CCXL (233).-A
MESSIRE RISTORO CANIGIANI, de Florence, à Pistoia. — De la lumière
parfaite.- La lumière naturelle que Dieu nous donne est insuffisante,
parce quelle est obscurcie par l’amour-propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin qu’elle croisse continuellement en vous- Car, sans la lumière parfaite, nous ne pourrons connaître, aimer la vérité et nous en revêtir, si nous n’en sommes pas revêtus, la lumière se changera en ténèbres, et il faut que chacun aie la lumière parfaite, dans quelque état qu’il se trouve. Quelle est la preuve de la perfection qu’on met à connaître la vérité et à la discerner des mensonges et des vanités du monde? La voici : c’est l’amour et l’attachement qu’on a pour la vérité. L’homme qui la connaît se [1279] met à aimer la vertu, à détester le vice, et la sensualité, cause de tout vice, car elle est cette loi perverse qui combat contre l’esprit. Il montre alors que sa vie est parfaite, et que le nuage de l’infidélité n’a pas obscurci la prunelle de l’oeil de son intelligence, c’est-à-dire la lumière de la très sainte Foi. Si elle était imparfaite, il verrait imparfaitement avec une lumière naturelle, mais sans en profiter; il ne développerait pas cette lumière par l’amour de la vertu. Nous devons exciter la lumière naturelle, afin de perdre l’imperfection et d’arriver à la perfection de la connaissance.
2. Mais comment, très cher Fils, pouvons-nous parvenir à cette lumière parfaite? Je vous le dirai, avec la lumière et par ce moyen: Nous avons en nous une lumière naturelle, que Dieu nous a donnée pour discerner le bien du mal, les choses parfaites des choses imparfaites, les pures des impures, la lumière des ténèbres, le fini de l’infini. C’est une connaissance que Dieu nous a donnée par nature, et nous éprouvons sans cesse qu’il en est ainsi. Mais vous me direz: Si nous avons cette connaissance en nous, d’où vient que nous nous attachons à ce qui est contraire à notre salut? Je vous répondrai que cela vient de l’amour-propre, qui nous cache cette lumière comme les nuages quelquefois cachent la lumière du soleil; et alors notre erreur ne vient pas de la lumière, mais du nuage. Alors aussi le libre arbitre, dans son aveuglement, choisit les choses qui nuisent à l’âme, et non pas celles qui lui sont utiles. L’âme naturellement désire toujours ce qui est bon; mais son erreur. consiste à ne pas chercher le bien où il se trouve, parce que les ténèbres de l’amour-propre lui ôtent la lumière. Et ceux qui sont ainsi vont comme des insensés, mettant leurs cœurs et leur affection dans des choses transitoires qui passent comme le vent. O homme ! il n’y pas de folie plus grande que la tiennes Tu cherches le bien dans le souverain mal, la lumière dans les ténèbres, la vie dans la mort, la richesse dans la pauvreté même, l’infini dans les choses finies.
3. Peut-on trouver le bien en le cherchant où il n’est pas? Il faut le chercher en Dieu, qui est l’éternel et souverain Bien. En le cherchant en lui, nous le trouverons, parce que Dieu n’a aucun mal en lui, et que tout y est parfait. Il ne peut nous donner que ce qu’il a en lui, comme le soleil, qui a en lui la lumière, ne peut répandre les ténèbres. Si nous voulons nous servir de cette lumière, nous verrons que tout ce que Dieu donne et permet en cette vie, que toutes les fatigues, les tribulations, les angoisses qu’il nous envoie nous arrivent pour nous conduire au souverain Bien, pour que nous cherchions le bien en lui et non pas dans le monde, où on ne saurait le trouver, pas plus que dans les richesses, les honneurs, les délices, où se trouvent au contraire l’amertume, la tristesse, la privation de grâce pour l’âme qui les possède en dehors de la volonté de Dieu. Dieu permet l’épreuve pour une chose bonne et parfaite, c’est-à-dire pour que nous le cherchions en vérité. Mais l’homme aveuglé par sa passion prend mal ce qui est pour son bien, tandis que la faute, qui le prive de Dieu et de la vie de la grâce, ne lui semble pas mal; il se trompe ainsi lui-même. Il faut donc exciter cette [1281] lumière naturelle, pour mépriser le monde et embrasser la vertu, et chercher avec cette lumière le bien où il est. En le cherchant ainsi, nous le trouvons en Dieu, et nous verrons l’amour ineffable qu’il nous a montré par le moyen de son Fils, et son Fils par son sang répandu pour nous avec tant d’amour. Avec cette première lumière naturelle, qui est imparfaite, nous acquerrons une lumière surnaturelle, parfaite, répandue par la grâce dans nos âmes, qui nous attachera à la vertu en nous fortifiant dans tous les lieux, dans tous les temps et dans toutes les positions où Dieu nous placera, nous conformant toujours à sa volonté, que nous verrons ne vouloir autre chose que notre sanctification. Ainsi la première, si nous la développons, nous prépare, et la seconde nous lie et nous unit à la vertu.
4. Oh ! quelle joie immense mon cœur ressent au sujet de votre salut ! car il me semble, d’après ce que j’ai pu voir en présence de Dieu, et aussi d’après la lettre que j’ai reçue, que la lumière naturelle n’a pas été obscurcie en vous par les ténèbres de l’infidélité. Car, s’il en était ainsi, vous ne connaîtriez pas si bien la corruption du monde, son inconstance et les attaques qu’il dirige contre ceux qui ne veulent pas le prendre pour Dieu; vous ne le mépriseriez pas avec tant de raison, vous ne vous sépareriez pas du vice pour désirer la vertu et la perfection, pour passer de l’état imparfait du mariage à l’état de la continence des anges, qui est l’état parfait. Puisque Dieu, dans son infinie miséricorde, vous a rendu cette lumière dont vous aviez été si longtemps privé par votre ignorance. et votre faute, je veux que vous [1282] vous en serviez avez zèle, en vous séparant du vice et de l’amour sensitif avec le glaive de la haine et de l’amour, et en vous attachant par la lumière à la vertu, à la vraie et parfaite charité, aimant Dieu pardessus toute chose et le prochain comme vous-même, oubliant les injures et les torts que vous avez reçus, ou que vous recevez de lui, détruisant par l’amour la haine et le dégoût que la sensualité veut vous inspirer. Oh ! combien mon âme serait heureuse, si je vous voyais toujours avancer de vertu en vertu, avec le désir de ne jamais vous laisser arrêter par les attaques du démon, qui, je le sais, vous entoure si souvent de tant d’obstacles. Les créatures travaillent aussi de leur côté avec la passion et la faiblesse qui cherchent toujours à se révolter. Mais avec cette douce lumière, vous triompherez de tous ces combats, et vous foulerez ces ennemis aux pieds de l’affection.
5. Je veux donc, pour augmenter cette lumière, que vous ayez quatre choses présentes aux regards de votre intelligence, afin de développer la lumière et la vertu dans votre âme. La première est que vous considériez combien vous êtes aimé de Dieu: il vous a par amour créé à son image et ressemblance, et régénéré dans le sang de son Fils; par amour il vous a conservé la vie pour que vous ayez le temps de vous convertir, et il a ajouté à cette grâce tant d’autres dons spirituels et temporels, que je ne puis les rappeler; et tous ces dons vous ont été faits par grâce et non par obligation. Si vous les considérez, si vous y pensez bien, vous serez forcé d’aimer, car l’âme naturellement est entraînée à aimer celui dont [1283] elle se voit aimée. Aussi, en se voyant aimée d’un amour ineffable, elle suit cet amour; elle aime Dieu et ce qu’il aime davantage; ce qui lui plaît lui plaît, ce qui lui déplaît lui déplaît. Et parce qu’elle voit que le Créateur aime souverainement sa créature raisonnable, elle l’aime aussi ; et les services qu’elle ne peut rendre à Dieu, elle les rend à la créature par amour pour lui. La seconde chose qu’il faut considérer, c’est que nous devons aimer Dieu généreusement, comme des enfants et non comme des esclaves, dont les actes ne s’accordent pas avec les pensées et leurs cœurs. Nous ne pouvons rien cacher à l’oeil de Dieu, et il faut le servir avec zèle et sincérité. Nous devons voir en troisième lieu combien est abominable à Dieu et au monde, et combien est nuisible à l’âme le péché mortel; combien au contraire plaît et profite la vertu. Le péché répugne tant à Dieu, que de l’humble Agneau sans tache il a fait une enclume pour y châtier nos iniquités, Il est si nuisible, qu’il nous ôte la lumière, nous prive de la vie de la grâce et nous donne la damnation éternelle. La vertu est si agréable à Dieu, que l’homme vertueux devient un autre lui-même par l’amour, et que dès cette vie même, il lui fait goûter les arrhes de la vie éternelle; au milieu des orages et des afflictions, l’âme jouit de la paix et de ses douceurs. La quatrième et dernière chose qu’il faut considérer, est que toute faute est punie et toute vertu récompensée; car Dieu sait, peut et veut punir le mal et récompenser les peines que nous souffrons en cette vie, pour la gloire et l’honneur de son nom; et c’est de cette récompense que parle le glorieux apôtre saint Paul: [1284] « Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu destine à ses serviteurs (Rm 7,8). »
6. Ces quatre considérations régleront et guideront votre vie dans l’amour et la sainte crainte de Dieu; vous suivrez et vous perfectionnerez la bonne voie où vous avez commencé à marcher. Que l’ardeur du saint désir augmente en vous, et vous donne ce qui manque à votre perfection; et Dieu, comme un sage et bon médecin, portera remède à ce qui semble être un obstacle. Foulez, foulez aux pieds le monde, chassez-le de votre cœur comme il vous chasse lui-même. Unissez-vous à Jésus crucifié, afin de recevoir le fruit de son précieux sang, avec la lumière surnaturelle; la lumière naturelle bien employée vous y conduira, et vous accomplirez tout ce que nous avons dit, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin qu’elle croisse continuellement en vous, parce que sans la lumière nous marcherons dans les ténèbres. Avec cette lumière, je veux que vous éleviez votre famille dans la sainte et vraie crainte de Dieu. Vivez dans l’état du mariage comme un homme raisonnable, et non comme un animal grossier; observez les jours qui sont commandés par la sainte Eglise, afin que votre arbre produise de bons fruits.
7. Je veux que vous usiez souvent de la confession, et que vous communiiez aux grandes fêtes, comme doit le faire une personne qui craint Dieu. Alors [1285] vous serez ma consolation et ma joie, car je vous verrai marcher dans la lumière et non dans les ténèbres. Quoique éloigné de corps, vous serez toujours près de moi, parce que vous avez et vous aurez toujours la prière et le désir qui vous offre en la présence de Dieu. Courage, courage dans le précieux sang du Christ, dont le secours est près de vous. Aimez à vous retrouver souvent avec votre Créateur par la prière actuelle, par les saintes pensées et la prière continuelle des saints désirs. Dites aussi toutes ces choses à votre femme. Quittez la vie commune, et prenez la vie des anges; Dieu vous y appelle. Répondez généreusement, et soyez une famille d’anges sur terre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLI (233).- A PIERRE CANIGIANI, à Florence.- De la charité, de ses obstacles et de ses effets.- Des peines qu’éprouvent les partisans du monde.
(Pierre Canigiani, père
du précédent, joua un rôle important dans la république
de Florence, Il en fut l’ambassadeur dans les années 1358, 1365,
1367. Il était très dévoué à sainte
Catherine; sa maison fut brûlée dans l’émeute de 1378,
et il fut condamné l’année suivante à une amende de
deux mille florins.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Père et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1286] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans le vrai et parfait amour, afin que vous soyez revêtu du vêtement nuptial de la parfaite charité. Sans ce vêtement, nous ne pourrons entrer aux noces de la vie éternelle, auxquelles nous sommes invités, mais nous serons chassés et bannis de la vie éternelle, à notre grande confusion. Oh ! quelle confusion pour cette âme qui, au dernier moment de la mort, quand elle devrait goûter les joies de sa patrie, en est privée et bannie par sa faute, parce qu’elle a terminé sa vie sans ce doux et beau vêtement ! Elle sera couverte de confusion en présence de Dieu, devant les anges et les hommes, au fond même de sa conscience, où un ver la rongera toujours, et à la vue des démons même, dont elle s’est faite l’esclave, en les servant avec le monde et la sensualité. La récompense qu’elle en recevra sera la confusion, l’insulte, des supplices et des tourments sans nombre. Elle revoit d’eux ce qu’ils ont pour eux-mêmes; et cela lui arrive parce qu’elle se présente au festin sans la robe nuptiale.
2. Et qui l’en a privée? l’amour-propre, car celui qui s’aime d’un amour sensitif ne peut aimer Dieu et s’aimer d’un amour raisonnable, parce que ces deux amours sont contraires et ne peuvent s’accorder ensemble. O très cher Père, regardez comme ils sont différents, combien est dangereux et pénible l’amour sensitif, et combien est doux l’amour divin ! La différence vient de ce que celui qui s’attache au monde aime et cherche toutes les choses qui peuvent flatter ses sens; il cherche les honneurs, les dignités, les richesses du monde, que le serviteur de Dieu fuit [1287] comme la peste, parce qu’il en a éloigné son cœur et son amour, pour les placer uniquement dans son Créateur, tenant à honneur d’être privé des dignités, des richesses, des jouissances, des plaisirs, et d’être en butte aux persécutions, aux injures du monde et de ses partisans. Il supporte tout avec une vraie et sainte patience, parce qu’il a tout foulé aux pieds de son affection; il est maître du monde, parce qu’il l’a complètement laissé, non pas en partie, mais tout à fait, et si ce n’est pas en réalité, c’est au moins par un saint et vrai désir, l’estimant ce qu’il vaut, et pas davantage, méprisant la sensualité, et la soumettant comme une esclave à la raison.
3. Celui qui s’aime, au contraire, se fait un Dieu du monde, de ses plaisirs et de lui-même. Le temps qu’il devrait consacrer au service de son Créateur, il le dépense en choses vaines et passagères ; il l’emploie pour son corps fragile, qui est aujourd’hui et ne sera plus demain; car c’est une pâture destinée aux vers et à la mort, un amas de corruption. Il aime l’orgueil, et Dieu, l’humilité; il est impatient, et Dieu veut la patience; son cœur étroit ne peut contenir Dieu et le prochain par l’amour, et Dieu est large et généreux. Aussi, les serviteurs de Dieu qui ont la charité divine et qui suivent véritablement la doctrine de Jésus crucifié, sont prêts à donner leur vie pour l’honneur de Dieu et le salut du prochain, tandis que le misérable serviteur du monde est intérieurement rongé par l’envie, la haine et la colère; il est dévoré par le désir de la vengeance, il se plaît dans la fange de l’impureté. Le serviteur de Dieu, au contraire, aime le parfum de la pureté et de la continence, qu’il [1288] cherche à goûter par amour de la vertu, même dans l’état légitime du mariage.
