et ce qui advint aprùs.

La MĂšre de Dieu parle, disant : Un jour, aprĂšs que quelques annĂ©es se furent Ă©coulĂ©es de l’ascension de mon Fils, je m’affligeais beaucoup Ă  raison du dĂ©sir que j’avais d’arriver dans le ciel pour voir mon Fils. Je vis un ange reluisant, comme je l’avais vu auparavant, qui me dit : Votre Fils, qui est Dieu et notre Seigneur, m’envoie pour vous annoncer que le temps est arrivĂ© oĂč vous devez venir corporellement Ă  votre Fils, pour recevoir la couronne qui vous est prĂ©parĂ©e.

Je lui rĂ©pondis : connaissez-vous le jour et l’heure oĂč je dois m’en aller de ce monde en l’autre ?

Et l’ange rĂ©pondit : Les amis de votre Fils enseveliront votre corps.

Ces choses Ă©tant dites, l’ange disparut, et moi, je me prĂ©parai Ă  l’issue, visitant tous les lieux, Ă  mon accoutumĂ©e, oĂč mon Fils avait souffert. Un jour, mon esprit Ă©tant suspens en l’admiration de la divine charitĂ©, lors mon Ăąme fut remplie, en cette contemplation, de tant de plaisirs, qu’à grand peine mon Ăąme les pouvait soutenir, et en cette contemplation et joie, mon Ăąme fut sĂ©parĂ©e de mon corps. Mais hĂ©las ! que de choses magnifiques mon Ăąme vit alors, et de quel honneur le PĂšre, le Fils et le Saint-Esprit l’accueillirent, et de quelle multitude d’anges elle fut Ă©levĂ©e, vous ne le pouvez comprendre, et moi, je ne le puis exprimer, sans que votre Ăąme soit aussi sĂ©parĂ©e de votre corps, bien que je vous en aie montrĂ© quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirĂ©e.

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Or, ceux qui Ă©taient lors avec moi en la maison quand je rendis l’esprit, comprirent fort bien, par la lumiĂšre non accoutumĂ©e, quelles choses divines agissaient lors en moi. AprĂšs cela, les amis de mon Fils, envoyĂ©s divinement, ensevelirent mon corps en la vallĂ©e de Josaphat, avec lesquels il y avait une infinitĂ© d’anges comme des atomes du soleil. Mais les malins esprits n’osaient s’en approcher. Mon corps demeura quelques jours en terre, et aprĂšs, il fut ravi et emportĂ© au ciel par une grande multitude d’anges. Ce temps n’est pas sans grand mystĂšre, d’autant qu’à la septiĂšme heure sera la rĂ©surrection des morts, et Ă  la huitiĂšme, la bĂ©atitude des Ăąmes et des corps sera accomplie.

La premiĂšre heure fut depuis le commencement du monde jusques Ă  ce temps oĂč la loi Ă©tait donnĂ©e par MoĂŻse.

La deuxiùme, depuis Moïse jusques à l’incarnation de mon Fils.

La troisiĂšme fut quand mon Fils institua le baptĂȘme et adoucit la rigueur de la loi.

La quatriĂšme, quand il prĂȘchait par la parole et confirmait son dire par exemple.

La  cinquiĂšme, quand mon Fils voulut pĂątir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa rĂ©surrection par plusieurs miracles.

La sixiĂšme, quand il monta au ciel et envoya le Saint-Esprit.

La septiĂšme sera quand il viendra en jugement, et que tous sortiront pour aller au jugement. 

La huitiĂšme, quand tout ce qui a Ă©tĂ© promis et prophĂ©tisĂ© sera arrivĂ© ; et lors la bĂ©atitude sera parfaite ; lors on verra Dieu en sa gloire, et les saints resplendiront comme des soleils, et il n’y aura plus de douleurs. 

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Chapitre 63.

En ce chapitre, Notre-Seigneur donne des paroles Ă  son Ă©pouse, pour les envoyer au pape ClĂ©ment, pour faire la paix entre le roi de France et d’Angleterre.

Le Fils de Dieu parle Ă  l’épouse sainte Brigitte, lui disant : Ecrivez de ma part au pape ClĂ©ment (sans doute ClĂ©ment VI, l'an 1352) ces paroles : Je vous ai exaltĂ© et vous ai fait monter par-dessus tous les degrĂ©s d’honneur : sortez donc pour faire la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre (Philippe de Valois et Edouard III), qui sont des bĂȘtes pĂ©rilleuses et les pertes des Ăąmes. Venez aprĂšs en Italie, et annoncez lĂ  la parole et l’an de salut et de la dĂ©lectation divine, et voyez la place et les carrefours arrosĂ©s du sang de mes martyrs, et je vous donnerai la rĂ©compense qui ne finit jamais. ConsidĂ©rez aussi le temps passĂ©, oĂč vous m’avez provoquĂ© Ă  la colĂšre avec effronterie, et je l’ai tu, oĂč vous avec fait ce que vous avez voulu et ne deviez pas faire, et moi, comme ne jugeant point, j’ai eu patience, car mon temps s’approche, et je demanderai vos nĂ©gligences et l’audace de votre temps ; et comme je vous ai fait monter par tous les degrĂ©s, de mĂȘme descendrez-vous par tous les degrĂ©s spirituels, lesquels vous expĂ©rimenterez au corps et en l’esprit, si vous n’obĂ©issez Ă  mes paroles ; et votre langue gardera le silence des grandes choses, et votre nom, qui est grand en terre, sera en oubli devant moi et en opprobre devant mes saints.

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Je demanderai encore de vous combien indignement vous ĂȘtes montĂ© Ă  tous ces degrĂ©s d’honneur, quoique j’aie permis ce que je sais et ce que votre conscience nĂ©gligente a oubliĂ©. J’exigerai encore de vous combien froid vous avez Ă©tĂ© Ă  former la paix des rois, et combien vous avez penchĂ© en la partie contraire. D’ailleurs, je n’oublierai point combien l’ambition a Ă©tĂ© grande et la cupiditĂ© insatiable en l’Eglise, et a augmentĂ© de votre temps, ce que vous pouviez beaucoup rĂ©former et amender ; mais vous, qui aimez la chair, n’avez voulu.

Sortez donc, avant que la derniĂšre heure qui s’approche, vous surprenne, et Ă©teignez en ce temps, par le zĂšle, les nĂ©gligences du passĂ©. Que si vous doutez de quel esprit ces paroles sont, le royaume et la personne vous sont connus oĂč ont Ă©tĂ© opĂ©rĂ©s les merveilles et les prodiges. La justice et la misĂ©ricorde s’approchent par toute la terre. Votre conscience dit que ce que je vous dis est raisonnable, et charitĂ© ce que je vous conseille ; et si ma patience ne vous eĂ»t conservĂ©, vous fussiez descendu plus bas que vous prĂ©dĂ©cesseurs. Partant, fouillez au livre de votre conscience, et voyez si je vous dis la vĂ©ritĂ©.

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Chapitre 64. 

JĂ©sus-Christ menace les pĂ©cheurs qui, ayant oubliĂ© les pĂ©chĂ©s passĂ©s et les voies de Dieu, vivent avec trop d’assurance. Dieu leur pardonne, s’ils s’amendent.

Le Fils de Dieu parle, disant Ă  sainte Brigitte : Ne vous attendez pas Ă  ces  dĂ©bauchĂ©s, car je viendrai bientĂŽt Ă  eux, non comme ami, mais comme celui qui prendra vengeance d’eux. Malheur Ă  eux, car en leur temps de paix, ils n’ont pas voulu chercher le bien Ă©ternel ! Je vois que de leur race sont sortis des hommes d’amertume, qui ont moissonnĂ© le fruit de vanitĂ© et de leur cupiditĂ©, c’est pourquoi ils descendront maintenant. La pauvretĂ©, la captivitĂ©, la honte, l’humiliation et la douleur, vous assailleront, mais ceux qui s’humilieront trouveront grĂące devant mes yeux. 

Chapitre 65.

Notre-Seigneur donne en ce chapitre Ă  sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.

Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparĂ©es, l’une Ă  Marthe, l’autre Ă  MagdelĂšne : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premiĂšrement une pure confession de tous ses pĂ©chĂ©s, s’excitant Ă  une vraie contrition et rĂ©solution de ne plus pĂ©cher Ă  l’avenir.

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La premiĂšre vie que je tĂ©moigne que Marie a embrassĂ©e, conduit Ă  la contemplation des choses cĂ©lestes, car celle-lĂ  est la meilleure part de la vie Ă©ternelle. A celui donc qui dĂ©sire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir seulement les nĂ©cessitĂ©s corporelles, savoir, des vĂȘtements sans ostentation, le boire et le manger avec sobriĂ©tĂ©, et non en superfluitĂ©, la chastetĂ© sans aucune mauvaise dĂ©lectation, et qu’il garde les jeĂ»nes selon les constitutions de l’Église. Or, que celui qui jeĂ»ne prenne garde de n’ĂȘtre malade par l’excĂšs de quelque jeĂ»ne, et que ce jeĂ»ne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les prĂ©dications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien Ă  raison de cela, qui puisse profiter Ă  soi ou Ă  son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde que le jeĂ»ne ne le rende lĂąche Ă  la rigueur de la justice, ou paresseux aux Ɠuvres de piĂ©tĂ©, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les rebelles et pour assujettir les infidĂšles. Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeĂ»ner pour l’honneur de Dieu que manger, aura Ă©gale rĂ©compense Ă  raison de sa bonne volontĂ©, comme celui qui jeĂ»ne, Ă©mu de charitĂ© : semblablement celui qui mange par obĂ©issance, voulant plus jeĂ»ner que manger, aura la mĂȘme rĂ©compense que celui qui jeune.

En deuxiĂšme lieu, Marie ne doit se rĂ©jouir de l’honneur du monde ni de ses prospĂ©ritĂ©s,  ni s’affliger des adversitĂ©s, mais qu’elle se rĂ©jouisse seulement en cela que les impies deviennent dĂ©vots, que les amateurs du monde aiment Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent plus dĂ©vots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pĂȘcheurs tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimĂ© de sa crĂ©ature et que le commandement de Dieu soit mĂ©prisĂ©.

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En troisiĂšme lieu, Marie ne doit point ĂȘtre oisive, ni Marthe, mais que le sommeil Ă©tant achevĂ©, elle se lĂšve et remercie Dieu de bon cƓur, d’autant que, par sa bontĂ© et son amour, il a crĂ©Ă© toutes choses, montrant, par sa passion et par sa mort, l’amour qu’il portait Ă  l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais d’égal.

Que Marie rende encore grĂąces Ă  Dieu pour tous ceux qui ont Ă©tĂ© sauvĂ©s, pour tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu qu’il ne permette  qu’ils soient tentĂ©s par-dessus leurs forces. Que Marie soit aussi discrĂšte en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin que tout soit rĂ©glĂ©, car si elle a les nĂ©cessitĂ©s de la vie en la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dĂ©goĂ»te en priant et que les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains Ă  quelque ouvrage honnĂȘte, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dĂ©goĂ»te en l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnĂȘte ou Ă©couter des paroles d’édification avec toute honnĂȘtetĂ©, sans aucune cajolerie, jusques Ă  ce que le corps et l’ñme se rendent plus habiles Ă  l’Ɠuvre de Dieu.

Que si Marie n’a point ce qui est nĂ©cessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, Ă  raison de l’Ɠuvre nĂ©cessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de mendier, mais qu’elle se rĂ©jouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette Ă  l’obĂ©issance, qu’elle vive selon l’obĂ©issance de son prĂ©lat, et sa couronne lui sera redoublĂ©e plus que si elle Ă©tait en libertĂ©.

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En quatriĂšme lieu, Marie ne doit point ĂȘtre avare, ni aussi Marthe, ni aussi elle ne doit ĂȘtre trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour de  Dieu, de mĂȘme Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chĂšrement Dieu dans son cƓur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon Ăąme, que m’importent les Ɠuvres du prochain ? ou si je suis bien, que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur ami ĂȘtre dĂ©shonorĂ© et affligĂ©, ils y courraient jusques Ă  la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de mĂȘme, car elle doit ĂȘtre marrie que Dieu soit offensĂ©, que son frĂšre, qui est le prochain, soit scandalisĂ© ; ou si quelqu’un tombe en pĂ©chĂ©, que Marie, s’efforce autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrĂ©tion nĂ©anmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assurĂ©, car moi, Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une citĂ©, fuyez en une autre, car Paul en fit de mĂȘme, d’autant qu’il Ă©tait nĂ©cessaire pour un autre temps, c’est pourquoi, il a Ă©tĂ© mis dehors en une corbeille par la muraille.

Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nĂ©cessaires : 

1. la maison en laquelle dorment les hĂŽtes ; 

2. les vĂȘtements pour vĂȘtir les nus ; 

3. la viande pour les malades, c’est-Ă -dire, paroles de consolation avec la charitĂ© divine.

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La maison du Marie est son cƓur, les mauvais hĂŽtes duquel sont tout ce qui trouble ce cƓur, savoir, ire, tristesse, cupiditĂ©, superbe et autres choses semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent ĂȘtre ou gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hĂŽtes avec patience, de mĂȘme Marie doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cƓur autant qu’elle pourra avec la grĂące de Dieu. Que si elle ne les peut chasser, qu’elle les souffre patiemment contre sa volontĂ©, comme des hĂŽtes, sachant pour certains qu’ils lui profitent Ă  de plus grandes couronnes, et non Ă  damnation.

Marie a des vĂȘtements pour couvrir les hĂŽtes, savoir, l’humilitĂ© intĂ©rieure et extĂ©rieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si Marie est mĂ©prisĂ©e des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant comme moi, Dieu, Ă©tait content, et Ă©tant mĂ©prisĂ©, je souffrais patiemment, et comme Ă©tant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouettĂ© et couronnĂ© d’épines. 

Que Marie considĂšre aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience Ă  ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bĂ©nisse ceux qui la poursuivent, afin que ceux qui la voient bĂ©nissent Dieu. 

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Que Marie imite, et Dieu lui donnera bĂ©nĂ©diction pour la malĂ©diction. Que Marie se donne encore garde qu’elle ne mĂ©dise ou impropĂšre ceux qui lui sont fĂącheux, car c’est une chose damnable de mĂ©dire et d’écouter les mĂ©disants et d’injurier le prochain par impatience. 

Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilitĂ© et de patience parfaite ; qu’elle tĂąche d'avertir ceux qui mĂ©disent d’autrui, et leur marque le danger dans lequel ils se prĂ©cipitent, et qu’avec charitĂ©, elle les porte Ă  la vraie humilitĂ©, employant Ă  cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vĂȘtement de Marie doit ĂȘtre la compassion, car si elle voit que son prochain pĂšche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit qu’il souffre les injures, dommages, mĂ©pris, qu’elle en ait douleur avec lui ; qu’elle l’aide par ses priĂšres, secours, et de soin, mĂȘme parmi les puissants du siĂšcle, car la vraie compassion ne cherche point ses intĂ©rĂȘts, mais bien ceux de son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les affligĂ©s, et Dieu, qui est celui qui regarde le cƓur, convertira le cƓur des hommes pour la paix de l’affligĂ©, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la supporter, et afin que sa couronne soit redoublĂ©e. Telle doit donc ĂȘtre la robe d’humilitĂ© au cƓur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le cƓur que l’humilitĂ© et la compassion du prochain.

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3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hĂŽtes, car dans le cƓur de Marie sont logĂ©s de grands hĂŽtes, savoir : quand le cƓur est ravi au dehors et appĂšte des choses dĂ©lectables, avoir les choses terrestres, possĂ©der les temporelles ; quand l’oreille dĂ©sire ouĂŻr ses propres louanges ; quand la chair dĂ©sire ses appĂ©tits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilitĂ© et diminue ses fautes ; quand le dĂ©goĂ»t des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes Ɠuvres ; quand elle croit que ses maux soient petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hĂŽtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animĂ©e par la foi, se lĂšve fortement, et qu’elle rĂ©ponde en cette sorte Ă  ces hĂŽtes : Moi, je ne veux rien possĂ©der du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps Ă  l’honneur de Dieu ; je ne veux point occuper mon esprit Ă  ce qui est beau ou laid, utile ou inutile Ă  la chair, ce qui est Ă  goĂ»t ou Ă  dĂ©goĂ»t, si ce n’est autant que cela plaĂźt Ă  Dieu et touche Ă  l’utilitĂ© de l’ñme. Certes, je ne me saurais plaire Ă  vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volontĂ© est la viande des hĂŽtes, et une telle rĂ©ponse Ă©teint les dĂ©lectations dĂ©rĂ©glĂ©es.

4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hĂŽtes et pour les Ă©clairer. Ce feu est l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entiĂšrement renoncer Ă  ses propres volontĂ©s, ou aux affections charnelles de ses parents, ou Ă  l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni mĂȘme Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.

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Afin donc que Marie reluise aux hĂŽtes qui arriveront, qu’elle pense Ă  ceci : Dieu m’a crĂ©Ă©e afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant, je l’aimasse avec crainte. Il est aussi nĂ© de la Vierge, afin de m’enseigner la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilitĂ©. Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse lĂ  en y allant. Que Marie examine encore toutes ses Ɠuvres, pensĂ©es et affections, savoir, comment elle a offensĂ©  Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de maniĂšres Dieu appelle l’homme Ă  soi.

Telles ou semblables pensĂ©es sont les hĂŽtes de Marie, qui sont quasi en tĂ©nĂšbres, s’ils ne sont illuminĂ©s par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au cƓur, quand Marie considĂšre qu’il est raisonnable de servir Dieu, quand elle voudrait plutĂŽt souffrir toute autre peine que provoquer Ă  dessein Dieu Ă  la colĂšre, par la bontĂ© duquel l’ñme est crĂ©Ă©e et rachetĂ©e de son prĂ©cieux sang. Lors aussi le cƓur reçoit la lumiĂšre de ce bon feu, quand l’ñme considĂšre et discerne pour quelle intention l’hĂŽte vient, c’est-Ă -dire, une chacune des pensĂ©es, quand elle examine si sa pensĂ©e tend Ă  la joie Ă©ternelle ou Ă  la joie passagĂšre, si elle n’admet aucune pensĂ©e sans l’avoir reconnue, et nulle sans punition.

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Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservĂ©, il est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-Ă -dire, elle doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les Ɠuvres de piĂ©tĂ© et les oraisons dĂ©votes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaĂźt et se dĂ©lecte. Mais il faut prendre garde et considĂ©rer que lĂ  oĂč le feu est allumĂ© en un vase bouchĂ© sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit : de mĂȘme en est-il quand il est expĂ©dient Ă  Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussĂ© par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour Ă  Dieu. Mais que Marie prenne diligemment garde que lĂ  elle ouvre la bouche de sa prĂ©dication, oĂč les bons deviennent fervents et oĂč les mauvais se rendent bons, oĂč la justice peut ĂȘtre augmentĂ©e et oĂč les coutumes dĂ©pravĂ©es peuvent ĂȘtre abolies, car Paul, mon apĂŽtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui dĂ©fendit, qui le fit parler et se taire Ă  propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui profĂ©ra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la foi.

