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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 20 à 38




XX. - A URBAIN VI. - Elle prie Dieu de répandre le feu de la charité sur lui comme sur les apôtres au jour de la Pentecôte, et elle loue le Pape de l'humilité qu'il a montrée dans une procession.

(Cette lettre fut écrite le 30 mai 1379, vendredi de la Pentecôte.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint Père, que l'Esprit-Saint remplisse votre âme, votre cœur et votre volonté du feu de la charité divine, et qu'il répande une lumière surnaturelle dans votre intelligence, afin qu'à votre lumière, nous qui sommes vos brebis, nous voyions la lumière, et qu'aucun piège que le démon veut vous tendre dans sa malice ne soit caché à Votre Sainteté. Je désire, très saint Père, voir accomplir en vous toutes les autres choses que la douce volonté de Dieu vous demande, et que vous désirez, je le sais, avec une grande ardeur.

2. J'espère que le doux feu de l'Esprit-Saint agira dans votre cœur et dans votre âme, comme il l'a fait dans les saints disciples qui reçurent, par sa vertu, la force et la puissance contre les démons visibles et invisibles. Ils triomphaient des tyrans du monde, et répandaient la foi avec une infatigable patience. Il leur donna la lumière et la sagesse pour connaître la doctrine et la vérité qu'il avait laissées; et comme l'amour suit l'intelligence, il les revêtit du feu de sa charité; ils perdirent toute crainte servile et toute [225] complaisance humaine, pour s'appliquer uniquement à honorer Dieu et à sauver les âmes des mains du démon. Cette vérité, dont ils étaient éclairés, ils voulaient la communiquer à toutes les créatures. Mais ce fut après de longues veilles, d'humbles et continuelles prières et de nombreuses fatigues d’esprit, après dix jours de peines et de saints exercices, qu'ils furent remplis de la force de l'Esprit-Saint. O très saint Père, il semble qu'ils enseignent et encouragent aujourd'hui Votre Sainteté; il semble qu'ils nous apprennent le moyen de recevoir le Saint-Esprit.

3. Quel est ce moyen? C'est de rester dans la connaissance de soi-même. Par cette connaissance, l'âme reste toujours humble; elle ne s'égare pas dans la joie et ne s'impatiente pas dans la tristesse; car tout est mûr et patient dans cette connaissance, qui enfante la haine de la sensualité. Elle reste, dans cette cellule, à veiller et à prier, parce que notre intelligence doit veiller pour connaître la douce volonté de Dieu et ne pas dormir dans le sommeil de l'amour-propre. Elle reçoit alors la grâce de la prière continuelle, c'est-à-dire un saint et vrai désir, et ce désir fait pratiquer la vertu, qui est une prière continuelle. Car on ne cesse pas de prier en ne cessant pas de bien faire ( Dialogue, LXVI). C'est ainsi que nous recevons cette force pleine de douceur. Suivons donc cette voie avec une véritable et sainte sollicitude, autant que nous le pourrons.

4. Je dis que l'exemple des apôtres doit vous fortifier [226], vous, le vrai Souverain Pontife, en vous montrant la vérité divine et la puissance de son secours. Car ce n'est pas avec le bras des hommes qu'ils ont conquis le monde entier et dissipé les ténèbres de l'infidélité, mais c'est avec la force, la sagesse et la charité de Dieu, dont le pouvoir n'est point affaibli pour vous et pour toute créature qui espère en lui, Il est bien vrai que vous recevrez cette force pour les besoins présents de votre Epouse, et que vous serez fortifié non seulement par la foi, mais par les oeuvres. Nous avons bien vu, depuis quatre semaines, que la vertu de Dieu a fait des choses admirables par le moyen d'une vile créature, et nous voyons clairement que c'est lui qui agit, et non pas la puissance de l'homme (Ce passage fait allusion à la remise du château Saint-Ange, qu'avait gardé jusqu'alors un Français. Pierre Rostaing. On voit que sainte Catherine eut grande part à cet événement.). Rendons-lui donc gloire, et témoignons-lui notre gratitude et notre reconnaissance.

5. Je me réjouis du fond de mon coeur, très saint Père, d'avoir vu moi-même la volonté de Dieu s'accomplir en vous par cet acte d'humilité de la procession sainte qui ne se faisait plus depuis très longtemps. Oh! qu'elle a été agréable à Dieu et pénible aux démons, qui firent tous leurs efforts pour causer quelque scandale à l'intérieur et à l'extérieur! Mais les anges enchaînaient leurs fureurs (Urbain VI se rendit processionnellement et nu-pieds de Sainte-Marie in Transtevere à la basilique de Saint-Pierre. Peu de temps après éclata une émeute populaire que le Pape apaisa par sa fermeté. (Vie de sainte Catherine, p III, ch. II.- Gigli, t, I, p. 148.) [227].

6. Je vous ai dit que je désirais vous voir accomplir la douce volonté de Dieu en d'autres choses, et je vous rappelle que la Vérité veut que vous vous appliquiez avec zèle à diriger et à régler l'Église de Dieu de jour en jour, autant que vous le pourrez. C'est Dieu qui agira par vous; il vous donnera la force pour faire, et la lumière pour connaître ce qui est nécessaire afin de diriger sa barque avec sagesse et prudence. Il vous donnera la volonté de le faire; il vous l'a déjà donnée, mais il l'augmentera par son infinie miséricorde. Avec ce secours, vous confondrez les tyrans, vous dissiperez les ténèbres de l'hérésie; car lui-même a manifesté et manifestera la vérité. Je me réjouis, parce que la très douce Mère Marie et le doux Pierre, prince des apôtres, vous ont remis en votre place (Le Pape peut revenir habiter le Vatican après la reddition du château Saint-Ange.).

7. Maintenant, l'éternelle Vérité veut que, dans votre jardin, vous fassiez un jardin de serviteurs de Dieu, et que vous les nourrissiez des choses temporelles, afin qu'ils vous nourrissent de choses spirituelles, et qu'ils n'aient d'autres occupations que de prier en la présence de Dieu pour le bon état de la sainte Église et pour Votre Sainteté. Ce seront ces soldats qui vous donneront une complète victoire, non seulement sur les chrétiens coupables, qui sont les membres retranchés de la sainte obéissance, mais sur les infidèles, contre lesquels je désire ardemment vous voir lever l'étendard sacré de la Croix. Il semble qu'ils viennent vous y inviter eux-mêmes. Ce [228] sera alors un double triomphe. Grandissons donc, et nourrissons-nous dans les véritables et royales vertus. Entrons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, parce que nous recevrons ainsi la plénitude de l'Esprit-Saint.

8. Prenez courage, mon très saint et très doux Père, Dieu vous donnera du repos; après les grandes peines viendront les grandes consolations, car il écoute favorablement les bons et saints désirs. Il faut commencer par l'amour et les actes d'humilité, en imitant humble Agneau dont vous êtes le Vicaire, persévérant jusqu'à la mort dans la ferme espérance en sa providence, et vous réjouissant toujours en notre Créateur et en ses humbles serviteurs, comme Votre Sainteté se plaît à le faire. Mais je vous le rappelle, parce que la langue ne peut s'empêcher de parler de l'abondance du coeur, surtout quand je me sens excitée par la vue de la douce bonté de Dieu. Soyez patient avec moi, qui vous pèse tant, d'une manière ou d'une autre, et pardonnez à ma présomption. Je suis persuadée que Dieu vous fait plus regarder à l'affection qu'aux paroles. Je vous demande humblement votre bénédiction. Que la douce et éternelle bonté de Dieu, que l'éternelle Trinité vous donne sa grâce avec la plénitude du feu de Sa charité, afin que par vos mains se réforme la sainte Église, et que vous fassiez le sacrifice de vous-même à Dieu. Je m'arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse dans les doux mystères de Dieu, et si j'ai en quelque chose offensé Dieu ou Votre Sainteté, je me reconnais coupable, et je vous prie [229]de me pardonner, acceptant d'avance toute sorte de pénitence. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XXI.- A URBAIN VI. - Elle exhorte fortement le Pape à réformer les abus, et à se procurer de bons et sages ministres. - Elle offre à Dieu sa vie pour l’Église.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un cœur viril, pour reprendre hardiment les vices qui se commettent tous les jours, surtout les vices qui sont contre votre sainte volonté tous les vices, sans aucun doute, vous déplaisent, comme ils doivent déplaire à l'âme qui craint Dieu et qui déplore l'outrage fait à son Créateur. O très saint Père, ouvrez l’œil de l'intelligence, et contemplez la douce Vérité. Vous y verrez combien vous êtes tenu et obligé d'avoir les yeux fixés sur vos enfants, et de vous appliquer à choisir des auxiliaires pour garder les brebis quand elles sont malades de cette grande maladie qui donne la mort, c'est-à-dire du péché mortel. Lorsque vous les voyez, et que ceux qui aiment Votre Sainteté vous les font voir, vous ne devez pas les souffrir près de vous au sein de l’Eglise; ou bien corrigez-les, et mettez-les dans l'impossibilité [230] de commettre le mal, au moins celui qui afflige tant votre cœur. Je sais que votre Sainteté me comprend, et je n'ai pas besoin de m'expliquer davantage.

2. Je vous dis que la divine Bonté se plaint parce que son Epouse est appauvrie par les anciennes plantes qui ont vieilli dans les vices, l'orgueil, la débauche, l'avarice, en commettant de honteuses simonies; et maintenant les plantes nouvelles, qui devraient confondre ces vices par la vertu, commencent à s'égarer et à prendre les mêmes habitudes (Ces nouveaux cardinaux avaient été nommés le 18 septembre, deux jours avant l'élection de l'antipape Clément VII. Les reproches de sainte Catherine ne s'adressent pas à tous. Parmi les plus vertueux, on cite le cardinal Philippe d'Alençon, de la famille royale de France.). Oui, le Christ béni se plaint de ce que l’Eglise n'est pas purifiée de ces vices, et de ce que Votre Sainteté n'y apporte pas tout le zèle qu'elle devrait avoir. Vous ne pouvez pas du premier coup déraciner les vices qui existent dans toute la chrétienté, et surtout dans le clergé, sur lequel vous devez veiller davantage; mais, afin de ne pas charger votre conscience, vous pouvez et vous devez faire au moins tous vos efforts pour purifier le cœur de la sainte Eglise; vous devez détruire la corruption de ceux qui sont près de vous, et vous entourer de ceux qui cherchent l'honneur de Dieu et le vôtre avec le bien de l’Eglise, sans se laisser souiller par les flatteries et par l'argent. Si vous réformez ainsi le coeur de votre Epouse, tout son corps sera facilement réformé pour la gloire de Dieu, pour votre honneur et votre utilité [231]. L'hérésie sera éteinte par l'effet d'une réputation sainte et par l'odeur de la vertu. Tous s'empresseront d'accourir à Votre Sainteté, en voyant que vous détruisez les vices et que vous agissez selon vos désirs.

3. Je ne voudrais pas que vous vous arrêtiez aux vêtements et à des considérations d'une plus ou moins grande valeur, mais seulement que vous choisissiez des hommes qui marchent avec droiture, et non avec fausseté. Savez-vous ce qui arrivera, si vous n'employez pas le remède autant que vous pourrez le faire? Dieu veut absolument réformer son Epouse; il ne veut plus qu'elle soit couverte de lèpre; et si vous ne faites pas ce que vous pouvez faire et ce pourquoi vous avez été élevé à une si haute dignité, il le fera lui-même au moyen de grandes tribulations; il enlèvera tout le bois tordu, et il le redressera à sa manière. Hélas! très saint Père, n'attendons pas cette humiliation, mais travaillez avec courage, et faites vos affaires secrètes avec ordre et mesure; en les faisant sans ordre et sans mesure, vous les gâterez plus que vous ne les arrangerez. Ecoutez avec calme et bienveillance ceux qui craignent Dieu et qui vous disent ce qu'il faut et ce que vous devez faire, vous montrant les désordres qu'ils savent exister autour de Votre Sainteté.

4. Mon doux Père, vous devez vous estimer très heureux d'avoir des personnes qui vous aident à voir et à empêcher des choses qui tourneraient à votre honte et à la ruine des âmes. Adoucissez un peu, pour l'amour de Jésus crucifié, les mouvements [232] trop prompts que la nature fait naître en Vous. C'est par la sainte Vertu que vous résisterez à la nature. Puisque Dieu vous a donné un cœur naturellement grand, je vous prie et je vous demande de vous appliquer à l'avoir surnaturellement grand, c'est-à-dire, que, par le zèle et le désir de la Vertu et la réforme de la sainte Eglise, vous acquerriez un cœur courageux, affermi dans une humilité véritable. Vous aurez ainsi le naturel et le surnaturel car la nature sans la grâce nous servirait à peu de chose; elle ferait naître plutôt des mouvements de colère et d'orgueil ; et quand viendrait l'occasion de reprendre des personnes qui nous touchent de près, nous ralentirions le pas et nous deviendrions timides... Mais quand on ressent la faim de la vertu, et qu'on ne pense qu'à l'honneur de Dieu, sans songer à soi, on reçoit la lumière, la force, la constance, la persévérance surnaturelle, qui ne se ralentit jamais, et fait toujours son devoir avec courage. J'ai prié, et je prie continuellement le Père suprême et éternel de vous en revêtir, vous, le Père de tous les fidèles chrétiens, parce qu'il me semble que dans les circonstances où nous nous trouvons, nous en avons un extrême besoin.

5. Pour moi, votre misérable et ignorante petite fille, je ne cesserai jamais d'agir, tant que Dieu m'en fera la grâce. Je veux terminer ma vie pour vous et pour la sainte Eglise, dans les larmes et les veilles, dans une fidèle, humble et persévérante prière; Dieu me le permettra, car de moi-même je ne puis rien. Je sais qu'elle n'est jamais refusée, l'humble, persévérante et fidèle prière qui s'adresse [233] à l'infinie bonté de Dieu, pourvu que sa demande soit juste. Vos serviteurs et vos enfants qui craignent Dieu prient et prieront ainsi pour vous, et d'autant mieux qu'ils seront meilleurs. Je le ferai de mon côté, quoique remplie de défauts; et vous, du vôtre, faites ce que vous devez et ce que vous pouvez. Nous apaiserons ainsi la colère de Dieu, et vous consolerez vos serviteurs. Vous le ferez, j'en suis persuadée, si vous avez un cœur viril, mais pas autrement; aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir avec un cœur viril, et c'est le grand désir de mon âme. Vous serez alors ma joie, mon allégresse, ma consolation, et celle des serviteurs de Dieu qui obéissent à Votre Sainteté, qui vous aiment et qui cherchent l'honneur de Dieu et le vôtre avec zèle et sans hypocrisie, n'ayant pas une chose sur la langue et une autre dans le cœur. Je n'en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu Que Votre Sainteté veuille bien s'entourer de personnes fidèles qui craignent Dieu, afin que ce qui se fait et se dit dans votre palais ne soit pas rapporté aux démons incarnés qui ont le malheur d'être vos ennemis, à l'antipape et à ses adhérents. Pardonnez, très saint Père, à ma présomption. si j'ose vous écrire avec cette assurance, c'est que j'y suis forcée par la Bonté divine, par le besoin que je vois et par l'amour que je vous porte. Je serais venue, et je ne vous aurais pas écrit, si je n'avais pas craint de vous importuner si souvent. Supportez-moi avec patience, et je ne cesserai jamais, tant que je vivrai, de vous presser par mes prières, mes paroles et mes lettres, jusqu'à ce que je voie en vous et dans la sainte [234] Eglise ce que je désire, et ce que je sais que vous désirez encore plus que moi, fallut-il même sacrifier sa vie. II le faut, très saint Père, ne dormons plus. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XXII. - A URBAIN VI .- Elle souhaite au Souverain Pontife la prudence et la lumière nécessaires pour gouverner l’Eglise, et elle l’entretient de différentes affaires.

(Cette lettre, la dernière adressée à Urbain VI, fut écrite le 20 janvier 1380, le lundi après la Sexagésime. (Tom. Nacci Caffarini, p. III, tr. 1.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très saint et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine vous écrit avec un ardent désir de voir en vous la prudence unie à la douce lumière de la vérité, afin que vous suiviez les traces du glorieux saint Grégoire, et que vous gouverniez la sainte Eglise et vos brebis avec tant de sagesse, qu'il n'y ait jamais besoin de rien changer à ce qu'aura ordonné et fait Votre Sainteté, pas même à la moindre parole. Manifestez devant Dieu et devant les hommes une fermeté basée sur la vérité, comme doit le faire tout vrai saint pontife. Je prie l'ineffable charité de Dieu d'en revêtir votre âme; car il me semble que la prudence et la lumière nous sont absolument nécessaires [235] surtout à Votre Sainteté et à tous ceux qui vous représenteront, dans les circonstances actuelles. Je sais que vous désirez les trouver en vous, et je vous le rappelle pour vous exprimer le désir de mon âme.

2. J'ai appris, très saint Père, la réponse pleine de colère et d'insulte qui a été faite par le préfet aux ambassadeurs romains (Ce préfet de Rome était François de Vico, seigneur de Viterbe, ennemi d'UrbaIn VI. Des propositions d'accommodement lui avaient été sans doute faites par les ambassadeurs romains.). On doit à ce sujet tenir une assemblée générale, et vous envoyer les chefs de quartiers et quelques notables. Je vous prie, très saint Père, de continuer à les voir souvent, comme vous l'avez déjà fait, et de les lier avec prudence dans les liens de l'amour. Je vous demande aussi que, quand ils viendront vous dire ce qu'a décidé le conseil, vous les receviez avec toute la douceur possible, leur montrant ce qui paraîtra à Votre Sainteté le plus nécessaire. Pardonnez-moi si l'amour me fait dire ce qu'il ne faudrait peut-être pas dire; mais je sais que vous devez connaître le caractère de vos enfants les Romains, qui sont bien plus faciles à attirer et à lier par la douceur que par la force et par la dureté des paroles. Vous savez aussi que ce qui est le plus nécessaire pour vous et pour la sainte Eglise, c'est de conserver le peuple dans l'obéissance et la soumission à Votre Sainteté, car c'est là que résident le chef et le principe de notre foi.

3. Je vous prie humblement aussi d'être assez prudent pour ne jamais promettre que ce qu'il vous est [236] véritablement possible d'accorder, afin d'éviter le mal, la honte et la confusion qui pourraient en résulter (Plusieurs auteurs reprochent en effet à Urbain VI de promettre souvent plus qu'il ne pouvait tenir. (Gigli, t. I, p. 161.). Souffrez, très doux et très saint Père, que je vous dise ces choses. J'espère que votre humilité et votre bonté vous les feront agréer sans indignation et sans mépris, quoiqu'elles sortent de la bouche d’une femme si misérable : celui qui est humble ne s'arrête pas à celui qui parle, mais ne considère que l'honneur de Dieu, la vérité et son salut. Prenez courage; et pour une réponse insolente que ce rebelle peut faire à Votre Sainteté, ne craignez rien. Dieu y pourvoira comme à toute chose; car il est le maître et le protecteur du vaisseau de l’Eglise et de Votre Sainteté. Soyez toujours ferme avec une sainte crainte de Dieu, toujours exemplaire dans vos paroles, votre conduite et vos actes. Que tout en vous brille devant Dieu et devant les hommes, comme une lumière posée sur le candélabre de la sainte Eglise, qui éclaire et doit éclairer le monde chrétien.

4. Je vous prie aussi de porter remède à ce que vous a dit Léon, parce que le scandale augmente toujours, non seulement à cause de ce qui a été fait à l'ambassadeur de Sienne, mais encore à cause des autres choses qui, chaque jour, provoquent la colère dans le cœur faible des hommes (Ce Léon était sans doute un disciple de sainte Catherine. On ignore ce qui était arrivé à l'ambassadeur de Sienne.). Vous n'avez pas besoin de cela maintenant, mais d'une personne qui [237] soit un moyen de paix, et non de guerre. Admettons que tout a été fait par un zèle louable de la justice... Il y en a beaucoup qui agissent avec tant de désordre et de colère, qu'ils sortent de l'ordre et de la raison. Je prie donc avec instance Votre Sainteté de condescendre à l'infirmité humaine, en lui donnant un médecin qui sache mieux guérir le mal. N'attendez pas que la mort survienne; je vous dis que si vous n'employez pas un autre remède, la maladie augmentera. Rappelez-vous les ruines qui se sont faites dans toute l'Italie, pour n'avoir pas changé ces mauvais gouverneurs qui se conduisaient de manière à faire dépouiller l’Eglise de Dieu. Je sais que vous ne l'ignorez pas; que Votre Sainteté voie donc ce qui est à faire. Courage, courage, car Dieu ne méprise pas votre désir et les prières de ses serviteurs. Je n'en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XXIII. - AU CARDINAL PIERRE D'OSTIE. De la force que donne la charité pour servir Dieu et remplir les charges de l’Eglise.

