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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 1 à 19



I. - LETTRE A GREGOIRE XI . - Sainte Catherine cherche à fortifier le Souverain Pontife contre les dangers de l'amour de lui-même.- Elle l’exhorte à revenir en Italie, et à secourir les habitants de Lucques et de Pise. - Elle le conjure de n'élever aux dignités de l'Église que des hommes vertueux.

(Note : Cette lettre et les deux suivantes furent écrites dans les premiers mois de l'année l376 quelque temps avant le voyage de sainte Catherine a Avignon. Sa réputation de sainteté l'avait déjà mise en crédit auprès du Souverain Pontife, et ce fut ce qui décida les Florentins à la choisir pour médiatrice. Quelques auteurs disent que sainte Catherine avait été en correspondance avec le Pape Urbain V, mais Burlamacchi, malgré toutes ses recherches, n'a pas en trouver de preuves.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE.







1.Très révérend et très aimé Père dans le Christ Jésus, votre indigne et pauvre misérable petite fille, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de [141] Jésus-Christ (Toutes les lettres de sainte Catherine commencent par ces mots : Al nome di Jesù Cristo crocifisso, e di Maria dolce. Elles finissent par ceux-ci : Jesù dolce, Jesù amore. Sainte Catherine prend le titre de serva e sehiava de'servi di Jesù Cristo; imitant ainsi l’humlité des souverains pontifes, qui signent servus servorum Dei. Ce fut saint Grégoire qui le premier adopta cette formule en opposition aux titres fastueux que prenait le patriarche de Constantinople.), vous écrit dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un arbre fertile qui donne en abondance des fruits délicieux, parce qu'il est planté dans une terre féconde. Il sécherait, s'il n'était pas dans cette terre, et il ne donnerait pas de fruits; cette terre est la vraie connaissance de vous-même, L'âme qui se connaît s'humilie, parce qu'elle ne voit aucune raison de s'enorgueillir, et elle nourrit en elle le bon fruit d'une ardente charité, parce qu'elle y voit l'infinie bonté de Dieu; elle reconnaît qu'elle n'est pas; et l'être qu'elle possède, elle l'attribue à Celui qui est (Sainte Catherine emploie souvent cette définition que Dieu a donne lui-même : Colui che è, en opposition avec celle de la créature, Quella che non i. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. x.). Alors, il semble que l'âme soit contrainte d'aimer ce que Dieu aime, et de détester ce qu'il déteste.

2. O douce et bonne connaissance, qui portes avec toi le glaive de la haine cette haine te fait tendre la main du saint désir, pour arracher et détruire le ver de l'amour-propre. Ce ver gâte et ronge la racine de notre arbre, tellement, qu'il ne peut plus produire des fruits de vie, mais qu'il dessèche et qu'il perd sa verdure. Car celui qui s'aime, nourrit en lui ce funeste orgueil, source et principe de tout mal dans toutes [142] les conditions, que l'on commande ou qu'on obéisse. Celui qui s'isole dans l'amour de lui-même, celui qui s'aime pour lui et non pour Dieu, ne peut que mal faire, et toute vertu est morte en lui. Il ressemble à une femme qui met au jour des enfants morts. Car il ne possède pas la vie de la charité; il songe à sa propre gloire, et non pas à celle du nom de Dieu. Aussi, je le dis, s'il commande, il fait mal, parce que, par amour de lui-même et pour ne pas déplaire aux créatures, dont l'intérêt et l'amour-propre le rendent esclave, il étouffe en lui la sainte justice. Il voit les défauts et les péchés de ceux qui lui sont soumis, et il fait semblant de ne pas les voir, pour ne pas les reprendre; ou, s'il les reprend, c'est avec une telle nonchalance et une telle lâcheté de coeur, qu'il ne produit aucun effet. Il ménage ainsi le vice, parce qu'il craint de déplaire et de s'attirer des ennemis. Il s'aime lui-même, et il ne fait rien pour avoir la paix, et c'est la plus grande cruauté qu'il puisse commettre. Si la plaie, quand il le faut, n'est pas brûlée avec le feu et taillée avec le fer, si on y met seulement du baume, non seulement elle ne guérit pas, mais encore elle se corrompt et elle donne la mort.

3. Hélas ! hélas ! mon très doux Père (Dolcissimo babbo mio. - Baibo était le nom tendre que les petits enfants donnaient à leurs pères), c'est ce qui fait que ceux qui obéissent se perdent dans le désordre et l'iniquité. Hélas ! je le dis en gémissant, combien est dangereux ce ver rongeur de l'amour-propre, qui non seulement donne la mort au pasteur, mais en fait périr aussi tant d'autres ! Pourquoi emploie-t-il de semblables moyens ? Parce qu'il redoute [144] la peine. Le baume qu'il applique aux malades ne déplaît à personne, et personne ne lui en saura mauvais gré. Il n'a pas contrarié le malade, qui voulait du baume; il lui en a donné. O misère humaine! Le malade est aveugle, parce qu'il ne connaît pas son besoin; le pasteur qui soigne est aveugle, car il ne voit et ne regarde que son plaisir et son utilité personnelle ; et, pour ne pas se nuire, il n'use pas du fer de la justice, ni du feu d'une ardente charité. Il arrive ce que dit le Christ: " Si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous les deux dans le précipice. " Le malade et le médecin se précipitent dans l'enfer. C'est bien là un pasteur mercenaire ; car non seulement il n'arrache pas ses brebis à la dent du loup, mais encore il les dévore lui même. Et pourquoi cela ? Parce qu'il s'aime sans aimer Dieu, et il ne suit pas le doux Jésus, le vrai Pasteur, qui a donné sa vie pour ses brebis. Il est donc bien dangereux pour soi et pour les autres, cet amour coupable ; et il faut bien le fuir; car il est la source de tout mal. J'espère, par la bonté de Dieu, Ô mon vénérable Père, que vous l'étoufferez en vous. Vous ne vous aimerez pas pour vous, vous n'aimerez pas le prochain pour vous, ni Dieu non plus ; mais vous l'aimerez parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, parce qu'il est digne d'être aimé. Et vous vous aimerez, vous aimerez le prochain pour l'honneur et la gloire du doux nom de Jésus. Oui, je veux que vous soyez ce bon et véritable pasteur; que, si vous aviez mille vies, vous soyez prêt à les donner toutes pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures, O mon Père bien-aimé, vous le Christ de la terre, imitez le [144] doux saint Grégoire ; vous pouvez faire ce qu'il a fait, car il était homme comme vous, et Dieu est toujours ce qu'il était alors. Il ne nous manque que le courage et la faim du salut des âmes. Mais, mon Père, le moyen de l'acquérir, c'est de nous séparer de cet amour de nous-mêmes et des créatures en dehors de Dieu: il ne faut plus s'arrêter aux amis, aux parents, aux intérêts temporels, mais seulement à la vertu, aux intérêts spirituels. Les choses de la terre ne périssent que parce qu'on néglige celles du ciel.

4. Efforçons-nous donc d'avoir cette glorieuse faim qu'avaient les saints et vrais pasteurs d'autrefois éteignons en nous le feu de l'amour-propre. Imitons ceux qui combattaient le feu avec le feu. Ils avaient tellement dans leurs coeurs le feu d'une ardente charité, qu'ils avaient faim des âmes et qu'ils s'en nourrissaient avec délices. O feu doux et glorieux, dont la vertu est si grande, qu'elle éteint le feu des plaisirs déréglés et de l'amour de nous-mêmes aussi promptement qu'une goutte d'eau disparaît dans une fournaise ! Si on me demande comment on acquiert ce feu et cette faim, puisque de nous-mêmes nous ne sommes que des arbres stériles, je répondrai que c'est en s'attachant à l'arbre fertile de la très sainte et très douce Croix; là se trouve l'Agneau immolé pour notre salut, avec tant d'amour, qu'il semble ne pouvoir se rassasier. Il crie encore qu'il a soif, comme s'il disait : Mon ardeur, ma soif, mon désir de votre salut sont plus grands que je ne puis vous le montrer par ma passion, qui n'est pas infinie. O doux et bon Jésus, que les pontifes, les pasteurs et toutes les créatures rougissent de leur ignorance, de leur orgueil et de leurs [145] jouissances, en voyant cette générosité, cette bonté, cet amour ineffable de notre Créateur, qui s'est montré à nous, dans notre humanité, comme un arbre riche de fruits doux et suaves, pour que nous puissions nous greffer sur lui. C’est ce que firent le fidèle saint Grégoire et les autres bons pasteurs ; ils virent qu'il n'y avait aucune vertu en eux, et ils s'attachèrent au Verbe, notre arbre divin. Ils s'y greffèrent en s'unissant à lui par les liens de l'amour, parce que l'oeil se fixe et s'attache là où il voit le bien et la beauté. Ils s'étaient tellement liés à lui, qu'ils ne se voyaient plus, mais qu'ils voyaient et goûtaient tout en Dieu. Le vent de la tempête, les démons, les créatures ne pouvaient les empêcher de porter de bons fruits, parce qu'ils étaient greffés sur la sève de Jésus, notre bon arbre, et les fruits qu'ils donnaient étaient pleins de de cette douce sève de la charité, dans laquelle ils étaient unis.

5. C'est ainsi que je veux vous voir. Si jusqu'à présent vous n'avez pas été bien ferme, je vous demande et je vous conjure, pour le temps qui vous reste, d'agir en homme courageux, et de suivre le Christ, dont vous êtes le Vicaire. Ne craignez rien, Ô Père, des vents furieux qui se sont élevés, et de ces enfants dénaturés qui se sont révoltés contre nous. Ne craignez rien, parce que le secours de Dieu est prêt. Veillez aux choses spirituelles, mettez de bons pasteurs et de bons gouverneurs dans nos villes ; car ce sont les mauvais, pasteurs et les mauvais gouverneurs qui ont fait naître la révolte (Sainte Catherine signale comme cause de révolte les exactions et les scandales des représentants du Saint-Siège. Saint Antonin le fait aussi dans ses Chroniques, part. III, tit. XXII, ch. 1. Une croisade devait aider la paix, en éloignant dle l’Italie les bandes salariées qui y entretenaient le trouble et le pillage.). Appliquez vite le remède; confiez-vous [146] dans le Christ Jésus, et ne craignez rien. Avancez donc, et accomplissez avec un saint zèle les bonnes résolutions que vous avez prises ; retournez à Rome, et entreprenez une glorieuse croisade. Ne tardez pas davantage ; vos lenteurs ont fait naître beaucoup d'embarras; le démon a travaillé et travaille encore pour empêcher ce qui doit se faire, parce qu'il y trouve sa ruine. Courage, Saint Père, plus de négligence; levez l'étendard de la sainte Croix; c'est l'odeur de la Croix qui vous donnera la paix. Je vous supplie d'inviter les rebelles à une sainte paix, pour que toute la guerre se tourne contre les infidèles. J'espère que l'infinie bonté de Dieu vous enverra un prompt secours... Courage donc, courage venez, oui, venez consoler les pauvres serviteurs de Dieu, vos enfants. Nous vous attendons avec un ardent et tendre désir. Pardonnez-moi, mon Père, tout ce que je vous ai dit. Vous le savez, c'est de l'abondance du coeur que parle la langue. J'en suis sûre, vous serez l'arbre que je désire voir, et rien ne vous arrêtera.

6. Je vous prie d'envoyer porter aux habitants de Lucques et de Pise les paroles paternelles que Dieu vous inspirera (Les Florentins faisaient tous leurs efforts pour attirer à leur parti les habitants de Pise et de Lucques. Sainte Catherine séjourna longtemps à Pise en 1375, pour maintenir dans l'obéissance cette ville, qui finit par encourir l'interdit. Elle réussit mieux pour Lucques, qui resta fidèle au Souverain Pontife.); secourez-les autant que vous [147] pourrez, et invitez-les à demeurer fermes et fidèles. Je suis restée jusqu'à ce moment à Pise et à Lucques, en les engageant de tout mon pouvoir à ne pas se liguer avec les coupables qui se sont révoltés contre vous. Mais ils sont dans une grande perplexité, parce qu'ils ne reçoivent de vous aucun secours, et qu'ils sont, au contraire, travaillés et menacés par vos ennemis: ils n'ont cependant encore rien promis. Je vous prie d'écrire aussi d'une manière plus pressante à messire Pierre (Messire Pierre Gambaconti était tout-puissant à Pise. Nous verrons que sainte Catherine était très attachée à sa famille.). Faites-le avec affection, et ne tardez pas. Je ne vous en dis pas davantage.

7. J'ai entendu dire ici que vous aviez nommé des cardinaux. Je crois que l'honneur de Dieu et nos intérêts demandent que vous vous appliquiez à choisir des hommes vertueux. Si vous faites le contraire, vous encourrez le blâme de Dieu, et vous nuirez à la sainte Église (La nomination des cardinaux dont semble se plaindre sainte Catherine, fut faite le 20 décembre 1375. Dans cette promotion, qui fut la dernière de Grégoire XI, sur neuf cardinaux sept étaient Français, et trois parents du Souverain Pontife. Ces cardinaux étaient Pierre de la Jugie, Hugues de Mont-Relaix, Jean de Busseries, Gny de Malefic, Jean de la Grange, Pierre de Sortenai, Gérard du Puy. Les deux autres étaient : Simon de Borsano, Italien, et Pierre de Lune, Espagnol, qui peu d'années après devint l'antipape Benoît XIII.). Nous ne devons pas ensuite nous étonner si Dieu nous envoie les châtiments et les fléaux de sa justice. Faites, je vous prie, [149] ce que vous avez à faire avec courage et crainte de Dieu.

8. J’ai appris que vous vouliez élever à un autre dignité le Maître de notre Ordre je vous demande, par amour de Jésus crucifié, que, s’il en est ainsi, vous nous donniez un bon et vertueux vicaire. Notre Ordre en a besoin, car il est bien inculte (Le maître général des Frères Prêcheurs était alors frère Elie de Toulouse ; il ne fut pas changé. L’ordre de Saint Dominique avait alors besoin d’une réforme, à la suite du relâchement causé par la peste noire. Elle fut commencée par sainte Catherine, et continuée par le bienheureux Raymond de Capoue, la bienheureuse Claire Gambacorti, et le bienheureux Jean-Dominique.). Vous pourrez en causer avec messire Nicolas d’Osimo et avec l’Archevêque d’Otrante. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Pardonnez, si j’ose ainsi vous écrire. Doux Jésus. Jésus amour.

Table des Matières









II. - A GREGOIRE XI. - Sainte Catherine cherche à éloigner le Pape de la guerre, et à le porter à la paix, en lui montrant les dangers de l'une et les avantages de l'autre. - La conquête des âmes doit être préférée à la puissance temporelle.
 
 

1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne petite fille Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, écrit à Votre Sainteté dans son précieux sang, avec [149] le désir de vous voir en paix, vous et vos enfants avec vous (Sainte Catherine ne parlant pas particulièrement de la paix pour Florence, ou peut croire que cette lettre a été écrite pendant que les envoyés du Pape offraient des conditions avantageuses aux Florentins, qui ne les acceptèrent pas, au commencement de 1376.). La paix, Dieu vous la demande, et veut que vous la fassiez le plus tôt que vous pourrez. Hélas ! peut-il vouloir que nous nous attachions à la puissance et aux biens temporels de manière à causer la perte des âmes, et les outrages envers Dieu qu'entraîne nécessairement la guerre? Ne veut-il pas au contraire que vous fixiez les regards de votre intelligence sur la beauté de l'âme et sur le sang de son Fils, ce sang, qui purifie nos âmes, et dont vous êtes le ministre? Il vous invite à avoir faim des âmes, parce que celui qui a faim de l'honneur de Dieu et du salut de ses brebis, pour les sauver et les retirer des mains du démon, sacrifie non seulement ses biens, rnais encore sa vie même.

