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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 39 à 55




XXXIX (316). - A LA REINE DE NAPLES.- Des deux manières que nous avons de connaître la vérité. Elle prie la reine de sortir de l'erreur où elle est, en ne voulant pas reconnaître pour Pape Urbain VI. - Du compte terrible qu'elle aura à rendre à Dieu.

(Cette lettre fut écrite peu de jours après l'arrivée de sainte Catherine à Rome, le 28 novembre 1378.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vérité qu'il est nécessaire de connaître et d'aimer pour être sauvé. Celui qui sera fondé sur la connaissance de la Vérité, le Christ, le doux Jésus, celui-là recevra et goûtera la paix et le repos de son âme dans l'amour de la charité. Cette charité, l'âme la reçoit par cette connaissance. Il y a deux moyens principaux de [322] connaître cette vérité. Il faut d'abord reconnaître que tout ce qui a l'existence doit être aimé en Dieu et pour Dieu, qui est la Vérité même, et sans lequel rien n'existe. Celui qui se séparerait de la vérité marcherait dans la voie du mensonge en suivant le démon qui on est le père. Je dis qu'il y a surtout deux moyens de connaître la vérité. Le premier est de connaître la vérité de Dieu, qui nous aime d'un amour ineffable. Il nous a aimés avant que nous fussions; il nous a créés par amour, pour que nous ayons la vie éternelle et que nous goûtions à jamais la félicité parfaite. Telle a été, telle est la vérité. Qu'est-ce qui prouve qu'il on est ainsi? Le sang répandu pour nous avec un si ardent amour. Dans ce doux sang du Verbe, du Fils de Dieu, nous connaîtrons la vérité de sa doctrine, qui donne la vie, la lumière, on dissipant toutes les ténèbres de l'amour sensitif et des complaisances humaines, de manière que le cœur vraiment libre connaît et suit la doctrine de Jésus crucifié, qui est fondée sur la vérité. Nous devons enfin connaître et voir la vérité dans notre prochain, grand ou petit, serviteur ou maître. Quand nous le voyons faire une chose, et nous inviter à la faire aussi, nous devons examiner si cette chose est fondée ou non sur la vérité, et quel est le motif qui la fait entreprendre. Celui qui ne le fait pas agit comme un insensé, comme un aveugle qui suit un autre aveugle guidé par le mensonge, et il montre qu'il n'a pas en lui la vérité et qu'il ne la cherche pas. Il en est quelquefois de tellement insensés, que pour cette chose, ils vont perdre la vie de l'âme et du corps avec leurs biens temporels et ils ne s'en inquiètent pas, parce qu'ils sont aveugles [333] et ne connaissent pas ce qu'ils devraient connaître: ils marchent dans les ténèbres comme des femmes faibles et irrésolues.

2. O très chère Mère, si vous aimez la vérité et si vous êtes soumise à la sainte Eglise; mais autrement je ne vous appellerai plus ma mère; je ne vous parlerai plus avec respect, parce que je vois un grand changement dans votre personne. De reine vous êtes devenue servante et esclave d'une chose qui est néant: vous vous êtes soumise au mensonge, au démon, qui en est le père; vous avez abandonné le conseil de l'Esprit-Saint pour prendre celui des démons incarnés; vous étiez un membre uni à la vigne véritable, et vous vous êtes retranchée de cette vigne avec le couteau de l'amour-propre. Vous étiez la fille légitime et bien-aimée de votre Père, le Vicaire du Christ on ce monde, du Pape Urbain VI, qui est véritablement le souverain Pontife; vous avez quitté le sein de votre Mère, la sainte Eglise, où vous avez été si longtemps nourrie. Hélas! hélas! on peut vous pleurer comme morte, vous êtes séparée de la vie de la, grâce; morte pour l'âme, morte pour le corps, si vous ne quittez une si grande erreur, il me semble que vous n'avez pas compris la vérité de Dieu, comme je l'ai dit; car si vous l'aviez connue, vous auriez mieux aimé mourir que d'offenser Dieu mortellement. Vous ne l'avez pas connue dans votre prochain; mais, poussée par l'ignorance et la passion, vous avez suivi et exécuté le plus déplorable conseil qu'on puisse avoir. Quelle honte pour une personne qui a été chrétienne, catholique et vertueuse, de faire comme le chrétien qui renie sa foi, et [334] d'abandonner les saintes doctrines et le respect que vous aviez pour l'Eglise!

3. Hélas! ouvrez l’œil de votre intelligence, et ne dormez plus dans un tel abîme; n'attendez pas le moment de la mort, après laquelle vous ne pourrez plus vous excuser, et dire: Je croyais faire bien : car vous connaissez que vous faites mal. Oui, dans votre faiblesse et votre égarement, vous vous laissez guider par la passion. Je crois bien que le conseil n'est pas venu de vous. Tachez, je vous conjure, de connaître la vérité, et qui sont ceux qui vous font prendre le mensonge pour la vérité en disant que le Pape Urbain VI n'est pas le vrai Pape, et que l'antipape, qui est réellement un Antéchrist, un membre du démon, est le Christ de la terre? Quelle preuve ont-ils pour le dire? Aucune : leur langage est faux et trompeur; ils mentent sur leur tête. Et que peuvent dire ces hommes pervers, qui sont plutôt des démons incarnés que des hommes? De quelque côté qu'ils se tournent, ils doivent reconnaître qu'ils sont coupables. s'il était vrai que le Pape Urbain VI ne fût point Pape, ils mériteraient mille morts, comme des menteurs convaincus d'imposture. Si d'abord ils l'avaient élu par peur, et non véritablement par une élection régulière, et nous l'avaient cependant présenté comme le vrai Pape, ils nous auraient donné le mensonge pour la vérité, on nous faisant obéir et rendre hommage avec eux a Celui qui ne le méritait pas. Ils l'avaient déjà reconnu, lui avaient demandé des grâces, et les avaient reçues de lui comme du souverain Pontife. Je dis que s'il avait été vrai qu'il ne fût point Pape, ce qui est faux par la bonté de [335] Dieu qui nous a fait miséricorde, je dis que pour cela seulement on ne saurait trop les punir; mais ils sont dignes de mille morts, parce qu'ils disent qu'ils ont élu le Pape par crainte, et que cela n'est pas; ils ne disent pas la vérité, comme des hommes adonnés au mensonge, et ils ne peuvent la cacher parce qu'on voit trop bien leurs ténèbres et leur corruption.

4. On a parfaitement connu celui qu'ils avaient nommé par crainte, quand ils ont eu nommé le vrai Pape, monseigneur Bartholomeo, archevêque de Bari, qui est maintenant le Pape Urbain VI; c'était monseigneur de Saint-Pierre qui, en homme juste et bon, a déclaré qu'il n'était pas Pape, mais que c'était monseigneur Bartholomeo, archevêque de Bari aujourd'hui le Pape Urbain VI, choisi et reconnu comme souverain Pontife, et comme un homme très juste par tous les fidèles chrétiens, malgré les méchants, qui ne sont plus chrétiens, qui n'ont plus le nom du Christ dans la bouche et dans le cœur, mais qui sont des infidèles séparés de la foi, de l'obéissance de la sainte Eglise, du Vicaire de Jésus-Christ sur terre, membres retranchés de la vraie Vigne, fauteurs de schisme et d'hérésie. Vous ne devez pas être assez ignorante, assez séparée de la vraie lumière, pour ne pas connaître leur vie coupable et sans crainte de Dieu. Ceux qui vous ont persuadé une semblable hérésie portent des fruits qui montrent quels arbres ils sont leur conduite prouve bien qu'ils ne disent pas la vérité. Les conseillers qui les entourent, amis ou étrangers, peuvent bien être des hommes de science, mais non pas de vertu; et leur vie, au lieu d'être digne de louanges, mériterait plutôt des reproches [337] pour bien des raisons (La conduite des cardinaux révoltés laissait beaucoup à désirer, comme on peut le voir dans les lettres de sainte Catherine à Grégoire XI. L’antipape Clément VII devait être plus indulgent pour eux que le Pape Urbain VI. (Voir Gigli. t. II, p. 558.). Où est l'homme juste qu'ils ont choisi pour antipape, si le souverain Pontife, le Pape Urbain VI, n'est pas véritablement le Vicaire du Christ? Qui ont-ils choisi? un homme de sainte vie? Non, mais un homme coupable, un démon, car il fait l'office des démons. Le démon cherche à nous séparer de la vérité, et lui fait de même. Et pourquoi n'ont-ils pas choisi un homme juste? Parce qu'ils savaient bien qu'un homme juste aurait mieux aimé mourir que d'accepter leur proposition, car il n'aurait vu en eux aucune apparence de vérité; mais les démons ont choisi le démon, les menteurs , le mensonge. Tout prouve que le Pape Urbain VI est le vrai Pape, et qu'ils sont privés de la vérité et passionnés pour le mensonge.

5. Si vous me dites que malgré toutes ces choses vous n'êtes pas bien convaincue, pourquoi ne restez-vous pas au moins neutre? Admettons que vous n'êtes pas convaincue autant que vous pourriez l'être; si vous ne voulez pas assister temporellement le souverain Pontife jusqu'à ce que vous ayez d'autres preuves, - et alors vous serez obligée de le faire, car les enfants doivent subvenir aux besoins de leur père, - obéissez-lui au moins dans les choses spirituelles, et ne vous prononcez pas pour les autres. Mais vous vous laissez égarer par la haine, le dédain, par la crainte de perdre ce dont vous vous êtes privée vous-même [337]. Vous avez cru un maudit parleur qui vous a ôté la lumière (Sainte Catherine désigne ainsi un jurisconsulte célèbre qui avait entraîné la reine Jeanne dans le schisme.); vous ne connaissez plus la vérité, vous vous obstinez dans le mal, et cette obstination vous empêche de voir le châtiment qui vous menace. Hélas ! je vous le dis avec une douleur profonde, car j'aime votre salut de toute mon âme, si vous ne vous convertissez pas en quittant cette erreur et les autres, le souverain Juge, qui ne laisse jamais nos fautes impunies, lorsque l'âme ne les efface pas par la contrition du cœur, la confession et la satisfaction, le souverain Juge vous punira de manière à effrayer tous ceux qui voudraient se révolter contre la sainte Eglise. N'attendez pas ses coups, car il est dur de résister à la divine justice. Vous devez mourir, et vous ne savez pas quand.

6. Ni vos richesses, ni votre puissance, ni les honneurs du monde, les barons et les peuples qui sont vos sujets quant au corps, ne pourront vous défendre devant le souverain Juge et vous soustraire à la justice divine; mais quelquefois Dieu les prend pour bourreaux, afin qu'ils punissent ses ennemis (Sainte Catherine prophétise ainsi la mort malheureuse de la reine Jeanne, qui fat étranglée par l'ordre de Charles de Duras, le 22 mai 1382.). Vous avez excité et vous excitez le peuple et vos sujets à être plutôt contre vous qu'avec vous, parce qu'ils ont trouvé en vous peu de vérité; ils ont trouvé, non pas un cœur généreux et viril, mais un cœur de femme sans force, sans fermeté, un cœur agité comme la feuille par le vent. Ils se rappellent bien que quand le Pape Urbain VI, le vrai Pape, fut nommé par une bonne et sincère élection, et qu'il fut solennellement couronné, vous avez fait une grande et magnifique fête, comme le devait un fils pour l'exaltation de son père et une mère pour celle de son fils; car il était votre père et votre fils, votre père par la dignité qu'il venait de recevoir, votre fils parce qu'il était sujet de royaume (La reine Jeanne, non seulement avait fait célébrer des fêtes magnifiques à l’occasion de l'élection d'Urbain VI; mais elle lui avait envoyé quarante mille écus d'or, avec de riches présents.); et vous avez bien fait: vous avez de plus commandé d'obéir à sa sainteté comme au souverain Pontife; et maintenant je vois que vous êtes changée comme une femme sans fermeté, et vous voulez qu'ils fassent le contraire. O malheureuse passion! Ce mal que vous avez, vous voulez le leur donner, et vous croyez qu'ils pourront vous aimer, vous être fidèles, quand ils voient que vous les éloignez de la vie pour les conduire à la mort, et qu'au lieu de la vérité vous leur donnez le mensonge. Vous les séparez du Christ du ciel et du Christ de la terre, et vous voulez les lier au démon et à l’antéchrist, le partisan et l'apôtre du mensonge, lui et vous tous qui le suivez.

7. Ne le faites plus, pour l'amour de Jésus crucifié. Vous appelez sur vous les jugements divins, et je gémis de voir que vous ne conjurez pas l'orage qui vous menace. Vous ne pouvez sortir des mains de Dieu, vous appartenez à sa justice ou à sa miséricorde. Changez donc votre vie, afin d'échapper à sa justice et de rester dans sa miséricorde; n'attendez [339] pas le temps : lorsque vous le voudrez, vous ne le pourrez plus. Pauvre brebis, retournez au bercail et laissez-vous conduire par le pasteur, afin que le loup infernal ne vous dévore pas; reprenez pour guides les serviteurs de Dieu, qui vous aiment vraiment plus que vous ne vous aimez vous-même; écoutez plutôt leurs bons et sages conseils que ceux des démons incarnés. Ils vous trompent en vous faisant craindre de perdre les biens temporels, qui passent comme le vent, qui nous quittent ou que nous quittons par la mort. Ce sont eux qui vous ont conduite où vous êtes. Vous gémirez peut-être, en disant : Hélas! hélas comment changer la position où je me suis mise en écoutant par crainte les mauvais conseils? c'est moi-même qui me suis perdue. Mais il est encore temps, très chère Mère, d'éviter la justice de Dieu. Revenez à l'obéissance de la sainte Eglise; reconnaissez le mal que vous avez fait, humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, et Dieu regardera l'humilité de sa servante; il vous fera miséricorde et apaisera la colère que lui causent vos fautes. Grâce au sang du Christ, vous vous attacherez, vous vous lierez à lui par les liens de la charité, et dans cette charité vous connaîtrez et vous aimerez la vérité.

8. La vérité vous délivrera du mensonge, elle dissipera vos ténèbres, vous donnera la lumière et la connaissance dans la miséricorde de Dieu. Dans cette vérité vous serez libre, mais pas autrement. Parce que la vérité nous délivre et que je désire votre salut, j'ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vérité, pour que vous ne soyez pas blessée par le mensonge [340]. Je vous conjure d'accomplir en vous la volonté de Dieu et le désir de mon âme. Oui, je désire votre salut de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. C'est la bonté de Dieu, qui vous aime d'un amour ineffable, qui m'a poussée à vous écrire avec une douleur profonde. Je vous avais déjà écrit sur ce sujet pardonnez si je vous importune, et si je vous parle sans assez de respect; c'est l'amour que j'ai pour vous qui me fait parler avec tant d'assurance; la faute que vous avez commise m'oblige à vous tenir un pareil langage. J'aimerais bien mieux vous dire la vérité de vive voix, pour votre salut, et surtout pour l'honneur de Dieu. J'aimerais mieux employer les actions que les paroles à l'égard de ceux qui ont fait le mal; mais vous êtes bien coupable vous-même; car ni les démons ni les créatures ne peuvent vous forcer à la moindre faute si vous ne voulez pas. Baignez-vous un peu dans le sang de Jésus crucifié ; c'est là que se dissipe le nuage de l'amour-propre, et que se perdent la crainte servile, le poison de la haine et du mépris. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [341].

Table des Matières









XL (317). - A LA REINE JEANNE DE NAPLES . - Elle lui reproche son obstination, et la menace des châtiments de Dieu. - Elle l'exhorte à avoir pitié de son âme.

(Cette lettre écrite en extase, est du 6 mai 1379)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir que vous avez compassion de vous-même, de votre âme et de votre corps; car, si nous n'avons pas pitié de notre âme, la miséricorde et la pitié des autres nous serviront peu. L'âme est bien cruelle, lorsqu'elle met elle-même dans les mains de son ennemi le glaive avec lequel il peut la tuer. Car nos ennemis n'ont pas d'armes qui puissent nous blesser; ils le voudraient bien, mais ils ne le peuvent pas: il n'y a que la volonté qui commet l’offense; et cette volonté, ni les démons, ni les créatures ne peuvent l'ébranler et la forcer à la moindre faute plus qu'elle ne le veut. Ainsi, la volonté coupable qui consent aux tentations de l'ennemi est un glaive qui tue l'âme, quand elle le livre à ses ennemis, avec la main du libre arbitre. Qui est plus cruel de l'ennemi, ou de la personne qui reçoit la blessure? C'est nous qui sommes plus cruels, car nous consentons à notre mort.

2. Nous avons trois ennemis principaux le démon [342] d'abord, qui est faible, si nous ne le rendons pas fort en consentant à ses tentations; il perd sa force par la vertu du sang de l'humble Agneau sans tache. Le monde, avec ses honneurs, ses délices, est encore notre ennemi; mais il est faible, si nous ne le fortifions pas par notre faute, en possédant ses biens avec un amour déréglé : c'est par la douceur, l'humilité, la pauvreté, les opprobres, les affronts et les outrages de Jésus crucifié, qu'a été vaincu ce tyran du monde. Notre troisième ennemi, qui est notre propre fragilité, a été affaibli, et notre raison fortifiée, par l’union que Dieu a faite avec notre humanité dans l'incarnation de son Verbe, et par la mort de ce doux et tendre Verbe, Jésus crucifié. Aussi nous sommes forts, et nos ennemis sont faibles : il est donc bien vrai que nous sommes plus cruels pour nous que nos ennemis; car sans nous ils ne pourraient nous tuer ni nous blesser. Dieu nous les a donnés, non pas pour que nous soyons vaincus, mais pour que nous en triomphions : c'est ainsi que nous montrons notre force et notre constance. Mais je ne vois pas que nous puissions éviter cette cruauté et acquérir cette compassion sans la lumière de la très sainte Foi, en voyant avec l’œil de l'intelligence combien cette cruauté déplaît à Dieu et nuit à l'âme et au corps, et combien cette compassion est agréable à Dieu et utile à notre salut.

3. O très chère Mère, - je vous appelle Mère, à la condition que vous serez la fille soumise de la sainte Eglise, - il me semble que vous n'avez aucune compassion de vous-même. Hélas! hélas! parce que je vous aime, je gémis du triste état de votre âme et de [343] votre corps; je donnerais de bon cœur ma vie pour vous sauver de cette cruauté (Le désir de sainte Catherine était d'aller à Naples; Urbain VI voulait l'envoyer à la reine; mais il en fut empêché par le refus de sainte Catherine de Suède. (Vie de sainte Catherine, p. III, c. 1.). Je vous ai écrit plusieurs fois avec compassion, pour vous montrer que ce qu'on vous donne pour la vérité est un mensonge, et que la verge de la justice divine est prête à vous frapper, si vous ne sortez de cette erreur. Le péché est naturel à l'homme, mais la persévérance dans le péché est l’œuvre du démon. Hélas! personne ne vous dit la vérité, et vous ne cherchez pas les serviteurs de Dieu qui pourraient vous la dire, afin de vous retirer de l'état de damnation. Oh! combien mon âme serait heureuse, si je pouvais aller vous trouver et donner ma vie pour vous rendre les biens du ciel et de la terre, pour ôter l'arme de la cruauté, avec laquelle vous vous tuez vous-même, et pour vous aider à prendre l'arme de la piété, qui tue le vice, c'est-à-dire à vous revêtir de la sainte crainte de Dieu et de l'amour de la vérité, et de vous unir à sa douce volonté. Hélas! n'attendez pas le temps que vous n'êtes pas sûre d'avoir; ne faites pas que mes yeux aient à répandre des torrents de larmes sur votre pauvre âme et sur votre corps. Votre âme, je l'aime comme la mienne, et je vois qu'elle est morte, puisqu'elle est séparée de sa vie. Ce n'est pas le Pape Urbain VI qu'elle poursuit, c'est la vérité, c'est notre Foi.

4. Ma Mère et ma fille, d'après ce que vous m'écriviez, j'espérais que cette Foi serait par vous, avec la [344] grâce divine, répandue parmi les infidèles, annoncée et secourue parmi nous, lorsque nous avons vu paraître le schisme; j'espérais que vous la défendriez contre ceux qui en sont souillés; mais je vois maintenant que vous faites tout le contraire, à cause du mauvais conseil que vous avez reçu en punition de mes péchés; vous l'avez écouté sans avoir compassion de votre salut; et il n'y a pas de créature qui puisse réparer votre malheur : vous serez obligée d'en rendre compte vous-même devant le souverain Juge. Vous n'avez pas péché par ignorance de la vérité, car vous la connaissiez; mais vous ne savez pas revenir sur ce que vous avez fait, parce que l'arme mauvaise de la volonté propre vous retient et vous aveugle, en vous faisant regarder comme une honte ce qui vous honorerait au contraire beaucoup:

Car en persévérant dans votre faute et dans le mal que vous commettez, vous vous faites blâmer et mépriser par toutes les créatures, tandis qu'en vous convertissant, vous vous honorerez, et la gloire de votre conduite détruira la mauvaise impression de vos erreurs passées. Quant aux biens temporels et éphémères qui fuient comme le vent, vous n'avez pas non plus raison; car vous devez craindre d'en être enfin privée, d'être déclarée publiquement hérétique. Mon cœur se brise et ne peut se briser davantage, dans la crainte que le démon n'obscurcisse l’œil de votre intelligence au point de vous empêcher d'éviter le malheur et la confusion qui vous menacent; et vous ne pouvez pas certainement tomber dans une infortune plus grande.

