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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 166 à 179


CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur l’espérance du ciel.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon révérend Père dans le Christ Jésus, par respect pour le très doux Sacrement, mol, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant contre tous les vices et les tentations pour Jésus crucifié, avec une sainte et véritable persévérance; car c'est la persévérance qui est couronnée. Vous savez bien que [964] c’est en persévérant et en combattant qu'on obtient la victoire. Nous sommes placés on cette vie comme un champ de bataille, et nous devons combattre courageusement, sans fuir et tourner la tête en arrière ; mais il faut regarder notre capitaine, Jésus qui persévère toujours, et n'est arrêté ni par les Juifs, qui disent: Descends de la Croix; ni par le démon, ni par notre ingratitude; il persévère cesse pas d'accomplir les ordres de son Père et salut, jusqu'au moment où il retourne a son Père avec la victoire, puisqu'il a tiré le genre humain des ténèbres et lui a rendu la lumière de la grâce en vainquant le démon et le monde avec ses délices, sans rester dans la mort.

2. Cet Agneau a souffert la mort pour nous rendre la vie ; par sa mort il a détruit notre mort. Le sang et la persévérance de ce capitaine doivent nous encourager à bien combattre, à supporter les peines, les coups, les injures et les affronts pour son amour, à acquérir la pauvreté volontaire, l'humilité de coeur, l'obéissance complète et parfaite. Celui qui le fera, quand sera dissipé le nuage de son corps, ira avec la victoire dans la cité de la vie éternelle; il aura vaincu le démon, le monde, la chair, qui toujours nous tourmente et combat contre l'esprit : il faut la dompter, la macérer par le jeune, les veilles et la prière; il faut chasser les mauvaises pensées qui se présentent au moyen de bonnes et saintes images, nous représentant continuellement combien est ardent le feu de la charité divine, qui a tout fait pour nous par grâce, et non par devoir. Le Père nous a donné le Verbe, son Fils unique, et le Fils a [965] donné sa vie par amour; il s'est immolé, et son corps déchiré a versé son sang de toute part, et ce sang a lavé les souillures de nos iniquités.

3. Quand l'âme contemple tant d'amour, elle se consume d'amour, et il lui semble qu'elle ne peut pas trop faire en livrant son corps à toutes sortes de peines et de tourments; elle ne croit jamais assez reconnaître tant d'amour et de bienfaits qu'elle a reçus de son Créateur notre Dieu, si bon, nous a aimés sans être aimé. C'est en y pensant que vous chasserez les pensées du démon. Vous pourrez me dire : Vous voulez que je sois un généreux chevalier, et je suis, sur le champ de bataille, attaqué par une foule d'ennemis. Il me faut des armes; dites-moi celles que je dois prendre. Je vous réponds que je ne veux pas que vous soyez sans armes, mais je veux que vous ayez les armes de saint Paul, qui fut un homme comme vous (1 Thess 5, 8): la cuirasse de la vraie et profonde humilité, le plastron de son ardente charité; et, de même que la cuirasse est unie au plastron, et le plastron à la cuirasse, l'humilité garde et nourrit la charité, et la charité nourrit l'humilité ce sont les armes que je vous donne; elles résistent à tous les coups que peuvent frapper le démon, le monde et la chair. Leurs flèches ont beau être empoisonnées, elles ne blessent jamais; car l'âme qui aime Jésus crucifié n'est pas blessée par les flèches du péché mortel, sans le consentement de sa volonté; et sa force est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire violence qu'autant qu'elle le veut bien [966].

4. Il vous faut aussi prendre en main l'épée pour vous défendre de vos ennemis. Cette épée a deux tranchants dont le premier est la haine de vous-même et le regret du temps souvent perdu par notre peu de zèle pour la vertu, par nos misères, nos iniquités, nos offenses envers le Sauveur. Nous devons haïr ces offenses et nous-mêmes, qui les avons commises; et celui qui ressent cette haine veut se venger de sa vie passée et souffrir toutes sortes de peines pour l'amour du Christ et pour l'expiation de ses péchés, punissant l'orgueil par l'humilité, la cupidité et l'avarice par la générosité et la charité, les écarts de la volonté propre par l'obéissance. Ce sont là les saintes vengeances que nous devons exercer quand nous prenons l'épée de la haine et de l'amour. Aussi je suis heureuse, et je me réjouis des bonnes nouvelles que j'ai apprises de vous; car il me semble que vous vous êtes vengé de votre liberté en vous soumettant au joug de la sainte obéissance. Vous ne pourrez mieux faire que de renoncer au monde, à ses plaisirs, à ses délices et à votre propre volonté.

5. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de combattre généreusement et avec une sainte persévérance sur ce champ de bataille; ne détournez jamais la tête pour éviter les coups de ]'épreuve et de la tentation; mais tenez ferme avec vos armes; résistez avec elles, et parez tous les coups. Avec l'épée à deux tranchants de la haine et de l'amour vous vous défendrez de vos ennemis. Je veux que l'arbre de la Croix soit planté dans votre cœur et dans votre âme; devenez semblable à Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; baignez-vous [967] dans le sang de Jésus crucifié, enivrez-vous et revêtez-vous de Jésus crucifié; rassasiez-vous d'opprobres, de honte et d'affronts, en souffrant pour l'amour de Jésus crucifié; fixez votre cœur et votre affection sur la Croix de Jésus-Christ,parce que la Croix est devenue la barque et le port qui vous conduira au port du salut. Les clous sont devenus des clefs pour ouvrir le royaume du ciel. Courage donc, mon Père, mon très cher Frère; ne dormez plus dans le lit de la négligence, mais comme un chevalier généreux et sans crainte, combattez tout adversaire. Dieu vous donnera la plénitude de la grâce; et quand votre vie sera passée, après la fatigue vous arriverez au repos, à la vue de la beauté suprême, éternelle, à la vision de Dieu, où l'âme se repose, délivrée de toute peine, de tout mal, Où elle reçoit le bien véritable, un rassasiement sans dégoût, et une faim sans douleur. Terminez votre vie sur la Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

Table des matières (2)





CLXVII (121).- AU FRERES LAZZARINI, de Pise, de l’Ordre des Frères Mineurs.- Jésus crucifié nous enseigne l’amour envers Dieu, et la haine envers nous-mêmes.

(Frère Lazzarini de Pise, religieux conventuel de Saint François, professait la philosophie à Sienne, Il fut attiré à une vie plus parfaite par sainte Catherine, comme le raconte le P. Barthélemi de Dominici dans sa déposition du procès de Venise. Sainte Catherine adressa un grand nombre de lettres aux religieux de Saint-François. Il n’est resté que celle-ci et la suivante.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Père, Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, sa servante inutile [968], je vous écris en me rappelant cette douce parole du Christ: « J'ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir (Lc 22, 15). Ce saint désir, je le tiens de la grâce divine; car moi je ne suis pas, Dieu seul est Celui qui est; et c'est parce que Dieu a blessé mon âme que j'ose dire ce qu'a dit le Christ : J'ai désiré avec désir que nous fassions la pâque avant de mourir. Ce sera notre douce et sainte pâque dont parle David dans les Psaumes : « Goûtez et voyez. » Il ne semble pas que nous puissions voir Dieu si nous ne le goûtons pas d'abord par cette sainte pâque, si nous ne le goûtons pas par l'amour de son ineffable charité, connaissant et goûtant la bonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien, comme le dit l'ardent saint Paul. Dieu est notre sanctification, notre justice, notre repos, et la volonté de Dieu ne veut que notre sanctification. O ineffable dilection et charité! vous avez montré ce désir enflammé en courant, comme un homme ivre et aveugle, à l'opprobre de la Croix. L'aveugle ne voit pas, l'homme ivre non plus, lorsque son ivresse est complète. Ainsi Notre-Seigneur s'est perdu lui-même, parce qu'il était aveugle, enivré de notre salut, sans se laisser arrêter par notre ignorance, notre ingratitude, et l'amour-propre que nous avons pour nous-mêmes. O Jésus, très doux Amour! vous vous êtes [969] laissé aveugler par l'amour, qui ne vous a pas laissé apercevoir nos iniquités, et vous en avez perdu le sentiment. O doux Maître ! il semble que vous avez voulu les voir et les punir par votre corps très aimable, en vous livrant au supplice de la Croix, et en restant sur la Croix tout transporté d'amour, pour nous montrer que ce n'est pas pour votre utilité, mais pour notre sanctification, que vous nous aimez.

2. Il est là comme notre règle, notre voie, comme un livre écrit où toute personne ignorante et aveugle peut lire. La première ligne de ce livre est la haine et l'amour : l'amour de l'honneur du Père, et la haine du péché. Ainsi donc, mon très cher et très aimé Frère et Père, par respect pour l'auguste Sacrement, suivons ce livre qui nous montre si doucement le chemin, et, s'il arrive que nous rencontrions dans ce chemin nos trois ennemis, le monde, la chair et le démon, prenons les armes de la haine, comme l'a fait notre Père saint François pour que le mondé ne lui enflât pas le cœur, il choisit la sainte et parfaite pauvreté. Je veux que nous agissions de même. Si le démon de la chair veut se révolter contre l'esprit, il faut le mépriser; il faut affliger et macérer notre corps, comme l'a fait aussi notre Père, qui a toujours couru dans cette route avec zèle et sans négligence. Et si le démon se présente avec ses illusions, ses fantômes, avec la crainte servile, s'il veut envahir notre esprit et notre âme, ne craignons pas, parce que toutes ces choses sont devenues impuissantes par la vertu de la Croix. O très doux amour! puisqu'ils ne peuvent rien qu'autant que Dieu le [970] permet, et puisque Dieu ne veut que notre bien, il ne nous donnera jamais de fardeau au-dessus de nos forces.

3. Courage, courage; ne fuyez pas la peine, et conservez toujours une sainte volonté, qui ne se repose eu autre chose qu'en ce que Dieu aime, et non pas en ce que Dieu hait, Notre volonté, ainsi armée de haine et d'amour, recevra tant de force, que, comme le dit saint Paul, ni le monde, ni le démon, ni la chair, ne pourront nous donner la mort. Souffrons, souffrons, très cher Frère, parce que, plus nous souffrirons ici-bas avec Jésus crucifié, plus nous recevrons de gloire; et aucune peine ne sera plus récompensée que la peine de l'esprit du cœur, car ce sont les plus grandes peines, et celles qui produisent davantage. C'est ainsi qu'il faut goûter Dieu, afin que nous puissions le voir. Je ne vous dis qu’une chose, c'est d'être uni et transformé dans cette douce volonté de Dieu. Courons, très doux Frère, courons tout enchaînés avec le lien de la charité, à Jésus crucifié, sur le bois de la Croix. Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous conjure de prier Dieu pour moi, afin que je marche dans la vérité. Jésus, Jésus, Jésus.