(Le cardinal Pierre d'Ostie était Français, et de la famille d'Estaing, une des plus illustres du Rouergue. Il entra très jeune dans l'ordre de Saint-Benoît, fut nommé évêque de Saint-Fleur, puis archevêque de Bourges. Urbain V le fit cardinal au mois de juin 1370, et lui confia plusieurs charges importantes en Italie. Grégoire XI lui donna la légation de Bologne. Après avoir rempli avec gloire cette mission, il fut rappelé en 1374 à Avignon, et envoyé à Rome pour y préparer le retour du Souverain Pontife. Il y mourut le 25 novembre 1377. La lettre de sainte Catherine fut écrite au moment de sa nomination à Bologne, vers 1372; par conséquent notre sainte l'avait connu sans doute à Sienne même. Elle exerça sur lui une heureuse influence; le cardinal d'Estaing fut un des plus dévoués aux véritables intérêts du Saint-Siège, et contribua beaucoup, quoique Français, au retour du Pape à Rome.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher et révérend Père dans le Christ, le [238] doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié par les liens de la charité, comme vous êtes lié par' votre charge en Italie, ainsi que je l'ai appris (Con desiderio di vidervi legato nel legame della carità, siccome sete fatto legato in Italia. Sainte Catherine se sert du double sens du mot legato, qui on italien veut dire lié et légat.). Cette nouvelle m'a causé une grande joie, parce que je suis persuadée que vous pouvez faire beaucoup pour l'honneur de Dieu et pour le bien de la sainte Eglise. Le lien de cette charge serait inutile sans un autre lien; et c'est pourquoi je vous dis que je désire vous voir lié par les liens de la charité; car vous savez qu'aucun effet de la grâce ne peut se produire en vous et dans le prochain sans la charité. La charité est le saint et doux lien qui lie l'âme à son Créateur, elle lie Dieu en l'homme, et l'homme en Dieu; c'est cette ineffable charité qui a attaché et cloué l'Homme-Dieu sur le bois de la très Sainte Croix; c'est elle qui [239] apaise les discordes, qui unit ceux qui sont séparés, et qui enrichit ceux qui sont pauvres de vertus, parce qu'elle donne la vie à toutes les vertus (Dialogue, CLIV, 7); elle donne la paix, et finit la guerre; elle donne la patience, la force et l'infatigable persévérance dans toutes les bonnes et saintes entreprises; elle ne se fatigue jamais, et n'est jamais séparée de l'amour de Dieu et du prochain, ni par la peine, ni par les injures, les mépris et les outrages; elle n'est pas ébranlée par l'impatience, par les délices et les plaisirs que peut lui offrir le monde trompeur.

2. Celui qui la possède persévère et reste toujours ferme, parce qu'il est appuyé sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus, qui lui a enseigné à aimer son Créateur, en suivant ses traces. Il a lu en lui la régle et la doctrine qu'il doit adopter, parce qu'il est la voie, la vérité, la vie. Aussi, celui qui lit en lui le livre de vie, suit la voie droite, et cherche uniquement l'honneur de Dieu et le salut du prochain. C'est ainsi qu’a fait le Christ, le doux Jésus; rien ne put lui ôter l'amour de l'honneur de son Père et de notre salut, ni les peines, ni les tourments, ni les injustices qui lui furent faites par notre ingratitude ; il persévéra jusqu'à ce qu'il eût satisfait son désir et accompli l’œuvre qui lui avait été confiée par son Père, l’œuvre de la rédemption du genre humain ; et c'est ainsi qu'il put honorer son Père et nous sauver.

3. Je vous demande d’avoir les mêmes liens, le même amour, et d'écouter la douce Vérité suprême, qui vous a tracé la voie, vous a donné la vie, la forme, [240] la règle, et vous a enseigné la doctrine de la vérité. Oui, vous, le fils et le serviteur racheté par le sang de Jésus crucifié, je veux que vous suiviez ses traces avec courage, zèle et promptitude, ne vous laissant point arrêter par la peine ou le plaisir, mais persévérant jusqu'à la fin dans cette œuvre et dans toutes celles que vous entreprendrez pour Jésus crucifié. Appliquez-vous à arracher les iniquités et les misères du monde, causées par tant de fautes qui se commettent et qui outragent le nom de Dieu. Soyez affamé de son honneur et du salut du prochain, et faites tout ce que vous pourrez faire pour réparer tant de maux. Je suis persuadée que, dans les doux liens de la charité, vous userez des pouvoirs que vous avez reçus du Vicaire de Jésus-Christ, comme nous l'avons dit mais sans le premier lien de la charité, vous ne pourrez le faire et remplir votre devoir. Aussi je vous conjure de vous appliquer à avoir en vous cet amour, à vous lier à Jésus crucifié, et à suivre ses traces par de vraies et solides vertus; unissez-vous aussi au prochain par des œuvres d'amour.

4. Mais je veux, très cher Père, que nous pensions que si notre esprit n'est pas dépouillé de tout amour-propre et de toute complaisance pour lui et pour le monde, il ne pourra jamais parvenir à ce vrai et parfait amour (Dialogue, VII, 1 ; LIV. II), à cette union de la charité. Car ces deux amours sont opposés, et si opposés, que l'amour-propre vous sépare de Dieu et du prochain, tandis que l'autre vous y unit; l'un vous donne la mort, l'autre vous donne la vie; l'un les ténèbres, l'autre la [241] lumière; l'un la guerre, l'autre la paix. L'amour-propre resserre le cœur tellement, qu'il ne peut vous contenir, ni vous, ni le prochain; tandis que la divine charité l'élargit et lui fait recevoir les amis, les ennemis et toutes les créatures raisonnables, parce qu'il est revêtu de l'amour du Christ, et qu'il suit ses traces. L'amour-propre est misérable, il s'éloigne de la justice et commet l'injustice; il a une crainte servile qui ne lui laisse pas faire son devoir, par erreur ou par peur de perdre sa position. C'est cette coupable servitude de la crainte qui conduisit Pilate à faire mourir le Christ. Ainsi font ceux qui sacrifient la justice à l'injustice. Au lieu de vivre selon la conscience et la vertu, par amour de Dieu, ils suivent l'injustice et le vice dans les ténèbres de l'amour-propre.

5. C'est cet amour que je veux voir banni de votre cœur, afin que vous soyez fondé dans la vraie et parfaite charité, aimant Dieu pour Dieu, parce qu'il est digne d'être aimé, parce qu'il est la souveraine et l'éternelle Bonté; vous aimant et aimant le prochain pour lui, et non pour votre utilité. O mon Père, je veux qu'étant le légat du Pape, vous soyez lié dans les liens de cette sincère et ardente charité que mon âme désire voir en vous. Je n'en dis pas davantage. Fortifiez-vous dans le Christ, le doux Jésus; soyez zélé, et non pas négligent, dans ce que vous avez à faire, et je verrai si vous êtes un vrai légat, et si vous avez faim de voir lever l'étendard de la très sainte Croix (Le cardinal d'Estaing fit tous ses efforts pour organiser la croisade que désirait tant sainte Catherine.). Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [242].

Table des Matières









XXIV. - AU CARDINAL PIERRE D'OSTIE. - Des malheurs de l'amour de soi-même, et de la crainte servile. - Elle l'exhorte à servir avec courage la sainte Eglise, et à imiter Jésus-Christ dans sa patience à tout souffrir.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un homme courageux et sans crainte, afin que vous suiviez courageusement l’Epouse du Christ, travaillant pour l'honneur de Dieu spirituellement et temporellement, selon les besoins de cette douce Epouse dans les circonstances actuelles. Je suis persuadée que si l’œil de

votre intelligence s'ouvre pour voir ses nécessités, vous le ferez avec zèle, sans peur et sans négligence. L'âme qui éprouve une crainte servile ne peut rien faire parfaitement, et dans quelque position qu'elle se trouve, dans les petites choses comme dans les grandes, elle échoue toujours, et ne conduit jamais ce qu'elle a commencé à sa perfection. Oh ! que cette crainte est dangereuse elle coupe les bras au saint désir, elle aveugle l'homme en ne lui laissant pas connaître et voir la vérité. Cette crainte procède de l'aveuglement de l'amour-propre ; car, aussitôt que la créature raisonnable s'aime de l'amour-propre sensitif, elle éprouve la crainte ; et la raison de cette crainte est qu'elle a placé son amour et son espérance [243] en des choses fragiles qui n'ont aucune force, aucune solidité, et qui passent comme le vent.

2. O amour coupable, combien tu es pernicieux aux supérieurs spirituels et temporels, et à ceux qui leur sont soumis Car si c'est un prélat, il ne reprend jamais, parce qu'il craint de perdre son pouvoir et de déplaire à ceux qui lui sont soumis ! Celui qui obéit en souffre également, car l'humilité ne peut se trouver en celui qui s'aime d’un pareil amour : l'orgueil y est enraciné, et l'orgueilleux n'est jamais obéissant. Si c'est un supérieur temporel, il n'observe pas la justice, et commet, au contraire, de nombreuses et criantes injustices, parce qu’il agit selon son caprice, ou selon le caprice des créatures. Dès qu'il ne réforme pas les abus et n'observe pas la justice, ses sujets deviennent plus mauvais, parce qu'ils s'entretiennent dans leurs vices et leur malice. Puisque l'amour-propre et la crainte coupable causent tant de dangers, il faut les fuir, et fixer l’œil de son intelligence sur l'Agneau sans tache, qui est notre règle et notre doctrine ; nous devons le suivre parce qu'il est l'amour et la vérité, et qu'il n'a cherché autre chose que l'amour de son Père et notre salut. Il ne craignait ni les Juifs, ni leurs persécutions, ni la malice des démons, ni la honte, les mépris, les affronts, et il ne recula pas enfin devant la mort ignominieuse de la Croix.

3. Nous sommes les disciples de cette douce et suave école. Je veux, très cher et très doux Père, que vous fixiez, avec un grand zèle et une sainte prudence, l’œil de votre intelligence sur cette vie, sur ce livre de vie qui contient la douce et suave doctrine. Ne recherchez [244] autre chose que l'honneur de Dieu, le salut des âmes et le service de la douce Epouse du Christ. Avec cette lumière, vous vous dépouillerez de l'amour-propre, et vous serez revêtu de l'amour divin ; vous chercherez Dieu pour son infinie bonté, parce qu'il est digne d'être cherché, d’être aimé par nous : vous vous aimerez, vous aimerez la vertu, vous détesterez le vice pour Dieu, et cet amour vous fera aimer votre prochain.

4. Vous voyez bien que la divine Bonté vous a placé dans le corps mystique de la sainte Eglise, vous a nourri sur le sein de cette douce Epouse, pour que vous mangiez sur la table de la très sainte Croix l'aliment de l'honneur de Dieu et du salut des âmes. Elle ne veut pas que vous vous nourrissiez ailleurs que sur la Croix, supportant les fatigues du corps et les angoisses du désir comme l'a fait le Fils de Dieu, qui a souffert à la fois les tourments du corps et le supplice du désir, la croix du désir, plus grande que la croix du corps. Cette croix du désir était la faim de notre rédemption, pour obéir à la volonté de son Père; et c'était pour lui une peine infinie de ne pas la voir accomplie. Comme sagesse du Père, il voyait ceux qui participaient à son sang, et ceux qui n'y participaient pas par leur faute; et parce que ce sang était donné pour tous, il s'affligeait de l'aveuglement de ceux qui ne voulaient point y participer. Ce désir fut son supplice depuis sa naissance jusqu'à sa mort; mais quand il eut donné sa vie, son désir ne finit pas, mais seulement la croix du désir. Vous devez faire ainsi, vous et toute créature raisonnable ; vous devez souffrir de corps et de désir, vous affligeant de l'offense [245] de Dieu et de la damnation de tant d'âmes que nous voyons périr.

5. Il me semble, très cher Père, qu'il est temps de rendre honneur à Dieu et de souffrir pour le prochain; il ne faut plus écouter, pour agir, l'amour-propre sensitif et la crainte servile, mais l'amour véritable et la sainte crainte de Dieu. Vous êtes maintenant préposé au temporel et au spirituel, et je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, d'agir avec courage; procurez l'honneur de Dieu, quand vous le pourrez et autant que vous le pourrez, travaillant toujours, par vos conseils et votre secours, à détruire le vice et à glorifier la vertu. Quant à vos actes temporels, qui deviennent spirituels par une intention sainte, faites-les avec courage, poursuivant, autant que vous le pourrez, la paix et l'union dans tout ce pays (Le cardinal d'Estaing suivit les conseils de sainte Catherine. Après avoir vaincu par les armes Barnabé Visconti, seigneur de Milan, il lui accorda la paix, et attacha les seigneurs d'Este au Saint-Siège en leur donnant la souveraineté de Ferrare moyennant un tribut annuel de mille florins.); et pour cette oeuvre sainte, s'il fallait donner la vie de votre corps mille fois, s'il était possible, il faudrait la donner. N'est-ce pas une chose bien triste de nous voir en guerre avec Dieu par la multitude des péchés des inférieurs et des supérieurs, et par la revolte contre la sainte Bglise, de nous voir ainsi les armes àla main pour combattre les uns contre les autres, tandis que tout fidèle devrait s'apprêter à combattre les infidèles et les faux chrétiens Nous accablons ainsi les serviteurs de Dieu de douleur et d'amertume [246], quand ils voient tant d'offenses mortelles pour les âmes qui périssent à cette occasion ; et les démons se réjouissent de voir ce qu'ils voulaient voir. Il est bien de donner sa vie, à l'exemple du Maître de la vérité, et de ne pas s'arrêter aux honneurs ou aux persécutions du monde, qui voudrait nous faire souffrir et nous donner la mort du corps.

6. Je suis persuadée que si vous êtes revêtu de l'homme nouveau, du Christ, le doux Jésus, si vous êtes dépouillé du vieil homme, c'est-à-dire de la propre sensualité,- vous vous conduirez avec zèle, parce que vous serez libre de la crainte servile. Sans cela, vous n'y parviendrez jamais, et vous tomberez de plus dans les défauts dont je vous ai parlé. Je comprends combien il vous est nécessaire d'être un cœur courageux, sans crainte servile et libre de tout amour de vous-même, puisque Dieu vous a placé à ce poste, qui ne demande qu'une sainte crainte. Je vous ai dit que je désirais vous voir un homme courageux et sans crainte. J'espère de la Bonté divine qu'elle vous fera, à vous et à moi, la grâce d'accomplir sa volonté, votre désir et le mien. La paix, la paix, la paix, très cher Père; pensez à vous et aux autres, et faites considérer au Saint-Père la ruine des âmes plutôt que celle des cités; car Dieu estime plus les âmes que les cités. Je finis; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [247].

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XXV. - AU CARDINAL PIERRE DE LUNE . - De l'amour de la vérité, qu'on arrive à connaître dans le sang de Jésus-Christ, à la lumière de la sainte foi. - Elle l'invite à travailler à la réforme de l'Eglise, et à supporter les murmures avec patience.

(L'Espagnol Pierre de Lune avait été nommé cardinal en 1375 par Grégoire XI, qui l'avait mis en garde contre son ambition en lui disant Caveas ne tua Luna paliatur ecclipsim. Il connut sainte Catherine pendant son séjour à Avignon, et fut très lié avec le bienheureux Raymond de Capoue. Il montra d'abord beaucoup de fermeté dans l'élection d'Urbain VI, et ne voulut pas se prêter aux hommages qu'on rendit au cardinal de Saint-Pierre pour calmer les Romains, qui voulaient un Pape italien. Il disait tout haut Non conflabo vitulum, nec flectam genua coram Baal. Unus est, et debet esse verus papa, et non duo. Cette première lettre est écrite après la violation de l'interdit de Florence, arrivée le 8 octobre 1377.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer sincèrement la douce vérité. C'est la vérité qui nous délivre, car personne ne peut rien faire contre la vérité; mais cette vérité ne peut s'acquérir parfaitement, si l'homme ne la connaît pas. En ne la connaissant pas, il ne l'aime pas; et en ne l'aimant pas, il ne trouve pas en lui et ne suit pas la vérité. Ainsi [248] donc, nous avons besoin de la lumière de la très sainte Foi; cette lumière est la pupille de l’œil de l'intelligence, avec lequel, lorsqu'il est éclairé par. la sainte Foi, l'âme connaît la douce vérité de Dieu, voyant que Dieu ne veut véritablement autre chose que notre sanctification. Tout ce qu'il nous donne, ou tout ce qu'il permet en cette vie, n'a d'autre but que de nous sanctifier en lui. C'est ce qui prouve que Dieu ne veut pas autre chose de nous, qu'il nous a créés à son image et ressemblance pour que nous jouissions de lui et que nous participions à son bonheur éternel. C'est le sang de son Fils unique, répandu avec un si ardent amour; c'est ce sang qui nous a fait renaître à la grâce; car si Dieu n'avait pas vu et voulu notre bien, il ne nous aurait pas donné un semblable Rédempteur.

2. C'est donc dans ce sang que nous connaissons la vérité à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l’œil de l'intelligence. Alors l'âme s'embrase et se nourrit dans l'amour de cette vérité; et par amour de la vérité, elle préférerait la mort à l'oubli de la vérité. Elle ne tait pas la vérité quand il est temps de parler, car elle ne craint pas les hommes du monde; elle ne craint pas de perdre la vie, puisqu'elle est disposée à la donner par amour de la vérité. Elle craint Dieu seul. La vérité reprend hautement, parce que la vérité a pour compagne la sainte justice, qui est une perle précieuse qui doit briller en toute créature raisonnable, mais surtout dans un prélat. La vérité se tait quand il est temps de se taire; et en se taisant, elle crie par la patience, car elle n'ignore pas, mais elle discerne et elle connaît [249] où se trouve plus l'honneur de Dieu et le salut des âmes. O très cher Père, passionnez-vous pour cette vérité, afin que vous soyez une colonne dans le corps mystique de la sainte Eglise, où il faut répandre la vérité; car la vérité est en elle, et parce qu'elle est en elle, elle veut qu'elle soit administrée par des personnes qui en sont passionnées et éclairées, et non par des ignorants qui sont séparés de la vérité.

3. Il me semble que l'Eglise de Dieu a un extrême besoin de bons ministres; car le nuage de l'amour-propre a tellement augmenté dans les intelligences, que personne ne parait pouvoir connaître la vérité. Les hommes ne l'aiment pas, parce qu'ils sont pleins de l'amour sensuel et particulier d'eux-mêmes; ils ne peuvent remplir leurs cœurs et leur affection de l'amour de la vérité; et c'est ainsi que la fable et le mensonge abondent sur les lèvres de ceux qui devraient annoncer la vérité. Je puis, mon très cher Père, vous assurer que les choses en sont ainsi; Car dans le lieu où je me trouve (Sainte Catherine était alors à Florence.), sans parler des séculiers, dont beaucoup sont méchants, et peu sont bons, les religieux, les clercs, et surtout les Frères Mendiants, qui sont chargés par la douce Epouse du Christ d'annoncer et de répandre la vérité, l'oublient et l'outragent du haut de la chaire. Ce sont sans doute mes péchés qui en sont cause. Je dis cela pour l'interdit qu'ils ont violé. Non seulement ils ont fait le mal, mais ils enseignent qu'on peut célébrer les Offices en toute sûreté de conscience, [250]et que les séculiers peuvent y assister; ils disent que ceux qui n’y vont pas commettent un péché. Ils ont fait tomber ainsi le peuple dans un tel désordre, que c'est une douleur d'y penser, et surtout de le voir (Le 8 octobre, jour de sainte Reparata, fête patronale de la cathédrale de Florence, le peuple força les prêtres et les religieux à ouvrir les églises et à célébrer les Offices malgré l'interdit, en imposant de fortes amendes à tous ceux qui n'obéiraient pas.). Ce qui les fait parler et agir de la sorte, c'est la crainte servile des hommes, le désir de leur plaire et de recevoir des offrandes, Hélas ! hélas ! je meurs, et je ne puis cependant mourir, en voyant abandonner la vérité à ceux qui devaient mourir pour elle.

4. Aussi je veux, mon doux Père, que vous vous passionniez pour la vérité. Vous avez maintenant commencé, en reconnaissant que l’Epouse du Christ avait besoin d'un saint et bon pasteur, et vous avez agi sans crainte en toute occasion. Pour que votre persévérance soit couronnée de succès, je vous prie de faire toujours retentir la vérité a l'oreille du Christ de la terre, afin qu'il réforme son Epouse dans la vérité. Dites-lui avec fermeté qu'il la réforme par de bons et saints pasteurs, réellement et en vérité, non pas seulement avec de simples paroles, car ce qu'on dit sans agir ne sert de rien. S'il ne donne pas de bons pasteurs, il ne pourra jamais accomplir le désir qu'il a de réformer l’Eglise.

