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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 200 à 219



CC (154).-A SŒUR CONSTANCE, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près Sienne.- De la lumière et du repos que donne le sang de JésusChrist.
 
 

(Le monastère de Saint-Abundio, ou de Sainte-Abonde, de l’Ordre de Saint-Benoît, est à un mille de Sienne.- Il était très aimé par le bienheureux Jean Colombini, qui voulut y être enterré, et par sainte Catherine de Sienne, qui y reçut de grandes grâces.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris et t’encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée, anéantie dans le précieux sang du Fils de Dieu, parce que je vois que dans le souvenir de ce sang, se trouve le feu d’une ardente charité, et que dans la charité ne se trouvent jamais la tristesse et le trouble. Je veux que tu mettes toutes tes affections dans ce sang. Oui, enivre-toi de ce sang; brûle et consume l’amour-propre qui peut être en toi, et que le feu de cet amour éteigne le feu de la crainte et de l’amour de toi-même. O glorieux et précieux Sang ! tu es devenu pour nous un bain, un baume pour nos [1116] blessures. Oui, ma Fille, c’est un bain, et dans ce bain tu trouves la chaleur, l’eau et le lieu du repos. Je te dis que dans ce bain glorieux, tu trouves la chaleur de la charité divine, qui l’a donné par amour; tu trouves le lieu, c’est-à-dire le Dieu éternel ou est le Verbe, et où il était dès le commencement; tu trouves l’eau dans le Sang, car du Sang sort l’eau de la grâce, et il y a un mur qui arrête nos regards. O ineffable et très douce Charité ! vous avez pris le mur de notre humanité, qui a couvert l’éternelle et suprême divinité de l’Homme-Dieu; et cette union a été si parfaite, que la mort, que rien n’a pu la faire cesser. Quelle douceur, quel repos, quelle consolation dans ce sang ! car on y trouve le feu de la divine charité et la vertu de la souveraine et éternelle Déité. Tu sais que c’est la vertu de la divine Essence qui fait la valeur du sang de l’Agneau; tu sais que si l’homme seul eût été sans Dieu, son sang n’aurait pu nous sauver; mais c’est par l’union de Dieu à l’homme que le sacrifice de son sang fut accepté.

2. Ce sang est donc bien glorieux ! C’est un parfum d’agréable odeur qui détruit l’infection de notre iniquité; c’est une lumière qui dissipe les ténèbres, non seulement les ténèbres extérieures du péché mortel, mais encore les ténèbres de ce trouble déréglé qui s’empare souvent de l’âme sous l’apparence d’une fausse humilité; c’est ce trouble qu’excitent dans le cœur ces pensées Ce que ta fais n’est pas agréable à Dieu; tu es en état de damnation. Peu à peu le trouble augmente et obscurcit, sous l’apparence de l’humilité, la vue de l’âme, qui se dit: Tu vois bien que tes péchés te rendent indigne de toute grâce, de toute [1117] faveur. Et alors elle s’éloigne souvent de la sainte Communion et des autres exercices spirituels. C’est le démon qui cause cette erreur et ces ténèbres. Je dis que si toi ou d’autres vous vous anéantissez dans le sang de l’Agneau sans tache, ces illusions ne s’empareront pas de votre esprit; ou, si elles y entrent. elles n’y resteront pas, et elles seront chassées par la foi vive et l’espérance, placées dans ce sang. Tu les mépriseras en disant: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie; et quand même je devrais tomber en enfer, je ne veux pas abandonner mes exercices. Ce serait une grande folie de se jeter avant le temps dans la confusion de l’enfer.

3. Excite donc en toi le feu de l’amour, ma très chère Fille; ne te trouble pas et réponds-toi à toi-même: Quelle comparaison y a-t-il entre mon iniquité et l’abondance de ce sang répandu avec tant d’amour? Je veux bien que tu voies ton néant, ta négligence, ton ignorance, mais je ne veux pas que tu les voies dans les ténèbres de la confusion, mais à la lumière de la Bonté divine, que tu trouves en toi. Apprends que le démon ne veut que vous arrêter à la seule connaissance de vos misères, tandis que cette connaissance doit toujours être accompagnée de l’espérance dans la miséricorde divine. Sais-tu comment il faut faire? ce que tu fais quand tu entres la nuit dans ta cellule, pour dormir. Tu trouves d’abord ta cellule, puis tu vois ton lit la première chose est nécessaire, mais tu ne t’en contentes pas, et tu cherches des yeux le lit où tu dois prendre ton repos. Tu dois faire de même lorsque tu es entrée [1118] dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je veux que tu ouvres l’oeil de ton intelligence avec amour, que tu traverses ta cellule, et que tu ailles vers le lit de la douce Bonté que tu trouves en toi. Tu vois bien que l’être t’a été donné par grâce, et non par obligation.

4. Vois, ma Fille, ce lit est couvert d’une couverture de pourpre teinte dans le sang de l’Agneau immolé et consumé pour nous; c’est lit le lit de ton repos, qu’il ne faut quitter jamais. Tu vois qu’il n’y a pas de cellule sans lit, et de lit sans cellule. Que ton âme se nourrisse de cette Bonté de Dieu; elle peut s’y engraisser, car avec le lit tu trouves la nourriture, la table et le serviteur. Le Père est la table, le Fils est la nourriture, le Saint-Esprit lui-même devient un lit de repos. Sois persuadée que si tu veux te borner à la connaissance de toi-même, tu seras toujours dans la confusion; tu verras la table et le lit préparés, et tu n’en profiteras pas par la connaissance de la bonté divine; tu ne recevras pas la paix et le repos, tu en seras privée, et tu ne porteras aucun fruit. Je te conjure donc par l’amour de Jésus crucifié de rester dans ce doux et glorieux lit de repos. Je suis certaine que tu le feras si tu te noies dans le précieux sang. Aussi je t’ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang du Fils de Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1119].

Table des matières (2)





CCI (155).- A SOEUR MADELEINE ALESSA, au monastère de Sainte-Abonde, près Sienne.- Du vêtement royal de la charité, et du renoncement de soi-même par l’obéissance.

(Cette lettre répète en partie avec quelques variantes, la lettre CXCVII)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal, du vêtement d’une ardente charité. Ce vêtement couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et détruit le froid. Je dis qu’il couvre la nudité : si l’âme, créée à l’image et ressemblance de Dieu, avait l’être sans avoir la grâce divine, elle n’atteindrait pas la fin pour laquelle elle a été créée; Il faut donc avoir d’abord le vêtement de la grâce, que nous recevons dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent dans leurs premières années, possèdent la vie éternelle; mais nous, les épouses qui avons le temps, si nous, ne revêtons pas un vêtement d’amour pour l’Epoux céleste, en reconnaissant son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême reste nue. Il faut donc que nous excitions notre amour et notre désir en [1120] ouvrant l’oeil de l’intelligence pour nous connaître et pour connaître en nous la bonté de Dieu et l’amour Ineffable qu’il a pour nous; car l’intelligence qui connaît et qui voit ne peut s’empêcher d’aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur; et ainsi l’amour attire l’amour, et l’âme se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte de deux manières. D’abord le regret du péché en éloigne la honte; la honte que l’âme ressent d’avoir offensé son Créateur lui a rendu le vêtement de l’amour des vertus; elle honore Dieu et y trouve sa récompense, car, dans tout ce que nous faisons et désirons, Dieu ne veut que la fleur de l’honneur, et nous le fruit de la récompense. Vous voyez donc que ce vêtement cache la honte du péché; je dis, de plus, qu’il ôte une autre honte, celle qui vient de la sensibilité de l’amour-propre et des jugements du monde. La volonté est morte à elle-même et à toutes les choses qui passent; non seulement elle ne rougit pas, mais elle se réjouit de la honte, des mauvais traitements, des mépris, des outrages et des injures; elle aime à se voir foulée aux pieds du monde; elle est heureuse pour l’honneur de Dieu, lorsque le monde la poursuit de ses injures, le démon de ses tentations, et la chair de ses révoltes contre l’esprit; elle s’en réjouit par vengeance et par haine contre elle-même, pour ressembler à Jésus crucifié, se croyant indigne de la paix et de la tranquillité d’esprit. Elle n’a pas honte d’être abaissée et tourmentée par ses trois ennemis, par le monde, la chair et le démon, parce que sa volonté sensitive est morte et revêtue du vêtement de la souveraine et éternelle [1121] bonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, parce qu’elle voit que Dieu permet tout par amour et non par haine; et nous recevons avec amour ce qui nous est donné avec amour. Aussi il lui est doux de désirer la honte, parce qu’avec cette honte elle chasse la honte.

3. Oh! combien est heureuse l’âme qui possède cette douce lumière! car non seulement elle hait ses inclinations et celles des autres, mais elle aime les peines que causent ces inclinations, qui sont pour nous la sensualité, et pour les autres les persécutions du monde, c’est-à-dire la haine coupable de celui qui persécute. Ma bien chère Fille, juge-toi donc digne de la peine et indigne du fruit qui suit la peiné. Ce seront là les broderies que tu porteras sur ton royal vêtement; tu sais bien que le céleste Epoux s’en est fait un semblable, car il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mauvais traitements, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. Je dis que ce vêtement échauffe et détruit la froideur il échauffe par la chaleur de la charité, qui se manifeste par l’ardent désir de l’honneur de Dieu, dans le salut du prochain, dont elle fait supporter les défauts. Celui qui la possède se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent, et pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il pleure par compassion et par regret de l’offense qu’ils font à Dieu, et il se livre à toutes sortes de peines et de tourments pour le ramener à l’état de ceux qui se réjouissent et qui vivent dans l’amour des douces et royales vertus. Ce vêtement consume [1122] aussi le froid de l’amour-propre, qui aveugle l’âme et l’empêche de se connaître et de connaître Dieu. L’amour-propre ôte la vie de la grâce et engendre l’impatience; la racine de l’orgueil étend ses rameaux; l’homme offensa Dieu et le prochain par un attachement déréglé, et il devient insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre avec l’obéissance, et il fait tout par amour de lui-même.

5. Aussi, ma très chère et bien-aimée Fille, je veux que tu perdes tout amour-propre qui vient de la sensualité, car il ne serait pas bien que l’épouse du Christ aimât autre chose que son Epoux. Il faut, à la lumière de la raison, embrasser les vertus; autrement tu ne pourrais pas traverser les orages de cette vie ténébreuse; il faut les .passer sur la barque de la sainte obéissance, où tu es entrée; sans elle tu n’arriveras pas au port de la vie véritable, où tu dois t’unir avec le céleste Epoux. Pense que si l’amour-propre la conduit sur l’écueil de la désobéissance, elle se brisera; tu feras naufrage et tu perdras ton trésor, c’est-à-dire la récompense des saintes résolutions que tu as prises en faisant vœu d’obéissance dans ta profession. Délivre-toi donc de cet amour pour ne pas périr; et comme une fidèle épouse, dresse généreusement dans ta barque le mât de l’humble Agneau sans tache, ton Epoux, c’est-à-dire la très sainte Croix avec la voile de son obéissance. Tu vois bien que c’est cette voile de l’obéissance à son Père qu’il a déployée; et il a couru, avec le vent impétueux de l’amour et de la haine du péché de la sensualité, jusqu’à la mort honteuse de la très sainte Croix [1123].

6. Agis de même, ma Fille, avec une obéissance prompte, une humilité sincère, avec l’amour de Dieu et du prochain, supportant et aimant charitablement tes sœurs, sans trouble d’esprit et sans murmure; porte et supporte tout ce que tu entends et vois de ton prochain; reçois avec respect les réprimandes qui te seront faites, pensant qu’elles viennent de l’amour, et non de la haine. Tu éviteras ainsi le mépris et la peine; tu auras l’amour de la vertu, la haine et l’horreur du vice et de l’amour déréglé de toi-même, parce que tu auras reçu les enseignements du doux et bon Jésus, qui est la règle, la voie et la doctrine. Il t’a enseigné cette doctrine par son obéissance, ne fuyant pas la peine, mais accomplissant les ordres de son Père au milieu des opprobres, des outrages, des injures, des murmures, sur l’arbre de la très sainte Croix. Il te montre la voie,. car cette voie de la Croix qu’il a suivie, toi et toute créature raisonnable, vous devez la suivre, supportant toutes les peines, les tourments, les ennuis, pour son amour, déployant sur le mât de Jésus crucifié, la voile de l’amour et du désir, par une persévérante prière.

7. La prière porte et rapporte : elle porte nos désirs pleins de la haine de nous-mêmes et de l’amour de la vertu, éprouvés dans la charité du prochain, et elle rapporte la volonté de Dieu; et lorsque l’âme la connaît, elle se l’applique par de saintes et bonnes œuvres. Alors tu te trouveras dépouillée de ton amour-propre et revêtue du vêtement nuptial. Autrement tu ne serais pas une épouse véritable, et tu ne pourrais résister aux murmures qui, je le sais [1124], t’ont causé de la peine. Je ne veux pas que tu t’en affliges, car c’est la voie que doivent suivre les vrais serviteurs de Dieu. Celui qui le fait est exempt de peine, et jouit de la paix et du repos. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir dépouillée de l’amour-propre sensitif et revêtue du vêtement royal, afin que tu ne souffres pas de l’obéissance et des murmures, et que tu sois dans la paix et dans le calme, goûtant Dieu par la grâce jusqu’à ce que tu en jouisses dans l’éternelle vision, où toutes les peines sont finies, et où on reçoit le fruit des vertus qui suit les peines. Que Dieu vous donne, à toi et aux autres sœurs, sa douce, son éternelle bénédiction. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCII (156).- A LA PRIEURE, et aux autres Soeurs de Sainte-Marie-des-Vierges, à la Prieure de Saint-Georges, et aux autres Soeurs de Pérouse.- De la charité qui s’acquiert par la méditation de l’amour, et des bienfaits de Dieu.- Les trois vœux contiennent toute la doctrine de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des épouses fidèles, unies et liées par les liens d’une [1125] véritable et ardente charité, par ces liens qui ont cloué et attaché l’Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Ce lien a uni Dieu à l’homme et l’homme à Dieu; il unit l’âme à son Créateur, et il lui fait aimer les véritables et solides vertus. Quel est ce lien? C’est un amour qui lie, retranche et divise; car, de même qu’il unit et lie l’âme à Dieu, il la sépare et la retranche du péché et de l’amour-propre sensitif, qui cause toutes les divisions et tout le mal; il enlève l’eau morte et donne l’eau vive de la grâce; il sépare des ténèbres et donne la lumière, qui fait voir et goûter la vérité.