Table des matières (2)





CLXVIII (122) .- A UN GENOIS DU TIERS ORDRE de Saint-François, qui avait avec une dame une liaison spirituelle dont il souffrait beaucoup.- De la manière d’aimer les créatures.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [971] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, comme un vrai chevalier, avec la lumière et le bouclier de la sainte Foi, pour repousser tous les coups et pour connaître à cette lumière ce qui fortifie l'ennemi et ce qui l'affaiblit, afin que vous preniez le remède qui l'affaiblit, et que vous fuyiez la cause qui le fortifie. Quelle est la cause qui le fortifie? C'est la volonté propre fondée sur l'amour de soi-même. Cet amour affaiblit la volonté, et la fait tourner comme la feuille au vent. La volonté court où l'amour sensitif l'attache; elle consent volontairement à la jouissance de la chose aimée; et c'est dans la volonté qu'est la faute, et non dans les mouvements que donne l'amour sensitif pour faire aimer les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu et de la raison, si la volonté n'y consent pas. Mais la volonté qui suit l'amour-propre fortifie l'ennemi et s'affaiblit elle-même.

2. Qu'est-ce qui fortifie l'âme et affaiblit l'ennemi? C'est notre volonté revêtue de l'amour de la douce volonté de Dieu. Cette volonté est alors si forte que ni le démon ni les créatures ne peuvent l'affaiblir, si elle ne le veut pas elle-même. Et pourquoi est-elle forte? Parce qu'elle s'est volontairement unie à Dieu, qui est l'éternelle et suprême force; elle est ferme et inébranlable, parce que notre Dieu, en qui elle fait sa demeure, est immuable, et elle n'a de mouvement qu'en lui. Et comment l'âme acquiert-elle cette force? Par la doctrine du doux et tendre Verbe, qu'elle regarde à la lumière de la très sainte Foi. Dans sa doctrine et dans son sang elle connaît que [972] la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C'est pourquoi elle l'aime, elle s'en revêt, elle anéantit sa volonté dans celle de Dieu. Cette volonté rend l'âme prudente; elle ne s'égare pas dans les ténèbres, mais elle règle sa vie avec sagesse et discrétion, toujours attentive à fuir les choses qui nous ravissent Dieu; et, comme elle voit que l'amour sensitif le lui ravit, elle hait la sensualité, et elle aime la raison; elle fait tout à la lumière de la raison; elle aime son Créateur sans limite et sans mesure. Non seulement elle ne veut pas que les choses créées l'arrêtent,mais elle ne veut pas s'arrêter à elle-même, c'est-à-dire à sa propre volonté perverse; et comme elle renonce à elle-même et à toutes les choses créées, qu'elle n 'aime jamais an dehors de la volonté de Dieu, mais qu'elle aime pour Dieu, son amour est bien réglé.

3. Si elle aime la créature, elle l'aime par amour du Créateur, avec ordre et non sans ordre, avec mesure et non sans mesure. Avec quelle mesure ? Avec celle de la charité de Dieu. Elle ne prend pas d'autre mesure, afin de n'être pas trompée, comme le sont beaucoup de personnes imparfaites qui se laissent égarer par le démon avec l'appât de l'amour; elles commencent à se régler sur la charité de Dieu, c'est-à-dire à aimer les créatures pour lui, puis elles abandonnent la vraie mesure pour prendre la mesure de la sensualité; et on voit le pauvre aveugle, séduit par l'apparence de la dévotion, perdre Dieu et la prière sainte dont il avait fait sa mère. Il jette à terre les armes qui lui servaient de défense; il affaiblit sa volonté et fortifie ses ennemis; il tombe [973] dans une ruine complète. Il a conçu la mort, et il n'a plus qu'à l'enfanter; il ne s'en aperçoit pas, et ne fuit pas cette créature comme un poison, mais il cherche et suit le poison, les pensées et les mouvements empoisonnés. Nous ne pouvons empêcher qu'ils se présentent, car la chair est prompte à combattre contre l'esprit, et le démon ne doit jamais ce qui doit nous apprendre à sortir de notre négligence et à être vigilant. Le libre arbitre peut lier la volonté, pour qu'elle ne consente pas et qu'elle ne reçoive pas volontairement le démon dans sa demeure. Elle peut fuir, en ne voulant pas s'exposer encore au mal, mais son aveuglement est si grand qu'elle veut attendre qu'un ange tombe du ciel et se précipite en enfer. O maudite affection! comme tu es sortie de ta mesure! O piège perfide! tu entres doucement comme un habile voleur, tu te fais le familier de la maison, et, lorsque tu as aveuglé l'oeil de l'intelligence, tu te montres; et si on ne te voit pas, on sent bien ta corruption.

4. O très cher et très doux Frère dans le Christ, le doux Jésus ! servons-nous de la main de la haine avec la contrition du cœur et le regret de la faute, et avec cette main tirons la paille de notre œil, afin qu'il soit clair et que nous reconnaissions cet ennemi perfide. Que la volonté fuie pour ne pas consentir aux pensées du cœur, et que le corps s'éloigne du danger et de la présence de la créature. Hélas ! hélas ! attachons-nous à l'arbre de la Croix, et regardons l'Agneau immolé pour nous, et là, nous retrouverons le feu du saint désir, et, avec ce désir, nous retrouverons notre mère, la prière sainte [974], humble, fidèle et persévérante. Sans ces qualités, son sein serait tari, et elle ne pourrait nourrir les vertus, ses enfants, ni l'âme, de sa douceur. Dès que nous aurons retrouvé cette mère, nous aurons retrouvé la mesure de la charité divine, avec laquelle nous devons mesurer l'amour que nous avons pour la créature raisonnable. Nous serons forts, car nous n'aurons plus aucune faiblesse; nous serons courageux, parce que nous aurons étouffé en nous le plaisir féminin, qui rend le cœur pusillanime; nous serons délivrés des ténèbres et nous marcherons dans la lumière, en suivant la doctrine de Jésus crucifié, entièrement protégés par le bouclier de la très sainte Foi. Nous resterons sur le champ de bataille, ne refusant aucune fatigue, et ne tournant jamais la tête en arrière. Toujours persévérants, sans aucune crainte servile, nous regarderons avec une sainte crainte nos ennemis affaiblis; nous serons forts de la force suprême, et nous verrons dans la persévérance la couronne de gloire qui est préparée, non pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu'à la fin.

5. Notre âme sera vêtue ainsi de force et de persévérance, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vrai combattant, afin que vous puissiez mieux accomplir la volonté de Dieu et mon désir, et vous tirer des circonstances pénibles où vous êtes. Ayez toujours le sang du Christ devant l'oeil de votre intelligence, pour vous exciter au combat; que dans ce sang glorieux, votre volonté s'anéantisse; qu'elle meure, et que par cette mort elle ne puisse plus céder aux tentations du [975] démon, des créatures et de la chair fragile. Fuyez surtout l'occasion, si la vie de votre âme vous est chère: cela fait, ne craignez pas les combats et les attaques du démon, et ne tombez pas dans le trouble de l'esprit; mais supportez avec patience et avec regret la faute qui vient du consentement volontaire et de son accomplissement. Ne soyez pas négligent, mais plein de zèle; préparez-vous à goûter le parfum des vertus et de la vraie et sainte pauvreté pour l'amour de l'humble et pauvre Agneau, et lorsque vous aurez mis la main à la charrue, ne tournez jamais la tête en arrière pour voir le sillon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez la grandeur de la bonté et de la charité divine, qui vous a sauvé de l'enfer. Doux Jésus, Jésus amour [976].

Table des matières (2)





CLXIX (123).- A MAITRE JEAN, le troisième, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.- Dieu est le souverain bien, et le péché le souverain mal. - Rien en dehors du péché ne peut être appelé un mal.

(Frère Jean Tantucci de Sienne, est appelé le troisième parce qu’il succéda comme prieur des Ermites de Saint-Augustin de Lecceto, à deux autres religieux qui se nommaient aussi Jean. Après avoir été hostile à sainte Catherine, Il devint son disciple le plus fidèle. Il était un des trois confesseurs qui accompagnaient notre sainte avec des pouvoirs extraordinaires. Il était maître en théologie, et docteur de l'université de Cambridge. Il mourut le 4 octobre 1391, et est honoré du titre de bienheureux.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [976] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de l'Agneau immolé. Ce sang lave et anéantit, c'est-à-dire qu'il tue la volonté perverse. Je dis qu'il lave la face de la conscience, et qu'il tue le ver qui la ronge, parce que ce sang devient un bain, et parce que ce sang n'est jamais sans le feu, et qu'il est mêlé au feu de la divine charité, car il a été répandu par amour. Ainsi le feu avec le sang lave et consume la rouille de la faute qui est dans la conscience, et cette faute est un ver qui ronge la conscience. Lorsque le ver est mort et la face de l'âme lavée, l'amour-propre déréglé disparaît; mais tant que l'amour-propre est dans l'âme, ce ver ne meurt pas, et la lèpre souille toujours la face de l'âme.

2. Nous devons reconnaître que le sang et le feu de l'amour divin nous ont été donnés; nous avons reçu ce sang et ce feu pour notre rédemption, mais nous n'y participons pas tous. Ce n'est pas la faute du sang, du feu et de la douce Vérité première qui nous les a donnés, mais c'est la faute de celui qui ne vide pas son vase pour pouvoir le remplir avec le Sang. Tant que le vase du cœur est plein de l'amour-propre spirituel ou temporel, il ne peut se remplir de l'amour divin, et participer à la vertu du Sang; il ne lave pas sa face, et ne tue pas le ver qui le ronge (977). Il faut donc trouver le moyen de se vider et de se remplir, pour arriver à cette perfection qui tue la volonté propre; car si la volonté est tuée, le ver le sera aussi.

