Homélie du Pape Paul VI
Le dimanche 4 Octobre 1970, Paul
VI a présidé dans la Basilique Vaticane la cérémonie
solennelle de la proclamation de Sainte Catherine de Sienne comme Docteur
de l'Eglise.
Voici le texte (repris du
site http://www.home.ch/~spaw2744/catherine/ ) du discours prononcé
par le Pape à Saint Pierre:
La Joie de voir que Dieu révèle
ses secrets aux humbles
La joie spirituelle qui a rempli
notre âme en proclamant Docteur de l'Eglise l'humble et sage vierge
dominicaine, Catherine de Sienne, trouve sa référence la
plus haute et, dirons-nous, sa justification dans la joie très pure
éprouvée par le Seigneur Jésus lorsque, comme le rapporte
l'Evangéliste Saint Luc, "il tressaillit de joie sous l'action du
Saint Esprit" et dit: "Je te bénis Père, Seigneur du ciel
et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles et de
l'avoir révélé aux tout petits. Oui, Père,
car tel a été ton bon plaisir" (Luc, 10.21; cf. Math. 11,
25-26).
Commentaire de Luc, 10.21;
Math. 11, 25-26
En vérité, en remerciant
le Père d'avoir révélé les secrets de sa sagesse
divine aux humbles, Jésus ne pensait pas seulement aux Douze qu'il
avait choisis dans un peuple sans culture et qu'il enverrait un jour comme
ses apôtres pour instruire toutes les nations et pour leur enseigner
ce qu'il leur avait prescrit (cf. Matth. 28, 19-20), mais aussi à
tous ceux qui croiraient en lui, parmi lesquels seraient innombrables ceux
qui seraient les moins doués aux yeux du monde.
Saint Paul dit aussi que Dieu
choisit ce qu'il y a de petit et de méprisable dans la société
pour faire de grandes choses
Et l'Apôtre des gentils se
plaisait à observer cela en écrivant à la communauté
de Corinthe la grecque, ville où pullulaient les gens infatués
de sagesse humaine: "Considérez votre appel. Il n'y a pas beaucoup
de sages, selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens
bien nés. Mais ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce
que Dieu a choisi pour confondre les sages; ce qu'il y a de faible dans
le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force; ce
qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà
ce que Dieu a choisi; ce qui n'est pas, pou réduire à rien
ce qui est, afin qu'aucune chair n'aille se glorifier devant Dieu" (cf.
I Cor. 1,26-29).
Ce choix préférentiel de Dieu, dans la mesure où il est insignifiant ou même méprisable aux yeux du monde, avait déjà été annoncé par le Maître lorsqu'il avait appelé, en nette contradiction avec les estimations terrestres, heureux et candidats à son Royaume les pauvres, les affligés, les doux, les affamés de justice, les purs de cœur, les artisans de la paix (cf. Matth. 5, 3-10).
Catherine a été
libre des convoitises terrestres
Il n'est certes pas dans notre intention
d'hésiter à mettre en relief comment, dans la vie et dans
l'activité extérieure de Catherine, les Béatitudes
évangéliques ont eu modèle de vérité
et de beauté exceptionnelles. Tous, d'ailleurs, vous vous rappelez
combien elle a été libre en esprit de toute convoitise terrestre,
combien elle a été affamée de justice et envahie jusqu'aux
entrailles de miséricorde dans sa recherche de porter la paix au
sein des familles et dans les villes déchirées par des rivalités
et des haines atroces, combien elle s'est prodiguée pour réconcilier
la république de Florence avec le Souverain Pontife Grégoire
XI, jusqu'à exposer sa propre vie à la vengeance des rebelles.
Les grâces mystiques
qu'elle reçues
Nous ne nous arrêterons pas
à regarder les grâces mystiques exceptionnelles dont le Seigneur
a voulu la gratifier, parmi lesquelles le mariage mystique et les
saints stigmates. Nous croyons aussi que ce n'est pas, en la présente
circonstance, le moment de rappeler l'histoire des magnanimes efforts accomplis
par la sainte pour persuader le Pape de revenir à Rome, son siège
légitime. Le succès qu'elle a finalement obtenu fut vraiment
le chef-d'œuvre de son intense activité qui restera dans les siècles
sa grande gloire et constituera un titre tout spécial à l'éternelle
reconnaissance de l'Eglise.