5. Qu'il veuille donc, par amour pour Jésus crucifié, s'appliquer avec espérance et douceur à déraciner les vices et à faire fleurir la vertu autant [251] qu'il le pourra; qu'il lui plaise de pacifier l'Italie, afin qu'avec une belle armée enrôlée sous l'étendard de la Croix, nous puissions nous sacrifier à Dieu pour l'amour de la vérité. Priez-le qu'il ne laisse jamais les fautes impunies, surtout celles de ceux qui outragent la sainte Foi par amour d'eux-mêmes. Qu'il s'entoure de serviteurs de Dieu capables de l'aider à porter son fardeau. S'il veut guérir la corruption que cause le désordre, il faut que lui, vous et les autres, vous supportiez les persécutions et les coups de la langue des hommes. Mais si vous aimez la vérité, avec la perle précieuse de la justice, enchâssée dans la miséricorde, en n'imposant à personne au delà de ses forces, ne vous inquiétez de rien, ne tournez jamais la tête en arrière pour regarder la charrue, mais soyez constants et persévérants jusqu'à la mort. Si vous connaissez et si vous aimez la vérité, vous ne craindrez pas la peine; vous y trouverez, au contraire, votre bonheur. Mais si vous n'avez pas le doux et pur amour de la vérité, votre ombre seule vous fera peur. Aussi, en voyant qu'il n'y avait pas d'autre route, je vous ai dit que je désirais vous voir l'ami fidèle de la vérité. Je vous demande donc, par amour pour Jésus crucifié et pour ce doux sang répandu avec tant d'ardeur, de devenir l'époux de la vérité, afin d'accomplir la volonté de Dieu en vous et le désir de mon âme, qui souhaite vous voir mourir pour la vérité. Je finis; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [252].

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XXVI. - AU CARDINAL PIERRE DE LUNE, lettre écrite en extase. - Du zèle pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. - Elle le presse de faire tous ses efforts pour apaiser les différends qui s’élevaient entre le Pape et les cardinaux.

(Cette lettre fut écrite après l'élection d'Urbain VI, faite le 9 avril 1378. Le conflit entre le Pape et les cardinaux était déjà commencé.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme une colonne inébranlable dans le jardin de la sainte Eglise. Que je vous voie dépouillé de cet amour-propre qui affaiblit toute créature raisonnable, et riche de ce seul amour véritable qui est fondé sur la pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, en suivant toujours ses traces. Dans cet amour, l'âme se fortifie, parce qu'elle a consumé tout ce qui l'affaiblissait. Non seulement elle est forte pour elle-même, mais elle communique souvent sa force au prochain. Oui, vous pouvez fortifier les autres, vous et vos semblables, lorsque vous donnez à ceux qui vous sont soumis et aux autres séculiers l'exemple d'une sainte et honnête vie, et une doctrine fondée sur la vérité. C'est par la doctrine et la bonne vie que l'homme montre qu'il est exempt de faiblesse, et fort contre ses trois principaux [253] ennemis, c'est-à-dire contre le démon, en ne suivant pas sa malice; contre le monde, en ne suivant pas ses vanités, et en refusant ses honneurs et ses plaisirs; contre sa propre fragilité, et contre la chair, qu'il a foulée aux pieds de son affection et à la lumière de la raison, en ne recherchant pas avec une délicatesse déréglée les jouissances du corps et les aliments délicats, et en se mortifiant, au contraire, par la pénitence, les jeûnes, les veilles, l'humble et continuelle prière. Par ce moyen, elle ne se laisse pas commander par la chair fragile, mais par la raison, comme nous devons le faire, afin que l’âme soit maîtresse, comme elle doit l'être, et que les sens soient esclaves.

2. C'est certainement une honte et une grande confusion pour l'homme, de ne pas jouir d'une liberté si parfaite que personne ne puisse en dépouiller son âme, et de devenir le misérable serviteur et l'esclave de ces trois ennemis qui le réduisent à rien, en le privant de la vie de la grâce. Ceux qui sont forts sont libres, parce qu'ils sont délivrés des mains de leurs ennemis, et qu'ils ont armé la cité de l'âme d'une troupe de vraies et solides vertus. Oh ! combien doucement vivent ceux-là qui ont le zèle de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, qui fortifient le prochain et l'encouragent par leur vertu. Cette vertu les dépouille de l'amour d'eux-mêmes qui les affaiblissait, et c'est pourquoi j'ai dit que celui qui devient fort peut fortifier souvent son prochain.

3. Aussi je veux, très cher Père, que vous soyez une colonne ferme et inébranlable, que vous ne soyez influencé ni par ce que le monde peut donner [254], ni par les persécutions que peuvent soulever les clercs dans le corps mystique de la sainte Eglise. Si vous n'êtes pas dépouillé de l'amour de vous-même, il est certain que vous serez faible, et que votre faiblesse vous réduira au néant. Aussi mon âme désire vous voir si fort, que rien ne vous arrête, et que vous puissiez prêter aide et secours aux faibles. Donnez, donnez du sang du Christ à votre âme, afin que tout enivrée, elle coure sur le champ de bataille pour combattre avec courage. Que la mémoire s'emplisse de ce précieux sang; que l'intelligence y voie et comprenne la sagesse du Verbe, le Fils unique de Dieu, qui a vaincu par le sang notre malice et la malice de l’antique serpent, en revêtant l'amorce de notre humanité. Que la volonté s'élance, tout enivrée du sang du Christ, où elle trouve l'abîme de sa charité; qu'elle l'aime, et qu'elle l'aime de tout son cœur de toute son âme, de toutes ses forces, jusqu'à la mort, ne pensant jamais à elle, mais seulement à Jésus crucifié. Qu'elle s'asseye à la table de la Croix, et qu'elle y prenne la nourriture des âmes pour l'honneur de Dieu, en souffrant avec patience jusqu'au dernier soupir, en portant les défauts du prochain devant Dieu avec une grande compassion, et en acceptant avec résignation l'injustice qui nous est faite. Agissons ainsi, très cher Père, car c'est le moment.

4. Il me semble que j'ai entendu dire que la discorde naissait entre le Christ de la terre et ses disciples. J'en éprouve une douleur inexprimable, par la seule crainte que j'ai de l'hérésie. J'ai bien peur quelle ne vienne à cause de mes péchés; et je vous [255] conjure par ce glorieux et précieux sang qui a été répandu avec un si ardent amour, que vous ne vous sépariez jamais de la vertu et de votre chef (Cette prière semble être une prophétie de la chute du cardinal Pierre de Lune. Sainte Catherine avait annoncé les malheurs du schisme au bienheureux Raymond pendant son séjour à Pise, en 1375. - C'est d’elle-même qu'elle parle dans le paragraphe suivant. (Vie de sainte Catherine, p. II, ch. X.). Je vous prie de supplier le Christ de la terre de faire promptement la paix; car il serait trop dur d'avoir à combattre au dedans et au dehors; qu'il dispose les voies pour y réussir. Dites-lui qu'il se prépare de bonnes colonnes, maintenant qu'il est sur le point de créer des cardinaux; que ce soient des hommes courageux, qui ne craignent pas la mort, mais qui soient prêts à souffrir pour l'amour de la vérité et pour la réforme de l’Eglise, jusqu'à la mort, et à donner leur vie, s'il le faut, pour l'honneur de Dieu.

5. Hélas ! hélas! ne perdez pas le temps, et qu'il n'attende pas, pour appliquer le remède, que la pierre lui tombe sur la tète. Hélas! que mon âme est à plaindre! tout le reste, la guerre, le déshonneur et les autres tribulations ne me semblent qu'une paille, une ombre, en comparaison de ceci. Oui, je vous assure, je tremble à cette seule pensée, surtout depuis qu'une personne m'a fait comprendre que cette affaire était plus grave et plus dangereuse que la guerre elle-même. Je vous dis qu'il semblait que le cœur et la vie allaient lui manquer. Elle invoquait et suppliait la miséricorde divine de prévenir tant de maux, et elle désirait que son corps répandit son [256] sang par la violence d'un saint désir; il ne lui semblait pas qu'une sueur ordinaire fût suffisante; elle eût voulu une sueur de sang, et elle eût été contente de voir son corps détruit.

6. Je crois, mon très cher Père, qu'il vaut mieux me taire que de parler sur ce sujet; mais je vous prie, autant que je le sais et que je le puis, de supplier le Christ de la terre et les autres de faire sur-le-champ cette paix, et de prendre, pour y arriver, tous les moyens possibles pour honorer Dieu, réformer la sainte Eglise et apaiser ce scandale. Et si cependant il arrivait, fortifiez-vous dans la vertu avec des hommes vertueux, afin de pouvoir résister, en chassant les ténèbres et en restant dans la lumière. Je ne doute pas que Dieu ne le fasse par son infinie miséricorde; qu'il ne dissipe les ténèbres et l'infection de son Épouse,et qu'il ne lui rende son parfum et la lumière quand il plaira à son infinie et ineffable bonté. C'est ce qui console et réjouit mon âme; sans cela, je crois que je mourrais de douleur. Soyez donc courageux et ferme comme une colonne inébranlable. Je prierai et je ferai prier Dieu pour qu'il en soit ainsi. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, mon Père, à ma présomption, si j'ose parler ainsi; que l'amour et la douleur m'excusent devant vous. Doux Jésus, Jésus amour [257].

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XXVII. - AU CARDINAL JACQUES ORSINI. - De la divine charité, et de la route que Jésus-Christ nous a enseignée par ses souffrances et par sa mort.

(Jacques Orsini, fils du comte de Nole, fut nommé cardinal par Grégoire XI, en 1371. Il se rendit à Avignon pour recevoir le chapeau, et s’arrêta à Sienne le 13 octobre de la même année. C’est alors sans doute qu'il fit connaissance de sainte Catherine. Il suivit le Pape à Rome, et fit partie du conclave qui nomma son successeur. Il espéra un instant être choisi comme doyen des cardinaux diacres; il couronna Urbain VI; mais il pencha ensuite vers le schisme, sans formellement se prononcer. Il mourut le 15 août 1379.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher et très aimé Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans les liens d'une divine et très ardente charité. C'est cette charité qui a porté Dieu à nous tirer de lui-même, c’est-à-dire de son infinie sagesse, pour que nous soyons heureux, et que nous participions à son bonheur suprême. C'est ce lien qui, lorsque l'homme eut perdu la grâce par son péché, unit et lia Dieu à la nature humaine et le greffa sur nous. Car la vie a été greffée sur la mort; nous étions morts, et son union nous a donné la vie. Dès que Dieu fut ainsi greffé sur l'homme, l'Homme-Dieu courut, tout embrasé d'amour, a la mort ignominieuse de la Croix. C'est sur cet arbre que voulut être greffé le Verbe incarné, et il a été [258] attaché sur la Croix par l'amour et non par des clous qui n'auraient pas suffi à retenir l'Homme-Dieu. Le doux Maître est monté sur ce siège pour nous enseigner la doctrine de la vérité; et l'âme qui la suit ne peut tomber dans les ténèbres. Il est la voie qui conduit à cette école, c’est-à-dire à l'imitation de ses œuvres. Il l'a dit lui-même : " Je suis la voie, la vérité, la vie et c'est ainsi qu'il est véritablement Père. "

2. Celui qui suit ce Verbe a travers les injures, les mépris. les opprobres, les peines, les tourments, avec la vraie et sainte pauvreté, avec l'humilité et la douceur à supporter les injures et les peines, avec une sincère et inaltérable patience, celui qui écoute le Maître qui est la voie parce qu'il l'a faite et observée le premier, celui-là rend toujours le bien pour le mal, car c'est là sa doctrine. Vous voyez bien avec quelle patience il a supporté nos iniquités il parait ne pas les voir; et cependant quand viendra l'heure de la mort, il montrera qu'il les a bien vues, puisque toute faute sera punie et toute vertu récompensée. Il entendait avec une admirable patience les injures qu'on lui adressait sur la Croix. Il entendait le cri des Juifs qui criaient : Crucifiez-le, ou bien : Qu'il descende de la croix; et il disait : Pardonnez-leur, mon Père; mais il restait immobile quand on lui disait de descendre. Il persévéra jusqu'à la fin, et cria avec une joie sublime Tout est consommé, Consummatum est.

3. Il semble que ce soit là un cri de tristesse; mais c’est le cri de joie de l'âme consumée et brûlée dans le feu de la divine charité du Verbe incarné, le [259] Fils de Dieu. Il semble que le doux Jésus veut dire : J'ai consommé et accompli tout ce qui est écrit de moi; j'ai consommé la peine du désir que j'avais de racheter le genre humain. Je suis dans la joie et dans l'allégresse parce que j'ai consommé cette peine et satisfait la volonté manifeste de mon père, que je désirais tant accomplir. O doux Maître, comme vous nous avez bien enseigné la voie et la doctrine! Comme vous nous avez bien dit la vérité, en nous apprenant que vous étiez la voie, la vérité, la vie! Celui-là qui suit cette voie et cette doctrine ne peut avoir en lui la mort, mais il reçoit la vie éternelle. Ni le démon, ni les créatures, ni l'injure ne peuvent la lui enlever si sa volonté n'en est pas complice. Que l'orgueil de l'homme rougisse donc de cette complaisance et de cet amour qu'il a pour lui même, en voyant la bonté de Dieu si grande en lui, tant de grâces et tant de bienfaits reçus sans mérite et par grâce; et il semble que l’homme insensé ne voie pas cette ardeur, cette flamme. Si nous n'étions pas de pierre, nous devrions en être brisés.

4. Hélas, hélas ! infortunée que je suis, la seule cause de ce malheur, selon moi, c'est que l’œil de l'intelligence ne veut pas s'élever sur l'arbre de la Croix, où paraissent ces flammes d'amour si douces et si pénétrantes, et cette doctrine si féconde en fruits qui donnent la vie. C'est de là que viennent ses largesses, car sa générosité a ouvert et déchiré son corps; il s'est immolé lui-même, il nous a fait un bain et un baptême de son sang, et nous pouvons, nous devons user chaque jour avec un grand amour et une continuelle reconnaissance de ce baptême; car de [260] même que le baptême de l'eau purifie l'âme du péché originel et lui donne la grâce, de même ce sang lavera nos iniquités; il apaisera l'impatience, calmera l'injure et l'effacera de l'esprit qui ne cherchera pas à la venger, et l'âme recevra la plénitude de la grâce qui mène par la voie droite.

5. Aussi je dis que l'âme, en voyant cela, ne peut s'empêcher de se renoncer parfaitement et de tuer cette volonté perverse des sens qui se révolte contre elle et contre son Créateur ; elle se passionnera pour l'honneur de Dieu et pour le salut de la créature. Elle ne fera plus attention à elle-même, mais elle fera comme l'homme qui aime : son cœur et son affection ne se reposent pas en lui, mais dans l'objet de son amour. Et l'amour a tant de puissance, que de celui qui aime et de celui qui est aimé, il ne fait qu'un cœur et qu'une âme; ce qui est aimé de l'un est aimé de l'autre, car s'il y avait quelque division, l'amour ne serait pas parfait. Et j'ai souvent remarqué que quand nous aimions une chose, ou pour notre utilité, ou pour le plaisir que nous y trouvons, on ne s'arrête pas pour l'obtenir aux affronts, aux injures, aux peines qu'il faut supporter; on ne regarde pas à la fatigue, mais on cherche tous les moyens de remplir la volonté de la chose qu'on aime.

6. O mon très cher Père ne nous laissons pas couvrir de honte par les enfants des ténèbres. Car ce serait une grande confusion pour les enfants de la lumière, pour les serviteurs de Dieu qui sont choisis et tirés du monde pour être des fleurs et des colonnes dans le jardin de la sainte Eglise. Vous devez être [261] une fleur embaumée et non infecte; vous devez être revêtu de la blancheur de la pureté, avec le parfum de la patience et d'une ardente charité ; vous devez être généreux, libéral, et non pas avare, imitant la Vérité suprême, qui a donné sa vie avec générosité. C'est ce parfum que vous devez offrir à la douce Epouse du Christ, qui se repose dans ce jardin. Oh! que cette aimable Epouse se plaît dans ces douces et solides vertus ! Celui-là est son fils légitime; elle le nourrit sur son sein, en lui donnant le lait de la divine grâce qui est bonne et suffisante pour nous donner la vie de l'éternelle union de Dieu. Aussi le Christ dit au cher Paul "  Paul, ma grâce te suffit (II, Ép. aux Cor., XII, 9 - Sainte Catherine avait une tendre dévotion pour Saint Paul, qu'elle appelait Paoluccio ou Paoloccio). " Je dis que vous êtes une colonne placée pour garder le lieu de cette Epouse, et vous devez par conséquent être fort et non faible ; car une chose faible, le moindre vent la fait tomber, qu'il vienne de la tribulation ou de l'injure qu'on reçoit, ou bien de la trop grande prospérité, des honneurs ou des plaisirs du monde. Je veux donc que vous soyez fort, parce que Dieu vous a fait une colonne de la sainte Eglise.

7. Et quel est le moyen de fortifier notre faiblesse? c'est l'amour. Mais tout amour n'est pas propre à nous fortifier: ce n'est pas l'amour de la fortune des richesses, pas plus que l’orgueil, la colère, la haine de ceux qui nous font injure; ce n'est pas l'amour d'aucune chose créée en dehors de Dieu. Un semblable amour, non seulement ne nous donne pas la force, mais il nous ôte au contraire celle que nous avons [262]. Cet amour est si pauvre et si misérable, qu'il conduit l'homme à la plus honteuse servitude qu'il puisse y avoir ; il le rend le serviteur et l'esclave du néant, et lui ôte sa dignité et sa grandeur. Il est bien juste qu'il en soit puni, car il s'est éloigné lui-même de Dieu. Nous n'avons donc d'autres choses à faire que de placer notre affection, notre désir, notre amour dans un être plus fort que nous, c'est-à-dire en Dieu, ou nous trouvons toute force. C'est notre Dieu qui nous a aimés sans être aimé. Aussi, dès que l’âme a trouvé et goûté un si doux amour, plus fort que tout ce qui est fort, elle ne peut plus rechercher et désirer autre chose que lui. Hors de lui, elle ne demande et ne veut rien; elle est forte parce qu'elle est appuyée et fixée sur une chose ferme et inébranlable. Elle ne change jamais, quoi qu'il arrive, et elle suit toujours les traces et les mouvements de Celui qu'elle aime. Comme elle n'a qu'un cœur et qu'une volonté avec lui, elle voit parfaitement que le Christ a aimé la peine et l'humiliation, tout Fils de Dieu qu'il était il a été, parmi les hommes, un Agneau humble, doux et méprisé.

8. Aussi ses serviteurs se réjouissent de suivre cette voie, ils fuient et détestent tout ce qui lui est contraire. Ils sont devenus une même chose avec lui. et ils aiment ce que Dieu aime, et détestent ce que Dieu déteste. Ils reçoivent une force si grande, que rien ne peut leur nuire. Ils sont comme de vrais chevaliers qui voient les plus grandes tempêtes sans s'en inquiéter. Ils ne craignent rien, parce qu'ils ne se confient pas en eux-mêmes; ils ont mis toute leur espérance, toute leur foi en Dieu, qu'ils aiment, parce qu'ils voient qu'il est fort, qu'il veut et peut les secourir [263]. Ils disent alors avec une grande humilité, comme saint Paul : " Je puis tout par Jésus crucifié qui est en moi et me fortifie. Ne dormez donc plus, mon Père, car vous êtes une colonne faible par vous-même; mais unissez-vous à l'arbre de la Croix ; liez-vous par l'amour, par une charité ineffable et sans bornes avec l'Agneau immolé qui verse son sang de toutes les parties de son corps. Que nos cœurs se brisent plus de dureté, plus de négligence, car le temps ne dort pas, mais il poursuit son cours. Demeurons avec Dieu par l'amour et le saint désir, et nous n'aurons plus rien â craindre.

9. Le saint et doux remède de l'âme, c'est de reconnaître son néant, c'est de voir toujours que le péché seul vient d'elle, et que tout le reste vient de Dieu. Quand elle se connaît et qu'elle connaît Dieu, elle connaît sa bonté sur elle ; et la connaissant, elle l'aime et elle se déteste, non pas comme créature, mais comme rebelle à son Créateur. En partant de cette sainte et vraie connaissance, elle ne se trompe pas de route, mais elle marche avec courage, car elle est unie et transformée en Celui qui est la voie, la vérité, la vie ; et elle est si forte, que ni le démon, ni la créature ne lui peuvent ôter sa force, parce quelle est devenue une même chose avec lui. Tout mon désir est de vous voir dans ces doux et puissants liens, et un des signes principaux qui montrent que nous sommes les amis et les disciples du Christ, c'est de rendre le bien pour le mal. Si nous ne le faisons pas, nous sommes en état de damnation. Le faire est agréable à Dieu en toute créature, mais surtout en ceux qui sont, comme vous, dans la sainte Eglise, des miroirs où les séculiers doivent [264] regarder. Nous devons bien considérer que l'injure que nous faisons à Dieu, qui est infini, est plus grande que celle qui nous est faite par la créature, qui est finie. Et nous voulons cependant qu'il nous pardonne et qu'il fasse la paix avec nous; nous désirons qu’il ne paraisse pas voir nos offenses. Nous devons faire de même pour nos ennemis: je vous le demande et je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, faites-le pour l'honneur de Dieu et pour votre salut. Je n'en dis pas davantage pardonnez à mon ignorance, c’est l'abondance du cœur qui fait trop parler la langue. Je vous prie, au nom de cet amour ineffable, d'être dans l’Eglise un valeureux champion, cherchant toujours l'honneur de Dieu, son exaltation, et non la vôtre, comme ceux qui tuent et dévorent les âmes. Appliquez-vous à faire tout ce que vous pourrez, et priez le Saint-Père de venir sans tarder davantage. Encouragez-le à lever l'étendard de la très sainte Croix contre les infidèles, parce que la guerre que se font les chrétiens sera détournée sur eux. Ne craignez rien de ce que vous verrez arriver; car le secours de Dieu est prés de nous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de. Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [265].