3. Quel sera ce moyen, très cher Fils? Je vous le dirai. Ce sera d'ouvrir l'oeil de notre intelligence pour connaître le souverain bien et le souverain mal. Le souverain bien est Dieu, qui nous aime d'un amour ineffable; cet amour s'est manifesté par le moyen du Verbe, son Fils unique, et le Fils l'a manifesté par son sang. Dans ce sang, l'homme connaît l'amour que Dieu lui porte; et il connaît son propre mal, car la faute est ce qui conduit aux peines éternelles. C'est le péché qui est le mal véritable; il procède de l'amour-propre, et c'est la seule chose qui soit un mal, c'est ce qui a été cause de la mort du Christ. Aussi je vous dis que dans le Sang, nous connaissons le souverain bien de l'amour que Dieu a, et notre véritable mal, car rien n'est mal que la faute, comme je t'ai dit. Aussi les tribulations et les persécutions du monde ne sont pas des maux, pas plus que les injures, les coups, les affronts, les tentations du démon et celle des hommes, les difficultés et les épreuves que les serviteurs de Dieu se causent entre eux. Dieu les permet pour voir si en nous se trouvent la force, la patience et la persévérance finale; et même elles conduisent l'âme à goûter l'éternel et souverain Bien. Nous le voyons clairement dans le Fils de Dieu, qui, étant Dieu et homme, et ne pouvant vouloir aucun mal, n'a choisi pour toute sa vie que les peines, les injures, les tourments, et enfin la mort honteuse de la Croix; et il l'a voulu souffrir [978], parce qu'elle était un bien, et qu'elle punissait nos fautes, qui sont le véritable mal.

4. Quand l'oeil de l'intelligence a ainsi vu et discerné ce qui est la cause du bien, et ce qui est la cause du mal, ce qui est le bien, ce qui est le mal, l'amour suit l'intelligence, et s'empresse d'aimer son Créateur, parce que l'âme connaît dans le Sang son amour ineffable; et elle aime tout ce qu'elle voit lui plaire et l'unir à lui davantage. Alors elle se réjouit des tribulations nombreuses qui l'éprouvent, et elle se prive elle-même de la consolation par amour de la vertu. Elle ne choisit pas elle-même l'instrument de la tribulation qui éprouve sa vertu, mais elle le reçoit de Celui qui l'envoie, c'est-à-dire de Dieu, qui veut uniquement que nous soyons sanctifiés en lui. L'amour vient ainsi de l'amour, et parce que dans cet amour l'oeil de l’intelligence a vu son mal, c'est-à-dire son péché, elle le déteste, et elle désire se venger de ce qui en a été la cause. La cause du péché est l'amour-propre, qui nourrit la volonté déréglée et révoltée contre la raison, et l'âme ne cesse jamais d'exciter et d'augmenter la haine de l'amour sensuel jusqu'à ce qu'il soit mort. Elle devient tout à coup patiente, et ne se scandalise ni de Dieu ni d'elle-même, ni du prochain; elle a pris les armes pour tuer ce sentiment mauvais qui conduit l'âme à un si grand mal, qui lui ôte la vie de la grâce, lui donne la mort et la réduit au néant, puisqu'elle est privée de Celui qui est. Il faut donc qu'elle s'arme du glaive qui la défend contre ses ennemis, et qui tue sa sensualité. Ce glaive a deux tranchants, la haine et l'amour; la main du libre arbitre, qui sait que [979] Dieu donne par grâce et non par obligation, s'en sert pour couper et pour tuer.

5. C'est ainsi, mon Fils, que nous participons à la vertu du sang et à la chaleur du feu. Le sang lave, et le feu consume la rouille du péché; il tue le ver de la conscience. Il ne tue pas réellement la conscience, qui est la garde de l'âme, mais le ver du péché, qui la ronge intérieurement. Nous ne pourrons par un autre moyen et une autre voie arriver à la paix et au repos, ni goûter le sang de l'Agneau sans tache. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Levez-vous donc, sortez du sommeil de la négligence, et détruisez la volonté propre dans ce sang précieux. N'écoutez pas la crainte servile, l'amour-propre, le langage des créatures, les murmures et les scandales du monde; mais persévérez avec un cœur généreux, et prenez garde d'agir comme les insensés. Prenez garde aussi de vous scandaliser à l'avenir des serviteurs de Dieu, et de murmurer de leurs œuvres, parce que c'est un signe que la volonté n'est pas morte; si elle est morte dans les choses temporelles, elle n'est pas encore morte dans les choses spirituelles. Tâchez donc de la faire mourir à tous ses caprices, et que l'éternelle et douce volonté de Dieu vive en vous; c'est à vous d'en juger comme il est dit dans notre leçon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

6. Vous m'écrivez qu'un fils ne peut se passer du lait de sa mère; si vous le voulez, ne tardez donc pas à venir. Vous dites que vous ne voudriez pas [980] manquer à l'obéissance; venez avec la permission, et vous n'y manquerez pas. Vous voilà nécessaire parce que Nanni a dû partir; si vous pouvez venir, j'en serai très heureuse. Doux Jésus, Jésus amour. Recommandez-nous au Bachelier, à frère Antoine, à messire Matthieu et à tous les autres.

Table des matières (2)





CLXX (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE , des Ermites de Saint-Augustin.- De la lumière parfaite et de la lumière imparfaite. - La mortification du corps doit être seulement le moyen d'arriver à la mortification de la volonté.

(Frère Guillaume d'Angleterre fut un des plus illustres disciples de sainte Catherine. Ses lumières égalaient sa sainteté, et il avait reçu le don de prophétie. Le Pape Urbain VI l'appela auprès de lui, au milieu des difficultés du schisme naissant. Il mourut la même année que sainte Catherine, en 1380.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie lumière. Car sans la lumière nous ne pourrons marcher dans la vole de la vérité, mais nous marcherons dans les ténèbres. Deux lumières sont nécessaires à avoir. La première est celle qui nous [981] a fait connaître les choses fugitives du monde, qui passent toutes comme le vent; mais on ne les connaît bien qu'en connaissant notre propre fragilité qui nous incline, par la loi mauvaise attachée à nos membres, à nous révolter contre le Créateur. Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable, dans quelque état que ce soit, si elle veut avoir la grâce divine, et participer au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière commune que toute personne doit avoir, car celui qui ne l'a pas est en état de damnation. Il n'est pas en état de grâce, parce qu'il n'a pas la lumière; car celui qui ne connaît pas le mal du péché, et ce qui en est la cause, ne peut l'éviter et en détester la cause. De même celui qui ne connaît pas le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu, ne peut aimer et désirer le bien. Et lorsque l'âme est parvenue à acquérir la lumière générale, elle ne doit pas s'en contenter, mais elle doit aller avec zèle à la lumière parfaite; car la première est celle des imparfaits, l'autre est celle des parfaits, qui veulent avec la lumière arriver à la perfection.

2. Deux sortes de parfaits marchent à cette lumière parfaite. Ce sont d'abord ceux qui s'appliquent entièrement à châtier leurs corps, en faisant d’âpres et rudes pénitences pour que la sensualité ne se révolte plus contre la raison; ils désirent plus mortifier leur corps que tuer leur propre volonté. Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence; ils sont bons et parfaits. Mais s'ils n'ont pas une grande humilité, s'ils ne s'appliquent pas à voir en tout la volonté de Dieu et non celle des hommes. ils nuisent [982] souvent à leur perfection en blâmant ceux qui ne suivent pas la même voie qu'eux; et cela arrive, parce qu'ils ont mis plus de zèle et d'application à mortifier le corps qu'à tuer la volonté propre. Ceux-là veulent choisir toujours le temps, le lieu et les consolations spirituelles à leur gré, et aussi les tribulations du monde, les attaques du démon. Ils se laissent tromper par la volonté propre qui s'appelle la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation, et non pas les combats et les tentations du démon; ce n'est pas pour moi, mais c'est pour plaire davantage à Dieu; il me semble que j'y parviendrai mieux de cette manière que d'une autre.

3. C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine et l'ennui, et devient insupportable à elle-même; elle nuit à sa perfection, et l'infection de l'orgueil la pénètre sans qu'elle s'en aperçoive. Car si elle était véritablement humble et sans présomption, elle verrait bien que la douce Vérité suprême donne la position, le moment, le lieu, la consolation,. la tribulation, selon les besoins de notre salut et selon la perfection à laquelle l'âme est appelée. Elle verrait que toute chose est donnée par amour, et qu'elle doit recevoir toute chose avec amour et respect, comme les seconds qui sont dans cette douce et glorieuse lumière. Ils sont parfaits en toutes les positions où ils se trouvent, et dans tous les événements que Dieu permet; ils acceptent tout avec respect, parce qu'ils jugent qu'ils sont dignes des peines et des scandales du monde, et qu'ils méritent d'être privés de consolation. Comme ils se croient dignes des peines, ils se croient indignes de [983] la récompense qui suit la peine. Ils ont dans la lumière, connu et goûté l'éternelle volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien et notre sanctification en lui; et parce que l’âme l'a connue, elle s'en revêt, et elle ne s'applique qu'à trouver le moyen d'augmenter et de conserver cet état parfait pour l'honneur et la gloire du nom de Dieu. Elle fixe le regard de son intelligence sur Jésus crucifié, qui est la règle, la voie, la doctrine des parfaits et des imparfaits; elle voit le tendre Agneau qui lui donne la doctrine de la perfection, et, en le voyant, elle s'y attache avec amour.

4. La perfection est celle du Verbe, le Fils de Dieu, qui s'est nourri à la table du saint désir, de l'honneur de son Père et de notre salut; et avec ce désir il a couru à la mort honteuse de la Croix. Il n'a reculé devant aucune fatigue, aucune peine; il n'a été arrêté ni par notre ingratitude, ni par notre ignorance qui méconnaissait ses bienfaits, ni par les persécutions des Juifs, ni par les cris, les injures, les outrages du peuple; mais il a tout surmonté, comme notre chef, comme un vrai chevalier, qui est venu nous enseigner la voie, la doctrine et la règle; et il est arrivé à la porte avec la clef de son précieux sang répandu avec l'ardeur de l'amour et avec la haine et l'horreur du péché, comme si ce doux et tendre Verbe nous disait : « Voici que je me suis fait la voie et la porte ouverte avec mon sang. Ne soyez donc pas négligents à me suivre, vous arrêtant dans l'amour de vous-mêmes et dans l'ignorance qui ne connaît pas la voie, et qui veut présomptueusement la choisir selon votre goût, et non selon ma [984] volonté, qui l'a faite. Levez-vous donc, et suivez-moi; car personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi qui suis la voie et la porte (Jn 14, 6) ».

