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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 78 à 91




LXXVIII (32). - A L'ARCHEVEQUE DE PISE.- A l'exemple de Jésus-Christ nous devons corriger avec zèle et justice les défauts de ceux qui nous sont soumis, sans jamais craindre les persécutions et la mort.

(François Moricotto, neveu d'Urbain VI, fut archevêque de Pise depuis 1373 jusqu'en 1378, époque a laquelle il fut nommé cardinal et vice-chancelier de la sainte Église. Il mourut à Assise en 1395.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un bon pasteur, si plein de zèle et d'ardeur, que vous soyez prêt à donner votre vie pour vos brebis, à l’exemple de la Vérité suprême, le Christ Jésus, qui,pour l'honneur de son Père et pour notre salut, courut à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. Vous, très cher Père, suivez ses traces, pour détruire les vices et planter les vertus dans les âmes de ceux qui vous sont soumis, sans craindre les peines, les opprobres, les mépris, les injures, la faim, la soif et toutes les persécutions que le monde ou le démon peuvent vous faire; mais reprenez vos sujets avec courage et avec un ardent désir de leur salut; ayez toujours l'oeil sur eux; faites au moins tout votre possible, et ne paraissez pas ne pas les voir. Il ne faut pas agir ainsi, mais il faut voir nos défauts et ceux de notre prochain [546], non pour murmurer et porter de faux jugements, mais pour en avoir une vraie et sainte compassion, et les porter devant Dieu avec larmes et gémissements, à cause de l'offense qui est commise et de la perte de l'âme.

2. C'est ainsi que doit faire toute créature raisonnable à l'égard de son prochain; mais vous y êtes bien plus obligés, vous et les autres prélats de

sainte Église; vous devez en avoir compassion, et les punir lorsqu'il le faut, et que vous trouvez des fautes à reprendre. Hélas ! ne tardez plus, car par le défaut de correction, les vertus et la vie de la grâce sont mortes dans l'âme, les vices et l'amour-propre s'y développent, et le monde périt; il est toujours malade d'une maladie mortelle. L'homme est couvert de blessures et d'infirmités, et les médecins qui les soignent, c’est-à-dire les prélats, ont employé tant d'onguent, que les plaies sont toutes corrompues. Non, plus d'onguent, pour l’amour de Dieu; mais servez-vous un peu du feu, brûlant et détruisant le vice par une sainte et vraie justice, toujours unie à la miséricorde. Ce sera une grande miséricorde de punir et de reprendre les vices. La plus grande cruauté que puisse commettre quelqu'un qui soigne un malade, c'est de lui donner des choses nuisibles. Oh ! pour l'amour de Jésus crucifié, ne dormez plus; réveillez-vous par le feu de l'amour et de la haine, par la douleur de l'offense de Dieu. Faites au moins tout votre possible; quand vous l'aurez fait, vous serez excusé devant Dieu. Je sais bien que vous ne pouvez tout voir; mais servez-vous des serviteurs de Dieu, qui vous aideront à voir. Il ne faut rien négliger [547] jusqu'à la mort, pour l'amour de notre Sauveur, n'ayez aucune crainte, aucun amour servile; car si cela était, vous exposeriez votre âme au danger et à la perte de son salut. Il faut consentir à perdre la vie du corps, et la mettre toujours en ligne de compte. Si vous le faites, vous montrerez que vous êtes l'ami et le disciple fidèle de Jésus crucifié.

3. Vous, pasteur, vous avez appris la règle et la doctrine du bon Pasteur qui a donné sa vie pour nous; et je vous ai dit que je désirais vous voir bon pasteur, car c'est la seule route que je voie pour votre salut et celui du troupeau. A ce sujet, je ne vous dirai autre chose que de vous cacher sous les ailes d'une humilité sincère, de la haine et du regret du péché, sous les ailes d'une ardente charité, soutenant les âmes par les dons et les grâces spirituelles et les corps par les secours temporels, nourrissant les pauvres selon leurs nécessités. Vous savez que vous êtes père; nourrissez donc vos enfants comme un père.

4. J'ai appris par la lettre du prieur de Sainte-Catherine que vous avez fait un changement dans le costume des religieuses dominicaines de Sainte-Catherine (Les sœurs du tiers ordre recevaient leur habit religieux des mains du prieur de Sainte-Catherine. L’interdit dont Florence fut frappée par Grégoire XI s’étendit à plusieurs villes de la Toscane.), et vous voulez qu'elles observent l'interdit en disant que le privilège qu'elles ont ne vaut rien. Je vous assure qu'il est bon; j'en ai fait voir la copie, quand je suis allée trouver le Saint-Père à Avignon, et il l'a reconnu avant d'obtenir le privilège qu'il me [548]

donna. Aussi je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, de ne pas leur causer ce chagrin. Appliquez-vous aux choses que vous avez à faire et que votre charge exige; mais ne vous tourmentez pas de celle-là, pour l'amour de Dieu. Croyez-moi, très cher Père, s'il en était autrement, je ne vous ferais pas cette prière; je ne voudrais pas, en la moindre chose, vous faire transgresser les ordres que vous avez reçus du Saint-Père ; je serais au contraire avec vous pour m'y opposer. Je vous prie de me faire cette grâce et cette miséricorde. Je ne vous demande et ne vous demanderai jamais rien qui soit opposé au devoir. Je finis. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, afin que le feu de l'amour que vous trouverez dans ce sang consume toute la froideur et attendrisse toute la dureté de votre cœur et de votre âme. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 











LXXIX (33). - A L'ARCHEVEQUE D'OTRANTE.- De la lumière nécessaire à l’âme pour suivre la voie de Jésus-Christ. - Du secours que nous devons chercher dans la Croix; c'est par elle que nous acquérons la force contre nos ennemis.

(Jacques d'Itri était Italien, et non pas Français, comme le pensent quelques auteurs. Il fut évêque d'lschia en1359, archevêque d'Otrante un 1363, et le Pape Grégoire XI lui donna, le 18 janvier 1376, le titre de patriarche de Constantinople. Il suivit malheureusement le parti opposé a Urbain VI. L'antipape Clément VII le nomma cardinal et son légat auprès de la reine de Naples. Charles Durazzo le fit jeter en prison, où il mourut misérablement. La lettre de sainte Catherine lui fut adressée vers la fin de 1375.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Mon très cher et révérend Père dans le Christ, Jésus, votre indigne petite fille Catherine, la servante [549] et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ,vous écrit dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un pasteur bon et fidèle au Christ Jésus, avec la lumière et la connaissance de sa bonté. Vous savez que celui qui pendant la nuit marche avec la lumière ne s'égare pas: de même l'âme qui est éclairée de Dieu ne peut se perdre, parce qu'elle ouvre l'oeil de l'intelligence et de la raison, et qu'elle regarde la route que prend son doux Maître; et dès qu'elle l'a reconnue, par le désir et la volonté qu'elle a de suivre le maître, elle court avec zèle et sans négligence. Elle ne s'arrête pas à tourner la tête en arrière, c’est-à-dire à se regarder elle-même. Elle se voit dans la connaissance de ses péchés et de ses défauts; elle confesse qu'elle n'est rien par elle-même, et elle reconnaît en elle l'infinie bonté de Dieu, qui lui a donné tout son être. Cette connaissance doit toujours l'attacher, la fixer; mais je dis qu'elle ne doit pas se détourner vers elle-même par l'amour-propre et le plaisir qu'elle trouve dans la créature. Je dis que l'âme qui est éclairée de la vraie lumière ne se détourne pas ainsi; mais, dès qu'elle s'est vue et qu'elle a trouvé la bonté de Dieu, elle marche par toutes les voies et les moyens du doux Jésus et des saints qui l'ont suivi; elle prend Jésus pour son modèle. Elle aime, elle désire tant suivre la voie droite [550] pour arriver à son objet et à sa douce fin, qu'elle ne s'inquiète pas des épines des tribulations qui se rencontrent et des voleurs qui voudraient la dépouiller; elle. ne craint rien, et ne veut jamais retourner en arrière. L'amour a éloigné toute crainte servile; elle marche sur les traces de ceux qui ont suivi le Christ; elle voit bien et elle connaît qu'ils étaient des hommes comme elle, nés et nourris de la même manière, et que la bonté inépuisable de Dieu n'a pas changé.

2. C'est de cette vraie lumière et de cette connaissance que mon âme désire vous voir rempli, vous, mon Pasteur et mon Père, dans les flammes impétueuses de l'amour, afin que ni les plaisirs, ni les délices, ni la fortune, ni les honneurs du monde ne puissent obscurcir cette lumière, et que les épines, les tribulations et les voleurs ne vous empêchent jamais de suivre cette douce voie. Ayons toujours les yeux fixés sur le Verbe incarné, le Fils unique de Dieu, qui a été la voie et la règle dont l'observation nous donne toujours la vie. Hélas ! mon Père, je ne voudrais pas que les tentations et les illusions du démon fussent comme des épines qui nous empêchent d'avancer. Que ce ne soit pas non plus le fardeau de notre chair, qui combat toujours et se révolte contre l'esprit : c'est un ennemi pervers dont nous ne pouvons jamais nous défaire, et qui vient toujours avec nous. Que ce ne soit pas ces voleurs et ces démons incarnés dans les créatures qui veulent souvent nous ravir l'honneur et la patience par les injures et les persécutions qu'ils nous font. Souvent les hommes remplissent l’office des démons en s'opposant aux saintes et bonnes résolutions que leur prochain aurait et accomplirait [551] pour l'honneur de Dieu. Le mal qu'ils font eux-mêmes ne leur suffit pas, ils voudraient en faire dans les autres. Persévérons donc avec courage dans notre voie, et prenons confiance, car nous pourrons tout par Jésus crucifié.

3. Je me réjouis et je tressaille d'allégresse en considérant les armes puissantes que Dieu nous a données et la faiblesse de nos ennemis. Vous savez bien que ni le démon ni les créatures ne peuvent contraindre la volonté au moindre péché. La volonté est une main si puissante, lorsqu'elle est armée du glaive à deux tranchants de la haine et de l'amour, qu'aucun ennemi n'est assez fort pour lui résister; il sera frappé et renversé par terre. O ineffable et très ardente charité, les chevaliers que vous conduisez au combat peuvent combattre avec courage, surtout vos pasteurs, qui sont plus exposés et qui ont plus à faire que les autres ; vous leur avez donné la cuirasse de la volonté, qui est si forte qu'aucun coup ne peut lui nuire, car elle a tout ce qu'il faut pour résister et se défendre. Mais que l'âme prenne garde de laisser tomber entre les mains de l'ennemi le glaive de la haine et de l'amour que Dieu lui a donné. Sa cuirasse perdrait alors sa force, et deviendrait molle; car je vois que ni le démon ni la créature ne peuvent jamais me tuer qu'avec le glaive qui me sert à les vaincre, et ce n'est qu'en le leur donnant qu'ils me feront périr. Qu'est-ce qui tue le vice, le péché? C'est la haine et l'amour: la haine que j'ai conçue contre lui, et l'amour que j'ai conçu en Dieu pour la vertu. Si le démon et la sensualité veulent changer cette haine et cet amour, c’est-à-dire vous faire haïr les choses qui [552] sont en Dieu, et aimer les sens qui se révoltent contre lui, ils ne le pourront pas, si la main. puissante de la volonté s'y oppose; mais si elle s'y prête, elle se tue elle-même. Il faut considérer combien cela déplaît à Dieu, et nuit à nous-mêmes. Vous savez, mon Père, qu'étant pasteur, ce serait un malheur non pas seulement pour nous, mais encore pour tous ceux qui vous sont soumis. Tout ce que vous avez à faire pour vous et pour la douce Épouse du Christ, la sainte Eglise, y rencontrerait un grand obstacle.

4. Du courage donc; ne dormez plus, levez l'étendard de la très sainte Croix. Regardons l'Agneau percé pour nous, qui verse son sang de toutes les parties de son corps. O doux Jésus, qui vous a pressé de le verser en si grande abondance? Il nous répond que c'est son amour pour nous et sa haine pour le péché, qui lui a fait donner ce sang bouillant du feu de sa charité. Appuyons-nous sur cet arbre, et suivons la voie droite qu'il nous montre. Nous avons bien sujet de nous réjouir, car tous nos ennemis sont devenus faibles et infirmes par ce doux fils de Marie, le Fils unique de Dieu. Le démon est affaibli ; il ne peut plus conserver sa puissance sur l'homme, il l'a perdue. Notre chair, que le Fils de Dieu a revêtue, a été flagellée par les opprobres, les violences, les mépris, les outrages; et quand l'âme regarde cette chair divine, elle doit sur-le-champ arrêter et éloigner toute révolte intérieure. Les louanges des hommes ou leurs injures ne seront rien pour elle, lorsqu'elle regardera le doux Jésus, que les injures, que notre ingratitude et nos fautes n'ont pas empêché d'obéir pour l'honneur de son Père et pour notre salut. La [553] gloire du monde a été vaincue par le désir et l'amour de la gloire de Dieu.

5. Courez donc par cette voie; soyez avide, affamé du salut des âmes, à l'exemple de la Vérité suprême, du bon Pasteur, qui a donné sa vie pour son troupeau. Oui, soyez plein de zèle pour l'honneur et l'exaltation de la Sainte Eglise; ne craignez rien de ce qui est ou de ce qui peut arriver, car tout cela n'est qu'une illusion du démon, qui veut empêcher les saintes et bonnes résolutions. Quoiqu'il n'ait pas réussi dés le commencement, il s'obstine dans le mal. Encouragez et fortifiez notre Saint-Père; ne craignez rien, agissez avec vigueur, et vous renverserez les obstacles. Faites-moi bien voir que vous êtes une colonne ferme, qu'aucun vent ne peut jamais ébranler. Parlez hardiment et sans crainte, et dites la vérité sur tout ce qui vous paraît intéresser la gloire de Dieu et la réforme de la sainte Église. Nous n'avons qu'une vie, et nous devons l'exposer s'il le faut à mille morts, aux souffrances et aux coups pour l’amour du Christ, qui s'est sacrifié avec tant d'ardeur pour l'honneur de son Père et pour notre salut. Je m'arrête, mon Père, car je n'en finirais pas. J'ai eu une grande joie des bonnes nouvelles que vous me donnez de l'arrivée du Christ de la terre, et du commencement de la croisade. Que ce qui est arrivé ne soit pas une cause de refroidissement et de crainte pour vous et pour le Saint-Père (Sainte Catherine veut parler de la révolte de presque tous les Etats de l’Eglise et de la guerre contre la république de Florence.); les choses se feront par ce qui leur semble le plus contraire [554].