Que Marie, si elle ne peut prĂȘcher, en ayant nĂ©anmoins la volontĂ© et la science, fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa taniĂšre lĂ  oĂč il trouve le plus de repos : de mĂȘme que Marie prenne garde Ă  ses paroles, Ă  ses exemples et aux oraisons du cƓur de plusieurs, et quand elle trouve des cƓurs disposĂ©s Ă  recevoir la parole divine, qu’elle demeure lĂ , persuadant et conseillant tout ce qu’elle pourra.

Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnĂ©e Ă  sa flamme, car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminĂ©s et enflammĂ©s. Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blĂąme ni ne cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversitĂ© ni ne s’attache point Ă  la prospĂ©ritĂ© ; et lors elle est plus acceptable Ă  Dieu, quand Marie fait plutĂŽt les bonnes Ɠuvres en public qu’en particulier, de sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.

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Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public, l’autre en cachette, c’est-Ă -dire, elle doit avoir deux sortes d’humilitĂ© : l’une intĂ©rieure, dans le cƓur, l’autre extĂ©rieure.

La premiĂšre consiste Ă  ce que Marie s’estime indigne et inutile Ă  tout bien, et qu’elle ne se prĂ©fĂšre Ă  pas un, ni ne veuille ĂȘtre louĂ©e ; qu’elle ne dĂ©sire ĂȘtre vue et qu’elle fuie l’arrogance, dĂ©sirant et aimant Dieu sur toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes Ɠuvres, lors son cƓur sera illuminĂ©, et elle surmontera toutes les adversitĂ©s et les supportera facilement.

En deuxiĂšme lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilitĂ© dans le cƓur, elle doit paraĂźtre dans le vĂȘtement, ĂȘtre ouĂŻe en la bouche et ĂȘtre accomplie en l’Ɠuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilitĂ© est dans les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus d’utilitĂ© et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelĂ©e vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide Ă  l’humilitĂ© ; mais la robe qui est de grand prix est appelĂ©e belle devant les hommes et vile devant Dieu, d’autant qu’elle ĂŽte la beautĂ© des anges, qui est l’humilitĂ©. Que si Marie est obligĂ©e d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volontĂ©, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de lĂ  ses rĂ©compenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilitĂ© en la bouche, savoir, parlant humblement et de choses humbles, Ă©vitant les cajoleries, se gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les prĂ©fĂ©rant aux autres

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Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne Ɠuvre, qu’elle ne s’élĂšve point, mais qu’elle dise : Louange soit Ă  Dieu, qui a donnĂ© toutes choses ! car que suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on attendre de moi, qui suis une terre sĂšche et sans eau ? Que si elle est blĂąmĂ©e, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela, car j’ai tant de fois pĂ©chĂ© contre Dieu et n’en ai point fait pĂ©nitence, que je mĂ©rite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolĂ©rant les opprobres temporels, j’évite les Ă©ternels.

Que si Marie est provoquĂ©e Ă  colĂšre par la mĂ©chancetĂ© du prochain, elle se garde de dire des paroles d’indiscrĂ©tion, car la colĂšre est souvent accompagnĂ©e de la superbe : partant, le conseil veut que, la colĂšre la pressant, elle contienne sa langue jusques Ă  ce qu’elle puisse demander Ă  Dieu la grĂące de pĂątir, et de dĂ©libĂ©rer avec paix sur ce qu’elle doit rĂ©pondre et comment, afin qu’elle puisse se surmonter elle-mĂȘme, car lors la colĂšre est adoucie dans son cƓur, et lors l’homme rĂ©pond sagement aux fous.

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Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empĂȘcher par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite Ă  la colĂšre, ou Ă  s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire : partant, que Marie demande toujours Ă  Dieu le secours ; que toutes ses paroles et ses Ɠuvres soient gouvernĂ©es par lui et dirigĂ©es vers lui. D’ailleurs, que Marie ait l’humilitĂ© en ses Ɠuvres, afin qu’elle ne fasse rien pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilitĂ© ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularitĂ©, qu’elle dĂ©fĂšre Ă  tous, qu’elle se rĂ©pute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie Ă©lise plutĂŽt d’ĂȘtre avec les pauvres qu’avec les riches, d’obĂ©ir plutĂŽt que de commander, de se taire que de parler, d’ĂȘtre plutĂŽt solitaire que d’ĂȘtre avec les grands, et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volontĂ© ; qu’elle mĂ©dite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse souvent aussi ; qu’elle prenne garde Ă  ses tentations, ne dĂ©sirant vivre pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des Ăąmes.

Marie donc, Ă©tant telle que nous avons dit, pourra ĂȘtre Ă©lue en Marthe ; et Ă©tant obĂ©issante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des Ăąmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai par une similitude.

Il y avait un seigneur qui Ă©tait grandement puissant, qui avait un navire chargĂ© de marchandises prĂ©cieuses. Il dit Ă  ses domestiques : Allez Ă  un tel port ; lĂ  je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents s’élĂšvent, travaillez gĂ©nĂ©reusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de la lĂąchetĂ©, car votre rĂ©compense sera grande.

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Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages s’élevĂšrent, les flots s’enflĂšrent, et le navire fut brisĂ© en plusieurs lieux. Lors le pilote eut grande peur, et tous dĂ©sespĂ©raient de leur vie. Ils rĂ©solurent d’aborder Ă  un autre port, oĂč les vagues les portaient, et non Ă  celui oĂč le maĂźtre leur avait recommandĂ© d’aller ; ce qu’oyant, un des plus fidĂšles serviteurs, Ă©tant marri de cette rĂ©solution, prit courageusement le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maĂźtre dĂ©sirait. On doit donc donner Ă  ce domestique une plus grande rĂ©compense.

De mĂȘme en est-il d’un bon prĂ©lat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des Ăąmes, a reçu le gouvernement des Ăąmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-lĂ  aura une double rĂ©compense : la premiĂšre, d’autant qu’il sera participant de tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxiĂšme, parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les charges, honneurs et dignitĂ©s : ils seront participants de toutes les peines et de tous les pĂ©chĂ©s de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxiĂšme lieu, leur confusion sera sans fin, car les prĂ©lats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituĂ©es qu’aux prĂ©lats, d’autant qu’ils déçoivent les Ăąmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pĂ©nitence.

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5. Marie doit donner des mĂ©decines Ă  ses hĂŽtes, c’est-Ă -dire, les rĂ©jouir par de bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prĂȘte Ă  obĂ©ir Ă  ses volontĂ©s, quand mĂȘme j’irais en enfer. Une telle volontĂ© est la mĂ©decine du cƓur, et cette volontĂ© est la dĂ©lectation Ăšs tribulations et le tempĂ©rament Ăšs prospĂ©ritĂ©s. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en pĂ©chĂ©, ayant temps de se confesse, le nĂ©glige ou ne le considĂšre, lors elle doit ĂȘtre plutĂŽt appelĂ©e apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agrĂ©able Ă  Dieu ; c’est pourquoi je vous dirai maintenant comment elle doit ĂȘtre formĂ©e.

Elle doit avoir, aussi bien que Marie,  cinq sortes de biens : 

1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir, 

2. les commandements de Dieu et les conseils de la vĂ©ritĂ© Ă©vangĂ©lique, et elle doit les accomplir par amour et par Ɠuvre ; 

3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir l’esprit des cupiditĂ©s insatiables et des plaisirs dĂ©rĂ©glĂ©s, se savoir contenter de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu; 

4. accomplir avec raison et humilitĂ© les Ɠuvres de misĂ©ricorde, afin que, s’appuyant en ses Ɠuvres, elle n’offense Dieu ; 

5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-mĂȘme.

C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna Ă  moi fort joyeusement, suivant mes paroles et mes Ɠuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour l’amour de moi, et elle se dĂ©goĂ»ta des choses temporelles et recherchait les cĂ©lestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-mĂȘme ; elle considĂ©rait incessamment l’amour que je lui avais portĂ© et les douleurs que j’avais souffertes, et se rĂ©jouissait en ses priĂšres, et comme une mĂšre, elle aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne dĂ©sirant qu’ouĂŻr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligĂ©s ; elle consolait les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les mĂ©chancetĂ©s du prochain ; n’y pouvant remĂ©dier, elle priait Dieu pour leur conversion. Celui donc qui dĂ©sire avoir la charitĂ© en la vie active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicitĂ©, ire, envie.

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Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frĂšre mort, vint la premiĂšre Ă  moi ; mais soudain son frĂšre ne ressuscita pas. Mais Marie vint aprĂšs, Ă©tant appelĂ©e, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De mĂȘme en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui dĂ©sire ĂȘtre parfaitement Ă  Marie, doit ĂȘtre premiĂšrement Marthe, travaillant corporellement pour l’amour de moi, et elle doit plutĂŽt savoir rĂ©sister aux dĂ©sirs charnels et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degrĂ© de Marie, car celle qui est Ă©prouvĂ©e et tentĂ©e et qui n’a pas vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement Ăšs choses cĂ©lestes ? car souvent une bonne Ɠuvre se fait avec un intention indiscrĂšte et d’un esprit indĂ©terminĂ© ; et partant, en son progrĂšs, elle est avec lĂąchetĂ© et froideur ; mais afin que la bonne Ɠuvre me soit agrĂ©able, elle ressuscitĂ© et revit par Marthe, c’est-Ă -dire, quand le prochain est sincĂšrement aimĂ© et dĂ©sirĂ© sur toutes choses ; et lors toute bonne Ɠuvre est agrĂ©able Ă  Dieu ; c’est pourquoi je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des pĂ©chĂ©s du prochain, et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent sagement et honnĂȘtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel et le gain des Ăąmes. 

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Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le cƓur est rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il considĂšre toujours Dieu prĂ©sent, et non seulement contemple l’amour divin, mais travaille nuit et jour pour possĂ©der Dieu. 

Chapitre 66.

En ce chapitre, JĂ©sus-Christ montre Ă  sainte Brigitte les devoirs d’une Ă©pouse, ses ornements, etc ; puis il y est parle d’une Ăąme condamnĂ©e en purgatoire, etc.

Le Fils de Dieu parle, disant : Un seigneur Ă©pousa une fille Ă  laquelle il Ă©difia une maison, lui donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour la nourriture, et lui aprĂšs s’en alla fort loin. Or, revenant, il ouĂŻt que sa femme Ă©tait une infĂąme, que ses serviteurs Ă©taient rebelles, que ses filles Ă©taient impudiques. CourroucĂ© de cela, il mit sa femme en jugement, les serviteurs Ă  la torture et les servantes au fouet.

Je suis ce seigneur-lĂ , qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait Ă©clore du nĂ©ant l’ame de l’homme, l’ai prise en Ă©pouse, dĂ©sirant prendre avec elle les plaisirs indicibles. Or, je l’ai Ă©pousĂ©e en foi, dilection et en persĂ©vĂ©rance de vertus. J’ai bĂąti une maison Ă  cette Ăąme, quand je lui ai donnĂ© le corps mortel, dans lequel elle devait ĂȘtre Ă©prouvĂ©e et exercĂ©e de vertus.

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Cette maison a quatre propriĂ©tĂ©s : la noblesse, la mortalitĂ©, mutabilitĂ© et corruptibilitĂ©. Ce corps est noble, d’autant que c’est l’Ɠuvre de Dieu, et il participe Ă  tous les Ă©lĂ©ments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre Ă©ternellement ; mais l’ñme surpasse sa noblesse, d’autant qu’il est terrestre et que l’ñme est spirituelle. Mais d’autant qu’il a quelque espĂšce de noblesse, il doit ĂȘtre ornĂ© de vertus, afin qu’au jour du jugement, il puisse ĂȘtre glorifiĂ©. Le corps est mortel, d’autant qu’il est de terre, c’est pourquoi il doit s’opposer fortement aux plaisirs au milieu desquels, s’il succombe, il perd Dieu. Le corps est encore changeant, et partant, il doit ĂȘtre constant par la raison, car s’il suit ses mouvements, il n’est point diffĂ©rent des bĂȘtes brutes ; il est corruptible : partant, qu’il se tienne en puretĂ©, car le diable le pousse Ă  l’immondicitĂ©, afin d’éloigner de lui la garde des anges.

Que celui donc qui habite en cette maison de ce corps, qui est l’ñme, dans lequel elle est enfermĂ©e comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans l’union de l’ñme, il est puant, horrible et affreux Ă  regarder. 

L’ñme a aussi cinq serviteurs qui la servent pour le soulagement de la maison : 

Le premier c’est la vue, qui doit ĂȘtre comme une bontĂ© Ă©chauguette qui discerne les amis et les ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux dĂ©sirent de voir des faces belles, ce qui est dĂ©lectable Ă  la chair et ce qui est nuisible et dĂ©shonnĂȘte. Or, lors les amis viennent, quand l’ñme se plaĂźt Ă  voir et Ă  contempler ma passion, les Ɠuvres de mes amis et ce qui touche Ă  l’honneur de Dieu.

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Le deuxiĂšme serviteur est l’ouĂŻe, qui est comme un bon portier qui ouvre la porte aux amis et la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il prend plaisir a ouĂŻr la parole divine, et la ferme ; quand il n’écoute point les mĂ©disantes et les paroles excitant au rire.

Le troisiĂšme serviteur est le goĂ»t au manger et au boire, et celui-lĂ  est comme un bon mĂ©decin qui range et ordonne la rĂ©fection pour la nĂ©cessitĂ©, non Ă  la superfluitĂ© et voluptĂ©, car on doit prendre les aliments comme des mĂ©dicaments. Partant, on doit considĂ©rer deux choses au goĂ»t, savoir, qu’on n’en prenne plus grande ni plus petite quantitĂ© qu’il ne faut, car la quantitĂ© nous cause l’infirmitĂ©, l’abstinence tĂ©mĂ©raire nous engendre le dĂ©goĂ»t au service de Dieu.

Le quatriĂšme serviteur est l’attouchement qui doit ĂȘtre comme un bon laboureur gagnant sa vie de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec discrĂ©tion pour les dĂ©lices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la bĂ©atitude Ă©ternelle.

Le cinquiĂšme serviteur est l’odorat de ce qui est dĂ©lectable ; celui-ci se peut mortifier en plusieurs choses pour la gloire Ă©ternelle : partant, que ce serviteur soit comme un bon dispensateur ; qu’il veille Ă  ce qui est expĂ©diant Ă  son Ăąme, Ă  ce qu’elle mĂ©rite, si le corps pourra subsister avec cela ou cela ; que si l’ñme considĂšre que le corps peut subsister sans ces parfums, qu’elle s’en prive pour l’amour de Dieu, et ainsi elle mĂ©ritera une grande rĂ©compense devant Dieu, car la mortification est grandement agrĂ©able Ă  Dieu, quand l’ñme s’abstient mĂȘme de ce qui lui est licite.

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Or, puisque l’ñme a tels serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien ornĂ©es, qui la gardent et la dĂ©fendent des dangers et plaisirs :

Que la premiĂšre soit la crainte affectueuse, afin que l’époux ne soit en rien offensĂ© ou que l’épouse ne soit trouvĂ©e nĂ©gligente.

Que la deuxiĂšme soit la dĂ©vote, afin qu’elle ne cherche que l’honneur de l’époux et l’utilitĂ© de sa maĂźtresse.

Que la troisiĂšme soit la modestie et la constance, afin que l’épouse ne s’écoule en joie ni qu’elle succombe en adversitĂ©s.

Que la cinquiĂšme soit la pudeur et la chastetĂ©, afin qu’on ne trouve en elle quelque chose d’indĂ©cent ou de dissolu en la parole ou en l’action.

Que si donc l’ñme a une telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des servantes si honnĂȘtes, il serait dĂ©shonnĂȘte si l’ñme, qui est la maĂźtresse, Ă©tait dĂ©shonnĂȘte et n’était belle. 

Partant, je vous veux montrer l’ornement de l’ñme et son Ă©clat : elle doit ĂȘtre raisonnable Ă  discerner ce qu’elle doit au corps et Ă  Dieu, car elle participe avec la raison et en la dilection : partant, 

1. qu’elle traite la chair comme un Ăąne, lui donnant avec modĂ©ration les nĂ©cessitĂ©s de la vie, l’exerçant par le travail, la corrigeant par la crainte et par l’abstinence, prenant garde Ă  ses mouvements, afin qu’elle ne condescende aux infirmitĂ©s de la chair, en telle sorte que Dieu en soit offensĂ©.
2. Que l’ñme soit cĂ©leste, puisqu’elle a l’image de Dieu : c’est pourquoi elle ne doit jamais chercher ses plaisirs ni ses goĂ»ts en la chair, de peur qu’elle ne se conforme Ă  l’image du diable.
3. Qu’elle soit fervente en l’amour divin, d’autant qu’elle est sƓur des anges, immortelle et Ă©ternelle.
4. Qu’elle soit belle et enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la beautĂ© Ă©ternelle du Dieu vivant.

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Que si elle consent au corps, elle sera Ă©ternellement difforme. L’ñme a aussi besoin des viandes, qui sont la mĂ©moire des bienfaits de Dieu, la considĂ©ration de ses terribles jugements, et la dĂ©lectation en l’amour et commandements divins ; et partant, que l’ñme prenne diligemment garde qu’elle ne soit jamais gouvernĂ©e par la chair, car lors tout sera dĂ©rĂ©glĂ© : oui, lors les yeux veulent voir les objets plaisants, les oreilles ouĂŻr les cajoleries ; le goĂ»t cherche les choses douces, et le corps veut travailler pour l’honneur du monde. Lors aussi la raison est sĂ©duite ; l’impatience domine ; la dĂ©votion diminue, la lĂąchetĂ© s’y glisse ; les fautes sont rendues lĂ©gĂšres, et on ne considĂšre point les choses Ă©ternelles. Lors aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout le service de Dieu est onĂ©reux, car comment pourrait ĂȘtre agrĂ©able la continuelle mĂ©moire de Dieu, lĂ  oĂč rĂšgne la dĂ©lectation de la chair ? ou comment pourrait se conformer l’ñme Ă  la divine volontĂ©, lĂ  oĂč sont seulement les plaisirs de la chair ? ou comment le vrai peut-il ĂȘtre discernĂ© du faux, lĂ  oĂč tout ce qui est de Dieu est chargĂ© ? De telle maison on peut dire qu’elle est pĂ©agĂšre et tributaire de Satan.