4. Nous voyons qu’en toute chose ces deux amours sont opposés; ils ne peuvent exister ensemble, et l’un chasse l’autre. Aussi nous voyons que quand l’homme se met à considérer sa misère, Je peu de durée du monde et son inconstance, il le hait, et cette haine chasse l’amour; et parce que l’âme ne peut vivre sans amour, elle aime aussitôt ce qu’à la lumière de l’intelligence, elle a vu et connu dans la charité divine; elle a trouvé la grande bonté de Dieu à son égard, la force, la stabilité qu’elle en reçoit; elle voit qu’elle a été régénérée à la grâce dans le sang de l’humble Agneau sans tache, qui, par amour, a lavé la face de l’âme avec son propre sang. Aussi, en se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher d’aimer. La lumière nous est donc bien nécessaire pour connaître l’amour que Dieu nous porte, et les grâces, les bienfaits que nous recevons continuellement de lui. Cet amour rend l’homme reconnaissant et juste envers Dieu et le prochain; comme l’amour-propre le rend ingrat et injuste, parce qu’il attribue à son propre fonds ce qu’il a. Qui nous montre qu’il en est ainsi? son ingratitude, qui se manifeste par ses fautes de chaque jour, comme l’âme montre sa reconnaissance en attribuant à Dieu tout ce qu’elle a, excepté le pêché, qui est un néant. La vertu prouve sa gratitude. Il est donc vrai qu’en toute chose ces deux amours sont différents.
5. Je dis que le serviteur du monde qui s’aime lui-même éprouve de grandes et intolérables peines; car, comme dit saint Augustin, « le Seigneur a permis [1289] que l’homme qui s’aime d’une manière déréglée soit insupportable à lui-même (Conf. L. 1 ch. 12). Il porte la croix du démon; car, s’il acquiert des jouissances, il les acquiert avec peine ; et quand il les a, il les possède avec trouble, avec la crainte de les perdre. S’il les perd, c’est un tourment qu’il supporte avec une grande impatience; et s’il ne peut les avoir, il en souffre, parce qu’il les désire, Il est si aveugle, qu’il perd sa liberté en se rendant le serviteur et l’esclave du péché, du monde, de ses délices et de sa propre faiblesse. Ce sont là les peines générales des partisans du monde; mais combien n’en ont-ils pas de particulières? Nous voyons tous les jours ce que souffrent ceux qui sont au service du démon. Hélas ! pour acquérir l’enfer, ils ne craignent pas la mort corporelle; ils ne redoutent aucune fatigue; et moi, misérable, pour avoir Dieu, pour acquérir Dieu, je ne supporte pas la moindre chose; mon ombre me fait peur. Oui, je le confesse, les enfants des ténèbres couvrent de honte et de confusion les enfants de la lumière, car ils mettent plus de soin, pus de zèle, ils prennent plus de peine pour aller en enfer que les enfants de la lumière pour obtenir la vie éternelle. Combien de fatigues et d’amertume donne ce coupable et misérable amour !
6. Mais, au contraire, le véritable et parfait amour a une telle suavité, une telle douceur, qu’aucune amertume ne peut en détruire le charme. L’amertume, au lieu de la troubler, fortifie l’âme et la rapproche de son Créateur; elle goûte en lui la douceur de sa [1290] charité, parce qu’elle croit d’une foi vive que tout ce que Dieu donne ou permet, c’est toujours pour son bien et sa sanctification. Qui le lui a montré? le sang du Christ, où elle voit, à la lumière de la Foi, que s’il avait voulu autre chose que notre bien, Dieu ne nous aurait pas donné un rédempteur comme le Verbe son Fils, et son Fils ne nous aurait pas sacrifié sa vie avec tant d’amour, en punissant nos iniquités sur son corps. L’amour parfait remplit l’âme de force et de persévérance elle ne tourne pas la tête en arrière pour regarder la charrue, elle ne se scandalise ni pour elle ni pour le prochain; mais elle supporte avec bienveillance et charité fraternelle tous ses défauts. Elle ne s’afflige pas de la perte de se fortune si elle en possède, c’est avec peine; si elle en est privée, elle ne se tourmente pas pour l’acquérir, parce que ses désirs sont réglés sur la volonté de Dieu, à laquelle elle a immolé sa volonté propre c’est cette volonté qui cause nos peines et nos tourments.
7. L’amour aussi la sépare du monde et l’unit intimement à Dieu; il dispose la mémoire à retenir ses bienfaits, il éclaire l’oeil de l’intelligence pour lui faire connaître la vérité dans la doctrine de Jésus crucifié, et il dirige sa volonté pour l’aimer de tout son cœur, avec d’ardents désirs; il règle aussi les moyens du corps, c’est-à-dire que tous ses exercices temporels et spirituels sont inspirés par l’honneur de Dieu et l’amour de la vertu. L’âme alors se trouve avoir répondu à Dieu, qui l’a invitée depuis le commencement de la création jusqu’au dernier moment aux noces éternelles. Elle a, dans sa reconnaissance [1291], revêtu la robe nuptiale de la charité, parce qu’elle s’est dépouillée par la haine, de l’amour sensitif. Elle aime Dieu, elle l’aime d’un amour raisonnable; et ainsi elle se trouve revêtue de la charité : elle ne pourrait autrement parvenir à sa fin.
8. Comme je sais qu’il n’y a pas d’autre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans le véritable et parfait amour; et aussi je veux que vous profitiez de ce temps que Dieu vous a réservé dans sa miséricorde, pour commencer de nouveau à vous dépouiller de vous-même et à vous revêtir de Jésus crucifié. Laissez maintenant les morts ensevelir les morts, et suivez-le en toute vérité. Laissez maintenant pour jamais les tracas du monde, laissez l’inquiétude à qui doit l’avoir, et dérobez le temps nécessaire pour acquérir de solides vertus dans de saints exercices. N’attendez pas le temps, car nous ne sommes pas sûrs de l’avoir. Aimez, aimez Celui qui vous aime d’un amour ineffable; que votre bonheur soit d’être avec les serviteurs de Dieu, et recherchez leur société. Confessez-vous bien souvent; je ne pense pas qu’il soit nécessaire de vous le dire; recevez la sainte Communion à toutes les fêtes solennelles, afin de pouvoir acquérir plus parfaitement le doux vêtement dont je vous ai parlé. Appliquez-vous à élever votre famille dans la sainte crainte de Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1292].
CCXLII (234). — A MATTHIEU, fils de Jean Colombini, de Sienne.- De la vérité que Dieu nous a manifestée en nous créant à son image et ressemblance, pour le posséder lui-même comme le souverain bien.
(La famille des Colombini a donné
à l’Eglise deux saints qui furent contemporains de sainte Catherine.
Le B. Jean Colombini, fondateur des Gesuates, et la bienheureuse Catherine
Colombini, qui établit des religieuses du même Ordre. L’un
mourut en 1366, l’autre eu 1388. Matthieu était leur cousin.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Par cette lumière, vous connaîtrez et vous verrez la vérité, cette vérité qui nous délivre; car en la connaissant nous l’aimerons, et en l’aimant elle nous délivrera de la servitude du péché mortel. Quelle est cette vérité qu’il nous faut connaître? c’est une vérité qui nous vient de l’amour ineffable de Dieu, et nous devons rendre à cette vérité notre dette d’amour et de haine. Comment? en reconnaissant l’éternel et souverain Bien, et l’amour ineffable avec lequel Dieu nous a créés à son image et ressemblance. Il nous a créés pour cette vérité, pour que nous goûtions la félicité parfaite, et que nous rendions [1293] gloire et honneur à son nom. Afin d’accomplir cette vérité en nous, il nous a donné le Verbe, son Fils, et il nous a fait renaître à la grâce dans son sang.
2. Nous devons arriver à cette connaissance en nous y appliquant avec un grand zèle; mais nous ne pouvons l’acquérir sans la lumière, et cette lumière, nous ne pouvons l’avoir avec le nuage de l’amour. propre. Cet amour obscurcit l’oeil de l’intelligence,. et l’empêche de connaître et de discerner la venté; mais il prend le mensonge pour la vérité, et la vérité pour le mensonge; les choses passagères lui semblent être durables et heureuses, tandis qu’elles périssent comme la fleur qui, une fois cueillie, perd sur-le-champ sa beauté. Honneurs, richesses, grandeurs, plaisirs, tout passe comme le vent, tout change; et nous allons de la santé à la maladie, de la richesse à la pauvreté. de la vie à la mort. L’insensé qui s’aime lui-même juge tout le contraire dans son aveuglement, et il agit en conséquence. Qui le montre? l’amour déréglé qu’il a pour lui et pour le monde.
3. Il en est ainsi parce qu’il a perdu la lumière; car s’il avait véritablement la lumière, il saurait que Dieu est le souverain bien, le bien incompréhensible et ineffable que personne ne peut apprécier; car lui seul peut se comprendre et s’apprécier. Il est la souveraine et éternelle richesse, il est le juste et compatissant médecin qui nous donne les remèdes nécessaires à nos maladies. Aussi, le glorieux apôtre saint Paul disait: Quand le genre humain languissait malade, le grand médecin du monde vint guérir nos [1294] infirmités (Rm 5,6). Il soigne chacun selon ses blessures, avec l’ardeur de la charité divine: quelquefois il nous soigne en nous ôtant les choses qui sont nuisibles à notre salut et qui sont un obstacle entre Dieu et nous. Aux uns il enlève leurs enfants, aux autres les biens temporels, à d’autres la santé, à d’autres les honneurs du monde, en les frappant de tribulations nombreuses; et il ne le fait pas par haine, mais par un tendre amour. Il nous prive des vaines jouissances de la terre pour nous donner abondamment les biens du ciel; il est le bon, l’éternel juge, le maître juste, qui rend à chacun ce qui lui est dû. Aussi, tout bien est récompensé, toute faute est punie. C’est en forçant saintement, en domptant notre volonté perverse, c’est par la violence, que nous acquerrons les vraies et solides vertus, et notre peine sera récompensée par des biens immortels. La lumière nous fait connaître la vérité sur le monde, qui n’a en lui aucune stabilité. C’est en vain que se fatigue celui qui dépense sou temps pour le monde; en se faisant un Dieu de ses enfants et de ses richesses, il ne s’aperçoit pas que ces choses lui donnent la mort, et le privent de la vie de la grâce; il semble ignorer que Dieu a permis que l’amour déréglé le rende insupportable à lui-même; il goûte dans cette vie les arrhes de l’enfer, uniquement parce qu’il n’a pas connu la vérité, par la privation de la lumière.
4. Je ne veux pas, très cher Fils, que nous dormions davantage; mais levons-nous avec empressement, et dissipons le nuage de l’amour-propre qui [1295] obscurcit l’oeil de notre intelligence. En le faisant, vous accomplirez en vous la volonté de Dieu et mon désir; car je vois que sans la lumière, nous ne pouvons connaître la vérité, et je désire voir en vous la vraie lumière, afin que vous connaissiez parfaite. ment la vérité; et cette lumière, cette vérité vous rendront constant dans ce que vous avez entrepris avec un louable et saint désir. Ne tardez pas, car vous n’êtes pas sûr d’avoir le temps; mais agissez toujours sans crainte servile, avec une vraie et parfaite espérance, une entière confiance en votre Créateur. Réglez votre vie en toute chose; obéissez à la conscience, et détruisez avec une véritable persévérance tout ce qui n’est pas régulier dans votre vie. Bannissez toute tristesse de votre cœur, et reconnaissez avec une grande joie l’amour ineffable et la plénitude de la divine miséricorde qui a débordé sur vous. Foulez pour jamais le monde sous vos pieds, et répondez à Dieu qui vous appelle, avec un cœur généreux et non mercenaire.
5. Aimez, comme un vrai et bon fils, à purifier souvent votre conscience par la sainte confession, et recourez à. la Communion en temps et lieu convenables. Fréquentez ceux qui craignent véritablement Dieu, et employez votre temps aux veilles et à la prière, autant que vous le pourrez. N’oubliez pas d’assister à l’Office. Que votre imagination et votre intelligence soient toujours pleines de Jésus crucifié, et appliquez-vous à découvrir, non pas les Secrets de Dieu dans ses mystères cachés, mais seulement si volonté, la douceur de sa charité, qui nous aime d’une manière ineffable et ne cherche, ne veut autre [1296] chose que notre sanctification, Reconnaissons aussi nos défauts, pour nous humilier sous la douce et puissante main de Dieu. Quant à l’état du mariage où vous êtes, je vous prie d’en user comme d’un Sacrement, et d’observer avec respect les jours prescrits par l’Eglise. Appliquez-vous, dès maintenant, avec votre femme à vivre de la vie des anges: respirez le parfum de la continence pour en goûter le fruit. Et ainsi vous réglerez doucement votre vie, sans attendre davantage; car, comme je vous l’ai dit, le temps ne nous attend pas. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses douces, ses très douces plaies; et là, dilatez, consumez votre cœur. Gardez-vous de tourner la tête en arrière pour regarder la charrue, car je me plaindrais de vous à l’humble Agneau, et vous n’auriez personne pour vous défendre. Enfantez des vertus, et ne cessez jamais de les concevoir par l’amour dans votre cœur. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1297].
CCXLIII (235).- A PIERRE, fils de Jean Venture, de Sienne.- De la persévérance dans la vertu et des moyens de l’obtenir.
(Ce disciple de sainte Catherine
appartenait à une des premières familles de Sienne; Il fut
ambassadeur de la république en 1392.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir persévérer dans la vertu, parce que, sans la persévérance, tu ne recevras pas la couronne de gloire qui se donne aux vrais combattants. Mais tu me diras: Comment puis-je acquérir cette persévérance? Je te répondrai : On sert la créature autant qu’on l’aime, et pas davantage; le défaut du service vient du défaut de l’amour, et l’on aime autant qu’on se voit aimé.
2. Ainsi, tu vois que l’amour vient en se voyant aimé, et c’est l’amour qui te fera persévérer. Autant tu ouvriras l’oeil de ton intelligence pour regarder le feu et l’abîme de l’ineffable charité de Dieu envers toi, cet amour infini qu’il t’a montré par le Verbe, son Fils, autant tu seras forcé par l’amour à l’aimer en vérité, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, généreusement et purement, sans penser à ton intérêt. Tu vois que Dieu t’aime pour [1298] ton bien et non pour le sien, car il est notre Dieu, qui n’a pas besoin de nous; et toi aussi, comme toute créature raisonnable, tu dois aimer Dieu pour Dieu, en tant qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté; tu ne dois pas l’aimer pour ton utilité, et tu dois aimer le prochain à cause de lui. Dès que tu as pris pour principe, pour fondement l’ardeur de la charité, tu commences à le servir par le moyen de la vertu.
3. Oui, c’est avec la lumière et l’amour que tu acquerras la vertu, et que tu pourras y persévérer. Mais remarque qu’en voyant que tu es aimé de Dieu, il faut voir aussi ta faute et ton ingratitude, et t’en repentir dans une sainte connaissance de toi-même, afin de ne pas oublier la chère vertu de l’humilité véritable, et de ne pas tomber dans la présomption et la bonne opinion de toi-même. Sais-tu combien il est nécessaire de connaître et de pleurer nos fautes pour conserver et augmenter la vie de la grâce dans nos âmes? autant que la nourriture corporelle est nécessaire pour conserver la vie du corps. Ecarte donc le nuage de l’amour propre, afin qu’il ne t’ôte pas la lumière. Et alors tu auras cette connaissante parfaite, inséparable de l’amour et de la haine; et dans l’amour, tu trouveras la vertu de la persévérance. Tu accompliras ainsi la volonté de Dieu et mon désir en toi. Cette volonté, ce désir, c’est de te voir croître et persévérer jusqu’à. la mort dans les vraies et solides vertus.
