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Saint Cyprien de Carthage
Lettres (suite et fin)
LETTRE 46

 
 

CYPRIEN A MAXIME, NICOSTRATE ET AUTRES CONFESSEURS, SALUT.

 

Vous avez souvent vu mes très chers, à la manière dont je parlais dans mes lettres, combien j'avais pour vous de respect comme confesseurs, combien d'affection comme frères : faites donc, je vous prie, bon accueil et confiance à la lettre présente, que je vous écris pour votre gouverne dans l'intérêt de votre bonne renommée, en cherchant à y pourvoir en toute simplicité et fidélité. Une chose me pèse et me désole, et répand dans mon coeur une tristesse intolérable et accablante  : c'est de savoir que, contre l'ordre et la disposition de Dieu, contre la loi de l'évangile, contre l'unité catholique, vous avez consenti à ce qu'on établît un autre évêque, c'est-à-dire que contre tout droit divin ou humain, on établît une seconde Église, on déchirât les membres du Christ, on divisât en sections rivales le troupeau du Christ qui ne doit avoir qu'un corps et qu'une âme. Que chez vous du moins, je vous en prie, cette division condamnable de la fraternité ne continue pas; mais plutôt, vous souvenant de votre confession et de la tradition divine, revenez à votre Mère d'auprès de laquelle vous êtes partis, d'auprès de laquelle vous êtes allés à la confession glorieuse qui l'a fait tressaillir d'allégresse.

Ne croyez pas que vous soyez les champions de l'évangile du Christ quand le troupeau du Christ, quand sa paix et sa concorde, sont abandonnés par vous : il convient bien plutôt que des soldats glorieux et fidèles restent dans leur camp, et soient à l'intérieur pour y examiner et y régler en commun ce qui doit être traité en commun. Notre unanimité et notre concorde ne doivent pas être rompues. Nous ne pouvons pas quitter l'Église, sortir et aller à vous : c'est à vous plutôt de revenir à l'Église votre Mère, et à vos frères. De toutes nos forces nous vous y exhortons et nous vous en supplions. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
 
 

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LETTRE 47

 
 

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

 

J'ai cru remplir un devoir religieux à votre égard, et faire une chose nécessaire, frère très cher, en écrivant une courte lettre (1) à des confesseurs de chez vous, qui, entraînés par l'esprit de révolte et de désordre de Novatien et de Novatus se sont éloignés de l'Église. C'était afin de les presser au nom de nos sentiments réciproques de revenir à leur Mère, c'est-à-dire à l'Église catholique. Cette lettre, j'ai chargé le sous-diacre Mettius de vous la lire d'avance, afin que personne ne puisse feindre que j'aie écrit autre chose que ce qui est dans ma lettre. J'ai cependant donné comme instruction à ce même Mettius que je vous envoie, de n'agir que selon votre jugement, et de ne remettre la lettre aux confesseurs que si vous le jugez à propos. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) C'est la lettre 46.
 
 

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LETTRE 48

 
 

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

 

J'ai lu, frère très cher, la lettre (2) que vous nous avez envoyée par Primitivus, notre frère dans le sacerdoce. J'y ai vu que vous vous étiez ému de ce que, tandis qu'auparavant c'était à vous que les lettres étaient adressées, au nom de Polycarpe, de la colonie d'Hadrumète, après notre arrivée, à Liberalis et à moi, on les avait envoyées là-bas en les adressant aux prêtres et aux diacres

Eh bien, je veux que vous sachiez et teniez pour certain que cela n'a pas été fait par légèreté, ou manque d'égards. Mais nous avions décidé, nous trouvant plusieurs collègues ensemble, de vous déléguer nos collègues dans l'épiscopat, Caldonius et Fortunatus, et de laisser les choses en l'état jusqu'à ce que ces collègues revinssent, la paix étant rétablie à Rome, ou du moins la situation bien connue. Mais les prêtres et les diacres qui se trouvaient à Hadrumète, en l'absence de Polycarpe notre collègue dans l'épiscopat, ignoraient les résolutions que nous avions prises en commun. Quand nous fûmes arrivés, et qu'ils connurent nos résolutions, ils suivirent la même ligne de conduite que les autres, et ainsi en aucun point il n'y a eu désaccord entre les Églises de ce pays.

Il y a cependant des gens qui jettent quelquefois le trouble dans les esprits et dans les coeurs, en racontant les choses autrement qu'elles ne sont. Quant à nous, nous savons que, donnant des explications à chacun de ceux qui prenaient la mer, pour leur permettre d'aller à Rome sans rencontrer aucune pierre d'achoppement, nous les avons exhortés à y reconnaître la matrice et la racine de l'Église catholique, et à s'y attacher. Mais comme notre province est fort étendue, que la Numidie et la Mauritanie y sont rattachées, nous avons cherché à éviter que le schisme qui se produisait à Rome ne troublât les esprits de ceux qui en étaient loin, et ne les laissât hésitants. Nous avons donc voulu que les évêques, la vérité des faits étant bien admise et retenue par nous, et une autorité plus grande devant en résulter pour faire connaître de votre ordination, tout scrupule étant enfin levé, nous avons, dis-je, voulu, que tous les évêques d'ici écrivissent comme ils le font; ainsi tous ensemble nos collègues reconnaîtraient fermement votre communion, c'est-a-dire l'unité de l'Église catholique et s'y tiendraient attachés. Avec la grâce de Dieu les choses se sont passées ainsi et nos mesures ont été couronnées de succès : c'est de quoi nous sommes heureux.

Ainsi maintenant la vérité et tout ensemble l'autorité de votre épiscopat apparaissent en pleine lumière. Elles ont reçu la confirmation la plus évidente et la plus ferme : les réponses de nos collègues qui nous ont écrit de Rome, le rapport et le témoignage de nos évêques Pompeius, Stephanus, Caldonius et Fortunatus ont fait connaître à tous l'origine indiscutable et la légitimité de votre ordination, et l'intégrité honorable de votre vie. Nous nous y conformerons pratiquement, les autres évêques et moi, avec fidélité et fermeté, et nous nous y tiendrons dans l'unanimité de l'Église catholique. Ce sera l'effet de la divine Bonté. Le Seigneur, qui daigne Se choisir des pontifes et les établir, couvrira de sa Volonté protectrice, et aidera de son secours ceux qu'il a choisis et établis. Il inspirera leur conduite et leur donnera, pour refréner l'audace des méchants, la vigueur, pour ménager la conversion de ceux qui sont tombés, la douceur. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
 
 

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LETTRE 49

 
 

CORNEILLE A CYPRIEN SON FRERE, SALUT

 

Autant nous avions eu de trouble et d'angoisse, au sujet des confesseurs, que la ruse et la malice de l'homme habile et roué (2) avait circonvenus, abusés un moment, et séparés de l'Église, autant nous avons éprouvé de joie, autant nous avons rendu grâces au Dieu tout-puissant et au Christ Seigneur, quand, reconnaissant leur erreur et comprenant la perfidie, venimeuse comme celle de la vipère, de ce méchant homme ils sont revenus a l'Église d'où ils étaient sortis, avec un coeur sincère, comme ils le disent d'eux-mêmes. Tout d'abord certains de nos frères, hommes d'une foi éprouvée, amis de la paix, désireux de l'unité, nous annonçaient que leur orgueil commençait à s'adoucir; les témoignages cependant n'étaient pas suffisants pour qu'il nous fût permis de croire à un changement soudain. Mais ensuite les confesseurs Urbanus et Sidonius sont venus vers nos collègues dans le sacerdoce, et ont affirmé que le confesseur et prêtre Maximus et Macarius désiraient comme eux rentrer dans l'Église. Cependant, comme bien des choses s'étaient passées par leur fait, choses que vous avez pu connaître vous aussi par le témoignage de nos collègues dans l'épiscopat, et par mes lettres, pour éviter de les croire à la légère, on décida qu'il (3) aurait à confirmer lui-même oralement ce qu'on avait fait connaître par des envoyés. Ils vinrent donc et les prêtres leur reprochèrent leur conduite, et en dernier lieu "ce fait que des lettres pleines de calomnies et de méchancetés avaient été envoyées sous leur nom à plusieurs reprises, cet avaient troublé presque toutes les Églises. Ils affirmèrent alors qu'ils avaient été circonvenus et n'avaient pas su ce qu'il y avait dans ces lettres, qu'ils avaient seulement signe, que c'était sa fourberie qui leur avait fait commettre cette faute. On leur fit grief aussi "d'avoir favorisé le schisme et l'hérésie en souffrant qu'on lui imposât les mains comme pour l'épiscopat". Après qu'on leur eut reproché ces méfaits, et le reste de leur conduite, ils demandèrent qu'on voulût bien n'en pas tenir compte, et oublier tout.

Tout ce qui s'était passé m'ayant été rapporté, je résolus de réunir l'assemblée des prêtres - il y eut aussi des évêques au nombre de cinq qui se trouvaient être présents encore ce jour-là, - afin de préciser les mesures à prendre et de régler d'un commun accord ce qui était à faire pour leur cas. Mais afin que le sentiment de tous et les raisons de chacun soient connus de vous, il nous a paru bon de porter nos avis aussi à votre connaissance. Vous les lirez ci-dessous. Ensuite Maximus, Urbanus, Sidonius, et plusieurs frères qui s'étaient adjoints à eux, vinrent à l'assemblée, demandant avec des prières instantes qu'on oubliât ce qui s'était passé, et qu'on n'en parlât pas plus désormais que si rien n'avait été fait ou dit, qu'on se pardonnât tous les torts réciproques et qu'on pût présenter à Dieu un coeur net et pur, mettant en pratique la parole évangélique : "Ceux-là sont heureux qui ont le coeur pur parce qu'ils verront Dieu". Il était naturel de communiquer toute l'affaire aux fidèles afin qu'ils vissent rentrés dans l'Église ceux-là même qu'ils avaient vus si longtemps avec douleur errer çà et là. Leurs dispositions connues, il se fit un grand concours de nos frères. Il n'y avait qu'une voix pour rendre grâce à Dieu; la joie qui remplissait les coeurs s'exprimait en larmes; on embrassait les convertis comme s'ils avaient été délivrés le jour même, du cachot. Mais, pour reproduire leurs propres expressions, "nous savons, disaient-ils, que Corneille a été élu évêque de la très sainte Église catholique par Dieu le Tout-Puissant et par le Christ notre Seigneur. Nous reconnaissons notre erreur. Nous avons été victimes d'une imposture. Nous nous sommes laissé circonvenir par des bavardages perfides et trompeurs. Nous paraissions être comme en communion avec un homme et schismatique et hérétique : mais notre coeur a toujours été dans l'Église. Nous n'ignorons pas en effet qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et qu'un seul Christ notre Seigneur que nous avons confessé, un seul saint Esprit, et qu'il ne doit y avoir qu'un évêque dans une Église catholique". Qui ne se serait senti touché de cette profession de foi et porté à leur permettre de pratiquer dans le sein de l'Église ce qu'ils avaient confessé devant le pouvoir séculier. Nous avons donc dit au prêtre Maximus de reprendre sa place; quant aux autres, avec l'approbation enthousiaste du peuple fidèle, nous avons remis le jugement de ce qui s'était passé à Celui à qui tout est réservé.

Tous ces faits, frère très cher, nous vous les avons fait connaître par écrit, à l'heure même, au moment même, et comme l'acolyte Nicéphore se proposait de prendre la mer, nous l'avons laissé partir tout de suite, afin que tout retard étant évité, vous fussiez en état de rendre grâce avec nous au Dieu tout-puissant, et au Christ notre Seigneur, comme si vous aviez été présent à cette assemblée du clergé et du peuple. Nous croyons, que dis-je, nous tenons pour certain que les autres aussi, qui sont dans cette erreur, reviendront bientôt à l'Église, en voyant leurs chefs d'accord avec nous. Je crois, frère très cher, que vous devez communiquer cette lettre aux autres églises afin que tout le monde sache que les ruses et les voies tortueuses de cet homme schismatique et hérétique sont abandonnées chaque jour davantage. Portez-vous bien, frère très cher.

(2) Cet homme "habile et roué" c'est Novatien.

(3) "Il" désigne Maximus, le personnage le plus important.
 
 

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LETTRE 50

 
 

CORNElLLE A CYPRIEN SON FRERE, SALUT.

 

Pour que rien ne manque au châtiment qui attend ce scélérat (4) un moment abattu par la Puissance divine, après que Maximus, Longinus et Machaeus eurent été chassés d'Afrique, il a de nouveau levé la tête. Je crois, d'autre part, comme je vous l'ai indiqué dans une lettre précédente que je vous ai envoyée par le confesseur Augendus, que Nicostratus, Novatus, Evaristus, Primus et Denys sont arrivés où vous êtes. Que l'on veuille donc à ce que tous nos collègues dans l'épiscopat et tous nos frères soient instruits de ce qui les concerne. Nicostratus est accusé de plusieurs crimes : non seulement il a usé de fraude et de rapine à l'égard de sa patronne selon la chair, dont il gérait les affaires, mais encore ayant reçu des dépôts assez considérables de l'Église, il les a emportés. Quant à Evaristus, il a favorisé le schisme et l'on a nommé Zetus à sa place a la tête du peuple qu'il gouvernait. Novatus, lui, s'est signalé ici par la perversité et l'insatiable avarice qu'il a toujours montrée chez vous. Vous voyez quels chefs et quels défenseurs ce schismatique, cet hérétique a toujours à ses côtés. Portez-vous bien, frère très cher.

(4) Ce scélérat, c'est Novatien.

LETTRE 51

 
 

CYPRIEN A CORNEILLE, SON FRERE, SALUT.

 

Nous attestons, frère très cher, que nous avons rendu et que nous rendons sans relâche les plus grandes actions de grâces à Dieu le Père tout-puissant et à son Christ le Seigneur et le Dieu de notre salut, de ce que l'Église est si bien protégée par le ciel, que son unité et sa sainteté ne sont altérées ni constamment ni complètement par l'obstination de l'hérésie perfide et perverse. Nous avons lu en effet votre lettre et ce nous a été une joie à tous et une grande allégresse d'apprendre que le prêtre Maximus, et Urbanus, tous les deux confesseurs, et avec eux Sidonius et Macarius, obéissant a une sainte inspiration de fidélité, sont revenus à l'Église catholique, c'est-à-dire que, renonçant à leur erreur et sortant de leur égarement schismatique ou plutôt hérétique, ils ont regagné la maison de l'unité et de la vérité. Ainsi le lieu même d'où ils s'étaient mis en marche pour la gloire les reverra revenir glorieux, et il ne serait pas dit que ceux qui avaient confessé le Christ abandonnaient ensuite son camp, ni que ceux-là succombaient dans une épreuve de fidélité à l'affection et a l'unité qu'une épreuve de force et de courage avait laissés debout. Et voici que leur gloire est entière, intacte et sans tache, voici que leur honneur de confesseur a recouvré sa virginité et son intégrité. Ils se sont éloignés des déserteurs et des fuyards; ils ont laissé là ceux qui sont traîtres à la foi et qui attaquent l'Église catholique. C'est à bon droit qu'à leur retour, comme vous l'écrivez, ils ont été accueillis avec grande joie par le clergé et par le peuple, par toute la communauté des frères; car, en voyant que leur gloire est conservée à ces confesseurs et qu'ils reviennent à l'unité, il n'y a personne qui ne s'estime associé à leur bonheur et co-participant de leur gloire.

Nous pouvons nous faire une idée de cette joie d'après nos propres sentiments. En effet, à la lecture de la lettre que vous nous avez envoyée pour nous parler de l'aveu fait par eux de leur erreur, tout ce qu'il y a de frères ici s'est réjoui, et a reçu avec la plus grande allégresse une nouvelle dont tout le monde avait à se féliciter : mais quelle n'a pas dû être la joie la même où l'heureux événement se produisait sous les yeux de tous ! Le Seigneur dit dans son évangile qu'il y a une très grande joie dans le ciel pour la conversion d'un pécheur. Combien plus grande est la joie et sur la terre tout à la fois et dans le ciel, pour le retour de confesseurs qui reviennent à l'Église de Dieu avec leur honneur et leur gloire, et qui frayent aux autres la voix du retour par l'autorité et l'encouragement de leur exemple. Ici, en effet, l'erreur avait déteint sur quelques-uns de nos frères, qui se disaient qu'en les suivant ils suivaient la communion de confesseurs Leur illusion leur étant ôtée, la lumière s'est répandue dans tous les coeurs, et l'on a vu qu'une Église catholique est une, et ne peut être ni scindée ni divisée. Personne désormais ne pourra se laisser prendre aux verbeuses affirmations d'un schismatique furieux, maintenant qu'il est établi que de bons et glorieux soldats du Christ n'ont pu être longtemps retenus hors de l'Église par des tromperies et des perfidies du dehors. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
 
 

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LETTRE 52
 

CYPRIEN A SON FRERE CORNEILLE, SALUT.

 

Vous avez agi avec célérité tout à la fois et avec charité, frère très cher, en nous envoyant en toute hâte l'acolyte Nicéphorus (1), pour nous annoncer le glorieux sujet de joie que donne le retour des confesseurs, et pour nous armer pleinement contre les nouvelles et pernicieuses machinations dressées par Novatien et Novatus contre l'Église du Christ. La veille, la funeste faction de la perverse hérésie, perdue déjà elle-même et destinée à perdre ceux qui y feront adhésion, était venue ici; le lendemain Nicéphorus survint avec vos lettres. Grâce à elles, nous avons appris nous-même, et nous nous sommes mis à apprendre aux autres, et à leur faire connaître qu'Évaristus, d'évêque qu'il était auparavant, n'était même plus demeuré simple fidèle; qu'éloigné de son siège et de son peuple, et sorti de l'Église du Christ, il erre au loin en d'autres provinces, et qu'ayant fait personnellement naufrage dans la foi, il cherche à provoquer autour de lui des naufrages semblables; que Nicostratus aussi, ayant perdu son saint office de diacre, après avoir soustrait par un larcin sacrilège l'argent de l'Église, et refusé de rendre les dépôts des veuves et des orphelins, n'a pas tant cherché à venir en Afrique, qu'à fuir de Rome, épouvanté de ses rapines et de ses crimes infâmes. Et maintenant, loin de l'Église qu'il a désertée et qu'il fuit, comme si changer de pays c'était changer soi-même, il se vante encore et se proclame confesseur, alors qu'on ne peut être appelé ni être confesseur du Christ, du moment qu'on a renié l'Église du Christ. En effet quand l'apôtre Paul dit : "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et ils seront à deux une seule chair. Ce sacrement est grand : je dis, par rapport au Christ et à l'Église"; quand le bienheureux Apôtre dit cela, et de sa voix sainte atteste l'union du Christ et de l'Église, et les liens indissolubles qui les attachent l'un à l'autre, comment celui-là pourrait-il être avec le Christ, qui n'est pas avec l'Épouse du Christ, avec son Église ? Comment peut-il prendre sur lui de régir et gouverner l'Église, celui qui l'a volée et dépouillée ?

Quant à Novatus, vous n'aviez pas à nous en envoyer des nouvelles de là-bas, car c'est plutôt à nous de vous faire connaître ce Novatus tel qu'il est. Toujours avide de nouveautés, emporté par une avarice et une rapacité insatiables, plein d'une arrogance superbe, enflé d'un orgueil insensé, toujours défavorablement apprécié des évêques, toujours condamné par la voix de tous les pontifes comme hérétique et pervers, curieux toujours pour trahir, flatteur pour tromper, jamais fidèle pour aimer : c'est une torche, un brandon pour allumer les incendies de la discorde séditieuse, une trombe, une tempête pour causer des naufrages dans la foi, un fauteur de troubles, un adversaire de la tranquillité, un ennemi de la paix. Enfin, Novatus s'éloignant de vous, c'est-à-dire la tempête et la trombe s'éloignant, le calme se fit un peu là où vous êtes, et de glorieux et excellents confesseurs (2) qui, à son instigation, s'étaient éloignés de l'Église, lorsqu'il se fut éloigné de Rome revinrent à l'Église C'est le même Novatus qui chez nous alluma d'abord l'incendie de la discorde; qui sépara ici certains de nos frères de l'évêque; qui, en pleine persécution, devint lui-même parmi nous, pour ébranler les âmes des frères, comme une seconde persécution. C'est lui encore qui, par esprit d'opposition et de cabale, a fait, sans ma permission et à mon insu, un diacre de Felicissimus, son satellite; puis, passant à Rome, avec le souffle de tempête qu'il porte avec lui, il a provoqué chez vous des troubles de même espèce et aussi graves, détachant violemment du clergé une partie du peuple fidèle, et dans une fraternité où régnait l'union et l'amour réciproque, rompant le lien de la concorde. Naturellement, comme Rome en raison de son importance le doit emporter sur Carthage, il y a commis des méfaits plus importants et plus graves. Ici il avait fait un diacre contre l'Église : là-bas, c'est un évêque qu'il a fait. Qu'on ne s'en étonne point, quand il s'agit de gens de cette espèce. Les méchants se laissent toujours emporter à la fureur qui les égare, et puis, quand ils ont commis des crimes, le remords qui aiguillonne leur âme criminelle ne les laisse pas en repos. Ils ne peuvent rester dans l'Église de Dieu, eux qui n'ont observé la discipline divine et ecclésiastique ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, dont la paix est absente. Les pupilles dépouillées, les veuves volées, les dépôts même de l'Église niés, réclament le châtiment que nous voyons dans ses fureurs. Il a laissé son père mourir de faim dans son quartier, et ensuite il ne lui a même point donné la sépulture. Il a frappé du talon sa femme au ventre, et lui a fait délivrer son fruit avant l'heure, causant ainsi un avortement parricide. Et il ose maintenant condamner les mains de ceux qui sacrifient, alors que ses pieds sont plus criminels puisqu'il s'en est servi pour tuer le fils qui allait lui naître !

Cette conscience de ses crimes lui inspirait des craintes depuis longtemps. Aussi tenait-il pour certain que non seulement il aurait à sortir du corps sacerdotal mais qu'il serait excommunié, et, à la requête instante des frères, le jour était imminent où nous allions avoir à instruire sa cause, si la persécution ne nous avait prévenus. Il l'a accueillie comme un moyen souhaité d'échapper à une condamnation, et de s'en épargner les ennuis, et il a causé ces désordres et ces troubles : de cette manière, lui qui devait être chassé de l'Église et excommunié, il devancerait par un départ volontaire le jugement des évêques : comme si c'était échapper à la peine que de prévenir la sentence !

Quant aux autres frères, que nous avons le regret de voir pris à ses pièges, nous faisons tous nos efforts pour qu'ils fuient la dangereuse compagnie de ce vieux routier, échappent aux filets qui leur sont tendus, et regagnent cette Église dont il a mérité d'être chassé de par Dieu. Nous espérons, avec l'Aide de Dieu et sa Miséricorde, qu'ils pourront revenir. Il n'y a en effet pour périr que ceux dont la perte est inévitable d'après ces paroles du Seigneur dans son évangile : "Toute plante qui n'aura pas été plantée par mon père qui est aux cieux sera arrachée." Celui qui n'est pas planté dans le champ des préceptes et enseignements de Dieu le Père, celui-là seul pourra s'éloigner de l'Église, seul il pourra rester dans la fureur avec les schismatiques et les hérétiques. Quant aux autres, la Miséricorde de Dieu le Père, la Bonté du Christ notre Seigneur, et notre patience les réuniront avec nous. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) Voir l. 49 et l. 50

(2) Maxime, et les autres dont il est question l. 49.
 
 

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LETTRE 53

 
 

A CYPRIEN LEUR FRERE MAXIMUS, URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SALUT.
 

Nous sommes sûrs, frère très cher, que vous aussi vous vous réjouissez autant que nous de ce que, après avoir délibéré, cherchant avant tout les intérêts de l'Église et le bien de la paix, laissant tout le reste de côté et le réservant au jugement de Dieu, nous avons fait la paix avec Corneille notre évêque et avec tout le clergé. La joie de toute l'Église et le bon accueil de tous a salué cette démarche, comme notre lettre doit vous l'apprendre. Nous demandons à Dieu, frère très cher, que vous vous portiez bien durant de longues années.
 
 

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LETTRE 54
 

 
 

CYPRIEN AU PRETRE MAXIME ET DE MEME A URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SES FRERES, SALUT.

 

La lecture de la lettre (1) que vous m'avez adressée, frères très chers, au sujet de votre retour, de la paix retrouvée avec l'Église, et de votre rentrée dans la fraternité, m'a, je l'avoue, apporté autant de joie que j'en avais eu en apprenant votre confession glorieuse et en recevant avec allégresse la nouvelle des beaux exploits de milice spirituelle et céleste accomplis par vous. C'est là en effet encore une autre confession (et elle honore votre foi) de reconnaître qu'il n'y a qu'une Église, de ne point partager une erreur, ou plutôt une perversion étrangère, de regagner le camp d'où vous vous êtes mis en marche, d'où vous avez bondi de votre élan le plus vigoureux pour livrer le combat, pour terrasser l'ennemi. Il convenait en effet de rapporter les trophées, après la bataille, là où avant la bataille on avait revêtu les armes, de peur que ceux que le Christ avait préparés pour la glorieuse lutte, ne fussent pas avec leur gloire dans l'Église du Christ. En fait, vous avez tout à la fois tenu la ligne qui convenait à votre foi, en gardant, dans la paix du Seigneur, la loi de charité et d'indissoluble concorde et frayé aux autres, en marchant ainsi, la voie de l'amour et de la paix. Vous avez fait en sorte que la vérité de l'Église, et l'unité de l'évangile et du sacrement à laquelle nous nous tenions, fût, par votre adhésion, nouée d'un nouveau lien, et que des confesseurs du Christ ne devinssent pas des guides d'erreur, après avoir été des modèles de courage et d'honneur dignes de tous les éloges.

