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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 130 à 149


CXXX (84).- A FRÈRE MATHIEU THOLOMEI, de l'Ordre des Frères prêcheurs .- De la manière d'aimer et de servir Dieu sans rechercher son intérêt et sa consolation. - De la visite du Saint-Esprit.

(Frère Mathieu Tholomei était fils de François Tholomei. Sainte Catherine convertit son frère Jacques et ses deux sœurs, Françoise et Genocebia, qui furent tertiaires de l’ordre de Saint-Dominique. (Vie de sainte Catherine, IIe partie, ch.7.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Fils dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir chercher Dieu en vérité, sans aucun motif d'intérêt personnel et humain; car avec de semblables motifs nous ne pouvons plaire à Dieu; Dieu nous a donné le Verbe, son Fils unique, sans penser à sa propre utilité. il est bien vrai que nous ne pouvons être utiles à Dieu en aucune manière, mais il n'en est pas ainsi pour nous; Car, lors même que nous ne servons pas Dieu par intérêt, nous en retirons un grand avantage. Dieu a la fleur, c'est-à-dire l'honneur, et nous le fruit de l'utilité. Il nous a aimés sans être aimé, et nous aimons parce que nous sommes aimés. Il nous aime gratuitement, et nous l'aimons par devoir, parce que nous sommes tenus de l'aimer, et que nous en retirons un avantage. Nous ne pouvons rendre à Dieu un amour gratuit, puisque [809] nous sommes obligés de l'aimer; tandis qu'il était libre à notre égard, il nous a aimés avant d'être aimé, et il nous a créés à son image et ressemblance. Ainsi donc nous ne pouvons lui être utiles en l'aimant, et nous ne pouvons l'aimer d'un premier amour.

2. Et je dis cependant que Dieu, qui nous a aimés sans intérêt, veut être aimé de nous de la même manière. Comment pourrons-nous faire ce qu'il demande, puisque nous ne pouvons rien faire pour lui ? Je vais vous dire le moyen qu'il nous a donné de l'aimer généreusement, sans penser à notre propre avantage: nous devons être utiles non pas à lui, puisque nous ne le pouvons pas, mais à notre prochain. Par ce moyen nous pourrons faire ce qu'il nous demande

pour la gloire et l'honneur de son nom. Afin de lui témoigner notre amour, nous devons servir et aimer toutes les créatures raisonnables, et étendre notre charité aux bons et aux méchants, aussi bien à ceux qui nous nuisent et se révoltent contre nous, qu'à ceux qui nous font du bien ; car Dieu ne s'arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs, et sa charité s'étend aux justes et aux pécheurs. Il y en a qu'il aime comme des fils, d'autres comme des amis, d'autres comme des serviteurs, d'autres comme des fugitifs qu'il voudrait voir revenir ceux-là sont les pauvres pécheurs qui sont privés de la grâce. Et comment leur montre-t-il sa tendresse paternelle? En leur donnant le temps, et avec le temps les moyens de se repentir de leur péché, en leur ôtant l'occasion et le pouvoir de faire tout le mal qu'ils désirent, et en leur donnant des motifs de détester le vice et d'aimer la vertu. Cet amour de la vertu leur ôte la volonté de [810] pécher; et ainsi avec le temps que Dieu leur donne par amour, d'ennemis ils deviennent amis; ils retrouvent la grâce, et sont dignes d'êtres les héritiers du Père.

3. L'amour filial parait en ceux qui servent Dieu en vérité, sans aucune crainte servile. La volonté propre est détruite et morte en eux; ils obéissent pour Dieu jusqu'à la mort à toute créature raisonnable. Ce ne sont pas des mercenaires qui servent par intérêt, ce sont des fils dévoués qui méprisent les consolations et se réjouissent des tribulations. Ils cherchent comment ils peuvent devenir semblables à Jésus crucifié, et se nourrir de ses opprobres, de ses fatigues et de ses peines. Ceux-là ne cherchent et ne servent pas Dieu à cause des douceurs, des consolations spirituelles ou temporelles, qu'ils reçoivent de Dieu ou de la créature. Ils ne recherchent ni Dieu ni le prochain pour eux-mêmes, mais ils cherchent Dieu pour Dieu, parce qu'il est digne d'être aimé; ils s'aiment pour Dieu, pour la gloire et l'honneur de son nom, et ils servent le prochain pour Dieu, lui rendant tous les services qu'ils peuvent lui rendre. Les enfants suivent ainsi les traces du Père, en se livrant tout entiers à la charité du prochain; ils aiment les serviteurs de Dieu comme ils aiment leur Créateur; ils aiment les imparfaits avec le saint désir de les voir arriver à la perfection, et ils offrent pour eux de continuelles prières. Ils aiment les méchants ensevelis dans le péché mortel, parce que ce sont des créatures raisonnables que Dieu a créées et rachetées comme eux avec le même sang. Ils gémissent de leur damnation, et ils donneraient leur vie pour les en retirer. Ils [811] aiment leurs ennemis, leurs persécuteurs, parce que ce sont des créatures de Dieu, comme nous l'avons dit, et aussi parce que ce sont des moyens et des occasions d'exercer leurs vertus et de les rendre parfaites, surtout cette douce et royale vertu de la patience, qui ne se scandalise, ne se trouble jamais, et n'est ébranlée par aucun vent contraire, par aucune persécution des hommes.

4. Ceux-là sont ceux qui cherchent Dieu sans intérêt, et qui l'aiment en vérité comme de légitimes et chers enfants; et Dieu les aime comme un véritable Père; il leur manifeste le secret de sa charité pour leur faire avoir l'héritage éternel. Aussi courent-ils tout enivrés du sang de Jésus-Christ, tout embrasés du feu de la divine charité qui les éclaire parfaitement. Ils ne courent pas dans la voie de la vertu à leur manière, mais à l’exemple de Jésus crucifié, dont ils suivent les traces; et s'il était possible de servir Dieu et d'acquérir les vertus sans peine, ils ne le voudraient pas. Ils ne font pas comme les autres, comme les amis et les serviteurs, qui quelquefois servent par un motif d'intérêt. Ils aiment beaucoup, parce qu'ils connaissent leurs besoins et le bienfaiteur qui peut et veut les secourir. Ils étaient d'abord serviteurs, parce qu'ils connaissaient leurs fautes et la peine qui devait les punir; et alors avec la crainte de la peine, ils ont chassé le vice, et avec l'amour ils ont embrassé la vertu en servant le maître qu'ils avaient offensé. Ils ont commencé à espérer en sa bonté, en pensant qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. S'ils restaient dans la crainte, ils ne pourraient avoir la [812] vie et arriver à la grâce parfaite de leur Seigneur, mais ils seraient des serviteurs mercenaires.

5. Il ne faut pas rester non plus dans l'amour du fruit et de la consolation qu'on reçoit de celui dont on est l'ami, parce que cet amour ne serait pas durable; il disparaîtrait quand cesseraient les douceurs, les consolations et les jouissances spirituelles, ou quand viendraient les vents contraires de la persécution ou les tentations du démon. Il céderait alors aux attaques de l'ennemi, aux combats de la chair; la privation des consolations spirituelles serait sa ruine, et les injures, les persécutions des créatures produiraient l'impatience. On aime alors d'un faible amour, comme saint Pierre, qui, avant la Passion, aimait Jésus-Christ tendrement; son amour n'était pas fort, et il faillit en présence de la Croix. Mais ensuite il quitta cet amour de la douceur, après la venue du Saint-Esprit; il perdit la crainte pour revêtir un amour puissant et éprouvé dans le feu de nombreuses tribulations. Quand il eut l’amour filial, il les supporta toutes avec une vraie patience, et courut au-devant d'elles avec une grande allégresse, comme s'il eût été à des noces et non pas à des tourments. Il en était ainsi, parce qu'il avait l'amour filial; mais s'il était resté dans l'amour de la douceur et dans la crainte, pendant et après la Passion de Jésus-Christ,il ne serait jamais parvenu à la perfection des enfants de Dieu; il n'aurait pas été le champion de la sainte Eglise et le sauveur de tant d'âmes.

6. Mais remarquez le moyen que prirent saint Pierre et les autres disciples pour pouvoir perdre la crainte servile et l'amour faible des consolations [813], pour recevoir le Saint-Esprit, comme le leur avait promis la Vérité suprême. L'Ecriture dit qu'ils se renfermèrent dans le Cénacle, et qu'ils y restèrent dans des veilles et des prières continuelles pendant dix jours, et que le Saint-Esprit vint ensuite. C'est cette doctrine que nous devons suivre. Toute créature raisonnable doit se renfermer dans la solitude, et y rester dans les veilles et la prière pendant dix jours, afin de recevoir ensuite la plénitude du Saint-Esprit. Lorsqu'il fut venu, il éclaira les disciples des lumières de la vérité, et ils virent le secret de l'ineffable charité du Verbe, avec la volonté du Père qui ne voulait autre chose que notre sanctification. C'est ce que nous a montré le sang de ce tendre et doux Verbe, qui revint à ses disciples; car dans la plénitude du Saint-Esprit, étaient à la fois la puissance du Père, la sagesse du Fils, la clémence et la bonté du Saint-Esprit. Ainsi fut accomplie la parole du Christ qui disait à ses disciples: " Je m'en irai et je reviendrai vers vous. " Il revint en effet, parce que le Saint-Esprit ne pouvait pas venir sans le Fils et sans le Père, car il ne fait qu'une même chose avec eux. Il vint donc avec la puissance qui est attribuée au Père, avec la sagesse qui est attribuée au Fils, et avec la bonté et l'amour qui sont attribués au Saint-Esprit.

7. Les Apôtres l'ont bien montré car aussitôt l'amour leur fait perdre la crainte; la vraie sagesse leur révèle la vérité, et ils marchent armés d'une grande puissance contre les infidèles; ils renversent & terre les idoles et chassent les démons. Ce n'était pas avec la puissance du monde et avec la force du [814]

corps, mais avec la force du Saint-Esprit et avec la puissance divine que leur avait données la grâce. il en sera de même pour tous ceux qui quitteront le vomissement du péché mortel et les misères du monde pour commencer a goûter le souverain Bien, et à se passionner pour sa douceur. Mais, comme je l'ai dit, celui qui resterait dans la crainte n'évitera pas l'enfer. Il ferait comme le voleur qui a peur de la potence, et qui ne vole pas; s'il ne craignait pas le châtiment, il volerait. Il en est de même de celui qui aimerait Dieu pour la douceur qu'il y trouve; son amour ne serait pas fort et parfait, il serait faible et sans consistance, tandis qu'il faut prendre la voie et le moyen de persévérer et d'arriver a la perfection.

8. Le moyen d'y arriver est de faire comme saint Pierre et les disciples ont fait; il faut qu'a leur exemple, ceux qui sont arrivés a l'amour du Père, ceux qui sont ses enfants ou qui veulent le devenir, entrent et s'enferment dans la connaissance d’eux-mêmes. C'est la cellule que l'âme doit habiter. Dans cette cellule, elle trouve une autre cellule, la cellule de la connaissance de la Bonté divine à son égard. La connaissance d'elle-même lui donne une humilité sincère avec une haine sainte de l'offense qu'elle a, faite et qu'elle fait à son Créateur, ce qui la porte à une vraie et parfaite patience; la connaissance de Dieu qu'elle trouve en elle lui donne la vertu d'une ardente charité, qui lui inspire de saints et d'amoureux désirs. Et alors elle se livre aux veilles et a la prière continuelle, parce qu'elle se tient enfermée dans cette douce et glorieuse retraite de la connaissance de Dieu et d'elle-même. Elle veille non seulement [815] de corps, mais d'esprit, car l'oeil de son intelligence ne se ferme jamais, et reste toujours fixé sur son objet, sur l'amour ineffable de Jésus crucifié; il y voit l'amour et sa propre faute, car c'est pour sa faute que le Christ a donné son sang. Alors l'âme s'excite avec ardeur à aimer ce que Dieu aime, et a détester ce qu'il déteste. Toutes ses œuvres sont dirigées vers Dieu, et elle fait tout pour sa gloire et l'honneur de son nom, et c'est là cette prière continuelle que recommande saint Paul lorsqu'il dit : "Priez, et ne cessez jamais. " C'est là le moyen de n'être pas seulement serviteur et ami, de ne pas se borner à la crainte servile et à l'amour fragile de sa propre consolation, mais d'être à la fois serviteur, ami, et fils véritable; car en étant fils, on ne cesse pas d'être serviteur et ami, mais on l'est en vérité, sans penser à soi, et en ne songeant qu'à plaire à Dieu.

9. Les disciples restèrent dix jours dans le Cénacle, et l'Esprit-Saint descendit sur eux. De même l'âme qui veut arriver à la perfection doit rester renfermée dix jours, c’est-à-dire dans les dix commandements de la loi; et avec ces commandements elle observera les conseils, car les commandements et les conseils sont liés ensemble, et on ne peut observer les uns sans les autres. Ceux qui vivent dans le monde doivent observer les conseils mentalement par le saint désir, et ceux qui sont séparés du monde doivent les observer mentalement et réellement. C'est ainsi qu'on reçoit l'abondance du Saint-Esprit, avec la vraie sagesse de la lumière parfaite et de la connaissance, avec la force et la puissance contre [816] toute sorte d'attaques, surtout contre soi-même en triomphant de la sensualité. Mais il est impossible de le faire si vous vous dissipez dans les conversations, si vous désertez votre cellule, et si vous négligez le chœur. C'est parce que je le comprenais que je vous disais, quand vous m'avez quittée, de vous appliquer à fuir les conversations, à aimer votre cellule, à ne pas abandonner le chœur et la table commune, autant qu'il vous serait possible, et à persévérer dans les veilles et la prière. Vous remplirez ainsi le désir que je vous exprimais en disant que je voulais vous voir chercher Dieu en vérité et sans aucun intérêt. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières











CXXXI (85). - A FRÈRE MATTHIEU THOLOMEI DE SIENNE, de l'Ordre de. Frères Prêcheurs à Rome, et à DOM NICOLAS DE FRANCE, religieux de la chartreuse de Beauregard. – De la force nécessaire pour résister aux attaques de nos ennemis, et de la charité qui doit y être jointe.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre courageusement sur le champ de bataille, sans jamais tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce [817] soit; mais soyez prêts à résister aux coups comme un vaillant chevalier, sans aucune crainte servile. Si vous êtes armé, les coups ne pourront vous nuire. Il faut vous armer avec les armes de la force unie à une ardente chante, car l'amour du souverain Bien nous fera supporter volontairement toute peine et toute fatigue. Cette arme est si bonne et si puissante, que ni les démons avec leurs tentations, ni les hommes avec leur mépris et leurs injures ne peuvent détruire la force et la joie que l'âme reçoit de la douceur de la charité. L'âme si bien armée frappe ses ennemis; car le démon trouvant l'âme pleine de force au milieu des combats qu'il lui livre, voit qu'elle les soutient avec joie par la sainte haine qu'elle a d'elle-même, et par le désir qu'elle éprouve de ressembler à Jésus crucifié et de souffrir les peines et les fatigues pour son amour. Il voit qu'elle méprise ses attaques par amour pour son Créateur, et que sa volonté triomphe de toutes ses illusions. Cette force que le démon trouve dans l'âme le couvre de confusion; il reste vaincu, tandis que l'âme remplie de la grâce divine est tout embrasée d'amour et tout ardente à combattre pour Jésus crucifié.

2. Vous voyez, mon cher Fils, qu'avec la force vous frapperez le démon; je dis aussi que vous frapperez le monde avec toutes ses délices et toutes les créatures qui voudront vous poursuivre, de quelque manière que ce soit, en les supportant avec une tendre charité, avec une vraie et sainte patience. Par la patience et la charité, vous jetterez des charbons embrasés d'amour sur leur tête, et la force de l’amour apaisera leur colère et leurs persécutions. Ces armes [818] ont donc bien nécessaires, et sans elles nous ne pouvons résister. Nous ne pouvons éviter ces combats tant que nous sommes dans un corps mortel, et quelle que soit notre position. Chacun les supporte de différentes manières, selon qu'il plaît à la Bonté divine de les lui envoyer. Celui qui n'est pas armé reçoit la blessure de l'impatience, et aussi la blessure de la délectation et du consentement volontaire. Il ne pare pas les coups nombreux que le démon lui porte, et il meurt en tombant dans le péché mortel, tandis que s'il était armé, aucun coup ne pourrait lui nuire, comme nous l'avons dit.

3. Si vous me dites : Je ne puis avoir ces armes; quel moyen puisse prendre pour me les procurer ? Je vous répondrai que toute créature raisonnable peut les avoir, si elle le veut, avec la grâce divine. Le bien et le mal s'accomplissent par la volonté; c'est le seul consentement de l'homme qui fait le péché ou la vertu; car, sans la volonté, le péché ne serait pas péché, et la vertu ne serait pas vertu; l'âme ne serait pas souillée par l'acte du péché, ni par aucune pensée mauvaise, si la volonté n'y consentait pas, comme les bonnes pensées et les actes de vertu ne donneraient pas la vie de la grâce à l'âme, si la volonté ne consentait pas à les recevoir avec amour. Cette volonté de l'homme est si forte, que ni le démon, ni les créatures, ni rien au monde ne peuvent l'ébranler, la faire consentir au péché ou à la vertu plus qu'elle ne veut. C'est ce que nous apprend saint Paul, lorsqu'il nous dit: " Ni la faim, ni la soif, ni les persécutions, ni le feu, ni le glaive, ni les choses présentes ou futures, ni les anges, ni les démons, ne [819] pourront me séparer de la charité de Dieu, si je ne le veux pas (Rm 8,35) ". Par ces paroles, le glorieux Apôtre nous montre quelle est la force de la volonté que Dieu nous a donnée dans sa miséricorde. Personne ne peut dire: Je ne puis pas; personne ne peut s'excuser du pêché. Les plus mauvaises pensées peuvent se présenter à notre cœur, et personne ne peut les en empêcher: leur présence n'est pas un péché; c'est le consentement que la volonté leur donne qui est un péché, et on peut toujours refuser ce consentement.

4. Ainsi donc, puisque nous avons un si grand trésor que personne ne peut perdre s'il ne le veut pas, il ne faut pas craindre les coups, mais il faut nous plaire toujours au milieu des combats, tant que nous vivrons. Celui qui voit la récompense du combat, le désire avec ardeur; sans combat, point de victoire; et celui qui ne remporte pas de victoire est couvert de confusion. Savez-vous le bien que nous acquérons par le combat? L'homme, au moment des grands combats, a besoin de secouer sa négligence, d'être plus zélé à employer son temps, et à ne pas rester oisif; il s'applique plus au saint exercice de la prière; il recourt humblement à Dieu, qu'il voit être sa force, et il lui demande son secours. Le combat lui fait connaître aussi sa faiblesse. et la fragilité de sa passion sensitive. Il conçoit alors la haine de l'amour-propre, et il se méprise lui-même avec une humilité sincère; il se trouve digne des peines et indigne des récompenses qui suivent les peines; il connaît aussi la [820] bonté de Dieu en voyant que la bonne volonté qu'il a et qui résiste, lui vient de Dieu. Cette bonté lui inspire l'amour et la reconnaissance, parce qu'il voit et comprend que c'est Dieu qui le conserve dans sa bonne volonté. C'est dans les combats que s'acquièrent véritablement les grandes vertus, parce que toute vertu reçoit la vie de la charité, et la charité est nourrie par l'humilité; et, comme nous l'avons dit, au moment du combat l'âme se connaît mieux elle-même, et connaît mieux la bonté de Dieu en elle. Elle connaît sa fragilité, et elle s'humilie, et dans sa bonne volonté qui résiste, elle connaît la bonté de Dieu : de là lui viennent l'amour et la charité.

5. Il est donc bon de se réjouir au temps du combat, et de ne jamais tomber dans le trouble; car souvent le démon, qui n'a pu nous tromper avec l'amorce du plaisir, cherche à nous perdre au moyen du trouble; il veut nous faire croire que pendant le combat nous sommes privés de Dieu, et qu'alors la prière et les autres saints exercices ne nous servent de rien. Il nous dit intérieurement : Ce que tu fais est inutile; tu dois prier avec un cœur libre et un esprit tranquille, et non pas avec tant de pensées frivoles et mauvaises; il vaudrait mieux te taire. Le démon agit ainsi pour que nous abandonnions nos saints exercices et l'humble prière, qui est l'arme avec laquelle nous nous défendons, ou, pour mieux dire, un lien qui lie et fortifie notre volonté en Dieu; c'est par elle que croît l'ardente et puissante charité, avec laquelle l’âme résiste aux coups, comme nous l'avons dit. Aussi le démon s'applique, par cet artifice, à nous faire quitter cette défense; car, quand nous ne [821] l'aurons plus, il obtiendra peu à peu de nous ce qu'il voudra.

6. Ne nous laissons donc troubler par aucune attaque, et n'abandonnons aucun de nos exercices. Lors même que nous serions tombés dans le péché, il ne faut pas nous laisser décourager, parce que nous devons croire qu'aussitôt que l'homme reconnaît et regrette sincèrement la faute qu'il a commise, Dieu le reçoit avec miséricorde. Il faut croire, avec une foi vive et une ferme espérance, que Dieu ne nous Imposera pas un fardeau au-dessus de nos forces. Les démons ne nous tourmentent qu'autant que Dieu le permet, et jamais davantage; et nous devons être persuadés que Dieu sait, peut et veut nous délivrer quand il voit qu'il est temps, pour notre salut, d'éloigner de nous les tentations et les épreuves. Tout ce qu'il nous donne, tout ce qu'il permet, est toujours pour notre bien et notre progrès dans la perfection. Avec cette lumière de la foi et avec l'espérance, vous triompherez de cette ruse du démon et des autres. En baissant la tête avec une humilité profonde, vous passerez par la porte étroite; en suivant la doctrine de Jésus crucifié, vous acquerrez les dons de force et de charité, qui sont, nous l'avons dit, nos armes défensives. Comment acquiert-on ces armes? Avec la lumière de la très sainte Foi. La Foi avec la ferme espérance, et avec la charité, qui seule lui donne la vie, nous fait connaître la faiblesse de nos ennemis et notre force, qui est le Christ, le doux Jésus. L'espérance nous rend certains que toute faute sera punie et toute peine récompensée, et la charité nous fortifie contre tous nos adversaires [822].