4. Et prends garde d’avoir confiance en toi-même, car cette confiance est un vent perfide, qui vient de l’amour-propre. Tu faiblirais aussitôt, et tu tournerais la tête en arrière pour regarder la charrue; et [1299] comme l’amour de Dieu acquis dans l’humble connaissance de toi-même te fait persévérer dans la vertu, de même l’amour-propre, qui te fait estimer toi-même, te prive de la vertu et te fait tomber et rester dans le vice. Fuis, mon Fils, fuis le vent subtil de cette confiance en toi-même. Va te cacher intérieurement dans le côté de Jésus crucifié; et là, applique ton intelligence à regarder le secret du cœur. Ton amour s’enflammera, en voyant qu’il a ouvert son corps pour t’y offrir un refuge contre les coups de tes ennemis, pour que tu puisses t’y reposer et apaiser ton âme dans l’ardeur de la charité; là aussi tu trouveras la nourriture, car tu vois bien qu’il t’a donné sa chair pour, nourriture et son sang pour breuvage. La victime a été préparée sur la Croix, au feu de la charité, et sur la table de l’autel tu trouves l’Homme-Dieu tout entier. Que la dureté de nos cœurs se brise donc maintenant, et que notre âme s’amollisse pour recevoir la doctrine de Jésus crucifié.
5. Je veux que maintenant vous commenciez,
toi et mes autres Fils négligents, à devenir semblables au
Verbe incarné, à ce petit Enfant que nous présente
aujourd’hui la sainte Eglise. Qu’est-ce qui peut plus confondre notre orgueil
que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme? la hauteur de la
Divinité descendue à la bassesse de notre humanité?
Quelle en
est la cause? l’amour. L’amour le
fait habiter dans l’étable, au milieu des animaux; l’amour lui fait
aimer les opprobres, revêtir la souffrance, supporter la faim et
la soif; l’amour le fait courir avec une prompte obéissance jusqu’à
la mort honteuse de la Croix; l’amour le fait descendre aux enfers, et
dépouiller [1300] les limbes pour récompenser pleinement
ceux qui l’avaient servi en vérité, et qui attendaient depuis
si longtemps leur délivrance. C’est par amour aussi qu’il s’est
laissé à nous en nourriture. L’amour, après l’Ascension,
a envoyé le feu de l’Esprit-Saint, qui nous a éclairés
par sa doctrine qui est la voie véritable; l’amour nous donne la
vie, nous tire des ténèbres et nous donne la lumière
dans l’éternelle vision de Dieu; l’amour a fait toute chose. L’homme
doit donc rougir et mourir de honte de ne pas aimer, de ne pas reconnaître
tant d’amour. N’est-il pas déplorable d’avoir du feu, et de se laisser
mourir de froid? d’être près de la nourriture, et de se laisser
mourir de faim? Ah ! prenez, prenez votre nourriture, le Christ, le doux
Jésus crucifié; il n’y a que ce moyen pour être constants
et persévérants. Et c’est la persévérance qui
est couronnée, nous l’avons dit;
sans elle, l’âme sera couverte,
non pas de gloire, mais de confusion. c’est pour cela que je vous ai dit
que je désirais vous voir constants et persévérants
dans la vertu. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte
et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1301].
CCXLIV (236). — A RENAUD DE CAPOUE, esprit distingué de Naples, qui étudie les mystères de Dieu et de la sainte écriture.- De la lumière de la foi. nécessaire pour ne pas se tromper.- De ses effets dans l’âme.
(Ce Renaud de Capoue était
peut-être parent du bienheureux Raymond.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir, en vous la vraie et parfaite lumière, c’est-à-dire la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres, et il nous arriverait malheur. Il faut donc avoir la lumière. Voyons ce qui la donne, ce qui l’ôte, ce qui fait que l’âme a en elle cette lumière, et le fruit qu’elle en retire.
2. Si nous considérons bien comment se perd la vue du corps, nous voyons qu’elle se perd par le glaive qui frappe l’oeil ou par la pierre, la terre ou l’objet qui le blesse, ou encore par une chaleur déréglée, comme il arrive à ceux qui sont aveugles par la chaleur et l’éclat d’un bassin qui dessèche la prunelle (À Constantinople, et au moyen âge, on forçait ceux qui étaient condamnés à perdre la vue, à fixer leur regard sur un bassin de bronze rougi au feu. L’éclat et la chaleur leur paralysait les yeux sans les défigurer. L’empereur Manuel fit subir ce supplice à Henri Dandolo, ambassadeur de Venise à Constantinople.). On perd ainsi la lumière corporelle, il en [1302] est de même de la vue de l’intelligence qu’aveuglent la chaleur et l’éclat, la chaleur de l’amour-propre et l’éclat de la vaine gloire. Quel glaive la blesse? la haine de la vertu. Et les pierres sont les vices, dont la main du libre arbitre aveugle l’intelligence en rendant l’homme infidèle à Dieu, et fidèle au monde. La même main jette la terre dans l’oeil; car aussitôt que l’intelligence s’attache à la terre, la nuit arrive, et l’âme est toujours dans les ténèbres. II y a bien des causes qui nous privent de la lumière, mais celles-ci sont les principales.
3. Quel est le moyen de fuir les ténèbres, et d’acquérir la lumière. Je dis que l’homme peut retrouver la lumière de la même manière qu’il l’a perdue, non par le même sentiment, mais par le même acte et avec la même main du libre arbitre, de ce libre arbitre que ni le démon ni les créatures ne peuvent enchaîner, si nous ne le voulons pas, en l’enchaînant par notre volonté propre. Et quel est ce bassin brûlant que nous devons placer devant les yeux de notre intelligence? C’est Jésus-Christ, qui, dans le bassin de notre humanité, entretient une grande chaleur, et nous montre le feu et l’abîme de l’ineffable charité de Dieu, avec l’éclat de la nature divine unie et mêlée au feu et à notre nature. Cet objet, ce doux Verbe, Jésus crucifié, jette tant de chaleur et de lumière qu’il dessèche l’humidité de l’amour-propre, dissipe les ténèbres par sa lumière, et l’âme reçoit une lumière surnaturelle répandue dans l’intelligence[1303].
4. Aussitôt que la lumière est dans l’âme, elle commence à éloigner d’elle ce qui ôte la lumière, et elle prend ce qui la donne; puis elle saisit le glaive de la haine du vice et les pierres de l’amour de la vertu pour en frapper sa vue, c’est-à-dire qu’elle fixe ses regards sur les vertus, et qu’elle voit leur excellence, combien elle sont agréables à Dieu, et combien elles lui sont utiles à elle-même. Et aussitôt qu’elle le voit, s’élèvent comme un vent léger la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes et le désir de suivre la doctrine de la vérité. Ce désir est un vent léger qui enlève la terre de l’oeil, et le purifie par d’humbles et continuelles prières; et par ces prières, l’âme attire sur elle la clémence du Saint-Esprit, qui dirige son affection dans un amour bien réglé. Cette affection attire le ciel et la terre, c’est-à-dire le prochain, qu’il faut regarder avec les yeux de la Foi pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, et qu’il faut assister dans ses nécessités corporelles autant qu’on le peut. C’est ainsi que le libre arbitre, en changeant d’affection, retrouve sa lumière.
5. Il y a beaucoup d’autres moyens, mais ce sont là les principaux... Voyons maintenant ce que fait la lumière de la Foi dans l’âme. Elle y fait naître l’amour; elle l’a conçu dans la doctrine de Jésus crucifié, et elle le nourrit dans la charité du prochain. Sans cette charité, son amour périrait, parce que l’amour du Créateur ne peut exister et se conserver sans l’amour de la créature pour Dieu. Aussi je vous ai dit que la lumière enfante l’amour, car on n’aime une chose qu’autant qu’on la connaît; et on la connaît autant qu’on la voit, et on la voit aussi parfaitement [1304] que la lumière est parfaite. L’amour et la lumière se nourrissent ensemble comme la mère nourrit son enfant sur son sein, et l’enfant, lorsqu’il a grandi, nourrit sa mère par son travail; ils se soutiennent mutuellement. De même le fils de la divine charité nourrit la lumière, et donne à l’âme de doux, de tendres et ardents désirs en la présence de Dieu. Elle suit les traces de Jésus crucifié, elle s’entoure d’une humilité véritable, se glorifie des opprobres de Jésus crucifié; et dans toutes ses peines, elle se réjouit de souffrir corporellement et spirituellement elle est toujours patiente, quelles que soient les épreuves que Dieu lui envoie. Et qui la fait agir ainsi? la Foi. Car c’est à sa lumière qu’elle connaît dans le sang du Christ que Dieu ne veut, pas autre chose que notre sanctification, et qu’il ne nous donne les tribulations, les consolations, les tentations que dans le but de nous voir sanctifiés en lui. Ainsi le fidèle est patient; il ne peut et ne doit pas se plaindre de son bien.
6. Cet humble fidèle ne cherche pas à pénétrer les secrets mystères de Dieu, en lui ou dans les autres, et à comprendre les choses visibles et invisibles; mais il cherche seulement à se connaître lui-même, à comprendre, à voir en tout l’éternelle volonté de Dieu, goûtant intérieurement l’ardeur de sa charité. Il ne veut pas s’élever comme le superbe ou le présomptueux, qui, avant de se connaître et de vouloir entrer dans la vallée de l’humilité, prétend examiner la conduite de Dieu, disant et pensant: Pourquoi Dieu agit-il ainsi ? Pourquoi ne pas plutôt agir de telle manière? Pourquoi m’a-t-il donné ce qu’il ne donne pas à un autre? Ce présomptueux voudrait [1305] faire des lois à Dieu, tandis qu’il devrait connaître et admirer dans tout ce qu’il voit sa grandeur et sa bonté, comme le fait l’humble fidèle, qui sait voir en toute chose Sa grandeur, sa puissance et sa bonté infinies.
7. Il y en a beaucoup qui, sans humilité et sans application à connaître leurs défauts, subtiliseront et voudront, avec l’oeil obscurci de leur intelligence, comprendre la sainte Ecriture et pénétrer sa profondeur; ils voudront l’expliquer et la comprendre à leur manière; ils étudieront l’Apocalypse, non pas avec humilité et avec la lumière de la Foi, mais avec orgueil et en s’égarant dans des difficultés dont ils ne peuvent sortir. Ils tirent ainsi de la vie la mort, et de la lumière les ténèbres. L’âme qui devait être pleine de Dieu est remplie de fantômes, et le fruit qu’elle acquiert n’est que confusion et ténèbres. Cela lui arrive parce qu’au lieu de descendre, elle a voulu monter. Quelle honte pour nous de ne pas encore nous connaître nous-mêmes ! Je n’observe pas les lois qui me sont imposées, et je veux en donner à Dieu et connaître tous ses secrets ! Si nous voulons voir les étoiles de ses mystères, descendons dans l’abîme d’une humilité profonde: ainsi fait le fidèle qui se jette à terre pour reconnaître sa bassesse; et alors Dieu l’élève. Il ne va pas chercher comment les choses peuvent être, parce que la sainte Foi lui fait voir clairement que c’est le démon ou la passion qui lui inspirent ses doutes. Il se regarde dans le miroir de la prière continuelle, en se regardant sans cesse dans la vérité; et la vérité lui inspire un saint et vrai désir qui lui fait offrir l’encens d’une humble [1306] prière. Cette Foi rend le cœur sincère, et lui fait confesser ses fautes simplement; il ne les cache pas par honte ni par crainte de la peine, mais il les confesse par haine de la faute, et pour se purifier de toute souillure; il n’est arrêté ni par peur des reproches, ni par aucune autre considération. Voilà ce que fait la Foi.
8. Voyons maintenant quel fruit elle nous donne. En ce monde elle nous donne la plénitude de la grâce, et dans l’autre la vie éternelle. Et comment Dieu nous en fait-il jouir? par l’espérance. Par quelle vertu? par la vertu du sang de l’humble Agneau. C’est cette humble espérance qui n’espère pas en ma propre vertu, et ne désespère pour aucune des fautes ou l’âme est tombée; mais elle espère dans le Sang, et chasse le désespoir, en jugeant la miséricorde de Dieu, qu’elle trouve dans le Sang, plus grande que sa misère.
9. O Espérance ! douce sœur de la Foi, tu es celle qui, avec les clefs du Sang, ouvre la vie éternelle. Tu gardes la cité de l’âme contre l’ennemi de la confusion; tu ne ralentis point tes pas lorsque le démon, par le poids des fautes commises, veut troubler l’âme et la porter au désespoir; mais tu persévères généreusement dans la Vertu, en mettant dans la balance le prix du Sang; tu places la couronne de la victoire sur la tête de la persévérance, parce que tu espères ravoir par la vertu du Sang. Tu as celle qui enchaînes le, démon de la confusion dans les liens d’une foi vive; tu réponds à toutes les perfidies dont il use contre l’âme pour la tenir dans les ténèbres et l’agitation [1307].
10. Il arrive quelquefois que l’âme aura confessé sincèrement sa faute, qu’elle n’en aura rien caché volontairement t le démon, cependant, pour embarrasser l’esprit et empêcher l’âme de recevoir avec amour le fruit de la confession, voudra lui faire croire qu’elle ne s’est pas bien confessée de ses fautes. Il lui dira: Tu n’as pas dit toutes tes fautes, et celles que tu as dites, tu ne les as pas expliquées comme tu le devais. Il jette ainsi dans l’âme des pensées qui la font souffrir. Si l’âme alors n’écoute pas la prudence et l’espérance, elle reste dans la tiédeur, la crainte, le trouble et les ténèbres; elle entrave ses saints désirs et se condamne à la confusion; elle se prive de toute joie, et devient insupportable à elle-même.
11. Quel est le moyen d’empêcher qu’elle ne tombe alors dans le désespoir? Il n’y en a pas d’autre que d’examiner sa conscience à la lumière de la Foi, et de voir si c’est volontairement et par malice qu’elle ne s’est pas purifiée du poison du péché par la confession. Qu’elle se confesse avec humilité d’avoir dit ses fautes imparfaitement, de ne pas les voir accusées autant qu’elle le pouvait; mais que cette confession soit appuyée par l’espérance du sang de Jésus-Christ, dont le mérite peut suppléer à ce qui lui manque. Un autre moyen est de regarder à la lumière combien Dieu l’aime d’un amour ineffable. Cet amour ne méprise pas le témoignage d’une bonne conscience, et il ne souffrirait pas qu’il restât dans l’âme quelque chose qui lui déplût. Avec cette foi, cet amour, cette espérance, elle s’abîme dans la miséricorde de Dieu, se méfiant d’elle-même, et se confessant avec une [1308] grande simplicité de cœur; mais qu’elle ne se tourmente pas davantage, qu’elle ne pense plus à elle, pour penser à la miséricorde que Dieu a montrée et montre toujours à son égard. Et si le combat et les tentations reviennent toujours, qu’elle méprise la peine qu’elle en éprouve, et qu’elle y trouve seulement un moyen de s’humilier, de se connaître et de pratiquer la vraie et parfaite espérance, pensant qu’en souffrant et en suivant le chemin de la Croix, elle sera plus agréable à Dieu que par tout autre moyen, et qu’elle recevra plus abondamment le fruit du précieux Sang. C’est là, très cher Frère, le remède que Dieu vous donne contre votre faiblesse. Ainsi, nous avons vu ce qui ôte la lumière et ce qui la rend; nous avons vu ce que fait la Foi, comment elle abat l’orgueil et détruit la présomption, et le fruit que porte la Foi, c’est-à-dire l’espérance.
12. Puisque nous l’avons vue, d’une manière bien imparfaite sans doute, je vous en supplie et je vous en conjure par l’amour de Jésus-Christ, suivons cette lumière glorieuse, pour traverser les orages de cette vie avec une ferme espérance et une vraie connaissance de nous-mêmes. Foulons aux pieds notre volonté et nos opinions avec une humilité sincère; cherchons à nous revêtir des vrais et solides vertus par la doctrine de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous avez en vous la lumière de la Foi, vous le ferez, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désire voir en vous cette douce lumière, et je vous prie de vous appliquer à l’acquérir. Pensez que Dieu est plus disposé à pardonner que vous ne l’êtes à pécher. Espérez, et soyez fidèle au sang, à la [1309] sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLV (237).