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Telle est l’ñme du dĂ©funt que vous voyez, car le diable la possĂšde par neuf sortes de droits : 

1. d’autant que volontairement elle a consenti au pĂ©chĂ©. 

2. D’autant qu’elle a mĂ©prisĂ© la qualitĂ© et la dignitĂ© de son baptĂȘme. 

3. D’autant qu’elle ne se soucia point de la confirmation que l’évĂȘque lui avait donnĂ©e. 

4. D’autant qu’elle n’a point considĂ©rĂ© le temps qui lui Ă©tait donnĂ© pour faire pĂ©nitence. 

5. D’autant qu’elle ne m’a point craint en ses Ɠuvres, ni mes jugements, mais Ă  dessein elle s’est retirĂ©e de moi. 

6. D’autant qu’elle a mĂ©prisĂ© ma patience, comme si je n’étais ou comme si je ne voulais point juger. 

7. D’autant qu’elle se souciait moins de mes conseils et de mes prĂ©ceptes que des hommes. 

8. D’autant qu’elle ne rendait point grĂąces Ă  Dieu de cƓur des bienfaits dont Dieu l’avait enrichie, d’autant que son cƓur Ă©tait tout au monde. 

9. D’autant que ma passion Ă©tait comme morte dans son cƓur.

C’est pourquoi elle souffre aussi neuf sortes de peines : 

1. tout ce qu’elle pĂątit, elle ne le pĂątit pas par amour, mais avec une mauvaise volontĂ©. 

2. D’autant qu’elle laisse le CrĂ©ateur et suit les crĂ©atures, toutes les crĂ©atures l’auront en abomination. 

3. La douleur d’avoir perdu tout ce qu’elle aimait, et tout cela est contre elle. 

4. Une ardeur et soif, d’autant qu’elle dĂ©sirait plus les choses pĂ©rissables que les choses Ă©ternelles. 

5. Une terreur et puissance des dĂ©mons, parce qu’elle n’a pas eu, quand elle devait, la crainte de Dieu. 

6. La privation de la vision divine, d’autant qu’en son temps, elle n’a point considĂ©rĂ© la passion de Dieu. 

7. Un dĂ©sespoir de pardon, d’autant qu’elle ne sait pas si elle sera sauvĂ©e ou non . 

8. Un remords de conscience, d’autant qu’elle a perdu le bien et a fait le mal.
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9. Le froid et les larmes, d’autant qu’elle ne dĂ©sirait point l’amour de Dieu.

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Mais d’autant que cette Ăąme a eu deux sortes de biens, l’un est que cette Ăąme a eu une grande foi Ă  ma passion, et rĂ©sista autant qu’elle put Ă  ceux qui en mĂ©disaient ; l’autre qu’elle aimait ma MĂšre et mes saints, et les honorait par des jeĂ»nes : partant, pour l’amour des priĂšres des saints qui prient pour elle, je vous dirai comment elle pourra ĂȘtre sauvĂ©e : 

1. par ma passion, car elle a eu la foi de l’Église ; 

2. par le sacrifice de mon corps, qui est l’antidote des Ăąmes ; 

3. par les oraisons des saints qui sont au ciel ; 

4. par les bonnes Ɠuvres qui se font continuellement en l’Église ; 

5. par les priĂšres de ceux qui vivent au monde ; 

6. par les aumĂŽnes faites des biens bien acquis ; 

7. par le travail des justes qui sont en pĂšlerinage en ce monde pour le salut des Ăąmes ; 

8. par les indulgences concĂ©dĂ©es par les souverains pontifes ; 

9. par les pénitences des vivants.

VoilĂ , ma fille, que saint Ericus, que cette Ăąme a servi autrefois, vous a mĂ©ritĂ© cette rĂ©vĂ©lation. Viendra le temps oĂč le zĂšle des Ăąmes s’excitera dans les cƓurs de plusieurs et oĂč la malice se refroidira. 

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Chapitre 67. 

JĂ©sus-Christ compare le monde Ă  un navire. De la naissance de l’AntĂ©christ.

Le Fils de Dieu dit Ă  sainte Brigitte : Ce monde est comme un navire qui, Ă©tant plein de sollicitude, est assailli par les orages de la mer, et qui ne laisse jamais l’homme en paix qu’il ne soit arrivĂ© au port de repos ; car comme le navire Ă  trois parties, la proue, le milieu et la poupe, je vous dĂ©cris aussi trois ages au monde : le premier depuis Adam jusques Ă  mon incarnation. Cet age est signifiĂ© par la proue, qui est haute, admirable et forte : haute en la piĂ©tĂ© des patriarches ; admirable en la science des prophĂštes ; forte en l’observance de la loi. Mais cette partie commença Ă  dĂ©choir, quand le peuple judaĂŻque, ayant mĂ©prisĂ© mes commandements, se plongea dans les iniquitĂ©s et mĂ©chancetĂ©s, c’est pourquoi il a Ă©tĂ© rejetĂ© de l’honneur et de la profession. Or, le milieu du navire commença de paraĂźtre, lorsque le Fils de Dieu vivant eut pris la nature humaine ; car comme le milieu de la mer est le plus profond, de mĂȘme, quand je fus incarnĂ©, l’humilitĂ© commença d’ĂȘtre prĂȘchĂ©e, et l’honnĂȘtetĂ© que plusieurs avaient embrassĂ©e commença Ă  ĂȘtre manifestĂ©e. 

Mais maintenant, l’impiĂ©tĂ© et la superbe rĂšgnent, et ma passion est comme oubliĂ©e et nĂ©gligĂ©e : c’est pourquoi la troisiĂšme partie commence Ă  monter, qui durera jusques au jour du jugement, et en cet age, j’ai envoyĂ© mes paroles au monde par vous : ceux qui les ouĂŻront et les suivront seront sauvĂ©s, car comme saint Jean dit de l’Évangile, non du sien, mais du mien : Bienheureux sont ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! j’en dis maintenant de mĂȘme : Bienheureux seront certainement ceux qui ouĂŻront ces paroles et les suivront !

En la fin de cet age l’AntĂ©christ naĂźtra d’une femme infĂąme et maudite, qui feindra de savoir les choses spirituelles, et d’un homme maudit, et d’eux le diable formera son ouvrage par la permission divine. Mais le temps et la venue de l’AntĂ©christ ne seront pas comme ce PĂšre, dont vous avez vu les livres, a Ă©crit, mais il viendra au temps que je connais, quand l’iniquitĂ© abondera outre mesure et que l’impiĂ©tĂ© augmentera grandement. Partant, sachez que la foi sera ouverte Ă  quelques Gentils, avant que l’AntĂ©christ vienne. AprĂšs, quand les chrĂ©tiens aimeront les hĂ©rĂ©sies et que les mĂ©chants fouleront le clergĂ© et la justice, lors ce sera un signe que l’AntĂ©christ viendra bientĂŽt. 

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Chapitre 68.

D’un moine trompĂ© en ses rĂ©vĂ©lations et des signes. Dieu le fait avertir de se corriger.

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse sainte Brigitte :  Je vous dis que le moine dont vous doutez a quittĂ© le premier monastĂšre par impatience, et est entrĂ© avec mensonge dans le second ; et Ă©tant excommuniĂ©, il est venu en JĂ©rusalem, ma sainte citĂ©, c’est pourquoi il a mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre déçu et trompĂ©, d’autant qu’il a eu honte d’ĂȘtre un moine humble et de demeurer constamment en la vocation en laquelle je l’avais appelĂ©. Lisez donc les livres, et vous n’y trouverez qu’ambition et propre louange, car vous y trouverez que saint Pierre et saint Paul lui ont dit qu’il Ă©tait digne de la souveraine prĂȘtrise ; qu’il serait semblablement pape et empereur, eu qu’étant en nĂ©cessitĂ©, il avait trouvĂ© Ă  sa tĂȘte de l’or et quelque monnaie inconnue ; que saint Michel archange lui avait apparu en un corps de quelque marchand, et comment il avait ramassĂ© toutes ses prophĂ©ties. Sachez que

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Tout cela est du diable qui le trompe et le déçoit. Partant, dites-lui qu’il ne sera ni pape ni cĂ©sar, que mĂȘme, s’il ne retourne soudain Ă  son monastĂšre et s’il ne se comporte comme un humble moine, il mourra en peu de temps comme un apostat, indigne de la communion des saints et de la compagnie des moines. 

Chapitre 69.

Il est ici traitĂ© d’un frĂšre trompĂ© sous espĂšce de vertu, ne mangeant rien en carĂȘme, etc..

Le Fils de Dieu dit : Je dis en l’Évangile qu’on peut obtenir le ciel par deux choses : la premiĂšre, si l’homme s’humilie comme un petit enfant ; la seconde, si l’homme se fait violence contre soi-mĂȘme. Or, celui-lĂ  est donc humble qui bien qu’il avance et qu’il fasse force biens, les rĂ©putes comme rien, ne se confiant point en ses mĂ©rites. Celui-lĂ  se fait violence qui, rĂ©sistant aux mouvements charnels, se chĂątie avec discrĂ©tion, afin qu’il n’offense Dieu, et croit obtenir le ciel, non par les Ɠuvres de sa justice, mais par la misĂ©ricorde divine. Mais ce FrĂšre qui ne mangeait rien en carĂȘme et qui faisait d’autres jeĂ»nes indiscrets, dĂ©sirait, par ses jeĂ»nes, obtenir le ciel. Tous ces jeĂ»nes provenaient de la superbe, et non de l’humilitĂ© ; c’est pourquoi il sera justement jugĂ© avec ceux qui jeĂ»naient et payaient les dĂźmes  et mĂ©prisaient les autres. L’humilitĂ© de ce pĂ©cheur qui n’osait lever les yeux au ciel Ă©tait meilleure, car moi, Dieu et homme, conversant avec les hommes, je mangeai et je bus ce qu’on me donnait, bien que j’eusse pu subsister sans viandes, afin de donner aux hommes l’exemple de vivre, afin qu’ils prennent humblement les nĂ©cessitĂ©s de leur vie et qu’ils en rendent grĂąces Ă  Dieu.

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Chapitre 70.

Notre-Seigneur montre à sainte Brigitte la damnation horrible d’un cardinal, et ses causes.
Avertissements aux prélats.

Sainte Brigitte voyait comme la personne d’un cardinal dĂ©funt qui Ă©tait assise sur une porte de bois, Ă  qui quatre Éthiopiens prĂ©paraient quatre chambres par lesquelles il fallait que l’ñme de ce cardinal passĂąt.

En la premiĂšre, il y avait des vĂȘtements de diverses maniĂšres que cette Ăąme avait aimĂ©s en sa vie. En la deuxiĂšme, il y avait des vases d’or, d’argent, et divers autres ustensiles, esquels cette Ăąme s’était plue pendant qu’elle vivait. En la troisiĂšme Ă©taient des viandes et des parfums aromatiques esquels elle se plaisait. En la quatriĂšme, il y avait des chevaux et autres animaux desquels elle se servait autrefois.

Mais quand l’ñme passait par la chambre, elle endurait un froid rigoureux, et elle Ă©tait accablĂ©e d’un grand poids, et criant, elle dit en pleurant : Malheur Ă  moi, d’autant que j’ai plus aimĂ© ce qui est beau que ce qui est utile ! J’ai aimĂ© d’ĂȘtre aimĂ©e, d’ĂȘtre exaltĂ©e et louĂ©e : il est donc raisonnable que je sois dĂ©primĂ©e sous l’escabeau du diable.

Et passant par la deuxiĂšme chambre, elle ressentit un torrent de poix et une flamme qui s’épandait et s’étendait partout. Et lors l’ñme s’écria : Malheur Ă  moi ! malheur Ă©ternellement, d’autant que j’ai vu, revu et cherchĂ© ce qui reluit et Ă©clate, et partant, je suis abreuvĂ©e des torrents des voluptĂ©s du diable !

Et quand l’ñme passait par la troisiĂšme chambre, elle sentit une puanteur insupportable et des serpents envenimĂ©s ; et lors elle cria horriblement, disant : HĂ©las ! hĂ©las ! j’ai aimĂ© la servante et j’ai mĂ©prisĂ© la maĂźtresse. J’ai aimĂ© les douceurs, il est raisonnable que j’endure les amertumes.

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Mais passant par la quatriĂšme chambre, elle ouĂŻt un son terrible comme un tonnerre, et elle cria de peur : Oh ! que  digne est ma rĂ©compense !

AprĂšs, on ouĂŻt une voix qui disait : Qu’est ce que l’homme pense en terre ? ou le Fils de Dieu mentira-t-il, que l’homme rendra raison de la moindre maille ? voire je vous dis de plus qu’il rendra compte de tous les moments, de chaque denier, viande, boisson, des pensĂ©es en dĂ©tail et des paroles, s’il ne les amende par contrition et par la pĂ©nitence. Eh quoi ! les cardinaux et les Ă©vĂȘques croiront-ils ne rendre pas compte de mes aumĂŽnes, qu’ils ne mangent pas avec crainte et dĂ©votion, mais qu’ils dĂ©vorent sans fruit ? ou bien pensent-ils que les Ăąmes desquelles ces biens Ă©taient, et desquels ils s’enorgueillissent, n’en demandent vengeance devant Dieu ? VĂ©ritablement, ma fille, j’en ferai exact jugement, et sonderai en quelle maniĂšre ils prennent mes oblations ; et les anges les jugeront, car moi et mes amis avons dotĂ© l’Église, afin que les ecclĂ©siastiques ne vivent point comme mes amis ni ne prient pour ĂȘtre exaucĂ©s. Partant, je secourrai et pourvoirai les Ăąmes dont les biens Ă©taient de la table de ma grĂące et de ma passion, et je leur ferai misĂ©ricorde

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Chapitre 71.

Il est ici traitĂ© d’absoudre, l’an de jubilĂ©, tous les pĂ©nitents, hormis les sentences.

Le Fils de Dieu dit : Que le bon confesseur absolve tous les pĂ©cheurs qui viennent Ă  lui avec contrition ; je veux qu’il les absolve tous ; qu’il prenne seulement garde des sentences de l’Église, qui sont claires.

DÉCLARATION

On croit que ce confesseur Ă©tait celui de sainte Brigitte (1), docteur, car il Ă©crit en une sienne Ă©pĂźtre Ă  Nicolas d’heureuse mĂ©moire, Ă©vĂȘque du royaume de SuĂšde, de la cour de Rome, disant : Un certain prĂȘtre Ă©tranger Ă  qui le vicaire du pape enjoignit de confesser tous ceux qui parlaient sa langue, lui donna autoritĂ© d’absoudre de tous les cas qu’il pouvait, entre lesquels vint un pĂ©nitent riche et grand, disant qu’il avait pĂ©chĂ© avec quatre paires de sƓurs, qui toutes n’étaient pas d’un mĂȘme pĂšre et d’une mĂȘme mĂšre, mais chaque paire Ă©tait d’un diffĂ©rent pĂšre et mĂšre. AprĂšs il dit qu’il avait pĂ©chĂ© avec deux-cents femmes, et que, sur cela, il n’avait jamais acquis note d’infamie, et qu’il n’en avait jamais Ă©tĂ© accusĂ© devant aucun ecclĂ©siastique ou sĂ©culier.

Le prĂȘtre susdit, quand il ouĂŻt des crimes si abominables, en eut horreur et s’éloigna autant qu’il put du pĂ©nitent. Mais le pĂ©cheur, enflammĂ© des feux divins, ne se dĂ©sespĂ©rait point, mais poursuivait l’absolution dudit prĂȘtre, et
s’approchant de sainte Brigitte, se plaignait, d’autant que ce prĂȘtre ne voulait l’absoudre ; c’est pourquoi elle se mit en oraison pour le prĂȘtre et pour le pĂ©cheur, et en mĂȘme temps, elle ouĂŻt la voix du PĂšre qui disait des cieux : Dites au prĂȘtre que, de ma part, il absolve tous ceux qui viendront Ă  lui de sa nation, leur enjoignant pĂ©nitence selon la grĂące qui lui sera donnĂ©e, selon que la droite raison lui suggĂ©ra, et selon aussi que le pĂ©nitent la pourra supporter, et qu’il l’absolve avec assurance jusqu’à ce qu’un semblable pĂ©cheur se prĂ©sente et que je lui dise : Il ne faut pas l’absoudre. Qu’il prenne nĂ©anmoins garde aux censures ecclĂ©siastiques et aux crimes notoires qui doivent ĂȘtre juges publiquement par les prĂ©lats de l’Église. 


(1) Lincompensem

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Chapitre 72.

JĂ©sus-Christ commande qu’on se donne garde qu’on ne reçoive de l’argent pour l’absolution des pĂ©chĂ©s. Les prĂȘtres de paroisse peuvent absoudre de tous les pĂ©chĂ©s occultes.

Le Fils de Dieu dit : Il y a deux taches Ăšs ecclĂ©siastiques : l’une que peu sont absous sans que l’on donne de l’argent ; l’autre que les prĂȘtre des paroisses n’osent absoudre de tous les pĂ©chĂ©s occultes ; mais ils assurent ne pouvoir les absoudre en certains cas rĂ©servĂ©s Ă  l’évĂȘque, pour lesquels ils les envoient Ă  l’évĂȘque ; et on les examine si longtemps que les occultes sont manifestĂ©s Ă  tous. Partant, ceux qui ont le zĂšle des Ăąmes doivent obvier Ă  tels accidents, de peur que les Ăąmes ne meurent en pĂ©chĂ© mortel, ou par honte, ou par obstination. 

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Chapitre 73.

Notre-Seigneur dit que l’absolution d’un mauvais pĂ©nitencier qui Ă©tait Ă  Rome est bonne.
Il prédit sa mort soudaine.

Ce pĂ©nitencier de Rome Ă©tait lĂ©preux, hardi comme un milan, superbe comme un lion, et partant, il tombera Ă  terre comme un papillon, qui a les ailes grandes et le corps petit. Sachez nĂ©anmoins que son absolution est bonne de l’autoritĂ©  de l’Église, aussi bien que l’absolution d’un prĂȘtre juste. Dites-lui : Vous aurez ce que vous dĂ©sirez, mais vous ne le possĂ©derez pas, voire les Ă©trangers emporteront ce que vous avez amassĂ©. Il obtint un archiĂ©piscopat et mourut le mĂȘme jour. 

Chapitre 74.

Ici est une vision des bĂątiments qui devaient ĂȘtre pour les cardinaux et conseillers du Pape.

Je vis Ă  Rome, du palais du pape jusques au ChĂąteau Saint-Ange, et de ce chĂąteau jusques Ă  la maison du Saint-Esprit et jusques Ă  l’église de Saint-Pierre, comme s’il y avait une plaine ; et cette plaine Ă©tait entourĂ©e d’un mur oĂč il y avait diverses loges. Lors j’ouĂŻ une voix qui me disait : Ce pape-lĂ , qui aime son Ă©pouse d’une telle dilection de laquelle moi et mes amis nous l’aimons, possĂ©dera ce lieu avec ses successeurs, afin qu’il puisse facilement convoquer son conseil. 

