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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 291 à 324



CCXC (282). — A NERI DE LANDOCCIO.- Elle l’exhorte à vaincre la négligence, qui est une ingratitude envers Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir éteindre en toi toute négligence et toute ingratitude, car la négligence est inséparable de l’ingratitude. Si l’âme était reconnaissante envers son Créateur, elle serait pleine de zèle, et ne laisserait pas le temps s’échapper de ses mains, mais elle en déroberait plutôt par amour de la vertu. Je veux donc, très cher Fils, que, plein d’ardeur pour la vertu, et de reconnaissance pour les bienfaits reçus, tu emploies toujours le temps à une humble et continuelle [1436] prière. Je termine. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXCI (283).- AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO.- De l’union à Jésus-Christ par l’amour. — De la lumière nécessaire pour conserver la pureté.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris avec le désir de vous voir uni par de saints désirs à notre doux Sauveur; car autrement nous ne pouvons mépriser le monde et acquérir une pureté parfaite, en conservant notre esprit et notre corps dans une vraie continence. Car, ou l’âme s’attache à Dieu et s’unit à lui par l’amour, ou elle s’unit nécessairement aux créatures en dehors de Dieu, et s’attache aux délices, aux plaisirs et aux honneurs du monde. L’âme ne peut vivre sans amour; il faut qu’elle aime ou Dieu, ou le monde; et l’âme s’unit toujours à ce qu’elle aime; elle s’y transforme, elle en prend toujours quelque chose. Si elle aime le monde, elle n’y trouve que la peine, parce que le péché fait naître les ronces et les épines de l’affliction. Notre chair ne nous donne que la corruption et le poison du péché; et si l’âme suit la volonté de la [1437] chair et la passion sensitive, elle reçoit le poison qui lui donne la mort et lui ôte la vie de la grâce, en la faisant tomber dans le péché mortel. C’est tout ce qu’elle peut recevoir d’un pareil amour. Elle est toujours dans la tristesse, et devient insupportable à elle-même, parce que Dieu a permis que toute affection déréglée soit ainsi punie.

2. Le coeur, au contraire, qui est réglé sur la douce volonté de. Dieu, et qui lui est uni par l’amour, donne à l’âme ce qu’il a en lui-même. Dieu est la souveraine et éternelle douceur, et ses serviteurs trouvent la joie dans les choses amères et fâcheuses, parce qu’ils y trouvent Dieu par la grâce; et leur âme est calme et satisfaite. Il n’y a que Dieu qui puisse satisfaire l’âme, parce qu’il est plus grand qu’elle, et qu’elle est plus grande que toutes les choses créées. Tout ce que Dieu a créé, il l’a créé pour le service de l’homme; et il a créé l’homme pour lui, afin qu’il l’aimât de tout son cœur, de toutes ses forces, et qu’il le servit dans la vérité. Aussi les choses du monde ne peuvent rassasier l’homme, parce qu’elles sont moins que lui.; il ne trouve sa paix, son repos qu’en Dieu. Son cœur alors s’agrandit, et peut contenir toutes les créatures raisonnables par le sentiment de la charité; il s’applique même à les servir; il secourt son prochain, et montre en lui l’amour qu’il a pour son Créateur.

3. Comme Dieu est la souveraine et éternelle pureté, l’âme et le corps participent à lui par l’union, et se conservent dans une pureté parfaite; l’homme aimerait mieux mourir que de les souiller par la moindre impureté. Il ne peut pas maîtriser les pensées de son coeur, et il éprouve souvent les mouvements de la chair; mais ces mouvements et ces pensées ne souillent pas l’âme; il faudrait que la volonté y consentit librement. Dès qu’il n’y a pas de faute, il y a mérite, puisqu’il résiste saintement, et il retire toujours de ces épines la rose embaumée d’une pureté parfaite. Il arrive ainsi à une connaissance plus grande de lui-même; il se lève avec une sainte haine contre sa propre sensualité, et il se réfugie avec amour en Jésus crucifié par une humble et continuelle prière; il voit bien que c’est le seul moyen d’échapper à tant de. dangers. Nous avons dit que, plus il s’attache à Dieu, plus il participe à sa pureté, et il est bien vrai qu’il peut cueillir dans les combats une rose très pure. C’est là le remède souverain contre le misérable péché de la chair faible et fragile, et contre tous les autres. Il faut nous attacher et nous rendre semblables à Dieu par l’amour mais ne différons pas, très cher Fils; le temps est court et ne nous attend pas, nous ne devons pas non plus l’attendre.

4. N’est-il pas étonnant que l’homme veuille rester dans cet aveuglement et ne pas sortir de ce sommeil? Mais il est vrai aussi que? nous ne pouvons en sortir et arriver à cette union sans la lumière. Il faut connaître à la lumière de la très sainte Foi notre misère et nos fautes; il faut que notre regard purifié contemple l’amour ineffable que Dieu a pour nous, et qu’il nous a manifesté dans le Verbe, son Fils unique. Son Fils nous l’a montré par ce sang répandu avec tant d’amour lorsqu’il courut, comme hors de lui, à la mort honteuse de la très sainte Croix [1439]. Comment l’âme, en se voyant tant aimée, pourrait-elle ne pas aimer? O très cher Fils, ne vous éloignez pas de cette lumière, mais dissipez avec zèle le nuage de l’amour-propre, et regardez avec une foi libre, l’Agneau sans tache qui vous appelle avec tant d’amour; répondez-lui, unissez-vous parfaitement à lui, et alors vous sentirez le parfum de la pureté parfaite. Il est bon, pour combattre ce vice, de considérer à quelle dignité l’âme et la chair ont été élevées par l’union que Dieu a faite de la nature divine avec la nature humaine. Que l’âme rougisse donc de s’abandonner à de pareilles misères. en la voyant ainsi élevée au-dessus de tous les chœurs des anges. Lorsque votre esprit et vos désirs seront si doucement excités, la corruption du vice disparaîtra nécessairement.

5. Il faut aussi châtier notre corps, et le mortifier par les veilles, par une humble et continuelle prière; il faut s’attacher à l’arbre de la très sainte Croix, fuir les conversations, surtout celles des personnes relâchées ; et ne doutez pas que Dieu ne vous fasse de grandes grâces, si vous voulez couper sans vous arrêter ù dénouer. Arrangez promptement vos affaires, et courez, avec un doux et tendre désir, au joug de la sainte obéissance. Là vous tuerez votre volonté, vous mortifierez votre corps, et vous goûterez les arrhes de la vie éternelle. Rien ne vous paraîtra pénible. parce que la peine se changera en véritable jouissance. Je suis persuadée que si vous vous unissez par l’amour au doux et bon Jésus, il en sera ainsi, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir uni par l’amour à notre Sauveur [1440], afin que vous arriviez à la vraie pureté, et que vous perdiez cette passion qui vous cause tant de peine. Je ne doute pas que, si vous le faites, vous n’en soyez délivré, et votre volonté préférera la mort à de nouvelles offenses.

6. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et commencez une vie nouvelle, avec l’espérance que vos fautes seront consumées dans le sang et le feu de l’amour. Je veux prendre vos fautes et les effacer par les larmes de la prière, dans les flammes de la charité divine; je veux en faire pénitence pour vous. Je vous prie seulement, et je vous conjure de mépriser le monde et de le fouler aux pieds. Si vous ne le quittez promptement, c’est lui qui vous quittera bientôt. Ne résistez pas à l’Esprit-Saint qui vous appelle. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXCII (284). — A PIERRE, fils de Jacques Attacusi Tholomei, de Sienne.- De la bassesse de ceux qui servent le monde, et de la dignité de ceux qui servent Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l’ami et[1441] le serviteur de Jésus crucifié; car nous ne pouvons autrement plaire à Dieu, et nous sommes obligés de le faire par reconnaissance. Toute créature raisonnable est obligée de l’aimer, car nous n’avons reçu de Dieu que des services, de grâces, des bienfaits; il nous a aimés sans être aimé de nous. Nous n’étions pas, et il nous a crées à son image et ressemblance; nous avions perdu la grâce par la désobéissance d’Adam, et il nous a donné le Verbe, son Fils unique, par amour seulement; car, au lieu de l’avoir servi, nous l’avions offensé par le péché. Nous étions en guerre avec Dieu, et ce Dieu offensé nous a donné le Verbe son Fils pour être notre rançon, notre médiateur, pour apaiser cette grande guerre avec le précieux sang de l’Agneau. Son obéissance a détruit la désobéissance d’Adam, et comme par la désobéissance nous avons contracté le péché, par l’obéissance du Fils de Dieu nous avons contracté la grâce; et la grâce que nous recevons par le moyen du Verbe est infinie; car toutes les fois que l’homme pèche, et recourt au sang de Jésus-Christ avec douleur et regret de sa faute, il reçoit miséricorde par ce sang, qui nous est appliqué dans le sacrement de pénitence; puisqu’en vomissant les souillures de nos iniquités, c’est-à-dire en nous confessant fidèlement et sincèrement à un prêtre, il nous donne par l’absolution le sang de Jésus-Christ; et ce sang lave la lèpre des péchés et des défauts qui sont en nous. Cette grâce, Dieu nous la fait par amour et sans y être obligé. Nous sommes donc tenus de l’aimer; nous devons l’aimer, si nous voulons éviter l’éternelle damnation [1442].

2. Mais remarquez une chose : ceux qui agissent contre le Sang, ou qui s’unissent à ceux qui le persécutent, en poursuivant de leurs injures, de leurs mépris et de leurs outrages l’Epouse de Jésus-Christ, ceux-là, s’ils ne se convertissent pas, ne participeront jamais au fruit du Sang; ils auront beau s’excuser sur les défauts de ceux qui distribuent le Sang, et dire: Nous poursuivons seulement les fautes des mauvais pasteurs, comme le disent tant de faux chrétiens qui semblent vouloir plaire à Dieu en persécutant son Eglise, cette excuse ne leur servira de rien. Admettons que ces ministres soient des démons incarnés remplis de misères, nous ne devons pas nous faire les justiciers et les bourreaux du Christ. Ce sont les oints du Seigneur, qui veut se réserver le droit d’en faire justice par lui ou par ceux qu’il en a chargés. Aucun pouvoir temporel, aucune loi civile ne peut empêcher celui qui l’usurpe d’encourir la mort de son âme. Dieu ne le veut pas, et celui qui le fait ne montre pas son amour pour le Créateur, mais sa haine. Il est bien ignorant et bien misérable, celui qui se voit tant aimée, et qui n’aime pas; et la patience de Dieu est bien grande pour supporter une telle iniquité. N’oublions donc pas de servir et d’aimer notre Créateur, car nous sommes tenus de l’aimer; et ce n’est pas une honte de le servir, car, servir Dieu, ce n’est pas être esclave, c’est régner; plus on le sert, plus on se soumet à lui, et plus on est maître de soi-même. On n’est pas sous la dépendance du néant, c’est-à-dire du péché, et il ne peut pas arriver de plus grand malheur à l’homme que de se faire le serviteur et l’esclave du péché; car il perd [1443] l’être de la grâce, il sert le néant et devient un néant.

3. Qu’il est donc malheureux, l’homme assez insensé, assez privé de toute lumière pour s’avilir au point d’abandonner son Créateur et de servir le démon, le monde, ses délices qui passent, et sa propre sensualité? Il ne sert plus cette Bonté infinie qui l’aime d’un amour ineffable, ce doux et glorieux Maître qui l’a racheté, non pas avec de l’or et de l’argent, mais avec le précieux sang de son Fils unique. Personne ne peut se refuser à lui; car nous sommes vendus, et nous ne pouvons plus nous vendre au démon ni aux créatures, en les servant hors de Dieu. Nous sommes bien obligés de servir notre prochain, mais jamais en ce qui est contraire à la volonté de Dieu, Oh! combien est glorieuse cette puissance que l’âme acquiert en servant son Créateur ! Elle règne sur le monde entier, dont elle méprise les lois et les usages; elle règne sur elle-même, et ne se laisse jamais commander par la colère, par l’impureté, par aucun vice; mais elle les domine tous par l’amour de la vertu.

4. Il y en a beaucoup qui possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes; mais toute puissance sans celle-là, est misérable et dure peu; on l’exerce mal, sans consulter la raison et la justice, en n’écoutant que la sensualité, l’amour de soi-même et les caprices des autres. Ce n’est pas alors la justice, mais l’injustice; car la justice ne veut pas être corrompue par l’amour-propre, par les présents, l’argent et les flatteries des hommes, et celui qui l’aime voudra plutôt mourir que d’offenser

Dieu en cela ou en autre chose; c’est un serviteur fidèle, et il est maître de lui-même en gouvernant la sensualité et le libre arbitre par la raison. Puisque aimer et servir Dieu est si noble, si nécessaire à notre salut, puisque le contraire entraîne tant de danger et de misère, je le veux et je vous en conjure, très cher Frère, servez Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme. Ne comptez pas sur le temps, vous n’êtes pas sûr de l’avoir, car nous sommes tous condamnés à mort, et nous ne savons pas le moment; nous ne devons pas perdre le temps présent à cause de celui qui est incertain.

5. Et parce que nous avons dit que nous sommes obligés d’aimer Dieu, j’ajoute que celui qui aime doit être utile à celui qu’il aime, et le servir, Mais je vois que nous ne pouvons être utiles à Dieu. Quel profit lui cause notre bien? quel tort lui fait notre mal? Que devons-nous donc faire? Nous devons rendre gloire et louange à son nom, orner notre vie de vertus, et nous fatiguer pour le prochain; nous devons travailler à lui être utile, le servir en toutes les choses qui sont selon Dieu, et supporter ses défauts avec une charité bien entendue et non pas déréglée. L’amour déréglé fait quelquefois commettre des fautes pour sauver le prochain, ou pour lui plaire; il ne doit pas en être ainsi, car l’amour bien réglé en Dieu ne veut jamais sacrifier son âme. même pour sauver le monde entier. S’il était possible, en commettant un péché, d’assurer la vie éternelle à toutes les créatures raisonnables, il ne faudrait pas le faire; mais on doit sacrifier la vie du corps pour l’âme de son prochain. et sa fortune pour sauver son corps. C’est ainsi, c’est [1445] par le moyen du prochain que nous devons aimer Dieu, et montrer que nous l’aimons.

6. Vous savez bien ce que le Christ disait à saint Pierre : " Pierre, m’aimes-tu " Et Pierre répondait qu’il savait bien qu’il l’aimait. Et, après trois fois, le Sauveur ajouta: "Si tu m’aimes, pais mes brebis. " Il semblait lui dire : C’est à cela que je verrai si tu m’aimes; tu ne peux m’être utile, mais tu peux secourir ton prochain, le nourrir et lui donner à la sueur de ton front, la sainte et vraie doctrine. Nous devons donc aussi le secourir selon nos aptitudes, les uns par l’enseignement, les autres par la prière, d’autres par leur fortune; et celui qui n’en a pas peut le faire par ses amis, afin que nous exercions tous la charité, et que nous nous servions des moyens que Dieu nous a donnés. C’est ce que je vous demande par grâce et par miséricorde. Je vous redis la parole du Christ e Pierre, aimes-tu ton Créateur, et m’aimes-tu? il faut alors me servir dans ton prochain, qui a besoin et qui souffre. " Il faut le faire de tout notre pouvoir, en cherchant toujours l’honneur de Dieu, et sans jamais l’offenser.

7. J’ai appris que Louis des Vignes de Capoue, frère de Frère Raymond, a été pris par les gens du Préfet lorsqu’il était avec les troupes de la Reine (Louis des Vigne était au services de la reine de Naples, et combattait pour l’Eglise; il faisait partie d’une troupe qui allait attaquer Viterbe, et qui fut battue par le préfet de Rome, Français de Vico, en guerre avec Grégoire XI.). On l’a taxé à quatre mille florins, et il est dans l’impossibilité de les donner, car il est pauvre. Je vous [1446] prie donc et je vous conjure, au nom de l’ineffable charité que Dieu nous a montrée en répandant pour toute créature le sang de son Fils, de vous employer autant que vous le pourrez auprès du Préfet, afin que, par amour pour Jésus crucifié, le fasse grâce et miséricorde à son prisonnier, et ne lui demande pas ce qu’il ne peut donner. Dites-lui que c’est une aumône qui lui obtiendra de Dieu le temps de corriger sa vie, et d’arriver à la vertu, à la paix, au repos de l’âme et du corps, et surtout au respect et à l’obéissance de la sainte Eglise, comme un bon serviteur et un fidèle chrétien. Et après cela il jouira de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Et moi, je m’engage envers lui et envers vous, tant que je vivrai, à offrir sans cesse des prières, des larmes, des désirs pour votre salut, autant que Dieu m’en fera la grâce. Je n’ai pas d’autre chose à vous donner. Faites cela pour lui et pour moi, par amour de Jésus crucifié; vous montrerez ainsi les sentiments que vous avez pour lui, pour moi, pour le Frère Raymond, qui est le père de mon âme. Saluez de ma part le Préfet, et dites-lui de suivre les traces de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1447] .

Table des matières (2)





CCXCIII (285).- A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI.- De la vertu de persévérance, et des armes que nous devons employer pour vaincre nos ennemis.
 
 

(L’illustre famille des Piccolomini a donné à l’Eglise trois papes, quatre cardinaux, quatorze archevêques et vingt et un évêques. Gabriel Piccolomini était très dévoué à sainte Catherine. Son fils, le bienheureux Jean Piccolomini fut aussi son disciple. Il mourut dans l’ordre de Saint-Dominique, le 20 août 1410.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir constant et persévérant dans la vertu, de manière que jamais tu ne détournes la tête en arrière: autrement tu ne pourrais pas être agréable à Dieu et recevoir le fruit du sang de l’humble Agneau sans tache, car la persévérance seule est couronnée. Et si tu me dis, très cher Fils Comment puis-je avoir cette constance et cette persévérance? j’ai tant d’ennemis autour de moi, le monde, les créatures, qui me poursuivent de leurs injures et de leurs murmures, et ma propre sensualité, qui se révolte si souvent contre la raison ! je te répondrai que, pour vaincre ces ennemis, il faut des armes et du courage; il faut entrer généreusement sur le champ de bataille, ne pas craindre la mort et [1448] aimer la gloire qui suit le combat. Ou!, nous sommes sur le champ de bataille pour combattre nos ennemis, c’est-à-dire le monde, la chair et le démon; nous ne pourrons pas combattre sans armes et parer les coups qu’on nous donnera. Quelle arme faut-il donc avoir? une épée. Il faut aussi avoir la cuirasse de la vraie charité, qui résiste aux coups du monde de différentes manières, aux tentations nombreuses du démon et aux attaques de la chair, qui se révolte contre l’esprit; il faut que la cuirasse soit couverte d’une cotte d’armes vermeille, c’est-à-dire du sang de Jésus crucifié; uni et mêlé au feu de la divine charité.
2. Il faut que ce sang paraisse, c’est-à-dire que tu le confesses devant toute créature, et que tu te montres par de bonnes et saintes œuvres, par des paroles s’il le faut, et ne pas faire comme les insensés, qui rougissent devant le monde de reconnaître Jésus crucifié, et de se déclarer ses serviteurs; ceux-là ne veulent pas revêtir la cotte de mailles. Quelle honte pour le monde de ne pas oser reconnaître le Christ et son sang, qui nous a rachetés avec tant d’amour ! Et ils ne rougissent pas de leurs iniquités, qui les privent si malheureusement du prix du Sang, qui ternissent la beauté de leur âme, leur font perdre leur dignité, et les rendent semblables à des animaux grossiers. Ils deviennent les serviteurs et les esclaves du péché, et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils ont perdu la lumière de la raison; ils vont comme des aveugles et des insensés, s’attachant aux choses du monde, qu’ils ne peuvent jamais retenir, parce qu’elles passent comme le vent. Elles nous quittent, ou nous les quittons, lorsque le souverain Juge nous appelle et [1449] que l’âme est séparée du corps. S’ils ne se convertissent pas pendant la vie ou à l’heure de la mort, et personne ne doit être assez ignorante pour attendre ce moment, car nous ne savons pas comment et quand nous mourrons, s’ils ne se convertissent pas, ils sont privés des biens de la terre et de ceux de ciel; ils tombent dans l’éternelle damnation.

3. Aussi je ne veux pas, mon Fils, puisqu’ils courent un si grand danger, que tu leur ressembles. Mais arme-toi, comme je te l’ai dit; sois constant, persévérant dans ce combat jusqu’à la mort, sans jamais craindre. Il faut avoir aussi à la main pour te défendre Je glaive de la haine et de l’amour, l’amour de la vertu et la haine du vice; et avec ce glaive, tu frapperas le monde, en détestant ses honneurs, ses délices, ses pompes, ses vanités, son orgueil infini. Tu frapperas tes persécuteurs avec la vraie patience que tu acquerras par l’amour de la vertu; tu frapperas le démon, parce que la charité seule le frappe, et le chasse de l’âme comme la mouche est chassée par la vapeur de l’eau qui bout. Tu frapperas aussi la sensualité et ta faiblesse par la haine que tu trouveras dans la sainte connaissance de toi-même, et par l’amour de ton Créateur, que tu acquerras par la connaissance de Dieu en toi; c’est cet amour qui te fera combattre.