Table des Matières









XXVIII.- AU CARDINAL JACQUES ORSINI. - Elle l'exhorte à devenir une ferme colonne de l'Eglise, et travailler au salut des âmes. - Elle le prie d’engager le Souverain Pontife à faire la paix avec les rebelles, pour porter ensuite la guerre chez les infidèles.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne ferme et inébranlable placée dans le jardin de la sainte Eglise pour résister aux vents contraires qui soufflent de tous côtés. Si elle n'est pas fondée sur la pierre, elle tombera, et il faut que ce fondement soit bien profond ; car s'il ne l’était pas, la colonne serait faible. O mon Père dans le Christ Jésus ! vous êtes une colonne qui doit avoir pour base l'humilité, et cette humilité s'acquiert dans la vraie connaissance de soi-même. Car l'homme se laisse aller à l’orgueil, parce qu'il ne se connaît pas; s'il connaissait son néant, il ne tomberait pas dans l'orgueil. L'être qu'il a, il l'a reçu de Dieu seul. Nous n'avons jamais demandé à Dieu qu'il nous créât. Il a été poussé par le feu de sa divine charité, par l'amour qu'il a eu pour sa créature; en la regardant en lui-même, il s'est passionné pour sa beauté et pour l’œuvre de ses mains. De même, l'âme qui regarde en soi y trouve la bonté de Dieu, et elle l'embrase tellement d'amour, qu'elle ne peut plus [266] aimer et désirer que Dieu, en qui elle a trouvé une bonté sans bornes. Elle voit quelle est la pierre où est fixé l'étendard de la très sainte Croix : le rocher et les clous n'auraient pu le tenir sans la force de l'amour que Dieu avait pour l'homme.

2. Je me rappelle ce qui fut dit à une servante de Dieu qui s'écriait dans l'ardeur qu'elle ressentait : " O mon Seigneur! Si j'avais été la pierre et la terre où fut plantée votre Croix, quelle grâce j'aurais eue de recevoir votre sang qui coulait de la Croix! " La douce et suprême Vérité lui répondait:  " Ma fille bien-aimée, toi et les autres créatures raisonnables, vous étiez la pierre qui me reteniez, car ce ne pouvait être que mon amour pour vous, tout autre chose était incapable de me retenir, moi l'Homme-Dieu. " Qu'ils rougissent donc ces pauvres cœurs misérables et ambitieux livrés tout entiers aux choses grossières de cette vie ténébreuse, aux grandeurs, aux honneurs et aux délices du monde. Ceux-là ont pour seul fondement l'amour d'eux-mêmes, parce qu'ils ne veulent pas supporter la fatigue et suivre la voie des opprobres, des abaissements et de la pauvreté volontaire qu'à suivie le bon et doux Jésus.

3. Je vous dis, mon très cher Frère, que celui-là ne résiste pas, le moindre vent le jette par terre; car son fondement, c'est-à-dire son amour est placé dans des choses vaines, légères et transitoires qui passent et fuient comme le vent. Vous voyez bien qu'en dehors de Dieu rien n'est solide ; si c'est la vie, elle disparaît. De la vie nous allons à la mort, de la santé a la maladie, de l'honneur à la honte, de la richesse à la pauvreté; tout passe, tout se. précipite. Oh! combien se [267] trompe celui qui met son affection en ces choses! Il l'y met parce qu'il s'aime lui-même d'un amour sensuel; il aime ce qui flatte cette partie grossière de lui-même; mais il ne s'aime pas d'un amour raisonnable fondé sur la vertu. Car, s'il s'aimait par raison et par vertu, et non pas avec l'amour de lui-même et du monde, en se cherchant et en cherchant les créatures plus que Dieu, il ne perdrait rien quand tout vient à lui manquer; il n'en ressentirait aucune peine, car il n'aurait pas cet amour qui seul fait souffrir ceux qui aiment hors de Dieu : mais il ne souffre pas celui qui s'aime et qui aime les créatures dans la connaissance solide et véritable de son Créateur. Il voit bien que c'est Dieu qui lui donne ou lui ôte les choses spirituelles ou temporelles, en voulant uniquement notre bien et notre sanctification.

4. Alors, avec cette lumière et cette connaissance qu'il a acquise de lui, de la bonté de Dieu, et de son ineffable charité, il s'humilie profondément par la haine et le mépris de lui-même. Il naît en lui une patience qui le soutient dans les peines, les injures les affronts, parce qu'il est content de souffrir, en pensant qu'il s'est révolté contre son Créateur. Ses fondements sont solides; il est devenu une pierre ferme établie sur la pierre qui est le Christ Jésus, dont il suit les traces et il ne peut rechercher, aimer et vouloir que ce que Dieu aime, et détester ce que Dieu déteste: il reçoit alors tant de joie, de force et de consolation, que rien au monde, ni le démon, ni les créatures, ne peut l'affaiblir ou lui causer quelque amertume ; car là où est Dieu, se trouvent tous les biens. Que notre cœur ne se sépare donc pas de tant [268] d’amour ; plus de négligence et d'aveuglement, suivez l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix; autrement, très cher Père, vous qui êtes une colonne placée pour aider et soutenir autant que vous le pourrez la douce Epouse de l'Agneau, vous tomberiez du rang où il vous a mis, non à cause de votre mérite, mais à cause de sa bonté, pour que vous l'honoriez et que vous serviez le prochain. Nourrissez-vous, nourrissez-vous des âmes qui ont été sa nourriture.

5. Vous voyez bien que depuis que nous avons perdu la grâce par le péché de notre premier père, la volonté du Père éternel ne s'accomplit pas en nous; car il ne nous avait pas créés pour une autre fin que celle de posséder et de contempler sa beauté, ce qui est la vie sans la mort; cette volonté ne s'accomplit pas. Poussé par l'ardent amour qui l'avait porté à nous créer, il a voulu nous montrer qu'il ne nous avait pas faits pour une autre fin; il trouva le moyen d'accomplir cette volonté, il nous donna par amour le Verbe, son Fils unique, et il punit sur lui notre faiblesse et notre iniquité. O doux feu d'amour! d'un seul coup vous avez puni le pécheur sur vous-même, en souffrant la mort et la passion, en vous abreuvant d'opprobres, de mépris, d'outrages, pour nous rendre l'honneur que nous avions perdu par le péché; et vous avez ainsi apaisé la colère de votre Père, en subissant vous-même sa justice; vous avez expié pour moi l'injure faite à votre Père éternel, vous avez apaisé une grande guerre. Le doux et tendre Paul a bien dit vrai : " Le Christ est notre paix, le Médiateur qui est venu faire la paix entre [269] Dieu et l'homme. " C'est là le doux, l'aimable moyen que Dieu a pris pour nous faire atteindre le but de notre création; il l'a montré par ses œuvres : malgré ce qui a été fait et ce qui se fait tous les jours, il nous a donné de grandes preuves d'amour; et l’âme le comprendra, si elle regarde en elle-même comment tout a été fait pour elle.

6. Oui, que la cité de notre âme se rende et cède au feu de l'amour, si elle résiste aux autres moyens. Hélas ! hélas ! ne dormez plus, vous et les autres champions de la sainte Eglise. Ne vous attachez plus aux choses passagères, mais attachez-vous au salut des âmes. Vous voyez bien que le démon travaille sans cesse à dévorer les brebis si chèrement rachetées, et tout le mal vient des mauvais pasteurs qui dévorent les âmes. Pensez-y pour l'amour de Dieu, et travaillez autant que vous le pourrez avec votre bien-aimé Christ de la terre, à établir de bons pasteurs et de bons maîtres. O Dieu amour! ne nous faites plus languir et mourir, nous et les autres serviteurs de Dieu; mais appliquez-vous à nous montrer autant que vous le pourrez, que vous avez faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, non seulement pour les chrétiens, mais encore pour les infidèles. Priez le Christ de la terre qu'il se hâte d'élever sur eux l'étendard de la sainte Croix. Ne craignez aucune guerre, aucune révolte, mais agissez avec courage, parce que ce sera le moyen d'arriver à la paix.

7. Au sujet de la guerre que vous avez avec les membres corrompus qui se sont révoltés contre leur chef, je vous prie, pour l’amour de Jésus crucifié [270], de demander au Saint-Père qu'il veuille bien se réconcilier et faire la paix avec eux, en y employant tous les moyens que réclamera le bien de la sainte Eglise; cela vaut mieux que de l'obtenir par la guerre. Tout en reconnaissant les torts qu'ils ont eus, nous devons toujours choisir ce qui offre le plus d'avantages. Je vous en conjure autant que je le sens et que je le puis, afin que nous allions ensuite courageusement donner notre vie pour le Christ, la pierre inébranlable. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu pardonnez à ma présomption, si j'ose vous écrire que mon excuse soit l’amour que j’ai pour la douce Epouse de Jésus et pour notre salut. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XXIX. - AU CARDINAL DE PORTO PIERRE CORSINI. Elle l'exhorte à être un agneau par humilité, et un lion par la force, en imitant Jésus-Christ par lequel nous participons aux trois personnes divines.- Elle le prie d'aimer le Souverain Pontife, et de presser son retour et le commencement de la croisade.

(Ce cardinal était de Florence, et de la famille des Corsini. Grégoire XI l'avait élevé à la pourpre en 1370. Il suivit malheureusement le parti des cardinaux français séparés d'Urbain VI.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET LA DOUCE MARIE







1. Très cher et très révérend Père et frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [271] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un agneau humble et doux, à l'exemple de l'Agneau sans tache, qui fut si humble et si doux, qu'on ne l'entendit jamais proférer une seule plainte. Semblable à l'agneau qui ne se défend pas, il se laissa conduire à la boucherie de la très sainte et très dure Croix. O inestimable feu d'amour! vous nous avez donné votre chair pour aliment, et votre sang pour breuvage. Vous êtes l'Agneau qui a été préparé aux flammes d'une ardente charité. Je ne vois pas d'autre moyen, mon Père, pour pouvoir acquérir la vertu, que de fixer les yeux de votre âme sur cet Agneau, parce qu'en lui nous trouvons l'humilité sincère et profonde, avec une grande douceur et patience. Quoiqu'il soit Fils de Dieu, il ne vient pas et ne se pose pas comme roi, parce que l'orgueil et l'amour-propre ne sont pas en lui; il vient comme un vil esclave; il ne se cherche pas pour lui, mais il veut rendre à Dieu honneur et gloire, et à nous la vie que nous avions perdue par le péché; et cela, il le fait seulement par amour et pour accomplir la volonté du Père sur nous. Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance uniquement pour qu'il jouisse de lui dans la vie éternelle. Par la rébellion de l'homme contre Dieu, la voie avait été rompue, et la douce volonté de Dieu qui lui avait fait créer l'homme ne s'accomplissait pas, car il n'a été créé que pour avoir la vie éternelle.

2. Dieu, pressé par cette charité pure et sans borne qui nous avait fait créer, nous donna, pour accomplir sa volonté en nous, le Verbe son Fils [272] unique; et le Fils de Dieu, s'oubliant lui-même pour satisfaire cette douce volonté, se fit médiateur entre Dieu et l'homme, et termina cette grande guerre par la paix, parce que l'humilité a triomphé de l'orgueil du monde; ce qui lui a fait dire : Réjouissez-vous,j'ai vaincu le monde, c'est-à-dire l’orgueil de l'homme. Il n'y a personne de si orgueilleux et de si impatient, qui ne devienne humble et doux en considérant un si grand abaissement, un si grand amour, en voyant Dieu humilié jusqu'à nous. Aussi les saints et les vrais serviteurs de Dieu, pour s'acquitter envers lui, se sont toujours humiliés. Ils rapportent toute louange et toute gloire à Dieu, et ils reconnaissent que tout ce qu'ils ont vient uniquement de sa bonté; ils voient leur néant, et ce qu'ils aiment, ils l'aiment en Dieu. Ils sont dans les honneurs quand Dieu le veut; mais plus ils sont grands, plus ils s'humilient et connaissent leur néant. Celui qui se connaît s'humilie, ne lève pas la tête et ne s'enfle pas d'orgueil; mais il s'abaisse et reconnaît la bonté de Dieu qui agit en lui. Il acquiert ainsi la vertu de la charité et de l'humilité. L'une est la nourrice et la gouvernante de l'autre; et sans ces vertus, nous ne pouvons pas avoir la vie éternelle. Hélas! hélas! quel sera l'insensé qui n'aimera pas, en se voyant aimé, et qui ne se dépouillera pas de l'amour-propre pervers, qui est le principe et la racine de tout notre mal. Je ne puis croire qu'il y ait quelqu'un assez endurci pour ne pas aimer en se voyant aimé, à moins qu'il ne se prive de la lumière par l'amour-propre.

3. Quel est le signe de celui qui aime? Ce signe [273] évident, demandez-le et voyez-le dans saint Jérôme, qui occupait votre rang. Il mortifiait sa chair par les jeûnes, les veilles, la prière il tuait en lui l’orgueil par des vêtements toujours pauvres, et il mettait tout son zèle, non pas à chercher, mais à fuir les honneurs et les grandeurs du monde. Et comme ceux qui s'humilient sont exaltés, quand il eut sa charge il ne perdit pas sa vertu, mais il l'éprouva comme l’or dans la fournaise, en y ajoutant la vertu de la charité. Il se passionne pour les âmes, et il ne craint pas de perdre la vie de son corps, parce qu'il prend la forme et le vêtement du doux Agneau Jésus. Il ne s'aime et n'aime pas le prochain et Dieu pour lui, mais il aime tout en Dieu. Il ne s'inquiète ni de la vie, ni de la mort, ni des persécutions, ni des peines qu'il faut souffrir; il ne cherche que l'honneur de la suprême et éternelle Vérité.

4. Ce sont là les signes des vrais serviteurs de Dieu, au nombre desquels, mon Père, je vous supplie et vous demande d'être. Portez le signe de l'humilité véritable; humiliez-vous, au lieu de vous glorifier de votre élévation; ne soyez impatient dans aucune des peines et des injures que vous aurez à souffrir; mais combattez avec une invincible patience dans le corps de la sainte Eglise, jusqu'à la mort, annonçant et disant toujours la vérité, par vos conseils et par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, sans aucune crainte, ne recherchant que l'honneur de Dieu, le salut des âmes et l'exaltation de la sainte Eglise, comme le fils véritable et bien-aimé de cette douce mère. C'est par là que vous montrerez la divine charité unie à la patience. Soyez généreux, charitable [274], spirituellement, comme je vous l'ai dit, et temporellement. Pensez que les mains des pauvres vous aident à répandre et à recevoir la grâce divine. Je veux que vous commenciez une vie, une existence nouvelle. Ne dormez plus dans le sommeil de la négligence et de l'ignorance.

5. Oui, soyez pour moi un champion véritable. Je vous ai dit que je désirais vous voir un agneau à la suite du véritable agneau maintenant je vous dis que je veux vous voir un lion puissant, qui rugisse dans la sainte Eglise ; que votre voix et votre vertu soient assez fortes pour ressusciter les enfants morts qui sont dans son sein (Ce passage s’explique par le symbolisme du moyen âge qui attribuait au rugissement du lion la puissance de ressusciter ses lionceaux mort. (Voir les mélanges d’archéologie des PP. Cahier et Martin : Bestiaire, t. II, p. 106). Si vous demandez où est le cri, la voix puissante de l'Agneau, ce n'est pas son humanité qui se fait entendre, car il est la douceur même ; mais c'est la divinité qui donne la puissance au cri du Fils, par la voix de son infinie charité, c'est-à-dire par la force et le pouvoir de la divine essence, et de l'amour qui a uni Dieu à 'homme. C'est cette vertu qui a changé l'agneau en lion; et du haut de la Croix, il a poussé un si grand cri sur l'enfant mort de l'humanité, qu'il le délivra de la mort, et lui donna la vie. Nous recevons de lui la force, parce que l'amour qui nous vient du doux Jésus nous fait participer à la puissance du Père. Vous voyez bien qu'il en est ainsi, puisque ni le démon, ni les créatures ne peuvent nous forcer à commettre un péché mortel ; l'homme est libre et [275] maître de lui-même. Dans l'amour, nous participons à la lumière et à la force du Saint-Esprit, qui unit l'âme à son Créateur et éclaire l'intelligence; et l'entendement, dans cette lumière, participe à la sagesse du Fils de Dieu.

6. O très cher Père, que nos cœurs se brisent et se déchirent, en voyant l'état et la dignité où son infinie bonté nous a placés, soit par la création, en nous créant à son image, soit par la rédemption et l'union de la nature divine avec la nature humaine. Pouvait-il plus donner qu'en se donnant lui-même à ceux qui par le péché sont devenus les ennemis de Dieu? O ineffable et parfait amour! Vous vous êtes bien passionné pour votre créature vous étiez Dieu, vous ne pouviez souffrir, et vous vouliez faire la paix avec l'homme; la faute commise demandait un châtiment, et l'homme ne pouvait satisfaire, pour un si grand outrage contre vous, le Père éternel; mais l'amour que vous aviez pour nous vous a fait trouver ce moyen : vous avez revêtu le Verbe de notre chair, et il a pu vous rendre honneur et apaiser votre colère en souffrant dans la chair d'Adam, qui avait commis la faute. O homme! comment résister, et ne pas t'abandonner toi-même? Tu vois qu'il a combattu sur la Croix; il s'est laissé vaincre après avoir vaincu; la mort a vaincu la mort; ils ont jouté ensemble ; la mort a été détruite, et la vie est ressuscitée dans l'homme. Hâtez-vous donc, et que votre cœur ne résiste plus; que la cité de votre âme se rende; si elle ne se rend pas pour autre chose, qu'elle se rende parce que le feu a été mis partout. De quelque côté que vous vous tourniez, au spirituel [276] ou au temporel, vous trouverez toujours le feu de l'amour.

7. Je vous demande et je veux que vous aimiez le Christ de la terre; priez-le qu'il revienne, et qu'il lève promptement l'étendard de la très sainte Croix contre les infidèles. Ne vous étonnez pas, vous et les autres, si les chrétiens se lèvent et se sont levés comme des membres corrompus contre leur doux chef; ce sera le moyen de les apaiser et de les faire redevenir des enfants soumis. Pardonnez mon ignorance; si j'ose vous parler ainsi, excusez l'amour et le désir que j'ai de votre salut et de la réforme, de l'exaltation de la sainte Eglise, qui est si défigurée, qu’il semble que le cœur de la charité lui manque; car tous la volent et lui dérobent ses ornements pour s'en parer eux-mêmes par amour-propre, tandis qu'ils ne devraient rechercher que son bien et sa gloire. C'est là le signe des superbes, qui, pour être grands et honorés, ne s'inquiètent pas de voir l’Eglise tomber en ruine, et le démon dévorer les âmes. Ces loups rapaces sont bien différents des serviteurs de Dieu, qui sont des agneaux et qui suivent le signe de l'Agneau. Aussi mon âme désire vous voir un agneau. Je finis; mais si je m'écoutais, je parlerais encore. Recommandez-moi avec instance, dans le Christ Jésus, à notre Christ de la terre; encouragez-le, et ne craignez rien, quelque chose qui arrive. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [277].

Table des Matières









XXX- AU CARDINAL BONAVENTURE DE PADOUE. - La force s'acquiert par l'humilité et l'amour, dans la connaissance de nous-mêmes, de la bonté de Dieu et de ses bienfaits envers nous.

(Le cardinal Bonaventure naquit à Padoue en I332. il entra très jeune dans l'ordre des Ermites de Saint-Augustin et il fut nommé général en 1377. Il était l'ami de Pétrarque, qui lui adressa une longue lettre à l'occasion de la mort de son frère. Créé cardinal en 1378 parle Pape Urbain VI, il lui resta fidèle, et eut la gloire de mourir pour la cause de l’Eglise, dont il défendit les intérêts contre François de Carrare, son parent, seigneur de Padoue, qui le fit assassiner sur le pont Saint-Ange en 1379. (Gigli t. I, p. 217.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne ferme et stable dans le jardin de la sainte Eglise, afin que par votre fermeté, votre constance et celle des autres, votre foi soit affermie, la vérité exaltée, le mensonge confondu, et la barque de la sainte Église conduite au milieu des vagues de la mer qui la frappent, et de la tempête du mensonge et du schisme qu'ont soulevée les méchants qui s'aiment eux-mêmes, et répandent le poison, au lieu d'être les colonnes et les défenseurs de la Foi. Je veux, mon révérend Père, que vous soyez ferme, constant et persévérant dans toutes les vertus qui fortifient l'âme [278] en détruisant les vices qui l'affaiblissent et la soumettent à leur esclavage.

