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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 325 à 349



CCCXXV.- A MADAME BENEDETTA, femme de messire Bocchino de Belfort, de Volterre, lorsqu’elle était à Florence.- Elle l’exhorte à supporter avec patience l’adversité, et surtout la perte de son fils.

 (Benedetta était fille du Florentin Jean de Rossi, et femme de Bocchino de Belfort, despote de Volterre. Son mari fut tué en 1411, Voir la lettre LXXVII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère et Sœur dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée du vieil homme et revêtue de l’homme nouveau, c’est-à-dire de la patience de Jésus. crucifié, sachant bien que, sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu; et je vous invite du fond du cœur à cette patience, parce que celui qui est impatient et revêtu du vieil homme, c’est-à-dire du péché, a perdu la liberté, et n’est pas maître de la cité de son âme, car il se laisse dominer par la colère. Il n’en est pas ainsi de celui qui est patient, parce [1554] qu’il se possède lui-même. Notre Sauveur Jésus a dit: " Dans votre patience vous posséderez vos âmes (Lc 21,19). " O douce patience ! pleine de joie et de paix ! Quand elle procède de la charité, elle supporte pour Dieu toute tribulation, de quelque manière que Dieu la lui envoie, que ce soit dans la mort ou dans la vie. Je dis que, sous le joug de la patience qui fait ses délices de la volonté de Dieu, toute amertume devient douce, tout fardeau devient léger. L’âme se revêt de ce doux et saint vêtement quand elle se revêt de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification; tout ce qu’il donne, tout ce qu’il permet est pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui.

2. Ne vous est-il pas bien doux de penser, très chère Mère et Sœur dans le Christ Jésus, que le médecin du ciel est venu dans le monde pour guérir nos infirmités? Et vraiment il fait comme un bon médecin, qui nous donne une médecine amère et qui nous saigne pour nous conserver la santé. Vous savez bien que le malade supporte tout dans l’espoir de guérir. Hélas ! pourquoi ne faisons-nous pas avec le Médecin du ciel ce que nous faisons avec le médecin de la terre? Il ne veut pas la mort du pécheur: il veut qu’il se convertisse et qu’il vive. Oui, très douce Mère, le bon Dieu donne l’amertume à la sensualité, mais non pas sans raison. Il nous saigne quand il nous retire les enfants, la santé, la prospérité, ou quoi que ce soit. Courage donc, puisqu’il ne l’a pas fait pour vous donner la mort, mais pour vous donner [1555] la vie et pour vous conserver la santé. Oui, je vous en supplie par l’amour de ce sang très doux et très abondant qui a été répandu pour notre rédemption, que la volonté de Dieu s’accomplisse en vous parfaitement, et que tous vos chagrins profitent à votre sanctification. Puisque c’est la volonté de Dieu, revêtez-vous véritablement de la vertu de patience.

3. Je ne veux pas que vous regardiez le fils qui vous reste comme vous appartenant; il ne faut pas vous approprier ce qui n’est pas à vous, mais il faut en user pour vos besoins, comme d’une chose prêtée. Vous savez que c’est la vérité; si ces choses étaient à nous, nous pourrions les garder et nous en servir à notre volonté; mais parce qu’elles nous sont prêtées, il faut les rendre selon le bon plaisir du doux Maître de la vérité, qui nous les a données, et qui a fait tout ce qui existe. O ineffable ardeur de la charité, combien est grande votre patience à l’égard des cœurs ignorants et endurcis, qui veulent posséder ce qui vous appartient, et qui se plaignent de ce que vous faites pour leur bien! Ne faisons pas ainsi, pour l’amour de Dieu; mais supportons avec patience les épreuves qu’il nous envoie. Et si vous me dites: Je ne puis calmer cette sensibilité, je vous dirai que la raison en triomphe en considérant trois choses.

4. La première est la brièveté du temps; la seconde est la volonté de Dieu, qui les a appelés à lui, comme vous me l’écrivez. Lorsque je l’ai appris. je me suis réjouie de leur salut, et je vous ai plainte; mais je vous avouerai aussi que je me suis réjouie du fruit que vous avez retiré de la tribulation. La troisième [1556] chose est le tort que vous causerait l’impatience. Courage donc, car le temps est court, la peine petite et la récompense bien grande. Je ne vous dis rien de plus. Que la paix de Dieu soit avec vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Catherine, la servante inutile, vous salue.

Table des matières (2)





CCCXXVI.- A MADAME PANTASILEE, femme de Ranuccio Farnèse. — La vraie lumière s’obtient par la connaissance de notre propre misère et de la bonté de Dieu à notre égard. — De la manière de servir Dieu clans l’état du mariage.

(Ranuccio Farnèse était frère de Pierre Farnèse, le célèbre capitaine qui commanda les troupes de Florence dans la guerre contre Pise. )
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu, afin que vous connaissiez bien la misère et la fragilité du monde. Car l’âme qui connaît sa misère connaît bien celle du monde; elle connaît aussi la bonté de Dieu à son égard. Elle la trouve en elle-même en voyant qu’elle [1557] est une créature raisonnable, créée à l’image et ressemblance de Dieu; et aussitôt que l’âme est arrivée à cette sainte et vraie connaissance, elle aime Dieu en vérité; et dès qu’elle aime, elle rapporte à son Créateur tous les dons, toutes les grâces qu’elle reçoit, et elle est toujours d’accord avec sa volonté; elle est contente de tout ce que Dieu fait et permet, parce qu’elle voit que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. C’est ce que nous a montré le doux Verbe le Fils de Dieu; car, pour que nous soyons sanctifiés en lui, il a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix; il a souffert la mort et d’affreux tourmente pour nous délivrer de la mort éternelle. Puisque la mort et le sang du Christ nous montrent que Dieu nous aime d’un amour ineffable et qu’il ne veut que notre bien, nous devons supporter avec une vraie patience toutes nos peines et nos tribulations; et, quelle que soit la manière dont il nous les envoie, il faut toujours les recevoir avec une sainte espérance, en pensant qu’il pourvoit à tous nos besoins, et qu’il ne nous donnera pas plus que nous ne pourrons en porter. A mesure qu’il nous donne et qu’il augmente la peine, il augmente notre force, pour que nous ne succombions pas. Il faut donc la supporter et la recevoir avec respect, à cause de Jésus crucifié, car elle est la cause et l’instrument de notre salut.

2. Les tribulations de cette vie nous font humilier et abaisser notre orgueil; elles nous font détacher de l’amour déréglé du monde, et mettre notre amour en Dieu; elles nous rendent conformes a Jésus crucifié, et nous font compatir à ses peines et à ses [1558] opprobres. Elles nous sont donc bien nécessaires, si nous voulons jouir de l’éternelle vision de Dieu. Les afflictions nous réveillent du sommeil de la négligence et de l’ignorance; car dans le temps de l’épreuve nous recourons au Christ, en reconnaissant que lui seul peut nous secourir; et de cette manière nous devenons reconnaissants des bienfaits que nous avons reçus et que nous recevons, et nous connaissons mieux sa bonté et notre misère. Il est Celui qui est, et nous sommes ceux qui ne sommes pas; tout notre être vient de lui. Ne le voyons-nous pas avec évidence? nous voulons vivre, et il faut mourir; nous voulons la santé, et nous avons la maladie; nous aimons posséder les enfants, les richesses, les plaisirs du monde, parce qu’ils nous plaisent, et il faut les laisser. C’est la vérité que toutes ces choses nous abandonnent par la volonté divine, ou que nous les abandonnons nous-mêmes par la mort, en quittant cette vie ténébreuse. Vous voyez bien que nous ne sommes rien par nous-mêmes, si ce n’est que nous sommes remplis de pêchés et de misères; c’est la seule chose qui nous appartienne, le reste vient de Dieu.

3. Ainsi donc, très chère Sœur, ouvrez l’oeil de l’intelligence, et aimez votre Créateur et ce qu’il aime, c’est-à-dire la vertu, surtout la patience, avec une humilité sincère et parfaite, en pensant que vous n’êtes rien, et en rendant honneur et gloire à Dieu, en possédant les choses du monde, un mari, des enfants, des richesses et les autres jouissances comme des choses prêtées qui ne vous appartiennent pas; car, comme je l’ai dit, elles disparaissent, et vous ne pouvez les avoir et les conserver qu’autant qu’il plaît à [1559] la bonté de Dieu de vous les prêter. En agissant ainsi, vous ne vous ferez pas des dieux de vos enfants ni des autres choses, mais vous aimerez tout pour Dieu, et rien en dehors de Dieu; vous fuirez le péché et vous aimerez la vertu. Eloignez, éloignez du monde vos affections et vos désirs, et placez-les en Jésus crucifié, qui est ferme et inébranlable; vous ne le perdrez jamais, et il ne vous sera pas enlevé, si vous ne le voulez pas.

4. Je ne dis pas pour cela que vous quittiez le monde et l’état du mariage plus que vous ne le voulez, et que vous ne gouverniez pas votre maison comme le demande votre rang, mais je dis que vous devez vivre dans l’ordre, et non pas dans le désordre. Il faut avoir sans cesse Dieu devant les yeux, rester dans l’état de mariage, y vivre avec une sainte crainte, le respecter comme un sacrement, et observer les jours réservés par la sainte Eglise autant que vous le pourrez. Il faut élever vos enfants dans la vertu et dans l’amour des saints commandements de Dieu. Car il ne suffit pas au père et à la mère de nourrir le corps de leurs enfants, comme le font les animaux; il faut encore nourrir leur âme dans la grâce autant qu’ils le peuvent, les reprenant et les corrigeant des fautes qu’ils ont commises. Faites toujours en sorte qu’ils se confessent souvent, qu’ils entendent, le matin, la messe, au moins les jours commandés par la sainte Eglise; et ainsi vous serez la mère de leurs âmes et de leurs corps. Je suis persuadée que, si vous avez la vraie connaissance de Dieu et de vous-même, vous le ferez; mais sans cette connaissance vous ne pourrez le faire. Aussi, en voyant que vous ne pouvez pas [1560] autrement avoir la grâce de Dieu, je vous ai dit que je désirais vous voir dans la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu. Je vous prie, pour l’amour de Jésus crucifié et pour votre bien même, de le faire; vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je termine. Demeurez dans la et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXVII.- A LA COMTESSE JEANNE, de Milet et de Terre-Neuve, à Naples.- Dumépris du monde et de ses délices.- Les vraies richesses sont les vertus et la charité, qui reste seule dans l’autre vie.

(La comtesse Jeanne était de la famille des seigneurs d’Aquin, une des plus nobles du royaume de Naples.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le monde et ses délices de toute votre âme, afin que vous cherchiez véritablement la richesse de Jésus crucifié. Nous avons bien raison de mépriser les choses du monde, si nous considérons leur peu de durée et de stabilité, et combien elles sont nuisibles à notre salut. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que, selon moi, la fortune et les biens temporels [1561] sont nuisibles et causent notre mort. Non, mais c’est l’amour déréglé avec lequel la créature les possède. Si elles avaient été nuisibles, Dieu ne les eût pas créées et ne nous les aurait pas données; car celui qui est souverainement bon, ne peut vouloir et faire que des choses bonnes et utiles à notre bien. Qui les rend mauvaises? celui qui en use mal et les possède sans la crainte de Dieu. Mais en les possédant avec une sainte crainte, en les appréciant pour ce qu’elles valent, en ne faisant pas son Dieu des créatures, des richesses, des honneurs du monde, en les aimant, au contraire, en les possédant, en les méprisant pour Dieu, alors on ne peut les conserver en toute conscience. Il est vrai qu’il est plus parfait, plus agréable à Dieu, plus utile et moins pénible de les abandonner mentalement et réellement. Nous devons, si nous voulons les conserver, en détacher notre cœur, notre affection, et je veux que vous le fassiez; car les richesses du monde sont une grande pauvreté, et elles ne peuvent être jamais véritablement possédées que par celui qui les méprise complètement. Mais la vraie richesse, celle qui ne peut être détruite et ravie par le démon et les créatures, c’est la richesse des vraies et solides vertus.

2. C’est là une richesse durable, qui nous délivre de toute pauvreté; elle nous donne la nourriture de la grâce, elle couvre notre nudité, elle répond pour nous, au moment de la mort, devant le souverain Juge; elle, acquitte notre dette, celle de rendre à Dieu l’amour que nous lui devons; et cet amour, nous le montrons au moyen de la vertu. Elle nous accompagne dans cette vie de pèlerinage, qui est une voie où [1562] nous avons beaucoup d’ennemis qui cherchent à nous donner la mort. Les trois principaux sont le monde, le démon, la chair fragile. Tous cherchent à nous jeter leurs flèches empoisonnées le monde, par ses faux et vains plaisirs; la chair fragile et la sensualité, par son amour déréglé et ses folles jouissances; le démon, par ses pensées mauvaises, en cherchant à nous dépouiller et à nous faire injurier par notre prochain, pour nous priver de la charité fraternelle et pour nous inspirer Sa haine et son mépris.

3. Ces vertus nous délivrent de tous ces ennemis. La vertu nous donne la lumière, et avec la lumière, elle nous conduit à la porte de la vie éternelle. Cette porte nous est ouverte par le sang de Jésus-Christ; alors entre la charité, qui est mère de toutes les autres vertus. Les autres vertus restent dehors, elle seule en recueille la récompense, parce que l’âme vertueuse, quand elle quitte cette vie, entre dans la vie éternelle avec la vertu de la charité. Les autres vertus dans le ciel ne sont pas nécessaires et n’y entrent pas La vertu, de la foi y est inutile, puisqu’elle est certaine de ce qu’elle croyait; elle n’a pas besoin non plus de l’espérance, puisqu’elle possède ce qu’elle espérait avoir. Il en est de même de toutes les autres vertus qu’il faut avoir en cette vie, parce que sans elles, nous serions privés de Dieu; mais au ciel il suffit de la charité, c’est-à-dire de l’amour, parce que la vie éternelle n’est autre chose que l’amour avec lequel nous goûtons Dieu dans son essence. Son amour nous a rendus dignes de le voir face à face, et c’est cette vue qui est notre béatitude. L’amour mous fait participer au bonheur de tous, au bonheur des anges et [1563] au bonheur de tous ceux qui ont la vie éternelle par l’amour (Dialogue, XLI-XLV). Dieu nous fait jouir de lui-même; nous sommes remplis et rassasiés de lui dans la mer pacifique de son essence, et ceux qui sont rassasiés ont encore faim, mais sans connaître la peine de la faim et le dégoût de la satiété. Il y a tant d’amour et de charité fraternelle entre eux, que le plus petit n’envie pas le plus grand, mais ils sont tous contents et heureux de leur mutuel bonheur. Au ciel, la charité est nécessaire, et personne ne peut y aller sans l’avoir.

4. La malheureuse créature ne pense pas à ce bonheur, mais au châtiment qui punit ce qu’elle fait contre la douce volonté de Dieu, pour satisfaire ses coupables désirs. Elle abandonne la vertu pour le vice, la vie pour la mort, l’infini pour le fini, les biens du ciel pour les biens de la terre, le Créateur pour les créatures. Pour servir le démon et suivre la voie du mensonge, elle cesse de servir Jésus crucifié, de suivre sa doctrine, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui marche dans la lumière, et non pas dans les ténèbres. Pour remplir son cœur des choses passagères du monde, il se laisse mourir de faim, parce qu’il ne prend pas la nourriture des anges, cette nourriture que Dieu, dans sa miséricorde, a donnée aux hommes, en s’offrant lui-même, Dieu et homme, sur la table de l’Autel. Il quitte son vêtement nuptial pour se revêtir des tristesses du monde, et il meurt de froid; il se dépouille lui-même pour dépouiller les autres. Ces pauvres insensés, dans leur [1564] aveuglement, ne s’aperçoivent pas de leur malheur: et tout cela leur arrive par l’amour déréglé qu’ils ont pour le monde, en possédant et en aimant les choses temporelles en dehors de la douce volonté de Dieu.

5. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi pour vous; mais je veux et je vous ai dit que je désire voir votre cœur détaché de ces choses, afin que vous aimiez et possédiez les créatures et les choses créées pour lui et rien sans lui. Oui, aimez-le de tout votre cœur, de toutes vos forces, sans réserve, avec une véritable et profonde humilité, aimant le prochain comme vous-même. Mais vous me direz Comment puis-je avoir cette humilité? Je me sens pleine d’amour-propre et entraînée à toutes les œuvres de l’orgueil. Je vous répondrai que, si vous le voulez, vous le pourrez, avec la grâce de Dieu, qui ne la refuse jamais à qui la demande. Le vrai moyen est de contempler à la lumière l’humilité de Dieu et sa charité, Son humilité est si profonde, que l’intelligence de l’homme en est confondue. En vit-on jamais une semblable dans la créature? Non, certainement. Y a-t-il quelque chose de plus étonnant, que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement.

6. Dieu s’est revêtu de notre humanité; il a conversé visiblement avec les hommes; il a supporté nos infirmités, la pauvreté, la misère; il s’est humilié jusqu’à la mort honteuse de la Croix. La Grandeur suprême s’est faite petite pour confondre les superbes, qui cherchent toujours à s’élever, et ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans une profonde misère. Vous [1565] trouvez en lui la source de l’humilité, qui lui fait visiter l’âme de toute créature raisonnable. Et si nous considérons ma charité, où verra-t-on jamais celui qui est offensé donner volontairement sa vie pour celui qui l’offense? Il n’y a vraiment que l’humble Agneau sans tache qui ait ainsi acquitté pour nous, mauvais débiteurs, la dette qu’il n’avait pas contractée. Nous avions été des voleurs, et il a voulu être cloué sur le bois de la très sainte Croix; il a pris la médecine amère pour nous donner la santé, et il nous a fait un bain de son sang. Dans sa tendresse, il nous a ouvert son corps, et de tous ses membres, il a répandu son sang avec tant d’abondance, tant d’amour, tant de patience, qu’on ne lui a entendu proférer aucune plainte. Cette générosité ne doit-elle pas faire rougir de honte les hommes avides et avares qui verront les pauvres mourir de faim, et qui ne détourneront seulement pas la tête? Ils feront plus mal encore : non seulement ils ne donneront rien, mais ils prendront le bien des autres. La charité divine confondra ceux qui s’aiment eux-mêmes, ceux dont l’amour-propre ne craint pas d’offenser Dieu et la vérité. S’ils considèrent sa patience, les impatients seront effrayés, eux qui ne veulent pas supporter la moindre chose, mais qui sont tourmentés par la colère et la haine de leur prochain.

7. Nous avons donc trouvé le moyen d’acquérir la vertu: c’est par la connaissance de la bonté de Dieu et par la lumière, qui nous fait voir son humilité et sa charité. C’est en lui que nous l’acquerrons, en la cherchant au fond de notre âme; autrement, nous ne la posséderons jamais. C’est là le fondement, le [1566] principe, le moyen, la fin de toute vertu et de notre perfection. Par là vous arriverez au mépris du monde et de vous-même, et vous disposerez toute votre vie selon le temps et le lieu où vous serez ; et non seulement vous vivrez bien, mais vous dirigerez toute votre famille, suivant le bon plaisir de Dieu, dans de saintes et louables habitudes, comme doit le faire une mère pour ses enfants, une maîtresse pour ses serviteurs, en recourant à la sainte Confession et à la Communion au lieu et au temps prescrits par la sainte Eglise, à laquelle il faut obéir, ainsi qu’au Pape Urbain VI, jusqu’à la mort. Réglez donc en toute chose vos actions. Je vous en supplie, ne cessez jamais de contempler l’humble et tendre Agneau, afin que nous jouissions ensemble de lui par la grâce en cette vie, et qu’à la fin nous entrions avec la cha rité, la mère des vertus, dans la gloire de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXVIII.- À UNE DAME NAPOLITAINE, confidente de la reine.- De la sainte crainte de Dieu. et de la crainte servile. — Elle exhorte cette dame à faire tous ses efforts pour ramener le cœur de la Reine à l’obéissance de la sainte Eglise.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1567] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir libre de toute crainte servile, afin que vous annonciez généreusement la vérité, et que vous demeuriez dans la sainte crainte de Dieu. Cette crainte rend l’âme virile et l’empêche De craindre les peines, la mort, les persécutions; elle ne craint pas de déplaire aux créatures, parce qu’elle veut plaire uniquement à son Créateur. Sa seule crainte est d’offenser Dieu, elle n’en a pas d’autre. Oh ! qu’il est doux à l’âme de vivre dans cette crainte, Car elle procède de la douce charité et du respect que nous devons à Dieu. Elle est comme le bon fils, qui, par amour et par respect, craint de faire quelque chose qui déplaise à son père, non par peur du châtiment, mais pour ne pas l’offenser. C’est ce que fait l’âme qui s’est donnée au serviCe de son Créateur généreusement, de tout son cœur, de son affection, le servant non par crainte et avec un amour mercenaire, mais avec un amour libre. Comme elle aime librement, elle sert librement; aussi elle ne craint pas la peine, et elle est prête à tout souffrir avec une sainte crainte.