5. Vous ne pouvez vous excuser en disant : Cela [345] m’arrive injustement, et ce qui arrive injustement ne cause pas de honte. Vous le mériterez justement par la faute que vous avez commise; et le Pape peut le faire, comme le véritable Souverain Pontife, car il a été bien et légitimement élu. S'il ne l'avait pas été, vous ne seriez pas coupable. Il serait donc dans son droit; par amour, et comme un bon père qui veut donner à son fils le temps de se corriger, il ne l'a pas fait, mais je crains qu'il n'y soit enfin forcé par la justice et par votre longue persévérance dans le mal. Et je ne vous dis pas cela légèrement et sans savoir ce que je dis (Urbain VI différa longtemps; il n'excommunia la reine Jeanne que dans les premiers mois de 1330.). Si vous me dites : Je suis sans inquiétude, je suis forte et puissante, j'ai d'autres princes qui me soutiendront, et je sais qu'il est faible; je vous répondrai, que c'est en vain que travaille celui qui compte sur sa force et sa vigilance pour garder la cité, si Dieu ne la garde. Oserez-vous dire que vous avez Dieu pour vous? Non, il est impossible de le dire, car vous l'avez mis contre vous: en vous mettant contre la vérité, vous vous êtes mise contre lui. La vérité délivre celui qui est pour la vérité, et personne ne peut la confondre. Vous avez raison de craindre, et de ne pas vous confier dans votre force et votre puissance, même lorsqu'elle serait plus grande que celle que vous avez; et lui a raison de se rassurer de sa faiblesse dans le Christ, le doux Jésus, dont il tient la place, et de se confier en sa force et en son secours. De quel côté viendra le secours? Personne ne peut l'imaginer; mais vous [346] savez que si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?

6. Craignons donc Dieu et tremblons sous la verge de sa justice; corrigeons-nous, et n'allons pas au delà: ayez compassion de vous-même, et vous attirerez sur vous la compassion de Dieu. Ayez aussi compassion de tant d'âmes qui périssent a cause de vous, et dont il faudra rendre compte devant Dieu au moment suprême de la mort. Revenez, il en est encore temps, et il vous recevra avec une grande bonté. Je suis persuadée que si vous avez compassion de votre âme et aussi de votre corps, si vous ne leur êtes pas cruelle, vous le ferez, et vous aurez pitié de vos sujets: mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir compatissante et non cruelle pour votre âme. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, Croyez cette vérité et faites-la publier telle qu'elle a été annoncée à vous et aux autres princes du monde. si vous dites : Je doute encore, restez neutre au moins, jusqu'à ce que vous voyez avec évidence, et ne faites pas ce que vous ne devez pas faire. Recherchez les explications et les conseils de ceux que vous voyez craindre Dieu, et n’écoutez pas les membres du démon qui vous conseilleraient mal sur ce qu'ils ignorent eux-mêmes. Craignez Dieu, fixez vos regards sur lui, et pensez qu'il vous voit, que son œil est toujours sur vous, et que sa justice veut que toute faute soit punie et tout bien récompensé. Ayez, ayez pitié de vous-même. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [346].

Table des Matières









XLI (318). - A LA REINE, QUI ETAIT A NAPLES.- Elle la prie de s’appliquer à la connaissance d’elle-même pour connaître le danger où elle se trouve. - Elle la presse de revenir à l’obéissance de la sainte Eglise.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chère et très révérende Mère, je vous aimerai quand je vous verrai la fille soumise et obéissante de la sainte Eglise; je vous respecterai quand vous en serez digne, en abandonnant les ténèbres de l’hérésie et en suivant la lumière. Moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous une vraie connaissance de vous-même et de votre Créateur. Et cette connaissance est nécessaire à notre salut, car toute vertu vient de cette sainte connaissance. Où se trouve la véritable humilité? Dans la connaissance de nous-même; car l'âme qui reconnaît qu'elle n'est rien, et qu'elle tient de Dieu tout son être, ne peut lever la tête avec orgueil contre son créateur, ni contre son prochain; car ce qui n'est rien par soi-même ne peut s'enorgueillir. Et où l'âme s’afflige-t-elle de sa faute? Dans la connaissance d'elle-même, en considérant pieusement quelle est celle qui a offensé Dieu, et quel est le Dieu qu'elle a offensé. Elle voit qu'elle n'est, quant à son corps, qu'un peu de fange faite avec le rebut de la terre, et qu'elle n'est réellement qu'un foyer de corruption, méprisable sous tous les rapports, soumise à toutes sortes de misères et de nécessités [348], sujette à la mort, qu'elle attend sans savoir l'heure. Quand elle voit qu'un être si misérable est un instrument qui ne sert à autre chose qu'à offenser audacieusement l'éternel et souverain Bien, la douce bonté de Dieu, dont elle a reçu l'être et toutes les grâces ajoutées à la vie spirituelle et temporelle, alors elle déteste sa fragilité, et elle reconnaît, par les grâces reçues de Dieu, que nous devons le servir et non pas l'offenser.

2. Nous sommes tenus à lui rendre gloire; nous ne pouvons lui être utiles, puisqu'il est notre Dieu, et qu’il n'a pas besoin de nous, tandis que nous avons besoin de lui; car sans lui nous ne pourrions rien avoir. Par notre faute, nous perdons la vie de la grâce et notre dignité: car nous perdons la lumière de la raison et nous devenons semblables à l'animal, qui en est privé. O aveuglement humain! peut-il y avoir de misère plus grande que de ressembler à des animaux stupides? Si quelqu'un nous dit : Tu n'es qu'un animal stupide, nous ne pourrons le souffrir, et nous chercherons à nous venger de celui qui nous l'aura dit et cependant notre faiblesse est telle, que nous descendons nous-mêmes au rang des bêtes, et que nous ne nous vengeons pas de l'appétit sensitif et de l'amour-propre qui nous mettent dans cet état. Et tout cela nous arrive, parce que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, nous ne déplorons pas nos fautes. Pourquoi? Parce que nous ne connaissons pas ce qui suit la faute et où elle nous conduit car si nous le connaissions véritablement, nous quitterions le vice et les habitudes déréglées, et nous embrasserions la vertu. Alors nous rendrions [349] honneur à Dieu, nous conserverions la beauté, la dignité de notre âme; nous suivrions la doctrine de la vérité, et en la suivant nous serions les fils de cette vérité.

3. O très douce Mère, je désire vous voir affermie dans cette vérité; vous la suivrez en vous connaissant bien vous-même, mais pas autrement: c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir connaître vous-même. Je vous invite à la connaissance de cette vérité, afin que vous puissiez l'aimer. C'est la vérité que Dieu vous a créée pour vous donner la vie éternelle; et si vous regardez l'humble Agneau, vous verrez que son sang a manifesté cette vérité; car il a été répandu et donné pour notre rançon, et il est distribué dans ce corps de la sainte Eglise, qui promet à celui qui l'aime, qu'en vertu de ce sang il recevra la vie éternelle au moyen de la sainte confession, de la contrition et de la satisfaction ; elle lui promet aussi que tout bien sera récompensé, et toute faute punie, nous donnant ainsi la sainte crainte et l'amour, en nous invitant, si nous craignons la peine, à craindre aussi la faute. Vous savez bien, très chère Mère, que la vérité ne peut mentir pourquoi donc combattre cette vérité? Car en combattant la vérité de la sainte Eglise et du Pape Urbain VI, vous combattez la vérité de Dieu et vous perdez le fruit du sang de Jésus-Christ, puisque la sainte Eglise est fondée sur cette vérité. Si vous ne pensez pas à votre salut, pensez du moins aux peuples qui vous sont confiés, à vos sujets, que vous avez gouvernés si longtemps avec tant de sagesse et dans une paix si profonde et maintenant, parce [350] que vous combattez la vérité, les voilà malheureusement divisés, se faisant la guerre et se déchirant comme des bêtes féroces.

4. Hélas! comment votre cœur ne se brise-t-il pas de les voir ainsi séparés? L'un tient pour la rose blanche, et l'autre pour la rose rouge; celui-ci pour la vérité, celui-là pour le mensonge (Les deux partis d'Urbain VI et de Clément VII avaient à ce qu'il paraît, pris pour signe de ralliement la rose blanche et la rose rouge, comme le firent plus tard, en Angleterre, les maisons de York et de Lancastre.). Hélas! que mon âme est à plaindre! Vous ne voyez pas qu'ils ont tous été créés par la rose très pure de l'éternelle volonté de Dieu, et qu'ils ont été régénérés à la grâce dans la rose rouge très ardente du sang de Jésus-Christ; et ce sang nous a lavés de nos fautes par le saint baptême, nous a rendus chrétiens, et nous a mis dans le jardin de la sainte Eglise. Considérez que ni vous ni d'autres ne pouvez les purifier et leur donner ces deux roses glorieuses; il n'y a que notre Mère la sainte Eglise qui les donne par le moyen du Souverain Pontife, et c'est le Pape Urbain VI qui tient les clefs du précieux Sang; comment donc votre âme peut-elle consentir à les priver de ce que vous ne pouvez leur donner? Ne voyez-vous pas que vous êtes cruelle pour vous-même? car le tort que vous leur faites diminue votre puissance; et de plus vous êtes tenue de rendre compte à Dieu des âmes qui périssent. Et quel compte pourrons-nous rendre? Un bien terrible; et de quelle confusion serons-nous couverts lorsque nous nous présenterons devant le souverain Juge à [351] l'heure suprême de la mort qui approche! Hélas! Si cela ne vous touche pas, vous devriez au moins être ébranlée par le mépris où vous êtes tombée. La faute que vous avez commise après votre conversion est bien plus grave que la première (Après la défaite des troupes de Clément VII par le comte Albéric de Balbiano, la reine de Naples avait envoyé des ambassadeurs à Urbain VI; mais elle les rappela sans rien conclure.); elle a déplu bien davantage à Dieu et aux créatures; car cette dernière fois, vous aviez reconnu la vérité et votre faute, et vous vouliez recourir, comme une fille soumise, à la miséricorde et à la bonté de votre Père, et ensuite vous avez fait pire qu'auparavant.

5. Est-ce parce que votre cœur n'était pas sincère, et simulait ce qui n'était pas? est-ce parce que la justice divine a voulu me faire expier mes anciens péchés par cette affliction nouvelle? Je ne mérite pas de vous voir dans la paix et le repos, vous nourrissant sur le sein de la sainte Eglise, qui attend pour vous donner et pour recevoir de vous la nourriture elle vous nourrirait de grâces dans le sang de l'Agneau, et vous la soutiendrez avec vos ressources. Voyez combien l'Eglise de Rome, qui est le centre de notre Foi, est restée veuve de son Epoux, et nous privés de notre Père. Lorsqu'elle l'a retrouvé, je vous admirais; vous étiez la colonne qui soutenait cet Epoux, le bouclier qui paraît les coups et qui s'opposait à ceux qui voulaient l'enlever quelle ingratitude maintenant! car non seulement il est votre Père par sa dignité, mais il est votre fils et n'est-ce pas une grande cruauté d'agir si différemment [352], une fille agir contre son père, une mère contre son fils! Ma peine est si grande, qu'il m'est impossible de porter en cette vie une croix plus pesante. Et je pense que j'ai reçu de vous une lettre ou vous me confessez que le Pape Urbain était bien le Souverain Pontife; vous me disiez que vous vouliez lui obéir et je vois maintenant le contraire.

6. Oh! pour l'amour de Dieu, confessez sincèrement votre faute. La confession, pour être bonne, doit être accompagnée de la contrition du cœur et de la satisfaction. Satisfaites donc en rendant l'obéissance que vous devez, puisque vous avez reconnu qu’Urbain VI était le Vicaire de Jésus-Christ sur terre. Soyez obéissante, et vous recevrez le fruit de la grâce, vous apaiserez la colère de Dieu contre vous. Où est la vérité qui doit toujours se trouver dans la bouche d'une reine (C'était ce que disait le roi de France Jean, cousin de la reine.)? Sa parole devrait être certaine comme l’Evangile, et lorsqu'elle a promis quelque chose conforme à la raison et selon Dieu, elle ne devrait jamais changer et je vois, je prouve que vous avez promis d'obéir au Souverain Pontife; et ensuite vous avez dit et fait tout le contraire. Quel étonnement et quelle affreuse douleur de voir l’œil de votre intelligence tellement obscurci par l'amour-propre, les illusions du démon et les mauvais conseils, que vous ne vous inquiétez pas de la damnation de votre âme, de la ruine de votre peuple qui se perd âme et corps, de votre malheur et du mépris du monde. Très douce Mère, pour [353]

l'amour de Jésus crucifié, soyez-moi douce, et non pas amère; revenez un peu à vous-même, et ne dormez plus d'un pareil sommeil ; mais réveillez-vous en profitant de cet instant qui vous est accordé. N'attendez pas le temps, car lui n'attend pas. Connaissez-vous véritablement vous-même, et connaissez la grande bonté de Dieu à votre égard. Il est patient, et ne vous a pas ôté la vie dans cet état ténébreux; c'est une preuve de son infinie miséricorde. Embrassez donc la vertu par un saint désir, revêtez-vous de la vérité en revenant à votre Père avec humilité et sincérité, et vous trouverez la miséricorde et la clémence dans sa Sainteté; car c'est un Père tendre, qui désire la vie de son enfant.

7. Pour l'amour de Jésus crucifié, ne restez pas dans la mort spirituelle, afin que cette souillure si triste et si déplorable ne vous reste pas après votre vie; car la mort corporelle vous menace sans cesse, vous et les autres, surtout ceux qui ont passé l'âge de la jeunesse (La reine Jeanne avait alors cinquante-cinq ans); aucune créature, quelle que soit sa puissance, ne saurait s'en défendre; c'est une sentence qui nous atteint dès que nous sommes conçus dans le sein de notre mère; personne ne peut éviter de la subir : et nous ne sommes pas des animaux, qui une fois morts n'existent plus ; nous sommes des créatures raisonnables créées à l'image et ressemblance de Dieu: et quand le corps meurt, l'âme ne meurt pas quant à l'être, mais elle meurt quant à la grâce par sa faute en mourant dans le péché mortel. Ainsi il n'y a pas à reculer. Soyez [354] compatissante et non pas cruelle pour vous-même. Répondez à Dieu qui vous appelle avec clémence et bonté; ne soyez pas lente à lui répondre, mais répondez-lui généreusement, afin que vous n'entendiez pas cette dure parole : Tu ne t'es pas souvenue de moi pendant la vie, je ne me rappelle pas de toi dans la mort: tu ne m'as pas répondu quand je t'appelais, quand il était temps; le temps est maintenant passé, il n'y a plus de remède. J'espère que l'infinie bonté de Dieu vous fera la grâce de vous forcer à lui répondre avec un grand zèle, avec une prompte obéissance à la sainte Eglise et au Pape Urbain VI. Dieu ne méprisera pas tant de prières et de larmes que ses serviteurs lui offrent pour votre salut. Soyez reconnaissante de tant de bienfaits, afin qu'il nourrisse en vous la source de la piété. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [355].

Table des Matières









XLII (188). - AU ROI LOUIS DE HONGRIE. - De la charité et des effets qu'elle produit. - Aveuglement de ceux qui refusent de reconnaître le véritable Pape Urbain VI. - Sainte Catherine exhorte ce prince à prendre la défense de la sainte Eglise, et à ne pas se laisser entraîner par l'amour de la reine Jeanne, qui est tombée dans l'hérésie.

(Le roi Louis de Hongrie était petit-fils de Charles Il, roi de Naples, fils de Charles II duc d'Anjou, et frère le Saint Louis. Il naquit en 1326, fut roi de Hongrie en 1342, roi de Pologne en 1370, et il mourut en 1382. Il mérita par sa valeur et sa sagesse le surnom de Grand.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondée dans la vraie et parfaite charité. La charité ne cherche pas ses intérêts, mais seulement la gloire et l'honneur de Dieu dans le salut des âmes; elle ne cherche pas le prochain pour soi-même, mais pour Dieu. La charité est une mère qui nourrit sur son sein les vertus, ses enfants ; car sans la charité, aucune vertu ne peut exister. L'homme pourrait bien faire des actes de vertu, mais il n'aurait pas de vertu réelle sans l'effet de la charité. Aussi le glorieux apôtre saint Paul disait : " J'aurais beau donner mes biens aux pauvres, livrer mon corps aux flammes, parler la langue des anges, connaître les choses futures, si je n'ai pas la charité, tout m'est inutile. " [356] La charité aime ce que Dieu aime, et déteste ce que Dieu déteste. Celui qui la possède se dépouille du vieil homme, c'est-à-dire du péché, qui déplaît tellement à Dieu, qu'il a voulu le punir sur le corps de son Fils. Il se revêt de l'homme nouveau, du Christ, le doux Jésus ; il s'unit à lui, en suivant sa doctrine dans quelque position qu'il soit.

2. L'âme qui est dans la charité n'oublie jamais de suivre les traces du Christ ; elle méprise le monde avec toutes ses délices, les prenant pour ce qu'elles valent, pour des choses sans durée et sans consistance ; elle les reçoit et les possède comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent, parce qu'elle voit et comprend qu'elles lui manquent ou qu'elle leur manque au moment de la mort. La charité rend l'âme bienveillante et tendre pour ses ennemis, pour ceux que le monde prend pour des ennemis, mais qui ne sont pas des ennemis. Les véritables ennemis de l'homme sont le monde, le démon, la chair fragile et notre nature, qui combat sans cesse contre l'esprit. Le monde par ses plaisirs nous entraîne à la légèreté de cœur, à des joies frivoles et déréglées ; le démon, par les pensées qu'il met dans le cœur de ceux qui nous font injure, nous excite à la colère et à l'impatience, pour nous priver de la charité, qui donne la vie de la grâce ; la sensualité, par ses mouvements et ses révoltes, nous sollicite à toute sorte de vice. Ce sont là nos ennemis. Il est vrai que si la raison le veut, ces ennemis deviennent faibles par la vertu du sang de Jésus-Christ. L'âme qui est dans la charité parfaite s'élève avec une grande haine contre eux elle fait la guerre au vice, et la paix avec [357] la vertu; mais pour ceux que le monde appelle des ennemis, pour ceux qui l'injurient ou lui prennent ses biens, elle les traite en amis, elle les aime comme des créatures que Dieu lui commande d'aimer; et souvent, avec cet amour, elle dissipe les ténèbres de la haine dans le cœur du prochain ; elle semble vraiment jeter les charbons ardents de la charité sur sa tête.

3. C'est là un des signes particuliers qui montrent si l'âme est dans la charité ou non. Elle ne méprise personne, mais elle supporte avec patience les défauts des autres; elle ne s'irrite pas, mais elle est pleine de douceur; elle ne rend pas l'homme injuste, mais juste, lui faisant rendre à chacun ce qui lui est dû, qu'il obéisse ou qu'il commande. Il rend gloire à Dieu et louange à son nom; il a pour lui la haine et l'horreur du péché, et pour le prochain l'amour et la bienveillance. S'il est puissant et qu'il ait à exercer la justice, il écoute le grand comme le petit, le pauvre comme le riche. Il ne souille pas sa conscience en cédant aux flatteries, aux menaces, au plaisir ou au déplaisir; mais il tient la balance droite, rendant à chacun ce que veut la justice. Il sert avec zèle son prochain, montrant envers lui l'amour qu'il a pour Dieu : il ne peut rendre service à Dieu, mais il s'applique à rendre service à ce que Dieu aime tant, à la créature raisonnable, qui lui est donnée comme intermédiaire, Combien est douce la charité, cette tendre mère! Elle est sans amertume, et toujours elle donne la joie au cœur de celui qui la possède.