Dans quelle mesure les autres vous félicitent et triomphent avec vous chacun en particulier, je n'ai point à le savoir, mais moi, je déclare que je vous félicite vivement et que je triomphe plus que les autres de votre retour à la paix et à la charité. En toute simplicité, je dois vous faire connaître ce que j'avais dans le coeur. J'étais fortement peiné, et tourmenté de ne pouvoir communiquer avec ceux que j'avais une fois commencé à aimer. Échapper de prison pour vous laisser prendre par l'erreur schismatique et hérétique, c'était comme si votre gloire était restée dans la prison. L'honneur de votre nom semblait y être demeuré, puisque des soldats du Christ ne revenaient pas à l'Église au sortir de la prison, où ils étaient allés avec l'applaudissement et les félicitations de l'Église.

Sans doute il semble qu'il y ait de la zizanie dans le champ de l'Église, mais notre foi et notre charité ne doivent point en être empêchées, au point de nous faire quitter l'Église parce que nous y voyons de la zizanie. Nous devons seulement nous efforcer d'être du bon grain, afin que, quand on rentrera la moisson dans les greniers du Seigneur, nous recueillions le fruit de notre travail et de notre effort. L'Apôtre dit dans sa lettre : "Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre, les uns vases d'honneur, les autres vases d'ignominie". Pour nous, appliquons-nous à être un vase d'or ou d'argent. D'ailleurs briser les vases de terre n'est permis qu'à Dieu seul, et à celui à qui a été donnée la verge de fer. Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître, et personne ne s'arroge ce que le père attribue à son fils au point de croire qu'il puisse désormais porter la pelle et vanner dans l'aire, ou séparer du bon grain toute la zizanie au gré d'un jugement humain. C'est là une prétention orgueilleuse et la présomption sacrilège de furieux égarés. Certains, prenant sur eux d'aller plus loin que ne le demande une justice modérée, se mettent hors de l'Église. En s'élevant dans leurs pensées plus que de raison, ils sont aveuglés par l'orgueil qui les enfle, et perdent la lumière de la vérité. C'est pourquoi nous autres, usant de tempérament, regardant comme le Seigneur use de poids et mesures, songeant à la Bonté et à la Miséricorde de Dieu le Père, nous avons longtemps délibéré entre nous, et pesé dans une juste balance ce qu'il y avait à faire. Vous pourrez connaître tout cela à fond, en lisant les opuscules (2) que j'ai lus ici dernièrement, et que je vous ai fait transmettre à vous aussi pour lecture, comme le demandait notre affection réciproque. Il n'y manque, pour les lapsi, ni le blâme pour les reprendre, ni le remède pour les guérir. Mais de plus, autant que mon humble talent me l'a permis, j'ai mis en lumière l'unité de l'Église catholique, et cet opuscule, j'ai confiance qu'il vous plaît de plus en plus, puisque maintenant vous le lisez en l'approuvant et en l'aimant, vu que vous réalisez dans vos actes les paroles par nous écrites, vous qui êtes revenus à l'Église, dans l'unité de la charité et de la paix. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

 

(1) C'est la lettre 53

(2) Le De Lapsis et De Catholicae Ecclesiae Unitate. Ce dernier traité s'occupe à la fois de l'unité d'évêque dans chaque Église (au temps de saint Fulgence, il était parfois cité sous le titre De simplicitate proelatorum) et de l'unité dans l'Église universelle.
 
 

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LETTRE 55

 
 

CYPRIEN A SON FRERE ANTONIANUS, SALUT.

 

J'ai reçu votre première lettre, frère très cher, où restant en union de sentiments avec le collège des évêques et attaché à l'Église catholique, vous nous faisiez connaître que vous ne communiquiez point avec Novatien, mais que vous suiviez notre conseil et que vous étiez en communion avec Corneille, notre collègue dans l'épiscopat. Vous m'aviez aussi écrit de transmettre à Corneille une copie de la même lettre, afin que délivré de toute inquiétude, il sût bien que vous communiquiez avec lui, c'est-à-dire avec l'Église catholique.

Mais ensuite une autre lettre nous est venue de votre part par l'intermédiaire de Quintus notre collègue dans le sacerdoce, où j'ai remarqué que votre âme, ébranlée par les lettres de Novatien, commençait à chanceler. En effet, après avoir précédemment fixé fermement et votre résolution et votre adhésion, vous exprimiez dans la nouvelle lettre le désir de savoir quelle hérésie Novatien a introduite, et comment expliquer que Corneille communique avec Trofime et ceux qui ont sacrifié. A la vérité, si c'est une inquiétude de foi qui vous donne ce souci, si vous cherchez dans cet esprit la vérité, dans un cas douteux, il n'y a rien à redire à ce qu'une âme que la crainte divine préoccupe soit en proie à des doutes qui la tiennent en suspens.

Mais comme je vois qu'après le premier sentiment manifesté dans votre lettre, vous avez été ensuite remué par les lettres de Novatien, je pose en principe, frère très cher, tout d'abord ceci, que des hommes sérieux, qui ont été une fois solidement établis sur la pierre, ne se laissent pas ébranler, je ne dis pas par un souffle léger, mais même par un coup de vent ou un cyclone; autrement, leur esprit incertain et flottant au gré d'opinions variées, comme aux souffles de vents qui le viendraient battre, serait fréquemment agité, et changerait de résolution, non sans encourir quelque reproche de légèreté. Pour éviter que les lettres de Novatien produisent cet effet chez vous ou chez quelque autre, je vais, frère, répondre à votre désir et, brièvement, vous rendre compte des faits.

Et tout d'abord, puisque vous paraissez ému de ma conduite à moi aussi, je dois justifier devant vous ma personne et plaider ma cause. Je ne veux pas, en effet, qu'on pense que j'aie à la légère abandonné ma ligne de conduite, et que, après avoir d'abord, dans les premiers temps, soutenu la thèse de la rigueur évangélique, je me sois ensuite écarté de l'esprit de discipline et de sévérité que je montrais auparavant, pour estimer qu'il y ait lieu de donner à bon compte la paix à ceux qui ont souillé leur conscience par des billets, ou fait des sacrifices impies. Ni l'une ni l'autre ligne de conduite n'a été adoptée par moi sans que j'aie longtemps balancé le pour et le contre et bien pesé les raisons.

Au moment, en effet, où l'on avait encore les armes à la main et où la lutte glorieuse de la persécution était dans toute son ardeur, il fallait exciter de toutes ses forces, de toute sa vigueur, les soldats au combat; et surtout notre parole devait soulever comme une trompette les âmes des lapsi, non seulement pour leur faire suivre, dans la prière et les lamentations, la voie de la pénitence, mais encore, puisque l'occasion se présentait de retourner au combat et de retrouver le salut, pour les exciter, les provoquer à une confession ardente et à un martyre glorieux. Enfin, comme à propos de certains d'entre eux les prêtres et les diacres m'avaient écrit qu'ils manquaient de modération, et qu'ils montraient trop d'empressement à rentrer en communion, en leur répondant par une lettre qui existe encore, j'ajoutai ceci : "S'ils sont tant pressés, ce qu'ils demandent est en leur pouvoir, les circonstances leur fournissent plus qu'ils ne demandent; la lutte dure encore, des engagements ont lieu chaque jour. S'il a le repentir sincère et ferme de ce qu'il a fait, et que l'ardeur de la foi domine en lui, celui qui ne peut attendre le pardon peut mériter la couronne." Cependant, j'ai remis à plus tard le règlement du cas des lapsi : ainsi, quand la paix et la tranquillité nous seraient rendues, et que la Bonté divine aurait permis aux évêques de se rassembler, nous pourrions mettre en commun nos idées, et, en les comparant, décider de ce qu'il conviendrait de faire; si quelqu'un avant notre délibération, et la décision prise d'après cette délibération générale, avait la témérité de communiquer avec les lapsi, il serait excommunié.

J'ai écrit, dans le même sens, une lettre détaillée à Rome, au clergé qui était alors encore sans évêque, et aux confesseurs, le prêtre Maximus et les autres, qui se trouvaient alors en prison, et qui sont maintenant unis dans l'Église à Corneille. Que je leur aie écrit dans ce sens, c'est ce que vous pouvez voir d'après leur réponse. Ils ont en effet ceci dans leur lettre : "Cependant nous aimons, dans une affaire si importante, ce que vous avez dit vous-même, qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église, et alors en en délibérant avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs non tombés, traiter l'affaire des lapsi." On ajoutait encore (et c'était Novatien qui l'écrivait, qui lisait à haute voix ce qu'il avait écrit, et le prêtre Moyse alors encore confesseur, maintenant martyr, y apposait sa signature) que les lapsi malades et sur le point de trépasser recevraient la paix. Ces lettres ont été envoyées dans le monde entier et portées à la connaissance de toutes les églises et de tous les frères.

Cependant, conformément aux résolutions antérieurement prises, quand l'ardeur de la persécution se fut assoupie, avec un grand nombre d'évêques que leur foi et la Protection de Dieu avait maintenus sains et saufs, nous nous sommes réunis (1). Après avoir lu les textes de l'Écriture dans les deux sens, nous avons adopté, avec un sage tempérament, un moyen terme : d'une part, l'espérance de la communion ne serait point totalement refusée aux lapsi, de peur que le désespoir ne les portât davantage au mal, et que voyant l'Église fermée devant eux, ils ne suivissent le siècle pour vivre en païens; d'autre part, la sévérité évangélique ne serait pas non plus énervée par une admission en bloc et à la légère à la communion; mais plutôt la pénitence durerait longtemps; on invoquerait, avec le regret des fautes, la paternelle bonté, on examinerait les cas un à un, les intentions, les circonstances atténuantes, conformément au texte de l'opuscule, que, je crois, vous est parvenu, et où les points du règlement sont détaillés. Et, de peur que le nombre des évêques d'Afrique ne parût insuffisant, nous avons encore écrit à Rome sur ce sujet à Corneille, notre collègue, qui lui aussi a tenu un concile avec un grand nombre de collègues dans l'épiscopat, et traitant l'affaire avec le même sérieux et les mêmes ménagements, a adopté les mêmes solutions que nous.

Il était nécessaire de vous en écrire en ce moment, afin que vous sachiez bien que je n'ai rien fait à la légère, mais que, conformément à la teneur de mes lettres antérieures, j'ai remis toutes choses au jugement de notre concile. Je n'ai d'abord communiqué avec aucun des lapsi, alors qu'il y avait encore moyen pour le lapsus de recevoir, non seulement le pardon, mais encore la couronne. Mais, ensuite, comme le réclamaient la nécessité de l'accord avec mes collègues et l'intérêt qu'il y avait à rassembler nos frères dans l'unité, et à guérir ces blessures, j'ai cédé à la nécessité des temps et considéré le devoir d'aviser au salut d'un grand nombre. Et maintenant je ne m'écarte pas de ce qui a été une fois résolu dans notre concile d'un commun accord, quoique bien des gens mettent beaucoup de bruits en circulation, et que des mensonges contre les évêques de Dieu, sortis de la bouche du diable pour rompre l'union et l'unité de l'Église catholique, soient répandus partout. Quant à vous, il vous faut comme un bon frère, comme un évêque uni à ses collègues dans le sacerdoce, non point accueillir facilement les paroles des méchants et des apostats, mais peser les actes de vos collègues, hommes modérés et sérieux, en examinant notre conduite personnelle et la discipline que nous suivons.

J'en viens maintenant, frère très cher, à la personne de Corneille, notre collègue, afin qu'avec nous vous connaissiez Corneille, non pas d'après les mensonges de détracteurs malveillants, mais d'après le jugement de Dieu qui l'a fait évêque, et le témoignage de ses collègues dans l'épiscopat, qui, dans le monde entier, ont ratifié son élection d'un accord unanime. Eh bien (ce qui donne à notre cher Corneille, aux Yeux de Dieu, du Christ, de l'Église, de ses collègues, une recommandation si glorieuse), ce n'est pas lui qui est arrivé tout d'un coup à l'épiscopat; il a passé par tous les offices ecclésiastiques, servi plusieurs fois le Seigneur dans les divers emplois religieux, et n'est monté qu'en franchissant les degrés successifs au faîte sublime du sacerdoce. Quant à l'épiscopat lui-même, il ne l'a ni sollicité, ni voulu; il ne l'a pas envahi comme tel qu'enflent les fumées de l'orgueil; mais tranquille d'ailleurs et modeste, tel que sont d'ordinaire ceux qui sont choisis de Dieu pour cette dignité, fidèle à sa réserve virginale, à la discrétion d'une humilité qui lui est naturelle, et qu'il a entretenue, il n'a point fait violence à personne, comme certains, pour devenir évêque, mais plutôt il a souffert violence et n'a accepté l'épiscopat que contraint et forcé. Et il a été élu évêque par un grand nombre de nos collègues qui étaient alors dans la ville de Rome; et qui nous ont envoyé, au sujet de son ordination, des lettres qui sont à son honneur, qui font son éloge et même lui rendent un témoignage glorieux. Corneille a été élu évêque par le Jugement de Dieu et de son Christ, par le témoignage favorable de la presque unanimité des clercs, par l'accord avec eux de la portion du peuple fidèle qui était présente, par la communauté des évêques vénérables et des gens de bien, personne ne l'ayant été avant lui, la place de Fabianus (2), c'est-à-dire la place de Pierre et le siège épiscopal étant vacants. Ce siège étant occupé et son occupation appuyée de la Volonté de Dieu et de notre accord à tous, il est inévitable que qui voudrait être élu évêque soit hors de l'Église, et n'ait point l'ordination ecclésiastique, puisqu'il n'est plus dans le sein de l'unité. Celui-là, quel qu'il soit, il aura beau se faire valoir, enfler ses prétentions, c'est un profane, c'est un étranger, c'est un homme du dehors. Et là où il ne peut y avoir de second après le premier, celui qui a été créé après celui qui doit être seul n'est pas second, mais n'est rien.

L'épiscopat obtenu, non point par brigue, ni par violence, mais de par la Volonté de Dieu, qui fait les évêques, quelle vertu n'a-t-il point montrée dans l'épiscopat même, quelle force d'âme, quelle fermeté de foi, que nous devons d'un coeur droit reconnaître et louer ! Il a siégé sans peur sur le siège épiscopal, au temps où un tyran (3) ennemi des évêques de Dieu, jetait feu et flammes, et aurait plutôt supporté d'apprendre qu'un empereur rival s'élevait contre lui que de voir établir dans Rome même un évêque de Dieu. Ne doit-il pas, frère très cher, recevoir le plus haut témoignage de vertu et de foi, ne doit-il pas être rangé parmi les confesseurs et les martyrs glorieux celui qui est resté si longtemps sur son siège, attendant les bourreaux de son corps et les vengeurs d'un tyran furieux ? Ils venaient pourtant vers lui parce qu'il résistait à des édits sauvages et foulait aux pieds avec la vigueur d'une foi énergique la crainte des tourments et des supplices; ils venaient pour l'assaillir l'épée à la main, ou le crucifier ou le brûler, ou lui déchirer membres et viscères dans quelque nouvelle forme de torture. La Puissance et la Bonté du Seigneur qui le couvrait a protégé dans l'épiscopat celui qu'elle avait voulu évêque; mais pour Corneille, au point de vue du sacrifice de soi, et des craintes de danger à courir, il a souffert tout ce qu'il pouvait souffrir et il a le premier vaincu par ses vertus épiscopales un tyran vaincu depuis dans la guerre et par les armes (4).

Quant à certaines accusations déshonorantes malignement répandues contre lui, ne vous en étonnez pas, je vous prie, vous qui savez bien que ce fut toujours l'oeuvre du diable de déchirer par le mensonge les serviteurs de Dieu, de déconsidérer par de faux bruits une réputation honorable et de faire enfin que ceux à qui leur conscience rend un glorieux témoignage se voient noircis par les rumeurs du dehors. Mais sachez bien aussi que nos collègues ont fait une enquête et trouvé de la manière la plus certaine que non seulement il ne s'est point souillé en signant un billet, comme certains en font courir le bruit, mais qu'il n'a pas même entretenu avec des évêques ayant sacrifié aucun rapport de communion sacrilège, et qu'il n'a joint à nous que ceux-là dont la cause a été entendue et l'innocence reconnue.

Pour ce qui est de Trofime, au sujet duquel vous avez exprimé le désir d'avoir des explications, les choses ne sont pas telles que vous les ont présentées des rumeurs vagues ou des mensonges malveillants. Comme l'ont fait souvent nos prédécesseurs, notre frère a tenu compte de ce qu'imposaient les circonstances pour ramener nos frères séparés. Une grande partie du peuple fidèle s'était éloignée avec Trofime. Or, Trofime revenait à l'Église, il donnait satisfaction; il avouait, en demandant pardon, son erreur passée; il satisfaisait encore et montrait une humilité parfaite en ramenant à l'Église les frères qu'il en avait séparés. Aussi a-t-on écouté ses prières, et l'Église a reçu non pas tant Trofime lui-même qu'un très grand nombre de frères qui étaient avec Trofime et qui n'auraient point repris le chemin de l'Église, si Trofime n'avait été avec eux. A la suite d'un conseil tenu là-bas entre plusieurs collègues, on a admis Trofime, pour qui satisfaisaient le retour des frères et le salut rendu à un grand nombre. Trofime d'ailleurs n'a été admis à notre communion qu'à titre laïc, et non pas, quoi qu'aient pu vous en dire des écrits malveillants, avec la dignité épiscopale.

Quant à ce qu'on vous a aussi annoncé que Corneille communiquait couramment avec ceux qui ont sacrifié, c'est encore une invention des apostats. Ceux qui nous quittent ne peuvent pas plus dire du bien de nous que nous ne devons nous attendre nous-mêmes à plaire à ceux qui, ne craignant pas de nous déplaire et de s'élever contre l'Église en vrais rebelles, s'appliquant de toutes leurs forces à entraîner nos frères hors de l'Église. Par conséquent, ni à notre sujet, ni au sujet de Corneille, n'écoutez ni ne croyez facilement, frère très cher, tous les bruits que l'on fait courir.

Ceux qui sont attaqués par la maladie, on vient à leur secours, comme il a été convenu. Mais quand on est venu à leur secours, et qu'on leur a donné la paix, parce qu'ils étaient en péril, on ne peut pas tout de même les étrangler ou les étouffer, ou porter la main sur eux pour les forcer à mourir : comme si, parce qu'on donne la paix aux mourants, il fallait que tous ceux-là meurent qui ont reçu la paix ! Bien plutôt serait-ce une marque de la Bonté de Dieu et de sa Douceur paternelle que ceux qui ont reçu avec la paix un gage de vie fussent tenus à vivre de par la paix reçue. Par conséquent si, la paix reçue, Dieu donne un délai, personne ne doit faire un grief aux évêques, puisqu'on a une fois décidé qu'en cas de péril on devait venir au secours des frères. Et n'allez pas croire, frère très cher, comme quelques-uns le pensent,que les "libellatices" (5) doivent être mis sur le même pied que ceux qui ont sacrifié, puisque parmi ceux-là même qui ont sacrifié, il arrive souvent que les circonstances et les cas soient différents. En effet il n'y a pas à mettre sur un pied d'égalité celui qui de sa propre volonté s'est porté du premier coup au sacrifice abominable, et celui qui après avoir résisté et lutté longtemps n'est arrivé à l'acte déplorable que par nécessité; celui qui a livré et lui-même et les siens, et celui qui, allant seul au danger pour tous, a préservé sa femme, ses enfants et toute sa maison par une convention qui l'exposait seul; celui qui a poussé au crime ses locataires et ses amis, et celui qui a laissé tranquilles locataires et fermiers, qui a même reçu sous son toit et à son foyer des frères qui s'éloignaient bannis et fugitifs, offrant ainsi et présentant au Seigneur plusieurs âmes vivantes et saines, capables d'intercéder pour une seule âme blessée.

Puis donc qu'entre ceux mêmes qui ont sacrifié il y a de grandes différences de cas, quelle rigueur implacable, quelle amère dureté n'est-ce pas de confondre les "libellatices" avec ceux qui ont sacrifié, quand celui qui a reçu un billet tient ce langage : "J'avais lu, et la parole de l'évêque m'avait appris, qu'on ne devait pas sacrifier aux idoles, et qu'un serviteur de Dieu ne devait pas adorer de vaines images; c'est pour cela que, ne voulant pas faire ce qui n'était pas permis, l'occasion d'un billet s'étant présentée, que je n'aurais pas accepté sans cette occasion, je suis allé trouver le magistrat, ou je lui ai fait dire par un autre qui l'allait trouver, que j'étais chrétien, que je ne pouvais aller à l'autel du diable, que je donnais ce gage, pour éviter de faire ce qui n'est pas permis". Malgré cela, maintenant, celui qui a un billet sur la conscience, apprenant de nous qu'il n'aurait pas dû même l'accepter et que si sa main est pure, si sa bouche n'a pas contracté de souillure au contact de la nourriture funeste, sa conscience est souillée tout de même, il pleure en nous entendant, et se lamente. Il comprend la faute qu'il a commise, et moins coupable que trompé, il atteste que pour l'avenir il est armé maintenant et prêt.

Si nous repoussons leur pénitence, à eux qui ont quelque confiance que leur faute est excusable, aussitôt avec leurs femmes, avec leurs enfants, qu'ils avaient conservés indemnes, ils tombent dans l'hérésie ou le schisme auxquels le diable les invite et s'efforce de les entraîner. Et il sera écrit à côté de nos noms, au jour du jugement, que nous n'avons pas soigné la brebis blessée, et qu'à cause d'une qui était blessée, nous en avons perdu plusieurs qui étaient indemnes. Il nous sera rappelé que le Seigneur a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis bien portantes pour en chercher une seule qui s'était perdue et qui était épuisée de fatigue, et l'ayant retrouvée, l'a portée sur ses propres épaules, tandis que nous, non seulement nous ne courons pas après ceux qui sont fatigués, mais nous allons jusqu'à les repousser lorsqu'ils nous reviennent; et que, à l'heure où de faux prophètes ne cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous fournissons une occasion aux chiens et aux loups, et perdons par notre dureté et notre inhumanité ceux que n'a point perdus la rage des persécuteurs. Et alors, frère très cher, que deviendra la parole de l'Apôtre ; "Je m'applique à faire plaisir à tous en tout, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux à moi, mais ce qui l'est a un grand nombre, afin qu'ils soient sauvés. Imitez-moi comme j'imite le Christ". Et encore : "Je me suis fait infirme avec les infirmes, afin de gagner les infirmes". Et encore : "Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui; et si c'est dans la joie qu'est un membre, les autres membres sont dans la joie".

Autre est le point de vue des philosophes et des stoïciens, frère très cher. Ils disent que toutes les fautes sont égales, et qu'un homme sérieux ne doit pas facilement se laisser fléchir. Mais entre les chrétiens et les philosophes, il y a une très grande différence. Et puisque l'Apôtre dit : "Veillez à ce que personne ne vous emporte comme une proie par la philosophie et un enseignement trompeur", il faut éviter ce qui ne vient pas de la Bonté de Dieu, mais de la présomption d'une philosophie trop dure. Nous lisons dans les Écritures au sujet de Moyse : "Moyse fut un homme très doux". Et dans son évangile le Seigneur dit : "Soyez miséricordieux comme votre Père céleste a été miséricordieux à votre égard". Et encore : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais ceux qui se portent mal". Quels soins peut-il donner celui qui dit : "Moi, je ne soigne que les gens bien portants, qui n'ont pas besoin de médecin". Notre assistance, nos soins, c'est à ceux qui sont blessés que nous les devons. Ne tenons pas pour morts, mais plutôt comme gisant par terre entre la mort et la vie, ceux que nous voyons que la persécution funeste a blessés. S'ils avaient entièrement péri, on ne verrait pas sortir encore de leurs rangs des confesseurs et des martyrs.

Mais comme ils ont en eux de quoi revenir à la pleine santé de la foi, par la pratique ultérieure de la pénitence, et que la pénitence fortifie la vertu et l'arme, - armement impossible, si on perd l'espérance, si écarté durement et cruellement de l'Église, on se tourne vers les païens et vers les oeuvres du siècle, si de l'Église d'où l'on est rejeté on passe à l'hérésie et au schisme, auquel cas se fît-on ensuite égorger pour le Nom du Christ on ne pourra plus, étant hors de l'Église, séparé de l'unité et de la charité, être couronné même dans la mort -; pour ces raisons, frère très cher, nous avons, après avoir examiné les cas séparément, résolu à l'égard des "libellatices", de les admettre provisoirement; à l'égard de ceux qui ont sacrifié, de venir à leur secours au moment de la mort, parce qu'il n'y a plus de confession aux enfers et que nous ne pouvons obliger à faire pénitence, si le fruit de la pénitence est enlevé. Si le combat vient avant la mort, il les trouvera fortifiés par nous, armés pour le combat; si le mal fait son oeuvre jusqu'au bout avant le combat, ils s'en vont avec la consolation d'être dans la paix et la communion de l'Église.

Nous n'empêchons point par un jugement préalable le Jugement du Seigneur et s'Il trouve pleine et suffisante la pénitence du pécheur, Il peut ratifier ce que nous avons décidé ici-bas. Si au contraire quelqu'un nous a trompés par une feinte pénitence, Dieu dont on ne se moque point, et qui voit le coeur de l'homme, jugera Lui-même de ce que nous n'avons pas bien pénétré, et le Seigneur réformera la sentence de ses serviteurs. Mais nous devons pourtant nous souvenir, frère, qu'il est écrit : "Le frère qui aide son frère sera glorifié" et que l'Apôtre aussi a dit : "Veillant chacun sur vous-même, de peur d'entrer vous aussi en tentation, portez le fardeau les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ." Et ceci encore, qu'il met dans son épître pour rabattre les orgueilleux et briser leur superbe : "Et que celui qui croit être debout, craigne de tomber"; et en un autre endroit, il dit : "Qui êtes-vous pour juger le serviteur d'un autre ? C'est pour son maître qu'il est debout ou qu'il tombe. Or, il restera debout : Dieu est assez puissant pour le soutenir" . Jean aussi prouve que Jésus Christ notre Seigneur est notre avocat et intercède pour nos péchés : "Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous péchiez point; mais si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat Jésus Christ le juste, et Il est une victime qui intercède pour nos péchés". - Et l'apôtre Paul a dit encore dans une de ses épîtres : "Si, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous, à combien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son Sang, serons-nous sauvés par Lui de la Colère divine".