6. J'ai appris que le Maître de notre Ordre devait être nommé cardinal (Le Maître général de l'Ordre était alors frère Élie de Toulouse. Il ne fut pas nommé cardinal, et continua à gouverner l'Ordre jusqu'en 1380, époque à laquelle il fut déposé pour avoir suivi le parti de Clément VII. Il mourut en 1390. Le B. Raynond de Capoue lui succéda.) . Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, de prendre les intérêts de l'Ordre, et de prier le Christ de la terre de nous donner un bon vicaire. Je voudrais que vous parliez de maître Etienne de la Combe, qui a été procureur de l'Ordre et de la province de Toulouse. Je crois que, s'il était choisi, ce serait un grand avantage pour la gloire de Dieu et pour notre Ordre, Car il me semble que c'est un homme vertueux, énergique et sans crainte; nous avons maintenant besoin d'un médecin qui n'ait pas peur, et qui use du fer de la sainte et droite justice; car on s'est tant servi d'onguent jusqu'à présent, que tout les membres sont pour ainsi dire corrompus. Je n'ai pas écrit au Saint-Père à ce sujet, et je ne le lui ai pas désigné; mais je l’ai prié qu'il nous en donnât un bon, et qu'il s'en entretînt avec vous et avec Mgr Nicolas d'Osimo.

7. Si vous croyez que pour cela ou pour autre chose, Frère Raymond puisse vous être utile, écrivez-lui, et il se rendra aussitôt à vos ordres. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Gérard de Bonconti vous offre ses respects, ainsi que ma mère, comme à son cher Père, tout en s'en reconnaissant indigne. Doux Jésus, Jésus amour [555].

Table des Matières
 









LXXX (34) - A MONSEIGNEUR ANGE, évêque nommé de Castello.- Elle désire le voir éclairé de la vraie et parfaite lumière pour connaître et aimer la vérité.- De la constance, de la prudence et des autres vertus qui viennent de la vraie lumière et de la connaissance de la vérité. - Du malheur de l'âme qui en est privée. - De l’obligation qu'ont les ministres de la sainte Église de procurer le salut des âmes. - Elle l'exhorte à reprendre les vices de ceux qui lui sont soumis, à l'exemple de Jésus-Christ et des anciens prélats, et a faire naître en eux les vraies vertus, surtout dans un temps si désastreux pour l'Église. - Elle le prie d'annoncer que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.

(Ange Corraro, noble vénitien, fut nommé évêque de Castello en 1378 : Castello est un des quartiers de Venise dont les évêques de cette ville prirent le titre jusqu'à l'extinction des patriarches de Grado, en 1451. Il fut élu Pape après la mort d'Innocent VII, et prit le nom de Grégoire XII. Il abdiqua, à la suite du concile de Constance, en 1415, et mourut en 1417. Il avait une grande dévotion pour sainte Catherine de Sienne, et portait toujours à son cou, dans un reliquaire, une de ses dents qu'il avait obtenue du B. Maconi. Il voulait commencer le procès de sa canonisation, mais il en fut empêché par les embarras du schisme.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé d'une vraie et parfaite lumière, afin que dans la lumière de Dieu vous [556] voyiez la lumière; car en la voyant, vous connaîtrez la Vérité; en la connaissant, vous l'aimerez, et ainsi vous serez l'époux de la Vérité (Dialogue. Ch XCVIII).

2. Sans cette lumière, nous marcherons dans les ténèbres; nous ne serons pas les époux fidèles, mais infidèles de la Vérité; car cette lumière est le moyen qui rend l'âme fidèle; elle l'éloigne du mensonge, de la sensualité, et elle lui fait suivre la doctrine de Jésus crucifié, qui est la Vérité même; elle rend le cœur ferme, solide, invariable, ne tombant pas dans l'impatience par l'épreuve, ni dans une joie déréglée par la consolation; il est toujours calme et mesuré dans sa conduite. Toutes ses actions sont faites avec prudence et avec la lumière de la discrétion. Comme il agit prudemment, il parle prudemment, il se tait prudemment, il aime mieux écouter quand il le faut que parler sans besoin. Pourquoi? parce que, avec la lumière, il a vu dans la lumière, que Dieu l'éternel aime peu de paroles et beaucoup d’œuvres (Dialogue ch XI). Sans la lumière, il ne l'aurait pas connu, et il aurait fait le contraire, parlant beaucoup et agissant peu. Son cœur irait au gré du vent; léger dans la joie par la vanité d'esprit, il se laisserait abattre par la tristesse dans l'affliction. Ceux qui sont privés de cette lumière dans le malheur, sont exposés à tomber.

3. Celui qui, dans la lumière de l'éternelle Vérité, a vu la lumière, est capable d'arriver à une grande perfection, et il y arrive en s'exerçant avec zèle à la [557] haine de lui-même et à l'amour de la vertu, il ne le peut pas autrement. Si sa vie devient imparfaite et corrompue, toutes ses actions le seront aussi; de la raison il fera une servante, et de la sensualité une maîtresse. Tout ce que Dieu lui donne lui deviendra un poison. Dans quelque état qu'il se trouve, il ne rend pas à Dieu ce qui lui est dû, pas plus qu'au prochain et à lui-même. Il ne rend pas à Dieu l'hommage d'un amour sincère et désintéressé, en l'aimant parce qu'il est digne d'être aimé, et qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté. Il ne se rend pas la haine qu'il se doit en détestant sa sensualité et en pleurant ses fautes passées et présentes, regrettant plus l'offense faite à Dieu que la peine qui doit punir la faute. Il ne rend pas au prochain ce sentiment qui le porte à l'aimer autant que lui-même, à le servir, à l'aider selon son pouvoir pour le Sauver des mains du démon. Celui-là ne se nourrit pas, à la table d'un ardent désir, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes. Dieu exige cependant que nous y prenions tous cette nourriture; mais il l'exige surtout des pasteurs de la Sainte Église, auxquels il a confié le soin des âmes.

4. Ils doivent être de vrais pasteurs, à la suite du bon et saint Pasteur qui a offert et donné sa vie pour ses brebis, et qui, par le supplice de la Croix, a satisfait à l'obéissance de son Père et à notre salut. Jamais il n'a refusé le travail et la fatigue; jamais le désir qu'il avait de notre salut n'a été refroidi ni par le démon, ni par les Juifs qui criaient: " Descends de la Croix, " ni par notre ingratitude : nous devons suivre ses traces. C'est à cela que je vous invite, mon très [558] cher Père. Dieu vous a mis depuis peu dans le jardin de la sainte Église; il vous a donné la charge des âmes afin que vous fassiez comme faisaient les doux et saints pasteurs, quand, autrefois, l’Église de Dieu était riche d'hommes vertueux, qui contemplaient la Vérité à la lumière de l'intelligence, au lieu de rechercher les plaisirs, les richesses, le luxe de leur maison, une suite nombreuse et de beaux équipages, comme le font aujourd'hui ceux qui se plongent tellement dans ces choses et dans ces défauts, qu'ils n'ont plus soin des âmes. Je dis qu'ils n'agissaient point ainsi, mais qu'ils prenaient pour modèle jésus crucifié; ils connaissaient par la lumière la faim que le doux Verbe avait pour notre salut, et ils se passionnaient tellement pour lui, que souffrir et donner leur vie était pour eux une grande joie. Leurs amis étaient les pauvres, leur richesse l'amour de Dieu, le salut de leurs brebis et l'exaltation de la sainte Église. Ils ne cessaient jamais d'offrir à Dieu de tendres et ardents désirs, et ils enseignaient la doctrine par l'exemple d'une bonne et sainte vie. Lorsque leur puissance augmentait, ils n'en ressentaient pas d'orgueil, mais ils s'humiliaient plus profondément, parce que la lumière qu'ils avaient leur faisait baisser la tête à la vue du fardeau et de la responsabilité que leur donnait le soin des âmes.

5. Maintenant les besoins sont bien plus grands que dans les temps anciens. Jamais l'Église de Dieu n'a eu plus besoin de secours; jamais le monde n'a été plus rempli de vices; tout est corrompu, et on ne trouve à reposer sa tête qu'en Jésus crucifié. Je ne veux pas que vous laissiez refroidir le saint désir [559]

que vous avez et que vous devez av6ir de remplir les obligations de votre charge. Ne vous laissez pas tromper par le démon, qui voudrait vous faire croire qu'il vaut mieux vivre comme les autres, et que ce n'est pas le moment de corriger les vices de ceux qui vous sont soumis, surtout les débauches honteuses qui se trouvent parmi les clercs. Vous serez un démon, si vous oubliez la volonté de Dieu pour obéir à la sienne; si vous écoutez la créature qui vous dit : Descends de cette Croix, évite ces difficultés qui te causeront des peines, et peut-être la mort. Si tu ne dis rien, les hommes seront pour toi, et tu jouiras en paix de ton bénéfice. Ah! qu'une sainte crainte réponde à la crainte servile et aux créatures, qui veulent ainsi effrayer la sensualité. Ne suis-je pas sujet à la mort? Mais n'en puis-je pas rappeler? Si, assurément, au jour de la résurrection. Mais la mort éternelle, que je mériterais en agissant ainsi, je ne puis pas y remédier, et il s'y joindrait le supplice de mon corps au jour de la résurrection. Il vaut donc mieux donner sa vie, suivre Jésus crucifié, et croire avec une foi vive en Celui par qui tout est possible.

6. Je ne veux pas que l'ingratitude de ceux qui vous sont confiés vous empêche de les secourir et de travailler à leur salut autant que vous le pourrez. Soyez un vrai et parfait jardinier qui arrache les vices et plante les vertus dans ce jardin; c'est pour cela que Dieu vous a appelé et choisi; accomplissez donc avec courage votre devoir. Je suis persuadée que si vous avez la lumière, vous le remplirez parfaitement, mais pas autrement; et c'est pour cela que je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé [560] d'une vraie et parfaite lumière. Je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié et de Marie, sa douce Mère, de vous appliquer à accomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir, et alors mon âme s'estimera bien heureuse. Ce n'est plus le temps de dormir; il faut secouer le sommeil de la négligence et sortir de l'aveuglement de l'ignorance, pour épouser véritablement la vérité avec l'anneau de la sainte Foi, en ne la taisant plus par crainte, mais en étant toujours généreux, et prêt à donner sa vie, s'il le faut. Il faut s'enivrer du sang de l'humble Agneau sans tache, et se nourrir sur le sein de sa douce Épouse, de la sainte Église, que nous voyons toute démembrée. Mais j'espère dans la souveraine et éternelle bonté de Dieu, qu'il rendra ses membres sains, en guérissant leur infirmité et en purifiant leur corruption; cela se fera par les efforts des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment la vérité au milieu des peines, des sueurs, des larmes, et d'une humble, continuelle et fidèle prière. Je ne vous en dis pas davantage. Fortifiez-vous sur la Croix avec le Christ, le doux Jésus. Je me recommande humblement à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

7. Soyez l’apôtre de la vérité dans cette ville ; proclamez courageusement que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife, et appliquez-vous sans cesse à maintenir les fidèles dans la foi, l’obéissance et le respect de la sainte Eglise et de Sa Sainteté [561].

Table des Matières
 
 









LXXXI (35). A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI, évêque de Florence.- Elle l'exhorte à fuir la négligence et l’amour-propre, à l’exemple des anciens évêques, et à se revêtir de la vraie charité, de l'humilité et des autres vertus.

(Ange de Ricasoli monta sur le siège de Florence en 1370, et mourut évêque d'Arrezzo en 1380.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave de Dieu, la vôtre et celle de tous les serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux Sang, répandu avec un si ardent amour pour nous. Quelle que soit ma présomption, vous me pardonnerez et vous m'excuserez à cause de l'amour et du désir que j'ai, pauvre misérable, de votre salut, de celui de toutes les créatures, mais surtout du vôtre, car vous êtes Père de bien des brebis. Oui, je vous conjure humblement de vous réveiller, de secouer le sommeil de la négligence, et d'imiter le doux Maître de la Vérité, qui a. donné sa vie, comme un bon pasteur, pour les brebis qui obéissent à sa voix, pour celles qui observent ses commandements. Si vous disiez dans votre cœur : Je ne puis imiter cette perfection, parce que je me sens faible, fragile, imparfait, sans cesse exposé aux illusions du démon, aux faiblesses de la chair, aux tentations et aux erreurs du monde; il est bien vrai, mon Révérend Père, que [562] celui qui suit cette route devient faible et si peureux, si plein de crainte servile, qu'il redoute comme un enfant son ombre, et encore plus l'ombre des créatures que son ombre; et cette crainte est si grande en lui, que, pour ne pas déplaire aux créatures et perdre sa position, il ne regarde pas s'il a offensé ou s'il offense son Créateur.