7. Courage donc, très chers Fils; combattons en contemplant le sang de l'humble Agneau sans tache qui nous rendra forts et courageux sur le champ de bataille. Sans cela nous n'entrerions pas victorieux dans notre cité de Jérusalem, c'est-à-dire dans la vie éternelle. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir combattre généreusement, comme un vaillant chevalier, sur le champ de bataille, et je vous conjure de le faire, en restant toujours soumis à la verge de l'obéissance (Ce qui suit était adressé seulement à Fr. Matthieu Tholomei). O mon bien cher Fils ! il me semble que l'éternel Epoux de votre âme veut que vous vous glorifiiez avec le glorieux saint Paul, qui se glorifiait au milieu des nombreuses tribulations et des outrages qu'il souffrit, lui qui fut pris et battu tant de fois par les Juifs. Et vous aussi, mon Fils bien-aimé, glorifiez-vous au milieu des souffrances; recevez-les avec respect, et croyez que vous êtes digne de la peine et indigne de la récompense. Voici le moment ou nous devons souffrir pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Ne craignez rien et soyez persuadé que vous ne pouvez vous perdre sous la conduite de votre bon Maître. Courage; bientôt paraîtra l'aurore; vous appellerez, et la vérité vous répondra. Noyez-vous, noyez-vous dans le doux Sang de Jésus crucifié, qui rend douces les choses amères, et légers les plus grands fardeaux. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection. Doux Jésus, Jésus amour. Criez dans votre cellule, et la Vérité suprême entendra vos cris, et moi, ignorante et pauvre mère, je le ferai [823] aussi, et vous serez secouru dans vos besoins. Ne manquez pas à l'espérance, et la Providence ne vous manquera pas.

Table des Matières









CXXXII (96). - A FRÈRE SIMON DE CORTONE, de l’Ordre des Frères Prêcheurs. - De l'amour-propre, qui nous prive des lumières temporelles et spirituelles.

( Frère Simon de Cortone était un des plus chers disciples de sainte Catherine. Elle en parle dans plusieurs de ses lettres.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang de l'Agneau, afin que, tout enivré, vous courriez au champ de bataille pour combattre, comme un vaillant chevalier, contre les démons, contre le monde et votre propre fragilité, à la lumière de la très sainte Foi et avec un amour ineffable, vous réjouissant toujours au milieu des combats. Mais sachez que nous ne pouvons combattre et remporter la victoire, si nous n'avons pas la lumière de la Foi; et nous ne pouvons avoir cette lumière, si nous n'écartons pas de l'oeil de notre intelligence la poussière des affections terrestres, si nous ne dissipons pas le nuage de l'amour de nous-mêmes [824]. Ce nuage nous prive de toute lumière spirituelle et temporelle; temporelle, car il ne nous laisse pas connaître notre faiblesse, le peu de durée et de stabilité du monde, combien cette vie est vaine et caduque; et les artifices du démon, qui cherche à nous tromper au moyen des choses passagères, et souvent sous des apparences de vertu. Spirituellement, cet aveuglement nous empêche de voir et de comprendre la bonté de Dieu. Souvent nous prenons en mal ce que Dieu nous donne pour notre bien, et cela nous arrive parce que nous ne considérons pas les secrets de son amour, et avec quelle tendresse il agit; nous ne nous arrêtons qu'au fait et nous ne voyons pas l'intention.

2. Quelquefois Dieu permet que nous soyons persécutés par le monde, injuriés par les hommes, ou soumis à quelque ordre de notre supérieur. Nous ne considérons pas la volonté de Dieu, qui agit pour notre sanctification, et nous ne jugeons pas que c'est elle qui permet ces choses, mais nous jugeons la volonté des hommes; et il nous arrive ainsi souvent de nous plaindre de notre prochain, et de commettre des fautes et des erreurs contre Dieu et contre lui. Quelle en est la cause? Notre peu de lumière, parce que l'amour-propre a recouvert la pupille de l'oeil de la très sainte Foi; et si le démon nous attaque, notre œil aveuglé se trouble au milieu des pensées que l'ennemi lui suggère, et nous croyons que nous sommes rejetés de Dieu. Alors notre esprit sera tout bouleversé, et nous abandonnerons l'exercice de la prière, parce que nous croirons que nous ne pouvons plus être écoutés; nous tomberons dans l'ennui, et nous deviendrons insupportables à nous-mêmes; l'obéissance [825] nous sera pesante, nous négligerons notre cellule, et nous nous plairons aux conversations.

3. Ces malheurs et bien d'autres nous arrivent parce que nous n'avons pas écarté le nuage de l'amour-propre, ni spirituellement, ni temporellement: aussi nous ne connaissons pas la vérité, et nous n'aimons pas encore à être sur la Croix avec Jésus crucifié. De cette manière, nous ne serons jamais des chevaliers généreux, combattant nos ennemis pour l'amour de Jésus crucifié; nous serons timides, et notre ombre nous fera peur. De quoi avons-nous besoin? Nous avons besoin du sang de Jésus-Christ, où nous trouvons une ferme espérance qui détruit en nous toute crainte servile. Nous y trouvons une fol vive, qui persuade que Dieu ne veut autre chose que notre bien, car il nous a donné le Verbe son Fils unique, et ce Fils nous a donné sa vie pour nous rendre la vie, et de son sang il nous a fait un bain pour laver la lèpre de nos iniquités. C'est ainsi que l'âme sait d’une foi vive que Dieu ne permettra pas aux démons de nous tourmenter au delà de nos forces, au monde de nous persécuter plus que nous ne pouvons le souffrir, et à notre supérieur de nous donner des ordres auxquels nous ne pouvons pas obéir. Avec cette douce et glorieuse lumière, vous ne tomberez pas dans le trouble et le découragement, pour n'importe quel combat; vous ne fuirez pas la solitude, et vous ne rechercherez pas la conversation des hommes; mais vous vous attacherez à la Croix. Vous ne jetterez pas à terre les armes de la prière et des saints exercices spirituels; vous vous humilierez devant votre Créateur, et vous lui offrirez d'humbles et continuelles [826] prières, et en tout temps, pendant le combat et pendant le repos, vous ne vous ralentirez pas, mais vous servirez toujours Dieu avec zèle, sans négligence et sans trouble; vous observerez votre règle en vérité.

4. Quel sera votre moyen ? La lumière de la très sainte Foi, que vous trouverez dans le précieux Sang. Et quel est la cause de cette lumière ? L’ardeur de l’ineffable charité, que vous trouverez dans le Sang, car c’est par amour que le doux et tendre Verbe a couru a la mort honteuse de la Croix. Ce feu du divin amour, que vous trouvez dans le Sang, détruit et dissipe les ténèbres de l’amour-propre qui empêchent l'œil de voir ; et alors celui qui voit aime, celui qui aime craint Dieu et sert le prochain ; il devient un chevalier généreux qui combat avec le bouclier de la Foi, avec l’arme de la charité, qui est un glaive à deux tranchants, la haine et l’amour, l’amour de la vertu, et la haine du vice et de la sensualité. Tout transporté d’amour, il se plaît sur la Croix ; il veut acquérir la vertu par la souffrance, et il cherche avec un ardent amour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Où a-t-il trouvé ce saint désir ? Dans le Sang. Vous ne pouvez le trouver ailleurs. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir baigné, plongé dans le sang de Jésus crucifié ; et je vous dis qu’alors je vous appellerai et que vous serez mon fils. Baignez-vous donc, plongez-vous dans ce sang, sans trouble et sans abattement. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [827].

Table des Matières









CXXXIII (74).- A FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. A MAITRE JEAN, tertiaire de l'Ordre des Ermites de Saint Augustin, et à tous leurs compagnons, pendant qu’ils étaient à Avignon. - De la foi au milieu des persécutions de l'Église. - Comment Dieu tire le bien du mal.

( Nous ne dirons rien ici du bienheureux Raymond de Capoue, confesseur de sainte Catherine de Sienne; nous en avons parlé dans l’avant-propos de l'admirable Vie de celle qu'il appelait sa mère. On peut lire aussi le témoignage qu'en a rendu le bienheureux Étienne Maconi dans sa lettre écrite à l’occasion du procès de Venise. )
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mes très chers Fils dans le Christ Jésus, votre misérable mère a un ardent désir de voir vos cœurs et vos affections cloués sur la Croix, unis et liés avec ce lien qui a uni et lié Dieu à l’homme et l'homme à Dieu. Oui, mon âme désire voir vos cœurs et vos affections unis au Verbe incarné, au doux Jésus, et de telle manière que ni les démons ni les créatures ne puissent vous en séparer. Je n'en doute pas, si vous êtes liés et embrasés par le doux Jésus, tous les démons de l’enfer avec toutes leurs malices ne pourront vous priver de ce doux amour et de cette union. Je veux qu'il en soit ainsi, et il faut absolument que vous ne cessiez d'alimenter le feu des Saints désirs avec le bois de la connaissance de vous-mêmes. C'est ce bois qui nourrit le feu de la divine charité. La [828] charité s'acquiert par la connaissance et par l'ineffable charité de Dieu. Et alors l'âme s'attache à son prochain, et plus elle donne d'aliment au feu, c'est-à-dire plus elle se connaît elle-même, plus s’augmente l'ardeur de son amour pour Jésus-Christ et son prochain. Cachez-vous donc dans la connaissance de vous-mêmes, et n'en sortez jamais, pour que la mauvaise bête (Malatasca expression dont sainte Catherine de Sienne se servait pour désigner le démon, et qui signifie un mauvais sac. Non seulement le démon est rempli de méchanceté, mais il recueille toutes nos fautes pour nous faire condamner au dernier jugement.) ne vous trompe pas par ses illusions, et ne vous divise pas les uns les autres, ce qui vous ferait perdre l'union de la charité divine. Je veux et j'exige que vous vous soumettiez les uns aux autres, et que vous supportiez mutuellement vos défauts (Ces expressions montrent quelle autorité sainte Catherine avait sur ses disciples et sur son confesseur même.), à l'exemple de Jésus, la Vérité suprême, qui a voulu être le plus petit, et qui a humblement porte nos iniquités et nos défauts. Je veux que vous fassiez de même, mes Fils bien-aimés; aimez-vous, aimez-vous, aimez-vous les uns les autres, réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, Car le temps de l'été approche.

2. Le premier jour d'avril (le 1er avril 1476), pendant la nuit, Dieu m'a révélé plus particulièrement ses secrets, et m'a fait connaître des choses si admirables, que mon âme ne croyait plus être dans son corps. Ses jouissances étaient si grandes, si abondantes, que la langue ne pourrait jamais les dire. Dieu m'expliqua surtout le mystère de la persécution que souffre maintenant [829] la sainte Eglise, et son renouvellement, son exaltation dans les temps à venir. Pour me faire comprendre que les circonstances où se trouve maintenant l'Eglise sont permises pour lui rendre sa splendeur, la Vérité suprême me citait deux paroles qui sont dans le saint Evangile : " Il est nécessaire que le scandale arrive dans le monde." Puis Notre-Seigneur ajoutait: " Mais malheur à celui par qui vient le scandale. " Comme s'il disait. Je permets ce temps de persécution pour arracher les épines dont mon Epouse est tout entourée, mais je ne permets pas les pensées coupables des hommes. Sais-tu ce que je fais? Je fais comme j'ai fait quand j'étais dans le monde; j'ai fait un fouet de corde, et j'ai chassé ceux qui vendaient et qui achetaient dans le Temple, ne voulant pas que la demeure de mon Père devienne une caverne de voleurs. Je te dis que je fais maintenant de même. Je fais un fouet des créatures, et avec ce fouet je chasse les marchands impurs, cupides, avares et enflés d'orgueil, qui vendent et achètent les dons du Saint-Esprit.

3. Et en effet, avec le fouet de la persécution des créatures, Notre-Seigneur les chassait, et les arrachait par la force de la tribulation à leur vie honteuse et déréglée. Le feu augmentait en moi, et je voyais avec admiration les chrétiens et les infidèles entrer dans le côté de Jésus crucifié, et je passais par le désir et l'amour, et par leur moyen j'entrais avec eux dans le Christ, le doux Jésus. J'étais accompagnée de mon père saint Dominique, de saint Jean et de tous mes enfants; et alors il me mettait la Croix sur les épaules et l'olivier à la main, comme s'il m’ordonnait [830]de les porter aux uns et aux autres. Il me disait: " Va leur dire: Je vous annonce une grande joie. " Et alors mon âme s'enivrait davantage, et se perdait avec les bienheureux par l'union de l'amour dans la divine Essence; et ces douceurs étaient si grandes, qu'elle oubliait la peine qu'elle avait ressentie en voyant offenser Dieu. Je disais : O heureuse et bienheureuse faute! Le doux Jésus souriait, et disait :  " Le péché, qui n'est que néant, peut-il être heureux? Sais-tu ce que saint Grégoire exprimait en disant : Heureuse et bienheureuse faute! En quoi celle-ci est-elle heureuse, et que voulait dire saint Grégoire?"

4. Je répondais ce qu'il me faisait répondre, et je disais : " Je vois bien, mon doux Seigneur, je sais bien que le péché n'a rien de bon et d'heureux en lui-même, mais c'est le fruit qui sort du péché. Il me semble que saint Grégoire a voulu dire que Dieu, à cause du péché d'Adam, nous a donné le Verbe, son Fils unique, et le Verbe nous a donné son sang; il nous a rendu la vie en nous donnant la sienne avec un si ardent amour! " Ainsi le péché est heureux, non par lui-même, mais par le bien, le trésor dont il a été l'occasion. Il en est de même maintenant. Du mal que font les mauvais chrétiens en persécutant l’Épouse du Christ, doit naître l'honneur, la lumière, le parfum des vertus pour cette Epouse. Et cela était si doux, qu'il me semblait qu'il n'y avait aucune comparaison entre l’offense et la bonté infinie que Dieu témoignait à son Epouse. Alors je me réjouissais, je tressaillais d'allégresse, et je voyais si clairement ce temps à venir, qu'il me semblait le posséder, le goûter, et je [831] disais avec Siméon : " Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace. " Il y avait là des mystères si grands, que la langue est incapable de les dire, le cœur, de les comprendre, et l'oeil de les voir.

5. Oh ! quelle langue pourrait raconter les merveilles de Dieu? Ce n'est pas la mienne, pauvre misérable que je suis; je veux garder le silence, et me donner tout entière à chercher l'honneur de Dieu, le salut des âmes, la rénovation et l'exaltation de la sainte Eglise; et par la grâce et la force de l'Esprit-Saint, je veux persévérer ainsi jusqu'à la mort. Car c'est ce désir qui m'a fait et me fera crier avec amour et compassion vers notre Christ sur terre, vers mon Père, et vers mes enfants bien-aimés. Pour que votre démarche réussisse, réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse. O Dieu, mon doux Amour, accomplissez bientôt les désirs de vos serviteurs. Je ne veux pas vous en dire davantage, et pourtant je ne vous ai rien dit, Je me meurs de désirs et d'attente; ayez compassion de moi. Priez la divine Bonté et le Christ de la terre pour qu'il se hâte. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Plongez-vous dans le sang de Jésus crucifié; que rien ne vous abatte, mais prenez de plus en plus courage. Réjouissez-vous de ces douces fatigues. Aimez-vous, aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Doux Jésus, Jésus amour [832].

Table des Matières









CXXXIV (88). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, à Avignon. - Les tentations sont des moyens d'acquérir les vertus.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir, vous et les autres enfants, revêtus du vêtement nuptial, de ce vêtement qui couvre toute notre nudité. C'est aussi une arme qui rend impuissants les coups mortels de notre ennemi, qui nous rend forts, et qui affaiblit tous les coups et les tentations du démon, du monde et de la chair qui veut se révolter contre l’esprit. Ces coups non seulement ne seront pas nuisibles, mais ils deviendront des pierres précieuses et des perles sur le vêtement de l'ardente charité. Si l'âme ne supportait pas les peines et les tentations que Dieu lui accorde d'une manière ou d'une autre, sa vertu ne serait pas éprouvée, car la vertu s'éprouve par son contraire. Comment s'acquiert et se prouve la pureté? Par son contraire, c’est-à-dire par les tentations d'impureté. Car celui qui est livré à l'impureté n'a pas besoin d'être tenté, mais si la volonté est exempte de ses chutes, si elle est purifiée de toute souillure par le saint et vrai désir qu'elle a de plaire à son créateur, alors le démon, le monde et la chair la tourmentent: ainsi toute chose est vaincue par son contraire [833].

2. L'humilité aussi s'acquiert par l’orgueil. Quand l'homme se voit tenté par l'orgueil il s'humilie aussitôt, en se reconnaissant plein de défauts et d'orgueil; s'il n'avait pas été tenté, il ne se serait pas si bien connu; et dés qu'il s'humilie et se connaît, il conçoit une telle haine contre lui-même, qu'il se réjouit de toutes les peines et de toutes les injures qu'il souffre. Il fait comme le vaillant chevalier, qui ne fuit pas les coups; et il se trouve indigne du bonheur qu'il a de souffrir les peines, les tentations et les persécutions pour Jésus crucifié, parce qu'il se hait lui-même, et qu’il ressent l’amour de la vertu. Comprenez bien qu'il ne faut pas fuir et se plaindre dans le temps des ténèbres, car des ténèbres naît la lumière. O Dieu, mon doux Amour, quelle belle doctrine vous nous donnez ! La vertu s'acquiert par ce qui lui est contraire; de l’impatience vient la patience. L'âme qui souffre du vice de l'impatience devient patiente au milieu des injures qu'elle reçoit, et impatiente contre le vice de l'impatience; elle se plaint plus de se plaindre que de toute autre chose. Ainsi, par les choses contraires, elle acquiert la perfection, et elle ne s'aperçoit seulement pas des progrès qu'elle a faits au milieu de toutes les tempêtes et des tentations, sans lesquelles elle ne serait jamais arrivée au port de la perfection. Vous voyez que l'âme ne peut recevoir et désirer la vertu, sans désirer et sans souffrir les épreuves et les tentations avec une vraie et sainte patience pour l'amour de Jésus crucifié. Nous devons donc nous réjouir au milieu des ténèbres et des combats, puisqu'ils sont la cause de la vertu et de, la récompense.

3. O mon Fils, vous que m'a donné la douce Vierge [834] Marie (Ce fut la sainte Vierge elle-même qui donna le B. Raymond de Capoue pour confesseur à sainte Catherine de Sienne. Voir la lettre d’Etienne Maconi), je ne veux pas que vous vous laissiez abattre ou troubler par les orages qu'éprouve votre esprit; mais je veux, toujours sainte et fidèle, cette bonne volonté que Dieu, je le sais, vous a donnée dans sa miséricorde. Oui, vous aimerez mieux mourir que de l’offenser mortellement; je veux que dans les ténèbres vous trouviez la connaissance de l'infinie bonté et de l'ineffable charité de Dieu. Cette connaissance affermira et engraissera votre âme. Pensez que c'est son amour qui vous conserve votre bonne volonté, et ne la laissez pas s'abandonner aux pensées du démon en y donnant son consentement. Oui, c’est son amour qui permet que vous, moi et d'autres serviteurs de Dieu, nous soyons éprouvés par les tentations du démon, des créatures et de la chair; c'est pour que nous sortions de la négligence, et que nous acquerrions un zèle parfait, une humilité véritable et une ardente charité. L'humilité vient de la connaissance de nous-mêmes, et la charité de la connaissance de la Bonté divine; c'est là que l'âme s'enivre et se consume d'amour.

4. Réjouissez-vous, mon Père, réjouissez-vous , et bannissez toute crainte servile; ne vous effrayez pas de ce que vous voyez venir ou de ce qui est arrivé, mais prenez courage en pensant que la perfection est près de vous. Répondez au démon que la vertu n'est pas venue en vous par moi, puisqu'elle n'était pas en moi, mais qu'elle est un don de la bonté infinie et de la miséricorde divine. Vous pourrez tout en [835] Jésus crucifié ; faites toutes vos actions avec une foi vive, et ne vous étonnez pas si vous rencontrez des obstacles à ce que vous voulez faire. Courage, courage, car la Vérité suprême a bien voulu accomplir en vous votre désir et le mien. Immolez-vous par l'ardeur de votre désir avec l'Agneau qui s'est immolé et consumé pour nous. Reposez-vous sur la Croix avec Jésus crucifié. Réjouissez-vous en Jésus crucifié; réjouissez-vous dans les peines, et rassasiez-vous d'opprobres avec Jésus crucifié. Fixez votre cœur et votre affection sur l'arbre de la très sainte Croix avec Jésus crucifié. Que ses plaies deviennent votre demeure, et pardonnez-moi d'être l'instrument de vos peines et la cause de votre imperfection; si j'étais pour vous un moyen de vertu, vous et les autres vous sentiriez la bonne odeur des vertus. Je ne vous dis pas cela pour vous faire de la peine, car votre peine serait la mienne, mais pour que, vous et mes autres enfants, vous ayez compassion de mes misères. J'espère, et je suis persuadée que la grâce de l'Esprit-Saint mettra fin à toutes ces choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu. Pensez que moi, pauvre misérable, je suis dans mon corps, et que je m'en sépare toujours par un continuel désir.