5. Alors l'âme embrasée d'amour court à la table du saint désir, et ne s'arrête plus à elle-même; elle ne cherche pas sa propre consolation spirituelle ou temporelle, mais comme une personne qui a entièrement détruit sa propre volonté, dans cette lumière et cette connaissance. Elle ne refuse aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne, au milieu des peines, des opprobres, des attaques du démon et des murmures des hommes; elle prend sur la table de la Croix la nourriture de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et ne cherche aucune récompense ni de Dieu ni des créatures. Ceux qui agissent ainsi ne servent pas Dieu pour leur plaisir, ni le prochain selon leur goût et par intérêt, mais ils se renoncent eux-mêmes par pur amour, se dépouillant du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l'homme nouveau du Christ le doux Jésus, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là se nourrissent à la table du saint désir, et ils ont mis plus de zèle à tuer leur volonté propre qu'à tuer ou à mortifier le corps; ils ont bien mortifié leur corps non comme but principal, mais comme moyen, comme secours pour tuer leur volonté. Car la chose importante est et doit être de tuer la volonté, pour qu'elle ne cherche qu'à suivre Jésus crucifié, désirant l'honneur, la gloire de son nom et le salut des âmes.

6. Ceux-là sont toujours dans le calme et la Paix [985],et rien ne les scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui leur causerait du trouble, c'est-à-dire la volonté. propre. Toutes ces persécutions que le monde et le démon peuvent soulever, ils les foulent aux pieds au milieu du torrent; ils s'attachent aux branches de l'ardent désir, et ils ne se noient pas. Ils se réjouissent de tout, et ne se font pas les juges des serviteurs de Dieu ni d'aucune créature raisonnable; mais ils sont contents de toutes les positions, de tous les moyens qu'ils voient prendre, car ils disent : « Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! parce que dans votre maison il y a plusieurs demeures. » Ils aiment mieux cette diversité de moyens que de voir tout le monde suivre la même voie, parce que cette diversité manifeste davantage la grandeur de la bonté de Dieu; ils se réjouissent de tout, et en tirent le parfum de la rose. Quand ils voient faire ce qui est évidemment un péché, ils ne jugent pas, mais ils en ressentent seulement une sainte et vraie compassion, en disant : Aujourd'hui c'est toi; demain, ce sera moi, si la grâce de Dieu ne me conserve. O saintes âmes qui vous nourrissez à la table du saint désir ! c'est la lumière qui vous a conduites à vous nourrir de cet aliment divin, à vous revêtir du vêtement de l'Agneau, c'est-à-dire de son amour, de sa charité. Vous ne perdez pas le temps à écouter les faux jugements sur les serviteurs de Dieu ou du monde, et vous ne vous troublez d'aucun murmure contre vous ou contre le prochain. Votre amour est réglé en Dieu, et il ne s'égare pas dans le prochain. C'est parce qu'il est réglé, mon très cher Fils, qu'ils ne se scandalisent jamais de ceux qu'ils aiment. Leur propre sentiment est mort, et ils ne voient en rien la volonté des hommes, mais uniquement celle du Saint-Esprit. Vous voyez bien qu'ils goûtent, dès ici-bas, les arrhes de la vie éternelle.

7. C'est à cette lumière que je voudrais vous voir parvenir, vous et mes autres fils ignorants, car je vois que cette perfection vous manque. Si elle ne vous manquait pas, vous ne vous seriez pas laissé aller au scandale, aux murmures et aux faux jugements; vous n'auriez pas cru et dit que les autres obéissaient à la volonté des créatures, et non pas à celle du Créateur. Mon cœur et mon âme gémissent de vous voir blesser la perfection, à laquelle Dieu vous appelle, avec l'apparence et l'amour de la vertu. C'est là cette zizanie que le démon sème dans le champ du Seigneur; il le fait pour étouffer le bon grain des saints désirs et de la doctrine qui a été semée dans votre champ. Appliquez-vous donc à ne plus faire ainsi, car la grâce de Dieu vous a accordé plus de lumière; il vous a appelé premièrement à mépriser le monde, secondement à mortifier votre corps, troisièmement à chercher son honneur. Ne nuisez donc pas à cette perfection par la volonté spirituelle; mais passez de la table de la pénitence à la table du désir de Dieu, où l'âme est morte à toute volonté, se nourrissant en paix de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, cherchant toujours la perfection, et ne la blessant jamais. C'est parce que je crois que sans la lumière on ne peut y parvenir, et que je vois que vous ne l'avez pas, que je vous ai dit mon désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, le [987] frère Antoine, les autres religieux, et vous surtout, de vous appliquer à l'acquérir, afin que vous soyez du nombre des parfaits et non des imparfaits. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je me recommande à tous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CLXXI (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre de Saint-Augustin, demeurant à Lecceto . - Des appels que Dieu fait à l’âme.

(Le couvent de Lecceto, à trois milles de Sienne, remonte à la plus haute antiquité. Saint Augustin y aurait trouvé des ermites en 391, et leur aurait donné sa règle. Ce couvent, qui était le chef-lieu de l'Ordre, a été souvent visité par sainte Catherine, et il en conserve le souvenir. Une petite chambre voisine de l'église a été changée en chapelle, et porte cette inscription : Siste hic, viator, et has aedes ereclas a B. Joanne Incontrio, anno 1330, ubi seraphica Catharina Senensis sponsum receptavit Christum, venerare memento. (Gigli, t. I. p. 730.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et très aimé Père et Fils dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable fille Catherine se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir d'entendre cette parole que Dieu dit à Abraham:  « Sors de ta maison et de ta terre (Gn 12, 1). » Abraham, obéissant, ne fit pas de résistance au commandement de Dieu, qui lui disait de le [988] suivre, et il le suivit. Oh que notre âme sera heureuse quand nous entendrons cette douce parole, et que nous quitterons la terre de notre misérable corps. Il y a deux manières pour l'homme de se lever et de suivre la Vérité suprême, qui nous appelle. La première est de retirer notre affection de la demeure de notre passion sensitive, de l'amour de nous-mêmes et de notre terre, c'est-à-dire que l'affection doit se séparer de tout amour terrestre, pour suivre l'Agneau immolé sur le bois de la sainte Croix. Cet Agneau nous invite et nous appelle à le suivre dans la voie des opprobres, des peines et des outrages, qui sont d'une douceur extrême pour l'âme qui les goûte. Dieu nous y attire par son infinie bonté et miséricorde.

2. Mais quelle parole l'âme peut-elle attendre lorsqu'elle a entendu la première, et qu'elle y a répondu en abandonnant le vice et en suivant les vertus, qui font goûter Dieu par la grâce en cette vie? Savez vous, mon Père, l'a parole qu'elle attend? cette douce parole du Cantique « Viens, mon Epouse bien-aimée (Ct 2,10) ! » Et alors s'accomplit véritablement, entre l'âme et le corps, la parole que le Christ disait à ses disciples : « Laissez les petits venir à moi, car c'est à eux qu'appartient le royaume du ciel (Mc 10,14). » C'est ce que fait Dieu avec ses serviteurs, quand il les tire de cette vie misérable et qu'il les mène au lieu du repos, en commandant et en disant à notre chair, qui était servante et disciple de l'âme laisse cette âme venir [989] à moi, car le royaume de la vie éternelle lui appartient. O ineffable, très douce et très ardente charité vous parlez comme si l'âme vous avait servie par elle-même, tandis qu'elle a tout fait par vous. Vous êtes l'ouvrier et le bienfaiteur, vous êtes Celui qui êtes, et, sans vous, nous ne sommes pas. L'Apôtre le disait: « Nous ne pouvons avoir une bonne pensée si elle ne nous vient d'en haut (2 Co 3,5) ». Oui, vous nous donnez tout par grâce, et non par obligation; c'est votre amour sans borne qui fait tout et qui veut nous en récompenser. Aussi, quand l’âme contemple tant d'amour, elle en est enivrée au point qu'elle se perd elle-même, et qu'elle ne sent et ne voit rien qu'en son Créateur.

3. Oui, c'est cette parole par laquelle mon âme désire nous entendre appeler. Mais il me semble que je ne pourrais être bienheureuse, si avant je n'entendais cette autre parole, que tous les serviteurs de Dieu désirent entendre : Sortez, mes enfants, de votre terre et de votre demeure; suivez-moi, et venez faire le sacrifice de votre corps. Aussi, quand je considère, mon Père, que Dieu nous fait la grâce de l'entendre et de pouvoir donner notre vie pour le nom infini de l'Agneau, il semble qu'à cette pensée mon âme veut quitter mon corps. Courons donc, mes Fils et mes Frères dans le Christ Jésus; excitons nos doux et tendres désirs, priant et suppliant la Bonté divine de nous en rendre bientôt dignes; il ne faut plus commettre de négligence, mais avoir toujours un grand zèle pour nous et pour les autres [990].

4. Il semble que le temps s'approche, car nous trouvons d'excellentes dispositions dans les créatures. Vous savez que nous avions envoyé le frère Jacomo au Juge d'Arboré avec une lettre où il était question de la croisade (Cette lettre de sainte Catherine a été perdue comme tant d'autres. Arboré, dont le nom est maintenant Oristagni, est une ville de Sardaigne. Les gouverneurs de cette île, donnée à Jacques II d'Aragon par Boniface VIII, en 1297, étaient appelés des juges. Mariano, juge d'Arboré, se rendit indépendant vers 1364, et ses successeurs prirent le titre de marquis d'Oristagni.); il m'a répondu gracieusement qu'il voulait venir en personne, et fournir pendant dix années deux galères, mille cavaliers, trois mille piétons et six cents arbalétriers. Je vous annonce aussi que Génes est dans l'enthousiasme, et que tous offrent leur fortune et leur personne. Soyez donc persuadé que Dieu tirera sa gloire de ceci et d'autre chose.

