Livre 7
Livre VII.
I.
Du voyage que sainte Brigitte devait faire à Jérusalem, et des biens de ce voyage.
Sainte Brigitte, étant
à Rome et étant une fois en oraison, commença à
penser à l’enfantement de la Sainte Vierge, et à la souveraine
bonté de Dieu qui avait voulu se choisir une Mère si pure;
et lors son cœur s’enflammait d’amour en telle sorte pour la Sainte Vierge,
qu’elle disait dans son coeur : ô ma Dame, Reine du ciel, mon cœur
se réjouit tellement que le grand Dieu vous ait choisie pour sa
Mère et qu’il vous ait voulu élever à une si grande
dignité, que j’aimerais mieux endurer les peines éternelles
de l’enfer que vous voir privée un
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seul moment d’une gloire si excellente et d’une si éminente
dignité; et elle était enivrée de la douceur de cet
amour et aliénée des sens, étant suspendue en l’extase
d’une sublime contemplation. Et lors la Sainte Vierge lui apparut, disant
: Voyez, ma fille! je suis la Reine du ciel; et d'autant que vous m’aimez
d’un amour si grand, je vous annonce que vous irez en pèlerinage
en la sainte cité de Jérusalem, quand il plaira à
mon Fils, et de là, vous irez à Bethléem, et là
je vous montrerai en même lieu la manière dont j’ai enfanté
mon Fils Jésus-Christ, car il le veut ainsi.
II.
Du glaive de douleur qui perça l’âme de la Sainte Vierge.
Pour le jour de la Purification
Le jour de la Purification de la Sainte Vierge Marie, lorsque
sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, était à
Rome, elle fut ravie, et vit au ciel que quasi toutes choses se préparaient
pour cette grande fête; et lors elle vit aussi comme un temple d’une
beauté admirable, et là était ce vénérable
Siméon, vieux et juste, préparé à recevoir
l’enfant Jésus entre ses bras avec un grand et sensible désir
et joie indicible; elle voyait aussi la Sainte Vierge qui venait avec une
grande honnêteté, portant le petit Jésus pour l’offrir
au temple, selon la loi du Seigneur. Après, une grande multitude
d’anges, de saints de divers ordres, de vierges saintes et autres dames
qui allaient devant la Sainte Vierge, et
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l’entouraient avec une grande joie et dévotion, devant laquelle
un ange portait un glaive fort long et large et tout sanglant, qui signifiait
les douleurs que la Sainte Vierge avait endurées en la mort de son
Fils, préfigurées par le glaive que le juste Siméon
avait prédit, qui outrepercerait son cœur, d’où vient que,
toute la cour céleste se réjouissant, il fut dit à
l’épouse : Voyez quel honneur et gloire on fait aujourd'hui à
la Reine du ciel en cette fête, pour le glaive de douleur qu’elle
a souffert en la passion de son cher Fils. Et lors cette vision disparut.
III.
De saint François qui apparut à sainte Brigitte.
Pour le jour de saint François.
Le jour de la fête de saint François, en son église
qui est à Rome au-delà du Tibre, ce saint apparut à
sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, lui disant : Venez
à ma chambre, pour manger et boire avec moi. Ce qu’oyant, elle se
disposa soudain à s’en aller visiter Assise; y étant arrivée,
elle y demeura cinq jours; et proposant de s’en retourner à Rome,
elle entra en l’église, afin de se recommander, elle et les siens,
à saint François. Et lors ce saint lui apparut : Vous, soyez
la bienvenue, dit-il. Je vous ai conviée à ma chambre, afin
de manger et boire avec moi. Sachez néanmoins que cette maison n’est
pas ma chambre, dont je vous ai parlé, mais ma chambre est la vraie
obéissance que j’ai toujours chèrement gardée, de
sorte que je n’ai jamais été sans maître, car j’ai
eu toujours avec moi un prêtre à qui j’ai obéi fidèlement
en tous ses
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commandements, et ce fut là ma chambre. Faites-en de même,
car cela plaît à Dieu. La viande qui me rassasiait grandement
était tirer, voire arracher mon prochain de la vanité du
siècle pour servir Dieu de tout cœur. Et lors j’avalais ce morceau
comme les plus douces viandes. Ma boisson était cette joie que j’eus,
quand je vis quelques-uns de ceux que j’avais convertis, aimer Dieu de
toutes leurs forces, s’adonner et s’occuper à la contemplation et
à l’oraison, instruire les autres à bien vivre, imiter et
embrasser la vraie pauvreté; ma fille, cette boisson réjouissait
mon âme, de sorte que j’avais en dégoût tout ce qui
était du monde.
Mangez donc en cette chambre, mangez une telle viande et buvez
une telle boisson, buvez-la donc, afin qu’avec Dieu vous soyez réfectionnée
éternellement.
IV.
Il est ici parlé d’une révélation touchant le corps de saint Thomas l’apôtre.
Il semblait à une certaine personne veillant en oraison
que son cœur était enflammé du divin amour et tout plein
de joie spirituelle, de sorte que son corps manquait de forces pour le
supporter. Lors elle ouït une voix qui lui disait : Je suis le créateur
de toutes choses, et le Rédempteur. Sachez donc que la joie que
vous ressentez en l'âme, c’est mon trésor, car, comme il est
écrit, l’esprit souffle où il veut et on entend sa voix,
mais on ne sait pas d’où il vient ni où il va.. Je donne
ce trésor à mes amis en diverses manières et en divers
dons :
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néanmoins je vous veux parler
d’un autre trésor qui n’est pas encore dans le ciel, mais est encore
avec vous en terre. Ce trésor, ce sont les reliques des saints et
les corps de mes amis : soit qu’ils soient pourris, soit qu’ils soient
récents, convertis en poudre ou non, ils sont toujours certainement
mon trésor.
Mais vous me pourriez demander,
l’Écriture même le disant : Là où est votre
trésor, là est votre cœur, comment mon cœur est maintenant
avec ce trésor, savoir, avec les reliques des saints.
Je vous réponds :
La grande délectation de mon cœur est en ceux qui ont été
honorés et glorifiés de merveilles, et sont canonisés
par les souverains pontifes, et de leur donner les récompenses éternelles
selon les volontés, foi et travaux de ceux qui les visitent. Partant,
mon cœur est avec mon trésor. Partant, je veux que vous sachiez
pour certain qu’en ce lieu, il y a un mien trésor très-choisi,
savoir, les reliques de saint Thomas l’apôtre, et en aucun lieu,
il n’y en a avec autant d’abondance qu’en ce lieu, sans être divisées.
En effet, quand cette cité fut ruinée, où le corps
de cet apôtre fut mis, lors ce trésor fut transféré
par ma permission par quelques miens amis en cette cité (d’Ortone);
or, maintenant il demeure là comme caché, d'autant que les
princes de ce royaume étaient disposés comme David dit :
Ils ont des bouches, et ne parlent point. Ils ont des yeux, et ils ne voient
point. Ils ont des oreilles, et ils n’oient point. Ils ont des mains, et
ne touchent point. Ils ont des pieds, et ne marchent point, etc. Comment
donc, étant de la sorte, pourront-ils rendre un tel honneur à
ce trésor, eux qui sont contre moi? Quiconque donc m’aime et mes
amis, ai-
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mant plutôt mourir que de
ne m’aimer et que de m’offenser en la moindre chose, ayant encore la volonté
et le pouvoir de m’honorer avec ma grâce et de le commander aux autres,
celui-là exaltera et honorera mon trésor, savoir, les reliques
de ce mien apôtre, lequel je choisis et j’élus. On doit donc
pour certain assurer et dire que comme les corps de saint Pierre et saint
Paul sont à Rome, de même les reliques de saint Thomas sont
en Ortone.
L’épouse dit : O Seigneur,
les princes de ce royaume n’ont-ils pas fait édifier ces églises,
et ne leur ont-ils pas fait de grands dons?
Notre-Seigneur lui dit :
Oui, certes, et ils m’offraient force argent pour m’apaiser; mais plusieurs
de leurs aumônes me furent déplaisantes, à raison de
leurs mariages faits contre les statuts des saints Pères; et bien
que ce que les souverains pontifes ont permis soit assuré et qu’on
le doive tenir et observer, néanmoins, d’autant que leur volonté
était corrompue et qu’ils s’efforçaient d’agir contre les
statuts de l’Église, cela doit être jugé au jugement
divin.
Addition.
Sainte Brigitte étant
allée à Ortone, il arriva qu’il fallut qu’elle et ses compagnons
demeurassent sans logis au serein, au froid, et une grande pluie les assaillit
environ vers l’aurore. Et lors, Jésus-Christ lui parla et lui dit
: Les tribulations assaillent l’homme pour deux raisons, ou pour une plus
grande humilité et humiliation, comme le roi David qui fut affligé,
afin qu’il fût plus humble et plus avisé; comme Sara, femme
d’Abraham, qui fut prise par le roi, pour sa plus grande consolation et
honneur. De même
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vous en est-il arrivé : j’avais
inspiré à vos âmes de ne passer outre ce jour-là,
mais vous n’avez pas voulu croire, c’est pourquoi vous avez souffert cette
affliction. Entrez dans la cité. Mon serviteur Thomas, mon apôtre,
vous donnera ce que vous désirez.
Notre-Seigneur apparut encore
à Ortone, disant sur le même sujet : Mon épouse, je
vous ai dit que saint Thomas, mon apôtre, était mon trésor.
Certainement cela est vrai, car saint Thomas est véritablement la
lumière du monde; mais les hommes aiment plus les ténèbres
que la lumière.
Lors apparut aussi saint
Thomas, disant : Je vous donnerai le trésor que vous désirez
depuis si longtemps, et en ce moment, sans qu’aucun me touche.
Il sortit donc, du coffre
où étaient les reliques du saint, un fragment d’un os de
saint Thomas, que sainte Brigitte reçut et qu’elle garda avec grande
révérence.
V.
Révélation touchant l’instruction d’Elzéar, fils de la comtesse d’Arian.
Louange et gloire soient au
Dieu tout-puissant, de qui toutes choses bonnes procèdent, et spécialement
pour les choses qu’il a faites, étant petit enfant, par la grâce
duquel il nous faut demander, afin que l’amour que vous avez envers Dieu
s’augmente de jour en jour jusques à la mort! Certainement ce roi
puissant et magnifique édifia une maison en laquelle il mit sa fille
bien-aimée, la confiant à la garde d’un certain homme, lui
parlant en ces termes : Ma fille a
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de mortels ennemis, c’est pourquoi
vous la devez garder avec toute sorte de soins. Il y a donc quatre choses
auxquelles vous devez diligemment prendre garde avec une grande attention
et soin : 1° qu’on ne fouille le fondement de la maison; 2° qu’aucun
ne passe par-dessus les murs; 3° que personne ne perce les murailles;
4° qu’aucun ennemi n’entre par les portes.
Vous devez, Monsieur (1),
entendre spirituellement cette parabole, que je vous écris de la
part du divin amour, Dieu, scrutateur des cœurs, m’en est témoin!
Par la maison, j’entends votre corps, que le Roi du ciel a fait de terre;
par la fille du Roi, j’entends votre âme, créée par
la vertu de Très-Haut et mise en votre corps; par le gardien, j’entends
la raison humaine, qui gardera votre âme selon les arrêts et
décrets du Roi éternel; par le fondement, un bonne, ferme
et constante volonté, car il faut bâtir sur icelle toutes
les bonnes œuvres par lesquelles l’âme est très-bien défendue.
Partant, puisque telle est votre volonté, que vous ne voulez vivre
pour autre fin que pour suivre les volontés de Dieu, lui rendant
tout l’honneur que vous pourrez par paroles et par œuvres, lui obéissant
et le servant de corps, de biens et de toutes vos forces, afin de garder
votre âme de toute impureté et la consigner ès mains
de votre Créateur, oh! qu’avec une grande vigilance il vous faut
garder ce fondement, c’est-à-dire, votre volonté, avec le
gardien, qui est la raison, de peur que quelqu’un avec ses machines ne
le fouille, au grand dommage de l’âme. J’entends par ceux qui s’efforcent
de fouiller ce
(1) Elzéar.
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fondement, ceux qui vous disent
: Monsieur, soyez laid; épousez une femme belle, noble et riche,
afin que vous vous réjouissiez des enfants et des héritages,
et soyez affranchi des tentations et afflictions de la chair. D’autres
vous disent que, si vous voulez être prêtre, vous tâchiez
d’être docteur, de vous enrichir des biens de l’Église, les
ayant ou par prières ou par présents, car lors vous aurez
l’honneur mondain pour être savant, et serez glorifié par
vos amis et honoré des serviteurs, à raison des richesses.
Que si quelqu’un s’efforce
de vous persuader ces choses, faites soudain réponse à la
raison, disant que vous préférez endurer toutes les afflictions
de la chair que perdre la chasteté. Répondez aussi qu’à
l’honneur de Dieu et à la défense de la foi catholique, pour
le bon exemple de tous, pour la réduction des errants et pour tous
ceux qui auront besoin de science, vous voulez étudier et être
docteur, que vous ne voulez rien désirer par-dessus la nécessité
de votre corps et de votre famille en cette vie, et voulez rejeter les
superfluités qui ne servent qu’à ostentation. Dites aussi
que si quelque dignité ecclésiastique vous arrive, la divine
Providence en disposant ainsi, vous désirez disposer sagement de
cela même à l’honneur de Dieu et l’utilité du prochain,
et de la sorte, la raison pourra chasser tous les ennemis qui désirent
fouiller le fondement, c’est-à-dire, la bonne volonté. La
raison doit aussi prendre garde incessamment et soigneusement que quelqu’un
ne surpasse et ne franchisse la hauteur des murs, par laquelle j’entends
la charité, qui est la plus sublime de toutes les vertus.
Sachez donc pour certain
que le diable ne
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désire rien tant que de sauter
par-dessus ces murs; de là vient qu’il s’efforce tant qu’il peut
que la mondaine charité et l’amour charnel surmontent l’amour divin;
de là vient, Monsieur, que toutes fois et quantes que l’amour mondain
voudra supplanter l’amour divin dans votre cœur, vous devez lui envoyer
soudain au-devant le jugement, avec les commandements divins, disant que
vous aimez mieux souffrir la mort du corps que vivre pour offenser par
paroles ou par œuvres un Dieu si clément et si doux, voire que vous
ne voulez épargner ni la vie, ni les biens, ni les amis, ni les
âmes, afin de pouvoir plaire à Dieu seul et l’honorer en tout,
et que vous choisissez les plus grandes tribulations plutôt que d’apporter
aucun dommage, peine ni désolation à votre prochain, de lui
causer scandale ou affliction, mais que vous voulez plutôt aimer
votre prochain, selon le commandement de Dieu.
Si vous faites de la sorte,
vous témoignerez que vous aimez Dieu plus que vous-même, et
votre prochain comme vous-même. Lors la raison, qui est ce gardien,
peut assurément se reposer en cela, savoir, que pas un ne pourra
franchir la hauteur des murailles. Par les murailles, j’entends les quatre
délectations de la cour céleste, que l’homme doit avec une
grande considération voir et désirer intérieurement
: la première est désirer avec ferveur de voir Dieu en la
gloire éternelle, et de posséder les richesses qui ne manquent
jamais. La deuxième est désirer d’entendre les accords et
les voix mélodieuses des anges, qui louent sans fin ce grand Dieu
et l’adorent incessamment. La troisième est souhaiter de tout son
cœur et d’un fervent amour de louer éternellement Dieu com-
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me les anges. La quatrième
est désirer jouir des consolations éternelles des anges et
des saints, d’où il faut noter que comme, l'homme étant en
la maison, de quelque côté qu’il se tourne, les murailles
l’environnent, de même aussi, qui désire ces quatre choses,
savoir, voir Dieu en sa gloire, ouïr louer Dieu par les anges, le
louer avec eux et jouir de leurs consolations, certainement, de quelque
côté qu’il se tourne, de quelque œuvre qu’il s’occupe, lors
il sera toujours conservé entier, de sorte qu’il semblera que, demeurant
en cette vie avec les anges, il conversera avec Dieu.
Oh! Que votre ennemi, Monsieur,
désire de percer ces murailles, d’arracher du cœur tels désirs
et plaisirs, d’embrouiller votre esprit, et de lui suggérer de bien
différentes choses qui peuvent nuire à votre âme!
Partant, le gardien, c’est-à-dire,
la raison, doit prendre garde à deux chemins par lesquels l’ennemi
a accoutumé d’entrer dans le cœur : 1° l’ouïe; 2° la
vue. Par l’ouïe, il y vient suggérer des chants de syrène
et des plaisirs séculiers, la musique de divers instruments, sonnant
mélodieusement; ouïr des fables et des discours inutiles, par
lesquels tout autant que l'homme s’élève en soi-même
par la superbe, tout autant il s’éloigne de Jésus-Christ.
Que la raison donc y visite, disant : Comme le diable en a haine l’humilité
que le Saint-Esprit inspire aux cœurs des hommes, de même, avec la
grâce de Dieu, j’aurai en haine toute sorte de pompe et toute la
superbe du monde, que le malin esprit suggère aux cœurs des hommes
par son inflammation pestifère et mortifère, et il me
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sera aussi odieux que la puanteur
des animaux morts et corrompus.
