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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 220 à 239



CCXX (174). — A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne de Capo. — Combien il faut déplorer les outrages contre Dieu et contre l’Eglise.

(Dello spedallucio. Ce petit hôpital, situé prés du couvent de Saint-Dominique, servait autrefois aux religieux de l’Ordre. Il était sans doute occupé, au XIVesiècle, par les tertiaires malades. Cette compagne de sainte Catherine vivait encore à l’époque du procès de Venise, en1411. Le P. Thomas Caffarini en parle avec éloges dans sa déposition.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir affermies dans une patience véritable et dans une humilité profonde, afin que vous puissiez suivre le doux Agneau sans tache, car vous ne pouvez pas le suivre d’une autre manière. Voici le moment, mes chères Filles, de montrer si nous avons des vertus, et si vous êtes ses enfants. Il faut souffrir avec patience les persécutions, les calomnies, les injures et les outrages de toutes les créatures; il faut le faire avec une humilité sincère, sans se scandaliser, s’impatienter, sans lever la tête avec orgueil contre personne. Vous savez bien que c’est la doctrine qui nous a été donnée, et que c’est sur la Croix qu’il faut se nourrir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes avec une [1194] vraie et sainte patience. Oh! oui, mes douces Filles, je vous invite de la part de la Vérité suprême à éloigner de vous le sommeil de la négligence et de l’amour-propre, et à offrir d’humbles et continuelles prières dans les veilles et la connaissance de vous-mêmes; car le monde périt sous le poids de ses iniquités et par les outrages qu’il fait à la douce Epouse du Christ. Rendons honneur à Dieu et service au prochain. Hélas! vous et les autres servantes de. Dieu, ne pensez qu’à sacrifier votre vie dans les soupirs et dans les larmes, car il n’y a pas d’autre moyen d’apaiser la colère de Dieu que nous voyons prête à éclater sur nous.

2. O mes Filles, que je suis à plaindre! je crois que c’est moi, misérable, qui suis cause de tous ces maux par mon ingratitude et les fautes que j’ai commises envers mon Créateur. Hélas! hélas! quel est ce Dieu, qui est offensé par ses créatures? C’est Celui qui est l’éternelle Bonté, Celui dont la charité a créé l’homme à son image et ressemblance, et le fait renaître à la grâce, après son péché, dans le sang du tendre Agneau sans tache, son Fils unique. Et quel est cet homme mercenaire et ignorant qui offense son Créateur? Nous sommes ceux qui ne serions rien par nous-mêmes, si Dieu ne nous avait pas créés; et par nous-mêmes, nous sommes pleins de misère, et il semble que nous ne cherchons que les moyens d’offenser Dieu et la créature en haine du Créateur. Nous voyons de nos yeux misérables persécuter dans la sainte l’Eglise de Dieu, ce précieux sang qui nous a donné la vie. Que nos cœurs se brisent donc dans l’angoisse du désir ! Que la vie [1195] quitte nos corps ! il vaut mieux mourir que de voir tant d’outrages contre Dieu. Moi, je meurs toute vivante, et je demande la mort à mon Créateur sans pouvoir l’obtenir; il me serait meilleur de mourir que de vivre, pour ne pas voir cette grande ruine qui afflige et qui menace encore les chrétiens. Servons-nous des armes de la sainte prière, car je ne vois pas d’autres ressources. Voici le temps de la persécution pour les serviteurs de Dieu, qui doivent se cacher dans les cavernes de la connaissance d’eux-mêmes, en criant miséricorde vers Dieu par les mérites du sang de son Fils. Je ne veux pas en dire davantage; car si je m’écoutais, mes Filles, je ne finirais pas, tant que Dieu me laisserait un souffle de vie.

3. Maintenant je te dirai, Andréa, que ce n’est pas celui qui commence qui reçoit la couronne de gloire, mais celui qui persévère jusqu’à la mort. O ma Fille ! tu as commencé à mettre la main à la charrue de la vertu en t’éloignant du péché mortel et de son vomissement; il faut donc persévérer pour recevoir la récompense de la peine que souffre ton âme, en voulant réprimer sa jeunesse, et l’empêcher de devenir un membre du démon. Hélas! ma Fille, tu ne penses pas que tu serais un membre du démon, si tu t’endormais dans la fange de l’impureté. La miséricorde de Dieu a retiré ton âme et ton corps des misères où tu étais plongée. Il ne faut pas être oublieuse et ingrate, parce qu’il t’arriverait malheur, et que le démon reviendrait avec sept compagnons plus terribles que la première fois. Tu montreras que tu as reconnaissante de la grâce que tu [1196] as reçue, en étant forte contre les attaques du démon, contre le monde et la chair qui te tourmentent, en persévérant dans la vertu. Ma Fille, si tu veux triompher dans les combats, attache-toi à l’arbre de la très sainte Croix par l’abstinence, par les veilles et la prière; baigne-toi par le saint désir dans le sang de Jésus crucifié. Tu acquerras ainsi la vie de la grâce, tu feras la volonté de Dieu, tu satisferas l’ardent désir que j’ai de te voir une véritable servante de Jésus crucifié. Oui, je t’en conjure, sors de l’enfance, et prends pour époux le Christ, qui t’a rachetée de son sang. Si tu veux vivre dans le monde, Il faut attendre que tu puisses le faire comme le veut l’honneur de Dieu et ton bien. Sois soumise et obéissante jusqu’à la mort, et n’abandonne jamais la direction de Catherine et de Jeanne. Je sais qu’elles ne te conseilleront et ne te diront jamais rien qui ne soit utile à l’honneur de Dieu et au salut de ton âme et de ton corps. Si tu ne le fais pas, j’en aurai un grand chagrin, et ta en retireras peu de profit. J’espère de la bonté de Dieu que tu agiras de telle manière, que Dieu y trouvera son honneur, toi une récompense, et moi une grande consolation, Catherine et Jeanne, je vous recommande bien de travailler à l’honneur de Dieu et à son salut jusqu’à la mort. Mes douces Filles, voici le moment de. peines, et ces peines deviennent des consolations par Jésus crucifié. Je m’arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1197].

Table des matières (2)





CCXXI (1175).- A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne, à Sienne. - Combien il est nécessaire de se dépouiller de notre volonté.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des filles obéissantes et unies dans une vraie et parfaite charité. L’obéissance et l’amour dissiperont vos peines et vos ténèbres; car l’obéissance détruit ce qui cause vos peines, c’est-à-dire la volonté propre et mauvaise qui meurt dans la sainte et véritable obéissance. Les ténèbres sont dissipées et consumées par le feu de la charité et de l’union, car Dieu est la charité véritable et l’éternelle lumière. Celui qui prend pour guide cette lumière ne peut se tromper de chemin. Aussi je veux, mes très chères Filles, puisque cela est si nécessaire, que vous vous appliquiez à perdre vos volontés et à acquérir cette lumière. C’est cette doctrine que je me rappelle bien vous avoir toujours donnée, quoique vous l’ayez peu retenue. Ce que vous n’avez pas fait, très douces Filles, je vous conjure de le faire, et si vous ne le faites pas, vous m’affligerez beaucoup, moi, misérable, qui suis digne de toute peine. Il nous faut faire ce que firent [1198] les saints Apôtres, lorsqu’ils eurent reçu le Saint-Esprit ils se séparèrent les uns des autres et de leur douce Mère Marie. Nous pouvons croire que tout leur bonheur était d’habiter ensemble, et pourtant ils renoncèrent à. ce bonheur pour chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes; et quand Marie les quitta, ils ne pensèrent pas que son amour diminuerait et qu’ils en seraient oubliés. C’est la règle qu’il faut prendre pour nous-mêmes.

2. Je sais la grande consolation que vous donne ma présence; mais, pour pratiquer la véritable obéissance, Vous devez, pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, ne pas chercher votre propre consolation, et ne pas donner prise au démon, qui vous fait croire que vous êtes privées de l’affection et de l’amour que j’ai pour vos âmes et vos corps. S’il en était autrement, vous n’auriez pas raison, car je vous assure que je ne vous aime que pour Dieu. Pourquoi donc ressentir une peine déraisonnable pour des choses qu’il faut faire nécessairement? Oh comment ferons-nous donc dans les grandes circonstances, si nous faiblissons ainsi dans les petites? Dieu nous unit et nous sépare, selon que le moment le demande. Notre doux Sauveur veut et permet que nous soyons séparés pour son honneur. Vous êtes à Sienne; Cecca et Nonna sont à Montepulciano ; frère Barthélemi et frère Matthieu ont été vous rejoindre, et resteront; Alessia et soeur Bruno sont à Montjove, éloigné de dix-huit milles de Montepulciano; elles restent avec la comtesse et avec Mme Isa; frère Raymond, frère Thomas, soeur Thomme, Lisa et moi, nous sommes à la Roche, parmi les brigands, et nous avons tant de démons incarnés à [1199] manger (Expression ordinaire à sainte Catherine, qui exhortait tout le monde à se nourrir des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle employait ses disciples à la conversion des pécheurs. (Vie de sainte Catherine; 110 p.., ch. 7.), que frère Thomas prétend qu’il en a mal à l’estomac, et pourtant il ne peut s’en rassasier. Ils y prennent profit de plus en plus, et ils sont bien récompensés de leurs peines. Priez la Bonté divine de leur donner de bons morceaux, bien doux et bien amers; pensez que l’honneur de Dieu et le salut des âmes y gagnent beaucoup. Pouvez-vous vouloir ou désirer autre chose? En le faisant, vous ne pourrez faire une chose qui soit plus agréable à l’éternelle volonté de Dieu et à la mienne. Courage donc, mes Filles; commencez à faire le sacrifice de vos volontés à Dieu, et ne demandez pas toujours le lait des enfants, lorsqu’il faut avec les dents du désir, mordre du pain dur et même moisi, s’il en est besoin. Je termine. Liez-vous dans les doux liens de la charité; vous montrerez par là que vous êtes mes Filles, et pas autrement. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus, et fortifiez toutes mes autres filles, etc. Nous reviendrons le plus tôt que nous pourrons, selon le bon plaisir de la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1200].

Table des matières (2)





CCXXII (176).- A SOEUR ALESSIA, et à soeur Cecca .- De la persévérance, et des deux manières de la perdre, et de s’éloigner de la perfection.

(Soeur Alessia ou Alexis fut une des plus fidèles compagnes de sainte Catherine; elle était de Sienne, et de la famille de Saracini. Devenue veuve elle consacra tous ses biens aux bonnes œuvres, et revêtit l’habit des tertiaires de Saint-Dominique. Le B. Raymond en fait l’éloge dans sa Légende, IIIe p., ch. 1. La soeur Cecca ou Francesca était veuve de Clément Gori, noble siennois. Ses quatre enfants entrèrent dans l’ordre de Saint-Dominique. Elle mourut à Rome, en 1383, et fut enterrée dans l’église de la Minerve.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constantes et persévérantes dans la vertu, afin que ‘vous ne tourniez pas la tête en arrière pour regarder la charrue. On peut regarder en arrière de deux manières. D’abord, lorsqu’une personne qui est sortie de la fange du monde, tourne la tête pour le plaisir de sa volonté, et fixe le regard de son intelligence sur ce qu’elle avait abandonné; celle-là n’avance pas, et retourne à son vomissement pour reprendre ce qu’elle avait rejeté. Aussi le Christ dit que a personne ne doit se tourner en arrière pour regarder la charrue, c’est-à-dire ne pas se tourner pour regarder ses plaisirs [1201] passés, ni se complaire dans ce qu’on a fait soi-même, mais l’attribuer à la bonté de Dieu. Il faut donc avancer par la persévérance dans la vertu, et ne pas se tourner en arrière, mais vers la connaissance de soi-même, où se trouve la grandeur de la bonté de Dieu. Cette connaissance dépouille l’âme de l’amour-propre et la revêt d’une sainte haine et d’un amour de Dieu qui fait chercher uniquement Jésus crucifié; non pas les créatures, les choses créées ou soi-même, d’une manière sensible, mais le seul Jésus crucifié, dont on aime et on désire les opprobres.

2. Celui qui s’y applique et qui arrache la racine de l’amour-propre marche en avant et ne tourne pas la tête en arrière; mais si cette racine n’est pas entièrement arrachée spirituellement et temporellement, il tournera bientôt la tête de la seconde manière: S’il le fait cette fois, ce n’est pas pour les délices du monde; quand l’Ame a commencé à mettre la main à la charrue de la perfection, cette perfection consiste principalement à se renoncer en toute chose et à tuer sa volonté, plus encore dans les choses spirituelles que dans les choses temporelles, car l’âme a rejeté les choses temporelles, mais elle s’applique aux choses spirituelles. Dans cet état de perfection, l’âme aime véritablement son Créateur et les créatures pour lui, plus ou moins, selon qu’elles l’aiment. Je dis donc que si la racine de l’amour-propre n’est pas entièrement arrachée de cette âme, elle tournera la tête en arrière de la seconde manière, et elle nuira à sa perfection car, ou elle lui nuit en aimant la créature sans mesure, tandis qu’elle devrait seulement aimer Dieu ainsi, et aimer [1202] la créature comme le veut et le demande le Créateur; ou elle ralentira son amour envers la créature, qu’elle aimait particulièrement. Cette diminution de l’amour, qui vient de la faute de ceux qu’on aime, ne peut exister sans diminuer l’amour qu’on a pour Dieu; mais quand elle arrive aux murmures, au scandale par l’éloignement de la personne qu’on aime, ou par la privation de la consolation, elle devient coupable, et ceux qui agissent ainsi tournent la tête en arrière en ralentissant la charité envers le prochain.

3. Ce n’est donc pas là le chemin de la perfection, mais c’est la persévérance. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir constantes et persévérantes dans la vertu. J’ai vu que vous étiez au milieu des loups menaçants, et qu’aucune de vous n’était forte et ne faiblissait pas; j’ai vu tourner la tête en arrière à celles que je croyais capables de lutter contre les vents et de résister à tout jusqu’à la mort; je croyais qu’elles ne détourneraient pas, non seulement le visage, mais encore le regard. C’est une preuve que la racine n’est pas entièrement arrachée; car, si elle était arrachée, nous ferions ce que doivent faire les vrais serviteurs de Dieu, que les épines, les ronces, les murmures, les conseils, les créatures, les menaces et la crainte des parents ne font jamais reculer; nous suivrions Jésus crucifié dans la prison et dans la mort, nous suivrions ses traces en portant le joug de la vraie et sainte obéissance à la règle. Je ne dis pas cela pour moi, car si ces personnes voulaient m’obéir, je ne le voudrais pas. Non, je ne m’en afflige pas pour moi, mais pour le tort qu’elles font à la perfection [1203] de leur âme; car, pour moi, j’en profite; c’est encore un moyen de connaître mon ignorance et l’ingratitude, qui m’empêchent de bien choisir le moment et de comprendre les grâces que j’ai reçues de mon Créateur; elle me font donc pratiquer la vertu. Mais je n’ai pas voulu me taire, parce que la mère est obligée de dire ce qui est utile à ses enfants. Je vous ai enfantées, vous et les autres, avec bien des larmes et bien des sueurs; et je vous enfanterai jusqu’à la mort, comme Dieu m’en fera la grâce dans ces jours de douce solitude que Dieu donne, à moi et à cette pauvre famille de la Vérité suprême. Il semble qu’il veut que je renouvelle les provisions du vaisseau de mon âme, en ne recevant de consolation que de mon Créateur, et en m’appliquant à chercher et à connaître la douce vérité, en criant et en priant en la présence de Dieu pour le salut du monde entier. Que Dieu nous donne, à vous, à moi et à tous, la grâce de le faire avec un grand zèle.

