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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 350 à 373


CCCL.- A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE, et à deux autres compagnes spirituelles, à Lucques.- De la fidélité à suivre Jésus-Christ dans la voie de la sainte Croix.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles et Sœurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans le sang de son Fils unique, avec le désir de vous voir de vraies filles et des épouses consacrées à l’Epoux éternel, qui a donné pour nous sa vie avec tant d’amour. Faites de même, et suivez généreusement, avec un ardent désir, l’étendard de la très sainte Croix; suivez ses traces dans la voie des peines, des tourments et des tendres désirs. Un fils doit toujours aimer, suivre son père, et une épouse son époux: [1666] s’il est dans la peine, elle partage sa peine; s’il est dans la joie, elle partage sa joie. C’est ce que disait l’apôtre saint Paul de lui-même : " Je me réjouis avec ceux qui se réjouissent, et je pleure avec ceux qui pleurent (Rm 12,15). " Ainsi fait l’âme qui est dans la charité parfaite; et en faisant ainsi elle accomplit en elle la parole de l’apôtre saint Paul; et, comme elle partage la tribulation, c’est-à-dire la Croix du Christ, elle partagera les consolations, c’est-à-dire qu’elle sera dans la gloire avec le Christ. N’est-il pas juste que Dieu lui donne son héritage, puisqu’elle a renoncé à l’héritage et aux soins du monde? Elle a laissé les plaisirs et les consolations de la terre pour suivre la Croix de Jésus crucifié, pour embrasser les peines, les opprobres et les outrages par amour pour lui. C’est à ce feu, mes très chères Filles, que l’âme doit aller enflammer ses désirs, et elle ne doit avoir d’autre jouissance; car toute autre voie est obscure et ténébreuse, elle conduit l’âme à la mort éternelle. Ne soyez donc pas négligentes, mais empressées dans cette douce et droite voie du Christ Jésus. il vous dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par moi va par la lumière, et non par les ténèbres, et il parvient à la véritable vie, qui ne lui sera jamais ôtée." Point d’ignorance et d’amour-propre en vous, car c’est ce qui empêche l’âme de courir, ce qui l’enchaîne dans la voie et la fait regarder toujours en arrière.

2. La véritable épouse, la fille du Christ, a bien soin de ne pas regarder en arrière, mais elle court [1667] toujours en avant avec l’huile de la véritable humilité, avec le feu de l’ardente charité. C’est là sa continuelle étude, et elle le montre en servant fidèlement son très doux Sauveur. Je vous en conjure par l’amour de Jésus crucifié, puisque notre doux et bon Jésus est si aimable et si généreux, n’hésitons plus; rachetons par notre zèle la brièveté de temps, et réparons par un saint repentir le temps souvent perdu avec bien de la négligence, et de cette manière nous regagnerons le temps qui n’est plus. Je ne vous dis pas autre chose. Je prie la Vérité suprême de vous faire croître de vertu en vertu, jusqu’à ce que vous arriviez à ce terme où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine, la joie sans tristesse, ou Je bonheur est sans mélange. Que la paix de Dieu soit toujours dans vos âmes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLI.- A MADAME BARTHELEMI, femme de Salvatico, de Lucques.- C’est de l’amour de Dieu que viennent la patience et le désir de souffrir.- Du renoncement à la volonté, et de la persévérance.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très aimée Sœur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang; avec le désir de vous voir toujours vous reposer [1668] et vous nourrir sur le sein de la charité; car je sais que sans le lait de cette glorieuse mère, personne ne peut avoir la vie. Elle est si douce, si agréable à l’âme qui la goûte, que toute chose amère devient douce, et tout fardeau léger; et je n’en suis pas surprise, car celui qui est dans la charité et l’amour est en Dieu. Saint Jean l’a dit: a Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1Jn 4,16). Dès qu’on a Dieu, on ne peut avoir aucune amertume, car il est le souverain bonheur, la douceur, la joie parfaite. C’est pourquoi les serviteurs de Dieu se réjouissent toujours; ils se réjouissent lorsqu’ils souffrent de la faim, de la soif, de la pauvreté, lorsqu’ils sont affligés, éprouvés, persécutés par les créatures. Toutes les langues se déchaîneraient contre le serviteur de Dieu, qu’il ne s’en inquiéterait pas; il se réjouit de toute chose, parce qu’il possède Dieu, qui est tout son repos, et parce qu’il goûte le lait de la divine charité.

2. Comme un enfant qui attire à lui le lait du sein de sa mère, celui qui aime Dieu l’attire à lui par le moyen de Jésus crucifié. Pour suivre toujours ses traces, il veut suivre la voie des opprobres, des peines et des injures; il ne veut se plaire qu’en Jésus crucifié, et il fuit toute autre gloire que celle de la Croix. Ceux-là disent avec saint Paul : " Je me glorifie dans les tribulations pour l’amour de Jésus-Christ, mon Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde (Gal 6,14) ". Alors [1669] l’âme s’attache au bois de la Croix, et élève le regard du saint désir pour contempler cet amour infini qui a porté notre Sauveur à répandre son sang de toutes les parties de son corps. Je ne m’étonne plus alors si l’âme est patiente. dans les tribulations, puisque par amour, elle a volontairement renoncé aux consolations du monde, et qu’elle s’est passionnée pour les peinés et les persécutions. Elle a vu que c’était le vêtement que le Fils de Dieu avait choisi comme le plus précieux et le plus glorieux qu’il pouvait trouver. C’est cette belle perle dont parle notre doux Sauveur: l’homme qui l’a trouvée doit tout vendre pour l’acheter. Quelle est cette chose qui est à nous, que Dieu nous a donnée, et que le démon et les créatures ne peuvent nous enlever? La volonté.

3. À qui vendrons-nous le trésor de notre volonté? à Jésus crucifié: c’est-à-dire que nous renoncerons généreusement et avec patience à notre volonté propre, qui, une fois qu’elle est en Dieu, est un trésor; et avec ce trésor nous achèterons la perle précieuse des tribulations, et nous mériterons par la vertu de patience, la récompense dont nous jouirons au festin de la vie éternelle. C’est à cette nourriture, à cette table, à ce lait que je vous invite. ma très douce Fille,. et je vous conjure de faire tous vos efforts pour y parvenir. Sortez du sommeil de la négligence, parce que je ne veux pas que vous soyez trouvée à dormir, quand la Vérité suprême vous appellera. O doux et tendre appel, qui nous délivre du fardeau de notre corps, de cet obstacle qui se révolte toujours contre son Créateur par ses désirs et ses mouvements déréglés, et qui se fait notre dieu par son amour coupable ! [1670] Notre aveuglement est si grand, que nous ne regardons plus notre néant, et que dans notre orgueil nous croyons passer par la porte étroite avec le fardeau de cet attachement au monde, qui est la mort de notre âme.

4. Je veux donc que nous nous déchargions du poids de la vanité du monde et de l’amour de nous-mêmes. Savez-vous pourquoi il est dit que la porte par laquelle nous devons passer est étroite? Parce que nous devons étouffer notre amour et nos désirs pour les jouissances et les consolations du monde, et nous transformer tout entiers dans cette maternelle charité. Je dis aussi que nous devons baisser la tête, parce que la porte est basse, et qu’en la relevant, nous nous la briserions. Baissons donc la tête avec une sainte et véritable humilité, en voyant que Dieu s’est humilié jusqu’à nous. Vous devez vous regarder, et je veux que vous vous regardiez comme la plus vile des créatures, et que rien ne vous fasse détourner la tête, ni les illusions du démon, ni les paroles que vous entendrez dire par votre mari, ou par quelqu’autre personne.

5. Persévérez courageusement dans votre sainte entreprise. Vous savez que le Christ a dit de ne pas regarder derrière soi, quand on a mis la main à la charrue, car la persévérance seule est couronnée. A l’exemple de la tendre Madeleine, embrassez avec amour la sainte Croix, et vous y trouverez les douces et royales vertus, parce que nous y trouvons l’Homme-Dieu. Pensez que l’ardeur. de la charité a fait une telle violence à son corps adorable, que le sang a coulé de tous ses membres, et avec tant [1671] d’amour et de patience, qu’on n’entendit pas cet Agneau proférer une seule plainte. Il est toujours humble, méprisé, abreuvé d’opprobres. Que votre cœur et votre âme se consument d’amour sur le sein de la charité par le moyen de la chair de Jésus crucifié; autrement vous ne pourrez en goûter et posséder la vertu, car il est la voie, et il est la vérité, et celui qui la suit ne peut être trompé. Oui, quand même le monde entier serait contre vous, il faut avoir un cœur fort et généreux, ne pas détourner la tête, mais parer tous les coups, le bouclier à ta main.

6. Vous savez qu’un bouclier a trois parties; il faut aussi avoir en vous trois vertus. D’abord la haine et le regret de la faute que vous avez commise envers votre Créateur, surtout autrefois, lorsque voua étiez un démon, puisque vous suiviez ses traces. Il faut ensuite avoir l’amour, en contemplant la bonté de Dieu, qui vous a aimée non par devoir, mais par grâce et à cause de son ineffable amour. Il n’a pas séparé votre âme de votre corps au moment où vous étiez révoltée contre lui; mais le doux Jésus vous a tirée des mains du démon, et vous a fait rentrer en grâce. Et aussitôt que vous aurez parfaitement cet amour et cette haine, vous verrez naître la troisième vertu, c’est-à-dire une patience qui vous empêchera de vous plaindre des paroles et des injures qui vous fieront dites, des peines qui vous seront faites; et non seulement vous n’éprouverez pas d’impatience, mais vous les supporterez avec joie, vous les recevrez avec respect, vous regardant indigne d’une pareille grâce.

7. Avec le bouclier de la haine, de l’amour et de la vraie patience, aucune attaque du démon ou des créatures ne pourra vous nuire, parce que ces vertus sont trois colonnes puissantes qui protègent et soutiennent la faiblesse de l’âme. La douce Madeleine a si bien pris le moyen, qu’elle s’oublie elle-même pour se revêtir généreusement de Jésus crucifié; elle ne retourne pas à ses richesses, à ses grandeurs, à ses vanités; elle a perdu tout amour du monde, et elle n’a plus d’autre soin et d’autre pensée que de suivre Jésus-Christ. Aussitôt qu’elle a mis son affection en lui, et qu’elle s’est connue elle-même, elle embrasse et prend la vote de l’abaissement; elle se méprise elle-même, parce qu’elle ne voit pas d’autre moyen de le suivre et de lui plaire. Elle se regarde comme la plus vile créature qui soit au monde. Dans le transport de son amour, elle ne fait pas attention si elle est seule ou accompagnée; si elle avait réfléchi, elle ne serait pas restée au milieu des soldats de Pilate; mais elle va seule, elle reste au sépulcre. L’amour l’empêche de se dire: Ne pensera-t-on pas, ne dira-t-on pas du mal de moi, car je suis belle et d’un haut rang. Non, elle n’y songe pas, elle cherche seulement à trouver et à suivre son Maître. C’est cette compagne que je vous donne et que je veux que vous suiviez; car elle sait si bien la voie, qu’elle peut nous l’apprendre. Courez, ma Fille, courez, mes Filles; ne dormez plus, car le temps fuit et n’attend pas. Je ne veux pas en dire davantage. Encouragez Mme Colombe; je m’adresse à elle comme à vous, et aussi à Mme Jeanne d’Azzolino. Mille bénédictions à Mme Melina, à Catherine, à Mme Lagma et à toutes [1673] mes autres Filles dans le Christ Jésus. Qu’elles ne s’étonnent pas et ne s’affligent pas si je ne leur ai point écrit. Je les unis toutes ensemble, et je fais ainsi parce que les plantes nouvelles ont plus besoin de soins que les autres. Toutes vous saluent dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLII. — A PETRONILLE, fille de Masello Pepe, de Naples.- Elle l’exhorte à se dépouiller de toute affection mondaine, et à se revêtir de Jésus-Christ. — Des vierges sages et des vierges folles.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir le cœur dépouillé de l’amour du monde et de toi-même; tu ne pourras autrement te revêtir de Jésus crucifié, car le monde et Dieu n’ont aucun rapport ensemble. Le monde aime l’orgueil, et Dieu l’humilité; il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et le Christ béni les a méprisés; il a embrassé les outrages, les mépris, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et enfin la mort honteuse de la Croix. Par cette mort, il a rendu gloire à son Père, et nous avons été rétablis dans la grâce. Le [1674] monde cherche à plaire aux créatures, sans craindre de déplaire au Créateur, et le Christ n’a pas cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, et le monde poursuit sans cesse les richesses. Il y a donc entre eux une grande différence; et il est nécessaire que le cœur vide de Dieu suit plein du monde, et que le cœur vide du monde soit plein de Dieu. Notre Sauveur a dit:   " Personne ne peut servir deux maîtres; il en servira un, et méprisera l’autre. " Nous devons donc avoir un grand soin de fuir la tyrannie du monde pour donner à Dieu notre cœur libre de tout obstacle et de tout faux amour, parce qu’il est Dieu, dont le regard, toujours fixé sur nous, voit les secrets de notre cœur.

2. Quelle serait notre folie, notre aveuglement, si, sachant que Dieu nous voit, et que sa justice punit tout mal et récompense tout bien, nous n’avions aucune crainte de lui, si nous comptions sur le temps que nous n’avons pas et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir. Nous différons pourtant toujours. Si Dieu coupe une branche, nous nous attachons à une autre, et nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne nous inquiétons de perdre Dieu. Cela vient de l’amour déréglé que nous leur portons, Et en les ayant, en les possédant ainsi en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons en cette vie, les arrhes de l’enfer. Dieu a permis que celui qui aime ainsi soit insupportable à lui-même et ne jouisse d’aucun repos dans son âme et dans son corps, car il souffre de ce qu’il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver il se fatigue [1675] nuit et jour; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et se désespère de ne pas réussir. Ainsi l’âme n’est jamais tranquille au milieu de toutes les choses du monde, parce qu’elles lui sont toutes inférieures. Elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles ; nous sommes faits pour Dieu, pour que nous goûtions son éternelle et souveraine félicité. Dieu seul peut satisfaire l’âme.

3. C’est en lui qu’elle s’apaise et se repose, car tout ce qu’elle peut désirer et vouloir, elle le trouve en Dieu; elle y trouve aussi la sagesse, qui sait, et la volonté, qui veut donner; et nous en avons la preuve: car Dieu, non seulement nous accorde ce que nous lui demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions; il n’a pas attendu notre prière pour nous créer à son image et ressemblance, et pour nous faire renaître à la grène dans le sang de son Fils. L’âme trouve sa paix en lui, et non pas dans un autre, car Il est la souveraine Richesse, la souveraine Sagesse, la souveraine Bonté, la souveraine Beauté; c’est un bien inestimable ; personne ne peut apprécier se bonté, sa grandeur, sa félicité; lui seul se comprend et s’estime. Il peut, il sait, il veut satisfaire et combler tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je ne veux donc pins que nous dormions, très chère Fille; secouons notre sommeil, car le temps nous approche continuellement de la mort. Les choses passagères du monde et les créatures, il faut nous en servir en les aimant et en les gardant comme des choses prêtées qui ne sont pas à tua. Tu le feras en t’en détachant, mais pas autrement [1676]. Il faut s’en détacher, sI nous voulons participer au sang de Jésus crucifié. Je sais qu’il n’y a pas d’autre voie, et je t’ai dit que je désirais voir ton coeur détaché de l’amour du monde.

