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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 56 à 77



LVI (22O).- A MESSIRE JEAN, condottière et chef des troupes qui vinrent au moment de la disette. - Elle le prie d’être le vrai chevalier du Christ combattant généreusement pour son honneur, et ne craignant pas de donner sa vie et son sang pour lui.

(Cette lettre est adressée au fameux chef anglais Jean Hawkwood, qui mourut le 16 mars 1394 et fut enterré à Florence, à Sainte-Marie-des-Fleurs, où il est peint à cheval, avec cette inscription JOANNES ACUTUS EQUES BRITANNICUS, DUX AETATIS SUAE CAUTISSIMUS ET REI MILITARIS PERITISSIMUS HABITUS EST. A la tête de ses routiers, ce capitaine désola et rançonna longtemps la Toscane, pendant la disette qui fut l'occasion de la guerre des Florentins avec le Saint-Siège. Cette lettre est sans doute de 1375.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [438] sang, avec le désir de vous voir les vrais fils et chevaliers du Christ, si bien que vous désiriez donner mille fois s'il le faut votre vie pour le service de ce doux et bon Jésus; ce qui rachèterait toutes les iniquités que nous avons commises contre notre Sauveur. O très chers et doux Frères dans le Christ Jésus, que vous feriez bien de rentrer un peu en vous-mêmes, et de considérer les peines et les tourments que vous avez endurés lorsque vous étiez au service et à la solde du démon. Mon âme désire que vous changiez maintenant, et que vous vous enrôliez sous la Croix de Jésus crucifié, vous et tous vos compagnons, pour former une compagnie du Christ et marcher contre les chiens infidèles qui possèdent le lieu saint ou la douce Vérité suprême a vécu et a souffert des tourments et la mort pour nous. Je vous en supplie donc au nom de Jésus-Christ, puisque Dieu et notre Saint-Père ordonnent de marcher contre les infidèles, et puisque vous aimez tant faire la guerre et combattre, ne combattez plus contre les chrétiens, car c'est offenser Dieu; mais marchez contre leurs ennemis. N'est-ce pas une grande cruauté que, nous qui sommes des chrétiens, des membres unis au corps de la sainte Église, nous nous attaquions les uns aux autres ? Il ne faut plus faire ainsi, mais il faut partir avec un saint zèle, et n’avoir plus d'autres pensées.

2. Je suis bien étonnée que vous qui, d'après ce qu'on m'a dit, aviez promis d'aller mourir pour le Christ dans la sainte croisade, vous vouliez maintenant faire la guerre ici. Ce n'est pas là une bonne préparation à ce que Dieu demande de vous, en vous appelant [439] dans un lieu si saint et si vénérable. Il me semble que vous devriez maintenant vous y préparer par la pratique des vertus, jusqu'au moment ou vous et les autres vous pourrez aller donner votre vie pour le Christ. Vous montrerez ainsi que vous êtes un vrai et

généreux chevalier. Vous verrez mon père et mon fils, le frère Raymond, qui vous remettra cette lettre: croyez tout ce qu'il vous dira, car c'est un vrai et fidèle serviteur de Dieu, et il ne vous conseillera, ne vous dira jamais rien qui ne soit pour l'honneur de Dieu, pour le salut et la gloire de votre âme. Je termine en vous priant, mon très cher Frère, de vous rappeler la brièveté du temps. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. CATHERINE, la servante inutile.

Table des Matières









LVII (221).- A THOMAS D'ALVIANO.- Tous les fidèles sont obligés de servir fidèlement la sainte Église.

(Thomas d'Alviano était un chef de bandes qui se mettaient à la solde des princes au moyen-âge, combattant tantôt pour un parti, tantôt pour un autre. Thomas d'Alviano servait l'Église contre les Florentins en 1376, date de cette lettre.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave de Jésus Christ, dans son précieux sang, avec le désir de vous [440] voir le serviteur de la sainte Église, la colonne et le défenseur de cette douce Épouse du Christ. Car celui qui sera trouvé fidèle au moment de la mort ne verra pas les peines éternelles. Tout chrétien est obligé d'être fidèle à la sainte Église et de la servir, chacun selon son état. Dieu met ses travailleurs dans le glorieux jardin, et nous sommes ces travailleurs qui devons le servir de trois manières.

2. La première regarde tous les fidèles, qui doivent travailler par d'humbles et saintes prières, et par une véritable obéissance. Ils doivent être obéissants et respectueux envers la sainte Église, qui est le jardin ou les chrétiens se plaisent et trouvent la vie de la grâce, quand ils ne méprisent pas le précieux Sang par le péché, par la révolte et la désobéissance a la sainte Église, mais qu'ils y travaillent comme nous l'avons dit. La seconde manière regarde ceux qui sont appelés a travailler dans ce jardin comme ministres, en administrant les sacrements, en nourrissant et en conduisant nos âmes. Ceux-là doivent nous nourrir de doctrine et d'exemples, et lors même que leur conduite n'est pas un miroir de vertus, nous n'en tirons pas moins la vie des sacrements qu'ils nous donnent, si nous les recevons dignement. Les défauts et les mauvais exemples des pasteurs ne doivent pas détruire le respect que nous leur devons, puisque la vertu des sacrements n'est point affaiblie par leurs fautes; et nous devons les respecter à cause de la vertu des sacrements, car ils sont consacrés, et Dieu dans les Ecritures, les appelle ses christs. Il ne veut pas que la main des séculiers se lève contre eux, qu'ils soient bons ou [441] mauvais : c'est un péché abominable devant lui. Des hommes coupables deviennent des membres du démon, en voulant juger et punir leurs fautes, et en persécutant comme des aveugles notre sainte Mère l'Eglise. Dieu a prévu cette persécution, en appelant à son jardin la troisième sorte de travailleurs. Ce sont ceux qui assistent l’Eglise temporellement, mettant fidèlement à son service leurs biens et leurs personnes. C’est, il me semble, parmi ceux-là que Dieu vous appelle, pour que vous soyez dans ses nécessités un serviteur fidèle. Ce service est si agréable à Dieu, que nos paroles ne pourront jamais l'exprimer, surtout quand l'homme sert , non pas par plaisir et par intérêt, mais par zèle pour la sainte Eglise, pour son accroissement et son exaltation. Cela plaît tant à Dieu, que, quand même ceux qui la servent n'auraient pas toujours une droite et sainte intention, ils seront cependant récompensés de tout ce qu'il feront pour cette douce Epouse. Dieu sera pour ceux qui se fatiguent pour lui, et, " Si Dieu est pour eux, personne ne sera contre eux (Rm 8,38 ). "

3. Aussi, je vous invite, mon très cher Frère, à vous fatiguer, vous et ceux qui sont de votre compagnie, et à travailler avec une vraie et sainte intention pour la douce Epouse du Christ. C'est la plus douce et la plus utile fatigue qu'on puisse trouver dans le monde. Car vous triomphez même dans la défaite, et en perdant la vie corporelle vous gagneriez la vie éternelle. Le sang versé pour la sainte Eglise lave toutes les fautes et les [442] iniquités qu'on a commises. Si vous remportez la victoire, vous n'en aurez pas moins offert votre vie à Dieu, puisque vous êtes exposés à la mort; et si vous acquérez des biens temporels, vous les posséderez légitimement. Qui ne voudrait pas, très cher Frère, s'exposer à toutes sortes de peines et de tourments pour être le serviteur fidèle de cette Epouse ? Il n'y a que celui qui est assez aveugle pour mépriser le sang du Christ et persécuter l'Eglise: celui-là d'un coup perd son âme, son corps, et dissipe ses biens temporels. Oh i quelle grâce Dieu vous a faite, à vous et à ceux qui servent l'Église, et ne la persécutent pas! Vous ne pourriez jamais assez la reconnaître, même en livrant votre corps aux flammes.

4. Je vous en conjure, remerciez Dieu par votre amour, en étant un modèle de vertus dans votre état; agissez toujours avec une bonne et sainte intention, soyez une ferme colonne, un serviteur fidèle, et que l'étendard de la très sainte Croix ne quitte jamais votre cœur et votre esprit. En n'étant pas vertueux, en ne purifiant pas votre conscience par la sainte Confession, vous ne serez pas un serviteur fidèle à Dieu et à l’Eglise, vous ne serez pas un bon travailleur dans son jardin c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de la sainte Église. Je vous en supplie et vous en conjure vous et les autres, agissez ainsi, et unissez toujours la vertu de la justice à la miséricorde, car autrement ce ne serait pas une vertu. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et faites avec une intention pure et un grand zèle ce que vous avez à faire; et moi je lèverai les mains et l'esprit au ciel, et je [443] prierai continuellement pour vous et pour les autres. Je demanderai quil ne vous arrrive aucun mal, et que vous obteniez la grâce de faire bonne paix; et après la paix nous irons tous à de beaux combats contre les infidèles (Le grand désir de sainte Catherine était de voir organiser une croisade qu'elle espérait accompagner pour vénérer les saints lieux.). Ce sera grande joie pour moi, car je suis bien affligée de voir que les chrétiens combattent les uns contre les autres, et que les fils se révoltent contre leur Père et persécutent le sang de Jésus crucifié. Je termine ; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









LVIII (222). - A THOMAS D'ALVIANO.- De la lumière de la saine foi. - Pour servir Dieu, il faut servir son prochain.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le serviteur fidèle de notre Créateur : c'est en le servant que l'homme règne éternellement. Il n'aurait pas la vie, celui qui ne serait pas fidèle a la lumière de la très sainte Foi. Elle s'acquiert avec l’œil de l'intelligence, quand l'âme considère l'ineffable charité de Dieu, qui nous [444] a donné l'être; et dans le Verbe, son Fils unique, nous trouvons le même amour, car nous voyons que son sang nous a fait renaître à la grâce, que l'homme avit perdue par sa faute. Oui, c'est par amour que Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance; c'est par amour qu'il nous a donné son Fils, afin de nous racheter en nous faisant renaître à la grâce dans son sang. Dieu a voulu, par le moyen de son Fils, nous montrer sa vérité et sa douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. La vérité est qu'il a vraiment créé l'homme pour qu'il jouisse de son éternelle vision, où l’âme participe à sa béatitude. Le péché commis par Adam empêchait cette vérité de s'accomplir dans l'homme. Et comme Dieu voulait l'accomplir, il s'est fait violence par amour et nous a donné ce qu'il avait de plus cher, son Fils unique; et il lui a donné l'ordre de racheter l'homme et de le rappeler de la mort à la vie. Dieu veut que le fils d'Adam renaisse dans le Sang, et personne ne peut avoir le fruit du Sang qu'avec la lumière de la foi.

2. Le Christ disait à Nicodème : "Personne ne peut entrer dans la vie éternelle, s'il ne renaît une seconde fois (Jn 3,3). " Notre-Seigneur voulait par là faire connaître que son Père lui avait donné de concevoir l'humanité par l'amour, et de l'enfanter par l'obéissance et par la haine du péché, sur le bois de la très sainte Croix. Il semble que le doux Verbe a fait comme l'aigle, qui regarde le disque même du soleil ; il voit du haut du ciel la nourriture qu'il [445] veut prendre; et quand il l'a vue sur terre, il se précipite, la prend, s'élève de nouveau pour s'en nourrir: de même notre Aigle, le doux Jésus, regarde le soleil de la volonté immuable du Pèle; il voit d'en haut l'offense et la révolte de la créature sur la terre créée, qu'il aperçoit des hauteurs du Père, et il voit la nourriture qu'il doit prendre. Cette nourriture, c'est ce qui sur cette misérable terre s'est révolté contre Dieu par une coupable désobéissance: il veut alors par l'obéissance accomplir dans l'homme la volonté du Père, il veut lui rendre la grâce et le retirer de la servitude du démon, qui lui donne la mort éternelle, il veut le ramener au service de son Créateur. Lors donc qu'il a vu et pris cette nourriture que lui offre le Père, il voit qu'il ne peut s'en nourrir sur la terre, et ramener ainsi l'homme misérable à sa première obéissance, et il s'élève avec sa proie jusqu'à la hauteur de la très sainte Croix; et là il s'en nourrit avec un ardent désir, et il punit nos iniquités en souffrant dans son corps; il satisfait avec la volonté par la haine et l'horreur du péché, et avec la volonté de la vertu divine qui est en lui, il offre le sacrifice de son sang à son Père, et le Père accepte ce sacrifice.

3. Vous voyez qu'il s'est élevé par les peines, les opprobres, les injures, les mauvais traitements et les outrages; il a souffert de la soif, il s'est rassasié d'opprobres, si bien qu'il est mort du désir de notre salut; c'est ainsi que s'est nourri le doux et tendre Agneau. Il a dit: " Si je suis élevé en haut, j'attirerai tout à moi (Jn 12,32). En effet, par la régénération que [446] l'homme trouve dans le sang de Jésus crucifié, il est attiré à l'aimer, s'il suit la raison et s'il ne s'éloigne pas pour l'amour de la sensualité. Et dès que le cœur est attiré à aimer son bienfaiteur, tout vient avec lui, le cœur, l'âme, la volonté et toutes les opérations spirituelles. Car toutes les puissances de l’âme, qui est spirituelle, sont attirées par cet amour. La mémoire est attirée par la puissance du Père, et elle est obligée de retenir ses bienfaits, de se les rappeler avec amour et d'en être reconnaissante. L'intelligence s'élève avec la sagesse de l'Agneau sans tache, et regarde en lui le feu de sa charité, où elle voit la justice des jugements de Dieu. Elle voit que tout ce que Dieu permet, c'est par amour et non par haine, que ce soit la prospérité ou l'adversité, et elle accepte et reçoit tout par amour. Si la sagesse de Dieu, qui est le Fils, avait voulu autre chose, il ne nous aurait pas donné la vie.

4. Alors l’âme, éclairée de cette vraie lumière, ne se plaint d'aucune fatigue qu'elle supporte; et si la sensualité veut se plaindre, elle la calme avec la lumière de la raison : non seulement elle ne se plaint pas, mais elle reçoit la peine avec respect; elle est contente de souffrir pour expier ses fautes et pour s'unir aux souffrances de Jésus crucifié. Si elle a dans le monde des biens, des honneurs, de la puissance, elle ne les possède pas avec un amour déréglé, mais avec l'amour et le zèle de la sainte justice, parce que le regard de son intelligence est fixé sur la sagesse du Fils de Dieu, où elle voit abonder la justice au point que, pour ne pas laisser la faute impunie, il l'a expiée dans son humanité, qu'il avait revêtue pour [447] nous. La volonté se lève alors, et court à l’amour que l’œil de l'intelligence a vu en Dieu, et elle acquiert et goûte ainsi la grâce et la Clémence du Saint-Esprit. Le cœur une fois rempli de l'amour et du désir de Dieu, s'élargit pour aimer le prochain avec une charité fraternelle, et non par amour-propre : car, s'il était dans l'amour-propre, il n'observerait la raison et la justice ni pour lui-même ni pour le prochain. Mais, parce que la grâce du Saint-Esprit l'a délivré de l'amour-propre par l'amour qu'il a pour Dieu, il est devenu un serviteur juste et fidèle de son Créateur; il élève ses affections, parce qu'il aime tout pour Dieu; et dans toutes les positions ou il se trouve, qu'il possède la puissance, les grandeurs, les richesses du monde, qu'il soit dans l'état de continence ou dans l'état de mariage, qu'il ait des enfants ou qu'il n'en ait pas, toujours il est agréable à Dieu, parce qu'il l'aime avec l'amour qui l'unit à lui; et ainsi se manifeste la Vérité suprême. L'homme a réglé les trois puissances de son âme; il les a élevées en haut par l'amour, et les a réunies au nom de Dieu: la mémoire s'applique à retenir les dons et les grâces de Dieu, à comprendre sa volonté dans la sagesse du Fils, et la volonté à aimer la douce clémence du Saint-Esprit: et Dieu alors se repose par la grâce dans son âme.

5. C'est ainsi que nous devons comprendre cette parole du Sauveur: - S'ils sont deux ou trois, ou plus, rassemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux. Nous pouvons croire qu'il parlait de la réunion des trois puissances de l'âme aussi bien que de la réunion corporelle des serviteurs de Dieu; mais remarquez qu'il est dit deux ou trois, ou plus. Nous [448] voyons pourquoi trois; nous pouvons comprendre aussi le nombre deux par l'amour et le saint désir, car c'est l'amour qui réunit. Si l'homme n'aimait pas, il ne disposerait pas la mémoire à recevoir et à retenir; l'intelligence ne serait pas portée à voir et à comprendre, et la volonté ne nourrirait pas en elle l'amour divin. Dès que le trésor est réuni, la sainte crainte de Dieu le garde, et ne laisse pas entrer dans la cité de l'âme son ennemi, c'est-à-dire le péché mortel. Et quoique la loi sainte de Dieu ait été donnée à Moïse fondée sur la crainte, il faut reconnaître que son premier motif fut l'amour; car Dieu l'a donnée par amour, afin d'empêcher l'homme de faire le mal. Le doux et tendre Verbe vint ensuite avec la loi d'amour, non pour détruire la loi donnée, mais pour l'accomplir. Car la crainte ne donnant pas la vie, il unit à la loi de crainte la loi d'amour, dont la perfection rendit parfait ce qui était imparfait.