5. Je termine en vous recommandant avec instance un jeune homme qui a nom Matthieu Forestani; agissez le plus promptement possible pour qu'il soit reçu en religion; appliquez-vous tant que vous le pourrez à lui faire acquérir de vraies et solides vertus, surtout en mortifiant en lui le goût du monde et la volonté propre. Il m'a semblé qu'il était mieux pour lui de ne pas faire un nouveau voyage, parce que son esprit peut plus facilement se dissiper qu'un autre. Frère Onufre me dit que frère Etienne était malade, que vous l'aviez appris, et que vous craignez de n'avoir personne pour vous écrire. Ne craignez pas, mais soyez persuadé que quand Dieu ôte [991] d'un côté il donne d'un autre. Encouragez et bénissez mille fois frère Antoine dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)







CLXXII (126). - A FRERE GUILLAUME A LECCETO, pendant que sainte Catherine était à Florence. - De l'amour envers Dieu, et du désir que donne la lumière de la vérité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble et doux Agneau sans tache. Ce sang nous ôte la mort et nous donne la vie, il dissipe les ténèbres et répand la lumière, car dans le sang de Jésus crucifié nous connaissons la lumière de l'éternelle vérité de Dieu, qui nous a créés à son image et ressemblance par amour et par grâce, et non par obligation. Cette Vérité nous créa pour la gloire et l'honneur de son nom, pour que nous possédions et que nous goûtions l'éternel et souverain Bien; mais, après la faute d'Adam, cette vérité était obscurcie, et alors cet amour ineffable, qui avait forcé Dieu à nous tirer de lui-même en nous créant à son image et ressemblance, ce même amour s'émut; non pas que Dieu change en lui-même, car il [992] est immuable, mais son amour à notre égard nous fit donner le Verbe, son Fils unique, qui, pour obéir, voulut punir sur lui nos fautes, et laver dans son sang la face de cet âme, qu'il avait créée si noble avec tant d'amour. Il voulut que dans son sang brillât sa vérité. Aussi nous voyons bien clairement que s'il ne nous avait pas vraiment créés pour nous donner la vie éternelle, pour que nous jouissions de l'infini et souverain Bien, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur, il ne se serait pas donné lui-même, Dieu et homme tout ensemble. il est donc bien vrai que le sang du Christ nous manifeste et nous rend évidente la vérité de sa douce volonté; et, si j'y réfléchis bien, aucune vertu n'a la vie en elle si elle n'est faite et développée dans l'âme avec cette lumière de la Vérité.

2. O Vérité ancienne et nouvelle ! l'âme qui vous possède est affranchie de la pauvreté des ténèbres, elle a la richesse de la lumière; je ne parle pas de la lumière des visions et des consolations spirituelles, mais de la lumière de la Vérité; car, dès que l'âme connaît la Vérité dans le sang, elle s'enivre en goûtant Dieu par le mouvement de l'a charité, avec la lumière de la très sainte Foi; et cette foi doit accompagner toutes nos œuvres et nous faire goûter la nourriture des âmes, pour l'amour de Dieu, sur la table de la très sainte Croix, et non sur la table du plaisir et des consolations spirituelles et temporelles: oui, sur la Croix, en rompant et en détruisant notre volonté, en supportant les coups, les mépris, les opprobres, les affronts pour Jésus crucifié, et pour mieux se conformer à sa douce volonté. Alors l'âme [993] se réjouit quand elle se voit une même chose avec lui par l'union de l'amour quand elle se voit revêtue de son vêtement; et elle aime tant souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom, que, s'il était possible de posséder Dieu et de goûter la nourriture des âmes sans peine, elle aimerait mieux en jouir avec peine, par amour pour son Créateur. D'où lui vient ce désir? de la Vérité. Comment la voit-elle ? la connaît-elle? avec la lumière de la Foi. Où porte-t-elle son regard pour la voir? sur le sang de Jésus crucifié. Dans quel vase le trouve-t-elle? dans son âme, quand elle se connaît. C'est la voie véritable pour connaître la Vérité, et je n'en vois pas d'autre. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble Agneau sans tache.

3. Dans ce sang, nous jouissons et nous espérons que, par amour du Sang, Dieu fera miséricorde au monde et à sa douce Epouse; il dissipera les ténèbres de l'esprit des hommes. Il me semble que les premières lueurs de l'aurore commencent à paraître, et que notre Sauveur a éclairé ce peuple pour le retirer de cet aveuglement coupable, où il était tombé en faisant célébrer de force les saints mystères. Maintenant, grâces à Dieu, ils observent l'interdit (Sainte Catherine avait été envoyée à Florence par Grégoire XI. Elle ramena le peuple à l'obéissance du Saint-Siège par ses paroles et ses prières. Etienne Maconi, qui l'avait accompagnée, en rend témoignage dans ses notes manuscrites ajoutées à sa légende : Et gratia divina tanta est per eam operata, quod ubi cum maximo contemptu Sedis Apostolicae fregerant interdictum, ad psius virginis exhortationem iterum assumpserunt atque servaverunt.), et [994] commencent à revenir sous l'obéissance de leur Père. Aussi, je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, vous, frère Antoine, le Maître, frère Félix et les autres, de prier particulièrement pour forcer la Bonté divine d'envoyer, par l'amour du Sang, le soleil de sa miséricorde, afin que la paix se fasse ; ce sera bien vraiment un doux et bon soleil. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)







CLXXIII (127).- A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, et à frère ANTOINE DE NICE, à Lecceto.- Il faut sacrifier son propre repos à la gloire de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Mes très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir perdre vous-mêmes de telle manière que vous ne cherchiez la paix et le repos qu'en Jésus crucifié, ayant faim sur la table de la Croix de l'honneur de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Eglise. Nous la voyons aujourd’hui dans une telle nécessité, que pour la secourir il faut sortir de la solitude, et s'abandonner soi-même; car, si on veut faire quelque bien, on ne doit pas s'arrêter et dire : Je ne trouverai pas ainsi la paix. Dieu nous a fait la grâce de donner à la [995] sainte Eglise un bon et saint pasteur, qui aime les serviteurs de Dieu, et les attire à lui (Les éloges que sainte Catherine donne à Urbain VI sont confirmés par un grand nombre de témoignages contemporains. La rudesse de son caractère lui attira seulement des ennemis qui le calomnièrent pour justifier leur opposition et leur schisme (Voir Gigli, t. I, p. 735.)). Il s'applique à détruire et à arracher les vices, et à faire naître les vertus sans aucune crainte humaine; il agit en homme juste et courageux. Nous devons lui venir en aide, et je verrai que nous avons réellement l'amour de la réforme de la sainte Eglise. S'il en est vraiment ainsi, vous suivrez la volonté de Dieu et de son Vicaire; vous sortirez de la solitude, et vous accourrez sur le champ de bataille; mais si vous ne le faites pas, vous oublierez la volonté de Dieu. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, de vous rendre promptement et sans hésiter à la demande que le Saint-Père vous a faite (D'après les conseils de sainte Catherine, le Pape Urbain VI avait appelé à Rome les hommes les plus recommandables par leurs sciences et leurs vertus. Le bref du Souverain Pontife était du 13 décembre 1378. Cette lettre est écrite deux jours après. ( Voir la lettre C)). Ne craignez pas de perdre la solitude, car il y a, ici, des bois et des retraites. Courage donc, mes Fils bien-aimés, ne dormez plus, car c'est le temps de veiller. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Rome, le 15 décembre 1378 [996].

Table des matières (2)





CLXXIV (128). AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre des Frères Ermites de Saint-Augustin, dans la forêt du Lac. - De l'union avec Dieu, et des obstacles que cause l’amour-propre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs du Fils de Dieu, je vous encourage et je vous exhorte dans son précieux sang, avec le désir de vous voir uni et transformé dans son ineffable charité, afin que nous, qui sommes des arbres stériles et sauvages, nous soyons greffés sur l'Arbre de vie. Nous porterons alors des fruits doux et savoureux, non par nous-mêmes, mais par le Maître de la grâce qui est en nous; car, de même que le corps vit par l'âme, l'âme vit par Dieu. Le Verbe incarné ne pouvait, comme homme seulement, nous rendre la vie de la grâce; mais, comme Dieu, la divine Essence l'a voulu, et a pu le faire par amour. O feu, abîme de charité! pour que nous ne soyons pas séparés de vous, vous avez voulu vous greffer sur notre nature, et vous l'avez fait en semant votre parole dans le sein fécond de Marie; il est bien vrai que l'âme vit par vous. Le prix de ce sang répandu en abondance pour moi me profite par l'amour de la divine Essence.

2. Je ne m'étonne pas, mon très cher Père, de ce [997] que la Sagesse du Père, la Parole incarnée a dit: « Si je suis élevé en haut, j'attirerai tout à moi. » O cœurs endurcis, fils égarés d'Adam ! il faudrait être bien misérable pour ne pas se laisser attirer par un si doux Père. Il dit : Si je suis élevé, pourquoi cela? Pour que nous accourions. Je ne vois pas, mon très cher Père, d'autres obstacles que l'amour et l'ignorance que nous avons de nous-mêmes, notre peu de lumière et de connaissance de Dieu. Qui ne connaît pas, ne peut aimer; celui qui connaît aime. Je ne veux pas que nous restions plus longtemps dans cette ignorance, car nous ne serions pas unis à la vie; mais je veux que l'oeil de l'intelligence se lève au-dessus de nous pour voir et connaître l'éternelle et souveraine Vie. Dieu ne peut vouloir autre chose que notre sanctification; ce qu'il nous donne, ce qu'il permet, le lieu, le moment, la mort, la vie, les persécutions des hommes et des démons, tout cela n'a d'autre but que notre sanctification. Je vous le dis, dès que l'âme a ouvert son entendement, elle aime l'honneur de Dieu et des créatures; elle aime les peines, et ne se plaît que sur la Croix avec lui. Ce n'est pas étonnant, parce qu'elle a vu que la bonté de Dieu ne peut vouloir que le bien, et que toute chose vient de lui; elle est affranchie de l'amour-propre qui cause les ténèbres, et empêche de voir la lumière.

3. O mon Père! ne tardons plus, et attachons-nous à l'arbre fertile, afin que le Maître ne s'élève pas sans nous. Prenons le lien, la chaîne de son ardente charité qui le tient fixé et cloué sur le bois de la très sainte Croix; frappons, frappons avec amour, parce [998] que le Bien infini veut un désir infini. C'est la condition de l'âme d'appartenir à l'infini ; aussi elle désire sans fin, et elle n'est jamais rassasiée, tant qu'elle n'est pas unie à l'Infini. Que notre cœur s'applique de toutes ses forces à aimer Celui qui aime sans être aimé. O amour ineffable! pour façonner nos âmes, vous avez fait une enclume de votre corps, afin que le corps satisfît à la peine, l'âme du Christ à la haine du péché, et pour que la nature divine en triomphât par sa puissance (Dialogue, ch XXVI). Voyez comment nous avons été fidèlement rachetés. Pourquoi? Parce qu'il a été élevé en haut. Soumettons donc notre volonté perverse sous le joug de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien; et recevons avec respect les peines, nous jugeant indignes d'une si faveur.