4. Débarrasse-toi donc de ces liens, ma chère Fille, afin que tu puisses être la vraie servante de Jésus crucifié, et que tu suives sa très douce volonté. Cette volonté t’invite aux noces de la vie éternelle, parce qu’elle ne veut autre chose que ta satisfaction; mais remarque, très chère Fille, qu’il faut être comme les vierges prudentes, et non pas comme les vierges folles, qui attendirent au dernier moment pour garnir leur lampe, et qui, à cause de leur négligence, trouvèrent la porte fermée; tandis que les vierges prudentes, parce qu’elles attendaient la venue de l’Epoux et qu’elles l’aimaient, se pourvurent avant son arrivée. Et toi, tu dois être l’épouse fidèle, tu dois porter la lampe de ton cour; cette lampe doit être étroite par le bas, et large par le haut: étroite pour le monde, et large pour Dieu; et dedans tu dois mettre l’huile de la véritable humilité, le feu de la plus ardente charité avec la lumière de la très sainte Foi; et de cette manière, tu trouveras la porte ouverte, la porte du ciel, qui est fermée aux vierges folles qui attendent le moment de la mort, lorsqu’elles n’ont plus le temps. La porte ouverte, tu trouveras l’éternel l’Epoux, qui te recevra en lui-même; tu partageras sa beauté, sa bonté, sa sagesse, sa clémence, son éternelle et souveraine richesse, qui ne tarit jamais. Il est la nourriture qui rassasie l’âme, et en la rassasiant, Il lui donne faim; mais cette faim est sans peine, ce rassasiement sans dégoût [1677].

5. Réjouis-toi, ma Fille, d’habiter cette douce patrie; et ce bonheur, tu l’acquerras avec la lumière, le feu et l’huile de l’humilité dont je t’ai parlé, avec l’humble et fervente prière. Applique-toi aux veilles de la nuit, fuis les conversations, renferme-toi dans ta cellule, retranche les paroles oiseuses et les vains souvenirs du monde, dont la corruption empoisonne l’âme; mortifie ton corps par le jeûne et par la pénitence. Evite de te vêtir et de te coucher délicatement, pour que ton cœur ne s’abandonne pas à la vanité, et que la chair ne se révolte pas contre l’esprit; triomphe de toi-même par une sainte haine et une ferme résolution d’être véritablement à Dieu. Fais que. la raison combatte sans relâche la sensualité, le démon et le monde, qui, je le sais, te préparent de grands combats. Mais ne crains rien, et ne te laisse pas abattre par l’épreuve; combats généreusement, en te rappelant que tu peux tout par Jésus crucifié; et dans les tentations qui viendront, n’abandonne jamais tes pieux exercices, et ne te laisse pas troubler, car aucune tentation n’est une faute si la volonté n’y consent pas. Conserve ta volonté pure, en l’unissant à la douce volonté de Dieu, et tu te réjouiras d’être sur la Croix avec ton Epoux. Ne te plais qu’en la Croix de Jésus crucifié, en le suivant par la voie des peines, des opprobres, des mépris et des outrages.

6. Remplis ta mémoire du souvenir du précieux sang, et dans ce sang toute chose amère deviendra douce, tout fardeau deviendra léger, et il n’y aura pas de peines et de grandes tribulations que tu ne puisses porter. Il me semble que tu as besoin de ce souvenir [1678], car tu es entrée dans le champ de bataille de la tribulation par la mort de ton frère; mais cette mort doit te réjouir plutôt que t’affliger, car il a fourni sa course, et il a été la vie de ton âme. Tu ne dois donc pas te plaindre de son bien et du tien, mais au contraire rendre gloire et louange au nom de Dieu. Laisse les morts ensevelir les morts, et suis Jésus crucifié. Je n’ajoute rien ici. Quant au désir que tu as d’être tout à fait religieuse, je me réjouis de l’apprendre, et je serai heureuse si tu sais et si tu veux fouler aux pieds le monde, sous le joug de la sainte obéissance. J’ai répondu à Néri sur les moyens qu’il me semble que tu dois prendre (Néri Landoccio, disciple de sainte Catherine, fut envoyé par elle à Naples. auprès de la reine Jeanne. (Voir la lettre CCLXXII.); il t’en informera. Prends bien en toi-même la résolution d’être la vraie servante de Jésus crucifié. Je ne te dis rien de plus. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recours souvent à la sainte confession, et fréquente quelquefois les servantes de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1679].

Table des matières (2)





CCCLIII.- A TROIS DAMES NAPOLITAINES, ses filles spirituelles.- Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Eglise.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermies dans la parfaite charité, afin que vous soyez les vraies nourrices et gouvernantes de vos âmes, parce que jamais nous ne pourrons nourrir notre prochain, si nous ne nourrissons notre âme de vraies et solides vertus; si elle ne s’attache d’abord au sein de la divine charité, où elle trouve un lait d’une céleste douceur. Mes très chères Sœurs, il vous faut faire comme fait l’enfant qui veut du lait : il prend le sein avec sa main, y met ses lèvres, et attire le lait au moyen de la chair. Il faut faire de même, si nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et nous y puiserons le lait qui nourrit l’âme avec toutes les vertus qui en naissent, au moyen de sa chair, c’est-à-dire de son humanité; car c’est l’humanité qui a souffert, et non la divinité. Nous ne pourrons pas prendre ce lait maternel de la charité sans souffrir. Il y a bien des manières de souffrir. Souvent nous souffrons [1680] beaucoup des combats du démon, ou des persécutions des créatures qui nous maltraitent et nous injurient. Ce sont là des peines, mais non pour l’âme qui se nourrit sur ce doux et glorieux sein, où elle puise l’amour, et voit en Jésus crucifié l’amour ineffable que Dieu nous a montré au moyen de ce doux et tendre Fils; et dans cet amour, elle trouve la haine du péché et de la loi mauvaise, qui combat toujours contre l’esprit.

2. Mais ce qui surpasse toutes les peines que souffre l’âme arrivée à cet amour et à cette haine, ce sont les cruels et ardents désirs qu’elle a pour le salut du monde entier. La charité la rend malade avec ceux qui sont malades, et bien portante avec ceux qui sont en santé; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent c’est-à-dire qu’elle gémit avec ceux qui gémissent dans le péché mortel, et qu’elle est heureuse avec ceux qui sont en état de grâce. Alors elle a pris la chair de Jésus crucifié, et elle porte la Croix avec lui. Ce n’est pas une peine afflictive qui dessèche l’âme, mais une peine qui l’engraisse, parce qu’elle se plaît et s’applique à suivre sa doctrine et ses traces, et elle goûte le lait de la douceur divine. Et comment l’a-t-elle pris ? avec la bouche du saint désir. Et si elle pouvait avoir ce lait sans peine, et acquérir toutes les vertus qui reçoivent la vie de ce lait d’une ardente charité, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux y parvenir en souffrant pour l’amour de Jésus crucifié, parce qu’il lui semble que, sous un chef couronné d’épines, il ne doit pas y avoir de membre délicat, et qu’il faut porter avec lui des épines, ne les choisissant pas à son [1681] gré, mais les recevant de son Chef. En agissant ainsi, ce n’est pas elle qui souffre, c’est son Chef, Jésus crucifié, qui souffre pour elle. Oh ! combien est douce la charité, cette douce mère ! Elle ne cherche pas son intérêt, elle ne le cherche pas pour elle, mais pour Dieu, et ce qu’elle aime, ce qu’elle désire, elle l’aime et le désire en lui et pour lui; et hors de lui elle ne veut rien avoir. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle emploie son temps à faire la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est soumise à la vie religieuse, elle devient un ange de la terre; elle ne souhaite, elle n’aime rien du siècle et des richesses temporelles, et elle ne veut rien posséder elle-même, parce qu’elle voit que ce serait contre le vœu de pauvreté volontaire. Dans quelque position que l’âme se trouve, elle est comme une veuve; elle a toujours en elle la charité, et en se nourrissant sur le sein de Jésus crucifié, elîs goûte le lait délicieux avec un ardent désir et une parfaite lumière, parce qu’elle a quitté les ténèbres du coupable et misérable amour-propre.

3. Voici le temps, très chères Sœurs, de se perdre soi-même, de ne plus se chercher pour soi, mais pour Dieu, d’aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour lui-même, parce qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté, parce qu’il est digne d’être aimé, servi et désiré par nous. Il faut connaître en lui la vérité pour l’annoncer, la fortifier dans les cœurs des créatures raisonnables, et sans crainte servile. Voici le moment où il faut que vous et les autres serviteurs de Dieu vous vous prépariez à souffrir: pour la vérité. Cet amour, que vous avez trouvé sur le sein de Jésus [1682] crucifié, il faut le manifester à l’égard du prochain, en vous offrant devant Dieu avec amour et compassion, par des larmes, des veilles, par d’humbles et continuelles prières. Nous devons consumer notre vie dans les gémissements et la douleur, jusqu’à ce que nous voyions se dissiper les épaisses ténèbres où sont plongés ceux qui devraient donner la lumière dans le corps mystique de la sainte Eglise. Sacrifions donc notre vie, que nos yeux versent des torrents de larmes, et que nos désirs poussent des cris sur ces morts, afin qu’ils s’éloignent de la mort et qu’ils arrivent à la vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLIV.- A MADAME JEANNE DE CORRADO .- Elle l’exhorte à se dépouiller de l’amour sensible des créatures.

(Jeanne de Corrado était la mère d’Etienne Maconi, le disciple et le secrétaire de sainte Catherine. Elle était de la famille de Bandinelli, d’où sortit le pape Alexandre III, et un grand nombre de cardinaux et d’hommes illustres.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1683], avec le désir de vous voir habiter la cellule de la connaissance de vous-même, afin que vous puissiez arriver à l’amour parfait; car je sais que celui qui n’aime pas son Créateur ne peut lui plaire, parce qu’il est amour, et qu’il ne veut autre chose que l’amour. L’âme trouve cet amour dans la connaissance d’elle-même; elle voit qu’elle n’est pas, et qu’elle reçoit l’existence par grâce, et non par obligation, ainsi que les bienfaits que Dieu y ajoute dans son ineffable amour. Elle voit alors que la bonté de Dieu à son égard est si grande, qu’aucune parole ne peut l’exprimer. En se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher d’aimer; elle aime Dieu et la raison; elle hait la sensualité, qui veut trop s’attacher au monde, et qui aime plus les honneurs, les richesses et les créatures qui lui plaisent, que le Créateur. Ceux qui mettent ainsi leur bonheur dans les jouissances du monde aiment leurs enfants, un mari, une mère, un père d’un amour trop sensible; et cet amour est un obstacle entre l’âme et Dieu, parce qu’il empêche de connaître le vrai et suprême amour.

2. La douce Vérité a dit: " Celui qui n’abandonne pas son père, sa mère, ses soeurs, ses frères et lui-même, n’est pas digne de moi (Mt 10,37). " Les vrais serviteurs de Dieu le savent bien, et ils détachent leur coeur et leur âme du monde, de ses pompes, de ses délices, et de toute créature hors de Dieu. Ce n’est pas qu’ils n’aiment les créatures, mais ils les aiment seulement pour Dieu, en tant qu’elles sont des créatures infiniment aimées par leur Créateur; et, comme [1684] ils détestent la partie sensitive qui se révolte en eux contre Dieu, ils la détestent aussi dans le prochain, parce qu’ils voient qu’elle offense la souveraine Bonté. Je veux que vous fassiez de même, très chère Mère dans le Christ Jésus je veux que vous aimiez la bonté de Dieu en vous, et son infinie charité, que vous trouverez dans la cellule de la connaissance de vous-même. Dans cette cellule vous trouverez Dieu; et comme Dieu renferme en lui tout ce qui participe à l’être, vous trouverez en lui la mémoire, qui reçoit et peut conserver le trésor des bienfaits de Dieu. Vous y trouverez l’intelligence, qui nous fait participer à la sagesse du Fils de Dieu, en nous faisant connaître et comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que notre sanctification; et en voyant cela, l’âme ne peut se plaindre et se troubler de ce qui arrive, car elle sait que toute chose vient de la providence de Dieu et de son amour infini.

3. Avec cette connaissance je veux, et je vous en conjure par l’amour de l’Agneau immolé, que vous vous guérissiez du chagrin et de la peine que vous cause le départ d’Etienne. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que ce voyage ne sera pas sans profit pour son âme et pour la vôtre, et parce que, grâce à Dieu, vous le reverrez bientôt. Je dis aussi que dans la connaissance de vous-même, vous trouverez la douce clémence du Saint-Esprit, qui se donne tout entier, et qui n’est autre chose qu’amour; tout ce qu’il fait, il le fait par amour. Vous trouverez cet amour dans votre âme, parce que la volonté n’est autre chose que l’amour; toutes ses affections, tous ses mouvements sont réglés par l’amour; elle aime [1685] et elle hait ce que l’oeil de l’intelligence a vu et compris, Il est donc bien vrai, très chère Mère, que dans la cellule de votre âme vous trouverez Dieu tout entier, qui lui donne tant de douceur, de paix et de consolation, que rien ne peut la troubler, parce qu’elle est remplie de la volonté de Dieu.

4. L’âme devient alors véritablement un jardin plein des fleurs odoriférantes du saint désir. Au centre est planté l’arbre de la très sainte Croix, ou se repose l’Agneau sans tache, qui verse son sang pour baigner et arroser ce doux et glorieux jardin; et il rapporte les fruits mûrs des vraies et solides vertus. Si vous voulez la patience, c’est là que vous la trouverez, si douce, que jamais en n’entendit l’Agneau pousser la moindre plainte. Vous trouverez l’humilité en voyant Dieu humilié jusqu’à l’homme, et le Verbe humilié jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Si c’est la charité que vous cherchez, il est la force de l’amour et de la charité qui l’a tenu attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix ne pouvaient retenir l’Homme-Dieu sans la force de la charité. Je ne m étonne pas que l’âme, qui est devenue un jardin par la connaissance d’elle-même, soit forte contre le monde entier, puisqu’elle s’est unie, elle s’est faite une même chose avec la Force suprême. Elle commence véritablement à goûter ici-bas les arrhes de la vie éternelle; elle est maîtresse du monde, puisqu’elle le méprise. Les démons craignent d’approcher de cette âme, parce qu’elle brûle du feu de la charité. Ainsi, courage, très chère Mère; je ne veux plus que vous dormiez dans la négligence et dans l’amour sensitif; mais réveillez-vous avec un ardent [1686] amour, pour vous baigner dans le sang du Christ, pour vous cacher dans les plaies de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Je suis certaine que, si vous restez dans votre cellule, vous ne trouverez que Jésus crucifié. Dites aussi à Corrado de faire de même. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLV. — A MADAME JEANNE DE CORRADO.- Du vêtement nuptial de la charité, et de l’amour des parents pour leurs enfants.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur et Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement nuptial; car sans ce vêtement, l’âme ne peut plaire à son Créateur, ni prendre part aux noces de la vie éternelle. Je veux donc que vous en soyez revêtue; et afin que vous puissiez vous en mieux revêtir, je veux que vous vous dépouilliez de l’amour sensible que vous pouvez avoir pour vous, pour vos enfants ou pour toute autre créature en dehors de Dieu. Vous ne devez pas vous aimer ainsi, ni aimer autre chose, parce qu’il est impossible que l’homme serve deux maîtres; il servira l’un et méprisera l’autre. Personne [1687] ne peut servir à la fois Dieu et le monde, parce que Dieu et le monde n’ont aucune ressemblance. Le monde cherche l’honneur, la puissance, les richesses, l’élévation des enfants, la noblesse, les plaisirs et les jouissances, qui ont pour principe un coupable orgueil. Mais Dieu demande et veut tout le contraire: il veut la pauvreté volontaire, l’humilité du cœur, le mépris de soi-même, la fuite des plaisirs et de l’estime du monde; il veut que l’homme ne cherche pas son honneur, mais l’honneur de Dieu et le salut du prochain, en s’efforçant de se revêtir d’une ardente charité et des ornements de la vertu et de la vraie et sainte patience.