4. Recommandez à Theopento qu’il prie Dieu pour nous, maintenant qu’il est dans sa cellule, pendant que nous sommes voyageurs et pèlerins sur cette terre, où nous goûtons le lait et les épines de Jésus crucifié. Dites-lui qu’il lise cette lettre. Que celui qui a des oreilles écoute, que celui qui a des yeux voie, que celui qui a des pieds marche sans tourner la tête en arrière; oui, qu’il marche en avant, à la suite de Jésus crucifié, et que ses mains accomplissent de saintes et vraies bonnes œuvres, fondées sur Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1204].

Table des matières (2)





CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière d’arriver à la perfection.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, etc., moi, ton indigne et misérable Mère, je désire que tu arrives à la perfection pour laquelle Dieu t’a choisie. Il me semble que pour y arriver, il faut marcher avec ordre, et non pas sans direction; il faut faire toutes nos œuvres avec mesure et sans mesure. Il convient d’aimer Dieu sans mesure; l’amour que nous avons pour lui doit être sans bornes, sans limites, sans exception; mais pour arriver à la perfection de l’amour, il faut régler ta vie. La première règle est de fuir la conversation de toute créature, à moins que la charité ne le réclame; il faut aimer beaucoup le prochain et le rechercher peu; et même, avec les personnes que tu aimes d’un amour spirituel, il faut parler avec mesure. Si tu ne le fais pas, pense que cet amour sans mesure que tu dois avoir pour Dieu en souffrira, car sa créature finie lui sera un obstacle. Tu l’aimeras de l’amour sans mesure que tu devais à Dieu; ce sera un obstacle à ta perfection, car, même spirituellement, tu dois aimer avec mesure.

2. Que ton amour soit comme un vase que tu emplis dans une fontaine, et qui te sert à boire dans [1205] cette fontaine (Dialogue ch. LXIV). Si tu retires ton amour de Dieu, qui est la fontaine d’eau vive, si tu ne bois pas continuellement en lui, ton vase deviendra vide; ce sera une preuve que tu ne bois pas pleinement en Dieu. Quand la personne que tu aimes te cause quelque peine, ou par les rapports que tu as avec elle, ou par la privation des consolations que tu avais l’habitude d’en recevoir, ou par quelques autres circonstances qui se présentent, si tu souffres alors d’autre chose que de l’offense qui est faite à Dieu, c’est une preuve manifeste que cet amour est encore imparfait, et que tu bois hors la fontaine. Comment donc rendre parfait cet amour, qui est imparfait? Le moyen est de corriger et de châtier les mouvements de ton cœur par la connaissance de toi-même, par la haine et le mépris de ton imperfection, c’est-à-dire en te reprochant d’être assez grossière pour donner à la créature l’amour que tu devais tout entier à Dieu, pour aimer la créature sans mesure, et Dieu avec mesure. Car l’amour de la créature doit avoir pour mesure celui de Dieu, et non les consolations spirituelles ou temporelles. Ainsi, efforce-toi d’aimer tout en Dieu et de corriger tes affections mal réglées.

3. Fais-toi, ma Fille, deux habitations: l’une dans ta cellule, pour ne pas aller causer de tous les côtés, et pour n’en sortir que par nécessité, par obéissance à la prieure, ou par charité. Fais-toi une autre habitation spirituelle que tu porteras toujours avec toi c’est la cellule de la vraie connaissance de toi-même. Tu y trouveras la connaissance de la bonté de Dieu [1206] à ton égard; ce sont deux cellules dans une; et, en étant dans une, il ne faut pas quitter l’autre, car l’âme tomberait ainsi dans le trouble ou la présomption. Si tu ne connaissais que toi-même, tu tomberais dans le découragement; si tu ne connaissais que la bonté divine, tu tomberais dans la présomption. Il faut donc que les deux connaissances soient unies l’une à l’autre et ne fassent qu’une même chose. En agissant ainsi, tu arriveras à la perfection; car, par la connaissance de toi-même, tu acquerras la haine de ta propre sensualité, et par cette haine tu deviendras un juge, tu t’assoiras sur le tribunal de ta conscience; tu jugeras et tu ne laisseras passer aucun défaut sans en faire justice.

4. Cette connaissance est la source de l’humilité, qui ne se glorifie et ne se scandalise aussi de rien; mais l’âme est patiente, et supporte avec joie les injures, la perte des consolations et toutes sortes de peines, de quelque côté qu’elles viennent. La honte lui paraît une gloire, et les grandes persécutions un repos ; elle s’en réjouit, parce qu’elle y voit la punition de cette loi mauvaise de la volonté sensitive qui se révolte toujours contre Dieu, et parce qu’elle devient semblable à Jésus crucifié, qui est la voie et la doctrine de la vérité. Dans la connaissance de Dieu tu trouveras le feu de la divine charité.

5. Où seras-tu heureuse? sur la Croix avec l’Agneau sans tache, en cherchant son honneur et le salut des âmes par d’humbles et continuelles prières. C’est là qu’est toute notre perfection. Il y a encore bien des choses à faire, mais celle-là est la principale; et nous [1207] en recevons tant de lumières, que nous ne pouvons nous tromper dans les petites actions qui en dépendent.

6. Réjouis-toi, ma Fille, de partager les opprobres du Christ, et veille sur les mouvements de ta langue pour qu’elle ne réponde pas quelquefois aux mouvements de ton cœur; mais cache ce que tu as dans le cœur, par haine et par mépris pour toi-même. Fais que tu sois la plus petite des plus petites ; soumets-toi avec patience et humilité à toute créature pour Dieu. Ne t’excuse pas, mais reconnais ta faute; tu triompheras ainsi du vice dans ton âme et de celle de la personne à laquelle tu parles avec humilité. Règle bien ton temps; veille la nuit après avoir pris le sommeil nécessaire à ton corps, et le matin va prier à l’Eglise sans t’occuper de frivolités jusqu’à l’heure fixée. Ne change rien à tout ton règlement, si ce n’est par nécessité, par obéissance ou par charité. Après l’heure des repas, recueille-toi un peu, puis occupe-toi de quelque travail manuel qui pourra t’être utile. A l’heure de vêpres, tu iras sans t’arrêter, et tu feras ce que le Saint-Esprit te fera faire; mais tu reviendras, et tu soigneras ta vieille mère avec zèle, tu la fourniras de tout ce dont elle a besoin; c’est là ton devoir. Tâche d’ici à mon arrivée de faire tout ce que je désire. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1208].

Table des matières (2)





CCXXIV (178). — A SŒUR ALESSIA, de l’Ordre de Saint-Dominique, pendant qu’elle était à La Roche. Il faut, à la lumière de la Foi, suivre la voie de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir suivre la doctrine de l’Agneau sans tache, d’un cœur libre et dépouillé de la créature, et revêtu du Créateur, à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière tu ne pourras marcher dans la voie droite de l’Agneau sans tache immolé pour nous. Oui, mon âme désire vous voir toi et les autres, fortes et courageuses, ne tournant pas la tête au moindre vent qui souffle. Prends garde de tourner la tête en arrière, mais va toujours devant toi en te rappelant la doctrine qui t’a été donnée. Visite chaque jour le jardin de ton âme à la lumière de la Foi, pour en arracher les épines qui étoufferaient la bonne semence, et pour remuer la terre, c’est-à-dire pour dépouiller ton cœur. Ce dépouillement est absolument nécessaire. Bien souvent j’ai vu ceux qui semblaient dépouillés, et je les ai trouvés vêtus, en m’arrêtant plus à leurs œuvres qu’à leurs paroles: les paroles trompent souvent, mais les œuvres montrent la réalité. Je veux donc que ta sois véritablement dépouillée, pour suivre [1209] Jésus crucifié: et tâche surtout d’habituer ta bouche au silence. Je me suis aperçue, il me semble, que ta compagne ne l’observait pas bien. C’est pour moi un grand chagrin; si mon Créateur veut que je l’aie, je le supporterai avec joie, mais je ne puis être contente de l’offense qui est faite à Dieu.

2. Tu m’écris qu’il semble que Dieu te pousse dans l’oraison à prier pour moi; j’en rends grâce à la Bonté divine, qui témoigne tant d’amour à mon âme si misérable. Tu me dis de t’écrire si je suis dans la peine, et si j’ai ressenti mes infirmités habituelles. Je te répondrai que Dieu a pourvu à tout, à l’intérieur; et à l’extérieur, pour le corps, il y a pourvu très bien pendant l’Avent, en adoucissant les peines par des lettres. Il est vrai que la Bonté divine a voulu que les peines fussent plus graves qu’à l’ordinaire; mais, si elle les a rendues plus graves, elle a voulu aussi que Lisa fût guérie en même temps que frère Santi, qui était malade et sur le point de mourir (Vie de Sainte Catherine, Iie p., ch. 8). Maintenant sa santé s’est améliorée comme par miracle, et on peut dire qu’il est guéri.

3. Il semble que mon Epoux, qui est la Vérité éternelle, a voulu faire une douce expérience à l’intérieur et à l’extérieur de moi-même, sur les choses qui se voient et qui ne se voient pas; et celles qui ne se voient pas sont bien plus nombreuses que celles, qui se voient; mais il a mis tant du sien dans cette expérience, que la langue est incapable de le raconter. Aussi je veux que les peines soient ma nourriture, les larmes mon breuvage; et les sueurs mes parfums [1210]. Oui, je veux que les peines m’engraissent; les peines me guériront, les peines me donneront la lumière, les peines couvriront ma nudité, les peines me dépouilleront de tout amour-propre spirituel et temporel. La peine que m’a causée la privation de la consolation ‘de toute créature, m’a rappelé mon manque de vertu, et m’a fait connaître mon imperfection et la lumière parfaite de la douce vérité de Celui qui veille sur tout, et qui s’arrête aux saints désirs et non pas aux personnes. Il n’a pas retiré sa bonté de dessus moi, malgré mon ingratitude, mon peu de lumière, mon ignorance; mais il n’a écouté que lui-même, et il est souverainement bon.

4. Je te prie par l’amour de Jésus crucifié, ma Fille bien-aimée, de ne pas ralentir tes prières, de les redoubler même, car j’en ai plus grand besoin que tu ne crois. Remercie aussi la bonté de Dieu pour moi, et demande-lui qu’il me fasse la grâce de donner ma vie pour lui, qu’il m’ôte s’il lui plaît le fardeau de mon corps, car ma vie n’est guère utile aux autres; elle est plutôt pénible et à charge à tout le monde, de loin et de près, à cause de mes péchés. Que Dieu, dans sa bonté, me délivre de mes nombreux défauts, et que, pendant le peu de temps qui me reste, il me fasse vivre tout embrasée de l’amour de la vertu. Que j’offre dans mes peines, de douloureux et ardents désirs en sa présence, pour le salut de tous les hommes et pour la réforme de la sainte Eglise. Réjouis-toi, réjouis-toi sur la Croix avec moi, car la Croix est un lit où se repose l’âme, une table où elle savoure la nourriture et le fruit de la patience dans le calme et la paix [1211].

5. Ce que tu m’as écrit m’a beaucoup consolée. J’espère que cette personne changera de vie, et qu’elle ne se conduira plus avec la vanité du cœur qu’elle a eue jusqu’à présent. Quant aux enfants qui marchent à la lumière du saint baptême, que Dieu leur donne sa très douce grâce; mais qu’il leur donne la mort, s’ils ne doivent pas être bons. Bénis-la, et encourage-la dans le Christ, le doux Jésus. Dis-lui qu’elle vive dans la sainte et douce crainte de Dieu, et qu’elle lui soit reconnaissante de la grâce qu’elle a reçue ; cette grâce n’est pas petite, mais bien grande. Si elle était ingrate, elle déplairait bien à Dieu, et peut-être qu’elle serait bientôt punie.

6. Je vous recommande ceux que vous savez. Je n’en ai eu aucune nouvelle, et je n’en sais pas la raison. Que la volonté de Dieu soit faite. Notre Sauveur m’a placée dans une 11e que les vents frappent de tous les côtés. Réjouis-toi de tout en Jésus crucifié; il nous éloigne l’une de l’autre. Renferme-toi dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXV (179).- A LA MEME SŒUR ALESSIA.- Du désir de souffrir pour Dieu, et du renoncement à la volonté propre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1212] de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la servante et l’épouse de ton Créateur, afin que tu ne te sépares jamais de la vérité, mais que par amour pour la vérité tu désires souffrir, sans être coupable, jusqu’à la mort, parce que dans les peines et les épreuves, l’âme détruit sa volonté sensitive et s’unit davantage à son Créateur, en n’ayant qu’une volonté avec lui. Il faut donc souffrir et nous perdre nous-mêmes; nous nous rendrons ainsi capables d’offrir d’humbles et continuelles prières en présence de Dieu, pour son honneur et pour le salut des âmes.

2. Nous devons être avides de savourer cette douce et glorieuse nourriture. Mais prends garde, ma Fille bien-aimée, de ne pas te tromper ; tu te tromperais, si tu voulais manger à la table du Père, et si tu voulais éviter la table du Fils; c’est sur cette table qu’il faut manger, car rien ne peut s’acquérir sans peine, et le Père ne peut connaître la peine, mais seulement le Fils. Et comme sans peine nous ne pouvons traverser cette mer orageuse, le doux et tendre Verbe, qui connaît la peine, nous a tracé notre voie, notre règle; il a préparé notre chemin avec son sang. Ne dormons donc pas, nous les esclaves rachetées par le sang du Christ, ai nous voulons être ses épouses fidèles; mais secouons le sommeil de la négligence, et courons par cette voie de Jésus crucifié avec de tendres et ardents désirs. Ce n’est plus le moment de dormir, car nous voyons le monde dans une misère plus grande que jamais. Aussi je te conjure et je te commande de renouveler tes gémissements et tes désirs, en priant beaucoup, pour le salut de tous les [1213] hommes, pour la réforme de la sainte Eglise, afin que Dieu, dans sa bonté, fasse au Saint-Père la grâce d’accomplir ce qu’il a commencé; car, d’après ce qui m’est écrit de Rome, il parait qu’il se met à l’oeuvre généreusement, et qu’il veut s’appliquer à gagner les âmes (La lettre est de 1377, date du retour de Grégoire XI à Rome). Je connais son saint désir, et j’ai l’espérance, si mes péchés n’y mettent pas obstacle, que la paix se fera bientôt. Je ne te dis qu’une chose, c’est de crier avec une foi vive en la présence de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)







CCXXVI (180).- A SOEUR ALESSIA, et à quelques autres de ses filles de Sienne, le jour de la Conversion de Saint-Paul.- Il faut détruire la volonté propre poursuivre la vérité à la lumière de la très sainte roi.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimée Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes suivre et aimer la vérité. Oui, que l’oeil de l’amour sensitif soit obscurci et perdu en vous, et que l’oeil de l’intelligence soit éclairé de lumière de la très sainte Foi, afin que vous puissiez dire en Vérité, avec le glorieux saint Paul [1214], lorsque votre volonté sera morte : " Seigneur, que voulez-vous que je fasse? " Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, et je le ferai. O mes Filles bien-aimées, je vous promets que si vous faites sincèrement cette réponse à notre Créateur, vous vous trouverez monter avec saint Paul au troisième ciel, par le moyen de la sainte Trinité, c’est-à-dire que votre mémoire se remplira des bienfaits de Dieu, et que vous participerez à la puissance du Père, qui vous rendra fortes et patientes contre le démon, contre votre faiblesse et contre les persécutions du monde; et en supportant ces attaques avec patience, vous en triompherez. Votre intelligence goûtera et verra son objet, c’est-à-dire la sagesse du Fils de Dieu, et vous recevrez de cette sagesse la lumière surnaturelle; votre volonté sera liée dans les liens du Saint-Esprit, abîme de charité, et par cette charité, vous concevrez un tendre et ardent désir pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Et en étant ainsi doucement élevées par le moyen de la Trinité, en participant à la puissance du Père, à la sagesse du Fils, à la clémence du Saint-Esprit, comme nous l’avons dit, vous pleurerez avec un amour et une douleur immenses sur le Fils de l’humanité, qui est mort, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur moi, votre ignorante et misérable mère. Oui, mes chères Filles, ayez compassion de mes iniquités, qui sont cause de tout le mal qui se fait dans le monde, et surtout de l’outrage commis contre la douce Epouse du Christ. Dieu pourvoira à tant de maux. Je suis certaine, et c’est ce qui me soutient, que la Providence ne nous manquera pas, et il me semble [1215] qu’elle se manifeste déjà. Aussi, mes très chères Filles, je vous conjure et je vous ordonne de vous plonger et de vous anéantir dans le sang de l’Agneau sans tache; offrez en sa présence d’humbles et continuelles prières. Je ne vous dis pas autre chose, si ce n’est que Dieu vous donne son éternelle bénédiction; et moi, de sa part, je vous donne la mienne.

3. Aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; et toi, Alessia, ma Fille bien-aimée, je te dis de t’enivrer, toi et les autres, de ce sang, et de ne te nourrir que de ce sang. Je prie la souveraine et éternelle Vérité, la douce Bonté divine, de répandre en toi et dans les autres, une telle abondance de sa grâce, qu’en tout et pour tout je voie ta volonté morte et anéantie, afin que je puisse me glorifier de toi et des autres en présence de Dieu, et rendre gloire et honneur à son nom. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXVII (181).- A LA MEME SŒUR ALESSIA, lorsque la sainte était à Florence.- Les épouses du Christ doivent prier pour la sainte Eglise, et faire prier aussi les autres.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux [1216] sang, avec le désir de te voir, toi et les autres épouses et servantes fidèles de Jésus crucifié, renouveler sans cesse vos gémissements pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise. C’est maintenant le temps de vous renfermer dans la connaissance de vous-mêmes, dans les veilles et la prière, car le soleil va bientôt se lever, puisque l’aurore commence à paraître. L’aurore est venue, puisque les ténèbres des péchés mortels de ceux qui disaient et entendaient publiquement l’Office se dissipent, et que l’interdit est observé malgré ceux qui voulaient l’empêcher. Grâces, grâces en soient rendues à notre doux Sauveur, qui ne méprise pas les humbles prières, les larmes et les ardents désirs de ses serviteurs. Puisque non seulement il ne les méprise pas, mais qu’il les écoute, je vous invite à prier et à faire prier la Bonté divine de nous donner bientôt la paix, afin que Dieu soit glorifié, que tout le mal cesse, et que nous nous trouvions ensemble pour raconter les œuvres admirables de Dieu.

2. Courage donc, et ne dormez plus: secouez k sommeil de la négligence; faites faire des prières spéciales dans les monastères, et dites à notre Prieure qu’elle fasse prier toutes ses filles pour la paix, afin que Dieu nous fasse miséricorde, et que je ne revienne pas avant. Qu’elle prie pour moi, sa misérable fille, pour que Dieu me fasse la grâce d’aimer, d’annoncer toujours la vérité, de mourir pour la vérité. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1217].

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CXXVIII (182). — A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- La charité s’acquiert par la connaissance de soi-même, et se montre par la charité à l’égard du prochain.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liée par les liens de la divine charité. Ce sont ces liens qui ont attaché et cloué l’Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix, car les clous n’auraient pas pu le retenir, si l’amour ne l’avait pas attaché. Ce sont aussi ces doux liens qui lient l’âme à Dieu et la rendent une même chose avec lui dans l’union de l’amour. O doux et tendre amour, qui purifie l’âme et dissipe les nuages de la passion sensitive, pour éclairer l’oeil de l’intelligence et lui faire contempler l’éternelle Vérité ! Il remplit la mémoire des grâces et des dons que l’âme reçoit de son Créateur, et l’âme devient reconnaissante des bienfaits qu’elle a reçus, et se rassasie de ses doux et tendres désirs. Aussi le saint Prophète disait : " Mes soupirs sont une nourriture, et mes larmes un breuvage. " Qui le faisait gémir et pleurer? L’amour, ce lien si suave et si doux. Oui, ma très chère Fille, puisqu’il est si doux, si agréable et si nécessaire, il ne faut plus dormir; il faut se lever [1218] avec un vrai et saint désir, avec zèle, il faut le chercher avec courage.

2. Et si vous me demandez, Où pourrai-je le trouver? Je vous répondrai dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez l’amour ineffable que Dieu vous porte; car c’est par amour que Dieu vous a créée à son image et ressemblance; c’est par amour qu’il vous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. Lorsque vous aurez trouvé et connu l’amour que vous avez en vous-même, vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer; et la preuve que vous aurez trouvé et conçu est amour, c’est que vous serez liée par les liens de la charité à votre prochain, que vous aimerez et servirez avec ardeur; car le bien et les services que nous ne pouvons rendre à Dieu, nous devons les rendre à notre prochain, supportant avec une vraie patience toutes les peines que nous recevons de lui: c’est le signe que nous aimons Véritablement notre Créateur, et que nous sommes liés du doux lien dont je vous parle. Nous ne pourrons participer autrement à la grâce, ni atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Aussi je disais que je désire vous voir liée des liens de la charité divine. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1219].

Table des matières (2)





CCXXIX (183). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- Des vertus de Marie-Madeleine et de sainte Agnès, qu’il faut imiter.
 
 

QUE SOIT LOUE NOTRE DOUX SAUVEUR

1. C’est à vous, bien chère et bien-aimée Fille Agnès, et à mes autres Filles, que moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, j’écris avec amour et désir, me rappelant la parole du Maître. J’ai désiré avec désir vous voir unies et transformées dans cet ardent et parfait amour, comme l’a fait Madeleine, qui eut le zèle d’un apôtre, et dont l’amour fut si grand, qu’elle ne s’occupa plus d’aucune chose créée. O mes bien-aimées Filles, apprenez de sainte Agnès cette vraie et sainte humilité; elle voulait toujours s’abaisser elle-même, en se soumettant à toute créature pour Dieu, et en reconnaissant que toutes les grâces et les vertus lui venaient de Dieu. C’est ainsi qu’elle conservait en elle la vertu d’humilité. Je dis qu’elle brûla encore de la vertu de charité, recherchant toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes, se donnant toujours elle-même dans la prière, avec une charité tendre et généreuse, pour toute créature, et elle montrait ainsi l’amour qu’elle avait pour son Créateur. Elle eut aussi un zèle continuel et persévérant, et jamais les démons et les créatures ne lui firent abandonner sa vie sainte [1220].

2. O très douce vierge, comme vous vous accordiez bien avec Madeleine, cet ardent disciple de Jésus-Christ ! Car remarquez-le, mes Filles bien-aimées, Madeleine s’humilia et se connut elle-même; elle se reposa avec tant d’amour aux pieds de notre doux Sauveur! Et si nous disons qu’elle lui montra beaucoup d’amour, nous le voyons bien à la sainte Croix du Calvaire; car elle ne redoute pas les Juifs, elle ne craint rien pour elle-même; mais, dans son transport, elle court, elle embrasse la Croix, et il n’est pas douteux que pour voir son Maître, elle fut tout inondée de sang. Madeleine s’enivra d’amour, et montra combien elle était passionnée pour son Maître; elle le montra à ses créatures par ce qu’elle fit après la Résurrection, lorsqu’elle prêcha dans la ville de Marseille (Voir l’excellent ouvrage de M. l’abbé Faillon : Monuments inédits sur l’apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence.). Je vous dis aussi qu’elle eut la vertu de persévérance, et elle le montra, cette douce Madeleine, lorsqu’elle chercha son doux Maître, et qu’elle ne le trouva pas dans son lieu ou on l’avait placé. O Madeleine! vous étiez folle d’amour, vous n’aviez plus votre cœur, car il était enseveli avec votre doux Maître, avec notre doux Sauveur; mais vous avez pris le bon moyen pour trouver le doux Jésus; vous persévérez et vous n’apaisez pas votre immense douleur. Oh! que vous faites bien, car vous voyez que c’est la persévérance qui vous a fait trouver votre Maître.

3. Vous voyez, mes très chères Soeurs, comment [1221] ces deux bien-aimées Mères et Soeurs s’accordent ensemble. Aussi je vous conjure et je vous commande d’entrer dans cette sainte voie; en vous y maintenant, de quelque côté que vous tourniez, vous trouverez la vertu, et vous serez alors tellement liées, que vous ne pourrez plus fuir. Je vous commande particulièrement, à vous, sœur Agnès, ma Fille, de vous unir à cette sainte vierge Agnès. Encouragez et bénissez, de la part de Jésus et de la mienne, soeur Raniera et mes autres Filles; bénissez et encouragez Catherine Gheto mille fois de ma part, de celle de soeur Alessia et de toutes les autres. Savez-vous que l’envie me prend de dire : Faisons ici trois tentes, car il me semble que c’est un paradis d’être avec ces saintes religieuses. Elles nous aiment tant, qu’elles ne veulent pas nous laisser partir, et qu’elles se lamentent toujours de notre départ. Nous avons reçu votre lettre. Bénissez ma fille Catherine, et dites-lui qu’elle prie Dieu de la remplir de vertus, pour la rendre digne d’être au nombre de ces saintes femmes. Encouragez-vous toutes de la part de Jésus crucifié et de sa nouvelle épouse. Voilà Cecca presque religieuse, car elle commence à bien chanter l’office avec les servantes de Jésus-Christ [1222].

Table des matières (2)

 
CCXXX (184).-A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- De la vertu de patience, et de deux sortes d’impatience.
 
 
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie patience; car je considère que sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Si l’impatience plaît beaucoup aux démons et à la sensualité, si elle se livre à la colère lorsqu’elle n’a pas ce qu’elle désire, elle déplaît, au contraire, beaucoup à Dieu. C’est parce que la colère et l’impatience sont la moelle de l’orgueil, qu’elles plaisent tant au démon. L’impatience perd le fruit de ses peines; elle prive l’âme de Dieu, elle lui fait goûter les arrhes de l’enfer, et la conduit enfin à la damnation éternelle. Dans l’enfer, la volonté perverse brûle avec la colère, la haine et l’impatience elle brûle et ne se consume pas, mais elle se renouvelle sans cesse et ne diminue jamais aussi je dis qu’elle ne se consume pas. La grâce est bien consumée et détruite dans l’âme, mais son être n’est pas consumé, et sa peine dure éternellement. Les saints disent que les damnés demandent la mort, et ne peuvent l’obtenir, car l’âme ne meurt jamais elle meurt bien à la grâce par le péché mortel, mais elle ne meurt pas à l’existence [1223].

2. Il n’y a aucun vice et aucun péché qui, dans cette vie, fassent goûter les arrhes de l’enfer comme la colère et l’impatience. L’âme qu’elles possèdent éprouve la haine de Dieu ét l’horreur du prochain; elle ne veut pas et ne sait pas supporter les défauts des autres; tout ce qu’on lui dit ou ce qu’on lui fait la met hors d’elle-même, et elle se laisse emporter par la colère et l’impatience comme la feuille par le vent. Elle devient insupportable à elle-même, parce que la volonté mauvaise la ronge toujours et lui fait désirer ce qu’elle ne peut avoir; elle oublie la volonté de Dieu et la raison. Tout cela est produit par l’arbre de l’orgueil, dont la moelle est la colère et l’impatience. L’homme devient un démon incarné, et il est plus terrible d’avoir à combattre les démons visibles que les démons invisibles : toute créature raisonnable doit les éviter.

3. Mais remarquez qu’il y a deux sortes d’impatience. La première est une impatience générale qu’éprouvent les hommes du monde, et qui leur vient de l’amour déréglé qu’ils ont pour eux-mêmes et pour les choses temporelles qu’ils aiment en dehors de Dieu; et pour les avoir, ils ne craignent pas de perdre leur âme et de la livrer’ entre les mains du démon. Ce mal est sans remède, si celui qui a offensé Dieu, ne le reconnaît pas et ne coupe pas cet arbre avec le glaive d’une humilité sincère. Cette hum lité nourrit la charité dans l’âme; et la charité est un arbre d’amour dont la moelle est la patience et la bienveillance pour le prochain. Car, comme l’impatience montre plus qu’aucun autre vice que l’âme est privée de Dieu, parce qu’elle est [1224] la moelle de l’arbre de l’orgueil, de même la patience montre mieux et plus parfaitement qu’aucune autre vertu que Dieu est par sa grâce dans l’âme. Je parle de la patience produite par l’arbre de la charité; de la patience qui, par amour pour son Créateur, méprise le monde et l’injure, de quelque côté qu’elle vienne. Je disais que la colère et l’impatience étaient de deux sortes, générale ou particulière.

4. Nous avons vu l’impatience générale; je vais maintenant parler de l’impatience particulière, de l’impatience de ceux qui ont méprisé le monde, mais qui veulent être serviteurs de Jésus crucifié à leur manière, c’est-à-dire à cause du plaisir et de la consolation qu’ils trouvent en lui. Il en est ainsi perce que la volonté propre spirituelle n’est pas morte en eux, et ils demandent à Dieu qu’il leur distribue les consolations et les tribulations à leur manière, et non à la sienne; et ils deviennent ainsi Impatients quand ils éprouvent le contraire de ce que veut la volonté propre spirituelle. C’est là un rejeton d’orgueil qui sort du véritable orgueil, comme un arbre pousse un sauvageon qui en paraît séparé, mais qui tire cependant sa substance du même arbre. Il en est ainsi de la volonté propre de l’âme qui veut servir Dieu à sa manière, et qui, ne le pouvant pas, en conçoit de la peine; et cette peine la conduit à l’impatience; elle devient insupportable à elle-même, et ne se plaît plus au service de Dieu et du prochain. Si quelqu’un vient pour lui demander conseil ou protection, elle ne lui fait que des reproches, et ne sait pas compatir à ses besoins [1225]. Tout cela vient de la volonté sensitive spirituelle, qui sort de l’arbre de l’orgueil. Cet arbre a été taillé, mais non pas arraché il est taillé, lorsqu’on éloigne son désir du monde et qu’on le place en Dieu; mais on le place imparfaitement, et il reste la racine, qui donne un sauvageon.

5. On le voit dans les choses spirituelles. Si la consolation divine manque, si l’esprit dévient sec et stérile, l’âme se trouble et s’afflige sous des apparences de vertu - Il lui semble qu’elle est privée de Dieu; elle murmure contre lui et voudrait lui donner des lois, tandis que si elle avait été sincèrement humble, avec la haine véritable et la connaissance d’elle-même, elle se serait jugée indigne de la visite intérieure de Dieu, et elle se serait trouvée digne de la peine qu’elle souffre quand elle se voit privée de la consolation de Dieu, mais non pas de sa grâce. Elle souffre alors, parce qu’il aurait fallu couper, trancher, pour que la volonté spirituelle ne souffrit pas sous prétexte de craindre d’offenser Dieu, mais à cause de sa sensualité. Au contraire, l’âme humble qui a généreusement arraché la racine de l’orgueil par l’amour, anéantit sa volonté, et ne cherche toujours que l’honneur de Dieu et le salut des âmes; elle ne s’inquiète pas des peines, et reçoit avec plus de reconnaissance dans son esprit le trouble que le repos. Elle reçoit avec un saint respect ce que Dieu lui donne et lui envoie pour son bien, afin de la retirer de l’imperfection et de la conduire à la perfection. C’est la voie pour l’y conduire, car c’est ce qui lui fait mieux connaître ses défauts et la grâce de Dieu, qu’elle trouve en elle-même par la bonne volonté [1226] que Dieu lui a donnée en lui inspirant l’horreur du péché. La vue de ses faiblesses et de ses fautes passées et présentes lui fait concevoir la haine contre elle-même, et l’amour de l’éternelle volonté de Dieu. Elle souffre avec respect, et elle est contente de souffrir au dedans et au dehors, comme Dieu le veut, afin d’accomplir et de revêtir la douce volonté de Dieu. Elle se réjouit de tout, et plus elle se voit privée de ce qu’elle aime, de la consolation de Dieu ou des créatures, plus elle est heureuse.