2. Vous me direz peut-être, saint Père, que vous êtes obligé en conscience de conserver et de recouvrer les biens de l'Eglise. Hélas! je l'avoue, c'est la vérité; mais il me semble qu'il vaut mieux encore conserver une chose qui est plus chère. Le trésor de l’Eglise est le sang du Christ, donné pour prix de l'âme; ce trésor du sang n'a pas été payé pour les biens temporels, mais pour le salut du genre humain. En admettant que vous êtes tenu de reconquérir et de conserver les richesses, les droits que l'Eglise a perdus, vous êtes tenu bien davantage à reconquérir tant de brebis, qui sont un trésor pour l'Eglise. Elle [150] serait trop appauvrie si elle les perdait. Elle ne deviendrait pas pauvre elle-même, parce que le sang du Christ ne peut diminuer; mais elle perdrait cet ornement de gloire qu'elle reçoit des vertus et de l'obéissance de ceux qui lui sont soumis. Il vaut mieux négliger les intérêts temporels que les intérêts spirituels. Faites seulement ce que vous pourrez et vous serez excusé devant Dieu et devant les hommes du monde; vous les vaincrez bien mieux avec les armes de la douceur, de l'amour et de la paix, qu'avec les rigueurs de la guerre et vous rentrerez ainsi dans vos droits spirituels et temporels.

3. Mon âme, dans son union avec Dieu, a une soif ardente de notre salut, de la réforme de la sainte Eglise, et du bonheur du monde entier; et il me semble que Dieu ne me manifeste pas d'autre remède que la paix; je n’en vois pas d'autres en lui. La paix, oui, la paix, pour l'amour de Jésus crucifié; et ne vous arrêtez pas à l'ignorance, à l'aveuglement et à l'orgueil de vos enfants. Avec la paix vous vaincrez la guerre et la haine qui divise les coeurs; vous les réunirez. C'est par la vertu que vous chasserez le démon. Ouvrez, ouvrez donc l'oeil de votre intelligence avec la faim et le désir des âmes, et voyez les deux maux qui se présentent la perte de la grandeur, de la puissance et des biens temporels, que vous vous croyez obligé de reconquérir, et la perte de la grâce dans les âmes et de l'obéissance qu'elles doivent à Votre Sainteté; et alors vous verrez que vous êtes tenu bien davantage à reconquérir les âmes. Puisque l'oeil de l'intelligence peut comparer ces maux, vous, très saint Père, qui êtes [151] placé entre les deux, vous devez choisir le moindre, et en le choisissant pour fuir le plus grand, vous éviterez les deux, et vous y gagnerez de toute manière; car vous aurez retrouvé, dans la paix, vos enfants, et avec eux ce qu'ils vous doivent.

4. Pardonnez-moi de vous parler ainsi; ce n'est pas pour vous enseigner, mais j'y suis forcée par la Vérité même, et par le désir que j'ai, Ô mon doux Père, de vous voir dans la paix et dans le repos de l'âme et du corps; car, avec toutes ces guerres et ces embarras, il me semble que vous ne pouvez pas avoir une heure tranquille. Le bien des pauvres se dépense en soldats qui dévorent le sang et la vie des hommes. N’est-ce pas aussi un obstacle au désir que vous avez de réformer l’Eglise votre épouse, en lui donnant de bous pasteurs pour la conduire ? Vous savez que vous pouvez le faire bien difficilement avec la guerre. Comme vous pensez avoir besoin des princes et des grands, vous vous croyez obligé de leur donner des pasteurs selon leurs idées, et non pas selon les vôtres, quoique ce soit bien mal, pour n’importe quel motif, de donner à l'Église d'autres pasteurs que des hommes vertueux, qui agissent non pas pour eux-mêmes, mais pour Dieu, et qui cherchent la gloire et l'honneur de son nom. Un pasteur ne doit pas être enflé d'orgueil, et ressembler à un pourceau par la volupté, et à une feuille qui vole au souffle des richesses et de la vanité du monde.

5. Hélas! ne faites pas ainsi, pour l'amour de Jésus-Christ, et pour le salut de votre âme. Éloignez, autant que vous le pourrez, toute cause de guerre, afin de n'avoir pas le malheur de suivre la volonté [152] des hommes plutôt que la volonté de Dieu, et votre désir. Vous avez besoin du secours de Jésus crucifié; c'est en lui qu'il faut placer votre amour et votre espérance, et non pas dans l'homme et dans Sa puissance; oui, c'est dans le Christ, le doux Jésus dont vous tenez la place, et qui semble vouloir que l'Eglise revienne à sa première beauté. Oh i quel bonheur pour votre âme et la mienne, si je vous vois entreprendre ce bien, et si Dieu vous permet de l'accomplir, non par la force, mais par l'amour. Cela se fera par la paix et par les vrais et bons pasteurs, par les humbles serviteurs de Dieu, que vous trouverez quand Votre Sainteté voudra les chercher.

6. Les deux choses qui ont fait perdre et qui font perdre à l'Église ses biens temporels, sont la guerre et le défaut de vertu. Là où n'est pas la vertu, est toujours la guerre contre le créateur; la guerre n'est donc pas la cause véritable. Aussi je vous dis que si vous voulez recouvrer ce que vous avez perdu, le seul remède est le contraire de ce qui vous l'a fait perdre; il faut le reconquérir avec la paix et la vertu. Par ce moyen vous satisferez votre saint désir, celui des serviteurs de Dieu, et le mien pauvre misérable; vous rachèterez les âmes des malheureux infidèles qui ne participent pas au Sang de l’Agneau, sacrifié et immolé pour nous. Voyez, très saint Père, quel bien la guerre empêche, et quels maux elle entraîne. J’espère de la bonté de Dieu et de Votre Sainteté que vous ferez tout votre possible pour nous donner le remède de la sainte paix. C'est la volonté de Dieu, et je vous dis, de la part du doux Jésus, que pour cela et pour vos autres affaires, vous preniez [153] conseil des vrais serviteurs de Dieu, parce qu'ils vous conseilleront selon la vertu. Ecoutez-les, car vous en avez besoin; il serait bon et nécessaire de les avoir toujours près de vous, et de les employer comme les colonnes du corps mystique de la sainte Église.

7. Je crois que F. J. de P. (on ignore quel personnage désignent ces initiales), porteur de cette lettre, est un vrai et bon serviteur de Dieu; je vous le recommande, et je vous prie qu'il plaise à Votre Sainteté de le conserver toujours près de vous, lui et ceux qui lui ressemblent. Je termine ici. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









III.- A GRÉGOIRE XI. - Elle exhorte le Pape à vaincre ses enfants rebelles par l'amour et la douceur, et à tourner ses armes contre les infidèles.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon bien-aimé et révérend Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, votre indigne et misérable petite fille, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai pasteur, apprenant de Jésus, dont vous tenez la place, qu'il [154] a donné sa vie pour ses brebis. Sans s'arrêter à notre ingratitude, aux persécutions, aux injures, aux affronts, aux reproches de ceux qu'il avait créés et comblés de bienfaits, il n'en poursuivit pas moins l'oeuvre de notre salut ; l’ardent désir qu'il avait d'honorer son Père et de nous sauver, l'empêchait de voir ses peines; et, par sa sagesse, sa bonté, sa paix et sa douceur, il triompha de notre malice. Je vous on prie, mon doux Père, et je vous le dis de la part de Jésus crucifié, faites de même, et par votre bonté, votre patience, votre humilité, votre mansuétude, triomphez de la malice et de l'orgueil de vos enfants, qui se sont révoltés contre vous, qui êtes leur père. Sachez qu'on ne chasse pas le démon par le démon, mais qu'on le chasse par la vertu. Admettons que vous ayez reçu de grandes injures, qu'on vous a attaqué et ravi ce qui vous appartenait. Eh bien ! mon Père, je vous en prie, ne vous arrêtez pas à leur malice, mais à votre bonté, et ne cessez pas de travailler à notre salut. Leur salut est que vous leur donniez la paix, car un fils qui est en guerre avec son père est privé, tant qu'il y reste, de son héritage.

2. O Père, la paix pour l'amour de Dieu! afin que tant de fils ne perdent pas l'héritage de la vie éternelle. Vous savez que Dieu a remis entre vos mains le pouvoir de donner ou d'ôter cet héritage comme le voudra votre bonté. Vous tenez les clefs; il est ouvert à qui vous ouvrez, et la porte sera fermée à qui vous la fermerez. Le doux et bon Jésus l'a dit à Pierre, dont vous tenez la place : " Tout ce que vous délierez sur la terre sera [156] délié dans le ciel. " Vous êtes donc le vrai Père et Pasteur; vous voyez que c'est maintenant le temps de donner sa vie pour les brebis qui sont sorties de la bergerie; il faut les chercher et les reconquérir par la patience et par la guerre contre les infidèles, en élevant l'étendard de la très ardente et très douce Croix. Mais pour l'élever il ne s'agit pas de dormir; il faut se tenir debout et le déployer avec courage. J'espère de la miséricorde infinie de Dieu que vous gagnerez les infidèles, et que vous corrigerez la malice des chrétiens, parce que tous courront à l'odeur de la Croix, même ceux qui ont été les plus rebelles envers vous. Oh! quel bonheur si nous voyons le peuple chrétien donner le trésor de la foi aux infidèles, qui, après avoir reçu la lumière, s'avanceraient vers la perfection! Semblables à une plante nouvelle, ils perdraient le froid de l'erreur pour recevoir la chaleur et la lumière du Saint-Esprit par la sainte Foi, et ils produiraient des fleurs et des fruits de vertu dans le corps mystique de la sainte Église, et le parfum de leurs vertus aiderait à étouffer les vices, les péchés, l'orgueil et l'impureté, qui règnent tant à cette époque parmi les chrétiens, et surtout parmi les prélats, les pasteurs et les chefs de la sainte Eglise, qui perdent et dévorent les âmes. Oui, ils ne les convertissent pas, ils les dévorent (Les scandales étaient flagrants, les saints les pleuraient et les Souverains Pontifes faisaient tous leurs efforts pour les faire cesser. Dialogue, CXXI. - Sainte Brigitte, Révél., liv.IV, ch. cxxxi.). Et cela à cause de l'amour-propre qui est en eux, et qui engendrent' l'orgueil, l'ambition, l'avarice [156] et la souillure de l'esprit et du corps. Ils voient les loups de l'enfer emporter leurs brebis, et ils ne paraissent pas s’en occuper, tant ils sont appliqués à se procurer les plaisirs, les délices, les louanges et les faveurs du monde. Tout ce mal vient de leur amour-propre ; car s'ils s'aimaient pour Dieu et non pour eux-mêmes, Ils rechercheraient l'honneur de Dieu et non pas le leur, l'utilité du prochain et non pas leur bien-être.

3. Hélas! mon doux Père, veillez et appliquez-vous à ces choses; cherchez des hommes bons et vertueux pour leur donner le soin de vos brebis; ceux-là ne seront pas des loups, mais des agneaux qui nourriront le corps mystique de la sainte Eglise ; nous en profiterons, et ce sera pour vous une paix, une consolation, un secours dans les peines qui, je le sais, vous accablent. Je vois bien, mon bon Père, que vous êtes comme l'agneau est au milieu des loups; mais prenez courage, ne craignez rien, parce que la Providence et l'aide de Dieu ne vous manqueront jamais. Ne vous étonnez pas si vous rencontrez de grands obstacles, si le secours des hommes vous fait défaut, et si ceux qui devaient vous aider se tournent et conspirent contre vous, Ne craignez rien, mais plutôt espérez davantage, et ne renoncez pas à votre doux et saint désir (Des l'année l372, Grégoire XI avait manifesté en plein Consistoire son intention de retourner à Rome. En 1374 il l'avait promis aux ambassadeurs de Rome, et l'avait annoncé aux princes chrétiens.) ; qu'il s'enflamme au contraire de jour en jour. Allons, mon Père, réalisez le projet de votre retour et de la croisade à laquelle [157] vous engagent les infidèles en envahissant toujours vos possessions (Les Turcs, sous la conduite d'Amurat, venaient de faire de grandes conquêtes en Grèce et en Arménie.). Soyez prêt à donner votre vie pour le Christ; car nous avons autre chose qu'un corps. Pourquoi ne pas donner mille fois sa vie, s'il le faut pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes?

4. Le Christ l'a fait, et vous, son Vicaire, vous devez le remplacer. N'est-ce pas l'usage que le lieutenant suive les traces et les exemples de son capitaine? Venez, venez donc; ne tardez plus, afin de pouvoir faire bientôt la guerre aux infidèles, et de n'être pas arrêté par les membres corrompus qui se sont révoltés contre vous. Je vous en prie, je le veux, usez à leur égard d'une sainte ruse, en employant la bonté, comme je vous l'ai dit. Ce sera un feu d'amour et des charbons ardents que vous jetterez sur leurs têtes, et par ce moyen vous les gagnerez, eux, leur bien et leur personne, pour faire une guerre sérieuse contre les infidèles. C'est ainsi qu'a fait notre doux Sauveur il a jeté tant de feu et de flammes d'amour sur ceux qui lui étaient rebelles, qu'il les a amenés peu à peu à être ses auxiliaires et les propagateurs du nom de Dieu. Paul, le grand apôtre, de loup devint agneau; ce vase d'élection répandit par toute la terre le feu dont le Christ l'avait rempli; il purifia les chrétiens de leurs vices, les enrichit de vertus; il arracha les infidèles à l'erreur, et les éclaira des lumières de la sainte Foi. Voilà ce que la Vérité suprême veut que vous fassiez; ce que vous avez reçu, il faut le donner.

5. La paix, la paix, la paix, mon doux Père, et non plus la guerre. Marchons sur nos ennemis, et portons les armes de la très sainte Croix avec l'épée de la douce et sainte parole de Dieu. Hélas donnez la nourriture à ces serviteurs affamés qui vous attendent maintenant avec un ardent désir. Du courage, mon Père, du courage, et ne vous laissez pas abattre par la douleur; mais qu'elle vous fortifie en vous faisant déplorer l'injure faite au saint nom de Dieu. Rassurez-vous par l'espérance que Dieu vous aidera dans vos difficultés et vos besoins. Je m'arrête, car si je m'écoutais, je parlerais tant que j'aurais un souffle de vie. Pardonnez à ma présomption, et que la douleur et l'amour que j'ai pour l'honneur de Dieu et l'exaltation de la sainte Église, m'excusent auprès de votre bonté. Je vous en dirais bien plus long de vive voix que par lettre, et il me semble que je soulagerais ainsi mon âme. Maintenant je n'en puis plus; ayez pitié des doux et amoureux désirs qui sont offerts pour vous et pour la sainte Église dans des larmes et des prières continuelles. Pas de négligence, mais travaillez avec zèle; il semble que la Vérité suprême veut produire des fruits. Oui, bientôt viendront les fruits, car les fleurs commencent à paraître. Suivez avec un coeur viril et sans crainte l'Agneau immolé pour nous sur la Croix, et demeurez dans le saint et doux amour de Dieu. Je vous prie, mon révérend Père, d'écouter et d'accorder, si vous le pouvez, ce que vous dira le porteur de cette lettre (C'était Néri, un des plus chers disciples de sainte Catherine de Sienne.). Donnez-lui audience [159], je vous prie, et ajoutez foi à ses paroles, car on ne peut pas tout dire par écrit. Si vous voulez me communiquer des choses secrètes, vous pouvez les lui confier en toute assurance. Pour ce que je peux faire, s'il fallait donner ma vie, je la donnerais bien volontiers pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









IV.- A GREGOIRE XI. - Sainte Catherine cherche à adoucir le Souverain Pontife à l'égard des Florentins, et elle l'exhorte à ramener le troupeau rebelle au bercail de la sainte Église, par la douceur et par l'amour, à l'exemple de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, votre indigne et misérable petite fille, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bon pasteur. Je vois, mon doux Père, que le loup ravit vos brebis, et que personne ne s'y oppose. Je m'adresse donc à vous, notre Père et notre Pasteur, et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, d'apprendre de lui avec quelle ardeur d'amour il s'est livré à la mort ignominieuse de la sainte Croix, pour sauver des mains du démon la brebis perdue du genre humain; car le démon la possédait par la révolte de l'homme contre Dieu. Oui, Dieu. l'infinie Bonté, est [160] descendu; il a vu le malheur, la damnation et la ruine de cette brebis, et il a vu qu'il ne pouvait la sauver par la colère et par la guerre, quoiqu'il en fût outragé, et que l'homme par sa révolte et sa désobéissance, méritât une peine infinie. L'éternelle et souveraine Sagesse ne voulut pas le faire; mais elle trouva un meilleur moyen, le plus doux, le plus tendre qu'elle put trouver ; elle vit que rien ne triomphait du coeur de l'homme comme l'amour, car il a été fait par amour, et c'est pour cela qu'il est si porté à aimer. L'homme est fait par amour quant à l'âme et quant au corps. Par amour, Dieu l'a créé à son image et à sa ressemblance ; par amour aussi, son père et sa mère lui ont donné l'existence.