2. Cette sainte crainte nous est nécessaire dans le temps où nous sommes, bien qu’en tout temps, en tout état, en tout lieu, nous devions l’avoir, et fuir ce misérable amour, d’où vient la crainte servile, qui craint tant que son ombre lui fait peur. Oh ! combien est misérable cette crainte, combien elle avilit l’âme! Elle resserre tellement le cœur pour la charité, qu’il ne peut plus contenir l’honneur de Dieu et l’amour du prochain; elle le rend timide au point que, voyant le prochain offenser Dieu, il paraîtra par crainte ne [1568] pas s’apercevoir de l’injure faite à son Créateur, et quelquefois, pour plaire et ne pas déplaire, il semblera même approuver les fautes qu’il voit, commettre, agissant ainsi contre sa conscience, qui lui dit que tous les deux font mal. O maudit amour-propre, qui as corrompu le monde entier ! Tu prives l’âme du trésor des vertus, et tu la remplis de crainte servile; tu l’appauvris, tu lui ôtes la lumière, tu pervertis son goût tellement, que les choses amères lui semblent douces, et les douces, amères. Tu la dépouilles de la sainte crainte, et tu la revêts de crainte servile et de misères: dès cette vie elle goûte les arrhes de l’enfer; elle devient insupportable à elle-même. Cette misérable crainte entraîne avec elle tous les maux; l’âme doit donc bien la détester; elle doit se lever et s’asseoir sur le tribunal de sa conscience, et faire justice de tous les mouvements de crainte qui ne seraient pas conformes à la raison. Très chère Soeur, je vous invite à quitter cette crainte servile; et, avec la lumière de la vérité et la sainte crainte de Dieu, commencez à semer la vérité dans le cœur de la Reine, afin que la justice divine ne s’appesantisse pas sur elle, et qu’elle ne tienne pas la sainte Eglise et tous les chrétiens dans une affliction si amère.

Sainte Catherine ajoute ensuite beaucoup de choses pour prouver la validité de l’élection d’Urbain VI, et elle combat l’erreur de la Reine par d’excellentes raisons. Elle finit par ces mots: Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1569].

Table des matières (2)





CCCXXIX. A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni, de Sienne. — Elle l’exhorte à servir Jésus-Christ, et à renoncer à l’amour des créatures. — C’est dans les plaies de Jésus-Christ que s’acquièrent toutes les vertus.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir servante et épouse de Jésus crucifié, parce que je sais que servir Dieu ce n’est pas être esclave, c’est régner. Ce n’est pas comme la coupable servitude du monde, qui avilit la créature, et la rend servante et esclave du péché et du démon. Le péché est un néant, et conduit l’homme au néant. Tu sais, très chère et douce fille, que l’âme qui sert les créatures et les richesses en dehors de Dieu, c’est-à-dire. qui aime sans mesure et désire les richesses, les délices du monde et toutes ces vanités qui ressemblent à la feuille agitée par le vent, tu sais que cette âme tombe dans la mort et s’avilit elle-même; car elle se soumet à des choses qui sont moindres qu’elle, puisque toutes les choses créées sont faites pour le service de la créature raisonnable, et la créature raisonnable est faite pour servir son Créateur. Nous nous trompons donc; et plus l’homme désire ces choses passagères, plus il perd cette douce puissance [1570], qu’il acquiert en servant son Créateur. Il se soumet à une chose qui n’est pas; et en aimant hors de Dieu d’une manière déréglée, il offense Dieu. Il est donc bien vrai que la servitude du monde nous réduit au néant.

2. Oh ! combien est insensé celui qui sert ce qui n’a de puissance que sur le néant, c’est-à-dire sur le péché ! Le démon est le maître de ceux-là seulement qui commettent l’iniquité. Et comment exerce-t-il son empire? par des supplices, en tourmentant ses sujets dans l’éternelle damnation. Il règne aussi sur le monde, c’est-à-dire sur les affections déréglées que nous avons pour le monde. Les choses du monde sont bonnes en elles-mêmes, mais la volonté coupable qui s’en sert les rend mauvaises, parce qu’on les possède et les désire sans crainte de Dieu; et, de cette manière, je dis que ceux-là sont des serviteurs qui s’unissent au démon dans les supplices; je dis que cette servitude de la mort ôte la lumière de la raison, et donne les ténèbres; elle ôte la richesse de la grâce, et donne la pauvreté du vice. Je ne veux pas, ma Fille, puisqu’il y a tant de danger, que tu te livres à la servitude coupable du monde; mais je veux que tu sois une vraie servante de Jésus crucifié, qui t’a rachetée de son précieux sang. C’est notre doux Maître qui nous a créés à son image et ressemblance; il nous a donné le Verbe, son Fils unique, pour nous délivrer de la mort et nous donner la vie. Avec son sang, il nous a affranchis de la servitude du péché; il nous a faits libres en vous retirant de la puissance du démon, qui nous possédait. Son sang aussi nous a rendus forts, et nous a mis en possession de la vie [1571] éternelle. Ses clous sont devenus les clefs qui ont ouvert la porte fermée par le péché que nous avions commis. Le doux Verbe, en montant sur le bols de la Croix comme un vaillant chevalier, a défait nos ennemis et nous a mis en possession de la vie éternelle, tellement, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas.

3. La servitude du Christ est donc bien douce; et sans cette servitude, nous ne pouvons participer à la grâce divine. Aussi je t’ai dit que je désirais te voir la servante et l’épouse de Jésus crucifié; car, aussitôt que tu te seras faite sa servante, comme servir Dieu c’est régner, tu deviendras peu à peu son épouse. Je veux que tu sols une épouse fidèle, que tu ne te sépares jamais de ton Epoux, n’aimant, ne désirant rien en dehors de Dieu. Aime ce doux et glorieux Epoux, qui t’a donné la vie, et qui ne meurt jamais. Les autres époux meurent et passent comme le vent, et souvent Ils sont cause de notre mort. Tu en as fait l’expérience, car, en peu de temps, le monde t’a frappée de deux coups cruels (La comtesse Benedetta avait perdu deux maris. Le premier était mort peu de temps après ses noces; le second n’avait été que son fiancé. Voir la lettre CCLXXV.), et la bonté de Dieu l’a permis pour que tu fuies le monde et pour que tu cherches un refuge en lui, ton Père et ton Epoux. Fuis donc le poison du monde, qui semble agréable comme la fleur; il parait un enfant, et c’est un vieillard; il promet une longue vie, et elle est courte; on croit qu’il est fidèle, et il est mobile comme la feuille qu’agite le vent. Tu as bien vu par toi-même [1572] qu’il n’offre aucune sûreté. Sois persuadée qu’il te fera la même chose, si tu mets encore en lui ta confiance; car le dernier est mortel comme le premier.

4. Renonce donc à toute tendresse, à tout amour de toi-même; entre dans les plaies de Jésus crucifié, où se trouve la vraie et parfaite sûreté. C’est là le doux lieu où l’épouse remplit la lampe de son coeur. Le coeur est vraiment une lampe, et il doit être une lampe qui soit étroite du pied et large de la tête le désir, l’amour doit être étroit pour le monde, et large pour le haut: c’est-à-dire que le coeur doit se dilater en Jésus crucifié, l’aimant et le craignant avec un vrai et saint zèle. Et alors tu rempliras cette lampe au côté de Jésus crucifié ce côté ouvert te laisse voir le secret du coeur, ce coeur qui nous fait tout, qui nous donne tout par amour. Là se trouve aussi la vraie et profonde humilité, qui est l’huile pour nourrir le feu et la lumière dans le coeur de l’épouse du Christ. Où pourrais-tu trouver un plus grand amour, puisque tu vois qu’il a sacrifié sa vie pour toi? Où rencontrer jamais un plus grand abaissement que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme, et l’Homme-Dieu courir jusqu’à la mort honteuse de la Croix? Cette humilité confond l’orgueil, les délices, les grandeurs du monde. Cette bonne petite vertu est la nourrice de la charité.

5. Alors l’âme devient l’épouse de son Epoux, et elle est introduite dans la chambre où se trouvent la table, la nourriture et le serviteur. La chambre est la divine Essence où se nourrissent les Bienheureux. Là on goûte le Père, qui est la table, le Fils, qui est la nourriture, et l’Esprit-Saint, qui est le serviteur [1573]; et l’âme se nourrit et se rassasie véritablement de l’éternelle vision de Dieu. Non, il ne faut plus dormir; il faut secouer le sommeil des délices du monde, et suivre ton bien-aimé Jésus. Ne compte pas sur le temps, que tu n’es pas sûre d’avoir; il disparaît bien vite, et quand nous croyons vivre, la mort vient nous surprendre. Celui qui est sage ne perd pas le temps qu’il a pour celui qu’il n’a pas. Réponds donc généreusement à Dieu, qui t’appelle, et n’écoute pas ta mère, ta soeur, ton frère, ni aucune créature qui voudrait t’arrêter; tu sais que pour cela nous ne devons pas leur obéir, car notre Sauveur a dit: " Celui qui ne renonce pas à son père, à sa mère, à sa soeur, à ses frères et à lui-même, n’est pas digne de moi (Lc 14,26). " Il faut donc renoncer au monde et à soi-même pour suivre l’étendard de la très sainte Croix. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Je te dis, ma Fille, que si tu veux être l’épouse véritable de ton Créateur, il faut quitter la maison de ton père, et te préparer à venir quand le lieu sera terminé; il est commencé, et on y travaille à force; c’est le monastère de Sainte-Marie-des-Anges, à Belcaro (Ce monastère avait été fondé par une donation de Nanni de Vanni, que sainte Catherine avait converti. Grégaire XI avait autorisé son établissement. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch.VII.) . Si tu le fais, tu entreras dans la terre promise. Je ne te dis rien de plus. Que Dieu te remplisse de sa très douce grâce [1574].

Table des matières (2)





CCCXXX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la charité parfaite et de l’amour du monde. — Des fleurs et des fruits que doit produire notre âme.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est un vêtement nuptial, qui recouvre notre nudité et cache notre honte, c’est-à-dire le péché, qui fait naître la honte. Elle le détruit et le consume par en chaleur; et sans ce vêtement, nous ne pouvons entrer dans la vie éternelle, à laquelle nous sommes appelés. Qu’est-ce que la charité? un amour ineffable que l’âme tire de son Créateur quelle aime de toute son affection, de toutes ses forces. Je dis qu’elle le tire de son Créateur, et c’est la vérité. Mais comment? avec l’amour, parce que l’amour ne s’acquiert qu’avec l’amour et par l’amour. Mais tu me diras, très chère Fille Quel moyen prendre pour trouver et acquérir cet amour? Je te répondrai: Tout amour s’acquiert avec la lumière, parce que la chose qu’on ne voit pas, on ne la connaît pas; et. ne la connaissant pas, on ne l’aime pas: il faut donc avoir la lumière pour voir et connaître ce que tu dois aimer. Et parce que la lumière [1575] nous est nécessaire, Dieu pourvoit à nos besoins en nous donnant la lumière de l’intelligence, qui est la partie la plus noble de l’âme, avec la prunelle intérieure de la très sainte Foi. Je dis cependant que la personne qui offense son créateur n’est pas, ne vit pas sans amour et sans lumière; car l’âme, qui est faite d’amour et créée par amour à l’image et ressemblance de Dieu, ne peut vivre sans amour, et elle n’aimerait pas sans lumière.

2. Si l’âme veut aimer, il faut qu’elle voie; mais sais-tu ce que c’est que voir et aimer pour les personnes du monde? c’est voir les ténèbres et l’obscurité. Et dans cette nuit profonde, l’âme ne discerne pas la vérité; son amour est mortel, car il lui donne la mort, en lui ôtant la vie de la grâce. Mais pourquoi ce qu’elle voit est-il obscur? parce qu’elle a fixé ses yeux dans l’obscurité des choses passagères du monde; elle les regarde en dehors de Dieu, et non pas dans sa bonté; elle les regarde avec un amour sensitif, et cet amour sensitif n’excite l’intelligence à ne voir et connaître que les choses sensibles. Cet amour, qui se nourrit de la lumière de l’intelligence, qu’il excite comme nous l’avons dit, cet amour lui donne la mort en commettant la faute et en lui ôtant la vie de la grâce, car hors de Dieu, on ne peut aimer et voir rien qui ne donne la mort. Celui qui s’aime doit s’aimer en lui et pour lui, c’est-à-dire reconnaître qu’il tient de sa bonté l’être et toute chose. Tu vois bien que tous aiment et voient, parce que sans aimer et sans voir, il est impossible de vivre. Mais combien est différent l’amour des hommes du monde, qui donne la mort, de l’amour des serviteurs de Dieu, qui [1576] donne la vie ! Puisque l’amour qui vient de l’éternel et suprême Amour donne la vie de la grâce, la lumière que possède l’oeil de l’intelligence doit l’ouvrir la lumière de la très sainte Foi, et le fixer sur l’amour ineffable que Dieu nous a montré; et alors l’amour, en se voyant aimé, ne peut s’empêcher d’aimer ce que l’intelligence voit et connaît en vérité. O très chère Fille, ne vois-tu pas que notre âme est un arbre d’amour, car nous sommes faits par amour?

3. Cet arbre est si bien fait, que personne ne peut l’empêcher de croître et lui enlever ses fruits, s’il ne veut pas. Et Dieu a donné à cet arbre un ouvrier qui le cultive pour lui plaire; cet ouvrier est le libre arbitre. Si l’âme n’avait pas cet ouvrier, elle ne serait pas libre; et n’étant pas libre, elle aurait une excuse à son péché; mais elle ne peut en avoir, parce que personne, ni le monde, ni le démon, ni la chair fragile ne peut la forcer à la moindre faute, si elle ne veut pas, car cet arbre a pour lui la raison dont le libre arbitre peut se servir; il a l’oeil de l’intelligence, qui connaît et voit la vérité, quand le nuage de l’amour-propre ne l’obscurcit pas. Avec cette lumière, l’ouvrier voit où doit être planté l’arbre: car, s’il ne le voyait pas, et s’il n’avait pas cette douce faculté de l’intelligence, l’ouvrier aurait une excuse, et pourrait dire : J’étais libre, mais je ne voyais pas où je devais planter mon arbre, si c’était en haut ou en bas, Mais il ne peut le dire, parce qu’il a l’intelligence qui voit et la raison qui est un lien de l’amour légitime, qui peut se lier et se greffer sur l’Arbre de vie, sur le Christ, le doux Jésus. il doit donc planter son arbre où l’oeil de l’intelligence [1577] a vu le lieu et la terre la plus favorable pour lui faire produire des fruits de vie. Très chère Fille, si l’ouvrier, le libre arbitre, plante l’arbre ou il doit être planté, c’est-à-dire dans la terre de la véritable humilité, non pas sur la montagne de l’orgueil, mais dans la vallée de l’humilité, il produit alors les fleurs embaumées des vertus; et surtout il produira cette belle fleur de la gloire et de la louange du nom de Dieu, et toutes ses œuvres, qui sont de douces fleurs, de doux fruits, en recevront le parfum.

4. C’est cette fleur, très chère Fille, qui fait fleurir vos vertus. Dieu la veut pour lui; mais il veut que le fruit soit pour nous. De cet arbre il veut seulement des fleurs de gloire, c’est-à-dire que nous rendions gloire et honneur à son nom, et il nous donne le fruit, car il n’a pas besoin de nos fruits. Il ne lui manque rien, puisqu’il est Celui qui est, tandis que nous sommes ceux qui ne sommes pas, et nous avons besoin de lui. Nous ne sommes pas par nous-mêmes, mais par lui; il nous a donné l’être et toute grâce ajoutée à l’être, et nous ne pouvons lui être utile en aucune manière. Et comme l’éternelle et souveraine Bonté voit que l’homme ne vit pas de fleurs, mais seulement de fruits, car la fleur nous ferait mourir, et le fruit nous fait vivre, alors il prend la fleur pour lui, et nous donne le fruit. Si la créature ignorante veut se nourrir de fleurs, c’est-à-dire, si elle prend pour elle-même la gloire et la louange qu’elle doit à Dieu, elle se prive de la vie de la grâce, et se donne la mort éternelle; elle meurt, si elle ne se convertit pas, c’est-à-dire, si elle ne prend pas le fruit pour elle, et si elle ne donne pas à. Dieu la fleur, c’est-à-dire [1578] dire la gloire. Lorsque notre arbre est bien planté, il croît tellement, que la cime de l’arbre, c’est-à-dire l’affection de l’âme, ne se voit plus de la terre, parce qu’elle est unie au Dieu infini par l’amour.

5. O très chère Fille ! je veux te dire dans quel champ se trouve cette terre, afin que tu ne te trompes pas. La terre est la véritable humilité, et le lieu où elle se trouve est le jardin fermé, parce que l’âme qui est dans la cellule de la connaissance d’elle-même, s’y renferme et n’ouvre pas, c’est-à-dire qu’elle n’aime pas les délices du monde, qu’elle ne cherche pas les richesses, mais plutôt la pauvreté volontaire; elle ne les cherche, ni pour elle ni pour les autres, et elle ne se complaît pas dans les créatures, mais uniquement dans le Créateur. Et quand le démon lui offre des pensées mauvaises, qui troublent son esprit et lui inspirent des craintes déraisonnables, alors elle n’ouvre pas: c’est-à-dire qu’elle ne les arrête pas, et ne veut pas savoir d’où elles viennent. Elle ne les discute pas, et n’égare pas son cœur dans le trouble et la confusion; mais elle se renferme avec la compagnie de l’espérance, avec la lumière de la très sainte Foi, avec la haine et le mépris de la sensualité, se jugeant indigne de la paix et du repos de l’esprit par humilité; elle se croit digne de la guerre et indigne de la récompense, c’est-à-dire qu’elle se croit digne de la peine qu’elle éprouve. Dans le temps des grands combats, elle contemple toujours Jésus crucifié, se réjouissant d’être avec lui sur la Croix, et cette pensée chasse toutes les autres. C’est là le doux lieu ou se trouve la terre de la véritable humilité [1579].

6. Lorsque la cime de l’arbre, c’est-à-dire l’affection de l’âme qui suit l’intelligence, a connu Jésus crucifié, elle connaît dans le Verbe l’abîme de son ardente charité, parce que c’est par son moyen que s’est manifesté l’amour que Dieu a pour nous. L’âme connaît le Verbe dans la connaissance d’elle-même, quand elle voit qu’elle est une créature raisonnable créée à l’image et ressemblance de Dieu, et régénérée dans le sang de son Fils unique. Alors son coeur s’unit au coeur de Jésus crucifié, parce que l’amour attire l’amour c’est-à-dire que par l’amour bien réglé, qui l’élève au-dessus des affections sensibles, il attire à lui l’amour embrasé de Jésus crucifié, parce que notre coeur, quand il se remplit de l’amour divin, fait comme l’éponge, qui attire l’eau à elle; mais elle ne le pourrait pas, si elle n’était pas mise dans l’eau, quoique sa nature soit de s’en remplir. Je dis de même que, malgré la disposition de notre coeur à aimer, si la lumière de la raison et la main du libre arbitre ne le prennent pas, et ne l’unissent pas au feu de la charité divine, il ne s’emplira jamais de la grâce de Dieu; mais s’il s’y unit, il s’en remplira. C’est pourquoi je dis que c’est de l’amour et par l’amour que vient l’amour.

7. Lorsque le vase du cœur est plein, le jardinier arrose l’arbre avec l’eau de la divine charité du prochain, qui est une rosée, une pluie bienfaisante qui rafraîchit le pied de l’arbre et la terre de la véritable humilité. Elle engraisse le sol et le jardin de la connaissance de soi-même, parce qu’alors cette connaissance est fortifiée de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. Tu sais bien que si l’arbre n’est pas [1580] bien arrosé par la rosée et par la pluie, s’il n’est pas réchauffé par l’ardeur du soleil, il ne produira pas de fruits, il ne sera pas parfait, mais imparfait. De même l’âme, qui est un arbre, si, lorsqu’elle est plantée, elle n’est pas arrosée par la pluie de la charité du prochain et par la rosée de la connaissance de soi-même; si elle n’est pas réchauffée par les rayons du soleil de la grâce divine, elle ne portera pas de fruits de vie, et son fruit n’atteindra pas la maturité.