Par la vue, l’ennemi a accoutumé
d’entrer pour percer lesdites murailles, portant avec soi plusieurs instruments,
savoir, de toutes sortes de métaux, diverses choses diversement
diversifiées, des pierres précieuses, des vêtements
honorables, des palais, des châteaux, des héritages, des étangs,
des bois, des vignes, et autres choses grandement estimées par les
mondains. Si on désire passionnément les choses susdites,
les murailles seront bientôt dissipées, c’est-à-dire,
les plaisirs célestes. Il faut donc que la raison, comme un gardien,
les prévienne avant que la délectation de ces choses surprenne
le cœur, disant : Si jamais j’ai en ma puissance quelques choses de ce
que nous avons vu ci-dessus, je les mettrai en coffre, où les larrons
et la teigne ne sont point à craindre; et Dieu aidant, je ne l’offenserai
point en aucune de ces choses, ni ne me séparerai point de Jésus-Christ
et de la société de ceux qui le servent pour toutes ces choses-là.
Par les portes de cette maison
j’entends toutes les choses nécessaires au corps, lesquelles le
corps ne peut refuser, comme manger, boire, dormir, etc. être triste
quelquefois, quelquefois joyeux. Il faut donc que la raison prenne soin
à ces portes nécessaires, et avec crainte résiste
incessamment aux ennemis, afin qu’ils n’entrent en l’âme. Partant,
comme en la réfection, il faut se donner garde que l’ennemi ne s’y
glisse par la superfluité, qui rend le corps paresseux au travail
et au service de Dieu, il faut de même prendre garde que, par la
grande abstinence, qui rend le corps impuissant à rien faire,
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l’ennemi n’y entre. Que la raison
prenne encore garde que, pour l’amour mondain, faveur et amour des hommes,
soit que vous soyez seul, soit que vous soyez avec votre famille, soit
quand les hôtes arriveront, vous fassiez multiplier avec raison les
mets, et fassiez du bien à tous par amour divin, ne recherchant
point pourtant la pluralité des viandes trop délicates. Après,
prenez garde avec raison que, comme il faut prendre le boire et le manger
avec modération, il faut aussi avec autant de crainte modérer
le sommeil, afin que le corps soit prompt au service de Dieu et mieux rangé,
afin que le temps des veilles soit bien employé au service de Dieu
et à des œuvres sortables, chassant la stupidité d’un sommeil
intempéré.
Or, si quelque trouble vous
attaque ou quelque rancune, que la raison et la crainte de Dieu y remédient
promptement, de peur que, par colère ou impatience, vous ne soyez
privé de la grâce divine et que vous n’attiriez sur vous l’ire
de Dieu. Si quelque consolation ou joie remplit votre cœur, que la raison
imprime profondément dans votre cœur la crainte de Dieu, afin que,
par l’aide de Jésus-Christ, votre consolation soit modérée,
selon qu’il verra vous être plus utile.
Addition.
Sainte Brigitte étant
à Naples, les secrets du cœur d’Elzéar, qui fut ensuite cardinal,
lui furent révélés, et quelques autres choses signalées
qui lui devaient arriver, lequel, les ayant ouïes, vécut mieux.
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VI.
L’an 1361, au mois de mai, le jour de saint Urbain, pape, Jésus-Christ avertit sainte Brigitte de se préparer au voyage de Jérusalem.
Lorsque l'épouse de Jésus-Christ était à Rome, où elle demeurait continuellement, un jour, étant ravie, Notre-Seigneur lui apparut et lui dit : Préparez-vous à aller en pèlerinage à Jérusalem pour visiter mon sépulcre et les autres lieux qui sont là, et vous sortirez de Rome quand je vous le dirai.
VII.
Il est ici traité que le pape et les prêtres, bien qu’ils soient pécheurs et qu’ils ne soient point hérétiques, ne perdent point la puissance d’absoudre.
Il me semblait que, rendant
grâces au Dieu tout-puissant et à la Vierge Marie, sa très-digne
Mère, la Mère de Dieu me parlait en oraison, me disant les
paroles suivantes : Dites à ce frère, mon ami, qui m’a envoyé
par vous cette prière, que la vraie foi est, et la parfaite vérité,
que si quelqu’un, par l’instigation du diable, avait commis tous les péchés
desquels il se confesserait avec contrition et résolution de s’amender,
et qu’il demandât humblement pardon à Dieu avec une grande
charité et miséricorde, il n’y a point de doute que soudain
Dieu tout miséricordieux serait préparé à le
recevoir
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avec une grande joie, comme un père
charitable qui verrait son cher enfant retourner à lui, affranchi
de quelque grand scandale ou de quelque mort déshonorable et sans
comparaison; la miséricorde divine remet avec plus d’amour les fautes
et les péchés à ses serviteurs, que les pères
ne pardonnent à leurs enfants, à ceux, dis-je, qui s’humilient,
qui se repentent, qui demandent ma miséricorde, et qui font résolution
de vouloir plutôt mourir que de m’offenser, et enfin désirent
de tout leur cœur être amis de Dieu.
Partant, dites au même
frère de ma part que, pour sa bonne volonté et mon oraison,
par la bonté divine, tous ses péchés lui seront pardonnés.
Dites-lui encore que, pour l’amour de mon oraison, dit la Sainte Vierge
à sainte Brigitte, l’amour qu’il a envers Dieu s’augmentera toujours
jusques à la mort et ne diminuera point. Dites-lui d’ailleurs qu’il
plaît à Dieu, mon Fils, qu’il demeure à Rome, prêchant,
donnant bon conseil, oyant les confessions, enjoignant des pénitences
salutaires, à moins que son prélat ne l’envoie hors la ville
pour quelque affaire légitimement nécessaire. Qu’il reprenne
aussi les autres frères avec charité, paroles douces et par
doctrine salutaire, afin qu’ils se retirent de leurs fautes; qu’il fasse
en sorte qu’ils gardent leur règle et qu’ils s’amendent avec humilité.
C’est pour cela aussi que je lui déclare que les messes qu’il dit,
ses prières et ses lectures me sont agréables; que comme
il se garde de la superfluité des viandes, du boire et du dormir,
il se garde aussi de la trop grande abstinence, afin qu’il ne manque ni
ne défaille jamais ès œuvres divines et oeu-
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vres manuelles; qu’il ait aussi
des vêtements non superflus, mais nécessaires, selon la règle
de saint François, de peur que de la superfluité ne s’ensuivent
la superbe et la cupidité; ma récompense lui sera d’autant
plus abondante que ses vêtements seront vils. Qu’il obéisse
aussi avec humilité à son prélat en tout ce qui n’est
pas contre Dieu et ce que ce frère pourra faire. Dites-lui aussi
de ma part qu’il réponde à ceux qui disent que le pape n’est
pas le vrai pape, et que ce que les prêtres font à l’autel
n’est pas le vrai corps de Jésus-Christ : Vous tournez le derrière
à Dieu, c’est pourquoi vous ne le voyez pas. Tournez donc la tête
vers Dieu, et vous le verrez; car la vraie foi est que le pape qui est
sans hérésie, bien qu’il soit chargé d’une quantité
d’autres péchés, pourtant n’est jamais si mauvais à
raison de ses péchés ni de ses mauvaises œuvres, qu’il n’ait
toujours la pleine puissance et autorité de lier et de délier
les âmes, laquelle puissance il a eue par saint Pierre et l'a reçue
de Dieu. Certainement, il y a eu des papes, avant Jean, pape, qui sont
ensevelis dans l’enfer; néanmoins, ce qu’ils ont fait avec raison
et justement, l’Église l’approuve devant Dieu. Je dis de même
que les prêtres sont vrais prêtres, consacrent et font le corps
de Jésus-Christ, bien qu’ils soient chargés de péchés,
et s’ils ne sont hérétiques, touchent et traitent vraiment
Dieu sur l'autel, et administrent les autres sacrements, bien qu’à
raison de leurs péchés, ils soient indignes devant Dieu de
la gloire céleste.
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VIII.
Notre-Dame prie pour le Frère susdit et pour ceux qu’il lui recommande.
La Sainte Vierge dit à
sainte Brigitte : Dites à ce Frère, mon ami, qu’il ne vous
est pas licite de savoir si l’âme de Jean est en enfer ou au ciel,
ni des péchés qu’il a emportés avec lui, quand, après
la mort, il est venu devant le jugement de Dieu. Mais dites-lui que les
Décrétales qu’il a données pour savoir si Jésus-Christ
avait de propre, ne contiennent aucune erreur contre la foi catholique
ni quelque hérésie. Et de fait, moi qui ai engendré
le vrai Dieu, je rends témoignage que mon Fils Jésus-Christ
avait une chose de propre, qui était sa tunique, que j’avais faite
de mes mains, et cela est témoigné aussi par le prophète
en sa personne, disant : Ils ont jeté le sort sur ma robe. Prenez
garde qu’il ne dit pas : Sur notre robe, mais : Sur ma robe.
Sachez aussi que quand je
le revêtais de cette tunique pour l’utilité de son corps,
mes yeux fondaient en larmes, et mon corps séchait de douleur et
était affligé d’une grande amertume, d’autant que je prévoyais
bien comment on le dépouillerait de cette robe le jour de sa passion,
quand, nu et innocent, il serait crucifié par les Juifs. Et c’est
sur cette tunique que les bourreaux jetèrent le sort, et pas un
n’usa jamais de cette robe que mon cher enfant.
Sachez aussi que tous ceux
qui disent que le pape n’est pas le vrai pape, ni que les prêtres
ne sont point vrais prêtres, ni bien ordonnés, ni
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que ce qu’ils consacrent sur l'autel
n’est pas le vrai corps de mon Fils, que tous ceux qui sèment ces
erreurs sont bouffis de l'esprit du diable de l’enfer. Mais d'autant que
les mêmes hérétiques ont commis de si grandes impiétés
et des péchés si horribles contre Dieu, étant remplis
de l’iniquité diabolique, ils sont damnés, chassés
et séparés des chrétiens, au tribunal de la Majesté
divine, comme un Judas, qui fut chassé du nombre des apôtres,
à raison de ses démérites trop impies, ayant trahi
mon cher Fils. Sachez néanmoins que tous ceux qui se voudront amender
obtiendront miséricorde.
IX »
Notre-Seigneur commande à sainte Brigitte d’aller à Jérusalem.
Le Fils de Dieu dit à son épouse sainte Brigitte : Allez maintenant, et retirez-vous de Rome pour aller à Jérusalem. Pourquoi vous plaignez-vous de l’âge? Je suis le Créateur de la nature. Je puis affaiblir et affermir la nature. Il me plaît que vous y alliez. Je serai avec vous; je vous dirigerai et vous ramènerai à Rome, et vous pourvoirai plus que jamais de tout ce qui vous sera nécessaire.
X.
Défense que les prêtres soient mariés.
Réjouissez-vous éternellement,
ô précieux corps de Dieu, en un honneur perpétuel,
en continuelle victoire, en éternelle puissance,
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BS-L7-pages 23-34
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avec votre Père et le Saint-Esprit,
avec la Vierge Marie, votre très-digne Mère, et avec toute
la cour céleste! Louange vous soit, ô Dieu éternel,
et actions de grâces infinies, parce qu’il vous a plu de vous faire
homme, et avez voulu que le pain fût transubstantié en votre
corps, par vos saintes paroles, et l’avez donné en viande comme
par un excès d’amour pour le salut de nos âmes!
Il arriva une fois à
une personne qui était profondément plongée en l’oraison,
qu’elle ouït une voix qui lui disait : O vous à qui sont faites
les faveurs d’ouïr et de voir les choses spirituelles, écoutez
maintenant ce que je vous veux manifester de cet archevêque qui a
dit que, s’il était pape, il donnerait licence à tous les
prêtres de se marier, croyant et pensant que cela serait plus agréable
à Dieu que de voir les prêtres vivre avec tant de dissolution;
il disait encore que, par ce mariage, s’éviteraient tant de péchés
charnels; et bien qu’en cela il n’entendît pas la volonté
de Dieu, néanmoins il était ami de Dieu. Or, maintenant,
je vous déclarerai la volonté de Dieu sur cela, car j’ai
engendré le Dieu même, et vous signifierez cela à cet
archevêque, lui parlant en ces termes : A Abraham fut donnée
la circoncision longtemps avant que la loi fût donnée à
Moïse, et au temps d’Abraham, les hommes étaient gouvernés
selon qu’ils entendaient et selon qu’ils voulaient, et néanmoins
plusieurs étaient lors amis de Dieu. Mais après que la loi
fut donnée à Moïse, lors il plut plus à Dieu
que les hommes vécussent selon la loi que selon leur volonté.
Il en fut de même du précieux corps de mon Fils, car quand
il eut institué le saint Sacrement de l’autel, qu’il
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fut monté au ciel, lors cette
loi ancienne était encore gardée, savoir, les prêtres
de Jésus-Christ vivaient en un mariage charnel, et néanmoins
plusieurs d’iceux étaient amis de Dieu, d'autant qu’ils croyaient
en simplicité que cela était agréable à Dieu,
comme il lui fut agréable au temps des Juifs, et cela fut observé
plusieurs années par les apôtres chrétiens. Mais cette
coutume et observance était abominable et odieuse à toute
la cour céleste, et à moi, qui ai engendré le corps
de mon Fils, de voir que des mariés touchassent de leurs mains le
corps précieux de mon Fils au saint Sacrement, car les Juifs, en
leur ancienne loi, n’avaient que l’ombre et la figure de ce sacrement;
mais les chrétiens ont maintenant la vérité même,
savoir, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme en ce sacrement sacro-saint.
Mais après quelque
temps que les prêtres anciens observaient cela, Dieu, par l’infusion
de son Esprit, le versa au cœur du pape, pour qu’il ordonnât que
désormais les prêtres qui consacreraient le corps précieux
de Jésus-Christ ne seraient point mariés ni ne jouiraient
des délices infâmes de la chair. Et partant, par l’ordonnance
divine et par son juste jugement, il a été justement ordonné
que les prêtres vivraient en la chasteté et continence de
la chair, autrement qu’ils seraient maudits et excommuniés devant
Dieu, et dignes d’être privés de l’office de prêtres,
néanmoins que ceux qui s’amenderaient véritablement avec
résolution de ne plus pécher, obtiendraient miséricorde
de Dieu.
Sachez aussi que si quelque
pape donne aux prêtres licence de se marier charnellement, lui-même
sera damné de Dieu par la même sentence,
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comme celui qui aurait grandement
péché, à qui on devrait, selon le droit, arracher
les yeux couper les lèvres, le nez et les oreilles, les pieds et
les mains, et le corps duquel devrait être tout ensanglanté
et congelé de froid; et d’ailleurs qu’on devrait donner ce corps
mort aux oiseaux et aux bêtes sauvages : il en arriverait de même
à ce pape qui voudrait donner licence aux prêtres de se marier,
contre la susdite ordonnance divine, car ce pape serait soudain privé
de la vue et ouïe spirituelle, de la parole, des œuvres spirituelles,
et toute sa sapience spirituelle défaudrait spirituellement; et
d’ailleurs, son âme descendrait en enfer pour y être éternellement
tourmentée et être la proie des démons. Voire si saint
Grégoire le pape eût établi cette loi, il n’eût
jamais obtenu miséricorde de Dieu, s’il n’eût révoqué
une telle sentence.
XI.
D’une révélation concernant l’état d’une reine de Naples.
Je suis le Créateur
et le Dieu de toutes choses. J’ai donné aux anges et aux hommes
le libre arbitre, afin que ceux qui voudraient faire ma volonté
demeurassent avec moi éternellement, et que ceux qui contreviendraient
fussent séparés de moi. C’est pourquoi quelques anges sont
devenus démons par malice, qui ne voulurent ni m’aimer ni m’obéir.
Après, ayant créé l’homme, le diable, voyant ma dilection
à son égard, non-seulement a été fait mon ennemi,
mais a ému contre moi une guerre, excitant Adam à la prévarication
de mes préceptes : et lors le
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diable prévalut, moi le permettant.
Depuis, le diable et moi sommes en discorde et combattons, car je veux
que l'homme vive selon mes volontés, et le diable s’efforce de faire
que l'homme cherche et suive ses désirs; c’est pourquoi dès
que j’ai ouvert le ciel par mon sang, le diable a été privé
du droit qu’il semblait avoir, et les âmes dignes ont été
sauvées et affranchies de la servitude. Lors aussi une loi a été
établie qu’il fût en la volonté de l’homme de me suivre,
moi qui suis son Dieu, pour obtenir la couronne éternelle; que s’il
voulait suivre les désirs de Satan, qu’il souffrît les supplices
éternels.
C’est de la sorte donc que
moi et le diable nous combattons, désirant les âmes comme
les époux désirent leurs épouses, car je désire
les âmes pour leur départir la gloire éternelle, et
le diable, pour les assaillir des peines, confusions et douleurs éternelles.
Écoutez ce que cette
Reine m’a fait : j’ai permis qu’elle fût exaltée au royaume,
etc.
Addition.
Notre-Seigneur parle, disant : Écrivez
qu’est-ce que fait, 1° une pure confession de tout ce qu’on a fait,
ayant une ferme volonté de s’amender selon le conseil de son confesseur.