Pensant à sa Bonté et à sa Clémence, nous ne devons pas être acerbes, ni durs, ni sans humanité, quand il s'agit d'encourager nos frères, mais plutôt souffrir avec ceux qui souffrent, pleurer avec ceux qui pleurent, et les relever autant que nous pouvons, en leur prêtant le secours et les consolations de notre affection. Il ne faut pas non plus nous montrer ni tellement implacables et opiniâtres à repousser leur pénitence, ni non plus relâchés et trop faciles à les admettre dans notre communion. Un de nos frères est étendu sur le sol, blessé dans le combat par l'adversaire. D'un côté le diable s'efforce d'achever celui qu'il a blessé, de l'autre le Christ exhorte celui qu'Il a racheté à ne point périr entièrement. Quel est des deux celui auprès de qui nous nous tenons, de quel côté sommes-nous ? Est-ce avec le diable, afin qu'il tue, et voyant notre frère gisant à demi mort, passons-nous, comme dans l'évangile le prêtre et le lévite ? Ou bien, comme des prêtres de Dieu et du Christ, suivant Dieu et le Christ dans son enseignement et dans sa pratique, enlevons-nous le blessé de la gueule du monstre ennemi pour le soigner et le réserver ensuite au jugement de Dieu ?

Et n'allez pas croire, frère très cher, que la vertu des frères diminue où que les martyres vont cesser parce qu'on aura adouci aux lapsi les rigueurs de la pénitence, et qu'on aura donné aux pénitents l'espoir de la paix. La force des fidèles reste immuable, et ceux qui craignent et aiment Dieu de tout leur coeur demeurent debout dans l'intégrité de leur courage. Aux adultères aussi nous accordons un temps de pénitence et nous leur donnons la paix. La virginité ne cesse pas pour cela dans l'Église et des fautes étrangères ne font pas défaillir les glorieuses résolutions de la continence. L'Église rayonne toute parée d'une couronne de vierges, la pudeur et la chasteté gardent le niveau de leur gloire, et parce qu'on accorde à un adultère la pénitence et le pardon, la vigueur de la continence n'en est pas pour cela énervée. C'est une chose en effet, d'attendre le pardon, une autre de parvenir à la gloire; une chose de ne sortir de prison qu'après avoir payé sa dette jusqu'au dernier quart d'as, et une autre de recevoir du premier coup la récompense de sa foi et de son courage; une chose de se laver de ses péchés par le tourment d'une longue souffrance et de se purifier en quelque sorte par le feu, et une autre de purifier son âme de tous ses péchés par le martyre; une chose enfin d'être en suspens en attendant la Sentence du Seigneur au jour du jugement, et une autre d'être tout de suite couronné par le Seigneur.

Parmi nos prédécesseurs certains évêques de cette province ont pensé qu'on ne devait pas donner la paix aux adultères, et qu'il fallait complètement exclure de la pénitence ceux qui avaient commis ce genre de faute. Ils ne se sont cependant pas séparés du collège de leurs frères dans l'épiscopat, et l'on n'a pas rompu l'unité de l'Église catholique par une dureté ou une sévérité opiniâtre, allant à ce point que, par la raison qu'on donnait la paix aux adultères, celui qui ne la donnait pas dût se séparer de l'Église. Pourvu que le lien de la concorde subsiste et que persévère la fidélité indissoluble à l'unité de l'Église catholique, chaque évêque règle lui-même ses actes et son administration comme il l'entend, sauf à en rendre compte au Seigneur.

Je m'étonne d'ailleurs que quelques-uns soient intransigeants au point de penser qu'on ne doive pas accorder la pénitence aux lapsi, ou qu'ils soient d'avis de refuser le pardon aux pénitents, quand il est écrit : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, repentez-vous, et faites vos oeuvres d'auparavant." Cela est dit à quelqu'un qui manifestement est tombé, et que le Seigneur exhorte à se relever par des oeuvres de miséricorde car il est écrit : "L'aumône délivre de la mort", non à coup sûr de cette mort que le Sang du Christ a éteinte, de laquelle la grâce salutaire du baptême et de notre Rédempteur nous a délivrés, mais de celle que des fautes postérieures amènent insensiblement. De même, en un autre endroit, un temps pour la pénitence est donné, et à celui qui ne fait pas pénitence le Seigneur adresse des menaces : "J'ai, dit-il, contre vous bien des choses : vous laissez votre épouse, Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, se livrer au désordre des moeurs et manger des victimes offertes aux idoles. Je lui ai donné du temps pour faire pénitence et elle ne veut pas se repentir de ses désordres. Je vais la jeter sur un lit, et ceux qui se sont livrés au désordre avec elle, je les jetterai dans une grande tribulation, si elle ne fait pénitence de ses oeuvres". Dieu, à coup sûr, n'exhorterait pas ainsi à la pénitence, si ce n'était parce qu'Il promet le pardon aux pénitents. Et dans l'évangile : "Je vous le déclare, dit-Il, il y aura ainsi plus de joie dans le paradis, pour un pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'en ont pas besoin." En effet, pour qu'il ait écrit : "Dieu n'a point fait la mort et Il ne se réjouit pas de la perte de ceux qui vivaient", à coup sûr Celui qui ne veut pas que personne périsse souhaite que les pécheurs fassent pénitence, et que par la pénitence ils reviennent à la vie. Aussi le prophète Joël, à son tour, élève la voix et déclare : "Voici maintenant ce que dit le Seigneur, notre Dieu. Revenez à Moi de tout votre coeur" et, en même temps, avec des jeûnes, des larmes et en battant votre coulpe, déchirez vos coeurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur, votre Dieu, qui est miséricordieux, bon, patient, plein de pitié, et prêt à changer de dispositions au sujet des maux qu'Il a envoyés". Dans les psaumes aussi nous voyons la Sévérité tout à la fois et la Bonté d'un Dieu qui menace et qui épargne, en même temps qui punit pour corriger, et, quand Il a corrigé, qui sauve. "Je visiterai, dit-Il, avec la verge leurs forfaits, et leurs crimes avec le fouet : pourtant Je ne retirerai pas ma Miséricorde de dessus leurs têtes".

Le Seigneur aussi dans son évangile, montrant la Bonté de Dieu le Père, dit : "Quel est l'homme qui, entendant son fils lui demander du pain, lui donnerait une pierre, ou qui, s'il lui demandait un poisson, lui présenterait un serpent ? Si donc vous, qui êtes méchants, savez faire à vos fils des dons qui sont bienfaisants, combien plus votre Père du ciel donnera-t-Il des biens à ceux qui les Lui demanderont ?". Le Seigneur compare ici un père selon la chair à la Bonté éternelle et infinie de Dieu le Père. Sur la terre ce méchant père, après avoir été gravement offensé par ce fils pécheur et pervers, le voyant ensuite se corriger, renoncer aux fautes qu'il commettait auparavant, revenir à une vie modeste et honnête et à la pratique de la vertu, où le ramènent les regrets de la pénitence, ce père se réjouit, il se félicite, et accueillant celui qu'il avait rejeté, laisse éclater sa joie paternelle, et le serre dans ses bras : combien plus, l'unique et vrai Père, bon, miséricordieux, tendre, que dis-je, la Bonté, la Miséricorde et la Tendresse même, se réjouit de voir la pénitence de ses fils; et loin de menacer de sa Colère ceux qui sont pénitents, ou de ses Châtiments ceux qui pleurent leur faute, et gémissent sur elle, leur promet au contraire son Indulgence et son Pardon. Aussi le Seigneur dans son évangile proclame-t-Il bienheureux ceux qui pleurent parce que celui qui pleure appelle la compassion, celui qui est obstiné et orgueilleux accumule sur lui la colère et les châtiments du jugement qui vient. Voilà pourquoi, frère très cher, ceux qui ne font pas pénitence, qui ne montrent pas qu'ils regrettent leur faute de tout leur coeur, et ne donnent pas des marques manifestes de leur désolation, nous avons estimé qu'il y avait lieu de leur refuser tout espoir de communion et de paix, au cas où ils imploreraient leur pardon étant malades et en péril de mort, parce que leur demande ne procède pas du regret de leur faute, mais de la pensée de la mort qui approche; et celui-là n'est pas digne d'être consolé au moment de la mort, qui n'a point pensé qu'il mourrait.

Pour ce qui est de Novatien, frère très cher, vous désirez savoir quelle hérésie il a introduite. Sachez d'abord que nous ne devons même pas être curieux de connaître ce qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Église. Quel que soit ce personnage, quelle que soit sa qualité, il n'est pas chrétien, n'étant pas dans l'Église du Christ. Il a beau se vanter, et exalter en termes orgueilleux sa science, ou son éloquence, n'ayant pas conservé la charité fraternelle, ni l'unité de la société chrétienne, il a perdu sa qualité antérieure. A moins qu'il ne soit encore un évêque à vos yeux, lui qui, alors qu'un évêque a été élu dans l'Église par seize évêques, s'efforce par la brigue de se faire donner un épiscopat adultère et étranger par des gens qui ont quitté l'Église ! Alors qu'il n'y a, de par l'institution du Christ, qu'une Église unique répandue en plusieurs membres dans le monde entier, un épiscopat unique représenté par une multiplicité d'évêques unis entre eux, il s'efforce, malgré l'enseignement de Dieu, malgré l'unité de l'Église dans la diversité de ses parties partout liées et adhérentes, de faire une église humaine ! Il envoie en un grand nombre de villes de nouveaux apôtres de son choix et jette les fondements d'une institution nouvelle. Alors que, depuis longtemps, dans toutes les provinces et dans chaque cité des évêques ont été ordonnés, d'âge avancé, de foi entière, trouvés fidèles dans l'épreuve, proscrits dans la persécution, il ose faire et mettre au-dessus d'eux d'autres évêques, qui sont de faux évêques - comme s'il pouvait faire faire le tour du monde aux nouvelles cabales de son opiniâtreté, ou rompre l'assemblage du corps de l'Église en y jetant ses germes de discorde ! Il ignore sans doute que les schismatiques sont toujours pleins d'ardeur dans les débuts, mais qu'ils ne peuvent pas prendre d'accroissement, ni développer leurs entreprises illégitimes, et qu'ils tombent tout d'un coup avec leur cabale perverse. Il ne pourrait d'ailleurs garder le pouvoir épiscopal, même nommé régulièrement, s'il en venait à rompre avec le corps de ses collègues et avec l'unité de l'Église, puisque l'Apôtre nous avertit de nous supporter les uns les autres, pour ne pas nous écarter de l'unité que Dieu a établie, et qu'il dit : " ... Vous supportant réciproquement avec charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix". Celui donc qui n'observe ni l'unité de l'esprit, ni le lien de la paix, et se sépare de l'Église et du collège des évêques, ne peut avoir ni le pouvoir, ni l'honneur épiscopal, puisqu'il n'a voulu garder ni l'unité, ni la paix de l'épiscopat.

Et puis, quelle arrogance orgueilleuse, quel manque d'humilité et de douceur, quelle outrecuidante présomption, d'oser entreprendre ou de se croire capable de faire ce que le Seigneur n'a pas accordé aux apôtres eux-mêmes, de penser, dis-je, que l'on est capable de discerner la zizanie du blé, ou, comme si l'on avait été autorisé à porter le van et à nettoyer l'aire, d'entreprendre la séparation de la paille d'avec le froment ! Comment oser, lorsque l'Apôtre dit : "Dans une grande maison, il y a non seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre cuite", comment oser paraître choisir les vases d'or et d'argent, et mépriser, rejeter, condamner les vases de bois et de terre cuite, alors que c'est seulement au Jour du Seigneur que les vases de bois doivent être brûlés à la flamme du Feu divin, et les vases de terre cuite brisés par celui à qui a été remis la verge de fer ?

Au moins, si l'on s'établit scrutateur du coeur et des reins, qu'en tout on montre une justice égale, et puisqu'on sait qu'il est écrit : "Vous voilà guéri désormais, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive pire", que l'on éloigne d'auprès de soi et de sa compagnie les voleurs et les adultères, puisque le cas de l'adultère est beaucoup plus grave et plus mauvais que celui du libellatice. L'un, en effet, a péché contraint, l'autre, de son plein gré; l'un, estimant suffisant de ne point sacrifier, a été le jouet d'une erreur, l'autre s'emparant de l'épouse d'autrui, ou allant au lupanar, a souillé détestablement, dans la fange d'un cloaque, d'un bourbier populacier, un corps sanctifié et devenu le temple de Dieu, selon le mot de l'Apôtre : "Tout autre péché, que l'homme commet, n'intéresse pas le corps : celui qui commet l'adultère pèche contre son corps même". Pourtant à ceux-là aussi, on accorde la pénitence et le droit d'espérer satisfaire par leurs larmes, selon la parole du même apôtre : "Je crains qu'en arrivant auprès de vous je n'aie à pleurer un bon nombre de ceux qui ont péché antérieurement et n'ont point fait pénitence de leurs impuretés, fornications et turpitudes".

Que les nouveaux hérétiques ne se flattent point en disant qu'ils ne communiquent pas avec les idolâtres puisqu'il y a chez eux des adultères et des voleurs qui tombent sous l'accusation d'idolâtrie, selon la parole de l'Apôtre : "Sachez-le bien : aucun débauché, aucun impudique, aucun voleur, n'a part à l'héritage du royaume du Christ et de Dieu"; et encore : "Mortifiez vos membres terrestres, laissant là fornication, impureté, mauvais désirs, et cupidité, qui sont service des idoles, et pour lesquels vient la colère de Dieu". Car, puisque nos corps sont les membres du Christ, et que chacun de nous est temple de Dieu, quiconque déshonore par un usage adultère le temple de Dieu, déshonore Dieu, et quiconque en commettant des péchés fait la volonté du diable, sert les démons et les idoles. Les mauvaises actions ne procèdent pas, en effet, de l'Esprit saint, mais de l'inspiration de l'adversaire, et c'est de l'esprit impur que viennent les désirs qui font prendre parti contre Dieu, et servir le diable. Dès lors, s'ils disent qu'un fidèle est souillé par la faute d'un autre, et s'ils prétendent sérieusement que l'idolâtrie de celui qui pèche passe à celui qui ne pèche pas, ils ne peuvent, d'après leur propre parole, échapper à l'accusation d'idolâtrie, puisqu'il est établi par l'Apôtre que les adultères et les voleurs, avec lesquels ils communiquent, sont des idolâtres. Pour nous, suivant notre foi, et la forme donnée par l'enseignement divin, nous tenons pour vérité que la faute ne tient que celui-là même qui la commet, et qu'on ne peut pas être responsable pour un autre, vu que le Seigneur nous avertit en disant : "La justice du juste sera sur lui, et le crime du criminel sera sur lui"; et encore : "Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères. Personne ne mourra que pour sa propre faute". Nous en tenant à ce que nous lisons là, nous ne croyons pas que personne doive être forclos du fruit de la satisfaction et de l'espoir de la paix, sachant de par l'autorité même et les encouragements de Dieu attestés par l'Écriture divine que les pécheurs sont invités à faire pénitence, et que l'indulgence et le pardon ne sont pas refusés à ceux qui les demandent.

O dérision préjudiciable aux frères que l'on dépouille, ô piège à faire tomber des malheureux qui pleurent, ô enseignement vain et inopérant d'institution hérétique : exhorter à la pénitence pour satisfaire, et ôter à la satisfaction son efficacité médicinale, dire à nos frères : "Pleurez, versez des larmes, gémissez jours et nuits, et, pour laver et effacer votre faute, faites des oeuvres généreusement, fréquemment : après tout cela vous mourrez hors de l'Église. Vous ferez tout ce qui a rapport à la paix, mais cette paix que vous cherchez, vous ne l'aurez aucunement". Qui donc dans ces conditions ne périrait tout de suite ? Qui ne succomberait au seul désespoir ? Qui ne détournerait son coeur de la pensée de la pénitence ? Vous croyez qu'un paysan travaillera si vous lui dites : "Travaillez votre champ avec toute votre habileté d'agriculteur, apportez le plus grand soin à vos cultures, mais vous ne récolterez pas de moisson, vous ne ferez pas de vendange, vous ne retirerez rien de vos oliviers, vous ne cueillerez pas de fruits sur vos arbres". Ou encore c'est comme si vous conseilliez à quelqu'un de se rendre propriétaire de navires et d'en faire usage, en lui disant : "Achetez du bois des meilleures forêts, faites un bateau de chêne solide et choisi, gouvernail, amarres, voiles, ayez soin que rien ne manque à l'équipement et à l'armement du navire, mais quand vous aurez fait cela, renoncez à voir quelque avantage vous revenir de ses voyages et de ses courses".

C'est fermer d'avance et couper le chemin des regrets et la voie du repentir; c'est vouloir que, malgré le bon accueil que le Seigneur Dieu dans l'Écriture réserve à ceux qui reviennent à lui et se repentent (6), notre dureté et notre cruauté, en supprimant le fruit de la pénitence, suppriment la pénitence elle-même. Si nous trouvons que personne ne doit être empêché de faire pénitence, et que ceux qui prient le Seigneur de leur pardonner et implorent sa Miséricorde, peuvent, en raison de sa Miséricorde et de sa Bonté, être admis à la paix par les évêques, il y a lieu d'accueillir les gémissements de ceux qui pleurent, et de ne pas refuser à ceux qui ont regret de leur faute le fruit de la pénitence. Il n'y a plus de confession sous la terre et l'on n'y peut plus faire d'exomologèse. Donc ceux qui se repentent de tout coeur, et demandent à rentrer en communion doivent être admis provisoirement dans l'Église et y être réservés au Jugement de Dieu, qui devant venir à son Église y jugera ceux qu'Il y aura trouvés. Mais les apostats et les déserteurs, les adversaires et les ennemis, ceux qui émiettent l'Église de Dieu, même s'ils étaient mis à mort pour le Nom du Christ, ne peuvent selon l'Apôtre être admis à la paix de l'Église, attendu qu'ils n'ont conservé ni l'unité de l'esprit, ni celle du corps de l'Église.

Voila, frère très cher, en attendant, quelques points sur un grand nombre, que j'ai parcourus aussi brièvement que je l'ai pu, tout à la fois pour satisfaire à votre désir, et pour vous unir de plus en plus à notre collège et à notre corps. Mais si l'occasion et le moyen s'offrent à vous de venir auprès de nous, nous pourrons conférer davantage, et nous occuper plus pleinement et plus largement de ce qui peut favoriser la concorde salutaire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

 

(1) Au concile du printemps de 251.

(2) Fabianus était décédé en janvier (250). L'élection de Corneille eut lieu dans la première quinzaine de mars.

(3) L'empereur Dèce.

(4) Le tyran fut tué dans une guerre, sur les bords du Danube, en 251.

(5) Le "libellatice" est celui qui, sans avoir sacrifié, a reçu un "libellus", billet certifiant qu il l'a fait.

(6) L'invitation à la pénitence et la promesse du Pardon divin reviennent en effet souvent dans la Bible, soit en paraboles, comme celle de l'enfant prodigue (Lc 15,10-32), soit directement exprimées.
 
 

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LETTRE 56

 
 

CYPRIEN A FORTUNATUS, AHYMNUS, OPTATUS,
 

PRIVATIANUS, DONATULUS, SES FRERES, SALUT.

 

Vous m'avez écrit, frères très chers, que pendant votre séjour dans la ville de Capsa (1) pour l'ordination d'un évêque, des nouvelles vous avaient été apportées par Superius, notre frère et collègue, au sujet de nos frères Ninus, Clementianus et Plorus qui avaient été arrêtés pendant la persécution. En confessant le Nom du Seigneur ils avaient d'abord triomphé de la violence du magistrat et de l'assaut d'un peuple furieux. Soumis ensuite, devant le proconsul (2), à des peines plus graves, ils ont été domptés par la violence des tourments, et cédant à des supplices prolongés, ils ont déchu du haut degré de gloire où ils tendaient, dans la plénitude de leur force et de leur courage. Cependant après cette chute grave, non volontaire mais forcée, ils n'ont cessé depuis trois ans de faire pénitence. Vous avez cru devoir nous consulter pour savoir s'il était permis de les admettre dès maintenant à la communion.

A dire vrai, pour ce qui est de mon sentiment intime, je crois que la Miséricorde du Seigneur ne leur manquera pas. Il est établi, en effet, qu'ils ont été au combat, qu'ils ont confessé le Nom du Seigneur, vaincu la violence des magistrats et l'assaut d'un peuple furieux en y opposant une fidélité inébranlable, ils ont souffert l'emprisonnement, résisté longtemps au milieu des menaces du proconsul et des rugissements du peuple qui les entourait, aux supplices qui les déchiraient, et dont la répétition prolongée faisait un vrai crucifiement. Ainsi ce qui, au dernier moment, leur a été soustrait par l'infirmité de la chair, se trouve compensé par leurs précédents mérites, et c'est assez, je pense, pour de tels chrétiens d'avoir perdu leur gloire, sans que nous ayons à les exclure du pardon, et à les priver de la bonté paternelle et de notre communion. Nous estimons donc qu'il peut leur suffire d'avoir gémi pendant trois ans constamment et douloureusement, avec toutes les marques du repentir. Du moins, je ne crois pas que ce soit accorder la paix imprudemment et à la légère, que de l'accorder à ceux dont nous voyons que la bravoure antérieurement ne s'est pas dérobée à la lutte, et qui peuvent, si la bataille se livre de nouveau, recouvrer leur gloire. Puisque le Concile (3) a décidé que ceux qui font pénitence seront secourus en cas de danger causé par la maladie, et qu'on leur donnera la paix, ceux-là doivent à coup sûr passer d'adord, quand il s'agit de recevoir la paix, qui ne sont pas tombés par lâcheté, mais qui, ayant combattu et reçu des blessures, n'ont pu, à cause de la faiblesse de la chair, porter jusqu'au bout la couronne de leur confession glorieuse. Souhaitant de mourir, il ne leur fut pas donné d'être mis à mort, et les tortures, après tant de résistance, les meurtrirent jusqu'au moment où elles eurent, non point vaincu la foi qui est invincible, mais lassé la chair, qui est faible.

Cependant, puisque vous m'avez demandé de traiter de ce même objet à fond avec d'autres collègues, une chose si importante réclame, en effet, une étude plus approfondie et plus sérieuse, ou plusieurs mettent leurs lumières en commun. Mais, d'autre part, presque tous, en ce début des fêtes de Pâques, demeurent chez eux avec les frères. Quand donc ils auront satisfait au devoir de célébrer ces solennités, et seront venus auprès de moi, je m'en entretiendrai plus à fond avec chacun d'eux. De cette manière, nous prendrons un parti ferme et vous transmettrons un avis émanant de plusieurs évêques. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

 

(1) Capsa, en Byzacène (Gafsa).

(2) La persécution semble s'être aggravée à l'arrivée du proconsul, en avril.

(3) A l'assemblée du printemps.
 
 

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LETTRE 57 (4)

 

CYPRIANUS, LIBERALIS, CALDONIUS, NICOMEDES, CAECICILIUS, JUNIUS, MARRUTIUS, FELIX, SUCCESSUS, FAUSTINUS, FORTUNATUS, VICTOR, SATURNINUS, UN AUTRE SATURNINUS, ROGATIANUS, TERTULLUS, LUCJANUS, SATTIUS, SECUNDINUS, UN AUTRE SATURNINUS, EUTYCHES, AMPLUS, UN AUTRE SATURNINUS, AURELIUS, PRISCUS, HERCULANEUS, VICTORICUS, QUINTUS, HONORATUS, MANTHANEUS, HORTENSIANUS, VERIANUS, JAMBUS, DONATUS, POMPONIUS, POLYCARPUS, DEMETRIUS, UN AUTRE DONATUS, PRIVATIANUS, FORTUNATUS, ROGATUS ET MONNULUS, A CORNEILLE LEUR FRERE, SALUT.

 

Nous avions décidé (5), frère très cher, après en avoir délibéré entre nous, que ceux qui, au cours des hostilités de la persécution, avaient été renversés par l'adversaire, feraient longtemps pénitence plénière; et que s'ils étaient mis en danger par le mauvais état de leur santé, ils recevraient la paix sous le coup de la mort. En effet, il n'eût pas été légitime - et la bonté paternelle, la Clémence de Dieu s'y serait <opposée - de fermer l'Église à ceux qui frappaient à la porte, ni de refuser a ceux qui pleuraient et demandaient pardon le secours des espérances salutaires, en les laissant partir vers le Seigneur sans la communion et la paix. Lui-même n'a-t-Il pas permis et réglé, que ce qui aurait été lié sur la terre serait aussi lié dans le ciel, et que là pourrait être pardonné ce qui l'aurait d'abord été ici dans l'Église ? Mais, de plus, nous voyons que le jour de nouvelles hostilités approche (6); des signes nombreux, continuels nous avertissent d'être armés, équipés pour la guerre que l'ennemi nous déclarer de préparer aussi par nos exhortations le peuple que Dieu a daigné nous confier, et de rassembler dans le camp du Seigneur tous les soldats sans exception qui demandent des armes et réclament le combat. Cédant donc à cette nécessité, nous avons été d'avis que ceux qui ne se sont pas éloignés de l'Église du Seigneur et qui n'ont pas cessé de faire pénitence, de pleurer et de demander pardon au Seigneur depuis le premier jour de leur chute, doivent recevoir la paix, et être armés et équipes pour le combat qui est imminent

Il faut, en effet, obéir aux signes et aux avertissements fondés; ainsi les pasteurs n'abandonneront pas leurs brebis au péril, mais plutôt tout le troupeau sera réuni, et les soldats du Seigneur armés pour les combats de la guerre spirituelle. C'était avec raison qu'on prolongeait plus longtemps la pénitence des repentants, en venant au secours des malades seulement au moment de la mort, quand régnaient le calme et la tranquillité qui permettaient de faire attendre les larmes de ceux qui pleuraient, et de ne venir à leur secours que tard, lorsque la maladie les mettait en danger de mort. Mais, maintenant, ce n'est pas à des infirmes, mais à des forts que la paix est nécessaire; ce n'est pas à des mourants, mais à des vivants que la communion doit être rendue. De cette manière, ceux que nous excitons et animons au combat ne resteront pas sans armes et découverts, mais seront protégés par le Corps et le Sang du Christ; l'Eucharistie devant être une défense à ceux qui la reçoivent, ceux que nous voulons voir défendus contre l'adversaire seront munis du secours de la nourriture dominicale. Comment les instruire et les inviter à répandre leur sang en confessant le Nom du Christ, si nous leur refusons le Sang du Christ quand ils vont combattre ? Comment les rendre capables de boire à la coupe du martyre, si nous ne les admettons pas d'abord à boire dans l'Église la coupe du Seigneur en vertu du droit attaché à notre communion ?