8. Lorsque l’arbre est grand, il étend ses rameaux, et présente son fruit au prochain, le fruit des humbles et ferventes prières, les exemples d’une sainte et bonne vie; il les étend aussi loin qu’il peut, assistant le prochain de ses biens temporels avec un cœur généreux et libéral, simplement et sans détour, accomplissant ce qu’il a promis, et rendant avec une affectueuse charité, tous les services qu’il peut rendre, dès qu’il aperçoit quelques besoins. La charité ne cherche pas son intérêt; elle ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu, pour offrir des fleurs de gloire et de louange à son nom. Elle ne cherche pas Dieu pour elle, mais Dieu pour Dieu, parce qu’il est digne de notre amour par sa bonté. Elle n’aime pas, ne cherche pas, ne sert pas le prochain par intérêt, mais seulement pour Dieu, pour acquitter la dette qu’elle ne peut payer à Dieu en lui étant utile; car, comme je te l’ai dit, nous ne pouvons pas être utiles à Dieu, et alors Dieu nous donne le prochain comme un moyen d’exercer la vertu, et de montrer l’amour que nous avons pour Dieu, l’éternelle Douceur [1581].

9. Cette charité goûte la vie éternelle; elle consume et détruit toutes nos iniquités, et nous donne la lumière parfaite avec la vraie patience. Elle nous rend forts et persévérants, si bien que nous ne tournons jamais la tête pour regarder le sillon; mais nous persévérons jusqu’à la mort, nous réjouissant d’être sur le champ de bataille pour Jésus crucifié, et contemplant toujours son sang pour nous animer à combattre comme de vaillants chevaliers. Aussi cette charité. est si utile, si nécessaire et si délectable, que sans elle nous serons toujours dans l’amertume, et nous recevrons la mort. Notre honte sera découverte, et au dernier jour du jugement, nous serons confondus en présence de tout l’univers, devant les anges et les habitants du ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, où la charité est parfaite et générale, parce que chacun partage et goûte la félicité des autres par l’amour. Il faut donc nous attacher à cette douce reine, et revêtir le vêtement nuptial de la charité. Il faut avec un ardent et saint désir se disposer à la mort pour s’unir à cette reine des vertus; et quand nous l’aurons, il faut vouloir souffrir jusqu’à la mort toutes les peines, de quelque côté qu’elles nous viennent, afin de la conserver et de l’augmenter dans le jardin de notre âme.

10. Je ne vois pas d’autre voie et d’autre moyen; et c’est pourquoi t’ai dit que je désirais te voir fondée dans la vraie et parfaite charité. Je te prie par l’amour de Jésus crucifié d’y travailler autant que tu le pourras, et tu n’auras pas besoin de craindre d’une crainte servile, et d’avoir peur des vents contraires que font naître le démon et les créatures pour [1582] empêcher notre salut; car, dès que l’arbre est dans la vallée, il est à l’abri des vents. Sois donc humble et douce de cœur. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXXI.-A MADAME BIANCINA, femme de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De l’amour déréglé de nous-mêmes et du monde.- De la bonté divine, qui seule peut satisfaire et pacifier notre âme. -
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée de l’amour du monde et de vous-même; vous ne pourrez autrement vous revêtir de Jésus crucifié, car il n’y a aucune ressemblance, entre Dieu et le monde. Celui qui aime le monde aime l’orgueil, et Dieu aime l’humilité: il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et Dieu les méprise, car il a choisi pour lui la honte, les mépris, les injures, la faim, la soif, le chaud, le froid, et jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix; par cette mort il a rendu honneur à son Père, et nous a rétablis dans la grâce. Il cherche à plaire aux créatures sans craindre de déplaire à son [1583] Créateur, et le Christ béni n’a jamais cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, tandis que le monde cherche les richesses. Il y a donc une grande différence, et nécessairement, le cœur qui est vide de Dieu, est plein du monde. Aussi notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre. " Nous devons donc avoir bien soin de refuser notre cœur au monde, à ce tyran; mais nous devons le donner librement et sans réserve à Dieu, en l’aimant avec vérité, parce qu’il est notre Dieu, qui nous regarde sans cesse, et voit les secrets cachés de notre cœur.

2. Combien nous serions fous et insensés, si, sachant que Dieu nous voit, que sa justice punit toute faute et récompense tout bien, nous étions assez aveugles pour attendre sans crainte le temps que nous n’avons pas, et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir ! Nous allons toujours nous attachant : si Dieu nous coupe une branche, nous en prenons une autre. Nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne craignons de perdre Dieu. Tout cela vient de l’amour déréglé que nous leur donnons. En les tenant et les possédant en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons, en cette vie, les arrhes de l’enfer, parce que Dieu a permis que celui qui s’aime d’un amour déréglé devienne insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre dans son âme et dans son corps; il souffre de ce qu’il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver, il se fatigue la nuit et le jour; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et ne [1584] peut y parvenir. Et ainsi l’âme n’est jamais tranquille au milieu des choses du monde, parce qu’elles sont toutes moindres qu’elle: elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles; mais nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de son éternel et souverain bonheur.

3. Dieu seul peut donc satisfaire l’âme; c’est en lui qu’elle s’apaise et se repose. Tout ce qu’elle peut vouloir et désirer, elle le trouve en Dieu; et en le trouvant, elle trouve aussi la sagesse qui sait donner, et la volonté, qui veut donner les choses utiles à son salut. Nous l’avons bien éprouvé; non seulement il nous donne quand nous demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions, et sans que nous l’en ayons prié; il nous a créés à son image et ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. L’âme trouve sa paix en lui, et pas ailleurs, parce qu’il est Celui qui est, la suprême Richesse, la suprême Puissance, la suprême Bonté, la suprême Beauté. C’est un bien ineffable dont personne ne peut apprécier la bonté, la grandeur, les délices; lui seul peut se comprendre et s’estimer. Il sait, il peut, il veut satisfaire et contenter tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Il ne faut donc plus dormir, très chère Mère; mais il faut secouer notre sommeil, car le temps nous rapproche sans cesse de la mort. Les choses temporelles et passagères, et les créatures, je veux que vous les ayez pour votre usage, les aimant et les gardant comme des choses qui vous sont prêtées et qui ne vous appartiennent pas. Vous le ferez en détachant votre cœur, mais pas autrement. Il [1585] faut le faire, si nous voulons participer au fruit du sang de Jésus crucifié. C’est parce que je sais qu’il n’y a pas d’autre voie que je vous ai dit que je désirais voir votre cœur dépouillé du monde; et il me semble que Dieu vous y invite sans cesse. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXXII. — A MADAME ISA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la fidélité à la grâce, et de la force dans le service de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une épouse ferme et fidèle, sans être agitée comme la feuille par le vent. Je ne veux pas que votre âme et votre saint désir cèdent au vent contraire de la tribulation et de la persécution, que suscitent le monde et le démon; mais surmontez tout par l’amour de la vertu, la persévérance et le souvenir du sang de Jésus-Christ. Que les discours des créatures et leurs mauvais conseils ne vous détournent jamais de votre dessein. Alors vous serez une épouse fidèle, et, fermement appuyée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, vous ne perdrez pas la force, et la parole ne faiblira pas sur vos lèvres: vous la trouverez, au contraire, car les vertus [1586] et l’ardeur ne doivent pas diminuer en celui qui désire et veut bien faire, mais elles doivent augmenter. Je me rappelle que dans le monde vous vous faisiez craindre; vous fouliez aux pieds les propos et les caprices des hommes, et c’est tout ce que mérite ce monde misérable. Votre vertu maintenant ne doit pas avoir moins de force, et au lieu d’une parole, vous devez en avoir douze pour répondre hardiment aux propos du démon, qui veut empêcher votre salut. Si vous gardez le silence, vous serez reprise au dernier jour; il vous sera dit: " Sois maudite, parce que tu as gardé le silence (Is 6,5). " N’attendez pas un si dur reproche. Je suis persuadée que, si vous voulez suivre l’Agneau abandonné et immolé sur la Croix, dans la voie des peines, des outrages, des opprobres et des injures, vous ne garderez pas le silence.

2. Je veux donc que vous suiviez le Christ, votre Epoux, et que vous descendiez avec un ardent et saint désir sur ce champ de bataille nouveau, pour y combattre avec persévérance jusqu’à la mort, en disant: " Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). " Au commencement vous sentirez les épines mais ensuite vous recueillerez le fruit, et goûterez la gloire de l’honneur de Dieu. Courage donc; ayez une véritable et sainte persévérance, et n’hésitez jamais. Il me semble, quand à l’habit, qu’il faut suivre ce que l’Esprit-Saint demande par votre bouche, sans vous laisser influencer par personne, et sans vous inquiéter de ce qu’on dira (Il s’agissait sans doute de l’habit du tiers ordre de Saint-Dominique. Dans un bref d’Urbain VI, en date du 27 mas 1380, une indulgence plénière pour l’heure de la mort est accordée à cinquante tertiaires de Sienne, et Isa, fille de Jean d’Agnolino, est nommée la première) [1587]. Cela ne diminuera en rien votre dévotion pour votre glorieux Père saint François; elle augmentera même, et vous n’en serez pas moins libre. Il y aurait plutôt de l’inconvénient à revenir sur ce qui est commencé. Quant à la comtesse, je crois que, si elle pouvait venir à la Roche avant mon arrivée, ce serait bien; nous ferions ensuite ce que le Saint-Esprit nous ferait faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXXIII.-A MADAME MITARELLA, femme de Louis Mogliano, sénateur de Sienne, en 1373.- De la crainte et de l’amour que Dieu demande de nous.- Deux choses sont nécessaires pour conserver en nous la foi en Dieu, surtout dans l’adversité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous salue et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir devant Dieu une servante fidèle, c’est-à-dire [1588] pleine de cette foi qui met la paix et la joie dans notre âme. C’est cette douce foi qu’il faut avoir, cette foi dont notre Sauveur a dit: " Si vous aviez de la fol gros comme un grain de sénevé, et que vous disiez à cette montagne d’avancer, elle avancerait (Mt 17,19) ". C’est dans cette foi, bien-aimée Sœur que je vous prie de persévérer. En m’annonçant l’accident qui est arrivé au Sénateur, et qui vous a causé, il me semble, une grande frayeur (Ce sénateur de Sienne avait probablement couru quelque grand danger dans une des émeutes populaires très fréquentes à cette époque.), vous m’avez dit que vous n’aviez de foi et d’espérance que dans les prières des servi. tours de Dieu. Je vous prie, de la part de Dieu et du doux Amour Jésus, de rester toujours dans cette douce et sainte foi. O douce et sainte foi qui nous donne la vie ! Si vous conservez cette sainte foi, jamais votre cœur ne connaîtra la tristesse, car la tristesse vient uniquement de la foi que nous plaçons dans les créatures. Les créatures sont des choses fragiles et périssables, et notre cœur ne peut jamais se reposer que dans une chose ferme et durable. Quand notre cœur s’appuie sur la créature, ce n’est pas sur une chose solide; car aujourd’hui l’homme est vivant, et demain il est mort. Il faut donc, si nous voulons avoir le repos, que notre cœur et notre âme se reposent par la foi et l’amour en Jésus crucifié. Alors nous verrons notre âme se remplir de joie. O très doux Amour Jésus !

2. Ma sœur, ne craignez pas les créatures; le Christ béni a dit: " Ne craignez pas les hommes, qui ne [1589] peuvent tuer que le corps; mais craignez-moi; car je peux tuer l’âme et le corps (Mt 10,28). " Craignons Celui qui dit qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. O ineffable charité de Dieu, qui menace d’abord, en nous disant qu’il peut tuer le corps et l’âme, pour nous faire humilier et rester dans sa sainte crainte ! O bonté de Dieu, qui, pour consoler l’âme, dit ensuite qu’il ne veut pas que nous mourions, mais que nous vivions en lui ! Ma bien-aimée Sœur, vous montrerez que vous vivez, quand votre volonté sera unie et semblable à volonté de Dieu; cette douce volonté vous donnera la foi et l’espérance, qui fait vivre en Dieu.

3. Si vous voulez vivifier cette sainte foi, je vous prie de vous rappeler deux choses. La première, c’est que Dieu ne peut vouloir que notre bien : pour nous donner le vrai bien, il s’est donné lui-même jusqu’à la mort honteuse de la Croix, parce que nous avions été privés de ce bien par le péché. Il s’est humilié doucement lui-même pour nous rendre la grâce et ôter de nous l’orgueil. Il est donc bien vrai que Dieu ne veut que notre bien. La seconde chose est que vous croyiez fermement que tout ce que nous causent la vie ou la mort, la maladie ou la santé, la richesse, la pauvreté, les injures qui nous sont faites par nos amis, nos parents, ou par quelque créature, je veux que vous croyiez que c’est par la permission de Dieu; car il ne tombe pas une seule feuille d’arbre sans sa volonté. Ne craignez donc rien; Dieu ne nous donne que ce que nous pouvons [1590] porter, et jamais plus; recevons tout avec respect, ma bien-aimée Soeur, nous jugeant indignes du bonheur qu’on a en souffrant pour Dieu. Et parce que le démon veut vous effrayer du mal que vous craignez, prenez sur-le-champ les armes de la Foi, croyant que nous serons délivrés par Jésus crucifié. Vous resterez ainsi dans la joie parfaite, bien persuadée, comme nous l’avons dit, que Dieu ne veut que notre bien. Espérez en Jésus crucifié, et ne craignez rien. Je ne vous dis pas autre chose que de faire vos oeuvres avec l’amour et la crainte de Dieu. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand; et l’oeil de Dieu est ouvert sur vous pour voir toutes vos oeuvres. O doux Jésus, donnez-nous la mort avant que nous vous offensions. Loué soit Jésus-Christ.

Table des matières (2)







CCCXXXIV. A MADAME ORIETTA SCOTTA, à la croix de Caneto, à Gênes.- De la patience et de ses effets. — Du renoncement à la volonté propre.

(Ce fut cette dame qui donna l’hospitalité à sainte Catherine revenant d’Avignon, en 1376. Notre sainte resta un mois à Gênes, avec ses nombreux disciples, et y fit plusieurs miracles, (Vie de mainte Catherie, II p., ch. VIII)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1591] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Cette patience montre si nous aimons véritablement ou non, notre Créateur; car elle est la moelle de la charité, et il n’y a pas de charité sans patience, et de patience sans charité. C’est une vertu si belle, si nécessaire à notre salut, que sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, ni recevoir le fruit des peines que Dieu permet pour notre salut. Sans elle aussi nous goûterons en cette vie les arrhes de l’enfer. Cette vertu nous montre la lumière qui est dans l’âme qui la possède, c’est-à-dire qu’elle montre que l’âme, avec la lumière de la très sainte Foi, a vu et connu que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu’il donne ou permet en ce monde, est pour notre sanctification. Dès que l’âme l’a reconnu, elle devient patiente, car elle se dit à elle-même: quand la sensualité veut se révolter par impatience : Veux-tu donc te plaindre de ton bien? Tu ne peux pas, tu ne dois pas te plaindre, mais tu dois souffrir généreusement pour la gloire et l’honneur du nom de Dieu.

2. La patience fait naître une grande douceur au fond de l’âme; elle est forte, et elle éloigne toute impatience et toute affliction; elle est persévérante, et aucune fatigue ne lui fait tourner la tète en arrière, mais elle avance toujours à la suite de l’humble Agneau, dont la patience et la douceur furent si grandes, qu’on ne l’entendit jamais se plaindre. Elle se conforme à Jésus crucifié, en se revêtant de sa doctrine et en se rassasiant d’opprobres. Elle triomphe de la colère en la foulant aux pieds par la douceur elle ne se laisse abattre par aucune fatigue, parce qu’elle est unie à la charité; elle ne prend pas le bien d’autrui; elle donne, au contraire, généreusement. Rien ne lui est trop précieux pour ne pas le donner; mais elle se prive de tout avec une douce patience; elle s’enivre du sang de Jésus crucifié pour se perdre elle-même , et plus elle se perd, plus elle se trouve unie et lié à la douce volonté de Dieu, méprisant le monde avec toutes ses délices, se plaisant à suivre la voie de la véritable humiliation, et embrassant la pauvreté volontaire par de saints et véritables désirs.

3. O ma très chère Mère et Fille ! voici le temps d’embrasser cette vraie et solide vertu. Vous voyez que le monde poursuit d’injures et de reproches ceux qui aiment la vérité. Il faut donc être patients dans les injures et les peines que nous éprouverons; mais nous devons aussi avoir grande compassion des autres, et nous élever seulement contre le péché de celui qui offense. Très chère Mère et Fille, fut-il jamais plus juste de pleurer et de gémir sur les offenses faites à Dieu; avons-nous jamais vu le monde plongé dans de pareilles ténèbres? et cela à cause de l’amour de nous-mêmes, qui a tout empoisonné, tout corrompu. Qui aura la patience, aura la charité parfaite, et quand on a la charité parfaite, on gémit, et on doit gémir plus de ce mal qu’on voit, que de ses propres peines et de ses afflictions. Hélas ! ne voyez-vous pas que notre Foi est souillée par :des chrétiens marqués du signe de Jésus-Christ ! ils perdent dans les ténèbres de l’hérésie le sang du Christ. Nous devons en gémir amèrement, et cette douleur doit faire [1593] oublier toute autre douleur. Je vous invite à souffrir avec une vraie patience, à vous offrir vous-même à Dieu par une humble et continuelle prière. Ne dormons plus, mais secouons le sommeil, car il est temps de se lever. Donnez-vous tout entière en vous dépouillant de toute affection, de tout attachement. Attachez-vous à l’arbre de vie; à l’humble Agneau sans tache, où vous trouverez la vertu de patience et toutes les autres vertus, qui sont arrosées et mûries par ce sang. Oh ! combien est heureuse l’âme qui, en souffrant avec force et courage, se revêt de vertu ! La langue est incapable de l’exprimer; mais faites-en l’expérience, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui rend douce toute chose amère, et légers tous les fardeaux. Ce sang nous apprend à gouverner les biens temporels, comme vous l’avez fait et comme vous le faites toujours, en ennoblissant pour vous les malheureux et ceux qui sont dans le besoin.

4. Maintenant soumettez à ce sang précieux votre volonté propre, faites-en le sacrifice à Dieu; lorsque vous l’aurez fait, vous le montrerez par la vertu de la patience, vous ne pourrez pas le montrer autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Mettez votre force dans le Christ, le doux Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et saluez tous les vôtres, et faites prier particulièrement pour la sainte Eglise et pour le Christ de la terre, Doux Jésus, Jésus amour [1594].

Table des matières (2)





CCCXXXV.-A MADAME LARIELLA, femme de messire Cieccolo Caracciolo, de Naples.- Nous devons mettre notre espérance en Dieu. et non dans les créatures; cette espérance vient de l’amour.

(Lariella est sans doute le diminutif de Laura. comme Cieccolo est celui de Francesco. Le comte Caracciolo s’attira la disgrâce de la reine de Naples par sa fidélité à Urbain VI, dont il était parent.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir placer votre affection et votre espérance en Dieu seul, et mettre votre confiance en lui et non dans les créatures, car on peut appeler maudit celui qui met sa confiance dans l’homme. Oh ! quel malheur pour notre âme, et comme est vaine l’espérance que nous mettons autre part qu’en Dieu ! des paroles ne pourraient jamais l’exprimer. Cette espérance est vaine et passagère, car c’est en vain que se fatigue celui qui cherche les délices, les honneurs et les richesses du monde. Qu’est-ce qui nous montre qu’elle est vaine? Le peu de sûreté que nous y trouvons. Quand nous croyons les posséder, elles nous échappent, ou par une disposition de la Providence qui nous les ôte pour notre bien, ou par la mort, qui nous fait quitter cette ténébreuse vie. Souvent [1595] nous croyons gagner beaucoup et parvenir à une haute position, et nous perdons ce que nous avions ; ou, si nous le conservons, ce n’est pas sans une grande peine, et nous avons tellement peur de le perdre, que la vie devient insupportable, Il est donc bien insensé l’homme qui met là son espérance.