6. Il faut donc suivre l'une et l'autre, car leur union est si grande, que celui qui ne veut pas être séparé de Dieu ne peut avoir l'une sans avoir l'autre; elles sont unies quant à ce qui regarde les dix commandements, et elles donnent la vie de la grâce: celui qui voudrait les séparer ne pourrait pas avoir Dieu par la grâce au milieu de son âme. Il est dit : s'ils sont deux, et non pas, si quelqu'un; car un seul ne peut faire plus d'un, et aussi on ne peut arriver à trois sans être deux. Mais il faut que l'âme en réunisse d'abord deux, c'est-à-dire l'amour et la crainte de Dieu; puis peu à peu se réunissent les trois puissances de l'âme, qui ne sont autre qu'une seule âme où la perfection de la charité opère de si grandes [449] merveilles, qu'elle en vaut deux, trois et plusieurs. Et pourquoi est-il dit: ou deux, ou trois, ou plusieurs réunis en mon nom? Cela s'entend des saintes et bonnes œuvres de la créature raisonnable: car, bien que tout ce qu'elle fait semble appartenir au monde, comme d'avoir un haut rang, de la puissance, une femme et des enfants, toutes ces choses, qui sont de la terre, peuvent être élevées à Dieu, lorsque l'âme a pris pour principe de régler et de réunir toutes ses puissances au nom de Dieu. Alors elle connaît bien la vérité, c'est-à-dire que Dieu ne lui a donné en cette vie aucune chose qui puisse, si elle le veut, être un obstacle à son salut, et qui ne soit au contraire un moyen de pratiquer la vertu et de lui donner une plus grande connaissance de sa misère et de la Bonté divine.

7. L'homme dès lors ne se plaint pas, et ne peut se plaindre ni du Créateur ni de la créature, mais seulement de lui-même, qui se révolte contre son Créateur, avec la corruption du péché mortel. Il ne peut se plaindre de Dieu, car Dieu l'a fait si fort, que ni les démons, ni les créatures ne peuvent le séparer de Dieu; et même souvent, s'il ne veut pas suivre la sensualité et la colère, les injures que lui font les hommes du monde lui font posséder Dieu plus parfaitement, et lui font connaître, par la vertu de la sainte patience, s'il aime ou non son Créateur; et la grâce remplira de plus en plus le vase de son âme. Il ne peut pas se plaindre si, par le moyen de la créature, il reçoit des mouvements impurs, et s'il est porté à des choses déshonnêtes. Je dis qu'il ne peut pas se plaindre, encore que ces mouvements puissent [450] venir de sa propre fragilité ou de la tentation de quelque créature, comme nous l'avons dit, car rien ne peut le forcer, s'il veut faire résistance avec la raison et respirer le parfum de la pureté.

8. Mais, quand il se sent attaqué par ce vice ou par d'autres, qu'il recoure à l'amour et à la sainte crainte de Dieu, qu'avec l’œil de l'intelligence il regarde dans sa mémoire, où se conservent les bienfaits de Dieu, qu'il l'aime avec le cœur et lui rende grâce et louange; et cette sainte reconnaissance éteindra le feu de la colère, de l'impureté, de l'injustice et de tout autre vice, mais surtout de l'injustice. Car si l'homme qui possède les honneurs et la puissance ne les possède pas vertueusement, il tombe dans beaucoup d'excès. S'il ne les possède pas, le regard fixé sur Dieu, il les possédera avec un amour-propre déréglé: et cet amour empoisonne l'âme et lui ôte la lumière, tellement qu'elle ne voit plus et ne connaît plus que les choses passagères et sensuelles, jugeant la volonté de Dieu, la sienne et celle des hommes toujours en mal et jamais en bien. Elle la prive de la vie de la grâce et lui donne la mort, et toutes ses œuvres ne tendent qu'à la mort du péché. Car il rend la justice selon le bon plaisir des hommes et non selon la raison, par la crainte servile qu'il a de perdre sa position. Oh! combien est dangereux cet amour coupable! C'est la loi du démon qui fut donnée dans le principe à Eve, et Adam la suivit et l'observa comme une loi diabolique d'amour et de crainte. Mais la douce Vérité suprême a renversé cette loi perverse, tellement que l'homme n'est jamais forcé de la suivre pour rien au monde. Il peut bien [451] par son libre arbitre la suivre lui-même s’il le veut, mais aucune force ne peut le contraindre à le faire plus qu’il ne veut.

9. La créature raisonnable doit donc bien rougir d’avoir un tel Rédempteur, qui lui a donné la force, qui l’a tirée de la servitude du péché, et de ne pas le suivre avec un amour parfait, de tout son cœur, de toute son âme, avec la lumière de la Foi vive que voit et que goûte l’œil de l’intelligence, avec l’amour qui enfante les œuvres de vie et non de mort ; car la Foi est vivante, et " sans les œuvres la Foi est morte (Jc 2,20). " Nous ne pourrons autrement être les serviteurs de Jésus crucifié. Son service fait régner l’homme dans la vie éternelle : car il se rend maître de lui-même, et dès que l’homme est maître de lui, il est maître du monde entier et ne s’inquiète de rien, ne craint rien, si ce n’est Dieu, qu’il sert et qu’il aime. Beaucoup possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes par l’amour de la vertu ; ils se trouvent pauvres et privés de tout à la fois, du monde et de Dieu, dans la vie ou dans la mort. Parce que j’ai compris que sans le moyen de la lumière de la Foi vous ne pouviez arriver à cette perfection, je vous ai dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de notre Créateur : et je vous en conjure, très cher Frère, faites-le, servez-le généreusement.

10. Il est vrai que vous ne pouvez lui être utile et le servir, car il n’a pas besoin de nous ; mais il nous a donné un moyen : il regarde fait à lui-même ce que [452] nous faisons à notre prochain, si nous le servons pour la gloire et l’honneur de son nom. Entre tous les services, celui qui est le plus agréable, c’est de servir sa douce Epouse ; et c’est à ce service que vous semblez appelé. Servez-la donc généreusement ; tous les services spirituels ou temporels que vous lui rendrez lui seront agréables, dès que vous le ferez avec une droite et bonne intention. Si vous le faites, Dieu vous en sera reconnaissant et cous récompensera de vos peines, en cette vie par la grâce, et dans l’autre par l’éternelle vision de Dieu ; vous verrez dans une clarté parfaite et sans obscurité, l’amour et la vérité du Père ; ce que nous voyons ici-bas imparfaitement, nous le verrons là-haut dans sa perfection. Je termine en priant la bonté de Dieu de vous donner la lumière parfaite pour le servir parfaitement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [453].

Table des Matières









LIX (201). - AUX DEFENSEURS ET AU CAPITAINE DU PEUPLE DE LA VILLE DE SIENNE, lorsqu'elle était à Saint-Anthime. - Nous devons être maîtres de nous-mêmes et de nos passions, pour bien gouverner les autres.

(Cette lettre est adressée aux magistrats qui gouvernaient la république de Sienne. Ils appartenaient au parti des Réformateurs, étaient au nombre de quinze, ayant pour chef le capitaine du peuple. Ils habitaient le palais de la Seigneurie.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Seigneurs dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des maîtres puissants et fermes, en gouvernant vos sens par la vraie et solide vertu, et en suivant notre Créateur: autrement vous ne pourrez pas exercer avec justice la puissance temporelle que la grâce de Dieu vous [457] confie. Il faut que l'homme qui doit gouverner et conduire les autres, se gouverne et se conduise d'abord lui-même. Comment un aveugle pourrait-il diriger un aveugle, comment un mort pourrait-il enterrer un mort, un malade soigner un malade, un pauvre secourir un pauvre? N'est-ce pas impossible? Oui, mes chers, Seigneurs, celui qui est aveugle, celui dont l'intelligence est obscurcie par le péché mortel, ne peut se connaître et connaître Dieu; il ne pourra pas non plus voir et corriger les défauts de ceux qui lui sont soumis, et s'il les corrige, ce sera avec les ténèbres et l'imperfection qu'il a en lui.

2. Souvent, à cause de ce défaut de connaissance, j'ai vu et je vois encore punir ceux qui sont innocents, et ne pas punir ceux qui sont coupables et qui mériteraient mille morts. Le peu de lumière empêche de discerner la vérité, et l'injustice de la calomnie fait soupçonner ceux en qui on devrait avoir toute confiance, les serviteurs de Dieu, qui nous enfantent dans les larmes, les sueurs, les saintes et continuelles prières, qui s'exposent à tous les dangers, à toutes les peines et les tourments pour l'honneur de Dieu, pour le salut des âmes et du monde; tandis qu'on accorde sa confiance à ceux qui sont enracinés dans l'amour d'eux-mêmes, et qui se laissent agiter par tous les vents. Cela vient du défaut de lumière et des ténèbres du péché. Il faut donc avoir la lumière. Je dis qu'un mort ne peut enterrer un mort, c'est-à-dire que celui qui est mort à la grâce n'a pas le zèle et la force d'enterrer le défaut de son prochain, parce qu'il a le même défaut, et qu'il ne veut pas et ne sait pas s'en corriger. Il se voit atteint du même mal, et [458] il ne s'en guérit pas. Il ne soigne pas celui qui lui est confié, lorsqu'il le voit infirme; et l'infirmité du péché mortel est si grande, qu'on ne peut y porter remède qu'en se guérissant soi-même. Celui qui est dans le péché mortel tombe dans la pauvreté; il a perdu la richesse des vraies et solides vertus, en ne suivant pas les traces de Jésus crucifié, et il ne peut assister les pauvres, puisqu'il est privé de la richesse de la grâce divine par les ténèbres; il a perdu la lumière, et il ne voit pas le mal où il est; il commet l'injustice au lieu de rendre la justice.

3. Son infirmité lui fait perdre la force du vrai et saint désir de l'honneur de Dieu et du salut du prochain; et son infirmité augmente toujours, s'il ne recourt pas au médecin, à Jésus crucifié, s'il ne vomit pas les souillures du péché par le moyen de la sainte Confession. S'il le fait, il reçoit la vie et la santé; mais s'il ne le fait pas, il reçoit aussitôt la mort; et alors, comme je l'ai dit, un mort ne peut ensevelir les morts. Quelle plus grande pauvreté peut-il y avoir que d'être privé de la lumière, de la santé, de la vie? Je ne connais pas de plus grand malheur. Ceux qui l'éprouvent ne sont pas propres à gouverner les autres, puisqu'ils ne se gouvernent pas eux-mêmes: il faut commencer par là; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir de véritables Seigneurs. Mais comme je vois qu'on ne peut avoir de véritable puissance, si on ne se gouverne soi-même, si on ne soumet ses sens à la raison, je vous ai dit dans quels inconvénients tombent ceux qui se laissent dominer par leurs misères, et ne s'en rendent pas maîtres, afin que vous évitiez ce malheur [459]. Ouvrez, ouvrez donc l’œil de votre intelligence, et ne soyez pas si aveuglés par une crainte déréglée.

4. Tâchez de croire et d’espérer dans les vrais serviteurs de Dieu, et non dans les serviteurs coupables du démon, qui, pour cacher leur iniquité, vous font voir ce qui n’est pas. Ne mettez pas les serviteurs de Dieu contre vous, car il n’y a rien que Dieu ne supporte moins que les injures, les scandales et les outrages dirigés contre ses serviteurs. Ce qu’on fait contre eux est fait contre le Christ. Ce serait une trop grande ruine de le faire. Ne souffrez donc pas, mes très chers Frères et Seigneurs, que vous et d’autres agissiez ainsi; mais coupez la langue des murmurateurs, c’est-à-dire, reprenez et ne croyez pas celui qui murmure. En le faisant, vous ferez un acte de vertu, et vous éviterez bien des scandales. Mais il me semble que nos péchés ne le méritent pas encore; on dirait que c’est le contraire: les méchants sont écoutés, et les bons sont méprisés.

5. J’ai appris que, sur les rapports de l’archiprêtre de Montalcine et d’autres personnes qui voulaient cacher leurs fautes, vous aviez jugé défavorablement l’abbé de Saint-Anthime qui est un grand et parfait serviteur de Dieu (Il y avait un conflit de juridiction entre l’archiprêtre de Montalcine et l’abbé de Saint-Anthime.); il est ici depuis fort longtemps et si vous l’aviez connu un peu, non seulement vous ne l’auriez pas soupçonné, mais vous auriez été pleins de respect à son égard. Je vous prie don pour l’amour de Jésus crucifié, de vouloir bien ne pas le tourmenter, mais l’assister, au contraire, et [460] l’aider s’il le faut. Vous vous plaignez de ce que les prêtres et les clercs ne sont pas repris; et lorsque vous trouvez quelqu’un qui veut le faire, vous vous plaignez et vous voulez lui créer des obstacles.

6. Quant à mon retour avec ma famille spirituelle, on m’a dit qu’il faisait naître des réclamations et des soupçons mais je ne sais si je dois le croire. Si vous vous intéressiez à vous-mêmes autant que nous nous y intéressons, vous et tous les habitants de Sienne, vous vous éviteriez les pensées et les passions sans fondement, et vous fermeriez les oreilles pour ne pas entendre. Nous cherchons tous, et je poursuis sans cesse votre salut spirituel et temporel, n’épargnant aucune fatigue, offrant à Dieu nos pieux désirs dans les larmes et les gémissements, pour empêcher que la justice divine n’exerce sur vous les châtiments que nos iniquités méritent. J’ai si peu de vertu, que je sais rien faire qu’imparfaitement; mais ceux qui sont parfaits, et qui ne cherchent que l’honneur de et le salut des âmes, ceux-là font le bien, et l’ingratitude et l’ignorance de mes concitoyens ne nous empêcheront pas de travailler ainsi jusqu’à la mort pour votre salut. Nous suivrons l’enseignement du doux saint Paul, qui disait: " Le monde nous blasphème et nous bénissons; il nous poursuit et nous chasse, nous le supportons avec patience (1 Co 4,12). " Nous ferons de même, nous suivrons cette voie: la vérité sera ce qui nous délivrera. Je vous aime plus vous ne vous aimez, et je désire comme vous votre paix et votre conservation: ne croyez donc pas [461] que moi ni aucun de ma famille, nous puissions nous y opposer. Nous sommes choisis pour répandre la parole de Dieu, et recueillir le fruit des âmes. Que chacun fasse son travail, c'est celui-là que Dieu nous a confié; il faut donc nous y livrer, et ne pas enterrer le talent, parce que nous serions dignes d'un grand châtiment. Il faut travailler en tout temps, en tout lieu, en toute créature ; Dieu ne s'arrête ni au lieu ni aux créatures, mais il regarde les saints et vrais désirs, et c'est avec eux qu'il faut travailler.

7. Je vois que le démon est furieux de la perte que ce voyage lui cause et lui causera par la bonté de Dieu. Je ne suis venue ici que pour me nourrir des âmes, et les retirer des mains du démon; je sacrifierais pour cela mille vies, si je les avais. J'irai donc, et j'agirai comme le Saint-Esprit me l’inspirera. Pierre vous dira lui-même pourquoi je suis venue, et pourquoi je reste. Je ne vous en dis pas davantage. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, si vous voulez la vie; autrement nous tomberons dans la mort éternelle. Ne vous ennuyez pas de me lire et de m'entendre, mais supportez-le avec patience c'est la douleur et l'amour que j'éprouve qui me font tant parler, l'amour de votre Salut et la douleur de nos égarements. Puisse Dieu, dans ses secrets jugements, ne pas vous ôter la lumière nécessaire pour connaître la vérité. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [462].

Table des Matières









LX (202). - AUX SEIGNEURS DEFENSEURS DE LA CITE DE SIENNE. - Elle les exhorte à être les gouverneurs courageux de leur ville et de leurs âmes. - De la crainte servile qui empêche l’homme d'agir en homme et de connaître la vérité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1- Très chers Frères et Seigneurs temporels dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs do Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des hommes forts et non pas des gouverneurs timides de votre cité spirituelle et de la cité qui vous est confiée. Car je vois que la crainte servile enchaîne et avilit le cœur, et l'empêche de vivre et d'agir dignement, rendant l'homme semblable à un animal sans raison. C'est que la crainte servile sort et procède de l'amour-propre ; et ce danger de l'amour-propre, nous le voyons dans les maîtres et les sujets, dans les religieux et les séculiers, dans tous ceux qui ne recherchent qu'eux-mêmes. Si le sujet est séculier, il n'obéit pas, il ne fait pas ce qui lui est ordonné par son seigneur. Celui qui est commandé n'écoute pas le bon droit pour rendre la justice, mais il commet l'injustice en suivant ses impressions, ses désirs, son intérêt; il cherche à plaire aux hommes, et juge selon la volonté des autres, et non selon la vérité. Il craindra de déplaire et de perdre ainsi sa puissance, et alors tout lui fait peur; et dans son aveuglement [463], il craint quand il ne le faudrait pas, et ne craint pas quand il le faudrait.

2. O amour-propre, ô crainte servile, que tu aveugles l'intelligence, que tu l'empêches de connaître la vérité! Tu détruis la vie de la grâce et l'autorité dans la cité spirituelle et dans la cité de la terre. Tu rends l'homme insupportable à lui-même, parce qu'il désire ce qu'il ne peut avoir; et que ce qu'il possède il le possède avec peine, parce qu'il craint toujours de le perdre. La privation et la crainte le font toujours souffrir, parce que sa volonté n'est jamais satisfaite; il goûte vraiment l'enfer dès cette vie.