Des distinctions doivent être faites, frère très cher. Ceux qui ont apostasié et qui, retournés au monde auquel ils avaient renoncé, y vivent en païens, ceux qui, transfuges passés à l'hérésie, prennent tous les jours contre l'Église des armes parricides, ne sauraient être traités comme ceux qui ne quittent pas le seuil de l'Église, implorant constamment et avec larmes les consolations de la paternelle bonté divine, déclarant être prêts pour le combat, et debout pour le Nom de leur Seigneur et pour leur salut. Dans les conjonctures présentes, nous donnons la paix non à ceux qui dorment, mais à ceux qui veillent; nous donnons la paix non pour qu'on vive dans les délices, mais sous les armes; nous donnons la paix non pour le repos, mais pour le combat. Si, conformément à ce que nous entendons dire et que nous souhaitons, ils restent vaillamment debout, et, avec nous, jettent par terre l'adversaire dans la lutte, nous n'avons pas de regret d'avoir donné la paix à de tels courages; bien mieux, c'est un grand honneur pour notre épiscopat et une gloire d'avoir donné la paix à des martyrs, puisque ainsi, en évêques qui célébrons quotidiennement le sacrifice divin, nous avons préparé à Dieu des victimes et des hosties. Si au contraire (que Dieu détourne ce malheur de nos frères !) quelqu'un des lapsi, nous trompe, demandant la paix hypocritement et au moment où la lutte menace, se faisant réadmettre dans notre communion sans être disposé à lutter, c'est lui-même qu'il trompe et qu'il joue, lui qui cache une chose dans son coeur et en a une autre sur les lèvres. Nous, autant qu'il nous est donné de voir et de juger, nous voyons l'extérieur de chacun; quant à sonder le coeur, et à pénétrer l'âme, nous ne le pouvons pas. De cela juge Celui qui sonde les choses cachées et qui en connaît . Il doit bientôt venir et juger des secrets et des mystères du coeur. Les méchants ne doivent pas faire tort aux bons, mais plutôt les bons rendre service aux méchants. Et la paix ne doit pas être refusée à ceux qui rendront témoignage au Christ parce qu'il y en a qui refuseront de le faire : la paix doit être donnée à tous ceux qui porteront les armes; autrement notre ignorance risquerait de laisser de côté tel ou tel qui doit être couronné au terme du combat.

Qu'on ne dise pas : "Celui qui supporte le martyre est baptisé dans son sang; il n'est pas nécessaire qu'il reçoive la paix de l'évêque, lui qui doit avoir la paix de sa gloire et obtenir une plus grande récompense du jugement favorable du Seigneur." D'abord celui-là ne peut pas être apte au martyre que l'Église n'arme pas pour le combat, et le coeur fait défaut que ne remonte pas, que n'enflamme pas la communion eucharistique. Le Seigneur dit dans son évangile : "Quand ils vous auront traduits devant les tribunaux, ne songez pas à ce que vous pourrez dire. Ce que vous aurez à dire vous sera donné à l'heure même. Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Quand Il dit qu'en ceux qui, ayant été traduits, confessent le Nom du Christ, c'est l'Esprit du Père qui parle, comment celui-là pourra-t-il être trouvé prêt et apte à la confession qui n'a pas auparanant, en recevant la paix, recouvré l'esprit du Père, Lequel parle Lui-même pour confirmer ses serviteurs, et confesse en nos personnes. Puis, s'il laisse tous ses biens pour fuir, et qu'étant en un endroit caché et solitaire, il tombe entre les mains de brigands, ou meure de langueur et de fièvres, ne vous sera-t-il pas imputé à crime qu'un si bon soldat, qui a abandonné tout ce qu'il avait, et a négligé maison et parents ou enfants pour suivre le Seigneur, meure sans la paix et en dehors de la communion ? Est-ce qu'une accusation ou de négligence lâche ou de dureté cruelle ne sera pas portée contre nous les pasteurs, pour n'avoir voulu ni soigner pendant la paix, ni armer pendant la guerre, des ouailles à nous confiées et commises à nos soins ? Est-ce que le Seigneur ne nous adressera pas le reproche qu'Il crie par la bouche de son prophète : "Vous buvez le lait et vous vous revêtez de la laine; vous tuez les brebis grasses sans paître le troupeau; à ce qui était débile, vous n'avez pas cherché à rendre des forces, ni la santé à ce qui était malade; à ce qui était meurtri, vous n'avez pas appliqué de bandage; ce qui s'écartait, vous ne l'avez pas rappelé, et ce qui s'était perdu, vous ne l'avez pas recherché; ce qui était fort, vous l'avez accablé de fatigue, et mes brebis se sont dispersées, parce qu'il n'y a point de pasteurs, et elles sont devenues la proie de toutes les bêtes sauvages, et il n'y a eu personne pour aller à leur recherche, et les rappeler. En conséquence voici ce que dit le Seigneur : "Voici que je viens aux pasteurs; je leur redemanderai mes brebis et les leur retirerai des Mains, de manière qu'ils ne les paissent plus; désormais, ils n'en seront plus les pasteurs; J'arracherai mes brebis à leur bouche pour les paître Moi-même avec justice". (Ez 34,3-6 et 10,16).

Afin donc qu'à notre bouche, qui, en refusant la paix, montre plutôt la rigueur d'une cruauté humaine que la Bonté de la Paternité divine, les brebis à nous confiées ne soient point arrachées par le Seigneur, nous avons pris des résolutions, sous l'inspiration du saint Esprit. D'après les avertissements du Seigneur à nous donnés par des visions répétées et très claires, en raison de l'attaque de l'ennemi qui nous est annoncée et montrée comme imminente, nous avons décidé de rassembler dans le camp les soldats du Christ. et, chaque cas particulier examine, de donner la paix a ceux qui sont tombés dans le combat, ou plutôt de fournir des armes à ceux qui vont combattre. Nous espérons que la pensée de la Bonté du Père céleste vous fera approuver notre décision. Que si, parmi nos collègues il s'en trouve un pour penser qu'à l'approche de la lutte il ne faut pas donner la paix aux frères et aux soeurs, il rendra compte au Seigneur au jour du jugement, de ce qu'il montre ou de sévérité inopportune, ou de dureté inhumaine. Pour nous, conformément à ce que réclamait la foi, la charité, la sollicitude de l'heure, nous avons fait connaître ce que nous savions : que le jour de la lutte approchait, qu'un ennemi violent allait se lever contre nous, qu'un combat venait, non point tel que le précédent, mais beaucoup plus violent et plus acharne, que l'annonce nous en était faite fréquemment de la part de Dieu, que la Providence, la Bonté du Seigneur nous en donnait l'avis réitéré. De son Secours et de sa Bienveillance nous pouvons être assurés, nous qui avons confiance en Lui. Il annonce à ses soldats qu'il y aura bataille, il leur donnera, quand ils se battront, la victoire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(4) Cette lettre synodale émane du concile de 252.

(5) On avait pris cette résolution au concile du printemps, en 251.

(6) La persécution qu'on redoutait était celle de Gallus.
 
 

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LETTRE 58

 
 

CYPRIEN AUX FIDELES DE THIBARIS (7), SALUT.

 

J'avais pensé, mes frères très chers, et voulais, si les affaires et le temps le permettaient, aller en personne, selon le désir que fréquemment vous aviez exprimé, auprès de vous, pour encourager, vaille que vaille, votre communauté par mes paroles. Mais je suis tellement retenu par des affaires urgentes, qu'il ne m'est pas possible de m'éloigner beaucoup d'ici, ni de quitter longtemps, le peuple à la tête duquel nous a mis la divine Bonté : je vous envoie donc, en attendant, cette lettre à ma place. Recevant souvent des inspirations, avis que Dieu daigne nous envoyer, nous avons voulu porter à votre connaissance les inquiétudes que nous donnent ces avertissements. Vous devez donc savoir et tenir pour certain que la persécution est suspendue sur nos têtes, que ce jour vient, que la fin du monde et le temps de l'Antichrist approchent. Ainsi nous devons tous nous tenir près pour le combat, ne penser à rien qu'à la gloire de la vie éternelle et à sa couronne de la confession du Seigneur, sans nous imaginer, d'ailleurs, que ce qui vient est tel que ce qui est passé. Un combat plus sérieux et plus acharné est imminent  : les soldats du Christ doivent s'y préparer avec un robuste courage considérant que chaque jour le calice du sang du Christ leur est donné à boire, afin qu'ils soient en état de verser eux-mêmes leur sang pour le Christ. On veut en effet être trouvé avec le Christ, quand on reproduit ce que le Christ a enseigné et a fait, selon la parole de l'apôtre Jean : "Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ, il doit marcher lui-même comme le Christ a marché". (Jn 2,6). De même l'apôtre Paul nous exhorte et nous instruit en disant : "Nous sommes les enfants de Dieu; si nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers et les cohéritiers du Christ, à condition que nous souffrions avec Lui pour être glorifiés avec Lui". (Rom 8,16-17).

C'est tout cela que nous devons considérer, afin que personne ne regrette rien du monde qui va périr, mais qu'on suive le Christ, qui vit éternellement, et fait vivre ses serviteurs qui ont foi en son Nom. Le temps vient, en effet, mes très chers, que le Seigneur a prédit depuis longtemps et dont Il nous a annoncé l'approche en disant : "Une heure viendra, où quiconque vous fera mourir croira honorer Dieu. Mais ils feront ainsi parce qu'ils n'ont connu ni mon Père ni Moi. Mais je vous ai dit ces choses, afin que, quand viendra leur heure, vous vous souveniez que Je vous l'ai prédite". (Jn 16,2-4). Que personne ne s'étonne que nous soyons assaillis de persécutions constantes, que des alarmes nous inquiètent sans cesse. Le Seigneur nous a prédit d'avance que cela aurait lieu à la fin des temps. Il nous a formés à notre service de soldats par l'enseignement et l'encouragement de sa parole. L'apôtre Pierre aussi nous a appris que les persécutions ont lieu afin que nous soyons éprouvés, et qu'à l'exemple des justes qui nous ont précédés, nous soyons, nous aussi, unis par la mort et la souffrance à la charité de Dieu. Il a mis, en effet, ceci dans son épître : "Mes très chers, ne vous étonnez pas de l'incendie qui s'allume peur vous, il a pour but de vous éprouver, et ne vous découragez pas comme s'il vous arrivait quelque chose d'extraordinaire. Mais toutes les fois que vous avez part aux Souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin qu'à la manifestation de sa Gloire, vous tressailliez de joie. Si l'on vous outrage pour le Nom du Christ, vous êtes heureux, parce que le Nom du Seigneur, un Nom de majesté et de puissance, repose sur vous, et qu'il est par eux en blasphème, par vous en honneur." (Pi 4,12-14). Les apôtres n'ont fait que nous enseigner ce qu'ils avaient appris de l'enseignement dominical, et des instructions venues du ciel, le Seigneur Lui-même confirmant leur parole et disant : "Il n'est personne qui, abandonnant sa maison, son champ, ses parents, ses frères ou ses soeurs, ou son épouse pour le royaume de Dieu, ne reçoive sept fois autant dès ce monde et dans le siècle à venir la vie éternelle". (Lc 18,29-30). Et encore : "Heureux serez-vous, quand les hommes vous prendront en haine, vous écarteront, vous chasseront et maudiront votre nom à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d'allégresse car voici que votre récompense est grande dans le ciel". (Lc 6,22-23).

Le Seigneur a voulu que nous nous réjouissions et que nous tressaillions dans les persécutions, parce que quand les persécutions viennent, c'est alors que se donnent les couronnes de la foi, alors que font leurs preuves les soldats du Christ, alors que les cieux s'ouvrent aux martyrs. Nous ne nous sommes pas engagés dans la milice pour ne penser qu'à la paix, refuser le service et nous y dérober, quand le Seigneur, le Maître de l'humilité, de la patience, de la souffrance, a fourni Lui-même avant nous le même service. Ce qu'Il a enseigné, Il a commencé par le faire, et nous exhortant à souffrir, Il a auparavant souffert Lui-même pour nous. Ayons devant les yeux, frères très chers, que Celui que le Père a constitué seul juge, et qui viendra juger, a déjà fait connaître le sens dans lequel il jugera et conduira son enquête future. Il a prédit et proclamé qu'Il confesserait devant son Père ceux qui Le confesseraient et qu'Il renierait ceux qui Le renieraient. Si nous pouvions échapper à la mort, nous craindrions, à bon droit, de mourir. Mais puisqu'il est inévitable qu'un mortel meure, saisissons l'occasion que nous offre la divine promesse et la divine Bonté; subissons la mort, pour recevoir l'immortalité, et ne craignons pas d'être tués, puisqu'il est sur que quand on nous tue, on nous couronne.

Et que personne, frères très chers, en voyant le peuple de nos frères mis en fuite par la crainte de la persécution, et dispersé, ne se trouble de ne plus les trouver réunis, et de n'entendre plus les évêques les instruire. Nous ne pouvons être tous ensemble, nous qui n'avons pas le droit de donner la mort, et qui ne pouvons pas ne pas la recevoir. En ces jours, chacun de nos frères peut se trouver, provisoirement et par la force des circonstances, séparé, non d'esprit mais de corps, du troupeau : qu'il ne se laisse pas émouvoir par l'horreur de cet exil; où qu'il se trouve éloigné et caché, que la solitude ne l'épouvante pas. Il n'est pas seul celui que le Christ accompagne dans sa fuite; il n'est pas seul celui qui, conservant le temple de Dieu ou qu'il soit, n'est jamais sans Dieu. Et, si pendant qu'il fuit dans la solitude et la montagne, il est tué par un brigand, attaqué par un fauve, accablé par la faim, la soif, ou le froid, ou, si pendant qu'il se hâte sur les mers dans une navigation précipitée, la tempête et la tourmente le font périr dans les flots, le Christ a les yeux sur son soldat, où qu'il combatte; quand il meurt dans la persécution, pour l'honneur de son Nom, Il lui donne la récompense qu'Il a promis de donner au jour de la résurrection. La gloire du martyre n'est pas moindre de ne pas mourir publiquement et devant beaucoup de monde, quand la raison de mourir est de mourir pour le Christ. L'attestation du martyre est suffisante, quand il a pour témoin Celui-là même qui éprouve les martyrs, et les couronne.

Imitons, frères très chers, Abel le juste, qui inaugura le martyre en subissant le premier la mort pour la justice. Imitons Abraham, cet ami de Dieu, qui n'hésita pas à offrir de ses propres mains son fils comme victime, obéissant à Dieu avec une foi dévouée. Imitons les trois enfants, Ananias, Azarias, Misaël, qui, sans se laisser effrayer par leur âge, ni décourager par la captivité, lorsque la Judée eut été vaincue, et Jérusalem prise, vainquirent un roi dans son propre royaume par la vaillance de leur foi. Sommés d'adorer la statue qu'avait fait édifier le roi Nabuchodonosor, ils se montrèrent plus forts que les menaces du roi et que les flammes, faisant cette déclaration et attestant leur foi par ces paroles : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera de vos mains. Et quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue que vous avez fait élever". (Dan 3,16-18). Ils croyaient selon la foi, qu'ils pouvaient échapper, mais ils ajoutèrent "quand même cela ne serait pas", afin de faire savoir au roi qu'ils pouvaient aussi mourir pour le Dieu qu'ils honoraient. C'est là du courage et de la foi : croire et savoir que Dieu peut nous délivrer de la mort qui menace, et cependant ne pas craindre la mort et ne pas céder, pour donner une plus grande preuve de sa foi. La vigueur incorruptible et invincible de l'Esprit saint a éclaté par leur bouche et l'on voit la vérité de ce que le Seigneur a proclamé dans son évangile : "Quand on vous aura arrêtés, ne songez pas à ce que vous direz. Ce, que vous aurez à dire vous sera donné à l'heure même. Ce n'est pas vous, en effet, qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Il a dit que la manière dont nous devons parler et répondre nous sera donnée et suggérée par Dieu à l'heure même, et que ce n'est pas nous qui parlons, mais l'Esprit de Dieu notre Père. Ce Dieu ne S'éloigne point et ne Se sépare point de ceux qui Le confessent, c'est Lui même qui parle et qui est couronné en nous. Ainsi, encore, Daniel, comme on le sommait d'adorer l'idole de Bel, au moment où tout le peuple et le roi l'adoraient, voulant rendre honneur à son Dieu, éclata en paroles pleines de foi et de liberté : "Je n'honore que le Seigneur, mon Dieu, qui a créé le ciel et la terre". (Dan 14,4).

Dans l'histoire des Macchabées, les supplices douloureux des bienheureux martyrs, les tourments multiples des sept frères, et cette mère qui anime ses fils, et meurt elle-même avec eux, ne nous donnent-ils pas des exemples de grand courage et de grande foi ? Ne nous excitent-ils pas, par les souffrances qu'ils endurèrent, au triomphe du martyre. Et les prophètes à qui l'Esprit saint donna la connaissance de l'avenir, et les apôtres que le Seigneur avait choisis, est-ce que, en se laissant mettre à mort, ces justes ne nous apprennent pas à mourir à notre tour pour la justice ? La Naissance du Christ fut aussitôt marquée par des martyres d'enfants, ceux qui avaient deux ans et au-dessous étant égorgés à cause de son Nom. Un âge impropre au combat fut en état de conquérir la couronne. Pour qu'il fût bien établi que ceux-là sont innocents qui se font égorger pour le Christ, l'enfance innocente fut mise à mort à cause de son Nom. Il fut bien montré que personne n'est exempt de la persécution, lorsque meure des enfants de cet âge subirent le martyre. Combien le cas serait grave pour un serviteur portant le nom de chrétien de ne pas vouloir souffrir quand son Maître, le Christ, a souffert le premier; combien lâche pour nous de ne pas consentir à souffrir pour nos péchés, quand Lui, qui n'avait pas de péché propre, a souffert pour nous ! Le fils de Dieu a souffert pour faire de nous des fils de Dieu, et le fils de l'homme ne veut pas souffrir pour continuer d'être fils de Dieu ! Si nous sommes en proie à la haine du monde, le Fils de Dieu l'a éprouvée avant nous; si nous souffrons ici bas des outrages, l'exil, les tourments, l'Auteur, le Maître du monde a souffert un traitement pire encore; et Il nous le rappelle : "Si le monde, dit-Il, vous haït, souvenez-vous qu'il M'a haï d'abord. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait; mais, parce que vous n'êtes pas du monde, et que Je vous ai choisis et tirés du monde, c'est pour cela que le monde vous haït. Souvenez-vous de la parole que Je vous ai dite : Le serviteur n'est pas au-dessus de son maître. S'ils M'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi". (Jn 15,18-20). Notre Maître et notre Dieu a fait tout ce qu'Il a enseigné, de telle façon que le disciple n'est pas excusable, qui reçoit un enseignement et ne fait pas ce qu'on lui enseigne.

Et que personne d'entre vous, frères très chers, ne se laisse tellement effrayer par la persécution qui s'annonce et la venue prochaine de l'Antichrist, qu'il ne trouve plus dans les exhortations évangéliques et les préceptes et les avertissements célestes, des armes contre tous les dangers. L'Antichrist vient, mais après lui vient le Christ. L'ennemi rôde et exerce ses ravages, mais le Seigneur le suit aussitôt et venge nos souffrances et nos blessures. L'adversaire se fâche et fait des menaces, mais il y a quelqu'un qui peut nous tirer de ses mains. Celui-là doit être craint, à la colère de qui personne ne peut échapper, comme il nous en avertit Lui-même : "Ne craignez pas, dit-Il, ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer l'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer le corps et l'âme, en le jetant dans la géhenne". (Mt 10,28). Et encore : "Celui qui aime son âme la perdra, et celui qui hait son âme en ce monde, la sauvera pour la vie éternelle." (Jn 12,25). L'Apocalypse aussi nous met en garde et nous avertit : "Si quelqu'un adore la bête et son image, et en reçoit la marque sur son front et sur la main, il boira du vin de la Colère de Dieu mêlé dans la coupe de sa Colère; il sera puni par le feu et par le soufre sous les yeux des saints anges et de l'Agneau, et la fumée de leur supplice montera dans les siècles des siècles. Il n'aura point de repos le jour ni la nuit, celui qui adore la bête et son image". (Ap 14,9-11).

Pour concourir dans les épreuves agonistiques du siècle, on s'exerce, on s'entraîne, et l'on s'estime fort honoré si, sous les yeux du peuple et en présence de l'empereur, on a eu le bonheur de recevoir la couronne. Voici une épreuve sublime et magnifique, qu'honore l'attribution de la couronne céleste, où Dieu nous regarde combattre, et, étendant ses Regards sur ceux dont Il a daigné faire ses enfants, jouit du spectacle de notre lutte. Pendant que nous sommes martyrisés, et soutenons le combat de la foi, Dieu nous regarde, ses anges nous regardent, le Christ nous regarde. Quelle gloire pour nous, quelle heureuse fortune, d'avoir Dieu pour président de l'épreuve quand nous sommes aux prises, le Christ pour juge du combat quand nous sommes couronnés. Armons-nous, frères très chers, de toutes nos forces, et préparons-nous à la lutte, avec une âme incorruptible, une foi entière, un courage prêt au sacrifice. Que l'armée de Dieu sorte du camp et marche au combat qui nous est offert. Que ceux qui sont restés debout s'arment, afin que celui qui n'a point fléchi garde sa gloire tout entière. Que ceux qui sont tombés s'arment aussi, afin que le tombé recouvre ce qu'il a perdu. Que l'honneur anime les uns, la douleur les autres. Le bienheureux Apôtre nous apprend à nous armer et à nous préparer, quand il dit : "La lutte que nous avons à soutenir n'est point contre des êtres de chair et de sang, mais contre les puissances et les princes de ce monde et de ces ténèbres, contre les esprits de perversité répandus dans les airs. C'est pourquoi revêtez-vous d'une armure entière, afin que vous puissiez résister, au jour mauvais. Ainsi quand vous aurez achevé de vous armer, vous vous dresserez, les reins ceints de vérité, portant la cuirasse de justice, les pieds chaussés, tout prêts à aller annoncer l'évangile de la paix, prenant le bouclier de la foi pour éteindre les traits enflammés de l'ennemi, portant le casque du salut et le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu." (Ep 6,12-17).

Prenons ces armes, revêtons-nous de ces défenses spirituelles et célestes, afin qu'au jour mauvais nous puissions résister aux menaces du diable, et lutter contre lui. Couvrons-nous de la cuirasse de justice, afin que notre poitrine soit armée et défendue contre les traits de l'ennemi, que l'enseignement évangélique soit pour nos pieds une armure défensive, afin, que quand le serpent sera foulé et écrasé, il ne puisse nous mordre ou nous faire tomber. Portons courageusement le bouclier de la foi, afin que sur lui s'émoussent les traits de l'ennemi. Prenons aussi pour en couvrir notre tête le casque spirituel, afin de protéger nos oreilles pour qu'elles n'écoutent point des édits funestes, de protéger nos yeux pour qu'ils se refusent à regarder des statues abominables, de protéger notre front pour que le signe de Dieu y soit gardé sans altération, de protéger notre bouche pour que notre langue confesse victorieusement le Seigneur son Dieu. Armons aussi notre main du glaive spirituel, afin qu'elle repousse avec mépris et sans peur, des sacrifices funestes, et que se souvenant de l'eucharistie où elle reçoit le Corps du Seigneur, elle s'attache à Lui pour recevoir ensuite de Lui la récompense des célestes couronnes.

Quel grand, quel beau jour, frères très chers, que celui où le Seigneur passera la revue de son peuple, et d'un regard divin examinera les mérites de chacun, ou Il enverra les méchants dans la géhenne, et condamnera aux flammes éternelles du feu vengeur ceux qui nous auront persécutés, tandis qu'à nous, Il nous paiera le prix de notre foi et de notre dévouement ! Quelle ne sera pas notre gloire et notre bonheur : être admis à voir Dieu, avoir l'honneur de participer aux joies du salut et de la lumière éternelle dans la compagnie du Christ le Seigneur notre Dieu, rencontrer Abraham, Isaac et Jacob, tous les patriarches, les apôtres, les prophètes, les martyrs, jouir au royaume des cieux dans la compagnie des justes et des amis de Dieu, des joies de l'immortalité acquise, y goûter "ce que l'oeil de l'homme n'a pas vu, ce que son oreille n'a pas entendu, ce que son coeur n'a point éprouvé" ! (1 Cor 2,9). Que nous devions recevoir plus que le juste prix de ce que nous faisons ou souffrons ici-bas, c'est ce que l'Apôtre proclame : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir qui sera manifestée en nous." (Rom 8,18). Quand cette manifestation viendra, quand la gloire de Dieu brillera en nous. nous serons aussi heureux et charmés de l'honneur dont le Seigneur daignera nous combler, que resteront tristes et malheureux ceux qui, abandonnant Dieu ou se révoltent contre Lui, ont fait la volonté du diable, et doivent avec lui être torturés par un feu qui ne pourra s'éteindre.