2. O très doux feu d’amour, qui remplit l’âme des plus suaves douceurs ! Aucune peine, aucune amertume ne peut atteindre l’âme qui brûle de ce feu doux et glorieux. La charité ne juge jamais en mal; elle ne voit pas la volonté de l’homme, mais seulement la volonté de Dieu, sachant qu’il ne veut autre chose que notre sanctification. Puisque Dieu ne veut autre chose que notre bien, que tout vient de lui, et qu’il permet dans ce but les tribulations, les tentations, les peines et les tourments, l’âme ne doit s’affliger de rien, si ce n’est du péché, qui n’est pas. Puisqu’il n’est pas en Dieu, il n’est pas digne d’être aimé; il faut, au contraire, le haïr, et préférer la mort à l’offense de son Créateur. O douceur d’amour ! comment le cœur de votre épouse peut-il ne pas vous aimer, en voyant que vous êtes l’Epoux qui est la vie? Dieu éternel! vous nous avez créés à votre image et ressemblance uniquement par amour, et, lorsque nous avons perdu la grâce par le malheureux péché, vous nous avez donné le Verbe, votre [1126] Fils unique, et votre Fils nous a donné sa vie; il a puni nos iniquités sur son corps, et il a payé une dette qu’il n’avait pas contractée. Hélas! hélas ! misérables que nous sommes ! nous étions des voleurs, et il a été supplicié pour nous!

3. Ne doit-elle pas rougir de honte et de confusion, l’épouse ignorante, endurcie, aveugle, qui n’aime pas lorsqu’elle se voit tant aimée, et que les liens de cet amour sont si doux? Voici le signe de l’amour celui qui aime Dieu avec la raison suit les traces du Verbe, son Fils unique; celui qui ne l’aime pas au contraire, suit les traces du démon et sa propre sensualité. Il obéit aux lois du monde, qui sont opposées à celles de Dieu; il goûte la mort et ne s’en aperçoit pas. Son âme est plongée dans les ténèbres, car elle est privée de la lumière; elle souffre et elle est en querelle continuelle avec son prochain, parce qu’elle est privée des liens de la charité. Elle se trouve livrée aux mains du démon, parce qu’au lieu d’être l’épouse fidèle de Jésus crucifié, elle a, comme une adultère, abandonné son céleste Epoux; car l’épouse, est appelée adultère lorsqu’elle n’a plus l’amour de l’époux, et qu’elle aime, qu’elle s’unit à celui qui n’est pas son époux. Quel danger et quelle honte de se voir aimée, et de ne pas aimer !

4. Aimez-vous donc, aimez-vous les unes les autres; c’est à cela qu’on verra si vous êtes ou non, les épouses et les filles du Christ. On ne les reconnaît qu’à l’amour qui a Dieu pour principe, et qui s’applique au prochain. C’est ainsi qu’il faut arriver à notre but, à notre fin, on suivent les traces de Jésus [1127] crucifié; non le Père, mais le Fils, parce que le Père ne peut souffrir, mais le Fils.

5. Il faut donc suivre la voie de la très sainte Croix, supportant les opprobres, les mépris, les outrages, méprisant le monde avec toutes ses délices souffrant la faim, la soif avec l’esprit de pauvreté, avec une obéissance ferme et persévérante, avec une grande pureté d’âme et de corps, dans la société des personnes qui craignent vraiment Dieu, et dans la solitude de la cellule, en fuyant comme le poison, le parloir et la conversation des faux dévots et des séculiers. Car l’épouse du Christ n’agit pas de la sorte; elle aime la société des vrais serviteurs de Dieu, et non celle de ceux qui n’ont de religieux que l’habit. Il ne faut pas que sous un chef couronné d’épines vivent des membres délicats, comme font les insensés qui s’éloignent du Christ, leur maître, et qui ne recherchent que les délices et les délicatesses du corps. Nous surtout, qui sommes séparées du siècle et placées dans le jardin de la vie religieuse, nous, ses épouses choisies, nous devons être des fleurs de bonne odeur. Oui, si vous observez ce que vous avez promis pour répandre vos doux parfums, vous participerez à la bonté de Dieu en vivant dans sa grâce, et vous le goûterez dans son éternelle vision. Si vous ne le faites pas, vous répandrez une honteuse infection; vous goûterez l’enfer dès cette vie, et vous aurez à la fin en partage la vue des dénions. Pour suivre le Christ, sortez du siècle, renoncez au monde et à ses richesses en vous attachant à la vraie pauvreté. Renoncez à la volonté propre en tous soumettant à la véritable obéissance; éloignez [1128] vous de l’état commun en ne voulant pas être les épouses du monde, pour conserver la vraie continence et la virginité dont le parfum réjouit Dieu et les anges qui se plaisent à habiter l’âme qu’embaume la pureté. Soyez unies et non pas divisées par la haine, la jalousie et l’antipathie, les unes envers les autres; soyez unies étroitement dans les liens de la charité, car autrement vous ne pourriez plaire à Dieu ni avoir aucune vertu parfaite.

6. Quelle honte et quelle confusion pour l’âme qui ne tient pas ce qu’elle a promis, et qui fait tout le contraire ! Elle ne suit pas le Christ, et ne marche pas dans la voie de la Croix; mais elle veut suivre la voie du plaisir. Ce n’est pas la nôtre : il nous faut suivre l’humble Christ, l’Agneau sans tache, le pauvre Agneau; sa pauvreté était si grande, qu’il n’avait pas une place pour reposer sa tête très pure. La souillure du péché n’était pas en lui, et il a obéi à son Père pour notre salut jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Les Saints et notre glorieux Père saint Dominique ont fondé leurs Ordres sur ces trois colonnes, la pauvreté, l’obéissance, la chasteté, pour pouvoir mieux ressembler au Christ et suivre sa doctrine et ses conseils ; car de ces vertus procède toute Vertu, et de leurs contraires procèdent tous les vices. La pauvreté éloigne l’orgueil, les conversations du monde et les amitiés dangereuses qui s’entretiennent par des présents; car quand on n’a rien à donner, on ne trouve que l’amitié des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment le don de l’âme. Elle éloigne la vanité du cœur et la légèreté d’esprit; elle fait aimer la cellule, où on goûte la sainte oraison,[1129] qui conserve et augmente les vertus. Elle conduit à la pureté parfaite, et fait observer ainsi le vœu de chasteté, tellement qu’on s’abstient non seulement d’un pêché, mais de tous, en foulant aux pieds la sensualité, en macérant son corps, et en le privant de tout plaisir. En le domptant ainsi par le jeûne, les veilles et la prière, on devient humble, patient, charitable; on supporte les défauts de son prochain, et on s’unit à son Créateur par l’amour, et au prochain pour Dieu. L’âme supporte les peines du corps, parce qu’elle y trouve un gain.

7. Lorsqu’elle a ainsi triomphé de l’orgueil, elle y goûte le parfum de la sainte humilité; et elle est aussi obéissante qu’elle est humble, et aussi humble qu’elle est obéissante. Celui qui n’est pas orgueilleux suit ce qui est humble; et s’il est humble, il est vraiment obéissant; il possède ainsi la troisième colonne qui soutient la cité de l’âme. Le véritable obéissant observe les règles et les usages de son Ordre; il n’élève pas la tête de la volonté propre contre son supérieur, et ne discute jamais avec lui; mais au premier mot, il obéit et baisse la tête sous le joug. Il ne dit pas : Pourquoi me commande-t-il, me dit-il cela, et non pas autre chose? mais il cherche le moyen d’obéir promptement. O douce obéissance ! tu n’as jamais de peines ; tu fais vivre et courir les hommes morts, car tu fais mourir la volonté; et plus elle est morte, plus on court rapidement. Car l’âme qui est morte à l’amour-propre de la volonté sensitive, court plus légèrement pour s’unir à son Epoux céleste par l’amour; elle s’élève à une telle hauteur, à un tel repos d’esprit, que dès cette vie, elle commence à goûter les parfums et les fruits de la vie éternelle. Soyez, soyez donc obéissantes jusqu’à la mort; aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; unissez-vous par les liens de la charité, car nous ne pouvons autrement atteindre la fin pour laquelle nous avons été créées. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir des épouses unies étroitement dans les liens d’une véritable et ardente charité. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCIII (157).- A LA PRIEURE, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par l’observation de ses commandements et de ses conseils.

(Le couvent de Sainte-Agnès était proche de Montepulciano. Sainte Catherine aimait beaucoup le visiter pour vénérer le corps de la bienheureuse Agnès, qui y était conservé. Plusieurs miracles s’opérèrent pour elle dans ces visites. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. XII.)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissantes envers votre Créateur, afin que la source de [1131] la piété ne se tarisse pas dans vos âmes, mais qu’elle s’alimente par la reconnaissance. Faites attention que cette reconnaissance ne doit pas consister seulement en paroles, mais encore en bonnes et saintes œuvres. Et comment la montrerez-vous? En observant les doux commandements de Dieu, et avec ces commandements, les conseils, mentalement et actuellement; car vous avez choisi cette voie des conseils, il faut donc la suivre jusqu’à la mort autrement vous pêcheriez; l’âme qui est reconnaissante les observe toujours. Que promettez-vous dans votre profession? Vous promettez d’observer l’obéissance, la charité, la pauvreté volontaire; et si vous ne les observez pas, vous tarirez la source de la piété.

2.C’est une honte pour une religieuse de posséder quelque chose qu’elle puisse donner. Elle ne doit pas le faire, mais elle doit vivre dans l’union et la charité fraternelle avec toutes ses sœurs; elle ne doit pas souffrir qu’elles éprouvent la faim et le besoin, tandis qu’elle est dans l’abondance. Celle qui est reconnaissante ne le souffre pas, mais elle assiste le prochain et lui est utile; elle voit qu’elle ne peut être utile à Dieu, car il est notre Dieu, et n’a pas besoin de nous. Et comme elle veut montrer qu’elle est véritablement reconnaissante des grâces qu’elle a reçues de lui, elle le montre à l’égard des créatures raisonnables parce qu’elle voit que Dieu les aime beaucoup. En toute chose elle s’applique à montrer dans le prochain sa reconnaissance à Dieu. Ainsi toutes les vertus se développent par la reconnaissance, c’est-à-dire par l’amour que l’âme conçoit en reconnaissant à la lumière les grâces qu’elle a reçues de son [1132] Créateur. Qui la rend patiente et lui fait supporter avec résignation les injures, les reproches, les outrages des créatures, les tentations et les attaques du démon? La reconnaissance. Qui la fait renoncer à la volonté propre, et se soumettre au joug de la sainte obéissance? La reconnaissance. Pour l’observer, elle mortifie son corps par les veilles et les jeûnes, par une humble et continuelle prière; et par l’obéissance elle tue la volonté propre, afin que son corps étant mortifié et sa volonté morte, elle puisse observer sa promesse et montrer ainsi sa reconnaissance envers Dieu.
 

3. Les vertus sont donc une preuve que l’âme n’oublie pas qu’elle a été créée à l’image et ressemblance de Dieu, qu’elle a été régénérée dans le sang de l’humble Agneau qui lui a rendu la grâce, et qu’elle est reconnaissante de tous les bienfaits, les dons et les faveurs qu’elle a reçus spirituellement ou temporellement; et toutes les vertus montrent que l’âme est pleine d’une grande reconnaissance envers son Créateur. Alors s’augmente en elle le feu du saint désir, qui la porte sans cesse à chercher l’honneur de Dieu et la nourriture des âmes en supportant la peine jusqu’à la mort. Si elle était ingrate, elle n’aimerait pas souffrir pour l’honneur de Dieu et pour se rassasier de cette douce nourriture; mais une paille qu’elle rencontrerait sous les pieds lui serait insupportable; elle chercherait son avantage, et se nourrirait de cette nourriture de mort, de cet amour d’elle-même, qui engendre l’ingratitude et détruit la grâce.

4. C’est en comprenant combien cette nourriture [1133] est dangereuse que je vous disais mon désir de vous voir reconnaissantes des grâces infinies que vous avez reçues de votre Créateur, et spécialement de celle que Sa Sainteté, le Vicaire de Jésus-Christ, a daigné vous accorder; cette sainte indulgence que vous avez toutes reçue est la plus grande que vous puissiez recevoir en cette vie. Il faut donc en être reconnaissantes envers Dieu en l’aimant de tout votre cœur, avec un amour ardent et sans mesure: autrement ce ne serait pas un véritable et bon amour. Je veux aussi que vous soyez reconnaissantes à l’égard du Saint-Père en faisant les humbles et continuelles prières que nous lui devons, parce qu’il est notre Père, et aussi pour la grâce que vous avez reçue de lui et pour les grandes difficultés où il se trouve. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCIV (158). — A SŒUR CHRISTOPHE, prieure du monastère de Sainte-Agnès, à Montepulciano.- Des vertus de sainte Agnès, qu’il faut imiter.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de notre glorieuse Mère sainte Agnès. Je [1134] vous en conjure, et je veux que vous suiviez sa doctrine et ses exemples. Vous savez bien qu’elle vous a toujours donné les leçons et les exemples de la véritable humilité. C’était la principale vertu qui brillait en elle, et je ne m’étonne pas qu’elle eût ce que doit avoir l’épouse qui veut suivre l’humilité de son Epoux. Elle avait cette charité incréée qui brûlait sans cesse et consumait son cœur; elle avait faim des âmes et s’en rassasiait: elle s’appliquait toujours aux veilles et à l’oraison. Il n’y a pas d’autre moyen d’acquérir la vertu d’humilité, car il n’y a pas d’humilité sans charité, l’une nourrit l’autre. Savez-vous ce qui l’a fait arriver à une vertu solide et parfaite? C’est le dépouillement volontaire qui l’a fait renoncer à elle-même, à la substance du monde et à toute sorte de possession.