— Au COMTE DE CONTI, de Florence, qui aspire à la perfection.-
De la lumière de la sainte Foi, sans laquelle aucune œuvre ne peut
être parfaite.- De ses effets.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
(Ce, disciple de sainte Catherine de Sienne était aussi très lié avec le bienheureux Jean des Cellules de Vallombreuse, qui lui adressa deux lettres sur les vertus de notre sainte. Le comte de Conti s’occupait spécialement d’assister les pauvres prisonniers.)
1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière nous montre la voie de la vérité; et sans elle nos exercices, nos désirs et nos œuvres seraient sans utilité, sans perfection, et n’atteindraient pas le but que nous nous sommes proposé; mais toute chose serait imparfaite, et nous serions engourdis pour la charité de Dieu et du prochain. La raison de ceci est que la foi est la mesure de l’amour-propre, et l’amour celle de la foi. Celui qui aime est [1310] fidèle à celui qu’il aime, et le sert fidèlement jusqu’à la mort. O très cher Fils ! c’est cette lumière qui conduit l’âme au port du salut; elle la tire de la fange de la misère et dissipe en elle tous les ténèbres de l’amour-propre, parce qu’elle lui fait connaître combien cet amour déplaît à Dieu et nuit à son salut; alors elle se lève avec haine, et le chasse bien loin.
2. Avec une foi vive, l’âme connaît que toute faute est punie et tout bien récompensé; et alors elle embrasse la vertu et déteste le vice, elle met tous ses soins à être constante et persévérante jusqu’à la mort, et la lumière est en elle si parfaite, que ni le démon, ni les créatures, ni la chair fragile ne peuvent lui faire détourner la tête. Cette perfection s’acquiert par un long exercice, par l’ardeur du désir et par une profonde humilité. Cette humilité, l’âme l’acquiert dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par le moyen d’une humble et continuelle prière, au milieu des combats du démon et des tentations des créatures, de la volonté perverse et de la chair, qui combat toujours contre l’esprit. Elle résiste à tout avec la lumière de la très sainte Foi; et avec cette lumière, qu’elle puise dans la doctrine du Verbe, elle se passionne pour les souffrances et les peines que Dieu lui envoie, et elle ne choisit jamais le lieu, le moment, la manière de souffrir; elle s’en rapporte à l’éternelle Vérité, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification.
3. Mais pourquoi Dieu permet-il ces fatigues et ces révoltes? pour éprouver en nous la vertu, pour qu’à la lumière, nous connaissions notre imperfection et [1311] le secours que l’âme reçoit de Dieu dans les combats dans les peines, et pour que nous comprenions l’are deur de sa charité dans cette volonté, que Dieu conserve bonne dans l’âme au milieu des ténèbres, des tentations et des peines. Par cette connaissance, a acquise au moment de l’épreuve, l’âme quitte la foi imparfaite, et arrive à la foi parfaite au moyen de l’expérience qu’elle a trouvée lorsqu’elle était encore dans le chemin de l’imperfection. Cette lumière délivre notre esprit de toute confusion; elle sert non seulement pendant le combat, mais aussi quand l’homme tombe dans le péché mortel. Quel que soit ce péché, la Folle relève, parce qu’à ma lumière il regarde la clémence, l’ardeur, l’abîme de la charité de Dieu. Il étend les bras de l’espérance pour recevoir et saisir le fruit du Sang, où il trouve ce doux et tendre feu par une contrition parfaite, en s’humiliant devant Dieu et devant le prochain pour Dieu, s’estimant le plus petit et le plus vil de tous les hommes. Il détruit ainsi la faute dans son âme par la contrition et l’espérance du Sang, où il est parvenu par la lumière de la Foi, Et de cette manière il parvient à une telle perfection, à un tel amour de la charité divine, qu’il peut dire, avec saint Grégoire: O l’heureuse et bienheureuse faute, qui nous a mérité un tel Rédempteur.
4. La faute d’Adam a-t-elle été heureuse? Non; mais le fruit que nous recevons à cause d’elle a été heureux. Dieu a revêtu son Fils de notre humanité et l’a chargé de rétablir le genre humain dans la grâce, et le Fils, tout transporté d’amour, a couru le faire au prix de son sang. Il en est de même pour [1312] l’âme: sa faute n’est pas heureuse, mais le fruit qu’elle trouve dans la charité est heureux, lorsqu’elle se corrige vraiment et parfaitement avec la lumière de la Foi, comme nous l’avons dit. Et parce qu’elle augmente dans la connaissance d’elle-même et dans l’humilité, elle court, toute joyeuse, à l’obéissance des commandements de Dieu. Elle reçoit avec haine et amour le joug sur ses épaules, et aussitôt elle court, toute transportée, donner sa vie, s’il le faut, pour le salut des âmes, parce qu’elle a vu à la lumière que l’amour et les grâces qu’elle a trouvées en Dieu, elle ne peut le lui rendre. Elle peut bien lui rendre l’amour, mais non pas les services qu’elle reçoit de la grâce de Dieu, car Dieu n’a pas besoin de nous; mais elle peut faire pour le prochain ce qu’elle ne peut faire pour Dieu; et il est bien véritable qu’en servant ainsi le prochain charitablement, nous montrons en lui l’amour que nous avons pour l’éternelle et souveraine Vérité. C’est cette charité qui prouve si les vertus sont véritablement ou non dans l’âme; car alors l’âme obéit avec zèle, sa volonté enchaînée accomplit la volonté de Dieu dans le prochain, et ne se laisse arrêter par aucune peine, aucun obstacle, jusqu’à la mort.
5. Avec cette lumière, l’âme
goûte les arrhes de la vie éternelle; elle se nourrit par
l’amour sur la poitrine de Jésus crucifié, elle se réjouit
de dérober ainsi les vertus, la vie et la perfection des heureux
habitants du ciel, pendant son pèlerinage de la terre. La Foi lui
donne la clef du Sang, qui ouvre la vie éternelle; la Foi ne se
confie pas en elle-même, mais
dans son Créateur; elle ne
cède pas au vent de l’orgueil [1313] et de la présomption;
car l’orgueil, la présomption, l’impureté et les autres vices
sont les fruits de l’infidélité envers Dieu et de la confiance
que nous avons en nous-mêmes. C’est là un ver qui se cache
sous la racine de l’arbre de notre âme; et si l’homme ne le tue pas
avec le glaive de la haine, ce ver ronge et le fait pencher, ou le renverse
à terre, si l’arbre l’âme ne s’y oppose pas par son zèle
et son humilité. Souvent l’homme est si aveuglé par l’amour-propre,
qu’il ne voit pas ce ver, qui est caché; et alors Dieu permet les
combats et les persécutions. Il permet que l’arbre penche, et quelquefois
qu’il tombe; mais il ne permet pas que sa volonté se corrompe, il
laisse seulement son libre arbitre s’égarer pour un temps, afin
qu’en revenant à lui-même il soit humilié par cette
connaissance. En s’humiliant à cette lumière, qu’il cherche
ce ver, et qu’il prenne le glaive de la haine pour le tuer. Cette âme
n’a-t-elle pas raison de se réjouir et de remercier Dieu de lui
avoir fait voir et trouver en elle ce qu’elle ne connaissait pas? Si, assurément.
Ainsi, de toute manière, mon très cher Fils, dans quelque
état que l’homme se trouve, qu’il soit juste ou pécheur,
qu’il soit tombé ou qu’il se relève, il a toujours besoin
de cette lumière. Quel inconvénient y a-t-il à ne
pas l’avoir? Il serait trop long de te l’expliquer; il suffit de ce que
j’ai dit. Mais, pour te faire connaître combien il est utile et doux
de la posséder, la langue ni la plume ne pourraient jamais y parvenir.
Que Dieu te le fasse éprouver dans son infinie miséricorde.
Je voudrais qu’il en fût ainsi, et c’est pourquoi je t’ai dit que
je désirais voir en toi la lumière de la très sainte
Foi [1314].
6. Je suis bien étonnée des lettres que tu as envoyées à Barduccio. Je ne veux pour aucune raison que tu quittes la. compagnie de tes Frères en Jésus-Christ. Garde-toi bien de vouloir entrer dans un Ordre religieux et de te troubler l’esprit; mais humilie-toi, soumets-toi au plus petit, et ne cesse pas cependant de communiquer aux autres les vérités que Dieu te fait connaître. Mettons-nous donc à nous servir des remèdes dont nous avons parlé, pour que le démon de la tristesse et de la confusion n’attaque pas notre âme, et qu’elle ne devienne pas pire qu’elle n’était, ce qui serait bien offenser Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLVI (238).- A LOUIS, fils de messire Louis Gallerani de Sienne, à Asciano.- De la force et de la persévérance qu’on acquiert en s’appuyant sur la sainte Croix.
(Louis Gallerani comptait parmi
ses nobles ancêtres le bienheureux André Gallerani, fondateur
de l’hospice de la Miséricorde, et le premier tertiaire de l’Ordre
de Saint-Dominique; il avait reçu l’habit du bienheureux Ambroise
Sansedonio. (Voir sa conversion et sa vie dans les Bollandistes, 20 avril.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1315] des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, avançant avec courage, sans vous détourner pour éviter les coups, mais marchant toujours devant vous avec une vraie et parfaite persévérance. Vous savez bien que ce n’est pas en commençant, mais en persévérant, qu’on obtient la couronne; et si vous avez peine à persévérer sur le champ de bataille, prenez, mon très cher Frère dans le Christ Jésus, prenez l’étendard de la sainte Croix; c’est une colonne inébranlable où s’est reposé l’Agneau immolé pour nous. Sa force est si grande, qu’elle détruit toute faiblesse, et fortifie tellement le cœur de l’homme, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le vaincre, s’il ne le veut pas lui-même; et je ne m’en étonne pas, car c’est cette force de l’amour qui le tenait lié et cloué sur le bois de la très sainte Croix. Je vous conjure de vous y attacher, afin que vous ne puissiez plus retourner en arrière. C’est là que vous trouverez le fondement de toutes les vertus, c’est là. que vous trouverez l’Homme-Dieu, par l’union de la nature divine avec la nature humaine; vous y trouverez l’abondance de la divine Charité, qui a tiré l’humanité des mains du démon, avec lequel elle vivait comme une adultère. O très doux amour Jésus ! avec votre main désarmée, percée et clouée sur la Croix, vous avez défait tous nos ennemis ! Il est venu comme notre paix, pour réconcilier l’homme avec Dieu. Saint Paul disait: «Je suis l’envoyé du Christ vers vous, et je vous supplie, mes très chers Frères, de vous réconcilier et de faire votre paix avec lui, parce [1316] qu’il est venu pour être le médiateur de la paix entre Dieu et l’homme (Co 5,20). »
2. O doux Jésus, il est bien vrai que vous êtes notre paix, le calme, le repos de la conscience. Aucune amertume, aucune tristesse, aucune privation ne peuvent affliger l’âme où vous habitez par la grâce; il est bien simple qu’elle possède la joie suprême, et la richesse véritable, car en Dieu qui est la joie suprême, on ne trouve ni tristesse ni amertume. Il est la souveraine richesse, qui ne peut jamais se perdre, et que les voleurs ne peuvent ravir. Je vous en supplie donc de toute mon âme, employez bien le temps qui vous est laissé; c’est une grande consolation de vivre saintement. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez un vrai chevalier, ne reculant jamais, toujours fidèle à vos saintes résolutions, toujours armé des vraies et solides vertus, vous appuyant sur la colonne de la sainte Croix, qui vous défendra de toutes les morsures et les attaques du démon ou des créatures qui veulent vous détourner de la vertu. N’écoutez pas et ne croyez pas les créatures qui veulent combattre vos saintes résolutions; mais recourez souvent à la confession, et fréquentez ceux que Dieu vous a fait la grâce de connaître. Je finis. Plongez votre mémoire dans le précieux Sang, et souvenez-vous de frère Barthélemi et de Néri; recommandez-les, avec moi, à messire Bérenger. Demeurez dans la sainte paix de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour [1317].
CCXLVII (239).- A VANNI ET FRANÇOIS, fils de Nicolas de Buonconti, de Pise.- De la sainte crainte de Dieu, et de l’horreur du péché.
(Nicolas de Buonconti eut quatre
fils, qui furent tous disciples de sainte Catherine. Elle demeura dans
leur maison pendant son séjour à Pise, et se lia d’affection
avec leur mère Natta. (Voir les lettres CCCXXXVIII, CCCCXXXIX, CCCXL.))
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1.Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi. Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir ses véritables enfants, vivant toujours dans la sainte crainte de Dieu, et de telle manière, que non seulement vous ne méprisiez pas le sang du Christ, mais que vous ayez aussi en horreur et dégoût les souillures du péché mortel, qui a été cause de la mort du Fils de Dieu. Il est bien coupable, celui qui livre son corps à de telles iniquités, à de telles impuretés, après avoir connu l’union parfaite que Dieu a contractée avec l’humanité. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi pour vous, mes très chers. Frères, pour toi surtout, Vanni. Il faut vivre maintenant autrement que tu ne l’as fait par le passé. Considère ton âme et la brièveté du temps; pense que tu dois mourir, et que tu ne sais pas quand. Quelle chose affreuse, si la [1318] mort te trouvait en péché mortel, si pour une triste jouissance tu perdrais ce bien, ce bonheur d’avoir Dieu dans ton âme par la grâce, et ensuite de posséder cette vie éternelle qui ne doit jamais finir! Oui, je vous invite tous les trois à sacrifier votre vie et à vous préparer à mourir pour Jésus crucifié, s’il le faut; et, afin de vous y préparer, je veux que vous soyez vertueux, que vous vous confessiez souvent, et que vous aimiez toujours à entendre la parole de Dieu. Comme le corps ne peut vivre sans nourriture l’âme aussi ne peut vivre sans la nourriture de la parole de Dieu et sans la confession. Evitez les mauvaises compagnies, parce qu’elles seraient un grand obstacle à votre sainte résolution. Je ne vous en dis pas davantage, très chers et très doux Frères dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLVIII (240).- A SIRE CHRISTOPHE de Gano Guidini.- De l’état parfait ou nous appelle le Père céleste.
(Cette lettre a été
trouvée dans les mémoires de Christophe Gano, conservés
dans les archives de l’hospice de la Scala, à Sienne. Ce disciple
de sainte Catherine était notaire. et prit part au gouvernement
de sa patrie, en 1383 et 1384. Il avait pensé à entrer en
religion, mais les instances de sa mère le décidèrent
au mariage, où il vécut très saintement. Devenu veuf,
il revêtit l’habit des frères de l’hôpital de Sainte-Marie,
et mourut dans les bras du bienheureux Etienne Maconi. Il laissa plusieurs
écrits, parmi lesquels se trouve la vie du B. Jean Colombini.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Frère et le Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1319] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un de ses fils véritables, accomplissant toujours fidèlement ce que recommande le vrai Père céleste, lorsqu’il dit: « Celui qui n’abandonne pas son père, mère, ses sœurs, ses frères, et qui ne se quitte pas lui-même, n’est pas digne de moi. » Il semble qu’il nous appelle à ce renoncement, et je pense que nous ne devons pas nous en éloigner sous prétexte d’un devoir de conscience. Cette raison de conscience vient plutôt du démon que de Dieu. L’ennemi veut empêcher l’état parfait auquel le Saint-Esprit semble vous appeler. Si vous me dites Dieu me commande de leur obéir, cela est vrai, pourvu qu’ils ne vous détournent pas de la voie de Dieu; et s’ils sont un obstacle, nous devons passer sur leurs corps, et suivre le vrai Père avec l’étendard de la très sainte Croix.
