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Sainte Catherine de Sienne
Lettres 92 à 109







XCII (46).- A DOM ROBERT DE NAPLES. – De l'amour de Dieu à notre égard dans l'Incarnation et la Passion de Jésus-Christ. - Il faut désirer l'honneur de Dieu à l’exemple de la Vierge Marie.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon cher et révérend Père, par respect pour le très doux Sacrement, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je me recommande à vous dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir uni et transformé dans le feu de la divine charité, ce feu qui a uni Dieu à l'homme, et l'a tenu attaché et cloué sur la Croix. O ineffable et très douce Charité! combien est douce l'union que vous avez contractée avec l'homme! Vous nous avez montré votre ineffable amour par les grâces et les bienfaits sans nombre que vous avez accordés à vos créatures, surtout par le bienfait de l’incarnation de votre Fils, puisque nous avons vu la souveraine Grandeur descendre à la bassesse de notre humanité. L'orgueil de l'homme ne devrait-il pas rougir de voir Dieu si abaissé dans le sein de la glorieuse [619] Vierge Marie, qui a été le doux champ où fut semée la semence de la parole incarnée du Fils de Dieu ! Vraiment, mon très cher Père, dans ce doux et béni champ de Marie, le Verbe, uni à sa chair, a fait comme le grain qui germe à la chaleur du soleil, montre sa fleur et son fruit, et laisse son enveloppe à la terre. Il a fait vraiment la même chose par la chaleur et le feu de la divine charité que Dieu a eue pour le genre humain, lorsqu'il a jeté la semence de sa parole dans le champ de Marie. O bienheureuse et douce Marie ! Vous nous avez donné la fleur du doux Jésus. Et quand cette fleur a-t-elle donné son fruit? quand elle s'est ouverte sur le bois de la très sainte Croix, parce qu'alors nous avons reçu la vie parfaite. Pourquoi disons-nous que l'enveloppe fut laissée à la terre ? Quelle fut cette enveloppe? ce fut la volonté du Fils unique de Dieu, qui, en tant qu'homme, était revêtu du désir de l'honneur de son Père et de notre salut ; et ce désir fut si grand, qu'il courut, dans son ardeur, a travers les peines, la honte et l'outrage, jusqu'à la. mort ignominieuse de la Croix.

2. Considérons, mon vénérable Père, que le même désir fut en Marie, car elle ne pouvait désirer autre chose que l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Les docteurs disent, pour faire comprendre la charité sans bornes de Marie, qu'elle aurait servi d'échelle pour mettre son Fils sur la Croix ; et il en était ainsi parce que la volonté du Fils était demeurée en elle. N'oubliez pas, mon Père, et pensez toujours dans votre cœur, dans votre mémoire, dans votre âme, que vous avez été offert et donné a Marie; priez-la qu'elle vous présente et vous donne à son doux fils Jésus, et [620] cette douce Mère, cette tendre Mère de miséricorde vous présentera. Ne soyez pas ingrat et oublieux, car elle ne rejette point la prière qui lui est faite, mais elle l'accueille avec bonté. Soyez donc fidèle, sans vous laisser surprendre par les illusions du démon et les paroles des créatures, mais courez généreusement avec ce désir de Marie, qui vous fera toujours chercher l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

3. Je vous conjure de vous appliquer autant que possible à la garde de votre âme et de votre corps, afin que vous puissiez, par l'amour et le saint désir, vous nourrir des âmes et les enfanter en la présence de Dieu. Et quand vous êtes appelé à recevoir des confessions, ne commettez aucune négligence, mais appliquez-vous avec un zèle parfait à retirer les âmes des mains du démon. Ce sera le signe véritable que nous sommes de vrais fils, puisque nous suivrons ainsi les traces du Père. Mais sachez que nous ne pouvons parvenir à ce grand et immense désir que par le moyen de la très sainte Croix, c'est-à-dire par l'amour ardent et crucifié du Fils de Dieu. C'est une mer pacifique qui donne à boire à tous ceux qui ont soif et désir de Dieu, et qui donne la paix à tous ceux qui sont an guerre et qui veulent faire la paix avec lui. Cette mer a une chaleur qui réchauffe les cœurs froids, et elle les réchauffe tellement, qu'ils perdent toute crainte servile, et qu'ils n'ont plus qu'une charité parfaite et une sainte crainte d'offenser le Créateur; ils ne. redoutent pas autre chose. Je ne veux pas que vous craigniez les attaques et les combats des démons qui viendront pour piller et détruire la cité de votre âme. Ne les craignez pas; mais, comme un [621] chevalier sur le champ de bataille, combattez avec les armes et le glaive de la divine charité, car c'est là le moyen de châtier le démon.

4. Sachez aussi que, pour ne pas perdre les armes avec lesquelles on doit se défendre, il faut les tenir cachées dans notre âme par une vraie connaisse de nous-mêmes; parce que, quand l'âme connaît qu'elle n'est rien par elle-même, et qu'elle commet toujours le péché, qui est un néant, elle s'humilie devant Dieu et devant toute créature pour Dieu. Elle connaît que toute grâce et tout bien viennent de lui ; et elle voit la bonté de Dieu, si généreuse à son égard que, par amour pour lui et par haine pour elle-même, elle voudrait satisfaire à sa justice. Non seulement elle veut se punir, mais elle désire sans cesse que toutes les créatures et les animaux même la punissent. Il n'y a pas de créature qu'elle ne juge meilleure qu'elle ; et cette disposition fait naître un tel parfum de patience, qu'il n'y a pas de fardeau et d'amertume qu'elle ne puisse supporter avec courage, par amour et par justice. Elle ne se voit pas, comme celui qui se perd dans l'amour-propre, et elle ne fait pas attention aux peines et aux injures qui lui sont faites; mais elle considère seulement l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Elle ne s'arrête pas plus alors aux épreuves qu'aux douces caresses et aux consolations de Dieu, parce que, dans la haine qu'elle a pour elle-même, elle se juge indigne des visites et des consolations qu'elle reçoit de Dieu ; elle s'écrie souvent avec humilité, comme saint Pierre : Eloignez-vous de moi, parce que je suis pécheur. Et alors le Christ s'unit plus parfaitement à l'âme qui devient avide des âmes et [622] s’en rassasie. Je vous prie de la part de Jésus crucifié de faire ainsi. Demeurez dans une vraie et sainte connaissance de vous-même. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières
 








XCIII (47) A MESSIRE PIERRE, prêtre de Semignano . - De la paix avec Dieu et avec les créatures. - Combien est déplorable l'iniquité de ceux qui ne respectent pas leur ministère et qui souillent leur âme par la haine.

(Semignano est une ville à six milles de Sienne.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. O Prêtre, que me rend cher l'auguste sacrement que vous avez à administrer, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vase d'élection, portant dignement le nom du Christ, et vous appliquant avec un ardent amour à vivre en paix avec le Créateur, et à réconcilier entre elles les créatures: c'est là votre devoir, et vous devez le remplir. Je suis persuadée que si vous ne le faites pas, Dieu vous en reprendra sévèrement et durement. Soyez, soyez donc un miroir de vertu, et respectez votre dignité. Dieu, dans sa miséricorde, vous a élevé si haut, que vous avez à administrer le feu de la charité divine, c'est-à-dire le corps et le sang de Jésus crucifié. Pensez, pensez que la nature angélique n'a pas cet honneur. Considérez qu'il a mis sa [623] parole dans votre âme comme dans un vase. Vous voyez bien qu'en représentant la personne du Christ, vous avez le pouvoir de consacrer ce très doux sacrement. Aussi vous devez porter votre dignité avec un ardent amour, une grande pureté d'esprit et de corps, et avec un cœur pacifique, arrachant de votre âme toute liai ne et tout désir de vengeance.

2. Hélas ! hélas! où est la pureté des ministres du Fils de Dieu? Vous demandez la pureté du calice dont vous vous servez à l'autel, et vous le refuseriez s'il était souillé, pensez aussi que Dieu, la souveraine, l'éternelle Vérité, demande que votre âme soit pure et nette de toute tache du péché mortel, et surtout du péché honteux. Hélas! infortunée que je suis! nous voyons tous les jours le contraire de ce que Dieu demande. Ceux qui devraient être les temples de Dieu, et porter le feu de sa parole, se font des étables de pourceaux et d'autres animaux; ils portent le feu de la colère, de la haine, de la vengeance et de la méchanceté dans l'intérieur de leur âme, et ils y entassent des impuretés où ils se vautrent continuellement comme le pourceau dans la fange. Hélas! quelle confusion de voir ceux que le Christ a consacrés se livrer à tant de misères et d'iniquités! Ils ne respectent pas la création qui les a faits à l'image et à la ressemblance de Dieu, ni le Sang qui les a rachetés, ni la dignité qu'ils reçoivent de ce sacrement par grâce, et non par obligation. Hélas! mon cher Père, ouvrez l’oeil de votre entendement, et ne dormez plus dans une pareille misère ! Ne vous étonnez pas si Dieu semble ne pas voir, parce que, quand viendra le moment de la mort que personne ne peut éviter, il [624] montrera bien qu'il a tout vu; et l'homme s'en apercevra, car toute faute sera punie, et toute vertu récompensée. Ils l'oublient, les insensés, qui ne voient pas que Dieu est au-dessus d'eux, et qu'il pénètre le fond des cœurs ! Nous pouvons bien nous cacher aux yeux de la créature, mais non pas à ceux du Créateur.

3. Hélas! sommes-nous donc des animaux sans raison? On le dirait vraiment, non pas quant à l'être que Dieu nous a donné par la création, mais quant à nos mauvaises dispositions. Car nous nous abandonnons sans aucune retenue à nos sens; nous les suivons en nous enivrant de jouissances grossières, et nous recherchons les plaisirs du monde, en nous enflant d'orgueil. L'orgueil est si grand dans le cœur de l'insensé, qu'il s'en laisse posséder, et qu'il ne veut pas s'humilier devant Dieu et devant la créature. Si quelquefois on lui fait une injure, une menace de mort ou de quelque malheur, il ne voudra pas s'humilier en pardonnant à son ennemi; mais il voudra que les plus grandes fautes et les offenses qu'il a commises contre Dieu lui soient pardonnées. Il se trompe: car il sera jugé avec la mesure dont il se sera servi pour les autres. Je ne veux donc pas que vous lui ressembliez; mais je veux que vous soyez un vase plein d'amour et de charité. Je m'étonne beaucoup qu'un homme comme vous puisse avoir de la haine, après que Dieu vous a retiré du siècle et fait ange de la terre en cette vie par la vèrtu du sacrement. Et vous, par votre faute, vous vous plongez dans le siècle! Je ne sais pas comment vous osez célébrer. Je vous dis que si vous persévérez dans cette haine et dans vos vices, vous devez craindre la [625] justice divine qui éclatera sur vous. Oui, je vous le dis, plus de semblables iniquités! Réformez votre vie, et pensez que vous devez mourir sans savoir quand. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je n'en doute pas, si vous considérez le sang de cet Agneau, vous délivrez votre coeur et votre affection de cette misère, et surtout de cette haine.

4. Je vous le demande par grâce et miséricorde, et je veux que vous vous réconciliez. Quelle honte de voir deux prêtres dans une haine mortelle! Et c'est un grand miracle que Dieu ne commande pas à la terre de vous engloutir tous les deux. Courage donc, puisqu'il est encore temps d'obtenir miséricorde recourez à Jésus crucifié, qui vous recevra avec bonté si vous le voulez. Pensez que si vous ne le faites pas, vous subirez la sentence lancée contre ce serviteur coupable, qui avait été traité avec tant de bonté par le maître auquel il devait beaucoup, et qui refusa de remettre une petite dette à son serviteur, le foula aux pieds et voulut l'étrangler. Aussi le maître, en l'apprenant, révoqua la grâce qu'il lui avait faite, et il fut juste en ordonnant à ses serviteurs de lui lier les pieds et les mains, et de le jeter dans les ténèbres extérieures. Ne pensez pas que la divine bonté du doux Jésus ait donné cet exemple pour d'autres que pour ceux qui vivent dans la haine de Dieu et du prochain. Je ne veux donc pas que vous vous exposiez à ce châtiment, mais je veux que la miséricorde que vous avez reçue et que vous recevez, vous l'ayez aussi pour votre ennemi; car autrement vous ne pourriez avoir part à la grâce de Dieu, et vous seriez privé de sa vision. Je ne vous en dis pas davantage [626]. Répondez-moi quelle est votre intention, votre volonté. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XCIV (48). - AU PRETRE JEAN, de Pise . - Le sang de Jésus-Christ embrase l’âme du feu de la vraie charité.

(Cette lettre est adressée à Jean Pucci, chapelain de l'Eglise de Pise, et disciple de sainte Catherine. Il contribua beaucoup à la fondation de la chartreuse de Pise, et il établit la confrérie des Sacrés-Stigmatespar dévotion pour saint François, et sans doute en souvenir de sa mère spirituelle, qui avait reçu à Pise cette insigne faveur. Sa vie sainte lui fit donner, après sa mort le titre de bienheureux.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné, noyé dans le sang de Jésus crucifié, et caché dans la plaie de son côté. Dans le sang vous trouverez le feu, car il l'a répandu par amour; et dans le côté, vous trouverez l'amour du cœur, car tout ce que le Christ a fait pour nous a été fait avec l'amour du cœur. Alors votre âme s'enflammera du feu d'un saint désir, et ce désir est un effet de l'amour, qui ne vieillit jamais et rajeunit toujours au contraire, l'âme qui en est revêtue; il la renouvelle [627] dans la vertu, la fortifie, l'illumine et l'unit avec son Créateur; car dans Jésus crucifié elle trouve le Père, et elle participe à sa puissance. Elle trouve la sagesse du Fils unique de Dieu, qui éclaire son intelligence; elle goûte et voit la bonté de l'Esprit-Saint, en trouvant le tendre amour que le Christ nous a montré dans le bienfait de sa Passion, lorsqu'il nous fit de son sang, un bain pour laver nos iniquités, et de son côté une demeure, un refuge ou l'âme se repose et goûte les douceurs de l'Homme-Dieu. Je veux que nous fassions toujours ainsi, mon très cher Père. Que l’oeil de notre intelligence ne se ferme jamais, et qu'il voie toujours, qu'il contemple combien Dieu nous aime, comme il nous le prouve par le moyen de son Fils; que la volonté aime toujours, et qu'elle ne cesse jamais; que l'amour envers le Créateur ne se ralentisse ni par le plaisir, ni par la peine, ni par aucune chose qui aura été dite ou faite; et lors même que toutes les autres œuvres ou les exercices corporels cesseraient, l'amour ne devrait jamais s'éteindre. Je ne vous en. dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [628 ] .

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XCV (49). - A MESSIRE MARIANO, prêtre de la Miséricorde à Montichiello. - De la puissance de la Croix et de la charité.

(Frère Mariano était attaché au service de l’hospice de la Miséricorde, qui possédait des biens à Montichiello, bourg fortifié à vingt-quatre milles de Sienne.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un généreux chevalier, combattant avec courage sur le champ de bataille, sans reculer jamais pour éviter les coups qui pourraient venir, car vous seriez un chevalier sans gloire. Mais, pour résister, prenez avec courage les armes de la très sainte Croix. Ces armes préservent de tous les coups et de toutes les tentations du démon visible ou invisible: le souvenir du Sang vous donnera la victoire. O mon très cher Fils, combien seront heureuses votre âme et la mienne lorsque vous serez au milieu de ce champ de bataille et de cette tempête, armé des armes de la charité, que vous acquerrez dans la mémoire de la Croix! Vous prendrez le glaive avec lequel vous pourrez vous défendre des ennemis qui vous assiègent, le glaive de la crainte et de l'amour, quand vous vous verrez attaqué par les mauvaises pensées et par les créatures dont les exemples vous porteront au péché. Alors vous vous rappellerez le [629] prix du Sang qui vous a si doucement racheté, et vous les combattrez avec la sainte crainte de Dieu, en voyant combien lui est odieux le péché qui a causé sa mort, et combien lui est agréable la vertu. Vous triompherez ainsi de tous vos ennemis. Souvenez-vous de ce saint Père qui s'éprouva lui-même par le feu, en disant: O mon âme! pense que ce n'est pas là le feu éternel; éprouve ce feu, et si tu peux le soutenir, commets le péché.

2. Reprenez-vous ainsi vous-même, et considérez que l’oeil de Dieu est toujours sur vous, qu'il n'y a pas de secrets pour lui, qu'il récompense le bien et punit le mal, et que personne ne peut échapper à ce jugement. Agissez avec zèle, souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Le bien qu'il récompense, c'est l'amour. Si vous aimez, vous voudrez tout souffrir pour lui, et le mal vous inspirera une crainte qui vous fera résister aux mauvaises pensées. Ainsi armé, les coups des tentations ne vous feront aucun mal et en vous servant du glaive avec persévérance, vous resterez vainqueur et vous déferez tous vos ennemis. Vous pourrez ensuite dire, quand viendra le moment de la mort, cette douce parole de saint Paul: J'ai couru et j'ai fourni ma course, en vous restant toujours fidèle; maintenant, Seigneur, je vous demande la couronne de justice (2 Tm 4,7). Il est donc bon de persévérer. Placez-vous dans le côté du Fils de Dieu, et baignez vous dans l'abondance de son sang; faites avec humilité ce que vous avez a faire, parce que le démon ne se chasse pas avec le démon, mais [630] avec la vertu de patience et avec l'humilité. Soyez un bon économe pour les pauvres qui ont besoin, et que vos rapports avec le monde soient toujours accompagnés de la crainte de Dieu. Si vous pouvez défendre le bien des pauvres avec humilité, faites-le, car vous ne savez pas combien de temps vous serez en charge; faites de votre côté tout ce que vous pourrez faire. Ayez bon courage, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XCVI (50). AU PRÊTRE ANDRE DE VITRONI.- De la dignité du prêtre, et comment il doit se dépouiller de l’amour-propre, qui nous prive de la vraie lumière.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher Frère et Père, par respect pour le doux Sacrement, dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la dignité à laquelle Dieu vous a élevé: parce que sans la lumière vous ne pourrez la connaître; ne la connaissant pas, vous ne rendrez pas honneur et gloire à la souveraine Bonté qui vous l'a donnée, et vous n'alimenterez pas la source de la piété par la reconnaissance, mais vous la dessécherez dans votre âme par beaucoup d'ignorance et d'ingratitude car la chose qui ne se voit [631] pas, nous ne la connaissons pas; ne la connaissant pas, nous ne l'aimons pas; ne l'aimant pas, nous ne pouvons être heureux et reconnaissants envers notre Créateur. Nous avons donc besoin de la lumière. O très cher Frère ! elle est si nécessaire, que, si l'âme comprenait combien elle en a besoin, elle aimerait mieux mourir que d'aimer et chercher quelque chance qui pourrait lui ravir cette douce et bonne lumière.

