JesusMarie.com__Sainte Brigitte de SuĂšde
p.192 â
p.464 = 262 pages
les Révélations de Sainte Brigitte
de SuĂšde
Chapitres
:
Chapitre
I.
La
MĂšre de Dieu parlait Ă l'Ă©pouse, disant : Je suis la Reine du ciel.
Mon Fils vous aime de tout son cĆur. Partant, je vous conseille de n'aimer
rien que lui, car il est si désirable, il est si beau que la beauté des
Ă©lĂ©ments et de la lumiĂšre comparĂ©e Ă son Ă©clat, n'est qu'ombre, d'oĂč
vient que, quand je nourrissais mon fils, je le voyais ĂȘtre si beau que
mĂȘme ceux qui le regardaient, Ă©taient soulagĂ©s de leurs douleurs et
consolĂ©s en leur tristesse. Câest pourquoi les Juifs disaient, quand
ils étaient plongés en quelque tristesse : Allons voir le Fils de Marie,
afin que nous soyons consolĂ©s. Et bien quâils ignorassent quâil fĂ»t
Fils de Dieu, néanmoins, ils recevaient une grande consolation de le voir.
Son corps Ă©tait si pur que jamais vermine ne sây trouva, car les vermisseaux
rendaient lâhonneur et le respect Ă leur auteur, et il ne se trouva
jamais en ses cheveux aucune crasse, aucun immondice.
Chapitre
2
Notre-Seigneur
parle Ă son Ă©pouse dâun qui avait mal vĂ©cu, et qui, en la mort, avait
eu une bonne volontĂ© de sâamender, sâil vivait, et dit quâĂ cause
de cette bonne volonté, il ne fut pas condamné à la peine éternelle,
mais aux peines horribles du purgatoire.
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse, disant : Celui qui est maintenant infirme,
pour lequel vous priez, a été fort lùche à mon endroit, et toute sa
vie a été contraire à la mienne. Mais maintenant, faites-lui dire que,
sâil a volontĂ© de sâamender sâil Ă©vite la mort, je lui donnerai
la gloire. Quâon lâavertisse donc de sâamender, dâautant que je
compatis à lui avec une grande miséricorde.
Or,
lorsque ce malade mourait avant le premier chant du coq, Notre-Seigneur
apparut derechef Ă lâĂ©pouse et lui dit : ConsidĂ©rez combien juste
je suis en mon jugement : celui-ci, qui Ă©tait infirme, est venu Ă mon
jugement, et bien quâĂ raison de sa bonne volontĂ©, il ait Ă©tĂ©
Chapitre
3
ManiĂšre
dont Sainte Brigitte voyait quelque démon s'enfuyant avec confusion d'un
homme qui priait, lequel le démon avait fort troublé par ses tentations,
et en quelle maniÚre le bon ange déclare la vision à l'épouse.
L'Ă©pouse
voyait un dĂ©mon auprĂšs d'un homme qui priait ; et ayant demeurĂ© lĂ
une heure les mains liées, soudain ce démon s'écria d'une voix horrible
et Ă©pouvantable, et tout confus, se retira de celui qui priait, duquel
le bon ange parla à Sainte Brigitte, disant : Ce démon a troublé quelque
temps cet homme ; et d'autant qu'il ne l'a pu vaincre, il paraĂźt les mains
liées, car cet homme avait généreusement résisté au diable, de sorte
que c'était un juste jugement de Dieu que le démon n'ait pu faire ce
qu'il voulait. Le démon pourtant a encore quelque attente de la surmonter
; mais à cette heure, il a été vaincu en choses faciles, mais jamais
il ne sera surmonté. Or, depuis, la grùce de Dieu de jour en jour, et
partant, le démon criait de toutes ses forces, disant qu'il avait perdu
celui qu'il avait tant de fois combattues pour le vaincre et le supplanter.
DĂCLARATION
L'homme
dont il est parlé en ce chapitre fut un FrÚre tenté douze ans sur le
saint Sacrement, et sur le nom de la Sainte Vierge, qu'il ne pouvait prononcer
sans quelque sale pensée. Par les priÚres de Sainte Brigitte, il fut
délivré de la tentation, en telle sorte qu'il ne pouvait se réjouir
qu'au jour oĂč il communiait, et le nom de la Sainte Vierge lui fut Ă
l'avenir trĂšs doux Ă la bouche et au cĆur.
D'ailleurs,
un prĂȘtre, ensorcelĂ© par une enchanteresse, concernant les mauvais dĂ©sirs
charnels, priait Sainte Brigitte de vouloir prier Dieu pour lui, laquelle
Ă©tant ravie en esprit, ouĂŻt : Vous admirez, ĂŽ ma fille, pourquoi le
diable domine en l'homme : Il fait cela par l'inconstance de la volonté
des hommes, comme vous pourrez le voir en ce prĂȘtre qui a Ă©tĂ© ensorcelĂ©
et charmé par une femme.
Sachez
donc que cette femme a trois choses, savoir, l'infidélité, l'endurcissement,
les désirs et les cupidités de l'argent et de la chair. C'est pourquoi
le diable, s'approchant d'elle, lui fournit de la lie amĂšre de son poison.
Sachez aussi que la langue de cette femme sera sa fin, ses mains seront
sa mort, et le diable sera le conducteur de son testament.
Toutes
ces choses arrivĂšrent de la sorte, car la troisiĂšme nuit, cette sorciĂšre
fut furieuse, et ayant pris un couteau, elle se frappa en l'aine, criant
à la présence et audience de tous : Venez, Î diable ! Suivez-moi. Et
soudain, elle finit la vie avec une horrible voix. Mais le prĂȘtre susdit
fut affranchi des tentations de la chair, et soudain il entra en religion,
oĂč il fit un fruit agrĂ©able Ă Dieu.
JĂ©sus-Christ
dit Ă l'Ă©pouse que tout homme vertueux et sage prĂȘche gĂ©nĂ©reusement
les paroles contenues en ce livre, et la grùce aux peuples qui la désirent,
ne la refusant tant aux pauvres qu'aux riches, et de cela, il aura Dieu
pour prix Ă©ternel.
Celui
qui a l'or de la sapience divine est tenu de faire trois choses :
Car
l'homme qui a ces excellentes vertus, a mon or, c'est-Ă -dire, ma sagesse.
Qu'y a-t-il en effet de plus précieux entre les métaux que l'or ? De
mĂȘme, en mes Ă©critures, il n'y a rien de si digne que la sagesse. Je
remplis de cette sagesse celui pour lequel vous me priez, et partant, il
doit :
1.
PrĂȘcher sans rien craindre, comme mon soldat, ma sainte parole. Non-seulement
il doit annoncer ma grĂące Ă ceux qui la veulent ouĂŻr, mais encore Ă
ceux qui ne la veulent point ouĂŻr.
2.
Qu'il soit lui-mĂȘme patient pour l'amour de mon nom, sachant qu'il a un
seigneur qui a souffert toute sorte d'opprobres.
3.
Je dis qu'il soit juste et Ă©quitable en la distribution, tant au pauvre
qu'au riche ; qu'il ne pardonne Ă personne ! Qu'il ne craigne aucun, car
je suis en lui et lui est en moi.
Quel
est celui qui lui nuira, puisque je suis tout-puissant en lui et hors de
lui ? Je lui donnerai un stipende fort riche pour son labeur, non certes
corporel ou terrestre, mais moi-mĂȘme, en qui est tout bien, en qui est
toute sorte d'abondance.
Ici
Notre Seigneur menace grandement les religieux hypocrites et superbes qui
troublent en se moquant la simplicité des simples et innocents, par les
cornes de mĂ©disance et des mauvaises Ćuvres. Il les avertit nĂ©anmoins
pieusement qu'ils se convertissent, et que, sans délai, ils s'adonnent
Ă la vertu, autrement ils seront punis trĂšs griĂšvement.
Je
suis le Créateur de toutes choses, qui ne suis point créé, mais je suis
l'auteur des créatures. Il y a longtemps que j'ai détourné mes yeux
de ce lieu-ci, à raison de l'iniquité des habitants ; car comme les premiers
fondateurs se hĂątaient d'aller de vetu en vertu, de mĂȘme maintenant ces
modernes vont de mal en pis ; un chacun tĂąche de perdre l'autre et se
glorifie de son péché. Or, maintenant, les priÚres de ma MÚre trÚs-chÚre
me fléchissent à miséricorde ; mais il demeure encore quelque racine
de cett méchante race, comme vous l'entendrez mieux par quelque simitude.
Il
y avait un pasteur qui dit Ă son Seigneur, son Dieu : Mon Seigneur, en
votre bercail, il y a peu de brebis, et encore, entre celles-lĂ , il y
en a bien peu de douces. Il y a encore des béliers colÚres qui troublent
les bonnes, tĂȘte desquels n'est utile Ă rien ; leur peau est corrompue
; leur chair est pourrie, et leurs intestins sont puants.
Le
maßtre répondit : Que mes brebis douces ne se troublent point ! Je couperai
la tĂȘte des bĂ©liers avec un couteau tranchant ; je leur ĂŽterai la peau,
qui ne porte point de laine ; la chair (page 198 ) et les intestins seront
jetés aux champs comme pourris et puants, et on les donnera aux oiseaux
qui ne savent discerner ce qui est pur de ce qui est impur.
Je
suis le Seigneur qui ai en ce lieu des brebis simples, entre lesquelles
il y a comme des béliers affreux en leurs cornes, qui, déchirant les
brebis, arrachant la laine, et les poussant avec leurs cornes, les jettent
Ă terre : De mĂȘme eux, se moquant de la simplicitĂ© des innocents, les
troublent et les jettent par terre avec les cornes de la médisance et
des mauvaises Ćuvres. Partant, leur tĂȘte, c'est-Ă -dire, leur intention,
élevée par les cornes de l'arrogance et de la présomption, leur sera
coupée par mon jugement sévÚre, qui est un glaive trÚs aigu ; leur
peau, c'est-Ă -dire, leur hypocrisie, de laquelle ils sont revĂȘtus au
lieu de la simplicité religieuse, leur sera Îtée, et pour l'hypocrisie,
le diable déchirera leur ùme et les privera de toute sorte de biens.
Aussi ils Ă©taient une chose et en montraient une autre sous un masque
emprunté et dissimulé ; Ils me servaient de bouche et me contrariaient
par Ćuvres. Leur chair voluptueuse, qui, devant moi, est comme une vilaine
femme, sera brûlée et consommée par le feu sans miséricorde ; leurs
intestins, c'est-à -dire, leurs pensées et leurs affections qu'ils ont
au monde et non à moi, lesquelles affections mes ennemis sont fomentés,
et non moi, seront ruinées par les démons, de sorte qu'il n'y aura point
méchante affection pour laquelle ils ne soient grandement tourmentés.
Partant,
pendant qu'il en est temps encore, que leur tĂȘte, c'est-Ă -dire, que leur
volonté déréglée et leur superbe soient changées en humilité d'une
peau simple ; Que la chair soit retenue des voluptés ; que les intestins,
c'est-à -dire, les pensées monstrueuses, soient guéris par la pénitence
salutaire, de peur que je n'exige avec rigueur et justice les peines de
leurs démérites, et que ne les soumette à la puissance de Satan, de
sorte qu'ils ne pourraient faire que ce qui plaira aux diables, et seraient
par eux poussés d'un mal à un autre.
ADDITION
Notre
Seigneur parle encore sous la parabole du pĂšre de famille sur cette maison,
les habitants de laquelle disent : Pourquoi Dieu a-t-il fait cette maison
de la sorte ? On répond : D'autant qu'on n'a pas voulu faire les paroles
de celui qui avertissait, car je leur donnerai des gardes regardant d'en
haut, et la terre de leur volupté sera mise en servitude, et le pain leur
sera donné en mesure, et on les pourra nombrer à cause de leur petit
nombre.
JĂ©sus-Christ
reprend l'Ă©pouse de quelque impatience qu'elle eut, l'instruisant qu'elle
ne doit plus se fùcher à l'avenir, ni répondre un seul mot à ceux qui
la provoquent à cela, jusqu'à ce que l'émotion soit pacifiée, et qu'elle
voie qu'elle peut profiter par ses paroles.
Je
suis votre CrĂ©ateur et votre Ăpoux ; et vous, ma nouvelle Ă©pouse, vous
avez maintenant péché en quatre maniÚres en la colÚre.
1.Vous
avez eu de l'impatience en votre cĆur contre les paroles qu'on vous a
dites, et moi j'ai souffert pour vous les coups de fouets, et Ă©tant devant
le juge, je n'ai pas dit un seul mot.
2.Vous
avez répondu rudement, et avez trop élevé votre voix en dédaignant,
et moi, j'ai été cloué en un gibet ; je regardais le ciel et ne disais
mot.
3.Vous
m'avez méprisé, moi pour l'amour duquel vous deviez souffrir toutes choses.
4.D'autant
que vous n'avez pas édifié votre prochain, car si vous eussiez été
patiente aux injures, vous l'eussiez gagné ; c'est pourquoi je vous dis
que désormais vous ne vous colériez point.
Quand
vous serez provoquĂ©e Ă colĂšre par quelqu'un, ne parlez point jusqu Ă
ce que la colĂšre, l'Ă©motion et l'occasion de la colĂšre, cessent en votre
cĆur ; parlez avec douceur ou taisez-vous. Que si vous voyez que vos paroles
ne profitent point, il est plus méritoire de se taire.
Chapitre
7
JĂ©sus-Christ
commanda par son Ă©pouse Ă un certain diacre fort dĂ©vot, de prĂȘcher
la parole de Dieu avec ferveur et courage Ă ses compagnons et aux autres
pécheurs, instruisant les infirmes, reprenant les déréglés, et exposant
son Ăąme Ă la mort pour le salut des Ăąmes.
Je
suis votre Dieu et le Créateur de toutes choses, bien que je sois méprisé.
Vous direz Ă celui pour lequel vous priez, et qui m'aime, vous le savez
: Quand on vous a fait diacre, on vous a donnĂ© la charge de prĂȘcher ;
vous en avez reçu l'autorité, afin d'instruire les infirmes et de reprendre
les dĂ©rĂ©glĂ©s. Je n'ai pas refusĂ© de faire cela pour moi-mĂȘme ; cela
mĂȘme ont fait mes apĂŽtres et mes disciples, qui, pour acquĂ©rir une Ăąme
à Dieu, ont parcouru divers lieux, cités et villes, et ont donné leurs
Ăąmes pour le salut des Ăąmes. D'autant donc que votre office est de prĂȘcher,
il n'est pas décent ni expédient que vous vous taisiez, car mes ennemis
sont autour de vous, et vous marchez au milieu d'eux. En vérité leur
maudite gueule m'est aussi odieuse que si on mangeait mĂȘme de la viande
le vendredi saint. Ils sont comme des vases ouverts de chaque bout, qui
si on y versait toute la mer, ne seraient pas pourtant remplis, ni ne pourraient
ĂȘtre rassasiĂ©s, la gourmandise desquels est augmentĂ©e par le pĂ©chĂ©
de lasciveté.
Ils
chassent et éloignent d'eux mes anges, qui sont destinés à leur garde,
et appellent les démons, qui sont maintenant plus proches d'eux que les
bons. Ils assistent au chĆur, non pour me plaire, mais afin qu'ils ne
soient repris des autres et afin de ne leur déplaire. Ils se montrent
imitateurs des PÚres anciens, mais ils sont devant moi menteurs et dissimulés
pipeurs, car ils m'ont faussé la foi qu'ils m'avaient promise, et trompent
les Ăąmes, du bĂ©nĂ©fice desquelles elles vivent, sans en ĂȘtre reconnaissants
ni par la vie ni par les priĂšres.
Partant,
je jure devant les anges et les saints, qu'en vérité je suis la vérité
et que de ma bouche il n'est jamais sorti que la vérité. Que s'ils s'amendent,
je permettrai que peu de temps ils marchent par la voie de leurs volontés,
et aprĂšs, je les conduirai par la voie semblable aux Ă©pines et Ă des
pointes aiguës ; et afin qu'ils ne puissent s'en écarter, je mettrai
Ă droite et Ă gauche mes serviteurs, qui les empĂȘcheront de s'en dĂ©tourner,
et ils les contraindront d'aller ; et de lĂ , comme un corps mort tombe
à terre, de mpeme promptitude leurs ùmes toonberont dans les précipices
de l'enfer, si profondément que jamais ils n'en sortiront.
Notre
Seigneur donne courage Ă l'Ă©pouse, qui craignait de reprendre fidĂšlement
quelques religieux plongés en des péchés abominables, chez lesquels
elle était logée, lui assurant que sa répréhension ne lui serait point
imputée à péché, mais à mérite, bien qu'ils s'en scandalisassent
et s'en endurcissent.
O
épouse, vous avez pensé à part vous ce qui suit : Puisque mon Dieu Seigneur
de toutes choses, tout-puissant, et a patiemment souffert le traĂźtre,
pourquoi ne souffrirai-je sa créature, ceux qui demeurent avec moi, de
peur que, de mon avertissement et répréhension, ils ne deviennent pires
?
Je
réponds maintenant à cette pensée, qu'elle était en partie pieuse mais
moins fervente, car un bon soldat qui est entre les mauvais, voyant l'offense
de son seigneur, s'il ne peut corriger par Ćuvre la faute, parle pour
le moins de la bonté de son maßtre, et souffre patiemment les contumélies
qui rĂ©sultent de lĂ : de mĂȘme vous, parlez-leur fidĂšlement de leurs
excÚs, qui, à raison de la diuturnité des péchés dans lesquels ils
croupissent, me sont rendus abominables ; et bien qu'ils s'endurcissent
en quelque maniÚre que ce soit, à raison de votre répréhension, il
ne vous sera pas imputé à péché, mais bien à plus grande récompense.
Car comme les apĂŽtres, qui prĂȘchaient Ă plusieurs, et tous ne se convertissaient
pas, n'Ă©taient pas pour cela privĂ©s de la rĂ©compense, de mĂȘme vous
en arrivera-t-il, car bien que tous ne vous écoutent point, néanmoins,
il y en aura quelques-uns qui seront édifiés par vos paroles et qui seront
guéris.
Dites-leur
donc que, s'ils ne s'amendent, il viendra promptement et sĂ©vĂšrement Ă
eux, et tous ceux qui l'oiront en gémiront de crainte et d'effroi, et
tous ceux qui goûteront ma sévérité, défaudront. Je les jugerai comme
des larrons, par des confusions inexprimables devant les anges et tous
les saints, et ce, d'autant qu'ils ont reçu l'habit de religion, non pour
bien vivre. C'est pourquoi ils sont devant moi comme des larrons qui possĂšdent
les biens qui ne leur appartiennent pas, mais sont Ă ceux qui vivent bien,
et comme défraudateurs, je les jugerai et les condamnerai à mon glaive,
qui coupera leurs membres de la tĂȘte jusqu aux pieds. Je les remplirai
encore d'un feu bouillant qui ne s'Ă©teindra jamais. Je les en ai avertis,
comme un pÚre plein de pitié, et ils n'ont point voulu m'écouter ! Je
leur ai montré les paroles de ma bouche plus que jamais je n'avais fait
auparavant, et ils m'ont méprisé ! Si j'eusse envoyé mes paroles aux
paĂŻens, peut-ĂȘtre se fussent-ils convertis et eussent fait pĂ©nitence.
Partant, je ne leur pardonnerai point, ni ne recevrai point les priĂšres
ni celles que ma MĂšre et mes saints, font pour eux, mais ils seront tout
autant dans la peine que je serai dans la gloire qui sera sans fin. NĂ©anmoins,
tant que leur ùme sera dans leur corps, ma miséricorde leur sera ouverte.
Chapitre
9
JĂ©sus-Christ
rĂ©vĂšle Ă son Ă©pouse combien il est abominable devant Dieu qu'un prĂȘtre
célÚbre en péché mortel, et en quelle maniÚre les diables y assistent.
Il traite aussi de la célébration de la messe, et de sa trÚs horrible
peine, s'il ne s'amende.
Le
prĂȘtre pour lequel vous me priez est comme une pincette avec laquelle
il attire l'or de ma vertu ; il est comme un souffle dégénéré qui ne
se soucie d'entendre la voix de la mĂšre. Quand il vient Ă l'autel, deux
diables assistent à ses deux cÎtés, l'ùme duquel ils possÚdent, d'autant
qu'elle est morte devant moi.
Quand
il met le surhuméral, les démons couvrent son ùme et l'occupent ailleurs,
afin qu'elle ne pense et n'entende combien il est horrible d'approcher
de mon autel, et combien pur doit ĂȘtre celui qui s'approche de moi, qui
suis trĂšs pur.
Quand
il s'habille de l'aube, il se revĂȘt de la duretĂ© du cĆur et de l'indĂ©votion,
d'autant qu'il croit que son péché n'est pas grand, que le supplice éternel
ne sera pas si dur, et il ne lui arrive jamais Ă l'esprit qu'elle est
la joie des bienheureux.
Quand
il met l'Ă©tole, le diable pose un grand joug lourd et pesant sur son col,
d'autant que la douceur du péché lui plaßt grandement ; et ainsi, il
charge son ùme, ne la laisse pas gémir ni considérer son péché.
Quand
il prend la manipule, toutes les Ćuvres divines lui sont Ă charge, Ă
honte, et les Ćuvres terrestres lui sont faciles.
Quand
il prend la chasuble, lors le diable le revĂȘt de perfidie.
Quand
il dit le Confiteor, les diables
répondent et disent : Tu as menti !
Nous en sommes témoins : ta confession est semblable à celle de Judas,
dâautant quâil a une chose au cĆur et une autre Ă la bouche.
Quand
il sâaproche de lâautel, lors je dĂ©tourne ma face de lui.
Quand
il dit la messe, soit de ma MĂšre ou de quelqueâautre saint, il mâest
aussi agréable que si une méchante femme offrait un vase immonde à quelque
seigneur, ou si quelquâun disait Ă son ennemi :Donnez vous garde, je
cherche votre mort.
Quand
il consacre mon cĆur et dit : : Ceci est mon corps, lors les diables sâenfuient
de lui, et son corps demeure comme un tronc, car son Ăąme est morte devant
mes yeux.
Quand
il approche mon corps de sa bouche, de la prĂ©somption quâil a de le
recevoir sans craindre, toute la troupe des dĂ©mons retourne Ă lui, dâautant
quâil ne mâaime point. En vĂ©ritĂ©, je suis si misĂ©ricordieux que,
sâil disait dâun cĆur contrit et avec rĂ©solution de sâamender :
Seigneur, je vous en supplie, pardonnez mes péchés par le mérite de
votre passion et de votre amour, je le prendrais, et les diables ne retourneraient
point Ă lui. Mais hĂ©las ! il nâa que la mĂ©chancetĂ© du monde en la
bouche ; dans son cĆur grouillent les vers Ă troupes, qui lâempĂȘchent
de goĂ»ter ma parole ; les paroles inutiles de son cĆur le rongent incessamment
et lâoccupent, afin quâil ne pense point Ă moi. VoilĂ pourquoi il
nâarrivera jamais Ă mon autel.
Or,
quel est mon autel, si ce nâest la table cĂ©leste et a gloire dans les
cieux, dont les anges et les saints se réjouissent ? Cela est représenté
par lâautel de pierre qui est dans lâĂ©glise, et sur lequel est sacrifiĂ©
le corps qui fut autrefois crucifié en la croix. Les sacrifices signifiaient
jadis ce qui se fait maintenant et lâEglise. Or, que marque la table
cĂ©leste, si ce nâest la jubilation et la joie des anges ?
Or
, ce prĂȘtre ne goĂ»tera jamais cette joie indicible en la gloire Ă©ternelle
; il nâassistera jamais devant ce mien autel, ni ne verra jamais ma face.
Je suis comme le vrai pélican, qui leur donne mon propre sang, et les
rĂ©fectionne, en cette vie et en la vie future, jusquâĂ rassasiement.
Or, cet aigle abominable les repaĂźtra, lâaigle dont la coutume est de
ravir à ses petits quelquefois les choses nécessaires, de sorte que la
maigreur de la faim paraĂźt en eux tout le temps de leur vie : de mĂȘme
le diable repaĂźt de ses dĂ©lectations quelque temps, afin quâaprĂšs,
il ressente la famine de la joie, faim qui durera Ă©ternellement en lui.
NĂ©anmoins, je lui ferai misĂ©ricorde, sâil se convertit pendant quâil
vit.
DECLARATION.
Ce
prĂȘtre fut avocat et collecteur dâargent. Il fut dĂ©posĂ© de sa charge
Ă la persuasion de sainte Brigitte. Etant furibond, il lui dit : Vous
mâavez privĂ© de mon honneur et de mon office : quel gain en avez-vous
? Il vous eût été meilleur de demeurer en votre maison, et non pas de
semer des discordes.
Elle
répondit : Tout ce que le roi a fait, je lui ai conseillé pour le salut
de votre Ăąme et pour votre honneur, car un prĂȘtre peut faire une telle
charge sans le danger de son Ăąme.
Il
lui rĂ©pondit : Quâavez-vous Ă faire de mon Ăąme ? Laissez-moi passer
en ce monde comme je pourrai, car mon Ăąme se contentera bien en lâautre.
Elle
lui repartit : Câest pourquoi je vous dis, et cela sans doute comme je
lâai ouĂŻ dans les jugements de Dieu, que si vous ne vous amendez et
ne vous corrigez, vous nâesquiverez point le jugement et la mort effroyable,
aussi vrai que je mâappelle Brigitte !
Câest
pourquoi aussi, peu de temps aprĂšs, lâĂ©vĂȘque lâayant privĂ© de lâĂ©glise,
il mourut dâune mort inouĂŻe, car lorsquâon fondait une cloche, le
mĂ©tal fondu sortit du fourneau, lâenvironna et le brĂ»la tout Ă lâentour.
Chapitre
10
La
MĂšre de Dieu raconte Ă lâĂ©pouse sa grandeur et sa dignitĂ©, et les
bienfaits que tout le monde reçoit dâelle. Elle enseigne aussi la maniĂšre
et es suffrages pour lesquels lâĂąme dâun grand prince dĂ©cĂ©dĂ©, pour
lequel sainte Brigitte priait, pouvait ĂȘtre affranchie du purgatoire.
Ce document est trĂšs bon.
Je
suis la Reine du ciel et la Reine de misĂ©ricorde. Je suis la voie et lâentrĂ©e
des pĂ©cheurs vers Dieu, car il nây a peine au feu du purgatoire qui
ne soit, pour lâamour de moi, plus lĂ©gĂšre, plus soulagĂ©e et plus facile
Ă porter. Il nây a pas homme si maudit qui ne puisse avoir ma misĂ©ricorde
tandis quâil vit ,dâautant quâil nâest pas si rudement tentĂ© quâil
le serait, si je ne lâempĂȘchais ; pas un nâest si Ă©loignĂ© de Dieu,
Ă moins quâil ne soit tout Ă fait maudit, qui, sâil mâinvoque,
ne puisse retourner à Dieu et sentir les effets de ma miséricorde, car
moi qui suis miséricordieuse et qui ai obtenu miséricorde de mon Fils,
je veux vous montrer comment votre ami dĂ©funt, duquel vous ĂȘtes affligĂ©e,
pourra ĂȘtre sauvĂ© des sept plaies que mon Fils vous a manifestĂ©es.
En
premier lieu, il sera sauvĂ© du feu quâil souffre Ă raison de sa luxure,
si quelquâun veut, pour lâamour de lui, faire trois biens selon les
trois ordres de lâEglise, des mariĂ©s, des veuves et des vierges : marier
une pauvre fille, mettre lâautre en religion, et nourrir une pauvre veuve,
et ce, dâautant quâil a excĂ©dĂ©, 1° au pĂ©chĂ© de luxure, mĂȘme dans
le mariage ; 2° à raison de sa superbe et ostentation, en méprisant
plusieurs ; 3° pour avoir trop demeuré à table et laissé Dieu.
En
deuxiĂšme lieu, que celui qui voudra colliger et loger trois pauvres Ă
lâhonneur de Dieu un et trine, pour cette triple gueule, un an entier,
leur administrant et servant de tels de tels mets quâil avait accoutumĂ©
de manger, ne mange pas quâil ne voie manger les pauvres, afin que, par
ceci, le long temps quâil a demeurĂ© Ă table soit rĂ©compensĂ© ; et
dâailleurs, quâil leur donne des vĂȘtements et des lits, comme il verra
leur ĂȘtre expĂ©dient et convenable.
En
troisiÚme lieu, pour la superbe dont il a été bouffi en plusieurs sortes,
doit, qui voudra, assembler sept pauvres chaque semaine pendant un an,
le jour quâil voudra ; il leur lavera les pieds humblement, sâentretenant:
En
cette premiÚre demande : Seigneur Jésus-Christ , qui avez été pris
par les Juifs, ayez miséricorde de lui.
En
cette deuxiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été lié à la
colonne, ayez miséricorde de lui.
En
cette troisiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été jugé, étant
innocent, par les coupables, ayez miséricorde de lui.
En
cette quatriÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été dépouillé
de vos propres habits, et avez Ă©tĂ© revĂȘtu de vĂȘtements de dĂ©rision,
ayez miséricorde de lui.
En
cette cinquiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été fouetté si
cruellement quâon voyait les cĂŽtes et quâil n'y avait point de santĂ©
en vous, ayez miséricorde de lui.
En
cette sixiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été souffleté et
couvert de crachats, ayez pitié de lui.
En
cette septiÚme : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été étendu sur
un gibet, les pieds et les mains clouĂ©s, la tĂȘte meurtrie de la couronne
dâĂ©pines, vos yeux pleins de sang, ayez misĂ©ricorde de lui.
Et
ayant lavĂ© les pauvres, quâil leur donne la rĂ©fection le mieux quâil
pourra et le plus convenablement, et quâil les prie afin quâils prient
pour lâĂąme du dĂ©cĂ©dĂ©.
En
quatriÚme lieu, il a péché en paresse en quatre maniÚres :
1°
Ă aller Ă lâĂ©glise ;
2°
Ă gagner des indulgences ;
3°
Ă visiter les lieux saints.
Qui
voudra donc satisfaire pour le premier, quâil aille Ă lâĂ©glise une
fois par mois pendant un an pour son Ăąme, et quâil fasse dire une messe
pour les défunts.
Pour
le deuxiĂšme, quâil aille autant de fois quâil pourra commodĂ©ment
aux lieux oĂč sont donnĂ©es des indulgences, et oĂč il verra pratiquer
plus de dévotion.
Pour
le troisiĂšme, quâil envoie, par quelque homme juste et fidĂšle, des
offrandes aux saints principaux de ce royaume de SuĂšde, et lĂ oĂč le
peuple a accoutumĂ© de sâassembler pour gagner des indulgences comme
Ă Saint-Erice Ă Saint-Sigfride, et autre semblables, et quâil rĂ©compense
celui qui porte les offrandes.
En
cinquiĂšme lieu, dâautant quâil a pĂ©chĂ© en vaine gloire et joie dĂ©rĂ©glĂ©e,
quâil assemble, sâil lui plaĂźt, tous les pauvres de la cour, ou lieux
circonvoisins, une fois chaque mois pendant un an, et iceux assemblés
en une Ă©glise, quâil leur fasse dire une messe des dĂ©funts, et que
le prĂȘtre, avant de commencer, les avertisse de prier pour lâĂąme du
défunt. La messe étant dite, que tous les pauvres soient réfectionnés
en sorte quâils sortent contents de la table, afin que lâĂąme du dĂ©funt
se réjouisse de leurs priÚres, et que les pauvres se réjouissent de
la réfection.
En
sixiĂšme lieu, que jusques Ă la derniĂšre maille, il paiera et demeurera
dans la peine jusques à ce que tout soit récompensé et payé.
Vous
devez savoir quâĂ la fin de sa vie, il fut en bon Ă©tat et avait une
bonne volontĂ©, non certes si fervente quâil payĂąt tout, mais il fut
pourtant du nombre des sauvĂ©s. Donc, lâhomme doit considĂ©rer combien
grande est la misĂ©ricorde de mon Fils, qui, pour si peu dâamour, donne
un repos Ă©ternel ; et sâil nâeĂ»t eu une si bonne volontĂ©, il eĂ»t
été condamné éternellement. Partant, ses parents, qui ont hérité
de ses biens, doivent avoir la volonté de payer pour lui ; et de fait,
ils doivent payer ses dettes Ă tous ceux Ă qui il devait, et en les payant,
ils doivent leur demander pardon, de peur quâils nâaient Ă©tĂ© incommodĂ©s
par la longue attente, autrement, les parents du défunt porteront son
pĂ©chĂ©. AprĂšs, quâils envoient Ă un chacun des monastĂšres de ce royaume
une offrande telle quâils voudront, et quâon y fasse dire une messe
; et avant quâon dise la messe, quâon prie Dieu pour cette Ăąme, afin
que Dieu soit apaisĂ©. AprĂšs, quâon dise la messe pour les dĂ©funts
en chaque Ă©glise paroissiale en laquelle il a eu des biens, et le prĂȘtre
dira avant de cĂ©lĂ©brer : On dit cette messe pour lâĂąme du dĂ©funt.
Sâil vous a offensĂ© par parole, fait ou commandement, je vous supplie
de lui pardonner. Et aprĂšs, quâil sâapproche de lâautel.
Pour
le septiĂšme, il Ă©tait juge, et il a commis le jugement Ă des lieutenants
iniques, câest pourquoi il est affligĂ© par les mains des diables. Mais
parce que ses lieutenants faisaient mal contre leur volonté, néanmoins,
parce quâil nâen eut pas le soin quâil devait, il peut ĂȘtre affranchi
de cette peine, si on lâaide par priĂšres, et surtout par le saint et
auguste sacrement de lâautel, qui est le corps immolĂ© de mon Fils tous
les jours sur lâautel ; car le pain qui est mis en lâautel avant ces
paroles : CECI EST MON CORPS, nâest que pain ; mais les paroles Ă©tant
prononcées, il se transubstantie en corps de mon Fils, qu'il a pris de
moi et qui a été cloué au gibet. Lors le PÚre est honoré et doré
en esprit par les membres de mon Fils. Le Fils se réjouit en la puissance
et la majesté du PÚre. Moi, sa MÚre, qui vous parle, je suis honorée
de toute la cour cĂ©leste qui se tourne vers celui que jâai engendrĂ©
et lâadore, et les Ăąmes des justes me rendent grĂąces de ce quâelles
ont été rachetées par lui.
Oh
! combien est horrible aux misérables de toucher avec des mains indignes
un si grand Seigneur !
Ce
corps donc, qui est mort dâamour pour lâamour, il le peut dĂ©livrer.
Partant,
quâon dise une messe de chaque solennitĂ© de mon Fils, savoir, une de
la NativitĂ©, une de la Circoncision, de lâEpiphanie, de la FĂȘte-Dieu,
de la Passion, de la PĂąques, de lâAscension et de la PentecĂŽte. Et
dâailleurs, une messe pour chaque solennitĂ© Ă mon honneur et gloire,
et encore neuf messes en lâhonneur des neuf ordres des anges. Et quand
on les dira, on donnera le vivre et le vĂȘtement, afin que les anges gardiens
qui ont été offensés, soient apaisés par cette petite oblation, et
quâils puissent offrir son Ăąme Ă Dieu. AprĂšs, quâon dise une messe
généralement pour tous les défunts, afin que, par icellen ils obtiennent
le repos, et quâelle soit seulement avec un digne repos.
DECLARATION.
Cet
homme-ci fut un gentilhomme miséricordieux qui apparut à sainte Brigitte,
disant : Il nây a rien qui me soulage tant des peines, que lâoraison
des justes et le saint Sacrement de lâautel. Mais dâautant que jâai
Ă©tĂ© juge et ai commis mes jugements Ă dâautres qui nâaimaient guĂšre
la justice, câest pour cela aussi que je suis encore dĂ©tenu en cet exil..
Mais je serais bientĂŽt affranchi, si ceux qui mâappartiennent avaient
pitiĂ© de moi avec plus de douceur. Il sera parlĂ© du mĂȘme en ce livre,
Chapitre XXII.
Chapitre
11
La
MĂšre de Dieu avertit son Ă©pouse de se souvenir tous les jours de la passion
douloureuse.du Fils de Dieu, car Ă cette heure de la passion toutes choses
c'etaient troublées, l'humanite , la MÚre , les anges , et tous les éléments,
et les ùmes des vivants et des morts, voire les démons
Pour
le jour de la Passion
La
MĂšre de Dieu parle Ă son Ă©pouse, disant :En la mort de mon Fils, toute
choses s'Ă©taient troublĂ©es, car la DivinitĂ©, qui ne sâest separĂ©e
jamais non pas mĂȘme en cette heure de 1a mort, en laquelle il semblait
que la Divinité bien que 1a Divinité, ne puisse souffrir ni douleur ni
peine, dâautant quâelle est impatible et immuable , le Fils patissait
une douleur trĂšs amĂšre en tous ses membres. , et voire mĂȘme dans le
coeur, qui néanmoins était immortel selon la Deïté . Son ùme était
aussi immortelle et pùtissait beaucoup en la séparation. Les anges aussi
assemblĂ©s, semblaient se troubler de voir Dieu pĂątir en lâhumanitĂ©.,
Mais
comment les anges se peuvent-ils troubler, Ă©tant immortels? Certainement,
comme le juste, voyant son ami pĂątir quelque chose dont il lui revenait
une grande gloire, se rĂ©jouirait tic lâacquisition de la gloire , et
sâaffligerait de ce quâil pĂątit, de mĂȘme les anges se contristaient
de sa peine, bien quâils soient impatibles, et se rĂ©jouissaient de la
gloire et du mérite de sa passion.
Page
214
Tous
les éléments aussi se troublÚrent: le soleil et la lune perdirent leur
splendeur; la terre trembla ; les pierres se fendirent; les sépulcres
sâouvrirent Ă lâheure de la mort de mon Fils.
Tous
les Gentils se troublaient en tous lieux oĂč ils Ă©taient, car il y avait
alors en leur coeur comme une pointe de douleur, bien quâils ignorassent
dâoĂč en venait le sujet. Le coeur aussi de ceux qui le crucifiaient,
se troubla Ă cette heure
mais
non certes Ă leur gloire. Les malins esprits Ă©taient encore troubles
à cette heure, et étaient comme assemblés en un. Or, ceux qui étaient
dans le sein dâAbraham, Ă©taient beaucoup troublĂ©s , en telle sorte
quâils. eussent mieux aimĂ© ĂȘtre Ă©ternellement en l'enfer que de voir
une si horrible peine en leur Seigneur.
Mais
moi , Vierge Marie, sa MĂšre ,j'Ă©tais devant mon Fils. Pensez aussi quelle
etait ma douleur Certes, personne ne le peut comprendre.
Partant,
ĂŽ ma fille! souvenez vous de la passion de mon trĂšs cher Fils. Fuyez
lâinconstance du
monde,
qui nâest quâune vie passagĂšre et une fleur qui se fane et se fletrit
soudain.
Page
215
La
MĂšre de celui qui est engendrĂ© de toute Ă©ternitĂ©, dit quâelle est
semblable Ă un essaim dâabeilles, dâautant que son Fils, comme une
abeille bénie, a rempli tout le monde de son miel trÚs-doux, quand il
descendit en son ventre, de sorte que tout venin a été Îté.
La
bienheureuse Vierge parle Ă lâĂ©pouse, disant : O Ă©pouse de mon Fils,
vous me saluez et me comparez Ă un essaim dâabeilles. Certainement,
jâai Ă©tĂ© une ruche, car mon corps fut au centre de ma MĂšre comme un
bois avant que lâĂąme y fĂ»t infuse. Mon corps fut aussi comme un bois,
quand lâĂąme en fut sĂ©parĂ©e jusqu'Ă la DivinitĂ©. Ce bois a Ă©tĂ©
fait en essaim dâabeilles, quand cette bienheureuse mouche, mon Fils,
sortit du ciel, et descendit Dieu vivant dans mon sein. En moi enfin fut
quelque trÚs-doux et trÚs-pur rayon de miel, qui était préparé en
toutes maniĂšres pour recevoir le trĂšs-suave miel de la grĂące du Saint-Esprit.
Ce rayon a été lors rempli, quand le Fils de Dieu éternel vint en moi
avec sa puissance, son amour et son honnĂȘtetĂ©.
Il
vint avec sa puissance, dâautant quâil est mon Dieu et mon Seigneur.
Il vint avec amour, car lâamour lui a fait prendre chair humaine et la
mort sur un gibet. Il vint avec lâhonnĂȘtetĂ©, car toute la vilenie du
pĂ©chĂ© dâAdam fut Ă©loignĂ©e de moi, dâoĂč vient que le Fils de Dieu
trĂšs-pur prit la chair trĂšs-pure. Mais il a lâaiguillon avec lequel
nĂ©anmoins il ne pique pas, sâil nây est provoquĂ© : de mĂȘme lâaiguillon
de la justice sĂ©vĂšre de mon Fils ne pique point, sâil nâest provoquĂ©
par les péchés. On a mal récompensé cette abeille, car sa puissance
a été donnée aux mains des iniques, son amour aux mains des cruels ;
son honnĂȘtetĂ© a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©e et fouettĂ©e trĂšs-cruellement. BĂ©nie
soit donc cette abeille qui a fait de mon bois une ruche, et lâa remplie
de son miel avec tant dâabondance, que, par sa douceur qui mâa Ă©tĂ©
communiquĂ©e, lâamertume du venin a Ă©tĂ© ĂŽtĂ©e de la bouche de tous
!
Chapitre
13
JĂ©sus-Christ
avertit son épouse de ranger tout son temps selon la volonté de Dieu,
et de ne rien faire, si ce nâest ce quâelle croit plaire Ă Dieu, et
quâelle conserve toujours la volontĂ© de persĂ©vĂ©rer toujours en la
volontĂ© de Dieu, et quâelle Ă©lĂšve toujours on esprit au ciel, et quâelle
mortifie tellement son corps en cette vie, quâil puisse ressusciter en
lâautre.
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse : Vous devez avoir trois choses : la
premiĂšre, nâallez quâĂ mes volontĂ©s ; la deuxiĂšme, ne vous arrĂȘter
que pour mon honneur ; la troisiĂšme, ne vous asseoir que pour lâutilitĂ©
de votre époux. Or, Vous allez lors à mes volontés, quand vous ne mangez,
dormez, ni faites quelque autre chose, sinon comme vous connaissez quâil
plaĂźt Ă Dieu. Or vous vous arrĂȘtez, quand vous avez une volontĂ© constante
de demeurer et persĂ©vĂ©rer Ă mon service. Or, vous ĂȘtes assise, quand
vous élevez incessamment votre esprit aux choses célestes, considérant
quelle est la gloire des saints et la vie Ă©ternelle.
Vous
devez ajouter Ă ceci trois autres choses : 1-vous devez ĂȘtre disposĂ©e
et prĂ©parĂ©e comme une fille quâon veut marier, qui pense en cette sorte
: Jâamasserai pour mon Ă©poux tout ce que je pourrai des biens de mon
pĂšre, puisque je dois ĂȘtre en adversitĂ© et nĂ©cessitĂ©. Vous en devez
faire mĂȘme, car votre corps est comme votre pĂšre, duquel vous devez exiger
toute sorte de travail et toute sorte de biens pour les départir aux pauvres,
afin que vous puissiez vous réjouir en moi comme en votre époux, car
votre corps mourra, et il ne faut pas lâĂ©pargner en cette vie, afin
quâen lâautre il ressuscite Ă une vie meilleure.
En
second lieu, considérez à part vous comme une épouse : Si mon époux
mâaime, pourquoi mâinquiĂšterais-je ? Sâil est pacifique avec moi,
pourquoi craindrais-je ? Partant, afin quâil ne se courrouce point, je
lui rendrai toute sorte dâhonneur et ferai toujours sa volontĂ©.
En
troisiĂšme lieu, pensez que votre Ă©poux est Ă©ternel et trĂšs-riche, avec
lequel vous aurez un honneur perpétuel et des richesses éternelles ;
et partant, ne liez point vos affections aux richesses périssables, afin
quâĂ©ternellement vous puissiez acquĂ©rir les richesses permanentes.
Notre-Seigneur
dĂ©clare Ă lâĂ©pouse comment il lâa fait nourrir en la vie spirituelle
et dans les vertus, par un ange Ă la façon dâun enfant. Il la recommande
encore Ă la Vierge. Il raconte encore comment, par une subtile ruse, il
lâa arrachĂ©e au monde et lâa conduite au port du salut, et lui commande
de dĂ©clarer toutes ses tentations aux pĂšres spirituels, et quâelle
fera une bonne fin.
Un
des anges parlait Ă JĂ©sus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur,
de toute votre troupe, pour lâamour que vous nous portez ! Vous avez
commis cette Ă©pouse Ă ma garde : je vous la recommande aussi, car je
lâattirais comme une petite fille Ă vous, en lui donnant des pommes
; et aprĂšs les pommes, je lui disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai
du vin trĂšs-doux, dâautant quâen la pomme, il nây a quâun peu
de saveur, mais au vin, il y a une grande douceur et un sujet de joie Ă
lâĂąme. Or, ayant goĂ»tĂ© le vin, je lui ai dit derechef : Avancez encore
plus avant, car je vous dispose ce qui est Ă©ternel et en quoi est tout
le bien.
Ces
choses Ă©tant dites, Notre-Seigneur dit Ă lâĂ©pouse : Il est vrai que
mon serviteur me parlait de vous, vous lâentendant ; il vous attirait
Ă moi comme avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient
de moi et me rendiez grùces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car
comme en la pomme, il nây a quâune petite saveur et un mĂ©diocre rassasiement,
de mĂȘme mon amour ne vous Ă©tait pas alors Ă grand goĂ»t, si ce nâest
que quelque suavitĂ© fĂ»t en votre cĆur de penser Ă moi. Mais lors vous
avez passe plus outre quand vous pensiez ceci : La gloire de Dieu est Ă©ternelle,
et la joie du monde fort courte et trop inutile Ă la fin du monde. Que
me sert-il dâaimer de la sorte les choses temporelles ?
AprĂšs
avoir eu cette pensée, vous commençùtes de vous abstenir courageusement
des dĂ©lectations du monde, et faire les biens que vous pouviez Ă lâhonneur
de mon nom ; et lors vos désirs furent plus grands à mon endroit. AprÚs
que vous eĂ»tes pensĂ© que jâĂ©tais tout-puissant et Seigneur, duquel,
comme de la source, dĂ©pendent toute sorte de biens, et renonçùtes Ă
vos volontés, faisant miennes, lors de droit vous été faite mienne ;
je vous ai acceptée et ai fait que vous fussiez mienne.
Cela
Ă©tant dit, Notre-Seigneur dit Ă lâange : Mon serviteur, vous ĂȘtes
riche en moi ; votre honneur est Ă©ternel ; le feu de votre amour est inextinguible
; ma vertu est indĂ©ficiente ; vous mâavez recommandĂ© mon Ă©pouse, mais
je veux que vous la gardiez encore jusqu'Ă ce quâelle soit arrivĂ©e
Ă lâĂąge ; gardez-la bien, afin que le diable ne lui prĂ©sente Ă lâinconsidĂ©rĂ©
quelque chose mauvaise. Ayant soin de la vĂȘtir des robes des vertus, vĂȘtements
de toute sorte dâĂ©clat et de beautĂ© ; entretenez-la de mes paroles,
qui sont comme de la chair fraßche, par lesquelles le sang est amélioré,
la chair infirme sâen porte mieux, et une sainte dĂ©lectation est excitĂ©e
en son ame, car jâai fait Ă cette mienne Ă©pouse comme quelquâun Ă
accoutumé de faire à son ami, lequel il attire et allÚche par amour,
lui disant : Mon ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui sây fait et
ce que vous y devez faire Ă lâentrĂ©e. Celui qui lâa attirĂ© dans
la maison ne lui montre pas dâabord les serpents et les lions farouches
qui sont en la maison, afin que son ami ne soit épouvanté ; mais pour
la consolation de son ami, il lui fait voir les serpents comme des brebis
douces, et les lions comme des ouailles trĂšs-belles, disant Ă son ami
: Mon ami, sachez que je vous aime et que je vous ai attiré pour votre
bien. Partant, dites Ă vos amis tout ce que vous verrez, car ils vous
consoleront et vous garderont, de sorte que ma captivité vous sera plus
agréable que votre propre liberté.
De
mĂȘme en ai-je fait Ă votre Ă©gard, O ma fille bien-aimĂ©e ! Je vous ai
comme attirĂ©e et captivĂ©e, quand je vous ai retirĂ©e de lâamour du
monde et vous ai liée au mien ; quand je vous ai retirée des dangers
du monde dans ce port de salut, dans lequel ceux que pensez ĂȘtre vierges
par continence, sont vraiment des lions par malice, ceux que vous croyez
des brebis par la contemplation divine, sont comme des serpents rampants
à terre, et par la ventre de la gueule et cupidités insatiables. Partant,
ne rapportez point ailleurs ce que vous verrez et oirez, mais bien Ă mes
amis qui vous gardent et vous instruisent, car lâEsprit qui vous a conduite
au port, celui-lĂ mĂȘme vous conduira Ă la patrie ; et celui qui vous
a conduite Ă un bon principe, celui-lĂ vous dirigera Ă une meilleure
fin.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ dit à son épouse que les prélats, les grands et savants
qui se glorifient et sâenrichissent de leur savoir et en vivent mal,
sont comparés aux courtisanes et aux ivrognes, qui précipitent les autres
et eux-mĂȘmes dans les abĂźmes des pĂ©chĂ©s. Bien que pourtant ils eussent
obligations dâĂȘtre meilleurs que les autres, ma misĂ©ricorde nĂ©anmoins
ira au-devant de celui qui se convertira, comme un pÚre ayant recouvré
son fils qui sâĂ©tait perdu.
Ce
prélat pour lequel vous priez détourne ses yeux de moi et se convertit
au monde avec lâornement et lâĂ©clat de la dignitĂ©. Sâil voulait
ĂȘtre Ă moi, il me regarderait tous les jours ; il lirait mon livre avec
plus dâattention, et considĂ©rerait non avec tant de soin du monde ma
loi, quâest ce qui est dit Ă lâĂglise.
Elle
lui rĂ©pondit : La loi de lâĂglise nâest-elle pas votre loi ?
Notre-Seigneur
rĂ©pondit. Elle Ă©tait ma loi, tant que les miens lâont lue et observĂ©e
pour lâamour de moi. Or, maintenant, elle nâest point Ă moi, dâautant
quâon la lit en la maison des dĂ©s qui jettent trois points sur un dĂ©,
qui, pour une petite justice quâils trouvent en la loi de lâĂglise,
en acquiĂšrent une grande somme dâargent. On ne la lit plus pour mon
honneur, mais pour acquérir des richesses.
Aux
maisons des joueurs de dés se trouvent les courtisanes et les ivrognes
: tels maintenant sont ceux qui lisent les lois de mon Ăglise ; tels maintenant
se nomment savants et sages, quoiquâils soient vraiment fous : car quâest-ce
quâune courtisane a accoutumĂ© de faire ? certainement, elle est babillarde,
lĂ©gĂšre en ses mĆurs, belle de face par le plĂątre, et bien vĂȘtue :
tels sont maintenant ceux qui apprennent mes lois : ils sont babillards
en plaisanteries, muets Ă prĂȘcher ma parole et Ă me louer, si lĂ©gers
en leurs mĆurs, que mĂȘme les sĂ©culiers ont honte du dĂ©rĂšglement de
leurs mĆurs ; et non-seulement ils se perdent , mais ils ravagent et prĂ©cipitent
les autres par leurs pernicieux exemples ; ils nâaffectionnent ni nâaffectent
rien tant que dâĂȘtre vus du monde, dâĂȘtre honnĂȘtes et honorĂ©s ,
et dâaller pompeux en leurs vĂȘtements , dâacquĂ©rir richesses et honneurs.
Mes paroles et mes préceptes leur sont fort amers ; ma vie et ma voie
leur sont abominables. En vérité, leur conversation et leur vie sont
aussi puantes devant moi quâune courtisane, qui est la plus vile et la
plus abjecte des femmes. De mĂȘme ceux-lĂ me sont odieux par-dessus les
autres ; ils disent et se glorifient de savoir mes lois, mais câest pour
décevoir et tromper les simples, pour assouvir leurs voluptés.
En
la maison oĂč ma loi se lit, il y a des ivrognes et des incontinents, la
gloire desquels est dâexceller, voire excĂ©der les autres, et de pousser
leur nature aux superfluités : tels sont maintenant les maßtres de la
loi, qui se réjouissent des superfluités, qui ont bien peu honte de leur
excĂšs, et qui ne sâaffligent nullement des offenses et des pĂ©chĂ©s
dâautrui. NĂ©anmoins, sâils lisaient vraiment ma loi, ils trouveraient
quâils doivent ĂȘtre plus continents que les autres, et quâils sont
plus obligés de vivre plus parfaitement.
P.223
Or,
je suis comme un seigneur puissant, aimant les brebis de plusieurs cités,
lequel, bien quâil soit puissant, nâusurpe point les brebis des citĂ©s
circonvoisines ; il nâen veut dâautres que celles que la justice lâoblige
dâavoir. De mĂȘme moi, qui suis CrĂ©ateur de toutes choses et suis trĂšs-puissant,
je ne reçois pas pourtant, sinon ceux que je dois avoir par justice, et
qui se connaissent ĂȘtre Ă moi par amour. En vĂ©ritĂ©, quiconque se sera
retiré de moi, voudra retourner à moi et voudra ouïr ma voix, pourra
ĂȘtre sauvĂ©. Une brebis errante de son propre bercail, si elle oyait la
voix de sa mĂšre, ne retournerait-elle pas soudain Ă sa mĂšre ? Et semblablement,
quand la mĂšre entend la voix de celui quâelle a enfantĂ©, elle court
de toute sa force au-devant de lui, de sorte que, sâil est en sa puissance
libre, il nây a ni labeur ni peine qui lâempĂȘche de courir : de mĂȘme,
moi, Créateur de toutes choses, je reçois librement ceux qui oient ma
voix, et je leur vais au-devant avec joie, et je me rĂ©jouis dâavoir
retrouvĂ© lâenfant perdu, et comme une mĂšre, je me rĂ©jouis du retour
de mon agneau.
DĂCLARATION.
Lâhomme
dont il est ici parlĂ© fut prĂ©vĂŽt de lâĂglise de Saint-Pierre, puis
cardinal. Plusieurs qui sont le sort de Dieu et aumÎniers de Dieu, thésaurisent
au autres les dons de Dieu, car le clerc, qui est le sort de Dieu, nâa
point dâautres biens hors le vivre et le vĂȘtir, mais est des pauvres
tout ce qui est par-dessus cela, dâoĂč vient que celui-lĂ est heureux
qui amasse en lâĂ©tĂ© ce dont il puisse vivre en hiver.
Car
voyez comme ses parents ont évidemment dispersé ce que celui-ci avait
amassĂ©, ne se souciant point de son Ăąme ; mais nĂ©anmoins, dâautant
quâil a eu une bonne volontĂ© de distribuer ses biens, il est parvenu
Ă ce quâil dĂ©sirait ; nĂ©anmoins, il eĂ»t Ă©tĂ© plus heureux sâil
les eût dispensés pendant sa vie.
Quelque
saint dit Ă lâĂ©pouse que, si lâhomme mourait chaque jour pour Dieu,
il ne saurait assez remercier et reconnaĂźtre Dieu pour la gloire Ă©ternelle
quâil lui rĂ©serve. Il raconte aussi des peines terribles quâune
femme endurait pour les dĂ©lectations de la chair quâelle avait eues
en sa vie.
Un
des saints parlait Ă sainte Brigitte, disant : Si jâavais souffert pour
lâamour de Dieu autant de morts quâil y a dâheures au monde, et que
je fusse à toute heure ressuscité, je ne pourrais pourtant avec tout
cela reconnaĂźtre Dieu pour lâamour quâil mâa portĂ© ; sa louange
ne se retire jamais de ma bouche, sa joie de mon cĆur ; sa gloire et son
honneur ne sont jamais cachés de ma vue, ni ses concerts de mon oreille.
Lors
Notre-Seigneur dit au mĂȘme saint : Dites Ă cette Ă©pouse assistante ce
que mérite celui qui se soucie plus du monde que de Dieu, qui aime plus
la créature que le Créateur, et quel supplice cette femme endure, qui,
pendant quâelle Ă vĂ©cu, a cherchĂ© les plaisirs de la chair.
Ce
saint rĂ©pondit : Son supplice est trĂšs cruel, car pour la superbe quâelle
a eue en tous ses membres, sa tĂȘte, ses mains, ses bras et ses pieds,
sont allumĂ©s comme dâun foudre horrible. Sa poitrine est piquĂ©e comme
dâune peau de hĂ©risson, les Ă©pines duquel percent sa peau comme des
Ă©pines, et lâaffligent sans consolation. Ses bras et le reste des membres,
quâelle Ă©tendait pour embrasser avec douceur les hommes, sont comme
deux serpents qui lâenvironnent, la rongent et le dĂ©chirent sans cesse
avec désolation continuelle ; son ventre est misérablement tourmenté,
comme si, avec une grande force, on sâefforçait dây planter un pal.
Ses cuisses et ses genoux sont comme de la glace dure et inflexible, nâayant
point de repos ni de chaleur. Ses pieds aussi, avec lesquels, elle se portait
aux délices, avec lesquels elle a attiré les autres à soi, sont comme
des rasoirs aigus que la taillent incessamment.
DĂCLARATIONS.
Cette
dame abhorrait fort les confessions et suivait ses volontés ; étant atteinte
dâune tumeur Ă la gorge, elle est morte sans confession. On lâa vue
ĂȘtre au jugement de Dieu, laquelle tous les diables accusaient, disant
et criant : Voici cette femme qui a voulu se cacher de vous et ĂȘtre connue
de nous.
Le
juge rĂ©pondit : La confession est une bonne lavandiĂšre ; et dâautant
quâelle ne sâest pas voulu laver en temps et saison, elle sera maintenant
noircie de vos immondices ; et dâautant quâelle nâa pas voulu se
confondre devant peu de gens, il est juste quâelle soit confondue de
tous devant tous.
Chapitre
17
Lors
le démon dit à la Sainte Vierge : Vierge, donnez-moi puissance sur celle-ci.
La
Vierge lui dit : Pourquoi ne la recevez-vous en votre puissance ?
Le
dĂ©mon lui dit : Je ne puis pas, dâautant que je ne puis pas sĂ©parer
le sang du sang Ă©tant dans un vase pĂšle mĂȘle : le sang de la charitĂ©
de Dieu est mĂȘlĂ© avec le sang de la charitĂ© de son cĆur.
La
Sainte Vierge Marie lui dit derechef : Pourquoi ne la laissez-vous en repos
?
Le
diable dit : Je ne le ferai jamais, car si je ne puis la faire tomber en
pĂ©chĂ© mortel, je ferai en sorte quâelle soit fouettĂ©e pour le pĂ©chĂ©
véniel. Et si je ne puis encore faire cela, je jetterai en son esprit
plusieurs pensĂ©es qui lâinquiĂ©teront.
Lors
la Vierge dit : Je veux lâaider, car toutes les fois quâelle chasse
ces pensées et les jette à votre front, tout autant de fois les péchés
lui seront pardonnĂ©s, et son prix et sa couronne sâaugmenteront.
DĂCLARATION.
Un
jour, sainte Brigitte était tentée de gourmandise ; et lors, ravie en
esprit, elle vit un Ăthiopien qui avait en la main comme une bouchĂ©e
de pain, et un jeune homme qui avait un vase dâor.
Lors
le jeune homme dit Ă lâĂthiopien : Pourquoi la sollicitez-vous et la
tentez-vous, elle qui est commise Ă ma garde ?
LâĂthiopien
rĂ©pondit : Je la tente, dâautant quâelle se glorifie de lâabstinence
quâelle nâavait pas eue : câest pourquoi je lui prĂ©sente mon pain,
afin que le pain le plus bis lui soit Ă goĂ»t. JĂ©sus-Christ nâa-t-il
pas jeĂ»nĂ© quelque temps sans manger ? Les prophĂštes nâont-ils pas
mangĂ© le pain et bu Ă mesure ? DâoĂč ils ont mĂ©rite ce qui est excellent
et sublime. Et comment donc celle-ci méritera-t-elle, qui est toujours
saoule ?