2. Celui qui est prudent et Sage, au contraire, se réfugie comme un enfant près de sa mère, et dès qu'il est dans son sein il se rassure et perd toute crainte. L'infinie Bonté nous donne un remède à toutes nos faiblesses dans son ineffable charité; car elle est cette tendre Mère qui nourrit avec l'humilité; elle donne à ses enfants toutes les vertus; aucune vertu ne peut avoir la vie, si elle n’est conçue et enfantée par la charité, sa mère. C'est ce que dit l'ardent saint Paul, lorsqu'il déclare que toutes les vertus ne sont rien sans la charité (1Co 13,3). Suivez donc ces vrais pasteurs qui ont suivi le Christ; car ils ont été hommes comme vous, et Dieu est puissant comme il l'était alors, puisqu'il ne change jamais. Mais ils suivaient les traces de Jésus-Christ, ils connaissaient leur faiblesse, ils se réfugiaient dans l'humilité pour vaincre l'orgueil de la gloire et l'amour d'eux-mêmes; ils se jetaient dans les bras de la charité, leur mère, et là ils perdaient toute crainte servile; ils ne craignaient point de reprendre ceux qui leur étaient soumis, parce qu'ils se rappelaient cette parole du Christ: " Ne craignez pas celui qui tue le corps, mais craignez-moi (Mt 10,28). " Et je [563] ne m'en étonne pas, car leurs yeux et leurs cœurs ne se repaissaient pas des choses de la terre, mais seulement de l'honneur de Dieu et du salut des créatures. Ils voulaient conserver et distribuer les grâces spirituelles et temporelles; et comme ils les avaient reçues gratuitement, ils les donnaient gratuitement, ne les vendant jamais pour de l'argent et par simonie; mais ils travaillaient comme de bons jardiniers dans le jardin de la sainte Eglise ; ils ne recherchaient pas le jeu, les beaux équipages, les grandes richesses, et ils ne dépensaient pas dans une vie coupable le bien de l’Eglise et ce qui doit appartenir aux pauvres. La charité, leur mère, les fortifiait contre les vents et les flots de la tempête, pour détruire les vices et faire naître les vertus; ils se sacrifiaient eux-mêmes, et ils obtenaient des fruits qu'ils offraient à Dieu. Ils étaient dépouillés de l'amour-propre; aussi ils aimaient Dieu pour Dieu, parce qu'il est la souveraine Bonté et qu'il est digne d'amour. Ils s'aimaient pour Dieu, lui rendaient gloire, et travaillaient pour le prochain; ils aimaient le prochain pour Dieu, ne pensant pas à l'utilité qu'ils pouvaient en recevoir, mais seulement à lui faire posséder et goûter Dieu.

3. Hélas! hélas! hélas! que mon âme est à plaindre! Ils n'agissent pas maintenant ainsi, parce qu'ils aiment d'un amour mercenaire; ils s'aiment pour eux, ils aiment Dieu pour eux et le prochain pour eux; partout abonde cet amour coupable, qu'il faudrait appeler plutôt une haine mortelle, car il enfante la mort. Hélas! je le dis on gémissant, ils ne craignent pas de souiller leur âme, d'acheter et de vendre la grâce du Saint-Esprit: ce sont des voleurs [564] qui prennent l'honneur de Dieu pour eux-mêmes. Hélas! ils ne travaillent pas à réformer les abus. Ils voient le loup infernal emporter la brebis, et ils ferment les yeux pour ne pas le voir; et ce qui les empêche de voir et d'agir, c'est l'amour-propre, qui enfante une crainte déréglée. Ils sentent qu'ils ont les mêmes vices; leur langue et leurs mains sont liées, et ils ne peuvent reprendre et corriger le mal.

4. Je ne voudrais pas qu'il en fût de même pour vous, très cher, très révérend, très doux Père dans le Christ Jésus, et je vous conjure d'être un vrai pasteur, et de donner votre vie pour votre troupeau. Je vous ai dit que je désirais d'un grand désir vous voir sortir du sommeil de la négligence, parce que celui qui dort ne voit pas, n'entend pas; et vous avez besoin de beaucoup voir, de beaucoup entendre, car vous devez rendre compté des autres, et vous êtes entouré d'ennemis, c'est-à-dire du corps, du démon et des délices du monde. L'intérêt de votre salut m'engage à vous réveiller, afin que vous suiviez à la lumière la vie et les saints exemples des vrais pasteurs. Approchez-vous donc de cette douce mère, la charité, qui ôtera de votre cœur toute crainte servile, toute froideur, et lui donnera la force, la générosité, la liberté, car Dieu est charité; et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui. Courage donc, mon Père: puisque nous voyons que la charité détruit la faiblesse et nous fortifie contre les nombreux ennemis qui nous assiègent, n'hésitons pas à entrer dans cette citadelle, en suivant la voie de la vérité et l'exemple des autres pasteurs. N'attendez pas le lendemain, mais je vous conjure, par l'amour [565] de Jésus crucifié, de réfléchir à la brièveté du temps; vous ne savez pas si vous aurez le lendemain. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand. Je finis, mon Père; pardonnez à une pauvre misérable.

5. Puisque vous êtes le père des pauvres, et que vous m’avez priée et fait promettre de m’adresser à vous pour la première aumône que j’aurais à faire, je m’adresse à vous, comme père des pauvres, et j’accomplis la promesse que je vous ai faite. Je vous dirai donc que j’ai une aumône bien pressante à faire au couvent de Sainte-Agnès, dont je vous ai parlé dans une autre lettre (Cette lettre a été perdue. Le couvent recommandé était celui de Montepulciano, fondé par sainte Agnès. Sainte Catherine aimait à aller visiter le corps de celle qui devait être sa compagne de paradis. (Vie de sainte Catherine, p. II, c. 12.). C’est une sainte communauté de bonnes religieuses qui a de grands besoins, surtout parce que le couvent, qui est hors la ville, doit être transféré à l’intérieur, à cause des troubles et des guerres. Il faudrait, pour commencer, cinquante florins d’or de la part du couvent ; la ville donnerait le reste. Je vous écris pour vous faire connaître ce besoin ; et je vous prie, je vous supplie de faire ce que vous pourrez. Que Dieu soit dans votre âme. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [566].

Table des Matières
 









LXXXII (36). - A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI. - Il faut se clouer, par le saint désir, à la très sainte Croix de Jésus-Christ, et s'embraser d'ardeur pour le salut des âmes.
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE







1. Vénérable et très cher Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je me recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir attaché et cloué par le saint désir sur le bois de la très sainte Croix, où nous trouverons l'Agneau sans tache consumé par le feu de la divine charité. Sur cet arbre, nous trouverons la source des vertus. La charité est cet arbre fertile qui fut la croix et le clou qui attacha le Fils de Dieu, car aucune autre croix, aucun autre lien n'aurait pu le retenir. Là, vous trouvez l'Agneau immolé, qui se rassasie de son Père et de notre salut; et son amour est si grand, que toutes les souffrances de son corps ne peuvent l'exprimer. O ineffable, très douce et très aimable charité, la faim et la soif insatiable que vous avez de notre salut vous fait crier: J'ai soif. La soif de votre corps avait beau être grande à cause de vos tourments, la soif de notre salut était bien plus grande. Hélas! hélas! on ne trouve à vous donner à boire que l'amertume de nos iniquités. Combien peu vous désaltèrent avec les actes généreux de leur volonté et les purs sentiments de leur cœur [567] !

2. Je vous prie, mon très doux, très cher et vénérable Père, de secouer le sommeil de la négligence. Ce n'est plus le temps de dormir, car le soleil est déjà levé, il faut donner à boire à qui le demande si doucement si vous me dites: Ma fille, je n'ai rien à lui donner, je vous dirai encore que je désire et que je veux voir attaché et cloué sur la Croix où nous trouvons l'agneau immolé qui nous donne de toute manière. Il s'est fait pour nous le vase, le vin, le serviteur. Le vase, c'est son humanité qui cache sa nature divine; le serviteur, c'est le feu, la main du Saint-Esprit, qui attache le vase sur l'arbre de la sainte Croix; le vin délicieux, c'est cette sagesse, cette parole incarnée, qui a déjoué et vaincu la malice du démon, qui s'est laissé tromper par l'appât de notre humanité. Nous ne pouvons donc dire que nous n’avons rien à lui donner; mais nous devons prendre le vin de l'ardent et ineffable désir qu'il a de notre salut, et le lui donner par le moyen de notre prochain. Oui, je vous conjure de donner, comme un bon père votre vie pour vos enfants, pour vos brebis. Ouvrez l'oeil de l’intelligence, et voyez la faim que Dieu a de la nourriture des âmes. Et alors votre âme s'emplira du feu du saint désir tellement que mille fois s'il était possible, vous donneriez votre vie pour leur salut. Rassasiez-vous donc, rassasiez-vous des âmes, car c'est la nourriture que Dieu demande, et je prie la souveraine, l'éternelle Vérité de m'accorder la grâce et la miséricorde de voir, pour l'honneur de Dieu, pour cette sainte nourriture, notre corps ouvert et immolé, comme le sien l'a été pour nous. Et alors votre âme sera heureuse, mon vénérable et très doux Père [568].

3. Je vous dirai, mon Père, que Frère Raymond n'a pas suivi vos ordres, parce qu'il en a été empêché par beaucoup d'affaires qu'il n'a pas pu laisser. Il était convenu qu'il attendrait plusieurs gentilshommes pour la croisade, et il faut qu'il les attende encore longtemps; mais il viendra le plus tôt qu'il pourra, et se mettra à votre disposition. Pardonnez-lui, et pardonnez-moi ma présomption. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 

LXXXIII
LXXXIII (37). - A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI. - Il faut servir la sainte Église sans crainte servile et sans amour-propre, et suivre la vie et l'exemple de Jésus-Christ, pour acquérir les vraies vertus. principalement la charité envers Dieu et envers le prochain.

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Très cher et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un homme fort et sans crainte, afin que vous serviez avec courage la douce Épouse du Christ, travaillant à l'honneur de Dieu, selon les circonstances où se trouve maintenant cette douce Épouse. Je suis persuadée que si l'oeil de votre intelligence se met à considérer

ses besoins, vous serez plein de zèle, et vous agirez sans crainte et sans négligence. Quand l'âme éprouve une crainte servile, aucune de ses opérations n'est [569] parfaite; et dans quelque position qu'elle se trouve, dans les petites choses, comme dans les grandes, elle ne peut réussir et conduire à la perfection ce qu'elle a commencé. Oh! que cette crainte est dangereuse i elle coupe les bras du saint désir; elle aveugle l'homme, et ne lui laisse pas voir la vérité, parce que cette crainte vient de l'aveuglement de l'amour-propre. Aussitôt que la créature raisonnable s'aime d'un amour-propre sensitif, elle craint; et la cause de sa crainte, c'est qu'elle a placé son amour et son espérance dans des choses fragiles, qui n'ont aucune force, aucune durée, et qui passent comme le vent. O perversité d'amour, que tu es dangereuse aux maîtres spirituels et temporels et à ceux qui leur obéissent! Si c'est un prélat, il ne corrigera jamais les abus, parce qu'il craint de perdre son pouvoir et de déplaire à ses inférieurs. Il en est de même de ceux qui obéissent; l'humilité ne peut pas être en celui qui s'aime d'un pareil amour, et l'orgueil y naît alors. L'orgueil n'est jamais obéissant; s'il commande; il n'observe pas la justice, il l'exerce d'une manière fausse et coupable, selon son caprice ou le caprice des créatures. Et à cause de ce défaut de sévérité et de justice, les inférieurs deviennent plus mauvais, parce qu'ils s’entretiennent dans leurs vices et leurs malices.

2. Puisque l'amour-propre et la crainte servile sont si dangereux, il faut les fuir, il faut fixer l'oeil de l'intelligence sur l'Agneau sans tache, qui est notre règle, notre doctrine; nous devons le suivre, parce qu'il est amour et vérité, et qu'il n'a cherché autre chose que la gloire de son Père et notre salut. Il ne [570] craignait ni les Juifs ni leurs persécutions, ni la malice des démons ni la honte, le mépris, les outrages, il ne craignit pas enfin la mort ignominieuse de la Croix. Nous sommes les disciples de cette bonne et douce école. Je veux donc mon très doux et très cher Père, qu'avec un grand zèle et une grande prudence, vous ouvriez l'oeil de l'intelligence sur ce livre de vie, qui vous offre une si précieuse doctrine, et que vous ne vous occupiez que de la gloire de Dieu, du salut des âmes et du service de la douce Épouse du Christ. Par sa lumière, vous vous dépouillerez de l'amour-propre, et vous vous revêtirez de l'amour divin; cherchez Dieu pour son infinie bonté, parce qu'il est digne d'être cherché, d'être aimé de nous. Vous vous aimerez, vous aimerez la vertu, vous détesterez le vice pour Dieu; et du même amour, vous aimerez votre prochain.

3. Vous voyez bien que la divine Bonté vous a placé dans le corps mystique de la sainte Église, et vous a nourri sur le sein de sa douce Épouse pour que vous vous nourrissiez, sur la table de la très sainte Croix, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et elle ne veut pas que vous mangiez autre part que sur la Croix, supportant les fatigues corporelles avec d'ardents désirs, comme l'a fait le Fils de Dieu, qui a souffert à la fois les tourments du corps et les angoisses du désir. Et la croix du désir était plus pénible que celle où il était attaché. Son désir était la faim de notre salut, pour accomplir la volonté de son Père; c'est ce qui le fit souffrir jusqu’à ce qu'il l’eût accomplie. Et comme il est la Sagesse du Père, il voyait ceux qui profitaient de son sang [571] et ceux qui n'en profitaient pas par leur faute. Ce sang était donné pour tous, et il pleurait l'aveuglement de ceux qui n'en voulaient pas profiter. Ce tourment du désir, il le souffrit depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Lorsqu'il eut donné sa vie, son désir ne cessa pas mais seulement la croix du désir. C'est ce que vous devez faire, vous et toute créature raisonnable; vous devez donner la souffrance du corps et la souffrance du désir en pleurant l'outrage fait à Dieu, et la perte de tant d'âmes que nous voyons périr. Il me semble qu'il est temps de travailler à la gloire de Dieu et au salut du prochain; il ne faut plus penser à soi avec l'amour-propre sensitif et la crainte servile, mais il faut agir avec un amour sincère et une sainte crainte de Dieu. Il faut, s'il en est besoin, sacrifier non seulement sa fortune, mais encore sa vie pour l'honneur de Dieu.

4. J'espère de son infinie bonté que vous serez un homme courageux, et que vous persévérerez dans ce que vous avez commencé; on étant le Fils fidèle de la Sainte Église, et en vous exerçant à la vertu, vous arriverez à une grande perfection. Oh ! quelle joie j'ai eue de la bonne persévérance et de la constance que vous avez montrée! Je vous supplie de ne pas tourner la tête en arrière jusqu'à la mort, et d'être un homme vertueux, une fleur odoriférante dans le corps mystique de la sainte Église, considérant que ceux qui ne sont pas fermes dans la vertu ne sont pas constants. Aussi je vous ai dit que je désirerais vous voir un homme ferme et sans crainte, afin que vous puissiez accomplir la volonté de Dieu et mon désir pour votre [572] salut. Accompagnez l'humble Agneau sans tache, et vous trouverez que notre Roi est venu à nous par la voie de l'humilité et de la douceur. La sensualité ne doit-elle pas rougir de lever la tête par impatience en voyant un Dieu si humilié, qui, pour nous faire grands, s'est fait petit? La douce Vérité suprême nous a enseigné à devenir grands : et comment? Par les abaissements de la véritable humilité. Ne nous dit-il pas d'apprendre de lui à être doux et humbles de cœur. Ainsi donc, mon très cher Père, secouons le sommeil de la négligence et courons avec courage on suivant la doctrine de la vérité. Je finis. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 

 

LXXXIV (38). - A UN GRAND PRELAT. - Du zèle pour le salut du prochain à la vue du désir et de la faim que Jésus-Christ a eus sur la Croix. - Des désordres que causent dans la sainte Église l'amour-propre des supérieurs et leur négligence a reprendre les fidèles.