Ce qui la rend digne d'être
Docteur
Nous croyons par contre opportun
en ce moment de mettre brièvement en lumière le second titre
qui justifie, en conformité avec le jugement de l'Eglise, l'accord
du titre de Docteur à la fille de l'illustre ville de Sienne, et
c'est l'excellence particulière de la doctrine.
Quant au premier titre, celui de
la
sainteté, son approbation solennelle fut exprimée amplement
et dans un style unique d'humaniste par le Pontifie Pie II, son compatriote,
dans la bulle de canonisation Misericordias Domini, dont il fut lui-même
l'auteur cf. M.H. Laurent, O.P., Proc. Castel., pp. 521-530.
La cérémonie liturgique
spéciale eut lieu dans la Basilique Saint-Pierre le 29 juin 1461.
Que dirons-nous donc de l'éminence de la doctrine de Sainte Catherine? Certainement nous ne trouverons pas dans les écrits de la sainte, c'est-à-dire dans les Lettres, conservées en nombre assez considérable, dans le Dialogue de la divine Providence ou Livre de la doctrine divine et dans les "orationes", la vigueur apologétique et les hardiesses théologiques qui distinguent les œuvres des grandes lumières de l'Eglise ancienne de l'Orient et de l'Occident. Nous ne pouvons pas non plus exiger de la vierge peu cultivée de Fontebranda les hautes spéculations propres à la théologie systématique, qui ont rendu immortels les docteurs du Moyen Age scolastique. Et, s'il est vrai que se reflète dans ses écrits, et d'une manière surprenante, la théologie du Docteur angélique, celle-ci y apparaît dépouillée de tout revêtement scientifique. Ce qui frappe plus que tout au contraire dans la sainte, c'est la science infuse, c'est-à-dire l'assimilation brillante, profonde et enivrante de la vérité divine et des mystères de la foi contenus dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testaments: une assimilation favorisée, oui, par des dons naturels très particuliers mais évidemment prodigieux, due à un charisme de sagesse du Saint Esprit, un charisme mystique.
Catherine de Sienne offre dans ses écrits un des plus brillants modèles de ces charismes d'exhortation, de parole de sagesse et de parole de science que saint Paul nous a montrés agissant dans chaque fidèle dans les communautés chrétiennes primitives et dont il voulait que l'usage fût bien réglé, faisant remarquer que ces dons ne sont pas tant à l'avantage de ceux qui en sont favorisés que plutôt à celui du Corps tout entier de l'Eglise: comme en lui, en effet, explique l'Apôtre, "c'est le seul et même Esprit qui distribue ses dons à chacun comme il l'entend" (I Cor. 12,11), de même sur tous les membres de l'organisme mystique du Christ doit retomber le bénéfice des trésors spirituels que son Esprit prodigue cf. I Cor. 11,5; Rom. 12,8; I Tim. 6,2; Tit. 2,15.
"Doctrina ejus (scilicet Catharinae)
non acquisita fuit; prius magistra visa quam est quam discipula" (proc.
cast. 1,c); c'est ce qu'a déclaré le même Pie II dans
la Bulle de canonisation.
Et, en vérité,
que de rayons de sagesse surhumaine,
que d'appels pressants à
l'imitation du Christ dans tous les mystères de sa vie et de sa
Passion,
que d'invitations à la pratique
propre des vertus propres aux divers états de vie sont épars
dans les œuvres de la sainte!
Ses lettres sont comme autant d'étincelles d'un feu mystérieux allumé dans son cœur brûlant de l'Amour infini qui est le Saint-Esprit.
Principaux thèmes de
son enseignement
Mais quelles sont les lignes caractéristiques,
les thèmes principaux de son enseignement ascétique et mystique?