4. Très cher Père, vous pourrez peut-être me dire: J'aime beaucoup la charité, mais comment puis-je [358] bien savoir si je l'ai ? Je vous répondrai : si l'âme trouve en elle-même les conditions que nous avons reconnues à la charité. Elles se résument toutes en deux principales : d'abord dans la vraie et sainte patience, qui supporte toutes les injures petites ou grandes, de quelque côté qu'elles viennent, et qui les supporte avec un esprit calme et tranquille; puis dans le zèle à soulager les besoins du prochain autant qu'il est possible. Ainsi la première condition de la charité est de supporter les injures, la seconde de donner et que donner ? L'affection de la charité, en aimant le prochain comme soi-même, et en assistant les créatures selon ce que Dieu donne de grâces et de biens spirituels et temporels : l'âme se trouve disposée à prendre et à goûter la parole de Dieu, et elle s'applique à l'observer jusqu'à la mort. Il y a bien d'autres signes de la charité, mais je ne veux pas trop m'étendre, et je parle seulement des deux principaux. Oh! combien est heureuse l'âme qui se nourrit sur le sein d'une si douce mère Elle est humble, elle est obéissante, et elle aimerait mieux mourir que de n'être pas sou mise à Jésus crucifié et à son Vicaire.

5. Ne faites pas comme ceux qui sont privés de la charité et plongés dans l'amour d'eux-mêmes; cet amour a empoisonné le monde entier c'est un venin qui infecte l'âme; il la remplit de colère et d'impatience, il engendre la haine envers Dieu et envers le prochain, il répand dans l'âme des ténèbres qui l'empêchent de connaître et de discerner. la vérité et vous voyez, très cher Père, combien les hommes coupables qui s'aiment eux-mêmes ont obscurci cette douce lumière dans le corps mystique de la sainte Eglise [359].

6. Hélas! ceux qui devaient être les colonnes et les défenseurs de la sainte Foi sont ceux qui l'ont combattue. Quels sentiments ont dirigé ceux qui ont élu le Vicaire de Jésus-Christ, le Pape Urbain VI ? Ils l'ont nommé par une élection très régulière, ils l'ont couronné avec grande solennité ; ils lui ont rendu hommage comme Souverain Pontife; ils lui ont demandé des grâces, et ils en ont profité ; ils l'ont annoncé par toute la terre, non par crainte des hommes, mais uniquement parce que c'était la vérité. Et maintenant ils disent que ce n'est pas le Pape ; ils ont nommé un antipape qu'on pourrait appeler un membre du démon ; car s'il eût été membre du Christ, il eût mieux aimé mourir que de consentir à une pareille abomination. Je dis que l'amour-propre est la cause de tout le mal; car s'ils avaient aimé la vertu et non leur sensualité, ils n'auraient pas agi de la sorte et ils auraient été contents de ce que le Christ de la terre voulait corriger leur vie et faire cesser les coupables désordres qu'eux et d'autres commettaient dans le jardin de l'Eglise. Il semble bien qu'ils ont pris l'office du démon. Le démon, qui a perdu Dieu et qui est privé de sa vision, voudrait que nous fussions comme lui, et il fait tous ses efforts pour nous entraîner dans l'éternelle damnation. De même, ces aveugles qui conduisent des aveugles dans les ténèbres voudraient nous faire partager leurs erreurs; ils ne songent pas, les malheureux, qu'il faudra rendre compte devant le Juge suprême de leur conduite et de tant d'âmes qui périssent par leur faute. Je ne veux pas en dire davantage sur ce malheur et sur leur iniquité, parce qu'il me semble que Dieu a [360] éclairé l’œil de votre intelligence pour faire connaître leurs mensonges et les droits du Pape Urbain VI qu'ils nous ont eux-mêmes annoncés; car si vous ne les connaissiez pas, vous suivriez leurs déplorables erreurs.

7. Le bon Dieu vous a fait une grande grâce en vous préservant des ténèbres et en vous donnant la lumière. Il semble que notre doux Sauveur, parce que vous avez été toujours le défenseur et le champion de notre Foi contre les infidèles, veut encore que vous soyez le défenseur de la sainte Eglise, et que vous vous consacriez tout entier à faire triompher la vérité et la sainte Foi contre les hérétiques et les faux chrétiens qui l'attaquent (Louis de Hongrie avait défendu victorieusement la chrétienté contre les Tartares et les Valaques. Il avait mérité de recevoir d’Innocent VI le titre de gonfalonier de la sainte Eglise. Rien ne put le détacher de l'obéissance d'Urbain VI.). Il ne faut pas perdre de temps, mais il faut répondre avec ardeur à Dieu, qui vous charge de ce ministère. Mettez de côté toute autre affaire; le doux et tendre Jésus, qui a donné sa vie pour vous avec tant d'amour, veut que vous n'ayez d'autres ennemis que les ennemis de la sainte Eglise et de la lumière de la très sainte Foi. Vous devez faire la paix avec les autres par amour de la vertu, pour ne pas être privé de la charité et pour secourir la sainte Eglise (Il était alors en guerre avec la république de Venise.). Souffrirez-vous que l’antéchrist, un membre du démon, et une femme, ruinent notre foi et nous jettent dans les ténèbres et la confusion? Je vous dis que si vous et les autres princes ne faites pas ce que vous pouvez faire, vous serez coupables devant Dieu et durement repris de la [361] négligence et de la tiédeur de votre cœur. Je ne veux pas que nous attendions son jugement, car il est bien plus terrible et bien autre que celui des hommes.

8. Je vous en conjure, venez et ne tardez pas davantage. Prenez cette affaire en main. Puisque Dieu vous la confie et vous met le fardeau sur les épaules, acceptez avec un respectueux amour; ayez compassion de notre Père Urbain VI, qui se désole de voir ses brebis emportées pur le loup infernal. Il est vrai qu'il prend courage en son Créateur comme un homme qui place toute sa foi et son espérance on lui; mais il espère aussi que Dieu vous disposera à recevoir le fardeau pour l'honneur de Dieu et le bien de la sainte Eglise. Je vous prie pour l'amour de Jésus crucifié d'accomplir la volonté de Dieu et son désir en vous. Oui, ouvrez l’œil de votre intelligence sur ces morts; soyez le disciple de ces glorieux martyrs qui se renonçaient eux-mêmes et se livraient aux supplices et à la mort pour l'amour de la sainte Foi. Le monde entier est divisé par le schisme; la voie de l'enfer est ouverte, et personne ne résiste, parce qu'on ne trouve que des hommes qui s'aiment eux-mêmes; ils ne recherchent que leurs intérêts particuliers, que les richesses et les honneurs du monde et c'est là une grande pauvreté. Mais pour les âmes rachetées au prix du sang de Jésus crucifié, ils ne s'en occupent pas. Je veux donc que vous soyez dans la vraie et parfaite charité, comme je vous ai dit que je le désirais, afin que vous soyez un homme généreux et prêt à faire tout ce qui sera possible : laissez tout pour l'honneur de Dieu et pour la sainte Foi. J'espère que son infinie bonté touchera votre esprit et votre[362] conscience puissiez-vous trouver dans votre conscience un aiguillon qui ne vous laisse pas tranquille jusqu'à ce que je voie en vous ce que Dieu y demande !

9. Un grand bien résultera de votre arrivée : peut-être que la vérité triomphera sans aucune force humaine, et que cette pauvre reine sortira de son obstination ou par crainte, ou par amour. Vous voyez combien elle a été protégée par le Christ de la terre, qui n'a pas voulu la priver réellement de ce dont elle s'était privée par sa conduite; il a attendu son repentir, et cela par affection pour vous. Aujourd'hui, s'il le faisait, il serait bien excusable devant Dieu et devant vous. Vous-même vous devriez être content qu'il en soit ainsi, puisqu'elle ne veut pas profiter de la miséricorde. Vous ne devez vous laisser troubler par aucune passion, parce qu'il vous semblerait qu'il serait peu honorable pour vous et pour votre royaume qu'elle fût déclarée hérétique. Cela est vrai, vous trouvez peu d'honneur à voir son hérésie connue et manifestée, mais vous en trouverez à vouloir que la justice triomphe et punisse le mal dans quelque personne que ce soit, fût-ce même dans votre fils (Louis de Hongrie n’eut que deux filles de la reine sa femme Elisabeth de Bosnie : Marie, qui lui succéda sur le trône de Hongrie, et qu’on appela le roi Marie ; et Edwige, qui donna la couronne de Pologne à son cousin Ladislas Jagellon, duc de Lithuanie.) : et il serait même plus glorieux de faire justice de votre fils que de tout autre. Je sais bien que si vous demeurez dans la charité notre douce mère, vous reconnaîtrez qu'il on est ainsi; mais si nous nous [363] laissons entraîner par la fumée et le bon plaisir du monde, comme font les hommes faibles d'intelligence et de volonté, vous ne le connaîtrez pas. Que Dieu répande en vous sa lumière et sa grâce; montez la barque de la sainte Eglise, et travaillez à la conduire au port de la paix et du repos. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si je vous ai entretenu trop longuement; l'amour et la douleur de la perte des âmes me servent d'excuse, et aussi la volonté de Dieu, qui m'a forcée à vous écrire. Doux Jésus, Jésus amour. Encouragez la reine de la part de Jésus-Christ et de la mienne, et recommandez-moi à elle .

Table des Matières









XLIII (311). - A LA REINE DE HONGRIE, mère du roi. - De l'amour divin; il s'accroît par la connaissance de nous-même, et doit s'étendre à l'amour du prochain. - Nous devons aimer particulièrement la sainte Eglise.

(Elisabeth, fille de Ladislas, roi de Pologne, veuve de Charles-Robert, roi de Hongrie, et mère de Louis à qui est adressée la lettre précédente. Elle mourut en 1380. Elle fut très attachée à Urbain VI, et lui envoya une tiare magnifique enrichie de pierreries en remplacement de celle qu'avait emportée l'archevêque d'Arles, en quittant Rome avec les cardinaux français.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chère et révérende Mère dans le Christ Jésus, votre indigne Catherine, la servante et l'esclave des [364] serviteurs de Jésus-Christ, vous écrit avec le désir de vous voir embrasée et enflammée du doux et tendre feu de l'Esprit-Saint; car c'est l'amour qui dissipe les ténèbres et donne la parfaite lumière, qui détruit l'ignorance et donne la parfaite connaissance. Oui, l'âme qui est remplie de l'Esprit-Saint, c'est-à-dire du feu de la divine charité, reconnaît toujours son néant, et ne s'attribue que le péché : tout son être, toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels, elle reconnaît les devoir à son Créateur; et tout ce qu'elle a reçu, tout ce quelle reçoit, elle sait que c'est gratuitement, et non par obligation pour des services qu'elle a rendus. Cette conviction, vénérable Mère, enrichit l'âme et lui donne le plus riche trésor qu'elle puisse posséder; car en connaissant son néant, elle est conduite peu à peu à connaître la hanté de Dieu à son égard, et de cette connaissance découle une humilité profonde qui, comme une eau bienfaisante, éteint le feu de l'orgueil et allume le feu d'une ardente charité : il naît de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard, parce que l'âme, en voyant l'amour infini de Dieu pour elle, ne peut s'empêcher de l'aimer.

2. Une condition de l'amour est d'aimer ce qu'aime celui qu'on aime, et de haïr ce qu'il hait : aussitôt que nous nous sommes vus et que nous avons vu la Bonté divine, nous aimons et nous haïssons; et il est impossible que, sans cette connaissance, nous puissions participer à la grâce divine, car celui qui ne se connaît pas tombe dans l'orgueil et dans tous les vices; et parce que l'orgueil aveugle l'âme, l'appauvrit, la dessèche en lui ôtant la nourriture de [365] la grâce, celui-là n'est plus capable de se gouverner et de gouverner les autres. C'est pourquoi j'ai dit que je désirais vous voir remplie du feu de l'Esprit-Saint; car je sens que si vous voulez vous conduire et conduire vos sujets, vous avez besoin d'une grande lumière, d'un grand et ardent amour pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures, afin de n'être pas égarée par l'amour-propre et la crainte servile. Mais je veux vous voir dépouillés de vous-mêmes, vous et votre fils, et tout embrasés de ce feu d'amour. C'est lorsque nous haïrons notre sensualité, qui veut toujours se révolter contre le Créateur, que nous aimerons vraiment les vertus du doux et bon Jésus.

3. Mais vous savez que nous ne pouvons montrer cet amour sans le moyen de notre prochain, car c'est sur cet amour que reposent les commandements de la loi, aimer Dieu par-dessus toutes choses et le prochain comme nous-mêmes, d'un amour pur, et non pas mercenaire, c'est-à-dire, nous aimer, aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, comme étant la Bonté suprême, qui mérite tout notre amour. Et vraiment, très chère Mère, quand l'âme regarde l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix, à cause de l'amour ineffable qu'il a pour sa créature, elle conçoit un si grand amour pour le salut des âmes, qu'elle se livrerait cent mille fois à la mort pour sauver une âme de la mort éternelle. Personne ne peut faire un sacrifice qui soit plus agréable à Dieu que celui-là. Vous savez qu'il a tant aimé cette nourriture, qu'il n'a pas craint, pour la prendre, les amertumes, les souffrances, la mort, les outrages notre ingratitude même ne l'a pas empêché [367] de courir, comme enivré et passionné pour notre salut, jusqu’à l'opprobre de la très sainte Croix. Je vous invite donc, vous et votre fils, à cette douce nourriture. Nous avons trouvé le lieu où il faut la prendre, et voici le moment, car le fruit est mûr. Ce lieu est le jardin de la très sainte Eglise dans ce jardin se nourrissent tous les fidèles chrétiens; c'est là qu'est planté l'arbre de la Croix, où est attaché le Fruit divin, l'Agneau immolé pour nous avec amour si ardent, qu'il désirait enflammer tous les cœurs. O Fruit très doux, si plein de joie, d'allégresse, de consolation, quel cœur pourrait ne pas se briser d'amour en regardant ce Fruit savoureux, le doux et bon Jésus, que Dieu le Père a donné pour Epoux à la sainte Eglise I

4. Oui, nous devons nous passionner pour la sainte Eglise par amour pour Jésus crucifié. Hâtez-vous de secourir cette Epouse baignée dans le sang de l'Agneau, et voyez que tout le monde lui nuit, les chrétiens comme les infidèles. Vous savez que c'est dans le moment du besoin que se montre l'amour: l'Eglise a besoin de vous, et vous avez besoin d'elle; elle a besoin de votre secours humain, et vous de son secours divin; et vous savez que plus vous lui donnerez votre secours, plus vous participerez à la grâce divine, au feu de l'Esprit-Saint qui est en elle. O douce Epouse! rachetée par le sang du Christ, vous êtes si parfaite, qu'un membre séparé de vous ne peut recevoir et goûter le fruit divin Très chère et vénérable Mère, nous devons donc, vous, moi, toutes les créatures, l'aimer, la servir toujours, mais surtout dans les moments difficiles. Pauvre misérable que je suis, je n'ai rien pour la servir, et si mon [367] sang pouvait lui être utile, je le répandrais bien volontiers de toutes les parties de mon corps. Je lui donnerai le peu que Dieu me donnera pour elle je n'ai à lui offrir que des larmes, des soupirs, des prières continuelles; mais vous, ma Mère, et le seigneur maître, le Roi votre fils, vous pouvez l'aider non seulement par vos prières et vos saints désirs, mais encore vous pouvez, par amour, l'assister temporellement.

5. Ne méprisez pas cette occasion, par l'amour de Dieu; profitez-en, pour Jésus crucifié, pour votre bien et l'avancement de votre salut; priez et conjurez votre cher fils d'assister et de servir la sainte Eglise; et si notre Christ de la terre le demande et veut le charger de cette entreprise, pressez-le d'écouter favorablement sa demande, de s'offrir lui-même et d'encourager le Saint-Père dans son projet de faire une croisade contre ces méchants infidèles, qui possèdent ce qui nous appartient, et plus encore (Les Turcs avaient fait de grands ravages en Valachie, en Macédoine et en Achaïe. Ils menaçaient d'envahir toute l'Europe. Grégoire XI voulait organiser une croisade contre eux, mais il était empêché par les guerres continuelles que lui faisaient les princes chrétiens.) : on me dit qu'ils veulent entreprendre davantage. N'est-ce pas une honte pour les chrétiens de leur laisser posséder ce saint et vénérable lieu qui nous appartient à tant de titres? Il ne faut plus le souffrir, mais, comme des fils affamés de l'honneur de leur père, vous devez vous lever et reprendre notre bien pour le salut de leurs âmes et l'exaltation de la sainte Eglise. Songez que si on vous avait pris une de vos villes, vous voudriez la reprendre, vous combattriez jusqu'à la mort. Je vous conjure de faire de même et [368] davantage pour ce qui nous a été pris ; vous devez y apporter plus de zèle, car il s'agit des âmes et du saint lieu, tandis que votre ville ne regarderait que la terre.

6. Vous avez appris sans doute comment les Turcs persécutent de plus en plus les chrétiens, et s'emparent des possessions de la sainte Eglise. C'est pour cela que le Saint-Père veut organiser une croisade contre eux. J'espère de la bonté de Dieu que vous et les autres vous êtes disposés à l'aider et à l'encourager dans cette entreprise autant que vous le pourrez. Je vous en prie, je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, soyez pleine de zèle et d’ardeur: ce sera le moyen de recevoir et de conserver dans sa plénitude la grâce divine, le feu de l'Esprit-Saint dont mon âme désire vous voir tout embrasée. Très chère Mère, j'ai écrit sur le même sujet qu'à vous à la reine de Naples et à plusieurs autres princes (A la reine de Naples, XXXIV, XXXV; au roi de France, XXXII; au seigneur de Milan, LXXIII; à Jean Hawkwood, LV.). Tous m'ont répondu favorablement, et ont promis le secours de leurs biens et de leur personne; ils sont tous remplis d'un grand désir de donner leur vie pour le Christ, et il leur tarde bien de voir le Saint-Père élever l'étendard de la sainte Croix. J'espère de l'ineffable charité de Dieu qu'il l'élèvera bientôt, et je vous prie de suivre leur exemple. Louange à Jésus crucifié! et qu'il vous remplisse de sa très sainte grâce. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [369].

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XLIV (189)- A MESSIRE CHARLES DE LA PAIX, qui fut depuis roi de la Pouille ou de Naples.- Elle l'exhorte à venir aux secours de la sainte Eglise et du Pape Urbain VI, et à combattre d'abord ses passions, à l'exemple des saints.

(Cette lettre est de 1380, et par conséquent une des derniéres écrites par sainte Catherine. Charles Durazzo était arrière-petit-fils de Charles Il, roi de Naples, et cousin de Louis le Grand, roi de Hongrie. Il avait été adopté d'abord par la reine Jeanne, qui lui préféra ensuite Louis d'Anjou; mais le Pape Urbain VI l'investit du royaume de Naples, dont il prit possession sans coup férir, et il fit étouffer la reine Jeanne en 1381, sous prétexte de la punir de l'assassinat de son premier mari. Il devint ensuite l'ennemi d'Urbain VI, hérita en 1385 du royaume de Hongrie, et mourut l'année suivante, assassiné par l'ordre de la reine douairière.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCITIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un chevalier courageux qui combatte généreusement pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu, pour l'exaltation et la réforme de la sainte Eglise. Mais remarquez, très cher Frère, que vous ne pourrez faire ce bien, être courageux et secourir la sainte Eglise, si vous ne combattez d'abord et si vous ne faites la guerre contre nos trois grands ennemis, le monde, le démon et notre chair fragile. Ce sont les trois principaux tyrans qui font mourir l'âme à la grâce dans quelque état que [370] ce soit, si elle les laisse entrer en ouvrant avec la main du libre arbitre la porte de la volonté. Le monde nous attaque par ses joies vaines et déréglées il étale aux regards de notre intelligence les emplois, les richesses, les honneurs, les grandeurs avec tous leurs coupables plaisirs. Toutes ces choses sont vaines et corruptibles ; elles passent comme les vents, elles n'ont aucune force, aucune durée. Ne le voyons-nous pas clairement? l'homme vit aujourd'hui, et demain il est mort il passe de la santé à la maladie. de la richesse à la pauvreté: il est élevé en dignité, et tombe bientôt dans la honte et l'avilissement.

2. L'homme sage et prudent connaît le monde et lui fait la guerre; il ne lui livre pas son cœur par un amour déréglé; il lui ferme la porte de sa volonté; il use de ses biens comme de choses prêtées, et il les estime pour ce qu'elles valent, et pas davantage. Il conçoit de la haine contre les sens, lorsqu'ils veulent posséder ou désirer ce qui est en dehors de la volonté de Dieu; il combat l'ennemi avec le glaive de la haine du vice et de l'amour de la vertu, et avec le bouclier de la très sainte Foi ; il résiste aux mouvements des passions qui peuvent l'attaquer, et il ne s'abandonne pas à l'injustice pour gagner et pour acquérir les honneurs, les richesses et les plaisirs du monde au détriment du prochain, parce qu'il les a méprisés. Il ne lève pas la tête avec orgueil en se croyant plus grand que les autres et en voulant les dominer injustement, mais il s'humilie, parce qu'il se méprise lui-même avec le monde; il voudrait se faire le plus petit de tous, et en se faisant petit, il devient grand. Dans quelque position que l'on soit, ou serviteur ou maître, on est obligé de combattre cette tyrannie. Je [371] ne dis pas que, si on veut conserver son rang dans le monde, on ne puisse vivre en état de grâce; on le peut, comme nous le prouvent David, qui fut roi, saint Louis (Le roi saint Louis était son parent par Charles d'Anjou, son bisaïeul), et tant de saints personnages. Ils ont possédé la puissance, mais sans désir et sans amour déréglés; on voyait briller en eux la perle précieuse de la justice avec une humilité sincère et une ardente charité; ils rendaient à chacun ce qui lui était dû, au petit comme au grand, au pauvre comme au riche.