2. Je dis que cette espérance est nuisible, parce qu’elle ôte la puissance, la liberté, et qu’elle rend esclave. Si nous aimons d’un amour déréglé les créatures et les choses créées en dehors de Dieu, nous péchons. En offensant Dieu, nous nous rendons esclaves du péché, qui est un néant, et des choses créées, qui sont toutes moindres que nous, car elles sont toutes créées pour nous servir, et nous, nous sommes faits pour servir Dieu. Mais nous faisons tout le contraire nous les servons, et nous ne servons pas notre Créateur. Elles nous privent alors de la lumière, et ne nous laissent pas voir et discerner la vérité. Car, comme l’oeil malade ne peut regarder la lumière, l’oeil de l’âme, lorsqu’elle est tombée dans cette infidélité et cette maladie de l’amour déréglé, perd tellement la lumière, qu’elle ne peut plus se connaître et connaître Dieu, c’est-à-dire la Bonté infinie, et sa propre misère. Elle perd la richesse des vertus, parce qu’elle est séparée de la charité à laquelle toutes les vertus sont unies. Elle n’a plus l’amour de Dieu et du prochain; elle ne sert que par intérêt; elle n’a plus l’humilité véritable, car elle n’a d’autre désir et d’autre jouissance que d’avoir une grande réputation et un haut rang. Toute son étude est de plaire aux créatures, et elle aime mieux leur être agréable que d’être agréable au Créateur. Si elle [1596] reçoit une injure, elle la supporte avec impatience; et si elle rend service à son prochain ou à ses parents, sans qu’elle en tire quelque profit ou quelque honneur, elle en est fâchée, et cesserait volontiers de leur être utile.

3. C’est là ce que fait l’amour-propre, et vous savez bien que c’est la vérité. Vous l’avez peut-être éprouvé vous-même, à l’occasion du séjour de messire Cieccolo ici. Vous en êtes un peu contrariée; mais si vous le voyiez récompensé de ses services, et recevoir un peu de la fumée du monde, c’est-à-dire un peu de gloire humaine, vous le seriez moins. Je crois que vous vous affligez plus des propos qui vous inquiètent et de ce vain honneur du monde, que vous ne désirez son propre avantage. Ce n’est pas bien, c’est un grand défaut, qui offense Dieu; votre âme et votre corps en souffrent, et vous lui causez aussi de la peine. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi. Ce serait une preuve que vous avez mis votre espérance et votre affection dans les créatures et les honneurs du monde plus que dans le Créateur, et cela ne doit pas être. Vous devez au contraire être courageuse, et mépriser les sottises du monde en désirant les biens du ciel et l’honneur de Dieu plutôt que les biens frivoles de la terre et les honneurs qui peuvent vous en revenir. Je veux qu’il en soit ainsi. Répondez à ceux qui vous diront le contraire, que tout votre désir est de voir messire Cieccolo servir fidèlement, de tout son cœur, de toute son âme, le Christ de la terre et la sainte Eglise, sans penser à l’avancement, aux grandeurs et à l’intérêt, mais seulement à l’honneur de Dieu, et à ce que doit un fils [1597] à son père. Alors ses services seront agréables à Dieu, et ils vous seront glorieux et utiles: je dis utiles par les grâces que vous obtiendrez, et que Dieu veut que nous cherchions avec un grand zèle. Vous le ferez si vous mettez votre espérance en Dieu, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir mettre votre amour et votre espérance uniquement en lui; et vous devez le faire, puisque vous voyez qu’il est si nuisible de la mettre en soi, ou dans la créature, ou dans les choses créées, en dehors de Dieu; cette malheureuse espérance plonge l’âme dans de nombreuses afflictions. Combien est différente l’espérance que l’homme met en Dieu ! car l’espérance procède de l’amour. Toujours la créature espère en celui qu’elle aime: si elle aime la créature, elle espère dans la créature; si elle aime son Créateur, elle espère uniquement en lui, et l’amour, le sentiment de la charité, met toujours une grande joie dans le cœur qui la possède.

4. Oui, l’espérance donne une grande joie; tous les trésors de la charité se trouvent dans l’espérance, parce qu’elle vient d’elle. Elle est humble et douce pour ceux qui l’injurient; elle est patiente à souffrir les tribulations, de quelque manière que Dieu les lui envoie; bien plus, elle désire souffrir pour Jésus crucifié, et elle cherche sa gloire dans ses opprobres; c’est là qu’elle se repose, et elle ne veut se glorifier en rien autre chose, parce qu’elle ne cherche pas sa propre gloire, mais la gloire du nom de Dieu. La charité ne cherche pas ses intérêts, et ses services ne sont pas mercenaires, parce qu’elle sert par amour, et non à cause du profit qu’elle [1598] attend; elle éloigne toute amertume, parce qu’elle s’est dépouillée de la volonté propre pour se revêtir de la douce Volonté de Dieu, et c’est la volonté propre qui seule fait souffrir la créature. Cette vertu est si douce, si délectable, qu’elle fait paraître douces les choses amères; les grands fardeaux deviennent petits, et les contrariétés agréables; elle ôte à l’âme le poids de la terre et le lui rend léger; elle l’éloigne de la société des hommes, et la fait converser avec les Bienheureux.

5. Cette espérance, fondée sur la charité, est si utile, qu’elle rapporte au centuple. L’homme donne oa volonté seule, et il reçoit le centuple, la charité, avec laquelle il obtient la vie éternelle. C’est ce que disait le Christ au glorieux saint Pierre qui lui demandait: " Maître, nous avons laissé tout pour vous; que nous donnerez-vous ?" Le Christ répondait : Tu as bien fait, Pierre. Comme si la douce Vérité disait : Autrement tu ne pourrais pas me suivre. Celui qui ne renonce pas à sa propre volonté ne peut suivre Jésus crucifié. Puis il ajoute: " Je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. " La charité est donc bien utile, et nulle vertu ne peut l’être davantage. Elle rend l’homme libre et souverain, puisqu’elle le tire de l’esclavage du péché et lui assujettit la sensualité. Celui qui est maître de lui-même devient maître du monde, parce qu’il méprise ses grandeurs et ses délices, parce qu’il voit que tous ses biens sont sans consistance et sans durée; il en retire son espérance pour la placer en son Créateur, qui seul est sûr et immuable, et qui rien peut nous être ôté, si nous ne le voulons pas [1599].

6. Oh ! combien est heureuse cette âme qui a mis son coeur et son amour en Dieu, qui est sa béatitude ! Dès qu’elle possède Dieu, elle ne s’inquiète de rien, et elle ne tombe pas dans l’impatience si elle vient à perdre un mari, des enfants, son rang, les honneurs et les richesses du monde, parce qu’elle les possède, non pas comme des choses qui lui appartiennent, mais comme des choses prêtées; son seul bien est la grâce divine. Elle ne s’inquiète pas des propos des hommes, et pour leur plaire, elle ne veut offenser Dieu en aucune façon. Elle ne fait pas comme les personnes faibles, qui, pour plaire aux créatures, déplaisent au Créateur par leur vanité, tout en l’offensant sur d’autres points par leur sensualité. Elles résistent à la grâce que Dieu avait faite à leur âme de ne pas aimer à se parer de curieux et délicats vêtements, et à se parfumer le visage. Lorsqu’elles sont dans leur intérieur, elles ne paraissent pas s’inquiéter de leur personne; mais pour plaire elles forcent la nature et se révoltent contre la grâce, voulant paraître aussi bien que les autres, sans crainte d’offenser Dieu et de nuire à leur âme; et quand on les reprend, elles répondent : Je ne le fais pas pour moi, mais pour plaire à mon mari et ne pas me montrer plus triste que les autres. Elles se trompent, et ne savent pas où se trouve la vertu, à cause de la complaisance qu’elles ont pour elles-mêmes. Mais celle qui est dans la charité le sait bien; comme nous l’avons dit, elle se dépouille de toute vanité et choisit ce qui est honnête, quels que soient la position, le moment et le lieu où elle se trouve. En toute chose elle considère Dieu, et ce qu’elle fait, elle le fait avec [1600] sa sainte crainte. Elle participe au sang de Jésus crucifié, parce qu’elle a déchargé sa conscience dans la sainte Confession avec la contrition, le regret de ses fautes et une entière satisfaction; elle reçoit ainsi la vie de la grâce.

7. Quelle différence, très chère Mère, entre ceux qui espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n’y espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n’y espèrent pas ! Aucune comparaison n’est possible. Que dirons-nous donc? Nous dirons que les uns jouissent du vrai bonheur, et que les autres sont dans une profonde misère. Nous devons donc quitter avec grand soin tout amour sensitif, et nous occuper sans cesse de la douce pensée de Dieu et du Sang répandu pour nous avec tant d’amour. Nous devons montrer l’amour que nous avons pour lui par notre charité envers notre prochain, que nous assisterons dans tous ses besoins; nous aimerons aussi entendre la parole de Dieu, veiller, prier sans cesse; nous aimerons tout pour Dieu, et rien sans lui. C’est à cela que je veux voua voir apporter tout votre zèle, afin que vous puissiez recevoir l’éternel et souverain bien qui vous est préparé. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1601]

Table des matières (2)





CCCXXXVI.-A MADAME PENTELLA, servante de Dieu, mariée à Naples.- De l’amour des souffrances, et de l’honneur que nous devons à Dieu.- Des épreuves dans le mariage.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et parfaite lumière. Cette lumière vous fera connaître la vérité; en la connaissant vous l’aimerez, et vous verrez la voie qu’il vous faut prendre. Voyons quelle est cette voie et cette vérité, comment nous pourrons la suivre, et pourquoi nous devons la suivre. Jésus crucifié est notre voie, et il est la vérité, la vie. N’a-t-il pas dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie? "Celui qui suit cette voie, c’est-à-dire qui suit en doctrine et ses traces, suit la voie de la vérité ; et celui qui suit la voie de la vérité reçoit en lui la vie de la grâce. Quel moyen l’âme doit-elle prendre pour marcher dans cette voie? quel moyen Notre-Seigneur a-t-il pris lui-même? Le voici. Lui qui était et qui est la lumière, il regarda la volonté du Père, et cette volonté voulait, pour nous sanctifier, manifester son éternelle vérité. La vérité était qu’il avait créé l’homme pour lui donner la vie éternelle et le faire jouir du souverain Bien; mais, à cause du péché [1602] commis, cette vérité ne s’accomplissait pas en nous; Il fallait pour l’accomplir, détruire la faute; Dieu voulut à la fois détruire la faute et accomplir sa vérité dans l’homme; et alors cette vérité contraignit le Père, et, à cause de l’amour ineffable qu’il avait pour nous et pour Sa vérité, il nous donna la vérité du Verbe, son Fils, qu’il revêtit de notre humanité, afin qu’il pût avec elle, par ses souffrances, satisfaire pour nos fautes, et accomplir ainsi an vérité en nous.

2. Lorsque le Verbe, le doux Fils de Dieu, eut reçu cette grande tâche de son Père, il courut, plein d’amour, à la mort honteuse de la très sainte Croix; et en accomplissant l’obéissance, il accomplit la vérité. Nous avons été rétablis par lui dans la grâce, pourvu que, de notre côté, nous ne nous y opposions pas par nos fautes et nos misères. Ce doux Verbe savait que sans souffrir il ne pouvait nous rendre la vie, et il s’est passionné pour les peines, il s’est rassasié d’opprobres; il a choisi comme vêtement les injures, la faim, la soif, les mépris, les outrages; et le péché lui a tant déplu, que, quoiqu’il n’y eût pas en lui la moindre tache, il l’a puni sur son corps; et il a tant aimé les vertus, qu’il les a mûries dans son sang. Cet arbre de vie a produit pour nous des fruits de vertu; car, après la rédemption que nous avons reçue par son sang, le fruit des vertus nous profite pour la vie éternelle. Qu’a cherché le Verbe, et de quoi s’est-il affligé? Il a cherché l’honneur de son Père et notre salut, et il s’est plus affligé de l’offense qui était faite et du malheur qui suivait l’offense, que de sa propre peine. Nous voyons qu’il a plus gémi de la damnation de Judas que de sa trahison [1603].

3. Voici la douce voie qu’il nous a enseignée et que nous devons suivre. Si vous me dites: Il était le vrai Fils de Dieu, et il pouvait agir ainsi; mais moi, je suis faible, et je ne le puis pas: regardez les saints qui l’ont suivi, ils étaient soumis à la même faiblesse. Ils ont été conçus, élevés et nourris de la même manière que nous, et cependant, avec le secours de Dieu, Ils ont tous suivi généreusement cette voie, et le secours qu’ils ont eu, nous pouvons l’avoir, si nous le voulons. Mais, parce que nous croyons ne pas le pouvoir, nous ne le faisons pas; dans notre aveuglement, nous ne connaissons pas et nous ne nous appliquons pas à connaître dans as doctrine, l’éternelle Vérité, et cela parce que nous ne voulons pas ; car, si nous le voulions, avec la haine véritable, du vice et avec l’amour de la vertu, nous résisterions à la sensualité, et nous ne chercherions pas à la satin. faire par nos complaisances et nos faiblesses de femme, mais nous nous lèverions avec une sainte haine; nous détruirions en nous la volonté propre, et nous embrasserions la Croix avec un ardent et saint désir.

4. Nous nous réjouirions de nous voir foulés aux pieds par le monde, et notre gloire serait de souffrir sans l’avoir mérité. C’est là le signe le plus certain qui montre si le serviteur de Dieu a ou n’a pas la lumière, pour connaître la vérité, O douce vie, combien tu es délicieuse pour l’âme qui t’a goûtée, en se perdant et en se renonçant elle-même ! Cette connaissance la fait courir, morte à toute volonté prou et, comme elle est morte, rien ne lui fait plus guerre, car c’est de la volonté seulement que vient la [1604] guerre. Les tribulations et les persécutions du monde ne lui sont point amères; elles sont même la joie et la consolation du vrai serviteur de Dieu; plus il souffre, plus il est content, et lorsqu’il voit le monde avoir pour lui quelque respect et quelque estime, il s’en afflige, parce qu’il craint que Dieu ne veuille le récompenser en cette vie du peu de bien qu’il fait, et parce qu’il voudrait ressembler à Jésus crucifié et suivre ses traces. Il ne se plaint pas de celui qui lui fait injure, et il ne voudrait pas être privé de ce qu’on lui fait souffrir; mais ce qui l’afflige, c’est l’offense de Dieu et la, perte de l’âme de son prochain : aussi il ne cesse de penser à lui devant Dieu avec un grand désir, et d’offrir pour lui d’humbles et continuelles prières.

5. Pourquoi le fait-il? parce que dans la lumière et la doctrine de Jésus crucifié, il a connu la vérité, et parce qu’avec cette lumière, il a vu ce qu’il devait faire. L’âme doit répondre au démon et à sa fragilité, qui veulent combattre contre la raison et la vertu. Je ne puis vous écouter, mais je dois servir mon Créateur de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces, et je dois le lui montrer en souffrant. Pourquoi ? parce que c’est un commandement auquel je suis obligé d’obéir. Outre le commandement, je dois le faire par reconnaissance, parce que tu as reçu gratuitement l’existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées: et quand même je n’en aurais pas reçu le commandement, je devrais le faire à cause des grâces reçues, car je ne veux pas être oublieuse ingrate après tant de bienfaits. Je veux rendre ce qui ne m’appartient pas, car je travaille avec ce qui [1605] est à mon Créateur, et c’est avec cela que je m’acquitte envers Dieu; je ne lui donne rien qui m’appartienne, mais je lui rends ce que je dois lui rendre.

6. Oh ! combien est digne de châtiment le serviteur mercenaire qui veut prendre ce qui n’est pas à lui ! Il sera sévèrement condamné par le souverain Juge et par sa conscience, parce qu’il doit honorer Dieu et se mépriser lui-même. Pourquoi est-il coupable et digne de châtiment? parce qu’il est tenu de servir fidèlement, sans avoir égard à sa propre consolation, au plaisir qu’il y trouve, ou à l’approbation des créatures; et, comme il est obligé de rendre gloire et honneur à son nom, ses services mercenaires ne pourront jamais lui faire remplir ses devoirs comme il le devrait. Admettons que Dieu soit glorifié; il n’en serait pas de même de notre côté, et l’éternelle Vérité ne s’accomplirait pas en nous; car elle nous a créés et fait renaître à la grâce dans le Sang pour nous donner la vie éternelle. Aussi l’âme voit à la lumière la dette qu’elle a contractée, et en même temps elle voit qu’elle a été aimée de Dieu, et que toutes les grâces spirituelles et temporelles qu’elle a reçues lui ont été données par amour; elle se sent forcée de répondre à Dieu, de faire comme il a fait, et de ne pas quitter les traces de Jésus crucifié.

7. Il est vrai que nous ne pouvons rendre un amour gratuit à Dieu, car il nous a aimés avant que nous fussions, et nous, nous sommes obligés de l’aimer. Mais l’âme, lorsqu’elle est éclairée par la lumière, prend le moyen que Dieu lui a donné pour s’acquitter; elle aime le prochain d’un amour désintéressé, et, quelque soit la peine qu’il lui cause, les reproches [1606] qu’elle en reçoit, et l’ingratitude dont il paie ses services, elle ne se rebute jamais, parce que la lumière l’a rendue constante et persévérante, à l’exemple de l’humble Agneau, qui ne s’est laissé arrêter ni par les tourments ni par les Juifs, qui lui criaient: " Descends de la Croix, et nous croirons en toi; " ni par notre ingratitude; mais il est resté constant et persévérant jusqu’au dernier instant où il remit l’humanité, qu’il avait reçue pour épouse, entre les mains de son Père éternel, en disant : In manus tuas, etc. L’âme, de même, triomphe par la lumière de la malice et des ruses du démon quand il veut la tromper sous de spécieux prétextes. Elle ne veut pas descendre de la Croix de son douloureux et saint désir, malgré les cris des Juifs, c’est-à-dire des démons, qui emploient, mille moyens pour la faire descendre, tantôt sous prétexte de ne pas offenser Dieu, tantôt sous l’apparence de la justice, en voulant faire reconnaître au prochain toute son ingratitude.

8. Quelquefois ils veulent renverser l’âme en lui faisant désirer la mort de son prochain, sous prétexte d’avoir plus de paix et de repos dans l’esprit; et le démon lui donne tant de raisons, ce désir insensé s’incarne tellement en elle, que personne ne peut l’en ôter, parce que son aveuglement, sa sensualité, et l’antipathie qu’elle éprouve l’empêchent de voir et de connaître la vérité; et en cela elle est bien opposée à la volonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pêcheur, mais, au contraire, qu’il se convertisse et qu’il vive. Nous devons souhaiter aux créatures la vie spirituelle et corporelle, pour les voir vivre dans la grâce, et pour que Dieu donne au [1607] pécheur le temps de se convertir, afin qu’il ne meure pas dans les ténèbres du péché mortel. C’est là le désir de celle qui voit à la lumière qu’elle doit rendre au prochain l’amour désintéressé qu’elle ne peut rendre à Dieu; avec cette lumière, elle foule aux pieds l’esclavage de la sensualité. Ce n’est pas as peine, c’est l’offense de Dieu qu’elle considère lorsqu’une créature, un époux, si vous le voulez, ne la traite pas comme femme, mais comme esclave, lorsqu’un fils ne la reconnaît pas pour mère, et une servante pour maîtresse. Quelle que soit la personne qui veuille l’opprimer, elle ne se plaint pas; elle souffre tout avec résignation, elle supporte son injure avec une parfaite patience; mais elle gémit de l’outrage fait à Dieu, et demande pour ses créatures, non pas la mort, mais la vraie lumière. Tels sont les saints désirs d’une âme éclairée.