2. Vous me demanderez peut-être ce qui pourrait la ravir, afin de l'éviter ; je vous répondrai, selon ma faible intelligence, que c'est le seul nuage de l'amour-propre sensuel qui nous ôte cette lumière. Cet amour est un arbre de mort dont la racine est dans l'orgueil. De l'orgueil nait l'amour-propre, et de l'amour-propre l'orgueil. Car aussitôt que l'homme s'aime de cet amour, il se confie en lui-même, et ses fruits engendrent tous la mort, en privant l'âme de la vie de la grâce qu'elle possède. Il se nourrit de ce qui plaît à sa volonté, c’est-à-dire qu'il tombe volontairement dans le péché mortel que produit l'amour-propre. Oh! quel péril ! Savez-vous combien il est grand? Il prive l'homme de cette connaissance de lui-même qui lui donnerait la vertu de l'humilité, et c'est dans cette humilité que germe l'amour de l'âme qui est conforme à la charité; il ôte aussi cette connaissance de Dieu qui développe le doux feu de la divine charité, parce qu'il lui ôte la lumière de son principe, qui lui donne la connaissance. L'âme ainsi se trouve dépouillée de la charité, car elle tombe dans l'aveuglement et devient alors semblable à l'animal; tandis qu'avec la connaissance qu'elle pourrait acquérir par la lumière de la raison, l'homme devient un ange terrestre en cette vie.

3. Ce sont surtout les ministres que la souveraine Bonté a choisis pour ses christs qui devraient être des anges, et non des hommes; et ils le sont véritablement, s'ils ne se privent pas de la lumière : ils ont réellement les fonctions des anges. Les anges servent chaque homme selon la manière que Dieu leur a prescrite; ce sont des gardiens que nous a donnés sa bonté. Il en est de même des prêtres placés dans le corps mystique de la sainte Eglise pour nous distribuer le sang et le corps de Jésus crucifié, Dieu et homme tout ensemble par l'union de la nature divine à la nature humaine. L'âme est unie au corps, et le corps et l'âme sont unis à la nature divine du Père éternel, qui donne l'être. C'est ce trésor qui est distribué par ceux qui ont la vraie lumière avec le doux feu de la charité, avec la faim de l'honneur de Dieu, et du salut des âmes que Dieu leur a confiées pour que le loup infernal ne les dévore pas. Ceux-là goûtent les fruits des vertus qui donnent la vie de la grâce, et qui sont produits par l'arbre du vrai et parfait amour. Ils font le contraire, ceux qui plantent l'arbre de l'amour-propre dans leurs âmes. Toute leur vie est corrompue, parce que la racine principale des affections de leur âme est corrompue. S'ils sont séculiers, ils se rendent coupables dans leur état, en commettant de nombreuses injustices et en ne vivant pas comme des hommes, mais comme des animaux sans raison qui se roulent dans la boue. Oui, ceux-là ne sont pas dignes d'être appelés des hommes, puisqu'ils ont perdu la dignité que donne la lumière de la raison [633] et qu'ils ressemblent aux animaux, en se plongeant dans la fange de l'impureté et en s'abandonnant à toutes sortes de vices, selon l'impulsion de leurs appétits grossiers.

4. S'ils sont religieux ou clercs, la vie qu'ils suivent n'est pas celle des anges ou des hommes, mais celle des bêtes, et ils s'aviliront souvent plus que ne le feraient des séculiers. Oh! quel ruine et quel châtiment ils méritent ! La langue est incapable de le dire, mais la pauvre âme l'éprouvera bien quand viendra le moment. Ils ont pris l'office des démons, qui font tous leurs efforts pour priver les âmes de Dieu et les conduire à ce repos dont ils jouissent eux-mêmes. Ainsi font ceux qui n'ont pas une bonne et sainte vie, parce qu'ils ont perdu la lumière et s'abandonnent à de grands vices, comme vous pouvez le voir, vous et ceux qui les connaissent. Ils sont bien cruels pour eux-mêmes, puisqu'ils se rendent les compagnons des démons, avec lesquels ils habitent avant le temps. Ils ont la même cruauté envers les créatures, parce qu'ils sont privés de la charité du prochain; au lieu de garder les âmes, ils les dévorent et les livrent eux-mêmes au loup infernal. O homme misérable! Quand le souverain Juge t'en demandera compte, tu ne pourras le satisfaire, et alors tu tomberas dans la mort éternelle: Mais tu ne vois pas maintenant ton malheur, parce que tu os privé de la lumière, et tu méconnais la dignité à laquelle Dieu t'a élevé dans sa bonté.

5. Hélas! mon cher Frère? il a été choisi comme un ange, pour qu'il soit ainsi digne d'administrer le corps de. l'humble Agneau sans tache, et c'est vraiment [634] un démon incarné; il ne mène pas la vie d'un religieux et ne suit jamais les lois de la raison; il ne vit pas comme un clerc, qui doit vivre humblement avec son bréviaire pour épouse, remplissant son devoir envers les pauvres, donnant ses prières à toutes les créatures raisonnables, ses biens à ceux qui sont dans le besoin, ou les consacrant au service de l'Église; lui, au contraire, veut vivre comme un grand seigneur, dans les honneurs et les plaisirs, avec un grand luxe, des festins somptueux, et un orgueil que lui donne la haute idée qu'il a de lui-même. Il semble que rien ne puisse le satisfaire; quand il a un bénéfice, il en veut deux; quand il en a deux, il en cherche trois, et il ne s'arrête ainsi jamais. Au lieu de suivre les Offices, il fréquente les mauvaises compagnies et s'arme comme un soldat; il porte l'épée au côté, comme s'il voulait se défendre contre Dieu, avec lequel il est en guerre. Mais qu'il sera dur à ce malheureux de résister, lorsqu'il sentira la verge de la justice divine! Il nourrit des enfants qui sont des démons incarnés comme lui. Tout cela vient de l'amour-propre, qui est un arbre de mort; ses fruits sont empoisonnés par le péché mortel, qui donne la mort à l'âme parce qu'il ôte la grâce en la privant de la lumière. Nous avons vu que c'est le nuage de l'amour-propre qui nous la dérobe; il faut le fuir, puisqu'il est si nuisible, et faire bonne garde pour l'empêcher d’entrer dans notre âme, et pour prendre le moyen de l'en chasser, s'il y est entré.

6. Le remède est de nous renfermer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, en reconnaissant notre néant et la bonté de Dieu à notre égard, puisqu'il [635] nous a donné l'être et les grâces qui y sont ajoutées, et qu'il veut bien supporter nos défauts. Nous acquérons ainsi la haine et le dégoût de la sensualité; et par la haine nous mettrons en fuite l'amour-propre; nous nous trouverons revêtus de la robe nuptiale de la divine charité, qui parera l'âme pour aller aux noces de la vie éternelle.

7. A la porte de la cellule il faut mettre pour garde le chien de la conscience, qui aboie aussitôt qu'il voit venir l'ennemi, c'est-à-dire les pensées qui troublent le cœur. Non seulement il aboie contre l'ennemi, mais encore il aboiera quand viendront les amis, c'est-à-dire les saintes pensées de quelques bonnes oeuvres; il éveillera la raison avec la lumière de l'intelligence, pour qu'elle examine si ces pensées viennent de Dieu ou non. De cette manière, la cité de notre âme sera en sûreté et si bien fortifiée, que ni le démon ni les créatures ne pourront la surprendre. L'âme croît toujours de vertus en vertus, jusqu'à ce qu'elle arrive à la vie éternelle. Sa beauté se conserve et s'augmente avec la lumière de la raison, parce qu'elle est dégagée du nuage de l'amour-propre; sans cela, elle eût perdu sa beauté. Ce sont ces pensées qui m'ont fait dire que je désirais vous voir éclairé de la vraie et parfaite lumière. Je veux que nous sortions du sommeil de la négligence, en nous exerçant à la vertu avec la lumière, pour vivre dans cette vie comme les anges de la terre, nous baignant dans le sang de Jésus crucifié et nous cachant dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. J'ai reçu votre lettre, et j'ai compris ce que vous [636] dites. Vous savez bien que de moi-même je ne puis voir et dire que des choses qui montrent ma profonde misère, mon ignorance et mon peu d'intelligence; le reste vient de la souveraine, de l'éternelle Vérité; c'est à elle qu'il faut l'attribuer, non pas à moi. Je me recommande affectueusement à vos prières. Doux Jésus, Jésus amour.

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XCVII (51). - AU PRIEUR DE CERVAIA, près Gênes. - La vue de la Croix nous donne l’amour de Dieu, la haine de nous-mêmes, et la force dans les tribulations.

(Le couvent de Cervaia, près de Gênes, était occupé par les Bénédictins noirs. Grégoire XI, en retournant à Rome s'y arrêta le 1er novembre 1376, et accorda une indulgence plénière l’église pour le jour anniversaire de son passage. Sainte Catherine visita sans doute ce couvent pendant son séjour à Gênes.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher et bien-aimé Père par respect pour l'ineffable sacrement, et mon Fils par le saint désir, qui a enfanté votre âme dans la sainte prière comme une mère enfante son fils, moi, la misérable Catherine, la pauvre servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris, je vous encourage et je me recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le cœur et l'affection consumés dans son ardent amour. Son amour a [637]

consumé, brûlé et détruit toutes nos iniquités sur le bois de la très sainte et vénérable Croix, et ce doux feu ne s'éteint jamais. Car si son amour pour nous finissait, nous finirions aussi, puisque ce qui nous donne l'être finirait. C'est le seul feu de l'amour qui l'a porté à nous tirer de lui-même. Il semble aussi que l'ineffable charité de Dieu a pourvu a la fragilité et a la misère de l'homme; car, comme il était toujours prêt et incliné à offenser son Créateur, Dieu, pour le sauver, lui a procuré un remède contre son infirmité.

2. Le remède contre nos infirmités n'est autre que le feu de l'amour, et cet amour ne s'éteint jamais pour nous. L'âme le reçoit comme remède quand elle regarde en elle-même l'étendard de la Croix, qui y est planté; car nous avons été la pierre dans laquelle fut fixée la Croix, dont le bois et les clous n'étaient pas capables de retenir le doux Agneau sans tache, si l'amour ne l'eût pas retenu. Quand l'âme regarde ce doux et cher remède, elle ne doit pas tomber dans la négligence; mais elle doit se lever avec amour et désir, et tendre les mains avec la haine d’elle-même, comme fait le malade, qui hait son infirmité, et qui aime le remède que lui donne le médecin.

3. O mon Fils et mon Père dans le Christ ! Levons-nous avec le feu d'un ardent amour, avec la haine et l'humilité profonde que nous donnera la connaissance de notre néant, ét mettons nos infirmités devant notre médecin, le Christ Jésus. Etendez la main pour recevoir la médecine amère qui nous est donnée. Oui, la médecine que l'homme reçoit est bien souvent amère. Ce sont les ténèbres, les tentations, le [638] trouble de l'esprit ou d'autres tribulations qui viennent du dehors; elles nous paraissent d'abord bien amèresmais si nous faisons comme le sage malade, elles seront ensuite pour nous d'une grande douceur, en considérant la tendresse du doux Jésus, qui nous les donne, et en voyant qu'il ne le fait pas par haine mais par amour, car il ne peut vouloir que notre sanctification. En voyant sa bonté, nous y verrons aussi le besoin que nous en avons; car, si nous n avions pas ces épreuves, nous tomberions dans le mal, tandis qu'elles nous font connaître à nous-mêmes; elles nous retirent au sommeil de la négligence, elles dissipent notre ignorance, qui nous fait pécher par orgueil.

4. La justice naît ainsi en nous avec une sainte et douce patience pour supporter les peines, les tourments, et pour nous trouver indignes de la paix et du repos de l'esprit; c'est ce que fait l'âme qui aime Dieu et qui a conçu une haine parfaite d'elle-même. Lorsqu'elle a ouvert l’oeil de son intelligence, et lorsqu'elle regarde en elle l'ineffable bonté et charité de Dieu, toutes les peines lui paraissent si douces, si agréables, qu'il lui semble que rien ne pourrait lui plaire davantage, et elle pense toujours au moyen de souffrir quelque chose par amour et par haine. C'est ce chemin que mon âme veut et désire vous voir suivre. Que Dieu vous conduise et vous accorde la grâce de travailler et de donner votre vie pour lui s'il le faut ! Que la barque de notre âme soit fournie du sang et du feu de la divine charité, que nous chercherons à acquérir par le moyen que je vous ai indiqué. Je termine. Ayez l’oeil ouvert sur ceux qui [639] vous obéissent, et ne le fermez jamais pour aucune cause. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XCVIII (52). - AUX RELIGIEUX DE CERVAIA, aux frères Jean de Bindo, Nicolas de Guida, et à ses autre fils dans le Christ, les religieux de Monte-Oliveto, près de Sienne. - Pourquoi notre Seigneur a voulu que son côté fut ouvert après sa mort.- Des trois sortes de baptême qui nous sont donnés par Jésus-Christ. - De la conduite de l'âme dans les tentations.

(Cette lettre se trouve trois fois répétée sous des titres divers dans les éditions anciennes. Sainte Catherine, qui avait plusieurs secrétaires, adressa la même à des religieux différents.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mes très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris pour vous fortifier dans son précieux sang. Ce sang a été répandu avec un si grand feu d'amour, qu'il devrait attirer à lui tous les cœurs, toutes les affections des créatures. Ce n'est pas étonnant si la mémoire du sang est dans les cœurs des serviteurs de Dieu, car il est mêlé avec le feu. Je me rappelle ce que la Vérité première répondait une fois à une de ses servantes (Dialogue, ch. LXXV) [640]. Elle lui disait: " Puisque vous étiez mort, pourquoi vouloir que votre côté fût ouvert et répandit du sang en si grande abondance? ", Notre-Seigneur lui répondit : " J'ai eu bien des raisons; mais je ne te dirai que les deux principales. La première, c'est que j'ai voulu que par l'ouverture de mon côté vous fût révélé le secret de mon cœur; car il renfermait plus d'amour pour l'homme que le corps ne pouvait en montrer pendant sa vie. La seconde a été le baptême qui, par les mérites de ce sang, était donné au genre humain. "

2. Vous savez qu'il sortit du sang et de l'eau; l'eau était pour le saint baptême que reçoivent les chrétiens, et qui donne la vie et la forme de la grâce. l’éternelle Bonté, par les mérites du sang de l'Agneau, a pourvu aussi aux besoins de notre ignorance et de notre misère. Et pour ceux qui ne peuvent recevoir le baptême de l'eau, il y a le baptême du sang et du feu, parce que leur sang répandu pour Dieu devient un baptême, comme il l'a été pour les saints Innocents. Cette efficacité vient du sang du Fils de Dieu; le sang des martyrs n'a de valeur que par son sang. Mais nous, pauvres misérables chrétiens, qui avons reçu la grâce, pourquoi notre cœur si froid et si plein d'amour-propre ne s'applique-t-il pas à contempler ce feu d'ineffable amour et cette Providence infinie. Par le péché nous avions perdu la grâce et la pureté reçue dans le saint baptême, dont l'excellence est si grande qu'on ne peut le recevoir qu'une fois; et Dieu a établi un baptême de sang et de feu que nous pouvons recevoir sans cesse [641].

3. Courage donc, mes Frères, et ne nous laissons abattre ni par le péché commis, ni par aucune illusion, aucune tentation du démon. La route a beau être rude et fangeuse, le Christ, notre médecin, nous a donné un remède pour toutes nos infirmités, un baptême de sang et de feu, dans lequel l'âme purifie et lave tous ses péchés, consume et détruit toutes les tentations et les illusions du démon, parce que le feu est mêlé avec le sang. Il est bien vrai qu'il brûle de l'amour du Saint-Esprit, qui est un feu. Car c'est l'amour qui frappa le Fils de Dieu, lui fit verser son sang, et l'unit avec le feu; cette union est si parfaite, que nous ne pouvons avoir le feu sans le sang, et le sang sans le feu. Et parce que l'homme, tant qu'il vit dans la prison corruptible de son corps, éprouve une loi perverse, qui l'invite et le sollicite toujours au péché, la douce bonté de Dieu lui a donné un remède continuel, qui fortifie sa raison et sa liberté. Ce remède continuel est le feu du Saint-Esprit, qui ne s'éteint jamais, et répand toujours sa grâce et ses bienfaits, tellement que chaque jour nous pouvons nous appliquer ce doux baptême, qui nous est donné par grâce et non par mérite.

4. Ainsi donc, quand l'âme regarde et voit en elle ce trésor et ce feu de l'Esprit-Saint, elle s'enivre tellement de l'amour de son Créateur, qu'elle se renonce entièrement, qu'elle vit morte à elle-même, et qu'elle n 'a aucun attachement, aucun désir pour la créature. Sa mémoire est pleine de l'amour de son Créateur, son intelligence ne voit et ne considère aucune chose créée en dehors de Dieu ; mais elle voit et considère seulement son néant et la bonté de Dieu à son égard [643]; elle voit que cette Bonté infinie ne veut autre chose que son bien, et alors son amour devient parfait envers Dieu. Elle n'a pas d'autre pensée, d'autre affection, et elle ne peut retenir l'élan de son désir; mais elle court sans fardeau et sans. lien, car elle s'est délivrée de tous les obstacles qui pouvaient l'arrêter. Ceux qui agissent ainsi sont liés au joug du Christ, et ils s'aiment pour Dieu; ils aiment Dieu pour Dieu et le prochain pour Dieu.

5. Vous êtes appelés à cette perfection, mes très chers Frères; vous avez été appelés par le Saint-Esprit, de la vie du monde à la vie religieuse; vous êtes liés par les liens de la vraie et sainte obéissance, et vous pouvez vous nourrir de rayons de miel dans le jardin de la sainte Église. Je vous conjure donc, puisqu'ils sont si doux, de ne jamais tourner la tête en arrière pour aucune fatigue et aucune tentation du démon. Que la tristesse ne trouble jamais votre âme; car le démon ne désire pas autre chose. Souvent il vous suscite des ennuis, des combats; il vous fait mal juger les ordres qui vous ont été donnés. Il n'agit point ainsi pour que nous tombions du premier coup, mais seulement pour que notre âme se laisse aller à une tristesse déréglée, qui trouble l'esprit. Lorsqu'elle en est arrivée là, et qu'elle est ennuyée d'elle-même, elle néglige et abandonne les exercices spirituels qu'elle faisait; il lui semble que ses œuvres ne sont plus agréables à Dieu, et qu'elle les fait avec tant de ténèbres et de froideur, qu'elle est privée de l'ardeur de la charité, et qu'il vaut mieux s'arrêter que continuer. Alors le démon se réjouit, parce qu'il voit qu'il peut [643] la conduire par cette voie au désespoir, et qu'il ne pourrait la vaincre par un autre moyen.

6. Il ne faut pas agir ainsi ; car si tous les péchés imaginables étaient réunis dans un homme, et s'il concevait une espérance ferme et une foi vive dans la miséricorde infinie, rien ne pourrait l'empêcher de participer au sang du Fils de Dieu, et de recevoir le fruit de ce sang que le doux Jésus a répandu pour accomplir la volonté de son Père et notre salut. Et parce qu'il n'avait pas d'autre volonté que celle d'accomplir la volonté de son Père, les peines, les affronts, les mépris et la mort lui devenaient d'une extrême douceur, comme il le montra quand vint la Pâque et le moment de souffrir. Aussi, pendant la Cène, disait-il à ses disciples : " J'ai désiré avec un grand désir célébrer cette Pâque. " C'était la Pâque qui amenait le temps si désiré, où il pourrait sacrifier à son Père son corps pour nous sur le bois de la très sainte Croix. Je veux que vous fassiez de même; car c'est ainsi que fait l'âme qui aime bien Dieu. Elle ne refuse aucune peine, qu’elle vienne du démon ou de l'obéissance; mais elle se réjouit autant qu'elle souffre, et sa joie augmente à mesure qu'elle est plus liée à son supérieur par l'obéissance, parce qu'elle voit que plus la volonté est ainsi liée, plus elle est libre et unie à Jésus-Christ.