Le
jeune homme répartit : Jésus-Christ à enseigné de jeûner, non pas
à débiliter notablement son corps : il ne demande pas ce qui est impossible
à la nature, mais la modération ; et il ne demande pas compte de la quantité
et de la qualitĂ© des viandes, mais il considĂšre lâintention et lâamour
avec lequel on les prend, car il faut garder la coutume de la bonne Ă©ducation
avec action de grĂąces, afin que la chair ne soit dĂ©bilitĂ©e plus quâil
ne faut.
Lors
le diable disparut, et elle fut affranchie de la tentation.
Notre-Seigneur
dit que les religieux et les personnes spirituelles qui reçoivent des
consolations du Saint-Esprit, sâils nâen remercient trĂšs-humblement
Dieu, mais nĂ©gligent la grĂące et sâenorgueillissent, se dĂ©lectant
au monde, sont semblables au pauvre ingrat qui, aprĂšs avoir bu, jette
la boisson avec mĂ©pris devant les yeux de celui qui lui avait donnĂ© Ă
boire.
Quelques-uns
sont comme un homme pauvre, indigent, qui souffre la soif, ce que le pĂšre
de famille sachant, il lui donne la meilleure boisson quâil a. Or, ayant
reçu la boisson et lâayant goĂ»tĂ©e, il dit : Ce breuvage ne me plaĂźt
point, et je ne vous en rends point grĂąces ; et il jette la boisson en
présence de celui qui la lui a donnée, lui rendant contumélie pour charité.
Le pĂšre de famille, ayant reçu une telle injure dâicelui, Ă©tant tout
plein de douceur et de bénignité, pense à part soi : Voici que mon hÎte
mâa fait une grande injure, mais je ne veux pas pourtant me venger de
lui avant de venir au jugement et que le temps en soit arrivé, car lors
les taches, les notes et les injures seront Îtées de sa face.
De
mĂȘme mâen font plusieurs religieux, car en leur pauvretĂ© et humiliation,
ils crient à moi et disent : Seigneur, nous sommes accablés de mépris
et de tribulations ; donnez-nous quelque consolation. Lors, jâen ai compassion,
et leur donne pour consolation le meilleur vin que faire se peut, câest-Ă -dire,
mon Esprit, la douceur duquel remplit les Ăąmes, et lâardeur duquel fait
quâils ne se soucient point ni du mĂ©pris ni de la pauvretĂ©. Or, ayant
goĂ»tĂ© le vin du Saint-Esprit et lâayant eu quelque temps en leur cĆur,
ils le négligent et ne me remercient point, mais le jettent en ma présence,
lorsquâils choisissent les dĂ©lectations du monde, et quand ils se rendent
orgueilleux de mes grĂąces et de mes faveurs.
Celui
que vous connaissez sâest comportĂ© de la sorte avec moi, lequel Ă©tant
pauvre et délaissé, mon Saint-Esprit le consolait ; quand il était méprisé
et quâil nâavait point la joie de son cĆur, je le rĂ©jouissais, car
bien que je ne lui parlasse point dâune voix corporelle et quâil ne
lâouĂźt pas sensiblement, nĂ©anmoins, mon Saint-Esprit lâavertissait
de faire bien, et je lâexcitais, en le rĂ©jouissant, Ă ce qui Ă©tait
le meilleur. Mais lui, ayant goûté mon Esprit et ayant reçu les grùces
de mes consolations, répute à néant ce que je lui ai donné, et délibÚre
en son esprit de jeter devant ma face les divines et amoureuses liqueurs
; Il ne les a pas pourtant jetées encore.
Voyez
et considérez en ce fait combien je suis patient et miséricordieux, car
je ne le souffre pas seulement avec patience, mais je lui distribue des
biens pour ses ingratitudes ; car il est maintenant plus honoré et plus
estimĂ© des hommes, et les biens quâil avait accoutumĂ© de recevoir,
lui arrivent avec plus dâabondance quâauparavant, mais lui me sert
moins pour cela quâauparavant. Il rĂ©pute mes grĂąces pour nĂ©ant et
ma dilection Ă nulle estime. Or, il sâarrĂȘte comme un homme qui dĂ©libĂšre
de jeter les faveurs devant la face de celui qui lâen a enrichi, et ce,
dâautant que le monde quâil aime lui plaĂźt plus que moi ; la vie spirituelle
quâil avait embrassĂ©e lui est onĂ©reuse et Ă dĂ©goĂ»t, et afin que
vous Ă©prouviez ceci, expĂ©rimentez que lâodeur qui sortait de ses vĂȘtements
pendant quâil me servait, nâest plus, ni nâest pas de merveilles,
car les anges tous pleins de force et de vertu, protégent mes amis. Or,
maintenant, sa volontĂ© Ă©tant changĂ©e, lâodeur lâest aussi, et cette
odeur montre aujourdâhui quelles sont son intention et sa volontĂ©. Or,
quâest-ce que je dois faire, quand on jette devant ma face, mes grĂąces
et mes faveurs ? VĂ©ritablement, je le souffrirai patiemment comme un homme
débonnaire, jusqu'à ce que le jour de jugement arrive et sentence générale,
afin quâalors apparaissent lâingratitude et la prĂ©somption de ce prĂ©somptueux,
et la patience du Seigneur qui lâa souffert.
DĂCLARATION.
Lâhomme
dont il est ici parlé fut moine du monastÚre de Saint-Paul, qui , ayant
eu contrition de ses fautes, mourut heureusement.
Chapitre
19.
Notre-Seigneur
se plaint des hommes qui se plaisent dans les délices temporelles, méprisant
la gloire future et les bĂ©nĂ©fices de sa passion, lâoraison desquels
est comparĂ©e Ă la voix dâune canne et au cliquetis des pierres ; tels
seront damnes, et lors ils ne verront pas la gloire de Dieu dans le ciel,
hors, dessous et en tout lieu, Ă leur confusion.
Celui
que vous connaissez chante : Seigneur, dĂ©livrez-moi de lâhomme mauvais.
Cette voix est Ă mes oreilles comme la voix dâun flageolet, comme lâharmonie
dâune canne et comme le son du cliquetis des pierres. Or, qui pourra
rĂ©pondre Ă leur son, vu quâon ignore ce quâil signifie ? car son
cĆur crie Ă moi comme par trois voix.
La
premiÚre dit : Je veux avoir les volontés. Je dormirai et me lÚverai
quand il me plaira ; je prendrai plaisir en mes paroles. Ce qui me plaĂźt
et délecte entrera en ma bouche. Je ne me soucie point de la sobriété,
mais je cherche lâassouvissement de la nature ; je lui donnerai Ă suffisance
ce quâelle dĂ©sire : je dĂ©sire avoir de lâargent en ma bourse, la
douceur et la mollesse des vĂȘtements. Quand jâaurai toutes ses choses,
je serai content, et je rĂ©pute Ă fĂ©licitĂ© dâavoir ce que je dĂ©sire.
La
deuxiĂšme voix crie et dit : La mort nâest pas si dure quâon le dit
; le jugement nâest pas si sĂ©vĂšre quâil est Ă©crit. Les prĂ©dicateurs
nous menacent de plusieurs choses dures pour nous faire prendre garde Ă
bien vivre, mais elles seront plus douces à raison de la miséricorde
divine. Mais pour que je puisse accomplir ici mes volontés, faire ce qui
me plaĂźt et jouir du meilleur, que lâĂąme aille oĂč elle pourra.
La
troisiĂšme voix criait et disait : Dieu ne mâaurait pas crĂ©Ă©, sâil
ne voulait me donner le ciel ; il nâaurait pas souffert, sâil ne voulait
mâintroduire dans la patrie des vivants. Et pourquoi aurait-il voulu
endurer une mort si cruelle ? Qui lây a contraint ? Ou bien quelle utilitĂ©
en rĂ©sulterait-il ? Je ne puis entendre ni comprendre que par lâouĂŻe
ce quâest le royaume cĂ©leste ; je ne vois pas sa bontĂ© ; je ne sais
si je le dois croire ou non. Je sais et tiens pour royaume céleste ce
que je tiens.
VoilĂ
quelles Ă©taient ses pensĂ©es et ses volontĂ©s ; câest pourquoi aussi
sa voix mâest comme le cliquetis des pierres.
Mais
je veux rĂ©pondre Ă la premiĂšre voix de son cĆur. Mon ami, votre voix
ne tend point au ciel ; la considération de ma passion ne vous est pas
Ă goĂ»t : câest pourquoi lâenfer vous est ouvert, dâautant que votre
vie désire les choses basses et les aime.
Je
réponds à la deuxiÚme voix : Mon fils, la mort vous sera trÚs-dure
; le jugement vous sera intolérable ; il est impossible que vous les fuyiez
; vous aurez une peine trĂšs-amĂšre, si vous ne vous amendez pas.
Je
rĂ©ponds Ă la troisiĂšme voix de votre cĆur : Mon frĂšre, tout ce que
jâai fait par amour, je lâai fait pour lâamour de vous, afin que
vous me fussiez, et que, vous étant retiré de moi, vous puissiez revenir
Ă moi. Or, maintenant, ma charitĂ© Ă©tĂ© Ă©teinte en vous ; Mes Ćuvres
vous sont pesantes et onéreuses ; mes paroles vous semblent des fadaises,
mes voies vous paraissent difficiles : câest pourquoi il vous reste un
supplice amer et la compagnie des diables, et vous ne changez votre cĆur
en mieux, si vous me tournez le dos, à moi qui suis votre trÚs-débonnaire
Seigneur et Créateur ; vous aimez mon ennemi en me méprisant ; vous foulez
aux pieds mes trophées et dressez ceux de mon ennemi.
HĂ©lĂ s
! Voici comment ceux qui semblent ĂȘtre Ă moi sont contre moi ; voyez
en quelle sorte ils sâen sont retirĂ©s. Je vois ces choses et les souffrances,
et encore, ils sont si endurcis quâils ne veulent prendre garde Ă ce
que jâai fait pour eux et comme jâai Ă©tĂ© devant eux.
1.
Jâai Ă©tĂ© devant eux comme un homme dont un couteau aigu perçait les
yeux ;
2-
comme un homme dont un glaive transperçait le cĆur ;
3-
comme un homme dont tous les membres ont Ă©tĂ© roidis Ă raison de lâamertume
et de la douleur de ma douloureuse passion : Câest de la sorte que jâai
été devant eux.
Or,
quâest-ce que mon Ćil signifie, sinon mon corps, auquel le ressentiment
de ma passion fut aussi amer que la douleur en la prunelle de lâĆil
? NĂ©anmoins, je souffrais tout cela patiemment avec un grand amour. Mais
le glaive signifie la douleur de ma trĂšs-chĂšre MĂšre, qui affligea plus
mon cĆur que la douleur mĂȘme.
En
troisiÚme lieu, tous mes membres et toutes les parties intérieures se
roidirent en ma passion, et câest ce que jâai pĂąti pour eux. Mais
hélas ! Les misérables ! Ils méprisent tout cela comme un fils qui méprise
sa mÚre. Eh quoi ! Ne leur ai-je pas été comme une mÚre qui, ayant
dans le ventre son enfant, dĂ©sire lâheure de lâenfantement, afin que
lâenfant naisse vivant ? Que sâil peut ĂȘtre baptisĂ©, la mĂšre nâa
pas tant de peine de la mort quâelle en aurait autrement. Jâen ai fait
de mĂȘme : jâai enfantĂ© comme une mĂšre, par ma passion, lâhomme des
tĂ©nĂšbres de lâenfer au jour Ă©ternel. Je lâai portĂ© et nourri comme
dans mon sein avec de grandes difficultĂ©s, lorsque jâai accompli les
prophĂ©ties qui parlaient de moi ; je lâai nourri de mon lait, quand
je lui ai montré les paroles saintes et lui ai donné les préceptes de
vie. Mais lui, comme un méchant fils, méprisant les douleurs de sa mÚre,
me rend haine pour amour ; pour la douleur, des sujets de pleurs, et surajoute
à mes plaies de nouvelles infirmités ; il donne à ma faim des pierres,
et pour Ă©tancher ma soif, il me donne de la boue.
Or,
quelle est cette douleur que lâhomme me cause, vu que je suis sans changement,
impassible et Dieu Ă©ternel ? En vĂ©ritĂ©, lors lâhomme me fait comme
endurer, quand il se sépare de moi par le péché, non pas que je sois
sujet Ă quelque douleur, mais seulement dâune maniĂšre ineffable, comme
un homme a compassion dâun autre. Or, lâhomme me causait alors de la
douleur, quand il ignorait la gravitĂ© et la laideur du pĂ©chĂ©, lorsquâil
nâavait ni prophĂštes ni loi, ni nâavait encore les paroles de ma bouche.
Or, il me cause maintenant une double douleur comme un pleur, bien que
je sois impassible, quand, ayant connu mes volontés, ressenti mon amour,
il sâagit contre mes commandements, et pĂšche impudemment contre la raison
de sa conscience ; et câest pourquoi plusieurs sont plus profondĂ©ment
prĂ©cipitĂ©s dans lâenfer, ayant la connaissance de mes volontĂ©s, que
sâils ne lâeussent pas eue et nâeussent reçu mes commandements ;
et certes, lors lâhomme faisait en moi quelques plaies, bien que je sois
invulnĂ©rable, lorsquâil ajoutait pĂ©chĂ© sur pĂ©chĂ©.
Or,
maintenant, ils ajoutent sur mes plaies quelque malheur vénéneux, lorsque,
non-seulement ils multiplient les pĂ©chĂ©s, mais lorsquâils sâen glorifient
et ne sâen repentent point. Or, quand lâhomme me donne encore des pierres
au lieu de pain, et de la boue au lieu de boisson, remarquez que, par le
pain, sont entendus le profit des Ăąmes, la contrition du cĆur, le dĂ©sir
divin et lâhumilitĂ© fervente en charitĂ© : au lieu de ces choses, lâhomme
me donne des pierres, savoir, par lâendurcissement de son cĆur. Il me
donne de la boue par lâimpĂ©nitence et vaine confiance. Il mĂ©prise de
revenir à moi par les avertissements salutaires ; et par les adversités,
il dédaigne de me regarder, et de peser et considérer la grandeur de
mon amour. Partant, je puis me plaindre à juste sujet, car je les ai enfantés
comme une mĂšre en la lumiĂšre par la douleur de ma passion ; mais ils
aiment mieux ĂȘtre plongĂ©s dans les tĂ©nĂšbres palpables. Je les ai repus
et je les repais du lait de ma douceur, et ils me méprisent, et ajoutent
impudemment la boue de leur malice Ă la douleur de lâignorance. Ils
me rassasient du pĂ©chĂ©, bien quâils me dussent arroser des larmes de
leurs vertus. Ils me prĂ©sentent des pierres, bien quâils soient obligĂ©s
de me prĂ©senter leur cĆur plein de douceur. Partant, ayant patience comme
un juste juge en la justice, et en la justice miséricorde, et en la miséricorde
sagesse, je me lĂšverai contre eux en leur temps, et leur rendrai selon
leurs mérites ; et ils verront ma gloire dans le ciel, dedans, dehors,
de toutes parts, dans les vallées, sur les collines ; et ceux qui seront
damnés seront confus et honteux de leur propre honte et confusion.
DĂCLARATION.
Celui-ci
fut religieux, moine du monastÚre de Saint-Laurent, dissolu et dissipé,
qui fut occis par ses ennemis et enseveli en lâĂglise de Saint-Laurent.
Saint-Laurent
a Ă©tĂ© vu parler au juge, disant : Quâest-ce que ce volage fait avec
les élus, lesquels ont répandu leur sang ? Ce moine a aime les voluptés.
Et cela étant dit, son corps a été jeté du sépulcre puant et infect.
AprĂšs,
le juge dit Ă lâĂąme qui Ă©tait lĂ prĂ©sente : Allez, maudite, aux
incirconcis et abortifs que vous avez suivis, dâautant que vous nâavez
voulu ouĂŻr la voix de votre PĂšre ! Et la vision disparut de la sorte.
La
MĂšre de misĂ©ricorde dit que lâhomme qui a la contrition et la volontĂ©
de sâamender, et qui nĂ©anmoins est froid en la dĂ©votion et en lâamour
de Dieu, doit impétrer de Dieu une bluette de feu divin, par la fréquente
méditation de la passion de Jésus-Christ ; et de là , elle échauffera
son ùme par le divin amour, et elle sera allaitée des mamelles virginales,
câest-Ă -dire, de la vertu, de la crainte divine et de lâobĂ©issance.
La
Vierge Marie dit : Je suis comme une mĂšre qui a deux enfants ; mais ils
ne peuvent atteindre aux mamelles de leur mĂšre, dâautant quâelles
sont trop froides et sont en une maison trop froide. NĂ©anmoins, la mĂšre
les aime tellement quâelle les couperait volontiers, sâil Ă©tait possible,
pour leur utilité.
Je
suis en vĂ©ritĂ© MĂšre de misĂ©ricorde, dâautant que je fais misĂ©ricorde
Ă tous ces misĂ©rables qui me la demandent. Jâai deux enfants : lâun
sâappelle la contrition de ceux qui faillent contre Dieu, mon Fils ;
le second est la volonté de se corriger des fautes commises. Mais les
deux enfants sont trop froids, et ils nâont aucune chaleur dâamour,
et ne ressentent aucun plaisir divin, et la maison de leur Ăąme est si
froide des flammes des consolations divines, quâils ne peuvent sâapprocher
de mes divines mamelles.
Lors,
mon Fils me rĂ©pondit : Ma MĂšre bien-aimĂ©e, jâenverrai pour lâamour
de vous une scintille de feu en leur maison, de laquelle on pourra allumer
un grand feu. Quâon garde, fomente et nourrisse La scintille, et quâon
en chauffe vos enfants, afin quâils puissent recevoir vos mamelles.
AprĂšs,
la MĂšre parlait Ă lâĂ©poux, disant : celui-lĂ pour lâamour duquel
vous me priez eut une spĂ©ciale dĂ©votion envers moi ; et bien quâil
se soit plongé en des misÚres infinies, il se confiait néanmoins en
mon secours, et eut quelque amour envers moi, mais point envers mon Fils,
ni crainte ; et partant, sâil eĂ»t Ă©tĂ© alors appelĂ© du monde, il eĂ»t
Ă©tĂ© tourmentĂ© Ă©ternellement. Mais dâautant que je suis pleine de
misĂ©ricorde, câest pour cela aussi que je ne lâai pas oubliĂ© ; mais
il y a encore quelque espĂ©rance du bien Ă ma considĂ©ration. Sâil se
voulait aider soi-mĂȘme, car il a maintenant contrition des pĂ©chĂ©s commis,
et volontĂ© de sâen amender ; mais il est trop froid en la charitĂ© et
dĂ©votion ; partant, afin quâil puisse ĂȘtre chauffĂ© et recevoir mes
mamelles, on doit envoyer ma scintille en son Ăąme, câest-Ă -dire, la
considĂ©ration de la passion de mon Fils, quâil doit assidĂ»ment mĂ©diter.
Et
de fait, quâil considĂšre ce que le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge,
qui est un Dieu avec le PÚre et le Saint-Esprit, a souffert et enduré
; comment il a été lié, souffleté ; comment on lui a craché au visage
; comment il a Ă©tĂ© fouettĂ© jusquâau dedans, de sorte quâon arrachait
la chair avec les fouets ; comment ayant tous les os désemboités et tous
les nerfs Ă©tendus, il Ă©tait pendu au gibet avec grande douleur ; comment,
criant en la croix, il rendit lâesprit.
Sâil
souffle souvent cette bluette, il sâĂ©chauffera, et je lâappliquerai
Ă mes mamelles, câest-Ă -dire, Ă deux vertus que jâai eues, savoir
: la crainte de Dieu et lâobĂ©issance ; car bien que je nâaie jamais
péché, je craignais toutefois à toute heure afin que, ni par parole
ne par dĂ©marche, je nâoffensasse mon Dieu. Par cette crainte, jâallaiterai
mon fils, savoir, la contrition de celui qui mâest dĂ©vot, pour lequel
vous priez, afin quâil se repente de ce quâil a fait, mais encore il
craindra le supplice et craindra dâoffenser dĂ©sormais mon Fils JĂ©sus-Christ.
Jâallaiterai aussi sa volontĂ© Ă la mamelle de mon obĂ©issance, car
de fait, je suis celle qui nâa jamais Ă©tĂ© dĂ©sobĂ©issante Ă Dieu.
Je ferai donc que celui qui a été échauffé de la charité de mon Fils,
obĂ©ira en tout ce quâon lui commandera.
DĂCLARATION.
Celui-ci
fut allié de sainte Brigitte et était grandement mondain ; il se convertit,
et eut contrition de ses péchés par un avertissement divin. Il avait
coutume de dire : Tant que jâai eu horreur de la pĂ©nitence, je me suis
senti chargĂ© comme dâun grand et pesant faix de chaĂźnes ; et lorsque
je commençai de fréquenter les confessions, je me suis senti fort allége,
et mon esprit a été fort paisible, de sorte que je ne me souciais point
des honneurs et des ambitions mondaines, mais rien ne mâĂ©tait si doux
que de parler ou dâouĂŻr parler de Dieu. Celui-ci, ayant reçu les sacrements
et ayant en la bouche le nom vénérable de Jésus, dit : O doux Jésus,
ayez misĂ©ricorde de moi ! et sâendormit en Notre-Seigneur.
La
Sainte Vierge priant pour un défunt, son ami, Jésus-Christ lui dit que
les biens que ses successeurs ont faits pour son ùme, lui ont peu profité,
dâautant quâils lâavaient fait, plus par vanitĂ© que par charitĂ©
et amour de Dieu, et que néanmoins, sa peine était soulagée par les
priĂšres de la Vierge.
p.240
La
Sainte Vierge Marie parle, disant : BĂ©ni soit votre nom, ĂŽ mon Fils !
Vous ĂȘtes le Roi de gloire et le Seigneur tout-puissant, ayant la misĂ©ricorde
avec la justice. Votre corps, qui a été engendré et nourri en mon ventre
sans pĂ©chĂ©, a Ă©tĂ© aujourdâhui consacrĂ© pour cette Ăąme. Je vous
prie donc, ĂŽ mon trĂšs-cher Fils ! Quâil profite Ă son Ăąme et que
miséricorde lui soit faite.
Le
Fils répondit : Béni soyez-vous, Î ma MÚre, bénie de toute créature,
dâautant que votre misĂ©ricorde est infinie ! Je suis semblable Ă lâhomme
qui a acheté à grand prix un petit champ de cinq pieds dans lequel était
cachĂ© le bon or. Ce champ est lâhomme qui a cinq sens, que jâai achetĂ©
et rachetĂ© par mon sang, dans lequel il y avait un or prĂ©cieux, câest-Ă -dire,
lâĂąme crĂ©Ă©e par ma DivinitĂ©, laquelle est maintenant sĂ©parĂ©e du
corps et demeure seule en terre. Ses successeurs sont semblables Ă un
homme puissant qui, allant au jugement, crie au bourreau : SĂ©parez avec
le couteau la tĂȘte de son corps ; ne permettez point quâil vive plus
; ne pardonnez point Ă son sang. De mĂȘme en font-ils, car ils vont comme
au jugement, quand ils prient pour lâĂąme de leur pĂšre ; mais on crie
au bourreau : SĂ©parez leur tĂȘte du corps. Qui est ce bourreau que le
diable, qui sĂ©pare de son Dieu lâĂąme qui consent Ă ses suggestions
? Ils lui crient : SĂ©parez, quand, ayant mĂ©prisĂ© lâhumilitĂ©, ils
font par superbe le bien pour lâĂąme ou pour lâhonneur du monde, plus
que par charité et amour de Dieu.
Par
la superbe, Dieu est sĂ©parĂ© de lâhomme et est uni Ă lui par lâhumilitĂ©,
car ils crient : Ne souffrez pas quâils vivent longtemps, quand ils ne
se soucient point de bien faire pour le mort ; ils crient quâil ne faut
pardonner au sang, quand ils ne se soucient point de soulager sa grande
peine, ni ne se soucient du temps quâil y demeurera, pourvu quâils
puissent accomplir leurs volontés ; ils ne se soucient de rien plus, tant
ils sont liés aux honneurs du monde et réputent à peu ma passion.
Lors
la Sainte Vierge rĂ©pondit : Jâai vu votre justice, ĂŽ mon Fils, grandement
sĂ©vĂšre, Ă laquelle je ne mâadresse point, mais bien Ă votre infinie
misĂ©ricorde. Partant, pour lâamour de mes priĂšres, ayez misĂ©ricorde
de celui-ci : il disait tous les jours les heures pour mon honneur, et
nâimputez point Ă superbe les biens que ses successeurs font pour lui
: ils se réjouissent, et celui-ci pleure et est puni sans consolation
aucune.
Le
Fils répondit : Bénie soyez-vous , ma MÚre trÚs-chÚre ! Vos paroles
sont toutes pleines de clémence et sont plus douces que le miel ; vos
paroles procĂšdent et sortent dâun cĆur tout plein de misĂ©ricorde,
câest pourquoi vos paroles ne prĂȘchent que misĂ©ricorde.
Celui
pour lequel vous priez aura trois sortes de misĂ©ricorde pour lâamour
de vous :
1-
Il sera affranchi des mains des dĂ©mons, qui lâaffligent comme des corbeaux,
car comme les oiseaux, oyant quelque grand son, laissent la proie quâils
tiennent, Ă cause de la peur quâils ont, de mĂȘme les diables quitteront,
Ă cause de la crainte quâils auront de vous, et ils ne la toucheront
dĂ©sormais ni ne lâaffligeront.
2-
Cette Ăąme sera transfĂ©rĂ©e dâune peine plus ardente Ă une moins ardente
;
3-
mes anges la consoleront ; elle nâest pas entiĂšrement affranchie ; elle
a encore besoin de secours, car vous savez et voyez la justice qui est
en moi, et que personne ne peut entrer en la bĂ©atitude, sâil nâest
purifiĂ© comme de lâor par le feu ; partant, en son temps, pour lâamour
de vos priĂšres, elle sera entiĂšrement affranchie.
Chapitre
22.
Notre-Seigneur
JĂ©sus-Christ reçoit Ă misĂ©ricorde quelque Ă©vĂȘque par les priĂšres
de sa MĂšre, bien quâil fĂ»t dĂ©nuĂ© de bonnes Ćuvres ; mais sâĂ©tant
depuis peu converti à la contrition et à une sainte résolution de mieux
vivre, il lâa prĂ©venu de misĂ©ricorde et de douceur, montrant comme
il devait vivre humblement, sans cupidité et de la maniÚre dont il doit
corriger ses sujets défaillants, avec miséricorde et justice.
Le
Fils de Dieu parle : Ce prélat pour lequel vous me priez, Î mon épouse
! est déjà revenu à moi en trois maniÚres :
1-
comme un homme nu ;
2-
comme ayant en sa main un glaive ;
3-
comme Ă©tendant la main et demandant pardon ; et moi, pour lâamour des
priĂšres de ma MĂšre, je me tourne vers lui, et je lui irai au-devant comme
une mÚre à son enfant qui avait été perdu ; et bien que mes apÎtres,
par leurs priĂšres, me lâaient recommandĂ©, ils avaient nĂ©anmoins obtenu
peu, dâautant que celui-ci me fut contraire, lorsquâil eut la dignitĂ©
de lâĂglise, ni ne se comporta pas envers elle comme prĂ©lat.
Or,
je lâai revĂȘtu maintenant, afin quâil ne soit plus nu. Quelle est
sa nuditĂ©, sinon le peu de bonnes Ćuvres, lesquelles, certes, doivent
revĂȘtir de lâĂ©clat des vertus son Ăąme qui, hĂ©las ! paraĂźt nue devant
ma face, bien quâelle pense ĂȘtre habillĂ©e ? Je lui donnerai secours
maintenant par les priĂšres de ma trĂšs-chĂšre MĂšre et de mes saints,
afin quâil puisse ĂȘtre touchĂ© et revĂȘtu, car il sâen venait autrement
tout nu devant moi. Or, câest lorsquâil venait nu quâil sâentretenait
en ces pensĂ©es : je nâai rien de bon de moi ; je ne puis rien de bien
sans Dieu ; je ne suis pas digne de quelque bien, car si je savais comment
je puis plaire Ă Dieu et quâest-ce qui lui plaĂźt, bien que je dusse
mourir ; je le ferais franchement. Par une telle pensĂ©e, il vient nu Ă
moi. Câest pourquoi je lui irai au-devant et je le revĂȘtirai.
Il
eut aussi le glaive en ses mains, quand il considérait la rigueur et la
fureur de mes jugements, disant à part soi : Le jugement de Dieu est intolérable,
et il est impossible de lâĂ©viter ; partant, tout ce que Dieu veut de
moi, je le veux librement, et ma volonté est disposée à faire la sienne
; je nâai point de bonnes Ćuvres.
Que
sa volonté soit faite et non la mienne. Cette pensée et cette résolution
arrachĂšrent de mes mains le glaive de ma fureur, et lui attirĂšrent ma
miséricorde.
En
troisiĂšme lieu, il Ă©tendit sa main, quand il sâoccupait en ces pensĂ©es
: Je sais que jâai pĂ©chĂ© outre mesure, et que je suis digne de la rigueur
du jugement ; nĂ©anmoins, me confiant en votre bontĂ©, jâespĂšre secours,
car vous nâavez pas mĂ©prise saint Paul persĂ©cuteur, ni rejetĂ© MagdelĂšne
pĂ©cheresse. Câest pourquoi jâai mon recours Ă votre secours, afin
que vous me fassiez selon votre grande pitié et miséricorde.
Pour
cette pensée et désir, je lui donnerai ma main miséricordieuse, et je
lui augmenterai ma douceur, sâil accomplit gĂ©nĂ©reusement ces trois
choses, car il doit :
1-
chasser de lui tout orgueil et toute ostentation, et embrasser lâhumilitĂ©
;
2-
quâil arrache de son cĆur toute sorte de cupiditĂ©s, afin quâil se
gouverne dans les choses temporelles comme un bon dispensateur qui doit
rendre raison Ă son maĂźtre ;
3-
quâil ait soin que les pĂ©chĂ©s propres et les siens ne soient nĂ©gligĂ©s,
mais quâil les corrige avec misĂ©ricorde et justice, considĂ©rant mes
Ćuvres, de moi qui ai pardonnĂ© et frĂ©quentĂ© les publicains et les courtisanes,
qui ai néanmoins méprisé les superbes.
Nâest-il
pas Ă©crit que quelquâun, venant Ă moi et disant : MaĂźtre, je vous
suivrai oĂč vous irez ? Il rĂ©pondit : Non, car les renards ont des taniĂšres
? Et pourquoi lâai-je mĂ©prisĂ©, si ce nâest que jâai vu son cĆur
et sa volonté qui désiraient la gloire et la nourriture sans rien faire
? et partant, ma justice a voulu quâil fĂ»t repoussĂ©. Quâil en fasse
de mĂȘme, car quiconque viendra Ă lui, sâhumiliant et promettant de
sâamender, demandant pardon, il est tenu de lui faire misĂ©ricorde. Mais
celui quâil attrapera en la volontĂ© de croupir dans son vice ni ne voudra
se convertir, il le chùtiera avec modération et avec des verges ; on
le changera avec de lâargent.
Quâil
prenne nĂ©anmoins garde quâil ne fasse pas le chĂątiment pour assouvir
sa cupiditĂ©, mais par amour et pour lâamour de la justice, et quâil
convertisse lâargent quâil a en tels usages quâil en puisse rendre
compte Ă Dieu un jour, savoir, quâil ait pris lâargent du dĂ©linquant
par droit et justice, et quâil soit employĂ© en de bons et divins usages.
Que si, ayant Ă©tĂ© puni une fois en la bourse, il ne sâamende point,
quâil le prive aprĂšs du bĂ©nĂ©fice et du plus haut degrĂ© dâhonneur,
afin quâĂ©tant ainsi confus, il demeure lĂ comme un Ăąne, qui, portant
auparavant une selle dorée, était en grande réputation et en grand mépris,
et qui, quand elle lui a Ă©tĂ© ĂŽtĂ©e, a Ă©tĂ© regardĂ© comme sâil Ă©tait
insensĂ© : de mĂȘme en fais-je, moi qui suis le CrĂ©ateur de toutes choses
: je chĂątie lâhomme,
1-
par la tribulation temporelle ;
2-
par les infirmitĂ©s de corps et dâesprit, par les rĂ©sistances et contradictions
de sa volontĂ© ; et si lors, il ne veut se convertir, je le laisse et lâabandonne
aux peines qui lui sont dues de droit et de justice.
p.246
Chapitre
23.
La
Sainte Vierge Marie apparut Ă l'Ă©pouse, priant son Fils pour un grand
seigneur qu'elle comparait Ă un larron . Notre-Seigneur lui disait ses
détestables péchés, et il lui faisait, en consideration de ses priÚres
, trois grĂąces, car il lui donna un maĂźtre spirituel . La connaissance
des peines effroyables et éternelles, et l'espérance droite de la miséricorde
avec la crainte discrĂšte.
La
Sainte Vierge parle à son Fils et lui dit : Mon Fils, béni soyez-vous
! Je vous demande miséricorde pour ce larron , pour lequel votre épouse
pleure en priant.
Le
Fils répondit et dit :
Pourquoi , ĂŽ ma MĂšre ,
priez-vous pour lui ? Il
a fait trois larcins : 1° il a dérobé les anges et mes élus ; 2° il
a dérobé les corps de plusieurs hommes , séparant leurs ùmes du corps
avant le temps ; 3° il a dépouille plusieurs de leurs biens, car : 1°
il a dĂ©robĂ© les anges , en tant que plusieurs Ăąmes qui devaient ĂȘtre
unies et associées avec les anges , en ont été séparées par lui par
cajoleries , mauvaises Ćuvres , exemples mauvais, par occasions et attrait
du mal , et en ce qu'il souffrait les méchants en leur malice , lesquels
il devait punir justement , 2° Il a commande que plusieurs innocents fussent
punis et occis par colÚre et indignation ; 3° il a usurpe les biens des
innocents , et mis d'intolérables calomnies sur les misérables.
p.247
Il
a encore trois autres maux avec ces trois-ci : 1° une insatiable cupidité
du monde ; 2° une vie
incontinente
, car bien qu'il soit lie par mariage , il n'en use pas par charité divine
, mais pour assouvir ses cupidités ; 3° une superbe insupportable , de
sorte qu'il ne pense pas qu'aucun lui soit semblable . Voyez quel est celui
pour lequel vous priez ; vous voyez ma justice et savez ce qui est dĂ»
Ă chacun.
Quand
la mĂšre de Jacques vint Ă moi et qu'elle m'eut demande que l'un de ses
enfants fut assis à la droite et l'autre à la gauche , je lui répondis
que celui qui aurait plus travaille et qui se serait plus humilie , serait
assis Ă ma droite et Ă ma gauche . Comment donc pourra quelqu'un ĂȘtre
assis Ă ma gauche ou Ă ma droite sans rien faire, qui n'est pas pour
moi , mais contre moi ?
La
MÚre repartit : Beni soyez-vous O mon Fils, plein de justice et miséricorde
. Je vois votre justice terrible comme un feu embrase, et pas un ne s'en
ose approcher ; et au contraire, je vois votre miséricorde trÚs débonnaire
, et c'est Ă elle que je m'adresse , que je parle ; c'est d'elle que je
m'approche , car quoique j'aie bien peu
de droit et de justice en votre endroit de la part du larron, et que je
voie que, de ce cÎté-là , il ne sera pas sauvé si votre grande miséricorde
nây intervient, il est certainement semblable Ă un enfant qui, bien
quâil ait la bouche, les yeux, les mains et les pieds, ne peut pas pourtant
parler de la bouche, ni discerner de ses yeux entre le feu et la clarté
du soleil, ni ne peut marcher de ses pieds, ni travailler de ses mains
: de mĂȘme en est-il de ce larron : il a accru, depuis sa naissance, en
Ćuvres du diable ; ses oreilles ont Ă©tĂ© endurcies pour ouĂŻr le bien
; ses yeux ont été obscurcis pour entendre les
P248
Or,
ce pied nâest autre que son dĂ©sir, qui attendait que quelquâun lui
dit en quelle maniĂšre il pourrait sâamender, comment il pourrait apaiser
Dieu, car encore que je dusse mourir pour lui, je le ferai franchement,
disait-il. Le premier de ses pas était la crainte et la considération
de la peine Ă©ternelle ; le deuxiĂšme, la douleur de la perte du royaume
des cieux. Partant, Î mon Fils trÚs-débonnaire ! je vous en conjure,
par votre bonté et par mes priÚres, et parce que je vous ai porté en
mon sein, ayez miséricorde de lui.
Le
Fils répondit : Bénie soyez-vous, Î MÚre trÚs-débonnaire ! Vos paroles
sont pleines de sapience et de justice ; et dâautant quâen moi sont
toute justice et toute miséricorde, je donne au larron trois biens pour
trois autres quâil mâa offert ; car dâautant quâil a eu un bon
propos de sâamender, je lui ai montrĂ© mon ami, qui lui montrera la vie.
Pour le deuxiĂšme, câest-Ă -dire, pour la connaissance sĂ©rieuse du supplice
éternel, je lui ai augmenté la connaissance de la gravité du supplice
Ă©ternel, afin quâil entende et ressente en son cĆur combien dure et
amĂšre est la peine Ă©ternelle. Pour le troisiĂšme, savoir, pour la perte
du royaume des cieux, jâai illuminĂ© son espĂ©rance, afin quâil fĂ»t
maintenant plus sage quâil nâavait Ă©tĂ©, et afin quâil eĂ»t une
crainte plus discrĂšte. Lors derechef la MĂšre de Dieu parla :
P249
BĂ©ni
soyez-vous, mon Fils, de toute créature, au ciel et en la terre, que vous
ayez donné ces trois choses à ce larron par votre justice ! Maintenant,
je vous supplie de lui donner aussi votre miséricorde, car aussi vous
ne faites rien sans miséricorde. Donnez-lui donc une grùce de miséricorde
en considĂ©ration de mes priĂšres et une autre pour lâamour de votre
serviteur, qui me sollicite de prier pour ce larron ; mais donnez-lui la
troisiĂšme grĂące pour les larmes de ma fille, votre Ă©pouse sainte Brigitte.
Le
Fils lui répartit :
Lors
la MÚre répondit : Ce larron, Î mon Fils et mon Seigneur, est trop exposé
aux dangers ; il ne se soutient que dâun pied : donnez-lui la grĂące
de pouvoir sâarrĂȘter plus ferme ; donnez-lui votre saint et auguste
corps que vous avez pris du mien ; votre corps est un trĂšs-salutaire secours
aux infirmes ; il rend la vue aux aveugles, lâouĂŻe aux sourds, redresse
les boiteux ; il est le trĂšs-doux et trĂšs-fort emplĂątre avec lequel
les malades guérissent souvent.
P250
En
second lieu, je vous en supplie, daignez lui montrer ce qu'il faut faire
et comment il vous pourra plaire. En troisiĂšme lieu , je vous en prie
, que les ardeurs de sa chair soient apaisées , en considération des
priĂšres de ceux qui vous en supplient
Le
Fils répondit : Ma chÚre MÚre , vos paroles sont trÚs douces comme
le miel en mes oreilles ; mais d'autant que je suis juste et que rien ne
vous peut ĂȘtre refuse , c'est pourquoi je veux dĂ©libĂ©rer sur votre demande
comme un sage seigneur, non pas que, pour cela , il y ait en moi quelque
changement , ou bien que vous ne sachiez et voyiez tout en moi , mais je
le fais afin que mon Ă©pouse assistante puisse entendre ma sagesse.
P251
est
avec discrĂ©tion et que votre volontĂ© tend Ă la misĂ©ricorde. Câest
pourquoi je ferai miséricorde à ce larron.
La
MĂšre rĂ©pondit : Donnez-lui donc ce qui mâest si cher, savoir est votre
corps et votre grùce, car ce larron en est affamé, et il est privé de
tout bien. Donnez-lui donc la grùce, afin que sa faim soit rassasiée,
sa faiblesse affermie, et sa volonté enflammée au bien, qui a jusques
à maintenant croupi dans les ordures sans charité.
Le
Fils rĂ©pondit : Comme lâenfant Ă qui on ĂŽte la viande meurt bientĂŽt,
de mĂȘme celui-ci qui, dĂšs son enfance, a Ă©tĂ© nourri du diable, ne pourra
point revivre, sâil nâest repu de ma viande. Partant, sâil dĂ©sire
prendre et recevoir mon corps ; sâil dĂ©sire ĂȘtre rafraĂźchi de ses
fruits, quâil sâapproche de moi avec ces trois vertus, savoir, contrition
des fautes commises avec volontĂ© de sâamender et de persĂ©vĂ©rer Ă
bien faire.
Je
réponds aux priÚres de ceux qui les font pour lui. Il faut que le larron
fasse ce que je lui dirai, sâil cherche son salut : premiĂšrement, dâautant
quâil a osĂ© rĂ©sister au Roi de gloire, pour amendement de ce forfait,
il doit dĂ©fendre la foi de mon Ăglise sainte, et donner sa vie pour sa
protection, sâil en est besoin, et que, comme il a auparavant travaillĂ©
pour les commoditĂ©s mondaines, il en fasse de mĂȘme, maintenant, afin
que ma foi augmente, que les ennemis de la foi soient opprimĂ©s, et quâil
attire Ă la foi tous ceux quâil pourra, par sa parole et par son exemple,
comme auparavant il a retiré plusieurs du droit chemin.
P252
Je
vous jure pour certain que, quand il nâaurait fait que prendre le bouclier
pour mon honneur, avec intention de défendre la foi, il lui sera réputé
pour la foi, sâil est appelĂ© en ce point mĂȘme que si les ennemis sâapprochent
de lui, pas un ne lui nuira.
Partant,
quâil travaille gĂ©nĂ©reusement, car il a un maĂźtre puissant quand il
me possĂšde ; quâil combatte virilement : les stipendes sont trĂšs-grandes,
savoir est la vie Ă©ternelle. Pour ce quâil a offensĂ© les anges et tuĂ©
des hommes, quâil fasse dire tous les jours une messe de tous les saints,
un an entier, oĂč il lui plaira, donnant au prĂȘtre qui les dire aumĂŽne
pour vivre, afin que, par ses sacrifices, les anges soient apaisés et
quâils tournent leurs yeux vers lui. Certes, un tel sacrifice les apaise,
savoir, quand on prend mon corps, qui est un royal sacrifice, avec charité
et humilitĂ©. AprĂšs, dâautant quâil a ravagĂ© le bien dâautrui,
fait injure aux veuves et aux orphelins, il doit rendre humblement tout
ce quâil sait avoir injustement, priant ceux quâil a injuriĂ©s de lui
pardonner misĂ©ricordieusement ; et dâautant quâil ne saurait satisfaire
Ă tous ceux quâil a injuriĂ©s et Ă qui il a dĂ©robĂ©, quâil fasse
bĂątir en quelque Ă©glise un autel, oĂč il lui sera plus convenable, auquel
il laisse de quoi célébrer une messe jusques au jour du jugement. Et
afin que ceci demeure ferme et stable, il donnera autant de revenu quâun
chapelain puisse ĂȘtre entretenu. Mais dâautant quâil nâa point eu
dâhumilitĂ©, il doit maintenant sâhumilier autant quâil pourra, et
rappeler Ă la paix et concorde tous ceux quâil a offensĂ©s autant convenablement
que faire se pourra. Et quand il entendra louer ou vitupérer les péchés
quâil a commis, quâil ne les dĂ©fende jamais, ni ne se justifie, ni
ne sâen glorifie jamais, mais quâavec humilitĂ© il dise : HĂ©las !
que le pĂ©chĂ© mâa trop plu ! HĂ©las ! que mâa-t-il profitĂ© ? Jâai
excĂ©dĂ© trop en prĂ©somption, et si jâeusse voulu, je mâen fusse donnĂ©
garde.
P253
Partant,
ĂŽ mes frĂšres, priez Notre-Seigneur quâil me donne lâesprit de mâen
repentir, de me convertir et de mâamender. Quant Ă ce quâil mâa
offensĂ© par les excĂšs de la chair, quâil rĂšgle son corps par une tempĂ©rance
modĂ©rĂ©e. Que sâil Ă©coute mes paroles et les accomplit par Ćuvres,
il sera lors sauvĂ© et aura la vie Ă©ternelle. Sâil fait autrement, jâexigerai
de lui jusques à la derniÚre maille de ses péchés, et il aura une peine
plus amĂšre de ce que je lui fais dire ceci, et il nâen a rien fait.
AprĂšs
trois ans, sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit
larron.
Le
Fils de Dieu, parlant Ă son Ă©pouse, lui dit : Je vous ai dit autrefois
une plaisante chanson du susdit larron ; mais maintenant, je vous dis,
non un cantique, mais une lamentation et malheur : Sâil ne se convertit
soudain de lâautre cĂŽtĂ©, il sentira horriblement les fureurs de ma
justice, car ses jours seront abrégés, sa semence ne fructifiera pas
; les autres dissiperont ses richesses, et lui sera jugé comme un larron
pernicieux, et comme un fils rebelle qui a méprisé les avertissements
de son pĂšre.
P254
Chapitre
26.
Notre-Seigneur
dit Ă son Ă©pouse priant pour un roi, quâil sâefforce, pour le conseil
des hommes spirituels et sages, de rĂ©parer les murs de JĂ©rusalem, câest-Ă -dire,
lâĂglise et la foi catholique, qui sont comme perdues, les murs de laquelle
sont signifiés par la communauté des chrétiens, et les vases par le
clergé et par les religieux.
Le
Fils de Dieu parle : Que celui, dit-il, qui, de membre du diable, a été
fait membre de Dieu, travaille comme ceux qui Ă©difient les murs de JĂ©rusalem,
qui travaillaient pour le rétablissement de la loi, qui remettaient les
vases qui avaient été écartés de la maison de Dieu.
Mais
je me plains de trois choses :
1-
que les murailles de Jérusalem sont détruites. Quelles sont les murailles
de Jérusalem, sinon les corps et les ùmes des chrétiens ? car de celles-la,
mon Ăglise doit ĂȘtre bĂątie, les murailles de laquelle sont maintenant
tombĂ©es, dâautant quâelles ont fait leur volontĂ©, et non la mienne
; elles détournent maintenant leurs yeux de moi, et ne veulent ouïr ma
parole ; mes paroles leur sont insupportables, mes Ćuvres vaines, et ma
passion leur est abominable à méditer, ma vie intolérable, et ils disent
quâil est impossible de lâimiter.
2.
Je me plains que les instruments de ma maison sont transportés en Babylone.
Quels sont les instruments de ma maison et mes vases divers, si ce nâest
la disposition et la conversation des prĂȘtres et des religieux ? Leur
bonne disposition et ornement ont été transportés de mon temple en la
superbe du monde eu aux volontés et plaisirs propres. Ma sapience et ma
doctrine leur sont vaines, mes commandements onéreux ; ils ont enfreint
mes promesses ; ils ont profané ma loi et les constitutions de leurs prédécesseurs,
mes amis, et ont pour lois leurs inventions.
P255
3. Je
me plains que la loi de mes dix commandements est perdue. Eh quoi ! Ne
lit-on pas en lâĂvangile que, quand quelquâun mâinterrogeait, disant
: Maßtre, que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Je lui répondis
: Gardez mes commandements, qui sont maintenant perdus et nĂ©gligĂ©s. Câest
pourquoi ce roi pour lequel vous priez, doit assembler des hommes spirituels,
sages de ma sagesse, sâenquĂ©rir de ceux qui ont mon esprit, et leur
demander comment les murs de JĂ©rusalem doivent ĂȘtre rĂ©Ă©difiĂ©s emmi
les chrĂ©tiens. Il faut que lâhonneur soit rendu Ă Dieu, que la foi
droite fleurisse, que lâamour divin soit fervent, et que ma passion soit
imprimĂ©e dans les cĆurs des hommes. Quâil considĂšre aussi comment
il pourra rĂ©tablir les vases en leur premier Ă©tat, câest-Ă -dire, comment
les prĂȘtres et les religieux, ayant quittĂ© la superbe, pourront embrasser
lâhumilitĂ© ; que les innocents aiment la chastetĂ©, et comment les mondains
pourront quitter les appĂ©tits dĂ©sordonnĂ©s du monde et ĂȘtre lumiĂšre
aux autres. Quâil sâefforce aussi de faire aimer lâobservance de
mes commandements, et le tout avec force et sagesse. Quâil assemble les
chrĂ©tiens qui sont justes, afin quâavec eux il rĂ©Ă©difie ce qui a Ă©tĂ©
dĂ©truit. En vĂ©ritĂ©, mon Ăglise est trop Ă©loignĂ©e de moi, de sorte
que si les priĂšres de ma MĂšre nây intervenaient, il nây aurait point
espérance de miséricorde. Or, entre tous les états des laïques, les
soldats ont plus apostasié que toute leur apostasie et supplice, comme
il vous a été montré ci-dessus.
Chapitre
27.
Notre-Seigneur
dĂ©fend Ă son Ă©pouse dâouĂŻr des choses nouvelles, des Ćuvres des
mondains et guerres des illustres. HĂ©las ! pourquoi vous occuperiez-vous
de choses si inutiles et si vaines, puisque je suis le Seigneur de toutes
choses, et quâaucune dĂ©lectation ne doit ĂȘtre chĂ©rie que la mienne
?
Que
si vous vouliez ouïr les faits des seigneurs et considérer les actions
magnifiques, vous devriez occuper votre esprit en la considération de
mes faits, qui sont incompréhensibles et prodigieux à la pensée des
hommes, et admirables Ă lâouĂŻe. Or bien que le diable meuve les grands
du monde Ă sa volontĂ© ; bien quâils prospĂšrent par un mien juste jugement,
néanmoins, je suis leur Seigneur, et ils seront jugés par mon juste jugement.
Ils ont entrepris et formé une nouvelle loi contre ma loi, et ils emploient
tout leur soin Ă ĂȘtre honorĂ©s du monde, Ă savoir comment ils pourront
acquérir des richesses, en quelle maniÚre ils pourront accomplir leur
volontĂ©, dilater leur race. Câest pourquoi je jure en ma DivinitĂ© et
humanitĂ© que, sâils meurent en tel Ă©tat, ils nâentreront point en
cette terre qui Ă©tait promise en figure aux enfants dâIsraĂ«l, terre
oĂč dĂ©coulaient le lait et le miel ; mais il arrivera comme Ă ceux qui
dĂ©siraient les pots de viandes, qui mouraient dâune soudaine mort ;
car comme ceux-lĂ mouraient dâune mauvaise mort corporelle, de mĂȘme
ceux-ci meurent dâune mort de lâĂąme.
P257
Mais
ceux qui font mes volontĂ©s entreront en la terre oĂč dĂ©coule le miel,
câest-Ă -dire, en la gloire, en laquelle il nây a point de terre dessous
ni dessus, ni de ciel plus haut ; mais moi-mĂȘme, Seigneur et CrĂ©ateur
de toutes choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux cÎtés, dehors et
dedans, dâautant que je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie
mes amis dâune gloire, non de miel, mais dâune admirable suavitĂ©,
de sorte quâils ne dĂ©sirent que moi, nâont besoin que de moi, en qui
est tout le bien. Mes ennemis ne goĂ»teront jamais ce bien, sâils ne
se convertissent de leur mĂ©chancetĂ©, car sâils considĂ©raient ce que
jâai fait pour eux ; sâils pensaient Ă ce que je leur ai donnĂ©, ils
ne me provoqueraient jamais de la sorte Ă ire et Ă indignation. Certes,
je leur ai donné tout ce qui était nécessaire, utile et désirable,
avec la due tempĂ©rance ; je leur ai permis dâavoir des honneurs avec
modération.
Quiconque
penserait Ă part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec
modĂ©ration et honnĂȘtetĂ© ce dont jâai besoin, selon mon Ă©tat. Je rendrai
Ă Dieu honneur et rĂ©vĂ©rence ; je nâopprimerai personne ; je fomenterai
les moindres ; jâaimerai tout le monde : un tel, certes, me plaĂźt en
son degrĂ© dâhonneur. Mais celui qui a des richesses et sâentretient
en ces pensées : Puisque je suis riche, je ne prendrai rien injustement
; je ne ferai injure à pas un ; je me donnerai garde des péchés mortels,
jâaiderai les pauvres : celui-ci mâest agrĂ©able en ses richesses.
Mais celui qui est plongĂ© dans les voluptĂ©s, sâil pense : Ma chair
est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir : câest pourquoi soudain
que jâaurai une femme lĂ©gitime, je ne dĂ©sirerai point la femme de mon
prochain et me préserverai de la turpitude, celui-là me peut aussi plaire.
p258
Mais
dâordinaire, tous ceux-lĂ prĂ©fĂšrent leur loi Ă la mienne, dâautant
quâen leurs honneurs, ils ne veulent point avoir de supĂ©rieurs ; ils
ne se peuvent jamais rassasier de leurs richesses ; ils excĂšdent en leurs
voluptĂ©s par-dessus les maniĂšres louables. Partant, sâils ne sâamendent
et ne commencent une autre voie, ils nâentreront point en ma terre, en
laquelle le lait et le miel sont spirituels, câest-Ă -dire, ma douceur
et lâadmirable assouvissement ; ceux qui les goĂ»tent ne dĂ©sirent rien
de plus et nâont besoin de rien.
Une
Ăąme damnĂ©e pour de grands pĂ©chĂ©s et pour nâavoir eu douleur des plaies
que Jésus-Christ souffrit en sa passion. Cette ùme est damnée comme
un enfant abortif. Ceux qui gardaient le sépulcre sont marques par ceux
qui poursuivaient malicieusement Jésus-Christ en ses prédications, et
par ceux qui le crucifiaient.
Une
grande troupe paraissait ĂȘtre devant JĂ©sus-Christ, Ă laquelle il parlait,
disant : VoilĂ que cette Ăąme nâest plus Ă moi. Elle ne sâest non
plus souciĂ©e de mes plaies et de la blessure de mon cĆur que si on eĂ»t
percĂ© le bouclier de son ennemi ; elle sâest autant souciĂ©e des trous
de mes mains que si un drap fripé était rompu; elle a eu autant en estime
les plaies de mes pieds que si on eût coupé une pomme pourrie.
P259
Lors
Notre-Seigneur parlait Ă elle, disant : Vous avez souvent en votre vie
demandĂ© pourquoi jâavais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande
pourquoi vous ĂȘtes morte.
Elle
rĂ©pondit : Dâautant que je ne vous ai point aimĂ© .
Vous
mâavez Ă©tĂ©, dit-il, comme un enfant abortif est Ă sa mĂšre, pour lequel
elle endure tout autant que sâil Ă©tait vivant. De mĂȘme je vous ai rachetĂ©e
avec tant de prix et dâamertume comme un des saints, bien que vous vous
en soyez souciĂ©e bien peu. Mais comme lâenfant abortif ne goĂ»te point
la douceur des mamelles de sa mĂšre, ni consolation de ses paroles, ni
nâest Ă©chauffĂ© en son sein, de mĂȘme vous ne jouirez jamais de la douceur
ineffable de mes Ă©lus, dâautant que vous nâavez recherchĂ© autre douceur
que le vĂŽtre. Vous nâoyez jamais ma parole pour votre avancement. Les
paroles de votre bouche et celles du monde vous plaisaient trop, et les
paroles de ma bouche vous Ă©taient amĂšres. Vous ne ressentirez jamais
les effets de mon amour ni de ma bontĂ©, dâautant que vous avez Ă©tĂ©
froide Ă faire toute sorte de biens. Allez donc au lieu oĂč on a accoutumĂ©
de jeter les abortifs, oĂč vous vivrez en votre mort Ă©ternelle, car vous
nâavez pas voulu vivre en la lumiĂšre et en ma vie.
AprĂšs,
Dieu parlait Ă la troupe : O mes amis, si toutes les Ă©toiles et planĂštes
étaient changées en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui
ferais point misĂ©ricorde, dâautant quâelle oblige ma justice Ă la
damper.
P260
Cette
Ăąme fut semblable Ă trois sortes de gens : PremiĂšrement Ă ceux qui
suivaient de malice mes prédications, afin de pouvoir trouver occasion
en mes paroles et en mes faits de mâaccuser et de me trahir ; ils ont
vu mes bonnes Ćuvres et mes merveilles quâautre que Dieu ne pouvait
faire ; ils ont ouï ma sapience, ont approuvé ma vie louable et néanmoins,
ils enrageaient dâenvie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais
pourquoi cela ? dâautant que mes Ćuvres Ă©taient bonnes et que leurs
Ćuvres Ă©taient mauvaises, et parce que je nâapprouvais, mais je reprenais
aigrement leurs pĂ©chĂ©s : de mĂȘme cette Ăąme me suivait avec son corps,
non pas par le mouvement et lâattrait du divin amour, mais icelle Ă©tait
traßnée à me suivre encore pour paraßtre devant les hommes ; elle oyait
mes commandements et les voyait de ses yeux ; elle prenait de lĂ sujet
de se fĂącher et sâen moquait ; elle ressentait ma bontĂ©, et elle nây
croyait point ; elle voyait mes amis profiter, et elle les envoyait, mais
pourquoi ? dâautant que mes paroles et celles de mes Ă©lus Ă©taient contre
sa malice, mes préceptes et mes avertissements contre sa volupté, mon
amour et mon obéissance contre sa volonté ; néanmoins, sa conscience
lui dictait que je devais ĂȘtre honorĂ© par-dessus tout. Par les mouvements
des astres, elle entendait que jâĂ©tais son CrĂ©ateur, et par les fruits
de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les choses,
elle savait que jâen Ă©tais lâauteur ; et bien quâelle le sut, elle
sâen fĂąchait et abhorrait mes paroles, dâautant que je reprenais ses
mauvaises Ćuvres.
P261
En
deuxiĂšme lieu, il Ă©tait semblable Ă ceux qui me tuĂšrent, et qui disait
ensemble : Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le
troisiĂšme jour. Or, moi, jâavais prĂ©dit Ă mes disciples que je ressusciterais
le troisiĂšme jour ; mais mes ennemis, les amateurs du monde, ne croyaient
point que je ressuscitasse avec ma justice, et ce, dâautant que les Juifs
me virent comme homme pur, et ne percÚrent point jusques à la Divinité,
qui Ă©tait en moi : câest pourquoi ils pĂ©chĂšrent, non avec tant de
gravitĂ©, car sâils eussent su que jâĂ©tais Dieu, ils ne mâeussent
jamais occis.
Cette
Ăąme pensait en elle-mĂȘme : Je fais ma volontĂ© comme il me plait. Je
le ferai mourir sans craindre par mes volontĂ©s et par les Ćuvres qui
me plaisent et lui déplaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi
ne les ferai-je donc ? car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera
pas selon les Ćuvres des hommes, car sâil voulait juger si rigoureusement,
il nous eĂ»t pas rachetĂ©s ; et sâil avait tant de haine contre le pĂ©chĂ©,
il ne supportait pas les pécheurs avec tant de patience.
En
troisiÚme lieu, il est semblable à ceux qui gardaient ma sépulture,
qui sâarmĂšrent et environnĂšrent de soldats mon tombeau, afin que je
ne ressuscitasse point, disant : Gardons diligemment de peur quâil ne
ressuscite et quâil faille le servir. De mĂȘme en faisait cette Ăąme
: elle sâarmait de lâendurcissement du pĂ©chĂ©, car elle gardait diligemment
le sĂ©pulcre, câest-Ă -dire, la conversation de mes Ă©lus, sur lesquels
je me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles et
leurs avertissements nâentrassent en son cĆur, pensant en soi-mĂȘme
: Je prendrai garde de nâentendre point leurs discours de peur quâĂ©tant
piqué de quelque juste ressentiment, je ne vienne à laisser mes voluptés,
et que je nâentende ce qui dĂ©plairait Ă ma volontĂ© ; et de la sorte,
par la malice, il se sĂ©para dâeux, avec lesquels la charitĂ© le devait
unir.
P262
DĂCLARATION.
Cette
personne damnée fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, étant
à table, blasphémant les saints, éternuant, elle mourut soudain sans
les sacrements, et son ùme a été vue comparaßtre en jugement, à laquelle
le Juge disait : Vous avez parlé comme vous avez voulu, et avez fait comme
vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le silence maintenant
et que vous Ă©coutiez.
RĂ©pondez-moi
donc, sainte Brigitte lâentendant.
Bien
que je sache toutes choses, nâavez-vous pas ouĂŻ ce que jâai dit ?