5. O doux et bon Jésus! je meurs, et je ne puis mourir; mon cœur se brise, et je ne puis le briser entièrement par le désir que j'ai du renouvellement de la sainte Eglise, pour l'honneur de Dieu et le salut de toutes les créatures, par le désir que j'ai de vous voir, vous et les autres, revêtus de pureté, brûlés et consumés dans les flammes de la charité. Dites au Christ de la terre de ne plus me faire attendre, et [836] quand je le verrai, je chanterai avec le doux vieillard Siméon : Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace. Je m'arrête; car si je suivais ma volonté, je recommencerais. Faites que je vous voie, et que je vous sente liés et attachés au Christ, au doux Jésus, et si intimement, que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer de ces liens doux et délicieux. Aimez-vous, aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









CXXXV (89). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. -Du zèle pour le salut des âmes, et de l'amour des souffrances. - Vision de sainte Catherine.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher et bien-aimé Père et Fils en Jésus-Christ, que m'a donné la douce Vierge Marie, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les enfants véritables et les hérauts du Verbe incarné, le Fils de Dieu, non seulement par la parole, mais par les œuvres, à l'exemple du Maître de la vérité qui a fait le bien avant de l'annoncer. C'est ainsi que vous porterez du fruit, et que vous deviendrez le canal par lequel Dieu répandra la grâce dans le cœur des auditeurs. Apprenez, mes [837] enfants, que nous ne pourrons jamais acquérir la sainteté et la faim de l'honneur de Dieu et le salut des âmes, si nous n'allons pas à l'école du Verbe, l'Agneau immolé et abandonné sur la Croix. C'est là seulement que nous apprendrons la vraie doctrine. Il l'a dit lui-même : " Je suis la voie, la vérité, la vie, et personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). " Que l'oeil de votre intelligence s'ouvre donc pour voir; prêtez l'oreille, et entendez la doctrine qu'il vous donne. Voyez-vous vous-mêmes; car vous vous trouverez en lui, et vous le trouverez en vous. Vous trouverez en lui qu'il vous a créés, par grâce et non par obligation, à son image et ressemblance; et vous trouverez en vous l'infinie bonté de Dieu, qui a pris notre ressemblance par l'union qu'il a faite de la nature divine avec la nature humaine.

2. Que nos cœurs se brisent et se fendent en voyant ce feu, ces flammes d'amour. Dieu est uni à l'homme, l'homme à Dieu! Cet amour ineffable, comment l'homme pourra-t-il le comprendre? c'est à cette douce école, mes enfants, parce que l'amour vous conduira et vous servira de guide. Ouvrez donc l'oreille pour entendre sa doctrine, qui est la pauvreté volontaire, la patience contre les injures. Elle enseigne à rendre le bien pour le mal, à être petit, humble, foulé aux pieds, abandonné du monde, à supporter le mépris, les outrages, les injures, les affronts, les calomnies, les murmures, les tribulations, les persécutions des hommes, des démons visibles et invisibles, et de la chair corrompue, qui veut toujours [838] se révolter contre son Créateur et combattre l'esprit. Oui, sa doctrine est de souffrir tout avec patience, et de résister avec les armes de la haine et de l'amour. O douce et précieuse doctrine ! trésor qu'il a choisi pour lui-même, et qu'il a laissé à ses disciples! Il ne pouvait leur laisser de plus grandes richesses. Si la divine Bonté avait pensé que les plaisirs, les jouissances de l'amour-propre, les vanités et les frivolités du cœur, fussent des biens, elle les aurait pris pour elle-même. Mais, parce que la sagesse du Verbe incarné a vu et connu que c'était la meilleure part, il l'a prise, et il s'en est revêtu par amour. Ainsi font ses serviteurs et ses enfants qui suivent les traces de leur Père. Je ne veux pas que vous ignoriez ces choses, et que vous quittiez cette douce voie et cette délicieuse école. Il faut, comme des enfants fidèles, vous revêtir de ce vêtement, et y être attachés ; qu'il ne vous quitte qu'en quittant la vie. Alors, nous abandonnerons le vêtement de la peine, et nous resterons revêtus du vêtement du bonheur, et nous mangerons à la table de l'Agneau le fruit qui récompensera nos travaux.

3. C'est ce que fit l'apôtre saint Paul, qui se revêtit de Jésus crucifié, et fut privé des douceurs de la divine Essence. Il se revêtit de l'humanité du Sauveur, c'est-à-dire des peines et des opprobres de Jésus crucifié; c’était la seule chose qu'il désirait. Il disait : "Je ne veux me glorifier qu’en la Croix de Jésus crucifié (Gal 6,14)." Et il l'aimait tant, qu'il disait une fois à une de ses servantes : " Ma douce fille, j'y étais attaché [839] si étroitement par les liens de l’amour, que je n'ai pu m'en séparer qu'en perdant la vie. Le doux saint Paul montra bien qu'il avait étudié cette doctrine et qu'il la possédait parfaitement; car il devint avide et passionné pour les âmes; il les attirait comme l'éponge attire l'eau. En passant par la voie des opprobres, on trouve l'ineffable charité, la bonté Infinie avec laquelle Dieu aime souverainement la créature. On voit qu'il ne veut autre chose que notre sanctification, l'honneur de son Père, notre salut, et que c'est pour l'accomplir qu'il s'est livré à la mort. Paul reçoit et comprend cette doctrine, et parce qu'il l'a comprise, il se consacre à l'honneur de Dieu et au service du prochain. Il annonce courageusement la vérité; il ne s'endort pas dans la négligence; mais, plein de zèle, il devient un vase d'élection toujours ardent à porter et à répandre la parole de Dieu.

4. C'est aussi le désir de mon âme, et j'ai désiré avec un grand désir faire cette pâque avec vous, c’est-à-dire voir mon désir accompli et consommé. Oh ! combien sera heureuse mon âme, quand je vous verrai plus que tous les autres fixés et affermis en votre objet, en Jésus crucifié, pour vous nourrir et vous rassasier de la nourriture de l'âme. Car l'âme ne se voit pas par elle-même, mais elle se voit en Dieu, en tant qu'il est la souveraine, l'éternelle Bonté, si digne d’être aimée. Elle contemple en elle l'effet de son ardent amour; elle y trouve l'image de la créature, et elle trouve Dieu dans son image. Cet amour, que Dieu lui porte, elle voit qu'il l'étend à toute créature, et aus-sit6t elle se sent forcée d'aimer le prochain comme elle-même, parce qu'elle voit que Dieu l'aime souverainement [840], en se regardant dans la source de l'océan de la divine Essence. Alors son désir la porte à s'aimer en Dieu, et à aimer Dieu en elle, comme celui qui regarde dans une fontaine où il voit son image; il aime à la voir, et il se réjouit ; et, s'il est sage, il sera porté à aimer plus la fontaine que son image; car, s'il ne l'avait pas vue, il ne l'aurait pas aimée, et il n'aurait pas corrigé les défauts de son visage qu'il a vu dans la fontaine.

5. Oui, mes enfants bien-aimés, soyez-en bien persuadés, nous ne pourrons jamais voir notre dignité et les défauts qui détruisent la beauté de nos âmes, si nous ne regardons dans cet océan pacifique de la divine Essence, ou nous sommes représentés; car c'est d'elle que nous sommes sortis, lorsque la sagesse de Dieu nous a créés à son image et ressemblance. Nous y trouvons l'union du Verbe avec notre humanité; nous trouvons, nous voyons et nous goûtons la fournaise de sa chanté, qui nous a donné notre vie, qui a uni le Verbe à nous, et qui nous a unis au Verbe revêtu de notre nature. C'est le lien puissant qu'il a attaché et cloué sur la Croix. Nous verrons tout cela on nous voyant dans la Bonté divine. Nous ne pourrons posséder Dieu dans la vie éternelle et le voir face à face, si nous ne le possédons par le désir et l'amour en cette vie. Nous ne pouvons lui montrer cet amour un lui étant utiles un quelque chose, car il n'a pas besoin de nous; mais nous pouvons et nous devons le montrer dans nos frères, en cherchant on eux la gloire et l’honneur de Dieu. Ainsi donc, plus de négligence; ne nous endormons pas dans l'ignorance, mais que notre cœur ardent et embrasé montre [841] ses doux et tendres désirs, en honorant et en servant Dieu dans le prochain, et en ne se séparant jamais de notre objet, de Jésus crucifié. Vous savez que c'est là le mur sur lequel nous devons nous appuyer pour nous regarder dans la fontaine. Courez donc, courez vous réfugier et vous cacher dans les plaies de Jésus crucifié, réjouissez-vous, réjouissez-vous; soyez dans l'allégresse: le moment s'approche où le printemps donnera ses fleurs parfumées. Ne vous étonnez pas si vous voyez encore arriver le contraire, mais soyez-en persuadés plus que jamais.

6. Hélas! hélas! que mon âme est malheureuse! Je ne voudrais vivre que pour me voir égorgée pour l'honneur de Dieu, et pour que mon sang fut répandu dans le corps mystique de la sainte Eglise. Hélas! hélas! je meurs, et je ne puis mourir. Je n'en dis pas davantage. Pardonnez, mon Père, à mon ignorance, et que votre cœur se brise et se consume à un si ardent amour. Je ne vous écris pas les œuvres que Dieu a faites et qu'il fait; la langue et la plume sont insuffisantes. Vous m'écriviez de me réjouir et d'être dans l'allégresse, et vous m'avez donné des nouvelles qui m'ont causé une grande joie. Le lendemain du jour où je vous ai quitté, la douce Vérité suprême a voulu faire pour moi ce que le père fait pour la fille, et l'époux pour son épouse; il ne peut souffrir qu'elle ait le moindre chagrin, mais il trouve toujours des moyens nouveaux pour lui donner la joie. Pensez, mon Père, que la Vérité éternelle a fait de même. La Majesté divine m'a inondée d'une telle joie, que les membres de mon corps semblaient se dissoudre et se fondre comme la [842] cire dans le feu. Mon âme faisait alors trois stations. Elle était avec les démons par la connaissance de moi-même, et par les attaques, les tentations et les menaces de l'ennemi, qui ne cessait un instant de frapper à la porte de ma conscience; et alors je me levais avec une haine qui me faisait descendre en enfer, en désirant vous faire une sainte confession; mais la Bonté divine me donnait plus que je ne demandais. Je vous demandais, et Dieu se donnait lui-même; il m'accordait l'absolution et la rémission de mes péchés et des vôtres; il me rappelait les leçons qui m'avaient été dites en d’autres temps, et il me couvrait tellement des flammes de son amour, et m'inondait d'une telle paix, d'une telle clarté, que la parole ne pourrait jamais l'exprimer; et, pour mettre le comble à ces douceurs, il me fit habiter avec le Christ de la terre.

7. J'allais comme on va par un chemin, et il semblait que c'était le chemin de la Majesté suprême, de l'éternelle Trinité, où on reçoit une lumière et une connaissance ineffables de la bonté de Dieu. Je voyais les choses futures, je marchais et je conversais avec les bienheureux, avec la famille choisie du Christ sur la terre, et je voyais arriver la paix et des sujets de grandes joies. J'entendais la douce voix de la Vérité suprême, qui me disait : Ma fille, je ne méprise pas les vrais et saints désirs; je les satisfais, au contraire. Courage donc, et deviens un bon instrument pour annoncer généreusement la Vérité; je serai toujours avec vous. Il me semblait voir le triomphe de notre archevêque; et quand j'en eus l'assurance par la lettre que vous m'avez écrite, ce [843] fut une joie ajoutée à ma joie. O mon doux fils, il faut que je vous dise l'obstination et la dureté de mon cœur, pour que vous en demandiez vengeance et justice, car il ne s'est pas brisé, consumé d'amour. Hélas! ce qui était étonnant, c'est que ces trois rapports existaient sans se nuire; l'un aidait l'autre, comme le sel aide l'huile à bien préparer les aliments. Mes rapports avec les démons, par l'humilité, la haine et la faim qu'ils me donnaient; mes rapports avec la sainte Église, par l'amour et le désir qu'ils m'inspiraient, me faisaient goûter la vie éternelle avec les bienheureux. Je ne veux plus rien dire. Pensez que mon cœur se fend, et ne peut se fendre davantage.

8.Je vous donnerai des nouvelles de mon Père, frère Thomas, dont la vertu, par la grâce de Dieu, a triomphé du démon (Le Père Thornas della Fonte était confesseur de sainte Catherine avant le P. Raymond, et le remplaçait en son absence.). Il est devenu un tout autre homme qu'il était, son cœur se repose maintenant dans l'amour. Je vous prie de lui écrire quelquefois en vous faisant connaître à lui. Réjouissez-vous, car mes enfants qui étaient perdus sont retrouvés et rentrés au bercail; ils ont quitté les ténèbres, et aucun maintenant ne s'oppose à ce que je veux faire. Votre indigne petite Catherine vous demande votre bénédiction, et je vous recommande tous mes fils et mes filles. Prenez bien garde que le loup infernal ne me ravisse quelque brebis. Je pense que Néri viendra ici, parce qu'il me semble qu'il serait bien de l'envoyer [845] à la cour (Néri de Landoccio, disciple bien-aimé de sainte Catherine. Vie de sainte Catherine, IIIe p. ch.1). Dites-lui ce qu'il faudrait faire pour rendre la paix à ces membres corrompus qui se sont révoltés contre l'Église; je ne vois pas de plus doux moyen pour pacifier l'âme et le corps. Occupez-vous avec zèle de cela, et de tout ce qui sera nécessaire, recherchant toujours l'honneur de Dieu, rien autre chose; et, quoique je vous parle ainsi, faites ce que Dieu vous fera faire et ce qui vous semblera le meilleur, de l'envoyer, ou de ne pas l'envoyer. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









CXXXVI (90). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Vision de sainte Catherine. - Ses entretiens avec Dieu. Elle apprend miraculeusement à écrire.

(Cette longue lettre est comme l’ébauche du dialogue que sainte Catherine a dicté à ses disciples vers le milieu de l'année 1378. Elle est écrite de sa main, et probablement en état d'extase.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très doux et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre et aimer la vérité, afin que vous soyez le vrai fils de [845] Jésus crucifié, la Vérité même, et une fleur de bonne odeur dans votre saint Ordre et dans le corps mystique de la sainte Eglise, comme vous devez l'être. Il ne faut pas se lasser et tourner la tête en arrière, à cause des épines de la persécution; car celui-là serait bien insensé, qui laisserait la rose par crainte des épines. Mon désir est de vous voir courageux et sans crainte d'aucune créature.

2. Je suis certaine que l'infinie bonté de Dieu accomplira mon désir. Fortifiez-vous, mon très cher Père, dans la douce Epouse du Christ; car, plus abondent les tribulations et l'amertume, plus la Vérité divine promet de faire abonder la douceur et la consolation; et cette douceur sera le renouvellement des Saints et bons pasteurs, qui sont des fleurs de gloire, en offrant à Dieu le parfum et l'éclat des vertus. La réforme se fera dans les ministres et les pasteurs seulement; l'Épouse n'a pas besoin d'être réformée, car le fruit qu'elle donne ne peut jamais être diminué ou gâté par les défauts des ministres. Réjouissez-vous donc dans votre amertume, puisque la Vérité a promis de nous donner l'adoucissement après l'amertume. C'est la consolation que j'ai eue en recevant la lettre du doux Père et la vôtre, parce que j'avais eu l’amertume du malheur de l'Église et de votre propre amertume, dont j'ai beaucoup souffert intérieurement, le jour de Saint François. J'ai eu aussi la joie, parce que vous m'avez tirée des pensées qui m'affligeaient quand j'ai eu lu la lettre et tout appris. J'ai prié une servante de Dieu d'offrir ses larmes et ses sueurs en la présence de Dieu pour l’Epouse et pour l'infirmité du Père [846].

3. Aussitôt, par un effet de la grâce divine, elle ressentit un désir plus grand et une joie surnaturelle; elle attendait le matin pour avoir la messe; c'était le jour de Marie, et quand fut venue l'heure de la messe, elle se mit à sa place avec une vraie connaissance d'elle-même, rougissant devant Dieu de son Imperfection; elle s'élevait au-dessus d'elle-même par l'ardeur de son désir, et elle fixait l'oeil de l'intelligence sur la Vérité éternelle, et lui adressait quatre demandes en s'offrant, elle et son Père, à l'Epouse de la Vérité; et elle demandait d'abord la réforme de la sainte Eglise. Alors Dieu se laissant vaincre par ses désirs, lui disait : Ma très douce fille, vois combien sa face est souillée par le vice et l'amour-propre combien elle est enflée par l'orgueil et l'avarice de ceux qui se nourrissent sur son sein; mais prends tes larmes et tes sueurs, puise-les dans la fontaine de ma divine charité, et lave son visage, car je te promets que sa beauté ne lui sera pas rendue avec le glaive, la violence et la guerre, mais avec la paix, avec les humbles et continuelles prières, les sueurs, les larmes que répandent dans leur ardent désir mes serviteurs; et ainsi j'accomplirai ton désir au milieu des souffrances, et en aucune occasion ma providence ne te fera défaut.

4. Et encore que le salut du monde entier fût compris dans cette demande, cette personne le demandait plus particulièrement dans sa prière. Alors Dieu lui montrait avec quel amour il avait créé l'homme ; il disait : Vois combien chacun me persécute; vois, ma fille, combien tous m'outragent par toutes sortes de péchés, et surtout par ce misérable [847] et abominable amour d'eux-mêmes, qui est la cause de tout mal, et qui empoisonne le monde entier. Vous donc, mes serviteurs, offrez-moi de continuelles prières, afin d'apaiser la colère de mon jugement. Apprends que personne ne peut m’échapper; ouvre les yeux de l'intelligence et regarde ma main. Elle regardait, et elle voyait l'univers tout entier renfermé dans sa main, et Dieu disait Je veux que tu saches que personne ne peut m'échapper; tous m'appartiennent par la justice ou par la miséricorde; et parce qu'ils sont sortis de moi, je les aime d'une manière ineffable, et je leur ferai miséricorde par le moyen de mes serviteurs.

5. Alors le feu du désir augmentait dans cette âme, qui était à la fois heureuse et affligée; elle rendait grâce à la Bonté divine, et elle comprenait que Dieu lui avait manifesté les défauts des créatures pour la forcer à s'élever vers lui avec plus de zèle et de désir; et son ardeur devenait si grande, qu'elle méprisait la sueur qui inondait son corps, parce qu'elle aurait voulu que ce fut une sueur de sang. Elle se disait à elle-même : Mon âme, tu as perdu tout le temps de ta vie, et tu es cause de tant de malheurs généraux et particuliers qui sont arrivés dans le monde et dans la sainte Eglise. Aussi, je veux que tu les répares avec une sueur de sang. Alors cette âme, excitée par ses saints désirs, s'élevait plus haut, et contemplait la Charité divine avec les yeux de l'intelligence; elle voyait et elle goûtait combien nous sommes obligés de chercher la gloire et l'honneur de Dieu dans le salut des âmes.

6. C'est à cela que l'appelait et l'attirait la Vérité[848]suprême en répondant à la troisième demande que lui faisait faire la faim de votre salut. Il lui disait : Ma fille, je veux que tu lui consacres tous tes soins; mais ni toi, ni lui, ni aucune autre, vous ne pourrez rien sans souffrir les nombreuses persécutions que je permettrai. Puisqu'il désire mon honneur dans la sainte Eglise, dis-lui qu'il doit aimer et vouloir souffrir avec une véritable patience; c'est a cela que je verrai que lui et mes autres serviteurs cherchent véritablement mon honneur; et alors il sera mon cher fils, et il se reposera sur le sein de mon Fils unique, dont j'ai fait un pont, afin que vous puissiez tous parvenir a goûter et a recevoir la récompense de vos peines.

7. Sachez, mes enfants, que le chemin a été rompu par le péché et la désobéissance d'Adam, et qu'ainsi personne ne pouvait parvenir à sa fin, ce qui était opposé à ma Vérité, qui avait créé l'homme à son image et ressemblance pour qu'il eût la vie éternelle et qu'il me possédât, moi qui suis la souveraine et éternelle Bonté. La faute avait enfanté les ronces et les épines de la tribulation, et un fleuve dont les eaux sont toujours furieuses. C'est pourquoi je vous ai donné mon Fils comme un pont, afin que vous puissiez passer ce fleuve sans vous noyer. Oui, ouvrez l'oeil de l'intelligence, et voyez qu'il vient du ciel à la terre; car, de la terre, on ne pouvait le faire assez grand pour passer le fleuve et pour vous sauver. Aussi, mon Fils a uni les hauteurs du ciel, c’est-à-dire sa nature divine, à la terre de votre humanité. Il faut passer par ce pont, en cherchant la gloire de mon nom dans le salut des âmes, en [849] souffrant la peine et la fatigue, en suivant les traces du doux et tendre Verbe. Vous êtes mes ouvriers; je vous ai envoyés travailler à la vigne de la sainte Eglise parce que je veux faire miséricorde au monde; mais craignez de passer sous le pont, car ce n'est pas là le chemin de la vérité.

8. Sais-tu quels sont ceux qui passent sous ce pont? Ce sont les pasteurs coupables, pour lesquels je sollicite vos prières, pour lesquels je demande vos larmes et vos sueurs; car ils sont plongés dans les ténèbres du péché mortel, ceux qui vont pur le fleuve, et ils tombent dans l'éternelle damnation s'ils ne prennent pas mou joug et ne le mettent pas sur leurs épaules. Il y en a aussi qui, par crainte de la peine, s'approchent de la rive et sortent du péché mortel. Ils sentent les épines de la tribulation lorsqu'ils ont quitté le fleuve; et, s'ils ne se laissent point aller a la négligence, s'ils ne s'endorment pas dans l'amour d'eux-mêmes, ils atteignent le pont, et commencent à monter par l'amour de la vertu mais s'ils restent dans l'amour-propre et la négligence, tout leur nuit; ils ne persévèrent pas, mais le moindre vent contraire les fait retourner à leur vomissement.