7. Si vous me dites : Comment faire lorsque je suis dans les ténèbres, et que mon esprit aveuglé ne peut apercevoir aucune lumière où je puisse attacher mon espérance? voici ma réponse, mes Frères et mes Enfants : Vous savez bien que le péché est seulement dans la volonté coupable et mauvaise. Ainsi, quand l'âme voit que sa volonté aimerait mieux mourir que [644] d'offenser actuellement son Créateur, elle doit cesser de se troubler, et suivre la lumière que Dieu a cachée en elle, pour conserver la bonne volonté. C'est sur cette table qu'elle doit se nourrir en s'appliquant à toutes sortes de bonnes œuvres. Elle peut répondre au démon qui veut la troubler : Si la grâce divine n'était pas en moi, je n'aurais pas cette bonne volonté, et j'écouterais ta malice et mes mauvaises pensée. Mais je me confie en notre Seigneur Jésus-Christ, qui me conservera jusqu'au dernier moment de ma vie.

8.Je veux donc, mes Frères, que vous ouvriez l'œil de la raison, pour vous connaître vous-mêmes; car l'âme s'humilie dans cette connaissance de nous-mêmes. Elle reçoit cette connaissance au milieu des ténèbres et des attaques du démon, et elle grandit en zèle et en amour de Dieu, parce qu'elle voit que sans lui elle ne peut se défendre, et elle trouve Dieu en elle par une sainte et bonne volonté. Nous voyons donc comment nous trouvons Dieu au moment des ténèbres, et comment dans les choses amères l'âme ne trouve que douceur par un tendre et parfait amour. Cet amour l'âme le conçoit, et le trouve continuellement dans le baptême du sang et du feu du Saint-Esprit, qui doit être pour nous le principe, la règle, le moyen et la fin, où l'âme ne sera plus errante et exilée dans cette vie ; mais elle sera fixée pour toujours dans la vision éternelle de Dieu, où elle recevra le fruit de toutes ses peines. Oui, mes Fils bien-aimés, courons sans craindre et sans fuir aucune fatigue; mais suivons notre chef le Christ Jésus. Je ne vous en dis pas davantage. Volez avec les ailes d'une humilité profonde et d’une ardente [645] charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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XCIX (53). – AU VENERABLE RELIGIEUX DOM GUILLAUME, prieur général de l’ordre des Chartreux .- Le sang de Jésus-Christ donne à l'âme la charité, la patience, et les vertus nécessaires pour commander.

(Cette lettre est adressée à Guillaume Rainaud, vingt-cinquième prieur général des Chartreux, qui gouverna l'Ordre pendant trente-cinq ans, et mourut en 1402. Il avait refusé la pourpre romaine que lui offrait Urbain V, et avait empêché le Pape d'accorder aux Chartreux l’usage des aliments gras, en cas de maladie grave. Il se prononça pour l'antipape Clément VII en 1379. Il fut excommunié et remplacé, sous Boniface IX, par un visiteur général. L'Ordre se divisa alors en deux partis, et l'union n'y fut rétablie qu'en 1410, par les soins du bienheureux Étienne Maconi, disciple de sainte Catherine.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher et révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang du Fils de Dieu. Je vois que, quand la mémoire se remplit du sang de Jésus crucifié, aussitôt l'intelligence se met à regarder dans la mémoire, où elle trouve ce sang; elle voit le feu de la divine charité, l'amour ineffable mêlé et pétri avec le Sang, parce [646] qu'il a été répandu et donné pour nous par amour. La volonté suit l'intelligence; elle aime et elle désire ce que l'intelligence a vu, et son amour s'unit aussitôt à l'amour de Jésus crucifié, qui se trouve dans le Sang. Alors l'âme se noie dans le Sang, c'est-à-dire qu'elle noie et tue toute sa volonté mauvaise et sensuelle, qui se révolte souvent contre son Créateur; elle se dépouille de tout amour-propre et se revêt de l'éternelle volonté de Dieu, qu’elle trouve et goûte dans le Sang, parce que le Sang lui montre que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. S'il avait voulu autre chose, il ne nous aurait pas donné le Verbe, son Fils unique. Elle voit tout ce que Dieu permet dans la vie de l'homme, il ne le permet pas pour une autre fin. Tout ce qui a l'être vient de Dieu, et rien de ce qui arrive, les tribulations, les tentations, les injures, les violences qu'elle souffre, ne peuvent la troubler; mais elle s'en réjouit et les reçoit avec respect, en pensant qu'elles viennent de Dieu et qu'elles nous sont données pour notre bien, par amour et non par haine.

2. Elle ne peut et ne doit pas se plaindre, car elle se plaindrait de son propre bien, et ce n'est pas l'habitude d'une âme revêtue de la douce volonté de Dieu de se plaindre de ce qui arrive, si ce n'est de l'offense de Dieu; elle en gémit, et doit en gémir, parce qu'elle voit que cette offense est contre sa volonté. Le péché est digne de haine parce qu'il ne vient pas de Dieu Tout ce qui a l'être, au contraire, vient de Dieu; l'âme passionnée pour le Christ l'aime et le respecte. Cette âme ne se voit pas pour elle-même, mais elle se voit pour Dieu; elle voit Dieu pour Dieu, parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté digne d'être aimée [647] ; et elle voit le prochain pour Dieu, et non pour son propre intérêt. Elle ne choisit ni le moment ni la position qui lui plaisent, ni la peine, ni la consolation; mais elle reçoit tout avec amour de la Bonté divine; elle se trouve heureuse en toute chose, parce que celui qui aime ne peut trouver de peine qui l'afflige. Il se réjouit dans les combats et au milieu des persécution du monde. S'il obéit, c'est avec joie et patience qu'il porte le joug de l'obéissance; s'il commande, il supporte avec douceur les défauts de ceux qui lui sont soumis, ainsi que les persécutions de l'ingratitude dont ils se rendent coupables envers lui; il est prêt à mourir pour arracher les épines des vices, comme un bon jardinier, et pour faire naître des vertus dans leurs âmes, en se servant de la justice, toujours unie a la miséricorde. Il ne fait pas attention à sa peine, il ne craint pas la fatigue, mais il la supporte avec une grande joie. Il ne veut pas perdre le temps qu'il a pour celui qu'il n'a pas. Souvent il lui vient des pensées qui l'attaquent intérieurement ; il se dit : si tu n'avais pas ce tourment et cette fatigue de ta charge, tu pourrais mieux posséder Dieu dans la paix et le repos. C'est le démon qui lui présente ainsi le moment de la paix pour le tenir dans une guerre continuelle. Celui qui ne soumet pas sa volonté dans la position que Dieu lui a donnée, est toujours dans la peine et se rend insupportable à lui-même. Il perd doublement son temps, parce qu'il n'emploie pas bien le temps de sa charge et le temps du repos qui ne lui est pas accordé; il néglige ainsi le présent et l'avenir.

3. Il ne faut donc pas écouter la malice du démon [648], mais il faut utiliser avec ardeur les circonstances où nous nous trouvons, comme fait l'âme revêtue de la volonté de Dieu, parce qu'elle sait avancer en tout temps, aussi bien dans le temps de la peine que dans celui de la consolation; car elle est dépouillée de l'amour-propre, de toute affection et de toute passion sensuelle, d'où procèdent tout mal et toute peine. A voir ce qu'on ne veut pas est une source de peine; mais quand on est revêtu de l'éternelle volonté de Dieu et non de la sienne, on fait une même chose avec lui, et on juge tout par amour, selon son éternelle volonté, parce qu'on voit et on comprend que Dieu ne veut pas autre chose que notre sanctification. Il nous a créés a son image et ressemblance, pour que nous soyons sanctifiés en lui et que nous jouissions de son éternelle vision, après l'avoir vu et connu avec l'oeil de l'intelligence, dans le sang de Jésus crucifié, qui a été le moyen de nous manifester la vérité du Père. O Sang glorieux, qui donne la vie et rend visible l'Invisible vous nous avez manifesté la miséricorde divine en lavant le péché de la désobéissance par l'obéissance du Verbe, d'où est sorti le Sang.

4. Ainsi donc, pour l'amour du Christ, baignez-vous dans ce sang; demeurez dans les veilles et la prière, mon très cher Père, et attachez sans cesse sur ce sang l'oeil de votre intelligence. Vous serez alors éveillé par la faim et le zèle de l'honneur de Dieu et du salut des âmes qui vous sont confiées. Vous serez toujours dans la prière, c'est-à-dire dans un saint désir et cela vous est nécessaire pour faire votre salut dans l’état où vous êtes. Puisque Dieu vous a donné l'autorité, vous ne devez pas être négligent, timide, ignorant [649], et marcher les yeux fermés; mais je vous prie d'être plein de zèle et d'ardeur, en imitant l'Agneau immolé et consumé pour vous, quand l'amour et la faim qu'il avait pour l'honneur de son Père et pour notre salut le firent courir à la mort honteuse de la Croix. Le modèle que Dieu vous présente est le Verbe, son Fils unique, dont le sang doit dissiper toute crainte, toute négligence et tout aveuglement d'esprit. Si vous dites: Je suis ignorant, je ne me connais pas bien, et je connais encore moins ce que je dois faire pour ceux qui m’obéissent, je vous répondrai que, si vous avez faim de l'honneur de Dieu, Dieu opérera en vous ce que vous n'avez pas par vous-même et ce qui sera nécessaire au salut de vos inférieurs. Ayez donc faim et désir.

5. Je ne crois pas que vous puissiez avoir cette faim sans le moyen du Sang. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié, parce que dans ce sang se perd l'amour de la vie propre, cet amour coupable que l'homme a pour lui-même, cet amour qui empêche d'être juste par crainte de perdre sa position, ou par faiblesse et désir de plaire plutôt aux hommes qu'à Dieu. Cet amour ne laisse pas agir les supérieurs selon la volonté de Dieu et selon la conscience, mais il leur fait suivre le bon plaisir et l'opinion des hommes, ce qui est la ruine de l'Ordre. C'est, par exemple, en ne reprenant pas les fautes et en nommant aux charges des personnes sans vertu et sans prudence, que le mauvais supérieur corrompt ses inférieurs, tandis qu'un bon supérieur rend meilleurs ceux qui lui sont confiés. Tout cela vient de l'amour-propre [650]. C’est dans le sang du Christ que se perd cet amour et que s'acquiert un amour ineffable, en voyant que le Fils de Dieu a donné sa vie par amour pour ramener le genre humain, son fils adoptif. A la vue de tant d'amour, l'amour attire l'amour; le cœur veut aimer ce que Dieu aime, et détester ce qu'il déteste. Et parce qu'elle voit que Dieu aime infiniment la créature raisonnable, l'âme conçoit un amour si grand du salut des âmes, qu'il lui semble impossible de le satisfaire; elle hait les vices et les péchés parce qu'ils ne sont pas en Dieu, et elle aime les vertus dans les autres pour l'honneur de Dieu. Ainsi le supérieur cesse d'être négligent et devient plein de zèle; il perd l'amour de son corps, et veut s'exposer à mille morts, s'il en est besoin; il n'est plus aveugle et il retrouve la lumière, parce que le nuage de l'amour-propre se dissipe, et qu'il voit le soleil de l'amour divin et de l'ardente charité qui consume en lui toute ignorance. Tout cela est le fruit du Sang.

6. O précieux et glorieux sang de l'humble Agneau sans tache ! qui sera assez aveugle et insensible pour ne pas prendre le vase de son cœur, et pour ne pas aller avec amour au côté de Jésus crucifié, d’où ce sang coule en abondance? Là nous trouvons Dieu, c'est-à-dire la nature divine unie à la nature humaine; nous trouvons le feu de l’amour qui, par l'ouverture du côté, nous a manifesté le secret du cœur, en nous montrant que toutes les peines de sa Passion étaient insuffisantes à nous prouver la grandeur de son amour, et que son désir et sa volonté les surpassaient encore, parce qu'il n'y avait aucune [651] comparaison possible entre ses peines finies et son amour infini. Ne tardons pas davantage, mon très cher Père, mais soyez plein de zèle dans ce temps que Dieu vous a réservé, et surtout maintenant que va se tenir le Chapitre, où les défauts sont mieux connus. Appliquez-vous à les punir pour qu'un membre corrompu ne gâte pas les membres sains; faites toujours justice avec miséricorde; ne vous troublez pas légèrement, mais cherchez et faites chercher la vérité par des personnes éclairées et d'une bonne conscience; ce que vous avez à faire, faites-le avec le conseil de Dieu, en recourant à la prière, et avec le conseil des hommes, qui vient aussi de Dieu par l'intermédiaire de ses bons et chers serviteurs. Tâchez d'avoir toujours près de vous les religieux exemplaires de l'Ordre; et par-dessus toute chose, je vous en prie, appliquez-vous à nommer de bons prieurs, des personnes vertueuses et capables de conduire les autres. Il y en a beaucoup qui sont bons dans leur intérieur, mais qui ne sont pas bons pour gouverner. Les Ordres se perdent ainsi; ils fleurissent par les moyens contraires. Quand vous trouvez de bons supérieurs, conservez-les et ne soyez pas timides, pour l'amour de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous vous baignez avec amour dans son sang, si vous y noyez toute volonté propre ou la consumant dans l'éternelle volonté de Dieu que vous trouverez dans ce sang, vous ferez cela et tout ce qui sera nécessaire pour vous et pour les autres. Je ne vous en dis pas davantage. Pardonnez à mon ignorance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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C (54). - AU PRIEUR DE LA GORGONE, de l'Ordre des Chartreux; à Pise.- Elle le prie de vouloir aider le Pape Urbain VI dans la réforme de la sainte Église.

(Le prieur de la Gorgone était, en 1378, dom Barthélemi Sérafini de Ravenne. Il avait une grande vénération pour sainte Catherine, et l'avait décidée à venir visiter ses religieux. (Vie de sainte Catherine, p. II, c.10.) La bulle d'Urbain VI qui lui est adressée contient les noms de plusieurs des disciples de notre sainte que le Souverain Pontife appelait près de lui pour profiter de leurs lumières. (Voir Gigli, t. I, p.367.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE






Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plein de zèle pour le service de la douce Épouse du Christ, qui est maintenant dans de si grandes nécessités. Voici le moment où on verra qui aime la vérité ou non. Il ne s'agit plus de dormir; il faut secouer le sommeil et contempler le sang de Jésus-Christ crucifié, afin d'être plus animé au combat. Notre doux Saint-Père, le Pape Urbain VI, le vrai Souverain Pontife, paraît vouloir prendre les moyens nécessaires pour réformer la sainte Église; il désire avoir près de lui les serviteurs de Dieu et profiter de leurs conseils, pour lui et la sainte Église. C'est dans ce but qu'il vous envoie une bulle où il vous presse d'agir auprès de toutes les [653] personnes qui y sont nommées; faites-le avec zèle et promptitude, et n'y mettez aucun retard; l'Église de Dieu ne peut en souffrir. Laissez toute autre affaire; obéissez à sa volonté, et pressez ceux qui sont désignés de venir ici au plus tôt. Ne tardez pas, ne tardez pas, pour l’amour de Dieu. Entrez dans ce jardin pour y travailler. Frère Raymond est allé travailler ailleurs; le Saint-Père l'a envoyé au roi de France. Priez Dieu pour lui, pour qu'il soit un bon ouvrier, et qu'il donne, s'il le faut, sa vie pour l'Église. Le Saint-Père prend courage et se conduit en homme généreux, juste et zélé pour l'honneur de Dieu. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

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CI (55). - A DOM JACQUES, religieux Chartreux dans le monastère de Pontignano, près de Sienne. - De la patience et de ses fruits dans l'âme. - Elle est le signe de toutes les vertus.

(Dom Jacques de Tondi, de Sienne, était disciple de sainte Catherine, et l’ami intime d'Étienne Maconi, auquel il succéda comme prieur de la chartreuse de Pontignano. Il fut un des témoins dans le procès de Venise, en 1411.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher Père et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [654] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans une sainte et vraie patience, qui montre si les vertus sont vivantes ou non dans l'âme. La patience ne se prouve qu'au temps de l'adversité, car sans tribulation cette vertu n'existe pas; celui qui n'est pas affligé n'a pas besoin de patience, puisque personne ne lui fait injure. Je dis que la patience montre si les vertus sont ou ne sont pas dans l'âme. Comment voyons-nous qu'elles n'y sont pas? Par l'impatience. Voulez-vous voir si les vertus sont encore imparfaites, et si la racine de l'amour-propre vit encore dans l'âme? Examinez le fruit qui en sort au moment de l'affliction; si c'est un fruit de patience, c'est un signe que la racine de la volonté propre est morte, et que les vertus sont vivantes; si c'est un fruit d'impatience, Il est évident que la racine de la volonté propre est encore vivante, et qu'elle n'est point insensible, car ce qui vit est sensible, tandis que ce qui est mort ne sent rien. Les vertus ne sont pas dans cette âme.

2. Mais remarquez qu'il y a deux sortes d'impatience : la première donne la mort, parce qu'elle vient de la mort; la seconde empêche la perfection, parce qu'elle vient de l'imperfection. Ainsi, il y a deux états un état de vie et un état de mort, celui de ceux qui sont dans le péché mortel. Tous ont à souffrir les tribulations et les persécutions du monde, parce que cette vie ne se passe pas sans peine, dans quelque position qu'on se trouve. Il y a l'impatience de ceux qui baissent et ne peuvent souffrir le prochain, qui murmurent contre Dieu, et [655] qui jugent en mal ce que Dieu fait pour leur bien pour les ramener à la grâce, et les retirer de la mort du péché mortel dans leur ignorance et leur misère. Leur racine n'a plus la sève de la grâce; elle ne produit que le fruit empoisonné de l'impatience, et ce signe de l'impatience prouve que la mort est dans l'âme. J'ai dit qu'il y a une autre impatience, qui empêche la perfection, et c'est la vérité. Elle montre l'imperfection; et si l’âme ne s'en corrige pas, elle s'expose à perdre le fruit de ses efforts, et à vivre dans une peine continuelle.