3. O aveuglement de l'amour-propre et de la crainte déréglée, tu arrives à un tel égarement, que non seulement tu condamnes le peuple et les hommes coupables que tu aurais raison de condamner, et dont tu peux craindre la malice; mais tu écoutes le méchant et tu condamnes le juste; tu soupçonnes les pauvres serviteurs de Dieu qui cherchent l'honneur de Dieu, le salut des âmes et le repos de la cité, qui ne cessent jamais d'offrir leurs désirs, leurs prières, leurs larmes, leurs sueurs en la présence de la Bonté divine. Comment croire que l'amour-propre et la crainte servile redoutent et condamnent ceux qui sont prêts à mourir pour votre salut, pour conserver et augmenter la paix et le bien de votre Etat? Mes très chers Frères, c'est cette crainte, cet amour coupable, qui a tué le Christ. Pilate fut aveuglé, par ce qu'il craignait de perdre sa puissance; il ne reconnut pas la vérité, et il fit mourir le Christ. Mais il n'évita pas pour cela ce qu'il craignait; car au moment voulu de Dieu, il perdit malgré lui, son [464] âme, son corps et sa puissance (On dit que Pilate fut disgracié par l'empereur Caligula, et qu'il vint mourir exilé à Vienne en Dauphiné.). Il me semble que le monde entier est plein de ces Pilates, qui, par une crainte aveugle, poursuivent les serviteurs de Dieu, et leur jettent les pierres de l'injure, de l'outrage et de la persécution; et leur aveuglement est si grand, qu'ils ne regardent pas comment et contre qui ils agissent, mais ils se laissent conduire par leurs sens comme des bêtes sans raison, et ne suivent d'autres lois que celles des hommes qui ne croient qu'au monde. Aussi, je vous le dis, toutes les fois qu'il nous arrivera de calomnier et de Condamner les actions, les mœurs et le langage des serviteurs de Dieu, hélas ! hélas! nous devons craindre que les châtiments divins n'éclatent sur nous, parce que Dieu regarde fait à lui-même ce qui est fait à ses serviteurs; ce serait donc appeler la colère de Dieu sur nous.

4. Nous avons besoin, mes très chers Frères et Seigneurs, d'approcher Dieu avec une sainte crainte et d'agir de même avec ses serviteurs, ne les déchirant pas par des murmures, des soupçons injustes, mais les laissant aller et s'arrêter comme des pèlerins que conduit le Saint-Esprit, parce qu'ils cherchent toujours l'honneur de Dieu et le salut des âmes qu'ils retirent des mains du démon, parce qu'ils ne veulent que votre paix, votre bien, votre repos. Que personne ne soit assez ignorant pour vouloir donner des règles à l'Esprit-Saint et à ses serviteurs! Il me semble que Notre-Seigneur fut plus patient à supporter son injure que celle de son apôtre saint Thomas [465] ; il ne voulut pas venger la sienne, et il répondit doucement à celui qui l'avait frappé " Si j'ai mal parlé, montrez-moi ce que j'ai dit de mal, si j'ai bien parlé pourquoi me frappez-vous(Jn 18,23)? " Il n'en fit pas de même pour saint Thomas, qui, ayant reçu un soufflet pendant qu'il était à table, fut vengé avant qu'il se levât: un animal féroce étrangla celui qui l'avait frappé, coupa la main qui avait été l'instrument du crime, et la porta sur la table devant saint Thomas (Voir la Légende dorée du bienheureux Jacques de Voragine, Vie de saint Thomas). Les autres fautes nous seront plutôt pardonnées que celle-là; et si nos pêchés nous perdent, celui-là sera la cause de notre plus grande ruine. Tout cet aveuglement vient de l'amour-propre, de la crainte servile; aussi je vous ai dit que je désirais vous voir des hommes fermes et sans crainte..

5. Mais mon âme désire vous voir fonder sur une crainte de Dieu sainte et véritable; c'est cette crainte qui nourrit l'amour de Dieu dans l'âme. Cette crainte a toujours le regard fixé sur Dieu, et préférerait mourir que d'offenser Dieu et le prochain. Elle pèse avec soin l'injustice ou la justice de chaque chose, et elle regarde bien de tous côtés avant d'agir. Cette sainte crainte vous est nécessaire pour conserver la cité qui vous appartient et la cité qui vous est confiée; et si vous l'avez, le démon et la créature ne pourront vous les enlever. La cité qui vous appartient est la cité de vos âmes; elle se conserve par la crainte fondée sur la charité fraternelle, la paix et l'union avec Dieu et avec le prochain, par des vertus [466] réelles et solides; mais elle échappe à celui qui vit dans la haine, le ressentiment, la discorde, à celui qui est rempli d'amour de lui-même, et qui souille tellement sa vie dans la débauche, qu'il n'y a entre lui et le pourceau nulle différence. Celui qui n'est pas maître de sa cité est esclave du vice et du péché; il s'avilit lui-même en se laissant commander par des choses qui ne sont que néant; il perd la dignité de la grâce et méprise le sang du Christ, le prix de notre rançon, qui nous montre la miséricorde divine, l'éternelle Vérité, l'amour ineffable qui nous a créés, qui nous a rachetés, non pas avec de l'or et de l'argent, mais avec son sang, pour nous faire comprendre la grandeur et la beauté de notre âme.

6. Il est bien aveugle celui qui ne voit pas tant d'amour, et cette misère où il tombe en restant dans les ténèbres du péché mortel, et en ne se gouvernant pas lui-même. Il gouvernera mal les affaires qui lui seront confiées, puisqu'il ne sait pas conduire et gouverner les siennes. La Cité qui nous est confiée, c'est le commandement de la ville et les autres pouvoirs temporels que reçoivent les hommes du monde; nous les avons pour un temps, comme il plaît à la volonté divine, et selon les lois et les usages de notre pays. Cette autorité nous est enlevée par la mort ou par les circonstances, et on peut bien dire qu'elle nous est seulement prêtée. Celui qui est maître possédera cette autorité avec une sainte crainte, avec un amour réglé et non déréglé, comme une chose prêtée qui ne lui appartient pas; il gardera le pouvoir qui lui a été donné avec la crainte et le respect de Celui qui le lui a donné. Vous le tenez de Dieu seul; et quand ce qui [467] vous a été confié vous sera redemandé par le Maître, faites en sorte que vous puissiez le rendre, sans vous exposer à la mort éternelle. Je veux donc que vous vous gouverniez avec une vraie et sainte crainte, et je vous dis que les hommes du monde n'ont d'autre moyen de conserver leurs biens spirituels et temporels que de vivre vertueusement, et il n'y a rien qui les fait perdre comme nos fautes et nos vices. Eloignez le mal, et vous éloignerez la crainte; vous serez pleins de courage et de fermeté, et vous n'aurez pas peur de votre ombre. Je ne vous en dis pas davantage, pardonnez à ma présomption; l'amour que j'ai pour vous et pour tous mes concitoyens, et la douleur que me causent votre conduite et vos actes, si peu selon Dieu, doivent me servir d'excuse devant vous (Voir Lettre XVII). Je veux gémir sur notre aveuglement, car il semble que nous sommes privés de la lumière. Que Dieu dans sa bonté infinie et sa miséricorde dissipe les ténèbres de l'ignorance et éclaire l’œil de votre intelligence, pour vous faire connaître et discerner la vérité, afin que vous ne tombiez pas dans l'erreur! Je m'arrête. J'aurais cependant bien des choses à vous dire.

7. Je réponds, mes très chers Frères et Seigneurs, à la lettre que Thomas de Guelfuccio m'a remise de votre part. Je vous remercie de la charité que je vous vois exercer envers vos concitoyens, dont vous cherchez la paix, et envers moi qui n'en suis pas digne. Vous désirez mon retour, et vous me demandez les moyens d'arriver à cette paix. Je suis incapable de la moindre chose; mais je laisserai agir Dieu, et j'inclinerai [468] la tête selon que le Saint-Esprit me permettra d'obéir à vos ordres et d’aller où voudra votre bon plaisir, car je mettrai toujours la volonté de Dieu avant celle des hommes. Jusqu'à présent, je ne vois pas qu'il me soit possible de venir, parce qu'il faut que je traite une affaire importante pour le couvent de Sainte-Agnès, et que je reste avec les neveux de messire Spinello pour la réconciliation des fils de Lorenzo. Voilà bien longtemps que vous avez commencé à vous en occuper, et rien n'est encore terminé (Sainte Catherine travaillait sans cesse a apaiser les inimitiés de famille qui désolaient l’Italie au moyen âge. (Voir la lettre d'Etienne Maconi.). Je ne voudrais pas que, par ma négligence ou par mon brusque départ, tout fût arrêté; je craindrais de déplaire à Dieu. Je reviendrai le plus tôt que Dieu m'en fera la grâce. Ayez patience, vous et les autres; ne laissez pas remplir votre esprit et votre cœur de toutes ces pensées qui viennent du démon; il voudrait empêcher l'honneur de Dieu, le salut des âmes, votre paix et votre repos. Je déplore la peine que mes concitoyens se donnent de me juger; il semble qu'ils n'ont pas d'autre chose à faire que de dire du mal de moi et de ceux qui m'accompagnent. Pour moi ils ont raison, car je suis pleine de défauts; ils ont tort pour ceux qui m'accompagnent. Mais nous vaincrons par la patience; la patience n'est jamais vaincue, elle est toujours victorieuse, et elle reste maîtresse. Ce qui m'afflige, c'est que les traits retombent sur ceux qui les lancent; souvent ils pèchent, et ils en sont punis. Je ne vous en dis pas davantage [469]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









LXI (203). - AUX SEIGNEURS DEFENSEURS DU PEUPLE ET DE LA COMMUNE DE SIENNE, lettre écrite en extase. - De la justice que nous devons à Dieu, à la sainte Église, et à nous-mêmes. - Le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang avec le désir de voir briller en vous la perle précieuse de la justice, afin que vous rendiez fidèlement à chacun ce qui lui est dû. A qui devons-nous? A Dieu, à la sainte Église, à notre prochain comme Dieu l'ordonne, et à nous-mêmes. Voyons en quoi consiste cette dette. D'abord, nous devons rendre à Dieu, par l'amour, honneur et gloire à son Nom. Il nous a donné l'amour, car il nous a aimés avant notre naissance, et il nous a donné l'honneur en nous ôtant la honte où nous étions tombés par le péché d'Adam. Il nous en délivre par le sang de son Fils qui donne le fruit de la grâce; et c'est le plus grand bien que nous puissions recevoir, car il nous ôte la mort et il nous donne la vie. Nous devons lui rendre honneur et amour; mais nous ne pouvons pas lui être utiles, et ce que nous ne pouvons pas faire pour lui, nous devons [471] le faire à notre prochain, en l'assistant de tout notre pouvoir, en lui rendant l'amour qui lui est dû; car l'éternelle Vérité nous l'a commandé en disant: Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. A nous, nous devons rendre la haine et le regret du péché et de la sensualité, qui en est cause, et l'amour des vertus en les aimant pour Dieu, avec un tendre amour.

2. Il semble au contraire que nous agissons comme des voleurs et des débiteurs de mauvaise foi, privant injustement nos créanciers de ce qui leur appartient. L'honneur et l'amour que nous devons à Dieu, nous les donnons à nous-mêmes. Nous nous donnons l’honneur en cherchant avec orgueil les biens, les délices et les grandeurs du monde, et nous offensons Dieu en attribuant à notre mérite ce que nous avons, et en outrageant Dieu par notre ignorance, nous donnons à nous l'amour, à lui la haine. Notre amour n'est pas raisonnable, car c'est l'amour sensitif. Nous offrons à Dieu la corruption, et nous gardons le parfum des plaisirs et des jouissances du monde. Nous ne voyons pas dans notre aveuglement, que le mal, la corruption, la ruine de nos iniquités retombent sur nous : car nos offenses ne peuvent lui nuire, et nos hommages lui profiter; il n'a pus besoin de nous, c'est nous qui avons besoin de lui. Nous rendons au prochain, la haine et la colère, et nous commettons contre lui de nombreuses injustices. Celui qui est maître ne rend la justice que par intérêt, pour plaire aux créatures et à lui-même: il ne suit pas la raison, et il ne craint pas d'ôter au prochain l’honneur, la réputation, les biens temporels [471], la vie même; il gouverne avec une telle injustice ceux qui lui sont soumis, qu'il semble n'avoir aucun seigneur au-dessus de lui; il ne pense pas que la verge du souverain Juge puisse lui rendre ce qu'il donne aux autres; il ne s'applique pas au bien général, mais seulement au sien propre, car il est aveuglé par l'amour de lui-même. Ceux-là n'acquittent pas leur quatrième dette a la sainte Église et au Vicaire de Jésus-Christ. Quelle est cette dette que nous devons payer ? Un respect profond, un amour filial, que nous témoignerons, non seulement par des paroles, mais en assistant notre Père, quand il le faut comme des enfants véritables, regardant l'injure qui lui est faite comme la nôtre, et nous employant tout entier pour vaincre ses ennemis.

3. Beaucoup font le contraire, et s'excusent en disant : leurs défauts sont si grands, que nous n'en recevons que du mal. Il n'est pas digne de respect et d'assistance, puisqu'il n'est pas ce qu'il devrait être; il devrait s'occuper des choses spirituelles, et non des choses temporelles. Et alors ils sont ingrats et infidèles, ils ne lui rendent pas l'obéissance, le respect et l'assistance qu'il mérite: souvent même ils détournent ceux qui voudraient le secourir; et ils agissent sans aucune retenue, comme des personnes aveuglées par l'amour-propre. Nous ne voyons pas que notre raisonnement est faux; car de toute manière, qu'il soit bon ou mauvais, nous ne devons pas lui refuser le respect qui lui est dû. Ce respect ne se rapporte pas à lui, mais au sang du Christ, à l'autorité, à la dignité que Dieu lui a données pour nous. Cette autorité, cette dignité ne peuvent être affaiblies [472] par aucun défaut personnel : il n'agit jamais avec moins de puissance et de vertu ; notre respect et notre obéissance ne doivent donc pas diminuer, sans cela nous serions en état de damnation. Nous ne devons pas non plus cesser de l'assister. En lui étant utiles, nous le sommes à nous-mêmes, car ses défauts ne font pas cesser le besoin que nous avons de lui. Nous devons donc être reconnaissants et fidèles, et faire tout ce que nous pourrons pour l'utilité de la sainte Eglise et pour l'amour des clefs que Dieu lui a confiées.

4. S'il faut agir ainsi à l'égard de celui qui serait coupable et méchant, que devons-nous faire avec celui que Dieu nous a donné, et qui est un homme juste, vertueux, craignant. Dieu, ayant des intentions droites et saintes comme personne n'en a eu depuis longtemps dans l’Eglise de Dieu. Je vous parle du Pape Urbain VI, qui est le Souverain Pontife, malgré tous ceux qui nous disent le contraire. C'est donc une chose juste de le respecter, d'obéir à Sa Sainteté, de. l'assister autant que possible, non seulement à cause de son autorité, mais par justice et à cause de la vie; parce que non seulement il nous distribue les grâces spirituelles nécessaires à notre salut et à notre âme, mais parce qu'il vous aime d'un amour particulier et qu'il vous l'a témoigné en vous traitant comme ses plus chers enfants. Si vous ne le faites pas, vous vous ferez tort à vous-mêmes, et vous en serez punis par Dieu et par les créatures. Dieu nous châtiera de l'ingratitude que nous montrons à l'égard de la sainte Église et de son Vicaire: et Dieu le fera avec justice, pour nous corriger de notre misère et de notre [473] ignorance; car nous agissons vraiment comme des mercenaires qui reçoivent ses grâces comme si elles leur étaient dues, et qui veulent cacher leurs fautes avec celles des autres; mais ils les découvrent au contraire davantage en montrant une si grande ingratitude. Nous pouvons aussi être châtiés par les créatures : nous l'avons vu lorsqu'est venu un maître étranger. Il vaut mieux rester unis à notre Père et à notre Mère, c’est-à-dire au Pape Urbain VI et àla sainte Église, plutôt qu’à des tyrans (Il s'agit peut-être de Charles Durazzo, dont les troupes, au service de l’Eglise, rançonnèrent les Siennois). Il vaut mieux S'appuyer sur la colonne inébranlable que frappent des persécutions nombreuses, mais qui n'est jamais brisée, plutôt que sur une paille qui ne résistera pas certainement, et que le moindre vent renversera par terre.