2. L’homme ne doit se venger d’aucune injure que le prochain lui a faite; mais il doit tout supporter avec patience, et chercher à se venger de lui-même, parce qu’il voit qu’il a offensé la douce Vérité suprême. Ce qu’il aime, il l’aime en Dieu; et hors de Dieu, il n’aime rien.Si vous me dites : Comment dois-je aimer? je vous répondrai que les enfants et toutes les choses de ce monde doivent être aimés pour l’amour de Celui qui les a créés, et non pour l’amour de soi-même ou de ses enfants; qu’il ne faut jamais offenser Dieu pour eux ou pour autre chose. Il ne faut pas aimer les créatures par intérêt et comme des choses qui vous appartiennent, mais comme des choses qui vous sont prêtées; car ce qui nous est donné en cette vie, nous est donné pour notre usage, pour en jouir autant qu’il plaira à la bonté de Dieu de nous les laisser. Vous devez donc user de tout comme l’économe de Jésus crucifié, et assister de vos biens, autant que vous le pourrez, les pauvres qui représentent [1688] la personne de Dieu même. Vous devez avoir soin de vos enfants, c’est-à-dire les nourrir et les élever dans la crainte de Dieu, et préférer les voir mourir que de les voir offenser leur Créateur. Faites, faites le sacrifice de vous-même et de vos enfants à Dieu; et si vous voyez que Dieu les appelle, ne résistez pas à sa douce volonté. S’il les prend d’une main, donnez-les-lui des deux, comme une véritable et bonne mère qui aime leur salut. Ne choisissez pas vous-même leur état; ce serait une preuve que vous les aimez hors de Dieu, et soyez contente de celui auquel Dieu les appelle. Souvent les mères qui aiment leurs enfants selon le monde, disent : Je désire bien que mes enfants soient agréables à Dieu, et puissent le servir aussi bien dans le monde que dans un autre état; mais il arrive aussi bien souvent que ces pauvres mères, en voulant livrer leurs enfants au monde, ne les conservent ni pour Dieu ni pour le monde, et il est juste qu’elles en soient privées spirituellement et corporellement. puisqu’elles poussent ainsi l’orgueil et l’ignorance jusqu’à vouloir donner des lois et des règles à l’Esprit-Saint, qui les appelle. Elles ne les aiment pas en Dieu, mais elles les aiment d’un amour sensible, hors de Dieu; elles aiment plus leurs corps que leurs âmes;

3. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, jamais on ne peut se revêtir de Jésus crucifié avant de s’être dépouillé de cet amour. J’espère de la Bonté suprême qu’il n’en sera jamais ainsi pour vous; mais, comme une véritable et bonne mère, vous vous offrirez, vous et vos enfants, pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu, et vous serez ainsi revêtue du [1689] vêtement nuptial. Mais afin que vous puissiez plus facilement vous en revêtir, je veux que vous détachiez vos désirs et votre affection, du monde et de ce qui lui appartient; je veux que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence pour connaître l’amour que Dieu vous porte, cet amour avec lequel il vous a donné le Verbe, son Fils unique. Et ce Fils vous a donné sa vie avec le même ardent amour; il a immolé son corps, et vous a fait un bain de son sang. Ignorants et misérables que nous sommes ! nous ne connaissons pas, nous n’aimons pas un si grand bienfait, et cela, parce que nos yeux sont fermés; s’ils étaient ouverts pour contempler Jésus crucifié, pourrions-nous méconnaître tant de grâces? Aussi je vous le dis: ouvrez toujours vos yeux, et fixez votre regard sur l’Agneau immolé pour nous, afin de ne jamais tomber dans une pareille ignorance. Oui, ma très douce Fille, ne tardons plus, réparons le temps perdu à force d’amour; et si, dans cette vie, nous nous revêtons de ce vêtement par la grâce, nous nous réjouirons aux noces de la vie éternelle avec votre époux et vos enfants.

4. Prenez doucement courage, soyez patiente, et ne vous troublez pas si j’ai gardé votre Etienne trop longtemps (Sainte Catherine aimait particulièrement Etienne Maconi; elle le garda avec elle prés de six mois, à l’époque de son voyage d’Avignon.); j’ai bien veillé sur lui, car l’affection n’a fait de nous deux qu’une même chose, et vos intérêts sont les miens. Je pense que vous n’avez pas trop souffert; moi, je veux, pour vous et pour lui, jusqu’à la mort, faire tout ce que je pourrai faire [1690]. Vous, sa mère, vous l’avez enfanté une fois; et moi je veux vous enfanter, lui, vous et votre famille, dans les larmes et les angoisses, en offrant sans cesse à Dieu mes prières et le désir de votre salut. Je ne vous dis rien de plus. Saluez Corrado de ma part, et bénissez pour moi toute la famille, surtout ma plante nouvelle, qui vient d’être plantée dans le jardin de la sainte Eglise. Ayez-en bien soin, et nourrissez-la dans la vertu, pour qu’elle répande son parfum parmi les autres fleurs. Que Dieu vous remplisse de se douce grâce. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLVI.- A NANNA, fille de Benincasa, sa jeune nièce, à Florence.- Elle l’exhorte à être l’épouse de Jésus-Christ, à l’exemple des vierges sages de l’Evangile, et elle lui apprend à entretenir la lampe de son coeur.

(Nanna est le diminutif de Giovanna. Cette nièce de sainte Catherine était fille de Benincasa, son frère aîné, qui s’établit à Florence.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la véritable épouse de Jésus [1691] crucifié, en fuyant tout ce qui pourrait t’empêcher d’avoir ce doux et glorieux Epoux. Mais tu ne pourras le foire, si tu n’es pas de ces vierges sages du Christ, qui avaient leurs lampes avec de l’huile et de la lumière. Sais-tu, ma Fille, ce que cela veut dire? La lampe signifie notre cœur, et notre cœur doit être fait comme une lampe. Tu vois bien qu’une lampe est large par le haut et très étroite par le bas: c’est la figure de notre coeur, parce que nous devons toujours l’ouvrir vers les choses supérieures par les saintes pensées, par les peines et les prières continuelles, en nous rappelant toujours les bienfaits de Dieu, surtout le bienfait du Sang qui nous a rachetés.

2. Oui, ma Fille, le Christ béni ne nous a pas rachetés avec de l’or, de l’argent, des perles et des pierres précieuses. Il nous a rachetés avec son précieux sang; et un si grand bienfait, il ne faut jamais l’oublier, niais l’avoir toujours devant les yeux avec une sainte et douce reconnaissance, en voyant que Dieu nous a aimés d’une manière si ineffable, qu’il n’a pas craint de livrer son Fils unique à la mort honteuse de la Croix, pour nous donner la vie de la grâce. J’ai dit que la lampe est étroite par le pied; et notre cœur aussi doit se resserrer vers les choses de la terre: c’est-à-dire qu’il ne doit pas les désirer et les aimer d’une manière déréglée, les souhaiter plus que Dieu ne veut nous les donner, mais toujours le remercier en voyant combien il pourvoit doucement à tout, puisque jamais rien ne nous manque. Notre cœur sera ainsi une lampe; mais songe, ma Fille, qu’elle serait inutile s’il n’y avait pas de l’huile dedans [1692].

3. L’huile nous représente cette douce petite vertu de l’humilité véritable, car il faut que l’épouse du Christ soit humble, douce et patiente; plus elle sera patiente, plus elle sera humble. Mais cette vertu de l’humilité, nous ne pourrons l’avoir qu’en nous connaissant véritablement nous-mêmes, en reconnaissant notre misère, notre fragilité, en reconnaissant que nous ne pouvons seuls, faire aucun bien, et nous délivrer d’aucun combat et d’aucune peine ; car si nous avons quelque maladie dans notre corps ou quelque affliction dans notre esprit, nous ne pouvons nous en débarrasser; si nous le pouvions, nous le ferions sur-le-champ. Il est donc vrai que par nous-mêmes, nous ne sommes rien que honte, misère, corruption, faiblesse et péché; et c’est pour cela que nous devons toujours nous abaisser, nous humilier. Mais il ne serait pas bon de se borner à cette connaissance, parce que l’âme tomberait dans l’ennui, le trouble et du trouble dans le désespoir; le démon ne cherche qu’à nous troubler pour nous faire ensuite tomber dans le désespoir.

4. Il faut donc aussi connaître la bonté de Dieu à notre égard, en voyant qu’il nous a créés à son image et ressemblance, qu’il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique, le doux Verbe incarné, et que cette bonté de Dieu agit sans cesse en nous. Mais vois aussi qu’il ne serait pas bon de se borner à cette connaissance de Dieu, parce que l’âme tomberait dans l’orgueil et la présomption; il faut donc réunir ces deux connaissances, la sainte connaissance de la bonté de Dieu et la connaissance de nous-mêmes. Alors nous serons humbles, patients et [1693] doux; et de cette manière nous aurons de l’huile dans la lampe.

5. Il faut maintenant de la lumière; sans cela le reste ne suffirait pas. Cette lumière doit être la lumière. de la très sainte Foi; mais les saints disent que la foi sans les œuvres est morte ce ne serait pas une foi vive et sainte, mais une, foi morte. Il faut donc nous appliquer sans cesse à la vertu et abandonner nos enfantillages et nos vanités, et ne plus faire comme les jeunes personnes mondaines, mais être comme des épouses fidèles consacrées à Jésus crucifié; de cette manière, nous aurons la lampe, l’huile et la lumière. L’Evangile dit que les vierges sages étaient cinq et je te dis aussi qu’il faut être toujours cinq autrement nous n’entrerions pas aux noces. de la vie éternelle.

6. Ce nombre cinq nous apprend que nous devons vaincre et mortifier les cinq sens de notre corps, pour que nous ne pêchions jamais avec eux, et qu’ils ne prennent jamais aucun plaisir défendu; et de cette manière nous serons cinq, parce que nous aurons assujetti les cinq sens de notre corps. Mais panse que le doux Epoux, le Christ, est si jaloux de ses épouses, que je ne pourrai jamais assez te le dire; s’il voyait que tu aimes autre chose que lui, il se fâcherait sur-le-champ avec toi; et si tu ne te corrigeais pas, la porte serait fermée, et tu ne pourrais entrer où l’Agneau sans tache célèbre les noces avec toute ses épouses fidèles. Mais nous serions chassées comme des adultères, comme les cinq vierges folles, qui se glorifiaient de la virginité de leur âme par la corruption de leurs cinq sens, parce qu’elles n’avaient pas porté [1694] avec elles l’huile de l’humilité. Aussi leurs lampas s’éteignirent, et il leur fut dit: Allez acheter de l’huile. Par cette huile on doit entendre les flatteries et les louanges des hommes.

7. Ceux qui flattent et louent dans le monde vendent cette huile. C’est comme s’il avait été dit aux vierges folles: Avec votre virginité et vos bonnes œuvres vous n’avez pas voulu acheter la vie éternelle, mais vous avez voulu acheter les louanges des hommes, et vous avez tout fait pour cela; allez acheter des louanges, vous n’entrerez pas ici. Ainsi, ma Fille, garde-toi bien des louanges des hommes; ne désire être louée pour aucune de tes actions, car autrement la porte de la vie éternelle ne te serait pas ouverte. Comme je sais que cette voie est la meilleure, je t’ai dit que je désirais te voir la véritable épouse de Jésus crucifié, et je te t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCLVII.- A MADAME BARTHELEMI de Dominique, à Rome.- Du pèlerinage de la vie, et du bâton de la Croix, qu’il faut prendre pour nous soutenir et nous défendre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une bonne voyageuse [1696], vivant comme vit le vrai pèlerin qui voyage en ce monde ; et puisque nous marchons tous vers la mort, je veux que vous fassiez comme le sage pèlerin, qui ne s’arrête ni aux peines ni aux plaisirs qu’il rencontre dans la route, mais qui ne regarde que le terme où il veut arriver. Nous pommes aussi des voyageurs, et nous ne devons être arrêtés ni par les tribulations, ni par les outrages, ni par les injures qui nous seront dites ou faites en cette vie. Ne vous détournez pas du chemin par impatience; mais continuez avec un vraie et sainte patience, comme une personne qui ne doit pas s’arrêter: je dis que nous ne devons pas nous arrêter aux plaisirs et aux consolations par un attachement déréglé, mais nous devons passer outre généreusement, sans nous y complaire. Il faut aussi avoir dans cette route, un bâton à la main pour nous défendre des animaux sauvages et de nos ennemis.

2. Ce sera, ma Mère et ma très chère Fille, le bâton de la très sainte Croix, et avec ce bâton vous trouverez l’Agneau immolé et consumé d’amour, qui nous défend de la sensualité, notre ennemie ; car l’âme, en voyant tant d’amour, mortifie et tue ses désirs déréglés. Je dis qu’il nous défend des animaux, c’est-à-dire des pensées du démon, des trompeuses flatteries du monde et de l’amour déréglé des enfants et des créatures. Oh ! combien est doux ce bois glorieux, où l’âme s’appuie pour courir et arriver à son terme ! Notre terme, notre fin est la vie éternelle. Je veux que vous l’ayez toujours devant les yeux de votre esprit ; et alors vous serez un véritable pèlerin, et vous arriverez an port du salut. Baignez-vous, baignez-vous [1696] dans le sang de Jésus crucifié, allez recueillir le sang de Jésus crucifié dans les pèlerinages, car, par les pèlerinage (Per cotesti perdonni. Par ces pardons, mot encore employé en Bretagne pour exprimer les pèlerinages où sont attachées des indulgences) le chrétien ne fait autre chose que de recueillir le précieux sang. Les indulgences nous sont données par le sang de l’Agneau sans tache. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLVIII. — A MADAME BARTHELEMI d’Andrea Mei, de Sienne.- Du renoncement à la volonté propre, et de l’amour de Dieu dans notre création et dan notre rédemption.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et solide vertu, parce que sans la vertu nous ne pourrons plaire à notre Créateur; Dieu a toujours voulu nous donner la vie de la grâce par son moyen. Vous savez bien que, quand le premier homme, Adam, tomba dans le péché par la désobéissance,ce péché fut suivi de la mort éternelle; et Dieu [1697], voulant le rétablir dans la grâce et lui donner la vie éternelle, le fit par le moyen de son Fils unique, en le chargeant de tuer par l’obéissance notre désobéissance, de nous rendre la vie par sa mort, et de consumer, de détruire notre mort. Il en fut vraiment ainsi dans le tournoi du Calvaire. Le doux et tendre Verbe jouta contre la mort, et par an mort il vainquit la mort. La mort tua la vie, c’est-à-dire que la mort de notre péché tua le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix; mais par sa mort il nous délivra de la mort, et nous rendit la vie parfaite. Ainsi la vie est restée maîtresse; elle a défait le démon infernal, qui tenait l’homme en en puissance; l’homme ne devait avoir d’autre maître que Dieu seul, l’éternel Seigneur.