2. Cette glorieuse vierge a bien compris que la possession des choses temporelles conduit l’homme à l’orgueil. Il perd la douce vertu de l’humilité, il tombe dans l’amour-propre et manque au mouvement de la charité; il abandonne les veilles, l’oraison, et, parce que son coeur est plein des choses de la terre et de l’amour de lui-même, il ne peut se remplir de Jésus crucifié, ni goûter ses vraies et doux entretiens. La douce Agnès, qui le savait, s’est dépouillée d’elle-même et revêtue de Jésus crucifié, et ce n’était pas seulement pour elle, mais pour nous; c’est un exemple qu’elle vous a laissé et que vous devez suivre. Vous savez bien que vous, les épouses choisies du Christ, vous ne devez pas posséder ce qui vient de votre père, puisque vous êtes unies à votre Epoux; mais vous devez posséder et conserver le bien [1135] de votre Epoux céleste. Le bien de votre père est la sensualité, que nous devons abandonner lorsqu’est venu le moment de suivre l’Epoux et de posséder son. trésor. Quel a été le trésor de Jésus crucifié ? La Croix, les opprobres, les tourments, les injures, la pauvreté volontaire, la faim de l’honneur de son Père et de notre salut. Je vous ai dit que si vous possédez ce trésor par la force de votre âme et l’ardeur de la charité vous arriverez aux vertus dont nous avons parlé; vous serez lés dignes filles de votre Mère, des épouses fidèles et actives, et vous mériterez d’être reçues par Jésus crucifié dans sa gloire; il vous ouvrira les portes de la vie éternelle. Je termine. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; soyez pleines de zèle et de charité. Si vous êtes unies, et non séparées, ni le démon ni les créatures ne pourront vous nuire et vous éloigner de la perfection. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1136].

Table des matières (2)





CCV (159).- A SŒUR EUGENIE, SA NIECE, au couvent de sainte Agnès de Montepulciano.- De la nourriture des anges, qui est le désir de s’unir à Dieu. — Des différentes sortes de prières.

(Deux nièces de sainte Catherine prirent l’habit dans le monastère de Sainte-Agnès; elles étaient filles de son frère Bartholo. Sœur Eugénie mourut sans doute jeune. car on ne trouve pas son nom parmi les religieuses du Chapitre tenu en 1387.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir goûter la nourriture des anges, car tu n’es pas créée pour autre chose. Et pour que tu puisses la goûter, Dieu t’a rachetée par le sang de son Fils unique; mais songes, ma Fille bien-aimée, que cette nourriture ne se prend pas sur terre, mais en haut, et c’est pour cela que le Fils de Dieu a voulu être élevé sur le bois de la très sainte Croix; c’est à cette table qu’il faut monter pour prendre cette nourriture. Mais tu me diras: Quelle est cette nourriture des anges? Je te répondrai : C’est le désir de Dieu, ce désir qui attire l’âme et en fait une même chose avec lui.

2. Cette nourriture, pendant le pèlerinage de cette vie, fait naître l’odeur des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la divine charité et se prennent sur la table de la Croix, c’est-à-dire que [1137] la vertu s’acquiert par la peine et la fatigue, en combattant sa sensualité et en conquérant, par la force et la violence, le royaume de son âme, qui est appelée au ciel parce qu’elle contient Dieu par la grâce. Cette nourriture rend l’âme semblable aux anges; aussi elle s’appelle la nourriture des anges; et quand l’âme est séparée du corps, elle goûte Dieu dans son essence; l’âme en jouit tellement, qu’elle ne peut désirer et demander autre chose que de conserver et d’augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire, et elle regarde avec prudence, à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l’oeil de son intelligence, et elle voit ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu’elle voit, elle aime et elle hait. Elle méprise la sensualité, qu’elle foule aux pieds de son affection, avec tous les vices qui en découlent; elle fuit toutes les occasions qui peuvent la porter au péché ou l’éloigner de la perfection; et c’est pour cela qu’elle anéantit sa volonté propre, qui est la cause de tout mal, et elle la soumet au joug de la sainte obéissance, obéissant non seulement à l’Ordre et à son supérieur, mais à la moindre créature pour Dieu. Elle fuit toute louange et toute complaisance humaine, et se glorifie seulement dans les opprobres et les peines de Jésus crucifié. Les injures, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait; elle s’y complaît pour devenir semblable à son Epoux, Jésus crucifié. Elle renonce à la conversation des créatures, parce qu’elle voit qu’elles sont souvent un obstacle entre nous et notre Créateur, et elle se réfugie dans la cellule de son corps et de son âme [1138].

3. C’est à cela que je t’invite, toi comme les autres, et je te commande, ma Fille bien-aimée, de rester toujours dans la cellule de la connaissance de toi-même, où se trouve la nourriture angélique de l’ardent désir de Dieu pour nous. Reste aussi dans la cellule matérielle en veillant, en priant sans cesse, en dépouillant ton cœur et ton affection de toi et de toute créature, et en te revêtant de Jésus crucifié; autrement, tu prendrais ta nourriture sur la terre; et je t’ai dit que ce n’est pas là qu’il faut la prendre. Pense que ton Epoux, le Christ, le doux Jésus, ne veut aucun obstacle entre toi et lui ; il est très jaloux, et dès qu’il verra que tu aimes quelque chose hors de lui, il s’éloignera de toi, et tu deviendras digne de la nourriture des bêtes. Ne serais-tu pas réduite à la condition des bêtes, si tu abandonnais le Créateur pour les créatures, et le Bien infini pour les choses finies et transitoires qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort; Celui qui te revêt du soleil de la justice, du bracelet de l’obéissance, des pierres précieuses de la foi vive, de la ferme espérance et de la charité parfaite, pour celui qui te vole et te dépouille? Ne serais-tu pas bien insensée, si tu quittais Celui qui te donne la pureté véritable? Plus tu t’approches de lui, plus s’épure la fleur de ta virginité; l’abandonnerais-tu pour ceux qui répandent souvent l’infection de l’impureté et qui souillent l’esprit et le corps? Dieu les a éloignés de toi par son infinie miséricorde.

4. Et pour que cela n’arrive pas, prends garde de n’avoir jamais le malheur d’éprouver d’affection particulière [1139] pour un religieux ou pour un séculier. Si je pouvais le savoir ou l’apprendre, en étant même plus éloignée que je ne le suis, je te donnerais une telle pénitence, que tu t’en souviendrais, bon gré mal gré, toute ta vie. Ne donne et ne reçois jamais sans nécessité, mais rends-toi utile généralement à toutes les personnes du dedans et du dehors; sois ferme et prudente pour toi-même; sers tes sœurs avec zèle et charité, surtout celles qui sont dans le besoin. Quand des étrangers passent et te demandent à la grille, conserve-toi dans la paix; ne bouge pas, et laisse-leur dire à la prieure ce qu’ils ont à te dire, à moins que la prieure ne te dise d’y aller par obéissance; baisse alors la tête, mais sois sauvage comme un hérisson; emploie les moyens que la glorieuse vierge sainte Agnès donnait à ses filles. Lorsque tu vas te confesser, expose tes misères; reçois ta pénitence et sauve-toi. Evite ceux avec lesquels tu as été élevée; et ne t’étonne pas si je te parle ainsi, car bien souvent je l’ai entendu dire, les conversations des personnes qu’on appelle si mal des dévots et des dévotes, corrompent les âmes, les règles et les usages de la vie religieuse. Prends garde de lier ton cœur à un autre qu’à Jésus crucifié: lorsque tu voudrais le délier, tu ne le pourrais pas sans beaucoup de peine. Je t’ai dit que l’âme qui se rassasie de la nourriture des anges a vu à la lumière que ces choses étaient des obstacles à cette nourriture, et elle les fuit avec un grand zèle. Elle aime, au contraire, et recherche tout ce qui peut l’augmenter et la conserver; et, comme elle a compris que la meilleure manière d’en jouir est la prière [1140] faite dans la connaissance de soi-même, elle s’y exerce sans cesse par tous les moyens qui peuvent l’unir le plus à Dieu.

5. Il y a trois sortes de prières : il y a d’abord la prière continuelle, c’est-à-dire un saint désir qui prie sans cesse en présence de Dieu, dans tout ce que tu fais; ce désir dirige, pour son honneur, toutes les œuvres spirituelles et corporelles; c’est la prière continuelle dont parle le glorieux saint Paul lorsqu’il dit : « Priez sans jamais vous arrêter (1 Thess 5,17). » Il y a ensuite la prière vocale, lorsqu’on récite l’office et les autres prières cette prière est la préparation de la troisième, qui est la prière mentale. L’âme y arrive lorsqu’elle s’est exercée avec prudence et humilité à la prière vocale, lorsque, pendant que la bouche parlait, son cœur n’était pas loin de Dieu. Elle doit s’appliquer à maintenir et affermir son cœur dans l’amour de la divine charité; et quand elle sent que Dieu la visite, et que son esprit est attiré par son Créateur, elle doit abandonner la prière vocale, et répondre par l’amour à l’amour que Dieu lui montre. Si ensuite cet attrait cesse, et ai le temps le permet, elle doit reprendre la prière vocale, pour que son esprit soit occupé, et jamais vide. Souvent, pendant la prière, abondent les combats, les ténèbres, le trouble et la confusion; le démon veut persuader que dans cet état la prière ne peut être agréable à Dieu. L’âme en butte à ces attaques, ne doit pas cependant abandonner la prière, mais y persévérer avec force et courage, en pensant [1141] que le démon agit ainsi pour nous détourner de la prière qui nourrit notre âme, et que Dieu le permet pour éprouver sa force et sa constance. Dans ces combats et ces ténèbres, elle reconnaît son néant, et, dans la volonté droite qu’elle conserver elle reconnaît la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions ce qu’il ne refuse jamais qui le veut.

6. L’âme, par ce moyen, arrive à la troisième et dernière manière de prier, à la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu’elle a eues dans la prière vocale imparfaite. Elle goûte alors le lait de la fidèle oraison; elle s’élève au-dessus d’elle-même, c’est-à-dire au-dessus du sentiment sensible et grossier, et son esprit céleste s’unit à Dieu dans l’amour. A la lumière de l’intelligence, elle voit, elle connaît et revêt la vérité; elle devient la sœur des anges, elle s’assoit avec son Epoux à la table de l’ardent désir, et se plaît à chercher en tout l’honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu’elle voit bien que c’est pour cela que l’éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix, et qu’il a accompli les ordres de son Père et notre salut. La prière mentale est vraiment une mère qui conçoit les vertus dans l’amour de Dieu, et les nourrit dans l’amour du prochain. Où montreras-tu l'amour la foi, l’espérance et l’humilité? Dans la prière; car ce que tu n’aimes pas, tu ne te tourmentes pas pour le chercher, mais celui qui aime veut toujours s unir à ce qu’il aime, c’est-à-dire à Dieu. Par cette prière, tu lui exposes tes besoins, car c’est sur la connaissance de toi-même qu’est, fondée la vraie [1142] prière; tu comprends ta misère, tu te vois entourée d’ennemis, attaquée par le monde, qui te poursuit d’injures et te rappelle ses vains plaisirs, ou par le démon et ses tentations, par la chair et ses révoltes contre l’esprit; tu vois que tu n’as pas l’être par toi-même, et que tu ne peux te secourir. Alors tu cours avec confiance à Celui qui peut et veut t’assister dans tous tes besoins, et tu lui demandes, tu attends son secours avec espérance. C’est ainsi qu’il faut prier pour obtenir ce que tu désires rien de ce qui est juste ne te sera refusé, si tu implores ainsi la Bonté divine; mais, en faisant autrement, tu en retireras peu de fruit.

7. Où sentiras-tu le regret de tes fautes? Dans la prière. Où te dépouilleras-tu de l’amour-propre, qui te rend impatiente au milieu des injures et des peines? Où te revêtiras-tu de l’amour divin, qui te rendra patiente, et te fera te glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? Dans la prière. Où respireras-tu le parfum de la virginité? Où ressentiras-tu cette. faim du martyre, qui te fera désirer de donner ta vie pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes? Dans cette douce et maternelle prière. C’est elle qui te rendra l’observatrice fidèle de ta règle, qui scellera dans ton coeur et dans ton esprit les trois vœux solennels de ta profession, et qui gravera en toi le désir de les observer jusqu’à la mort. Elle t’éloignera de la société des créatures pour te donner celle du Créateur; elle remplira le vase de ton cœur du sang de l’humble Agneau et le couvrira de feu, car c’est le feu de l’amour qui l’a répandu. L’âme goûte plus ou moins parfaitement la prière, selon qu’elle se [1143] nourrit de l’aliment des anges, c’est-à-dire du vrai et saint désir de Dieu, en quittant la terre pour le prendre à la table de la très douce Croix. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir nourrie de la nourriture des anges, car je ne vois pas pour toi un autre moyen d’être l’épouse fidèle de Jésus crucifié, comme tu le lui as promis en embrassant la vie religieuse. Oui, que je te voie une pierre précieuse en la présence de Dieu, et- que je n’aie pas perdu mon temps. Baigne-toi, anéantis-toi dans le sang précieux de ton Epoux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCVI (160).- A UNE RELIGIEUSE du monastère de Sainte-Agnès, de Montepulciano.- Du vêtement nuptial qu’il faut pour plaire à Jésus crucifié.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Chère et bien-aimée Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses serviteurs, je t’encourage, je te bénis et je t’écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de te voir l’épouse fidèle et dévouée à l’Epoux, tout ornée du vêtement des vertus. Tu sais, ma Fille bien-aimée, que l’épouse, quand elle va au-devant de l’époux, se pare de ses plus beaux vêtements, et se colore de vermillon [1145] pour plaire à son époux. Je veux que tu fasses de même je veux que tu portes le vêtement de la charité; sans ce vêtement, tu ne pourrais aller aux noces, mais tu entendrais cette parole que le Christ dit à ce serviteur qui était entré sans vêtement nuptial il commanda aux autres de le chasser, et de le jeter dans les ténèbres extérieures (Mt 22, 13). Il ne faut pas que cela t’arrive, ma bien chère Fille; et si tu es appelée pour aller aux noces, je ne veux pas que tu sois trouvée sans ce doux vêtement. Je veux et je demande que tu l’ornes des broderies d’une véritable et sainte obéissance, observant toujours fidèlement la règle, te soumettant à la supérieure et à la moindre des religieuses. Prends la vertu d’humilité pour nourrir en toi la vertu de la sainte obéissance, et reconnais humblement les dons et les grâces que tu as reçus de Dieu. Applique-toi à être une épouse fidèle. Sais-tu quand tu seras fidèle à ton Epoux? Quand tu n’aimeras que lui. Oui, je ne veux pas qu’on trouve en ton cœur un autre que Dieu. Retranche tout amour-propre, toute affection sensible pour tes parents ou pour n’importe quelle chose; et cela sans aucune crainte de vie ou de mort; mais le cœur libre et revêtue de ce saint vêtement, remets-toi entre les mains de ton céleste Epoux, abandonne-toi à sa volonté, pour qu’il fasse et défasse ce qui sera le mieux pour son honneur et pour toi. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1145].