2. Dieu, voyant donc qu'il était si porté à l'amour, lui jeta l'appât de l'amour, en lui donnant le Verbe, son Fils, qui prit notre humanité pour faire une grande paix. Mais la justice divine voulait que l'injure faite à Dieu fût punie. La miséricorde divine vint donc avec une ineffable charité; et pour satisfaire la justice et la miséricorde, Dieu condamna son Fils à mort, après l'avoir revêtu de notre humanité, c’est-à-dire de la chair d'Adam, qui l'avait offensé. Par sa mort fut apaisée la colère du Père, parce que la justice était accomplie sur la personne du Fils. Il a ainsi satisfait la justice, il a satisfait la miséricorde, et il a sauvé le genre humain des mains du démon. Le doux Verbe a fait, sur les bras de la sainte Croix, le tournoi de la mort contre la vie, et de la vie contre la mort (Fecendo uno torniello. Cette ligure, empruntée à la vie du moyen âge, rappelle ce que chante l’Eglise au jour de Pâques : Mors et vita duello conflixere mirando.) Par sa mort il a détruit notre [162] mort, et il nous a donné la vie en perdant la vie de son corps. C'est donc par l'amour qu'il nous a gagnés, c'est par la bonté qu'il a vaincu notre malice, et si bien, que tous les coeurs devraient se rendre à lui. On ne peut, il l'a dit lui-même, mieux prouver son amour qu'en donnant sa vie pour son ami. Que dirons-nous donc de cet amour violent et parfait, qui lui a fait donner sa vie pour son ennemi? Car, par le péché, nous étions devenus les ennemis de Dieu. O doux et amoureux Verbe, qui, par l'amour, aviez retrouvé la brebis, par l'amour vous lui avez donné la vie, et vous l'avez ramenée au bercail, en lui rendant la grâce qu'elle avait perdue.

3. O mon très doux et très saint Père, je ne vois pas non plus d'autres moyens, d'autre remède pour retrouver vos brebis rebelles qui ont quitté le bercail de la sainte Eglise, en ne voulant plus obéir à vous, leur Père. Aussi je vous prie, de la part de Jésus crucifié, et je veux que vous me fassiez cette grâce, de vaincre leur malice par votre bonté. Nous sommes à vous, Ô Père, et je sais que presque tous ne croient pas avoir mal fait. Admettons qu'ils ne sont pas excusables; mais il leur semble qu'ils ne pouvaient pas faire autrement, à cause des peines, des injustices et des extorsions qu'ils avaient à endurer de la part des mauvais pasteurs et gouverneurs. Ils sentaient l'infection de la vie de ceux que vous saviez bien être des démons incarnés, et ils [162] tombèrent dans cette crainte détestable de Pilate, qui, pour ne pas perdre sa puissance, condamna Jésus-Christ. Pour ne pas perdre l'Etat, ils vous ont persécuté. Miséricorde, Ô Père, je vous le demande pour eux; ne vous arrêtez pas à l'ignorance et à l'orgueil de vos enfants, mais attirez-les par le charme de votre amour et de votre bonté, en leur faisant quelque douce réprimande.

4. Que Votre Sainteté nous rende la paix, à nous, vos malheureux enfants, qui vous avons offensé. Je vous le dis, Christ de la terre, de la part du Christ du Ciel, en agissant ainsi sans détour et sans colère, ils accourront tous avec le regret de leur faute, ils viendront appuyer leur tête sur votre sein. Alors vous vous réjouirez, nous nous réjouirons, parce que votre amour aura ramené la brebis perdue dans le bercail de la sainte Église; alors, mon doux Père, vous accomplirez votre saint désir et la volonté de Dieu; vous ferez cette croisade, que je vous engage, de sa part, à commencer le plus tôt possible et avec zèle; ils s'y disposeront aussi avec ardeur, Car ils sont prêts à donner leur vie pour le Christ. Au nom de Dieu, notre doux amour, élevez, mon Père, l'étendard de la sainte Croix, et vous verrez les loups se changer en agneaux. La paix, la paix, la paix, pour que la guerre ne nous fasse pas perdre cette saison favorable.

5. Si vous voulez la vengeance et la justice, frappez sur moi, misérable, et faites-moi souffrir toutes les peines et les tourments que vous voudrez jusqu'à la mort. Je crois que c'est l'infection de mes péchés qui a causé beaucoup de ces malheurs et de [163] ces discordes ( Sainte Catherine exprimait souvent cette crainte. Son humilité lui persuadait qu’elle était cause des maux de l’Eglise. Cf. Dialogue, ch. II, 3.); punissez donc à votre gré votre misérable petite fille. Hélas! mon Père, je meurs de douleur, et je ne puis mourir. Venez, venez, et ne résistez plus à la volonté de Dieu, qui vous appelle. Vos brebis affamées attendent que vous veniez prendre et conserver la place de votre prédécesseur et de votre chef, l’apôtre saint Pierre. Votre qualité de Vicaire du Christ vous oblige de résider à votre place. Venez donc,venez, ne tardez pas davantage. Prenez courage, et ne craignez rien de ce qui pourrait vous arriver, parce que Dieu sera avec vous. Je vous demande humblement votre bénédiction pour moi et pour tous mes enfants spirituels. Je vous prie de pardonner à ma présomption. Je n'en dis pas davantage; persévérez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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V. - A GREGOIRE XI. - Pour faire la paix et délivrer l’Eglise de ses maux, trois choses sont nécessaires :1° L'éloignement des mauvais pasteurs et des gouverneurs qui empêchent par leur luxe et leurs vanités ses véritables progrès; 2°le retour des Souverains Pontifes a Rome; 3° une croisade contre les infidèles.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint, très cher et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, votre indigne petite fille [164] Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir ardent que j'ai de voir en vous la plénitude de la grâce divine, de telle manière que vous soyez par le secours de cette grâce l'instrument, le moyen qui rende la paix au monde entier. Oui, je vous le demande, mon doux Père, agissez avec zèle, avec faim et soif de la paix, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, servez-vous de votre puissance et de votre vertu; et si vous me dites, mon Père : Le monde est si bouleversé, comment lui rendre la paix? je vous répondrai de la part de Jésus crucifié : Il faut employer votre puissance à trois choses principales. Il faut d'abord arracher du jardin de la sainte Église les fleurs qui répandent l'infection de l'impureté, de l'avarice et de l'orgueil, c'est-à-dire les mauvais pasteurs et gouverneurs qui empoisonnent et corrompent ce jardin. Hélas! vous qui êtes notre maître, usez de votre puissance pour arracher ces fleurs ; éloignez-les, pour qu'ils n'aient plus rien à gouverner, et qu'ils s'appliquent à se gouverner eux-mêmes dans une vie bonne et sainte. Plantez dans ce jardin, des fleurs odoriférantes, des pasteurs et des gouverneurs qui soient les vrais serviteurs de Jésus-Christ et les pères des pauvres, ne cherchant que l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Hélas! quelle honte de voir ceux qui devraient être des miroirs de pauvreté volontaire, d'humbles agneaux distribuant les biens de l'Église aux pauvres, vivre au contraire dans les délices, les grandeurs, les [165] pompes et les vanités du monde, mille fois plus que s'ils n'avaient pas quitté le siècle! Beaucoup de séculiers même doivent les couvrir de confusion par leur vie bonne et sainte; mais il semble que la souveraine et éternelle Bonté veut faire de force ce qui n'est pas fait par amour; il semble qu'elle permet que la puissance et les richesses soient ôtées à son Epouse, comme pour montrer qu'elle veut que la sainte Église revienne à son premier état de pauvreté, d'humilité, de douceur, lorsque ses ministres ne songeaient qu'à l'honneur de Dieu et au salut des âmes, s'appliquant aux choses spirituelles, et non pas aux choses temporelles. Maintenant on s'applique plus aux temporelles qu'aux spirituelles; les choses vont de mal en pis. Aussi la justice de Dieu a permis de grandes persécutions et tribulations. Mais prenez courage, mon Père, et ne craignez rien de ce qui est arrivé ou peut arriver ; Dieu le permet pour ramener l’Eglise à la perfection, pour que son jardin se remplisse d'agneaux, et non pas de loups qui ravissent son honneur et prennent pour eux ce qui lui appartient Ayez confiance dans le Christ, le doux Jésus; j'espèreque son secours, la plénitude de la grâce divine et la protection d'en haut sera sur vous, si vous faites ce que nous avons dit, De la guerre, vous viendrez à une grande paix; de la persécution, à une grande union; et ce n'est pas par la puissance des hommes, c'est par la sainte vertu que vous triompherez des démons visibles, des créatures iniques, et des démons invisibles, qui ne dorment jamais autour de nous.

2. Mais pensez, mon Père, que vous le ferez difficilement [166], si vous n'accomplissez les deux autres choses, votre retour à Rome, et la proclamation de la croisade. Ne vous laissez pas arrêter dans vos saints désirs par les scandales ou les révoltes des villes que vous voyez ou que vous apprenez. Soyez au contraire plus ardent à les accomplir; ne croyez pas le démon, qui voit la perte qui le menace, et qui s'applique à vous troubler et à vous faire changer pour que vous perdiez l'amour et la charité, et que vous ne reveniez pas à Rome. Je vous le dis, mon Père, dans le Christ Jésus, venez bien vite, comme un agneau plein de douceur ; répondez à l'Esprit-Saint qui vous appelle. Je vous le dis, venez, venez, venez; n'attendez pas le temps, qui ne vous attend pas. Alors vous ferez comme le doux Agneau immolé dont vous tenez la place; sa main désarmée a tué nos ennemis, et il ne s'est servi que des forces de l'amour il n'a songé qu'aux choses spirituelles, et à rendre la vie de la grâce à l'homme, qui l'avait perdue par le péché.

3. Hélas! mon doux Père, c'est avec cette douce main que je vous dis et vous conjure de venir vaincre nos ennemis au nom de Jésus crucifié Je vous le répète, n'écoutez pas les conseils du démon qui veut arrêter votre sainte et bonne résolution. Soyez un homme généreux et sans crainte ; répondez à Dieu, qui vous appelle à venir habiter la ville de saint Pierre, le glorieux chef dont vous êtes le successeur (Le Pape est le chef de toute l’Eglise, mais il est spécialement l’évêque de Rome. Grégoire XI reprenait un évêque étranger qui était à Avignon : " Que faites-vous ici ? lui disait-il ; pourquoi êtes-vous éloigné de votre Eglise ? " L’évêque répondit : " Et vous-mêmes, très saint Père, pourquoi n’allez-vous pas rejoindre votre épouse, qui est si riche et qui est si belle ?) ; et puis levez l'étendard de la sainte [167] Croix. C'est par la Croix, dit saint Paul, que nous avons été délivrés; c'est par cet étendard protecteur des chrétiens que nous serons délivrés de la guerre, de nos divisions, de nos iniquités, et que les infidèles seront délivrés de leurs erreurs; et de cette manière vous verrez et vous obtiendrez de bons pasteurs dans la sainte Eglise, vous lui rendrez la force et les ardeurs de la charité. Ceux qui la dévorent ont tellement épuisé son sang, qu'elle est toute pâle. Mais ayez confiance et venez, mon Père; ne faites plus attendre les serviteurs de Dieu, qui se consument de désirs. Et moi, pauvre misérable, ma vie me semble une mort lorsque je vois tant offenser Dieu. Ne vous éloignez pas de la paix à cause de ce qui est arrivé à Bologne, mais venez. Je vous assure que les loups féroces viendront mettre la tête sur votre sein comme de tendres agneaux, et ils vous demanderont miséricorde, à vous leur père. Je vous en conjure, mon Père, écoutez favorablement ce que vous dira frère Raymond et mes autres fils qui l'accompagnent (Le bienheureux Raymond de Capoue, confesseur de sainte Catherine, la précéda à Avignon. Les Florentins l’envoyèrent pour préparer l'esprit du Souverain Pontife, et l'apaiser au sujet des excès qu'ils avaient commis.); ils viennent de la part de Jésus crucifié et de la mienne; ce sont de vrais serviteurs du Christ, et les enfants fidèles de la sainte Église. O Père, pardonnez à mon ignorance, et que votre bonté veuille bien excuser ce que l'amour et la douleur me font dire. Donnez-moi votre bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [168].

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VI. - A GREGOIRE XI. - Elle prie le Souverain Pontife de quitter Avignon, où les Papes résidaient depuis soixante-dix ans, et de revenir à Rome, mais sans aucun appareil de guerre.

Cette lettre est écrite de Florence dans les derniers jours du mois de mai 1376. Sainte Catherine se disposait à partir pour Avignon.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, votre indigne petite fille, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un homme courageux et sans aucune crainte servile, à l'exemple du doux et bon Jésus, dont vous êtes le vicaire. Son amour ineffable envers nous fut si grand qu'il courut à la mort ignominieuse de la Croix sans s'occuper des injures, des mépris, des outrages et des opprobres ; il les traversait sans avoir aucune crainte, tant était violente la soif qu'il avait de l'honneur de son Père et de notre salut. Son amour lui fit sacrifier son humanité tout entière.

2. Je veux que vous fassiez de même, mon Père; détruisez en vous tout amour-propre; ne vous aimez pas et n'aimez pas la créature pour vous, mais aimez-vous et aimez le prochain pour Dieu; aimez Dieu pour Dieu, en tant qu'il est digne d'être aimé, [169] en tant qu'il est le Bien suprême et éternel; prenez pour modèle cet Agneau immolé, parce que le sang de cet Agneau vous donnera du courage pour tous les combats. Dans ce sang, vous perdrez toute crainte, vous deviendrez et vous serez le bon Pasteur qui donne sa vie pour son troupeau. Allons, mon Père, n'hésitez plus; animez-vous d'un grand désir en attendant le secours de la Providence, car il me semble que la divine Bonté se prépare à changer en agneaux les loups furieux. Aussi je viens avec empressement les ramener humiliés sur votre sein (Sainte Catherine était à Piselorsque les Florentins l'appelèrent pour être leur médiatrice auprès de Grégoire Xl. Elle était venue déjà dans leur ville, au mois de mai 1374, sur l'ordre du maître général des Frères Prêcheurs. (Gigli, t. II, p. 44.) Florence fut frappée d'interdit le 14 mai 1377, et se décida à demander la paix.). Vous, comme Père, je suis sûre que vous les recevrez, malgré leurs injures et leurs persécutions vous imiterez la douce vertu suprême qui nous dit que le bon Pasteur, quand il a retrouvé la brebis perdue, la met sur ses épaules et la ramène au bercail. Vous ferez de même, mon Père, parce que votre brebis est retrouvée vous la mettrez sur les épaules de l'amour, et vous la ramènerez au bercail de la sainte Église. Puis ensuite notre doux Sauveur veut et commande que vous déployiez l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles, que tout homme armé se lève et marche contre eux. Conservez les troupes que vous avez soldées pour l’Italie, mas empêchez-les d'y venir, car elles gâteraient plutôt les affaires qu'elles ne les arrangeraient.

3. Mon doux Père, vous me demandez mon avis sur votre retour, et je vous réponds je vous dis de la part de Jésus crucifié Venez le plus tôt que vous pourrez. Si vous le pouvez, venez avant le mois de septembre; mais si vous ne le pouvez pas, ne laissez pas au moins passer le mois de septembre (Gégoire XI quitta en effet Avignon le 13 septembre de cette année.). Ne vous arrêtez pas aux contradictions que vous rencontrez; mais venez en homme courageux et sans crainte ; et surtout gardez-vous bien, par amour de la vie, de venir avec un entourage militaire, mais venez la Croix à la main, comme le doux Agneau (C'était l'avis de tous les hommes éclairés d'alors. Pétrarque, peu de temps avant, avait écrit en sollicitant le retour du Pape à Rome :  "  Unum his nunc etiam pari fide, ac simplicitale subnectam, non oportuisse, nec oportere Pontificem Romanum armata manu Romam petere. Tutiorem illum facit auctoritas quam gladii, sanctitas quam loricae, Arma sacerdotum sunt orationes, lacrymae, et jejunia, et virtutes, et boni mores, et abstinentia, castitas, humani-tas, mansuetudo actuum et verborum. Quid signis militaribus opus est? Satis esset Crux Christi; illam solam tremunt daemones, homines reverentur : quid tubis, aut buccinis? Sufficit Alleluia. (Petrarch., in Apologia contra Gall.) La cour d'Avignon n'était pas de cet avis, et au moment où sainte Catherine écrivait cette lettre, le 27 mai, le cardinal Robert, de Genève, quittait Avignon avec une grosse armée dont les excès en Italie irritèrent encore davantage les esprits.). En agissant ainsi vous accomplirez la volonté de Dieu ; en venant d'une autre manière vous la transgresserez et ne l'accomplirez pas. Rassurez-vous, mon Père, et réjouissez-vous; venez, venez. Je ne vous dis rien de plus; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Pardonnez-moi, mon Père; je vous demande humblement votre douce bénédiction [171].