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Chapitre 75. 

Jésus-Christ commande à un docteur en théologie que les ùmes purifiées voient Dieu, et que ceux qui désirent toujours vivre pour pécher toujours seront tourmentés éternellement.

Un docteur en thĂ©ologie, de SuĂšde, qui a composĂ© le prologue de ce livre, prĂȘchant un jour, un soldat s’écria, comme furieux, disant : Si mon Ăąme ne va point au ciel, qu’elle s’en aille comme une bĂȘte, mangeant la terre et l’écorce des arbres. La demeure jusques au jour du jugement est trop longue, car avant ce jour-lĂ , pas un ne verra la gloire de Dieu.

Ce qu’oyant, l’épouse sainte Brigitte, qui assistait Ă  ce sermon, pleura et dit : O Seigneur, Roi de gloire, je sais que vous ĂȘtes misĂ©ricordieux et fort patient, car tous ceux qui taisent la vĂ©ritĂ© et dissimulent la justice, sont louĂ©s au monde ; mais ceux qui ont votre zĂšle et le montrent, sont mĂ©prisĂ©s ; partant, ĂŽ Seigneur, donnez, donnez Ă  ce docteur la constance et la ferveur de parler.

Lors l’épouse vit en un excĂšs d’esprit le ciel ouvert, l’enfer ardent, et une voix lui disait : Voyez le ciel ; voyez de quelle gloire les Ăąmes sont revĂȘtues. Dites donc Ă  ce maĂźtre : Dieu, CrĂ©ateur et RĂ©dempteur, dit ces choses : PrĂȘchez assurĂ©ment ; prĂȘchez constamment ; prĂȘchez importunĂ©ment et opportunĂ©ment que les Ăąmes purifiĂ©es voient Dieu ; prĂȘchez avec ferveur, car vous en serez rĂ©compensĂ©, comme un enfant qui ouĂŻt la voix de son pĂšre. Si vous doutez qui je suis, moi qui parle, sachez que je suis celui-lĂ  qui vous retire des tentations.

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Or, ayant ouĂŻ ces choses, elle vit encore l’enfer, de la part duquel tremblant d’effroi, elle ouĂŻt une parole disant : Ne craignez point les esprits que vous voyez : leurs mains, c’est-Ă -dire leurs puissances, sont liĂ©es et ne peuvent rien sans ma permission. Qu’est-ce donc que les hommes prĂ©sumant d’eux pensent ? Ne prendrai-je pas vengeance d’eux, moi qui assujettis mĂȘme les dĂ©mons Ă  ma volontĂ© ?

L’épouse rĂ©pondit : O Seigneur, ne vous indignez pas si je parle. Vous qui ĂȘtes tout misĂ©ricordieux, le punirez-vous Ă©ternellement, lui qui ne peut pĂ©cher perpĂ©tuellement ?  Les hommes ne peuvent croire que cela soit convenable Ă  votre DivinitĂ©, vous qui surexaltez la misĂ©ricorde par le jugement, ni les hommes ne punissent point perpĂ©tuellement les hommes qui les ont offensĂ©s.

L’esprit rĂ©pondit : Je suis la vĂ©ritĂ© et la justice, qui donne Ă  chacun selon ses Ɠuvres, qui sonde les cƓurs et les volontĂ©s ; et comme le ciel est distant de la terre, de mĂȘme mes voies et mes jugements sont Ă©loignĂ©s des conseils et conceptions des hommes. Partant, puisque l’homme ne se corrige point pendant qu’il vit et qu’il peut, qu’est-il de merveilles s’il est puni oĂč il ne peut rien ? ou comment peuvent demeurer en mon Ă©ternitĂ© trĂšs-pure ceux qui veulent Ă©ternellement vivre et Ă©ternellement pĂ©cher ? Et partant, celui qui corrige son pĂ©chĂ© quand il peut, doit demeurer Ă©ternellement avec moi, qui puis tout et vis de toute Ă©ternitĂ©. 

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DÉCLARATION. 

Cet homme Ă©tait mariĂ©, qui tenait une concubine publiquement en sa maison ; et quelqu’un l’en avertissant, poussĂ© de colĂšre, il la tua, et lui, mourut le quatriĂšme jour, endurci, sans sacrements et enseveli ; et pendant plusieurs nuits fut entendue une voix qui disait : Malheur ! Malheur ! Je brĂ»le ! Je brĂ»le ! Cela ayant Ă©tĂ© rapportĂ© Ă  sa femme, on ouvrit en sa prĂ©sence la sĂ©pulture, oĂč l’on ne trouva qu’un petit haillon de son suaire et de ses souliers. La sĂ©pulture Ă©tant derechef couverte, on n’entendit plus la voix. 

Chapitre 76.

Il est ici parlĂ© des corrections que JĂ©sus-Christ fait Ă  son Ă©pouse, etc. 

L’épouse sainte Brigitte Ă©tant logĂ©e en une ville, il advint que ses vĂȘtements et ce qu’elle avait de plus prĂ©cieux fut brĂ»lĂ©, et encore ce qui Ă©tait de ses amis. Notre-Seigneur lui dit pendant qu’elle priait : Il est Ă©crit que le prince des cuisiniers brĂ»la le temple de JĂ©rusalem. 

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Or, qui est ce prince, sinon ceux qui cherchent les dĂ©lices de la chair plus que les amertumes de ma passion ? De mĂȘme vous cherchez en votre famille, et les y tolĂ©rez, les beautĂ©s, l’éclat des habits, et vous ne reprenez point les mƓurs dĂ©pravĂ©es, de peur qu’ils vous trouvent fĂącheux ; c’est pourquoi vous recevez maintenant le dommage que vous voyez, afin que vous compreniez qu’il ne suffit point, pour aller Ă  la perfection, de se corriger soi-mĂȘme, mais encore les autres, et principalement ceux de la famille, les attirant Ă  l’honnĂȘtetĂ© de la vie, car ce que vous pouvez corriger, et ne le faites pas Ă  raison de quelque considĂ©ration humaine, cela vous sera imputĂ© Ă  jugement et Ă  pĂ©chĂ©. D’ailleurs, sachez que l’habitant de cette maison a deux vices, savoir, 1. d’infidĂ©litĂ©, d’autant qu’il croit que toutes choses sont rĂ©gies par le destin ; 2. il use des enchantements et de quelques paroles diaboliques, afin qu’il prenne une grande multitude de poissons d’un Ă©tang ; et d’autant qu’il est de votre famille, avertissez-le afin qu’il s’amende, autrement vous verrez de vos yeux que le diable qu’il est prĂ©vaudra sur lui.

Celui-lĂ  oyant l’avertissement de l’épouse de JĂ©sus-Christ et le mĂ©prisant, on le trouva mort subitement ayant le col renversĂ©. 

Chapitre 77.

JĂ©sus-Christ reprend un religieux Ă  raison de quelque dispute. 

Le Fils de Dieu dit Ă  son Ă©pouse : Que vous dit ce frĂšre babillard ?

Elle rĂ©pondit : Que les Gentils qui n’ont Ă©tĂ© appelĂ©s Ă  la vigne ne jouiront pas du fruit de la vigne.

Notre-Seigneur lui dit : Dites-lui que le temps viendra que tout sera un bercail et un pasteur, une fois et une claire connaissance de Dieu. Et lors plusieurs qui ont Ă©tĂ© appelĂ©s Ă  la vigne seront reprouvĂ©s, et ceux qui n’y sont appelĂ©s et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu, auront quelque misĂ©ricorde et quelque soulagement en leurs supplices, bien qu’ils n’entrent en ladite vigne. D’ailleurs dites-lui : Il vous serait plus profitable de dire le Pater avec simplicitĂ© que de disputer sophistiquement et avec tant de subtilitĂ© des vanitĂ©s du monde. Partant, pensez que vous ĂȘtes entrĂ© en religion, et sachez que bientĂŽt vous mendierez le pain ailleurs. NĂ©anmoins, si vous changez votre volontĂ©, Dieu modifiera sa sentence.

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Chapitre 78. 

De l’expulsion du diable d’une maison par les paroles de JĂ©sus-Christ, etc. 

L’épouse sainte Brigitte Ă©tait logĂ©e une nuit en une maison oĂč le diable parlait ouvertement, donnait les rĂ©ponses et prĂ©disait plusieurs choses. Or, cette sainte Ă©tant prĂ©sente, le diable ne dit mot, et elle ouĂŻt, Ă©tant en l’oraison, une voix qui lui disait : En cette maison ont Ă©tĂ© faits quelques maux par les habitants du passĂ© et du prĂ©sent, car ils honorent les dieux tutĂ©laires et ne frĂ©quentent point les Ă©glises, si ce n’est pour la honte des hommes, ni ils n’entendent jamais la parole divine ; c’est pourquoi le diable domine en ce lieu.

Partant, que votre confesseur, ayant assemblĂ© tous les habitants de cette maison et les voisins, leur dise ces paroles : Dieu est un et trine, par qui toutes choses ont Ă©tĂ© faites, et sans lui rien ne peut ĂȘtre fait. Or, le diable est sa crĂ©ature qui ne peut pas mouvoir un de vos pieds sans que Dieu le permette. 

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Mais d’autant plus vous aimez et cherchez les crĂ©atures et le monde plus que Dieu, et cherchez d’ĂȘtre riches contre les volontĂ©s de Dieu, lors le diable commence de possĂ©der vos Ăąmes, vous faisant (la justice de Dieu le permettant de la sorte), prospĂ©rer Ăšs choses temporelles. Partant, croyez en Dieu, et chassez les serpents desquels vous sucez le lait, et ne donnez point des prĂ©mices d’aucune  chose Ă  vos dieux tutĂ©laires. Ne dites jamais que la fortune a fait cela ou cela, mais que Dieu l’a permis ainsi. Ne dites pas aussi qu’à l’autel n’est immolĂ© autre chose qu’un gĂąteau, mais croyez fermement que lĂ  est vraiment le corps de JĂ©sus-Christ qui a Ă©tĂ© crucifiĂ© en la croix, et croyez vraiment aux sacrements de baptĂȘme, confirmation et extrĂȘme-onction, et lors le diable s’enfuira de vous. Nous croyons, dirent-ils en criant, et promettons de nous amender.

Soudain on ouĂŻt le diable dans une fournaise, d’oĂč il donnait les rĂ©ponses, disant : Je n’aurai jamais plus ici de lieu. Et ainsi, il se retira tout confus, et dĂ©sormais on n’entendit point de voix ni terreur. 

Chapitre 79. 

D’un homme qui avait dit la messe sans avoir reçu les ordres. 

Un certain homme qui n’avait jamais Ă©tĂ© ordonnĂ© prĂȘtre, cĂ©lĂ©brait et disait la sainte messe, lequel, Ă©tant prĂ©sente au Juge, fut condamnĂ© au feu. Sainte Brigitte priant pour lui, Notre-Seigneur lui dit : Voyez ma misĂ©ricorde : si cet homme eĂ»t demeurĂ© impuni, il serait damnĂ©. Or, maintenant, il a obtenu la contrition : c’est pourquoi, par le supplice qu’il souffre maintenant, il s’approche de ma grĂące et du repos.

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Mais maintenant, vous me pouvez demander si le peuple qui entendait les messes et qui recevait les sacrements de cet homme, péchait mortellement.

Je vous rĂ©ponds que, pour cela, il n’est point damnĂ©, mais la foi l’a sauvĂ©, car il croyait que l’évĂȘque  l’eĂ»t ordonnĂ© et que je fusse Ă  l’autel en ses mains. La foi des parents a aussi profitĂ© Ă  ceux qui ont Ă©tĂ© baptisĂ©s par lui, car la foi croit de Dieu des choses dignes par la charitĂ© des Ɠuvres. Il ne sera pas sans rĂ©compense, et son dĂ©sir ne sera pas frustrĂ©. 

Chapitre 80.

D’une femme tourmentĂ©e d’un diable incube. 

Une femme Ă©tant vexĂ©e par le dĂ©mon, son ventre s’enfla soudain, de sorte qu’il semblait qu’elle enfanterait Ă  l’instant, et soudain il se dĂ©senfla, comme si elle n’eĂ»t rien eu au ventre. Or, Ă©tant ainsi longtemps tourmentĂ©e du malin esprit et son ventre s’enflant comme le ventre de celles qui sont prĂȘtes Ă  enfanter, sa maĂźtresse consulta sur cela sainte Brigitte, Ă©pouse de J.C., qui lui dit : Comme entre les esprits, il y en a un plus subtil que l’autre, de mĂȘme entre les malins, il y en a un plus malicieux que l’autre, car en ce royaume, il y a spĂ©cialement trois sortes de dĂ©mons : les uns sont de feu et de flamme, qui dominent les gourmands et les gloutons ; le deuxiĂšme est diabolique, qui possĂšde les corps et les Ăąmes des hommes ; le troisiĂšme est le plus abominable de tous, qui excite les hommes Ă  luxure contre nature. Et parce que cette femme a Ă©tĂ© incontinente et infidĂšle, le dĂ©mon domine en elle ; et d’autant que, par honte, elle n’a pas confessĂ© un pĂ©chĂ© et s’est approchĂ©e du saint Sacrement, le diable domine en elle. Partant, qu’elle confesse le pĂ©chĂ© celĂ© depuis longtemps et que les amies de Dieu prient pour elle, et aprĂšs, qu’elle communie, car je veux qu’elle soit affranchie par les larmes et les priĂšres de mes amis. Et cela Ă©tant fait, cette femme fut dĂ©livrĂ©e. 

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Chapitre 81. 

D’un enfant et de sa mĂšre affranchis des vexations du diable. 

Un enfant de trois ans n’avait jamais repos, sinon lorsqu’on l’aspergeait d’eau froide ; ce que voyant, sainte Brigitte admira grandement. JĂ©sus-Christ lui dit : Voyez la justice et la permission de Dieu. La mĂšre de cet enfant a Ă©tĂ© longtemps tourmentĂ©e d’un diable incube, car le diable, qui est un esprit, se fait et s’applique un corps d’air, dans lequel se faisant luxurieux, il se montre visible, exerçant avec cette femme sa malice et sa mĂ©chancetĂ©. Et bien que l’enfant soit nĂ© du pĂšre et de la mĂšre, le diable nĂ©anmoins a grande puissance sur lui, d’autant qu’il n’est point baptisĂ©, sinon Ă  la maniĂšre dont baptisent les femmes qui ignorent les paroles de la sainte TrinitĂ©. Partant, que l’enfant soit baptisĂ© au nom du PĂšre, du Fils et du Saint-Esprit, et il sera guĂ©ri. Que la mĂšre confesse son pĂ©chĂ©, et qu’elle dise, quand le diable approchera d’elle : JĂ©sus-Christ, Fils de Dieu, qui ĂȘtes nĂ© de la Vierge Marie pour le salut des hommes, qui avez Ă©tĂ© crucifiĂ© et qui maintenant rĂ©gnez au ciel, ayez misĂ©ricorde de moi.

Cela Ă©tant fait, la femme fut guĂ©rie. 

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Chapitre 82. 

Notre-Seigneur reprend les hommes qui vont Ă  la pythonisse. 

Un soldat consulta un jour la pythonisse (1), Ă  savoir, si les sujets se devaient rebeller contre le roi de SuĂšde ou non, et l’effet arriva comme la pythonisse l’avait prĂ©dit ; ce qu’étant fait, le soldat racontait au roi, en la prĂ©sence de l’épouse, ce que la pythonisse avait dit, et elle, s’étant un peu dĂ©tournĂ©e du roi, ouĂŻt la voix de JĂ©sus-Christ qui lui disait :  Vous avez ouĂŻ comment ce soldat a consultĂ© la pythonisse et comment ce soldat a consultĂ© la pythonisse et comment elle lui a prĂ©dit la paix future : partant, dites au roi que ces choses se font par ma permission Ă  raison de la mauvaise foi des peuples, car le diable, par la subtilitĂ© de sa nature, peut connaĂźtre plusieurs choses futures, lesquelles il manifeste Ă  ceux qui croient en lui, afin de les dĂ©cevoir. Partant, dites encore au roi qu’il chasse telle sorte de gens de la compagnie des gens de bien, car ils sont ceux qui déçoivent les Ăąmes qui se donnent au diable et lui rendent hommage pour le bien temporel, afin que, par eux, plusieurs soient perdus ; ni n’est pas de merveilles, car d’autant que l’homme dĂ©sire savoir plus que Dieu ne veut, et ĂȘtre enrichi contre les vouloirs de Dieu, lors le diable, tentant son esprit et le voyant penchĂ© et enclin Ă  ses suggestions, envoie ses coadjuteurs, savoir, les pythonisses et autres adversaires de la foi, pour le tromper, et acquĂ©rant quelque peu du temporel, il perd ce qui est Ă©ternel.

1.( Pythonisse est celle qui a le diable dans le ventre.)

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Chapitre 83. 

De la dévotion des païens à la fin des jours

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant : Sachez que les paĂŻens auront tant de dĂ©votion que les chrĂ©tiens ne seront que leurs serviteurs en la vie spirituelle ; et lors les Ă©critures seront accomplies, que le peuple, ne l’entendant point, me glorifiera ; et lors les dĂ©serts seront Ă©difiĂ©s, et tous chanteront: Gloire soit au PĂšre, au Fils et au Saint-Esprit, et honneur Ă  tous les saints ! 

Chapitre 84.

Ici Notre-Seigneur reprend ceux qui prennent plusieurs vĂȘtements pour le froid et la vanitĂ©. 

L’épouse sainte Brigitte, Ă©tant arrivĂ©e au royaume de SuĂšde au milieu des rigueurs du froid en une Ăźle en naviguant, et tous ceux qui Ă©taient dans le navire dormant, et elle, ne voulant les inquiĂ©ter, demeura jusques au jour dans le navire avec un domestique qui pĂątissait de froid outre mesure, et elle avait un grand chaud, et eux, la touchant et l’expĂ©rimentant, l’admirĂšrent. Et elle priant Dieu Ă  l’aurore, Notre-Seigneur lui dit : Oh ! que les hommes se dĂ©fient de moi, qui se chargent de vĂȘtements comme un Ă©rinacĂ© de pommes, et comme un paon de plumes, et s’enorgueillissent tout autant que le paon s’enorgueillit de ses plumes, vu qu’ils ne peuvent Ă©chauffer sans moi ni ĂȘtre beaux sans qu’ils  soient de moi. Or, s’ils mettaient leur espĂ©rance en moi, je leur donnerais la chaleur du corps et de l’ñme, et les rendrais beaux devant mes saints. Or, maintenant, ils sont difformes, d’autant qu’ils ne se contentent du nĂ©cessaire et aiment avec plus de ferveur la crĂ©ature que le CrĂ©ateur. 