2. Cette force des vraies et solides vertus, ce ne sont pas les richesses, les honneurs du monde, les grandes dignités et la confiance en soi-même, non; mais c'est la connaissance que l'âme a d'elle-même. Par cette connaissance, elle voit qu'elle n'a pas l'être pour elle, mais pour Dieu; elle connaît sa misère, sa fragilité, le temps qu'elle a perdu et dont elle pouvait bien profiter. Elle connaît à sa lumière son indignité et sa dignité. Elle connaît son indignité dans l'enveloppe de son corps, qui est la proie de la mort et la pâture des vers. C'est un vase de corruption; et pourtant nous nous appliquons plus à l'aimer, à le satisfaire, à le caresser par l'amour sensitif, qu'à enrichir notre âme, dont la dignité est si grande, que rien ne peut y ajouter. Car nous voyons que Dieu, pressé par l'ardeur de sa charité, n'a pas voulu nous créer semblables aux animaux sans raison, ou aux anges; mais il nous a créés à son image et ressemblance. Pour accomplir sa vérité en nous, pour nous faire atteindre le but de notre création, pour mettre le comble à notre dignité, il a pris lui-même notre ressemblance, lorsqu'il revêtit la divinité de l'humanité, nous faisant renaître à la grâce dans le sang du doux et tendre Verbe son Fils unique, qui nous a rachetés, non pas à prix d'argent, mais avec son sang. Ce prix du sang payé pour nous, cette union de Dieu à l'homme, nous montrent l'amour ineffable que Dieu nous porte, et la dignité que nous avons reçue dans la création.

3. Elle est donc bien mercenaire la créature qui [279] s'estime assez peu pour se livrer au péché, qui est une chose plus vile que le néant. Elle ne voit pas dans son aveuglement qu'elle devient semblable à ce qu'elle choisit pour maître; elle se détruit par le péché, qui la prive de la grâce et de Dieu, qui est Celui qui est. Ce n'est pas là rester dans la connaissance de soi-même, c'est se mettre hors de soi, comme un insensé, un frénétique, en s'attachant à la mort et aux ténèbres de l'amour-propre sensuel, principe de tout mal. C'est perdre la lumière de la connaissance de l'infinie Bonté divine, qui nous a élevés à une si grande dignité par amour et par grâce, et non par devoir. Si l'âme s'était connue à cette lumière, elle aurait vu sa faiblesse, et elle aurait acquis l'humilité sincère et parfaite. L'âme qui se tient dans cette douce retraite de la connaissance de soi-même et de la bonté de Dieu, s'humilie intérieurement, car ce qui n'est pas ne peut s'enorgueillir. Elle voit qu'elle n'est pas pour elle, mais pour Dieu, et le feu de sa charité augmente en reconnaissant qu'elle tient de Dieu l'être et toutes les grâces qui y sont ajoutées. Elle voit la loi indigne et mauvaise qui combat sans cesse l'esprit, et qui lui fait perdre, si la volonté y consent, Dieu et le fruit du sang. Elle conçoit alors une sainte haine contre la sensualité, et plus elle la hait, plus elle aime la raison; et avec cet amour et cette lumière elle se sépare de ce qui l'affaiblissait, et elle s'unit par l'amour à Dieu, qui est la force suprême, au moyen des vraies et solides vertus.

4. Il est donc bien vrai que par la connaissance que l'homme a de lui-même il acquiert la force. Et combien devient-il fort, très cher Père? Il devient si [280] fort, que ni le démon ni les créatures ne peuvent l'affaiblir tant qu'il est uni à cette force, et personne ne peut l'en séparer, s'il n'y consent pas. Les attaques et les persécutions du monde peuvent-elles vaincre cette âme? Non certainement elles la fortifient au contraire bien davantage, parce qu'elles la font recourir avec plus de zèle à sa force. Elles montrent si l'amour qu'elle a pour Dieu est mercenaire ou non, c'est-à-dire, si elle l'aime par intérêt. Les créatures ne peuvent l'ébranler par les persécutions, les injures, les violences, les reproches, les mépris, les outrages elles la détachent au contraire bien davantage de l'amour des créatures en dehors du Créateur, et elles l'exercent à la vertu de patience. Per sonne donc ne peut l’affaiblir, à moins que l'homme n’y consente en se séparant de sa force; car il n'y a pas de position et de circonstance qui puissent nous ravir Dieu, puisque Dieu ne considère pas l'état, le lieu, le temps, mais seulement les saints et vrais désirs.

5. Je vous demande donc d'être une colonne ferme, inébranlable, en vous fortifiant dans les vraies et solides vertus par la connaissance de vous-même, afin que vous puissiez faire parfaitement dans la sainte Eglise ce que vous êtes appelé à y faire. Si vous ne le faites pas, Dieu vous reprendra rigoureusement. Combien grande serait votre confusion au moment de la mort, en présence du souverain Juge, aux regards duquel rien n'échappe! car il connaît la moindre pensée de notre cœur. O mon très cher Père, ne dormons plus, maintenant qu'il faut veiller, mais appliquons-nous avec ardeur et nous connaître et à [281] connaître l'infinie bonté de Dieu en nous, afin de travailler comme de bons ouvriers dans le jardin de la sainte Eglise, chacun selon ce qu'il nous est donné de faire, pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes, la réforme de la sainte Eglise, et pour le progrès de la cause d'Urbain VI, le véritable Souverain Pontife. Soyons humbles et patients, et reconnaissons-nous dignes de la peine, et indignes de la récompense qui suivra la peine. Anéantissons notre volonté perverse dans le sang de Jésus crucifié, et suivons sa douce doctrine. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









XXXI. - A TROIS CARDINAUX ITALIENS . - De la vraie lumière et des erreurs de l'amour-propre. - Elle leur prouve qu'Urbain VI est le vrai Souverain Pontife. - Elle les invite à revenir à lui avec la douleur de leur faute et l'espérance du pardon.

(Ces trois cardinaux italiens sont Pierre Corsini, de Florence; Simon de Borzano, de Milan; et Jacques Orsini, de Rome. Ils s'étaient d'abord séparés des cardinaux français pour suivre le Pape Urbain VI; mais l'espoir d’être élus eux-mêmes les jeta dans ce parti contraire, et la honte les y retint après la nomination de l'antipape Clément VII. (Baluze, col. 1050.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1.Très chers Frères et Pères dans le Christ, le doux Jésus,moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [282] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revenir à la vraie et parfaite lumière, et sortir des ténèbres et de l'aveuglement où vous êtes tombés. Alors vous serez mes Pères, mais pas autrement. Si je vous appelle Pères, c'est à la condition que vous quittiez la mort et que vous reveniez à la vie. Car maintenant vous avez perdu la vie de la grâce; vous êtes des membres séparés du Chef d'où vous tiriez la vie lorsque vous étiez unis par la foi et l'obéissance parfaite au Pape Urbain VI. Ceux qui sont dans cette obéissance ont la lumière, et avec la lumière ils connaissent la Vérité, et en la connaissant ils l'aiment. Celui qui ne voit pas ne peut connaître, celui qui ne connaît pas n'aime pas, celui qui n'aime pas et ne craint pas son Créateur, s'aime lui-même d'un amour sensuel, c’est-à-dire qu'il aime les plaisirs, les honneurs, les dignités du monde; il aime par les sens.

2. L'homme créé par l'amour ne peut vivre sans amour : ou il aime Dieu, ou il s'aime, et il aime le monde d'un amour qui lui donne la mort. Il attache le regard de son intelligence, obscurcie par l'amour-propre, sur des choses éphémères qui passent comme le vent, et il ne peut connaître ni la vérité, ni aucun bien. Il ne peut connaître que le mensonge, car il n'a pas la lumière. S'il avait la lumière, il connaîtrait qu’un pareil amour ne peut lui donner que la peine et la mort éternelle. Il donne un avant-goût de l'enfer en cette vie, car il rend insupportable à lui-même celui qui s'aime et qui aime les choses du monde d'un amour déréglé. O aveuglement de [283] l'homme! tu ne vois pas, malheureux, que tu crois aimer une chose solide et durable, une chose agréable, bonne et belle; et tout est changeant, misérable, et sans aucune bonté, non pas dans les choses créées en elles-mêmes, car elles viennent toutes de Dieu, qui est le souverain Bien, mais par l'attachement désordonné de celui qui les possède. Combien changent les richesses et les honneurs du monde pour celui qui les possède sans Dieu et sans sa crainte! Aujourd'hui il est riche et puissant, et demain il est pauvre. Combien est triste notre vie corporelle! car tant qu'elle dure, nous ne répandons de tous nos membres que l'infection. Nous ne sommes vraiment qu'un vase d'infection, qu'une chair destinée en pâture aux vers et à la mort. Notre vie et la beauté de la jeunesse passent comme la beauté de la fleur qui, une fois cueillie, ne trouve plus personne capable de la conserver, pas plus que la vie lorsqu'il plaît au souverain Juge de la cueillir par la mort, et personne ne sait quand.

3. O malheureux! les ténèbres de l'amour-propre t'empêchent de connaître cette vérité. Si tu la connaissais, tu aimerais mieux souffrir toute sorte de peines que de vivre ainsi. Tu t'empresserais d'aimer et de désirer Celui qui est; tu goûterais sa vérité avec constance, et tu ne changerais pas comme la feuille au gré du vent; tu servirais ton Créateur, tu aimerais tout en lui, et rien hors de lui. Oh! avec quelle sévérité sera repris au dernier moment cet aveuglement, dans toute créature raisonnable, et surtout dans ceux que Dieu a tirés de la fange du monde et placés dans la plus haute dignité qui [284] puisse être, puisqu'ils ont été faits les ministres du sang de l'humble et pur Agneau! Hélas! hélas! qui vous a empêchés de vous rendre dignes de cet honneur par la vertu? Vous aviez été choisis pour vous nourrir sur le sein de l’Eglise, pour être des fleurs dans son jardin, et y répandre le parfum des vertus; vous avez été placés comme des colonnes pour soutenir la barque et le Vicaire du Christ sur la terre, vous avez été placés comme une lampe sur le candélabre pour éclairer les fidèles et pour répandre la foi. Avez-vous fait ce pourquoi vous avez été créés? certainement non; l'amour-propre vous a caché votre devoir. C'était pour fortifier et pour éclairer par l'exemple d'une bonne et sainte vie que vous avez été mis dans ce jardin. Si vous aviez connu cette douce Vérité, vous l'auriez aimée, et vous vous en seriez revêtus. Où est la reconnaissance que vous devez avoir pour cette Epouse qui vous a nourris sur son sein? Je ne vois que l'ingratitude, et cette ingratitude a tari la source de la piété.

4. Qu'est-ce qui me montre que vous êtes des ingrats et des mercenaires? La persécution que vous et les autres avez faite à cette Epouse, au moment où vous deviez être ses boucliers pour résister aux coups de l'hérésie. Vous connaissez la vérité, vous savez bien que le pape Urbain VI est le vrai Pape, le Souverain Pontife, régulièrement élu, non par la peur, mais par l'inspiration divine bien plus que par vos suffrages. Vous-mêmes vous nous avez annoncé que c'était là la vérité. Et maintenant vous avez tourné le dos, comme de vils et misérables chevaliers; votre ombre vous a fait peur; vous avez abandonné [285] la vérité qui faisait votre force, et vous vous êtes attachés au mensonge, qui affaiblit l'âme et le corps, en vous privant de la grâce spirituelle et temporelle. Et quelle en est la cause? Le venin de l'amour-propre qui a empoisonné le monde. C'est pourquoi, vous qui étiez ses colonnes, vous êtes faibles comme la paille; vous n'êtes plus des fleurs qui répandez des parfums, mais, au contraire, une infection qui empeste le monde; vous n'êtes plus des lumières placées sur le candélabre pour répandre la foi, mais vous avez caché la lumière sous le boisseau de l'orgueil, et au lieu de répandre la foi, vous l'avez profanée, en l'obscurcissant en vous et dans les autres. Vous étiez les anges de la terre qui deviez résister au démon infernal, et remplir l'office des anges du ciel, en ramenant les brebis à l'obéissance de la sainte Eglise, et vous avez pris l'office des démons; et le mal qui est en vous, vous voulez nous le donner, en nous retirant de l'obéissance du Christ de la terre, pour nous attacher à l'obéissance de l'antéchrist, qui est membre du démon, comme vous-mêmes tant que vous resterez dans cette hérésie. Et cet aveuglement ne vient pas de l'ignorance, quelqu'un ne vous a pas rapporté les choses autrement qu'elles étaient ; vous savez très bien ce qui est la vérité; vous nous l'avez annoncée, et ce n'est pas nous qui devons vous l'apprendre.

5. Oh ! comme vous êtes insensés de nous avoir donné la vérité, et de vouloir suivre le mensonge! Vous voulez maintenant corrompre la vérité, et faire croire le contraire en disant que vous avez élu le pape Urbain par crainte. Cela n'est pas. En vous le [286] disant, je vous parle sans respect, parce que vous en avez manqué à l'égard de votre chef. Il est évident pour quiconque y veut faire attention, que celui que vous avez nommé par crainte, c'est monseigneur de Saint-Pierre. Vous pourrez me dire : "  Pourquoi ne pas nous croire? nous savons mieux la vérité que vous, puisque nous avons fait l'élection. " Et moi je vous réponds que je vous ai vus vous éloigner de la vérité (Les cardinaux firent croire au peuple ameuté, qui voulait un Pape romain, que le cardinal de Saint-Pierre, François Tebaldeschi, avait été nommé.), de tant de manières que je ne dois pas vous croire quand vous me dites que le pape Urbain VI n'est pas le vrai Pape. Si j’examine d'abord votre vie, je ne la trouve pas si sainte et si exemplaire que votre conscience vous éloigne du mensonge. Et qu'est-ce qui me fait croire que votre vie n'est pas bien réglée ? c'est le venin de l'hérésie.

6. Si j'examine l'élection qui a été faite, nous savons de votre bouche même que vous l'avez faite canoniquement, et non par peur. Celui que vous avez nommé par peur, c'est monseigneur de Saint-Pierre. Qu’est-ce qui prouve que l’élection de monseigneur de Barri, qui est aujourd'hui le pape Urbain VI, a été bien faite? C'est la solennité de son couronnement, ce sont les hommages que vous lui avez rendus, les grâces que vous lui avez demandées; vous vous en êtes servis dans une foule de choses, vous ne pouvez le nier sans tomber dans le mensonge. O insensés, dignes de mille morts! dans votre aveuglement, vous ne voyez pas votre malheur [287]; vous êtes tombés dans une telle confusion, que vous vous déclarez vous-mêmes, menteurs et idolâtres. Si ce que vous dites était vrai, ce qui n'est pas, car je reconnais le Pape Urbain VI pour Pape légitime, ne nous auriez-vous point menti en déclarant d'abord qu'il était Souverain Pontife, comme il l'est en effet? N'auriez-vous pas été idolâtres en le reconnaissant pour le Christ de la terre? Ne vous seriez-vous pas rendus coupables de simonie en lui demandant des faveurs, et en vous en servant contre tout droit? Oui, assurément. Maintenant, ils ont fait un antipape, et vous êtes avec eux. Vous l'avez montré par vos actes et votre présence au moment où ces démons incarnés ont élu un démon.

7. Vous pourrez me dire : Non, nous ne l'avons pas élu (Quelques auteurs disent en effet que les trois cardinaux italiens ne prirent pas part à l'élection de l’antipape. (Baluze, col. 1050.). Je ne sais si je dois le croire, car deviez-vous assister à cette élection, lors même que votre vie eût été en danger? Vous ne deviez pas au moins taire la vérité, et vous deviez, autant que vous le pouviez, faire connaître ce qui était suspect. Aussi je veux bien croire que vous avez fait moins de mal que les autres dans votre intention, mais vous avez été pourtant leurs complices. Que vous dirai-je? je vous dirai que celui qui n'est pas pour la vérité est contre la vérité; celui qui n'était pas alors pour le Christ de la terre, le Pape Urbain VI, était contre lui. Je vous accuse donc d'avoir participé au mal, et je puis dire que vous avez élu un membre du démon; s'il avait été membre du Christ, il eût préféré mourir que de [288] consentir à une telle iniquité. Car il sait bien la vérité, et il ne peut s'excuser sur son ignorance. Vous êtes coupables, et vous vous êtes rendus complices de ce démon en le reconnaissant pour pape contre la vérité, et en lui rendant des hommages que vous ne lui devez pas. Vous avez quitté la lumière, et vous allez aux ténèbres; vous désertez la vérité pour le mensonge. Oui, de tous les côtés je ne trouve que mensonge; vous êtes dignes de châtiment, et je vous déclare, pour la décharge de ma conscience, que si vous ne revenez à l'obéissance avec une humilité sincère, le châtiment tombera sur vous.

8. O misère au-dessus de toutes les misères, aveuglement au-dessus de tout aveuglement, qui ne laisse pas voir le mal, et la perte de l'âme et du corps! Si vous le voyiez, vous ne seriez pas si changeants par crainte servile; vous n'auriez pas quitté la vérité par colère, comme des orgueilleux habitués aux flatteries et aux plaisirs du monde. Vous n'avez pu supporter non seulement une juste correction, mais une parole dure qui vous reprenait. Vous avez levé la tête; c'est bien là ce qui a causé votre révolte. Oui, nous voyons la vérité. Avant que le Christ de la terre vous ait repris, vous le reconnaissiez et vous lui rendiez hommage comme au Vicaire de Jésus-Christ; mais le dernier fruit que vous avez porté, et qui donne la mort, montre quels arbres vous êtes. Votre arbre est planté dans la terre de l'orgueil, que nourrit l’amour de vous-mêmes, et cet amour vous ôte la lumière de la raison.

9. Hélas ! ne faites plus ainsi, pour l'amour de Dieu. Sauvez-vous en vous humiliant sous la main puissante [289] de Dieu, et sous l'obéissance de son Vicaire. Vous le pouvez encore quand le temps sera passé, il n'y aura plus de remède. Reconnaissez vos fautes, pour vous humilier et reconnaître l'infinie bonté de Dieu, qui n'a pas commandé à la terre de vous engloutir et aux animaux de vous dévorer, mais qui vous donne le temps de convertir votre âme. Si vous ne reconnaissez pas cette grâce qui vous est accordée, elle sera votre condamnation ; mais si vous revenez au bercail, si vous vous nourrissez de la vérité sur le sein de l’Epouse du Christ, vous serez reçus avec miséricorde par le Christ du ciel et par le Christ de la terre, malgré l'iniquité que vous avez commise. Je vous prie de ne pas tarder; ne résistez pas aux remords de votre conscience, qui, je le sais, vous tourmentent sans cesse. Que la honte de votre faute ne vous arrête pas et ne vous fasse pas abandonner votre salut par désespoir, en vous persuadant qu'il n'y a plus de remède. Ce n'est pas ainsi qu'il faut faire, mais espérez fermement en votre Créateur avec une foi vive, et revenez sous le joug avec humilité. L’obstination et le désespoir seraient une dernière faute pire que la première, et plus odieuse à Dieu et au monde. Elevez-vous donc à la lumière, car sans la lumière vous marcherez dans les ténèbres, comme vous y avez marché jusqu'à présent.

10. Mon âme comprend que, sans la lumière, nous ne pouvons pas connaître ni aimer la Vérité, et je vous ai dit, je vous répète que je désire avec un ardent désir vous voir sortir des ténèbres et vous unir à la lumière ; et ce désir s'étend à toutes les créatures raisonnables; mais beaucoup plus à vous trois, qui par [290] votre désertion m'avez causé plus de douleur et d'étonnement que tous les autres qui ont commis la même faute. Lorsqu'ils ont quitté leur Père, vous étiez des enfants qui deviez être son soutien, en manifestant la vérité. Quoique le Père vous eût fait des reproches, vous ne deviez pas donner l'exemple de la révolte contre la sainteté. Aux yeux de la religion nous sommes tous égaux, mais pour parler comme les hommes, le Christ de la terre était Italien, et vous êtes Italiens. La passion de la patrie ne devait pas vous égarer comme les ultramontains. Je ne vois donc pas d'autre cause que l'amour-propre. Détruisez-le pour toujours, n'attendez pas le temps, car le temps ne vous attendra pas ; foulez aux pieds ces sentiments coupables avec la haine du vice et l'amour de la vertu. Revenez, revenez, et n'attendez pas la verge de la justice, car nous ne pouvons échapper aux mains de Dieu. Nous sommes dans les mains de sa justice ou de sa miséricorde; il vaut bien mieux reconnaître nos fautes et nous jeter dans les mains de sa miséricorde que d'y persévérer, et rester dans les mains de sa justice. Nos fautes ne passent jamais impunies surtout celles qui sont faites contre la sainte Eglise. Mais je m'engage a vous représenter devant Dieu pur des larmes et des prières continuelles je partagerai avec vous la pénitence, pourvu que vous vouliez revenir à votre Père, qui vous recevra, comme un bon père, sous les ailes de sa miséricorde.