Que ces pensées, frères très chers, soient bien fixées dans nos esprits. Que ce nous soit une préparation aux armes, un exercice de jour et de nuit, d'avoir devant les yeux, de nous représenter sans cesse, dans notre esprit et dans nos sens, les supplices des méchants, et les récompenses des justes, les peines dont le Seigneur menace ceux qui Le renient, et au contraire la gloire qu'Il promet à ceux qui confessent son Nom. Si le jour de la persécution nous trouve dans ces pensées et dans ces méditations, le soldat du Christ, instruit par ses enseignements et ses avertissements, n'a point peur du combat : il est prêt pour la couronne. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

(7) Thibaris ville de la proconsulaire, aujourd'hui Thibar, près de Teboursouck (Tunisie).
 
 

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LETTRE 59

 
 

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

 

J'ai lu, frère très cher, les lettres que vous m'avez envoyées par notre frère l'acolyte Saturus. Elles sont pleines d'affection fraternelle, d'esprit de discipline ecclésiastique, et de vigueur épiscopale. Vous m'y faites connaître que Felicissimus (8), ennemi du Christ non depuis peu, mais excommunié depuis longtemps a cause de ses crimes particulièrement nombreux et graves, et condamné par une sentence portée non seulement par moi, mais par un grand nombre de mes collègues dans l'épiscopat, a été rejeté par vous à Rome. Venu avec une troupe de factieux et de désespérés, il a trouvé devant lui cette plénitude de vigueur avec laquelle doivent agir des évêques, et vous l'avez chassé de l'Église, d'où il avait été depuis longtemps chassé avec ses semblables par le Dieu tout-puissant, et par le jugement de rigueur du Christ notre Seigneur et notre Juge. Il ne faut pas en effet que ce voleur de l'argent à lui confié, ce corrupteur de vierges, ce ravageur de tant de foyers, continue d'outrager de sa présence infamante, de son contact impur et honteux, l'épouse du Christ qui est pure, sainte et sans tache.

Malheureusement, mon frère, la lecture d'une autre correspondance que vous avez jointe a votre première lettre, m'a passablement étonnée. J'y ai remarque que les menaces et les moyens d'intimidation des gens qui sont allés à Rome ont fait sur vous quelque impression, parce qu'ils vous ont abordé, d'après ce que vous m'écrivez, en vous menaçant en furieux de lire publiquement les lettres qu'ils apportaient, si vous ne les receviez point, et de dire de moi mille choses infamantes, honteuses, dignes de leur bouche. Si les choses en sont à ce point, frère très cher, que l'on ait peur de l'audace des pires individus et que ce qu'ils ne peuvent obtenir par droit et justice, les méchants l'obtiennent par des menaces furieuses et désespérées, c'en est fait de la de la vigueur du gouvernement épiscopal, du pouvoir sublime et divin d'administrer l'Église. Nous ne pouvons pas plus longtemps demeurer chrétiens, si les choses en sont venues à ce point, que nous craignions les menaces ou les embûches de gens perdus de scélératesse. Les Gentils nous menacent, et les Juifs, et les hérétiques et tous ceux dont le diable possède les coeurs et les âmes; chaque jour leur rage se manifeste par des clameurs furieuses. Il ne faut cependant pas céder parce qu'ils menacent, ou bien c'est que l'adversaire et l'ennemi est plus grand que le Christ, puisqu'il exige tant et montre tant d'arrogance dans ce monde. Nous devons conserver, frère très cher, une foi inebanlable, et notre courage doit rester ferme, immobile, opposant à toutes les vagues et à tous les assauts des flots qui mugissent, la force et la stabilité d'un rocher. Il n'importe pas d'ou vient à un évêque la menace ou le danger, puisqu'il vit exposé aux dangers et aux menaces, et que cependant menaces et dangers lui sont une source de gloire. Ce ne sont pas seulement en effet aux menaces des Gentils et des Juifs que nous devons penser et nous attendre, quand notre Seigneur Lui-même a été arrêté par ses frères, et trahi par celui-là même qu'il avait choisi pour en faire un de ses apôtres ; quand nous voyons au commencement du monde le juste Abel assassiné par son frère, Jacob poursuivi par un frère acharné à sa perte, Joseph enfant vendu par ses frères; quand nous lisons aussi dans l'évangile cette prédiction que les gens de la maison en deviendront les ennemis, et que ceux dont les âmes étaient unies par un lien sacré se livreront les uns les autres. Peu importe qui livre ou persécute, quand c'est Dieu qui permet d'être livré et couronné. Ni pour nous ce n'est un déshonneur de souffrir de nos frères ce qu'a souffert Christ, ni pour eux ce n'est une gloire de faire ce qu'a fait Judas. Mais quelle est cette outrecuidance, quelle est, de la part de ceux qui font ces menaces, cette arrogance orgueilleuse et vaine, d'aller me menacer là-bas, quand ils m'ont ici présent à leur disposition. Les injures pour lesquelles ils se déchirent quotidiennement eux-mêmes ne nous effraient pas; les bâtons, les pierres, les glaives que ces parricides ont toujours à la bouche, ne nous font point trembler. Autant qu'il est en eux, ils sont homicides aux Yeux de Dieu. Ils ne peuvent cependant tuer que si Dieu leur permet de tuer. Nous ne devons mourir qu'une fois, et eux cependant, par leur haine, leurs paroles et leurs méfaits, ils nous mettent à mort tous les jours.

Mais, frère très cher, ce n'est pas une raison d'abandonner la discipline ecclésiastique, ou de nous relâcher de notre fermeté dans l'exercice de l'autorité épiscopale, parce que nous sommes en butte à des critiques ou soumis à des procédés d'intimidation. L'Écriture divine est la qui nous dit : "L'homme présomptueux et obstinés, l'homme qui se vante, ne gagnera rien, lui qui enfle son orgueil comme l'enfer." (Hab 2,5). Et encore : "Ne craignez pas les paroles du pécheur, car sa gloire se tournera en excréments et en vers. Il s'élèvera aujourd'hui et demain on ne le trouvera plus. Il sera retourné en sa poussière, et ses pensées se seront évanouies." (1 Mac 2,62-63). Et encore : "J'ai vu l'impie s'exalter et s'élever au-dessus des cèdres du Liban : je n'ai fait que passer, il n'était plus. Je l'ai cherché, et n'en ai plus trouvé la place". (Ps 36,35-36). La superbe, I'orgueil, la prétention arrogante et dédaigneuse, ne vient pas de l'enseignement du Christ,- Il recommande l'humilité -; elle naît de l'esprit de l'antichrist, à qui le Seigneur par son prophète adresse ce reproche : "Tu as dit en ton coeur : Je monterai au ciel, j'établirai mon séjour au-dessus des plus hautes étoiles, je siégerai sur une montagne au-dessus des hautes montagnes, vers l'Aquilon. Je monterai sur les nuées, je serai semblable au Très-Haut". (Is 14,13-16).). Et il ajoute : "Et toi, tu descendras aux enfers dans les fondements de la terre : et ceux qui te verront, s'étonneront de ton sort." L'Écriture divine en un autre endroit menace d'un châtiment pareil ceux qui ressemblent à cet orgueilleux : "Le Seigneur des armées a son jour contre l'insolent et l'orgueilleux, contre celui qui s'enfle et s'élève." (Is 2,12). Ainsi chacun se montre par son langage et ses paroles, et il découvre en parlant si c'est le Christ qu'il a au coeur, ou l'antichrist. C'est ce que le Seigneur dit dans son évangile : "Race de vipères, comment pourriez-vous dire des choses bonnes, étant mauvais ? ce qui sort de la bouche vient de l'abondance du coeur. L'homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l'homme mauvais de son mauvais trésor tire des choses mauvaises". (Mt 12,34-35). Aussi le riche pécheur qui implore le secours de Lazare reposant dans le sein d'Abraham et dans un lieu de rafraîchissement, tandis que lui-même en proie aux tourments est brûlé dans les flammes ardentes, est châtié surtout dans sa bouche et dans sa langue, parce que c'était surtout sa langue et sa bouche qui avaient péché.

Il est écrit : "Ceux qui injurient n'obtiendront pas le royaume de Dieu"; (1 Cor 6,10) et le Seigneur déclare dans son évangile : "Celui qui dira à son frère 'Insensé' et celui qui lui dira 'Raca' (9) sera passible de la géhenne de feu". (Mt 5,22). Comment dès lors ceux-là pourront-ils échapper à la Colère vengeresse du Seigneur qui accablent de tels outrages non seulement des frères, mais même des évêques, à qui Dieu daigne accorder tant d'honneur que quiconque refusait d'obéir à son prêtre, jugeant ici-bas pour un temps, était aussitôt mis à mort ? Dans le Deutéronome en effet, le Seigneur Dieu parle ainsi : "Tout homme qui agira orgueilleusement, n'écoutant point le prêtre ou le juge qui sera en fonction en ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple qui le saura sera saisi de frayeur, et ils ne se comporteront plus en impies à l'avenir". (Dt 17,12-13). De même parlant à Samuel, objet du mépris des Juifs, le Seigneur dit : "Ce n'est pas vous qu'ils ont méprisé, mais c'est Moi qu'ils ont méprisé"; (1 Sam 8,7) et le Seigneur dit encore dans son évangile : "Celui qui vous écoute, M'écoute, et celui qui M'a envoyé, et celui qui vous rejette Me rejette, et celui qui m'a envoyé". (Lc 10,16). Quand Il eut guéri le lépreux : "Va, lui dit-il, et montre-toi au prêtre". (Mt 8,4). Et plus tard, au temps de sa passion, un serviteur du grand-prêtre lui ayant donné un soufflet en lui disant : "C'est ainsi que vous répondez au pontife !" Il ne répondit pas une parole violente à l'adresse du pontife, et n'enleva rien à l'honneur sacerdotal, mais affirmant et montrant davantage son innocence : "Si J'ai mal parlé, dit-Il, reprochez-moi ce que j'ai dit de mal; et si J'ai bien parlé, pourquoi Me frappez-vous ?" (Jn 18,22-23). De même plus tard, dans les Actes des Apôtres, le bienheureux apôtre Paul, à qui l'on venait de dire : "C'est ainsi que vous vous emportez en outrages contre le Grand prêtre", quoique depuis le crucifiement du Seigneur ces prêtres-là fussent devenus des sacrilèges, des impies, des meurtriers, et qu'ils n'eussent plus rien de l'honneur et de l'autorité sacerdotale, cependant, pensant qu'il y avait encore en celui-là le nom, quoique vain, et comme une ombre, de grand-prêtre, Paul lui répondit : "Je ne savais pas, mes frères, qu'il fût pontife. Il est écrit en effet : 'Tu n'outrageras point un prince de ton peuple'." (Ac 23,4-5).

Quand il y a de tels exemples, et beaucoup d'autres de même nature, par où Dieu daigne affirmer l'autorité et la puissance épiscopale, que pensez-vous que soient ceux qui, se faisant les ennemis des évêques, et se mettant en révolte contre l'Église catholique, ne se laissent toucher ni par les menaces de Dieu qui nous avertit, ni par les rigueurs vengeresses du jugement qui doit venir ? Jamais en effet les hérésies n'ont surgi d'ailleurs, jamais les schismes n'ont eu une autre source : c'est toujours qu'on n'obéit pas à l'évêque de Dieu, que l'on ne songe plus qu'il n'y a dans l'Église qu'un évêque, qu'un juge, tenant pour un temps la place du Christ. Si, conformément aux enseignements divines toute la communauté des frères lui obéissait, personne ne remuerait d'intrigues contre le sentiment du collège des évêques, personne n'oserait, après le jugement de Dieu, I'approbation du peuple, l'accord des évêques, s'établir juge non des évêques, mais de Dieu; personne ne déchirerait l'Église en rompant le lien de l'unité; personne n'aurait assez de suffisance et d'orgueil pour s'en aller au dehors fonder une nouvelle secte séparée : à moins que quelqu'un n'ait une témérité si sacrilège, un tel égarement d'esprit, qu'il pense pouvoir se passer du jugement de Dieu pour devenir évêque, alors que le Seigneur dit dans son évangile : "Est-ce qu'on n'a pas deux passereaux pour une obole ? et pourtant aucun d'eux ne tombe à terre sans la volonté de votre Père." (Mt 10,29). Quand Il déclare que les choses les moins importantes n'arrivent pas sans que Dieu le veuille, quelqu'un peut-il penser que les plus hautes et les plus grandes se font dans l'Église de Dieu sans que Dieu le sache ou le permette ? Et ses évêques c'est-a-dire ses intendants, seront-ils établis sans son ordre ? C'est n'avoir point la foi dont nous vivons, c'est ne pas rendre honneur à Dieu, souverain de toutes choses. Assurément des évêques se font sans la volonté de Dieu, mais ce sont ceux qui se font hors de l'église, ceux qui se font contre l'ordre et l'enseignement évangélique, comme le Seigneur Lui-même l'établit en disant dans les Douze Prophètes : "Ils se font un roi, et ce n'est point par moi". (Os 8,4). Et encore : "Leurs sacrifices sont comme un pain de deuil : tous ceux qui en mangent, seront souillés". (Os 9,4). Et par la bouche d'Isaïe aussi l'Esprit saint fait cette déclaration : "Malheur à vous, enfants rebelles. Voici ce que dit le Seigneur : Vous avez tenu conseil sans Moi; vous avez fait une convention sans mon Inspiration; vous accumulez péché sur péché." (Is 30,1).

Au surplus - je le dis, parce que j'y suis provoqué, je le dis avec douleur, je le dis parce que j'y suis forcé - quand un évêque est élu à la place d'un évêque décédé, quand il est choisi en une période de paix par le suffrage du peuple tout entier, quand il est protégé par le secours de Dieu en temps de persécution, uni d'ailleurs dans une même foi avec tous ses collègues, apprécié du peuple durant quatre ans d'épiscopat, aux jours de calme tout entier au service de la discipline, aux jours de tempête porté sur les listes de proscription avec sa qualité d'évêque jointe à son nom, plusieurs fois réclamé pour être exposé au lion dans le cirque, honoré d'un témoignage de Dieu dans l'amphithéâtre, réclamé de nouveau pour le lion par la clameur populaire à l'occasion de sacrifices qu'un édit affiché ordonnait à la population dans les jours même où, j'écrivais cette lettre : Quand un tel évêque, dis-je, frère très cher, est vu en butte aux attaques de quelques désespérés et égarés qui sont hors de l'Église, on sait qui attaque, et que ce n'est pas le Christ, Lui qui établit ou protège les évêques, mais celui qui, étant l'adversaire du Christ et l'ennemi de son Église, ne poursuit un évêque mis à la tête de l'Église que pour pouvoir, en enlevant le pilote, travailler avec plus d'acharnement et de violence à provoquer le naufrage de l'Église elle-même.

Aucun chrétien qui se souvient de l'évangile et retient les recommandations de l'Apôtre, qui nous a prévenus, ne doit se laisser émouvoir, frère très cher, si, à la fin des temps, certains hommes orgueilleux, rebelles et ennemis des évêques de Dieu, ou bien s'éloignent de l'Église, ou bien travaillent contre elle : le Seigneur et ses apôtres ont prédit qu'il y aurait de telles gens à notre époque. Et que l'on ne s'étonne pas que le serviteur établi sur la famille du Maître, soit abandonné de certaines personnes, quand le Maître Lui-même, qui faisait les plus grandes merveilles, et donnait à la Puissance de Dieu son Père le témoignage de ses oeuvres, a été abandonné par ses disciples. Et pourtant, il n'a pas, Lui, fait des reproches ou de graves menaces à ceux qui s'éloignaient, mais se tournant vers ses apôtres, il leur a dit : "Est-ce que vous aussi, vous voulez vous en aller ?" Il a respecté la loi d'après laquelle l'homme, laissé à sa volonté et à son libre arbitre, se porte de lui-même ou à la mort ou au salut. Pierre cependant, sur qui l'Église avait été bâtie par le même Christ, parlant de lui seul pour tous et répondant par la voix de l'Église, lui dit : "A qui irions-nous ? Tu as la parole de la vie éternelle; et nous croyons et nous savons que tu es le Christ, Fils du Dieu vivant". (Jn 6,67-69). Il veut faire entendre que ceux qui s'éloignent du Christ périssent par leur faute; mais que l'Église qui croit au Christ, et qui reste fidèle à ce qu'elle sait, ne s'éloigne jamais de Lui; il montre que ceux-là sont l'Église qui demeurent dans l'Église de Dieu, tandis que ces autres ne représentent pas une plantation faite par le Père, que l'on voit non pas rester en place comme le blé, mais s'agiter au souffle de l'ennemi comme la paille que le vent emporte. C'est d'eux que Jean dit, dans son épître : "Ils se sont séparés de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres; s'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous". (Jn 2,19). De même Paul nous avertit de ne pas nous émouvoir lorsque des méchants s'en vont de l'Église, et de ne point avoir une foi moins vive quand des mécréants s'éloignent : "Eh quoi, dit-il, si quelques-uns d'entre eux sont devenus infidèles, est-ce que leur incrédulité a anéanti la Fidélité de Dieu ? Écartons cette pensée : car Dieu est véridique, et tout homme est menteur". (Rom 3,3-4).

Quant à nous, frère, notre devoir est de donner nos soins à ce que personne ne s'éloigne de l'Église par notre faute; mais si quelqu'un s'en écarte de son propre mouvement et par une faute personnelle, et refuse ensuite de faire pénitence et de revenir à l'église, nous pouvons croire qu'au jour du jugement nous ne serons pas déclarés coupables, nous qui avons cherché à lui garder la santé, et que ceux-là seuls resteront soumis aux châtiments qui n'auront pas voulu suivre nos salutaires conseils, et guérir. Les outrages de ces pervers ne doivent point nous troubler, ni nous empêcher de rester attachés à la règle droite et sûre, puisque l'Apôtre aussi nous instruit en disant : "si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ". (Gal 1,10). Il faut voir si nous voulons servir les hommes ou Dieu. Si l'on plaît aux hommes, le Seigneur est offensé. Si au contraire nous faisons tous nos efforts pour plaire à Dieu, nous devons dédaigner les outrages et les attaques des hommes.

Je ne vous ai pas, frère très cher, écrit immédiatement au sujet de Fortunatus, ce pseudo-évêque institué par quelques hérétiques opiniâtres. C'est que l'affaire n'était pas telle qu'elle dût être portée en hâte à votre connaissance, comme si elle avait été importante et redoutable; aussi bien vous connaissiez assez ce Fortunatus, un des cinq prêtres sortis de l'Église, et excommuniés récemment par une sentence de personnages nombreux et graves, mes collègues dans l'épiscopat, qui vous en ont écrit l'année dernière. De même vous deviez connaître Felicissimus, le porte-drapeau de la révolte, dont le nom aussi se trouve dans les lettres que nous envoyèrent jadis nos collègues. Il n'a pas été seulement excommunié ici par ces évêques, mais encore il a été récemment chassé par vous de l'Église, à Rome. Je me dis que tout cela était connu de vous, j'étais sûr que votre mémoire et votre sens de la discipline n'en oubliait rien : je n'ai donc pas jugé qu'il fallût, en hâte et d'urgence, vous annoncer ces folies d'hérétiques. Il n'est pas de la dignité de la noble Église catholique de s'occuper de ce que les hérétiques et les schismatiques font de mal chez eux. On dit en effet que le parti de Novatien s'est fait un pseudo-évêque du prêtre Maximus que Novatien nous avait jadis envoyé comme son représentant, et que nous avions rejeté de notre communion. Je ne vous avais pas cependant écrit ces nouvelles, car nous n'en faisons pas de cas, et, d'autre part, je vous avais tout récemment envoyé la liste des évêques d'ici, qui sont à la tête de nos frères, et que l'hérésie n'a point entamés. Nous avons décidé d'un commun avis de vous envoyer cette liste, afin de vous fournir un moyen abrégé de déjouer l'erreur, de voir nettement la vérité, et de vous faire connaître, à vous et à vos collègues, quels sont ceux à qui vous devez-écrire et de qui vous devez recevoir des lettres. De cette manière si quelqu'un, en dehors de ceux dont notre liste renferme les noms, osait vous écrire, vous saurez bien qu'il s'est souillé d'un sacrifice ou d'un billet ou qu'il fait partie des hérétiques, c'est-à-dire que c'est un dévoyé et un profane. Ayant cependant l'occasion d'un clerc de mon intimité dans la personne de l'acolyle Felicianus que vous aviez envoyé avec notre collègue Perseus, j'ai mis dans la lettre que je lui confiais, entre autres choses dont je devais vous informer, un mot sur ce Fortunatus. Mais notre frère Felicianus dut retarder son départ tant à cause du vent que parce que nous devions lui remettre d'autres lettres, et Felicissimus se hâtant d'aller vers vous, l'a prévenu. Ainsi toujours les scélérats se pressent, comme si leur hâte pouvait prévaloir contre l'innocence.

Je vous mandais donc, frère, par Felicianus qu'on avait vu arriver à Carthage, Privatus (10), un hérétique de vieille date, de la colonie de Lambèse, condamné il y a plusieurs années, en raison de fautes nombreuses et graves, par la sentence de quatre-vingt-dix évêques, et aussi, ce que vous savez comme nous, très sévèrement blâmé par des lettres de nos prédécesseurs Fabianus et Donatianus. Il avait déclaré vouloir plaider sa cause devant nous au concile que nous avons tenu aux dernières Ides de mai. N'y ayant pas été admis, il a fait de ce Fortunatus un pseudo-évêque digne d'être son collègue. Avec lui était venu aussi un certain Félix dont, lui-même avait jadis, en dehors de l'Église, et dans l'hérésie, fait un pseudo-évêque. D'autres encore accompagnaient l'hérétique Privatus , c'étaient Jovinus et Maximus, que des sacrifices et des crimes abominables établis a leur charge avaient fait condamner par la sentence de neuf de nos collègues, et qui avaient été de nouveau excommuniés par plusieurs d'entre nous dans le concile de l'année dernière. A ces quatre, un cinquième s'est joint, Repostus de Sutururca, qui non seulement est tombé lui-même au cours de la persécution, mais encore a fait tomber par ses conseils sacrilèges la plus grande partie de son peuple. Ces cinq personnages, avec un petit nombre de chrétiens qui avaient sacrifié ou dont la conscience n'était pas en paix, se sont élu un évêque dans la personne de Fortunatus. Ainsi leurs crimes s'accordant, le gouvernant serait pareil aux gouvernés.

Par la, vous pouvez, frère très cher, juger des autres mensonges que ces hommes scélérats et pervers ont répandus. Pas plus de cinq pseudo-évêques, apostats ou hérétiques, ne sont venus à Carthage, pour associer Fortunatus à leur folie. Ils n'ont pas craint cependant, comme vous nous l'écrivez, de publier en vrais fils du diable pleins de mensonges, qu'il y avait vingt-cinq évêques ! Ce mensonge, ils le publiaient ici aussi d'avance parmi nos frères, disant que vingt-cinq évêques devaient venir de Numidie pour s'élire un évêque. Quand leur mensonge eut été mis à nu et confondu par la présence à leur réunion de seulement cinq naufragés excommuniés par nous, ils ont navigué vers Rome avec leur cargaison de mensonges, comme si la vérité ne pouvait pas naviguer derrière eux, et en établissant les faits, confondre leurs langues menteuses. C'est une vraie folie, frère, que de ne pas penser, de ne pas savoir que les mensonges ne trompent pas longtemps, que la nuit dure jusqu'à ce que luise le jour, et que, quand la clarté du jour a paru et que le soleil s'élève, les ténèbres et l'ombre se retirent devant la lumière, qui met fin aux brigandages qui se donnaient carrière à la faveur de la nuit. Enfin, si vous leur demandiez les noms, il ne les pourraient pas donner, même en en inventant. Il y a chez eux une telle pénurie, même de méchants, que parmi les apostats ou les hérétiques ils n'en pourraient réunir vingt-cinq. Cependant, pour tromper les simples et ceux qui sont au loin, ils exagèrent le nombre, comme si, même en le supposant exact, l'Église pouvait être vaincue par l'hérésie, ou la justice par l'injustice.

Il ne faut pas d'ailleurs, frère très cher, que je fasse maintenant comme eux, et que je suive la série de crimes qu'ils ont commis ou commettent encore. Nous devons considérer ce qu'il convient que disent ou écrivent les évêques de Dieu; et c'est moins le ressentiment qui doit parler chez nous que la réserve. Il ne faut pas que je paraisse répondre à leurs attaques en articulant contre eux plutôt des injures que des crimes et des fautes réelles. Je ne parle donc pas de leurs vols au détriment de l'Église, je passe sous silence leurs cabales, leurs adultères, et divers genres de crimes. Il y a un fait, où la cause même de Dieu, et non la mienne ou celle des hommes, est intéressée, sur lequel je ne crois pas qu'on doive se taire. C'est que dès le premier jour de la persécution, alors que les fautes de ceux qui avaient failli étaient encore toutes récentes, et que non seulement les autels du diable, mais les mains mêmes et la bouche des lapsi fumaient encore de sacrifices abominables, ils n'ont cessé de communiquer avec les lapsi et de s'opposer à ce qu'ils fissent pénitence. Dieu proclame : "Celui qui sacrifie aux dieux sera déraciné; on ne doit sacrifier qu'au Seigneur seul"; (Ex 22,20) et notre Seigneur dit dans son évangile : "Celui qui M'aura renié, Je le renierai". (Mt 10,33). Et en un autre endroit, l'Indignation, la Colère divine ne peut se tenir de dire : "Vous leur avez versé des libations, vous leur avez présenté des offrandes. Et Je ne m'indignerais pas de ces sacrilèges !" (Is 57,6) dit le Seigneur. Et ils s'opposent à ce qu'on prie Dieu, qui déclare Lui-même être indigné ! Ils s'opposent à ce qu'on tâche d'adoucir par des prières et des oeuvres satisfactoires le Christ qui proclame qu'Il renie celui qui Le renie !