6. Il arrive souvent que l’âme a des affections spirituelles, et si elle ne trouve pas auprès des personnes qu’elle aime la consolation et le plaisir qu’elle voudrait, ou s’il lui semble que ces personnes aiment plus et fréquentent plus les autres, elle tombe dans la peine et l’ennui. Elle murmure contre le prochain, elle juge mal les pensées et les intentions des serviteurs de Dieu, surtout celles des personnes qui lui causent de la peine. Elle devient impatiente, elle pense ce qu’elle ne devrait pas penser; elle dit ce qu’elle ne devrait pas dire, et elle veut user à leur égard d’une fausse humilité qui a l’apparence de la véritable, mais qui est fille de l’orgueil, qui en est le rejeton Elle se dit à elle-même : Je ne veux pas faire de bruit et me fâcher contre eux; je resterai bien calme, et je ne veux causer de peine ni à eux ni à moi. Elle tombe ainsi dans un coupable dédain, et ce dédain nourrit les faux jugements de son coeur et les murmures de sa langue. Elle ne devrait pas faire ainsi; car jamais, par ce moyen, elle

n’arrachera la racine, elle ne détruira le rejeton qui [1227] empêche l’âme d’arriver à la perfection qu’elle désirait atteindre; mais elle doit, avec un cœur libre, avec une sainte haine d’elle-même, avec un ardent désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, et avec l’amour de la vertu, s’asseoir à la table de la très sainte Croix pour y prendre la divine nourriture. Elle doit, avec peine et sueur, chercher à acquérir la vertu, et non les consolations de Dieu et des créatures. Elle doit suivre les traces et la doctrine de Jésus crucifié, en se disant avec reproche Tu ne dois pas, mon âme, puisque tu es un membre de Jésus-Christ, passer par une autre voie que ton chef. Il n’est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d’épines.

7. Si par sa propre fragilité ou par les artifices du démon, les orages du cœur s’élèvent, comme nous l’avons dit, ou d’une autre manière, l’âme doit alors monter sur le tribunal de sa conscience et juger avec justice, sans laisser passer rien d’impuni, par la haine et le mépris d’elle-même. C’est ainsi qu’elle arrachera la racine de l’orgueil; elle chassera avec le mépris d’elle-même le mépris du prochain, s’affligeant plus des pensées et des mouvements déréglés de son cœur que de la peine que lui ont causée les créatures, ou des injures et des désagréments qu’elle en a reçus. C’est là le doux et saint moyen que prennent ceux qui sont tout embrasés de Jésus-Christ, parce que c’est ainsi qu’ils arrachent la racine de l’orgueil et qu’ils détruisent la moelle de l’impatience, qui plaît tant, comme nous l’avons vu, au démon, car c’est le principe et la cause de tout péché; et par contre, ce qui plaît beaucoup au démon [1128] déplaît beaucoup à Dieu. Dieu a en horreur l’orgueil, et il aime l’humilité.

8. Il aima tant l’humilité de Marie, qu’il fut forcé par sa bonté à lui donner le Verbe son Fils unique, et ce fut cette douce Mère qui nous le donna. Vous savez bien que jusqu’au moment ou Marie montra son humilité et sa volonté en disant Ecce ancilla Domini: Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole, le Fils de Dieu ne s incarna pas; mais, dès qu’elle eut parlé, elle reçut et conçut en elle le doux Agneau sans tache. La douce Vérité suprême a voulu nous montrer ainsi combien est excellente cette petite vertu, et combien reçoit l’âme qui offre et donne avec humilité sa volonté au Créateur. C’est ainsi qu’il faut recevoir, dans le temps des épreuves et des persécutions, les injures, les outrages et les mauvais traitements; il faut les recevoir du prochain, ainsi que les combats intérieurs et la perte des consolations spirituelles et temporelles du Créateur et des créatures. Le Créateur nous en ôte la douceur lorsqu’il en retire le sentiment de l’esprit, et qu’il semble que Dieu n’est plus dans l’âme, tant elle éprouve de combats et de peines. Les créatures nous en privent dans leurs rapports et leurs conversations, lorsqu’il semble que nous les aimons plus que nous n’en sommes aimés. Dans toutes les circonstances, l’âme parfaite doit dire avec humilité Seigneur, voici votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté, et non selon ce que ma sensualité demande. Elle répand ainsi le parfum de la patience dans ses rapports avec le Créateur, avec les créatures et avec elle-même; elle [1229] goûte la paix et le repos d’esprit. Dans la guerre elle a trouvé la paix et le repos d’esprit, parce qu’elle a détruit en elle la volonté propre fondée sur l’orgueil. Elle a conçu dans son âme la grâce divine; elle porte au fond de son cœur Jésus crucifié, elle se réjouit dans les plaies de Jésus crucifié, elle ne cherche à savoir autre chose. que Jésus crucifié, et son lit est la Croix de Jésus crucifié. C’est là qu’elle anéantit sa volonté, et qu’elle devient humble et patiente.

9. Il n’y a pas d’obéissance sans humilité, et il n’y a pas d’humilité sans charité. Tout cela se trouve dans le Verbe; car c’est l’obéissance à son Père et l’humilité qui l’ont fait courir et la mort honteuse de la Croix; il s’y est attaché avec les clous et les liens de la charité, en souffrant avec une si grande patience, qu’on n’entendit jamais sortir de sa bouche le moindre murmure. Les clous étaient insuffisants pour soutenir et fixer sur la Croix l’Homme-Dieu, si l’amour ne l’y avait retenu. L’âme le comprend bien, et elle ne se plaît qu’avec Jésus crucifié. S’il lui était possible d’acquérir la vertu, de fuir l’enfer et d’avoir la vie éternelle sans peine, en goûtant ici-bas toutes les consolations spirituelles et temporelles, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux mériter le ciel en souffrant jusqu’à la mort pour pouvoir ressembler à Jésus crucifié, et se revêtir de ses opprobres et de ses peines; et c’est ce qu’elle a trouvé à la table de l’Agneau sans tache. O glorieuse vertu ! qui ne voudrait donner mille fois sa vie et souffrir toutes sortes de tourments pour t’acquérir? Tu es une reine qui possède le monde [1230] entier; tu habites dans le ciel, car l’âme qui est revêtue de toi sur cette terre, tu la fais vivre par l’amour avec les bienheureux. Puisque cette vertu est si excellente, si agréable à Dieu, si utile à nous-mêmes et au salut du prochain, secouez donc, ma chère Fille, le sommeil de la négligence et de l’ignorance; bannissez la faiblesse de votre cœur; n’éprouvez de peine et d’impatience dans aucune chose que Dieu permet. Nous ne tomberons, par ce moyen, ni dans l’impatience générale, ni dans l’impatience particulière dont je vous ai parlé; mais nous servirons notre doux Sauveur généreusement, avec liberté de cœur, avec une parfaite et sincère patience. Si nous faisons autrement, nous perdrons la grâce dans la première impatience; la seconde empêchera notre perfection, et vous n'arriverez pas où Dieu vous appelle.

10. Il me semble que Dieu vous appelle à une grande perfection; et je le crois, parce qu’il vous ôte tous les liens qui pouvaient vous arrêter. J’ai appris qu’il avait appelé à lui votre fille; c’était votre dernier lien extérieur. Je m’en réjouis avec une sainte compassion. Dieu vous a dégagée, en la délivrant elle-même des peines de la vie. Je veux donc maintenant que vous détruisiez entièrement la volonté propre, pour ne vous attacher qu’à Jésus crucifié. De cette manière, vous accomplirez ma volonté et mon désir; et c’est pour cela que, ne connaissant pas d’autre voie pour le faire, je vous ai dit que je désirais vous voir fondée dans la vraie et sainte patience, car sans elle nous ne pourrons pas atteindre notre douce fin. Je termine [1231]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXXI (185). - A UNE SOEUR du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, appelée Catherine de Scetto.- Les vertus s’acquièrent par l’amour de Dieu, et se montrent par la charité envers le prochain.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir véritablement la servante et l’épouse de Jésus crucifié. Nous devons être ses. servantes, car nous avons été rachetées par son sang. Je ne vois pas en quoi nous pourrions lui être utiles, mais nous devons être utiles à notre prochain; c’est le moyen de pratiquer et d’acquérir la vertu. Tu sais que toute vertu reçoit la vie de l’amour. Et l’amour s’acquiert dans l’amour, c’est-à-dire en élevant le regard de notre intelligence, et en regardant combien nous sommes aimés de Dieu. En nous voyant aimés, nous ne pourrons nous empêcher d’aimer; et en l’aimant, nous embrasserons les vertus par amour, et nous fuirons le vice avec haine. Tu vois que nous concevons les vertus en Dieu, et que nous, nous les enfantons dans le prochain. Tu sais bien que des besoins de ton prochain [1232] tu fais naître la charité qui est dans ton âme; tu reçois de lui la patience dans l’injure, et tu pries particulièrement pour ceux qui t’outragent.

2. Nous devons agir de la sorte. Si les autres nous sont infidèles, nous devons leur être fidèles, et nous devons chercher avec zèle leur salut; il faut les aimer gratuitement, et non par réciprocité. Oui, prends garde d’aimer ton prochain par intérêt; ce ne serait pas là un amour fidèle, et cet amour ne répondrait pas à l’amour que Dieu te porte. Dieu t’a aimée gratuitement, et il veut que cet amour que tu ne peux lui rendre, tu le rendes à ton prochain, en l’aimant d’un amour gratuit et non pas intéressé. S’il t’injurie, ou bien si tu vois diminuer l’affection qu’il te portait ou le plaisir et le profit que tu en retirais, tu ne dois pas moins l’aimer par charité en supportant ses défauts: tu dois surtout aimer avec respect et joie les serviteurs de Dieu. Prends garde de faire comme ces insensés qui prétendent examiner et juger la conduite et les actes des serviteurs de Dieu. Celui qui fait cela mérite un châtiment sévère. C’est comme si nous voulions donner une règle et des lois à l’Esprit-Saint, en voulant conduire les serviteurs de Dieu d’après nos idées; cela ne peut jamais se faire. Pense que l’âme qui tombe dans de pareils jugements n’a pas encore arraché la racine de l’orgueil, et ne possède pas en elle pour le prochain la véritable charité, qui consiste à l’aimer d’un amour gratuit et désintéressé. Aimons donc, et ne jugeons pas les serviteurs de Dieu. Il faut aimer généralement aussi toutes les créatures raisonnables. Ceux qui sont privés de la grâce, nous [1233] devons les aimer avec douleur et regret de leurs fautes, car ils offensent Dieu et leur âme. Tu ressembleras ainsi à l’ardent apôtre saint Paul, qui pleurait avec ceux qui pleuraient, et qui se réjouissait avec ceux qui se réjouissaient. Tu pleureras avec ceux qui sont dans un état déplorable, par désir de l’honneur de Dieu et de leur salut, et tu te réjouiras avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent et goûtent Dieu par amour.

3. Tu vois donc que dans la charité nous concevons les vertus, et que dans la charité du prochain nous les enfantons. Si tu aimes ainsi ton prochain généreusement, sans aucun amour trompeur, sans aucun intérêt spirituel ou temporel, tu seras une vraie servante de Dieu, et tu répondras par le moyen de ton prochain à l’amour que te porte ton Créateur. Tu seras une épouse fidèle et non pas infidèle; l’épouse manque à la foi de son époux quand elle donne à une autre créature l’amour qu’elle devrait lui donner. Tu es l’épouse; tu vois bien que le Fils de Dieu nous a tous épousés dans la Circoncision; il nous a donné sa chair comme un anneau pour montrer qu’il voulait épouser- l’humanité. Et toi, en voyant cet amour ineffable, tu dois aimer aussitôt ce qui est hors de Dieu; tu dois te faire la servante de ton prochain, et le servir en toute chose autant que tu le pourras. Si tu es l’épouse du Christ, tu dois être la servante du prochain; c’est le moyen d’être épouse fidèle, car l’amour que nous portons à Dieu ne peut lui servir et lui être utile, et nous devons servir alors notre prochain avec un sincère et tendre amour. Nous ne pouvons servir Dieu d’une [1234] autre manière et dans une autre forme. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir la vraie servante et l’épouse de Jésus crucifié. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXXII (1224).- A MESSIRE LAURENT DU PIN, de Bologne, docteur en décrétales.- De la vérité éternelle que nous a manifestée Jésus-Christ en nous rachetant de nos péchés. — De la différence qu’il y a entre celui qui hait la vérité et celui qui l’aime.

(Laurent du Pin fut un jurisconsulte célèbre, qui enseigna dans l’université de Bologne, depuis 1365 jusqu’en 1391. Il fut un des Anciens du gouvernement en 1367, et fit partie du conseil des Quatre-Cents, en 1370. L’année suivante il fut des quatre députés chargés de faire la paix avec Grégoire XI, et ce fut lui qui répondit, en 1380, aux ambassadeurs de l’antipape, qui cherchèrent inutilement à détacher la ville de Bologne du parti d’Urbain VI. Il a laissé des écrits très savants sur les décrétales.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer et suivre la vérité, et méprise le mensonge. Mais cette vérité, on ne peut l’avoir et l’aimer, si on ne la connaît pas. Qui est la vérité ? Dieu est l’éternelle et suprême [11235] Vérité. En qui la connaîtrons-nous? Dans le Christ, le doux Jésus. C’est avec son sang qu’il nous a manifesté la vérité du Père. Sa vérité à notre égard, c’est qu’il nous a créés à son image et ressemblance, pour nous donner la vie éternelle et nous faire participer à sa félicité parfaite. Mais, par la faute de l’homme. cette vérité ne s’accomplit point en lui; et c’est pourquoi Dieu nous a donné le Verbe, son Fils, et lui a imposé la tâche de rétablir l’homme dans la grâce en souffrant beaucoup, en expiant le péché sur lui-même, et en lui manifestant sa vérité dans son sang. Ainsi, par l’amour ineffable que Dieu lui a montré au moyen du sang de Jésus-Christ, l’homme connaît qu’il ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C’est pour cette fin que Dieu nous a créés; et tout ce qu’il donne et ce qu’il permet dans cette vie, c’est pour que nous soyons sanctifiés en lui. Celui qui connaît cette vérité ne l’oublie pas, mais il la suit toujours et l’aime, marchant sur les traces de Jésus crucifié, Et, comme ce doux et tendre Verbe, pour nous enseigner et nous donner l’exemple, a méprisé le monde et ses délices, et a voulu souffrir la faim, la soif, les opprobres, les affronts, jusqu’à la mort honteuse de la Croix, pour honorer son Père et nous sauver, ainsi fait celui qui aime la vérité, qu’il a connue à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, il ne pourrait la connaître, mais avec elle il la connaît ; en la connaissant il l’aime, et il aime aussi ce que Dieu aime, et déteste ce que Dieu déteste.

2. Il y a une grande différence entre celui qui aime la vérité et celui qui la déteste. Celui qui déteste la [1236] vérité est celui qui est plongé dans les ténèbres du péché mortel; il déteste ce que Dieu aime, et il aime ce que Dieu déteste. Dieu déteste le péché, les jouissances coupables et les plaisirs du monde; et lui, les aime et s’en repaît au milieu des misères du monde; il se corrompt dans tous les états. S’il a une charge qui l’oblige à servir son prochain, il ne le sert qu’autant qu’il y trouve son avantage, car il n’aime que lui-même. Le Christ béni a donné sa vie pour nous, et il ne voudra pas donner une seule parole utile au prochain, à moins qu’il ne soit payé, et bien payé. Si c’est un pauvre qui ne peut pas le payer, il le fera attendre avant de lui dire la vérité, et souvent même il ne la lui dira pas, mais il se moquera de lui, tandis qu’il devrait être compatissant et le père des pauvres. Il est cruel envers son âme, car il offense les pauvres. Il ne voit pas, le malheureux, que le souverain Juge ne lui rendra pas autre chose que ce qu’il reçoit de lui. Car, par sa justice, tout péché est puni, et toute vertu récompensée. Le Christ a embrassé la pauvreté volontaire et a aimé la pureté; et cet homme misérable, qui aime et suit le mensonge, fait tout le contraire. Non seulement il n’est pas content de ce qu’il a, et il ne s’en détache pas par amour de la vertu, mais il vole son prochain. Non seulement il ne se contente pas de l’état du mariage, dont il peut observer les lois sans blesser sa conscience, mais, semblable à l’animal sans raison, il se plonge dans toutes sortes de misères, et, comme le pourceau se roule dans la fange, il se roule dans la fange de l’impureté. Mais, direz-vous, que ferai-je, puisque j’ai des richesses et que je suis dans l’état du mariage [1237], si ces choses doivent causer la perte de mon âme?