Je ne veux point la mort du pĂȘcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc,
le pouvant, nâĂȘtes-vous pas revenue Ă moi ?
LâĂąme
rĂ©pondit : Certes, je lâai ouĂŻ, mais je ne mâen suis pas souciĂ©e.
Le
Juge lui dit derechef : Nâavez-vous pas ouĂŻ : Allez au feu, maudits
! et venez, mes Ă©lus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas ?
Je
lâai ouĂŻ, dit-elle, mais je nâen croyais rien.
Le
Juge lui dit encore : Nâavez-vous pas ouĂŻ que jâĂ©tais juste Juge
et Ă©ternellement formidable ? Pourquoi donc ne mâavez-vous pas eu en
crainte ?
Je
lâai ouĂŻ, dit-elle, mais je mâaimais trop, et jâai clos mes oreilles,
afin de nâouĂŻr le jugement ; jâai endurci mon cĆur, afin de ne pas
y penser.
Le
Juge dit : Il est donc juste que la tribulation et lâangoisse ouvrent
votre esprit, puisque vous nâavez pas voulu entendre quand vous le pouviez.
p263
Lors
lâĂąme a Ă©tĂ© rejetĂ©e du jugement, gĂ©missant et criant : HĂ©las !
Hélas ! Quelle récompense ! Mais aura-t-elle fin ?
Soudain
une voix a été ouïe qui disait : Comme le premier principe de toutes
choses nâaura point de fin, de mĂȘme votre misĂšre nâen aura point.
Il
est commandé à sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur,
figuré par la manne du désert et par la farine dont la veuve rassasia
le prophĂšte. Il raconte aussi les grandes vertus, grĂąces et faveurs qui
arrivent Ă lâĂąme qui communie comme il faut.
Je
suis votre Dieu et Seigneur, la voix duquel Moïse ouït au désert au
buisson, et Jean au Jourdain.
DĂšs
ce jour, je veux que vous receviez souvent mon corps, car il est le médicament
et la viande qui affermit lâĂąme : celui qui est infirme dâesprit et
dĂ©bile en lâexercice de lâesprit, en est guĂ©ri et affranchi. Nâest-il
pas écrit que le prophÚte était envoyé à la femme qui le nourrissait
dâun peu de farine, et que la farine ne diminuait point jusquâĂ ce
que la pluie tombĂąt sur la terre ?
Je
suis ce prophÚte en figure, et mon corps est figuré par la farine. Cette
nourriture de lâĂąme ne se consomme point et ne diminue point, mais nourrit
lâĂąme, et demeure sans ĂȘtre consommĂ©e, car la viande corporelle Ă
trois choses :
1-Ă©tant
mùchée, elle se rend liquide ;
2-elle
sâanĂ©antit ;
3-
elle nourrit pour quelque temps ;
mais
ma viande est,
1-mùchée
quant aux accidents, et nâest point mĂąchĂ©e quant Ă la DivinitĂ© et
humanité ;
2-elle
nâest point anĂ©antie, mais elle demeure la mĂȘme ;
3-
elle ne rassasie point pour un temps, mais Ă©ternellement.
Cette
viande est préfigurée en la manne, que les anciens PÚres ont mangée
dans le dĂ©sert ; elle est cette viande que jâai promise en mon Ăvangile,
et qui rassasie Ă©ternellement. Donc, le malade croĂźt en force par la
viande corporelle ; de mĂȘme aussi tous ceux qui reçoivent mon corps dignement
et avec bonne intention, croissent en force spirituelle. Elle est ce fort
mĂ©dicament qui, entrant en lâĂąme, lâaffermit et la rassasie. Ceci
est cachĂ© aux sens, et la foi le dĂ©couvre Ă lâesprit demis. Cette
viande est à dégoût aux méchants et à ceux qui goûtent les douceurs
du monde, Ă ceux dont les yeux ne voient que cupiditĂ©, dont lâesprit
ne discerne ni nâestime que les propres volontĂ©s.
P265
Chapitre
30.
JĂ©sus-Christ
commande à son épouse sainte Brigitte de conformer entiÚrement sa volonté
Ă la volontĂ© de Dieu, tant en prospĂ©ritĂ© quâen adversitĂ©, car la
volontĂ© est comparĂ©e Ă la racine de lâarbre : que si elle est bonne,
câest-Ă -dire, si lâĂąme est bonne, elle produit de bons fruits ; que
si elle est inconstante, alors elle est rongĂ©e par la taupe, câest-Ă -dire,
par le diable, et lâĂąme est lors remplie des vents des adversitĂ©s,
ou bien elle se sĂšche sous les chaleurs du soleil, câest-Ă -dire, de
lâamour vain du monde.
Le
Fils parlait Ă son Ă©pouse : Bien que je sache toutes choses, dites-moi
néanmoins en votre langage quelle est votre volonté.
Soudain
lâange rĂ©pondit pour lâĂ©pouse, disant : Sa volontĂ© est comme on
lit : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel.
Câest
ce que je demande, dit Notre-Seigneur, câest ce que je veux, et câest
ce qui mâest une obĂ©issance trĂšs-agrĂ©able. Vous devez donc, ĂŽ mon
Ă©pouse, ĂȘtre comme un arbre bien enracinĂ©, qui ne craint point trois
sortes dâaccidents :
1-
Si lâarbre est bien enracinĂ©, les taupes ne lâarracheront point ;
2-
Il nâest point Ă©branlĂ© par lâimpĂ©tuositĂ© des vents ;
3-
Il ne sĂšche point par lâardeur du soleil.
Votre
ùme est un arbre dont la principale racine est la bonne volonté de Dieu.
En vĂ©ritĂ©, de cette bonne racine pullulent autant de vertus quâil y
a de racines en lâarbre. Or, la racine de laquelle les autres dĂ©pendent,
doit ĂȘtre forte, grosse et plus profondĂ©ment enfoncĂ©e en la terre :
de mĂȘme votre volontĂ© doit ĂȘtre forte en patience, grosse en la divine
charité, et profondément abaissée en la vraie humilité ; et si votre
volonté est ainsi enracinée, elle ne doit point craindre les taupes.
P266
Mais
quâest-ce que signifie la taupe fouillant sous la terre, sinon le diable,
qui va invisiblement, trompant et troublant lâĂąme ? Le diable, par sa
morsure, fend la racine de la bonne volontĂ©, si elle est constante Ă
pĂątir, et en la fendant de sa morsure, il la dissipe quand il suggĂšre
de mauvaises affections au cĆur, tire votre volontĂ© Ă diverses choses,
et fait dĂ©sirer ce qui est contre votre volontĂ©, dit JĂ©sus-Christ Ă
sainte Brigitte. Mais la premiÚre racine étant empoisonnée, toutes les
autres le sont, et le tronc se sĂšche, câest-Ă -dire, la volontĂ© et
lâaffection sont corrompues ; toutes les autres vertus sont empoisonnĂ©es
et me dĂ©plaisent, si on ne sâamende par pĂ©nitence ; lâĂąme est digne
dâĂȘtre sujette Ă la domination de Satan, bien que sa volontĂ© ne parvienne
Ă lâeffet extĂ©rieur. Que si la racine de la volontĂ© est forte et grosse,
la taupe le peut ronger, mais non pas la fendre, et lors, par la morsure,
la racine devient plus forte : de mĂȘme, si votre volontĂ© est toujours
forte dans les adversités et les prospérités, le diable la peut bien
ronger, câest-Ă -dire, il peut lui suggĂ©rer de mauvaises pensĂ©es, mais
si elle y rĂ©siste et nây consent point de volontĂ©, lors elles ne seront
point adjugées à supplice, mais bien à plus grand mérite, si on les
souffre avec patience, et à plus grande sublimité de vertu.
Que
sâil arrive que vous tombiez par impatience ou Ă lâimproviste, relevez-vous
soudain par la pénitence et contrition, et lors je remets le péché,
et donne patience et force contre les suggestions de Satan.
P267
En
deuxiĂšme lieu, si lâarbre est bien enracinĂ©, il ne doit point craindre
les impĂ©tuositĂ©s des vents. De mĂȘme si votre volontĂ© est conforme Ă
la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde, qui
sont comme un vent, pensant en vous-mĂȘme que peut-ĂȘtre il vous est expĂ©dient
que les tribulations du monde vous fassent souffrir. Vous ne devez pas
aussi vous troubler du mĂ©pris du monde ni des affronts car jâexalte
et jâabaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs
du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison
et sujet. Or, celui qui a une volontĂ© contraire Ă la mienne, celui-lĂ
est affligĂ© maintenant, dâautant quâil ne peut accomplir ce quâil
dĂ©sire, et il sera encore puni en lâautre vie, Ă raison de sa mauvaise
volontĂ© ; que sâil rĂ©signait et consignait sa volontĂ© en moi, il pourrait
souffrir facilement toutes les adversités.
En
troisiÚme lieu, un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives,
câest-Ă -dire, ceux qui ont une volontĂ© accomplie ne se dessĂšchent
point de lâamour de Dieu par les excĂšs de lâamour du monde, ni ne
sont pas retirĂ©s de lâamour de Dieu par lâhomme corrompu. Mais ceux
qui sont inconstants, leur ùme est bientÎt ébranlée de leur suggestion
du diable, ou par les contrariĂ©tĂ©s du monde ou de lâamour vain, dĂ©sirent
ce qui est inutile. Partant, cet homme nâest pas un bon arbre, duquel
vous pensez maintenant : La principale racine dâicelui est coupĂ©e, savoir
: Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrasse
lâaustĂ©ritĂ© de la vie conscient , et lors je remets le peche , et donne
patience et force contre les suggestions de Satan.
P268
En
deuxiÚme lieu, si l'arbre est bien enraciné , il ne doit pas craindre
les impĂ©tuositĂ©s des vents . De mĂȘme si votre volontĂ© est conforme
à la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde
, qui sont comme un vent , pensant en vous-mĂȘme que peut-ĂȘtre il vous
est expédient que le tribulat insidu vous fasse souffrir . Vous ne devez
pas vous troubler du mépris du monde et des affronts car j'exalte et j'abaisse
ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps,
car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet
. Or, celui qui a une volonté contraire à la mienne , celui-là est affligé
maintenant , d'autant qu'il ne peut accomplir ce qu'il désir , et il sera
encore puni en l'autre vie , à raison de sa mauvaise volonté ; que s'il
résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir facilement
toutes les adversités.
En
troisiÚme lieu , un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs
excessives, c'est-à -dire , ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessÚchent
point de l'amour de Dieu par les excĂšs de l'amour du monde , ni ne sont
pas retirés de l'amour de Dieu par l'homme corrompu. Mais ceux qui sont
inconstants , leur ùme est bientÎt ébranlée de leur entreprise et de
l'amour de Dieu , ou par la suggestion du diable , ou par les contrariétés
du monde ou de l'amour vain ,désirant ce qui est inutile. Partant , cet
homme n'est pas un bon arbre , duquel vous pensez maintenant :La principale
racine d'icelui est coupée , savoir : Votre volonté soit faite en
la terre comme au ciel, car il a embrassé
l'austérité de la vie continente , mais l'ardeur de l'amour se refroidit
en lui. Je l'ai aide a raison des priĂšres de ma MĂšre. Il avait trois
choses : la pauvreté sans les richesses , l'infirmité en ses membres
et défaut en la science . Ma volonté était que, s'il eut demeuré patiemment
en ces trois choses , il aurait eu une abondance Ă©ternelle, Ă©ternelle
santé, beauté , connaissance et vision de Dieu. Et pour obtenir ces choses
, je l'avais grandement aidé, lui donnant la force spirituelle , lui inspirant
ma volonté . Mais sa volonté est contraire a la mienne, se fùche de
la pauvreté , non pour l'amour de moi , mais pour son utilité; il se
fùche de son infirmité , se fùchant de pùtir ; il s'inquiÚte de ne
savoir, de peur d'ĂȘtre mĂ©prisĂ© des autres.
Partant,
par le secret de ma science, il a obtenu les trois choses dont il Ă©tait
trouble , car il jouit d'une plus grande abondance qu'il n'avait auparavent
de necessite corporelles ; il a une plus grande science et une plus grande
reputation. Partant , quand le diable le touche avec la tentation , il
doit craindre la chute , d'autant que la volonté principale est rompue
, et que l'amour du monde est échauffé en lui, soudain il quitte le bien
et avance chemin aux cupidités. Que la tribulation l'accable partout ,
du tout il est abattu comme un arbre frappé des vents ; il n'est stable
en rien , mais querelleur en tout . Que si le vent d'honneur souffle ,
il ne sera pas moins sollicité par les pensées de plaire à tout le monde
et d'ĂȘtre par tous estime bon. Et comment pourra-t-il parer sagement les
coups au revers de fortune ? Voyez combien d'inconstance provient de la
racine vicieuse.
P269
Or,
que ce que je dois faire ? Je suis comme un bon jardinier : en mon jardin
, il y a plusieurs arbres infructueux et peu plantureux . Si on coupe tous
les bons arbres , quel est celui qui entrera aprĂšs dans ce jardin ? Que
si on arrache entiĂšrement tous les arbres infructueux , le jardin sera
trop difforme et désagréable , a raisin de la fosse et de la poudre :
de mĂȘme si j'appelai de cette vie tous les bons , qui entrerait aprĂšs
dans le jardin de mon Eglise ? Si j'en arrachais tous les mauvais tout
d'un coup , mon Eglise apparaĂźtrait trop difforme , Ă raison des fosses
et puis les autres me servitaient par la crainte de la peine, et non par
amour.
C'est
pourquoi je fais comme le bon enteur qui retranche du tronc tout ce qui
est aride et sec et le met au feu , et ente lĂ -dessus du bon fruit : de
mĂȘme je planterai des arbres doux ; je ferai des parterres de vertus et
enterai lĂ -dessus ; et de temps en temps , j'en retrancherai ce qui est
sec et le jetterai au feu ; je nettoierai mon jardin , de peur qu'il n'y
demeure quelque chose d'infructueux qui puisse empĂȘcher les rameaux nouveaux
et les fruits..
DECLARATION
Il
est traité en ce chapitre d'un certain prieur qui s'étant excite à la
contrition par les paroles de JĂ©sus-Christ , se rendit aprĂšs grandement
dévot . Ce prieur vis Jésus-Christ lui tendant la main et lui disant
: Par ces os si durs les clous sont entres.
P270
Ce
prieur Ă©tant mort , Notre-Seigneur dit Ă sainte Brigitte : Ce frĂšre
, ton ami , n'est pas mort , mais il vit, d'autant qu'il a accompli par
Ćuvres ce que le nom de frĂšre signifie. Mais vous me pourriez demander
ce que signifie le nom de frÚre . Je vous réponds : celui-là est véritablement
frĂšre, qui, selon la maxime commune , porte tout ce qu'il a sur son dos
, qui ne désire que Dieu , qui se contente du nécessaire , qui connaßt
que Dieu incarné est son frÚre et l'aime comme frÚre.
Ce
frĂšre ne pouvait qu'Ă grand'peine se persuader que sainte Brigitte eut
tant de grĂąces de Dieu . Dieu , en un ravissement , la lui montra, elle
et le feu qui descendait du ciel sur elle ; et admirant cela et croyant
que c'était illusion , étant éveillé de ce sommeil , il fut plongé
dans la mĂȘme vision , en laquelle il ouĂŻt une voix qui lui dit deux fois
: Aucun ne peut empĂȘcher que ce feu ne sorte , car de ma puissance , j'enverrai
ce feu Ă l'orient et Ă l'occident, au septetrion et au midi , et il enflammera
le cĆur de plusieurs.
AprĂšs
ceci , ce frÚre crut aux révélations , et les défendit et accomplit
, et parfit par Ćuvres ce que le nom de frĂšre signifie , et finit trĂšs
heureusement sa vie.
D'ailleurs
dans ce mĂȘme chapitre , il est traitĂ© de quelque frĂšre infirme depuis
trois ans , le pied duquel se pourrissait et la moëlle en coulait . Ce
frĂšre exerça tant de patience qu'il avait toujours JĂ©sus dans son cĆur
et en sa bouche , disant : O Jésus trÚs digne ! Je désire , je désire
, oui , je désire ce que je ne peux dire . Jésus , mon désir , venez
à moi . Ayant été interroge sur ce qu'il désirait , il répondit :
Dieu ! du désir que j'en ai , et de la vision je m'en réjouis ; voire
tressaille de tel contentement , que , pour le posséder , je donnerais
franchement cent ans en cette infirmité.
P271
AprĂšs
ceci, le mĂȘme frĂšre , se rĂ©jouissant , mourut Ă minuit environ entre
les mains des frĂšres . Mais le jour suivant , qui Ă©tait un dimanche,
sainte Brigitte , Ă©tant ravie , en esprit , ouĂŻt : O fille , parce que
les seigneurs et les maĂŻtres ne veulent point venir Ă moi , je ramasse
et attire Ă moi les pauvres et les moins fervents , car ce pauvre idiot
a aujourd'hui trouvé plus de sagesse que Salomon, des richesses qui ne
vieillissent jamais , et une couronne qui ne se flétrira jamais
Dites aussi au
frÚre qui l'a servi en la maladie, que son service lui servira comme pénitence
pour ses fautes , qu'il sera affranchi des tentations, et qu'il aura une
nouvelle force dans l'exercice des choses spirituelles , qu'il arrivera
Ă la fin de ses joies , et qu'il veillera dans le repos de Lazare.
L'Ă©pouse
voyait au jugement divin un démon, et une ùme semblable à la forme horrible
d'un animal ; et elle était damnée , d'autant qu'elle avait persévéré
dans le mal , et ne s'en Ă©tait repentie Ă la fin . Comment JĂ©sus-Christ
est charitable et bénin aux bons, et vigoureux aux mauvais , et comment
une autre Ăąme montait.
L'Ă©pouse
voyait au jugement divin comme deux démons semblables en tous leurs membres
, la bouche desquels Ă©tait ouverte ; leurs yeux Ă©taient flamboyants ,
leurs oreilles pendantes comme celles des chiens ; leur ventre était enflé
, grandement Ă©tendu et vaste ; leurs mains Ă©taient comme des griffes
, leurs cuisses sans jointures , leurs pieds comme boiteux et comme coupes
au milieu
P272
Lors,
un d'iceux dit au Juge : Donnez-moi pour femme cette Ăąme qui m'est semblable.
Le
Juge lui dit : Quel droit y avez-vous ?
Le
dĂ©mon rĂ©pondit : Je vous la demande en premier lieu , puisque vous ĂȘtes
juste : a-t-on pas accoutumé de dire que quand un animal est semblable
Ă un autre , cet animal est fils d'un lion , car il lui ressemble, ou
d'un loup, pour la mĂȘme raison ? etc. Or donc , de quelle espĂšce est
cette ùme , ou a qui est-elle semblable , aux anges ou aux démons ?
Le
Juge lui repartit et lui dit : Elle n'est pas semblable aux anges , mais
Ă toi et Ă tes semblables , comme il parait.
Lors
le démon , comme en se moquant , dit : Cette ùme étant créée des ferveurs
de votre amour , vous était semblable ; mais maintenant , ayant méprise
votre douceur et clémence , elle est à moi par trois sortes de droits
: 1° d'autant qu'elle est semblable à moi en ses dispositions ; 2° attendu
qu'elle a un semblable goĂ»t ; 3° parce que nous avons un mĂȘme accord
de volontés.
Le
Juge répondit : Bien que je sache toutes choses, néanmoins , pour l'amour
de mon Ă©pouse ici prĂ©sente , dites comment cette Ăąme est semblable Ă
vous en disposition .
Le
démon dit : Si nous avons des membres conformes , nous avons aussi des
actes conformes , car nous avons les yeux ouverts , et nous ne voyons rien
; et de fait , je ne veux voir chose quelconque qui vous appartienne ;
ni elle n'a aussi voulu voir , quand elle pouvait , ce qui concernait le
salut de son Ăąme , mais elle s'amusait aux choses temporelles .
Nous
avons aussi des oreilles , mais nous n'oyons rien pour notre avancement
.
P273
De
mĂȘme celle-ci n'a rien voulu ouĂŻr qui appartĂźnt ou touchĂąt Ă votre
honneur ; Ă moi tout ce qui est de vous m'est trĂšs amĂšre , c'est pourquoi
la voix de votre doux concert n'entrera jamais en nos oreilles pour notre
consolation et utilité . Nous avons les oreilles ouvertes , car comme
elle a eu sa bouche ouverte à toutes les suavités du monde , et close
aux louanges et pour vous louer, de mĂȘme ai-je la bouche ouverte pour
vous offenser et pour vous troubler , si je pouvais . Et de fait , si je
pouvais , je vous troublerais toujours , et vous descendrais et débouterais
du trĂŽne de votre gloire .
Ses
mains sont comme les mains d'un griffon , car tout ce qu'il a pu prendre
, il l'a retenu sans le laisser , et l'eût plus longuement tenu , si vous
eussiez permis qu'il eĂ»t vĂ©cu davantage . De mĂȘme tous ceux qui viennent
dans les mains de ma puissance , je les tiens si fermement que je ne les
laisserais jamais aller , s'ils ne m'étaient Îtés contre mon gré par
votre justice .
Son
ventre est enflé , d'autant que ses cupidités insatiables étaient sans
bornes . Il était plutÎt rempli qu'assouvi . En vérité sa cupidité
Ă©tait si ardente que toute la terre ne pouvait l'assouvir ; il eut voulu
encore régner dans le ciel. J'ai aussi une semblable cupidité , car si
je pouvais ravager les Ăąmes qui sont au ciel , sur la terre et au purgatoire
, je le ferai franchement ; et s'il m'en restait une seule Ăąme , je ne
laisserai pas celle-là franche de tourments , pour assouvir mes cupidités.
Sa
poitrine est aussi froide que la mienne, car elle ne vous aima jamais ,
ni ne prit goĂ»t Ă vos avertissements , de mĂȘme que moi , qui ne suis
touché en votre endroit d'aucune atteinte d'amour , voire à raison de
l'envie enragée qui me déchire au-dedans , je me laisserais tuer d'une
mort amÚre , et désirerais que ce supplice me fût renouvelé incessamment
, pourvu que je vous puisse défaire , et que cela fût possible.
P274
Nos
cuisses sont sans jointures , d'autant que nous n'avons qu'une mĂȘme volontĂ©
, car presque dÚs le commencement de la création , ma volonté s'est
mue contre vous , ne voulant jamais ce que vous vouliez : de mĂȘme la volontĂ©
de cette ùme fut toujours contraire à vos préceptes et commandements.
Nos
pieds sont comme boiteux et mutilés, car comme avec les pieds on court
aux utilitĂ©s corporelles, de mĂȘme on s'approche de Dieu avec l'amour
et les bonnes Ćuvres.. Cette Ăąme non plus que moi , ne s'est jamais voulu
approcher de vous par amour no par bonnes Ćuvres , et partant , nous sommes
semblables en tout et en l'usage des membres.
Nous
avons encore un semblable goĂ»t , car bien que nous sachions que vous ĂȘtes
le souverain bien , nous ne vous goûtons pas pourtant ni ne savons pas
combien doux et bon vous ĂȘtes . Donc , puisque nous sommes semblables
en tout , jugez-nous conjointement.
Lors
un des anges répondit devant Notre-Seigneur : Seigneur Dieu m aprÚs que
cette ùme fut unie au corps , je la suivais toujours ni ne me séparai
point d'elle , tant que je trouvai quelque bien en elle ; or , maintenant
, je la laisse comme un sac vide de toute sorte de biens. Elle a eu enfin
trois sortes de maux : 1° Elle réputait vos paroles à mensonge , Î
Dieu ! 2° Elle croyait que votre jugement était faux . 3° Elle réputùt
votre miséricorde pour néant , voire la miséricorde fut comme morte
en elle.
P275
Cette
ùme fut unie en mariage avec une seule femme , et garda la fidélité
du mariage , non pour l'amour de Dieu , mais d'autant qu'il aimait si tendrement
sa femme qu'il n'en désirait point d'autre. Elle oyait aussi des messes
et assistait aux offices , non par esprit de dévotion , mais afin qu'il
ne fût séparé des chrétiens et noté par eux . Elle allait aussi souvent
à l'église afin d'obtenir de vous la santé corporelle , et que vous
lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde , non afin que
vous la protégiez des chutes. O Seigneur , vous avez plus donné à cette
ùme qu'elle ne vous a servi au monde . Vous lui avez donné des enfants
fameux , la santé corporelle , vous lui avez conservé les richesses et
l'avez protégée des infortunes qu'elle craignait . Les secrets de votre
justice lui ont donné l'accomplissement de ses cupidités , de sorte que
vous lui avez donné cent pour un , et tout ce qu'elle a fait a été récompensé
. Partant , je la quitte maintenant vide de toute sorte de biens.
Lors
le démon répondit : Donc Î Juge , puisqu'elle a suivi mes volontés
, puisque vous l'avez rĂ©compensĂ©e au centuple , jugez-la ĂȘtre associĂ©e
avec nous . N'est-il pas Ă©crit en votre loi que lĂ oĂč
il
y aura une mĂȘme volontĂ© et un consentement de mariage , lĂ se pouvait
une conjonction de loi ? Or , il en est de mĂȘme entre cette Ăąme et les
diables , car sa volonté a été la nÎtre , et la nÎtre , la sienne
. Pourquoi serons-nous frustrés de la société et conjonction mutuelle
?
Le
Juge repartit et dit : Que l'Ăąme dise ce qu'il lui semble de votre mariage
avec elle.
P276
Elle
dit au Juge : J'aime mieux ĂȘtre dans les peines de l'enfer que de venir
dans les joies du ciel , afin que vous , ĂŽ Dieu , n'ayez consolation de
moi ! Vous m'ĂȘtes Ă tant de haine que je ne me soucie point des peines
, pourvu que vous n'ayez joie aucune de moi.
Lors
le dĂ©mon dit au Juge : J'ai aussi les mĂȘmes volontĂ©s . J'aimerais mieux
ĂȘtre Ă©ternellement tourmente que de jouir de votre gloire , si vous deviez
avoir de lĂ quelque contentement !
Lors
le Juge dit à l'ùme : Votre volonté est votre juge , et vous souffrirez
le jugement selon icelle.
Et
lors le Juge s'Ă©tant tourne vers moi ( sainte Brigitte ) , qui voyais
tout ceci , me dit : Malheur Ă cette Ăąme ! Elle est pire que le larron
: elle a eu son ùme vénale ; elle a été insatiable des immondices de
la chair ; elle a trompe son prochain , c'est pourquoi tous crient vengeance
contre elle ; les anges détournent leur face de devant elle ; les saints
fuient sa compagnie.
Lors
le démon , s'approchant de cette ùme qui lui était semblable , lui dit
: O Juge , me voici , moi qui suis plein de malice , qui ne suis point
racheté ni ne serai point racheté. Cette ùme est comme un autre à moi
, car elle est rachetée , et elle s'est rendue semblable à moi , obéissant
plutĂŽt Ă moi qu'Ă vous . Partant , adjugez-la-moi .
Le
Juge lui dit : Si vous vous humiliiez , je vous donnerais la gloire , et
si cette ùme eut demande pardon avec résolution de s'amender au dernier
point de la vie , elle ne fut jamais tombée en tes mains ; mais d'autant
qu'elle persévéra jusqu'à la fin en ton obéissance , la justice veut
qu'elle soit Ă©ternellement a toi . NĂ©anmoins , les biens qu'elle a faits
en sa vie , s'il y en a quelqu'un , restreindront ta malice , afin que
tu ne la puisses tourmenter autant que tu veux.
P277
Le
démon repartit : Elle est chez moi , et comme par maniÚre de dire , sa
chair est ma chair , bien que je ne sois pas charnel , et son sang est
mon sang , bien que je sois un esprit . Et le diable semblait se réjouir
grandement de ces choses , et en menait un grand applaudissement.
Le
juge lui dit : Pourquoi vous réjouissez-vous tant de la perte d'une ùme
? Dites-le en sorte que mon Ă©pouse , ici assistante , l'entende.
Le
démon dit : Quand cette ùme brûle, je brûle plus ardemment , et quand
je l'allume , plus je suis allumé ; mais d'autant que vous l'avez rachetée
par votre sang et l'avez tellement aimĂ©e que vous vous Ă©tĂ©s donne Ă
elle ; lorsque je la puis arracher de vous par mes suggestions , je me
réjouis.
Le
juge lui dit : Ta malice est grande , mais regarde, je le permets.
Voici
une étoile qui montait au plus haut des cieux ; et le démon la voyant
, devint muet.
Notre-Seigneur
lui dit : A qui est-elle semblable ?
Le
démon répondit : Elle est plus luisante que le soleil , comme je suis
plus noir que la fume ; elle est toute pleine de douceur et jouit des dilections
divines , et moi je suis tout plein de malice et d'amertume.
Et
Notre-Seigneur lui dit : Quelles pensĂ©es en avez-vous en votre cĆur,
et qu'est-ce que vous voudriez donner pour qu'elle fut en votre puissance
?
P278
Le
démon répondit : Je donnerais toutes les ùmes qui sont descendues en
enfer depuis Adam jusques Ă maintenant , pour avoir celle-lĂ , et voudrais
endurer les peines les plus dures et les plus amĂšres , comme si on donnait
autant de coups de poignard sur moi si multiplies qu'il n'y eut pas l'espace
de la pointe d'une aiguille , voire je descendrais du plus haut du ciel
jusques Ă l'enfer pour l'avoir en ma puissance !
Notre-Seigneur
lui repartit : Ta malice est grande contre moi et contre mes Ă©lus , et
moi je suis si charitable que , s'il en Ă©tait besoin, je mourrais une
autre fois et j'endurerais pour chaque Ăąme et pour chacun des esprits
immondes , le mĂȘme supplice que j'ai endure une fois sur la croix pour
toutes les Ăąmes ! Mais vous ĂȘtes si envieux que vous ne voudriez pas
qu'une seule Ăąme vint Ă moi.
Lors
Notre-Seigneur dit Ă cette bonne Ăąme qu'on voyait comme une Ă©toile :
Venez , ma bien-aimée , jouir des contentements indicibles que vous avez
tant désirés ; venez à la douceur qui ne finira jamais ; venez à votre
Dieu et Seigneur , que vous avez tant de fois désiré . Je vous donnerai
moi-mĂȘme , en qui sont tout bien et toute douceur ; venez Ă moi du monde
qui est semblable Ă la douleur et Ă la peine , car en lui , il n'y a
que misĂšre .
Et
lors Notre-Seigneur , se tournant vers moi (sainte Brigitte) , qui voyais
tout cela en esprit , me dit: Ma fille , tout ceci a été fait en moi
en un instant ; mais parce que vous ne pouvez entendre les choses spirituelles
que par les similitudes , je vous les ai voulu montrer de la sorte , afin
que l'homme comprenne combien je suis rigoureux aux méchants , et combien
débonnaire aux bons.
p279
DĂCLARATION.
Une
Ăąme Ă©tait prĂ©sentĂ©e au juge ; elle Ă©tait suivie de quatre Ăthiopiens,
qui dirent au juge : Voici la proie : suivons-la, et nous marquerons tous
ses pas ; et Ă©tant une fois tombĂ©e en nos mains, quâen ferons-nous
?
Le
juge leur dit : Quâavez-vous Ă intenter contre elle ?
Le
premier Ăthiopien dit : Vous, Dieu, avez dit : Je suis juste et misĂ©ricordieux
par-dessus les pĂ©chĂ©s. Or, cette Ăąme sâest en telle sorte comportĂ©e
comme si elle avait été créée pour la damnation éternelle.
Le
deuxiĂšme Ăthiopien dit : O Seigneur, vous avez dit que lâhomme devait
ĂȘtre juste avec son prochain et ne le tromper en rien. Or, cette Ăąme
a fraudĂ© et trompĂ© son prochain, a changĂ© ce quâelle a pu, et a pris
ce quâelle a voulu, sans dessein dâen restituer rien.
Le
troisiĂšme Ăthiopien dit : Vous avez dit que lâhomme ne doit point aimer
la créature par-dessus son Créateur. Or, cette ùme a aimé toutes choses
fors vous.
Le
quatriĂšme Ăthiopien dit que pas un ne peut entrer dans le ciel, si ce
nâest de tout son cĆur ; mais cette Ăąme ne dĂ©sirait rien de bon, ni
les choses spirituelles ne lui plurent jamais. Mais tout ce quâelle faisait
qui avait quelque apparence que câĂ©tait pour lâamour de vous, elle
le faisait afin de nâĂȘtre marquĂ©e des chrĂ©tiens quâelle nâĂ©tait
pas chrétienne.
Lors
le Juge dit Ă lâĂąme : Que dites-vous de vous-mĂȘme ?
P280
Elle
répondit : Je vous désire toute sorte de maux, bien que vous soyez mon
CrĂ©ateur et mon RĂ©dempteur, et mon cĆur est entiĂšrement endurci ; nĂ©anmoins
étant contrainte, je dirai la vérité. Je suis comme un avorton aveugle
et boiteux, méprisant les avertissements du pÚre. Ma conscience profÚre
mon jugement : il faut que je suive aux peines ceux-lĂ dont je suivis
les mĆurs et les conseils en la terre.
Ces
choses Ă©tant dites, lâĂąme est sortie de devant Dieu avec de grandes
larmes. Lors la vision disparut.
A
la fin de cette révélation, il est fait mention de frÚre Algotte, prieur
et docteur en théologie, qui, ayant été trois ans aveugle et tourmenté
de la pierre, finit ses jours heureusement ; car sainte Brigitte, priant
pour lui afin quâil le guĂ©rĂźt, ouĂŻt en esprit cette rĂ©ponse : Il
est une Ă©toile luisante. Il nâest pas expĂ©dient que, pour le dĂ©sir
de la santé, son ùme soit noircie, car elle a déjà combattu, vaincu
et consommé sa course. Il ne reste que la couronne, et cela ne lui sera
enseigné que de cette heure ; les douleurs de la chair lui seront soulagées,
et lâĂąme sera enflammĂ©e des feux de mon amour.
Paroles
de JĂ©sus-Christ Ă son Ă©pouse, lui marquant comment les parents qui Ă©lĂšvent
leurs enfants dans les mĆurs mondaines, Ă acquĂ©rir les honneurs et la
gloire mondaine, sont désignés par les serpents qui, nourrissant leurs
petits, leur enseignent Ă combattre avec lâaiguillon et venin mortifĂšre.
P281
Quand
le mĂąle et le femelle des serpents sâaccouplent, ils se communiquent
le venin, et de leur nature, ils engendrent un serpent venimeux ; mais
le serpent, étant conçu, ne peut avoir vie que par ma faveur, car rien
ne peut ĂȘtre sans moi, ni recevoir lâesprit sans ma puissance et ma
vertu. Mais le serpent Ă©tant nĂ©, la mĂšre, nâayant point de lait pour
le nourrir, se pose en telle sorte sur lui et lâĂ©chauffe tellement que
peu sâen faut quâelle ne lâĂ©touffe. Ce serpenteau, sentant au-dessus
un trop grand chaud, et au-dessous un grand froid, poussé par la nécessité,
applique sa bouche Ă la terre, et commence Ă sucer et Ă manger peu Ă
peu la terre. AprĂšs, sa mĂšre le pique Ă la queue, pour lui enseigner
de serpenter, le poussant et le retirant. AprĂšs, la mĂšre considĂšre le
lieu oĂč lâardeur du soleil est, et lĂ , elle traĂźne son serpenteau,
allant devant lui lentement, afin quâil apprenne Ă aller et Ă suivre
; et le voyant au soleil, la mĂšre pense si son petit a du venin pour empoisonner,
et connaissant quâil en a, elle lui enseigne Ă piquer. Mais parce quâil
a lâaiguillon tendre encore, la mĂšre pense : Si je lui donne quelque
chose de dur, son aiguillon tendre sera bientĂŽt rompu ; câest pourquoi
la mĂšre lui apporte quelque chose de mou devant lui, et puis sa mĂšre
lâexcite Ă la colĂšre et Ă la fureur, jusques Ă ce que son petit serpenteau
pique le corps mou, et que de la sorte il apprenne Ă piquer et Ă renforcer
son aiguillon ; et lâayant aprĂšs fortifiĂ©, il pique les pierres et
les corps durs, et la mĂšre, lâayant de la sorte instruit, le laisse.
P282
De
telle trempe est lâhomme que vous connaissez : il est de fait comme un
serpenteau nouveau-nĂ©, dâautant quâil est nĂ© dâun pĂšre et dâune
mĂšre qui imitent la nature du serpent, car tous deux conviennent en la
nature du serpent, câest-Ă -dire, en la superbe damnable, qui nuit Ă
lâĂąme plus que nuit au corps le venin corporel. Or, enfin, ce serpent,
ayant une grande affection aux ambitions et dâinextinguibles feux de
voluptĂ©, brĂ»lait en lâamour impur de sa femelle, et elle brĂ»lait dâune
pareille voluptĂ© en lui, câest pourquoi ils sâapprochĂšrent ensemble,
bouffis dâorgueil, ayant oubliĂ© la crainte de Dieu, et engendrĂšrent
un serpent venimeux dâune semence vĂ©nĂ©neuse. Et moi, parce que je suis
misĂ©ricordieux, ma justice lâexigeant de la sorte, jâai crĂ©Ă© lâĂąme.
Mais dâautant que la mĂšre nâavait point, pour nourrir son fils, les
mamelles de la dilection divine, elle nourrit dessous soi, câest-Ă -dire,
selon lâamour du monde, et le fit Ă©lever avec les plus superbes, dĂ©sirant
dâune passion insatiable comment il le pourra rendre fameux parmi les
grands du monde ; et lâincitant Ă sa ruine, il lui parle, disant : Si
vous aviez ce domaine ou cette principautĂ©, vous pourriez ĂȘtre semblable
Ă votre pĂšre. Un tel honneur vous est convenable, et pour lâacquĂ©rir,
vous devez faire tous vos efforts.
Un
tel serpenteau, étant ainsi nourri par sa mÚre, échauffé aux choses
terrestres, refroidi du divin amour, commence de désirer les choses terrestres,
de sây attacher, de sây Ă©chauffer de plus en plus. AprĂšs, afin quâil
apprenne Ă remuer les membres et Ă dresser la tĂȘte, la mĂšre le pique
lors Ă la queue, quand elle le pousse Ă attirer les autres Ă soi par
promesses, et Ă se les associer par paroles et faveurs ; quand elle lui
commande de ne point pardonner aux bons, afin quâil soit appelĂ© bon,
ne pardonner Ă sa vie, et afin quâil soit appelĂ© gĂ©nĂ©reux, nâavoir
point de repos, et enfin elle lui enseigne dâĂ©terniser son nom. Elle
lui enseigne de ramper et de serpenter, le conduisant aux ardeurs du soleil,
quand elle lâincite Ă vivre superbement et dissolument, lui disant en
particulier et en public : Câest de la sorte quâont vĂ©cu votre pĂšre
et vos prédécesseurs.
P283
Câest
ainsi que les grands doivent faire ; câest une honte de vouloir ĂȘtre
plus saint quâeux, et câest un dĂ©shonneur de vouloir ĂȘtre plus humble
quâils nâont Ă©tĂ©, eux, par leurs discours doux, flatteurs et emmiellĂ©s,
se sont acquis les faveurs des hommes, et en se conformant Ă leurs mĆurs,
ils ont été grandement renommés. Par ces funestes avertissements, le
serpent né, attiré par les vanités et les allÚchements de la mÚre,
la suit dâun pĂ©chĂ© Ă un autre, jusquâĂ ce quâil soit arrivĂ©
aux ardeurs de la lubricitĂ©, comme aux ferveurs du soleil ; et lĂ oĂč
il pensait commencer ses plaisirs, là il a trouvé ses douleurs, et de
là sont sortis les inquiétudes, les fureurs et les combats, qui lui ont
Ă©tĂ© enseignĂ©s par la mĂšre. Mais dâautant que la mĂšre considĂ©rait
ses infirmités et ses faiblesses en ses forces, elle commença de lui
persuader ce qui est mol, savoir, lâacquisition des choses temporelles
de moindre réputation, afin de là faire progrÚs aux honneurs médiocres
qui semblent au commencement des choses douces et molles ; aprÚs, acquiesçant
aux conseils envenimés, il afflige les pauvres misérables, ravissant
leurs biens ; voyant quâils sont faibles pour leur rĂ©sister, il injurie
les uns, il pique par la haine les autres, il tue ses ennemis. AprĂšs,
ayant affermi son aiguillon Ús choses basses, étant soufflé par les
ambitions de la mĂšre, il commence de monter plus haut, portant envie aux
plus grands, tendant aux trahisons, suscitant des querelles, semant des
discordes, de sorte quâil ne doute point dâĂ©tendre son aiguillon jusques
aux injures de lâĂglise, si on ne sâen donne garde soigneusement et
sagement.
p284
Pour
arracher la malice de cet aiguillon, il nây a quâun seul remĂšde, savoir
: il faut couper la langue du serpent. Or, les sages doivent discerner
cette langue et la maniĂšre dont il la faut couper.
AprĂšs,
Notre-Seigneur dit : Comme on transperce le drap sans quâil sâen sente,
et comme la pomme est Ă©corchĂ©e sans que le maĂźtre sâen sente, de mĂȘme
ma passion et mes peines sont au cĆur de ce serpent, bien quâil ne les
considÚre jamais, car il met sa foi en la prédestination, disant : Si
Dieu a prévu que je serais damné, pourquoi ne travaillerai-je plus ?
Sâil a prĂ©vu que je serais sauvĂ©, facilement il acceptera ma pĂ©nitence.
Malheur Ă lui, sâil ne sâamende promptement, car aucun nâest damnĂ©
par ma prĂ©sence ! Sachez aussi que la mĂšre de ce serpent nâaura jamais
ce quâelle dĂ©sire follement, ni mĂȘme ses enfants, ni sa gĂ©nĂ©ration
ne prospĂ©rera point, voire elle mourra en lâamertume et dans le chagrin,
et sa mémoire sera éteinte.
ADDITION.
Le
Fils de Dieu parle, disant : Quâon se donne bien garde de cette espĂšce
de serpent, et quâon ne se confie point Ă ses inventions, car le jugement
de Dieu approche, et ses jours ne seront point prolongés.
P285
Une
autre fois, Notre-Seigneur apparut, disant : Sachez pour certain que ces
diables nâobtiendront point ce quâils dĂ©sirent, ni ses enfants ne
prospÚreront point, ni sa mémoire ne sera point provignée en générations.
Dieu
le PĂšre parle Ă son Fils, montrant comme il est semblable Ă lâĂ©poux,
qui a tant aimĂ© lâĂ©pouse quâil a Ă©tĂ© crucifiĂ© pour lâamour dâelle
; mais elle a aimĂ© lâadultĂšre et a tuĂ© lâĂ©poux. En quelle maniĂšre
sont signifiĂ©s lâĂąme par lâĂ©pouse, le lit nuptial par lâĂglise,
les portes du cabinet par la volontĂ©, lâadultĂšre par les dĂ©lectations
de la chair. Il prĂ©dit aussi que lâĂ©pouse sera lâĂ©pouse de JĂ©sus-Christ.
Le
PĂšre parle Ă son Fils, lui disant : Vous ĂȘtes semblable Ă lâĂ©poux
qui a Ă©pousĂ© une Ă©pouse belle de face et honnĂȘte en ses mĆurs, lâa
introduite en son lit nuptial et lâa aimĂ©e comme soi-mĂȘme. De mĂȘme
vous, Î mon Fils, vous avez épousé une épouse nouvelle, quand vous
avez brĂ»lĂ© de tant dâamour et de charitĂ© envers les Ăąmes, que vous
avez voulu ĂȘtre dĂ©chirĂ© et mourir au gibet de la croix pour lâamour
dâelles, et les avez introduites en votre sainte Ăglise, que vous avez
dédiée par votre sang, comme en un lit nuptial. Mais hélas ! son épouse
est maintenant adultĂšre ; les portes du cabinet nuptial sont closes, et
au lit de la vraie Ă©pouse. LâadultĂšre est couchĂ©e trĂšs-mĂ©chamment,
qui sâentretient en ces pensĂ©es : Quand mon mari sera endormi, dĂ©pouillĂ©
dans son lit, lors je lui mettrai le poignard au sein et le tuerai, car
il ne me contente point.
Or,
quâest-ce que lâĂąme signifie, sinon les Ăąmes que vous avez rachetĂ©es
de votre sang, lesquelles, bien quâelles soient plusieurs en nombre,
ne sont nĂ©anmoins quâune Ă©pouse Ă raison de lâunitĂ© de la foi et
de la charitĂ©, et plusieurs dâicelles sont maintenant adultĂšres, dâautant
quâelles aiment le monde plus que vous, ĂŽ mon Fils ! Elles cherchent
le plaisir dâautrui, et non le vĂŽtre. Les portes de votre cabinet nuptial,
câest-Ă -dire, de lâĂglise, sont closes. Quâest-ce que signifient
les portes, sinon la bonne volonté, par laquelle Dieu entre dans les ùmes
? Elle est close comme ne contentant rien de bon, mais elles font la volonté
de leurs ennemis, car tout ce qui leur plaßt, tout ce qui est délectable
Ă leur corps, câest tout ce quâelles dĂ©sirent, honorent et poursuivent,
et câest ce quâelles estiment ĂȘtre bon et saint. Mais votre volontĂ©,
qui est ce que les hommes devaient choisir avec ferveur, désirer avec
ardeur et donner tout pour vous, est négligée et méprisée ; et aussi
quelques-unes, par aventure, entrent quelquefois en dedans des portes de
vos cabinets nuptiaux, mais ce nâest pas pour accomplir vos volontĂ©s,
pour vous y aimer de tout leur cĆur, mais seulement par honte des hommes,
de peur dâĂȘtre estimĂ©s iniques, et afin quâelles ne soient reconnues
publiquement ce quâelles sont devant Dieu.
P287
Si
donc la porte de votre lit nuptial est mal close, et il y a plus de plaisir
à fréquenter les adultÚres que vous, elles conspireront de vous tuer
quand vous serez couchĂ© en votre lit : en vĂ©ritĂ©, câest lorsque vous
leur avez paru tout nu, quand vous avez reçu le corps des pures entrailles
de la Sainte Vierge sans laisser lâhumanitĂ© ; et lorsquâils vous voient
au saint et auguste sacrement, ils pensent quâil nây a que le seul
pain, bien que vous y soyez vrai Dieu et vrai homme, que les yeux obscurcis
des ténÚbres du monde ne peuvent voir ne pénétrer.
Vous
leur semblez encore endormi quand vous les souffrez sans les punir, et
câest ce qui les fait entrer impudemment dans votre temple, pensant en
eux-mĂȘmes : Jâentrerai et je recevrai le corps de JĂ©sus comme les autres
; nĂ©anmoins, je ferai ce que bon me semblera quand je lâaurai reçu,
car que me profite ou nuit-il de le recevoir ou de ne le recevoir pas ?
HĂ©las ! quâils sont misĂ©rables ! car lors ils vous tuent en quelque
maniĂšre dans leurs cĆurs, afin que vous ne rĂ©gniez pas en eux, bien
que vous soyez immortel, et en tout lieu, par la puissance de votre Divinité.
Mais
parce quâil nâest pas dĂ©cent que vous soyez sans une bonne Ă©pouse,
câest pourquoi jâenverrai mes amis, afin quâils vous amĂšnent une
Ă©pouse trĂšs-pure, belle, nouvelle, honnĂȘte en mĆurs, dĂ©sirable, et
quâils lâintroduisent en votre lit nuptial. Or, ces miens amis seront
aussi prompts que des oiseaux, dâautant que mon Esprit les conduira ;
ils seront forts comme ceux devant les mains desquels les murailles sont
renversées. Ils seront magnanimes comme ceux qui ne craignent point la
mort et sont prĂȘts Ă donner leur vie. Ceux-ci vous amĂšneront une Ă©pouse
nouvelle, câest-Ă -dire, les Ăąmes de mes Ă©lus, et ce avec grand honneur,
éclat, dévotion et charité, avec labeur et persévérance invincible.
Je suis celui qui parle maintenant, qui ai crié au Jourdain et au désert
: Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Mes paroles seront bientÎt accomplies.
P288
La
MĂšre de Dieu dĂ©clare Ă lâĂ©pouse par une similitude comment la Sainte
Vierge impétra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de priÚre,
et sâapplique aux Ă©lus qui sont au monde. Ces paroles promettent malĂ©diction
aux superbes, miséricordes aux humbles. Ce livre contient encore des paroles
par lesquelles il est donné pouvoir
Ă certaines personnes de chasser les dĂ©mons, et dâaccorder ceux qui
ont dissension, spĂ©cialement les rois de France et dâAngleterre.
La
Sainte Vierge Marie dit : Mon Fils est semblable à un roi qui a une cité
en laquelle il y a soixante-et-dix princes. En tout ce domaine, il nây
en avait quâun seul qui Ă©tait fidĂšle au roi. Lors les fidĂšles, voyant
que les infidĂšles nâattendaient que la mort et la damnation, Ă©crivirent
Ă une dame trĂšs-familiĂšre au roi, la priant de prier Dieu pour eux,
et quâelle dit au roi quâil leur Ă©crivĂźt quelques avertissements
par lesquels ils retournassent Ă leur devoir. Elle parla au roi de lâimportance
du salut des infidĂšles .
Le
roi lui dit : Il ne leur reste que la mort, et ils en sont dignes. NĂ©anmoins,
en considération de vos priÚres, je leur écrirai deux mots.
Au
premier sont trois choses : La damnation quâils mĂ©ritent ;
2-
la pauvreté et la confusion ;
3-
la honte et la confusion comme Ă des pourceaux.
Le
deuxiĂšme mot est que celui qui sâhumiliera aura la grĂące et jouira
de la vie.
P289
Mais
quand la lettre oĂč Ă©taient ces deux paroles, fut parvenue Ă ces infidĂšles,
quelques-uns dâentre eux dirent : Nous sommes aussi forts que le roi,
et partant, défendons-nous. Les autres dirent : Nous ne nous soucions
point de la mort ni de la vie, nous en nĂ©gligeons lâĂ©vĂšnement. Les
autres dirent : Aussi, tout ce que nous avons ouï est faux et controuvé
; cette lettre nâa jamais Ă©tĂ© de la bouche et de lâintention du roi.
Ayant
donc ouï ces réponses, ces fidÚles écrivirent à ladite dame familiÚre
du roi, disant : Ces infidĂšles ne croient point aux paroles du roi ni
aux nĂŽtres, câest pourquoi demandez au roi quâil leur envoie un signe
signalĂ©, afin quâils croient que la lettre est du roi.
Ce
que le roi oyant, dit : Deux choses appartiennent spécialement au roi,
la couronne et le bouclier. Personne ne peut porter la couronne royale
que le roi. Le bouclier du roi pacifie et réconcilie ceux qui ont débat
entre eux. Je leur enverrai donc ces deux choses, pour voir sâils se
convertiront de leur malice et sâils croiront Ă mes paroles.
Ce
roi ne signifie que mon Fils, qui est Roi de gloire, Fils de Dieu Ă©ternel
et le mien. Il a le monde auquel il y a soixante-dix langues comme autant
de domaines, et en chaque langue, un ami de mon Fils, câest-Ă -dire,
il nây a point langue en laquelle mon Fils nâait quelque ami, quâon
signifie nĂ©anmoins en un, Ă raison de lâunitĂ© de foi et dâamour.
Mais moi, je suis la Dame trĂšs-familiĂšre au roi, et mes amis, voyant
les misĂšres du monde, mâont envoyĂ© leurs priĂšres, me suppliant dâapaiser
mon Fils irrité contre le monde, mon Fils qui, étant fléchi par mes
paroles et celles des saints, a envoyé au monde ces paroles de sa bouche,
qui étaient presçues de toute éternité ; et afin que la cruauté et
mĂ©crĂ©ance des hommes ne pensassent que câĂ©taient des paroles controuvĂ©es,
jâai impĂ©trĂ© la couronne et le bouclier du Roi, en signe, la couronne
pour la puissance qui sera donnée à un sur les esprits immondes ; le
bouclier pour les ouvrages de la paix, qui seront donnés à un autre,
savoir, rĂ©former et pacifier les cĆurs Ă un cĆur, et la mutuelle charitĂ©.
Or, les paroles de mon Fils ne sont quasi que deux mots, savoir, malédiction
contre ceux qui sâendurcissent, et humilitĂ© Ă ceux qui sâhumilient.
P290
Ces
choses Ă©tant dites, le Fils parlait Ă la MĂšre : BĂ©nie soyez-vous comme
une mÚre qui est envoyée afin de prendre une épouse pour son Fils !
Câest aussi ainsi que je vous envoie Ă mes amis, afin quâils unissent
les Ăąmes Ă moi par un mariage spirituel, tel quâil est dĂ©cent et convenable
à Dieu. Partant, en considération de votre grande miséricorde et du
fervent amour dont vous aimez les ùmes, je vous donne autorité sur cette
couronne et ce bouclier, afin que, non-seulement vous la puissiez communiquer
Ă deux, mais Ă ceux auxquels vous voudrez. Vous ĂȘtes pleine de misĂ©ricorde,
et partant, vous attirez toute ma miséricorde sur les pécheurs. Bienheureux
soit celui qui vous servira, car il ne sera délaissé ni en la vie ni
en la mort !
Page
291
AprĂšs,
la MĂšre de Dieu parla Ă lâĂ©pouse : Il est Ă©crit que saint Jean-Baptiste
alla au-devant de la face de mon Fils, lequel tout le monde ne vit pas,
dâautant quâil Ă©tait retirĂ© dans les dĂ©serts : de mĂȘme je vais
au-devant du jugement effroyable de mon Fils avec miséricorde et clémence.
Dites donc de ma part Ă celui qui a la couronne que toutes fois et quantes
quâil ressentira en soi lâEsprit dâamour et de ferveur de mon Fils,
et que le mauvais esprit le vexera, il dise ces paroles :
Dieu
le PĂšre, qui ĂȘtes avec le Fils et le Saint Esprit, CrĂ©ateur de toutes
choses et Juge dâicelles ; qui avez envoyĂ© votre Fils au sein de la
Vierge pour notre salut. Je te commande, ĂŽ esprit immonde ! je te commande
de sortir, pour sa gloire et pour les priĂšres de la Sainte Vierge, de
cette créature de Dieu, au nom de celui qui est né de la Vierge, Jésus-Christ,
un Dieu, qui est PĂšre, Fils et Saint-Esprit.
AprĂšs,
on dira de ma part Ă lâautre qui a le bouclier : Vous mâavez envoyĂ©
souvent comme votre messager Ă Dieu, et jâai priĂ© souvent mon Fils
pour vous. Or, maintenant, je vous prie dâaller, vrai messager, au souverain
chef de lâĂglise, car bien que Lucifer y soit, nĂ©anmoins, les paroles
de mon Fils y seront accomplies selon da volonté. Mais quand il sera arrivé
en France, ayant assemblĂ© les princes, quâil leur dise devant eux ces
paroles : Que Dieu, qui est avec le PÚre et le Saint-Esprit, Créateur
de toutes choses, qui a daigné descendre dans les entrailles de la Sainte
Vierge, et unir lâhumanitĂ© au Verbe, sans se sĂ©parer de la DivinitĂ©
; qui a eu un si grand amour envers la créature, que, voyant la lance,
les clous aigus et tous les instruments de mort devant soi, il aima mieux
mourir, souffrir toutes les peines horribles, avoir les nerfs déchirés,
les mains et les pieds percĂ©s, que de se dĂ©partir de lâamour quâil
portait Ă lâhomme ; que Dieu, par sa passion, vous rĂ©unisse tous en
un cĆur, dont vous ĂȘtes depuis si longtemps sĂ©parĂ©s ; enfin quâil
lui propose les peines horribles de lâenfer, les joies indicibles des
justes, et les supplices des mauvais, comme mon Esprit le lui a inspiré.
P292
Notre-Seigneur
montre Ă lâĂ©pouse la maniĂšre dont un moine Ă©tait purifiĂ© en cette
vie par les infirmités du corps, et sa gloire était manifestée sous
espĂšce dâune Ă©toile. En quelle maniĂšre lâĂąme damnĂ©e dâun autre
religieux était attendue par neuf démons devant le prince des démons
; et il lui est rendu raison pourquoi les mauvais religieux sont tolérés
de Dieu.
Le
Fils de Dieu parlait Ă lâĂ©pouse : Vous avez vu, dit-il, lâĂąme de
ce moine rayonnante comme une Ă©toile, et Ă bon droit, car il Ă©tait luisant
et ardent en sa vie comme une Ă©toile, et il mâa aimĂ© par-dessus toutes
les crĂ©atures. Il a vĂ©cu en lâobservance et en la fidĂ©litĂ© de ses
rĂ©solutions. Cette Ăąme aussi vous Ă©tait montrĂ©e avant quâelle mourĂ»t
en cet Ă©tat, oĂč elle Ă©tait avant quâelle fĂ»t arrivĂ©e au dernier
période de sa vie, et quand les signes évidents de la mort commençaient
Ă paraĂźtre.
Cette
Ăąme donc, sâapprochant du dernier pĂ©riode de sa vie, vint en purgatoire,
et ce purgatoire était son corps, dans lequel elle était purifiée par
le feu de ses douleurs et de ses infirmitĂ©s. Et câest pourquoi elle
vous était montrée comme une étoile enclose dans un vase, et cela, pour
montrer comme elle avait brĂ»lĂ© des feux de mon amour ; câest pourquoi
elle est maintenant en moi et je suis en elle ; car si une Ă©toile venait
en un feu trĂšs-lumineux, elle ne paraĂźtrait pas plus Ă©clatante, de mĂȘme
ce religieux enclos en moi et moi en lui dâune maniĂšre ineffable, se
rĂ©jouira de cette joie qui nâa point de fin. Or, Ă©tant en purgatoire,
il brĂ»lait dâun si grand amour en mon endroit, et moi envers lui, quâil
réputait la véhémence de la douleur trÚs-légÚre. Sa joie a commencé
en tristesse et a fait son progrĂšs en lâĂ©ternitĂ©. Ce que le diable
regardant, et voulant trouver en elle quelque formalité de droit pour
lâamour quâelle mâavait portĂ©, il eĂ»t volontiers donnĂ© toutes
les Ăąmes pour celle-ci.
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Une
autre ùme vous était montrée, que le diable possédait par neuf sortes
de droits. Je vous ai montré son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous
veux montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passées en un
point devant Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne puissent
ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es que corporellement.
Cette
ùme donc étant parvenue au supplice, soudain sept démons allÚrent au-devant
de leur prince, disant : Cette Ăąme est Ă nous.
Le
dĂ©mon de superbe disait en premier lieu : Elle est mienne, dâautant
quâelle nâa rĂ©putĂ© personne ĂȘtre lĂ©gal, et a autant voulu ĂȘtre
sur les autres que je le suis.
Le
dĂ©mon de cupiditĂ© disait : En deuxiĂšme lieu, elle nâa jamais pu ĂȘtre
assouvie comme moi : partant, elle est Ă moi.
Le
troisiÚme démon de rébellion disait : Cette ùme était liée et obligée
Ă lâobĂ©issance ; mais elle a Ă©tĂ© en tout rebelle Ă Dieu et obĂ©issante
Ă la chair : partant, elle est Ă moi.
Le
quatriÚme démon de la gourmandise disait : elle a excédé à manger
Ăšs heures illicites, comme je lui suggĂ©rais, et nâa point voulu lâabstinence
: partant, elle est Ă moi.
Le
cinquiÚme démon de vaine gloire disait : Elle a chanté pour la vaine
gloire et ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fĂąchait,
et lors, jâĂ©levais sa voix et lâaidais Ă chanter plus haut : partant,
elle est Ă moi.
Le
sixiĂšme dĂ©mon de propriĂ©tĂ© disait : Elle devait ĂȘtre pauvre au monde
et nâavoir rien de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une
fourmi tout ce quâelle pouvait, et le possĂ©dait sans lâavoir demandĂ©
à son supérieur : partant, elle est à moi.
Le
septiÚme démon, qui est le mépris de la religion, disait : Elle était
obligĂ©e dâobserver en certain temps, et toutes ses actions, les temps
ordonnés ; mais au contraire, elle avait tout déréglé : elle mangeait
et buvait quand elle voulait ; dormait, veillait, parlait quand il lui
plaisait, et le tout sans discipline rĂ©guliĂšre : partant, elle est Ă
moi.
Lors,
le prince des démons disait : Par exemple, vous, Î esprit de superbe
! dâautant que vous lâavez possĂ©dĂ©e dedans et dehors, entrez en elle
; et partant, entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle avait
le corps, le cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et les jointures,
tout sâĂ©coulĂąt et se fracassĂąt.