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CCVII (161). — A LA SŒUR NERA, prieure des mantelées de Saint-Dominique, pendant que sainte Catherine était à la Roche-Agnolino.- Comment il faut travailler à l’honneur de Dieu et au salut des âmes.

( Les Mantelées étaient les tertiaires de Saint-Dominique, parmi lesquelles fut reçue sainte Catherine. Leur nom venait du manteau noir qui les couvrait. Elles vivaient dans leurs maisons, mais elles obéissaient à une prieure. ( Voir : Vie de sainte Catherine, Ire p., ch VIII )
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir faire comme le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Vous devez faire de même, ma bien chère Mère; vous devez vous appliquer à l’honneur de Dieu et au salut des brebis qui vous ont été confiées; et cela sans négligence, pour ne pas être reprise de Dieu, mais avec un zèle véritable, en sacrifiant tout amour propre et toute complaisance pour les créatures. Vous savez, ma très chère Mère, que celui qui s’aime d’une manière sensible, s’il est supérieur, ne corrige pas, parce qu’il craint toujours; ou, s’il corrige, il le fait selon le jugement des créatures, et souvent contre la vérité. Quelquefois il le fera d’après son goût particulier, parce que la manière [1146] d’agir des autres ne lui plaira pas. Il ne faut pas faire ainsi, parce que les voies et les moyens que Dieu prend avec ses serviteurs sont très variés. Il doit nous suffire de les voir désirer suivre Jésus crucifié : autrement nous serions plutôt injustes que justes, car nous ne devons pas les corriger selon nos goûts, mais selon les défauts que nous trouvons on eux. Il faut nous attacher doucement à l’honneur de Dieu, et ouvrir l’oeil de l’intelligence sur ceux qui nous sont soumis, pour donner à chacun ce qui lui convient. Il faut agir différemment avec les moins parfaites et avec les plus parfaites. Il faut savoir condescendre à leurs besoins, en étant toujours ferme à corriger les défauts que vous apercevrez en elles, et à ne rien leur laisser passer par aucune considération humaine.

2. J’espère de l’ineffable et infinie charité de Dieu que vous ferez ainsi. Ouvrez l’oeil de l’intelligence, et regardez l’amour de l’Agneau sans tache percé et cloué sur la Croix, et vous verrez que ce bon Maître a donné Sa vie pour ses brebis. Et avec quelle tendresse, quelle bonté, il nous a parlé, souffert, supporté, nous, pauvres misérables; il a travaillé sans cesse à l’honneur de son Père et à notre salut, ne se laissant arrêter ni par notre ingratitude, ni par les murmures des hommes, ni par la malice du démon. Rien n’a empêché le tendre Agneau de glorifier son Père et d’accomplir parfaitement l’œuvre de son salut. J’espère de sa bonté que vous l’imiterez, ma très douce Mère; vous ne vous laisserez pas décourager par l’ingratitude de vos pauvres filles et de toute notre compagnie, ni par les murmures ou [1147] les propos des créatures, ni par la malice du démon, qui leur met sur la langue ce qu’elles ne devraient pas dire pour empêcher l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Agissez et poursuivez toute chose sans aucune crainte. Que votre cœur et votre intelligence ne s’éloignent jamais de la vérité; car vous ne devrez désirer autre chose que de voir Dieu honoré, et vos filles des modèles de vertus. Alors Dieu accomplira votre désir, vous trouverez votre consolation en elles et en vous-même; car lorsque les autres acquièrent une vertu, ce doit être toujours pour vous, une joie, une consolation. Faites donc ainsi pour l’amour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCVIII (162). — A SOEUR DANIELLA D’ORVIETE, revêtue de l’habit de Saint-Dominique .- Du contentement et de la paix intérieure dont jouissent ceux qui se conforment à la volonté de Dieu.- Des obstacles à la perfection.

(Cette lettre faisait suite à la cent soixante-dixième que sainte Catherine écrivit au frère Guillaume d’Angleterre.)

1. Tu vois donc que ceux-là goûtent les arrhes de la vie éternelle en cette vie; ils reçoivent les arrhes et non le paiement, mais ils espèrent le recevoir au ciel, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine. Ils évitent la peine de la faim parce qu’ils possèdent ce qu’ils désirent, et ils [1148] ne connaissent pas le dégoût du rassasiement, parce que cet aliment de vie est sans défaut, Il est vrai qu’en cette vie on commence à avoir un avant-goût de ce bonheur à mesure que l’âme est affamée de la nourriture de l’honneur de Dieu et du salut des âmes. Selon qu’elle a faim elle se satisfait, c’est-à-dire qu’elle se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim et désir: c’est là une nourriture qui, en la nourrissant, ne la rassasiera jamais. Elle est insatiable parce qu’elle éprouve une faim continuelle; les arrhes Sont un commencement de sûreté qu’on donne à l’homme, et qui lui fait attendre le paiement. Les arrhes ne sont pas tout certainement, mais elles donnent par la confiance l’assurance de recevoir le reste. De même l’âme qui aime le Christ reçoit, dès cette vie, les arrhes de la charité de Dieu et du prochain; elle n’est pas encore parfaite, mais elle attend la perfection de la vie immortelle.

2. Je dis que ces arrhes ne sont pas parfaites, c’est-à-dire que l’âme qui les goûte n’a pas encore la perfection, et qu’elle éprouve la peine en elle et dans les autres en elle par l’offense que fait à Dieu la loi perverse qui de ses membres, et dans les autres par tes fautes du prochain. Elle a bien la perfection de la grâce, mais elle n’a pas la perfection des saints du ciel, comme je l’ai dit, parce que leurs désirs, Sont sans la peine, et que les nôtres sont avec la peine. Sais-tu comment est le vrai serviteur de Dieu qui se nourrit à la table du saint désir? Il est à la fois dans la joie et dans la peine, comme était le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix, parce que la chair du Christ souffrait [1149] et était tourmentée, pendant que son âme était heureuse par l’union de la nature divine. Nous devons de même être heureux par l’union de notre désir en Dieu, en nous revêtant de sa douce volonté; nous devons souffrir en compatissant à notre prochain, et en supportant en nous-mêmes les mouvements sensuels, en combattant notre sensualité. Mais écoute, ma Fille, ma bien-aimée Sœur, jusqu’à présent j’ai parlé pour toi et pour moi en général; je vais maintenant parler pour toi et pour moi en particulier.

3. Je veux que nous fassions surtout deux choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle Dieu nous appelle, et afin que le démon, sous le manteau de la vertu et de la charité du prochain, ne nourrisse pas dans notre âme la racine de la présomption. C’est ainsi que nous tombons dans les faux jugements; nous croyons bien juger, et nous jugeons mal. En suivant notre opinion, souvent le démon nous fera voir des vérités pour nous conduire au mensonge, et nous jugeons l’intérieur des créatures, que Dieu seul a le droit de juger, C’est là une des deux choses dont je veux que nous nous corrigions; mais il faut le faire avec soin, et non pas légèrement. Voici la règle : Si Dieu nous a formellement montré, non pas une fois, deux fois, mais plus souvent les défauts du prochain, nous ne devons jamais reprendre directement celui qui les a, mais nous devons combattre d’une manière générale les vices que nous avons à juger, et nous devons prêcher la vertu avec charité, avec douceur, mettant, s’il le faut, de la sévérité dans cette douceur. Nous croyons souvent que Dieu nous montre [1150] les défauts des autres; mais, si ce n’est pas une révélation expresse, il faut prendre le parti le plus sûr pour éviter les pièges et la malice du démon, qui nous séduirait avec l’appât du bon désir.

4. Garde donc le silence, ou n’ouvre la bouche que pour louer la vertu et mépriser le vice. Le vice que tu crois reconnaître dans les autres, blâme-le d’une manière générale en toi et dans les autres, toujours avec une humilité sincère; et si ce vice se trouve en la personne que tu as en vue, elle se corrigera bien mieux en se voyant reprise si doucement. Adresse-toi les reproches que tu voulais lui faire; tu ne courras aucun danger, et tu fermeras le chemin à l’ennemi, qui ne pourra te tromper et nuire à la perfection de ton âme. Apprends que nous, ne devons pas nous fier à nos jugements nous devons les mettre derrière nous et ne nous occuper que de la connaissance de nous-même. S’il arrive quelquefois qu’en priant pour quelques personnes, nous voyions dans notre prière que quelques-unes jouissent des lumières de la grâce, et que d’autres qui servent Dieu en soient privées, leurs âmes nous paraissant dans la sécheresse et les ténèbres, nous ne devons pas y voir la preuve de quelques fautes graves en elles, car ton jugement pourrait bien être faux.

5. Une autre fois il arrivera que, priant pour la même personne, tantôt tu la verras devant Dieu avec une lumière et un saint désir tels, que son âme paraîtra s’engraisser de cet heureux état; tantôt il et semblera que son esprit est loin de Dieu, et qu’elle est si remplie de ténèbres et de tentations, que c’est [1151] pour elle une fatigue de prier et de se tenir en la présence de Dieu. Il peut arriver sans doute que ce soit la faute de la personne qui prie; mais le plus souvent, ce ne sera pas sa faute : ce sera une épreuve que Dieu aura envoyée à cette âme; il se sera retiré d’elle par le sentiment de la douceur et de la consolation, mais non par la grâce c’est ce qui cause la stérilité, la sécheresse, la peine de cœur; et c’est par bonté que Dieu permet que cela arrive à l’âme qui le prie, pour pouvoir lui aider à dissiper le nuage de l’amour-propre. Ainsi tu vois, ma douce Sœur, combien serait ignorant et répréhensible le jugement que nous porterions sur cette simple apparence, si nous croyions cette âme coupable. Pieu nous la montre dans le trouble et les ténèbres; nous ne devons pas croire qu’elle est privée de la grâce, mais seulement de la douceur de la présence de Dieu. Oui, je t’en conjure, appliquons-nous, toi et les autres serviteurs de Dieu, à nous connaître parfaitement, afin de connaître plus parfaitement la bonté de Dieu. À sa lumière nous renoncerons à juger le prochain; nous ressentirons une compassion sincère, et nous aurons faim de prêcher la vertu et de reprendre le vice en nous et dans les autres, comme je viens de le dire.

6. Après t’avoir expliqué ce point, je vais te parler d’un autre défaut que nous devons corriger en nous. Quelquefois le démon, ou notre pauvre jugement, nous pousse à vouloir que tous les serviteurs de Dieu suivent la même route que nous. Il arrive souvent que, quand on suit la voie rigoureuse de la pénitence, on voudrait que tout le monde suivit la [1152] même, et si l’on voit quelqu’un qui ne le fait pas, on en a de la peine et on s’en scandalise; on s’imagine qu’il ne peut rien faire de bien, et il arrivera cependant qu’il sera meilleur et plus vertueux que celui qui le juge. Admettons qu’il ne fasse pas d’aussi grandes pénitences que celui qui murmure: c’est que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à mortifier et à détruire la volonté propre et perverse. C’est par cette voie de la volonté vaincue et soumise à la douce volonté de Dieu, que nous devons désirer voir tout le monde marcher. La pénitence et les macérations sont bonnes, mais il ne faut pas les donner comme une règle générale, parce que tous les corps ne se ressemblent pas. Il arrive souvent que les pénitences qu’on a commencées sont interrompues par des accidents et qu’il faut les abandonner. Si nous prenions ces pénitences pour fondement de notre vie spirituelle ou de celle des autres, ce serait un malheur et une imperfection, parce que l’âme perdrait ainsi sa force et sa consolation; elle serait privée de ce qu’elle aimait, de ce qu’elle avait pris pour fonde. ment, et elle croirait être privée de Dieu. En se croyant privée de Dieu, elle tomberait dans l’ennui, la tristesse, l’abattement, et dans cet abattement elle abandonnerait ses pieux exercices et les prières ferventes qu’elle avait l’habitude de faire.

7. Tu vois combien il est dangereux de prendre la pénitence pour fondement de la perfection; ce serait une erreur, et nous nous exposerions à tomber dans le murmure, la tristesse et le découragement, nous n’offririons qu’une œuvre finie à Dieu, qui est [1153] le bien infini, et qui demande un désir infini. Il faut donc prendre pour fondement la mort et l’anéantissement de la volonté propre et perverse. En soumettant notre volonté à Dieu, nous pourrons offrir un désir ardent et infini pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Nous nous nourrirons ainsi à la table du saint désir, et ce désir ne se troublera pas de ce qui arrivera en nous et dans le prochain, mais il trouvera en tout sa joie et son profit. Je regrette bien, misérable que je suis, de n’avoir jamais suivi cette doctrine. J’ai fait tout le contraire, et je reconnais qu’il m’est arrivé bien souvent de juger défavorablement le prochain. Aussi je te conjure, par l’amour de Jésus crucifié, de me secourir dans cette infirmité et dans les autres. Commençons aujourd’hui à suivre la voie de la vérité; que sa lumière nous apprenne à prendre pour fondement le saint désir, et à ne plus nous fier sur nos jugements Ne sortons plus légèrement de nous-mêmes, et ne jugeons les défauts de notre prochain que pour en avoir compassion et les reprendre d’une manière générale. Nous le ferons en nous nourrissant à la table du saint désir, autrement nous n’y parviendrons pas; c’est du désir que vient la lumière, et la lumière donne le désir; ils se nourrissent mutuellement. Aussi je te dis que je désirais te voir avec la vraie lumière. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1154].