11. Hélas ! hélas! ne la fuyez pas, ne la méprisez pas, mais recevez-la humblement, et ne croyez pas les mauvais conseillers qui vous ont donné la mort. Oui, vous serez mes doux frères, si vous vous rapprochez [291] de la vérité. Ne résistez plus aux larmes et aux sueurs que les serviteurs de Dieu répandent pour vous ; elles vous purifieront des pieds à la tête : si vous les méprisez, si vous rejetez les tendres et douloureux désirs qu'ils offrent pour vous, vous en serez plus durement repris. Craignez Dieu et son infaillible jugement; j'espère de son infinie bonté que vous accomplirez en vous le désir de ses serviteurs. Ne trouvez pas mauvais que je vous blesse par mes paroles, c'est l'amour de votre salut qui m'a fait vous écrire (Le langage de sainte Catherine est sévère. Elle se sert de l’autorité que Dieu lui a donnée ; elle connaissait déjà les trois cardinaux italiens, et elle finit par leur parler avec sa douceur ordinaire.). J'aurais préféré vous parler de vive voix, si Dieu l'avait permis ; que sa volonté soit faite vous méritez plutôt des châtiments que des paroles. Je finis, mais si je m'écoutais, je ne m'arrêterais pas, tant mon âme est pleine de douleur et de tristesse, en voyant l'aveuglement de ceux qui étaient choisis pour répandre la lumière, et qui, au lieu d'être des agneaux se nourrissant de l'honneur de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Eglise, sont comme des voleurs qui dérobent pour eux-mêmes l'honneur de Dieu, comme des loups qui dévorent les brebis. Aussi j'en ressens une grande amertume. Je vous conjure, pour l'amour de ce précieux sang répandu avec tant d'ardeur pour vous, de consoler mon âme qui cherche votre salut. Je ne vous en dis pas davantage ; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu ; baignez-vous dans le sang de l'Agneau sans tache, vous y perdrez toute crainte servile, et vous y trouverez avec la lumière une sainte crainte. Doux Jésus, Jésus amour [292].

Table des Matières









XXXII (186). - AU ROI DE FRANCE CHARLES V. - Des commandements de Dieu, et de l'imitation de Jésus-Christ par la patience, le mépris du monde, la justice et l'amour du prochain. - De la paix entre les princes chrétiens et de la croisade.

(Cette lettre a été écrite pendant le séjour de sainte Catherine à Avignon, en l376. - Les numéros en chiffres arabes indiquent l'ordre des lettres de l'édition Gigli, que nous avons cru devoir changer.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher seigneur et Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir observer les saints et doux commandements de Dieu; car je ne vois pas d'autre moyen de participer au fruit du sang de l'Agneau sans tache. Ce doux Agneau Jésus nous a enseigné la voie, et il nous a dit Ego sum via, veritas et vita Je suis la voie, la vérité, la vie. C'est un doux maître qui nous enseigne sa doctrine en montant sur la chaire de la très sainte Croix. Vénérable Père, quelle doctrine, quelle voie vous a-t-il enseignées ? La voie est celle-ci les peines, les opprobres, les reproches, les affronts, les outrages ; souffrir avec une véritable patience la faim et la soif, se rassasier [293] d'opprobres, être percé et cloué sur la Croix pour l'honneur de son Père et pour notre salut. C'est par ses peines et ses opprobres qu'il a réparé notre faute et la honte où l'homme était tombé par le péché commis. Il a expié et puni nos iniquités sur son corps, et il l'a fait gratuitement, sans y être obligé. Ce doux Agneau, notre voie, a méprisé le monde avec toutes ses délices et ses honneurs; il a détesté le vice et aimé la vertu. Vous, comme un fils et un serviteur fidèle de Jésus crucifié, suivez ses traces et la voie qu'il vous enseigne, c'est-à-dire les peines, les tourments, les tribulations que Dieu permet et que le monde vous cause ; supportez-les avec une vraie patience, car la patience n'est jamais vaincue, mais elle vaincra le monde. soyez l'ami des vertus fondées sur la sainte justice, et soyez l'ennemi du vice.

2. Dans votre position, je vous prie surtout de faire trois choses pour l'amour de Jésus crucifié. La première est de mépriser le monde avec toutes ses délices, et de vous mépriser vous-même, possédant votre royaume comme une chose qui vous est confiée et qui ne vous appartient pas. Vous savez bien que ni la vie, ni la santé, ni la richesse, ni les honneurs, ni la puissance ne sont à vous : si ces biens étaient à vous, vous pourriez les posséder à votre gré ; mais l'homme veut bien se porter, et il est malade ; il veut vivre, et il meurt; il veut être riche, et il est pauvre; il veut être maître, et il est serviteur et vassal. Et il en est ainsi, parce que tout ce qu'il a, il ne le possède que selon le bon plaisir de Celui qui le lui a prêté. II est donc bien ignorant celui qui veut posséder ce qui appartient à un autre : c'est vraiment un [294] voleur, et il mérite la mort. Je vous prie donc d'agir en sage (Come savio, Charles V fut appelé Charles le Sage.), comme un bon administrateur, en possédant tout comme des biens que vous devez gouverner pour Celui qui vous les confie. La seconde chose que je vous demande, c'est de maintenir la sainte et vraie justice, et de ne jamais la laisser corrompre par l'amour de vous-même, ni par les louanges, ni par le désir de plaire aux hommes. Prenez garde que vos officiers ne commettent l'injustice pour de l'argent, et ne violent ainsi le droit du pauvre mais soyez le père des pauvres : c'est pour eux que Dieu vous a tout donné. Ayez soin que les abus qui se trouvent dans votre royaume soient punis, et que la vertu soit récompensée car c'est ce que la justice divine demande. La troisième chose est d'observer la doctrine que le maître vous a donnée sur la Croix, et c'est ce que mon âme désire le plus voir en vous : c'est l'amour de votre prochain, avec lequel vous êtes depuis si longtemps en guerre. Vous savez bien que sans cette racine de l'amour, l'arbre de votre âme ne portera pas de fruits; mais il se dessèchera, il ne pourra prendre la sève de la grâce en restant dans la haine.

3. Hélas ! mon très cher Père, la douce Vérité suprême vous a enseigné et laissé le commandement d'aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-même. Il nous a donné l'exemple, lorsqu'il était élevé sur le bois de la très sainte Croix les Juifs criaient : " Crucifiez-le Et lui criait d'une voix humble et douce: " Père, pardonnez à ceux qui [295] me crucifient, car ils ne savent ce qu'ils font. " Voyez son ineffable charité, qui non seulement leur pardonne, mais les excuse auprès de son Père. Quel exemple et quelle doctrine! Le Juste, qui n'a pas en lui le venin du péché, supporte l'injustice pour expier nos iniquités. Oh! combien l'homme devrait rougir de suivre la doctrine du démon et de la sensualité en s'appliquant plus à acquérir et à conserver les richesses du monde, qui sont vaines et passent comme le vent, qu'à sauver son âme et à aimer le prochain! Celui qui hait le prochain se hait lui-même, parce que la haine le prive de la charité divine. Il est bien fou et bien aveugle celui qui ne voit pas qu'avec le glaive de la haine du prochain, il se tue lui-même. Aussi je vous demande et je veux que vous suiviez Jésus crucifié, et que vous aimiez le salut de votre prochain, en vous montrant le disciple de l'Agneau qui, par amour pour l'honneur de son Père et pour le salut des âmes, a voulu se livrer à la mort.

4. Faites de même, mon seigneur; ne craignez pas de perdre les biens du monde; en les perdant vous gagnerez, parce que vous réconcilierez votre âme avec votre frère (Presque tout le règne de Charles V fut troublé par les guerres avec le roi Edouard III d'Angleterre. et avec Charles le Mauvais, roi de Navarre.). Je m'étonne que vous ne sacrifiez pas, s'il était possible, votre vie même, avec les choses temporelles, envoyant la perte de tant d'âmes, la mort de tant de personnes, et de tant de religieux, de femmes et d'enfants qui ont été persécutés et chassés par cette guerre. Qu'il n'en soit plus ainsi [296], pour l'amour de Jésus crucifié. Pensez que si vous ne faites ce que vous pouvez faire vous serez cause de tout ce mal: mal pour les chrétiens, et mal pour les infidèles ; car votre armée est occupée, et arrête la croisade. Quand même il n'en résulterait que ce mal, il me semble que nous devrions craindre le jugement de Dieu. Je vous prie de ne plus causer tant de mal, et de ne plus empêcher tout le bien que ferait la délivrance de la Terre-Sainte, et de ces pauvres âmes qui ne profitent pas du sang du Fils de Dieu. Vous devriez en rougir, vous et les autres princes chrétiens; car c'est une honte devant les hommes et une abomination devant Dieu de combattre son frère, et de laisser en paix l'ennemi, de vouloir prendre le bien des autres, et de ne pas recouvrer le sien : on ne peut être plus fou ni plus aveugle.

5. Je vous le dis de la part de Jésus crucifié, ne tardez pas à faire la paix; faites la paix, et tournez vos armes contre les infidèles ; consacrez-vous à déployer et à défendre l'étendard de la très sainte Croix ; car Dieu vous demandera compte, à vous et aux autres, au moment de la mort, de tant de négligences et d'erreurs qui se sont commises et se commettent tous les jours. Ne dormez plus, pour l'amour de Jésus crucifié et dans votre intérêt même., car il vous reste peu de temps (Charles V était né en 1337; il mourut dans sa quarante-troisième année, en 1380, peu de mois après sainte Catherine); le temps est court, vous devez mourir, et vous ne savez à quel moment. Qu'en vous s'allume le saint désir de suivre la Croix et de vous réconcilier [297] avec votre prochain; c'est ainsi que vous suivrez la voie et la doctrine de l'Agneau immolé et abandonné sur la Croix, et que vous observerez ses commandements. Vous suivrez sa voie en supportant avec patience les injures qui vous sont faites, sa doctrine en vous réconciliant avec le prochain. et vous montrerez votre amour pour Dieu en prenant part à la sainte croisade. Il me semble que votre frère, monseigneur le duc d'Anjou, veut, pour l'amour du Christ, se consacrer à cette sainte entreprise (Ce fut à la sollicitation du duc d’Anjou que cette lettre fut adressée à Charles V.) ; pouvez-vous en conscience l'arrêter par votre faute ? Non, vous suivrez les traces de Jésus crucifié, vous accomplirez sa volonté et la mienne, vous observerez ses commandements. Je vous ai dit que je désirais vous voir observer les saints commandements de Dieu. Je ne vous en dis pas davantage: pardonnez à ma hardiesse. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [298].

Table des Matières









XXXIII (157). - AU ROI DE FRANCE, le 6 mai 1379. - De la lumière qu'il faut pour connaître la vérité, et de l'amour-propre qui prive de cette lumière. - Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.

(Trois autres lettres très étendues à la reine Jeanne de Naples, aux Romains, et au comte Albéric de Balbiano, portent la même date du 6 mai 1379. Cette activité d'esprit est également prouvée par le témoignage de frère Barthélemi de Sienne, qui, dans sa déposition du procès de Venise, affirme avoir souvent vu sainte Catherine dicter à deux secrétaires à la fois des lettres différentes sur des affaires très difficiles, et cela sans la moindre hésitation.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux [298] Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous une vraie et parfaite lumière qui vous fasse véritablement reconnaître ce qui est nécessaire à votre salut. sans cette lumière nous marchons dans les ténèbres, et les ténèbres nous empêchent d'apercevoir ce qui nuit à l'âme et au corps et ce qui leur est utile; et alors le goût de l'âme se corrompt, les choses bonnes paraissent mauvaises, et les mauvaises paraissent bonnes; le vice et ce qui conduit au péché nous semblent agréables, tandis que la vertu et les moyens d'y parvenir nous semblent amers et pénibles. Mais celui qui a la lumière connaît bien la vérité, il aime la vertu. Dieu est la cause de toute vertu; il hait le vice, et la sensualité, qui est la cause de tout vice et qui nous prive de cette véritable et douce lumière. L'amour que l'homme a pour lui-même est un nuage qui obscurcit l’œil de l'intelligence et qui recouvre la prunelle de la très sainte Foi. L'homme va comme un aveugle et un ignorant; il suit sa faiblesse avec passion, sans consulter la lumière de la raison, semblable à l'animal dépourvu d'intelligence qui se laisse guider par son instinct. Quelle grande misère que l'homme, créé à l'image et ressemblance [299] de Dieu, se rende volontairement par son pêché pire que l'animal sans raison, qu'il méconnaisse, dans son ignorance et son ingratitude, les bienfaits de Dieu, et qu'il se les attribue à lui-même !

2. L'amour-propre est le principe de tout mal. D'où viennent les injustices et les autres fautes? De l'amour-propre : c'est lui qui fait commettre l'injustice contre Dieu, contre soi-même, contre le prochain et contre la sainte Eglise. On la commet contre Dieu en ne rendant pas honneur et gloire à son nom, comme on y est obligé; contre soi-même en ne haïssant pas le vice et en n'aimant pas la vertu; et contre le prochain en n'étant pas bon à son égard. Celui qui est puissant n'observe pas la justice lorsqu'il ne la rend que pour plaire aux créatures et dans son intérêt humain, lorsqu'il n'obéit pas à l'Eglise, qu'il ne la soutient pas, mais qu'il la persécute sans cesse. Tout ce mal vient de l'amour-propre, qui empêche de connaître la vérité parce qu'elle prive de la lumière. Ceci est bien certain, tous les jours, nous le voyons et nous l'éprouvons en nousmême.

3. Je ne voudrais pas, mon très cher Père, que ce nuage vous privât de la lumière; mais je veux que vous ayez en vous cette lumière qui fait connaître et discerner la vérité. Il me semble, d'après ce que j'ai appris, que vous commencez à vous laisser conduire par ceux qui sont dans les ténèbres et vous savez que si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous les deux dans le précipice (Charles V se déclara contre Urbain VI à l'instigation des cardinaux français, et par intérêt politique. Il voulait un Pape français à Avignon, et il fut véritablement le chef du parti de l’antipape Clément VII.). Il [300] vous en arrivera de même si vous ne remédiez pas à ce que j'apprends. Je suis bien étonnée qu'un homme catholique qui veut craindre Dieu et être courageux, se laisse guider comme un enfant, et ne voie pas à quelle ruine il s'expose en laissant souiller la lumière de la très sainte Foi par les conseils de ceux que nous voyons être les membres du démon, ces arbres corrompus qui nous ont montré leur impiété, et qui ont semé le poison de l'hérésie en disant que le pape Urbain VI n'est pas le vrai Pape. Ouvrez les yeux de l'intelligence, et voyez s'ils ne mentent pas effrontément. Ne peut-on pas les confondre par eux-mêmes, et de quelque côté que nous nous tournions, ne sont-ils pas dignes de châtiments? S'ils disent qu'ils l'ont élu par crainte de la colère du peuple, ils ne disent pas la vérité, car ils l'ont élu. par une élection aussi canonique et aussi régulière qu'aucune autre élection de souverain Pontife.

4. Ils se hâtèrent, il est vrai, de faire l'élection, par crainte de quelque mouvement populaire; mais ce n'est pas par crainte qu'ils ont choisi monseigneur Bartholomeo, archevêque de Bari, qui est aujourd'hui le Pape Urbain VI. Je le reconnais et je ne le nie pas : celui qu'ils ont élu par peur, c'est monseigneur de Saint-Pierre c'est évident pour tous; mais l'élection du Pape Urbain s'est faite régulièrement, comme je l'ai dit. Ils l'ont annoncée eux-mêmes à vous, a nous, à tous les princes du monde, et ils ont confirmé leurs paroles par des actes, en [301] lui rendant hommage, en le reconnaissant pour le Christ de la terre, en le couronnant avec grande solennité, en renouvelant l'élection avec un grand accord. Ils lui demandèrent des grâces comme souverain Pontife, et ils en profitèrent. s'il n'était pas vrai que le Pape Urbain fût Pape, s'ils l'avaient nommé par peur, ne seraient-ils pas dignes d'une éternelle confusion? Quoi ! les colonnes de l'Eglise, ceux qui sont établis pour répandre la Foi, ont voulu par crainte de la mort corporelle nous entraîner avec eux dans la mort éternelle! Ils nous ont désigné pour Père celui qui ne l'était pas! Et ne sont-ils pas des voleurs, puisqu'ils ont demandé et reçu des grâces qu'ils ne devaient pas recevoir! Oui assurément; mais ce qu'ils disent est faux, et le Pape Urbain VI est bien le véritable Pape. Les pauvres insensés qu'aveugle l'amour-propre! ils nous ont montré et prouvé la vérité, et ils prétendent maintenant que c'est un mensonge. Ils l'ont reconnue, cette vérité jusqu'au moment où sa sainteté a voulu corriger leurs vices (Lettre XXXI, 8). Dès qu'Urbain VI a voulu les reprendre et leur montrer qu'il n'approuvait pas leur conduite scandaleuse, et qu'il voulait y porter remède, ils se sont aussitôt révoltés. Et contre qui? Contre la sainte Foi ils ont fait pire que des renégats.

5. O hommes misérables! ils ne connaissent pas leur malheur et la voie qu'ils suivent; s'ils la connaissaient, ils imploreraient le secours de Dieu, ils reconnaîtraient leurs fautes, et ils ne seraient pas [302] obstinés comme les démons qu'ils imitent, et dont ils remplissent l'office. L'office du démon est d'éloigner les âmes de Jésus crucifié, de les détourner de la voie de la vérité, de les conduire au mensonge et de se les attacher, à lui le père du mensonge, par les peines et les supplices, en leur donnant ce qu'il a pour lui-même. Ils font de même ils détruisent la vérité qu'ils nous avaient donnée, en propageant le mensonge; ils ont mis la division dans le monde entier; et le mal qu'ils ont, ils veulent nous le communiquer. Voulons-nous bien connaître la vérité, regardons, examinons leur vie et leurs mœurs; ils suivent les sentiers de l'iniquité, car ces démons ressemblent aux démons, ils s'accordent ensemble.

6. Pardonnez-moi, mon très cher Père. Je vous appelle Père parce que je vous crois le partisan de la vérité et l’ennemi du mensonge. Si je parle ainsi d'eux, ce n'est pas contre leurs personnes, c'est contre leurs vices, contre l'hérésie qu'ils ont répandue par toute la terre, contre la cruauté qu'ils ont pour eux-mêmes et pour les pauvres âmes qu'ils font périr; et il faudra qu'ils en rendent compte devant le Juge suprême. S'ils avaient été des hommes craignant Dieu, ou, à défaut de Dieu, les reproches du monde, le Pape Urbain aurait eu beau leur faire plus qu'il n'a fait et les couvrir d'une plus grande confusion, ils auraient tout supporté avec patience, préféré mille morts, pour ne pas faire ce qu'ils ont fait. Ils ne pouvaient tomber dans une plus grande honte et un plus grand malheur; car aux yeux de tous, ce sont des hérétiques et des schismatiques qui outragent la sainte Foi. Si je considère le tort qu'ils [303] font à leur âme et à leur corps, je vois que l'hérésie les prive de Dieu et de la grâce, et les dépouille même temporellement de leur dignité, et ils en sont eux-mêmes cause. Si je pense au jugement de Dieu, je vois qu'il est proche, s'ils ne sortent de ces ténèbres, car toute faute est punie, et toute vertu récompensée. Il est dur de résister à Dieu, lors même qu'on aurait toutes les forces des hommes. Dieu est la force suprême qui fortifie et délivre ceux qui mettent leur confiance et leur espérance en lui.

7. Nous voyons que tous les vrais serviteurs de Dieu obéissent au pape Urbain VI et le reconnaissent pour le vrai souverain Pontife, comme il l'est en effet. Vous ne trouverez pas un serviteur de Dieu qui soutienne le contraire et qui serve Dieu sincèrement (Au commencement du schisme, l’erreur ne semblait pas possible. La vérité put s'obscurcir après le concile de Pise. Saint Vincent Ferrier fut pendant quelque temps attaché à Benoît XIII; mais il le pressa toujours de rendre la croix à l'Eglise en abdiquant. (Gigli, t. II, p. 19.). Car je ne parle pas de ceux qui portent à l'extérieur le vêtement des brebis, et qui sont à l'intérieur des loups dévorants. Et croyez-vous que, si ce n'était pas la vérité, Dieu permettrait que ses serviteurs soient ainsi dans les ténèbres? Non, il ne le souffrirait pas. S'il le souffre pour les hommes coupables du monde, il ne le souffre pas pour ses serviteurs. Il leur a donné la lumière de la vérité en cette occasion, parce qu'il ne méprise pas les saints désirs, et qu’il les exauce comme un père tendre et compatissant. Ce sont les personnes que je voudrais vous voir appeler près de vous, pour vous faire [304] expliquer cette vérité et vous retirer de votre ignorance. Ne vous laissez pas conduire par l'intérêt personnel; ce serait plus fâcheux pour vous que pour d'autres. Ayez compassion de tant d'âme que vous livrez aux mains du démon. Si vous ne voulez pas faire le bien, au moins ne faites pas le mal. souvent le mal nuit plus à celui qui le fait qu'à celui auquel on veut le faire; et c'est un si grand mal que celui qui nous fait perdre la grâce de Dieu, qui détruit les biens de la terre et qui cause la mort de tant d'hommes!

