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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 180 à 199



CLXXX (134). - A UN RELIGIEUX qui avait quitté son Ordre. Lettre écrite en extase. De la lumière de la sainte Foi nécessaire pour connaître et aimer la vérité. - De l’amour-propre qui obscurcit cette lumière. - Combien il est coupable de persévérer dans le péché. - Elle l'exhorte à retourner dans le bercail de son Ordre, lui donnant l’espérance du pardon et de la divine miséricorde, s’il triomphe de lui-même par l’humilité et le regret de son erreur.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vérité, afin que la connaissant, vous puissiez vous en revêtir et détester ce qui est contre la vérité, ce qui se révolte contre elle, afin d'aimer ce qui est dans la vérité et ce que la vérité aime. O mon cher Fils ! combien est nécessaire cette lumière, car c'est en elle qu'est notre salut. Mon bien cher Fils, je ne vois pas que nous puissions avoir la lumière de l'intelligence sans la pupille de la très sainte Foi, qui est le centre de notre vie. Et si cette lumière est obscurcie et cachée par l'amour de nous-mêmes, l'oeil n'a pas [1020] de lumière; il ne voit plus, et dès lors il ne connaît plus la vérité. Il faut donc écarter ce nuage, afin de le rendre clair. Mais comment dissiper et chasser ce nuage? Par la sainte haine de nous-mêmes, en connaissant nos fautes et en connaissant l'infime bonté de Dieu à notre égard.

2. Par cette connaissance s'acquiert la vertu de patience, parce que celui qui connaît ses défauts et la loi sensitive qui combat contre l'esprit, se hait lui-même, et se réjouit, lorsque non seulement les créatures raisonnables, mais encore les animaux le punissent de ses fautes. Les injures, les affronts, les reproches l'engraissent ; les persécutions et les peines sont sa joie, et il les prend pour des consolations. Cette connaissance, que l'homme a de lui-même, fait naître une humilité profonde; il ne lève plus la tête par orgueil, mais il s'humilie toujours davantage; il se nourrit de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard, et il développe en lui les ardeurs de la chante. Cette charité, nourrie par l'humilité, enfante la vraie discrétion, qui lui fait discerner ce qu'il doit à Dieu; il loue et glorifie son nom, il se hait lui-même et déteste sa sensualité; il est plein de bienveillance pour le prochain, l'aimant comme il doit l'aimer, avec une charité fraternelle, libre et réglée, que rien n'arrête et ne trouble, parce que la vertu de discrétion a sa raison dans la charité; elle n'est autre chose qu'une vraie connaissance que l'âme a d'elle-même et de Dieu, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du. Elle ne le ferait pas sans lumière; si elle ne l'avait pas, ses pensées et ses œuvres seraient imparfaites; et cette [1021] lumière, elle ne peut l'avoir sans la vraie connaissance d'elle-même, qui lui donne la haine; dans la connaissance de la Bonté divine, elle trouve l'amour.

3. Celui qui possède cette haine et cet amour devient le serviteur fidèle de son Créateur, et, au milieu même de la nuit de cette vie ténébreuse, il marche à la lumière, et au sein des tempêtes il possède et goûte la paix; il court toujours à la perfection avec constance et persévérance jusqu'à la mort; il résiste avec force aux assauts de l'ennemi, et ne succombe jamais dans les combats qu'il soutient. S'il est séculier, il est bon séculier; s'il est religieux, il est religieux parfait; il navigue dans la barque de l'obéissance véritable sans jamais en sortir. Le miroir où il se regarde est la règle, les coutumes, les usages, qu'il s'applique à observer toujours. Il n'écoute pas le démon, qui voudrait le combattre par la crainte servile en lui disant : Tu ne pourras pas supporter les épreuves de l'Ordre, les persécutions de tes frères, les pénitences qui te seront imposées et les obligations trop pénibles. Mais celui qui a la lumière se rit de toutes ces choses; comme il est mort à la volonté propre, et qu'il est éclairé de la lumière de la sainte Foi, il répond : Je supporte tout pour Jésus crucifié, parce que je sais bien que Dieu n'impose jamais à ses créatures de fardeaux au-dessus de leurs forces. Je lui en laisse donc la mesure, et je veux les porter avec une vraie patience, car je connais la vérité, et je sais bien que tout ce qu'il permet ou qu'il donne il le fait pour mon bien, afin que je sois sanctifié en lui.

4. Oh! combien est heureuse cette âme qui, par la [1022] douce connaissance de la vérité, est parvenue à une telle lumière et à une telle perfection, qu'elle voit et qu'elle comprend que tout ce que Dieu permet, il le permet par amour. Car celui qui est Amour ne peut s'empêcher d'aimer la créature raisonnable; il nous a aimés avant que nous fussions, parce qu'il voulait que nous participions au Bien suprême et éternel. Aussi tout ce qu'il nous donne, il nous le donne dans ce but; mais les infortunés qui sont privés de la lumière de la sainte Foi ne connaissent pas la vérité. Et pourquoi ce malheureux ne connaît-il pas la vérité? Parce qu'il ne dissipe pas le nuage de l'amour-propre; il ne se connaît pas, et alors il ne se hait pas; il ne connaît pas la Bonté divine, et il ne l'aime pas. S'il aime quelque chose, son amour est imparfait, parce qu'il aime pour son plaisir, pour la consolation qu'il reçoit de Dieu, ou l'utilité qu'il retire du prochain. Il n'est pas fort et persévérant dans le bien qu'il a entrepris, parce que peu à peu, à mesure qu'il est sevré du lait de la consolation, il faiblit et tourne la tête en arrière pour regarder la charité; s'il avait connu vraiment la Vérité, il n'en serait pas ainsi. Mais comme il est imparfait, s'il lui arrive de tourner la tête an arrière, ce qu'il n'a pas fait, comme le demandait la lumière de la Foi, il devrait le faire après sa chute; car la longue persévérance dans le péché déplaît plus à Dieu, et lui est plus nuisible que le péché même, parce que le péché est ordinaire à l'homme, mais la persévérance dans le péché est la part du démon. Il ne doit pas se mettre au nombre des morts, tandis qu'il peut encore vivre, ni résister aux remords de sa conscience [1023] qui l'appelle et le ronge sans cesse. Il ne doit pas dire : J'attends; ce fruit amer n'est pas encore mûr. Oh! combien est aveugle et insensé celui qui compte sur le temps qu'il n'a pas, qui ne profite pas de celui qu'il a, et qui agit comme s'il était sûr de toujours vivre. Quelle peine et quel effroi cette folie ne cause-t-elle pas aux serviteurs de Dieu, qui sont affamés de l'honneur de leur Créateur et du salut des âmes.

5. O mon Fils bien-aimé ! faites un retour sur vous-même, et ouvrez l'oeil de votre intelligence pour connaître vos fautes, avec l'espérance de la miséricorde. Voyez, voyez la vérité, et revenez à votre bercail, parce qu'autrement vous ne pourrez le connaître, votre faute vous en empêchera; car vous ne pouvez rester en dehors du bercail sans être en état de péché mortel et sous le poids de l'excommunication. Vous ne pourrez alors connaître la Vérité; mais en revenant au bercail, vous la connaîtrez, parce que vous vous purifierez de votre faute. Appliquez donc votre volonté à aimer et à désirer votre Créateur et l'arche sainte de votre Ordre. Placez-vous parmi ceux qui doivent le plus gémir d'une position semblable; car vous aviez montré d'abord un grand amour, une grande connaissance de Dieu, et vous paraissiez goûter avec délices le lait de la prière, et offrir de doux et tendres désirs; mais il faut croire qu'en réalité vous n'étiez pas fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, c'est-à-dire que vous ne l’aimiez pas, sans recherche de votre propre consolation, et pur de toute considération humaine. Car si vous aviez été véritablement [1024] affermi sur Jésus crucifié et sur la connaissance de vous-même, comme je l'ai dit, vous ne seriez pas tombé dans une si grande erreur. Nous tombons seulement lorsque nos fondements ne sont pas bien creusés dans la vallée de l'humilité et appuyés sur la pierre vive du Christ, le doux Jésus. En suivant ses traces, on ne choisit ni le temps, ni le lieu, à son gré, mais on s'en rapporte entièrement au bon plaisir de l'éternelle Vérité.

6. O mon Fils bien-aimé! ce que vous n'avez pas fait, je veux que vous le fassiez sans vous troubler et vous décourager, avec une ferme espérance et avec la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière vous fera bien connaître sa miséricorde; et cette miséricorde adoucira cette confusion que vous ressentirez en vous voyant tombé des hauteurs du Ciel dans un abîme de misère. Levez-vous donc avec une sainte haine, en vous trouvant digne de honte et d'affront, indigne de récompense et de grâces; cachez-vous sous les ailes de la miséricorde de Dieu, car il est plus enclin à pardonner que vous à pécher. Baignez-vous dans le sang du Christ, où votre âme se fortifiera dans l'espérance; et vous n'attendrez plus le temps, parce que le temps ne vous attend pas. Mais faites-vous violence à vous-même, et dites : Mon âme, reconnais ton Créateur et sa grande miséricorde qui t'a conservée, qui te donne le temps, et qui attends par bonté que tu reviennes au bercail. O très doux Amour, combien la miséricorde vous est propre! Considérez si elle a été grande dans notre première chute. Dieu n'a pas commandé à la terre de nous engloutir, et aux animaux de nous dévorer [1025]; mais il nous a laissé le temps, et il nous attend avec patience. Pourquoi avons-nous reçu tant de grâces; est-ce à cause de nos vertus? Non; mais seulement à cause de son infinie miséricorde.

7. Si, pendant que nous sommes plongés dans les ténèbres du péché mortel, sa miséricorde est si grande, combien davantage devons-nous espérer avec une foi vive qu'elle ne nous manquera pas, si nous reconnaissons nos fautes, et si nous revenons dans l'arche de la vie religieuse, sous le joug de l'obéissance, pour tuer et fouler aux pieds notre volonté propre, et ne plus dormir. Hélas! hélas! je crois que mes péchés sont cause de vos fautes. N'y persévérez pas, je vous en conjure, et cessez de vous perdre, d'offenser Dieu et d'affliger vos frères; mais reprenez le joug de l'obéissance et la clef du sang de Jésus-Christ que vous avez jetée dans un abîme profond. Vous ne pouvez la reprendre et vous en servir sans crime, parce que vous avez quitté le jardin de votre saint Ordre, où vous aviez été planté pour être une fleur odoriférante et bonne par votre persévérance jusqu'à la mort. Reprenez cette clef précieuse avec la contrition du cœur, avec le regret de la faute commise, avec la haine de la sensualité, avec une foi vive. Fixez vos regards sur la suprême. l'éternelle Vérité, et ayez la ferme espérance que Dieu et votre Ordre vous recevront avec miséricorde; votre faute vous sera pardonnée, et vous pourrez revoir votre Père céleste dans la plénitude et l'abondance de sa grâce.

8. C'est vers la vraie Jérusalem qu'il faut aller, c'est dans votre saint Ordre qu'il faut vous rendre[1026]; vous trouverez là Jérusalem, la vision de la paix, c'est-à-dire la paix de votre conscience. Vous entrerez dans le sépulcre de la connaissance de vous-même, et vous demanderez avec Marie-Madeleine : Qui m’ôtera la pierre du monument? car le poids de cette pierre est si grand, mon péché est si considérable, que je ne pourrai le soulever. Mais aussitôt que vous aurez vu et confessé votre imperfection, vous verrez deux anges qui écarteront cette pierre. La Providence vous enverra l'ange du saint amour et de la crainte de Dieu; cet amour n'est jamais seul, mais il donne à l’âme la charité du prochain. L'ange de la haine que Dieu nous enverra aussi pour soulever la pierre, vous apportera l'humilité sincère et la patience. Et alors, avec une ferme espérance et une foi vive, on ne quitte plus le sépulcre de la connaissance de soi-même; on y reste avec persévérance jusqu'à ce qu'on trouve le Christ ressuscité dans son âme par la grâce; et quand on l'a trouvé, on va l'annoncer à ses frères, qui sont les solides et douces vertus, avec lesquelles on veut demeurer toujours. Alors le Christ apparaît dans l'âme d'une manière sensible; il se laisse toucher par l'humble et continuelle prière. Telle est la voie : il n'y en a pas d'autres.

9. Je suis certaine que si vous avez la lumière de la très sainte Foi, et si vous connaissez la vérité, comme je vous l'ai dit, vous suivrez cette voie sans négligence et sans retard; vous profiterez avec zèle du moment qui vous est donné autrement vous sciez toujours dans les ténèbres, parce que vous vous éloignez de la lumière ; vous serez dans la tristesse [1027], parce que la joie de la grâce ne sera pas en vous, mais vous serez un membre retranché du corps mystique de la sainte Eglise. Aussi je vous ai dit, puisqu'il n'y a pas d'autre voie, que je désirais vous voir éclairé de la vérité par la lumière de la très sainte Foi qui est la prunelle de l'oeil de l'intelligence, avec lequel on connaît la vérité. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, et pour votre salut, de satisfaire mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Si j'étais près de vous, je saurais quel démon a ravi ma brebis, et par quel lien il la tient enchaînée pour l'empêcher de retourner au bercail avec les autres; mais je tâcherai de le voir par la prière dont je me servirai pour couper la chaîne qui la retient, et alors mon âme sera heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CLXXXI (135). – A FRERE ANDRE DE LUCQUES, à FRERE BALDO, et à FRERE LANDO, serviteurs de Dieu à Spolète, lorsque le Saint-Père les demandait. - Il faut servir la sainte Eglise sans se laisser arrêter par les difficultés.
 
 

 AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Pères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir zélés et prompts à faire la volonté de Dieu et à obéir à son Vicaire, le [1028] Pape Urbain VI, afin que par vous et par les autres serviteurs de Dieu, sa douce Epouse soit secourue. Nous la voyons dans la désolation, frappée de tous les côtés, par tous les vents contraires; vous savez surtout qu'elle est attaquée par les hommes coupables qui s'aiment eux-mêmes, et qui veulent souiller notre foi par l'hérésie et par le schisme. Hélas ! l’Eglise eut-elle jamais de si grands besoins. Ceux qui devaient l'assister la persécutent; ceux qui devaient l'éclairer y portent les ténèbres. Ils devaient se nourrir de la nourriture des âmes, en administrant le sang de Jésus crucifié qui donne la vie de la grâce, et ils le leur retirent de la bouche et leur donnent la mort éternelle. Ce sont des loups qui dévorent les brebis au lieu de les sauver. Les serviteurs de Dieu, :les chiens vigilants qui sont placés dans le monde pour la garde des brebis, pour qu'ils aboient lorsqu'ils voient le loup venir, que feront-ils si le berger principal les appelle? comment doivent-ils aboyer ? par une humble et continuelle prière et par de courageuses paroles. De cette manière, ils épouvanteront les démons visibles et invisibles, et ils ranimeront le cœur et le zèle de notre vrai pasteur, le Pape Urbain VI. Alors, n'en doutez pas, le corps mystique de la sainte Eglise et le corps universel des chrétiens seront secourus; les brebis seront retrouvées et retirées des mains des démons.

2. Vous ne devez vous refuser pour aucune cause que ce soit; les peines que vous prévoyez, les persécutions, les affronts, les mépris dont vous pouvez être l'objet, la faim, la soif, mille morts même ne doivent pas vous arrêter, pas plus que le désir du [1029] repos et de votre consolation. Il ne faut pas dire : Je veux la paix de mon âme, et je pourrai avec la prière crier en la présence de Dieu. Oh! non, pour l'amour de Jésus crucifié, ce n'est pas le temps de se chercher soi-même, et de fuir les peines pour avoir les consolations; c'est au contraire le temps de se perdre, puisque la bonté infinie et la miséricorde de Dieu a pourvu au besoin de l'Eglise en lui donnant un pasteur juste et bon, qui veut avoir autour de lui des chiens vigilants qui aboient sans cesse pour l'honneur de Dieu. Il craint de dormir, et ne se fie pas à sa vigilance, et il désire les avoir pour se tenir éveillé. Vous êtes de ceux qu'il a choisis. Aussi je vous prie et vous conjure dans le Christ, le doux Jésus, de venir promptement faire la volonté de Dieu qui le demande, et la volonté du Vicaire de Jésus-Christ qui vous appelle avec bonté, vous et les autres. Il ne faut pas craindre les délices et les honneurs; car vous viendrez pour souffrir, et vous n'aurez d'autre jouissance que la Croix; sortez de votre solitude, et venez combattre pour la Vérité, en contemplant avec l'oeil de votre intelligence la persécution qui est faite au sang de Jésus-Christ et la perte des âmes, afin que nous soyons plus animés au combat, et que pour aucune raison nous ne tournions la tête en arrière. Venez, venez, ne tardez pas; n'attendez pas le temps, car le temps ne nous attend pas.

3. Je suis certaine que l'infinie bonté de Dieu vous fera connaître la vérité; mais je sais aussi que beaucoup de serviteurs de Dieu s'uniront et combattront cette sainte détermination en disant : Vous irez, mais cela ne servira de rien. Et moi j'ai la présomption de [1030] vous assurer du contraire. Si notre principal désir n'est pas satisfait, la voie du moins sera préparée ; et si rien ne se fait, nous pourrons dire, en présence de Dieu et des hommes, que nous avons fait tous nos efforts, et notre conscience sera tranquille; ainsi tout sera pour le bien; Plus vous aurez de contrariétés, plus vous devez être persuadés que c'est là une chose bonne et sainte; car nous avons vu et nous voyons sans cesse que les saintes et grandes œuvres rencontrent plus d'obstacles que les petites; c'est qu'elles donnent plus de fruits, et le démon cherche à les combattre de toutes les manières, surtout par le moyen des serviteurs de Dieu, qu'il trompe par de faux motifs de vertu. Je vous dis cela pour que rien ne vous empêche de venir, et pour que vous vous empressiez d'accourir aux pieds de Sa Sainteté. Noyez-vous dans le sang du Christ, et qu'en toute chose meure notre volonté. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-moi à tous les autres serviteurs de Dieu, afin que leurs prières m'obtiennent de la Bonté divine la grâce de donner ma vie pour sa vérité. Doux Jésus, Jésus amour [1031].