2. Hélas, mon doux Frère dans le Christ Jésus, je m’afflige de ta résistance; tu ne connais pas la perfection de cet état, et il me semble que ta conscience devrait plus se troubler d’y renoncer que de le suivre. Mais, puisqu’il en est ainsi, je prie la souveraine et éternelle Vérité d’étendre sa très sainte main sur toi, et de te diriger dans l’état qui doit lui plaire davantage. Je t’en conjure, en tout état et dans toutes tes œuvres, fixe tes regards sur Dieu, et [1320] cherche toujours son honneur et le salut de ma créature; n’oublie jamais le prix du sang de l’Agneau, qui a payé pour nous avec tant d’amour. Quant au choix d’une épouse, je vous répondrai qu’il m’est pénible de m’en occuper; cela regarde plutôt les séculiers que moi. Je ne puis pas cependant m’opposer à votre désir; et, en examinant les conditions des trois, je les trouve toutes bonnes. Si vous ne vous sentez pas de répugnance à épouser celle qui a déjà été mariée, faites-le, puisque vous voulez encore vous engager dans les embarras de ce siècle pervers. Si vous ne la prenez pas, prenez celle de François Ventura de Camporeggi. Je finis en priant la suprême et éternelle Charité de vous donner ce qui doit être le plus utile à son honneur et à votre salut; qu’elle répande sur vous deux la plénitude de sa grâce, et sa souveraine et éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLIX (241). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise, la première fois.- De l’amour que Dieu nous a montré dans la rédemption de nos âmes.
(Sano est le diminutif toscan
d’Ansano, et Maco, celui de Jacomo. On ignore le nom de famille de ce disciple
de sainte Catherine. Cette lettre est de 1375)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux Sang qu’il a répandu sur l’arbre de la très sainte Croix; il n’y avait pas d’autres liens que l’ardente charité qu’il avait pour sa créature. La douce Vérité suprême l’a dit elle-même: C’est à cause de l’infinie charité que Dieu avait pour la nature humaine, que le Père céleste a envoyé son Fils unique et bien-aimé pour empêcher la créature de périr, et pour sauver le monde par son moyen (Eph 2,4). O ineffable et infinie charité de Dieu, qui, pour sauver le rebelle qui lui avait désobéi, se livra lui-même pour être créature, pour être méprisé, outragé, maltraité, et enfin livré à une mort honteuse comme un malfaiteur. Il n’avait rien fait et rien dit qui fût digne de blâme; nous avions commis la faute, et il en a porté la peine par amour pour nous.
2. Vous m’avez bien aimé, très doux amour Jésus, et vous apprenez combien je dois m’aimer moi-même et aimer mes frères; vous nous avez tant aimés sans voir besoin de nous, comme nous avons besoin de vous. Oui, très cher et bien-aimé Frère et Fils dans e Christ Jésus, il faut que toujours nos âmes soient avides de se nourrir des âmes de nos frères. Aucune autre nourriture ne doit tant nous plaire que de les servir avec zèle; il faut nous réjouir de souffrir les peines et les tribulations pour l’amour du prochain ce fut la nourriture de notre doux Sauveur, et c’est elle aussi que notre Sauveur nous invite à prendre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1322].
CCL (242). —
A
SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise. - De la
force et de la paix qu’on trouve dans la Croix.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1.Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant fortement contre toutes les illusions du démon; car nous sommes sur ce champ de bataille où nos ennemis nous attaquent de toute part. Vous, comme un vrai et généreux chevalier, plein d’un ardeur nouvelle, marchez contre eux avec la résolution de leur tenir toujours tête pour ne pas être tué ou prisonnier. Un homme est prisonnier quand il est dans un lieu d’où il ne peut sortir à son gré; de même, nous, si nous tournons la tête de notre volonté, si nous abandonnons nos saintes résolutions, et si nous obéissons aux suggestions du démon, nous serons dans la pire de toutes les prisons; nous aurons perdu la liberté, nous serons les serviteurs et les esclaves du péché.
2. Si vous me dites, très cher Fils: Je suis faible contre tant d’ennemis; je vous répondrai : Je l’avoue, nous sommes par nous-mêmes faibles et :sujets à tomber pour la moindre chose; mais la divine Providence agit dans nos âmes, nous fortifie et nous ôte toute faiblesse. Espérez donc, et croyez fermement [1323] que l’âme qui espère en Dieu est toujours secourue par lui, et le démon ne peut lui faire aucune violence, parce que la vertu de la très douce et très sainte Croix l’arrête et lui ôte toutes ses forces contre nous. L’homme. par l’ineffable bonté de Dieu, est fortifié et délivré de toute faiblesse et de toute infirmité. Par le souvenir de la très sainte Croix, nous devons concevoir l’amour de la vertu et la haine du vice. Nous sommes la pierre où est placé l’étendard de la Croix; mais nous ne pouvons pas dire que nous l’avons, s’il n’est pas affermi en nous. Et sachez-le bien, ni les clous, ni la Croix, ni la pierre n’auraient pu retenir l’Homme-Dieu sur la Croix, sans l’amour qu’il avait pour l’homme; c’est donc à nous qu’appartient le prix de son sang, et ce souvenir fait mépriser les honneurs et aimer les injures, les outrages, les affronts; la richesse désire la pauvreté, la concupiscence devient continence et pureté. L’âme bannit toute jouissance, tout désir déréglé, et se revêt seulement des vraies et solides vertus; elle ne se plaît qu’en Jésus-Christ, elle n’estime et ne veut savoir que Jésus crucifié. Elle dit : « Je ne me plais, et ne veux me glorifier que dans mon Seigneur Jésus-Christ; c’est à cause de son amour que le monde me méprise et que je méprise le monde (Gal 11,14). »
3. Courage donc, mon Fils, puisque ce souvenir est si doux, qu’il dissipe toute amertume et rend la vie aux morts; prenez la sainte Croix dans cette route où l’homme pèlerin et voyageur a besoin de s’appuyer sur ce bâton sacré jusqu’à ce qu’il soit [1324] arrivé au but ou l’âme trouvera le repos et la paix dans sa fin. Oh ! combien lui sont douces les fatigues qu’elle a supportées dans ce voyage ! Quelle paix, quel repos, quelle douceur reçoit et goûte l’âme, lorsqu’elle trouve au port l’Agneau immolé qu’elle a cherché sur la Croix, et qui s’est fait sa table, sa nourriture, son serviteur! Elle trouve le lit de la divine essence, où elle se repose et où elle dort, parce qu’elle a détruit cette loi perverse qui, pendant son pèlerinage, se révoltait sans cesse contre son Créateur. Que l’âme se réjouisse donc, qu’elle tressaille d’allégresse, qu’elle prenne avec un ardent désir le véritable étendard de la très sainte Croix, sans aucune crainte de ne pouvoir persévérer dans la vie qu’elle a commencée; mais qu’elle dise : Par Jésus crucifié, je puis tout porter et tout faire jusqu’à la mort.
4. Vous m’avez écrit, au sujet de la douce Providence, que Dieu se montre dans les petites choses pour vous fortifier et vous encourager à supporter toutes les attaques et à espérer toujours en sa Providence. C’est un motif de ne renoncer jamais à votre sainte résolution, quelque chose qu’il arrive. Je crois que si vous ne prenez plus la douce nourriture, il est à craindre que vous n’ayez commis quelque excès. Je ne vous dis rien à ce sujet. Bénissez toute votre famille dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1325] .
CCLI (243).-
A SANO DE MACO, à Sienne.- De la foi et de ses rapports avec
l’amour et l’espérance.- Exemple de la Cananéens.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous cette vertu de la sainte Foi et de la persévérance qui était dans la Cananéenne. Elle y était si grande, qu’elle mérita que le démon fût chassé de sa fille; et même Dieu, pour manifester combien sa foi lui était agréable, voulut lui remettre son autorité en lui disant: «Qu’il soit fait à votre fille ce que vous voulez (Mt 15, 28). » O glorieuse et excellente vertu ! c’est vous qui montrez le feu de la divine charité quand elle est dans l’âme, car l’homme peut-il avoir la foi et l’espérance sans aimer? Toutes ces vertus se tiennent ensemble, et l’amour n’existe pas non plus sans la foi et l’espérance. Ce sont là trois colonnes qui maintiennent la force de notre âme, si bien que rien ne peut la renverser, ni le vent de la tentation, ni les paroles injurieuses, ni les flatteries des créatures, ni l’amour terrestre de sa femme et de ses enfants. Toujours elle est soutenue par ces colonnes inébranlables. Faisons donc comme cette Cananéenne, et, en voyant passer le Christ dans [1326] notre âme, tournons-nous vers lui par un saint désir, par une vraie contrition, par une horreur sincère du pêché, et disons-lui: Seigneur, délivrez ma fille, c’est-à-dire mon âme, car le démon la tourmente par de nombreuses tentations et des pensées mauvaises, Et si nous persévérons, si nous tenons ferme notre volonté pour qu’elle ne cède pas, et qu’elle ne s’abaisse pas à aimer quelque chose hors de Dieu; si nous nous humilions, et si nous nous estimons indignes de la paix et du repos, nous pouvons attendre avec foi, patience et espérance, supportant tout pour Jésus crucifié, et nous dirons avec saint Paul: « Je puis tout, non par moi, mais par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13). » Alors nous entendrons cette douce parole que votre fille, que votre âme soit guérie comme vous le voulez.
2. C’est ainsi que l’infinie bonté de Dieu montre quel trésor l’âme a reçu dans son libre arbitre; car ni les démons ni les créatures ne peuvent la contraindre au péché, si elle ne veut pas. O très cher Fils dans le Christ Jésus ! considérez avec foi et persévérance jusqu’à la mort ces paroles qui ont été dites. Sachez que quand l’homme a été créé, Dieu lui a dit aussi. Qu’il te soit fait selon ta volonté, c’est-à-dire : je te fais libre; tu ne seras soumis qu’à moi. » O ineffable ! ô doux feu d’amour ! comme vous nous montrez et vous nous prouvez l’excellence de la créature; vous avez tout créé pour le service de votre créature raisonnable, et vous avez fait cette créature pour vous servir [1327].
3. Mais nous, pauvres misérables, nous allons aimer le monde, ses pompes et ses plaisirs, et cet amour fait perdre à l’âme sa puissance; il la rend la servante et l’esclave du péché, il lui donne pour maître le démon. Oh ! que ce maître est dangereux ! car il cherche et prépare toujours la mort de l’homme. Non, il ne faut pas servir un tel maître; mais je veux que nous soyons de ces âmes passionnées pour Dieu, en nous rappelant toujours que nous sommes des esclaves rachetés par te sang de l’Agneau.
4. L’esclave ne peut se vendre et servir un autre maître. Nous n’avons pas été rachetés à prix d’or, ni même par l’amour seulement, mais par le sang. Que nos cœurs et nos âmes se brisent donc d’amour. Hâtons-nous de servir et de craindre le doux et bon Jésus, en pensant qu’il nous a tirés de la prison et de l’esclavage du démon, qui nous possédait véritablement; il a droit à la récolte, puisqu’il a payé et déchiré notre obligation. Et comment a-t-il acquis ce droit à la récolte? Lorsqu’il s’est fait esclave en revêtant notre humanité. Hélas! n’était-ce pas assez qu’il ait payé la dette que nous avions contractée? Et quand l’a-t-il payée? Sur le bois de la très sainte Croix, en donnant sa vie pour nous rendre la vie de la grâce que nous avions perdue. O ineffable, ô très douce Charité ! vous avez détruit l’obligation que l’homme avait souscrite au démon; vous l’avez déchirée sur le bois de la très sainte Croix. Le parchemin vient de l’Agneau, et l’Agneau sans tache nous a écrits sur lui-même, mais il a déchiré le parchemin. Que nos âmes prennent courage, car nous avons un nouvel écrit; et celui par lequel notre ennemi notre [1328] adversaire, pouvait nous réclamer, a été mis en pièces. Courons donc, très doux Fils, avec un saint et vrai désir; embrassons la vertu en nous rappelant le doux Agneau immolé avec un si ardent amour. Je ne vous en dis pas davantage.
6. Sachez qu’en cette vie, nous ne pouvons avoir autre chose que les miettes qui tombent de la table, les miettes que la Cananéenne demandait. Ces miettes sont les grâces que nous recevons, et qui tombent de la table du Maître; mais quand nous serons dans la vie durable, où nous goûterons Dieu, où nous le verrons face à face, alors nous aurons les mets de la table. Ne fuyez donc pas la peine ; je demanderai pour vous des petites miettes et de la nourriture comme pour un fils; et vous, combattez généreusement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLII (244).-
A SANO DE MACO, à Sienne.- On ne doit rien craindre en s’appuyant
sur Jésus-Christ.- Il faut désirer souffrir, être méprisé,
et donner sa vie pour lui.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous [1329] voir uni et fondé sur le vrai fondement, sur Jésus crucifié. C’est la pierre vive sur laquelle doit être appuyé, tout édifice solide et sûr; et sans elle rien ne peut avoir de stabilité. C’est ce que disait l’ardent saint Paul Personne ne peut trouver un fondement solide, si ce n’est sur la pierre vive, qui est Jésus crucifié. C’est le seul fondement que Dieu nous ait donné. Et vraiment, très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, je comprends bien que c’est la vérité; car si l’âme est fondée sur le Christ, aucun vent d’orgueil et de vaine gloire ne peut la jeter par terre; ses fondements, sont creusés dans une humilité profonde, parce qu’elle voit Dieu s’humilier jusqu’à l’homme, pour le sauver.
2. Les flots de l’avarice, des plaisirs du monde et de la chair ont beau s’enfler, ils ne peuvent renverser par terre cette âme, parce qu’elle est appuyée, affermie sur cette Pierre, qui n’a jamais ressenti les mollesses des plaisirs et des jouissances corporelles, mais qui s’est durcie dans la peine et la douleur. Aussi, l’âme qui se passionne pour le Christ ne peut vouloir que souffrir avec lui les opprobres, les affronts, la faim, la soif, le chaud, le froid, les injures, le déshonneur, et elle donnera enfin avec joie sa vie pour l’amour de lui. L’âme se réjouit et se dilate quand elle se voit digne de souffrir les outrages et les moqueries du monde pour le doux et bon Jésus. C’est ce que nous lisons des saints Apôtres, qui se réjouirent, quand ils commencèrent à être méprisés et bafoués pour le nom de Jésus. C’est ainsi que mon âme désire nous voir fondés en Jésus crucifié, de telle sorte, que ni les flots de la tribulation, ni le vent de la tentation [1330], ni le démon avec ses erreurs, le monde avec ses séductions, la chair avec ses honteux plaisirs, ne puissent jamais nous séparer de la charité du Christ et de celle du prochain.
3. Ne vous alarmez pas des paroles que le démon sème par le moyen des créatures pour troubler votre âme ou celles de mes chers fils et filles dans le Christ Jésus; car depuis longtemps il est habile à se servir de la langue des méchants; souvent même, par la permission de Dieu, il se sert de la langue des serviteurs de Dieu pour troubler les autres serviteurs de Dieu.