2. Mais nous revenons à cette première mort, et nous perdons la vie que nous avons par le sang de Jésus crucifié, lorsque l’âme se met à servir la sensualité par ses désirs déréglés pour les honneurs, les richesses, les enfants ou les autres créatures, et par tout autre sentiment qui n’est pas selon Dieu - Quelquefois aussi l’âme devient spirituellement servante et esclave de la volonté propre, sous prétexte d’être plus fervente, et de posséder Dieu davantage; c’est lorsque nous désirons la consolation, la tribulation, la tentation du démon, le temps ou le lieu à notre manière, en disant souvent : Je voudrais avoir cette épreuve autrement, parce qu’elle me fait perdre Dieu. Je la supporterais alors patiemment, tandis que je ne le puis pas de cette manière, Si je n’offensais pas Dieu, je l’accepterais; mais je me plains, parce que je crains d’offenser Dieu. Très chère Mère, si vous [1698] ouvrez l’oeil de l’intelligence, vous verrez que c’est la volonté propre sensitive qui se couvre du manteau de la spiritualité. Car si l’âme était sage, il n’en serait pas ainsi; mais elle croirait avec une foi vive que Dieu ne permet jamais plus qu’elle ne peut en porter, et plus qu’il n’est nécessaire à son salut, car il est notre Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification. Nous faisons souvent de même pour les consolations de l’âme; elle ne les reçoit pas quand elle veut, dans les moments et les lieux qu’elle désire; elle éprouve, au contraire, des combats, des ennuis, des sécheresses; et alors elle tombe dans la peine, l’affliction, le dégoût et le découragement.

3. Souvent le démon lui fait croire que tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait alors, n’est pas agréable à Dieu. Il semble lui dire : Puisque tu ne peux lui plaire, parce que tu es mal disposée, reste tranquille et une autre fois: si tu te sens mieux disposée, tu pourras reprendre la prière. Le démon agit ainsi pour nous faire abandonner l’exercice corporel et spirituel de la sainte prière actuelle, vocale et mentale, parce qu’en ôtant les armes avec lesquelles le serviteur de Dieu se défend des coups du démon, de la chair et du monde, il obtient de nous ce qu’il veut; la cité de l’âme est obligée de se rendre, et il y entre en maître. Il ne peut en être autrement dès qu’elle a perdu les armes et la force de la prière; la prière nous donne les armes de l’humilité véritable et de l’ardente charité, parce que la sainte prière nous fait parfaitement connaître notre néant, notre faiblesse et la bonté, la charité infinie dé Dieu. L’une et l’autre se connaissent mieux dans le temps de l’épreuve et de [1699] la sécheresse, et l’âme devient plus humble et plus vigilante. Si elle est prudente, elle ne cédera pas à la volonté propre dans la consolation, et elle n’écoutera pas le démon; mais elle persévérera généreusement et avec une sainte haine, dans la prière, que Dieu lui envoie des douceurs ou des amertumes. Elle gagne plus dans les peines et les amertumes que Dieu lui accorde que dans les douceurs: car quand elle est dans le besoin, elle court avec zèle et humilité vert son bienfaiteur, sachant bien que par elle-même elle ne peut rien, et qu’il n’y a que Dieu en qui elle espère, qui peut et veut la secourir. Sans ce moyen, nous ne pourrions jamais arriver à la pratique de la vertu, nous n’en aurions que le désir. Pour y arriver, il faut souffrir avec une vraie et solide patience les peines intérieures que nous causent les créatures pal leurs persécutions et leurs scandales.

4. Nous parviendrons ainsi à la vertu, parce que ce sont ces moyens qui nous font enfanter la vertu. La vertu est éprouvée par la peine, comme l’or pas le feu; car si dans la peine, l’âme non seulement ne montre pas sa patience, mais encore faiblit pour cela ou pour autre chose, ce sera une preuve qu’elle ne sert pas son Créateur et qu’elle ne lui obéit pas, en recevant humblement et avec amour ce que le Maître lui donne. Elle ne montre pas non plus sa foi dans l’amour de Notre-Seigneur; car, si elle croyait en être véritablement aimée, rien ne pourrait la scandaliser: elle recevrait aussi bien et avec autant de respect, l’adversité que la prospérité et la consolation, parce qu’elle verrait que tout lui est donné par amour, Mais elle ne le voit pas, et elle montre qu’elle s’est [1700] faite l’esclave de la sensualité et de la volonté propre. Dans toutes les circonstances dont nous avons. parlé, elle se laisse commander et tyranniser par elles. Cette servitude, la servitude du monde et de la volonté propre spirituelle, nous donne la mort. Il faut donc la fuir, puisqu’elle nous empêche d’être les serviteurs fidèles de Dieu, et qu’elle nous pousse à vouloir le servir, non pas selon son bon plaisir, mais selon le nôtre, ce qui est coupable et nous rend des serviteurs mercenaires. Puisqu’il en résulte tant de mal, et que Dieu veut faire toute chose selon ses desseins, je dis que nous devons suivre cette voie et la doctrine qu’il nous a donnée.

5. Nous voyons bien que nous ne nous sommes pas créés nous-mêmes, mais que nous devons l’existence à l’infinie Charité. C’est par pur amour que Dieu nous a créés à son image et ressemblance, pour qui nous partagions son bonheur et que nous jouissions de son éternelle vision; mais nous l’avons perdue par la faute et par l’amour-propre de notre premier père. Alors, pour rendre à l’homme ce qu’il avait perdu, Dieu nous donna son Fils pour médiateur; et ce médiateur, afin de réconcilier Dieu et l’homme, a reçu lui-même le châtiment. La paix ne pouvait se faire autrement, car la guerre était grande; un Dieu in, fini avait été offensé, et l’homme fini, qui l’avait offensé, ne pouvait par aucune peine, aucune souffrance, satisfaire ce Dieu muni. C’est pourquoi l’ardeur de son ineffable charité trouva le moyen de faire la paix, et, pour que la justice fut satisfaite, il s’unit lui-même, il unit la nature divine à notre nature humaine; l’infini de Dieu et le fini de l’homme [1701] s’unirent dans la personne du Christ, qui souffrit sur le bois de la très sainte Croix pour satisfaire son Père et apaiser sa colère contre l’homme. D’un seul coup, sur le bois de la Croix, le doux Verbe a ainsi satisfait la miséricorde, en nous donnant la grâce que nous avions perdue, et il a satisfait la justice, qui demandait une punition de la faute; cette punition, il l’a soufferte dans son corps, dans cette même nature qui avait commis l’offense, car la chair du Christ venait de la chair d’Adam. Mais nous, ingrats que nous sommes, bien souvent nous perdons la grâce par nos péchés, et nous entrons en guerre avec Dieu.

6. Quelquefois cette guerre est mortelle, quelquefois seulement indigne d’un ami. La guerre est mortelle quand l’âme est plongée dans la mort du péché mortel, en faisant son dieu du monde, de la chair et de ses misérables plaisirs. Ceux-là ont véritablement perdu la vie; mais ils peuvent la recouvrer, tant qu’ils sont sur terre, par la confession et par le moyen du sang de Jésus-Christ. Vous le voyez donc bien, sans ce moyen on ne peut vivre en état de grâce et parvenir à la vie éternelle. Ceux qui méprisent l’amour sont ceux qui servent Dieu sans être en péché mortel; ils sont en état de grâce et veulent être de vrais serviteurs de Dieu; mais ils tombent souvent dans une erreur qui vient de la volonté propre spirituelle. Cette volonté, qui s’est rendue maîtresse, les éloigne de la vérité, pas assez cependant pour qu’ils tombent dans le péché mortel, mais ils nuisent à la perfection qu’ils voulaient atteindre, parce qu’ils prétendent choisir le lieu, le temps, la consolation [1702], l’épreuve et la tentation à leur manière. Alors Dieu se refroidit pour l’âme qu’il aimait, parce qu’il ne la voit pas marcher avec la liberté et la générosité qu’elle devrait avoir. Il nous a donné un moyen, et il veut que nous nous en servions, si nous voulons éviter de lui déplaire et détruire l’obstacle qui s’oppose à notre perfection; il veut que nous renoncions à notre volonté propre, afin de ne chercher et de ne vouloir autre chose que Jésus crucifié. Tout le bonheur de l’âme doit être de se reposer dans les opprobres du Christ et d’enfanter les vertus conçues par un saint désir dans la charité du prochain, avec une humilité véritable. En supportant les peines et les fatigues comme Dieu nous les envoie, et la sécheresse de l’âme avec une vraie et sainte patience, nous serons affermis dans la vertu, et nous aurons la force et l’intelligence de l’homme fait, et non de l’enfant, qui ne veut marcher et agir qu’à sa manière. Je ne vois pas que nous puissions avancer par une autre voie, et c’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondée sur la vraie et solide vertu; et, comme je veux que votre âme soit unie à Dieu par l’amour, je vous ai dit que cela ne pouvait être sans le moyen de la vertu, parce que tout doit se faire par le moyen dont nous avons parlé. Je suis persuadée qu’avec le secours de l’infinie bonté de Dieu, vous accomplirez sa volonté et mon désir. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1703].

Table des matières (2)





CCCLIX.- A MADAME MONTAGNA, grande servante de Dieu, dans le comté de Narni, à Capitone.- De la charité parfaite.- De l’amour-propre temporel et spirituel.- De l’union de l’âme avec Dieu qui naît de la charité parfaite.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlée et consumée dans le feu de la divine charité. Celui qui a cette charité ne cherche pas ses intérêts; il ne se cherche pas, et il ne cherche pas le prochain pour lui-même; mais il se cherche et cherche le prochain pour Dieu, et Dieu pour pieu même, parce qu’il est digne d’être aimé, et qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté. Ce feu brûle, il consume et ne consume pas, c’est-à-dire qu’il ne consume pas et ne dessèche pas l’âme, mais il l’engraisse par l’onction de la vraie et parfaite humilité, de l’humilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité il consume tout amour-propre, spirituel et temporel, avec tout ce qui, dans l’être, se trouve opposé à la douce volonté de Dieu.

2. Je dis que ce feu consume l’amour-propre temporel, parce qu’il fait connaître à la lumière que toutes les choses temporelles et passagères sont des [1704] instruments de mort pour l’âme qui les possède avec un amour déréglé; elle commence alors à les haïr et à les chasser de son cœur et de sa pensée; et comme l’âme ne peut vivre sans amour, elle dirige ses affections vers les richesses de la vertu ; et ce feu d’amour, par la force de son ardeur, consume entièrement tout autre amour. Lorsque l’âme s’est ainsi purifiée, elle n’est pas encore parfaite, et tant qu’elle n’est pas arrivée à la perfection, il lui reste un amour-propre spirituel, ou pour la créature ou pour le Créateur, et même l’un n’est pas sans l’autre; car, comme nous aimons Dieu, nous aimons la créature raisonnable. A quoi s’aperçoit-on que cet amour-propre est dans l’âme? Quand elle aime sa propre consolation, et qu’elle néglige le salut du prochain, parce qu’elle voit diminuer alors la paix et le calme de son esprit, ou qu’elle se voit gênée dans les exercices qu’elle voulait faire pour sa consolation. Quelquefois aussi elle aime la créature d’un amour spirituel, et il lui semble que la créature ne répond pas à son amour et qu’elle lui préfère une autre personne; elle souffre beaucoup et s’indigne de cette préférence, et souvent elle jugera intérieurement cette créature, et s’en éloignera sous prétexte d’être humble et de mieux conserver la paix, mais c’est l’amour qu’elle a pour elle-même qui la fait agir. Cette conduite envers la créature montre que l’amour-propre spirituel de l’âme n’est pas encore consumé à l’égard du Créateur.

3. Quand l’âme est tourmentée par les ténèbres, les combats de la privation de ses consolations ordinaires, elle se laisse aller quelquefois au trouble, à l’ennui ; ce trouble et cet ennui lui feront souvent négliger [1705] doux exercice de la prière, ce qui ne devrait pas être, car elle devrait s’y attacher comme à une mère, et ne sen éloigner jamais. Si elle l’abandonne, surtout Si elle abandonne quelqu’autre acte de vertu, c’est une preuve que son amour est mercenaire, c’est-à-dire qu’elle aime sa propre consolation, et que l’attachement aux jouissances spirituelles D’est pas encore déraciné de son cœur. Je dis que le feu de la divine charité consume et détruit l’imperfection. Il rend l’âme parfaite dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain; elle ne craint pas, pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, de perdre sa propre consolation; elle ne refuse pas le travail, mais elle se plaît à s’asseoir à la table des pénibles désirs dans la compagnie de l’humble Agneau sans tache. Elle pleure avec ceux qui pleurent, et se fait malade avec ceux qui sont malades, parce qu’elle prend les fautes d’autrui pour les siennes; elle se réjouit avec ceux qui. se réjouissent, dilatant son cœur dans la charité du prochain, tellement qu’elle est plus heureuse du bonheur, de la paix des autres, que de sa propre consolation. Celui qu’elle aime, elle voudrait le voir aimé partout le monde. Elle ne se scandalise pas de se voir moins aimée que les autres, mais elle est contente de tout par humilité, parce qu’elle se trouve pleine de défauts, et qu’elle trouve les autres remplis de vertus; il lui paraît juste et convenable que ceux qui ont plus de vertus soient aimés davantage.

4. Cette charité unit l’âme à Dieu, en détruisant la volonté propre, et en la revêtant en l’unissant avec l’éternelle Volonté, si bien que rien ne peut la scandaliser et la troubler, excepté les offenses faites à son [1706] Créateur et la perte des âmes. La charité est un feu qui convertit tout en lui, et qui élève l’âme au-dessus d’elle-même. Son union est si grande dans l’extase de la charité divine, que le corps qui la contient perd tout sentiment, si bien qu’il voit sans voir, qu’il entend sans entendre, qu’il parle sans parler, qu’il marche sans marcher, qu’il touche sans toucher. Tous les sens du corps paraissent enchaînés ; il semble qu’ils ont perdu leur vertu, parce que la sensibilité s’est perdue elle-même en s’unissant à Dieu. Dieu, par sa vertu et sa charité, attire tout à lui, et la sensibilité du corps même n’existe plus. L’union de l'âme avec Dieu est plus parfaite que celle de l’âme avec le corps. Dieu attire à lui toutes les puissances de l’âme et toutes ses opérations. La mémoire est remplie du souvenir de ses bienfaits et de son ineffable bonté ; l’intelligence contemple la doctrine que Jésus crucifié nous a donnée par amour, et la volonté se précipite avec ardeur pour l’aimer.

5. Alors toutes les opérations de l’âme sont réglées et réunies en son nom. Elle goûte le lait de la divine douceur; elle s’enivre du sang du Christ, et dans son ivresse elle ne veut se rassasier que d’opprobres; elle embrasse les mépris, les injures, les outrages, le froid, le chaud, la faim, la soif, les persécutions des hommes et les attaques des démons. Elle se glorifie toujours avec le glorieux saint Paul dans le Christ, le doux Jésus. J’ai dit que la charité ne se recherche pas, parce qu’elle ne choisit pas le lieu et le temps selon son bon plaisir, mais selon que le veut la divine Bonté; elle accepte tous les lieux et tous les instants [1707]. La tribulation ne lui pèse pas plus que la consolation, parce qu’elle cherche l’honneur de bleu dans le salut des âmes, avec te désir d’acquérir et d’augmenter les vraies et solides vertus. Elle n’a pas placé la perfection dans les consolations spirituelles, dans les révélations, dans la mortification du corps, mais dans la mort de la volonté, parce qu’elle a vu à la lumière que ce n’est pas en cela que consiste la perfection, mais dans la mort de la volonté spirituelle et temporelle; aussi elle la jette généreusement dans la fournaise de la charité divine; et quand elle y est, il faut bien qu’elle y brille et qu’elle y soit consumée. Tout ce que nous avons dit n’est rien auprès de ce qu’est et de ce que donne la charité, cette douce mère. Voyons maintenant où elle s’acquiert, et comment.