Table des matières (2)





CLXXXII (136). - A BARTHELEMI ET A JACQUES, ermites au Campo Santo, à Pise. - Du désir de donner sa vie pour l'amour du Christ en se consumant dans le feu de la charité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers et bien-aimés Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir sacrifier notre corps pour le doux nom de Jésus. Oh! combien serait heureuse notre âme, si sa miséricorde nous faisait la grâce de donner pour lui ce qu'il a donné pour nous avec tant d'amour et de charité! O feu qui brûle sans consumer, et qui ne consume dans l'âme que ce qui est séparé de la volonté de Dieu! C'est ce feu qui brûlait l'Agneau sans tache sur le bois de la très sainte Croix. O cœurs endurcis et grossiers, qui peuvent résister à cette ardeur! Je ne m'étonne pas si les saints, qui n'étaient pas aveuglés par l'amour-propre, s'appliquaient tout entiers à connaître la bonté de Dieu et le feu de son ardente charité. La pensée du précieux Sang les faisait courir répandre leur sang. Voyez cette ardeur sans borne de saint Laurent, qui sur son lit de feu est tranquille en présence du tyran. Ah! Laurent, ce feu ne vous suffit donc pas? Il répond que non, parce que son amour est si violent, que les flammes intérieures éteignent les flammes extérieures [1032] .

2. Ainsi donc, mes Fils bien-aimés dans le Christ, le doux Jésus, que vos sentiments et vos désirs ne meurent pas jusqu'au dernier moment de votre vie. Ne dormez pas, et soyez vigilants; et il n'y a pas d'autre moyen de l'être que d'avoir une haine continuelle. De cette haine naît la faim de la justice, qui fait désirer que les animaux même nous punissent; et quand elle est punie, l'âme se purifie dans ces douces flammes, ou elle comprend la bonté de Dieu à notre égard. Lorsqu'elle est plongée dans cet abîme d'amour, lorsqu'elle voit que Dieu veut agrandir son cœur, alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre pour comprendre, la mémoire pour retenir, et la volonté s'applique à aimer ce que Dieu aime. L'âme s'écrie : O Dieu aimable, qu'aimez-vous davantage? Et notre Dieu si doux répond : Regarde en toi, et tu trouveras ce que j'aime.

3. Oui, regardez en vous, mes Fils bien-aimés, et vous trouverez, vous verrez avec quelle bonté, avec quel ineffable amour il vous aime et il aime aussi toutes les créatures raisonnables. A cette vue, l'âme transportée s'applique tout entière à aimer ce que Dieu aime davantage, c'est-à-dire ceux qui sont nos frères; et les désirs de son amour sont si grands, qu'elle voudrait donner sa vie pour leur salut et pour leur rendre la vie de la grâce. Elle se nourrit des âmes, et fait comme l'aigle, qui regarde toujours le disque du soleil et s'élève sans cesse; puis il regarde la terre, y prend sa nourriture, et s'en rassasie dans les airs. Ainsi fait la créature : elle regarde en haut où est le Soleil du divin amour, puis vers la terre, c'est-à-dire vers l'humanité du Verbe incarné [1033], du Fils de Dieu; et, en regardant ce Verbe et cette humanité sortie du sein de la douce Marie, elle voit sur cette table la nourriture qu'elle prend; et non seulement elle s'en nourrit sur la terre de l'humanité du Sauveur, mais elle s'élève avec cette nourriture dans la bouche, et elle entre dans l'âme du Fils de Dieu embrasée et consumée d'amour.

4. Elle reconnaît que c'est un feu sorti de la puissance du Père, qui nous donne la sagesse du Fils et la force du Saint-Esprit; et cette force, cette union est si grande, que ni les clous ni la Croix n'auraient pu retenir le Verbe sans ce lien d'amour. L'union est si étroite, que ni la mort ni aucune cause ne peuvent séparer la nature divine de la nature humaine. Oui, je veux que vous preniez cette douce nourriture; et si vous me demandez quelles ailes il faut prendre : les ailes de la haine, de la mort, avec les souffrances, les mépris, les outrages, pour Jésus crucifié. Ne voulez pas, ne désirez pas savoir autre chose que Jésus crucifié; qu'en lui seul soit votre gloire, votre consolation et tout votre repos. Abreuvez-vous, nourrissez-vous de son sang; Dieu voit vos désirs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1034].

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CLXXXIII (137). - A NICOLAS, le pauvre de la Romagne, ermite à Florence. - Celui qui aime Dieu doit s'employer au service du prochain, et le secourir au moins par ses prières.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir vous abandonner entièrement à la divine Providence,. en vous dépouillant de tout amour terrestre et de vous-même, afin que vous soyez revêtu de Jésus crucifié; car vous n'atteindrez pas votre fin si vous ne suivez pas la vie et la doctrine de ce tendre Verbe. Il nous l'enseigne lorsqu'il nous dit : «Personne ne peut venir au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). - Mais je ne vois pas que vous puissiez bien vous abandonner à lui et vous dépouiller entièrement de vous-même, si vous ne connaissez sa souveraine et éternelle bonté et notre misère.

2. Où trouverons-nous cette connaissance de lui et de nous-mêmes? Au fond même de notre âme. Il faut entrer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et ouvrir l'oeil de notre intelligence; et lorsque nous aurons écarté le nuage de l'amour-propre, nous verrons que nous ne sommes rien, surtout dans le moment du combat et de la tentation; car, si nous étions quelque chose, nous nous délivrerions de ces [1035] combats, que nous voudrions éviter. Nous avons donc bien sujet de nous humilier et de nous dépouiller de nous-mêmes, car on ne peut rien espérer du néant. Nous connaîtrons la bonté de Dieu en nous, en voyant que nous sommes créés à son image et ressemblance, afin que nous participions à son bonheur éternel et infini. Nous étions morts à la grâce par le péché du premier homme, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. O amour ineffable! vous avez donné le Fils pour racheter le serviteur, vous avez accepté la mort pour nous rendre la vie. Nous voyons donc bien qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous aime d'un amour ineffable; car, s'il ne nous aimait pas, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur. C'est le sang qui nous prouve cet amour. Je veux donc que vous espériez et que vous placiez en lui toute votre confiance, votre amour, vos désirs; mais pensez que nous ne pouvons lui être utiles en aucune manière, car il est notre Dieu, et il n'a pas besoin de nous.

3. Comment lui montrerons-nous donc l'amour que nous avons pour lui? Par le moyen qu'il nous a donné d'exercer en nous la vertu, c'est-à-dire par le prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes, en le secourant dans tous ses besoins, selon les grâces que Dieu nous a faites. Il faut offrir en sa présence d'humbles larmes et de continuelles prières pour le salut du monde entier, et surtout pour le corps mystique de la sainte Eglise, que nous verrions tomber en ruine, si la bonté de Dieu ne l'assistait. Alors vous suivrez la doctrine de Jésus crucifié, qui, pour l'honneur de son Père et pour son salut, a [1036] donné sa vie en courant, tout transporté d'amour, à la mort ignominieuse de la Croix. La souffrance, les outrages et nos ingratitudes ne l'ont point empêché d'accomplir notre salut; nous devons faire de même: rien ne doit nous empêcher de secourir notre prochain dans ses nécessités spirituelles et temporelles, sans nous arrêter à l'utilité ou à la consolation que nous pourrions recevoir; il faut l'aimer et le secourir parce que Dieu l'aime. Vous accomplirez ainsi l'amour du prochain, selon le commandement de Dieu et selon mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CLXXXIV (138). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne . - Le sang de Jésus-Christ fait naître en nous la charité.

(La maison de la Miséricorde était un hospice fondé au XIIIe siècle par le B. André Gallerani. Ses revenus furent donnés, en 1408, au grand hôpital de la Scala, et le Pape Nicolas V en assigna les bâtiments à l’université de Sienne. Le Père Matthieu on fut nommé recteur le 1er septembre 1373.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir [1037] de vous voir abîmé et consumé dans l'abondance de ce sang, dont le souvenir rend la chaleur et la lumière aux âmes froides et ténébreuses. Il leur donne la générosité et les délivre de la pauvreté; il détruit l'orgueil et inspire l'humilité, et il remplace la dureté par la compassion. O ineffable et tendre Charité! je ne m'étonne pas si, dans votre sang, je trouve la vertu de compassion; car je vois que par une divine compassion vous vous êtes immolé vous-même; vous n'y étiez pas obligé, mais vous avez tiré vengeance de cette odieuse cruauté que l'homme avait eue contre lui-même, lorsque, par le péché, il se rendit digne de mort. Je désire donc vous voir anéanti dans ce fleuve, afin que vous y puisiez la compassion et la miséricorde dont vous avez sans cesse besoin dans votre position. Oui, je désire vous voir pratiquer cette vertu à l'égard des pauvres de Jésus-Christ dans les choses temporelles; mais cela ne me suffit pas, et je vous invite, comme Dieu y invite mon âme, à étendre plus loin vos charitables et ardents désirs, vos regards compatissants et vos larmes; ayez compassion du monde entier en présence de la divine Miséricorde.

2. Dieu lui-même vous enseigne le moyen, lorsque, transporté d'amour et du désir de faire son œuvre, il dit : Prenez le corps de la sainte Eglise avec ses membres liés et coupés, et mettez-les avec une tendre compassion sur mon corps; sur ce corps où furent travaillées nos iniquités, car c'est lui qui a pris avec tant de peine la cité de notre âme. Et le Père accepta le sacrifice. Nourrissons-nous donc, nourrissons-nous des âmes sur cette table, sur le corps du [1038] doux Fils de Dieu. Nous traverserons ainsi les pénibles et inquiets désirs, les attentes douloureuses, et nous arriverons à ces désirs du cœur qui seront satisfaits, à ces désirs, qui apaisent l'âme quand elle voit s'accomplir ce qu'elle a désiré longtemps. Nous pourrons alors crier au Père, avec joie et douceur, ce que dit la sainte Eglise C'est par notre Seigneur Jésus-Christ que vous nous avez fait miséricorde, en éloignant les loups et en multipliant les agneaux. Oui, mon Père, mon Frère, mon Fils dans le Christ Jésus, secouons le sommeil de la négligence, afin que bientôt nous soyons délivrés de la patte des loups et que nous arrivions à la joie, non pas pour nous, mais pour l'honneur de Dieu seulement. C'est là cette vertu compatissante qu'il faut que nous ayons; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir embrasé dans le sang du Fils de Dieu, car c'est son souvenir qui nourrit la vertu de piété et de miséricorde dans notre âme. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

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CLXXXV (139). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Il faut travailler avec patience au salut des âmes.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1039] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures avec amour et zèle pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Veillez avec la sollicitude d'un bon pasteur sur les brebis qui vous sont ou vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, vous en seriez ensuite repris. C'est le moment de montrer qui a faim ou non, et qui gémit sur ces morts que nous voyons privés de la vie de la grâce. Sollicitez avec courage et intelligence, avec des prières humbles et continuelles jusqu'à la mort. Sachez que c'est la voie pour connaître la Vérité et pour en devenir l'époux; il n'y en a pas d'autre. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles par un saint désir; dites : Soyez les bienvenues; et encore : Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant supporter ces peines pour sa gloire et l'honneur de son nom !

2. L'amertume ainsi deviendra douceur et consolation. Vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les malheureuses brebis qui sont encore entre les mains des démons. Ces soupirs seront votre nourriture, et ces larmes votre boisson. Ne finissez pas autrement votre vie, vous réjouissant et vous reposant sur la Croix avec Jésus crucifié. Je termine. J'ai appris que vous avez été et que vous êtes encore bien malade, et que vous désiriez à cause de cela me voir près de vous. Je ne le puis en ce moment; mais je serai près de vous par de continuelles prières. Je ne veux pour rien au monde [1040] que vous soyez encore malade, afin que vous puissiez mieux travailler. Faites ce que je vous commande; cessez toute pénitence, et prenez au contraire tout ce qui pourra vous fortifier. Je ne vous en dis pas davantage. Le pauvre Jean est venu me trouver (Il y a ici une lacune dans le texte manuscrit)... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CLXXXVI (140). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Du bon exemple que nous devons au prochain.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un miroir de vertus, afin que vous rendiez véritablement gloire et louange au nom de Dieu, et que vous accomplissiez le bien en vous d'abord, et puis dans le prochain, par l'exemple d'une bonne et sainte vie, par l'enseignement de la parole, et par d'humbles et fidèles prières; pensez que c'est la dette que Dieu exige de vous. Il veut pour lui la gloire et l'honneur de son nom, et pour vous le profit et la récompense. Répondons généreusement à tant d'amour [1041], car nous ne pouvons être à Dieu d'aucune utilité. Tournons-nous vers ce que nous voyons que Dieu aime tant, c'est-à-dire vers le prochain. Que ce soit là le but de tous nos efforts, et ne cherchons autre chose que de nous nourrir des âmes pour l'honneur de Dieu. Et où irons-nous prendre cette douce nourriture? Sur la table de la très sainte Foi, aimant souffrir les peines, les tourments, les injures, les mépris, les affronts, afin de pouvoir nous rassasier de ce glorieux aliment. Mais je ne vois pas que nous puissions le prendre, Si, avant tout, nous n'acquérons pas les vraies et solides vertus. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un miroir de vertus, et je vous prie de vous appliquer à le devenir. Je ne vous en dis pas davantage.

2. Je vous envoie un privilège avec une bulle d'indulgence du Pape, que j'ai obtenue pour soixante-dix-sept personnes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CLXXXVII (141). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de l'église de la Miséricorde de Sienne, pendant qu'elle était à Pise . - L'amour de Dieu fait naître la charité envers le prochain.

(Sainte Catherine fit le voyage de Pise en 1375, sur la demande de beaucoup de personnes notables de la ville. Elle s'y attacha de nombreux disciples et maintint le peuple dans l’obéissance au Saint-Siège. (Voir Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 8.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1042] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir tout enflammé du feu de l'amour, afin que vous deveniez une même chose avec la douce Vérité suprême. Et vraiment, l’âme qui par amour est unie et transformée en Dieu, fait comme le feu, qui consume en lui l'humidité du bois, et lorsqu'il l'a bien échauffé, il le brûle et le convertit en lui, en lui donnant la couleur, la chaleur et la puissance qu'il a lui-même. De même l'âme qui regarde son Créateur et son ineffable charité, commence par sentir la chaleur de la connaissance d'elle-même; cette connaissance consume l'humidité de l'amour-propre, et la chaleur augmentant, l'âme se jette avec un ardent désir dans la bonté infinie de Dieu, qu'elle trouve en elle. Elle participe alors à son ardeur, et sa vertu, parce qu’elle se nourrit avec délices, des âmes et des créatures raisonnables; elle s'approprie, par l'amour et le désir, la couleur et la douceur des vertus qu'elle tire du bois de la sainte Croix, qui est l'arbre adorable où se repose le fruit divin, l'Agneau sans tache, Dieu et homme tout ensemble. C'est ce fruit délicieux qu'elle voudrait communiquer au prochain; car elle ne pourrait produire et donner un autre fruit que celui qu'elle tire de l'Arbre de vie; elle s'y est greffée par l'amour et le désir, lorsqu'elle a vu et connu la grandeur de la Charité infinie.

2. O mon très cher et très doux Fils dans le Christ Jésus! c'est ce que mon âme souhaite voir en vous [1043], pour que le désir de Dieu et le mien s'y accomplissent. Aussi je vous conjure et je vous commande de vous appliquer sans cesse à consumer l'humidité de l'amour-propre, de la négligence et de l'ignorance. Augmentez en vous le feu d'un saint et violent désir, en vous enivrant du sang du Fils de Dieu. Courons, tout affamés de son honneur et du salut des créatures; prenons hardiment le lien avec lequel il fut lié sur le bois de la très sainte Croix et lions-en les mains de sa justice. Voici le temps de crier, de gémir, de se lamenter; oui, c'est le moment, mon Fils, car l'Epouse du Christ est persécutée par les chrétiens, ses membres révoltés et corrompus; mais ayez courage, parce que Dieu ne méprise pas les larmes, les sueurs, les soupirs qu'on offre en sa présence. Mon âme se réjouit dans sa douleur et tressaille d'allégresse, parce qu'au milieu des épines elle sent l'odeur de la rose qui va s'ouvrir. La douce Vérité première a dit qu'avec cette persécution, s'accompliraient sa volonté et nos désirs. Je me réjouis aussi des bonnes pensées du Christ de la terre au sujet de la sainte croisade, comme de tout ce qui s'est fait ici et de ce qu'y opère la grâce divine. Aidez-moi, mon Fils; enivrez-vous du sang de l'Agneau. Je ne veux pas vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, vous reposant toujours à l'ombre de l'arbre de la très sainte Croix. Doux Jésus, Jésus amour [1044].

Table des matières (2)





CLXXXVIII (142) .- AU MEME MESSIRE MATTHIEU. - Du renoncement à la volonté propre pour se conformer en toutes choses à celle de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui enivre tellement l'âme, qu'elle se perd elle-même; elle veut qu'il ne reste rien en elle que ce sang. Le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, les injures, les mépris, les outrages, tout ce qui lui arrive, de quelque côté que ce soit, pour elle ou pour les autres, elle ne veut rien choisir, mais elle soumet tout a la volonté de Dieu, qu'elle trouve dans le sang du Christ; car ce sang manifeste cette douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Tout ce que Dieu donne ou permet n'a pas d'autre fin. Il donne tout par amour, afin que nous soyons sanctifiés en lui. C'est ainsi que s'accomplit sa vérité.