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CCIX (163).- A SŒUR DANIELLA D’ORVIETE, religieuse de l’Ordre de Saint-Dominique, qui était très affligée de ne pouvoir continuer ses grandes pénitences.- De la vertu de discrétion nécessaire au salut. — Son but est de rendre ce qui est du à Dieu, au prochain et à soi-même.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la sainte vertu de la discrétion (Dialogue, Ch IX. Traité de la discrétion). C’est la vertu qu’il est nécessaire d’avoir, si nous voulons faire notre salut. Pourquoi est-elle si nécessaire? Parce qu’elle vient de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. C’est là qu’elle prend ses racines; elle naît véritablement de la charité, cor la discrétion est une lumière et une connaissance que l’âme a de Dieu et d’elle-même. Son principal effet est de voir clairement ce qui est dû à chacun; et dès qu’elle sait ce qu’elle doit, elle le rend avec un discernement parfait; elle rend gloire à Dieu et louange à son nom. Toutes les œuvres que l’âme accomplit, elle les fait avec cette lumière, c’est-à-dire qu’elle les fait toutes dans le but de rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Elle n’agit pas comme l’indiscret, qui vole en recherchant sa gloire, et qui, pour son honneur et son [1155] bien-être, ne craint pas d’offenser Dieu et de nuire au prochain. Lorsque la racine de l’amour est corrompue par l’indiscrétion dans l’âme, toutes ses œuvres sont viciées en elle et dans les autres; je dis dans les autres, parce qu’elle leur impose des fardeaux sans discernement. Lorsqu’elle commande aux séculiers ou aux religieux, dans quelque position qu’ils soient, si elle les avertit ou les conseille, elle le fait sans discrétion, voulant se servir pour tous du. poids dont elle se sert pour elle-même.

2. L’âme discrète fait le contraire, elle discerne ses besoins et ceux des autres; quand elle a rendu à Dieu l’honneur qu’elle lui doit, elle se rend ce qui lui est dû, c’est-à-dire la haine du vice et de la sensualité. Quelle en est la raison? C’est la vertu qu’elle aime en elle-même; la même lumière qui la rend juste pour elle, la rend juste pour le prochain; aussi je dis pour elle, et pour le prochain. Elle est bienveillante à l’égard du prochain, comme elle y est obligée; elle aime en lui la vertu, elle y déteste le vice; elle l’aime comme la créature du Père éternel et souverain, elle lui montre sa charité plus ou moins parfaitement, selon qu’elle la ressent elle-même. Tel est le principal effet que produit la vertu de discrétion dans l’âme; sa lumière lui fait voir et rendre ce qu’elle doit à chacun.

3. Ce sont les trois principaux rameaux de la discrétion, qui naît de l’arbre de la charité : ces trois rameaux portent une infinie variété de fruits d’une suavité, d’une douceur extrême, qui nourrissent l’âme dans la vie de la grâce, quand elle les prend avec la main du libre arbitre et avec la bouche [1156] d’un saint et ardent désir. Dans quelque état qu’elle soit, l’âme goûte ces fruits si elle a la lumière de la discrétion, de diverses manières, selon les différentes positions. Celui qui est dans le monde et qui a cette lumière cueille le fruit de l’obéissance aux commandements de Dieu, et le fruit du mépris du monde. Il se dépouille intérieurement des richesses, en supposant qu’il en soit revêtu extérieurement. S’il a des enfants, il cueille le fruit de la crainte de Dieu, et il les nourrit de cette sainte crainte ; s’il est puissant, il prend le fruit de la justice, parce qu’il veut rendre avec discernement à chacun ce qui lui est dû; il punit l’injuste avec la rigueur de la justice, pour punir la faute, et il récompense le juste, écoutant toujours le droit, et ne s’en laissant jamais détourner ni par les promesses ni par la crainte servile. S’il est serviteur, il cueille le fruit de l’obéissance et du respect envers son maître, évitant toutes les choses et les circonstances qui pourraient lui déplaire: et il ne le pourrait pas s’il ne les apercevait à cette lumière. Si ce sont des religieux, ou des supérieurs, ils prennent le fruit doux et agréable de l’observance de la règle, supportant mutuellement leurs défauts, acceptant avec joie la honte, le mépris, et portant sur les épaules le joug de l’obéissance. Le supérieur éprouve la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes qu’il cherche à prendre avec l’amorce de sa doctrine et de ses exemples. Les fruits de la discrétion sont si variés et si nombreux dans les créatures, qu’il serait trop long de les dire, et que la langue ne pourrait suffire à les raconter [1157].

4. Mais maintenant, ma bien chère Fille, parlons plus particulièrement, et en parlant pour nous, nous parlerons pour tous; voyons la règle de la vertu de discrétion dans l’âme. Il me semble que cette règle, qu’elle donne à l’âme et au corps, s’applique à toutes les personnes qui veulent bien vivre actuellement et mentalement, car c’est elle qui doit les diriger et les conduire à tous les degrés et dans toutes les positions. La première règle qu’elle donne à l’âme est celle que nous avons dit : rendre honneur à Dieu, charité au prochain, et à soi-même la haine du vice et de la sensualité. Elle règle la charité envers le prochain, en l’empêchant de lui sacrifier son âme. Elle ne veut pas offenser Dieu pour lui être utile ou pour lui plaire; mais elle fuit la faute avec sagesse, et livre son corps à toutes sortes de peines et de tourments, à la mort même, pour sauver une âme et la retirer des mains du démon, et elle est prête à donner tous ses biens pour soulager les besoins temporels du prochain. La charité agit ainsi avec la lumière de la discrétion, qui règle parfaitement tous ses rapports avec le prochain.

5. Celui qui n’est pas discret fait le contraire; il ne craint pas d’offenser Dieu et de perdre son âme pour être utile ou pour plaire au prochain sans discernement, tantôt en l’accompagnant dans des lieux mauvais, tantôt en rendant pour lui de faux témoignages, de mille manières enfin, selon que l’occasion se présente. C’est l’habitude de l’indiscrétion, qui naît de l’orgueil et de la perversité de l’amour-propre aveugle, qui ne se connaît pas et ne connaît pas Dieu. La discrétion, qui règle l’âme dans la charité [1158] du prochain, la règle aussi et la conserve dans la charité pour elle-même, c’est-à-dire dans l’humble et persévérante prière. Elle la couvre du manteau de l’amour et de la vertu pour qu’elle ne souffre pas de la tiédeur, de la négligence et de l’amour-propre spirituel ou temporel; elle lui donne cet amour de la vertu qui l’empêche d’aimer rien de ce qui pourrait lui nuire. Elle règle et gouverne le corps de telle sorte, que l’âme qui cherche Dieu le prend toujours pour principe, comme nous l’avons dit. Puisqu’elle est renfermée dans le vase du corps, il faut que cette lumière soit sa règle, car le corps est donné à l’âme comme un instrument pour augmenter sa vertu.

6. La discrétion retire le corps des délices et des délicatesses du monde, elle l’éloigne de la société des mondains, et lui donne celle des serviteurs de Dieu. Elle lui fait fuir les lieux coupables, et le conduit dans ceux qui lui inspirent la dévotion; elle règle tous les membres du corps, pour qu’ils soient modestes et retenus. L’oeil ne regarde pas ce qui lui est défendu, et ne voit devant lui que la terre et le ciel; la langue évite les paroles oiseuses et frivoles, elle est prête à annoncer la parole de Dieu pour le salut du prochain, et à confesser ses péchés. L’oreille fuit les discours plaisants, louangeux, dissolus, et le mal qu’on dit du prochain; elle est attentive à écouter les paroles de Dieu, et les plaintes du prochain pour compatir à ses besoins; elle règle de même la main dans ce qu’elle touche et ce qu’elle fait, et elle dirige les pieds dans leur chemin, afin que cette loi mauvaise de la chair qui se révolte contre l’esprit [1159], ne vicie pas ces instruments. Elle soumet son corps aux veilles, aux jeûnes, et aux autres exercices qui servent à le mortifier.

7. Remarque qu’elle ne le fait pas sans discernement, mais bien avec la douce lumière de la discrétion. Et comment le montre-t-elle? En ne prenant pas pour but principal la pratique de la pénitence; et pour ne pas tomber dans ce défaut, la discrétion clairvoyante a soin de couvrir l’âme de l’amour de la vertu pour la lui faire employer comme moyen dans les lieux et les occasions qui le demandent. Si le corps regimbe avec trop de force contre l’esprit, elle prend la verge de la discipline, le jeûne, les cilices bien garnis et les longues veilles, elle l’accable de fardeaux pour qu’il soit plus soumis; mais si le corps est faible et Infirme, la discrétion défend d’agir ainsi. Non seulement il faut abandonner le jeûne, mais il faut manger de la viande; et si ce n’est pas assez d’une fois par jour, il faut en manger quatre. Si on ne peut dormir sur la terre, il faut se servir d’un lit; quand on ne peut se mettre à genoux, il faut s’asseoir ou se coucher s’il est nécessaire. Ainsi le veut la discrétion, qui prend la pénitence pour moyen et non pour but principal.

8. Sais-tu pourquoi? afin que l’âme serve Dieu avec une chose qui ne puisse lui être enlevée et qui ne soit pas finie, mais avec une chose infinie: c’est-à-dire avec un saint désir qui est infini par son union avec le désir infini de Dieu, et avec des vertus que ni le démon, ni les créatures, ni les infirmités ne peuvent nous enlever si nous ne le voulons pas. Et de plus, dans les infirmités s’éprouve la vertu [1160] de patience; dans les attaques et les tentations du démon, la force et la longue persévérance; dans les persécutions qui viennent des créatures, l’humilité, la patience, la charité. Dieu permet aussi que toutes les autres vertus soient éprouvées par leur contraire, sans être jamais détruites cependant, si nous ne voulons pas. C’est ce fondement que nous devons prendre, et non la pénitence. L’âme ne peut prendre deux fondements: il faut renoncer à un ou à l’autre et ce qui n’est pas le principal doit servir d’instrument. Si je prends pour fondement la pénitence corporelle, je bâtis la cité de mon âme sur le sable, et le moindre vent la renversera par terre, car aucun édifice ne peut s’y tenir; mais si je la bâtis sur la vertu, et si je l’appuie sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus, tout édifice, quelque grand qu’il soit, sera solide, et aucune tempête ne pourra le renverser. C’est pour cela et pour bien d’autres inconvénients, qu’il ne faut se servir de’ la pénitence que comme instrument. J’ai déjà vu bien des pénitents qui ne sont pas restés dans la patience et l’obéissance, parce qu’ils se sont appliqués à tuer leurs corps et non leur volonté.

9. C’est le défaut de discrétion qui en est cause. Sais-tu ce qui arrive? ils mettent toute leur consolation, tout leur plaisir à faire pénitence à leur manière et non à celle des autres; ils nourrissent ainsi leur volonté, puisqu’ils l’accomplissent. Ils ont de la joie et de la consolation, et il semble qu’ils sont pleins de Dieu comme s’ils étaient arrivés à la perfection, et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans l’estime d’eux-mêmes et la présomption. Si quelqu’un ne suit pas la même voie, ils pensent qu’il est dans un état [1161] d’imperfection et de damnation; ils veulent sans discrétion mesurer tous les corps à la mesure dont ils se servent eux-mêmes. Et lorsqu’on veut les retirer de cette voie, ou pour rompre leur volonté ou parce qu’ils en ont vraiment besoin, ils montrent une volonté plus dure que le diamant. il arrive aussi qu’au moment de l’épreuve, de la tentation ou de l’injure, ils se trouvent une volonté viciée plus faible que la paille; ils se sont persuadé, par défaut de discrétion, que la pénitence réprime la colère, l’impatience et les autres mouvements coupables qui viennent du cœur, et il n’en est rien.

10. Cette glorieuse lumière de la discrétion te montre que c’est avec la haine et le mépris de toi-même, avec la honte et le regret de tes fautes, en considérant le Dieu qu’on offense, et la créature qui l’offense, en pensant à la mort et en aimant la vertu que tu pourras tuer le vice dans ton âme, et en arracher les racines. La pénitence taille; mais il reste toujours la racine qui est prête à repousser, et qu’il faut aussi arracher. Cette terre, où viennent les vices, est toujours prête à les recevoir si sa volonté propre les y met par le libre arbitre; mais ils n’y reparaissent pas, si la racine on est arrachée. Il arrive quelquefois que le corps, qui est infirme, force l’âme à quitter ses exercices ordinaires. L’âme tombe aussitôt dans l’ennui et le trouble; elle perd toute joie, et s’imagine être damnée, abandonnée; elle ne trouve plus dans la prière cette douceur qu’elle croyait ressentir au temps de ses pénitences. Où est-elle donc? dans sa propre volonté, sur laquelle elle s’est appuyée; elle ne peut plus la satisfaire, de là sa peine et sa tristesse [1162]. Et pourquoi es-tu tombée dans le trouble et cette sorte de désespoir? où est l’espérance que tu avais du règne de Dieu? tu t’es livrée à l’amour de la pénitence, et tu espérais par son moyen, avoir la vie éternelle; et maintenant que tu ne peux plus la pratiquer, il te semble l’avoir perdue. Ce sont là les fruits du défaut de discrétion; si tu avais la lumière de discrétion, ta verrais qu’il n’y a que la privation de la vertu qui prive de Dieu, et qu’avec la vertu fécondée par le sang du Christ, on obtient la vie éternelle.