3. Ils ne faisaient pas comme ceux qui règnent maintenant, et qui sont si remplis de l'amour d'eux-mêmes, qu'ils voudraient se faire les dieux de ce monde tyrannique. De là naissent les injustices, les meurtres, les traitements barbares et tous les autres vices. Ils laissent ainsi entrer dans la cité de l'âme leur second et troisième ennemi, le démon et la fragilité de la chair ; ils s'en font les serviteurs en suivant volontairement les malices, les erreurs et les différentes tentations du démon, en écoutant les désirs de la chair et en plongeant leur âme et leur corps dans la fange de l'impureté. Si c'est un homme marié, il souille l'état du mariage par de nombreux désordres; il n'a pas pour ce sacrement le respect qui lui est dû, et il ne remplit pas le but pour lequel Dieu l'a fait; mais dans son aveuglement il souille son âme et son corps du péché maudit que Dieu déteste et qui répugne au démon même (Dialogue CXXIV). Que l'infinie charité et la miséricorde divine ne s'éloignent pas de ces coupables et des autres. Les malheureux ne pensent pas que [372] la hache est déjà à la racine de l'arbre, et qu'il ne reste plus qu'à frapper quand le Juge suprême voudra: car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand.

4. Celui qui craint Dieu n'agit pas ainsi; il a vu à la lumière de la très sainte Foi combien il est dangereux d'écouter ses ennemis, il a vu à la même lumière que tout bien est récompensé, et toute faute punie; il voit qu'en suivant ses ennemis, il offense Dieu, et que l'offense est suivie du châtiment; et alors il prend le glaive de la haine et du mépris, et il retranche toute volonté déréglée en faisant le contraire de ce que veulent ses ennemis. Le monde voudrait être aimé, et il le méprise ; le démon voudrait soumettre sa volonté, lui inspirer la haine et le dégoût du prochain, et remplir son cœur de sales pensées : et lui veut suivre la volonté de Dieu, rester dans l'amour du prochain, lui pardonner l'injure qu'il en reçoit, et occuper sans cesse son esprit et sa mémoire des bienfaits qu'il a reçus de la Bonté divine. La chair fragile veut jouir et satisfaire ses appétits, cette loi perverse qui enchaîne nos membres et combat toujours contre l'esprit : et lui fuit tout le contraire, il la soumet au joug de la raison en affligeant et en macérant son corps; il siège sur le tribunal de la conscience, et rend justice. S'il est vierge, il déclare qu'il veut conserver jusqu'à la mort la virginité qu'il a choisie. Le continent conserve la continence, et celui qui est dans l'état du mariage se préserve de tout péché mortel, et ne veut souiller d'aucune manière ce sacrement. Il lavera avec cette douce odeur de la pureté toutes les taches [373] de son esprit et de son corps, et avec l'eau de la grâce, avec une vie bonne et régulière, Il éteindra l'incendie des passions déréglées. Il fera une guerre acharnée à ses ennemis, et il défendra victorieusement la cité de son âme, en fermant la porte de sa volonté pour n'être pas assailli par l'ennemi; et ainsi en sûreté avec le trésor des vertus, il entrera par la porte de la douce volonté de Dieu en suivant la doctrine de Jésus crucifié, qui a donné sa vie pour notre salut avec tant d'amour. Il dispose ainsi sa mémoire à retenir le bienfait du sang de l'humble Agneau, son intelligence à connaître et à comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que sa sanctification et qui ne donne et ne permet rien que dans ce but, et sa volonté à l'aimer de tout son cœur et de toutes ses forces.

5. Celui qui agit de la sorte peut être appelé un vaillant chevalier, qui conserve et garde généreusement la cité de son âme contre les ennemis et les odieux tyrans qui voudraient l'opprimer. Il est prêt à tout faire pour Dieu, pour sa gloire et l'honneur de son nom; il peut combattre ainsi sûrement à l'extérieur pour la sainte Eglise, parce qu'il a bien combattu et vaincu à l'intérieur. S'il n'avait pas bien combattu au dedans, il combattrait mal au dehors; et c'est pour cela que je vous disais qu'il fallait d'abord combattre au dedans de vous-même vos trois ennemis principaux. Maintenant je vous dis, très cher et bien-aimé frère dans le Christ, le doux Jésus, de vous appliquer à les vaincre en purifiant votre conscience par la sainte Confession, cri vivant régulièrement et dans le désir de la vertu, vous réjouissant [374] d'entendre et d'observer la douce parole de Dieu, vous rappelant sans cesse le souvenir de la mort et du sang versé pour vous, recherchant la société de ceux qui craignent Dieu véritablement, qui sont sages, prudents et de bon conseil. Ayez dans toutes vos œuvres les regards fixés sur Dieu, afin que vous puissiez rendre à chacun ce qui lui est dû à Dieu la gloire, au prochain la bienveillance, et à vous-même la haine du vice et l'amour de la vertu. Réglez votre famille autant que vous le pourrez, afin que tous y vivent dans l'ordre et la sainte crainte de Dieu. Vous pourrez ainsi accomplir la volonté de Dieu en vous.

6. Dieu vous a choisi pour être une colonne dans la sainte Eglise, afin que vous puissiez extirper l'hérésie, confondre le mensonge et exalter la vérité, dissiper les ténèbres et faire briller la lumière en montrant que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife que nous a choisi et donné la clémence du Saint-Esprit, malgré les hommes coupables et pervers qui s'aiment eux-mêmes et qui prétendent le contraire. Ces aveugles n'ont pas honte de parler et d'agir contre eux-mêmes en se montrant impies et menteurs. Cette vérité qu'ils nous ont annoncée, ils la nient maintenant, et les hommages qu'ils lui ont rendus, ils veulent les retirer. Ils montrent, les insensés, que la crainte les a rendus impies et idolâtres en s'inclinant devant le Pape Urbain et en le reconnaissant pour le vrai Vicaire de Jésus-Christ. S'il ne l'était pas, comme ils le disent maintenant, comment ont-ils pu tomber dans une telle faute, dans un tel avilissement d'esprit et de corps? Nous [375] voyons donc qu'ils se déclarent impies et menteurs N'est-ce pas une grande confusion de voir notre Foi souillée par une semblable hérésie? N'est-ce pas un grand malheur de voir tant faire contre la vérité? de voir l'Agneau poursuivi par les loups, les âmes livrées aux mains du démon, et la douce Epouse démembrée? Quel cœur assez dur pour n'être pas attendri? quels yeux ne répandraient pas un torrent de larmes? Quel prince pourra refuser de consacrer toutes ses forces à secourir notre Foi? Il n'y a que ceux qui s'aiment eux-mêmes qui ne sentent pas cela leur cœur est endurci par l'amour-propre, comme celui de Pharaon.

7. Non, la Bonté divine ne veut pas que votre cœur soit si dur, et elle vous appelle à secourir son Epouse. Que votre cœur s'amollisse donc, soyez généreux avec zèle et sans négligence; hâtez-vous de venir, ne tardez plus, Dieu sera pour vous. Il ne faut pas attendre le temps, car c'est un danger. Accourez donc et cachez-vous dans l'arche de la sainte Eglise, sous l'aile de votre Père le Pape, Urbain VI, qui tient les clefs du sang de Jésus-Christ. Je sais que si vous êtes courageux, vous vous appliquerez a faire la volonté de Dieu, sans vous occuper de vous-même: autrement, non. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vaillant chevalier : et je vous prie qu'il en soit ainsi, pour l'amour de Jésus crucifié. Quelle honte pour les princes du monde, et quelle offense à Dieu, de voir leurs cœurs si glacés! Ils n'ont encore fait que des promesses pour secourir la douce Epouse du Christ! Comment donneraient-ils leur vie pour la vérité, lorsqu'ils regardent à lui donner [377] quelques biens et quelques secours temporels? Je crois qu'ils en seront sévèrement punis. Je ne veux pas que vous agissiez comme eux, mais donnons avec joie notre vie, s'il le faut. Pardonnez-moi si je vous ai trop longuement parlé. La douleur du péché et l'amour de la sainte Eglise me serviront d'excuse devant Dieu et devant vous. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XLV (192). - AU COMTE DE FONDI. - De la vigne de notre âme, et de l'amour-propre, qui la rend stérile. - Le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.

(Le comte de Fondi, Honoré-Gaétan , fut un principaux fauteurs du schisme; ses États sur les confins de ceux de l'Eglise servirent de retraite aux cardinaux séparés d'Urbain Vl, qui nommèrent le 20 septembre 1378, l'antipape Clément VII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1.Mon très cher Père et Frère dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir un bon ouvrier dans la vigne de votre âme, afin que vous rapportiez beaucoup de fruit au temps de la récolte, c'est-à-dire au moment de la mort, où toute faute est punie et toute vertu récompensée. Vous savez que la vérité éternelle nous [377] a créés à son image et ressemblance; Dieu a fait de nous son temple, où il veut habiter par sa grâce, pourvu que l'ouvrier de cette vigne veuille bien la cultiver car si elle n'est pas cultivée, si elle est couverte de ronces et d'épines, il ne pourra pas y habiter. Voyons, très cher Père, quel ouvrier y a placé le Maître. il y a mis le libre arbitre, auquel est confié tout pouvoir. Personne ne peut ouvrir ou fermer la porte de la volonté, si le libre arbitre ne le veut pas. La lumière de l'intelligence lui est donnée pour connaître les amis et les ennemis qui veulent entrer et passer par la porte; et à cette porte est placé le chien de la conscience, qui aboie quand il entend venir, s'il est levé et ne dort pas. Cette lumière fait voir et discerner le fruit à l'ouvrier; il ôte la terre, pour que le fruit soit pur, et il le met dans sa mémoire comme dans un grenier, où s'entasse le souvenir des bienfaits de Dieu. Au milieu de la vigne est placé le vase de son cœur plein du précieux Sang, pour arroser les plantes afin qu'elles ne se dessèchent pas. C'est ainsi qu'est créée et disposée cette vigne, qui est aussi, nous l'avons dit, le temple où Dieu doit habiter par sa grâce.

2. Mais je m'aperçois que le venin de l'amour-propre et de la colère a empoisonné et corrompu cet ouvrier, tellement que notre vigne est toute inculte, et qu'elle ne porte que des fruits de mort ou des fruits sauvages et amers, parce que les semeurs du mal, les démons visibles et invisibles, ont passé par la porte de la volonté, les invisibles par la porte des mauvaises pensées, et les visibles par celle des mauvais conseils, qui éloignent de la vérité au moyen des mensonges, des flatteries et des mauvais exemples. Cette [378] semence qu'ils ont en eux, ils la mettent en nous, et le libre arbitre, en l'acceptant, fait naître des fruits de mort, c'est-à-dire des péchés mortels. Oh! combien est affreuse à voir cette vigne qui s'est toute couverte des épines de l'orgueil et de l'avarice, des ronces de la colère, de l'impatience et de la désobéissance, qui est toute pleine d'herbes vénéneuses! Ce jardin est devenu une écurie où nous nous plaisons dans le fumier de l'impureté. Notre jardin n'est pas fermé, il est ouvert, et nos ennemis, les vices et les démons peuvent y entrer comme dans leur habitation. La fontaine est tarie, la fontaine de la grâce que nous avions reçue au saint Baptême par la vertu de ce Sang qui baignait notre cœur plein d'amour. L’œil de l'intelligence ne voit plus que les ténèbres, parce qu'il est privé de la lumière de la très sainte Foi; il ne voit et ne connaît plus que l'amour sensitif, et il en remplit la mémoire; il n'a et ne peut avoir d'autres souvenirs que des mouvements et des désirs déréglés, tant qu'il est dans cet état.

3. Près de cette vigne la douce Vérité suprême avait placé une autre vigne, celle du prochain, qui est si unie à la nôtre, que nous ne pouvons y rien faire sans le faire aussi à la sienne. Aussi nous est-il Commandé de la gouverner comîne la nôtre, puisqu'il est dit : " Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. " Oh ! combien est cruel l'ouvrier qui gouverne mal sa vigne, et ne lui fait rapporter d'autre fruit que quelques actes de vertu si amers, que personne ne peut en goûter! Ce sont les bonnes œuvres faites en dehors de la charité. Combien est malheureuse cette âme qui an moment de la [379]

récolte ne se trouve aucun fruit! C'est là qu'elle voit sa mort, et dans la mort elle connaît son malheur: et alors elle voudrait avoir le temps de cultiver sa vigne, mais elle ne le trouve pas. L'homme ignorant croyait pouvoir disposer du temps à son gré, mais il n'en est point ainsi. Profitons donc du temps présent, qui nous est accordé par miséricorde.

4. O très cher Père, reconnaissez l'état où vous êtes et voyez votre vigne. Je suis triste jusqu'à la mort de voir ce que le tyran du libre arbitre a fait de votre jardin, où florissaient, à la lumière de la Foi, les exemples de vertu et de vérité. Votre jardin est devenu maintenant un bois sauvage. Vous ne pouvez donner des fruits de vie, puisque vous êtes séparé de la vérité dont vous vous êtes fait le persécuteur: en aimant le mensonge vous avez perdu la foi, et vous moissonnez l'infidélité. Et pourquoi portez-vous ces fruits de mort? A cause de l'amour que vous avez pour la sensualité et de la haine que vous sentez pour votre chef. Ne voyons-nous pas que le Juge suprême n'a pas les yeux fermés sur nous? Comment pouvez-vous faire ce que vous ne devez pas faire contre votre chef? Le Pape Urbain VI n'est-il pas le véritable Pape? Vous savez bien au fond de votre cœur que c'est là le vrai Souverain Pontife, et celui qui dit le contraire est un hérétique réprouvé de Dieu; ce n'est plus un catholique fidèle, c'est un chrétien renégat qui renonce à la foi. Nous devons croire qu'il est le Pape élu régulièrement, qu'il est le vicaire du Christ sur la terre, et que nous devons lui obéir jusqu'à la mort. Lors même qu'il serait un père cruel pour nous, et qu'il nous chasserait on nous injuriant et on nous maltraitant d'un [380] bout de la terre à l'autre, nous ne devrions pas oublier et persécuter la vérité.

5. Si vous me dites: On m'assure au contraire que le Pape Urbain VI n'est pas véritablement le Souverain Pontife, je vous répondrai que je sais que Dieu vous a donné assez de lumière, si vous ne l'obscurcissez pas avec les ténèbres de la colère et du mépris, pour reconnaître que ceux qui parlent de la sorte mentent sur leur tête, pervertissent la vérité qu'ils nous avaient eux-mêmes donnée, et veulent la changer en mensonge. Je sais bien que vous connaissez les motifs qui poussent ceux qui étaient chargés de répandre la foi et la vérité, et qui maintenant ont souillé la foi et nié la vérité. Ils ont fait naître dans l'Eglise un schisme si déplorable. qu'ils sont dignes de mille morts. Vous savez qu'ils ont été poussés par la passion qui vous a poussé vous-même, par l'amour-propre, qui ne peut supporter une parole, un reproche dur, ou la perte des biens de la terre (Urbain VI ôta au comte de Fondi le gouvernement de la ville d'Anagni, qu'il avait reçu pour une somme de vingt mille florins qu'il avait prêtée à Grégoire XI. Le Pape soutenait que cet argent n'avait pas profité à l'Eglise.). Vous avez conçu l'indignation, et enfanté la colère. C'est ainsi qu'ils se privent des biens du ciel, eux et quiconque agit contre la vérité. Les raisons qui prouvent cette vérité sont si claires, si simples, si manifestes, que les personnes les plus bornées peuvent les comprendre. Aussi je ne m'arrête pas il vous les expliquer, parce que je sais que votre intelligence vous suffit.

6. Vous connaissez la vérité, car vous l'avez reconnue, vous l’avez confessée, vous lui avez rendu hommage [381]. Combien je suis affligée de voir votre âme égarée au point d'agir contre cette vérité combien doit souffrir votre conscience ! Vous qui avez été un fils obéissant un serviteur dévoué de la sainte Eglise(Le comte de Fondi avait fidèlement servi l'Eglise sous Grégoire XI, et avait maintenu la ville de Rome dans l'obéissance au Saint-Siège.), vous avez reçu une semence si fatale, que vous ne produisez plus que des fruits de mort. Non seulement vous vous perdez vous-même, mais voyez combien vous perdez d'âmes et de corps dont il vous faudra rendre compte au Juge suprême. Ne faites plus ainsi, pour l'amour de Dieu. Le péché est une chose ordinaire à l'homme, mais la persévérance dans le péché est le propre du démon. Rentrez en vous-même, et reconnaissez le danger de votre âme et de votre corps. Aucune faute ne reste impunie, surtout celle qui se commet contre la sainte Eglise: cela s'est toujours vu. Aussi je vous conjure, pour l'amour du Sang répandu pour vous avec tant d'amour, de revenir humblement à votre Père qui vous attend les bras ouverts avec bonté pour vous faire miséricorde, à vous et à tous ceux qui voudront la recevoir. Suivons la raison avec le libre arbitre, et commençons à remuer cette terre de l'amour déréglé et coupable, cet amour terrestre qui ne veut se nourrir que des choses passagères comme le veut, pour qu'il devienne un amour céleste qui cherche les biens du ciel, seuls fermes, assurés et à l'abri de tout changement.

7. Ouvrons la porte de notre volonté pour recevoir le bon laboureur, le Christ, le doux Jésus crucifié, qui sème par la main du libre arbitre la semence de [382] sa doctrine et cette semence produit les fruits des vraies et solides vertus. Ces vertus , le libre arbitre les sépare de la terre, c’est-à-dire qu’il ne les sème et ne les recueille en lui par aucun amour terrestre, par aucune jouissance humaine, mais par la haine et le mépris de soi-même. Il ne les jette pas au dehors mais ce qu'il recueille, il le place dans sa mémoire, par le souvenir des bienfaits de Dieu, reconnaissant tenir tout de lui et non de sa propre vertu. Quel arbre y planter? L'arbre de la charité parfaite, dont la cime s’unit au ciel, c’est-à-dire à la charité infinie de Dieu. Ses rameaux couvrent toute la vigne, et conservent les fruits dans leur fraîcheur, parce que toutes les vertus viennent et vivent de la charité. Comment l'arroser ? Non pas avec l'eau , mais avec le Sang précieux versé avec tant d'amour. Ce sang est dans le vase du cœur ; et non seulement il arrose cette douce vigne, ce beau jardin, mais il désaltère abondamment le chien de la conscience afin que, fortifié, il fasse bonne garde à la porte de la volonté, et que personne ne passe sans qu'il en avertisse. Il éveille la raison par ses cris ; et la raison avec la lumière de l'intelligence regarde si ce sont des amis ou des ennemis. Si ce sont des amis envoyés par la clémence du Saint-Esprit, c'est-à-dire de saintes et bonnes pensées de sages conseils et des œuvres parfaites, le libre arbitre les reçoit, en ouvrant la porte avec la clef de l'amour. Si ce sont des ennemis, des pensées coupables, il les chasse avec la verge de la haine et du mépris; il ne les laisse passer que quand elles sont changées, et il ferme la porte de la volonté, qui ne consent pas [383].

8. Alors Dieu, voyant que le libre arbitre, l'ouvrier qu'il a mis dans la vigne, a bien travaillé en lui-même et dans le prochain qu'il a secouru autant qu'il lui a été possible par amour et par charité, Dieu se repose dans cette âme par sa grâce. Le bien que nous faisons n'augmente pas son repos, car il n'a pas besoin de nous ; mais sa grâce se repose en nous. Cette grâce nous donne la vie, et nous revêt en couvrant notre nudité. Elle nous donne la lumière et rassasie l'âme, et en la rassasiant elle la laisse affamée; elle lui sert sa nourriture sur la table de la très sainte Croix: elle met dans la bouche du saint désir le lait de la divine douceur; elle y ajoute la myrrhe de l'amertume du péché et de la Croix, c'est-à-dire des peines que le Fils de Dieu a souffertes pour nous, et l'encens des humbles et ferventes prières qu'elle offre sans cesse avec ardeur pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Oh! combien est heureuse cette âme! Elle goûte véritablement la vie éternelle; mais nous, ingrats que nous sommes, nous ne nous occupons pas de ce bonheur si nous y pensions, nous aimerions mieux mourir que de perdre un si grand bien. Sortons de cette ignorance par la vérité. En la cherchant sincèrement, nous irons où Dieu l'a placée; et si nous la cherchons ailleurs, nous ne la trouverons pas.