2. La vérité est qu'il nous a créés pour la gloire et l’honneur de son nom, et pour que nous participions a sa béatitude et à son ineffable charité, dont nous fait jouir parfaitement la vision de Dieu. L'âme a compris et vu avec l'oeil de l'intelligence, la volonté du Père éternel dans le sang du Fils; et c'est pourquoi elle s'anéantit dans le Sang, à la lumière de la [1045] douce volonté de Dieu, qu'elle trouve dans ce sang. Elle n'a jamais de peine, et ne suit sa volonté ni pour elle ni pour les autres; elle ne s'afflige pas de ceux qu'elle perd, parce qu'elle est morte à tous. Que s'applique-t-elle donc à faire? Ce qu'elle trouve dans le Sang. Et qu'y trouve-t-elle? L'honneur du Père et le salut des âmes; car le Verbe ne s'est jamais appliqué à d'autres choses ; il s'est placé sur la table de la sainte Croix pour s'y nourrir des âmes, sans craindre aucune souffrance.

3. Nous qui sommes ses membres, humilions-nous donc, nourrissons-nous du sang de l'Agneau immolé et consumé pour nous. En le faisant, nous aurons la vie, et nous goûterons les arrhes de la vie éternelle; nous aurons la lumière, et nous perdrons les ténèbres dans la lumière; nous perdrons tout scandale et tout murmure, et nous ne jugerons pas les autres, sous prétexte de bien ou de mal; mais, étant perdus et anéantis dans le Sang, nous ferons de même pour les autres, et nous serons persuadés que le Saint-Esprit les guide. Il en est autrement de ceux qui sont éprouvés, et qui ne se sont pas entièrement renoncés. Souvent ils ressentent une grande peine en se faisant les juges de la conduite et des actions des serviteurs de Dieu; ils se scandalisent et murmurent; ils font souvent murmurer en communiquant aux autres leur peine et leurs opinions, qu'ils devraient détruire dans le Sang, ou exposer seulement à la personne dont il s'agit, sans en entretenir les autres. S'ils étaient éclairés et anéantis dans le Sang, ils feraient ainsi; mais, parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à cette grande perfection [1046] du renoncement de la volonté, nécessaire au serviteur de Dieu, qui doit mourir entièrement au monde, il leur reste des jugements sur des choses spirituelles qu'ils ignorent, et l'ignorance les fait tomber dans des erreurs et des fautes.

4. Courons donc, mon cher et bien-aimé Fils, et jetons-nous tout entiers dans le glorieux et précieux sang du Christ; que rien ne reste en nous qui n'y soit plongé; supportez avec respect et patience la fatigue, les injures, les murmures et toute chose; soyez plein d'amour et de révérence pour les serviteurs de Dieu, les conseillant, mais ne murmurant pas contre eux, et ne faisant pas connaître votre opinion à leur égard. De cette manière nous empêcherons les murmures , au lieu de les occasionner. Agissons ainsi; nous ne le pouvons que dans ce sang; je ne vois pas d'autre moyen; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir enivré du sang de Jésus crucifié ; c'est un besoin, une nécessité; oui, je veux que nous le fassions; je vous prie et vous conjure de le demander particulièrement à la Vérité suprême pour moi, qui ai besoin de m'anéantir et de me consumer ainsi, afin de recevoir la lumière parfaite pour connaître et voir mes brebis perdues et retrouvées, pour les placer sur mes épaules et les rapporter au bercail.

5. Combien est grande l’ignorance d'une brebis qui ne connaît pas la voix de son pasteur! Vous entendez depuis longtemps la voix du pasteur que vous devriez suivre, et il me semble que vous faites le contraire; vous suivez vos opinions, allant à l'aventure et ne sachant ce que vous dites; vous [1047] écoutez les jugements et les conseils des hommes. Il semble que vous avez perdu la lumière de la Foi; comme si le pasteur qui vous appelle et qui voudrait donner sa Vie pour votre salut vous appelait avec une voix humaine, et non pas avec la divine et douce volonté de Dieu. Que ne peuvent faire oublier à l'âme les paroles des créatures et l'ignorance des brebis qui ne l'accomplissent pas en elle et dans les autres! Voyez ce qu'a fait le très doux Jésus les murmures des Juifs qui se scandalisaient et notre Ingratitude ne l'ont pas empêché d'accomplir l'honneur de son Père et notre salut. Ainsi doit faire celui que Dieu a choisi pour suivre l'Agneau. Il ne doit tourner la tête en arrière pour aucune cause que ce soit; et si les brebis malades, qui devraient être saines, murmurent dans leur égarement, le pasteur ne doit pas abandonner ceux qui sont en danger de mort, et pour lesquels il doit chercher à donner sa vie; il ne doit pas abandonner les aveugles pour ceux qui ont les yeux mauvais.

6. Ne faites pas ainsi, mais voyez les saints qui voyageaient ou restaient en repos, selon ce qui leur paraissait le mieux pour la gloire de Dieu. Soyez persuadé qu'en restant ou en voyageant ils occasionnaient toujours une infinité de murmures (Sainte Catherine eut souvent à se défendre contre ceux qui murmuraient de ses fréquents voyages. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 1.). Quand ils voyageaient, ils n'en travaillaient pas moins à l'honneur de Dieu; quand ils restaient, ils ne perdaient pas la patience et la lumière de la Foi. Ils n'oubliaient pas la voix de leur pasteur, mais ils [1048] étaient pleins de joie et de courage, parce que plus il y a d'opposition, plus l’œuvre qu'on fait est parfaite. Soyez donc des brebis fidèles; ne craignez pas votre ombre, et ne croyez pas que j'en laisse quatre-vingt-dix-neuf pour une seule. Je vous dis, au contraire, que pour chacune de celles que je laisse, j'en ai quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont connues maintenant que de la Bonté divine, de la Charité incréée; et c'est ce but secret qui me fait supporter la fatigue du voyage, le fardeau des infirmités, le poids des scandales et des murmures, le tout pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Si je pars ou si je reste, je le fais toujours par sa volonté, et non par celle des hommes. La maladie de mon corps m'a retenue, mais c'est surtout la volonté de Dieu qui m'a empêchée de revenir. Nous reviendrons le plus tôt qu'il nous sera possible et que le Saint-Esprit nous le permettra. Réjouissez-vous de me voir partir ou rester, et que toutes vos pensées se calment, en étant bien persuadé que la Providence fait et fera. toute chose, si je ne suis pas un obstacle par la multitude de mes iniquités, qui nuisent à vous et au monde entier. Je vous conjure, autant que je le sais et que je le puis, de prier Dieu de me donner la lumière parfaite, pour que je meure dans la voie de la vérité. Je termine. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus. Recommandez-nous à tous, et surtout au Bachelier, et à frère Antonio. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1049].

Table des matières (2)





CLXXXIX (143). - AU PRIEUR, et aux Frères de la compagnie de la Vierge-Marie . - Du souvenir de la mort pour conserver la patience dans les tribulations, et la modération dans la prospérité.- De la dévotion à la sainte Vierge -

(Cette Compagnie de la Vierge-Marie remonte à la plus haute antiquité; elle se réunissait dans les souterrains qui cachaient les premiers chrétiens à leurs persécuteurs, et c'est elle qui contribua surtout à la fondation du grand hôpital de la Scala. Les confrères priaient ensemble, et pratiquaient les exercices de la pénitence et de la charité. Beaucoup de saints et de bienheureux furent affiliés à cette compagnie, et sainte Catherine elle-même assistait à ses sermons lorsqu'elle venait soigner les malades de l'hôpital. On montre encore dans les chapelles basses qui servent de réunion à la Compagnie de la Vierge, une pierre où elle avait l'habitude de prendre quelques instants de repos. Au-dessus est cette inscription : Qui giaceva la sposa di Giesu Christo, la serafica madre santa Caterina da Siena. Laus Deo )
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans le doux lien de la charité. Ce fut ce lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Vous savez bien que les clous et la Croix n'étaient pas suffisants peut le retenir, si la charité ne l'avait pas retenu; c'est cet aimable et doux lien qui a uni la nature divine à la nature humaine [1050]. Quelle en fut la cause? Le seul amour. C'est l'amour qui nous a fait sortir des mains de Dieu lorsqu'il nous a créés à son image et ressemblance; et quand nous avons perdu la vie de la grâce, c'est par amour qu'il a voulu nous rendre ce que nous avions perdu par notre péché et notre faute. Dieu nous envoya son Fils unique, et voulut que par son sang, nous retrouvions la grâce; et le Fils obéissant courut a la mort ignominieuse de la Croix, tout transporté d'amour pour notre salut.

2. Ainsi tout ce que Dieu a fait et fait pour nous est fait par amour; et l'âme qui regarde cet amour ineffable et infini le contemple surtout avec l'oeil de son intelligence dans le sang de Jésus crucifié, et ce sang lui représente plus qu'aucune autre chose la grandeur de cette ineffable charité. Jésus-Christ a dit lui-même que l'homme ne pouvait pas mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami ( Jn 15, 13). O inestimable amour! si vous assurez qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son ami, combien devons-nous encore apprécier davantage votre amour envers nous qui étions vos ennemis! Vous avez donné votre vie, et vous avez payé pour nous avec votre sang; cela surpasse tout amour. O doux et tendre Verbe, Fils de Dieu! vous vous êtes fait médiateur; votre mort a rétabli la paix entre l'homme et Dieu; vos clous ont été les clefs de la vie éternelle. Elle est si bien ouverte, qu'elle ne peut être fermée si l'homme ne le veut pas; car l'homme ne peut être forcé à aucun péché [1051] sans son consentement. Le péché est ce qui nous ferme la porte, et nous prive de la fin pour laquelle nous avions été créés. Le péché nous ôte la vie et nous donne la mort; il nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres, puisqu'il obscurcit l'oeil de l'intelligence, et ne lui laisse plus voir le soleil ni les ténèbres, les ténèbres de la connaissance de soi-même, où se voit et se trouve la ténébreuse sensualité qui se révolte, et combat toujours contre son Créateur; et parce que l'a me ne voit pas ces ténèbres, elle ne peut connaître l'amour et la lumière de la Bonté divine.

3. J'ai dit que l'âme qui regarde cet amour infini en conçoit un amour sans borne; elle soumet et conforme sa volonté à la volonté de Dieu; elle juge, et voit bien que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que s'il envoie ou permet les tribulations, les consolations, les persécutions, les coups, les mépris, les outrages, tout arrive pour que nous soyons sanctifiés en lui, parce que la sanctification ne peut s'obtenir que par les vertus, et que les vertus ne peuvent s'acquérir que par leur contraire. L'âme voit aussi que cet amour ne peut se troubler et se décourager, quelque chose qu'il arrive, perce que ce serait s'affliger de son bien et de la bonté de Dieu, qui le permet pour nous. Il est vrai que la sensualité ne peut souffrir ce qui lui déplaît, mais la raison en triomphe et la soumet comme elle doit.

4. Et comment soumettrons-nous cette sensualité, pour qu'elle ne se révolte pas contre son Créateur? Je vous le dirai. Les jouissances et les tribulations [1052] se modèrent par la douce et sainte pensée de Dieu,, c'est-à-dire, par la méditation continuelle de la mort, que nous trouvons dans la connaissance de nous-mêmes. Nous verrons, mes très chers Fils et Frères dans le Christ, le doux Jésus, que nous sommes tous mortels. Aussitôt que nous sommes créés dans le sein de notre mère, nous sommes condamnés à mort; nous devons mourir, et nous ne savons pas quand et comment. Lorsqu'on voit que la vie est si courte, qu'il faut attendre la mort de jour en jour, et que notre vie est comme sur une pointe d'aiguille, quel est celui qui ne réprimera pas toutes les joies déréglées qui se trouvent dans les vaines et folles joies du monde? je dis qu'il les réprimera, et qu'il ne recherchera pas les honneurs; la fortune, la grandeur, et qu'il ne possédera pas avec avarice les richesses. S'il a des richesses, il sera le distributeur du Christ aux pauvres; il ne voudra pas les posséder et les conserver avec orgueil, mais avec une humilité profonde et sincère, comprenant bien que rien n'est ferme et stable dans cette vie ténébreuse, mais que tout passe comme le vent.

5. S'il rencontre la tribulation, il la supporte patiemment, parce qu'il voit que toutes les tribulations que nous pouvons souffrir en cette vie sont bien petites. Pourquoi petites? Parce que notre temps est petit, parce que les peines passées n'existent plus, et que celles qui vous menacent, vous n'êtes pas sûr de les avoir, puisque vous ne savez pas si la mort ne viendra pas vous en délivrer. Vous n'avez donc à supporter que l'instant présent ; et ainsi la pensée de la mort ôte l'impatience dans les [1053] tribulations, et la joie déréglée dans les consolations. Il ne faut pas que cette pensée de la mort soit seule, car elle ferait tomber dans le trouble; il faut lui donner une compagnie, et cette compagnie est l'amour réglé par la sainte crainte de Dieu, c'est-à-dire la volonté d'éviter les vices et les péchés, pour ne pas offenser son Créateur. Le péché n'est pas en Dieu; il n'est pas par conséquent digne d'être aimé et désiré par nous, qui sommes les fils de Dieu, les créatures faites à son image et ressemblance Nous devons aimer ce qu'il aime, et détester ce qu'il déteste; et alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre et voit combien il est utile de fuir le vice et d'aimer la vertu. Et quel malheur de faire le contraire! Qu’elle imprudence de dormir dans le péché, lorsque la mort vient si vite et donne l'éternelle damnation, qui est sans remède!

6. Vivre dans la vertu donne, toujours la joie, la paix avec Dieu, la paix avec le prochain. Toute antipathie disparaît, et on ressent cette charité fraternelle qui fait aimer le prochain comme soi-même. Nous devons aimer ainsi nos amis et nos ennemis, comme créatures raisonnables; nous devons désirer leur salut, et nous appliquer autant que nous le pouvons à porter et supporter leurs défauts, détestant leurs vices, mais non pas leurs personnes. Pleurez avec ceux qui pleurent, et réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, c'est-à-dire pleurez avec ceux qui sont dans le péché mortel. On peut bien dire qu'ils sont dans le temps des pleurs et des ténèbres; pleurez avec eux par la compassion, et offrez-les par les saints désirs en présence de Dieu [1054]. Réjouissez-vous avec ceux qui vivent dans la vertu; réjouissez-vous avec eux, non pas en enviant leur bonheur, mais en remerciant saintement la Bonté divine, qui les a tirés des ténèbres et les a conduits à la lumière de la grâce. C'est ainsi que vit dans l'unité et dans l'obéissance au précepte celui qui aime le prochain pour l'amour de Dieu. C'est le signe que le Christ donne pour reconnaître ses enfants et ses disciples. Il disait aux siens: « Aimez-vous les uns les autres, c'est à cela qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples (Jn 13,35) » . « Celui qui suit cette douce et sainte voie vit dans la grâce, et parvient enfin à l'éternelle vision de Dieu. Aussi, par-dessus toutes choses, mes chers Fils, je vous prie et je vous conjure de vous aimer les uns les autres, car nous devons greffer notre cœur et notre affection sur l'amour de Jésus crucifié. Puisque nous voyons qu'il a tant aimé l'homme, nous devons imiter cet amour, et nous attacher si étroitement à notre prochain, que ni le démon, ni les injures qui nous viendraient du prochain lui-même, ni les faiblesses de notre amour propre, ne puissent jamais nous en séparer et rompre le lien de l'amour. Et parce que l'a me qui ferait autrement serait en état de damnation, je vous ai dit que je désirais vous voir unis clans les liens de la charité, ou vous devez être pour tant de raisons; car vo us avez été créés par le même Dieu, et vous avez été rachetés par le même sang.

7. Et puis la sainte et douce congrégation que vous avez formée porte le doux nom de Marie, qui [1055] est notre avocate, la mère de la grâce et de la miséricorde. Elle n'est pas ingrate envers ceux qui la servent, elle ne les oublie pas, et elle les récompense; elle est comme un char de feu, car elle a conçu en elle le Verbe, le Fils unique de Dieu; elle porte et répand le feu de l'amour, car son Fils est amour. Je vous prie aussi de haïr et d'avoir en horreur le péché d'impureté et toutes les autres fautes, car il ne serait pas convenable de vous souiller en servant Marie, qui est là pureté même. Ne dormez plus, mes Pères, mes Frères et chers Fils; excitez-vous à l'amour de la vertu, à la haine, à l'horreur du péché. Voyez combien le péché est abominable devant Dieu, puisqu'il a voulu que son Fils souffrit la mort et la passion; et Notre-Seigneur a souffert avec tant d'amour les peines, les tourments, les injures, les outrages, et enfin l'opprobre de la Croix ! Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses plaies faites par l'amour. L'ami ne peut mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami : eh bien, il vous a donné sa vie, en sacrifiant, en immolant son corps. Que vos cœurs s’amollissent dans ce saint temps, qui nous montre l’Agneau sans tache consumé sur la Croix par le feu de la plus ardente charité. Il se donne à vous, à Pâques, comme une douce nourriture. Je vous conjure de vous disposer tous à la sainte Communion, si vous n'avez pas quelque lien qui ne puisse être délié qu'en allant à Rome. Je ne vous en dis pas davantage. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

8. Pour moi, votre indigne servante, je me recommande [1056] à vos prières, bien persuadée que vous ne m'oubliez pas; je vous prie et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, d’offrir toutes vos prières et les bonnes œuvres que Dieu vous permet de faire, et de célébrer le Saint Sacrifice pour la réforme de la douce L'Epouse du Christ, pour la sainte Eglise, pour la paix, l'unité de tous les chrétiens, et particulièrement pour notre cité, afin que Dieu nous envoie une véritable et parfaite union, et que les coupables se purifient des fautes qu'ils ont commises contre notre Sauveur et la sainte Eglise. Priez particulièrement pour que la ruine occasionnée par la guerre des Florentins contre le Saint-Père, à cause de nos péchés, se change, par l'effet de la Bonté divine, en une paix véritable. Je vous, assure que si nos prières continuelles et ferventes n'appellent sur nous la miséricorde divine, nous serons plus en danger que jamais pour nos âmes et nos corps. Frappons donc à la porte de la Miséricorde par la prière et le désir de la paix, et Celui qui est la bonté même ne méprisera pas la voix du peuple qui crie vers lui. N’écoutez le doux et bon Jésus, qui nous enseigne que nous devons frapper et appeler avec une ferme foi d'être exaucés, car sans cela la prière serait inutile. La douce Vérité suprême nous dit : « Frappez, et il vous sera ouvert; demandez, et Il vous sera donné; appelez, et il vous sera répondu. Puisqu'il nous enseigne ce moyen, prenons-le avec un bon et saint zèle, avec une longue et parfaite persévérance. Il l'a dit lui-même, à défaut d'autre moyen, on obtient par l'importunité de la persévérance. Je termine. Doux Jésus, Jésus amour. Marie [1057].