4. Tu dois avoir sans cesse devant les yeux de ton intelligence, Jésus crucifié se glorifiant dans ses opprobres et dans ses peines; tu verras en lui la gloire qui est préparée pour toi et pour ceux qui le servent. Dans cette gloire, tu trouveras et tu recevras la récompense de tout ce que tu auras souffert pour la [1450] gloire et l’honneur de son nom. C’est ainsi, très cher Fils que tu parviendras à la vertu parfaite, que tu vaincras ta faiblesse et que tu persévéreras jusqu’à la mort. Sans la persévérance, notre arbre ne peut produire aucun fruit. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir constant et persévérant, afin que tu ne tournes jamais la tête en arrière. Je ne t’en dis pas davantage. Je t’ai parlé d’armes pour que tu sois prêt quand se lèvera l’étendard de la très sainte Croix. J’ai voulu te faire connaître les armes les meilleures, et il faut que tu commences à t’en servir parmi les chrétiens, pour quelles ne soient pas rouillées quand tu marcheras contre les infidèles. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXCIV (286).- A PIERRE, fils de Thomas Bardi, de Florence. Lettre écrite en extase.- La foi doit être accompagnée des œuvres, et tonte bonne œuvre est récompensée.

(La famille Bardi est une des plus illustres de Florence. Pierre Bardi fut un des dix du gouvernement, en 1395. )
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE





1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de [1451] la lumière de la très sainte Foi, et revêtu de la parfaite espérance. Vous ne pourrez autrement plaire à notre Créateur et participer à la vie de la grâce, car la Foi vive n’est jamais sans les œuvres (Jc 2,17). Si la Foi était sans les œuvres, elle serait morte, et n’enfanterait que des vertus mortes et stériles. Car celui qui n’a pas la lumière de la Foi est privé de la vertu de charité; et sans la charité, tout le bien, tous les actes de vertu qu’on fait ne servent pas pour la vie éternelle; il ne faut pas cependant cesser de les faire, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en péché mortel, et privé par conséquent de la lumière de la très sainte Foi, ne profite pas pour la vie éternelle; mais il profite pour d’autres choses, et attire les grâces de Dieu. La Bonté divine ne veut pas que le bien fait par l’homme soit inutile, et il le récompense, quelquefois en nous donnant le temps de nous convertir, quelquefois en mettant dans les cœurs de ses serviteurs le désir de notre salut, et en nous aidant par ce désir et par leurs prières à sortir des ténèbres du péché mortel, et à revenir à l’état de grâce. Il le récompense encore dans les choses temporelles, lorsque l’homme par sa faute se rend incapable de recevoir des grâces spirituelles. Vous voyez donc que tout bien est récompensé, et que nous ne devons jamais cesser de faire le bien; mais nous devons nous appliquer à le faire en état de grâce, pour qu’il soit fait à la lumière de la Foi; c’est à cette lumière que naissent les vraies vertus, qui donnent à l’âme la vie de la grâce [1452].

2. O glorieuse lumière ! qui délivres l’âme des ténèbres, et la dépouilles de l’espérance qu’elle met en soi-même, dans le monde, les enfants et les créatures, pour la revêtir de la véritable espérance qu’elle place en Jésus crucifié. L’âme ne craint jamais qu’il lui manque quelque chose, parce qu’à la lumière de la Foi, elle a connu la bonté de Dieu à son égard; elle voit que Dieu est tout-puissant, et qu’il peut la secourir, qu’il est très sage et qu’il sait comment le faire, qu’il est très bon et qu’il veut le bien de sa créature raisonnable. Celui qui espère en lui, Dieu ne l’abandonne jamais; il nous assiste selon que nous espérons en ses largesses, et il mesure ses dons à nos espérances. Si l’homme se connaît à la lumière de la Foi, il ne se confie pas en lui-même et en ce qu’il possède; car il connaît son néant, et il voit que, si ce qu’il aime était à lui réellement, il le posséderait selon son désir. Mais il veut être riche, il est souvent pauvre; quand il souhaite la santé et une longue vie, il devient malade, et le temps lui échappe. Bien fou et bien malheureux est celui qui met son espérance dans l’homme ! car il doit voir qu’il n’a rien par lui-même, et que le monde et l’homme ne le servent que par intérêt. Celui donc qui met en eux son espérance est toujours trompé; rien ne lui réussira; en voulant s’enrichir et donner de la fortune à ses enfants, il appauvrira son âme. L’existence lui devient insupportable, parce qu’il désire ce qu’il ne doit pas désirer; et comme sa volonté s’égare à vouloir ce qu’il n’a pas, il est toujours dans la peine, parce qu’il est privé du Bien suprême, qui apaise, calme et rassasie l’âme[1453].

3. O mon Frère, mon très cher Fils, ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, afin de connaître le néant, la vanité du monde et l’infinie bonté de Dieu, qui seul est fidèle, immuable, qui seul nourrit et rassasie l’âme dans son ardente charité, qui la revêt d’espérance. Elle espère en son doux Créateur, et sait bien que la Bonté divine voit ses besoins: elle lui offre ses désirs, ses besoins; elle le sort de tout son cœur, de toutes ses forces. Elle travaille pour sa famille, elle l’aide et l’assiste autant qu’elle peut, et selon les lois de la conscience; mais elle laisse faire le reste à la divine Bonté, en qui elle a mis son espérance, parce qu’elle connaît à la lumière de la Foi toute la tendresse de sa providence. Je ne vois pas comment vous pourriez échapper àla fange du monde sans la lumière de la Foi, d’où vient l’espérance de la charité, qui fait goûter à l’âme les arrhes de la vie éternelle, parce que sa volonté est revêtue de la douce volonté de Dieu.

4. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé de la lumière de la très sainte Foi et revêtu de l’espérance parfaite. Et je vous prie de le faire, vous et votre femme, par amour de Jésus crucifié, afin de ne pas être en état de damnation, Et si vous ne l’avez pas fait autrefois, je veux que vous le fassiez maintenant. Ne tardez pas à vous occuper de votre salut, car le temps ne vous attend pas; vous ne devez pas non plus l’attendre et faire comme le corbeau, qui crie: Cras, cras, demain, demain. Ceux qui perdent le temps disent aussi toujours: Je le ferai demain; et ils arrivent la mort sans s’en apercevoir. Ils demandent alors du temps, et ils ne peuvent [1454] en obtenir; ils ont dépensé celui qu’ils avaient, à vivre dans l’avarice et la débauche, à souiller leur esprit et leur corps; ils ont profané Je sacrement de mariage, et ils ont fait leur Dieu de leurs enfants. Dans leur aveuglement, ils mettent leur espérance où ils ne doivent pas la mettre, et ils vont ainsi de chute en chute, tellement que, s’ils ne se convertissent pas, s’ils n’expient pas leur faute par la contrition du cœur, la confession et la satisfaction autant qu’ils le peuvent, car Dieu ne leur demande pas l’impossible, ils arrivent à. l’éternelle damnation. Je veux donc que vous sortiez de votre sommeil avant que vienne la mort. Ne perdez pas ce désir, cette lumière, que Dieu vous a donnés; mais augmentez-les par la pratique des vertus, par la lumière de la Foi et la sainte espérance. Ne pensez pas que la divine Providence puisse jamais vous abandonner; mais elle vous secourra toujours si vous espérez en elle dans tous vos besoins. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCXCV (287). — A JEAN TRENTA, et à sa femme, à Lucques. — Elle les exhorte à l’union, à la concorde et à l’imitation de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Jean, mon très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1455] serviteurs de Dieu, je vous bénis et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils. Mon Fils, j’ai désiré avec désir vous voir, vous, votre famille, et surtout votre femme, si parfaitement unis dans les liens de la vertu, que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. O ma Fille et mon Fils bien-aimés, qu’il ne vous paraisse pas pénible et dur de faire quelque chose pour Jésus crucifié. Ne serait-ce pas une grande ignorance, une grande insensibilité de cœur, de voir la souveraine, l’éternelle Grandeur, le Christ, descendre jusqu’à notre humanité, et ne pas nous humilier ! Ne voyez-vous pas le Christ, pauvre, s’humilier dans une crèche, entre deux animaux, et repousser toute pompe, toute gloire humaine? Ce qui fait dire à saint Bernard, nous montrant l’humilité profonde et la pauvreté du Christ pour confondre notre orgueil: "Rougis donc, homme superbe qui cherches les honneurs, les délices et les pompes du monde ! Tu crois peut-être que ton Roi, le doux Agneau, a nu des palais somptueux et une cour brillante? Non; la douce Vérité suprême ne l’a pas voulu. Pour notre exemple et notre règle, Notre-Seigneur a choisi une pauvreté si grande, qu’il n’avait pas un morceau d’étoffe convenable pour s’envelopper; et comme il faisait bien froid, un animal soufflait sur le corps de l’enfant; et jusqu’au dernier instant de sa vie, sur le lit de la Croix, il fut si nu, qu’il disait: Les oiseaux ont un nid, et les renards une tanière; mais le Fils de la Vierge n’a pas où reposer sa tête (Lc 9,58).[1456]"

2. O pauvres misérables que nous sommes ! Mon doux Frère, ma Sœur, est-ce que vos cœurs ne sont pas assez touchés pour résister à toutes les illusions du démon et à tous les propos des créatures? Donnez-vous donc généreusement à Pieu, et suivez dans la paix et l’union les traces de notre doux Sauveur, qui nous dira cette douce parole: Venez. mes enfants- Pour mon très doux amour, vous avez quitté les désirs déréglés de la terre; je vous remplirai et je vous comblerai des biens du ciel; je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. Quand la douce Vérité vous donne-t-elle le centuple? Quand elle répand dans vos âmes sa très ardente charité. C’est là ce doux centuple sans lequel nous ne pouvons avoir la vie éternelle, mais avec lequel elle ne peut nous être enlevée. Oui, je vous conjure de ne pas affaiblir, mais d’augmenter les saintes résolutions, les bons désirs que Dieu vous a donnés; c’est ce que désire mon âme. Je termine. Que Dieu vous donne sa douce, son éternelle bénédiction. Moi, l’inutile servante, je me recommande à vous- Moi Jeanne Pazzi (Jeanne Pazzi, compagne de sainte Catherine lui servit de secrétaire pour cette lettre.), et toutes les autres, nous demandons toutes à Dieu de mourir d’amour. Doux Jésus, Jésus amour [1457].

Table des matières (2)





CCXCVI (288).- A BARTHOLE USIMBARDI, à Florence.- De la charité, de l’humilité et de la vraie persévérance.

(Barthole Usimbardi était un des disciples de sainte Catherine, à Florence. Il appartenait à une des plus nobles familles de cette ville.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûler dans la fournaise de la charité divine, afin que tout amour-propre soit consumé en vous, et que vous vous appliquiez uniquement à. plaire à votre Créateur, ne vous inquiétant pas de ce que disent les créatures, ni des injures, des mépris et des reproches que vous en recevez mais inclinant humblement la tête devant tout ce que la Bonté divine voudra permettre. Pour être fort contre les tentations et les attaques du démon, ayez une volonté ferme de n’y jamais consentir, mais d’aimer uniquement et de servir votre Créateur. En faisant ainsi, vous serez persévérant jusqu’à la mort, et vous recevrez enfin la récompense de toutes vos fatigues, qui est, nous dit saint Paul, incomparablement plus grande que tout ce que nous pouvons souffrir en cette vie [1458].

2. Réjouissez-vous, mon doux Fils de ce que vous avez encore reçu le sang de Jésus-Christ en grande abondance; car j’ai obtenu du Saint-Père l’indulgence plénière de la mort pour beaucoup de mes enfants. Vous êtes du nombre, ainsi que François et sa femme; mais je ne ferai faire pour tous qu’une expédition de cette grâce, afin d’éviter les difficultés et la dépense. Ne vous tourmentez pas si vous n’avez pas d’écrit, la parole du Vicaire de Jésus-Christ doit vous suffire; et au moment de la mort vous pourrez demander au prêtre l’absolution de la faute et de la peine, comme il peut et doit vous la donner. Croyez, mon Fils, avec une foi vive et une ferme espérance qu’avec cette indulgence, en quittant cette vie bien confessé et bien repentant de vos fautes, votre âme, ira pure et préparée pour la vie éternelle, comme le jour où elle a reçu le saint baptême.

3. Je veux donc que vous changiez de vie, et que vous la régliez entièrement sur la volonté de Dieu. Mettez votre cœur et votre affection en lui; méprisez le monde, et n’en usez que par nécessité. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1459].

Table des matières (2)





CCXCVII (289). — A BARTHOLE USIMBARDI, à sa femme, madame Orna, à François Pépin, tailleur, et à sa femme, madame Agnès, de Florenco.- Elle les exhorte à la vertu de charité, et à suivre la croix de Jésus-Christ.

(Le mot tailleur peut bien n’être qu’une indication de profession. Les corps de métiers avaient le pas sur la noblesse dans la république de Florence.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlés et consumés dans le feu de la charité. Ce feu, en brûlant, ne consume pas, mais engraisse l’âme; elle l’unit et la transforme en lui, le feu de l’amour divin. L’âme voit qu’elle a reçu de Dieu l’être uniquement par amour, et que, par amour aussi, Dieu lui accorde toutes les grâces et tous les dons qui sont ajoutés à l’être. Elle voit ensuite que, par amour, Dieu le Père nous a donné le Verbe son Fils pour qu’il payât nos dettes, et qu’il nous tirât de l’obscure prison et de la servitude du démon, dont l’homme ne pouvait pas sortir. Ce Verbe divin, en devenant homme mortel, descendit sur le champ de bataille pour nous. Il défit le démon, brisa l’obscure prison, et nous tira de la malheureuse servitude où, depuis si longtemps, le [1460] genre humain était plongé; il nous ouvrit avec la Croix, la porte de la vie éternelle. Il a fait tout cela par amour. Puisqu’il nous a montré la voie et ouvert la porte, il ne nous reste plus qu’à avancer, Nous pouvons marcher en toute assurance sous l’étendard glorieux de la Croix, et nos ennemis seront épouvantés et vaincus. Notre Dieu nous attend avec amour, et nous invite à venir jouir de lui, le souverain Bien.

2. O amour ineffable, charité infinie, feu de la divine charité ! quel est le cœur qui, en se voyant aimé avec tant d’ardeur, ne se brisera pas d’amour, et ne se transformera pas tout en lui? Ce cœur serait trop dur, plus dur que le diamant, s’il résistait àune telle flamme. Je veux donc, mes très chères Filles, dame Orsa et dame Agnès, que vous quittiez le sommeil de la négligence, et que vous contempliez avec l’oeil de l’intelligence, ce foyer d’amour. Je vous dis la même chose, mon Fils François; et lorsque vous aurez vu, vous serez forcé d’aimer; et lorsque vous aimerez, tous les fardeaux vous seront légers pour Dieu; et aussitôt votre amour s’étendra sur votre prochain, c’est ce que Dieu aime le plus; vous satisferez ainsi à l’amour de Dieu et du prochain. Le temps me presse, et je vous dis seulement de mettre votre force en Jésus crucifié et de vous baigner dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1461].

Table des matières (2)







CCXCVIII (290). — A BARTHOLE USIMBARDI, et à François Pépin, de Florence.- Elle les exhorte à la reconnaissance envers Dieu, d’ou viennent toutes les vertus.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir pleins de reconnaissance pour les bienfaits que vous avez reçus de notre Créateur, afin que la source de la piété coule en vous. Cette reconnaissance vous rendra zélés à pratiquer la vertu. Car, de même que l’ingratitude rend l’âme paresseuse et négligente, de même la douce habitude nous rend avares du temps, et nous ne passons pas un instant sans travailler. De cette gratitude procède toute véritable vertu. Qui nous donne la charité? qui nous rend humbles et patients? la seule gratitude. Car celui qui voit la grande dette qu’il a contractée envers Dieu s’applique à. vivre vertueusement, parce qu’il sait que Dieu ne nous demande pas autre chose. Aussi, mes doux enfants, rappelez-vous avec zèle tous les nombreux bienfaits que vous avez reçus de lui, afin d’acquérir parfaitement cette mère des vertus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1462].

Table des matières (2)





CCXCIX (291).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Elle les exhorte à acquérir les vertus, et à mépriser le monde.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer la vertu, car vous ne pouvez pas autrement avoir la vie de la grâce et participer au sang du Fils de Dieu. Puisque cela est si nécessaire, il faut absolument extirper les vices en nous. et planter la vertu; il faut faire violence à nos passions sensitives, et nous dire à nous-mêmes : Je veux plutôt mourir qu’offenser mon Créateur et perdre la beauté de mon âme. Je veux qu’il en soit ainsi, mes très chers enfants. Soyez. des miroirs de vertus, foulez aux pieds le monde avec toutes ses délices, et suivez Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1463].

Table des matières (2)





CCC (292).-A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence.- De la persévérance, et du renoncement à la volonté propre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à. celui qui commence seulement, mais à. celui qui persévère jusqu’à. la mort. Aussi je veux que vous grandissiez et que vous persévériez dans la vertu jusqu’à la mort, et qu’aucune tribulation, aucune attaque du démon ou des créatures ne vous fassent tourner la tête en arrière. Baignez-vous dans le sang du Christ, en anéantissant et en tuant toute volonté propre, toute passion sensitive; et alors vous serez fort, et rien ne pourra vous ébranler, parce que vous aurez pour fondement la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, et vous recevrez la récompense de vos fatigues. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1464].

Table des matières (2)





CCCI (293). — A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à sa femme, madame Agnès. — Des vrais serviteurs de Jésus-Christ. — Du souvenir des bienfaits de Dieu et de nos défauts.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les vrais serviteurs de Jésus crucifié, constants et persévérants jusqu’à la mort, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu’à. la fin. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à courir dans la voie de la vérité, vous efforçant toujours d’avancer de vertu en vertu. Ne pas avancer, c’est reculer, car l’âme ne peut jamais rester stationnaire. Et comment pourrons-nous, très cher Fils, augmenter le feu du saint désir? en mettant du bois sur le feu. Mais quel bois? le souvenir des nombreux et infinis bienfaits de Dieu, qui sont innombrables, et surtout le souvenir du sang versé par le Verbe, son Fils unique, pour nous montrer l’amour ineffable que Dieu a pour nous; en nous rappelant ce bienfait et tant d’autres, nous verrons augmenter notre amour [1465].

2. Il faut aussi considérer nos nombreux et innombrables défauts, les péchés que nous avons commis contre Dieu; il faut les regretter, les pleurer amèrement en comprenant combien a été grande la miséricorde de Dieu envers nous, puisqu’il ne nous a pas fait engloutir par la terre, ou dévorer par les bêtes féroces. C’est ainsi que vous mettrez du bois pour augmenter le feu; la vue des bienfaits nous donnera l’amour de la vertu, et celle de nos iniquités nous fera concevoir la haine du vice et de la sensualité qui en est cause. De cette manière nous persévérerons jusqu’à. la mort, en avançant toujours, et alors vous serez les vrais serviteurs de Jésus crucifié. Je vous disais que c’était là mon désir pour vous, et je vous conjure de le faire pour l’amour de Jésus crucifié, afin que je voie s’accomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCII (294).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Nous devons marcher dans cette vie comme des pèlerins, avec patience, persévérance et mépris du monde.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1466] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons et vrais pèlerins. Car pour toute créature raisonnable, la vie est un pèlerinage; ici-bas n’est pas notre fin le but que nous devons atteindre, et pour lequel nous avons été créés, est la vie éternelle. Aussi je veux que nous suivions la voie qui a été tracée, c’est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Celui qui la suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à. la parfaite lumière. Nous devons donc être comme des pèlerins que les plaisirs ou les difficultés du chemin ne détournent et n’arrêtent pas, mais qui marchent toujours jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au terme.