9. Nous avons dit comment nous sommes la vigne, comment elle est ornée, et comment Dieu veut qu'elle soit cultivée. Et maintenant où cette vigne est-elle placée? Dans la sainte Eglise, et le vigneron choisi est le Christ de la terre, qui administre le Sang précieux. Avec la serpe de la pénitence que nous recevons dans la sainte Confession, il retranche le [384] vice de l'âme, il la nourrit sur son sein, et l'attache avec les liens de la sainte obéissance: et sans ces liens notre vigne serait ruinée ; la tempête on perdrait tout le fruit, si elle n'était liée par l'obéissance. Aussi je vous conjure de retourner humblement et avec empressement à ce joug (Les exhortations de sainte Catherine ne furent pas écoutées : le comte de Fondi fut excommunié en 1370, et persévéra dans le schisme jusqu'à sa mort, arrivée en 1400.). Cherchez le vigneron et cultivez la vigne de votre âme dans la vigne de la sainte Eglise; autrement vous seriez privé de tout bien, et vous tomberiez dans toute sorte de malheurs. Voici le moment ; pour l'amour de Dieu, quittez vos erreurs ; car, le moment passé, il n'y a plus de remède. La mort vient bien vite, sans que nous nous en apercevions ; et lorsque nous nous trouverons dans les mains du souverain Juge, il sera bien dur de lui résister. Je suis certaine que si vous cultivez bien votre vigne , vous n'hésiterez pas à revenir ; mais vous reconnaîtrez avec une humilité profonde les fautes que vous avez commises contre Dieu; vous demanderez en grâce au Saint-Père de vous ramener dans son bercail. Vous ne le pouvez pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un bon vigneron dans la vigne de votre âme, et je vous en conjure autant que je le sais et que je le puis. Pensez que l’œil de Dieu est sur vous; n’attendons pas les châtiments de Celui qui voit au fond de notre cœur. Je termine, demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si j'ai trop parlé; mais l'amour que j'ai pour votre salut et la douleur que je ressens de vous voir offenser Dieu et [385] votre âme en sont cause. Je n'ai pu me taire et ne pas vous dire la vérité. Doux Jésus, Jésus amour.

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XLVI (196). - AUX SEIGNEURS BANNERETS, et aux quatre prud'hommes défenseurs de la république de Rome.- De la reconnaissance envers Dieu.- De l'amour du prochain et de la paix. - Sainte Catherine leur reproche l'ingratitude dont on a usé à l’égard de Jean Cenci, qui avait procuré la reddition du château Saint-Ange.

(Cette lettre est du 6 mai 1379. La ville de Rome avait profité du séjour des Papes à Avignon, pour se donner une forme de gouvernement démocratique indépendant du Saint-Siège et des empereurs. Sous le pontificat d'Urbain VI l'administration reposait sur les chefs de quartier, appelés seigneurs bannerets, à cause de leurs bannières. Il leur était adjoint quatre prud'hommes, qui s'occupaient principalement des besoins publics et des œuvres de charité. Le nom de république se conserva à Rome jusque sous Boniface IX.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Frères et Seigneurs de la terre dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissants de tous les bienfaits que vous avez reçus de Dieu, afin qu'ils augmentent et nourrissent en vous la source de l'amour divin dans vos âmes. La reconnaissance est très agréable à Dieu, et nous est très utile; mais l'ingratitude lui déplaît beaucoup et nous [386] fait grand tort: elle tarit la source de la piété, et nous invitons Dieu à ne plus augmenter ses grâces et à nous priver de celles qu'il nous a faites. Il faut donc s'appliquer avec un grand zèle à voir les bienfaits de Dieu, car en les voyant nous les reconnaîtrons et en les reconnaissant nous rendrons gloire et louange à son nom. Et comment montrerons-nous notre reconnaissance et notre ingratitude? Je vais vous le dire : nous montrerons notre ingratitude en offensant la bonté de Dieu et notre prochain, en les offensant de mille manières et par mille injustices, en ne leur rendant pas ce que nous sommes obligés de leur rendre, c'est-à-dire, en n'aimant pas Dieu par-dessus toutes choses, et. le prochain comme nous-mêmes. Nous faisons tout le contraire. Cet amour que nous devions lui donner, nous le donnons à la sensualité; nous l'offensons avec notre cœur, notre esprit, avec toutes les puissances de notre âme et tous les membres de notre corps, qui devraient être des instruments de vertu, et qui sont des instruments de vice; et ces vices nous causent la mort éternelle, si notre vie se termine dans le péché mortel. De quelque côté que nous nous tournions, nous ne trouvons que misère : et tout cela vient de l'ingratitude.

2. L'ingratitude enfante l'orgueil, la vanité, la légèreté de cœur, et toutes les souillures qui font croire que l'homme n'a d'autre pensée que de se rouler dans la fange de la débauche comme l'animal immonde ; elle prive l'âme de la charité fraternelle envers le prochain, et lui inspire la haine et l'éloignement ; ou, si elle l'aime, c'est par intérêt, et non pour Dieu. De là cette facilité à écouter tous les mauvais rapports, à juger les [387] autres défavorablement, n'examinant pas avec prudence celui qui dit le mal et celui dont il parle, si c'est par dépit, par envie ou par erreur. Souvent l'homme ignorant dit ce qui lui vient à la bouche, et ne fait pas attention à ses paroles; mais celui qui hait les écoute et l'envieux ne regarde pas si elles contiennent plus de vérités que de mensonges; il ne songe qu'à faire tort au prochain et à nuire à sa réputation. Vous voyez que cela arrive tous les jours. Celui qui est puissant ne s'applique pas à rendre la justice aux autres, il n'écoute que son bon plaisir ou celui des créatures; il viole le bon droit et vend la vie de son prochain, parce que son cœur est privé de la charité; et l'amour-propre le rend si étroit, qu'il ne peut plus contenir Dieu et le prochain par la sainte justice. Il ne cherche pas à secourir son semblable, et, au lieu de l'assister, il lui vole son bien de mille manières, quand il peut faire des gains illicites dont lui faudra rendre compte au moment de la mort. Sa langue, qui était faite pour rendre gloire et louange au nom de Dieu, pour confesser ses péchés et conseiller son prochain, il l'emploie à blasphémer, à jurer, à mentir, à calomnier; et non seulement il blasphème, il dit du mal des créatures, mais il s'en prend à Dieu et aux saints, il semble vouloir les fouler aux pieds. Vous savez bien que c'est la vérité; tous, pour ainsi dire, petits et grands, se sont fait une habitude de ce vice, par la faute de ceux qui vendent la justice, et qui ne font pas ce que la raison commande. Mais Dieu montre combien ces choses lui déplaisent en nous punissant un peu par les fléaux et les malheurs qui nous affligent tous les jours et il le fait justement, bien qu'il le fasse avec [388] une grande miséricorde. Tels sont les fruits que produit l'homme ingrat, et les signes qui prouvent son ingratitude.

3. Tout le contraire arrive pour l'homme fidèle et reconnaissant à l'égard de son Créateur il lui rend justice en lui rendant ce qui est dû, c’est-à-dire la louange et l'honneur que Dieu demande; il le fait en l'aimant par-dessus toutes choses, et en aimant le prochain comme lui-même. Il contemple l'humilité de Dieu pour abaisser son orgueil; il combat l'injustice par la justice, et il foule l'envie aux pieds par l'amour du prochain ; il élargit son cœur dans la charité, et il se purifie de toute souillure dans la pureté du Christ, dans l'abondance de son sang précieux. Il vit honnêtement, et il secourt son prochain, sujet ou seigneur, dans ses besoins, autant qu'il le peut. Il donne de son bien, et ne prend pas celui des autres; il est juste pour le petit comme pour le grand, pour le pauvre comme pour le riche, selon les lois de la vraie justice. Il n'est pas prompt a croire aux défauts de son prochain, mais il examine avec prudence et maturité de cœur celui qui parle et celui dont il parle. Il est reconnaissant pour celui qui le sert, parce qu'il est reconnaissant pour Dieu; et non seulement il sert celui qui le sert, mais il aime et fait miséricorde à celui qui le dessert. La vie est réglée, parce qu'il a réglé toutes les trois puissances de son âme : sa mémoire retient les bienfaits de Dieu par le souvenir, son intelligence s’applique a comprendre sa volonté, et sa volonté à l'aimer; et il dispose de même tous les instruments de son corps pour la pratique de la vertu. Il est patient et bienveillant, il [389] aime l'union et déteste la discorde; il est fidèle à Dieu à la sainte Eglise et à son Vicaire, et il se nourrit comme un enfant véritable sur le sein de l'obéissance. Voilà comme nous montrons que nous sommes reconnaissants envers Dieu; et alors se multiplient les grâces temporelles et spirituelles.

4. Je veux donc, mes très chers Frères, que vous soyez reconnaissants des grâces que vous a faites et que vous fait notre créateur, pour qu'elles augmentent, et puisque vous venez d'en recevoir de miraculeuses (Sainte Catherine parle de la victoire remportée, le 29 avril de cette année, par les troupes d'Urbain VI sur celles des partisans de Clément VII. (Voir la lettre XLVII.), je veux que vous en rendiez grâces à son nom, reconnaissant avec une humilité sincère que vous les tenez de Dieu, et non de votre propre puissance, sachant bien que tous vos efforts n'auraient jamais pu faire seuls ce que Dieu a fait. Il a jeté les regards de sa miséricorde sur nous; le danger était trop grand et nous devons tout lui attribuer. Notre Saint-Père le Pape Urbain VI nous a donné l’exemple, et il a témoigné sa reconnaissance à Dieu par un acte d'humilité qui ne se fait plus depuis bien longtemps: il a voulu suivre la procession pieds nus (Lettre XX). Nous, qui sommes ses enfants, suivons les traces de notre Père en reconnaissant que ces grâces viennent de Dieu, et non de nous. Je veux aussi que vous soyez reconnaissants à l'égard de cette compagnie dont les membres se sont faits les instruments dit Christ (Il s'agit de la compagnie de Saint-Georges, qui avait surtout décidé la victoire da 29 avril. Cette troupe de condottieri quitta le service de l'Eglise.)[390]. Assistez-les dans leurs besoins, surtout les pauvres blessés. Soyez charitables et pacifiques envers eux pour conserver leurs secours et ne pas leur donner sujet de se tourner contre vous. Il faut le faire, mes très doux Frères, par reconnaissance et par nécessité. Je suis certaine que si vous avez la vertu de reconnaissance, vous vous appliquerez à cela et à tout ce que nous avons dit : autrement, non. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir reconnaissants des services que vous avez reçus de Dieu, afin d'accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l'âme et du corps.

5. Il me semble qu'on est un peu ingrat à l'égard de Jean Cenci (Jean Cenci avait le plus contribué à décider la remise du château Saint-Ange, qui était gardé, depuis Grégoire XI, par un Français, Gui de Provins.). Je sais avec quel zèle et quel cœur généreux il a, uniquement pour plaire à Dieu et pour nous servir, quitté tout pour vous délivrer du malheur qui vous menaçait du côté du château Saint-Ange. Il s'est conduit avec une parfaite prudence: et maintenant, non seulement on ne lui témoigne aucune reconnaissance mais encore le vice de l'envie jette contre lui le venin des calomnies et des murmures. Je ne voudrais pas que vous agissiez ainsi avec lui et avec ceux qui vous servent; ce serait offenser Dieu et vous nuire car la ville a besoin d'hommes sages, prudents et consciencieux. Ne faites donc plus ainsi, pour l'amour de Jésus crucifié prenez les moyens qui paraîtront les meilleurs à Vos Seigneuries pour que l'erreur des ignorants n’empêche pas ce bien. Je vous dis cela dans votre [391] intérêt, et non par aucune affection particulière vous savez bien que je suis étrangère; je vous parle pour votre bonheur, que je désire de toute mon âme. Je sais qu'en hommes sages et discrets, vous considérez la pureté des sentiments qui me font vous écrire, et vous pardonnerez ainsi à la hardiesse avec laquelle j'ose le faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu ; soyez pleins de reconnaissance pour Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XLVII (219). - AU COMTE ALBERIC DE BALBIANO, capitaine général de la compagnie de Saint-Georges, et autres chefs. Lettre écrite en extase, le 6e jour de 1379. - Elle les exhorte à être fidèles à la sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. - Elle leur conseille la prière, la confession et la dévotion à la sainte Vierge.

(Albéric de Balbiano était un officier de fortune dont la valeur et les talents avaient réuni une troupe de quatre mille hommes, qui prit le nom de compagnie de Saint-Georges et acquit une grande réputation on Italie. Le comte Albéric délivra Rome, menacée par l’armée des partisans de Clément VII. Il ne resta pas fidèle à Urbain VI. (Voir Gigli, t. II, p. 205, et la lettre XXXIII.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir, vous et toute votre compagnie [392], fidèles à notre sainte Mère l'Eglise et à sa Sainteté le Pape Urbain VI, le vrai et Souverain Pontife, combattant tous loyalement et fidèlement pour la vérité, afin que vous receviez la récompense de vos peines. Qu'est-ce qui nous donne et nous ôte cette récompense ? Je vous le dirai. La lumière de la très sainte Foi, qui nous fait voir la grandeur et la bonté de Celui que nous servons, et nous fait connaître le fruit qui nous en récompense et en le connaissant nous l'aimons. Cette lumière qui nous donne cette connaissance, nourrit et augmente l'amour du but qu'on se propose et de Celui qu'on sert. Quel est le maître pour lequel vous êtes descendu sur le champ de bataille? C'est Jésus crucifié, l'éternelle et souveraine Bonté, dont personne ne peut comprendre la grandeur ; lui seul peut la comprendre. C'est un Maître si fidèle, que, pour rendre l'homme capable de recevoir le fruit de ses peines, il a couru transporté d'amour à la mort honteuse de la très sainte Croix, et nous a donné au milieu des peines et des supplices les flots de son sang. O Frères et Fils bien-aimés, vous êtes des chevaliers venus sur le champ de bataille pour donner votre vie par amour de la Vie, pour répandre votre sang par amour du sang de Jésus crucifié. Voici le temps des nouveaux martyrs; vous êtes les premiers qui ayez donné votre sang quelle récompense recevrez-vous? La vie éternelle, qui est une récompense infinie. Que sont toutes vos fatigues, comparées à une si grande récompense? Elles ne sont rien. Aussi saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne peuvent être comparées à la gloire future qui nous est préparée dans l'autre vie [393].

2. La récompense est donc bien grande, et on y gagne toujours, soit qu'on vive, soit qu'on meure. Si vous mourez, vous gagnez la vie éternelle, et vous serez place pour toujours dans une paix certaine si vous triomphez, vous aurez fait à Dieu le sacrifice volontaire de votre vie, et vous pourrez posséder vos biens en toute sûreté de conscience. Si à la lumière de la très sainte Foi, vous considérez cet honneur, vous serez plus fidèles à Jésus crucifié et à la sainte Eglise; car en servant l'Eglise et le Vicaire du Christ, vous le servez aussi. Je vous ai dit que le maître que vous servez est Jésus crucifié. Voulez-vous être forts de manière qu'un seul en vaudra beaucoup ? Mettez devant les yeux de votre intelligence le sang du doux et bon Jésus, l'humble Agneau, et notre Foi, que vous voyez souillée par des hommes méchants qui s'aiment eux-mêmes et qui sont les membres du démon, puisqu'ils nient la vérité qu'ils nous avaient affirmée, puisqu'ils disent que le Pape Urbain VI n'est pas le vrai Pape. Ils ne disent pas la Vérité ils mentent, et leurs mensonges retombent sur leurs têtes. C'est bien véritablement le Pape à qui sont confiées les clefs du Sang. Courage donc, car vous combattez pour la vérité, et cette vérité est notre force. Ne craignez rien, car la Vérité délivre. Et afin de mieux appeler le secours de Dieu sur cette sainte entreprise, l'éternelle Vérité veut que vous la commenciez avec une bonne et sainte intention, vous appliquant à prendre pour hase et principe de vos actions l'honneur de Dieu, la défense de la Foi, de la sainte Eglise et du Vicaire de Jésus-Christ et cela avec une conscience pure, vous y préparant, [394] vous et les autres, autant que vous le pourrez, par une sainte confession. Vous savez que le péché appelle la colère de Dieu sur nous, et empêche les saintes et bonnes œuvres.

3. En votre qualité de chefs, donnez - leur les premiers l'exemple d'une sainte et véritable crainte de Dieu: autrement la verge de la justice se lèverait sur nous. Si tous ceux que vous commandez n'ont pas le temps de se confesser, qu'ils le fassent intérieurement, aveu un saint désir. De cette manière vous serez fidèles, et vous montrerez vraiment par vos œuvres que vous avez vu la lumière de la très sainte Foi, qui vous appelle à la servir, et que vous avez compris sa grandeur, sa bonté et la récompense qui doit suivre la peine.

4. Je disais encore : Qui nous empêche d'être fidèles, qui nous rend infidèles à Dieu et aux créatures ? L'amour de nous-même; c'est un venin qui

empoisonne le monde entier, c'est un nuage qui obscurcit l’œil de notre intelligence, et qui l'empêche de connaître et de discerner la vérité. L'homme alors ne voit plus que son plaisir et le cherche plutôt dans les créatures que dans le Créateur il ne pense qu'aux biens passagers de cette vie ténébreuse, et il poursuit les honneurs, les délices et les richesses du monde, qui disparaissent comme le vent, cet amour déréglé qui inspire toutes ses œuvres, rend l'homme peu loyal et peu fidèle, à moins qu'il n'y trouve son avantage; et il y a un grand danger qu'il ne périsse et ne fasse périr les autres, parce qu'il ne cherche en toute occasion qu'à acquérir du bien. Son esprit ne peut diriger son corps a faire deux [395] choses à la fois, à piller et à combattre. Vous savez que beaucoup se sont ainsi perdus. La vérité veut que pour éviter ce malheur, vous le sachiez et vous en avertissiez ceux qui sont sous votre commandement.

5. Aussi je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, de vous appliquer à vous entourer de bons et sages conseils, et de choisir pour officiers des hommes courageux, aussi fidèles et consciencieux que vous le pourrez; car ce sont les bons chefs qui font les bons soldats. Soyez toujours vigilants, pour qu'il n'y ait pas de trahison au dedans ni au dehors et comme il est bien difficile de s'en préserver, je veux que la première chose que vous fassiez, le matin et le soir, vous et les autres, soit de vous offrir à notre douce Mère Marie, la suppliant d'être votre avocate, votre défense, et de ne pas permettre, à cause du tendre Verbe qu'elle a porté dans son sein, qu'il vous arrive aucune trahison, ou que, s'il en arrive, vous y succombiez. Je suis certaine que si vous commencez à lui faire cette douce offrande, elle accueillera avec bonté votre demande; car elle est une Mère de grâce et de miséricorde pour nous, pauvres pécheurs. Mais si, comme nous l'avons dit nous avions un amour déréglé pour ce qui nous ôte la fidélité, nous nous priverions de tous les biens et nous nous rendrions dignes de tous les maux nous perdrions la vie éternelle qui doit récompenser nos peines. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fidèles à la sainte mère l'Eglise et au Christ de la terre, le Pape Urbain VI.

6. Courage, courage dans le Christ, le doux Jésus; ayez toujours présent ce sang répandu avec un si ardent [396] amour. Combattez avec l'étendard de la très sainte Croix, et songez que le sang des glorieux martyrs crie toujours en la présence de Dieu et appelle sur vous son secours. Pensez que cette terre est le jardin du Christ béni et le siège de notre Foi; tous doivent être animés pour elle d'un grand zèle. Nous rachèterons nos péchés si nous voulons servir généreusement Dieu et la sainte Eglise. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Soyez reconnaissants, vous et les vôtres, des bienfaits que vous avez reçus de Dieu, et du glorieux chevalier saint Georges, dont vous portez le nom : il vous défendra et sera votre garde jusqu'à la mort.

7. Pardonnez, si je vous importune de mes paroles; l'amour de la sainte Eglise et de votre salut me sert d'excuses, et ma conscience a été forcée par la douce volonté de Dieu. Nous ferons comme Moise : lorsque le peuple combattait, Moïse priait, et pendant qu'il priait, le peuple triomphait : nous ferons de même, pour que nos prières soient agréées de Dieu. Lisez s'il vous plaît cette lettre, vous et les autres chefs. Doux Jésus, Jésus amour [397].

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XLVIII (197). - AUX HUIT DE LA GUERRE, choisis par la commune de Florence, qui avaient engagé la sainte à aller trouver le Pape Grégoire XI.