Table des matières (2)





CXC (144). - AU PRIEUR, et aux Frères de la Société de la Vierge Marie, à 1'hôpital de Sienne.- Comment il faut cultiver sa vigne et celle du prochain.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Pères et Fils dans le Christ Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bon ouvriers dans la vigne de vos âmes, afin qu'au moment de la récolte vous portiez beaucoup de fruits. Vous savez que la Vérité éternelle nous a créés à son image et ressemblance; il a fait de nous une vigne dans laquelle il a voulu et il veut habiter par la grâce, si le vigneron de cette vigne veut la cultiver bien et loyalement. Si elle n'était pas bien cultivée, elle abonderait en ronces et en épines, et Dieu n'aimerait pas l'habiter. Voyons donc, mes très chers Frères, quel ouvrier le Maître a envoyé. C'est le libre arbitre, auquel il a confié la garde de la vigne; c'est la porte solide de la volonté, que personne ne peut ouvrir ou fermer quand il ne plaît pas au vigneron. La lumière de l'intelligence nous est donnée pour que nous connaissions et distinguions les amis et les ennemis qui veulent passer par cette porte, où est placé le chien de la conscience, qui aboie quand il entend ouvrir; mais il faut que ce chien veille et ne s'endorme pas. Cette lumière fait [1058] voir le fruit et le sépare de la terre, pour que le fruit soit pur et qu'on le mette dans le grenier de la mémoire, qui conserve le souvenir des bienfaits de Dieu. Au milieu de la vigne est placé le vase du cœur, plein du précieux Sang, pour en arroser les plantes, afin qu'elles ne sèchent pas.

2. C'est ainsi que la bonté de Dieu a créé et planté cette vigne; mais je m'aperçois que le poison de l'amour-propre a empoisonné et corrompu le vigneron, tellement, que notre vigne est devenue inculte; elle ne produit plus que des fruits qui donnent la mort., ou des fruits âcres et sauvages, parce que les démons, les semeurs perfides, ont passé par la porte de la volonté avec la semence de beaucoup de pensées mauvaises ; et en les semant dans le libre arbitre, ils y ont fait naître des fruits de mort, c’est-à-dire des péchés mortels. Oh! combien est triste à voir cette pauvre vigne! Elle est devenue un bois par les épines de l'orgueil et de l'avarice, par les ronces de la colère et de l'impatience; elle est pleine d'herbes vénéneuses; notre jardin est devenu une étable où nous nous plaisons dans la fange de l'impureté. Ce jardin n'est pas fermé, mais il est ouvert, et nos ennemis, les démons, y entrent comme dans leur demeure. La fontaine de la grâce est tarie ; elle avait sa source dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ, ce sang qui arrosait la vigne en remplissant le cœur d'amour. La lumière de l'intelligence ne voit plus que les ténèbres, parce qu'elle est privée de la lumière de la très sainte Foi; aussi ne connaît-elle plus que l'amour sensitif; la mémoire en est pleine, et alors elle ne peut avoir [1059] que le souvenir de ses misères, de ses désirs et de ses appétits désordonnés.

3. La Vérité éternelle a placé encore une autre vigne auprès de celle-là c'est celle de notre prochain, qui est si étroitement unie à la nôtre, que nous ne pouvons rien faire pour l'une qui ne profite a l'autre. Aussi. il nous est commandé de gouverner cette vigne comme la nôtre; car il est dit : Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. Oh! combien est cruel le vigneron qui gouverne mal sa vigne, et ne lui fait porter d'autres fruits que quelques actes de vertu, et ceux-là sont si aigres, que personne ne peut les goûter ces fruits sont les bonnes œuvres faites en dehors de la charité. Oh! combien est à plaindre cette âme qui, à l'instant de la mort, au moment de la récolte, se trouve sans aucun fruit ! Elle comprend quelle sera sa mort, et elle cherche le temps pour pouvoir la changer, mais elle ne le trouve pas. L'homme ignorant semble croire qu'il peut disposer du temps à son gré, mais il n'en est point ainsi.

4. O mes Frères! profitons du temps présent que la miséricorde de Dieu nous donne. Que la raison se mette l’œuvre avec le libre arbitre, et commençons à retourner la terre de cet amour coupable et déréglé, de cet amour terrestre, qui ne veut se nourrir que de choses passagères, sans consistance et sans durée, qui disparaissent comme le vent. Devenons célestes, et cherchons les biens solides et véritables, qui ne sont sujets à aucun changement; ouvrons la porte de la volonté pour recevoir la semence de cette doctrine qui produit les vraies et [1060] saintes vertus que le libre arbitre a fait sortir de terre a la lumière de la vérité, c’est-à-dire qu'il ne les a semées et récoltées par aucun amour terrestre et humain, mais par la haine et le mépris de soi-même. Il a recueilli le fruit dans sa mémoire par le souvenir des bienfaits de Dieu, reconnaissant qu'il le tient de lui, et non de sa propre vertu.

5. Quel arbre faut-il planter ? l'arbre de la charité parfaite, dont la cime s’unit au ciel, c’est-à-dire à l'abîme de la charité divine. Ses rameaux couvrent toute la vigne et conservent les fruits dans leur fraîcheur, parce que toutes les vertus procèdent de la charité, et ont la vie par elle. Comment l'arroser? non pas avec l'eau, mais avec le sang précieux répandu avec un si ardent amour. Ce sang remplit le vase du cœur, et non seulement il arrose la vigne et embellit le jardin, mais il désaltère abondamment le chien de la conscience; il le fortifie afin qu'il fasse une bonne et fidèle garde a la porte de la volonté, pour que personne ne passe sans se faire reconnaître par la raison, qu'il avertit par ses cris; et la raison, a la lumière de l'intelligence, voit si ce sont des amis ou des ennemis. Si ce sont des amis que la clémence du Saint-Esprit nous envoie, c'est-à-dire si ce sont de bonnes et saintes inspirations, le libre arbitre les reçoit en ouvrant la porte avec la clef de l'amour, et il les utilise; mais si ce sont des ennemis, des pensées coupables et des actions corrompues, il les chasse avec la verge de la haine et du mépris; il ne les laisse point passer tant qu'elles ne sont pas changées, il leur ferme la porte de la volonté, qui ne donne pas son consentement [1061].

6. Alors, voyant que le libre arbitre, le vigneron qu’il a envoyé dans la vigne, travaille bien en lui et dans le prochain qu’il assiste autant qu’il le peut par amour et charité, Dieu se repose dans cette âme par la grâce; son repos n’augmente pas par le bien que nous faisons, car il n’a pas besoin de nous, mais sa grâce repose en nous; elle nous donne la vie, elle nous revêt en couvrant notre nudité; elle nous donne la lumière et rassasie notre âme, et en la rassasiant elle la laisse toujours affamée. Elle nous offre sa nourriture sur la table de la très sainte Croix, dans la bouche du saint désir; elle nous présente le lait de la douceur divine, qu’elle mêle avec la myrrhe de l’amertume de la Croix et de la douleur de l’offense de Dieu. Elle nous donne l’encens odoriférant des humbles et continuelles prières qu’on offre avec ferveur pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Oh! combien est heureuse cette âme ! Elle goûte véritablement la vie éternelle; mais nous, pauvres ignorants, nous nous inquiétons peu de ce bonheur; car si nous nous en inquiétions, nous aimerions mieux mourir que de perdre un si grand bien. Sortons donc aujourd’hui de cette ignorance, et cherchons la perfection dans la vérité; en la cherchant ainsi, nous la trouverons où Dieu l’a placée; si nous la cherchons autrement, nous ne la trouverons pas.

7. Nous avons dit comment notre âme est une vigne, comment elle est ornée, et comment Dieu veut que nous y travaillions. Il faut voir maintenant où Dieu nous a placés: il nous a placés tous dans la vigne de la sainte Eglise, où il a mis pour vigneron [1062] le Christ de la terre, celui qui administre le précieux Sang, et qui, avec la serpe de la pénitence que nous recevons dans la confession, taille les vices de l’âme et l’unit à son sein avec les liens de la sainte obéissance. Sans cela la vigne de notre âme serait ravagée, et la grêle y détruirait tous les fruits, si elle n’était pas liée par cette obéissance. Il faut donc placer et travailler la vigne de notre âme dans la vigne de la sainte Eglise; autrement nous serions privés de tout bien, et nous tomberions dans toute sorte de mal.

8. Il est temps, mes très chers Pères et Frères, de montrer si nous sommes unis vraiment ou non à la vigne de l’Eglise. Et à quoi le verrai-je? Je le verrai si, dans ce temps de calamités, vous assistez spirituellement et temporellement le vigneron de cette vigne de la sainte Eglise, le Pape Urbain VI, le vrai Vicaire de Jésus-Christ spirituellement, par vos humbles prières; temporellement, en travaillant autant que vous le pourrez à décider les magistrats de la République à lui venir en aide comme ils le doivent. Ne voyons-nous pas que nous sommes obligés de le faire, et que cela peut nous être utile à nous-mêmes? Aimons-nous si peu notre Foi que nous ne voulions pas être ses défenseurs, et sacrifier la vie de notre corps s’il le faut? Serons-nous si ingrats et si oublieux des grands bienfaits que nous avons reçus de Dieu et du Souverain Pontife? Ne savons-nous pas que l’ingratitude fait tarir la source de la piété? Je ne veux pas que nous soyons ingrats, mais reconnaissants pour nourrir en nous la piété. Je vous prie donc par l’amour de Jésus crucifié de [1063] mettre la main à l’œuvre, et soyons prompts à servir cette vérité... Je suis certaine que si vous êtes de bons et parfaits ouvriers dans votre vigne, vous travaillerez avec un grand zèle par amour de la vérité dans la vigne de la très sainte Eglise. Mais si vous êtes de mauvais ouvriers pour vous-mêmes, vous ne vous appliquerez pas à travailler pour elle comme vous l'avez montré jusqu'à présent. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir de bons ouvriers. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCI (145). - A QUELQUES MONASTERES DE BOLOGNE. Lettre écrite en extase. - Des devoirs d'une épouse de Jésus-Christ. et des trois vœux de la vie religieuse.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Sœurs dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est le vêtement nuptial que doit avoir l’âme invitée aux noces de la vie éternelle; car sans ce vêtement nous en serions exclus. Le Christ béni nous y a tous invités, et à tous il nous a donné le vêtement de sa grâce, cette grâce que nous recevons dans le saint baptême. Nous recevons cette invitation et ce présent dans le [1064] baptême; la souillure du péché originel est effacée, et la grâce nous est donnée. L'enfant qui meurt avec la pureté de ce baptême possède la vie éternelle en vertu du sang précieux de Jésus crucifié; c'est ce sang qui fait la force du baptême. Mais la créature raisonnable, lorsqu'elle est arrivée à l'âge de discrétion, peut être fidèle à l'invitation qui lui a été faite dans le saint baptême. Si elle n'y est pas fidèle, elle est repoussée par le Seigneur des noces; elle est chassée dehors, parce qu'elle est trouvée sans le vêtement nuptial. Pourquoi ne l'a-t-elle pas? Parce qu'elle n'a pas voulu observer ce qu'elle avait promis au saint baptême, c'est à dire à renoncer au monde, à ses délices, au démon, à elle-même, à sa propre sensualité.

2. C'est ce que doit faire toute créature raisonnable, dans quelque position qu'elle se trouve; car Dieu ne s'arrête pas aux positions, mais aux saints désirs; et quiconque n'accomplit pas ce qu'il doit, ce qu'il a promis d'observer et de rendre, est un voleur, car il vole ce qui ne lui appartient pas, et Dieu le chasse avec justice, en commandant de lui lier les pieds et les mains, et de le jeter dans les ténèbres extérieures. Les pieds de son amour sont liés, car il ne peut plus désirer Dieu; et celui qui est mort dans l'état de péché mortel et qui est arrivé à l'état de damnation, a les mains de ses œuvres liées, car il ne peut prendre le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par l'amour de la vertu; mais il prend le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par [1065] l'amour de la vertu; mais il prend le fruit qu'il m’irrite pour ses œuvres mauvaises, le fruit qui est une nourriture de mort.

3. O mes très chères Sœurs ! si des châtiments si durs punissent tous ceux qui n'accomplissent point leur devoir, que dirons-nous de nous, pauvres et ignorantes épouses, qui sommes invitées aux noces de la vie éternelle et aux délices du jardin de la vie religieuse? Ce jardin est embaumé de fleurs et plein de doux et bons fruits; l'épouse qui tient ce qu'elle a promis y devient un ange terrestre en cette vie. Car tous les hommes du monde qui vivent dans la charité commune sont des hommes justes, et s'ils tombent dans le péché mortel ils deviennent semblables aux animaux; mais ceux qui sont dans l'état de continence perpétuelle, et qui entrent dans le jardin de la vie religieuse deviennent des anges; mais s'ils n'observent pas leurs vœux ils deviennent pires que les démons. Ceux-là perdent le vêtement dont nous avons parlé. Oh! combien sera dure et cruelle la sentence qui frappera l'épouse du Christ en présence du souverain Juge! La porte de l'éternel Epoux lui sera fermée; et quel remords aura-t-elle de se voir ainsi privée de Dieu et de la société des anges par sa faute! O mes très chères Sœurs! celle qui y réfléchirait bien aimerait mieux mourir que d'offenser sa perfection je ne dis pas offenser Dieu, mais offenser sa perfection; car autre chose est d'être en péché mortel, c'est-à-dire d'offenser Dieu, autre chose est d'offenser la perfection à laquelle on s'est engagé en promettant d'observer, non seulement les commandements de Dieu, mais encore les conseils [1066] actuellement et mentalement. Les hommes qui sont dans la charité commune observent les commandements et les conseils parce qu'ils sont liés ensemble, et qu'on ne peut les observer les uns sans les autres; mais ils observent les conseils mentalement, tandis que celui qui a promis de suivre la voie parfaite doit les observer actuellement et mentalement. Aussi je dis que s'il ne les observe pas actuellement, mais seulement mentalement, il manque à la perfection qui l'oblige à les observer actuellement et mentalement. Que promettons-nous, mes très chères Sœurs? Nous promettons d'observer les conseils lorsque nous faisons les trois vœux de notre profession nous promettons la pauvreté volontaire, l’obéissance, la chasteté; et en n'y étant pas fidèles, nous offensons Dieu, à qui nous avions fait cette promesse; nous offensons la perfection que nous avions choisie. Celui qui n'a pas promis d'observer les conseils, et qui ne les observe pas actuellement, ne pèche pas, il manque seulement à la perfection qu'il désirait dans son cœur; mais celui qui en a fait le vœu commet un péché.

4. Et quelle est la cause qui empêche d'observer ce vœu? C'est l'amour de nous-mêmes. Cet amour nous ôte la robe nuptiale, il nous prive de la lumière et nous donne les ténèbres; il nous ôte la vie, il nous donne la mort et l'amour des choses passagères, frivoles et périssables; il détruit en nous le saint désir de Dieu. Oh! combien est malheureux cet amour qui nous fait perdre le temps, si précieux pour nous, et qui nous fait abandonner la nourriture des anges pour rechercher la nourriture des animaux [1067] ! La créature raisonnable devient semblable à la brute par sa vie déréglée; les vices et les péchés sont sa nourriture, tandis que la nourriture des anges de la terre doit être les 'vraies et solides vertus. Quelle différence y a-t-il entre ces deux nourritures? La différence de la vie et de la mort, d'une chose finie à une chose infinie.

5. Considérons ce qui réjouit la véritable épouse de Jésus crucifié, qui goûte cette douce et tendre nourriture, et ce qui réjouit celle qui est devenue semblable à l'animal grossier. La véritable épouse du Christ aime à chercher son Epoux, non pas dans les réunions, mais dans la connaissance d'elle-même, ou elle le trouve. En voyant et goûtant l'éternelle bonté de l’Epoux, en l'aimant de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, elle se réjouit de s'asseoir à la table de la très sainte Croix; elle aime mieux acquérir les vertus au milieu des peines et des combats qu'au sein de la paix et sans fatigue, pour ressembler à Jésus crucifié, dont elle suit les traces, tellement que, s'il était possible de le servir sans peine, elle ne le voudrait pas; mais, comme un généreux chevalier, elle veut le servir en combattant avec courage et en se faisant violence à elle-même, parce qu'elle s'est dépouillée de l'amour-propre et revêtue d'une ardente charité. Elle passe par la porte étroite et basse de Jésus crucifié; elle a promis d'observer la pauvreté volontaire, l'obéissance, la chasteté, et elle s'applique à y être fidèle. Elle a jeté à terre le pesant fardeau des richesses du monde, de ses plaisirs, de ses honneurs; et plus elle s'en voit privée, plus elle se réjouit; et parce qu'elle est humble, son [1068] obéissance est prompte. Elle ne résiste jamais à ce qu'on lui commande, et elle ne veut pas être un instant sans avoir devant les yeux les règles de son Ordre et la promesse qu'elle a faite; elle s'applique aux vertus et à la prière.