2. Il faut faire de même, très chers Fils; nous sommes entrés dans ce chemin de la doctrine du doux et tendre Verbe, pour arriver à Dieu le Père; nous trouvons des passages mauvais, nous rencontrons les injures et les outrages des créatures, les attaques du démon. Il ne faut pas pour cela nous arrêter et tourner la tête en arrière par impatience, mais il faut surmonter tout généreusement, avec la lumière de la Foi; il faut humblement baisser la tête sous la douce volonté de Dieu, qui, pour nôtre bien, permet ces moments difficiles, afin de pouvoir nous mieux récompenser. Car, comme le dit le glorieux apôtre saint Jacques: " Heureux celui qui supporte la tentation;car quand il aura été éprouvé, il recevra la couronne de vie (Jc 1,12)." Et saint Paul dit: " Il n’y aura de couronné que celui qui aura vaillamment combattu (2 Rim 2,5) [1467]. " Réjouissez-vous donc quand vous êtes tourmentés par les démons et les créatures, puisqu’ils vous préparent ainsi la couronne. Marchez avec persévérance dans le chemin de la vérité. Que les plaisirs, les honneurs, les jouissances que le monde vous promet, et que notre chair fragile désire, ne vous engagent jamais à vous arrêter pour jouir; mais, comme de vrais pèlerins, faites semblant de ne rien voir, et poursuivez votre voyage avec courage jusqu’à la mort, afin d’arriver au terme. Je vous prie de le faire par amour pour Jésus-Christ. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCIII (295).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De la sainte crainte de Dieu, qui détruit la crainte servile.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la sainte crainte de Dieu, parce que sans cette crainte, vous ne pourrez participer a la vie de la grâce. Cette sainte crainte chasse la crainte servile qui était dans l’âme, et lui donne une telle assurance, que pour accomplir la volonté de Dieu, elle ne craint pas de déplaire aux [1468] hommes; elle ne redoute ni les reproches, ni les mauvais traitements, ni les outrages. Elle ne craint pas de perdre sa fortune, sa vie même, pourvu qu’elle rende au nom de Dieu la gloire qui. lui est due; elle a détaché son regard de la terre pour le fixer sur son Créateur, et suivre avec zèle les traces de Jésus crucifié. Toutes ses œuvres sont dirigées et réglées selon la volonté de Dieu; elle demeure dans les liens de la charité avec toutes les créatures raisonnables. Tout bien, toute paix, tout repos découlent de cette sainte et douce crainte, et elle donne la perfection à. l’âme qui l’a prise pour fondement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermis dans cette sainte crainte, et je vous prie de le faire pour l’amour de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCIV (296).-A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De quelle manière la raison doit vaincre la sensualité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillés de vous-mêmes et revêtus de Jésus crucifié, morts à toute volonté, à [1469] toute complaisance humaine, afin que la douce vérité vive seule en vous. Car je ne vois pas que vous puissiez autrement persévérer dans la vertu; et en ne persévérant pas, vous ne recevrez pas la couronne de la béatitude, et vous perdrez ainsi le fruit de vos fatigues.

2. Je veux donc, mes doux Fils, qu’en toute chose vous vous étudiiez, à tuer cette volonté sensitive, qui veut toujours se révolter contre Dieu; et voici le moyen de la tuer: il faut que la raison siège sur le tribunal de votre conscience, et ne laisse jamais passer la moindre pensée contraire à Dieu sans la reprendre sévèrement. Que l’homme sépare en lui la sensualité et la raison; que la raison prenne le glaive à deux tranchants, le glaive de la haine du vice et de l’amour de la vertu, et que par son moyen, il réduise la sensualité en esclavage, déracinant et détruisant le vice et les mouvements déréglés dans son âme. Il faut qu’il ne donne jamais à la sensualité, son esclave, ce qu’elle lui demande, mais qu’il la foule aux pieds par l’amour de la vertu. Si elle veut dormir, Il faut recourir aux veilles et à l’humble prière; si elle veut manger, il faut jeûner; si elle veut écouter la concupiscence, il faut prendre la discipline; si elle veut s’abandonner à la négligence, il faut faire de saints exercices; si elle se laisse entraîner par sa fragilité ou par les illusions du démon à des pensées déshonnêtes, il faut la reprendre sévèrement, l’effrayer par le souvenir de la mort, et chasser par de saintes pensées, les pensées coupables.

3. Il faut ainsi en toute chose vous faire violence à vous-mêmes, mais toujours avec discrétion, en [1470] tenant compte des besoins de la nature, afin que le corps, comme instrument, puisse aider l’âme à servir Dieu. De cette manière, par la violence que vous ferez à cette loi de votre chair et de votre volonté propre, vous aurez la victoire de tous les vices, et vous acquerrez toutes les vertus, Mais je ne vois pas que vous puissiez le faire, tant que vous serez revêtus de vous-mêmes. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous en voir dépouillés, et revêtus de Jésus crucifié; et je vous conjure de vous appliquer à le faire, afin que vous soyez ma gloire. Soyez :deux miroirs de vertu en la présence de Dieu; quittez toute négligence et toute ignorance que je vois encore en vous; ne me causez pas de peine, mais de la joie. J’espère de la bonté de Dieu que vous me donnerez cette consolation. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCV (597).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Il faut fuir la société des pécheurs, et rechercher celle des serviteurs de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1471], avec le désir de vous voir éclairés de la vraie lumière, afin que vous persévériez dans la vertu Jusqu’à la mort. Sans cette lumière, mes amis, vous marcherez dans les ténèbres, et vous ne connaîtrez pas la vérité les choses douces vous paraîtront amères, et les amères, douces. Mais en ayant la lumière, nous serons prudents, et nous fuirons tout ce qui peut diminuer en nous la vertu et l’amour parfait que nous devons avoir pour notre Créateur. Avec cette lumière, nous verrons combien est dangereuse la société de ceux qui vivent sans la crainte de Dieu; car elle cause notre ruine, elle abrutit la conscience, elle éloigne la prière, qui nourrit ; elle chasse l’abstinence, empêche la ferveur et développe l’amour de vains plaisirs du monde. Elle nous ravit la sainte humilité, détruit la retenue, excite les passions et obscurcit l’oeil de l’intelligence, au point que l’âme paraît ne pas avoir commencé à connaître son Créateur. Et ainsi, peu à peu, la créature change sans s’en apercevoir; l’ange terrestre devient un démon de l’enfer. Où est la pureté d’autrefois? où est le désir de souffrir pour Dieu? où sont les larmes que vous aviez coutume de répandre en la présence de Dieu avec d’humbles et continuelles prières? où est cette charité fraternelle que vous aviez pour toute créature raisonnable? Rien n’est resté, parce que le démon a tout volé par le moyen de ses serviteurs.

2. Je ne veux pas, mes très chers et doux enfants, que cela vous arrive; mais que votre conversation soit toujours avec ceux qui craignent et aiment Dieu en vérité. Ceux-là. sont un moyen de réchauffer nos cœurs et d’en amollir la dureté, en nous parlant doucement [1472] de Dieu, de sa bonté infinie, de sa charité envers nous. On se communique la lumière les uns aux autres, en s’entretenant de la doctrine de Jésus crucifié et de la vie des saints; on méprise toutes les passions sensuelles, on embrasse avec une sainte modestie l’humilité, et l’humiliation, sa sœur, en se méprisant soi-même : ainsi profite la société des serviteurs de Dieu, tandis que tout le mal vient de la société des serviteurs du monde. Le Saint-Esprit a dit, par la bouche du Prophète " Tu seras saint avec les saints, innocent avec les Innocents, élu avec les élus, et méchant avec les méchants (Ps 27,26). Je veux donc que vous ayez un grand soin de fréquenter toujours les serviteurs de Dieu, et de fuir ceux du monde comme le feu. Ne vous fiez pas à vous-mêmes, en disant : Je suis fort, et je ne crains pas qu’ils me fassent tomber. Non, ne le dites pas, pour l’amour de Dieu; mais reconnaissons que si Dieu ne nous soutenait pas, nous serions de véritables démons. N’avons-nous pas un exemple qui doit nous faire toujours trembler? Je suis persuadée que, si vous avez la vraie lumière, vous accomplirez pour cela et pour le reste la volonté de Dieu et mon désir, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairés de la lumière parfaite. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1473].

Table des matières (2)





CCCVI (298).- A FRANCOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à dame Agnès, sa femme.- De la persévérance dans l’amour de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir augmenter en vous le feu du saint désir, de peur que, n’avançant pas, vous reculiez, et que, reculant, vous deveniez digne d’un jugement plus sévère que si vous n’aviez jamais été touché; car il sera plus demandé à celui qui aura plus reçu. Je veux donc que vous sortiez courageuse. ment du sommeil de la négligence, et que vous soyez plein de zèle pour augmenter en vous la lumière; car si la lumière augmente, l’amour augmentera, et si l’amour augmente, les vertus et les bonnes œuvres augmenteront aussi jusqu’à la mort; et alors vous ferez ce qui vous est demandé, c’est-à-dire que vous aimerez Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-même.

2. Et toi, Agnès, je te dirai aussi, tâche d’augmenter en toi la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, et de répandre des torrents de larmes avec d’humbles et continuelles prières en présence de Dieu pour le salut du monde entier, et surtout pour la réforme de la douce Epouse du Christ, que nous [1474] voyons exposée à tant de ténèbres et de ruines. Je n’en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCVII (209).- A JEAN DE PARME, à Rome, le 23 octobre.- Le corps de Jésus-Christ est le livra où nous pouvons tout apprendre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; car autrement l’édifice ne serait pas solide, et le moindre vent contraire le renverserait. Mais l’âme qui est fondée sur cette douce Pierre vive, c’est-à-dire qui suit la doctrine de Jésus crucifié, ne périt jamais. Quelle est cette doctrine qu’enseigne le doux et tendre Verbe, qui est appelé la Pierre vive? ou nous l’enseigne-t-il? Ce n’est pas au milieu des délices et des plaisirs du monde, mais sur la table de la très sainte Croix. Elle nous enseigne à aimer Dieu en vérité, en détestant le vice et la sensualité, cause du vice, et en aimant la vertu et Dieu, cause de toute vertu. Elle nous enseigne à obéir aux commandements de la loi, elle nous fait aimer les conseils, et nous donne le désir de les acquérir sur [1475] la table de la très sainte Croix, ou l’âme se revêt de la charité de Dieu et du prochain. Mais considérez qu’on ne peut apprendre sans la lumière et sans le livre.

2. Nous avons besoin que l’oeil de l’intelligence soit éclairé de la lumière de la très sainte Foi, et que le livre soit écrit. C’est par l’Ecriture que nous apprenons la doctrine. Si nous regardons bien, très cher Frère, nous verrons que Dieu nous a donné l’oeil de l’intelligence. et intérieurement la lumière de la Foi, qui ne peut nous être enlevée ni par le démon ni par les créatures, si nous ne la perdons nous-mêmes par l’amour-propre. Il nous a donné le livre écrit, le Verbe, le Fils de Dieu; il a été écrit sur le bois de la Croix, non pas avec de l’encre, mais avec du sang; et les initiales sont les très douces et très sacrées plaies du Christ. Et quel est l’ignorant et l’esprit grossier qui ne saura pas lire ce livre? personne, excepté ceux qui s’aiment eux-mêmes, et cela non pas par défaut de science, mais par défaut de volonté. Ce qui est écrit à ses pieds percés nous invite à fixer en lui notre affection, en nous dépouillant de toute volonté déréglée, et en ne cherchant et ne voulant que Jésus crucifié.

3. Celui qui veut aller au Père par le moyen de la Parole Incarnée écrite sur ce livre, doit désirer souffrir sans l’avoir mérité, souffrir les peines du corps et de l’esprit, les tentations nombreuses que Dieu permet, les attaques du démon et des créatures; il doit tout supporter pour la gloire et l’honneur de son nom; et en suivant cette voie, il accomplira en lui cette parole de notre doux Sauveur, qui disait [1476]: " Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi (Jn 14,6). i Il est la voie et la vérité, et celui qui va par lui marche dans la lumière et ne s’égare pas dans les ténèbres. De cette manière il perce les pieds de son affection, et en suivant la voie de la vérité il arrive au côté de Jésus crucifié, où il trouve la vie de la grâce. Il a dépouillé l’amour du vieil homme par la sainte haine du vice et de la passion sensitive; et cette haine, il l’a trouvée dans le livre divin, car Notre-Seigneur a tant bai le péché, qu’il a voulu le punir sur son corps. Il trouve aussi l’amour sincère des vraies et solides vertus dans son cœur ouvert, car cette blessure nous a montré cet ardent amour; elle nous a fait un bain de son sang, et ce sang était mêlé au feu de la divine charité, puisqu’il a été répandu par amour; c’est par amour pour l’honneur de son Père et pour notre salut que le Christ a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix, afin d’accomplir les ordres de son Père.

4. Vous voyez donc bien la doctrine qu’il nous enseigne sur la tahle de la Croix; il nous apprend à être humble et doux de cœur. Avec cette humilité et cette douceur nous observerons les doux commandements de Dieu. et nous leur obéirons. Où les avons-nous trouvés? dans ce livre. Avec quelle lumière? avec la lumière de la très sainte Foi. Et en ayant ainsi faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, nous recevrons en nous la vie de la grâce. Peu à peu nous lirons sur la tête couronnée d’épines de Jésus crucifié, et sur sa bouche; nous couronnerons d’épines notre [1477] volonté, qui est elle-même une épine qui déchire et tourmente l’âme lorsqu’elle est en dehors de la douce volonté de Dieu. Cette douce tête couronnée d’épines de Jésus crucifié nous fait perdre cette douloureuse épine, et alors nous trouvons la paix dans sa bouche abreuvée du fief et du vinaigre de nos iniquités. Nos Iniquités ont été un fiel amer et un vinaigre qui nous ont ôté la force de la grâce; mais notre âme, en devenant semblable à Notre-Seigneur et en se revêtant de la douce volonté de Dieu, goûte la paix qu’il nous a acquise au prix de tant d’amertume, en pacifiant Dieu avec l’homme, qui était depuis longtemps son ennemi. Car, comme le dit le glorieux saint Paul, " le Christ béni est notre paix, il s’est fait le médiateur entre Dieu et l’homme (1 Tim 2,5 ; 2 Co, 5,18). " Le doux apôtre nous exhorte à nous réconcilier et à faire notre paix avec lui, puisqu’il est venu pour être notre médiateur.

5. En suivant cette voie douce et droite, nous recevrons le fruit de cette paix en cette vie, nous mangerons les miettes de la grâce, et dans la vie éternelle, nous jouirons de la nourriture abondante et parfaite qui rassasie parfaitement, sans laisser rien à désirer. C’est ce que veut nous apprendre le glorieux docteur, saint Augustin lorsqu’il dit que le rassasiement y est sans dégoût, et la faim sans peine. La peine est bien loin de la faim, et le dégoût du rassasiement; car dès que l’âme a goûté la paix, et qu’elle est arrivée à ce bonheur, elle a lu et elle lit sans cesse dans les mains clouées du Fils de Dieu, le moyen de faire toutes ses [1478] œuvres spirituelles et mentales, suivant la volonté de Dieu, en les faisant toutes pour la gloire de son nom. Si elle fait une œuvre spirituelle, elle s’applique à la faire selon la charité divine; son cœur y est toujours uni par tous les exercices qu’on peut employer pour arriver à la vertu, autant que Dieu le permet et qu’elle le peut. Elle fait tout avec la sainte crainte de Dieu et en s’attachant à la Croix. Le vrai serviteur de Dieu ne voudrait pas vivre sans souffrir. il veut prendre sa croix et suivre le Christ avec vérité, constance, patience et persévérance jusqu’à la mort, parce qu’il a pris pour fondement la Pierre vive, et qu’il a appris la doctrine dans le livre divin dont nous avons parlé, au moyen de la lumière de la très sainte Foi. Les peines ne l’empêchent pas de persévérer dans la vertu; elles sont au contraire sa joie, à l’exemple de l’humble Agneau, qui n’a pas craint la souffrance et la mort pour nous sauver et pour obéir à son Père. Il n’a pas été arrêté par notre ingratitude et par les Juifs, qui lui disaient Descends de la Croix, et nous croirons en toi. C’est de Jésus crucifié qu’il apprend la persévérance; mais s’il n’avait pas pour fondement cette Pierre vive, il tournerait la tète en arrière ; il craindrait son ombre, et succomberait en toute occasion.

6. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; je vous conjure de le faire, et je suis persuadée que si vous lisez dans ce doux livre, le livre qui vous trouble ne vous fera aucun mal. Si ce livre s’écarte de la vérité et de la doctrine des sainte approuvée par la sainte Eglise, laissez-le, ou faites-le corriger, et ne [1479] vous en servez plus. Contentez-vous de ceux que vous savez être certainement conformes à la vérité. SI votre conscience est inquiète, et si le démon vous dit, pour vous troubler: Vois combien de temps tu as été dans l’erreur; tu crois avoir servi Dieu, et tu as servi le démon, tu lui as été agréable; vous ne devez pas l’écouter, mais vous devez voir à la lumière, que Dieu regarde seulement la bonne et sainte volonté qui nous fait agir. Admettons que le livre ne soit pas selon Dieu: c’est la seule volonté mauvaise qui fait le péché, c’est la volonté qui fait le péché ou la vertu, selon qu’elle aime l’un ou l’autre. Vous ne devez donc pas vous affliger à ce sujet, mais vous devez vous rassurer en homme généreux, et chasser cette amertume avec la douceur de l’humble Agneau. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de l’acquérir.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et sainte patience. Sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, et nous perdons le fruit de nos peines. Cette glorieuse [1480] vertu de la patience est donc bien nécessaire; et si vous me dites, très cher Frère: J’ai de grandes épreuves, je ne me sens pas assez fort pour avoir cette patience, et je ne connais pas les moyens de l’acquérir; je vous répondrai que tous ceux qui veulent écouter la raison peuvent l’avoir; mais je reconnais aussi que nous sommes faibles et fragiles par nous-mêmes, selon la sensualité, surtout quand l’homme s’aime beaucoup lui-même, et qu’il s’attache aux créatures et aux biens de ce monde. Car, lorsqu’il les aime dune manière trop sensible, s’il les perd il en éprouve une peine insupportable. Mais Dieu est notre force; et si nous voulons, avec notre raison, avec la puissance de la volonté et la main du libre arbitre, triompher de notre faiblesse, Dieu ne méprisera pas la violence que nous nous ferons à nous-mêmes, pour ne pas nous plaindre sans mesure; il tient compte des saints désire. et nous donnera cette douce et solide vertu; nous supporterons toutes les peines avec une vraie et sainte patience. Vous voyez donc que tout le monde peut l’avoir, s’il veut user de la raison que Dieu lui a donnée, et ne pas écouter seulement sa faiblesse. Ne serait-ce pas une chose bien honteuse, si nous, des créatures raisonnables, noua ne nous servions pas plus de notre raison que les animaux. Ils ne peuvent se servir de la raison, puisqu’ils n’en ont pus; mais nous, qui l’avons, nous devons nous en servir ; et en ne nous en servant pas, nous devenons impatients, nous nous scandalisons des choses que Dieu nous envoie, et ainsi nous l’offensons.

2. Quel moyen devons-nous prendre pour avoir cette patience? Car je puis et je dois l’avoir, et si je [1481] ne l’ai pas, j’offenserai Dieu. Il y a quatre choses principales qu’il faut rechercher et acquérir. Je dis d’abord qu’il faut avoir la lumière de la Foi, car c’est par la lumière de la Foi qu’on acquiert toute vertu; et sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres comme l’aveugle, pour lequel le jour devient la nuit. Il en est de même pour l’âme qui n’a pas cette lumière : ce que Dieu a fait par amour comme un jour plus brillant que la lumière, elle le prend pour les ténèbres de la haine, en s’imaginant que Dieu permet par haine les tribulations et les fatigues qu’elle éprouve. Vous voyez donc bien qu’il faut avoir la lumière de la très sainte Foi. Le second moyen d’avoir la patience s’acquiert avec cette lumière, c’est-à-dire qu’il faut croire en vérité, et non seulement croire, mais être bien certain que tout ce qui a l’être procède de Dieu, excepté le péché, qui est un néant. C’est la volonté coupable de l’homme qui commet le péché, Dieu ne le fait pas; mais tout le reste, ce qui arrive par le feu, par l’eau, par un accident, quelconque, tout vient de lui. Aussi le Christ dit dans l’Evangile, qu’il ne tombe pas une feuille d’arbre sans sa providence; il dit encore que tous les cheveux de notre tête sont comptés, et qu’il n’en tombe pas un sans qu’il le sache (Lc 21,18). S’il parle ainsi des choses insensibles, combien plus ne doit-il pas avoir soin de nous, ses créatures raisonnables ! Aussi, tout ce que donne et permet sa providence, c’est dans un but mystérieux, par amour, et non par haine.