Il nous semble qu'à l'imitation du "glorieux Paul" (Dial. C. XI,
par G. Cavallini, 1968, p. 27) dont elle reflète parfois le style
vigoureux et impétueux, Catherine soit
la mystique du Verbe incarné
et surtout du Christ crucifié. Elle a exalté la vertu
rédemptrice du sang adorable du Fils de Dieu, répandu sur
le bois de la croix avec la prodigalité de l'amour pour le salut
de toutes les générations humaines (cf. Dialogo, chap. CXXVII,
éd. Citée, p. 325). Ce sang du Sauveur, la sainte le voit
couler d'une manière continuelle au sacrifice de la messe et dans
les sacrements, grâce au ministère des ministres sacrés,
pour la purification et l'embellissement du Corps mystique du Christ tout
entier. Nous pouvons donc dire que Catherine est
la mystique du Corps
mystique du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise.
D'autre part, pour elle, l'Eglise est la mère authentique à laquelle il est juste de se soumettre et d'accorder révérence et assistance. Elle ose dire: "L'Eglise n'est rien d'autre que le Christ lui-même" (Lettre 171, par. P. Misciatelli, III, 89).
Le pape
Quels ne furent donc pas le respect
et l'amour passionné que la sainte nourrissait pour le Pontife romain!
Aujourd'hui, nous personnellement, serviteur des serviteurs de Dieu, nous
devons à Catherine une immense reconnaissance, non certes pour l'honneur
qui peut retomber sur notre humble personne, mais pour l'apologie mystique
de la charge apostolique du successeur de Pierre. Qui ne se rappelle? Elle
contemple en lui " le doux Christ sur la terre" (Lettre 196, éd.
citée, III, 211), auquel on doit un amour filial et l'obéissance
parce que: "qui sera désobéissant au Christ sur la terre,
qui tient la place du Christ qui est au ciel, ne participe pas au fruit
du sang du Fils de Dieu (Lettre 207, éd. citée, III, 270).
Et, comme anticipant non seulement sur la doctrine, mais sur le langage
même du Concile Vatican II (Constitution dogmatique Lumen gentium,
n. 23), la sainte écrit au Pape Urbain VI: "Père très
saint… sachez la grande nécessité, qui est la vôtre
et celle de la sainte Eglise, de garder ce peuple (de Florence) dans l'obéissance
et le respect envers votre Sainteté parce que c'est là qu'est
le chef et le principe de notre foi" (Lettre 17, éd. citée,
III, 75).
Aux cardinaux ensuite, à beaucoup d'évêques et de prêtres, elle adresse de pressantes exhortations et n'épargne pas de sévères reproches, mais toujours en toute humilité et tout respect pour leur dignité de ministres du sang du Christ.
Les religieux
Et Catherine ne pouvait pas oublier
qu'elle était la fille d'un Ordre religieux, un des plus glorieux
et des plus actifs dans l'Eglise. Elle nourrissait donc une singulière
estime pour ce qu'elle appelle "les saintes religions" qu'elle considère
comme un lien d'union dans le Corps mystique, constitué par les
représentants du Christ (selon une qualification qui lui est propre)
et le corps universel de la religion chrétienne, c'est-à-dire
les simples fidèles. Elle exige des religieux la fidélité
à leur sublime vocation par l'exercice généreux des
vertus et l'observation de leur règles respectives.
Les laïcs
Dans sa maternelle sollicitude,
les laïcs ne sont pas les derniers. Elle leur adresse de nombreuses
et vives lettres, les voulant prompts dans la pratique des vertus chrétiennes
et des devoirs de leur état, animés d'une ardente charité
pour Dieu et pour le prochain puisque eux aussi sont des membres vivants
du Corps mystique. Or, dit-elle, "elle (c'est-à-dire l'Eglise) est
fondée dans l'amour et elle est même l'amour" (Lettre 103,
par. G. Gigli).
La réforme de l'Eglise
Comment ensuite ne pas rappeler
l'action intense développée par la sainte pour la réforme
de l'Eglise? C'est principalement aux Pasteurs de l'Eglise qu'elle adresse
ses exhortations, dégoûtée et saintement indignée
de l'indolence de beaucoup d'entre eux, frémissante de leur silence
tandis que le troupeau qui leur était confié s'égarait
et tombait en ruine. "Hélas, ne plus se taire!