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Chapitre 85. 

Du bien mal acquis ; des peines et des aumĂŽnes d’iceux. 

Il y avait un homme qui Ă©tait demeure quarante ans en purgatoire et qui apparut Ă  l’épouse, disant : A raison de mes pĂ©chĂ©s et pour les biens que vous savez, j’ai souffert longtemps en purgatoire, car j’ai ouĂŻ souvent en la vie que ces biens Ă©taient mal acquis par mes parents, mais je ne m’en souciai pas ni ne les restituai pas. Or, Dieu, l’inspirant Ă  quelques-uns de mes parents ayant bonne conscience, les restituĂšrent aprĂšs mon dĂ©cĂšs Ă  ceux Ă  qui il s’appartenaient, et lors, par les oraisons de l’Église, je fus dĂ©livrĂ© du purgatoire.

AprĂšs, Notre-Seigneur dit Ă  son Ă©pouse : Qu’est-ce que les hommes croient, en dĂ©tenant le bien d’autrui injustement et sciemment ? Eh quoi ! entreront-ils en paradis ? Certainement non, pas plus que Lucifer ; ni les aumĂŽnes des biens mal acquis ne leur profiteront de rien, mais passeront en la consolation de ceux auxquels ils appartiennent. Mais ceux qui ont ignoramment les biens mal acquis en seront pas punis, ne ceux-lĂ  ne perdent point le ciel, qui ont la volontĂ© parfaite de restituer, et font en cela tout leur possible, car lors Dieu supplĂ©e Ă  leur bonne volontĂ© en cette vie ou en l’autre. 

P424

Chapitre 86. 

Comment sainte Brigitte vit le feu descendre du ciel, et en la main du prĂȘtre, un agneau. 

Un prĂȘtre cĂ©lĂ©bra, le jour de la PentecĂŽte, sa premiĂšre messe en monastĂšre ; Lorsqu’il Ă©levait l’hostie, sainte Brigitte vit que le feu descendait du ciel sur l’autel, et elle vit entre les mains du prĂȘtre les espĂšces du pain, et en icelles, un agneau vivant, et en l’agneau, une face comme d’un homme fort reluisante ; Et lors elle ouĂŻt une voix qui lui disait : Comme vous voyez maintenant que le feu descend du ciel en l’autel, de mĂȘme le Saint-Esprit descendit sur mes apĂŽtres en ce mĂȘme jour, enflammant leurs cƓurs. Le pain, par paroles sacramentelles, est transsubstantiĂ© en l’agneau vivant, c’est-Ă -dire, en mon corps ; et la face est en l’agneau, et l’agneau en la face, d’autant que le PĂšre est dans le Fils, le Fils dans le PĂšre, et le Saint-Esprit en tous deux. Et elle vit encore en la main du prĂȘtre, Ă  l’élĂ©vation de la sainte Eucharistie, un enfant d’une beautĂ© admirable, qui lui dit : Je bĂ©nis les croyants et je serai juge des mĂ©crĂ©ants.

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Chapitre 87.

Il est ici parlĂ© d’un excommuniĂ©

Sainte Brigitte, Ă©tant un jour assise avec un Ă©vĂȘque et autres seigneurs, sentit une puanteur insupportable, comme si elle sortait des Ă©cailles d’un poisson pourri ; et les autres admirant qu’elle seule sentĂźt cette odeur, soudain entra en la maison un homme qui Ă©tait excommuniĂ© ; mais Ă  raison de sa grandeur, il ne se souciait du lieu de l’excommunication.

Le propos Ă©tant fini, Notre-Seigneur dit Ă  sainte Brigitte : Comme la puanteur des Ă©cailles des poissons pourris est plus dangereuse au corps que les autres, de mĂȘme l’excommunication est une infirmitĂ© spirituelle plus dangereuse Ă  l’ñme que les autres, car non-seulement elle nuit Ă  l’excommuniĂ©, mais aussi Ă  ceux qui conversent avec lui et qui consentent Ă  ses desseins. Partant, que l’évĂȘque fasse en sorte qu’un tel soit puni, de peur que, par sa participation, les autres ne soient marquĂ©s et tachĂ©s.

Chapitre 88.

Notre-Dame enseigne Ă  sainte Brigitte ce que signifient les mouvements du cƓur. 

La nuit de la NativitĂ© de Notre-Seigneur, sainte Brigitte fut touchĂ©e d’une si grande et si extraordinaire joie intĂ©rieure, qu’à grand’peine elle la pouvait soutenir ; et soudain elle sentit dans son cƓur un grand mouvement si admirable qu’il semblait qu’elle avait en son corps un petit enfant qui s’émouvait ; et ce mouvement durant assez longuement, elle le montra Ă  son PĂšre spirituel et Ă  ses amis spirituels, de peur que ce ne fĂ»t quelque illusion, lesquels, ayant vu et touchĂ©, en admirant l’effet.

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Le mĂȘme jour, Ă  la messe, la MĂšre de Dieu lui apparut et lui dit : Ma fille, vous admirez le mouvement que vous ressentez en votre cƓur : sachez qu ce n’est point une illusion, mais bien une manifestation aucunement semblable Ă  la joie, exultation et misĂ©ricorde qui me furent faites en ce soir ; car comme vous ignorez comme une exultation et joie sont arrivĂ©es si soudainement Ă  votre cƓur, de la mĂȘme maniĂšre l’arrivĂ©e de mon Fils au monde fut soudaine et admirable, car quand je consentis Ă  l’ange, lorsqu’il m’annonçait la conception du Fils de Dieu, soudain je sentis en moi quelque chose d’admirable et de vivant, et naissant de moi, il sortait d’une admirable vitesse, d’une joie indicible, sans lĂ©ser le cloĂźtre virginal. Partant, ma fille, ne craignez point l’illusion, mais rĂ©jouissez-vous, parce que les mouvements que vous sentez sont les signes de l’avĂšnement de mon Fils en votre cƓur. Partant, comme mon Fils vous a imposĂ© le nom d’une nouvelle Ă©pouse sienne, de mĂȘme maintenant je vous appelle ma bru, car comme les pĂšres et mĂšres vieillissants mettent la charge sur la bru et lui disent tout ce qu’il faut faire en la maison, de mĂȘme Dieu et moi, comme vieillis et refroidis Ăšs cƓurs des hommes, voulons marquer Ă  nos amis et au monde par vous notre volontĂ©. Ce mouvement de votre cƓur croĂźtra selon la capacitĂ© de votre cƓur.

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Chapitre 89.

Notre-Seigneur certifie Ă  sainte Brigitte, par saint Jean, que l’Apocalypse est de lui, et que la glose du docteur Mathias sur la bible est du Saint-Esprit. 

Quand le docteur Mathias, du royaume de SuĂšde, gloseur de la bible, glosait sur l’Apocalypse, il priait une fois l’épouse de JĂ©sus qu’elle sĂ»t en esprit le temps de l’AntĂ©christ, et lui demandait si l’Apocalypse avait Ă©tĂ© Ă©crite par saint Jean l’évangĂ©liste, d’autant que plusieurs tenaient le contraire. Elle fut donc ravie en esprit, et lors elle vit comme une personne ointe d’huile, mais grandement Ă©clatante, Ă  qui JĂ©sus-Christ parlant, dit : Dites qui est celui qui a composĂ© l’Apocalypse.

Il rĂ©pondit : Je suis Jean, Ă  qui vous avez recommandĂ© votre MĂšre, lorsque vous Ă©tiez en croix. O Seigneur, vous m’avez inspirĂ© les mystĂšres qui y sont, et je l’ai Ă©crite pour la consolation de la postĂ©ritĂ©, afin que vous fidĂšles ne fussent renversĂ©s Ă  raison des divers accidents.

Et Notre-Seigneur dit Ă  l’épouse : Ma fille, je vous dis que comme Jean a Ă©crit de mon Esprit les choses futures qu’il a vues, de mĂȘme Mathias, votre confesseur et PĂšre, a entendu et compris, inspirĂ© du mĂȘme Esprit, et Ă©crit les vĂ©ritĂ©s spirituelles de la sainte Ecriture. D’ailleurs, dites au mĂȘme docteur que j’ai rendu docteur, qu’il y a plusieurs antĂ©christs ; mais comment et quand il viendra, ce malin AntĂ©christ, je le lui montrerai par vous.

P428

Chapitre 90.

Il est ici traitĂ© d’une rĂ©prĂ©hension et punition d’un religieux trop babillard. 

Ce docteur Mathias parlant avec un religieux de grande autoritĂ© et familiaritĂ©, de la grĂące des visions cĂ©lestes qui Ă©tait divinement donnĂ©e Ă  sainte Brigitte, le religieux dit : Il n’est pas croyable ni ne s’accorde point avec l’Écriture que Dieu se retire de ceux qui se contiennent et ont abandonnĂ© le monde, et qu’il manifeste ses secrets Ă  des femmes magnifiques. Or, le docteur allĂ©guant plusieurs choses lĂ -dessus, l’autre ne consentit point.

Or, l’épouse, oyant ceci, vit que le docteur en Ă©tait troublĂ© ; elle se mit en oraison, et lors, ravie en esprit, elle ouĂŻt  Notre-Seigneur qui lui disait : Cette pĂ©rilleuse infirmitĂ© en a assailli plusieurs ; et Ă  celui qui se rend malade du remĂšde, il ne faut pas lui en donner davantage, de peur qu’il ne soit pis. Or, je suis la mĂ©decine des infirmes, la vĂ©ritĂ© des errants. Mais ce religieux babillard ne dĂ©sire point de mĂ©decine, d’autant que la fiente et l’ordure de la science vaine sont dans son cƓur. Partant, je lui donnerai de ma main un soufflet, et tout le monde saura que je suis, non un Dieu babillard, mais puissant et redoutable.

Ce religieux, aprùs la tribulation, s’humilia et mourut paralytique.

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Chapitre 91.

JĂ©sus-Christ commande Ă  son Ă©pouse d’affermir le corps, afin que l’ñme ne soit empĂȘchĂ©e des choses divines

L’épouse sainte Brigitte ayant un jour trop jeĂ»nĂ© et veillĂ©, la tĂȘte et le corps lui dĂ©faillaient, et JĂ©sus-Christ lui parlant, elle ne comprit pas bien, parce qu’elle Ă©tait dĂ©bile. Lors Notre-Seigneur lui dit : Allez, donnez au corps avec modĂ©ration ce qui lui est nĂ©cessaire, car c’est mon plaisir que la chair ait modĂ©rĂ©ment le nĂ©cessaire, et que l’ñme ne soit empĂȘchĂ©e des choses spirituelles par faiblesse. 

Chapitre 92.

JĂ©sus-Christ reprend un moine qui disait devant un roi que sainte Brigitte Ă©tait trompĂ©e. 

Un moine porta un jour, le livre des Vies des PĂšres devant le roi de SuĂšde et ses conseillers, lisant en icelui que plusieurs PĂšres avaient Ă©tĂ© trompĂ©s Ă  raison des excessives et indiscrĂštes abstinences ; et partant, il dit qu’il craint que cette sainte ne le soit aussi. Sainte Brigitte, priant, ouĂŻt JĂ©sus-Christ qui lui disait : Qu’est-ce que ce moine dit que plusieurs de mes saints furent trompĂ©s ? VĂ©ritablement, ce sac de paroles a parlĂ© comme il a voulu, mais non pas comme il devait, car aucun de mes amis n’a Ă©tĂ© trompĂ©, car ils m’ont aimĂ© sagement ; mais ceux qui, s’enorgueillissant de leur abstinence et de leur justice, se prĂ©fĂ©raient aux autres, et qui n’ont voulu obĂ©ir aux hommes, ceux-lĂ  certes ont Ă©tĂ© trompĂ©s ; et d’autant que ce moine a portĂ© contre moi le livre des saints PĂšres, desquels il n’est pas imitateur,  je porterai aussi le livre de justice et de fureur contre lui ; et celui qui est louĂ© en sa sagesse viendra devant la mienne, et lors il verra que la vraie sapience n’est pas en la sublimitĂ© de la parole, mais en la conscience pure et en la vraie humilitĂ©. Oh ! que les professeurs de cet ordre se sont retirĂ©s loin des vertiges de leurs pĂšres ! car il a Ă©tĂ© comme l’édificateur de la haine dissipĂ©e, et comme un homme qui a suivi les pas des parfaits. 

P430

Chapitre 93. 

D’une vision remarquable d’une dame que  Notre-Dame et saint Pierre soutenaient, afin qu’elle ne tombĂąt, etc

Sainte Brigitte vit en esprit une femme assise sur une corde, l’un des pieds de laquelle soutenait un homme merveilleusement beau, l’autre une vierge d’une beautĂ© incomparable. Et lors la Sainte Vierge, lui apparaissant, lui dit : Cette femme qui vous est connue Ă©tant embrouillĂ©e dans les soins et sollicitudes de la chair, a Ă©tĂ© conservĂ©e des chutes d’une maniĂšre admirable ; certainement elle a eu plusieurs fois la volontĂ© de pĂ©cher, mais elle n’a trouvĂ© ni le lieu ni le temps, et ce bien lui a Ă©tĂ© donnĂ© par l’oraison de saint Pierre et de mon Fils, que cette femme aime ; quelquefois elle en a eu le lieu et le temps, mais non pas la volontĂ© et cela par ma charitĂ©, de moi qui suis MĂšre de Dieu ; et d’autant que son temps s’approchait, saint Pierre lui conseilla de faire quelque austĂ©ritĂ© en l’habit, dĂ©posant ses habits glorieux Ă  son exemple, qui, dans les prisons, avait endurĂ© la nuditĂ© et la faim, bien qu’il fĂ»t puissant au ciel et sur la terre. 

P431

Mais moi, MĂšre de Dieu, qui n’ai pas passĂ© une heure sans quelque tribulation et angoisse de cƓur, je vous conseille de n’ĂȘtre point honteuse de vous humilier et d’obĂ©ir aux amis de Dieu.

AprĂšs cela, saint Pierre l’apĂŽtre apparut, disant Ă  l’épouse : Vous ĂȘtes nouvelle Ă©pouse de mon Seigneur. Allez, et demandez Ă  cette femme si elle voulait ĂȘtre entiĂšrement ma fille, puisque je l’aime et la conserve.

Elle rĂ©pondit qu’elle le voulait ĂȘtre de tout son cƓur.

J’en aurai soin, dit-il, comme de ma fille PĂ©tronille, et la recevrai en ma garde.

Et soudain cette dame changea sa vie, et aprĂšs, elle fut malade tout le temps de sa vie, jusques Ă  ce qu’étant purifiĂ©e, elle rendit l’esprit. Mais Ă©tant quasi au dernier pĂ©riode de sa vie, elle vit saint Pierre l’apĂŽtre revĂȘtu pontificalement, et saint Pierre, martyr de l’ordre des FrĂšres prĂȘcheurs, car elle les avait aimĂ©s tous deux. Et lors elle dit clairement : Qu’est cela, O mon Seigneur ? Et ceux qui Ă©taient auprĂšs d’elle lui demandant si elle avait vu quelque chose : Des merveilles, dit-elle, car je vois saint Pierre revĂȘtu en pontife, et saint Pierre le martyr en l’habit de prĂ©dicateur, lesquels j’ai toujours aimĂ©s et ai espĂ©rĂ© en leurs priĂšres. Et soudain elle cria et dit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Dieu! Je viens Ă  vous . Et ainsi elle dĂ©cĂ©da.

P432

Chapitre 94.

La MĂšre de Dieu rĂ©vĂšle oĂč demeurĂšrent les Ăąmes que JĂ©sus-Christ affranchit de l’enfer, et les corps qui ressuscitĂšrent Ă  sa mort, etc. 

La MĂšre de Dieu dit : Mon Fils ressuscita un tel jour qu’aujourd’hui, fort comme un lion, car il brisa la puissance du diable, et affranchit les Ăąmes de ses Ă©lus, qui montĂšrent avec lui aux joies cĂ©lestes. Mais vous pourriez demander oĂč Ă©taient ces Ăąmes (1) qu’il avait dĂ©livrĂ©es de l’enfer jusqu’à ce qu’il monta au ciel.

Elles Ă©taient, dit la Sainte Vierge, en un lieu connu de mon Fils, car lĂ  Ă©taient la joie et la gloire, comme il dit au larron : Vous serez aujourd’hui en paradis avec moi. Plusieurs saints aussi ressuscitĂšrent en JĂ©rusalem, lesquels nous avons vu, et les Ăąmes desquels montĂšrent au ciel avec mon Fils ; mais leurs corps attendent encore avec les autres le jugement et la rĂ©surrection. Mais quant Ă  moi, qui suis MĂšre de Dieu, Ă©tant plongĂ©e en la douleur aprĂšs sa mort, mon Fils m’apparut avant qu’aux autres, et se montra sensiblement Ă  moi, me consolant et me disant qu’il monterait visiblement avec moi dans le ciel. Et bien que cela ne soit Ă©crit par mon humilitĂ©, nĂ©anmoins cela est vĂ©ritable que mon Fils apparut Ă  moi la premiĂšre. Or, d’autant que mon Fils m’a consolĂ©e un jour comme celui-ci, je veux aussi diminuer vos tentations et vous enseigner le moyen d’y rĂ©sister.

(1) Saint Thomas dit qu’elles Ă©taient dans les limbes pleines d’éclats. ( 3. p. q. 52. a. 4.)

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Vous admirez pourquoi  croissent en la vieillesse les tentations que vous n’avez eues ni en la jeunesse ni dans le mariage. Je vous rĂ©ponds que cela se fait, afin que vous sachiez que vous n’ĂȘtes rien et que vous ne pouvez rien sans mon Fils ; et si mon Fils ne vous avait gardĂ©e, il n’y a pĂ©chĂ© dans lequel vous ne fussiez plongĂ©e.

Partant, je vous donne trois remĂšdes contre vos tentations : quand vous ĂȘtes assaillie des tentations sales, dites : JĂ©sus, Fils de Dieu, qui connaissez toutes choses, aidez-moi, afin que je ne me dĂ©lecte en la vanitĂ© de ces pensĂ©es. Quand vous ĂȘtes tentĂ©e de parler, dites : JĂ©sus, Fils de Dieu, qui vous ĂȘtes tu devant le juge, tenez ma langue jusqu’à ce que j’aie pensĂ© ce que je dois dire et comment. Quand vous vous plaisez Ă  faire quelque Ɠuvre, manger ou reposer, dites : JĂ©sus, Fils de Dieu, qui avez  Ă©tĂ© liĂ©, gouvernez mes mains, tous mes membres et mes Ɠuvres, afin qu’elles tendent Ă  une bonne fin : cela vous sera en signe de ce que je dis, que dĂ©sormais votre corps ne prĂ©vaudra point sur votre esprit. 