5. Ouvrez donc un peu les yeux, et voyez combien il peut y avoir d'inconvénients à faire semblant de ne pas apercevoir les besoins de votre Père, et à ne pas le défendre contre ses ennemis, qui sont les vôtres. Vous ne pouvez pas dire qu'il demande votre secours pour conquérir dos biens temporels que l’Église a perdus! C'est pour votre foi, pour confondre le mensonge, exalter la vérité, pour retirer la main du dé. mon et empêcher notre foi d'être profanée par les méchants. Vous voyez bien que vous êtes tenus et obligés d'acquitter ce que vous devez à l'Église et à votre Père. Je suis certaine que si la perle précieuse de la justice brille dans vos cœurs, la justice ne sera pas séparée de la reconnaissance, et vous satisferez [474] Dieu, le Christ de la terre, votre prochain et vous-mêmes, par les moyens que je vous ai indiqués. Les grâces spirituelles et temporelles se multiplieront alors et vous conserverez la paix et le repos de votre état; vous ne le pourrez pas autrement, et vous serez privés des biens du ciel et de la terre. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir briller en vous la perle de la justice. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, ne donnez plus des paroles au Christ de la terre, mais donnez-lui des actes et rendez-lui le bien qu'il vous a fait. Vous savez qu’il vous a donné l'absolution, avec bienveillance; c'est aussi par la bonté de Dieu et par la sienne que Talamon (En 1375, les chevaliers de Rhodes et de Pise s'étaient emparés, au nom de l'Eglise, de la terre de Talamon, située dans les marennes de Sienne. Par un traité du mois de juillet 1370, Urbain VI rendit cette terre aux Siennois moyennant douze mille florins.)n'est pas tombé entre les mains des Pisans; et il semble maintenant que vous voulez le traiter avec ingratitude, en l'amusant par des paroles comme un enfant. Je vous dis que c'est un homme qui voit plus loin que vous ne pensez, et qui distingue dans son coeur les fils qui sont fidèles et ceux qui sont dénaturés; et quand viendra le temps, il montrera qu'il les a connus. N'agissez donc plus ainsi, pour l'amour de Dieu; mais traitez-le comme le Vicaire du Christ de la terre, comme votre Père bien-aimé, et faites loyalement pour lui, tout ce qui vous sera possible de faire. Doux Jésus, Jésus amour [475].

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LXII (204). - AUX MAGNIFIQUES SEIGNEURS, défenseurs du peuple et de la commune de Sienne. - Elle les exhorte à être fidèles à l’Eglise, et à avoir le zèle de la justice.

(Cette lettre, publiée pour la première fois par Gigli, porte la date du 9 décembre 1379. Sainte Catherine était depuis un an à Rome.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très chers Frères et Pères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec, le désir de vous voir fidèles à notre sainte Mère l'Eglise, afin que vous soyez des membres unis à votre chef, de vrais et fidèles chrétiens pleins de zèle pour la sainte et vraie justice, voulant qu'elle brille comme une pierre précieuse dans vos cœurs, en vous dépouillant de tout amour-propre pour vous appliquer au bien général de la Cité, et non pas à vos intérêts particuliers. Celui qui ne pense qu'à lui, a peu la crainte de Dieu; il n'observe pas la justice, mais il la viole et commet de nombreuses injustices; il se laisse corrompre par les hommes, quelquefois pour de l'argent, quelquefois pour plaire à celui qui lui demande un service qui sera une injustice; d'autrefois, pour éviter la punition d'une faute qu'il aura commise, il acquittera celui que les coups de la justice devaient atteindre. Il devient ainsi le complice de l'homme coupable, et il mériterait [476] de souffrir lui-même le châtiment qu'il a épargné à un autre pour de l'argent. Si un pauvre avait fait la millième partie de ce qu'il a fait, il le punirait sans miséricorde.

2. Ce malheureux, qui doit gouverner la ville et qui ne se gouverne pas lui-même, ne s'inquiète pas de voir dépouiller les pauvres; il méconnaît leurs droits, tandis qu'il donne raison à celui qui ne l'a pas. Il n'est pas étonnant que ceux-là commettent des injustices, puisqu'ils sont cruels pour eux-mêmes, en vivant dans la débauche comme le pourceau dans la fange. Ils sont insensibles à tout, et si orgueilleux, qu'ils ne peuvent supporter qu'on leur dise la vérité. Ils déchirent leur prochain et le tourmentent par leurs profits illicites, et par une foule de maux dont je ne parle pas pour ne pas vous fatiguer de paroles. Mais je ne m'étonne pas qu'ils manquent ainsi à la vraie et sainte justice : Dieu a permis et permet que nous éprouvions des châtiments et des fléaux tels qu'on en a jamais vu, je crois, de semblables depuis que le monde est monde. Quelle en est la cause? L'amour-propre, qui engendre l'injustice et fait outrager la sainte Église par ses enfants devenus infidèles.

3. Nous avons vu et nous voyons clairement qu'il en est ainsi. Je vous ai dit que je voulais que vous soyez justes et que la perle de la justice brillât dans vos cœurs: je désire, par conséquent, que vous soyez les serviteurs fidèles de la sainte Église, et que vous obéissiez comme de bons et vrais chrétiens au Pape Urbain VI, qui est vraiment Pape et Vicaire du Christ sur terre. Je verrai maintenant, mes chers Pères, si vous êtes ses enfants ou non. Dans ces circonstances [477] difficiles, on reconnaît si le fils aime véritablement son Père, en l'assistant dans ses nécessités autant qu'il lui sera possible. Nous voyons maintenant notre Père et la sainte Eglise au milieu de difficultés si grandes, que les méchants ne leur en ont jamais causé de semblables. Ceux qui étaient placés dans les greniers de la sainte Église pour répandre la Foi, sont ceux-là mêmes qui l'ont toute souillée en répandant le schisme et l'hérésie. Nous qui sommes chrétiens et fils du Pape Urbain VI, ce doux et bon Père, nous devons faire tous nos efforts pour confondre et détruire le mensonge; nous devons mourir s'il le faut; cette mort sera pour nous la vie. Ne dormez plus, ce n'est pas le moment de dormir; mais secouez le sommeil pour l'honneur de Dieu, le bien de l'Eglise et pour votre utilité même.

4. Vous ne pouvez offrir à votre Créateur un sacrifice qui lui soit plus agréable. Et que cela ne vous paraisse pas pénible ne vous a-t-il pas paru plus dur et plus pénible de servir contre Dieu et la justice, ceux qui étaient alors les membres corrompus et rebelles de la sainte Église? Et vous n'avez retiré de ce service que la ruine de votre âme, de votre corps, de vos biens, avec la confusion, la honte, et le remords qui déchire votre conscience. N'hésitez donc plus, niais renoncez-vous généreusement, et ne prétendez pas être fidèles à ce que vous avez promis. Ces promesses ne doivent pas se tenir, puisque vous ne pourriez pas le faire sans péché, et qu'on ne doit pécher pour aucune raison. Si vous avez tant fait pour le service du démon, combien plus maintenant devez-vous faire d'efforts dans le sens contraire [478]. Vous devez, pour Jésus crucifié et par reconnaissance, servir son Vicaire, son Christ sur terre, le Pape Urbain VI, que vous devez reconnaître pour Souverain Pontife; et celui qui ne le reconnaît pas est un hérétique réprouvé de Dieu, un membre du démon.

5. Que personne n’hésite et ne boite dans son esprit, pour se laisser tromper par le démon, en écoutant ceux qui disent peut-être c'est lui, peut-être ce n'est pas lui. Ne faites pas ainsi, pour l’amour de Dieu ; mais croyez fermement et avec amour qu'Urbain VI est bien notre Saint-Père le Pape, malgré tous ceux qui disent le contraire. Vous devez lui obéir, l'assister et mourir, s'il le faut, pour cette vérité. A l'assistance que vous lui donnerez, je verrai si la très sainte Foi fleurit en vous, si vous êtes fidèles à la sainte Église et à votre doux et bon Père. Pour moi, je confesse et je confesserai devant le monde entier, jusqu'à la mort, que le Pape Urbain VI est bien véritablement le vrai Souverain Pontife. Hélas n'hésitez plus à secourir la douce Épouse du Christ. J'espère de la Bonté infinie de Dieu qu'il vous fera faire ce qu'il est de votre devoir de faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je sais qu'il vous aime tendrement comme ses enfants; aimez-le et respectez-le comme votre Père. Doux Jésus, Jésus amour [479].

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LXIII (207). - À PIERRE, marquis de Mont-Sainte-Marie, lorsqu'il était sénateur de Sienne . - Des deux commandements de la charité, envers Dieu et envers le prochain.

Pierre, marquis de Sainte Marie, fut sénateur de Sienne, depuis le mois de février 1375 jusqu'au 18 août 1376. Le titre de sénateur n'était pas très ancien dans la république de Sienne; il avait remplacé celui de capitaine de guerre et de conservateur, en 1368, lorsque le gouvernement tomba entre les mains des réformateurs.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous salue avec le désir de vous voir toujours observer les saints commandements de Dieu, sans lesquels aucune créature ne peut avoir en soi la vie de la grâce. Et il n'y a pas de noblesse, de richesse, de puissance, de prospérité, de grandeur qui puissent empêcher et excuser quelqu'un de ne pas être le serviteur fidèle et l'observateur de ces doux et Saints commandements, qui nous ont été donnés par la Vérité suprême ; c'est elle qui est notre règle et notre voie, car elle a dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie. " O mon révérend Père, regardez notre doux Sauveur, qui nous a donné la loi et qui a voulu parfaitement l'observer lui-même. N'est-ce pas une grande honte, et l'homme ne devrait. il pas rougir de voir Dieu s'humilier jusqu'à lui? S'il [480] y réfléchissait, il ne s'élèverait pas contre Dieu avec orgueil, quel que soit le rang qu'il occupe. O douce et ineffable Charité, qui vous êtes faite esclave pour rendre l'homme libre ! vous vous êtes livrée à la mort pour nous donner la vie, et vous vous êtes abaissée jusqu'à la mort honteuse de la Croix pour nous rendre l'honneur que nous avions perdu par le péché de désobéissance. Hélas! nous trouvons la mort par notre révolte contre les commandements de Dieu, et tous les jours nous tombons dans la mort éternelle en transgressant sa douce volonté. L'Agneau sans tache est venu s'immoler sur l'arbre de la très sainte Croix, il a été consumé par le feu de la divine charité, et il nous a rendu la grâce par sa sainte obéissance. Je vous en supplie au nom du Christ, le doux Jésus, suivons cette règle et cette voie des vrais et saints commandements; observons-les jusqu'a la mort, en nous rappelant le sang du Fils de Dieu, pour nous animer davantage à les observer. Oh! combien est douce cette servitude, qui rend l'homme libre de la servitude du péché!

2. Réduisons ces doux commandements à deux points, à l'amour de Dieu et à celui du prochain. Cet amour, nous le fonderons sur la crainte et le respect, et nous choisirons plutôt la mort que d'offenser ce que nous aimons, non par crainte du châtiment, mais parce qu'il est digne d'être aimé, parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté. Plus vous aimerez Dieu, plus s'augmentera votre amour du prochain; vous l'assisterez spirituellement et temporellement, selon les occasions que vous aurez de lui être utile, et c'est ainsi que s'accomplira en nous la volonté de Dieu [481], qui ne veut autre chose que notre sanctification. Je ne vous en dis pas davantage.

3. Je vous recommande de toute mon âme deux affaires dont vous parlera sire François, porteur de cette lettre(François Landi, un des disciples de sainte Catherine.). La première est celle du monastère de Sainte-Marthe (Voir la lettre cxcv.), dont les religieuses servent parfaitement Dieu. La seconde est celle de madame Thomas, servante de Dieu et ma bien chère Mère. Je suis certaine qu'elles ne s'adresseront pas à vous sans motifs. Je vous conjure donc de les satisfaire le plus tôt que vous pourrez, afin qu'elles n'attendent pas. Je termine. Passionnez-vous, baignez-vous dans le Sang du Fils de Dieu. Bénissez pour moi mon cher fils (Le fils du marquis de SaInte-Marie ) et tous les autres. Doux Jésus, Jésus amour.

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LXIV (208). - À PIERRE, marquis du Mont, seigneur de Sienne.- Il faut combattre généreusement le vice et rendre la justice, sans oublier la miséricorde.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous salue dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai serviteur et chevalier du Christ, combattant [482] toujours généreusement contre les vices et le péché, sans négligence, mais avec un vrai et saint zèle, afin qu'au moment de la mort nous entrions vainqueurs dans la vraie cité de Jérusalem, dans la vision de la paix, où nous ne trouverons pas la chair, qui se révolte toujours contre l'esprit. Mais remarquez, mon Père, que celui qui veut la vie éternelle doit quitter la chair avant de mourir et quitter la chair, c'est renoncer à ses appétits, à ses désirs, à ses jouissances. Hélas ! ne vous faites pas prier pour les abandonner; car il n'y a rien que ne fasse l'homme grossier livré à ce vice coupable. C'est une grande folie pour la créature de perdre ainsi sa dignité, et de devenir semblable à la brute pour si peu de chose.

2. Arrachons donc et combattons ce vice et tous les autres par le parfum de la sainte continence et de l’honnêteté, et parons tous les coups avec le bouclier de la très sainte Foi. Soyez un bon juge et seigneur dans la position où Dieu vous a placé; et reconnaissez les droits du pauvre et du riche, comme le demande la sainte justice, qui doit être toujours accompagnée de la miséricorde. Je ne vous en dis pas davantage ici.

3. Je vous signale un fait grave, qui est arrivé au monastère de Saint-Michel-de-Vic (Le monastère de Saint-Michel-de-Vic était à un mille de Sienne; les religieuses bénédictines qui l’occupaient, étant toutes mortes en 1480, il fut supprimé par l'archevêque de Sienne, le cardinal François Piccolomini qui fut depuis Pie III.). Un jeune homme dont vous verrez le nom dans la lettre que l'abbesse du monastère vous envoie, après l'avoir tourmentée [483] longtemps, en est venu à entrer à toute heure et quand il lui plaît, par une fenêtre qu'il a défoncée; il menace les religieuses qui ne veulent pas faire le mal, de mettre le feu au monastère et de les brûler toutes, comme elles me l'ont assuré. Je vous prie et vous conjure de prendre les moyens que vous jugerez les plus convenables pour mettre fin à un tel scandale je ne voudrais pas cependant qu'il perdit la vie (En 1373, trois jeunes gens de Sienne qui avaient ainsi attenté à l'honneur des religieuses du monastère de Saint Emilien, avaient péri par la main du bourreau.), mais j'approuverais les autres châtiments qui seraient infligés. Je ne vous en dis pas davantage sur ce sujet. Que le Saint-Esprit vous éclaire pour cela et pour le reste. Loué Soit Jésus.

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LXV (209). - A PIERRE, marquis du Mont. - De la justice que nous devons exercer contre nous-mêmes, pour pouvoir l'exercer contre les autres.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Messire Sénateur, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous salue dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir le vrai ministre de la justice, en vous d'abord, et puis dans les autres, afin que vous puissiez paraître devant le très juste Juge avec un visage tranquille. Celui qui n'est pas juste envers lui-même, ne peut sans rougir l'être envers les autres [484]; car toute œuvre juste doit procéder de la justice et d’une volonté pure. O mon très doux Frère dans le Christ Jésus, suivez l'exemple du tendre Agneau, qui a fait justice des péchés des autres sur lui-même. Ne devons-nous pas, à plus forte raison, punir nos péchés sur nous? Montez donc sur le tribunal de la raison, et faites que la mémoire accuse toutes les actions toutes les paroles, toutes les pensées mauvaises dont vous êtes coupable, et que la volonté gémisse de l'injure faite à son Créateur, et en demande justice. L'intelligence décidera la peine que doivent supporter le cœur et le corps; elle l'appliquera avec zèle et ferveur, et alors s'apaisera le juste Juge : non seulement il pardonnera l'offense, mais il rendra celui qui s'est jugé avec justice le juge des autres; et nous deviendrons de bons administrateurs, en nous appliquant à nous-mêmes les lois de la justice.

2. Je vous prie de vouloir bien vite terminer avec messire Mathieu ce que vous avez à faire pour votre salut. Ne tardez pas ; autrement il faudrait mettre la main à la barre, et payer avant de la retirer (Fair metterer la mano alla stanga, signifie être condamné à payer. Le débiteur était obligé de mettre la main sur une barre, ou pièce de bois, et ne pouvait la retirer qu'en payant. Dans les temps barbares quelques créanciers faisaient couper sur cette barre la main du débiteur insolvable.). Si vous n'avez pas d'autre moyen, confiez-lui la chose à lui-même ou à un banquier établi pour cela, et il fera ensuite le reste. Mes compagnes qui me servaient ordinairement de secrétaires, ne sont pas lèl; et il a fallu faire écrire par frère Raymond, qui [485] vous salue de tout son coeur dans le Christ Jésus, et vous presse au sujet de ce que vous avez à faire avec messire Mathieu. Si Neri veut venir ici, je vous prie de le laisser venir. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fait à Pise, le 2 septembre (Sainte Catherine était à Pise en 1375). Après toutes ces choses, je vous recommande le porteur de cette lettre, qui est un homme bon et droit, vivant selon Dieu. C'est le frère de ma cousine selon la chair, mais de ma sœur selon le Christ. S'il a besoin de votre aide, donnez-le lui, pour l'amour de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

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LXVI (210). - À PIERRE, marquis du Mont. - Des armes puissantes que Dieu nous a données pour résister aux tentations de nos ennemis. - L'âme ne doit pas craindre après la victoire remportée par le Fils de Dieu.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très révérend et très cher Père et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris avec le désir de vous voir un chevalier courageux et sans crainte; car un homme ne doit pas craindre, lorsqu'il est bien armé. O mon très cher Fils, nous voyons que Dieu a armé l'homme d'une arme si solide, que ni le démon ni les créatures ne peuvent le blesser. C'est la volonté libre de l'homme, et c'est [486] à cause de cette liberté que Dieu a dit: " Je vous ai créé sans vous, mais je ne vous sauverai pas sans vous. ", Dieu veut donc que nous nous servions des armes qu'il a données, et que nous résistions aux coups que nous recevons de nos ennemis. Nous avons trois ennemis principaux: le monde, la chair, le démon. Mais ne craignons pas; la divine Providence nous a si bien armés, que nous ne devons rien craindre. L'armure est bonne, et Celui qui nous secourt, meilleur encore: c'est Dieu, à qui rien ne peut résister, et tant que l'âme regarde ce doux et puissant auxiliaire, elle ne peut tomber dans aucune faiblesse. Il semble que c'était la pensée de l'ardent saint Paul, lorsqu'il disait : " Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13). Quand Paul ressentait les attaques et l'aiguillon de la chair, il se fortifiait non en lui qu'il voyait faible, mais dans le Christ Jésus et dans la bonne armure que Dieu lui avait donnée, en lui donnant la liberté. Il dit: Je puis tout, et ni le démon ni les créatures ne peuvent me forcer à un pêche mortel si je ne le veux pas. Tant que l'homme ne se dépouille pas de ces armes pour les remettre entre les mains du démon par le consentement de la volonté, il n'est jamais vaincu, quoique le démon, la chair et le monde viennent l'attaquer et lui jeter leurs flèches empoisonnées : la chair, par ses pensées et les mouvements honteux; le démon, par ses tentations, ses fraudes et ses erreurs; le monde, par ses pompes, ses vanités et son orgueil. La liberté reste maîtresse, si elle ne consent pas à ces [487] désirs déréglés; elle n'est jamais blessée, parce que le péché est seulement dans la volonté; et cette grâce, Dieu nous l'a donnée par bonté et non par obligation.