9. Cette âme voyait les différentes manières dont les hommes se perdaient, et Dieu lui disait Admire ceux qui vont par le pont de Jésus crucifié. Et elle en voyait beaucoup qui couraient sans aucune peine, parce qu'ils n'avaient pas le fardeau de leur propre volonté; Ils étaient les enfants véritables, qui s'abandonnent eux-mêmes, et vont avec un ardent désir chercher uniquement l'honneur de Dieu et le [850] salut des âmes. L'amour les conduisait, et ils allaient par Jésus crucifié, qui est le pont; l'eau courait dessous, et les épines qu'ils foulaient aux pieds ne leur faisaient aucun mal, c'est-à-dire que, dans leur amour, ils ne s'arrêtaient pas aux épines des persécutions nombreuses, niais ils supportaient avec une patience véritable les prospérités du monde, qui sont de cruelles épines, car elles donnent la mort a l'âme qui les possède avec un amour déréglé. Ils les méprisaient comme si elles eussent été empoisonnées, et leur unique désir était d'être sur la Croix avec Celui qu'ils aimaient.

10. Il y en avait d'autres qui avançaient lentement;. et pourquoi avançaient-ils lentement? Parce que le regard de leur intelligence s'attachait, non pas a Jésus crucifié, mais aux consolations qu'ils trouvaient en Jésus crucifié, ce qui leur donnait un amour imparfait et les arrêtait souvent dans leur. progrès. Saint Pierre fit de même avant la Passion; il ne considérait que le bonheur d'être avec Jésus; et quand ce bonheur lui fut ôté, il faiblit. Mais il retrouva la force quand il se renonça lui-même, et ne voulut connaître et chercher autre chose que. Jésus crucifié. Ceux-là aussi sont faibles et ralentissent l'ardeur de leurs saints désirs, lorsqu'ils se voient privés de ce qu'ils aiment et de la consolation. Puis, quand viennent les attaques et les tentations du démon, des créatures, quand ils soutirent des faiblesses de leur cœur qui n'a plus ce qui le charmait, ils sont abattus, et s’arrêtent dans la voie de. Jésus crucifié, parce qu'en Jésus crucifié ils ont voulu suivre le Père, et goûter l'abondance des consolations [851] ; car dans le Père ne peut être la peine, elle est seulement dans le Fils. C'est ce qui me fait dire qu'ils suivent le Père; et ils ne peuvent se guérir de leur faiblesse, s'ils ne suivent pas le Fils.

11. La Vérité suprême disait aussi: Je dis que personne ne peut venir à moi, si ce n'est par le moyen de mon Fils unique; car c'est lui qui vous a fait la voie que vous devez suivre; il est la voie, la vérité, la vie. Ceux qui vont par cette voie goûtent et connaissent la vérité. Ils goûtent l'amour ineffable que j'ai montré dans les peines qu'il a souffertes pour vous. Tu sais bien que si je ne vous avais pas aimés, je ne vous aurais pas donné un tel rédempteur; mais, parce que je vous aimais éternellement, j'ai livré à la mort honteuse de la Croix mon Fils unique; c'est par son obéissance et sa mort qu'il a détruit la désobéissance d'Adam et la mort du genre humain. Ils connaissent ainsi ma vérité, et la connaissant ils la suivent; et ils obtiennent la vie éternelle parce qu'ils ont passé par la voie de Jésus crucifié; ils sont arrivés, et ils sont entrés par la porte de la vérité, et ils se trouvent dans l'océan de la paix avec les bienheureux. Tu vois donc bien, ma fille, qu'ils ne peuvent être forts par un autre moyen, et que l’homme ne peut devenir l'époux de ma Vérité et atteindre la perfection à laquelle je l'ai appelé, si ce n'est pas cette voie. Toute autre voie est pénible et imparfaite, parce que l'unique cause de la peine est la volonté propre, spirituelle ou temporelle. Aussi, celui qui n'a pas de volonté n'éprouve aucune peine personnelle, mais il ressent seulement une grande peine de l'offense qui [852] m'est faite. Cette peine est bien réglée parce qu'elle est accompagnée de la charité, qui rend l'âme prudente et l'empêche d'oublier, dans l'affliction, ma douce volonté.

12. Il y en avait d'autres qui commençaient à monter, c'est-à-dire à connaître leurs fautes, seulement par crainte de la peine qui suit la faute. Ils s'étaient retirés du péché par crainte du châtiment, et cette crainte était imparfaite; mais beaucoup couraient de cette crainte imparfaite à la crainte parfaite, et ils parvenaient par leur zèle au second et au dernier degré. Beaucoup aussi tombaient dans la négligence et s'asseyaient à l'entrée du pont par la crainte servile; ils apportaient au commencement tant de nonchalance et tant de lâcheté, qu'ils ne s'enflammaient pas d'ardeur par la connaissance d'eux-mêmes et de la bonté de Dieu à leur égard, et ils restaient dans leur tiédeur? Pour ceux-là, disait la douce Vérité, tu vois, ma fille, qu'il est impossible que ceux qui n'avancent pas par la pratique de la vertu ne retournent pas en arrière. Car l'âme ne peut vivre sans amour, et ce qu'elle aime elle s'applique à le connaître davantage et à le servir. Et si elle ne s'étudie pas à se connaître elle-même, oà connaîtra-t-elle la grandeur et l'abondance de ma charité? Ne la connaissant pas, elle ne peut l'aimer; ne l'aimant pas, elle ne me sert pas; elle est ainsi privée de moi ; et, parce qu'elle ne peut rester sans amour, elle retourne à l'amour misérable d'elle-même.

13.Ceux-là font comme le chien qui, après avoir vomi ce qu'il a mangé, regarde ce qu'il a vomi, le reprend et se nourrit de cette sale nourriture. Ces [853] hommes engourdis dans la tiédeur ont vomi, par crainte du châtiment, la corruption du péché dans la sainte confession. Ils ont un peu commencé à vouloir entrer dans la voie de la vérité; mais, comme ils n'avancent pas, il faut qu'ils retournent en arrière. Ils jettent le regard de leur intelligence sur leur vomissement; ils s'étaient convertis en pensant au châtiment, et ils se mettent à considérer le plaisir sensuel, qui leur fait perdre la crainte; ils retournent ainsi à leur vomissement, et se nourrissent de la corruption de leurs désirs et de leurs attachements. Aussi ceux-là seront beaucoup plus coupables et plus dignes de punition que les autres.

14. Voilà comment je suis outragé par mes créatures, et c'est pourquoi, mes enfants bien-aimés, je veux que vous ne ralentissiez pas votre ardeur; augmentez-la, au contraire, et nourrissez-vous sur la table du saint désir. Que mes vrais serviteurs se lèvent, et qu'ils apprennent de moi, le Verbe éternel, à mettre les brebis perdues sur leurs épaules, et à les porter au milieu des peines, des veilles et des prières. Vous passerez ainsi par moi, qui suis le pont, comme je l'ai dit, et vous serez les époux et les enfants de ma Vérité; et je répandrai en vous une sagesse, une lumière de foi qui vous donnera la parfaite connaissance de la Vérité, et vous fera acquérir toute perfection.

15. il plut ensuite à la bonté et à l'amour de Dieu de se manifester lui-même et de me dévoiler ses secrets. O mon doux Père! la langue est trop faible pour les dire; l'intelligence est éblouie en les contemplant, et le désir en est si enflammé, que toutes [854] les puissances de l'âme demandent ensemble à quitter la terre, perce que l'imperfection y est trop grande, et qu'elle veut arriver à sa fin, et goûter avec !es bienheureux l'éternelle et adorable Trinité. C'est là qu'on rend gloire et honneur à Dieu, c'est là que brillent les vertus, la paix, les désirs des vrais ministres et des religieux parfaits qui, pendant cette vie, ont été comme des flambeaux ardents placés sur le candélabre de la sainte Eglise pour éclairer le monde entier.

16. O mon Père! quelle différence avec ceux qui vivent maintenant, et dont Dieu se plaignait avec le zèle de sa justice. Il disait : Ceux-là ressemblent à la mouche, dont la nature est si grossière, qu'après s'être posée sur des choses douces et odoriférantes, elle va se placer sur des choses repoussantes et immondes. Ces coupables ont goûté la douceur de mon sang; ils quittent la table de l'autel, où ils ont consacré et administré mon corps et les autres sacrements de la sainte Eglise, qui répandent une odeur. Si douce et si suave, que l'âme qui la goûte véritablement reçoit la vie, et ne pourrait vivre sans cela, et ils ne craignent pas ensuite de se livrer à l'impureté, et de souiller tellement leur âme et leur corps, que non seulement leur iniquité m'est odieuse, mais que leurs péchés répugnent aux démons eux-mêmes.

17. Lorsque la Bonté divine, mon très cher Père, eut répondu à ces trois demandes, elle répondit à une quatrième, que je faisais pour obtenir le secours de sa providence dans une circonstance où quelqu'un se trouvait. Je ne puis vous dire cette affaire par lettre, mais je vous la raconterai de vive voix, si [855] Dieu ne me fait pas la grâce et la miséricorde de séparer mon âme de mon misérable corps avant de vous voir. Vous connaissez la loi mauvaise qui combat contre l'esprit, et vous savez que je dis la vérité lorsque je désire en être délivrée. Je vous disais donc que l'éternelle Vérité a daigné répondre à la quatrième demande de mon ardent désir.

18. Elle me disait : Ma fille, la Providence ne manquera jamais à qui voudra la recevoir, c'est-à-dire à ceux qui espèrent parfaitement en moi. Ceux-là m'appellent en vérité, non seulement par la parole, mais par l'amour et avec la lumière de la très sainte Foi. Ils ne me goûtent pas dans ma providence, ceux qui me crient seulement Seigneur, Seigneur; et s'ils ne me demandent pas d'une manière plus sainte, je ne les reconnaîtrai pas et je ne les regarderai pas dans ma miséricorde, mais dans ma justice. Ainsi, je t'assure que ma providence ne leur manquera pas s'ils espèrent en moi; mais je veux que tu voies avec quelle patience il faut que je supporte des créatures, que j'ai créées à mon image et ressemblance avec un s tendre amour. Et alors, ouvrant l'œil et l’intelligence pour obéir au commandement divin, cette âme vit comment l'éternelle et souveraine Bonté avait créé uniquement par amour, et avait racheté avec le sang de son Fils toutes les créatures raisonnables, et comment aussi c'était le même amour qui leur donnait les épreuves et les consolations.

19. Dieu lui disait Le sang répandu pour vous vous manifeste la vérité; mais ceux qui sont aveuglés par l'amour d'eux-mêmes se scandalisent et s'impatientent; ils considèrent comme leur ruine et leur [856] malheur, et ils jugent avec haine ce que je fais par amour et pour leur bien, pour leur épargner les peines de l'enfer et leur faire gagner la vie éternelle. Ils se plaignent de moi, et détestent ce qu'ils devraient respecter; ils veulent juger mes jugements secrets, qui sont tous droits; mais ils font comme l'aveugle, qui, avec le toucher, le goût, ou d'après le son de la voix, peut juger en bien ou en mal, selon sa petite et imparfaite connaissance; il ne voudra pas croire celui qui a la lumière, et il voudra, dans sa folie, se conduire avec sa main; mais le toucher le trompe, parce qu'il ne voit pas l'animal immonde qu'il prend pour nourriture; son oreille aussi est trompée par le charme de la voix, parce qu'il ne voit pas celui qui chante et qui cherche à le séduire par ses chants pour lui donner la mort. Ainsi font ces aveugles qui ont perdu la lumière de la raison; ils touchent avec la main des sens les plaisirs du monde, qui leur paraissent bons; mais, parce qu'ils ne voient pas, ils ne s'aperçoivent pas que ces choses sont mêlées d'épines, de misères, de tourments, et que ceux qui les possèdent sont insupportables à eux-mêmes. Ceux qui les aiment d'une manière déréglée avec la bouche du désir, les trouvent doux et agréables à prendre, et c'est la nourriture immonde du pêché mortel qui souille l'âme.

20. Ainsi, celui qui ne va pas avec la lumière de la Foi se purifier dans le Sang, tombe dans la mort éternelle. La voix de l'amour-propre est agréable à. entendre, parce que l'âme se laisse conduire par sa sensualité ; mais elle ne s'aperçoit pas que cette voix l'égare, la fait tomber dans l'abîme et la livre à ses [857] ennemis chargée des chaînes du péché. Car ceux qui sont aveuglés par l'amour-propre et par la confiance qu'ils mettent en eux-mêmes et dans leur sagesse, ne s'attachent pas à moi, qui suis la voie pour les conduire, la vie véritable et la lumière. Celui qui va par moi ne peut marcher dans l'erreur et dans les ténèbres. Ils n'espèrent pas en moi, qui ne veux autre chose que leur salut, et qui leur envoie tout par amour. Je suis pour eux un scandale, et cependant je les porte avec patience; je les souffre parce que je les aime sans être aimé d'eux. Ils me persécutent sans cesse par l'impatience, la haine, les murmures et des infidélités nombreuses ; et ils veulent, dans l'aveuglement de leur esprit, pénétrer mes jugements secrets, qui sont tous justes et inspirés par l'amour. Ils ne se connaissent pas encore eux-mêmes; ils ne savent pas que celui qui ne se connaît pas né peut ni me connaître ni comprendre ma justice. Veux-tu, ma fille, que je te montre combien le monde se trompe sur mes desseins cachés; ouvre l'oeil de ton intelligence et regarde en moi.

21. Je regardais avec un ardent désir, et il me montrait le malheur qui était arrivé à celui pour lequel j'avais prié; il me disait Je veux que tu saches qu’afin de le sauver de la damnation éternelle, j'ai permis ce malheur, pour que son sang lui fit trouver la vie dans mon sang. Je n'avais pas oublié le respect et l'amour qu'il avait pour Marie, ma très douce Mère; c'est donc par miséricorde que j'ai fait ce que les ignorants prennent pour de la cruauté, parce que l'amour-propre les aveugle et qu'ils ne connaissent pas la vérité; mais, s'ils voulaient [858] dissiper ce nuage, ils la connaîtraient et ils l'aimeraient; ils recevraient tout avec respect, et dans le temps de la récolte, ils moissonneraient la récompense. Mais, toujours, en ceci comme en autre chose, mes enfants, j'accomplirai votre désir en patientant beaucoup; ma providence les assistera, peu ou beaucoup, selon la mesure de leur confiance en moi ; je dépasserai même cette mesure, pour satisfaire le désir de mes serviteurs qui prient pour eux. Car je ne méprise jamais ceux qui s'adressent humblement à moi, pour eux-mêmes ou pour les autres; et même je vous invite à me demander miséricorde pour eux et pour le monde entier. O mes enfants! concevez et enfantez le salut du genre humain par la haine, l'horreur du péché, et par l'ardeur et les transports de l'amour.

22. O mon très cher et très doux Père ! en voyant et en entendant la Vérité suprême, il me semblait que mon cœur ne pourrait y résister; je meurs, et je ne puis mourir. Ayez compassion de votre pauvre fille, qui souffre tant des offenses commises contre Dieu, et qui ne saurait comment se soulager, si le Saint-Esprit, dans sa clémence, ne m'avait pas inspirée et donné le moyen de le faire en vous l'écrivant. Fortifions-nous tous dans le Christ le doux Jésus, et les peines seront notre soulagement. Acceptons avec empressement et sans négligence la douce invitation que Dieu nous fait. Mon doux Père, réjouissez-vous puisque vous êtes si tendrement appelé; souffrez avec joie, avec patience et sans vous affliger, s1 vous voulez être l'époux de la Vérité et la consolation de mon âme; car vous ne pourrez autrement avoir la [859] grâce, et vous me causerez une grande amertume. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir suivre et aimer la vérité. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez le frère Matthieu dans le Christ, le doux Jésus (Frère Matthieu Tholomei, auquel est adressée la lettre cxxx.).

23. Cette lettre, et une autre que je vous ai envoyée, ont été écrites de ma main dans l'île de Roche, au milieu de soupirs et de larmes si abondantes, que mes yeux ne pouvaient plus voir; mais j'étais dans l'admiration de moi-même et de la bonté de Dieu; en considérant sa miséricorde envers les créatures raisonnables, et les merveilles de sa providence à mon égard. Comme mon ignorance me privait de la consolation de me confier à quelqu'un, il m'a donné la faculté de pouvoir écrire, afin qu'en sortant de l'extase je pusse soulager un peu mon cœur et l'empêcher d'éclater. Il ne voulait pas me retirer encore des ténèbres de cette vie; il a miraculeusement donné cette faculté à mon esprit, comme fait le maître pour l'enfant auquel il donne un modèle. Aussitôt qu'il m'eût quittée, avec l'évangéliste saint Jean et saint Thomas d'Aquin, je commençai à apprendre comme en dormant. Pardonnez-moi de trop vous écrire; mais les mains et la langue s'accordent avec le cœur. Doux Jésus, Jésus amour [860].

Table des Matières









CXXXVII (91). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. -De la patience dans les persécutions. - Du dévouement à l’Eglise.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement contre les tentations et les embûches du démon, contre la malice et les persécutions des hommes, et contre l’amour-propre. Celui qui ne se délivre pas de cet ennemi par la vertu et par une sainte haine ne peut jamais être fort dans les combats que nous avons à souffrir tous les jours. L'amour-propre nous affaiblit, et il est nécessaire de s'en préserver par la force de la vertu, que nous acquerrons dans l'amour ineffable que Dieu nous a manifesté par le moyen du sang de son Fils unique. Cet amour que nous puisons dans l'amour divin nous donne la lumière: la vie et la lumière pour connaître la vérité nécessaire à notre salut, pour acquérir la perfection véritable, et pour tout souffrir avec patience, force et constance jusqu'à la mort. Cette force nous, vient de la lumière qui nous fait connaître la vérité, et nous acquérons par elle la vie de la grâce divine. Enivrez-vous du sang de l'Agneau sans tache, et soyez donc le serviteur fidèle, et non [861] pas infidèle de votre Créateur. N'hésitez pas; ne tournez pas la tête en arrière dans les combats et dans les ténèbres où vous vous trouvez; mais persévérez avec foi jusqu'à la mort, parce que vous savez bien que la persévérance vous donnera la récompense de vos peines.

2. J'ai appris d'une servante de Dieu qui vous offre sans cesse à lui dans la prière, que vous aviez éprouvé de grands combats, et que votre âme est dans les ténèbres par les illusions et les artifices du démon, qui veut vous faire voir de travers ce qui est droit, droit ce qui est de travers (Sainte Catherine parle d’elle-même. Dieu lui avait donné le privilège de voir l’état des âmes.). Il agit ainsi pour vous arrêter dans vos progrès, et vous empêcher d'atteindre votre but; mais prenez courage, parce que Dieu a veillé et veillera sur vous, et que sa providence ne vous manquera pas. Ayez soin en toute occasion de recourir à Marie, et d'embrasser la sainte Croix. Ne vous laissez pas troubler, mais traversez cette mer orageuse sur la barque de la miséricorde divine. Je sais que des religieux et des séculiers, des membres du corps mystique de la sainte Eglise vous ont persécuté et vous persécutent ; je sais que vous avez eu des désagréments, et que vous avez reçu des reproches du Vicaire de Jésus-Christ. Vous avez souffert pour vous et pour mol de tout le monde; ne contestez pas, mais supportez tout avez patience, en vous retirant sur-le-champ et en vous renfermant dans la connaissance de vous-même; considérez pieusement que Dieu vous a rendu digne [862] de souffrir pour l'amour de la Vérité, et d'être persécuté pour son nom, et jugez-vous avec une humilité sincère, digne de la peine et indigne de la récompense. Tout ce que vous aurez à faire, faites-le avec prudence, ayant toujours Dieu devant les yeux; que toutes vos paroles et vos actions soient dites et faites en présence de Dieu et de vous-même. Dans le saint exercice de la prière, vous trouverez pour maître et docteur le Saint-Esprit, qui répandra en vous une lumière de sagesse qui vous fera discerner et choisir ce que demande son honneur. C'est la doctrine que nous a donnée la Vérité suprême, qui a pourvu à toue nos besoins avec un amour infini.

3. S'il arrive, mon très cher Père, que vous vous trouviez en la présence de Sa Sainteté notre très saint Père, le Vicaire du très doux Jésus, recommandez-moi humblement à lui (Le B. Raymond jouissait de toute la confiance de Grégoire XI.); demandez-lui pardon de tant de fautes commises contre Dieu par ignorance et négligence; j'ai désobéi à mon Créateur, qui m'invitait à crier vers lui par mes désirs et mes prières, et à m'adresser moi-même à son Vicaire. Ce sont ces fautes sans nombre qui sont cause, je crois, des persécutions qu'il a souffertes, et on peut attribuer âmes iniquités les maux de la sainte Eglise. Il a bien raison de se plaindre de moi, et de me punir de mes fautes; mais dites-lui que je ferai tous mes efforts pour m'en corriger, et lui mieux obéir. J'espère de la bonté de Dieu qu'il jettera un regard de sa miséricorde sur l'Épouse du Christ et de son Vicaire, et [863] aussi sur moi; il m'ôtera mes défauts et mon ignorance, il donnera à son Épouse la consolation de la paix; il la renouvellera au milieu des souffrances, car il est impossible d'arracher sans peine les épines et les abus qui étouffent tout dans le jardin de la sainte Eglise.