3. La troisième chose qu’il faut voir et connaître à [1482] la lumière de la Foi, c’est que Dieu est l’éternelle et souveraine Bonté, et qu’il ne veut autre chose que notre bien. Sa volonté est que nous soyons sanctifiés en lui; tout ce qu’il donne et permet est pour cette fin. Si nous doutions qu’il ne veuille autre chose que notre bien, je vous dirais que ce doute devient impossible en regardant le sang de l’humble Agneau sans tache. Le Christ déchiré, accablé, tourmenté par la soif sur la Croix, nous montre que son Père nous aime d’un amour ineffable, puisque par amour pour nous, qui étions devenus ses ennemis par le péché, il nous a donné sa vie, en courant avec transport à la mort honteuse de la Croix. Quelle en fut la cause? l’amour qu’il avait pour notre. salut. Vous voyez donc bien que le Sang doit nous empêcher de douter que Dieu ne veuille autre chose que notre bien. Et comment la souveraine Bonté pourrait-elle faire autre chose que le bien? C’est impossible. L’éternelle Providence ne peut cesser un instant d’être Providence. Celui qui nous a aimés avant que nous fussions, Celui qui nous a créés à son image et ressemblance ne peut s’empêcher de nous aimer, et de pourvoir à tous les besoins de notre âme et de notre corps. Dieu aime toujours ses créatures en tant que créatures ; il n’y a que le péché qu’il déteste en nous; et s’il permet pendant cette vie que nous souffrions de différentes manières dans nos corps ou dans nos biens temporels, c’est qu’il voit que nous en avons besoin, Il est comme un bon médecin qui donne la médecine nécessaire à notre maladie: il le fait pour punir nos fautes dans cette vie, afin de les moins punir dans l’autre, ou pour exercer en nous la vertu de patience, comme [1483] il le fit à l’égard de Job, qu’il éprouva en lui ôtant ses fils, tout ce qu’il possédait, et en affligeant son corps d’une maladie qui engendrait des vers. Il lui laissa ma femme, qui était sa croix, et qui l’accablait de reproches et d’injures. Et lorsque Dieu eut bien éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu’il avait perdu. Job, dans tous ses malheurs, ne se plaignait jamais, et il disait: " Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni. "

4. Quelquefois Dieu permet ces malheurs pour que nous nous connaissions nous-mêmes, et que nous connaissions aussi l’inconstance et la fragilité du monde. Tout ce que nous possédons, la vie, la santé, une femme, des enfants, des richesses, les honneurs et les plaisirs du monde, il faut les posséder comme des choses que Dieu nous a prêtées pour notre usage, mail qui ne nous appartiennent pas; nous devons nous en servir en conséquence. Cela est évident, puisque nous ne pouvons rien garder qui soit à nous et qui ne puisse nous être enlevé, excepté la grâce de Dieu. Cette grâce, ni le démon, ni les créatures, ni tous les malheurs ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas. Quand l’homme connaît bien la perfection de la grâce et l’imperfection du monde et de la vie corporelle, il déteste le monde avec ses délices et sa propre fragilité, qui souvent lui fait perdre la grâce lorsqu’il aime d’une manière sensuelle; et il aime la vertu, qui est le moyen de nous conserver dans la grâce. Vous voyez donc bien que Dieu permet ces choses par amour, afin que nous méprisions généreusement le monde, et que nous cherchions avec une sainte ardeur Les biens éternels. Oui, abandonnons [1484] la terre avec ses corruptions, et cherchons le ciel Nous n’avons pas été faits pour nous nourrir de terre, mais nous sommes en cette vie, comme des pèlerins pour avancer sans cesse vers notre but, qui est la vie éternelle, au moyen des vraies et solides vertus; et nous ne devons pas noue laisser arrêter sur la route par les joies et les plaisirs que le monde nous offre, ni par l’adversité; mais nous devons marcher avec courage, sans nous attarder par des joies déréglées ou l’impatience. Nous devons triompher de tous ces obstacles par la patience et la sainte crainte de Dieu. Cette épreuve vous était très nécessaire. Dieu vous a donné le désir de vous délivrer de vos liens, et de purifier votre conscience; le monde vous tirait d’un côté, et Dieu de l’autre. Maintenant Dieu, par amour pour votre salut, vous a délié; il vous donne la vie, si vous savez la prendre. Il a donné à vos enfanta la vie éternelle, et vous, il vous y appelle par le trésor de la tribulation, non pas pour que vous en soyez privés, mais pour que, pendant le temps qui vous reste, vous reconnaissiez vos fautes et sa bonté.

5. La quatrième chose qu’il faut avoir pour pouvoir arriver à la vraie patience est celle-ci : considérer nos péchés et nos défauts, combien nous avons offensé Dieu, qui est le bien suprême, infini. La plus petite de nos fautes mérite une peine infinie; nous sommes mille fois dignes de l’enfer, et nous devons comprendre combien nous sommes malheureux d’avoir ainsi offensé notre Créateur. Et quel est le Créateur que nous avons offensé? C’est Celui qui est le bien suprême, et nous ne sommes rien par nous-mêmes, L’être et toutes les grâces qui y sont ajoutées, nous les [1485] tenons de lui; et quoique nous soyons malheureux par notre faute, et que nous méritions une peine infinie, sa miséricorde veut bien nous punir en cette vie, parce qu’en souffrant maintenant avec patience, nous expions et nous méritons, tandis qu’il n’en est pas de même des peines que l’âme endure dans l’autre vie. Les peines du purgatoire la purifient, mais ne lui acquièrent pas de mérites. Nous devons donc supporter volontiers ces petites épreuves je dis petites, à cause de la brièveté du temps, car la peine n’est pas plus longue que la vie. Et combien dure-t-elle, la vie? un instant. La peine est donc bien courte? Elle n’est rien lorsqu’elle est passée ; et pour celle qui nous menace, nous ne sommes pas certains d’avoir le temps de la souffrir, car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. Nous n’avons donc à supporter que la peine du moment présent, et pas davantage.

6. Souffrons donc avec une grande joie, car tout bien est récompensé, et toute faute punie. Saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future de l’âme qui souffre avec patience. C’est ainsi que vous pourrez acquérir la vertu de la vraie patience. La patience acquise par amour, à la lumière de la très sainte Foi, fera fructifier vos peines: autrement vous perdriez à la fois les biens de la terre et les biens du ciel; vous ne devez pas en douter. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et sainte patience, et je vous conjure de le faire. Souvenez-vous du sang de Jésus crucifié, et toute amertume deviendra douce, tout fardeau deviendra léger. Ne [1486] prétendez pas choisir le lieu et le temps à votre gré; mais soyez content de ce qu’il plaît à Dieu de vous donner. J’ai bien compati à ce qui vous est arrivé, et l’épreuve m’a semblé bien forte; c’est cependant la Providence qui vous l’envoie, et pour votre salut. Je vous prie de prendre courage, et de ne pas vous laisser abattre sous la douce main de Dieu. Je termine en vous disant de savoir apprécier le temps, pendant que vous l’avez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCIX (301).- A ROMAIN, tisseur de lin, de la compagnie du Bigallo, à Florence .- De la persévérance, et de l’espoir de la récompense.

(Ce fut saint Pierre martyr qui organisa la compagnie du Bigallo pour défendre Florence contre les manichéens. Les membres qui faisaient partie de cette association, après avoir triomphé par les armes, se consacrèrent aux œuvres de charité; ils desservaient l’hôpital de Santa-Maria del Bigallo. De là leur nom.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de ne te voir jamais détourner la tête en arrière, mais de te voir persévérer dans la [1487] vertu, car tu sais bien que la persévérance seule est couronnée. Tu sais que le Christ t’appelle et t’invite aux noces de la vie éternelle; mais il faut y aller revêtu, il faut avoir la robe nuptiale; sans cela, on est chassé de la salle du festin comme un serviteur coupable. Il me semble que la douce Vérité suprême t’a envoyé ses messagers pour t’inviter aux noces, et pour te revêtir. Ces messagers sont les saintes et bonnes inspirations, les doux et pieux désirs que te donne la clémence du Saint-Esprit ; ce sont ces saintes pensées qui te font fuir le vice, mépriser le monde et ses délices, et arriver aux noces des vraies et solides vertus. Que ton âme se revête d’amour; c’est avec l’amour qu’on entre dans la vie éternelle. Tu vois que les saintes inspirations de Dieu t’offrent le vêtement de la vertu; en te le faisant aimer, elles te revêtent et t’invitent aux noces de la vie éternelle. Car après le vêtement de la vertu et de l’ardente charité, vient la grâce; et après la grâce. la vision de Dieu, où se trouve notre béatitude. Aussi je te conjure par l’amour de Jésus crucifié de répondre généreusement et sans retard. Pense que ce n’est rien de commencer et de mettre la main à la charrue, comme je l’ai dit. Les saintes pensées commencent le sillon ; mais c’est la persévérance dans la vertu qui l’achève. Celui qui laboure tourne la terre; de même l’Esprit-Saint retourne la terre de la mauvaise volonté sensitive.

2. Souvent l’homme, séduit par une si douce invitation et un si beau vêtement, cherche, pour mieux travailler sa terre, s’il ne trouvera pas une charrue bien tranchante, qui puisse la remuer plus profondément [1488]; et il voit qu’il est impossible de trouver un instrument meilleur pour briser, couper et arracher notre volonté, que le fer et le joug de la mainte obéissance. Et lorsqu’il l’a trouvé, il suit l’exemple du Verbe, du Fils de Dieu, et veut, par amour pour lui, être obéissant jusqu’à la mort. Il ne résiste jamais, et fait comme le sage, qui se laisse conduire par les autres, c’est-à-dire par une règle, sans vouloir se gouverner lui-même. Je me souviens que tu m’as quittée avec le saint désir et la résolution de répondre à Dieu qui t’appelait, et de te soumettre à la sainte obéissance. Je ne sais pas si tu l’as rais Je te conjure, si tu ne l’as pas fait, de le faire promptement et généreusement. Hâte-toi de te séparer du monde, et de couper les liens qui t’y attachent; ne compte pas sur le temps que tu n’es pas sûr d’avoir, Quelle folie de perdre celui qu’on a pour celui qu’on n’a pas ! Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la blessure de son côté, tu y verras le secret de son cœur. La douce Vérité nous montre que ce qu’il fait en nous, il le fait par amour; réponds-lui aussi avec amour. C’est notre Dieu, qui ne veut autre chemin que notre amour, et celui qui aime n’offensera Jamais ce qu’il aime. Courage donc, mon Fils, ne dors plus du sommeil de la négligence. Va bien vite b ton Père, le seigneur Abbé, avec une volonté morte et non vivante; si tu te présentais avec la volonté vivante, je te dirais de n’y pas aller; il ne le faudrait ni pour toi ni pour lui J’espère de la volonté de Dieu que tu suivras les traces de Jésus crucifié. Ne cherche pas à dénouer les liens du monde; mais tire le glaive de la haine et de l’amour, et coupe [1489] bien vite. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCX (301).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, et dame Lippa, ma femme.- Le vêtement dont nous devons nous revêtir est la charité de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de voir accomplir en vous cette douce parole de l’apôtre saint Paul, qui disait Induimini Domirnum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14). Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ : c’est-à-dire dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau, qui est Jésus crucifié, le vrai vêtement qui couvre la nudité de l’homme, et l’orne de vertus. O ineffable et chère charité ! qui s’est faite notre vêtement, parce que nous avions perdu par le péché la vie de la grâce ! Le feu de la divine charité le transporte, et il est venu, parce que nous avions perdu le vêtement de la grâce; la chaleur de la divine charité et son ardent amour ont réchauffé notre froideur. Il a revêtu [1490] notre humanité, et alors nous avons retrouvé Je vêtement de la grâce, qui ne peut nous être enlevé ni par les démons, ni par les créatures, si nous n’y consentons pas nous-mêmes.

2. Oui, je vous conjure, mon Frère et ma Soeur bien-aimés, d’être pleins de zèle pour prendre ce saint et doux vêtement. Ne soyez pas négligents, afin de ne pas entendre cette parole de reproche: sois maudit, toi qui te laisses mourir de froid et de faim, tandis que le Christ s’offre pour être ton vêtement et ta nourriture. Hélas ! quel cœur serait assez dur, assez obstiné pour ne pas se dépouiller de toute ignorance, de toute négligence, et se revêtir de ce saint et doux vêtement, qui donne la vie à ceux qui sont morts ! Combien sera heureuse notre âme, quand la douce Vérité suprême nous appellera au doux moment de la mort ! L’âme alors sera dans la joie et l’allégresse, en se voyant revêtue du vêtement de la grâce divine, de ce vêtement contre lequel les démons ne peuvent rien, parce que la grâce fortifie et ôte toute faiblesse. Le péché est la seule chose qui affaiblisse l’âme. Oh ! combien est mauvais et dangereux le vêtement du péché ! Il faut le fuir par la haine et le mépris, car il est bien nuisible, et Dieu l’a en horreur. Enflammez-vous donc d’un saint désir, et hâtez-vous de prendre ce doux vêtement nuptial de la grâce divine. L’âme doit l’avoir pour n’être pas chassée des noces de la vie éternelle, auxquelles Dieu nous invite, et il noue y a invités sur le bois de la très sainte Croix: Je conjure l’éternelle et souveraine Vérité de vous faire marcher avec courage, et arriver au but pour lequel vous avez été créés. Et comme [1491]par charité et par amour vous avez revêtu l’enfant Jésus (Les petits enfants jésus qu’on faisait à Lucques étaient très renommés: Jean Perotti, qui était de cette ville, en avait peut-être donné un à sainte Catherine.), il vous revêtira de lui-même, de l’homme nouveau, de Jésus Crucifié. Je vous remercie de tout mon cœur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXI (303).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, à Lucques.- De la crainte et de l’amour de Dieu.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Pus dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai père, nourrissant, conduisant et gouvernant votre famille dans la sainte crainte Dieu. Vous êtes un arbre fertile, et il faut que le fruit qui sort de vous soit bon et vertueux. Vous savez, mon Fils, que l’arbre, avant de porter du fruit, doit être bon et bien cultivé; je dis de même que votre âme doit être cultivée par la sainte crainte et l’amour de Dieu. Et si nous disons : Je ne sais pas comment le faire, voici le Verbe, le Pus de Dieu, qui s’est fait notre guide [1492], et qui nous dit: Je suis la vole, la vérité, la vie; celui qui marchera dans cette vole ne peut s’égarer mais il produira un fruit de vie. Ce fruit nourrira votre âme, et vos enfants eux-mêmes en goûteront la substance et la douceur. Quelle voie nous a tracée ce doux Maître, l’Agneau sans tache? Il nous a tracé la vole de la profonde et véritable humilité, car il était Dieu, et il s’est humilié jusqu’à l’homme. Il a marché au milieu des opprobres, des mauvais traitements, des peines, des fatigues, jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Il a méprisé toutes les délices, les plaisirs, et il a toujours voulu suivre la route la plus humble et la plus délaissée. Et quel fruit a-t-il produit en nous traçant cette route? Quiconque le t’eut peut le suivre. Ecoutez-le sur le bois de la très sainte Croix, et voyez s’il fut jamais un fruit de patience semblable. Les Juifs criaient crucifige, et il disait :  " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. "

2. O Bonté infinie ! qui non seulement pardonne, mais encore nous excuse devant son Père; C’est un doux Agneau qui ne fit jamais entendre la moindre plainte. Il a produit aussi pour nous le fruit de la charité, car c’est l’amour ineffable que Dieu a eu pour l’homme qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix n’auraient pu le retenir, s’il ne l’avait pas été par les liens de la charité; il fut obéissant à son Père sans penser à lui-même, mais seulement à l’honneur de Dieu, du Père et à notre salut. C’est cette voie, mon doux Fils, que je veux voua voir suivre, afin que vous soyez le vrai père de votre âme et des enfants que Dieu vous a donnés, et que vous croissiez toujours de vertus en vertus. Sachez [1493] que nous n’ayons aucun moyen de produire par nous-mêmes des fruits de vertu, car nous sommes des arbres sauvages; il faut que nous soyons greffés par l’amour et le désir de Dieu sur ce doux arbre de Jésus crucifié, en voyant qu’il nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous. Nous ne pourrons nous empêcher de devenir une même chose avec lui; et alors l’âme enivrée d’amour ne veut pas suivre une autre voie que son Maître. Elle fuit les plaisirs et les consolations du monde, parce qu’il les a fuis; elle aime la vertu et déteste ce que Dieu déteste. Elle aime la vertu et déteste le vice, et elle préfère mourir qu’offenser son Créateur. Elle ne souffrira pas que ses enfants et sa famille l’offensent, mais elle les corrige comme un vrai père, et elle fait tout ce qu’elle peut pour leur faire suivre ses traces. Je vous conjure de vous y appliquer avec zèle. Encouragez et bénissez toute la famille, saluez bien pour moi votre mère et votre femme. Bénissez surtout ma fille; je désire vivement qu’elle soit l’épouse du Christ, et qu’elle se consacre à lui. Je termine; Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1494].

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CCCXII (271).- A SALVI, fils de messire Pierre, orfèvre à Sienne.- La foi sans les œuvres est morte.- La foi doit conduire à l’amour de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux. Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir ie serviteur fidèle de Jésus crucifié, ne détournant jamais la tête, ni dans la prospérité ni dans le malheur, mais agissant généreusement avec une foi vive. Sachez bien qu’autrement la Foi sans les œuvres est morte. L’action de la Foi est de nous faire concevoir les vertus par l’amour, et produire des fruits par la patience au moyen de notre prochain, en supportant les défauts les uns des autres. Il ne suffirait pas pour notre salut d’avoir reçu la forme de la Foi avec la grâce divine dans le saint baptême. Cela suffirait au petit enfant, qui mourrait avant d’avoir la raison; il recevrait la vie éternelle au moyen du sang de l’Agneau. Mais lorsque nous sommes parvenus à l’âge parfait, il ne nous suffirait pas d’avoir reçu le saint baptême, si noua ne profitions pas de la lumière de la Foi par rameur. Il en est de nous comme de l’oeil du corps. S’il est pur et sain, l’homme peut voir; mais s’il ne veut pas l’ouvrir, quoiqu’il puisse le faire et jouir de la lumière avec amour, on peut dire qu’ayant des yeux il n’en a [1495] pas. Il en a reçu de la bonté du Créateur; mais il n’a pas leur vertu par défaut de sa propre volonté, qui refuse de s’en servir. On peut donc dire que son regard est mort et qu’il ne porte pas de fruit. De même, très cher Fils, Dieu dans son infinie bonté nous a donné l’oeil de l’intelligence qu’il a éclairé de la lumière de la Foi dans le saint baptême, et en même temps le libre arbitre, en nous délivrant des liens du péché originel. Mais dès que nous sommes arrivés à l’âge de connaître, Dieu nous demande d’ouvrir l’oeil qu’il nous a donné, avec le libre arbitre et l’amour de la lumière.

2. Dès que l’âme reconnaît en elle cette faculté de voir, elle doit s’en servir pour son Créateur. Et comment doit-elle employer la lumière? à voir en Dieu seul l’amour; car rien ne peut se faire sans amour, ni spirituellement, ni corporellement. Si je veux aimer les choses sensibles, aussitôt l’oeil s’y fixe pour en jouir. Mais si l’homme veut aimer et servir Dieu, l’oeil de l’intelligence s’ouvre, et le prend pour Objet; il trouve l’amour dans l’amour: car, en voyant que Dieu l’aime infiniment, il ne peut s’empêcher de l’aimer, et de lui rendre amour pour amour. Il perd alors l’amour sensuel, et conçoit un amour vrai en se voyant créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et régénéré à la grâce par le sang de son Fils unique. Son œil a trouvé la lumière, et l’ayant trouvée, il a aimé cette lumière, et il ne peut s’empêcher de fuir et de haïr ce qui ôté la lumière, et d’aimer, de désirer ce qui la donne. Alors il s’élève avec une foi vive, et conçoit les vertus avec le désir de se revêtir de l’éternelle et souveraine volonté de Dieu ; car son [1496] intelligence et son cœur ont vu, à la lumière de la Foi, que la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification.

3. Qui nous montre clairement cette vérité? le Verbe, son Fils unique, qui est venu tout embrasé d’amour, dans la chair de notre humanité, pour nous manifester par son sang la Volonté du Père et pour l’accomplir en nous. Cette douce Volonté nous avait créés pour nous donner la vie éternelle; mais elle ne s’accomplissait pas à cause de notre péché, qui nous en avait séparés, et il nous a envoyé mon Fils, pour nous la rendre évidente, en le livrant à la mort honteuse de la Croix. Tout ce qu’il nous donne, tout ce qu’il permet nous arrive pour cette fin. pour que nous participions à son éternelle et souveraine beauté. Aussi l’âme prudente, qui a ouvert les yeux à la lumière de la Foi, voit aussitôt en toute chose la sainte volonté de Dieu qui ne veut que notre bien, et non la volonté des hommes.

4. Savez-vous ce qui sort de cette lumière? une eau paisible, et sans souillure, que ne troublent jamais ni l’impatience dans le malheur, ni les attaques du démon, ni les injures, les persécutions et les mur. mures des hommes. L’âme n’est jamais ébranlée; mais elle est ferme, parce qu’elle a vu que Dieu permet tout pour son bien, pour lui faire atteindre le but pour lequel il l’a créée. Telle est la voie, et il n’y en a pas d’autre; Il faut passer à travers les ronces et les épines en suivant Jésus crucifié, qui est la voie, car il a dit qu’il est la voie, la vérité, la vie. Il suit bien la vérité, celui qui marche dans cette voie, puisqu’il accomplit en lui la vérité du Père, qui nous [1497] conduit à la fin pour laquelle nous avons été créés. S’il y avait une autre voie, il nous aurait dit que personne ne peut aller au Père que par le Père; il ne l’a pas dit, parce que, dans le Père, ne se trouve pas la peine, mais dans le Fils, et il faut passer par la voie de la peine; il nous faut donc suivre Jésus crucifié, qui est notre voie et notre règle. Je vous dis encore que cette âme n’est pas troublée par la prospérité du monde en s’y attachant trop et en la désirant; mais elle en triomphe, elle la méprise en voyant à la lumière de la Foi. que ces choses fragiles passent comme le vent, et qu’elles ôtent la vie et la lumière de la grâce à celui qui les souhaite et les possède avec un amour déréglé.