2. Je veux donc, mon très doux Fils dans le Christ Jésus, que vous ne craigniez rien de ce que vous éprouvez. Dieu est si bon, qu’il s'est fait notre auxiliaire, et il nous a donné de bonnes armes; puis il est resté mort et vainqueur sur le champ de bataille, en mourant sur le bois de la très sainte Croix. Il a vaincu, parce que sa mort nous a donné la vie; et il est retourné dans la cité céleste de son Père, après avoir délivré son épouse, c'est-à-dire notre âme, qu'il a épousée an prenant notre nature. L'homme, touché de ces bienfaits, ne doit-il pas ouvrir l’œil de son intelligence pour contempler un si ardent amour? Nos ennemis sont vaincus, et nous sommes tirés des mains des démons qui possédaient notre âme comme leur bien. Le monde est vaincu; il a détruit l'orgueil en s'humiliant jusqu'à l'homme; la chair est vaincue, car il a souffert pour nous la mort, les peines, les outrages, les injures, les coups et tous les opprobres. Nous devons prendre courage, puisque nos ennemis sont défaits. Suivons donc ses traces an chassant le vice par la vertu, l'orgueil par l'humilité, l'impatience par la patience, l'injustice par la justice, la débauche par l'humilité parfaite et la continence, la vaine gloire par la gloire et l'honneur de Dieu, afin que tout ce que nous ferons soit pour la gloire, la louange et l'honneur du nom de notre Seigneur Jésus. Faisons donc une sainte guerre à ces vices; plus nous regarderons notre doux Seigneur, plus [488] notre âme s'animera à combattre vaillamment, en voyant que notre Père est mort à cause du péché; elle fera comme le fils qui, à la vue du sang de son père, ressent une plus grande haine contre l'ennemi qui l'a tué. L'âme fait ainsi, lorsqu'elle regarde le sang de son Créateur; elle excite en elle la haine et l'horreur que lui cause l'ennemi qui l'a tué. Si vous me dites: Qui l'a tué? Je vous répondrai que le péché seul est la cause de la mort du Christ, et c'est l'homme qui commet le péché.

3. On peut donc dire que c'est nous qui avons fait mourir le Fils de Dieu, et que nous y consentons encore toutes les fois que nous péchons mortellement. Nous devons donc nous venger de nous-mêmes, c'est-à-dire de nos pensées mauvaises, des vices et des péchés. Le plus grand ennemi de l'homme est lui-même. Quand l'âme regarde son Père et la sensualité qui l'a tué, elle ne peut assez se venger d'un tel crime; elle est contente de voir souffrir toute sorte de peines et de tourments à son mortel ennemi. Je veux que vous fassiez de même; et afin que vous puissiez le bien faire, je veux que vous ayez toujours devant vous le souvenir du sang du Fils de Dieu répandu avec tant d'amour: ce sera pour nous comme un baptême continuel de feu qui purifie et réchauffe sans cesse notre âme en détruisant le froid du péché. Regardez le Fils ce doux Agneau de la Croix, qui s'est fait la nourriture, la table et le serviteur. Notre ignorance serait trop grande, si nous négligions de nous nourrir de cette douce nourriture; si cela nous est arrivé jusqu'a présent, redoublons main tapant de zèle, car j'ai reçu de bonnes et douces nouvelles de notre cher projet [489]. J'ai appris que Je juge d'Arborea (Lettre CLXX) est prêt à donner sa fortune et sa vie pour le Christ. Je me réjouis, et je suis dans l'allégresse en voyant cette sainte disposition et le temps diminuer. Je ne vous en dis pas davantage. Pardonnez à ma présomption.

4. Je vous remercie beaucoup de l'affection et des aumônes que vous donnez à frère Jacomo. Que Dieu vous en récompense ! Bénissez et encouragez Neri et les autres, Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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LXVII (211). - À MESSIRE ANDRE CAVALCABO, sénateur de Sienne. - De la vertu de justice, et de la manière de l'acquérir. - Des obstacles qu'elle rencontre.

(André Cavalcabo fut élu sénateur de Sienne le 30 août 1378. Il avait encouru l'excommunication majeure, dont le Souverain Pontife seul peut absoudre, et le Pape Urbain VI voulait le faire venir a Rome pour se l'attacher.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un seigneur juste dans l'exercice de la puissance qui vous est confiée. Soyez juste, et maintenez la sainte justice, la rendant toujours selon la raison. Ne soyez pas injuste en commettant l'injustice, et en cherchant à plaire plutôt [490]aux hommes qu'à Dieu. Mais je ne vois pas que l'homme puisse jamais posséder cette vertu de la sainte justice, s'il ne la pratique d'abord en se dépouillant de l’amour-propre et de toute complaisance intéressée; car c'est de là que viennent tous les vices qui offensent Dieu. Nous cherchons à satisfaire nos désirs déréglés en voulant les choses contraires à la volonté de Dieu, par une complaisance coupable que l'homme a pour lui-même, lorsqu'il s'efforce de plaire au monde et qu'il n'a pas soin de plaire à Dieu; celui-là ne peut avoir la justice, car il n'est pas juste; il est même cruel, puisque injustement, par avarice, par intérêt, et pour plaire à ceux qui le sollicitent, il dévore les chairs de son prochain.

2. Nous voyons que ceux qui rendent la justice le font souvent injustement à l'égard des pauvres, tandis qu'ils écoutent ceux qui possèdent quelque chose. Cela vient de l'amour-propre et de la complaisance pour soi-même; celui-là n'est pas juste, et ne possède pas par conséquent la sainte et vraie justice. Il ne fait pas attention à la cité de son âme, mais seulement à son misérable corps, cherchant tous les moyens de lui être agréable, dépensant tout son temps en plaisirs, en orgueil, en magnificences et en vanités qui lui donnent la mort. Mais sa pauvre âme, qui devrait être un temple où Dieu habiterait par la grâce, devient le temple du démon, qui en devient le possesseur et le tyran, pour la livrer au néant du péché. Comme un aveugle sans raison, il ne voit pas le mal qu'il se fait et la peine qui doit suivre la faute, car, s'il le voyait, il aimerait mieux mourir que d'offenser son Créateur en la moindre chose. Il [491] s'appliquerait à faire bonne garde, afin que l'âme, qui doit être maîtresse, ne soit point servante, et que la sensualité, qui doit être servante, ne soit point, maîtresse. Mais il fait le contraire, parce qu'il n'a pas soin de la cité de son âme; il ne veille pas sur lui-même, et il ne peut veiller sur la cité extérieure qui lui est confiée. Il ne recherche pas le bien général, mais le sien propre, ou le bien particulier qu'il aime ou qui peut lui être utile.

3. Il faut donc être juste, et garder avec justice la cité de notre âme, en vivant dans la vraie et sainte crainte de Dieu; il faut aimer la vertu, et détester le vice. De cette manière, nous goûterons le sang de Jésus crucifié; la vraie et sainte justice brillera en vous, vous serez un maître juste et bon pour votre âme et votre prochain, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un maître juste, afin que vivant avec justice, vous mainteniez le droit et la justice dans la charge que vous avez. Mon très cher Frère, ne dormez plus; mais secouez avec zèle votre sommeil. Revenons à nous, et n'attendons pas le temps, car le temps n'attend pas; le temps est plus rapide que nous ne nous l'imaginons. Je voudrais que nous sortions de notre position, et que nous rompions les liens qui nous lient; car celui qui est lié ne peut avancer, et il faut que nous avancions dans la voie de la vertu en suivant la doctrine de Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie ; et celui qui le suit ne va pas dans les ténèbres, mais dans la lumière. Il faut donc marcher dans cette voie douce et droite. Comment couperons-nous les liens? Avec le glaive de la haine du vice, et l’amour [492] de la vertu, en nous débarrassant de nos entraves dans la sainte confession. Pour y parvenir, aucune fatigue ne doit nous paraître trop dure et trop pénible. N'est-il pas plus dur et plus pénible de voir notre âme captive ? mieux valent toutes les souffrances du corps.

4. Aussi je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, qu'aucune fatigue ne vous empêche de venir où vous pourrez être délié. J'ai bien cherché à vous épargner cette peine; mais notre Souverain Pontife, le Pape Urbain VI, m'a dit, lorsque je lui exposai votre affaire, qu'il croyait que vous deviez venir, et qu'il le voulait puisque vous le pouviez, et que la distance n'était pas très grande. Il le désirait, non pas tant pour vous que, pour les autres, qui, en voyant que vous ne vous en tiriez pas si facilement, éviteront de se mettre dans la même position. Mais qu'il vienne, a-t-il dit, et je lui accorderai toute sorte de grâces. Je vous dirai maintenant que la Bonté divine ne permet pas que Sa Sainteté soit plus indulgente, afin que vous veniez, et que vous en profitiez de plusieurs manières. En venant, votre âme sera délivrée; mais peut-être que votre corps sera lié au service de la sainte Église: et ce service est bien agréable à Dieu surtout aujourd'hui, où il est si nécessaire. Je vous prie de ne pas trouver la chose pénible, et de prendre votre parti le plus tôt possible. Pour moi, je ne cesserai pas de frapper à la porte de Sa Sainteté, et de solliciter vivement. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Souvenez-vous du sang répandu pour vous avec tant d'amour. Gardez-vous d'assister à l'office et à la messe, afin de [493] ne pas ajouter faute sur faute. Doux Jésus, Jésus amour.

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LXVIII (212). - À MAITRE ANDRE VANNI, peintre, lorsqu’il était capitaine du peuple de Sienne. Nous ne pouvons conduire les autres, si nous ne savons pas nous nous conduire nous-mêmes avec justice.

(André Vanni était peintre et disciple de sainte Catherine. On lui attribue le portrait de notre sainte qui se voit dans la chapelle de l’église Saint-Dominique à Sienne. Il fut nommé capitaine du peuple pour les mois de septembre et d’octobre 1379. La lettre de sainte Catherine est donc écrite de Rome, à cette époque.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang avec le désir de vous voir un juste et bon gouverneur, afin que s'accomplissent en vous l'honneur de Dieu et votre désir, car je sais que Dieu vous a donné un bon désir par sa miséricorde. Mais je ne vois pas que nous puissions conduire les autres, si d'abord nous ne nous conduisons pas bien nous-mêmes. Car on aime le prochain comme on s’aime soi-même ; et de même que la charité parfaite de Dieu engendre la charité parfaite du prochain, la perfection que l'homme met à se conduire, il la met aussi à conduire les autres [494]. Mais comment se conduit celui qui craint Dieu? comment est-il juste? Le voici.

2. Il règle avec la lumière de la raison les trois puissances de l'âme, et cette règle est celle de toute ta vie spirituelle et corporelle, en tout lieu, en toute position, en toute circonstance qu'il se trouve. Il veut que sa mémoire retienne les bienfaits de Dieu et les offenses qu'il a faites au souverain Bien; il veut que l'intelligence voie l'amour avec lequel Dieu lui donne la grâce, et qu'elle connaisse la doctrine de la vérité. Il veut que la volonté aime la bonté infinie de Dieu, qu'il a vue et connue à la lumière de l'intelligence. Et parce qu'il a connu que Dieu doit être aimé de ses créatures, de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces, il s'assoit sur le tribunal de sa conscience pour rendre la justice, lorsqu'il voit que la sensualité veut troubler cet ordre doux et glorieux qu'il a établi. Si, par les illusions du démon, ou par sa propre faiblesse, la perfection de cet ordre est altérée, il exerce la justice et sait rendre à chacun ce qui lui est dû. Si la sensualité veut lui donner un coup mortel, il la tue elle-même, en tranchant la tête à la volonté coupable avec le glaive de la haine et avec l'amour de la vertu. Puis, selon la gravité de la faute, il discipline l'affection déréglée de son âme, et lui fait payer l'amende que lui a imposée la justice divine.

3. Quelle est cette amende, et comment est-elle payée?Le voici. Lorsque l'appétit sensitif recherche le bien-être, les honneurs, les richesses du monde, la raison juste veut qu'on désire et qu'on embrasse la honte, qu'on méprise les honneurs et qu'on recherche [495] l'abaissement. Elle veut qu'on abandonne les richesses par la volonté et qu'on épouse la pauvreté; qu'on espère en Dieu, et non pas en soi-même et dans les grandeurs du monde, qui n'ont aucune durée ni aucune fermeté. Et si cet appétit pervers cherche la fange de l'impureté, la justice l'oblige et le force à chercher et à aimer la pureté. Elle punit l'orgueil par l'humilité, l'infidélité par la foi, l'avarice par les largesses de la charité, la haine et le mépris du prochain par la bienveillance, l'imprudence par la prudence; et ainsi toutes les vertus sont les condamnations et les amendes que le juge, assis sur le tribunal de la conscience, inflige à l'âme pour la punir de l'appétit sensitif et pour détruire l'attachement au mal, en retranchant la volonté propre, comme nous l'avons dit. C'est ainsi qu'il rend justice à l'âme, en lui rendant la vertu et la puissance qui lui sont dues, tandis que la sensualité reste esclave. De cette manière, il s’acquitte de l'honneur qu'il doit à Dieu et de la charité qu'il doit au prochain.

4. Le lieu où il doit se tenir est la connaissance de lui-même et de la bonté de Dieu à son égard, traitant les autres comme il voudrait être traité, purifiant souvent la face de son âme de toutes les souillures du péché, dans le sang du Christ, par le moyen d'une sincère et parfaite confession, la nourrissant de la nourriture des anges, c'est-à-dire du doux sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, que tout fidèle chrétien est obligé de recevoir une fois tous les ans. Celui qui veut le recevoir plus souvent le reçoit plus souvent, mais jamais personne ne doit le recevoir moins, qu'il soit [496] juste ou pécheur. S'il est pécheur, il doit s'y préparer et se purifier; s'il est juste, il ne doit pas y renoncer par humilité, en disant: Je ne suis pas digne d'un si grand mystère; quand je m'en sentirai plus digne, je communierai. Il ne doit pas agir ainsi; il ne doit pas croire que ses mérites puissent jamais l'en rendre digne; s'il le croyait, c'est alors qu'il en serait indigne: l'orgueil se cacherait sous le manteau de l'humilité. Dieu seul est capable de nous rendre dignes, et c'est à cause de sa dignité que nous devons le recevoir.

5. Il faut le recevoir de deux manières, réellement et mentalement, c'est-à-dire avec un véritable et ardent désir; et ce désir ne doit pas seulement exister au moment de la Communion, mais toujours et en tout lieu, car il s'agit de prendre la nourriture qui donne à l'âme la vie de la grâce. Voilà ce que dit la sainte justice; elle règle tout avec droiture et raison dans les trois puissances de l'âme. Celui qui la possède l'exerce à l'égard du prochain par la prière, la parole, et par sa bonne et sainte vie. S'il est revêtu de quelque autorité, comme il observe la loi, il veut qu'elle soit observée par les autres; et parce qu'il l'observe avec un saint zèle, il punit ceux qui la transgressent. De même qu'il a puni en lui la sensualité qui se révoltait contre la justice divine, il veut, lorsqu'il gouverne ceux qui lui sont soumis, punir ceux qui se révoltent contre les lois civiles, les décrets et les bons règlements établis par ceux qui gouvernaient autrefois; et selon que le veut la justice, il donne peu ou beaucoup, comme le demande la raison [497].