6. De sa cellule elle a fait un ciel par ses douces psalmodies; elle ne dit pas seulement l'Office des lèvres, elle le dit de cœur, et elle veut être toujours la première qui entre au chœur, et la dernière qui en sorte; elle a en abomination la grille, le parloir et la familiarité des faux dévots (Au temps de sainte Catherine, plusieurs hérésies se cachèrent sous le voile de la dévotion. L’Eglise eut à se défendre des bégards, des béguines, des patarins et des fraticelles, dont les pratiques dont les pratiques extérieures couvraient les plus coupables doctrines.); elle ne s'applique pas à avoir une cellule bien close et bien ornée, mais elle s'applique à bien fermer la cellule de son cœur, afin d'empêcher les ennemis d'y entrer, et elle la pare de toutes les vertus. Mais, pour la cellule qu'elle habite, elle n'y met aucun ornement; si elle y trouve quelque chose, elle l'ôte par amour de la pauvreté, ou pour être utile à ses sœurs; et ainsi elle conserve son corps et son âme dans la continence parfaite, parce qu'elle éloigne ceux qui pourraient la lui faire perdre. Elle se conserve dans la charité fraternelle, aimant toutes les créatures raisonnables, et supportent les défauts de son prochain avec une vraie et sainte patience. Elle est comme le hérisson, en guerre contre la sensualité; elle craint d'offenser son Epoux; elle perd l'attachement à son pays et le souvenir de ses proches; il n'y a que ceux qui font la volonté de Dieu [1069] qui lui sont unis par l'amour. Oh ! combien cette âme est heureuse elle ne fait qu'une même chose avec son Epoux, et elle ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut. Elle traverse ainsi doucement les tempêtes de la mer, et elle répand le parfum des vertus dans le jardin de la vie religieuse. Si vous demandez à Jésus crucifié qu'est cette âme, il vous dira: C'est un autre moi-même par l'effet de l'amour. Elle a le vêtement nuptial, et elle ne sera pas chassée de la salle du festin; mais l'Epoux éternel la recevra avec joie et tendresse. Elle répand la bonne odeur, non seulement en présence de Dieu, mais encore en présence des hommes coupables du monde. Qu'il le veuille ou non, le monde la respecte.

7. Le contraire arrive à celles qui ont le malheur de vivre dans l'aveuglement de l'amour-propre et de la sensualité; aussi leur vie est odieuse à Dieu et aux créatures, et leur défauts diminuent dans les séculiers le respect pour la sainte Religion. Hélas! que devient le vœu de pauvreté avec ce désir, Cet amour, cette ardeur pour les richesses du monde? Elles cherchent à posséder ce qui leur est interdit en étant avares et cruelles avec le prochain. Elles voient le couvent et des sœurs malades être dans le besoin, et elles ne s'en inquiètent pas, comme si elles avaient une troupe d'enfants à élever et des biens à laisser à leurs héritiers. O malheureuse! ce n'est pas ce qui t'arrête ton héritier c'est ta sensualité, et tu veux entretenir l'amitié et les visites de ceux qui te recherchent; tu les entretiens par des présents, et les jours se passent à causer, à raconter des nouvelles et à perdre le temps en paroles oiseuses et coupables; tu ne vois [1070] pas, ou tu vois et tu fais semblant de ne pas voir, que tu souilles ton esprit et ton âme ; tu es tourmentée par les combats de la chair, et tu succombes dans les faiblesses de ta volonté malheureuse. Est-ce là ce que doit faire l'épouse du Christ? Dieu et le monde te condamnent. Quand tu récites ton Office, ton cœur est tout entier à tes plaisirs sensuels et aux créatures, que tu aimes de la même manière.

8. O très chères Sœurs? quel esclavage que le service du démon! être toujours attachées à la grille et au parloir sous prétexte de dévotion. O maudit langage! qui règne aujourd'hui dans l'Eglise de Dieu et dans les cloîtres : on appelle dévots et dévotes ceux qui font les œuvres du démon, et qui sont des démons incarnés. Hélas! hélas! qu'est devenu ce jardin où est semée la corruption de l'impureté? Ce corps, qui devait être mortifié par le jeûne, les veilles, la pénitence et la prière continuelle, il vit au milieu des délices, des parures, des parfums et des aliments recherchés. Son lit n'est pas celui d'une épouse du Christ, mais celui d'une servante du démon et d'une prostituée. L'infection de ses désordres corrompt les créatures, et elle devient l'ennemi de l’honnêteté et des serviteurs de Dieu. Elle ne veut ni règle ni prieure au-dessus de sa tête; c'est le démon et la sensualité qu'elle choisit pour prieure. Elle leur obéit et travaille à les servir avec zèle; elle souhaite le malheur et la mort de ceux qui veulent la tirer de la mort dit péché mortel, et sa misère est si grande, qu'elle court à tous les vices avec rage, et qu'elle semble avoir perdu la raison. Elle détruit son intelligence dans la satisfaction de ses désirs déréglés. Le démon [1071] n'est pas si habile que ces démons incarnés, et elles ne songent qu'à trouver des moyens nouveaux d'inspirer aux hommes un amour coupable, tellement, que souvent on voit le lieu consacré à Dieu se changer en une étable où se commet le péché mortel. Elle devient ainsi adultère, elle se révolte contre son Epoux, et elle tombe des hauteurs du ciel dans les abîmes de l'enfer. Elle omet son Office; elle n'aime pas manger au réfectoire dans la société des pauvres; mais, pour vivre mieux et avoir des mets plus délicats, elle mange en particulier; elle devient cruelle pour elle-même, et n'a pas compassion des autres.

9. D'où vient tant de mal? de l'amour-propre sensitif qui obscurcit l'oeil de la raison, et ne lui laisse pas voir dans quel abîme elle est tombée et elle tombera si elle ne se corrige pas; car, si elle voyait que sa faute la rend servante et esclave du néant et la conduit à l'éternelle damnation, elle préférerait mourir qu'offenser Dieu et son âme. Mais l'amour-propre lui fait oublier et violer le vœu qu'elle a fait; car, par amour d'elle-même, elle possède et désire les richesses et les honneurs du monde, ce qui est la ruine et la honte de la vie religieuse. Savez-vous ce qu'entraîne cette possession des richesses contraire au vœu de pauvreté et aux règles de l'Ordre? L'impureté et la désobéissance. Pourquoi l'impureté? Parce que la possession des richesses occasionne des relations dangereuses. Si elle n'avait rien à donner, elle n'aurait d'autre amitié que celle des serviteurs de Dieu, qui n'aiment pas pour leur intérêt, mais seulement pour Jésus crucifié; et n'ayant rien à donner, les serviteurs du monde, qui ne cherchent autre chose [1072] que l'avantage qu'ils en retirent ou le plaisir coupable qu'ils y trouvent, se seraient retirés si elle n'avait eu rien à donner et si elle ne voulait plaire qu'à Dieu. De même, parce que son esprit est corrompu et superbe, elle tombe aussitôt dans la désobéissance, elle ne veut croire qu'à elle, et les choses vont toujours de mal en pire, tellement que le temple de Dieu devient le temple du démon. Elle est bannie des noces de la vie éternelle, parce qu'elle est dépouillée du vêtement de la charité.

10. Ainsi donc, très chères Sœurs, puisqu'il est si dangereux de ne pas observer les vœux que nous avons faits, appliquons-nous à y être fidèles; considérons combien notre nudité nous rend malheureuses, et comprenons combien le vêtement nuptial est utile à nos âmes et agréable à Dieu, afin que nous en soyons parfaitement revêtues. Comme unique moyen, je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de le faire. Secouons le sommeil, et mettons pour jamais un terme à notre misère et à notre imperfection, car le temps ne nous appartient pas. La condamnation est prononcée, la sentence est portée, et nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. La hache est déjà à la racine de notre arbre; il ne faut donc pas compter sur le temps que nous ne sommes pas sûrs d'avoir, mais il faut maintenant anéantir notre volonté propre et mourir péniblement à nous-mêmes par amour de la vertu.

11. A vous, Mère Prieure, je dis que vous devez donner l'exemple d'une vie sainte et irréprochable [1073], afin que vous puissiez enseigner avec vérité les filles qui vous sont soumises, les reprendre et les punir lorsqu'il en est besoin. Evitez les rapports avec les séculiers, et les conversations avec les faux dévots; fermez les grilles et le parloir, à moins que la nécessité ne le demande. Invitez vos religieuses à être pauvres dans leurs cellules, pour qu'elles n'aient rien à donner, et faites-leur retrancher les ornements, les tapis, les lits de plumes, les vêtements frivoles et déshonnêtes, si elles en ont, comme je le crains. Faites ainsi la première, ma très chère Mère, afin que votre exemple entraîne les autres. Que le chien de votre conscience aboie et morde, en pensant que vous aurez des comptes à rendre à Dieu. Ne fermez pas les yeux pour ne pas voir, parce que Dieu vous voit, et vous n'aurez pas d'excuse. Il faut avoir toujours les yeux ouverts sur celles qui vous sont confiées. Je suis certaine que vous le ferez si vous avez le vêtement nuptial; je vous en prie, et je m'engage à prier sans cesse pour vous, et à vous aider à porter votre fardeau avec toute la charité que Dieu me donnera. Tâchez que je reçoive de bonnes nouvelles. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1074].

Table des matières (2)





CXCII (116). - AU MONASTERE DE SAINT-GAGE, de Florence, à l'Abbesse et aux Religieuses du monastère de Mont-Sansovino. - De l'imitation véritable de Jésus-Christ par les trois vœux de la vie religieuse.

(Le couvent de Saint-Gage est près de Florence, sur la route de Rome. Les religieuses qui l’habitaient suivaient la règle de Saint-Augustin. Le couvent de Mont-Sansovino auquel la même lettre est adressée, était situé entre Sienne et Arezzo. Il observait la règle de Saint-Benoît.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUGE MARIE

1. Ma très chère Mère et mes Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir cachées et enfermées dans le côté de Jésus crucifié : autrement il vous serait inutile d'être renfermées dans un couvent, et la clôture servirait plutôt à votre condamnation. Car, comme votre corps est captif, il faut que votre cœur et vos désirs le soient aussi, puisque vous avez quitté le monde et ses délices pour suivre l'Epoux, le Christ, le doux Jésus. Je ne doute pas que si vous aimez véritablement l'Epoux éternel, vous ne suiviez ses traces. Et vous savez quelle fut sa voie la pauvreté volontaire et l'obéissance. Par humilité, la Grandeur suprême descendit jusqu’à la bassesse de la nature humaine; et par humilité, par l'amour ineffable qu'il eut pour nous, il livra son humanité à la mort honteuse de la Croix [1075], choisissent lui-même la voie des tourments, des fouets, des coups et des outrages. C'est cette humilité que vous devez suivre; et sachez qu'on ne peut l'acquérir que par la vraie et parfaite connaissance de soi-même et par la contemplation de l'humilité profonde et de la douceur de l'Agneau qui s'est immolé avec un si ardent amour. Je dis qu'il a suivi la voie de la vraie pauvreté; car il fut si pauvre, qu'il n'eut pas de quoi reposer sa tête, et à sa naissance la douce Marie avait à peine quelques langes pour envelopper son Fils.

2. Et vous, ses épouses, vous devez suivre la voie de cette pauvreté; vous savez que vous l'avez promis, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié d'être fidèles à votre promesse jusqu'à la mort: autrement vous ne seriez pas ses épouses, mais vous seriez des adultères, si vous aimiez quelque chose en dehors de Dieu; car l'épouse est adultère lorsqu'elle aime quelque chose plus que l'époux. Et quel est le signe de l'amour? C'est l'obéissance. Plus l'épouse est pauvre de volonté, plus elle renonce aux richesses et aux honneurs du monde, et plus elle est humble; plus elle est humble, plus elle est obéissante, parce que l'orgueilleux n'est jamais obéissant, son orgueil ne veut jamais se soumettre et obéir à aucune créature Je veux donc que vous soyez humbles, et que vous vous renonciez de cœur et d'affection jusqu'à la mort. Vous, Mère abbesse, obéissez à la règle; et vous, religieuses, obéissez à la règle et à votre abbesse. Imitez, imitez l’Epoux éternel, le doux et bon Jésus, qui a été obéissant jusqu'à la mort; sachez que sans l'obéissance vous ne pourrez participer [1076] au sang de l'Agneau. Qu'est-ce qu'une religieuse sans le joug de l'obéissance? C'est une morte et un véritable démon incarné. Elle n'observe pas la règle, elle l'outrage; elle est dans les régions de la mort, parce qu'elle a transgressé les saints commandements de Dieu; et non seulement elle a transgressé ces commandements, mais elle a violé les vœux qu'elle a faits dans sa profession.

3. O mes bien-aimées Sœurs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas que vous tombiez dans ce malheur; mais je veux que vous soyez pleines de zèle pour ne manquer en rien à vos promesses. Voulez-vous jouir de votre Epoux? Tuez en vous la volonté mauvaise, et ne vous révoltez jamais contre la véritable obéissance. Vous savez que l'obéissant véritable ne juge jamais la volonté de son supérieur, mais qu'il baisse la tête et l'accomplit sur-le-champ. Passionnez-vous donc pour celte vraie et solide vertu. Voulez-vous avoir la paix et le repos? Renoncez à votre volonté, car toute peine vient de la volonté propre. Revêtez-vous de la douce et éternelle volonté de Dieu; et de cette manière vous goûterez la vie éternelle, et vous serez appelés des anges terrestres en cette vie. Fortifiez-vous dans la douce Vérité suprême; mais vous n'y parviendrez jamais, si vous ne fixez l'oeil de votre intelligence sur le feu de la charité divine que Dieu fait briller dans la créature raisonnable. Songez, ma Mère et mes Filles, que vous êtes plus obligées que les autres créatures, parce que Dieu, outre l'amour qu'il accorde à la créature, vous a particulièrement favorisées en vous retirant de la vie ténébreuse et grossière de ce monde [1077] si plein de honte et de corruption, pour vous placer dans le cloître et vous choisir pour épouses. Vous De devez donc pas être négligentes, mais chercher toutes les choses, tous les lieux et tous les moyens capables de lui plaire. Et si vous me dites : Quelle est la voie? Je vous répondrai Celle qu'il a tracée lui-même, la voie des opprobres, des peines, des tourments et des fouets. Et quel moyen? l'humilité véritable,l'ardente charité, l'amour ineffable avec lequel on renonce aux richesses et aux honneurs du inonde. Par l'humilité on arrive à l'obéissance, comme je l'ai dit, et par l'obéissance à la paix; car l'obéissance ôte toutes les peines, et donne toutes les joies; elle détruit la volonté, qui est la cause de nos peines.

4. Afin que l'âme puisse monter à cette perfection, notre Sauveur a fait de son corps une échelle, où sont des échelons. Si vous regardez les pieds, qui sont percés et cloués sur la Croix, ils forment le premier degré, parce que l'âme doit se dépouiller avant tout de toute affection de la volonté propre; car, comme les pieds portent le corps, l'affection porte l'âme. Apprenez que l'âme n'acquiert jamais de vertu si elle ne monte le premier degré. Dès que vous êtes montées, vous parvenez à une vraie et profonde humilité; mais montez plus haut, et hâtez-vous d’arriver au côté entrouvert du Fils de Dieu, et là vous trouverez le feu et l’abîme de la charité divine. A ce degré de la plaie du côté, vous trouverez un trésor de parfum; vous trouverez l'Homme-Dieu, et votre âme se rassasiera et s'enivrera tellement, qu'elle ne se verra plus elle-même, comme celui qui [1078] est pris de vin. L'âme alors ne peut voir autre chose que ce sang répandu avec tant d'amour; elle s'élance dans l'ardeur de son désir, et elle arrive au troisième degré, à la bouche, où elle se repose dans le calme et la paix. Elle goûte la paix de l'obéissance, et elle fait comme l'homme qui dans son ivresse se met à dormir et ne sent, pendant son sommeil, ni la prospérité ni l'adversité. De même l'épouse du Christ, ivre d'amour, s'endort dans la paix de son Epoux. Toutes ses facultés sont assoupies, et la tribulation aurait beau fondre sur elle qu'elle ne s'en apercevrait pas, si elle est au milieu de la prospérité du monde, elle ne s'y attache pas d'une manière déréglée, parce qu'elle s'est dépouillée d’elle-même au premier degré. C'est le lieu ou elle s'unit et devient semblable à Jésus crucifié. Courez donc généreusement, car vous connaissez la voie et le lieu où vous pourrez trouver le lit de votre repos, et la table sur laquelle vous goûterez la nourriture qui vous rassasiera. Oui, je le veux et je vous en conjure de la part, de Jésus crucifié, réchauffez-vous, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; et afin d'être une même chose avec lui, ne fuyez pas la peine, mais aimez-là, car la peine est petite, et la récompense est grande. Je ne vous en dis pas davantage sur ce sujet (Ce qui suit était adressé seulement au couvent de Saint-Gage.)

5. Il me semble que votre Mère bien-aimée, ma chère Néra, est assise maintenant au festin du ciel, où elle goûte la nourriture de vie; elle a trouvé l’Agneau sans tache pour récompense, l'Agneau qui [1079] est, comme je vous l'ai dit, la table, la nourriture et le serviteur. L’épouse fidèle de Jésus crucifié a trouvé le Père éternel, qui est la table et le lit, parce que dans le Père se trouve l'abondance de tout ce qui lui est nécessaire si l'homme se tourmente, mes très chères Soeurs, s'il va d'un lieu à un autre, c est pour la nourriture, le vêtement et un lieu de repos. Eh bien, elle a trouvé l'éternelle et suprême bonté de Dieu; et il n'est plus nécessaire que l'âme cherche ces choses, et qu'elle aille de côté et d'autre, car elle a trouvé un asile assuré, où elle peut se reposer dans le sein de la Divinité. Le Père est la table, le Fils la nourriture; et c'est par le moyen du Verbe incarné, le Fils de Dieu, que nous arrivons tous, si nous le voulons, au port du salut. L'Esprit-Saint est son serviteur; car c'est par amour que le Père nous donne la nourriture de son Fils, et c'est par amour que le Fils nous donne la vie e~ prend pour lui la mort, afin que par sa mort nous ayons part à la vie éternelle. Nous qui sommes pèlerins et voyageurs dans cette vie, nous recevons cette récompense imparfaitement; mais elle l'a reçue parfaitement, et rien ne pourra la lui enlever.