9. Il me semble, très chère Sœur, que vous avez besoin, d’une semblable lumière dans votre position; et c’est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir en vous la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la véritable voie que vous devez prendre, comment et pourquoi vous la devez suivre. Vous connaîtrez ainsi la ruse et la malice du démon, qui enchaîne votre âme en vous faisant follement désirer la mort de quelqu’un, et en vous la faisant désirer si vivement, que personne ne peut vous ôter ce désir. Ce n’est pas là servir Dieu, mais servir le monde et le démon. Quelle vertu pourrait prendre racine dans une âme semblable? On pourrait y voir des actes de vertu, mais des vertus, jamais. Combien de misères se montrent dans ce désir insensé ! On y voit le poison [1608] de l’orgueil et de sa propre estime; car, si l’âme n’en était pas infectée, elle croirait plus aux autres qu’à elle-même, elle ne serait pas sans respect et sans docilité à l’égard de son Père spirituel; elle l’écouterait, au contraire, elle lui obéirait lorsqu’il lui montre que ce désir n’est pas véritablement selon Dieu, mais qu’il vient directement du démon et de sa passion sensuelle; lorsqu’il lui prouve que son amour pour le prochain et pour Dieu est intéressé, et qu’elle n’a qu’une patience pleine de mépris et de haine, de cette haine qu’elle ne devrait pas avoir contre la créature, mais contre la faute seulement. Et ensuite que de murmures, de faux jugements, de blasphèmes et de maux. Il serait bien difficile de les raconter. Aussi, très chère Sœur, sortons de cet aveuglement, et prenons la résolution de suivre Dieu en vérité, de l’aimer entièrement et sans partage, de l’aimer généreusement comme il doit l’être, sans penser à vous, et en le suivant dans la voie de la Croix, ne voulant pas souffrir à votre manière, mais à la sienne, aimant votre prochain comme vous-même, désirant voir en lui ce que vous voulez voir en vous. Offrez pour lui vos larmes, vos humbles et continuelles prières, à la lumière de la Foi, et soyez bien persuadée que tout ce que Dieu donne et permet, il le fait pour votre salut; et vous souffrirez avec une humilité sincère, une patience parfaite, vous jugeant digne de la peine, et indigne du fruit qui vient après la peine.

10. Voyez si vous êtes sage vous-même ! Ne faites-vous pas plus mal encore avec la chair, votre esclave et le libre arbitre, votre époux, qui s’unit volontairement à cette esclave, pour maltraiter et avilir avec [1609] elle la raison, qui est la maîtresse? Certainement si. Vous devez donc plus haïr cette injustice, qui est en vous-même, que cette esclave et ce mari, qui sont hors de vous; car ceux-ci n’affligent que votre corps avec leurs injures et leurs mauvais traitements, tandis que ceux-là frappent votre Ame, incomparablement plus noble que votre corps; toute la noblesse du corps vient de l’âme1 et l’âme vient de Dieu. Vous devez donc vous appliquer avec zèle à l’honorer, en veillant à ce que vous avez de plus noble, et en tournant toute votre haine contre vous-même. Faites en sorte que cette haine soit mortelle, c’est-à-dire, désirez toujours la mort de votre propre volonté, afin que vive toujours en vous l’éternelle volonté de Dieu. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, qui vous fera aimer Dieu et les créatures purement, et faites en sorte que ce qui a été jusqu’à présent n’existe plus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour [1610].

Table des matières (2)





CCCXXXVII.-A MADAME CATELLA, à madame Cecia, appelée Planula, et à madame Catherine Dentice, de Naples.- De la nourriture des anges et de la nourriture des bêtes.- Comment elles se prennent, et quels effets elles produisent.
 
 

(Cette lettre a beaucoup de rapport avec la CCVe que sainte Catherine adressait à la soeur Eugénie, sa nièce, au monastère de Montepulciano.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Sœurs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir goûter la nourriture des Anges, car vous n’êtes pas faites pour autre chose; et afin que vous puissiez la goûter, Dieu vous a rachetées avec le sang de son Fils. Mais pensez, très chères Filles, que cette nourriture ne se prend pas sur la terre, c’est-à-dire avec un amour terrestre, mais en haut. C’est pour cela que le Fils de Dieu a été élevé sur le bois de la très sainte Croix, afin qu’avec lui et sur cette table sacrée, nous puissions prendre cette nourriture. Vous me direz : Qu’est-ce cette nourriture des anges? Je vous répondrai : C’est le désir affectif de l’âme qui attire à soi le désir de Dieu, et de ces deux désirs, il ne se fait plus qu’une seule et même chose. Cette nourriture, pendant [1611] le pèlerinage de cette vie, prend le parfum des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la charité divine et prises sur la table de la très sainte Croix, c’est-à-dire en souffrant les peines et les épreuves par l’amour de la vertu, en résistant à la sensualité; et, de cette manière, l’âme ravit par la force et la violence le royaume qui est appelé le ciel, parce que Dieu habite en elle par la grâce Cette nourriture rend l’âme semblable aux anges; aussi elle est appelée la nourriture des anges. Lorsque l’âme, séparée du corps, goûte Dieu dans son essence, il la rassasie tellement, qu’elle ne désire et ne peut désirer autre chose que de posséder plus parfaitement et d’augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire; et alors elle regarde avec prudence à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l’oeil de son intelligence, ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu’elle a vu, elle a de l’amour ou de la haine, elle déteste la sensualité et la foule aux pieds de l’affection, avec tous les vices qui en procèdent. Elle fuit toutes les causes qui peuvent l’incliner au mal ou empêcher sa perfection; elle réduit la volonté propre, qui est le principe de tout mal, et la soumet au joug de la sainte obéissance aux commandements de Dieu.

2. Tous les chrétiens sont obligés à cette obéissance; mais il y en a beaucoup qui se soumettent à l’obéissance religieuse dans un Ordre, et c’est une plus grande perfection. Quand l’âme est véritablement obéissante, non seulement aux commandements de Dieu et à l’obéissance d’un Ordre, mais encore à toute créature pour Dieu, elle fuit et retranche toute [1612] complaisance humaine, et se glorifie uniquement dans les opprobres et les souffrances de Jésus crucifié. Les injures, les mauvais traitements, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait, et elle s’y plaît pour être semblable au Christ, son Epoux. Elle renonce à la conversation des créatures, parce que souvent elles sont des obstacles entre nous et notre Créateur; elle se réfugie dans la cellule de la connaissance d’elle-même et dans la cellule véritable. Je vous invite, mes Biens-Aimées, à rester dans la cellule de la connaissance de vous-mêmes, où nous trouvons ce désir affectif de Dieu pour nous, e dans la cellule véritable pour y veiller et y persévérer dans une humble et fidèle prière, détachant votre cœur de la créature et des choses créées, n’aimant rien en dehors de Dieu, et vous revêtant de Jésus crucifié. Autrement vous prendriez cette nourriture sur la terre, et je vous ai dit qu’il ne fallait pas la prendre sur la terre. Pensez que le doux Epoux Jésus ne veut aucun obstacle entre lui et l’âme, son épouse; il est très jaloux, et dés qu’il verrait que nous aimons quelque chose en dehors de lui, il s’éloignerait de nous, et nous deviendrions dignes de manger la nourritures des bêtes. Et ne leur deviendrons-nous pas semblables? Nous prendrions la nourriture des bêtes, si nous abandonnions le Créateur pour les créatures et les choses créées, le Bien infini pour les choses finies et éphémères, qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort, Celui qui nous revêt du soleil de justice avec l’agrafe de l’obéissance et les perles de la. foi, de l’espérance et de la charité parfaite, pour celui [1613] qui nous en dépouille au contraire. Ne serions-nous pas bien insensés de nous séparer de Celui qui nous donne une pureté de plus en plus parfaite, à mesure que nous nous approchons de lui, pour ceux qui répandent l’infection du vice et qui souillent nos cœurs et nos âmes ? Que Dieu les éloigne de nous dans son infinie miséricorde.

3. Pour que cela ne puisse jamais arriver, gardons-nous de la conversation coupable des personnes qui. mènent une vie débauchée; soyons fermes et prudentes, avec nous-mêmes et veillons avec une ardente charité aux besoins de notre prochain; nous montrerons par là que nous portons dans notre cœur, Jésus crucifié. Je dis donc que l’âme qui se nourrit de la nourriture des anges a vu à la lumière que l’amour et les conversations des créatures en dehors du Créateur sont des obstacles qui privent de cette nourriture; aussi elle les fuit avec un grand zèle, et elle aime, elle recherche ce qui la fait croître et persévérer dans la vertu. Et parce qu’elle voit qu’on goûte mieux cette nourriture au moyen de la prière faite avec la connaissance de soi-même, elle s’y applique continuellement, et fait tous ses efforts pour se rapprocher de Dieu.

4. Il y a trois sortes de prières. La première est la prière continuelle, c’est-à-dire le saint et continuel désir, qui prie toujours en présence de Dieu dans tout ce que fait la créature, car ce désir dirige sans cesse vers son honneur, toutes nos œuvres spirituelles et temporelles c’est pourquoi on l’appelle la prière continuelle. Le glorieux saint Paul en parle lorsqu’il dit : " Priez sans cesse. " La seconde prière [1614] est la prière vocale, qu’on fait lorsqu’on récite l’office ou quelque autre prière; c’est une préparation pour arriver à la troisième, qui est la prière mentale; et l’âme y arrive, quand l’esprit s’exerce avec prudence et humilité à la prière vocale. Lorsque ses lèvres parlent, son cœur ne doit pas s’éloigner de Dieu, mais elle doit s’appliquer à fixer et à affermir son cœur dans la charité divine. Quand elle sent que son esprit est visité de Dieu, c’est-à-dire quand elle éprouve un certain attrait à penser à Dieu, elle doit abandonner la prière vocale pour se livrer à l’amour de Dieu, dont elle goûte la présence; et si son attrait cesse, elle doit reprendre la prière vocale, afin que l’esprit . soit toujours occupé, et jamais vide. Si dans la prière nous éprouvons beaucoup de combats et de ténèbres qui troublent notre esprit, et si le démon veut nous persuader que notre prière n’est pas agréable à Dieu, à cause de ces combats et de ces ténèbres, nous ne devons pas cesser, mais au contraire persévérer avec courage, en pensant que le démon agit de la sorte pour nous faire quitter la prière qui est une mère pour nous, et que Dieu le permet pour éprouver notre force et notre constance. Dans les combats et les batailles nous connaissons notre néant, et dans notre bonne volonté nous connaissons la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions, et qui ne les refuse jamais à ceux qui le veulent.

5. L’âme parvient ainsi à la troisième et dernière prière, qui est la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu’elle a souffertes dans la. prière vocale imparfaite. Alors elle goûte le lait de la [1615] prière fidèle; elle s’élève au-dessus des sens; son esprit purifié s’unit à Dieu par l’amour, et, à la lumière de l’intelligence, elle voit, elle connaît et se revêt de vérité. Elle est devenue la sœur des anges; elle reste avec son Epoux à la table d’un ardent désir, aimant à chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu’elle voit bien que pour cela l’éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix pour accomplir les ordres de son Père et notre salut. Ainsi la prière est bien vraiment une mère qui, dans la charité de Dieu, conçoit les vertus et les enfante dans la charité du prochain. Où trouverez-vous la lumière qui vous guidera dans la voie de la vérité? dans la prière. Ou montrerez-vous l’amour, la foi, l’espérance et l’humilité? dans la prière. Et, si vous n’aimez pas, vous ne ferez pas ces choses; mais la créature qui aime veut s’unir à ce qu’elle aime par le moyen de l’oraison c’est là qu’elle expose ses besoins, parce qu’elle se connaît, et cette connaissance est le fondement de la vraie prière. Elle voit sa misère, elle se sent entourée d’ennemis, du monde avec ses Injures, du démon avec ses tentations, de la chair, qui combat l’esprit et se révolte contre la raison. Elle voit qu’elle n’a pas l’être elle-même, et qu’elle ne peut se guérir; et alors elle court avec foi à Celui qui est, qui sait, peut et veut la secourir dans toutes ses nécessités; elle l’implore avec espérance, et attend son secours.

6. C’est ainsi que veut être faite la prière pour obtenir ce que nous désirons; et, de cette manière, les choses justes que nous demanderons à la Bonté divine, ne nous seront pas refusées; mais, en agissant autrement [1616] , nous en retirerons peu de fruit. Où sentirons. nous l’odeur de l’obéissance? dans la prière. Où nous dépouillerons-nous de l’amour-propre, qui nous rend impatients? dans le temps dès injures et des peines. Ou nous revêtirons-nous de l’amour divin, qui nous rendra patients et nous fera nous glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? dans la prière. Où sentirons-nous le parfum de la continence, de la pureté, la faim du martyre, qui nous dispose à donner notre vie pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes? dans cette mère si douce, dans la prière. Elle nous fera observer les saints commandements de Dieu; elle mettra ses conseils dans notre esprit et notre coeur, et y imprimera le désir de les suivre jusqu’à la mort. Elle nous éloignera de la société des créatures, et nous donnera celle du Créateur. La prière emplit le vase de notre cœur avec le sang de l’humble Agneau sans tache et le couvre de feu, car il a été répandu avec un ardent amour. Il est vrai que l’âme reçoit et goûte plus ou moins parfaitement les avantages de la prière, selon qu’elle se nourrit de la nourriture des anges, c’est-à-dire du saint désir de Dieu, s’élevant, comme nous Pavons dit, pour le prendre sur la table de la très sainte Croix, mais pas autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir vous nourrir de la nourriture des anges; car vous ne pourrez pas avoir d’une autre manière la vie de la grâce et être les vraies Servantes de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

7. J’ai reçu votre lettre, qui m’a causé beaucoup de joie, parce que je désirais beaucoup avoir de vos [1617] nouvelles, et parce que vous m’en donniez en peu de mots, de très bonnes. Je veux parler du retour de la lumière dans ce pays. Le cœur de Pharaon s’est adouci. La Reine s’était montrée bien endurcie jusqu’à présent; elle s’était séparée de son chef, du Christ de la terre, pour s’unir à l’Antéchrist, au membre du démon; elle poursuivait la vérité, et exaltait le mensonge. Grâces, grâces soient rendues à notre Sauveur, qui a éclairé son cœur par la force ou par l’amour, et qui a fait en elle des choses admirables (Ces bonnes dispositions de la reine Jeanne ne durèrent pas, et elle retomba dans le schisme.). Réjouissez-vous et soyons dans l’allégresse; appliquons-nous an saint exercice dont, nous avons parlé, et purifions souvent notre conscience par la Confession et par la Communion à toutes les fêtes solennelles, afin que, fortifiée dans votre pèlerinage, vous courriez généreusement à la table de la Croix, par la doctrine de l’humble Agneau, pour prendre la nourriture des anges, et faire briller en vous les stigmates de Jésus crucifié. Baignez-vous dans son précieux sang. Je me recommande instamment à notre Sauveur. Doux Jésus, Jésus amour [1618].

Table des matières (2)





CCCXXXVIII.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- De la charité envers Dieu, d’où naît la patience, et de la lumière de la Foi nécessaire pour acquérir la charité.

(Cette dame était la mère des trois frères Buonconti, disciples de sainte Catherine, qui l’accompagnèrent dans son voyage d’Avignon. (Voir la lettre CCXLVII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience, car autrement nous ne pourrons pas plaire à Dieu, et en cette vie nous goûterons les arrhes de l’enfer. O vraie et douce Patience ! tu es cette vertu qui n’est jamais vaincue, mais toujours victorieuse. Toi seule tu montres si l’âme aime ou non son Créateur; tu nous donnes l’espérance de la grâce, tu détruis la haine et la rancune du cœur, tu éloignes le dégoût du prochain, et tu délivres l’âme de la peine. Par toi, le fardeau des nombreuses tribulations devient léger, l’amertume devient douce. En toi, Patience, royale vertu acquise par les mérites du sang de Jésus crucifié, nous trouvons la vie. O très chère Mère, parmi toutes les vertus, celle-là est la plus nécessaire, car nous ne passons pas cette mer du [1619] monde sans beaucoup de tribulations. De quelque côté que nous nous tournions, ses flots orageux nous poursuivent. Le démon nous attaque par de nombreuses tentations, et ce qu’il ne peut faire par lui-même, il le fait par le moyen des créatures, en se mettant sur les langues et dans le cœur de ses serviteurs. Il trompe le regard de l’intelligence. et fait voir ce qui n’est pas; il inspire des pensées et des antipathies contre le prochain, souvent contre ceux qu’on aime davantage; et, lorsque le cœur a conçu ces sentiments, il les met sur la langue et les fait enfanter par des paroles. Des paroles on arrive aux effets, et de cette manière il sépare ceux qui s’aiment, et occasionne ainsi les impatiences, la haine, la co1ère, qui nous privent de la vie de l’amour.

2. Il ne faut donc pas le croire, mais il faut monter sur le tribunal de la conscience, et y rendre la justice; il faut opposer à ces flots dangereux la haine et le mépris de vous-même, en ouvrant l’oeil de votre intelligence, et en connaissant la bonté de Dieu et son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il permet que le démon nous attaque et que les hommes nous persécutent, afin d’éprouver en nous l’amour de la vertu et de la vraie patience, et de faire arriver de l’amour imparfait à la perfection. Car l’amour de la vertu se manifeste et se fortifie au moyen de notre prochain. Il faut aimer Dieu pour Dieu, parce qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté, véritablement digne d’être aimée. Il faut s’aimer et aimer le prochain pour Dieu, et non pour l’intérêt ou pour le plaisir qu’on y trouve. Mais parce que la créature est créée et aimée par la [1620] souveraine Bonté, il faut lui rendre les services que nous ne pouvons rendre à Dieu lui-même, Ce que nous ne pouvons faire pour Dieu, nous devons le faire pour notre prochain. C’est ainsi que se manifeste la perfection de l’amour; et quand l’amour est parfait, il ne cesse jamais d’aimer et de servir, malgré les injures qu’on lui fait, les ennuis qu’on lui cause, parce qu’il ne cherche à plaire qu’à Dieu seulement. C’est dans ce but que Dieu nous accorde toutes les tribulations que nous avons. Le démon, au contraire, n’agit que pour nous éloigner de la charité; mais si nous gommes prudents, nous combattrons les intentions du démon, et nous suivrons la douce volonté de Dieu; nous nous opposerons aussi au monde, qui nous persécute de tout son pouvoir. Il est bien peu ferme et durable; il est si pauvre, qu’il ne pourrait satisfaire notre cœur. Toutes les choses du monde sont moindres que nous; elles sont faites pour notre service, et nous sommes faits pour Dieu. Il faut donc servir Dieu seul de tout notre cœur, de toute notre affection, parce qu’il est le bien qui apaise et rassasie notre cœur.

3. Puisque cette patience est si utile et si nécessaire, il faut l’acquérir. Mais comment l’acquérir? Je vous le dirai; avec la lumière, en ouvrant l’oeil de l’intelligence, en reconnaissant son néant, et en attribuant tout ce qu’on est à l’ineffable charité de Dieu. On connaît sa bonté, qui nous a donné l’être et toutes les grâces qu’il y a ajoutées. Et lorsqu’on a vu que Dieu nous a ainsi aimés, on voit encore que par amour, il nous a donné le Verbe son Fils unique, ce Fils qui nous a donné la vie. Et puisqu’il nous a [1621] donné la vie avec tant d’amour, nous devons être persuadés que toute peine, de quelque côté qu’elle vienne, que toutes choses, prospères ou contraires, nous sont données par amour, et non par haine, mais pour notre bien, afin de nous faire atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous devons voir que, quelque grande que soit la peine, elle est au fond bien petite, puisqu’elle n’est pas plus grande que le temps, et que le temps, pour nous, n’a pas plus de longueur et de largeur que la pointe d’une aiguille. Toutes nos peines sont donc petites et finies. La peine qui est passée, nous ne l’avons plus, puisque le temps s’est enfui; celle qui doit venir, nous ne l’avons pas encore, et le temps peut nous manquer pour l’avoir.

4. Après avoir vu combien est courte la peine, nous devons voir combien elle est utile. Et cela, demandez-le au doux et ardent saint Paul, qui nous dit: " Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu a préparée pour ceux qui le craignent et qui supportent bien avec patience les saintes épreuves que la Bonté divine leur envoie ( Rm 8, 18)." Celui qui le fait goûte les arrhes du ciel en cette vie par sa patience; et si notre chair, dans sa faiblesse, veut par l’impatience se révolter contre son Créateur, en refusant de souffrir, il réfléchit en lui-même et voit où doit le conduire l’impatience; car, après avoir commencé son enfer en cette vie, il arrive enfin à l’éternelle damnation. Jamais on n’a vu l’impatience éloigner la peine; elle l’augmente [1622] au contraire; car la peine est ce que la volonté la fait. Détruisez en vous la volonté propre sensitive, pour vous revêtir de la douce volonté de Dieu, et vous aurez détruit la peine. Voilà le moyen et la voie pour parvenir à la vraie et parfaite patience; et je vous conjure, par l’amour de Jésus crucifié, de ne pas négliger ces doux et précieux moyens, alla d’acquérir la vertu de patience, car je sais combien elle est nécessaire à vous et à tout le monde. C’est parce que je connais le besoin que vous en avez, que j’ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXXXIX.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- Le souvenir du sang de Jésus-Christ fait acquérir la charité, et par son moyen la patience.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignée par le saint désir, dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang, l’âme se purifie de toute tache du péché, et elle y trouve l’ardeur de la divine charité, en voyant qu’il a été [1623] répandu par amour. L’âme alors s’enivre d’amour, elle sent le parfum de la patience, et, à cause de l’amour qu’elle a trouvé dans le sang, elle se dépouille de tout amour d’elle-même, et elle supporte avec douceur toutes les adversités et les tribulations du monde, elle les traverse avec patience. Les prospérités, les délices du monde, les honneurs, l’affection de ses enfants ne la troublent pas; elle les possède avec une vraie et sainte crainte, elle les aime comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent. C’est ce que doit faire toute créature raisonnable. En le faisant elle n’offense pas Dieu, et elle goûte dès cette vie les arrhes du bonheur céleste dans la charité fraternelle pour son prochain. L’âme trouve tout cela dans le souvenir du Sang. C’est la vérité; car tant que nous penserons avec un ardent désir au bienfait du Sang, nous serons reconnaissants, et nous nous acquitterons envers lui par l’ardeur de la charité et, par des vraies et solides vertus. En faisant autrement, la créature se rend coupable, non seulement parce qu’elle oublie le Sang et qu’elle est ingrate, mais parce qu’elle ne cherche pas à acquérir la vertu. Ainsi donc, très chère Mère, puisque le souvenir de ce sang précieux est si nécessaire, attachez-vous à l’humble Agneau sans tache, et baignez-vous dans son très doux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1624].
 