4. Pour le Saint-Père, Dieu lui fera la grâce d'être courageux, et de ne tourner la tête en arrière pour aucune difficulté, aucune persécution que lui feront ses enfants coupables. Il sera constant et persévérant; il ne fuira pas le travail, mais il se jettera comme un agneau au milieu des loups avec la faim et le désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, ne s'inquiétant pas des choses temporelles pour s'appliquer aux spirituelles. S'il fait ainsi ce que demande la Bonté divine, l'agneau deviendra le maître des loups, et les loups deviendront des agneaux; et nous verrons la gloire et l'honneur de Dieu, le bien et la paix de la sainte Église. Il est impossible de réussir d'une autre manière. Ce n'est pas par la guerre, mais par la paix, la douceur et par des peines spirituelles que le père doit punir son fils qui a commis des fautes. Hélas! hélas ! hélas ! très saint Père, le premier jour que vous êtes venu à votre poste, vous l'ayez fait. J'espère en la bonté de Dieu et en votre sainteté; ce qui n'est pas fait, vous le ferez c'est le moyen de sauver les intérêts temporels et spirituels.

5. Vous savez ce qui vous a été dit Dieu vous demande de travailler à la réforme de la sainte Église en punissant les abus, et en choisissant de bons pasteurs. Faites la paix avec vos enfants coupables [864] en prenant le moyen le meilleur et le plus agréable à Dieu, et vous pourrez ensuite soutenir avec ces armes l'étendard de la très sainte Croix contre les infidèles. Je crois que nous négligeons de faire ce qu'on peut faire non par la force et par la guerre, mais par la paix, la douceur, en punissant les fautes de chacun, non pas autant qu'il le mérite, parce qu'il ne pourrait le souffrir, mais autant que le malade est capable de le supporter: et nous sommes sans doute ainsi cause dc tous ces malheurs, ces ruines et ces révoltes qui affligent l'Église et. ses ministres. Je crains que si on n'y remédie en faisant ce qu'on n'a pas fait, nos péchés ne nous attirent de plus grands désastres que ceux que peut causer la perte des choses temporelles.

6. Tous ces malheurs et toutes vos peines viennent de moi, misérable, de mon peu de vertu et de mes nombreuses désobéissances. Très saint Père, voyez à la lumière de la raison et de la vérité ce que vous avez à me reprocher, non pour me punir, mais pour me plaindre. A qui m'adresser, si vous m'abandonnez? Qui me secourra, qui sera mon refuge, si vous me chassez? Mes persécuteurs me poursuivent, et je me réfugie vers vous et vers les autres serviteurs et enfants de Dieu; et si vous m'abandonnez-en vous irritant et vous indignant contre moi, je me cacherai dans les plaies de Jésus crucifié, dont vous êtes le Vicaire, et je sais qu'il me recevra, parce qu'il ne veut pas la mort du pécheur; et lorsqu'il m'aura reçu, vous ne me chasserez pas, et nous resterons à notre poste pour combattre généreusement avec les armes de la vertu par la douce Epouse du Christ[865]. C'est là que je veux terminer ma vie dans les larmes, les sueurs, les soupirs, et donner mon sang et la moelle de mes os. Et si tout le monde me chasse, je ne m’en tourmenterai pas mais je me reposerai en pleurant et en souffrant sur le sein de la douce Epouse. Pardonnez-moi, très saint Père, toute mon ignorance, et les offenses que j’ai commises contre Dieu et Votre Sainteté. C’est la Vérité éternelle qui m’excuse et me rassure. Je vous demande humblement votre bénédiction.

7. Pour vous, mon très cher Père, je vous recommande d'être auprès de Sa Sainteté plein de courage, sans inquiétude et sans crainte servile. Mais avant tout, soyez fidèle à votre cellule en présence de Marie et de la très sainte Croix, fidèle à l'humble et sainte prière, à la véritable connaissance de vous-même. Ayez une foi vive et une ferme volonté de souffrir; puis marchez en assurance, et faites tout ce que vous pourrez faire pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, jusqu'à la mort. Communiquez-lui ce que je vous écris dans cette lettre, selon que l'Esprit-Saint vous l'inspirera. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour [866].

Table des Matières









CXXXVIII (92).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l’Ordre des Frères Prêcheurs.- Du zèle à acquérir la vertu, et du trésor de la patience.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher et très doux Père, et aussi mon Fils négligent et ingrat dans le Christ, le doux Jésus. Moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un zèle véritable et parfait peur acquérir et conserver les vertus, parce que sans zèle, l'âme ne trouve pas la vertu, et ne conserve pas celle qu'elle a. L'amour est ce qui remplit le cœur de zèle, et fait aller l'affection où se trouve la vertu; si l'âme n'a pas de zèle, c'est signe qu'elle n'aime pas. Il faut donc aimer généreusement, sans intérêt, sans recherche de soi-même ou de quelque créature raisonnable; et, pour arriver à ce doux amour, il nous faut ouvrir l'oeil de l'intelligence pour connaître et voir combien Dieu nous aime; et pour avoir cette connaissance, Il faut que les pieds de l'affection nous conduisent à la cellule de la vraie connaissance de nous-mêmes, parce que dans cette connaissance nous concevons la haine de la sensualité et l'amour de Dieu, à cause de son ineffable charité, que nous trouvons en nous. Et alors le cœur se lève plein d'ardeur et de désir, et cherche le moyen le plus parfait d'employer son temps; le temps paraît toujours précieux, parce que [867] c'est avec le temps que sa volonté peut acquérir ou perdre son trésor. Il voit que le seul moyen d'arriver à la vertu véritable est la charité envers le prochain. Cette charité vient de la connaissance de Dieu, parce que dans la bonté de Dieu l'âme voit et connaît son amour infini, qui ne s'étend pas seulement à elle, mais à toute créature raisonnable, à ses amis et à ses ennemis.

2. L'âme peut aimer l'un plus que l'autre, selon qu'elle y trouve l'attrait de la vertu. Celui qui est vertueux, elle l'aime par amour de la vertu, et comme créature. L'injuste et coupable pécheur, elle l'aime, parce que Dieu l'a créé, et pour qu'il quitte le vice et pratique la vertu. Elle a ainsi pour l'honneur de Dieu faim et soif des âmes, et, pour les arracher des mains du démon, elle sacrifierait sa vie. Son zèle lui fait sacrifier son temps et ses consolations; qu'elles soient nouvelles ou anciennes, elle y renonce pour son prochain. Une servante de Dieu disait: " O mon Seigneur, que voulez-vous que je fasse! " Et il lui fut répondu :  "Honore-moi, et sers le prochain; offre-moi des honneurs pour moi, et des peines pour le prochain. "

3. Et quel service lui rendre? Des services spirituels et corporels. Il faut le servir spirituellement en offrant de saints désirs, d'humbles et continuelles prières, avec joie pour ceux qui sont vertueux, avec douleur pour ceux qui sont ensevelis dans la mort du pêché mortel. Il faut supporter avec une patience véritable les scandales, les infamies et les murmures des méchants contre nous, sans jamais pour aucune cause ralentir l'ardeur de nos prières, de nos [868] désirs et de notre zèle pour leur salut. C'est ainsi que l'âme se conforme à Jésus crucifié en se nourrissant avec lui sur la croix douloureuse du désir, et cette croix fut plus cruelle pour le Christ que celle où était attaché son corps. Je dis aussi que Dieu demande pour le prochain des services corporels. Il faut que nous nous fatiguions pour lui, et que nous lui rendions tous les services possibles en souffrant toutes sortes de désagréments et de peines corporelles. Quelquefois Dieu permet que nous ayons à supporter des autres la faim, la soif, la violence, les persécutions, comme les saints martyrs qui enduraient tant de peines et de tourments; mais notre imperfection est si grande, que nous ne sommes pas encore dignes du bonheur d'être persécutés par Jésus-Christ. C'est ainsi que nous devons servir le prochain, honorer Dieu, et tout utiliser pour la gloire et l'honneur de son nom : autrement nos peines ne porteraient pas des fruits de vie, et nous aurions en ce monde un avant-goût de la mort éternelle. Que l'amour de Dieu nous fasse chercher son honneur et le salut des âmes, et que cet amour se prouve dans nos rapports avec le prochain par la vertu de la patience.

4. O patience, que tu es aimable ! O patience, quelle espérance tu donnes à celui qui te possède ! O patience ! que tu es reine et maîtresse, et jamais tu n'es dominée par la colère ! O patience, tu fais justice de la sensualité, lorsqu'elle veut s'irriter et lever la tête; tu portes avec toi un glaive à deux tranchants, le glaive de la haine et de l'amour pour frapper et abattre sa colère, l'orgueil et la moelle de l’orgueil [869], l'impatience ! Ton vêtement est le soleil avec la lumière de la vraie connaissance de Dieu et avec la chaleur de la divine charité; ses rayons frappent ceux qui te persécutent, et allument les charbons ardents de la charité sur leur tête; ils brûlent et consument la haine dans leurs cœurs. Oui, douce patience fondée sur la charité, c'est toi qui portes des fruits pour le prochain, et qui rends honneur à Dieu; ton vêtement est couvert des étoiles de toutes les vertus, car la patience ne peut être dans l'âme sans y faire briller les vertus. Elle ressemble à la lumière de la lune dans la nuit de la connaissance d'elle-même; et après cette connaissance vient le jour avec la grande lumière et la chaleur du soleil, qui est le vêtement de la patience. Comment donc ne pas se passionner pour une aussi douce chose que la patience? comment ne pas aimer souffrir pour Jésus crucifié (Dialogue, ch. XCV) ?

5. Souffrons donc, très cher et très doux Père; ne perdez pas le temps, et appliquez-vous à vous connaître vous-même, afin que cette reine habite votre âme; elle vous est bien nécessaire. Vous vous trouverez ainsi sur la Croix avec Jésus crucifié, et vous vous nourrirez de sa nourriture. Dieu vous appelle, et vous choisit. Il vous semblera être éclairé par la lune pendant que vous souffrirez; mais vous trouverez dans la souffrance la lumière du soleil. Votre âme alors trouvera une vie nouvelle dans la vertu; vous la conserverez, et vous la rechercherez avec plus de zèle et de perfection jusqu'à ce que vous [870] soyez arrivé à votre fin, et vous deviendrez conforme à Jésus crucifié, qui a souffert tant de peines, de tourments et d'opprobres. Pourquoi a-t-il souffert? Parce que la sagesse divine a vu que l'offense faite au Père devait être suivie du châtiment. L'homme était sans force, et ne pouvait satisfaire. Alors Celui en qui n'était pas le poison du péché a satisfait avec un ardent amour. Imitez en cela son exemple; si vous êtes vertueux, souffrez les injustices de ceux qui vous injurient sans que vous les ayez offensés. La souffrance est toujours juste de la part de Dieu, car nous l'offensons toujours. Le Christ a souffert jusqu'à la mort, et il est ressuscité glorieux; nous ferons de même : il faut que tous les serviteurs de Dieu souffrent jusqu'à la mort de la sensualité ; car quand la sensualité sera morte, l'âme ressuscitera à la grâce; le vice sera vaincu; elle régnera glorieusement avec la patience; elle en sera revêtue, et elle persévérera jusqu'à ce qu'elle monte au ciel.

6. Toutes les vertus qui sont l'ornement de la patience restent sur la terre; la charité seule entre triomphante dans le ciel; mais elle porte avec elle le fruit de toutes les vertus, et surtout le fruit de la patience. La patience est intimement unie à la charité; elle en est la moelle (Dialogue, ch X) car elle se montre toujours revêtue d'amour; elle n'en est jamais dépouillée, puisque la patience sans la charité ne serait pas une vertu. Mais lorsque l'amour véritable et parfait est dans l'âme, elle le montre en souffrant les peines, les opprobres, les mépris, les affronts, les tentations [871] du démon, les combats de la chair, les murmures des méchants et les mensonges de ceux dont le cœur et la langue ne sont jamais d'accord; elle supporte tout avec une sainte et vraie patience, avec un ardent désir de servir Dieu et le prochain. Elle se retire dans la cellule de la connaissance d'elle-même, et dans cette connaissance elle trouve la connaissance de la bonté de Dieu à son égard; elle s'y plaît, elle s'y engraisse. Dans sa cellule, elle prend avec peine la nourriture des âmes; sa table est la sainte Croix et son repos la gloire et l'honneur du nom de Dieu. C'est là qu'elle a choisi Sa couche. Elle trouve ainsi la table, la nourriture, le serviteur, c'est-à-dire le Saint-Esprit et l'honneur du Père, où elle se repose; et parce qu'elle a trouvé cette cellule intérieure si douce, elle la défend à l'extérieur autant qu'il lui est possible.

7. Cher Père et Fils négligent, rappelez-vous la doctrine de Marie et de la douce Vérité suprême; apprenez que vous devez rester dans la connaissance de vous-même, et y offrir d'humbles et continuelles prières. Vous devez étudier votre intérieur, connaître la vérité et fuir toute conversation, excepté celle qui est nécessaire au salut des âmes pour les tirer des mains du démon par la sainte confession. Aimez pour cela être avec les publicains et avec les pécheurs; pour les autres, aimez-les beaucoup, mais fréquentez-les peu. N'oubliez pas alors de réciter à son temps l'office divin; ne soyez jamais paresseux et négligent quand vous avez quelque chose à faire pour Dieu et pour le service du prochain; 'mais, dès que vous aurez fini, réfugiez-vous dans votre cellule [872], et ne vous dissipez pas dans les conversations sous prétexte de faire le bien. Je suis persuadée que si vous êtes vraiment zélé et affamé de vertus, vous ferez, et vous n'oublierez jamais ce que - je vous ai dit. Sans zèle, vous ne le ferez pas, et vous ne conserverez pas même ce que vous avez. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir un zèle véritable et parfait. Oh! oui, j'espère de Marie, ma douce Mère, qu'elle accomplira mon désir. Perdez-vous vous-même, et ne cherchez que Jésus crucifié, sans vous arrêter à aucune créature.

8. Priez les glorieux apôtres Pierre et Paul, pour qu'ils nous donnent, à moi et à mes pauvres enfants, la grâce de nous plonger dans le sang de Jésus crucifié, et de nous revêtir de la douce vérité. Et moi, si c'est sa volonté, que Dieu me retire de cette vie ténébreuse; car la vie est ma peine, et la mort mon plus grand désir. Prenez courage, et réjouissons-nous, car notre joie sera grande dans le ciel. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









CXXXIX (93) - AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Comment il faut aimer et suivre la vérité, qui est la volonté de Dieu à notre égard.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [873] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'époux véritable de la Vérité, son disciple, son ami fidèle; mais je ne vois pas le moyen de goûter et de posséder cette Vérité, si nous ne nous connaissons pas nous-mêmes. C'est par cette connaissance que nous comprenons véritablement notre néant. Nous voyons que nous tenons notre être de Dieu, qu'il nous a créés à son image et ressemblance. Dans la connaissance de nous-mêmes, nous trouvons encore la régénération que nous devons à Dieu, qui nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique, dans ce sang qui nous a manifesté la vérité du Père.

2. La vérité était qu'il nous avait créés pour la gloire et l'honneur de son nom, pour nous faire participer à son éternelle beauté, et pour nous sanctifier en lui. Qui prouve que ce soit la vérité? Le sang de l'Agneau sans tache. Et où trouvons-nous ce sang? Dans la connaissance de nous-mêmes. Nous avons été cette terre où a été fixé l'étendard de la Croix; nous avons été le vase pour recevoir le sang de l'Agneau qui coulait de la Croix. Pourquoi avons nous été cette terre? Parce que la terre ne suffisait pas à tenir droite la Croix; elle se serait refusée à cette injustice, les clous eussent été insuffisants pour l'attacher, si l'amour ineffable qu'il avait pour nous ne l'eût retenu. Oui, c'est l'ardente Charité qu'il avait pour l'honneur de son Père et pour notre salut qui le fixait à la Croix; nous sommes la terre où elle a été plantée, le vase qui a reçu le sang. Celui qui le reconnaîtra et sera l'époux de Cette Vérité, trouvera dans le sang la grâce, la richesse et la vie [874] de la grâce; sa nudité sera couverte et revêtue de la robe nuptiale; il sera tout imprégné du feu et du sang répandu par amour, et uni à la Divinité. Dans ce sang, il se nourrira de miséricorde; dans ce sang, il dissipera les ténèbres, et goûtera la lumière, parce que dans ce sang il perd le nuage de l'amour-propre sensitif et la crainte servile qui cause la peine, et il reçoit la sainte crainte et l'assurance de l'amour divin qu'il a trouvé dans le Sang. Tandis que celui qui n'aimera pas la vérité, ne la connaîtra pas dans la connaissance de lui-même et du Sang, comme celui qui marche généreusement, sérieusement et sans crainte servile. La foi vive ne consiste pas seulement en paroles, mais elle brille en tout temps, c'est-à-dire dans l'adversité comme dans la prospérité, dans le temps de la persécution comme dans le temps de la consolation; rien ne peut diminuer la foi et la lumière de celui que la vérité éclaire véritablement non seulement par goût, mais en réalité.

3. Je dis que si cette lumière et cette vérité ne s'étaient pas trouvées dans l'âme, elle n'en serait pas moins le vase qui recevrait le Sang, mais ce serait pour son jugement et sa confusion; elle serait dépouillée du vêtement de la grâce, et elle ressentirait la justice non par le défaut du Sang, mais pour avoir méprisé le Sang. Celui qui est aveuglé par l'amour-propre ne voit pas, et ne connaît pas la vérité dans le Sang, et il reçoit pour sa ruine et avec une grande amertume. Il est privé de la joie du Sang, de la douceur et du fruit du Sang, parce qu'il ne se connaît pas lui-même; il ne connaît pas le Sang en lui, et il n'a pas été l'époux fidèle de la Vérité [875] .

4. Il faut donc connaître la vérité pour être l'époux de la Vérité; il faut dans la cellule de la connaissance de vous-même reconnaître que Dieu vous a donné l'être par bonté et non par obligation, qu'il vous a régénéré en vous rendant la vie de la grâce dans le sang de l'Agneau; c’est là qu'il faut vous baigner, vous anéantir et noyer votre volonté : autrement vous ne serez pas l'époux fidèle, mais infidèle, de la Vérité. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir le véritable époux de la Vérité. Anéantissez-vous donc dans le sang de Jésus crucifié, baignez-vous dans ce sang, enivrez-vous de ce sang, rassasiez-vous de ce sang. Revêtez-vous de ce sang. Si vous avez été infidèle, rebaptisez-vous dans ce sang; si le démon a obscurci l'oeil de votre intelligence, lavez-vous avec ce sang; si vous êtes tombé dans l’ingratitude en méconnaissant les dons que vous avez reçus, soyez reconnaissant par ce sang; si vous êtes un pasteur négligent, si vous n'avez pas la verge de la justice unie a la prudence et à la miséricorde, vous la trouverez dans ce sang; vous la verrez avec l'oeil de l'intelligence, vous la prendrez avec la main de l'amour, vous la tiendrez avec un ardent désir. Oui, détruisez la tiédeur avec la chaleur de ce sang; dissipez les ténèbres avec sa lumière. Vous serez ainsi l'époux de la Vérité, le pasteur véritable, le guide des brebis qui vous sont confiées, l'ami fidèle de la cellule de votre âme et de votre corps, autant que vous le pouvez dans votre position. Vous le ferez, si vous êtes dans ce Sang, mais non pas autrement.

5. Oh ! je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié [876] de le faire, et de vous détacher de toute créature, de moi la première. Revêtez-vous de l'amour de Dieu et de l'amour de toutes les créatures pour Dieu; aimez-les beaucoup, mais fréquentez-les peu, à moins que ce ne soit pour travailler au salut des âmes. Pour moi, je le ferai quand Dieu m'en accordera la grâce; je veux me revêtir de nouveau dans ce sang, et me dépouiller des vêtements que j'ai portés jusqu'ici. Je veux ce sang, ce sang est et sera le bonheur de mon âme; je me trompais quand je le cherchais dans les créatures. Je veux au milieu de mes travaux être accompagnée de ce sang, et je trouverai dans ce sang toutes les créatures; je m'abreuverai de leur amour dans ce sang, et je goûterai la paix dans la guerre, la douceur dans l'amertume; et lorsque je serai privée des créatures et de la tendresse de mon Père, je trouverai le Créateur, le Père éternel et souverain. Baignez-vous dans le Sang, et réjouissez-vous, car je me réjouis dans la sainte haine de moi-même. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [877].
 
 

CXL (94). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Il faut me dépouiller de l’amour-propre et de la crainte servile pour pratiquer la sainte justice envers Dieu, envers le prochain et envers soi-même.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le cœur dépouillé de tout amour de vous-même, afin que l'amour-propre ne vous empêche pas d'être l'époux de la Vérité, et ne vous rende pas un pasteur timide. La crainte ne doit pas vous ôter le zèle de la sainte justice envers vous et envers ceux qui vous sont soumis (Sainte Catherine envoya le B. Raymond à Rome en 1377, et il y fut nommé prieur du couvent de la Minerve.). Car, là où règne l'amour-propre ne peut briller la justice. Celui qui s'aime lui-même ne peut se rendre ce qui lui appartient, c'est-à-dire la haine et le mépris par la connaissance de lui-même; il ne rend pas à Dieu la gloire et l'honneur de son nom; il ne donne pas à son inférieur l'exemple d'une vie sainte et parfaite; il ne reprend pas celui qui a des défauts, et n'est pas bienveillant pour celui qui est bon, en l'encourageant, l'aidant et l'attachant à l'Ordre, Ainsi donc, celui qui reste dans l'amour-propre [878] commet l'injustice, et n'accomplit pas la justice. Il faut nous dépouiller de nous-mêmes, nous revêtir de Jésus crucifié, monter sur la barque de la très sainte Foi, et voguer sans crainte sur la mer orageuse du monde. Car celui qui est dans cette barque ne doit pas avoir de crainte servile; sa barque est fournie de toutes les provisions que l'âme peut désirer. Lorsque les vents contraires viennent nous attaquer et nous empêcher de satisfaire sur-le-champ nos désirs, il ne faut pas nous en inquiéter, mais avoir une foi vive; car nous avons de quoi nous nourrir, et la barque est si forte, que les vents les plus terribles, en la poussant sur les écueils, ne pourront jamais la briser.