Elle les exhorte à poursuivre avec constance et humilité de cœur leur sainte résolution de faire la paix avec le Pape.

(Sainte Catherine arriva à Avignon le 18 juin 1376, et cette lettre est du 28. Elle est adressée aux Huit de la guerre qui gouvernaient Florence depuis la rupture avec le Saint-Siège. Ces magistrats tirent échouer par leur mauvaise foi les négociations de sainte Catherine. Le but providentiel de son voyage fut le retour des Papes en Italie.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Pères et Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir véritablement les enfants humbles et soumis de votre Père, pour que vous ne vous démentiez jamais, mais que vous ayez un regret sincère de l'offense commise contre lui; car celui qui ne se repent pas de ses fautes n'est pas digne de recevoir miséricorde. Je vous invite donc à être humbles de cœur, à ne pas tourner la tête en arrière, mais à poursuivre ce que vous avez commencé, faisant tous les jours des efforts plus parfaits pour être reçus dans les bras de votre Père. Vous êtes des enfants morts; demandez-lui la vie, et j'espère de la bonté de Dieu que vous l'obtiendrez, pourvu que vous vouliez vous humilier et reconnaître vos fautes

2. Mais je me plains beaucoup de vous, s'il est vrai [398], comme on le dit, que vous ayez mis des impôts sur les clercs (Non seulement les Florentins imposèrent le clergé, mais ils firent vendre pour cent mille florins de biens ecclésiastiques.). Si cela est vrai, c'est un grand malheur, pour deux raisons: d'abord, parce que vous offensez Dieu, car vous ne pouvez le faire en conscience. Mais il semble que vous ayez perdu le sentiment de ce qui est bien, pour vous attacher uniquement aux choses sensibles et frivoles, qui passent comme le vent. Nous ne pensons pas que nous sommes mortels, et que nous devons mourir, nous ne savons pas quand; et c'est une grande folie de s'ôter ainsi la vie de la grâce et de se donner la mort. Je ne veux plus que vous agissiez ainsi; ce serait retourner en arrière, et vous savez que ce n'est pas celui qui commence qui mérite la couronne, mais celui qui persévère jusqu'à la fin, Je vous dis de même que vous n'arriverez pas à conclure la paix si vous ne persévérez pas dans votre humilité, et si vous ne cessez d'offenser les ministres et les prêtres de la sainte Eglise. Ensuite, non seulement vous aurez le malheur d'offenser Dieu, mais encore vous vous nuirez en arrêtant les négociations; car lorsque le Saint-Père saura votre conduite, il sera plus irrité contre vous. C'est ce qu'ont dit quelques cardinaux qui cherchent et désirent sincèrement la paix. En apprenant votre conduite, ils croient que vous ne voulez pas la paix; car, si vous la vouliez, vous éviteriez de faire la moindre chose contre la volonté du Saint-Père et les usages de la sainte Eglise. Je crois qu'ils pourront parler dans ce sens au doux Christ de la terre; et s'ils [399] le font, ils auront raison. Je vous en conjure, mes très chers Pères, ne mettez pas obstacle à la grâce de l'Esprit-Saint; vous ne la méritez pas, mais sa clémence est prête à vous la donner. Vous me couvrirez de honte et de confusion, si vous me faites dire une chose et si vous faites le contraire. Je vous prie qu'il n'en soit plus ainsi; que vos paroles et vos actions prouvent que vous voulez la paix, et non la guerre.

3. Je me suis entretenue avec le Saint-Père, et il m'a écoutée avec bienveillance. Par un effet de la bonté de Dieu et de la sienne, il a témoigné avoir un amour sincère de la paix, comme un bon père qui ne regarde pas l'offense que son fils lui a faite, mais seulement s'il s'est humilié, pour pouvoir lui faire entièrement miséricorde (Grégoire XI donna plein pouvoir à sainte Catherine de fixer les conditions de la paix. (Vie de sainte Catherine, p. III, ch.6.). Je ne saurais vous exprimer la joie que j'aie ressentie lorsque, après avoir longtemps conféré avec lui, il a fini par me dire que, les choses étant telles que je les lui exposais, il était prêt à vous recevoir comme ses enfants, et à faire ce qui me paraîtrait le meilleur. Je ne vous en écris pas davantage. Il me semble que le Saint-Père ne pouvait pas vous donner une autre réponse avant l’arrivée de vos ambassadeurs, et je m'étonne qu'ils ne soient pas encore arrivés. Quand ils seront arrivés, je les verrai, et je verrai ensuite le Saint-Père, et je vous écrirai quelles sont ses dispositions; mais n'allez pas gâter la bonne semence avec vos impôts et vos nouvelles fautes. Ne le faites plus, par l'amour de Jésus crucifié et dans votre intérêt [400] Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Datée d'Avignon, le 28 juin 1376.

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XLIX (198). - AUX SEIGNEURS DE FLORENCE .- De la paix que Jésus-Christ nous a laissée par testament. - Elle les exhorte à la concorde et à l'union avec la sainte Eglise et le Souverain Pontife.

(La Seigneurie de Florence se composait du gonfalonier de la justice et des prieurs des arts.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers et très aimés Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, en me rappelant cette parole que notre Sauveur disait à ses disciples: " J'ai désiré d'un grand désir faire la pâque avec vous avant de mourir. " Notre Sauveur avait longtemps fait la pâque avec eux. De quelle pâque parle-t-il? De la dernière pâque qu'il fit en se donnant lui-même à eux. Il montre bien l'ardent amour qu'il a pour notre salut. Il ne dit pas : Je désire, mais il dit: J'ai désiré d'un grand désir; comme s'il disait: J'ai désiré depuis bien longtemps accomplir votre rédemption, me donner à vous en nourriture et me livrer à la mort pour vous rendre la vie. C'est là cette pâque qu'il désire, c'est là sa joie, son bonheur, sa fête, car il va [401] faire ce qu'il a tant désiré; et pour exprimer sa joie, il appelle ce moment la pâque.

2. Et puis il leur laisse la paix et l'union, le précepte de s'aimer les uns les autres; c'est là son testament, le signe qui fait reconnaître les enfants et les vrais disciples du Christ. C'est ce que ce Père véritable nous laisse par testament. Nous qui sommes ses enfants, nous ne devons pas renoncer à ce testament, car celui qui y renonce ne doit pas avoir l'héritage.

3. Je désire donc aussi d'un grand désir vous voir des enfants dociles et non rebelles à notre Père; ne renoncez pas au testament de la paix, et accomplissez cette paix en étant liés et unis dans les liens et l'amour d'une ardente charité. Si vous y êtes fidèles, il se donnera lui-même à vous en nourriture, et vous recevrez le fruit du sang du Fils de Dieu. C'est par son moyen que nous recevons l'héritage de la vie éternelle; car, avant que son sang fût répandu, la vie éternelle était fermée, et personne ne pouvait arriver à sa fin, qui est Dieu, pour lequel l'homme a été créé. Mais parce que l'homme n'est pas resté sous le joug de l'obéissance, et s'est révolté contre le commandement de Dieu, la mort est venue dans l'homme; et Dieu, animé par le feu de sa charité infinie, nous a donné le Verbe, son Fils unique, qui, pour obéir à son Père, nous a donné son sang avec tant d'amour. Que tous les cœurs ignorants et superbes devraient avoir honte de méconnaître cet ineffable bienfait! De son sang il nous a fait un bain pour laver nos infirmités, et de ses clous des clefs pour nous ouvrir les portes du ciel. Oui, mes enfants [402] et mes frères, je ne veux pas que vous soyez ingrats, et que vous méconnaissiez cet amour ineffable que Dieu vous montre; Car vous savez bien que l'ingratitude fait tarir la source de la piété. La pâque que mon âme désire faire avec vous, c'est que vous soyez les enfants paisibles et soumis de votre chef, et que vous lui obéissiez jusqu’à la mort.

4. Vous savez bien que le Christ nous a laissé son Vicaire, et qu'il nous l'a laissé pour le salut de nos âmes ; car autrement nous ne pouvons avoir la santé, qui est dans le corps mystique de la sainte Eglise. Le Christ en est le chef, et nous les membres ; et celui qui n'obéira pas au Christ de la terre, qui représente le Christ du ciel, ne participera pas au fruit du sang du Fils de Dieu ; car Dieu a voulu que nous recevions par ses mains ce sang, et tous les sacrements de la sainte Eglise, qui nous donnent la vie par ce Sang. Nous ne pouvons avancer par une autre voie, ni entrer par une autre porte car la Vérité suprême a dit: Je suis la voie, la vérité, la vie. Celui qui va par cette voie suit la vérité et non le mensonge c’est la voie de la haine du péché, et non la voie de l'amour-propre, de cet amour qui est cause de tout mal. Cette voie nous donne l'amour des vertus, qui sont la vie de l'âme; car l'âme reçoit un tel amour du prochain, qu'il aimerait mieux mourir que de l'offenser, parce qu'elle voit qu'en offensant la créature elle offense le Créateur. C'est donc bien la voie de la vérité. C'est aussi la porte par laquelle il faut entrer lorsque nous avons parcouru la voie; car il est dit: " Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi. [403] "

5. Vous voyez donc, mes enfants bien-aimés, que celui qui se révolte contre la sainte Eglise et contre notre Père tombe dans la mort comme un membre corrompu (Cette lettre fut sans doute écrite après le retour d’Avignon. Les Florentins ne voulurent pas observer l’interdit, et forçaient le clergé à le violer.) : car ce que nous faisons au Christ de la terre, nous le faisons au Christ du ciel, c’est à lui que s’adressent nos hommages ou nos offenses. Vous le voyez bien, et croyez, mes Frères, que je vous le dis avec peine et gémissements, par votre désobéissance et vos persécutions, vous êtes tombés dans la haine de Dieu. Et il ne pouvait pas vous arriver un plus grand malheur que d'être privés de sa grâce: toute la puissance des hommes vous servira de peu sans la puissance de Dieu. Hélas! c'est on vain que se fatigue celui qui garde la cité, si Dieu ne la garde lui-même. En étant en guerre avec Dieu par l'injure que vous avez faite à son Vicaire, à notre Père, je dis que vous vous êtes affaiblis, puisque vous avez perdu son secours. Je sais que beaucoup ne croient pas avoir offensé Dieu, et qu'ils s'imaginent lui avoir été agréables en persécutant l’Eglise et ses pasteurs; ils se défendent en disant: Ils sont coupables, et font beaucoup de mal; et moi je vous dis ce que Dieu veut et vous ordonne: lors même que les Pasteurs de l'Eglise et le Christ de la terre seraient des démons incarnés, au lieu d'avoir la douceur et la bonté d'un père, il faudrait leur être soumis et obéissants, non pas à cause d'eux, mais à cause de l’obéissance que nous devons à Dieu, qu'ils représentent.

6. Vous savez qu'un fils n'a jamais raison contre [404] son père, lors même que celui-ci est mauvais et qu’il lui a fait injure ; car l’existence qu’il a reçue de son père est un si grand bienfait, que rien ne pourra l’acquitter envers lui. Songez que l'existence et la grâce que nous tirons du corps mystique de la sainte Eglise sont des bienfaits si grands, qu'aucun hommage, aucun acte ne pourront jamais acquitter cette dette. Hélas ! Héla ! mes enfants, je vous le dis en pleurant et je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, réconciliez-vous, faites la paix avec lui ; ne continuez pas la guerre, et n'attendez pas que la colère de Dieu éclate sur vous. Car je vous le dis : Dieu regarde cette injure comme faite à lui-même. Réfugiez-vous donc sous les ailes de l'amour et de la crainte de Dieu ; humiliez-vous, et faites tous vos efforts pour retrouver la paix et l'union avec votre Père. Ouvrez, ouvrez les yeux de votre intelligence, et ne marchez pas dans cet aveuglement; car nous ne sommes pas des juifs et des sarrasins, mais nous sommes des chrétiens baptisés et rachetés par le sang du Christ. Nous ne devons nous révolter contre notre chef pour aucune injure reçue; nous ne devons pas combattre chrétiens contre chrétiens, mais nous devons combattre contre les infidèles qui nous font injure, car ils possèdent ce qui n'est pas à eux, mais à nous.

7. Ne dormez donc plus, pour l'amour de Dieu, dans une telle ignorance et une semblable obstination; levez-vous, et courez vous jeter dans les bras de notre Père, qui vous recevra avec bonté. Si vous le faites, vous aurez la paix et le repos spirituel et temporel, et avec vous toute la Toscane. La guerre sera [405] détournée sur les infidèles, et tous suivront l'étendard de la sainte Croix. Si vous n'arrivez pas à conclure la paix, vous et toute la Toscane vous aurez plus à souffrir que n'ont jamais souffert nos ancêtres. Ne pensez pas que Dieu dorme sur les injures qui sont faites à son Epouse: il veille; et ne croyez pas le contraire parce que nous voyons la prospérité s'accroître, car sous la prospérité se cache la verge de sa main puissante. Dieu est disposé à nous montrer sa miséricorde: ne soyez donc plus endurcis, mes Frères, mais humiliez-vous pendant que vous le pouvez encore, car l'âme qui s'humilie sera exaltée; le Christ l'a dit, et celui qui s'exalte sera humilié par la justice, les fléaux et les châtiments de Dieu. Marchez donc dans la paix et l'union, c'est cette pâque que je désire faire avec vous. Je ne vois pas d'autre lieu pour faire cette pâque que le corps mystique de la sainte Eglise; car c'est là qu'est le bain du sang du Fils de Dieu, où nous laverons les souillures de nos péchés; c'est là qu'on trouve la nourriture qui rassasie et nourrit l'âme, et le vêtement nuptial qu'il faut avoir si nous voulons entrer aux noces de la vie éternelle auxquelles nous invite l'Agneau immolé et abandonné pour nous sur la croix.

8. C'est le vêtement de la paix qui pacifie le cœur et cache la honte de notre nudité, c'est-à-dire de nos misères nombreuses, de nos défauts, des divisions que nous avons les uns les autres, et qui nous dépouillent du vêtement de la grâce. Puisque la douce bonté de Dieu nous rend ce vêtement, ne soyez pas négligents à aller le solliciter de notre chef, pour que la mort ne vous trouve pas nus; car nous devons mourir, et [406] nous ne savons pas quand. N'attendez pas le temps, car le temps ne vous attend pas. Ce serait une grande simplicité d'attendre et d'espérer ce dont je ne suis pas certaine et que je ne possède pas véritablement. Je termine. Pardonnez-moi ma hardiesse: vous devez l'attribuer à l'amour que j'ai pour le salut de votre âme et de votre corps, et à la douleur que me cause le dommage spirituel et temporel que vous recevez. Et croyez bien que j'aimerais mieux vous parler de vive voix que par lettres. Si par moi il peut se faire quelque chose pour l'honneur de Dieu et votre réconciliation avec la sainte Eglise, je suis prête à donner ma vie s'il le faut. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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L (199). - AUX SEIGNEURS PRIEURS DES ARTS et au gonfalonier de la justice du peuple et de la commune de Florence. - De la reconnaissance envers Dieu, et de l'amour que nous devons avoir envers le Souverain Pontife et la sainte Eglise.

(Cette lettre est écrite de Rome en 1379.- Les prieurs des arts, ou chefs de corps d'état, étaient arrivés, en 1343, à s'emparer de Florence, en excitant les nobles de toutes les charges. Les nobles, pour prendre part aux affaires publiques, se firent inscrire dans tes corps d'état. Le gonfalonier chargé de rendre justice était le premier magistrat de Florence.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [406] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang avec le désir de vous voir pleins de reconnaissance pour les grâces que vous recevez de votre Créateur. Cette reconnaissance alimente la source de la piété dans l’âme, tandis que l'ingratitude la dessèche. Il faut donc, pour l'honneur de Dieu et notre bien-être, nous montrer reconnaissants et fidèles. Mais je ne puis comprendre que nous puissions l’être tant que nous serons revêtus du vieux vêtement de l'amour sensitif. Car celui qui s'aime de l'amour sensitif, est ce vieil homme dont se sont revêtus nos premiers parents Adam et Eve, qui ont tari la source la piété non seulement en eux-mêmes, mais encore dans tout le genre humain, tellement que la vie éternelle fut fermée, et que personne avec sa justice ne pouvait y entrer. Quelle fut la cause d'un si grand malheur? l'amour-propre , cet amour qui rend l'homme ingrat, et qui enfante l'orgueil. C'est ainsi qu'Adam ne fut pas reconnaissant de l'innocence de la puissance que Dieu lui avait données en le faisant maître et seigneur de toutes les créatures privées de raison; l’animal qu'il eût appelé serait venu à lui comme son sujet. Mais après que son ingratitude lui eût fait transgresser le commandement de Dieu, il trouva la révolte dans tous les animaux, et comme il s'était révolté contre Dieu, il trouva en lui-même la révolte de cette loi mauvaise de la chair fragile, qui combat sans cesse contre l'esprit. Quiconque est revêtu du vieil homme ne peut être agréable à Dieu ni aux créatures.

2. D'où vient l'ingratitude? De l’amour-propre qui détruit la charité et rend l'homme orgueilleux [408], en lui faisant croire que ce qu’il a de bien vient de lui ,et non pas de Dieu. Il ne voit pas son néant, parce que l'amour-propre l'a aveuglé. S'il se voyait, il reconnaîtrait que l'être et toutes les grâces qui sont ajoutées à son être spirituel et temporel, lui viennent Dieu, parce que Dieu seul est Celui qui est. L'ingrat n’est pas patient, parce qu'il est séparé de la charité et de l'amour du prochain; son espérance est vaine, parce qu'il se confie en lui-même; il espère dans le secours des hommes, et non dans le secours de Dieu. Sa foi est morte, parce qu'elle est sans bonnes œuvres, et que la foi sans les œuvres est morte. S'il est sujet, il se révolte ; s'il est seigneur possédant des Etats, il commet l'injustice, et ne rend la justice qu'avec un esprit qui n'est pas la justice, mais plutôt l'injustice, car il la rend par haine ou par antipathie contre les autres, pour plaire ou ne pas déplaire aux créatures, ou pour son utilité particulière. Nous voyons donc qu'en toute chose il ne pratique pas la sainte justice. Les nobles se sont faits tyrans, et au sein de la commune, le peuple ne se nourrit pas de justice et de charité fraternelle, mais chacun trompe et ment pour son intérêt, sans s'occuper de l'intérêt général. Tous cherchent le pouvoir pour eux-mêmes, et non pour le bien de la ville. Les aveugles ne voient pas ce qui leur arrive; ils perdent en croyant acquérir, et ce qu'ils croient posséder leur échappe quand ils n’y pensent pas. Nous l'avons vu et nous l'avons éprouvé. La justice de Dieu le permet pour nous corriger de notre ingratitude et nous faire rentrer en nous-mêmes en nous humiliant sous la verge de sa main puissante. Celui qui est ainsi aveuglé par l'ignorance et l'ingratitude [409] peut-il être assez insensé pour penser acquérir et conserver la grâce, et posséder la puissance sur lui-même, on soumettant avec ingratitude la raison à sa propre fragilité? Il n'y a aucun mal, mes très chers Frères, qui ne sorte de ce vice.

3. Il vous est donc nécessaire de vous dépouiller du vieil homme, c’est-à-dire de l'amour-propre, d'où vient l'ingratitude, et de vous revêtir de l'homme nouveau du Christ, du doux Jésus, c'est-à-dire de sa doctrine, on suivant ses traces. Pour obéir à son Père, pour sauver et expier la faute de notre premier père, il a fait le contraire de ce qu'Adam avait fait. Adam, par sa désobéissance, a couru au plaisir avec orgueil et oubli des bienfaits reçus; et le doux et tendre Verbe, transporté d'amour, a couru par obéissance jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Dieu s'est abaissé jusqu'à l'homme on prenant notre humanité, et l'homme-Dieu s'est humilié jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Il a ainsi expié notre ingratitude on se faisant notre médiateur. Il faut nous revêtir de la doctrine de cet homme nouveau avec un véritable et saint zèle; il faut nous revêtir de la charité qu'il nous a montrée par tant d'amour. A moins que l'homme ne soit plus dur qu'un rocher, à moins qu'il ne soit grossier et sans intelligence, il ne pourra s'empêcher d'aimer; car une loi de l'amour est d'aimer quand on se voit aimé. Mais le nuage de l'amour-propre nous prive de la lumière, nous ne voyons pas, et celui qui ne voit pas ne connaît pas, n'aime pas. et on n'aimant pas il ne peut-être reconnaissant. Il faut donc la lumière pour connaître combien Dieu nous aime, quels [410] sont nos défauts, et à qui Dieu veut que nous prouvions l’amour que nous avons pour lui.