2° Qu’elle pense diligemment
en quelle manière elle a versé en son mariage et en son gouvernement,
car elle me doit rendre raison de tout.
3° Qu’elle ait la volonté
de satisfaire à ceux à qui elle doit, et de restituer ce
qu’elle sait être mal acquis, d'autant que l’âme est en danger,
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tandis qu’elle est détenue,
et ne profite rien de donner beaucoup, si on ne paie.
4° Qu’elle ne charge
point ses sujets par ses nouvelles inventions, mais que plutôt elle
les décharge, car Dieu exauce les gémissements et les cris
des misérables.
5° Qu’elle ait des conseillers
justes et non cupides, et qu’à tels est le jugement, qui aiment
la vérité et qui ne flattent point, qui ne se veulent point
enrichir, mais sont contents du nécessaire.
6° Que tous les jours
cette reine se souvienne à certain temps des plaies et de la passion
de Jésus-Christ, car de là l’amour de Dieu est renouvelé
dans nos cœurs.
7° Qu’elle ramasse certain
temps les pauvres; qu’elle leur lave les pieds; qu’elle les réfectionne;
qu’elle aime ses sujets d’une charité sincère; qu’elle accorde
les dissensions, consolant ceux qui sont injustement offensés.
8° Qu’elle distribue
ses dons avec discrétion et selon ses moyens, ne chargeant les unes
et soulageant les autres, les enrichissant, mais sagement, relevant quelques-uns
et n’opprimant personne.
9° Qu’elle ne considère
pas plus l’argent des défaillants que la justice, mais qu’ayant
pesé la quantité et qualité du délit, là
où elle verra plus d’humanité, elle y porte plus de compassion,
chassant toute cupidité.
10° Qu’elle mette toute
la peine qu’elle pourra, afin que le royaume demeure en paix après
sa mort, car je lui prédis qu’elle n’aura point d’enfant de son
ventre.
11° Qu’elle soit contente
de la couleur et beauté naturelle dont Dieu l’a ornée, car
la
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couleur étrangère
déplaît grandement à Dieu.
12° Qu’elle embrasse
une plus grande humilité, et qu’elle s’excite à une plus
grande contrition de ses péchés, car elle est devant moi
la ruine de plusieurs âmes, une prodigue dispensatrice de mes biens,
la verge et la tribulation de mes amis.
13° Qu’elle ait la crainte
continuelle dans le cœur, car il y a longtemps qu’elle avait plutôt
mené la vie d’une prostituée que d’une reine.
14° Qu’elle retranche
d’elle les mauvaises coutumes et les femmes adultères d’auprès
d’elle, et qu’elle emploie le reste du temps, qui est bien court, à
mon service, car jusques à maintenant, elle m’a tenu comme un homme
qui ne penses pas à ses péchés. Qu’elle craigne maintenant
et qu’elle vive en telle sorte, de peur qu’elle ne ressente la rigueur
de mes jugements; autrement, si elle ne m’écoute, je la jugerai,
non comme reine, mais comme apostatrice et ingrate, et la ferai fouetter
de la tête jusques aux pieds, et elle sera en opprobre à moi,
aux anges et aux hommes!
D’ailleurs, écrivez,
dit Jésus-Christ, en petits mots ces choses : Le Saint-Esprit vous
enflammera. Envoyez par mon évêque à la reine ce que
vous voyez. Elle voyait en ses vêtements quelque saleté et
ordure; et cette reine était ce singe qui se plaît aux mauvaises
odeurs, flairant le derrière puant; et le venin est dans le cœur,
y demeure, et elle se jette dans les précipices.
D’ailleurs, il lui semblait
que cette reine avait une couronne d’osier toute pleine d’ordures, et qu’elle
était assise nue sur une poutre qui allait
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tomber. Et soudain elle vit une
vierge merveilleusement belle qui lui dit : Cette femme opiniâtre
et audacieuse, qui semble devant les hommes la maîtresse du monde,
devant Dieu est abjecte comme vous voyez. Et la Vierge ajouta, disant :
O femme, pensez au commencement et à la fin; ouvrez les yeux de
votre esprit, et voyez que vos conseillers haïssent mortellement votre
âme.
Elle vit encore une autre
reine qui semblait être assise en un siège doré, et
deux Éthiopiens étaient devant elle, un à la droite
et l’autre à la gauche. Celui qui était à la droite
dit : O femme-lionne, je t’apporte le sang : prends-le et épanche-le,
car le propre désir d’un lion est d’épandre le sang. Celui
qui était à gauche dit : O femme, je t’apporte du feu : prends-le,
car ta nature est comme de feu, et jette-le dans l’eau, afin que ta mémoire
soit dans l’eau, comme elle a été en terre.
Et après apparut une
Vierge d’une beauté incroyable, de la présence de laquelle
les Éthiopiens s’enfuirent; elle dit : Cette femme est en danger,
si elle est en prospérité; si elle est affligée, cela
lui profitera beaucoup pour la vie éternelle; mais elle ne veut
pas renoncer à ses volontés ni être affligée
selon Dieu. Partant, si on l’abandonne à ses volontés, elle
ne sera utile pour elle, ni ne servira de consolation à pas un.
Le Fils de Dieu apparut,
disant : Cette femme me fait d’autres plaisirs, et partant, pour l’amour
des prières de mes amis, je lui veux montrer de fuir l’opprobre
des hommes et les dommages de son âme, si elle obéit; autrement,
elle n’évitera point ma justice, d'autant qu’elle n’aura pas voulu
ouïr la voix de son père.
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La Mère de Dieu parle
de M. Gomecé à saint Brigitte, lui disant : Conseillez-lui
de faire le droit et l’équité où il pourra. Que s’il
sait qu’il ait des choses mal acquises, il ne retarde point de les restituer.
Qu’il se donne aussi garde de n’imposer point de nouvelles charges à
ses sujets; qu’il soit content de ce qu’il a, car il lui suffit, s’il le
dépense avec discrétion et modération. Qu’il fuie
aussi les femmes comme le venin, hormis la sienne. Qu’il ne fasse point
la guerre à aucun ni n’y assiste point, sinon qu’il sache avoir
juste droit et raison de ce faire. Qu’il fréquente les confessions,
reçoive plus souvent le corps de Jésus-Christ, et occupe
son esprit certains jours à la mémoire de la passion de mon
Fils et de ses peines.
Notre-Seigneur parle d’Antoine
de Carlette, disant : Dites à la reine qu’il lui permette de demeurer
en son rang; que s’il monte plus haut, ce sera au dommage de son âme,
et lui ni ses amis ne se réjouiront point de son ascendant. Et toutes
choses sont arrivées comme elles avaient été prédites.
XII.
Il est ici traité de quelques doutes de l’archevêque de Naples, et de la résolution d’iceux.
Notre-Seigneur parle à
son épouse, disant : Dites à cet archevêque que, s’il
veut être nommé évêque, il ne doit point imiter
les mœurs et les coutumes de plusieurs de ceux qui ne sont pas recteurs
de l’Église. J’ai reçu le corps de la Vierge, pour accomplir
cette loi par paroles et par œuvres, qui avait été de toute
éternité établie en la Divinité, ouvrant le
ciel par le sang
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de mon cœur, et illuminant ma voie
par mes paroles et par mes œuvres, afin que tous se servissent de mon exemple
pour gagner la vie éternelle. Mais de vrai, les paroles que j’ai
dites et les œuvres que j’ai faites au monde, sont comme oubliées
et négligées au monde, au mépris desquelles nul n’a
tant contribué que les prélats de l’Église, qui sont
pleins de superbe, de cupidité et de pourriture, de dilection corporelle,
lesquelles choses sont contraires à mes commandements et aux décrets
honnêtes de mon Église sainte, que mes amis ont établie
avec grande dévotion après mon ascension, ayant accompli
mes volontés au monde; car ces mauvais prélats de mon Église,
remplis de la malignité de l’esprit malin, ont laissé aux
hommes des exemples pestifères et mortifères des âmes,
et partant, il faut que j’exige d’eux la justice tout entière, faisant
sur eux des jugements rigoureux, les effaçant du livre de vie dans
le ciel, et les plaçant, dans les abîmes infernaux, auprès
de Lucifer, pour y être tourmentés éternellement. Or,
vous devez savoir que quant à ceux qui se voudront amender avant
la mort, m’aimant de tout leur cœur, et qui se garderont des péchés,
je serai tout prêt à leur faire miséricorde.
Dites-lui donc quasi de votre
part ces paroles : Monsieur, il arrive quelquefois que, d’une noire cheminée,
sort une belle fumée, utile et grandement nécessaire pour
faire de belles et excellentes œuvres, et néanmoins, il ne faut
pas alors louer la cheminée à raison de la noirceur, mais
la louange, l’action de grâces et l’honneur sont dûs à
l’ouvrier de ses œuvres. Semblablement c’est une chose indigne de trouver
quelque utilité en mes conseils, d'autant qu’alors ce n’est
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pas à moi, mais à
Dieu, qui a fait toutes choses et qui a la parfaite volonté de bien
faire, qu’il faudra rendre grâces infinies et un service amoureux.
Monsieur, je commence à vous parler des choses qui touchent le salut
de plusieurs, vous conseillant, si vous voulez avoir l’amitié divine,
de ne promouvoir point aux ordres sacrés, ni par vous ni par les
autres, ceux qui n’auront point été examinés très-exactement;
il faut qu’ils soient trouvés capables en vie, science et mœurs,
afin qu’ils puissent dignement s’acquitter de leur office, et que ce témoignage
vous en soit rendu par des personnes sages, pieuses et dignes de foi, prenant
garde que tous les autres évêques de votre archiépiscopat
en fassent de même, car personne ne saurait croire combien grande
est l'indignation divine contre les évêques qui promeuvent
aux ordres ceux qu’ils n’ont pas diligemment examinés. Que s’ils
font cela à la supplication des autres, soit par négligence
et paresse ou par crainte de déplaire, ils rendront au jour du jugement
rigoureusement raison de ce fait.
Je vous conseille aussi de
savoir combien et quels sont ceux qui ont charge des âmes en votre
diocèse, et que, pour le moins une fois l’an, vous les convoquiez
devant vous, et que vous traitiez avec eux, tant du salut de leurs âmes
que de celles qu’ils gouvernent. Que si tous ne peuvent en même jour
s’assembler, donnez-leur un temps et jour fixes où tous les ans
ils viennent à vous, de sorte que pas un ne puisse s’excuser en
l'année de prendre conseil de vous; que vous leur prêchiez
aussi quelle vie doivent mener ceux qui ont un office si digne.
Sachez aussi que les prêtres
qui ont des con-
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cubines et célèbrent
les messes, sont autant agréables à Dieu que les habitants
de Sodome, que Dieu a submergés en enfer; et bien que la messe soit
la messe en soi, et de même vertu et efficacité, néanmoins
le baiser de paix que tels prêtres donnent en la messe, est autant
agréable à Dieu que le baiser de Judas, par lequel il trahit
le Sauveur de tout le monde. Partant, autant que vous pourrez, retirez-les
de ce bourbier par paroles douces, par paroles dures, par menaces et par
punition; oui, efforcez-vous de les retirer de ce bourbier, afin qu’ils
s’efforcent de mener une vie chaste, puisqu’ils doivent toucher un si saint
et si auguste sacrement, et l'administrer de leurs mains aux fidèles
chrétiens.
D’ailleurs, avertissez les
autres prélats, chanoines et prêtres qui sont sous le régime
de votre église, de se corriger, ni que personne ne croie pas qu’ayant
évité la sodomie, la fornication leur soit permise, car les
uns et les autres seront condamnés aux supplices éternels.
Je vous conseille aussi que
le train de votre famille ne soit point trop grand pour avoir de la vanité,
mais qu’il soit modéré selon la nécessité du
gouvernement de votre office et selon que votre état l'exige. Partant,
les prêtres qui seront en votre compagnie, ayez-les plutôt
pour rendre bon témoignage de vous, que pour la pompe et vanité,
et qu’ils soient plutôt en petit nombre qu’en grand. Quant aux prêtres
qu’on nourrit pour chanter l’office divin, ou pour apprendre, ou pour enseigner
aux autres, ou pour écrire, ayez-en tout autant qu’il vous plaira;
et il est très`-expédient que pour ceux-ci, vous ayez un
soin particulier de leur correction et du salut de leur âme.
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Que vous preniez aussi garde
à ce que chacun de vos serviteurs aient son office. Que s’il y en
a de superflus pour la vanité, qu’on les renvoie, de peur que votre
cœur ne soit élevé, ayant une plus grande famille que vos
ancêtres. Quant à ceux que vous tenez plus familiers, il faut
que vous songiez incessamment au salut de leurs âmes, sondant avec
soin comme un vrai père de famille leurs actions, leur vie, corrigeant
leurs mœurs, les réglant et les dressant comme un bon père
de famille, afin qu’ils apprennent à fuir le vice, à embrasser
la vertu et à aimer Dieu sur toutes choses. De fait, il est plus
agréable à Dieu et plus utile à vous que vous n’ayez
aucun familier en la maison, s’il ne veut acquiescer à vos saints
et salutaires conseils ni amender ses fautes.
Quant aux vêtements,
je vous conseille de n’en avoir jamais que trois paires à la fois
et de donner tout le superflu à Dieu. Quant aux lits, aux meubles
et à tout ce dont il est besoin pour la table, il faut que vous
en ayez seulement le nécessaire et l'utile, et que vous donniez
le reste à Dieu. Quant à la vaisselle d’argent, n’en retenez
que le nécessaire, et non le vain, et de ceux qui mangent à
votre table. Tout ce qui sera superflu, donnez-le d’un esprit gai à
Dieu, car ceux qui sont hors de votre table peuvent manger en vaisselle
d’étain, de terre, de bois ou de verre, sans honte, car la coutume
qui est maintenant en la maison des évêques, où l’or
et l'argent abondent trop, est grandement abominable devant Dieu, qui s’est
soumis à toute sorte de pauvreté pour l'amour de nous, voyant
que la superfluité était grandement dommageable aux âmes.
D’ailleurs, donnez-vous garde de
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la pluralité des mets et
de la friandise exquise d’iceux, de la vanité des chevaux de grand
prix, mais contenez-vous dans la modestie de leur prix, car ces chevaux
ne sont nécessaires qu’à ceux qui combattent pour la défense
de la justice, pour la protection de la vie, et non pour la superbe; mais
que, pour les saintes fins, ils s’exposent aux dangers de la vie, car je
vous dis que les prélats qui montent de grands chevaux pour leur
superbe et vaine gloire, tout autant de fois le diable monte sur leur cœur.
Je sais en effet une personne qui vit des diables comme des Éthiopiens,
qui, quand les prélats et cardinaux levaient les pieds par esprit
de superbe pour monter sur leurs grands chevaux, levaient et haussaient
les pieds sur le col, y montaient et s’y asseyaient par dérision;
et toutes fois et quantes que ces prélats piquaient de leurs éperons
leurs chevaux par vanité, tout autant de fois les Éthiopiens,
levant leur tête de joie et contentement, poussaient et excitaient
leurs cœurs au mal.
Je vous conseille encore
de faire que vos vicaires promettent par jurement que, de la part de votre
office, ils ne feront rien contre votre justice. Que s’ils contreviennent
à leur jurement, punissez-les selon la justice. Que si vous faites
comme il a dit, vous aurez votre conscience en bon état.
Je vous conseille encore,
pour la consolation des âmes de vos défunts, sur lesquelles
vous m’avez interrogée, pour savoir si elles étaient en purgatoire
ou non, et quelles aumônes il fallait faire pour elles : je vous
dis que vous devez faire dire tout un an deux messes tous les jours, et
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que vous réfectionniez deux
pauvres aussi tous les jours, et donniez toutes les semaines un florin
de monnaie aux pauvres.
Dites aussi aux prêtres
qu’ils corrigent leurs paroisses pour les manifester; que s’ils ne veulent
les corriger, corrigez-les vous-même. Or, si vous en connaissez quelqu'uns
qui agissent contre Dieu et qui manquent manifestement contre la justice,
quand ils seraient les plus grands tyrans, de sorte que vous ne pourriez
exercer la justice, dites-leur lors doucement et prudemment qu’ils se corrigent;
que s’ils ne veulent obéir, laissez-les au jugement de Dieu, qui
regardera votre bonne volonté, car il ne faut pas qu’un agneau doux
montre les dents contre les loups furieux, car le loup se rendrait plus
farouche; néanmoins on doit les protéger contre le danger
de leur âme avec amour et charité, comme le père fait
à ses enfants quand ils lui sont contraires, car vous n’êtes
pas tenu de laisser les corrections pour la crainte de votre corps, si
ce n’est que le danger des âmes ne s’ensuivît.
XIII.
De l'âme du fils de sainte Brigitte. Des jugement et accusation, etc.
La Sainte Vierge Marie parla
à sainte Brigitte disant : Je veux vous dire comment j’ai fait avec
l’âme de Charles, votre fils, quand elle était séparée
de son corps. Certainement, j’ai fait avec lui comme fait la personne qui
assiste une femme en ses couches, et qui veille à ce qu’aucun accident
n’arrive au nouveau-né, prenant aussi
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garde que les ennemis ne puissent
tuer l’enfant : j’en ai, dis-je, fait de même, car de fait, j’ai
été auprès de votre Fils Charles un peu avant qu’il
rendît l’esprit, afin de lui ôter de la mémoire l’amour
charnel, afin que, par le mouvement de cet amour, il ne fît quelque
chose contre moi par pensée ou par œuvre, ou qu’il ne voulût
omettre quelque chose qui plût à Dieu, et qu’il ne voulût
faire quelque chose contre la divine volonté au dommage de son âme.