6. Je vous le dirai en peu de mots. On l’acquiert avec la lumière de la très sainte Foi, et cette Foi est la prunelle de l’oeil de l’intelligence. Avec cette lumière, l’âme voit ce qu’elle doit aimer et ce qu’elle doit haïr. En voyant elle connaît, et en connaissant elle aime et elle hait. Elle aime ce qu’elle a connu de la Bonté divine, et elle hait ce qu’elle a vu de sa propre malice; et sa misère lui fait comprendre ce qui est nécessaire à son salut. Quelle en est la cause? la lumière, d’ou vient la connaissance, et de la connaissance vient l’amour. Car ce qu’on ne connaît pas, on ne peut l’aimer. La lumière nous conduit donc à la chaleur; l’une est inséparable de l’autre: il n’y a pas de feu sans lumière, et de lumière sans feu. Ou le trouverons-nous? dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes. C’est en nous que [1708] nous trouvons ce doux et tendre feu, puisque par amour Dieu nous a donné l’être à son image et ressemblance ; par amour nous avons été régénérés à la grâce dans Je sang de Jésus crucifié car c’est l’amour qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Nous sommes les vases qui ont reçu l’abondance du sang, et toutes les grâces spirituelles qui nous ont été données avec l’être, nous les avons revues par amour. Ainsi l’âme trouve et connaît en elle-même ce doux feu. Allons donc avec la lumière dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et nous nous y nourrirons de la divine charité, en nous voyant aimés de bleu d’une manière ineffable. La charité nourrit les vertus sur son sein, et fait vivre l’âme dans la grâce; Sans elle nous serions stériles et privés de la vie.

7. Ces pensées m’ont fait dire que je désirais et que je désire, pour vous comme pour moi, nous voir brûlées et consumées dans la fournaise de la divine charité. Je prie ta clémence du Saint-Esprit de nous en faire la grâce, afin que la Bonté divine soit glorifiée en nous, en consumant notre vie dans la douleur amère des fautes commises contre Dieu, et en lui offrant sans cesse d’humbles et fidèles prières pour la sainte Eglise et pour toute créature raisonnable; Anéantissez-vous dans le sang de l’Agneau. Je ne dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1709].

Table des matières (2)





CCCLX.- A MADAME AGNES TOSCANELLA, servante de Dieu d’une grande pénitence.- Du vrai fondement que nous devons donner à l’édifice de notre âme. — La pénitence n’est qu’un moyen.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir creuser un vrai et solide fondement, de manière qu’il puisse supporter un grand et bel édifice, qu’aucun vent contraire ne puisse renverser. Ne vous étonnez pas si je vous dis que je désire vous voir creuser un véritable fondement. Il semblerait, à m’entendre, que nous commençons maintenant seulement à bâtir la cité de notre âme: il y a tant de temps cependant que nous paraissons vouloir creuser ce fondement, bien que, je le confesse, je ne l’aie jamais fait; mais, ce qui me fait dire de commencer maintenant, c’est que l’âme, tous les jours, doit commencer à y travailler. Puisque nous avons vu qu’il faut creuser ce fondement, voyons où, comment et avec quoi. Le lieu est la vraie connaissance de nous-mêmes, et cette connaissance se creuse dans la vallée de la véritable humilité. De quelle manière? avec la lumière de la très sainte Foi, en ôtant avec les mains de la haine, la terre qui encombre l’âme, c’est-à-dire l’amour déréglé de nous-mêmes [1710], en y mettant les pierres des vraies et solides vertus avec la main de l’amour, avec un ardent et saint désir.

2. Et que mettrons-nous dessus? la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en écoutant l’humble Agneau sans tache, en suivant sa doctrine. Cette doctrine ne nous enseigne qu’à aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. Mais l’âme prudente qui a creusé son fondement dans la sainte connaissance d’elle-même, y a connu la grande bonté de Dieu et l’amour ineffable qu’il nous porte; elle s’attache alors à lui et à tout oe qu’il aime, c’est-à-dire à la créature raisonnable; et elle s’asseoit aussitôt à la table du saint désir pour y prendre la nourriture des âmes, pour tuer en elle la volonté propre, et se revêtir de vertus pour l’honneur de Dieu; cette volonté doit se tuer tout entière, et non pas à moitié.

3. Savez-vous quand elle se tue à moitié? quand l’âme se détache des choses passagères en retranchant l’amour sensitif, et quand elle se met à faire la volonté de Dieu, qui veut que nous nous en dépouillions. Elle reste à moitié morte en mourant à ces choses, mais elle reste à moitié vivante dans les choses spirituelles, recherchant sa propre consolation, choisissant le lieu, le temps et les consolations à sa convenance, et ne les acceptant pas selon le bon plaisir de Dieu. Nous ne devons pas agir ainsi, nous devons servir notre Créateur sincèrement, généreusement, lui laissant discerner les lieux, les temps et les consolations comme il le veut, Il est le médecin, et nous sommes les malades; c’est de lui que nous devons recevoir et [1711] prendre la médecine. Elle est bien folle et bien insensée, l’âme qui veut se conduire elle-même ! Il semble qu’elle croit en savoir plus que Dieu, et elle ne s’en aperçoit pas. Il en est ainsi parce qu’elle s’imagine être plus agréable en faisant ce quelle veut qu’en se soumettant à ce que Dieu permet; et de cette manière elle tombe souvent dans de grandes erreurs.

4. D’où vient que la volonté n’est pas morte en cela? de l’amour qu’elle a pour les consolations, dont elle a fait son fondement. D’autres âmes le placent dans les visions et les révélations; elles y trouvent un grand plaisir quand elles les reçoivent, et elles souffrent beaucoup quand elles en sont privées. Ce fondement n’est pas bon; car souvent nous croyons que cet état vient de Dieu, et il vient du démon; le démon nous prend avec l’amorce qu’il sait être la plus propre à nous séduire. Quelquefois Dieu permettra que nous goûtions beaucoup de consolations spirituelles, non pas pour que nous y attachions notre cœur, mais pour que nous considérions plus l’amour de celui qui donne, que ce qu’il donne. Il nous les refusera dans un autre moment, et nous livrera aux combats, aux ténèbres et à la sécheresse de l’esprit, tellement que l’âme en souffre beaucoup, et croit être privée de Dieu, parce qu’elle est privée de ce qu’elle aime. Dieu le permet pour 1a retirer de l’imperfection et la conduire à la perfection, pour la guérir de l’amour des révélations, et la faire asseoir à la table du sincère désir, qui doit être le principe de toute sa conduite.

5. Il y en a beaucoup aussi qui se trompent au sujet de la pénitence. Souvent la créature met tout son zèle dans la pénitence, et s’applique plus à tuer le [1712] corps que la volonté propre, tandis qu’elle devrait tuer la volonté, et mortifier seulement son corps; mais elle s’attache tellement à la pénitence, qu’il lui semble ne pas pouvoir sans elle posséder Dieu. Ce fondement n’est pas suffisant pour porter un grand édifice: il est dangereux et nuisible à l’âme de s’appuyer uniquement sur la pénitence; mais elle doit prendre pour base la charité et les vertus intérieures de l’âme, qui ne détruisent ni le lieu ni le temps, si nous ne le voulons pas, et qui ne peuvent nous être enlevées par aucune créature. La pénitence doit se prendre comme instrument, et servir à augmenter la vertu en mortifiant le corps, mais elle ne doit pas être l’objet principal de l’âme. Celui qui ferait autrement se tromperait beaucoup lui-même. Il faut reconnaître que la pénitence dépend du temps, parce qu’il n’est pas toujours possible de continuer celle qu’on a commencée. Le corps mortifié et macéré dans un moment, ne peut l’être dans un autre : et l’âme souffre de cette impuissance; elle s’imagine être réprouvée de Dieu, et se remplit de ténèbres, parce qu’elle a perdu la voie ou il lui semblait recevoir la lumière et la consolation; et cela lui arrive parce qu’elle a pris la pénitence pour fondement. Ceux qui agissent ainsi sont exposés à se fatiguer beaucoup pour recueillir peu de fruits; ils sont disposés aux murmures et aux jugements à l’égard de ceux qui ne suivent pas la même voie qu’eux; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils semblent vouloir donner des lois à l’Esprit-Saint, qui nous appelle et nous conduit par des voix différentes, les uns par la pénitence, les autres par d’autres moyens; les uns se [1713] mortifient peu ou beaucoup, selon que le permet la nature; les autres avancent seulement par l’ardeur du désir.

6. Ce sont ceux-là qui gagnent davantage; ils courent dans la lumière et la liberté sans connaître la peine, parce que leur volonté est morte; ils ne jugent pas, mais ils se réjouissent de la diversité des moyens que prennent les serviteurs de Dieu, parce qu’ils voient que, dans la maison du Père céleste, il y a plusieurs logements, et que Dieu a de quoi donner. Ils ne s’affligent pas de la perte des consolations, mais ils s’en réjouissent à cause de la haine qu’ils ont pour eux-mêmes, se jugeant dignes de la peine, et indignes de la récompense qui suit la peine. Ils ne se cherchent pas pour eux, mais pour Dieu; et ils n’aiment pas Dieu pour la douceur qu’ils y trouvent, mais pour sa bonté, parce qu’il est digne de tout notre amour. Ils aiment le prochain parce que Dieu l’a ‘commandé, et qu’ils ont vu à la lumière de la Foi vive, que Dieu l’aime d’une manière ineffable ; et alors ils l’aiment aussi. Dès cette vie, ils goûtent les arrhes de la vie éternelle, parce que leur volonté est morte non pas à moitié, mais entièrement, dans les choses spirituelles et temporelles. O très chère Sœur, ne Croyez pas que je méprise la pénitence corporelle: je la recommande au contraire comme moyen, mais non pas comme but principal. Autrement nous tomberions dans bien des erreurs.

7. Nous devons donc prendre pour fondement la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, et nous devons courir simplement et généreusement à la table de la très sainte Croix, où nous trouverons le feu de [1714] la divine charité, et là prendre avec empressement la nourriture de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, nous rassasiant d’opprobres, de mépris, d’injures et de souffrances jusqu’à la mort. De cette manière nous suivrons la doctrine de Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par lui ne va pas par les ténèbres, mais il arrive à la lumière. Le Christ est vraiment la vérité; celui qui suit sa doctrine reçoit la lumière de la, grâce, qui dissipe les ténèbres de l’amour-propre et de l’ignorance. Il reçoit une lumière surnaturelle, qui lui fait voir et comprendre où il doit creuser ses fondements; il a fait et il a bâti la cité de son âme. Il a vu avec une grande prudence. la cause qui empêche sa perfection, et il l’a éloignée de lui; il a pris et embrassé ce qui pouvait l’aider à se conserver et à grandir dans la perfection. Il dilate son cœur et son amour dans l’ardeur de la charité divine; il ne pense plus à lui, mais il pense seulement au moyen de plaire davantage à Dieu, en cherchant son honneur et le salut des âmes et, comme il voit qu’il ne pourra y réussir tant que sa volonté vivra, il s’applique à tuer et à anéantir entièrement cette volonté, à mortifier son corps, si bien qu’il ne semble occupé qu’à se revêtir de vertus.

8. Lorsque cette âme reçoit des consolations de Dieu ou des créatures pour Dieu, elle s’humilie et les reçoit avec reconnaissance, s’en jugeant indigne. Si elle éprouve des tribulations, des tentations et des ténèbres intérieures, elle les reçoit avec patience et amour, reconnaissant que tout ce que Dieu permet, de quelque source que ce soit, il le permet par amour, pour la faire arriver à la perfection qu’elle désire. Si [1715] elle est arrêtée dans les pénitences qu’elle faisait pour mortifier son corps, ou par obéissance ou par impuissance elle conserve la paix, et ne ressent ni tempête ni amertume. elle n’avait pas mis là son fondement, mais bien dans l’amour de la vertu, et elle n’éprouve alors aucune peine. Le contraire arrive à ceux qui ont pris pour base unique la pénitence, parce que leur volonté est vivante, et non pas morte. Aussi leur chagrin est extrême, lorsque les circonstances ou la faiblesse de leur nature les obligent de cesser les pénitences qu’ils avaient commencées; ils tombent dans impatience à l’égard d’eux-mêmes, et dans le murmure à l’égard de ceux qui les arrêtent; et en voulant parvenir à la perfection ils arrivent à l’imperfection

9. Oui, très chère Fille, prenons pour principe, pour fondement véritable, non pas une chose imparfaite, mais une chose parfaite, c’est-à-dire la vraie connaissance de nous-mêmes avec le désir des vertus qu’on ne peut pas nous enlever nourrissons-nous à la table du vrai et saint désir, et rassasions-nous des opprobres de l’humble Agneau. Nous ne pourrons pas autrement pleurer par d’humbles et continuelles prières sur le Fils mort de l’humanité et sur le corps mystique de la sainte Eglise, que nous voyons maintenant dans de si grandes tribulations. Je ne vois pas de meilleur moyen de travailler en nous et dans les autres que de prendre ce principe, et je vous ai dit que je désirais vous voir établir un vrai et solide fondement, afin de pouvoir y élever ensuite l’édifice des vertus véritables. Je vous conjure de le faire pour l’amour de Jésus crucifié Ne soyez pas indiscrète par défaut de lumière; ne cherchez pas à tuer votre [1716] corps, mais bien votre volonté propre, ne voulant que ce que Dieu veut, selon son bon plaisir, et non selon le nôtre. Je ne vous en dis pas davantage.

10. Quant à ce que vous m’écrivez du voyage au Saint-Sépulcre, il me semble que vous ne devez pas le faire maintenant; je crois que c’est plutôt la douce volonté de Dieu que vous restiez où vous êtes, et que vous gémissiez sans cesse en sa présence, du fond de votre cœur et avec une grande amertume, de le voir tant offensé, surtout par l’hérésie qu’ont fait naître des hommes coupables pour souiller notre foi. Ils disent que le Pape Urbain VI n’est pas le vrai Pape. Il est bien le vrai Souverain Pontife, le Vicaire de Jésus-Christ, je le déclare devant Dieu et devant toutes les créatures. Baignez-vous dans le sang répandu pour nous avec un si ardent amour, et pardonnez-moi si je vous ai parlé avec trop de présomption. Priez Dieu pour le Christ de la terre et pour moi, afin qu’il me fasse la grâce de donner ma vie pour Sa douce vérité... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1717].

Table des matières (2)





CCCLXI.- A MADAME AGNES, femme de François, tailleur, de Florence .- De l’humilité, de la prière, et de l’amour du prochain.

(Sainte Catherine a adressée dix lettres au mari de cette dame. (Voir la lettre CCXCVII)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue de la vraie et parfaite humilité, car c’est cette chère petite vertu qui nous fait grandes en la douce présence de Dieu. C’est elle qui a forcé et incliné Dieu à faire incarner son très doux Fils dans le sein de Marie. Elle est autant glorifiée que les superbes sont humiliés; elle brille en la présence de Dieu et des hommes; elle lie les mains du méchant et unit l’âme à Dieu; elle purifie et lave les souillures de nos fautes, et engage Dieu à nous faire miséricorde.