(Les disciples de sainte Catherine qui ont recueilli ses lettres n'ont pas conservé le nom de ce prélat, auquel s'appliquaient sans doute les gémissements de notre sainte.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mon révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ crucifié, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affamé [573] de la nourriture des créatures pour la gloire de Dieu, à l'exemple de la Vérité suprême, qui mourut pour satisfaire la faim et la soif qu'elle avait de notre salut. Il semble que l'Agneau sans tache ne pouvait se rassasier, car il criait sur la Croix, ou il était accablé d'outrages: J'ai soif. Son corps souffrait sans doute de la soif; mais sa plus grande soif était celle du salut des âmes. O ineffable et très douce Charité, il semble que vous donnez tant en vous livrant à de pareils supplices, qu'il est impossible au désir du salut des âmes de vouloir souffrir davantage; mais l'amour agissait, et je ne m'en étonne plus, car cet amour était infini, et votre peine finie, et la croix du désir était plus cruelle que celle du corps.

2. Je me rappelle ce que le bon et doux Jésus montrait une fois à une de ses servantes (Il s'agit de sainte Catherine elle-même.). Elle voyait en lui la croix du désir et la croix du corps, et elle lui disait : Mon doux Seigneur, quelle était votre peine la plus grande: celle du corps ou celle du désir? Et Jésus lui répondait avec tendresse: Ma fille, n'en doute pas; je t'assure qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre une chose finie et une chose infinie. Pense que la peine de mon corps était finie, mais que mon désir ne l'était pas, et que j'ai toujours porté la croix du saint désir. Ne te rappelles-tu pas, ma fille, qu'une fois je te montrai ma nativité, et que tu me vis nouveau-né avec la Croix au cou. C'était pour t'apprendre que moi, la Parole incarnée, dès que je fus conçu dans le sein de Marie, je fus attaché à la croix du désir que j'avais d'obéir à mon Père, et d'accomplir [574] sa volonté dans l'homme, en lui rendant la grâce et en lui faisant atteindre la fin pour laquelle il a été créé. Cette croix m'était plus pénible que toutes les peines que j'endurais dans mon corps; aussi mon âme tressaillait d'allégresse, lorsque je vis approcher mon dernier moment, surtout à la cène du Jeudi saint, lorsque je dis : J'ai désiré d'un grand désir célébrer cette pâque, c'est-à-dire sacrifier mon corps à mon Père. J'avais une grande joie, une grande consolation, parce que je voyais arriver le temps ou cesserait pour moi cette croix du désir; et, plus je me voyais près des fouets et des autres tourments de mon corps, plus je sentais diminuer ma peine. La peine du corps faisait disparaître la peine du désir, parce que je voyais s'accomplir ce que j'avais désiré.

3. La servante de Dieu répondait: O mon doux Seigneur, vous me dites que cette peine du désir cessa sur la Croix; mais comment? Avez-vous perdu le désir de mon âme? Et Jésus disait : Non, ma douce fille, en mourant sur la Croix, la peine du saint désir finit avec ma vie, mais non pas le désir et la faim que j’ai de votre salut. Si l'amour ineffable que j'éprouvais et que j'éprouve encore pour les hommes s'était éteint, vous ne seriez pas, car c'est l'amour qui vous a tirés du sein de mon Père en vous créant par sa sagesse, et c'est aussi le même amour qui vous conserve; vous n'êtes faits que d'amour. Si l'amour se retirait avec cette puissance et cette sagesse par laquelle il vous a créés, vous ne seriez pas. Moi, le Fils unique de Dieu, je suis devenu la fontaine qui vous donne l'eau de la grâce. Je vous manifeste [575] l'amour de mon Père, car l'amour qu'il a, est celui que j’ai moi-même; car je suis une même chose avec le Père, et le Père une même chose avec moi (Jn 15,8). C'est par moi qu'il s'est manifesté. Aussi je vous ai dit: Ce que j'ai reçu du Père, je vous l'ai manifesté. Toute chose a sa cause dans l'amour.

4. Ainsi, vous voyez bien, mon révérend Père, que le bon Jésus, le doux Amour, est mort de faim et de soif pour notre salut. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, de prendre pour modèle la faim de cet Agneau. Mon âme désire vous voir mourir d'un saint et vrai désir, que vous donnera l'amour de la gloire de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Église. Je voudrais vous voir tant souffrir de cette faim, que vous puissiez mourir. Car, comme le Fils de Dieu est mort de faim, il faut mourir à tout amour de vous-même; il faut que la volonté meure à toute passion sensuelle, aux jouissances, aux honneurs, aux délices du monde, aux plaisirs du siècle et à ses pompes. Je n'en doute pas, si l’oeil de votre intelligence se fixe sur vous-même, la connaissance de votre néant vous fera comprendre avec quel ardent amour l'être vous a été donné. Oui, votre cœur ne pourra pas résister, il sera vaincu par l'amour; il ne pourra plus vivre de l'amour-propre, il ne se cherchera plus pour lui-même, pour son intérêt, mais il se cherchera pour l'honneur de Dieu; il ne cherchera pas le prochain pour son utilité, mais il aimera et désirera son salut pour la gloire du nom de Dieu, parce qu'il voit que Dieu [576] aime souverainement la créature. Ce qui fait que les serviteurs de Dieu aiment tant la créature, c'est qu'ils voient combien l'aime le Créateur. Et la condition de l'amour est d'aimer ce qu'aime celui que nous aimons. Ils n'aiment pas Dieu pour eux-mêmes, mais ils l'aiment parce qu'il est l'éternelle Bonté infiniment digne d'être aimée. Mon Père, ceux-là font bon marché de leur vie, parce qu'ils ne pensent plus à eux-mêmes; ils ne veulent autre chose que les peines, les tourments, les affronts, et ils méprisent toutes les tortures du monde ; leur plus grande croix est la peine de voir l'outrage fait à Dieu et la perte des créatures. Cette peine est si grande, qu'ils oublient leur propre existence; et non seulement ils ne fuient pas les peines, mais ils s'y plaisent et les recherchent Ils sont comme le doux et ardent saint Paul, qui se glorifiait dans les tribulations par amour de Jésus crucifié. C'est ce doux apôtre que je vous demande d'imiter.

5. Hélas! hélas! que mon âme est à plaindre! Ouvrez les yeux, et regardez les fléaux mortels qui ravagent le monde, et surtout le corps mystique de la sainte Église, Hélas! que votre cœur se brise en voyant tant d'outrages contre Dieu! Voyez, mon Père, comme le loup infernal enlève les créatures, les brebis qui paissent dans le jardin de la sainte Église, et il n'y a personne qui cherche à les lui arracher. Les pasteurs dorment dans l'amour-propre, l'avarice et les plaisirs. Ils sont si enivrés d'orgueil, qu'ils dorment et ne s'aperçoivent pas que le démon, le loup infernal, détruit la vie de la grâce en eux et dans ceux qui leur sont confiés. Oh! combien cet amour [577] est dangereux pour les supérieurs et pour les inférieurs ! Le supérieur, plein d'amour-propre, ne corrige pas ses inférieurs parce que celui qui s'aime pour lui-même tombe dans la crainte servile, et n’ose reprendre personne. S’il s'aimait pour Dieu, il n'éprouverait pas de crainte servile; mais il reprendrait avec courage les vices, il ne se tairait pas, et ne ferait pas semblant de ne rien apercevoir.

6. Je veux que vous vous dépouilliez d'un pareil amour, mon très cher Père. Je vous conjure de faire tous vos efforts pour ne pas entendre cette dure parole de la Vérité suprême qui vous jugera: Soyez maudit, parce que vous avez gardé le silence (Is 6,5). Hélas! ne gardez plus le silence, et criez comme si vous aviez mille voix. C'est le silence qui perd le monde; l'Épouse du Christ est toute pâle; elle a perdu sa couleur, parce qu'on a épuisé son sang, le sang du Christ, qui est donné par grâce, et non par obligation. Ils le voient par l'orgueil lorsqu'ils prennent pour eux-mêmes l'honneur qui appartient à Dieu; ils le volent par la simonie, en vendant les dons et les grâces qui nous ont été donnés gratuitement au prix du sang du Fils de Dieu. Hélas! je meurs et je ne puis mourir! Ne dormez plus dans la négligence; faites maintenant ce que vous pouvez faire. Je crois qu'il viendra un temps où vous pourrez faire davantage. Mais pour le présent, je vous invite à dépouiller votre âme de tout amour-propre, et à la revêtir de zèle et de vertus solides pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Fortifiez-vous [578] dans le Christ Jésus, le doux Amour, afin de voir bientôt apparaître les fleurs. Tâchez de faire lever prochainement l'étendard de la Croix, et que le cœur ne vous manque pas au moindre obstacle que vous rencontrerez. Prenez alors, au contraire, une nouvelle force en pensant que Jésus crucifié aide et accomplit tous les ardents désirs des serviteurs de Dieu. Je termine. Demeurez dans la Sainte et douce dilection de Dieu. Anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié; mettez-vous sur la Croix avec Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; faites-vous un bain du Sang de Jésus crucifié. Pardonnez, mon Père, à ma présomption. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 

LXXXV (39). - A NICOLAS D'OSIMO . – Combien sont agréables à Dieu les efforts qu'on fait pour le salut des âmes et le bien de l'Église.

(Nicolas d'Osimo était de Rome. Il fut secrétaire et protonotaire des Papes Urbain V et Grégoire XI. Il travailla avec zèle au retour du Pape d'Avignon. Il mourut en 1406.)

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mon très cher et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ1 je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne ferme qui ne s'ébranle jamais, si ce n'est en [579] Dieu, ne craignant, ne refusant aucune des peines qu'il faut souffrir dans le corps mystique de la sainte Église, la douce Épouse du Christ, soit par l'ingratitude, soit par l'ignorance que vous rencontrerez dans ceux qui habitent ce jardin, soit à cause du chagrin qu'on éprouve en voyant les affaires de l’Eglise en désordre. Il arrive souvent que l'homme travaille à une chose qui ne réussit pas comme il le désirait; la tristesse et l'ennui s'emparent alors de son esprit, et il se dit à lui-même : Il vaudrait mieux renoncer à cette entreprise qui m'a pris tant de temps, sans aucun résultat, et chercher la paix et le repos de mon âme. L'âme doit alors résister par la faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes; elle doit réfuter les propos de l'amour-propre, en disant: Je ne veux pas éviter et fuir le travail, parce ce que je ne suis pas digne de la paix et du repos; je veux rester au poste qui m'a été confié, et rendre courageusement honneur à Dieu, en travaillant pour lui et pour le prochain.

2. Quelquefois le démon, pour nous dégoûter de nos entreprises, nous fait dire, en voyant le trouble de notre esprit: J'offense plus Dieu que je ne le sers; il vaudrait mieux abandonner cette affaire, non par dégoût, mais pour ne plus commettre de faute. O très cher Père, ne vous écoutez pas, n'écoutez pas le démon, lorsqu'il met ces pensées dans votre esprit et dans votre cœur; mais embrassez les fatigues avec joie, avec un saint et ardent désir, et sans aucune crainte servile. Ne craignez pas d'offenser Dieu, parce que l'offense consiste dans une volonté perverse et coupable. Quand la volonté n'est pas [580] selon Dieu, il y a péché; mais quand l'âme est privée de la consolation qu'elle éprouvait en récitant l'office et les psaumes, quand elle ne peut pas prier dans le temps, le lieu et la paix qu'elle voudrait avoir, elle ne perd pas cependant sa peine, car elle travaille pour Dieu. Elle ne doit pas s'en affecter, surtout quand elle se fatigue pour le service de l'Épouse du Christ : tout ce que nous faisons pour elle est si méritoire et si agréable à Dieu, que notre intelligence est incapable de le comprendre et de l'imaginer.

3. Je me souviens, très doux Père, d'une servante de Dieu à laquelle fut révélée combien ce qu'on fait pour l'Église lui est agréable, et je vous le dis afin que vous soyez encouragé à souffrir pour elle (Il s’agit toujours de Sainte Catherine elle-même). Je sais qu'une fois entre autres cette servante de Dieu désirait ardemment donner son Sang, détruire et consumer tout ce qui était en elle pour l'Épouse du Christ, pour la sainte Église; elle appliquait son intelligence à comprendre son néant et la bonté de Dieu à son égard; elle voyait que Dieu, par amour, lui avait donné l'être, et toutes les grâces, tous les dons qu'il y avait ajoutés. En voyant et en goûtant cet amour, cet abîme de charité, elle ne voyait d'autre moyen de remercier Dieu que de l'aimer; mais comme elle ne pouvait lui être utile, elle ne pouvait lui prouver son amour, et alors elle cherchait à aimer pour lui quelque chose qui lui permit de montrer son amour. Elle voyait que Dieu aime d'un amour infini la créature raisonnable, et cet [581] amour, elle le trouvait en elle-même et dans tous les. hommes, car nous sommes tous aimés de Dieu: elle avait donc un moyen de montrer si elle aimait Dieu ou non, puisqu'elle pouvait ainsi lui être utile, Alors elle se livrait avec ardeur à la charité du prochain, et elle ressentait un tel amour pour son salut, qu'elle aurait donné avec joie sa vie pour l’obtenir. Ce qu'elle ne pouvait faire pour Dieu, elle désirait le faire pour son prochain; et elle avait reconnu qu'il fallait remercier Dieu par le moyen du prochain, et lui rendre ainsi amour pour amour. Comme Dieu, par le moyen du Verbe, son Fils, a manifesté son amour et sa miséricorde, elle voulait, par le désir du salut des âmes, rendre honneur à Dieu et lui être agréable en travaillant pour le prochain; elle cherchait en quel jardin et sur quelle table elle pouvait se satisfaire.