Dans le temps même de la persécution nous avons écrit des lettres à ce sujet (11) et nous n'avons pas été écouté. Dans un concile où nous étions nombreux, nous avons décidé d'un commun accord, et en joignant des menaces à notre décision, que les frères auraient à faire pénitence, et que personne ne devrait avoir la témérité de donner la paix à ceux qui ne se conduiraient pas en pénitents. Et eux, sacrilèges à l'égard de Dieu, et de ses évêques, emportés d'une fureur téméraire, s'éloignant de l'Église et levant contre elle des armes parricides, ils travaillent à permettre à la malice du diable d'achever son oeuvre, à empêcher la divine Bonté de soigner les blessés dans son Église. Ils corrompent par leurs mensonges la pénitence de malheureux, empêchant que Dieu qui est irrité ne reçoive satisfaction, que celui qui a rougi d'être chrétien ou a craint les tourments, ne cherche ensuite le Christ son Seigneur, que l'Église ne voie revenir à elle celui qui s'était éloigné de l'Église. On travaille à mettre obstacle au rachat des fautes par de justes réparations et marques de douleur, à empêcher les blessures d'être lavées par des larmes. La vraie paix est supprimée par le mensonge d'une paix fausse, le sein d'une mère ou l'on trouverait le salut se ferme par l'opposition d'une marâtre, et l'on n'entend pas comme il faudrait des pleurs et des gémissements sortir du coeur et de la bouche des lapsi. De plus la bouche et la langue des laps, qui ont péché au Capitole, sont forcées de dire des injures aux évêques. Ils poursuivent d'outrages et d'insultes les confesseurs, les vierges et tous les justes que leur foi a distingués et glorifiés dans l'Église. Pourtant à la vérité, ils n'atteignent pas tant la modestie, l'humilité et la pudeur des nôtres, qu'ils ne font de tort à leur propres espérances et à leur propre vie. Ce n'est pas, en effet, celui qui s'entend dire, mais celui qui dit des injures, qui est à plaindre; ce n'est pas non plus, celui qui reçoit des coups d'un frère, mais celui qui en donne, qui est déclaré coupable contre la loi. Quand des méchants font tort à des innocents, ceux-là subissent eux-mêmes le tort qui croient le faire. Bref, c'est de là que leur vient cet étourdissement de l'esprit, cet affaiblissement du sens, cette espèce d'aliénation mentale : c'est une marque de la Colère de Dieu que de ne plus comprendre les fautes et de ne point, par conséquent, les faire suivre de la pénitence. Il est écrit : "Dieu leur a donné un esprit de léthargie", (Is 29,10) afin de les empêcher de revenir, de se soigner, de se guérir, après leur faute, par des prières et de justes réparations. L'apôtre Paul dit dans une épître : "Ils n'ont pas eu l'amour de la vérité, qui les eût sauvés. C'est pourquoi Dieu leur enverra des illusions, de manière qu'ils croient au mensonge, et que tous ceux-là soient jugés qui n'ont pas cru à la vérité, mais se plaisent dans l'injustice". (2 Th 2,10). Le plus haut degré de bonheur est de ne pas pécher, le second, c'est de reconnaître ses fautes. Là c'est l'innocence entière et immaculée qui conserve, ici c'est le remède qui vient après, et qui guérit. Ces deux biens, les lapsi les ont perdus, et ainsi pour eux n'existe plus la grâce que le baptême donne avec la sanctification, et la pénitence ne reste pas non plus qui guérit la faute. Pensez-vous donc, frère, que ce soient des péchés légers, des manquements sans gravité, que d'empêcher qu'on implore la Majesté de Dieu irrité, qu'on redoute la colère et le feu et le jour du Seigneur, et, à l'approche de l'Antichrist, de désarmer la foi du peuple qui combat, en affaiblissant la vigueur de la discipline et la crainte du Christ ? Aux laïcs de voir ce qu'ils ont à faire : les évêques ont le devoir de se donner plus de peine pour affirmer et procurer la Gloire de Dieu, et nous ne devons pas paraître rien négliger en ce point quand le Seigneur nous avertit en disant : "Et maintenant, voici mon décret pour vous, ô prêtres. Si vous n'écoutez pas, et si vous ne prenez pas à coeur d'honorer mon Nom, Je lancerai contre vous la malédiction, et Je maudirai vos bénédictions." (Mal 2,1-2). Est-ce donc rendre honneur à Dieu, de mépriser à ce point sa Majesté et son Autorité ? Alors qu'Il Se déclare indigné et irrité contre ceux qui sacrifient, et les menace de peines éternelles, de supplices sans fin, des sacrilèges viennent dire de ne point songer à sa Colère, de ne point craindre son Jugement, de ne point frapper à la porte de l'Église; des prêtres, supprimant la pénitence et ne voulant pas que l'on fasse aucune confession de son crime, méprisant les évêques et foulant aux pieds leur autorité, donnent la paix avec des paroles trompeuses; et pour empêcher que ceux qui sont tombés ne se relèvent, ou que ceux qui sont hors de l'Église n'y reviennent, ceux qui n'ont pas la communion offrent la communion aux autres !

Il ne leur a pas suffi de s'éloigner de l'évangile, d'ôter aux lapsi l'espoir de la satisfaction et de la pénitence, d'empêcher des coupables impliqués dans des affaires de fraude, souillés d'adultères ou de sacrifices abominables, de revenir à l'Église pour y faire la confession de leurs fautes, et de les priver ainsi de tout sentiment et de tout fruit de pénitence, d'avoir formé en dehors de l'Église et contre l'Église un parti de perversité, où viendrait se réfugier la bande de pécheurs qui ne veulent pas prier Dieu et donner satisfaction. Après tout cela, ils se sont encore fait sacrer un pseudo-évêque par des hérétiques, et c'est dans ces conditions qu'ils osent passer la mer, pour venir au siège de Pierre et l'Église principale, d'où l'unité épiscopale est sortie, et y apporter des lettres de schismatiques et de profanes. Ils ne réfléchissent donc pas que ce sont là les mêmes Romains dont l'Apôtre a loue la foi et auprès de qui la perfidie ne saurait avoir accès. Quelle raison d'ailleurs peuvent-ils avoir de se mettre en route, et d'annoncer qu'ils ont élu un pseudo-évêque contre les évêques ? Ou bien, en effet, ils sont toujours contents de ce qu'ils ont fait, et alors ils persévèrent dans leur crime, ou bien ils en sont mécontents et s'en détournent, et alors ils savent où ils doivent revenir. Il a été réglé par nous, d'un commun accord, (solution équitable et juste), que les causes doivent être entendues là où le délit a été commis; une portion du troupeau a d'ailleurs été attribuée à chacun des pasteurs pour la conduire et la gouverner, sauf à rendre compte à Dieu de sa conduite. Il faut donc que ceux à qui nous sommes préposés ne courent pas çà et la, et ne cherchent pas à rompre la concorde d'évêques unis, en suscitant des conflits par leurs cabales et leurs mensonges audacieux, mais ils doivent plaider leur cause là ou ils peuvent avoir des accusateurs et des témoins de leurs délits : à moins que quelques personnages perdus de scélératesse ne doivent l'emporter sur l'autorité des évêques d'Afrique, qui les ont déjà jugés, et ont prononcé récemment encore, avec toute la gravité de leur jugement, qu'ils avaient la conscience chargée d'un grand nombre de crimes. Leur cause a été examinée, la sentence prononcée, et il ne convient pas à l'autorité épiscopale d'encourir le reproche d'inconstance ou de légèreté, quand le Seigneur nous instruit en disant : "Que votre parole soit : Cela est, cela est; cela n'est pas, cela n'est pas". (Mt 5,37).

Si l'on fait, en y comprenant les prêtres et les diacres, le compte de ceux qui ont jugé leur cause l'an passé, ceux qui ont pris part au jugement et à l'enquête sont plus nombreux que ceux qui semblent encore unis à Fortunatus. Vous devez en effet savoir, frère très cher, que depuis qu'il a été fait pseudo-évêque par les hérétiques, il a été abandonné de presque tout le monde. Ceux, en effet, qui auparavant s'en laissaient imposer par des paroles prestigieuses, et l'assurance qu'ils reviendraient tous en même temps à l'Église, quand ils virent qu'un pseudo-évêque avait été élu, s'aperçurent qu'ils avaient été joués et trompés; et ils reviennent chaque jour, ils frappent à la porte de l'Église. Nous cependant, qui devons rendre compte au Seigneur de notre administration, nous étudions scrupuleusement et examinons soigneusement ceux qu'il faut recevoir dans l'Église. Certains en effet ont contre eux des griefs si graves, ou une opposition si ferme et si absolue des frères, qu'on ne peut absolument pas les recevoir, car alors il y aurait scandale et péril pour un grand nombre. Il n'y a pas lieu, en effet, de conserver des parties gâtées, si elles doivent corrompre des parties saines, et le pasteur n'est pas bienfaisant ni avisé qui mêle au troupeau des brebis atteintes de maladies contagieuses en s'exposant à contaminer le troupeau tout entier. Ne faites pas attention à leur nombre : mieux vaut un fils craignant Dieu que mille impies, comme dit le Seigneur par son prophète : "O mon fils, ne te réjouis pas d'avoir des fils en grand nombre, s'ils sont impies, car la crainte de Dieu n'est pas en eux ." O si vous pouviez, frère très cher, vous trouver ici près de nous quand ces égarés, ces dévoyés reviennent du schisme; vous verriez quel mal j'ai à amener nos frères à être patients, et à calmer leur indignation pour permettre de recevoir les coupables et de travailler à les guérir. S'ils sont heureux et s'ils se félicitent de voir revenir ceux qui peuvent être supportés, et qui sont en effet moins coupables, ils murmurent en revanche et résistent quand des esprits incorrigibles, emportés, des hommes souillés ou d'adultères ou de sacrifices, et orgueilleux après tout cela, reviennent à l'Église pour y corrompre à l'intérieur les âmes honnêtes. J'obtiens à peine par la persuasion, j'arrache plutôt au peuple la réadmission de ceux qui sont dans ce cas. D'ailleurs la rigoureuse indignation des frères s'est trouvée justifiée par le fait que tel ou tel qui, malgré l'avis contraire et l'opposition du peuple, avait été reçu grâce à ma facilité, est devenu pire qu'auparavant, et n'a pu rester fidèle à la pénitence, parce que la pénitence avec laquelle il était venu n'était pas sincère.

Que dirai-je de ceux qui sont allés vers vous avec Félicissimus, députés par le pseudo-évêque Fortunatus, vous portant des lettres aussi fausses que celui qui les envoie lui-même, que leur conscience chargée de crimes, leur vie détestable et honteuse, et telle que s'ils étaient dans l'Église, ils devraient en être chassés ? Comme ils se sentent coupables, et qu'ils n'osent venir ou s'approcher du seuil de l'Église, mais errent çà et là par la province pour circonvenir nos frères et les dépouiller, déjà connus de tous et de partout chassés pour leurs crimes, ils passent la mer pour aller aussi vers vous. Ils ne peuvent en effet avoir le front de s'approcher de nous, ou de rester parmi nous, à cause de fautes, des plus honteuses et des plus graves, que les frères pourraient leur reprocher. S'ils veulent se soumettre à notre jugement, qu'ils viennent. S'ils peuvent avoir quelque excuse ou quelque défense, voyons quel sentiment ils ont de leur devoir de satisfaire, quels fruits de pénitence ils apportent. Ni l'Église, ici, ne se ferme, ni l'évêque ne se refuse à personne. Notre patience, notre facilité, notre bonté sont à la disposition de ceux qui viennent à nous. Je souhaite que tous reviennent à l'Église, je souhaite que tous nos compagnons de combat soient dans le camp du Christ, dans la maison du Père qui est Dieu. Je pardonne tout; je ne veux point connaître une foule de torts qui existent, et cela par désir de rassembler tous les frères. Même les fautes commises contre Dieu, je ne les pèse pas dans la balance d'une religion scrupuleuse. Je pèche presque moi-même en pardonnant plus de péchés qu'il ne faut. J'ouvre mes bras, avec un amour entier et prompt, à ceux qui reviennent avec de vrais sentiments de pénitence, à ceux qui confessent leur faute avec humilité et simplicité.

Mais s'il en est qui pensent pouvoir revenir à l'Église non par des prières, mais par des menaces, ou qui croient qu'ils s'en ouvriront l'accès non par des larmes, et des oeuvres satisfactoires; mais par des moyens d'intimidation, qu'ils sachent bien que devant de telles dispositions l'Église du Seigneur reste fermée; qu'ils sachent que le camp du Christ, invincible, vaillant et défendu par Dieu Lui-même, ne cède pas à des menaces. Un évêque de Dieu qui s'attache à l'évangile en tant qu'il garde les préceptes du Christ, peut être tué, il ne peut être vaincu. Nous avons des exemples de courage et de foi dans la conduite du grand pontife Zacharie. On ne put l'effrayer par la menace de la lapidation; il fut tué dans le temple de Dieu, criant et répétant ce que nous crions nous aussi et répétons contre les hérétiques : "Voici ce que dit le Seigneur. Vous avez abandonné les voies du Seigneur, et le Seigneur à son tour vous abandonnera".(2 Chr 24,20). Il ne faut pas en effet, parce que quelques personnes emportées et perverses abandonnent les voies salutaires du Seigneur, et n'ayant pas une conduite sainte sont abandonnées par le saint Esprit, que nous oubliions nous aussi l'enseignement divin. Il ne faut pas penser que les crimes de ces furieux prévalent sur les jugements des évêques, ou que des efforts humains puissent plus pour attaquer que la Protection divine ne peut pour défendre.

Faudra-t-il donc, frère très cher, voir abdiquer à ce point la dignité de l'Église catholique, la majesté du peuple resté fidèlement et incorruptiblement dans l'Église, l'autorité même et le pouvoir épiscopal ? Quoi, ceux-là prétendraient juger d'un chef de l'Église qui sont hors de l'Église et hérétiques; des malades, de celui qui est bien portant; des blessés, de celui qui est sans blessure; ceux qui sont tombés, de celui qui est debout; les accusés, d'un juge; les sacrilèges, d'un ministre sacré. Que reste-t-il alors, sinon que l'Église se retire devant le Capitole, et que les évêques s'éloignant et emportant l'autel du Seigneur, les statues des Dieux et les idoles viennent avec leurs autels dans l'endroit sacré où s'assemble notre clergé; et que Novatien enfin trouve une nouvelle et plus riche matière à déclamer, à vitupérer contre nous, en voyant ceux qui ont sacrifié et nié publiquement le Christ, non seulement priés de revenir et admis sans pénitence, mais encore devenant les maîtres par la crainte qu'ils inspirent ? S'ils demandent la paix, qu'ils déposent les armes; s'ils veulent satisfaire, que signifient leurs menaces ? D'ailleurs s'ils menacent, qu'ils sachent bien qu'ils n'effraient pas les évêques de Dieu. L'antichrist non plus, quand il viendra, n'entrera point dans l'Église par ses menaces, et on ne cédera point à ses armes et à sa violence parce qu'il annonce l'intention de tuer ceux qui résisteront. Ils nous arment, les hérétiques, lorsqu'ils pensent nous effrayer par leurs menaces; ils ne nous jettent point la face contre terre, mais plutôt ils nous redressent et nous enflamment, lorsqu'ils donnent aux frères une paix pire que la persécution. Nous souhaitons sans doute que le crime n'accomplisse point ce que la fureur leur fait dire, et que péchant en paroles impies et cruelles, ils ne pèchent pas aussi en actes. Nous prions et nous supplions Dieu qu'ils ne cessent de provoquer et d'irriter, pour que leurs coeurs s'adoucissent; que, délivrés de leur fureur, ils reviennent au calme, que leurs coeurs couverts des ténèbres du péché reconnaissent la lumière de la pénitence, et que, plutôt que de répandre eux-mêmes le sang d'un évêque, ils demandent qu'un pontife répande pour eux des prières. Mais s'ils s'obstinent dans leur fureur, s'ils persévèrent cruellement dans leurs tentatives perfides et leurs menaces, il n'y a point d'évêque de Dieu qui soit si faible, si déchu et si bas, si anéanti par l'humaine infirmité, qu'il ne se redresse contre les ennemis de Dieu et ses assaillants, et dont la vigueur et l'énergie même de Dieu qui le protège ne relève et n'anime la faiblesse. Que nous importe de quelle main, ou à quelle heure nous serons tués, puisque c'est de la main du Seigneur que nous devons recevoir notre récompense. Ceux là ont un sort digne de larmes et de lamentations, que le diable aveugle au point qu'ils ne pensent plus aux supplices éternels de la géhenne, et travaillent à nous donner une idée de la venue de l'antichrist qui approche.

Je sais, frère très cher, que, comme le demande la mutuelle affection que nous nous devons et que nous nous portons, vous lisez toujours mes lettres au clergé si florissant qui siège avec vous et au peuple si nombreux et si saint des fidèles de Rome. Cette fois cependant j'insiste, et je vous prie de faire à ma demande ce que vous faites les autres fois de vous-même et par égard pour moi : afin que, si les racontars venimeux semés perfidement contre moi avaient fait impression sur quelques fidèles, la lecture de cette lettre les chasse de leurs oreilles et de leurs coeurs, et qu'aucune calomnie hérétique n'entame de sa morsure ni n'altère de sa souillure l'affection des gens de bien.

Au surplus, que nos frères fuient à l'avenir et évitent les entretiens de ceux dont la parole "étend ses ravages comme le chancre." (2 Tim 2,17). Ainsi que le dit l'Apôtre : "Les mauvais entretiens corrompent les bons naturels". (1 Cor 15,33). Et encore : "Quant au fauteur de divisions, évite-le après un avis, sachant qu'un tel homme est dévoyé, et condamné par son propre jugement". (Tit 3,10-11). Et l'Esprit saint parle par la bouche de Salomon : "L'homme pervers, dit-il, porte la perdition dans sa bouche, et ses lèvres cachent le feu". (Pro 16,27). Et il donne encore l'avertissement suivant : "Mets une haie d'épines à tes oreilles et n'écoute pas la langue perverse". (Ec 28,24). Et encore : "Le méchant écoute ce que dit la langue perverse, le juste ne fait pas attention aux lèvres qui mentent". ( Pro 17,4). Je sais que les frères qui sont avec vous, défendus par votre prudence, et tenus en éveil par leur propre vigilance, ne sauraient se laisser prendre et tromper par les hérétiques et leurs poisons, que les préceptes et les enseignements divins règnent chez eux autant que la crainte de Dieu. Cependant un excès ou de sollicitude pour vous ou d'affection nous a décidé à vous écrire ces choses, afin que nul rapport ne soit noué avec de telles gens, qu'on n'ait avec eux aucun commerce, ni de table ni d'entretiens, et que nous soyons aussi séparés d'eux qu'ils sont éloignés de l'Église. Il est écrit : "Si quelqu'un méprise l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain". (Mt 18,17). Et le bienheureux Apôtre ne conseille pas seulement, mais ordonne de se séparer de telles gens : "Nous vous prescrivons, dit-il, de vous éloigner de tous les frères qui ne marchent pas droit, et ne se conforment pas à l'enseignement reçu de nous". (2 Thes 3,6). Il ne peut y avoir de société entre la foi et l'infidélité. Celui qui n'est pas avec le Christ, qui est l'adversaire du Christ, l'ennemi de son unité et de sa paix, ne peut être uni à nous. S'ils viennent avec des prières, des intentions de satisfaire, qu'on les écoute. S'ils adressent des insultes et des menaces, qu'on les repousse. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(8) Sur Félicissimus et Novatus voir les lettres 41, 42 et 43.

(9) Le mot 'raca' signifie probablement la même chose que 'fatue'. Il se rattache à l'araméen 'rêquâ' et a l'hébreu 'rêq' qui signifie "vide,vain", Ces mots d'après saint Jérôme (In Matthieu I,5) équivalent ici à l'injure habituelle "sans cervelle".

(10) Sur Privatus de Lambèse voir la lettre 36.

(11) Par exemple la lettre 43. Quant au concile c'est celui du printemps de 251.
 
 

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LETTRE 50

 
 

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

 

Nous avons reçu, frère très cher, les glorieux témoignages de votre foi, de votre courage, et votre belle confession nous a donné tant de joie que nous nous considérons comme participant à vos mérites et à votre gloire. Comme il n'y a entre nous qu'une Église, qu'une âme et qu'un coeur, quel évêque ne se réjouirait de la gloire d'un autre évêque comme d'une gloire propre à lui-même, et quel est le groupe de frères qui ne serait heureux de voir des frères dans la joie ? On ne saurait dire toute l'allégresse, toute la satisfaction qui s'est manifestée ici, quand nous avons appris ces heureuses nouvelles de votre courage; quand nous avons su que vous avez servi de chef aux frères dans la confession, mais aussi que la confession du chef a été rehaussée par la conformité de sentiment des frères. Ainsi en marchant à la gloire le premier, vous avez eu beaucoup de compagnons de gloire; vous avez décidé les fidèles à être confesseurs, en vous montrant prêt, le premier, à confesser pour tous. Nous ne savons que louer le plus en vous, ou bien votre foi prompte et ferme, ou bien cette affection des frères qui ne permet pas de séparation. Le courage de l'évêque marchant le premier s'est montré publiquement, l'union des frères suivant l'évêque s'est affirmée de même. Il n'y a eu chez vous qu'un coeur et qu'une voix, et toute l'Église de Rome a confessé Jésus Christ.

On a vu briller, frère très cher, cette foi dont le bienheureux Apôtre vous a fait honneur. Le courage glorieux d'aujourd'hui et cette fermeté de résolution, il les voyait d'avance en esprit, et louant l'avenir en célébrant vos belles actions, il n'exaltait les pères que pour encourager les fils. En étant unis, en étant forts, vous avez donné aux autres frères de grands exemples de force et d'union. Vous avez montré qu'il faut avoir très vive la crainte de Dieu et s'attacher fermement au Christ, que le peuple doit se tenir avec les évêques dans le péril, que les frères ne doivent point se séparer des frères dans la persécution, que ceux qui sont unis ne peuvent être vaincus; que le Dieu de paix accorde aux pacifiques ce qu'ils lui demandent tous ensemble. L'ennemi s'était élancé, menaçant, violent, pour jeter le trouble dans le camp du Christ. Mais il a été repoussé aussi vigoureusement qu'il avait attaqué, et il a rencontré autant de courage et de résistance qu'il apportait de menaces et de terreur. Il avait cru pouvoir encore procéder comme il a coutume de faire contre les serviteurs de Dieu, et les renverser d'un coup de surprise, comme de jeunes recrues sans expérience, qui auraient été mal préparées à son attaque et insuffisamment sur leurs gardes. S'attaquant d'abord à un en particulier, il avait essayé de faire ce que fait le loup qui cherche à séparer une brebis du troupeau, I'épervier qui écarte une colombe de la volée. N'étant pas assez fort contre tous ensemble, il cherche à surprendre des individus isolés. Mais vigoureusement repoussé par la foi d'une armée unie, il s'aperçut que les soldats du Christ veillaient, sur leurs gardes maintenant, et qu'ils étaient debout en armes pour le combat, qu'ils ne pouvaient être vaincus, mais que s'il s'agissait de mourir ils le pouvaient, que ce qui les rend invincibles, c'est précisément qu'ils ne craignent pas de mourir. Ils virent qu'ils ne rendent point coup pour coup à ceux qui les attaquent, puisqu'il n'est point permis à des innocents de tuer même des coupables, mais qu'ils sont tout disposés à donner leur sang et leur vie, afin que, quittant un monde où va se développant tant de cruauté et de méchanceté, ils s'éloignent plus promptement des méchants et des cruels. Quel glorieux spectacle aux Yeux de Dieu sous les Regards du Christ ! Quelle joie pour son Église, quand on vit qu'au combat présenté par l'ennemi, ce n'étaient pas les soldats un à un qui marchaient, mais le camp tout entier. Tous en effet, sans aucun doute, seraient venus, s'ils avaient su, puisque chacun de ceux qui ont su est accouru en tout hâte. Que de lapsi y ont trouvé l'occasion de se relever par une confession glorieuse ! Ils se sont redressés courageusement, et le sentiment même du regret de leur faute les a rendus plus courageux. Ainsi, il apparaît que jadis ils ont été surpris, que la nouveauté de l'attaque et l'inaccoutumance les a déconcertés et épouvantés, qu'ils se sont repris ensuite, que la crainte de Dieu les a ramenés à une foi sincère, et leur a rendu leurs forces, les armant d'une constance, d'une énergie à toute épreuve et qu'enfin maintenant ils ne sollicitent plus le pardon d'une faute, mais aspirent à la couronne du martyre.

Que fait là-dessus Novatien, frère très cher ? Renonce-t-il à son erreur ? ou bien, comme c'est la coutume des insensés, nos bonheurs et nos succès ne le rendent-ils pas plus furieux ? L'éclat plus grand dont jouissent ici la charité et la foi ne fait-il pas croître là dans la même mesure la folie des querelles et de la jalousie ? Il ne soigne pas sa blessure, le malheureux, mais il se blesse lui-même et les siens plus grièvement; il fait entendre les éclats de sa voix pour la perte des frères; et lance les traits empoisonnés de sa faconde, plutôt buté par la perversité d'une philosophie profane qu'adouci par la sagesse du Seigneur, déserteur de l'Église, ennemi de la miséricorde, meurtrier du repentir, docteur de l'orgueil, corrupteur de la vérité, destructeur de la charité ? Sait-il maintenant reconnaître quel est l'évêque de Dieu, quelle est l'Église et la maison du Christ, quels sont les serviteurs de Dieu que le diable tourmente, quels sont les chrétiens que l'antichrist attaque ? L'adversaire du Seigneur ne cherche pas ceux qu'il a déjà soumis; il ne se montre pas impatient de renverser ceux qu'il a fait siens. Hostile à l'Église, en guerre avec elle, ceux qu'il en a éloignés, et conduits dehors, sont comme des captifs et des vaincus qu'il dédaigne et laisse de côté. Ceux qu'il ne cesse d'inquiéter sont ceux en qui il voit que le Christ habite.