4. Nous voyons que le prochain nous a été donné comme moyen de montrer l'amour que nous avons pour Dieu; car, dans l'impuissance oui nous sommes de rendre Service au Bien suprême, Dieu veut que nous le fassions pour notre prochain, et que nous prouvions on lui notre amour en l'assistant, le secourant, le conseillant, chacun selon son état. C'est une dette que chacun est tenu de lui payer, comme aussi nous devons être soumis et obéissants à la sainte Eglise, et l'assister autant que nous le pourrons. Si nous sommes tenus à secourir notre frère dans ses besoins, combien devons-nous faire plus pour notre Mère la sainte Eglise, et notre Père le Christ de la terre !i c'est à leur égard surtout que nous montrerons notre reconnaissance des bienfaits reçus, et que nous alimenterons on nous la source de la piété. C'est à cette reconnaissance que je vous invite, et il me semble que jusqu'à présent, vous l'avez peu ressentie. Ne faites pas ainsi, très chers Frères, car la verge de la justice divine qui nous a frappés et nous frappera n'est pas brisée; rappelez - vous toujours les fautes que vous avez commises et les grâces que vous avez reçues, afin que vous soyez reconnaissants, et que vous nourrissiez on vous la source de la piété (La paix fut conclue entre les Florentins et le Saint-Siège au mois de juillet 1378.).

5. Ne nous trompons pas, mes doux Frères, nos fautes sont nombreuses, nous avons commis bien des iniquités contre Dieu, contre le prochain, contre [411] le Vicaire de Jésus-Christ, contre la sainte Eglise; et ces iniquités, vous ne pouvez les excuser par les défauts des pasteurs et des ministres de la sainte, Eglise: car ce n'est pas à vous de les punir, mais au Juge suprême et à son représentant. Maintenant, malgré ces fautes qui méritaient une si grande punition, vous avez reçu miséricorde, vous avez été remis avec bonté sur le sein de la sainte Eglise et vous pouvez, si vous le voulez, recevoir le fruit du précieux Sang par le Pape Urbain VI, le vrai Souverain Pontife, le Vicaire du Christ sur la terre; qui vous a pardonné et absous avec tant de charité, vous accordant ce que vous lui demandiez, vous traitant, non pas comme des enfants qui se sont révoltés contre leur père, mais comme des enfants qui ne l'ont jamais offensé. Et maintenant que vous le voyez dans de si grandes difficultés, non seulement vous ne l'aidez pas, mais vous ne faites pas ce que vous avez promis vous donnez ainsi des preuves de cette grande ingratitude pour laquelle je crains bien, si vous ne changez, que Dieu ne permette que vous vous en punissiez vous-mêmes, comme vous l'avez fait autrefois.

6. Je vous prie donc, pour l'amour de Jésus crucifié et dans votre intérêt, d'affermir votre cœur, pour qu'il n'hésite plus et qu'il croie fermement que le Pape Urbain VI est le véritable Souverain Pontife. Montrez que vous êtes reconnaissants et fidèles à la vérité, en accomplissant ce que vous avez promis de faire pour la sainte Eglise et pour votre Père. Examinez bien si cela vous est utile ou non. Vous êtes affaiblis par vos divisions, et il y a de grands orages dans le monde [412]. C’est le seul moyen de conserver vos Etats ; vous les perdrez par l’ingratitude. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir pleins de reconnaissance, car je vois que c’est par cette vertu que nous alimentons la source de la piété, et que nous invitons Dieu à multiplier ses grâces. Je veux donc que vous vous appliquiez à la montrer, comme des fils véritables qui doivent dans la sainte Eglise combattre pour la vérité, pour la Foi, en dissipant et en détruisant tout ce qui pourrait lui porter atteinte. C’est ainsi que vous reconnaîtrez les grâces reçues, et que vous vous purifierez de vos fautes. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres; car si vous vous nuisez entre vous, personne ne vous fera du bien. Ne dormez plus sur le lit de l'ingratitude, mais soyez reconnaissants pour Dieu, pour le sainte Eglise, et pour notre Père Urbain VI. Vous serez bénis alors, et vous conserverez les biens de la grâce spirituelle et temporelle. Perdez l'amour-propre, et persévérez dans son amour par la charité. Rendez à chacun ce qui lui est dû. Par donnez à mon ignorance; c'est l'amour de votre salut qui m'a portée à vous écrire, et j'y ai été forcée par la douce Bonté divine. Doux Jésus, Jésus amour [413].

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LI (215). - A BUONACORSO DE LAPO, à Florence, lorsque la sainte était à Avignon . - Elle se plaint des Florentins qui n'usaient pas des moyens convenables pour demander au Pape la paix, comme ils l'avaient promis d'abord.

(Buonacorso était un des citoyens les plus influents de Florence; il avait été envoyé en ambassade à Sienne en 1375, et il avait, à cette occasion, connu sainte Catherine.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir, vous et les autres seigneurs, pacifier vos cœurs et vos âmes dans le très doux sang. C'est dans ce sang que s'éteignent la haine et la guerre, et que s'abaisse l'orgueil de l'homme, car dans ce sang l'homme voit Dieu descendre jusqu'à lui en revêtant notre humanité; et cette humanité a été percée et clouée sur la Croix, par toutes les blessures du corps de Jésus crucifié; ce sang a coulé et s'est répandu sur nous, et voici qu'il nous est distribué par les ministres de la sainte Eglise. Je vous prie par l'amour de Jésus crucifié de recevoir ce trésor du sang que vous offre l’Epouse du Christ. Réconciliez-vous, réconciliez-vous avec elle dans ce sang; reconnaissez vos fautes et les outrages dont vous êtes coupable car celui qui reconnaît ses fautes, et prouve qu'il les reconnaît en s'humiliant, reçoit toujours miséricorde; mais celui qui montre seulement [414] son repentir par des paroles et non par des actes, n'obtient jamais miséricorde. Je ne vous dis pas cela seulement pour vous, mais aussi pour les autres qui sont tombés dans cette faute.

2. Hélas ! hélas! mon très cher Frère, je suis bien affligée des moyens qu'on prend pour demander la paix au très Saint-Père: on la veut plus en paroles qu'en vérité. Je vous dis cela parce que, quand je suis venue ici, vous et les autres seigneurs vous paraissiez, dans vos discours, repentants des fautes commises, et prêts à vous humilier pour obtenir miséricorde du Saint-Père. Je vous disais : " Voyez, Messeigneurs, si vous avez l'intention de vous humilier réellement, et si vous voulez que je vous présente à votre Père comme des enfants soumis jusqu'à la mort. Si vous y consentez, je ne craindrai aucune fatigue : mais autrement je ne partirai pas. " Ils m'ont tous répondu qu'ils y consentaient avec joie. Hélas ! hélas! mes très chers Frères, c'était la voie et la porte par laquelle il fallait entrer, il n'y en avait pas d'autres; si vous aviez suivi cette voie, si vos actes avaient été en rapport avec vos paroles, vous auriez obtenu la paix la plus glorieuse qu'on puisse obtenir. Et je ne le dis pas sans raison, car je sais quelles étaient les dispositions du Saint-Père pour la faire. Mais ensuite nous avons commencé à sortir de la voie (Lettre XLVII. Vie de Sainte Catherine, p. III, c.7.); nous avons employé les moyens trompeurs du monde, et on démentant nos paroles par nos actions, nous avons donné sujet au Saint-Père non pas de s'apaiser, mais de s'irriter davantage [415]

3. Lorsque vos ambassadeurs sont arrivés ici, ils ne se sont pas conduits comme ils devaient le faire avec les serviteurs de Dieu. Vous avez suivi vos idées; de sorte qu'il m'est impossible de conférer avec eux pour savoir si vous leur avez parlé comme à moi, en leur remettant leurs lettres de créance. Il était convenu que nous conférerions de tout ensemble; vous aviez dit : " Nous croyons que rien ne pourra se faire que par les mains des serviteurs de Dieu; " et vous avez fait tout le contraire. Cela vient de ce que nous ne reconnaissons pas bien nos fautes, et je vois que toutes ces paroles humbles voilaient plutôt de la peur et de la nécessité que de l'amour et de la vertu car si vous aviez compris véritablement l'offense que vous aviez commise, votre conduite eût répondu à vos paroles, et vous auriez confié vos intérêts et ce que vous vouliez obtenir du Saint-Père aux vrais serviteurs de Dieu, qui auraient présenté votre demande et obtenu du Saint-Père une bonne paix. Vous ne l'avez pas fait. J'en ai été très affligée à cause de l'offense de Dieu et du tort que vous vous faites à vous-même. Vous ne voyez pas le mal, et les suites fâcheuses qu’entraîneront votre obstination et votre persévérance dans votre ligne de conduite.

4. Hélas! hélas ! délivrez vous donc des liens de l'orgueil, et attachez-vous à l’humble Agneau ne méprisez pas son vicaire, et n’agissez pas contre lui. Qu’il n’en soit plus ainsi, pour l’amour de Jésus crucifié. Ne foulez pas aux pieds son sang ; et ce que vous n’avez pas fait jusqu’à présent, faites-le maintenant. Ne vous affligez pas, ne vous irritez [416] pas s'il vous semble que le Saint-Père vous demande des choses dures et impossibles. Il ne voudra que ce qui est possible il fera comme un bon père qui punit un fils coupable : il le réprimande sévèrement pour l'humilier et lui faire reconnaître sa faute et le fils ne s'irrite pas contre son père, parce qu'il voit que ce qu'il fait il le fait pour son bien; et plus il le repousse, plus il revient, demandant toujours miséricorde. Je vous le dis de la part de Jésus crucifié; toutes les fois que notre Père le Christ de la terre vous repoussera, revenez à lui; laissez-le faire, il a ses raisons. Voici qu'il va rejoindre son Epouse, la ville de saint Pierre et de saint Paul; courez vers lui avec une humilité de cœur sincère et avec le regret de vos fautes; suivez les saintes résolutions que vous aviez d'abord prises. En le faisant, vous obtiendrez la paix spirituelle et temporelle; en ne le faisant pas, nous éprouverons des malheurs que nos pères n'ont jamais connus, nous attirerons la colère de Dieu sur nous, et nous ne participerons pas au sang de l'Agneau. Je ne vous on dis pas davantage. Sollicitez tant que vous le pourrez lorsque le Saint-Père sera à Rome. Je fais et je ferai tout ce que je pourrai faire jusqu'à la mort pour l'honneur de Dieu et pour la paix, afin de faire cesser l'obstacle qui empêche la sainte croisade. Lors même que nous ne ferions que ce mal, nous serions mille fois dignes de l'enfer prenez courage dans le Christ, notre doux Jésus. J'espère de sa bonté que, si vous faites ce que vous devez, vous aurez une bonne paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [417] .

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LII (216). A NICOLAS SODERINI, à Florence. - De la crainte filiale des vrais serviteurs de Dieu. - Il faut toujours travailler à acquérir la vertu et à augmenter en soi la grâce.

(Nicolas Soderini était un noble Florentin, d'une haute piété. Ce fut dans sa maison que logea sainte Catherine pendant sou séjour à Florence. (Vie de sainte Catherine, p. III, ch. 7.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très révérend et très cher Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le serviteur et le vrai fils de Jésus crucifié, vous et toute votre famille; car vous avez été racheté par le Fils de Dieu. Soyez donc comme le serviteur en présence de son maître, craignant toujours de l'offenser et de lui déplaire. Je veux que vous agissiez ainsi, et que vous pensiez sans cesse au sang qui l'a rendu notre Maître. Il a toujours le regard sur nous, et nous devons toujours craindre d'offenser ce doux et cher Seigneur. C'est cette sainte crainte qui entre dans l'âme comme un serviteur, et en chasse le vice, le péché et tout ce qui peut être contre la volonté de son maître.

2. Je désire aussi que vous soyez le fils de votre Père céleste, qui vous a créé h son image et ressemblance. Il a fait pour vous et pour toute créature [418] comme fait le père qui met un trésor entre les mains de son fils et l'envoie loin de la ville pour qu'il devienne riche et puissant: de même ce doux Père, lorsqu'il eut créé l'âme, lui donna le trésor du temps et le libre arbitre de la volonté pour qu'elle s'enrichisse. Vous voyez bien que c'est la vérité : car nous sommes des étrangers et des voyageurs en cette vie, et nous pouvons faire fortune avec le trésor du temps et le libre arbitre. Pendant ce temps la créature peut vaincre sa volonté, son libre ,arbitre, et par ce moyen détruire la vanité coupable, les caprices, les inquiétudes et les plaisirs du monde. Ce sont là des marchandises qui appauvrissent toujours l'homme, car elles n'ont aucune durée aucune solidité; elles brillent au dehors, et sont gâtées au dedans et pleines de la corruption du péché : c'est cette belle apparence qui séduit l'homme et qui les lui fait acheter.

3. Très cher et vénérable Frère en Jésus-Christ, je n'entends pas, je ne veux pas que ce trésor que le Père nous a donné par sa grâce divine et sa miséricorde, nous le dépensions en une si vile marchandise; car nous serions justement condamnés par notre Père. Oui, comme de bons fils et avec un grand zèle, employons ce doux trésor h acheter des marchandises parfaites. Elles sont le contraire des autres i leur apparence est obscure, pauvre et méprisable; mais nu fond elles ont une valeur qui nourrit et enrichit par la grâce ici-bas, et procure ensuite dans la vie éternelle la jouissance de l'héritage du Père. Quel est donc ce trésor qui enrichit celui qui l'achète? Ce trésor est le mépris des [419] honneurs, des plaisirs, des richesses, des consolations des applaudissements des hommes, et l'amour des vertus sincères et solides, qui paraissent petites aux yeux du monde, mais qui renferment le trésor de la grâce. Il paraît petit au monde de choisir les mauvais traitements, les injures, les affronts, et de préférer la pauvreté volontaire qui repousse l'orgueil, les honneurs du monde, et rend humbles par la vertu celui qui s'élevait; il ne veut suivre d'autres traces que celles de son maître, qui lui a confié le trésor du libre arbitre avec lequel il peut gagner ou perdre, selon qu'il le veut et selon la marchandise qu'il achète.

4. O doux et saint trésor des vertus, vous pouvez en toute assurance voyager sur mer et sur terre et au milieu des ennemis sans avoir rien à craindre, car vous avez caché en vous Dieu, qui est l'éternelle vérité. Les hommes et leurs injures ne peuvent ôter la patience, car personne dans le monde ne recherche les injures, et la patience se montre par le moyen des injures et des peines. Ainsi fait l'ardente et tendre charité. tandis que l'amour-propre se cherche toujours lui même; le cœur rempli des richesses de la charité possède la joie et la sûreté. Il ne pense pas à lui, il ne se cherche pas pour lui, mais il se cherche pour Dieu, et le prochain pour Dieu. Enfin toutes ses œuvres ne sont pas faites intérieurement pour sa propre utilité, mais pour son Père, à son retour dans la maison. Ne dormons donc plus dans le lit de la négligence, car il est temps d'employer notre trésor on une douce marchandise. Savez-vous laquelle? le sacrifice de notre [420] vie pour notre Dieu; c'est ainsi que nous expierons toutes nos fautes.

5. Je vous dis cela à cause du parfum de la fleur qui commence à s'épanouir je parle de la sainte croisade au sujet de laquelle le Souverain Pontife, notre Christ sur terre, voudrait connaître les bonnes dispositions et la volonté des chrétiens. S’ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour conquérir la Terre Sainte, il les aiderait de toute sa puissance. C’est ce que dit la bulle qu’il a nvoyée à notre provincial, au ministre des frères Mineurs et à frère Raymond (Cette bulle fut adressée d’Avignon par Grégoire XI). Il leur recommande d’examiner avec soin les dispostions favorables qu’on trouverait en Toscane et dans tous les autres pays, et il veut qu’on lui fasse connaître le nombre de ceux qui désirent la croisade, afin de la préparer et de la réaliser. Je vous invite donc aux noces éternelles ; enflammez-vous du désir de donner vie pour vie et d'enrôler le plus de monde que vous pourrez, car on ne va pas seul aux noces , et vous ne pouvez reculer. Je ne vous en dis pas davantage.

6. Je vous remercie avec affection de la charité que vous m’avez montrée. J'ai tout appris par la lettre et par le Maître. Je suis incapable de reconnaître votre bienveillance, mais je prie et je prierai sans cesse l’éternelle Bonté de vous récompenser elle-même. Je vous salue et vous bénis mille fois dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [421].

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LIII (217). - A NICOLAS SODERINI, de Florence, lorsqu'il était un des prieurs au moment de la ligue. - Elle l'exhorte à se liguer avec ses concitoyens.- Il ne peut y avoir d'union véritable parmi les hommes, si elle ne se fait par Jésus-Christ, au moyen de la sainte charité. - Elle reprend fortement la ligue des Florentins contre le Souverain Pontife, et elle les conjure de demander humblement la paix.

(Nicolas Soderini était un des citoyens les plus importants de la république de Florence il avait été gonfalonier de de la justice en 1371, et se trouvait un des prieurs des arts qui étaient au pouvoir au moment de la ligue faite contre le Saint-Siège par les villes de Toscane et de Lombardie en 1370.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très cher et bien-aimé fils et Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un membre uni et lié par les liens de la vraie charité, afin que, participant ainsi au véritable amour, vous puissiez, lorsque vous serez à la tête de la ville, devenir un moyen d'union entre tous vos concitoyens, pour qu'ils ne restent pas dans un si grand danger et dans la damnation de l'âme et du corps. Vous savez bien qu'un membre séparé de son chef ne peut avoir la vie on lui, parce qu'il n'est pas uni en Celui en qui est la vie; c'est ce que fait l'âme qui est séparée de l'amour et de la charité de Dieu, c'est ce que font ceux qui [422] ne suivent pas leur Créateur, mais qui plutôt le persécutent par leurs outrages et leurs péchés mortels; ils le montrent clairement par ce que nous leur voyons faire tous les jours, et vous devez me comprendre. Hélas! hélas ! qui sommes-nous, pauvres misérables, orgueilleux et méchants, pour nous révolter contre notre Chef. Hélas! hélas ! dans notre aveuglement, nous voyons notre ville et notre puissance dans la fleur de la prospérité, nous n'apercevons pas le ver qui a pénétré dans la plante et qui ronge la fleur. Elle tombera bientôt, si nous n'y apportons remède. Il faut donc résister à la lumière de la raison par une vraie et douce humilité; cette vertu élève ceux qui la possèdent, tandis que, comme ledit Jésus-Christ, les superbes sont toujours humiliés. Ceux-là ne peuvent avoir la vie, parce qu'ils sont des membres séparés des doux biens de la charité.

2. Peut-il nous arriver plus grand malheur que d'être privés de Dieu? Nous pourrons bien former une ligue puissante et nous unir à beaucoup de villes et de personnes; mais ce ne sera rien, si nous ne sommes pas unis à Dieu, si nous n'avons pas son secours. Vous savez bien que c'est en vain que travaille celui qui garde la cité, si Dieu ne la garde lui-même. Que pourrons-nous donc faire, malheureux aveugles qui nous nous obstinons dans notre péché? Quoi! Dieu est Celui qui garde et conserve les cités et tout l'univers, et moi je me suis révoltée contre lui, qui est Celui qui est ! Si je dis : Je ne fais rien contre lui, on pourra répondre: Tu fais contre lui tout ce que tu fais contre son Vicaire, qui tient sa place. Vois donc comment cette révolte t'affaiblit: nous n'avons pour [423]

ainsi dire plus de force, parce que nous sommes privés de notre force. Hélas! mon Frère, mon bien cher fils, ouvrez les yeux pour voir un si grand péril et cette perte de l'âme et du corps. Je vous en conjure, n'attendez pas la venue du jugement de Dieu ; car le ver pourrait bien tant avancer que la fleur tomberait par terre. Le parfum de la fleur est déjà corrompu, parce que nous sommes révoltés contre le Christ. Vous savez bien que le parfum de la grâce ne peut durer dans celui qui se révolte contre son Créateur. Mais il y a un remède auquel nous pouvons recourir, et je vous en conjure autant que je le sais et que je le puis, dans le Christ, le doux Jésus, employez-le, vous et vos concitoyens. Faites pour cela tout ce que vous pourrez faire.