4. Alors notre Sauveur lui apparut et lui dit : " Ma fille bien-aimée, c'est dans le jardin de mon Epouse et sur la table de la très sainte Croix que tu peux le faire, par tes peines, par l'angoisse du désir, par les veilles, les prières, et par d'actifs et persévérants efforts. Apprends que tu ne peux rien désirer pour le salut des âmes que tu ne le désires pour la sainte Église, car elle est le corps universel de tous ceux qui participent à la lumière de la sainte Foi, et nul ne peut avoir la vie, s'il n'est pas soumis à mon Épouse. Tu dois donc désirer voir le prochain, les chrétiens, les infidèles, et toute créature raisonnable se nourrir dans ce jardin, sous le joug de la sainte obéissance, et se revêtir de la lumière d'une foi vive, c'est-à-dire de saintes et bonnes œuvres, car la foi [582] sans les œuvres est morte. C'est là le désir et le besoin général du corps universel de l’Église. Mais maintenant, je te le dis, je veux que tu ressentes un désir et une faim particulière, et que tu sois prête, s'il le faut, à donner ta vie pour le corps mystique de la sainte Église, pour la réforme de mon Epouse; car de cette réforme dépend le bien du monde entier. Comment? C'est que les ténèbres, l'ignorance, l'amour-propre, l'impureté et les excès de l'orgueil ont produit et produisent la nuit et la mort dans l'âme des fidèles. Aussi je vous invite, toi et mes autres serviteurs, à vous consumer dans les désirs, les veilles, les prières et les autres exercices, selon les dispositions que je vous donne, parce que cette peine qu'on a pour le bien de l'Église m'est si agréable qu'elle est non seulement récompensée dans mes serviteurs qui ont une intention droite et sainte, mais qu'elle le sera encore dans les serviteurs du monde, qui souvent la secondent par intérêt, et quelquefois par respect pour la sainte Église. Aussi je te dis que personne ne la servira avec respect sans en être récompensé, tant je l'ai en estime. Oui, celui- là ne tombera pas dans la mort éternelle comme ceux qui offensent et attaquent mon Épouse: je punirai toujours ses outrages, d'une manière ou d'une autre.

5. Alors cette âme, voyant tant de grandeur et de profondeur dans la bonté de Dieu, et ce qu’elle devait faire pour lui plaire davantage, augmentait de plus en plus l’ardeur de son désir ; il lui semblait que si elle eût pu donner mille fois sa vie par jour jusqu’au jugement dernier, c’eût été moins qu’une [583] goutte de vin dans la mer ; et c’est aussi la vérité. Je vous invite donc à travailler pour l’Église comme vous l’avez toujours fait, à être une colonne placée pour soutenir et aider cette Épouse ; c’est là votre devoir, comme je l’ai dit. Ne soyez jamais ébranlé, ni dans la consolation, ni dans la tribulation. Il y a bien des vents contraires qui soufflent contre ceux qui suivent la voie de la vérité ; mais nous ne devons pour aucune cause tourner la tête en arrière. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir une colonne ferme. Courage donc, très cher et très doux Père, car c’est le moment d’honorer Dieu dans son Épouse, et de nous fatiguer pour elle. Je vous conjure, pour l’amour de Jésus crucifié, de prier le Saint-Père de prendre tous les moyens qu’il peut prendre, sans blesser sa conscience, pour réformer la sainte Église et apaiser cette guerre, qui cause la ruine de tant d’âmes. Qu’il y travaille avec zèle et sans négligence, car Dieu punira durement toute négligence, tout défaut de zèle, et il lui sera demandé compte de toutes les âmes qui périssent. Je vous prie de me recommander humblement au Saint-Père, en lui demandant sa bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. [584] .
 
 

 

 

LXXXVI (40). - A NICOLAS D'OSINO. - Comment il faut bâtir l’édifice de notre âme par le moyen du sang de Jésus-Christ, et par l'emploi de nos trois puissances.

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFÉ ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mon très cher et bien aimé Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme, fondé sur le doux Jésus, la pierre inébranlable. Vous savez que la pierre et l'édifice qu'on pose et qu'on élève sur le sable et la terre, le moindre vent, ou la pluie qui vient, les jette par terre. Il en est de même de l'âme qui s'appuie sur les choses transitoires de cette vie misérable et ténébreuse, qui passent comme le vent et comme la poussière qu'il emporte; la moindre contrariété la renverse. C'est ce qui arrive aussi quand nous prenons pour fondement l’amour-propre, qui est la lèpre et la plaie la plus dangereuse que nous puissions avoir. Cette lèpre corrompt toutes les vertus, qui ne peuvent avoir la vie, car elles sont privées de leur mère, la charité; elles ne vivent pas parce qu'elles sont séparées de la vie. C'est pourquoi mon âme désire vous voir établi sur la pierre vive.

2. O très cher Père, y a-t-il une chose meilleure et plus douce que de bâtir l'édifice de notre âme? Oui, c'est une chose bien douce, d'avoir trouvé la pierre, l'architecte et l'ouvrier qu'il faut pour cet édifice. Oh! [585] le bon architecte, que le Père éternel, en qui reposent la sagesse, la science, la bonté infinies! Notre Dieu est Celui qui est; toutes les choses qui ont l'être le tiennent de lui; c'est un maître qui fait tout ce qui est utile, et qui ne veut que notre sanctification. Tout ce qu'il donne ou permet est pour notre bien, pour nous purifier de nos péchés, ou pour augmenter en nous la grâce et la perfection. C'est donc un doux maître puisqu'il sait bien édifier, et qu'il nous donne ce dont nous avons besoin. Il a fait plus lorsqu'il a vu que l'eau n'était pas bonne pour éteindre la chaux qui devait affermir la pierre, c'est-à-dire les vraies et solides vertus, il nous a donné le sang de son Fils unique. Vous savez qu'avant la promesse de la venue du Fils de Dieu, aucune vertu n'était capable de donner à l'homme la vie qu'il avait perdue par le péché.

3. O mon Père, considérons l'ineffable charité. de ce maître, qui, en voyant que l'eau des saints prophètes n'était pas vive et ne pouvait donner la vie, a tiré de lui-même et nous a offert le Verbe incarné, son Fils unique; il lui a donné sa puissance et sa vertu, et l'a placé comme pierre fondamentale de notre édifice. Sans cette pierre, nous ne pouvons vivre; et c'est en cela qu'il est bon : car le Fils est uni et n'est qu'une seule chose avec le Père, et tout ce qui est amer devient doux par sa douceur. C'est lui qui est la chaux vive, et non la terre et le sable. O doux foyer d'amour, vous nous avez donné pour serviteur et pour ouvrier l'Esprit-Saint, si riche et si clément, lui dont l'amour et la main puissante attachèrent le Verbe sur la Croix. Il a pressuré [586] son divin corps, et en a fait couler le sang capable de nous donner la vie et de bâtir l'édifice. Toute vertu est bonne et donne la vie, quand elle est basée sur le Christ et cimentée de son sang. Que nos cœurs se brisent donc d'amour, en voyant que le sang a fait ce que l'eau ne pouvait faire. Que désirer de meilleur? Qui peut maintenant aller puiser l'eau des bourbiers, en recherchant les tristes et coupables plaisirs du monde? Que le feu dissolve les pierres de nos coeurs endurcis !

4. Ainsi le Père, considérant ces choses avec sa sagesse, sa puissance, sa bonté, s'est fait l'artiste, en créant et en édifiant notre âme à son image et ressemblance. L'artiste est celui qui travaille par la vertu qui est en lui-même; avec la mémoire, ou est ce qu'il faut faire, avec l'intelligence, qui comprend, et avec la main de la volonté qui exécute. Nous avions perdu la grâce par le péché commis, et il est venu s'unir et se greffer sur notre nature; il s'est donné tout à nous, car sa vertu est dans son Fils; il l'a fait artiste aussi, en lui donnant sa puissance; il l'a fait pierre, comme le dit saint Paul : " Notre pierre est le Christ . (1Co 10,4) ". Il l'a fait le serviteur et l'ouvrier de l'édifice, car la charité, l'amour ineffable avec lequel il a donné sa vie et son sang, a préparé la chaux, et rien maintenant. ne nous manquera. Réjouissons-nous donc et tressaillons d'allégresse, parce que nous avons un bon architecte, une pierre excellente et un ouvrier qui nous a cimentés avec son sang; et son ouvrage est si fort, que ni le [587] démon, ni les créatures, ni la grêle, ni la tempête, ni le vent ne pourront jamais renverser cet édifice, si nous n'y consentons.

5. Que notre mémoire se lève donc, qu'elle retienne un si grand bienfait; que notre intelligence se lève, et qu'elle comprenne cet amour, cette bonté qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et qu'elle ne se considère pas pour elle-même, mais pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Alors, quand la mémoire possédera ces choses, et que l'intelligence les aura comprises, je ne sais pas comment il sera possible à la volonté de résister et de ne pas courir avec une ardeur embrasée par le feu de la charité, pour aimer ce que Dieu aime, et pour détester ce qu'il déteste. Rien ne pourra la troubler et l'arrêter dans ses saintes résolutions; mais elle sera dans la vraie patience, parce qu'elle sera appuyée sur la pierre vive, qui est le Christ.

6. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez une pierre fondée sur cette pierre, et je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, d'avancer et de persévérer toujours dans vos saintes résolutions. Ne vous laissez jamais ébranler ou ralentir par les vents contraires qui pourraient souffler. Soyez-moi une pierre ferme et solide pour le corps de la sainte Église, cherchant toujours l'honneur de Dieu, l'exaltation et la réforme de la sainte Église. Je vous prie de ne pas faiblir dans votre désir et dans votre zèle à presser le Saint-Père de venir bien vite, et de ne plus tarder à mettre les armes des fidèles chrétiens au service de la très sainte Croix. Ne vous arrêtez [588] pas au scandale qui arrive. Qu'il ne craigne pas, mais qu'il persévère avec courage, et qu'il réalise bientôt ses saintes et bonnes résolutions, malgré les attaques qu'il a éprouvées de la part du démon et des créatures. Soyez une pierre vive appuyée sur l'Épouse du Christ, annonçant toujours la vérité, fallut-il même perdre la vie. Dans ce qui vous regarde ne faites pas attention à nous, mais ne cherchez toujours que l'honneur de Dieu. Nous avons vu si longtemps outrager son nom, que nous devons maintenant être prêts à sacrifier notre vie pour sa louange et sa gloire. Du zèle donc, mon Père; pas de négligence. Puisque nous avons le temps, profitons-en. Travaillons pour le prochain et pour la gloire de Dieu. J'espère de sa bonté que vous le ferez. Pardonnez à ma présomption; c'est mon amour qui en est la cause. J'ai ressenti une grande joie du bon désir et de la résolution du Saint-Père au sujet de son retour et de la sainte et glorieuse croisade qu'attendent avec ardeur tous les serviteurs de Dieu. Je n'en dis pas davantage.

7. J'ai appris que le Saint-Père voulait élever le Maître de notre Ordre à une autre charge. Je vous prie, si la chose est vraie, de demander au Christ de la terre de donner à l'Ordre un bon vicaire; nous en avons grand besoin (Voir les lettres I et LXXIX). Je vous prie de parler, si vous le trouvez bon, de maître Étienne, qui était procureur de l'Ordre quand Frère Raymond était à la cour romaine. Vous devez savoir que c'est un homme excellent et courageux. J'espère que si nous l'avions [589], tout l'Ordre s'en ressentirait par la grâce de Dieu. J'ai écrit au Saint-Père, mais sans désigner personne; je lui ai demandé seulement de nous en donner un bon, et d'en causer avec vous et avec l'évêque d'Otrante. Si, pour cela ou pour quelque autre chose utile à la sainte Église, vous avez besoin que Frère Raymond aille vous rejoindre, écrivez-le, mon Père; il sera toujours à vos ordres. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 

LXXXVII (41). - A L'ABBÉ DE MARMOUTIER, nonce apostolique. - De la charité qui s’acquiert en suivant les tracas de Jésus-Christ. - Des effets de la lumière qu'elle produit dans l'âme. - L’âme doit espérer de la miséricorde divine le pardon de ses péchés. - Elle le prie d'aider le Pape dans les affaires de l'Eglise, surtout en lui conseillant l'élection de bons et saints pasteurs.

(Cette belle lettre est adressée à un Français, Gérard du Puy, religieux bénédictin, abbé de Marmoutier. Il était parent de Grégoire XI, et fut envoyé par lui en Italie, vers 1371, avec le titre de trésorier de la sainte l’Eglise. Il fut nommé en 1372 gouverneur de Pérouse, et nonce du Pape en Toscane. Il mécontenta les Italiens, et fut cause de la guerre qui éclata entre les Florentins et le Saint-Siège. Créé cardinal en 1375, il se prononça contre Urbain Vl, à Anagni, et mourut dans le schisme en 1359.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mon vénérable Père spirituel dans le Christ Jésus, moi, votre indigne servante et votre petite [590] fille, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai prêtre et un membre uni au corps de la sainte Église. O vénérable et très cher Père dans le Christ Jésus, que votre âme et la mienne seraient heureuses, si je voyais que nous sommes unis dans le feu de la divine charité. Vous savez que la charité donne du lait à ses enfants pour les nourrir, et il me semble que ce lait ne peut se prendre autrement que le prend un enfant sur le sein de sa mère. Il le prend en y appliquant ses lèvres; il s'en nourrit. Vous savez que notre âme aussi ne peut avoir la vie que par le moyen de Jésus crucifié. La Vérité suprême l'a dit: Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi. Et dans un autre endroit, elle dit : Je suis la voie, la vérité, la vie : celui qui va par moi ne va pas par les ténèbres, mais il va par la lumière. O ineffable et douce Charité, quelle voie avez-vous choisie avec tant d'amour! Je ne vois pas que ce soient les honneurs, les délices, la gloire humaine et l'amour de vous-même; car la charité ne cherche pas son avantage, mais seulement l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Aussi la vie de Jésus-Christ n'a été qu'injures, mépris, outrages, et elle a fini par la mort ignominieuse de la Croix. C'est par cette voie que l'ont suivi les saints, comme des membres liés et unis à leur doux chef, Jésus, qui est si bon qu'il nourrit et donne la vie à tous les membres qui lui sont unis. Et si nous demandons comment on peut suivre ce doux Chef et s'unir à lui, vous savez qu'il n'y a pas d'autre [591] moyen pour l'homme que de se lier, de devenir une même chose avec le feu, et d'y consumer tout ce qui lui est étranger.