6. Vous donc, ses filles véritables, vous devez vous réjouir du salut et du bonheur de votre Mère ; vous devez vous résigner saintement, à cause de celui qui vous a ôté sa présence sensible, et vous ne devez pas oublier que c'est l'éternelle volonté de Dieu. C'est pour son bien qu'elle a été délivrée de la fatigue et des peines nombreuses qu'elle éprouvait depuis longtemps et elle est maintenant dans son repos. Et vous, ses filles, je vous conjure de suivre ses traces, ses leçons [1080] et les saints usages ou elle vous nourrissait. Ne craignez pas d'être comme des orphelines ou des brebis sans pasteur; vous ne serez pas orphelines, puisque Dieu vous protégera, et qu'elle offrira en sa présence ses bonnes et saintes prières pour vous. Sœur Ghita vous est restée; je vous prie de lui obéir en toute chose, comme Dieu et votre saint Ordre le demandent. Et vous, sœur Ghita, je vous prie autant que je sais et que je peux d'avoir bien soin de cette famille, pour la conserver et l'avancer dans le bien. Ne commettez pas de négligence; Dieu vous en demanderait compte. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCIII (147).- A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES. - De l'humilité et du renoncement à sa propre volonté, en suivant les traces de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS-CHRIST, QUI A ETE CUCIFIE POUR NOUS, ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles et Sœurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu je vous écris et vous encourage dans le sang précieux de son Fils, avec le désir de vous voir dépouillées de l'ancien vêtement et revêtues du nouveau, comme vous y exhorte le doux Apôtre, lorsqu'il dit : « Induimini Dominum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14) » Seigneur Jésus-Christ. Oui, soyez dépouillées de l'ancien vêtement, c'est-à-dire du pêché et de la crainte servile qui était sous l'ancienne loi, la crainte uniquement fondée sur la crainte de la peine. Dieu ne veut pas que son épouse s'appuie ainsi sur la crainte, niais sur la loi sainte et nouvelle de l'amour, parce que c'est le vêtement nouveau, Je vous en conjure que ce soit là le fondement de votre cœur et de votre âme, car l’âme qui est fondée sur l'amour opère de grandes choses; elle ne fuit pas la fatigue, et ne cherche pas son intérêt, mais elle cherche toujours comment elle pourra s'unir avec la chose qu'elle aime. C'est ce que font les serviteurs de Dieu. La première chose qu'ils font pour s'unir à Jésus-Christ, c'est d'éloigner cette crainte coupable qui nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres; elle flous prive de la société de Dieu pour nous donner celle du démon; elle nous ôte la vie, et nous donne la mort.

2. Il n'en est pas ainsi de la charité véritable, de l’amour pur de Dieu et du prochain, qui nous donne la lumière, la vie, l'union parfaite avec Dieu, tellement que par le désir et l'amour, on devient un autre lui-même; on ne peut vouloir et aimer rien hors de Dieu, mais uniquement ce qu'il aime; on déteste ce qui est hors de lui, c'est-à-dire le vice, le péché, et on aime la vertu. Le tendre saint Paul disait : « Les choses que je recherchais autrefois, je les repousse maintenant pour Jésus-Christ, et leur perte m'est un gain (Phil 3,8). L'Apôtre veut dire que [1082] quand l'homme est livré à l'amour de lui-même et aux désirs déréglés de son âme, les jouissances, les consolations, les plaisirs du monde lui paraissent bons; il les aime, et s'en réjouit; mais aussitôt que l'âme se dépouille du vieil homme et veut suivre Jésus crucifié, elle volt le malheur où elle est, et déteste son premier état; elle se passionne sur le champ pour Dieu, et ne veut s'appliquer à autre chose qu'à aimer la vertu en elle et dans le prochain. Elle s'attache surtout à deux choses, parce qu'elle les trouve particulièrement dans Jésus-Christ, à la vertu d'humilité et à la charité, parce qu'elle voit que Dieu s'est humilié jusqu'à l'homme, et que pour détruire notre orgueil, il a fui les honneurs, la gloire humaine; il a embrassé la honte, les mépris, les injures, les affronts, la peine, la faim; la soif et les persécutions.

3. De même, l'épouse consacrée au Christ et qui s'est donnée à lui entièrement et sincèrement, veut aussi suivre ses traces et non son plaisir, et elle montre par là qu'elle possède. la vertu d'humilité. Je dis aussi que cette épouse se complaît dans la charité et le montre par l'amour du prochain, si bien qu'elle donnerait volontiers la vie du corps pour sauver la vie des âmes. Et ce désir, elle le conçoit en voyant son Epoux percé, immolé, cloué sur la Croix, et versant des flots de sang, non par la force des clous et de la Croix, mais par la force de l'amour qu'il a pour l'honneur de son Père et pour notre salut. Oui, l'amour a été le seul lien qui a retenu l'Homme-Dieu attaché et cloué sur la Croix. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus dans la négligence, vous les [1083] épouses consacrées du Christ, et comme votre corps est renfermé dans le cloître, que vos désirs et vos affections soient aussi renfermés dans le cœur enflammé et ouvert de Jésus crucifié. C'est là que l'âme s'engraissera et se fortifiera dans la vertu, et aussitôt elle trouvera les deux ailes qui la feront voler à la vie éternelle,l'humilité et la charité, dont je viens de vous entretenir.

4. Je vous supplie donc, vous ma Fille, qui êtes abbesse, de travailler avec zèle au salut de nos religieuses, sans crainte et sans découragement, mais avec confiance, en pensant que vous pouvez tout par Jésus crucifié; songez que Dieu a choisi un jardinier pour arracher les vices et planter les vertus. Faites-le, je vous en conjure, et n'y apportez aucune négligence. Je vous recommande aussi de corriger celles qui vous sont confiées, car il vaut mieux donner la correction et la recevoir en cette vie que dans l'autre. Je vous prie, toutes mes Sœurs bien-aimées dans le Christ Jésus, d'être unies et transformées dans la bonté de Dieu. Que chacune connaisse bien ses défauts, c'est le moyen de conserver la paix et l'union. Car toutes les divisions viennent de ce qu'on voit les défauts des autres et non les siens, et de ce qu'on ne sait pas se supporter mutuellement. N'agissons pas ainsi, mais liez-vous dans les liens de la charité, vous aimant et vous supportant les unes les autres, pleurant avec les imparfaites, vous réjouissant avec les parfaites; et, ainsi revêtues de la robe nuptiale, nous parviendrons avec l’Epoux aux noces de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que la paix de Dieu soit dans vos âmes [1084]

Table des matières (2)





CXCIV (148). - A L'ABBESSE DU MONASTERE de Sainte-Marie des Déchaussées, à Florence. – De la vraie charité qui se trouve dans les plaies de Jésus crucifié - Des vertus propres aux religieuses.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondée dans la vraie charité, alla que vous nourrissiez et conduisiez bien vos brebis. Il est bien vrai que nous ne pourrons nourrir les autres si d'abord nous ne nourrissons pas notre âme des vraies et solides vertus, et elle ne peut se nourrir de vertus si elle ne s'attache au sein de la charité divine, où elle puise le lait de la divine douceur. Oui, ma très chère Mère, il nous faut faire comme fait le petit enfant qui désire avoir du lait: il prend le sein de Sa mère, il y applique sa bouche, et par le moyen de sa chair il attire le lait. Nous devons faire de même, Si. nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et par le moyen de sa chair, nous y puiserons le lait qui nourrit notre âme et toutes les vertus qui en naissent; c'est par le moyen de l'humanité du Christ, car c est l'humanité qui est soumise à la peine et qui souffre, et non la divinité; et nous ne pouvons sans peine nous nourrir de ce lait, qui vient de la charité [1085].

2. Il y a différentes sortes de peines : ce sont souvent de grands combats du démon et des créatures, avec beaucoup de persécutions, d'outrages, de mauvais traitements; ce sont là des peines pour les hommes, mais ce ne sont pas là des peines pour l'âme qui se nourrit sur le sein doux et glorieux de Jésus crucifié; car elle y trouve l'amour en y voyant l'amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du tendre Verbe, et dans cet amour elle trouve la haine de ses fautes et de la loi perverse qui combat toujours contre l'esprit. Mais, au-dessus de toutes les peines que souffre l'âme qui a faim et soif de Dieu, sont les désirs ardents et passionnés qu'elle éprouve pour le salut du monde. La charité fait qu'elle est faible avec les faibles, et forte avec les forts; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent, c’est-à-dire qu'elle pleure avec ceux qui sont dans l'affliction du péché mortel, et elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie de l'état de grâce. Elle a pris la chair de Jésus crucifié, et ses peines lui font porter la croix avec lui. Les peines n'affligent pas, ne dessèchent pas l'âme; elles l'engraissent, et la rendent heureuse de suivre les traces de Jésus crucifié, et elle goûte alors le lait de la douceur divine. Et comment l'a-t-elle pris? Avec la bouche du saint désir, tellement que, s'il était possible d'avoir ce lait sans peine, et d'acquérir ainsi les vertus que fait naître le lait d'une ardente charité elle ne le voudrait pas, elle préférerait l'obtenir en soupirant pour l'amour de Jésus crucifié; car il lui semble que sous un chef couronné d'épines, il ne doit pas y avoir de membres délicats, et qu'il vaut [1086] mieux souffrir des épines avec lui, sans les choisir soi-même, mais en les recevant de Sa volonté. Et en agissant ainsi, elle ne souffre pas; c'est Jésus crucifié, son chef, qui souffre.

3. Oh ! combien est douce cette tendre mère, la charité! L'âme qui la possède ne cherche pas son intérêt, c'est-à-dire ne se cherche pas pour elle, mais pour Dieu; ce qu'elle aime, ce qu'elle désire, elle mime et le désire en lui, et hors de lui elle ne veut rien posséder. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle dépense son temps selon la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est religieuse, elle est dans cette vie un ange de la terre. Elle ne désire, elle n'aime rien dans le siècle; elle ne veut posséder aucune richesse, parce qu'elle voit que ce serait contre le vœu de pauvreté volontaire qu'elle a promis d'observer dans Sa profession. Elle n'aime pas et ne recherche pas la conversation de ceux qui pourraient nuire à son vœu de chasteté; elle les fuit, au contraire, comme des serpents venimeux, et elle a en aversion les grilles et le parloir. Elle écarte la familiarité des faux dévots, et revient à sa cellule comme à sa patrie, en épouse fidèle et légitime; et elle y goûte, sur le sein de Jésus crucifié, les veilles et l'humble et continuelle prière. Non seulement l'oeil du corps, mais l'oeil de l'âme veille pour se connaître elle-même, pour connaître sa faiblesse, Sa misère passée et la douce bonté de Dieu à sou égard: elle se voit aimée d'un amour ineffable par son Créateur.

4. Alors elle acquiert peu à peu la vertu de l'humilité [1087]et le saint, l'ardent désir, qui est la prière continuelle dont parle saint Paul, lorsqu'il dit que «nous ne devons jamais cesser de prier. » Ce saint désir entraîne les saintes bonnes œuvres; car celle qui ne cesse de prier ne cesse de bien faire. Elle demeure dans sa cellule avec son Epoux, embrassant avec joie toutes les hontes et les peines qu'il lui accorde, méprisant les délices et les honneurs du monde, détruisant sa malheureuse volonté propre pour imiter l'obéissance de Jésus crucifié, qui, pour obéir à son Père et nous sauver, courut à la mort ignominieuse de la Croix; son obéissance la rend obéissante, et elle observe ainsi le vœu qu'elle a fait d'obéir. Elle ne se révolte jamais contre les ordres qu'elle reçoit, et n'examine point les motifs de celui qui commande, mais elle obéit avec empressement. C'est ainsi que fait celui qui est véritablement obéissant, tandis que le désobéissant veut toujours savoir les raisons de celui: qui commande. Celle qui fait ainsi n'observe pas la règle, mais la viole, tandis que celle qui obéit la met devant elle comme un miroir; elle aimerait mieux mourir que d'y manquer; elle est ainsi parfaitement soumise.

5. Si elle doit commander, elle est parfaite dans sa direction, en nourrissant d'abord son âme de vertus sur le sein de Jésus crucifié. Lorsqu'elle a bien su obéir et qu'elle est appelée à commander, elle aura bien élevé ses filles. En elle brillera la pierre précieuse de la justice, et elle répandra le parfum de la pureté, donnant à toutes l'exemple d'une sainte et bonne vie; et comme la charité n'est jamais sans la justice, l'âme qui la possède est juste et rend à [1088] chacun ce qui lui est dû; à elle la haine et le mépris d'elle-même; à Dieu l'amour, la gloire, l'honneur de son nom, et au prochain une tendre bienveillance et tous les services possibles. Elle agit, avec ceux qui lui sont soumis, selon les dispositions de chacun : elle travaille à augmenter la vertu de celui qui est parfait; elle corrige celui qui est imparfait et qui commet des fautes; elle punit peu ou beaucoup, selon la gravité de la faute, et selon ce qu'elle juge chacun capable de porter; mais elle ne laisse jamais une faute impunie, et cela par charité, et non par animosité : elle veut punir en cette vie, pour qu'elle ne soit pas punie en l'autre. Mais si elle n'avait pas nourri d'abord son âme comme nous l'avons dit, elle n'aurait pas la pierre précieuse de la justice, elle serait injuste dans toute sa conduite; elle volerait ce qui est à Dieu pour se l'approprier, comme ce qui est au prochain, qu'elle n'aimerait que par intérêt. Elle ne dirigerait ses filles qu'en vue d'elle-même ou des créatures, et pour ne pas leur déplaire; elle ferait semblant de ne pas voir leurs défauts; ou, si elle les reprenait, cela servirait peu, parce qu'elle ne le ferait pas avec courage et fermeté de cœur. Comme sa vie n'est pas bien réglée, elle éprouve la peur et la crainte servile, et sa correction est inefficace.

6. Je ne vois donc pas d'autre moyen que de nous attacher au sein de Jésus crucifié; c'est ainsi que nous goûterons le lait de la charité divine, qui sera la règle de nos actions. C'est parce que je comprends qu'il n'y a pas d'autres remèdes et d'autres voies, que je vous ai dit que je désirais vous voir fondée [1089] dans la vraie et parfaite charité; je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de vous appliquer à l'être, afin que vos brebis soient dirigées par l’exemple de votre bonne et sainte vie, et afin que les brebis qui sont hors du bercail y rentrent; retirez-les des conversations; prêchez-leur la cellule, et faites-leur aimer le chœur et les repas en commun, et non en particulier. Si vous ne le faites pas autant que vous le pouvez, Dieu vous en demandera compte et vous aurez à répondre pour vos fautes et pour les leurs. Ainsi donc, ma bien chère Mère, ne dormez plus et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCV (149). - A L'ABBESSE et aux Religieuses de Saint-Pierre-de-Monticelli, à Legnaia, près Florence. - Comment les épouses du Christ doivent suivre ses exemples.

(Ces religieuses suivaient la règle de Saint-Benoît. C'est à leur supérieure que Barduccio Canigiani adresse la lettre ou il raconte les derniers moments de sainte Catherine.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang. avec le désir de vous voir les vraies servantes et épouses de Jésus crucifié. Suivez ses traces de telle [1090] sorte que vous aimiez mieux mourir que de violer ses doux commandements et les conseils que vous avez promis d'observer. Oh ! qu'il est doux et bon à l'épouse consacrée au Christ de suivre la voie et la doctrine de l'Esprit-Saint! Quelle est cette voie et cette doctrine ? Il n'en est pas d'autre que l'amour, car toutes les vertus ne sont vertus que par l'amour. Sa doctrine n'est pas l'orgueil, la désobéissance, l'amour propre les richesses, les honneurs, les grandeurs du monde; ce ne sont pas les jouissances et le plaisir du corps. Son amour n'est pas d'aimer le prochain pour soi, car il nous a aimés pour notre bien, et il a donné sa vie pour nous avec un amour si ardent et une humilité si profonde ! Vit-on jamais une humilité semblable? un Dieu s'humilier jusqu'à l'homme? la Grandeur suprême descendre à la bassesse de notre humanité? Et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il a été patient avec tant de douceur, qu'on n'a jamais entendu sortir de sa bouche un murmure; il a choisi la pauvreté volontaire, lui qui est l'éternelle et souveraine richesse, tellement que la douce Marie n'eut pas de linge pour l'envelopper; et enfin il mourut nu sur la Croix, n'ayant pas où reposer sa tête. Le deux et tendre Verbe a été rassasié de peines, revêtu d'opprobres il a aimé les injures, les mépris, les affronts, il a supporté la faim et la soif, Celui qui rassasie tous les affamés par tant dé douceurs et d'amour. C'est là notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous, et qui a travaillé à notre salut avec une persévérante ardeur, sans se laisser arrêter par notre ignorance, par notre ingratitude. et par les cris des Juifs qui lui disaient de descendre [1091] de la Croix; il n’a pas cessé d’accomplir notre salut.

2. C’est la doctrine, la voie qu’il nous a tracée; et nous, misérables remplies de défauts, nous ne sommes pas des épouses fidèles, mais des adultères; nous faisons tout le contraire, car nous cherchons les jouissances, les plaisirs, les délices de l’amour sensitif, cet amour de nous-mêmes d’où naissent la discorde et la désobéissance. La cellule devient notre ennemie, tandis que nous aimons la conversation des hommes du monde ou de ceux qui vivent comme dans le monde. Notre âme veut posséder en abondance les choses temporelles, et il lui semble qu’elle serait malheureuse si elle ne les avait pas à profusion ; elle s’éloigne de l’amour de son Créateur et elle néglige la prière, sa mère. Même en faisant les prières que vous êtes obligées de faire, souvent elle tombe dans l’ennui, parce que, pour celui qui n’aime pas, la moindre fatigue paraît un fardeau lourd à porter, et toute chose facile lui semble impossible à faire. Tout cela vient de l’amour-propre, qui naît de l’orgueil, et l’orgueil vient en s’appuyant sur des ingratitudes nombreuses, sur l’ignorance et la négligence dans les bonnes et saintes œuvres.