3. O mon très cher Frère, dans tout état l’homme peut sauver, son âme et recevoir on lui la vie de la grâce, pourvu qu’il évite le péché mortel. Tout état est agréable à Dieu qui ne s’arrête pas à la condition des personnes, mais à leurs saints désirs. Aussi pouvons-nous tout posséder, pourvu que ce soit avec une volonté droite. Tout ce que Dieu a fait est bon et parfait; il n’y a que le péché qu’il n’a pas fuit, et qui n’est pas digne d’amour. Les richesses et les honneurs du monde, si l’homme veut les posséder, il le peut sans offenser Dieu et son âme, mais s’il les abandonne, il sera plus parfait; car il y a plus de perfection à les abandonner qu’à les garder. Mais s’il ne veut pas les abandonner réellement, il doit les laisser et les mépriser par un saint désir, et ne pas les prendre pour l’objet principal de son affection, qui doit être Dieu seul; il doit les garder pour ses besoins et pour ceux de sa famille, et comme une chose prêtée qui ne lui appartient pas. En agissant ainsi. aucune chose créée ne lui causera de la peine, car ce qu’on possède sans amour se perd toujours sans peine. Nous voyons que les serviteurs du monde, les partisans du mensonge, vivent dans des afflictions continuelles et sont cruellement tourmentés jusqu’à la fin. Quelle on est la cause? l’amour déréglé que l’homme pour lui-même et pour les choses créées qu’il aime on dehors de Dieu; car la Bonté divine a permis que tout amour déréglé soit insupportable à lui-même. Celui-là croit toujours le mensonge, parce qu’il n’a pas en lui la connaissance de la vérité [1238]; il croit posséder le monde, conserver ses richesses, et faire un dieu de son corps et de toutes les choses qu’il aime d’une manière déréglée ; et il faut s’en séparer.

4. Nous voyons qu’il les laisse on mourant, ou que Dieu permet qu’il les perde avant; c’est ce qui arrive tous les jours. Un homme est riche, tout à coup il est pauvre; aujourd’hui il est au sommet des honneurs, et demain il en sera précipité; il se portait bien, et il tombe malade. Ainsi tout passe; ce que nous croyons tenir nous échappe, ou nous en sommes séparés par la mort. Puisque vous voyez que toutes les choses du monde passent, l’homme doit les posséder comme le veut la lumière de la raison, les aimant comme il doit les aimer; et on les possédant de la sorte, il les possédera sans péché, mais selon la grâce, avec générosité de cœur et sans avarice, avec compassion pour les pauvres et sans cruauté, avec humilité et sans orgueil, avec reconnaissance et sans ingratitude. Il reconnaîtra qu’elles viennent de son Créateur, et non de lui ; et avec cet amour bien ordonné il aimera ses enfants, ses amis, ses parents et toute créature raisonnable. Il observera l’état du mariage, mais comme un sacrement; et il respectera les jours réservés par l’Eglise. Il sera et vivra comme un homme, et non comme un animal; il sera chaste même dans le mariage, et restera toujours maître de sa volonté. Il sera un arbre fertile qui produira des fruits de vertu; il répandra la bonne odeur, et, même au milieu de la corruption, il sortira de lui des parfums et des semences de vertus. Vous voyez que, dans tous les états, vous pouvez posséder [1239] Dieu. Ce n’est pas l’état qui l’éloigne, mais la seule mauvaise volonté; lorsqu’elle s’égare dans l’amour du mensonge, elle corrompt alors toutes les œuvres. Mais celui qui aime la vérité suit les traces de la vérité, il hait ce que hait la vérité, et il aime ce qu’aime la vérité; et alors toutes ses œuvres sont bonnes et parfaites. Il ne lui serait pas possible autrement de participer à la vie de la grâce, et aucune de ses œuvres ne donnerait des fruits de vie.

5. Comme je ne connais pas d’autre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir aimer et suivre la vérité, et mépriser le mensonge. Laissez donc le démon, père du mensonge, et la sensualité, qui obéit à ce père. Aimez Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui arrive à la lumière, et revêt le brillant vêtement de la charité, sur laquelle sont fondées toutes les vertus. Cette charité, cet amour ineffable une fois dans l’âme, fait qu’elle n’est plus contente de l’état commun, mais qu’elle désire aller plus loin. Elle veut, de la pauvreté spirituelle passer à la pauvreté réelle, et de l’amour de la continence à la pratique, afin d’observer à la fois les commandements et les conseils de Jésus-Christ. Elle commence à se dégoûter de la corruption du monde; et, comme il lui semble bien difficile de rester dans la fange sans se salir, elle désire ardemment àe séparer du monde autant qu’il lui est possible, et si elle ne peut pas le faire complètement, elle s’applique à acquérir la perfection dans son état, et elle en a au moins le désir.

6. Ainsi donc, très cher Frère, ne dormons plus [1240]; mais secouons le sommeil. Ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la Foi, pour voir, aimer et suivre cette vérité que vous connaîtrez dans le sang de l’humble et tendre Agneau. Ce sang, vous le connaîtrez par la connaissance de vous-même, car c’est lui qui purifie la face de l’âme; ce sang est à nous, et personne ne peut nous l’enlever, si nous ne le voulons pas. Ne soyez donc pas négligent, mais remplissez-vous comme un vase, du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)







CCXXXIII (225). — A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO, docteur en droit .- De la patience et de l’impatience. — Il faut renoncer à ma volonté pour avoir la paix en ce monde et en l’autre.

(François de Montalcino fut un professeur célèbre de l’université de Sienne. Sainte Catherine parle de sa femme, Moranda, dans la lettre CXII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affermi dans une vraie et sainte patience. Car je vois que sans la patience nous ne pourrons plaire à Dieu, et que nous [1241] aurons dès cette vie un avant-goût de l’enfer. Oui, par l’impatience, nous commençons à goûter les tourments de l’enfer en ce monde.

2. Oh ! que l’homme serait insensé, s’il voulait goûter l’enfer lorsqu’il peut jouir de la vie éternelle ! car la vie éternelle n’est pas autre chose qu’une volonté en paix, en harmonie avec la volonté de Dieu, une volonté soumise qui ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut; et tout le bonheur de ceux qui en jouissent est fondé sur cette volonté pacifiée. Mais au contraire ceux qui sont dans l’enfer sont brûlés et dévorés par leur volonté perverse, cette volonté qui les torture par l’impatience, la haine et la colère qui les rongent et les accablent; et tout cela est mérité par l’ignorance et l’aveuglement de l’homme. S’il avait été sage en cette vie; lorsqu’il pouvait la recevoir, s’il avait voulu, il eût évité cette ignorance et cet aveuglement.. O très cher Frère ! imitez ces sages qui, dès cette vie, commencent à goûter Dieu en ne faisant qu’une volonté avec lui ; car toutes nos peines viennent de ce que nous voulons ce que nous ne pouvons avoir. Si la volonté aime les honneurs, les richesses, les plaisirs, la puissance ou la santé du corps, si elle les veut et les désire avec un amour déréglé, elle ne peut les avoir, et souvent même elle perd ce qu’elle a; elle en éprouve alors une grande peine, parce qu’elle aime d’une manière déréglée. Puisque c’est la volonté qui cause la peine, en détruisant la volonté propre on détruira toute peine.

3. Comment pourrons-nous la détruire? en nous dépouillant du vieil homme, c’est-à-dire de nous-mêmes [1242], et en nous revêtant de l’homme nouveau, c’est-à-dire de l’éternelle volonté du Verbe, de l’Homme-Dieu, Et si vous cherchez ce que veut cette douce Volonté, demandez à Paul, qui vous assure qu’elle ne veut autre chose que notre sanctification (1 Thess 4,3). Tout ce que Dieu donne et permet, même la peine et la maladie, il le donne et le permet providentielle. ment pour notre sanctification et pour les besoins de notre salut.

4. Nous ne devons donc pas être impatients de ce qui est notre bien; mais nous devons en être très reconnaissants, nous jugeant indignes de souffrir pour Jésus crucifié et indignes de la récompense qui suit la peine, nous préparant à la peine par le mépris et la haine de nous-mêmes et de cette partie sensuelle qui se révolte et qui outrage le Créateur. Et si nous disons que cette sensualité ne semble pas vouloir accepter les souffrances, il faut la soumettre par la douce et sainte pensée de Jésus crucifié, il faut la flatter et la menacer en lui disant Souffre aujourd’hui, mon âme, peut-être que demain ta vie sera terminée; pense que tu dois mourir, et tu ne sais pas quand. Considérons bien que la peine ne peut être plus grande que le temps, et que Je temps pour l’homme est étroit comme la pointe d’une aiguille. Comment donc dire qu’une peine est grande? Il ne faut pas dire ce qui n’est pas; et si cette passion sensuelle veut lever la tête, il faut lui opposer la crainte et l’amour en lui disant Songe que le fruit de l’impatience est la peine éternelle, et qu’au [1243] dernier jour du jugement, nous aurons à souffrir ensemble. Il vaut mieux vouloir ce que Dieu veut, aimer ce qu’il aime, que de vouloir ce que tu veux, et de t’aimer toi-même d’un amour sensuel. Je veux que tu souffres courageusement en pensant qu’il n’y a aucun rapport entre les souffrances de cette vie et la gloire future que Dieu prépare à ceux qui le craignent, et qui se revêtent de sa douce volonté (Rm 7, 18).

5. Et puis, mon doux Frère et Père, songez que quand l’âme écoute si bien la raison, elle ouvre l’oeil de l’intelligence et voit son néant, car l’être qu’elle a vient de Dieu. Elle trouve son ineffable charité, qui, par amour et non par devoir, l’a créée à son image et ressemblance pour qu’elle jouisse et qu’elle possède la souveraine, l’éternelle beauté de Dieu, qui ne l’a pas créée pour un autre but. La Vérité suprême nous a montré qu’elle n’avait pas créé l’homme pour un autre but, quand Notre-Seigneur est mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous rendre la fin que nous avions perdue. il s’immola et livra son corps, d’où s’échappèrent de toute part des flots de sang, avec une telle ardeur d’amour, que toute dureté de cœur devrait s’amollir, que toute impatience devrait disparaître et se changer en une parfaite patience; il n’y a rien d’amer qui ne devienne doux dans le sang de l’Agneau, ni rien de lourd qui ne devienne léger. Ne dormons donc plus; mais employons courageusement le peu de temps qui nous est laissé, nous attachant à l’étendard de la très sainte Croix par une bonne et sainte [1244] patience. Considérons que le temps est court, et que la peine n’est presque rien, tandis que la récompense que nous en recevrons est immense. Je ne veux pas que vous sacrifiiez à un peu de peine un si grand bien. Se plaindre et se lamenter n’ôtent pas la peine, mais l’augmentent, au contraire, en excitant la volonté à vouloir ce qu’elle ne peut avoir.

6. Revêtez-vous, revêtez-vous du Christ, le doux Jésus; ce vêtement est si fort, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le déchirer, si vous n’y consentez pas. Le Christ est l’éternelle et souveraine douceur qui détruit toute amertume; c’est en lui que l’âme goûte toute douceur. Elle s’y nourrit, s’y rassasie tellement, que tout ce qui est étranger à Dieu, elle le regarde comme du fumier, de la fange; elle se réjouit dans les opprobres, les mauvais traitements, les outrages, et elle ne veut autre chose que devenir semblable à Jésus crucifié. C’est là qu’elle met tout son bonheur et tout son zèle. Plus elle souffre, plus elle est heureuse, parce qu’elle sait que c’est la voie droite et le meilleur moyen de ressembler à Jésus crucifié. Je veux que vous soyez un chevalier généreux, et que, pour Jésus crucifié, vous ne craigniez pas les coups de la maladie.

7. Pensez que C’est la grâce de Dieu qui nous envoie la maladie pour empêcher les fautes nombreuses que nous ferions si nous avions la santé. Elle expie et purifie nos péchés, qui mériteraient une peine infinie, et Dieu dans sa miséricorde se contente d’une peine finie. Ainsi donc, pour l’amour de Jésus crucifié; attachez-vous à la Croix avec Jésus crucifié; réjouissez-vous dans les plaies de Jésus [1245] crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXXIV (226). - A MAITRE JACOMO médecin à Ascanio .- Le persévérance ne peut s’acquérir avec l’amour déréglé des créatures- Il ne faut pas compter sur l’avenir.

(Le titre de " très révérend " que sainte Catherine donne à ce médecin, peut faire croire qu’il était prêtre. Elle lui dit aussi ; Voi, che sette eletto sempre a lodare Dio)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE DE LA DOUCE MARIE

1. Très révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier de Dieu, suivant toujours le chemin de la vertu, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardant toujours ce que vous avez à faire. Car celui qui regarde en arrière, montre qu’il est fatigué; et nous, très cher Frère, nous ne devons jamais nous fatiguer des saintes et bonnes œuvres. Vous savez bien que celui qui commence et ne persévère pas n’est pas digne de la couronne; car notre doux Sauveur a dit que les persévérants et les violents, c’est-à-dire ceux qui combattent fortement [1246] leurs penchants mauvais, obtiennent le royaume du ciel (Mt 11,12).

2. Je vous dis donc, mon Frère et mon cher Fils, que vous ne pourrez avoir cette persévérance dans la vertu ni posséder Dieu dans votre âme, si vous fréquentez les démons visibles et incarnés, les créatures qui veulent vous détourner de vos saintes et bonnes résolutions en vous faisant sortir de vous-même. Sachez que le démon veut vous faire sortir de vous-même, parce que l’âme, une fois retirée d’elle-même, abandonne tous ses exercices, et tombe dans le vice de l’orgueil; elle ne peut se supporter et supporter aucune créature avec patience, parce qu’elle n’a pas cette douce vertu de la véritable humilité. Celui qui n’est pas humble ne peut pas être obéissant à Dieu. Ne serait-il pas déplorable que vous, qui êtes choisi pour louer Dieu sans cesse, vous suiviez la volonté coupable des hommes, que vous aimiez les hommes plutôt que Dieu? Hélas ! ne serait-ce pas devenir un membre du démon?

3. Je vous prie donc pour l’amour de Jésus crucifié de n’être pas cruel, mais compatissant pour votre âme. Vous montrerez la compassion que vous avez pour elle en la purifiant de la corruption du péché mortel, et en y plantant les vraies et solides vertus, comme doit le faire un homme généreux. Ne faisons donc pas comme l’animal, qui suit ses instincts sans aucune raison, mais comme un homme généreux. Suivez la voie de la vertu, et ne vous trompez pas en disant Je le ferai demain, car vous n’êtes pas certain [1247] d’avoir le temps. Notre doux Sauveur disait " Ne pensez pas au lendemain à chaque jour sa tâche. " Oh ! combien court nous apparaît le temps que l’homme possède; et, malheureux que nous sommes, avec toutes nos inquiétudes et nos désirs, nous dépensons ce temps, le trésor le plus précieux que nous ayons, en choses inutiles. Secouons donc aujourd’hui notre sommeil, ne dormons plus; il ne faut plus dormir, il faut sortir du sommeil de la négligence et de l’erreur.