3. Cette impatience de ceux qui se sont retirés des ténèbres du péché mortel, et qui sont en état de grâce, d'ou vient-elle? Elle vient de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas encore morte en eux; ils sont encore imparfaits, et ils s'aiment avec cette tendresse qui leur fait avoir compassion d'eux-mêmes. Car celui qui s'aime se plaint, et voudrait que chacun prit part à sa peine. Quand il voit qu'on n'a pas compassion de lui, il s'en afflige; et ainsi les tribulations, l'infirmité du corps, le trouble de l'esprit, les persécutions des hommes et les épreuves de tout genre lui causent une peine qui se joint à celle qu'il ressent de vouloir être plaint par les autres. Il tombe dans l'impatience et souvent dans les murmures et les jugements à l'égard du prochain, dont il juge mal l’intérieur. Car souvent les autres pourront avoir compassion de lui, sans le laisser paraître. Tout cela vient de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas morte en lui. Qu'est-ce qui le montre? L'impatience, comme je l'ai dit; car elle a fait naître un fruit imparfait, mais non pas un fruit [656] de mort, parce qu'il est exempt de péché mortel; il se plaint seulement de ses peines et du prochain, qui lui paraît ne pas assez compatir à son affliction. C'est là une imperfection, qui empêche la grande perfection du solitaire et des autres religieux, qui ont quitté l'état imparfait de la charité commune des séculiers, pour vivre dans la grâce et dans un état supérieur, où ils doivent être des modèles d'obéissance, de patience par l'entier sacrifice de leur volonté.

4. Qui pourrait dire les inconvénients qui en résultent? Personne, je crois; mais il y en a trois principaux qu'éprouve celui dont la volonté n'est pas morte. Le premier est qu'il est infidèle, et non fidèle à la lumière de la foi vive. Il a mis un nuage sur l'oeil de son intelligence, où est la pupille de la lumière de la foi; et dès qu'il a eu le malheur de mettre ainsi le nuage de l'amour-propre sur sa vue et d'obscurcir la lumière de la foi, il fait aussitôt une seconde et troisième chute en tombant dans la désobéissance, qui fait naître l'impatience, et dans le jugement, qui conduit au murmure. Et si vous y réfléchissez bien, ces trois défauts ne sont jamais l'un sans l'autre. Il ne faut donc pas douter que si la racine de l'amour-propre n'est pas morte en nous, notre vue sera obscure, et tous les fruits des vertus seront imparfaits, parce que toute perfection consiste à faire mourir notre volonté sensuelle, et à faire vivre notre raison dans la douce volonté de Dieu.

5. Celui dont la volonté est vivante et imparfaite, désobéit aussitôt à Dieu et à son supérieur; car, s'il était obéissant, il recevrait avec respect les obligations [657] que Dieu et son supérieur lui imposent; mais parce qu'il n'est pas obéissant, et qu'il résiste par sa volonté vivante, il tombe dans l'impatience contre Dieu, et par conséquent dans la désobéissance; la volonté de Dieu est que nous portions avec patience toutes nos obligations, de quelque côté qu'il nous les envoie, et que nous les recevions de lui avec une véritable patience, et avec le même amour qui les lui fait donner. Car tout ce qu'il donne ou permet est toujours pour notre sanctification, et nous devons le recevoir avec reconnaissance. En ne le faisant pas, nous lui désobéissons, et nous tombons dans le murmure et dans le faux jugement par tendresse pour nous-mêmes, par orgueil et par infidélité, en voulant servir Dieu à notre manière. Si nous étions véritablement persuadés que toute chose vient de Dieu, excepté le péché, et qu'il ne peut vouloir que notre bien, comme nous le voyons et nous le goûtons dans le sang de Jésus crucifié, qui ne se serait pas fait notre Rédempteur s 'il avait voulu autre chose que notre sanctification; si, dis-je, nous en étions bien convaincus, et si la lumière de la foi n'était pas obscurcie en nous par l'amour-propre, nous serions obéissants, nous recevrions avec respect ce que Dieu nous envoie, et nous jugerions qu'il le fait pour notre bien par amour et non par haine. Mais parce que nous sommes infidèles, nous en souffrons; nous sommes impatients des peines que nous supportons et nous désobéissons à notre supérieur en voyant seulement sa volonté et non pas la volonté de Dieu en lui.

6. Souvent le supérieur aura une bonne et sainte intention dans ce qu'il ordonnera, et l'inférieur infidèle [658] et désobéissant pensera tout le contraire. Cela vient de son orgueil et de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas morte en lui; car si elle était morte, il n'agirait pas ainsi, puisqu'il est entré dans l'Ordre pour obéir parfaitement et sans aucune peine, comme le fait l'humble obéissant. Lors même que son supérieur serait un démon, et que ses ordres seraient très pénibles, l'obéissant véritable les reçoit avec patience, parce qu'il juge que la volonté de Dieu est que son supérieur agisse ainsi à son égard, ou pour les besoins de son salut, ou pour le faire arriver à une plus grande perfection. Et alors il reçoit avec paix et tranquillité d'esprit ce qu'on lui ordonne, et il jouit d'un avant-goût de la vie éternelle en cette vie. Et parce que sa volonté est morte, et qu'il marche à la lumière de la Foi dans le chemin de l'obéissance, il goûte le doux et tendre fruit de la patience avec force et persévérance jusqu'à la mort. Ce fruit montre qu'il est véritablement sorti de l'imperfection, et qu'il est arrivé à la perfection.

7. Celui qui n'obéit pas montre aussi ses défauts par l'impatience. Nous voyons qu'il se scandalise toujours, à moins que tout ne marche à son gré, et que son supérieur ne fasse ce qu'il veut ; si le contraire arrive, il est tout bouleversé. Pourquoi? Parce qu'il est vivant; s'il était mort, cela n'arriverait pas. Celui-là est faible, et tombe pour la moindre paille qu'il trouve à ses pieds. Si son supérieur lui commande quelque chose qui ne lui plaît pas, il se trouble. S'il est malade, il s'impatiente par compassion pour son corps. Il dira souvent, pour s'excuser : si j'avais une autre maladie, je la supporterais plus facilement, mais mon mal ne [660] se voit pas, et on n'y croit pas; il m'empêche de remplir mon devoir, et d'observer la règle comme les autres, et on ne veut pas me laisser tranquille. Celui qui parle ainsi est imparfait et peu éclairé. Il est trompé par la faiblesse et l'amour qu'il a pour lui-même. Qu'est-ce qui le prouve? L'impatience qu'il a, parce qu'il lui semble que les autres ne le plaignent pas. Il veut choisir le moment, le lieu et la peine à sa manière. Il ne doit pas faire ainsi; mais il doit s'humilier sous la main puissante de Dieu, recevoir tout avec respect et faire ce qui lui est possible de faire. Quand il ne peut pas remplir ses fonctions et ses autres exercices comme les autres, il doit satisfaire à l'obligation de la patience, parce que Dieu ne nous demande pas au-dessus de nos forces; mais il nous demande l'amour, le saint désir et la patience pour supporter la peine et la fatigue, on quelque temps, on quelque lieu que nous soyons, on combattant et en détestant la sensualité.

8. Ainsi font ceux qui veulent être parfaits, et de cette manière, ils goûtent la vie éternelle au milieu des peines qu'ils ont on cette vie. La peine n'est plus une peine, mais une consolation, quand on pense qu'elle rend conforme aux opprobres de Jésus crucifié. Le serviteur ne veut pas suivre une autre voie que le maître. Il souffre avec respect on se baignant et on se noyant dans le sang de Jésus crucifié, ce sang où l'âme se nourrit par la charité, et où meurt sa volonté. Lorsque la volonté est morte, toute pensée disparaît, parce que la volonté est la seule chose qui rende pénibles les tribulations. Dès que notre volonté est morte, et que nous sommes revêtus de la volonté de [660] Dieu, la peine nous devient un plaisir; et le plaisir sensuel, à cause de la sainte haine de nous-mêmes, nous deviendra pénible, parce que nous verrons que la voie du plaisir n'est pas la voie de Jésus crucifié. Les saints ne l'ont pas suivie, et le royaume du ciel, la vie éternelle, ne s'achète pas, ne se vend pas par le plaisir. Le règne de Dieu s'acquiert et se gagne par la pauvreté volontaire, par l'amour de la souffrance ; il faut souffrir beaucoup, et trouver pénible le plaisir. La volonté alors est d'accord avec la volonté de Dieu, et l'âme reçoit, dès cette vie, comme je le disais, un avant-goût de la vie éternelle.

9. Elle ne tombe pas dans le troisième défaut, dans les jugements téméraires; mais elle juge toujours la volonté de Dieu avec justice et amour. Comme elle voit qu'elle est aimée de lui, elle reçoit tout avec amour. Elle ne juge pas non plus la volonté des hommes en aucune chose ni en aucune circonstance, malgré les injures et les persécutions qu'ils peuvent lui faire; mais elle juge seulement que Dieu le permet pour son bien et pour éprouver sa vertu. Elle ne jugera jamais les serviteurs de Dieu, ni aucune action des créatures; et lors même qu'elle voit un mal évident, elle ne le voit pas, et ne doit pas le voir pour le juger et pour murmurer, mais pour en avoir compassion et pour se charger elle-même des défauts du prochain devant Dieu. Ainsi le veut la charité; elle défend de faire ce que font les imparfaits, qui sont encore aveuglés par l'amour d'eux-mêmes, et qui semblent ne pouvoir vivre qu'en jugeant les autres, non seulement les gens du monde, mais encore les serviteurs de Dieu, qu'ils voudraient conduire à leur [661] façon. S'ils ne font pas ce qu'ils désirent,ils se scandalisent à leur sujet, et souvent, sous l'apparence de la compassion, ils tombent dans le murmure. Ils veulent imposer des lois à L'Esprit-Saint, et ils ne s'en aperçoivent pas. Pourquoi ne s'en aperçoivent-ils pas? parce que le démon leur couvre les yeux du voile de la compassion; mais cette compassion est plutôt un principe d'envie et d'orgueil, qui leur fait croire qu'ils en savent plus que les autres. Si c'était la compassion et le zèle du salut des âmes et de l'honneur de Dieu, ils seraient charitables, et le montreraient aux personnes même qui leur font de la peine. Ils y gagneraient et le prochain aussi; et ils se réjouiraient, s'ils étaient véritablement généreux, en voyant à la lumière que Dieu a des moyens et des chemins différents avec ses serviteurs.

10. La souveraine Bonté se manifeste de diverses manières, et le Christ béni a dit: Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (Jn 14,2). Qui pourrait dire la diversité des moyens, des visites, des dons et des grâces de Dieu, non seulement dans les créatures, mais dans une seule âme? Car comme les vertus sont différentes, quoiqu'elles soient toutes marquées du signe de la charité, la conduite et les œuvres des serviteurs de Dieu sont aussi très différentes; non pas que celui qui a parfaitement la vertu de charité n'ait pas aussi toutes les autres, mais chacun en a une particulière qui domine toutes les autres. De là les différences de vie. Celui qui a surtout la charité met tout son bonheur à l'exercer à l'égard du [662] prochain; celui qui a l'humilité recherche avec passion la solitude. L'un aime la justice, l'autre la liberté que donne une foi vive, qui semble ne rien craindre. D'autres aiment la pénitence, et se livrent tout entiers à la mortification de leurs corps; d'autres s'appliquent à tuer leur volonté propre par une véritable et parfaite obéissance. Ainsi les moyens sont différents, quoique tous courent dans la voie de la charité.

11. Les saints qui jouissent de la vie éternelle l'ont tous suivie, mais de diverses manières; car l'un ne ressemble pas à l'autre. Il y a la même différence parmi les anges, qui ne sont pas tous égaux. Aussi une des joies de l'âme dans la vie éternelle, c'est de voir la grandeur de Dieu dans la variété des récompenses qu'il donne à ses saints. Nous trouvons la même variété dans les choses créées, qui diffèrent toutes d'une manière ou d'une autre et cependant elles ont toutes été faites par le même motif; Dieu les a créées avec le même amour. Et c'est la gloire de Dieu que peut contempler celui qui a la lumière, et qui veut connaître sa grandeur, car il la trouvera dans les choses visibles et invisibles, comme je l'ai dit.

12. Celui-là donc est bien fou, bien insensé, qui veut faire la loi aux créatures, et qui se scandalise lorsqu'elles n'agissent point à son gré. Il ne faut pas tomber dans de pareils jugements; mais il faut voir avec joie et respect la conduite des serviteurs de Dieu, et dire humblement en soi-même : Grâces vous soient rendues, Seigneur, des voies si diverses que vous faites suivre à vos créatures. Et quand on voit des fautes évidentes dans les serviteurs du monde, il faut [663] en avoir compassion devant Dieu, et en avertir charitablement le prochain, si on le peut. Ainsi fait celui qui possède véritablement la charité et l'humilité, et qui ne présume pas de lui-même. Il ne se trouble pas, et ne se scandalise ni de ce qu'il souffre, ni du supérieur qui lui rend pénible l'obéissance; mais il obéit jusqu’à la mort en toute chose, excepté en ce qu'il voit en dehors de la volonté de Dieu. Car ce qu'il voit être une offense contre Dieu, il ne doit pas le faire; mais pour tout le reste, il doit. obéir. Il ne se scandalise pas non plus du prochain, ni des injures qui lui sont faites, ni des différences de conduite qu'il voit dans les autres; mais il est content de tout, il en profite, il en retire des fruits par la vertu de charité, qui est dans son âme. Qui le prouve? La vertu de patience, qui manifeste la perfection de l'âme, comme son défaut, c'est-à-dire l'impatience, manifeste au contraire l'imperfection.

13. Il est donc bien vrai que la vertu de patience est le signe qui montre si l’homme est parfait ou imparfait. Vous êtes appelé à une grande perfection ; vous devez donc être patient, comme je l’ai dit, en baignant et en noyant votre volonté propre dans le sang de Jésus crucifié ; autrement, vous manqueriez à la perfection de l’état dans lequel vous vous êtes engagé, et vous tomberiez dans la seconde impatience dont nous avons parlé. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans une vraie et sainte patience, afin qu’au milieu de vos peines vous goûtiez les arrhes de la vie éternelle, et que vous receviez enfin la récompense de vos travaux. Pour cela, reposez-vous sur la Croix avec le doux Agneau sans tache. Je termine. Demeurez [664] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières










CII (56). - A DON CHRISTOPHE, religieux de la chartreuse de Saint-Martin à Naples.- Dieu permet les tribulations et les tentations pour notre bien.- Quels sont les moyens de les supporter et d'en profiter.

(La magnifique chartreuse de Saint-Martin, située au-dessus du fort Saint-Elme, domine le golfe et la ville de Naples.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous la lumière et le feu de l'Esprit-Saint. Cette lumière dissipe toutes les ténèbres, et ce feu consume toute impatience et tout amour-propre qui peuvent être dans l'âme corporellement ou spirituellement. J'ai donc un grand désir de voir en vous cette lumière et ce feu; car, ainsi que vous me l'avez écrit, vous éprouvez dans votre corps et votre esprit des mouvements et des peines qui rendent nécessaires cette lumière. Pourquoi, très cher Père, avez-vous besoin de cette lumière? Parce que c'est par elle que voit l'oeil de l'intelligence: car, comme dans la vision de Dieu consiste notre béatitude, de même, dans la vision et [665] la connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard, nous recevons la lumière de la grâce du Saint-Esprit; et cette lumière, cette grâce, fortifie l'âme et l'excite a porter avec désir et patience les infirmités, les tribulations et les tentations qui nous viennent des hommes, du démon ou de la chair, sans vouloir choisir le moment et la manière, mais les recevant toujours et en toute circonstance avec respect. Ainsi fait celui qui est revêtu de la douce et éternelle volonté de Dieu; car, aussitôt que l'homme applique l'oeil de son intelligence à connaître et a voir la volonté de Dieu en lui et ce qu'elle demande, il trouve que Dieu ne cherche et ne demande autre chose de lui que sa sanctification. S'il avait voulu autre chose, Dieu ne nous aurait pas donné le Verbe son Fils, et son Fils n'aurait pas donné sa vie avec un si ardent amour.

2. L'âme voit que tout en cette vie arrive pour son bien par la permission de Dieu, les maladies du corps comme les tentations de l'esprit. Sa volonté règle tout, et ne permet rien qui ne puisse nous être utile. Une feuille d'arbre ne tombe pas sans l'ordre de la Providence. Dieu nous laisse tenter pour éprouver notre vertu et augmenter sa grâce, non pas pour que nous soyons vaincus, mais pour que nous soyons vainqueurs en ne nous confiant pas dans notre force, mais dans le secours divin et en disant, avec l'apôtre saint Paul : " Je puis tout en Jésus crucifié, qui est en moi et me fortifie. "En agissant ainsi, le démon sera vaincu. Le moyen certain de le vaincre, c'est de [666] se dépouiller de sa volonté et de se revêtir de celle de Dieu, en pensant qu'il permet tout pour notre sanctification; car l'unique cause des peines de l'âme est la volonté propre. Le démon le sait bien; et, comme il ne peut tromper les serviteurs de Dieu dans les choses qui paraissent mauvaises et qui révoltent trop leur conscience, il s'applique à les tromper sous des apparences de vertu, en les troublant par des scrupules. Il dit au malade si tu étais bien portant, tu pourrais beaucoup mieux faire. Il dit à celui qui est triste intérieurement et qui résiste : Si tu n'avais pas ces tentations, tu plairais a Dieu, ton esprit serait tranquille, et tes actions seraient plus parfaites et plus méritoires. Il veut ainsi lui persuader qu'avec ces pensées et ces combats, on ne peut rien dire et rien faire qui soit agréable à Dieu. Le démon gagne plus sur les serviteurs de Dieu par le trouble que par tout autre moyen. Il ne peut les séduire en leur présentant le mal, et il veut les faire tomber en le cachant sous l’apparence de la vertu.

3. Soyez convaincu, mon très cher Père, que Dieu permet en nous ces épreuves pour exercer notre patience, notre force, notre persévérance. Ces vertus viennent de la connaissance de nous-mêmes; car, dans le combat, je reconnais mon néant. Si j'étais quelque chose, je me délivrerais moi-même; mais je ne puis faire cesser les tempêtes de mon âme dans les maladies de mon corps. Nous pouvons seulement vaincre par la volonté qui résiste; et c'est dans cette volonté que nous trouvons la bonté de Dieu, car son amour ineffable nous a donné cette volonté libre en laquelle réside le vice ou la vertu. Elle est véritablement [667] maîtresse; ni le démon, ni les créatures ne peuvent la forcer au moindre péché, si elle n'y consent. L’âme prudente, qui le sait, se réjouit au milieu des combats, parce qu'elle voit que Dieu les permet pour la rendre meilleure et pour éprouver sa vertu, car la vertu n'est jamais éprouvée que par son contraire. Sans cela l'âme ne peut montrer sa vertu, comme la femme qui a conçu un fils ne peut le montrer qu'en le mettant au jour. De même l'âme, si elle n'enfante pas la vertu au milieu des peines de toutes sortes, qu'elles viennent de la chair, du démon ou des hommes, ne peut jamais voir si elle l'a ou non. Bien souvent l'âme dont la vertu n'a pas été éprouvée, est prête à souffrir tout pour son Dieu; et quand Dieu voit qu'elle a ce désir, aussitôt elle l'éprouve, afin de voir si son amour est fidèle ou mercenaire.