3. Je ne veux pas, mes bien-aimées Filles, qu’il en soit ainsi de vous. Il faut qu’en épouses fidèles, vous suiviez les traces de votre Epoux; autrement vous ne pourriez observer ce que Vous avez promis, c’est-à-dire les vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Vous savez bien que dans votre profession, vous avez apporté pour dot votre libre arbitre à votre éternel Epoux; car c’est avec un cœur libre que vous avez [1092] pris ces engagements qui sont les trois colonnes qui soutiennent la cité de notre âme et l’empêchent de tomber en ruine; tout périt dès qu'elles manquent. L’épouse doit donc être pauvre volontairement Pour l’amour de Jésus crucifié, qui lui a montré la voie. La pauvreté est la richesse et la gloire des religieuse et c’est une honte pour elles quand elles ont quelque chose à donner. Savez-vous le malheur qui en résulte? C’est que cette faute entraîne toutes les autres. Car celle qui place son affection dans la possession des choses temporelles ne vit pas avec ses sœurs comme vous devez vivre ; vous devez vivre en commun, la plus grande comme la plus petite, et la plus petite comme la plus grande. Si elle ne le fait pas, elle est coupable et tombera bientôt dans l’incontinence actuelle ou mentale, et puis dans la désobéissance car elle désobéit à son Ordre; elle ne veut pas être corrigée par son supérieur et elle manque à ses promesses Alors viennent les conversations avec ceux qui vivent mal. Elle recherche les séculiers, les religieux, les hommes et les femmes dont la conversation n’est pas fondée en Dieu, et elle le fait uniquement cause de l’avantage ou du plaisir qu’elle y trouve ces affections, ces rapports ne vivent que de présents et de jouissances.

4. Aussi je dis que celle qui ne possède rien, qui n’a rien à donner, évite par là même toutes les relations coupables, et dès lors elle n’a plus l’occasion de dissiper son esprit et de tomber dans des souillures corporelles et spirituelles; mais elle trouve et recherche la conversation de Jésus crucifié et de ses bons serviteurs de ceux qui aiment pour le Christ, par [1093] amour de la vertu et non par intérêt. Elle conçoit un désir et une faim de la vertu qu'il lui semble impossible de satisfaire; et comme elle voit que c'est de la prière, comme de leur mère et de leur source que viennent la vie de la grâce et le trésor des vertus, elle fuit et se cache dans sa cellule, cherchant son Epoux et l'embrassant sur le bois de la très sainte Croix. Là elle se baigne dans les larmes et les sueurs; elle s'enivre du sang du tendre Agneau, elle se nourrit de ses soupirs et de ses ardents désirs. Voilà la vraie et royale épouse qui suit fidèlement son Epoux.

5. A l'exemple du Christ béni, qu'aucune peine n'a pu empêcher d'accomplir notre salut, l'épouse ne doit se laisser arrêter ni par la peine, ni par la fatigue, ni par la faim, et par la soif; elle travaille toujours à l'honneur de Dieu, et elle répond aux faiblesses de son corps en disant: Courage, mon âme! Ce qui te manque ici-bas te profite pour la vie éternelle. Elle n'abandonne pas les bonnes œuvres et les saints désirs en cédant aux tentations du démon, aux faiblesses de la chair et à ces conseils perfides de l'ennemi, pires que ceux des Juifs, lui disant sans cesse Descends de la croix de la pénitence et de la vie régulière. Elle ne doit pas se lasser de servir son prochain et de travailler à son salut, à cause de son ingratitude et de l'ignorance qui méconnaît ses services. Elle ne doit pas se lasser; car, si elle le faisait, elle paraîtrait chercher dans le prochain sa récompense, et non pas en Dieu; elle ne doit pas le faire, et préférer plutôt la mort. Supportez avec patience, mes chères Filles, vos défauts communs; on vous supportant ainsi les [1094] unes les autres, avec patience et amour, vous serez liées et unies dans les liens de la charité, et vous y trouverez une telle force, que ni les démons ni les créatures ne pourront vous séparer, si vous ne le voulez pas.

6. Soyez obéissantes jusqu’à la mort, afin d'être des épouses fidèles; et quand l'Epoux viendra vous chercher au dernier moment de la vie, vous aurez la lampe pleine, comme les vierges sages, et non vide, comme les vierges folles. Votre cœur doit être une lampe remplie d'huile, où doit briller la connaissance de vous-mêmes et de la bonté de Dieu à votre égard; c’est la lumière et la flamme de la charité, nourrie et entretenue par l'huile d'une profonde et sincère humilité; car celui qui n'a pas la lumière de la connaissance de soi-même ne peut s'humilier, il n'y a pas d'humilité possible avec l'orgueil. Quand la lampe est bien garnie, elle doit se tenir à la main, avec une droite et sainte intention pour Dieu, c'est-à-dire avec la main d'une sainte crainte, qui règle nos affections et nos désirs; je ne parle pas d'une crainte servile, mais d'une sainte crainte qui, pour tout au monde, ne voudrait pas offenser la souveraine et éternelle Bonté de Dieu.

7. Toute créature raisonnable a cette lampe, car le cœur de l'homme est une lampe; s'il la tient droite et bien remplie, avec une sainte crainte, tout va bien; mais s'il la tient avec une crainte servile, il la renverse, parce qu'il sert et qu'il aime pour lui, pour son plaisir, et non pour l'amour de Dieu. Celui-là éteint la lumière et répand l'huile, parce qu'il n'a pas la lumière de la charité ni l'huile de la véritable humilité [1095]. C'est de ceux-là que notre Sauveur a dit: « Je ne vous connais pas, et je ne sais qui vous êtes (Mt 25,12). » Je veux donc que vous soyez fortes et prudentes. Prenez votre cœur et faites-en une bonne lampe; et comme une lampe est étroite du bas et large d'en haut, votre cœur doit se rétrécir pour tout ce qui regarde le monde, le plaisir, la vanité, les délices et le bien-être, tandis qu'il doit se dilater dans sa partie supérieure, c’est-à-dire que votre cœur votre âme, vos affections, doivent se placer et se reposer en Jésus crucifié. Revêtez-vous de peines et d'opprobres pour lui; unissez-vous et aimez-vous ensemble.

8. Et vous, madame l'Abbesse, soyez la mère et le pasteur qui donne, s'il le faut, sa vie pour ses filles; empêchez-les de vivre en particulier et dans des relations qui sont la mort de l'âme et la ruine de la perfection; soyez, dans vos rapports avec les autres, un miroir de vertu; la vertu enseigne plus que les paroles. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCVI (150). - A L’ABBESSE du monastère de Sainte-Marthe, de Sienne, et à SOEUR NICOLE, du même monastère. - De la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté en nous.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère et Sœur abbesse, et vous ma Fille et Soeur Nicole, moi, Catherine, l'inutile servante de Jésus-Christ et la vôtre, je vous écris et je veux faire pour vous ce que fait le serviteur pour son maître : Il va et vient sans cesse. Je veux aussi aller sans cesse pour vous en la présence de notre très doux Sauveur; et en m'adressant à son ineffable charité, nous obtiendrons la grâce de faire encore comme le serviteur, et de revenir en rapportant la grâce de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Il ne me semble pas possible de posséder la vertu et l'abondance de la grâce sans habiter la cellule de votre cœur et de votre âme. C'est là que nous trouverons le trésor qui est la vie, c’est-à-dire le saint abîme de la connaissance de Dieu et de nous-mêmes. De cette connaissance, très chères Soeurs, vient cette sainte haine qui nous unit à la souveraine et éternelle Vérité, parce que nous reconnaissons que nous ne sommes qu'erreur et mensonge, et que nous ne faisons que ce qui n'est pas. Nous nous haïssons alors, et nous crions avec la voix du cœur, à la vue de la bonté de Dieu : Vous êtes le seul qui êtes bon, vous êtes cette mer pacifique d'où sort tout ce qui a l'être.[1097] Mais ce qui n'est pas, c'est-à-dire le péché, n'est pas en lui.

2. Voici ce que la Vérité suprême disait a une de ses inutiles servantes: « Je veux que tu aimes toutes les créatures, parce qu'elles sont toutes bonnes et parfaites; elles sont dignes d'être aimées, puisqu'elles sont toutes faites par moi, la souveraine Bonté: toutes, excepté le péché; qui n'est pas en moi; car s'il était en moi, ma fille bien-aimée, il serait digne d'être aimé.» O amour ineffable vous voulez que nous nous haïssions à cause de notre volonté coupable, d'où vient le péché, qui n'est pas en vous. Oui, mes bien chères Sœurs dans le Christ Jésus, courons, courons, courons en mourant dans la voie de la vertu; et si vous me demandez quel sera notre cri ? celui de l'Apôtre contre notre volonté coupable. Saint Paul dit: «Mortifiez les membres de votre corps; » mais il ne dit pas la même chose de la volonté; il veut qu'elle soit morte, et non pas seulement mortifiée. O très doux et très cher Amour! je ne vois pas d'autre moyen que de prendre le glaive que vous aviez, mon doux Amour, dans votre cœur et dans votre âme, votre haine pour le péché, et votre amour pour l'honneur de votre Père et pour notre salut.

3. O très doux Amour! c'est ce glaive qui a percé le coeur et l'âme de votre Mère. Le Fils était frappé dans son corps, et la Mère aussi, parce que c'était sa chair. Il était bien juste qu'elle souffrit dans ce qui lui appartenait, car c'était dans son sein qu'il avait pris sa chair immaculée. O feu de charité! j'aperçois une autre ressemblance : le Fils a la forme de la [1098] chair, mais la Mère, comme une cire chaude, a reçu l'empreinte du désir et de l'amour de notre salut par le sceau du Saint-Esprit; c'est par le moyen de ce sceau que s'est incarné le Verbe divin. La Mère, comme un arbre de miséricorde, a reçu en elle l'âme ardente du Fils, qui était frappée et blessée par la volonté du Père; et, semblable à l'arbre qui porte la greffe, elle a été aussi blessée par le glaive de la haine et de l'amour. La haine et L'amour ont tellement augmenté dans la Mère et le Fils, que le Fils a couru à la mort. Son ardeur à nous sacrifier sa vie, sa faim et son désir d'obéir à son Père étaient si grands, qu'il a perdu l'amour de lui-même et qu'il a embrassé la Croix. Sa douce et tendre Mère a fait de même; elle a volontairement sacrifié l'amour de son Fils, tellement que non seulement sa tendresse ne veut pas le sauver de la mort, mais qu'elle est prête à servir d'échelle pour qu'il monte sur la Croix; et ce n'est pas étonnant, car l'amour de notre salut l'a blessée comme une flèche.

4. O vous toutes, mes Soeurs et mes Filles dans le Christ Jésus ! si jusqu'à présent vous n'avez pas été consumées par le feu de ce saint désir de la Mère et du Fils, ne persévérez pas dans l'obstination de vos cœurs. Je vous en prie de la part de Jésus crucifié, que cette pierre se dissolve par l'abondance du sang généreux du Fils de Dieu. Sa chaleur est si grande, qu'il n'y a pas de froideur et de dureté qui puissent y résister. Comment ce sang peut-il les vaincre ? Uniquement par la haine et l'amour dont nous avons parlé; l'Esprit-Saint le fait quand il vient dans l'âme. Je vous presse donc et je vous conjure de vous servir [1099]de ce glaive en vous; et si vous me demandez: Comment le montrerons-nous ? je vous répondrai: Je veux que vous le montriez en la présence de Dieu, de deux manières. D'abord je veux que vous acceptiez le temps, non pas selon vos goûts, mais selon le bon plaisir de Celui qui est; vous vous dépouillerez ainsi de votre volonté pour vous revêtir de la sienne. Et puisque vous m'écrivez le désir que vous avez de ma visite, je veux que vous le soumettiez au joug aimable du Fils de Dieu, et que vous receviez avec respect tout ce qui arrivera, quelque pénible que ce puisse être, en pensant qu'il ne peut en être autrement pour notre bien; nous recevrons ainsi avec respect tout ce qui arrivera.

5. L'autre manière de prouver que vous voulez vous servir du glaive de la haine et de l'amour, c'est de vous soumettre au joug de la sainte obéissance. Vous surtout, madame l'Abbesse, vous devez être obéissante à Dieu, en supportant toutes les fatigues qu'il vous impose dans le gouvernement de vos brebis; et ne vous désolez pas si très souvent vous perdez la douceur de la consolation, au milieu des peines que vous vous donnez au service du prochain pour l'honneur de Dieu; car je vois qu'il en arrivait ainsi aux saints Disciples, qui méprisaient toute consolation spirituelle et temporelle. Oh ! quelle consolation c’eût été pour eux de se trouver avec la Mère de la paix, la Mère du Fils de Dieu, et de vivre ensemble ! Et pourtant, dès qu'ils sont revêtus du vêtement nuptial du Maître, ils se livrent aux fatigues, aux opprobres et à la mort pour l'honneur de Dieu et pour le salut du prochain. Et c'est en étant ainsi séparés [1100] les uns des autres, en méprisant les consolations en en choisissant les peines, qu'ils obtinrent la vie éternelle.

6. Je veux que vous fassiez de même. Et si vous me dites : Je ne voudrais pas être absorbée par les choses temporelles, je vous répondrai que c'est nous qui les rendons temporelles, car tout procède de la Bonté suprême; tout, par conséquent est bon et parfait. Je ne veux donc pas qu'à l'occasion des choses temporelles, vous évitiez la fatigue; mais je veux que le regard toujours dirigé vers Dieu, vous soyez pleine de zèle et d'ardeur, surtout pour leurs âmes, et que comme dit saint Bernard, la charité, si elle vous flatte, ne vous trompe pas; si elle vous corrige, ne vous déteste pas. Agissez donc avec sévérité et avec douceur, selon les besoins de votre état. Ne soyez pas négligente à corriger les défauts, petits ou grands; faites en sorte qu'ils soient punis autant que la personne est capable de l’être. Si quelqu'un peut porter dix livres, ne lui en imposez pas vingt, mais ôtez-lui ce que vous pourrez; je vous en prie de la part de Celui qui a voulu porter toutes nos misères. Qu'elles se baissent pour entrer par la porte étroite de la sainte obéissance, afin que l'orgueil de leur volonté ne leur brise pas la tête.

7. Mes très chères Sœurs, ne vous fâchez pas des saintes réprimandes de votre Supérieure. Oh ! si vous saviez combien est dure la réprimande que Dieu fait à l'âme qui repousse les réprimandes de cette vie il vaut bien mieux que nos négligences, notre ignorance et notre peu d'amour soient punis par la sévérité du temps que par les rigueurs terribles de l’éternité [1101]. Soyez donc obéissantes par amour pour le tendre et doux Epoux, le Fils de Dieu, qui a été obéissant jusqu'à la mort. C'est ainsi que le glaive dont nous avons parlé tranchera,par la vertu de Dieu, le vice de l'orgueil, et que nous nous enracinerons dans la sainte charité, qui se montre par la sainte obéissance, comme l'obéissance se montre par la sainte humilité. Je ne vous dis qu'une chose: faisons une sainte prière pour pouvoir observer ce que nous avons dit. Celui qui est dans le chemin a besoin de lumière, afin qu'il ne s'égare pas dans le chemin.

8. Moi je viens de trouver une bien belle lumière, et c'est cette douce vierge, sainte Lucie de Rome, qui nous la donne. Nous demanderons aussi à la tendre Madeleine le mépris qu'elle avait d'elle-même ; et Agnès, qui était un agneau de mansuétude et d'humilité, nous donnera l'humilité (Sainte Catherine avait une dévotion toute particulière à Marie-Madeleine, que Notre-Seigneur lui avait donnée pour Mère. (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch. 6) Elle parle sans doute ensuite de Sainte Agnès de Montepulciano). Ainsi voilà Lucie qui nous donne la lumière, Madeleine la haine et l'amour, Agnès l'huile de l'humilité; et la barque de notre âme ainsi fournie, nous irons visiter la demeure de la bienheureuse Marthe. De cette fervente hôtellerie, vous recevrez le Christ, l'Homme-Dieu. Elle habite maintenant la maison du Père céleste, c'est-à-dire l'Essence divine, cette essence, cette vision où j'espère que, par l'abondance du sang de Jésus-Christ, par les mérites de sa douce Mère Marie et par ceux des saints, nous goûterons et nous verrons le Christ [1102] face a face. Je vous conjure d’être zélées à lui sacrifier votre vie. Que loué soit notre doux Sauveur. Je me recommande à vous, Madame, et à toi, Nicole, ma Fille et ma Sœur ; je vous prie de me recommander à Sœur Augustine et à toutes les autres Sœurs; qu'elles obtiennent de Dieu, pour moi, de quitter la voie de la négligence pour suivre, en mourant, la voie de la vérité. Je ne vous dis rien de plus sur ce sujet. Que loué soit Jésus crucifié. Amen.