D'ailleurs quand même, parmi ceux-là l'un ou l'autre viendrait à être arrêté, il n'aurait pas à s'en applaudir, comme s'il avait confessé le Nom du Christ; il est trop clair que, quand des gens de cette sorte sont mis à mort hors de l'Église, ce n'est pas là récompense de foi, mais châtiment d'infidélité; et que ceux-là n'habitent pas parmi les frères unis dans la maison de Dieu, qu'une fureur de discorde, ainsi qu'on l'a vu, a éloignés de la divine maison de la paix.

Nous vous exhortons autant que nous pouvons, frère très cher, au nom de l'affection mutuelle qui nous unit, puisque la divine Providence nous prévient et que les salutaires avis de la divine Bonté nous avertissent de l'approche du jour où il faudra lutter, à persévérer dans les jeûnes, les veilles, les prières, avec tout le peuple chrétien. Ne cessons de gémir et de prier.Voilà en effet pour nous les armes célestes qui nous permettent de rester debout, et de tenir; voilà les défenses spirituelles, et les armures divines qui nous protègent. Pensons l'un à l'autre, dans l'union des coeurs et des âmes; prions chacun de notre côté l'un pour l'autre; dans les moments de persécution et les difficultés, soutenons-nous par une charité réciproque, et si à l'un de nous Dieu fait la grâce de mourir bientôt et de précéder l'autre, que notre amitié continue auprès du Seigneur, que la prière pour nos frères et nos soeurs ne cesse pas de s'adresser à la Miséricorde du Père. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 61

 
 

CYPRIEN ET SES COLLEGUES A LUCIUS (1), LEUR FRERE, SALUT

 

Jadis nous vous avons félicité, frère très cher, quand, vous conférant un double honneur dans son Église, la divine Bonté vous a établi confesseur à la fois et évêque. Et maintenant, nous ne vous félicitons pas moins, vous, vos compagnons et tous les frères, de ce que la même gloire et les mêmes louanges vous accompagnent au moment où la Puissance divine, qui vous protège avec tant de bienveillance, vous ramène de nouveau auprès des siens. Ainsi est rendu au troupeau un pasteur, au navire un pilote, au peuple un chef; et il devient manifeste que votre relégation a répondu à une disposition de la divine Providence, voulant, non pas que l'évêque relégué et banni manquât à l'Église, mais qu'il revînt à l'Église plus grand qu'il n'en était parti.

Le martyre des trois enfants ne fut pas moins beau, parce que trompant la mort ils sortirent sains et saufs de la fournaise ardente, et Daniel épargné n'eut pas moins d'honneur pour avoir, par la protection de Dieu, survécu pour la gloire, lui qui avait été livré aux lions pour être leur proie. Chez les confesseurs du Christ, les retardements du martyre ne diminuent pas le mérite de la confession, mais font éclater les merveilles de la Protection divine. Nous voyons reproduit en votre cas ce que les vaillants et nobles enfants proclamèrent devant le roi : qu'ils étaient prêts, quant à eux, à brûler dans les flammes, pour ne point servir ses dieux, ou adorer l'image qu'il avait fait faire; mais que pourtant le Dieu qu'ils honoraient, et que nous honorons, était assez puissant pour les tirer des mains du roi comme de la fournaise ardente, et pour les délivrer des souffrances qui les menaçaient. C'est ce que nous voyons reproduit maintenant dans votre confession fidèle et dans la Protection du Seigneur sur vous. Quand vous étiez prêts et résolus à supporter n'importe quel supplice, le Seigneur vous a soustraits à la peine, et conservés à son Église. Votre retour n'a pas réduit pour l'évêque le mérite de la confession, mais plutôt fait croître l'autorité épiscopale; il a permis qu'à l'autel de Dieu il y ait un pontife qui exhorte le peuple à prendre les armes de la confession, et à rendre témoignage, non par des paroles, mais par des actes, et qui, aux approches de l'antichrist prépare les soldats au combat, non par le seul encouragement du discours et de la voix, mais par l'exemple de la foi et du courage.

Nous comprenons, frère très cher, et notre coeur voit dans le plein éclat d'une lumière intérieure, les conseils salutaires et saints de la divine Majesté; nous comprenons pourquoi soudain, chez vous, s'est élevée la persécution, pourquoi la puissance séculière s'est tout à coup déchaînée contre l'Église du Christ, contre l'évêque Corneille, bienheureux martyr, et contre vous tous. C'était afin que le Seigneur, pour confondre les hérétiques et les rabattre, fît voir quelle était son Église, quel était son évêque, unique et choisi par une Disposition divine, quels étaient les prêtres revêtus de la dignité sacerdotale, unis à l'évêque, quel était le vrai corps du peuple fidèle du Christ, uni par le lien de l'Amour divine, quels étaient ceux que l'ennemi tourmentait, et au contraire ceux qu'il épargnait comme lui appartenant. L'adversaire du Christ ne poursuit et n'attaque que le camp du Christ et ses soldats. Les hérétiques sont à terre et à lui : il passe et les dédaigne. Il cherche à faire tomber ceux qu'il voit debout.

Plût à Dieu, qu'il nous fût donné, frère très cher, de pouvoir être à Rome présents à votre arrivée, à nous, qui vous sommes attachés par les liens d'une mutuelle charité, afin de goûter avec les autres la très grande joie de votre retour. Quelle serait l'allégresse de tous les frères, comme on courrait se jeter dans les bras les uns des autres ! C'est à peine si les bouches qui donnent des baisers peuvent se satisfaire, à peine si les visages et les yeux du peuple chrétien se rassasient de regarder, tant votre retour cause de joie. Les frères ont pu se faire une idée de ce que sera la joie de la venue du Christ. Comme celle-ci approche, une image en fut montrée d'abord dans ce qui s'est passé pour vous. De même que Jean, son précurseur, en paraissant avant Lui, a annoncé que le Christ était venu, ainsi maintenant le retour d'un évêque confesseur fait voir que le Seigneur revient. Mes collègues et moi et tous les frères, nous vous envoyons cette lettre à notre place, et faisant représenter notre joie par ce message, nous venons vous offrir nos sincères devoirs d'amitié. Nous ne cessons pas, d'ailleurs, ici même dans nos sacrifices et prières de rendre grâce à Dieu le Père et au Christ, son Fils et notre Seigneur, et de prier, de demander que Lui qui possède et qui donne la perfection, daigne garder et parfaire en vous la glorieuse couronne de votre confession. Peut-être, d'ailleurs ne vous a-t-il rappelés qu'afin que votre gloire ne demeurât pas cachée, comme il serait arrivé si votre martyre avait été consommé au dehors. La victime qui donne aux frères un exemple de courage et de foi ne doit être immolée qu'en présence des frères. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) Saint Corneille étant mort en exil, Lucins avait été élu pour le remplacer, puis envoyé en exil lui aussi, enfin il rentrait à Rome. C'est a cet événement que se réfère la présente lettre synodale. Elle émane du concile de l'automne (253).
 
 

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LETTRE 62

 
 

CYPRIEN A JANUARIUS, MAXIMUS, PROCULUS, VICTOR, MODIANUS, NEMESIANUS, NAMPULUS ET HONORATUS SES FRERES, SALUT.

 

C'est avec une profonde douleur, et même avec des larmes, que nous avons lu, frère très cher, la lettre que votre amitié a pris la peine de nous envoyer au sujet de nos frères et de nos soeurs pris par des barbares (2). Qui ne serait peiné en de pareils malheurs, et qui ne ferait, de la douleur de son frère, sa propre douleur, quand l'apôtre Paul dit : "Si un membre pâtit, les autres membres compatissent, et si un membre jouit, les autres membres jouissent avec lui"; (1 Cor 12,26) et en un autre endroit : "Qui est souffrant, sans que je souffre ?". (2 Cor 11,29). Aussi en ce moment la captivité de nos frères doit être considérée comme notre captivité et la peine de ceux qui sont en danger comme notre peine, puisque par notre union, nous ne formons qu'un corps, et que, non seulement l'affection, mais aussi la religion doit exciter nos coeurs, et nous encourager à racheter les membres de nos frères.

L'apôtre dit encore : "Ne savez-vous pas que vous êtes les temples de Dieu, et que c'est l'esprit de Dieu qui habite en vous ?" (1 Cor 3,16). Dès lors, quand même la charité nous pousserait moins à porter secours à nos frères, il y aurait lieu de considérer en cette circonstance que ce sont des temples de Dieu qui sont captifs, et de ne pas souffrir par notre négligence et notre indifférence que des membres du Christ soient longtemps captifs, mais de travailler de toutes nos forces et en toute hâte à bien mériter du Christ, notre Juge, et du Seigneur, notre Dieu. "Vous tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ" (Gal 3,27) dit l'apôtre Paul. Dès lors, il faut voir le Christ en nos frères captifs, et racheter de la captivité celui qui nous a rachetés de la mort, de manière que celui qui nous a tirés de la gueule du diable et, qui maintenant même demeure avec nous et habite en nous, soit tiré des mains de barbares, et qu'une somme d'argent rachète celui dont le sang a été le prix de notre rachat. Il ne permet ces malheurs passagers que pour mettre notre foi à l'épreuve, et voir si chacun est disposé à faire pour autrui ce qu'il voudrait qu'on fît pour lui-même, s'il était à son tour captif chez les barbares. Quel est celui, qui gardant le sentiment de l'humanité, ayant encore un peu d'affection, ne pense, s'il est père, que ce sont ses fils qui sont là-bas, ne se figure, s'il est époux, que c'est son épouse qui y est retenue captive et n'en ressente à la fois de la douleur et un redoublement d'affection conjugale ? Mais en même temps, quel sujet de tristesse et de douleur pour nous tous, que le péril couru par les vierges qui sont là-bas prisonnières ! Pour elles, ce n'est pas tant la perte de la liberté qui doit nous désoler, mais celle de leur honneur, et nous n'avons pas tant à déplorer pour elles les chaînes des barbares que les brutalités des lupanars et de leurs tenanciers; nous pouvons craindre que des membres consacrés au Christ, et voués à l'honneur d'une chasteté perpétuelle ne soient souillés par les outrages de barbares.

C'est en pensant à tout cela, d'après votre lettre, et en faisant l'objet de douloureuses réflexions, que nos frères, tous, sans exception, ont promptement, allégrement, généreusement, fourni une contribution pécuniaire pour l'envoyer aux frères qui en ont besoin. La fermeté de leur foi les dispose toujours à faire ce qui est à la Gloire de Dieu, mais en ce moment un si grave sujet de tristesse les animait davantage aux oeuvres de salut. Le Seigneur dit dans son évangile : "J'ai été malade et vous m'avez visité" : combien plus dira-t-il, en promettant récompense à notre oeuvre de miséricorde : "J'ai été prisonnier, et vous m'avez racheté" Il dit encore : "J'ai été en prison, et vous m'avez visité" : que sera ce quand Il dira : "J'ai été captif et prisonnier; et je gisais sur le sol, enfermé, enchaîné, chez les barbares, et vous m'avez délivré de cette prison et de cet esclavage"; (Mt 25,36) et quand viendra le jour du jugement le Seigneur vous récompensera. Enfin nous vous adressons les plus grandes actions de grâces de ce que vous avez voulu nous intéresser à votre sort, et nous faire participer à une oeuvre si bonne et si nécessaire; vous avez offert un champ très riche où jeter la semence de notre espérance, en attendant la moisson que l'abondante végétation de cette oeuvre céleste et salutaire est appelée à produire. Nous vous envoyons cent mille sesterces, recueillis ici dans l'Église à la tête de laquelle la divine Bonté m'a placé au moyen d'une cotisation du clergé et du peuple qui est auprès de nous; vous en userez comme vous le jugerez a propos.

Nous souhaitons que rien de tel n'arrive à l'avenir et que la puissance divine protège nos frères de périls de ce genre. Si pourtant, pour mettre à l'épreuve notre charité, et sonder la fidélité de notre coeur, quelque chose de tel se produisait, veuillez ne pas hésiter à nous l'annoncer par une lettre, tenant pour certain et sachant de science sûre, que notre Église et tous nos frères prient d'ici pour que ces choses n'arrivent plus à l'avenir, mais que si elles arrivent, c'est de bon coeur et généreusement qu'ils fourniront des secours. Pour que vous ayez présents à l'esprit dans vos prières nos frères et nos soeurs qui ont fait promptement et allegrement une oeuvre si nécessaire, afin qu'ils fassent toujours de même, et que vous leur rendiez bon service a votre tour dans vos prières et sacrifices, je joins leurs noms à ma lettre. J'ai mis aussi les noms de nos collègues et des évêques qui étaient présents et ont contribué de leurs deniers au nom de leur peuple, selon leurs moyens; a coté de notre part propre, je spécifie en les envoyant leurs petites contributions. De tous, ainsi que le demande votre foi et votre charité, vous vous souviendrez dans vos oraisons et prières. Nous souhaitons frères très chers que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de nous.

(2) Cette razzia eut lieu probablement à la suite du licenciement de la IIIe Legio Augusta, qui était à Lambèse.
 
 

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LETTRE 63

 
 

CYPRIEN A CECILIUS, SON FRERE, SALUT.

 

Je sais bien, frère très cher, que la plupart des évêques que Dieu a daigné préposer dans le monde entier aux Églises chrétiennes observent la vérité de l'évangile, et l'enseignement du Seigneur, et ne s'écartent pas de ce que le Christ notre Maître a prescrit et fait Lui-même, pour adopter des nouveautés. Certains, pourtant, soit ignorance, soit simplicité d'âme, n'observent pas dans la consécration du calice du Seigneur ou dans sa distribution au peuple chrétien, ce que Jésus Christ notre Seigneur, et notre Dieu, l'Auteur et le Docteur de ce sacrifice, y a observé et enseigné. J'ai donc pensé faire chose pieuse et nécessaire à la foi en vous écrivant à ce sujet, afin que, si quelqu'un était encore dans cette erreur, voyant la lumière de la vérité, il revienne au point de départ et à l'origine de l'enseignement dominical. N'allez pas croire, frère très cher, que ce que nous vous écrivons vienne de nous et soit chose humaine que nous prenions sur nous, en suivant un mouvement de notre propre volonté; non, nous avons trop le sentiment du peu que nous sommes pour ne pas nous tenir toujours dans une réserve humble et modeste. Mais quand c'est Dieu qui inspire et qui commande, il faut bien qu'un serviteur obéisse à son maître, et tous l'excuseront, parce qu'il ne s'arroge rien qui ne lui revienne, obligé qu'il est de craindre d'offenser son maître en ne faisant pas ce qui lui est prescrit.

Sachez donc qu'il nous a été commandé d'avoir, dans l'oblation du calice, à garder la tradition, et à ne point faire autre chose que ce que le Seigneur a fait le premier, en offrant avec un mélange de vin et d'eau le calice qui est offert en sa mémoire. Quand le Christ dit : "Je suis la vraie vigne", (Jn 15,1) le Sang du Christ n'est pas de l'eau, à coup sûr, mais du vin. Il ne peut paraître, que le Sang du Christ, par lequel nous avons été rachetés et vivifiés, soit dans le calice lorsqu'il n'y a pas de vin, attendu que le vin représente le Sang du Christ, annoncé par des figures et des témoignages de toutes les Écritures.

La Genèse en effet nous offre aussi un signe précurseur de ce mystère et une figure typique de la Passion du Seigneur dans l'histoire de Noé. Il but du vin, il s'en enivra, il se dépouilla de ses vêtements dans sa maison; il resta couché sur le dos, les cuisses nues, a découvert; cette nudité fut remarquée par le second de ses fils, qui la fît connaître au dehors, mais elle fut voilée par l'aîné et le plus jeune, et le reste qu'il n'est pas nécessaire de rappeler. Il suffit de retenir que Noé, présentant une figure de la réalité à venir, n'a pas bu de l'eau, mais du vin et a ainsi préfiguré la passion du Seigneur.

De même nous trouvons dans l'histoire du prêtre Melchisédech une figure prophétique du mystère du sacrifice du Seigneur. L'Écriture dit : "Et Melchisédech, roi de Salem, offrit le pain et le vin. Or il était prêtre du Très-Haut, et il bénit Abraham." (Gen 14,18). Que Melchisédech, fût une figure du Christ, c'est ce que révèle dans les psaumes l'Esprit saint parlant au nom du Père et disant au Fils : "Je t'ai engendré avant l'étoile du matin. Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech". (Ps 109,3). Cet ordre se réfère à ce sacrifice, et a son point de départ dans ce fait que Melchisédech fut prêtre du Très-Haut, qu'il offrit le pain et le vin, qu'il bénit Abraham. Qui en effet fut plus prêtre du Très-Haut que notre Seigneur Jésus Christ, qui offrit un sacrifice à Dieu son Père, le même que Melchisédech avait offert, à savoir le pain et le vin, c'est-à-dire son corps et son sang ? 2 Et dans la personne d'Abraham cette bénédiction regardait notre peuple. Car si Abraham a crut à Dieu, ce qui fui fut imputé à justice, quiconque croit à Dieu, et vit de la foi, est trouvé juste; longtemps d'avance, il est béni et justifié dans le fidèle Abraham, comme le montre la parole de l'apôtre Paul : "Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice." Vous voyez donc que ceux qui sont de la foi sont les fis d'Abraham. L'Écriture prévoyant que Dieu justifierait les nations par la foi, annonça à Abraham que toutes les nations seraient bénies en lui. Donc ceux qui sont de la foi ont été bénis avec le fidèle Abraham". (Gal 3,6-9). Aussi trouvons nous dans l'évangile que des enfants d'Abraham naissent des pierres, c'est-à-dire sont tirés des nations. De même, en louant Zachée, le Seigneur dit : "Le salut est venu aujourd'hui à cette maison, parce que celui-ci est lui aussi un fils d'Abraham". (Lc 19,9). Ainsi donc, pour que le grand prêtre Melchisédech, dans la Genèse, pût régulièrement bénir Abraham, il y eut d'abord l'image du sacrifice consistant dans l'oblation du pain et du vin. Et le Seigneur achevant et consommant le sacrifice symbolique, offrit le pain et le calice avec du vin, et Celui qui est la plénitude de toutes choses a réalisé ce que cette figure annonçait.

Par Salomon aussi, l'Esprit saint montre le type du sacrifice du Seigneur, en faisant mention de la victime immolée, du pain, du vin et aussi de l'autel : "La sagesse dit-il, a construit une maison, et l'a soutenue de sept colonnes. Elle a immolé ses victimes, elle a mêlé dans le cratère le vin à l'eau et dressé sa table. Puis elle a envoyé ses serviteurs, invitant à haute voix à venir puiser à son cratère : Celui qui est sans instruction, qu'il vienne vers moi, disait-elle. Et à ceux qui manquent de sens elle disait : Venez manger de mes pains et buvez le vin que j'ai mêlé pour vous". (Pro 9,1-5). Il parle de vin mêlé, c'est-à-dire il annonce prophétiquement le calice du Seigneur mêlé d'eau et de vin; et ainsi il apparaît que la passion du Seigneur a réalisé ce qui avait été prédit.

La bénédiction de Juda eut aussi la même signification, et une figure du Christ y fut tracée : il devait être loué et adoré de ses frères; frapper le dos de ses ennemis en fuite des mains dont il porta la croix et vainquit la mort; il est lui-même le lion de la tribu de Juda, il se couche et dort dans sa passion, puis se lève, et est l'espoir des nations. A quoi l'Écriture divine ajoute ceci : "Il lavera son manteau dans le vin, et son vêtement dans le sang de la grappe". (Gen 49,11). Quand on parle du sang de la grappe, que fait-on, sinon de montrer que le vin représente le sang du calice du Seigneur ?

De même encore, en Isaïe, l'Esprit saint fait la même attestation au sujet de la Passion du Seigneur : "Pourquoi tes habits et tes vêtements sont-ils rouges, comme après la foulée d'un pressoir trop plein d'un raisin que l'on a pressé" ? (Is 63,2). Est-ce que l'eau peut rougir les vêtements, ou bien, dans le pressoir, est-ce de l'eau que l'on foule aux pieds ou que l'on exprime en pressant ? Évidemment il est fait mention du vin, afin que par le vin on entende le Sang du Christ, et que soit annoncé par les prophètes ce que le calice du Seigneur a réalisé. On parle aussi de pressoir, ou l'on foule et où l'on presse, parce que, de même qu'on ne peut boire du vin, sans qu'auparavant on ait foulé et pressé des grappes, ainsi nous ne pourrions boire le Sang du Christ, si le Christ n'avait été foulé et pressé d'abord, et n'avait bu le premier au calice, pour provoquer à y boire ceux qui croient en Lui.

D'autre part, toutes les fois que l'eau est nommée seule dans les saintes Écritures, c'est le baptême qui est annoncé, comme nous le voyons en Isaïe : "Ne vous souvenez plus, dit-il, de ce qui a précédé, et ne pensez plus aux événements passés. Voici que je fais des choses nouvelles qui paraîtront bientôt, et vous les verrez. Je ferai un chemin dans le désert; de l'eau, dans un endroit qui n'en a pas, abreuvera ma race choisie, le peuple que j'ai formé pour moi afin qu'il publie mes louanges." (Is 43,18-21). Dieu a prédit en cet endroit par son prophète que chez les Gentils, dans les lieux qui manquaient d'eau auparavant, il en coulerait en abondance, qui abreuverait la race choisie de Dieu, c'est-à-dire ceux que la génération par le baptême aurait faits enfants de Dieu. De même, il est encore prophétisé et prédit que les Juifs, s'ils ont soif et cherchent le Christ, boiront chez nous, c'est-à-dire obtiendront la grâce du baptême. "S'ils ont soif, dit-il, dans le désert, il leur amènera de l'eau, il en fera jaillir du rocher, le rocher s'ouvrira, l'eau coulera, et mon peuple boira". (Is 48,21). C'est ce qui s'accomplit dans l'évangile; quand le Christ, qui est le rocher, est ouvert par le coup de la lance durant sa Passion. C'est Lui d'ailleurs qui faisant comprendre ce qu'a prédit le prophète, s'écrie : "Si quelqu'un a soif,qu'il vienne et qu'il boive. Celui qui croit en Moi, de son sein comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive". (Jn 7,37-39). Et pour qu'il fût encore plus manifeste que ce n'est pas du calice, mais du baptême, que parle en cet endroit le Seigneur, l'Écriture ajoute : "Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en Lui". Or, c'est par le baptême que l'on reçoit le saint Esprit, et quand on est ainsi baptisé et qu'on a reçu le saint Esprit, on boit alors seulement le calice du Seigneur. Que personne ne s'inquiète de ce que, en parlant du baptême, l'Écriture divine dit que nous avons soif et que nous buvons, puisque le Seigneur dit aussi dans l'évangile : "Heureux ceux qui ont soif et faim de la justice" (Mt 5,6) parce que ce que l'on prend avec une soif avide, on le prend en plus grande plénitude et abondance. De même en un autre endroit le Seigneur dit : "Quiconque boira de cette eau-ci, aura soif de nouveau. Mais celui qui boira de l'eau que je donnerai n'aura plus jamais soif". (Jn 4,13-14). Ces seules paroles montrent que ce qui est annoncé c'est le baptême de l'eau du salut, qu'on ne prend qu'une fois et qu'on ne réitère pas. Le calice du Seigneur, lui est toujours dressé et bu dans l'Église.

Il n'est d'ailleurs pas besoin de longuement argumenter, frère très cher, pour prouver que sous le nom d'eau, c'est le baptême qui a toujours été signifié, et que nous devons ainsi le comprendre, puisque le Seigneur venant en ce monde a fait voir la réalité du baptême et du calice en commandant que cette eau de la foi, l'eau de la vie éternelle fût donnée aux croyants dans le baptême, et en nous apprenant d'autre part, avec l'autorité de son exemple, à mêler dans le calice le vin et l'eau. En effet, à la veille du jour de sa Passion, prenant le calice Il le bénit et le donna à ses disciples en leur disant : "Buvez-en tous. Ceci est le sang du testament, qui sera offert pour un grand nombre en rémission des péchés. Je vous le dis : Je ne boirai plus de ce produit de la vigne, jusqu'au jour où Je boirai du vin nouveau dans le royaume de mon Père". (Mt 26,28-29). Où nous trouvons que le calice que le Seigneur offrit était mêlé, et que ce qu'il appela sang était du vin. Par là on voit que le Sang du Christ n'est pas offert, si le vin manque dans le calice, et que le sacrifice du Seigneur n'est pas régulièrement célébré si notre oblation et notre sacrifice ne répondent pas à la passion. D'autre part, comment boirons-nous du vin nouveau, produit de la vigne, avec le Christ dans le royaume de son Père, si dans le sacrifice de Dieu le Père et du Christ nous n'offrons pas du vin, et ne mêlons pas le calice selon la tradition du Seigneur ?

Le bienheureux apôtre Paul, choisi de Dieu, envoyé par lui et établi prédicateur de la vérité évangélique, dit la même chose dans son évangile : "Le Seigneur Jésus, dans la nuit où on Le livrait, prit le pain, rendit grâces, le rompit et dit : Ceci est mon Corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de Moi. Semblablement, après le repas, Il prit le calice en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon Sang. Faites ceci toutes les fois que vous le boirez en mémoire de Moi. Toutes les fois en effet que vous mangerez ce pain, et boirez ce calice, vous proclamez la Mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'Il vienne". (1 Cor 11,23-26). Que s'il est prescrit par le Seigneur, confirmé et redit par son apôtre, de faire, toutes les fois que nous boirons le calice en mémoire du Seigneur, ce qu'a fait le Seigneur Lui-même, nous constatons que nous n'observons pas ce qui nous a été recommandé, si nous ne faisons pas nous aussi ce que le Seigneur a fait, si nous ne nous en tenons pas à l'enseignement divin, en mêlant le calice. Or, qu'il ne faille pas s'écarter des préceptes évangéliques, et que les disciples doivent pratiquer à leur tour ce que le maître a fait et enseigné, c'est ce qu'en un autre endroit le bienheureux apôtre enseigne avec plus de vigueur et de force : "Je m'étonne, dit-il, que vous quittiez si tôt celui qui vous a appelés à la grâce, pour aller à un autre évangile, bien qu'il n'y en ait pas d'autre; mais c'est qu'il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent changer l'évangile du Christ. Mais si quelqu'un, fût-ce nous-même ou un ange du ciel, vous annonçait autre chose que ce que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Je vous l'ai dit déjà et je vous le redis : Si quelqu'un vient vous annoncer autre chose que ce que vous avez appris, qu'il soit anathème". (Gal 1,6-9).