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VII. - A GREGOIRE XI. - Sainte Catherine presse le Souverain Pontife de retourner à Rome, et de ne pas suivre les conseils des cardinaux qui voulaient l’en empêcher.

(Cette lettre fut écrite à Avignon, où sainte Catherine arriva le 18 juin 1376; on la trouva seulement en latin dans les papiers du bienheureux Raymond qui l'avait traduite pour le Pape, qui ne comprenait pas le toscan. (Vie de sainte Catherine. Lettre d’Etienne Maconi.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme et inébranlable dans vos bonnes et saintes résolutions. Résistez aux vents contraires des hommes du monde qui vous persécutent, aux ruses et à la malice des démons qui veulent empêcher le bien que causera votre retour.

2. J'ai appris par la lettre que vous m'avez adressée, que les cardinaux vous objectent la conduite du pape Clément IV, qui, au moment de faire la même chose, ne voulut pas la faire sans l'avis de ses frères les cardinaux. Reconnaissons aussi qu'il renonça souvent à son avis, qui semblait le meilleur, pour suivre celui des autres. Hélas! très saint Père, ils [172] vous citent l'exemple de Clément IV, mais ils ne parlent pas de celui d'Urbain V, qui, dans les choses douteuses, demandait leurs conseils pour savoir si elles étaient bonnes ou non, mais qui, dans les choses claires et évidentes, comme l'est votre retour, vous pouvez en être sûr, ne s'arrêtait pas à leurs avis; il suivait le sien sans s'inquiéter de leur opposition (Urbain V résista avec fermeté aux cardinaux qui voulaient le retenir en France. Son historien raconte ce qui arriva à Marseille. Nam veniens Marsiliam, dumi cardinales recusarent eum sequi, statim ibidem duos ordinavit cardinale, asserens quod in capillo capucii sui sufficientes habebat cardinales. Unde cardinales ejus constantiam videntes, suam audaciam prius habitam mutaverunt in timorem, et secuti sunt eum. (Gigli. t. I. p. 50.). Il me semble que l'avis des bons doit toujours être pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise , il ne leur est pas inspiré par l'amour d'eux-mêmes, et je dis que cet avis doit être écouté plutôt que l'avis de ceux qui aiment seulement la vie, les honneurs, la puissance et les plaisirs, parce que leur avis n'a jamais d'autre but que ce qu'ils aiment. Je vous prie de la part de Jésus crucifié, qu'il plaise à Votre Sainteté de se hâter. Usez d'une sainte ruse, paraissez vouloir différer beaucoup votre départ, et partez tout à coup; plus vite vous le ferez, moins vous aurez à souffrir de peines et d'embarras (Grégoire Xl suivit ce conseil, et cacha jusqu'au dernier moment son départ. Sed cum aqnatis el Gallicis id in primis odiosum fore cerneret, trirems in Rhodano celatis omnibus causam paratae sunt, et brevi post Pontifex cum illis qui praesto jubenti affuere, delapsus est. (Biondo, lib. X.- Gigli t. I, p.51). Il me semble que les [173] cardinaux vous rappellent l'exemple des bêtes sauvages qui, une fois échappées des filets du chasseur, n'y retombent jamais. Vous avez échappé au filet de leurs conseils, où ils vous avaient pris en vous faisant différer une fois votre retour. C'était le démon qui vous avait tendu ce piège, pour faire tout le mal que ce retard a causé, mais l'Esprit-Saint vous remplira de sagesse, et vous n'y tomberez plus. Hâtons-nous donc, mon doux Père, et n'ayons aucune crainte.

3. Si Dieu est avec vous, personne ne sera contre vous. C'est Dieu qui vous fait agir, puisqu'il est avec vous. Allez vite à votre Épouse qui vous attend, pâle et mourante, et vous lui rendrez la vie. Je ne veux pas vous fatiguer davantage, j'aurais cependant beaucoup de choses à vous dire. Demeurez dans la sainte et la douce dilection de Dieu. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

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VIII. - A GREGOIRE XI. - Elle rassure le Pape contre tous les dangers dont de mauvais conseillers le menacent.

(Cette lettre est écrite pendant le séjour de sainte Catherine à Avignon.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et bienheureux Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille [174] Catherine vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir sans aucune crainte servile; car celui qui est craintif perd toute la force des saintes résolutions et des bons désirs. Aussi, je prie et je prierai le doux et bon Jésus qu'il vous ôte toute crainte servile, et qu'il vous laisse seulement une sainte crainte. Que l'ardeur de la charité soit en vous, pour vous empêcher d'entendre la voix des démons incarnés, et de suivre le conseil pervers de ceux qui, par amour d'eux-mêmes, veulent, m'assure-t-on, mettre obstacle à votre retour, en vous effrayant et en disant que vous vous livrez à une mort certaine. Et moi je vous dis, de la part de Jésus crucifié, très doux et très saint Père, de ne rien craindre; venez en toute assurance, confiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. Si vous faites ce que vous devez faire, Dieu vous protégera, et personne ne pourra rien contre vous.

2. Courage donc, mon Père, puisque je vous dis que vous ne devez rien craindre. Si vous ne faites pas ce que vous devez faire, vous avez, au contraire, raison de craindre. Vous devez venir, venez donc; venez avec douceur, sans rien redouter; et si quelqu'un de ceux qui vous entourent voulait vous en empêcher, répondez-lui hardiment comme le Christ répondit à saint Pierre, qui voulait, par tendresse, lui faire éviter la Passion. Le Christ se tourna vers lui, en lui disant : " Retire-toi, de moi, Satan; tu es pour moi un scandale, parce que tu recherches l'intérêt de l'homme plutôt que celui de Dieu; tu ne veux pas que j'accomplisse la volonté de mon Père. " Faites de même, très doux Père; imitez Celui dont [175] vous êtes le Vicaire; fortifiez-vous en vous-même, et dites hautement devant tous : Quand même je devrais perdre mille fois la vie, je veux accomplir la volonté de mou Père. Supposons qu'il y ait danger de la vie, ne faut-il pas la sacrifier? puisque c'est un moyen certain d'acquérir la vie de la grâce. Courage, et ne craignez rien, car vous ne le devez pas. Armez-vous de la très sainte Croix, qui est le salut et la vie des chrétiens; laissez dire ce qu'on veut dire, et soyez ferme dans votre sainte résolution. Mon Père, frère Raymond m'a dit de votre part de prier Dieu dans le cas où vous rencontreriez des obstacles. Je l'avais fait déjà, et après la sainte Communion, je n'ai vu ni mort, ni péril, ni aucun des dangers dont vous parlent ceux qui vous conseillent. Croyez, et confiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. J'espère que Dieu ne méprisera pas tant de prières faites avec un désir si ardent, avec des larmes et des sueurs si abondantes. Je n'en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi, pardonnez-moi ; que Jésus crucifié soit avec vous. Doux Jésus, Jésus amour.

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IX.- A GREGOIRE XI. - Elle engage le Pape à faire la guerre contre les infidèles, et lui propose le duc d'Anjou pour chef de la croisade.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint Père dans le Christ, le doux Sauveur, [176] votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir accomplir la volonté de Dieu et le dessein que vous avez de lever l'étendard et le signe de la très sainte Croix; ce signe, c'est la volonté de Dieu que vous le montriez, et je sais, très saint Père, que vous en avez aussi un très grand désir. Puisque Dieu le veut et que vous le voulez aussi, je vous prie et je vous dis, par amour pour Jésus crucifié, de n'être pas négligent; mais si le doux et bon Jésus vous offre les moyens de commencer cette sainte entreprise, profitez-en; si vous le faites, Dieu bénira son épouse, et vous irez de la guerre à la paix avec l'aide divine. Il me semble que vous m'avez dit, lorsque j'étais en présence de Votre Sainteté, qu'il fallait avoir un prince pour chef, et que sans cela vous ne pensiez pas qu'on pût réussir. Voici le chef, très saint Père le duc d'Anjou veut bien, par dévouement pour le tombeau du Christ et pour la sainte Église, se charger de ce fardeau, que l'amour qu'il a pour la Croix lui fait paraître léger, et lui rendra d'une douceur extrême, si vous, très saint Père, vous voulez bien y consentir (Le duc d'Anjou, Louis Ier, chef de la seconde branche des Angevins, était fils du roi Jean et frère du roi Charles V. Sainte Catherine avait exercé une salutaire influence sur lui à Avignon, et lui adressa une lettre.) O Dieu, doux Amour! ne différez plus l'accomplissement de votre désir, de votre douce volonté. Sachez, sachez profiter des trésors et des dons que le Christ vous envoie, puisque vous en avez le temps [177].

2. Il semble que la Bonté divine demande de vous trois choses. Je remercie Dieu et Votre Sainteté de la première, car il a fortifié et affermi votre coeur; il vous a fait résister aux attaques de ceux qui voulaient vous empêcher d'aller reprendre et occuper votre place véritable. Je me réjouis de toute mon âme de la sainte persévérance que vous avez pour accomplir la volonté de Dieu et votre bon désir.

3. Je vous prie d'apporter le même zèle à faire les deux autres choses. Car, pendant que je priais notre doux Sauveur pour vous, comme vous me l'aviez fait recommander, Dieu me révéla que je devais vous dire qu'il fallait vous mettre en route; je m'excusais, parce que je me trouvais indigne de porter un semblable message, et je disais : mon Seigneur, si c'est votre volonté qu'il parte, je vous conjure d'accroître et d'enflammer de plus en plus son désir. Notre doux Sauveur eut la bonté de me répondre : " Dis-le-lui en toute assurance; voici le signe le plus évident que je lui donne de ma volonté : plus il trouvera d'opposition et d'obstacles à ce voyage, et plus il sentira croître en lui une force que personne ne pourra lui ravir, ce qui n'est certainement pas naturel. Je te dis aussi que je veux qu'il lève l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles, et qu'il le lève aussi pour ceux qui lui sont soumis, pour ceux qui se nourrissent et vivent dans le jardin de la sainte Eglise, où ils administrent mon sang. Je dis que je veux qu'il lève sur eux la Croix, en poursuivant leurs vices et leurs défauts; qu'il arrache le péché, qu'il plante la vertu, et qu'il confie cette Croix à de bons pasteurs et chefs dans la sainte Eglise. " Si ceux qui [178] sont établis ne sont pas tels, Notre-Seigneur veut que pour ceux qui sont à nommer, vous vous appliquiez à les choisir bons, vertueux et ne craignant pas la mort de leurs corps. Dieu ne veut pas que vous vous arrêtiez aux grandeurs, aux pompes du monde, parce que le Christ n'a rien de commun avec ces choses, et qu'il ne regarde qu'à la grandeur et à la richesse de la vertu. De cette manière, les bons poursuivront, avec l'amour de la Croix, les vices des méchants.

4. Très saint Père, par l'amour de l'Agneau immolé, sacrifié et abandonné sur la Croix, je vous conjure, vous qui êtes son Vicaire, d'accomplir sa douce volonté ; faites ce que vous pourrez faire, et vous serez excusé devant lui, et votre conscience sera déchargée. Si vous ne faites pas ce que vous pouvez, vous serez sévèrement repris de Dieu. J'espère de sa bonté et de Votre Sainteté que vous le ferez encore, comme vous l'avez fait en décidant votre retour ; vous entreprendrez la sainte croisade et la répression des vices qui se commettent dans le corps de la sainte Église. Je m'arrête; pardonnez à ma présomption. Je Sais quemonseigneur le duc d'Anjou vous verra pour vous entretenir de la croisade, qu'il désire beaucoup ; donnez - lui satisfaction pour l'amour de Dieu; accomplissez son bon désir. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour [179].

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X. - A GREGOIRE XI. Elle réfute une lettre écrite par des faussaires pour empêcher le Pape de retourner à Rome.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, écrit à Votre Sainteté, dans son Sang précieux, avec le désir de vous voir fort et persévérant dans votre bonne et sainte résolution, malgré les vents contraires qui pourraient vous en empêcher, malgré le démon et les hommes. Quelques-uns, il me semble, veulent venir, comme le dit notre Sauveur dans son saint Evangile, couverts de la toison des agneaux, taudis qu'ils sont des loups affamés. Notre Sauveur nous dit qu'il faut nous méfier d'eux. Il me semble, mon doux Père, qu'ils agissent déjà au moyen d'une lettre, et outre cette lettre, ils annoncent l'arrivée de celui qui l'a écrite, disant qu'il frappera à la porte quand vous n'y penserez pas; et ils ajoutent, pour feindre l'humilité si la porte m'est ouverte, j'entrerai, et nous délibérerons ensemble. Ils se revêtent ainsi d'humilité pour mieux persuader. Qu'elle est glorieuse cette vertu dont l'orgueil veut se parer.

2. L'auteur de cette lettre a fait, selon moi, pour Votre Sainteté ce que le démon fait pour l'âme, lorsqu'il veut l'empoisonner sous les apparences de la vertu et de la compassion. Il emploie surtout cet [180] artifice avec les serviteurs de Dieu, parce qu'il voit bien qu'il ne pourrait pas les tromper en leur présentant le mal dans sa nudité. Il me semble que c'est aussi le plan du démon incarné qui vous a écrit avec ce ton de compassion et cette forme sainte. Cette lettre paraît venir d'un homme vertueux et juste, tandis qu'elle est l'oeuvre d'hommes méchants qui sont les conseillers du démon, les ennemis du bien de la chrétienté et de la réforme de la sainte Église, les esclaves de l'amour-propre, ne cherchant jamais que leur intérêt particulier. Mon Père, vous pouvez facilement reconnaître si cette lettre vient d'un homme juste ou non, et il me semble que, pour l'honneur de Dieu, vous devez l'examiner. Quant à moi, autant que je puis le voir et le comprendre, ce ne sont pas là les paroles d'un serviteur de Dieu; tout m'y parait faux, et je trouve que celui qui a écrit cette lettre n'est pas très habile ; il devrait retourner à l'école, car il en sait moins qu'un enfant.

3. Remarquez, très saint Père, qu'il vous tente par ce qu'il connaît de plus faible dans l'homme, surtout dans ceux qui sont craintifs et recherchés pour eux-mêmes, redoutant la moindre peine corporelle et aimant la vie plus que tous les autres. Aussi c'est le premier argument dont il s'est servi; mais j'espère de la bonté de Dieu que vous vous arrêterez plus à son honneur et au salut de vos brebis qu'à vous-même comme un bon pasteur qui doit donner sa vie pour son troupeau. Il paraît que ce corrupteur vous dit d'abord que votre retour est une chose bonne et sainte, et qu'il vous annonce ensuite qu'on prépare pour vous des poisons. Il vous conseille de vous faire [181] précéder par des hommes de confiance qui vous trouveront du poison sur les tables, c'est-à-dire sans doute dans les boutiques où on le prépare pour vous le donner, dans quelques jours ou dans un mois, ou dans un an. Pour moi, je confesse que vous pourriez aussi bien trouver du poison sur les tables d'Avignon ou de quelque autre ville, que sur les tables de Rome, et cela dans un mois ou dans un an, selon le moment et le lieu choisi par l'acheteur; et cependant l'auteur de la lettre dit que vous feriez bien d'envoyer quelqu'un à la découverte et de suspendre votre voyage.