4. J’ai appris que, vous et messire Pozzo, vous vouliez aller au saint Sépulcre. Cette nouvelle me cause une grande joie; mais je vous prie d’une chose pour l’amour de Jésus crucifié c’est que vous et messire Pozzo, vous vous disposiez d’abord à ce saint voyage, et que vous vous y prépariez avant tout par une sainte confession. Purifiez vos consciences avec soin, comme si vous étiez à l’article de la mort; n’attendez pas le moment où vous serez en route. Si vous ne le faisiez pas, il vaudrait mieux ne pas partir. Je vous prie, mes Pères et mes Frères, de ne pas vous laisser tromper par la faiblesse humaine et par la lèpre. de l’avarice; car vos biens et les créatures ne répondront pas pour vous, mais les vertus solides et la bonne conscience. Je n’en dis pas davantage. Ayez toujours Dieu devant les yeux. Je m’offre pour vous par une continuelle prière. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1248].

Table des matières (2)





CCXXXV (227).- A MAITRE FRANÇOIS, fils de maître Barthélemi, médecin de Sienne d’une grande réputation.- Du péché mortel.- Combien la lumière est nécessaire pour en connaître la gravité, et pour obtenir la grâce de Dieu.

(Maître François, de la famille des Casini, de Sienne, eut comme médecin une grande réputation dans toute l’Italie. Il était à la cour d’Avignon, à l’époque du voyage de sainte Catherine, et il devint le médecin d’Urbain VI, qui l’employa dans quelques négociations. Après la mort d’Urbain VI, il retourna dans sa patrie, et fit partie du gouvernement de la république, en 1390, date de sa mort.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le péché mortel, car vous ne pourrez autrement avoir la grâce de Dieu dans votre âme; et cette grâce, je ne vois pas que vous ni aucun autre puissiez la posséder sans cette lumière qui fait voir et connaître la gravité du péché et l’avantage de la vertu. La chose que l’on ne connaît pas, on ne peut l’aimer, si elle est digne d’amour, ou la détester si elle digne de haine. On ne peut rien connaître sans la lumière. Nous avons donc besoin de la lumière, afin qu’elle éclaire l’oeil de notre intelligence par la prunelle de la très sainte [1249] Foi, quand le nuage de l’amour-propre ne l’a pas obscurcie.

2. Si cet amour-propre existe, nous devons le dissiper, pour qu’il ne soit pas un obstacle à notre vue. Nous devons, par le saint amour, chasser l’amour coupable de la sensualité, car l’amour-propre consume et détruit la grâce divine dans l’âme, et corrompt toutes ses œuvres. Comme un mauvais arbre dont tous les fruits sont corrompus, l’homme qui s’adonne à l’amour sensitif ne produit rien de bon et plie sous le poids du péché mortel. Toutes ses œuvres sont corrompues, parce qu’il a perdu la lumière et qu’il est dans les ténèbres, tellement qu’il ne connaît et ne discerne plus la vérité; son goût et les désirs de son âme sont viciés; toutes les choses bonnes lui paraissent mauvaises, et les choses mauvaises lui paraissent bonnes. Il méprise les vraies vertus, il s’éloigne de l’amour de Dieu et du prochain, et iL met tout son bonheur dans les délices et les plaisirs du monde. S’il aime son prochain, il ne l’aime pas pour Dieu, mais pour son seul intérêt. Celui, au contraire, qui est vraiment libre de tout amour sensitif, aime son Créateur par-dessus toute chose et son prochain comme lui-même. Il ne peut avoir cet amour, si d’abord, à la lumière de l’intelligence, il ne reconnaît pas qu’il n’est rien, qu’il a reçu de Dieu l’être et toutes les grâces qui sont ajoutées. Alors, quand il se connaît bien lui-même, avec ses défauts et la bonté de Dieu à son égard, il déteste ses défauts, et l’amour-propre qui en est cause. Il aime la vertu, et, par amour de la vertu qu’il aime, par amour de son Créateur, il est prêt à souffrir toutes sortes de peines plutôt que d’offenser [1250] Dieu et d’outrager la vertu. Toutes ses œuvres spirituelles ou temporelles sont dirigées vers Dieu, et dans quelque condition qu’il se trouve, il aime et craint toujours son Créateur. S’il a des richesses, des honneurs dans le monde, des enfants, des parents, des amis, il possède tout comme des choses prêtées qui ne lui appartiennent pas, et il en use avec mesure, et non pas sans mesure. S’il est dans l’état du mariage, il y vit en respectant les lois de ce sacrement, et en observant les jours prescrits par l’Eglise. S’il doit être en rapport avec les créatures et les servir, il le fait avec zèle, non pas avec un cœur faux, mais librement et en ne pensant qu’à Dieu.

3. Il règle toutes les puissances de son âme et tous les mouvements de son corps. Sa mémoire s’applique à retenir les bienfaits de Dieu, son intelligence à comprendre sa volonté, qui ne veut que notre sanctification, et sa volonté est décidée à aimer par-dessus tout son Créateur. Dès que les puissances de son âme sont réglées, les mouvements de son corps le sont aussi. Je vous prie donc, très cher Frère, de régler votre vie de cette manière. Ouvrez l’oeil de votre intelligence pour connaître la gravité du péché et la grandeur de la bonté de Dieu. En agissant ainsi dans toutes les conditions où vous serez, vous serez agréable à Dieu, et vous serez un arbre fertile; vous produirez des fruits de vie, c’est-à-dire de vraies et saintes vertus, et dans cette vie, vous aurez un avant-goût de la vie éternelle. Mais je considère que nous ne pouvons jamais recevoir la paix, le repos, la grâce, sans connaître, à la lumière de la très sainte Foi, sans connaître la gravité du péché mortel, la bonté de [1251] Dieu et le prix de la vertu. Je vous ai dit que je désirais vous voir mépriser le péché mortel, et je vous conjure de le faire. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXXVI (228).- A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI, à Florence.- Des moyens de plaire à Dieu et de persévérer dans la vertu.

 (La famille Canigiani était une des plus nobles de Florence et beaucoup de ses membres périrent à la bataille de Montaperto. Ristoro était avocat, et très attaché à sainte Catherine, ainsi que son père Piétro et son frère Barducio, le secrétaire bien-aimé de notre Sainte. (Voir Vie de sainte Catherine. II" p., ch. 1.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu; car ce n’est pas celui qui commence qui est couronné, mais celui qui persévère. La persévérance est la reine qui est couronnée; elle est accompagnée de la force et de la vraie patience, mais c’est elle seule qui reçoit la couronne de gloire. Aussi, mon très doux Frère, je veux que vous soyez constant [1252] et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la récompense de toutes vos peines. J’espère de la bonté de Dieu qu’il vous fortifiera tellement, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous faire retourner à votre premier vomissement.

2. Il me semble, d’après ce que vous m’écrivez, que vous avez bien commencé, etje m’en réjouis beaucoup pour votre salut, en voyant vos saints désirs. Vous me dites d’abord que vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensé, ou qui ont voulu vous offenser: c’est là une chose absolument nécessaire, si vous voulez avoir la grâce de Dieu dans votre âme, et même être tranquille selon le monde. Celui qui reste dans la haine est privé de Dieu et dans un état de damnation ; dès cette vie même il goûte l’enfer; il nourrit sans cesse en lui-même le désir de la vengeance. Il vit toujours dans la crainte, et, en croyant tuer son ennemi, il se tue lui-même, car il tue son âme avec le poignard de la haine. Oui, ceux qui croient tuer leur ennemi se tuent eux-mêmes, tandis que celui qui pardonne véritablement pour l’amour de Jésus crucifié, celui-là trouve la paix, le repos, et ne ressent aucun trouble, parce que la colère, qui trouble, est détruite dans son âme, et Dieu, qui récompense tout bien, lui rend la grâce, et lui donne après la mort, la vie éternelle. Le bonheur, la joie, la paix de conscience que l’âme reçoit alors, la langue est incapable de l’exprimer ; et même, selon le monde, c’est une grande gloire de ne pas vouloir se venger de son ennemi, par amour de la vertu et par générosité. Je vous y invite et je vous encourage à persévérer dans votre sainte résolution [1253].

3. Quant à demander et à poursuivre ce qui vous appartient justement, vous pouvez le faire en toute sûreté de conscience, si vous le voulez; car personne n’est obligé d’abandonner son bien s’il ne le veut pas; mais celui qui le veut sera plus parfait.

4. Quant à ne pas aller à l’évêché ni au palais, cela est bien et très bien. Il vaut mieux rester tranquille chez vous ; car nous sommes faibles au milieu de l’agitation ; notre âme souvent s’agite elle-même et fait des choses injustes et déraisonnables, celui-ci pour montrer qu’il en sait plus qu’un autre, celui-là par désir de gagner de l’argent. Il est bien de fuir ces occasions.

5. Je fais cependant une exception. S’il s’agit des pauvres qui ont évidemment raison, et qui n’ont personne pour les soutenir et prouver leurs droits, parce qu’ils n’ont pas d’argent, vous honorerez beaucoup Dieu en vous fatiguant pour eux avec charité, comme saint Yves, qui fut dans son temps l’avocat des pauvres (Saint Yves, une des gloires de la Bretagne, est le patron des hommes de loi.). Pensez que le service rendu aux pauvres en les assistant avec le talent que vous avez reçu du Ciel, sera très agréable à Dieu et très profitable au salut de votre âme. Saint Grégoire dit qu’il est impossible qu’un homme compatissant périsse de la mauvaise mort, c’est-à-dire de la mort éternelle. Aussi je me réjouirais beaucoup de vous le voir faire, et je vous le demande.

6. Dans toutes vos actions, ayez Dieu devant les yeux, en vous disant à vous-même, lorsque les désirs [1254] déréglés se révoltent contre votre sainte résolution Pense, mon âme, que le regard de Dieu est sur toi, qu’il pénètre le secret de ton cœur ; pense que tu dois mourir, que tu ne sais pas quand, et qu’il faudra rendre compte au souverain Juge de toutes tes actions; ce Juge punit le mal et récompense le bien. Si vous vous contenez ainsi, vous ne vous éloignerez jamais de la volonté de Dieu.

7. Travaillez au bonheur de votre âme; c’est le premier devoir que vous ayez à remplir; soulagez votre conscience de ce qui pourrait la charger, soit en réparant les torts matériels que vous avez faits aux autres, soit en demandant pardon des offenses que vous avez pu leur faire, afin que vous demeuriez toujours dans la charité du prochain. Vendez aussi ce que vous avez d’inutile, et les vêtements somptueux, qui sont bien nuisibles, mon très cher Frère, car ils enflent le cœur et nourrissent l’orgueil, en nous faisant paraître plus grands que les autres, et glorifier de ce qui ne le mérite pas. C’est une grande honte pour nous, lâches chrétiens, de voir notre chef souffrir, et de rechercher les délices. Aussi, selon saint Bernard, il n’est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d’épines. Je dis que vous faites très bien si vous employez le remède. Mais revêtez-vous honnêtement et sans dépense extraordinaire, vous serez très agréable à Dieu; et, autant que vous le pourrez, faites de même pour votre femme et vos enfants ; soyez leur règle et leur modèle, comme doit l’être un père, obligé d’élever ses enfants selon la raison et dans la pratique de la vertu.

8. J’ajouterai une chose : conservez la crainte de [1255] Dieu dans l’état du mariage, respectez-le comme un sacrement; ne suivez pas les désirs déréglés, et observez les jours prescrits par l’Eglise, comme un homme raisonnable, et non pas comme un animal grossier. Alors, vous et les autres, vous serez de bons arbres, et vous produirez de bons fruits.

9. Vous ferez bien de refuser les emplois, car il est bien difficile de ne pas y commettre quelque faute, et le souvenir de ceux que vous avez eus doit vous être pénible. Laissez les morts ensevelir leurs morts (Mt 8,22), et appliquez-vous seulement, dans toute la liberté de votre cœur, à plaire à Dieu, l’aimant par-dessus toutes choses, par désir de la vertu, aimant le prochain comme vous-même. Fuyez le monde et ses délices; renoncez au péché, à la sensualité, et rappelez-vous sans cesse les bienfaits de Dieu, et surtout le bienfait du sang qui a été répandu pour nous avec un si ardent amour.

10. Il faut encore, pour conserver la grâce et faire des progrès dans la vertu, recourir souvent avec joie à la sainte confession, pour laver la face de votre âme dans le sang de Jésus-Christ. Nous souillons notre âme tous les jours. Confessez-vous une lois par mois; plus sera mieux, mais il me semble que vous ne devez pas faire moins. Aimez à entendre la parole de Dieu; et, quand nous serons réconciliés avec le Saint-Père, communiez aux fêtes solennelles, ou au moins une fois l’an. Aimez les offices et entendez la messe tous les matins ; si vous ne le pouvez pas tous les jours, faites-le au moins les jours prescrits par [1256] l’Eglise; nous y sommes obligés ; vous ne devez, pas y manquer, si vous le pouvez.

11. Il ne faut pas négliger la prière; et même, à certaines heures, tâchez de vous recueillir un peu pour vous connaître, pour connaître les offenses que vous avez commises contre Dieu et la grandeur de sa bonté à votre égard. Ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, pour voir combien Dieu vous aime d’un amour ineffable; il vous l’a montré par le moyen de son Fils unique. Je vous prie, si vous ne le faites pas déjà, de dire tous les jours l’office de la Vierge, afin qu’elle soit votre refuge et votre avocate devant Dieu (L’office de la Vierge est très ancien dans l’Eglise, et remonte au delà du XIe siècle. La récitation en était prescrite aux religieux du Mont-Cassin, en 752. On le récitait dans les églises pour obtenir le succès de la première croisade, en 1095.). Réglez ainsi votre vie, et jeûnez, en l’honneur de Marie, les samedis et les jours prescrits par la sainte Eglise, sans jamais y manquer, si ce n’est par nécessité. Fuyez les festins déréglés, et vivez simplement, comme un homme qui ne veut pas faire un dieu de son ventre. Prenez la nourriture nécessaire, mais non pas avec un grossier plaisir; car il est impossible que celui qui n’est pas réglé dans sa nourriture se conserve dans la pureté. Je suis persuadée que la bonté de Dieu, pour cela et pour le reste, vous fera observer tout ce qui est nécessaire à votre salut. Je prierai et je ferai prier pour qu’il vous donne la persévérance parfaite jusqu’à la mort, et qu’il vous éclaire sur tout ce que vous aurez à faire pour votre salut. Je termine [1257]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXXXVII (229).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- De la lumière qui fait connaître la bonté de Dieu.- Des conditions d’une bonne prière.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé de tout amour de vous-même, afin que vous ne perdiez pas la lumière et la connaissance de l’amour ineffable que Dieu vous porte. C’est la lumière qui nous le fait connaître, et c’est l’amour-propre qui nous ôte la lumière. Aussi je désire ardemment le voir détruit en vous. Oh! que cet amour-propre est dangereux pour notre salut! Il prive l’âme de la grâce, parce qu’il ôte la charité de Dieu et du prochain, et cette charité nous fait vivre dans la grâce. Il nous prive de la lumière, disons-nous, parce qu’il obscurcit l’oeil de notre intelligence; et lorsque nous n’avons plus la lumière, nous marchons dans les ténèbres, et nous ne connaissons pas ce qui nous est nécessaire. Et qu’avons-nous besoin de connaître? La grande bonté de Dieu et son ineffable charité à notre égard, la loi [1258] perverse qui combat toujours contre l’esprit, et notre misère. C’est par cette connaissance que l’âme commence à rendre à Dieu ce qu’elle lui doit, c’est-à-dire la gloire et l’honneur de son nom, en l’aimant pardessus toutes choses, en aimant le prochain comme soi-même. La faim, le désir de la vertu doit faire naître la haine, le mépris du vice et de la sensualité, qui est la cause de tout vice.