4. Par la grâce de notre doux Sauveur, nous sommes arrivés ici à Avignon, il y a déjà vingt-six jours (Sainte Catherine logea à Avignon dans la maison de Jean de Regio. Cette maison était une grande tour très large; elle fut jointe au collège des Pères Jésuites, et on y montrait la chambre qu’avait occupée notre sainte. Vingt-trois disciples de sainte Catherine l’avaient accompagnée, et étaient nourris aux frais du Souverain Pontife. (Voir Gigli, t. II, p. 329.). J’ai parlé au Saint-Père, à quelques cardinaux, et à d’autres seigneurs de la cour; et la grâce de notre doux Sauveur a beaucoup fait pour l’affaire qui nous amène ici. Réjouissez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et soyez pleins de confiance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Nous sommes arrivés à Avignon, le 18 juin 1376 [1331].
CCLIII (245).
— A SANO DE MACO et à ses autres fils, à Sienne.- De
la vertu de persévérance, et de la force nécessaire
pour l’obtenir.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir forts et persévérants jusqu’à la fin de votre vie; car je sais que, sans la persévérance, personne ne peut plaire k Dieu et recevoir la couronne de la récompense. Celui qui persévère est toujours fort, et la force le fait persévérer. C’est donc un besoin, une nécessité d’avoir le don de la force, parce que nous sommes assiégés de nombreux ennemis.
2. Le monde nous attaque avec ses plaisirs et ses ruses, le démon avec ses tentations, et en se servant de la langue des hommes pour nous accabler d’injures, de murmures, et pour nuire souvent à nos affaires; et en cela, son unique but est de nous détourner de l’amour et de la charité du prochain. La chair se lève aussi avec sa sensualité, pour combattre contre l’esprit. Nous sommes donc entourés d’ennemis; mais il ne faut pas les craindre d’une crainte servile, parce que ces ennemis ont été vaincus par le sang de l’Agneau sans tache [1332].
3. Nous devons courageusement répondre et résister au monde par le mépris de ses plaisirs, de ses honneurs, en pensant qu’il n’y a en lui rien de stable et de durable. Il nous promet une longue vie avec une jeunesse florissante, et de grandes richesses, et tout cela disparaît. La vie est remplacée par la mort, la jeunesse par là vieillesse, la richesse par la pauvreté, et nous nous acheminons sans cesse vers notre dernier instant. Il faut donc ouvrir l’oeil de notre intelligence, et voir combien est malheureux celui qui se fie à de telles promesses. De cette manière, on arrivera à mépriser et à détester ce qu’on aimait d’abord. Il faut résister généreusement aux ruses du démon en considérant sa faiblesse, car il ne peut vaincre que celui qui veut être vaincu. Le chrétien résistera donc avec une foi vive, une ferme espérance avec une sainte haine de lui-même; et cette haine le rendra patient au milieu des tentations, des épreuves, des tribulations du monde ; et de quelque côté qu’elles viennent, il les portera toutes avec une véritable patience, s’il hait sa propre sensualité, et il aimera à rester sur la Croix avec Jésus crucifié.
4. Sa foi vive lui donnera une volonté conforme à celle de Dieu, et il étouffera dans son cœur et son esprit tout jugement humain; il verra en tout la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il ne se scandalisera pas de son prochain. Il ne murmurera pas, et ne condamnera pas celui qui parle contre lui; il se condamnera plutôt lui-même, en voyant que Dieu permet qu’il soit tourmenté pour son bien. Oh ! combien est heureuse cette âme qui prend l’habitude de juger ainsi ! Elle [1333] ne condamne pas les serviteurs du monde qui lui font injure; elle ne juge pas les serviteurs de Dieu, en voulant les diriger à sa manière, comme font tant de superbes présomptueux qui, sous prétexte de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, croient pouvoir murmurer, en disant Cette manière d’agir ne me plaît pas. Et non seulement ils se troublent, mais ils troublent les autres par leurs paroles, en leur persuadant que C’est l’amour du bien qui les fait parler.
5. Mais celui qui ouvre les yeux trouvera le ver de la présomption, qui le trompe et le fait juger selon ses opinions, et non selon les mystères et les voies saintes et variées que Dieu suit à l’égard de ses créatures. Que l’orgueil de l’homme soit confondu, et qu’il apprenne que, dans la maison du Père éternel, il y plusieurs demeures; qu’il ne prétende plus donner des lois à l’Esprit-Saint, qui est la loi, la règle même, et qu’il ne mesure plus ce qui ne peut être mesuré. Ce n’est pas ainsi que fait le vrai serviteur de Dieu qui s’est revêtu de son éternelle volonté; il respecte, au contraire, les voies, les œuvres et la conduite de ses serviteurs, parce qu’il ne les juge pas, venant de l’homme, mais de Dieu. Quand les choses nous déplaisent et ne vont pas à notre gré, il faut supposer et croire qu’elles sont agréables à Dieu. Nous ne devons et nous ne pouvons juger rien que ce qui est évidemment et manifestement un péché. Et encore, l’âme qui aime Dieu et qui s’est perdue elle même, n’exprime que le regret et la peine que lui cause l’offense faite contre Dieu; elle est pleine de compassion pour l’âme de celui qui a commis [1334] l’offense, et elle se livrerait volontiers à toutes sortes de tourments pour le salut de cette âme.
6. C’est à cette perfection que je vous invite, mes Fils bien-aimés: appliquez-vous avec un saint zèle à l’acquérir; pensez que vous arriverez à cet état en jugeant bien toutes choses sans vous scandaliser, sans vous affecter, tandis qu’en les jugeant mal, vous tomberez dans le péché, les murmures et les injustices envers les serviteurs de Dieu. Tout cela vient de la passion et de l’orgueil enraciné, qui nous pousse à juger la volonté de l’homme. Celui qui l’écoute tourne la tête en arrière, et ne persévère pas dans l’amour du prochain. Il n’a jamais un amour fort et persévérant; il a l’amour imparfait des disciples du Christ avant la Passion. Ils l’aimaient parce qu’ils jouissaient de sa présence; leur amour n’était pas fondé sur la vérité, mais sur leur jouissance, sur leur plaisir. Aussi faiblit-il quand ils furent privés de sa présence ; ils ne surent pas souffrir avec le Christ, et la crainte leur fit prendre la fuite. Prenez garde, prenez garde que cela ne vous arrive. Vous vous réjouissez beaucoup de sa présence, mais vous n’avez qu’un feu de paille pour l’absence; le moindre vent, la moindre pluie l’éteint, dès que vous ne le voyez plus; et il ne reste rien qu’une fumée noire qui obscurcit votre conscience. Et tout cela arrive parce que nous nous sommes faits les juges de la volonté des hommes, de la conduite, des actions, des voies des serviteurs de Dieu, sans voir en tout sa douce volonté. Qu’il n’en soit plus ainsi, pour l’amour de Jésus crucifié; mais soyez des Fils fidèles, forts et persévérants dans le Christ, le doux [1335] Jésus, et de cette manière vous triompherez des tentations du démon et des paroles qu’il vous dit par la langue des hommes.
7. Notre dernier ennemi est notre chair misérable, avec ses appétits sensuels. On en triomphe par la chair du Christ, flagellée et percée sur le bois de la très sainte Croix; on la dompte par le jeûne, les veilles, la prière continuelle, par les désirs ardents du saint amour. Oui, nous vaincrons, nous déferons nos ennemis par la vertu du sang de Jésus-Christ. Vous accomplirez ainsi sa volonté et mon désir, car je gémis en voyant votre imperfection. J’espère que l’infinie Bonté consolera mon âme à votre sujet. Aussi je vous conjure de n’être pas négligents, mais pleins de zèle. Ne soyez pas des feuilles qui volent à tous les vents; soyez fermes, constants, vous aimant avec une vraie charité fraternelle, et supportant mutuellement vos défauts. Je verrai à cela si vous aimez Dieu, et je ne désire pas autre chose que de vous voir dans cette union parfaite. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage.
8. Je vous recommande le monastère de Sainte-Marie des Anges. Ne vous étonnez pas si je n’y viens pas ; les bons fils font plus quand leur mère n’est pas présente, que quand elle est présente, parce qu’ils veulent montrer l’amour qu’ils ont pour leur mère et s’en faire plus aimer. Je vous prie, Sano, de lire cette lettre à tous mes enfants; priez tous Dieu pour nous, afin que nous accomplissions ce que nous avons commencé pour son honneur et le salut [1336] des âmes; n’ayons pas d’autres désirs, et poursuivons notre œuvre malgré ceux qui voulaient et veulent l’empêcher. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu vous remplisse de ma très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLIV (246).
— A SANO DE MACO, et à ses autres fils dans le Christ, lorsqu’elle
était à Florence.- Elle se réjouit de la paix
conclue avec le Souverain Pontife, et les invite à rendre grâces
à Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons Fils qui servent fidèlement notre doux Sauveur, afin de rendre avec plus de zèle grâce et hommage à son nom.
2. O très chers Fils, Dieu a entendu la voix et les cris de ses serviteurs, qui depuis si longtemps pleurent en sa présence et gémissent sur ceux qui étaient morts. Les voilà ressuscités de la mort ils sont revenus à la vie, des ténèbres à la lumière. Mes très chers Fils, les boiteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient et les muets parlent; ils crient de toutes leurs forces : La paix, la paix ! Oui, la paix [1337] : quelle joie de voir les enfants revenir à l’obéissance de leur père, et recouvrer ses bonnes grâces après avoir pacifié leurs âmes ! Et comme des personnes qui commencent à voir, ils disent : Grâces vous soient rendues, Seigneur, de nous avoir réconciliés avec notre Saint-Père. On appelle saint maintenant le doux Agneau, le Christ de la terre, qu’on appelait autrefois hérétique et Patarin (Les Patarins étaient des hérétiques du XIIe siècle, qui furent condamnés par les Souverains Pontifes, et par le troisième concile de Latran. Ils propageaient les mêmes erreurs que les Vaudois.). On lui donne le titre de père, qu’on lui refusait; et je ne m’en étonne pas, car le nuage est dissipé, le temps est devenu serein. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, mes Fils bien-aimés;. pleurez de joie et de reconnaissance en présence de l’éternel et souverain Père; mais ne soyez pas contents encore, et demandez que l’étendard de la très sainte Croix se lève bientôt. Réjouissez-vous dans le Christ le doux Jésus: que vos cœurs éclatent en voyant la grandeur de l’infinie bonté de Dieu : maintenant la paix est faite, malgré tous ceux qui voulaient l’empêcher; le démon infernal est vaincu. Samedi soir a paru l’olivier de la paix, à une heure de nuit, et aujourd’hui à vêpres, tout a été terminé (Cette paix obtenue avec tant de peine par sainte Catherine, fut conclue dans le mois de juillet 1378. Elle fut ratifiée par Urbain VI, le 1er octobre suivant.).
3. Samedi soir, notre ami a été arrêté avec un compagnon (Il s’agit sans doute d’Etienne Maconi. (Voir la lettre CCLXIL), et à huit heures, l’hérésie était heureusement [1338] enchaînée. La paix est conclue, et il est maintenant en prison. Priez Dieu pour lui, afin qu’il reçoive la vraie lumière, la vraie connaissance. Baignez-vous noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié; aimez-vous les uns les autres. Je vous envoie l’olivier de la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLV (247).
— A SANO DE MACO, et à tous les autres séculiers, ses fils
dans le Christ, à Sienne.- De la voie de Jésus-Christ,
et de la voie du démon.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la vertu de la très sainte Foi. Cette foi est une lumière qui éclaire l’oeil de l’intelligence, et lui fait voir et connaître la vérité. En connaissant une chose bonne, on l’aime; mais en ne la connaissant pas, on ne peut l’aimer, et en ne l’aimant pas, on ne peut la connaître. Cette lumière est donc nécessaire; car sans elle nous marcherons dans les ténèbres, et celui qui marche dans les ténèbres doit s’y perdre.
2. Cette lumière nous enseigne la voie, et nous montre le but; elle nous fait connaître ceux qui nous [1339] appellent à deux festins bien différents, et elle nous fait discerner Celui qui donne la vie et celui qui donne la mort. O doux et bien aimés Fils ! quels sont ceux qui nous invitent, et quelles sont leurs voies? Je vous le dirai Le premier est le Christ béni, qui nous invite à boire l’eau vive de la grâce; c’est ce qu’il faisait lorsqu’il criait dans le Temple: " Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive (Jn 7,37). " Il est bien véritablement une fontaine. De même qu’une fontaine contient l’eau et la laisse passer par le mur qui l’entoure, de même le doux et tendre Verbe, qui contient son éternelle Divinité unie à l’humanité, répand le feu de la divine charité par le mur ouvert de Jésus crucifié; car ses très douces plaies ont versé son sang mêlé au feu, puisqu’il a été répandu par le feu de l’amour.
3. C’est à cette fontaine que nous puisons l’eau de la grâce; car c’est par la vertu de la Divinité, et non pas uniquement par l’humanité, qu’a été expiée la faute de l’homme. L’humanité a souffert la peine sur la Croix, et par la vertu de la Divinité, notre faute a été expiée; nous avons été rétablis dans la grâce. Notre-Seigneur est donc bien véritablement la fontaine d’eau vive, et il nous invite à boire avec une grande douceur d’amour, Mais il dit : Qui a soif vienne à moi; il n’invite pas celui qui n’a pas soif, et ne lui dit pas : Qu’il vienne à moi. Oh ! comme s’exprime bien l’éternelle Vérité ! car personne ne peut aller au Père si ce n’est par lui. Il l’assure dans le saint Evangile : Celui qui veut parvenir à la vision [1340] du Père, qui est la vie éternelle, doit suivre la doctrine du Verbe, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par cette voie ne marche pas dans les ténèbres, mais il marche à la lumière de la très sainte Foi, et cette lumière vient de ma lumière et s’augmente en lui. Aussi nous devons dire: " Seigneur, donnez-moi votre grâce, afin que dans votre lumière, je Voie la lumière. " Il est la vérité même, et celui qui suit la doctrine du Verbe détruit et consume en lui le mensonge de l’amour-propre.
4. Il court dans cette voie avec amour et persévérance en suivant la doctrine de Jésus crucifié; cette doctrine, il l’a vue à la lumière de la Foi, lorsque le Maître est monté à la tribune de la Croix, et nous a enseigné sa doctrine, qu’il avait écrite sur son corps. Il a fait de lui-même un livre dont les lettres sont si visibles, que tout homme peut parfaitement les lire malgré la faiblesse de son intelligence et de sa vue. Que notre âme lise donc; qu’elle lise, et que, pour lire mieux, elle monte avec les pieds de son affection jusqu’à l’amour de Jésus crucifié : autrement vous ne pourriez pas bien lire. Arrivons au foyer principal de son ardente charité, que nous trouvons dans la plaie de son côté, où il nous dévoile le secret de son cœur, en nous montrant qu’une chose finie, que sa Passion qui avait des bornes, était insuffisante à manifester son amour comme il voulait le faire, et à nous donner ce qu’il voulait nous donner. Cet amour qu’il a pour nous, viles créatures, il nous le laisse par sa doctrine, pour que nous l’aimions par-dessus toute chose, et que nous aimions le prochain comme nous-mêmes; et cet amour, nous devons en donner [1341] des preuves comme il nous en a donné par ses souffrances.
5. Nous aimerons donc Dieu avec amour, et nous le témoignerons à Dieu et au prochain, si nous sommes fidèles à sa doctrine, en souffrant les peines, les opprobres, les affronts, les persécutions, les calomnies; si aucune injure n’affaiblit en nous la charité à l’égard de ceux qui nous les font, nous affligeant plus de la perte de leur âme que de notre injure. Notre-Seigneur nous enseigne encore à prier Dieu pour eux, comme il l’a fait lui-même. Lorsque les Juifs le crucifiaient, il disait : " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. " Voyez cet ardent amour qu’il a pour nous, voyez cette patience qui couvre de confusion ceux qui s’aiment eux-mêmes, les impatients pour lesquels une parole semble être un coup de poignard, et s’ils n’en répondent pas quatre, on dirait que leur cœur va éclater de dépit. Ils montrent qu’ils marchent sans la lumière, et qu’ils n’ont pas lu le glorieux livre de Jésus-Christ. Que celui qui l’a lu supporte donc les défauts du prochain avec compassion et charité fraternelle.