8. Hélas! il semble que nous ne voyons plus la lumière; le nuage de l'amour-propre nous en a privés, et nous aveugle tellement, que nous sommes disposés à recevoir tous les faux renseignements que nous donnent contre la vérité ceux qui s'aiment eux-mêmes. Si nous avions la lumière, il n'en serait point ainsi, mais vous voudriez, avec une grande prudence et une sainte crainte de Dieu, chercher et connaître la vérité auprès de ceux qui sont instruits et consciencieux. Si vous le voulez, vous ne tomberez pas dans l'erreur, car vous avez près de vous la source de la science (Sainte Catherine désigne. ainsi l'Université de Paris, qui se prononça d'abord pour Urbain VI. Elle subit ensuite l'influence royale, et reconnut Clément VII, par un acte du 30 mai 1379. Elle répara cette faute, en travaillant avec zèle à l'extinction du schisme.). Je ne crains rien si vous y avez recours; et vous savez ce que deviendra votre royaume, si vous consultez des hommes consciencieux qui ne cèdent pas à l'opinion des hommes et à la crainte servile, mais qui n'écoutent que la [305] vérité. Ils vous éclaireront et vous mettront l'esprit et l'âme en paix. Oui, très cher Père, changez de conduite, rentrez en vous-même; pensez que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand; considérez Dieu et la vérité, et non la passion et l'amour de la patrie. Devant Dieu, nous ne devons établir aucune différence entre les nations, car nous sommes tous sortis de sa sainte pensée, tous créés à son image et ressemblance, tous rachetés avec le précieux sang de son Fils unique. Je suis certaine que si vous avez la lumière, vous agirez de la sorte et vous n'entendrez pas le temps, car le temps ne vous attend pas (Charles V mourut l'année suivante, avec le désir de faire cesser le schisme.). Vous les inviterez à retourner à la sainte et véritable obéissance. Vous ne pouvez pas faire autrement. Je vous ai dit que je désirais voir en vous une vraie et parfaite lumière, afin qu'avec cette lumière vous aimiez et craigniez la Vérité. Alors mon âme se réjouira de votre salut en vous voyant sortir d'une si grande erreur. Je termine : demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi, si j'ai trop parlé. L'amour de votre salut me fuit désirer de vous dire ces choses de vive voix plutôt que par des lettres. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour [306].

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XXXIV (190).- AU DUC D'ANJOU. - Elle le prie de s'unir à la Croix et à la passion de Jésus-Christ, en méprisant les plaisirs et les vanités du monde. - Elle l'exhorte à se croiser contre les infidèles.

(Louis d'Anjou était second fils du roi Jean, qu'il remplaça comme otage en Angleterre. Il fut régent pendant la minorité de son neveu Charles VI, et devint chef de la seconde branche d'Anjou à Naples. La reine Jeanne l'ayant nommé son héritier, il se fit couronner roi par l'antipape Clément VII. En 1372, il passa en Italie, et disputa inutilement le trône à Charles Durazzo. Il mourut en 1382. - La lettre de Sainte Catherine est de 1376, pendant son séjour à Avignon.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher seigneur et Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine. l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le cœur attaché et cloué sur la Croix, et le bien, que vous soyez de plus en plus enflammé de zèle et d'ardeur pour lever l'étendard de la très sainte Croix. Je suis certaine que si vous regardez l'Agneau immolé et consumé d'amour sur la Croix pour vous délivrer de la mort et vous rendre la vie de la grâce, cette sainte pensée vous excitera à le faire bientôt, et bannira de votre cœur et de votre âme toutes les jouissances déréglées et les vanités du monde. Ces jouissances passent comme le vent, et laissent toujours la mort dans l'âme de celui qui les possède; et, si avant de mourir il ne se corrige pas, elles le conduisent à la mort [307] éternelle il s'est privé par sa faute de la vision de Dieu, et il s'est rendu digne de la vision et de la société des démons. Il est juste et convenable qu'une peine infinie punisse celui qui offense Dieu, le Bien infini. Je parle de ceux qui dépensent leur vie dans les plaisirs et dans la magnificence, cherchant a se distinguer par le luxe et les grands repas. Ils n'emploient jamais à d'autres choses leurs richesses, tandis que les pauvres meurent de faim. Ils recherchent sans cesse l'abondance des provisions, la beauté des vases, les tables délicates et choisies, et les vêtements somptueux;. mais ils ne s'occupent pas de leur pauvre âme, qui se meurt de faim, parce qu'ils lui enlèvent la nourriture de la vertu, de la sainte confession, de la parole de Dieu, de son Fils le Verbe incarné, dont nous devons suivre les traces avec amour, aimant ce qu'il aime, cherchant ce qu'il cherche, aimant la vertu, détestant le vice, cherchant l'honneur de Dieu, notre salut et celui du prochain. Le Christ a dit que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais encore de la parole de Dieu.

2. Aussi je veux, cher et doux seigneur, mon frère dans le Christ, le doux Jésus, que vous suiviez par la vertu cette douce parole de Jésus crucifié, et que vous ne vous laissiez pas tromper par le monde et entraîner par la jeunesse (En 1376, Louis d'Anjou avait trente-neuf ans.). Car si nous suivions le monde, on pourrait bien nous dire cette parole que le Christ béni adressait aux Juifs : " Ceux-là sont semblables à des sépulcres qui sont parés et blanchis au dehors, mais qui sont pleins au dedans [308] d'ossements et de corruption de mort. " Oh! que la douce Vérité suprême parlait bien Oui, Ceux qui paraissent si beaux avec tous leurs ornements, ont le cœur rempli de choses mortes et passagères qui engendrent le dégoût, la honte et la corruption dans l'âme et dans le corps. Mais j'espère de la Bonté divine que vous vous appliquerez si bien à corriger votre vie, que cela ne vous regardera pas, et que, rempli d'un ardent amour, vous prendrez la Croix, qui détruit en nous la mort du péché mortel, et lui nous donne la vie. Vous le ferez en élevant l'étendard de la Croix; vous effacerez toutes les offenses que vous avez commises contre Dieu, et Dieu vous dira ensuite Viens, mon fils bien-aimé, tu t'es fatigué pour moi, je te consolerai et je te mènerai aux noces de la vie éternelle, où le rassasiement est sans dégoût, la faim sans souffrance, et le plaisir sans honte. Ce ne sont pas comme les joies et les festins du monde, qui coûtent beaucoup sans aucun profit; plus l'homme en prend, plus il est vide; plus il trouve la tristesse. Vous l'avez bien vu hier : Vous aviez préparé un belle fête et un grand repas, et tout a fini dans la douleur (D'après les anciens manuscrits, Cet accident dont parle sainte Catherine serait la chute d’une muraille qui, au milieu d'eu grand festin, avait tué plusieurs personnes.). Dieu l'a permis par amour pour votre âme; il a voulu vous montrer à vous et à ceux qui vous entouraient que toutes nos joies sont vaines. Dieu a montré aussi que ces réunions, ces discours, ces usages, ces conseils ne lui étaient pas agréables. Hélas! je crains bien que notre folie [309] soit si grande, qu'elle nous empêche de comprendre les jugements de Dieu.

3. Je vous dis de la part de Jésus crucifié, de vous rappeler toujours la journée d'hier, afin que toutes vos actions soient faites dans l'ordre, dans la vertu et la crainte de Dieu, et non pas sans cette crainte. Ayez bon courage, parce que j'espère de la Bonté divine qu'elle vous aidera à le faire, que vous ne souffrirez pas de l’accident qui est arrivé, et que ce sera une peine profitable qui vous donnera une sainte connaissance de vous-même. Ce sera un heureux frein qui retiendra en vous toute vanité déréglée, comme on fait au cheval qui s'emporte on lui tire la bride pour qu'il ne s'écarte pas de son chemin.

4. Oui, mon doux fils dans le Christ, notre doux Jésus, embrassez la très sainte Croix, et répondez à Dieu qui vous appelle avec cette Croix; vous accomplirez ainsi la volonté de Dieu et mon désir. Je vous ai dit que je désirais voir votre cœur et vos désirs attachés et cloués à la Croix. Faites qu'avant le départ du Saint-Père (Grégoire XI partit d’Avignon le 13 septembre 1376.) vous vous entendiez définitivement avec Sa Sainteté au sujet de la croisade : le plus tôt sera le meilleur, pour le peuple chrétien et pour les infidèles. Pas de négligence, ne tardez pas davantage. Faites en sorte que le temps vous manque, plutôt pour les affaires temporelles que pour les affaires spirituelles, surtout pour cette sainte entreprise, que Dieu vous a confiée ; et rendez-vous digne de ce que souvent sa bonté infinie a fait faire à ses grands serviteurs. Je ne vous en dis pas [310] davantage. souvenez-vous, Monseigneur, que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à ma présomption. Doux Jésus, Jésus amour.

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XXXV (312) - A LA REINE DE NAPLES.- De l'amour filial envers Dieu, et de la crainte servile et mercenaire.- De la justice envers soi-même et envers le prochain. - Elle l'excite à concourir à la croisade publiée par le souverain Pontife.

(Jeanne, reine de Naples, était fille de Charles d'Anjou, duc de Calabre; elle eut quatre maris. 1. André de Hongrie, son cousin; 2. Louis de Tarente; 3. Jacques, d’Aragon, et Otton de Brunswick, qui lui survécut. Elle ne laissa pas d'enfant. Ce fut elle qui vendit au Saint-Siège Avignon et le comtat Venaissin, en 1348, pour quatre-vingt mille florins d'or)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Ma très révérende et très chère Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir une vraie et parfaite fille de Dieu. Vous savez que le serviteur ne veut jamais offenser le maître en sa présence, parce qu'il craint la peine qui suit la faute commise; et c'est cette crainte qui le fait servir avec soin et empressement. Mais le vrai fils aime mieux mourir que d'offenser [311] son père; et ce n'est pas par crainte de la peine et par peur de lui, mais c'est à cause du respect et de l'amour qu'il a pour son père qu'il ne l'offense pas. C'est là le fils qui a droit à l'héritage, parce qu'il n'a pas renoncé au testament du père, mais qu'il observe et suit ses traces. Je vous prie d'agir ainsi, vénérable Mère dans le Christ Jésus. Vous savez que nous sommes toujours comme des serviteurs en présence de ce Maître; son œil, qui voit dans le secret, est sans cesse sur nous. L'éternelle Vérité suprême distingue bien celui qui la sert et celui qui ne la sert pas. L'âme doit donc craindre d'offenser son Créateur, car ce Maître punit le mal et récompense le bien; et personne, ni par sa puissance, ni par ses richesses, ni par son talent, ne peut s'affranchir de ce Maître, le doux Jésus.

2. Oh! combien est douce et sainte cette servitude, qui met un frein à l'âme, la dirige, l'empêche de tomber dans la triste servitude du péché, et lui fait voir toutes les choses qui pourraient la porter au mal! Tout ce qu'elle voit contraire à la volonté du Maître, elle le hait, parce qu'elle sait que si elle l'aimait, elle encourrait ses jugements. Lorsque l'âme éveillée par la crainte voit qu'elle est obligée de servir, et qu'elle ne peut éviter le regard du Maître, elle commence à déraciner l'amour déréglé du monde et à rendre ses affections conformes à la volonté de son Maître, car elle ne pourrait lui plaire autrement. Le Christ l'a dit : " Personne ne peut servir deux maîtres; s'il en sert un, il est opposé à l'autre; " et ainsi, lorsque notre âme est conduite par la crainte, elle sert avec empressement et combat [312] le péché en elle : cette crainte le rend semblable au serviteur de la maison qui est chargé de laver ce qui est sale. Mais si l'âme devient la fille du Père, c'est-à-dire si elle arrive à la charité parfaite, elle fait comme le vrai fils qui a toujours aimé son père, qui ne l'aime pas d'un amour mercenaire, à cause de l'utilité qu'il y trouve, et qui ne craint pas de l'offenser par peur du châtiment, mais seulement à cause de la bonté du père et de la nature qu'il a reçue du père par amour. La nature lui donne la force, et l'amour le contraint de l'aimer et de le servir. On peut dire que celui-là est un vrai fils. Notre amour envers notre Père céleste consiste donc à l'aimer non pas à cause du profit que nous y trouvons, ou de la crainte des châtiments qu'il peut nous infliger, mais seulement parce qu'il est souverainement juste, souverainement bon dans son infinie bonté, parce qu'il est vraiment digne d'être aimé, et que rien n'est digne de l'être en dehors de lui ; mais en lui et pour lui nous devons aimer toute créature. Voilà comment on aime un père.

3. La crainte est chargée de purifier l'âme; l'amour doit ensuite la remplir de vertus, et en bannir l'ambition, la vaine gloire, l'impatience, l'injustice, la vanité, la misère du monde; il doit effacer le souvenir des injures reçues, pour n'y laisser que celui des bienfaits et de la bonté, avec la vraie et parfaite humilité, avec la patience à supporter ses peines pour le doux Jésus, aveu la sainte justice qui rend à chacun ce qui lui est dû. Et remarquez que vous pouvez pratiquer la justice de deux manières :la première en vous-même, en rendant à Dieu la [313] gloire et l'honneur qu'il mérite, on reconnaissant que vous recevez tout bien de lui et pour lui, en vous attribuant ce qui vous appartient, le péché et le mal, que vous devez haïr parce que c'est le péché qui a percé et cloué le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix. L'autre justice est celle qu'on doit aux créatures, et vous devez l’exercer de tout votre pouvoir dans votre royaume.

4. Je vous en conjure au nom du Christ Jésus, veillez sans cesse à ce qu'il ne se commette pas d'injustices et qu'on rende à chacun ce qui lui est dû, au grand comme au petit. Et gardez-vous bien d'y manquer par complaisance ou par crainte des créatures; autrement vous ne seriez pas la vraie fille du Père. Consultez toujours l'honneur do Dieu, et vous aimerez mieux mourir que de l'offenser. Lorsque le vase est pur du vice et du péché, et qu'il est rempli de vertus, le cœur ne peut se défendre d'aimer, parce qu’il a trouvé la source de la bonté de Dieu qui opère on lui, et parce que la créature a été faite à l'image et ressemblance du Créateur. Le Créateur n'y était pas obligé; nous ne lui avons rien demandé, et nous ne pouvions pas lui être utiles; mais c'est uniquement la force de son amour infini et de son ineffable charité qui l'y a poussé. C'est aussi cet amour qui a uni Dieu à l'homme, et l'a abaissé jusqu'à fui. O douce et vénérable Mère, combien la créature devrait avoir honte de s'enorgueillir de son rang et de ses grandeurs, en voyant son Créateur s’humilier si profondément et courir avec une si ardente charité à la mort ignominieuse de la Croix! C'est de ce très doux amour que mon âme [314] désire vous voir revêtue, car sans cet amour vous ne pouvez plaire à Dieu et avoir la vie de la grâce.

5. J'ai de douces et bonnes nouvelles à vous apprendre. Notre doux Christ de la terre, le souverain Pontife, a envoyé une bulle à trois religieux qu'il a choisis : au provincial des Frères Prêcheurs, au ministre des Frères Mineurs et à un de nos Frères, serviteur de Dieu (Voir Lettre LI). Il leur a commandé de rechercher et de faire connaître on Italie et dans les autres pays tous ceux qui ont le désir de mourir pour le Christ au delà des mers, et de combattre les infidèles. Ceux-là doivent écrire ou se présenter, en déclarant que si les chrétiens veulent entreprendre la croisade, ils sont prêts à leur donner tout le secours de leur puissance et de leurs armes. Je vous on prie et je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, embrasez-vous d'un saint désir, et préparez-vous à fournir les secours et les forces nécessaires, quand le moment sera venu, afin de retirer le saint tombeau de notre doux Sauveur des mains du démon, et de faire participer comme nous les infidèles au sang du Fils de Dieu. Je vous prie, ma Mère, de ne pas dédaigner de me faire connaître votre saint et bon désir au sujet de cette sainte entreprise. Je termine; que la paix et la grâce du Saint-Esprit soient toujours dans votre âme. Demeurez dans la sainte dilection de Dieu, et pardonnez-moi ma présomption. Doux Jésus, Jésus amour[315].

Table des Matières









XXXVI (313). - A LA REINE JEANNE DE NAPLES.- De l'union de Dieu et de l’âme par l'incarnation du Verbe, et comment elle se perfectionne par la charité et les autres vertus. - Elle se réjouit du désir qu'elle a manifesté de prendre part à la croisade.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Glorieuse et très chère Mère, madame la Reine, votre indigne Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, vous écrit dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie fille et l'épouse choisie de Dieu. La douce Vérité suprême vous a choisie pour sa fille; car nous sommes sortis de Dieu notre Créateur; il a dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. La créature raisonnable est devenue son Epouse, lorsque Dieu a pris la nature humaine. O très doux amour Jésus, afin de montrer que vous la preniez pour Epouse, huit jours après votre naissance vous lui avez donné l'anneau nuptial de votre main très douce et très sainte, au moment de la Circoncision. Vous savez bien, ma vénérable Mère, qu'au bout de huit jours il a donné un anneau de sa chair, comme gage de ce qu’il devait payer entièrement sur le bois de la très sainte Croix, lorsque l'Agneau sans tache, l'Epoux divin, fut immolé et répandit de toutes les parties de son corps les flots de son sang. pour laver les souillures et les péchés de son Epouse l'humanité. Et remarquez que son ardente charité ne nous a pas [316] donné un anneau d'or, mais un anneau de sa très pure chair; et ce très doux Père n'a pas fait le festin des noces avec la chair des animaux, mais avec son précieux corps la nourriture a été l'Agneau préparé par le feu de la chanté, sur le bois de la douce Croix.

2. Je vous supplie instamment nu nom du Christ Jésus de consacrer tout votre cœur, toute votre âme, toutes vos forces à aimer et servir ce doux et cher Père, cet Epoux qui est Dieu, la Vérité suprême, éternelle, qui nous a tant aimés sans être aimé. Oui, qu'aucune créature ne résiste, quel que soit son rang, sa grandeur, sa puissance : toutes les gloires du monde ne sont-elles pas vaines; ne passent-elles pas comme le vent? Qu'aucune créature ne s'éloigne de ce véritable amour, qui est la gloire, la vie, le bonheur de l'âme; et alors nous montrerons que nous sommes des épouses fidèles. Et aussi, quand l'âme n'aime que son Créateur, elle ne désire rien hors de lui. Ce qu'elle aime, ce qu'elle fait, c'est pour lui, et tout ce qu'elle voit on dehors de sa volonté, comme les vices, les péchés, les injustices, elle le déteste; et la sainte haine qu'elle a conçue contre le péché est si forte, qu'elle aimerait mieux mourir que de violer la foi qu'elle doit à son éternel Epoux. Soyons, soyons fidèles, on suivant les traces de Jésus crucifié, on détestant le vice, en embrassant la vertu, on faisant de grandes choses pour lui.

3. Je vous dirai, Madame, que mon âme a été dans la joie et l'allégresse lorsque j'ai reçu votre lettre; elle m'a bien consolée par la sainte et bonne [317]

disposition où vous paraissez être de sacrifier vos biens et votre vie pour la gloire du nom de Jésus-Christ. Le plus beau sacrifice, le plus grand amour qu'on puisse lui offrir, c’est d'être prêt à donner sa vie pour lui s'il le faut. Oh! quelle douceur ce serait de voir donner sang pour sang! Et je vois tellement augmenter en vous le feu du saint désir par le souvenir du sang du Fils de Dieu, que vous avez pris le titre de Reine de Jérusalem (Depuis l’année 1272, les rois de Naples prenaient le nom de rois de Jérusalem. (Gigli, t. Il, p.356.). Vous serez le chef et la cause de cette sainte croisade, et les Saints-Lieux ne seront plus possédés par les méchants infidèles, mais par des chrétiens qui les honorent, et par vous comme votre bien. Sachez que le Saint-Père a le plus grand désir d'apprendre de vous-même le dessein que le divin Epoux a mis dans votre âme; je voudrais que vous lui écriviez que votre désir augmente de plus en plus, et que vous lui demandiez d’entreprendre vous-même la croisade avec tous les chrétiens qui voudraient vous suivre. Car si vous vous prononciez, et si vous preniez l'initiative, vous entraîneriez certainement beaucoup de monde. Je vous conjure donc par l'amour de Jésus crucifié de montrer votre zèle, et je prie autant que le peut ma faiblesse, la souveraine et éternelle bonté de Dieu, de vous accorder pour cela et pour toutes vos bonnes œuvres une parfaite lumière, en augmentant toujours en vous vos saints désirs, afin qu'embrasée du feu de l'amour, vous parveniez, de la souveraineté de cette vie misérable et caduque, a l'éternelle cité [318] de Jérusalem, à la vision de la paix, où la divine Clémence nous fera tous rois et seigneurs, où seront récompensées toutes les peines de ceux qui auront souffert pour son très doux amour. Demeurez dans la sainte dilection de Dieu. Jésus, Jésus, Jésus.