2. L’âme acquiert la vertu et la grâce en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, avec la lumière dont nous avons parlé. Et ou trouvera-t-elle la richesse de la contrition de ses fautes et l’abondance de la miséricorde de Dieu? Dans cette même connaissance. Voyons si nous l’avons trouvée ou non. Parlons-en un peu, puisque, d’après votre lettre, vous avez le désir d’avoir la contrition de vos péchés, et que ne pouvant l’avoir, vous abandonnez pour cela la sainte Communion. Nous verrons si c’est un motif pour le faire. Vous savez que Dieu est souverainement bon, qu’il nous a aimés avant que nous fussions; il est l’éternelle Sagesse, et sa puissance est infinie. Nous sommes donc certains qu’il peut, qu’il sait et qu’il veut vous donner ce qu’il nous faut.

3. Ne voyons-nous pas qu’il nous a donné plus que nous ne savons lui demander, et même ce que nous ne lui avons pas demandé? Lui avons-nous jamais demandé qu’il nous fît des créatures raisonnables, à son image et ressemblance, plutôt que des animaux? Non certainement. Lui avons-nous demandé qu’il nous fit renaître à la grâce dans le sang du Verbe, son Fils unique, et qu’il restât notre nourriture, lui, le l’Homme-Dieu tout entier, sa chair, son sang, son [1259] âme unie à sa divinité? Outre ces dons, qui sont si grands, et qui prouvent un amour si ardent, que les cours les plus durs devraient, en les voyant, se réchauffer et s’attendrir, combien recevons-nous de grâces et de faveurs sans les avoir demandées ! Puisqu’il nous donne tant sans que nous le demandions, combien à plus forte raison exaucera-t-il nos désirs quand nous désirerons une chose juste! Et même qui est-ce qui nous la fait désirer et demander? C’est lui seul. S’il nous la fait demander, n’est-ce pas une preuve qu’il veut nous accorder ce que nous lui demandons?

4. Vous me direz : Je confesse que ce vous dites est vrai: d’où vient cependant que j’ai demandé très souvent la contrition et d’autres choses, et que je n’ai rien obtenu? Je vous répondrai: Ou c’est la faute de celui qui demande des lèvres seulement, et non pas du cœur. Notre Sauveur dit que ceux qui crieront: Seigneur, Seigneur, il ne les reconnaîtrait pas. Il les connaît sans doute; mais, par leur faute, il ne les reconnaît pas dans sa miséricorde. Ou bien on demande quelque chose qui nuirait au salut; et en ne l’obtenant pas, on est exaucé, car on a demandé ce qu’on croit utile et qui serait nuisible. On gagne donc en ne l’obtenant pas, et Dieu a écouté l’intention qui faisait demander. Dieu est toujours bon à notre égard; mais il l’est en secret, parce qu’il connaît notre imperfection; il voit que s’il nous accordait sur-le-champ sa grâce, nous ferions comme l’animal immonde, qui quitte la douceur du miel pour la corruption de la fange. Dieu voit que nous faisons souvent de même; nous recevons sa grâce et ses bienfaits, nous participons à la douceur de sa charité, et [1260] nous ne craignons pas de nous abandonner à nos misères, et de retourner à la corruption du monde que nous avions rejetée. Dieu souvent ne nous accorde pas ce que nous demandons, aussi vite que nous le voudrions, pour augmenter notre faim et notre désir, parce qu’il aime voir devant lui l’ardeur de sa créature.

5. Quelquefois il accordera la grâce réellement, mais pas d’une manière sensible. La Providence agit ainsi parce qu’elle sait que si l’homme l’éprouvait d’une manière sensible, il se relâcherait de son désir, ou tomberait dans la présomption. Il lui ôte alors le sentiment et non la grâce; il y a d’autres au. contraire qui la reçoivent et la sentent par un effet de sa douce bonté. Il est notre médecin qui nous donne, et nous pauvres malades, ce qui convient le mieux à notre infirmité. Vous voyez donc que de toute façon l’intention de la créature qui prie Dieu est exaucée. Voyons maintenant ce que nous devons demander et dans quelle mesure. Il me semble que la douce Vérité suprême nous enseigne ce que nous devons demander. Lorsque, dans le saint Evangile, Notre-Seigneur reproche à l’homme la sollicitude déréglée qu’il met à acquérir et conserver les honneurs et les richesses du monde, il dit: " Ne vous inquiétez pas du lendemain; à chaque jour suffit sa peine, " il nous montre par là que nous devons considérer avec prudence la brièveté du temps; et il ajoute: Demandez d’abord le royaume du ciel. Le Père céleste connaît bien les petites choses dont vous avez besoin.

6. Quel est ce royaume? comment le demander? C’est le royaume de la vie éternelle et le royaume de notre [1261] âme; ce royaume de notre âme, s’il n’est pas possédé par la raison, n’entrera jamais dans le royaume du ciel. Et comment le demande-t-on? Non seulement avec des paroles, nous avons dit que ceux qui parlaient seulement, Dieu ne les connaissait pas, mais avec le désir des vraies et solides vertus. C’est la vertu qui demande et possède le royaume du ciel; cette vertu rend l’homme prudent, et il travaille avec prudence et sagesse pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Il supporte avec prudence ses défauts, et il règle son cœur avec prudence, en aimant Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme lui-même. L’ordre véritable est d’être prêt à sacrifier la vie de son corps pour le salut des âmes, et ses biens temporels pour délivrer son prochain. C’est ce que fait la charité prudente; si elle n’était pas prudente, elle ferait le contraire, comme le font ceux qui ont une charité fausse et insensée. Souvent, pour sauver le prochain, je ne dis pas son âme, mais son corps, ils exposent leur âme pour soutenir le mensonge par de faux témoignages; ceux-là perdent la charité, parce qu’elle n’est pas unie à la prudence. Nous avons vu qu’il faut demander le royaume du ciel avec prudence. Maintenant je vous dirai ce que nous devons faire pour la sainte Communion, et comment nous devons la recevoir.

7. Nous ne devons pas user d’une fausse humilité, comme font bien des hommes du monde. Je dis qu’il faut recevoir ce doux sacrement, car il est la nourriture de l’âme; et sans cette nourriture, nous ne pouvons vivre en état de grâce. Il n’y a aucun lien [1262] assez grand qui ne puisse se rompre pour approcher de ce doux sacrement. L’homme doit faire de son côté tous ses efforts, et cela suffira. Comment devons-nous le recevoir? Avec la lumière de la très sainte Foi et avec la bouche du saint désir. Vous regarderez à la lumière de la Foi celui qui est tout Dieu et tout homme dans cette Hostie. Alors le cœur, qui suit l’intelligence, le reçoit avec un tendre amour, avec une pieuse considération de ses défauts et de ses péchés qui lui inspire la contrition. IL considère la grandeur de l’ineffable charité de Dieu, qui se donne avec tant d’amour en nourriture; et, quoiqu’il ne croie pas avoir la contrition parfaite et les dispositions où il voudrait être, il ne doit pas abandonner la Communion. Sa bonne volonté suffit, et il est dans la disposition requise.

8. Je vous dis encore qu’il faut recevoir le Sacrement comme il a été figuré dans l’Ancien Testament, lorsqu’il fut ordonné de manger l’agneau rôti et non bouilli, entier et non partagé, ceints et debout avec un bâton à la main, et après avoir mis le sang de l’agneau sur le seuil de la maison. Il faut communier de la même manière, et manger l’Agneau sans tâche rôti et non bouilli. Ce qui est bouilli est dans la ferre et l’eau, c’est-à-dire dans l’attachement terrestre et dans l’eau de l’amour-propre. Nous le prenons rôti lorsque nous le prenons au feu de la divine charité. Nous devons être ceints de la ceinture de la continence; car ce serait une chose indigne, si nous nous approchions de la pureté même avec l’esprit et le corps souillés. Nous devons être debout, c’est-à-dire le cœur et l’esprit toujours fidèles et toujours [1263] élevés vers Dieu, avec le bâton de la très sainte Croix, où nous trouvons la doctrine de Jésus crucifié. C’est sur ce bâton que nous nous appuyons; c’est avec lui que nous nous détendons de nos ennemis, c’est-à-dire du monde, du démon et de la chair. Il faut le manger tout entier et non par partie c’est-à-dire qu’à la lumière de la Foi, nous devons :dans ce sacrement voir non seulement l’humanité, mais aussi le corps, l’âme de Jésus crucifié unis à sa divinité, l’HommeDieu tout entier. Il faut prendre le sang de cet Agneau, et le mettre sur notre front: c’est-à-dire le confesser devant toute créature raisonnable, et ne le renier jamais ni dans la peine ni dans la mort. Il faut enfin prendre avec amour cet Agneau préparé au feu de la charité sur le bois de la Croix; nous serons trouvés marqués du signe du Thau, et nous ne serons pas frappés par l’ange exterminateur (Le Thau a la forme de la croix, et on lit dans Ezéchiel 9,6 : Super quem videritis Thau, ne occidatis).

9. Je vous ai dit qu’il ne faut pas faire, et je ne veux pas que vous fassiez comme les séculiers imprudents qui n’obéissent pas au précepte de l’Eglise, en disant: Je ne suis pas digne; et ils passent ainsi des années dans le péché mortel, sans prendre la nourriture de leurs âmes. Oh ! la folle humilité ! Qui ne voit pas que vous n’êtes pas dignes? Quel moment attendez-vous pour en être dignes? Ne croyez pas l’être plus à la fin qu’au commencement. Tout le bien que nous pourrons faire, ne nous en rendra pas dignes; Dieu seul est digne de lui-même, et peut nous rendre dignes de sa dignité, qui ne diminue jamais [1264]. Que devons-nous faire? Nous disposer autant que nous le pouvons, et obéir à ce doux commandement. Si nous ne le faisons pas, si nous négligeons la Communion par ce motif, en croyant éviter la faute, nous y tomberons. Je conclus, et je veux que vous ne tombiez pas dans cette folie, mais disposez-vous comme un chrétien fidèle à recevoir la sainte Communion, comme nous l’avons dit. Vous le ferez d’autant plus parfaitement que vous resterez dans la connaissance de vous-même, pas autrement: parce que cette connaissance vous fera veiller sur toute chose. Que vos saints désirs ne s’affaiblissent pas parla souffrance, la peine, l’injure et l’ingratitude de ceux que vous avez obligés; mais persévérez généreusement avec une véritable persévérance jusqu’à la mort. Je vous conjure de le faire, par l’amour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCXXXVIII (230). — A MESSIRE RISTORO CANIGIANI. — De la vraie et parfaite charité, et la douceur qu’elle apporte.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1265], avec le désir de vous voir fondé sur la vraie et parfaite charité. Cette charité est la mère et la nourrice de toutes les autres vertus; elle rend l’homme constant et persévérant dans la vertu, si bien, que le démon et la créature ne peuvent l’en séparer, s’il ne le veut pas. Elle est d’une si grande douceur, qu’elle détruit toute amertume qui afflige l’âme; mais elle produit une amertume douce qui engraisse l’âme dans la vraie connaissance d’elle-même, où elle connaît les fautes passées et présentes qu’elle a commises contre son Créateur. C’est cette connaissance qui lui est amère; elle se repent d’avoir offensé l’éternel et souverain Bien, d’avoir souillé la face et la beauté de son âme, qui a été lavée dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et c’est par ce sang qu’elle a connu le feu et l’abîme de sa charité. Cette connaissance inspire à l’âme un amour qu’elle n’aurait pas sans cela; car la créature aime son Créateur selon qu’elle se voit aimée de lui. Ainsi toute la froideur de notre cœur vient uniquement de ce que nous ne regardons pas combien nous sommes aimés de Dieu. Et pourquoi ne le voyons-nous pas? Parce que le nuage de l’amour-propre obscurcit l’oeil de l’intelligence, dont la prunelle est la lumière de la très sainte Foi.

2. Par cette lumière, nous arrivons à la charité parfaite de Dieu, et nous arrivons aussi à la charité du prochain. Car l’âme qui aime son Créateur veut aussi aimer ce qu’il aime; et, en voyant qu’il aime la créature, elle est forcée par le feu de sa charité, de l’aimer et de la servir avec zèle et empressement; et les services qu’elle ne peut rendre à Dieu, qui n’a [1266] pas besoin de nous, elle veut les rendre au prochain en lui faisant part des grâces et des dons qu’elle a requis de Dieu, spirituellement ou temporellement, et elle le fait avec une intention pure, parce que la charité droite et généreuse ne cherche pas son avantage; elle ne s’aime pas, elle n’aime pas le Créateur et les créatures pour elle, mais elle aime tout pour Dieu.

3. La charité n’est pas fausse et hypocrite, montrant au dehors ce qui n’est pas au dedans; elle est humble, et non pas orgueilleuse ; car c’est l’humilité qui nourrit la charité dans l’âme. Elle n’est pas infidèle, mais fidèle, servant Dieu fidèlement et le prochain, espérant en Dieu et non pas en elle-même. Elle n’est pas imprudente, mais elle fait tout avec une grande prudence ; elle est juste, rendant à chacun ce qui lui est dû: à Dieu, gloire et honneur à son nom par la vertu; au prochain, la bienveillance, et à elle-même la haine de fautes commises et le regret de sa propre fragilité. Elle est forte, car l’adversité ne peut l’affaiblir par l’impatience, ni la prospérité par une joie déréglée. Elle apaise les querelles, réprime la colère et foule aux pieds l’envie, parce qu’elle aime le prochain, et se réjouit du bien qui lui arrive comme du sien même. Elle revêt si bien l’âme du vêtement de la grâce, qu’aucun coup ne peut l’atteindre, mais revient sur celui qui a frappé. Nous voyons que, si le prochain nous frappe par l’injure, et que nous le supportions avec patience, le trait empoisonné revient sur celui qui l’a lancé. Si le monde nous frappe par ses plaisirs, ses délices, ses honneurs, et que nous les recevions avec mépris, ses coups tournent à [1267] sa honte; et si le démon nous frappe avec ses tentations innombrables, nous le frappons de toute la force de la volonté, en restant fermes, constants et persévérants jusqu’à la mort, ne consentant jamais à ses pensées et à sa malice.

4. En nous tenant sur ce rocher, aucune attaque ne peut nous nuire; c’est la volonté seule qui commet la faute ou pratique la vertu, selon ce qu’elle choisit. Lorsque ce sont des pensées impures qui nous attaquent, nous les repoussons par le parfum de la pureté. La pureté de la continence rend l’âme angélique; elle est fille de la charité; et cette douce mère l’aime tant, que non seulement elle la préserve des souillures qui donnent la mort à l’âme, des fautes de ceux qui se plongent dans la fange de la chair comme des animaux grossiers, mais encore elle lui fait mépriser ce qu’elle pourrait se permettre sans péché mortel dans l’état du mariage, si bien, que l’homme les fuirait s’il le pouvait; car il lui semble qu’il ne peut toucher à cette boue sans se salir: il est bien difficile en effet de la traverser, et de ne pas se souiller. Aussi, l’âme qui est dans la charité goûte le parfum de la continence, et voudrait fuir ce qui lui est contraire.