Il
dit au deuxiĂšme dĂ©mon : Esprit de cupiditĂ©, vous lâavez possĂ©dĂ©e
selon votre dĂ©sir, et elle nâĂ©tait jamais rassasiĂ©e : partant, entrez
en elle avec un venin trÚs-ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-la
si misĂ©rablement quâelle en soit et tout et partout affligĂ©e sans fin
et sans repos.
Il
dit au troisiĂšme diable : Esprit de rĂ©bellion : Vous lâavez possĂ©dĂ©e
en tout, et elle vous a plutĂŽt obĂ©i quâĂ Dieu : partant, entrez en
elle comme un glaive trĂšs-aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme
un glaive qui perce le cĆur, qui ne peut sortir
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Il
dit au quatriĂšme dĂ©mon, câest-Ă -dire, Ă lâesprit de gourmandise
: Elle a consenti à toutes les intempérances : partant, brisez-la de
vos dents et dĂ©chirez son cĆur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnĂ©s
en aient chacun sa part, et quâils lâaffligent sans cesse et sans la
consommer.
Il
dit au cinquiÚme démon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez
pas quâen toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ;
et pour la vanité du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie
quâelle cherchait au monde sera changĂ©e en pleurs et misĂšres Ă©ternelles.
Il
dit au sixiĂšme diable : Esprit de propriĂ©tĂ©, entrez en elle avec lâamertume,
et faites quâelle ne jouisse jamais dâaucun contentement ; mais en
son lieu, elle sera riche des confusions Ă©ternelles, des damnations horribles,
et des malheurs qui nâauront jamais de fin.
Il
dit au septiĂšme diable, câest-Ă -dire, Ă lâesprit de mĂ©pris de religion
: Dâautant quâelle a aimĂ© et pratiquĂ© le dĂ©rĂšglement, quâelle
ait un temps tout dĂ©rĂ©glĂ©, oĂč la rigueur du froid et lâardeur du
chaud ne finiront jamais.
Lors
soudain en un moment apparurent deux démons devant le prince des diables,
disant : Nous avons aussi part en cette Ăąme. Le premier dit : Cet homme
fut un prĂȘtre, et il nâa pas vĂ©cu comme un prĂȘtre, et partant, il
est ma part.
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Le
deuxiĂšme dĂ©mon dit : Il avait en sa tĂȘte quelque lieu oĂč la couronne
de gloire devait ĂȘtre posĂ©e, et il ne lâa pas eue, et partant, il est
Ă moi.
Le
prince des dĂ©mons rĂ©pondit et dit : Quâon lui change le nom de prĂȘtre
et quâil soit appelĂ© Satan. Et dâautant quâil a nĂ©gligĂ© dâavoir
la couronne de gloire, quâon pose en sa place lâopprobre de malĂ©diction
et de déjection éternelle.
AprĂšs,
Notre-Seigneur parlait Ă son Ă©pouse : Voici, mon Ă©pouse, quelle est
cette rĂ©compense et combien elle est diffĂ©rente de lâautre : ces deux
Ăąmes ont Ă©tĂ© dâune mĂȘme profession, mais bien inĂ©gales en leur rĂ©compense.
Ne savez-vous pas pourquoi je vous montre ces choses ? Certainement, câest
afin que les bons soient récompensés, et que les mauvais, sachant cet
horrible jugement, ses convertissent. En vérité je vous dis que les hommes
de cette profession se retirent grandement de moi, comme vous le pourrez
entendre par un exemple.
Je
suis semblable au pĂšre de famille qui a pris des ouvriers auxquels il
a commis le fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les
fossés, et le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, méprisant
le commandement de leur maĂźtre, rapportĂšrent les ustensiles Ă leur Seigneur,
et dirent : Le fossoir nâest point aigu et la terre est trop sĂšche,
et nous ne pouvons point travailler en icelle ; le balai est trop faible
et le vase trop pesant : nous ne le saurions porter.
Ces
professeurs en font de mĂȘme, car je leur ai commis comme Ă ceux qui cultivent
la terre, la parole pour la prĂȘcher, et la puissance de cultiver les cĆurs
par la terreur de mes jugements ; mais hĂ©las ! ils ne sâen servent point,
mais ils les mĂ©prisent et en prennent dâautres, dâautant quâils
emploient mes paroles et mon institution au soulagement du corps, Ă plaire
aux hommes et Ă sâenrichir de plus en plus ; les cĆurs des hommes sont
maintenant trop durs, et les paroles de Notre-Seigneur moins aiguës pour
exciter la dévotion : et partant, ils proposent aux hommes des sujets
agréables ; ils cachent ma justice ; ils dissimulent de reprendre les
péchés, en quoi ils font que les pécheurs croupissent confidemment en
leurs pĂ©chĂ©s, et sâen repentent avec moins de douleur.
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En
deuxiÚme lieu, je leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossé,
câest-Ă -dire, je voulais quâils aimassent lâhumilitĂ© et la pauvretĂ©,
mais elle est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne voulons
rien avoir, comment vivrons-nous ? Si nous sommes entiÚrement humiliés,
qui nous retirera ? Trompés donc et déçus de ce faux prétexte, ils
sont autant superbes sur les autres quâils devraient ĂȘtre humbles.
Je
leur ai encore donnĂ© un vase pour porter la terre, câest-Ă -dire, afin
quâils pratiquassent lâabstinence des choses corporelles ; mais ils
ont jetĂ© ce vase Ă mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mĂȘmes
labeurs que nos pÚres, nous défaudrons et seront méprisés du tout en
cette abstinence, de sorte donc que tout ce quâil y a de bon dans la
religion leur est pesant, et ils font ce que bon leur semble.
Or,
quâest-ce que je dois faire, mes instruments Ă©tant jetĂ©s par terre,
et eux refusant de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon
votre volontĂ©, faites vos Ćuvres propres, et vous trouverez votre fruit
; ayez lâhonneur du monde pour lâhonneur Ă©ternel, ses richesses et
son amitié pour les choses célestes,
P298
les
voluptĂ©s du siĂšcle pour les dĂ©lices qui nâauront jamais de fin. Je
jure en ma vĂ©ritĂ© que si je nâavais Ă©gard Ă deux biens qui me les
font souffrir, une maison de ceux-lĂ ne demeurerait pas sur pied : le
premier est la priĂšre de ma trĂšs-chĂšre MĂšre, qui me prie incessamment
avec leur patron ; le second est ma justice, car bien que je sois tenu
de leur faire aucune miséricorde à raison de leur malice, néanmoins,
pour les offrandes qui me sont agréables, je les tolÚre, car elles sont
comme des instruments qui profitent aux autres ; car de leur chant et prédication,
les autres sont excités de plus en plus à la dévotion, et prennent sujet
et occasion de profiter ; mais ceux-lĂ sâabaissent jusques aux fondriĂšres
infortunĂ©es, dâautant que, non pour lâĂ©ternitĂ©, mais vĂ©ritablement
pour le lucre, ils sont serviteurs ; et peu sâen trouvent dâautres,
et si peu quâĂ peine sâen trouve-t-il un sur cent !
DĂCLARATION.
Une
Ăąme apparut, revĂȘtue du scapulaire et horriblement difforme en tout.
Lors JĂ©sus-Christ dit : Quelque peuple ouĂŻt le peuple dâIsraĂ«l remporter
la victoire partout, et craignant de lui ĂȘtre sujet, envoya des lĂ©gats
ayant aux pieds de vieux souliers, et du pain fort dur en leurs sacs, afin
quâen mentant, ils feignissent dâĂȘtre des terres les plus lointaines.
Mais la vérité étant connue, ils furent réduits en perpétuelle servitude.
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De
mĂȘme plusieurs religieux, feignant de ne lâĂȘtre pas, servent le monde
sous lâhabit de religion, sont exclus de lâhĂ©ritage Ă©ternel, du nombre
desquels est celui-ci, dont lâĂąme est possĂ©dĂ©e du diable par neuf
sortes de droits.
1.
Dâautant quâĂ©tant superbe, il se prĂ©fĂšre aux autres, faisant semblant
dâĂȘtre vertueux, Ă©tant nĂ©anmoins tout plein de vices.
2.
Dâautant quâil dĂ©sirait ce quâil voyait, nâĂ©tant pas content
du nécessaire.
3.
Dâautant quâil obĂ©it seulement Ă ce qui le contente ; le reste, il
le fait par contrainte, ou il cherche lâoccasion de fuir.
4.
Dâautant quâil se plaĂźt Ă lâintempĂ©rance, compagne de ceux qui
font un Dieu de leur ventre.
5. Dâautant
quâil cherche Ă ĂȘtre louĂ© de tous, et non de Dieu ; câest pourquoi
il prĂȘche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des choses
signalées.
6.
Dâautant quâil se glorifie dans les choses superflues et a un habit
Ă©tranger, la propriĂ©tĂ© duquel devait ĂȘtre la vraie pauvretĂ©.
7.
Dâautant quâil ne se rĂ©glait pas aux heures, mais suivait en tout
les désirs de la chair.
8.
Dâautant quâil allait Ă lâautel impudiquement et effrontĂ©ment,
sanctifiant et absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens
du péché, et étant en tout digne de répréhension.
9.
Dâautant quâindignement il porte le signe de gloire en sa tĂȘte, ayant
confĂ©dĂ©ration et alliance avec mon ennemi : partant, sâil ne sâamende,
il boira et sentira les rigueurs de ma justice.
Elle
rĂ©pondit : O mon Dieu ! Il dit les messes, il prĂȘche, et ses prĂ©dications
agrĂ©ent Ă plusieurs : Peut-il donc ĂȘtre ailleurs quâen votre Esprit
?
P300
Notre-Seigneur
rĂ©pondit : Ses prĂ©dications sont de mon Esprit ; mais quand il ne prĂȘche
point avec charité ni avec la pure intention avec lesquelles un prédicateur
doit prĂȘcher, il nâa pas lâeffet de la prĂ©dication ; et lors mon
Esprit nâopĂšre point en lui ; il mĂąche le fourrage, il suce la queue
du serpent et cherche les fleurs périssables.
Lors
elle repartit : O Seigneur, je nâentends pas ce que vous dites : partant,
expliquez-le moi, je vous en supplie.
Notre-Seigneur
lui dit : Lors il mĂąche le fourrage, quand pain Ă©ternel ne lui est point
Ă goĂ»t, quand la divine sapience nâentre point dans son cĆur, ma sapience
qui dit : Venez à moi, humbles, et je vous réfectionnerai. Or, lors il
suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine intelligence ne
lui est point à goût, mais bien la prudence du diable, qui dit : Mangez,
et vos yeux vous seront ouvert. Il cherche les fleurs périssables, quand
il ne se soucie point du fruit de la divine et Ă©ternelle douceur, mais
a incessamment en la bouche les paroles du monde et de la chair.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ révÚle à son épouse comment, à raison de trois biens
qui Ă©taient aux cĆurs vides et purs des apĂŽtres, le Saint-Esprit y a
Ă©tĂ© envoyĂ© en trois maniĂšres. Comment le Saint-Esprit nâentre point
dans les cĆurs des hommes pleins de cupiditĂ© et de superbe. Notre-Seigneur
veut que le vin des paroles de ce livre soit communiqué à ses amis, lesquelles
paroles seront ensuite publiées aux autres.
P301
Pour
le jour de la sainte PentecĂŽte.
Je
suis celui qui vous parle à vous, qui, un tel jour, ai envoyé à mes
apĂŽtres le Saint-Esprit, qui est venu Ă eux en trois maniĂšres :
1-comme
un torrent ;
2-comme
un feu ;
3-
en espĂšce de langues.
Or,
il est venu Ă eux, les portes Ă©tant closes, dâautant quâils Ă©taient
retirés, et ils avaient trois sortes de biens, car
1-ils
avaient la volonté de garder la chasteté et de vivre chastement en tout
;
2-
ils avaient une profonde humilité ;
3-
tout leur dĂ©sir Ă©tait envers Dieu, dâautant quâils ne soupiraient
quâaprĂšs lui.
Ils
Ă©taient comme trois vases purs et vides, câest pourquoi le Saint-Esprit
descendit en eux et les remplit. Il vint comme un torrent, les remplissant
entiĂšrement de sa douceur et de sa divine consolation. Il vint comme un
feu, car il enflamma tellement leurs cĆurs des ferveurs du divin amour,
quâils nâaimaient et ne craignaient que Dieu. En troisiĂšme lieu, il
vint en espĂšce de langues, car comme la langue est dans la bouche, et
que néanmoins elle ne nuit point la bouche, mais est utile pour parler,
de mĂȘme le Saint-Esprit, Ă©tant dans leurs Ăąmes, ne leur faisait dĂ©sirer
autre que lui-mĂȘme ; la sapience divine les avait rendus Ă©loquents, la
vertu du Saint-Esprit, faisant lâoffice de la langue, disait toute vĂ©ritĂ©.
Donc,
ces vases, Ă©tant vides, et dâailleurs, grandement dĂ©sireux, furent
dignes de recevoir le Saint-Esprit, car il nâentre point en ceux qui
sont remplis et pleins. Or, ceux-lĂ sont remplis qui ont leur cĆur rempli
de péchés et de vilenies, et ceux-là sont comme trois vases sales :
le
premier est plein de fiente si puante des hommes que personne nâen peut
souffrir la puanteur ;
le
deuxiĂšme est plein comme de la corruption et pollution trĂšs-vile, que
personne ne peut goûter ;
le
troisiĂšme est plein de sang trĂšs-corrompu et pourri, que pas un ne peut
regarder Ă raison de lâabomination .
P302
De
mĂȘme les mĂ©chants sont pleins des abominations et des cupiditĂ©s du monde,
qui sont puantes devant ma face et devant celles de mes saints, bien plus
que la fiente des hommes, car que sont les choses temporelles, sinon fiente
? Les misérables se plaisent en cette méchante vilenie.
Au
deuxiĂšme vase, il nây a que luxure et incontinence en toutes ses Ćuvres
; cette incontinence mâest plus amĂšre que la corruption. Je ne souffrirai
point cela, et encore moins entrerai-je en eux par ma grĂące. Comment pourrais-je,
moi qui suis la puretĂ© mĂȘme, entrer en ces corrompus ? Comment moi, qui
suis le vrai feu de la vraie dilection, enflammerais-je ceux quâun grand
feu de luxure enflamme ?
Le
troisiĂšme est de superbe : elle mâest comme un sang corrompu, car câest
elle qui corrompt les hommes au-dedans et au dehors, ĂŽte la grĂące que
Dieu donne, et rend lâhomme abominable devant Dieu et le prochain. Or,
celui qui sera rempli de la sorte, ne pourra ĂȘtre rempli de la grĂące
du Saint-Esprit.
Or,
je suis comme un homme qui a du vin Ă vendre, lequel, en voulant boire,
en donne plutÎt à ses amis et à ses familiers pour le goûter, et aprÚs,
le fait crier par les carrefours, disant que ce vin est bon, que qui en
voudra vienne : de mĂȘme, jâai un vin trĂšs-bon, câest-Ă -dire, une
douceur ineffable, laquelle jâai fait goĂ»ter Ă mes amis, qui ont ouĂŻ
les paroles qui procĂšdent de ma bouche. Entre tous ceux qui croyaient
que le vin Ă©tait bon, Ă©tait celui qui est venu Ă moi ce jourdâhui,
ayant comme trois vases Ă remplir, car il est venu ayant la volontĂ© dâĂȘtre
continent, de se retirer de la vanitĂ©, de sâhumilier profondĂ©ment et
de désirer tout ce qui me plaßt.
P303
Câest
pourquoi jâai aujourdâhui rempli ses vases, car 1. il sera plus Ă©clatant
par ma sapience divine, plus éclairé pour comprendre mes mystÚres, et
plus prompt Ă la contemplation quâauparavant. 2. Je lâai rempli de
charité, et il sera plus fervent que jamais à tout bien. 3. Je lui ai
donnĂ© une crainte discrĂšte, de sorte quâil ne craint que moi et ne
cherche que ce qui me plaĂźt. Afin donc quâil sache appeler les autres
Ă goĂ»ter mon vin, quâil Ă©coute les paroles que jâai prononcĂ©es,
qui sont Ă©crites, afin quâayant oui combien je suis charitable et juste,
il ait autant de soin dâappeler les autres Ă goĂ»ter la douceur de mon
vin incomparable.
DĂCLARATION.
Ce
frĂšre suivait sainte Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit
sainte Brigitte comme couronnée de sept diadÚmes, et vit le soleil comme
tout noirci ; de quoi sâĂ©tonnant, il ouĂŻt une voix qui lui disait :
Ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre, qui ayant relui comme
un soleil, sera mĂ©prisĂ© par lâopprobre des hommes ; et cette femme
que vous voyez aura lâĂ©pi dâune grĂące de Dieu septuple, laquelle
est signifiée par la couronne septuple que vous avez vu, et ceci vous
sera en signe que vous serez guéri de cette infirmité. Vous retournerez
aux vÎtres et serez élevé à une plus grande dignité.
Etant
retourné, il fut fait abbé, faisant progrÚs de vertu en vertu.
P304
Chapitre
37.
La
Sainte Vierge parle Ă lâĂ©pouse. En quelle maniĂšre la Sainte Vierge
est saluĂ©e de quatre sortes dâhommes : des vrais amis par amour, des
autres par crainte de la peine, des autres pour ĂȘtre riches, des hypocrites
par la prĂ©somption dâobtenir pardon. Les deux premiers sont rĂ©compenses
entre les spirituels, le troisiĂšme temporellement, le quatriĂšme abominablement.
La
Sainte Vierge Marie disait : Il y a quatre sortes de gens qui me servent
:
Les
premiers sont ceux qui laissent en mes mains leur volonté, leur conscience
et tout ce quâils font pour mon honneur ; leur salutation mâest agrĂ©able
comme une boisson trĂšs-douce.
Les
deuxiÚmes sont ceux qui craignent la peine, et par la crainte, péché.
Je leur donne, sâils persĂ©vĂšrent, la diminution de la mauvaise crainte,
lâaccroissement de la vraie charitĂ©, et la science par laquelle ils
apprennent Ă aimer Dieu avec raison et sagesse.
Les
troisiĂšmes sont ceux qui Ă©lĂšvent Ă©minemment mes louanges ; mais ils
nâont autre affection ni intention, sinon que les richesses et les honneurs
temporels leur soient accrus. Et partant, comme un seigneur Ă qui on envoie
quelque don, et qui en renvoie un Ă©gal, de mĂȘme, dâautant quâeux
demandent des choses temporelles ni ne désirent rien si chÚrement, je
leur donne ce quâils demandent, et je les rĂ©compense en cette vie prĂ©sente.
Les
quatriĂšmes sont ceux qui feignent dâĂȘtre bons, et nĂ©anmoins, ont le
pĂ©chĂ© en dĂ©lectation, car ils pĂȘchent en secret quand ils peuvent,
de peur quâil ne semble aux hommes que soudain quâon implore la Sainte
Vierge, on obtient soudain le pardon ; leur voix me plaĂźt comme le son
dâun vase argentĂ© par dehors, et qui, au dedans, est plein de fiente
trĂšs-puante que personne ne peut souffrir.
Tels
sont quelques-uns par la mauvaise volontĂ© quâils ont de pĂ©cher.
P305
Notre-Seigneur
JĂ©sus-Christ dit Ă son Ă©pouse quâil y a deux esprits, lâun bon et
lâautre mauvais. Or, les signes du Saint-Esprit sont la douceur de lâesprit
et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont lâanxiĂ©tĂ© et lâinquiĂ©tude
de lâesprit procĂ©dant de la cupiditĂ© ou de la colĂšre.
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse, disant : Le bon esprit est au cĆur
de lâhomme. Or, quel est ce bon esprit, sinon Dieu ? quâest Dieu sinon
la gloire et la douceur des saints ? Dieu est en eux, ils sont en lui ;
et lors ils ont tout le bien quand ils ont Dieu, sans lequel rien nâest
bon. Partant, celui qui a lâEsprit de Dieu a Dieu, et toute la milice
céleste et tout bien ; Semblablement, quiconque a le mauvais esprit en
soi, a tout le mal en soi. Or, quel est cet esprit mauvais, sinon le diable
? Or, le diable nâest que peine et tout mal. Celui donc qui a le diable
a en soi la peine et tout le mal. Or, comme lâhomme de bien ne ressent
point dâoĂč ou comment est versĂ©es en soi la douceur du Saint-Esprit,
ni ne la peut goĂ»ter parfaitement, bien quâen partie, de mĂȘme lâhomme
mauvais, quand il est angoissé par les cupidités, quand il soupire aprÚs
les ambitions, quand il est blessé de colÚre, ou corrompu par la luxure
ou dâautres vices, a une peine du diable et un indice de lâĂ©ternelle
inquiĂ©tude, bien quâen cette vie, on ne puisse la comprendre comme elle
est. Malheur Ă ceux qui adhĂšrent Ă cet esprit !
P306
LâĂ©pouse
voyait que le dĂ©mon prĂ©sentait au jugement divin sept livres contre lâĂąme
dâun soldat dĂ©cĂ©dĂ© ; mais le bon ange prĂ©senta pour lui un livre
oĂč lâĂąme nâĂ©tait point damnĂ©e Ă©ternellement, dâautant que, le
diable lâignorant, elle sâĂ©tait repentie intimement Ă la fin de ses
jours. Elle est néanmoins condamnée, dans le purgatoire, à sept peines,
à raison de ses péchés, jusques au jour du jugement, car elle avait
autant désiré de vivre. Mais Jésus-Christ révÚle trois remÚdes par
lesquels elle pourrait ĂȘtre affranchie plus tĂŽt ; et de fait, soudain
trois peines lui ont été remises par les priÚres de la Sainte Vierge
et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucée,
mais différant à quelque temps, Jésus-Christ la met en délibération.
Un
dĂ©mon apparut au jugement divin, qui tenait une Ăąme dâun dĂ©cĂ©dĂ©
toute tremblante comme un cĆur pantelant. Ce dĂ©mon dit alors au Juge
: Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette Ăąme depuis sa naissance
jusques Ă la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour
la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins,
elle est à la fin tombée en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis
comportĂ© avec toute sorte dâimpĂ©tuositĂ©, comme un torrent quand la
brĂšche est faite, Ă qui rien ne rĂ©siste, sinon quelque digue, câest-Ă -dire,
votre justice, laquelle nâest pas encore Ă©prouvĂ©e contre cette Ăąme
; câest pourquoi je ne la possĂšde pas encore assurĂ©ment. Je la dĂ©sire
aussi avec autant dâardeur quâun animal affamĂ©, voire si enragĂ© de
faim quâil mande ses membres. Donc, dâautant que vous ĂȘtes juste Juge,
pourquoi est-elle plutĂŽt tombĂ©e en mes mains quâen celles de son ange
?
p307
Le
Juge rĂ©pondit : dâautant que ses pĂ©chĂ©s sont en plus grand nombre
que ses bonnes Ćuvres.
Puis
le Juge demanda : Montrez lesquelles.
Le
dĂ©mon rĂ©pondit : Jâai un livre tout plein de ses pĂ©chĂ©s.
Le
Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre ?
Le
démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres,
et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles,
mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus.
Le
Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes
choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient
connues.
P308
Le
démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe,
et en icelui sont trois colonnes :
la
premiĂšre est la superbe spirituelle en sa conscience, dâautant quâil
sâenorgueillissait de la bonne vie, quâil croyait avoir meilleure que
les autres ; il sâenorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience,
quâil estimait plus sages que les autres
La
deuxiĂšme colonne Ă©tait dâautant quâil sâenorgueillissait des biens
qui lui avaient Ă©tĂ© donnĂ©s, des vĂȘtements et des autres choses.
La
troisiĂšme Ă©tait dâautant quâil sâenorgueillissait de la beautĂ©
de ses membres, de sa noble race et de ses Ćuvres. Et en ces trois colonnes,
il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux.
Le
deuxiÚme livre était la Cupidité.
Ce livre avait trois colonnes : la premiĂšre Ă©tait spirituelle, dâautant
quâil a cru que ses pĂ©chĂ©s nâĂ©taient pas si grands quâon le disait,
et indignement a-t-il dĂ©sirĂ© le royaume cĂ©leste, qui ne se donne quâaux
purs.
La
deuxiĂšme, dâautant quâil a plus dĂ©sirĂ© dâĂȘtre au monde quâil
nâĂ©tait nĂ©cessaire, et que sa volontĂ© ne tendait quâĂ rendre recommandables
son nom et sa race, afin de nourrir ses hĂ©ritiers, non Ă lâhonneur
de Dieu, mais Ă lâhonneur du monde.
La
troisiĂšme fut quâil dĂ©sirait lâhonneur du monde et dâexceller par-dessus
les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles
innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances,
par lesquelles il acquérait des biens temporels.
Le
troisiĂšme livre est lâEnvie.
Celui-ci a trois colonnes :
La
premiĂšre fut en lâesprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et
avaient plus que lui.
La
deuxiĂšme, dâautant quâil a reçu par envie les biens de ceux qui en
avaient plus besoin que lui.
La
troisiĂšme, que, par envie, il a nui secrĂštement au prochain par ses conseils,
tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles
que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres
Ă des choses semblables
P309
Le
quatriĂšme livre est lâAvarice,
dans lequel il y avait trois colonnes :
La
premiĂšre Ă©tait lâavarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner
ce quâil savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation
ou profit, pensant Ă ce qui suit : Quel profit mâen reviendra-t-il,
si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je
lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait
conseil, sâen retournait grandement affligĂ©, pouvant ĂȘtre instruit
de lui et ne lâĂ©tant point, le pouvant Ă©difier et ne le faisant point.
La
deuxiĂšme colonne est que, pouvant purifier ceux qui Ă©taient en dissension,
il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui Ă©taient en
trouble, il nâen voulait rien faire.
La
troisiĂšme colonne Ă©tait lâavarice en ses biens, dâautant que, sâil
lui fallait donner un denier pour Dieu, il sâen affligeait grandement,
et il en eĂ»t donnĂ© cent pour lâhonneur du monde. Or, en ces colonnes
sont des paroles infinies, comme vous le savez trĂšs-bien. Vous savez toutes
choses, et rien ne vous peut ĂȘtre cache ; mais vous me contraignez de
parler par votre puissance, afin que les autres profitent.
P310
Le
cinquiĂšme livre est la Paresse
; il a aussi trois colonnes :
La
premiĂšre : il Ă©tait fainĂ©ant aux bonnes Ćuvres pour votre honneur et
pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a
perdu son temps. LâutilitĂ© et la voluptĂ© de son corps lui Ă©taient
trĂšs-chĂšres.
La
deuxiÚme colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui
inspirez quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle,
elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le
portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup.
La
troisiÚme : il était lùche à parler, à prier pour son utilité et
celle dâautrui, et surtout pour votre honneur, et fervent Ă dire des
paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et
la quantité, vous seul le connaissez.
Le
sixiĂšme livre Ă©tait la ColĂšre
; il avait trois colonnes :
La
premiĂšre : dâautant quâil se colĂšrait contre son prochain des choses
qui ne lui Ă©taient point utiles.
La
deuxiĂšme : dâautant quâil a laissĂ© le prochain par sa colĂšre en
ses Ćuvres, dâautres fois en aliĂ©nant le sien.
La
troisiĂšme : dâautant que, par sa colĂšre, il troublait son prochain.
Le
septiÚme livre était la Volupté;
il avait aussi trois colonnes :
La
premiĂšre : dâautant quâil Ă©tait impudique dans ses paroles et dans
ses actes.
La
deuxiÚme : il était trop pétulant en ses paroles impures.
La
troisiĂšme Ă©tait quâil nourrissait trop dĂ©licatement son corps, se
préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité
et pour ĂȘtre estimĂ© grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles.
Il demeurait Ă table plus longtemps quâil ne devait, ne considĂ©rant
pas le temps quâil y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus
que la nature ne requérait mais bien pour prier ou travailler.
P311
Voici,
ĂŽ Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette Ăąme.
Or,
le Juge ne disant mot, la MĂšre de misĂ©ricorde, qui semblait ĂȘtre fort
loin, sâapprochant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre
ce diable.
Le
Fils rĂ©pondit : Ma chĂšre MĂšre, si la justice nâest pas dĂ©niĂ©e au
diable, pourquoi vous serait-elle dĂ©niĂ©e, Ă vous qui ĂȘtes ma MĂšre
et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi,
mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime.
Lors
la MÚre parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois
choses que je te demande ; et bien que tu le fasses Ă regret, tu y es
obligĂ© par la justice, dâautant que je suis ta maĂźtresse.
Dis-moi,
ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes ?
Le
diable dit : Non, sinon celles-lĂ qui se manifestent par lâĆuvre extĂ©rieure,
et ce que jâen puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggĂšre
dans le cĆur, car bien que jâaie perdu ma dignitĂ©, nĂ©anmoins, par
la subtilitĂ© de ma nature, il mâest demeurĂ© tant de sagesse que par
la disposition de lâhomme, jâentre dans lâĂ©tat de lâesprit, mais
je ne puis pas connaßtre les bonnes pensées des hommes.
La
Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ĂŽ diable, bien que contraint
: quâest-ce qui peut effacer les Ă©crits de ton livre ?
Le
diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque
lâobtient dans son cĆur, soudain lâĂ©criture de mon livre est effacĂ©e.
La
Sainte Vierge lui dit pour la troisiĂšme fois : Dis-moi, ĂŽ diable ! quelquâun
peut-il ĂȘtre si mĂ©chant et si corrompu quâil ne puisse venir Ă rĂ©sipiscence
pendant quâil vit ?
P312
Le
diable rĂ©pondit : Il nây en a pas un qui, sâil veut, ne le puisse
avec la grùce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise
volonté en une bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut
demeurer ferme en icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.
Ces
choses étant ouïes, la MÚre de miséricorde dit à ceux qui étaient
Ă lâentour dâelle : Cette Ăąme, Ă la fin de sa vie, sâest convertie
Ă moi et mâa dit : Vous ĂȘtes MĂšre de misĂ©ricorde et faites misĂ©ricorde
aux misĂ©rables. Je suis indigne de prier votre Fils, dâautant que mes
pĂ©chĂ©s sont trop grands et ne trop grande quantitĂ© ; jâai trop provoquĂ©
sa colÚre, aimant plus mes voluptés et le monde que Dieu, mon Créateur
: partant, je vous supplie dâavoir misĂ©ricorde de moi, car vous ne la
refusez Ă pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis Ă
vous, et je vous promets que, si je vis, je veux mâamender, convertir
ma volontĂ© Ă votre Fils, et nâaimer autre chose que lui. Mais je suis
surtout marri de nâavoir rien fait pour lâamour de votre Fils, mon
CrĂ©ateur : partant, je vous prie, ĂŽ trĂšs-clĂ©mente Dame, dâavoir compassion
de moi, car je nâai mon refuge quâen vous. Par telles pensĂ©es et paroles,
cette Ăąme vint Ă moi Ă la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas
exaucer ? car qui est celui-lĂ qui, priant un autre de tout son cĆur
et avec rĂ©solution de sâamender, ne mĂ©rite dâĂȘtre exaucĂ© ? Combien
plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis MÚre de miséricorde
!
P313
Le
diable rĂ©pondit : Je nâai rien su dâune telle volontĂ© ; mais si cela
est comme vous dites, prouvez-le par des raisons Ă©videntes.
La
MÚre répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que
cela peut servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit
ci-dessus quâen ton livre rien ne peut ĂȘtre effacĂ© que par la divine
charité.
Et
lors la Sainte Vierge, sâĂ©tant tournĂ©e Ă lui, dit au Juge : O mon
Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, quâil le lise, et
quâil voie si toutes choses sont lĂ entiĂšrement Ă©crites, ou sâil
y a quelque chose dâeffacĂ©.
Lors
le Juge dit au diable : OĂč est ton livre ?
Et
le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme
dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de mĂȘme en ma
mémoire sont toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant
moi comme une corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre
lumiĂšre par la superbe, lors jâai trouvĂ© en moi toute sorte de malice,
et ma mémoire a été obscurcie Ús biens divins, et en cette mienne mémoire
est Ă©crite toute lâiniquitĂ© des pĂ©cheurs.
Lors
le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui Ă©crit
dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette ùme, et de le
dire publiquement.
Le
diable rĂ©pondit : Je vois dans mon livre ĂȘtre Ă©crit des choses que je
nâai jamais pensĂ©es, car je vois que ces sept choses sont effacĂ©es,
et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie.
AprĂšs,
le Juge dit au bon ange qui Ă©tait lĂ prĂ©sent :OĂč sont les bonnes Ćuvres
de cette Ăąme ?
P314
Elles
sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons
toutes choses en vous, de sorte quâil ne nous est pas nĂ©cessaire dâen
parler. Mais dâautant que vous voulez montrer votre charitĂ©, câest
pourquoi vous marquez votre volontĂ© Ă ceux quâil vous plaĂźt, pourquoi,
depuis que cette Ăąme fut jointe Ă son corps, jâai Ă©tĂ© toujours avec
elle. Jâai Ă©crit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouĂŻr
ce livre, il est en votre puissance.
Le
Juge rĂ©pondit : Je ne puis juger sans les avoir ouĂŻ dâavance ; et ayant
connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice
demande alors quâil soit jugĂ© ou Ă la mort ou Ă la vie.
Lâange
répondit :
Mon
livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il
y a sept colonnes :
La
premiĂšre est le baptĂȘme .
La
deuxiĂšme est lâabstinence, au jeĂ»ne, des Ćuvres illicites, pĂ©chĂ©s,
et aussi des voluptés et des tentations de la chair.
La
troisiĂšme est lâoraison et le bon propos quâil a eu.
La
quatriĂšme est les bonnes Ćuvres en aumĂŽnes et autres Ćuvres de misĂ©ricorde.
La
cinquiĂšme est lâespĂ©rance quâil avait en vous.
La
sixiĂšme est la foi quâil a eue comme chrĂ©tien.
La
septiÚme est la divine charité.
Ces
choses Ă©tant dites, le Juge lui dit encore : OĂč est votre livre ?
En
votre vision et amour, ĂŽ mon Seigneur ! dit lâange.
Alors
la Sainte Vierge, détrÎnant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous
gardĂ© votre livre ? Comment sâest effacĂ© ce qui y Ă©tait Ă©crit ?
Lors
le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous mâavez déçu !
P315
AprĂšs,
le Juge dit à sa trÚs-bénigne MÚre : Vous avez avec raison, obtenu
en ce fait absolution et avez avec justice gagné cette ùme.
Le
diable cria aprĂšs : Jâai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ĂŽ
Juge, combien de temps tiendrai-je cette Ăąme pour les moqueries et cajoleries
quâelle a faites.
Le
Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais
dis-moi, ĂŽ diable ! bien que je sache toutes choses, si cette Ăąme doit
entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir
maintenant la vérité de la justice.
Le
diable dit : La justice est en toi. Que si quelquâun dĂ©cĂšde sans pĂ©chĂ©
mortel, quâil nâentre point en enfer, et quiconque a la divine charitĂ©
de justice, doit avoir le ciel. Cette Ăąme donc, nâĂ©tant point morte
en pĂ©chĂ© mortel et ayant eu la divine charitĂ©, est prĂȘte Ă entrer
dans le ciel, aprĂšs quâelle aura Ă©tĂ© purifiĂ©e.
Le
Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice,
dis, ceux-ci lâoyant, quâest-ce qui me plaĂźt et quelle doit ĂȘtre
la justice de cette Ăąme.
Le
diable rĂ©pondit : Quâelle soit purifiĂ©e en telle sorte quâil nây
reste aucune tĂąche, car bien quâelle soit Ă vous, pourtant elle ne
peut arriver Ă vous avant quâelle ne soit purifiĂ©e. Et dâautant que
vous, ĂŽ Juge, mâavez demandĂ©, je vous demande maintenant, comment elle
doit ĂȘtre purifiĂ©e et combien de temps elle sera en mes mains.
P316
Le
Juge rĂ©pondit : Je te demande que tu nâentres point en elle et que tu
ne lâabsorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusquâĂ ce quâelle
soit pure, et quâelle ait endurĂ© la peine selon la grandeur de la faute,
car elle a pĂ©chĂ© en trois maniĂšres : trois en la vue, trois en lâouĂŻe,
trois en lâattouchement, et partant, elle doit ĂȘtre punie triplement
en la vue :
1.
Elle doit voir ses péchés et ses abominations ;
2.
elle te doit voir en ta malice ;
3.
elle doit voir les peines terribles des autres Ăąmes ; et que semblablement
elle soit affligĂ©e en lâouĂŻe en trois maniĂšres :
1.
Elle doit ouĂŻr les malheurs horribles, dâautant quâelle a voulu ouĂŻr
les louanges propres et les délectations du monde ;
2.
elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons,
3.
les opprobres et les misĂšres effroyables, dâautant quâelle a Ă©coutĂ©
avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.
Elle
est aussi affligĂ©e en trois maniĂšres en lâattouchement :
1.
elle sera brĂ»lĂ©e dâun feu trĂšs-ardent, tant au-dedans quâau dehors,
de sorte quâil nây aura pas la moindre tĂąche qui ne soit purifiĂ©e
dans le feu ;
2.
elle pĂątira une grande rigueur de froid, dâautant quâelle brĂ»lait
en ses cupidités et était glacée en ma charité ;
3.
elle sera aux mains du diable, afin quâil nây ait pas la moindre pensĂ©e
qui ne soit purifiĂ©e, jusquâĂ ce quâelle soit comme lâor passĂ©
par la coupelle à la volonté du possesseur.
Lors
le diable demanda derechef combien de temps cette Ăąme serait en cette
peine.
P317
Le
Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au
monde ; et dâautant quâelle aurait voulu vivre en son corps jusques
Ă la fin du monde, elle est obligĂ©e dâendurer cette peine jusques Ă
la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charité et
me dĂ©sire ardemment, souhaitant dâĂȘtre avec moi et dâĂȘtre sĂ©parĂ©
du monde, celui-lĂ mĂ©rite dâavoir le ciel sans peine, dâautant que
lâexercice de cette vie prĂ©sente est sa purification. Or, celui qui
craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort,
et voudrait Ă raison de cela vivre plus longtemps afin de sâamender,
celui-là aurait une peine plus légÚre dans le purgatoire ; mais celui
qui a volontĂ© de vivre jusques au jour du jugement , bien quâil ne pĂ©chĂąt
mortellement, mais seulement pour lâamour quâil a Ă cette vie, celui-lĂ
doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement.
Lors
la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous,
Î mon Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! car bien
que nous voyions et sachions toutes choses en vous, nĂ©anmoins, pour lâinstruction
des autres, dites-nous quel remĂšde on peut appliquer pour diminuer un
si long temps de peine, et quel pour Ă©teindre un feu si ardent, et comment
aussi cette Ăąme peut ĂȘtre affranchie des mains des diables.
Le
Fils rĂ©pondit : Rien ne peut vous ĂȘtre refusĂ©, car vous ĂȘtes la MĂšre
de miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il
y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui Ă©teignent
ce feu et délivrent des mains des démons : la premiÚre, si on rend par
quelque peine ce quâil a pris injustement ou devait rendre aux autres
justement, car ma justice veut que cette ùme soit purifiée, ou par les
priĂšres des saints, ou par aumĂŽnes, bonnes Ćuvres des amis, ou par quelque
purification digne pour cela. La deuxiĂšme est par des aumĂŽnes trĂšs-grandes,
car par elles, le pĂ©chĂ© est Ă©teint comme le feu par lâeau. La troisiĂšme
est par les messes et sacrifices, et par les priĂšres des amis. Ce sont
ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.
P318
La
MĂšre de misĂ©ricorde rĂ©pondit derechef : Quâest-ce que lui profitent
maintenant les bonnes Ćuvres quâil a faites pour vous ?
Le
Fils rĂ©pondit : Vous ne le demandez pas parce que vous lâignorez, puisque
vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin
que mon amour soit manifestĂ© aux autres. Certainement, il nây aura pas
la moindre parole ni la moindre pensĂ©e pour mon honneur, quâelles nâaient
leur rĂ©compense, car toutes les choses quâil a faites pour lâamour
de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de
soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu quâelles ne seraient.
AprĂšs,
la Sainte Vierge dit Ă son Fils : Pourquoi est-ce que cette Ăąme demeure
immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien quâelle soit
vivante ?
Le
Juge répondit : Le prophÚte a écrit de moi que je fus comme un agneau
muet devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis,
et ma justice veut que, comme cette Ăąme se soucia peu de ma mort, elle
soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.
P319
La
MÚre répondit : Béni soyez-vous, Î mon doux Fils, qui ne faites rien
sans justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette
Ăąme, et vous savez que cette Ăąme mâa servie en trois maniĂšres :
1-
par abstinence, jeĂ»nant les vigiles de mes fĂȘtes, et, et le faisant pour
mon nom ;
2-
elle disait mes heures ;
3-
elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque
vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma
priĂšre.
Le
Fils rĂ©pondit : Plus quelquâun est ami de quelque seigneur, plus ses
priĂšres sont exaucĂ©es et le plus tĂŽt ; et dâautant que vous mâĂȘtes
la plus chĂšre par-dessus tous , demandez ce que vous voudrez, et il vous
sera donné.
La
MÚre répondit : Cette ùme souffre trois sortes de peines en la vue,
trois en lâouĂŻe et trois en lâattouchement : je vous supplie donc,
ĂŽ mon Fils trĂšs-cher,
1-
de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, quâelle ne voie
point les diables horribles, mais quâelle souffre les deux autres peines,
puisque votre justice lâexige de la sorte, et Ă laquelle je ne puis
aller contre, selon la justice de votre miséricorde.
2-
Je vous supplie de lui diminuer une des peines de lâouĂŻe, savoir, quâelle
nâentende lâopprobre et la confusion.
3-
Je vous supplie de lui diminuer une des peines de lâattouchement, savoir,
quâelle ne ressente pas un froid si rigide quâelle mĂ©rite de ressentir,
dâautant quâelle Ă©tait froide en votre charitĂ©.
Le
Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma MÚre trÚs-chÚre ! Rien ne peut
vous ĂȘtre refusĂ©. Que votre volontĂ© soit faite.
La
MĂšre rĂ©pondit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ, mon trĂšs-cher Fils, pour lâamour
et la miséricorde que vous portez aux ùmes !
P320
Puis,
on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange
vous soit,
Seigneur
Dieu, CrĂ©ateur et Juge de tous ! Cette Ăąme dĂ©vote mâa servi en sa
vie ; elle a jeĂ»nĂ© pour mon honneur ; elle mâa louĂ©, moi et tous les
amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous
en supplie, Seigneur, faites-lui misĂ©ricorde pour lâamour de nos priĂšres.
Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les dĂ©mons nâaient
point puissance dâobscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit
tellement son Ăąme, sâils nâen sont empĂȘchĂ©s, quâelle nâattendrait
point la fin de sa misĂšre ni lâacquisition de la gloire, si ce nâest
que vous jetiez les yeux de votre grĂące sur lui, et cela lui sera le plus
grand supplice des supplices. Donnez-lui, Î Seigneur plein de miséricorde,
en considération de nos priÚres, la grùce de savoir certainement que
sa peine finira, et quâil possĂ©dera un jour la gloire Ă©ternelle.
Le
Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son ùme,
dâautant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensĂ©e
de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et
ne se souciait dâĂȘtre sans connaissance et dâagir contre moi. Mais
dâautant que vous, ĂŽ mes amis ! avez ouĂŻ et reçu mes paroles et mes
inspirations, et les avez accomplies par Ćuvres, il nâest pas raisonnable
que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.
Or,
lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, Î Dieu, en votre
justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien dâimpuni !
P321
AprĂšs,
lâange gardien dit au Juge : Jâai accompagnĂ© cette Ăąme des que lâĂąme
fut unie Ă ce corps, et le suivais comme votre providence charitable lâavait
ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en
prie maintenant, ĂŽ mon Seigneur, ayez misĂ©ricorde dâelle.
Lors
Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet.
Et
Lors la vision disparut.
DĂCLARATION.
Lâhomme
dont il est parlé en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres.
Sa femme fit de grandes aumĂŽnes pour lâamour de lui, qui mourut Ă Rome,
comme il avait Ă©tĂ© prĂ©dit dâelle au livre III, chapitre XII.
Quatre
ans aprĂšs que sainte Brigitte, Ă©pouse, eut eu la susdite vision, oĂč
on voyait une Ăąme condamnĂ©e Ă ĂȘtre au purgatoire jusques au jour du
jugement, elle vit derechef la mĂȘme Ăąme ĂȘtre prĂ©sentĂ©e au jugement
divin par lâange, comme Ă demie revĂȘtue, pour laquelle il priait Notre-Seigneur
avec la milice céleste, et laquelle Notre-Seigneur affranchit entiÚrement
des peines, et la transporta en la gloire comme une Ă©toile reluisante,
par les priĂšres des anges et des saints, et par les larmes et les priĂšres
de ses amis vivants.
Pour
le jour des morts.
AprĂšs
que quatre ans se furent Ă©coulĂ©s, sainte Brigitte vit derechef lâĂąme
susdite comme un jeune enfant trĂšs-beau Ă demi vĂȘtu. Or, lors elle dit
au Juge, qui était assis sur un trÎne éminent, assisté de mille millions
des saints, qui tous lâadoraient Ă raison de sa patience et de son amour
: O juge souverain, cette Ăąme, pour laquelle je priais, vous me dites
que vous lâaffranchiriez. Or, maintenant, nous tous assemblĂ©s vous prions
et demandons miséricorde pour elle ; et bien que nous sachions que tout
est en votre dilection, néanmoins, à raison de votre épouse ici présente,
nous parlons dâune maniĂšre humaine, bien que cela ne soit en nous de
mĂȘme maniĂšre.
P322
Le
Juge rĂ©pondit : Si un chariot Ă©tait plein de gerbes et quâun chacun
en prĂźt une poignĂ©e, le nombre et le poids diminueraient : de mĂȘme en
est-il maintenant, car plusieurs larmes de charitĂ© mâont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es
pour cette Ăąme : partant, le jugement veut quâelle vienne Ă votre garde
; et vous, apportez-la au repos que lâĆil nâa vu, que lâoreille
ne peut ouĂŻr, quâelle-mĂȘme ne saurait comprendre, si elle Ă©tait en
la chair, lĂ oĂč il nây a point de ciel au-dessus ni de terre au-dessous,
oĂč la hauteur est incomprĂ©hensible, la longueur indicible, la largeur
admirable et la profondeur incomprĂ©hensible ; oĂč Dieu est sur toutes
choses au delà et entre toutes choses, régit, contient toutes choses,
sans ĂȘtre contenu par aucune.
Or,
aprĂšs, on vit que cette Ăąme montait au ciel aussi reluisante que lâĂ©clat
dâune Ă©toile.
Et
lors le Juge dit : Le temps viendra bientĂŽt oĂč je profĂ©rerai mes jugements
et ferai ma justice contre la famille de ce défunt, car cette race monte
avec superbe, mais elle descendra par la récompense de la superbe.
P323
Notre-Seigneur
JĂ©sus-Christ reprend un roi et les hommes temporels qui attribuent les
victoires, non Ă Dieu, mais Ă leur industrie et Ă la grandeur de leur
armée, et leur force corporelle, disant : Nous allons à la guerre contre
les ennemis, Ă lâexemple de David contre Goliath, mettant notre espĂ©rance
en Dieu, avec néanmoins la discrétion humaine, car celui qui a Dieu pour
coopérateur, vaincra trÚs-facilement.
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse et lui dit que ce roi est un enfant.
Vous le pourrez conjecturer en sa conduite et en son armée innombrable.
David, étant pasteur, ne vainquit-il pas le géant ? Mais comment ? Fut-ce
par la sagesse et la puissance ? non, certes, mais par la vertu divine,
car si Dieu nâeĂ»t Ă©tonnĂ© lâaudace du gĂ©ant et nâeĂ»t animĂ© lâesprit
de David, comment un enfant aurait-il assailli un géant, et comment une
pierre aurait terrassé un si fort et eût touché un si docte et expert,
si , en cette pierre, il nây eĂ»t pas eu la vertu de Dieu ? Certainement,
celui qui combat avec Dieu vainc facilement, et celui qui sâappuie en
la vertu divine nâa pas besoin de tant de force corporelle, mais bien
de foi et de charité. Les hommes du monde pensent vaincre par la force
corporelle, et mettent lâheureuse issue de leur combat et lâindustrie
des hommes, et quand ils ont vaincu, ils attribuent plus la victoire Ă
lâindustrie des hommes quâĂ la vertu divine, bien que ni les bons
ni les mauvais ne
P324
Je
nâai pas dit sans sujet que ce roi est un enfant, car quand lâenfant
voit deux pommes, lâune toute dorĂ©e Ă lâextĂ©rieur, mais trĂšs-bonne
et fraĂźche au-dedans, il choisit plutĂŽt celle qui est belle Ă lâextĂ©rieur
et corrompue Ă lâintĂ©rieur, dâautant quâil ne sait considĂ©rer
que lâextĂ©rieur. De mĂȘme en fait ce roi : il lui est avis quâil est
beau et excellent de marcher avec une grande armée, mais il ne considÚre
pas la misĂšre qui est au-dedans ; il ne considĂšre pas combien de famines,
de douleurs et dâangoisses sâensuivront, et combien de misĂ©rables
mourants de faim y sont entrĂ©s et sâen retourneront plus misĂ©rables.
Or, il lui semble vil et abject de marcher avec une petite armée, mais
une grande utilitĂ© y est cachĂ©e. Quâil aille donc avec une petite armĂ©e
et avec humilité : je remplirai sa conscience de la divine sapience ;
je fortifierai son corps de la force divine, car je puis faire dâun infirme
un fort, un sublime dâun humble, un honorable dâun abject. Partant,
dites-lui quâil ne craigne point, quâil mette son espĂ©rance en moi,
et quâil fasse ce quâil pourra avec la sapience divine et la considĂ©ration
humaine : ce quâil pourra de la sorte, oĂč la sagesse humaine manquera,
la charitĂ© et la bonne volontĂ© lâexcuseront.
P325
ADDITION.
Le
Fils de Dieu parle : Celui qui désire visiter les terres des infidÚles,
doit avoir cinq choses :
1-
il doit décharger sa conscience par la contrition et vraie confession,
comme sâil devait mourir soudain.
2-
Il doit dĂ©poser toutes les lĂ©gĂšretĂ©s de ses mĆurs et de ses vĂȘtements,
ne prenant point garde aux modes nouvelles, mais aux modes louables que
ses prédécesseurs ont instituées ;
3-
ne vouloir avoir autre temporel que ce qui est nécessaire pour vivre et
pour lâhonneur de Dieu, et que, sâil sait quâil ait acquis quelque
chose dâinjuste, lui ou ses parents, quâil le restitue, bien quâil
soit grand ou petit.
4-
Quâil sâefforce que les infidĂšles viennent Ă la vraie foi, ne dĂ©sirant
point leurs richesses ni chevances, si ce nâest ce qui est nĂ©cessaire
Ă leur corps.
5-
Vouloir franchement mourir pour lâhonneur du Dieu, et de la sorte se
disposer afin quâil mĂ©rite dâarriver Ă une mort louable.
La
MĂšre de Dieu se loue du soin quâelle a eu de plaire Ă Dieu. Elle dit
aussi quâen cela, elle ne cherche pas sa propre louange, mais lâhonneur
de Dieu. Elle demande Ă son Fils, pour lâĂ©pouse, les vĂȘtements cĂ©lestes
des vertus, la viande sacrée de son corps, et un esprit plus fervent que
son Fils donnera, si son Ă©pouse a lâhumilitĂ©, la crainte et lâaction
de grĂące.
P326
La
MĂšre de Dieu parle : DĂšs ma jeunesse, jâai pensĂ© Ă lâhonneur de
mon Fils, et jâai Ă©tĂ© toujours soigneuse de lui plaire. Bien que lâhonneur
soit moindre en la bouche propre, néanmoins, je ne parle pas à la façon
du monde, qui cherche sa propre louange, mais je cherche en ceci lâhonneur
de Dieu, mon Fils, qui a dâune maniĂšre admirable attachĂ© le soleil
Ă la poudre ; il a enclos le feu non consumant, mais enflammant en lâariditĂ©
; il a produit le fruit trÚs-digne et trÚs-doux sans humidité.
AprĂšs,
se tournant vers le Fils, elle dit : BĂ©ni soyez-vous, mon Fils ! Je suis
quasi comme cette femme qui est exaucée devant Dieu pour les coupables,
et demande misĂ©ricorde pour les plus faibles : de mĂȘme je vous prie pour
ma fille, car elle est honteuse ; elle est votre Ă©pouse, lâĂąme de laquelle
vous avez rachetĂ©e de votre sang ; vous lâavez illuminĂ©e et Ă©chauffĂ©e
de vos feux dâamour, excitĂ©e par votre bontĂ© et Ă©pousĂ©e par votre
miséricorde. Mon Fils, je vous supplie humblement de lui donner trois
choses :
1-
des vĂȘtements convenables Ă la fille et Ă lâĂ©pouse du Roi des rois,
car si lâĂ©pouse du roi nâest point revĂȘtue des vĂȘtements royaux,
elle est méprisée ; si elle est trouvée moins décente, elle est en
opprobre. Donnez-lui des vĂȘtements non terrestres, mais cĂ©lestes, non
de ceux qui sont reluisants au dehors, mais ceux qui reluisent de charité
et de chastetĂ© au-dedans. Donnez-lui lâhabitude des vertus, afin quâelle
ne mendie point lâextĂ©rieur, et faites quâelle ait au-dedans lâabondance,
afin quâelle puisse reluire au-dedans par-dessus les autres.
P327
2-
Donnez-lui la viande trÚs-délicate, car votre épouse est accoutumée
aux viandes grossiÚres, et maintenant elle est accoutumée à vos viandes,
car câest cette viande qui touche et
Nâest point vue ; on la tient et
on ne la sent pas ; elle rassasie, et les sens nâen savent rien, elle
entre et elle est partout oĂč les hosties sont consacrĂ©es. Cette viande
est votre prĂ©cieux corps, que lâagneau rĂŽti prĂ©figurait, car lâhumanitĂ©
que vous avez prise de moi a accompli cela. La DĂ©itĂ© avec lâhumanitĂ©
montre que cela est heureusement accompli. Donnez donc, ĂŽ mon trĂšs-cher
Fils, cette viande à votre épouse, car sans elle, elle défaut, et par
elle et avec elle, elle est renouvelée comme un malade à toute sorte
de biens.
3-
Donnez-lui, ĂŽ mon Fils, un esprit plus fervent, car il est un feu qui
ne sâĂ©teint jamais, qui nous rend vil tout ce qui est dĂ©lectable en
ce monde, et nous fait espérer les joies futures. Donnez-lui donc cet
esprit, ĂŽ mon Fils !
Lors
le Fils répondit, disant : Ma trÚs-chÚre MÚre, vos paroles sont trÚs-douces,
mais comme vous savez, il est nécessaire que celui qui cherche les choses
sublimes, fasse les fortes et les humbles. Partant, trois choses lui sont
nécessaires :
1-
lâhumilitĂ©, par laquelle on obtient la sublimitĂ©, afin quâil sache
quâil a les biens de la grĂące, et non de ses mĂ©rites ;
2-
quâil rende le service quâil doit Ă lâauteur de la grĂące ;
3-
la crainte quâil ne perde la grĂące donnĂ©e. Afin donc quâil obtienne
et possĂšde les trois choses que vous avez demandĂ©es ; quâil ne nĂ©glige
les trois prĂ©cĂ©dents avis, car il ne lui sert de rien dâavoir obtenu,
sâil ne sait possĂ©der ce quâil a obtenu ; et plus douloureusement
afflige dâavoir perdu ce quâon avait obtenu, que si on ne lâavait
jamais possédé.
P328
Chapitre
43.
LâĂ©pouse
se troublait de ce quâelle nâobĂ©issait point au PĂšre spirituel avec
patience et joie. Jésus-Christ dit que si elle prend la résolution de
parfaitement obéir, bien que quelquefois la volonté y résiste, elle
a néanmoins, obéissant de la sorte, un grand mérite, et les péchés
passés en sont purifiés. Notre-Seigneur donne aussi les armes spirituelles
du combat, câest-Ă -dire, les vertus par lesquelles les justes combattent
et surmontent, et les injustes sont terrassés et vaincus.
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous
? Et bien que je sache toutes choses, néanmoins je le veux comme connaßtre
par votre dire, afin que vous sachiez aussi quâest-ce que je vous rĂ©ponds.
LâĂ©pouse
rĂ©pondit : Je crains deux choses et me trouble de deux choses : 1- dâautant
que je suis trop impatiente à obéir et moins joyeuse à pùtir ; 2- que
vos amis sont assaillis de tribulations et que vos ennemis les surmontent.
Notre-Seigneur
rĂ©pondit : Je suis celui Ă qui vous vous ĂȘtes donnĂ©e pour obĂ©ir, et
partant, à toute heure et à chaque moment que vous consentez à obéir
et que vous voulez obéir, bien que la chair y résiste, il vous sera imputé
à mérite et à purification de vos péchés. Au deuxiÚme, savoir, que
vous vous troublez de la contrariété de mes amis, je réponds par un
exemple. Deux hommes combattent, lâun deux jette ses armes et lâautre
sâen munit. Celui qui a jetĂ© ses armes ne sera-t-il pas vaincu plus
facilement que celui qui les amasse ?
P329
Il
en est de mĂȘme maintenant, car mes ennemis jettent leurs armes tous les
jours.
la
premiĂšre est ce qui porte lâhomme, comme un cheval, etc.
La
deuxiĂšme, ce par quoi lâhomme se dĂ©fend, comme le glaive, etc.
La
troisiĂšme, ce qui munit le corps, comme la cuirasse, etc.
Mais
mes ennemis ont perdu, en premier lieu, le cheval de lâobĂ©issance, par
lequel ils Ă©taient portĂ©s Ă toute sorte de biens, car câest celle-lĂ
qui conserve lâamitiĂ© avec Dieu et garde Ă Dieu la foi promise. Ils
ont encore jeté le glaive de la crainte divine, par lequel le corps est
retirĂ© des voluptĂ©s, et le diable se sĂ©pare de lâĂąme et nâose sâen
approcher. Ils ont encore perdu la cuirasse, qui les défendait des dards,
câest-Ă -dire, ils ont perdu la divine charitĂ©, qui rĂ©jouit dans les
choses adverses, protége dans les prospÚres, purifie dans les tentations
et adoucit les douleurs. Leur cuirasse, qui est la sagesse divine, croupit
dans la boue. Les armes du col, câest-Ă -dire, les pensĂ©es divines,
sont aussi tombĂ©es, car comme par le col la tĂȘte est mue, de mĂȘme, par
les divines pensĂ©es, lâesprit doit prendre mouvement Ă tout ce qui
concerne la gloire divine. Mais hélas ! les divines pensées sont maintenant
tombĂ©es, câest pourquoi la tĂȘte est maintenant gisante avec les infirmes
et est agitée des vents. Les armes aussi de sa poitrine sont oubliées
et nĂ©gligĂ©es, câest-Ă -dire, la contrition avec la rĂ©solution
de sâamender nâest plus. Ils se rĂ©jouissent dans leurs pĂ©chĂ©s, et
dĂ©sirent ĂȘtre plongĂ©s en eux tant quâils vivent. Les armes de leurs
bras, câest-Ă -dire, les bonnes Ćuvres leur sont vaines et odieuses,
car ils font audacieusement ce quâils veulent, et nâen ont point de
honte.
P330
Mais
mes chers amis se munissent de plus en plus des armes, car ils courent
sur le cheval de lâobĂ©issance, comme de fidĂšles serviteurs, laissant
lâempire de leurs volontĂ©s Ă Dieu. Ils combattent contre les vices
en la crainte de Dieu, comme de bons soldats. Ils souffrent avec amour
toutes les rencontres fùcheuses, comme de généreux combattants, attendant
le secours de Dieu, se munissent de la sapience divine et de la patience
contre les médisants et criminateurs, comme ceux qui se sont retirés
et éloignés du monde. Ils sont prompts et agiles aux choses divines,
comme lâair qui va partout. Ils sont fervents vers Dieu plus que lâĂ©pouse
aux embrassements de son cher Ă©poux. Ils sont prompts comme des cerfs,
et forts pour fouler aux pieds toutes les délectations du monde, soigneux
au travail comme des fourmis, vigilants comme des sentinelles.