2. Aussi, ma très douce Fille, je veux que tu t’appliques à embrasser cette glorieuse vertu, afin que tu traverses cette mer orageuse du monde sans tempêtes et sans périls. Appuie-toi sur cette douce et solide vertu, et baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié. Quand tu pourras consacrer du temps à la prière, je te conjure de n’y pas manquer; aime aussi [1718] avec charité toute créature raisonnable. Je te prie ensuite, et je te commande de ne pas jeûner, excepté les jours prescrits par la sainte Eglise, si tu le peux. Lorsque tu sens que tu ne peux pas jeûner, ne jeûne pas; et en autre temps ne jeûne que le samedi, si tu crois le pouvoir. Quand les chaleurs seront passées, tu jeûneras pour les fêtes de la Vierge, si tu le peux, mais pas davantage. Ne te réduis pas à boire tous les jours seulement de l’eau; efforce-toi d’augmenter tes sainte désirs, et ne te tourmente pas maintenant du reste. N’aie point de peine et de tristesse à notre sujet, car nous nous portons toutes bien. Quand il plaira à la divine Bonté nous nous reverrons. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage de ma part mes douces filles Ursule et Ginevra. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à s’attacher à l’arbre de la croix, pour y cueillir le fruit des vertus.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue d’une vraie et solide vertu, parce que sans la vertu, nous ne pouvons plaire à Dieu. Mais cette vertu, tu ne peux la trouver que [1719] dans l’ardeur de la charité, l’ardeur de la charité se trouve dans le doux et tendre Verbe; et ces vertus se nourrissent sur l’arbre de la très sainte Croix. Attache-toi donc à cet arbre comme une vraie fille du Christ, pour y cueillir ces fruits; tu t’y enivreras et te revêtiras des vraies et solides vertus. saigne-toi dans le Sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la plaie de son côté, et fais-toi là une douce demeure par une sainte connaissance de toi-même, par une vraie connaissance de la grandeur de sa bonté. Enflamme-toi d’amour pour son honneur et pour le salut des âmes, en offrant pour elles à Dieu de doux et tendres désirs. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Poux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXIII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à croître dans les saints désirs de la vertu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des Serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir grandir dans un saint désir et une vraie patience, de manière, que tu n’oublies jamais la douce volonté de Dieu, mais que tu saches t’y soumettre toujours avec joie, pendant tout le temps que Dieu te donnera. Aime à t’anéantir dans le sang de Jésus crucifié, à en faire ton repos, ton [1720] unique demeure. Dans ce glorieux sang tu recevras la lumière, car dans ce sang se dissipent les ténèbres. Tu recevras dans ce sang la vie de la grâce, parce que ce sang détruit la mort; et tu goûteras dans ce sang le fruit d’une ardente charité, car il a été répandu par amour. C’est l’amour qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Les clous n’auraient pu suffire, si l’amour ne l’avait pas retenu; mais l’amour l’a retenu. Oui, je veux que tu te revêtes de cet amour, et, pour t’en revêtir, il faut te baigner dans le sang de Jésus crucifié. Je veux que tu le fasses. Applique-toi à la sainte prière, quand et où tu pourras, car la prière est une mère qui nourrit les vertus, ses enfants. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCLXIV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à se baigner dans le sang de Jésus-Christ.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et anéantie dans le sang de Jésus crucifié, afin que tu donnes ton sang par amour du Sang et ta vie par amour de la Vie. O très chère Fille, voilà le temps de mourir d’ardeur pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, le temps [1721] d’offrir des larmes et d’humbles et continuelles prières pour les besoins du monde entier. Je veux donc que, pour mieux faire à Dieu le sacrifice de nous-mêmes, tu te caches dans la plaie du côté de Jésus crucifié, et que tu te baignes dans son très doux sang. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à la persévérance et aux autres vertus.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une servante fidèle de ton Créateur, persévérant toujours dans la vertu, afin que tu reçoives en cette vie, l’abondance de la grâce, et que dans l’autre, nous jouissions de l’éternelle vision de Dieu, unies ensemble dans les doux liens de la charité. Mais, pour mieux croître et te conserver dans l’amour des vertus, je veux que par le saint désir, toi et François, vous vous cachiez dans le côté de Jésus crucifié. Son sang alors remplira le vase de votre cœur, afin que, transportés et enivrés du sang de Jésus-Christ, vous goûtiez les effets de la charité. Alors l’éternel Epoux vous recevra et vous pressera [1722] dans ses bras avec bonté et miséricorde. Je connais, ma Fille, les mouvements de ta charité. Tu me demandes si je veux que tu viennes pour moi je ne te réponds pas, mais je te dis seulement que je remplirai ton désir, et que je consolerai ton âme quand viendra le moment choisi pour toi; et ce sera bientôt, avec la grâce de Dieu. Courage dans le Christ, le doux Jésus. Salue bien de ma part Bartholo et M. Orsa. Bénis tout le reste de la famille, et dis surtout mille choses à François. Je ne te dis rien de plus pour le moment. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXVI.- A MADAME ORSA, femme de Bartholo Usimbardi, et à madame Agnès, femme de François Pépin, tailleur, de Florence.- Elle les exhorte au mépris du monde et à l’amour de Dieu.

(Ces deux familles, qui paraissent avoir été de conditions si différentes, étaient unies par leur attachement à sainte Catherine. (Voir les lettres CCLXXXIX ET CCXC )
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir persévérer dans vos saints [1723] désirs, afin que vous ne tourniez jamais la tête en arrière; car vous ne recevriez pas la récompense, et vous transgresseriez la parole de notre Sauveur, qui nous dit de ne pas tourner la tête pour regarder la charrue. Soyez donc persévérantes, et regardez, non pas ce que vous avez fait, mais ce que vous avez à faire. Et qu’avons-nous à faire? à diriger sans cesse notre amour vers Dieu, à mépriser le monde avec toutes ses délices, et à aimer la vertu, en souffrant avec une vraie patience tout ce que la divine Bonté permet, sachant bien que ce que Dieu nous donne, il le donne pour notre bien, afin que nous soyons sanctifiés en lui. Nous verrons dans le Sang que c’est la vérité. Ce glorieux sang nous a manifesté cette si douce vérité; nous devons en remplir notre mémoire, afin de nous le rappeler toujours avec reconnaissance. Je veux que vous agissiez ainsi, très chères Filles, parce que de cette manière vous persévérerez jusqu’à la mort; et au dernier jour de votre vie, vous recevrez pour récompense l’éternelle vision de Dieu. Je ne vous dis rien de plus.

2. Je te gronderai, ma très douce Fille, d’avoir oublié ce que je t’ai dit. Je t’avais recommandé de ne rien répondre à ceux qui parleraient de moi d’une manière qui ne te semblerait pas avantageuse. Je ne veux plus que tu recommences, mais je vous dirai ce qu’il faut répondre à ceux qui vous parlent de mes défauts. Ils sont, hélas! si considérables, qu’il serait bien difficile de tous les confesser. Dites-leur qu’ils aient compassion de moi devant Dieu, comme ils le témoignent par leurs paroles, et qu’ils prient tant la Bonté divine, qu’enfin je change de vie. Dites-leur [1724] aussi que le souverain Juge punira tous mes défauts, et récompensera toutes les peines qu’on aura supportées pour son amour. A l’égard de Mme Paule, je ne veux pas que tu prennes de l’humeur; mais pense qu’elle fait comme une bonne mère qui veut éprouver si sa fille a de la vertu ou non. Je confesse sincèrement que je ne trouve rien de bien en moi; mais j’espère en mon Créateur, qui me changera et me corrigera. Courage donc, et ne vous tourmentez plus, car nous nous trouverons unies dans l’ardeur de la charité divine, et nous ne serons séparées ni par le démon ni par les créatures. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXVII.- A TROIS DAMES DE FLORENCE.- Des vertus qui s’acquièrent dans la connaissance de soi-même, et de l’amour de Dieu envers nous.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, puisque la Bonté divine vous a retirées de la fange du monde, ne tournez pas la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardez toujours ce qu’il faut faire pour conserver en vous la sainte résolution que vous avez prise. Qu’est-ce qu’il faut voir et faire pour conserver cette volonté? Je vous dirai qu’il faut toujours rester dans la cellule de la connaissance de [1725] vous-mêmes. Vous y connaîtrez que vous n’êtes pas, et que vous tenez de Dieu seul l’existence; vous connaîtrez vos défauts et la brièveté du temps, qui est si précieux pour nous; car avec le temps on peut acquérir la vie éternelle ou la perdre, selon notre bon plaisir; et lorsque le temps est passé nous ne pouvons plus faire aucun bien. Vous devez aussi connaître en vous la grande bonté de Dieu et l’amour ineffable qu’il vous porte. Cet amour, il vous l’a montré par le moyen du Verbe, son Fils unique, et ce doux et tendre Verbe l’a montré par le moyen de son sang. Nous sommes les vases qui ont reçu ce sang, et nous sommes la pierre où a été planté l’étendard de la très sainte Croix. Ni la Croix, ni les clous, ni la terre ne pouvaient retenir, ainsi cloué et attaché, l’humble et tendre Verbe, si l’amour ne l’avait pas retenu. Mais l’amour qu’il avait pour nous l’a retenu et l’a fait rester sur l’arbre de la Croix. Il faut que notre cœur soit uni à lui par l’amour, si nous voulons participer au fruit de son sang. Alors l’âme qui connaît Dieu si doucement, aime ce qu’elle connaît de sa bonté, et déteste ce qu’elle connaît d’elle. même dans la partie sensitive.

2. C’est là qu’elle trouve l’humilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité. Et alors elle avance toujours, et ne retourne jamais en arrière, croissant de vertu en vertu, s’exerçant dans les vertus,, les humbles prières, les saints désirs et les bonnes œuvres, qui sont cette prière continuelle que doit pratiquer toute personne raisonnable. Elle s’exerce aussi aux prières particulières, qui se font aux heures réglées et ordinaires; ces prières, il ne [1726] faut pas les abandonner, à moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, mais jamais pour un autre motif, ni à cause des tentations, ni à cause de la somnolence de l’esprit ou du corps. Il faut secouer le sommeil du corps par les exercices corporels, par des prostrations et par les moyens que nous avons pour chasser le sommeil, quand nous en avons pris ce qui était nécessaire. La somnolence de l’esprit doit être chassée par la haine et le mépris de soi-même, et par une sainte résistance; il faut monter sur le tribunal de la conscience et se reprendre soi-même, en disant: Quoi ! tu dors, mon âme; tu dors, et la Bonté divine veille sur toi ! Le temps passe et ne t’attend pas. Veux-tu être surprise dans le sommeil par le souverain Juge, lorsqu’il te demandera de lui rendre compte de ton temps, comment tu l’as dépensé, et comment tu as été reconnaissante du bienfait de son sang?

3. Alors l’âme se réveille, et si elle ne peut s’appliquer à ce qu’elle voulait, elle travaille du moins à combattre, son amour-propre ; et de cette manière elle avance toujours, elle va de l’imperfection à la perfection à laquelle, il me semble, vous voulez atteindre; l’amour n’est jamais oisif, mais il fait toujours de grandes choses. En agissant ainsi vous vous revêtirez de la vertu de patience, qui est la moelle de la charité, et vous vous réjouirez des peines, afin que vous puissiez devenir semblables à Jésus crucifié. Il vous paraîtra doux de supporter ses peines et ses opprobres; vous fuirez les conversations et vous aimerez la solitude; vous ne présumerez pas de vous-mêmes, mais vous vous confierez en Jésus crucifié, et votre [1727] esprit ne se remplira pas de fantômes, mais de vraies et solides vertus. Vous aimerez Dieu avec un cœur droit, simple, pur, généreux ; vous l’aimerez pardessus toute chose, et vous aimerez le prochain comme vous-mêmes. Ni les attaques du démon, qui vous donnera de laides et mauvaises pensées, ni les faiblesses de la chair, ni les persécutions des créatures ne pourront vous troubler et vous décourager, mais vous direz avec une foi vive, comme l’apôtre saint Paul: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). Croyez-vous dignes des peines et indignes des récompenses par humilité. Aimez-vous les unes les autres dans le Christ, le doux Jésus, aimez-vous d’une charité fraternelle puisée dans l’abîme de sa charité. Je ne vous dis rien de plus. Que Dieu vous remplisse de sa très sainte grâce.

4. Je vous prie d’une chose, c’est de ne pas rechercher beaucoup de conseils; mais prenez un conseiller qui vous conseillera simplement, et que vous écouterez. S’adresser à plusieurs est une chose dangereuse, non pas que tout conseil fondé sur la charité ne soit bon, mais, comme les serviteurs de Dieu suivent des voies différentes, ils peuvent, en étant tous dans la charité, avoir des doctrines différentes. Si vous en consultez beaucoup, vous voudrez tous les suivre; et quand vous voudrez agir vous ne trouverez que doute et incertitude, Il est meilleur, il est nécessaire que l’âme n’ait qu’un directeur, et tâche de devenir parfaite en l’écoutant. Cela ne vous empêchera pas d’estimer les avis de tout le monde, sans vous en servir pour vous-mêmes; mais vous devez admirer les moyens différents que Dieu prend avec ses créatures; vous devez les respecter en voyant que, dans la maison de notre Père, il y a bien des demeures. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, le doux amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXVIII. — A UNE DAME QUI MURMURAIT, à Florence, le 20 octobre 1378.- De la lumière nécessaire pour connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures.- Comment nous devons juger notre prochain.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir posséder la vraie et parfaite lumière ; car sans la lumière nous ne pourrons connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures, et nous tomberons dans de faux et misérables jugements. Pourquoi? Parce que nous serons privés de la lumière. L’âme qui est éclairée et délivrée de la passion sensitive, discerne et connaît la vérité, et alors elle juge bien et avec discrétion [1729]. Quel jugement devons-nous porter de Dieu? quelle vérité devons-nous connaître en lui et dans le prochain? Je vous le dirai. Nous devons connaître cette vérité, qui n’est pas aperçue par les yeux du corps, mais par ceux de l’intelligence, à la lumière intérieure de la très sainte Foi. Nous devons savoir que Dieu nous aime d’un amour ineffable, et que par amour il nous a Créés ~ son image et ressemblance, pour que nous recevions et nous goûtions son suprême et éternel bonheur. Et qu’est-ce qui nous montre cette vérité? le sang de l’humble Agneau sans tache, répandu avec tant d’amour sur le bois de la très sainte Croix.

2. Dès que l’âme a vu et connu cette vérité, elle l’aime et la goûte avec amour; elle juge que tout ce que Dieu donne et permet pour la créature raisonnable, il le permet pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui. Elle juge justement, à la lumière de la discrétion. Si elle est dans la prospérité elle reconnaît que cette prospérité vient de son Créateur, qui la lui a donnée, non à cause de son mérite, mais à cause de son infinie bonté: et cette connaissance fait qu’elle l’aime d’un amour raisonnable, l’aimant pour Dieu, et la possédant comme une chose prêtée, qui n’est pas à elle, puisqu’elle ne lui appartient pas. Nous le voyons; car, quand nous voulons la conserver, elle nous est enlevée; non seulement les biens temporels, mais la vie, la santé de l’homme et tout le reste, passent comme le vent, et personne ne peut retenir ces choses qu’autant qu’il plaît à Celui qui les a données. L’âme juge ainsi parce qu’elle est éclairée de la douce vérité. Si elle est [1730] éprouvée par la tribulation, elle la reçoit humblement, avec une vraie et parfaite patience, se jugeant digne de la peine, et Indigne de la récompense qui suit la peine; elle pense humblement qu’elle reçoit le châtiment de ses péchés, parce qu’elle sait que le souverain Juge récompense tout bien et punit tout mal. Elle est pleine de reconnaissance pour Dieu, qui est si miséricordieux à son égard, puisque ce qui méritait une peine infinie, comme offense du Bien infini, Dieu le punit d’une manière finie dans le temps fini, en nous donnant des peines et des tribulations. Quelle que soit la manière dont elle les donne, l’éternelle Vérité nous les donne, ou pour que nous nous corrigions de nos défauts, ou pour que nous arrivions à la perfection; de quelque manière qu’elle les donne, nous sommes certains qu’elle les donne par amour et non par haine. C’est ce que voit et connaît l’âme éclairée par la douce Vérité, et elle reçoit tout avec respect; elle juge justement la volonté de Dieu et sa providence envers elle, parce que sa providence pourvoit à tous nos besoins, et sa volonté ne veut pas autre chose que notre bien.