2. C'est ce lien d'amour qui unit l'âme au Christ. Oh! qu'il est doux ce lien, qui attacha le Fils de Dieu au bois de la très sainte Croix! Et l'homme qui est lié par ce lien, se trouve dans le feu. Le feu de la divine charité fait pour l'âme ce que fait le feu matériel; il échauffe, il éclaire, il convertit en lui. O feu doux et puissant, vous échauffez et détruisez le froid du vice, du péché; de l'amour-propre! Cette chaleur se communique et enflamme le bois aride de notre volonté, qui s'embrase et se consume dans de doux et d'amoureux désirs, aimant ce que Dieu aime, détestant ce que Dieu déteste. Et comme l'âme voit qu'elle est aimée d'un amour infini, et que l'Agneau s'est immolé pour elle sur le bois de la Croix, alors je dis que le feu l'éclaire, et que les ténèbres. ne peuvent l'atteindre. L'âme éclairée par ce divin foyer ouvre son intelligence, et s'élargit. Et parce qu'elle a senti et reçu la lumière, elle discerne et voit ce qui est dans la volonté de Dieu, et elle ne veut suivre que les traces de Jésus crucifié. Car elle voit bien qu'elle ne peut aller par une autre voie, et elle ne veut se réjouir en autre chose que dans ses opprobres. Alors, par le moyen de la chair de Jésus crucifié, elle attire à elle le lait de la divine douceur. O douce lumière, qui détruit les ténèbres, et dissipe l'amertume et la tristesse! La clarté de cette lumière fait voir que tout procède de Dieu excepté le péché et le vice, et que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification. Pour nous procurer cette sanctification de la grâce [592], Dieu s'est uni à nous en s'humiliant jusqu'à l'homme. Aussi son humilité déracine notre orgueil; c'est la règle que nous devons tous suivre.

3. L'intelligence éclairée voit cela, et le comprend en s'anéantissant dans la clarté de la divine charité et de la bonté de Dieu : et comment? En se connaissant elle-même, elle voit qu'elle n'est pas, et elle reconnaît qu'elle reçoit de Dieu l'être par grâce, par amour, et non par devoir. Aussitôt que nous comprenons tant de bonté, il naît en nous une fontaine vive de grâce, une source d'huile d'une humilité profonde, qui empêchera l'homme de tomber et de se laisser enfler par l'orgueil, quelque position ou quelque gloire qu'il ait. Comme un bon pasteur, il suivra les traces de son maître, ainsi que le faisaient ce saint et doux Grégoire et les autres qui l'imitèrent. Plus ils étaient grands, plus ils se faisaient petits; ils ne voulaient pas être servis, mais servir spirituellement et temporellement, plus par leurs bons exemples que par leurs paroles.

4. Lorsque l'intelligence a reçu la lumière du feu, comme je l'ai dit, elle se change en ce feu divin et devient une même chose avec lui. La mémoire aussi devient une même chose avec Jésus crucifié, et elle ne peut retenir, goûter et méditer que son Bien-aimé et l'amour ineffable qu'elle lui voit pour elle et pour tous les hommes. Et aussitôt que la mémoire est ainsi remplie, l'âme aime Dieu et son prochain; elle donnerait mille fois sa vie pour lui; et elle ne regarde pas l'avantage qu'elle en retire, mais elle voit seulement que Dieu aime souverainement la créature, et elle se plait à aimer ce qu'il aime. Nous [593] pouvons donc bien dire que le feu divin échauffe, éclaire et convertit en lui; et que dans ce feu, les trois puissances de l'âme s'accordent, la mémoire à retenir les bienfaits de Dieu, l'intelligence à comprendre sa bonté, et la volonté à l'aimer tellement, qu'elle ne peut rien aimer et désirer hors de lui, et que toutes ses opérations sont dirigées vers ce but. Elle ne cherche, et ne pense à faire autre chose que ce qui plaît le plus à son Créateur. Comme elle voit qu'aucun sacrifice ne lui est aussi agréable que de gagner et de sauver des âmes, elle ne peut jamais s'en rassasier. C'est surtout ce zèle et cette sollicitude que Dieu vous demande, mon Père, à vous et à ceux qui sont dans la même position. C'est la voie de Jésus crucifié, qui nous donnera toujours la lumière de la grâce; mais en suivant une autre voie, nous irons de ténèbres en ténèbres, pour tomber enfin dans la mort éternelle.

5. J'ai reçu, mon doux Père, votre lettre avec une grande joie et consolation, en pensant que vous n'oubliez pas une créature aussi vile et aussi misérable que moi. J'ai compris ce qu'elle disait; et pour répondre à la première des trois choses que vous demandez, au sujet de notre doux Christ de la terre, je crois et je pense. devant Dieu qu'il ferait bien surtout de réformer deux choses qui corrompent l'Epouse du Christ. La première est la trop grande affection et sollicitude pour les parents; il faudrait que cet abus cessât en tout et partout. La seconde est la trop grande douceur, fondée sur trop d'indulgence. Hélas ! hélas! c'est la cause de la corruption des membres qu'on ne reprend pas ! Notre Seigneur [594] a surtout en aversion trois vices détestables: l'impureté, l'avarice et l'orgueil, qui règnent dans l'Épouse du Christ, c'est-à-dire dans les prélats, qui ne recherchent autre chose que les plaisirs, les honneurs et les richesses; ils voient les démons de l'enfer emporter les âmes qui leur sont confiées, et ils ne s'en inquiètent pas, parce qu'ils sont des loups, et qu'ils trafiquent de la grâce divine. Il faudrait une forte justice pour les corriger, parce que la trop grande compassion est une très grande cruauté; mais il faut pour reprendre unir la justice à la miséricorde.

6. Je vous le dirai cependant, mon Père, j'espère de la bonté de Dieu, que l'abus de l'amour des parents commence à disparaître, grâce aux prières continuelles et aux efforts des serviteurs de Dieu qui s'en occupent. Je ne dis pas que l'Épouse du Christ ne soit persécutée; mais je crois qu'elle conservera sa beauté, comme cela doit être. Il faut qu'elle se débarrasse de tout ce qui l'ébranle jusque dans ses fondements, et ce sont ces abus que je veux vous voir combattre: il n'y a pas d'autre moyen. Quant à ce que vous dites de nos péchés, Dieu vous donne l'abondance de ses miséricordes. Vous savez que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais il veut qu'il se convertisse, et qu'il vive (Ez 33, 11). Aussi moi, votre indigne petite fille, j'ai pris et je prendrai la dette de vos péchés sur moi, et nous brûlerons ensemble les vôtres et les miens dans le feu de la douce charité, qui les consumera. Espérez donc, et soyez persuadé que la grâce divine vous les a pardonnés. Réglez bien maintenant [595] votre vie, et que la vertu fasse naître l’amour crucifié que Dieu a eu pour vous. Choisissez plutôt la mort que l’offense de votre Créateur, et veillez à ce qu’il ne soit pas offensé par ceux qui vous sont confiés.

7. Enfin, pour l’autre point, lorsque je vous ai dit de travailler pour la sainte Eglise, je n’ai pas entendu parler seulement de la peine que vous vous donnez pour les choses temporelles : c’est bien, sans doute, mais vous devez surtout travailler avec le Saint-Père, et faire tous vos efforts pour éloigner de la bergerie, ces loups, ces démons incarnés, qui ne songent qu’à la bonne chère et à avoir des palais magnifiques et de beaux équipages. Hélas ! Ce que le Christ a gagné sur le bois de la Croix se dépense en plaisirs coupables ! Je vous en conjure, dussiez-vous exposer votre vie, dites au Saint-Père qu’il porte remède à tant d’iniquités. Quand viendra le moment de choisir des pasteurs et des cardinaux, qu’ils ne le soient pas pour des flatteries, de l’argent et par simonie ; mais priez-le autant que possible de ne s’arrêter qu’à la vertu et à la bonne et sainte réputation des personnes, et qu’il ne regarde plus si elles sont nobles ou roturières. La vertu est la seule chose qui rende l’homme noble et agréable à Dieu. C’est ce travail, mon Père, que je vous ai recommandé, et que je vous recommande ; les autres travaux sont bons, mais celui-là est le meilleur. Je finis. Pardonnez à ma présomption. Je me recommande à vous cent mille fois dans le Christ Jésus. N’oubliez pas les affaires de messire Antoine ; et si vous avez occasion de voir l’Archevêque, recommandez-moi à lui autant que [596] vous le pourrez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 

 

LXXXVIII (42). - A MESSIRE NICOLAS, prieur de la province de Toscane. - Des armes de l’amour nécessaires pour combattre le vice et arriver à l’état de perfection où Dieu nous appelle.

(Ce messire Nicolas était prieur des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Toscane. Il avait sa résidence à Pise, et il occupa, on 1375, au nom de l'Église, la terre de Talamon, qui appartenait aux habitants de Sienne. La lettre de sainte Catherine est écrite dans les premiers mois de 1377.)

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE.

 

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, dépouillé de l'amour de vous-même et revêtu de l'amour divin. Le chevalier qui va combattre sur le champ de bataille doit être armé des armes de l'amour, qui sont les plus fortes. Il ne suffit pas que l'homme soit armé seulement d'une cuirasse et d'une cotte d'armes; car souvent, s'il n'avait pas les armes de l'amour et le désir d'obtenir l'honneur et la chose pour laquelle il combat, il arriverait qu'à la vue de l'ennemi il aurait peur et tournerait la tête en arrière. Il en est de même de l'âme qui commence à entrer sur le champ de bataille pour combattre les [597] le monde, le démon et sa propre sensualité: si elle ne s'arme pas de l'amour de la vertu, et si elle ne saisit pas le glaive de la haine et d'une conscience fondée sur l'amour divin, elle ne combattra jamais, et sera. vaincue comme une personne négligente qui n'a d'autre arme que sa sensualité, et qui s'endort volontairement dans le vice et le péché.

2. Les glorieuses armes de l'amour sauvent l'homme de la mort éternelle, lui donnent la lumière, le tirent des ténèbres et de la condition des bêtes, en lui rendant sa dignité. Celui qui vit dans le vice, le péché, la débauche, prend les habitudes et la forme des bêtes. La bête, qui n'a pas la raison, cède à ses appétits; de même l'homme qui se fait semblable aux bêtes perd la raison et se laisse conduire par les mouvements de la chair et par tous les appétits déréglés qu'il ressent; il met son plaisir à se livrer à la débauche, à bien boire, à bien manger et à jouir des délices, des vanités, des honneurs du monde, qui passent comme le vent. Celui-là n'est pas un vrai chevalier qui puisse s'exposer aux coups; car il se livre lui-même à la mort, en s'abaissant à la condition des bêtes.

3. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi pour vous, mais je veux que vous soyez un homme ferme et courageux; et non seulement un homme, mais encore, en avançant dans la vertu et en combattant contre les vices, je veux que vous arriviez à l'état des anges, vous et votre compagnie, puisque Dieu vous y appelle. Vous savez que l'état de l'homme est l'état du mariage, tandis que vous êtes dans la condition des anges, vous et votre Ordre, comme les autres [598] religieux qui sont appelés à la continence. Il ne serait pas convenable, il serait même odieux à Dieu et abominable au monde que vous, qui êtes appelé à une plus grande perfection, et qui devez être non seulement au rang des hommes et des anges, mais au nombre des glorieux martyrs prêts à donner leur vie pour Jésus crucifié, vous vous abaissiez à la condition des bêtes. Ne serait-il pas honteux de souiller un si grand trésor dans une fange si vile et si méprisable? Marchez donc, sans crainte servile, aux deux combats que Dieu vous a destinés. Le premier est le combat général que doit soutenir toute créature raisonnable dès qu'elle peut discerner le vice de la vertu. Nous devons résister à nos ennemis, au démon, à la chair, à la sensualité, qui combattent toujours contre l'esprit (Gal 5,17). Il faut les vaincre avec l'amour de la vertu et la haine du vice. L'autre combat auquel la grâce vous appelle, et dont tous ne sont pas dignes, c'est celui où il faut marcher armé non seulement des armes corporelles, mais encore des armes spirituelles. Si vous n'avez pas les armes de l'amour, de l'honneur de Dieu et du désir de conquérir la cité des âmes de ces pauvres infidèles qui ne participent pas au sang de l'Agneau, vous ferez peu de conquêtes avec les armes matérielles.

4. Je veux donc, mon cher Père et mon Fils, que vous et toute votre compagnie, vous preniez pour objet de vos pensées Jésus crucifié, son doux et précieux sang, qui a été répandu avec tant d’ardeur et d'amour pour nous sauver de la mort et nous donner [599] la vie, afin que vous atteigniez le noble but que vous vous proposez; et que vous en receviez une grande récompense, c'est-à-dire le fruit de grâce et de vie, qui, par la grâce, nous fait arriver à la vie éternelle. Suivez l'exemple de cet Agneau immolé et consumé sur la Croix : il n'a pas craint pour lui la peine et la douleur; mais, avide de l'honneur de son Père et de notre salut, il s'en est nourri sur la table de la Croix. Il s'est passionné pour la gloire du Père éternel et pour le salut du genre humain, et il est demeuré ferme, constant, inébranlable au milieu des fatigues, des souffrances, des injures, des outrages, des affronts, malgré notre ingratitude, lorsqu'il voyait bien qu'il donnait sa vie pour des hommes qui ne reconnaîtraient jamais un si grand bienfait.