ADDITION. 

Sainte Brigitte fut tentĂ©e en son oraison. La Sainte Vierge Marie lui dit : Le diable est comme un explorateur envieux cherchant sujet d’accuser et d’empĂȘcher les bons, afin qu’ils ne soient exaucĂ©s en leurs oraisons. Partant, quoique vous soyez assaillie en l’oraison de quelque tentation que ce soit, ne dĂ©sistez point, et efforcez-vous de mieux faire, car cet effort et ce dĂ©sir seront rĂ©putĂ©s devant Dieu pour l’effet de l’oraison ; et si vous ne pouvez rejeter les pen sĂ©es sales, l’effort vous sera des couronnes, pourvu que vous n’y consentiez et qu’elles soient contre votre volontĂ©.

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Chapitre 95.

D’un prince juste qui craignait d’accepter la royautĂ©, et ce que la MĂšre de Dieu lui dit. 

Au royaume de SuĂšde, un grand et illustre, qui s’appelait IsraĂ«l, Ă©tant souvent priĂ© par le roi de prendre le gouvernement du royaume, le refusa, tant il brĂ»lait de dĂ©sir de combattre contre les paĂŻens, de mourir pour la foi au service de Dieu, et de n’avoir inclination aucune Ă  la dignitĂ© royale ! Lors la Sainte Vierge dit Ă  sainte Brigitte, qui Ă©tait en oraison : Si ceux qui ont et savent la justice, qui la dĂ©sirent, qui la peuvent faire, refusent d’entreprendre la charge et la peine pour l’amour de Dieu, comment le royaume demeurera-t-il en sa vigueur ? Malheur ! Il ne sera pas royaume, mais une volerie, une caverne de tyrans oĂč les mĂ©chants commandent et oĂč les justes sont foulĂ©s aux pieds. 

Et partant, l’homme juste et bon doit ĂȘtre attirĂ© par l’amour de Dieu et par le zĂšle au gouvernement, afin qu’il profite Ă  plusieurs. Et ceux qui ambitionnent les dignitĂ©s pour l’honneur du monde, ne sont pas de vrais princes, mais des tyrans trĂšs-mĂ©chants. Que donc IsraĂ«l, mon ami, entreprenne le gouvernement pour l’honneur de Dieu, ayant en la bouche les paroles de vĂ©ritĂ©, et en la main le glaive de justice, ne regardant ni inclinant aux faveurs du monde, ni aux alliĂ©s, ni ayant acception de personnes.

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Je ne vous dis pas ce qui se dira de celui-ci de la bouche des hommes. Il est sorti généreusement de sa patrie ; il a honoré sincÚrement : partant, sachez que je le conduirai à ma patrie par une autre voie.

Ces choses arrivĂšrent ensuite en mĂȘme maniĂšre, car quelques annĂ©es s’étant Ă©coulĂ©es, ce seigneur alla contre les fidĂšles et vint aux Allemagnes, oĂč il fut grandement malade ; et sentant que la mort s’approchait, il monta avec quelques-uns Ă  l’église cathĂ©drale, et lĂ , il mit son anneau au doigt d’une image de Notre-Dame qu’il avait tant aimĂ©e, et qui Ă©tait lĂ  honorĂ©e avec une trĂšs-grande rĂ©vĂ©rence ; et laissant lĂ  son anneau, il dit : Vous ĂȘtes ma Dame et me l’avez Ă©tĂ© toujours trĂšs-douce, sur quoi je vous appelle Ă  tĂ©moin. Je vous laisse moi et mon Ăąme Ă  votre providence et misĂ©ricorde. Et ayant trĂšs-dĂ©votement pris les sacrements, il mourut.

AprĂšs, l’épouse priant pour lui, la MĂšre de Dieu parlait de lui, disant : Il m’a donnĂ© l’anneau de son amour, me dĂ©sirant pour Ă©pouse. Sachez, ma fille, qu’en vĂ©ritĂ© il m’a aimĂ©e de tout son cƓur, et il a craint mon Fils en toutes ses Ɠuvres et jugements : c’est pourquoi je le conduis par la grĂące et coopĂ©ration de Dieu, mon Fils, par les voies les plus nĂ©cessaires et  Ă  lui plus utiles, et l’ai prĂ©sentĂ© Ă  la troupe des saints et des anges, desquels il Ă©tait aimĂ©, afin que, s’il fĂ»t mort en la main de ses parents, les consolations temporelles ne l’eussent empĂȘchĂ© de plus grands biens. En vĂ©ritĂ©, sa bonne volontĂ© a autant plu Ă  Dieu que s’il fĂ»t mort parmi les paĂŻens, combattant contre eux pour la sainte foi catholique.

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DÉCLARATION.

Ce Seigneur Ă©tait frĂšre de sainte Brigitte.

Chapitre 96.

Pourquoi, un jour, les cloches de l’église de Saint-Pierre de Rome brĂ»laient.

Peu avant la mort d’un pape, les cloches brĂ»laient d’une maniĂšre admirable, ce que l’épouse voyant, s’en Ă©tonnait, et JĂ©sus-Christ lui apparut en cet Ă©tonnement, disant : Ma fille, ceci est un grand signe, car il est Ă©crit que tous les Ă©lĂ©ments comme compatissaient Ă  ma mort, quand ils retirĂšrent leur splendeur accoutumĂ©e et leurs effets : de mĂȘme les Ă©lĂ©ments et les crĂ©atures combattent souvent et jugent les jugements de Dieu, et manifestent en leurs cƓurs l’ire et l’indignation divine, et les signes Ă©vidents des Ă©vĂšnements futurs. Or, maintenant, les cloches brĂ»lent, et quasi toutes crient que le seigneur est mort. Le pape est dĂ©cĂ©dĂ©. Que ce jour soit bĂ©ni, mais non pas ce seigneur. O chose admirable ! LĂ  oĂč tous devaient crier : Qu’il meure et qu’il ne ressuscite point ! Il n’est pas de merveilles, car celui qui devait leur dire : Venez, et vous trouverez le repos de vos Ăąmes,  criait et disait : Venez, et voyez-moi en ma pompe et en mon ambition plus que Salomon. Venez Ă  ma cour et videz vos bourses, et vous trouverez la perdition de vos Ăąmes. C’est de la sorte qu’il criait par paroles et par exemples : et partant, le temps de l’ire s’approche,  et je le jugerai comme un dissipateur du troupeau de saint Pierre. HĂ©las ! HĂ©las ! Quel jugement lui reste-t-il ? VĂ©ritablement, s’il voulait encore se convertir Ă  moi, je lui irais au-devant au milieu du chemin comme un pĂšre clĂ©ment. 

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Chapitre 97. 

Comment Dieu veut que le pĂȘcheurs soient avertis de confesser leurs fautes

Un grand seigneur selon le monde n’avait pas Ă©tĂ© Ă  confesse depuis longtemps, et tant qu’il diffĂ©rait d’y aller, il Ă©tait malade. L’épouse, en ayant compassion, priait pour lui. Mais Notre-Seigneur, apparaissant lors Ă  l’épouse, lui parlait, disant : Dites Ă  votre confesseur qu’il visite ce malade et qu’il oie sa confession. 

Le confesseur Ă©tant arrivĂ© auprĂšs  du malade, le malade lui dit qu’il n’avait point besoin de confession, disant qu’il s’était souvent confessĂ©. 

Le lendemain, JĂ©sus-Christ commanda que le confesseur y retournĂąt. Il y retourna, et le malade lui dit comme dessus. 

Le confesseur y retournant le troisiĂšme jour par la rĂ©vĂ©lation qui en avait Ă©tĂ© faite Ă  sainte Brigitte, lui dit : JĂ©sus-Christ, Fils de Dieu, vous parle aussi et le diable en cette maniĂšre : Vous avez en vous sept dĂ©mons : l’un est au cƓur, le liant afin que vous n’ayez contrition de vos pĂ©chĂ©s. L’autre est aux yeux, afin que vous ne voyiez ce qui est plus utile Ă  votre Ăąme. Le troisiĂšme est en votre bouche, afin que vous ne disiez des paroles Ă  l’honneur de Dieu. La quatriĂšme est Ăšs parties infĂ©rieures, c’est pourquoi vous aimez toute sorte d’impuretĂ©s. Le cinquiĂšme est en vos pieds et en vos mains, c’est pourquoi vous ne craignez point de tuer et de dĂ©pouiller les hommes. Le sixiĂšme est dans votre intĂ©rieur, c’est pourquoi vous ĂȘtes adonnĂ© Ă  l’ivrognerie. Le septiĂšme est en votre Ăąme, oĂč Dieu devrait ĂȘtre, et est son ennemi. Partant, faites au plutĂŽt pĂ©nitence, car Dieu vous sera encore propice.

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Lors ce malade dit, les larmes aux yeux : Comment me pourriez-vous persuader que Dieu me pardonnera, à moi qui suis enveloppé en tant et tant de crimes publics ?

Le confesseur rĂ©pondit : Je vous le jure, et je l’ai expĂ©rimentĂ©, qu’encore que vous eussiez commis les plus grands crimes du monde, vous pouvez ĂȘtre sauvĂ© par la sainte confession et la contrition.

Il dit encore en pleurant : Je dĂ©sespĂšre du salut de mon Ăąme, d’autant que j’ai fait hommage au diable qui m’apparut souvent ; c’est pourquoi je ne me suis jamais confessĂ©, bien que j’aie soixante ans, ni n’ai jamais reçu le corps de JĂ©sus-Christ, mais je feignais d’avoir des affaires, quand il y fallait aller. Or, maintenant je confesse que je ne sache jamais avoir eu des larmes de  cette maniĂšre.

Ce jour-lĂ  il se confessa quatre fois, et le lendemain il communia, aprĂšs s’ĂȘtre encore confessĂ©. AprĂšs cela, il mourut le sixiĂšme jour.

JĂ©sus-Christ, parlant de ce pĂ©cheur Ă  son Ă©pouse, lui dit : Cet  homme servait un larron, le pĂ©ril duquel je vous ai montrĂ© ci-dessus, et le diable se retire maintenant de lui Ă  qui il faisait hommage, et cela Ă  raison de la contrition qu’il a eue, et maintenant il va se purifiant, et le signe de son affranchissement fut la contrition finale.

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Mais vous me pouvez demander comment pouvait mĂ©riter la contrition celui qui Ă©tait plongĂ© en tant de crimes. Je vous rĂ©ponds : Ma dilection l’a fait et voulu ainsi, car j’attends la conversion des hommes jusques au dernier point de leur vie, et le mĂ©rite de ma MĂšre y a aidĂ© ; car bien que cet homme ne l’ait pas aimĂ©e de cƓur, nĂ©anmoins, d’autant qu’il avait accoutumĂ© d’avoir compassion de sa douleur, tout autant de fois qu’il l’oyait nommer et la considĂ©rait, c’est pourquoi il a trouvĂ© le salut et il est sauvĂ©. 

Chapitre 98.

D’une abbesse qui, par la propriĂ©tĂ© et autres crimes, Ă©tait pour ses SƓurs un exemple de perdition. 

Pour les BĂ©nĂ©dictins. 

Le Fils de Dieu parle : Cette abbesse est comme une des vaches grasses, qui plongeant et trempant sa queue dans les ordures, en salit les autres : en effet, elle scandalise ses SƓurs par son exemple pernicieux ; son habit plissĂ© et affectĂ© montre bien qu’elle n’est pas fille de saint BenoĂźt ni Ă©pouse humble, d’autant qu’elle a mis en oubli ses saintes Ă©pousailles, car sa rĂšgle dit qu’elle doit avoir la plus rude et la plus vile, et elle en porte des plus molles, des plus belles et des plus dĂ©lectables.

La rĂšgle commande aussi de manger ce qui est nĂ©cessaire avec sobriĂ©tĂ© et crainte, et dĂ©fend d’avoir quelque chose de propre ; mais celle-ci a du propre, du quel elle s’engraisse comme une vache du diable, suivant sa propre volontĂ©.

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La rĂšgle dit aussi que toutes choses sont Ăšs mains de l’abbesse, ne considĂ©rant par l’intention de mon saint BenoĂźt, qui a tout mis en la main de l’abbĂ©, afin qu’il fĂ»t discret, l’exemple des vertus et celui qui suit de plus prĂšs la rĂšgle.

Mais cette abbesse a reçu le nom et la parole de puissance pour sa dissolution et se ruine, ne considĂ©rant point qu’elle me rendra raison de toutes les Ăąmes de ses SƓurs. Partant, sachez que si elle ne corrige ses mƓurs et celles de ses SƓurs, elle s’en ira en enfer avec les vaches grasses, et les corbeaux de l’enfer la dĂ©chireront toute, puisqu’elle n’a pas voulu voler dans le ciel avec les humbles et avec les sobres.

DÉCLARATION. 

Cette abbesse, Ă©tant morte, apparut Ă  sainte Brigitte un peu blanche, mais comme enveloppĂ©e dans un rets de fer ; sa langue semblait de feu ; ses mains et ses pieds semblaient de plomb et ses yeux remplis de larmes ; et elle dit Ă  sainte Brigitte : Vous vous Ă©tonnez pourquoi je parais si difforme : telle est la rĂ©tribution de la justice divine. Ma blancheur signifie la virginitĂ© de mon corps, mais le filet de fer marque que je n’ai pas gardĂ© les observances rĂ©guliĂšres et le bien de la patience ; car comme aux rets plusieurs anneaux sont enlacĂ©s, de mĂȘme j’endure plusieurs tourments pour l’omission de tant de bonnes Ɠuvres que je ne faisais pas, quand j’en avais le temps.

Quant Ă  ce que ma langue paraĂźt de feu, j’en suis digne, d’autant que, contre ma profession, je la lĂąchais en paroles de vanitĂ© et de cajolerie.

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Mes mains et mes pieds apparaissent de plomb, et Ă  bon droit, d’autant que mes Ɠuvres, qui sont dĂ©signĂ©es par mes mains qui devaient ĂȘtre Ă©clatantes comme de l’or, sont molles et dissolues comme du plomb.

Mes pieds aussi, par lesquels je devais aller donner Ă  mes SƓurs de bons exemples et de saintes conversations, se glissĂšrent Ăšs façons mondaines, et Ă©taient paresseux Ă  tout bien spirituel.

Mes yeux vous apparaissent tout Ă©plorĂ©s, et Ă  juste raison, d’autant que je me gardais de pleurer quand je devais laver les crimes de ma vie. Je suis nĂ©anmoins en Ă©tat de misĂ©ricorde et en attente d’une bonne espĂ©rance, pour les priĂšres qui se font en l’Église par les saints et par le sang de JĂ©sus-Christ. 

Chapitre 99.

D’un diable qui induisait des moniales Ă  la propriĂ©tĂ© pour faire des aumĂŽnes. 

On  voyait un Ă©pouvantable et horrible Ethiopien en un monastĂšre, entre les religieuses voilĂ©es, revĂȘtu d’un habit noir, en forme de moine, sur quoi l’épouse admirant, JĂ©sus-Christ lui dit : Il est Ă©crit dans mon Évangile qu’il se faut donner garde de ceux qui vont revĂȘtus de vĂȘtements de brebis, et qui, au dedans, sont des loups ravissants : je vous en dis de mĂȘme maintenant : cet Ethiopien, qui paraissait entre les moniales avec l’habit de moine, est un diable de cupiditĂ© qui suggĂšre aux filles d’amasses des richesses et des mĂ©tairies, afin d’en vivre avec plus de largesse et d’en faire des aumĂŽnes, afin que, sur ce prĂ©texte de religion, se retirant de la pauvretĂ©, qui m’est tant agrĂ©able, elles soient peu Ă  peu en entiĂšre dissolution, et prĂ©variquant contre la rĂšgle, et s’éloignant de la premiĂšre observance, elles perdent les Ăąmes. 

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Partant, sachez que, si elles ne se donnent garde de ce loup de cupiditĂ©, savoir, se contentant de ce qu’elles ont en commun et ne voulant en rien accroĂźtre en possessions ni richesses passagĂšres, elles seront toutes gĂątĂ©es, mĂȘme les plus saintes Ă  leur damnation, et aprĂšs, elles seront dĂ©chirĂ©es sans misĂ©ricorde par les loups, car je prends plus de plaisir qu’elles vivent en leur pauvretĂ© pacifique et sainte qu’elles professent, que s’intriguant dans les soins temporels, elles se glorifient en vain de la distribution de leurs aumĂŽnes. 

Chapitre 100

JĂ©sus-Christ assure de ce qui est rĂ©vĂšle en ses Ɠuvres, etc. 

L’épouse craignait que les paroles de ses livres divinement rĂ©vĂ©lĂ©es ne fussent infirmĂ©es et calomniĂ©es des envieux et des mĂ©chants. Notre-Seigneur lui dit : J’ai deux bras : avec l’un j’embrasse le ciel et tout ce qui y est ; avec l’autre j’embrasse la terre et la mer. J’étends le premier Ă  mes Ă©lus, les honorant et les consolant en la terre et au ciel. J’étends le second sur les malices des hommes, les souffrant misĂ©ricordieusement, les retenant afin qu’ils ne fassent autant de mal qu’ils voudraient. Partant, ne craignez point, d’autant que pas un ne pourra infirmer mes parole, mais elles parviendront aux lieux et aux nations qui me sont agrĂ©ables. NĂ©anmoins, sachez que ces paroles sont comme de l’huile, c’est pourquoi elles doivent ĂȘtre mĂąchĂ©es, considĂ©rĂ©es et expliquĂ©es, maintenant par les envieux, maintenant par ceux qui veulent savoir, maintenant par ceux qui cherchent occasion que mon honneur et ma patience soient employĂ©. 

P443

Chapitre 101.

Notre-Seigneur commande Ă  sainte Brigitte de mettre par Ă©crit tout ce qu’il lui a dit. 

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant : Je suis comme un seigneur dont l’ennemi tellement enchantĂ© et opprimĂ© les enfants qu’ils le glorifient mĂȘme dans les captivitĂ©s, qu’ils ne veulent par mĂȘme lever les yeux ni Ă  leur pĂšre ni Ă  leur hĂ©ritage. Partant, Ă©crivez ce que vous oirez de moi, et l’envoyez Ă  mes enfants et Ă  mes amis, afin qu’eux sĂšment cette doctrine parmi les nations, afin qu’elles connaissent leur ingratitude et ma patience, car je veux montrer aux nations ma justice et ma charitĂ©. 

Chapitre 102. 

Notre-Seigneur avertit une infirme d’ĂȘtre patiente. Grandeur des indulgences. 