2. Il est vrai que souvent la barque sera couverte par les flots de la mer, mais ce n'est pas pour que nous perdions courage; c'est pour que nous nous connaissions mieux, et que nous distinguions plus parfaitement le calme de la tempête. Dans le calme, nous ne devons pas avoir une confiance déréglée, mais nous devons, avec une sainte crainte, avoir recours aux humbles et continuelles prières, et rechercher avec un ardent désir l'honneur de Dieu et le salut des âmes, dans cette barque de la Croix. C'est pour cela que Dieu permet aux démons, à la chair et au monde, de nous persécuter et de nous couvrir de leurs flots tumultueux. Mais si l'âme qui est sur cette barque ne se tient pas sur le bord, mais se place au centre, dans l’abîme de l'ardent amour de Jésus crucifié, elle n'en recevra aucun mal: elle en deviendra, au contraire, plus forte, plus courageuse à supporter les peines, les fatigues [879] et les injustes reproches du monde, parce qu'elle aura éprouvé et goûté le secours de la Providence divine. Dépouillez-vous donc de l'amour-propre, et revêtez-vous de la doctrine de Jésus crucifié. Je vous en conjure, je veux que vous entriez dans cette barque de la très sainte Croix, et que vous traversiez cette mer orageuse à la lumière d'une foi vive, avec la pierre précieuse d'une vraie et sainte justice envers vous-même et envers vos supérieurs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









CXLI (95). - AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Il faut travailler avec zèle, patience et charité au salut des âmes.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures par amour pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Soyez un vrai pasteur, et gouvernez avec sollicitude les brebis qui vous sont, ou qui vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, il vous en serait demandé compte. Oui, voici le moment de montrer qui a faim ou non, et qui a pitié des morts [880] que nous voyons privés de la vie de la grâce. Travaillez donc avec courage, avec une vraie connaissance et avec d'humbles et continuelles prières, jusqu’à la mort. Sachez que c'est la voie qu'il faut suivre, si vous voulez connaître et être l'époux de l'éternelle Vérité; il n'y en a pas d'autre.

2. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles avec un saint désir, en disant: Soyez les bienvenues; dites encore: Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom ! En agissant ainsi, l'amertume sera votre douceur et votre consolation vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les pauvres brebis qui sont en la puissance du démon. Alors les soupirs seront votre nourriture, et les larmes votre breuvage. N'employez pas autrement votre vie; réjouissez-vous, reposez-vous sur la Croix avec Jésus crucifié; et, en le faisant, vous serez le doux fils de Marie et l'époux de l'éternelle Vérité. Je ne vous en dis pas davantage. Donnez votre vie pour Jésus crucifié; anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié ; prenez la nourriture des âmes sur le bois de la Croix, avec Jésus crucifié; noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [881].

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CXLII (96).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l’Ordre des Frères Prêcheurs . - Du bonheur de souffrir et de mourir pour l’Eglise.

(Cette lettre est écrite de Florence, après l'émeute du 22 juin 1378, dans laquelle sainte Catherine faillit périr. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très Cher Père dans le Christ,le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le serviteur et l'époux fidèle de la Vérité et de la douce Marie. Oui, ne tournons jamais la tête en arrière, malgré les obstacles et les persécutions du monde; mais ayons une ferme espérance à la lumière de la très sainte Foi, pour traverser avec courage et persévérance cette mer orageuse. Glorifions-nous dans les souffrances, sans cherche? notre gloire, mais la gloire de Dieu et le salut des âmes, comme le faisaient les glorieux martyrs qui, pour la vérité, étaient prêts à souffrir les tourments et la mort. Aussi c'est avec le sang répandu par amour du Sang qu'ils ont fondé les murailles de la sainte Église. O doux Sang! qui ressuscites les morts; Ô Sang ! tu donnes la vie, tu dissipes les ténèbres dans les esprits aveuglés des créatures raisonnables, et tu leur donnes la lumière; doux Sang, tu rapproches ceux qui sont séparés; tu [882] revêts ceux qui sont nus, tu rassasies les affamés, et tu désaltères ceux qui ont soif du Sang, et avec le lait de ta douceur tu nourris les petits, ceux qui sont petits par une humilité sincère, et innocents par une vraie pureté. O Sang qui ne s'enivre pas de toi? Ce sont ceux qui s'aiment eux-mêmes, parce qu'ils ne sentent pas ton parfum.

2. Oui, mon cher et doux Père, dépouillons-nous de nous-mêmes et revêtons-nous de la vérité : nous serons alors des époux fidèles. Je vous annonce qu'aujourd'hui je veux commencer une vie nouvelle, pour que mes péchés ne me privent pas encore du bonheur de mourir pour Jésus crucifié; car je vois bien que c'est ma faute si jusqu'à présent j'en ai été privée. Mon désir s'était grandement augmenté, et je brûlais de souffrir, sans l'avoir mérité, pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, pour la réformation et le bien de la sainte Eglise. Mon cœur se fendait d'amour et de désir de sacrifier ma vie; ce désir m'était doux et pénible: doux, parce que j'étais unie à la Vérité; pénible, parce que mon cœur souffrait do voir l'offense de Dieu et cette multitude de démons qui obscurcissaient toute la cité, et aveuglaient les intelligences; il semblait que Dieu les laissait faire par justice et par vengeance. Aussi, je me consumais en gémissements, je redoutais le malheur qui était près d'arriver, et qui pouvait empêcher de conclure la paix. Mais Dieu, qui ne méprise pas le désir de ses serviteurs, nous protégea, ainsi que la douce Marie, notre Mère, dont le nom avait été invoqué avec les larmes et les angoisses du désir; et dans cette émeute et ce bouleversement, il n'y eut pour ainsi [883] dire d'autre mal que la mort de ceux que frappa la justice.

3. Ainsi fut satisfait le désir que j'avais de voir la providence de Dieu ôter la puissance aux démons, et les empêcher de faire tout le mal. qu'ils voulaient faire. Mais le désir que j'avais de donner ma vie pour la Vérité et pour la douce Épouse du Christ ne fut pas exaucé. L'éternel Époux de mon âme m'a bien trompée, comme vous le racontera de vive voix Christophe. Aussi je pleure, parce que la multitude de mes péchés est si grande, - que je n'ai pu mériter que mon sang donnât la vie et la lumière a ces pauvres aveugles. Mon sang n'a pas réconcilié le fils avec le père; mon sang n'a pas cimenté la pierre dans le corps mystique de la sainte Église. Il semble que les mains de celui qui voulait frapper étaient liées. Je disais C'est moi, prenez-moi, et laissez ceux qui m'accompagnent; c'était comme des coups de poignard qui leur perçaient le cœur. O mon Père! ressentez en vous une grande joie, car je n'ai jamais goûté de semblables mystères avec tant de consolation. C'était la douceur de la vérité, l'ivresse d'une. conscience libre et pure, c'était le parfum de la douce providence de Dieu; c'était la jouissance des nouveaux martyrs, annoncée, vous le savez, par l'éternelle Vérité. La langue ne pourrait suffire a raconter le bonheur qu'éprouvait mon âme. Je sentais si bien ce que je devais a mon Créateur, que, si j'avais pu livrer mon corps aux flammes, il me semblait que je n’aurais pas assez reconnu les grâces que nous avions reçues, moi, mes fils et mes filles. Je vous dis tout cela, non pas pour que vous vous en affligiez [884], mais pour que vous en ressentiez, au contraire, une douce et sainte joie, et que, vous et moi, nous commencions à nous plaindre de mon imperfection ; car c'est mon péché qui m'a privée d'un si grand bien. Oh! que mon âme eût été heureuse, si j'avais donné mon sang pour la douce Épouse, pour l'amour du Sang et pour le salut des âmes. Oui, réjouissons-nous, et soyons des époux fidèles.

4. Je ne veux pas vous en dire davantage sur ce sujet; Christophe vous en parlera et vous entretiendra d'autres choses. Je veux seulement vous dire de prier le Christ de la terre de ne pas retarder la paix a cause de ce qui est arrivé; qu'il la fasse, au contraire, avec bien plus d'empressement, afin qu'il puisse s'occuper des grands desseins qu'il a pour l'honneur de Dieu et la réformation de la sainte Église;. car cet événement n'a rien changé, et maintenant la ville est parfaitement tranquille. Priez-le de se hâter, je le demande au nom de la Miséricorde, car c'est le moyen d'arrêter les offenses sans nombre qui se commettent contre Dieu. Dites-lui qu'il ait pitié et compassion de ces âmes qui sont dans les ténèbres; dites-lui qu'il me tire promptement de prison; car, si la paix ne se fait pas, il me semble impossible de m'éloigner, et je voudrais pourtant aller goûter le sang des martyrs, visiter Sa Sainteté, et me retrouver avec vous pour vous raconter les admirables choses que Dieu a faites dans ces derniers temps pour réjouir notre esprit, pour enivrer notre cœur, et augmenter notre espérance a la lumière de la très sainte Foi. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de. Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CXLIII (97).- AU FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Conversion et supplice de Nicolas Tuldo, de Pérouse.

(Nicolas Tuldo était un jeune noble de Pérouse qui fut condamné à mort pour avoir mal parlé des magistrats de Sienne. La rigueur excessive de cette sentence l'avait tellement exaspéré, qu'il repoussait tous les secours de la religion, lorsque sainte Catherine vint le visiter. Son supplice. est représenté à fresque, par le Sodoma, dans la chapelle de notre sainte, à Saint-Dominique de Sienne.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon bien-aimé Père et très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris pour me recommander à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir embrasé, anéanti dans ce très doux sang, qui est enflammé du feu de la plus ardente charité. Oui, c'est le désir de mort âme de vous voir dans ce sang, vous, Nanni et mon fils Jacomo car je ne vois pas d'autre moyen de parvenir aux vertus principales qui nous sont nécessaires. Très doux Père votre âme est devenue pour moi une nourriture, et, à chaque instant, je prends cette nourriture à la table du doux Agneau immolé avec tant d'amour. Vous ne parviendrez jamais à cette bonne petite vertu de la véritable humilité, si vous n'êtes anéanti dans le Sang, et cette vertu naîtra de la haine, et la haine de l'amour. Je veux [886] donc que vous vous sachiez dans le côté entr'ouvert du Fils de Dieu; c'est une demeure toute remplie de parfum ; le péché même y prend une agréable odeur; là l'épouse bien-aimée se repose sur un lit de feu et de sang; là se voit et se manifeste le secret du cœur du Fils de Dieu.

2. O Cœur ! O vase qui déborde pour enivrer et désaltérer tons les désirs de l'amour ! Vous donnez la joie, vous éclairez l'entendement, vous remplissez la mémoire, vous la captivez tellement, qu'il est impossible de retenir, de comprendre, d'aimer autre chose que ce doux et bon Jésus. O Sang ! Ô feu ! ineffable amour ! que mon âme serait heureuse de vous y voir anéanti ! Je veux que vous fassiez comme celui qui puise de l'eau avec un vase pour la verser sur d'autres choses. Oui, versez l'eau d'un saint désir sur la tête de vos frères, qui Sont nos membres unis au corps de la douce Epouse, et prenez garde aux illusions du démon, qui, je le sais, veut et voudra vous arrêter. Qu'aucune créature ne vous fasse reculer; mais persévérez toujours dans ce que vous verrez le meilleur, jusqu’à ce que nous voyions couler le sang avec de doux et amoureux désirs. Courage donc, mon doux Père; ne dormons plus. Je sais bien que maintenant je ne veux plus me reposer et m'arrêter. J'ai déjà reçu. une tête dans mes mains, et j'en ai ressenti une douceur que le cœur ne peut comprendre, la bouche raconter, l'oeil voir, et l'oreille entendre Dieu a bien surpassé les autres mystères qui ont précédé, et que je ne vous dis pas parce que ce serait trop long.

3. Je suis allée. visiter celui que vous savez, et il en [887] reçut tant de force et de consolation, qu'il se confessa et se trouva dans les meilleures dispositions. Il me fit promettre, pour l'amour de Dieu que, quand viendrait le jour de la justice, je serais avec lui; et, ce que j'ai promis, je l'ai fait. Le matin, avant le premier coup de la cloche, j'allai le trouver, et il fut grandement console. Je le menai entendre la messe, et il reçut la sainte Communion, dont il s'était toujours éloigné. Sa volonté était unie et soumise à la volonté de Dieu. Il lui restait seulement la crainte d'être faible au moment suprême; mais l'infinie bonté de Dieu le trompa, en l’enflammant d'un tel amour et d'un tel désir, qu'il ne pouvait se rassasier de sa présence. il disait : Reste avec moi, ne m’abandonne pas, et je serai toujours bien, je mourrai content. Et il appuyait sa tête sur ma poitrine. Alors je sentis une joie et un parfum de son sang, qui était comme mêlé avec le mien, que je désire répandre pour le doux Epoux Jésus. Ce désir augmentait dans mon âme, et quand je sentais sa crainte, je disais: Courage, mon doux Frère, car bientôt nous serons au noces éternelles; tu iras, baigné dans le doux sang du Fils de Dieu, avec le doux nom de Jésus, qui ne doit jamais sortir de ta mémoire, et je t'attendrai au lieu de la justice.

4. 0 mon Père et mon Fils ! son cœur perdit alors toute crainte; la tristesse de son visage se changea en joie, et, dans son allégresse, il disait : " D'où me vient une si grande grâce? Quoi! la douceur de mon âme m'attendra au lieu saint de la justice! " Voyez quelle lumière il avait reçue, puisqu'il appelait saint le lieu de la justice. Et il ajoutait: " Oui, j'irai fort et joyeux [888] et il me semble que j'ai encore mille années a attendre, lorsque je pense que vous y serez. " Et il disait des paroles si douces, que j'admirais la bonté de Dieu. Je l'attendis donc au lieu de la justice, et je l'attendis en priant et en invoquant sans cesse l'assistance de Marie et de Catherine, vierge et martyre. Avant son arrivée je me baissai et je plaçai mon cou sur le billot, mais je n'obtins pas ce que je désirais. Je priais et j’invoquais Marie avec ardeur, et je lui disais que je voulais, au moment suprême, pour lui la lumière et la paix du cœur, et pour moi la grâce de le voir retourner à sa fin dernière. Mon âme alors était tellement enivrés de la douce promesse qui m'était faite, que je n'apercevais plus personne au milieu de toute cette multitude.

5. Il arriva enfin, comme un agneau paisible, et en me voyant il se mit à sourire. Il voulut que je lui fisse le signe de la Croix, et quand il l'eut reçu, je lui dis tout bas : Mon doux frère, allez aux noces éternelles jouir de la vie qui ne finit jamais. Il s'étendit avec une grande douceur, et je lui découvris le cou. J'étais baissée vers lui, et je lui rappelais le sang de l'Agneau. Sa bouche ne disait autre chose que Jésus, Catherine, et, en disant ces mots, je reçus sa tête dans mes mains.

6. Alors je fixai mon regard sur la Bonté divine, et je dis Je veux. Aussitôt je vis, comme on voit la clarté du soleil, Celui qui est Dieu et homme; il était présent, et il recevait le sang. Dans ce sang était un feu du saint désir, que la grâce avait caché dans son âme, et ce feu était absorbé par le feu de la charité divine. Dieu recevait ce sang, son désir [889], son âme, qu'il plaça dans l'ouverture de son côté, dans le trésor de sa miséricorde, montrant ainsi cette grande vérité, que c'était par grâce seulement et par miséricorde, qu'il la recevait, et non pour quelque mérite personnel O bonheur ineffable, de voir avec quelle douceur et quel amour la bonté de Dieu attendait cette âme séparée de son corps! Comme il la regardait miséricordieusement, lorsqu'elle entrait dans son côté, toute baignée de ce sang, que rendait précieux le sang du Fils de Dieu! Le Père tout-puissant la recevait et lui transmettait sa puissance; le Fils, la Sagesse, le Verbe incarné, lui donnait, lui communiquait cet ardent amour qui lui fit recevoir une mort ignominieuse par obéissance à son Père, pour l'utilité du genre humain; et l'onction du Saint-Esprit, qui s'emparait de lui, l'inondait d'une joie capable de ravir mille cœurs; et je ne m'en étonne pas, car il goûtait déjà la douceur divine. Il se retourna, comme fait l'épouse quand elle est arrivée à la porte de l’époux; elle regarde en arrière, et incline la tête pour saluer ceux qui l'ont accompagnée, et leur fait un dernier signe de remerciement.

7. Lorsqu'il eut disparu, mon âme se reposa dans une paix délicieuse; et je jouissais tant du parfum de ce sang, que je ne voulais pas souffrir qu'on lavât celui qui avait jailli sur moi. Hélas ! pauvre misérable, je ne veux rien ajouter; je reste sur terre avec un grand regret, et il me semble que la première pierre de ma demeure est déjà posée. Ne vous étonnez donc pas si je ne demande autre chose que de vous voir anéanti dans le sang et dans le feu qui s’échappent du côté du Fils de Dieu. Oui, plus de [890] négligence, mes Fils bien-aimés, car c'est le Sang qui donne et contient la vie. Doux Jésus, Jésus amour.

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CXLIV (95). - A FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre des Frères-Prêcheurs. - Du zèle pour la Parole de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir un vase de dilection, portant avec feu et répandant avec ardeur la vérité, semant la semence de la parole divine dans toute créature, et surtout maintenant, auprès de notre doux Christ de la terre. Courage donc, mon Père et mes Fils bien-aimés; allez, comme les pauvres Apôtres, portant avec vous la richesse de la foi et de l'espérance, la force et les liens de la charité. Rappelez-vous cette parole de la douce Vérité suprême: Tu enverras tes fils comme des agneaux au milieu des loups. Qu'ils aillent en assurance, parce que je serai, avec eux; et si le secours des hommes leur manque, le secours de Dieu ne leur manquera jamais. O mon Père et mes enfants! qui voudrait un autre secours et une autre consolation ? Qui tombera dans la crainte? Celui qui n'a pas confiance, mais non celui qui meurt de la faim de l'honneur de Dieu [891] et du salut des âmes. Celui-là sera consumé dans le feu de la divine charité, baigné, anéanti, consumé dans le sang de l'Agneau immolé. Hélas! hélas! que mon âme est malheureuse ; je meurs, et je ne puis mourir. Mon cœur se brise, mes os se disjoignent, parce que le moment désiré n'arrive pas. La Vérité première peut bien commencer à produire des fleurs, mais cela ne me suffit pas; car on ne vit pas avec des fleurs, mais avec des fruits. Oui, mon Père et mes enfants, venez à mon secours dans ma misère, car je meurs de faim. Priez la douce Vérité, pour qu'elle ne tarde plus à me donner des fruits. Je ne vous en dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CXLV (99). – A FRERE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre de Saint Dominique, à Pise.- De la lumière de la vérité. - Combien elle est nécessaire.

(Cette lettre est écrite de Rome au B. Raymond, qui se rendait en France, comme ambassadeur, pour la cause d'Urbain VI auprès de Charles V. Il était parti dans les premiers jours de décembre 1378.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1.Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus. moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [892], avec le désir de vous voir éclairé d'une vraie et parfaite lumière, pour que dans la lumière de Dieu vous voyiez la lumière ; car en la voyant, vous connaîtrez la Vérité; en la connaissant, vous l'aimerez, et vous serez ainsi l'époux fidèle de la Vérité. Sans cette lumière, vous marcherez dans les ténèbres, et vous ne serez pas le fidèle, mais l'infidèle époux de la Vérité, parce que cette lumière est le moyen qui rend l’âme fidèle ; elle l'éloigne des erreurs de la sensualité, elle la fait mourir a elle-même, et suivre avec ardeur la doctrine de Jésus crucifié, qui est la Vérité. Elle rend le cœur ferme, stable, invariable, ne se laissant point aller à l'impatience dans les épreuves, ni à une joie déréglée dans la prospérité ou la consolation. Celui qu'elle éclaire est réglé en toute chose, et grave dans toute sa conduite. Tout ce qu'il entreprend est fait avec prudence et avec la lumière d'une grande discrétion; et s'il agit avec prudence, IL parle, et il se tait aussi avec prudence, aimant mieux entendre des choses utiles que de parler sans besoin, parce qu'avec la lumière il a vu dans la lumière que notre Dieu aime peu de paroles et beaucoup d'actions. Sans la lumière, il ne l'aurait pas vu, et il aurait fait le contraire, parlant beaucoup et faisant peu. Son cœur s'en irait comme le vent, s'abandonnant légèrement à la joie avec un amour déréglé, et se laissant aller à une tristesse coupable dans l'affliction.

2. Celui qui est privé de la lumière peut tomber dans toute sorte de fautes, tandis que celui qui a vu la lumière dans la lumière de Dieu, est capable d'arriver à une grande perfection. Il avance avec zèle, et [893] améliore sa vie par la sainte haine de lui-même et par l'amour de la vertu; sans cela, sa vie serait imparfaite et corrompue. C'est en considérant mon cher Père, combien cette lumière est nécessaire, que je vous disais combien je désire vous voir éclairé d’une vraie et parfaite lumière. Oui, mon âme le désire avec la même ardeur qu'elle désire sortir elle-même des ténèbres pour s'unir et se conformer à la lumière. Je vous demande pour l'amour de Jésus crucifié et de Marie, sa douce Mère, de vous appliquer autant que vous le pourrez, à accomplir en vous la volonté de Dieu et le désir de mon âme, qui alors sera bien heureuse.