5. Notre Roi a fait comme un vrai chevalier qui reste sur le champ de bataille jusqu'à ca que ses ennemis soient vaincus; il s'est rassasié, et il a vaincu avec sa chair flagellée notre chair révoltée. Par l'humilité, qui lui a fait abaisser sa divinité jusqu'à l'homme, par ses souffrances et ses opprobres, il a vaincu l'orgueil, les plaisirs et les honneurs du monde; par sa sagesse, il a vaincu la malice du démon; ses mains désarmées, percées et clouées à la Croix, ont vaincu le prince du monde. Notre chevalier a monté sur le bois de la très sainte Croix (Pigliando per cavallo el legno della santissima Croce) ; il a pris pour cuirasse la chair de Marie, afin d'y recevoir les coups qui devaient réparer nos iniquités; le casque de sa tête est cette cruelle couronne d'épines qui pénétrait jusqu'à son cerveau; son épée [600] est cette blessure du côté, qui nous montre le secret de son cœur : c'est un glaive lumineux qui doit percer notre cœur et notre âme d'un ardent amour; c'est aussi le roseau qu'on lui a donné par dérision. Les gantelets de ses mains et les éperons de ses pieds sont les plaies vermeilles des mains et des pieds de ce doux et tendre Verbe. Et qui l'a ainsi armé? L'amour. Qui l'a tenu attaché et Cloué sur la Croix? Ce ne sont ni les clous, ni la Croix, ni la pierre, ni la terre où était plantée la Croix, qui étaient capables de retenir l'Homme-Dieu : c'était le lieu de l'amour de l'Honneur du Père, et de notre salut. Notre amour a été la pierre qui l'a élevé et fixé.

6. Quel cœur serait assez vil pour voir ce Capitaine, ce Chevalier à la fois mort et vainqueur, et ne pas surmonter sa faiblesse, ne pas devenir courageux contre ses adversaires? Non, il n'y en aura pas, car je vous dis de prendre pour modèle Jésus crucifié. Trempez votre tunique dans le sang de Jésus crucifié; c'est par lui que vous triompherez de vos premiers ennemis dans le premier combat dont je vous ai parlé, parce qu'il les a déjà vaincus pour nous, et il nous a délivrés de la servitude honteuse du démon. S'il veut nous attaquer, recourons sur-le-champ aux armes du Fils de Dieu. Dès que les vices seront morts dans votre âme, vous vous nourrirez et vous vous rassasierez de l'honneur de Dieu et du salut de votre prochain. Et cette faim que vous ressentirez vous fera suivre l’Agneau et rechercher cette douce proie, et vous l'aimerez tant, que pour l'avoir vous ne craindrez ni la peine, ni la mort, ni les malheurs qui pourraient arriver; vous ne vous lasserez pas [601], vous ne tournerez jamais la tête en arrière. Oh le glorieux combat, où le vaincu remporte la victoire et ne succombe jamais! Oui, que personne ne soit assez lâche pour fuir. Celui qui persévère triomphe toujours; il fait comme le Fils de Dieu, qui a lutté sur la Croix contre la mort; la vie a vaincu la mort, et la mort a vaincu la vie. En donnant la vie de son corps, il détruit la mort du péché; la mort a vaincu la mort, la mort a vaincu la vie, parce que le péché a été cause de la mort du Fils de Dieu. Oh! la belle lutte! le beau tournoi!

7. Vous êtes choisi pour faire la même chose sur la Croix du désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes infidèles; vous devez lutter contre la mort de l'infidélité avec la vie de la lumière de la foi. Si vous mourez, vous aurez la meilleure part; la mort vaincra la mort, comme le faisait le sang des martyrs, qui donnait la vie aux infidèles et aux cruels tyrans. Si vous triomphez sans répandre votre sang, vous vaincrez encore; Dieu, en ne permettant pas le sacrifice de votre vie, ne vous en donnera pas moins une victoire glorieuse. Mais elle ne sera pas glorieuse pour les pauvres insensés qui courent seulement après la fumée et leur propre intérêt. Ceux-là gagneront bien peu; ils donneront beaucoup pour un bien faible profit; ils donneront leur vie pour la misérable fumée du monde. Ceux-là recevront leur récompense dans cette vie passagère. Ils sont armés du vêtement de l'amour-propre; ce ne sont pas des hommes véritables, mais ce sont des hommes de vent, et ils changent comme la feuille, sans force et sans consistance, parce qu'ils n'ont pas pris pour modèle [602] Jésus crucifié, et qu’ils ne sont pas couverts des armes de la vie. Mon désir est que vous soyez de vrais chevaliers, vous et vos compagnons. C’est pour cela que je vous ai dit que je souhaitais vous voir combattre généreusement dans le glorieux champ de bataille. J’espère de l’infinie bonté de Dieu que vous accomplirez sa volonté ; c’est là mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié ; cachez-vous dans ses très douces plaies, et prenez pour bouclier la très sainte Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 

 

LXXXIX (43). - AU PREVOT DE CASOLE ET A JACQUES DE MANZI, du même lieu. - Des malheurs que cause la haine du prochain, et comment nous devons les éviter.

(La terre de Casole est à seize milles de Sienne. Le prévôt en avait le gouvernement spirituel.)

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mes très chers Pères et Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre l'Agneau immolé pour nous sur le bois de la très sainte Croix. Il a été notre paix et notre médiateur entre Dieu et l'homme; il a changé une guerre terrible en une paix profonde; il n'a pas écouté nos [603] iniquités, mais il a écouté son ineffable bonté. Vous êtes des membres et des esclaves rachetés au prix de son précieux et glorieux sang; vous devez donc suivre ses traces. Vous voyez bien que cette douce Vérité suprême s'est faite notre règle et notre voie, puisqu'elle a dit: " Ego sum via, veritas et vita. Je suis la voie, la vérité, la vie. " Elle est la voie, où on trouve tant de douceur et de lumières, que celui qui la suit ne tombe pas dans les ténèbres; et nous, ignorants et misérables, nous nous éloignons toujours de la voie de la lumière, et nous allons par la voie des ténèbres, où se trouve la mort éternelle. Oui, mes très chers Pères et Frères, je ne veux plus qu'il en soit ainsi; mais je veux que vous suiviez la voie de l'Agneau immolé avec tant d'amour, l'Agneau qui s'est fait le médiateur de la paix entre Dieu et l'homme. C'est la voie que je désire vous voir suivre, pour que vous soyez vous-mêmes les médiateurs entre vous et Dieu, c’est-à-dire entre les sens et la raison, chassant la haine par la haine et l'amour par l'amour. Il faut avoir la haine, l'horreur du péché mortel et de l'offense faite à notre Créateur; il faut détester la partie sensitive, la loi mauvaise qui veut toujours se révolter contre Dieu, et haïr la haine que vous avez contre votre prochain.

2. La haine du prochain est une offense contre Dieu, et nous devons haïr cette haine, parce qu'elle offense la Vérité, qui nous défend de haïr les ennemis qui nous font injure. Cette haine est contre nous; car celui qui reste dans une haine mortelle se hait plus que son ennemi. Vous savez que la haine est proportionnée à la grandeur de l'offense, et la haine [604] est plus grande contre celui qui vous attaque directement que contre celui qui vous attaque seulement par parole ou dans vos biens; car rien ne nous est plus cher que la vie. Plus l'homme est blessé dans sa personne, plus il conçoit de haine. Pensez donc qu'il n'y a pas de comparaison entre le mal qu'on a pu vous faire et celui que vous vous faites à vous-même. Quelle comparaison y a-t-il entre le fini et l'infini? Aucune. Eh bien, si je suis blessée dans mon corps, et si je hais pour l'offense qui m'a été faite, il s'ensuit que je blesse mon âme, et que je la tue en lui ôtant la vie de la grâce, et en lui donnant la mort éternelle, si je meurs en état de haine comme je puis le craindre. Je dois donc avoir une plus grande haine contre moi, puisque je tue mon âme, qui est infinie. Quant à son être, qui n'aura pas de fin, elle meurt à la grâce, mais elle ne meurt pas à l'existence. Quelle différence avec celui qui tue le corps! Le corps est une chose finie; il doit finir d'une manière ou d'une autre. C'est une chose corruptible, et qui passe comme l'herbe des champs; sa vie et sa valeur viennent uniquement du trésor de l'âme qu'il renferme. Quand cette pierre précieuse lui est enlevée, ce n'est plus qu'un amas de corruption et de mort dont se nourrissent les vers. Je ne veux donc plus que, pour une offense faite contre ce corps si pauvre et si méprisable, vous offensiez Dieu et votre âme, qui est infinie, en restant dans la haine et le désir de la vengeance. Vous avez bien plus sujet de vous haïr que de haïr les autres, et ainsi vous chasserez la haine avec la haine. Avec la haine de vous-mêmes vous chasserez la haine du prochain. D'un seul coup vous satisferez [605] Dieu et le prochain, parce qu'en ôtant la haine de votre âme, vous ferez votre paix avec, Dieu et votre paix avec le prochain.

3. Vous voyez qu'ainsi, mes Frères bien-aimés, vous suivrez l'Agneau, la voie et la règle qui vous conduit au port du salut. Cet Agneau a été le moyen de satisfaire sur la Croix à l'injure du Père, et de nous donner la vie de la grâce. C'est lui seul qui a changé une guerre terrible en une grande paix. Ce doux Agneau est venu avec la haine de la faute commise par l'homme, et de l'injure faite à Dieu par cette offense. Il a pris cette offense, et il l'a vengée sur lui-même, quoiqu'il n'eût jamais contracté la souillure du pêché. Tout a été fait par la haine et par l'amour, par l'amour de la vertu et par la haine du péché mortel. Je vous dirai la règle que vous devez suivre. Vous savez que de nombreux péchés mortels nous ont mis dans la haine et la disgrâce de Dieu. Nous sommes en guerre avec lui; mais parce que l'Agneau divin nous a donné son sang, nous pouvons faire la paix; lors même que nous nous révolterions tous les jours, tous les jours nous pourrions faire la paix. Mais par quel moyen? car sans moyen nous ne pourrions réussir. Le moyen est de participer au sang de Jésus crucifié ; c'est d'avoir de la haine et de l'amour, en contemplant les affronts, les peines, la honte, la flagellation et la mort de Jésus crucifié, en pensant que nous sommes ceux qui l'ont tué, et le tuent tous les jours en péchant mortellement; car il n'est pas mort pour ses fautes, mais pour les nôtres. Alors l’âme conservera cette haine parfaite de sa faute, comme nous l'avons dit, et cette haine détruira [606] le poison du péché mortel; elle ne voudra plus se venger du prochain, elle l'aimera au contraire comme elle-même, et cherchera tous les moyens de punir ses fautes. Pour l'injure qui lui est faite par la créature, elle ne s'y arrêtera pas, parce qu'elle vient de la créature; mais elle pensera que le Créateur permet cette injure, ou pour ses péchés présents ou pour ses péchés passés. Alors elle ne la considérera pas comme une injure, mais elle pensera avec raison que Dieu l'a permise par un effet de sa miséricorde infinie, parce qu'il veut punir les fautes dans le temps, au lieu de les punir dans l'éternité, où toute peine est sans repentir.

4. Oui, c'est le moyen. Pensez qu'il n'y a pas d'autre voie; toute autre voie en dehors de celle-là conduit à la mort. Dans cette voie du Christ, le doux Jésus, on ne peut trouver la mort, car il l'a détruite; ni la faim, car il est une nourriture parfaite, puisqu'il est Dieu et homme. Cette voie est sûre, car on n'a pas à y craindre les ennemis, le démon et les hommes. Ceux qui la suivent sont courageux, et disent avec l’ardent saint Paul : " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? " Vous savez bien que si vous n'êtes pas contre vous-mêmes en restant dans les misères du péché mortel, Dieu ne sera jamais contre vous, mais qu'il vous traitera toujours avec, miséricorde et avec bonté. Ainsi donc, pour l'amour de Jésus crucifié, ne quittez plus la voie, ne fuyez plus la règle qui vous est donnée par votre Chef crucifié, par le doux Jésus; mais marchez avec courage, et n'attendez pas le temps, car le temps ne vous attend pas. Nous sommes mortels, nous devons [607] tous mourir; mais nous ne savons pas quand. Il est vrai que sans guide vous ne pourrez avancer. Que votre guide soit la haine et l'amour, comme je vous l'ai dit. C'est avec la haine et l'amour que Notre-Seigneur a racheté et puni nos iniquités sur lui-même. Courage donc; ne dormez plus dans le lit de la mort, mais chassez la haine avec la haine, l'amour avec l'amour. Car avec l'amour de Dieu, que vous êtes obligés d'aimer par devoir et par commandement, avec l'amour du salut de votre âme, qui est en état de damnation quand elle hait son prochain, vous chasserez l'amour sensuel, qui cause la douleur, la mort et la tribulation de celui qui l'écoute, et qui éprouve dès cette vie un avant-goût de l'enfer.

5. N’est-ce pas être dans l'aveuglement et les ténèbres que de pouvoir goûter, dès cette vie, la vie éternelle en s'unissant intimement à Dieu par l'amour, et de vouloir se rendre digne de l'enfer en se liant avec le démon par la haine et la vengeance! Nulle créature ne peut comprendre cette folie, et aucun châtiment ne peut assez la punir. Il semble qu'ils ne veulent pas attendre la sentence du souverain Juge, qui les condamnera à la société des démons, puisqu'ils s'y condamnent eux-mêmes. Ils la choisissent avant que l'âme soit séparée du corps, pendant qu'ils sont voyageurs et pèlerins, et qu'ils voient leur vie se précipiter comme le vent vers la mort; ils ne s'en inquiètent pas, et se conduisent comme des fous, des insensés. Hélas! hélas! ouvrez l'oeil de l'intelligence, et ne vous exposez pas aux rigueurs et au pouvoir du souverain Juge. Les jugements des hommes ne ressemblent pas au jugement de Dieu. Devant son [608] tribunal, on ne peut en appeler et avoir des avocats et des procureurs. Le grand Juge donne pour avocat la conscience, qui, dans cette extrémité, se condamne elle-même et se juge digne de mort. Jugeons-nous dès cette vie, pour l'amour de Jésus crucifié; jugeons-nous pécheurs, et confessons que nous avons offensé Dieu. Demandons-lui miséricorde, et il nous la fera, si nous ne voulons pas condamner les autres et nous venger du prochain; car la miséricorde que nous voulons pour nous, nous devons l'accorder aux autres. En le faisant, vous goûterez Dieu véritablement; vous suivrez la voie sûre, vous serez de vrais médiateurs entre Dieu et vous, et vous recevrez enfin l'éternelle vision de Dieu.