Criez avec cent
mille voix, écrit-elle à un haut prélat. Je vois que,
parce qu'on se tait, le monde est détraqué, l'Epouse du Christ
est pâle, on lui a enlevé sa couleur parce qu'on lui suce
le sang par derrière c'est-à-dire le sang du Christ"
(Lettre 16 au Cardinal d'Ostie, par L. Ferretti, I, 85).
Et qu'est-ce qu'elle entendait par le renouvellement et la réforme de l'Eglise? Certainement pas le renversement de ses structures essentielles, ni la rébellion contre les Pasteurs, ni la voie libre aux charismes personnels, ni les innovations arbitraires dans le culte et dans la discipline, comme certains le voudraient de nos jours. Au contraire, elle affirme maintes fois que la beauté sera rendue à l'Epouse du Christ et qu'on devra faire la réforme "non par la guerre, mais dans la paix et le calme, par des prières humbles et continuelles, dans les sueurs et les larmes des serviteurs de Dieu" (cf. Dialogue, chap. XV, LXXXVI, éd.citée, pp. 4, 197). Il s'agit donc pour la sainte d'une réforme avant tout intérieure puis extérieure, mais toujours dans la communion et l'obéissance filiale envers les représentants légitimes du Christ.
La politique
Fut-elle aussi politique notre très
pieuse Vierge? Oui, sans aucun doute, et d'une manière exceptionnelle,
mais dans un sens tout spirituel du mot. En effet elle repoussait avec
dédain l'accusation de politicienne que lui adressaient certains
de ses concitoyens, en écrivant à l'un d'eux: " … Et mes
concitoyens croient que par moi ou par la compagnie que j'ai avec moi il
se fait des traités: ils disent la vérité, mais ils
ne la connaissent pas et ils prophétisent, puisque je ne veux pas
faire autre chose et je ne veux pas que qui est avec moi fasse autre
chose que de vaincre le démon et de lui enlever la domination de
l'homme qu'il a prise par le péché mortel et d'arracher la
haine du cœur humain et de le mettre en paix avec le Christ crucifié
et avec son prochain" (Lettre CXXII, éd. citée, II, 253).
Donc la leçon de cette femme politique "sui generis" conserve encore son sens et sa valeur, bien qu'aujourd'hui on sente davantage le besoin de faire la distinction entre les choses de César et celles de Dieu. L'enseignement politique de la sainte trouve sa plus authentique et parfaite expression dans ce jugement lapidaire qu'elle a porté: "Aucun Etat ne peut se conserver en état de grâce dans la loi civile et dans la loi divine sans la sainte justice" (Dialogo; chap. CXIX, éd. citée, p. 291).
Elle s'est offerte en sacrifice
pour l'Eglise
Non contente d'avoir développée
un enseignement intense et très vaste de vérité et
de bonté par la parole et par les écrits, Catherine voulait
le sceller par l'offrande finale de sa vie pour le Corps mystique du Christ,
qui est l'Eglise, alors, qu'elle n'avait que 33 ans. De son lit de mort,
entourée de fidèles disciples, dans une petite cellule voisine
de l'église de Sainte Marie sopra Minerva à Rome, elle adressa
au Seigneur cette émouvante prière, vrai testament de foi
et d'amour reconnaissant très ardent:
C'est donc le message d'une foi très pure, d'un amour ardent, d'une consécration humble et généreuse à l'Eglise catholique en tant que Corps mystique et Epouse du divin Rédempteur: c'est le message typique du nouveau Docteur de l'Eglise, Catherine de Sienne, pour l'illumination et l'exemple de tous ceux qui se glorifient de lui appartenir. Recueillons-le, ce message, avec un esprit reconnaissant et généreux pour qu'il soit la lumière de notre vie terrestre et le gage d'une appartenance future assurée à l'Eglise triomphante du ciel. Ainsi soit-il!