3. Il n'est plus temps de dormir; il faut secouer le sommeil de la négligence, et dissiper l'aveuglement de l'ignorance pour épouser réellement la Vérité avec l'anneau de la très sainte Foi. Il faut annoncer la vérité, et ne jamais la taire par crainte; il faut au contraire être prêt a donner généreusement sa vie, s'il en est besoin, et s’enivrer du sang de l'humble Agneau sans tache, qu'on puise sur le sein de sa douce Épouse, la sainte Église. Nous la voyons maintenant toute démembrée, mais j'espère que l’éternelle et souveraine bonté de Dieu guérira ses membres de leur infirmité; ils répandront la bonne odeur, et ne seront plus corrompus. Ils seront renouvelés sur les épaules des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment la vérité au milieu des fatigues, des sueurs, des larmes; oui, nous recevrons le soulagement de nos peines par la joie que nous causera le renouvellement de cette douce Epouse. Mais silence, mon âme, ne parle plus. Je ne veux pas, mon très cher [894] Père, me mettre à vous dire ce qu'il serait bien difficile d'écrire ou de raconter; mon silence doit vous montrer ce que je veux dire. Je termine. J'ai un grand désir de vous voir revenir dans ce jardin, afin que vous aidiez à en arracher les épines. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CXLVI (100). - AU FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, de l'Ordre de Saint-Dominique, à Pise. - Elle l’encourage dans les difficultés qu'il rencontre pour accomplir sa mission.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir désormais sortir de l'enfance et devenir homme parfait, renonçant à la douceur du lait pour vous nourrir du pain des forts. Car l'enfant qui se nourrit de lait est incapable de combattre sur le champ de bataille; il n'aime qu'à jouer avec ses semblables. De même l'homme qui reste dans l'amour de lui-même ne se plaît qu'à goûter le lait des consolations spirituelles et temporelles; il se réjouit comme un enfant avec ceux qui lui ressemblent; mais quand il devient homme en quittant la tendresse et l'amour de lui-même, il se [895] nourrit de pain avec la bouche du saint désir, et il le broye avec les dents de la haine et de l'amour; et plus il est dur et épais, plus il l'aime. Oh ! combien s'estime heureuse son âme, lorsqu'il voit ses gencives saigner! Il est devenu fort, et comme fort, il converse avec les forts; il est ferme, grave, réfléchi. I! court avec eux sur le champ de bataille. et son unique plaisir est de combattre pour la vérité; son bonheur est de souffrir, et de se glorifier avec l'ardent saint Paul, au milieu des tribulations nombreuses qu’il supporte pour la Vérité.

2. Ceux qui refusent ainsi le lait font briller en eux les stigmates du Christ, dont ils suivent la douce doctrine. Ceux-là trouvent toujours le calme au milieu de la tempête; ils goûtent une grande douceur dans l'amertume; avec une marchandise vile et petite, ils acquièrent des richesses infinies. Plus ils sont frappés et déchirés par le monde, plus ils sont parfaitement unis a Dieu; plus ils sont poursuivis par le mensonge; plus ils se réjouissent dans la vérité. En souffrant la faim, la nudité, les coups, les injures et les outrages, ils s'engraissent davantage de la nourriture immortelle. Ils sont revêtus du feu de la divine charité, et perdent la nudité de l’amour-propre, qui dépouille l'âme de toute vertu, et ils trouvent leur gloire dans la honte et les affronts. Le pain qu'ils mangent est grossier, mais non pas sec; car s'il était sec, les dents ne le broieraient qu'avec beaucoup de peine et avec peu de profit; c'est pour cela qu'ils le trempent dans le sang de Jésus crucifié, dans la fontaine de son côté sacré. Tout enivrés d'amour, ils courent mettre le pain aigri des tribulations dans ce [896] précieux sang. Ils ne cherchent autre chose que les moyens de rendre gloire et honneur au nom de Dieu, et parce qu'ils voient que c'est au milieu des épreuves que se montre mieux la vertu et que l'âme glorifie Dieu davantage, ils les embrassent avec ardeur, et ils aiment mieux s'unir à Jésus crucifié par la peine que par la jouissance.

3. Ainsi donc, mon doux et bien-aimé Père, quittons, en nous repentant, le sommeil de la négligence, et soyez reconnaissant des grâces et des bienfaits anciens et nouveaux que vous avez reçus de Dieu et de la douce Vierge Marie (Le B. Raymond avait une grande dévotion à la sainte Vierge. Il composa en son honneur un traité sur le Magnificat.); car c'est par son moyen, j'en suis persuadée, que vous avez reçu cette grâce nouvelle. Dieu a voulu par ce bienfait vous faire connaître l'ardeur de sa charité, à laquelle vous devez, à la lumière de la très sainte Foi, vous abandonner plus largement, plus généreusement pour son honneur et pour l'exaltation de la sainte Eglise et du vrai Vicaire de Jésus-Christ, le Pape Urbain VI. Dilatez-vous dans l’espérance, vous confiant dans la Providence et dans le secours de Dieu, sans aucune crainte servile, et non pas dans l'homme ou dans vos moyens. Il a voulu aussi que vous connaissiez votre imperfection, vous montrant que vous êtes encore un enfant à la mamelle, et non pas un homme qui se nourrit de pain; s'il avait vu que vous aviez des dents pour en manger, il vous on aurait donné comme à vos autres compagnons (Le compagnon du B. Raymond avait été fait prisonnier ; lui seul avait pu échapper aux embûches des partisans de l’antipape Clément VII.). Vous n'étiez pas [897]encore digne de combattre sur le champ de bataille; vous avez été mis par derrière comme un enfant; vous avez fui volontiers, et vous vous êtes réjoui de la grâce que Dieu accordait à votre faiblesse.

4. O mon pauvre Père! quel bonheur pour votre et pour la mienne, si avec votre sang vous aviez consolidé une pierre de la sainte Eglise par amour du Sang! Nous avons vraiment bien sujet de gémir en voyant que notre peu de vertu nous a privés d'un si grand bien; Ah! perdons nos dents de lait, et tâchons d'avoir les bonnes dents de la haine et de l'amour. Prenons la cuirasse de la charité et le bouclier de la très sainte Foi, et courons comme des hommes faits sur le champ de bataille; soyons fermes avec une croix devant et une croix derrière, afin que nous ne puissions pas fuir. En allant ainsi forts et armés, nous ne serons plus éloignés du combat. Afin que Dieu nous fasse cette grâce, à vous, à moi et aux autres, commençons aujourd'hui à lui offrir nos larmes avec un ardent désir, pour le remercier des bienfaits qu'il vient de nous accorder, et pour pleurer notre Imperfection qui nous a privés d'un si grand bonheur. Plongez-vous dans le sang de Jésus crucifié; baignez-vous dans ce sang, rassasiez-vous de ce sang, enivrez-vous de ce sang, revêtez-vous de ce sang, gémissez sur vous dans ce sang, réjouissez-vous dans ce sang, croissez et fortifiez-vous dans ce sang. Perdez votre faiblesse et votre aveuglement dans le sang de l'Agneau sans tache; et courez au grand jour [898] comme un vaillant chevalier pour chercher l'honneur de Dieu, le bien de la sainte Église et le salut des âmes dans le Sang. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CXLVII (101). - A FRÈRE RAYMOND DE CAPOUE, des Frères Prêcheurs, à Gênes.- Il faut se consacrer au service de Dieu et de l’Église avec zèle et sans aucune crainte humaine.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière nous montre la voie de la vérité; et sans cette lumière, aucun exercice, aucun désir, aucune œuvre ne porterait du fruit et n'atteindrait le but que nous nous sommes proposé tout ce que nous ferions serait imparfait, et nous n'avancerions pas dans la charité de Dieu et de prochain. La raison est, il me semble, que l'amour est la mesure de la foi, et la foi la mesure de l'amour. Celui qui aime est toujours fidèle à celui qu'il aime, et il le sert fidèlement jusqu'à la mort. C'est ce qui me fait voir que je n'aime pas véritablement Dieu et les créatures pour Dieu; car, si je l'aimais véritablement, [899] je lui serais si fidèle, que je mourrais mille fois par jour, s'il le fallait et si je le pouvais, pour la gloire et l'honneur de son nom; je ne manquerais jamais de foi, et je m'appliquerais à souffrir pour l'amour de Dieu, de la vertu et de la sainte Eglise. Je croirais que Dieu serait mon secours et mon défenseur, comme il l'était des glorieux martyrs qui allaient avec joie au supplice. Si j'étais fidèle, je serais persuadé que Dieu est pour moi ce qu'il a été pour eux, que sa puissance n'est pas affaiblie, et qu'il peut, qu'il sait, qu'il veut pourvoir à toutes mes nécessités. Mais, parce que je ne l’aime pas, je ne me confie pas véritablement en lui; la crainte sensuelle qui est en moi me montre que mon amour est tiède, que la lumière de la foi est obscurcie par les infidélités contre mon Créateur et par ma présomption. Je le confesse et je ne le nie pas, cette racine n'est pas encore arrachée de mon âme, et c'est ce qui arrête les œuvres que Dieu veut me confier, et qui les empêche d'atteindre le but utile et glorieux pour lequel Dieu les avait fait commencer.

2. Hélas hélas! Seigneur, malheur à moi, misérable! Serai-je donc ainsi toujours, en tout lieu, en toute occasion? Fermerai-je ainsi toujours, par mon infidélité, le chemin à votre providence? Oui; certainement, si, dans votre miséricorde, vous ne me détruisez et vous ne me refaites de nouveau. Eh bien, Seigneur, détruisez-moi, brisez la dureté de mon cœur, pour que je ne sois plus un obstacle à vos œuvres. Et vous, mon très cher Père, je vous conjure de prier avec instance, pour que vous et moi, nous nous anéantissions dans le sang de l’humble [900] Agneau, qui nous rendra forts et fidèles; nous sentirons le feu de la divine charité, nous ferons le bien avec sa grâce, au lieu de tout ruiner et de tout gâter. Nous montrerons ainsi que nous sommes fidèles à Dieu, que nous nous confions en son secours, et non pas en notre savoir et en celui des hommes.

3. Avec cette même foi nous aimerons la créature, parce que, comme la charité du prochain procède de la charité de Dieu, la foi commune et particulière procède de l'amour que nous devons avoir pour toutes les créatures. Il y a une foi générale et une foi pour ceux qui s'aiment plus intimement, comme il y a, outre l'amour général, un amour particulier entre nous; et cet amour prouve la foi; il la montre tellement, qu'il est impossible à l'un de croire et de comprendre que l'autre ne désire pas uniquement son bien, et ne le cherche avec zèle et persévérance auprès de Dieu et des créatures, voulant toujours en lui la gloire du nom de Dieu et l'utilité de son âme, sollicitant toujours le secours divin pour que, si le fardeau augmente, sa force et son courage augmentent aussi. Celui qui aime a cette foi, et rien ne peut jamais la diminuer, ni la parole des créatures, ni les illusions du démon, ni les changements de lieu; et celui qui agit autrement montre qu'il n'a pour Dieu et pour le prochain qu'un amour imparfait.

4. Il me semble, d'après ce que j'ai appris par votre lettre, que vous avez souffert bien des combats intérieurs par l'artifice du démon et par votre passion sensitive; il vous a semblé que le fardeau était au-dessus de vos forces, et que je vous avais trop jugé à ma mesure. Vous avez pensé aussi que mon affection [901] pour vous était diminuée; mais vous vous trompiez, et vous avez montré que la charité avait augmenté en moi, tandis qu'elle était diminuée en vous; car j'ai pour vous le même amour que j'ai pour moi-même, et j'espérais d'une foi vive que la bonté de Dieu suppléerait à ce qui manquait de votre part. Mais il n'en a pas été ainsi, car vous avez su trouver le moyen de jeter par terre le fardeau qui vous gênait, pour retomber dans la faiblesse et l'infidélité. Je m'en suis très bien aperçue, et il serait à désirer que j'aie été seule à le remarquer. Ainsi, je vous ai montré que mon amour pour vous augmente, au lieu de diminuer. Mais comment expliquer que votre ignorance ait pu donner lieu à la moindre de ces peines? Comment avez-vous jamais pu croire que je voulais autre chose que la vie de votre âme? Où est la foi que vous aviez toujours, et que vous devez avoir? Qu'est devenue cette assurance où vous étiez que tout ce qui arrive a été vu et décidé en la présence de Dieu, non seulement dans les grands événements mais dans les plus petites circonstances?

5. Si vous aviez été fidèle, vous n'auriez pas été vacillant et craintif avec Dieu et avec moi; mais, comme un fils obéissant et plein de zèle, vous auriez avancé, et vous auriez fait ce que vous pouviez faire; et, si vous n'aviez pas pu marcher droit, vous auriez marché avec les pieds et les mains; si vous n'aviez pas pu voyager comme un religieux, vous auriez voyagé comme un pèlerin; si vous n'aviez pas eu d'argent, vous auriez demandé l'aumône. Cette obéissance fidèle aurait plus avancé les choses en la [902] présence de Dieu et dans le cœur des hommes que toute la prudence et toutes les précautions humaines. Ce sont mes péchés qui m'ont empêchée de la voir en vous. Je sais bien cependant que s'il y a eu de la faiblesse, vous avez toujours ou un saint et bon désir de mieux accomplir la volonté de Dieu et celle du Pape Urbain VI, le Christ de la terre. Je n'aurais pas voulu que vous fussiez arrêté, mais que vous eussiez poursuivi votre ennemi de la manière et par la voie qui vous étaient indiquées. Moi, j'étais, jour et nuit, occupée de Dieu et de beaucoup d'autres affaires qui n'ont pas réussi par le peu de zèle de ceux qui devaient les faire, mais surtout par mes iniquités, qui empêchent tout bien. Hélas! aussi nous voyons avec angoisse croître et nous inonder les offenses contre Dieu, et je vis dans la douleur,demandant à la Miséricorde divine de retirer au plus tôt de cette vie ténébreuse.

6. Nous voyons que dans le royaume de Naples (La reine Jeanne de Naples avait fait à Urbain VI des promesses qu'elle ne tint pas, et le schisme désola son royaume. Voir la lettre XXXVIII.) cette dernière ruine est pire que la première, et tant de maux se préparent, (lue Dieu y portera remède; car sa bonté, à côté du mal, nous montre le remède que nous devons prendre; mais, comme je l'ai dit, l'abondance de mes fautes est un obstacle au bien. J'aurai à ce sujet beaucoup de choses à vous dire, si avant de vous revoir, je ne recevais pas la grâce précieuse de quitter la terre. Oui, je vous dis que j'aurais voulu pour tout au monde que vous eussiez continué votre route. Je ne m'en trouble pas cependant [903], parce que je suis persuadée que rien n arrive sans un dessein secret de Dieu. Ma conscience est en paix, car j'ai fait tout ce que je pouvais faire pour qu'on envoyât quelqu'un au roi de France. Que la clémence du Saint-Esprit fasse ce que nous n'avons pas fait, nous ses mauvais ouvriers. Quant à l'ambassade au roi de Hongrie (Louis, roi de Hongrie, auquel est adressée la lettre XLII.), elle était très goûtée par le Saint-Père, et il avait décidé que vous et vos autres compagnons en seriez chargés. Je ne sais ce qui l'a fait changer, et il veut que vous restiez où vous êtes, et que vous fassiez tout le bien possible. Je vous prie d'être sans inquiétude.

7. Abandonnez-vous vous-même, et renoncez à votre propre sens et à la consolation. Poussons des gémissements sur ces morts, et que les liens du saint désir et de l'humble prière enchaînent les mains de la Justice divine, le démon et la concupiscence. Nous nous sommes offerts comme des morts dans le jardin de la sainte Eglise et au Christ de la terre, qui est le patron de ce jardin : agissons donc comme des morts. Un mort ne voit pas, n'entend pas, ne sent pas. Efforcez-vous de vous tuer avec le glaive de la haine et de l'amour, et alors vous n'entendrez pas les injures, les outrages, les reproches du monde, que les persécuteurs de la sainte Église veulent vous adresser. Vos yeux ne verront pas les choses qui semblent impossibles, ni les peines qui pourraient en résulter; mais ils verront à la lumière de la Foi, que, par Jésus crucifié, toute chose est possible, et que Dieu ne nous impose jamais un fardeau au-dessus [904] de nos forces. Nous devons nous réjouir quand nous recevons de grands fardeaux, parce qu'alors Dieu nous donnera le don de forcé. C'est avec l'amour de la souffrance que se perd le sentiment de la douleur. Ainsi, nous serons morts, et nous vivrons comme des morts dans ce jardin. Oh ! si je voyais cela, que mon âme serait heureuse!

8. Je vous le dis, mon doux Père, que nous le voulions ou non, le temps actuel nous invite à mourir; ne soyez donc plus vivant, détruisez la peine par la peine, et augmentez en vous le saint désir de souffrir, car notre vie se passe dans les angoisses du désir. Donnons volontairement notre corps en pâture aux bêtes, c'est-à-dire livrons-nous volontairement, par amour de la vertu, aux langues et aux mains des méchants, comme l'ont fait ceux qui, morts à eux-mêmes, ont travaillé dans ce doux jardin, et l’ont engraissé de leur Sang, après l'avoir arrosé d'abord de leurs sueurs et de leurs larmes Et nous, que notre vie est douloureuse! car nous ne l'avons pas arrosé de nos pleurs, et nous n'avons pas été jugés dignes d'y verser notre sang. Je ne veux plus qu'il en soit ainsi ; il faut renouveler notre vie et augmenter l'ardeur de nos désirs.

9. Vous me demandez de prier la Bonté divine qu'elle vous donne l'ardeur de saint Vincent, de saint Laurent, du doux saint Paul et du Disciple bien-aimé, et vous me dites qu'alors vous ferez de grandes choses, et que je m'en réjouirai; j'en bénis la Vérité, car sans cette ardeur, vous ne ferez rien, ni petite ni grande chose, et vous ne serez pas ma joie. C'est parce que je le pense et que j'en ai eu la [905] preuve, que j'ai senti croître mon désir et ma sollicitude en la douce présence de Dieu, et si vous aviez été près de moi, je vous aurais montré qu'il en est ainsi, et je vous aurais donné autre chose que des paroles. Je me réjouis, et je yeux que vous vous réjouissiez parce que ce désir s'est augmenté. Dieu voudra l'accomplir en vous et en moi, parce qu'il exauce les vrais et saints désirs, pourvu que vous ouvriez l'oeil de l'intelligence à la lumière de la sainte Foi, afin de connaître véritablement la volonté de Dieu; en la connaissant vous ramerez, en l'aimant vous serez fidèle, et votre cœur ne sera obscurci par aucun artifice du démon.

10. En étant fidèle, vous ferez de grandes choses pour Dieu, et vous mènerez à fin les affaires qu'il vous confiera; et ce ne sera pas votre faute si elles ne réussissent pas parfaitement. Avec cette lumière, vous serez prudent, modeste, grave dans vos paroles, vos relations, et dans toutes vos actions et votre conduite ; mais, sans cette lumière, vous serez tout le contraire, et rien ne vous réussira. C'est parce que je sais qu'il en est ainsi que j'ai désiré voir en vous la lumière de la très sainte Foi, et que je veux que vous l'ayez. Je le veux, car j'aime votre âme plus que vous ne pouvez le comprendre, et je désire avec un désir extrême vous voir arriver à la perfection c'est pourquoi je vous en conjure, et je voudrais bien pouvoir vous y forcer. Je vous fais des reproches pour que vous rentriez continuellement en vous-même; je m'applique et je m'appliquerai à vous faire prendre le fardeau des parfaits pour l'honneur de Dieu, et pour obtenir de sa bonté de vous faire parvenir [906] au terme de la perfection, c'est-à-dire de vous faire répandre votre sang dans la Sainte Église, que la sensualité le veuille ou non, car elle doit obéir. Perdez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et supportez mes défauts et mes paroles avec une bonne patience; et, quand on vous montrera vos défauts, réjouissez-vous, et remerciez la Bonté divine, qui vous a donné quelqu'un qui s'occupe de vous et qui veille pour vous en Sa présence.