 

CCCXL.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise, et à madame Catherine, femme de Gérard, fils de Nicolas.- De l’union dans la charité.- Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu et nous la demande. — De l’emploi du temps.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère Nella, et très chère Catherine, ma Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis dans son précieux Bang, avec le désir de vous voir unies et liées par le lien de la charité qui a attaché et cloué le Fils de Dieu sur la Croix. O ineffable et très douce charité ! combien est fort ce lien qui a retenu l’Homme-Dieu, blessé et déchiré sur l’arbre de la Croix ! C’est là qu’il a porté le poids de nos iniquités; et comme l’enclume est frappée par le marteau, l’âme du Christ, dans sa Passion, a été travaillée par le feu de sa charité. O union douce et parfaite, que Dieu a contractée avec l’homme ! Je veux donc que vous vous embrasiez d’un saint zèle, et que vous contractiez une union que ni le démon ni les créatures ne puissent rompre; et cette union est le Commandement que Dieu nous a laissé, parce qu’il n’avait rien de plus précieux à nous donner. Pourquoi n’y a-t-il rien de plus précieux que d’avoir Dieu et d’être dans la parfaite union de la charité de Dieu? Parce que Dieu [1625] est la charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui, comme l’a dit la Vérité suprême: " Celui qui observera ma parole, je serai en lui, et lui en moi, et je me manifesterai moi-même à lui ( Jn 4,14). " O très doux Amour ! qui sommes-nous, pour vous manifester à l’homme? quelle est cette manifestation que vous faites dans l’âme? Rien qu’une ineffable charité; la charité est une mère qui conçoit le parfum des vertus; et comme une mère nourrit ses enfants sur son sein, la charité nourrit les vertus, ses enfants, et produit des fruits pour la vie éternelle.

2. Il faut donc vous lever avec un saint zèle, ma très douce Mère et ma Fille, pour suivre les vertus et vous reposer sur ce glorieux sein de la charité. Si vous me dites: Où pourrons-nous trouver cette glorieuse mère? je vous dirai: Sur l’arbre de l’adorable et très sainte Croix, où a été greffé le Verbe incarné, le Fils de Dieu, immolé avec tant d’amour. En fixant le regard de votre intelligence sur la Charité divine, qui se repose sans cesse sur vous, votre cœur ne pourra s’empêcher d’aimer en se voyant tant aimé; et cet amour produira la haine, le mépris de vous-mêmes et le dégoût du monde. Alors vous mépriserez ses délices, ses honneurs, et vous embrasserez les injures, les outrages, et vous les supporterez avec joie, en considérant les injures de votre Créateur. Oh ! combien est ignorant et vil le cœur qui veut suivre une autre voie que celle de son Maître ! Car celui qui veut la vie éternelle doit suivre ses traces. il a dit : " Je suis la voie, la [1626] vérité, la vie; celui qui marche avec moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à la lumière. " Et dans un autre endroit il dit: " Personne ne peut aller à mon Père, si ce n’est par moi. " Puisque nous voyons tant d’amour en notre âme, il faut nécessairement retirer notre affection et nos désirs du siècle, qui est plein de ténèbres et d’amertume; il est sans sûreté, sans stabilité, sans ressemblance avec Jésus crucifié: le Christ est la vie, et lui la mort.

3. Levez-vous donc généreusement, très chère Mère et très chère Fille; abandonnez la pompe et la vanité du siècle; regrettez maintenant le temps perdu, et tâchez de le réparer avec le temps que vous avez; pensez qu’il vous faudra en rendre compte au moment suprême de la mort. Oh ! quelle confusion pour celui qui aura employé son temps d’une manière négligente et coupable ! Je ne veux pas que nous nous exposions à cette confusion, mais que nous vivions si bien, qu’après cette vie nous nous trouvions avec le feu des vertus, avec la douce charité, leur mère, dans cette vraie cité de Jérusalem, où nous nous reposerons dans cette vision de la paix où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Oh ! Combien est bon et doux notre Dieu, qui, pour avoir abandonné les choses finies, nous donne des choses infinies ! Oui, plus de négligence et d’ingratitude; mais suivons les traces de Jésus crucifié. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, ma bien-aimée Mère et ma Sœur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Loué soit notre Seigneur Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1627].

Table des matières (2)





CCCXLI.- A MADAME LAUDOMIA, femme de Charles Strozzi, de Florence.- On ne peut servir en même temps Dieu et le monde. — De la manière d’aimer les créatures, et du prix de la grâce divine.

(Cette dame était femme de Charles Strozzi, un des citoyens les plus illustres de Florence; c’est lui qui conclut, en 1369 la paix avec la république de Pise, et qui fut envoyé en 1374, à Sienne, pour terminer les différends de la ville avec la famille des Salimbeni.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié. Le servir n’est pas servir, c’est régner; car il affranchit l’âme en la retirant de la servitude du péché; il nous ôte notre aveuglement, et nous donne la parfaite lumière; il nous ôte la mort, et nous donne la vie, la paix, le repos, en éloignant toute guerre. Il nous revêt du vêtement de la charité, et nous rassasie en nous donnant pour nourriture l’Agneau qui a été préparé sur le bois de la très sainte Croix, au feu de l’amour de l’honneur de son Père et de notre salut; il rassasie l’homme et lui ôte toute crainte servile. C’est donc un doux et ineffable honneur que de servir Dieu [1628].

2. Oui, nous devons le servir avec un grand zèle, de tout notre cœur, de toute notre âme. Remarquez que Notre-Seigneur ne veut pas de partage; il ne veut pas être servi à moitié, mais complètement. Car il est impossible de servir à la fois Dieu et le monde. Le Christ béni a dit : " Nul ne peut servir deux maîtres, car, en servant l’un, il méprisera l’autre, parce qu’ils n’ont aucun rapport ensemble. " Le monde donne tout le contraire de ce que nous avons dit; car à celui qui le sert dans la sensualité, les délices, les honneurs, les richesses, les plaisirs des sens, dans ses enfants, son mari, ou n’importe quelle créature qu’il aime en dehors de Dieu d’un amour sensuel. il donne la mort, l’aveuglement, la nudité; il le prive du vêtement de la charité, et lui donne la honte en lui faisant perdre sa dignité. Il a vendu son libre arbitre au monde et au démon, et il est enchaîné dans l’esclavage du péché, parce qu’il a mis son affection et son amour dans ce qui est moins que lui, et il a offensé Dieu, car toutes les choses créées ont été faites pour nous servir, et nous pour servir Dieu. En les servant hors de Dieu, je l’offense; je deviens le serviteur, l’esclave du péché, qui est un néant, et je deviens néant parce que je suis privé de Dieu, qui est Celui qui est.

3. Il faut donc renoncer entièrement au monde, et servir Dieu. Mais pourquoi le monde est-il si opposé à Dieu? Parce que le Christ béni nous invite et nous enseigne à le servir dans la pauvreté volontaire. Si l’homme possède les richesses actuellement, il ne doit pas les posséder mentalement, c’est-à-dire par le désir, mais il doit se dépouiller de tout attachement [1629] aux choses de la terre. Le monde aime l’orgueil, et Dieu l’humilité; et cette vertu lui plaît tant, que nous voyons Dieu s’humilier jusqu’à nous, et son Fils courir pour nous dans l’humilité et la patience jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Il nous invite et nous engage à être patients avec l’espérance et la foi vive; patients à souffrir tout ce que Dieu envoie, et à pardonner, pour son amour, à tous ceux qui nous offensent. Le monde veut tout le contraire: il veut se venger et rester dans la haine et la colère envers le prochain. L’espérance et la foi doivent être mises en Dieu, qui seul est immuable, et non pas dans les créatures; il faut se confier et être fidèle à Jésus crucifié, et ne pas espérer dans la sensualité. La foi vive, alors, enfantera des vertus et de saintes et bonnes œuvres.

4. Dieu aussi aime la justice, et le monde l’injustice. Faisons donc, faisons une sainte justice de nous-mêmes. Quand nos sens veulent se révolter contre leur Créateur, levons-nous avec l’amour du cœur et la lumière de la conscience, et dénonçons-les au maître, c’est-à-dire au libre arbitre, qui enchaînera l’ennemi avec les liens de la haine, et le tuera avec le glaive de l’amour divin. Faisons cela, très chère Sœur, parce qu’en le faisant nous serons des serviteurs fidèles, et en étant serviteurs, nous deviendrons maîtres. Vous avez vu quel honneur et quel profit procure à l’âme ce service; et sans lui nous ne pouvons atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous avons vu aussi dans quel danger, quel abaissement, quelle misère tombe l’âme qui sert le monde, ses joies et ses plaisirs. Nous avons vu aussi pourquoi [1630] Dieu et le monde n’ont pas de rapport ensemble, pourquoi ils sont si éloignés l’un de l’autre. Le Christ aime la vertu et déteste le péché, et il aime et déteste tant, que, pour nous revêtir, il s’est dépouillé de la vie et a expié nos iniquités sur son corps, au milieu des fouets, des peines, des outrages, des injures, et enfin dans la mort honteuse de la Croix. Puisque le péché lui déplaît tant, nous devons le fuir et le haïr jusqu’à la mort; car l’âme n’offense Dieu qu’en aimant ce qu’il déteste, et en détestant ce qu’il aime.

5. Excitons-nous donc à un saint désir, et servons Dieu avec un ardent amour, dépouillant notre cœur de toute vanité et de toute affection déréglée pour un mari, des enfants, des richesses; possédez-les et aimez-les comme des choses qui nous sont prêtées; car toute chose nous est donnée comme prêt et comme usage, et elle ne dure qu’autant qu’il plaît à Dieu, qui nous l’a donnée. Il ne convient pas de posséder comme nous appartenant ce qui ne nous appartient pas. Mais la grâce divine est à nous, et nous devons la conserver comme à nous; elle est si bien à nous, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas; et il est bien ignorant, celui qui se prive lui-même d’un si grand trésor: nous devons bien l’estimer, puisqu’il est si précieux. Et pour que vous puissiez mieux l’avoir, le posséder, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, et baignez-vous dans son précieux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1631].

Table des matières (2)





CCCXLII.- A MADAME JEANNE PAZZI.- De l’amour que Jésus-Christ nous a montré dans Sa passion.- Du moyen d’acquérir la patience.

(Jeanne Pazzi fut une des compagnes de sainte Catherine; elle appartenait à une des plus illustres familles de Florence.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine. la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bien souffrir ce que notre doux Sauveur permet. C’est à cela que la Vérité éternelle reconnaîtra que vous l’aimez; car nous ne pouvons lui donner une autre preuve de notre amour, si ce n’est d’aimer avec charité toute créature raisonnable, et de souffrir avec une vraie et inaltérable patience jusqu’à la mort. ne choisissant jamais le lieu et la manière. mais nous en rapportant à Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Ne serait-ce pas folie à nous, pauvres malades; de demander à notre médecin, le Christ, une médecine selon notre bon plaisir, et non selon sa volonté, puisqu’il voit et connaît ce dont nous avons besoin. Je veux que vous sachiez bien, ma Fille, que tout ce que Dieu donne ,et permet en cette vie, il le fait ou pour notre salut, ou pour notre perfection [1632]. Nous devons alors souffrir humblement et avec patience, et recevoir tout avec respect, en fixant le regard de notre intelligence sur la charité, l’ardent amour avec lequel il donne; et en voyant qu’il donne par amour, non par haine, nous recevrons avec amour. Cette vertu de la patience est si nécessaire, qu’il faut sans cesse la poursuivre pour ne pas perdre le fruit de nos peines; nous devons secouer toute négligence, et aller avec zèle là où elle se trouve.

2. Où se trouve-t-elle? en Jésus crucifié. Sa patience fut si grande, qu’on ne l’entendit jamais se plaindre. Les Juifs criaient: " Crucifiez-le ! " Et lui disait: " Père, pardonnez à ceux qui me crucifient, car ils ne savent ce qu’ils font. " O patience qui nous donnes la vie ! En supportant nos iniquités avec patience, vous les avez crucifiées avec votre corps ! Il a lavé avec son sang la face de notre âme; et dans ce sang répandu avec un si ardent amour et une si parfaite patience, il nous a fait renaître à la grâce. Ce sang a recouvert notre nudité et nous a revêtus de la grâce; la chaleur a détruit la glace et réchauffé la tiédeur de l’homme; il a dissipé les ténèbres et donné la lumière. Dans ce sang, se consume l’amour-propre, c’est-à-dire que l’âme qui se voit ainsi aimée dans ce sang, se décide à quitter le misérable amour d’elle-même et à aimer son Rédempteur, qui a donné sa vie avec tant d’amour, et qui a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix. Il a fait de son sang un breuvage, et de sa chair une nourriture pour tous ceux qui le veulent. Il n’y a pas d’autre moyen de rassasier l’homme: il n’apaise la faim et la soif que dans ce sang [1633].

3. L’homme posséderait le monde entier, qu’il ne pourrait être rassasié, parce que les choses du monde sont moindres que lui. Tout ce qui est moindre ne saurait lui suffire; mais il peut se rassasier dans le Sang, parce que le sang est uni et mêlé à la Divinité, à la nature infinie, Il est plus grand que l’homme, et l’homme peut satisfaire son désir dans le feu de la divine Charité, parce qu’il a été répandu par amour; il nous a été donné en abondance. Huit jours après sa naissance, son corps en répandit un peu dans la Circoncision : ce n’était pas assez pour désaltérer la créature; mais sur la Croix, la lance perça son coté, et Longin lui ouvrit le cœur (Voir Legenda Aurea – Acta Sanctorum, 15 mars). Des flots de vie s’échappèrent, lorsque l’âme fut séparée du corps, et le Sang fut donné à pleines mains, et annoncé avec éclat par la miséricorde. L’Esprit-Saint criait: " Que celui qui veut du Sang accoure. " Et où? à la source même, à Jésus crucifié, en suivant sa doctrine et sa voie. Quelle est sa doctrine? aimer l’honneur de Dieu et le salut des âmes, et acquérir la vérité, en souffrant et en faisant violence à la sensualité.

4. Quelle voie doit tenir celui qui veut arriver à la doctrine pour avoir le Sang? quel vase et quelle lumière faut-il avoir? la lumière de la très sainte Foi. La Foi est la prunelle de l’oeil de l’intelligence; et si l’âme n’avait pas cette glorieuse lumière, elle perdrait la voie, comme le font les hommes du monde, qui ont obscurci l’oeil de leur intelligence avec le nuage de l’amour-propre et de la tendresse pour eux-mêmes, et qui vont par les ténèbres comme des aveugles: [1634] non seulement ils ne profitent pas du Sang, mais ils le méprisent et le foulent aux pieds. Il faut donc avoir la lumière, comme nous l’avons dit, et suivre la voie de la vraie connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard; avec la haine du vice et l’amour de la vertu. C’est là une voie et une demeure où l’âme connaît et apprend la doctrine de Jésus crucifié. Dans cette demeure de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous trouvons le Sang, où est purifiée notre âme. Quel vase faut-il porter? le vase de notre cœur, afin que, mettant comme une éponge, son amour dans le Sang, il attire à lui le Sang et l’ardeur de la charité avec laquelle il a été répandu.

5. Alors l’âme s’enivre, parce qu’elle a eu la lumière; elle est allée par la voie en suivant la doctrine de Jésus crucifié elle est arrivée au lieu, elle a rempli le vase, et elle goûte la nourriture de la patience, le parfum de la vertu et le désir de la souffrance, tellement qu’il lui semble ne pas pouvoir se rassasier de porter la Croix pour Jésus crucifié. Elle fait comme l’homme ivre, plus il boit, plus il voudrait boire: de même plus l’âme souffre, plus elle voudrait souffrir; sa seule consolation sont les peines; les larmes que lui cause le souvenir du Sang deviennent son breuvage, et les gémissements sa nourriture. C’est donc la voie et la manière de pouvoir arriver à la grâce et acquérir la royale patience. C’est ce qui me faisait, dire que je désirais vous voir souffrir tout ce que la Bonté divine vous envoie avec une vraie et sainte patience. Ainsi, très chère Fille, ne dormons plus du sommeil de la négligence, mais entrons dans la plaie ouverte du côté de Jésus crucifié, où nous [1635] trouverons ce sang, avec une vive et profonde douleur de l’outrage fait à Dieu. Il n’y a vraiment pas d’autre lieu pour reposer sa tête, si ce n’est le Sang et la tête couronnée d’épines de Jésus crucifié. Lancez donc là les flèches d’un ardent désir, d’une humble et continuelle prière pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXLIII.- A MADAME CONSTANCE, femme de Nicolas Soderini, de Florence.- Du mépris du monde, et du désir de la mort qu’ont les saints, et de la manière de s’y préparer, en mourant de la volonté propre.

(Voir les lettres LII, LIII, LIV, et la vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1.Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir votre cœur dépouillé de l’amour misérable du monde, si bien que toute chose l’ennuie et lui déplaise tant, que vous disiez avec le doux apôtre saint Paul: " Je désire être délivré de mon corps pour être avec le Christ (Phil 1,23). " Saint Paul savait [1636] que la vie du corps était un grand obstacle entre Dieu et lui, de deux manières La première, parce que le corps se révolte toujours contre l’esprit, et en se révoltant contre l’esprit, il se révolte contre son Créateur. La seconde, parce que la vie du corps l’empêche de voir et de jouir de la vision de Dieu jusqu’au moment où l’âme est affranchie de cette chaîne. Aussi saint Paul et les autres serviteurs de Dieu désirent la mort et supportent seulement la vie avec patience. Mais songez qu’il faut mourir deux fois avant d’arriver à la vie. Il faut d’abord que l’homme meure à toute volonté propre, coupable et sensuelle, car cette volonté sensuelle conduit celui qui ne la tue pas, à la mort éternelle. Il faut donc que l’homme se lève et la frappe avec le glaive de la haine et de l’amour, c’est-à-dire avec la haine du péché et l’amour de la vertu, Et de cette manière, l’âme attendra la seconde mort, c’est-à-dire la mort corporelle, comme un sommeil qui est la fin de toute peine, qui dissipe les ténèbres, et fait arriver l’âme à la lumière de la vision de son Dieu.

2. Mais pensez, ma Fille, que si l’homme n’a pas vécu en tuant sa volonté, comme nous l’avons dit, sa mort corporelle ne sera pas si glorieuse, elle sera même bien pénible. Je veux donc que vous suiviez les vraies et solides vertus, fuyant le monde et ses délices, et vous rapprochant toujours de Dieu. Vous recevrez la joie parfaite et une paix inaltérable, vous perdrez toute crainte servile; vous concevrez une foi vive avec laquelle vous regarderez la divine miséricorde; et dans cette foi, vous trouverez que Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification [1637]. C’est pour que nous soyons sanctifiés en lui qu’il nous a donné le Verbe, son Fils unique, et qu’il a voulu qu’il mourût de la mort honteuse de la Croix. Il y a là tant de miséricorde, que la langue et le cœur de l’homme sont incapables de le dire et de l’imaginer; et dans cette miséricorde disparaissent toute crainte et toute peine. Quelquefois l’âme qui s’aime encore elle-même souffre beaucoup de la crainte de la mort, et c’est une illusion du démon. Le démon lui dit: Tu vois bien que tu mourras sans avoir fait aucun bien: et sais-tu où tu iras? tes œuvres ne méritent autre chose que l’enfer. D’un autre côté, il lui inspire de la tendresse pour elle-même en lui disant: Ne sais-tu pas que ton corps, qui jouit des biens et des délices du monde, sera bientôt mort, et plus laid que celui d’un autre animal ? La malice du démon met ainsi ces pensées dans le cœur pour jeter l’âme dans le trouble et le désespoir, en lui faisant voir ses défauts et ses péchés, et en lui cachant la miséricorde divine.