Je l'ai trouvé aussi en ce moment où il ne souffrait pas
seulement une dure peine de la mort, mais de la peur qu’il avait de son
inconstance et de ne se souvenir pas de Dieu, ou de désespérer.
Je l’ai gardé en telle sorte, gardé son âme de ses
ennemis mortels, c’est-à-dire, des démons, que pas un ne
le pouvait toucher; mais soudain que son âme fut sortie du corps,
je la reçus en ma garde et protection, d’où vient que les
troupes des démons s’enfuirent bientôt, bien que leur malice
tendît à la dévorer et à la tourmenter éternellement.
Mais comment le jugement
dudit Charles a-t-il été fait? Je vous le dirai quand bon
me semblera.
Après l’intervalle
de quelques jours, la Sainte Vierge apparut à sainte Brigitte qui
veillait en l’oraison, et lui dit : La divine bonté veut que vous
voyiez maintenant le jugement de l’âme de votre fils, quand elle
sortit du corps, qui fut rendue en un moment devant l’incompréhensible
majesté divine. Cela vous sera montré par intervalles, par
similitudes corporelles, afin que vous le puissiez mieux comprendre.
Donc, en la même heure,
sainte Brigitte se vit porter en un grand et beau palais, où elle
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se voyait, et où elle voyait
Notre-Seigneur Jésus-Christ assis en son siège de Juge, comme
un empereur qui a sa couronne en sa tête, accompagné d’une
infinité d’anges et de saints; et auprès de lui, elle voyait
sa très-digne Mère attentive au jugement.
Elle voyait encore devant
le juge une âme nue comme un enfant qui vient de naître, craintive,
effrayée et quasi aveugle, de sorte qu’elle ne voyait rien de ce
qui était en sa conscience, mais comprenait bien ce qu’on faisait
dans le palais. Un ange était à la droite du Juge auprès
de l’âme, et un diable à gauche, mais ni l’un ni l’autre ne
touchaient point l'âme. Lors enfin le diable cria, disant : Oyez,
ô Juge tout-puissant, je me plains devant vous qu’une femme, qui
est ma Dame et votre Mère, que vous aimez tant que vous l’avez rendue
puissante sur le ciel, sur la terre et sur les diables de l’enfer, m’a
fait certainement injustice touchant cette âme qui est ici assistante,
car je devais, selon le droit et la justice, la prendre dès qu’elle
fut séparée de son corps, et la présenter au jugement;
et voici que cette femme, votre Mère, s’en est saisie, dès
qu’elle a trépassé, et l'a présentée en jugement
en sa puissante tutelle.
Et lors Marie, Mère
de Dieu et Vierge, répondit en ces termes : O diable, oyez ma réponse.
Quand vous fûtes créé, vous compreniez bien cette justice
qui était en Dieu de toute éternité, aussi au-delà
du temps et sans principe; vous eûtes aussi le libre arbitre de faire
ce qui vous plairait le plus et bien que vous ayez plutôt choisi
de haïr Dieu que de l'aimer, vous entendez néanmoins ce qu’il
devait faire selon la justice. Je vous dit donc qu’il appartenait plus,
( ce texte peut être erroné)
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selon la justice, de présenter
cette âme devant le Juge qu’à vous, car quand cette âme
était dans le corps, elle eut un grand amour envers moi, pensant
souvent en son esprit que Dieu m’avait daigné faire sa Mère,
et qu’il m’avait sublimement exaltée et avantagée sur toutes
les créatures; et de là elle commença d’aimer Dieu
avec tant de ferveur qu’elle disait dans son cœur : Je me réjouis
tellement que Dieu ait voulu exalter la Sainte Vierge, sa Mère,
sur toutes les créatures, que je ne changerais pas cette joie avec
toutes les joies du monde; voire je la préfère à tous
les plaisirs du monde; voire elle eût plutôt voulu pâtir
le supplice de l'enfer que vouloir que la Sainte Vierge diminuât
en un seul point sa grandeur et sa dignité. Partant, que bénédictions
soient rendues pour cette grâce-là, et pour la gloire dont
il a comblé sa très-chère Mère! oui, que grâces
en soient rendues éternellement!
Partant, voyez, ô diable,
voyez maintenant avec quelle volonté celui-ci est mort. Que vous
en semble donc? N’était-il pas plus juste que son âme vînt
en la défense de mes mains avant le jugement de Dieu, ou dans les
vôtres, pour être tourmentée cruellement?
Le diable répondit
: Le droit ne voulait pas que cette âme tombât en mes mains,
puisqu’elle vous a plus aimée que soi-même, avant que le jugement
fût fait. Mais bien que la justice le voulant ainsi, vous lui ayez
fait cette grâce avant le jugement, néanmoins, après
le jugement, ses œuvres la condamneront à être punie par mes
mains.
Maintenant, ô Reine,
je vous demande pourquoi vous avez chassé tous les démons
de la
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présence de son corps, quand l’âme sortait, de sorte que
pas un de nous ne lui a pu donner quelque horreur ou lui causer quelque
effroi.
La Vierge Marie répondit : J’ai fait cela à raison
du grand amour qu’il me portait et pour la grande joie qu’il a eue que
je fusse Mère de Dieu : c’est pourquoi je lui ai impétré
de mon Fils la grâce que nul esprit malin ne s’approcherait de lui,
en quelque lui qu’il fût ni où il est maintenant.
Après cela, le diable parla au Juge, disant : Je sais
que vous êtes la justice et la patience même; vous ne jugez
pas moins l’injustice au diable qu’à l’ange : jugez-moi donc cette
âme, car en cette sagesse que j’ai eue quand vous m’avez créé,
j’avais écrit tous ses péchés; je les avais aussi
gardés en la malice que j’avais quand je descendis du ciel, car
lorsque cette âme fut parvenue en cet état de discrétion
qu’elle pouvait entendre que ce qu’elle faisait était péché,
lors la propre volonté l’attirait plus pour vivre en la superbe
du monde et dans les voluptés charnelles qu’à y résister.
L’ange répondit : Quand, premièrement, sa mère
entendait que sa volonté se portait au péché, soudain
elle y remédiait par des œuvres de miséricorde et par prières
continuelles, afin que Dieu en eût pitié et qu’il ne s’éloignât
point de son devoir, à raison de quoi il obtint la crainte de Dieu.
Partant, tout autant de fois qu’il tomba dans les péchés,
il s’allait confesser dès l’instant.
Le diable répondit là-dessus : Il faut que je
raconte ses péchés. Et dès qu’il voulut commencer,
il s’écria, et se plaignait, et cherchait en son chef et membres
qu’il semblait avoir, et il
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semblait tout tremblant et troublé, et il dit : Malheur à
moi, misérable! J’ai perdu ma longue peine, car mon écriture
est, non-seulement effacée, mais encore abolie; voire tous mes codes
sont brûlés, dans lesquels j’avais écrit ses péchés;
je ne me souviens pas plus du temps où il a péché
que de ses péchés.
L’ange dit alors : Les larmes de sa mère, ses oraisons
ont fait cela, de sorte que Notre-Seigneur, compatissant à ses larmes,
a donné à son Fils telle grâce qu’il eût la contrition
de chaque péché qu’il avait commis, faisant une humble confession,
poussé à cela par les feux du divin amour, c’est pourquoi
ses péchés sont effacés et abolis de ta mémoire.
Le diable répondit, assurant qu’il en avait un sac plein
d’écritures, par lesquelles il montrerait que ce soldat avait voulu
corriger et amender sa vie, mais qu’il n’en avait rien fait : c’est pourquoi,
dit-il, je suis obligé de le tourmenter jusques à ce qu’il
ait satisfait par la peine, puisqu’il n’avait eu soin de s’amender durant
sa vie.
L’ange répondit : Ouvrez votre sac, et demandez jugement
sur les péchés pour lesquels vous êtes obligé
de le châtier.
Cela étant dit, le diable cria comme un fol, disant :
Je suis dépouillé de ma puissance, car non-seulement le sac
m’est ôté, mais aussi les péchés dont il était
rempli. Le sac était paresse et lâcheté, dans lequel
j’avais mis toutes les causes et raisons dont il devait être puni,
d'autant que sa lâcheté lui avait fait omettre de faire ce
qu’il devait.
L’ange répondit : Les larmes de sa mère ont pris
le sac et effacé les écritures, tant elles étaient
agréables à Dieu!
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Le diable répondit : J’ai encore quelques choses à
dire, savoir, ses péchés véniels.
L’ange répondit : Il eut la volonté de sortir
de son pays pour aller en pèlerinage visiter les lieux saints, laissant
ses biens et ses amis, visitant les lieux sacrés avec grande peine,
et il a accompli cela, se préparant, dès qu’il a été
digne d’obtenir de l’Église indulgence de ses péchés.
Il désirait encore apaiser Dieu par l’amendement de ses péchés,
d’où vient que toutes les causes que vous dites avoir été
écrites sont abolies.
Le diable répondit : Je dois pourtant le punir pour tous
les péchés véniels qu’il a commis, car ils ne sont
point effacés par les indulgences, car il y en a mille milliers
qui sont écrits en ma langue.
L’ange répondit : Étendez la langue et montrez
l’écriture.
Le diable répondit avec un grand cri comme un fol : Malheur
à moi! Je n’ai pas un seul mot à Dieu, car ma langue m’est
coupée avec toutes ses forces.
L’ange répondit : Sa mère a fait cela par ses
prières continuelles et par ses travaux assidus, car elle aimait
son âme de tout son cœur : c’est pourquoi il a plu à Dieu,
par la charité de sa Mère, de pardonner tous les péchés
véniels qu’il avait commis dès son enfance jusques au dernier
période de sa vie, c’est pourquoi votre langue défaut par
la force de la sienne.
Le diable répondit : J’ai encore une chose dans mon cœur
que je garde soigneusement et que personne ne pourra effacer : c’est qu’il
a acquis quelques choses injustement, lesquelles il ne s’est pas souvenu
de rendre.
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L’ange répondit : Sa mère satisfit à cela
par prières, oraisons et œuvres de miséricorde, de sorte
que la rigueur de la justice a été flétrie par les
douceurs de la miséricorde, et Dieu lui donna une parfaite volonté,
sans pardonner à ses biens, de vouloir satisfaire à tous,
selon qu’il avait eu quelque chose injustement. Or, Dieu a pris cette volonté
pour l’effet, car il ne voulait point vivre plus longtemps. Il faut donc
que ses héritiers y satisfassent comme ils pourront.
Le diable répondit : Si je n’ai puissance de le punir
pour ses péchés, il faut que je le châtie pour n’avoir
exercé les bonnes œuvres et acquis les vertus, quand il eut un bon
sens et un corps sain, car les vertus et les bonnes œuvres sont les trésors
qu’il devait apporter avec lui dans le ciel. Permettez-moi donc de suppléer
à cela avec peines et afflictions, et en ce qu’il a manqué
ès œuvres vertueuses.
L’ange dit : Il est écrit qu’on donnera à celui
qui demande, et qu’on ouvrira à celui qui heurte. Écoutez
donc, ô diable! Sa mère a heurté avec persévérance,
par ses prières amoureuses, à la porte de la miséricorde,
pour lui, l’espace de trente ans, épanchant plusieurs larmes, afin
que le Dieu de son cœur daignât verser son Saint-Esprit en son cœur,
de sorte que son fils eût donné pour le service de Dieu ses
biens, son corps et son âme, car l’amour de ce soldat était
si ardent qu’il ne se plaisait à vivre que pour suivre la volonté
divine. Et voici que Dieu, étant dès longtemps prié,
versa en son cœur le fruit de ses bénédictions, et la Mère
de Dieu suppléa à tout ce qui lui manquait concernant les
armes spirituelles, et des vêtements que les soldats du ciel doivent
avoir pour entrer en la gloire du
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souverain Empereur. Les saints aussi, placés au royaume céleste,
que ce soldat a aimés, étant au monde, lui ont donné
consolation de leurs mérites et l'ont assisté par leur intercession.
Il a thésaurisé un trésor comme les pèlerins
qui changent tous les jours les biens périssables en biens éternels;
et d'autant que lui en a fait de même, il obtiendra la joie et l’honneur
éternel pour le désir qu’il a eu d’aller à Jérusalem,
et de ce qu’il a désiré d’exposer sa vie en bataille pour
remettre la terre sainte au domaine des chrétiens, afin que le saint
sépulcre de Notre-Seigneur eût la due révérence,
s'il eût été suffisant et capable pour cela, il l’eût
fait. Partant, criez, ô diable! Vous n’avez rien à dire sur
ce manquement : il n’a pas tenu à lui.
Le diable répondit : Il lui reste une couronne, car si
je lui en pouvais faire quelqu'une imparfaite, je le ferais franchement.
L’ange repartit : Il est certain que tous ceux qui se surmonteront,
se repentant de leurs péchés, se conformant aux volontés
divines et aimant Dieu de tout leur cœur, obtiendront la grâce de
Dieu. Il plaît encore à Dieu de leur faire une couronne de
sa couronne triomphante, de son précieux corps, s’ils sont purifiés
selon la rectitude de la justice : partant, ô diable, il n’est pas
convenable que vous contribuiez en rien à sa couronne.
Lors le diable, oyant ces choses, s’écria et rugit impatiemment,
disant : Malheur à moi, d'autant que toute ma mémoire est
ôtée! Je ne me souviens plus en quoi ce soldat a suivi mes
volontés! et, ce qui est plus admirable, j’oublie comment il s’appelait
quand il vivait au monde.
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L’ange répondit : Sache qu’il s’appelle maintenant fils
de larmes.
Le diable, criant, dit : Oh! que maudite est cette truie, sa
mère, qui a un ventre si long qu’elle y a pu contenir tant de larmes!
Elle est maudite de moi et de tous mes compagnons.
L’ange dit : La malédiction redonde en l’honneur de Dieu,
et bénédiction à tous ses amis!
Lors Jésus-Christ, Juge, parla, disant : Retire-toi,
diable ennemi. Après il dit au soldat : Venez, ô mon bien-aimé!
Et soudain le diable s’enfuit.
Lors l’épouse, voyant ceci, dit : O vertu éternelle
et incompréhensible, vous êtes Dieu incompréhensible,
ô Jésus-Christ! Vous versez dans les cœurs toutes les bonnes
pensées, l’oraison et les larmes; vous cachez vos dons et vos faveurs,
donnant pour eux les prix éternels. Or, honneur, service et actions
de grâces vous soient rendus de toutes les créatures, ô
mon Dieu très-doux! Vous m’êtes très-cher et plus cher
que le corps et l’âme.
L’ange parla aussi à la même épouse, lui
disant : Vous devez savoir que cette vision vous est, non-seulement montrée
pour votre consolation, mais aussi afin que les amis de Dieu entendent
combien il se plaît à nous bien faire, à raison des
prières, oraisons et larmes de ses amis qui prient et font de bonnes
œuvres pour l’amour des autres avec amour et persévérance.
Vous devez aussi savoir que ce soldat, votre fils, n’eût pas eu une
telle grâce, si, dès son enfance, il n’eût eu la volonté
d’aimer Dieu et ses amis, et de s’amender des chutes du péché.
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XIV.
De l’indulgence et de la grâce qu’ont les pèlerins en visitant le saint Sépulcre.
Le Fils parlait à l’épouse : Quand vous entrâtes dans le temple dédié par mon sang, vous étiez tellement purifiée des fautes commises, comme quasi si lors vous étiez lavée dans le baptême; et pour les peines que vous avez prises venant en ce lieu, et pour les dévotions que vous y avez rendues, quelques âmes de vos proches parents ont été délivrées du purgatoire, sont entrées dans le ciel et jouissent de ma gloire, car tous ceux qui viennent en ce lieu avec une volonté parfaite de s’amender et de mener une meilleure vie, ne voulant plus retomber en leurs premières fautes, leurs péchés leur sont pardonnés, après s’être dûment confessés, et la grâce augmente en eux.
XV.
De la passion de Notre-Seigneur, que sainte Brigitte vit à Jérusalem.