5. Celui qui a une foi vivante enfante des œuvres vivantes pour l’honneur de Dieu et le salut du prochain. C’est au moyen du prochain que se trouve l’amour que nous avons pour Dieu. Notre amour ne peut être utile à Dieu; mais Dieu veut que nous l’utilisions pour notre prochain. en supportant ses défauts, en priant pour lui avec compassion et patience, en pardonnant les injures qu’on nous fait, et en respectant comme nous le devons ses serviteurs. Puisque nous n avons pas d’autre moyen, nous pouvons dire que la Foi est morte sans les œuvres. Je ne nie pas que la sensualité ne fasse naître bien des obstacles, mais ces obstacles n’empêchent pas la perfection; ils l’aident au contraire, car l’âme connaît mieux ses enfants et la bonté de Dieu, qui conserve ma volonté, et l’empêche de consentir et de s’abandonner aux plaisirs des sens. Au lieu de les aimer, elle les hait et les méprise; elle profite donc [1498] de cette épreuve en acquérant l’humilité par la connaissance d’elle-même, et la charité par la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. C’est parce que je comprends son excellence et sa nécessité pour avoir la vie de la grâce, que je désire vous voir affermi dans la lumière de la Foi vive. Je vous si dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de Jésus crucifié; et je vous conjure de le faire, avec zèle, en secouant le sommeil de la négligence et en ouvrant l’oeil de l’intelligence sur l’amour que Dieu vous porte afin que vous accomplissiez en vous sa volonté et mon désir. Je ne vous en dis pas davantage à ce sujet.

6. Je réponds, très cher Fils, aux lettres que vous m’avez adressées, et que j’ai lues avec une joie véritable. J’y ai vu une chose que Dieu avait révélée à une de ses servantes Ceux qui s’appellent ses fils se sont scandalisés par une illusion du démon, qui rôde toujours autour d’eux pour arracher le bon grain que le Saint-Esprit avait semé dans leurs âmes. Les imprudents, qui n’étaient pas affermis sur la Pierre vive, n’ont pas résisté; et comme ils avaient éprouvé du scandale , ils l’ont aussi semé dans les autres, sous prétexte de vertu et d’amour. Et maintenant je vous déclare que la volonté de Dieu est que je reste. J’avais un grand désir de ne pas offenser Dieu en restant, à cause des murmures et des soupçons dont j’étais l’objet, ainsi que mon Père spirituel, frère Raymond. Mais la Vérité, qui ne peut mentir, a rassuré sa servante en lui disant : " Continue à prendre ta nourriture à la table où je t’ai placée. Je t’ai placée à la. table de la Croix pour que tu puisses, au milieu des [1499] peines et des murmures, goûter et chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes je t’ai confié en cet endroit, des âmes pour qu’elles sortent des mains du démon, pour qu’elles se réconcilient avec moi et avec le prochain. Achève donc ce que tu as commencé. C’est pour empêcher tant de bien que le démon fait naître tant de mal; mais continue et ne crains rien, je serai pour toi. " Mon âme a été calmée par ces paroles que Dieu disait à ma servante.

7. Je m’appliquerai donc à faire le bien pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes et l’avantage de notre ville. Quoique je le fasse peut-être avec négligence, je me réjouis de suivre les traces de mon Créateur. Je fais le bien, et ils me rendent le mal; je travaille à leur honneur, et ils m’outragent; je veux leur vie, et ils veulent ma mort mais cette mort est notre vie, cet outrage notre gloire; la honte est seulement pour celui qui commet la faute. Là où il n’y a pas de faute, il n’y a pas de honte et de crainte de la peine. Je me confie en notre Seigneur Jésus-Christ, et non dans les hommes. Je continuerai donc, et s’ils ma donnent des injures et des persécutions, je donnerai des larmes et de continuelles prières, autant que Dieu m’en fera la grâce. Que le démon le veuille ou non, j’emploierai toute ma vie pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes, pour le monde entier, et surtout pour ma patrie. Quelle honte pour les citoyens de Sienne de croire et de s’imaginer que nous nous occupons de politique sur les terres des Salimbeni ou autre part !

8. Ils se méfient des serviteurs de Dieu, et ils ne craignent rien des méchants; mais ils prophétisent [1500] sans s’en apercevoir. Ils font comme Caïphe, qui prophétisait qu’un seul devait mourir pour le peuple, afin de le sauver. il ne savait pas ce qu’il disait: mais le Saint-Esprit le savait bien, et prophétisait par ma bouche. De même mes concitoyens croient que, moi et ceux qui m’accompagnent, nous tramons des complots; ils disent la vérité sans la connaître, ils prophétisent. Car je neveux pas faire autre chose avec ceux qui sont avec moi; je veux triompher du démon, et lui ôter le pouvoir qu’il a pris sur l’homme par le péché mortel; je veux ôter la haine de tous les cœurs, et les réconcilier avec Jésus crucifié et avec le prochain. Ce sont là les complots que nous tramons, et où j’entraîne tous ceux qui sont avec moi. Je me plains de notre négligence; nous agissons trop mollement. Et toi, mon doux Fils, toi et tous les autres, je vous conjure de prier Dieu pour que je sois pleine de zèle pour cette œuvre et pour tout ce qui peut contribuer à l’honneur de Dieu et au salut des âmes. Je termine. J’aurais encore bien des choses à dire. Le disciple du Christ n’est pas celui qui dit: Seigneur, Seigneur, mais celui qui suit ses traces. Encourage François en Jésus-Christ. Le frère Raymond, le pauvre calomnié, se recommande à toi, afin que tu obtiennes de Dieu qu’il soit bon et patient. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1501].

Table des matières (2)





CCCXIII (306).- A UN HOMME RELIGIEUX de Florence.- Elle le remercie du zèle qu’il a pour son âme; elle lui dit combien elle craint les illusions du démon.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante Inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous avec le désir de nous voir unis et transformés dans cette douce et éternelle Vérité qui éloigne de nous toute erreur et tout mensonge. Pour moi, très cher Père, je vous remercie cordialement du saint zèle et de l’inquiétude que vous avez pour mon âme. Il me semble que vous êtes bien étonné de ce que vous apprenez de mou genre de vie, et je suis certaine que vous n’avez d’autre mobile que le désir de l’honneur de Dieu et de mon salut; vous craignez pour moi les pièges et les illusions du démon. Cette crainte que vous avez, mon Père, au sujet de la nourriture, ne m’étonne pas (Voir vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 5) ; et je vous assure que, si vous l’avez, je tremble moi-même, tant je redoute les tromperies du démon; mais je me confie en la bonté de Dieu; et je suis en garde contre moi-même, sachant bien que je ne puis rien en attendre. Vous me demandez si je crois ou si je ne crois pas pouvoir être trompée par le démon; et vous me dites que si je ne le crois pas, c’est une [1502] preuve que je le suis. Je vous réponds que, non seulement pour ce fait, qui dépasse les forces naturelles, mais pour toutes mes autres actions, ma faiblesse et la malice du démon me remplissent toujours de crainte; je pense que je puis être dans l’erreur, parce que je sais et je vois que le démon a perdu la béatitude, mais non pas l’intelligence; et je comprends qu’avec cette supériorité d’esprit, il pourrait bien me tromper. Mais aussi je me réfugie et je m’appuie sur l’arbre de la très sainte Croix de Jésus crucifié; je m’y attache, et je suis persuadée que si j’y reste fixée et clouée par l’amour et par l’humilité, tous les démons ne pourront rien contre moi, non pas à cause de mes mérites, mais à cause de ceux de Jésus crucifié.

2. Vous m’écrivez aussi de demander particulièrement à Dieu de pouvoir manger ; je vous réponds, mon Père, et je vous assure devant Dieu, que j’ai pris tous les moyens de le faire, et que je m’efforce une ou deux fois par jour de prendre de la nourriture; j’ai prié Dieu sans cesse, je le prie et je le prierai encore de me faire la grâce de vivre comme toutes les autres, si c’est sa volonté, car c’est aussi la mienne. Je vous assure que souvent, après avoir fait tous mes efforts, j’ai bien examiné cette infirmité, et j’ai pensé que Dieu me la donnait, dans sa bonté, pour me corriger du vice de la gourmandise. Je gémis bien de n’avoir pas eu la force de m’en corriger par amour. Je ne sais maintenant quel remède employer, et je vous demande de prier l’éternelle Vérité de me faire la grâce, si cela vaut mieux pour son honneur et le salut de mon âme, de me laisser [1503] prendre de la nourriture, si cela lui plaît. Je suis certaine que la bonté de Dieu ne méprisera pas vos prières. Je vous prie de m’écrire le remède que vous connaissez, et pourvu qu’il honore Dieu, je le ferai volontiers. Je vous prie aussi de ne pas juger légèrement ce que vous n’avez pas bien examiné devant Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXIV (300).- A QUELQU’UN QU’ON NE NOMME PAS.- De l’infinie bonté de Dieu, et de la haine du péché.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un débiteur loyal, afin que vous vous acquittiez envers votre Créateur. Vous savez que nous sommes tous les débiteurs de Dieu; car, tout ce que nous avons, nous le tenons de sa grâce et de son amour ineffable. Nous ne lui demandons jamais de nous créer; c’est l’ardeur de son amour qui le porte à nous créer à son image et ressemblance, et à nous élever à une telle dignité, que la langue ne peut l’exprimer, l’oeil la voir, et le cœur de l’homme la comprendre. Cette dette que nous avons contractée envers lui, Dieu veut que nous [1504] l’acquittions en lui rendant amour pour amour. N’est-il pas juste et raisonnable que celui qui se voit aimé, aime aussi de sou côté? Dieu ne pouvait pas nous montrer plus d’amour qu’en donnant sa vie pour nous. Il a vu que l’homme avait perdu sa dignité par si faute, et qu’il s’était engagé à l’égard du démon, et la souveraine Bonté, pleine d’amour pour se créature, a voulu la sauver et l’affranchir de cet engagement. Elle a envoyé le Verbe son Fils unique, en le condamnant à mort pour rendre à l’homme la vie de la grâce, et le retirer de la prison du péché et des mains du démon. O doux et tendre Fils de Dieu, Verbe ineffable, très douce Charité ! vous avez payé la rançon, vous avez déchiré l’obligation souscrite entre l’homme et le démon par le péché; vous nous avez délivrés par le sacrifice de votre corps. Hélas ! Seigneur, qui peut résister à un si ardent amour? Ils résistent, ceux qui, tous les jours, renouvellent cette obligation avec le démon, en ne vous regardant pas,, vous le Christ Jésus, vous l’Homme-Dieu, flagellé et abreuvé d’épreuves. Hélas ! hélas ! ceux-là font de leur corps une étable d’animaux grossiers et sans raison.

2. Hélas ! très cher Frère, ne dormez plus dans la mort du péché mortel. Je vous le dis, la hache est déjà à la racine de l’arbre: prenez la pelle de la sainte crainte de Dieu, et avec la main de l’amour, hâtez-vous d’enlever les souillures de votre âme et de votre corps. Ne soyez pas votre ennemi, votre bourreau, en vous séparant de votre chef, le Christ, le doux et bon Jésus; plus de souillures, plus de débauches; revenez à votre Créateur, ouvrez les yeux de votre [1505] âme, et voyez l’ardeur de sa charité, qui vous a supporté et n’a pas commandé à la terre de s’ouvrir et aux bêtes féroces de vous dévorer; et même la terre vous a donné ses fruits, le soleil sa chaleur et sa lumière; le ciel a continué son mouvement, afin que vous viviez et que vous ayez le temps de vous convertir; et tout cela s’est fait par amour. O débiteur aveugle et déloyal! ne tardez donc pas davantage; sacrifiez à Jésus crucifié votre esprit, votre âme, votre corps. Je ne dis pas de vous donner la mort: ce n’est pas la vie corporelle qu’il faut quitter, ce sont les passions sensuelles; il faut que la volonté meure et que la raison vive, en suivant les traces de Jésus crucifié; alors vous acquitterez votre dette.

3. Donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et à la terre ce qui est à la terre. À Dieu il faut donner le cœur, l’âme, toute l’affection, sans négligence et avec zèle; toutes vos œuvres doivent avoir Dieu pour fondement. Que faut-il donner à la terre, c’est-à-dire à la partie sensitive? ce qu’elle mérite. Et que mérite celui qui tue? de mourir. Il faut donc tuer cette volonté, en flagellant notre chair, en l’affligeant, pour lui imposer le joug des saints commandements de Dieu. Et ne voyez-vous pas que la chair est mortelle? Sa beauté passe aussi vite que la fleur séparée de sa tige. Ne vivez plus ainsi, pour l’amour de Jésus crucifié, car je vous annonce que Dieu ne souffrira plus de pareilles abominations, une semblable iniquité; si vous ne vous convertissez, sa justice s’exercera avec rigueur sur vous. Je vous le dis non seulement Dieu, qui est la pureté même, ne peut voir votre iniquité, mais elle déplaît aux démons, qui se plaisent [1506] aux autres péchés mais qui répugnent au pêché contre nature. N’êtes-vous pas semblable à l’animal grossier? Je vois bien que vous avez une forme humaine mais de cette chair, vous avez fait une fange qu’habitent les animaux immondes du vice. Oh ! convertissez-vous donc, pour l’amour de Dieu; pensez à votre salut, répondez à Jésus, qui vous appelle. Vous êtes fait pour être un temple où vous devez recevoir Dieu par la grâce, en vivant saintement et en participant au sang de l’Agneau, qui lave nos iniquités.

4. Hélas ! hélas ! que je suis malheureuse! je ne puis arrêter mes iniquités et les vôtres. Oh ! combien a été cruelle et impitoyable votre âme ! Et votre passion brutale ne s’est pas arrêtée à ce péché contre nature... Oh ! oui, les cœurs devraient se briser, la terre s’entrouvrir, les rochers nous écraser, les loups nous dévorer; ils ne devraient pas supporter cette iniquité, cet outrage à Dieu et à votre âme. Mon Frère, la parole me manque et les forces m’abandonnent. Non, ne le faites plus, mettez un terme à vos désordres. Je vous l’ai dit et je vous le répète, Dieu vous punira si vous ne vous corrigez pas; mais aussi je vous promets que, si vous voulez vous convertir et profiter des instants qui vous sont laissés, Dieu est si bon, si miséricordieux, qu’il vous pardonnera, vous recevra dans ses bras, vous fera participer au sang de l’Agneau, répandu avec tant d’amour qu’il n’y a pas de pécheur qui ne puisse obtenir miséricorde; car la miséricorde de Dieu est plus grande que nos iniquités, dès que nous voulons changer de vie et rejeter la corruption du péché par la sainte confession, avec le ferme propos de préférer mourir [1507] que de retourner à notre vomissement. De cette manière nous recouvrons la dignité que nous avons perdue par le péché, et nous acquittons la dette que nous devons payer à Dieu. Vous savez bien que, si vous ne la payez pas, vous serez jeté dans une prison plus horrible qu’on ne peut l’imaginer; vous savez bien que, quand on ne s’acquitte pas par la confession et le regret du péché, il est inutile que d’autres cherchent à le faire pour vous. Le débiteur s’en va avec les démons, qui sont ses maîtres, et il tombe au fond des enfers.

5. Mon doux Frère dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas vous voir enseveli dans cette horrible prison, mais je veux vous voir sortir des mains du démon. Je vous en conjure, et je veux vous aider, de la part de Jésus crucifié. Payez votre dette par la sainte confession, avec le regret de l’outrage fait à Dieu, et avec la sainte résolution de ne jamais tomber dans de semblables fautes. Souvenez-vous de Jésus crucifié; guérissez le poison de votre chair, en vous rappelant la chair flagellée de Jésus crucifié, de l’Homme-Dieu, qui, par l’union de la nature divine avec la nature humaine, a tellement anobli notre chair, qu’il l’a élevée au-dessus de tous les chœurs des anges. Les fils insensés d’Adam ne devraient-ils pas rougir de s’abandonner à une telle misère, et de souiller ainsi leur dignité ! Contemplez Jésus crucifié, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et ne tardez pas; ne comptez pas sur le temps, car le temps ne vous attend pas; et si votre faiblesse vous tourmente, que vôtre raison en fasse bonne justice[1508]. Asseyez-vous sur le tribunal de votre conscience, et ne laissez passer aucun mouvement qui ne soit contrôlé par la sainte et douce pensée de Dieu. Excitez-vous à résister et à ne consentir jamais au péché, ni par pensée ni par action; mais dites-vous: Souffre aujourd’hui, mon âme, cette petite peine; résiste et ne consens pas à la tentation : peut-être que demain finira ta vie, et si tu vis encore, tu feras ce que Dieu te fera faire; mais aujourd’hui fais cela. Je vous le dis, en agissant de la sorte, votre âme et votre corps, qui sont maintenant profanés, deviendront un temple où Dieu aimera résider par la grâce. Puis, lorsque votre vie sera terminée, vous recevrez pour récompense l’éternelle vision de Dieu, où la vie est sans mort, et le rassasiement sans dégoût. Ne vous exposez pas à perdre un si grand bien par un délai coupable. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Excusez mon ignorance; je vous ai dit peut-être des choses qu’il est dur d’entendre : excusez-moi; c’est le désir et l’amour du salut de votre âme qui me l’ont fait faire, Si je ne vous aimais pas, je ne m’affligerais pas de vous voir entre les mains du démon; mais, parce que je vous aime, je ne puis le souffrir. Je veux que vous participiez au sang du Fils de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Douce Marie [1509].

Table des matières (2)





CCCXV (307).- A UN SECULIER QU’ON NE NOMME PAS.- De la connaissance de soi-même, et l’amour envers Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir le vrai serviteur de Jésus-Christ et le fidèle observateur de ses commandements, car personne ne peut avoir la vie de la grâce s’il ne les accomplit pas. Ainsi donc, très cher frère, je veux que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence sur vous-même pour reconnaître que vous êtes un néant, et. que la seule œuvre que vous puissiez vous attribuer est le pêché. L’homme, en voyant qu’il n’est rien par lui-même, s’humilie et reconnaît les bienfaits qu’il a reçus; et son amour augmente tellement à mesure qu’il connaît la grandeur de la bonté de Dieu à son égard, qu’il aimerait mieux mourir que de violer les commandements de son très doux Créateur. La sainte crainte qu’il en a le conduit à un ardent amour; et cet amour, nous le puisons dans le sang du Fils de Dieu, qu’il a répandu uniquement pour nous sauver en lavant les souillures du péché. Oh ! quelle chose terrible que le péché l combien il déplaît à Dieu ! Non seulement il ne l’a pas laissé impuni, mais encore Il en a fait justice sur son propre corps. Qu’il serait [1510] malheureux celui qui ne voudrait pas venger ce pêché sur lui-même !

2. Je vous prie, très cher et très doux Frère, de prendre les deux ailes qui vous feront observer les Commandements de Dieu, et qui vous feront ensuite voler jusqu’à la vie éternelle : l’aile de la haine, de l’horreur du péché et de l’amour-propre, source de tout mal, et l’aile de l’amour de la vertu. Celui qui voit combien la vertu lui est nécessaire, l’aime, parce qu’il voit que Dieu veut qu’il aime la vertus et qu’il déteste le vice. Oh ! combien il vous sera doux d’avoir cette vertu, qui délivre de la servitude du démon et donne la liberté, qui délivre de la mort et donne la vie, qui dissipe les ténèbres et donne la lumière ! Et le péché, au contraire, conduit l’homme à toute sorte de malheurs; il faut être plein de zèle, et se hâter d’employer avec une sainte ardeur le temps qui vous est accordé à vous et à votre famille. Je vous supplie par l’amour de Jésus crucifié, de fixer sur Dieu le regard de votre âme dans toutes vos actions. Oh ! quelle joie et quel bonheur pour votre âme quand viendra le moment où vous appellera la Vérité suprême ! Vous vous verrez entouré de vertu, appuyé sur le bâton de la très sainte Croix, qui fait accomplir les saints commandements de Dieu, et vous entendrez enfin cette douce parole: Viens, mon Fils bien-aimé, posséder le royaume du ciel, parce que tu as eu soin de détacher ton cœur des choses du monde, et que tu as élevé ta famille dans ma sainte crainte. Maintenant je te donne le repos parfait, car je récompense toutes les peines que tu as souffertes pour moi. Je n’ajoute rien, mon très cher Frère, si ce [1511] n’est que je supplie l’éternelle Vérité suprême de vous remplir de son éternelle et très douce grâce, afin que vous puissiez croître de vertu en vertu, jusqu’à être prêt à donner votre vie pour lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXVI (3O8). — A QUELQUES JEUNES GENS de Florence, fils adoptifs de dom Giovanni.- De la charité, de l’union, de la force et des vertus qui en procèdent.