3. Il faut donc que l’âme combattre cette malice du démon, et réponde intérieurement, en regardant son Créateur, à ces pensées qui le troublent : Je confesse que je suis mortelle, et c’est là une grande grâce; car par la mort j’arriverai à ma fin, à Dieu, qui est ma vie. Je confesse aussi que ma vie avec les œuvres que j’ai faites ne méritent autre chose que l’enfer; mais j’ai foi et espérance dans mon Créateur, dans le sang de l’Agneau immolé pour moi. Il me pardonnera mes péchés, et me donnera sa grâce. Je m’appliquerai à me corriger pendant le temps qui me reste; et si la mort vient avant que je puisse y parvenir, avant que je puisse faire pénitence de mes péchés, je me confie [1638] en Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que je vois qu’il n’y a aucune comparaison entre la miséricorde divine et mes péchés. Si tous les péchés qu’on peut commettre étaient réunis en une créature, ce serait comme une goutte de vinaigre au milieu de la mer, si on les comparaît à la miséricorde divine, pourvu que l’âme veuille la recevoir avec une vraie et sainte disposition, avec le regret de la faute commise. Ce regret lui fait perdre toute faiblesse pour son corps et pour les choses créées. De cette manière, l’âme se ranime; elle augmente l’amour qu’elle a pour sa fin, et perd la crainte servile qui la trouble; elle jouit avec délices de son bien-aimé Jésus crucifié, et elle attend avec joie et calme l’heure de la mort. Non seulement elle l’attend, mais elle désire quitter le monde, et être avec le Christ.

4. Ainsi donc, ma douce Fille, plus de crainte; mais passez dans la joie cet instant de la vie, avec le désir de la vertu, avec la vraie patience, supportant toutes les peines temporelles et spirituelles que Dieu vous accordera par la maladie ou par quelque autre moyen. C’est qu’il veut pouvoir vous récompenser quand vous sortirez des tempêtes de cette vie ténébreuse pour aller dans le lieu de repos, dans la vraie cité de Jérusalem, la vision de la paix, où tout bien est récompensé, c’est-à-dire toute patience et toute bonne œuvre que nous accomplissons en cette vie. Oh ! combien serait fou et insensé le marchand auquel on confierait un trésor pour le faire profiter, et qui, par crainte de la peine, l’enfouirait dans la terre ! Ne serait-il pas digne d’être condamné et de perdre la vie? Nous sommes aussi des marchands auxquels est [1639] confié le trésor du temps, avec le libre arbitre, la volonté que Dieu nous a donnée pour le faire profiter pendant toute notre vie; nous pouvons perdre ou gagner selon notre volonté. Nous serions bien insensés si, par crainte de la peine, nous enfouissions le temps qui nous est donné pour gagner la vie éternelle par la pratique de la vertu, et si nous achetions l’enfer par notre vie coupable. Car notre vie est coupable lorsque nous enfouissons notre temps et notre volonté dans la terre, c’est-à-dire lorsque nous désirons, et que nous aimons les choses de la terre avec un amour déréglé, en dehors de Dieu. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir votre cœur dépouillé de tout amour et de tout attachement pour le monde et de toute crainte servile; je veux que vous soyez toute revêtue de Jésus crucifié, que vous mettiez là votre foi, votre espérance, afin que le démon, avec toutes ses ruses, ne puisse pas vous tromper par une peur déréglée de la mort, mais que vous désiriez au contraire retourner à votre fin. Je ne vous dis pas autre chose. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Bénissez la jeune fille dans le Christ, le doux Jésus. Saluez de ma part Mme Néra et Nicolas. Dites leur de bien estimer le temps, et de l’employer avec un vrai et saint désir pendant qu’ils l’ont. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1640].

Table des matières (2)





CCCXLIV.- A MADAME RABES, femme de François Tholomei.- Les vertus, et surtout la charité, s’acquièrent par l’union avec Jésus crucifié. — Des différents degrés de cette union.

(Le bienheureux Raymond fait l’éloge de cette dame, en racontant la conversion de ses deux filles et de son fils Jacques. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 7)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ. je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir morte à la sensualité: autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Oui, je voudrais vous voir vous appliquer avec un ardent désir à quitter les choses fragiles du monde, car il n’est pas convenable que nous, qui sommes faits pour goûter le bonheur du ciel en nous nourrissant de la nourriture des vertus, nous goûtions la terre, et nous nous nourrissions de l’amour sensitif, d’où procèdent tous les vices. Il faut nous lever et monter les hauteurs de la vertu en fixant le regard de notre intelligence sur le bois de la Croix, où nous trouverons l’Agneau et l’arbre de vie, qui de son corps, nous a fait des degrés.

2. Le premier degré où il nous enseigne à monter sont les pieds, c’est-à-dire l’affection. Comme les pieds[1641] portent le corps, l’affection porte l’âme. En montant ce degré, c’est-à-dire ses pieds percés et cloués sur la Croix, vous trouverez l’affection dépouillée de tout amour déréglé. En arrivant au second, c’est-à-dire au côté ouvert de Jésus crucifié, vous verrez le secret de son cœur, avec quel amour ineffable il nous a fait un bain de son sang. Au premier degré, on se dépouille de toute affection; et au second, on goûte l’amour qu’on trouve dans le cœur ouvert de Jésus-Christ. Par le troisième degré, on arrive à la bouche du Fils de Dieu; on s’y nourrit dans la paix, parce que l’âme qui a revêtu l’amour de Jésus crucifié, et qui s’est dépouillée de l’amour sensitif qui lui faisait la guerre, a trouvé la patience. et toute amertume lui parait douce (Dialogue, ch LXXV, LXXVI). Elle se réjouit même des persécutions et des tribulations du monde, de quelque côté que Dieu les lui envoie, parce qu’elle a trouvé la paix de la bouche. Celui qui donne la paix s’unit à celui à qui il la donne: ainsi l’âme revêtue de vertus par l’amour goûte Dieu par la bouche du saint désir dans le désir de Dieu; et dans ce désir de Dieu, elle s’unit à lui avec paix et quiétude. Vous voyez que Jésus crucifié nous a fait une échelle de son corps, afin que nous atteignions les hauteurs du ciel, de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût et la faim sans peine, car, comme dit saint Augustin, le dégoût de la satiété et le tourment de la faim y sont inconnus; les bienheureux sont rassasiés de ce dont ils ont faim et désir dans l’éternelle vision de Dieu. Elle est bien ignorante et [1642] bien malheureuse l’âme qui, par sa faute, perd un si grand bien, et se rend digne d’un si grand mal. Courage donc, très chère Fille, et ne comptez pas sur le temps que vous n’avez pas ; mais quittez par la force de l’amour, la perversité de votre amour sensitif, qui vous ôte la lumière de la raison, et vous fait aimer le monde et vos enfants outre mesure: autrement vous ne pourrez pas atteindre la fin pour laquelle vous avez été créée.

3. Je vous ai dit que je désirais vous voir vivre morte à la volonté propre et à l’amour de vous-même, parce qu’il me semble que vous êtes encore bien vivante, et j’ai vu par la lettre que vous m’avez écrite que l’amour aveugle vous faisait sortir de l’ordre que Dieu veut. Vous me dites que Françoise est très mal (Françoise était une des filles de Mme Rabès; elle était entrée dans le Tiers Ordre. Matthieu, son fils, avait revêtu l’habit de Saint-Dominique, et la règle défendait qu’il sortit sans être accompagné d’un autre religieux.), et que vous voulez que Frère Matthieu vienne sur-le-champ, malgré tout obstacle, et que, s’il ne vient pas, vous lui donnerez votre malédiction; s’il ne peut faire autrement, il doit prendre un paysan pour l’accompagner. Je vous dis que vous ne pouvez excuser votre folle impatience. Jugeons, non pas seulement d’après la religion, mais d’après le simple bon sens que la nature donne; si vous l’aviez eu, vous n’auriez pas agi de la sorte. S’il fallait, pour contenter votre désir ou celui de votre fille, que frère Matthieu vint, vous deviez demander deux Frères: l’un serait venu avec lui, l’autre serait resté, car vous savez bien que ni l’un ni l’autre ne peut venir ou rester seul; [1643] mais la passion vous égarait, et vous aviez les oreilles pleines de murmures. Tout cela vient de ce que vous n’avez pas levé les yeux de la terre, ni monté le premier degré dont nous avons parlé. Si vous l’aviez monté, vous désireriez uniquement voir votre fils chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Avec ce désir, vous et les autres, vous auriez bouché vos oreilles, et retenu votre langue pour ne pas entendre les paroles qui ont été dites, et pour ne pas les dire. Qu’il n’en soit plus ainsi. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et quittez la société des morts pour celle des vivants, des vraies et solides vertus. Je ne vous en dis pas davantage. Encouragez Françoise, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXLV.- A MADAME LOUISE DE GRANELLO.- De l’amour de Dieu, et de l’amour de nous-mêmes. — De l’utilité des épreuves.

(Cette dame était de la famille des Tholomei, de Sienne)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et [1644] parfaite charité; car sans la charité, aucun acte de vertu n’aurait en lui la vie. Toute vertu vit par la charité; c’est cette mère qui enfante les vertus, non pas mortes, mais pleines de la vie de la grâce. Cette douce charité possède la lumière de la très sainte Foi; et à cause de l’amour qu’elle a pour son Créateur, elle croit fermement que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu’il donne et permet est pour sa sanctification. Cette connaissance et cette lumière qu’elle reçoit de l’ardeur de la charité la rend patiente; elle ne se scandalise et ne se trouble de rien de ce qui lui arrive, elle le reçoit au contraire avec respect. O très chère Fille et Sœur dans le Christ, le doux Jésus ! il me semble que la Bonté divine permet bien des fatigues, des ennuis, des tentations du démon pour votre bien, non pas pour que vous soyez vaincue, mais pour que vous soyez victorieuse. Ces peines et ces combats vous rendent bien nécessaire cet amour éclairé par la lumière de la très sainte Foi. Si vous l’avez, l’amertume vous deviendra d’une douceur extrême, et les fardeaux pesants vous paraîtront légers, parce que vous connaîtrez à la lumière que Dieu vous donne tout pour votre bien, et vous ne pourrez pas vous plaindre de votre bien. Mais vous me direz: Puisqu’il est si doux et si nécessaire d’avoir cette charité, comment l’avoir, et où la trouver? Je vous répondrai en deux mots, que l’amour ne peut venir que de l’amour, et que, sans la lumière, on ne peut le trouver. Car en marchant sans la lumière, nous marcherons où il n’est pas, et nous marcherons ainsi dans les ténèbres.

2. Il faut donc éloigner de nous ce qui nous prive [1645] de la lumière, c’est-à-dire l’amour-propre, qui est un nuage qui nous empêche de voir et de connaître la vérité de ce que nous devons aimer. Ce nuage fait aimer dans les ténèbres, aimer hors de Dieu, non d’un amour raisonnable, mais d’un amour sensuel. Il faut donc dissiper ce nuage en nous détachant par la haine et le mépris, de cette loi mauvaise, qui combat toujours contre l’esprit avec l’amour coupable et déréglé; et lorsque l’oeil de l’intelligence est éclairé par la lumière de la Foi, il se fixe sur l’amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du Verbe incarné, son Fils unique. Ce doux et tendre Verbe, l’Agneau sans tache, nous l’a montré avec son sang, et l’âme s’enivre de ce sang qu’elle voit répandu avec tant d’amour. Par ce sang, elle connaît la Vie éternelle, Dieu, qui pour accomplir sa vérité dans nos âmes, et nous donner la fin pour laquelle nous avons été créés, permet que nos ennemis, le monde, le démon et notre chair nous tourmentent, uniquement pour que notre cœur ne mette pas sa fin dans le monde et la sensualité, mais pour qu’il s’éloigne des épines cruelles du monde, qui nous déchirent, et de ses plaisirs éphémères, qui passent comme le vent. Oh ! combien est insensé celui qui met là son désir et son affection ! Il ne faut jamais le faire; la créature raisonnable doit prendre les choses du monde pour ce qu’elles valent, et pas davantage. Elle doit les aimer et les conserver pour Dieu, et non pas sans Dieu, elle doit s’en servir comme de choses prêtées, qui ne lui appartiennent pas, en s’attachant aux vertus qu’on trouve dans la charité, cette charité que fait naître dans l’âme la lumière; [1646] car par cette lumière, l’âme connaît qu’elle est aimée de Dieu. Vous voyez donc que de l’amour par la lumière, vient l’amour.

3. Mais où le trouverons-nous? dans la sainte connaissance de nous-mêmes, en nous voyant aimés avant que nous fussions, parce que l’amour que Dieu a eu pour nous l’a forcé à nous créer à son image et ressemblance. Nous trouvons en nous le sang qui a manifesté l’amour que Dieu nous porte; et dans ce sang, nous recevons notre rédemption, car après avoir perdu l’être de la grâce, nous avons été régénérés à la grâce. Nous sommes le vase qui a reçu ce sang, puisqu’il a été uniquement répandu pour nous. Ne quittons donc jamais la demeure de la connaissance de nous-mêmes; et dans cette lumière, par l’ardeur de la charité qui nous vient de la lumière, nous souffrirons avec une vraie et solide patience, ne méprisant, ne fuyant jamais les peines, de quelque manière qu’elles viennent; mais les acceptant avec amour, parce que nous voyons que c’est par amour que Dieu les donne et non par haine, non pour nuire à notre salut, mais pour nous le rendre facile. Je veux donc, très chère et très douce Fille, que vous vous appliquiez avec un grand zèle à acquérir cet amour à la lumière de la Foi. Demeurez dans les sentiments de la charité : autrement vos vertus ne seraient pas vivantes, mais mortes, et nous goûterions, en cette vie, les arrhes de l’enfer.

4. Comme je sais qu’il n’y a pas d’autres moyens, je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Elle vous fera supporter toutes vos peines; et Dieu, qui ne méprise pas les [1647] saints désirs et les peines que vous souffrirez pour la gloire et la louange de son nom, éloignera la peine, et nous conduira au but, au terme désiré, si nous triomphons nous-mêmes de la volonté propre en l’unissant à la douce volonté de Dieu. Je ne veux pas que vous tombiez dans le trouble et le désespoir à cause des illusions et des tentations que le démon veut vous donner, en mettant dans votre esprit de laides images et des pensées déshonnêtes; mais embrassez la très sainte Croix avec une foi vive et une ferme espérance, où vous verrez que Dieu les permet par amour, et qu’il ne vous donne pas plus que vous ne pouvez porter. Je veux que vous sachiez bien qu’aucune tentation, aucune pensée, quelque laide qu’elle soit, n’est un péché, pourvu que nous n’y consentions pas volontairement en nous y complaisant. Conservons donc notre volonté en méprisant ces pensées, et fortifions-la dans l’éternelle et douce volonté de Dieu, avec le souvenir du sang de Jésus crucifié.

5. Bannissez toute peine de votre esprit, et laissez-moi porter devant Dieu le poids de vos ennuis, pourvu que de votre côté, vous ne résistiez pas à Dieu, qui vous appelle par ces épreuves. Pratiquez la vertu, et recourez souvent à la sainte Confession ; aimez à entendre la parole de Dieu et la sainte messe, quand vous le pouvez, au moins les jours prescrits par l’Eglise, Souffrez généreusement, espérant que si Dieu est pour vous, le démon et les créatures ne pourront rien contre vous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je rends [1648] grâce à la Bonté divine, et je vous remercie de l’aumône que vous avez faite, et qu’il semble que vous voulez faire aux serviteurs de Dieu, les religieux, qui, en priant, nous obtiennent des biens infinis pour quelques biens finis. Faites toujours votre devoir, autant que vous le pourrez. Vous devez être la providence des pauvres, de ceux qui n’ont rien, car les pauvres sont les mains qui, avec la charité de l’aumône, ouvrent les portes du ciel. Soyez donc pleine de zèle pour votre salut. Doux Jésus, Jésus amour.

Fait à Sienne, le 27 du mois d’août 1378.

Table des matières (2)





CCCXLVI.- A MADAME STRICCA, femme de Cionne Salimbeni.- De la vertu de patience.- La tribulation et la prospérité nous viennent de Dieu pour notre bien.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante fidèle de notre Créateur, affermie dans la vraie et sainte patience. Pensez qu’autrement vous ne pourrez pas plaire à Dieu. Nous sommes des pèlerins et des voyageurs en cette vie, et nous courons sans cesse vers la mort. Il faut avoir la lumière de la très sainte Foi, parce que sans elle, les ténèbres nous empêcheraient d’atteindre [1649] notre fin; mais il faut une foi vivante, c’est-à-dire de saintes et bonnes œuvres, parce que les saints disent que la Foi sans les œuvres est morte. Croyons donc que Dieu est Dieu, qu’il nous a créés à son image et ressemblance, qu’il nous a donné le Verbe, son Fils unique, né du sein de la douce Vierge Marie, et mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous délivrer de la mort, et nous donner la vie de la grâce que nous avions perdue par la désobéissance d’Adam. Nous avons tous, par l’obéissance du Verbe, contracté la grâce, comme nous avons tous contracté la mort par le premier péché. Aussitôt que l’âme a si doucement acquis la lumière de la Foi, elle voit que Dieu nous aime d’un amour ineffable, et que, pour nous donner l’espérance de notre résurrection au dernier jour du jugement, il nous a manifesté sa résurrection.

2. L’âme se passionne pour cette lumière et ce doux amour que Dieu lui porte, et elle commence à voir de la même manière, que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que tout ce qu’il donne ou permet dans cette vie, il le fait pour cette fin. Les tribulations et les consolations, les injures, les mépris, les affronts, les persécutions du monde, les tentations du démon, la faim, la soif, les infirmités, la pauvreté, la prospérité, les délices, il permet tout pour notre bien. Il permet la richesse pour que nous soyons les bienfaiteurs des pauvres; il permet les délices et les honneurs, non pas pour que nous levions la tête avec orgueil, mais pour que nous nous humiliions au contraire davantage, en reconnaissant saintement la divine Bonté. La pauvreté et les tribulations [1650], de quelque côté qu’elles viennent, il nous les donne pour que nous parvenions à la vraie et parfaite patience, pour que nous connaissions le peu de fermeté et de sûreté du monde, et que nous en éloignions notre affection et nos désirs pour les mettre uniquement en Dieu, et pratiquer les vraies et solides vertus. Nous recevrons ainsi le fruit de toutes nos peines; car toutes les peines que nous supporterons pour son amour seront récompensées et nous mériteront le ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Saint Augustin dit qu’on n’y connaît pas le dégoût de la satiété et la peine de la faim, et que dans l’autre vie, tout bien est récompensé comme toute faute punie (S. Aug., Médit., ch. XXII).
 
 

3. Celui qui a cette foi vive enfante les vraies et saintes vertus; il est vraiment patient à supporter toute peine et toute fatigue pour Dieu et pour la rémission de ses péchés; il les reçoit même avec respect, parce qu’il considère celui qui les donne, pourquoi il donne et à qui il donne. Quel est celui qui donne? C’est Dieu, l’éternelle et souveraine Bonté, qui donne non par haine, mais par un véritable amour. Il dit à ses disciples : " Je vous envoie pour être persécutés et martyrisés dans le monde, non par haine, mais par amour. Cet amour, que mon Père a eu pour moi, je l’ai pour vous. Il m’aimait d’un tendre amour, et il ne m’a pas moins envoyé souffrir la peine honteuse de la très sainte Croix. " Et pourquoi donne-t-il? Je l’ai dit, par amour pour notre sanctification [1651], afin que nous soyons sanctifiés en lui. Et qui sommes-nous, nous qui avons reçu les peines? Nous sommes ceux qui ne sommes pas; par notre faute, nous avons mérité mille enfers, si nous pouvions les souffrir; et, puisque nous avons offensé un bien infini, nous avons encouru une peine infinie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, nous punit dans le temps fini et nous donne une peine finie; car la tribulation ne dure pas plus que cette vie, et toute peine est petite, puisque le temps est si court.