Pour le jour de la Passion
Lorsque j’étais au mont de Calvaire, dit sainte Brigitte
pleurant amèrement, je vis Notre-Seigneur tout nu, flagellé,
conduit par les Juifs pour être crucifié, et il était
soigneusement gardé par eux. Je vis lors aussi un trou en la montagne,
et les bourreaux préparés pour exercer leur cruauté
sur Jésus-Christ; et se tournant vers
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moi, il me dit : Considérez qu’en ce trou de la pierre, le pied
de ma croix fut fiché. Et soudain je vis en quelle manière
les Juifs avaient fiché la croix et l’avaient affermie avec de grands
coins de bois, afin qu’elle ne branlât point; et puis, on mit des
degrés et des tables, afin que les bourreaux, étant montés
là, pussent me crucifier avec dérision et moqueries. Et moi,
je suis monté très-franchement, lui dit Notre-Seigneur, comme
un agneau sans tache, doux et mansuet, conduit à la boucherie. Et
étant monté là, j’étendis mes bras, non par
contrainte, mais franchement; et ayant ouvert ma main droite, je la posai
sur la croix, laquelle les bourreaux cruels et barbares crucifièrent
soudain, la perçant avec un gros clou, à la partie où
les os étaient plus solides; et tirant et étendant la main
gauche, ils la crucifièrent de même. Après, ayant tiré
le corps outre mesure et ayant joint les pieds, ils les crucifièrent
avec deux clous, et ils étendirent avec tant de véhémence
le corps et les membres que quasi les nerfs, les veines et les muscles
se rompaient. Ce qu’ayant fait, ils remirent sur ma tête la couronne
d’épines, laquelle ils m’avaient ôtée pour me crucifier,
les épines poignantes de laquelle percèrent si bas que mes
yeux furent soudain remplis de sang, ainsi que tout mon visage, mes oreilles
et ma barbe; et soudain après, les bourreaux retirèrent les
câbles attachés à la croix, et la croix demeura seule,
et Jésus crucifié en icelle.
Et lors étant remplie de douleur, je regardais la cruauté
des Juifs. Je vis aussi la Mère de Dieu plongée dans les
douleurs, abîmée en ses pleurs, et consolée par saint
Jean, et par les autres sœurs, qui étaient lors non guère
loin de
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la croix, à droite. La douleur de la Mère transperça
tellement mon cœur qu’il me semblait qu’un glaive outreperçait mon
cœur d’une amertume incomparable; et enfin, la Mère, se levant comme
anéantie de douleur, regarda son Fils, soutenue des deux sœurs,
étant toute ravie dans les excès des douleurs, vivante et
animée de la douleur du glaive. Le Fils, la regardant avec les autres,
ses amis tous éplorés, la recommanda à saint Jean
d’une voix pleurante. Je connaissais bien à son geste et à
sa voix que son cœur était outrepercé de douleur comme d’un
glaive, de voir la douleur de sa Mère. Lors ses yeux très-aimables
et beaux apparaissaient à demi morts; sa bouche était sanglante
et ouverte, son visage pâle, sa face avalée, anéantie
et toute sanglante; tout son corps était livide, meurtri, et languissant
à raison du sang qui coulait toujours. Sa peau et la chair vierge
de son corps étaient si tendres et si délicates que le moindre
coup qu’on lui donnait paraissait au dehors. Il s’efforçait quelquefois
de s’étendre sur la croix, à cause de l’excès de la
douleur qu’il ressentait, d'autant que la douleur de tous ses membres montait
sur le cœur et le vexait cruellement d’un martyre trop amer, et de la sorte,
sa mort était prolongée avec un tourment très-cruel
et une douleur qui n’a point d’égale; et lors, étant dans
les angoisses de la douleur et proche de la mort, il cria à son
Père d’une haute et pleurante voix, disant : O Père, pourquoi
m’avez-vous délaissé? Il avait alors les lèvres pâles
et la langue sanglante, le ventre enfoncé adhérent au dos,
comme si au-dedans il n’y eût pas eu d’entrailles. Il cria encore
pour la seconde fois avec une grande douleur : O Pè-
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re, je remets mon esprit en vos mains; et élevant un peu la
tête, soudain il l’abaissa, et ainsi, il rendit l’esprit. Ce que
sa Mère voyant, elle trembla toute par l’excès de la douleur
qu’elle souffrait; peu s’en manqua qu’elle ne tombât à terre,
si les sœurs ne l’eussent soutenue.
Lors ses mains se retirèrent du lieu où elles
étaient attachées à raison du grand poids du corps,
et de la sorte, son corps se soutenait sur les clous des pieds. Or, ses
doigts et ses mains étaient plus tendus qu’auparavant; ses épaules
étaient comme collées à la croix. Lors enfin les Juifs
qui étaient là commencèrent à crier contre
la Mère, se moquant d’elle. Les uns disaient : Marie, ton Fils est
mort maintenant. D’autres lui disaient des paroles de moquerie, et un de
la troupe vint avec une grande furie et donna un coup de lance au côté
droit avec une telle violence que quasi la lance passa de l’autre côté.
Lorsqu’on arrachait la lance du corps, il sortit un grand ruisseau de sang
qui teignit toute la lance. La Mère de Dieu, voyant cela, trembla
avec un grand gémissement, de sorte qu’on lisait sur sa face que
son cœur était outrepercé d’un glaive de douleur.
Or, ces choses étant accomplies, les troupes se retirant,
quelques-uns des amis déposèrent le corps de Notre-Seigneur
de la croix, que sa Mère reçut entre ses bras, lequel ils
mirent sur mon giron. Je nettoyai toutes ses plaies et son sang; je fermai
ses yeux, les baisant, et l’enveloppai en un drap pur et net; et de la
sorte, ils le conduisirent au sépulcre avec un grand pleur et une
grande douleur.
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XVI.
Notre-Seigneur se plaint à sainte Brigitte de ce que les princes de la terre ni les prélats n’ont point en mémoire sa passion.
Notre-Seigneur parla après cela à sainte Brigitte, lui disant : Ce que vous avez vu ci-dessus et ce que j’ai souffert par-dessus, les princes de la terre ne le considèrent point, ni ne méditent point sur les lieux où je suis né et où j’ai souffert. Certes, ils sont semblables à un homme ayant un lieu désigné pour mettre les bêtes farouches, dans lequel, envoyant ses chiens à la chasse, il se plaît à voir la course des chiens et des bêtes farouches : de même sont les princes de la terre et les prélats de l'Église, et quasi tous les états du monde regardent avec plus d’avidité les plaisirs terrestres que ma mort, ma passion et mes plaies. Partant, je leur enverrai encore par vous mes paroles, que s’ils ne changent leur cœur et ne le convertissent à moi, ils seront condamnés avec ceux qui ont divisé mes vêtements et ont mis le sort sur iceux.
Addition.
Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : Cette cité
(1) est Gomorrhe, ardente en luxure, superfluité et ambition : c’est
pourquoi son édifice tombera; elle sera désolée, diminuée,
et ses habitants s’en iront et gémiront sous le faix de la douleur
et de la tribulation; ils défaudront,
(1) Famugusta.
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et leur confusion s’épandra bien loin, car je suis justement
en colère contre eux.
Quant au duc qui est coupable de la mort de son frère,
Jésus-Christ dit : Il dilate sa superbe; il se glorifie de son incontinence;
il ne considère pas le mal qu’il fait à son prochain; s’il
ne s’humilie, je lui ferai selon la maxime commune : Il ne pleure pas peu
qui pleure après la mort, comme celui qui pleure avant icelle; il
n’aura pas une plus douce mort que son Frère; voire il en aura une
plus dure, s'il ne se corrige bientôt.
Notre-Seigneur parle du confesseur de ce duc : Ce Frère-là
ne vous a-t-il pas dit que ce duc est bon et qu’il ne peut mieux vivre,
excusant son incontinence scandaleuse. Tels ne sont pas confesseurs, mais
décepteurs, qui semblent des brebis simples, mais de fait, ne sont
que des renards et des dissimulés : tels sont ces amis qui proposent
et conseillent aux hommes les grandeurs et les abaissements pour la considération
d’un peu de temporel. Partant, si ce Frère eût demeuré
dans le couvent, il n’eût pas tant péché, ne se fût
pas préparé un supplice si cruel, et eût acquis une
plus grande couronne. Or, maintenant, il n’échappera pas à
la main de celui qui le reprendra et l’affligera.
Quelques-uns conseillèrent à sainte Brigitte de
changer de vêtements et de noircir sa face à cause des Sarrasins.
Notre-Seigneur lui dit là-dessus : Ne changez point de vêtements;
ne noircissez point votre face. Je suis puissant et sais tout; je ne crains
rien et puis vous défendre. Je suis la sagesse, la toute-puissance
même, moi qui prévois tout et puis tout : partant, tenez la
manière accoutumée en vos vêtements, et soumet-
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tez votre face et vos volontés à moi, car moi qui ai
gardé Sara de la main de captivité, je vous garderai en mer,
en terre, et comme il est expédient, ma providence pourvoira à
vos nécessités.
La Mère de Dieu parle de l’évêque Alphonse
: Cet évêque, mon ami, vous doit aimer comme mère,
comme maîtresse, comme fille, comme sœur : comme mère, à
raison de votre âge et pour la maturité de vos conseils, qu’il
doit toujours chercher; comme maîtresse, pour la grâce que
Dieu vous a donnée, qui montre par vous les secrets de la sapience
infinie; comme fille, d’autant que, vous enseignant et vous consolant,
il pourvoit à ce qui vous est le plus utile; comme sœur, vous avertissant
quand il en sera besoin; les avertissant et incitant par parole et par
exemple à ce qui est le plus parfait.
D’ailleurs, la Sainte Vierge dit au même évêque
: Vous devez être comme celui qui porte de belles et bonnes fleurs,
qui sont mes paroles, qui sont aux sages plus douces que le miel, plus
perçantes et plus aiguës que les flèches, plus puissantes
et plus efficaces pour obtenir la récompense. Celui qui porte ces
fleurs se doit donner garde des vents, des pluies, du chaud : des vents
de la vaine et mondaine éloquence; de la pluie d’une vaine délectation;
du chaud d’une faveur mondaine, car celui qui se glorifie de ces choses
fait qu’on méprise ces fleurs, et lui-même se montre moins
capable de les porter.
Notre-Seigneur parle ici de la reine de Cypre : O Brigitte,
conseillez trois choses à la reine de Cypre : 1° qu’elle ne
retourne point en son pays (cela n’est pas expédient), mais qu’elle
s’arrête au lieu où elle est, pour servir Dieu de
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tout son cœur; 2° qu’elle ne se marie point, prenant un second
mari, car il est plus agréable à Dieu qu’elle pleure les
péchés qu’elle a commis, et supplée par la pénitence
le temps mal employé qu’à penser à de secondes noces;
3° qu’elle induise ceux de son royaume à la concorde et charité,
et qu’elle s’efforce que les bonnes mœurs et la justice y soient louablement
exercées, et que la communauté ne soit chargée de
nouvelles charges; 4° qu’elle oublie les maux qu’on a commis contre
son mari, et cela pour l’amour de Dieu, et qu’elle ne s’en venge point,
car je suis Juge et je jugerai pour cela; 5° qu’elle nourrisse son
Fils avec l’amour divin, lui donnant des conseillers justes, non cupides,
familiers, pudiques, bien composés et sages, desquels il puisse
apprendre à craindre Dieu, à gouverner justement, à
compatir aux misérables, à fuir le flatteur comme le venin,
à chercher le conseil des justes mêmes, des pauvres, humbles
et méprisés; 6° qu’elle s’habille modestement et renonce
au fard et autres artifices de la vanité, car toutes ces choses
sont odieuses à Dieu; 7° qu’elle ait un confesseur qui, ayant
quitté le monde, aime plus les âmes que les présents,
qui ne dissimule point les péchés, et n’ait point honte ni
crainte de les reprendre, et qu’elle lui obéisse, en ce qui concerne
le salut de son âme, comme à Dieu; 8° qu’elle considère
la vie des saintes reines et des autres femmes, et qu’elle s’informe comment
l’honneur de Dieu s’accroîtra; 9° qu’elle soit raisonnable en
ses dons, payant ses dettes et les louanges des hommes, car il est bien
plus agréable à Dieu de donner peu ou rien que de ne payer
ses dettes et d’incommoder le prochain.
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Le Fils de Dieu parle du couronnement d’un nouveau roi : C’est
un grand et pesant fardeau d’être roi; c’est un grand honneur et
grandement fructueux. Il est donc convenable que le roi soit mûr,
expert, prudent, juste, laborieux et plus amateur du bien de son prochain
que de sa propre volonté, c’est pourquoi anciennement les royaumes
étaient bien gouvernés, d'autant qu’ils élisaient
un roi qui voulût, sût et pût gouverner justement ses
sujets. Maintenant, les royaumes ne sont point des royaumes, mais puérilités,
radoteries et larcins; car comme le larron cherche les manières,
le temps comment il pourra mettre des embûches et comment il pourra
prendre sans être remarqué, de même les rois maintenant
cherchent des inventions comment leur tige sera élevée, comment
ils pourront remplir leur bourse, comment ils pourront accortement charger
les sujets qui rendent franchement la justice pour en tirer du lucre temporel,
mais ils n’aiment pas la justice, afin d’obtenir la récompense éternelle;
c’est pourquoi le sage dit sagement : Malheur au royaume dont le roi est
un enfant qui, vivant délicatement et ayant des flatteurs délicats,
ne se met en peine du bien commun ni de son avancement! Mais d’autant que
son enfant ne portera point l’iniquité du père, partant,
s’il veut profiter et remplir la dignité du nom de roi de Cypre,
qu’il obéisse aux paroles que j’ai dites et qu’il n’imite point
les mœurs de ses prédécesseurs. Qu’il dépose les légèretés
d’enfant et qu’il marche par la voie royale, ayant de tels assistants qu’ils
craignent Dieu et n’aiment pas plus les présents que son honneur
et le salut de leur âme. Qu’il haïsse les flatteurs, et qu’il
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ait avec lui ceux qui ne craignent pas de dire la vérité;
autrement, ni l’enfant ne se réjouira en son peuple, ni le peuple
en celui qu’il a choisi.
XVII.
Du choix du logis que sainte Brigitte fit en l’hôpital.
La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : En ce lieu de la montagne de Sion, il y a deux sortes de personnes : les unes aiment Dieu de tout leur cœur, les autres veulent avoir Dieu, mais le monde leur est plus agréable que Dieu; et partant, afin que les bons ne soient scandalisés et qu’occasion n’en soit donnée aux lâches et exemple à la postérité, il vaut bien mieux que vous logiez au lieu désigné pour les pèlerins que de loger ailleurs. Mon Fils pourvoira à tout ce qui vous sera nécessaire.
XVIII.
Des avertissements pour le roi de Cypre.
L’épouse sainte Brigitte écrit au roi de Cypre
et au prince d’Antioche, et lui donne des conseils :
1° Qu’un chacun fasse avec son confesseur une confession
générale de tout ce qu’il a commis contre la volonté
divine, et qu’après il reçoive le corps précieux de
Notre-Seigneur avec crainte et amour.
2° Que vous soyez unis tous deux ensemble au vrai amour,
de sorte que vous ne soyez
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qu’un cœur en Dieu pour son honneur, pour sa gloire et pour l'utilité
de vos sujets.
3° Que tous deux (1) soyez unis en amour avec vos sujets,
pardonnant, pour l’amour de la passion de Jésus-Christ et de sa
mort, à tous ceux qui, de conseil, d’effet ou faveur, ont été
cause ou occasion de la mort de Pierre, roi et votre père, les recevant
tous en votre charité et amour de tout votre cœur, afin que Dieu
vous daigne recevoir en sa miséricorde, et afin qu’il vous veuille
aussi affermir en votre gouvernement pour son honneur et gloire.
4° Que, puisque la divine Providence vous a établis
gouverneurs de ce royaume, vous y apportiez toute la diligence que vous
pourrez, à prendre conseil, et à conseiller efficacement
avec une âme fervente de charité, tous les prélats,
tant séculiers que réguliers, que tous leurs sujets se corrigent
en toutes les choses esquelles ils se sont écartés du saint
état des Pères, leurs prédécesseurs, spirituellement
ou temporellement, afin de vivre selon le premier état de leurs
prédécesseurs. Qu’ils réforment donc au plus tôt
leur état en tout et par tout, afin qu’eux et leurs sujets, étant
vraiment amendés, obtiennent l’amitié de Dieu, et soient
rendus dignes de prier Dieu qu’il daigne, par sa miséricorde, renouveler
l’état de la sainte Église universelle en la sainteté
des vertus.
5° Que, pour cette grande charité que Dieu a eue
pour vos âmes, vous aimiez aussi celles de vos sujets, conseillant
à votre peuple militaire que, s’il a offensé en quelque chose,
il en fasse soudain pénitence et se corrige, et
(1) Éléonor, reine de Cypre, et son fils, aussi
roi de Cypre.
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que tous ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église
romaine, qui sont parvenus aux ans de discrétion, se confessent
humblement, se réconcilient avec le prochain qu’ils ont offensé,
et s’accordent, et que s’étant amendés, ils reçoivent
le corps de Jésus-Christ; après, qu’ils mènent une
vie catholique, vivent avec fidélité dans le mariage, ou
en veuvage, ou bien en l’état louable de virginité, observant
tout ce que la saint Église commande, y poussant tous les familiers
domestiques, sujets, et tous ceux qu’ils pourront, à en faire de
même, tant par leurs paroles que par leurs bons exemples, et par
les œuvres de charité, les induisant à en faire et les affermissant
en leurs saintes entreprises; et sachez pour certain que tous ceux qui
ont voulu obéir au corps, souffriront le dommage en leur âme.