5. Oh ! combien serait doux et agréable à Dieu ce sacrifice, si vous, mon Fils et ma Fille bien-aimée, vous vous offriez à Dieu avec ce suave et délicieux parfum, si vous laissiez pour jamais la lèpre aux lépreux, et si vous suiviez l’état angélique. N’attendez pas le moment de la vieillesse où le monde nous abandonne; vous plairiez peu à Dieu en laissant ce que vous ne pouvez conserver; mais donnez-lui la fleur de votre jeunesse; il l’acceptera avec un grand [1268] amour, et vous lui serez très agréables. Ne dormons plus, pour l’amour de Jésus crucifié. Nous avons fait si longtemps une étable de notre corps et de notre âme, il faut désormais en faire un jardin. N’attendez pas le temps, parce que le temps ne nous attend pas. Que l’un invite et force l’autre à se revêtir de cette très douce pureté qui répand une si bonne odeur, en présence de Dieu et devant les créatures. Je suis certaine que si vous avez en vous la charité, cette douce mère, vous ferez pour cela tous vos efforts; vous combattrez votre fragilité quand elle voudra se révolter contre la raison, mais pas autrement. Parce que je souhaite vous voir arriver à cet état parfait, et que je comprends qu’on ne peut y arriver que par la voie de la charité, je vous ai dit et je vous répète que je désire ardemment vous voir fondés sur la vraie et parfaite charité; cette charité embrasse toutes les vertus, elle méprise et fuit tous les vices. Elle est si douce, si agréable, qu’il ne faut pas perdre de temps par négligence, mais il faut se lever avec zèle à la lumière de la très sainte Foi. Et à cette lumière, nous verrons combien Dieu nous aime; en le voyant, nous connaîtrons Sa bonté; et la connaissant, nous l’aimerons, et par cet amour nous chasserons l’amour-propre qui ôte la vie de la grâce. Emplissez sans cesse votre mémoire du souvenir du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1269].

Table des matières (2)







CCXXXIX (231).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- Des biens du monde et de la grâce de Dieu.- De l’amour avec lequel on aime Dieu et les créatures,à l’exemple de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé du vieil homme et revêtu du nouveau; je dis dépouillé du vieux péché d’Adam, de cet amour déréglé qu’il eut lorsqu’il offensa Dieu par sa désobéissance, et il s’offensa lui-même en se privant de la vie de la grâce. Aussitôt qu’il eut offensé Dieu, il trouva la révolte en lui et dans toutes les créatures. IL en est de même de l’âme qui suit et revêt le vieil homme ; elle s’aime elle-même d’un amour sensitif, et de cet amour viennent toutes les affections déréglées. C’est cet amour misérable qui ôte la lumière de la raison, et empêche de connaître la vérité; il ôte la vie de la grâce, et nous donne la mort. Il nous ôte la liberté, et nous rend les serviteurs et les esclaves du péché, du néant; et alors on goûte en cette vie les arrhes de l’enfer. Je dis que l’homme ne connaît plus la vérité; car s’il connaissait la vérité, il ne donnerait pas son cœur, ses affections, ses désirs au monde; il n’en ferait pas son Dieu, mais il le mépriserait avec toutes ses délices [1270] en voyant son inconstance, son peu de stabilité, Combien il est vain et caduc !
 
 

2. Ne le voyons-nous pas tous les jours, très cher Frère les choses du monde passent comme le vent, et rien ne dure à notre gré. C’est que rien n’est à nous, excepté la grâce divine, qui ne peut nous être enlevée si nous ne le voulons pas; car la grâce ne se perd que par le péché, et ni le démon ni les créatures ne peuvent nous forcer à commettre la moindre faute, et nous ravir par conséquent la grâce. Mais les choses du monde, qui nous sont prêtées pour notre usage, peuvent nous être enlevées, et nous sont enlevées quand il plaît à la Bonté divine qui nous les a données. Aussi nous voyons l’homme tantôt riche, tantôt pauvre, aujourd’hui dans les honneurs, demain dans l’adversité. Nous passons de la santé à la maladie, de la vie à la mort. Les choses du monde changent, et celui qui veut les posséder ne le peut pas, parce qu’elles ne sont pas à lui. Si elles étaient à lui, il les garderait comme il le voudrait; mais elles lui sont prêtées pour ses besoins, et non pas pour qu’il les possède avec un amour déréglé, pour qu’il les aime hors de Dieu. Car en agissant ainsi, il transgresserait son commandement, qui nous dit que nous devons aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. En ne le faisant pas, il tombe dans la désobéissance, il se prive de la vie de la grâce et devient digne de la mort éternelle.

3. Il devient ainsi insupportable à lui-même, et il goûte les arrhes de l’enfer, car le ver de la conscience le ronge toujours. il éprouve une peine insupportable en se voyant privé de la chose qu’il aime [1271] d’une affection déréglée, et qu’il faut laisser, ou pendant la vie en la perdant, ou à l’heure de la mort. Car en mourant, l’homme doit tout laisser; il n’emporte avec lui que le bien ou le mal qu’il a fait, et il reçoit ce qu’il a mérité. Toute faute est punie, toute vertu récompensée. Il ne peut emporter autre chose, et celui qui a des affections déréglées, souffre beaucoup lorsqu’il perd ce qu’il aimait tant; il perd avec autant de douleur qu’il possédait avec amour. Aussi toute sa vie est une peine, même lorsqu’il est dans les plaisirs et l’abondance, parce qu’il craint de perdre ce qu’il a. Qui ne reconnaît pas ces misères et les tourments que donne le monde? celui qui obscurcit la lumière de la raison par l’amour de lui-même. Il a perdu cette lumière en se rendant l’esclave de la sensualité, qui le revêt du vieil homme, c’est-à-dire du péché d’Adam, Il est malheureux, l’ingrat et l’insensé qui se prive de la dignité que lui donnaient la lumière de la raison, la vie de la grâce et la liberté ! il s’est fait l’esclave du démon et du péché, qui n’est que néant; car il perd cette liberté, qui lui avait été rendue par le moyen du sang du Fils de Dieu, dans lequel est purifiée la face de notre âme. Oh I combien est digne de châtiment celui qui dépense et consume sa vie d’une manière coupable ! Son iniquité l’empêche de reconnaître la bonté de Dieu à son égard, et de recevoir le fruit du Sang. Que devient ce pauvre insensé, lorsqu’il aspire et qu’il s’attache par le désir à toutes les délices du monde? Il ne trouve autre chose que confusion et remords de conscience jusqu’au moment de la mort; il est comme le fou, ou comme celui qui songe qu’il a de grandes jouissances [1272], et qui ne trouve plus rien à son réveil. De même l’homme qui s’éveille du sommeil de cette misérable vie, ne trouve que peine et remords. Quel moyen donc prendre pour ne pas perdre le bien du ciel, et pour ne pas être ici-bas dans une telle affliction !

4. Voici le remède, très doux Frère : Il faut nous dépouiller du vieil homme, qui nous cause ces peines insupportables, et nous revêtir de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus, en réglant notre vie, en vivant comme un être raisonnable et non comme un animal, en dissipant le nuage de l’amour-propre et en détestant notre sensualité, cette loi mauvaise opposée à l’esprit, et le monde avec toutes ses délices. Aussitôt que vous les considérerez avec l’oeil de l’intelligence, vous verrez combien ces choses sont nuisibles à notre salut, si nous les aimons hors de Dieu, et quel supplice insupportable elles causent en cette vie. Alors, quand l’âme voit cela, elle conçoit sur-le-champ la haine de la sensualité et de tout ce qui est du monde; non pas qu’elle n’aime les choses créées, l’homme qui a des enfants aime ses enfants, sa femme et ses parents, mais il les aime d’un amour réglé et non coupable; il ne veut pas pour eux perdre son âme en offensant Dieu. Dieu ne nous défend pas d’aimer, Il nous commande au contraire d’aimer le prochain comme nous-mêmes; mais il nous défend d’aimer d’une affection déréglée. Et c’est ce que l’âme déteste, parce qu’elle voit que Dieu défend ces affections, et qu’elles lui sont nuisibles. Dès qu’elle déteste ce qu’elle doit détester, l’âme, qui ne peut vivre sans amour, s’aime aussitôt elle-même, avec le prochain et les choses créées, d’un amour légitime et vertueux [1273], fixant toujours à la lumière de la très sainte Foi, le regard de son intelligence sur Jésus crucifié; et elle voit en lui, et connaît ce qu’elle doit aimer.

5. Et, comme dans le sang du Christ, elle voit l’amour ineffable de Dieu, car ce sang nous a plus clairement manifesté l’amour et la charité de Dieu que toute autre chose, elle se met à l’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces. Une des lois de l’amour est d’aimer autant qu’on se sent aimé, et d’aimer tout ce qu’aime celui qu’on aime. Aussi, à mesure que l’âme connaît l’amour de son créateur à son égard, elle l’aime; et en l’aimant, elle aime tout ce que Dieu aime. Et parce qu’elle voit que Dieu aime souverainement sa créature raisonnable, qu’il l’aime tant, qu’il nous a donné le Verbe, son Fils, afin qu’il sacrifiât sa vie pour nous, et qu’il nous purifiât de la lèpre du péché dans son sang, le cœur de l’homme se dilate et participe à la charité divine pour le prochain; il veut lui rendre ce qu’il ne peut rendre à Dieu, c’est-à-dire lui être utile, car notre Dieu n’a pas besoin de nous, et ce que nous ne pouvons faire pour lui, nous devons le faire au prochain, que Dieu nous a donné comme moyen de lui prouver. l’amour que nous avons pour lui, Cet amour empêche l’homme de concevoir de la haine à l’égard du prochain, pour les injures qu’il en reçoit; mais il supporte avec patience ses défauts, s’affligeant plus de l’offense faite à Dieu et de la perte de son âme que de sa propre injure et de la perte qu’il éprouve lui-même.

6. Cet amour est réglé, car il ne sort pas de la charité, et il se revêt de l’homme nouveau, du [1274] Christ, le doux Jésus, dont il suit les traces et la doctrine, rendant lé bien à ceux qui lui font du mal, détestant ce que le Christ béni déteste et aimant ce qu’il aime. Que déteste le Christ béni? le vice, le péché, les honneurs, les délices du monde. Le péché lui déplaît tant, que, n’en ayant pas l’ombre en lui, il a voulu venger et punir nos fautes sur son corps; et cela dans des peines et des tourments tels, que la langue ne pourra jamais les raconter. Il méprisa tant les honneurs et les délices, que, quand les Juifs voulurent le faire roi, il disparut du milieu d’eux, et il embrassa au contraire la pauvreté, les injures, les affronts; il supporta la faim, la soif les persécutions, jusqu’à la mort honteuse de la très sainte Croix. Au lieu de la fuir, il alla au-devant des Juifs qui voulaient le prendre, et il leur dit : " Qui demandez-vous? " Ils répondirent: " Jésus de Nazareth. " " Si c’est moi que vous cherchez, dit alors le doux et tendre Verbe, me voici : prenez-moi; mais laissez ceux-ci. " Il parlait de ses disciples.

7. C’est ainsi que la douce Vérité nous a enseigné la charité du prochain que nous devons aimer, et la patience qui doit nous faire supporter tout ce que Dieu permet réellement pour la gloire et la louange de son nom, ne fuyant jamais la fatigue et le travail, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue par impatience ou par haine envers le prochain; il faut aller au contraire au-devant de lui avec la joie du cœur, et l’embrasser avec l’amour de Jésus crucifié. Nous devons tout supporter; nous devons le faire, parce que la peine est bien petite, et la récompense bien. grande, et aussi par amour pour [1275] Celui qui donne. La peine est petite. Savez-vous combien? comme la pointe d’une aiguille. Car la peine n’est pas plus grande que le temps, et vous savez bien qu’on ne peut s’imaginer la brièveté du temps. Le temps passé, vous ne l’avez pas; le temps à venir, vous n’êtes pas sûr de l’avoir. Vous possédez donc cet instant du temps présent, et pas davantage. La peine passée n’existe pas, et la peine à venir, nous ne sommes pas certains de l’avoir; nous n’avons que la peine de l’instant présent, et pas davantage, Il est donc vrai que cette peine est bien petite.

8. La récompense n’est-elle pas bien grande? Demandez-le au doux apôtre saint Paul, qui nous dit que les souffrances de cette vie ne sont pas à comparer avec la gloire future. Considérons aussi Celui qui nous donne la peine: c’est notre Dieu, qui est souverainement bon: et parce qu’il est souverainement bon. il ne peut vouloir que notre bien. Pourquoi nous donne-t-il la peine? Pour nous sanctifier, pour éprouver en nous sa perle précieuse de la patience. Cette vertu nous montre si nous aimons véritablement notre Créateur, et si nous avons en nous la vie de la grâce; car comme l’impatience est un signe que nous nous aimons plus nous-mêmes, et que nous aimons plus les choses créées que le Créateur, de même la patience est une preuve qui nous montre que nous aimons Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes.

9. Vous voyez que celui qui suit le Christ hait le vice et chérit la vertu. Il l’embrasse, il s’en revêt si bien, qu’il aime mieux mourir que de s’en dépouiller, tant est douce et agréable la vertu. Dès que l’âme [1276] est revêtue de l’homme nouveau par la lumière de la raison, elle goûte la vie éternelle, et rien ne peut la troubler. Si la peine arrive, elle se réjouit de ses tribulations, elle s’en nourrit; elle n’a pas cette crainte qui fait souffrir, cette crainte servile qui tremble de perdre les biens du monde, car elle les possède avec un amour raisonnable, comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent; elle voit combien elles sont passagères. Elle comprend qu’elle ne peut les conserver à son gré, parce qu’elles ne lui appartiennent pas; elle est disposée alors à s’en servir avec un amour raisonnable, et toute sa vie est ainsi réglée en Dieu, dans quelque position qu’elle se trouve.

10. Celui qui est dans l’état du mariage s’y conserve avec une grande honnêteté, respectant fidèlement les jours prescrits par la sainte Eglise. S’il a des enfants, il nourrit leurs âmes et leurs corps, et les élève comme des créatures raisonnables dans les doux commandements de Dieu. Et s’il est dans un autre état, où il puisse assister son prochain, il devient le père des pauvres; il se fatiguera avec joie pour eux, les assistant autant qu’il le pourra. Il ne veut pas faire un Dieu de son corps par le luxe et les plaisirs, mais il tient son rang dans une mesure agréable à Dieu, sans frivolité, sans vanité de cœur. Il ne dépense pas son bien au seul embellissement de sa maison, parce qu’il voit que quand elle serait ornée, ces ornements et cette richesse pourraient bien lui être enlevés. Mais il s’applique à orner la demeure de son âme, des vraies et solides vertus; car cet ornement, personne ne peut le lui enlever s’il ne veut pas. Rien ne peut affliger [1277] ceux qui agissent ainsi, parce qu’ils ont placé leur affection dans une chose qui ne peut leur être enlevée. Ils parcourent cette vie si pleine d’épreuves, sans chagrins et sans remords de conscience, et ils marchent tout joyeux dans la voie de Jésus crucifié; ils suivent sa doctrine, revêtus du vêtement léger de l’homme nouveau, et dépouillés du poids du vieil homme, qui accable et retient l’âme dans le péché mortel, au milieu des peines nombreuses et des tourments de cette vie ténébreuse.

11. Celui que l’amour-propre prive de la lumière de la raison n’est pas plus en paix avec lui-même qu’avec les autres. Il ne connaît pas la Vérité, et il souffre; car, comme il ne connaît pas la Vérité, il ne peut l’aimer, et ne l’aimant pas, il ne peut s’en revêtir, et il est toujours inquiet. Aussi, pour que vous soyez délivré de ce tourment, pour que vous receviez la vie de la grâce, pour que vous répondiez à Dieu qui vous appelle et vous aime d’un amour ineffable, je vous ai dit que je désirais vous voir dépouillé du vieil homme, et revêtu de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus. Faites-le, je vous en conjure.

12. Réjouissez-vous de ce qui est arrivé (Ce disciple fidèle de sainte Catherine eut à souffrir de l’émeute de Florence, où elle fut sur le point de perdre la vie. (Voir les lettres XV et LIV.), car c’est la vie de votre âme, et augmentez en vous le fruit du saint désir. Si la sensualité ou le langage trompeur des hommes vous parle autrement, ne l’écoutez pas; mais soyez ferme et courageux ; persévérez dans vos saintes résolutions, et pensez que les hommes du [1278] monde ne pourront pas répondre pour vous devant le souverain Juge au moment de la mort, et que vous n’aurez d’autre secours qu’une sainte et bonne conscience. Ne dormez donc plus, et réglez bien toute votre vie. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 

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