6. L’homme montre encore l’amour qu’il a pour Dieu, en souffrant avec patience et respect tout ce que sa providence donne et permet, ne cherchant jamais à scruter ses pensées, et ne voyant en tout que son infinie charité. Si nous suivons de la sorte la doctrine de la patience, nous goûterons la paix au milieu des combats, et nous trouverons la santé de l’âme dans les infirmités du corps. Et ainsi nous manifesterons la lumière de la Foi, parce que la patience montre que nous avons en vérité, vu et cru que Dieu [1342] ne veut autre chose que notre sanctification, et que c’est pour cela que nous avons tout reçu avec respect et patience. Dans cette lumière aussi, se lit l’espérance que nous avons de posséder la vie éternelle, par la vertu du sang de Jésus-Christ. Nous perdons alors l’espérance en nous-mêmes, l’espérance du monde, de ses délices, de ses biens, pour espérer uniquement en Dieu, notre véritable et souverain bien. Il serait trop long de raconter ce qu’on lit dans ce livre; mais ouvrons l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, et que les pieds de notre affection nous portent à lire ce très doux livre. Nous y trouverons la prudence, la sagesse, qui a pris le démon avec l’appât de notre humanité. En lui est la justice; car pour punir la faute, il s’est livré lui-même à la mort honteuse de la Croix; il a fait une enclume de son corps pour y forger l’homme nouveau au feu de sa charité, avec le lourd marteau des grandes souffrances. En lui se trouvent la justice, la force, la tempérance, car ni la crainte pour lui-même, ni notre ingratitude, ni les cris des Juifs ne l’ont arrêté dans le sacrifice qu’il faisait à son Père.
7. Nous y lirons aussi cette chère petite vertu d’une humilité véritable et profonde, qu’il montra pour confondre notre orgueil; nous verrons Dieu abaissé jusqu’à l’homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement, l’Homme-Dieu humilié jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Et tous les jours, nous le voyons encore, user d’humilité et de patience à l’égard de nos iniquités. Il supporte notre ignorance, notre négligence, notre ingratitude, parce qu’il a faim de notre salut; il nous prête le temps, et [1343] nous donne de bonnes et saintes inspirations pour nous faire voir et nous prouver notre fragilité et le peu de stabilité du monde, afin que nous ne nous confiions pas en lui. Il nous appelle par ses serviteurs, par leurs paroles et par leurs exemples, et il les presse d’offrir sans cesse pour nous d’humbles et ferventes prières. Voilà ce que fait sa bonté, son humilité, pour nous apprendre à faire de même à l’égard de notre prochain. De cette manière, nous suivrons ses traces; en lisant dans ce livre, nous apprendrons la doctrine de la vérité, et nous arriverons par elle au Père; mais jamais autrement: car les vertus s’acquièrent avec peine, en faisant violence à notre faiblesse. Dans le Père ne se trouve pas la peine, mais seulement dans le Fils; et c’est par le moyen de son sang que nous avons la vie éternelle, car il a dit : " Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi; " et c’est la vérité, puisqu’il est la voie, c’est-à-dire que sa doctrine est la voie de la vérité qui donne la vie.
8. Il est la fontaine d’eau vive, et il invite à boire ceux qui ont soif; et ceux qui suivent sa doctrine emplissent le vase de leur âme de l’eau de la grâce. Ils s’attachent au sein de son humanité, et ils se désaltèrent de cette eau sacrée en buvant avec la bouche du saint désir, l’honneur de Dieu et le salut des âmes; ils sont remplis d’ardeur pour les vertus qu’ils croient pouvoir acquérir dans cette vie, et ils s’y exercent avec zèle pour ne pas perdre le temps, qui est le plus grand trésor que nous possédions. Ceux-là sont invités, mais non pas les négligents qui sont plongés dans les ténèbres du péché mortel, et [1344] qui courent par la voie de la mort comme des aveugles obstinés dans leur misère. Ces infortunés sont appelés, mais pas invités. Ils sont appelés, puisque Dieu les a créés à son image et ressemblance, et les a fait renaître à la grâce dans le sang du Verbe; mais ils ne sont pas invités, parce qu’ils ne veulent pas l’être. La loi est faite pour tous; mais à qui appartient-elle? A ceux qui l’observent. Il en est de même pour ceux qui sont invités à boire. Nous sommes tous appelés, mais quels seront les invités? Ceux qui ont soif et faim de la vertu, les altérés qui suivent avec ardeur la doctrine de Jésus crucifié, et qui regardent à la lumière de la Foi la fontaine, pour augmenter leur soif. Avec cette soif et cette lumière, nous arriverons à la source; mais sans cette lumière, nous ne pourrions jamais y arriver. J’aurais bien des choses à dire sur ceux qui sont invités, mais je ne veux pas m’étendre davantage.
9. Voyons maintenant quelle autre invitation nous recevons. Nous avons dit que le Christ, le doux Jésus, nous invitait à boire l’eau vive. Mais le démon de son côté nous invite à boire celle qu’il a pour lui-même; il a en lui la mort, et il nous invite à boire une eau de mort. Si vous lui demandez: Qu’est-ce que tu me donneras, si je te sers? Il vous répondra: Ce que j’ai pour moi; je suis privé de Dieu, et tu seras privé de Dieu; je suis dans le feu éternel où sont les flammes et les grincements de dents, je suis privé de la lumière et plongé dans les ténèbres; j’ai perdu toute espérance, et j’ai pour compagnons tous ceux qui sont tourmentés et torturés dans l’enfer comme moi. Ce sont les joies et les consolations que [1345] tu auras pour ta peine. La Foi montre qu’il en est ainsi, et le fidèle ne suit jamais cette voie; ou, s’il s’y trouve, il s’en repent. Qu’il est insensé l’homme qui se prive de la lumière ! car celui qui est privé de la lumière ne connaît pas son malheur.
10. Quelle est la voie où le démon nous appelle? C’est la voie du mensonge; car il est le père du mensonge, et le mensonge produit ce misérable amour-propre avec lequel l’homme aime d’une manière déréglée les honneurs, les richesses du monde, les choses visibles, les créatures et lui-même, ne craignant pas de perdre Dieu et la beauté de son âme; mais, dans son aveuglement, il se fait un Dieu de lui-même et du monde. Et ce temps, qu’il devait employer pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain, il le dérobe comme un voleur, et il le dépense à son propre plaisir, se réjouissant et donnant à son corps tout le bien-être possible en dehors de la volonté de Dieu. Le livre qu’il ouvre devant nous est celui de la sensualité, où sont écrits tous les vices, avec tous les mouvements d’orgueil, d’impatience et d’infidélité à l’égard de son Créateur; l’injustice, l’indiscrétion, l’impureté, la haine envers le prochain, le goût du vice et le mépris de la vertu, la grossièreté, la calomnie à l’égard du prochain, la paresse, la confusion de l’esprit, la négligence, la somnolence, l’ingratitude et les autres défauts, tout y est écrit. Si la volonté lit ce livre et apprend ces vices en les mettant volontairement en pratique, elle est infidèle et suit la voie du mensonge que lui montre le démon; elle boit en lui l’eau morte, puisquelle est privée de la grâce en cette vie, et que [1346] dans l’autre, elle reçoit avec lui, en mourant dans le péché mortel, les supplices de la damnation éternelle.
11. Voyez donc, très chers Fils, combien est nécessaire cette lumière, qui nous fait éviter un si grand mal, et qui nous conduit à un si grand bien. En y pensant, et en voyant que sans cette lumière, vous n’accompliriez pas la volonté de Dieu, qui vous a créés pour vous donner la vie éternelle, ni la mienne, qui ne veut pas autre chose; je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière de la très sainte Foi. Aussi je vous en conjure, et je veux que vous soyez toujours les vrais et fidèles serviteurs de Jésus crucifié. Je veux que vous le serviez complètement et sans mesure, non pas à votre manière, mais à la mienne, ne choisissant jamais le temps et le lieu que selon son bon plaisir, ne recherchant pas la consolation, ne refusant pas les peines et les combats des démons visibles et invisibles, ni les épreuves de la chair fragile, mais embrassant la voie des peines pour l’honneur de Dieu. Suivez Jésus crucifié en mortifiant votre corps par le jeûne, les veilles, par une humble et continuelle prière. Anéantissez votre volonté dans la douce volonté de Dieu, et que votre société soit celle de ses serviteurs. Quand vous êtes réunis, ne perdez par le temps en paroles oiseuses, et ne vous tourmentez pas des actions des autres en déchirant votre prochain par des murmures et de faux jugements; Dieu seul est le souverain. Juge de nous tous. Mais montrez que vous êtes réunis au nom du Christ en vous entretenant de sa bonté, des vertus des saints et de vos défauts (Cette lettre montre que les disciples de sainte Catherine qui étaient très nombreux à Sienne, suivaient une sorte de règle que leur avait donnée celle qu’ils appelaient leur mère. ); soyez forts, constants [1348] et persévérants dans la vertu. Que ni le démon ni la créature, par des menaces ou des flatteries, ne vous fassent tourner la tête en arrière, car la persévérance seule obtient la couronne. Que celui qui est attaché au monde s’en retranche sur-le-champ; qu’il n’hésite pas à s’en détacher, car le temps peut lui manquer; celui qui ne se détache pas reste toujours lié. Le souvenir du précieux Sang et la lumière de la Foi vous feront détacher parfaitement de toutes les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu; vous lui serez fidèles, et aussi à moi misérable.
12. Croyez bien que si je ne vous écris pas, je vous aime en vérité :cependant, et je m’occupe avec zèle de votre salut en présence de Dieu. Je veux que vous en soyez bien persuadés. Il est vrai que par ma faute et à cause de mes nombreuses occupations, je ne vo us ai pas écrit; mais prenez courage, et aimez-vous les uns les autres. Je veux plus que jamais vous voir écrits dans le livre de vie. Baignez-vous dans le sang de l’humble Agneau. Ne cessez pas de prier pour la sainte Eglise et pour notre Saint-Père, le Pape Urbain VI, qui en a maintenant grand besoin. Demeurez dans là sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1348].
CLVI (248).
— A SANO DE MACO, et à ses autres fils spirituels. Lettre écrite
en extase. — De la perfection et la paix de ceux qui servent Dieu par amour,
et non par intérêt et par crainte servile.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des serviteurs fidèles de notre doux Sauveur. Le servir n’est pas être esclave, c’est régner. Sans la Foi on ne peut le servir en vérité, car celui qui sert ainsi n’est pas fidèle; c’est un mercenaire qui sert par intérêt ou par crainte servile. Cette manière de servir n’est pas parfaite à la lumière de la Foi; et celui qui sert ainsi n’est pas fort et persévérant, mais il flotte à tous les vents. Si c’est le vent de la consolation qui souffle, il s’y abandonne avec une grande légèreté de cœur; si c’est le vent de la tribulation, il se laisse aller à l’impatience; si c’est le vent des combats et des attaques du démon, il tremble, il tombe dans l’ennui et la tristesse, parce qu’il croit être privé de Dieu quand il se voit privé de la consolation et du sentiment de sa présence. Tout cela vient de ce qu’il aime plus le bienfait que le bienfaiteur, et qu’il sert plus par amour de lui-même que par amour de l’éternelle et souveraine [1349] Bonté. Son amour est aussi imparfait que la lumière de sa foi est imparfaite.
2. Mais celui qui aime parfaitement sert fidèlement et avec une foi vive; il croit en vérité que ce que Dieu donne et permet, il le donne pour sa sanctification; car il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Il a vu à la lumière de la très sainte Foi, que le même amour qui nous envoie de grandes consolations, permet que le démon nous tourmente et que les créatures nous persécutent. Ainsi nous voyons que Dieu est souverainement bon, et qu’il ne peut venir de lui qu’une souveraine bonté nous voyons que rien ne se fait sans Dieu, excepté le péché; et alors l’âme fidèle embrasse toute chose avec amour, parce que toute chose est bonne et donnée pour notre salut. On ne peut pas, on ne doit pas se plaindre de ce qui est bien.
3. Si vous me dites, très cher Fils, que dans le temps du combat, il vous semble que vous êtes rebelle, que vous offensez Dieu, et que vous êtes plus affligé de cela que de votre peine, je vous répondrai que la sensualité spirituelle s’afflige autant que l’autre. En paraissant craindre d’offenser Dieu, cette passion a mis un peu de poussière dans l’intelligence où est la prunelle de la très sainte Foi, et elle empêche ainsi de connaître et de discerner la vérité; car, s’il n’y avait rien devant l’oeil de l’intelligence, on connaîtrait que Dieu envoie ces combats à dessein, que les attaques du démon et les faiblesses de la chair ne sont des péchés et des offenses contre le Créateur que quand la volonté propre y consent entièrement. Mais [1350] l’âme qui est fidèle à la lumière de la très sainte Foi retire de grands avantages du temps des combats; elle affermit en s’éloignant de l’amour mercenaire, et elle aime d’un amour libre et généreux. Au moment du combat, elle se fait bonne guerre à elle-même, et par cette guerre, par cette sainte haine qu’elle a conçue, elle devient patiente comme un serviteur fidèle; elle se réjouit toujours de combattre pour Jésus crucifié, et son amour augmente en reconnaissant que sa sainte et bonne volonté ne vient pas d’elle, mais de la souveraine et éternelle Bonté, qui la lui donne par grâce et non par devoir.
4. O glorieux et fidèle service, qui délivre l’âme de la dure tyrannie du démon, du monde et de soi-même ! Elle est délivrée du démon, parce qu’elle a lié sa volonté avec les liens de la raison; elle ne consent pas à ses tentations, et ne se laisse pas troubler d’une manière déréglée par ses peines; mais elle les méprise, et se réjouit d’être ainsi sur le champ de bataille, car c’est le démon qui est lié et battu avec le bâton de la charité, avec les chaînes de la véritable humilité. L’homme devient réellement maître, et ne craint plus le démon; c’est le démon qui craint celui qui peut tout par Jésus crucifié. Je dis aussi qu’il est libre et maître du monde, parce qu’il ne se laisse pas dominer par ses délices et ses grandeurs en les aimant d’une manière déréglée; il en triomphe, au contraire, en les méprisant et s’en moquant, car il a vu et connu à la lumière de la très sainte Foi, que la richesse du monde n’est qu’une extrême pauvreté, que ses plaisirs et ses jouissances sont des misères au-dessus de toute misère; et il les a tellement en horreur [1351], qu’il les fuit comme des serpents venimeux. il n’est pas non plus le serviteur des hommes en dehors de la volonté de Dieu, car il ne veut leur obéir qu’autant qu’ils l’aident à chercher et à aimer l’éternelle Vérité.