Tels
sont mes amis, et ils se munissent chaque jour des armes des vertus, lesquelles
les ennemis méprisent, et partant, ils sont vaincus facilement. Donc,
le combat spirituel qui est avec patience et amour divin, est plus noble
et plus Ă©minent que le combat corporel, et plus odieux au diable, car
le diable ne sâefforce point dâĂŽter les choses corporelles, mais bien
de corrompre les vertus, et de ravir la patience et la constance Ăšs vertus.
Partant, ne vous troublez pas, si quelques choses contraires assaillent
mes amis, car il leur revient de là de grandes récompenses.
P331
Chapitre
44.
Notre-Seigneur
dit Ă son Ă©pouse quâil est semblable au vitrier qui replace les vitres
cassĂ©es, câest-Ă -dire, les Ăąmes, jusquâĂ ce que le royaume cĂ©leste
soit plein. Il se dit aussi semblable Ă lâabeille, qui convertit
en miel les herbes, câest-Ă -dire, quâil convertit les paĂŻens, desquels
il tirera de grandes douceurs, câest-Ă -dire, plusieurs Ăąmes.
Je
suis comme un bon vitrier qui fait de cendres plusieurs vases ; et bien
que plusieurs se gĂątent, il ne cesse pas pourtant dâen faire de nouveaux,
jusques Ă ce que le nombre des vases soit rempli. Jâen fais de mĂȘme,
dâautant que, dâune infime matiĂšre, je fais une crĂ©ature excellente,
savoir, lâhomme ; et bien que plusieurs se soient retirĂ©s de moi par
leurs mauvaises Ćuvres, je ne cesse pas pourtant dâen former dâautres,
jusquâĂ ce que le chĆur des anges et les lieux vides du ciel soient
remplis.
Je
suis aussi semblable Ă une bonne mouche Ă miel qui, sortant de sa ruche,
vole sur les belles herbes quâelle a vues de loin, sur lesquelles elle
cherche les belles et odorifĂ©rantes fleurs ; mais quand elle sâen approche,
elle les trouve sĂšches et trouve lâodeur Ă©vaporĂ©e. Mais aprĂšs cela,
elle cherche une nouvelle herbe plus Ăąpre, dont la fleur est plus petite,
dont lâodeur nâest pas trop forte, dont la suavitĂ© est plaisante,
mais elle est petite. La mouche Ă miel fiche son pied en cette herbe,
en tire de la liqueur, et la porte Ă sa ruche jusquâĂ ce quâelle
lâait emplie.
P332
Or,
je suis cette mouche à miel, moi, Créateur et Seigneur de toutes choses,
qui sortis de la ruche, lorsquâĂ©tant nĂ©, jâapparus en forme humaine
visible. Or, je cherchai une herbe fort belle, câest-Ă -dire, le genre
humain, qui est beau par la foi, doux par la charité et fructueux par
la bonne conversation ; mais maintenant, il dégénÚre et déchoit de
son premier effet, semble seulement beau de nom, mais paraĂźt difforme
dâeffet, fructueux pour le monde et pour la chair, et stĂ©rile Ă Dieu
et Ă lâĂąme, trĂšs-doux pour soi et trĂšs-amer Ă moi, câest pourquoi
il tombe et sâanĂ©antit. Or, moi, je suis comme une mouche Ă miel, qui
Ă©lis une autre herbe en quelque maniĂšre Ăąpre, câest-Ă -dire, les paĂŻens
rebutĂ©s de moi par leurs mĆurs, quelques-uns desquels ont des fleurs
petites et quelque peu de douceur, câest-Ă -dire, la volontĂ© par laquelle
ils se convertiraient franchement et me serviraient, sâils savaient comment
et sâils avaient qui les ouĂźt. De cette herbe jâen tirerai autant
de douceur que jâen aurai besoin pour remplir ma ruche, et je ne veux
autant approcher dâeux quâil ne leur manquera point de suavitĂ©, afin
que la mouche à miel ne soit frustrée de son travail ; et ce qui est
vil et abject croßtra à merveille et parviendra à une grande beauté,
mais ce qui semble beau diminuera et se rendra laid et difforme.
P333
Chapitre
45.
JĂ©sus-Christ
dit Ă sa MĂšre que les hommes aveugles dâesprit peuvent recouvrer la
vue, de sorte quâils pourront voir Dieu et lâaimer par-dessus tout
en trois choses : en la considération de la justice temporelle, de la
bonté, savoir, par la beauté des créatures, et de la toute-puissance
et sapience. Or, tous ceux qui croient que le mal et le bien viennent des
constellations des astres, se trompent.
La
Sainte Vierge Marie parle : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Fils, mon Dieu et
mon Seigneur ! Bien que je ne puisse mâattrister, nĂ©anmoins, jâai
compassion du genre humain, de trois choses :
1-
dâautant que lâhomme a des yeux et est aveugle, car il voit sa captivitĂ©
et la suit ; il se moque de votre justice, et il rit quand il satisfait
à sa cupidité ; il tombe en un point dans les peines éternelles, et
il perd la gloire qui nâa point de fin.
2-
Jâai compassion de lâhomme, dâautant quâil affecte et regarde avec
joie la monde, ne considÚre point votre miséricorde, cherche ce qui est
petit et rejette tout ce qui est grand.
3-
Je compatis, dâautant que vous Ă©tant Dieu de tous, nĂ©anmoins votre
honneur est oubliĂ© et nĂ©gligĂ© de tous, et vos Ćuvres sont mortes devant
eux : partant, ĂŽ mon Fils trĂšs-doux, ayez misĂ©ricorde dâeux.
Pa334
Le
Fils répondit : Tous ceux qui sont au monde et qui sont de bonne conscience
voient quâau monde la justice rĂšgne, par laquelle les pĂ©cheurs sont
punis. Si donc les excĂšs corporels sont punis des hommes par la justice,
combien plus il est juste que lâĂąme immortelle soit punie de Dieu immortel
! Lâhomme pourrait voir et entendre ceci, sâil voulait ; mais dâautant
quâil tourne ses yeux vers le monde et ses affections Ă ses voluptĂ©s,
câest pourquoi il suit la nuit, comme lâhomme suit les biens fugitifs
et a Ă haine les biens permanents.
En
second lieu, lâhomme peut voir et considĂ©rer, sâil veut, que, sâil
y a de la beauté dans les plantes, les arbres ; que si, en ce qui est
au monde, il y a quelque chose désirable, combien plus Dieu est beau et
désirable, le Seigneur et Créateur de toutes choses ! Que si la gloire
temporelle, passagĂšre et pĂ©rissable, est dĂ©sirĂ©e avec tant dâardeur,
combien plus est désirable la gloire éternelle ! Cet homme pourrait voir
cela, car il a bien lâintelligence pour comprendre que ce qui est plus
grand et plus excellent doit ĂȘtre plus aime que ce qui est moindre et
ce qui ne vaut guĂšre. Mais dâautant que lâhomme penche toujours aux
choses infĂ©rieures, comme les animaux irraisonnables, bien quâil doive
tendre et regarder toujours en haut, câest pourquoi toutes ses Ćuvres
sont comparĂ©es Ă la toile dâaraignĂ©e. Il laisse la beautĂ© des anges
; il suit les choses passagĂšres, câest pourquoi il fleurit comme le
foin pour peu de temps, et tombe aussi bientĂŽt comme le foin.
P335
En
troisiÚme lieu, ils savent en conscience, et certes, ils ont créé afin
de connaĂźtre quâil y a un Dieu, crĂ©ateur de toutes choses, car sâil
nây avait pas un crĂ©ateur dâicelles, tout ce qui est rĂ©glĂ©
serait en désordre, quoique toutes choses soient bien réglées, excepté
celles que lâhomme dĂ©rĂ©glĂ© ; et bien quâil semble aux hommes quâen
lâordre de la nature, il y a du dĂ©rĂšglement, dâautant quâil ignore
le cours des planĂštes et le cours du temps, dâautant que Dieu les leur
a cachés à raison des péchés. Si donc, il y a un seul Dieu, et
celui-lĂ bon, dâautant que tout bien dĂ©pend de lui, pourquoi lâhomme
ne lâhonore-t-il pas par-dessus tous, puisque la raison lui dicte quâil
doit ĂȘtre honorĂ© par-dessus tous, puisque tout dĂ©pend de lui ? Mais
lâhomme, comme vous avez dit, a deux yeux, et il ne voit rien, voire
lui-mĂȘme sâaveugle par les blasphĂšmes malheureux, dâautant quâil
rapporte aux étoiles la bonté ou le malheur des hommes, ou bien au destin
et Ă la fortune, lâĂ©vĂšnement des choses prospĂšres ou adverses, comme
si en eux, il y avait quelque chose de divin qui pût engendrer ou faire
quelque chose, bien que le destin ou la fortune ne soit rien pour tout,
car la disposition de lâhomme et de toutes choses a Ă©tĂ© prĂ©vue en
la prescience divine, et est conduite constamment selon lâexigence de
chaque chose ; certainement les Ă©toiles ne font pas que lâhomme soit
bon ou mauvais, bien quâon voie en icelles plusieurs choses raisonnables,
savoir est, selon les conditions et qualitĂ©s de la nature et lâexigence
des saisons. Les hommes pourraient-ils, sâils voulaient, prĂ©voir ces
choses ?
P336
La
MÚre de Dieu répondit : Tout homme qui a bonne conscience entend fort
bien que Dieu est plus aimable que toute autre chose, et quâil doit tĂ©moigner
cela par Ćuvres ; mais dâautant quâune membrane a couvert ses yeux,
bien que la paupiĂšre soit saine, câest pourquoi ils nây voient pas
tous. Mais quâest-ce que cette membrane signifie, sinon la considĂ©ration
des choses futures, qui a couvert la connaissance de plusieurs.
Partant,
je vous supplie, ĂŽ mon trĂšs-cher Fils, de vouloir manifester Ă quelquâun
quelle est votre justice, non pas afin que sa honte et sa misĂšre sâaccroissent,
mais afin que la peine quâil mĂ©rite soit diminuĂ©e, et afin quâon
connaisse et quâon craigne votre justice ; car lĂ oĂč le sac est plein
de quelque chose, et oĂč le vase est plein de lait, lâhomme ne saura
ce qui y est contenu, sâil ne le vide, de mĂȘme, bien que votre justice
soit grande, si vous ne la manifestez par un manifeste jugement,
elle sera crainte de peu, dâautant que vos Ćuvres admirables se sont
avilies par la longueur du temps et par la grandeur des péchés.
En
deuxiĂšme lieu, je vous supplie quâil vous plaise manifester votre misĂ©ricorde
par quelquâun de vos chĂ©ris pour la dĂ©votion des autres et pour la
consolation des misérables.
En
troisiÚme lieu, je vous supplie que votre nom soit honoré, afin que les
diligents le connaissent et que les tiÚdes en soient allumés.
Le
Fils rĂ©pondit : OĂč plusieurs amis entrent et prient, ils sont dignes
dâĂȘtre exaucĂ©s : combien plus quand une trĂšs-chĂšre dame entre ! Quâil
soit donc fait comme vous désirez. Ma justice sera si évidemment manifestée,
que les membres de ceux qui lâexpĂ©rimenteront, et desquels les Ćuvres
viendront en public, trembleront.
En
deuxiĂšme lieu, je donnerai Ă une personne misĂ©ricorde, autant quâelle
en pourra prendre et quâelle en aura besoin ; son corps sera exaltĂ©
et son ùme glorifiée, en sorte que ma miséricorde en sera manifestée.
P337
AprĂšs,
la MÚre de Dieu parla, disant : Les lieux des religieux sont éloignés
du bien ; ils sont fondés sur la glace ; leur fondement était autrement
dâor trĂšs-pur. Dessous ces lieux, il y a une cave trĂšs vaste. Quand
la chaleur du soleil sera en vigueur, la glace fondra, et ce qui a été
Ă©difiĂ© tombera dans lâabĂźme. Partant, ĂŽ mon Fils, ayez misĂ©ricorde
dâeux. La chute est horrible ; les tĂ©nĂšbres et les peines y sont sans
fin.
Chapitre
46.
Sainte
Brigitte prie la Sainte Vierge dâobtenir de Dieu son parfait amour. Elle
lui rĂ©pondit : Pour lâobtenir, quâelle suive six paroles de lâĂvangile
contenues en ce chapitre.
Sainte
Brigitte prie la Sainte Vierge disant : Oh ! que Dieu est doux ! Ceux qui
le prient ressentent de la consolation en toutes leurs douleurs. Partant,
ĂŽ trĂšs-bĂ©nigne MĂšre, je vous supplie dâarracher de mon cĆur toutes
les affections des choses du monde, en sorte que votre trĂšs-cher Fils
soir mon trÚs-cher et bien-aimé jusques à la mort.
P338
La
MĂšre rĂ©pondit : Dâautant que vous dĂ©sirez avoir chĂšrement mon Fils,
suivez les paroles que lui-mĂȘme a profĂ©rĂ©es en lâĂvangile : Matthieu
18. V. 21
4-
Rendez Ă CĂ©sar ce qui est Ă CĂ©sar, et Ă Dieu ce qui est Ă Dieu.
Certainement,
celui-là semble vendre tout, qui ne se conserve que la substance nécessaire
pour la nourriture de son corps, et distribue le reste aux pauvres pour
lâhonneur de Dieu, et non pour lâhonneur du monde, Ă lâintention
dâavoir lâamitiĂ© avec Dieu, comme il apparaĂźt en saint GrĂ©goire,
et en autres rois et princes qui ont Ă©tĂ© aimĂ©s de Dieu, bien quâils
eussent des richesses et en donnassent aux autres, comme ceux qui ont laissé
toutes choses tout dâun coup pour servir Dieu, mendiant aprĂšs les autres
; car ceux qui ont eu les richesses seulement pour lâhonneur de Dieu,
sâen fussent librement privĂ©s, si la volontĂ© de Dieu eĂ»t Ă©tĂ© telle.
Or, les autres ont embrassé une autre sorte de pauvreté, laquelle ils
dĂ©siraient pour la gloire de Dieu. Câest pourquoi Ă tout homme qui
a des biens justement acquis, ou bien des pensions, il est permis dâen
recevoir les fruits pour son entretien, pour sa famille et pour la gloire
de Dieu, et quâil donne le superflu aux amis de Dieu. En deuxiĂšme
lieu, il ne doit se soucier du lendemain, car bien que vous nâayez que
le corps nu, espérez en Dieu, et celui qui nourrit les passereaux vous
nourrira, puisquâil vous a rachetĂ©e de son sang.
P339
Je
lui rĂ©pondis : O Dame trĂšs-chĂšre, qui ĂȘtes belle, riche et vertueuse
: belle, dâautant que vous nâavez jamais pĂ©chĂ© ; riche, dâautant
que vous ĂȘtes trĂšs-aimĂ©e de Dieu ; vertueuse, dâautant que vous ĂȘtes
parfaite en toutes vos Ćuvres : partant, oyez-moi, ĂŽ ma Dame, moi qui
suis riche de pĂ©chĂ©s et pauvre de vertus. Nous avons ce jourdâhui le
vivre et ce qui nous est nécessaire ; demain nous ne manquerons. Comment
donc pourrions-nous ĂȘtre sans soins, quand nous nâavons rien ? car bien
que lâĂąme ait ses consolations de Dieu, lâautre nĂ©anmoins, qui est
le corps, désire et appÚte sa vie.
La
Sainte Vierge répondit : Si vous avez quelque chose de superflu et dont
vous vous puissiez passer, vendez ou engagez-le, et vivez sans soins.
Je
lui rĂ©pondis : Nous avons des vĂȘtements dont nous nous servons la nuit
et le jour, et peu de vaisselle pour notre table. Le prĂȘtre a trois livres,
et avons pour la messe un calice et les autres ornements.
La
Sainte Vierge repartit : Le prĂȘtre ne doit pas ĂȘtre sans livres, ni vous
sans messes, ni on ne doit dire la messe sans ornements trĂšs-purs. Votre
corps ne doit point ĂȘtre nu, mais revĂȘtu pour les hontes et pour Ă©viter
le froid, partant, vous avez besoin de toutes ces choses.
Sainte
Brigitte rĂ©pondit : Ne dois-je pas emprunter de lâargent pour quelque
temps ?
La
MĂšre rĂ©pondit : Si vous ĂȘtes assurĂ©e de la rendre Ă temps fixe, empruntez-en,
et non autrement, car il vous profite beaucoup plus de ne manger de tout
un jour que dâexposer votre foi Ă lâincertitude.
Et
moi, je lui dis : Ne dois-je pas travailler pour gagner ma vie ?
La
MĂšre lui repartit : Quâest-ce que vous faites tous les jours et maintenant
?
Jâapprends
la grammaire, jâĂ©cris et je prie.
Lors
la MĂšre dit : Il ne faut laisser tel travail corporel.
Et
moi, je lui dis : Et quâaurons-nous pour vivre demain ?
La
MĂšre dit : Demandez-en au nom de JĂ©sus, si vous nâavez autre chose.
P340
Chapitre
47.
La
MĂšre de Dieu dit de lâhomme qui parle de Dieu, que, sâil est
mĂ©prisĂ© et moquĂ© Ă raison de cela et quâil prenne patience, son Ăąme
est alors rendue belle. Celui qui afflige son corps pour lâhonneur de
Dieu, ressentira les divines douceurs et sera enrichi des faveurs divines.
Si lâon mĂ©dit de lui et quâil ne porte point de haine, son Ăąme sera
revĂȘtue de vĂȘtements prĂ©cieux et agrĂ©ables Ă Dieu. Les amis de Dieu
sâaffligent afin dâattirer les Ăąmes.
La
MĂšre de Dieu dit Ă sainte Brigitte : Ne vous troublez pas, sâil vous
faut parler de Dieu Ă ceux qui ne vous entendent pas franchement, car
quiconque est confus et le supporte franchement pour lâamour de Dieu,
cela rendra belle son Ăąme, dâautant que lâĂąme de lâhomme qui entend
la détraction faite contre soi, et néanmoins ne hait point le médisant,
est ornĂ©e comme de vĂȘtements trĂšs-riches, de sorte que lâĂpoux, qui
est un Dieu en trois personnes, désire que cette ùme soit plongée dans
les dilections éternelles de la Déité.
P341
Que
les amis de Dieu donc tĂąchent avec peine de convertir ceux qui aiment
mieux les cupiditĂ©s et lâorgueil que Dieu, car ils gisent comme sous
une montagne, voilà pourquoi il faut tùcher de les arracher aux dépends
mĂȘmes de leur vie ; car comme celui qui voit ses frĂšres gisants sur la
pente dâune montagne, souvent frappe la montagne pour en arracher des
pierres, quelquefois les coupe doucement, afin que, tombant au-dessous,
elles ne se brisent, quelquefois frappe plus fort, afin quâil se retire
du danger, de mĂȘme les amis de Dieu travaillent, afin que les Ăąmes soient
sauvées. Partant, comme il y en a peu qui aient eu la foi droite quand
mon Fils monta au ciel, de mĂȘme maintenant ceux qui accomplissent ce commandement
: Vous aimerez Dieu sur toutes choses et le prochain comme vous-mĂȘmes,
câest-Ă -dire, les amis de Dieu vont maintenant Ă la conversion des
chrétiens, qui autrefois allaient aux païens ; car comme il est impossible
que ceux-lĂ puissent obtenir le ciel, qui, ayant reçu la foi, ne lâont
point gardĂ©e, de mĂȘme il est impossible que les chrĂ©tiens qui meurent
sans charité jouissent de la gloire.
JĂ©sus-Christ
se compare à un médecin. Des médecines et des malades.
Notre-Seigneur
Jésus parle à son épouse : Je suis comme un bon médecin, auquel courent
tous ceux qui savent que sa potion est douce. Or, ceux qui goûtent la
douceur de sa mĂ©decine, considĂ©rant quâelle est salutaire, soudain
vont Ă la maison de lâapothicaire ; mais ceux qui la trouvent aigre,
sâen retirent.
Il
en est de mĂȘme de la mĂ©decine spirituelle, qui est le Saint-Esprit, car
lâEsprit de Dieu est doux au goĂ»t, affermit tous les membres et sâĂ©coule
dans le cĆur, afin de le rĂ©jouir et de le fortifier contre les tentations.
P342
Moi,
Dieu, je suis ce mĂ©decin, qui suis prĂȘt Ă donner ce breuvage Ă tous
ceux qui le désirent avec amour. Or, celui-là est sain et propre à le
recevoir qui nâa pas volontĂ© de croupir dans le pĂ©chĂ© ; mais ayant
goĂ»tĂ© une fois cette divine potion, il sây plaĂźt toujours ;
au contraire, ceux qui ont désir de demeurer dans le péché, ne se plaisent
point Ă avoir lâEsprit de Dieu.
Chapitre
49.
La
MĂšre de Dieu montre quâelle a Ă©tĂ© conçue sans pĂ©chĂ©.
La
MĂšre de Dieu parle : Si quelquâun, voulant jeĂ»ner, avait le dĂ©sir
de manger, mais que la volonté résistùt au désir, que le supérieur
Ă qui il doit obĂ©ir lui commandĂąt de manger, et quâil mangeĂąt par
obéissance, manger serait alors de plus grand mérite que le jeûne :
de mĂȘme maniĂšre arriva en la conjonction de mes parents, quand je fus
conçue. La vérité est que je fus conçue sans péché originel, car
comme il nây a que mon Fils et moi qui nâayons pĂ©chĂ©, aussi il nây
a pas eu de mariage plus honnĂȘte que celui de mes parents.
P343
Chapitre
50.
La
Vierge Marie dit Ă lâĂ©pouse quâil nây a rien qui plaise tant Ă
Dieu que dâĂȘtre aimĂ© des hommes, et le montre par un exemple dâune
femme païenne qui aima fort son Créateur.
La
MĂšre de Dieu parle Ă sainte Brigitte, lui disant quâil nây a rien
qui plaise tant Ă Dieu que quand lâhomme lâaime sur toutes choses.
Je vous en donnerai une similitude dâune femme paĂŻenne : ne sachant
rien de la foi catholique, elle sâentretenait en ces pensĂ©es : Je sais
de quelle maniĂšre je suis, et je connais mes parents. Je crois aussi quâil
est impossible que jâeusse le corps, les membres, les entrailles, les
sens, si quelquâun ne me les eĂ»t donnĂ©s ; et partant, il y a quelque
CrĂ©ateur qui mâa faite une si belle crĂ©ature, et non une crĂ©ature
difforme, comme les vermisseaux et les serpents. Il me semble aussi que,
bien
que jâeusse plusieurs maris, et que, si tous mâappelaient, je courrais
plutĂŽt Ă mon CrĂ©ateur qui mâappelle quâaux voix de tous ceux-lĂ .
Jâai aussi plusieurs fils et filles : nĂ©anmoins, si jâavais de la
viande en ma main et savais que mon CrĂ©ateur en dĂ©sire, je lâĂŽterais
franchement Ă mes enfants et la prĂ©senterais Ă mon CrĂ©ateur. Jâai
aussi plusieurs possessions dont je dispose selon mes vouloirs : si je
savais néanmoins que la volonté de mon Créateur est autre, je les laisserais,
renonçant Ă ma volontĂ©, et en disposerais Ă lâhonneur de mon CrĂ©ateur.
P344
Mais
voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme paĂŻenne, car il lui
a envoyĂ© un de ses amis qui lâa instruite en la foi sainte, et Dieu
a visitĂ© son cĆur de lui-mĂȘme, comme vous le pourrez entendre des paroles
de la susdite femme, car quand cet homme de Dieu lui prĂȘchait quâil
y avait un seul Dieu sans commencement et sans fin, créateur de toutes
choses, elle lui dit : Il est bien croyable que celui qui mâa crĂ©Ă©e
et qui a crĂ©Ă© toutes choses, nâa pas par-dessus soi de crĂ©ateur, et
il est vraisemblable que sa vie est Ă©ternelle, puisquâil mâa pu donner
la vie.
Mais
quand cette femme ouĂŻt que le mĂȘme CrĂ©ateur avait pris lâhumanitĂ©
dâune Vierge, quâil avait prĂȘchĂ© lui-mĂȘme, elle dit : Il est bien
fait de croire que Dieu fait de bonnes Ćuvres. Mais vous, ĂŽ mon ami !
dites-moi quelles furent les paroles qui furent proférées de la bouche
du CrĂ©ateur, car je veux renoncer Ă ma volontĂ© et lui obĂ©ir selon quâil
a parlé.
Or,
lâami de Dieu prĂȘchant et lui parlant de la passion, de la croix et
de la résurrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : Béni
soit Dieu qui a manifestĂ© son amour en la terre tel quâil lâavait
au ciel ! Partant, comme je lâaimais auparavant, je suis maintenant obligĂ©e
de lâaimer comme voie droite et comme RĂ©dempteur, me rachetant de son
propre sang. Je suis encore obligĂ©e de lâaimer de toutes mes forces
et de le servir de tous mes membres. Dâailleurs, je suis obligĂ©e dâarracher
de moi tous les dĂ©sirs que jâai eus en mes passions, fils et parents,
et seulement aimer et désirer mon Créateur en la gloire et en la vie
qui ne finissent jamais.
La
MÚre de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande récompense,
Ă raison de la dilection : de mĂȘme la rĂ©compense est donnĂ©e Ă un chacun
selon quâil aime Dieu pendant quâil vit au monde.
P345
Chapitre
51.
Cet
homme que vous reconnaissez a trois ennemis : le premier est auprĂšs de
lui ; il est lĂ oĂč il est ; il dort et veille avec lui, et il ne le voit
point. Le deuxiĂšme lui est familier, il est prĂšs de lui quand il veille,
et il ne lâoit point. Le troisiĂšme ne lui est pas familier ; il ne le
connaĂźt pas, et celui-ci le hait.
Le
premier ennemi est le diable, qui le tente de superbe, de cupidité, et
de plusieurs autres choses ne plusieurs maniĂšres. Contre cet ennemi, il
doit se munir dâun fouet, pensant : O diable, vous ne donnez rien de
bon : pourquoi me rendrai-je superbe ? Vous me cherchez aussi pour me perdre,
et JĂ©sus-Christ me donne la vie. Partant, il est raisonnable que je fuie
ta volonté et que je suive la volonté de Dieu et ses préceptes. Partant,
quiconque veille ou dort avec une telle intention, menace de son fouet
le diable, qui, en Ă©tant Ă©pouvantĂ©, sâenfuit.
P346
Le
deuxiĂšme ennemi, ce sont ses familiers et ses serviteurs qui lui disent
: Vous encourez de grands dommages, si vous ĂȘtes trop juste ; vous pourrez
faire votre profit en dissimulant plusieurs choses ; si vous ĂȘtes trop
humble, vous serez mĂ©prisĂ© : câest pourquoi amassez des richesses,
et faites-nous riches tous ; désirez les honneurs du monde, et nous nous
réjouirons avec vous. Cet ennemi se fait ouïr tous les jours, et partant,
il faut Ă©difier un grand mur contre cet ennemi, afin quâon ne lâentende
: ce mur est la bonne volontĂ©, savoir, quâil dĂ©sire embrasser plutĂŽt
la pauvretĂ© avec la justice que les richesses avec lâinjustice, et plutĂŽt
avoir la confusion avec lâhumilitĂ© que lâhonneur avec la superbe,
et quâil rĂ©ponde Ă son ennemi, mauvais conseiller : Si je fais contre
Dieu, priez et avertissez-moi, car lors je me réjouirai plutÎt que je
ne mâen attristerai. Quâon mette donc entre lâennemi et lui un tel
mur, de sorte que le vent de ses paroles flatteuses frappe contre le mur,
et non contre le cĆur, afin quâil ne sâĂ©loigne de lâamour divin.
Le
troisiĂšme ennemi est celui quâil ne connaĂźt pas. Ceux-lĂ dĂ©sirent
sa honte et confusion, son dommage et sa vie trĂšs-courte, afin quâils
jouissent des prospĂ©ritĂ©s et obtiennent ses richesses. Partant, quâil
ait contre cet ennemi une corde forte, câest-Ă -dire, lâamour de Dieu
et du prochain, dĂ©sirant souffrir tout ce que Dieu veut quâil pĂątisse,
ne voulant endommager personne ; et lors lâopprobre et la confusion que
ses ennemis voulaient jeter en son front, lui réussira à honneur, le
dommage Ă utilitĂ©, la vie courte Ă longs jours, et lâennemi est tellement
liĂ© quâil ne peut plus nuire.
P347
Chapitre
52.
Louange
vous soit, Î mon Dieu ! pour toutes les choses créées, dit sainte Brigitte,
et honneur pour toutes vos vertus ! Que tous vous servent pour lâamour
que vous leur portez. Moi, indigne et pécheresse dÚs ma jeunesse, je
vous rends grĂąces, ĂŽ mon Dieu, dâautant que vous ne refusez la grĂące
à ceux qui vous la demandent, quoique pécheurs, mais vous leur faites
miséricorde et pardon, Î Dieu trÚs-doux ! Ce que vous faites avec moi
est admirable : quand il vous plaĂźt, vous endormez mon cĆur dâun sommeil
spirituel, et excitez et relevez mon Ăąme pour voir, ouĂŻr et sentir les
choses spirituelles. O mon Dieu, que vos paroles sont douces Ă mon Ăąme
! Elle les avale comme une douce liqueur, et elles entrent dans mon cĆur
avec grande joie, car quand jâentends vos paroles, je suis rassasiĂ©e,
et mĂȘme je suis famĂ©lique : rassasiĂ©e, dâautant quâil nây a rien
qui me plaise que vos paroles ; famĂ©lique, dâautant que je dĂ©sire de
les ouĂŻr avec ferveur. Partant, ĂŽ mon Dieu ! donnez-moi la grĂące de
faire toujours votre volonté.
P348
JĂ©sus-Christ
répondit : Je suis sans commencement et sans fin, et tout ce qui est créé
par ma puissance, disposé par ma sagesse et gouverné par mon jugement
; toutes mes Ćuvres sont aussi rangĂ©es par la charitĂ© : partant, rien
ne mâest impossible. Mais ce cĆur est trop dur, qui ne nâaime ni ne
me craint, bien que je sois gouverneur et juge de toutes choses, mais fait
plutÎt la volonté du diable, qui est son bourreau, qui donne à boire
largement le venin par le monde, qui ne peut donner la vie aux Ăąmes, mais
bien la mort de lâenfer. Ce venin est la pĂ©chĂ©, qui est doux au goĂ»t,
bien quâamer Ă lâĂąme, et tous les jours, il est rĂ©pandu par les
mains du diable sur plusieurs. Mais qui a ouĂŻ de telles choses, que la
vie soit offerte aux hommes et quâils choisissent la mort ? NĂ©anmoins,
moi, Dieu de tous, je suis patient et je compatis Ă leurs misĂšres. Je
fais certainement comme le roi qui, envoyant du vin Ă ses serviteurs,
leur dit : Buvez-en en quantité, car il est bon et salutaire : il donne
aux malades la santĂ©, aux tristes la joie, un cĆur gĂ©nĂ©reux Ă ceux
qui se portent bien, et ce vin nâest envoyĂ© que dans les grappes mĂȘmes.
De mĂȘme jâenvoyai mes paroles, qui sont comparĂ©es au vin, Ă mes serviteurs,
par vous, qui ĂȘtes mon vase. Certainement, mon Saint-Esprit vous enseignera
oĂč il vous faut aller et ce quâil vous faut dire : câest pourquoi
parlez courageusement, et faites sans crainte ce que je vous commande,
car pas un ne me surmontera.
Lors
je lui répondis : O Roi de toute gloire et celui qui verse la sagesse
et qui donne toutes les vertus, pourquoi mâemployez-vous Ă un tel office,
moi qui ai consommé ma jeunesse en péchés ? Je suis certainement comme
un Ăąne insensĂ©, et suis dĂ©fectueuse en toute sorte de vertus. Jâai
manqué en tout, et ne me suis amendée en rien.
P349
Le
Saint-Esprit répondit : Qui serait étonné si quelque seigneur faisait
de la monnaie ou du mĂ©tal quâon lui offrirait, des couronnes, des anneaux,
ou des coupes pour son usage ? De mĂȘme, il nâest pas de merveilles si
je choisis et reçois les cĆurs de mes amis qui me sont offerts, et si
je fais en eux ma volontĂ©. Et dâautant que lâun a plus petit entendement
que lâautre, de mĂȘme je me sers de la conscience et de lâesprit dâun
chacun, selon que je vois expĂ©dient pour mon honneur, car le cĆur du
juste, câest ma monnaie : câest pourquoi soyez prompte et constante
à faire mes volontés.
Ensuite
la MĂšre de Dieu me parla : Quâest-ce que les femmes superbes disent
en votre royaume ?
Je
suis une dâicelles, câest pourquoi je suis confuse de parler en votre
présence.
Et
la MÚre de Dieu dit : Bien que je sache cela mieux que vous, néanmoins
je le veux ouĂŻr de votre bouche.
Quand
on nous prĂȘchait lâhumilitĂ© vraie, nous disions que nos parents possĂ©daient
des possessions trĂšs-amples et de mĆurs trĂšs-excellentes. Pourquoi ne
les imiterons-nous donc ? Notre mĂšre allait de pair avec les premiers
; elle Ă©tait excellemment et noblement vĂȘtue, et avait plusieurs serviteurs
; elle nous a élevés avec honneur : pourquoi mes filles ne doivent-elles
hĂ©riter de telles choses, auxquelles jâappris de se comporter noblement
et de vivre avec joie corporelle ? Je leur ai enseigné de mourir avec
de grandes dignités.
P350
La
MĂšre de Dieu dit : Toute femme qui suit cette route et ces discours par
Ćuvres, va par une voie droite dans lâenfer ; et partant, une telle
réponse est dure et amÚre, car que profite tout cela, puisque le Créateur
de toutes choses nâa jamais portĂ© une robe superbe, tant quâil a demeurĂ©
en terre ? Certainement, telles femmes ne considĂšrent point la face de
JĂ©sus, quelle elle Ă©tait en la croix, sanglante et pĂąle de peines et
de tourments, et ne soucient point des opprobres quâil a ouĂŻs, ni de
la mort ignominieuse quâil a choisie et soufferte pour nous, ni ne se
souviennent point du lieu oĂč il a rendu lâesprit ; car lĂ oĂč les larrons
reçurent les supplices quâils mĂ©ritaient, câest lĂ que mon Fils
a été crucifié ; et moi, la plus chÚre de toutes les créatures, et
qui suis la vraie humilitĂ©, jâassistai lĂ . Et partant, ceux qui se
gouvernent superbement et pompeusement, et donnent aux autres sujets de
les imiter, sont semblables à un aspersoir qui, étant plongé dans une
liqueur ardente, brĂ»le et tache tous ceux qui en sont aspergĂ©s : de mĂȘme
quand les superbes donnent sujet de mauvais exemple et de mauvaise Ă©dification,
ils brûlent les ùmes ; et partant, je veux faire maintenant comme une
bonne mÚre qui, déterrant ses enfants, leur montre les verges, lesquelles
les serviteurs voient aussi ; mais les enfants, les voyant, craignent dâoffenser
la mÚre, la remerciant de les avoir menacés pour éviter les coups. Mais
les serviteurs craignent dâĂȘtre fouettĂ©s, sâils manquent, et de la
sorte, par cette crainte, les enfants font plusieurs biens, et les serviteurs
moins de mal quâils ne faisaient.
P351
Partant,
dâautant que je suis MĂšre de misĂ©ricorde, je veux vous montrer la peine
du pĂ©chĂ©, afin que les amis de Dieu soient fervents de lâamour de Dieu,
et les pécheurs, sachant de danger, fuient pour le moins le péché par
la crainte ; et de la sorte, je fais misĂ©ricorde aux bons, afin quâils
obtiennent une plus grande couronne au ciel, et au mauvais, afin quâils
endurent moins de peines, et il nây a pas pĂ©cheur si grand que je ne
sois toute prĂȘte Ă lui aller au-devant et que mon Fils ne soit disposĂ©
Ă lui donner la grĂące, sâil demande misĂ©ricorde avec amour.
Et
aprĂšs cela apparurent trois femmes : la mĂšre, la fille et la niĂšce ;
mais la mĂšre et la niĂšce apparurent mortes, et la fille apparut vive.
Or, la susdite mĂšre apparaissait morte, semblait ramper par terre dans
un lieu fort obscur et boueux, le cĆur de laquelle semblait arrachĂ©,
et les lÚvres semblaient coupées. Le menton tremblait, et les dents,
blanches et longues, grinçaient en la bouche. Les narines étaient rongées,
et ses yeux arrachés pendaient aux joues avec deux nerfs. Son front semblait
creux et avalé, et au lieu du front était un grand et ténébreux abßme.
En la tĂȘte, il nây avait point de crĂąne, et son cerveau bouillait comme
du plomb fondu et de la poix échauffée. Son col était aussi secoué
comme un bois qui tourne autour, lequel un fer trÚs-aigu coupé sans cesse.
Sa poitrine ouverte Ă©tait pleine de vermisseaux longs qui grouillaient
lâun sur lâautre, et ses bras ressemblaient Ă un manche dâun tailleur
de pierres ; ses mains Ă©taient comme des clous Ă nĆuds et longs, et
toutes les jointures Ă©taient dĂ©semboitĂ©es, de sorte que quand lâune
montait, lâautre descendait sans cesse. Un serpent long et grand Ă©tait
du plus haut de lâestomac jusques en bas, qui, baissait sa tĂȘte avec
la queue envenimait ses entrailles, et tournait incessamment comme une
roue. Ses cuisses et ses jambes ressemblaient Ă deux bĂątons Ă©pineux
pleins de pointes trÚs-aiguës. Ses pieds étaient comme des pieds de
crapauds.
P352
Lors
cette mĂšre, qui Ă©tait comme morte, parlait Ă sa fille qui Ă©tait vivante,
lui disant : Oyez, lézarde et fille pleine de venin. Malheur à moi que
jâaie Ă©tĂ© votre mĂšre ! Je suis celle qui vous ai mise au nid de superbe,
oĂč vous croissiez, y Ă©tant Ă©chauffĂ©e, jusquâĂ ce que vous avez atteint
lâĂąge ; et elle vous a tellement plu que vous avez consommĂ© en icelle
tout votre temps. Partant, je vous dis que tout autant de fois que vous
tournez les yeux superbement sur quelquâun, comme je vous ai enseignĂ©,
tout autant de fois vous jetez Ă mes yeux du venin tout bouillant avec
une intolérable ardeur ; et toutes fois et quantes que vous proférez
des paroles orgueilleuses que vous avez apprises de moi, tout autant de
fois jâavale des breuvages trĂšs-amers ; toutes fois et quantes que vos
oreilles sont remplies de vent de superbe, qui excite les orages de lâarrogance,
qui sont : ouïr les louanges de votre corps bien proportionné, désirer
les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, tout autant de fois
frappe en mes oreilles un son horrible qui mâĂ©tourdit avec un vent brĂ»lant.
Malheur donc Ă moi qui suis en lâextrĂȘme pauvretĂ© et misĂšre ! Je
suis pauvre, dâautant que je nâai rien de bon ni nâen ressens ; misĂ©rable,
parce que je suis assaillie de toute sorte de maux.
Mais
vous, ma fille, vous ĂȘtes semblable Ă la queue de la vache, qui va par
les lieux boueux, qui toutes les fois quâelle meut la queue, salit tous
ceux qui sont auprĂšs dâelle. De mĂȘme en faites-vous, ma fille, vous
qui nâavez point la divine sagesse, et allez selon vos dĂ©sirs et les
mouvements de votre corps. Partant, toutes les fois que vous imitez les
coutumes que jâai fait couler en votre esprit en la jeunesse, savoir,
les péchés que je vous ai enseigné de faire, tout autant de fois ma
peine est renouvelĂ©e et mes feux brĂ»lent avec plus dâardeur. Partant,
ma fille, pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre sang ? Quel honneur
avez-vous dâavoir Ă©tĂ© en mon ventre auprĂšs de lâordure et nourrie
dâordure ? Votre sortie a Ă©tĂ© honteuse, et les immondices de mon sang
Ă©taient votre robe en la naissance. Or, maintenant, mon ventre, qui vous
a portée, est rongé par les vers.
P353
Mais
pourquoi me plaindre de toi, ma fille, puisque jâai plus de sujet de
me plaindre de moi-mĂȘme ? car il y a trois choses qui affligent le plus
mon cĆur : 1- Ă©tant crĂ©Ă©e de Dieu pour la gloire cĂ©leste, jâabusais
de ma conscience, et me suis disposĂ©e pour les peines de lâenfer ; 2-Dieu
mâayant crĂ©Ă©e belle comme un ange, je me suis rendue difforme moi-mĂȘme,
de sorte que je suis plus semblable au diable quâĂ lâange de Dieu
; 3- jâai mal changĂ© le temps qui mâĂ©tait donnĂ© ; jâai prĂ©fĂ©rĂ©
le moment câest-Ă -dire, la dĂ©lectation du pĂ©chĂ©, pour lequel je ressens
maintenant des maux infinis dans lâenfer, Ă lâĂ©ternitĂ© glorieuse
!
Et
lors, elle dit Ă lâĂ©pouse : Vous qui me voyez, vous ne me concevez
que par similitudes. Certes, si vous me voyiez comme je suis, vous mourriez
dâeffroi, car tous mes membres sont comme des dĂ©mons. Et partant, lâĂcriture
est vraie quand elle dit que, comme les justes sont membres de Dieu, de
mĂȘme les pĂ©cheurs sont membres du diable. Jâen fais maintenant lâexpĂ©rience.
Les dĂ©mons sont comme clouĂ©s Ă mon Ăąme, dâautant que moi-mĂȘme je
me suis disposée à une si grande difformité.
P354
Mais
Ă©coutez encore davantage. Il vous semble que mes pieds sont comme des
crapauds : cela est dâautant quâopiniĂątrement je me suis arrĂȘtĂ©e
dans le pĂ©chĂ© ; câest pourquoi aussi les diables sont toujours avec
moi, me rongeant sans jamais se rassasier ; mes jambes et mes cuisses sont
comme des bĂątons Ă©pineux, dâautant que ma volontĂ© a suivi les concupiscences
de la chair et les voluptés. Mais les os de mon dos sont tous désemboités,
et lâun sâĂ©meut contre lâautre, dâautant que mon esprit se plaisait
trop aux consolations mondaines, et sâaffligeait trop des adversitĂ©s
et des fĂącheries du monde. Et comme le dos sâĂ©meut selon le mouvement
de la tĂȘte, de mĂȘme ma volontĂ© ne devait se mouvoir que selon les volontĂ©s
de Dieu, qui est lâorigine de tout bien. Mais dâautant que je nâai
pas fait cela, je pĂątis justement ce que vous voyez. Mais dâautant quâun
serpent se glisse du bas de lâestomac jusques en haut, et Ă©tant comme
un cercle, environne mon ventre, cela est dâautant que mes voluptĂ©s
ont été déréglées, et voulaient tout posséder, pour pouvoir dépendre
beaucoup avec indiscrĂ©tion ; câest pourquoi le serpent court incessamment
par mon intĂ©rieur, sans me donner trĂȘve ni repos.
Quant
à ce que ma poitrine est ouverte et rongée des vers, cela montre la vraie
justice divine. Certes, jâaimais la pourriture plus que Dieu, et mon
cĆur Ă©tait liĂ© aux choses passagĂšres ; et partant, comme de petits
vermisseaux sâengendrent les grands, de mĂȘme mon Ăąme est remplie de
dĂ©mons, comme engendrĂ©s de lâamour que jâavais pour la pourriture
et lâordure. Mes bras semblent aussi comme dĂ©manchĂ©s, dâautant que
mon désir tendait à la longue vie et à vivre longtemps dans le péché.
P355
Je
dĂ©sirais aussi que le jugement de Dieu fĂ»t plus doux que lâĂcriture
ne dit ; et néanmoins, la conscience me disait bien que mon temps était
court et que le jugement de Dieu Ă©tait effroyable ; mais au contraire,
les désirs des voluptés et des péchés me dictaient faussement que ma
vie serait longue, et que le jugement de la fureur divine ne serait pas
si effroyable ; et de telles suggestions renversaient ma conscience, et
aprÚs, ma volonté et ma raison suivaient mes délectations et mes voluptés.
Câest pourquoi aussi le diable sâĂ©meut en mon Ăąme contre ma volontĂ©,
et ma conscience entend et ressent que le jugement de Dieu est juste.
Mes
mains sont comme une massue longue, dâautant que je nâai pas gardĂ©
les commandements de Dieu ; et par la mĂȘme raison, mes mains me servent
Ă la pesanteur et non Ă lâusage.
Mon
col tourne comme un bois au tour et qui est taillé avec un ciseau, et
câest parce que les paroles divines nâont point Ă©tĂ© Ă goĂ»t Ă mon
cĆur, mais lui Ă©taient amĂšres, dâautant quâelles reprenaient ses
dĂ©lectations et ses voluptĂ©s : câest pourquoi un fer aigu est toujours
fiché à mon gosier.
Mes
lĂšvres sont coupĂ©es, dâautant quâelles Ă©taient promptes Ă parler
de la vanitĂ© et superbe et de la cajolerie, mais grandement lĂąches Ă
parler de Dieu. Ma joue paraĂźt tremblante et les dents me grincent, dâautant
que je donnais de la viande à mon corps, afin que je parusse belle, désirable,
saine et forte à toutes les délices du corps ; et mes dents sont en continuel
grincement, dâautant que tout leur ouvrage a Ă©tĂ© inutile pour le bien
de lâĂąme. Mes narines sont coupĂ©es, dâautant que mĂȘme vous punissez
de telle peine ceux qui sont atteints des crimes dont celui-ci est atteint,
afin quâil ait de la honte, et moi, jâen ai la confusion Ă©ternelle
!
P356
Quant
Ă ce que les yeux sont pendus par deux nerfs jusques aux joues, cela est
juste, car comme les yeux se plaisaient en la beauté des joues par ostentation
de superbe, de mĂȘme maintenant ils sont arrachĂ©s par trop pleurer, et
pour confusion, pendant aux joues. Justement aussi mon front est avalé,
et Ă sa place sont des tĂ©nĂšbres palpables, dâautant que jâai couvert
mon front du voile de superbe, et jâai voulu me glorifier et paraĂźtre
belle ; mon front est maintenant obscur et difforme ; mais dâautant que
le cerveau bout et sâĂ©coule, comme le plomb sâĂ©meut et est flexible
selon la volonté, qui était en mon cerveau, allait selon les mouvements
de mon cĆur, bien que je susse fort bien ce quâil fallait faire. Mais
mĂȘme la passion du Fils de Dieu nâĂ©tait point gravĂ©e dans mon cĆur,
mais sâenfuyait et sâen Ă©coulait comme chose que je savais bien, et
mâen souciais bien peu. Dâailleurs, jâĂ©tais autant attentive au
sang qui coulait des membres du Fils de Dieu quâĂ la poix, et je fuyais
les paroles de charitĂ© comme de la poix, de peur quâelles ne me dĂ©tournassent
des dĂ©lices corporelles, et quâelle ne me troublassent quand jâen
jouissais. Quelquefois nĂ©anmoins, jâoyais la parole de Dieu pour le
respect des hommes, mais elle sortait avec la mĂȘme facilitĂ© de mon cĆur
quâelle y Ă©tait entrĂ©e. Câest pourquoi aussi mon cerveau sâĂ©coule
comme une poix ardente. Mes oreilles sont aussi bouchées avec des pierres
fort dures, dâautant que les paroles de superbe entraient en elles avec
joie, et de lĂ sâĂ©coulaient doucement
P357
Dans
mon cĆur. Et dâautant que jâai fait toutes choses pour lâamour du
monde et pour la vanitĂ©, mes oreilles nâentendront jamais les concerts
et les agréables mélodies.
Mais
vous me pourriez demander si je nâai fait aucune bonne Ćuvre. Je vous
rĂ©ponds : Jâai fait comme celui qui rogne la monnaie et la rend Ă son
maĂźtre, car je jeĂ»nais , je faisais des aumĂŽnes et dâautres bonne
Ćuvres, mais tout cela par crainte de lâenfer et pour Ă©viter les douleurs
corporelles. Mais dâautant que la charitĂ© nâĂ©tait point en mes Ćuvres,
elles ne mâont point servi pour obtenir le ciel ; elles nâont pas Ă©tĂ©
pourtant sans récompense.
Vous
pourriez encore vous enquérir quelle je suis intérieurement en ma volonté,
puisque je suis difforme au-dedans. Je vous réponds : Ma volonté est
comme lâhomicide et le parricide : de mĂȘme je dĂ©sire toute sorte de
maux Ă mon CrĂ©ateur, qui mâa Ă©tĂ© nĂ©anmoins trĂšs-bon et trĂšs-doux.
AprĂšs,
la niĂšce morte de la susdite bisaĂŻeule, morte aussi, parla Ă la mĂšre
qui vivait encore : Oyez, ĂŽ scorpion, ma mĂšre ! Malheur Ă moi, dâautant
que vous mâavez déçue, car vous mâavez montrĂ© un visage doux, mais
vous mâavez cruellement percĂ© le cĆur. Vous mâavez donnĂ© trois mauvais
conseils ; jâai appris trois autres choses de vos actions, et vous mâavez
montrĂ© trois voies en votre procĂ©dĂ©. Le premier conseil a Ă©tĂ© dâaimer
charnellement pour obtenir les amitiés charnelles ; le deuxiÚme, de dépenser
prodigalement les biens pour lâhonneur du monde ; le troisiĂšme, dâavoir
le repos pour les plaisirs de la chair. Certainement, ces conseils mâont
Ă©tĂ© grandement dommageables, car dâautant que jâai aimĂ© charnellement,
jâai maintenant la honte et lâenvie spirituelle ; et parce que jâai
prodigalement dépensé les biens, je suis privée des dons de Dieu en
la vie, et aprĂšs la mort, jâai Ă©tĂ© remplie de confusion ; et dâautant
que je me plaisais aux dĂ©lices charnelles, Ă lâheure de la mort, les
ingratitudes et les chagrins de lâesprit me saisirent sans considĂ©ration
aucune.
P358
Jâai
aussi appris trois choses de vos Ćuvres, savoir :1-dâen
faire quelques bonnes sans quitter le péché qui me plaisait, comme celui
qui, mĂȘlant le venin avec le miel, nâoffrait que du venin au juge qui,
Ă©tant justement irritĂ©, lâĂ©pandit sur celui qui le lui offrait ; de
mĂȘme jâexpĂ©rimente le mĂȘme avec beaucoup de douleur et de tribulation
; 2-une façon et mode admirable
de mâhabiller, savoir des souliers mignons Ă mes pieds, des gants façonnĂ©s
Ă mes mains, montrer ma gorge toute nue.
Ce
linge dĂ©liĂ© marquait lâĂ©clat de mon corps, qui a tellement offusquĂ©
lâĂ©clat de mon Ăąme que je ne me souciai de sa beautĂ©. Mes souliers
ou sandales, dĂ©couverts au-dessus, signifiaient ma foi sans les Ćuvres,
qui ont laissé mon ùme toute nue. Les gants aux mains signifiaient la
vaine espĂ©rance que jâai eue, car jâappuyais mes espĂ©rances en mes
Ćuvres, dont jâattendais misĂ©ricorde, sans que jâaie jamais considĂ©rĂ©
la justice divine, ni nâai point ressenti sa fureur, ce qui me donna
le libertinage au pĂ©chĂ©. Mais quand la mort sâapprochait, mon linge
tomba de mes yeux sur terre, câest-Ă -dire, sur mon cĆur, lors lâĂąme
se connut et se vit toute nue, voyant que mes péchés étaient grands
et mes Ćuvres fort petites, et jâen avais tant de honte et de confusion
que je ne pus entrer dans le palais du Roi des cieux. Or, lors les démons
me trouvĂšrent, et me donnĂšrent de grandes peines et douleurs, oĂč jâĂ©tais
moquée avec confusions insupportables.
P359
La
troisiĂšme que jâappris de vous, ma MĂšre, câest de revĂȘtir le serviteur
des habillements du maĂźtre, et le maĂźtre, des habillements du serviteur.
Ce maĂźtre est lâamour de Dieu ; le serviteur est la volontĂ© de pĂ©cher.
Partant, la charitĂ© devant rĂ©gner dans mon cĆur, jâai posĂ© la volontĂ©
de pĂ©cher, laquelle jâai lors revĂȘtue des vĂȘtements du Seigneur, quand
je me suis servie des crĂ©atures pour lâassouvissement de mes voluptĂ©s,
et jâai donnĂ© au Seigneur quelques restes, et encore iceux par crainte
et non par amour. Mon cĆur donc se rĂ©jouissait du succĂšs de mes voluptĂ©s,
dâautant que le Seigneur en Ă©tait chassĂ© et banni, et le serviteur
bien reçu et caressé.
Jâai
appris de vous ces trois choses. Vous mâavez aussi montrĂ© trois voies
en votre démarche : la premiÚre était éclatante, en laquelle étant
entrée, je fus aveuglée de sa splendeur. La deuxiÚme fut courte, et
labile comme la glace, en laquelle je tombais pas Ă pas. La troisiĂšme
Ă©tait trop longue, et quand jây marchais, un torrent impĂ©tueux mâemporta
sur une montagne en une fosse profonde qui Ă©tait lĂ .
En
la premiÚre voie est marqué le progrÚs de ma superbe, qui fut trop brillante,
car lâostentation, fille de la superbe, donna tant dâĂ©clat Ă mes
yeux que je ne considérai point la fin, et partant, je fus aveugle.
En
la deuxiÚme voie est marquée la rébellion.
P360
Le
temps de rĂ©bellion nâest pas long en cette vie, car aprĂšs la mort,
lâhomme est contraint dâobĂ©ir. En vĂ©ritĂ©, il mâa Ă©tĂ© fort long,
car quand je passai par un pas, câest-Ă -dire, par lâhumilitĂ© de la
confession, soudain je retombai Ă mes pĂ©chĂ©s ; câest pourquoi je nâai
point Ă©tĂ© constante en lâobĂ©issance, mais je tombais soudain dans
mes péchés comme celui qui chemine sur la glace. Ma volonté était froide,
dâautant que je ne quittais les dĂ©lectations du pĂ©chĂ©, de sorte que
quand jâavançais un pas Ă la confession, confessant mes pĂ©chĂ©s, je
retombais en un autre pas, dâautant que je voulais le pĂ©chĂ© et je me
plaisais Ă me confesser souvent.
La
troisiĂšme voie fut que je mâattendais Ă pouvoir pĂ©cher sans avoir
une grande peine, pouvoir vivre longtemps et ne mâapprocher point de
lâheure de la mort. Et ayant avancĂ© chemin par cette voie, un torrent
impĂ©tueux, savoir, la mort, qui donne Ă un autre, mâenleva et me chargea
de peines, renversant mes pieds. Or, quels sont ces pieds, si ce nâest
que, les infirmitĂ©s mâaccablant, je ne pouvais avoir soin des utilitĂ©s
de mon corps, et moins de celles de lâĂąme ? Câest pourquoi je tombai
en une profonde fosse, quand le cĆur, qui Ă©tait haut et superbe, endurci
dans le pĂ©chĂ©, creva, et lâĂąme tomba en la fosse de la peine du pĂ©chĂ©.
Et partant, cette voie a Ă©tĂ© trop longue commençait. Malheur donc Ă
moi, ĂŽ ma mĂšre ! car tout ce que jâappris de vous avec joie, je le
pleure maintenant avec amertume !
P361
Dâailleurs,
cette fille morte parlait encore Ă lâĂ©pouse, qui voyait ceci : Oyez,
vous qui me voyez. Il vous semble que ma tĂȘte et ma face sont comme un
tonnerre qui fulmine au-dedans, et mon col est mis comme dans une presse
garnie de clous. Mes bras et mes pieds sont comme des serpents trĂšs-longs
; mes jambes et mes cuisses sont comme deux canaux dâeau coulants du
toit tout glacĂ©s. Mais encore une peine mâest la plus amĂšre de toutes
: car comme si une personne avait tous les canaux des esprits vitaux bouchés,
et comme si toutes les veines pleines de vent se serraient dans le cĆur
et crĂšveraient Ă raison de la violence du vent, de mĂȘme je suis disposĂ©e
au-dedans misĂ©rablement, Ă raison du vent de la superbe qui mâa Ă©tĂ©
trÚs-agréable. Néanmoins, je suis en la voie de la miséricorde, car
lorsque jâĂ©tais accablĂ©e dâinfirmitĂ©s, je les louai le mieux
quâil me fut possible, mais nĂ©anmoins avec un esprit de crainte. Mais
la mort sâapprochant, la considĂ©ration de la passion de JĂ©sus-Christ
me vint en lâesprit, savoir, quâelle Ă©tait beaucoup plus douloureuse
que la douleur que je méritais à raison de mes fautes, et par une telle
considĂ©ration, jâai obtenu les larmes, gĂ©missant, voyant que Dieu mâavait
tant aimĂ©e, et que je lâavais aimĂ© si peu ; car lors je le regardai
des yeux de lâesprit et lui dis : O Seigneur, je crois que vous ĂȘtes
mon Dieu. Ayez misĂ©ricorde de moi, ĂŽ Fils de la Vierge, pour lâamour
de votre amĂšre passion. Jâamenderais maintenant ma vie, si jâen avais
le temps. Et en ce point-lĂ , je fus soudain allumĂ©e dâune scintille
de charitĂ© en mon cĆur, de sorte que la passion de JĂ©sus me semblait
plus amĂšre que ma mort. Et lors mon cĆur creva, et mon Ăąme vint Ăšs
mains des dĂ©mons, pour ĂȘtre prĂ©sentĂ©es au jugement de Dieu, car il
Ă©tait indigne que les anges dâun grand Ă©clat et dâune grande beautĂ©
portassent une Ăąme si difforme.
P362
Or,
au jugement de Dieu, les dĂ©mons criant que mon Ăąme fĂ»t condamnĂ©e Ă
lâenfer, le Juge rĂ©pondit : Je vois une scintille de charitĂ© en son
cĆur, qui ne doit ĂȘtre Ă©teinte, mais qui doit ĂȘtre devant moi, et partant,
je juge lâĂąme Ă ĂȘtre purifiĂ©e jusques Ă ce quâĂ©tant dignement
purifiée, elle mérite de me posséder.
Vous
pourriez encore vous enquérir si je serai participante de tous les biens
quâon fait pour moi. Je vous rĂ©ponds par similitude : car comme si vous
voyiez une balance, et sâil y avait en lâun des bassins du plomb qui
lâabaissĂąt, en lâautre une chose lĂ©gĂšre qui lâenlevĂąt en haut,
plus on la chargerait, voire emporterait le poids du plomb : de mĂȘme en
est-il de moi, car dâautant plus ai-je hantĂ© le pĂ©chĂ©, dâautant
plus suis-je descendue en peine. Et partant, tout ce quâon fait Ă lâhonneur
de Dieu pour moi, cela mâenlĂšve de la peine, et spĂ©cialement lâoraison,
et les biens que font les hommes justes et amis de Dieu et les charités
quâon fait des biens bien acquis. Telles choses mâapprochent de Dieu
de jour en jour.
AprĂšs
cela, la MĂšre de Dieu parla Ă lâĂ©pouse : Vous admirez comment moi,
qui suis Reine du ciel, et vous, qui vivez au monde, et cette Ăąme, qui
est en purgatoire, et lâautre en enfer, parlent ensemble. Je vous dirai
cela. Je ne me retire jamais du ciel, dâautant que je ne serai jamais
sĂ©parĂ©e de la vision de Dieu, ni lâĂąme qui est en enfer ne sera jamais
sĂ©parĂ©e des peines, ni lâautre du purgatoire, quâelle ne soit entiĂšrement
purifiée, ni vous ne viendrez à nous avant la séparation du corps ;
mais votre ùme et votre intelligence sont élevées dans le ciel, pour
y entendre les paroles de Dieu, et il vous est permis de faire savoir quelques
peines de lâenfer et du purgatoire aux mauvais, afin quâils prennent
garde Ă eux et aux bons, pour consolation et avancement. Or, sachez que
votre corps et votre Ăąme sont unis en terre, et le Saint-Esprit
vous donne lâintelligence, afin que vous connaissiez ses saintes volontĂ©s.