4. L'âme montre qu'elle est fidèle quand elle ne se trouble pas plus dans la tribulation que dans la consolation; elle volt que toute chose se fait par la permission de Dieu, et elle se réjouit de tout ce qui arrive, parce que sa volonté est unie à celle de Dieu. Mais si elle est esclave, c’est-à-dire, si dans le temps de l'épreuve elle veut fuir la peine, elle est mercenaire et non fidèle, et elle doit alors se corriger. Il est donc bien vrai que Dieu permet tout ce qui nous arrive pour augmenter en nous la grâce et éprouver la vertu, parce que l'âme se connaît mieux ainsi, et cette connaissance l'humilie et l'empêche de s'enorgueillir. Elle connaît la bonté de Dieu à son égard, en voyant qu'il conserve sa volonté, qui résiste aux attaques et aux illusions du démon. Telle est la [668] volonté de Dieu, qui n'agit pas pour une autre fin. Mais, quelle est la volonté perverse du démon? c'est de faire tomber l'âme dans l'ennui, le trouble, la tristesse et les scrupules de conscience.

5. L'ancien ennemi ne cherche pas à nous porter a des péchés honteux, en excitant des mouvements déréglés en nous, avec l'espérance de nous faire tomber; il voit bien que la volonté est décidée a mourir plutôt qu'à pécher; mais il agit de la sorte pour nous tromper et nous faire croire qu'il y a des fautes où il n'y en a pas. Il nous dit: Tes œuvres et tes prières doivent être faites avec une grande pureté d'esprit et de cœur, et tu les fais avec de pareilles pensées! Il parle ainsi pour nous dégoûter de la prière et nous la faire abandonner par ennui et par tristesse, avec toutes nos bonnes œuvres. Il cherche seulement le moyen de nous faire jeter par terre les armes avec lesquelles nous nous défendons, car il lui est plus facile de nous vaincre de cette manière que de l'autre. Notre défense est la sainte prière et les saintes pensées fondées sur la douce et éternelle volonté de Dieu. Dans cette volonté l'âme ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu; elle cherche le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, et non pour son avantage, mais parce qu'il est la souveraine, l'éternelle Bonté, si digne d’être aimée et servie; aussi elle l'aime et le sert en tout temps et en toute occasion. Elle est ferme comme un roc inébranlable; elle s'élève au-dessus d’elle-même par un ardent désir, elle se conduit avec une sainte haine d'elle-même, en se reconnaissant digne de toutes les peines qu'elle souffre, et indigne [669] de la récompense qui suit ces peines. Son humilité la persuade qu'elle est indigne de la paix et du calme de l'esprit et elle se réjouit d'être sur la Croix avec Jésus crucifié. Elle veut se rassasier d'opprobres, de peines, de mépris et d'affronts, afin de pouvoir ressembler au Christ; car elle voit que l'âme ne peut s'unir au Créateur que par amour; et par amour pour Jésus-Christ elle choisit cette vie comme la meilleure. et la plus parfaite. qu'elle puisse avoir, puisqu'il nous a enseigné que c'était la voie de la vérité et de la lumière lorsqu'il a dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par cette voie ne s'égare pas, mais il va par la lumière. "

6. Aussi, les serviteurs de Dieu qui veulent le suivre, s'ils pouvaient fuir l'enfer, gagner le paradis et quitter le monde sans jamais souffrir, ne le voudraient pas; ils aiment mieux vivre dans la souffrance pour éviter l'enfer et mériter la vie éternelle, afin de ressembler à leur bien-aimé Jésus. S'ils sont malades, ils s'en réjouissent, parce qu'ils se voient vengés de leur corps et de cette loi mauvaise qui combat contre l'esprit. S'ils sont dans les ténèbres et les combats intérieurs, ou dans les tentations de blasphèmes, de désespoir ou d'infidélité dont le démon les tourmenté, ils s'en réjouissent avec une humilité sincère, parce qu'ils se regardent indignes de la paix; et ils ne s'inquiètent pas des fatigues, mais ils s'appliquent à conserver inébranlable le rocher de leur volonté, afin qu'il ne cède jamais à la tentation; car ils comprennent que par la grâce de Dieu, le rocher de la volonté reste fort tant qu'elle refuse son consentement [670], et ils n'ont pas d'autres peines que la crainte d'offenser Dieu.

7. Je ne veux pas même que cette crainte vous tourmente, car il me semble que le démon vous cause beaucoup de troubles, quoique toutes vos peines soient réduites à celle-ci. Vous savez que cette peine doit être raisonnable, c'est-à-dire fondée sur l'humble connaissance de vous-même et sur la connaissance de la bonté de Dieu, qui vous conserve la volonté; et, de cette manière, cette peine vous sera profitable; elle engraissera votre âme dans la vertu, au lieu de la consumer dans le désespoir; et elle vous donnera la douce vertu d'humilité par la connaissance de vous-même, et la vertu de la charité par la connaissance de la Bonté divine ce sont les deux ailes qui font voler l'âme jusqu'à la vie éternelle. Il ne serait pas bon d'avoir seulement la crainte du péché sans l'unir à l'espérance de la divine miséricorde; car le démon ne veut que vous faire tomber dans la confusion et la tristesse, qui dessèchent l'âme. Dans cette confusion et cette tristesse, l'âme jette à terre les armes que le Saint-Esprit lui avait données, c'est-à-dire cette volonté conforme à la volonté de Dieu, pour se servir ensuite de sa volonté propre; sous prétexte de mieux servir Dieu, elle veut se délivrer de la maladie et des peines d'esprit qu'elle ressent. Elle se dit: Je pourrais mieux et plus généreusement servir mon Créateur. C'est une erreur, et cette erreur vient de la crainte déréglée que le démon lui donne; il le fait pour la revêtir de la volonté propre; et alors elle conçoit une impatience qui la rend insupportable à elle même, une préoccupation [671] d'esprit, une opinion personnelle qui lui fait choisir ses voies et ses moyens selon son caprice, et non pas selon le bon plaisir de Dieu.

8. Je ne veux plus vous voir cette confusion, cette tristesse, cette volonté propre, mais la joie, l'ardeur de l'amour, la lumière du Saint-Esprit, avec un cœur généreux et sans crainte. Revêtez-vous de la douce, de l'éternelle volonté de Dieu, qui a permis et permet toutes les peines que vous souffrez dans votre corps et dans votre âme, et il le fait pour votre sanctification; il vous donne tout par amour et non par haine. Prenons donc les armes, et terrassons le démon par la soumission à l'éternelle Volonté. Chassons une pensée par l'autre, c'est-à-dire les pensées du démon par les pensées de Dieu. Si vous me dites : Je ne puis penser à Dieu, ni réciter mon office, ni faire aucune bonne œuvre à cause de mes souffrances et des tempêtes qui troublent mon esprit, je vous répondrai : Ne vous découragez pas, mais, dans vos souffrances, exercez votre patience, car c'est pour cela qu'elles vous sont données. Au milieu des tentations du démon, appliquez-vous à votre office, aux saintes pensées de Dieu. N’occupez pas votre esprit à discuter avec le démon, pour lui résister, ce qui vous troublerait davantage; mais faites en sorte qu’il soit hors de chez vous : et vous le pouvez, car il n'entre que si la volonté consent; tant qu'elle ne consent pas, l'ennemi n'entre pas dans la maison, mais il frappe à la porte. L'âme, pour se défendre, ne doit pas prendre la flèche du démon et chercher à l'en frapper, car elle ne l'atteindrait pas en voulant discuter avec lui; mais qu'elle prenne la flèche de la volonté de Dieu et [672] de la haine d'elle-même, et elle se blessera en lui répondant : Si, pendant toute ma vie, mon Créateur veut que je souffre cette peine, je suis prêt à y consentir pour la gloire et l'honneur de son nom. Elle dira aux tentations: Soyez les bienvenues; - je les reçois comme mes meilleures amies, car elles sont l’occasion et le moyen de me tirer du sommeil de la négligence et de me faire pratiquer la vertu.

9. Réjouissez-vous donc et soyez dans l'allégresse; persévérez jusqu'à ia fin, et préférez plutôt mourir que de quitter le poste où Dieu vous a appelé. Mais embrassez la Croix par la patience, et cachez-vous dans le sein de Dieu avec vos peines; fixez les yeux sur l'Agneau immolé pour vous, et soyez toujours content de ce que Dieu vous donne et vous destine. Nous devons faire ainsi parce que nous sommes certains que Dieu nous appelle et nous choisit ce qui peut nous rendre plus agréables à ses yeux. Vous irez ainsi de lumière en lumière, et les peines souffertes pour Jésus crucifié vous seront délicieuses, tandis que les jouissances et les consolations du monde vous deviendront amères. Vous commencerez à goûter, dès cette vie, les arrhes de la vie éternelle; car la principale béatitude de l'âme dans le ciel, c'est d’être affermie pour toujours dans la volonté du Père. Elle goûte ainsi la douceur divine, mais elle ne la goûte jamais au ciel, si elle ne s'en est pas revêtue sur terre, où nous sommes pèlerins et voyageurs. Quand elle s'en est revêtue, elle goûte Dieu par la grâce dans ses peines; sa mémoire s'emplit du sang de l'Agneau sans tache; son intelligence s'ouvre et contemple l'amour ineffable que Dieu a manifesté [673] dans la sagesse du Fils, et alors l'amour qu'elle trouve dans la bonté du Saint-Esprit chasse l’amour-propre et l'amour des choses créées, pour n'aimer que Dieu.

10. Ne craignez donc pas, mon très cher Père, mais souffrez avec joie pour vous conformer è la volonté de Dieu. Dans la maladie, dans la santé ou dans quelque position que ce soit, il ne vous demande autre chose maintenant que la patience et la force, avec une douce persévérance. Cette persévérance, vous l'aurez, si vous prenez dans votre cœur la résolution de ne vouloir que des fatigues et des peines pour obtenir la couronne qui se donne à la force et à la persévérance. Elle appartient à l'âme qui est éclairée et embrasée du feu de l'Esprit-Saint. Nous ne pouvons avancer autrement, et c'est le seul moyen d'acquérir ou de perdre, comme je vous l'ai expliqué. Aussi je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière et l'ardeur du Saint-Esprit; je prie et je prierai l'éternelle rit souveraine Vérité de vous en remplir si parfaitement, que vous connaissiez le trésor des tribulations et des tentations qu'il vous a confié par amour pour que vous soyez au nombre. de ses élus, pour qu'il vous récompense de vos peines dans son éternelle vision. Je ne vous en dis pas davantage. S'il plaît à la bonté de Dieu que vous le serviez dans le couvent de la Gorgone, je suis persuadée que les choses se feront de la manière qui vous sera le plus profitable. Soyez donc content en tout lieu, et prenez garde de ne pas écouter votre corps avec trop de tendresse. Soyez content de la vie des autres frères et religieux qui sont de la même nature que vous. Dieu veille sur vous comme sur eux [674]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières








CIII (57). - A DOM PIERRE DE MILAN, de l'Ordre des Chartreux. - Il faut bénir Dieu dans les tentations, et déjouer les ruses du démon en détruisant on nous la volonté propre.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir louer et bénir Dieu on toute circonstance. Mais je ne sais comment nous pourrions rendre à Dieu cette action de grâce que nous lui devons, si nous n'avons pas la lumière qui fait discerner ce qui est digne de louange ou de blâme. Sans la lumière, l'homme est trompé par les ténèbres, et il prend le blanc pour le noir, et le noir pour le blanc. Cette lumière est donc bien nécessaire: elle nous fait asseoir sur le siège de notre conscience pour juger raisonnablement les choses et dissiper le nuage de l'amour-propre, de cet amour sensuel que l'homme a pour lui-même. Cet amour est un poison qui infecte l'âme et corrompt le goût du saint désir, tellement que les choses amères lui paraissent douces, et les douces amères; il aveugle l'âme, en ne lui laissant plus connaître et discerner la vérité. Ceux qui ne la connaissent pas ne l'aiment pas, et ne peuvent [675], par conséquent, rendre gloire à Dieu et bénir son nom. Ils tombent dans l'ennui, le dégoût, l’injustice à l'égard de Dieu et du prochain, en jugeant tout selon la faiblesse de leur esprit, et non selon la vérité. Le serviteur du monde juge que ses honneurs et ses plaisirs sont très désirables, tandis qu'au contraire, lorsque l'homme s'y attache avec un amour déréglé, ils deviennent les instruments de sa ruine, en le privant de Dieu par la grâce.

2. Les tribulations et les persécutions du monde paraissent amères, et elles sont d'une grande douceur; car, si on le veut, elles servent à mériter en nous ramenant à Dieu, en nous faisant connaître notre néant, la fragilité et la vanité du monde. Mais les hommes sont si aveugles, qu'ils fuient la vertu pour fuir la fatigue, et au lieu de trouver le bonheur, ils le perdent; ils éprouvent des peines de toute sorte; Ils deviennent insupportables a eux-mêmes et se rendent les martyrs du démon; ils n'atteignent pas ainsi leur but. Il en est de même des serviteurs de Dieu qui conservent encore les complaisances de l'amour-propre. C'est un nuage qui ne prive pas entièrement de la lumière; il laisse quelque clarté, mais il cache le disque du soleil. Il est pénible à ceux-là de se délivrer de leurs convoitises spirituelles ou temporelles, surtout quand la sensualité se cache sous le manteau de l'esprit.

3. Le démon nous trompe ainsi de trois manières. D'abord dans le temps de la tentation, lorsque l'âme est privée de toute consolation : l'ennemi se cache alors sous l’apparence de la tendresse pour nous-mêmes ; il nous donne une crainte d'avoir péché dans [676] la tentation, par la crainte qu'on a du péché, et cela pour inspirer le dégoût des voies spirituelles. Il dit: Tu n'étais pas ainsi tourmenté avant d'embrasser la vie religieuse: tu as changé d'état pour devenir meilleur, et tu es devenu plus mauvais. Ces pieux exercices, que tu devais faire dans la paix et le calme d'un coeur libre de toute pensée étrangère, tu les fais dans le trouble et l'agitation; il vaudrait mieux les abandonner. Il agit ainsi pour éloigner de la prière, qui est la mère des vertus de l'âme éclairée. Cette tentation est précieuse pour celui qui, bien loin de négliger alors la gloire de Dieu, agit au contraire avec plus de courage ; il se trouve indigné de la paix, du repos et des consolations que reçoivent les autres serviteurs de Dieu; il croit mériter de souffrir, et il se réjouit au milieu des peines; il bénit Dieu en toute circonstance. Mais pour celui qui s'aime, cette tentation, qui est bonne en elle-même, devient dangereuse par le défaut de lumière et de dispositions. Il tombe dans la tiédeur, et, parce qu'il est privé de la consolation qu'il désire, il lui semble qu'il est privé de Dieu. La tiédeur et la négligence entravent les pieds de son affection et les élans de sa prière. Quand vient l'ennemi, ses mains affaiblies ne s'élèvent pas avec humilité vers le ciel pour demander le secours de Dieu, qui ne refuse jamais celui qui l'invoque, et il cesse d'obéir à l'éternelle Volonté, qui donne et permet tout pour notre sanctification.

4. L'ennemi entre alors; il occupe les faubourgs de la cité de l'âme, et s'empare bientôt de toute la ville et du château fort de la volonté. Il arrive à l'âme comme au peuple de Dieu, qui triomphait quand [677] Moïse priait, et qui perdait la victoire quand ses mains suppliantes s'abaissaient. Quel est le peuple de Dieu qui occupe la cité de votre âme? ce sont les vraies et solides vertus. Ces vertus triomphent des vices lorsque la raison, qui est notre Moïse, se tient sur la montagne de la charité divine et de la connaissance de soi-même pour lever au ciel les bras de la prière. Que doit faire celui qu'affaiblit l'amour-propre pour remédier à sa faiblesse ? il doit, comme Moïse, soutenir ses bras par deux soutiens, par la haine de soi-même et la sainte crainte de Dieu d'un côté, et de l'autre par l'amour et l’humilité, sa nourrice. Appuyée sur ces deux forces, l'âme lèvera les yeux au ciel à la lumière de la très sainte Foi ; et alors le peuple de Dieu, le zèle de la vertu, terrassera l'amour-propre, l'ennemi principal, et tous les autres qui viennent à sa suite. Toute imperfection sera déracinée de l'âme, et le démon ne pourra atteindre le but qu'il s'était proposé par toutes ses insinuations perfides.

5. Un autre artifice s'attaque à la charité du prochain. Le démon veut ôter à l'âme l'amour du prochain pour l'empêcher de le servir et de l'assister comme toute créature raisonnable est obligée de le faire. Afin de lui inspirer du dégoût là où elle devrait se plaire, il cache la tentation sous l'apparence de la douceur; il offre au désir de l'âme la consolation, le repos spirituel et les devoirs de ses prières, et il lui fait entrevoir des jouissances qui font oublier le corps. Cette tentation est si bien déguisée, si séduisante, que les ignorants, qui ont peu de lumières, s'y laissent prendre; elle est encore bien plus dangereuse [678] lorsque, ne se connaissant point eux-mêmes, ils ne veulent pas croire ceux qui sont plus instruits, et rechercher leurs lumières. Quand ils voient la vérité avec évidence, ils ne s'appliquent pas à la suivre dans leur conduite; mais, aveuglés par l'amour d'eux-mêmes, ils s'endorment dans la tiédeur, parce qu'il leur parait impossible d'arriver jamais. Ceux-là ne bénissent pas Dieu parfaitement, mais imparfaitement; ils donnent peu, et ils reçoivent peu. Pourquoi en est-il ainsi? parce que leurs désirs ne sont pas encore bien purs, et qu'ils. regardent les rayons de la consolation, au lieu de contempler le disque du soleil, c'est-à-dire l'éternelle volonté de Dieu, son éternelle Vérité, son Verbe, son éternelle doctrine, ce Soleil de justice, qui éclaire toutes les âmes qui veulent être éclairées.

6. C'est ainsi que nous voyons la lumière dans la lumière; sa chaleur détruit toute négligence et toute tiédeur du cœur, qui, par le libre arbitre, ouvre la fenêtre de sa volonté, afin que le soleil puisse entrer avec la justice dans la maison de l’âme, qui rend gloire à Dieu, et louange au Verbe, la Parole du Père. L'âme lui rend gloire lorsqu'elle suit sa doctrine, lorsqu'elle se hait, se méprise, et qu'elle rougit de sa passion sensitive, spirituelle et temporelle; toutes les fois qu'elle recule devant ses devoirs à l'égard du prochain, auquel elle doit montrer son affection, sa bienveillance, en le secourant charitablement dans ses besoins, en supportant ses défauts non seulement en paroles, mais en actions, se renonçant elle-même, non pas dans ce qu'elle doit faire, mais dans ce qui lui plaît, et allant au-devant de la [679] peine pour honorer Dieu dans le salut du prochain. Ainsi fait celui qui a fixé l'oeil de son intelligence sur ce doux et glorieux Soleil, car il a vu à sa lumière qu’il n'y a pas d'autre moyen de montrer l'amour que nous devons avoir pour Dieu. Il sait aussi que, quand on est privé de l'amour du prochain, on est privé de l'amour de Dieu.