4. Je vous dis, de la part de Jésus crucifié, que vous devez célébrer la sainte messe plus d'une fois la semaine dans le couvent, comme le veut le prieur; et j'ajoute même qu'il faut la célébrer tous les jours, si vous voyez que c'est sa volonté. En perdant les consolations, vous ne perdrez pas la grâce, vous l'acquerrez même à mesure que vous perdrez votre volonté.

5. Je veux que, pour montrer que nous avons faim des âmes et que nous aimons le prochain, nous ne nous attachions pas aux consolations. Nous devons écouter les plaintes du prochain, et avoir surtout compassion de ceux qui nous sont unis par les liens d'une même charité; si vous ne le faites pas [999], ce sera une grande faute. Oui, je veux que vous compatissiez aux peines et aux besoins de frère Antoine; je veux que vous ne refusiez pas de l'entendre; je veux aussi, et je demande que frère Antoine vous écoute. Je vous conjure de le faire de la part du Christ et de la mienne : c est le moyen de conserver entre vous la vraie charité; et en ne le faisant pas, vous donneriez au démon l'occasion de semer la discorde. Je termine en vous priant, en vous conjurant d’être uni à l'Arbre divin et transformé en Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CLXXV (129). - AU MEME FRERE GUILLAUME, à MESSIRE MATTHIEU, recteur de la Miséricorde, à FRERE SANTINI et à ses autres fils spirituels. - Des liens de la charité parfaite. - Jésus crucifié modèle de l'amour que nous devons avoir les uns pour les autres.

(Le Père Mathieu fut guéri miraculeusement de la peste, en 1374, par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 8.) Sainte Catherine sauva également le frère Santi, en lui commandant au nom de Jésus-Christ de ne pas mourir. Le B. Raymond fait le plus grand éloge de ca saint ermite dans sa Légende, 1110 part., ch. 1.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Fils dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1000] sang, avec le désir de vous voir unis par les liens de la charité car je vois que sans ses liens, nous ne pouvons plaire à Dieu; c'est à ce doux signe que se reconnaissent les serviteurs et les enfants du Christ; mais pensez, mes enfants, que ces liens doivent être purs et sans mélange d'amour-propre. Si vous aimez votre Créateur, aimez-le et servez-le comme le Bien suprême et éternel, digne d'être aimé, et non pour votre propre utilité; car ce serait un amour mercenaire, l'amour de l'avare qui aime l'argent par avarice; l'amour du prochain ne doit pas être ainsi. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, vous êtes le prochain les uns des autres; mais faites attention que si votre amour est fondé sur votre intérêt ou sur le plaisir que vous avez l'un de l'autre, il ne durera pas, mais il disparaîtra, et votre âme se trouvera vide.

2. L'amour fondé en Dieu doit être tel qu'on doit s'aimer à cause de la vertu, et parce que la créature est créée à l'image de Dieu. Lorsque le plaisir ou l'utilité diminue pour celui qui aime, son amour ne diminue pas s'il est fondé en Dieu; car il aime par amour pour la vertu, pour l'honneur de Dieu et non pour le sien propre. On ne peut aimer la vertu là où elle n'est pas; mais on aime on tant que la créature de Dieu est un membre uni au corps mystique de la sainte Eglise. Alors se développent les sentiments d'une grande et sincère compassion, qui enfante par le désir les larmes, les soupirs et les prières persévérantes en la douce présence de Dieu. C'est cet amour que le Christ a laissé à ses disciples. Cet amour ne s'affaiblit, ne se ralentit jamais; il ne s'impatiente [1001] pas pour une injure qu'il reçoit, et ne tombe pas dans les murmures et le dégoût, parce qu'il n'aime pas pour lui, mais pour Dieu. Il ne juge pas, et ne veut pas juger la volonté des hommes; et ne s'occupe que de la volonté de son Créateur, qui ne cherche et ne veut que notre sanctification; il se réjouit de tout ce que Dieu permet, de quelque manière que ce soit, parce qu'il ne cherche autre chose que l'honneur de son Créateur et le salut de son prochain. On peut véritablement dire que ceux qui aiment ainsi sont unis dans le lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur l'arbre de la très sainte et très douce Croix.

3. Mais pensez, mes chers Fils, que jamais vous n'arriverez à cette parfaite union, si vous ne prenez pour modèle Jésus crucifié. En suivant ses traces, vous trouverez en lui cet amour dont il vous 'aime par bonté et non par obligation: et perce qu'il nous aime par bonté, son amour ne s'est pas arrêté à notre ingratitude, à notre ignorance, à notre orgueil, à notre vanité, mais il a persévéré jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il nous a délivrés de la mort, et nous a donné la vie. Faites de même, mes enfants, suivez, suivez son exemple; aimezvous, aimez-vous les uns les autres d’un amour pur et saint dans le Christ, le doux Jésus. Je ne vous en dis pas davantage, parce que j'espère bientôt vous revoir, s'il plaît à la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1002].

Table des matières (2)





CLXXVI (130). - A FRERE ANTOINE, DE NICE, des Ermites de Saint-Augustin, au couvent de Lecceto, près Sienne . - Nous devons toujours chercher le salut des âmes pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre consolation.

(Frère Antoine, de Nice, fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il mourut en odeur de sainteté, en 1192.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, afin que l'édifice que vous bâtirez dessus ne soit jamais ébranlé par les vents contraires qui le frapperont; mais que ferme, solide, inébranlable, il persévère jusqu'à la mort dans la voie de vérité. Oh! combien est nécessaire ce vrai et solide fondement que je n'ai pas connu dans mon ignorance; car si je l'avais connu véritablement, je n'aurais pas bâti sur moi-même, qui suis pire que le sable, mais sur la pierre vive dont je parle, en suivant le Christ dans la voie des opprobres, des mépris, des affronts; je me serais privée de toute consolation pour pouvoir devenir semblable à lui. De quelque côté que vienne l'épreuve, de l'intérieur ou du dehors, je ne me serais pas cherchée moi-même; mais je n'aurais pensé qu'à l'honneur de Dieu, au salut des âmes, à la réforme de l'Eglise, que je [1003] vois dans de si grands besoins. Malheureuse! j'ai fait tout le contraire; j'ai mal fait, mon cher Fils, mais je ne voudrais pas vous voir faire de même, vous et les autres, et je désire vous voir fondés sur cette Pierre vive.

2. Voici le moment où se montrent les serviteurs de Dieu et ceux qui se cherchent eux-mêmes, qui aiment Dieu pour leur consolation, et le prochain pour leur intérêt; ils regardent où est la consolation et où elle n'est pas, comme 51 nous pensions que Dieu est dans un lieu et non dans un autre. Non, il n'en est pas ainsi; mais je vois que, pour le serviteur de Dieu, tous les lieux et les temps sont acceptables. Quand il est temps d'abandonner la consolation et d'embrasser la fatigue pour l'honneur de Dieu, il le fait; quand il est temps de quitter la solitude pour le service de Dieu, il le fait, et paraît en public comme le faisait le glorieux saint Antoine, qu’aimait certainement bien la solitude, mais qui la quittait souvent pour fortifier les chrétiens. On pourrait citer aussi beaucoup d'autres saints. La règle des vrais serviteurs de Dieu a toujours été de se montrer dans le temps de la nécessité et du malheur, mais non dans le temps de la prospérité, car ils la fuient. Il n'y a pas lieu de fuir maintenant, de peur que la trop grande prospérité ne laisse entraîner nos cœurs au vent de l'orgueil et de la vaine gloire; personne ne peut se glorifier que dans les souffrances. Mais il me semble que la lumière nous manque, quand nous nous laissons aveugler par les consolations, et que nous plaçons nos espérances dans des révélations qui nous empêchent de bien [1004] connaître la verité. Nos motifs peuvent être bons, mais il n'y a que Dieu, qui est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous donne la parfaite et vraie lumière. Je ne m'étendrai pas d'avantage sur ce sujet.

3. Il paraît, d'après la lettre que frère Guillaume m'a envoyée, que ni lui ni vous ne viendrez. Je ne veux pas répondre à cette lettre; mais je gémis du fond du cœur de sa simplicité, car il recherche bien peu l'honneur de Dieu et l’édification du prochain. S'il ne veut pas venir par humilité et par crainte de perdre la paix, il devrait pratiquer la vertu d'humilité, en demandant humblement et avec douceur la permission du Vicaire de Jésus-Christ, en suppliant Sa Sainteté de vouloir bien le laisser dans la solitude pour qu'il soit plus tranquille, mais en s'en remettant à s'a volonté, comme le veut la véritable obéissance. Cela serait certainement plus agréable à Dieu et plus utile à son âme; mais il me semble qu'il fait tout le contraire, en prétendant que celui qui est lié à l'obéissance de Dieu ne doit pas obéir aux créatures. Il peut en effet ne pas s'inquiéter des hommes; mais qu'il mette au même rang le Vicaire de Jésus-Christ, c'est ce qui m'afflige profondément. Il oublie la vérité, car l'obéissance à Dieu ne nous éloigne jamais de celle du Souverain Pontife; plus celle-ci est parfaite, plus celle-là l'est aussi; nous devons toujours être soumis à ses ordres, et lui obéir jusqu'à la mort. Lorsque ces ordres nous semblent indiscrets et capables de nous ôter la paix et les consolations spirituelles, nous devons cependant leur obéir; et si nous faisons le contraire,je suis persuadée que [1005] c'est une grande imperfection et une erreur du démon.

4. Il paraît, d'après ce qu'il écrit, que deux serviteurs de Dieu ont eu une grande révélation; le Christ sur terre et l'a personne qui l’a conseillé, en appelant ces serviteurs de Dieu, auraient suivi une inspiration plus humaine que divine, et c'est plutôt le démon que Dieu qui a voulu tirer ces serviteurs de leur paix et de leurs consolations. On prétend que si vous et les autres, vous veniez, vous perdriez l'a dévotion; vous ne pourriez plus vous livrer à la prière et être unis de cœur au Saint-Père. Votre dévotion n'est guère solide, si elle se perd en changeant de résidence; il semble que Dieu fait attention aux lieux, et qu'il se trouve seulement dans la solitude, et non ailleurs, dans le temps de la nécessité.