3. Lorsque l’âme a eu le bonheur de connaître ainsi la vérité dans son Créateur, et qu’elle a jugé de même en bien tous ses desseins secrets, elle applique cette même vérité à juger son prochain, parce que la charité du prochain sort de la charité de Dieu. La règle de ceux qui craignent Dieu est de ne jamais juger personne, si ce n’est en bien, à moins qu’ils ne volent évidemment commettre un péché mortel; et même alors ils ne jugent pas, mais ils ressentent une sainte compassion devant Dieu, et ils disent: Aujourd’hui [1731] c’est lui, demain ce sera moi, si la souveraine bonté de Dieu ne me conserve. Ils abandonnent tout jugement au souverain Juge, qui doit juger les bons et les méchants, et au juge de la terre, qui est établi pour rendre à chacun selon ce qu’il mérite. L’âme se garde bien de juger sur les paroles, les habitudes et les actes extérieurs des créatures, parce qu’elle voit que le Christ béni l’a défendu, dons l’Evangile, en disant: " Ne jugez pas sur le visage. " Elle aime dans le prochain la Vérité elle-même, sans songer à ses intérêts; et, avec l’amour pur qu’elle a pour Dieu, elle juge saintement la volonté de Dieu dans ses créatures, voyant en elles le bien, et laissant Dieu juger le mal. Elle ne se scandalise ni des mystères de Dieu, ni de la conduite du prochain; elle ne diminue pas sa charité, son amour et son respect, envers le Créateur à cause des tribulations qu’il permet, ou envers les créatures à cause des injures et des préjudices qu’elle en reçoit, parce qu’elle a jugé saintement que Dieu le permet pour éprouver sa charité envers ceux qui lui font injure, ou pour la punir de ses pêchés. Elle dit: Seigneur, vous permettez tout ceci justement, car, si je n’ai pas offensé cette créature qui m’outrage, je vous ai bien offensé c’est pour mon bien que vous me l’avez envoyé, comme un moyen de me corriger de mes défauts. Je vous dis, très chère Fille, que cette âme goûte, dès cette vie, la vie éternelle, parce. qu’elle juge tout en Dieu et dans le prochain avec la lumière de la vérité.

4. Je vous invite à vous appliquer tant que vous vivrez à suivre cette règle, afin que vous évitiez le souverain mal et que vous parveniez à l’éternel et [1732] souverain Bien, car comme nous jugeons les autres, nous serons jugés nous-mêmes. Ne soyons pas comme ces insensés qui font tout le contraire ! ils veulent juger la volonté des hommes sans indulgence et sans raison ; leurs passions les aveuglent et leur font prendre la vérité pour le mensonge, et le mensonge pour la vérité. Oh ! combien leur voie est fausse ! ils sont aveugles, et ils veulent juger la lumière ! Ils prétendent juger à leur manière les mystères de Dieu, et ce qu’il fait dans ses serviteurs. O orgueil de l’homme ! la créature ne devrait-elle pas rougir d’usurper les fonctions du Créateur, tandis qu’au lieu de juger, elle doit être elle-même jugée? Mais elle ne le voit pas, parce qu’elle est privée de la lumière de la vérité, et elle juge légèrement, elle condamne ce qu’elle a entendu dire de son prochain et ce qu’elle n’a pas vu, et elle égare ainsi sa conscience; elle se scandalise de Dieu et du prochain, elle perd la charité, et tombe dans toute sorte de fautes et d’erreurs. Son goût se gâte, et ne sait plus distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais, et ce qui est mauvais de ce qui est bon. Elle en vient à haïr et à mépriser les mystères de Dieu et les œuvres des créatures; elle se prive du paix du sang de Jésus crucifié, s’éloigne du bien, et tombe dans le mal. Elle méconnaît les bienfaits qu’elle a reçus et qu’elle reçoit, et son ingratitude tarit en elle la source de la piété; elle devient insupportable à elle-même, recherchant et aimant en dehors de Dieu les richesses, les délices et les honneurs du monde. Elle souffre les peines avec impatience, ne les attribuant point à ses péchés, mais bien souvent à celui qui n’en est pas cause. C’est ce qui [1733] arrive aujourd’hui dans le monde et surtout dans votre ville. Les grandes tribulations et les révolutions que nous avons et que nous devons éprouver encore à cause de nos fautes et de nos vices (La république de Florence était alors troublée par desrévolutions continuelles.), nous voulons en charger les autres, comme ces insensés qui jugent mal les intentions les plus saintes, et qui applaudissent au contraire les desseins coupables de ceux qui n’écoutent que leur amour-propre. Cela est causé par la privation de la lumière; mais les pierres retombent sur Celui qui les jette.

5. Il ne faut pas faire ainsi, ma très chère Fille, mais il faut que chacun de nous attribue tout le mal à ses fautes. En le faisant, nous apaiserons la colère de Dieu, nous fuirons le mal et bien des peines, et nous obtiendrons miséricorde. Je suis certaine que si, vous et les autres, vous êtes affermies dans la lumière, avec cette lumière vous connaîtrez la vérité et vous vous y conformerez, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite lumière, et je vous, prie, pour l’amour de Jésus crucifié, de vous appliquer à l’acquérir. Mettez désormais un terme à votre passion, et ne prêtez plus l’oreille à ce que vous ne devez pas entendre; mais comme une personne qui ne veut pas la damnation de son âme, attachez-vous à la. vérité, et ne vous scandalisez plus si facilement. Considérez l’affection de Celui qui vous aime avec tendresse. Je suis persuadée que si vous voulez user de l’intelligence que Dieu vous a donnée, vous pourrez [1734] parfaitement comprendre ce que je vous écris pour votre salut. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez la mort du mensonge et du faux jugement, vous et les autres; ne dormez plus, et ne comptez pas sur le temps que vous n’avez pas. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)





CCCLXIX.-A UNE DAME QU’ON NE NOMME PAS.- Elle désire la voir éclairée de la lumière de la Foi, nécessaire pour connaître la vérité et pour acquérir la patience.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairée par la vérité de Dieu : autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce en ce monde, vous serez dans une affliction continuelle, et vous recevrez enfin l’éternelle damnation; car en étant privée de la lumière, vous vous scandaliserez sans cesse de la Providence, et ce qu’elle vous donne par amour, vous l’attribuerez à la haine; ce qui est la vie, vous le prendrez pour la mort. Et quelle est cette vérité que nous devons connaître, très chère Sœur? Nous devons voir que Dieu nous aime souverainement, et que, par amour, il a voulu nous créer à son image et ressemblance[1735], pour nous faire jouir de son éternelle vision. Qu’est-ce qui nous manifeste cette vérité et cet amour? le sang de l’humble Agneau sans tache; lorsque nous étions privés par le péché d’Adam de la vision de Dieu et bannis de la vie éternelle. ce doux et tendre Verbe a été envoyé par son Père pour souffrir la mort, afin de nous donner la vie et de laver nos fautes avec son précieux sang; et lui, tout transporté d’amour il courut à la mort honteuse de la Croix pour accomplit les ordres de son Père et notre salut. Cette vérité ne nous est pas cachée; le Sang nous la manifeste. Si Dieu ne nous eût pas créés pour cette fin, s’il ne nous aimait pas d’un amour ineffable, il ne nous eût pas donné un tel Rédempteur. Aussitôt que l’âme est éclairée par cette vérité, l’oeil de son intelligence reçoit la lumière de la très sainte Foi. et elle crut fermement que tout ce que Dieu donne et permet pour sa créature, il le donne et le permet par amour et pour que cette vérité s’accomplisse en nous. Elle devient aussitôt patiente, et rien ne peut la troubler; elle se trouve heureuse de tout ce que permet la divine Bonté.

2. Elle supporte avec une vraie et sainte patience, la maladie, la perte des richesses, des honneurs, des parents, des amis, et non seulement elle supporte tout avec patience, mais elle le reçoit avec respect, comme une chose que lui envoie son doux Créateur par amour et pour sa sanctification. Quel est l’insensé qui pourrait se plaindre de son bien? Il n’y a que celui qui est privé de la lumière, parce qu’il ne connaît pas la vérité et ce qui lui est utile. Je veux donc, très chère Sœur, que vous ouvriez l’oeil de [1736] votre intelligence et que vous arrachiez avec soin toutes les racines d’amour-propre et de complaisance pour vous-même, afin que vous puissiez connaître cette vérité, et voir que Dieu est le médecin suprême qui sait, qui peut et qui veut nous donner ce qui nous est nécessaire, la médecine qui guérira notre maladie; et alors vous recevrez avec une douce, une sainte et vraie patience, la médecine qu’il vous donne à cause de l’amour particulier qu’il vous porte. Je vous y invite, très douce Sœur, afin que, par l’impatience, vous ne perdiez pas la récompense de vos peines; mais que vous jouissiez dans cette vie d’une paix, d’une tranquillité parfaites, étant toujours soumise à la douce volonté de Dieu, et ne vous troublant jamais de rien, si ce n’est des offenses contre Dieu et de la perte des Amas. En faisant ainsi, vous montrerez que vous êtes éclairée par la vérité, et vous recevrez à la fin de votre vie la récompense infinie de vos peines. J’ai bien pris part au malheur qui vous est arrivé; mais si je vois que vous êtes docile a la volonté de Dieu, et que vous en profitez comme vous le devez je m’en réjouirai avec vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1737].

Table des matières (2)





CCCLXX.- A MADAME PAULE DE SIENNE, et à ses disciples, quand elle était à Fiesole.- Sans la charité toutes les autres vertus sont mortes. — De l’amour de Jésus-Christ envers nous, et du désir qu’il montre pour notre sanctification.
 
 

 AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très aimée Fille et Sœur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris, vous encourage et vous bénis dans son précieux sang. J’ai désiré avec désir vous voir unies dans sa très ardente charité, parce que la charité, l’amour fait devenir une même chose avec Dieu. O charité si pleine de joie, de bonheur et de paix ! avec vous, tout ce qui est troublé par la tempête devient calme et tranquille ! O douce Charité, très chère Mère ! vous donnez naissance à toutes les vertus. Vous savez, ma bien-aimée Sœur, qu’aucune vertu ne vit sans la charité. L’ardent saint Paul, ce vase d’élection, l’a dit : " Si je parlais la langue des anges, et si je donnais tout aux pauvres, sans avoir la charité, tout me serait inutile ( 1Co 13,3) " Et il en est vraiment ainsi : car l’âme qui n’a pas la charité ne peut rien faire qui soit agréable à Dieu, et elle n’enfante que des vertus mortes. Pourquoi sont-elles morte? parce qu’elles sont privées de [1738] Dieu, qui donne la vie, c’est-à-dire la charité. Car celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui. Mais l’épouse du Christ qui est blessée par la flèche de la charité, ne reste jamais oisive. Comme une blessure nouvelle agite tous les jours davantage notre cœur, des flèches nouvelles d’une ardente charité lui sont sans cesse lancées, car il ne se passe pas un instant que la bonté de Dieu ne jette des charbons allumés sur notre corps.

2. Si nous considérons l’être que la bonté de Dieu nous a donné, nous verrons qu’il nous a créés par pure charité, pour nous faire jouir du bien qu’il avait en lui-même, et nous donner la vie éternelle. Saint Paul dit que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification; ce qu’il nous donne, il nous le donne pour que nous soyons sanctifiés en lui, O souveraine et éternelle Vérité ! il est bien évident qu’ayant perdu la grâce, nous ne pouvions participer à ce bien; et comme Dieu voyait que sa volonté ne pouvait s’accomplir en nous à cause du péché, l’amour inconcevable qu’il avait pour nous lui a fait violence, et il a envoyé son Fils unique pour expier sur son corps nos iniquités.

3. Aussitôt que le Verbe eut pris notre chair dans le sein de Marie, son Père le condamna à la mort honteuse de la Croix; il l’envoya sur le champ de bataille de cette vie combattre pour son Epouse, et la retirer des mains du démon, qui la possédait comme une adultère. Alors, dit saint Bernard, ce généreux Chevalier monta sur le bois de la très sainte Croix, et prit pour casque la dure couronne d’épines, les clous à ses mains et à ses pieds, la lance à son côté, pour [1739] nous montrer le secret de son coeur. Hélas ! amour, amour! te semble-t-il bien armé notre doux Sauveur. Ayons courage, puisqu’il a combattu pour nous. Il a dit à ses disciples : " Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le prince du monde. " Et saint Augustin dit que c’est avec sa main percée et clouée qu’il a défait les démons. N’ayez donc aucune crainte, mes bien-aimées Filles, ni des démons visibles, ni des démons invisibles. S’ils vous livrent des combats, s’ils veulent vous faire croire que vous ne pourrez persévérer dans vos œuvres, prenez courage et dites: Je puis tout par Jésus crucifié, car il a vaincu pour moi les démons. O très doux amour Jésus! vous avez lutté avec la mort sur la Croix; la mou a vaincu la vie, et la vie a vaincu la mort; par la mort de son corps il a détruit notre mort, et à cause de notre mort il a détruit la vie de son corps. O preuve ineffable de charité ! et tout cela manifeste l’amour, la volonté, la fin pour laquelle il nous a créés : c’est pour nous donner la vie éternelle.

4. O doux Amour! quel amour ne s’enflammera pas à un tel foyer d’amour, en voyant que Dieu nous a donné son Fils unique; et ce Fils unique nous a donné sa vie avec un si grand désir, qu’il semble ne pouvoir l’exprimer quand il dit: " J’ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir. " O très doux Amour! cette pâque, c’était le sacrifice de votre corps à votre Père pour nous. O Amour! avec quelle charité, avec quelle joie, vous parlez de votre sacrifice, parce qu’il approche ! Vous faites comme celui qui a grandement désiré faire une grande œuvre; et quand il voit qu’elle est près de [1740] s’accomplir, il en éprouve une joie immense; c’est avec cette joie que le Christ, tout transporté d’amour, a couru aux opprobres de la très sainte Croix. Je vous prie donc, ma Sœur, et vous, mes Filles. de vous réjouir de partager ses opprobres. Mettez, mettez vos lèvres au côté du Fils de Dieu; c’est une ouverture qui lance le feu de la charité, et qui verse le Sang pour laver nos iniquités. Je dis que l’âme qui s’y repose, et qui regarde avec l’oeil de l’intelligence, ce cœur ouvert et consumé par l’amour, devient semblable à lui, parce qu’en se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher aussi d’aimer. Et alors l’âme devient parfaite; car ce qu’elle aime, elle l’aime pour Dieu, et elle n’aime rien hors de lui ; et elle devient ainsi un autre lui-même par ce désir, car elle n’a pas d’autre volonté que celle de Dieu. Ne soyez donc plus négligentes ; mais courez toujours en brisant vos volontés.

5. Demeurez, mes Filles, dans la sainte dilection de Dieu. Remplissez mon désir, et que je vous voie, unies et transformées, faire une seule chose avec lui. Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ. Encouragez Mme Barthélemy et toutes les autres. Dites-leur de ne pas détourner la tête en arrière, mais de persévérer toujours dans leur sainte résolution; car sans la persévérance, vous ne pourrez recevoir la couronne. Loué soit Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1741].