6° Que vous disiez à tous les prélats qu’ils
avertissent efficacement et souvent leurs prêtres, savoir, les recteurs
des églises; que chacun regarde si, en la paroisse, il y a quelqu'un
qui persiste en quelques péchés publics, en l’offense de
Dieu et au mépris de la sainte Église; et ceux qu’il trouvera
vivre impudemment en ces péchés publics, qu’il les avertisse
efficacement du danger de leur âme, et leur enseigne les manières
et les remèdes spirituels par lesquels ils puissent s’en retirer
et humblement s’amender. Or, s’ils ne veulent obéir, mais désirent
vivre en leurs péchés publics, que les recteurs des paroisses
ne manquent pas de les dénoncer aux supérieurs et aux évêques,
afin que l’opiniâtreté de ces gens-là soit punie par
les évêques, sans avoir égard à leur puissance
temporelle, et Dieu vous commande de prêter main forte aux évêques
pour cet effet, afin
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que, par votre secours et faveur, les susdits pécheurs soient
corrigés et amendés, et qu’ils obtiennent la miséricorde
de Dieu.
XIX.
Sainte Brigitte eut une révélation à Jérusalem touchant le royaume de Cypre, laquelle elle publia devant le roi et son conseil.
Il arriva à une personne qui veillait et priait, que,
étant suspendue en extase et étant ravie, elle voyait en
esprit un palais d’une incompréhensible grandeur et d’une beauté
inouïe. Elle voyait aussi, assis entre les saints en un siège
de majesté, Jésus-Christ, qui dit ces paroles : Je suis la
vraie charité. Tout ce que j’ai fait de toute éternité,
je l’ai fait par amour; semblablement tout ce que je fais et ferai procédera
de mon amour. Mon amour est si immense et si incompréhensible en
moi maintenant qu’il l’était le jour de ma mort et passion, quand,
par ma mort, comme par excès d’amour, je délivrai des limbes
tous mes élus qui étaient dignes d’une telle rédemption
et affranchissement. Que s’il était possible que je mourusse tout
autant de fois qu’il y a d’âmes en enfer, je souffrirais pour chacune
d’elles comme je souffris lors pour toutes; mon corps serait encore disposé
à souffrir toutes ces choses avec une franche volonté et
parfaite charité.
Or, il est maintenant impossible que mon corps puisse encore
mourir ou souffrir quelque peine ou tribulation; il est de même impossible
que quelque âme qui, après ma mort, a été condamnée
à l’enfer, sorte jamais de là, ni qu’elle
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jouisse jamais de la gloire céleste dont jouissent les saints,
et mes élus de la glorification de mon corps; mais elles ressentiront
les supplices en la mort éternelle, d'autant qu’elles n’ont pas
voulu jouir du fruit de ma mort, ni n’ont voulu suivre ma volonté
pendant qu’elles ont vécu au monde. Au reste, sur les offenses qui
m’ont été faites, il n’y a point autre juge que moi, c’est
pourquoi la charité que j’ai montrée aux hommes se plaint
quasi devant ma justice, c’est pourquoi je touche à la justice de
juger là-dessus selon ma volonté.
Or, maintenant je me plains des habitants du royaume de Cypre,
comme s’ils étaient un seul homme, mais je ne me plains point des
hommes qui y demeurent, qui sont mes amis, qui m’aiment de tout leur cœur
et suivent en tout ma volonté, mais je me plains de tous ceux qui
me méprisent, qui résistent incessamment à ma volonté
et me contrarient.
Je parlerai donc à eux comme à une seule personne
: O peuple de Cypre, mon adversaire, écoutez et considérez
diligemment ce que je vous dis. Je vous ai aimé comme un père
aime son cher enfant, qu’il a voulu élever aux grands honneurs.
Je vous ai donné un honneur où vous pouviez avoir tout ce
qui vous était nécessaire, avec abondance pour la nourriture
et entretien de votre corps. Je vous ai envoyé le feu de mon Saint-Esprit
et sa lumière, afin que vous compreniez la foi chrétienne,
à laquelle vous vous étiez fidèlement obligé,
et vous vous étiez soumis aux lois de la sainte Église avec
humilité. Je vous ai aussi placé au lieu qui était
convenable à mon serviteur, savoir est, entre mes amis, afin que,
par vos labeurs, terres et
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combats corporels, vous puissiez obtenir dans mon royaume la couronne
précieuse. Je vous ai aussi porté longtemps dans mon cœur,
c’est-à-dire, dans le sein de mon amour, et vous ai gardé
comme la prunelle de mon œil, lorsque vous étiez assailli par les
adversités et les tribulations; et quand vous avez gardé
mes préceptes et avez été obéissant aux statuts
de la sainte Église, lors certainement une infinité d’âmes
sont venues du royaume de Cypre dans le ciel pour jouir éternellement
de la gloire éternelle avec moi. Mais d'autant que vous faites maintenant
votre volonté et tout ce qui plaît à votre cœur, ne
me craignant point, quoique je sois votre Juge, ni ne m’aimant point, quoique
je sois votre Créateur, qui vous ai même racheté par
une mort très-dure, que vous avez crachée de votre bouche
comme chose désagréable et puante; et d’autant que vous avez
logé le diable en votre cœur, vous m’avez chassé de là
comme un larron, et vous n’avez pas plus de honte de pécher devant
moi que les animaux irraisonnables. Partant, ma justice veut et mon juste
jugement demande que vous soyez chassé du ciel par mes amis, et
que vous soyez plongé dans les abîmes de l’enfer au milieu
de mes ennemis; et sachez cela sans en douter, que mon Père, qui
est en moi et en qui je suis, et que le Saint-Esprit qui est en nous deux,
me sont témoin qu’il n’est jamais sorti de ma bouche que la vérité
: c’est pourquoi sachez véritablement que quiconque se gouvernera
comme vous et ne se voudra amender, ira en enfer parla même voie
qu’y allèrent Lucifer, à raison de sa superbe, Judas, qui
me vendit à raison de sa cupidité, et Zambri, qui tua Phinées
à cause de
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sa luxure. Il pécha certainement avec la femme contre mon commandement,
c’est pourquoi son âme fut damnée dans l’enfer. Partant, ô
peuple de Cypre, je vous annonce que si vous ne voulez vous corriger et
vous amender, j’effacerai toute la postérité du royaume de
Cypre, de sorte que je ne pardonnerai pas même aux pauvres ni aux
riches; oui, je la ruinerai en telle sorte en brief qu’on n’en parlera
plus, comme si vous n’aviez jamais été au monde. Or, je planterai
de nouvelles plantes au royaume de Cypre, qui garderont mes commandements
et m’aimeront de tout leur cœur. Mais néanmoins sachez pour certain
que si quelqu'un de vous se veut amender et retourner à moi avec
humilité, je lui irai au-devant et lui parlerai avec joie comme
un pieux pasteur, le levant sur mes épaules et l'apportant à
mon bercail. J’entends par mes épaules que, par le bénéfice
de ma passion et de ma mort que j’ai soutenues en mon corps et en mes épaules,
celui qui s’amendera sera participant de ma mort, et recevra avec moi au
royaume céleste une éternelle consolation. Sachez aussi pour
certain que vous, qui êtes mes ennemis, qui habitez audit royaume,
n’étiez pas dignes qu’un tel avertissement vous fût envoyé;
mais quelques-uns qui sont en ce royaume, qui me servent fidèlement
et m’aiment de tout leur cœur, m’ont fléchi par leurs larmes et
prières à ce que je vous fisse entendre le danger de vos
âmes, ce qui a été montré à quelques-uns
de mes amis, que des âmes innombrables du royaume de Cypre descendent
en enfer et sont repoussées du ciel. Or, je dis les paroles susdites
à ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église romaine,
qui m’ont voué la foi
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catholique et romaine, et s’en sont retirés par les œuvres contraires.
Mes les Grecs qui savent que tous les chrétiens doivent avoir une
même foi et être sujets à une même Église,
avoir un seul mien vicaire général en tout le monde, savoir,
le pontife romain, qui doit être par-dessus tous, et qui néanmoins
ne veulent point se soumettre au pasteur de l’Église romaine et
à mon vicaire, et subjuguer spirituellement et humblement leur superbe
sous lui, soit à raison de la cupidité, soit à raison
de la pétulance charnelle, soit pour quelque autre chose qui touche
le monde, sont indignes d’obtenir miséricorde et pardon quand ils
sont morts. Mais les autres Grecs qui voudraient savoir la foi romaine,
mais ne peuvent, mais qui, s’ils la savaient, la tiendraient fidèlement
et s’y soumettraient humblement, et se contiennent et gardent des péchés
en la foi où ils vivent pieusement, à ceux-là, miséricorde
leur est due après la mort dans les supplices, quand ils seront
appelés à mon jugement. Que les Grecs sachent aussi que leur
empire, royaumes et domaines, ne seront jamais assurés ni en paix,
mais seront toujours sujets à leurs ennemis, desquels ils souffriront
de grands dommages et de longues misères, jusques à ce qu’ils
s’assujettissent à l’Église romaine avec humilité
et charité, se soumettant à ses lois et à ses constitutions.
Or, sainte Brigitte ayant ainsi vu ces choses et les ayant ouïes
en esprit, la vision disparut, et sainte Brigitte demeura en l'oraison
avec crainte, et suspendue en admiration.
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XX.
Il est ici traité d’une commination de damnation éternelle aux religieux des Frères mineurs ayant de propre.
Pour le jour de saint François.
Actions de grâces infinies, humble service, louange et
honneur soient à Dieu en sa puissance et majesté éternelle,
à Dieu qui est un Dieu en trois personnes! Il a plu à la
divine bonté que sa très-digne humanité m’ait dit
en l'oraison ce qui suit :
Oyez, vous à qui il est donné d’ouïr spirituellement;
voire tenez assurément en la mémoire ces paroles : Il y avait
un homme qu’on nommait François, qui, s’étant éloigné
de la superbe mondaine, de la cupidité et de la délectation
vicieuse de la chair, et s’étant converti à la vie spirituelle
de la pénitence et perfection, obtint lors la vraie contrition de
tous ses péchés et une parfaite volonté de s’amender,
disant : Il n’y a rien en ce monde que je ne veuille franchement laisser
pour l’honneur et la gloire de Dieu; il n’y a aussi rien de si dur en cette
vie que je ne veuille de bon gré embrasser pour l'amour de Jésus,
faisant tout ce que je pourrai pour son honneur, selon les forces de mon
corps et de mon âme, et je pousserai tous les autres à en
faire de même, et les affermirai en cela, afin qu’ils aiment Dieu
sur toutes choses et de tout leur cœur.
La règle de saint François, que ce moine a embrassée,
n’a point été dictée par l’esprit hu-
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main, ni de la prudence, mais de moi, selon mes volontés. Chaque
parole qui est écrite en icelle a été inspirée
par moi à ce saint, et après ce fut lui qui donna aux autres
cette règle. De même toutes autres règles des religions
que mes amis ont entreprises, gardées et enseignées aux autres
et qu’ils ont présentées, n’ont point été composées
de leur esprit et de leur sapience humaine, mais par l’inspiration du Saint-Esprit.
Les Frères de saint François, qui s’appellent
mineurs, ont tenu et observé cette règle, quelques années
fort spirituellement et dévotement, selon ma volonté, dont
le diable, ennemi ancien, conçut une grande envie et trouble, d'autant
qu’il ne pouvait vaincre ni surmonter ces Frères par tentations
et déceptions. Le diable chercha donc où il pourrait trouver
un homme dans lequel et avec l’esprit duquel il pût mélanger
son malin esprit; enfin, ayant trouvé un prêtre qui pensait
ces suivants discours : Je voudrais être en tel état où
je puisse avoir l’honneur du monde et la délectation de mon corps,
et que je puisse là amasser et entasser tant d’argent qu’il ne me
manquât jamais rien qui touchât à mes nécessités
et voluptés : je veux donc entrer en l’ordre de saint François,
et feindre d’être fort humble et obéissant. Et de la sorte,
le prêtre susdit entra dans ledit ordre. Soudain le diable entra
dans son cœur, et de la sorte, ledit prêtre fut religieux de cet
ordre. Le diable considéra néanmoins en soi que saint François
voulait tirer force gens du monde avec son obéissance très-humble
pour avoir de grands prix dans le ciel : de même ce Frère,
qui sera appelé adversaire, d'autant qu’il contrarie à la
rè-
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gle de saint François, tirera plusieurs du même ordre,
de l’humilité à la superbe, de la pauvreté raisonnable
à la cupidité, de la vraie obéissance à faire
sa propre volonté et à suivre les délectations du
corps. Quant ce Frère adversaire entra en l'ordre de saint François,
soudain il commença à penser par l’aide de la suggestion
de l’ennemi : Je me montrerai si humble et si obéissant qu’on me
réputera saint. Quand les autres jeûnent et gardent le silence,
je ferai lors le contraire avec mes particuliers compagnons, savoir, en
cajolant, mangeant debout; néanmoins ce sera si secrètement
que pas un ne le saura ni ne l’entendra.
Je ne puis pas aussi, pensait-il, selon cette règle,
tenir de l’argent, ni or, ni aucune autre chose, c’est pourquoi je veux
faire un ami particulier qui me gardera secrètement l’or et l'argent,
afin que je me serve de cet argent selon mes cupidités. Je veux
aussi apprendre les arts libéraux et les sciences, afin d’être
honoré et que je puisse avoir quelque dignité en l’ordre,
et partant, pouvoir avoir des chevaux, des vases d’argent, de belles robes
et des ornements précieux. Que si quelqu'un me reprend pour ceci,
je lui répondrai que je fais cela pour l’honneur de mon ordre. Si
je pouvais aussi tant faire que d’être évêque, je serais
lors heureux et fortuné pour la vie que je voudrais lors mener,
car lors j’aurais ma propre liberté et je jouirais de tous les contentements
de mon corps. Écoutez donc qu’est-ce que le diable avait suggéré
à ce Frère de l’ordre de saint François.
De fait, il y a plusieurs Frères dans le monde qui, ou
par œuvre ou par affection, tiennent la même règle que ce
diable avait suggérée à ce
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Frère adversaire, et certes en plus grand nombre que ceux qui
gardent la règle que j’ai inspirée à saint François.
Sachez néanmoins que, bien que ces Frères, et de saint François,
et du Frère adversaire, soient pêle-mêle tant qu’ils
vivent au monde, je les séparerai néanmoins à la fin,
moi qui suis leur Juge, et je jugerai les Frères de la règle
de saint François, pour demeurer éternellement avec moi ès
joies ineffables et avec saint François. Mais ceux qui suivent la
règle des Frères adversaires, seront jugés aux peines
éternelles au profond de l’enfer, s’ils ne veulent se corriger et
s’humilier avant de mourir; et ce n’est point de merveilles, car ceux qui
devaient donner au monde des exemples d’humilité et de sainteté,
lui donnent des exemples de mauvaise édification, de cupidité
et de superbe. Et partant, qu’ils sachent que, tant ceux-là que
tous les autres auxquels la règle défend d’avoir rien de
propre, et néanmoins en ont contre la règle, voulant en cela
m’apaiser, en me donnant quelque partie de leurs présents abominables,
me sont en haine ni ne sont dignes d’aucune bonne récompense. Il
me serait bien plus agréable qu’ils observassent la sainte pauvreté
selon leur vœu, que s’ils m’offraient tout l’or et l'argent qui sont au
monde.
Sachez, vous aussi (1) qui oyez mes paroles, qu’il ne vous eût
été licite d’avoir cette vision, si ce n’est pour l'amour
d’un mien bon serviteur qui de tout son cœur m’a prié pour ce dit
Frère, qui désirait par charité aussi lui donner quelques
conseils fort utiles.
Cela étant ouï, la vision disparut.
(1) sainte Brigitte
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XXI.
Enfantement de la Sainte Vierge.
Pour le jour de la Nativité.
Lorsque moi, Brigitte, étais à Bethléem,
je vis une Vierge enceinte, affublée d’un blanc manteau et d’une
subtile et fine tunique, au travers de laquelle je voyais la chair virginale,
le ventre de laquelle était grandement plein, d'autant qu’elle était
prête à enfanter. Il y avait avec elle un honnête vieillard,
et tous deux avaient un bœuf et un âne; et étant, entrées
dans une caverne, le vieillard, ayant lié le bœuf et l’âne
à la crèche, porta une lampe allumée à la Sainte
Vierge, et la ficha en la muraille, s’écartant un peu de la Sainte
Vierge pendant qu’elle enfanterait.
Cette Vierge donc se déchaussa, quitta son manteau blanc,
ôta le voile de sa tête et le mit auprès d’elle; et
je vis ses cheveux beaux à merveille, comme des fleurs éparpillées
sur sa tunique, sur ses épaules. Elle tira lors de son sein deux
draps de fin lin et deux de laine, très-blancs et très-purs,
pour envelopper l’enfant; et elle portait encore deux autres petits draps
de lin pour le couvrir et lui lier la tête; et elle les mit auprès
d’elle, afin d’en user à temps et saison.
Or, toutes choses étant ainsi prêtes, la Sainte
Vierge, ayant fléchi le genou, se mit avec une grande révérence
en oraison; et elle tenait le dos contre la crèche, et la face levée
vers le ciel vers l’orient; et ayant levé les mains et ayant les
yeux fixés au ciel, elle était en extase, sus-
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pendue en une haute et sublime contemplation, enivrée des torrents
de la divine douceur; et étant de la sorte en oraison, je vis le
petit enfant se mouvoir dans son ventre et naître en un moment, duquel
il sortait un si grand et ineffable éclat de lumière que
le soleil ne lui était en rien comparable, ni l’éclat de
la lumière que le bon vieillard avait mise en la muraille, car la
splendeur divine de cet enfant avait anéanti la clarté de
la lampe; et la manière de l'enfantement fut si subtile et si prompte
que je ne peux connaître et discerner comment et en quelle partie
elle se faisait.