5. Ainsi, nous commençons par dire que nous désirons la réforme de l'Eglise, que nous souhaitons qu'on y arrache les épines, et qu'on y plante les fleurs odoriférantes, qui sont les serviteurs de Dieu; et nous prétendrons ensuite que les appeler, les tirer de la paix et du repos de leur esprit pour qu'ils viennent en aide à la barque de saint Pierre, est une erreur du démon. Il faut au moins parler pour soi seulement, et de ne pas parler des autres serviteurs de Dieu, que nous ne devons pas confondre avec les serviteurs du monde. Frère André de Lucques et frère Paulin n'ont pas agi de la sorte; ces grands serviteurs de Dieu étaient âgés et mal portants, et ils n'ont pas ainsi recherché leur repos, mais ils se sont mis bien vite en route, malgré la fatigue et les difficultés; ils sont venus, ils ont obéi; et, quoiqu'ils désirent beaucoup [1006] retourner dans leurs cellules, ils ne veulent pas se soustraire au joug de l'obéissance, mais ils rétractent ce qu'ils avaient dit; ils renoncent à leur volonté pour ce qui est des consolations. Ils sont venus pour souffrir, non pour commander, mais pour se perfectionner dans la peine, au milieu des larmes, des veilles et des prières continuelles. C'est ainsi qu'il faut faire. N'en disons pas davantage. Que Dieu dans sa miséricorde nous purifie, et nous conduise par la voie de la vérité; qu'il nous donne la vraie et parfaite lumière, afin que nous ne marchions pas dans les ténèbres. Je vous conjure, vous, le Bachelier et les autres Serviteurs de Dieu, de demander a l'humble Agneau qu'il me fasse aller par ses voies. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CLXXVII (131).- AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE ANTOINE, de Nice, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, au Bois du Lac. - Des deux volontés propres pour les choses sensibles et pour les choses spirituelles. - Comment il faut se conformer à la volonté divine.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Père et bien aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous recommande dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir embrasé et consumé [1007] dans la fournaise de la divine charité. Que là aussi soit brûlée et consumée votre volonté propre, cette volonté qui nous ôte la vie et nous donne la mort. Ouvrons les yeux, mon très cher Frère, et considérons que nous avons deux volontés : l'une sensitive, qui cherche les choses sensibles; l’autre spirituelle, qui, sous l'apparence de vertu, tient beaucoup à son sentiment; elle le montre quand elle veut choisir le lieu, le temps et les consolations à son gré, et qu'elle dit: Je voudrais ceci pour jouir de Dieu davantage. C'est là une grande erreur et une illusion du démon. Lorsque le démon ne peut tromper les serviteurs de Dieu avec la première volonté, parce que les serviteurs de Dieu l'ont mortifiée dans les choses sensibles extérieures, il tente la seconde volonté au moyen des choses spirituelles.

2. L'âme reçoit souvent des consolations; Dieu l'en prive ensuite, et lui donne une chose moins douce, mais plus utile. Alors l'âme qui s'était attachée à cette douceur souffre de sa privation, et en conçoit de l'ennui. Pourquoi de l'ennui? Parce qu'elle De voudrait pas en être privée. Elle dit : Je crois que j'aimerais plus Dieu de cette manière que de l'autre, ou encore: Je retire du fruit de cette consolation, tandis que je ne reçois de ceci que de la peine, beaucoup de combats, et il me semble que j'offense Dieu. Je vous assure, mon Fils et mon Frère dans le Christ Jésus, que cette âme se trompe avec Sa propre volonté qui ne voudrait pas être privée de cette douceur; le démon l'abuse par cette amorce. Les hommes bien souvent perdent le temps en voulant le choisir à leur gré, et en ne se servant [1008] pas de celui qu'ils ont dans la peine et les ténèbres. Une fois notre doux Sauveur disait à une de ses filles bien-aimées (A Sainte Catherine de Sienne elle-même): «Sais-tu ce que font ceux qui veulent accomplir ma volonté dans la consolation, la douceur et le plaisir? Quand ils en sont privés, ils veulent sortir de ma volonté, croyant bien faire et éviter le péché; mais il y a là une sensualité cachée; et pour fuir la peine, ils tombent dans la faute, et ne s'en aperçoivent pas. Mais si l'âme avait été sage, si elle avait eu intérieurement la lumière de ma volonté, elle aurait regardé au fruit et non à la douceur.

3. « Quel est ce fruit de l'âme? La haine de soi et l'amour de moi. Cette haine et cet amour viennent de la connaissance de soi-même. L'âme connaît ses défauts, son néant, et voit en elle ma bonté qui lui conserve sa bonne volonté; elle voit que je l'ai faite pour qu'elle me serve dans la perfection, et elle juge que tout arrive pour le mieux et pour son plus grand bien. Celui-là, ma chère fille, ne cherche pas le temps selon son bon plaisir, parce qu'il est humble et qu'il connaît sa faiblesse; il n'écoute pas sa volonté, mais il m'est fidèle. Il se revêt de ma volonté suprême et éternelle, parce qu'il voit que je ne donne ou que je n'ôte rien, si ce n'est pour votre sanctification; il voit que c'est l'amour seul qui me porte à vous donner la douceur ou à vous en priver; et à cause de cela, il ne peut se plaindre de la perte de la consolation, qu'elle lui vienne de l'intérieur ou du dehors, du démon ou des créatures, parce qu'il [1009] voit que si ce n'avait pas été pour son bien, je ne l'aurais pas permis.

4. «Il se réjouit parce que la lumière lui vient du dedans et du dehors; et quand le démon remplit son esprit de ténèbres et de confusion, en lui disant : Cela arrive à cause de tes péchés, il répond comme une personne qui ne craint pas la peine : Je remercie mon Créateur, qui s'est souvenu de moi au milieu des ténèbres, et qui veut bien me punir dans le temps qui passe; c'est une grande preuve de son amour, de ne pas vouloir me punir pendant l'éternité. Oh! quelle paix profonde possède l'âme quand elle s'affranchit de la volonté qui cause les tempêtes ! Il n'en est pas ainsi de celui dont la volonté vit encore, et qui cherche les choses selon son bon plaisir; il semble qu'il croit mieux savoir que moi ce dont il a besoin. - Il me semble que c'est offenser Dieu ; ôtez-moi cette occasion, et je ferai ce qu'il veut.- La preuve qu'il n'y a pas d'offense, c'est que vous voyez en vous la bonne volonté de ne pas offenser Dieu et l'horreur du péché.

5. «Vous devez donc conserver l'espérance; car si tous les secours extérieurs et toutes les consolations intérieures venaient à vous manquer, que la volonté de plaire à Dieu soit toujours inébranlable en vous; c'est sur cette pierre qu'est fondée la grâce. Si vous dites : Il me semble que je ne l'ai pas, vous êtes dans l'erreur; car si vous ne l’aviez pas, vous ne craindriez pas d'offenser Dieu c'est le démon qui veut vous faire croire le contraire pour que votre âme tombe dans le trouble et dans une tristesse déréglée, et qu'elle s'obstine à vouloir les [1010] consolations, le moment et le lieu, selon son bon plaisir. Ne le croyez pas, ma fille bien-aimée; mais que votre âme soit toujours prête à supporter les peines comme Dieu vous les envoie : autrement vous seriez semblable à celui qui tient le flambeau dehors pour éclairer l'extérieur, et qui laisse l'intérieur obscur. Ainsi fait celui qui se soumet à la volonté de Dieu pour les choses extérieures, et qui méprise le monde, mais qui à l'intérieur conserve une volonté spirituelle, vive et cachée sous l'apparence de la vertu. » Voilà ce que Dieu disait à sa servante; c'est pourquoi je vous répète que je veux et désire que votre volonté soit anéantie et transformée en lui, et que vous soyez toujours prêt à supporter les peines et les fatigues, de la manière que Dieu voudra vous les donner. Nous serons ainsi délivrés des ténèbres, et nous aurons la lumière. Amen! Béni soit Jésus crucifié, avec la douce Marie.

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CLXXVIII (132). - A FRERE JEROME, de Sienne, des Frères Ermites de Saint-Augustîn. – Comment il faut célébrer la dernière pâque avec Jésus-Christ. - De l'amour des créatures.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Père et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, me souvenant de la parole de notre [1011] Sauveur, qui disait à ses disciples : « J'ai désiré avec désir faire la pâque avec vous avant de mourir. » Je vous dis de même, Frère Jérôme, mon Père et mon Fils bien-aimé; et si vous me demandez quelle pâque je désire faire avec vous, je vous répondrai pas d'autre pâque que celle de l'Agneau sans tache, lorsqu'il se donna lui-même à ses disciples. O doux Agneau consumé au feu de la charité divine sur le bois de la très sainte Croix! ô nourriture très suave, pleine de joie, d'allégresse et de consolation! rien ne manque en vous; car, pour l'âme qui vous sert en vérité, vous êtes la table, la nourriture et le serviteur. Nous voyons bien que le Père est une table et un lit où l'âme peut se reposer; nous voyons le Verbe, son Fils unique, qui se donne à nous en nourriture avec un si ardent amour. Et qui porte cette nourriture? l'Esprit-Saint qui devient serviteur; dans son amour infini, il n'est pas content que nous soyons servis par les autres; il veut nous servir lui-même. C'est à cette table que mon âme désire faire la pâque avec vous avant de mourir; car une fois la vie passée, nous ne pourrons la faire.

2. Sachez, mon Fils, qu'à cette table il faut se présenter dépouillés et vêtus : dépouillés de tout amour-propre, de tout amour du monde, de toute négligence, de toute tristesse et de toute confusion d'esprit, car la tristesse déréglée dessèche l'âme. Nous devons nous revêtir de son ardente charité, mais nous ne pouvons l'avoir si l'âme n'ouvre pas l'oeil de la connaissance d'elle-même, si elle ne voit pas qu'elle n'est rien, et comment nous faisons ce qui n'est pas. C'est ce qui empêche de connaître en [1012] nous l'infinie bonté de Dieu. Car, lorsque l'âme contemple son Créateur et son infinie bonté, elle ne peut s'empêcher de l'aimer, et l'amour la revêt des vraies et solides vertus, et elle préférerait mourir plutôt que de faire une chose contraire à Celui qu'elle aime; mais elle cherche toujours avec zèle à faire ce qui lui est agréable; elle aime aussitôt ce qu'il aime, elle déteste ce qu'il déteste, parce que l'amour l'a rendue un autre lui-même. C'est cet amour qui détruit en nous la négligence, l'ignorance et la tristesse, parce que la mémoire se réjouit avec le Père en retenant les bienfaits de Dieu; l'intelligence se réjouit avec le Fils, dont la sagesse et la lumière lui font connaître et aimer la volonté de Dieu; et aussitôt naît cet amour et ce désir qui la passionnent pour l'éternelle et suprême Vérité, tellement qu'elle ne peut et ne veut aimer et désirer que Jésus crucifié, et elle ne se plaît qu'à supporter les opprobres et les peines; c'est là sa joie, son bonheur; elle se défie de tout le reste, et elle met toute sa gloire à souffrir pour Jésus-Christ les peines, les affronts, les persécutions du monde et du démon.