7. Celui qui s'aime, au contraire, et qui se laisse prendre à cette tentation, se dit à lui-même: Je ne veux pas être privé de la charité, et je ne veux pas m'en priver; j'aimerais mieux mourir, mais je ne retire aucun bien de cela : mon esprit est tout dissipé, et je ne rencontre que ténèbres, scandales et confusion; quand il faut exercer la charité, l’ennui et le dégoût m'accablent. Il me semble que, pour mon bien et pour celui du prochain, il vaudrait mieux rester dans ma paix. Celui-là montre bien qu'il est aveugle, et qu'il ne voit que le crépuscule. Comment puis-je dire que j'aime mon prochain, si, quand je le vois dans le besoin, je m'éloigne de lui; si, pour ma propre consolation, je fais semblant de ne pas le voir? Suis-je dans la vérité? Et n'est-ce pas un mensonge, si l'assistance du prochain, quels que soient le moyen, le lieu, la circonstance, m'est une chose pénible qui me trouble l'esprit? Il n'est pas vrai que la créature, le démon, un exercice, ou la privation de la consolation, quelle qu'en soit la cause, qu'elle vienne de l'assistance du prochain, ou que Dieu la retire pour entretenir dans l'humilité, puissent affliger l'âme et lui donner l'amertume du péché? Elle ne doit s'affliger que du péché, et si elle pèche, ce n'est pas la faute des autres, c'est la sienne.

8. Son mal est la volonté propre, qui commet l'offense. L'homme la porte toujours avec lui, s'il veut fuir les circonstances où les créatures qui le réclament Ce lui serait une chose utile et douce d'abandonner la volonté propre; mais en la fuyant elle le suit, il en est revêtu, il se retrouve toujours lui-même; et quand vient le moment de l'épreuve, c'est-à-dire quand il faut résister à sa volonté, il en sent tellement la morsure, qu'il ne peut éviter le venin de l'impatience. Il faut donc fuir son propre sens et sa volonté mauvaise. Mais que doit-il faire? Que fera-t-il? s'il veut voir la lumière, il montera sur le tribunal de sa conscience, et il jugera avec sa raison ; il ne laissera point passer les sentiments qu'il éprouve sans les corriger, et il se condamnera lui-même. Et quelle sera la sentence? il condamnera non pas à l'amende, mais à la mort; et en faisant mourir sa volonté, il foulera aux pieds de l'affection cette illusion qui l'enveloppait, et il se revêtira des peines, des opprobres, des mépris et de la douce volonté de Dieu. En agissant ainsi, il honorera Dieu et bénira son nom.

9. Le troisième et dernier artifice du démon est dirigé contre l'obéissance. Le démon se sert de la passion de l'homme pour l'égarer par de vaines apparences, et surtout par de faux jugements. Il trouve qu'il est éclairé, et que son supérieur ne l'est pas; car, s'il ne se jugeait point ainsi, il ne nierait pas les Itimières de son supérieur. Celui qui s'aime voudra donc juger l'intention de son supérieur en dehors de la volonté de Dieu, et il aura toujours avec lui la sœur de l'amour-propre, qui est la désobéissance [681]. Il dira : Ces ordres ne sont pas justes, et je ne dois pas en souffrir. Lorsque je voulais rester dans ma cellule pour y méditer en paix, on m'en a fait sortir sans faire attention au moment et à la circonstance. Quel mal cause ce faux jugement! Je cite cet exempte; je pourrais en citer beaucoup d'autres, que je tais pour ne pas vous ennuyer. Ou il désobéit et ne fait pas ce qui lui est commandé, ou, s'il le fait, c'est avec impatience, murmure et trouble d'esprit; il perd la fidélité, le respect, la sainte crainte qu'il doit avoir pour Dieu, pour son supérieur, et, par l'agitation que lui cause sa volonté propre, il se prive de la paix et de la tranquillité d'esprit. Tout cela arrive parce qu’il s'aime lui-même; par amour-propre il s'est fait juge de la volonté de son supérieur en dehors de la douce volonté de Dieu. Mais s'il avait eu la lumière de la Foi, quand même celui qui !ul commande serait un démon incarné, il penserait que la bonté du Saint-Esprit le ferait agir à son égard de la manière la plus utile à son salut.

10. La tendresse qu'il a pour lui-même l'empêche de voir ainsi, parce que son regard ne s'est pas fixé sur l'obéissance du Verbe, qui fut obéissant jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix: O désobéissant, qui juge les autres dans la tiédeur et l'amour de toi-même? Pourquoi ne pas considérer le sang répandu avec tant d'ardeur et d'amour pour accomplir les ordres que le Père a donnés à son Fils unique? Ce doux Jésus n'a pas discuté la volonté du Père et ses conséquences; il n'a pas refusé la peine par tendresse pour lui-même, et il n'a pas dit : Mon Père, trouvez un moyen qui m'épargne les souffrances, et [682] je vous obéirai. Non seulement il ne l'a pas dit, mais, enivré d'amour pour l'honneur de son Père et pour notre salut, il a pris le joug de l'obéissance, et pour y satisfaire il s'est rassasié d'opprobres, de mépris et d'outrages. Celui qui désaltère toutes les âmes a souffert de la soif. Pour nous revêtir de la vie de la grâce, il s'est dépouillé de la vie de son corps, et il s’est fait élever comme un étendard sur le bois de la très sainte Croix; il s'est offert comme un Agneau immolé dont le sang coule de toute part. Ce sang manifeste sa prompte obéissance, ce sang manifeste cette vérité ancienne et toujours nouvelle pour nous ancienne, puisque nous avons été de toute éternité dans la sainte pensée de Dieu; nouvelle, puisqu'il nous a créés à son image et ressemblance ,en nous donnant l'être pour que nous jouissions de la félicité parfaite qu'il a en lui-même.

11. Nous ne la comprenions pas, cette vérité nouvelle, nous paraissions ne pas croire qu'elle nous avait créés pour nous donner la vie éternelle; et Dieu, afin d'accomplir cette vérité dans l'homme et la lui faire comprendre, nous a envoyé son doux et tendre Verbe, revêtu de notre humanité; il a frappé nos iniquités sur l'enclume de son corps, et il nous a fait renaître à la grâce dans le Sang. Et ainsi, ce sang nous a manifesté de nouveau la vérité. Dans le sang nous trouvons la source de la miséricorde; dans le sang la clémence, dans le sang le feu, dans le sang la compassion; c'est le sang qui expie nos fautes, le sang qui rassasie la miséricorde, le sang qui détruit notre dureté, le sang qui rend douces les choses amères, et légers les pesants fardeaux. Aussi, ceux [683] qui considèrent ce sang à la lumière de la Foi, portent le poids de l'obéissance avec joie et douceur; et comme ce sang fait mûrir les vertus, l'âme qui s enivre et se noie dans ce sang se revêt de vraies et solides vertus, pour honorer Dieu et accomplir en elle la vérité qui lui a été montrée de nouveau par le moyen du Sang.

12. Le désobéissant, qui juge la volonté de son supérieur, ne considère pas ces choses; s'il les considérait, il renoncerait en tout et pour tout à sa volonté, et il ferait tous ses efforts pour connaître la volonté de Dieu et de son supérieur. Mais, parce qu'il ne le fait pas, il est dans une peine continuelle, et reste toujours dans sa tiédeur et son imperfection. Il est toujours couvert du vêtement de l'amour-propre, parce qu'il ne l'a pas détruit dans le sang, dans le feu et dans l'obéissance du Verbe. C'est pourquoi il ne bénit pas Dieu par l'obéissance que Dieu demande aux séculiers, aux religieux, aux supérieurs, aux inférieurs, aux jeunes, aux vieux, en tout état, en toute circonstance, en tout lieu, dans la consolation et la désolation, dans la paix de l'esprit et dans ses agitations et ses tempêtes. Enfin, nous devons bénir Dieu de toute manière, par l'amour de la vertu et par la parole même, quand il le faut. O mon cher Fils! c'est à cela que je vous invite, car c'est la voie, c'est le moyen de rendre gloire à Dieu et de le bénir en tout temps, non seulement par la parole, mais par les œuvres. C'est ce que j'ai désiré voir en vous, ce que je veux voir toujours dans votre cœur, dans votre esprit, dans votre âme.

13. Mon Fils, le temps nous presse; il ne faut pas [684] attendre pour nous perdre nous-mêmes. Je vous prie de ne jamais laisser affaiblir dans votre âme le désir que Dieu vous a donné de prendre part à la croisade, et de donner votre vie pour lui. Que ce désir s'augmente, et commencez dès maintenant, au milieu des chrétiens, à combattre pour la sainte Eglise et pour le Pape Urbain VI, le vrai Souverain Pontife. C'est pour cette vérité qu'il faut nous disposer à souffrir, et dans nos souffrances nous bénirons Dieu dans la sainte Église; et Dieu, par sa miséricorde, après ces ténèbres, nous donnera la lumière, et avec la lumière s'accompliront les desseins de Dieu et. nos désirs. Courage donc, et soyez un généreux chevalier. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [685].

Table des Matières








CIV (58). - A DOM PIERRE DE MILAN, de l'Ordre des Chartreux. - Du sang de Jésus-Christ et de ses effets. - Il éteint le vice dans l'âme et donne la vraie charité, la patience et la gloire da paradis.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avide et altéré du sang de Jésus crucifié, dans lequel, en le voyant répandu avec un si ardent amour, vous recevrez la vie de la grâce, et vous laverez la face de votre âme [685]; car il nous est donné pour laver les taches de nos défauts. Mais ce sang ne nous donnerait pas la vie, et ne laverait pas la face de l'âme, si l'âme, avec le souvenir de ce sang et la pensée du feu de la divine charité, ne s'exerçait pas a la vertu. Ce n'est pas la faute du sang, mais la nôtre, si nous ne recevons pas le fruit du sang; c'est que nous n'excitons pas en nous les mouvements de la charité, qui se trouve dans ce sang, et qui nous donne, quand nous le recevons, le fruit de la grâce.

2. Il ne faut donc pas dormir, quand il est temps encore, dans le lit de la négligence; mais il faut remplir avec zèle le vase de la mémoire, du souvenir de ce sang, et ouvrir l'oeil de l'intelligence sur la sagesse et la doctrine du Verbe et sur le feu d'amour avec lequel ce sang nous est donné. Dans ce feu, notre volonté s'empressera d'aimer ce que l'intelligence voit et connaît. Nous nous enivrerons de ce précieux sang, et nous désirerons donner, en nous attachant a la vertu, notre sang et notre vie par amour pour ce sang et cette vie. Nous penserons que nous sommes indignes de parvenir a un si grand honneur, que celui de recevoir la rose vermeille du martyre. Ce désir effacera et détruira en nous toutes nos iniquités par la vertu du sang; nous serons inscrits dans le livre de vie, et pour toujours séparés de la compagnie des démons. Aucune angoisse, aucune attaque du démon ou des hommes ne pourront nous nuire et nous ravir notre joie. Ce sang nous fera porter toutes les peines et les fatigues avec une vraie et sainte patience, et nous nous glorifierons, comme le doux saint Paul, dans la [686] tribulation. Nous voudrons nous unir aux souffrances et aux opprobres de Jésus crucifié, et nous prendrons sur nous les mépris, les outrages et les affronts pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

3. Oh! combien est heureuse cette âme, qui traverse si doucement la mer orageuse et les angoisses du monde, sans cesse appliquée aux veilles et a une humble prière, tout enflammée de saints désirs, et tout enivrée du précieux sang! C'est par ce sang qu'à la fin de notre vie, nous recevrons le fruit de toutes nos fatigues. Ce sang ôte la peine, et donne la joie; il enlève l'homme à lui-même, pour qu'il se retrouve en Dieu. Il lui fait abandonner sa sensualité, parce qu'avec l'amour qu'il trouve dans ce sang, il chasse l'amour-propre; il s'assied sur le tribunal de sa conscience, et y juge avec justice. Il arrête dans son cœur tous les mouvements d'impatience et les murmures que peuvent faire naître les scandales et les défauts du prochain , et il les supporte avec patience sans mépriser et juger personne. Il voit en toute chose la douce volonté de Dieu, et il s’y soumet toujours avec empressement en obéissant à sa règle et à son supérieur, parce qu'il goûte dans le Sang l'obéissance du Verbe. Il ne souffre pas, parce qu'il a renoncé a sa volonté pour la remettre entre les mains. de son supérieur, dans la volonté duquel il voit la volonté de Dieu même. Il ne sent plus la fatigue, parce qu'il a détruit en lui la volonté mauvaise, qui fatigue toujours; il l'a tuée dans le Sang, et il jouit d'un avant-goût de la vie éternelle. Toujours la paix, le calme habitent son âme, parce qu'il en a banni tout ce qui pouvait la troubler. Puisqu'il en résulte [687] tant de biens, il faut sans cesse emplir notre mémoire du pieux souvenir de ce sang répandu avec un si ardent amour. Nous ne devons jamais passer un seul instant sans fixer l'oeil de notre intelligence sur le sang de Jésus crucifié, où se trouve la vérité du Père éternel et souverain, qui s'est manifestée à nous par le moyen du Sang.

4. Hâtons-nous donc, et consacrons tous nos jours à faire briller en nous les pierres précieuses de la vertu. Ce sont les trésors pour lesquels les vrais serviteurs de Dieu vendent tout ce qu'ils ont, c’est-à-dire leur volonté qui est libre, afin de les acheter. Je vous invite et je vous conjure de tout mon cœur de le faire. Oh! combien sera heureuse l'âme qui, pendant toute sa vie, ne perdra pas son temps, mais qui achètera ce trésor avec empressement, et cultivera la vigne de son âme en arrachant les épines de l’amour-propre et des autres défauts, et en y plantant les vertus, qui sont des pierres enchâssées dans le sang du Christ. Elle goûtera le bonheur du ciel en voyant que la vie du Sang lui a été donnée par grâce et non par obligation, et en conformant toujours sa volonté a la douce volonté de Dieu. Si notre volonté meurt en nous et vit en lui, nous recevrons à la fin de notre vie l'éternelle vision de Dieu. Par quelle vertu? Ce ne sera pas par la nôtre, mais seulement par la vertu du sang, et non par aucun autre moyen. Aussi, comme je ne vois pas d'autre route, je vous ai dit que je désirais vous voir avide et amoureux de ce sang. Oui, je veux que nous le soyons. Je m'arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

5. J'ai reçu votre lettre, et je vois avec joie que la [688] bonté de Dieu vous fait éprouver le saint désir de donner votre vie pour la gloire et l'honneur de son nom. Je vous répondrai d'abord, au sujet de vos péchés, que je promets volontiers, dans cette douce charité de Dieu, qui nous a donné le sang de son Fils, de les prendre sur moi en priant la divine bonté de punir vos fautes sur mon corps. Mes péchés et les vôtres seront ainsi consumés dans la fournaise de la divine charité. Je prierai aussi que son infinie bonté et sa miséricorde nous fassent la grâce de donner notre vie pour lui. Vous vous nourrirez ainsi du précieux Sang, et la barque de votre âme sera fournie des véritables vertus. Je vous réponds aussi que je vous promets, si le moment désiré par vous et par tous les serviteurs de Dieu arrive, et s'il m'est possible d'en obtenir la permission du Vicaire de Jésus-Christ, que je ferai tous mes efforts pour réaliser le saint désir qui est en vous. Priez-le donc pour qu'il ne diffère plus. Pour moi, je meurs, et je ne puis mourir en voyant tant offenser notre Créateur dans le corps mystique de la sainte Eglise, et en voyant profaner notre Foi par ceux-là mêmes qui devraient en être les flambeaux. Ce sont mes fautes qui causent tout ce mal. Cachons-nous dans le côté de Jésus crucifié, et frappons à la porte de sa miséricorde. Doux Jésus, Jésus amour [689].

Table des Matières








CV (59). - A DON JEAN DE SABBATINI, de Bologne, religieux de l'Ordre des chartreux, au couvent de Beauregard, près de Sienne, lorsqu’elle était à Pise. - Notre vie et notre sang appartiennent à Jésus-Christ, qui est mort pour nous.

(Les Sabbatini étaient une des plus anciennes familles de Bologne. La chartreuse de Beauregard, à trois milles de Sienne, fut fondée en 1345, et supprimée en 1635 par Urbain VIII comme insalubre. Ses biens furent donnés à la chartreuse de Pontignano. Sainte Catherine passa une partie de l’année de 1375 à Pise.)
 
 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






Mon très cher et bien-aimé Père, par respect pour le sacrement du corps adorable du Fils de Dieu; je vous dirai et je vous appellerai aussi mon Fils, puisque je vous enfante par de continuelles prières et par mes désirs en la présence de Dieu, comme une mère enfante un fils. Oui, c'est à ce titre de mère que je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, et que je désire vous voir anéanti et consumé dans la fournaise de son ardente charité. C'est à cause de cet amour, que l'Agneau sans tache s'est immolé et a fait un bain de son sang pour le genre humain. Il faut donc exciter dans notre âme le brûlant désir de donner sang pour sang; car voici le temps où se reconnaîtront les généreux chevaliers. Oh! combien sera heureuse mon âme, quand je vous verrai, vous et les autres, tout transportés d'amour [690], courir pour donner votre vie, sans tourner la tête en arrière! Je vous prie donc par l'amour de Jésus crucifié d'être forts dans l'occasion, et d'ouvrir alors l'oeil de votre entendement; car je ne crois pas que l'âme puisse avoir cette force, qui vient de sa douce mère, la charité si elle ne tient pas continuellement ses regards sur la connaissance d'elle-même, qui la rendra humble, et lui donnera la connaissance de la Bonté divine. De cette lumière et de cette connaissance naît un amour si ardent et si plein de douceur, que tout ce qui est amer devient doux, que tout ce qui est faible se fortifie, et que toute la glace de l'amour se fond et disparaît. Alors l’âme ne s'aime plus pour elle, mais pour Dieu. Elle verse des larmes abondantes, et répand ses tendres désirs sur ses frères; elle les aime d'un amour pur, et non pas mercenaire; elle aime Dieu pour Dieu, parce qu'il est la souveraine, l'éternelle bonté, et qu'il est digne d’être aimé. Oui, ne tardons plus, mon Fils et mon très cher Père dans le Christ Jésus; hâtons-nous de nous réfugier saintement dans la connaissance de nous-mêmes, qui est si nécessaire et si douce; car, comme je l'ai dit, nous y trouverons l'infinie bonté de Dieu. Ce sont les armes que je veux que nous prenions, afin de n’être pas trouvés désarmés quand viendra le moment du combat, le moment de donner vie pour vie, sang pour sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Le pauvre Gérard (Gérard Buonconti était disciple de sainte Catherine, qui logeait chez lui, sur la rive droite de l'Arno, près de la petite église de Sainte-Christine elle reçut les stigmates. L'épithète de misero indique que Gérard servit de secrétaire pour cette lettre.) et frère Raymond, son père, se recommandent à vous [691].

Table des Matières








CVI (60). - A DOM JEAN SABBATINI, DE BOLOGNE, ET A DOM THADEE DE MALAVOLTI, DE SIENNE, religieux de la chartreuse de Beauregard.- Il faut craindre Dieu seul; la crainte servile des hommes se perd dans le sang de Jésus-Christ et dans la charité.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mes très chers Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de vaillants chevaliers, libres de toute crainte servile. Ainsi le veut notre doux Sauveur, qui nous recommande de le craindre, et de ne pas craindre les hommes du monde, lorsqu'il dit : " Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, mais Celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans l'enfer (Mt 10,28). " Je veux donc que vous soyez anéantis dans le sang du Fils de Dieu, et consumés dans le feu de la divine charité; car c'est là que se perd toute crainte servile, et que reste seulement la crainte du respect. Que peuvent faire le monde, le démon et ses serviteurs contre celui qui ressent cet amour sans borne, et qui s'attache au précieux Sang? ils ne peuvent rien; il sont au contraire des instruments qui nous donnent et fortifient en nous la [692] vertu, car la vertu s'éprouve par son contraire. L'âme doit donc se réjouir, et chercher toujours dans la peine Jésus crucifié; elle doit s'anéantir pour lui, se mépriser et n'aimer que la douleur et la Croix. En voulant la peine, vous aurez la douceur; et voulant la douceur, vous aurez la peine.