4. Il prétend par ce moyen laisser à la justice divine le temps d'atteindre les méchants qui, selon lui, cherchent votre mort. Mais s'il était sage il craindrait pour lui-même, car il répand le plus terrible poison qui ait été depuis longtemps répandu dans la sainte l’Eglise ; il veut vous empêcher de faire ce que Dieu vous commande et ce que vous devez faire. Voyez comment il répand ce poison; si vous ne partez pas, et si vous envoyez quelqu'un, comme le conseille ce saint homme, il suscitera un scandale, une révolte temporelle et spirituelle, en vous accusant de mensonge, vous qui êtes sur le siège de la Vérité. Vous avez annoncé et fixé votre retour, et si vous ne le réalisez pas, ce serait un grand scandale et un grand trouble dans les coeurs. Caïphe prophétisait quand il disait qu'il fallait qu'un homme mourût pour que le peuple ne périt pas. Il ne savait pas ce qu'il disait, mais le Saint-Esprit savait bien qu'il disait la vérité, que le démon ne lui faisait pas dire dans cette intention. Cet homme veut être un [182] autre Caïphe; il vous prophétise que si vous envoyez quelqu'un, il trouvera du poison. Cela est vrai, si vous êtes assez coupable pour rester et envoyer, vos confidents trouveront du poison dans tous les coeurs et toutes les bouches, non seulement un jour, mais pendant un mois, une année.

5. J'admire beaucoup les paroles de cet homme, qui vous conseille les actions bonnes, saintes et spirituelles, et qui veut ensuite que, par crainte pour votre corps, vous renonciez à ces mêmes actions. Ce n'est pas là l'usage des serviteurs de Dieu, qui, pour aucune crainte corporelle ou temporelle, lors même qu'il y aurait danger pour leur vie, ne veulent jamais abandonner leurs saintes entreprises; car, s'ils le faisaient, ils n'atteindraient pas leur but; c'est la persévérance dans les saints désirs et les bonnes œuvres qui est couronnée et qui mérite la gloire et non la confusion. Aussi, mon révérend Père, je vous ai dit combien je désirais vous voir ferme et inébranlable dans votre bon propos, parce que c'est le moyen d'arriver à la paix avec vos enfants rebelles, et à la réformation de la sainte Eglise. Vous satisferez aussi le désir des serviteurs de Dieu qui voudraient voir lever l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles. Alors vous pourrez administrer le sang de l'Agneau à ces pauvres infidèles, ce sang que vous gardez dans votre cellier et dont vous avez les clefs.

6. Hélas! mon Père, je vous prie par l'amour de Jésus crucifié d'employer sur-le-champ votre pouvoir à ces choses car, sans votre pouvoir, rien ne peut se faire. Je ne vous conseille pas, doux Père, d'abandonner les enfants légitimes qui se nourrissent sur [183] le sein de l'Épouse du Christ, pour des enfants bâtards qui ne sont pas encore légitimés par le baptême; mais j'espère de la bonté divine qu'en vous adressant aux enfants légitimes, vous parviendrez avec votre autorité, avec l'arme puissante de la sainte parole, avec le secours des gens de coeur, à ramener les infidèles à notre mère la sainte Église, et à les légitimer. Cela certainement serait bien plus utile à la gloire de Dieu, à vous, à l'honneur et à l'exaltation de la douce Épouse du Christ Jésus, que de suivre l'étrange conseil de ce saint homme, qui aimerait mieux vous voir habiter, vous et les ministres de la sainte Église, avec les infidèles Sarrasins qu'avec le peuple de Rome ou de l'Italie. J'approuve l'ardeur qu'il a pour le salut des infidèles, mais je le blâme de vouloir enlever le père aux enfants légitimes, et le pasteur aux brebis réunies dans le bercail. Il me semble qu'il veut faire pour vous ce que la mère fait pour son enfant lorsqu'elle veut le priver de son lait. Elle met quelque chose d'amer sur son sein, pour qu'il sente l'amertume avant la douceur, et que la crainte de ce qui est amer lui fasse abandonner ce qui est doux. L'enfant est plus trompé par ce moyen que par un autre. Celui qui vous écrit veut faire de même en vous présentant l'amertume du poison et des persécutions, pour tromper l'enfance de l'amour de vous-même, pour que la crainte vous fasse abandonner le lait de la grâce, ce lait que vous aurez en abondance après votre retour. Et moi je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, de n'être pas un enfant timide, mais un homme courageux ; ouvrez la bouche, et prenez ce qui est amer pour ce qui est [184] doux; il ne convient pas à Votre Sainteté de renoncer au lait à cause de l'amertume. J'espère de l'infinie et ineffable bonté de Dieu que, si vous le voulez, il nous fera grâce et à vous aussi. Vous serez un homme ferme et inébranlable; vous ne vous laisserez pas troubler par le moindre vent, par les illusions du démon et par les conseils de ceux qu'il inspire, mais vous suivrez la volonté de Dieu, votre bon désir et le conseil des serviteurs de Jésus crucifié.

7. Je termine en concluant que la lettre reçue ne vient pas du serviteur de Dieu qu'on vous nomme, et qu'elle n'a pas été écrite de si loin (Burlamacchi pense que le personnage auquel on attribuait faussement cette lettre, pouvait être Pierre, infant d'Aragon et religieux de Saint-François, qui jouissait alors d'une grande réputation de sainteté.). Je crois qu'elle a été faite près de vous, et par des serviteurs du démon qui n'ont guère la crainte de Dieu. Si je croyais qu'elle vint de celui qu'on désigne, et si je ne le connaissais pas d'ailleurs, je ne pourrais pas le reconnaître pour un serviteur de Dieu. Pardonnez-moi, mon Père, si je vous parle avec tant de hardiesse. Je vous demande humblement de me pardonner et de me donner votre bénédiction. Pardonnez-moi dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie son infinie bonté qu'il me fasse bientôt la grâce de vous voir vous mettre en route, avec la paix, le repos de l'âme et du corps. Je vous prie, doux Père, de me donner audience quand il plaira à Votre Sainteté, parce que je voudrais bien me trouver en votre présence avant votre départ : le temps est court, aussi je désire que ce soit bientôt. Doux Jésus, Jésus amour [185].

Table des Matières









XI. - A GRÉGOIRE XI, qui était à Corneto. - Elle l'exhorte à la patience, et lui recommande la cité de Sienne, en le priant d'excuser les fautes commises par ses concitoyens.

(Le Souverain Pontife avait quitté Gênes le 28 octobre, et était arrivé - à Corneto le 5 décembre. Il ne partit pour Rome que le 13 janvier 1377. Sainte Catherine lui écrit de Sienne.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de voir votre coeur ferme et inébranlable dans la vraie et parfaite patience, considérant qu'un coeur faible, mobile et sans patience, ne pourra jamais parvenir à accomplir les grandes œuvres de Dieu. Toute créature raisonnable, si elle veut servir Dieu et se revêtir de vertu, doit avoir cette constante et forte patience; sans cela, Dieu ne sera jamais en elle. Si l'homme se laisse attirer, par un mouvement déréglé, vers la prospérité, les plaisirs, l'amour de lui-même et du monde, ou si l'injure et la tribulation l'ébranlent par l'impatience, et lui font abandonner les vertus qu'un saint désir avait fait naître dans son âme, et qu'il veut acquérir, il doit bien voir que la vertu ne peut jamais exister et devenir parfaite sans son contraire (Dialogue, ch. VIII) . S'il redoute le contraire, il s'ensuit qu'il fuira la vertu, avec [186] laquelle il devait attaquer et combattre le vice, qui lui est opposé. Il doit vaincre l'orgueil avec l'humilité ; les richesses, les plaisirs et les honneurs du monde, avec la pauvreté volontaire. La paix chassera la guerre de l'âme et du prochain; la patience vaincra l'impatience par l'amour de l'honneur de Dieu et de la vertu; la haine et le mépris de soi-même feront porter avec courage et résignation les coups, les injures, les mépris, les affronts, les souffrances du corps et les pertes temporelles. L'homme doit être constant, ferme et d'une patience inaltérable; il ne serait pas, sans cela, le serviteur du Christ; mais il deviendrait le serviteur et l'esclave de la sensualité, qui ôte la constance et rend le cœur étroit, faible et pusillanime. Il ne doit point agir ainsi, mais il doit prendre pour modèle la douce Vérité suprême, qui nous donne la vie en supportant nos défauts avec tant de patience.

2. O très saint Père, mon très doux Père, ouvrez l'oeil de votre intelligence, et voyez que, si la vertu est nécessaire à chaque homme pour sauver son âme, combien plus elle est nécessaire à vous, qui avez à nourrir et à gouverner le corps mystique de la sainte Église, votre épouse. Quel besoin vous avez de constance, de force et de patience! Pensez que vous êtes devenu bien jeune une plante du jardin de la sainte Eglise (Grégoire Xl fut nommé cardinal à l'âge de dix-huit ans par son oncle maternel, le Pape Clément VI. Il monta sur le Salut-Siège à quarante ans.), et que vous devez vous efforcer de combattre par la vertu le démon, la chair et le monde, nos trois ennemis principaux, qui nous [187] attaquent nuit et jour et qui ne dorment jamais. J'espère de la Bonté divine que vous résisterez à ces ennemis, et que vous remplirez la fin pour laquelle Dieu vous a Créé, c'est-à-dire que vous rendrez gloire et louange à son nom, et que vous jouirez de sa bonté en obtenant son éternelle vision, qui fait notre béatitude. Maintenant, vous êtes le Vicaire du Christ, qui vous a choisi pour travailler et combattre pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Église. Les travaux et les peines vous sont particulièrement destinés, outre les combats ordinaires que doivent soutenir toutes les âmes qui veulent servir Dieu.

3. Plus votre fardeau est pesant, plus votre cœur doit être fort, courageux et sans crainte à l'égard des choses qui peuvent vous arriver. Vous savez bien, très saint Père, qu'en prenant l'Église pour épouse, vous vous êtes engagé à souffrir pour elle les vents contraires, les peines, les tribulations qui vous attaqueront à son occasion. Hé bien ! allez donc, en homme courageux, au-devant de ces tempêtes, avec force, patience et persévérance; que la peine ne vous fasse jamais regarder en arrière par surprise et par peur; mais persévérez et réjouissez-vous au milieu des périls et des batailles, pour que votre coeur se réjouisse en voyant l'oeuvre de Dieu se faire au milieu des obstacles qui se sont présentés et qui se présenteront. Il, en est toujours ainsi; toujours la persécution de l'Eglise, ou les tribulations de l'âme vertueuse, finissent par la paix, que méritent la vraie patience et la persévérance, à laquelle est réservée la couronne de gloire. C'est là le remède, [188] et c'est pour cela que je vous ai dit, très saint Père, que je désirais vous voir un coeur ferme et inébranlable, protégé par une vraie et sainte patience. Je veux que vous soyez un arbre d'amour, enté sur le Verbe d'amour, Jésus crucifié; un arbre qui, pour l'honneur de Dieu et le salut de vos brebis, jette des racines profondes dans l'humilité. Si vous êtes un arbre d'amour ainsi enraciné, vous trouverez en vous l'arbre d'amour, dont la racine porte le fruit de la patience, de la force, et au milieu la couronne de la persévérance; vous trouverez dans les peines la paix, le repos et la consolation; vous verrez que vous ressemblez à Jésus crucifié; et en souffrant par amour pour Jésus crucifié, vous verrez avec joie que cette grande guerre conduit à une grande paix.

4. La paix, la paix, très saint Père; qu'il plaise à Votre Sainteté de recevoir vos fils qui ont offensé leur père; votre bonté vaincra leur malice et leur orgueil. Ce n'est point une honte de vous abaisser pour ramener un enfant coupable; c'est, au contraire, une chose utile et glorieuse devant Dieu et devant les hommes. Oui, mon Père, plus de guerre d'aucune sorte. Vous pouvez, sans manquer à votre conscience, donner la paix et détourner la guerre sur les infidèles. Imitez la patience et la douceur de l'Agneau sans tache, le Christ, le doux Jésus, dont vous tenez la place. J'espère de Notre-Seigneur, qu'il agira si bien en vous pour cela et pour d'autres choses, qu'il accomplira votre désir et le mien. Puis-je désirer autre chose en cette vie que l'honneur de Dieu, votre paix et la réforme de la sainte [189] Eglise, et aussi la vie de la grâce dans toute créature raisonnable? Prenez courage; ici, autant que j'ai pu en juger, la disposition générale est de vous avoir pour père, surtout cette pauvre cité qui a toujours été la fille chérie de Votre Sainteté; les circonstances l'ont forcée à faire des choses qui ont déplu à Votre Sainteté. On voit maintenant qu'ils ont été contraints, et Votre Sainteté peut bien les excuser. Vous les attirez avec l'amorce de l'amour. Je vous prie, par l'amour de Jésus crucifié, d'aller le plus vite que vous pourrez prendre la place des glorieux apôtres Pierre et Paul. Marchez toujours en assurance de votre côté, et Dieu, du sien, vous donnera tout ce qui est nécessaire à vous et au bien de votre Epouse. Je termine; pardonnez à ma présomption. Ayez courage, et comptez sur les prières des vrais serviteurs de Dieu, qui prient et intercèdent beaucoup pour vous. Je vous demande humblement votre bénédiction avec tous vos autres enfants. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XII.- A GREGOIRE XI - Elle demande la paix en déplorant les désordres des chrétiens et des ministres de la sainte Eglise.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine, la [190] servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, écrit à Votre Sainteté, dans son précieux sang, avec le désir que j'ai depuis longtemps de vous voir un portier ferme et sans aucune crainte. Vous êtes le portier du cellier de Dieu, c'est-à-dire le gardien du sang de son Fils unique, dont vous tenez la place sur terre. Car personne ne peut avoir le sang du Christ, si ce n'est de vos mains. Vous paissez et nourrissez les chrétiens fidèles; vous êtes la mère qui nous allaite sur le sein de la charité divine, parce que vous ne nous donnez jamais le sang sans le feu, ni le feu sans le sang, car le sang a été répandu avec le feu de l'amour. O notre seigneur et maître, je dis que, depuis bien longtemps, je désire vous voir un homme courageux et sans crainte, à l'exemple du doux et tendre Verbe, qui a couru avec courage à la mort ignominieuse de la très sainte Croix pour accomplir la volonté du Père et notre salut. Le doux Verbe nous apporta la paix, parce qu'il fut le médiateur entre Dieu et nous.

2. Ce doux et tendre Verbe ne se laissa pas arrêter par notre ingratitude, par les injures, les mépris et les affronts, mais il courut à la mort honteuse de la Croix, parce qu'il était passionné pour notre salut, et que nous ne pouvions obtenir la paix que par ce moyen. O très saint Père, je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de suivre ses traces. Hélas! la paix, la paix, pour l'amour de Dieu; ne regardez pas notre misère, notre ingratitude, notre ignorance, ni les persécutions de vos enfants rebelles; mais que votre bonté, votre patience triomphent de leur malice et de leur orgueil; ayez compassion de tant d'âmes et de [191] corps qui périssent. O pasteur et gardien du sang de l'Agneau, ne vous laissez pas arrêter par la peine, les affronts, les reproches que vous pourrez recevoir, ni par la crainte servile et les mauvais conseils du démon, qui ne veut que la guerre et le désordre. Que tout cela, très saint Père, ne vous empêche pas de courir à la mort ignominieuse de la Croix; imitez le Christ, dont vous êtes le Vicaire souffrez les peines, les opprobres, les tourments, les mépris, et portez la croix du saint désir. Je parle du désir de l'honneur de Dieu et du salut de vos enfants. Oui, ayez-en faim, et, avec le regard de votre intelligence, élevez-vous sur la croix du saint désir, et regardez combien de maux produirait cette malheureuse guerre, et quel bien, au contraire, procurerait la paix.

3. Hélas! mon Père, mon âme se désole de voir que mes iniquités sont cause de tout ce mal. il me semble que le démon a pris possession du monde, non par lui, qui ne peut rien, mais par nous, qui lui obéissons. De quelque côté que je me tourne, je vois que chacun porte la clef du libre arbitre avec une volonté corrompue; les séculiers, les religieux, les clercs poursuivent avec ardeur les délices, les honneurs et les richesses du monde à travers le désordre et la corruption. Mais ce qui m'afflige surtout, et ce qui est le plus abominable devant Dieu, c'est de voir les fleurs qui sont plantées dans le corps mystique de la sainte Eglise, les fleurs qui devaient répandre une bonne odeur, ceux dont la vie devrait étre le miroir des vertus, ceux qui devraient goûter et aimer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, ceux-là, au contraire, répandent l'odeur infecte du péché ; ils [192] s'aiment eux-mêmes, et unissent leurs vices à ceux des autres, surtout pour persécuter la douce Epouse du Christ et Votre Sainteté. Hélas! nous sommes tombés sous la loi de la mort, et nous avons fait la guerre à Dieu. O mon Père, vous nous êtes donné pour négocier la paix; je ne crois pas qu'elle puisse se faire si vous ne portez pas la croix du saint désir, comme je vous l'ai dit. Nous avons la guerre avec Dieu, et les enfants rebelles l'ont avec Dieu et avec Votre Sainteté. Dieu veut et vous demande que vous arrachiez, autant que vous le pourrez, le pouvoir des mains du démon. Travaillez à détruire la corruption des ministres de la sainte Eglise; arrachez les fleurs infectes et plantez des fleurs de bonne odeur, des hommes vertueux qui craignent Dieu.