6. Cette justice ne veut pas être souillée et diminués par la crainte de la peine et de la mort corporelle, ni par les menaces, les flatteries, les complaisances pour les créatures, ni par l'intérêt temporel, qui vend l'honneur et la vie des hommes pour de l'argent, comme le font ceux qui vivent sans aucune règle et sans la lumière de la raison. Celui qui est juste n'abandonne la justice pour aucune cause, mais il l'observe autant qu'il peut, cherchant dans toutes ses actions l'honneur de Dieu, le salut de son âme, le bien général, donnant a tous de bons conseils, en montrant la vérité autant qu'il est possible. Il doit ainsi faire s'il veut maintenir son âme et la cité dans la paix et la sainte justice. N'est-ce pas parce que la justice a été violée, que sont arrivés et qu'arrivent tant de maux? Aussi, c'est parce que je veux la voir en vous et dans notre ville, régler et gouverner toutes choses, que j'ai dit que je désirais vous voir un juste et bon gouverneur. Si cette justice ne commence pas par vous-même, vous ne pourrez jamais l'observer à l'égard du prochain, dans quelque position que vous vous trouviez. Je vous y invite donc, et je veux que vous vous régliez vous-même, afin d'accomplir parfaitement ce que la Bonté divine vous a confié. Ayez toujours Dieu en vue dans toutes les choses que vous aurez à faire, et faites-les avec une véritable humilité, afin que Dieu soit glorifié en vous. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [498].

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LXIX (213). - A MAITRE ANDRE VANNI, peintre.- De la persévérance. - La force et la patience nous empêchent d’être renversés par le vent de l’orgueil.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.







1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu, et non pas comme la feuille qui cède au vent. Vous devez être comme un arbre profondément enraciné dans la vallée de l’humilité véritable, afin que le vent de l'orgueil ne puisse pas renverser votre âme, qui est un arbre d'amour; car Dieu l'a créée par amour; elle vient de l'amour et ne peut vivre que d'amour, du saint amour de Dieu, et non de l'amour-propre et sensuel, qui lui donne la mort et leur ôte la vie de la grâce, en la plaçant sur la montagne de l'orgueil, où elle est exposée a tous les vents contraires qui l'agitent, qui font tomber ses fruits et brisent ses rameaux. Et si elle ne se fortifie en prenant les moyens nécessaires, l'arbre sera renversé. Quelquefois souffle tout a coup le vent des tentations honteuses et des mouvements du cœur, qui agite continuellement l'arbre et le dépouille de ses feuilles, c'est-à-dire de ses saintes pensées et de ses paroles charitables pour le prochain; ce sont ces feuilles qui protègent les fruits. Il y a aussi un autre vent qui entre dans le cœur des hommes et qui sort [499] par la bouche c'est celui des persécuteurs du monde qui, lorsque les cœurs sont corrompus, souffle les murmures, les injures, les mépris et les outrages de parole et d'action. Ce vent fait tomber l'arbre de la patience et brise les branches des autres vertus. L'arbre est renversé, si on ne le soutient pas par l'amour de Dieu et du prochain : il souffre de la violence du vent, parce qu'il est placé sur la hauteur; s'il était placé dans la vallée entre deux montagnes, cela ne lui arriverait pas; les vents frapperaient les hautes montagnes sans l'atteindre, il n'en entendrait que le bruit.

2. Comment donc transplanter cet arbre dans la vallée et la terre de l'humilité? Le voici. C'est par une vraie connaissance de nous-mêmes, par la haine et le mépris de la sensualité; nous ne pourrons pas être humbles autrement. Mais alors nous serons entre deux grandes montagnes, entre la vertu de force et la vertu de patience, qui reçoivent les assauts de tous les vents contraires; et même, plus les vents sont contraires, plus l'âme se fortifie et montre sa force par l'épreuve de sa patience. Alors les vertus se conservent et se nourrissent par la doctrine et l'édification qu'on donne au prochain. L'âme porte les fleurs odoriférantes de ses saintes pensées en jugeant sainement les choses, en voyant en elle et dans le prochain la volonté de Dieu, qui ne veut que notre bien, et non celle des hommes; en mortifiant son jugement, en tuant sa volonté, en maintenant et en nourrissant l'arbre de la charité du prochain avec un ardent désir du salut des hommes, et en jouissant de. cette nourriture pour l'honneur de Dieu. Oh! qu'il [500] est beau, l'arbre de notre âme! Lorsqu'il est bien planté, il se pare de l'humilité de l'Agneau sans tache qui nous a donné la vie, et il s'éclaire d'un soleil de grâce et de miséricorde; et cette miséricorde, tous nos mérites n'auraient pu l’obtenir. Mais, parce que Dieu s'est humilié jusqu'à l'homme en nous donnant le doux et tendre Verbe, parce que le Verbe, le Fils de Dieu, s'est abaissé dans sa patience jusqu'à la mort honteuse de la Croix, nos actions et nos vertus acquièrent des mérites par son humilité et par la vertu de son précieux sang répandu avec tant d'amour.

3. Vous voyez donc qu'il n'y a pas d'autres moyens de persévérer et de croître dans la vertu. Aussi je vous prie, mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, d'apprendre de ce doux Agneau sans tache à vous abaisser toujours par une humilité sincère, afin que vous conserviez et que vous augmentiez votre vertu, dans quelque état que vous vous trouviez. Car pour celui qui est humble, toutes ses œuvres spirituelles et temporelles lui profitent pour le ciel, parce qu'il les fait avec la grâce. Ses œuvres temporelles lui donnent la vie, parce qu'il les fait, le regard fixé sur Dieu; ses œuvres spirituelles répandent le parfum de la vertu devant Dieu et devant les hommes du monde: et s'il est appelé à commander, il répand la bonne odeur de la sainte justice; car celui qui est humble n'est pas injuste envers son prochain; il ne le méprise pas, mais il l'aime comme lui-même. Je vous prie donc, mon très cher Fils, dans votre position présente, de rendre toujours la justice au petit comme au grand, au pauvre comme au riche; rendez [501] également à chacun ce qui lui est dû, ainsi que le veut la justice accompagnée de la miséricorde. Je suis certaine que la bonté de Dieu vous le fera faire; et je vous y invite autant que je le sais et que je le puis. Soyez dans ce doux Avent et dans cette sainte fête prés de la crèche de l'humble Agneau. Vous y trouverez Marie adorant son Fils; cette pauvre voyageuse, qui possède la richesse du Fils de Dieu, n'a pas de langes convenables pour l'envelopper, et de feu pour le réchauffer, lui, le Feu divin, l'Agneau sans tache; et ce sont des animaux qui s'inclinent sur le corps de l'Enfant pour le réchauffer de leur souffle. Ne faut-il pas rougir de l'orgueil , des délices des hommes et des richesses du monde, en voyant un Dieu si humilié? Visitez donc le saint lieu pendant cet Avent, afin de pouvoir renaître à la grâce; et afin de pouvoir mieux le faire et recevoir ce divin Enfant, confessez vous et disposez-vous, s'il est possible, à la sainte Communion. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières









LXX (214). - A MAITRE ANDRE VANNI, peintre. – De la nécessité d’avoir la haine de soi-même pour acquérir la charité.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de [502] Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le fidèle observateur des saints et doux commandements de Dieu, afin qu'au terme de votre vie vous puissiez avoir l'héritage de la vie éternelle. Mais je veux que vous sachiez que la loi de Dieu ne peut s'observer tant que l'homme s'abandonne à l'amour de lui-même. Celui qui s'aime d'un amour déréglé ne peut aimer et servir son prochain comme il le doit. Tous les commandements de la loi se trouvent dans la charité de Dieu et du prochain; ils consistent à aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain, comme soi-même et celui qui s'aime d'un amour déréglé ne peut les observer tant qu'il n'aura pas dépouillé le vieil homme, c'est-à-dire la sensualité, et revêtu l'homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, en suivant sa doctrine. Il faut donc, très cher Fils, en venir à la haine de nous-mêmes, pour aimer et craindre Dieu en vérité,

2. Et si vous me dites : Quel moyen prendre pour avoir cette haine et acquérir cet amour? où les trouverais-je? Je vous répondrai: Voici le moyen. Il faut ouvrir l’œil de votre intelligence à la lumière de la très sainte Foi, car sans la lumière vous ne pourrez voir le lieu où vous le trouverez. Ce lieu est la connaissance de vous-même ; nous ne pouvons rien voir autre part, et en ne discernant pas le bien du mal, nous ne pouvons ni haïr ni aimer. Mais, avec l’œil de l'intelligence et la lumière de la Foi, l'âme regarde dans cette demeure de la connaissance de soi-même; elle voit son néant et reconnaît qu'elle tient son être de Dieu; elle voit et elle connaît la grandeur et l'ardeur de la charité. Elle a été créée à l'image et ressemblance [503] de Dieu ; elle a été régénérée dans le sang de son Fils; elle est la pierre et la terre ou est élevé l'étendard de la sainte Croix, et elle voit que ni la Croix, ni la terre ne pouvaient le fixer, ni les clous l'attacher sur la Croix, si l'amour ne l'y avait retenu ; et alors cette âme s'embrase d'amour et de désirs en observant les commandements, c'est-à-dire en aimant Dieu par-dessus toutes choses, et le prochain comme elle-même. Et comme elle voit qu'elle ne peut être utile à Dieu, elle se rend utile au prochain, en l'aimant et en le servant de tout son pouvoir. Elle montre ainsi l'amour parfait qu'elle a pour son Créateur. Car il n'y a pas d'autres moyens de montrer l'amour et la vertu qui sont dans l'âme, si ce n'est par l'intermédiaire du prochain.

3. Quand l'âme a trouvé l'amour dans la connaissance qu'elle a de Dieu, elle trouve l'humilité, qui est la nourrice de la charité. Où la trouve-t-elle? Dans la connaissance d'elle-même, où elle a trouvé déjà la charité; car celui qui se connaît lui-même n'a pas de motif de s'enorgueillir: le néant ne peut inspirer de l'orgueil. Celui qui n'est pas orgueilleux est nécessairement humble; et dès qu'il se connaît et qu'il connaît la bonté de Dieu à son égard, il aime, il est humble, et l'humilité lui fait connaître ses défauts et cette loi perverse de la chair, toujours révoltée contre l'infinie bonté de Dieu, qu'il a reconnue en lui.

4. Alors il a en horreur la sensualité, et la haine qu'il ressent le pousse à en tirer vengeance. Comment le fera-t-il? En faisant le contraire de ce que veut l'amour sensitif. S'il veut se complaire dans le vice [505], la raison lui fera trouver son bonheur dans la vertu. S'il recherche les honneurs, la fortune, les plaisirs coupables, s'il veut commettre l'injustice à l'égard du prochain, son âme, qui a connu Dieu à la lumière de la raison, s'en vengera en méprisant le monde et toutes ses délices! elle s'en sépare réellement, ou, si elle ne le fait pas, elle s'en sépare au moins par ses saints désirs. C'est ce que doit faire toute créature raisonnable qui veut accomplir la justice: car elle rend avec justice gloire et honneur à Dieu, elle prend pour elle la haine, l'horreur de la sensualité et l'amour de la vertu, et elle donne au prochain les sentiments et les efforts de sa charité en se fatiguant pour son salut. L'âme offre ses prières, et le corps ses biens pour l'assister; et, s'il n'en a pas, il l'assiste d'une autre manière. Si celui qui agit ainsi a le commandement, il rend justice au grand comme au petit, au pauvre comme au riche; il ne craint de déplaire à aucune créature, mais il craint Dieu seulement, parce que la crainte servile se perd dans l'amour de Dieu. et dans la sainte haine de soi-même ; et c'est là la principale vengeance qu'il tire de la sensualité.

5. Il se venge aussi d'une autre manière, car il châtie sa chair quand elle se révolte contre l'esprit; il n'est pas encore content, il lui semble qu'il fait peu, et il désire que les autres fassent davantage pour lui, lorsqu'il pense aux offenses qu'il a commises contre son Créateur. Il ne s'étonne pas des injures et des tribulations qui lui viennent des créatures ou de Dieu, car Dieu l'éprouve quelquefois en lui retirant les consolations spirituelles, et en l'abandonnant aux tentations et aux attaques du démon; mais il s’applique [505] à supporter tout avec patience, et il se fait violence en maîtrisant sa volonté. Au lieu de se scandaliser, il s'humilie et se reconnaît digne de toute sorte de peines et indigne de la récompense qui suit la peine, indigne de la paix et du repos de l'esprit. Il montre aussi sa patience, qui est la moelle de la charité; et de cette manière, il accomplit toute la loi, car il aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme lui-même. Comment a-t-il vu et connu la loi? Avec l’œil de l'intelligence et à la lumière de la très sainte Foi. Où la trouve-t-il? Dans la connaissance de lui-même; car dans cette connaissance il trouve la bonté de Dieu, et il l'aime; il trouve sa misère, et il s'humilie, et il conçoit la haine du vice et de la sensualité. Sans cette connaissance, il ne pourrait donc observer la loi, et celui qui ne l'observe pas est privé de la grâce et du règne de Dieu: ce règne est l'héritage que le Père suprême donne à ses enfants légitimes qui combattent courageusement sur le champ de bataille contre leurs ennemis et ne détournent jamais la tête. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir l'observateur fidèle des saints et doux commandements de Dieu, afin que vous ayez ici-bas la vie de la grâce et au ciel la vie éternelle. Je vous prie donc, pour l'amour de Jésus-Christ, de vous appliquer à les observer jusqu'à la mort. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [506].

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LXXI (200) .- AUX ANCIENS, AUX CONSULS ET AUX GONFALONIERS de Bologne. Lettre écrite en extase.- De la charité et de ses effets envers Dieu et envers le prochain. - Des injustices que commettent les gouverneurs de la ville.

(La ville de Bologne prit part à la révolte contre le Saint-Siège, et nomma pour se gouverner un conseil de douze anciens, des consuls et des gonfaloniers de la justice. Elle fit la paix avec Grégoire XI le 4 juillet 1377, mais elle se sépara de nouveau d'Urbain VI en 1379. La lettre des habitants de Bologne à laquelle sainte Catherine répond, lui fut sans doute adressée après son retour d'Avignon.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillés du vieil homme, et revêtus de l'homme nouveau, c'est-à-dire dépouillés du monde et de l'amour-propre sensitif, qui est le vieux péché d'Adam, et revêtus du Christ nouveau, le doux Jésus, c'est-à-dire de sa tendre charité.

2. Cette charité, quand elle est dans l'âme, ne cherche pas ses intérêts, mais elle est libérale et généreuse à rendre ce qui est dû à Dieu, c'est-à-dire à l'aimer par-dessus toute chose, à détester et mépriser sa propre sensualité, à s'aimer pour Dieu, c'est-à-dire pour rendre gloire et louange à son nom, et à témoigner au prochain un amour réglé et une charité fraternelle. Car la charité veut être réglée c'est-à-dire [507] que l'homme ne doit pas commettre une faute pour sauver une âme, et même, s'il était possible, le monde entier. Il ne doit pas le faire, parce qu'il n'est jamais permis de commettre une petite faute pour procurer un grand bien. Nous ne sommes pas obligés de sacrifier notre corps pour sauver le corps de notre prochain; mais nous devons donner notre vie pour le salut des âmes, et toute notre fortune pour le bien et la vie du prochain. Vous voyez que la charité veut être réglée dans l'âme.

3. Mais ceux qui sont privés de la charité et pleins de l'amour d'eux-mêmes font tout le contraire; et, comme ils sont déréglés dans leur cœur et leur affection, ils sont déréglés aussi dans toutes leurs œuvres. Nous voyons que les hommes du monde servent et aiment leur prochain en faisant le mal pour lui plaire; et, dans leur intérêt, ils ne s'inquiètent pas de servir Dieu ou de lui déplaire et de perdre leurs âmes. C’est cet amour coupable qui souvent tue l'âme et le corps; il nous ôte la lumière, et nous donne les ténèbres; il nous ôte la vie, et nous donne la mort; il nous prive de la société des bienheureux, et nous condamne à celle des démons. Si l'homme ne se corrige pas pendant qu'il est temps encore, il obscurcit la perle brillante de la sainte justice; il perd le feu de la charité et le trésor de l'obéissance. Aussi, de quelque côté que nous nous tournions, nous voyons que c'est ce malheureux vêtement de l'amour-propre sensitif qui détruit la vertu dans toute créature raisonnable. Si nous regardons les supérieurs, ils ne pensent qu'à eux et à vivre dans les délices; et, lorsqu'ils voient ceux qui leur sont soumis dans les mains des [508] démons, il semble qu'ils ne s'en occupent pas. Les sujets, de leur côté, ne s'inquiètent d'obéir ni à la loi civile ni à la loi divine, et ils ne se servent les uns les autres que par intérêt. Cette union, que produit l'amour sensitif, et non la vraie charité, est insuffisante: leur amitié ne dure pas au dela du plaisir et de l'avantage qu'ils en retirent.

4. Celui qui commande viole la Sainte justice, parce qu'il craint de perdre sa position: pour ne pas déplaire, il couvre et cache les défauts, il met de l'onguent sur les plaies qu'il faudrait purifier et brûler avec le feu. Hélas! malheureuse que je suis! lorsqu'il faudrait appliquer le feu de la charité divine, et brûler la faute avec la sainte punition de la justice, on flatte, et on fait semblant de ne pas voir. Ils font cela pour ceux qui pourraient nuire à leur position; mais pour les pauvres, qui ne sont rien et dont ils n'ont rien à craindre, ils montrent un grand zèle pour la justice; ils sont sans pitié et sans miséricorde, et punissent cruellement les moindres fautes. Quelle est la cause d'une pareille injustice? L'amour de soi-même. Les malheureux hommes du monde, parce qu'ils sont privés de la vérité, ne connaissent pas ce qu'est Dieu pour leur salut et la conservation de leur puissance; car, s'ils connaissaient la vérité, ils verraient que c'est en vivant dans la crainte de Dieu que l'on conserve la paix des villes et des Etats. Il faut conserver la sainte justice, rendre à chacun ce qui lui est dû, faire miséricorde à qui on doit faire miséricorde, mais sans intérêt, et par amour de la vérité.