5. Pourquoi aime-t-il et sert-il le prochain? parce qu’il a vu, à la douce lumière de la vérité, que le prochain est un moyen que Dieu lui a donné pour lui montrer son amour, et les services qu’il lui rend sont libres, car il ne sert pas le prochain en péchant. Je dis aussi qu’il est fidèle, libre et affranchi de la sensualité; il l’a foulée aux pieds de l’affection. il l’a méprisée et frappée avec le glaive de la haine et de l’amour, avec l’amour de la vertu et la haine du vice. Il est donc devenu roi et seigneur par ce doux esclavage, parce qu’il ne s’est pas cherché pour lui-même, mais pour Dieu, l’éternelle et souveraine Bonté, seule digne de notre amour; et il a servi le prochain pour Dieu, et non à cause de l’utilité qu’il y trouve. Qui pourrait raconter la paix de l’âme fidèle? Je ne dis pas qu’elle se trouve au milieu de la paix, qu’elle est à l’abri des flots et des tempêtes de la mer; mais sa volonté est dans la paix, parce qu’elle ne fait qu’une seule chose avec la douce volonté de Dieu. Et alors la tempête même est le repos, car elle ne s’inquiète pas d’elle; mais elle sert son Créateur, qu’il veuille la guerre ou qu’il veuille la paix. Elle n’aime pas plus la guerre que la paix, et la paix que la guerre, parce qu’à la lumière de la Foi, elle voit et connaît par son intelligence que l’une et l’autre procèdent du même amour. Celui qui agit ainsi ne se scandalise pas au sujet du prochain, parce qu’il ne s’arrête pas à la [1352] volonté de l’homme, mais seulement à la volonté de Dieu; et alors il évite tout murmure.
6. Je ne crois pas que vous soyez parfaits sous ce rapport- Bien souvent, au contraire, sous l’apparence du bien et de la compassion, vous murmurez et vous vous jugez les uns les autres. Et cela ne se fait pas sans offenser Dieu; vous lui déplaisez et vous m’affligez beaucoup. Ce n’est pas la doctrine que vous avez reçue: vous devez vous aimer mutuellement, supportant vos défauts les uns les autres. Personne n’est sans défaut; il n’y a que Dieu qui n’ait pas de défaut. Tout cela vous arrive parce que vous n’êtes pas encore des serviteurs fidèles. Si vous étiez des serviteurs fidèles, on ne verrait parmi vous ni moqueries, ni murmures, ni scandales, ni désobéissance, par plaisanterie ou par colère. J’ai vu votre imperfection, qui vient de ce que la lumière de la très sainte Foi n’est pas parfaite en vous, et je vous ai dit que je désirais vous voir des serviteurs fidèles. En servant ainsi, vous régnerez en cette vie par la grâce; vous triompherez du monde, de la chair et du démon, et vous serez vraiment libres dans les liens de la charité. Vous serez humbles, doux et patients, vous régnerez enfin avec les bienheureux dans la vie éternelle, où l’âme est récompensée de toute fatigue, où la satiété est sans dégoût, et la faim sans peine; car la peine est alors séparée de la faim, et le dégoût de la satiété.
7. Courez donc, mes Fils bien-aimés, vers le but et qu’un seul l’atteigne : c’est-à-dire, que votre cœur ne soit pas divisé, mais qu’il ne fasse qu’un avec le prochain par l’amour; et pour que vous puissiez mieux [1353]courir, désaltérez-vous, enivrez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Ce sang invite l’homme à courir et l’anime à combattre, sans fuir la peine, sans tourner la tête en arrière par peur de l’ennemi, parce qu’il ne se confie pas en lui, mais dans le sang de Jésus crucifié. Ne dormez donc plus, mais courez au sang de Jésus crucifié, et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLVII (249).
— A BENINCASA, FILS DE JACOMO,
son frère selon la chair (Benincasa
était le frère aîné de sainte Catherine).
— De la force et de la patience dans les tribulations.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plongé et anéanti dans ce sang, qui vous rendra fort pour supporter avec une vraie patience toute fatigue, toute tribulation, de quelque côté qu’elles viennent. Il vous rendra persévérant pour souffrir jusqu'à la mort avec une humilité sincère. Par ce sang, l’oeil de votre intelligence sera illuminé de la vérité, et vous verrez que Dieu ne [1354] veut autre chose que notre sanctification, car il nous aime d’un amour ineffable; et s’il ne nous avait pas tant aimés, il n’aurait pas ‘payé pour nous un si grand prix. Soyez donc, soyez content en tout temps et en tout lieu, car tout nous est accordé par l’éternel Amour. Réjouissez-vous par amour dans les tribulations, reconnaissez-vous indigne que Dieu vous conduise par la voie de son Fils, et en toute chose rendez gloire et louange à son nom. Courage dans le Christ, le doux Jésus, Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLVIII (250).
— A BENINCASA, son frère, lorsqu’il était à Florence.
— De la patience et de ses devoirs envers sa mère.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante inutile, je t’encourage, je te bénis et je t’invite à une douce et sainte patience, car sans la patience nous ne pouvons plaire à Dieu. Je vous prie donc, pour recevoir le fruit de vos tribulations, de prendre les armes de la patience; et s’il vous paraît bien dur de supporter tant de peine, rappelez-vous trois choses qui vous aideront être plus patient. Premièrement, je veux que vous pensiez à la [1355] brièveté du temps; vous n’êtes pas sûr du lendemain. Nous pouvons bien dire que nous ne souffrons pas de la peine passée et de la peine à venir, nous n’endurons que le moment présent, et nous devons le supporter avec patience; il est si court. Secondement, vous devez considérer le fruit qui récompense les fatigues. Saint Paul dit qu’il n’y a aucune proportion entre ces fatigues et le fruit, la récompense de la gloire éternelle. Troisièmement, considérez le malheur qui arrive à ceux qui souffrent avec colère et impatience; le malheur ici-bas est suivi de la perte éternelle de l’âme.
2. Je vous prie donc, très cher Frère, de supporter tout avec patience, et je ne voudrais pas aussi que vous oubliiez de vous corriger de votre ingratitude et de votre ignorance, au sujet de ce que vous devez à votre mère; vous y êtes obligé par les commandements de Dieu, et j’ai vu augmenter tellement votre ingratitude, que vous lui avez refusé le secours que vous lui deviez. Admettons pour vous excuser que vous ne l’avez pas pu; mais si vous l’aviez pu, je ne sais si vous l’auriez fait, car vous ne lui avez pas même donné une bonne parole. O ingratitude ! vous n’avez pas considéré les douleurs de son enfantement, et ce lait qu’elle a tiré de son sein, et les fatigues qu’elle s’est données pour vous et pour les autres, Et si vous me dites qu’elle n’a pas eu pitié de vous, je vous répondrai que ce n’est pas vrai, car elle a eu soin de vous et de l’autre, qui lui coûte bien cher. Mais supposons que cela soit vrai : vous êtes obligé envers elle, elle ne l’est pas envers vous; elle n’a pas pris votre chair, et elle vous a donné la [1356] sienne. Je vous conjure de vous corriger de ce défaut et des autres. Pardonnez à mon ignorance; si je ne vous aimais pas, je ne vous dirais pas ce que je vous dis. Rappelez-vous la confession pour vous et votre famille. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLIX (551).
— A BENINCASA, son frère, à Florence.- De la soumission
à la volonté de Dieu, et de l’exemple de Job.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir transformé et uni à la volonté de Dieu, sachant que c’est là le saint et doux joug qui Change toute amertume en douceur. Tout fardeau devient léger sous ce très saint joug de la douce volonté de Dieu; vous ne pourriez lui être agréable autrement, et vous auriez un avant-goût de l’enfer. Courage, courage donc, très cher Frère, et ne vous laissez pas abattre par l’épreuve que Dieu vous envoie. Pensez que quand le secours des hommes nous manque, celui de Dieu est prêt; Dieu pourvoira à tout. Songez que Job avait perdu ses biens, ses enfants, sa santé; il ne lui restait que sa femme pour le tourmenter davantage [1357] ; mais lorsque Dieu eût éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu’il avait, et lui donna aussi la vie éternelle. Le patient Job ne se troublait jamais, mais il montrait toujours sa vertu en disant : " Dieu me l’avait donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni (Jb 1,21). "Je veux que vous fassiez de même, très cher Frère.; je veux que vous aimiez la vertu avec une sainte patience, que vous vous confessiez souvent, afin de supporter plus facilement vos peines; et je vous dis que Dieu usera de bonté et de miséricorde à votre égard, et vous récompensera des peines que vous aurez supportées pour son amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.
CCLX (252).- A SES TROIS FRERES, à Florence.- De l’amour du Rédempteur qui est mort pour nous.- Du mépris du monde, et de l’union de la charité.
(Les trois frères de sainte
Catherine, Benincasa, Barthèlemi et Etienne allèrent se fixer
à Florence en 1378. On trouve leurs noms sur les rôles des
quartiers de SantaCroce et de San-Spirito, Il est à croire que Benincasa
éprouva des pertes considérables, et que Nicolas Soderini
vint à son secours. (Voir la lettre CLXI.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, souvenez-vous de l’amour infini qu’a eu notre doux [1358] Sauveur en se livrant à la mort pour nous donner la vie de la grâce. Notre doux Sauveur n’avait pas d’autre but; il voyait que nous étions sortis de l’ordre de la charité; et pour nous rendre cette union de la charité, il a voulu s’unir à la mort la plus honteuse qu’il pouvait choisir. Hélas ! notre Sauveur nous voyait malades de cet amour déréglé que nous avons en nous-mêmes pour les choses passagères qui passent comme le vent, qui nous abandonnent ou que nous abandonnons.
2. Aussi je vous prie, moi, Catherine, l’indigne, l’humble servante, de vouloir bien mettre votre espérance en Dieu, et de ne pas vous fier à cette vie mortelle, qui disparaît si vite. Je vous en conjure comme des esclaves rachetés mettez avec ardeur tous vos désirs, toute votre affection en Notre-Seigneur, qui vous a rachetés. Dites comme saint Pierre : " Il ne nous a pas rachetés avec de l’or et de l’argent, mais avec son très doux et précieux sang (P 1,18). " Aussi je vous conjure, très chers Frères, de bien en apprécier la valeur, c’est-à-dire de l’aimer; et pour montrer que vous l’aimez, d’aimer toujours et d’observer les commandements de Dieu. Je vous prie surtout, et je vous presse de la part de Jésus crucifié, d’observer le premier et dernier commandement de Dieu, c’est-à-dire la charité et l’union avec Dieu. Je veux vous voir passionnés pour cette sainte charité ; je veux vous voir unis et liés par ce doux lien, afin que le démon ni personne ne puissent vous en séparer. Rappelez-vous cette parole que disait Jésus-Christ : [1359] " Celui qui s’humilie sera élevé. " Toi, Benincasa, qui es le plus grand, il faut vouloir être le dernier de tous; toi, Bartolomeo, il faut te mettre au-dessous du plus petit; et toi, Stephano, je t’en prie, sois soumis à Dieu et à tes frères, et vous vivrez ainsi doucement dans la parfaite charité. Je ne vous en écris pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1360].
CCLXI (253).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI .- De la force et de la persévérance dans les combats. — De la charité et de ses effets.
(Etienne de Corrado Maconi fut
un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il était
d’une famille consulaire de Sienne, et sa jeunesse se passa au milieu des
haines sanglantes qui divisaient les nobles au moyen âge. Réconcilié
et converti par notre sainte. il devint son disciple et le compagnon de
presque tous ses voyages, comme il le raconte dans sa lettre écrite
à l’occasion du procès de Venise. Après la mort de
sainte Catherine, il prit l’habit des chartreux, remplit les premières
charges de l’Ordre, et mourut en odeur de sainteté en 1424. On lui
donna le titre de bienheureux. Sa vie a été écrite
par le chartreux dom Barthélemi Scala.)
AU N0M DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec [1363] le désir de te voir fort et persévérant dans le combat, afin de recevoir la couronne de gloire. Tu sais bien que la persévérance seule obtient la couronne et la récompense des peines.
2. Mais tu me diras : Comment puis-je avoir cette force, puisque je suis si faible, que la moindre chose me fait tomber par terre? Je te réponds, et je reconnais que tu es faible et débile selon la sensualité. mais non selon la raison et la force de l’esprit, parce que nous sommes fortifiés par le sang de Jésus-Christ toute notre faiblesse est dans la sensualité. Nous pouvons donc voir comment s’acquiert cette force, puisque la faiblesse est dans la partie sensitive. Je dis que c’est de cette manière que nous acquérons cette glorieuse vertu de la force et de la persévérance; et puisque la raison est fortifiée dans le sang du Christ, nous devons nous plonger dans ce doux et glorieux sang qui nous a rachetés; nous devons le voir avec l’oeil de l’intelligence et la lumière de la très sainte Foi dans le vase de notre âme, reconnaissant que notre être vient de Dieu, et que Dieu nous a fait renaître â la grâce dans le sang de son Fils unique, qui nous a. délivrés de notre faiblesse. O mon Fils bien-aimé ! regarde, et réjouis-toi; tu as été fait comme un vase pour contenir le sang de Jésus crucifié, si tu veux le goûter par l’amour.
3. O Sang secourable, qui répands les trésors de la miséricorde Sang glorieux, où l’homme ignorant peut connaître et voir la vérité du Père, dont l’amour ineffable nous a créés à son image et ressemblance ! Et pourquoi? pour que nous participions au souverain Bien, et que nous jouissions du bonheur qu’il [1364] goûte en lui-même. Ce précieux Sang nous a montré cette vérité, et l’homme n’a pas été créé pour une autre fin.
4. O sang ! tu dissipes les ténèbres et tu donnes la lumière à l’homme, afin qu’il connaisse la vérité et la sainte volonté du Père. Tu remplis l’âme de la grâce, qui lui donne la vie et la délivre de la mort éternelle. Tu rassasies l’âme affamée de l’honneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui fais souffrir, aimer et désirer les opprobres pour l’amour de Jésus crucifié; tu brûles et tu consumes l’âme dans le feu de la divine charité, c’est-à-dire que tu consumes tout ce que tu trouves dans l’âme en dehors de la volonté de Dieu, mais tu l’empêches d’être affligée et desséchée par le péché mortel. O doux Sang I . tu la dépouilles de l’amour-propre sensitif, de cet amour qui affaiblit l’âme qui en est revêtue, et tu la revêts du feu de la divine charité; elle ne peut te goûter, Ô Sang, si tu ne la revêts de ce feu, car tu as été répandu par le feu de l’amour pour inonder l’âme. L’amour n’est jamais sans force, ni la force sans persévérance: aussi tu fortifies, tu encourages dans toutes sortes d’adversités. Tu vois donc bien, très doux Fils, que c’est là le moyen d’arriver à la force parfaite et de t’unir au feu de la divine charité, que tu trouveras dans le Sang. Ce Sans consume et détruit toute volonté propre. Lorsque tu seras uni à la force suprême, tu seras fort et persévérant; tu pourras tuer la faiblesse de la sensualité propre, et tu goûteras dans l’amertume la douceur, et dans la guerre la paix.
5. Courage, mon Fils, et ne faiblis pas sous la [1365] charge que Dieu t’impose, jusqu’à ce que ton heure soit venue. Pense que c’est toujours à creuser les fondements qu’on a le plus de peine; une fois les fondements établis, l’édifice se construit facilement. Tu les commences maintenant, mais dès que tu les auras achevés, tout te deviendra facile. Que rien ne te paraisse dur, car tout s’adoucit par le souvenir du précieux Sang. Supporte donc, supporte tout. Je te dis seulement de faire ce que le Saint-Esprit te fait faire. J’ai bien de la peine à ne pas te dire une parole du Christ (Cette parole est sans doute celle que Notre-Seigneur dit à jeune homme dans l"Evangile de S. Luc, XVIII : " Allez, vendez ce que vous avez, et suivez-moi. " Sainte Catherine la lui dit en mourant. Elle ordonna au B. Maconi de se faire chartreux, et il obéit.), mais j’espère te la dire en temps et lieu; et tu t’empresseras alors d’approvisionner ton âme, et de remplir du précieux Sang le vase de ton cœur. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.