11. Secouons donc notre imperfection, et mettons notre amour dans les vraies vertus dont nous avons parlé; elles procurent une joie, une douceur que la langue est incapable d’exprimer. Rien ne peut affliger l’âme fondée sur la vertu et lui ravir l’espérance du ciel parce qu’elle est morte à sa volonté propre, dans les choses spirituelles comme dans les choses temporelles. Elle n’a pas mis son affection dans la pénitence, les consolations ou les révélations, mais dans l’entier abandon, pour l’amour de Jésus crucifié et de la vertu. Aussi elle est patiente et fidèle; elle espère en Dieu, et non pas en elle-même et dans ses œuvres. Elle est humble et obéissante jusqu’à croire aux autres plus qu’à elle-même, car elle n’a pas de présomption; elle se dilate dans les bras de la miséricorde divine, et c’est avec elle qu’elle chasse tout ce qui peut troubler son esprit. Dans les ténèbres et les combats, elle fait briller la lumière de la Foi, et lutte courageusement avec une véritable et profonde humilité; et dans la consolation, elle rentre en elle-même pour ne pas livrer son cœur à de folles joies [1163]. Elle est forte et persévérante, parce qu’elle a détruit en elle la volonté propre, qui la rendait faible et inconstante. Tous les temps, tous les lieux lui conviennent. Si le temps de la pénitence est pour elle un temps d’allégresse et de consolation; elle s’en sert comme d’un moyen; si par nécessité ou par obéissance elle est obligée de l’abandonner, elle s’en réjouit, parce qu’elle a pour fondement l’amour de la vertu qui ne peut lui être ravi, et parce qu’elle voit en cela la perte de sa volonté, contre laquelle elle sait bien qu’il faut toujours lutter avec zèle et courage.

12. Elle prie en tout lieu, parce qu’elle porte toujours avec elle le lieu où Dieu habite par sa grâce, et où nous devons prier, c’est-à-dire la cellule de notre âme, où le saint désir prie continuellement. Ce désir naît à la lumière de l’intelligence pour se contempler en soi-même, et dans le feu ineffable de la divine charité qui se trouve dans le sang répandu avec tant de générosité, tant d’amour. Ce sang remplit le vase de l’âme; c’est ce qu’elle doit s’appliquer à connaître, afin de s’enivrer de ce sang, afin de briller et de consumer dans ce sang sa volonté propre et ne pas se contenter de réciter un certain nombre de Pater noster. C’est ainsi que nous rendrons notre prière continuelle et fidèle, parce que dans le feu de la charité, nous connaîtrons que Dieu est assez puissant pour nous donner ce que nous lui demandons. Dieu est la suprême sagesse, qui sait discerner et donner ce qui nous est nécessaire; c’est un Père tendre et compatissant, qui veut nous donner plus que nous ne désirons, plus que nous ne savons lui [1164] demander pour nos besoins. L’âme est humble, parce qu’elle a reconnu ses défauts et son néant. C’est par cette prière que nous acquérons la vertu, et que nous en conservons l’amour.

13. Quel est le principe d’un si grand bien? la discrétion, fille de la charité, comme nous l’avons dit, et le bien qu’elle a en elle se communique au prochain. Car ce principe, cet amour, cette doctrine qu’elle a revus, elle veut les offrir et elle les offre à la créature, en les lui enseignant par ses exemples et par ses paroles, c’est-à-dire en donnant des conseils quand il le faut ou qu’on les lui demande. Elle fortifie et ne trouble pas l’âme du prochain en la jetant dans le désespoir, lorsqu’elle est tombée dans quelque faute; mais elle se fait faible avec les faibles, et leur donne le remède en les faisant espérer dans le sang de Jésus crucifié. Tels sont, avec bien d’autres, les fruits que donne au prochain la vertu de discrétion.

14. Puisqu’elle est si utile et si nécessaire, ma chère et bien-aimée Fille, ma Sœur dans le Christ, le doux Jésus, je te presse de faire ce qu’autrefois, je le confesse, je n’ai pas fait moi-même avec la perfection que je devais. Il ne t’est pas arrivé comme à moi d’être pleine de défauts, et de choisir malheureusement la vie commode au lieu d’en prendre une pénible; mais tu as voulu ruiner la jeunesse de ton corps pour qu’il ne se révoltât pas contre ton âme; tu as embrassé une vie si rigoureuse, qu’elle parait sortir de l’ordre de la discrétion. Il me semble que l’indiscrétion veut te faire goûter ses fruits, et nourrir ainsi ta volonté propre. Parce que ta as abandonné ce que tu avais coutume de faire, le démon veut te persuader [1165] que tu es damnée. J’en suis très affligée, et je crois que c’est une grande offense envers Dieu. Aussi je veux et je te demande que nous prenions pour fondement l’amour de la vertu, comme le veut la vraie discrétion. Tue la volonté, et fais ce qu’on te fait faire; crois plus aux autres qu’à toi-même. Si tu te sens faible et infirme, prends, tous les jours, la nourriture qui t’est nécessaire pour réparer la nature; et si la faiblesse et l’infirmité disparaissent, reprends ta vie ordinaire avec mesure et non pas sans modération. Il ne faut pas que le bien produit par la pénitence en empêche un plus grand; ne la prends pas pour but principal, car tu serais trompée. Mais je veux que nous courions par la route battue de la vertu, et que nous y conduisions les autres en méprisant et an brisant notre volonté. Si nous avons en nous la vertu de discrétion, nous le ferons; mais nous ne réussirons pas autrement. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais voir en toi la sainte vertu de discrétion. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonne-moi, si je t’ai parlé avec trop de présomption; l’amour de ton salut pour l’honneur de Dieu en est cause. Doux Jésus, Jésus amour [1166].

Table des matières (2)





CCX (164).- A LA MEME.- Elle la prie de se baigner dans le sang de Jésus-Christ, pour acquérir la vraie charité, le désir de l’honneur de Dieu et le salut des âmes.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang tu trouveras le feu de la divine charité, tu goûteras la beauté de l’âme et sa haute dignité. Car Dieu, en regardant en lui-même, se passionna pour la beauté de sa créature, et, comme transporté d’amour, il la créa à son image et à sa ressemblance. L’homme ignorant perdit la noblesse et la beauté de l’innocence par le péché mortel, en désobéissant à Dieu; et Dieu, qui aimait le Verbe, son Fils unique, lui ordonna de nous rendre avec son sang, la vie et la beauté de l’innocence; car c’est dans ce sang que furent lavées et que se lavent les souillures de nos fautes. Tu vois donc que c’est dans ce sang que se trouve et se goûte la beauté de l’âme et l’âme doit donc s’y plonger pour concevoir un plus grand amour de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en suivant la doctrine du doux et tendre Verbe.

2. Méprise-toi, ma chère Fille, ne te recherche pas pour toi, mais pour Dieu ; cherche Dieu et le prochain [1167] avec zèle, pour la gloire, l’honneur du nom de Dieu et pour le salut des âmes, en offrant d’humbles et continuelles prières avec un ardent désir, en la présence de la divine Bonté. C’est le moment de prendre cette nourriture des âmes sur la table de la très sainte Croix il faut toujours le faire, mais jamais tu ne verras un moment où ce soir si nécessaire. Ma chère Fille, contemple avec douleur et amertume ces ténèbres qui sont venues dans l’Eglise. Tout secours humain paraît manquer; il faut que tu invoques le secours d’en haut avec les autres serviteurs et servantes de Dieu. Prends garde de tomber dans la négligence; c’est le temps de veiller, et non de dormir. Tu sais bien que l’ennemi est aux portes: si les gardes et les habitants de la cité dorment, il n’y a pas de doute qu’ils la perdront. Nous sommes entourés d’une foule d’ennemis, et notre âme doit savoir que le monde, notre propre faiblesse, et le démon avec toutes ses pensées, ne dorment jamais, mais qu’ils sont toujours attentifs à voir si nous dormons, pour pouvoir entrer et dévaster, comme des voleurs, la cité de notre âme.

3. Le corps mystique de la sainte Eglise aussi est entouré de nombreux ennemis. Tu vois que ceux qui devaient être les colonnes et les défenseurs de l’Eglise en sont devenus les persécuteurs par les ténèbres de l’hérésie. Il ne faut donc pas dormir, mais il faut les vaincre par les veilles, les larmes, les sueurs, les douloureux et tendres désirs, avec une humble et continuelle prière. Agis comme l’enfant fidèle de la sainte Eglise; prie et supplie le Dieu tout-puissant pour qu’il répare tout le mal; conjure-le [1168] de fortifier le Saint-Père et de l’éclairer: je parle d’Urbain VI, le vrai Pape, le Vicaire du Christ sur terre. Je le reconnais, et nous devons le reconnaître devant le monde entier, et celui qui dit et fait le contraire, nous ne devons jamais le croire, et préférer plutôt la mort. Baigne-toi dans le précieux Sang, et qu’aucun scrupule, qu’aucune crainte servile ne t’en séparent jamais. Oui, cachons-nous dans le côté de Jésus crucifié; c’est dans cette retraite que nous trouverons l’abondance du Sang; autrement nous marcherions dans les ténèbres et nous nous aimerions nous-mêmes. J’ai compris que c’est le seul moyen et je t’ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié, et je veux que tu le fasses. Je termine. Demeure dans ]a sainte et douce dilection de Dieu; aie désir et faim de son honneur. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXI (165) .- A LA MEME.- La lumière de la foi est nécessaire pour connaître l’éternelle vérité. — Des deux lumières, générale et particulière.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie et parfaite lumière, afin que tu puisses connaître la vérité dans sa [1169] perfection. Oh! combien est nécessaire cette lumière, ma très chère Fille! Sans elle nous ne pouvons suivre la voie de Jésus crucifié, qui est une voie lumineuse où se trouve la vie; sans elle nous marcherions dans les ténèbres et nous vivrions dans les tempêtes et l’amertume.

2. En réfléchissant bien, je vois qu’on peut avoir cette lumière de deux manières. D’abord une lumière générale que toute créature raisonnable doit posséder pour voir et connaître ce qu’elle doit aimer, et a qui elle doit obéir; elle voit à la lumière de l’intelligence, avec la pupille de la sainte Foi, qu’elle est obligée d’aimer et de servir son Créateur, de l’aimer de tout son cœur, de tout son âme, sans partage, et d’obéir aux commandements de la loi, qui veut que nous aimions Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes. C’est par là qu’il faut tous commencer. Cette lumière générale nous est nécessaire, et sans elle nous serions dans la mort; nous serions privés de la vie de la grâce, et nous suivrions la voie ténébreuse du démon. Mais il y a une autre lumière qui n’est pas séparée de celle-ci; elle lui est unie, et c’est par la première qu’on arrive à la seconde. Ceux qui observent les commandements de Dieu parviennent à une lumière plus parfaite; ils quittent l’imperfection par l’ardeur et la sainteté du désir, et ils embrassent la perfection en observant les commandements et les conseils mentalement et actuellement. Cette lumière doit se développer par la faim et le désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en contemplant, avec la lumière, la lumière du doux et tendre Verbe, que l’âme goûte l’amour ineffable [1170] que Dieu a pour sa créature, cet amour qu’il nous a montré par le moyen du Verbe, qui a couru tout transporté d’ardeur à la mort honteuse de la Croix, pour l’honneur de son Père et pour notre salut.

3. Quand l’âme a connu cette vérité avec la lumière parfaite, elle s’élève au-dessus d’elle-même et de toute affection sensible; elle s’élance avec de violents et tendres désirs pour suivre les traces de Jésus crucifié, au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions du monde, et quelquefois au milieu de celles des serviteurs de Dieu, qui l’éprouvent sous prétexte de vertu, et elle cherche avec faim l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Elle savoure tant cette glorieuse nourriture, qu’elle se méprise et qu’elle méprise le reste; elle ne cherche que cela, et s’oublie. C’est dans cette lumière parfaite que vivaient ces glorieuses vierges et ces saints qui se plaisaient uniquement à la table de la sainte Croix pour prendre cette nourriture avec l’Epoux de leurs âmes. Ainsi donc, ma bien-aimée Fille et ma douce Sœur dans le Christ, le doux Jésus, puisque Dieu nous a fait tant de grâces, et a été si miséricordieux en nous mettant au nombre de celles qui ont passé de la lumière générale à la lumière particulière, puisqu’il nous a tracé la voie parfaite des conseils, nous devons suivre cette voie douce et droite avec perfection, et ne pas tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce soit. Nous ne devons pas avancer à notre manière, mais à la manière de Dieu, en souffrant et en évitant le péché jusqu’à la mort.

4. L’âme échappe ainsi aux mains du démon; c’est la voie et la règle que t’a enseignée l’éternelle Vérité [1171]; Il l’a écrite sur son corps en grosses lettres, pour que personne, quelque faible que soit son intelligence, ne puisse avoir d’excuse; et il l’a écrite non pas avec de l’encre, mais avec son sang. Tu vois combien les initiales de ce livre sont belles et grandes, comme elles montrent la vérité du Père, l’amour ineffable avec lequel nous avons été créés: c’est uniquement pour nous faire participer à son éternel et souverain bonheur. Ce Maître est monté dans la chaire de la Croix pour que nous puissions mieux l’entendre et pour que nous ne disions pas: Il nous enseigne d’en bas, et non pas d’en haut. Non; il est monté sur la Croix, et il s’est sacrifié pour glorifier l’honneur de son Père, et pour rétablir sur cette Croix la beauté de nos âmes. Que notre cœur se livre donc à cet amour, puisé dans le livre de vie. Perds-toi entièrement toi-même, et plus tu te perdras, pies tu te retrouveras. Dieu ne méprisera pas ton désir, il te dirigera, il t’enseignera ce que tu dois faire; il éclairera celui auquel tu es soumise pour que tu’ agisses par son conseil. L’âme doit toujours être dans une sainte crainte, et se réjouir de faire tout ce qu’elle fait, en recourant à la prière et à l’obéissance.

5. Tu m’as écrit et j’ai compris par ta lettre que c’était pour toi une épreuve, non pas petite, mais peut’ être plus grande que tontes les autres, de te sentir d’un côté appelée intérieurement de Dieu à des choses nouvelles, et de l’autre, de voir que ses serviteurs s’y opposent en disant que ce n’est pas bien. Je te plains beaucoup, parce que je ne connais pas de peine plus grande que cette crainte que l’âme a d’elle-même, quand elle ne veut pas résister à Dieu et qu’elle voudrait [1172] faire aussi la volonté de ses serviteurs se fiant plus à leur lumière et à leur science qu’a la sienne; et il lui semble que c’est impossible. Je vais te répondre simplement, selon la faiblesse et la bassesse de mon intelligence. Ne te détermine pas de toi-même, mais réponds comme tu te sens appelée. Si tu vois une âme en péril, et que tu puisses la secourir ne ferme pas les yeux, mais applique-toi avec un grand zèle à l’assister jusqu’à la mort, et ne t’inquiète pas de ce qu’on a pu te dire, ni du silence qu’on garde, ni d’aucune autre chose, pour qu’il ne te soit pas dit ensuite : « Malheur à toi, qui n’a pas parlé (Is 6,5). » Il faut prendre pour principe pour unique fondement la charité de Dieu et du prochain: tous les autres exercices sont des instruments et des matériaux placés sur ce fondement; et on ne doit pas, par amour pour les instruments et les matériaux, abandonner ce fondement de l’honneur de Dieu et de l’amour du prochain.