(Ces jeunes gens étaient sans doute les fils spirituels de dom Jean des cellules de Vallombreuse, auquel sont adressées les lettres CXVI et CXVII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liés du doux lien de la charité, de telle sorte que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. C’est ce doux lien qui unit Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, quand la nature divine s’unit à la nature humaine; et c’est cet amour ineffable qui donna l’être à l’homme, lorsque Dieu le tira de lui-même en le créant à son Image et ressemblance ; et parce que l’âme est faite par pur amour, l’amour accorde les puissances de [1512] notre âme, et les lie toutes ensemble. La volonté excite l’intelligence à voir, parce qu’elle veut aimer quelque chose ; et lorsque l’intelligence comprend que la volonté veut aimer, si la volonté est raisonnable, elle lui offre pour objet l’amour ineffable du Père, qui nous a donné le Verbe, son Fils unique, et l’obéissance, l’humilité de ce Fils, qui a supporté avec douceur les peines, les injures, les coups, les mauvais traitements, les outrages, et qui les a soufferts aveu un amour ineffable. Et ce que l’oeil de l’intelligence a vu, sa volonté s’y attache. avec un ardent amour et d’une main puissante; elle dépose dans sa mémoire le trésor qu’elle tire de cet amour, et l’homme devient ainsi envers son Créateur reconnaissant des grâces et des dons qu’il sait avoir reçus de Dieu. Tout ce qu’il a, il ne l’a pas par lui-même, car nous ne sommes que néant, et nous ne pouvons nous attribuer que le pêché.

2. Oh ! quelle horrible mort que la faute qui nous prive de la vie ! Lorsque l’âme te comprend, elle se revêt d’amour et d’une humilité parfaite; elle trouve et goûte la charité dans la bonté de Dieu, elle voit en elle les dons qu’elle a reçus et qu’elle reçoit continuellement. La connaissance qu’elle a d’elle-même et du pêché, qui vient de la loi mauvaise, qui se révolte sans cesse en elle contre le Créateur, lui fait concevoir la haine et le mépris de la sensualité; et dans cette haine elle trouve la patience, qui la rend capable de supporter les peines, les mépris, les affronts, la faim, la soif, le froid, le chaud, les tentations et les attaques du démon. Elle méprise et fuit le monde avec tous ses plaisirs; elle embrasse l’humilité, qui [1513] est la nourrice de la charité, et elle souffre tout avec une grande patience, parce que la charité, l’amour par excellence, a trouvé l’humilité, qui la nourrit, et la haine de soi-même, qui la sert avec une patience parfaite; elle se venge, et fait justice des ennemis de la divine charité. Ces ennemis sont l’amour-propre, qui s’aime par intérêt, et tout ce qu’il aime, il l’aime pour lui et non pour Dieu, ce sont les plaisirs, les louanges, les dignités, les honneurs, les richesses.

3. Quelle vengeance exerce-t-elle? une si douce, que la langue ne saurait le dire. De l’amour-propre, qui donne la mort, elle vient à l’amour divin, qui donne la vie; des ténèbres, de la haine et du mépris de la vertu, elle arrive à la lumière et à l’amour de la vertu, si bien qu’elle aimerait mieux mourir que de l’abandonner; elle prend tous les moyens, toutes les voies qu’elle peut imaginer pour l’acquérir et la conserver. Et parce que les plaisirs des sens, les délicatesses du corps, les conversations des méchants lui sont nuisibles, elle les fuit de tout son cœur et de toutes ses forces. Elle combat son corps, elle s’en venge en le mortifiant par la pénitence, le jeûne, les veilles, la prière, les disciplines, surtout quand elle voit qu’il en a besoin, c’est-à-dire quand la chair veut se révolter contre l’esprit. Elle se venge de la volonté propre par la mort; elle la tue, en la soumettant aux commandements de Dieu et aux conseils que le Christ, le Fils unique de Dieu, nous a laissés avec ses commandements; elle se revêt ainsi de son éternelle volonté, et traverse courageusement cette mer orageuse en suivant les traces de Jésus crucifié. C’est là le doux lien [1514] qui lie l’âme à son Créateur; c’est lui qui a lié Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, quand vous, le Père, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils, et que vous avez uni la nature divine à la nature humaine. O mes Fils bien-aimés ! ce fut ce lien qui attacha et cloua l’Homme-Dieu sur la Croix. Si l’amour. ne l’eût pas retenu, les clous et la Croix n’auraient pu le faire. L’amour que le Christ a eu pour l’honneur du Père et pour notre salut, la haine, l’horreur qu’il a eue du péché, cet amour et cette haine réunis lui ont fait tirer vengeance de nos iniquités, et il les a punies sur son corps par des peines et des tourmente.

4. Ainsi donc l’âme qui est liée à Jésus crucifié le suit, et se venge de la partie sensitive pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Elle chasse ses ennemis, les vices et la désobéissance, qui lui a fait offenser son Créateur en violant ses commandements; elle ouvre au contraire et reçoit ses amis. Ces amis sont les vraies et solides vertus inspirées par l’amour et la charité parfaite. Un des meilleurs amis que l’âme puisse avoir, c’est la véritable obéissance; on est humble autant qu’on est obéissant, et qu’on observe les saints commandements de Dieu. L’âme se passionne pour cette obéissance, qui consiste à tuer et à détruire sa volonté; et pour la pratiquer davantage, elle veut obéir aux conseils de Jésus-Christ, en prenant dans un Ordre approuvé le joug de la sainte obéissance, Il est certain, mes Enfants, que c’est là le parti le plus sûr. Nous avons beau voir des religieux relâchés qui n’observent pas leur règle, la règle est toujours bonne, parce qu’elle est établie et donnée par l’Esprit-Saint [1515].

5. Si vous croyez donc que Dieu vous appelle à l’obéissance, répondez-lui, et ne vous laissez pas arrêter par ces Ordres qui sont tombés dans la tiédeur et le scandale, car il y a beaucoup de monastères dont on a retranché les abus; et si vous voulez entrer en religion, vous ferez bien et vous honorerez Dieu, pourvu que vous preniez un bon guide. Parmi tous les monastères, je vous recommande celui de Saint-Anthime (Voir la lettre CXI). L’abbé, comme vous le dira dom Giovanni, est un modèle d’humilité, de pauvreté et de charité; il ne voudrait pas être le plus grand, mais le plus petit. Que Dieu, dans son infinie bonté, dispose tout ce qui sera le plus utile à sa gloire et le plus profitable pour vous. Unissez-vous, unissez-vous ensemble, mes Enfants, par la charité supportez mutuellement vos défauts, afin, que vous soyez toujours unis et jamais séparés dans le Christ, le doux Jésus. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Vous savez que c’est là le signe que le Christ a laissé à ses disciples, en disant qu’on ne reconnaît les enfants de Dieu qu’à l’union de l’amour que l’homme a pour le prochain dans la perfection de la charité. J’ai éprouvé une grande consolation en apprenant que vous êtes bien unis. Avancez toujours, et ne tournez pas la tête en arrière. Que je puisse parler comme saint Paul, quand il disait à ses disciples qu’ils étaient sa joie, son bonheur, sa couronne. Je vous en conjure, faites en sorte que je puisse le dire aussi. Je termine. Baignez-vous dans le sang da Jésus crucifié, et unissez-vous ensemble par les liens de l’amour. Demeurez [1516] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus,Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXVII (309). - A DES PRISONNIERS le jeudi saint, à Sienne.- De la vraie patience.- Du péché, et de la miséricorde de Dieu, qui a voulu mourir pour nous.

( Cette lettre fut écrite le Jeudi saint, 9 avril 1377)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignés par un saint désir dans le sang de Jésus crucifié. C’est sur lui qu’il faut fixer le regard de Votre intelligence; et en le faisant, vous acquerrez la vraie patience. Car le sang de Jésus-Christ nous rappelle nos iniquités, et l’infinie miséricorde, la charité de Dieu; ce souvenir nous fait haïr nos défauts et nos péchés; il nous dit aussi aimer la vertu, Et si vous me demandez, très chers Fils, pourquoi ce sang nous rappelle plus particulièrement nos fautes et la miséricorde divine, je vous répondrai Parce que la mort du Fils de Dieu a été causée par nos péchés.

2. Le péché a été cause de la mort du Christ. Le Fils de Dieu n’avait pas besoin de suivre la voie de la Croix pour entrer dans sa gloire, car le poison du [1517] péché n’était pas en lui, et la vie éternelle lui appartenait ; mais nous, malheureux, nous l’avions perdue par nos péchés, et il y avait entre Dieu et nous, une grande guerre. L’homme s’était affaibli et rendu malade en se révoltant contre son Créateur, et il ne pouvait prendre la médecine amère que nécessitait ma faute. Il fallait que Dieu nous donnât le Verbe, son Fils unique, et son ineffable charité unit la nature divine à la nature humaine, l’infini avec le fini, avec notre chair misérable; il est venu souffrir pour nous guérir, notre médecin a été notre Sauveur. Je dis qu’avec son sang, il a guéri nos iniquités; il nous a donné sa chair en nourriture, et son sang précieux en breuvage. Ce sang est d’une si grande douceur, d’une si grande suavité, d’une telle force, d’une telle vertu, qu’il guérit toutes les infirmités, qu’il rappelle de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, car le péché mortel fait tomber l’âme dans tous ces malheurs. Le péché nous ôte la grâce et la vie; il nous donne la mort, il obscurcit la lumière de l’intelligence, et rend l’homme le serviteur et l’esclave du démon: il lui ôte le calme, et il lui cause une crainte déréglée, car le pécheur craint toujours. Celui qui se laisse dominer par le péché a perdu tout pouvoir. Hélas ! combien de maux suivent le péché, combien à cause de lui Dieu permet-il de peines et d’angoisses? Toutes ces misères, toutes ces angoisses, le sang de Jésus crucifié les détruit, parce que ce sang lave l’âme de ses souillures, en les soumettant à la sainte Confession. Dans ce sang s’acquiert la patience; en voyant l’offense que nous avons commise contre Dieu, et le remède qu’il a employé pour nous donner [1518] la vie de la grâce, nous arrivons à la vraie patience. Il est donc bien vrai que Jésus-Christ est un médecin qui nous a donné son sang pour nous guérir.

3. Je dis aussi qu’il est infirme, c’est-à-dire qu’il a pris notre infirmité en prenant notre faiblesse et notre chair mortelle, et c’est sur la chair de son très doux corps qu’ont été punies nos fautes. Il a fait comme la nourrice qui nourrit un enfant malade; elle prend la médecine, parce que l’enfant est trop petit et trop faible pour en supporter l’amertume, il ne peut prendre que du lait. O doux amour Jésus ! vous avez fait comme la nourrice; vous avez pris la médecine amère, vous avez supporté les peines, les opprobres, les mauvais traitements, les outrages; vous avez été lié, battu, flagellé à la colonne, attaché, cloué à la Croix, abreuvé d’injures et d’affronts, tourmenté, dévoré par la soif; et pour tout soulagement on vous a donné par dérision du fiel et du vinaigre; et vous avez tout souffert avec patience, en priant pour ceux qui vous crucifiaient, O amour ineffable ! non seulement vous avez prié pour ceux qui vous crucifiaient, mais vous les. avez excusés en disant: " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font." O patience qui surpasse toute patience ! Quel est celui qui, au milieu des coups, des supplices, des outrages, de la mort, a jamais pardonné et prié pour ses bourreaux? Vous seul l’avez fait, Seigneur. Il est donc bien vrai que vous avez pris la médecine amère pour nous, pauvres enfants malades; et avec votre mort, vous nous avez donné la vie; en goûtant l’amertume, vous nous avez rendu la douceur. Vous nous tenez sur votre sein comme la nourrice, et vous nous [1519] donnez le lait de la grâce divine; vous avez pris l’amertume pour vous, et nous avons ainsi recouvré la santé. Vous voyez bien qu’il s’est fait malade pour nous.

4. Il s’est fait aussi notre champion, et il est descendu sur le champ de bataille; il a combattu et vaincu les démons. Saint Augustin dit qu’avec sa main désarmée, notre Chevalier a défait nos ennemis; il a chevauché sur le bois de la très sainte Croix. La couronne d’épines était son casque, sa chair flagellée sa cuirasse, les clous de ses mains ses gantelets, la lance de son côté le glaive qui vainquit l’homme, et les clous de ses pieds ses éperons. Vous voyez comme il est bien armé notre Chevalier; nous devons le suivre et reprendre courage dans toutes nos épreuves et nos tribulations. Aussi je vous ai dit que le sang du Christ nous rappelle nos pêchés, et nous montre le remède et l’abondance de la miséricorde divine que nous avons reçue dans son sang. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, car nous ne pouvons autrement participer à sa grâce, ni atteindre la fin pour laquelle nous avons été créés. Vous ne pourriez pas non plus souffrir patiemment votre malheur; car c’est dans la mémoire du Sang que toute chose amère devient douce, et tout fardeau devient léger. Je n’ai pas le temps de vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Préparez-vous à la confession et à la sainte Communion, afin de pouvoir ressusciter à la grâce avec Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXVIII (310).- AU JUIF CONSIGLIO.- Elle l’exhorte à se convertir à la vraie foi en recevant le baptême.

(Le Juif Consiglio était de Padoue, et vint s’établir à Sienne pour prêter à usure. Les Juifs prêtaient à quatre deniers pour livre par mois. Ils avaient des fortunes si monstrueuses, que le peuple les fit chasser de Florence. Saint Bernardin parla aussi contre eux à Sienne.)
 
 

LOUANGE A JESUS-CHRIST CRUCIFIE, FILS DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE

1. C’est à vous, très cher et bien-aimé Frère, racheté comme moi par le sang précieux du Fils de Dieu, c’est à vous que j’écris, moi, l’indigne Catherine. Jésus crucifié et sa douce Mère Marie me forcent de vous prier d’abandonner promptement la dureté de votre cœur, de quitter les ténèbres de l’infidélité pour venir recevoir la grâce du saint baptême; car sans le baptême, nous ne pouvons avoir la grâce de Dieu. Celui qui n’a pas le baptême ne participe pas au fruit de la sainte Eglise; il est comme un membre corrompu et retranché de la société des fidèles chrétiens, et il passe de la mort corporelle à la mort éternelle; la peine et les ténèbres seront sa juste punition; car il n’a pas voulu se laver dans l’eau du saint baptême, et il a méprisé le sang du Fils de Dieu, répandu avec tant d’amour.

2. O très cher Frère dans le Christ Jésus, ouvrez les yeux de votre intelligence, et regardez son ineffable [1521] charité, qui vous presse par les inspirations saintes qu’il a mises dans votre cœur. Il vous appelle par ses serviteurs, il vous invite à faire la paix avec lui; il oubliera la longue guerre que vous lui avez faite, les injures qu’il a reçues de vous par votre infidélité. Il est si bon, si doux, notre Dieu, que depuis la loi d’amour, depuis que son Fils est descendu dans la Vierge Marie, et qu’il a répandu l’abondance de son sang sur le bois de la très sainte Croix, nous pouvons recevoir aussi l’abondance de la divine miséricorde. La loi de Moïse était fondée sur la justice et sur le châtiment; la loi nouvelle, donnée par Jésus crucifié dans l’Evangile, est fondée sur l’amour et la miséricorde. Dieu est si doux et si bon, pourvu que l’homme revienne à lui avec foi et humilité, pourvu qu’il croie obtenir la vie éternelle par Jésus-Christ, qu’il semble qu’il ne veuille pas se souvenir des offenses que nous lui faisons, qu’il ne veuille pas nous damner éternellement, mais nous faire toujours miséricorde. Hâtez-vous donc, mon Frère, si vous voulez vous unir à Jésus-Christ; ne dormez plus dans un pareil aveuglement, car Dieu ne veut pas, et je ne veux pas que l’heure de la mort vous trouve aveugle. Mon âme désire vous voir arriver à la lumière du saint baptême, comme le cerf altéré désire l’eau vive. Ne résistez donc plus à l’Esprit-Saint" qui vous appelle, et ne méprisez pas l’amour qu’a pour vous Marie, ni les larmes ni les prières qui sont offertes pour vous; ce serait encourir un trop grand châtiment. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie Celui qui est la Vérité suprême de vous éclairer, de vous remplir de sa très sainte grâce, et [1522] d’exaucer mon désir à votre égard, Consiglio. Je vous écris cette lettre, Consiglio, de la part du Christ Jésus. Louange à Jésus crucifié et à sa très douce Mère, la glorieuse Vierge, notre Dame sainte Marie. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXIX.- A MADAME, épouse de Barnabé Visconti.- De la charité et de l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ. — Elle la prie de donner l’exemple à son mari, et de le ramener à l’obéissance du Souverain Pontife.

(Béatrix della Scala femme de Barnabé Visconti, seigneur de Milan, eut de son mariage quatorze enfants, cinq garçons et neuf filles. Les historiens la représentent comme ambitieuse et méchante. Voir la lettre LXXIV, adressée à son mari.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Révérende Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement d’une ardente charité, afin que vous soyez un moyen, un instrument pour réconcilier votre mari avec le Christ, le doux Jésus, et avec son Vicaire, le Christ de la terre. Je suis persuadée que, si la vertu de la charité est en vous, votre mari ne pourra pas éviter d’en ressentir la chaleur. La Vérité suprême veut que [1523] vous soyez deux dans un même esprit, une même affection, un même désir; et vous ne le pourrez jamais, si vous n’avez pas en vous cet amour.

2. Mais vous me dites: Je n’ai pas cet amour, et sans amour, je n’ai aucun moyen de réussir. Je vous répondrai que l’amour ne s’acquiert que par l’amour. Celui qui veut être aimé doit d’abord aimer, c’est-à-dire avoir la volonté d’aimer; et puis, quand il a cette volonté, il faut qu’il ouvre l’oeil de l’entendement, et qu’il voie où et comment se trouve cet amour. Il le trouve en lui-même. Comment? En reconnaissant son néant, en voyant qu’il n’est pas par lui-même, il attribue à Dieu son existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées, c’est-à-dire toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels que Dieu nous faits. Si nous n’étions pas, nous ne pourrions recevoir aucune grâce; et ainsi, tout ce que l’homme possède. il le tient de l’ineffable bonté et charité de Dieu. Quand l’âme a reconnu en elle cette ineffable bonté du Créateur, elle s’anime et s’enflamme tellement de désir, qu’elle se méprise et qu’elle méprise le monde, avec toutes ses délices. Et je ne m’en étonne pas : une des lois de l’amour est que, quand la créature se voit aimée, elle aime aussitôt; et quand elle aime, elle aimerait mieux mourir que d’offenser celui qu’elle aime. Elle se nourrit dans le feu de l’amour :elle s’est vue tant aimée quand elle a reconnu qu’elle a été le champ et la pierre où fut planté l’étendard de la très sainte Croix! Vous savez bien que ni la terre ni la pierre n’auraient pu fixer la Croix, que ni les clous ni la Croix n’auraient pu retenir le Verbe le Fils de Dieu, si l’amour ne l’eût pas attaché. C’est donc [1524] l’amour que Dieu a eu pour notre âme qui a été la pierre et les clous qui l’ont retenu.

3. Voilà le moyen de trouver l’amour. Et puis, quand nous avons trouvé le lieu où est l’amour, comment faut-il aimer? O très douce et révérende Mère! c’est lui qui est la règle, la voie, et il n’y en a pas d’autres. La voie qu’il nous enseigne, nous devons la suivre, si nous voulons marcher à la lumière et recevoir la vie de la grâce; il faut avancer au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions, afin de devenir semblables à Jésus crucifié. Cet Agneau sans tache a méprisé les richesses, les honneurs du monde; et quoiqu’il fût Dieu et homme, comme il était notre règle et notre voie, il nous a enseigné la loi, il l’a observée et ne l’a pas transgressée, Il est si humble et si doux qu’on n’entendit jamais sortir de sa bouche la moindre plainte. Il s’est sacrifié lui-même, et, dans la générosité de son amour, il s’est nourri de notre salut, ne cherchant jamais son intérêt, mais uniquement l’honneur de son Père et le bien des créatures. Il n’a pas fui les peines, il a été même au-devant d’elles. N’est-ce pas admirable de voir le bon et doux Jésus, qui gouverne et nourrit l’univers, se trouver dans un tel dénuement, que jamais personne n’a été pauvre comme lui? Il était si pauvre, que Marie n’eût pas un linge convenable pour envelopper son Fils; et lorsqu’il mourut sur la Croix, il n’avait pas de quoi couvrir sa nudité. Il était nu, parce que le péché nous avait fait perdre le vêtement de la grâce, et il s’est dépouillé de la vie pour nous revêtir. Jedis que l’âme qui aura trouvé l’amour dans l’affection de Jésus crucifié aura honte [1525] de marcher par une autre voie que par celle de Jésus crucifié; elle ne recherchera ni les délices, ni les honneurs, ni les magnificences; mais elle sera en cette vie comme un pèlerin qui ne pense qu’à atteindre le terme de son voyage. S’il est sage, il ne se laisse retarder ni par la prospérité ni par l’adversité qu’il rencontre, mais il avance toujours généreusement vers le but qu’il aime et qu’il espère.