5. Il faut punir celui qui le mérite, avec miséricorde [509], sans colère, en n'écoutant pas les hommes, mais la véritable et sainte justice; il faut chercher le bien général, et non le bien privé; placer à la tête des affaires des magistrats qui n’agissent pas par haine, par faiblesse ou par spéculation, mais par vertu et par raison puis il faut choisir des hommes murs et vertueux, et non des enfants; des hommes qui craignent Dieu, qui aiment le bien public, et non leur intérêt particulier. C'est ainsi que l'on conserve un Etat, une ville, dans la paix et l'union; mais ce n'est pas par l'injustice, par l'avidité, en nommant pour gouverner les autres ceux qui ne savent pas se gouverner, ni gouverner leurs familles, des hommes injustes, colères, passionnés et remplis de l'amour d’eux-mêmes. C'est là le moyen de ruiner ses affaires spirituelles et temporelles. On peut bien dire à ceux-là: C’est en vain que vous travaillez à garder la cité, si Dieu ne la garde ; c’est-à-dire si vous ne craignez pas Dieu, et si vous ne le regardez dans tout ce que vous faites. Vous voyez; mes très chers Frères et Seigneurs, que l'amour-propre est la perte de la cité de l'âme, et la perte, la ruine de la cité de la terre. Je veux que vous sachiez bien que rien ne divise le monde et les peuples comme l'amour-propre ; c'est de lui que sont nées et que naissent toutes les injustices.

6. Il me semble, mes très chers Frères, que vous avez le désir de conserver et d'augmenter la prospérité de votre ville, et c'est ce désir qui vous a portés à m'écrire à moi indigne et misérable si remplie de défauts. J'ai reçu et lu votre lettre avec une vive affection, et avec la volonté de satisfaire vos désirs [510].Je m'appliquerai autant que Dieu m'en fera la grâce à vous offrir, vous et toute votre cité, en la présence de Dieu par une continuelle prière. Si vous êtes des hommes justes, si vous vous gouvernez, comme nous l'avons dit, sans passion, sans amour-propre et sans intérêt particulier, mais pour le bien général, qui a pour fondement la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, si vous agissez toujours avec sa crainte et en l'invoquant, vous conserverez la prospérité, la paix et l'union de votre cité. Je vous en conjure par amour pour Jésus crucifié, car il n'y a pas d'autre moyen. Tout en étant aidés par les prières des serviteurs de Dieu, vous devez aussi agir de votre côté, si vous ne le faisiez pas, vous seriez bien un peu soutenus par ces prières, mais vous faibliriez bientôt, parce que vous devez porter votre part du fardeau.

7. C'est parce que je comprends qu'avec le vêtement de l'amour sensitif et particulier, vous ne pouvez pas aider les serviteurs de Dieu, et que celui qui ne s'aide pas lui-même par la vertu ne peut servir sa patrie avec le zèle de la sainte justice, que je vous ai dit qu'il fallait que vous soyez revêtus de l'homme nouveau, du Christ, le doux Jésus, c'est-à-dire de son ineffable charité; mais nous ne pouvons nous en revêtir sans d'abord nous dépouiller, et je ne pourrai me dépouiller, si je ne vois combien est nuisible le vieux vêtement, et combien est utile le vêtement nouveau de la charité divine. Dès que l'homme l'a vu, il hait, et par la haine il se dépouille; il aime, et par l'amour il se revêt du vêtement de la vertu fondée sur l'amour de l'homme nouveau. C'est cette route qu'il faut suivre. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir [511] dépouillés du vieil homme et revêtus de l'homme nouveau, de Jésus crucifié, et, de cette manière, vous acquerrez et vous conserverez le bien de la grâce et le bien de votre cité; vous ne manquerez jamais au respect que vous devez à la sainte Eglise, mais vous vous acquitterez envers elle avec joie, et vous conserverez votre Etat. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières











LXXII (205). - AUX SEIGNEURS PRIEURS du peuple et de la commune de Pérouse. - Elle les prie de vouloir bien assister la sainte Eglise et le Pape Urbain VI.

(Les magistrats qui gouvernaient Pérouse s'appelaient les prieurs du peuple, et étaient au nombre de dix.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir être utiles à votre Père et à vous-mêmes ; car en lui étant utiles, vous êtes utiles à votre salut spirituellement et temporellement : spirituellement, puisque vous servez cette douce Epouse du Christ, la sainte Église, et le Pape Urbain VI; vous acquittez la dette que tous sont obligés d'acquitter, et en le faisant, nous montrons que nous sommes reconnaissants à l'égard de Dieu et à l'égard [512] du Pape, qui nous fait sans cesse tant de grâces, que nous ne pourrons jamais comparer ce que nous faisons pour lui à ce qu'il nous a donné. Ce qu'il nous donne est un bien qui nous vaut la vie éternelle : ce sont les sacrements de la sainte Église et les autres trésors spirituels qui conservent la vie, et qui nous profitent par les mérites du précieux Sang, ci nous les recevons avec une vraie et sainte disposition, et avec la lumière de la très sainte Foi; car autrement ils nous donneraient la mort, non par la faute de ces dons et de Celui qui les donne, mais à cause de l'état coupable où nous les recevrions. Tous ces sacrements nous sont administrés par lui, et sans lui nous ne pourrions les recevoir car il tient les clefs du sang de l'humble Agneau répandu pour nous avec tant d'amour: il nous donne donc un bien infini, pourvu que nous soyons disposés comme nous l'avons dit: et nous devons lui donner, si nous voulons payer notre dette, une chose finie, c'est-à-dire un peu de ces choses passagères, pour l'assister dans ses besoins. Nous devons lui donner notre désir dans une humble prière, nous devons lui donner notre fortune avec amour, comme doit le faire un fils à l'égard de son père. Vous voyez bien qu'on ne peut établir d'autre comparaison que celle d'une chose finie avec une chose infinie. Nous en profiterons aussi temporellement; et comment? Nous étions des fils révoltés contre l'obéissance de notre Père, et nous étions justement privés de son héritage il nous a rendu nos droits, il nous a pardonné l'injure faite à Dieu et à lui, il a étendu les ailes de sa miséricorde, et il a pourvu au salut de l'âme et du corps. Nous [513] devons donc être reconnaissants pour alimenter en nous la source de la piété, et ne pas la tarir.

2. Voici le moment de montrer notre reconnaissance, puisque nous voyons souiller notre foi. En le faisant, nous ferons bien ; nous acquitterons notre dette, nous serons obéissants de cette obéissance qui attire la grâce et qui donne la vie. Soyons donc utiles à nous-mêmes en satisfaisant aux besoins spirituels de notre âme. C'est par l'obéissance à la Sainte Église et au Souverain Pontife que nous acquerrons toutes les grâces dont il est le ministre; en n'obéissant pas, nous en serons privés, et nous nous ferons tort par notre faute. Vous voyez qu'en assistant notre Père, nous obtiendrons nous-mêmes des grâces spirituelles et temporelles. Comment? Je vais vous le dire. Vous savez que nous sommes exposés maintenant à de grands embarras, et que nos pays sont menacés par des ennemis puissants. Nous sommes faibles comme le verre, par nos fautes et notre grande désunion. En nous séparant de notre Père et en ne le secourant pas, nous nous exposerons beaucoup; nous nous séparerons de notre force, et nous serons trop faibles. Si nous ne montrons pas dans les difficultés, que nous sommes pour lui, nous montrerons que nous sommes contre lui, suivant cette parole de la douce Vérité : " Celui qui n'est pas pour moi est contre moi (Mt 12,30). Nous lui donnerons sujet, dans les grandes difficultés qui nous menacent, de nous rendre ce que nous lui donnons et vous ne pouvez douter, à moins d'être les plus ignorants des [514] hommes, que le bras de la sainte Église, pour s'être affaibli, n'est pas brisé, et que cette faiblesse même fait sa force et celle de celui qui s'y appuie. Nous appellerons ensuite les châtiments divins sur nous en montrant une pareille ingratitude : Dieu s'irriterait justement contre nous et nous frapperait de sa verge, parce que nous ne secourons pas notre Père, le Pape Urbain VI, et notre Foi, où nous voyons que des hommes coupables ont répandu les ténèbres dans leur cruelle méchanceté. Mais la lumière confondra leurs ténèbres, et la vérité leur mensonge.

3. Ne tardez plus; secouez le sommeil de la négligence, et faites avec zèle ce que vous pouvez faire pour le bien de la sainte Église. Ce bien est le nôtre, et chacun doit y travailler pour soi-même, puisque nous en profitons autant que notre Père, comme je l'ai dit. Soyez courageux et ne reculez par aucun motif de crainte servile, car il ne faut avoir d'autre crainte que la sainte crainte de Dieu. Si nous sommes des fils véritables et si nous voulons l'héritage, nous secourerons notre Père en nous étant utiles à nous-mêmes, et nous donnerons non seulement notre fortune, mais notre vie même s'il le faut. Hélas! je vois que le froid engourdit nos cœurs, et que l'aveuglement obscurcit l’œil de notre intelligence; nous ne pouvons plus sentir et connaître le danger que nous avions vu d'abord. Nous sommes comme des insensés méconnaissant notre malheur et les grâces que nous avons reçues jusqu'à présent, comme le prouvent nos actes; nous n'avons donné pour tout secours que des paroles. Il faut porter enfin des fruits, et je verrai par ces fruits si vous aimez et si vous honorez notre [515] Foi par une vraie et prompte obéissance, en secourant la sainte Église. Unissez-vous ensemble par Jésus crucifié; puis ne craignez aucun tyran, car le secours de Dieu, pour l'amour de qui vous assisterez son Épouse, vous délivrera. Ouvrez les yeux, mes très chers Frères, sans vous laisser égarer par l'amour sensitif; voyez le bien qui peut en résulter et qui en résultera si vous agissez comme je l'ai dit, et le mal qui vous menace du côté de Dieu et des hommes; si vous ne le faites pas, vous devez attendre les châtiments de la justice divine. J'espère de la bonté de Dieu qu'il vous fera connaître ce que vous devez faire; en le connaissant, vous le ferez; en le faisant, vous vous attacherez au bien, et vous éviterez le mal. Je prierai Dieu pour cela de tout mon cœur, de toute mon âme. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si je vous ai fatigués de mes paroles; le besoin de la sainte Eglise et de votre salut m'y a forcée. Je vous salue humblement. Doux Jésus, Jésus amour [516].

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LXXIII (206). - AUX ANCIENS de la cité de Lucques .- Jésus-Christ est notre lumière et notre guide. - De la force de la sainte Église, et de la faiblesse de ceux qui se séparent d'elle.

(La république de Lucques était gouvernée par un gonfalonier ci par neuf anciens, tous choisis dans la noblesse.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très chers et bien aimés Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir remplis de la grâce divine et de la lumière de l'Esprit-Saint, parce que je vois que sans cette lumière nous ne pouvons avancer. Vous savez, mes très chers Frères, que nous sommes des pèlerins et des voyageurs dans cette vie ténébreuse; nous nous sommes aveuglés nous-mêmes. Comment un aveugle peut-il suivre le chemin qu'il ignore, sans un guide et sans tomber ? Il nous faut donc la lumière et un guide pour nous enseigner. Mais ayez courage, mes très chers Frères; vous ne pouvez en douter, Dieu, dans son infinie bonté, nous a donné la lumière de l'intelligence pour que l'homme connaisse que c'est par la vertu et la fidélité à son Créateur qu'il obtient la vie, tandis que le vice, le péché, l'amour de soi-même, l'orgueil qui cherche et veut posséder injustement les choses du monde et ses honneurs, sans craindre Dieu et l'adorer, causent sa mort et le [517] rendent digne de la damnation éternelle. Je dis aussi qu'elle nous a donné un guide, c'est le Verbe incarné, le Fils unique de Dieu, qui nous enseigne comment nous devons marcher dans cette voie lumineuse.

2. Vous savez qu'il a dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; " et : " Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais dans la lumière. " Quelle voie nous a tracée ce doux Maître? Une voie de haine et d'amour; il a eu la haine et l'horreur du péché, au point qu'il a voulu s'en venger sur son corps par les peines, les outrages, les injures et les tourments de sa Passion, non pour lui-même, car il n'avait pas le poison du péché, mais pour la créature, afin de lui rendre la lumière de la grâce et de dissiper les ténèbres que le péché avait fait entrer dans son âme. Il nous a donc enseigné la voie de la haine du Vice et du péché, de l'amour-propre, qui est ténèbres et d'où viennent toutes les ténèbres spirituelles et temporelles. Celui qui s'aime pour lui-même ne s'inquiète pas du tort qu'il fait à son frère et de l'outrage qu'il fait à Dieu; il ne pense qu'à lui et n'écoute que l'amour sensitif et déréglé. C'est pourquoi toutes les grandeurs du monde ne pourraient lui suffire; il ne s'occupe pas de l’honneur de Dieu et de la sainte justice, il ne s'occupe que de lui-même.

3. Le doux Jésus est venu, et il nous a enseigné à haïr et à mépriser cet amour-propre si dangereux; il nous a donné la lumière de l’amour de sa vérité; Car l'amour de Dieu et de la sainte vertu est une lumière qui ôte les ténèbres de l’ignorance, nous donne la vie et nous délivre de la mort; elle nous donne une [518] force assurée, une force contre nos adversaires et nos ennemis; car, comme dit saint Paul: " Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous (Rm 8,31) ? " Le démon et les créatures ne pourront nous ravir ce bien, cette vraie lumière qui nous conserve la grâce de l'âme, et en même temps sa fortune et sa puissance, car notre Dieu est tout-puissant; il peut et il veut nous conserver et nous tirer des mains de nos ennemis, pourvu que nous travaillions pour sa gloire et pour l'exaltation de la sainte Église; cette exaltation sera aussi la nôtre, car l'âme ne reçoit la vie que dans l'Église.

4. Ce doux Jésus, qui s'est fait notre voie, notre maître, notre guide, ne cherche jamais que l'honneur de son Père et notre salut. Il a pris pour épouse notre sainte Mère l’Eglise, et lui a confié le fruit et la chaleur de son sang pour nous guérir de nos iniquités. Ce sont les sacrements de l'Église qui ont reçu la vie dans le sang du Fils de Dieu, qui fut répandu avec tant d'amour. Pensez qu'il a si bien affermi dans le feu de sa charité cette Épouse et tous ceux qui s'appuient sur elle, qui sont ses fils légitimes, et qui mourraient mille fois pour ne l'abandonner jamais, que ni le démon ni les créatures ne pourront les faire changer, et empêcher la douce et sainte Épouse de vivre éternellement. Si vous me dites : Elle semble succomber, et il ne paraît pas possible qu'elle puisse se secourir elle-même et secourir ses enfants, je vous répondrai : il n'en est point ainsi ; l'extérieur trompe : regardez au dedans [519] , et vous y retrouverez cette force que n'a pas son ennemi.

5. Vous savez bien que Dieu est Celui qui est fort car toute force et toute vertu procèdent de lui. Cette force n'est pas enlevée à l'Épouse, et personne n'a comme elle ce secours puissant. Ses ennemis qui la combattent ont perdu cette force et ce secours; ils sont comme des membres corrompus retranchés du corps, et dès qu'un membre est retranché, il est sans vigueur. Combien est donc insensé celui qui n'est qu'un petit membre, et qui veut agir contre son chef, surtout lorsqu'il voit que le ciel et la terre passeraient plutôt que la vertu et la puissance de ce chef. Si vous me dites: Je n'en sais rien, je vois les membres qui prospèrent et agissent toujours; attendez un peu : il ne doit pas, il ne peut en être ainsi, car l'Esprit-Saint a dit dans la Sainte Écriture: " C'est en vain que travaille celui qui garde la cité; elle tombera si Dieu ne la garde. " Cela ne peut durer, ils périront corps et âme, car ils sont privés de Dieu par la grâce. Dieu ne les garde pas, puisqu'ils ont agi contre l'Épouse où se repose Dieu, la force suprême. Ne nous laissons pas tromper par la crainte servile; ce fut elle que ressentit Pilate lorsque, par crainte de perdre sa puissance, il fit mourir le Christ, et dans son aveuglement il perdit son âme et son corps. S'il avait eu au contraire la crainte de Dieu, il ne serait pas tombé dans ce malheur.