2. Il vaut donc mieux nous noyer dans le Sang, et tuer notre volonté mauvaise en la sacrifiant librement au Créateur, sans aucune faiblesse pour nous-mêmes. Alors la vie sera parfaite en vous, et vous attendrez sans vous affliger de vos peines. Nous ne devons souffrir d'aucun ordre que nous recevons, mais plutôt nous en réjouir; car aucun commandement venu des hommes ne peut nous séparer de Dieu. Ils sont au contraire des moyens d'acquérir la patience, et de nous faire réfugier avec plus de zèle dans notre cellule pour nous attacher à l'arbre de la Croix, pour chercher la vue de l'invisible, qui ne peut nous être enlevée; car les désirs de la charité, si nous n'y consentons pas, ne se perdent jamais. Ne serait-ce pas un grand bonheur d'être persécuté pour Jésus crucifié? Oui, je veux que vous vous en réjouissiez de toute manière. Si Dieu vous envoie une croix, ne la choisissez pas selon votre volonté, mais selon la volonté de Celui qui vous la donne, et regardez-vous indignes de la grâce si grande d'être persécutés pour Jésus crucifié. Sachez, mes doux Fils en Jésus, que c'est la voie des saints qui ont suivi les traces du Christ. Il n'y a pas d'autre voie pour conduire à la vie.

3. Je veux qu'avec tout le zèle possible, et avec une sainte haine de vous-mêmes, vous vous appliquiez à [693] suivre cette voie douce et droite, dans ce saint lieu de la prière; suivez-la avec ardeur et persévérance, l'Esprit-Saint vous la montrera. Ne la méprisez, ne la fuyez pas, quand même vous devriez perdre la vie. Ne l'abandonnez jamais par faiblesse et par compassion pour votre corps, car le démon ne veut que nous priver de la prière, ou par compassion de notre corps, ou par lassitude de notre esprit et nous ne devons pour aucune de ces causes laisser l’exercice de l'oraison; nous devons, par la pensée de la bonté de Dieu et par la connaissance de nous-mêmes, chasser les tentations du démon et les faiblesses que nous avons pour nous-mêmes. Cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié. Aimez-vous les uns les autres pour Jésus crucifié; ne craignez rien de ce qui vous arrive. Vous pourrez tout par Jésus crucifié, qui sera en vous et vous fortifiera. Soyez obéissants jusqu'à la mort, dans les choses mêmes qui vous seront les plus pénibles. Ne méprisez pas la récompense pour éviter la fatigue. si dans quelque circonstance le démon vous y porte sous des apparences de vertu, en vous disant Cela était la consolation de mon âme, un moyen de perfection pour moi; ne le croyez pas, mais soyez certains que ce que Dieu vous donnait par le moyen de cette consolation, il vous le donnera directement par un effet de sa bonté. Vous savez bien qu’une feuille d'arbre ne tombe pas sans un ordre de sa Providence. Ainsi tout ce qu'il permet au démon et aux créatures de nous faire, nous arrive par sa Providence, pour le besoin de notre salut et pour le progrès de notre perfection. Recevez-le donc avec respect; dépouillez votre cœur et votre affection [694] même des choses temporelles, lorsqu'elles ne vous sont pas nécessaires. Revêtez-vous de Jésus crucifié, enivrez-vous de son sang; vous trouverez là la joie et la paix parfaite. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte dilection de Dieu. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières








CVII (61). - A DOM JEAN, religieux de la chartreuse de Rome, qui était tenté, en voulait aller visiter le purgatoire de saint Patrice, s'affligeant beaucoup de ne pas en obtenir la permission .- De la lumière naturelle et de la lumière surnaturelle. - De l'obéissance et de la patience qu'elles produisent.

( La singulière illusion de ce religieux se rattache à une croyance très répandue au moyen-âge. L'apôtre de l’Irlande, saint Patrice, ne pouvant convaincre des peines de l'enfer les peuples qu'il évangélisait, obtint de Dieu un miracle. Dans un cercle tracé avec son bâton s'ouvrit un abîme où s'entendaient des cris affreux et s'agitaient d'horribles fantômes. La légende ajoute que Dieu promit au saint que les plus grands pécheurs qui se repentiraient et passeraient un jour entier dans cet endroit, en sortiraient purifiés de toutes souillures, sans avoir besoin d'aucune pénitence. Beaucoup de personnes, au moyen-âge, tentaient cette purification et visitaient l’île du lac de Dungal, où se trouvait le puits de saint Patrice. En 1494 le Pape Alexandre VI le fit fermer, après s’être fait rendre compte de tout ce qui se passait dans ce pèlerinage, qui rassurait beaucoup trop la conscience des grands coupables. On peut consulter sur le purgatoire de saint Patrice l'ouvrage des Bollandistes, au 17 mars, et le beau livre de Fr. Ozanam, de si douce mémoire : Le Dante et la Philosophie catholique au XIIIe siècle, chap. IV : Des sources poétiques de la divine comédie.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher Frère et Fils de la 4ouce Marie dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante [695] et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir établi dans la vraie et parfaite lumière, parce que sans la lumière nous ne pourrons discerner la vérité. Mais faites attention qu'il y a deux lumières; l'une n'empêche pas l'autre, mais elles s'unissent ensemble, comme la loi nouvelle ne détruit pas l'ancienne; elle en ôte seulement l'imperfection. La loi ancienne était fondée seulement sur la crainte, elle était donc imparfaite; la Ici nouvelle vient ensuite, et elle s'unit à l'autre; c'était la loi d'amour il y a de même une lumière imparfaite et une lumière parfaite.

2. La lumière imparfaite est la lumière que Dieu nous donne naturellement pour connaître le bien; il est vrai que l'homme, aveuglé par sa propre faiblesse, ne le cherche pas où il devrait le chercher; il le cherche dans les choses transitoires, où ne peut être la perfection du bien, au lieu de le chercher en Dieu, qui est le bien éternel et suprême. Mais s'il profitait comme il faut de cette lumière naturelle en cherchant le bien où il est, l'âme connaîtrait la bonté de son Créateur et l'amour ineffable avec lequel il nous a créés. Elle trouverait cet amour et cette bonté dans la connaissance d'elle-même, et de cette manière, en [696] travaillant avec zèle et sans négligence, elle acquerrait la seconde lumière, qui est surnaturelle, tout on conservant la première, mais elle se corrigerait de

son imperfection, et deviendrait parfaite avec la lumière parfaite et surnaturelle. Que fait cette lumière dans l'âme ? Comment connaître qu'elle s'y trouve? je vais vous le dire. La première lumière regarde les vertus; elle montre combien elles sont agréables à Dieu et utiles à l’âme qui les possède, et combien est affreux et nuisible le vice qui prive l'âme de la grâce. La seconde lumière embrasse les vertus, et les fait naître vivantes dans la charité du prochain. Quand on arrive à la seconde lumière, c'est une preuve que la lumière naturelle n'a pas été étouffée par l’amour-propre, et qu'on a reçu la lumière surnaturelle.

3. Qu'est-ce qui prouve que cette lumière a été répandue dans l'âme par la grâce? les vertus solides, parmi lesquelles deux principes montrent surtout qu'elles sont inspirées par la lumière de la très sainte Foi, car elles sont acquises dans cette lumière; ces deux vertus sont sœurs et revêtues de force et de persévérance. La principale de ces deux vertus, qu'enfante d'abord la charité avec la lumière de la Foi, est la vraie et parfaite obéissance. L'obéissance détruit la faute et l'imperfection, parce qu'elle tue la volonté propre, d'où naît la faute; car tout ce qui est faute ou vertu procède de la volonté. Aussi, quand même l'âme serait tourmentée de toutes sortes de pensées et de tentations qui viendraient du démon ou des créatures; quand même la fragilité de la chair ferait naître en elle des mouvements déréglés, pourvu que la volonté reste ferme et fidèle, et que, loin [697] de consentir, elle résiste jusqu'à la mort, non seulement elle ne commet pas de faute, mais elle mérite et parvient à une plus grande perfection qui lui fait connaître la vérité; car elle voit que Dieu permet ces choses pour la faire arriver à une plus parfaite connaissance d'elle-même et de la bonté divine à son égard; et cette connaissance augmente son amour et son humilité. Aussi ai-je dit qu’elle grandissait en perfection.

4. La vertu n'est pas vertu par l'acte seulement, mais parce qu'elle procède de la volonté et d'une droite et sainte intention. C'est donc la volonté qui commet l'offense, et c'est l'obéissance qui tue la volonté propre et empêche la faute, on détruisant son principe. L'obéissant ne compte jamais sur lui-même, parce qu'il connaît sa faiblesse et son peu d'entendement ; mais il se jette comme mort entre les bras de son Ordre et de son supérieur, bien persuadé, par la foi et la lumière surnaturelle, que Dieu fera discerner à son supérieur ce qui sera nécessaire à son salut; et quand même son supérieur serait imparfait et peu éclairé, il sera convaincu que Dieu l'éclaire selon ses besoins. Il a embrassé l'obéissance parce qu'il a vu la lumière dans la lumière. Comment se manifeste cette lumière ? par la véritable obéissance. Cette obéissance est fidèle et persévérante, et non point passagère. Le véritable obéissant n'obéit pas seulement d'une certaine manière, dans un lieu, dans un moment donné, mais en toute manière, en tout lieu, en tout temps, selon le bon plaisir de son supérieur. Il ne cherche pas les consolations spirituelles, mais il cherche à tuer sa volonté propre [698]; il la tue avec l’arme qu'il a mise dans les mains de l'obéissance, parce qu'il a vu dans la lumière que, s'il ne la tuait pas, il serait toujours dans la peine, et qu'il n'atteindrait jamais la perfection à laquelle Dieu a bien voulu l'appeler; il se verrait privé de la lumière surnaturelle, cette lumière dont la présence dans l’âme est prouvée par la vertu de l'obéissance.

5. Quelle autre vertu manifeste encore cette lumière? C'est la patience, qui est la preuve certaine que nous aimons véritablement, parce qu'elle est la moelle de la charité; elle est sœur de l'obéissance, et même, c'est l'obéissance qui rend l'âme patiente, parce qu'elle ne se scandalise d'aucun ordre qui lui est donné par son supérieur. Elle est revêtue de force, et elle supporte avec résignation les corrections et les observances de l'Ordre. Quand la volonté est droite, elle ne se relâche jamais, mais elle est toujours joyeuse et empressée. Elle ne fait pas comme le désobéissant, qui fait tout avec peine et à contrecœur: il demandera quelquefois à son supérieur la permission de faire une chose qu'il a décidée dans sa volonté, et s'il ne l'obtient pas, il en est si contrarié, qu'il en tombe malade. Il vaudrait bien mieux tuer, par une haine sainte, la volonté propre, qui lui cause tant de tourments. La patience reste sur le champ de bataille avec les armes de la force et avec le bouclier de la sainte Foi; elle repousse les coups et triomphe par son courage. Elle frappe ses ennemis avec le glaive de la haine et de l'amour ; elle tue d’abord son principal ennemi, cette loi perverse qui combat toujours contre l'esprit, et avec elle, elle tue les plaisirs et les délices du monde, qu'elle hait par amour pour son Créateur, ainsi que [699] les tentations et les fantômes dont le démon l'obsède; elle les chasse et s'en délivre par de bonnes et saintes pensées, en empêchant toujours sa volonté de consentir et de succomber.

6. Cette patience, éclairée par la lumière, ne veut pas combattre dans des positions douteuses, avec l'espérance de n'avoir plus à combattre. Elle ne le veut pas parce qu'elle se réjouit de rester à combattre: c'est par le combat que s'éprouve la vertu et que s'obtient la gloire: il n'y a pas d'autre moyen. Celui qui agit ainsi ne fait pas comme l'ignorant qui n'a encore qu'imparfaitement la lumière surnaturelle. A cause de son peu de lumière, il veut à toute force se délivrer de sa peine, et, par crainte de pécher, il pense se soumettre à une épreuve si périlleuse, que l’âme et le corps ne pourraient la supporter un instant. Son imagination est tyrannisée par les illusions du démon et par la volonté qu'il a de vivre sans souffrir; il en sera tellement tourmenté, que celui qui le gouverne ne pourra pas le guérir; et s'il n'obtient pas la permission qu'il demande, il en concevra un tel ennui, un tel trouble, une telle impatience, qu'il tombera souvent dans le désespoir. C'est le signe que ce qu'il veut faire n'est pas conforme à la volonté de Dieu; autrement, il dirait Seigneur, si cela est conforme à votre volonté, éclairez celui qui doit me le permettre; sinon, faites-lui voir le contraire. Il calmerait ainsi son esprit par sa foi vive, en voyant que le refus ou la permission viennent de la volonté de Dieu.

7. Je ne veux pas, mon très doux et très cher Fils, que vous soyez du nombre de ces ignorants; mais je [700] veux qu’à la lumière d'en haut vous combattiez par la patience sur le champ de bataille où combattent les autres serviteurs de Dieu. Ne pensez pas à choisir pour vous un nouveau poste bien obscur et bien dangereux, mais conservez celui où vous voyez clair et où vous combattez avec les autres. Renoncez entièrement à votre volonté en toutes choses, mais surtout pour celle dont m'a parlé le Père visiteur. Laissez-vous conduire par sa volonté, car ce n’est pas la sienne, mais celle de Dieu. Votre désir est une illusion du démon, qui veut vous séduire par l'apparence du bien. Je suis persuadée qu'avec cette lumière vous connaîtrez la vérité, et en la connaissant, vous remercierez le Père éternel et souverain, qui vous sauvera du péril par la sainte obéissance; autrement, non. C'est parce que je sens combien vous avez besoin de cette lumière que je vous ai dit que je désirais vous en voir éclairé. L'obéissance et la patience montreront qu'elle est en vous, si vous ne résistez pas à la volonté de votre supérieur, et si vous l'accomplissez avec patience, comme doit le faire celui qui est obéissant, en vous réjouissant de rompre ainsi votre volonté.

8. Si vous ne trouvez pas en vous cette lumière comme vous voudriez et vous devriez l'avoir, entrez avec une sainte haine dans la cellule de la connaissance de vous-même et de Dieu en vous? que votre âme s'enivre dans le sang du doux et tendre Verbe. Cette connaissance vous fera acquérir la véritable perfection; parce que vous espérerez sans peine et sans trouble d'esprit, dans le sang répandu avec tant d'amour. Mon doux Fils, baissez la tête sous le [701] joug de la sainte obéissance, et demeurez dans votre cellule, en embrassant l'arbre de la très sainte Croix. Je termine. Si la vie de votre âme vous est chère, et si vous craignez tant d'offenser Dieu, gardez-vous de suivre votre volonté. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières
 
 








CVIII (62). - A FRÈRE FRANÇOIS TEBALDI, de Florence, religieux Chartreux dans l'île de la Gorgone. - De la persévérance qui couronne les autres vertus. - On l'acquiert et. la conserve par la prière et l'humilité.

(François Tebaldi, un des plus aimés disciples de sainte Catherine, était de Florence. Les religieux de son Ordre lui donnent le titre de bienheureux.)
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher et très doux Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu jusqu'à l'heure de la mort, car la persévérance est la vertu qui reçoit la couronne; c'est elle qui est la fleur et la gloire de la vie de l’homme; elle est le complément de toutes les autres vertus, qui lui sont fidèles; elle ne sort jamais de la barque de la vie religieuse., et elle y navigue jusqu'à ce qu'elle soit arrivée au port du salut. Elle n'est pas seule, mais accompagnée de toutes les vertus [702] lui font cortège, surtout deux, la force et la patience. Elle est longue et constante. Pourquoi disons-nous longue et constante? parce qu'elle persiste, depuis le moment où l’âme commence à s'attacher à Dieu, jusqu'à la fin.

2. Elle ne se laisse arrêter par aucun obstacle. La prospérité ne l'ébranle pas par une joie déréglée, pas plus que la légèreté du cœur, les consolations spirituelles et tout ce qui s'y rapporte. Elle n'est affaiblie ni par la tribulation, ni par l'injure, le mépris, les affronts qui lui sont faits, ni par le poids et les difficultés de la règle, ni par les ordres pénibles qui lui sont imposés; toutes ces choses ne la font pas tomber dans l’impatience, mais elle supporte avec patience toutes les épreuves. Les combats que le démon lui livre par les fausses pensées, les craintes déraisonnables et les jugements défavorables à son supérieur, ne l'arrêtent pas, parce qu'elle n'est jamais sans lumières; la lumière de la Foi brille toujours devant elle : la persévérance résiste à la crainte déraisonnable. Elle espère pouvoir tout par Jésus crucifié, et persévérer fidèlement jusqu'à la fin. Elle répond avec fermeté au tentateur qui trouble l'âme : Je ne veux, par aucune de ces pensées et de ces opinions, diminuer le respect que je dois avoir pour mon supérieur. Elle adhère saintement à la douce volonté de Dieu, sans vouloir juger la volonté de la créature, parce que la lumière lui a montré qu'en faisant autrement elle s'affaiblirait et diminuerait l'amour et le respect de son obéissance. La lumière l'éclaire, afin que l'amour ne se ralentisse pas lorsque le démon, sous prétexte de faire mieux et d'avoir une paix plus [703] grande, lui conseille d'éviter la conversation et la présence de son supérieur, ou de ceux qui lui déplaisent. Il faut au contraire s'en rapprocher davantage, et triompher de soi-même en combattant ses faux jugements afin que l'infidélité ne se nourrisse pas dans l'âme, et ne l'entraîne pas dans le mépris.

3. Mon très doux, mon très cher et bien-aimé Fils. Vous que j'aime comme mon âme, la langue de l'homme ne pourra jamais raconter tous les moyens cachés sous l'apparence du bien que le démon emploie pour nous détourner d'une longue persévérance, surtout sur le point dont je vous parlais tout à l'heure; car, s'il vous fait tomber en cela, il pourra vous surprendre en d'autre choses. Si l'inférieur, dans son obéissance, perd la foi en celui qui lui commande, s'il écoute les suggestions de l'infidélité, le démon est maître du fondement où il devait élever l'édifice de ses vertus; et celui qui par ignorance ne sait pas lui résister, se laisse enlever le principe de son obéissance: il sera négligent et prompt à juger les actions et les choses selon la faiblesse, et non selon la vérité. Il sera impatient, et tombera souvent dans la colère; il éprouvera l’ennui et le dégoût dans tout ce qu'il fera. Cette infidélité est un poison qui corrompt tellement le goût de l'âme, qu'une chose bonne lui paraît mauvaise, que ce qui est amer lui semble doux; elle prend la lumière pour les ténèbres, et ce qu'elle avait vu en beau, elle le voit en mal; elle est véritablement empoisonnée.