4. Je vous demande ensuite qu'il plaise à Votre Sainteté de consentir à la paix, et de l'accepter telle qu'on pourra l'avoir, en respectant toutefois la sainte Eglise et votre conscience. Dieu veut que vous pensiez aux âmes et aux choses spirituelles plus qu'aux choses temporelles. Agissez généreusement, parce que Dieu est pour vous; n'ayez aucune crainte, et si vous prévoyez bien des peines et des tribulations, ne vous en effrayez pas, mais fortifiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. C'est du milieu des épines que naît la rose, et c'est du milieu des persécutions que viendront la réforme de la sainte Eglise, la lumière qui dissipera les ténèbres des chrétiens, la vie des infidèles et l'exaltation de la très sainte Croix. Vous êtes notre instrument et notre moyen; faites ce que vous pouvez faire avec amour, sans négligence et sans crainte. C'est ainsi que vous serez un bon ministre [193], et que vous accomplirez la volonté de Dieu et le désir de ses serviteurs, qui meurent de chagrin, sans cependant pouvoir mourir, en voyant une plus grande offense contre leur Créateur, et une si déplorable profanation du sang du Fils de Dieu. Moi, je n'en puis plus; pardonnez-moi, très saint Père, ma présomption; que l'amour et la douleur m'excusent devant vous. Je finis; donnez-nous la vie en Jésus crucifié; arrachez les vices et plantez des vertus; prenez courage et ne craignez rien. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu.

5. J'ai un grand désir de me retrouver en présence de Votre Sainteté; j'aurais beaucoup de choses à vous exposer, mais j'en suis empêchée par beaucoup d'affaires bonnes et utiles à l'Eglise, qui se sont présentées (Sainte Catherine était alors en Toscane, et travaillait à y établir la paix. Sa lettre est écrite du monastère qu'elle avait fondé dans une maison de campagne que lui avait donnée Nanni. (Voir Vie de sainte Catherine, p. II, C. 7.). La paix, la paix, pour l'amour de Jésus crucifié, et non pas la guerre; c'est là l'unique remède. Je vous recommande Annibal, votre fidèle serviteur. Je vous écris de notre nouveau monastère que vous m'avez accordé sous le titre de Sainte-Marie-des-Anges. Je vous demande humblement votre bénédiction. Vos fils négligents, maître Jean et frère Raymond, se recommandent à Votre Sainteté. Que Jésus crucifié soit avec vous. Doux Jésus, Jésus amour [194].

Table des Matières









XIII. - A GREGOIRE XI. - Elle le prie d'exercer avec fermeté et constance l’autorité que Dieu lui a donnée.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père, votre indigne et misérable petite fille Catherine dans le Christ, le doux Jésus, se recommande à vous dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir un homme courageux, délivré de toute crainte et de tout amour sensible de vous-même et de toute créature qui vous soit unie par les liens de la parenté; car je vois et je reconnais en la douce présence de Dieu que rien n’est plus opposé à votre saint désir, à l'honneur de Dieu, à la réforme et à l'exaltation de la sainte Eglise. Aussi mon âme souhaite avec un ardent amour que Dieu, dans son infinie miséricorde, vous délivre de toute passion et de toute faiblesse de coeur, qu'il vous rende un homme nouveau, tout brûlant de zèle pour la réforme, car autrement vous ne pourrez pas accomplir la volonté de Dieu et le désir de ses serviteurs. Hélas ! hélas! mon très doux Père, pardonnez-moi ce que je vous ai dit et ce que je vous dis; j'y suis contrainte par la douce Vérité Suprême; c'est sa volonté, mon Père, c'est ce qu'il vous demande. Dieu vous demande que vous fassiez justice de cette multitude d'iniquités commises par ceux qui se nourrissent dans le jardin de la sainte Eglise; les animaux ne doivent pas se nourrir de la nourriture des hommes. Puisque l'autorité vous a été donnée, et que vous l'avez [195] acceptée, vous devez user de votre puissance; si vous ne voulez pas en user, il serait mieux d'y renoncer, pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Il y a une autre chose que Dieu veut et qu'il vous demande: il veut que vous fassiez la paix avec la Toscane, et que vous obteniez de vos enfants coupables, révoltés contre vous, tout ce que vous pouvez en obtenir, mais sans guerre, en les punissant seulement comme un père le fait pour son fils qui l'a offensé. La divine Bonté vous demande encore que vous donniez plein pouvoir à ceux qui vous demandent d'organiser la croisade. Ce qui vous paraît impossible est possible à la douce bonté de Dieu, qui l'ordonne et le veut ainsi. Prenez garde, si vous tenez à la vie, d'agir avec négligence, et ne méprisez pas les œuvres que le Saint-Esprit demande de vous, et que vous pouvez faire. Si vous voulez la justice, vous pouvez l'accomplir; vous pourrez avoir la paix en mettant de côté les pompes coupables et les plaisirs du monde, en défendant seulement l'honneur de Dieu et les droits de la sainte Eglise. Vous avez le pouvoir de donner à ceux qui vous demandent; vous n'êtes pas pauvre, mais vous êtes riche, puisque vous portez dans vos mains les clefs du ciel, qui sera ouvert à qui vous l'ouvrirez, et qui sera fermé à qui vous le fermerez ; Dieu vous jugera si vous ne le faites pas. Si j'étais à votre place, je craindrais les effets des jugements divins sur moi. Aussi je vous conjure bien affectueusement, de la part de Jésus crucifié. d'obéir à la volonté de Dieu. Je sais que vous ne voulez et que vous ne désirez pas autre chose que de faire sa volonté, pour ne pas encourir cette dure sentence : " Malheur à toi, qui n’a [196] pas employé le temps et la force qui t'avaient été donnés. " Mon Père, je me confie en la bonté de Dieu, et j'espère de Votre Sainteté que vous ferez en sorte d'éviter ce malheur. Je n'en dis pas davantage ; pardonnez-moi, pardonnez-moi, c'est le grand amour que j'ai pour votre salut, et la grande douleur que j'éprouve en voyant votre danger, qui me fait parler de la sorte. J'aurais préféré vous le dire de vive voix pour soulager entièrement ma conscience. Quand il plaira à Votre Sainteté de m'appeler, je viendrai avec empressement. Faites que je ne me plaigne pas de vous à Jésus crucifié; je ne puis me plaindre à d'autres, car vous n'avez pas de supérieur sur terre. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XIV. A GREGOIRE XI. - Elle recommande à la bienveillance du Souverain Pontife les ambassadeurs de Sienne, qui vont à Rome Solliciter leur pardon et l'éloignement des troupes du Pape.

(Cette lettre, la dernière adressée par sainte Catherine à Grégoire XI, fut portée à Rome par les ambassadeurs de la république de Sienne, qui furent bien reçus.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, votre indigne petite fille, [197] la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir accorder une paix vraie et parfaite à ceux qui sont vos sujets et vos enfants, et qui reviennent sous le joug de la sainte obéissance. Si vous le faites, vous pourrez vivre dans la paix et le repos de l'âme et du corps. Dieu, dans son infinie charité, m'a fait la grâce de me montrer que c'était le moyen que vous deviez prendre pour apaiser entre Dieu et les âmes cette guerre qu'ont fait naître les fautes commises contre son ineffable bonté et contre Votre Sainteté. Je ne doute pas qu'en accordant cette paix vous ne pacifiiez également l’Italie toute entière. Oh ! combien sera heureuse mon âme lorsque je verrai que, grâce à votre bonté, tous seront unis par le lien de l'amour! Vous savez, très saint Père, qu'on ne peut unir Dieu à l'homme que par le lien de l'amour; et l'Amour s'est attaché et s'est cloué à la croix, parce que l'homme, qui était fait d'amour, ne pouvait être mieux gagné que par l'amour. C'est l'amour du Verbe, le Fils de Dieu, qui a fini la guerre que l'homme faisait en se révoltant contre Dieu et en se soumettant à la puissance du démon.

2. Ainsi, très saint Père, vous détruirez la guerre et la puissance du démon dans la cité des âmes de vos enfants. Le démon ne chasse pas le démon; mais c'est avec la vertu de l'humilité et avec votre bonté que vous le chasserez. Le démon ne résistera pas parce qu'il ne peut résister à l'humilité, et qu'il en est écrasé. Avec l'amour et la faim que vous aurez pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, vous imiterez l'Agneau immolé et consommé dont vous [198] tenez la place; vous détruirez la guerre et la haine dans leurs cœurs, et vous jetterez des charbons sur la tête de vos enfants qui se sont révoltés contre vous, leur Père, comme des démons incarnés. Par ce doux et bon moyen vous vaincrez le démon et l'orgueil de l'homme, que rien ne peut mieux abattre que l'humilité. Vous finirez la guerre par la patience, en supportant les défauts de vos enfants, leur imposant cependant la punition qu'ils méritent, autant qu'ils pourront la porter et ainsi la miséricorde, la bonté, la sainte justice et la douce flamme de l'amour, détruiront la haine dans leurs âmes, comme l'eau disparaît dans la fournaise. Oui, de la bonté, mon Père, car vous savez que toute créature raisonnable est plutôt captivée par l'amour et la bonté que par autre chose; cela est vrai surtout pour nos Italiens de ces contrées. Je ne vois pas que vous puissiez prendre un meilleur moyen. En agissant ainsi vous obtiendrez d'eux tout ce que vous voudrez. Je vous en prie pour l'amour de Jésus crucifié, pour le bien et l'utilité de la sainte Eglise.

3. Les ambassadeurs Siennois vont se présenter à Votre Sainteté; il n'y a personne au monde plus facile à prendre par l'amour, et je vous conjure de vous servir de cette amorce pour les attirer (Saint Bernardin rend le même témoignage de ses concitoyens. Il disait : Il sangue sanese è uno sangue dolce.). Ecoutez un peu les excuses qu'ils vous feront de leurs fautes ils s'en repentent, et il semble qu'ils en sont réduits à ne plus savoir que faire. Qu'il plaise donc à Votre Sainteté, mon doux Père, de leur indiquer ce qu'ils pourraient faire pour vous être agréable, et pour [199] n'être pas en guerre avec ceux auxquels ils sont unis. Encouragez-les donc pour l'amour de Jésus crucifié. Je crois que si vous le faites, ce sera un grand bien pour l’Eglise, et qu'il n'en résultera aucun inconvénient.

4. Je vous prie ensuite de vous appliquer à punir les fautes des pasteurs et des officiers de l’Eglise qui font ce qu'ils ne devraient pas faire. Choisissez-en de bons qui vivent dans la vertu et la justice; vous devez le faire pour l'honneur de Dieu, pour leur conscience et leur salut. Les séculiers font grande attention à ceux qui ont le pouvoir, et quand ils ont vu que les fautes restaient impunies, il en est résulté de grands inconvénients. J'espère de la souveraine et éternelle bonté de Dieu et de Votre Sainteté que vous ferez cela avec tout ce qui sera bon de faire à ce sujet. Je m'arrête. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Je vous recommande les ambassadeurs de Sienne. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.

Table des Matières









XV.- A URBAIN VI. - De la charité et de ses effets. - La justice doit être unie à la miséricorde. - Sainte Catherine invite le Souverain Pontife à réprimer les abus et à pardonner aux rebelles.

(Cette lettre est écrite de Florence, vers la fin du mois de juin 1378. Sainte Catherine continuait la mission que lui avait confiée Grégoire XI, et venait d’échapper aux fureurs d'une sédition. (Vie de sainte Catherine, p.111, c. 6.). Elle avait connu à la cour pontificale d'Avignon Urbain VI, qui était alors le cardinal Prignani, archevêque de Bari.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très saint et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des [200] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie et parfaite charité; afin que vous donniez, comme le bon Pasteur, votre vie pour votre troupeau. Il est bien vrai, très saint Père, que celui qui est affermi dans la charité est le seul qui soit disposé à mourir pour l'amour de Dieu et le salut des âmes; il est libre de l'amour de lui-même, tandis que celui qui reste dans l'amour-propre n'est pas prêt à donner sa vie. Non seulement il ne la donne pas, mais il semble ne vouloir pas souffrir la moindre peine, parce qu'il craint de perdre la vie du corps et son bien-être. Aussi toutes ses actions sont imparfaites et corrompues, parce que l'amour qui le porte à les faire est mauvais ; et dans toutes les conditions où il se trouve, qu'il commande ou qu'il obéisse, il agira avec peu de vertu.

2. Le pasteur qui est affermi dans la vraie charité n'agit pas de la sorte; mais toutes ses actions sont bonnes et parfaites, parce que l'amour qui le guide est uni à la perfection de la divine charité. Il ne craint ni le démon ni la créature ; il craint seulement son Créateur, et il ne s'arrête pas aux attaques du monde, aux opprobres, aux insultes, aux affronts, aux scandales et aux murmures de ceux qui se plaignent et s'irritent quand ils sont repris par leur supérieur. Il ne s'en trouble pas, parce que son coeur viril est revêtu [201] de la force de la charité. Rien ne ralentit l'ardeur de son saint désir, et ne lui ôte la perle précieuse de la justice qu'il porte sur la poitrine, brillante et unie à la miséricorde. Car si la justice était sans la miséricorde, elle serait dans les ténèbres de la cruauté, et elle deviendrait plutôt l'injustice que la justice. La miséricorde sans la justice serait pour l'inférieur comme le baume sur la plaie qui a besoin d'être brûlée avec le feu. Si on y met le baume sans la brûler, elle se corrompt plutôt qu'elle ne guérit; mais l'union de la justice et de la miséricorde donne la vie au supérieur qui les possède, et la santé à l'inférieur, s'il n'est pas déjà un membre du démon, qui ne veut jamais se corriger. Lors même que l'inférieur résisterait mille fois, le supérieur ne doit pas cesser de le reprendre, et sa vertu ne sera pas moins grande parce que le coupable ne voudra pas en profiter.

3. C'est là ce que fait la pure et vraie charité dans l'âme de celui qui s'aime non pour lui, mais pour Dieu, qui cherche Dieu pour l'honneur et la gloire de son nom, parce qu'il voit qu'il est digne d'être aimé à cause de son infinie bonté. Il ne recherche pas le prochain pour lui, mais pour Dieu, et il désire lui rendre les services qu'il ne peut rendre à Dieu ; car il voit et comprend que celui qui est notre Dieu n'a pas besoin de nous. Alors il travaille avec zèle à être utile au prochain, et surtout à ses inférieurs qui lui sont confiés; il ne cesse jamais de poursuivre le salut de leur âme et de leur corps, malgré l'ingratitude qu'il trouve en eux, malgré les menaces et les pièges des hommes; mais, véritablement revêtu de la robe nuptiale, il suit la doctrine de l'humble Agneau sans tache, le doux [202] et bon Pasteur, que l'ardent désir de notre salut fit courir à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. C'est ce que fait faire l'amour ineffable que l'âme a conçu en Jésus crucifié, son modèle.

4. Très saint Père, Dieu vous a établi pasteur de ses brebis dans toute la chrétienté; il vous a choisi pour administrer le Sang de Jésus crucifié, dont vous êtes le Vicaire, et il vous a choisi à une époque ou l'iniquité des fidèles est plus abondante qu'elle ne l'a jamais été, dans le corps du clergé et dans le corps universel do la religion chrétienne. C'est aussi une très grande nécessité pour vous d'être affermi dans la charité parfaite, avec la pierre précieuse de la justice, comme je l'ai dit. Ne vous inquiétez pas du monde, ni des malheureux habitués du vice et de leurs injures ; mais, comme un vrai chevalier, un bon pasteur, réformez avec courage, arrachez le vice, plantez la vertu, et soyez prêt à donner votre vie s'il le faut. Très doux Père, le monde n'en peut plus, tant les vices abondent, surtout on ceux qui sont placés dans le jardin de la sainte Eglise comme des fleurs odoriférantes, pour y répandre le parfum de la vertu; et nous les voyons s'abandonner à des vices si honteux et si coupables, qu'ils en infectent le monde tout entier.