6. Travaille donc, ma Fille, dans ce champ, où tu vois que Dieu t’appelle à travailler, ne prends pas de peine et d’ennui de ce qu’on peut dire, mais supporte-le avec courage. Crains et sers Dieu sans penser à toi-même, et ne t’inquiète pas de ce que peuvent dire les créatures, ci ce n’est pour en avoir compassion Quant au désir que tu as de quitter la maison et de venir à Rome, abandonne-le à la volonté de ton Epoux. Si c’est son honneur et ton salut, il t’en donnera le moyen, et ce sera d’une manière à laquelle tu ne pensais pas et que tu n’aurais jamais imaginé. Laisse-lui [1173] tout faire; perds-toi, mais prends garde de ne te perdre que sur la Croix. C’est là que tu te trouveras parfaitement; mais tu ne pourras le faire qu’avec la lumière parfaite. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir avec une vraie et parfaite lumière, autre que la lumière générale, comme nous l’avons expliqué. Ne dormons plus en nous abandonnant au sommeil de la négligence; gémissons, par d’humbles et continuelles prières, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur le Vicaire de Jésus-Christ. Ne cessons de prier pour lui, afin que Dieu lui donne la lumière et la force pour résister aux attaques des démons incarnés, qui s’aiment eux-mêmes et qui veulent souiller notre foi; c’est le temps de pleurer.

7. Pour ce qui est de ma visite, prie l’éternelle bonté de Dieu qu’elle fasse ce qui sera utile à l’honneur et au salut des âmes, surtout maintenant, que je vais à Rome accomplir la volonté de Jésus crucifié et de son Vicaire. Je ne sais quelle route je prendrais Prie le Christ, le doux Jésus qu’il me conduise par celle qui conviendra le mieux à sa gloire, à la paix et au repos de nos âmes. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1174].

Table des matières (2)





CCXII (166).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle l’exhorte à la vertu de patience, et a la résignation à la volonté de Dieu.

(Lapa, mère de sainte Catherine, était de la famille Piagenti. Elle fut mariée a Jacques Benincasa, et en eut vingt-cinq enfants. Devenue veuve, elle prit l’habit du tiers ordre de Saint-Dominique, comme le prouve un bref de Grégoire XI, qui lui est adressé, ainsi qu’à Lisa, sa belle-fille. On lit : Viduis Senensibus sororibus de Poenitentia B. Dominici. Lapa vécut jusqu’à une extrême vieillesse, comme sainte Catherine le lui avait prédit. (Voir Vie de sainte Catherine, II. p., ch. VIII et la Lettre du B. E. Maconi.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié, affermie dans la vraie patience; car sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Dans la patience nous montrons le désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes; cette vertu fait voir aussi que l’âme est revêtue de la douce volonté de Dieu, car elle se réjouit de tout, elle est contente de tout ce qui lui arrive. Aussi la créature qui est revêtue de ce doux vêtement, possède toujours la paix et se plaît à souffrir pour la gloire et la louange du nom de Dieu ;elle se donne elle-même, avec ses enfants, ses biens, sa vie pour l’honneur de Dieu. Je veux que vous agissiez ainsi, ma très chère [1175] Mère; offrez votre volonté et votre indigne, votre misérable fille pour le service et l’honneur de Dieu, pour le salut des âmes, avec une vraie et bonne patience, vous nourrissant du fruit de la très sainte Croix avec cet humble et tendre Agneau: et alors rien ne vous paraîtra pénible. Dépouillez-vous de l’amour-propre sensitif, parce que c’est le moment de travailler à l’honneur de Dieu et au service du prochain. En vous dépouillant de l’amour-propre, vous marcherez avec joie et sans peine. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXIII (167). — A MADAME LAPA SA MERE, et ma soeur Cecca, au monastère de Sainte-Agnès de Montepulciano, pendant qu’elle était à la Roche. Du renoncement à la volonté et aux consolations, à l’exemple des apôtres et de la bienheureuse Vierge Marie.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère et ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtues du feu de la divine charité, tellement que toutes les peines, les souffrances, la faim, la soif, les persécutions, les injures, les mépris, les mauvais [1176] traitements, les affronts soient supportés par vous avec une vraie patience, à l’exemple de l’Agneau immolé et consumé pour nous, quand il courut avec tant d’amour à la mort ignominieuse de la Croix. Imitez Marie, notre douce Mère: lorsque les saints Apôtres cherchaient l’honneur de Dieu et le salut des âmes en suivant les traces de son doux Fils, elle consentit à se priver de leur présence, quoiqu’elle les aimât beaucoup, et elle resta seule comme une pauvre étrangère; et les disciples, qui l’aimaient aussi avec une grande tendresse, partirent avec joie, et allèrent souffrir pour l’honneur de Dieu, et endurer les persécutions et les supplices des tyrans. Si vous leur demandiez: Pourquoi partiez-vous avec joie et quittiez-vous Marie? ils vous répondraient: Parce que nous nous étions renoncés nous-mêmes, et que nous nous étions passionnés pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Je veux, ma très chère Mère et ma Fille, que vous fassiez de même; et si vous ne l’avez pas fait jusqu’à présent, je veux que vous vous enflammiez du feu de la divine charité, recherchant toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes: autrement vous serez toujours dans la peine et la tribulation, et vous m’affligerez beaucoup. Vous savez bien, ma très chère Mère, que votre misérable fille n’est pas sur terre pour autre chose; c’est à cela que m’a destinée le Créateur. Je sais que vous êtes contente de me voir lui obéir. Je vous en prie, si je reste plus que vous ne le voudriez, n’en soyez pas fâchée, car je ne puis faire autrement; je suis persuadée que si vous connaissiez l’affaire, vous me diriez vous-même [1177] de rester. Je suis ici pour remédier à un grand scandale, si je le puis. Ce n’est pas la faute de la comtesse. Priez donc tous Dieu et la glorieuse Vierge Marie pour que nous réussissions; et vous, Cecca et Justina, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, parce que c’est le moment de montrer la vertu de vos âmes. Que Dieu vous donne à toutes sa douce et éternelle bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXIV (168).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle désire lui voir la vraie connaissance d’elle-même, et de la bonté de Dieu à son égard
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie connaissance de vous-même et de la bonté de Dieu en vous, parce que, sans cette vraie connaissance, vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Vous devez avec un saint et véritable zèle vous appliquer à comprendre votre néant, et à reconnaître que tout ce que vous êtes, vous le tenez de Dieu, avec tant de dons et de grâces que vous avez reçus de lui, et que vous en recevez tous les jours. C’est de cette manière [1178] que vous serez reconnaissante, et que vous acquerrez une vraie et sainte Patience; vous ne prendrez pas les petites choses pour les grandes, mais les grandes vous paraîtront petites à souffrir pour Jésus crucifié.

2. Il n’y a de bon chevalier que celui qui a fait ses preuves sur le champ de bataille. De même votre âme doit s’éprouver au milieu des combats de la tribulation; il faut qu’elle donne des preuves de patience, qu’elle ne tourne pas la tête en arrière par impatience, et quelle ne se scandalise pas de ce que Dieu permet. Alors elle pourra se réjouir, et attendre la vie éternelle dans la paix et l’allégresse; car elle se reposera sur la Croix, elle se fortifiera dans les peines et les opprobres de Jésus crucifié, et elle pourra attendre avec raison l’éternelle vision de Dieu. Le Christ en a fait la promesse: ceux qui souffriront les persécutions et les tribulations de cette vie seront ensuite rassasiés, consolés, illuminés dans l’éternelle vision de Dieu. Ils goûteront pleinement et sans mesure sa douceur; même dans cette vie, Dieu commencera à consoler ceux qui souffrent pour lui. Mais sans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous ne pourrons jamais arriver à ce bonheur. Je vous prie donc, autant que je le sais et que je le puis de vous appliquer à l’acquérir, afin que nous ne perdions pas le fruit de nos peines. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1179].

Table des matières (2)





CCXV (169).- A MADAME LAPA, SA MERE, avant son retour d'Avignon.- Elle cherche à lui faire supporter avec patience son éloignement, parce que l’honneur de Dieu et le salut des âmes le demandent.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille, Catherine, vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu. J’ai désiré avec un grand désir vous voir la mère véritable non seulement de mon corps, mais aussi de mon âme. Je pense que si vous aimiez plus mon âme que mon corps, toute tendresse exagérée mourrait en vous, et vous ne souffririez pas tant d’être privée de ma présence corporelle. Vous en auriez au contraire de la consolation, et vous voudriez pour l’honneur de Dieu, souffrir la peine que je vous cause, en pensant qu’il s’agit de l'honneur de Dieu: en travaillant à l’honneur de Dieu, j’augmente la grâce et la vertu de mon âme. Il est donc bien vrai, ma très douce Mère, qu’en aimant plus mon âme que mon corps, vous serez consolée au lieu d’être affligée. Je veux que vous écoutiez Marie, cette douce Mère qui, pour l’honneur de Dieu et le salut de nos âmes, nous a donné son Fils mort sur le bois de la très sainte Croix. Et quand Marie resta seule, après l’ascension de Notre-Seigneur, elle resta avec les disciples. Il est bien certain que c’était pour elle et pour les disciples une grande consolation, et que ce fut [1180] une grande peine lorsqu’il fallut les quitter pour la gloire et l’honneur de son Fils et pour le bien du monde entier. Elle y consentit, et elle voulut qu’ils partissent; elle préféra la peine de leur départ à la consolation de leur présence à cause de l’amour qu’elle avait pour l’honneur de Dieu et pour notre Salut.

2. Profitez de son exemple, ma chère Mère. Vous savez qu’il faut que je suive la volonté de Dieu, et je sais que vous voulez que je la suive. Sa volonté a été que je parte, et ce départ n’a pas été sans dessein secret de sa providence et sans résultats bien utiles. Si je suis resté, c’est par sa volonté et non par la volonté de l’homme; et celui qui dira le contraire se trompe, et n’est pas dans la vérité. Il faut que j’aille, en suivant ses traces de la manière et au moment qu’il plaira à son ineffable bonté; et vous, comme ma bonne et douce Mère, vous devez être contente et ne pas vous affliger de souffrir toute sorte de peines pour l’honneur de Dieu, pour votre salut et pour le mien. Rappelez-vous ce que Vous faisiez pour les biens temporels, lorsque vos enfants s’éloignaient de vous pour acquérir des richesses; et maintenant que c’est pour acquérir la vie éternelle vous en souffrez tant que vous dites que vous allez mourir si je ne vous réponds pas bien vite. Cela vient de ce que vous aimez plus la partie de moi-même que j’ai tirée de vous que celle qui me vient de Dieu, c’est-à-dire la chair dont vous m’avez revêtue. Elevez, élevez donc un peu votre cœur et votre amour vers la douce et très sainte Croix, qui adoucit toute peine, Consentez à souffrir un peu de peine passagère pour éviter [1181] la peine infinie que méritent nos péchés; fortifie-vous dans l’amour de Jésus crucifié, et ne croyez pas être abandonnée de Dieu, ni de moi. Vous serez consolée, et vous le serez abondamment. La peine n’est pas si grande que sera grande la joie. Nous reviendrons avec la grâce de Dieu; et nous serions déjà de retour, sans l’obstacle que nous a causé la maladie grave de Néri (Cette lettre est écrite de Gênes, où Nèri fut guéri miraculeusement par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. VIII.). Maître Jean et frère Barthélemy aussi ont été malades. Je termine. Nous nous recommandons à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXVI (170). — A SŒUR CATHERINE, SOEUR URSULE, et aux autres dames de Pise. - L’âme unie à Dieu par la charité ne peut en être séparée par aucune tribulation et par aucune attaque du démon.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes Filles bien-aimées dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignées et anéanties dans le sang de l’Agneau immolé, parce que je vois que dans ce sang, nous avons la vie. Aussi je veux, mes très chères Filles, que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence pour regarder dans le [1182] vase de la connaissance de vous-mêmes. Oui vous trouverez en vous un vase qui reçoit le glorieux et précieux sang, parce qu’au sang est uni la nature divine mêlée au feu de la charité; et l’aine qui regarde dans le vase de la connaissance de soi-même trouve ce sang, que Dieu a donné par le moyen de son Fils. Mais parce que ce sang n’a été versé que pour le péché, l’âme y trouve la connaissance de soi-même ; et en se voyant pleine de défauts, elle voit encore dans ce sang la divine justice; car c’est pour punir le péché commis que ce sang a été répandu. Alors l’âme comprend que l’éternelle volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que sa sanctification; s’il avait voulu autre chose que notre bien, il ne nous eût pas donné ainsi la vie.

2. Contemplez-vous dans le sang que vous trouverez en vous-mêmes. Fixez, fixez l’oeil de votre intelligence sur la puissance du Père, que vous trouvez dans ce sang par l’union de la nature divine à la nature humaine. Vous y trouverez encore la sagesse du Fils et dans cette sagesse vous connaîtrez son éternelle et souveraine bonté et notre profonde misère, parce que vous trouverez la clémence de l’Esprit-Saint, qui a été le lien qui unit Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, et qui a cloué et fixé le Verbe sur le bois de la très sainte Croix. C’est ainsi que votre volonté fortifiera et augmentera son amour, et vous vous lierez tellement avec Jésus crucifié, que ni le démon ni les créatures ne pourront jamais vous en Séparer; mais tout ce qui vous arrivera de contraire vous fortifiera dans l’amour et l’union de Dieu et du prochain, car la vertu s’éprouve [1183] par les contraires, et plus l’âme est éprouvée, plus son union avec le Créateur est parfaite. Il vous semble quelquefois que les tribulations vous séparent de l’union et de la vertu il n’en est rien; elles sont même un moyen d’accroître cette union et cette vertu; car l’âme sage qui est revêtue du sang de Jésus crucifié, quand elle se voit persécutée et foulée aux pieds par le monde, se sépare davantage du monde; et si ce sont des combats qui viennent du démon, ils sont cause qu’elle s’humilie, qu’elle secoue le sommeil de la négligence et qu’elle arrive à un zèle plus parfait. Si vous êtes sages et prudentes, ces épreuves dissiperont toute ignorance, et vous concevrez une connaissance et une lumière qui vous procureront la grâce d’avoir non seulement la lumière en vous, mais encore de la répandre au dehors par vos exemples et le reflet de vos vertus sur toutes les autres créatures; et vous accomplirez ainsi la parole de notre Sauveur, qui nous commande d’être une lampe ardente qui répand la lumière et non les ténèbres.