4. Mais, mon Fils, vous me direz : Comment l'âme évitera-t-elle ce malheur? Je voudrais bien trouver un moyen de ne pas y tomber. Ce moyen, je vous le [704] dirai: C'est la simple vertu de la véritable humilité. C'est elle qui détruit tous ces pièges et qui snuve l'âme, non pas en l'affaiblissant, mais en la fortifiant, parce que la lumière lui montre que tout arrive par la permission de la Bonté divine pour la rendre humble et la faire croître en vertu. Aussi elle accepte tout avec amour, en s'humiliant, en foulant aux pieds ses propres pensées, et elle résiste avec persévérance. Il y a, il est vrai, un autre moyen de résister, qui est lié à celui-ci : c'est de ne jamais fuir l'occasion; car on ne fuira pas son sentiment intérieur, on le trouvera toujours vivace; et ce n'est pas par la fuite, c'est par le combat qu'on l'arrache. La persévérance, qui l'a vu à la lumière, se tient ferme et constante sur le champ de bataille; elle ne recule devant aucune tentation, mais elle emploie avec succès les armes de l'humble, continuelle et fidèle prière. Cette prière est une mère tout embrasée et enivrée du précieux Sang; elle nourrit les vertus sur son sein. Aussi il faut que l’âme vertueuse s’embrase de son ardeur, et que son cœur s'enivre du même sang. Le démon, les créatures, ou nos sens, qui nous perdent , pourront-ils jamais résister à de pareilles armes! Quelle chaîne peut arrêter l'humilité? Rien n'est capable de lui résister, parce que la persévérance ne cessera d'agir, comme nous l'avons dit, jusqu'au moment où la charité mettra l’âme en possession de la vie éternelle, où se trouve tout bien, sans aucun mélange de mal. C'est là qu'elle recevra la récompense de toutes ses peines. Elle rend l’âme si forte, qu'elle ne faiblit jamais; elle rend le cœur si large, qu'il est capable de contenir toutes [705]les créatures, en les aimant pour Dieu comme sa propre vie.

5. Ainsi donc, courage, mon Fils; attachez-vous à la prière comme au sein de votre mère, si vous voulez être persévérant avec une humilité sincère. Ne l'abandonnez jamais, afin d'accomplir en vous la Volonté de Dieu, qui vous a créé pour vous donner la vie éternelle, et qui vous a tiré de la boue du siècle pour courir et mourir dans la voie de la perfection. Oh ! que mon âme serait heureuse d’apprendre que j'ai un fils qui vit véritablement mort à sa volonté, à son sens propre, et qu'il persévère ainsi jusqu’à son dernier soupir ! S'il en était autrement, je ne m'estimerais pas heureuse, mais bien malheureuse; aussi je m'efforce d'éviter ce malheur en la présence de Dieu, où je vous offre par de continuelles prières. C'est pourquoi j'ai dit que je désirais d'un grand désir vous voir constant et persévérant dans la vertu jusqu'à la mort; et je vous prie, je vous conjure de la part de Jésus crucifié, de ne jamais perdre de temps, mais de vous plonger sans cesse dans le sang de l'humble Agneau, afin que l'amertume vous paraisse douce comme le lait, et que le lait des consolations, par une sainte haine de vous-même, vous paraisse amer. Fuyez l'oisiveté comme la mort; que votre mémoire s'emplisse des bienfaits de Dieu et de la brièveté du temps; que votre intelligence se contemple dans la doctrine de Jésus crucifié, et que votre volonté l'aime de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, afin que tout votre amour et toutes vos œuvres soient consacrés à la gloire du nom de Dieu et au salut des âmes. J'espère que l'infinie miséricorde [706] nous fera, à vous et à moi, la grâce qu'il en soit ainsi.

6. J'ai reçu une grande consolation des lettres que vous nous avez envoyées, car nous avions un grand désir de savoir de vos nouvelles. Il me semble que le démon n'est pas endormi et ne dort pas à votre sujet. Je m'en réjouis fort, parce que je vois que, par la bonté divine, le combat n'a pas fini par la mort, mais par la vie. Grâces, grâces en soient rendues au doux Maître, à l’éternel, qui vous a fait une si grande faveur! A présent, vous commencez à comprendre que vous n'avez pas l'être, mais que l'être et que toutes les grâces qui y sont ajoutées viennent de Celui qui est. C'est lui qu'il faut remercier et louer; il veut que nous lui donnions la fleur, et il sera notre fruit. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des Matières








CIX(63). - AU MEME RELIGIEUX, dans l’île de la Gorgone. - De la connaissance de soi-même, et de la lumière nécessaire pour l’acquérir. - Des différentes sortes de prières.
 
 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE






1. Mon très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir habiter la cellule de la connaissance de vous-même. Par cette [707] connaissance, vous acquerrez toutes les vertus; et sans elle, vous vivrez dans toute sorte de vices, et sans aucune raison. Mais vous me direz peut-être : Comment pourrais-je arriver à cette connaissance, et m'y conserver? Je vous répondrai: vous savez bien que nous ne pouvons marcher sans la lumière; nous serions dans les ténèbres, et les ténèbres seraient notre ruine. Dans les ténèbres, vous ne pourriez reconnaître les choses qui vous sont nécessaires pendant le chemin. Nous sommes tous des voyageurs et des pèlerins, qui doivent suivre la doctrine de Jésus crucifié. Les uns vont par les commandements de la charité commune, les autres par les conseils de la charité parfaite, sans oublier toutefois les commandements. Et dans cette route, personne ne peut marcher sans lumière; car sans la lumière, on ne peut voir le lieu Ou il faut s'arrêter, et dans ce lieu, on ne peut discerner ce qui est boa et ce qui est nuisible. Ce lieu est la sainte connaissance de soi-même; dans cette demeure, l'âme voit à la lumière de la très sainte Foi qu'elle est sur la route de la doctrine de Jésus crucifié.

2. Celui qui la veut suivre doit rentrer aussitôt en lui-même. Il y trouvera son principal ennemi, qui veut lui nuire, c'est-à-dire la sensualité recouverte du manteau de l'amour-propre. Cet ennemi a deux principaux compagnons avec beaucoup d'autres vassaux, qui l'entourent. L'un est le monde qui s'est fait, avec ses vanités, ses délices, l'ami de l'appétit sensitif et de se désirs déréglés; l'autre est le démon avec tous ses artifices, ses pensées fausses et confuses et ses tentations, vers lesquelles la volonté sensitive incline [708] toujours, parce qu'elle se plaît dans ces pensée, quelle que soit la manière dont le démon les lui présente. Ces principaux ennemis ont beaucoup de serviteurs, qui tous cherchent à blesser l'âme, si par la lumière elle ne se met pas à même de se défendre. La raison prend la lumière de la très sainte Foi; elle entre dans la maison, elle maîtrise la sensualité, parce qu'elle voit qu'elle ne cherche et ne veut que sa mort, et qu'elle s'unit toujours à ses perfides ennemis. Dès qu'elle a connu ce danger à la vraie lumière. elle se lève promptement, elle tire le glaive de la haine des sens et de l'amour des vertus véritables, elle tue la sensualité.

3. Dès que cet ennemi est mort, les autres sont vaincus, et ne peuvent nuire à l'âme, si elle n'y consent. Cette lumière lui fait aussi connaître ce qui l'a secourue, sauvée de la mort et ramenée à la vie. Elle voit que c'est le feu de la divine charité; car Dieu, par amour, donne la vertu et la puissance à l'âme, afin que par la force de la raison elle monte sur le tribunal de la conscience, et qu'avec la sagesse du Verbe, à laquelle elle participe, elle rende contre la sensualité la sentence de mort. La volonté, qui participe à la bonté du Saint-Esprit et à la douce volonté de Dieu, exécute la sentence avec le glaive dont nous avons parlé, et avec la main du libre arbitre. En voyant que Dieu est son salut, son secours, son protecteur, l'âme grandit dans la connaissance d’elle-même par une lumière de vérité et par un feu ineffable et incompréhensible, qui brûle et consume chez elle tout ce qui est contraire à la raison, et anéantit dans la fournaise de la charité de [710] Dieu et du prochain toutes les vapeurs de l'amour-propre spirituel et temporel, tellement que l’âme ne cherche plus autre chose que Jésus crucifié. Elle veut le suivre par la vole des souffrances, comme Dieu le voudra, et non comme elle le décidera; elle se laisse entièrement et librement aller à la douce volonté de Dieu.

4. Alors les ennemis ne peuvent plus la blesser; le bon Maître leur permet bien de frapper à la porte, et il le permet pour qu'elle soit plus attentive, qu'elle ne dorme plus dans le lit de la négligence, mais qu'elle veille avec prudence. C'est aussi pour éprouver si sa demeure est forte ou non, afin que si elle ne la trouve pas forte, elle prenne les moyens de la fortifier, qu'elle voie à la lumière ce qui peut la rendre forte et persévérante, et que, l'ayant vu, elle s'y emploie avec un grand zèle. Qui est-ce qui nous rend forts et persévérants? C'est l'humble et continuelle prière faite dans la connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard. Si la prière était faite en dehors de cette connaissance, l'âme en retirerait peu de fruit. Cette prière a pour fondement l'humilité, et cette humilité s'acquiert dans la connaissance dont nous avons parlé. Elle est revêtue du feu de la divine charité, qui se trouve dans la connaissance que nous recevons de Dieu. Quant à la lumière, l'âme voit qu'elle est aimée de lui d'un amour ineffable. Cet amour se manifeste d'abord par la création, puisqu'elle a été créée à l'image et ressemblance de Dieu, et ensuite par le sang de l'Agneau sans tache, qui la fait renaître à la grâce.

5. Ces deux grâces principales renferment toutes [711] les autres grâces spirituelles ou temporelles, générales ou particulières. Cette lumière revêt l'âme de feu, et peu à peu viennent les larmes, parce que l'oeil, quand il sent la douleur du cœur, veut y satisfaire. Il pleure comme le bois vert quand il est mis au feu; la chaleur lui fait répandre de l'eau. Il en est de même pour l'âme qui sent le feu de la divine charité. Ses désirs et son affection s'enflamment, et l'oeil pleure et montre extérieurement, autant qu'il est possible, quelque chose de ce qui est à l'intérieur; cela vient des divers sentiments qu'éprouve l'âme, ainsi que vous pouvez le voir dans le Traité des Larmes (Sainte Catherine cite elle-même son Dialogue, où elle traite des larmes depuis le chapitre LXXXVIII jusqu'au chapitre XCVIII. Cette lettre est sans doute écrite de Rome.) Aussi je ne m'étends pas davantage sur ce sujet.

6. Je reviens en peu de mots à la prière. Je dis en peu de mots, parce qu'il en a été déjà question longuement. Nous pouvons prier de trois manières la première est la prière continuelle que toute créature raisonnable est obligée de faire; cette prière est le feu du bon désir, alimenté par la charité de Dieu et du prochain, qui fait accomplir pour l'honneur de Dieu toutes les œuvres en soi et dans les autres. Ce désir prie toujours, parce que le zèle de la charité s'élève sans cesse devant le Créateur, en quelque lieu, en quelque circonstance que l'homme se trouve, et quelque chose qu'il fasse. Quel fruit en reçoit-il? Il reçoit une grande tranquillité d'âme; sa volonté est unie et soumise à la raison, et il ne se scandalise de rien. Il ne trouve pas dur de porter le joug de la véritable [711] obéissance. Quand on lui impose des fardeaux ou des exercices manuels, ou quand il faut servir ses frères, selon les cas et les moments qui se présentent, il n'en éprouve ni ennui, ni trouble d'esprit, et il ne se laisse point tromper par le désir de l'âme, qui voudrait jouir de sa cellule, des consolations et de la paix, et qui voudrait réciter des prières quand il faut faire d'autres choses. Je dis qu'il ne se laisse pas tromper par ce désir; il n'en éprouve ni ennui, ni chagrin, mais il exhale les parfums d'une humilité sincère et le feu de la charité envers son prochain. C'est à cette prière que nous a invités le glorieux apôtre saint Paul quand il dit que nous devons toujours prier ( 1 Th 5,17) ; celui qui ne le fait pas, ne peut avoir ce qui donne la vie; et celui qui veut quitter cette prière, pour conserver la paix, perd la paix.

7. Il y a une autre prière, qui est la prière vocale que l'homme fait quand il dit l'office et récite quelques prières spéciales: cette prière est une préparation à la prière mentale. C'est le fruit qu'elle produit, si elle est fondée sur la première, et si l'esprit s'applique avec persévérance à recevoir et à augmenter le sentiment de le charité divine plutôt qu'à écouter le bruit des paroles. Il faut agir avec prudence; et quand on sent que l'âme est visitée, on doit cesser de prier des lèvres, à moins que ce soit un office auquel on est obligé.

8. On arrive ainsi à la troisième prière, qui est la prière mentale. Elle élève l'âme et son désir au-dessus d'elle-même par la considération de la bonté divine et [712] de son intérieur. L'âme y connaît la doctrine de la vérité, et y goûte le lait de la douceur divine. Ce lait sort du sein de la charité par la Passion de Jésus crucifié, et elle ne trouve d'autre bonheur que d'être sur la Croix avec lui. Cette prière produit et donne le fruit de l'état unitif, où l'âme arrive à une telle union, qu'elle ne s'aime plus pour elle-même, mais qu'elle s'aime pour Dieu, qu'elle aime son prochain pour Dieu, et Dieu pour son infinie bonté. Elle voit qu'il est digne d'être aimé et servi par nous, et alors elle l'aime sans mesure. Elle meurt à toute volonté mauvaise pour courir avec plus d'ardeur, et elle se plaît à se reposer dans la chambre et sur la couche de son Epoux, où Dieu se manifeste, et où elle voit les diverses demeures qui sont dans le palais du Roi éternel. Elle se réjouit et juge avec respect les différences qu'elle voit dans les créatures, en reconnaissant en toute chose la volonté de Dieu, et non celle des hommes; elle évite ainsi les faux jugements et ne se scandalise pas des œuvres de Dieu ni de celles du prochain.

9. Les délices de la vie bienheureuse que goûte cette âme, puisse Dieu vous les faire éprouver par son infinie miséricorde! car je ne voudrais ni ne pourrais vous les raconter de vive voix ou par lettres. Ainsi, vous savez ce qui fait persévérer fermement dans la connaissance de nous-mêmes, comment nous y arrivons, et ou nous trouvons la lumière, qui doit nous servir de guide. Nous la trouvons, avons-nous dit, dans la doctrine de Jésus crucifié; et c'est la prière qui nous y conduit, et nous y conserve : telle est la vérité. Je veux donc, mon très [713]

cher et très doux Fils, que vous puissiez accomplir le vœu de la sainte obéissance, à laquelle vous vous êtes soumis depuis peu. Restez toujours dans la cellule de la connaissance de vous-même, parce que autrement vous ne pourriez pas y être fidèle. C'est pour cela que je vous ai dit que je désirais vous voir dans la cellule de la connaissance. Une fois que les ennemis sont chassés, et que le plus dangereux est mort, c’est-à-dire que la volonté sensitive est détruite, cette cellule se remplit et s'embellit de l'ornement des vertus. Que ce soit là le but de vos efforts; car il ne suffit pas que la cellule soit vide, il faut qu'elle se remplisse. Je veux donc que vous vous appliquiez toujours à vous connaître, et à connaître en vous le feu et la bonté de la charité divine. C'est cette cellule que je voudrais vous voir toujours porter avec vous dans l'île et partout où vous aurez à faire. Ne la quittez jamais, ni au chœur ni au réfectoire, ni au chapitre, ni dans les exercices où vous serez appelé. Renfermez-vous en elle. Je veux que dans la prière actuelle, vous appliquiez votre intelligence à plus considérer la charité de Dieu que le présent que vous paraissez recevoir, afin que votre amour soit pur, et non mercenaire.

10. Je veux aussi que vous vous teniez dans votre cellule autant que vous le permettra l'obéissance, et que vous aimiez mieux y demeurer avec la guerre que d'en sortir pour avoir la paix; car le démon emploie cette ruse avec les solitaires pour les dégoûter de leur cellule. II leur cause plus de ténèbres et de tentations dedans que dehors, afin qu'ils y viennent avec terreur, comme si la cellule était [714] cause de toutes leurs agitations. Je ne veux pas que vous tourniez la tête en arrière. Soyez constant et persévérant; ne restez jamais oisif, mais employez le temps à la prière, aux lectures saintes et à des occupations manuelles. Ayez toujours la mémoire pleine de Dieu, afin que votre âme ne tombe pas dans la nonchalance. Voyez en toute chose la volonté de Dieu, comme je vous l'ai dit, afin que vous ne tombiez pas dans l'ennui et le murmure à l'égard de vos Frères. Je veux encore qu'une prompte obéissance brille en vous; n'obéissez pas en partie et à moitié, mais complètement. Ne résistez jamais en la moindre chose aux prescriptions de la règle ou de votre supérieur; mais soyez un miroir de l'obéissance et des usages de l'Ordre, vous appliquant à y être fidèle jusqu’à la mort, vous méprisant vous-même, tuant votre volonté propre, et mortifiant votre corps par les mortifications que prescrit la règle. Je désire aussi que vous vous efforciez de supporter avec charité les actions et les paroles, qui vous paraissent quelquefois insupportables, soit par une illusion d'un démon, soit à cause de votre faiblesse, Soit parce qu'elles le sont réellement; il faut résister en ces choses comme en tout le reste, pour observer la parole du Christ, qui dit : "Le royaume du ciel appartient à ceux qui se font violence. " Que votre mémoire s'emplisse et déborde du sang de Jésus crucifié, des bienfaits de Dieu et du souvenir de la mort, afin d'augmenter en vous l'amour, la sainte crainte, et l'estime du temps. Regardez tout avec l'oeil de l'intelligence éclairé de la très sainte Foi. Que votre volonté agisse avec promptitude, sans être [715] arrêtée par l'amour déréglé de ce qui est hors de Dieu. Quand les démons visibles ou invisibles vous livrent bataille, ou que votre chair fragile se révolte contre l'esprit, en quelque chose que ce puisse être, je veux que vous ouvriez votre cœur au Prieur, ou, en son absence, à un autre pour lequel vous vous sentirez le plus de confiance, et que vous croirez le plus capable de vous guérir. Je veux que vous évitiez le mouvement de la colère qui se porterait à votre langue, et vous ferait dire des paroles capables de causer du trouble et du scandale, mais que vos reproches et votre haine se tournent contre vous-même.

11. Telles sont les choses que Dieu et la perfection, que vous avez choisie, réclament. Moi, votre indigne et misérable mère, qui cause tant de mal et ne fais aucun bien, je désire les voir dans votre âme. Je vous prie donc, et je vous presse de la part du bon et doux Jésus crucifié, de vous appliquer à persévérer jusqu'à la mort, afin que vous soyez ma gloire, et que vous obteniez la couronne de la béatitude par une longue persévérance, qui seule est couronnée. Je ne vous en dis pas davantage. Faites en sorte que je n'aie point à gémir et à me plaindre de vous à Dieu. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [716].

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