3. Allumez donc, allumez en vous le feu du saint désir, et regardez l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix; car nous ne pouvons d'une autre manière manger à cette table douce et sacrée. Faites que dans la cellule de votre âme l'arbre de la très sainte Croix soit toujours planté et dressé; car sur cet arbre vous cueillerez le fruit de la véritable obéissance, de la patience, de la profonde humilité; vous verrez mourir en vous toute complaisance, tout amour-propre, et vous acquerrez la faim des [1013] âmes, en voyant que par faim pour notre salut et l'honneur de son Père, Notre-Seigneur s'est humilié et s'est livré lui-même à la mort ignominieuse de la Croix, comme si son amour pour nous allait jusqu'à l'ivresse, à la folie (Ce mot de folie a été appliqué à l’amour de Notre-Seigneur par plusieurs grands saints. Le bienheureux Jacopone de Todi répondait à son divin Maître qui lui demandait pourquoi il s'était rendu fou aux yeux du monde : parce que vous avez été plus fou que moi : Quia stultior me fuisti.) : c'est cette pâque que je désire faire avec vous.

4. Nous avons dit que nous devions nous nourrir des âmes, et mon âme le désire pour vous, parce que vous êtes le héraut de la parole de Dieu. Je veux donc que vous soyez un vase d'élection plein du fou d'une ardente charité, pour porter le doux nom de Jésus et semer cette parole incarnée du Christ dans le champ de l'âme. Je vous y invite, et je veux qu'en recueillant la semence, c'est-à-dire on la faisant fructifier dans les créatures, vous en donniez toute la gloire au Père éternel, rapportant tout à lui et ne vous attribuant rien à vous-même; car autrement nous serions des voleurs, nous déroberions ce qui vient de Dieu et nous le garderions pour nous; mais je crois que, grâce à Dieu, cela ne nous arrivera pas ; il me semble que toujours le premier mouvement, le principe de nos actions, est pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures; mais bien souvent cependant nous pouvons nous complaire dans la créature. Mais, comme je veux que vous soyez parfait et que vous portiez des fruits de perfection, je veux que vous n'aimiez aucune [1014] créature en général ou en particulier, si ce n'est en Dieu.

5. Comprenez bien ce que je vous dis; je sais que vous aimez la créature spirituellement en Dieu, mais quelquefois, ou par défaut d'intention, ou parce que l'homme a une nature qui l'y porte, comme vous l'avez éprouvé vous-même, on aime spirituellement, et dans cet amour on trouve un plaisir, une jouissance qui fait que souvent la sensualité y a sa part, sous l'apparence de la spiritualité. Si vous me dites : Comment puis-je m'apercevoir de cette imperfection? Je vous répondrai : Quand vous voyez que la personne qui est aimée vous manque en quelque chose, qu'elle n'est plus dans les mêmes rapports avec vous, et qu'elle semble en aimer mieux une autre; si alors vous en avez du chagrin, si ce chagrin affaiblit l'affection que vous aviez, soyez bien persuadé que cette affection était imparfaite. Quel est donc le moyen de l'a rendre parfaite? Je ne vous indiquerai pas d'autre moyen, mon très cher Fils, que celui enseigné par la Vérité même à une de ses servantes : Ma fille bien-aimée, lui disait-elle une fois, je ne veux pas que tu fasses comme celui qui tire un vase plein d'eau d'une fontaine et qui boit lorsqu'il est dehors; le vase se vide, et il ne s'en aperçoit pas; mais je veux que, lorsque tu emplis le vase de ton âme, en ne faisant par l'affection qu'une même chose avec celui que tu aimes pour moi, tu ne retires pas ce vase loin de moi, qui suis la fontaine d'eau vive, mais que tu y conserves cette créature que tu aimes pour l'amour de moi, comme le vase dans l'eau. De cette manière, vous ne serez [1015] jamais vide, ni toi ni celui que tu aimes, mais vous serez toujours remplis de la grâce divine et du feu très ardent de la charité, et alors vous ne tomberez pas dans le trouble et le dépit. Celui qui aime ainsi, lorsqu'il voit que celui qu'il aime change et s'éloigne de sa société, ne s'en afflige pas, pourvu qu'il le voie persévérer dans les douces et solides vertus, car il l'aimait pour Dieu, et non pour lui; il éprouve cependant une sainte émotion quand il se voit séparé de ce qu'il aime. Telle est la règle et le moyen que je veux vous voir prendre pour que vous soyez parfait. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CLXXIX (133). - A FRERE FELIX DE MASSA, de l'Ordre de Saint- Augustin.- Lettre écrite en extase - L'humilité et la charité s'acquièrent par la connaissance de notre néant et de la bonté divine en nous.

 (Le frère Félix Massa était un des disciples les plus aimés de sainte Catherine. Il l’accompagna dans son voyage à Avignon. Il mourut le 22 septembre 1388, en grande réputation de sainteté.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1016] sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et parfaite humilité, parce que celui qui est humble, est patient à supporter toute fatigue par amour de la vérité. Comme l'humilité est la gouvernante et la nourrice de la charité, il ne peut y avoir d'humilité sans charité. Celui qui brûle dans la fournaise de la charité n'est pas négligent; il a un zèle parfait, car la charité n'est jamais oisive, elle travaille toujours. Cet amour et cette humilité, qui consument la négligence et qui éteignent l'orgueil, ne peuvent s'acquérir sans la lumière et sans un objet que l'oeil éclairé puisse contempler; car si l'oeil qui est en présence de la lumière n'est pas ouvert, la vue ne lui sera d'aucune utilité. L'oeil véritable de notre âme est l'intelligence; il possède la lumière de la très sainte Foi quand le voile de l'amour-propre ne l'obscurcit pas. Lorsque nous écartons l'amour de nous-mêmes, cet œil est clair et voit combien le cœur doit suivre et aimer son bienfaiteur.

2. L'oeil de l'intelligence excité par l'amour s'ouvre aussitôt et se fixe sur son objet, Jésus crucifié, dans le sang duquel surtout il reconnaît l'abîme de son ineffable charité. Mais où faut-il voir et placer cet objet? Dans la cellule de la connaissance de soi-même; c'est là qu'on connaît sa misère, parce qu'on a vu avec l'oeil de l'intelligence ses défauts, son néant, et on les voit en vérité. Quand l'homme se connaît, il connaît aussi la bonté de Dieu à son égard; car s'il se connaissait seulement, et s'il voulait connaître Dieu sans lui, cette connaissance ne serait pas fondée sur la vérité, et il n'en retirerait pas le fruit qu'il doit en retirer; il perdrait même [1017] plutôt qu'il ne gagnerait, parce qu'il ne retirerait de la connaissance de lui-même qu'ennui et confusion; son âme se dessécherait, et, en persévérant ainsi sans recevoir aucun secours, il tomberait dans le désespoir. S'il voulait connaître Dieu sans se connaître, il n'en retirerait que le fruit corrompu d'une grande présomption. Cette présomption est nourrie par l'orgueil, et ces deux vices s'entretiennent mutuellement. Il faut donc que la lumière fasse voir toute la vérité, et que la connaissance de soi-même soit unie à la connaissance de Dieu, et la connaissance de Dieu à la connaissance de soi-même.

3. Alors l'âme ne tombe ni dans la présomption ni dans le désespoir, mais elle trouve dans cette double connaissance des fruits de vie; car dans la connaissance d'elle-même elle reçoit le fruit de l’humilité véritable, qui produit la haine et l'horreur de la faute et de la loi perverse, qui est toujours prête à combattre contre l'esprit, et cette haine enfante la patience, qui est la moelle de la charité. De la connaissance de la grande bonté de Dieu qu'elle trouve en elle, l'âme reçoit le fruit d'une charité sans borne pour Dieu et pour son prochain, parce que la lumière lui fait voir et connaître que l'amour qu'elle a pour son Créateur ne peut lui être d'aucune utilité; et alors, ce qu'elle ne peut faire pour lui elle le fait pour le prochain par amour pour Dieu; car elle aime la créature parce qu'elle voit que le Créateur aime souverainement la créature, et la condition de l'amour est d'aimer toutes les choses qui sont aimées par la personne qu'on aime.

4. C'est avec cette lumière, mon très cher Fils [108], que nous acquerrons la vertu d'humilité et de charité, et que nous porterons et supporterons avec une vraie et sainte patience les défauts de notre prochain. Nous détruirons toute négligence avec le zèle parfait acquis au foyer de la divine charité, et nous éteindrons l'orgueil avec l'eau de la véritable humilité. Nous deviendrons affamés de l'honneur de Dieu. et nous nous nourrirons des âmes avec délices sur la table de l'humble Agneau sans tache; il n'y a pas d'autre chemin. C'est parce que j'ai compris qu'il fallait le suivre et marcher dans la voie de la véritable humilité, que je vous dis et que je vous répète mon désir de vous voir affermi dans une vraie et parfaite humilité, et je veux que vous y travailliez sans peine et sans trouble d'esprit.. Oui, je vous recommande de nouveau de commencer avec une foi vive, une ferme espérance, une obéissance prompte. Je veux que vous engraissiez ainsi votre âme, et qu'elle ne se dessèche pas par le trouble et l'ennui, mais secouez avec un zèle parfait le sommeil de là négligence, et dérobez les vertus que vous verrez dans vos frères, en les nourrissant dans votre cœur. Que toujours la vérité soit votre joie, qu'elle soit dans votre bouche, et, quand il le faut, dites-la charitablement à tout le monde, surtout aux personnes que vous aimez d'un amour particulier, mais toujours avec douceur, vous attribuant à vous-même tous les défauts des autres; et si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent avec toute la prudence nécessaire, corrigez-vous-en à l'avenir. Pour cela, je veux que vous n'ayez aucune peine, aucun souci à mon sujet. II faut traverser tous les flots de cette mer [1019] orageuse avec une humilité sincère, avec la charité fraternelle et la sainte patience. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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