11. Vous m'écrivez que l'antéchrist et ses membres cherchent avec ardeur à s'emparer de vous; mais vous ne pouvez douter que Dieu ne soit assez fort pour leur ôter la lumière et le pouvoir nécessaires à l'accomplissement de leur désir; vous devez aussi penser que vous n'êtes pas digne d'un si grand bonheur, et vous devez, par conséquent, être sans crainte. Soyez persuadé que la douce Marie et la Vérité seront toujours pour vous. Je ne suis qu'une vile esclave sur cette terre, où le sang des martyrs a coulé par amour du Sang. Vous m'y avez laissée, et vous avez été avec Dieu; mais je ne casserai jamais de travailler pour vous. Je vous conjure de ne pas me donner, par votre conduite, sujet de gémir et de rougir de vous en présence de Dieu. Vous êtes un homme cri me promettant d'agir et de souffrir pour l'honneur de Dieu ; mais ne soyez pas une femme lorsqu'il faudra réaliser vos promesses, et que je puisse me recommander de vous à Jésus crucifié et à Marie. Prenez garde qu'il vous arrive ce qui est arrivé à l'abbé de Saint-Antime par crainte, ou sous prétexte de ne pas tenter Dieu, il a quitté Sienne, et il est venu à Reine, croyant fuir la prison [907] et être en sûreté; il a été mis en prison; et il a souffert ce que vous savez. Ainsi sont trompés les cœurs pusillanimes. Soyez donc courageux, et affrontez la mort. Je vous prie de me pardonner, si je vous ai dit quelque chose contraire à l'honneur de Dieu et au respect que je vous dois; l’amour sera mon excuse. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour. [908]

 Table des Matières









CXLVIII (102).-A MAITRE RAYMOND DE CAPOUE, de l’Ordre des Frères Prêcheurs.- De la constance au milieu des tribulations. - Elle lui raconte ses combats, et lui fait ses dernières recommandations.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne nouvellement dressée dans le jardin de la sainte Église. Soyez l'époux fidèle de la Vérité, comme vous devez l'être, et alors j'estimerai bienheureuse mon âme. Oui, je ne veux pas que vous détourniez la tête pour aucune adversité, aucune persécution; mais je veux que vous vous glorifiez dans l'adversité, parce que c'est en souffrant que nous montrons notre amour et notre constance; nous n'avons que ce moyen de rendre gloire à Dieu. C'est maintenant, très cher Père, qu'il faut se perdre entièrement et [909] ne plus penser à soi, comme le faisaient les glorieux ouvriers qui étaient prêts à sacrifier leur vie avec tant d'amour et de désir, et qui arrosaient le jardin de leur sang, offrant sans cesse à Dieu leurs humbles prières et leurs souffrances jusqu'à la mort. Prenez garde que je ne vous voie timide et craignant votre ombre; mais combattez généreusement, et ne secouez jamais le joug de l'obéissance que vous a imposé le Souverain Pontife. Faites aussi dans l'Ordre ce que vous verrez être à l'honneur de Dieu, car c'est ce que demande de vous sa bonté; il ne vous a pas placé là pour autre chose. Considérez dans quelles nécessités nous voyons la sainte Eglise: la voilà seule, abandonnée, comme je vous l'ai écrit dans une autre lettre; et quand l'épouse est abandonnée, l'époux l'est aussi.

2. O mon très doux Père, je ne vous cacherai pas les grands mystères de Dieu, mais je vous les raconterai le plus brièvement que je pourrai, et autant que la faiblesse de ma langue le permettra. Je vous dirai aussi ce que je veux que vous fassiez ; mais ne vous affligez pas de ce que je vous dirai, car je ne sais ce que la Bonté divine fera de moi, si je resterai ou si elle m'appellera. Mon Père, mon Père, mon Fils bien-aimé, Dieu a fait de si grandes choses depuis le jour de la Circoncision jusqu'ici, qu'il me serait impossible de vous les faire connaître. Mais laissons cette époque, et venons au dimanche de la sexagésime, jour auquel arrivèrent les choses que je vous écris en peu de mots (Le dimanche de la Sexagésime était le 29 janvier, en 1380.) Je ne comprends [912] pas qu'on puisse jamais résister à un pareil accident. La douleur de cœur était si grande, que mon vêtement était déchiré. Je succombais, et je m'agitais dans la chapelle comme une personne en convulsion; et celui qui aurait voulu me retenir m'aurait ôte la vie. Le lundi soir, j'étais pressée d'écrire au Christ de la terre et à trois cardinaux; je me fis aider, et j'allai dans ma cellule; mais quand j'eus écrit au Christ de la terre (Cette lettre est la XXIIe). Il me fut impossible d'écrire davantage, tant étaient grandes les douleurs de mon corps. Peu de temps après commencèrent les attaques terribles des démons qui me bouleversaient; ils étaient furieux contre moi, comme si moi, qui ne suis qu'un ver de terre, je leur avais arraché des mains ce qu'ils avaient possédé pendant longtemps dans la sainte Eglise (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch.2). Et la terreur qui se joignait à mes souffrances corporelles était si grande, que je voulais fuir de la cellule et aller à la chapelle, comme. Si la cellule était cause de mes peines.

3. Je me levai donc, et, ne pouvant marcher, je m'appuyais sur mon fils Barduccio; mais aussitôt je fus renversée, et quand je fus par terre, il me sembla que mon âme avait quitté mon corps, non pas comme lorsqu'elle le quitta en effet, et que je goûtais le bonheur des bienheureux en jouissant avec eux du souverain Bien; mais alors il me semblait que j'étais une chose distincte et séparée; mon corps ne paraissait pas être à moi, mais à un autre, et mon âme, en voyant la souffrance de celui qui était avec moi [913], voulait savoir si je pouvais me servir du corps pour lui dire . Mon fils, ne crains rien. Mais je vis que la langue et les autres membres étaient incapables d'agir, comme ai le corps eût été privé de vie. Je laissai donc le corps où il était, et l'intelligence se fixa dans l’abîme de la Trinité. La mémoire était pleine du souvenir des besoins de la sainte Église et de tout le peuple chrétien; je criais en la présence de Dieu, et je demandais avec confiance son secours, lui offrant des désirs, et lui faisant violence par le sang de l'Agneau et par les peines qu'il avait endurées. Je demandais avec tant d'instance, qu'il me semblait certain qu'il ne rejetterait pas ma demande; je le priais ensuite pour tous, le conjurant d'accomplir en vous sa volonté et mes désirs. Puis je le suppliais de me délivrer de la damnation éternelle; et je restai ainsi tant de temps que toute la communauté me pleurait comme morte.

4. Cependant la terreur des démons s'était dissipée, et l'humble Agneau vint s'offrir à mon âme en disant: " Sois persuadée que je satisferai tes désirs et ceux de mes autres serviteurs; je veux que tu voies que je suis un bon maître. J'agis comme le potier qui défait, refait ses vases à son bon plaisir; je défais et refais mes vases. C'est pourquoi j'ai pris le vase de ton corps, et je le refais dans le jardin de la sainte Eglise; il sera autre que par le passé. " Et la Vérité me pressait par des grâces et des paroles que je ne dis pas. Mon corps commença un peu à respirer, et à montrer que l’âme était revenue dans son vase. J'étais alors remplie d'admiration, et il me resta une si grande douleur au cœur que je la ressens encore [914]. Je perdis alors toute joie, toute consolation, toute force; et lorsqu'on me porta dans la chambre qui est au-dessus, elle me parut pleine de démons qui commencèrent à me livrer un combat, le plus terrible que j'ai jamais éprouvé, puisqu'ils voulaient me faire croire que ce n'était pas moi qui étais dans mon corps, mais que c'était un esprit immonde. J'invoquais alors le secours divin avec une tendresse extrême; je ne refusais pas la fatigue, mais je disais: " Mon Dieu, venez à mon secours; Seigneur, hâtez vous de me secourir. Vous avez permis que je sois seule dans ce combat sans l'assistance du Père de mon âme, et j'en suis privée par mon ingratitude. "

5. Deux nuits et deux jours se passèrent dans ces tempêtes, mais mon esprit et mon désir ne changeaient pas; mon âme était toujours unie à son objet, mais mon corps semblait réduit à rien. Le jour de la Purification, je voulus entendre la messe, et alors tous les mystères furent renouvelés en moi. Dieu me montrait le grand danger qui menaçait, comme on le vit ensuite; car Rome était prête à se révolter, et on n'entendait que des injures et des outrages; mais Dieu a bien voulu adoucir les cœurs, et je crois que tout se terminera bien. Dieu aussi m'ordonna pour tout le temps de la sainte Quarantaine de faire offrir les désirs de toute la communauté, et de faire célébrer la messe devant elle, à la seule intention de la sainte Eglise, Je devais aussi tous les matins, à l'aurore, entendre une messe; vous savez que c’était pour moi une chose impossible, mais en lui obéissant tout est possible. Le désir était si fort, que la mémoire ne pouvait retenir, l'intelligence comprendre [915], et la volonté souhaiter autre chose. Non seulement elle refuse tout ce qui est ici-bas, mais, dans ses rapports avec les bienheureux, l’âme ne peut pas, ne veut pas se plaire dans leur bonheur, mais seulement dans cette faim qu'ils ont, et qu'ils avaient lorsqu'ils étaient pèlerins et voyageurs de cette vie. C'est dans ce sentiment et dans d'autres, que je ne puis vous exprimer, que se consume et s'écoule ma vie unie à cette douce Épouse et aux glorieux martyrs qui ont arrosé cette voie de leur sang. Je pria la Bonté divine qu'elle me fasse bientôt voir le salut de son peuple.

6. Quand vient l'heure de tierce, je finis d'entendre la messe, et vous me verriez aller comme une morte a Saint-Pierre. Je me mets alors de nouveau a travailler dans le vaisseau de la sainte Église, et je reste ainsi jusqu’à l'heure des vêpres; je ne voudrais pas quitter ce lieu ni le jour ni la nuit, jusqu’à ce que je voie le peuple un peu calme et réconcilié avec son Père. Mon corps ne prend aucune nourriture, pas même une goutte d'eau, et ses douces souffrances sont si grandes, qu'il n'en a jamais enduré de semblables, et que ma vie ne tient plus qu'a un fil. Maintenant, je ne sais ce que la Bonté divine voudra faire de moi; quant a ce que j'éprouve, je ne dis pas que j'ignore sa volonté; mais quant à ce que je souffre dans mon corps, il me semble que je dois le couronner par un nouveau martyre dans la douceur de mon âme, c’est-à-dire dans la sainte Église. Peut-être ensuite il me fera ressusciter avec lui; il mettra une fin, un terme a mes misères et aux angoisses de mon désir, ou il prendra les moyens ordinaires de [917] réparer mon corps. J'ai prié et je prie, sa miséricorde d'accomplir sa volonté en moi, et de pas vous laisser orphelins, vous et les autres, mais de vous diriger toujours dans la voie de la doctrine de la Vérité avec une vraie et parfaite lumière; je suis persuadée qu'elle le fera.

7. Je vous en prie et je vous en conjure, vous mon Père et mon Fils, qui m'a été donné par la douce Vierge Marie, si vous apprenez que Dieu a jeté les regards de sa miséricorde sur moi, efforcez-vous de renouveler votre vie, et de mourir a tout sentiment personnel pour vous consacrer tout entier au vaisseau de la sainte Église. Soyez toujours réservé dans vos relations. Vous pourrez jouir bien peu de votre cellule, mais je veux que vous ayez et que vous portiez toujours avec vous la cellule de votre cœur; car, vous le savez bien, tant que nous y sommes renfermés, l'ennemi ne peut nous nuire. Que tout ce que vous ferez soit ainsi dirigé et réglé selon Dieu. Je vous prie encore de mûrir votre cœur avec une vraie et sainte prudence; que votre vie soit exemplaire aux yeux des séculiers, et qu'elle ne se règle jamais sur les usages du monde. Que votre générosité envers les pauvres, et la pauvreté volontaire que. vous avez toujours pratiquée, se renouvellent et se rajeunissent en vous avec une vraie et parfaite humilité. Qu'aucune position, aucun honneur que Dieu vous donnera, ne la ralentissent jamais en vous; enfoncez-vous au contraire de plus en plus dans la vallée de cette humilité. Aimez la table de la très sainte Croix, et prenez-y la nourriture des âmes en vous livrant aux veilles saintes, aux humbles et continuelles [917] prières, en célébrant tous les jours la messe, si vous n'en êtes pas absolument empêché. Fuyez les conversations inutiles et légères; soyez et montrez-vous toujours grave dans vos paroles et votre conduite. Rejetez toute faiblesse pour vous-même et toute crainte servile, parce que la sainte Église n'a pas besoin de ceux qui sont ainsi, mais de personnes cruelles pour elles-mêmes et dévouées à son service.

8. Ce sont les choses auxquelles je vous conjure de vous appliquer. Je vous demande aussi de recueillir le livre et les écrits que vous trouverez de moi, vous, frère Barthélemy, frère Thomas et le Maitre (Les personnes que sainte Catherine nomme ici sont Frère Barthélemy de Sienne, qui fut un témoin du procès de Venise, frère Thomas Nacci Caffarini, qui a écrit un supplément à la légende du B. Raymond, ou bien frère Thomas, son confesseur. Celui qu'on appelait le Maître était Jean Tantucci, ermite de Saint-Augustin. Messire Thomas était Thomas Buonoconti, disciple de la sainte, ou Thomas de la Pierre, secrélaire d'Urbain VI.) et vous en ferez ce que vous croirez le plus utUe à la la gloire de Dieu. Vous vous entendrez aussi avec messire Thomas, auprès de qui j'ai trouvé quelque assistance. Je vous confie aussi cette famille, pour que vous en soyez autant que vous le pourrez le pasteur, le père; conservez-la dans les liens de la charité et de l'union parfaite, pour qu'elle ne soit pas dispersée comme des brebis sans pasteur. Pour moi, j'espère leur être plus utile après ma mort que pendant ma vie.

9. Je prierai l'éternelle Vérité de répandre sur vous toute la plénitude des grâces et des dons qu'elle [919] eût versés sur mon âme, afin que vous soyez des flambeaux placés sur le candélabre. Je vous prie de demander a l'éternel Epoux qu'il me fasse accomplir généreusement sa volonté, et qu'il me pardonne la multitude de mes fautes. Et vous, je vous prie aussi de me pardonner la désobéissance, le manque de respect, la peine et les chagrins dont je suis coupable envers vous, ainsi que le peu de zèle que j'ai eu pour notre salut. Je vous demande votre bénédiction; priez avec ardeur pour moi, et faites prier pour l'amour de Jésus crucifié. Pardonnez-moi si je vous ai écrit des choses qui vous affligent; je ne vous les écris pas pour vous affliger, mais parce que je suis dans le doute, et que je ne sais pas ce que la Bonté de Dieu fera de moi; je veux avoir rempli mon devoir. Ne vous chagrinez pas de ce que nous sommes corporellement séparés l'un de l'autre. Vous m'auriez été certainement d'une grande consolation, mais j'ai une plus grande consolation, une plus grande joie encore de voir les fruits que vous produisez dans la. sainte Église, et je vous conjure de travailler avec plus de zèle que jamais, parce que jamais les besoins n'ont été si grands; ne cédez a aucune persécution sans la permission de notre Seigneur le Pape. Courage, courage dans le Christ, le doux Jésus, il ne faut jamais se laisser abattre. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [919].

Table des Matières









CXLIX (103). – AU MÊME.- Souffrances de Sainte Catherine pour l’Eglise.

(Cette lettre est, pour ainsi dire, un complément de la précédente.)
 
 

 1. J'étais continuellement tourmentée par l'ardent désir que j'avais nouvellement conçu en la présence do Dieu, parce que le regard de l'intelligence s'était fixé dans la Trinité éternelle, et voyait dans cet abîme la dignité de la créature raisonnable, la misère dans laquelle l'homme tombe par le péché mortel, et la nécessité de la sainte Eglise, que Dieu me manifestait dans son sein. Mais personne ne peut goûter la beauté de Dieu dans l'abîme de la Trinité sans l'intermédiaire de cette douce Épouse, car il faut que tous passent par la porte de Jésus crucifié, et cette porte ne se trouve que dans la sainte Église. Alors je voyais que cette Épouse donne la vie; car il y a tant de vie en elle, que personne ne peut l'affaiblir et l'obscurcir en elle-même; et je voyais que soit fruit ne manque jamais et augmente toujours.

2. L'Eternel disait Toute cette dignité, que ton intelligence ne pourrait comprendre, vous vient de moi. Regarde donc avec une douleur amère, et tu verras que l'Épouse ne parait que par son vêtement extérieur, c’est-à-dire par sa substance temporelle; mais tu vols bien qu'elle est privée de ceux qui cherchent sa vie intérieure, c’est-à-dire le fruit du Sang; et celui qui ne porte pas ce fruit, qui est le trésor de [920] la charité, avec une humilité sincère, à la lumière de la très sainte Foi, n'aura pas la vie, mais la mort. Il fera comme le voleur, qui prend ce qui ne lui appartient pas; le fruit du Sang est à ceux qui ont le trésor de l'amour, car l'Église est fondée sur l'amour, elle est l'amour même; et je veux par amour, disait l'Éternel, que chacun donne, comme j'ai chargé mes serviteurs de donner selon qu'ils ont reçu. Je me plains de ce que personne ne sert l'Église, et il me semble, au contraire, que tous l'abandonnent; mais j'y porterai moi-même remède.

3. La douleur et l'ardeur de mon désir augmentaient, et je criais on la présence de Dieu : Que puis-je faire, ô Amour ineffable! Et sa bonté me répondait: Offre de nouveau ta vie, et ne te donne jamais aucun repos; c'est pour cela que je t'ai choisie, toi et tous ceux qui te suivent et te suivront. Appliquez-vous donc à ne jamais ralentir, mais à augmenter toujours vos désirs. Car moi, je m'applique toujours avec amour à vous assister de mes grâces spirituelles et temporelles; et, afin que vos âmes ne soient pas occupées d'autre chose, j'y ai pourvu en embrasant d'ardeur la personne que j'ai choisie pour vous diriger; elle agira par des moyens nouveaux et cachés; elle se consumera pour servir l'Église; et vous, faites-le par d'humbles et continuelles prières, et par toutes les œuvres qui seront nécessaires, et que ma bonté inspirera a chacun selon sa position. Consacre donc ta vie, ton cœur, ton amour à cette Épouse, pour moi, sans penser à toi. Regarde en moi et contemple l’Epoux de l'Épouse, c’est-à-dire le Souverain Pontife, et vois sa sainte et bonne intention [921] qui est sans borne; et comme l'Épouse est unique, l’Epoux l'est aussi. Je permets que par les moyens violents qu'il emploie et par la crainte qu'il cause à ceux qui lui sont soumis, il purifie l'Église; mais il en viendra d'autres qui la serviront par l'amour, et qui l'enrichiront. Il en sera de l'Épouse comme de l’âme, que la crainte dépouille d'abord du vice, et que l'amour remplit et orne ensuite de vertus.

4.Tout cela se fera en souffrant avec douceur. Les souffrances sont douces et agréables à ceux qui se nourrissent véritablement sur son sein; mais fais en sorte de dire à mon Vicaire qu'il s'adoucisse autant qu'il le pourra, et qu'il donne la paix à qui veut la recevoir. Dis également aux colonnes de la sainte Église, aux cardinaux, que s'ils veulent réparer tant de ruines, ils doivent s'unir ensemble, et être comme un manteau pour couvrir ce qui parait défectueux en leur Père. Qu'ils soient réguliers dans leur vie et leur entourage; qu'ils me craignent et qu'ils m'aiment; qu'ils soient toujours d'accord, en triomphant d'eux-mêmes. S'ils le font, moi, qui suis la lumière, je leur donnerai la lumière qui sera nécessaire à la sainte Église; et lorsqu'ils auront vu entre eux ce qu'il y aura à faire, ils le proposeront tous avec promptitude et avec ardeur à mon Vicaire, qui ne pourra pas alors résister à leur bonne volonté, parce que ses intentions sont bonnes et saintes.

5. La langue est incapable de raconter les mystères que mon intelligence a vus et que mon cœur a sentis. Je passai le jour dans l'extase, et quand vint le soir, j'étais tellement transportée d'amour, que je ne pouvais m'empêcher d'aller au lieu de la prière. Je [923] comprenais que le moment de ma mort approchait, et je me prosternais, en me reprochant amèrement d'avoir servi avec tant d'ignorance et de négligence l'Épouse du Christ, et d'être cause que les autres avaient fait de même. J'étais pleine de ces pensées, lorsque Dieu me mit en sa présence, non pas comme j'y suis toujours, puisqu'il renferme tout en lui, mais d’une manière nouvelle, comme si la mémoire, l'intelligence et la volonté n'avaient plus rien a faire avec le corps. Et je contemplais la Vérité avec une telle lumière, que je revoyais dans cet abîme les mystères de la sainte Eglise, toutes les grâces passées et présentes que j'avais reçues dans ma vie, et le jour où Dieu avait pris mon âme pour épouse. Tout cela disparaissait dans l'ardeur de l'amour, qui augmentait sans cesse, et je ne pensais plus qu'à ce que je pouvais faire pour me sacrifier à Dieu, pour la sainte Église, et pour détruire l'ignorance et la négligence de ceux que Dieu m'avait confiés. Alors les démons se déchaînaient contre moi, et voulaient empêcher et diminuer par la terreur la violence de mon désir. Ils frappaient sur l'enveloppe de mon corps, mais mon désir s'enflammait davantage, et je criais O Dieu éternel! recevez le sacrifice de ma vie dans le corps mystique de la sainte Église. Je n'ai à vous donner que ce que vous m'avez donné vous-même; prenez mon cœur, et pressurez-le sur la face de l'Épouse.

6. Et alors l’Eternel, me regardant avec clémence, prenait mon cœur et le pressurait dans la sainte Église. Il le prit avec tant de violence, que si, pour empêcher le vase de mon corps de se briser, il ne [923] lui eût pas donné sa force, la vie m'aurait quittée. Les démons criaient avec plus de fureur, comme s'ils avaient souffert une douleur insupportable; ils faisaient tous leurs efforts pour m'épouvanter, et ils me menaçaient de trouver le moyen de rendre inutile tout ce que je faisais; mais l'humilité, avec la lumière de la très Sainte Foi, triomphe toujours de l'enfer. Plus il s'agitait, plus je luttais avec ardeur; et j'entendais, en présence de la Majesté divine, des paroles si tendres et des promesses si douces, que j'étais inondée de joie. Mon état était si mystérieux, que la parole ne pourra jamais l'expliquer. Et maintenant je dis : Grâces, grâces soient rendues au Très-Haut, à l’Eternel, qui nous a placés sur le champ de bataille pour combattre en vaillants chevaliers pour son Épouse, avec le bouclier de la très sainte Foi. La victoire nous est restée par cette puissance qui a vaincu le démon, maître du. genre humain. Il a été vaincu non par la vertu de l'humanité, mais par celle de la Divinité. Oui, le démon est et sera vaincu, non par la souffrance de nos corps, mals par le feu de la divine et Ineffable charité [924].

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