Je vis incontinent ce glorieux enfant, gisant à terre,
nu et pur, la chair duquel était très-pure. Je vis aussi
la peau secondine (1) auprès de lui enveloppée et grandement
pure. J’ouïs lors les chants mélodieux des anges, et soudain
le ventre de la Vierge, qui était enflammé, se remit en sa
naturelle consistance, et je vis son corps d’une beauté admirable,
tendre et délicat.
Or, la Vierge, sentant qu’elle avait enfanté, ayant baissé
la tête et joint les mains, adora l’enfant avec grande révérence
et lui dit : O mon Dieu et mon Seigneur, soyez le très-bien venu!
Et lors l’enfant, pleurant et comme tremblotant de froid et de la dureté
du pavé où il gisait, s’émouvait un peu, et étendait
ses bras, cherchant quelque soulagement et la faveur de la Mère.
La mère le prit lors en ses bras, le serra sur son sein, et l’échauffa
sur sa poitrine avec des joies indicibles et avec une tendre et mater-
(1) Quelques théologiens soutiennent que cet enfantement
fut sans cette peau, à raison de la pureté.
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nelle compassion. Et lors s’asseyant à terre, elle le mit en
son giron et prit de ses doigts son nombril, qui soudain fut coupé,
d’où il ne sortit ni sang ni aucune autre chose; et après
elle l’enveloppa de petits drapeaux de lin et de laine, et avec des langes
et des liens, elle serra son petit corps avec un bandeau qui était
cousu en quatre lieux à la partie du drap de linge, et après,
elle lui lia la tête.
Ces choses étant accomplies, le vieillard entra, et se
prosternant à deux genoux, adorant l’enfant, il pleurait de joie.
La Sainte Vierge ne changea point de couleur en cet enfantement;
elle ne fut point infirme, ni aussi les forces corporelles ne lui diminuèrent
point comme les autres femmes ont accoutumé. Il n’y parut autre
chose, sinon que les flancs se retirèrent à la première
consistance en laquelle ils étaient avant qu’elle conçût.
Après elle se leva, ayant son cher enfant entre les bras, et saint
Joseph et elle le mirent en la crèche, et l’adorèrent à
genoux avec des joies indicibles.
XXII.
Même sujet que dessus.
La Sainte Vierge Marie m’apparut, disant : Ma fille, il y a bien
longtemps que je vous avais promis en Reine qu’en Bethléem je vous
montrerais la manière de mon enfantement; et bien que je vous en
aie montré quelque chose à Naples, savoir, en quelle posture
j’étais quand j’enfantai mon Fils, sachez néanmoins pour
certain que je demeurai en telle manière que vous me voyez maintenant
à genoux, priant seule dans
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l’étable, car je l’ai enfanté avec tant de joie que je
ne ressentis aucune peine quand il sortit de mes flancs; mais je l’enveloppai
soudain des linges purs que j’avais préparés depuis longtemps.
Joseph, voyant cela, fut ravi d’admiration, et se réjouit
grandement de savoir que j’avais enfanté sans aide. Mais d'autant
que Bethléem était occupé à raison du dénombrement
qu’Auguste faisait de son peuple, néanmoins on ne divulgua point
les merveilles de Dieu; et partant, sachez que, bien qu’il y ait des hommes
qui s’efforcent de dire, selon le sens humain, que mon Fils est né
par la voie commune, la vérité néanmoins est sans
doute qu’il est né comme je vous ai dit autrefois et comme vous
l’avez vu.
XXIII.
Comment les pasteurs le vinrent adorer.
Je vis aussi en même lieu où la Sainte Vierge et
Joseph adorèrent Jésus en la crèche, que lors les
pasteurs et ceux qui gardaient les troupeaux vinrent pour adorer l’enfant;
et l’ayant vu, ils l’adorèrent soudain avec une grande révérence
et joie; après, ils s’en retournèrent, louant et glorifiant
Dieu en tout ce qu’ils avaient vu et ouï.
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XXIV.
Comment les rois adorèrent Jésus-Christ.
La même Mère de Dieu me dit : Ma fille, sachez que quand les trois rois mages vinrent à l’étable pour adorer mon Fils enfant, je savais bien auparavant leur arrivée; et quand ils entrèrent et adorèrent, mon Fils se réjouit, et de joie il avait lors le visage plus gai. Je me réjouissais grandement d’une joie ineffable et spirituelle, considérant leurs paroles et leurs actions, les conservant et les examinant dans mon cœur.
XXV.
De l'humilité du Fils de Dieu et de la Vierge.
La Mère de Dieu parle, disant : La même humilité
est maintenant en mon Fils en la puissance de sa Divinité, qu’il
eut lorsqu’il était en la crèche, gisant entre deux animaux;
et bien qu’il sût toutes choses selon la Divinité, il parlait
néanmoins selon l’humanité : de même, étant
maintenant assis à la droite du Père, il entend tous ceux
qui parlent de lui avec amour, et leur répond par les inspirations
des influences du Saint-Esprit, à quelques-uns par des paroles et
pensées, à d’autres comme bouche à bouche, comme il
lui plaît : de même moi, qui suis Mère de Dieu, je suis
aussi humble maintenant en mon corps qui est par-dessus toutes les créatures,
que quand je fus épousée à Joseph. Mais toutefois
vous devez savoir pour certain que Joseph sut du Saint-Esprit que j’avais
fait le vœu
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de virginité à Dieu, et que j’étais pure en paroles,
œuvres, pensées et intentions; et il m’épousa pour m’avoir
pour sa maîtresse, pour me servir, et non pour sa femme.
Je sus aussi avec certitude par le Saint-Esprit que ma virginité
demeurerait entière éternellement, bien que, par une secrète
disposition divine, je fusse mariée; mais après que j’eus
consenti à l’ambassadeur de Dieu, Joseph, voyant que mon ventre
grossissait par vertu du Saint-Esprit, s’épouvanta grandement, ne
soupçonnant rien de sinistre contre moi, mais il se souvint de ce
que les prophètes avaient dit, que le Fils de Dieu naîtrait
d’une Vierge; il se réputait indigne de servir une telle Mère,
jusqu’à ce que l'ange lui apparût en songe et lui commandât
de ne rien craindre, mais de servir avec charité. Moi et Joseph
ne réservâmes rien des richesses, si ce n’est ce qui nous
était nécessaire pour vivre à l’honneur de Dieu; nous
quittâmes le reste pour l’amour de Dieu. Or, l'heure de la naissance
de mon Fils s’approchant, que j’avais fort bien prévue, je vins
selon la prescience divine en Bethléem, portant avec moi une robe
très-pure et des draps pour mon Fils, desquels pas un n’avait jamais
eu l’usage, desquels j’enveloppai celui qui était né de moi
avec toute sorte de pureté. Et bien que je n’eusse pas prévu
que, de toute éternité, je devais être assise aux sièges
sublimes sur toutes les créatures et sur les hommes; et quand je
l’aurais su, je ne dédaignais pas de préparer et de servir
à saint Joseph tout ce qui lui était nécessaire, et
à moi-même; et comme je fus humble, connue de Dieu seul et
de saint Joseph, de même je suis maintenant humble, assise au siège
le plus sublime, prête
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à présenter à Dieu toutes les oraisons et demandes
raisonnables. Mais je réponds à quelques-uns par les inspirations
divines; à d’autres, je leur parle plus intimement, comme il plait
à Dieu.
XXVI.
Du temps de la mort de Notre-Dame, et de son sépulcre.
Sainte Brigitte dit : Quand j’étais en la vallée
de Josaphat au sépulcre de la Sainte Vierge en oraison, la Vierge
m’apparut, éclatant d’une incomparable beauté, disant : Considérez,
ma fille : j’ai vécu quinze ans au monde après l’ascension
de mon Fils, et tout autant encore qu’il y a de jours depuis l’ascension
de mon Fils jusques à ma mort; et étant morte, je demeurai
gisante dans mon sépulcre l’espace de quinze jours. (1) Après,
je fus portée au ciel avec un grand honneur; les vêtements
dont j’étais revêtue demeurèrent en ce sépulcre,
et je fus revêtue des vêtements dont mon Fils est revêtu.
D’ailleurs, sachez qu’il n’y a dans le ciel aucun corps humain, sinon celui
de Jésus-Christ et mon corps. Retirez-vous donc aux terres des chrétiens;
amendez-vous de mieux en mieux, et vivez le reste de vos jours avec une
grande précaution, puisque vous avez visité les lieux où
mon Fils et moi avons vécu et avons été ensevelis.
(1) Les opinions sont diverses touchant la résurrection
de la Sainte Vierge; la plus probable me semble celle d’après trois
jours.
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XXVII.
Notre-Seigneur avertit les habitants de Naples par la suivante révélation, publiée devant l’archevêque, etc. de bien vivre; et il les menace autrement.
Sainte Brigitte veillant, étant en oraison et en la sublime
contemplation, et étant ravie, Jésus-Christ lui apparut,
lui parlant en ces termes : Oyez, vous à qui Dieu a donné
la grâce d’ouïr et de voir les choses spirituelles, et écoutez
diligemment, et tenez en votre esprit ce que vous oyez maintenant, car
vous l’annoncerez de ma part aux nations. Ne dites pas ces choses ici pour
vous acquérir de l’honneur ou quelque louange humaine, ni aussi
ne les taisez pas par la crainte de quelque empire humain et de peur de
quelque mépris, d'autant que ces choses ne vous sont pas tant seulement
montrées pour l’amour de vous, mais encore, pour l’amour des prières
de mes amis, vous seront montrées celles qui suivent, car quelques-uns
de mes élus de la cité de Naples m’ont prié de longues
années de tout leur cœur pour mes ennemis qui sont en la même
cité, afin que je leur montrasse quelque faveur par laquelle ils
se puissent retirer de leurs péchés et mauvaises habitudes,
et se convertir salutairement, aux prières desquels ayant donné
effet, je vous donne ces paroles que je désire que vous écoutiez
attentivement.
Je suis Créateur et Seigneur de toutes choses, tant sur
les diables que sur les anges, et pas un n’évitera mon jugement.
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Le diable a péché contre moi en trois manières
: par superbe, envie et arrogance, c’est-à-dire, par amour-propre.
Certainement il fut si superbe qu’il a voulu être seigneur sur moi,
afin que je fusse son sujet; il me portait aussi une si grande envie, que,
s’il eût été possible, il m’eût tué, afin
qu’il fût Seigneur et pût occuper mon trône. Sa volonté
propre aussi lu fut si chère qu’il ne se souciait point de la volonté
de Dieu, pourvu qu’il pût accomplir la sienne; c’est pourquoi il
tomba des cieux, et d’ange, il a été fait diable dans les
abîmes de l’enfer. Et après, voyant sa malice, sa grande envie
qu’il avait contre l’homme, je lui montrai ma volonté et donnai
mes commandements aux hommes, afin que, les accomplissant, ils puissent
me plaire et déplaire au diable. Après, poussé par
l’amour que je portais aux hommes, je suis venu au monde et ai pris la
chair de la Sainte Vierge; je leur ai enseigné en personne la vraie
voie de salut par œuvres et par paroles, et afin de leur montrer et manifester
mon amour infini, je leur ai ouvert le ciel par mon précieux sang.
Mais qu’est-ce que ces hommes, mes ennemis, me font maintenant?
Ils méprisent mes commandements; ils me chassent de leurs cœurs
comme un poison mortifère; ils me crachent de leurs bouches comme
une chose pourrie, et ont horreur de me voir comme un lépreux, qui
est extrêmement puant. Or, ils embrassent le diable et ses œuvres
de tout leur cœur et œuvres, ils l’introduisent dans leurs cœurs, faisant
sa volonté franchement et avec plaisir, et suivant ses mauvaises
suggestions : c’est pourquoi, par mon juste jugement, ils seront récompensés
en enfer avec le diable d’un supplice éternel,
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car pour la superbe qu’ils adorent, ils auront la confusion éternelle,
de sorte que les anges et les diables diront : Ils sont remplis de confusion
jusques au sommet. Pour leur cupidité insatiable, chaque diable
les remplira de leur venin pestifère, en sorte que, dans leurs âmes,
il n’y aura rien de vide qui ne soit rempli de ce venin. Pour la luxure
dont ils brûlent, ils seront privés éternellement,
comme des animaux insensés, de la vision divine, mais ils en seront
éloignés et seront privés de leurs voluptés
déréglées. Au reste, sachez que, comme tous les péchés
sont très-graves, aussi le péché véniel, si
l’homme met son affection et délectation en lui avec volonté
et mépris, est fait mortel, savoir, quand on y met sa dernière
fin. Partant, sachez qu’il y a deux sortes de péchés que
je vous nommerai, qui attirent tous les autres péchés, qui
semblent néanmoins véniels; mais d'autant qu’on s’y plaît
avec volonté d’y persévérer, finalement c’est ce qui
fait qu’ils sont mortels, attirant aux mortels.
Les citoyens de Naples commettent bien d’autres péchés
abominables que je ne veux pas nommer : le premier est qu’on farde et plâtre
les visages vivants comme ceux des statues des idoles, afin qu’ils paraissent
plus beaux que je ne les ai faits. Le deuxième péché
est que les femmes usent de nouvelles formes et façons de vêtements,
de sorte qu’elles en sont difformes, et cela à raison de leur superbe,
et afin d’être vues plus belles et plus lascives en leurs corps que
je ne les ai créées, afin que, les voyant telles, les hommes
et les femmes soient enflammés et provoqués à la concupiscence.
Partant, sachez pour certain que toutes fois et quantes
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qu’ils plâtrent et peignent leurs visages de céruse ou
de vermillon, etc. tout autant d’inspirations divines se retirent d’elles,
et le diable s’en approche; tout autant de fois qu’elles revêtent
leurs corps de vêtements indécents, tout autant de fois les
ornements de l’âme sont déchirés, et le règne
et la puissance du diable sont augmentés.
O mes ennemis, qui faites telles choses et qui commettez d’autres
péchés avec effronterie, pourquoi négligez-vous ma
passion, et pourquoi ne considérez-vous pas que j’ai été
lié à la colonne, étant tout nu, et fouetté
cruellement; comment, nu, j’étais en la croix et criais sur le gibet,
rempli de plaies, couvert de sang? Hélas! Pourquoi ne jetez-vous
vos yeux sur moi, quand vous fardez et plâtrez votre face? la mienne
n’a-t-elle pas été couverte de sang? Vous ne prenez pas aussi
garde à mes yeux, comment ils furent obscurcis, étant couverts
de sang, et comment ils étaient livides de sang et de larmes. Pourquoi
ne jetez-vous pas les yeux sur ma bouche, sur mes oreilles et sur ma barbe?
Ne voyez-vous pas comment ils étaient pleins de sang, combien le
reste du corps était traité inhumainement! Pourquoi ne considérez-vous
pas comment, tout livide et mort, j’étais pendu au gibet pour l’amour
de vous, et là étais moqué et méprisé
de tous, afin que, par une telle considération, vous ne m’offensiez
jamais, puisque je suis votre Dieu, mais que vous m’aimiez de bon cœur,
et que de la sorte, vous puissiez éviter les lacets de Satan, desquels
vous êtes horriblement liés et attachés.
Mais hélas! Toutes ces choses sont effacés de
votre esprit, c’est pourquoi vous faites
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comme les femmes de mauvaise vie qui aiment la volupté et la
délectation sensuelle, et non pas les enfants : en effet, quand
elles ressentent l’enfant en vie dans leur ventre, elles en procurent soudain
l’avortement par des herbes et par autres choses, afin qu’elles ne soient
privées des voluptés infâmes et d’une délectation
continuelle et mortifère, et que de la sorte elles croupissent incessamment
dans le bourbier. Vous en faites certainement de même, car moi, votre
Créateur et votre Rédempteur, je visite tout le monde de
ma grâce, poussant vos cœurs, car j’aime tous les hommes. Mais quand
vous ressentez dans vos cœurs quelque mouvement d’amour et de contrition,
ou quand, entendant ma parole, vous concevez quelque bonne volonté,
vous en procurez soudain l’avortement, savoir, en excusant ou diminuant
vos fautes et prenant plaisir en icelles, et même en voulant à
votre damnation persévérer en icelles. C’est pourquoi vous
faites la volonté du diable, le mettant dans vos cœurs, et me chassant
de la sorte avec mépris; c’est pourquoi vous êtes sans moi,
et moi je ne suis pas avec vous, et vous n’êtes point en moi, mais
dans le diable, d’autant que vous obéissez à ses suggestions
et à ses volontés. Partant, comme j’ai dit, je donnerai et
prononcerai mon jugement, et non ma miséricorde; ma miséricorde
est qu’il n’y a pas pécheur si grand à qui ma miséricorde
soit refusée, s’il la demande avec un cœur humble et parfait. Partant,
mes amis doivent faire trois choses, s’ils se veulent réconcilier
avec ma grâce : 1° qu’ils fassent pénitence et qu’ils
s’excitent de tout leur cœur, d’autant qu’ils ont offensé leur Créateur
et leur Rédempteur; 2° une pure confession, et que de la
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sorte, ils amendent tous leurs péchés, faisant pénitence
et restitution selon le conseil d’un sage confesseur, car lors je m’approcherai
d’eux et le diable s’enfuira; 3° que quand ils auront fait cela avec
amour et ferveur, ils communient avec volonté de ne plus retomber
en leurs péchés, faisant résolution de persévérer
à bien faire.