Une dame de SuĂšde, Ă©tant malade depuis longtemps Ă  Rome, dit Ă  sainte Brigitte comme en riant : Le bruit est qu’en ce lieu, il y a absolution des coulpes et des peines, mais il n’y a rien d’impossible Ă  Dieu, car j’expĂ©rimente pour le moins la peine.

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Le matin suivant, l’épouse ouĂŻt en esprit une voix qui lui disait : Ma fille, cette femme m’est agrĂ©able, d’autant qu’elle a vĂ©cu dĂ©votement et a nourri ses filles pour mon honneur ; mais elle n’a pas tant eu de contrition en ses peines qu’elle en eĂ»t eu en ses pĂ©chĂ©s, si mon amour ne l’eĂ»t retenue et conservĂ©e. Mais d’autant que je pourvois Ă  chacun en la santĂ© et en l’infirmitĂ©, comme je vois ĂȘtre expĂ©dient Ă  un chacun, je ne dois ĂȘtre fĂąchĂ© de pas un ni jugĂ©, mais ĂȘtre craint et rĂ©vĂ©rĂ© partout. Dites-lui aussi que les  indulgences de Rome sont plus grandes que les hommes ne le croient, car ceux qui viennent Ă  Rome pour gagner les indulgences avec les dispositions requises, pĂ©nitents et confĂšs, non-seulement obtiennent la rĂ©mission de leurs pĂ©chĂ©s, mais obtiennent aussi la gloire Ă©ternelle, car si l’homme endure mille morts pour l’amour de Dieu, il ne serait pas digne de la moindre gloire qui est donnĂ©e aux saints ; et bien que l’homme en puisse vivre tant de milliers d’annĂ©es, nĂ©anmoins, d’autant qu’il a des pĂ©chĂ©s infinis en malice et en objet, sont dues peines infinies auxquelles l’homme ne saurait satisfaire en cette vie ; c’est pourquoi les maux sont relaxĂ©s Ă  raison des indulgences ; les peines dures et longues sont changĂ©es en courtes, et ceux qui ont gagnĂ© les indulgences avec une charitĂ© parfaite et qui dĂ©cĂšdent, non-seulement sont dĂ©livrĂ©s des pĂ©chĂ©s, mais encore de la peine due aux pĂ©chĂ©s, d’autant que moi, Dieu, je ne donnerai pas seulement Ă  mes saints et Ă  mes Ă©lus ce qu’ils demandent, mais je le doublerai et le multiplierai avec amour. Partant, avertissez cette malade qu’elle prenne patience et qu’elle soit constante, car je ferai ce qui sera le plus utile Ă  son salut. 

P445

DÉCLARATION. 

Sainte Brigitte vit que l’ñme de cette dame montait comme tout embrasĂ©e, vers laquelle accoururent plusieurs Éthiopiens, de la vue desquels l’ñme fut Ă©tonnĂ©e et effrayĂ©e ; et soudain elle vit comme une Vierge trĂšs-belle venir Ă  son secours, qui dit aux Éthiopiens : Qu’avez-vous affaire avec cette Ăąme, qui est de la famille des nouvelles Ă©pouses de mon Fils ? Et soudain les Éthiopiens, s’enfuyant, la suivaient de loin.

Or, l’ñme Ă©tant arrivĂ©e au jugement de Dieu le Juge lui dit : Qui rĂ©pondra pour cette ame et qui est son avocat ?

Et Ă  l’instant, on vit saint Jacques lĂ  prĂ©sent : Je suis tenu, ĂŽ mon Seigneur, de parler pour elle, car elle s’est souvenue de moi en ses grandes angoisses. O Seigneur, ayez misĂ©ricorde d’elle, car elle a voulu et n’a pu.

Le Juge dit : Qu’a-t-elle voulu qu’elle ne l’ait pu ?

Elle vous a voulu servir de tout son cƓur, mais elle n’a pas Ă©tĂ© si forte, d’autant que les infirmitĂ©s l’en ont retardĂ©e.

Lors le Juge dit Ă  l’ñme : Allez, car votre foi et votre volontĂ© vous ont sauvĂ©e.

Et soudain l’ñme est sortie de la prĂ©sence du Juge avec une grande joie, et Ă©tait reluisante comme une Ă©toile ; et ceux qui Ă©taient lĂ  prĂ©sents dirent : BĂ©nie soyez-vous, ĂŽ Dieu ! qui Ă©tiez, ĂȘtes et serez, qui ne retirez jamais votre misĂ©ricorde de ceux qui espĂšrent en vous !

P446

Chapitre 103.

Comment saint Nicolas apparut Ă  sainte Brigitte, et des merveilles

Sainte Brigitte, visitant les reliques de saint Nicolas de Baro en son sĂ©pulcre, commença Ă  penser Ă  la liqueur de l’huile qui coulait de son corps, et lors ravie hors de soi en esprit, elle vit une personne ointe d’huile et parfumĂ©e, qui lui dit : Je suis Nicolas, Ă©vĂȘque, qui vous apparais en telle forme que j’avais, avec les dispositions que j’avais en l’ñme quand je vivais, car tous mes membres Ă©taient tellement habituĂ©s au service de Dieu, comme les choses qui sont ointes, qui sont flexibles Ă  ce qu’on veut ; et partant, mon Ăąme louait Dieu avec une joie indicible, et ma bouche prĂȘchait la parole divine, et en mes Ɠuvres on trouvait la patience, outre les vertus d’humilitĂ© et de chastetĂ© que j’ai aimĂ©es singuliĂšrement ; mais d’autant que maintenant il y a plusieurs os aride de l’humeur divine, c’est pourquoi ils donnent le son de vanitĂ© et font du bruit ; ils sont inhabiles pour produire les fruits de justice, et sont en abomination devant Dieu. Or, sachez que comme la rose donne l’odeur et le raisin la douceur, de mĂȘme Dieu donne Ă  mon corps d’épandre et de distiller de l’huile et une singuliĂšre bĂ©nĂ©diction, d’autant qu’il n’honore pas seulement les saints au ciel, mais les rĂ©jouit et les exalte en la terre, afin que plusieurs soient Ă©difiĂ©s et participent aux grĂąces qui me sont donnĂ©es.

P447

Chapitre 104.

Sainte Anne enseigne Ă  sainte Brigitte une oraison pour l’honorer et pour impĂ©trer de Dieu des enfants. 

Le sacristain du monastĂšre de Saint-Paul hors les murs de Rome, donna Ă  sainte Brigitte des reliques de sainte Anne, mĂšre de la MĂšre de Dieu ; or, elle, pensant comment elle pourrait les enchĂąsser et les honorer, saint Anne lui apparut, disant : Je suis Anne, la dame de tous les mariĂ©s fidĂšles qui sont aprĂšs la loi, d’autant que Dieu a voulu naĂźtre de ma race : partant, vous, ma fille, honorez Dieu en cette maniĂšre :

BĂ©ni soyez-vous, JĂ©sus, Fils de Dieu et Fils de la Vierge, qui vous ĂȘtes choisis une MĂšre du mariage d’Anne et de Joachim ! Partant, ayez misĂ©ricorde de tous les mariĂ©s pour l’amour des priĂšres de sainte Anne, afin qu’ils fructifient Ă  Dieu. Dirigez aussi tous ceux qui tendent au mariage, pour que Dieu soit honorĂ© en eux. Les reliques que vous avez de moi seront en soulagement aux bien-aimĂ©s, jusques Ă  ce qu’il plaise Ă  Dieu d’honorer plus hautement le jour de la rĂ©surrection derniĂšre. 

P448

Chapitre 105. 

La MĂšre de Dieu exhorte Ă  visiter les saints lieux de Rome, etc. 

La MĂšre de Dieu dit Ă  l’épouse sainte Brigitte : pourquoi vous troublez-vous ?

Elle rĂ©pondit : Je me trouble d’autant que je ne visite pas les saints lieux qui sont Ă  Rome.

La MĂšre lui repartit : Il vous est permis de les visiter avec l’humilitĂ©, rĂ©vĂ©rence et dĂ©votion, car Ă  Rome, il y a de plus grandes indulgences que les hommes ne croient, lesquelles les saints et amis de Dieu ont mĂ©ritĂ© d’impĂ©trer de mon Fils par leur sang et par leurs priĂšres. NĂ©anmoins, ma fille, ne quittez point l’étude de la grammaire ni la sainte obĂ©issance de votre PĂšre spirituel. 

Chapitre 106. 

Il est traitĂ© d’un dissimulateur qui, feignant d’avoir quittĂ© le monde, demandait Ă  sainte Brigitte en quel Ă©tat il pourrait servir  Dieu. 

Un homme disait qu’il voulait servir Dieu et voulait savoir en quel Ă©tat il plairait plus Ă  Dieu : il consulta pour cela sainte Brigitte, dĂ©sirant avoir en cela la rĂ©ponse divine ; duquel Notre-Seigneur parlant, dit Ă  son Ă©pouse : Celui-ci n’est point encore arrivĂ© au Jourdain, et moins, l’a-t-il passĂ©, comme on Ă©crit d’Élie qu’ayant passĂ© le Jourdain et Ă©tant arrivĂ© au dĂ©sert, il  ouĂŻt les secrets divins. Mais quel est ce Jourdain, sinon le monde, qui s’écoule comme de l’eau, d’autant que les choses temporelles montent tantĂŽt avec l’homme, tantĂŽt descendent ; maintenant l’élĂšvent en honneur et prospĂ©ritĂ©s, ores l’oppriment par l’adversitĂ©, de sorte que l’homme n’est jamais sans soin et tribulation ? il est donc nĂ©cessaire que celui qui dĂ©sire les choses cĂ©lestes retire de son esprit toutes les affections terrestres, car celui Ă  qui Dieu est doux, les choses caduques et passagĂšres lui son vĂ©ritablement viles. Mais cet homme n’est pas encore parvenu Ă  ce point qu’il mĂ©prise toutes choses, voire il a encore sa volontĂ© en ses mains. Partant, il n’ouĂŻra point les secrets du ciel, jusques Ă  ce que plus parfaitement il mĂ©prise le monde et qu’il rĂ©signe sa volontĂ© en la main de Dieu. 

P449

Chapitre 107. 

Notre-Seigneur dit qu’il garde ses Ă©lus comme l’aigle ses petits. Il conseille Ă  sainte Brigitte de visiter le corps de saint AndrĂ©. 

Le Fils de Dieu parle Ă  son Ă©pouse, disant : L’aigle voit d’en haut celui qui veut nuire Ă  ses petits, et le prĂ©vient par son vol trĂšs-prompt, les dĂ©fendant : de mĂȘme je prĂ©vois tout ce qui vous est de plus salutaire. C’est pourquoi je dis souvent : Attendez. Et derechef je dis : Allez. Mais d’autant qu’il est maintenant temps, allez maintenant Ă  la citĂ© d’Amaphre Ă  mon apĂŽtre AndrĂ©, le corps duquel a Ă©tĂ© mon temple trĂšs-ornĂ© de toute sorte de vertus ; c’est pourquoi il a Ă©tĂ© lĂ  le dĂ©positaire des fidĂšles et le secours des pĂȘcheurs, car ceux qui vont lĂ  d’une Ăąme fidĂšle, non-seulement seront dĂ©chargĂ©s des pĂ©chĂ©s, mais auront la vie Ă©ternelle ; ni n’est pas de merveilles, car lui n’a pas eu honte de ma croix, mais il la porta joyeusement ; et partant, je n’ai pas honte d’ouĂŻr et de recevoir ceux pour lesquels il prie, car sa volontĂ© est la mienne. Quand vous serez chez lui, tournez soudain Ă  Naples pour ma NativitĂ©.

L’épouse dit : O Seigneur, notre temps et notre Ăąge se passe, les infirmitĂ©s s’approchent, et le soutien temporel se diminue.

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Notre-Seigneur lui dit : Je suis l’auteur de la nature, le Seigneur et le rĂ©formateur. Je suis aussi aide dans les nĂ©cessitĂ©s, protecteur et distributeur ; car comme celui qui a un cheval qui lui est char n’épargne point son prĂ©, bien qu’il soit agrĂ©able, afin que lĂ  ce cheval paisse, de mĂȘme moi, qui ai toutes choses et ne manque de rien, qui regarde l’esprit de tous, j’inspirerai aux cƓurs de ceux qui m’aiment de faire du bien Ă  ceux qui m’aiment, car j’avertis mĂȘme ceux qui ne m’aiment point, afin qu’ils fassent du bien Ă  mes amis et qu’ils deviennent meilleurs par leurs priĂšres. 

Chapitre 108. 

D’une apparition faite Ă  sainte Brigitte Ă  Rome de saint Etienne, etc. 

Pour le jour de saint Etienne. 

Sainte Brigitte, Ă©pouse, priait au sĂ©pulcre de saint Etienne Ă  Rome hors les murs, disant : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ saint Etienne ! qui ĂȘtes du mĂȘme mĂ©rite que saint Laurent, car comme il prĂȘchait aux infidĂšles, de mĂȘme vous prĂȘchiez aux juifs ; et comme saint Laurent a souffert le feu avec joie, de mĂȘme cous avez endurĂ© les pierres : C’est pourquoi vous ĂȘtes louĂ© le premier des martyrs.

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Lors saint Etienne lui apparut, disant : J’ai commencĂ© dĂšs ma jeunesse d’aimer Dieu chĂšrement, car j’ai eu des parents soigneux du salut de mon Ăąme. Or, quand Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ fut incarnĂ© et qu’il commença de prĂȘcher, lors je l’écoutais de tout mon cƓur, et soudain aprĂšs son ascension, je m’unis avec les apĂŽtres, servant avec humilitĂ© en la charge qui m’étais enjointe. Je prenais joyeusement occasion de parler constamment avec les Juifs qui blasphĂ©maient JĂ©sus-Christ. Je reprenais l’endurcissement de leur cƓur, Ă©tant prĂȘt Ă  mourir pour la vĂ©ritĂ© et Ă  imiter mon Seigneur. Mais il y avait trois choses qui coopĂ©raient Ă  ma couronne, dont je me rĂ©jouis maintenant : la premiĂšre fut ma bonne volontĂ© ; la deuxiĂšme l’oraison des apĂŽtres ; la troisiĂšme la passion et l’amour de Dieu. C’est pourquoi je possĂšde aussi trois sortes de biens : le premier est que je vois incessamment la face et la gloire de Dieu ; la deuxieme est que je peux tout ce que je veux, et je ne veux sinon ce que Dieu veut ; le troisiĂšme que ma joie sera sans fin, et d’autant que vous vous rĂ©jouissez de ma gloire, mon oraison vous aidera pour avoir une plus grande connaissance de Dieu, et l’Esprit de Dieu persĂ©vĂ©rera avec vous. Vous irez en JĂ©rusalem, lieu de ma passion. 

Chapitre 109. 

RĂ©prĂ©hension et avis que la Sainte Vierge Marie donne Ă  un spirituel. 

La MĂšre de Dieu parle : LĂ  oĂč est une trĂšs-bonne viande, si on y verse quelque amertume, elle est soudain vile et mĂ©prisĂ©e : de mĂȘme quelqu’un pourrait avoir toutes les vertus ; s’il se plaĂźt en quelque pĂ©chĂ©, il ne plaĂźt point Ă  Dieu : partant, ĂŽ Brigitte, dites Ă  ce mien ami que, s’il dĂ©sire plaire Ă  mon Fils et Ă  moi, il ne se confie point en sa vertu ; qu’il contienne sa langue d’une grande quantitĂ© et vanitĂ© de paroles provoquant le rire ; qu’il garde qu’en ses mƓurs on ne trouve point de lĂ©gĂšretĂ©, car il doit porter les fleurs Ă  la bouche, afin d’attirer les autres aux fruits. Que si on trouve quelque chose d’amer entre les fleurs, les fleurs sont mĂ©prisĂ©es et on ne dĂ©sire pas les fruits, quoique bons : partant, dites-lui que comme l’homme et sa femme s’aiment quelquefois pour la seule sustentation du corps, et que comme quelquefois on est dans le monastĂšre pour le seul bien du corps, de mĂȘme cet homme que vous connaissez dĂ©sire ĂȘtre dans le monastĂšre pour le bien corporel, afin de ne souffrir rien de contraire ; il dĂ©sire aussi d’ĂȘtre pauvre Ă  condition que rien en lui manque : partant, qu’il laisse donc sa propre volontĂ©, car Dieu aime plus qu’on vive au monde justement et qu’on travaille de ses propres mains, que dans le dĂ©sert ou religion sans l’amour de Dieu. 

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Chapitre 110. 

JĂ©sus-Christ dit Ă  l’épouse ce que signifient les sept tonnerres. 

Un docteur demanda une fois Ă  sainte Brigitte ce que signifiaient les sept tonnerres. Elle, Ă©tant ravie en esprit, ouĂŻt de JĂ©sus-Christ ce qui suit :

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Ne croyez pas, ma fille, qu’il faille penser qu’en ma DivinitĂ© il y ait quelque chose temporelle, ni qu’il y ait des tonnerres, des vents, ou des crĂ©atures sensibles ayant une voix humaine. Mais Jean vit par mon inspiration les dangers futurs de l’Église sous des espĂšces corporelles, lesquelles choses, s’il les eĂ»t Ă©crites devoir venir en un certain temps, les auditeurs les eussent eues en horreur, et les attendant, ils se fussent sĂ©chĂ©s de crainte et  d’effroi. Partant, il lui fut commandĂ© de marquer ce qu’il vit, mais non pas de l’écrire, car lĂ  oĂč quelque chose est marquĂ©e, c’est un signe qui porte de la crainte et de l’effroi, comme nous voyons aux hurlements des tonnerres, des foudres et des vents, car ils signifiaient les menaces furieuses des tyrans qui troublaient mon Église, lesquelles Jean voyait si vĂ©hĂ©mentes par esprit de prophĂ©ties qu’il fallait plutĂŽt les marquer que les dĂ©clarer par Ă©crit ; car comme celui qui Ă©crit ou dit une petite parabole qui signifie beaucoup, afin que les auditeurs aient sujet de craindre les choses futures, de mĂȘme j’ai montrĂ© les choses futures, mais je ne les ai point exposĂ©es, afin que les hommes en eussent crainte ; et d’autant que le temps n’était pas arrivĂ© qu’on cassĂąt la noix et qu’on en retirĂąt le noyau, je les ai voulu montrer fort obscurĂ©ment, car on doit plutĂŽt prĂ©parer le vase qu’y verser la liqueur. Sachez aussi que de si grands tonnerres et foudres viendront en mon Eglise que plusieurs de ceux qui vivent maintenant le verront avec une si grande douleur qu’ils dĂ©sireront la mort, et elle s’enfuira d’eux. 

Chapitre 111. 

L’obĂ©issance est prĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la chastetĂ©, et elle introduit Ă  la gloire. 