5. Hélas ! où est cette pureté de cœur, cette honnêteté parfaite qui rendait continents ceux qui ne l'étaient pas? Ils font tout le contraire, car souvent ceux qui étaient chastes sont entraînés au vice par leur impureté. Hélas ! où sont ces largesses de la charité, ce zèle des âmes, ces aumônes aux pauvres pour le bien de l’Eglise et pour leurs nécessités? Vous savez bien qu'ils font le contraire. Ah! malheureuse que je suis, [203] je le dis avec douleur, leurs enfants se nourrissent de ce qu'ils doivent au sang du Christ, et ils n'ont pas honte d'agir comme des fourbes, et de jouer avec ces mains très saintes, consacrées par vous, le Vicaire du Christ, sans parler de tant d'autres fautes qu'ils commettent. Hélas! où est cette humilité profonde qui devrait confondre l'orgueil de leur sensualité. C'est la sensualité qui les rend simoniaques par avarice, et leur fait acheter des bénéfices avec des présents, des flatteries, de l'argent, des plaisirs et des frivolités, indignes des clercs et pires que celles des séculiers. O mon doux Père, appliquez le remède, et donnez quelque soulagement aux désirs embrasés des serviteurs de Dieu, qui se meurent de douleur sans pouvoir mourir. Ils désirent ardemment que vous, le vrai Pasteur, vous entrepreniez la réforme, non seulement par des paroles, mais par des faits, unissant en vous la pierre précieuse de la justice avec la miséricorde, et reprenant sans aucune crainte servile ceux qui se nourrissent sur le sein de la douce Epouse, et qui sont devenus les ministres du Sang.

6. Très saint Père, je ne vois pas d'autres moyens pour réussir, que de renouveler entièrement le jardin de votre Épouse, la sainte Église, en y mettant des plantes bonnes et vertueuses, en cherchant à vous entourer d'un grand nombre de saints personnages, en qui vous trouviez la vertu, et qui ne craignent pas la mort. Ne vous arrêtez pas à la naissance, pourvu qu'il soient des pasteurs tout appliqués à conduire leurs brebis. Créez un collège de bons cardinaux, qui puissent être fermes comme des colonnes, pour vous aider à soutenir, avec l'aide Dieu, le fardeau de vos [204] peines (Le 18 septembre suivant, Urbain VI créa vingt-neuf cardinaux.). Oh ! combien sera heureuse mon âme lorsque je verrai rendre à l’Epouse du Christ ce qui lui appartient, lorsque je verrai sur son sein ceux qui ne s'arrêtent pas à leur intérêt particulier, mais à la gloire et à la louange du nom de Dieu, ceux qui se nourrissent sur la table de la Croix, de la nourriture des âmes! Je ne doute pas qu'alors les séculiers ne se corrigent, parce qu'ils ne pourront résister à la sainteté de leur doctrine et à la pureté de leur vie. Il ne s'agit donc plus de dormir; mais il faut, avec courage et sans négligence, faire pour la gloire et la louange du nom de Dieu, tout ce que vous pourrez jusqu'à l'heure de la mort.

7. Je vous prie ensuite et je vous recommande, pour l'amour de Jésus crucifié, les brebis qui sont hors du bercail, sans doute à cause de mes péchés. Ne différez pas, par amour pour ce Sang dont vous êtes le ministre, de les recevoir avec miséricorde et bonté. Que Votre Sainteté triomphe de leur dureté, et leur rende le service de les ramener à la bergerie. S'ils ne le demandent pas avec une vraie et parfaite humilité, que Votre Sainteté supplée à leur faiblesse, et n'exige de l'infirme que ce qu'il peut donner. Hélas ! hélas ! ayez compassion de tant d'âmes qui périssent; ne faites pas attention au scandale qui a eu lieu dans cette ville, où il semble vraiment que les démons de l'enfer ont fait tous leurs efforts pour empêcher la paix et le repos de l'âme et du corps (Cette émeute, dont sainte Catherine de Sienne faillit être victime, eut lieu le 22juin 1378.). Mais la divine [205] Bonté a fait en sorte que ce grand mal ne produisit pas de grands maux. Et maintenant vos enfants sont tranquilles, et demandent de vous l'huile de la miséricorde. Admettons, très saint Père, qu'ils ne vous la demandent pas avec toutes les formes convenables, et avec ce regret du cœur qu'ils devraient avoir de leurs fautes et que désirerait Votre Sainteté. Hélas ne les refusez pas; ces enfants seront ensuite meilleurs que les autres (Les Florentins se montrèrent en effet par la suite très fidèles au Saint-Siège. Parmi les huit députés envoyés par la République se trouvent un Médicis.- Véri dé Medici. (Voir Gigli, t. I, p.III.). Hélas ! mon Père, je ne voudrais plus rester ici; mais, faites de moi ce que voudrez. Accordez-moi seulement cette grâce et cette miséricorde que je vous demande, moi pauvre misérable!

8. Mon Père, ne me refusez pas cette douceur que je vous demande pour vos enfants, afin que, la paix faite, vous leviez l'étendard de la très Sainte Croix. Vous voyez bien que les infidèles eux-mêmes vous y invitent (Les Turcs venaient de remporter de grands avantages, et menaçaient sans cesse, dans la Méditerranée, les côtes de France et d'Italie.). J’espère que la douce bonté de Dieu vous remplira de son ardente charité, et que vous comprendrez cette perte des âmes, et combien vous êtes tenu de les aimer ; et alors vous croîtrez en zèle et en sollicitude pour les retirer des mains du démon, et vous chercherez à guérir le corps mystique de la sainte Eglise et le corps de toute la chrétienté vous chercherez surtout à réconcilier vos enfants, en les ramenant par la douceur et avec la verge de la justice, autant qu'ils peuvent la supporter, mais jamais [206] davantage. Je suis persuadée que vous ne pourrez le faire sans la vertu de charité, et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et parfaite charité, non pas que je croie que vous n'êtes pas dans la charité, mais parce que, tant que nous sommes pèlerins et voyageurs dans cette vie, nous pouvons croître dans la perfection de la charité. C'est ce qui m'a fait dire que je voulais en vous la perfection de la charité, que vous entretiendrez sans cesse avec le feu du saint désir, et que vous répandrez, comme un bon pasteur, sur tous vos sujets. Je vous conjure de le faire; pour moi, je continuerai à vous servir jusqu'à la mort, en priant et en faisant tout ce que je pourrai pour l'honneur de Dieu, pour votre paix et celle de vos enfants. Je ne vous en dirai pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, très Saint Père, à ma présomption ; mais l'amour et la douleur m'excusent devant Votre Sainteté. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XVI.- A URBAIN VI. - Elle l'invite a profiter des avis qu'on lui donne, et a pardonner ceux qui pourraient le blesser.

(Cette lettre a été écrite dans les premiers jours de juillet 1378.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [207] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le vrai et légitime pasteur et chef de vos brebis, que vous devez nourrir du sang de Jésus crucifié. Ce sang, Votre Sainteté doit voir à qui et par le moyen de qui elle le donne. Oui, très saint Père, quand vous avez à mettre des pasteurs dans le jardin de la sainte Eglise, que ce soient des personnes qui cherchent Dieu, et non les honneurs; et que le chemin qu'ils prennent pour arriver, soit la vérité, et non le mensonge.

2. O très saint Père, soyez patient quand on vous dit ces choses, parce qu'elles ne sont dites que pour l'honneur de Dieu et votre salut, comme doit le faire le fils qui aime tendrement son père : il ne peut souffrir qu'on fasse une chose qui serait un tort ou une honte pour son père, et il veille toujours avec zèle, parce qu’il sait qu'un père qui gouverne une grande famille ne peut voir plus qu'un homme, et qu'alors, si ses enfants légitimes ne veillaient point à son honneur et à ses intérêts, il serait bien souvent trompé. Il en est ainsi pour vous, très saint Père : vous êtes le père et le seigneur de toute la chrétienté. Nous sommes tous sous les ailes de Votre Sainteté. Votre autorité s'étend à tout; mais votre vue est bornée comme celle de l'homme, et c'est une nécessité que vos enfants voient et fassent, dans la sincérité de leur cœur et sans aucune crainte servile, tout ce qui est utile à l'honneur de Dieu, au vôtre, et au salut des brebis qui sont sous votre houlette. Je sais que Votre Sainteté désire ardemment avoir des auxiliaires qui puissent lui servir, mais il faut pour cela les écouter avec patience [208].

3. Je sais bien que deux choses vous font de la peine et troublent votre âme, et je n'en suis pas étonnée. D’abord, lorsque vous apprenez les fautes qui se commettent, vous gémissez de voir Dieu offensé, parce que ces péchés vous déplaisent et vous blessent le cœur. On ne doit pas les supporter avec indifférence, et ne pas s'affliger des offenses faites à Dieu; non certainement: ce serait paraître complice de ceux qui les commettent. Ce qui vous fait ensuite de la peine, c'est quand un de vos enfants vient vous dire ce qu'il croit devoir offenser Dieu, et nuire aux âmes et à l'honneur de Votre Sainteté. Il pêcherait par ignorance, s'il n'avait soin de vous dire, en conscience, la pure vérité, telle qu'il la connaît, parce que rien ne doit être secret et caché pour Votre Sainteté.

4. Quand un fils ignorant vous offense en le faisant, je vous prie, saint Père, de ne pas vous troubler, et de le reprendre de sa faute. Je vous dis cela, parce que maître Giovianni m'a dit que frère Barthélemi, par erreur et par scrupule de conscience, vous avait fait de la peine et vous avait irrité. La pensée d'avoir irrité Votre Sainteté lui cause une grande douleur, ainsi qu'à moi. Je vous prie par l'amour de Jésus crucifié de punir sur moi la peine qu'il vous a causée. Je suis prête à supporter la pénitence et la punition que voudra Votre Sainteté. Je crois que ce sont mes péchés qui ont été cause de sa faute, et je dois en porter la peine. Il a un grand désir de venir vous en demander pardon, quand il plaira à Votre Sainteté de l'appeler. Supportez avec patience ses défauts et les miens ; baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et fortifiez-vous dans la douce ardeur de sa charité [210]. Pardonnez à mon ignorance. Je vous demande humblement votre bénédiction. Je remercie la Bonté divine et Votre Sainteté de la grâce que vous m'avez accordée le jour de saint Jean-Baptiste (Cette grâce était probablement une indulgence plénière pour le jour de cette fête, malgré l'interdit qui pesait alors sur Florence.). Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XVII. - A URBAIN VI. - De la lumière nécessaire pour gouverner l'Eglise, et des désordres qu'il faut combattre. - Elle déplore le schisme qui commence.

(Cette lettre est écrite de Sienne, le 18 septembre 1378.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie lumière, afin que l’œil de votre intelligence étant éclairé, vous puissiez connaître et voir la vérité, et en la connaissant, vous l'aimerez, et son amour fera briller les vertus en vous.

2. Et quelle vérité connaîtrons-nous, très saint Père? Nous connaîtrons la Vérité éternelle, cette Vérité qui nous aima avant que nous fussions. Et où la connaîtrons-nous? Dans la connaissance de nous-mêmes, en voyant que Dieu nous a créés à son [210] image et ressemblance, contraint par le feu de sa charité. C'est cette Vérité qui nous a créés, pour que nous participions à lui-même et que nous jouissions de son éternel et suprême bonheur. Qui nous a découvert et manifesté cette vérité? Le sang de l'humble Agneau sans tache, dont vous êtes le Vicaire et le cellérier. Vous tenez les clefs de ce sang dans lequel nous avons été régénérés par la grâce; et toutes les fois que l'homme sort du péché mortel et reçoit ce sang dans la sainte confession, on peut dire qu'il renaît de nouveau. Ainsi, nous trouvons sans cesse la vérité manifestée dans ce sang, lorsque nous en recevons le fruit.

3. Qui connaît cette vérité? C'est l'âme qui a dissipé le nuage de l'amour-propre, et qui a la pupille de la lumière de la sainte Foi dans l’œil de son intelligence. Avec cette lumière, elle connaît cette vérité dans la connaissance d'elle-même et de la bonté divine, et elle en goûte avec un ardent désir la douceur et la suavité. Cette douceur est si grande, qu'elle adoucit tout ce qui est amer; elle rend légers les pesants fardeaux, elle dissipe les ténèbres et les obstacles, elle revêt celui qui est nu, rassasie celui qui a faim. Elle unit et elle divise, parce qu'elle est dans l'éternelle vérité. L'âme connaît dans cette vérité que Dieu ne veut autre chose que son bien, et alors elle conclut avec raison que tout ce que Dieu donne ou permet dans cette vie, nous le tenons de son amour pour notre sanctification en lui, pour les besoins de notre salut ou pour l'accroissement de notre perfection. Dès que l'âme connaît ces choses à la lumière de la vérité, elle reçoit avec respect [211] toutes les fatigues, les calomnies, les mépris, les injures. les affronts, les injustices et toutes les pertes avec une vraie patience, cherchant seulement la gloire et l'honneur du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle gémit plus de l'offense de Dieu et de la perte des âmes que de ses propres injures. Elle est patiente, mais non pas indifférente, lorsqu'on attaque son Créateur. L'âme alors montre dans la patience qu'elle est dépouillée de l'amour-propre et revêtue du feu de la divine charité.

4. En revêtant cette charité de l'amour ineffable, très saint Père, l'amertume où vous vous trouvez deviendra pour vous d'une grande douceur et suavité. Le poids qui vous accable, l'amour le rendra léger, parce que vous connaîtrez que, sans souffrir beaucoup, il est impossible d'apaiser votre faim et celle des serviteurs de Dieu, cette faim de voir la sainte Eglise réformée par de bons, d’honnêtes, de saints pasteurs. En supportant sans cause les coups des méchants qui, avec le bâton de l'hérésie, veulent frapper Votre Sainteté (Les cardinaux s'étaient déjà séparés d'Urbain VI, et nommaient à Fondi l'antipape Clément VII, le 20 septembre, deux jours après la date de cette lettre.), vous recevrez la lumière; car la vérité est ce qui nous délivre; la vérité est que vous avez été choisi par le Saint-Esprit et par eux; vous êtes son Vicaire. Les ténèbres du mensonge et de l'hérésie qu'ils ont fait naître ne peuvent rien contre cette lumière, et plus ils voudront augmenter les ténèbres, plus vous recevrez une lumière parfaite.

5. Cette lumière porte avec elle le glaive de la [212] haine du vice et de l'amour de la vertu, et c'est le lien qui lie l'âme en Dieu et dans l'amour du prochain. O très saint et très doux Père, c'est ce glaive que je vous prie de prendre ; voici le moment de le tirer du fourreau et de haïr le vice en vous, en vos sujets et dans les ministres de la sainte Eglise. Je dis en vous, parce que dans cette vie, personne ne peut se dire sans péché, et la charité doit d'abord commencer par soi-même. Il faut donc la mettre, par l'amour de la vertu, en nous d'abord, puis ensuite dans le prochain. Attaquez le vice; et si le cœur de la créature ne peut être changé et corrigé de ses défauts qu'autant que Dieu y agit et que l'homme s'efforce avec son aide d'en ôter le poison du vice, du moins, très saint Père, éloignez de vous ceux qui vivent d'une manière coupable et déshonnête. Qu'il plaise à Votre Sainteté de les rendre réguliers chacun à son rang, comme la Bonté divine l'exige. Ne souffrez plus les actes de la débauche, je ne dis pas les désirs, parce que vous ne pouvez commander aux volontés, mais au moins les actes, que vous pouvez empêcher. Plus de simonie, plus d'excès de plaisirs, plus de joueurs de ce Sang qui est le bien des pauvres et de la sainte Eglise. Ces joueurs font un tripot d'un lieu qui doit être le temple du Seigneur Comme clercs et comme chanoines, ils devraient être des fleurs et des miroirs de sainteté? ils sont semblables à des fripons, répandant partout l'infection de la débauche et le poison de l'exemple.