3. Humiliez-vous, apaisez vos esprits et vos cœurs; car on ne peut entrer par la porte étroite en levant la tête on se la briserait. Il faut passer par la porte de Jésus crucifié, qui s'est humilié jusqu’à nous, pauvres insensés. Si vous vous humiliez, vous demanderez avec calme et douceur la paix à votre chef le Christ de la terre. Montrez que vous êtes ses enfants, des membres unis et non retranchés, et vous trouverez la miséricorde, la bonté, le salut de l’âme et du corps. Vous savez que la nécessité ne peut le contraindre ; il faut que ce soit l’amour. Un enfant ne peut vivre sans le secours de son père : il n’a aucune vertu, aucune puissance par lui-même ; tout ce qu’il a lui vient de Dieu. Il faut donc qu’il reste dans l’amour du père ; car s’il s’en séparait par la révolte et la haine, il perdrait son secours, en le perdant il périrait. Il faut donc aller solliciter avec zèle le [424] secours du Père, c’est-à-dire le secours de Dieu ; mais il faut solliciter et l'obtenir de son Vicaire, c'est entre ses mains que Dieu a mis les clefs du ciel, et c'est ce porte-clefs que nous devons prendre pour chef, car ce qu'il fait est fait, ce qu'il ne fait pas n'est pas fait, comme l'a dit le Christ à Saint Pierre " Ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel ; ce que vous délierez sur la terre e sera délié dans le ciel. " Puisque le Vicaire a tant de force et de puissance, qu'il ferme et ouvre les portes de la vie éternelle, serons-nous des membres corrompus, des enfants révoltés contre leur père, et assez insensés pour agir contre lui? Nous voyons bien que sans lui nous ne pouvons rien faire. Si vous êtes contre la sainte Eglise, comment pourrez-vous participer au sang du Fils de Dieu? L'Eglise est inséparable du Christ. C'est elle qui nous donne et nous administre les sacrements, et les sacrements nous donnent la vie qu'ils reçoivent du sang du Christ; et avant que ce sang nous fût donné, aucune vertu n'était suffisante pour nous donner la vie éternelle. Comment sommes-nous donc assez audacieux pour mépriser ce sang?

4. Et si vous dites : je ne méprise pas ce sang, je vous répondrai cela n'est pas vrai. Celui qui méprise le Vicaire du Christ méprise le sang du Christ; celui qui agit contre l'un agit contre l'autre, car ils sont unis ensemble. Comment pouvez-vous dire que si vous offensez le corps, vous n'offensez pas le sang, qui est dans le corps? Ne savez-vous pas qu'il possède le sang du Christ? Comprenez qu'il en est comme d'un fils et d'un père si le fils offense le père, le fils n'aura jamais raison contre son père, et il ne peut pas [425] l'offenser sans être en danger de mort et en état de damnation. Il est toujours son débiteur, puisqu'il en a reçu l'être. Le fils n'a pas demandé à son père la substance de son corps, et cependant le père, dans son amour, a donné à son fils l'existence. Oh! combien plus serions-nous ignorants et ingrats, si nous nous permettions d'offenser notre vrai Père, Celui qui a aimé sans être aimé! Car il nous a créés par amour, et il nous a fait renaître à la grâce par son sang, en sacrifiant sa vie avec tant d'amour. Si l'homme y pensait, il souffrirait la faim, la soif et toutes les épreuves jusqu'à la mort, plutôt que de se révolter et d'agir contre son Vicaire, par lequel il nous donne le fruit du sang du Christ ; et il nous le donne par bonté et non par devoir.

5. Oh ! non, plus jamais, mes Frères, ne dormons plus dans ces ténèbres et cet aveuglement. Délivrons-nous du ver de l'orgueil et de l'amour de nous-mêmes; tuons-le avec le glaive de la haine et de l'amour, avec l'amour de Dieu et le respect de la sainte Eglise, avec la haine et l'horreur du péché et des fautes commises contre Dieu et son Vicaire. Alors vous serez attachés et greffés sur l'Arbre de vie; il vous ôtera la mort, il vous rendra la vie et détruira votre faiblesse. Nous l'avons dit, nous sommes devenus faibles parce que nous sommes privés de Dieu, qui est notre force, en injuriant son Epouse. Mais on vous unissant par la haine et le regret des divisions passées, vous serez forts par les grâces spirituelles, dont nous avons besoin si nous voulons la vie de la grâce, et aussi par les grâces temporelles, qui vous protégeront contre tous ceux qui voudraient vous nuire [426].

6. Ne vaut-il pas mieux être en paix non seulement avec votre chef, mais avec toutes les créatures? Car nous ne sommes pas des juifs et des sarrasins, mais des chrétiens rachetés et purifiés par le sang du Christ. Que nous serions insensés si, pour nous agrandir ou pour ne pas perdre notre état, nous faisions l'office des démons, en cherchant à entraîner les autres dans le mal que vous faites vous-mêmes! C'est ainsi qu'on fait les démons : ils étaient des anges, et lorsqu'ils tombèrent, ils se liguèrent ensemble et se révoltèrent contre Dieu. En voulant s'élever, ils tombèrent dans l'abîme. Je vous on prie et je vous en conjure, ne faites pas ainsi en voulant attaquer l’Epouse du Christ et vous liguer contre elle. Lorsque vous vous croirez unis et triomphants, vous serez divisés et abaissés plus que jamais. Ne le faites plus, mes très chers Frères ; mais unissez-vous dans les liens d'une ardente charité; demandez à rentrer dans la paix et l'union avec votre chef, afin que vous ne soyez pas des membres séparés. Vous avez un Père si bon, que non seulement il est prêt à vous pardonner si vous revenez, mais qu'il vous invite encore à la paix malgré les injures qu'il a reçues de vous.

7. Il vous semble peut-être que c'est vous, au contraire, qui avez reçu l'injure (Les Florentins se plaignaient de la conduite du légat de Bologne, qui avait empêché l'exportation des denrées dans un moment de disette, et qui avait favorisé la révolte de Prato.). S'il en est ainsi, cette erreur vient de votre peu de lumière. C'est un grand danger, et un obstacle qui empêche l'homme [427]

de se corriger, car il ne voit pas sa faute, et ne la voyant pas il ne l'expie pas par la haine et le regret. Il faut donc voir, afin que, reconnaissant nos défauts nous puissions nous en corriger. Nous ne devons pas aimer les vices que nous voyons dans les créatures mais nous devons aimer et respecter la créature et l'autorité que Dieu a confiée à ses ministres, en le laissant juger et punir leurs fautes; car Dieu est un Souverain Juge qui rend justice à chacun selon ses mérites. Ne serait-il pas déraisonnable de vouloir juger les autres, lorsque nous sommes tombés dans les mêmes fautes? Je vous prie donc de ne plus vous laisser aller à une si grande erreur ; mais unissez vous loyalement et généreusement à votre chef, pour qu’au moment de la mort, où l'homme ne peut plus s'excuser, nous puissions recevoir et goûter le fruit du sang de Jésus-Christ.

8. Je vous prie, Nicolas, par cet amour ineffable avec lequel Dieu vous a créé et racheté si doucement de vous appliquer à être juste autant que vous le pourrez. Ce n'est pas sans un grand motif que Dieu vous a mis à même de faire la paix et de rétablir l'union avec la sainte Eglise : c'est pour vous sauver vous et toute la Toscane. Il ne me semble pas que la guerre soit une si douce chose, que nous devions la rechercher lorsque nous pouvons l'éviter. Y a-t-il, au contraire, rien de plus doux que la paix? Je ne le crois pas ; c'est ce doux héritage que Jésus-Christ a laissé à ses disciples. Car il a dit : Ce n'est pas en faisant des miracles; en connaissant les choses futures et en montrant votre sainteté par des actes extérieurs, qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples; c’est [428] en étant unis par la charité, la paix et l'amour. Je veux donc que vous fassiez l'office des anges, qui travaillent à nous mettre en paix avec Dieu. Faites ce que vous pourrez; et que cela plaise ou déplaise, surmontez tous les obstacles; ne pensez qu’à l’honneur de Dieu et à votre salut, et quand il devrait vous un coûter la vie, n'hésitez jamais à dire la vérité, sans craindre ce que les démons ou les créatures pourraient faire. Mais prenez pour bouclier et pour défense la crainte de Dieu, sachant que son regard est sur nous, et qu'il voit toujours l'intention, la volonté de l'homme telle qu'elle est dirigée vers lui. En agissant ainsi, vous accomplirez mon désir en vous. Je vous ai dit que je désirais vous voir un membre uni et lié par les liens de la charité, et aussi un moyen le lier et d'unir tous les autres. Faites-leur voir, autant que vous le pourrez, dans quel danger et quel malheur ils se trouvent ; car je vous assure que si vous ne disposez pas tout pour la paix, si vous ne la demandez pas avec humilité, vous tomberez dans une ruine plus grande que jamais.

9. Je crains qu'on ne puisse vous appliquer cette parole de Jésus-Christ, lorsqu'il allait à la mort honteuse de la Croix pour nous pauvres misérables qui méconnaissons un si grand bienfait; il se tournait en disant : "Filles de Jérusalem, (ne) pleurez (pas) sur vous et sur vos enfants; " et le jour des Rameaux, lorsqu'il descendait de la montagne des Oliviers, il disait : "Jérusalem, Jérusalem, tu te réjouis, parce que c'est aujourd'hui ton jour, mais un temps viendra où tu pleureras (Lc 19,42). N'attendez pas ce temps [429], pour l'amour de Dieu, mais procurez-vous la vraie joie, c’est-à-dire la paix et l'union. De cette manière vous serez les vrais fils; vous mériterez et vous posséderez l'héritage du Père éternel. Je ne vous en dis pas davantage, tant est pesante l'affliction que me cause la perte de vos âmes et de vos corps. Pour l'empêcher, je sacrifierais avec joie mille fois ma vie, si je le pouvais. Je prie la divine Providence de vous donner à vous, mon fils, et à tous les autres, la lumière, la connaissance, la crainte et le saint amour de Dieu ; qu'il vous retire des ténèbres de l'amour-propre et de la crainte servile qui est la cause de tout le mal. Je vous adresse le porteur de cette lettre qui est, cette année, le prédicateur de l'ordre des frères Mineurs. C'est un bon et vrai serviteur de Dieu, qui vous aidera de ses conseils et vous dirigera dans la voie de la vérité pour tout ce que vous aurez à faire pour vous-même et pour la ville. Je vous prie d'écouter et de suivre ses conseils; il n'y a aucune chose secrète et cachée dans votre esprit que vous ne puissiez lui communiquer. J'espère de la grâce divine que l'amour qu'il a pour votre salut et celui de tous lui obtiendra des lumières d'en haut, qu'il vous conseillera toujours bien. Confiez - vous à lui c'est un autre moi-même. Bénissez et encouragez Mme Constance (Mme Constance était la femme de Nicolas Soderini.) et toute la famille. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [430].

Table des Matières









LIV (218).- A NICOLAS SODERINI, à Florence.- De la vertu de patience, et de l'amour de Jésus-Christ, qui l'enseigne.

(Cette lettre fut écrite à l'occasion de l'émeute qui eut lice à Florence en 1378. Sainte Catherine courut un grand danger : la maison de Nicolas Soderini fut pillée et brûlée par la populace, qui voulut aussi détruire l'asile que le disciple de sainte Catherine lui faisait bâtir près de la porte Saint-Georges. (Voir Gigli, t. II, p. 199.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie et sainte patience : car sans la patience nous ne pouvons être agréables à Dieu, et nous ne pouvons être en état de grâce. La patience est la moelle de charité. Puisqu'elle est si nécessaire, il faut la trouver et où la trouverons-nous? le savez-vous, mon doux et cher Père? dans le même lieu, de la même manière que nous trouverons l'amour. Et où s'acquiert l'amour ? nous le trouvons dans le sang que Jésus crucifié a répandu par amour sous le bois de la très sainte Croix. L'amour ineffable que nous voyons en lui nous inspire l'amour, car celui qui se voit aimé, ne peut s'empêcher d'aimer; et dès qu'il aime, il se revêt de la patience de Jésus crucifié; et avec cette douce et glorieuse vertu, il est calme au milieu des orages et des épreuves sans nombre [431].

2. C’est cette vertu qui se rappelle sans cesse la volonté de Dieu. Elle est forte, elle n’est jamais vaincue, mais toujours victorieuse, parce qu’elle possède la force et la longue persévérance, et elle reçoit la récompense de toutes ses fatigues. C'est une reine qui domine l’impatience et ne se laisse jamais surmonter par la colère. Elle ne se repent pas du bien qui est fait, quoiqu’il lui attire souvent des peines et des tribulations mais l’âme trouve de la joie et de la force à souffrir sans l'avoir mérité. Il n’y a que nos fautes qui doivent nous affliger, car il n'y a que nos fautes qui nous fassent perdre notre bien. Qu’est-ce que nous perdons ? La grâce, qui est le sang du Christ, notre bien que ne peuvent nous enlever ni le démon ni la créature, si nous le voulons pas. Mais les autres choses, les richesses, les honneurs, la puissance, les plaisirs, la santé, la vie et le reste, ne sont pas véritablement à nous ; elles nous sont seulement prêtées pour notre usage, comme il plaît à la divine Bonté, et elles peuvent nous être enlevées. Nous ne devons pas nous troubler dans l’impatience, mais les rendre sans peine ; car il faut rendre et abandonner ce qui n’est pas à nous : nous voyons bien que personne ne les garde comme il le désire, il faut se séparer ; elles nous laissent, ou nous les laissons en mourant.

3. Il est bien fou et bien insensé, celui qui leur accorde un amour coupable et déréglé. Il faut comme des hommes généreux, dépouiller notre cœur de toutes ces choses passagères, et de l’amour de nous-même pour nous attacher à la très sainte Croix., où nous trouverons l’amour ineffable en goûtant le sang [432] du Christ. où nous puiserons la patience de l’humble Agneau sans tache. Nous verrons que c'est avec ce même amour, avec lequel il a donné sa vie pour nous, qu'il nous donne et permet toutes nos fatigues, nos tribulations et nos consolations. Il me semble que l'ineffable bonté de Dieu vous a montré de nouveau son amour privilégié, puisqu'il vous a fait suivre la doctrine et la vie des saints, en vous rendant digne de souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom, afin de vous récompenser au ciel, et non pas dans cette vie. Voici pour nous, très cher Père, le moment de faire quelque bien pour notre salut, et de contempler le sang du Christ pour nous animer au combat, afin de ne pas tourner la tête en arrière par impatience, et de ne pas défaillir sous la main puissante de Dieu. Souffrez donc avec patience, en méprisant la sensualité, le monde et toutes ses délices, dont vous connaissez le peu de durée et de stabilité. Nous imiterons ainsi saint Paul, qui disait :  " Le monde me méprise, et je le méprise. "

4. Revêtons et embrassons la doctrine de Jésus crucifié; réjouissons-nous dans les tribulations, au lieu de les fuir, afin de ressembler à Celui qui a tant souffert pour nous. Nous montrerons ainsi notre patience car comment la montrer si ce n'est dans le temps des tribulations ? Nous recevrons plus tard dans le ciel la récompense de toutes nos peines, mais non pas sans la patience. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans une vraie et sainte patience, afin que quand vous entrerez dans notre ville de Jérusalem, dans la vision de la paix, vous receviez ce que vous avez gagné pendant [433] votre pèlerinage. Prenez courage, et recevez avec douceur cette médecine que Dieu vous a donnée pour la vie de votre âme. Je veux, très cher Père, que vous considériez les grâces que Dieu vous a faites jusqu'à présent, et les bienfaits de sa douce providence, afin que votre âme augmente sa dévotion par sa reconnaissance envers Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fortifiez Mme Constance de la part de Jésus crucifié, et dites-lui d'examiner qui a le plus souffert : elle verra que Dieu ramène le calme par la tempête. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









LV (223). - AU COMTE, FILS DE DAME AGNOLA, et aux Compagnies de Florence. - Des trois ennemis de l'homme, et comment Jésus-Christ en a triomphé.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine,la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de vrais chevaliers prêts à donner votre vie pour Jésus crucifié. Vous êtes placés sur le champ de bataille de cette vie ténébreuse, où nous sommes continuellement aux mains avec nos ennemis. Le monde nous persécute avec ses richesses, ses dignités, ses honneurs; il nous fait croire qu'ils sont solides et durables, tandis [434] qu'ils disparaissent et passent comme le vent. Le démon nous attaque par ses tentations, en nous faisant injurier et prendre souvent notre bien pour nous détourner de la charité du prochain; cardés que nous perdons son amour, nous perdons la vie. La chair nous tourmente par sa fragilité et ses mouvements pour nous ôter la pureté; car, en étant privés de la pureté, nous sommes privés de Dieu. Nos ennemis ne dorment jamais, ils sont toujours à nous persécuter et Dieu le permet pour nous donner toujours l'occasion de mériter, et pour nous tirer du sommeil de la négligence. Vous savez que l'homme qui se sent attaqué par ses ennemis a soin de prendre le moyen de se défendre contre eux, parce qu'il voit que, s'il dormait, il serait en danger de mort. Aussi Dieu nous les fait sentir pour que nous nous empressions de prendre les armes de la haine et de l'amour. La haine ferme au vice la porte du consentement, en leur résistant et en les détestant de toutes ses forces ; et elle ouvre la porte aux vertus, en ouvrant les bras de l'amour pour les recevoir au fond de son âme avec une grande ardeur. Vous voyez qu'il est bon et très bon que nos ennemis ne prévalent pas contre nous. Nous ne devons et nous ne pouvons rien craindre, si nous voulons nous fortifier en disant : nous pouvons toutes choses par Jésus crucifié. Que doit craindre l'âme si elle met son espérance dans son Créateur?

2. Nous voyons que sur ce champ de bataille, notre capitaine est le Christ Jésus, et il a vaincu nos ennemis avec son sang. Les délices et les richesses du monde, il les a vaincues par l'abaissement et la [435] pauvreté volontaire en supportant la faim, la soif et la persécution; il a vaincu le démon et sa malice par sa sagesse en prenant l'hameçon et l'appât de notre humanité par l'union de la nature divine avec la nature humaine. Il a vaincu la chair par la sienne, qui a été flagellée, macérée, saturée d'opprobres sur le bois de la très sainte Croix , et ensuite élevée au-dessus de tous les chœurs des Anges, dans la résurrection du Fils de Dieu. Il n'y a personne assez corrompu de corps et d'esprit pour qu'en voyant notre humanité unie à la nature divine d'une manière si parfaite, il ne se purifie et ne préfère mourir plutôt que de souiller son corps. Nous avons donc trouvé le remède notre Chef, le Christ, a vaincu nos ennemis; il les a rendus faibles et les a enchaînés de telle manière, qu'ils ne peuvent nous vaincre, si nous ne le voulons pas. Ne craignons rien, et combattons généreusement en suivant l'étendard de la très sainte Croix; contemplons le sang de l'Agneau sans tache, et prenons le glaive de la haine et de l'amour pour en frapper nos ennemis. C’est là le combat que doit soutenir tout homme qui reçoit la vie; et dès qu'il arrive à l'âge de raison, il faut qu'il descende sur le champ de bataille. Oui, l'ineffable bonté de Dieu nous a choisis pour combattre comme des chevaliers contre les vices et les péchés, pour acquérir la richesse et le trésor des vertus. Je crois que maintenant vous êtes appelés à augmenter et à réaliser vos saints désirs, en ayant faim et soif du salut des infidèles.

3. Il me semble que Dieu veut que vous soyez les premiers à frapper, car voilà la croisade qui commence [436]. Le Saint-Père appelle les chevaliers et tous ceux qui voudront les suivre (Les chevaliers de Rhodes, dont l’île était menacée par les Turcs. Don Giovanni avec lequel le comte doit s'entendre, est sans doute don Juan Fernandez, chevalier de Rhodes, qui vint accompagner avec ses galères Grégoire XI, et qui fut nommé grand maître en 1377.). Je vous prie donc de vous entendre avec don Giovanni, et de discuter ce que les jeunes gens vous diront et vous feront connaître de vive voix, ainsi que Léonard. Vous ferez ce que le Saint-Esprit vous fera faire par les conseils de don Giovanni : il me semble que c'est par là que notre Sauveur veut commencer la grande entreprise. Pas de crainte, mes doux fils, revêtez la cuirasse du précieux sang , et mêlons notre sang au sang de l'Agneau. Oh! comme cette douce et belle armure saura résister à tous les coups ! Vous frapperez avec le glaive de la haine et de l'amour, et vous déferez tous vos ennemis, et avec cette cuirasse vous leur échapperez. O mes très doux fils, considérez combien est agréable cette armure qui triomphe en souffrant, et frappe en étant frappée. Elle est pleine de traits qu'elle lance invisiblement; et quoique invisibles, ils paraissent, car leurs blessures produisent des fruits et des fleurs, les fleurs de l'honneur et de la gloire du nom de Dieu; et elles répandent un parfum qui détruit l'infidélité. Après la fleur vient le fruit ; nous recevons la récompense de nos fatigues en cette vie par l'augmentation de la grâce, et en l'autre par l'éternelle vision de Dieu. Ne soyez pas négligents, mais pleins de zèle; pour un peu de peine ne perdez pas la récompense, car autrement [437] vous ne pourriez être de généreux chevaliers. Je vous ai dit que je désirais vous voir des chevaliers généreux sur le champ de bataille, et je vous conjure d'accomplir la volonté de Dieu et mon désir, en vous plongeant, en vous noyant et en vous enivrant du sang de Jésus crucifié, parce que c'est dans ce sang que le cœur se fortifie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 
 

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