Table des matières (2)





CCCLXXI.- A MADAME PAULE, à Fiesole.- Du mystère ineffable de l’Incarnation du Verbe, et de la Rédemption, expliqué par la comparaison de la semence, de la fleur et du fruit.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très douce Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir unie et transformée dans le feu de la divine charité. Ce feu a uni Dieu à l’homme, et l’a tenu attaché et cloué sur la Croix. O ineffable et très douce charité, combien est douce l’union que vous avez faite avec l’homme ! Vous avez bien montré votre amour incompréhensible par les grâces et les bienfaits sans nombre dont vous avez comblé les créatures, surtout par le bienfait de l’incarnation de son Fils. Voyez la souveraine Grandeur descendre jusqu’à la bassesse de notre humanité. L’orgueil de l’homme devrait rougir de voir Dieu si humilié dans le sein de la douce Marie. Ce fut dans cette douce terre que fut semée la semence de la parole incarnée du Fils de Dieu. Oui, très chère Sœur, dans le champ doux et béni de la Vierge Marie, le Verbe fut uni à sa chair, comme la graine qu’on jette dans la terre, et que la chaleur du soleil fait germer; puis viennent la fleur et le fruit, et l’enveloppe de la graine reste à la terre. C’est ce qui arriva par la chaleur et le feu [1742] de la charité divine que Dieu eut pour l’humanité, lorsqu’il jeta la semence de son Verbe dans le sein de Marie. O bienheureuse et douce Marie, vous nous avez donné la fleur du doux Jésus. Et quand cette douce fleur a-t-elle produit son fruit? Quand il fut attaché au bois de la très sainte Croix; alors nous avons reçu la vie parfaite.

2. Pourquoi avons-nous dit que l’enveloppe de la graine est restée sur la terre? quelle est cette enveloppe? Ce fut la volonté du Fils unique de Dieu, qui, comme homme, était tellement revêtu du désir de l’honneur de son Père et de notre salut, qu’il courut, tout transporté d’amour, souffrir les peines, les affronts, les injures, jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Considérez aussi, très chère Sœur, que Marie a fait de même; elle ne pouvait désirer autre chose que l’honneur de Dieu et le salut des créatures; et les saints docteurs disent, pour faire comprendre la charité sans bornes de Marie, qu’elle aurait servi elle-même d’échelle pour mettre son Fils sur la Croix, s’il n’y avait pas eu d’autres moyens; et il en était ainsi parce que la volonté de son Fils était restée en elle.

3. Pensez, ma très chère Soeur, et que cette pensée ne sorte jamais de votre coeur, de votre mémoire et de votre âme, pensez que vous vous êtes offertes et données à Marie, vous et toutes vos filles; priez-la donc de vous présenter et de vous donner au doux Jésus, son Fils, et elle le fera comme une douce et bonne Mère, comme la Mère de miséricorde. Ne soyez pas ingrates et infidèles, car elle n’a pas repoussé cette demande, mais elle l’a écoutée avec bonté. Soyez [1743] toutes fidèles, ne vous arrêtant pas aux illusions du démon et aux discours des créatures; mais courez généreusement avec le doux amour de Marie, c’est-à-dire, cherchez toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Je vous en conjure, autant qu’il vous sera possible, gardez la cellule de votre âme et de votre corps, vous appliquant par l’amour et le saint désir à goûter et à enfanter les âmes en la présence de Dieu; et quand vous verrez quelque personne dans la tribulation, appliquez-vous avez zèle à la retirer des mains du démon. C’est le signe qui montre que nous sommes les enfants véritables, car nous suivrons ainsi les traces du Père. Mais sachez que nous ne pourrons jamais arriver à ce grand et saint désir sans l’amour crucifié du Fils de Dieu, car il est cette mer paisible qui rassasie tous ceux qui ont la faim, la soif, le désir de Dieu; il donne la paix à tous ceux qui sont en guerre et qui veulent se réconcilier avec lui. Cette mer jette un feu qui réchauffe le froid de notre cœur, et il est si bien réchauffé, qu’il perd toute crainte servile, et qu’il reste dans la charité parfaite et la sainte crainte, ne voulant plus offenser son Créateur.

4. Ne craignez pas; non, je ne veux pas que vous craigniez les embûches et les attaques des démons qui voudront dévaster. et prendre la cité de votre âme; ne craignez pas, mais, comme de bons chevaliers sur le champ de bataille, combattez avec les armes et le glaive de la charité divine, car c’est là le moyen de frapper le démon. Vous savez que si on ne veut pas perdre les armes avec lesquelles on doit se défendre, il faut se tenir caché dans la cellule de notre âme [1744] par la vraie connaissance de nous-mêmes; car, quand l’âme voit qu’elle n’est rien, et qu’elle s’occupe toujours de choses qui ne sont rien, elle s’humilie aussitôt devant Dieu, et devant toute créature pour Dieu; elle reconnaît que toutes les grâces et les bienfaits viennent de lui, et elle voit tellement déborder en elle la bonté de Dieu, que son amour, qui augmente, voudrait se punir, mais encore elle désire que toutes les créatures la punissent; elle juge tous les autres meilleurs qu’elle. Alors naît un tel parfum de patience, qu’il n’y a rien de si pesant et de si amer qu’elle ne supporte pour l’amour de ce tendre Verbe.

5. Oui, très chères Filles, courons toutes ensemble avec ardeur, et unissons-nous à ce Verbe. Je vous invite à ses noces, c’est-à-dire à répandre votre sang pour lui, comme il l’a répandu pour vous, à aller au Saint-Sépulcre, et à y donner votre vie pour lui. Le Saint-Père a envoyé une lettre avec son sceau à notre Provincial, à celui des Frères Mineurs et à Frère Raymond, pour qu’ils fassent inscrire tous ceux qui ont le désir et la volonté d’aller conquérir le Saint-Sépulcre et mourir pour la foi (Lettres XXV, LII, CLXI). Il veut que tous s’y engagent par écrit, et je vous invite à vous préparer. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Mille compliments de la part de la pauvre Cecca, d’Alessia et de Jeanne Pezzi. Ayez toutes bon courage en Jésus crucifié. Jésus, Jésus, Jésus [1745].

Table des matières (2)





CCCLXXII.-A QUELQUES FILLES DE SIENNE.- Elle les exhorte à être persévérantes dans le service de Dieu, et à fuir les conversations frivoles.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les servantes fidèles de votre Créateur, et cela avec tant de persévérance, que vous ne tourniez jamais la tête en arrière pour aucune cause, ni dans la prospérité, en vous abandonnant trop à la joie, ni dans l’adversité, en vous livrant à l’impatience et à la tristesse. Je vous en conjure, que rien n’arrête et n’affaiblisse votre saint désir; et, afin que ce saint désir augmente en vous et ne s’éteigne jamais, je veux que vous ouvriez l’oeil de l’intelligence pour connaître l’amour ineffable que Dieu vous porte, puisque par amour il vous a donné son Fils unique; et ce Fils vous a donné sa vie avec tant d’amour, que le cœur le plus dur doit amollir sa dureté.

2. C’est là qu’il faut fixer le regard de votre intelligence, en pensant au prix qu’a payé pour nous le Fils de Dieu. Il faut laver dans son sang la face de votre âme. Levez-vous donc, et secouez le sommeil de la négligence; soyez pleines de zèle, et lorsque vous aurez acquis la blancheur de la pureté, ayez [1746] toute l’ardeur de la charité, que vous trouverez dans le sang de l’Agneau. Je veux, mes très chères Filles, que vous soyez bien persuadées que vous ne pourrez jamais avoir la pureté de l’esprit et du corps, en recherchant les conversations des créatures et en y plaçant votre affection, en aimant les choses créées en dehors de la volonté de Dieu, et en ayant de l’attachement et de la faiblesse pour votre corps; mais vous l’acquerrez en vous appliquant aux veilles, à la prière, en vous rappelant sans cesse votre Créateur, et en reconnaissant toujours l’amour ineffable que Dieu vous porte. Lorsque l’âme aura acquis la pureté par ce moyen, comme elle verra qu’elle ne peut pas être utile à Dieu, elle étendra son amour au prochain, et lui rendra les services qu’elle ne peut rendre à Dieu. Elle visitera les infirmes, elle secourra les pauvres, elle consolera les affligés, pleurant avec ceux qui pleurent, se réjouissant avec ceux qui se réjouissent: c’est-à-dire qu’elle pleurera avec ceux qui gémissent dans le péché mortel ; elle en aura compassion, et offrira pour eux à Dieu des prières continuelles; elle se réjouira avec ceux qui ont le bonheur d’être les serviteurs fidèles de Jésus crucifié, et elle recherchera toujours leurs conversations. Je vous prie, mes Filles, de le faire, afin d’être des servantes fidèles et non pas infidèles. C’est tout ce que mon âme désire voir en vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1747].

Table des matières (2)





CCCLXXIII.- A UNE FEMME PUBLIQUE DE PEROUSE, à la demande de son frère.- Elle cherche à la convertir et la menace des châtiments de Dieu ; elle lui cite l’exemple de sainte Marie-Madeleine, et l’exhorte à se recommander à la sainte Vierge.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir participer au sang du Fils de Dieu, parce que sans ce sang tu ne peux avoir la vie. Qui sont ceux qui participent à ce sang? ceux qui vivent dans la douce et sainte crainte de Dieu. Celui qui craint Dieu aime mieux mourir que de l’offenser jamais mortellement. Ma Fille, je pleure et je gémis de voir que toi, créée à l’image et ressemblance de Dieu, rachetée par son précieux sang, tu oublies ta dignité et la riche rançon qui a été payée pour toi. Hélas ! il me semble que tu fais comme le pourceau qui se roule dans la fange tu te roules de même dans la fange de l’impureté, tu te fais la servante et l’esclave du péché; tu as pris pour maître le démon, et tu le sers nuit et jour. Si tu sers le démon tu auras son sort. Et quel est son partage, ma Fille? Les ténèbres, les tempêtes, l’amertume, les peines, les tourments, les supplices. Dans le lieu qu’il habite, se trouvent les pleurs, les grincements de [1748]dents et la privation de la vue de Dieu, de cette vue de Dieu, qui est la béatitude de l’âme. Les démons furent privés de cette béatitude à cause de leur orgueil; ceux qui suivent la volonté du démon seront aussi privés de la vision divine : et les peines intolérables qui sont infligées à l’âme livrée à l’iniquité du péché mortel, la langue ne pourra jamais les raconter.

2. Hélas ! hélas ! comment croire que tu as oublié ton Créateur, et que tu ne vois pas que tu es devenue comme un membre retranché du corps, et qui se dessèche aussitôt. Tu es retranchée et séparée du Christ par le péché mortel; tu es devenue comme un bois sec et aride, qui ne porte plus de fruits, et tu as dès cette vie, un avant-goût de l’enfer. Tu ne songes pas, ma Fille, quelle est ta servitude, et combien tu es misérable et malheureuse d’avoir en cette vie l’enfer et la société horrible des démons. Sors, sors de ce dangereux esclavage, de ces ténèbres où tu es tombée. Hélas ! si tu ne le fais pas par amour pour Dieu. Tu devrais le faire au moins par honte et par crainte du monde. Ne vois-tu pas que tu te livres aux mains des hommes, qui méprisent et avilissent ta chair? Ne vois-tu pas que tu es aimée, et que tu aimes d’un amour mercenaire qui donne la mort, d’un amour qui ne repose que sur une jouissance ou un profit, qui disparaît avec le plaisir et l’argent, parce qu’il n’est pas selon Dieu, mais selon le démon. Pense, ma Fille, que tu as à mourir, et tu ne sais pas quand. Notre doux Sauveur disait : " Soyez prêts, car vous ne savez pas le jour et l’heure où vous serez appelés. " Et saint Jean dit que la hache est [1749] déjà à la racine de l’arbre pour le couper. Pense que si maintenant le souverain Juge t’appelait, tu serais livrée aux démons et à l’état de damnation. S’il te fallait comparaître devant lui, tu n’aurais pas pour répondre les vertus qui pourraient te défendre, t’assister, te secourir : tu ne les aurais pas; mais tu aurais tes amis, qui te condamneraient devant le souverain Juge, c’est-à-dire le monde, le démon et la chair que tu as servis avec tant de zèle; ils t’accuseraient, en manifestant pour ta honte et ta confusion les offenses que tu as commises contre Dieu; ils te condamneraient à la mort éternelle, et ils t’entraîneraient avec eux là où l’on trouve les flammes ardentes, la puanteur du soufre, les grincements de dents, le froid, le chaud, le ver de la conscience, qui ronge toujours, et reproche à l’âme de s’être privée par sa faute de la vision de Dieu, et de s’être rendue digne de la vision des démons.

3. Voilà ce que tu as mérité à servir avec tant de peine le monde, le démon et la chair, et à goûter l’enfer dès cette vie. Puisque tu vois qu’ils te rendent digne de tant de maux, et qu’ils te privent de tant de biens, fais-toi une sainte violence, et quitte tant de misère et de corruption. Recours à ton Créateur, qui te recevra, si tu veux abandonner le péché mortel et revenir à l’état de grâce. Ecoute-moi, ma très douce Fille, si tu vomis les souillures du péché par la sainte confession, avec un ferme propos de ne plus tomber et de ne plus retourner à ton vomissement, la douce bonté de Dieu le dit elle-même : " Je te promets que je ne me rappellerai jamais que tu m’as offensé. " Il est bien vrai que celui qui expie son péché par la [1750] contrition et la douleur, Dieu ne veut pas le punir dans l’autre vie. Il ne peut te paraître dur de recourir à la douce Marie, qui est la mère de la compassion et de la miséricorde; elle te mènera en présence de son Fils, et, en lui montrant le sein qui l’a nourri, elle le décidera à te faire miséricorde; et alors, comme une fille et une esclave rachetée par son sang, tu entreras dans les plaies du Fils de Dieu, où tu trouveras le feu de son ineffable charité, qui consumera et purifiera toutes tes misères et toutes tes fautes. Tu verras qu’il t’a fait un bain de son sang pour te laver de la lèpre du péché mortel et de l’impureté ou tu es restée si longtemps. Notre doux Seigneur ne te méprisera pas.

4. Ecoute et suis la douce et tendre Madeleine. Dès qu’elle reconnaît son malheur et sa faute, dès qu’elle voit qu’elle est en état de damnation, elle conçoit une grande haine de l’offense de Dieu et un grand amour de la vertu ; elle cherche où elle trouvera miséricorde. Elle voit bien qu’elle ne peut la trouver que dans le Christ, le doux Jésus; et pour arriver à lui, elle ne pense pas à son honneur, à sa honte; elle court humblement se jeter à ses pieds; et là, son amour, sa douleur amère, son humilité parfaite lui obtiennent la l’émission de ses péchés, et elle mérite d’entendre cette douce parole : "Marie, va en paix, et ne pèche plus." Fais de même, ma très douce Fille; imite l’humble conduite de Madeleine, qui se met à ses pieds, qui lui montre son amour par la contrition de son cœur, et qui ne se juge pas digne de regarder le visage de son Maître. Donne-lui aussi ton cœur, ton âme, ton corps. Ne dors plus, car le temps presse, tu [1751] n’es pas sûre de l’avoir; ne l’attends pas. Réponds à Jésus crucifié, qui t’appelle de Sa douce voix, et cours à l’odeur de ses parfums. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et tu participeras ainsi à son sang. Mon âme désire te voir participer au Sang. et devenir un membre uni par la grâce à ton chef, Jésus crucifié. Si tu me dis : Je ne le puis, parce que je n’ai pas de quoi vivre, je te répondrai que Dieu y pourvoira. J’ai appris que ton frère veut t’aider dans tes besoins. N’attends donc pas le jugement de Dieu qui s’appesantirait sur toi, si tu ne changeais pas. Cesse d’être un membre du démon, qui se sert de toi comme d’un filet pour prendre les créatures. Ce n’est pas assez du mal que tu te fais à toi-même; songe aussi combien tu en fais tomber dans l’enfer. Je ne t’en dis pas davantage. Aime Jésus crucifié, et pense que tu dois mourir, tu ne sais pas quand. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Marie, douce Marie [1752] !

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