P363
DĂCLARATION
Il
est parlĂ© en ce chapitre de trois femmes, lâune desquelles entra dans
un monastÚre, faisant pénitence tout le temps de sa vie avec grande
perfection.
Notre-Seigneur
reprend la superbe des prélats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets,
de peur quâĂ lâexemple dâHĂ©li, ils ne soient damnĂ©s.
P364
Le
Fils de Dieu parle Ă son Ă©pouse, lui disant : Câest une grande chose,
voire câest un monstre horrible que lĂ oĂč le Roi de gloire sâest
humiliĂ©, lĂ lâhomme obligĂ© Ă rendre compte, sâenorgueillisse, car
si quelquâun est supĂ©rieur aux autres, il ne doit sâenorgueillir dâĂȘtre
prélat, mais plutÎt craindre, car tous sont égaux en nature et toute
puissance est de Dieu. En vérité, si celui que Dieu fait supérieur est
bon, il profite Ă son salut et Ă celui des autres ; sâil est mauvais,
câest la permission de Dieu, pour la correction des sujets et Ă sa plus
grande condamnation, ni nâest point de merveille, mais digne et juste,
que lâhomme qui a nĂ©gligĂ© de se soumettre Ă son CrĂ©ateur, expĂ©rimente
la domination de lâinfĂ©rieur et ses conseils. Donc, quand quelquâun
est contraint dâĂȘtre supĂ©rieur ou dĂ©sire lâĂȘtre, quâil se montre
tel Ă ses sujets, quâil soir dĂ©sirable Ă raison de ses mĆurs et de
sa bonne vie, utile en la justice et équité. Enfin de sa nature, celui
qui est prĂ©lat doit sâhumilier et ses mesurer par sa propre mesure,
afin quâil ne sâĂ©lĂšve par-dessus soi-mĂȘme, et quâil apprenne en
soi dâavoir compassion des autres. Quâil craigne aussi que, de la mĂȘme
mesure quâil mesure les autres, on ne le mesure (Matt.4.Luc. 16.), car
moi, Dieu et homme, je me suis tellement tempéré que, bien que je connusse
les défauts des hommes par ma science infaillible, je les ai voulu connaßtre
par
les peines, par les croix, en les expérimentant ; et enfin, pour me donner
en exemple Ă eux, jâai commencĂ© plutĂŽt par faire que par commander
et enseigner ; jâai voulu servir, et non ĂȘtre servi. De mĂȘme en a fait
ma trĂšs-chĂšre MĂšre, car bien quâelle fĂ»t maĂźtresse des apĂŽtres,
elle a été la plus humble de tous, et elle a été quasi un des moindres
: câest pourquoi aussi elle a montĂ© Ă la souveraine fĂ©licitĂ©.
Que
le prélat donc apprenne en ses propres infirmités à supporter les défauts
des sujets, et quâil prenne garde quâil ne donne sujet ou occasion
aux autres de péché et de ruine par ses paroles et ses exemples, en abusant
de sa puissance, car il nây a rien qui provoque tant lâire de Dieu,
attire, entraĂźne mĂȘme les hommes Ă pĂ©cher, que la lascivetĂ© des prĂ©lats,
car si HĂ©li, le grand-prĂȘtre, fĂ»t demeurĂ© en la vigueur du sacerdoce
et eût aimé ses enfants spirituellement, comme jadis Phinées et Moïse,
toute sa gĂ©nĂ©ration eĂ»t Ă©tĂ© sauvĂ©e ; mais dâautant quâil voulut
plaire charnellement à ses enfants, il laissa sa mémoire en tribulation
et sa postérité en confusion.
P365
Chapitre
54.
JĂ©sus-Christ
dit que le monde était comme une solitude, et il a illuminé le monde
et a montré le chemin du ciel. Il a envoyé ce livre ; ceux qui le recevront
et le garderont par Ćuvre, seront sauvĂ©s.
La
Sainte Vierge Marie parle Ă sa fille, disant : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon
Fils ! Vous ĂȘtes le principe, sans principe du temps, et puissance sans
laquelle nul nâest puissant. Je vous en prie, mon Fils, achevez puissamment
ce que vous avez sagement commencé.
Le
Fils parle encore : Le monde, avant mon incarnation, Ă©tait comme une solitude
en laquelle il y avait un puits dont lâeau Ă©tait fort trouble et immonde.
Tous ceux qui en buvaient avaient plus de soif, et ceux qui avaient mal
aux yeux sâen trouvaient pis. AuprĂšs de ce puits, il y avait deux hommes,
lâun desquels criait, disant : Buvez en assurance, car le mĂ©decin est
venu qui ĂŽtera toutes les langueurs. Lâautre disait : Buvez joyeusement.
Il est vain et inutile de désirer ce qui est incertain.
P366
Sept
voies conduisaient Ă ce puits, câest pourquoi ce puits Ă©tait dĂ©sirĂ©
de tous. Ce monde est semblable Ă la solitude, oĂč sont les bĂȘtes,
les arbres infructueux et les eaux immondes ; car lâhomme dĂ©sirait comme
une bĂȘte Ă©pandre le sang de son prochain ; il Ă©tait infructueux Ăšs
Ćuvres de justice, et immonde par lâincontinence et cupiditĂ©. Les hommes
cherchaient un puits trouble en cette solitude, qui Ă©tait lâamour du
monde, et son honneur, qui est haut en orgueil, trouble en la sollicitude
et
soin de la chair, et par les sept pĂ©chĂ©s capitaux. LâentrĂ©e Ă©tait
ouverte Ă ce puits. Les deux hommes qui Ă©taient auprĂšs du puits sont
les docteurs des Gentils et des Juifs, car les docteurs des Juifs Ă©taient
orgueilleux de leur loi quâils avaient et quâils nâobservaient pas
; et dâautant quâils Ă©taient
infatigables
en leur cupidité, ils incitaient le peuple à chercher les richesses temporelles,
disant : Vivez assurément, car le Messie viendra, et il restituera toutes
choses. Les docteurs des Gentils disaient : Usons des créatures que vous
voyez, dâautant que le monde fut crĂ©Ă© pour nous rĂ©jouir.
Lâhomme
demeurant ainsi plongé en son aveuglement, et ne considérant pas la grandeur
divine ni les choses futures, lors moi, un avec le PĂšre et le Saint-Esprit,
suis venu au monde, et mâĂ©tant revĂȘtu de lâhumanitĂ©, je prĂȘchai,
disant que ce que Dieu avait promis et que MoĂŻse avait Ă©crit, Ă©tait
accompli. Aimez donc les choses célestes, car les choses mondaines passent,
et je donnerai les choses célestes.
Jâai
aussi montrĂ© sept voies par lesquelles lâhomme se retire de la vanitĂ©,
car jâai montrĂ© la pauvretĂ© et lâobĂ©issance ; jâai enseignĂ©
les jeĂ»nes et lâoraison ; je fuyais quelquefois les hommes et demeurais
seul en priĂšre. Jâai embrassĂ© les opprobres ; jâai choisi les douleurs
et les labeurs ; jâai soutenu les peines et la mort ignominieuse.
P367
Or,
jâai montrĂ© par moi-mĂȘme cette voie par laquelle mes amis marcheraient
dÚs longtemps ; mais maintenant cette voie est ruinée. Les gardiens dorment,
les passants se plaisent aux vanitĂ©s et nouveautĂ©s, câest pourquoi
je me lĂšverai et ne me tairai pas. JâĂŽterai la voix de la joie, et
je louerai ma vigne Ă dâautres, qui rendront les fruits en son temps.
En vérité, selon la commune maxime, entre les ennemis se trouvent des
amis : partant, jâenverrai Ă mes amis mes paroles plus douces que le
miel, plus prĂ©cieuses que lâor, et ceux qui les auront et les garderont,
auront un trĂ©sor qui ne sâĂ©puise jamais et qui sâaugmente jusquâĂ
la vie Ă©ternelle.
La MĂšre de Dieu explique
en ce chapitre de grandes choses touchant sa Conception.
Pour le jour de la Conception
de la Vierge Marie.
La MĂšre de Dieu dit : Quand
mon pĂšre et ma mĂšre sâunirent par le lien du mariage, lâobĂ©issance
eut plus de pouvoir que la volonté ; plus opéra là la charité divine
que la voluptĂ© charnelle, car lâheure en laquelle je fus conçue se
peut bien appeler heure dorĂ©e et prĂ©cieuse, dâautant que les autres
mariĂ©s sâunissent par voluptĂ© charnelle, et mes parents sâunirent
par obéissance et par le commandement divin. Donc, ma conception a été
à bon droit dorée, car lors le principe de salut prit en quelque maniÚre
quelque commencement, et les tĂ©nĂšbres sâallaient rendre Ă la lumiĂšre,
car Dieu a voulu faire en son Ćuvre une chose rare et signalĂ©e, qui a
été cachée aux siÚcles, comme il fit jadis en la verge
Chapitre 56.
Pour le jour de la Nativité.
La Sainte Vierge Marie parle
: Quand ma mĂšre mâengendra, je sortis par la porte commune, car aucun
ne doit naßtre par autre maniÚre, excepté Jésus-Christ, qui, étant
le CrĂ©ateur de tout le monde, a voulu aussi naĂźtre admirablement et dâune
maniÚre tout ineffable. Mais quand je fus née, les diables le surent
et pensĂšrent en eux-mĂȘmes : Voici quâune Vierge est nĂ©e, quâest-ce
que nous ferons, car il arrivera en elle quelque chose de grand ? Si nous
lui appliquons tous les rets des finesses de notre malice, elle les rompra
comme des étoupes. Si nous regardons son intérieur, nous la trouverons
grandement munie, ni on ne trouve en elle aucune tache oĂč on puisse mettre
la pointe du pĂ©chĂ© : Câest pourquoi il est Ă craindre que sa puretĂ©
nous donnera de la peine, sa grĂące dissipera toute notre force, sa constance
nous foulera Ă ses pieds.
P369
Or, les amis de Dieu, qui
attendaient depuis longtemps, disaient, Dieu les inspirant : Pourquoi nous
affligerons-nous davantage ? Il nous faut plutÎt réjouir, car la lumiÚre
qui illuminera nos ténÚbres est née ; nous désirs sont accomplis. Les
anges se réjouirent aussi, bien que leur joie soit toujours en la vision
divine, disant : Quelque chose de dĂ©sirable est nĂ© en la terre, et câest
une merveille dâamour par laquelle la paix du ciel et de la terre sera
affermie, et nos ruines seront réparées.
De vrai, ma fille, je vous
dis que ma naissance fut le commencement des joies, car lors apparut cette
verge dâoĂč est Ă©close la fleur que les rois et les prophĂštes dĂ©siraient
voir. AprĂšs que jâai Ă©tĂ© plus ĂągĂ©e et que jâai pu comprendre mon
CrĂ©ateur, jâai Ă©tĂ© intimement touchĂ©e dâun amour indicible, et
je dĂ©sirais Dieu de tout mon cĆur. Jâai Ă©tĂ© aussi conservĂ©e dâune
grĂące admirable, en sorte quâen mes jeunes et tendres annĂ©es, je ne
consentais pas au pĂ©chĂ©, dâautant que lâamour de Dieu, le soin des
parents, la nourriture et honnĂȘte Ă©ducation, la conservation des faveurs
et la ferveur de connaßtre éminemment Dieu, persévéraient en moi.
Or, maintenant je me plains
que les femmes qui sont engendrées et engendrent avec horreur, naissant
avec immondices, se délectent en icelles, et ne considÚrent point la
puretĂ© de ma naissance, mais sont pires que les juments, dâautant quâelles
vivent sans raison ; elles vivent de vrai selon la chair : câest pourquoi
leur voluptĂ© passera ; lâesprit de puretĂ© se retira ; les joies Ă©ternelles
sâenfuiront dâelles ; lâesprit dâimpuretĂ© quâelles suivent les
enivrera.
P370
Chapitre 57.
La Vierge Marie dit Ă
sainte Brigitte pourquoi elle se purifia, etc. et elle parle aussi du glaive
qui transperça son cĆur.
Pour le jour de la Purification.
La Sainte Vierge Marie dit
Ă lâĂ©pouse de son Fils : Ma fille, sachez que je nâavais point besoin
de purification comme les autres femmes, car mon Fils, qui est né de moi,
mâavait purifiĂ©e, et je nâavais pas contractĂ© une des plus petites
taches, lorsque jâengendrai mon Fils, qui est la puretĂ© mĂȘme. Mais
nĂ©anmoins, afin que la loi et les prophĂštes fussent accomplis, jâai
voulu vivre en la loi, ni je ne vivais pas selon les apparents du siĂšcle,
mais je conversais humblement avec les humbles. Je nâai voulu avoir en
moi quelque chose de particulier, tant jâaimais tout ce qui touchait
lâhumilitĂ© !
Un jour, comme aujourdâhui,
ma douleur prit accroissement, car bien que je susse par lâinspiration
divine que mon Fils pĂątirait, nĂ©anmoins, lorsque SimĂ©on dit quâil
me serait le glaive de douleur et quâil me serait le signe que lâon
contredirait, cette douleur perça mon cĆur avec plus dâamertume, douleur,
certes, qui ne se retira jamais de mon cĆur, jusqu'Ă ce quâen corps
et en Ăąme je montai au ciel, bien quâil fĂ»t tempĂ©rĂ© par les consolations
du Saint-Esprit. Je veux que vous sachiez que, ce jour-lĂ , ma douleur
fut en six maniĂšres :
P371
1-
En ma connaissance, car autant de fois que je le regardai, que je lâemmaillotai,
que je voyais ses mains et ses pieds, tout autant de fois mon esprit Ă©tait
comme plongé en une nouvelle douleur, car je pensais comment on le crucifierait.
La Sainte Vierge parle
Ă sainte Brigitte des douleurs quâelle eut quand il fallut fuir en Ăgypte.
La Sainte Vierge Marie parle
Ă lâĂ©pouse de son Fils, disant : Je vous ai parlĂ© de mes douleurs
; mais la douleur que jâavais quand il fallut fuir en Ăgypte avec mon
Fils ne fut pas des moindres, ni quand jâouĂŻs quâon tuait les enfants
innocents, quâHĂ©rode poursuivait mon Fils ; et bien que je susse ce
qui Ă©tait Ă©crit de mon Fils, nĂ©anmoins mon cĆur, Ă raison de la grandeur
de lâamour que jâavais envers mon Fils, Ă©tait rempli de douleur et
dâamertume. Or, maintenant, vous me pourriez demander quâest-ce que
fit mon Fils tout ce temps-lĂ avant sa passion. Je rĂ©ponds comme lâĂvangile
: Il Ă©tait soumis Ă ses parents, et il se gouverna comme les autres enfants,
jusquâĂ ce quâil fĂ»t arrivĂ© Ă un grand Ăąge. Il fit des merveilles
en sa jeunesse, montrant comment les créatures servaient leur Créateur.
Comment les idoles se turent et comment plusieurs idoles tombĂšrent Ă
son arrivĂ©e en Ăgypte ; comment les Mages prĂ©dirent que mon Fils serait
le signe de grandes choses futures ; comment aussi le ministĂšre des anges
apparut ; comment il nâapparut jamais en son corps ni en ses cheveux
aucune immondice, il nâest pas besoin que vous sachiez toutes ces choses,
puisquâen lâĂvangile, il y a des signes de la DivinitĂ© et humanitĂ©
qui peuvent Ă©difier vous et les autres.
P373
Or, quand il eut atteint
un plus grand ùge, il était continuellement en la priÚre et obéissance.
Il monta avec nous aux fĂȘtes ordonnĂ©es en JĂ©rusalem et en autres lieux
; sa vue et sa parole étaient agréables et admirables, de sorte que plusieurs
qui étaient affligés disaient : Allons voir le Fils de Marie, afin que
nous soyons consolés. Et augmentant en ùge et sagesse dont il était
plein dĂšs le commencement, il travaillait de ses mains tout ce en quoi
dĂ©cence nâĂ©tait point lĂ©sĂ©e ; il nous parlait, nous disait en particulier
des paroles de consolation et des discours de Dieu, de sorte que nous Ă©tions
remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de
la pauvretĂ© nous assaillaient, il ne nous faisait point de lâor ni de
lâargent, mais il nous exhortait Ă la patience, et il nous dĂ©fendit
et nous protégea des envieux. Quant aux nécessités, les gens de bien
et notre propre travail nous y aidaient, de sorte que nous Ă©tions seulement
secourus pour la seule nécessité sans superfluité aucune, car nous ne
cherchions quâĂ servir Dieu. AprĂšs cela, il confĂ©rait familiĂšrement
en la maison avec ceux qui venaient voir pour les difficultés de la loi
et signification des figures, et disputait publiquement quelquefois avec
les sages, de sorte quâils admiraient et disaient : Voici que le fils
de Joseph enseigne les maĂźtres : quelque grand esprit parle en lui.
P374
Un jour, jâĂ©tais plongĂ©e
en la considĂ©ration de sa passion ; jâen Ă©tais saisie de tristesse.
Il dit : Ne croyez-vous pas, ma MĂšre, que je suis en mon PĂšre et que
mon PÚre est en moi ? Quoi ! avez-vous été polluée en mon entrée et
en ma sortie ? avez-vous été triste ? Pourquoi donc vous affligez-vous
? car la volonté de mon PÚre veut que je souffre la mort, voire ma volonté
est telle avec celle de mon PĂšre. Ce que jâai de mon PĂšre ne peut pas
pĂątir, mais bien la chair que jâaie reçue de vous, afin que la chair
dâautrui soit rachetĂ©e et que lâesprit soit sauvĂ©. Il Ă©tait aussi
si obéissant que quand Joseph lui disait quelquefois sans y penser : Faites
cela ou cela, il le faisait, et de la sorte, il cachait la puissance de
sa DivinitĂ©, que Joseph et moi Ă©tions seuls Ă connaĂźtre, dâautant
que nous lâavons vu souvent entourĂ© dâune lumiĂšre admirable, et avons
ouĂŻ les voix et concerts des anges qui chantaient sur lui. Nous avons
aussi vu les esprits immondes qui nâavaient pu ĂȘtre chassĂ©s par les
exorcistes approuvés en notre loi, sortir à la vue de mon Fils.
Que ces choses soient continuellement
en votre mĂ©moire, et remerciez Dieu dâavoir voulu manifester par vous
son enfance.
P375
Chapitre 59.
La Sainte Vierge raconte
Ă sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Ălisabeth,
etc.
La MĂšre de Dieu dit
Ă sainte Brigitte : Quand lâange mâannonçait que le Fils de Dieu
naĂźtrait de moi, soudain que jâeus consenti, je ressentis en moi quelque
chose dâadmirable et dâinaccoutumĂ© ; et partant, admirant cela, soudain
je montai, afin de la consoler, Ă sainte Ălisabeth, ma cousine, qui Ă©tait
enceinte, et pour parler avec elle de ce que lâange mâavait dit ; mais
mâĂ©tant venue au-devant auprĂšs dâune fontaine, et nous Ă©tant baissĂ©es
et embrassĂ©es, son enfant se rĂ©jouit en son ventre dâune maniĂšre admirable.
Je fus alors touchĂ©e en mon cĆur dâun nouveau ressentiment de joie,
de sorte que ma langue proférait des paroles de Dieu incompréhensibles,
et Ă grand peine mon Ăąme les comprenait-elle, tant elle Ă©tait dans les
ressentiments de la joie !
Or, Ălisabeth admirant
la ferveur de lâEsprit qui parlait en moi, et moi admirant semblablement
en elle la grùce de Dieu, nous demeurùmes quelques jours ensemble, bénissant
Dieu. AprÚs cela, une pensée commença à solliciter mon esprit avec
quelle dévotion et comment je me devais gouverner aprÚs avoir reçu une
si grande grĂące ; quâest-ce que je devais rĂ©pondre Ă ceux qui me demanderaient
comment jâaurais conçu, ou qui Ă©tait le pĂšre de lâenfant qui devait
naĂźtre, ou que dirais-je Ă Joseph, si lâennemi le tentait et entrait
en soupçon de moi.
Pendant que ces pensées
roulaient en mon esprit, un ange, semblable Ă celui qui mâĂ©tait apparu
auparavant, me dit : Notre Dieu, qui est Ă©ternel, est avec vous et en
vous : ne craignez donc, car lui vous donnera la grĂące de parler ; il
dirigera vos pas et vos lieux ; il accomplira son Ćuvre avec vous puissamment
et sagement. Or, Joseph, Ă qui vous ĂȘtes recommandĂ©e, sâĂ©tonnera
quand il apprendra que vous ĂȘtes enceinte, et se rĂ©putera indigne dâhabiter
avec vous.
P376
Et comme Joseph Ă©tait en
anxiĂ©tĂ© et ne savait ce quâil fallait faire, lâange lui dis dans
son sommeil : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandée,
car comme vous lâavez ouĂŻ dâelle, ainsi est-il, car elle a conçu
de lâEsprit de Dieu, et elle enfantera un Fils qui sera le Sauveur du
monde. Servez-la donc fidÚlement, et soyez témoin et gardien de sa pudeur.
Depuis ce jour-lĂ , Joseph
me servit comme sa maĂźtresse, et moi je mâhumiliai aux plus petites
de ses Ćuvres. AprĂšs, jâĂ©tais en continuelle oraison, Ă©tant rarement
vue, voyant rarement, et sortant trĂšs-rarement, si ce nâĂ©tait aux fĂȘtes
principales. JâĂ©tais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prĂȘtres
disaient, ayant quelque temps destinĂ© aux Ćuvres manuelles. Je fus discrĂšte
au jeûne, selon qui ma nature le pouvait supporter pour le service de
Dieu. Tout ce que nous avions de superflu, nous le donnions aux pauvres,
contents de ce que nous avions. Mais Joseph me servit si fidĂšlement quâon
nâouĂŻt jamais de sa bouche une parole de cajolerie murmure, jamais courroux,
car il Ă©tait trĂšs-patient en la pauvretĂ©, soigneux en son labeur oĂč
il Ă©tait nĂ©cessaire, doux Ă ceux quâil reprenait, obĂ©issant Ă mon
service, prompt défenseur de ma virginité, trÚs-fidÚle témoin des
merveilles de Dieu. Il Ă©tait aussi tellement mort au monde et Ă la chair
quâil ne dĂ©sirait que les choses cĂ©lestes. Il Ă©tait aussi si croyant
aux promesses de Dieu quâil disait incessamment : PlĂ»t Ă Dieu que je
vive, et que je vive, et que je voie les volontés de Dieu accomplies !
car rarement venait-il aux assemblées des hommes et a leurs conseils,
car tout son dĂ©sir fut dâobĂ©ir aux volontĂ©s divines, câest pourquoi
sa gloire est maintenant grande.
P377
Chapitre 60.
La MĂšre de Dieu dit
Ă lâĂ©pouse de son Fils que saint JĂ©rĂŽme ne douta point de son assomption
au ciel, etc.
La MĂšre de Dieu parla Ă
sainte Brigitte : Que vous a dit ce docteur, inventeur de paroles, que
lâĂ©pĂźtre de saint JĂ©rĂŽme qui parle de mon assomption ne doit ĂȘtre
lue en lâĂglise de Dieu, dâautant quâil lui semble que saint JĂ©rĂŽme
douta de mon assomption au ciel, dâautant quâil dit quâil ne sait
pas si je suis montĂ©e au ciel en corps et en Ăąme, ou par qui jâai Ă©tĂ©
portée, moi, MÚre de Dieu ?
Je réponds à ce docteur
et dis que saint JĂ©rĂŽme ne douta point de mon assomption ; mais dâautant
que Dieu ne lui avait point déclaré ouvertement la vérité, il voulut
plutĂŽt en douter pieusement que la dĂ©finir, Dieu ne lâayant point montrĂ©e.
Mais souvenez-vous, ma fille, de ce que je vous ai dit ci-dessus, que saint
JĂ©rĂŽme aimait les veuves, imitateur des moines parfaits, asserteur et
dĂ©fenseur de la vĂ©ritĂ©, qui vous a aussi mĂ©ritĂ© lâoraison avec laquelle
vous me saluez. Partant, jâajoute maintenant que saint JĂ©rĂŽme
fut une trompette fléchissante par laquelle parlait le Saint-Esprit, et
la flamme embrassée de ce feu qui vint sur moi et sur les apÎtres le
jour de la PentecĂŽte. Heureux donc sont ceux qui oient cette trompette
et la suivent !
P378
Chapitre 61.
La MĂšre de Dieu montre
en ce chapitre pourquoi elle vĂ©cut longtemps aprĂšs lâascension de son
Fils.
La MĂšre de Dieu parle,
disant : Souvenez-vous, ma fille, que quatre fois jâexcusai saint JĂ©rĂŽme
discourant de mon assomption. Or, maintenant, je vous montrerai la vérité
de mon assomption.
Jâai vĂ©cu longtemps aprĂšs
lâascension de mon Fils, et Dieu lâa voulu, afin que les Ăąmes fussent
converties Ă Dieu, ayant vu ma patience invisible et le rĂšglement de
mes mĆurs, que mes apĂŽtres et mes Ă©lus fussent affermis. Et de fait
aussi, la naturelle disposition de mon corps requérait que je vécusse
durement, afin que ma couronne fĂ»t augmentĂ©e, car tout le temps que jâai
vĂ©cu aprĂšs lâascension de mon Fils, jâai visitĂ© les lieux oĂč il
a pĂąti et oĂč il a manifestĂ© ses merveilles, aussi sa passion Ă©tait
empreinte dans mon cĆur. Mes sens aussi Ă©taient abstraits et retirĂ©s
de ce qui est du monde, dâautant que jâĂ©tais incessamment enflammĂ©e
de nouveaux désirs, et réciproquement exercée par des douleurs ; mais
nĂ©anmoins, ma douleur et ma joie Ă©taient si tempĂ©rĂ©es que je nâomettais
rien de ce qui touchait le service de Dieu. Je conversais aussi parmi les
hommes, et je prenais bien peu de ce qui plaisait aux hommes. Mais dâautant
que mon assomption nâa Ă©tĂ© connue Ă plusieurs et prĂȘchĂ©e de par
Dieu, qui est mon Fils, il lâa voulu de la sorte, afin que la foi de
son ascension fĂ»t enracinĂ©e dans les cĆurs des hommes, car les hommes
étaient endurcis en la créance de son ascension, combien plus si mon
assomption eĂ»t Ă©tĂ© prĂȘchĂ©e dĂšs le commencement !
P379
Chapitre 62.
La Sainte Vierge narre
Ă sainte Brigitte lâannonciation que lâange lui fit de sa mort, et
ce qui advint aprĂšs.
La MĂšre de Dieu parle,
disant : Un jour, aprĂšs que quelques annĂ©es se furent Ă©coulĂ©es de lâascension
de mon Fils, je mâaffligeais beaucoup Ă raison du dĂ©sir que jâavais
dâarriver dans le ciel pour voir mon Fils. Je vis un ange reluisant,
comme je lâavais vu auparavant, qui me dit : Votre Fils, qui est Dieu
et notre Seigneur, mâenvoie pour vous annoncer que le temps est arrivĂ©
oĂč vous devez venir corporellement Ă votre Fils, pour recevoir la couronne
qui vous est préparée.
Je lui répondis : connaissez-vous
le jour et lâheure oĂč je dois mâen aller de ce monde en lâautre
?
Et lâange rĂ©pondit :
Les amis de votre Fils enseveliront votre corps.
Ces choses Ă©tant dites,
lâange disparut, et moi, je me prĂ©parai Ă lâissue, visitant tous
les lieux, Ă mon accoutumĂ©e, oĂč mon Fils avait souffert. Un jour, mon
esprit Ă©tant suspens en lâadmiration de la divine charitĂ©, lors mon
Ăąme fut remplie, en cette contemplation, de tant de plaisirs, quâĂ
grand peine mon Ăąme les pouvait soutenir, et en cette contemplation et
joie, mon ùme fut séparée de mon corps. Mais hélas ! que de choses
magnifiques mon Ăąme vit alors, et de quel honneur le PĂšre, le Fils et
le Saint-Esprit lâaccueillirent, et de quelle multitude dâanges elle
fut élevée, vous ne le pouvez comprendre, et moi, je ne le puis exprimer,
sans que votre ùme soit aussi séparée de votre corps, bien que je vous
en aie montré quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirée.
P380
Or, ceux qui Ă©taient lors
avec moi en la maison quand je rendis lâesprit, comprirent fort bien,
par la lumiÚre non accoutumée, quelles choses divines agissaient lors
en moi. AprÚs cela, les amis de mon Fils, envoyés divinement, ensevelirent
mon corps en la vallée de Josaphat, avec lesquels il y avait une infinité
dâanges comme des atomes du soleil. Mais les malins esprits nâosaient
sâen approcher. Mon corps demeura quelques jours en terre, et aprĂšs,
il fut ravi et emportĂ© au ciel par une grande multitude dâanges. Ce
temps nâest pas sans grand mystĂšre, dâautant quâĂ la septiĂšme
heure sera la résurrection des morts, et à la huitiÚme, la béatitude
des Ăąmes et des corps sera accomplie.
La premiĂšre heure fut depuis
le commencement du monde jusques Ă ce temps oĂč la loi Ă©tait donnĂ©e
par MoĂŻse.
La deuxiĂšme, depuis MoĂŻse
jusques Ă lâincarnation de mon Fils.
La troisiĂšme fut quand
mon Fils institua le baptĂȘme et adoucit la rigueur de la loi.
La quatriĂšme, quand il
prĂȘchait par la parole et confirmait son dire par exemple.
La cinquiĂšme, quand
mon Fils voulut pùtir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa résurrection
par plusieurs miracles.
La sixiĂšme, quand il monta
au ciel et envoya le Saint-Esprit.
La septiĂšme sera quand
il viendra en jugement, et que tous sortiront pour aller au jugement.
La huitiĂšme, quand tout
ce qui a été promis et prophétisé sera arrivé ; et lors la béatitude
sera parfaite ; lors on verra Dieu en sa gloire, et les saints resplendiront
comme des soleils, et il nây aura plus de douleurs.
P381
Chapitre 63.
En ce chapitre, Notre-Seigneur
donne des paroles à son épouse, pour les envoyer au pape Clément, pour
faire la paix entre le roi de France et dâAngleterre.
Le Fils de Dieu parle Ă
lâĂ©pouse sainte Brigitte, lui disant : Ecrivez de ma part au pape ClĂ©ment
(sans doute Clément VI, l'an 1352) ces paroles : Je vous ai exalté et
vous ai fait monter par-dessus tous les degrĂ©s dâhonneur : sortez donc
pour faire la paix entre le roi de France et le roi dâAngleterre (Philippe
de Valois et Edouard III), qui sont des bĂȘtes pĂ©rilleuses et les pertes
des Ăąmes. Venez aprĂšs en Italie, et annoncez lĂ la parole et lâan
de salut et de la délectation divine, et voyez la place et les carrefours
arrosés du sang de mes martyrs, et je vous donnerai la récompense qui
ne finit jamais. ConsidĂ©rez aussi le temps passĂ©, oĂč vous mâavez provoquĂ©
Ă la colĂšre avec effronterie, et je lâai tu, oĂč vous avec fait ce
que vous avez voulu et ne deviez pas faire, et moi, comme ne jugeant point,
jâai eu patience, car mon temps sâapproche, et je demanderai vos nĂ©gligences
et lâaudace de votre temps ; et comme je vous ai fait monter par tous
les degrĂ©s, de mĂȘme descendrez-vous par tous les degrĂ©s spirituels,
lesquels vous expĂ©rimenterez au corps et en lâesprit, si vous nâobĂ©issez
Ă mes paroles ; et votre langue gardera le silence des grandes choses,
et votre nom, qui est grand en terre, sera en oubli devant moi et en opprobre
devant mes saints.
P382
Je demanderai encore de
vous combien indignement vous ĂȘtes montĂ© Ă tous ces degrĂ©s dâhonneur,
quoique jâaie permis ce que je sais et ce que votre conscience nĂ©gligente
a oubliĂ©. Jâexigerai encore de vous combien froid vous avez Ă©tĂ© Ă
former la paix des rois, et combien vous avez penché en la partie contraire.
Dâailleurs, je nâoublierai point combien lâambition a Ă©tĂ© grande
et la cupiditĂ© insatiable en lâEglise, et a augmentĂ© de votre temps,
ce que vous pouviez beaucoup réformer et amender ; mais vous, qui aimez
la chair, nâavez voulu.
Sortez donc, avant que la
derniĂšre heure qui sâapproche, vous surprenne, et Ă©teignez en ce temps,
par le zÚle, les négligences du passé. Que si vous doutez de quel esprit
ces paroles sont, le royaume et la personne vous sont connus oĂč ont Ă©tĂ©
opérés les merveilles et les prodiges. La justice et la miséricorde
sâapprochent par toute la terre. Votre conscience dit que ce que je vous
dis est raisonnable, et charité ce que je vous conseille ; et si ma patience
ne vous eût conservé, vous fussiez descendu plus bas que vous prédécesseurs.
Partant, fouillez au livre de votre conscience, et voyez si je vous dis
la vérité.
P383
Chapitre 64.
JĂ©sus-Christ menace
les pécheurs qui, ayant oublié les péchés passés et les voies de Dieu,
vivent avec trop dâassurance. Dieu leur pardonne, sâils sâamendent.
Le Fils de Dieu parle, disant
à sainte Brigitte : Ne vous attendez pas à ces débauchés, car
je viendrai bientĂŽt Ă eux, non comme ami, mais comme celui qui prendra
vengeance dâeux. Malheur Ă eux, car en leur temps de paix, ils nâont
pas voulu chercher le bien Ă©ternel ! Je vois que de leur race sont sortis
des hommes dâamertume, qui ont moissonnĂ© le fruit de vanitĂ© et de leur
cupiditĂ©, câest pourquoi ils descendront maintenant. La pauvretĂ©, la
captivitĂ©, la honte, lâhumiliation et la douleur, vous assailleront,
mais ceux qui sâhumilieront trouveront grĂące devant mes yeux.
Notre-Seigneur donne
en ce chapitre Ă sainte Brigitte les enseignements de la vie active et
contemplative.
Le Fils de Dieu parle, disant
: Il y a deux vies qui sont comparĂ©es, lâune Ă Marthe, lâautre Ă
MagdelĂšne : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premiĂšrement
une pure confession de tous ses pĂ©chĂ©s, sâexcitant Ă une vraie contrition
et rĂ©solution de ne plus pĂ©cher Ă lâavenir.
P384
La premiĂšre vie que je
témoigne que Marie a embrassée, conduit à la contemplation des choses
célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie éternelle. A
celui donc qui dĂ©sire tenir la vie de Marie, il lui suffit dâavoir seulement
les nĂ©cessitĂ©s corporelles, savoir, des vĂȘtements sans ostentation,
le boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté
sans aucune mauvaise dĂ©lectation, et quâil garde les jeĂ»nes selon les
constitutions de lâĂglise. Or, que celui qui jeĂ»ne prenne garde de
nâĂȘtre malade par lâexcĂšs de quelque jeĂ»ne, et que ce jeĂ»ne ne
lui fasse diminuer lâoraison ni les prĂ©dications, ou bien quâil nâomette
quelque autre bien Ă raison de cela, qui puisse profiter Ă soi ou Ă
son prochain ; quâil prenne encore prudemment garde que le jeĂ»ne ne
le rende lĂąche Ă la rigueur de la justice, ou paresseux aux Ćuvres de
piĂ©tĂ©, car la force de corps et dâesprit est requise pour punir les
rebelles et pour assujettir les infidĂšles. Partant, tout infirme qui voudrait
mieux jeĂ»ner pour lâhonneur de Dieu que manger, aura Ă©gale rĂ©compense
à raison de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité
: semblablement celui qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que
manger, aura la mĂȘme rĂ©compense que celui qui jeune.
En deuxiĂšme lieu, Marie
ne doit se rĂ©jouir de lâhonneur du monde ni de ses prospĂ©ritĂ©s,
ni sâaffliger des adversitĂ©s, mais quâelle se rĂ©jouisse seulement
en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment
Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu,
deviennent plus dĂ©vots. Quâelle soit encore marrie de ce que les pĂȘcheurs
tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et
que le commandement de Dieu soit méprisé.
P385
En troisiĂšme lieu, Marie
ne doit point ĂȘtre oisive, ni Marthe, mais que le sommeil Ă©tant achevĂ©,
elle se lĂšve et remercie Dieu de bon cĆur, dâautant que, par sa bontĂ©
et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et par
sa mort, lâamour quâil portait Ă lâhomme, amour si grand quâil
nâeut jamais dâĂ©gal.
Que Marie rende encore grĂąces
à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour tous ceux qui sont au
purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu quâil
ne permette quâils soient tentĂ©s par-dessus leurs forces. Que
Marie soit aussi discrĂšte en lâoraison et dans les louanges de Dieu,
afin que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en
la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se
dĂ©goĂ»te en priant et que les tentations sâaccroissent, elle peut travailler
de ses mains Ă quelque ouvrage honnĂȘte, utile pour soi ou pour les autres.
Que si elle se dĂ©goĂ»te en lâun et en lâautre, elle pourra lors avoir
quelque occupation honnĂȘte ou Ă©couter des paroles dâĂ©dification avec
toute honnĂȘtetĂ©, sans aucune cajolerie, jusques Ă ce que le corps et
lâĂąme se rendent plus habiles Ă lâĆuvre de Dieu.
Que si Marie nâa point
ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille,
lors quâelle fasse une plus courte oraison, Ă raison de lâĆuvre nĂ©cessaire,
et ce labeur sera perfection et accroissement dâoraison. Que si Marie
ne sait travailler ou quâelle ne le puisse, quâelle nâait point honte
de mendier, mais quâelle se rĂ©jouisse de mâimiter, moi qui suis Fils
de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie lâhomme. Que si Marie
est sujette Ă lâobĂ©issance, quâelle vive selon lâobĂ©issance de
son prélat, et sa couronne lui sera redoublée plus que si elle était
en liberté.
P386
En quatriĂšme lieu, Marie ne doit point ĂȘtre avare, ni aussi Marthe,
ni aussi elle ne doit ĂȘtre trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel
pour lâamour de Dieu, de mĂȘme Marie doit distribuer le spirituel,
car si Marie a chĂšrement Dieu dans son cĆur, quâelle se donne garde
de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon Ăąme, que mâimportent
les Ćuvres du prochain ? ou si je suis bien, que mâimporte la vie dâautrui
? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur
ami ĂȘtre dĂ©shonorĂ© et affligĂ©, ils y courraient jusques Ă la mort,
afin de lâaffranchir de la tribulation. Marie en doit faire de mĂȘme,
car elle doit ĂȘtre marrie que Dieu soit offensĂ©, que son frĂšre, qui
est le prochain, soit scandalisĂ© ; ou si quelquâun tombe en pĂ©chĂ©,
que Marie, sâefforce autant quâelle pourra de lâen arracher, avec
discrĂ©tion nĂ©anmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, quâelle
cherche un autre lieu plus assurĂ©, car moi, Dieu, jâai dit : Quand on
vous poursuivra en une citĂ©, fuyez en une autre, car Paul en fit de mĂȘme,
dâautant quâil Ă©tait nĂ©cessaire pour un autre temps, câest pourquoi,
il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.
Afin donc que Marie soit
universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires :
1.
la maison en laquelle dorment les hĂŽtes ;
2.
les vĂȘtements pour vĂȘtir les nus ;
3.
la viande pour les malades, câest-Ă -dire, paroles de consolation avec
la charité divine.
P387
La maison du Marie est son
cĆur, les mauvais hĂŽtes duquel sont tout ce qui trouble ce cĆur, savoir,
ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses semblables qui entrent
par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent ĂȘtre ou gisants ou dormants,
comme ceux qui sont en un profond repos, car comme lâhospitalier reçoit
les bons et les mauvais hĂŽtes avec patience, de mĂȘme Marie doit tout
supporter avec paix pour lâamour de Dieu, et ne consentir en la moindre
chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cĆur
autant quâelle pourra avec la grĂące de Dieu. Que si elle ne les peut
chasser, quâelle les souffre patiemment contre sa volontĂ©, comme des
hĂŽtes, sachant pour certains quâils lui profitent Ă de plus grandes
couronnes, et non Ă damnation.
Marie a des vĂȘtements pour
couvrir les hĂŽtes, savoir, lâhumilitĂ© intĂ©rieure et extĂ©rieure, et
la compassion de lâesprit en lâaffliction du prochain. Que si Marie
est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant
comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment,
et comme Ă©tant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand jâĂ©tais
fouettĂ© et couronnĂ© dâĂ©pines.
Que Marie considĂšre aussi
quâelle ne montre point signe dâire et dâimpatience Ă ceux qui la
reprennent aigrement, mais quâelle bĂ©nisse ceux qui la poursuivent,
afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.
P388
Que Marie imite, et Dieu
lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie se donne encore
garde quâelle ne mĂ©dise ou impropĂšre ceux qui lui sont fĂącheux, car
câest une chose damnable de mĂ©dire et dâĂ©couter les mĂ©disants et
dâinjurier le prochain par impatience.
Partant, que Marie donne
de bons exemples dâhumilitĂ© et de patience parfaite ; quâelle tĂąche
d'avertir ceux qui mĂ©disent dâautrui, et leur marque le danger dans
lequel ils se prĂ©cipitent, et quâavec charitĂ©, elle les porte Ă la
vraie humilitĂ©, employant Ă cela sa parole et son bon exemple. Dâailleurs,
le vĂȘtement de Marie doit ĂȘtre la compassion, car si elle voit que son
prochain pĂšche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu quâil lui
pardonne ; que si elle voit quâil souffre les injures, dommages, mĂ©pris,
quâelle en ait douleur avec lui ; quâelle lâaide par ses priĂšres,
secours, et de soin, mĂȘme parmi les puissants du siĂšcle, car la vraie
compassion ne cherche point ses intĂ©rĂȘts, mais bien ceux de son prochain.
Que si Marie est telle que les princes ne lâĂ©coutent point et quâelle
ne profite de rien de leur parler, quâelle prie lors Dieu pour les affligĂ©s,
et Dieu, qui est celui qui regarde le cĆur, convertira le cĆur des hommes
pour la paix de lâaffligĂ©, pour lâamour de celle qui le prie, ou bien
il lâaffranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour
la supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc
ĂȘtre la robe dâhumilitĂ© au cĆur de Marie, car il nây a rien qui
attire tant Dieu dans le cĆur que lâhumilitĂ© et la compassion du prochain.
p389
3. Que Marie ait du pain
et du vin pour les hĂŽtes, car dans le cĆur de Marie sont logĂ©s de grands
hĂŽtes, savoir : quand le cĆur est ravi au dehors et appĂšte des choses
délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ;
quand lâoreille dĂ©sire ouĂŻr ses propres louanges ; quand la chair dĂ©sire
ses appĂ©tits charnels ; quand lâesprit sâexcuse sur sa fragilitĂ©
et diminue ses fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ;
lâoubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes Ćuvres ;
quand elle croit que ses maux soient petits, ou quâelle les oublie. Contre
tels hĂŽtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant.
Que Marie donc, animĂ©e par la foi, se lĂšve fortement, et quâelle rĂ©ponde
en cette sorte à ces hÎtes : Moi, je ne veux rien posséder du temporel,
mais je me contente de ma petite nourriture ; je nâen veux point ; je
veux employer jusques au moindre moment du temps Ă lâhonneur de Dieu
; je ne veux point occuper mon esprit Ă ce qui est beau ou laid, utile
ou inutile Ă la chair, ce qui est Ă goĂ»t ou Ă dĂ©goĂ»t, si ce nâest
autant que cela plaĂźt Ă Dieu et touche Ă lâutilitĂ© de lâĂąme. Certes,
je ne me saurais plaire Ă vivre un seul moment que pour lâhonneur de
Dieu : une telle volonté est la viande des hÎtes, et une telle réponse
éteint les délectations déréglées.
4. Que Marie ait du feu
pour chauffer les hĂŽtes et pour les Ă©clairer. Ce feu est lâamour du
Saint-Esprit, car il est impossible que quelquâun puisse entiĂšrement
renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses
parents, ou Ă lâamour des richesses, sans lâinspiration et le mouvement
du Saint-Esprit ; ni mĂȘme Marie, bien quâelle soit parfaite, ne peut
commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et lâinspiration
du Saint-Esprit.
P390
Afin donc que Marie reluise
aux hĂŽtes qui arriveront, quâelle pense Ă ceci : Dieu mâa crĂ©Ă©e
afin que je lâhonorasse sur toutes choses, et quâen lâhonorant, je
lâaimasse avec crainte. Il est aussi nĂ© de la Vierge, afin de mâenseigner
la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en lâimitant avec humilitĂ©.
Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse lĂ en y allant.
Que Marie examine encore toutes ses Ćuvres, pensĂ©es et affections, savoir,
comment elle a offensé Dieu, combien patiemment Dieu supporte les
hommes, et en combien de maniĂšres Dieu appelle lâhomme Ă soi.
Telles ou semblables pensées
sont les hĂŽtes de Marie, qui sont quasi en tĂ©nĂšbres, sâils ne sont
illuminĂ©s par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au cĆur,
quand Marie considĂšre quâil est raisonnable de servir Dieu, quand elle
voudrait plutĂŽt souffrir toute autre peine que provoquer Ă dessein Dieu
Ă la colĂšre, par la bontĂ© duquel lâĂąme est crĂ©Ă©e et rachetĂ©e de
son prĂ©cieux sang. Lors aussi le cĆur reçoit la lumiĂšre de ce bon feu,
quand lâĂąme considĂšre et discerne pour quelle intention lâhĂŽte vient,
câest-Ă -dire, une chacune des pensĂ©es, quand elle examine si sa pensĂ©e
tend Ă la joie Ă©ternelle ou Ă la joie passagĂšre, si elle nâadmet
aucune pensĂ©e sans lâavoir reconnue, et nulle sans punition.
P391
Afin donc quâon obtienne
ce feu, et que, lâayant obtenu, il soit conservĂ©, il est besoin que
Marie y porte du bois sec pour le nourrir, câest-Ă -dire, elle doit prendre
garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente
et quâelle apporte toute sorte de diligence, afin que les Ćuvres de
piĂ©tĂ© et les oraisons dĂ©votes sâaugmentent, esquelles le Saint-Esprit
se plaßt et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que
lĂ oĂč le feu est allumĂ© en un vase bouchĂ© sans issue, soudain il sâĂ©teint
et le vase se refroidit : de mĂȘme en est-il quand il est expĂ©dient Ă
Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce nâest pour lâhonneur
de Dieu, dâouvrir la bouche, et que la flamme de lâamour en sorte.
Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussĂ© par lâamour divin,
on engendre des enfants dâamour Ă Dieu. Mais que Marie prenne diligemment
garde que lĂ elle ouvre la bouche de sa prĂ©dication, oĂč les bons deviennent
fervents et oĂč les mauvais se rendent bons, oĂč la justice peut ĂȘtre
augmentĂ©e et oĂč les coutumes dĂ©pravĂ©es peuvent ĂȘtre abolies, car Paul,
mon apÎtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui
le fit parler et se taire Ă propos, qui lit fit user de paroles douces
et rudes, qui proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour
lâaffermissement de la foi.
Que Marie, si elle ne peut
prĂȘcher, en ayant nĂ©anmoins la volontĂ© et la science, fasse comme le
renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa taniĂšre lĂ oĂč il trouve
le plus de repos : de mĂȘme que Marie prenne garde Ă ses paroles, Ă ses
exemples et aux oraisons du cĆur de plusieurs, et quand elle trouve des
cĆurs disposĂ©s Ă recevoir la parole divine, quâelle demeure lĂ , persuadant
et conseillant tout ce quâelle pourra.
Que Marie travaille aussi
afin quâune issue convenable soit donnĂ©e Ă sa flamme, car plus grande
est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés. Or, lors
lâissue est convenable, quand Marie ne craint point le blĂąme ni ne cherche
sa propre louange, quand elle ne craint point lâadversitĂ© ni ne sâattache
point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand
Marie fait plutĂŽt les bonnes Ćuvres en public quâen particulier, de
sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.
P392
Nous devons savoir quâil
faut que Marie envoie deux flammes, une en public, lâautre en cachette,
câest-Ă -dire, elle doit avoir deux sortes dâhumilitĂ© : lâune intĂ©rieure,
dans le cĆur, lâautre extĂ©rieure.
La premiĂšre consiste Ă
ce que Marie sâestime indigne et inutile Ă tout bien, et quâelle ne
se prĂ©fĂšre Ă pas un, ni ne veuille ĂȘtre louĂ©e ; quâelle ne dĂ©sire
ĂȘtre vue et quâelle fuie lâarrogance, dĂ©sirant et aimant Dieu sur
toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes,
signes de bonnes Ćuvres, lors son cĆur sera illuminĂ©, et elle surmontera
toutes les adversités et les supportera facilement.
En deuxiĂšme lieu, que sa
flamme soit en public, car si elle a la vraie humilitĂ© dans le cĆur,
elle doit paraĂźtre dans le vĂȘtement, ĂȘtre ouĂŻe en la bouche et ĂȘtre
accomplie en lâĆuvre. Or, câest lorsque la vraie humilitĂ© est dans
les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle
reçoit plus dâutilitĂ© et de service que dâune autre qui a plus dâĂ©clat,
de superbe et dâostentation, car la robe qui est de peu de valeur est
appelĂ©e vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, dâautant
quâelle aide Ă lâhumilitĂ© ; mais la robe qui est de grand prix est
appelĂ©e belle devant les hommes et vile devant Dieu, dâautant quâelle
ĂŽte la beautĂ© des anges, qui est lâhumilitĂ©. Que si Marie est obligĂ©e
dâavoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volontĂ©,
quâelle ne se trouble pas pour cela, car de lĂ ses rĂ©compenses sâaugmentent.
Dâailleurs, Marie doit avoir lâhumilitĂ© en la bouche, savoir, parlant
humblement et de choses humbles, Ă©vitant les cajoleries, se gardant de
trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres
P393
Que si Marie oyait se louer
pour quelque bonne Ćuvre, quâelle ne sâĂ©lĂšve point, mais quâelle
dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! car que suis-je
autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on
attendre de moi, qui suis une terre sĂšche et sans eau ? Que si elle est
blĂąmĂ©e, quâelle ne sâafflige point, mais quâelle dise : Je suis
digne de cela, car jâai tant de fois pĂ©chĂ© contre Dieu et nâen ai
point fait pénitence, que je mérite de plus grandes afflictions ; partant,
priez pour moi, afin que, tolĂ©rant les opprobres temporels, jâĂ©vite
les Ă©ternels.
Que si Marie est provoquée
à colÚre par la méchanceté du prochain, elle se garde de dire des paroles
dâindiscrĂ©tion, car la colĂšre est souvent accompagnĂ©e de la superbe
: partant, le conseil veut que, la colĂšre la pressant, elle contienne
sa langue jusques Ă ce quâelle puisse demander Ă Dieu la grĂące de
pĂątir, et de dĂ©libĂ©rer avec paix sur ce quâelle doit rĂ©pondre et
comment, afin quâelle puisse se surmonter elle-mĂȘme, car lors la colĂšre
est adoucie dans son cĆur, et lors lâhomme rĂ©pond sagement aux fous.
P394
Sachez aussi que le diable
envie grandement Marie : que sâil ne la peut empĂȘcher par lâinfraction
des commandements de Dieu, lors il lâexcite Ă la colĂšre, ou Ă sâĂ©pandre
et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire
: partant, que Marie demande toujours Ă Dieu le secours ; que toutes ses
paroles et ses Ćuvres soient gouvernĂ©es par lui et dirigĂ©es vers lui.
Dâailleurs, que Marie ait lâhumilitĂ© en ses Ćuvres, afin quâelle
ne fasse rien pour la louange mondaine, quâelle nâentreprenne rien
de nouveau, que lâhumilitĂ© ne lui soit point honteuse, quâelle fuie
la singularitĂ©, quâelle dĂ©fĂšre Ă tous, quâelle se rĂ©pute indigne
de tous. Dâailleurs, que Marie Ă©lise plutĂŽt dâĂȘtre avec les pauvres
quâavec les riches, dâobĂ©ir plutĂŽt que de commander, de se taire
que de parler, dâĂȘtre plutĂŽt solitaire que dâĂȘtre avec les grands,
et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre
volontĂ© ; quâelle mĂ©dite toujours sa mort ; quâelle ne soit point
curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections.
Que Marie se confesse souvent aussi ; quâelle prenne garde Ă ses tentations,
ne dĂ©sirant vivre pour autre chose que pour lâhonneur de Dieu et le
salut des Ăąmes.
Marie donc, Ă©tant telle
que nous avons dit, pourra ĂȘtre Ă©lue en Marthe ; et Ă©tant obĂ©issante
par lâesprit dâamour, quâelle entreprenne le gouvernement des Ăąmes
de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai
par une similitude.
Il y avait un seigneur qui
était grandement puissant, qui avait un navire chargé de marchandises
précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là je
dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents
sâĂ©lĂšvent, travaillez gĂ©nĂ©reusement, et ne perdez point courage ;
gardez-vous de la lùcheté, car votre récompense sera grande.
P395
Or, les serviteurs cinglant
en la mer, les vents les assaillirent, les orages sâĂ©levĂšrent, les
flots sâenflĂšrent, et le navire fut brisĂ© en plusieurs lieux. Lors
le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils résolurent
dâaborder Ă un autre port, oĂč les vagues les portaient, et non Ă celui
oĂč le maĂźtre leur avait recommandĂ© dâaller ; ce quâoyant, un des
plus fidÚles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement
le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maĂźtre
désirait. On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.
De mĂȘme en est-il dâun
bon prĂ©lat qui, pour lâamour de Dieu et pour le salut des Ăąmes, a reçu
le gouvernement des Ăąmes, ne se souciant de lâhonneur. Or, celui-lĂ
aura une double rĂ©compense : la premiĂšre, dâautant quâil sera participant
de tous les biens de ceux quâil a conduits au port de salut ; la deuxiĂšme,
parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui
briguent les charges, honneurs et dignités : ils seront participants de
toutes les peines et de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris
le gouvernement. En deuxiĂšme lieu, leur confusion sera sans fin, car les
prélats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituées
quâaux prĂ©lats, dâautant quâils déçoivent les Ăąmes par leurs
mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie
ou de Marthe, sâils nâen font pĂ©nitence.
P396
5. Marie doit donner des
mĂ©decines Ă ses hĂŽtes, câest-Ă -dire, les rĂ©jouir par de bonnes paroles,
car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire
: Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prĂȘte Ă obĂ©ir
Ă ses volontĂ©s, quand mĂȘme jâirais en enfer. Une telle volontĂ© est
la mĂ©decine du cĆur, et cette volontĂ© est la dĂ©lectation Ăšs tribulations
et le tempĂ©rament Ăšs prospĂ©ritĂ©s. Mais dâautant que Marie a plusieurs
ennemis, câest pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis quâelle
demeure sciemment en péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou
ne le considĂšre, lors elle doit ĂȘtre plutĂŽt appelĂ©e apostate devant
Dieu que Marie. Dâailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que,
bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe nâest
pas mauvaise, mais louable et agrĂ©able Ă Dieu ; câest pourquoi je vous
dirai maintenant comment elle doit ĂȘtre formĂ©e.
Elle doit avoir, aussi bien
que Marie, cinq sortes de biens :
1. une foi droite en lâĂglise
de Dieu ; savoir,
2. les commandements de
Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle doit les accomplir
par amour et par Ćuvre ;
3. elle doit retenir sa
langue de toute mauvaise parole, et doit contenir lâesprit des cupiditĂ©s
insatiables et des plaisirs dĂ©rĂ©glĂ©s, se savoir contenter de ce quâon
lui donne, sans vouloir le superflu;
4. accomplir avec raison
et humilitĂ© les Ćuvres de misĂ©ricorde, afin que, sâappuyant en ses
Ćuvres, elle nâoffense Dieu ;
5. aimer Dieu sur toutes
choses et plus que soi-mĂȘme.
Câest de la sorte que
Marthe se comporta, car elle se donna Ă moi fort joyeusement, suivant
mes paroles et mes Ćuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour lâamour
de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et recherchait les
cĂ©lestes ; câest pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et
avait autant de soin des autres que de soi-mĂȘme ; elle considĂ©rait incessamment
lâamour que je lui avais portĂ© et les douleurs que jâavais souffertes,
et se réjouissait en ses priÚres, et comme une mÚre, elle aimait tout
le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne dĂ©sirant quâouĂŻr
la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait
les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir
les mĂ©chancetĂ©s du prochain ; nây pouvant remĂ©dier, elle priait Dieu
pour leur conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie
active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais
non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe,
duplicité, ire, envie.
P397
Mais remarquez que Marthe,
priant pour le Lazare, son frĂšre mort, vint la premiĂšre Ă moi ; mais
soudain son frÚre ne ressuscita pas. Mais Marie vint aprÚs, étant appelée,
et lors, pour lâamour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De mĂȘme
en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui dĂ©sire ĂȘtre parfaitement
Ă Marie, doit ĂȘtre premiĂšrement Marthe, travaillant corporellement pour
lâamour de moi, et elle doit plutĂŽt savoir rĂ©sister aux dĂ©sirs charnels
et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au
degrĂ© de Marie, car celle qui est Ă©prouvĂ©e et tentĂ©e et qui nâa pas
vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle sâunir continuellement
Ăšs choses cĂ©lestes ? car souvent une bonne Ćuvre se fait avec un intention
indiscrĂšte et dâun esprit indĂ©terminĂ© ; et partant, en son progrĂšs,
elle est avec lĂąchetĂ© et froideur ; mais afin que la bonne Ćuvre me
soit agrĂ©able, elle ressuscitĂ© et revit par Marthe, câest-Ă -dire,
quand le prochain est sincÚrement aimé et désiré sur toutes choses
; et lors toute bonne Ćuvre est agrĂ©able Ă Dieu ; câest pourquoi je
dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part
de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain,
et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que
les hommes vivent sagement et honnĂȘtement, et lorsquâelle fait cela
pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure,
quand elle contemple le ciel et le gain des Ăąmes.
P398
Lors Notre-Seigneur entre
en la maison de Marthe et de Marie, quand le cĆur est rempli de bonnes
affections et quâil est en repos du tumulte du monde ; quand il considĂšre
toujours Dieu prĂ©sent, et non seulement contemple lâamour divin, mais
travaille nuit et jour pour posséder Dieu.
En ce chapitre, JĂ©sus-Christ
montre Ă sainte Brigitte les devoirs dâune Ă©pouse, ses ornements, etc
; puis il y est parle dâune Ăąme condamnĂ©e en purgatoire, etc.
Le Fils de Dieu parle, disant
: Un seigneur Ă©pousa une fille Ă laquelle il Ă©difia une maison, lui
donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout ce qui Ă©tait
nĂ©cessaire pour la nourriture, et lui aprĂšs sâen alla fort loin. Or,
revenant, il ouĂŻt que sa femme Ă©tait une infĂąme, que ses serviteurs
étaient rebelles, que ses filles étaient impudiques. Courroucé de cela,
il mit sa femme en jugement, les serviteurs Ă la torture et les servantes
au fouet.
Je suis ce seigneur-lĂ ,
qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait Ă©clore du nĂ©ant lâame
de lâhomme, lâai prise en Ă©pouse, dĂ©sirant prendre avec elle les
plaisirs indicibles. Or, je lâai Ă©pousĂ©e en foi, dilection et en persĂ©vĂ©rance
de vertus. Jâai bĂąti une maison Ă cette Ăąme, quand je lui ai donnĂ©
le corps mortel, dans lequel elle devait ĂȘtre Ă©prouvĂ©e et exercĂ©e de
vertus.
P399
Cette maison a quatre propriétés
: la noblesse, la mortalité, mutabilité et corruptibilité. Ce corps
est noble, dâautant que câest lâĆuvre de Dieu, et il participe Ă
tous les éléments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre éternellement
; mais lâĂąme surpasse sa noblesse, dâautant quâil est terrestre
et que lâĂąme est spirituelle. Mais dâautant quâil a quelque espĂšce
de noblesse, il doit ĂȘtre ornĂ© de vertus, afin quâau jour du jugement,
il puisse ĂȘtre glorifiĂ©. Le corps est mortel, dâautant quâil est
de terre, câest pourquoi il doit sâopposer fortement aux plaisirs au
milieu desquels, sâil succombe, il perd Dieu. Le corps est encore changeant,
et partant, il doit ĂȘtre constant par la raison, car sâil suit ses mouvements,
il nâest point diffĂ©rent des bĂȘtes brutes ; il est corruptible : partant,
quâil se tienne en puretĂ©, car le diable le pousse Ă lâimmondicitĂ©,
afin dâĂ©loigner de lui la garde des anges.