4. Faites de même, très douce Mère et Soeur dans le Christ, le doux Jésus. Je ne veux pas que vous vous arrêtiez aux grandes richesses que vous avez, aux honneurs, aux jouissances plus qu’aux malheurs et aux tribulations qui peuvent venir. Que ni la peine ni le plaisir ne ,vous détournent, mais courez généreusement dans cette voie, n’aimant que la vertu, et vous réjouissant de souffrir, comme Jésus crucifié vous l’a si doucement appris. Usez des choses du monde par nécessité, et non pas avec un attachement déréglé, qui déplairait trop à Dieu. Si vous mettiez votre amour en quelque chose qui est moins que vous, ce serait perdre votre dignité, car la créature devient la même chose que ce qu’elle aime. Si j’aime le péché, qui est un néant, je deviens un néant, et je ne puis m’avilir davantage, car le péché consiste uniquement à aimer ce que Dieu déteste, et à détester ce que Dieu aime. En aimant les choses passagères du monde, et en s’aimant d’un amour sensitif, on pèche; et c’est une chose que Dieu hait et qui lui déplaît tant, qu’il a voulu en faire justice et la punir sur son corps. Il est devenu l’enclume où il a travaillé nos iniquités. Quelle misère et quel aveuglement de la créature, créée à [1526] l’image et ressemblance divine, régénérée à la grâce qu’elle avait perdue par le péché mortel, et rétablie dans sa beauté première par les flots du sang de Jésus-Christ ! Elle est si aveugle, qu’elle abandonne cet amour qui l’avait anoblie avec tant de bonté, et qu’elle se met à. aimer les choses qui sont hors de Dieu; elle s’éloigne de lui pour aimer les choses créées, pour s’aimer elle-même sans lui. Et ce ne sont pas les grandeurs et les délices du monde, ni les créatures, qui sont condamnables; c’est l’amour que l’âme y place, en violant par cet attachement le doux commandement de Dieu.

5. Mais, au contraire, quand l’âme se détache d’elle-même et place tout son amour en Jésus crucifié, elle s’élève à la plus haute dignité qu’elle puisse atteindre, puisqu’elle devient une même chose avec son Créateur; et qu’y a-t-il de meilleur que d’être uni à Celui qui est le Bien suprême! Elle ne peut s’attribuer cette grandeur, cette dignité ,mais elle l’attribue à l’amour de Dieu. Une servante qui serait choisie pour épouse par un empereur, aussitôt qu’elle serait unie à lui deviendrait impératrice, non pas par elle-même, puisqu’elle était servante, mais par la puissance de l’empereur. De même, très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, pensez que l’âme qui aime Dieu, de servante qu’elle était, d’esclave rachetée par le sang du sang du Fils de Dieu, devient tellement élevée en dignité qu’on ne peut plus l’appeler servante, mais impératrice, épouse de l’Empereur éternel. La Vérité suprême ne l’a-t-elle pas dit? servir Dieu, ce n’est pas être esclave, c’est régner; car c’est être affranchi de la servitude du péché, c’est devenir libre. Elle est [1527] donc bien puissante, cette union de l’amour et de la vertu, qui à la noblesse de la créature ajoute encore la noblesse du Créateur! L’âme, en se détachant d’elle-même, se dépouille du vieil homme, et se revêt de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus; elle devient capable de recevoir, de posséder la grâce qui lui fait goûter Dieu en cette vie et en l’autre; enfin elle jouit de son éternelle vision, où elle trouve la paix. le repos parfait, car tous ses désirs sont remplis. En cette vie, elle ne peut avoir la paix, parce que son désir n’est pas satisfait tant qu’elle n’est pas parvenue à l’union de la divine Essence; elle a seulement faim et désir pendant tout son pèlerinage. Elle désire suivre la voie droite, elle a faim d’arriver au terme, au but, et son désir la fait courir dans la voie tracée par Jésus crucifié, dont nous avons parlé; si elle n’aimait pas sa fin, c’est-à-dire Dieu, elle ne chercherait pas à connaître la voie.

6. Je voudrais donc vous voir augmenter le saint et vrai désir de suivre cette voie, qui doit vous conduire au terme. Apprenez qu’elle n’est pas incertaine, ténébreuse, pleine d’épines ; c’est une route lumineuse et arrosée du sang de Jésus-Christ, qui est la vraie lumière. Elle n’a pas d’épines, mais elle est pleine de fleurs parfumées et de fruits délicieux; si bien que la créature qui a commencé à suivre cette douce voie, y trouve tant de douceur, qu’elle aimerait mieux mourir que de la quitter. On rencontre bien en cette voie, des épines, les épines nombreuses de la tribulation, les illusions du démon, le monde avec les tourments de l’orgueil, mais l’âme qui se plaît en cette voie ne s’en inquiète pas, elle fait comme celui [1528] qui trouve un rosier : il cueille la rose, et laisse l’épine. Elle fait de même pour les tribulations et les angoisses du monde; elle les laisse derrière elle, et cueille la rose parfumée de la vraie et sainte patience, en fixant le regard de son intelligence sur le sang de l’Agneau, qui donne la vie et nous trace le chemin. Courez donc, ma Mère, courons tous, chrétiens fidèles, attirés par l’odeur de ce sang ! Nous nous enivrerons, nous serons consumés et brûlés par la douce charité de Dieu, et nous deviendrons une même chose avec lui; nous ferons comme celui qui, dans son ivresse, ne pense plus à lui, mais à la liqueur qu’il a bue et qui lui reste à boire. Enivrez-vous du sang de Jésus crucifié, puisque vous le pouvez; ne vous laissez pas mourir de soif; n’en prenez pas un peu, mais beaucoup, pour vous enivrer et vous perdre vous-même.

7. Ne vous aimez pas pour vous, mais pour Dieu; n’aimez pas la créature pour la créature, mais seulement pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu;. n’aimez pas Dieu pour vous, pour votre utilité, mais aimez Dieu pour Dieu, parce qu’il est la Bonté suprême, si digne d’être aimée. Alors votre amour sera parfait, et non mercenaire. Vous ne pourrez penser qu’à Jésus crucifié, à la liqueur que vous avez bue, c’est-à-dire à la charité parfaite que Dieu vous a témoignée avant la création du monde, en vous aimant avant que vous fussiez; car, s’il ne vous avait point aimée, il ne vous eût pas créée; mais il vous a vue en lui-même par amour, et il a voulu vous donner l’être. Alors toutes vos pensées seront fixées dans cette charité, et vous penserez à ce qui doit vous [1529] désaltérer; vous désirerez ardemment voir et goûter l’éternelle et suprême beauté de Dieu. Nous savons maintenant le lieu où se repose l’amour, et où l’âme trouve le moyen qu’il faut prendre pour l’acquérir. Je vous en conjure par l’amour de Jésus crucifié, ne soyez pas négligente, mais hâtez-vous d’aller dans ce lieu, et de suivre cette voie qui vous est montrée. En le faisant, vous accomplirez en vous le désir et la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut que votre sanctification.

8. Vous apaiserez aussi mon désir; car moi, pauvre misérable, remplie de péchés et d’iniquités, j’ai faim de votre salut ; je le veux pour vous, et afin que vous soyez aussi pour votre mari un moyen de le conduire à la vertu, et de lui faire suivre la voie de la vérité. Invitez-le, engagez-le autant que vous le pourrez à être le vrai fils et le serviteur de Jésus crucifié par son obéissance au Saint-Père, qui le représente. Non, qu’il ne se révolte plus contre lui. Père et Mère bien-aimés, soyez unis dans une même Volonté, un même esprit. Ne comptez pas sur le temps, car le temps n’attend pas. Pensez, pensez que l’oeil de Dieu est fixé sur vous, et que personne ne peut échapper à ses regards c’est votre Dieu, qui n’a pas besoin de vous; il nous a aimés avant, que nous l’aimions, et il s’est. donné lui-même à nous par la grâce, et non par obligation. Je ne veux pas que vous méconnaissiez un si grand bienfait, mais que vous soyez pleine de reconnaissance,. en répondant à la grâce et à la clémence du Saint-Esprit. Je vous prie d’élever et de nourrir vos enfants dans la crainte de Dieu. Ne vous inquiétez pas de leur corps, mais du salut de leur [1530] âme vous savez que Dieu vous en demandera compte au dernier jour. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à mon ignorance si je vous ai importunée; mais j’ai faim et soif de votre salut plus que je ne pourrais le dire. Votre fidèle serviteur est venu de votre part, et m’a dit de vive voix ce dont vous l’aviez chargé, et j’en ai été bien heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXX.- MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- Combien l’amour des créatures est dangereux, et combien l’amour de Dieu est doux et utile.

(Le nom de Niéri ou Niera vient de celui de saint Ranier, protecteur de Pise. Gérard Gambacorti était frère de Pierre Gambacorti, dont nous avons parlé à la lettre LXXV.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement de la charité divine, du véritable et parfait amour, tellement que tout autre amour sorte de votre cœur, parce que l’âme ne peut être revêtue de deux amours. Si elle a celui du monde, elle ne peut avoir celui de Dieu; car l’un est l’ennemi de l’autre. L’amour qu’on [1531] a pour le monde fait, qu’on s’aime d’un amour sensitif, et qu’on recherche sans cesse les honneurs, la puissance, les richesses, les plaisirs, les délices, les consolations sensibles; et ces jouissances conduisent l’âme à la mort éternelle. Celui qui aime le monde et ses plaisirs d’une manière déréglée, est toujours enraciné dans l’orgueil, et de l’orgueil naissent tous les vices. Oh ! quel malheur s’attire celui qui se perd dans les soucis coupables du monde ! il acquiert la mort en perdant la vie de la grâce; il s’égare dans les ténèbres en perdant la lumière, et il tombe dans la triste servitude du péché; il devient esclave, et esclave du néant. Il ne peut y avoir un sort plus déplorable; l’âme se perd elle-même et se livre entre les mains de ses ennemis.

2. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi, très chère Fille, et vous, mon Fils Gérard; mais je veux qu’avec un saint et vrai zèle vous dépouilliez votre cœur de cet amour coupable, et que vous le revêtiez de l’amour de Jésus crucifié, dans une parfaite et ardente charité, restant toujours dans l’amour et la dilection de votre prochain. Cet amour est plein de joie et de douceur, il nourrit et remplit l’âme de vertu; il ouvre l’oeil de l’intelligence, et le fixe sur Jésus crucifié et sur son amour ineffable. L’âme alors s’embrase d’amour, et s’empresse de suivre les traces du Christ, en s’attachant toujours à la vertu, en lui ressemblant dans les épreuves par la patience, et dans la prospérité, les plaisirs de la terre, les dignités, les grandeurs, par le dégoût, méprisant, avec Jésus-Christ, toutes les jouissances du monde. L’âme ainsi revêtue d’amour le fuit avec un maint et vrai zèle. Voilà ce que fait le [1532] saint et divin amour; c’est là le vêtement nuptial qu’il faut avoir, parce que nous sommes invités aux noces de la vie éternelle. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du véritable et parfait amour, afin que vous puissiez pleinement satisfaire la volonté de Dieu et mon désir. Dieu ne cherche et ne veut que votre sanctification. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang vous trouverez le feu de l’amour; dans ce sang se lavent nos iniquités. C’est ce que fait le représentant de Jésus-Christ, lorsqu’il absout notre âme dans la confession; il ne fait pas autre chose que de jeter le sang du Christ sur notre tête.

3. Dites à Gérard que voici le temps favorable; pour vivre il ne faut pas mépriser ce sang, et il ignore combien il doit vivre et quand il doit mourir. Qu’il se débarrasse de la corruption de ses pêchés par une bonne et sainte confession; il ne pourrait pas autrement participer à la grâce divine. Je vous en conjure, mon Fils et ma Fille, par l’amour de Jésus-Christ, que l’amour de vos enfants et de vous-mêmes, que les jouissances du monde ne vous éloignent jamais de ce que vous devez faire. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1533].

Table des matières (2)





CCCXXI.- A MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- De la confiance que nous devons avoir en Dieu seul, et des fruits qu’elle produit.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante et la fille fidèle du Père. Vous savez que l’amour est ce qui rend fidèle; on n’a confiance qu’en ce qu’on aime. Aussi nous voyons les vrais serviteurs. de Dieu, à cause de l’amour qu’ils ont pour leur Créateur, perdre toute confiance et toute espérance en eux-mêmes; ils ne comptent pas sur leur vertu et leur savoir, mais ils reconnaissent leur néant; ils rapportent tout ce qu’ils ont à Dieu, qui le leur a donné par grâce, et non par obligation. Ceux qui aiment avec foi ont une foi vive; elle n’est pas morte, et produit de douces et saintes, œuvres. Quelles sont les œuvres qui montrent cette foi vive fondée. sur le véritable amour? la patience contre l’injure ou contre les peines, de quelque manière que Dieu nous les envoie; la charité divine contre l’amour sensuel de nous-mêmes; l’humilité contre l’orgueil que font naître dans l’homme le rang, les délices, les honneurs et les plaisirs du monde. Cette humilité méprise le monde avec toutes ses pompes; mais personne ne peut l’avoir s’il ne reconnaît [1535] pas son néant, et s’il ne voit pas que Dieu s’est humilié jusqu’à l’homme. Lorsque l’âme considère que la souveraine Grandeur s’est abaissée jusqu’à notre humanité, elle rougit de son orgueil à la vue d’un Dieu si humilié. Ce sont les fruits produits par la foi vive qu’elle place uniquement en son Créateur.

2. Ceux qui possèdent et goûtent Dieu en vérité ne souffrent pas des peines et des tourments qu’ils éprouvent, parce qu’ils croient fermement que Dieu ne cherche, ne veut et ne permet rien que pour notre sanctification. Tout cela vient de l’amour, car sans l’amour la foi n’existerait pas. Voyez, au contraire, ceux qui ont placé leurs affections dans le monde: ils mettent toute leur foi, toute leur espérance en eux et dans le monde, et ils sont toujours dans la peine et le chagrin, parce qu’ils mettent leur âme dans une chose qui n’est pas ferme et stable, et ils se trouvent ainsi trompés. Quelle sûreté présentent un père, une mère, les honneurs, les richesses, la puissance? aucune, car tout cela passe comme le vent; ils vivent aujourd’hui, et demain ils seront. morts; de bien portants ils deviennent malades, et de riches, pauvres; ils mettent leur bonheur dans leurs enfants, et ils les perdent. Ils souffrent, parce qu’ils placent leur amour et leur désir dans des choses incapables de les satisfaire, parce qu’ils ne peuvent posséder ce qu’ils aiment. Aussi je ne veux pas, ma très douce Fille, que vous placiez votre affection, votre foi, votre espérance en vous et dans ce qui est corruptible; mais je veux que vous vous donniez tout entière à servir le Christ, le doux Jésus, où se trouvent tout bonheur, toute consolation. C’est là que l’âme s’enivre [1535] du sang de l’Agneau sans tache, qu’elle s’enflamme et se consume dans le feu d’une ardente charité; et elle y reçoit tant de force, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui ravir son bien. Cachez-vous donc dans les plaies de Jésus crucifié, placez votre affection, votre foi, votre espérance en Jésus crucifié, et avec ce doux et tendre Agneau, vous traverserez cette vie ténébreuse, et vous arriverez à la vie éternelle, où les âmes goûtent le bonheur parfait. Je ne veux pas vous en dire davantage.

3. Quant à ce que vous me dites de l’établissement de votre Fils, je vous répondrai que vous vous arrêtiez, non pas à la fortune et à la naissance, mais seulement à la vertu et au mérite de la jeune fille (Niera eut deux fils, Lotto, qui fut archevêque de Pise en 1382, et Jean, qui rétablit la fortune de sa famille en 1406.). Lorsque vous aurez trouvé cela, allez en toute assurance. Ce que vous faites, faites-le avec la crainte de Dieu, en fixant toujours sur lui les regards de votre âme. Bénissez et encouragez Gérard dans le Christ, le doux Jésus; dites à Gérard que je me plaindrai de lui à Jésus crucifié, parce qu’il n’a pas fait ce que doit faire tout fidèle chrétien. Dites-lui de ne pas attendre le dernier jour de sa vie, car il ne sait quand et comment il mourra. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1536] .

Table des matières (2)





CCCXXII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, de Pise.- Elle l’exhorte à être la vraie servante et épouse de Jésus-Christ, en renonçant à tout amour des créatures.

(Tora est le diminutif de Théodora ou de Victoria. Cette fille de Gambacorti avait été fiancée très jeune à Simon de Massa; elle devint veuve à l’âge de quinze ans. Elle entre dans l’ordre de Saint-Dominique, et fut béatitiée sous le nom de bienheureuse Claire de Gambacorti; sa fête se célèbre le 17 avril.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié, si bien que son amour te rende insupportables le monde et ses délices, parce qu’on n’y trouve aucune force, aucune stabilité. Tu sais bien, ma Fille, que c’est la vérité. Le monde t’a montré ses magnificences et ses plaisirs; mais tu sais maintenant combien ses joies sont vaines et misérables; elles engendrent la tristesse et l’amertume dans l’âme qui les possède d’une manière déréglée; elles ôtent la vie et donnent la mort, et l’âme tombe dans une affreuse misère et pauvreté. Il faut donc les fuir; il faut haïr la sensualité et lu plaisirs du monde, les mépriser de tout son cœur, de toutes ses forces, et se [1537] consacrer entièrement a" service de notre très doux Créateur. Le servir n’est pas être esclave, c’est régner, car c’est devenir tout puissant dans la vie éternelle, et dans celle-ci c’est devenir libre. L’âme est affranchie des liens du péché mortel, de l’amour du monde et de la sensualité. La raison devient maîtresse; elle règne sur le monde, qu’elle dédaigne, car personne ne peut le posséder qu’en le méprisant parfaitement.

2. L’âme ne serait-elle pas bien insensée si, pouvant être libre et épouse, elle se faisait servante et esclave en se livrant encore au démon, en devenant adultère? Oui, assurément, et c’est pourtant ce que fait l’âme affranchie de la servitude du démon, rachetée par le sang de Jésus crucifié, non pas avec de l’or et de l’argent, mais avec ce sang; elle s’avilit, elle méconnaît sa dignité, elle méprise et foule aux pieds ce sang qui l’a rachetée avec un si ardent amour. Dieu l’avait rendue l’épouse du Verbe, son Fils, et le doux Jésus l’a épousée avec sa chair dans la Circoncision; il a donné un anneau de sa chair pour preuve qu’il voulait être l’époux de l’humanité. Et l’âme aime quelque chose hors de lui, ou son père, ou sa mère, ses sœurs, ses frères, des parents, des richesses, des honneurs du monde, elle devient adultère; elle cesse d’être l’épouse fidèle de son Epoux, car une véritable épouse n’aime que son époux, et n’aime rien qui puisse être contre sa volonté. C’est ce que devrait faire la véritable épouse du Christ. Elle devrait l’aimer uniquement de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et détester tout ce qu’il déteste, le vice, le péché qu’il a tellement en [1538] horreur, qu’il a voulu le punir sur son propre corps pour nous sauver; elle devrait aimer tout ce qu’il aime, c’est-à-dire les vertus qui s’exercent par la charité du prochain en le servant autant que possible dans ses besoins avec une affection fraternelle.

3. Oui, je veux que tu sois une servante fidèle, et Je ne veux pas que tu sois sans époux. J’ai appris que Dieu avait appelé à lui ton époux. Si c’est pour le bien de son âme, je suis contente qu’il ait atteint le but pour lequel il avait été créé; mais puisque Dieu t’a délivrée du monde, je veux te lier à lui, et te faire épouser Jésus crucifié avec l’anneau de la très sainte Foi. Je ne veux pas te vêtir de deuil, c’est-à-dire du noir de l’amour-propre et des plaisirs du monde, mais du blanc de la pureté, en conservant ton esprit et ton corps dans l’état de continence. Tu couvriras cette pureté du manteau pourpre de la charité de Dieu, avec l’agrafe de l’humilité parfaite, avec les ornements des vraies et solides vertus, avec l’humble et continuelle prière, sans laquelle il est impossible d’acquérir aucune vertu. Lave souvent la face de ton âme avec la confession et la contrition du cœur; ce sera un parfum d’agréable odeur, qui te fera plaire à ton Epoux, le Christ béni. Et ainsi parée, va t’asseoir à la table de l’Autel pour y recevoir la nourriture des anges, le Pain vivant qui donne la vie, quand viendra le temps, comme à Pâques, aux fêtes de la douce Marie, et, selon que Dieu, t’y préparera, pour les autres fêtes solennelles. Réjouis-toi de te trouver sans cesse à la table de la très sainte Croix; et là, cache-toi, renferme-toi dans la douce chambre nuptiale, c’est-à-dire dans le côté de Jésus crucifié, où tu [1539] pourras te baigner dans son sang, qu’il a répandu pour laver la lèpre de ton âme. Là, tu sauras le secret de son cœur; il te montre par la blessure de son côté, qu’il t’a aimé et qu’il t’aime d’un amour ineffable.