6. En pensant à ces choses, j'ai eu compassion de vos âmes, et j'ai voulu ne plus vous voir dans des ténèbres si profondes. Je me suis sentie poussée à vous inviter à ces douces et glorieuses noces; car vous n'avez pas été créés pour une autre fin. il me semble que la voie de la vérité est fermée en vous par la haine que vous avez, tandis que la voie du mensonge et du démon, père du mensonge, est bien ouverte et bien large en vous. Je veux que vous sortiez tout à fait de cette voie ténébreuse en faisant votre paix avec Dieu et avec votre prochain, et que vous reveniez dans la voie qui donne la vie. Je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, ne me refusez pas cette grâce. Je ne veux pas vous fatiguer davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [609].
 
 

 

 

XC (44). - A BERENGER DES ARZOCCHI, curé d'Asciano . - Des devoirs d'un bon ministre , et du bonheur qu’éprouvent à la mort les vrais serviteurs de Jésus-Christ.

(Asciano est à douze milles de Sienne, et appartient au diocèse d'Arezzo.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je me recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir son vrai ministre, qui suive toujours ses traces. Soyez, soyez cette fleur odoriférante que vous devez être, et répandez vos parfums en la douce présence de Dieu. Vous savez bien qu'une fleur qui reste longtemps dans l'eau ne donne plus d'odeur et se corrompt. Il me semble bien, mon Père, que vous et les autres ministres, vous devez être des fleurs. Mais si cette fleur est mise dans l'eau des iniquités et des péchés honteux, elle ne donne plus de parfum, et elle sent mauvais. Oh! combien est malheureux et misérable celui-là qui avait été placé comme une fleur dans le jardin de la sainte Église, et qui doit rendre compte de ceux qui lui sont confiés! Vous savez quelle pureté Dieu leur demande. Hélas ! hélas mon vénérable Père, c'est tout le contraire : non seulement ils sont corrompus, mais ils corrompent tous ceux qui [610] s'en approchent. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus; depuis trop longtemps nous dormons, et nous sommes morts à la grâce. Le temps presse, car la sentence est rendue, et nous sommes condamnés à mort.

2. O mon doux Père, considérez un peu le triste état et les dangers terribles où nous sommes dans cette mer affreuse du péché mortel. Ne croyons-nous pas arriver enfin à l'heure de la mort? Nous savons bien que ni les créatures, ni les richesses, ni la noblesse ne pourront nous en exempter. Oh ! alors, combien sera misérable cette âme qui aura recherché les plaisirs de la chair, et s'y sera vautrée comme le pourceau dans la fange ! De créature raisonnable, elle devient un animal immonde, se plongeant encore tellement dans une honteuse avarice, qu'elle vendra, par cupidité, les grâces spirituelles. L'orgueil l'étouffe, et toute sa vie elle dépense en honneurs, en festins, en serviteurs, en beaux équipages, ce qu'il fallait donner aux pauvres. Ce sont ces œuvres qui, au moment de la mort, se présentent pour juger cette pauvre âme; cette âme malheureuse croyait avoir péché contre Dieu, et elle a péché contre elle-même; elle est son propre juge, et elle se reconnaît digne de la mort éternelle. Ne nous laissons plus abuser de la sorte; car c'est une grande folie à l'homme de se rendre digne de mort lorsqu'il peut, au contraire, mériter la vie.

3. Puisqu'il dépend de nous de choisir entre la vie et la mort par le libre arbitre que Dieu nous a donné, je vous prie avec toute l’affection possible d'être une douce fleur qui répande des parfums en présence de [611] Dieu et de vos fidèles, et de donner, s'il le faut, comme un vrai pasteur, votre vie pour vos brebis, reprenant les vices et confirmant les bons dans la vertu. Ne pas corriger, corrompt comme le fait un membre gâté, qui gâte tout le corps de l'homme. Veillez donc toujours sur vous et sur les vôtres; qu'il ne vous semble pas dur d'arracher quelques sauvageons, car le fruit vous sera beaucoup plus doux que la peine ne sera amère. O très cher Père! considérez l'amour ineffable de Dieu pour notre salut; ouvrez les yeux et voyez ses dons, ses bienfaits inestimables. Peut-on aimer plus que de donner sa vie pour son ami? Combien plus étonnant celui qui donne sa vie pour ses ennemis! Que nos cœurs ne résistent plus, que leur dureté s'amollisse, et qu'ils ne soient pas toujours comme des rochers. Rompez ce lien, cette chaîne avec laquelle le démon vous tient captif si longtemps. C'est la force du saint désir, la haine du vice et l'amour de la vertu qui rompront ces entraves. Passionnez-vous donc pour les solides vertus, qui font le contraire des vices; car si le péché cause l'amertume, la vertu donne la douceur, et fait goûter dès cette vie la vie éternelle.

4. Oh ! quand viendra le doux moment de la mort, la vertu agira; elle répondra pour l’homme, elle le défendra devant la justice de Dieu, elle le rassurera, le préservera de toute confusion et le conduira dans cette vie durable où la vie est sans mort, la santé sans infirmité, la richesse sans pauvreté, l'honneur sans honte, la grandeur sans servitude, car là tous sont seigneurs; et plus l'homme se sera fait petit dans cette vie, plus il sera grand dans l'autre; et [612] plus il aura voulu être grand dans cette vie, plus il sera petit dans l'autre.

5. Soyez donc petit par une sincère et profonde humilité. Voyez Dieu, qui s'est humilié jusqu’à votre humanité, et ne vous rendez pas indigne de ce dont il vous a fait digne, c'est-à-dire du précieux sang de son Fils, qui vous a racheté avec un si ardent amour. Nous sommes des esclaves rachetés; nous ne pouvons plus nous vendre, et quand nous sommes dans le péché mortel, nous sommes des aveugles qui nous vendons au démon. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, sortons d'un si grand esclavage. Je termine, et j'ajouterai seulement que mes fautes sont innombrables; je vous promets de les prendre avec les vôtres et d'eu faire un bouquet de myrrhe que je placerai sur mon cœur par un regret amer. Ce regret amer, fondé sur la vraie charité, nous fait parvenir a la vraie douceur et au bonheur de la vie éternelle. Pardonnez à ma présomption et à mon orgueil; saluez et bénissez pour moi toute la famille dans le Christ Jésus; je le prie qu'il vous donne sa douce et éternelle bénédiction, et que sa force soit assez grande pour rompre les liens qui vous éloignent de lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[613].
 
 

 

 

XCI (45). - A MESSIRE NICOLAS DE VEZZANO, chanoine de Bologne.- Cette lettre a été dictée en extase.- De la persévérance dans la vertu. - On l'acquiert par rameur désintéressé envers Dieu et par la haine de la sensualité.

(La famille des Vezzani était une des cinquante familles sénatoriales de Bologne.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

 

1. Mon très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu. Dieu vous en a donné le désir dans son infinie miséricorde; mais je ne crois pas qu'une personne puisse arriver à la perfection de la vertu par la persévérance, si elle n'a pas un amour pur et généreux, si elle n'est détachée d'elle-même, ne voulant pas servir Dieu à son moment et à sa manière, mais toujours et de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, sans songer à son bien-être. La sensualité est digne de haine et non d'amour, car elle résiste et se révolte sans cesse contre son Créateur, c'est elle que nous devons toujours détester en nous et combattre, en lui donnant le contraire de ce qu'elle nous demande. Mais dirons-nous: comment parvenir à cet amour et à cette haine, si je ne puis par une autre voie arriver à la vertu, et persévérer dans le bien commencé [614] ? Je répondrai que c'est par la lumière que nous arriverons à l'amour et à la haine, parce que la chose qu'on ne voit pas ne peut être connue ni en mal ni en bien; et ne la connaissant pas, on ne peut ni la détester ni l'aimer: la lumière' de l'intelligence est donc nécessaire ; il faut que l'intelligence soit éclairée de la lumière de la très sainte Foi.

2. Nous avons l'oeil de l'intelligence, qui est une des puissances de l'âme, et nous recevons l'empreinte de la Foi dans le saint baptême. Si cette lumière venue à l'âge de raison, n'est pas développée par la vertu, si elle est obscurcie par l'amour-propre et les plaisirs du monde, nous ne pouvons voir; mais dès que le nuage est enlevé, l'oeil voit, si la volonté libre veut ouvrir cet œil et prendre pour objet Jésus crucifié, et le pur et parfait amour qu'il a pour nous. Notre-Seigneur ne nous aime pas par intérêt, car nous ne pouvons rien faire qui puisse lui être utile; il n'a pas besoin de nous, et il agit uniquement pour notre bien, afin que nous soyons sanctifiés en lui. Je dis qu'en le voyant si dévoué, l'âme se dévoue aussi à lui dans son amour et sa volonté, et du même amour qu’elle trouve dans le doux et tendre Verbe, elle aime son prochain; elle l'aime purement, travaillant avec zèle à son salut et l'assistant de tout son pouvoir, par tous les moyens que Dieu lui a donnés. Elle l'aime et le sert avec cette perfection qu'elle puise dans la connaissance de la divine charité, parce que l'amour du prochain vient de l'amour de Dieu; comme elle aime Dieu, elle aime le prochain; elle s'applique à le servir parce qu'elle connaît la vérité de Dieu, et qu'elle voit l'amour ineffable qu'il a manifesté par le sang de son [615] Fils; et parce qu'elle voit que Dieu ne cesse jamais d'être bon envers elle et envers les autres créatures, et qu'il les comble toujours de bienfaits, il lui semble qu'on ne peut jamais cesser d'aimer son Créateur, tant qu'on reste dans cette connaissance. La loi de l'amour est d'aimer quand on se voit aimé: l'amour n'est jamais oisif, il fait toujours de grandes choses

3. Aussi l'âme se fortifie et persévère. Plus elle connaît la bonté de Dieu, plus elle connaît parfaitement sa misère; car toute chose se connaît mieux par son contraire. Elle voit son néant à la lumière de la très sainte Foi ; elle a reçu de Dieu l'être et toutes les grâces qui y ont été ajoutées; sans l’être, nous ne serions capables de recevoir aucune grâce. L'âme a été régénérée à la grâce dans le sang de son Fils unique: elle voit qu'après tant de bienfaits, elle est toujours rebelle à Dieu. C'est ce qui lui inspire une sainte haine. Elle déteste en elle cette loi mauvaise qui combat contre l'esprit. Pensez qu'elle ne doit pas la détester seulement quand elle se sent assiégée par les combats et les tentations de la chair, de la négligence et de la paresse, mais elle doit la détester toujours. Cette haine doit être de tous les instants; elle peut toutefois plus augmenter à un moment qu'a un autre, selon les tentations et les dispositions où elle se trouve.

4. Si l'âme sent s'affaiblir l'ardeur des sens qui s'apaisent, elle ne doit pas renoncer à sa haine; mais dans le temps de la paix, qu'elle veille toujours bien, car elle ne peut compter que sur les ressources d'une humilité sincère et profonde. Il vaut mieux attaquer [616] la sensualité par la haine et l'humilité que d'être attaqué par elle; si on ne le fait pas, la passion, qui semblait dormir, se réveille; jamais elle n'est plus à craindre que quand elle paraît morte. Tant que nous vivons elle ne meurt pas; mais elle s'endort plus profondément ou plus légèrement, selon la haine qu'on en a, et selon l'amour de la vertu. La haine la corrige, et l'amour l'endort. D'où vient cela? De la lumière. Si l'âme n'avait pas vu et connu sa fragilité, elle ne la poursuivrait pas de sa haine; mais, parce qu'elle connaît sa force, elle la hait et s'efforce de la combattre sans cesse. Comme elle voit qu'elle ne cesse de l'attaquer, elle ne veut pas et ne doit pas non plus cesser la guerre et faire la paix.

5. C'est là le principe et le fondement solide de toute vertu dans l'homme; c'est ce qui rend parfaites toutes ses œuvres spirituelles ou temporelles lorsque la volonté les fait sans s'y attacher, et pas autrement. Il est fidèle, persévérant, et il ne se laisse pas aller à tout vent; mais il est toujours ferme, et ne fait aucune différence entre la main gauche et la main droite, c'est-à-dire entre la tribulation et la consolation. S'il est séculier il remplit bien sa condition; s’il est prélat, il se montre bon et vrai pasteur; s'il est clerc, il devient une fleur odorante dans la sainte Église, il répand le parfum des vertus, il rend honneur et gloire à Dieu, et sert le prochain, en lui donnant le fruit de ses humbles et continuelles prières, en lui communiquant généreusement les grâces que Dieu. lui a confiées. Ses biens temporels, qu'il doit au sang de Jésus crucifié, il ne les dépense pas d'une manière coupable et par vanité, ou avec ses parents, s'ils ne [617] sont pas dans la misère, ce qui est le seul cas permis; maïs il donne consciencieusement ce qu'il doit aux pauvres, au bien de l’Église et à ses propres besoins; s'il faisait autrement, il commettrait une grande faute. Il ne se scandalise pas et ne fait jamais la guerre à son prochain; il attaque ses vices, mais non sa personne; il l'aime au contraire comme lui-même et travaille à son salut avec zèle. Comme il fait la guerre contre lui-même et contre ses sens, il ne la fait point contre Dieu et son prochain. Car toute offense contre Dieu et le prochain vient de ce qu'on ne se hait pas, mais qu'on s'aime d'un amour sensuel, qui empêche de persévérer dans le bien qu'on entreprend.

6. La persévérance vient de la haine et de l'amour, comme je l'ai dit, et l'amour s'acquiert par la lumière de la très sainte Foi. Elle est la pupille de l’oeil de l'intelligence qui s'exerce librement, et qui veut sincèrement reconnaître la bonté de Dieu à son égard, les grâces qui viennent du Créateur, et les fautes qui viennent des sens. C'est la seule voie; aussi je vous ai dit que je désirais vous voir fidèle et persévérant dans la vertu, et je suis persuadée qu'il n'y a pas d'autre moyen que celui que je vous indique. Aussi je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de profiter du temps que nous avons pour veiller et pour connaître, pour connaître avec fruit et mérite. Passé ce temps, vous savez qu'il n'en est plus de même. Ne restez donc pas à dormir, mais veillez continuellement, non seulement de corps, mais d'esprit, afin de prier sans cesse par d'ardents désirs et par l'amour de l'âme envers son Créateur, toujours priant pour [618] l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et noyez-y toute jouissance, toute complaisance humaine. Que toute volonté propre meure en vous, afin de courir dans la voie de la vérité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
 
 

 

 
 
 
 

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