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CXCVII (151).- A SOEUR BATHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne, à Pise. – Du vêtement royal de la charité qui couvre la honte du péché et détruit le froid de l'amour-propre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus. moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteur de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal. c'est-à-dire du vêtement de la plus ardente charité; car c'est ce vêtement qui couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et consume la froideur. Je dis qu'il couvre la nudité : l'âme créée à l'image et à la ressemblance de Dieu qui possède l'être, n'atteindrait pas sans la grâce divine, la fin pour laquelle elle a été créée. Il faut donc d'abord avoir le vêtement de la grâce que nous recevons dans le saint baptême [1103] par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent avant l'âge de raison possèdent la vie éternelle; mais nous qui sommes épouses, et qui avons le temps, si nous n'avons pas un vêtement d'amour pour le céleste Epoux, en reconnaissance de son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême est inutile. Nous avons besoin d'élever nos cœurs et nos désirs par la vraie connaissance de nous-mêmes, de la bonté de Dieu à notre égard et de l'amour ineffable qu'il nous porte; car si l'intelligence connaît et voit, le cœur ne peut s'empêcher d'aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur. Et ainsi l'âme attire l'amour par l'amour, et se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte, et cela de deux manières. Le repentir éloigne d'abord la honte du péché; et par la honte que l'âme a d'avoir offensé son Créateur, le vêtement de l'amour de la vertu lui est rendu. Elle honore Dieu, et en recueille le fruit; car dans toutes nos œuvres et nos désirs, Dieu ne veut que la fleur de l'honneur, et nous laisse le fruit. Vous voyez que le vêtement de la charité couvre la honte du péché. Je dis encore qu'il ôte une autre honte, celle que causent l'amour-propre, la sensualité et les jugements du monde. La volonté qui est moite à elle-même dans toutes les choses passagères ne voit plus cette honte; elle se réjouit au contraire des mépris, des affronts, des outrages et des injustices, et elle est heureuse quand elle est foulée aux pieds du monde. Elle se réjouit pour l'honneur de Dieu, de ce que le monde l'accable d'injures [1104], le démon de tentations et la chair de ses révoltes contre l'esprit. Elle s'en réjouit par haine et par vengeance contre elle-même, pour devenir semblable à Jésus crucifié, se trouvant indigne de la paix et du repos d'esprit. Elle n'a pas honte d'être tourmentée et bafouée par ces trois ennemis, le monde, la chair, le démon, parce que sa volonté sensible est morte, et qu'elle s'est revêtue de la souveraine et éternelle volonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, perce qu'elle voit que Dieu a tout permis par amour et non par haine, et que nous devons avoir, en recevant, le même sentiment que celui qui donne. Il lui est doux de désirer la honte, parce que, avec cette bonté elle chasse l'autre.

3. Oh ! combien est heureuse l'âme qui possède une si douce lumière ! car elle déteste nos passions et celles des autres, et elle aime les peines qui en tiennent. Notre passion est la sensualité, et celle des autres sont les persécutions du monde. Reconnaissez-vous donc, ma très chère Fille, digne de la peine et indigne de la récompense qui suit la peine. Les peines seront les broderies de votre vêtement royal. Vous savez bien que l’Epoux céleste a fait de même; il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mépris, les tourments, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. J'ai dit encore que le vêtement royal échauffe et consume la froideur; il échauffe par le feu de la plus ardente charité, qui parait dans les transports du désir qu'on a pour l'honneur de Dieu et le salut du prochain, dont on supporte les défauts. Celui qui l'a se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent [1105], et il pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il a compassion, et gémit de l'offense qu'ils commettent contre Dieu, et il souffrirait avec joie toute sorte de peines et de tourments pour les ramener à l’état de ceux qui se réjouissent et vivent dans l'amour des douces et royales vertus. Ce vêtement détruit la froideur, c’est-à-dire la froideur de l'amour-propre, qui aveugle l'âme et lui ôte la connaissance d'elle-même et de Dieu, qui la prive de la vie de la grâce et engendre l'impatience; et alors la racine de l'orgueil étend ses rameaux, et l'âme offense Dieu et offense le prochain par son amour déréglé, elle devient insupportable à elle-même, et se révolte sans cesse contre l'obéissance. Tout ce mal vient de l'amour-propre; mais le vêtement dont nous parlons le détruit, le consume, et ramène l'âme dans la lumière de la grâce divine.

5. Elle ne marche pas dans les ténèbres, mais elle suit en vérité la voie de l'Agneau sans tache immolé pour nous, et elle entre par la porte de Jésus crucifié, aux noces du Père céleste. Là, elle est affermie et tranquille en Dieu; elle ne craint pas que le monde, le démon et la chair l'en puissent séparer; elle n trouvé une vie sans mort, un apaisement sans dégoût et une faim sans souffrance. Oui, c'est assez: portez, portez, supportez; ne refusez aucun fardeau, si vous voulez gagner à la fin beaucoup. Ne serait-il pas odieux que l'épouse suivit une autre voie que l’Epoux, et vous ne pourrez le faire qu'en étant vêtue comme lui. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du vêtement royal, c’est-à-dire de la charité infinie du Roi éternel. Je ne vous en dis [1106] pas davantage. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; baignez-vous, anéantissez-vous dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCVIII (152). - A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne à Pise.- De la conformité de notre volonté à celle de Dieu, et des moyens de résister aux tentations.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'épouse véritable consacrée à l'éternel Epoux. La condition de l'épouse véritable est de n'avoir qu'une volonté avec son époux; elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut, et il lui semble qu'il est impossible de penser autre chose que lui, c’est-à-dire consentir à d'autres pensées. Je ne vous dis pas que d'autres pensées ne puissent venir; vous ne pouvez l'empêcher, ni vous ni aucune créature, car le démon ne dort jamais. Dieu le permet pour entretenir son épouse dans une sainte sollicitude, et pour la faire croitre dans la vertu ; c'est pour cela que Dieu permet souvent que l'esprit soit stérile, obscur et si tourmenté de mauvaises pensées, qu'il semble impossible de penser à Dieu, et de se rappeler seulement son nom [1107].

2. Prends garde, ma Fille, lorsque tu éprouves cela en toi-même, de tomber dans le dégoût, dans un trouble déréglé, et d'abandonner tes exercices et la prière, parce que le démon te dit : Pourquoi ne pas quitter cette prière que tu fais sans amour et sans désir; il vaudrait mieux ne pas la faire? Persévère, et ne te laisse pas troubler; mais réponds généreusement: J'aime mieux pour Jésus crucifié m'exercer à souffrir les peines, les ténèbres et les combats que de ne rien faire pour jouir du repos. C'est ce que font les parfaits; s'ils pouvaient éviter l'enfer, avoir leur bien-être en cette vie, et obtenir ainsi la vie éternelle, ils ne le voudraient pas, tant ils aiment ressembler à Jésus crucifié. Ils préfèrent suivre la voie de la Croix que d'être exempts de peines. Quel plus grand bonheur peut avoir l'épouse que de ressembler à son époux, et d'être vêtue du même vêtement? Puisque Jésus crucifié, pendant sa vie, n'a pas choisi autre chose que la Croix et les peines, dont il a été couvert comme d'un vêtement, son épouse doit trouver son bonheur h porter le même vêtement; et parce qu'elle voit l’Epoux l'aimer sans mesure, elle l'aime et le reçoit avec tant d'amour et de désir, que la langue ne pourrait jamais l'exprimer.

3. Mais ta souveraine et éternelle Bonté, pour la faire arriver à ce parfait amour et pour la conserver dans l'humilité, permet que son esprit soit désolé par bien des combats, afin que le créature se connaisse elle-même et qu'elle voie son néant; car si elle était quelque chose, elle éloignerait la peine quand elle voudrait; mais elle ne le peut pas, parce qu'elle n'est rien. En le comprenant, elle s'humilie dans son néant, et elle reconnaît la bonté de Dieu, qui lui a donné l'être par grâce avec tous les dons qu'il y a ajoutés. Tu me diras : Quand j'éprouve tant de peines et de combats, je ne puis voir autre chose que la confusion, et il me semble qu'il est impossible de concevoir quelque espérance, tant je me sens misérable. Je te répondrai, ma Fille bien-aimée, que si tu cherches, tu trouveras Dieu dans la bonne volonté. Admettons que tu éprouves de grands combats, ta volonté ne cesse pas de vouloir Dieu, et c'est pour cela que tu souffres et que tu t'affliges, parce que tu crains d'offenser Dieu. Il faut donc être dans la joie et l'allégresse, et ne pas se laisser abattre par les combats, en voyant que Dieu nous conserve notre volonté bonne, et qu'il nous donne l'horreur du péché mortel.

4. Je me souviens que j'ai entendu dire une fois à une servante de Dieu les paroles que la douce Vérité suprême lui avait adressées (C'est son histoire que sainte Catherine rapporte. (Voir Vie de sainte Catherine, Ier p., ch. 12.). Elle était très éprouvée par la peine et la tentation; et elle était surtout troublée, parce que le démon lui disait : « Tu as beau faire, tu souffriras ainsi toute ta vie, et tu iras ensuite en enfer. » Alors elle répondit généreusement et sans crainte, avec une sainte haine d’elle-même. « Je ne refuse pas la peine, car je l'ai choisie pour ma consolation; et si, à la fin, je vais en enfer, je ne laisserai pas de servir mon Créateur; je mérite d'aller en enfer, puisque j'ai offensé la [1109] douce Vérité suprême; et si Dieu me donne l'enfer, il ne me fait pas injure, car je lui appartiens. » Alors notre Sauveur, au milieu de cette humilité sincère, dissipa les ténèbres et les tentations du démon, comme le soleil paraît quand tombe le brouillard; il lui accorda la grâce de sa présence. Elle répandait des flots de larmes, et s'écriait dans l'ardeur de son amour : « O doux et bon Jésus! où étiez-vous quand mon âme était si affligée? » Le doux Jésus, l'Agneau sans tache, lui répondait : « J'étais près de toi, car je suis fidèle; et je ne m'éloigne jamais de la créature, si la créature ne s 'éloigne pas de moi par le péché mortel.»

5. Cette âme poursuivait ce doux entretien, et disait: « Si vous étiez avec moi, comment ne vous sentais-je pas? Comment se peut-il qu'étant près du feu, je ne sentais pas sa chaleur; je ne sentais que le froid, la tristesse, l'amertume, et il me semblait que j'étais remplie de péchés mortels. » Et Notre-Seigneur lui répondait doucement : « Veux-tu que je te montre, ma fille, comment par ces tentations, tu n'es pas tombée en péché mortel, et comment j'étais près de toi dis-moi ce qui fait le péché mortel? la seule volonté. Le péché et la vertu sont dans le consentement de la volonté; il n'y a pas de péché ni de vertu dans ce qui n'est pas fait volontairement. Ta volonté n'y était pas; car si elle y avait été, tu aurais pris plaisir aux pensées mauvaises du démon; mais parce qu'elle n'y était pas, tu gémissais et tu souffrais par crainte de m'offenser. Tu vois bien que c'est dans la volonté que se trouve le péché ou la vertu. Je te dis que ces combats ne doivent [1110] pas te faire tomber dans un trouble déréglé mais je veux que de ces ténèbres, tu tires la lumière de la connaissance de toi-même. Par cette connaissance tu acquerras la vertu d'humilité, et tu te réjouiras dans ta bonne volonté, parce que tu comprendras que j'habite alors secrètement en toi. Cette volonté est le signe que j'y suis; car si ta volonté était mauvaise, je n'y serais pas par ma grâce. Sais-tu comment j'habite alors en toi? De la même manière que j'étais sur le bois de la Croix, et j'agis avec vous comme mon Père agissait avec moi. »

6. « Pense, ma fille, que sur la Croix j'étais heureux, et je souffrais. J'étais heureux par l'union de la nature divine avec la nature humaine; et cependant la chair souffrait, parce que le Père céleste avait retiré à lui la puissance. Il me laissait souffrir; mais il n'avait pas retiré l'union qui l'unit toujours à moi. Ainsi, pense que j'habite de la même manière dans l'âme. Je retire souvent à moi la consolation, mais je ne retire pas la grâce; la grâce ne se perd jamais que par le péché mortel. Sais-tu pourquoi je fais cela? Uniquement pour conduire l'âme à la perfection; tu sais que l'âme ne peut être parfaite sans les deux ailes de l'humilité et de la charité. L'humilité s'acquiert par la connaissance de soi-même que donne le temps des ténèbres, et la charité s'acquiert en voyant que mon amour lui a conservé une bonne et sainte volonté. Aussi je te dis que l'âme sage, en voyant qu'il en résulte un si grand bien, devient ensuite plus calme, et préfère ces temps d'épreuves à tout autre; ce n'est pas pour un autre motif que je permets les tentations du démon. Je t'ai dit le [1111] moyen : pense combien ces épreuves sont nécessaires. à votre salut. Si l’âme n’était pas quelquefois sollicitée par de nombreuses tentations, elle tombe. rait dans la négligence et perdrait l’ardeur de ses désirs et de sa prière, tandis qu’au moment du combat elle se tient sur ses gardes par crainte de l’ennemi; elle met en défense le château de son âme en recourant à moi qui suis sa force. »

7. « Le démon ne pense pas que je lui permets de vous tenter pour vous faire avancer dans la vertu, et il vous tente pour vous faire tomber dans le désespoir. Lorsque le démon tente quelqu’un qui s’est consacré à mon service, il ne prétend pas le faire tomber sur-le-champ dans le péché, parce qu’il voit bien qu’il aimerait mieux alors mourir que de m’offenser. Mais que fait-il? Il s’applique à le troubler en lui disant: « Toutes ces pensées et ces combats « ne te servent de rien. » Vois la malice du démon, qui n’a pas pu vaincre par le premier moyen, et qui triomphe souvent par le second, avec les apparences de la vertu. Je ne veux pas que tu suives sa volonté perverse, mais je veux que tu écoutes la mienne, comme je te l’ai dit; c’est la règle que je te donne, et je veux que tu l’enseignes aux autres, quand il le faudra. »

8. Ma fille bien-aimée, je te dis la même chose; je veux que tu agisses ainsi, et que tu sois un miroir de vertus, en suivant les traces de Jésus crucifié; ne cherche et ne désire que la Croix, comme doit le faire une épouse fidèle rachetée par le sang de Jésus crucifié. Tu sais bien que tu es son épouse, qu’il t’a épousée, toi et toute créature, non pas avec un [112] anneau d’argent, mais avec l’anneau de sa chair. Vois ce doux petit enfant, qui, le huitième jour de sa naissance, t’offre cet anneau dans la Circoncision. O abîme ! Ô profondeur ineffable de charité, comme vous aimez l’humanité, votre épouse ! O vie qui êtes la vie de toute chose, vous l’avez tirée des mains du démon, qui la possédait comme si elle lui appartenait: vous la lui avez prise en le trompant par votre nature humaine, et vous l’avez épousée avec votre chair; vous avez donné votre sang comme arrhes, et vous avez enfin tout payé en immolant votre corps. Oui, ma Fille, enivre-toi de ce sang et fuis la négligence; cours avec ardeur, et brise avec ce sang la dureté de ton cœur, afin qu’il ne se referme plus par ignorance, par négligence, ou par le fait de quelque créature. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CXCIX (153).- A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, au monastère de Saint-Etienne, à Pise.- De la vraie lumière, qui nous fait connaître et haïr la sensualité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et [1113] parfaite lumière, cette lumière qui dissipe nos ténèbres et nous dirige dans la voie de la vérité; elle nous fait connaître notre imperfection et le malheur qu’elle cause, et aussi l’excellence de la perfection. Combien elle nous est utile, et combien elle est agréable à Dieu ! Par cette lumière nous arrivons à la haine parfaite de la sensualité et de l’imperfection, et nous parvenons à l’amour de la vertu, tellement que l’âme ne peut chercher, vouloir ou désirer autre chose que ce qui la porte à la vertu. Elle ne refuse pas les peines et les épreuves; elle les embrasse, au contraire, elle les aime, parce qu’elle voit bien qu’elle ne peut par une autre voie satisfaire son désir d’acquérir la vertu, qu’elle aime; et elle se fait un chemin de la doctrine de Jésus-Christ crucifié, qu’elle suit avec une grande ardeur; elle ne veut savoir que Jésus crucifié. Sa volonté ne lui appartient pas, car elle est morte et anéantie dans la douce volonté de Dieu, à laquelle elle s’est unie par amour; et elle demeure avec Dieu, car alors Dieu est dans l’âme par la grâce, et l’âme est en Dieu. Elle s’élève au-dessus d’elle-même, c’est-à-dire au-dessus de tout sentiment sensitif, et elle goûte la douceur de l’éternelle vérité, cette vérité qui se connaît dans la douce volonté de Dieu à la lumière de la sainte Foi; elle voit dans le sang de l’Agneau que sa volonté ne veut autre chose que notre sanctification.

2. La vérité est que Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance, pour lui donner la vie éternelle, et pour rendre louange et gloire à son nom. Par la faute d’Adam, cette vérité ne s’accomplissait [1114] pas dans l’homme, et alors Dieu nous donna le Verbe son. Fils unique, et lui imposa cette grande tâche de racheter le genre humain avec son sang; et le Fils de Dieu, transporté d’amour, courut à la mort honteuse de la très sainte Croix. Il ne fut arrêté dans son obéissance ni par la mort, ni par les peines, ni par les injures et les outrages qu’il recevait; mais, comme un vaillant et généreux capitaine, il fit une enclume de son corps, et ne recula pas devant notre ingratitude. Ainsi fait l’âme qui, à la lumière, a reconnu cette vérité; elle ne recule pas devant les murmures et devant les attaques du démon, devant les ténèbres de l’esprit, et devant les faiblesses de la chair, qui combat contre l’esprit; mais elle foule toutes les choses aux pieds de son amour, elle est constante et persévérante, et plus elle souffre, plus elle se réjouit.

3. Il faut donc chercher cette vraie et parfaite lumière, et repousser avec haine ce qui peut nous la ravir, c’est-à-dire l’amour de nous-mêmes. Nous parviendrons à cette haine, lorsque nous nous renfermerons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, où nous trouvons l’amour ineffable de Dieu pour nous, et avec cet amour nous chasserons l’amour-propre, parce que l’âme qui se voit aimée vie peut s’empêcher d’aimer. Alors une lumière surnaturelle brille aux yeux de notre intelligence, et cette lumière nous conduit à la perfection; mais sans cette lumière, nous ne pourrions y parvenir. C’est pour cela que j’ai dit que je désirais vous voir à cette vraie et parfaite lumière; et je veux que vous travailliez autant que vous le pourrez à l’avoir en [1115] vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu; Doux Jésus, Jésus amour.
 

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