Quiconque donc s’amendera de la sorte, je lui irai soudain au-devant
comme un père pieux va au-devant de son fils qui est errant, et
je lui donnerai mes grâces plus franchement qu’il ne pouvait espérer
ni penser, et lors je serai en lui et lui sera en moi, et il vivra avec
moi, et je le réjouirai éternellement. Mais quant à
celui qui persévérera en ses péchés et en sa
malice, sans doute ma justice fondra sur lui; car comme fait le pêcheur
qui, voyant les poissons se jouer dans l’eau en leur plaisir et contentement,
jette son hameçon en l’eau, et sentant que les poissons y sont pris,
les tire un à un et les tue jusques à ce qu’il les ait tous
pris, j’en ferai de même à mes ennemis qui persévèrent
en leurs péchés : je les consumerai peu à peu en cette
vie mourante en laquelle ils se plaisent charnellement et temporellement,
et à l’heure qu’ils n’y penseront pas et qu’ils seront plongés
en leurs grandes délectations, lors je les ravirai de la vie mourante
et les priverai de la vie éternelle, et les abandonnerai dans les
peines, d'autant qu’ils ont mieux aimé faire et accomplir leurs
volontés désordonnées et corrompues que de suivre
mes commandements.
Or, ces choses ayant été ouïes de la sorte,
la vision disparut.
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XXVIII.
Il est ici traité des répréhensions à ceux qui n’instruisent leurs serviteurs, des sortilèges, etc.
Sainte Brigitte écrit à Monseigneur Bernard archevêque
de Naples, disant : Révérend Père, à cette
personne que vous connaissez bien, étant en l’oraison, ravie et
suspendue en la sublime contemplation, la Vierge Marie apparut, lui parlant
en ces termes : Je suis la reine du ciel qui vous parle. Je suis comme
un jardinier en ce monde, car quand le jardinier voit souffler quelque
vent impétueux qui nuit aux plantes et aux arbrisseaux de son jardin,
il y va soudain, les liant et les soutenant avec des perches et échalas,
remédiant autant qu’il peut à ce qu’ils ne se gâtent,
ne se rompent, ne se déracinent : j’en fais de même, étant
Mère de miséricorde, au jardin de ce monde, car quand je
vois que les vents impétueux des tentations s’élèvent,
que les orages des suggestions de Satan soufflent contre les cœurs des
hommes, soudain j’ai recours à Dieu, mon Fils, avec mes prières,
les aidant et impétrant qu’il verse dans leurs cœurs des inspirations
du Saint-Esprit, par lesquelles ils soient aidés, appuyés,
confirmés, et enfin conservés des vents impétueux
des tentations du démon infernal, afin que le diable ne surmonte
point les hommes, dissipant leurs âmes et l’esprit de dévotion,
et que les hommes, acceptant mon aide et mon secours avec humilité
de cœur, soient soudain affranchis des tentations du diable, et
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demeurant constants en l’état de grâce, apportent à
Dieu et à moi le fruit de suavité en temps et saison. Mais
ceux qui méprisent les secours de mon Fils et les miens, et se laissent
emporter au vent des tentations par les instigations de Satan et par ses
œuvres, sont déracinés de l'état de grâce, et
sont conduits par le diable, par les désirs et les œuvres illicites,
jusques à ce qu’ils soient plongés dans les fondrières
de l'enfer, pour y endurer les peines éternelles.
Or, maintenant, sachez qu’en la cité de Naples sont commis
des péchés divers en nombre, horribles en qualité,
abominables et cachés, lesquels je ne nommerai pas. Mais je vous
parlerai de deux espèces de péchés manifestes, qui
déplaisent grandement mon Fils, à moi et à toute la
cour céleste : le premier est qu’ils achètent des païens
et infidèles pour leur service, et même quelques seigneurs
ne se soucient point ni ne veulent point qu’ils soient baptisés
ni qu’ils se convertissent à la foi chrétienne. Que si quelques-uns
d’iceux sont baptisés, après le baptême, leurs maîtres
ne se soucient point de les faire instruire en la foi chrétienne
et de les disposer à la réception des autres sacrements de
l’Église, non plus qu’avant leur conversion, d’où vient qu’ils
commettent mille péchés et ne savent revenir au sacrement
de pénitence et de la sainte et auguste communion pour être
restaurés et rétablis en l’état de salut, de la divine
réconciliation et de la grâce. D'ailleurs, quelques autres
tiennent leurs servantes esclaves avec autant d’abjection et d’ignominie
que si elles étaient des chiennes, les vendant, et qui pis est,
les exposant aux vilenies et ordures, pour gagner de l’argent, argent de
turpitude et d’abomina-
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tion. D’autres les tiennent en leurs maisons comme des prostituées
pour eux et pour les autres, et cela est grandement abominable devant Dieu
et devant moi, devant les anges et devant les hommes. D'autres exaspèrent
et rudoient tellement leurs esclaves par paroles et coups, que quelques-uns
viennent en de grands désespoirs et en volonté de se suicider.
Ce péché déplaît grandement à Dieu et
à toute la cour céleste car Dieu aime ces esclaves comme
ses créatures, et pour les sauver, il est venu au monde, prenant
la chair humaine, souffrant la mort et la passion en la croix.
Sachez aussi que ceux qui aiment ces païens et infidèles
à intention de les faire chrétiens avec volonté de
les instruire et de les former en la foi chrétienne et en la vertu,
et avec intention de leur donner la liberté en la vie, ou quand
les maîtres mourront, en telle sorte néanmoins qu’ils ne soient
point hérétiques, tels maîtres méritent beaucoup
et me sont agréables; mais sachez pour certain que ceux qui font
le contraire seront grandement punis de Dieu.
La deuxième espèce de péché est
que la plus grande partie des hommes et des femmes consultent les sorciers,
les devins et autres infâmes enchanteurs, pour diverses intentions
et desseins, car quelques-unes leur demandent qu’ils fassent en sorte qu’elles
puissent engendrer, d’autres afin d’être aimées avec passion,
d’autres pour savoir les choses futures, d'autres la santé en leurs
maladies. Tous ceux qui s’en servent et les tiennent en la maison sont
haïs de Dieu, et tant qu’ils persévéreront en ces mauvais
desseins, ni la grâce ni l’amour du Saint-Esprit ne seront jamais
répandus en leur cœur. Mais ceux
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qui feront pénitence de tels péchés et s’amenderont
avec humilité, avec propos de n’y retomber jamais, obtiendront miséricorde
de mon Fils.
Et la vision disparut.
XXIX.
D’un doute qu’avait un évêque de ne résider point en son diocèse, à raison qu’il gouvernait un marquisat aux marches d’Ancone.
Que Dieu soit éternellement béni pour ses biens.
Ainsi soit-il! Monsieur et mon révérend Père, selon
l’humble recommandation que vous en avez faite à Brigitte, que vous
ne connaissiez pas, de prier Dieu pour vous avec toute humilité,
à quoi je vous dis vraiment en ma conscience que je suis une inutile
pécheresse et du tout indigne, vous m’avez écrit que je vous
récrivisse quelques conseils spirituels pour le salut de votre âme.
Dieu, ayant égard à votre foi et humilité, a voulu
satisfaire à vos saints désirs, n’ayant point égard
à vos péchés, mais à votre amoureuse demande,
car hier, moi indigne, je priais pour vous Notre-Seigneur. Il m’apparut
en esprit, me disant par similitude : Or, vous à qui la faveur est
faite d’entendre et de comprendre les choses spirituelles, écoutez,
et sachez pour certain que tous les évêques, abbés
et tous les bénéficiers ayant charge des âmes, qui,
laissant leurs églises, les brebis qui leur sont commises, et qui,
tenant d’autres bénéfices ou offices à intention et
volonté d’y être plus honorés des hommes et pour être
rehaussés à un plus grand éclat dans le monde, bien
qu’ils ne
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dérobent rien en ces offices et qu’ils n’y commettent aucune
injustice, néanmoins, d’autant qu’ils se glorifient en ces charges
et honneurs, et laissent leurs églises et leurs brebis pour cela,
eux et ceux qui se comportent de la sorte, sont devant Dieu comme des pourceaux
revêtus des habits pontificaux et des ornements sacerdotaux, comme
on dirait par similitude :
Il y avait un grand seigneur qui avait invité ses amis
à un souper. A l’heure du souper, ces pourceaux, ainsi revêtus,
entrèrent dans le palais devant ce seigneur et devant ceux qui soupaient.
Or, le seigneur leur voulant donner des viandes délicates, ils n’en
voulurent point, mais ils commencèrent à grogner et à
gronder comme des pourceaux, désirant avidement manger du gland
ou des viandes viles. Or, le seigneur, voyant cela et ne l’entendant point,
détesta leur façon de faire avec abomination; et soudain
il dit à ses serviteurs, étant en colère et en indignation
: Chassez-les dehors de mon palais, afin qu’ils s’assouvissent et se rassasient
de gland sordide, car ils sont indignes de la viande qui est préparée
pour mes amis.
Donc, o mon révérant Père et seigneur,
j’ai entendu que vous deviez faire de la sorte, savoir, qu’en conscience
vous jugiez si les brebis de votre évêché qui vous
sont confiées, sont bien et spirituellement gouvernées en
votre absence, selon le salut de leurs âmes, ou non; si elles sont
aussi bien conduites, et que d’ailleurs vous voyiez que vous êtes
fort utile, pour le plus grand honneur de Dieu et le salut des âmes
au régiment du marquisat, vous y pouvez demeurer selon la volonté
de Dieu, pourvu que le désir d’honneur ou la vanité du gouverne-
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ment ne vous séduire. Or, si votre conscience vous dicte le
contraire, je vous conseille qu’ayant quitté le gouvernement du
marquisat, vous retourniez à votre église pour gouverner
les brebis de Jésus-Christ, qu’il vous a confiées spécialement
pour les repaître personnellement par paroles, exemples et œuvres,
avec toute sorte de soins, non comme un mercenaire, mais comme un bon pasteur.
Pardonnez-moi, ô mon seigneur, si je vous écris
telles choses, étant une femme ignorante et une pécheresse
indigne. Je prie notre bon et vrai Pasteur qui a daigné mourir pour
ses brebis, de vous donner la grâce du Saint-Esprit, afin que vous
gouverniez bien ses brebis, et que, jusques au dernier soupir de votre
vie, vous fassiez sa sainte volonté.
XXX.
Plainte que Dieu fait de tous les pécheurs. De leur ingratitude, et des menaces pour les ramener à leur devoir.
J’ai vu un grand palais semblable à un ciel serein, dans
lequel étaient les compagnies célestes comme des atomes innombrables
et reluisants quand le soleil les touche. En ce palais admirable était
un trône éminent sur lequel était assise une personne
d’une beauté incompréhensible et d’une puissance démesurée,
les vêtements de laquelle étaient d’un éclat extraordinaire
et d’une clarté non encore vue. Et une Vierge était debout
devant ce trône, laquelle était honorée de tous les
citoyens célestes comme Reine des cieux. Mais celui qui était
assis
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sur le trône dit : Oyez, vous tous, mes ennemis, qui vivez au
monde, car je ne parle point à mes amis qui suivent mes volontés.
Oyez, ô tous, prêtres, évêques, archevêques,
et tous les degrés inférieurs de l’Église. Oyez, ô
religieux de quelque ordre que ce soit. Oyez, ô rois, ô princes
et juges de la terre, et tous les serviteurs. Oyez, ô reines et princesses,
maîtresses et servantes, et tous, de quelque qualité et condition
que vous soyez, petits et grands qui habitez le monde, oui, oyez les paroles
que je vous dis maintenant, moi qui vous ai créés. Je me
plains de ce que vous vous êtes retirés de moi, et avez donné
la foi au diable, mon ennemi; vous avez laissé mes commandements
et avez suivi les volontés de Satan; vous avez obéi à
ses suggestions, ne considérant point que je suis Dieu immuable,
éternel et votre Créateur, qui suis descendu du ciel aux
flancs de la Sainte Vierge et ai conversé avec vous. Je vous ai
ouvert la voie par moi-même, et vous ai montré les conseils
par lesquels vous monteriez au ciel. J’ai été nu, flagellé,
méprisé, couronné d’épines, et tiré
si fortement en la croix que tous mes membres furent desemboîtés;
j’ai ouï tous les opprobres et ai souffert une mort contemptible,
une douleur continuelle et une douleur trop amère pour votre salut.
Vous, ô mes ennemis, vous ne prenez pas garde à toutes ces
choses, d’autant que vous êtes trompés; c’est pourquoi vous
portez le joug et la charge du diable, avec une suavité fallacieuse,
et vous ne savez ni ne ressentez la douleur qui vous opprimera sans fin;
ni ces choses ne vous suffisent point, car votre superbe est si grande
que si vous pouviez monter au-dessus de moi, vous le feriez franchement.
Votre vo-
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lupté charnelle vous est si chère que vous aimeriez mieux
être séparés de moi que d’être privés
d’elle. D'ailleurs, votre cupidité est insatiable comme un sac troué,
car il n’y a rien qui puisse assouvir vos cupidités. Partant, je
jure en ma Divinité que, si vous mourez en l'état où
vous êtes, vous ne verrez jamais ma face, mais vous serez si profondément
submergés en enfer, que tous les diables seront sur vous, vous affligeant
sans consolation aucune; à raison de votre luxure, vous serez remplis
d’un venin très-horrible et diabolique; pour la cupidité,
vous regorgerez de douleur, d’angoisses, et serez participants de tous
les maux qui sont en enfer.
O mes ennemis abominables, ingrats et dégénérés,
je vous vois comme des vers morts en l’hiver, c’est pourquoi vous faites
ce que vous voulez et y prospérez; c’est pourquoi je me lèverai
en été, et lors vous garderez le silence et vous n’échapperez
pas de mes mains. Mais, ô mes ennemis, d'autant que je vous ai rachetés
par mon sang et que je ne recherche rien que vos âmes, partant, retournez
encore à moi avec humilité, et je vous recevrai gratuitement
comme des enfants; secouez le joug pesant de Satan, et souvenez-vous de
mon amour, et vous verrez en votre conscience que je suis bon et doux.
XXXI.
Ici Jésus prédit la mort de sainte Brigitte.
Il arriva, cinq jours avant la mort de sainte Brigitte, souvent
appelée épouse de Jésus-Christ, que Notre-Seigneur
lui apparut devant l’autel qui était en sa chambre, et se montrant
à elle
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avec un visage riant, lui dit : Je vous ai fait comme un époux
a accoutumé de faire, qui se cache de son épouse, afin qu’elle
le désire avec plus d’ardeur : de même en ce temps, je ne
vous ai point visitée de consolations, d'autant que c’était
le temps de votre épreuve. Partant, étant maintenant éprouvée,
allez-vous-en et préparez-vous, car il est temps que j’accomplisse
ce que je vous ai promis, savoir : devant mon autel, vous serez habillée
en moniale, de sorte que, non-seulement vous serez réputée
être mon épouse, mais aussi moniale et Mère en Uvasten.
Mais aussi sachez que vous mourrez à Rome où vous êtes,
et il me plaît de pardonner à vos labeurs et peines, et de
prendre la volonté pour l’effet. Et se tournant vers Rome, il dit
en la plaignant : O ma Rome! Ô ma Rome! le pape te méprise
et ne prend point garde à mes paroles, mais il prend le douteux
par le certain, c’est pourquoi il n’ouïra plus ma voix, car il met
en sa volonté le temps de ma miséricorde.
Entre toutes les dernières paroles des révélations
que je vous ai faites, qu’on mette cette commune que je vous ai faite à
Naples, dit Jésus-Christ, car mes jugements seront accomplis sur
toutes les nations qui ne retournent à moi avec humilité,
comme je vous l’ai montré.
Or ces choses et plusieurs autres qui ne sont ici écrites,
la susdite épouse de Jésus-Christ les a dites et dénombrées
à quelques personnes qui étaient là présentes,
auxquelles elle disait les avoir vues avant sa mort.
Après, Jésus-Christ lui dit : D’ici à quinze
jours, un matin vous mourrez, après que vous aurez reçu les
saints et augustes sacrements, et
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qu’ayant appelé et parlé en détail aux personnes
dont je vous ai parlé; et dites-leur ce qu’il faut qu’elles fassent,
et de la sorte, vous viendrez entres leurs mains à votre monastère,
c’est-à-dire, en ma joie, et votre corps sera mis en Uvasten.
Le cinquième jour s’approchant sur l’aurore, Jésus-Christ
lui apparut derechef, la consolant. La messe étant dite et ayant
reçu les sacrements de la main des personnes susdites, elle rendit
l’esprit.
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(texte bas page 38 à vérifier)