Le Fils de Dieu dit Ă  saint Brigitte : Que craignez-vous ? Bien que vous mangeassiez dix fois le jour par le commandement de l’obĂ©issance, certainement il ne vous serait point imputĂ© Ă  pĂ©chĂ©, car la virginitĂ© mĂ©rite la couronne, la viduitĂ© s’approche de Dieu, mais l’obĂ©issance les introduit tous en la gloire.

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Chapitre 112.

De la peau qui fut ĂŽtĂ©e Ă  la circoncision Ă  Notre-Seigneur, et du sang, qui furent donnĂ©s en garde Ă  saint Jean. 

La sainte MĂšre de Dieu dit : Lorsque mon Fils fut circoncis, je gardai la membrane avec un grand honneur partout oĂč l’allais, car comment eussĂ©-je pu la remettre en la terre, ayant Ă©tĂ© engendrĂ©e de moi sans pĂ©chĂ© ? Quand le temps de mon dĂ©part du monde s’approchait, je la donnai en garde Ă  saint Jean, mon gardien, avec le sang prĂ©cieux qui Ă©tait demeurĂ© dans les plaies quand nous l’eĂ»mes descendu de la croix. AprĂšs cela, saint Jean et ses successeurs Ă©tant morts, la malice et la perfidie des infidĂšles croissant, les fidĂšles qui restaient lors la cachĂšrent en un lieu trĂšs-pur sous terre, oĂč elle fut longtemps inconnue, jusqu’à ce que l’ange de Dieu la rĂ©vĂ©lĂąt Ă  ses amis.

O Rome ! ĂŽ Rome ! si vous saviez, vous vous rĂ©jouiriez ! Certainement si vous saviez, vous pleureriez mĂȘme incessamment, d’autant que vous avez un trĂ©sor qui m’est trĂšs-cher, et vous ne l’honorez pas ! 

Chapitre 113. 

De l’état des frĂšres d’Alvastre. 

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Sainte Brigitte, Ă©tant ravie en priĂšre, vit en esprit une grande maison, et sur la maison le ciel grandement serein ; et le regardant, elle l’admirait. Elle vit aussi deux colombes qui montaient et pĂ©nĂ©traient dans le ciel, lesquelles quelques Éthiopiens tachaient d’empĂȘcher, mais ils ne pouvaient pas. Au-dessus de la maison, on voyait un cahos dans lequel il y avait trois ordres de frĂšres : les premiers Ă©taient simples comme des colombes, c’est pourquoi aussi ils montaient fort facilement ; les deuxiĂšmes venaient en purgatoire ; les troisiĂšmes sont ceux qui avaient un pied dans la mer, et l’autre dans un navire, le jugement desquels s’approche maintenant ; et afin que vous sachiez et que vous Ă©prouviez que l’un passera aprĂšs l’autre, selon que je vous en exprime les noms, ce qui arriva, car la mortalitĂ© en ravagea trente-trois. 

Chapitre 114. 

Du pĂ©chĂ© vĂ©niel, qui est fait mortel par le mĂ©pris. 

Un jour sainte Brigitte se confessant, son confesseur fut appelĂ© par quelque prĂȘtre, et y allant, il oublia de donner l’absolution Ă  sainte Brigitte. Elle, se voulant aller coucher et s’agenouillant, le Saint-Esprit lui dit : Humiliez-vous, ma fille pour recevoir l’absolution, le Saint-Esprit lui dit : Ceux  qui ne prennent garde aux choses petites tombent dans les grandes, car mĂȘme le pĂ©chĂ© vĂ©niel dont la conscience remord, si on le continue avec mĂ©pris, sera mortel et sera rudement puni.

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Chapitre 115.

La bonne volontĂ© suffit au pĂ©nitent, quand il ne peut trouver un confesseur. 

Un certain homme Ă©tait venu d’un diocĂšse Ă  Rome ; ignorant l’idiome et la langue, ne trouvant Ă  Rome pas un qui l’entendit et ne pouvant avoir de confesseur, il se conseilla avec sainte Brigitte afin  de savoir ce qu’il ferait. Lors JĂ©sus-Christ lui dit : Cet homme qui vous a consultĂ©e pleure d’autant qu’il n’a personne qui l’oie en confession. Dites-lui que la volontĂ© lui suffit, car qu’est-ce qui profita au larron en la croix ? ne fut-ce pas la bonne volontĂ© et les affections dĂ©rĂ©glĂ©es. Lucifer n’a-t-il pas Ă©tĂ© bien crĂ©Ă© ? ou moi, qui suis la bontĂ© et la vertu mĂȘme, aurais-je crĂ©Ă© quelque mal ? non certes, aucun. Mais aprĂšs que Lucifer eut abusĂ© de sa volontĂ© et la porta au dĂ©rĂšglement, il a Ă©tĂ© lui-mĂȘme dĂ©rĂ©glĂ© et mauvais par sa mauvaise volontĂ©. Partant, que le pauvre homme demeure stable et qu’il ne se retire point de ses bonnes rĂ©solutions ; quand il sera en son pays, qu’il cherche et qu’il oie ce qui est salutaire Ă  son Ăąme ; qu’il soumette sa volontĂ© et qu’il obĂ©isse plutĂŽt au conseil des sages et des justes qu’à sa volontĂ©, ou autrement, s’il meurt par le chemin, il en sera comme du bon larron : Vous serez ce jourd’hui en paradis.

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Chapitre 116. 

Combien la simplicitĂ© est agrĂ©able Ă  Dieu. 

Un certain homme ne savait pas Ă  grand’peine le Pater noster ; il demanda un conseil pour son Ăąme Ă  sainte Brigitte, Ă  laquelle Notre-Seigneur dit : Plus me plait la simplicitĂ© de ce pauvre homme simple que la prudence des superbes, d’autant que leur superbe les Ă©loigne de Dieu, et en celui-ci, l’humilitĂ© introduit Dieu dans son cƓur, partant, dites-lui qu’il continue comme il a fait, et il aura la rĂ©compense avec ceux dont j’ai dit : Venez, vous qui avez travaillĂ©, et je vous soulagerai avec le pain Ă©ternel ; car si je lui dis comme j’ai dit Ă  Judas quand il me demandait conseil trompeusement : Gardez les commandements et vendez ce que vous avez ; il ne pourra le souffrit, d’autant que la vieillesse fuit la reforme et que la pauvretĂ© n’a rien Ă  vendre. NĂ©anmoins, les commandements de Dieu sont nĂ©cessaires Ă  ceux qui tendent Ă  la vie Ă©ternelle, car sans eux l’homme ne peut ĂȘtre sauvĂ©, s’il peut en ĂȘtre instruit. Mais quant Ă  cet homme, sa docte folie et sa bonne volontĂ© me plaisent en telle sorte comme les deux deniers de la veuve que j’ai prĂ©fĂ©rĂ©s aux prĂ©sents des rois, car en sa folie, il a toute la sagesse, car il m’aime de tout son cƓur. Mais d’oĂč vient cet amour, sinon de mon Esprit? et ceci semble folie aux sages du monde de n’aimer les richesses et de ne savoir parler des grandes choses ; Partant, je l’appelle docte folie, d’autant qu’il puise de moi la sagesse, qui consiste Ă  aimer Dieu.

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Ne vous semble-t-il pas sage, celui qui ne sait qu’une parole : aimer ? Par cette dĂ©lection, il garde tous les commandements de la loi de Moise ; par icelle, il donne Ă  Dieu ce qu’il lui faut donner ; par icelle, il garde tous les conseils ; par icelle, il garde tout le droit et les lois ; par icelle, il aime son prochain, ne dĂ©sirant point le bien d’autrui, ne trompant point son prochain ; par icelle, il se souvient incessamment de la mort et du jugement, dont je le dois juger : et partant, celui qui veut venir Ă  moi ne se doit inquiĂ©ter de l’ignorance de la loi, pourvu qu’il veuille se servir de sa conscience, qui dit qu’il veut pĂątir ce qu’elle voudrait faire Ă  autrui. Car pourquoi l’homme feuillette-t-il tant et tant de livres ? n’est-ce pas pour me servir ? n’est-ce pas plus pour sa curiositĂ©, ostentation et pour ĂȘtre appelĂ© docte ? VĂ©ritablement, chacun sait en sa conscience et chacun est jugĂ© par icelle. Partant, ma fille, celui qui dit d’une foi parfaite et d’une bonne volontĂ© ces paroles : JĂ©sus, ayez misĂ©ricorde de moi, me plaĂźt plus que celui qui dire cent versets sans attention. 

Chapitre 117. 

Du grand bien qu’il y a d’invoquer la Sainte Vierge Marie. 

Pour les BĂ©nĂ©dictions. 

La Sainte Vierge Marie dit : Il n’y a pas si grand pĂ©cheur plongĂ© en des crimes si sales, qui, s’il m’invoque, ne soit par moi secouru. Car qu’y a-t-il de plus vil que de soigner une tĂȘte galeuse ? Si quelqu’un m’invoque, je le guĂ©rirai. Qu’y a-t-il de plus sordide que l’instrument avec lequel on nettoie les ordures ? NĂ©anmoins, si celui-lĂ  qui est aussi souillĂ© m’invoque, je le nettoierai. Qu’y a-t-il de plus vil que de laver les pieds Ă  un lĂ©preux ? et nĂ©anmoins je laverai ce lĂ©preux-lĂ .

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L’épouse rĂ©pondit : O trĂšs-sainte Dame, je sais que vous ĂȘtes trĂšs-humble, trĂšs-puissante et trĂšs-bĂ©nigne. Aidez cette Ăąme pour laquelle je vous ai priĂ©e si souvent.

La MĂšre rĂ©pondit : Cette Ăąme a eu trois choses en sa vie : 1. elle a voulu avoir le monde, mais le monde ne l’a pas voulue ; 2. elle a aimĂ© la chair par l’incontinence, d’autant qu’elle n’a pas voulu se marier ; 3. elle a aimĂ© Dieu moins qu’elle ne devait, bien qu’elle fut constante en la foi ; elle est maintenant affranchie de ces choses-lĂ , et elle participe Ă  la table de ma piĂ©tĂ©. Quelques choses encore lui restent, desquelles Ă©tant purifiĂ©e, elle sera dĂ©livrĂ©e des peines. 

Chapitre 118. 

JĂ©sus-Christ conseille Ă  sainte Catherine, fille de sainte Brigitte, de ne s’en retourner point au pays, car son mari mourra bientĂŽt.

Le Fils de Dieu parle Ă  sainte Brigitte : Consultez cette dame, et priez-la de demeurer quelque temps avec vous, car il vous est plus utile de vous en retourner, car je lui ferai comme le pĂšre fait Ă  sa fille, qui est aimĂ©e de deux et est demandĂ©e en mariage, l’un desquels est pauvre et l’autre riche, et tous deux sont aimĂ©s de la fille. Le pĂšre donc, qui est sage et prudent, voit l’affection de la fille se porter vers celui qui est pauvre ; il donne au pauvre des vĂȘtements et des dons, et donne au riche sa fille : j’en veux faire de mĂȘme. Celle-lĂ  m’aime et aime son mari ; partant, puisque je suis plus riche et le Seigneur de toutes choses, je le veux combler de mes dons, qui lui seront utiles pour son Ăąme. Il me plaĂźt de l’appeler bientĂŽt, et la maladie dont il est atteint est un signe de son dĂ©cĂšs, car il est  trĂšs-dĂ©cent que celui qui tend Ă  un trĂšs-puissant soit connu en ses raisons, et qu’il soit dĂ©pĂȘtrĂ© des choses charnelles. Je la (1) veux conduire et rĂ©duire en son pays jusques Ă  ce qu’elle soit propre Ă  l’Ɠuvre Ă  laquelle je l’ai appelĂ©e de toute Ă©ternitĂ© et que je veux manifester. 

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Un peu de temps s’étant Ă©coulĂ© aprĂšs que sainte Catherine eut fait vƓu de demeurer Ă  Rome avec sa mĂšre, Ă©tant Ă©branlĂ© de l’horreur d’une vie inaccoutumĂ©e et Ă©tant mĂ©morative de la libertĂ© passĂ©e, Ă©tant en anxiĂ©tĂ©, demanda Ă  sa mĂšre qu’elle put retourner en SuĂšde. Sa mĂšre priant pour cette tentation, Notre-Seigneur lui dit : Dites Ă  cette fille vierge qu’elle est veuve, et que je lui conseille de demeurer avec vous, car ma providence en doit avoir le soin. 

(1) Sainte Catherine, fille de sainte Brigitte

Chapitre 119.

Des  trois Ă©tats de mariage, viduitĂ© et virginitĂ©. 

JĂ©sus-Christ parle : L’état commun et louable m’a Ă©tĂ© agrĂ©able, car Moise, conducteur de mon peuple, m’agrĂ©a, bien qu’il fĂ»t mariĂ©. Saint Pierre a Ă©tĂ© appelĂ© Ă  l’apostolat pendant le vivant de sa femme, et en cela il me plut, car il faut monter aux choses parfaites des moins parfaites, et il fallait que le peuple charnel fĂ»t instruit par des choses sensibles, signes et Ɠuvres, afin qu’il comprĂźt les choses spirituelles.

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De mĂȘme Judith, Ă  raison de sa viduitĂ© et pour le bien de la viduitĂ©, trouva grĂące en ma prĂ©sence, et elle fut digne, Ă  raison de la continence, de dĂ©livrer son peuple. Mais Jean, Ă  la garde duquel je commis ma mĂšre, ne m’a point dĂ©plu pour avoir Ă©tĂ© vierge, voire il me plut grandement, car la vie trĂšs-parfaite en la chair est de ne vivre point charnellement et d’ĂȘtre semblable aux anges, c’est pourquoi il mĂ©rita d’ĂȘtre gardien de la chastetĂ© et de lui montrer des signes signalĂ©s de charitĂ©. J’en dis de mĂȘme maintenant : la viduitĂ© de cette dame me plaĂźt plus que son mariage, d’autant qu’une veuve humble m’est plus agrĂ©able qu’une vierge superbe ; et plus mĂ©rita MagdelĂšne en son humilitĂ© et ses larmes que si elle eĂ»t demeurĂ© en ses propres volontĂ©s. 

Chapitre 120.

La charitĂ© est comparĂ©e Ă  un arbre entre les vertus ; l’obĂ©issance tient le premier rang entre les morales. 

JĂ©sus-Christ, Fils de l’Éternel, parle : Comme sur un arbre Ă  plusieurs rameaux, ceux qui sont plus hauts participent plus aux ardeurs du soleil et des vents, de mĂȘme en est-il des vertus. La charitĂ© est comme un arbre ; d’elle procĂšdent toutes les vertus, entre lesquelles l’obĂ©issance tient le premier rang, pour l’amour de laquelle je n’ai pas hĂ©sitĂ© de subir la mort et la croix : c’est pourquoi l’obĂ©issance m’est trĂšs-agrĂ©able comme le fruit qui m’est trĂšs-doux, car comme la paix est trĂšs-paisible, de mĂȘme cet homme m’est trĂšs-bon ami, qui se soumet aux autres par humilitĂ©, et met et consigne ses vouloirs aux vouloirs des autres. Partant, il me plaĂźt que cette dame (1) obĂ©isse, renonçant Ă  sa volontĂ© pour sa plus grande couronne et pour avoir un plus grand amour. Abraham, renonçant Ă  sa volontĂ©, a Ă©tĂ© plus aimable, et Ruth a Ă©tĂ© plus chĂšre Ă  Dieu en son peuple, d’autant qu’elle n’obĂ©it pas Ă  sa propre volontĂ©.

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Notre-Seigneur parla derechef : Cette dame ne mourra point, comme le mĂ©decin dit, mais elle vivra un temps convenable, car je la veux nourrir sous la protection de ma main droite, et je lui donnerais la sapience, afin qu’elle me donne des fruits amoureux et qu’elle vive pour mon honneur. 

(1) Sainte Catherine de SuĂšde.

Chapitre 121. 

De l’excellence de l’obĂ©issance, etc. 

Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ dit : L’obĂ©issance est une vertu par laquelle les choses imparfaites sont parfaites, et toutes les nĂ©gligences sont Ă©teintes ; car moi, Dieu, la perfection mĂȘme, j’ai obĂ©i Ă  mon PĂšre jusques Ă  la mort de la croix, afin de montrer par mon exemple combien il est agrĂ©able Ă  Dieu de renoncer Ă  ses propres volontĂ©s. Mais plusieurs, ne considĂ©rant point l’excellence de l’obĂ©issance ni n’ayant un zĂšle discret, suivent la conception de leur esprit, et ainsi, en peu de temps, ils affligent indiscrĂštement leur chair et sont aprĂšs longtemps inutiles Ă  eux-mĂȘmes et aux autres, de quoi ils plaisent moins Ă  Dieu et sont Ă  charge aux autres ; et ceux-lĂ  considĂ©rant aprĂšs leurs dĂ©fauts et voulant rĂ©tracter les choses passĂ©es, soudain la confusion les saisit de laisser ce qu’ils avaient commencĂ©, et adhurtĂ©s Ă  leur vanitĂ©, ils n’osent reprendre la premiĂšre vie. De telle condition est cet homme que vous voyez, qui ne considĂšre point les conseils des hommes Ă©prouvĂ©s ni ne pense aux paroles que j’en ai dites : Je ne veux point la mort de la chair, mais du pĂ©chĂ© : partant, il faut craindre qu’il ne tombe en de plus grandes tribulations, voire en dĂ©faut d’esprit. 

NĂ©anmoins, s’il obĂ©it aux sages, et s’il soumet et dĂ©met son esprit de ses propres pensĂ©es, la couronne lui sera redoublĂ©e, et la dĂ©votion s’augmentera en lui ; autrement, il lui sera fait comme il est Ă©crit : L’homme est venu et a surmenĂ© la zizanie, et les Ă©pines naissantes ont suffoquĂ© la bonne semence. 

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Chapitre 122. 

Le Fils de Dieu montre par son exemple la modestie Ă  l’oraison, etc. 

JĂ©sus-Christ parle : Moi, Ă©tant en l’humanitĂ©, j’ai tellement tempĂ©rĂ© mes oraisons, mes labeurs et mes jeĂ»nes, que ceux qui me voyaient n’en Ă©taient scandalisĂ©s ni les absents n’en Ă©taient point offensĂ©s, mais tous ceux qui voulaient, pouvaient imiter mes paroles, mes Ɠuvres et suivre mes exemples. 

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Or, cette dame que vous voyez a des gestes admirables ; elle n’est pas sans un grand remords de conscience : c’est pourquoi le conseil veut qu’elle modĂšre avec plus de tempĂ©rance ses façons de faire, et qu’elle fasse ce qu’elle fait plus en cachette qu’en public, autrement son labeur sera vain et son oraison lui rĂ©ussira moins Ă  sa couronne. 

Fin du Livre 6 des Révélations célestes de Sainte Brigitte de SuÚde.