Que celui donc qui habite
en cette maison de ce corps, qui est lâĂąme, dans lequel elle est enfermĂ©e
comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans lâunion de lâĂąme,
il est puant, horrible et affreux Ă regarder.
LâĂąme a aussi cinq serviteurs
qui la servent pour le soulagement de la maison :
Le premier câest la vue,
qui doit ĂȘtre comme une bontĂ© Ă©chauguette qui discerne les amis et les
ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux désirent de voir
des faces belles, ce qui est délectable à la chair et ce qui est nuisible
et dĂ©shonnĂȘte. Or, lors les amis viennent, quand lâĂąme se plaĂźt Ă
voir et Ă contempler ma passion, les Ćuvres de mes amis et ce qui touche
Ă lâhonneur de Dieu.
P400
Le deuxiĂšme serviteur est
lâouĂŻe, qui est comme un bon portier qui ouvre la porte aux amis et
la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il prend plaisir
a ouĂŻr la parole divine, et la ferme ; quand il nâĂ©coute point les
médisantes et les paroles excitant au rire.
Le troisiĂšme serviteur
est le goût au manger et au boire, et celui-là est comme un bon médecin
qui range et ordonne la réfection pour la nécessité, non à la superfluité
et volupté, car on doit prendre les aliments comme des médicaments. Partant,
on doit considĂ©rer deux choses au goĂ»t, savoir, quâon nâen prenne
plus grande ni plus petite quantitĂ© quâil ne faut, car la quantitĂ©
nous cause lâinfirmitĂ©, lâabstinence tĂ©mĂ©raire nous engendre le
dégoût au service de Dieu.
Le quatriĂšme serviteur
est lâattouchement qui doit ĂȘtre comme un bon laboureur gagnant sa vie
de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec discrétion
pour les délices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la béatitude
Ă©ternelle.
Le cinquiĂšme serviteur
est lâodorat de ce qui est dĂ©lectable ; celui-ci se peut mortifier en
plusieurs choses pour la gloire Ă©ternelle : partant, que ce serviteur
soit comme un bon dispensateur ; quâil veille Ă ce qui est expĂ©diant
Ă son Ăąme, Ă ce quâelle mĂ©rite, si le corps pourra subsister avec
cela ou cela ; que si lâĂąme considĂšre que le corps peut subsister sans
ces parfums, quâelle sâen prive pour lâamour de Dieu, et ainsi elle
méritera une grande récompense devant Dieu, car la mortification est
grandement agrĂ©able Ă Dieu, quand lâĂąme sâabstient mĂȘme de ce qui
lui est licite.
P401
Or, puisque lâĂąme a tels
serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien ornées, qui la gardent
et la défendent des dangers et plaisirs :
Que la premiĂšre soit la
crainte affectueuse, afin que lâĂ©poux ne soit en rien offensĂ© ou que
lâĂ©pouse ne soit trouvĂ©e nĂ©gligente.
Que la deuxiĂšme soit la
dĂ©vote, afin quâelle ne cherche que lâhonneur de lâĂ©poux et lâutilitĂ©
de sa maĂźtresse.
Que la troisiĂšme soit la
modestie et la constance, afin que lâĂ©pouse ne sâĂ©coule en joie ni
quâelle succombe en adversitĂ©s.
Que la cinquiĂšme soit la
pudeur et la chastetĂ©, afin quâon ne trouve en elle quelque chose dâindĂ©cent
ou de dissolu en la parole ou en lâaction.
Que si donc lâĂąme a une
telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des servantes si honnĂȘtes,
il serait dĂ©shonnĂȘte si lâĂąme, qui est la maĂźtresse, Ă©tait dĂ©shonnĂȘte
et nâĂ©tait belle.
Partant, je vous veux montrer
lâornement de lâĂąme et son Ă©clat : elle doit ĂȘtre raisonnable Ă
discerner ce quâelle doit au corps et Ă Dieu, car elle participe avec
la raison et en la dilection : partant,
1.
quâelle traite la chair comme un Ăąne, lui donnant avec modĂ©ration les
nĂ©cessitĂ©s de la vie, lâexerçant par le travail, la corrigeant par
la crainte et par lâabstinence, prenant garde Ă ses mouvements, afin
quâelle ne condescende aux infirmitĂ©s de la chair, en telle sorte que
Dieu en soit offensé.
P402
Que si elle consent au corps,
elle sera Ă©ternellement difforme. LâĂąme a aussi besoin des viandes,
qui sont la mémoire des bienfaits de Dieu, la considération de ses terribles
jugements, et la dĂ©lectation en lâamour et commandements divins ; et
partant, que lâĂąme prenne diligemment garde quâelle ne soit jamais
gouvernée par la chair, car lors tout sera déréglé : oui, lors les
yeux veulent voir les objets plaisants, les oreilles ouĂŻr les cajoleries
; le goût cherche les choses douces, et le corps veut travailler pour
lâhonneur du monde. Lors aussi la raison est sĂ©duite ; lâimpatience
domine ; la dĂ©votion diminue, la lĂąchetĂ© sây glisse ; les fautes sont
rendues légÚres, et on ne considÚre point les choses éternelles. Lors
aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout le service de Dieu
est onĂ©reux, car comment pourrait ĂȘtre agrĂ©able la continuelle mĂ©moire
de Dieu, lĂ oĂč rĂšgne la dĂ©lectation de la chair ? ou comment pourrait
se conformer lâĂąme Ă la divine volontĂ©, lĂ oĂč sont seulement les
plaisirs de la chair ? ou comment le vrai peut-il ĂȘtre discernĂ© du faux,
lĂ oĂč tout ce qui est de Dieu est chargĂ© ? De telle maison on peut dire
quâelle est pĂ©agĂšre et tributaire de Satan.
P 403
Telle est lâĂąme du dĂ©funt
que vous voyez, car le diable la possĂšde par neuf sortes de droits :
1. dâautant que volontairement
elle a consenti au péché.
2. Dâautant quâelle
a mĂ©prisĂ© la qualitĂ© et la dignitĂ© de son baptĂȘme.
3. Dâautant quâelle
ne se soucia point de la confirmation que lâĂ©vĂȘque lui avait donnĂ©e.
4. Dâautant quâelle
nâa point considĂ©rĂ© le temps qui lui Ă©tait donnĂ© pour faire pĂ©nitence.
5. Dâautant quâelle
ne mâa point craint en ses Ćuvres, ni mes jugements, mais Ă dessein
elle sâest retirĂ©e de moi.
6. Dâautant quâelle
a mĂ©prisĂ© ma patience, comme si je nâĂ©tais ou comme si je ne voulais
point juger.
7. Dâautant quâelle
se souciait moins de mes conseils et de mes préceptes que des hommes.
8. Dâautant quâelle
ne rendait point grĂąces Ă Dieu de cĆur des bienfaits dont Dieu lâavait
enrichie, dâautant que son cĆur Ă©tait tout au monde.
9. Dâautant que ma passion
Ă©tait comme morte dans son cĆur.
Câest pourquoi elle souffre
aussi neuf sortes de peines :
1.
tout ce quâelle pĂątit, elle ne le pĂątit pas par amour, mais avec une
mauvaise volonté.
2.
Dâautant quâelle laisse le CrĂ©ateur et suit les crĂ©atures, toutes
les crĂ©atures lâauront en abomination.
3.
La douleur dâavoir perdu tout ce quâelle aimait, et tout cela est contre
elle.
4.
Une ardeur et soif, dâautant quâelle dĂ©sirait plus les choses pĂ©rissables
que les choses Ă©ternelles.
5.
Une terreur et puissance des dĂ©mons, parce quâelle nâa pas eu, quand
elle devait, la crainte de Dieu.
6.
La privation de la vision divine, dâautant quâen son temps, elle nâa
point considéré la passion de Dieu.
7.
Un dĂ©sespoir de pardon, dâautant quâelle ne sait pas si elle sera
sauvée ou non .
8.
Un remords de conscience, dâautant quâelle a perdu le bien et a fait
le mal.
9.
Le froid et les larmes, dâautant quâelle ne dĂ©sirait point lâamour
de Dieu.
P404
Mais dâautant que cette
Ăąme a eu deux sortes de biens, lâun est que cette Ăąme a eu une grande
foi Ă ma passion, et rĂ©sista autant quâelle put Ă ceux qui en mĂ©disaient
; lâautre quâelle aimait ma MĂšre et mes saints, et les honorait par
des jeĂ»nes : partant, pour lâamour des priĂšres des saints qui prient
pour elle, je vous dirai comment elle pourra ĂȘtre sauvĂ©e :
1.
par ma passion, car elle a eu la foi de lâĂglise ;
2.
par le sacrifice de mon corps, qui est lâantidote des Ăąmes ;
3.
par les oraisons des saints qui sont au ciel ;
4.
par les bonnes Ćuvres qui se font continuellement en lâĂglise ;
5.
par les priĂšres de ceux qui vivent au monde ;
6.
par les aumĂŽnes faites des biens bien acquis ;
7.
par le travail des justes qui sont en pĂšlerinage en ce monde pour le salut
des Ăąmes ;
8.
par les indulgences concédées par les souverains pontifes ;
9.
par les pénitences des vivants.
VoilĂ , ma fille, que saint
Ericus, que cette ùme a servi autrefois, vous a mérité cette révélation.
Viendra le temps oĂč le zĂšle des Ăąmes sâexcitera dans les cĆurs de
plusieurs et oĂč la malice se refroidira.
Chapitre 67.
JĂ©sus-Christ compare
le monde Ă un navire. De la naissance de lâAntĂ©christ.
Le Fils de Dieu dit Ă sainte
Brigitte : Ce monde est comme un navire qui, Ă©tant plein de sollicitude,
est assailli par les orages de la mer, et qui ne laisse jamais lâhomme
en paix quâil ne soit arrivĂ© au port de repos ; car comme le navire
à trois parties, la proue, le milieu et la poupe, je vous décris aussi
trois ages au monde : le premier depuis Adam jusques Ă mon incarnation.
Cet age est signifié par la proue, qui est haute, admirable et forte :
haute en la piété des patriarches ; admirable en la science des prophÚtes
; forte en lâobservance de la loi. Mais cette partie commença Ă dĂ©choir,
quand le peuple judaïque, ayant méprisé mes commandements, se plongea
dans les iniquitĂ©s et mĂ©chancetĂ©s, câest pourquoi il a Ă©tĂ© rejetĂ©
de lâhonneur et de la profession. Or, le milieu du navire commença de
paraĂźtre, lorsque le Fils de Dieu vivant eut pris la nature humaine ;
car comme le milieu de la mer est le plus profond, de mĂȘme, quand je fus
incarnĂ©, lâhumilitĂ© commença dâĂȘtre prĂȘchĂ©e, et lâhonnĂȘtetĂ©
que plusieurs avaient embrassĂ©e commença Ă ĂȘtre manifestĂ©e.
Mais maintenant, lâimpiĂ©tĂ©
et la superbe rÚgnent, et ma passion est comme oubliée et négligée
: câest pourquoi la troisiĂšme partie commence Ă monter, qui durera
jusques au jour du jugement, et en cet age, jâai envoyĂ© mes paroles
au monde par vous : ceux qui les ouïront et les suivront seront sauvés,
car comme saint Jean dit de lâĂvangile, non du sien, mais du mien :
Bienheureux sont ceux qui nâont pas vu et qui ont cru ! jâen dis maintenant
de mĂȘme : Bienheureux seront certainement ceux qui ouĂŻront ces paroles
et les suivront !
En la fin de cet age lâAntĂ©christ
naĂźtra dâune femme infĂąme et maudite, qui feindra de savoir les choses
spirituelles, et dâun homme maudit, et dâeux le diable formera son
ouvrage par la permission divine. Mais le temps et la venue de lâAntĂ©christ
ne seront pas comme ce PĂšre, dont vous avez vu les livres, a Ă©crit, mais
il viendra au temps que je connais, quand lâiniquitĂ© abondera outre
mesure et que lâimpiĂ©tĂ© augmentera grandement. Partant, sachez que
la foi sera ouverte Ă quelques Gentils, avant que lâAntĂ©christ vienne.
AprÚs, quand les chrétiens aimeront les hérésies et que les méchants
fouleront le clergĂ© et la justice, lors ce sera un signe que lâAntĂ©christ
viendra bientĂŽt.
P406
Chapitre 68.
Dâun moine trompĂ©
en ses révélations et des signes. Dieu le fait avertir de se corriger.
Le Fils de Dieu parle Ă
son Ă©pouse sainte Brigitte : Je vous dis que le moine dont vous
doutez a quitté le premier monastÚre par impatience, et est entré avec
mensonge dans le second ; et étant excommunié, il est venu en Jérusalem,
ma sainte citĂ©, câest pourquoi il a mĂ©ritĂ© dâĂȘtre déçu et trompĂ©,
dâautant quâil a eu honte dâĂȘtre un moine humble et de demeurer
constamment en la vocation en laquelle je lâavais appelĂ©. Lisez donc
les livres, et vous nây trouverez quâambition et propre louange, car
vous y trouverez que saint Pierre et saint Paul lui ont dit quâil Ă©tait
digne de la souveraine prĂȘtrise ; quâil serait semblablement pape et
empereur, eu quâĂ©tant en nĂ©cessitĂ©, il avait trouvĂ© Ă sa tĂȘte de
lâor et quelque monnaie inconnue ; que saint Michel archange lui avait
apparu en un corps de quelque marchand, et comment il avait ramassé toutes
ses prophéties. Sachez que
P407
Tout cela est du diable
qui le trompe et le déçoit. Partant, dites-lui quâil ne sera ni pape
ni cĂ©sar, que mĂȘme, sâil ne retourne soudain Ă son monastĂšre et sâil
ne se comporte comme un humble moine, il mourra en peu de temps comme un
apostat, indigne de la communion des saints et de la compagnie des moines.
Il est ici traitĂ© dâun
frĂšre trompĂ© sous espĂšce de vertu, ne mangeant rien en carĂȘme, etc..
Le Fils de Dieu dit : Je
dis en lâĂvangile quâon peut obtenir le ciel par deux choses : la
premiĂšre, si lâhomme sâhumilie comme un petit enfant ; la seconde,
si lâhomme se fait violence contre soi-mĂȘme. Or, celui-lĂ est donc
humble qui bien quâil avance et quâil fasse force biens, les rĂ©putes
comme rien, ne se confiant point en ses mérites. Celui-là se fait violence
qui, résistant aux mouvements charnels, se chùtie avec discrétion, afin
quâil nâoffense Dieu, et croit obtenir le ciel, non par les Ćuvres
de sa justice, mais par la miséricorde divine. Mais ce FrÚre qui ne mangeait
rien en carĂȘme et qui faisait dâautres jeĂ»nes indiscrets, dĂ©sirait,
par ses jeûnes, obtenir le ciel. Tous ces jeûnes provenaient de la superbe,
et non de lâhumilitĂ© ; câest pourquoi il sera justement jugĂ© avec
ceux qui jeûnaient et payaient les dßmes et méprisaient les autres.
LâhumilitĂ© de ce pĂ©cheur qui nâosait lever les yeux au ciel Ă©tait
meilleure, car moi, Dieu et homme, conversant avec les hommes, je mangeai
et je bus ce quâon me donnait, bien que jâeusse pu subsister sans viandes,
afin de donner aux hommes lâexemple de vivre, afin quâils prennent
humblement les nĂ©cessitĂ©s de leur vie et quâils en rendent grĂąces
Ă Dieu.
P408
Notre-Seigneur montre
Ă sainte Brigitte la damnation horrible dâun cardinal, et ses causes.
Sainte Brigitte voyait comme
la personne dâun cardinal dĂ©funt qui Ă©tait assise sur une porte de
bois, Ă qui quatre Ăthiopiens prĂ©paraient quatre chambres par lesquelles
il fallait que lâĂąme de ce cardinal passĂąt.
En la premiĂšre, il y avait
des vĂȘtements de diverses maniĂšres que cette Ăąme avait aimĂ©s en sa
vie. En la deuxiĂšme, il y avait des vases dâor, dâargent, et divers
autres ustensiles, esquels cette Ăąme sâĂ©tait plue pendant quâelle
vivait. En la troisiĂšme Ă©taient des viandes et des parfums aromatiques
esquels elle se plaisait. En la quatriĂšme, il y avait des chevaux et autres
animaux desquels elle se servait autrefois.
Mais quand lâĂąme passait
par la chambre, elle endurait un froid rigoureux, et elle était accablée
dâun grand poids, et criant, elle dit en pleurant : Malheur Ă moi, dâautant
que jâai plus aimĂ© ce qui est beau que ce qui est utile ! Jâai aimĂ©
dâĂȘtre aimĂ©e, dâĂȘtre exaltĂ©e et louĂ©e : il est donc raisonnable
que je sois dĂ©primĂ©e sous lâescabeau du diable.
Et passant par la deuxiĂšme
chambre, elle ressentit un torrent de poix et une flamme qui sâĂ©pandait
et sâĂ©tendait partout. Et lors lâĂąme sâĂ©cria : Malheur Ă moi
! malheur Ă©ternellement, dâautant que jâai vu, revu et cherchĂ© ce
qui reluit et éclate, et partant, je suis abreuvée des torrents des voluptés
du diable !
Et quand lâĂąme passait
par la troisiĂšme chambre, elle sentit une puanteur insupportable et des
serpents envenimés ; et lors elle cria horriblement, disant : Hélas !
hĂ©las ! jâai aimĂ© la servante et jâai mĂ©prisĂ© la maĂźtresse. Jâai
aimĂ© les douceurs, il est raisonnable que jâendure les amertumes.
P409
Mais passant par la quatriĂšme
chambre, elle ouĂŻt un son terrible comme un tonnerre, et elle cria de
peur : Oh ! que digne est ma récompense !
AprĂšs, on ouĂŻt une voix
qui disait : Quâest ce que lâhomme pense en terre ? ou le Fils de Dieu
mentira-t-il, que lâhomme rendra raison de la moindre maille ? voire
je vous dis de plus quâil rendra compte de tous les moments, de chaque
denier, viande, boisson, des pensĂ©es en dĂ©tail et des paroles, sâil
ne les amende par contrition et par la pénitence. Eh quoi ! les cardinaux
et les Ă©vĂȘques croiront-ils ne rendre pas compte de mes aumĂŽnes, quâils
ne mangent pas avec crainte et dĂ©votion, mais quâils dĂ©vorent sans
fruit ? ou bien pensent-ils que les Ăąmes desquelles ces biens Ă©taient,
et desquels ils sâenorgueillissent, nâen demandent vengeance devant
Dieu ? VĂ©ritablement, ma fille, jâen ferai exact jugement, et sonderai
en quelle maniĂšre ils prennent mes oblations ; et les anges les jugeront,
car moi et mes amis avons dotĂ© lâĂglise, afin que les ecclĂ©siastiques
ne vivent point comme mes amis ni ne prient pour ĂȘtre exaucĂ©s. Partant,
je secourrai et pourvoirai les Ăąmes dont les biens Ă©taient de la table
de ma grùce et de ma passion, et je leur ferai miséricorde
P410
Il est ici traitĂ© dâabsoudre,
lâan de jubilĂ©, tous les pĂ©nitents, hormis les sentences.
Le Fils de Dieu dit : Que
le bon confesseur absolve tous les pécheurs qui viennent à lui avec contrition
; je veux quâil les absolve tous ; quâil prenne seulement garde des
sentences de lâĂglise, qui sont claires.
DĂCLARATION.
On croit que ce confesseur
Ă©tait celui de sainte Brigitte (1),
docteur, car il Ă©crit en une sienne Ă©pĂźtre Ă Nicolas dâheureuse mĂ©moire,
Ă©vĂȘque du royaume de SuĂšde, de la cour de Rome, disant : Un certain
prĂȘtre Ă©tranger Ă qui le vicaire du pape enjoignit de confesser tous
ceux qui parlaient sa langue, lui donna autoritĂ© dâabsoudre de tous
les cas quâil pouvait, entre lesquels vint un pĂ©nitent riche et grand,
disant quâil avait pĂ©chĂ© avec quatre paires de sĆurs, qui toutes nâĂ©taient
pas dâun mĂȘme pĂšre et dâune mĂȘme mĂšre, mais chaque paire Ă©tait
dâun diffĂ©rent pĂšre et mĂšre. AprĂšs il dit quâil avait pĂ©chĂ© avec
deux-cents femmes, et que, sur cela, il nâavait jamais acquis note dâinfamie,
et quâil nâen avait jamais Ă©tĂ© accusĂ© devant aucun ecclĂ©siastique
ou séculier.
Le prĂȘtre susdit, quand
il ouĂŻt des crimes si abominables, en eut horreur et sâĂ©loigna autant
quâil put du pĂ©nitent. Mais le pĂ©cheur, enflammĂ© des feux divins,
ne se dĂ©sespĂ©rait point, mais poursuivait lâabsolution dudit prĂȘtre,
et
P411
JĂ©sus-Christ commande
quâon se donne garde quâon ne reçoive de lâargent pour lâabsolution
des pĂ©chĂ©s. Les prĂȘtres de paroisse peuvent absoudre de tous les pĂ©chĂ©s
occultes.
Le Fils de Dieu dit : Il
y a deux taches Ăšs ecclĂ©siastiques : lâune que peu sont absous sans
que lâon donne de lâargent ; lâautre que les prĂȘtre des paroisses
nâosent absoudre de tous les pĂ©chĂ©s occultes ; mais ils assurent ne
pouvoir les absoudre en certains cas rĂ©servĂ©s Ă lâĂ©vĂȘque, pour lesquels
ils les envoient Ă lâĂ©vĂȘque ; et on les examine si longtemps que les
occultes sont manifestés à tous. Partant, ceux qui ont le zÚle des ùmes
doivent obvier à tels accidents, de peur que les ùmes ne meurent en péché
mortel, ou par honte, ou par obstination.
P412
Chapitre 73.
Notre-Seigneur dit que
lâabsolution dâun mauvais pĂ©nitencier qui Ă©tait Ă Rome est bonne.
Ce pénitencier de Rome
était lépreux, hardi comme un milan, superbe comme un lion, et partant,
il tombera Ă terre comme un papillon, qui a les ailes grandes et le corps
petit. Sachez nĂ©anmoins que son absolution est bonne de lâautoritĂ©
de lâĂglise, aussi bien que lâabsolution dâun prĂȘtre juste. Dites-lui
: Vous aurez ce que vous désirez, mais vous ne le posséderez pas, voire
les étrangers emporteront ce que vous avez amassé. Il obtint un archiépiscopat
et mourut le mĂȘme jour.
Ici est une vision des
bĂątiments qui devaient ĂȘtre pour les cardinaux et conseillers du Pape.
Je vis Ă Rome, du palais
du pape jusques au ChĂąteau Saint-Ange, et de ce chĂąteau jusques Ă la
maison du Saint-Esprit et jusques Ă lâĂ©glise de Saint-Pierre, comme
sâil y avait une plaine ; et cette plaine Ă©tait entourĂ©e dâun mur
oĂč il y avait diverses loges. Lors jâouĂŻ une voix qui me disait : Ce
pape-lĂ , qui aime son Ă©pouse dâune telle dilection de laquelle moi
et mes amis nous lâaimons, possĂ©dera ce lieu avec ses successeurs, afin
quâil puisse facilement convoquer son conseil.
P413
Chapitre 75.
JĂ©sus-Christ commande
à un docteur en théologie que les ùmes purifiées voient Dieu, et que
ceux qui désirent toujours vivre pour pécher toujours seront tourmentés
Ă©ternellement.
Un docteur en théologie,
de SuĂšde, qui a composĂ© le prologue de ce livre, prĂȘchant un jour, un
soldat sâĂ©cria, comme furieux, disant : Si mon Ăąme ne va point au ciel,
quâelle sâen aille comme une bĂȘte, mangeant la terre et lâĂ©corce
des arbres. La demeure jusques au jour du jugement est trop longue, car
avant ce jour-lĂ , pas un ne verra la gloire de Dieu.
Ce quâoyant, lâĂ©pouse
sainte Brigitte, qui assistait Ă ce sermon, pleura et dit : O Seigneur,
Roi de gloire, je sais que vous ĂȘtes misĂ©ricordieux et fort patient,
car tous ceux qui taisent la vérité et dissimulent la justice, sont loués
au monde ; mais ceux qui ont votre zÚle et le montrent, sont méprisés
; partant, ĂŽ Seigneur, donnez, donnez Ă ce docteur la constance et la
ferveur de parler.
Lors lâĂ©pouse vit en
un excĂšs dâesprit le ciel ouvert, lâenfer ardent, et une voix lui
disait : Voyez le ciel ; voyez de quelle gloire les Ăąmes sont revĂȘtues.
Dites donc à ce maßtre : Dieu, Créateur et Rédempteur, dit ces choses
: PrĂȘchez assurĂ©ment ; prĂȘchez constamment ; prĂȘchez importunĂ©ment
et opportunĂ©ment que les Ăąmes purifiĂ©es voient Dieu ; prĂȘchez avec
ferveur, car vous en serez récompensé, comme un enfant qui ouït la voix
de son pĂšre. Si vous doutez qui je suis, moi qui parle, sachez que je
suis celui-lĂ qui vous retire des tentations.
P414
Or, ayant ouĂŻ ces choses,
elle vit encore lâenfer, de la part duquel tremblant dâeffroi, elle
ouĂŻt une parole disant : Ne craignez point les esprits que vous voyez
: leurs mains, câest-Ă -dire leurs puissances, sont liĂ©es et ne peuvent
rien sans ma permission. Quâest-ce donc que les hommes prĂ©sumant dâeux
pensent ? Ne prendrai-je pas vengeance dâeux, moi qui assujettis mĂȘme
les démons à ma volonté ?
LâĂ©pouse rĂ©pondit :
O Seigneur, ne vous indignez pas si je parle. Vous qui ĂȘtes tout misĂ©ricordieux,
le punirez-vous éternellement, lui qui ne peut pécher perpétuellement
? Les hommes ne peuvent croire que cela soit convenable Ă votre
Divinité, vous qui surexaltez la miséricorde par le jugement, ni les
hommes ne punissent point perpétuellement les hommes qui les ont offensés.
Lâesprit rĂ©pondit : Je
suis la vĂ©ritĂ© et la justice, qui donne Ă chacun selon ses Ćuvres,
qui sonde les cĆurs et les volontĂ©s ; et comme le ciel est distant de
la terre, de mĂȘme mes voies et mes jugements sont Ă©loignĂ©s des conseils
et conceptions des hommes. Partant, puisque lâhomme ne se corrige point
pendant quâil vit et quâil peut, quâest-il de merveilles sâil est
puni oĂč il ne peut rien ? ou comment peuvent demeurer en mon Ă©ternitĂ©
trÚs-pure ceux qui veulent éternellement vivre et éternellement pécher
? Et partant, celui qui corrige son péché quand il peut, doit demeurer
éternellement avec moi, qui puis tout et vis de toute éternité.
P415
DĂCLARATION.
Cet homme était marié,
qui tenait une concubine publiquement en sa maison ; et quelquâun lâen
avertissant, poussé de colÚre, il la tua, et lui, mourut le quatriÚme
jour, endurci, sans sacrements et enseveli ; et pendant plusieurs nuits
fut entendue une voix qui disait : Malheur ! Malheur ! Je brûle ! Je brûle
! Cela ayant été rapporté à sa femme, on ouvrit en sa présence la
sĂ©pulture, oĂč lâon ne trouva quâun petit haillon de son suaire et
de ses souliers. La sĂ©pulture Ă©tant derechef couverte, on nâentendit
plus la voix.
Il est ici parlé des
corrections que JĂ©sus-Christ fait Ă son Ă©pouse, etc.
LâĂ©pouse sainte Brigitte
Ă©tant logĂ©e en une ville, il advint que ses vĂȘtements et ce quâelle
avait de plus précieux fut brûlé, et encore ce qui était de ses amis.
Notre-Seigneur lui dit pendant quâelle priait : Il est Ă©crit que le
prince des cuisiniers brûla le temple de Jérusalem.
P416
Or, qui est ce prince, sinon
ceux qui cherchent les délices de la chair plus que les amertumes de ma
passion ? De mĂȘme vous cherchez en votre famille, et les y tolĂ©rez, les
beautĂ©s, lâĂ©clat des habits, et vous ne reprenez point les mĆurs dĂ©pravĂ©es,
de peur quâils vous trouvent fĂącheux ; câest pourquoi vous recevez
maintenant le dommage que vous voyez, afin que vous compreniez quâil
ne suffit point, pour aller Ă la perfection, de se corriger soi-mĂȘme,
mais encore les autres, et principalement ceux de la famille, les attirant
Ă lâhonnĂȘtetĂ© de la vie, car ce que vous pouvez corriger, et ne le
faites pas à raison de quelque considération humaine, cela vous sera
imputĂ© Ă jugement et Ă pĂ©chĂ©. Dâailleurs, sachez que lâhabitant
de cette maison a deux vices, savoir, 1. dâinfidĂ©litĂ©, dâautant quâil
croit que toutes choses sont régies par le destin ; 2. il use des enchantements
et de quelques paroles diaboliques, afin quâil prenne une grande multitude
de poissons dâun Ă©tang ; et dâautant quâil est de votre famille,
avertissez-le afin quâil sâamende, autrement vous verrez de vos yeux
que le diable quâil est prĂ©vaudra sur lui.
Celui-lĂ oyant lâavertissement
de lâĂ©pouse de JĂ©sus-Christ et le mĂ©prisant, on le trouva mort subitement
ayant le col renversé.
JĂ©sus-Christ reprend
un religieux Ă raison de quelque dispute.
Le Fils de Dieu dit Ă son
Ă©pouse : Que vous dit ce frĂšre babillard ?
Elle répondit : Que les
Gentils qui nâont Ă©tĂ© appelĂ©s Ă la vigne ne jouiront pas du fruit
de la vigne.
Notre-Seigneur lui dit :
Dites-lui que le temps viendra que tout sera un bercail et un pasteur,
une fois et une claire connaissance de Dieu. Et lors plusieurs qui ont
Ă©tĂ© appelĂ©s Ă la vigne seront reprouvĂ©s, et ceux qui nây sont appelĂ©s
et qui ont fait tout ce quâils ont pu, auront quelque misĂ©ricorde et
quelque soulagement en leurs supplices, bien quâils nâentrent en ladite
vigne. Dâailleurs dites-lui : Il vous serait plus profitable de dire
le Pater avec simplicité que de disputer sophistiquement et avec tant
de subtilitĂ© des vanitĂ©s du monde. Partant, pensez que vous ĂȘtes entrĂ©
en religion, et sachez que bientĂŽt vous mendierez le pain ailleurs. NĂ©anmoins,
si vous changez votre volonté, Dieu modifiera sa sentence.
P 417
Chapitre 78.
De lâexpulsion du diable
dâune maison par les paroles de JĂ©sus-Christ, etc.
LâĂ©pouse sainte Brigitte
Ă©tait logĂ©e une nuit en une maison oĂč le diable parlait ouvertement,
donnait les réponses et prédisait plusieurs choses. Or, cette sainte
Ă©tant prĂ©sente, le diable ne dit mot, et elle ouĂŻt, Ă©tant en lâoraison,
une voix qui lui disait : En cette maison ont été faits quelques maux
par les habitants du passé et du présent, car ils honorent les dieux
tutĂ©laires et ne frĂ©quentent point les Ă©glises, si ce nâest pour la
honte des hommes, ni ils nâentendent jamais la parole divine ; câest
pourquoi le diable domine en ce lieu.
Partant, que votre confesseur,
ayant assemblé tous les habitants de cette maison et les voisins, leur
dise ces paroles : Dieu est un et trine, par qui toutes choses ont été
faites, et sans lui rien ne peut ĂȘtre fait. Or, le diable est sa crĂ©ature
qui ne peut pas mouvoir un de vos pieds sans que Dieu le permette.
P418
Mais dâautant plus vous
aimez et cherchez les créatures et le monde plus que Dieu, et cherchez
dâĂȘtre riches contre les volontĂ©s de Dieu, lors le diable commence
de posséder vos ùmes, vous faisant (la justice de Dieu le permettant
de la sorte), prospérer Ús choses temporelles. Partant, croyez en Dieu,
et chassez les serpents desquels vous sucez le lait, et ne donnez point
des prĂ©mices dâaucune chose Ă vos dieux tutĂ©laires. Ne dites
jamais que la fortune a fait cela ou cela, mais que Dieu lâa permis ainsi.
Ne dites pas aussi quâĂ lâautel nâest immolĂ© autre chose quâun
gĂąteau, mais croyez fermement que lĂ est vraiment le corps de JĂ©sus-Christ
qui a été crucifié en la croix, et croyez vraiment aux sacrements de
baptĂȘme, confirmation et extrĂȘme-onction, et lors le diable sâenfuira
de vous. Nous croyons, dirent-ils en criant, et promettons de nous amender.
Soudain on ouĂŻt le diable
dans une fournaise, dâoĂč il donnait les rĂ©ponses, disant : Je nâaurai
jamais plus ici de lieu. Et ainsi, il se retira tout confus, et désormais
on nâentendit point de voix ni terreur.
Chapitre 79.
Dâun homme qui avait
dit la messe sans avoir reçu les ordres.
Un certain homme qui nâavait
jamais Ă©tĂ© ordonnĂ© prĂȘtre, cĂ©lĂ©brait et disait la sainte messe, lequel,
étant présente au Juge, fut condamné au feu. Sainte Brigitte priant
pour lui, Notre-Seigneur lui dit : Voyez ma miséricorde : si cet homme
eût demeuré impuni, il serait damné. Or, maintenant, il a obtenu la
contrition : câest pourquoi, par le supplice quâil souffre maintenant,
il sâapproche de ma grĂące et du repos.
P419
Mais maintenant, vous me pouvez demander si le peuple qui entendait
les messes et qui recevait les sacrements de cet homme, péchait mortellement.
Je vous réponds que, pour
cela, il nâest point damnĂ©, mais la foi lâa sauvĂ©, car il croyait
que lâĂ©vĂȘque lâeĂ»t ordonnĂ© et que je fusse Ă lâautel en
ses mains. La foi des parents a aussi profité à ceux qui ont été baptisés
par lui, car la foi croit de Dieu des choses dignes par la charité des
Ćuvres. Il ne sera pas sans rĂ©compense, et son dĂ©sir ne sera pas frustrĂ©.
Dâune femme tourmentĂ©e
dâun diable incube.
Une femme étant vexée
par le dĂ©mon, son ventre sâenfla soudain, de sorte quâil semblait
quâelle enfanterait Ă lâinstant, et soudain il se dĂ©senfla, comme
si elle nâeĂ»t rien eu au ventre. Or, Ă©tant ainsi longtemps tourmentĂ©e
du malin esprit et son ventre sâenflant comme le ventre de celles qui
sont prĂȘtes Ă enfanter, sa maĂźtresse consulta sur cela sainte Brigitte,
Ă©pouse de J.C., qui lui dit : Comme entre les esprits, il y en a un plus
subtil que lâautre, de mĂȘme entre les malins, il y en a un plus malicieux
que lâautre, car en ce royaume, il y a spĂ©cialement trois sortes de
démons : les uns sont de feu et de flamme, qui dominent les gourmands
et les gloutons ; le deuxiĂšme est diabolique, qui possĂšde les corps et
les Ăąmes des hommes ; le troisiĂšme est le plus abominable de tous, qui
excite les hommes à luxure contre nature. Et parce que cette femme a été
incontinente et infidĂšle, le dĂ©mon domine en elle ; et dâautant que,
par honte, elle nâa pas confessĂ© un pĂ©chĂ© et sâest approchĂ©e du
saint Sacrement, le diable domine en elle. Partant, quâelle confesse
le péché celé depuis longtemps et que les amies de Dieu prient pour
elle, et aprĂšs, quâelle communie, car je veux quâelle soit affranchie
par les larmes et les priĂšres de mes amis. Et cela Ă©tant fait, cette
femme fut délivrée.
P420
Chapitre 81.
Dâun enfant et de sa
mĂšre affranchis des vexations du diable.
Un enfant de trois ans nâavait
jamais repos, sinon lorsquâon lâaspergeait dâeau froide ; ce que
voyant, sainte Brigitte admira grandement. JĂ©sus-Christ lui dit : Voyez
la justice et la permission de Dieu. La mÚre de cet enfant a été longtemps
tourmentĂ©e dâun diable incube, car le diable, qui est un esprit, se
fait et sâapplique un corps dâair, dans lequel se faisant luxurieux,
il se montre visible, exerçant avec cette femme sa malice et sa méchanceté.
Et bien que lâenfant soit nĂ© du pĂšre et de la mĂšre, le diable nĂ©anmoins
a grande puissance sur lui, dâautant quâil nâest point baptisĂ©,
sinon Ă la maniĂšre dont baptisent les femmes qui ignorent les paroles
de la sainte TrinitĂ©. Partant, que lâenfant soit baptisĂ© au nom du
PÚre, du Fils et du Saint-Esprit, et il sera guéri. Que la mÚre confesse
son pĂ©chĂ©, et quâelle dise, quand le diable approchera dâelle : JĂ©sus-Christ,
Fils de Dieu, qui ĂȘtes nĂ© de la Vierge Marie pour le salut des hommes,
qui avez été crucifié et qui maintenant régnez au ciel, ayez miséricorde
de moi.
Cela Ă©tant fait, la femme
fut guérie.
P421
Chapitre 82.
Notre-Seigneur reprend
les hommes qui vont Ă la pythonisse.
Un soldat consulta un jour
la pythonisse (1),
Ă savoir, si les sujets se devaient rebeller contre le roi de SuĂšde ou
non, et lâeffet arriva comme la pythonisse lâavait prĂ©dit ; ce quâĂ©tant
fait, le soldat racontait au roi, en la prĂ©sence de lâĂ©pouse, ce que
la pythonisse avait dit, et elle, sâĂ©tant un peu dĂ©tournĂ©e du roi,
ouĂŻt la voix de JĂ©sus-Christ qui lui disait : Vous avez ouĂŻ comment
ce soldat a consulté la pythonisse et comment ce soldat a consulté la
pythonisse et comment elle lui a prédit la paix future : partant, dites
au roi que ces choses se font par ma permission Ă raison de la mauvaise
foi des peuples, car le diable, par la subtilité de sa nature, peut connaßtre
plusieurs choses futures, lesquelles il manifeste Ă ceux qui croient en
lui, afin de les dĂ©cevoir. Partant, dites encore au roi quâil chasse
telle sorte de gens de la compagnie des gens de bien, car ils sont ceux
qui déçoivent les ùmes qui se donnent au diable et lui rendent hommage
pour le bien temporel, afin que, par eux, plusieurs soient perdus ; ni
nâest pas de merveilles, car dâautant que lâhomme dĂ©sire savoir
plus que Dieu ne veut, et ĂȘtre enrichi contre les vouloirs de Dieu, lors
le diable, tentant son esprit et le voyant penché et enclin à ses suggestions,
envoie ses coadjuteurs, savoir, les pythonisses et autres adversaires de
la foi, pour le tromper, et acquérant quelque peu du temporel, il perd
ce qui est Ă©ternel.
1.(
Pythonisse est celle qui a le diable dans le ventre.)
P 422
Chapitre 83.
De la dévotion des païens
Ă la fin des jours.
Le Fils de Dieu parle Ă
son épouse, disant : Sachez que les païens auront tant de dévotion que
les chrétiens ne seront que leurs serviteurs en la vie spirituelle ; et
lors les Ă©critures seront accomplies, que le peuple, ne lâentendant
point, me glorifiera ; et lors les déserts seront édifiés, et tous chanteront:
Gloire soit au PĂšre, au Fils et au Saint-Esprit, et honneur Ă tous les
saints !
Ici Notre-Seigneur reprend
ceux qui prennent plusieurs vĂȘtements pour le froid et la vanitĂ©.
LâĂ©pouse sainte Brigitte,
étant arrivée au royaume de SuÚde au milieu des rigueurs du froid en
une Ăźle en naviguant, et tous ceux qui Ă©taient dans le navire dormant,
et elle, ne voulant les inquiéter, demeura jusques au jour dans le navire
avec un domestique qui pĂątissait de froid outre mesure, et elle avait
un grand chaud, et eux, la touchant et lâexpĂ©rimentant, lâadmirĂšrent.
Et elle priant Dieu Ă lâaurore, Notre-Seigneur lui dit : Oh ! que les
hommes se dĂ©fient de moi, qui se chargent de vĂȘtements comme un Ă©rinacĂ©
de pommes, et comme un paon de plumes, et sâenorgueillissent tout autant
que le paon sâenorgueillit de ses plumes, vu quâils ne peuvent Ă©chauffer
sans moi ni ĂȘtre beaux sans quâils soient de moi. Or, sâils
mettaient leur espérance en moi, je leur donnerais la chaleur du corps
et de lâĂąme, et les rendrais beaux devant mes saints. Or, maintenant,
ils sont difformes, dâautant quâils ne se contentent du nĂ©cessaire
et aiment avec plus de ferveur la créature que le Créateur.
P423
Chapitre 85.
Du bien mal acquis ;
des peines et des aumĂŽnes dâiceux.
Il y avait un homme qui
Ă©tait demeure quarante ans en purgatoire et qui apparut Ă lâĂ©pouse,
disant : A raison de mes pĂ©chĂ©s et pour les biens que vous savez, jâai
souffert longtemps en purgatoire, car jâai ouĂŻ souvent en la vie que
ces biens Ă©taient mal acquis par mes parents, mais je ne mâen souciai
pas ni ne les restituai pas. Or, Dieu, lâinspirant Ă quelques-uns de
mes parents ayant bonne conscience, les restituÚrent aprÚs mon décÚs
Ă ceux Ă qui il sâappartenaient, et lors, par les oraisons de lâĂglise,
je fus délivré du purgatoire.
AprĂšs, Notre-Seigneur dit
Ă son Ă©pouse : Quâest-ce que les hommes croient, en dĂ©tenant le bien
dâautrui injustement et sciemment ? Eh quoi ! entreront-ils en paradis
? Certainement non, pas plus que Lucifer ; ni les aumĂŽnes des biens mal
acquis ne leur profiteront de rien, mais passeront en la consolation de
ceux auxquels ils appartiennent. Mais ceux qui ont ignoramment les biens
mal acquis en seront pas punis, ne ceux-lĂ ne perdent point le ciel, qui
ont la volonté parfaite de restituer, et font en cela tout leur possible,
car lors Dieu supplĂ©e Ă leur bonne volontĂ© en cette vie ou en lâautre.
P424
Chapitre 86.
Comment sainte Brigitte
vit le feu descendre du ciel, et en la main du prĂȘtre, un agneau.
Un prĂȘtre cĂ©lĂ©bra, le
jour de la PentecĂŽte, sa premiĂšre messe en monastĂšre ; Lorsquâil Ă©levait
lâhostie, sainte Brigitte vit que le feu descendait du ciel sur lâautel,
et elle vit entre les mains du prĂȘtre les espĂšces du pain, et en icelles,
un agneau vivant, et en lâagneau, une face comme dâun homme fort reluisante
; Et lors elle ouĂŻt une voix qui lui disait : Comme vous voyez maintenant
que le feu descend du ciel en lâautel, de mĂȘme le Saint-Esprit descendit
sur mes apĂŽtres en ce mĂȘme jour, enflammant leurs cĆurs. Le pain, par
paroles sacramentelles, est transsubstantiĂ© en lâagneau vivant, câest-Ă -dire,
en mon corps ; et la face est en lâagneau, et lâagneau en la face,
dâautant que le PĂšre est dans le Fils, le Fils dans le PĂšre, et le
Saint-Esprit en tous deux. Et elle vit encore en la main du prĂȘtre, Ă
lâĂ©lĂ©vation de la sainte Eucharistie, un enfant dâune beautĂ© admirable,
qui lui dit : Je bénis les croyants et je serai juge des mécréants.
P425
Il est ici parlĂ© dâun
excommunié.
Sainte Brigitte, Ă©tant
un jour assise avec un Ă©vĂȘque et autres seigneurs, sentit une puanteur
insupportable, comme si elle sortait des Ă©cailles dâun poisson pourri
; et les autres admirant quâelle seule sentĂźt cette odeur, soudain entra
en la maison un homme qui était excommunié ; mais à raison de sa grandeur,
il ne se souciait du lieu de lâexcommunication.
Le propos Ă©tant fini, Notre-Seigneur
dit Ă sainte Brigitte : Comme la puanteur des Ă©cailles des poissons pourris
est plus dangereuse au corps que les autres, de mĂȘme lâexcommunication
est une infirmitĂ© spirituelle plus dangereuse Ă lâĂąme que les autres,
car non-seulement elle nuit Ă lâexcommuniĂ©, mais aussi Ă ceux qui
conversent avec lui et qui consentent Ă ses desseins. Partant, que lâĂ©vĂȘque
fasse en sorte quâun tel soit puni, de peur que, par sa participation,
les autres ne soient marqués et tachés.
Notre-Dame enseigne Ă
sainte Brigitte ce que signifient les mouvements du cĆur.
La nuit de la Nativité
de Notre-Seigneur, sainte Brigitte fut touchĂ©e dâune si grande et si
extraordinaire joie intĂ©rieure, quâĂ grandâpeine elle la pouvait
soutenir ; et soudain elle sentit dans son cĆur un grand mouvement si
admirable quâil semblait quâelle avait en son corps un petit enfant
qui sâĂ©mouvait ; et ce mouvement durant assez longuement, elle le montra
à son PÚre spirituel et à ses amis spirituels, de peur que ce ne fût
quelque illusion, lesquels, ayant vu et touchĂ©, en admirant lâeffet.
P426
Le mĂȘme jour, Ă la messe,
la MĂšre de Dieu lui apparut et lui dit : Ma fille, vous admirez le mouvement
que vous ressentez en votre cĆur : sachez qu ce nâest point une illusion,
mais bien une manifestation aucunement semblable Ă la joie, exultation
et miséricorde qui me furent faites en ce soir ; car comme vous ignorez
comme une exultation et joie sont arrivĂ©es si soudainement Ă votre cĆur,
de la mĂȘme maniĂšre lâarrivĂ©e de mon Fils au monde fut soudaine et
admirable, car quand je consentis Ă lâange, lorsquâil mâannonçait
la conception du Fils de Dieu, soudain je sentis en moi quelque chose dâadmirable
et de vivant, et naissant de moi, il sortait dâune admirable vitesse,
dâune joie indicible, sans lĂ©ser le cloĂźtre virginal. Partant, ma fille,
ne craignez point lâillusion, mais rĂ©jouissez-vous, parce que les mouvements
que vous sentez sont les signes de lâavĂšnement de mon Fils en votre
cĆur. Partant, comme mon Fils vous a imposĂ© le nom dâune nouvelle Ă©pouse
sienne, de mĂȘme maintenant je vous appelle ma bru, car comme les pĂšres
et mĂšres vieillissants mettent la charge sur la bru et lui disent tout
ce quâil faut faire en la maison, de mĂȘme Dieu et moi, comme vieillis
et refroidis Ăšs cĆurs des hommes, voulons marquer Ă nos amis et au monde
par vous notre volontĂ©. Ce mouvement de votre cĆur croĂźtra selon la
capacitĂ© de votre cĆur.
P427
Notre-Seigneur certifie
Ă sainte Brigitte, par saint Jean, que lâApocalypse est de lui, et que
la glose du docteur Mathias sur la bible est du Saint-Esprit.
Quand le docteur Mathias,
du royaume de SuĂšde, gloseur de la bible, glosait sur lâApocalypse,
il priait une fois lâĂ©pouse de JĂ©sus quâelle sĂ»t en esprit le temps
de lâAntĂ©christ, et lui demandait si lâApocalypse avait Ă©tĂ© Ă©crite
par saint Jean lâĂ©vangĂ©liste, dâautant que plusieurs tenaient le
contraire. Elle fut donc ravie en esprit, et lors elle vit comme une personne
ointe dâhuile, mais grandement Ă©clatante, Ă qui JĂ©sus-Christ parlant,
dit : Dites qui est celui qui a composĂ© lâApocalypse.
Il répondit : Je suis Jean,
à qui vous avez recommandé votre MÚre, lorsque vous étiez en croix.
O Seigneur, vous mâavez inspirĂ© les mystĂšres qui y sont, et je lâai
écrite pour la consolation de la postérité, afin que vous fidÚles ne
fussent renversés à raison des divers accidents.
Et Notre-Seigneur dit Ă
lâĂ©pouse : Ma fille, je vous dis que comme Jean a Ă©crit de mon Esprit
les choses futures quâil a vues, de mĂȘme Mathias, votre confesseur et
PĂšre, a entendu et compris, inspirĂ© du mĂȘme Esprit, et Ă©crit les vĂ©ritĂ©s
spirituelles de la sainte Ecriture. Dâailleurs, dites au mĂȘme docteur
que jâai rendu docteur, quâil y a plusieurs antĂ©christs ; mais comment
et quand il viendra, ce malin Antéchrist, je le lui montrerai par vous.
P428
Il est ici traitĂ© dâune
rĂ©prĂ©hension et punition dâun religieux trop babillard.
Ce docteur Mathias parlant
avec un religieux de grande autorité et familiarité, de la grùce des
visions célestes qui était divinement donnée à sainte Brigitte, le
religieux dit : Il nâest pas croyable ni ne sâaccorde point avec lâĂcriture
que Dieu se retire de ceux qui se contiennent et ont abandonné le monde,
et quâil manifeste ses secrets Ă des femmes magnifiques. Or, le docteur
allĂ©guant plusieurs choses lĂ -dessus, lâautre ne consentit point.
Or, lâĂ©pouse, oyant ceci,
vit que le docteur en était troublé ; elle se mit en oraison, et lors,
ravie en esprit, elle ouĂŻt Notre-Seigneur qui lui disait : Cette
périlleuse infirmité en a assailli plusieurs ; et à celui qui se rend
malade du remĂšde, il ne faut pas lui en donner davantage, de peur quâil
ne soit pis. Or, je suis la médecine des infirmes, la vérité des errants.
Mais ce religieux babillard ne dĂ©sire point de mĂ©decine, dâautant que
la fiente et lâordure de la science vaine sont dans son cĆur. Partant,
je lui donnerai de ma main un soufflet, et tout le monde saura que je suis,
non un Dieu babillard, mais puissant et redoutable.
Ce religieux, aprĂšs la
tribulation, sâhumilia et mourut paralytique.
P429
JĂ©sus-Christ commande
Ă son Ă©pouse dâaffermir le corps, afin que lâĂąme ne soit empĂȘchĂ©e
des choses divines.
LâĂ©pouse sainte Brigitte
ayant un jour trop jeĂ»nĂ© et veillĂ©, la tĂȘte et le corps lui dĂ©faillaient,
et JĂ©sus-Christ lui parlant, elle ne comprit pas bien, parce quâelle
était débile. Lors Notre-Seigneur lui dit : Allez, donnez au corps avec
modĂ©ration ce qui lui est nĂ©cessaire, car câest mon plaisir que la
chair ait modĂ©rĂ©ment le nĂ©cessaire, et que lâĂąme ne soit empĂȘchĂ©e
des choses spirituelles par faiblesse.
JĂ©sus-Christ reprend
un moine qui disait devant un roi que sainte Brigitte était trompée.
Un moine porta un jour,
le livre des Vies des PĂšres devant le roi de SuĂšde et ses conseillers,
lisant en icelui que plusieurs PÚres avaient été trompés à raison
des excessives et indiscrĂštes abstinences ; et partant, il dit quâil
craint que cette sainte ne le soit aussi. Sainte Brigitte, priant, ouĂŻt
JĂ©sus-Christ qui lui disait : Quâest-ce que ce moine dit que plusieurs
de mes saints furent trompés ? Véritablement, ce sac de paroles a parlé
comme il a voulu, mais non pas comme il devait, car aucun de mes amis nâa
Ă©tĂ© trompĂ©, car ils mâont aimĂ© sagement ; mais ceux qui, sâenorgueillissant
de leur abstinence et de leur justice, se préféraient aux autres, et
qui nâont voulu obĂ©ir aux hommes, ceux-lĂ certes ont Ă©tĂ© trompĂ©s
; et dâautant que ce moine a portĂ© contre moi le livre des saints PĂšres,
desquels il nâest pas imitateur, je porterai aussi le livre de
justice et de fureur contre lui ; et celui qui est loué en sa sagesse
viendra devant la mienne, et lors il verra que la vraie sapience nâest
pas en la sublimité de la parole, mais en la conscience pure et en la
vraie humilité. Oh ! que les professeurs de cet ordre se sont retirés
loin des vertiges de leurs pĂšres ! car il a Ă©tĂ© comme lâĂ©dificateur
de la haine dissipée, et comme un homme qui a suivi les pas des parfaits.
P430
Chapitre 93.
Dâune vision remarquable
dâune dame que Notre-Dame et saint Pierre soutenaient, afin quâelle
ne tombĂąt, etc.
Sainte Brigitte vit en esprit
une femme assise sur une corde, lâun des pieds de laquelle soutenait
un homme merveilleusement beau, lâautre une vierge dâune beautĂ© incomparable.
Et lors la Sainte Vierge, lui apparaissant, lui dit : Cette femme qui vous
est connue étant embrouillée dans les soins et sollicitudes de la chair,
a Ă©tĂ© conservĂ©e des chutes dâune maniĂšre admirable ; certainement
elle a eu plusieurs fois la volontĂ© de pĂ©cher, mais elle nâa trouvĂ©
ni le lieu ni le temps, et ce bien lui a Ă©tĂ© donnĂ© par lâoraison de
saint Pierre et de mon Fils, que cette femme aime ; quelquefois elle en
a eu le lieu et le temps, mais non pas la volonté et cela par ma charité,
de moi qui suis MĂšre de Dieu ; et dâautant que son temps sâapprochait,
saint Pierre lui conseilla de faire quelque austĂ©ritĂ© en lâhabit, dĂ©posant
ses habits glorieux à son exemple, qui, dans les prisons, avait enduré
la nuditĂ© et la faim, bien quâil fĂ»t puissant au ciel et sur la terre.
P431
Mais moi, MĂšre de Dieu,
qui nâai pas passĂ© une heure sans quelque tribulation et angoisse de
cĆur, je vous conseille de nâĂȘtre point honteuse de vous humilier et
dâobĂ©ir aux amis de Dieu.
AprĂšs cela, saint Pierre
lâapĂŽtre apparut, disant Ă lâĂ©pouse : Vous ĂȘtes nouvelle Ă©pouse
de mon Seigneur. Allez, et demandez Ă cette femme si elle voulait ĂȘtre
entiĂšrement ma fille, puisque je lâaime et la conserve.
Elle rĂ©pondit quâelle
le voulait ĂȘtre de tout son cĆur.
Jâen aurai soin, dit-il,
comme de ma fille PĂ©tronille, et la recevrai en ma garde.
Et soudain cette dame changea
sa vie, et aprĂšs, elle fut malade tout le temps de sa vie, jusques Ă
ce quâĂ©tant purifiĂ©e, elle rendit lâesprit. Mais Ă©tant quasi au
dernier pĂ©riode de sa vie, elle vit saint Pierre lâapĂŽtre revĂȘtu pontificalement,
et saint Pierre, martyr de lâordre des FrĂšres prĂȘcheurs, car elle les
avait aimĂ©s tous deux. Et lors elle dit clairement : Quâest cela, O
mon Seigneur ? Et ceux qui Ă©taient auprĂšs dâelle lui demandant si elle
avait vu quelque chose : Des merveilles, dit-elle, car je vois saint Pierre
revĂȘtu en pontife, et saint Pierre le martyr en lâhabit de prĂ©dicateur,
lesquels jâai toujours aimĂ©s et ai espĂ©rĂ© en leurs priĂšres. Et soudain
elle cria et dit : BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ mon Dieu! Je viens Ă vous . Et
ainsi elle décéda.
P432
La MÚre de Dieu révÚle
oĂč demeurĂšrent les Ăąmes que JĂ©sus-Christ affranchit de lâenfer, et
les corps qui ressuscitĂšrent Ă sa mort, etc.
La MĂšre de Dieu dit : Mon
Fils ressuscita un tel jour quâaujourdâhui, fort comme un lion, car
il brisa la puissance du diable, et affranchit les Ăąmes de ses Ă©lus,
qui montÚrent avec lui aux joies célestes. Mais vous pourriez demander
oĂč Ă©taient ces Ăąmes (1) quâil
avait dĂ©livrĂ©es de lâenfer jusquâĂ ce quâil monta au ciel.
Elles Ă©taient, dit la Sainte
Vierge, en un lieu connu de mon Fils, car lĂ Ă©taient la joie et la gloire,
comme il dit au larron : Vous serez aujourdâhui en paradis avec moi.
Plusieurs saints aussi ressuscitĂšrent en JĂ©rusalem, lesquels nous avons
vu, et les Ăąmes desquels montĂšrent au ciel avec mon Fils ; mais leurs
corps attendent encore avec les autres le jugement et la résurrection.
Mais quant à moi, qui suis MÚre de Dieu, étant plongée en la douleur
aprĂšs sa mort, mon Fils mâapparut avant quâaux autres, et se montra
sensiblement Ă moi, me consolant et me disant quâil monterait visiblement
avec moi dans le ciel. Et bien que cela ne soit écrit par mon humilité,
néanmoins cela est véritable que mon Fils apparut à moi la premiÚre.
Or, dâautant que mon Fils mâa consolĂ©e un jour comme celui-ci, je
veux aussi diminuer vos tentations et vous enseigner le moyen dây rĂ©sister.
(1)
Saint Thomas dit quâelles Ă©taient dans les limbes pleines dâĂ©clats.
( 3. p. q. 52. a. 4.)
P433
Vous admirez pourquoi
croissent en la vieillesse les tentations que vous nâavez eues ni en
la jeunesse ni dans le mariage. Je vous réponds que cela se fait, afin
que vous sachiez que vous nâĂȘtes rien et que vous ne pouvez rien sans
mon Fils ; et si mon Fils ne vous avait gardĂ©e, il nây a pĂ©chĂ© dans
lequel vous ne fussiez plongée.
Partant, je vous donne trois
remĂšdes contre vos tentations : quand vous ĂȘtes assaillie des tentations
sales, dites : JĂ©sus, Fils de Dieu, qui connaissez toutes choses, aidez-moi,
afin que je ne me dĂ©lecte en la vanitĂ© de ces pensĂ©es. Quand vous ĂȘtes
tentĂ©e de parler, dites : JĂ©sus, Fils de Dieu, qui vous ĂȘtes tu devant
le juge, tenez ma langue jusquâĂ ce que jâaie pensĂ© ce que je dois
dire et comment. Quand vous vous plaisez Ă faire quelque Ćuvre, manger
ou reposer, dites : Jésus, Fils de Dieu, qui avez été lié, gouvernez
mes mains, tous mes membres et mes Ćuvres, afin quâelles tendent Ă
une bonne fin : cela vous sera en signe de ce que je dis, que désormais
votre corps ne prévaudra point sur votre esprit.
ADDITION.
Sainte Brigitte fut tentée
en son oraison. La Sainte Vierge Marie lui dit : Le diable est comme un
explorateur envieux cherchant sujet dâaccuser et dâempĂȘcher les bons,
afin quâils ne soient exaucĂ©s en leurs oraisons. Partant, quoique vous
soyez assaillie en lâoraison de quelque tentation que ce soit, ne dĂ©sistez
point, et efforcez-vous de mieux faire, car cet effort et ce désir seront
rĂ©putĂ©s devant Dieu pour lâeffet de lâoraison ; et si vous ne pouvez
rejeter les pen sĂ©es sales, lâeffort vous sera des couronnes, pourvu
que vous nây consentiez et quâelles soient contre votre volontĂ©.
P434
Dâun prince juste qui
craignait dâaccepter la royautĂ©, et ce que la MĂšre de Dieu lui dit.
Au royaume de SuĂšde, un
grand et illustre, qui sâappelait IsraĂ«l, Ă©tant souvent priĂ© par le
roi de prendre le gouvernement du royaume, le refusa, tant il brûlait
de désir de combattre contre les païens, de mourir pour la foi au service
de Dieu, et de nâavoir inclination aucune Ă la dignitĂ© royale ! Lors
la Sainte Vierge dit Ă sainte Brigitte, qui Ă©tait en oraison : Si ceux
qui ont et savent la justice, qui la désirent, qui la peuvent faire, refusent
dâentreprendre la charge et la peine pour lâamour de Dieu, comment
le royaume demeurera-t-il en sa vigueur ? Malheur ! Il ne sera pas royaume,
mais une volerie, une caverne de tyrans oĂč les mĂ©chants commandent et
oĂč les justes sont foulĂ©s aux pieds.