6. Hélas! hélas! hélas ! mon doux Père, c'est dans la peine, la douleur, l'amertume et l'angoisse que je [213] vous écris ces choses; et si ce que je dis paraît trop fort et trop audacieux, que la douleur et l'amour m'excusent devant Dieu et Votre Sainteté. Car de quelque côté que je me tourne, je ne sais où reposer mn tête. Si je me tourne là où le Christ doit être la vie éternelle, je vois qu'auprès de vous, qui êtes le Christ sur la terre, se trouve un enfer d’iniquités tout empesté par l'amour-propre. Cet amour les pousse à s'élever contre vous, et ils ne veulent plus soutenir Votre Sainteté, qui vit au milieu de tant de misères. Mais ne vous découragez pas; faites briller sur votre poitrine la perle de la sainte justice sans aucune crainte et avec un cœur d'homme, car vous n'avez plus rien à redouter. Si Dieu est pour nous, personne ne sera contre nous. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, car votre allégresse sera parfaite dans le ciel ; réjouissez-vous dans ces fatigues, parce qu'après ces fatigues, viendront le repos et la réforme de la sainte Eglise.

7. Bien que vous soyez abandonné de ceux qui devaient être votre soutien, ne ralentissez point vos pas; mais courez, au contraire, plus vite, en vous fortifiant toujours par la lumière de la très sainte Foi, dans la connaissance de la vérité, et par les prières de l'assistance des serviteurs de Dieu. entourez-vous de ceux qui, au milieu des fatigues de cette vie, seront votre espérance et votre consolation (Urbain VI suivit ce conseil, et fit venir à Rome les hommes les plus recommandables par leurs lumières et leurs vertus.); cherchez à avoir, avec le secours de Dieu, l'aide de ses serviteurs, qui vous conseilleront avec foi et sincérité [214], sans passion et sans écouter les inspirations empoisonnées de l'amour-propre. Il me semble que ce secours vous est absolument nécessaire, et je suis persuadée que vous le rechercherez avec zèle, parce que l’œil de votre intelligence est éclairé des lumières de la vérité. Sans cela vous ne pourriez faire fleurir la vertu dans ceux qui vous sont soumis, vous ne pourriez les ramener à leur devoir, et mettre des plantes bonnes et vertueuses dans l'Eglise.

8. Je vous ai dit que je ne sais où trouver quelque repos; et c'est la vérité, car le mal, qui est partout, se trouve principalement dans cette ville. Du temple de Dieu, qui est le lieu de la prière, ils ont fait une caverne de voleurs, avec tant de misère, qu'il est surprenant que la terre ne les engloutisse pas. Tout vient de la faute des mauvais pasteurs, qui ne corrigent le vice ni par la parole, ni par le bon exemple d'une sainte vie. O mon doux Pasteur, qui avez été donné aux chrétiens aveugles par la tendre et l'ineffable charité de Dieu, combien vous avez besoin de lumière! Avec la lumière vous connaîtrez le mal, et où il est; la vertu, et où elle se trouve; et vous pourrez discerner ce qu'il faut pour chacun. J'ai compris, dans mn faiblesse et ma misère, que sans la lumière vous ne pouviez arracher les épines et planter la vertu; aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et parfaite lumière, parce que dans la lumière vous connaîtrez la vérité; la connaissant, vous l'aimerez, et l'aimant, vous en serez revêtu. Avec ce vêtement vous résisterez aux coups qui nuiront, non pas à vous, mais à ceux qui les portent. Embrassez les peines avec un grand [215] courage, en vous baignant dans le sang de Jésus Crucifié, dont vous êtes le Vicaire. Je n'en dis pas davantage; si je m'écoutais, je ne m'arrêterais pas encore. Je ne voudrais plus parler, mais me trouver sur le champ de bataille, supportant les peines et combattant avec vous, jusqu'à la mort, pour la vérité, pour la gloire, l'honneur de Dieu et la réforme de la sainte Eglise. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, très saint Père, à mon ignorance, si j'ose si mal vous parler. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XVIII. - A URBAIN VI. - Elle exhorte le Souverain Pontife à puiser dans les ardeurs de la charité des forces pour supporter la tribulation, et pour résister avec courage aux rebelles. - Elle lui conseille de faire garder sa personne contre les embûches de ses ennemis.

(Cette lettre est du 5 octobre 1378, au moment où sainte Catherine se disposait à partir pour Rome.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtu du vêtement puissant d'une ardente charité, afin que les traits que vous lancent les hommes pervers du monde, qui s'aiment eux-mêmes, ne puissent vous [216] nuire. Aucun trait, quelque terrible qu'il soit, ne peut blesser l'âme ainsi revêtue, parce que Dieu est la force éternelle et suprême. Il ne peut être blessé par nos iniquités, qui ne peuvent l'atteindre. Le mal que nous faisons ne lui nuit pas, et notre bien ne lui est pas utile. Le mal ne nuit qu'à nous, et le bien profite à ceux qui le font avec le secours de la grâce divine.

2. Dieu est la force suprême et éternelle; celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui, parce que Dieu est charité. Aussi, l'âme qui en est revêtue, parce qu'elle est en Dieu, ne peut être vaincue par aucune peine, aucune tribulation. Les peines, au contraire, la fortifient intérieurement, parce qu'elles éprouvent la vertu de la patience. Les coups des méchants qui s'aiment eux-mêmes, ne vous nuiront pas; ils ne renverseront ni la charité de votre âme, ni votre Epouse la sainte Eglise qui ne peut périr, parce qu'elle est fondée sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus. A qui nuiront ces coups? A ceux-là même qui les frappent, très saint et très doux Père; ces traits et ces flèches empoisonnées retourneront contre eux. Ils n'attaquent en vous que l'apparence, et ils ne vous causent d'autre perte et d'autre douleur que le scandale et l'hérésie qu'ils ont semés dans le corps mystique de la sainte Église. Livrez-vous à la douce ardeur de la charité sans aucune hésitation; fortifiez-vous et devenez semblable à votre chef le doux Jésus, qui, toujours, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin, a voulu et voudra que rien de grand ne se fasse sans beaucoup souffrir [217].

3. Jetez-vous donc sans crainte à travers les épines avec le vêtement puissant de la charité. Hélas! hélas ne vous laissez pas arrêter par la peine; ne vous inquiétez pas de la vie du corps, ne craignez pas de la perdre, car Dieu est peur vous; et, s'il est utile de donner sa vie, il faut la donner avec joie. Oh que malheureuse est mon âme, cause de tant de maux J'ai appris que ces démons incarnés n'avaient pas nommé un Christ sur la terre, mais qu'ils avaient fait naître un antéchrist opposé à vous, le Christ de la terre; car je confesse et je ne nie pas que vous êtes le Vicaire du Christ, que vous tenez les clefs du cellier de la sainte Eglise, où se trouve le sang de l'Agneau sans tache, et que vous en êtes le ministre, malgré ceux qui voudront dire le contraire, et à la honte des menteurs que Dieu confondra par la douce vérité qui est pour vous et votre douce Epouse. Ainsi donc, très saint Père, commencez sans crainte le combat; dans ce combat, il faut être cuirassé de ce vêtement qui est l'arme de la divine charité. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtu de ce doux et royal vêtement, afin que vous soyez plus ferme et plus courageux à combattre pour la gloire et l'honneur de Dieu et pour le salut des âmes. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; que ce soit votre asile, et baignez-vous dans son très-doux sang.

4. Moi, l'esclave rachetée par le sang du Christ, moi et tous ceux que Dieu m'a donnés à aimer particulièrement et m'a confiés, nous sommes tous prêts à donner notre vie pour la vérité; nous sommes tous prêts à obéir à Votre Sainteté et à souffrir pour elle jusqu'à la mort, en vous aidant avec l'arme [218] sainte de la prière, en semant et annonçant la vérité partout où le voudra la douce volonté de Dieu et de Votre Sainteté. Je ne vous en dis pas davantage à ce sujet.

5. Procurez-vous de bons et vertueux pasteurs, et entourez-vous de vrais serviteurs de Dieu. Que votre espérance et votre foi ne s'appuient pas sur le secours des hommes, qui ne sont rien, mais seulement sur le secours de Dieu, qui ne nous sera jamais enlevé, dés que nous espérons en lui ; et plus nous espérerons en Dieu, plus il nous assistera. Espérons donc en lui de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

6. Très saint Père, outre cette espérance que vous avez mise et que vous mettrez en votre Créateur, je vous demande, autant que je le sais et que je le puis, de bien faire garder votre personne, parce que nous devons faire en sorte de ne pas tenter Dieu, tout en ne négligeant rien de ce que nous avons à faire. Je veux que vous preniez toutes les sûretés possibles pour votre conservation, parce que je sais que des méchants qui aiment le monde et s'aiment eux-mêmes ne dorment pas, et qu'ils cherchent à vous tendre des pièges pour vous ôter la vie. Mais la douce et l'ineffable bonté de Dieu a prévenu et préviendra leur malice elle veillera sur les besoins de son Epouse. De votre côté, cependant, faites tout ce que vous pourrez faire. Pardonnez, pardonnez, mon Père, à ma présomption, mais la douleur et l'amour m'excusent et ma conscience me reprendrait si je ne vous parlais point ainsi. Je ne serai pas tranquille tant que [219] je ne vous parlerai pas moi-même, tant que je ne serai pas en présence de Votre Sainteté; je veux donner mon sang, ma vie, je veux faire couler la moelle de mes os pour la sainte Eglise, quoique j'en sois, je le reconnais, bien indigne. Je prie l'infinie bonté de Dieu, de m'en rendre digne, avec tous ceux qui ont le même désir. Voici le moment où les fleurs des saints désirs doivent s'ouvrir, et montrer ce qu'on aime, de soi ou de la vérité. Je finis, parce que si je m'écoutais, je ne m'arrêterais pas. Je vous demande humblement votre douce bénédiction. Je vous demande aussi de me faire connaître parfaitement votre volonté, afin que j'accomplisse fidèlement ce que voudra l'honneur de Dieu et ce que vous ordonnerez, vous, le Vicaire de Jésus crucifié, auquel j'obéirai en tout jusqu'à la mort, autant que Dieu m'en fera la grâce. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XIX. - A URBAIN VI. - De la douleur de l'âme qui voit offenser Dieu, et comment sa peine peut se changer en douceur.

( Le texte manuscrit de cette lettre porte en note, qu'elle était accompagnée de cinq oranges confites et dorées que sainte Catherine envoyait au Saint-Père pour adoucir son esprit; de là vient la comparaison qu'elle développe dans sa lettre. Cette circonstance doit faire croire que notre Sainte était à Rome, où elle arriva le 28 novembre 1378.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des [220] serviteurs de Jésus crucifié, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir délivré des peines amères qui affligent votre âme. Que la cause de cette peine disparaisse, et qu'il ne reste en vous que cette douce peine qui engraisse et fortifie l'âme, parce qu'elle vient du feu de la divine charité, c'est-à-dire de la douleur et du regret amer de nos fautes, des outrages contre Dieu qui se font dans le corps universel de l’Eglise et dans son corps mystique, et de la perte des âmes des infidèles, qui sont rachetées comme nous par le Sang du Christ. Vous avez les clefs de ce sang, très saint Père, et vous voyez les âmes dans les mains du démon. C'est cette peine qui nourrit l'âme de l'honneur de Dieu, lui donne sur la table de la très Sainte Croix le pain des âmes, et la fortifie en la délivrant de cette faiblesse de l'amour-propre qui afflige et dessèche l'âme, parce qu'elle la prive de la charité, et la rend insupportable à elle-même.

2. Mais ceux qui ressentent cette douce amertume chassent ce qui est amer, parce qu'ils ne se recherchent pas pour eux, mais pour Dieu, et non pas pour leur intérêt et leur plaisir. Ils cherchent Dieu parce qu'il est infiniment bon, parce qu'il est digne d'être aimé, et que nous devons l'aimer par reconnaissance. Et comment l'âme arrive-t-elle à cette douce perfection? Par la lumière; car la vérité de Jésus crucifié se présente au regard de l'intelligence, qui goûte Sa doctrine par un mouvement d'amour. L'âme s'en [221] revêt et la suit en cherchant uniquement l'honneur de Dieu et le salut des âmes, comme fit elle-même la Vérité, qui, pour l'honneur de son Père et pour notre salut, courut à la mort ignominieuse de la très sainte Croix, avec une humilité parfaite et une patience si grande, que le Sauveur ne fit jamais entendre la moindre plainte; et c'est en souffrant beaucoup qu'il rendit la vie à l'enfant mort du genre humain.

3. Il semble, très saint Père, que Jésus, l'éternelle Vérité, veut faire de vous un autre lui-même. Vous êtes son Vicaire, le Christ sur terre, et il veut que dans l'amertume et la souffrance vous réformiez sa douce Epouse et la vôtre, qui est depuis si longtemps pâle et défigurée. Elle ne peut être blessée et privée du feu de la charité divine, mais ceux qui se nourrissent sur son sein la font paraître par leurs fautes faible et malade, en épuisant son sang par l'amour d'eux-mêmes. Maintenant Dieu veut que vous soyez son instrument, et qu'en supportant des peines et des persécutions nombreuses, l’Eglise soit entièrement renouvelée par la tribulation : elle en sortira pure comme un enfant. Tout ce qui est vieux sera retranché et renouvelé dans l'homme nouveau. Livrez-vous donc à cette douce amertume, qui sera suivie d'une consolation pleine de douceur. Soyez un arbre d'amour enté sur l'arbre de vie, le Christ, le doux Jésus. De cet arbre naîtra la pensée des vertus comme une fleur dans votre volonté, et son fruit mûrira dans la faim de l'honneur de Dieu et du salut de vos brebis.

4. Ce fruit d'abord semble amer lorsqu'on le prend [222] avec la bouche du saint désir; mais comme l'âme est décidée à souffrir jusqu'à la mort pour Jésus crucifié et pour l'amour de la vertu, il devient vraiment doux. J'ai remarqué souvent cela pour l'orange, qui paraît amère et forte; lorsqu'on retire ce qui est dedans et qu'on la met à confire afin que l'eau en ôte l'amertume, elle se remplit de choses fortifiantes, et elle se couvre d'or à l'extérieur. Où est allée l'amertume, qui était dans le principe désagréable à la bouche de l'homme? Dans l'eau et dans le feu. Il en est de même, très saint Père, pour l'âme qui conçoit l'amour de la vertu. Les commencements lui paraissent amers, parce qu'elle est encore imparfaite; mais si elle veut s’appliquer le remède du sang de Jésus crucifié, l'eau de la grâce qui s'y trouve attirera l'amertume de la sensualité, cette amertume qui la fait souffrir. Et comme le sang n'est jamais sans le feu, puisqu'il a été répandu avec le feu de l'amour, on peut dire en vérité que le feu et l'eau en retirent l'amer et lui ôtent ce qu'elle avait d'abord, c'est-à-dire l'amour-propre; ils la remplissent de force par la persévérance, la patience mêlée au miel d'une humilité profonde, que conserve la connaissance de soi-même. Car, dans le temps de l'amertume, l'âme se connaît mieux, elle connaît mieux aussi la bonté de son Créateur. Lorsque ce fruit est plein et préparé, il se couvre à l'extérieur d'un or qui représente son intérieur. C'est l'or de la pureté avec l'éclat d'une ardente charité, qui paraît au dehors en se manifestant au service du prochain par une vraie patience, le supportant toujours avec une grande tendresse de cœur, et s'abreuvant de cette douce [223] amertume que nous devons ressentir de l'offense de Dieu et de la perte des âmes.

5. C'est ainsi, très saint Père, que nous produirons des fruits sans mauvaise amertume, et que nous pourrons détruire celle que causent maintenant à nos cœurs et à nos esprits les hommes coupables et méchants qui s'aiment eux-mêmes et qui affligent Votre Sainteté et vos enfants par les offenses qu'ils commettent contre Dieu. J'espère de la bonté de notre doux Créateur qu'il nous délivrera de cette peine, en répandant la lumière et en confondant ceux qui en sont cause. Puissions-nous porter avec Votre Sainteté des fruits de vertu, en mémoire du Sang de Jésus crucifié, avec une humilité sincère, reconnaissant que nous ne sommes pas, mais que l'être et toute grâce ajoutée à l'être, viennent de lui. Vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et le désir de mon âme. Fortifiez-vous, très doux Père, dans une humilité sincère; n'ayez aucune crainte, car vous pourrez tout par Jésus crucifié, en qui est placée et s'affermît sans cesse notre espérance. Je m'arrête. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [224].
 
 

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