3. Ainsi donc, mes Filles bien-aimées, que je ne vous trouve plus endormies dans les ténèbres de l’amour-propre; mais soyez remplies d’un amour ineffable qui vous fera chercher vous-mêmes pour Dieu, le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, car il est l’éternelle et souveraine Bonté, digne d’être aimée et de n’être pas offensée par nous. Je termine. Aimez-vous les unes les autres, mes très chères et bien-aimées Filles, et liez-vous par les liens d’une véritable et ardente charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1184].

Table des matières (2)





CCXVII (171). — A FRANÇOISE, fille de François Tholomei, religieuse de l’ordre de Saint-Dominique, lorsqu’elle était malade.- De la patience dans les infirmités, et les épreuves que Dieu lui envoie. —Cette patience s’acquiert par l’amour et la considération de la divine bonté.

(Françoise Tholomei fut convertie par les exhortations de sainte Catherine. avec sa sœur Ginocchia. Elles prirent l’habit de tertiaire, et moururent en odeur de sainteté. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. VII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une vraie et sainte patience, afin que tu portes avec courage la maladie et tout ce que Dieu permet qu’il t’arrive, comme doit le faire une véritable servante et épouse de Jésus crucifié. Oui, l’épouse ne doit pas oublier la volonté de son époux. Mais remarque bien, ma très chère Fille, que jamais ta volonté ne sera unie et soumise à celle de Dieu, si tu ne regardes pas, à la lumière de la très sainte Foi, combien tu as été aimée de lui ; en te voyant aimée, tu ne pourras t’empêcher de l’aimer, et en l’aimant, tu détesteras la sensualité, qui rend impatiente l’âme qui l’aime; et dès que tu la détesteras tu deviendras patiente, parce que tu te connaîtras à la lumière. Mais où trouveras-tu cet amour? Dans le sang de l’humble Agneau sans tache, qui, pour laver [1185] la face de son Epouse, a couru à la mort. honteuse de la Croix; et par le feu de sa charité il l’a purifiée de sa faute, en la lavant dans l’eau du saint baptême. Ce baptême n’agit en nous que par la vertu du Sang, et le Sang a été la couleur qui a rendu vermeille la face de l’âme, qu’avait rendue toute pâle la faute d’Adam. Tout cela s’est fait par amour.

2. Tu vois donc que le sang te montre l’amour de Dieu pour toi. Il est l’éternel Epoux qui ne meurt jamais; il est la souveraine sagesse, la souveraine puissance, la souveraine clémence, la souveraine bonté, tellement que le soleil lui-même est ravi de sa beauté. Il est la souveraine pureté, ai bien que plus l’âme qui est son épouse, s’approche de lui, plus elle devient pure et libre de tout péché, plus elle respire le parfum de la virginité; et aussi l’épouse, qui voit combien il aime la pureté, s’applique à s’approcher de lui pal’ le moyen qui peut l’unir plus parfaitement à lui. Quel est ce moyen? C’est la prière humble, fidèle et persévérante. Je dis humble, par la connaissance d’elle-même; persévérante, par la persévérance des saints désirs, et fidèle par la connaissance que tu asile Dieu, en voyant qu’il est fidèle et qu’il peut te donner ce que tu demandes; car il est la souveraine sagesse qui sait, et la souveraine clémence qui veut te donner plus que ta ne sais demander.

3. Quand ainsi tu seras parvenue à une patience parfaite, en tout lieu, en tout temps, en tout état que tu te trouves et que tu te trouveras, dans la maladie ou dans la santé, dans les combats ou dans le repos, il ne faudra pas croire que les épreuves souillent l’âme quand la volonté ne les reçoit avec aucun [1186] plaisir. Si l’âme sent que la volonté ne les aime pas elle doit prendre courage, et ne pas se laisser aller au trouble et aux ennuis de l’esprit; mais elle doit voir que Dieu les permet pour lui donner l’humilité, pour la conserver et l’augmenter en elle. Je veux que tu fasses ainsi. Réjouis-toi, réjouis-toi, ma Fille, de ce que Dieu, dans sa miséricorde t’a jugée digne de souffrir pour lui; pense que tu n’en as pas digne et en le faisant, tu te soumettras en toute chose à la volonté de ton doux Epoux, tu accompliras en toi la volonté de Dieu et le désir de mon âme; car je t’ai dit que je désirais te voir une véritable et sainte patience; je t’en conjure et je le veux. Que ton très doux Epoux veuille bien t’en faire la grâce pour encore un peu de temps. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXVIII (172). — A SOEUR JEANNE DE CAPO, et à sœur Françoise, à Sienne.- De la vertu de charité et de ses effets.

(Jeanne de Capo était disciple de sainte Catherine, et l’accompagna lorsque le Pape Grégoire XI l’envoya négocier la paix à Florence. Elle fut guérie miraculeusement du mal de pied qui l’empêchait de marcher. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. XI)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine la servante et [1187] l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes enflammées et consumées du feu de la divine charité, de sorte que tout amour-propre, toute froideur de cœur, toutes ténèbres d’esprit soient bannis de vos âmes. C’est là l’effet de la divine charité, qui agit sans cesse et ne se lasse jamais. Elle est comme l’usurier, qui gagne toujours avec le temps : s’il dort il gagne, s’il mange il gagne; quoi qu’il fasse il gagne, et ne perd jamais le temps; ce n’est pas l’usurier, c’est le trésor du temps qui rapporte. Ainsi fait l’épouse qui aime le Christ, lorsqu’elle est enflammée de la divine charité; elle gagne toujours, et n’est jamais oisive; elle dort, et la charité travaille; qu’elle mange, qu’elle dorme, qu’elle veille, tout lui profite. O charité pleine de joie ! tu es cette mère qui nourrit les enfants des vertus sur ton sein; tu es plus riche que toutes les richesses; et l’âme qui se revêt de toi ne peut être pauvre. Tu lui donnes la beauté, car tu la rends une même chose avec toi, puisque, comme dit saint Jean, Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1 Jn 4,16).

2. O Filles bien-aimées! la joie, le bonheur de mon âme, regardez l’excellence et la dignité que vous avez reçues de Dieu par le moyen de cette mère, la charité. Si l’amour que Dieu a eu pour sa créature l’a forcé de nous tirer de lui-même, et de nous donner son image et sa ressemblance, c’est uniquement pour que nous soyons heureux, pour [1188] que nous le goûtions, et pour que nous participions à son éternelle beauté. Il ne nous a pas fait des animaux sans intelligence et sans mémoire, mais il nous a donné la mémoire pour retenir ses bienfaits, l’intelligence pour comprendre son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et la volonté pour l’aimer. Le regard de l’intelligence comprend que la volonté du Verbe est que. nous suivions la voie de la très sainte Croix, en supportant les peines, les mauvais traitements, les mépris, les injures pour Jésus crucifié, qui est en nous et nous fortifie; la volonté se lève aussitôt, embrasée par le feu de la charité, et elle court aimer ce que Dieu aime, haïr ce que Dieu hait, si bien qu’elle ne veut chercher, désirer et embrasser que l’éternelle et souveraine volonté de Dieu. Parce qu’elle a vu et compris que Dieu ne veut que notre bien, et qu’il aime à être suivi dans. la voie de la Croix, elle est contente et se réjouit de ce que Dieu permet; elle accepte la maladie, la pauvreté, les injures, ou des commandements insupportables et indiscrets; elle se réjouit de toutes ces choses, pares qu’elle voit que Dieu les permet pour son utilité et sa perfection.

3. Et je ne m’étonne pas si elle est libre de toute peine, car elle a éloigné d’elle la chose qui cause la peine, c’est-à-dire sa volonté fondée sur l’amour-propre, et qu’elle a revêtu la volonté de Dieu, fondée sur la charité. Si vous me dites : Ma Mère, comment nous en revêtir? Je vous répondrai Par la haine et par l’amour. L’amour vous revêtira d’amour. Celui qui prend un vêtement se dépouille du vieux [1189] par haine, et il prend le nouveau par amour; et, mes chères Filles, est-ce ce vêtement qui revêt? Non, c’est l’amour; car le vêtement ne changerait pas si la créature n’en voulait pas, un autre par amour. Où pourrons-nous trouver cette haine? dans la seule connaissance de nous-mêmes. En voyant votre néant vous perdrez tout orgueil, et vous concevrez unè humilité sincère. Cette connaissance fait trouver la lumière et la grandeur de la bonté de Dieu, et son ineffable et salutaire charité, qui ne nous est pas cachée. Elle était cachée à nos esprits grossiers avant que le Verbe, le Fils unique de Dieu, s’incarnât; mais depuis qu’il a voulu être notre frère en se revêtant de notre grossière humanité, il s’est manifesté à nous, et il a été élevé de terre pour que le feu de son amour fût aperçu de toute créature, et qu’il attira par sa force tous les cœurs. Oui, il est bien vrai que l’amour transforme, et qu’il fait une seule chose de celui qui aime et de celui qui est aimé.

4. Appliquez-vous donc, mes chères Filles, à étendre les bras de votre amour, pour prendre et retenir dans votre mémoire ce qu’a compris votre intelligence. De cette manière, vous accomplirez le désir de Dieu et le mien en vous. Je vous verrai embrasées, consumées, revêtues du feu de la divine charité. Faites, faites que vous vous nourrissiez du précieux Sang, pour que notre moment vienne bientôt. Ne vous étonnez pas si nous ne sommes pas encore venues; nous viendrons bientôt, s’il plaît à la bonté divine - Le service de l’Eglise et la volonté du Saint-Père ont un peu retardé mon arrivée. Je vous [1190] conjure et je vous commande, mes Filles et mes Fils, de prier, d’offrir vos saints et ardents désirs en la présence de Dieu pour la sainte Eglise, car elle est bien persécutée. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXIX (173).- A LA MEME SOEUR JEANNE, et à ses autres filles, à Sienne.- De la mansuétude de Jésus-Christ; de la douceur qu’il nous a enseignée par son exemple.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, l’Agneau doux et sans tache, qui fut immolé, non par la force des clous et de la lance, mais par la force de l’amour et de la charité infinie qu’il avait et qu’il a pour la créature. O charité ineffable de notre Dieu! vous m’avez enseigné votre doux amour, et vous me l’avez montré non seulement par des paroles, car vous disiez que vous s’aimiez pas beaucoup les paroles, mais encore par des actes qui vous plaisent davantage, et que vous demandez de vos serviteurs. Et que m’avez-vous enseigné, charité incréée de mon Dieu? Vous m’avez enseigné que je devais souffrir patiemment comme l’Agneau, non seulement les paroles dures, mais encore les persécutions injustes[1191], les injures et les mauvais traitements. Et vous voulez qu’à son exemple je sois innocente et sans tache, c’est-à-dire sans nuire au prochain ni à aucun de mes frères, non seulement à ceux qui ne me persécutent pas, mais à ceux qui m’accablent d’injures; et vous voulez que nous priions pour eux comme pour des amis choisis qui nous ont été toujours bons et profitables. Non seulement vous voulez que nous soyons patients et doux au milieu des injures et des pertes temporelles, mais généralement dans tout ce qui est contraire à notre volonté, comme vous-mêmes vous n’avez voulu faire en rien votre volonté, mais celle de votre Père. Comment donc pourrions-nous nous révolter contre la Bonté divine? En voulant l’accomplissement de notre volonté coupable. Comment ne voudrions-nous pas l’accomplissement de la volonté de Dieu?

2. O très doux Amour Jésus ! faites que toujours votre volonté s’accomplisse en nous comme elle est accomplie dans le ciel par les anges et par les saints. C’est cette douceur, mes bien-aimées Filles dans le Christ Jésus, que notre doux Sauveur veut trouver en vous. Oui, que votre cœur calme et tranquille soit content de tout ce que Dieu ordonne et fait à notre égard. Ne voulons pas le lieu et le temps selon notre caprice, mais- acceptons-les selon son bon plaisir; et alors notre âme, ainsi dépouillée de tout vouloir et revêtue de la volonté de Dieu, est très agréable à Dieu, son maître. Et comme un cheval libre, elle court avec ardeur, de grâce en grâce, de vertu en vertu ; aucun frein, aucun lien ne l’empêche de courir, car elle a coupé l’appétit déréglé et le [1192] désir de la volonté, qui sont les freins et les liens qui empêchent l’âme de courir dans les voies spirituelles.

3. Les affaires de la croisade vont de mieux en mieux, et l’honneur de Dieu grandit chaque jour. Et vous, grandissez sans cesse en vertu; approvisionnez le vaisseau de vos âmes, car notre temps s’approche. Prenez courage, et bénissez Françoise de la part de Jésus-Christ et de la mienne; dites-lui qu’elle travaille avec zèle, pour que je la trouve grandie en vertu quand je reviendrai. Bénissez et encouragez tous mes enfants dans le Christ. Ces jours-ci est arrivé l’ambassadeur de la reine de Chypre, qui s’est entretenu avec moi (Eléonore, reine de Chypre, fille du prince d’Antioche, et veuve du roi Pierre Ier, gouvernait cette île pendant la minorité de son fils. Elle était particulièrement intéressée à la croisade, parce qu’elle était plus exposée que tout autre aux attaques des infidèles.); il va trouver le Saint-Père, le Christ sur terre, pour le presser au sujet de la croisade. Le Saint-Père a aussi envoyé à Gênes pour presser à ce sujet. Que notre doux Sauveur vous donne son éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1193].

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