4. Le temps, pour nous, disent les saints, n’est qu’une pointe d’aiguille. La vie de l’homme n’est rien, tant elle est peu de chose. Toute peine est petite; celle qui est passée, nous ne l’avons plus, et celle qui doit venir, nous ne sommes pas sûrs de l’avoir, puisque nous ne sommes pas sûrs d’avoir le temps de la souffrir. Le présent n’est donc qu’un point, et pas davantage. Ainsi, ma très douce Fille, secouons notre sommeil et ne dormons plus; mais suivons avec une foi vive, les traces de Jésus crucifié, avec une vraie et sainte patience. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne voua dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1652].

Table des matières (2)





CCCXLVII.- A MADAME FRANCESCHINA, à Lucques.- Elle l’exhorte à être la servante et la fille de Jésus-Christ, à aimer sa croix, et à croître toujours dans la charité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante et fille du doux et bon Jésus, toute baignée et toute revêtue du sang du Fils de Dieu, afin que vous soyez dépouillée de tout vêtement d’amour-propre, de toute négligence et de toute Ignorance. Je veux que vous imitiez la douce et tendre Madeleine, qui ne pouvait se détacher de l’arbre de la très sainte Croix, mais qui s’enivrait toujours, se couvrait du sang du Fils de Dieu, et s’en remplissait tellement la mémoire, le cœur et l’intelligence, que jamais il ne lui fut possible d’aimer autre chose que Jésus-Christ. Je veux que vous agissiez ainsi jusqu’au dernier moment de votre vie, croissant de vertu en vertu, et employant toujours vos journées comme le bon pèlerin, qu’aucune fatigue ne fait regarder en arrière. Ne vous arrêtez pas dans la négligence, mais prenez le bâton de la très sainte Croix, qui fait naître et soutient toutes les vertus; regardez l’Agneau immolé avec tant d’amour pour [1653] nous, que vous devez l’aimer aussi, et détruire par l’ardeur de cet amour toute froideur, toute dureté de cœur, et tout amour-propre qui se trouve dans votre âme.

2. Oh ! comment pourra faire l’épouse pour ne pas suivre les traces de son Epoux, c’est-à-dire souffrir avec amour et marcher dans la voie des peines, quelle que soit la manière dont Dieu vous les envoie? Levez-vous donc avec une sainte patience et une véritable humilité, pour suivre le doux Agneau, avec un cœur généreux et plein d’amour; sacrifiez-vous pour lui comme il s’est sacrifié pour nous, lorsque, pour nous donner la vie de la grâce, il a perdu la vie de son corps. Pour nous prouver son amour, il a ouvert son côté, et après sa mort, il nous a encore baignés de son sang. Voulez-vous être sans crainte? cachez-vous dans la blessure de ce côté, et ne vous éloignez jamais de son cœur. Si vous y entrez une fois, vous y trouverez tant de joie, de douceur, que vous ne voudrez jamais le quitter; car c’est un trésor de parfum et de miséricorde, et cette miséricorde donne la grâce et conduit à la vie éternelle, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peines, et la joie entière, parfaite et sans mélange. C’est là que sont apaisés tous les besoins et les désirs de la créature.

3. O ineffable et infinie Charité ! qui vous a forcée à nous donner un pareil trésor? C’est votre amour sans bornes qui vous a fait créer votre créature sans y être obligé; car nous vous devons tout, et vous ne nous devez rien, Mais, bien-aimés Soeur dans le Christ, le doux Jésus, songez que l’âme ne peut parvenir [1655] à ce bonheur de voir Dieu, si elle ne s’efforce d’abord dans cette vie à le goûter par un sincère et ardent amour. Cet amour renferme et fait naître toutes les vertus. La vertu ne manque jamais à l’âme qui est blessée par la flèche de la divine charité; et cette charité s’acquiert à la table de la très sainte Croix, où l’Agneau sans tache est la table, la nourriture et le serviteur. Comment l’âme pourrait-elle ne pas aimer son doux Sauveur, en se voyant tant aimée de lui? L’habitude de l’amour est de rendre amour pour amour, et de transformer celui qui aime en celui qui est aimé. Aussi l’âme, l’épouse du Christ, qui se voit aimée de lui, montre qu’elle veut le payer de retour; elle veut souffrir les peines et les opprobres pour l’amour de lui, et elle se transforme et devient une même chose avec lui par l’amour et le désir. Elle aime ce que Dieu aime, elle déteste ce que Dieu déteste, parce qu’elle voit que le doux Jésus a mis tout son bonheur à porter la croix de bien des peines pour l’honneur de son Père et notre salut, pour se nourrir et se désaltérer des âmes. Il faut le faire aussi, afin de lui devenir semblables. Courons donc, et ne dormons plus dans le lit de la négligence; mais courons vers le bien véritable. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1655].

Table des matières (2)





CCCXLVIII.-A MADAME MELLINA, femme de Barthélemi Balbani, à Lucques.- De l’amour parfait que nous devons avoir pour Dieu, et de celui que nous devons avoir pour toutes les créatures.

(La tradition veut qu’en 1375, pendant son séjour à Lucques, sainte Catherine ait reçu l’hospitalité de la famille Balbani, une des plus puissantes de la ville.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris et je t’encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir unie et transformée dans l’ardeur de la divine charité, tellement qu’aucune créature, qu’aucune chose ne puisse jamais t’en séparer. Tu sais, ma chère et bien-aimée Fille, que, pour unir deux choses, il faut qu’il n’y ait entre elles aucun obstacle qui empêche leur parfaite union. Pense aussi que Dieu ne veut entre lui et toi, aucun amour de toi-même ou de quelque créature, car Dieu nous aime sans partage, généreusement, gratuitement, sans obligation, sans avoir été d’abord aimé, L’homme ne peut aimer de cet amour, car il est toujours tenu d’aimer par devoir, puisqu’il est toujours l’objet des bienfaits et de la bonté de Dieu. Nous devons donc l’aimer d’un amour reconnaissant, et cet amour doit être sincère, généreux, en n’aimant rien [1656] en dehors de Dieu, ni créature ni chose créée, spirituellement ou temporellement. Et si tu me dis : Comment puis-je avoir cet amour? je te répondrai, ma Fille, que nous ne pouvons l’avoir qu’en le puisant à la source de la Vérité suprême. A cette source tu trouveras la dignité, la beauté de ton âme; tu verras le Verbe, l’Agneau Immolé qui s’est donné à toi pour nourriture et pour rançon, uniquement poussé par le feu de sa charité, et non par les services de l’homme dont il n’avait reçu que des offenses. Je dis donc que l’âme qui regarde à cette source devient altérée et affamée de vertus; elle y boit aussitôt, ne voyant, n’aimant plus ni elle ni autre chose pour elle-même, mais voyant tout dans la fontaine de la bonté de Dieu, aimant pour lui tout ce qu’il aime, et rien sans lui. L’âme, lorsqu’elle a vu l’infinie bonté de Dieu, pourrait-elle s’empêcher de l’aimer? C’est à cela que semble nous Inviter la douce Vérité suprême, nous criant dans le Temple, de toute l’ardeur de son amour: " Qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive. " Tu vois bien, ma Fille, que tous ceux qui ont soif sont invités. Notre-Seigneur ne dit pas, celui qui n’a pas soif, mais, celui qui a soif.

2. Dieu demande que nous portions le vase du libre arbitre avec la soif et la volonté d’aimer. Allons donc à la fontaine de la douce bonté de Dieu, comme nous l’avons dit. Dans cette fontaine nous trouverons la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, où l’homme puise avec son vase, et tire l’eau de la grâce divine, qui seule peut donner la vie éternelle; mais pense que pour suivre cette voie, Il faut nous défaire de tout [1657] fardeau. Aussi je ne veux pas que tu conserves de l’affection pour moi, ou pour quelque créature, si ce n’est en Dieu. Je te dis cela parce que je vois, d’après ce que tu m’écris, que tu as souffert de mon départ; mais je veux que tu suives l’exemple de la Vérité suprême, que l’amour de sa Mère et de ses disciples n’a pas empêchée de courir à la mort honteuse de la Croix. Il a laissé Marie et ses disciples, et il les aimait bien cependant, pour l’honneur de Dieu et le salut des créatures. Les Apôtres se sont aussi séparés, parce qu’ils ne s’arrêtaient pas à eux-mêmes; ils renonçaient à leur propre consolation pour louer et glorifier Dieu, pour se nourrir et se rassasier des âmes. Il faut croire qu’au temps de la tribulation, ils seraient restés bien volontiers avec Marie, qu’ils aimaient tendrement; mais ils se sont tous éloignés, parce qu’ils ne s’aimaient pas, et qu’ils n’aimaient pas le prochain et Dieu pour eux-mêmes. ils aimaient Dieu parce qu’il est digne d’être aimé, parce qu’il est infiniment bon, et ils aimaient en Dieu le prochain et toutes choses.

3. C’est ainsi qu’il faut vous aimer et aimer les autres. Ne songez qu’à l’honneur de Dieu et au service du prochain. Si vous éprouvez quelque tristesse de voir partir ceux que vous aimez, vous ne vous laisserez pas au moins abattre; votre amour doit être véritablement fondé sur l’honneur de Dieu, et s’arrêter plus au salut des âmes qu’à vous-mêmes. Faites en sorte de ne plus vous affliger à mon sujet, car ce serait là un obstacle qui vous empêcherait de vivre avec Jésus crucifié et de lui ressembler. Dieu s’est donné généreusement, et il nous demande la même [1658] chose. C’est pourquoi je t’ai dit que je voulais que toi et mes autres Filles vous soyez unies et transformées en Dieu par l’amour, vous séparant de toute affection qui pourrait s’y opposer, et ne conservant que celle de la divine charité. Cette douce et glorieuse affection ne divise jamais, mais elle unit. Elle fait comme le maître qui bâtit un mur avec beaucoup de pierres: ces pierres s’appellent un mur quand la chaux les a unies; mais s’il n’avait pas pris ce moyen, elles seraient tombées, et se seraient brisées et séparées plus que jamais. Pense aussi que notre âme doit s’unir à toutes les créatures par l’amour et le désir de leur salut, afin qu’elles aient part au sang de l’Agneau; alors le mur est solide: il y a beaucoup de créatures, mais elles ne font plus qu’une. Il semble que saint Paul nous y invite, lorsqu’il dit qu’il y en a beaucoup qui courent vers le prix, mais qu’un seul le gagne (1 Co 9,24): c’est celui qui prend le moyen de la divine charité.

4. Tu peux me dire, comme les disciples à Jésus-Christ leur disant: " Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez. " Ils disaient alors entre eux: " Que veut-il dire par ces mots: Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez?" Tu peux me dire aussi : Pourquoi dire que Dieu ne veut pas de lien, et dire ensuite qu’il doit y en avoir? Je te répondrai que je parle du lien de la divine charité : ce lien n’est pas un lien, car il ne fait qu’un avec la chose qu’il unit, comme il arrive au bois qu’on met dans le feu. Diras-tu alors que le bois est bois? ne fait-il pas [1659] une même chose avec le feu? Mais si tu prenais le lien de l’amour-propre, ce serait un lien qui nous priverait de Dieu et nous conduirait au néant; car le péché n’est que néant; et tous les péchés ne sont fondés que sur l’amour-propre, sur les plaisirs et les jouissances hors de Dieu, tandis que la charité enfante et vivifie toute vertu. L’amour-propre au contraire, engendre tous les vices, donne la mort, et détruit toute vertu dans l’âme. Aussi Je vous ai dit que Dieu ne voulait pas de lien, et que toute affection qui n’est pas fondée sur la véritable charité ne dure pas. Courez donc, mes bien-aimées Filles, et ne dormons plus. J’ai eu compassion de vos peines, et je vous en indique que le remède: c’est d’aimer Dieu sans partage; et si vous voulez m’aimer aussi, moi, pauvre misérable, je veux vous dire où vous me trouverez, afin que vous ne vous éloigniez jamais du véritable amour. Allez à cette douce, à cette adorable Croix (Sainte Catherine fait peut-être allusion au célèbre crucifix appelé le sacro vollo, qu’on dit peint par Nicodème, et qu’on vénère dans la cathédrale de Lucques depuis le VIIIe siècle.) avec la bonne et tendre Madeleine; là vous trouverez l’Agneau, vous me trouverez, et vous pourrez nourrir et satisfaire tous vos désirs.

5. Voilà de quelle manière je veux que vous me cherchiez, moi et toute chose créée. Que ce soit là votre étendard et votre consolation, et ne pensez pas que mon éloignement diminue mon affection et mou zèle pour votre salut; je m’en occupe même plus absente que présente. Ne savez-vous pas que les [1660] saints Apôtres, après le départ du Maître, le connurent et l’aimèrent davantage, parce qu’ils jouissaient de son humanité, et ne cherchaient pas autre chose. Mais lorsqu’Ils furent privés de sa présence, ils purent connaître et comprendre sa bonté; la Vérité suprême leur dit: " Il est bon que je m’en aille; autrement vous ne recevriez pas le Consolateur. " Moi je vous dis de même : Il était bon que je m’éloignasse de vous, afin que vous cherchiez Dieu en vérité et sans partage. Je vous assure que vous y gagnerez, en méditant en vous-mêmes les paroles et la doctrine que vous avez reçues; et vous recevrez ainsi la plénitude de la grâce par la grâce même de Jésus-Christ. Je ne vous écris pas plus longuement parce que je n’ai pas le temps de le faire. J’adresse cette lettre à toi surtout, Mellina, puis à Catherine, à Mme Claire, à Mme Barthélemi, à Mme Lagine et à Mme Colombe. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCXLIX.- A MADAME COLOMBE, à Lucques.- Du bon exemple que nous devons donner.- Comment on perd et on retrouve Notre-Seigneur.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1661] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme un champ fertile qui reçoive la semence de la parole divine, et porte du fruit pour vous et pour les autres. Maintenant, que vous avez vieilli dans le monde et que vous êtes dégagée des liens du siècle, vous devez être un modèle de vertu pour les jeunes, qui sont encore attachées au monde par les. liens du mariage. Hélas ! hélas ! je m’aperçois que nous sommes une terre stérile qui laisse étouffer la semence de la parole divine par les épines et par les ronces des affections déréglées et des désirs du monde; nous suivons la voie de ses jouissances et de ses délices, cherchant plus à plaire aux créatures qu’au Créateur. Et ce n’est pas assez de nous faire si grand tort à nous-mêmes : là où nous devrions donner des exemples de vertu et d’honnêteté, nous donnons des exemples de péché et de vanité. Il semble que, comme le démon, qui n’a pas voulu tomber seul, mais qui a voulu en entraîner beaucoup d’autres, nous voulons perdre aussi les autres avec nous dans les mêmes vanités, les mêmes plaisirs et les mêmes complaisances. Vous devez, puisque votre position ne le demande pas, vous retirer des vaines joies et des fêtes du monde, et vous appliquer à en retirer ceux qui veulent y aller; vous le devez par amour de la vertu et de votre salut: et, au contraire, vous y invitez les jeunes personnes qui voudraient se retirer et ne pas y aller, parce qu’elles voient que c’est offenser Dieu. Je ne m’étonne donc pas si le fruit ne paraît pas, et si la semence est étouffée, comme je l’ai dit.

2. Peut-être vous voudrez vous excuser, en disant: [1662] Il faut plaire à mes parents et à mes amis; sans cela ils se fâcheraient et se scandaliseraient à mon sujet. Ainsi, la crainte et une complaisance coupable nous ôtent la vie, nous donnent souvent la mort; elles nous éloignent de la perfection à laquelle Dieu nous appelait. Dieu n’admet pas cette excuse, car nous ne devons pas plaire aux hommes en ce qui offense Dieu et notre âme; nous devons les aimer et les servir dans les choses seulement qui sont selon Dieu et selon notre état. Hélas ! pauvres misérables que nous sommes, ce ne sont pas les parents, les amis ou quelques créatures qui nous ont rachetés; non, c’est le seul Jésus crucifié, cet Agneau qui s’est immolé avec tant d’amour; il a été percé pour se donner à nous comme un bain, une médecine, une nourriture, un vêtement, un lit où nous pouvons nous reposer. il n’a pas écouté l’amour de lui-même et son bien-être; mais il a choisi les peines, les souffrances, les outrages; il s’est abaissé volontairement pour l’honneur de son Père et notre salut. Il ne convient pas que nous, misérables, nous suivions, une autre voie que celle de la douce Vérité suprême.

3. Vous savez bien que Dieu ne se trouve pas dans les délices et dans les jouissances. Nous voyons que quand notre Sauveur fut perdu dans le Temple en allant à la fête, Marie rie put le retrouver parmi ses amis et ses parents; mais elle le trouva dans le Temple, où il discutait avec les docteurs. Il l’a fait pour nous donner un exemple, car il est la règle, la voie que nous devons suivre. Comprenez pourquoi il s’est perdu pendant la fête, et apprenez, très chère Sœur, que Dieu ne se trouve pas dans les fêtes, les danses [1663], les jeux, les noces, les plaisirs : y aller est un moyen, une occasion de le perdre, en tombant dans les fautes,les péchés et l’amour des jouissances déréglées. Mais lorsque nous avons ainsi perdu Dieu par la grâce, quel est le moyen de le retrouver? Le voici : accompagner Marie pour le chercher avec elle, en nous repentant amèrement de la faute commise envers notre Créateur par complaisance pour la volonté des créatures. Il faut aller au temple, c’est là qu’il se trouve. Que notre cœur se lève donc avec repentir, et qu’il aille au temple de son âme; c’est là qu’on se connaît soi-même, et, en reconnaissant son néant, il connaîtra en lui la bonté de Dieu, qui est Celui qui est. La volonté se lèvera avec zèle pour aimer ce que Dieu aime, pour détester ce qu’il déteste; et alors elle condamnera en elle-même la mémoire, qui a reçu les plaisirs et les jouissances du monde, et qui n’a pas reçu et gardé les grâces, les dons et les grands bienfaits dont Dieu nous a comblés avec tant d’amour. Elle condamnera son intelligence, qui a cherché plus à connaître la volonté des créatures et à écouter les opinions du monde que la volonté de son Créateur, tellement que la volonté, l’amour sensitif, s’est mis à aimer et à désirer les choses sensibles, grossières, qui passent comme le vent. Il ne faut pas faire ainsi; mais il faut s’appliquer à connaître la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, car c’est pour cela qu’il nous a donné la vie. Il vous a séparée du monde parce que vous vous y perdiez par votre amour et vos désirs déréglés. Avez-vous plus d’une âme? Non. Si vous en aviez deux, vous pourriez en donner une[1664] à Dieu et l’autre au monde. Vous n’avez aussi qu’un corps, et c’est bien peu de chose.

4. Donnez aux pauvres de vos biens temporels, soumettez-vous au joug de la sainte et vraie obéissance; tuez, tuez votre volonté, afin que vous ne soyez pas si enchaînée à vos parents; mortifiez votre corps, et ne recherchez pas tant les délicatesses. Méprisez-vous vous-même, ne regardez pas tant à la noblesse et à la richesse, car il n’y a que la vertu qui nous rend nobles, et les richesses de Cette vie sont une bien triste pauvreté, quand nous les possédons avec un amour déréglé en dehors de Dieu. Rappelez-vous ce que disait le glorieux saint Jérôme, qui semble ne pouvoir jamais assez recommander aux veuves de ne pas rechercher les délices, de rie pas aimer les plaisirs, de ne pas orner leur visage, d’éviter de riches et élégants vêtements, et de fuir la société des personnes frivoles et dissolues, mais de se retirer dans leur cellule. Elles doivent faire comme, la tourterelle, qui, lorsque son compagnon est mort, gémit toujours et vit solitaire, sans vouloir d’autre compagnie (Bestiaires du moyen âge, Mélanges d’archéologie, t. III, p.262.). Très chère et très aimée Soeur, ne connaissez plus maintenant que Jésus crucifié; mettez tout votre bonheur à le suivre par la voie des opprobres, de l’humilité, de la douceur; unissez-vous à l’Agneau par les liens de la charité. Mon âme désire que vous, la vraie fille et l’épouse choisie de Jésus-Christ, vous soyez un champ fertile et non stérile, rempli des fruits des véritables vertus. Courez, courez, car le temps est court et le chemin [1665] est long; quand même vous auriez le monde entier, le temps n’en poursuivrait pas moins son cours. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si j’ai trop parlé; c’est l’amour et le zèle que j’ai pris pour votre salut qui m’ont pressée de le faire. Soyez persuadée que je le désire plus que je ne puis le dire. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.

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