4. Pense que ce doux Epoux est très jaloux de ton âme, et que, s’il voit son épouse s’éloigner un peu de lui, il l’abandonne et lui retire ses grâces et sa douceur. Je veux donc que tu évites la conversation des gens du monde autant que tu le pourras, afin de ne pas faire des choses qui éloignent de toi ton Epoux. Aime à rester dans ta cellule, et prends garde de perdre le temps, car il t’en sera maintenant demandé un compte plus sévère qu’autrefois; mais applique. toi sans cesse à la prière, à la lecture, à quelque ouvrage manuel pour ne pas tomber dans l’oisiveté, qui serait bien dangereuse. Combats généreusement et sans crainte, et repousse tous les coups avec le bouclier de la très sainte Foi. en mettant toute ta confiance dans le Christ, ton Epoux, qui combattra pour toi. Je sais que tu vas avoir, ou peut-être, pour parler plus juste, que tu as à soutenir déjà de grands combats contre le démon qui trouble ton âme de bien des pensées; les créatures ne te feront pas moins souffrir, et peut-être davantage. Je sais qu’on te dira que tu es bien jeune, et qu’il n’est pas convenable que tu restes dans cet état, comme si c’était une honte pour ces ignorants et ces aveugles de ne pas te rattacher au monde. Mais sois forte et constante en t’appuyant sur la Pierre vives, et ronge qui si Dieu est pour toi, personne ne pourra rien contre toi. N’écoute ni le démon ni les créatures, qui te conseillent [1540] des choses opposées à Dieu, à sa volonté et au saint état de continence; mets ta confiance en Jésus crucifié, qui te fera traverser cette mer orageuse, et tu arriveras à cette mer pacifique, où la paix n’est jamais troublée. Afin de te conduire plus sûrement au port de la vie éternelle, je te conseillerais pour ton bien d’entrer dans la barque de la sainte obéissance, parce que c’est la voie la plus sûre et la plus parfaite; elle fait avancer l’âme sur cette mer, non pas avec ses forces, mais avec celles de l’Ordre. Je te prie d’y penser sérieusement, afin que tu Sois plus capable d’être la servante et l’épouse de Jésus crucifié. Car le servir, c’est régner; et pour te voir régner et vivre dans la grâce, je t’ai dit que je désirais te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié. Fais preuve d’une bonne et sainte patience en cette occasion et dans tout ce qui pourrait t’arriver. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXIII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, à Pise.- De l’instabilité du monde. — De la prière et de ses effets.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans Le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1541] de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir ton cœur et ton affection détachés du monde et de toi-même tu ne pourras pas autrement te revêtir de Jésus crucifié; car le monde n’a aucun rapport avec Dieu. Le cœur attaché au monde aime l’orgueil, Dieu aime l’humilité. Le monde recherche les honneurs, la fortune, la puissance, et le Christ béni les a méprisés, choisissant les opprobres, la honte, les affronts, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et jusqu’à la mort honteuse de la Croix; c’est cette mort qui a rendu honneur à son Père, et qui nous a fait renaître à la grâce. L’amour déréglé cherche à plaire aux créatures sans craindre. de déplaire au Créateur; et lui n’a jamais cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut; il a embrassé et revêtu la pauvreté Volontaire, et le monde cherche les grandes richesses. L’un est donc bien différent de l’autre; et nécessairement si le cœur est dépouillé du monde, il est plein de Dieu; s’il est vide de Dieu, il est plein du monde. Notre Sauveur l’a dit: Nul ne peut servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre. Nous devons donc avec un grand zèle détacher notre cœur et notre affection de ce monde tyrannique, et le donner librement et sincèrement tout à Dieu, sans partage, sans réserve, sans faux amour, parce que c’est notre Dieu, qui nous regarde, et qui voit les secrets les plus cachés de notre cœur.

2. Quelle serait notre folie, notre erreur si, sachant que Dieu nous regarde et qu’il est un juge juste, qui punit toutes les fautes et récompense toutes les vertus, nous étions assez aveugles pour attendre sans [1542] crainte le temps que nous n’avons pas, et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir. Nous différons toujours, et si Dieu nous présente une chose, nous en prenons une autre; nous craignons beaucoup plus de perdre les biens qui passent et les créatures, que nous ne noua inquiétons de perdre Dieu lui-même. Tout cela vient de l’amour déréglé que nous avons mis en ces choses que nous gardons et possédons en dehors de la volonté de Dieu. Aussi nous goûtons, dès cette vie, les arrhes de l’enfer. Dieu permet justement que celui qui aime ces choses avec un amour déréglé, devienne insupportable à lui-même, et soit toujours en guerre dans son âme et dans son corps. Il souffre de ce qu’il possède, parce qu’il a peur de le perdre; et pour le conserver, il se fatigue le jour et la nuit; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et ainsi jamais l’âme n’est calme au milieu des choses de ce monde, parce que ces choses sont moindres qu’elle. Elles sont faites pour nous, et non pas nous pour elles; nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de l’éternel et souverain Bien. Dieu seul donc peu: satisfaire l’âme; c’est en lui qu’elle trouve sa paix, son repos, car elle ne peut désirer et vouloir quelque chose qu’elle ne trouve pas en Dieu. Dieu sait, peut et veut nous donner plus que nous ne savons désirer pour notre salut. Nous l’avons éprouvé, car non seulement il nous donne ce que nous lui demandons, mais encore il nous a donné avant que nous fussions. Sans que nous l’en prions, il nous a créés à son image et à sa ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. Aussi l’âme trouve sa paix en lui seulement, car il est la suprême [1543] Richesse, la suprême Sagesse, la suprême Bonté, la suprême Beauté, tellement que personne ne peut comprendre sa bonté, sa grandeur, sa félicité, si ce n’est lui-même; et il sait, il peut, il veut satisfaire et combler les saints désirs de ceux qui veulent se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je veux donc que nous mettions tout notre soin, tous nos efforts à dépouiller notre cœur de toutes les choses de la terre et de toutes les créatures, aimant tout le morde en Dieu et pour Dieu, et rien en dehors de lui.

3. Oui, ma très douce Fille, je t’engage à placer et à affermir ton cœur et ton esprit en Jésus crucifié. Cherche-le, pense à lui, que ton bonheur soit d’être toujours devant Dieu par une humble et continuelle prière: c’est là le principal exercice que je te recommande. Consacres-y Je plus de temps que tu pourras, car la prière est une mère qui, par l’amour de Dieu, conçoit les vraies vertus et les enfante par la charité du prochain. Dans la prière, l’âme apprend à se dépouiller elle-même et à se revêtir du Christ. Par elle tu goûteras le parfum de la continence, tu acquerras une force si grande, que tu ne craindras plus les attaques du démon, les révoltes de la chair fragile et la langue des créatures, qui veulent t’éloigner de tes saintes résolutions; contre tous ces ennemis, tu seras forte, constante et persévérante jusqu’à la mort. Dans la prière, tu trouveras l’amour des souffrances, qui te rendra conforme à Jésus crucifié; tu trouveras une lumière surnaturelle, qui t’éclairera dans le chemin de la vérité. J’aurais bien d’autres chose à te dire sur cette mère, sur la prière mais le peu de temps que j’ai ne me le permet pas. Applique-toi [1544] donc à la prière, et fais toujours tous tes efforts pour te connaître, pour connaître tes défauts, la grande bonté de Dieu à ton égard, l’ardeur de an charité et ses bienfaits infinis. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXIV.- A MADAME JACQUELINE, femme de messire Trinci de Foligno.- De la patience.- Des motifs et des moyens pour acquérir cotte vertu.- Elle la console de la perte de son mari, mort au service de l’Eglise.

(Cette dame était femme de Trinci des Trinci, seigneur de Foligno, auquel est adressée la lettre LXXVI)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience; car je pense que l’âme ne peut plaire à Dieu ni rester dans an grâce sans la vertu de patience, parce que, dès qu’elle est impatiente, elle est privée de la grâce de Dieu. L’impatience procède de l’amour de soi-même; elle est revêtue de la volonté sensitive, et l’amour-propre, et la sensualité ne peuvent être en Dieu. Vous voyez donc bien que l’âme [1545] qui est impatiente est privée de Dieu. " Il est impossible, dit le Christ, que l’homme puisse servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre, car ils sont opposés. " Le monde et Dieu n’ont aucun rapport ensemble ; les serviteurs du monde et les serviteurs de Dieu sont aussi différents. Celui qui sert le monde ne se plaît que dans l’amour sensuel et déréglé des plaisirs, des richesses, des honneurs, de la puissance, de toutes les choses qui passent comme le vent, parce qu’elles n’offrent aucune sûreté, aucune durée.

2. L’homme désire outre mesure une vie longue, et la vie est courte; il désire la santé, et bien souvent il est malade. Toutes les joies et les consolations du monde sont si peu durables, qu’il faut qu’elles nous quittent ou que nous les quittions. Quelquefois Dieu permet qu’elles nous soient enlevées; nous perdons notre fortune ou ceux qui nous sont chers, ou quelquefois nous les abandonnons nous-mêmes lorsque Dieu nous retire de la vie. Je dis donc que l’amour déréglé des serviteurs du monde pour eux-mêmes leur fait aimer aussi d’un amour déréglé les créatures, enfants, maris, frères, pères, mères et tous les biens du monde. Lorsqu’ils les perdent, ils en souffrent cruellement, ils tombent dans l’impatience et le désespoir, et ce n’est pas étonnant. La douleur de la perte qu’ils éprouvent est proportionnée à l’amour avec lequel ils possédaient; ils goûtent, dès cette vie, les arrhes de l’enfer, et s’ils n’ont pas soin de reconnaître leur faute et de supporter avec patience le malheur que Dieu a permis pour leur bien, ils arrivent à l’éternelle damnation [1546].

3. O mes très chères Soeurs et Filles ( Cette lettre s’adressait aussi à d’autres dames de la famille), combien est insensé celui qui s’attache au monde, à ce maître misérable, sans loyauté et plein d’artifices! Comme il trompe celui qui met en lui sa confiance ! Il parait beau, et il est affreux; il veut faire croire qu’il est stable et sûr, et il change toujours. Ne le voyons-nous pas jusqu’à l’évidence? aujourd’hui nous sommes riches, et demain pauvres; aujourd’hui maîtres, et demain serviteurs; aujourd’hui vivants, et demain morts. Nous voyons donc bien que rien n’est assuré. C’est ce que voulait enseigner le glorieux saint Paul, lorsqu’il disait: " Gardez-vous de ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes et dans le monde, car, lorsqu’on se croit bien affermi " tout tombe et c’est là vérité. Nous devons retirer au monde notre amour et notre confiance, puisque, de quelque côté que nous nous tournions, il cause tant de fautes et tant de peines. Il ne vient vraiment que chagrin et scandale des choses du monde qu’on possède hors de Dieu. Ce que nous aimons, nous devons l’aimer en Dieu pour l’honneur et la gloire de son nom. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que Dieu ne veut pas que nous nous aimions. Il veut que nous nous aimions, parce que toutes les choses qu’il a faites sont dignes d’être aimées. Dieu, qui est la bonté suprême, a fait bonnes toutes les choses, car il ne peut que bien faire; mais l’homme doit les aimer selon l’ordre, selon Dieu, et reconnaître humblement que lui seul les rend mauvaises par sa faute. Le mal [1547] vient uniquement de notre volonté déréglée avec laquelle nous les aimons, et cette volonté, non seule. ment n’est pas digne d’être aimée, mais elle est digne de haine et de châtiment, puisqu’elle n’est pas en Dieu.

4. Le monde, ce misérable maître, est vraiment bien en opposition avec Dieu ; Dieu veut la vertu, et le monde le vice; Dieu est la patience même, et le monde est impatient; en Jésus crucifié se trouve la clémence, la paix, le repos que rien ne peut trou hier; ses promesses ne trompent jamais; il est la vie, et nous avons en lui la vie; il est la vérité, et il tient toujours sa parole; il récompense le bien, et punit le mal; il est la lumière qui nous donne la lumière; il est notre espérance, notre protecteur, notre force, et il n’abandonne jamais ceux qui mettent en lui leur confiance. L’âme reçoit autant qu’elle espère en sou Créateur. Il soutient notre faiblesse, et fortifie le cœur de l’affligé qui réclame son secours avec une humilité sincère et avec confiance, pourvu que nous fixions l’oeil de l’intelligence, éclairé de la vraie lumière, sur son ineffable charité. Nous acquérons cette lumière en contemplant le sang de Jésus crucifié; car sans la lumière nous ne pouvons voir combien c’est une chose misérable d’aimer le monde, et combien il est bon et utile d’aimer et de craindre Dieu; car, en ne voyant pas, nous ne pourrons aimer ce qui est digne d’être aimé, et détester le péché, qui est digne de haine.

5. Voici le moment de servir le doux Maître avec une vraie patience. Vous avez éprouvé combien est pénible la servitude du monde, et combien ses biens [1548] disparaissent promptement. Attachez-vous donc à Jésus crucifié, et commencez à le servir de tout votre cœur, de tout votre âme; supportez avec une Vraie patience la sainte affliction qu’il vous a imposée non parla haine, mais par amour pour le salut de son âme, à l’égard de laquelle il a été si miséricordieux en lui permettant de mourir au service de la sainte Eglise ( Voir la Lettre LXXVI). S’il était mort d’une autre manière, au milieu des erreurs et des jouissances du monde, entouré d’amis et de parents qui bien souvent sont des obstacles à notre salut, il aurait eu bien à faire; mais Dieu qui l’aimait particulièrement a voulu le sauver, et a permis cette circonstance qui a été favorable à son âme. Et vous devez plus aimer l’âme que le corps, car ce corps est mortel et fini, et l’âme est immortelle et infinie. Vous voyez donc que le Providence a pourvu à son salut; et pour vous, elle a voulu vous faire souffrir des peines, afin de vous en récompenser dans la vie éternelle. Nous l’avons dit, tout bien est récompensé, toute faute punie; c’est-à-dire toute peine, toute affliction supportées avec patience, et toute impatience tout murmure, toute haine que nous avons eus contre Dieu, notre prochain et nous-mêmes. Le doux et bon Jésus a voulu que vous connaissiez le monde, et combien il est misérable de prendre pour Dieu ses enfants, son mari, sa fortune, ou quelque chose que ce soit, Et si vous me dites L’épreuve est si grande, que je ne puis la porter, je vous répondrai, très chère sœur, que l’épreuve est petite, et que vous pouvez la porter; je dis petite [1549], à cause de la petitesse et de la brièveté du temps, car l’épreuve ne dure pas plus que. le temps, et quand nous quittons cette vie, nos épreuves sont finies. Qu’est-ce le temps pour nous? Les saints disent : Une pointe d’aiguille sans hauteur et sans largeur. Il est de même de la vie de notre corps, qui disparaît dès qu’il plaît à la Bonté divine de nous retirer de ce monde.

6. Je dis encore qu’il faut souffrir l’épreuve, car personne ne peut s’en délivrer par l’impatience. On a beau dire : Je ne puis pas, je ne veux pas souffrir, il faut toujours souffrir, et la résistance ne fait qu’ajouter à la souffrance par la volonté propre; c’est dans cette volonté que se trouve toute peine. La peine est proportionnée à la volonté; ôtez la volonté, et vous ôterez la peine. Et comment perdre cette volonté? dans le souvenir du sang de Jésus crucifié. Ce sang est si désirable, que toute amertume devient douce par le souvenir de ce sang, et que tout fardeau devient léger. C’est que dans le sang du Christ nous trouvons l’amour ineffable qu’il a eu pour nous; c’est par amour qu’il nous a donné la vie, et rendu la grâce que nous avions perdue par le péché. Dans ce sang nous trouvons la grandeur de sa miséricorde, et nous voyons que Dieu ne veut autre chose que notre bien. O doux Sang qui enivre l’âme qui nous donne la patience et nous revêt de la robe nuptiale qu’il faut avoir pour entrer dans la vie éternelle ! C’est le vêtement de la charité, sans lequel nous serons chassés du festin de la vie éternelle. Oui, très chère Sœur, c’est dans le souvenir de ce sang que nous trouvons la joie et la consolation dans toutes nos peines et nos adversités. Aussi je vous ai dit que, par le souvenir du sang du Christ, est détruite la volonté sensitive, qui cause l’impatience, et ce souvenir du sang nous revêt de la volonté de Dieu, où l’âme trouve tant de patience, que rien de ce qui lui arrive ne peut la troubler, mais qu’elle gémit plus de ne pas aimer souffrir et de résister à la volonté de Dieu que de ses peines mêmes. Vous devez faire ainsi, et gémir de votre faiblesse et de vos plaintes. De cette manière vous mortifierez le vice de la colère et de l’impatience, et vous acquerrez la vertu parfaite.

7. Considérez vous-même combien de peines le Christ a souffertes pour nous, avec quel amour il vous a accordé les vôtres, afin que vous soyez sanctifiée en lui. Voyez combien la peine est petite, puisque le temps est si court; combien toutes nos épreuves seront récompensées; combien Dieu est bon, puisqu’il ne veut autre chose que notre bien et en y réfléchissant saintement, tout vous deviendra léger; vous supporterez la tribulation, en voyant nos fautes qui la méritent, et la bonté de Dieu si pleine de miséricorde envers nous ; car nos fautes mériteraient une peine infinie, et il nous punit avec ces peines finies. Non seulement elles détruisent le péché, mais elles nous méritent la vie éternelle par la grâce que Dieu donne à celui qui le sert avec patience. Il est si bon, que le servir n’est pas être esclave, c’est régner. Il nous a fait tous libres et rois, parce qu’il nous a tirés de la servitude du démon, de son odieuse tyrannie, de son affreux esclavage. Courage donc, très chère Fille: puisqu’il est si amer de servir et d’aimer d’un amour [1551] déréglé le monde, les créatures et nous-mêmes, et puisqu’il est si doux d’aimer et de craindre notre doux Sauveur, notre Maître légitime, qui noue a aimés avant que nous fussions, à cause de son infinie charité; il n’y a plus de temps à perdre; il faut, avec une foi vive et une parfaite lumière, nous confier en Celui qui nous secourra dans tous nos besoins; il faut le servir de tout notre cœur, de toute notre âme. de toutes nos forces, avec une véritable patience, qui est pleine de douceur.

8. La patience est toujours maîtresse; elle triomphe toujours, et n’est jamais vaincue, parce qu’elle ne se laisse pas dominer et posséder par la colère. Aussi, celui qui l’a, ne voit pas la mort éternelle, mais il goûte, dès cette vie, les arrhes de la vie éternelle, Sans elle, au contraire, nous sommes privés par la mort, des biens de la terre et des biens du ciel. En voyant ce danger et en apprenant la position où vous a réduite le malheur qui vous est arrivé, j’ai craint que vous ne perdiez le fruit de votre peine, et je vous ai dit, je vous répète que je désire vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Vous devez le faire afin que, quand vous serez appelée par la douce Vérité première, vous puissiez lui dire, au moment de la mort Seigneur, j’ai passé et terminé ma vie dans la foi et l’espérance que j’avais en vous, supportant avec patience les peines que vous m’avez accordées pour mon bien. Maintenant je vous demande en grâce, par les mérites de votre sang précieux, de vous donner à moi, vous qui êtes la vie sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, la faim désirable sans souffrance, le bien parfait que [1552] la langue ne peut exprimer, le cœur imaginer, l’oeil contempler, le bien que vous avez préparé pour moi et pour tous ceux qui souffrent volontairement toutes les peines pour votre amour.

9. Je vous promets, très chère Sœur, qu’en agissant ainsi Dieu vous rendra même vos biens temporels (En effet, le successeur d’Urbain VI, Boniface IX, rendit à la famille des Trinci de Foligno son ancienne puisssance.), et qu’à la fin vous arriverez dans votre patrie, à Jérusalem, la vision de la paix. Il l’a fait pour Job, qui montra si bien sa patience. Il avait perdu tout ce qu’il avait, ses enfants, sa fortune, tellement que sa chair était dévorée de vers. Sa femme seule lui était restée pour le tourmenter sans cesse; et dans tous ses malheurs, Job ne se plaignait pas, mais il disait: Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni. Dieu, en voyant tant de patience en Job, lui rendit le double de ce qu’il avait; il lui donna la grâce en ce monde et la vie éternelle dans l’autre. Faites de même, et ne vous laissez pas tromper par la passion sensitive, par le monde, le démon et la parole des créatures. Préservez votre cœur de la haine contre le prochain, car ce mal est pire que la lèpre; la haine fait dans l’âme comme celui qui veut tuer son ennemi, et qui, en tournant la pointe de son épée contre lui-même, se tue avant de le tuer. La haine fait de même; l’âme se tue avant de tuer son ennemi. J’espère de la bonté de Dieu que vous ferez ce que je vous recommande; et pour mieux le faire, confessez-vous souvent, et recherchez la société des serviteurs de Dieu; aimez la prière, où l’âme se connaît [1553] et connaît Dieu. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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