Et partant, lâhomme juste
et bon doit ĂȘtre attirĂ© par lâamour de Dieu et par le zĂšle au gouvernement,
afin quâil profite Ă plusieurs. Et ceux qui ambitionnent les dignitĂ©s
pour lâhonneur du monde, ne sont pas de vrais princes, mais des tyrans
trÚs-méchants. Que donc Israël, mon ami, entreprenne le gouvernement
pour lâhonneur de Dieu, ayant en la bouche les paroles de vĂ©ritĂ©, et
en la main le glaive de justice, ne regardant ni inclinant aux faveurs
du monde, ni aux alliés, ni ayant acception de personnes.
P435
Je ne vous dis pas ce qui
se dira de celui-ci de la bouche des hommes. Il est sorti généreusement
de sa patrie ; il a honoré sincÚrement : partant, sachez que je le conduirai
Ă ma patrie par une autre voie.
Ces choses arrivĂšrent ensuite
en mĂȘme maniĂšre, car quelques annĂ©es sâĂ©tant Ă©coulĂ©es, ce seigneur
alla contre les fidĂšles et vint aux Allemagnes, oĂč il fut grandement
malade ; et sentant que la mort sâapprochait, il monta avec quelques-uns
Ă lâĂ©glise cathĂ©drale, et lĂ , il mit son anneau au doigt dâune
image de Notre-Dame quâil avait tant aimĂ©e, et qui Ă©tait lĂ honorĂ©e
avec une trÚs-grande révérence ; et laissant là son anneau, il dit
: Vous ĂȘtes ma Dame et me lâavez Ă©tĂ© toujours trĂšs-douce, sur quoi
je vous appelle à témoin. Je vous laisse moi et mon ùme à votre providence
et miséricorde. Et ayant trÚs-dévotement pris les sacrements, il mourut.
AprĂšs, lâĂ©pouse priant
pour lui, la MĂšre de Dieu parlait de lui, disant : Il mâa donnĂ© lâanneau
de son amour, me dĂ©sirant pour Ă©pouse. Sachez, ma fille, quâen vĂ©ritĂ©
il mâa aimĂ©e de tout son cĆur, et il a craint mon Fils en toutes ses
Ćuvres et jugements : câest pourquoi je le conduis par la grĂące et
coopération de Dieu, mon Fils, par les voies les plus nécessaires et
Ă lui plus utiles, et lâai prĂ©sentĂ© Ă la troupe des saints et des
anges, desquels il Ă©tait aimĂ©, afin que, sâil fĂ»t mort en la main
de ses parents, les consolations temporelles ne lâeussent empĂȘchĂ© de
plus grands biens. En vérité, sa bonne volonté a autant plu à Dieu
que sâil fĂ»t mort parmi les paĂŻens, combattant contre eux pour la sainte
foi catholique.
P 436
DĂCLARATION.
Ce Seigneur Ă©tait frĂšre
de sainte Brigitte.
Pourquoi, un jour, les
cloches de lâĂ©glise de Saint-Pierre de Rome brĂ»laient.
Peu avant la mort dâun
pape, les cloches brĂ»laient dâune maniĂšre admirable, ce que lâĂ©pouse
voyant, sâen Ă©tonnait, et JĂ©sus-Christ lui apparut en cet Ă©tonnement,
disant : Ma fille, ceci est un grand signe, car il est Ă©crit que tous
les éléments comme compatissaient à ma mort, quand ils retirÚrent leur
splendeur accoutumĂ©e et leurs effets : de mĂȘme les Ă©lĂ©ments et les
créatures combattent souvent et jugent les jugements de Dieu, et manifestent
en leurs cĆurs lâire et lâindignation divine, et les signes Ă©vidents
des évÚnements futurs. Or, maintenant, les cloches brûlent, et quasi
toutes crient que le seigneur est mort. Le pape est décédé. Que ce jour
soit bĂ©ni, mais non pas ce seigneur. O chose admirable ! LĂ oĂč tous
devaient crier : Quâil meure et quâil ne ressuscite point ! Il nâest
pas de merveilles, car celui qui devait leur dire : Venez, et vous trouverez
le repos de vos Ăąmes, criait et disait : Venez, et voyez-moi en
ma pompe et en mon ambition plus que Salomon. Venez Ă ma cour et videz
vos bourses, et vous trouverez la perdition de vos Ăąmes. Câest de la
sorte quâil criait par paroles et par exemples : et partant, le temps
de lâire sâapproche, et je le jugerai comme un dissipateur du
troupeau de saint Pierre. HĂ©las ! HĂ©las ! Quel jugement lui reste-t-il
? VĂ©ritablement, sâil voulait encore se convertir Ă moi, je lui irais
au-devant au milieu du chemin comme un pÚre clément.
P437
Chapitre 97.
Comment Dieu veut que
le pĂȘcheurs soient avertis de confesser leurs fautes.
Un grand seigneur selon
le monde nâavait pas Ă©tĂ© Ă confesse depuis longtemps, et tant quâil
diffĂ©rait dây aller, il Ă©tait malade. LâĂ©pouse, en ayant compassion,
priait pour lui. Mais Notre-Seigneur, apparaissant lors Ă lâĂ©pouse,
lui parlait, disant : Dites Ă votre confesseur quâil visite ce malade
et quâil oie sa confession.
Le confesseur étant arrivé
auprĂšs du malade, le malade lui dit quâil nâavait point besoin
de confession, disant quâil sâĂ©tait souvent confessĂ©.
Le lendemain, JĂ©sus-Christ
commanda que le confesseur y retournĂąt. Il y retourna, et le malade lui
dit comme dessus.
Le confesseur y retournant
le troisiÚme jour par la révélation qui en avait été faite à sainte
Brigitte, lui dit : JĂ©sus-Christ, Fils de Dieu, vous parle aussi et le
diable en cette maniĂšre : Vous avez en vous sept dĂ©mons : lâun est
au cĆur, le liant afin que vous nâayez contrition de vos pĂ©chĂ©s. Lâautre
est aux yeux, afin que vous ne voyiez ce qui est plus utile Ă votre Ăąme.
Le troisiĂšme est en votre bouche, afin que vous ne disiez des paroles
Ă lâhonneur de Dieu. La quatriĂšme est Ăšs parties infĂ©rieures, câest
pourquoi vous aimez toute sorte dâimpuretĂ©s. Le cinquiĂšme est en vos
pieds et en vos mains, câest pourquoi vous ne craignez point de tuer
et de dĂ©pouiller les hommes. Le sixiĂšme est dans votre intĂ©rieur, câest
pourquoi vous ĂȘtes adonnĂ© Ă lâivrognerie. Le septiĂšme est en votre
Ăąme, oĂč Dieu devrait ĂȘtre, et est son ennemi. Partant, faites au plutĂŽt
pénitence, car Dieu vous sera encore propice.
P438
Lors ce malade dit, les
larmes aux yeux : Comment me pourriez-vous persuader que Dieu me pardonnera,
à moi qui suis enveloppé en tant et tant de crimes publics ?
Le confesseur répondit
: Je vous le jure, et je lâai expĂ©rimentĂ©, quâencore que vous eussiez
commis les plus grands crimes du monde, vous pouvez ĂȘtre sauvĂ© par la
sainte confession et la contrition.
Il dit encore en pleurant
: Je dĂ©sespĂšre du salut de mon Ăąme, dâautant que jâai fait hommage
au diable qui mâapparut souvent ; câest pourquoi je ne me suis jamais
confessĂ©, bien que jâaie soixante ans, ni nâai jamais reçu le corps
de JĂ©sus-Christ, mais je feignais dâavoir des affaires, quand il y fallait
aller. Or, maintenant je confesse que je ne sache jamais avoir eu des larmes
de cette maniĂšre.
Ce jour-lĂ il se confessa
quatre fois, et le lendemain il communia, aprĂšs sâĂȘtre encore confessĂ©.
AprĂšs cela, il mourut le sixiĂšme jour.
JĂ©sus-Christ, parlant de
ce pécheur à son épouse, lui dit : Cet homme servait un larron,
le péril duquel je vous ai montré ci-dessus, et le diable se retire maintenant
de lui Ă qui il faisait hommage, et cela Ă raison de la contrition quâil
a eue, et maintenant il va se purifiant, et le signe de son affranchissement
fut la contrition finale.
P439
Mais vous me pouvez demander
comment pouvait mériter la contrition celui qui était plongé en tant
de crimes. Je vous rĂ©ponds : Ma dilection lâa fait et voulu ainsi, car
jâattends la conversion des hommes jusques au dernier point de leur vie,
et le mĂ©rite de ma MĂšre y a aidĂ© ; car bien que cet homme ne lâait
pas aimĂ©e de cĆur, nĂ©anmoins, dâautant quâil avait accoutumĂ© dâavoir
compassion de sa douleur, tout autant de fois quâil lâoyait nommer
et la considĂ©rait, câest pourquoi il a trouvĂ© le salut et il est sauvĂ©.
Dâune abbesse qui,
par la propriĂ©tĂ© et autres crimes, Ă©tait pour ses SĆurs un exemple
de perdition.
Pour les Bénédictins.
Le Fils de Dieu parle :
Cette abbesse est comme une des vaches grasses, qui plongeant et trempant
sa queue dans les ordures, en salit les autres : en effet, elle scandalise
ses SĆurs par son exemple pernicieux ; son habit plissĂ© et affectĂ© montre
bien quâelle nâest pas fille de saint BenoĂźt ni Ă©pouse humble, dâautant
quâelle a mis en oubli ses saintes Ă©pousailles, car sa rĂšgle dit quâelle
doit avoir la plus rude et la plus vile, et elle en porte des plus molles,
des plus belles et des plus délectables.
La rĂšgle commande aussi
de manger ce qui est nécessaire avec sobriété et crainte, et défend
dâavoir quelque chose de propre ; mais celle-ci a du propre, du quel
elle sâengraisse comme une vache du diable, suivant sa propre volontĂ©.
P440
La rĂšgle dit aussi que
toutes choses sont Ăšs mains de lâabbesse, ne considĂ©rant par lâintention
de mon saint BenoĂźt, qui a tout mis en la main de lâabbĂ©, afin quâil
fĂ»t discret, lâexemple des vertus et celui qui suit de plus prĂšs la
rĂšgle.
Mais cette abbesse a reçu
le nom et la parole de puissance pour sa dissolution et se ruine, ne considérant
point quâelle me rendra raison de toutes les Ăąmes de ses SĆurs. Partant,
sachez que si elle ne corrige ses mĆurs et celles de ses SĆurs, elle
sâen ira en enfer avec les vaches grasses, et les corbeaux de lâenfer
la dĂ©chireront toute, puisquâelle nâa pas voulu voler dans le ciel
avec les humbles et avec les sobres.
DĂCLARATION.
Cette abbesse, Ă©tant morte,
apparut à sainte Brigitte un peu blanche, mais comme enveloppée dans
un rets de fer ; sa langue semblait de feu ; ses mains et ses pieds semblaient
de plomb et ses yeux remplis de larmes ; et elle dit Ă sainte Brigitte
: Vous vous étonnez pourquoi je parais si difforme : telle est la rétribution
de la justice divine. Ma blancheur signifie la virginité de mon corps,
mais le filet de fer marque que je nâai pas gardĂ© les observances rĂ©guliĂšres
et le bien de la patience ; car comme aux rets plusieurs anneaux sont enlacés,
de mĂȘme jâendure plusieurs tourments pour lâomission de tant de bonnes
Ćuvres que je ne faisais pas, quand jâen avais le temps.
Quant Ă ce que ma langue
paraĂźt de feu, jâen suis digne, dâautant que, contre ma profession,
je la lùchais en paroles de vanité et de cajolerie.
P441
Mes mains et mes pieds apparaissent
de plomb, et Ă bon droit, dâautant que mes Ćuvres, qui sont dĂ©signĂ©es
par mes mains qui devaient ĂȘtre Ă©clatantes comme de lâor, sont molles
et dissolues comme du plomb.
Mes pieds aussi, par lesquels
je devais aller donner Ă mes SĆurs de bons exemples et de saintes conversations,
se glissÚrent Ús façons mondaines, et étaient paresseux à tout bien
spirituel.
Mes yeux vous apparaissent
tout Ă©plorĂ©s, et Ă juste raison, dâautant que je me gardais de pleurer
quand je devais laver les crimes de ma vie. Je suis néanmoins en état
de misĂ©ricorde et en attente dâune bonne espĂ©rance, pour les priĂšres
qui se font en lâĂglise par les saints et par le sang de JĂ©sus-Christ.
Dâun diable qui induisait
des moniales à la propriété pour faire des aumÎnes.
On voyait un Ă©pouvantable
et horrible Ethiopien en un monastÚre, entre les religieuses voilées,
revĂȘtu dâun habit noir, en forme de moine, sur quoi lâĂ©pouse admirant,
JĂ©sus-Christ lui dit : Il est Ă©crit dans mon Ăvangile quâil se faut
donner garde de ceux qui vont revĂȘtus de vĂȘtements de brebis, et qui,
au dedans, sont des loups ravissants : je vous en dis de mĂȘme maintenant
: cet Ethiopien, qui paraissait entre les moniales avec lâhabit de moine,
est un diable de cupiditĂ© qui suggĂšre aux filles dâamasses des richesses
et des mĂ©tairies, afin dâen vivre avec plus de largesse et dâen faire
des aumÎnes, afin que, sur ce prétexte de religion, se retirant de la
pauvretĂ©, qui mâest tant agrĂ©able, elles soient peu Ă peu en entiĂšre
dissolution, et prĂ©variquant contre la rĂšgle, et sâĂ©loignant de la
premiĂšre observance, elles perdent les Ăąmes.
P442
Partant, sachez que, si
elles ne se donnent garde de ce loup de cupidité, savoir, se contentant
de ce quâelles ont en commun et ne voulant en rien accroĂźtre en possessions
ni richesses passagĂšres, elles seront toutes gĂątĂ©es, mĂȘme les plus
saintes à leur damnation, et aprÚs, elles seront déchirées sans miséricorde
par les loups, car je prends plus de plaisir quâelles vivent en leur
pauvretĂ© pacifique et sainte quâelles professent, que sâintriguant
dans les soins temporels, elles se glorifient en vain de la distribution
de leurs aumĂŽnes.
JĂ©sus-Christ assure
de ce qui est rĂ©vĂšle en ses Ćuvres, etc.
LâĂ©pouse craignait que
les paroles de ses livres divinement révélées ne fussent infirmées
et calomniĂ©es des envieux et des mĂ©chants. Notre-Seigneur lui dit : Jâai
deux bras : avec lâun jâembrasse le ciel et tout ce qui y est ; avec
lâautre jâembrasse la terre et la mer. JâĂ©tends le premier Ă mes
Ă©lus, les honorant et les consolant en la terre et au ciel. JâĂ©tends
le second sur les malices des hommes, les souffrant miséricordieusement,
les retenant afin quâils ne fassent autant de mal quâils voudraient.
Partant, ne craignez point, dâautant que pas un ne pourra infirmer mes
parole, mais elles parviendront aux lieux et aux nations qui me sont agréables.
NĂ©anmoins, sachez que ces paroles sont comme de lâhuile, câest pourquoi
elles doivent ĂȘtre mĂąchĂ©es, considĂ©rĂ©es et expliquĂ©es, maintenant
par les envieux, maintenant par ceux qui veulent savoir, maintenant par
ceux qui cherchent occasion que mon honneur et ma patience soient employé.
P443
Chapitre 101.
Notre-Seigneur commande
Ă sainte Brigitte de mettre par Ă©crit tout ce quâil lui a dit.
Le Fils de Dieu parle Ă
son Ă©pouse, disant : Je suis comme un seigneur dont lâennemi tellement
enchantĂ© et opprimĂ© les enfants quâils le glorifient mĂȘme dans les
captivitĂ©s, quâils ne veulent par mĂȘme lever les yeux ni Ă leur pĂšre
ni Ă leur hĂ©ritage. Partant, Ă©crivez ce que vous oirez de moi, et lâenvoyez
Ă mes enfants et Ă mes amis, afin quâeux sĂšment cette doctrine parmi
les nations, afin quâelles connaissent leur ingratitude et ma patience,
car je veux montrer aux nations ma justice et ma charité.
Chapitre 102.
Notre-Seigneur avertit
une infirme dâĂȘtre patiente. Grandeur des indulgences.
Une dame de SuĂšde, Ă©tant
malade depuis longtemps Ă Rome, dit Ă sainte Brigitte comme en riant
: Le bruit est quâen ce lieu, il y a absolution des coulpes et des peines,
mais il nây a rien dâimpossible Ă Dieu, car jâexpĂ©rimente pour
le moins la peine.
P444
Le matin suivant, lâĂ©pouse
ouĂŻt en esprit une voix qui lui disait : Ma fille, cette femme mâest
agrĂ©able, dâautant quâelle a vĂ©cu dĂ©votement et a nourri ses filles
pour mon honneur ; mais elle nâa pas tant eu de contrition en ses peines
quâelle en eĂ»t eu en ses pĂ©chĂ©s, si mon amour ne lâeĂ»t retenue
et conservĂ©e. Mais dâautant que je pourvois Ă chacun en la santĂ© et
en lâinfirmitĂ©, comme je vois ĂȘtre expĂ©dient Ă un chacun, je ne dois
ĂȘtre fĂąchĂ© de pas un ni jugĂ©, mais ĂȘtre craint et rĂ©vĂ©rĂ© partout.
Dites-lui aussi que les indulgences de Rome sont plus grandes que
les hommes ne le croient, car ceux qui viennent Ă Rome pour gagner les
indulgences avec les dispositions requises, pénitents et confÚs, non-seulement
obtiennent la rémission de leurs péchés, mais obtiennent aussi la gloire
Ă©ternelle, car si lâhomme endure mille morts pour lâamour de Dieu,
il ne serait pas digne de la moindre gloire qui est donnée aux saints
; et bien que lâhomme en puisse vivre tant de milliers dâannĂ©es, nĂ©anmoins,
dâautant quâil a des pĂ©chĂ©s infinis en malice et en objet, sont dues
peines infinies auxquelles lâhomme ne saurait satisfaire en cette vie
; câest pourquoi les maux sont relaxĂ©s Ă raison des indulgences ; les
peines dures et longues sont changées en courtes, et ceux qui ont gagné
les indulgences avec une charité parfaite et qui décÚdent, non-seulement
sont délivrés des péchés, mais encore de la peine due aux péchés,
dâautant que moi, Dieu, je ne donnerai pas seulement Ă mes saints et
Ă mes Ă©lus ce quâils demandent, mais je le doublerai et le multiplierai
avec amour. Partant, avertissez cette malade quâelle prenne patience
et quâelle soit constante, car je ferai ce qui sera le plus utile Ă
son salut.
P445
DĂCLARATION.
Sainte Brigitte vit que
lâĂąme de cette dame montait comme tout embrasĂ©e, vers laquelle accoururent
plusieurs Ăthiopiens, de la vue desquels lâĂąme fut Ă©tonnĂ©e et effrayĂ©e
; et soudain elle vit comme une Vierge trĂšs-belle venir Ă son secours,
qui dit aux Ăthiopiens : Quâavez-vous affaire avec cette Ăąme, qui est
de la famille des nouvelles Ă©pouses de mon Fils ? Et soudain les Ăthiopiens,
sâenfuyant, la suivaient de loin.
Or, lâĂąme Ă©tant arrivĂ©e
au jugement de Dieu le Juge lui dit : Qui répondra pour cette ame et qui
est son avocat ?
Et Ă lâinstant, on vit
saint Jacques là présent : Je suis tenu, Î mon Seigneur, de parler pour
elle, car elle sâest souvenue de moi en ses grandes angoisses. O Seigneur,
ayez misĂ©ricorde dâelle, car elle a voulu et nâa pu.
Le Juge dit : Quâa-t-elle
voulu quâelle ne lâait pu ?
Elle vous a voulu servir
de tout son cĆur, mais elle nâa pas Ă©tĂ© si forte, dâautant que les
infirmitĂ©s lâen ont retardĂ©e.
Lors le Juge dit Ă lâĂąme
: Allez, car votre foi et votre volonté vous ont sauvée.
Et soudain lâĂąme est
sortie de la présence du Juge avec une grande joie, et était reluisante
comme une étoile ; et ceux qui étaient là présents dirent : Bénie
soyez-vous, ĂŽ Dieu ! qui Ă©tiez, ĂȘtes et serez, qui ne retirez jamais
votre miséricorde de ceux qui espÚrent en vous !
P446
Comment saint Nicolas
apparut Ă sainte Brigitte, et des merveilles.
Sainte Brigitte, visitant
les reliques de saint Nicolas de Baro en son sépulcre, commença à penser
Ă la liqueur de lâhuile qui coulait de son corps, et lors ravie hors
de soi en esprit, elle vit une personne ointe dâhuile et parfumĂ©e, qui
lui dit : Je suis Nicolas, Ă©vĂȘque, qui vous apparais en telle forme que
jâavais, avec les dispositions que jâavais en lâĂąme quand je vivais,
car tous mes membres étaient tellement habitués au service de Dieu, comme
les choses qui sont ointes, qui sont flexibles Ă ce quâon veut ; et
partant, mon Ăąme louait Dieu avec une joie indicible, et ma bouche prĂȘchait
la parole divine, et en mes Ćuvres on trouvait la patience, outre les
vertus dâhumilitĂ© et de chastetĂ© que jâai aimĂ©es singuliĂšrement
; mais dâautant que maintenant il y a plusieurs os aride de lâhumeur
divine, câest pourquoi ils donnent le son de vanitĂ© et font du bruit
; ils sont inhabiles pour produire les fruits de justice, et sont en abomination
devant Dieu. Or, sachez que comme la rose donne lâodeur et le raisin
la douceur, de mĂȘme Dieu donne Ă mon corps dâĂ©pandre et de distiller
de lâhuile et une singuliĂšre bĂ©nĂ©diction, dâautant quâil nâhonore
pas seulement les saints au ciel, mais les réjouit et les exalte en la
terre, afin que plusieurs soient édifiés et participent aux grùces qui
me sont données.
P447
Sainte Anne enseigne
Ă sainte Brigitte une oraison pour lâhonorer et pour impĂ©trer de Dieu
des enfants.
Le sacristain du monastĂšre
de Saint-Paul hors les murs de Rome, donna Ă sainte Brigitte des reliques
de sainte Anne, mĂšre de la MĂšre de Dieu ; or, elle, pensant comment elle
pourrait les enchĂąsser et les honorer, saint Anne lui apparut, disant
: Je suis Anne, la dame de tous les mariés fidÚles qui sont aprÚs la
loi, dâautant que Dieu a voulu naĂźtre de ma race : partant, vous, ma
fille, honorez Dieu en cette maniĂšre :
BĂ©ni soyez-vous, JĂ©sus,
Fils de Dieu et Fils de la Vierge, qui vous ĂȘtes choisis une MĂšre du
mariage dâAnne et de Joachim ! Partant, ayez misĂ©ricorde de tous les
mariĂ©s pour lâamour des priĂšres de sainte Anne, afin quâils fructifient
Ă Dieu. Dirigez aussi tous ceux qui tendent au mariage, pour que Dieu
soit honoré en eux. Les reliques que vous avez de moi seront en soulagement
aux bien-aimĂ©s, jusques Ă ce quâil plaise Ă Dieu dâhonorer plus
hautement le jour de la résurrection derniÚre.
Chapitre 105.
La MĂšre de Dieu exhorte
Ă visiter les saints lieux de Rome, etc.
La MĂšre de Dieu dit Ă
lâĂ©pouse sainte Brigitte : pourquoi vous troublez-vous ?
Elle répondit : Je me trouble
dâautant que je ne visite pas les saints lieux qui sont Ă Rome.
La MĂšre lui repartit :
Il vous est permis de les visiter avec lâhumilitĂ©, rĂ©vĂ©rence et dĂ©votion,
car Ă Rome, il y a de plus grandes indulgences que les hommes ne croient,
lesquelles les saints et amis de Dieu ont mĂ©ritĂ© dâimpĂ©trer de mon
Fils par leur sang et par leurs priĂšres. NĂ©anmoins, ma fille, ne quittez
point lâĂ©tude de la grammaire ni la sainte obĂ©issance de votre PĂšre
spirituel.
Chapitre 106.
Il est traitĂ© dâun
dissimulateur qui, feignant dâavoir quittĂ© le monde, demandait Ă sainte
Brigitte en quel Ă©tat il pourrait servir Dieu.
Un homme disait quâil
voulait servir Dieu et voulait savoir en quel Ă©tat il plairait plus Ă
Dieu : il consulta pour cela sainte Brigitte, désirant avoir en cela la
réponse divine ; duquel Notre-Seigneur parlant, dit à son épouse : Celui-ci
nâest point encore arrivĂ© au Jourdain, et moins, lâa-t-il passĂ©,
comme on Ă©crit dâĂlie quâayant passĂ© le Jourdain et Ă©tant arrivĂ©
au désert, il ouït les secrets divins. Mais quel est ce Jourdain,
sinon le monde, qui sâĂ©coule comme de lâeau, dâautant que les choses
temporelles montent tantĂŽt avec lâhomme, tantĂŽt descendent ; maintenant
lâĂ©lĂšvent en honneur et prospĂ©ritĂ©s, ores lâoppriment par lâadversitĂ©,
de sorte que lâhomme nâest jamais sans soin et tribulation ? il est
donc nécessaire que celui qui désire les choses célestes retire de son
esprit toutes les affections terrestres, car celui Ă qui Dieu est doux,
les choses caduques et passagÚres lui son véritablement viles. Mais cet
homme nâest pas encore parvenu Ă ce point quâil mĂ©prise toutes choses,
voire il a encore sa volontĂ© en ses mains. Partant, il nâouĂŻra point
les secrets du ciel, jusques à ce que plus parfaitement il méprise le
monde et quâil rĂ©signe sa volontĂ© en la main de Dieu.
P449
Chapitre 107.
Notre-Seigneur dit quâil
garde ses Ă©lus comme lâaigle ses petits. Il conseille Ă sainte Brigitte
de visiter le corps de saint André.
Le Fils de Dieu parle Ă
son Ă©pouse, disant : Lâaigle voit dâen haut celui qui veut nuire Ă
ses petits, et le prévient par son vol trÚs-prompt, les défendant :
de mĂȘme je prĂ©vois tout ce qui vous est de plus salutaire. Câest pourquoi
je dis souvent : Attendez. Et derechef je dis : Allez. Mais dâautant
quâil est maintenant temps, allez maintenant Ă la citĂ© dâAmaphre
à mon apÎtre André, le corps duquel a été mon temple trÚs-orné de
toute sorte de vertus ; câest pourquoi il a Ă©tĂ© lĂ le dĂ©positaire
des fidĂšles et le secours des pĂȘcheurs, car ceux qui vont lĂ dâune
ùme fidÚle, non-seulement seront déchargés des péchés, mais auront
la vie Ă©ternelle ; ni nâest pas de merveilles, car lui nâa pas eu
honte de ma croix, mais il la porta joyeusement ; et partant, je nâai
pas honte dâouĂŻr et de recevoir ceux pour lesquels il prie, car sa volontĂ©
est la mienne. Quand vous serez chez lui, tournez soudain Ă Naples pour
ma Nativité.
LâĂ©pouse dit : O Seigneur,
notre temps et notre Ăąge se passe, les infirmitĂ©s sâapprochent, et
le soutien temporel se diminue.
P450
Notre-Seigneur lui dit :
Je suis lâauteur de la nature, le Seigneur et le rĂ©formateur. Je suis
aussi aide dans les nécessités, protecteur et distributeur ; car comme
celui qui a un cheval qui lui est char nâĂ©pargne point son prĂ©, bien
quâil soit agrĂ©able, afin que lĂ ce cheval paisse, de mĂȘme moi, qui
ai toutes choses et ne manque de rien, qui regarde lâesprit de tous,
jâinspirerai aux cĆurs de ceux qui mâaiment de faire du bien Ă ceux
qui mâaiment, car jâavertis mĂȘme ceux qui ne mâaiment point, afin
quâils fassent du bien Ă mes amis et quâils deviennent meilleurs par
leurs priĂšres.
Dâune apparition faite
Ă sainte Brigitte Ă Rome de saint Etienne, etc.
Pour le jour de saint
Etienne.
Sainte Brigitte, Ă©pouse,
priait au sépulcre de saint Etienne à Rome hors les murs, disant : Béni
soyez-vous, ĂŽ saint Etienne ! qui ĂȘtes du mĂȘme mĂ©rite que saint Laurent,
car comme il prĂȘchait aux infidĂšles, de mĂȘme vous prĂȘchiez aux juifs
; et comme saint Laurent a souffert le feu avec joie, de mĂȘme cous avez
endurĂ© les pierres : Câest pourquoi vous ĂȘtes louĂ© le premier des
martyrs.
P451
Lors saint Etienne lui apparut,
disant : Jâai commencĂ© dĂšs ma jeunesse dâaimer Dieu chĂšrement, car
jâai eu des parents soigneux du salut de mon Ăąme. Or, quand Notre-Seigneur
JĂ©sus-Christ fut incarnĂ© et quâil commença de prĂȘcher, lors je lâĂ©coutais
de tout mon cĆur, et soudain aprĂšs son ascension, je mâunis avec les
apĂŽtres, servant avec humilitĂ© en la charge qui mâĂ©tais enjointe.
Je prenais joyeusement occasion de parler constamment avec les Juifs qui
blasphĂ©maient JĂ©sus-Christ. Je reprenais lâendurcissement de leur cĆur,
Ă©tant prĂȘt Ă mourir pour la vĂ©ritĂ© et Ă imiter mon Seigneur. Mais
il y avait trois choses qui coopéraient à ma couronne, dont je me réjouis
maintenant : la premiĂšre fut ma bonne volontĂ© ; la deuxiĂšme lâoraison
des apĂŽtres ; la troisiĂšme la passion et lâamour de Dieu. Câest pourquoi
je possĂšde aussi trois sortes de biens : le premier est que je vois incessamment
la face et la gloire de Dieu ; la deuxieme est que je peux tout ce que
je veux, et je ne veux sinon ce que Dieu veut ; le troisiĂšme que ma joie
sera sans fin, et dâautant que vous vous rĂ©jouissez de ma gloire, mon
oraison vous aidera pour avoir une plus grande connaissance de Dieu, et
lâEsprit de Dieu persĂ©vĂ©rera avec vous. Vous irez en JĂ©rusalem, lieu
de ma passion.
Répréhension et avis
que la Sainte Vierge Marie donne Ă un spirituel.
La MĂšre de Dieu parle :
LĂ oĂč est une trĂšs-bonne viande, si on y verse quelque amertume, elle
est soudain vile et mĂ©prisĂ©e : de mĂȘme quelquâun pourrait avoir toutes
les vertus ; sâil se plaĂźt en quelque pĂ©chĂ©, il ne plaĂźt point Ă
Dieu : partant, ĂŽ Brigitte, dites Ă ce mien ami que, sâil dĂ©sire plaire
Ă mon Fils et Ă moi, il ne se confie point en sa vertu ; quâil contienne
sa langue dâune grande quantitĂ© et vanitĂ© de paroles provoquant le
rire ; quâil garde quâen ses mĆurs on ne trouve point de lĂ©gĂšretĂ©,
car il doit porter les fleurs Ă la bouche, afin dâattirer les autres
aux fruits. Que si on trouve quelque chose dâamer entre les fleurs, les
fleurs sont méprisées et on ne désire pas les fruits, quoique bons :
partant, dites-lui que comme lâhomme et sa femme sâaiment quelquefois
pour la seule sustentation du corps, et que comme quelquefois on est dans
le monastĂšre pour le seul bien du corps, de mĂȘme cet homme que vous connaissez
dĂ©sire ĂȘtre dans le monastĂšre pour le bien corporel, afin de ne souffrir
rien de contraire ; il dĂ©sire aussi dâĂȘtre pauvre Ă condition que
rien en lui manque : partant, quâil laisse donc sa propre volontĂ©, car
Dieu aime plus quâon vive au monde justement et quâon travaille de
ses propres mains, que dans le dĂ©sert ou religion sans lâamour de Dieu.
P452
Chapitre 110.
JĂ©sus-Christ dit Ă
lâĂ©pouse ce que signifient les sept tonnerres.
Un docteur demanda une fois
Ă sainte Brigitte ce que signifiaient les sept tonnerres. Elle, Ă©tant
ravie en esprit, ouĂŻt de JĂ©sus-Christ ce qui suit :
P453
Ne croyez pas, ma fille,
quâil faille penser quâen ma DivinitĂ© il y ait quelque chose temporelle,
ni quâil y ait des tonnerres, des vents, ou des crĂ©atures sensibles
ayant une voix humaine. Mais Jean vit par mon inspiration les dangers futurs
de lâĂglise sous des espĂšces corporelles, lesquelles choses, sâil
les eût écrites devoir venir en un certain temps, les auditeurs les eussent
eues en horreur, et les attendant, ils se fussent séchés de crainte et
dâeffroi. Partant, il lui fut commandĂ© de marquer ce quâil vit, mais
non pas de lâĂ©crire, car lĂ oĂč quelque chose est marquĂ©e, câest
un signe qui porte de la crainte et de lâeffroi, comme nous voyons aux
hurlements des tonnerres, des foudres et des vents, car ils signifiaient
les menaces furieuses des tyrans qui troublaient mon Ăglise, lesquelles
Jean voyait si vĂ©hĂ©mentes par esprit de prophĂ©ties quâil fallait plutĂŽt
les marquer que les déclarer par écrit ; car comme celui qui écrit ou
dit une petite parabole qui signifie beaucoup, afin que les auditeurs aient
sujet de craindre les choses futures, de mĂȘme jâai montrĂ© les choses
futures, mais je ne les ai point exposées, afin que les hommes en eussent
crainte ; et dâautant que le temps nâĂ©tait pas arrivĂ© quâon cassĂąt
la noix et quâon en retirĂąt le noyau, je les ai voulu montrer fort obscurĂ©ment,
car on doit plutĂŽt prĂ©parer le vase quây verser la liqueur. Sachez
aussi que de si grands tonnerres et foudres viendront en mon Eglise que
plusieurs de ceux qui vivent maintenant le verront avec une si grande douleur
quâils dĂ©sireront la mort, et elle sâenfuira dâeux.
Chapitre 111.
LâobĂ©issance est prĂ©fĂ©rĂ©e
à la chasteté, et elle introduit à la gloire.
Le Fils de Dieu dit Ă saint
Brigitte : Que craignez-vous ? Bien que vous mangeassiez dix fois le jour
par le commandement de lâobĂ©issance, certainement il ne vous serait
point imputé à péché, car la virginité mérite la couronne, la viduité
sâapproche de Dieu, mais lâobĂ©issance les introduit tous en la gloire.
P454
De la peau qui fut Îtée
à la circoncision à Notre-Seigneur, et du sang, qui furent donnés en
garde Ă saint Jean.
La sainte MĂšre de Dieu
dit : Lorsque mon Fils fut circoncis, je gardai la membrane avec un grand
honneur partout oĂč lâallais, car comment eussĂ©-je pu la remettre en
la terre, ayant été engendrée de moi sans péché ? Quand le temps de
mon dĂ©part du monde sâapprochait, je la donnai en garde Ă saint Jean,
mon gardien, avec le sang précieux qui était demeuré dans les plaies
quand nous lâeĂ»mes descendu de la croix. AprĂšs cela, saint Jean et
ses successeurs Ă©tant morts, la malice et la perfidie des infidĂšles croissant,
les fidĂšles qui restaient lors la cachĂšrent en un lieu trĂšs-pur sous
terre, oĂč elle fut longtemps inconnue, jusquâĂ ce que lâange de Dieu
la révélùt à ses amis.
O Rome ! ĂŽ Rome ! si vous
saviez, vous vous réjouiriez ! Certainement si vous saviez, vous pleureriez
mĂȘme incessamment, dâautant que vous avez un trĂ©sor qui mâest trĂšs-cher,
et vous ne lâhonorez pas !
De lâĂ©tat des frĂšres
dâAlvastre.
P455
Sainte Brigitte, Ă©tant
ravie en priĂšre, vit en esprit une grande maison, et sur la maison le
ciel grandement serein ; et le regardant, elle lâadmirait. Elle vit aussi
deux colombes qui montaient et pénétraient dans le ciel, lesquelles quelques
Ăthiopiens tachaient dâempĂȘcher, mais ils ne pouvaient pas. Au-dessus
de la maison, on voyait un cahos dans lequel il y avait trois ordres de
frĂšres : les premiers Ă©taient simples comme des colombes, câest pourquoi
aussi ils montaient fort facilement ; les deuxiĂšmes venaient en purgatoire
; les troisiĂšmes sont ceux qui avaient un pied dans la mer, et lâautre
dans un navire, le jugement desquels sâapproche maintenant ; et afin
que vous sachiez et que vous Ă©prouviez que lâun passera aprĂšs lâautre,
selon que je vous en exprime les noms, ce qui arriva, car la mortalité
en ravagea trente-trois.
Du péché véniel, qui
est fait mortel par le mépris.
Un jour sainte Brigitte
se confessant, son confesseur fut appelĂ© par quelque prĂȘtre, et y allant,
il oublia de donner lâabsolution Ă sainte Brigitte. Elle, se voulant
aller coucher et sâagenouillant, le Saint-Esprit lui dit : Humiliez-vous,
ma fille pour recevoir lâabsolution, le Saint-Esprit lui dit : Ceux
qui ne prennent garde aux choses petites tombent dans les grandes, car
mĂȘme le pĂ©chĂ© vĂ©niel dont la conscience remord, si on le continue avec
mépris, sera mortel et sera rudement puni.
P456
La bonne volonté suffit
au pénitent, quand il ne peut trouver un confesseur.
Un certain homme Ă©tait
venu dâun diocĂšse Ă Rome ; ignorant lâidiome et la langue, ne trouvant
Ă Rome pas un qui lâentendit et ne pouvant avoir de confesseur, il se
conseilla avec sainte Brigitte afin de savoir ce quâil ferait.
Lors JĂ©sus-Christ lui dit : Cet homme qui vous a consultĂ©e pleure dâautant
quâil nâa personne qui lâoie en confession. Dites-lui que la volontĂ©
lui suffit, car quâest-ce qui profita au larron en la croix ? ne fut-ce
pas la bonne volontĂ© et les affections dĂ©rĂ©glĂ©es. Lucifer nâa-t-il
pas Ă©tĂ© bien crĂ©Ă© ? ou moi, qui suis la bontĂ© et la vertu mĂȘme, aurais-je
créé quelque mal ? non certes, aucun. Mais aprÚs que Lucifer eut abusé
de sa volontĂ© et la porta au dĂ©rĂšglement, il a Ă©tĂ© lui-mĂȘme dĂ©rĂ©glĂ©
et mauvais par sa mauvaise volonté. Partant, que le pauvre homme demeure
stable et quâil ne se retire point de ses bonnes rĂ©solutions ; quand
il sera en son pays, quâil cherche et quâil oie ce qui est salutaire
Ă son Ăąme ; quâil soumette sa volontĂ© et quâil obĂ©isse plutĂŽt
au conseil des sages et des justes quâĂ sa volontĂ©, ou autrement, sâil
meurt par le chemin, il en sera comme du bon larron : Vous serez ce jourdâhui
en paradis.
P457
Combien la simplicité
est agréable à Dieu.
Un certain homme ne savait
pas Ă grandâpeine le Pater noster ; il demanda un conseil pour son Ăąme
à sainte Brigitte, à laquelle Notre-Seigneur dit : Plus me plait la simplicité
de ce pauvre homme simple que la prudence des superbes, dâautant que
leur superbe les Ă©loigne de Dieu, et en celui-ci, lâhumilitĂ© introduit
Dieu dans son cĆur, partant, dites-lui quâil continue comme il a fait,
et il aura la rĂ©compense avec ceux dont jâai dit : Venez, vous qui avez
travaillé, et je vous soulagerai avec le pain éternel ; car si je lui
dis comme jâai dit Ă Judas quand il me demandait conseil trompeusement
: Gardez les commandements et vendez ce que vous avez ; il ne pourra le
souffrit, dâautant que la vieillesse fuit la reforme et que la pauvretĂ©
nâa rien Ă vendre. NĂ©anmoins, les commandements de Dieu sont nĂ©cessaires
Ă ceux qui tendent Ă la vie Ă©ternelle, car sans eux lâhomme ne peut
ĂȘtre sauvĂ©, sâil peut en ĂȘtre instruit. Mais quant Ă cet homme, sa
docte folie et sa bonne volonté me plaisent en telle sorte comme les deux
deniers de la veuve que jâai prĂ©fĂ©rĂ©s aux prĂ©sents des rois, car
en sa folie, il a toute la sagesse, car il mâaime de tout son cĆur.
Mais dâoĂč vient cet amour, sinon de mon Esprit? et ceci semble folie
aux sages du monde de nâaimer les richesses et de ne savoir parler des
grandes choses ; Partant, je lâappelle docte folie, dâautant quâil
puise de moi la sagesse, qui consiste Ă aimer Dieu.
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Ne vous semble-t-il pas
sage, celui qui ne sait quâune parole : aimer ? Par cette dĂ©lection,
il garde tous les commandements de la loi de Moise ; par icelle, il donne
Ă Dieu ce quâil lui faut donner ; par icelle, il garde tous les conseils
; par icelle, il garde tout le droit et les lois ; par icelle, il aime
son prochain, ne dĂ©sirant point le bien dâautrui, ne trompant point
son prochain ; par icelle, il se souvient incessamment de la mort et du
jugement, dont je le dois juger : et partant, celui qui veut venir Ă moi
ne se doit inquiĂ©ter de lâignorance de la loi, pourvu quâil veuille
se servir de sa conscience, qui dit quâil veut pĂątir ce quâelle voudrait
faire Ă autrui. Car pourquoi lâhomme feuillette-t-il tant et tant de
livres ? nâest-ce pas pour me servir ? nâest-ce pas plus pour sa curiositĂ©,
ostentation et pour ĂȘtre appelĂ© docte ? VĂ©ritablement, chacun sait en
sa conscience et chacun est jugé par icelle. Partant, ma fille, celui
qui dit dâune foi parfaite et dâune bonne volontĂ© ces paroles : JĂ©sus,
ayez miséricorde de moi, me plaßt plus que celui qui dire cent versets
sans attention.
Chapitre 117.
Du grand bien quâil
y a dâinvoquer la Sainte Vierge Marie.
Pour les Bénédictions.
La Sainte Vierge Marie dit
: Il nây a pas si grand pĂ©cheur plongĂ© en des crimes si sales, qui,
sâil mâinvoque, ne soit par moi secouru. Car quây a-t-il de plus
vil que de soigner une tĂȘte galeuse ? Si quelquâun mâinvoque, je le
guĂ©rirai. Quây a-t-il de plus sordide que lâinstrument avec lequel
on nettoie les ordures ? Néanmoins, si celui-là qui est aussi souillé
mâinvoque, je le nettoierai. Quây a-t-il de plus vil que de laver les
pieds à un lépreux ? et néanmoins je laverai ce lépreux-là .
P459
LâĂ©pouse rĂ©pondit :
O trĂšs-sainte Dame, je sais que vous ĂȘtes trĂšs-humble, trĂšs-puissante
et trÚs-bénigne. Aidez cette ùme pour laquelle je vous ai priée si
souvent.
La MÚre répondit : Cette
Ăąme a eu trois choses en sa vie : 1. elle a voulu avoir le monde, mais
le monde ne lâa pas voulue ; 2. elle a aimĂ© la chair par lâincontinence,
dâautant quâelle nâa pas voulu se marier ; 3. elle a aimĂ© Dieu moins
quâelle ne devait, bien quâelle fut constante en la foi ; elle est
maintenant affranchie de ces choses-lĂ , et elle participe Ă la table
de ma piété. Quelques choses encore lui restent, desquelles étant purifiée,
elle sera délivrée des peines.
JĂ©sus-Christ conseille
Ă sainte Catherine, fille de sainte Brigitte, de ne sâen retourner point
au pays, car son mari mourra bientĂŽt.
Le Fils de Dieu parle Ă
sainte Brigitte : Consultez cette dame, et priez-la de demeurer quelque
temps avec vous, car il vous est plus utile de vous en retourner, car je
lui ferai comme le pÚre fait à sa fille, qui est aimée de deux et est
demandĂ©e en mariage, lâun desquels est pauvre et lâautre riche, et
tous deux sont aimés de la fille. Le pÚre donc, qui est sage et prudent,
voit lâaffection de la fille se porter vers celui qui est pauvre ; il
donne au pauvre des vĂȘtements et des dons, et donne au riche sa fille
: jâen veux faire de mĂȘme. Celle-lĂ mâaime et aime son mari ; partant,
puisque je suis plus riche et le Seigneur de toutes choses, je le veux
combler de mes dons, qui lui seront utiles pour son Ăąme. Il me plaĂźt
de lâappeler bientĂŽt, et la maladie dont il est atteint est un signe
de son décÚs, car il est trÚs-décent que celui qui tend à un
trĂšs-puissant soit connu en ses raisons, et quâil soit dĂ©pĂȘtrĂ© des
choses charnelles. Je la (1)
veux conduire et rĂ©duire en son pays jusques Ă ce quâelle soit propre
Ă lâĆuvre Ă laquelle je lâai appelĂ©e de toute Ă©ternitĂ© et que
je veux manifester.
P460
Un peu de temps sâĂ©tant
Ă©coulĂ© aprĂšs que sainte Catherine eut fait vĆu de demeurer Ă Rome
avec sa mĂšre, Ă©tant Ă©branlĂ© de lâhorreur dâune vie inaccoutumĂ©e
et étant mémorative de la liberté passée, étant en anxiété, demanda
Ă sa mĂšre quâelle put retourner en SuĂšde. Sa mĂšre priant pour cette
tentation, Notre-Seigneur lui dit : Dites Ă cette fille vierge quâelle
est veuve, et que je lui conseille de demeurer avec vous, car ma providence
en doit avoir le soin.
(1)
Sainte Catherine, fille de sainte Brigitte
Chapitre 119.
Des trois Ă©tats
de mariage, viduité et virginité.
JĂ©sus-Christ parle : LâĂ©tat
commun et louable mâa Ă©tĂ© agrĂ©able, car Moise, conducteur de mon peuple,
mâagrĂ©a, bien quâil fĂ»t mariĂ©. Saint Pierre a Ă©tĂ© appelĂ© Ă lâapostolat
pendant le vivant de sa femme, et en cela il me plut, car il faut monter
aux choses parfaites des moins parfaites, et il fallait que le peuple charnel
fĂ»t instruit par des choses sensibles, signes et Ćuvres, afin quâil
comprĂźt les choses spirituelles.
P461
De mĂȘme Judith, Ă raison
de sa viduité et pour le bien de la viduité, trouva grùce en ma présence,
et elle fut digne, à raison de la continence, de délivrer son peuple.
Mais Jean, Ă la garde duquel je commis ma mĂšre, ne mâa point dĂ©plu
pour avoir été vierge, voire il me plut grandement, car la vie trÚs-parfaite
en la chair est de ne vivre point charnellement et dâĂȘtre semblable
aux anges, câest pourquoi il mĂ©rita dâĂȘtre gardien de la chastetĂ©
et de lui montrer des signes signalĂ©s de charitĂ©. Jâen dis de mĂȘme
maintenant : la viduité de cette dame me plaßt plus que son mariage,
dâautant quâune veuve humble mâest plus agrĂ©able quâune vierge
superbe ; et plus mérita MagdelÚne en son humilité et ses larmes que
si elle eût demeuré en ses propres volontés.
La charité est comparée
Ă un arbre entre les vertus ; lâobĂ©issance tient le premier rang entre
les morales.
JĂ©sus-Christ, Fils de lâĂternel,
parle : Comme sur un arbre Ă plusieurs rameaux, ceux qui sont plus hauts
participent plus aux ardeurs du soleil et des vents, de mĂȘme en est-il
des vertus. La charitĂ© est comme un arbre ; dâelle procĂšdent toutes
les vertus, entre lesquelles lâobĂ©issance tient le premier rang, pour
lâamour de laquelle je nâai pas hĂ©sitĂ© de subir la mort et la croix
: câest pourquoi lâobĂ©issance mâest trĂšs-agrĂ©able comme le fruit
qui mâest trĂšs-doux, car comme la paix est trĂšs-paisible, de mĂȘme
cet homme mâest trĂšs-bon ami, qui se soumet aux autres par humilitĂ©,
et met et consigne ses vouloirs aux vouloirs des autres. Partant, il me
plaĂźt que cette dame (1)
obéisse, renonçant à sa volonté pour sa plus grande couronne et pour
avoir un plus grand amour. Abraham, renonçant à sa volonté, a été
plus aimable, et Ruth a Ă©tĂ© plus chĂšre Ă Dieu en son peuple, dâautant
quâelle nâobĂ©it pas Ă sa propre volontĂ©.
P462
Notre-Seigneur parla derechef
: Cette dame ne mourra point, comme le médecin dit, mais elle vivra un
temps convenable, car je la veux nourrir sous la protection de ma main
droite, et je lui donnerais la sapience, afin quâelle me donne des fruits
amoureux et quâelle vive pour mon honneur.
(1)
Sainte Catherine de SuĂšde.
Chapitre 121.
De lâexcellence de
lâobĂ©issance, etc.
Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ
dit : LâobĂ©issance est une vertu par laquelle les choses imparfaites
sont parfaites, et toutes les négligences sont éteintes ; car moi, Dieu,
la perfection mĂȘme, jâai obĂ©i Ă mon PĂšre jusques Ă la mort de la
croix, afin de montrer par mon exemple combien il est agréable à Dieu
de renoncer à ses propres volontés. Mais plusieurs, ne considérant point
lâexcellence de lâobĂ©issance ni nâayant un zĂšle discret, suivent
la conception de leur esprit, et ainsi, en peu de temps, ils affligent
indiscrĂštement leur chair et sont aprĂšs longtemps inutiles Ă eux-mĂȘmes
et aux autres, de quoi ils plaisent moins Ă Dieu et sont Ă charge aux
autres ; et ceux-là considérant aprÚs leurs défauts et voulant rétracter
les choses passĂ©es, soudain la confusion les saisit de laisser ce quâils
avaient commencĂ©, et adhurtĂ©s Ă leur vanitĂ©, ils nâosent reprendre
la premiĂšre vie. De telle condition est cet homme que vous voyez, qui
ne considÚre point les conseils des hommes éprouvés ni ne pense aux
paroles que jâen ai dites : Je ne veux point la mort de la chair, mais
du pĂ©chĂ© : partant, il faut craindre quâil ne tombe en de plus grandes
tribulations, voire en dĂ©faut dâesprit.
NĂ©anmoins, sâil obĂ©it
aux sages, et sâil soumet et dĂ©met son esprit de ses propres pensĂ©es,
la couronne lui sera redoublĂ©e, et la dĂ©votion sâaugmentera en lui
; autrement, il lui sera fait comme il est Ă©crit : Lâhomme est venu
et a surmené la zizanie, et les épines naissantes ont suffoqué la bonne
semence.
P463
Chapitre 122.
Le Fils de Dieu montre
par son exemple la modestie Ă lâoraison, etc.
JĂ©sus-Christ parle : Moi,
Ă©tant en lâhumanitĂ©, jâai tellement tempĂ©rĂ© mes oraisons, mes labeurs
et mes jeĂ»nes, que ceux qui me voyaient nâen Ă©taient scandalisĂ©s ni
les absents nâen Ă©taient point offensĂ©s, mais tous ceux qui voulaient,
pouvaient imiter mes paroles, mes Ćuvres et suivre mes exemples.
P464
Or, cette dame que vous
voyez a des gestes admirables ; elle nâest pas sans un grand remords
de conscience : câest pourquoi le conseil veut quâelle modĂšre avec
plus de tempĂ©rance ses façons de faire, et quâelle fasse ce quâelle
fait plus en cachette quâen public, autrement son labeur sera vain et
son oraison lui réussira moins à sa couronne.
Fin du Livre 6 des Révélations
célestes de Sainte Brigitte de SuÚde.
jugé à la grùce, néanmoins,
avant qu'il soit entiÚrement purifié; son ùme endurera en purgatoire
un supplice si cuisant, qu'il n'y a mortel qui le puisse comprendre. HĂ©las!
qu'est-ce que ceux-là qui ont leurs volontés liées au monde, et ne sont
affligés par aucune tribulations?
Le distribuer Ă tous ceux qui le
veulent et Ă ceux qui ne le veulent pas ;
Il doit ĂȘtre patient et modĂ©rĂ©
;
il doit ĂȘtre raisonnable et Ă©quitable
en la distribution,
Quand il prend la ceinture, lors
sa volontĂ© est liĂ©e au diable, de sorte quâil propose aucunement de
mourir en son pĂ©chĂ© ; et lors, ma charitĂ© se retire de lui, dâautant
que sa volonté se porte à tout ce que le diable veut et lui suggÚre,
excepté quand les jugements effroyables de ma juste indignation le retiennent.
choses futures ; sa bouche a été
close à votre louange, et ses mains ont été tout à fait débiles aux
bonnes Ćuvres, en sorte que toute vertu et toute bontĂ© Ă©taient comme
Ă©teintes en lui ; nĂ©anmoins, il sâarrĂȘtait sur un pied comme en un
chemin fourchu.
BĂ©ni soyez-vous, ĂŽ ma MĂšre trĂšs-chĂšre,
Dame des anges, Reine de tous les esprits !
Vos paroles me sont trĂšs-douces
et délectables comme un vin trÚs-bon, voire par-dessus tout ce qui se
peut penser et quâon peut trouver en la sapience et justice.
BĂ©nies soient votre bouche et vos
lĂšvres, desquelles toute misĂ©ricorde sâĂ©coule sur les pĂ©cheurs !
Vous ĂȘtes publiĂ©e MĂšre de MisĂ©ricorde, et lâĂȘtes, attendu que vous
considérez les misÚres de tous, et me fléchissez à miséricorde ; demandez
donc ce que vous dĂ©sirez, car votre charitable demande ne peut ĂȘtre vaine.
Donnez-lui cette faveur quâil
ressente en soi ce secours, quâil se plaise avec la ferveur de l'amour.
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286
P294
puissent ĂȘtre vainqueurs sans la
permission divine et sans sa justice, car souvent on voit les bons qui
prospĂšrent sur les mauvais, et quelquefois, par un juste et occulte jugement
de Dieu, les mauvais sur les justes ; et dâautant quâil y a peu dâhommes
qui considĂšrent la patience et la justice de Dieu, Ă raison de leur grande
nĂ©gligence, câest pourquoi, câest pourquoi la vertu divine est peu
estimĂ©e dans les combats, mais on attribue tout a lâhomme comme puissant.
Trois sortes dâarmes sont nĂ©cessaires
pour combattre :
1-
Ce que jâai dit au riche : Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres
et suivez-moi.
2-
Ne soyez point soigneux du lendemain.
3-
Voyez comme les passereaux sont repus : combien plus le PÚre céleste
repaĂźtra les hommes !
5-
Cherchez en premier lieu le royaume de Dieu.
6-
Vous tous qui avez faim, venez à moi, et je vous réfectionnerai.
Il est traitĂ© dâune doctrine
fort utile contre les ennemis de lâĂąme, et contre les envieux qui dĂ©sirent
aux hommes la confusion, le dommage et la vie courte.
LâĂ©pouse admire et se rĂ©pute
indigne devant JĂ©sus-Christ de la grĂące quâelle a de voir et dâouĂŻr
en esprit ce qui se fait au ciel, en purgatoire et en enfer, et plusieurs
autres choses excellentes qui sont déclarées en ce chapitre.
Le Fils rĂ©pondit : Vous ĂȘtes comme
un boisson douce Ă celui qui a soif, et comme une fontaine arrosant les
choses arides, dâautant que, par vous, tout grĂące fleurit. Câest pourquoi
je ferai ce que vous demandez.
fleurissante. Mais sachez que ma conception nâa pas Ă©tĂ© connue
de tous, car Dieu a voulu que, comme devant la loi Ă©crite, la loi naturelle
procĂ©dĂąt, et le choix libre du bien et du mal, et quâaprĂšs, la loi
écrite vßnt, qui retiendrait le frein à tous les mouvements effrénés,
de mĂȘme il a plu Ă Dieu que ses amis aient doutĂ© pieusement de ma conception,
afin quâun chacun montrĂąt son zĂšle jusquâĂ ce que la vĂ©ritĂ© parĂ»t
au temps que la sagesse avait ordonné
La Sainte Vierge montre que sa Nativité est la porte des vraies
joies, etc. Elle se plaint des femmes qui ne considÚrent cela avec dévotion.
2- En mon ouĂŻe, car tout autant
de fois que jâoyais les opprobres quâon vomissait contre mon Fils,
les mensonges et les embûches, mon esprit était comme emporté par la
douleur, de sorte quâĂ grand peine il se pouvait tenir ; mais la vertu
divine donna la maniĂšre et lâhonnĂȘtetĂ©, afin quâon ne remarquĂąt
en moi rien dâimparfait.
3- En la vue, car quand
je vis quâon fouettait mon Fils, quâon le clouait, quâon le pendait
en un gibet, je tombai comme morte ; mais prenant courage, je demeurai
auprĂšs, debout et souffrant tout cela si patiemment que mes ennemis ni
autres ne trouvaient en moi que douleur.
4- En lâattouchement,
car moi et les autres descendĂźmes mon Fils de la croix ; je lâenveloppai
et le mis dans le sépulcre, et de la sorte, ma douleur augmentait tellement
quâĂ peine mes mains et mes pieds avaient-ils la force de me soutenir.
Oh ! que volontiers jâeusse voulu alors ĂȘtre ensevelie avec mon Fils
!
5- Je souffrais Ă raison
du dĂ©sir vĂ©hĂ©ment que jâavais dâaller au ciel, aprĂšs que mon Fils
y fut monté, car la longue demeure que je fis en terre aprÚs son départ
augmentait grandement ma douleur.
6- Je souffrais de la
tribulation des apĂŽtres et des amis de Dieu, la douleur desquels Ă©tait
ma douleur, craignant toujours quâils ne succombassent aux tentations
et tribulations, et dolente, dâautant que les paroles de mon Fils Ă©taient
contrariées par tout. Or, bien que la grùce de Dieu persévérùt toujours
avec moi et que ma volonté fût selon la sienne, néanmoins ma douleur
fut continuelle, mĂȘlĂ©e avec la consolation, jusquâĂ ce que je fusse
au ciel, en corps et en Ăąme auprĂšs de mon Fils. Partant, ĂŽ ma fille,
que cette douleur ne se retire jamais de votre cĆur, car sans les tribulations,
peu de gens seraient sauvés.
2. Que lâĂąme soit cĂ©leste,
puisquâelle a lâimage de Dieu : câest pourquoi elle ne doit jamais
chercher ses plaisirs ni ses goĂ»ts en la chair, de peur quâelle ne se
conforme Ă lâimage du diable.
3. Quâelle soit fervente
en lâamour divin, dâautant quâelle est sĆur des anges, immortelle
et Ă©ternelle.
4. Quâelle soit belle et
enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la beauté éternelle
du Dieu vivant.
Page 403
Avertissements aux prélats.
.
sâapprochant de sainte Brigitte, se plaignait, dâautant que ce
prĂȘtre ne voulait lâabsoudre ; câest pourquoi elle se mit en oraison
pour le prĂȘtre et pour le pĂ©cheur, et en mĂȘme temps, elle ouĂŻt la voix
du PĂšre qui disait des cieux : Dites au prĂȘtre que, de ma part, il absolve
tous ceux qui viendront à lui de sa nation, leur enjoignant pénitence
selon la grùce qui lui sera donnée, selon que la droite raison lui suggéra,
et selon aussi que le pĂ©nitent la pourra supporter, et quâil lâabsolve
avec assurance jusquâĂ ce quâun semblable pĂ©cheur se prĂ©sente et
que je lui dise : Il ne faut pas lâabsoudre. Quâil prenne nĂ©anmoins
garde aux censures ecclésiastiques et aux crimes notoires qui doivent
ĂȘtre juges publiquement par les prĂ©lats de lâĂglise.
(1)
Lincompensem
Il prédit sa mort soudaine.