Faite le 4 du mois d’août.

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XXXVII (314). - A LA REINE DE NAPLES. - Des vertus que doit produire notre âme. - Elle l'invite à préparer la croisade.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très aimée et très révérende Mère et sœur dans le Christ Jésus, madame la Reine, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris avec le désir de vous voir remplie de l'abondance de la grâce du Saint-Esprit, afin que, comme une terre fertile, vous donniez des fruits bons et délicieux, et que vous ne produisiez pas des ronces et des épines. Vous savez, très chère Mère, que nous sommes semblables à des champs où Dieu dans sa miséricorde a jeté sa semence, c'est-à-dire l'amour avec lequel il nous a créés on nous tirant de son sein par amour, et non par devoir. Nous ne lui avons pas demandé de nous créer; mais lui, poussé par le feu de sa charité, il nous a créés pour que nous voyions et que nous goûtions sa souveraine et éternelle beauté. Et afin que cette semence porte du fruit et que les plantes grandissent, il nous a donné [319] l'eau du saint baptême. Le fruit est bien agréable et bien doux, mais il faut un jardinier pour le soigner et le conserver. O très doux amour Jésus, vous nous avez donné le meilleur et le plus puissant jardinier que nous puissions avoir, on nous donnant la raison et le libre arbitre. Il est si fort, que ni les démons ni les créatures ne peuvent l'ébranler, et le contraindre à un péché mortel s'il n'y consent pas. N'est-ce pas ce que disait l'ardent saint Paul lorsqu'il s'écriait : " Qui pourra me séparer do la charité du Christ! Ce ne sera ni la faim, ni la soif, ni les persécutions, ni les anges, ni les démons (Rm 8, 35); comme s'il disait : Puisqu'il est impossible de me séparer de la charité divine si je ne le veux pas, je suis donc bien fort. Dieu nous a donné aussi le temps, car sans le temps, le jardinier ne pourrait rien faire; mais avec le temps, c'est-à-dire pendant que nous vivons, le jardinier peut retourner la terre et recueillir le fruit; alors la main de l'amour, du saint et vrai désir, prend le fruit et le porte dans le grenier, c'est-à-dire qu'il fait tout pour Dieu, et qu'il recherche dans toutes ses œuvres la louange et la gloire de son nom.

2. Vous me direz peut-être que le jardinier a pour compagnon la partie sensitive, qui souvent le vole et l'arrête on semant et on recueillant bien souvent la semence du démon, c'est-à-dire les jouissances coupables, les plaisirs du monde, les richesses, les honneurs et l'amour de nous-mêmes, ce dangereux ennemi, capable de détruire et de corrompre toutes nos [320] œuvres; oui, celui qui s'aime lui-même on dehors de Dieu, et qui ne cherche que son propre honneur, ne fait rien de bon. S'il est puissant, il n'exercera pas loyalement la justice, mais il la rendra selon le bon plaisir des créatures, parce qu'il écoutera son amour-propre. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi pour vous; car si vous recherchez uniquement l'honneur de Dieu et le salut des créatures, votre justice et toutes vos œuvres seront conformes à la droite raison, et la force du libre arbitre fera tenir tranquille la sensualité. Courage donc, très chère Mère; car par la greffe que Dieu a faite en nous, arbres stériles, c'est-à-dire par l'union de la nature divine avec la nature humaine, la raison est tellement fortifiée, qu'elle est entraînée à l'aimer; et la sensualité est tellement affaiblie, que quand elle veut nuire à la raison, elle ne peut rien contre elle.

3. Nous voyons bien, très chère Mère, que notre chair c'est-à-dire l'humanité du Christ, qui vient d'Adam, a été si flagellée, si tourmentée par les coups, les outrages, et enfin par la mort honteuse de la Croix, qu'elle doit maintenant nous être assujettie, et ne jamais se révolter contre Dieu et la raison. O amour ineffable, très doux Jésus, comment la créature peut-elle ne pas se perdre et se sacrifier pour vous? O greffe incomparable, Verbe incarné, Fils de Dieu, qui avez détruit le ver de l'ancien péché d'Adam, et arraché le fruit sauvage! Ce péché commis avait tellement ravagé notre jardin, qu’il ne pouvait produire aucune vertu qui donne la vie. O doux feu d'amour, vous avez tellement uni Dieu à l'homme et l'homme à Dieu, que la sève stérile qui [321] donnait la mort est devenue bonne et fertile, et donne toujours la vie, si nous voulons nous servir de la force de la raison. Regardez, regardez l'amour ineffable que Dieu nous porte, et la douceur du fruit délicieux de l'Agneau sans tache, ce bon grain qui a été semé dans le doux champ de Marie. Que notre jardinier ne dorme plus dans la négligence, car voici le moment : il est fort par sa nature, et il a été fortifié par l'union de Dieu avec l'homme. Je vous prie nu nom du Christ, le doux Jésus, d'exciter votre amour et votre désir, et de prendre l'arbre de la très sainte Croix, pour le planter dans le jardin de votre âme; car c'est un arbre riche en fruits de vraies et solides vertus. Vous voyez bien qu'outre l'union queDieu a faite avec sa créature, il s'est attaché à la sainte Croix, et il veut, il demande que nous nous unissions à cet arbre par l'amour et le désir; alors notre jardin ne pourra produire que des fruits suaves et délicieux. C'est pourquoi j'ai dit que je désirais vous voir un champ fertile. Nous avons vu le moyen de produire du fruit, et comment on le récolte, en se servant de la force et de la puissance du bon jardinier, de la raison et du libre arbitre, avec le souvenir de l'Agneau immolé pour détruire la partie sensitive.

4. Maintenant donc, très chère sœur, il n'est plus temps de dormir, car le temps ne dort pas, et s’enfuit toujours comme le vent. Elevez en vous par l'amour l'étendard de la très sainte Croix; il faudra bientôt le déployer, car il me semble que le Saint-Père va l’arborer contre les Turcs. Je vous prie de vous tenir prête, afin que nous allions tous en bonne compagnie mourir pour le Christ. Je vous prie et je vous conjure de la part de Jésus crucifié d'assister son Epouse dans ses besoins, par vos biens, votre personne et vos conseils. Montrez autant que vous le pourrez que vous êtes la fille fidèle de la douce et sainte Eglise. Vous savez bien qu'elle est une mère qui nourrit ses fils sur son sein, en leur donnant un lait très doux qui est leur vie. Il est bien insensé le fils qui n'aide pas sa mère, lorsqu'un membre corrompu se révolte contre elle (Cette lettre est sans doute de 1375, au moment de la guerre des Florentins contre l'Eglise.). Je veux que vous soyez une fille véritable, et que vous assistiez toujours votre Mère. Je termine. Pardonnez à mon Ignorance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous recommande le Frère Pierre, qui vous porte cette lettre : c'est mon cher Père et mon fils.

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XXXIII (315). - A LA REINE DE NAPLES. - De la manière nécessaire pour connaître la vérité. - Des dangers de l'amour de soi-même. - Elle déplore la mauvaise foi de ceux qui, après avoir élu pour souverain Pontife Urbain VI, ne veulent plus le reconnaître.

(Cette lettre est du 7 octobre 1378; elle est par conséquent écrite de Sienne, avant le départ de sainte Catherine pour Rome.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus [324], moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairée de la vraie et parfaite lumière, afin qu'en toutes vos œuvres, vous receviez la lumière qui est la vie de la grâce; car toutes les œuvres qui sont faites avec la lumière et la crainte de Dieu donnent la vie; mais sans cette lumière nous faisons tout dans la mort, nous marchons dans les ténèbres, avec une telle ignorance, un tel aveuglement, que nous prenons la vérité pour le mensonge, et le mensonge pour la vérité, la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière. De là vient que le goût de l'âme se pervertit, et qu'alors les choses bonnes lui paraissent mauvaises, et les mauvaises lui paraissent bonnes : elle a perdu la connaissance d'elle-même, et ne connaît plus son mal. Cela vient de la privation de la lumière. Hélas! hélas! très chère Mère, tout cela procède du nuage de l'amour-propre, qui obscurcit l’œil de notre intelligence et nous empêche de discerner la vérité. L'amour-propre nous rend faibles et légers comme la feuille qu'agite le vent; c'est un poison qui empoisonne l'âme; et il ne l'empoisonne pas sans nuire aussi aux autres, car dès que nous sommes privés de la charité, nous n'avons plus de bienveillance et d'affection pour le prochain, et d'obéissance pour la sainte Eglise.

2. Remarquez-le bien: ce poison, les uns le prennent et le donnent au prochain, non pas actuellement, mais mentalement, en lui refusant l'affection qui lui est due. Mais il en est d'autres aussi qui non seulement lui refusent cette affection, mais s'efforcent [324] encore de lui communiquer le poison qu'ils ont pris eux-mêmes. Hélas! ceux-là font l'office des démons, qui ne se contentent pas d'être privés de Dieu, l'éternelle et souveraine Lumière, mais font tout ce qui est en leur pouvoir pour nous en priver. Il est vrai que la créature raisonnable ne doit pas être assez folle; assez insensée pour consentir à la volonté du démon. Il me semble qu'aujourd'hui dans le monde entier, et surtout dans le corps mystique de la sainte Eglise, il y en a beaucoup qui remplissent cet office. On ne devrait pas les appeler des hommes et des clercs, mais des démons incarnés; ils sont privés de la lumière de la vérité, et égarés par l'amour d'eux-mêmes; et nous avons dit que l'amour-propre est un venin qui empoisonne l'âme. Oui, c'est un venin. Ouvrez l’œil de l'intelligence, et, s'il n'est pas obscurci par l'amour-propre et par la complaisance pour les créatures, vous reconnaîtrez que ceux qui devaient être les colonnes de la sainte Eglise ont répandu avec méchanceté le venin de l'hérésie, qui les empoisonne avec ceux qui les approchent.

3.O hommes qui êtes non pas des hommes, mais plutôt des démons visibles, combien vous aveugle cet amour déréglé que vous avez placé dans la corruption des corps, dans les délices et les honneurs du monde! Le Vicaire du Christ voulait corriger votre vie, afin que vous soyez des fleurs parfumées dans le jardin de la sainte Eglise; vous l'aviez choisi par une élection régulière; et maintenant vous répandez le poison du mensonge, et vous dites qu'il n'est pas le vrai Pape, parce que vous l'avez [325] nommé par crainte et par peur de la colère du peuple. Ce n’est pas vrai; mais si cela était, vous seriez dignes de mort pour avoir choisi un Pape avec la crainte des hommes, et non pas avec la crainte de Dieu. Mais vous ne pouvez le dire. Le dire, oui; mais le prouver, non. Ce que vous avez fait par crainte, pour apaiser le peuple, tout le monde le voit d'une manière évidente, c'est quand vous avez dit en revêtant de la chape messire de Saint-Pierre, que vous l'aviez nommé Pape. Ce n'était pas la vérité, comme on l'a vu quand l'émeute a cessé. Il a confessé, et vous aussi, qu'il n'était pas Pape, mais que le Pape élu était messire Barthélemi, archevêque de Ban. s'il n’était pas Pape, qui vous forçait de le choisir de nouveau dans une élection régulière faite sans aucune violence, de le couronner avec tant de solennité et avec toute la pompe que demande cette cérémonie, comme ne l'a jamais été aucun de ses prédécesseurs? Je ne sais vraiment ce qui vous pousse maintenant à dire le contraire. C'est l'amour-propre., qui ne peut supporter la réprimande. Avant qu'il ait commencé à vous blesser par ses paroles et à vouloir arracher les épines du jardin de l'Eglise, vous confessiez et vous annonciez à nous, ses brebis, que le Pape Urbain VI était le vrai Pape. Vous avez confessé, et vous n'avez pas nié, qu'il est le Vicaire du Christ, celui qui tient les clefs du sang dans la vérité, cette vérité qui ne sera jamais confondue par les menteurs et les hommes pervers du monde, car la vérité est ce qui nous délivre.

4. Malheureux! vous ne voyez pas où vous êtes tombés, parce que vous êtes privés de lumières [326]. Vous ne savez pas que la barque de la sainte Eglise peut bien être agitée par les vents contraires, mais qu'elle ne périt jamais, ainsi que ceux qui s'appuient sur elle. En voulant vous élever, vous êtes submergés; en voulant vivre vous êtes tombés dans la plus triste mort que vous pouviez rencontrer; en voulant posséder des richesses, vous êtes devenus mendiants, vous êtes tombés dans la misère la plus profonde; en voulant conserver votre rang, vous l'avez perdu, vous avez été cruels pour vous-mêmes; et maintenant que vous êtes empoisonnés, vous voulez empoisonner les autres. N'aurez-vous pas pitié de tant de brebis que vous éloignez ainsi du bercail? Vous êtes placés pour répandre la Foi, et vous l'éteignez, vous la souillez par le schisme que vous faites naître; vous deviez être des flambeaux sur le candélabre pour éclairer les ténèbres, et vous obscurcissez la lumière par les ténèbres. De combien de maux n'êtes-vous pas et ne serez-vous pas cause, si vous ne changez! et par un juste jugement de Dieu, vous vous perdrez âme et corps. Ne pensez pas que Dieu vous épargnera par égard pour votre barrette et votre dignité vous serez au contraire punis bien plus sévèrement, comme le fils qui outrage sa mère, mérite une punition plus grande, parce qu'il commet une plus grande faute qu'une autre personne. La justice divine veut que le châtiment soit on raison de l'offense. Hélas ! ne le faites plus, pour l'amour de Dieu; revenez un peu à vous, et rejetez le poison de l'amour-propre, afin de connaître et d'aimer la vérité.

5. N'attendez pas le châtiment, car il sera rude pour [327] celui qui résiste à Dieu. Ceci est bien vrai, très chère Mère: je dis très chère, autant que vous serez, comme autrefois, la servante fidèle de la sainte Eglise, qui, vous le savez, vous a nourrie sur son sein (La reine Jeanne avait été jusqu'alors dévouée au Saint-Siège. Elle devait beaucoup de reconnaissance au Pape Clément VI, qui lui servit pour ainsi dire de tuteur lorsqu'elle monta sur le trône, à l'âge de dix-neuf ans.). Je vous ai dit la vérité, ils ont pris l'office du démon, et, d'après ce que j'apprends, ce qu'ils ont en eux, ils veulent vous le donner : vous, sa fille, ils veulent vous détourner de l’obéissance et du respect que vous devez à votre Père le Pape Urbain VI, qui est vraiment le Christ de la terre et tout autre qui se présenterait tant qu'il vivra, n'est pas le Pape, mais il est pire que l’Antéchrist. Ne doutez pas de cette vérité, qui est si évidente, qu'elle a été reconnue par ceux qui ont fait l'élection, et qui la nient maintenant par passion. Si ce n'était pas la vérité, ils ne devaient pas lui demander des grâces et les recevoir, car ils devaient bien voir qu'il ne pouvait les donner; mais, parce qu'il le pouvait, ils les ont demandées, et en ont usé. Si vous croyez le contraire, vous ressemblerez à une aveugle, et vous serez comme ceux dont nous avons dit qu'ils étaient privés de la lumière. Vous changerez la lumière on ténèbres, si vous croyez que le Pape Urbain VI n'est pas véritablement une lumière, le vrai Christ de la terre, le ministre du sang du Christ qui est au ciel. Vous ferez des ténèbres; non pas que cette lumière puisse être elle-même obscurcie, mais vous produirez les ténèbres dans votre esprit et dans votre âme; et vous aurez [328] beau vouloir changer les ténèbres en lumière, vous ne le pourrez pas, malgré tous vos efforts. La vérité peut bien être un peu obscurcie par quelque nuage, mais ce nuage se dissipe malgré ceux qui veulent le contraire.

6. Vous prenez les ténèbres pour la lumière lorsque vous donnez votre aide et votre protection à ces hommes coupables (Jeanne de Naples fut une des causes principales du schisme, on donnant aide et protection aux cardinaux révoltés.). Je n'attaque pas leur dignité, mais leurs vices et leur méchanceté ; car ils ont fait un autre Pape, et quand il a été fait, on a dit que c'était par votre main : et vous croyez qu'il est Pape! Ces ténèbres dont vous voudriez faire la lumière causeront votre ruine et la leur ; car vous savez que Dieu ne laisse jamais impunies les fautes commises, surtout celles contre la sainte Eglise. N'attendez donc pas les coups de la justice divine, mais aimez mieux mourir que d'agir contre le Pape. Si vous ne voulez pas l'assister dans ses besoins, Dieu vous en demandera compte ; mais si vous ne le faites pas, vous devez au moins ne pas agir contre lui, et rester neutre, tant que cette vérité, que vous ne voyez pas bien, ne sera pas claire pour votre esprit. En le faisant, vous montrerez que vous avez la lumière, que vous avez perdu votre faiblesse de femme, et que vous avez le courage d'un homme. Si à cause de votre peu de lumière vous suivez une autre voie, vous montrerez que vous êtes une femme irrésolue ; vous deviendrez faible parce que vous vous serez éloignée de votre chef, du Christ [329] du ciel et du Christ de la terre, qui vous fortifie ; vous aurez altéré votre goût comme une malade la bonne doctrine vous paraîtra mauvaise, et la mauvaise vous semblera bonne. La bonne doctrine est celle que veut donner le Vicaire de Jésus-Christ à ceux qui se nourrissent sur le sein de son Epouse; et vous montrerez qu'elle ne vous paraît pas véritablement bonne. Si elle vous paraissait bonne, vous l'adopteriez et vous ne vous en sépareriez pas : vous semblez aimer, au contraire, l'iniquité, la doctrine et la conduite coupable de ceux qui s'aiment eux-mêmes. Si elle ne vous plaisait pas, vous ne vous uniriez pas à eux en les aidant, en les protégeant; mais vous vous en éloigneriez. Unissez-vous à la vérité, et séparez-vous du mensonge; autrement vous rempliriez le même office qu’eux : vous ne vous contenteriez pas du mal et du poison qui est tombé dans votre âme, mais vous le communiqueriez aux autres en commandant à vos sujets. qui accepteraient ce que vous avez vous-même.

7. Tous ces malheurs, ces inconvénients arriveront, ou sont arrivés, si vous avez été ou si vous êtes privée de lumière ; mais si vous avez la lumière, vous ne tomberez pas dans ces ténèbres. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairée de la vraie et parfaite lumière. Si vous avez cette lumière, on s’en apercevra aux fruits que vous porterez maintenant : si vous vous attachez avec le respect qui lui est du, à votre Père, au Pape Urbain VI, vous montrerez un fruit de vie, et alors mon âme sera bien heureuse, parce que je verrai en vous le fruit de la véritable obéissance, où vous trouverez la vie de la grâce ; si vous vous en séparez, et si vous adhérez à [330] l'opinion de ceux qui lui sont opposés et qui mentent à leur conscience, vous porterez les fruits empoisonnés d'une désobéissance qui engendre la mort éternelle. Si votre vie finit dans cet état, j'en aurai une peine, une douleur inexprimable, à cause de la damnation qui punira votre faute. C'est parce que je vous aime avec tendresse que je désire ardemment le salut de votre âme et de votre corps je vous ai écrit afin que, si vous êtes tombée dans ces ténèbres, vous puissiez en sortir, et que, si vous n'y êtes pas, vous aimiez mieux mourir que d'y tomber jamais. J'ai déchargé ma conscience; je suis certaine que Dieu vous a tant donné d'intelligence, que, si vous le voulez, vous connaîtrez la vérité. En la connaissant vous l'aimerez, et én l'aimant vous ne pourrez jamais l'offenser. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, c'est là que se consument tout amour propre et toute complaisance humaine. Cherchez uniquement à plaire à Dieu, et non pas aux créatures en dehors de sa volonté. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi, si je vous ai importunée trop longtemps ; mais l'amour de votre salut et la douleur profonde que me cause ce que je vois dans la sainte Eglise doivent me servir d'excuses. Si je le pouvais, à l'égard de ceux qui répandent une semblable hérésie dans le corps mystique de l'Eglise et dans toute la chrétienté, j'agirais plus que je ne parlerais.

8. Je me servirai surtout des armes de la prière. La mienne est bien faible à cause de mes fautes, mais celles des autres serviteurs de Dieu sont puissantes, et l'iniquité des hommes du monde ne peut leur résister: elles sont si fortes, que non seulement elles [331] triomphent de l'homme, mais encore qu'elles lient les mains de la justice divine, en apaisant la colère de Dieu et en l'inclinant à faire miséricorde au monde. C'est ainsi que nous nous défendrons et que nous demanderons son secours, en le suppliant de briser le cœur des Pharaons, de l'amollir afin qu'ils se convertissent et qu'ils donnent l'exemple d'une vie sainte et honnête, d'une vraie et parfaite obéissance. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

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