6. Je vous prie donc, pour l'amour de Jésus crucifié, mes très chers Frères, vous les enfants de la sainte Eglise, d'être fermes et persévérants dans ce que vous avez commencé, et de ne vous laisser [520] ébranler, ni par le démon, ni par les créatures qui sont pires que les démons, dont elles remplissent les fonctions. Leur mal ne leur suffit pas, et elles vont séduire et égarer ceux qui veulent être de fidèles enfants. N'ayez aucune peur de perdre la paix de votre état, et ne craignez pas les menaces de ces démons, qui ne peuvent vous atteindre; mais prenez courage en remerciant pieusement Dieu, qui vous a fait grâce et miséricorde. Ne vous séparez pas de votre chef et de Celui qui est fort, et ne vous attachez pas à un membre faible et corrompu, qui est séparé de sa force. Gardez-vous, gardez-vous bien de vous lier ainsi (Sainte Catherine dissuade les habitants de Lucques d’entrer dans la ligue faite en 1375 contre les légats du Pape, entre la reine de Naples, Visconti de Milan, Florence, Sienne, Pise et Arezzo. Elle fit à cette époque le voyage de Lucques, et maintint cette ville dans l’obéissance au Saint-Siège.); choisissez plutôt la peine; craignez plus l'offense de Dieu que toute souffrance, et vous n'aurez pas peur. Pour moi, je me réjouis et je tressaille d'allégresse, parce que jusqu'à présent vous êtes restés fermes et persévérants dans l'obéissance à la sainte Eglise. Je serais bien affligée d'apprendre le contraire, et je viens de la part de Jésus crucifié vous dire que vous ne devez le faire pour aucun motif que ce soit. Sachez bien que si vous le faisiez pour avoir et conserver la paix, vous éprouveriez des guerres et de ruines plus grandes que vous n'en avez jamais eu dans votre âme et votre corps. Ne tombez donc pas dans une telle erreur, mais soyez des fils véritables et fidèles [521].

7. Vous savez bien que si le Père a beaucoup d’enfants, et qu'un seul lui reste fidèle, c'est à lui qu'il donnera l'héritage. Je vous dis cela pour que, si vous étiez restés seuls dans son parti, vous ne tourniez pas la tête en arrière; mais, grâce à Dieu, il y en a d'autres encore. Ce sont les Pisans vos voisins, avec lesquels il faut rester fermes et persévérants. Ils ne vous abandonneront pas, mais ils vous aideront et vous défendront jusqu'à la mort contre ceux qui voudraient vous faire injure. O mes doux Frères, quel sera le démon qui pourra empêcher ces deux membres d'être unis dans les liens de la charité, pour ne pas offenser Dieu en s'appuyant et en s'attachant à leur corps? Il n'y en a pas. Cherchons donc la lumière; je prie l'éternelle et souveraine Bonté d'en remplir et d'en revêtir votre âme. Si elle est en vous, je ne crains pas que vous fassiez le contraire de ce que je vous prie et vous dis de faire de la part du Christ; vous n'agirez pas autrement à l'avenir que vous ne l'avez fait dans le passé. Je termine. Demeurez dans la douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [522].

Table des Matières









LXXIV (191). - A MESSIRE BARNABE VISCONTI, seigneur de Milan.- Par les ambassadeurs que ce seigneur lui avait envoyés.- La vraie puissance n'est pas celle qu'on a sur le monde, mais celle que nous avons sur notre âme. - Du respect que nous devons avoir pour le Vicaire de Jésus-Christ.

(Barnabé Visconti, seigneur de Milan, était un prince très remarquable par sa valeur et ses talents, mais d'une ambition effrénée et d'une cruauté sans bornes. Il protégea les lettres, attira Pétrarque à sa cour, et fonda l’Université de Pise. Il fut détrôné par son neveu Jean Galéas, et mourut emprisonné en 1381.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ je vous écris avec le désir de vous voir participer au sang du Fils de Dieu comme un fils créé par le Père à son image et ressemblance, comme un serviteur racheté; il faut avancer dans l'amour et la sainte crainte de Dieu. Vous savez que celui qui n'aime pas son Créateur d'un amour filial ne peut participer au précieux Sang; c'est donc pour vous un besoin de l'aimer.

2. O très cher Père, quel est le cœur assez dur, assez obstiné pour ne pas s'attendrir s'il regarde l'amour que lui porte la Bonté divine. Aimez, aimez, pensez que vous avez été aimé avant d'être aimé. Car Dieu en regardant en lui-même, s'est passionné pour la [523] beauté de sa créature, et il l'a faite, poussé par l'ardeur de son ineffable charité, uniquement pour qu'elle ait la vie éternelle et qu'elle jouisse du bonheur infini dont Il jouissait en lui-même. O amour ineffable! que vous avez bien prouvé cet amour! L'homme, en perdant la grâce par le péché mortel, par la désobéissance commise contre vous, Seigneur, n'en a pas été privé. Considérez, mon Père, par quel moyen la clémence du Saint-Esprit a rétabli la grâce dans l'homme; voyez comment la grandeur suprême de Dieu a revêtu l'esclavage de notre humanité avec un tel abaissement, avec une humilité si profonde, que tout notre orgueil doit en être confondu. Que les fils insensés d'Adam rougissent donc de voir Dieu humilié jusqu'à l'homme, comme si l'homme était maître de Dieu, et non pas Dieu maître de l'homme; car l'homme n'est rien par lui-même; tout ce qu'il a, Dieu le lui a donné par grâce et non par obligation. Aussi personne se connaissant soi-même n'offensera jamais Dieu mortellement, et ne se laissera aller à l'orgueil à cause de sa grandeur et de sa puissance. Celui qui posséderait le monde entier doit reconnaître son néant, car il est sujet à la mort comme la plus vile créature. Les folles jouissances du monde passent pour lui comme pour les autres, et il ne peut empêcher que la vie, la santé, toutes les choses créées ne disparaissent comme le vent. Toute la puissance que nous avons ici-bas ne doit pas nous faire croire puissants. Qu'est-ce qu'une puissance qui peut m'être enlevée et qui ne dépend pas de ma liberté? Il me semble qu'on ne doit appeler personne seigneur, mais plutôt dispensateur, et cela pour un [524] temps, et non pour toujours, selon le bon plaisir de notre doux et véritable Seigneur.

3. Si vous me dites : L'homme en cette vie, n'a-t-il rien dont il soit le maître? Je vous répondrai il a le plus doux, le plus agréable, le plus solide des biens: c'est la cité de notre âme. Oh! oui, quelle chose plus grande, plus précieuse, que d'avoir une cité que Dieu habite, lui qui est le Bien suprême, où se trouve la paix, le repos de toute consolation. Et cette cité est si forte, vous y êtes si puissant, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous l'enlever, si vous ne voulez pas. Elle ne se perd jamais que par le péché mortel. Le maître alors devient le serviteur et l'esclave du péché; il est avili et perd toute sa dignité. Mais personne ne peut le forcer à commettre le moindre péché, parce que Dieu l'a placé dans la plus forte chose qui soit au monde, dans la volonté. Si elle dit oui par le consentement, elle pèche aussitôt en prenant plaisir au péché; si elle dit non, elle aimera mieux la mort que d'offenser Dieu en son âme. Celui qui fait ainsi ne pèche jamais; il garde la Cité, il est maître de lui-même et du monde entier. Il méprise le monde et toutes ses délices, les estimant choses corruptibles et pires que la fange. Aussi les saints disent que les serviteurs de Dieu sont de vrais souverains qui ont remporté la victoire. Il y en a beaucoup qui se rendent maîtres de la cité et de la forteresse. Celui qui n'a pas triomphé de lui-même et de ses ennemis, c'est-à-dire, du monde, de la chair et du démon, peut bien dire qu'il ne possède rien.

4. Mon Père, appliquez-vous à maintenir fermement [525] la puissance de la cité de votre âme; combattez vigoureusement ces trois ennemis; prenez le glaive de la haine et de l'amour, aimez la vertu et haïssez le vice; frappez avec la main du libre arbitre, et soyez persuadé que rien ne pourra vaincre cette main généreuse et ce glaive puissant. C'est ce que nous assure saint Paul, lorsqu'il disait : " Ni la faim, ni la soif, ni les persécuteurs, ni les anges, ni les démons ne m'éloigneront de la charité de Dieu, si je ne le veux pas (Rm 8,35). " C'est comme si le doux saint Paul disait: Comme il est impossible que la nature angélique m'éloigne de Dieu, il est impossible que quelque chose me force à commettre un péché mortel, si je ne le veux pas. Nos ennemis sont devenus impuissants parce que l'Agneau sans tache, pour rendre la liberté à l'homme et l'affranchir, s'est livré lui-même à la mort honteuse de la très sainte Croix. Considérez cet amour ineffable, qui a donné la vie par sa mort. En souffrant les opprobres, les outrages, il nous a rendu l'honneur; ses mains percées et clouées sur la Croix, nous ont délivrés des liens du péché; son cœur ouvert a guéri notre dureté; il s'est dépouillé pour nous vêtir; il nous a enivrés de son sang; sa sagesse a vaincu la malice du démon, sa flagellation la faiblesse de notre chair; et ses opprobres, ses abaissements ont triomphé des délices et de l'orgueil du monde. Il nous a lavés dans l’abondance de son sang; et pour que nous ne craignions rien, sa main désarmée a vaincu nos ennemis et nous a rendu le libre arbitre [526].

5. O doux Verbe, Fils de Dieu, vous avez déposé ce Sang dans le corps mystique de la sainte Église, et vous voulez qu'il soit distribué par votre Vicaire. La bonté de Dieu a pourvu aux besoins de l'homme, qui, tous les jours, perd sa puissance sur lui-même en offensant son Créateur. Il a mis le remède dans la sainte confession, qui n'a de valeur que par le sang de l'Agneau; et il lui donne ce moyen, non pas une fois, deux fois, mais toujours. Combien est insensé celui qui s'éloigne de son Vicaire, ou se révolte contre celui qui tient les clefs du sang de, Jésus crucifié ! A moins que je ne sois un démon incarné, je ne dois pas lever la tête contre lui, mais je dois, toujours m'humilier, demander le sang de la miséricorde. Vous ne pouvez l'obtenir d'une autre manière et participer aux fruits de ce précieux Sang.

6. Je vous prie pour l'amour de Jésus crucifié de ne plus rien faire contre votre chef (Barnabé Visconti, pour agrandir ses États, avait fait la guerre à Innocent VI, à Urbain V et à Grégoire XI: c'était un des ennemis les plus acharnés de l'Église.). Ne vous étonnez pas si le démon a voulu vous tromper sous des apparences, et en vous poussant a punir de leurs défauts les mauvais pasteurs. Ne croyez pas le démon, et ne faites pas justice de ce qui ne vous regarde pas. Notre Seigneur le défend, il a dit qu'ils étaient ses oints; il ne veut pas qu'aucune créature exerce une justice qu'il se réserve à lui-même. Combien serait coupable le serviteur qui voudrait prendre des mains du juge le pouvoir de faire justice du malfaiteur ! Cela ne le regarde pas : c'est au juge d'agir [528]. Et si nous disons: Le juge ne le fait pas, n'est-il pas bien que je le fasse? Non, car tu en serais repris, comme tu serais condamné si tu tuais quelqu'un qui le mériterait. La loi n'excuserait pas la bonne intention de délivrer la terre d'un malfaiteur. La loi et la raison s’y opposent, lors même que le juge serait mauvais, et ne rendrait pas ta justice comme toi. Tu dois laisser punir le souverain Juge; il ne laisse jamais passer les injustices et les fautes, qui sont punies en leur lieu et on leur temps, surtout au me ment de la mort, lorsque se dissipent les ténèbres de la vie; alors tout bien est récompensé, tout mal est puni.

7. Oui, je vous dis, mon très cher Père et Frère dans le Christ, le doux Jésus, Dieu veut que ni vous ni les autres, vous ne vous fassiez les justiciers de ses ministres (Barnabé s’immisçait dans les affaires de l'Eglise, et mettait ses ministres en prison pour pouvoir s'emparer de leurs biens.). Il s'est réservé ce droit, et il l'a confié à son Vicaire; et si ce Vicaire ne l'exerce pas (il doit le faire, et il fait mal s'il ne le fait pas), nous devons attendre humblement la sentence et la punition du souverain Juge, du Dieu éternel. Et si les coupables nous enlèvent nos biens, nous devons préférer perdre les choses temporelles et la vie du corps que les choses spirituelles et la vie de la grâce. Car les choses de la terre sont finies, tandis que la grâce de Dieu est infinie, puisqu'elle nous donne un bien infini, et on la perdant nous tombons dans un mal infini. Pensez que vos bonnes intentions ne vous [528] excuseront pas devant Dieu et sa loi, et que vous encourrez la mort éternelle. Je ne veux pas que vous tombiez jamais dans cette infortune. Je vous le dis, et je vous en conjure, au nom de Jésus crucifié, ne vous mêlez plus de ces affaires. Conservez en paix vos villes, punissez vos sujets quand ils commettent quelque crime; mais ne jugez pas ceux qui sont les ministres du glorieux et précieux Sang. C'est par leurs mains seulement que vous pouvez le recevoir, et si vous ne le recevez pas, vous ne jouirez pas du fruit du Sang; et vous serez comme un membre gâté, retranché du corps de la sainte Église.

8. Ne le faites plus, mon Père, je vous le demande humblement. Appuyons la tête sur le sein du Christ qui est au ciel, par l'amour et sur le sein du Christ qui tient sa place sur la terre, par respect du précieux Sang, dont il porte les clefs. A qui il ouvre, il est ouvert; à qui il ferme, il est fermé. Il a la puissance, l'autorité, et personne ne peut la lui retirer des mains, parce qu’elle lui a été donnée par la Vérité suprême. Parmi les choses qu'il punit, celle qui déplaît le plus à Dieu, c'est de voir toucher à ses ministres, quelque mauvais qu'ils soient. Ne croyez pas, parce qu'il nous semble que le Christ paraisse ne rien voir en cette vie, qu'il ne punisse pas dans l'autre. Quand l'âme sera dépouillée de son corps, il sera bien prouvé qu'il a tout vu (Barnabé vit la vérité au moment de la mort, comme sainte Catherine le lui avait prédit. Il se repentit, et répétait sans cesse dans son agonie : Cor meum contritum et humiliatum, Deus meus, ne despicias.). Ainsi donc, je veux que vous soyez le fils fidèle de la sainte Église [529], en vous baignant dans le sang de Jésus crucifié. Alors vous serez un membre uni à la sainte Église, et non pas un membre corrompu. Vous recevrez tant de force et de liberté, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous en priver. Vous serez délivré de l'esclavage du péché mortel et de la révolte contre la sainte Église; vous serez fort de la force de la grâce, qui habitera en vous, et vous serez uni à votre Père. Je vous conjure d'accomplir parfaitement cette union, et de ne pas tarder davantage.

9. Mais comment nous vengerons-nous du temps que vous en avez été séparé? Pour cela, mon Père, il me semble que voici bientôt l'occasion d'en tirer une bonne et douce vengeance. Vous avez exposé votre vie et vos biens en combattant contre votre Père; je vous invite maintenant, de la part de Jésus crucifié, à la paix véritable et parfaite avec le Christ de la terre, qui est un père indulgent, et à la guerre contre les infidèles, étant prêt à sacrifier votre vie et votre fortune pour Jésus crucifié. Préparez-vous à cette douce vengeance. Il faut secourir celui que vous avez combattu, lorsque le Saint-Père lèvera l'étendard de la très sainte Croix c'est là son grand désir et sa volonté. Je veux que vous soyez le premier à solliciter et à presser le Saint-Père pour qu'il accomplisse bientôt son dessein. Quelle honte pour les chrétiens de laisser posséder par les méchants infidèles, ce qui nous appartient de droit Et nous nous conduisons comme des insensés; nous combattons contre nous-mêmes, nous sommes divisés les uns les autres par la haine et la rancune, tandis que nous devrions être unis dans les liens d'une divine et [530] ardente charité. Ces liens sont si forts, qu'ils ont tenu l'Homme-Dieu enchaîné et cloué sur l'arbre de la très sainte Croix.

10. Oui, mon Père, pour l'amour de Dieu, augmentez le feu de votre désir Ca voulant donner votre vie pour Jésus crucifié, votre sang pour amour de son sang. Oh ! combien serait heureuse votre âme, et la mienne aussi, qui aime tant votre salut, si je vous voyais donner votre vie pour le nom du doux et bon Jésus Je prie la souveraine et éternelle Bonté de nous rendre dignes du bonheur de lui sacrifier notre vie. Courez donc généreusement accomplir de grandes choses pour Dieu et l'exaltation de la sainte Église, comme vous en avez fait pour le monde et contre elle. Vous participerez ainsi au sang du Fils de Dieu. Répondez à la voix et à la clémence du Saint. Esprit, qui vous appelle si doucement, et qui inspire aux serviteurs de Dieu de crier vers lui pour vous obtenir la vie de la grâce. Pensez, mon Père, que les larmes et les sueurs que la Bonté divine a fait répandre à ses serviteurs, pourraient vous laver de la tête aux pieds. Ne les méprisez pas, et ne soyez pas ingrat de tant de grâces. Voyez combien Dieu vous aime; votre langue ne pourrait raconter, votre cœur sentir et vos yeux apercevoir toutes les grâces qu'il a répandues sur vous, pour que vous vous disposiez à affranchir la cité de votre âme de la servitude du péché mortel. Soyez reconnaissant et non pas ingrat, pour ne pas tarir en vous la source de la miséricorde. Je ne vous en dis pas davantage. Soyez, soyez fidèle, humiliez-vous sous la main puissante de Dieu, aimez et craignez Jésus crucifié. Préparez-vous a mourir [531] pour Jésus crucifié. Pardonnez à mon ignorance et à ma présomption, si j’ai beaucoup parlé; mais l'amour que j'ai pour le salut de votre âme doit me servir d’excuse. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Quant à ce que m'a demandé votre serviteur, qui est venu de votre part (Le texte est incomplet. On ignore l'affaire que le seigneur de Milan avait à traiter avec la pauvre fille du teinturier de Sienne.), etc. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

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