Ainsi donc ni l'apôtre lui-même, ni un ange du ciel ne peut annoncer ni enseigner autre chose que ce que le Christ a enseigné et que ses apôtres ont annonce : je me demande alors d'où a bien pu venir l'usage, contraire à l'enseignement évangélique et apostolique, d'offrir comme on le fait en certains endroits, de l'eau dans le calice du Seigneur, puisque à elle seule l'eau ne peut représenter le Sang du Christ. La même figure est aussi exprimée par le saint Esprit dans les psaumes quand il fait mention du calice du Seigneur et dit : " Votre calice qui enivre est tout à fait excellent". (Ps 22,6). Un calice qui enivre est à coup sûr mêlé de vin : l'eau n'enivre personne. Le calice du Seigneur enivre comme, dans la Genèse, Noé s'enivra en buvant du vin. Mais l'ivresse qui vient du calice et du Sang du Seigneur n'est pas semblable à l'ivresse que donne le vin profane. Aussi quand l'Esprit saint eut dit dans le psaume : "Ton calice enivrant", il ajouta "il est vraiment excellent". Le calice du Seigneur en effet enivre de telle façon qu'il laisse la raison; il amène les âmes à la sagesse spirituelle; par lui chacun revient du goût des choses profanes à l'inteIligence des choses de Dieu; enfin, de même que le vin vulgaire délie l'esprit, met l'âme au large et bannit toute tristesse, de même l'usage du Sang du Seigneur, et de son calice salutaire ôte le souvenir du vieil homme, donne l'oubli de la vie profane de naguère, et met à l'aise, en y versant la joie de la divine Bonté, le coeur triste et sombre qu'accablait auparavant le poids des péchés. Mais il ne peut produire cet heureux effet sur celui qui le boit dans l'Église du Seigneur, que si on le boit tel que l'a institué le Seigneur Lui-même.

Comme nous bouleversons tout et allons droit contre la pratique du Maître ! Lui, aux noces, a changé l'eau en vin, et nous, nous changeons le vin en eau, alors que ce miracle symbolique doit nous instruire et nous avertir d'offrir plutôt du vin dans le sacrifice du Seigneur ! Car, parce que la grâce spirituelle avait manqué chez les Juifs, le vin manqua aussi : la maison d'Israël est la vigne du Dieu des Armées. Le Christ enseignant et montrant que le peuple des nations succédait aux Juifs, et que nous prenions par le mérite de la foi la place qu'ils avaient perdue, changea l'eau en vin, c'est-à-dire signifia qu'aux noces du Christ et de l'Église, les Juifs ne bougeant pas, c'était plutôt le peuple des nations qui allait venir en foule ! Les eaux en effet signifient les peuples, comme le déclare l'Écriture divine dans l'Apocalypse : "Les eaux que vous avez vues, et où s'assied cette courtisane, sont les peuples et la foule et les groupes des nations de langues diverses". (Ap 17,15). C'est ce que nous voyons représenté aussi dans le mystère du calice.

En effet, comme le Christ nous portait tous, qu'il portait nos péchés, nous voyons que l'eau figure le peuple, le vin le Sang du Christ. Quand donc dans le calice l'eau se mêle au vin, c'est le peuple qui se mêle avec le Christ, et la foule des croyants qui se joint et s'unit à celui en qui elle croit. Ce mélange, cette union du vin et de l'eau dans le calice du Seigneur est indissoluble. De même l'Église, c'est-à-dire le peuple qui est dans l'Église et qui fidèlement, fermement, persévère dans la foi, ne pourra jamais être séparée du Christ, mais Lui restera attachée par un amour qui des deux ne fera plus qu'un. Mais quand on consacre le calice du Seigneur on ne peut offrir l'eau seule, pas plus qu'on ne peut offrir le vin seul. Car si l'on offre le vin seul, le Sang du Christ est présent sans nous; si l'eau est seule, voilà le peuple sans le Christ. Au contraire quand l'un est mêlé à l'autre et que, se confondant, ils ne font plus qu'un, alors le mystère spirituel et céleste est accompli. Le calice du Seigneur n'est donc pas plus la seule eau ou le vin seul, sans mélange des deux, que le Corps du Seigneur ne peut être la farine seule ou l'eau seule sans le mélange des deux et sans leur union pour composer du pain. Par là encore se trouve figurée l'unité du peuple chrétien : de même que des grains multiples réunis, moulus et mêlés ensemble, font un seul pain, ainsi dans le Christ qui est le pain du ciel, il n'y a, sachons-le bien, qu'un seul corps, avec lequel notre pluralité est unie et confondue.

Il n'y a donc pas lieu de penser, frère très cher, que l'on doive suivre l'usage de certains, qui ont pensé jadis que l'on devrait offrir de l'eau seulement dans le calice du Seigneur : il n'y a qu'à se demander qui ils ont eux-mêmes suivi. Car, si dans le sacrifice que le Christ a offert, on ne doit suivre que le Christ, nous devons immédiatement obéir, et faire ce que le Christ a fait et prescrit de faire, puisqu'Il dit Lui-même dans son évangile : "Si vous faites ce que Je vous prescris, Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis". (Jn 15,14-15). Et que le Christ doive être seul écouté, c'est ce que le Père proclame du haut des cieux : "Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui J'ai mis mes complaisances; écoutez-Le". (Mt 17,5). Par conséquent, si c'est le Christ seul qui doit être écouté, nous ne devons pas faire attention à ce qu'un autre avant nous peut avoir pensé qu'il fallait faire, mais à ce que le Christ, qui est avant tous, a fait le premier. Ce n'est pas, en effet, une coutume humaine, mais la Vérité divine qu'il faut suivre, car le Seigneur parlant par la bouche du prophète Isaïe dit : "C'est en vain qu'ils Me rendent un culte, enseignant des doctrines et des préceptes humains". (Is 29,13). Et le Seigneur de nouveau, dans l'évangile, répète le même reproche : "Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition". (Mc 7,9). Dans un autre endroit, Il dit encore ceci : "Celui qui aura enfreint le plus petit de ces commandements, et aura enseigné de même manière, sera le plus petit dans le royaume des cieux". (Mt 5,19). Il n'est donc pas permis d'enfreindre les moindres des commandements du Seigneur. A combien plus forte raison, quand il s'agit de commandements si importants, si graves, si directement liés au mystère de la Passion du Seigneur et de notre rédemption, n'est-il pas permis de les fouler aux pieds, ou d'en faire autre chose que ce que le Seigneur a établi, en les changeant pour une tradition humaine. Car si le Christ Jésus notre Seigneur et notre Dieu est Lui-même le grand prêtre de son divin Père, et S'est offert lui-même le premier à ce Père en sacrifice, à coup sûr, le prêtre remplit le rôle du Christ qui fait ce que le Christ a fait, et il n'offre à Dieu le Père, dans l'Église, la vérité et la plénitude du sacrifice, qu'autant qu'il l'offre comme il voit que le Christ Lui-même l'a offert.

C'est d'ailleurs renverser toute véritable discipline religieuse que ne pas observer fidèlement ce qui est divinement prescrit : à moins que l'on ne craigne, au sacrifice du matin, d'exhaler l'odeur du Sang du Christ en sentant le vin. C'est ainsi que les frères, dans la persécution ont moins d'ardeur à souffrir comme le Christ, en apprenant à rougir de son Sang dans les sacrifices. Pourtant le Seigneur dit dans son évangile : "Qui aura rougi de Moi, le Fils de l'homme rougira de lui". (Mc 8,38). Et l'Apôtre dit de son côté : "Si je plaisais aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ". (Gal 1,10). Et comment pourrions-nous répandre notre sang pour le Christ, si nous rougissons de boire le Sang du Christ ?

Serait-ce que quelqu'un s'en laisserait imposer par cette considération que, tout en paraissant n'offrir que de l'eau le matin, cependant quand nous nous réunissons pour le repas du soir, nous offrons un calice où il y a de l'eau et du vin ? Mais, quand nous dînons, nous ne pouvons convoquer le peuple à notre table pour célébrer en présence de tout le peuple le mystère de vérité. Mais, dira-t-on, ce n'est pas le matin, c'est après le repas du soir, que notre Seigneur a offert le calice. Est-ce donc après le repas du soir que nous devons nous réunir, au sacrifice du Seigneur, afin de pouvoir ainsi offrir le calice mêlé ? Le Christ devait offrir, vers la fin du jour, afin de signifier par l'heure même du sacrifice le déclin et le soir du monde, suivant ce qui est écrit dans l'Exode : "Toute l'assemblée des enfants d'Israël l'immolera vers le soir". (Ex 12,6). Et aussi dans les psaumes : "L'élévation de mes mains est le sacrifice du soir". (Ps 140,2). Mais nous, nous célébrons la résurrection du Seigneur le matin.

Et parce que nous faisons mention de sa Passion dans tous nos sacrifices (la Passion du Seigneur est en effet le sacrifice que nous offrons), nous ne devons rien faire d'autre que ce qu'il a fait. L'Écriture nous recommande, toutes les fois que nous offrons le calice en mémoire du Seigneur et de sa Passion, de faire ce qu'il est constant que le Seigneur a fait. Si l'un ou l'autre de nos prédécesseurs, frère très cher, a pu, par ignorance ou simplicité d'âme, ne pas faire et observer ce que le Seigneur par son exemple et son enseignement nous a commandé, c'est son affaire; la divine Bonté peut pardonner à sa simplicité. Mais nous, nous serons sans excuse, nous qui, maintenant, sommes avertis de par le Seigneur. Il nous faut donc offrir son calice de la manière qu'Il l'a offert, et envoyer à ce sujet des lettres à nos collègues, afin que partout la loi évangélique, la tradition dominicale soit observée, qu'on ne s'écarte pas de ce que le Seigneur a recommandé et fait Lui-même.

Dédaigner plus longtemps ces recommandations et persévérer dans une erreur, qu'est-ce autre chose qu'encourir le blâme du Seigneur : "Pourquoi enseignes-tu mes préceptes et as-tu mon alliance à la bouche, toi qui détestes mon enseignement, et jettes mes paroles derrière toi ? Si tu voyais un voleur, tu courais avec lui, et tu faisais cause commune avec les adultères". (P 49,16-18). Exposer en effet les préceptes du Seigneur, et son alliance, et ne point faire ce qu'a fait le Seigneur, qu'est-ce autre chose que rejeter sa parole, mépriser son enseignement et commettre des vols et des adultères, non matériels, mais spirituels, en dépouillant de leur vérité évangélique les paroles et les actes de notre Seigneur, en corrompant et adultérant les préceptes divins ? C 'est ce qu'écrit Jérémie : "Qu'y a-t-il, de commun, dit-il, entre la paille et le froment ? Voilà pourquoi je m'élèverai, dit le Seigneur, contre les prophètes, qui dérobent mes paroles à leur prochain, et séduisent mon peuple par leurs mensonges et leurs erreurs". (Jer 23,28; 30,32).Dans un autre endroit, on lit encore chez le même Jérémie : "Elle a commis l'adultère, dit-il, avec le bois et la pierre, et, en toutes ces choses, elle n'est point revenue à moi". (Jer 3,9-10). Nous devons veiller avec un soin et une inquiétude religieuse à ce que ce reproche de vol et d'adultère ne tombe pas sur nous. Car, si nous sommes les évêques de Dieu et du Christ, je ne vois pas quel autre guide nous devons suivre que Dieu et le Christ. Ne dit il pas dans l'évangile : "Je suis la lumière du monde. Celui qui Me suivra ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie". (Jn 9,17). Donc, pour ne point marche. dans les ténèbres, nous devons suivre le Christ et observer ses préceptes, puisqu'en un autre endroit, envoyant ses apôtres, Il dit : "Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez-donc, et enseignez tous les hommes, les baptisant au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que Je vous ai commandé." (Mt 28,18-20). Donc, si nous voulons marcher dans la lumière du Christ, ne nous écartons pas de ses préceptes et de ses recommandations. Rendons-Lui grâce de ce qu'Il veut bien, tout en nous instruisant sur ce que nous devons faire à l'avenir, nous pardonner nos erreurs involontaires dans le passé, et de ce que, son second avènement étant proche, il daigne bénignement et généreusement illuminer nos coeurs de la lumière de la vérité.

II appartient donc à notre piété, et à la crainte de Dieu que nous avons au coeur, frère très cher, en même temps qu'à notre rang et au devoir de notre dignité épiscopale, de garder la tradition dominicale en mêlant le vin et l'eau dans l'oblation du calice, et de corriger suivant l'avertissement qu'il nous donne l'erreur qui semble avoir été commise par quelques-uns, afin que quand il viendra dans l'éclat de sa Gloire et de sa Majesté divine, Il nous trouve gardant ce qu'Il a recommandé observant ce qu'Il a enseigné, faisant ce qu'Il a fait. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
 
 

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LETTRE 64

 
 

CYPRIEN ET SES COLLEGUES PRÉSENTS AU CONCILE (3), AU NOMBRE DE SOIXANTE-SIX, A FIDUS , LEUR FRERE, SALUT.

 

Nous avons lu, frère très cher, la lettre que vous nous avez écrite au sujet de Victor, autrefois prêtre. Vous nous indiquiez que, sans qu'il eût fait pénitence complète ni donné satisfaction au Seigneur, contre qui il avait péché, notre collègue Therapius, agissant à la légère, avec une hâte irraisonnable, lui a donné la paix avant l'heure. Il nous a été pénible que l'on se soit écarté de ce que nous avions décidé, pour lui accorder la paix sans attendre le délai régulier, sans que le peuple le sût et le demandât, sans d'ailleurs qu'aucune maladie, aucune nécessité l'imposât. Mais après avoir pesé le pour et le contre, il nous a semblé suffisant de représenter à notre collègue Therapius qu'il avait agi à la légère et de l'avertir d'avoir à se garder de rien faire de tel dans l'avenir. Quant à la paix, de quelque manière qu'elle ait été donnée ainsi par un évêque du Seigneur, nous avons cru ne pas devoir l'enlever, et nous avons permis à Victor de jouir des droits attachés à la communion qui lui avait été rendue.

Pour ce qui regarde les enfants, vous disiez qu'on ne devait pas les baptiser le deuxième ou le troisième jour, mais qu'il fallait prendre modèle sur la loi antique de la circoncision, par conséquent ne pas baptiser et sanctifier le nouveau-né avant le huitième jour. Notre assemblée en a pensé tout autrement. La façon d'agir que vous préconisiez n'a rallié aucun suffrage, et nous avons tous été d'avis qu'il ne fallait refuser à aucun homme arrivant à l'existence la Miséricorde et la Grâce de Dieu. Le Seigneur dit dans l'évangile : "Le fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver". (Lc 9,56). Autant donc qu'il est en nous, nous ne devons, si c'est possible, perdre aucune âme. Que manque-t-il, en effet, à celui que les Mains de Dieu ont formé dès le sein de sa mère ? A nos yeux, il semble que ceux qui arrivent à l'existence croissent avec les jours d'ici bas. En réalité, ce qui est fait par Dieu est parfait, en raison de la majesté et de l'opération divine de l'auteur.

Bref, que tous, tout petits enfants ou personnes plus âgées, reçoivent également le don divin, c'est ce que la divine Écriture nous montre, quand elle nous représente Elisée s'étendant, en priant Dieu, sur l'enfant de la veuve qui était mort, tête contre tête, face contre face, en sorte que les membres du prophète allongé sur l'enfant correspondaient exactement à ses membres et les pieds de l'un aux pieds de l'autre. Si on examine la chose d'après la nature et le corps humain, un enfant ne peut avoir les mêmes dimensions qu'un adulte; de petits membres ne peuvent s'adapter exactement à de plus grands. Mais ce qui est exprimé la, c'est l'Égalité divine et spirituelle, suivant laquelle tous les hommes sont de même taille et de même âge; et il n'est possible d'établir des différences d'âge et de développement corporel qu'au regard de l'homme et non de Dieu : à moins qu'il ne faille dire que la grâce même, qui est accordée aux baptisés, est moindre ou plus grande suivant l'âge de ceux qui la reçoivent. Mais non. L'Esprit saint est donné également à tous, non d'après une mesure proportionnelle, mais d'après une bonté et une bienveillance paternelle. Car Dieu ne fait pas plus acception d'âge que de personne, mais il est pour tous, dans la distribution de la grâce céleste, un Père qui partage également.

Mais vous ajoutez que le pied d'un enfant aux premiers jours après sa naissance n'est point pur, et que chacun redoute de le baiser : cela non plus ne doit point être un obstacle à ce qu'on lui confère la grâce divine. Il est écrit en effet : "Tout est pur à qui est pur". (Tit 1,15). Et personne ne doit avoir horreur de ce que Dieu a daigné faire. L'enfant sans doute est de naissance récente; il n'est point tel cependant que l'on doive, quand on lui donne la grâce et la paix, avoir horreur de le baiser, puisque chacun de nous, en baisant cet enfant, doit penser, conformément à nos croyances, aux Mains de Dieu dont il vient de sortir, et que nous baisons en quelque manière en cet être humain récemment formé et venu à la lumière, puisque nous embrassons l'oeuvre de Dieu. Quant à ce fait que la circoncision juive se faisait le huitième jour, c'était là un symbole et comme une esquisse, une figure, qui devait être accomplie à la Venue du Christ. Car, comme le huitième jour, c'est-à-dire le premier après le jour du sabbat, devait être celui où le Seigneur ressuscitait, nous rendrait la vie, et nous donnerait la circoncision spirituelle, ce huitième jour, c'est à-dire le premier après celui du sabbat, le jour du Seigneur, a précédé comme une image préfigurant l'avenir. Cette figure a cessé quand la vérité est venue, et nous a été donnée avec la circoncision spirituelle.

C'est pourquoi, nous ne croyons pas qu'il faille empêcher personne de recevoir la grâce d'après la loi qui a été établie; nous pensons que la circoncision spirituelle ne doit pas être empêchée par la circoncision charnelle, mais qu'il faut admettre tout homme à la grâce du Christ, puisque aussi bien Pierre dit dans les Actes des Apôtres : "Le Seigneur m'a dit qu'aucun homme ne devait être appelé souillé et impur". (Ac 10,28). Au surplus, si l'homme, quand il s'agit d'obtenir la grâce, pouvait en être empêché par quelque chose, ce seraient surtout les adultes et les personnes âgées qui pourraient en être empêchés par des fautes graves. Eh bien, les plus grands coupables, après avoir péché gravement contre Dieu, lorsqu'ils arrivent à la foi, obtiennent la rémission de leurs fautes : personne n'est privé du baptême et de la grâce. A combien plus forte raison un enfant n'en doit-il pas être privé, qui, étant né depuis peu de temps, n'a commis aucune faute; il a contracté seulement à sa première naissance, comme descendant d'Adam, le virus mortel de l'antique contagion; il arrive d'autant plus facilement à obtenir la rémission des péchés, que les péchés qu'on lui remet ne sont pas les siens, mais ceux d'autrui.

Et voilà pourquoi, frère très cher, notre concile a été d'avis que personne ne devait être écarté par nous du baptême et de la grâce de Dieu, qui est à tous miséricordieux, bienveillant et doux. C'est ce que l'on doit observer et mettre en pratique à l'égard de tous, mais surtout nous croyons qu'on doit l'observer à l'égard des enfants, qui ont par cela même plus de titres à notre Assistance et à la Miséricorde divine, que, dès l'instant de leur naissance, ils ne font autre chose que prier par leurs cris et leurs larmes. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(3) Si l'on compare le motif du blâme infligé ici à Thérapius aux termes des prescriptions synodales de 251 et 252 concernant les lapsi (57) il semble que ce concile soit celui de l'automne de 251. Cette lettre devrait donc venir dans la série chronologique près de la 54e ou de la 55e.
 
 

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LETTRE 65

 
 

CYPRIEN A EPICTETE, SON FRERE, ET AU PEUPLE D'ASSURAS.

 

J'ai éprouvé une vive et profonde peine, frères très chers, en apprenant que Fortunatianus, jadis évêque chez vous, après être tombé lamentablement, voulait agir comme si rien ne s'était passé, et reprendre l'exercice des fonctions épiscopales. J'en ai été attristé, d'abord pour le malheureux, qui, aveuglé complètement par le diable, ou trompé par des conseils sacrilèges, ose, alors qu'il devrait s'efforcer de satisfaire, et passer les jours et les nuits dans la prière et les larmes pour apaiser le Seigneur, ose réclamer la dignité épiscopale qu'il a trahie : comme si, après s'être approché des autels du diable, on pouvait encore monter a l'autel de Dieu; comme si l'on ne s'exposait pas à une plus grande colère et indignation du Seigneur au jour du jugement, quand, non content de n'avoir pas su précéder ses frères dans la voie de la foi et du courage, on devient pour eux au contraire un exemple d'infidélité, d'audace et de témérité; ou bien quand, n'ayant pas su apprendre aux frères à rester debout dans la bataille, on apprend plutôt à ceux qui ont été vaincus et abattus, à ne même pas demander d'être relevés ! Le Seigneur dit pourtant : "vous leur avez fait des libations, et devant eux vous avez mis des offrandes, et Je n'en serais pas indigné !"(Is 57,6). Et en un autre endroit : "Il sera déraciné celui qui sacrifie aux dieux et non au Seigneur seul". (Ex 22,19). Le Seigneur parle encore et dit : "ils ont adoré ceux que leurs doigts ont fabriqués, et la créature s'est courbée, et l'homme s'est abaissé et je ne leur pardonnerai pas". (Is 2,8-9). Dans I'Apocalypse aussi, nous voyons le Seigneur menacer avec colère : "si quelqu'un, dit-Il, adore la bête et son image, ou en reçoit la marque sur son front et sur sa main, il boira lui aussi du vin de la Colère de Dieu préparé dans la coupe de sa Colère, et il sera puni par le feu et le soufre, sous les yeux des saints anges et de l'Agneau. La fumée de leur supplice montera dans les siècles des siècles; et ils n'auront de repos le jour ni la nuit, ceux qui adorent la bête et son image". (Ap 14,9-11).

Puis donc que Dieu menace de tels tourments, de tels supplices, au jour du jugement, ceux qui se soumettent au diable et sacrifient aux idoles, comment peut-on croire pouvoir agir comme prêtre de Dieu quand on s'est soumis et qu'on a obéi aux prêtres du diable ? Comment croire que l'on puisse consacrer au sacrifice de Dieu et à la prière du Seigneur une main qui fut livrée au sacrilège et au crime, alors que dans les divines Écritures le Seigneur interdit le sacrifice aux prêtres même en état de faute légère et qu'il dit dans le Lévitique : "L'homme qui aura un défaut ou une tache ne viendra pas à l'autel faire des offrandes à Dieu". (Lev 21,17). De même dans l'Exode : "Et que les prêtres qui s'approchent du Seigneur Dieu soient saints, de peur que le Seigneur ne les abandonne". (Ex 19,22). Et encore : "Ceux qui viendront remplir leur ministère à l'autel du Saint, ne se rendront pas coupables de faute, de peur qu'ils ne soient frappés de mort". (Ex 19,31). Ceux donc qui se sont rendus coupables de fautes graves, c'est-à-dire qui, en sacrifiant aux idoles, ont fait des sacrifices sacrilèges, ne peuvent réclamer l'exercice des fonctions de prêtre de Dieu, ni faire devant lui aucune prière pour leurs frères, puisqu'il est écrit dans l'évangile : "Dieu n'écoute pas le pécheur, mais celui qui honore Dieu et fait sa Volonté, celui-là Dieu l'écoute". (Jn 9,31). Pourtant tel est, sous l'influence des ténèbres profondes qui envahissent leur coeur, l'aveuglement de certains, que les préceptes salutaires ne font pas entrer en eux le moindre rayon de lumière mais, une fois écartés de la ligne du vrai chemin, ils se précipitent tête baissée dans l'abîme, en traînés et égarés dans les ténèbres de leurs crimes.

Il n'est d'ailleurs pas étonnant qu'ils refusent d'obéir a nos conseils et aux commandements du Seigneur, eux qui L'ont renié. Ils regrettent l'argent, les offrandes et les bénéfices, dont ils couvaient le montant d'un oeil avide, et ils ouvrent encore la bouche en pensant aux festins et aux beuveries : dont les effets duraient des journées entières et leur donnaient de la pesanteur et des envies de vomir : montrant à l'évidente qu'autrefois non plus ce n'était pas de la religion, mais de leur ventre et de gains vulgaires qu'ils étaient les serviteurs empressés. C'est de là, nous le voyons comme nous le croyons, qu'est venue sur eux la Justice divine, pour les écarter de l'autel : elle a voulu empêcher qu'à leur contact la pudeur ne fût souillée par des impurs, la croyance par des incroyants, la religion par des profanes, les choses divines par des êtres terrestres, les choses saintes par des sacrilèges. Il faut veiller de toutes nos forces à ce que de tels hommes ne viennent pas de nouveau souiller de leur contact l'autel et nos frères, il faut nous appliquer de toute notre énergie à rabattre leur audace criminelle, afin que ceux-là ne tentent pas de nouveau de faire fonction d'évêques, qui, après en être venus au dernier degré de la mort, ont été plus loin que des lapsi laïcs et sont tombés d'une chute plus lourde.

Mais si ces furieux persévèrent dans leur égarement et que, le saint Esprit s'écartant d'eux, la nuit de leur aveuglement continue, il nous semble qu'il serait à propos de séparer nos frères individuellement d'eux et de leur erreur, et de les tenir à l'abri de tout contact avec eux, de peur qu'ils ne tombent dans les filets de l'erreur. L'oblation ne peut être sanctifiée là où l'Esprit saint n'est pas, et le Seigneur ne répand ses Bienfaits sur personne à la prière de celui qui l'a outragé. Que si Fortunatianus, oublie son crime par suite d'un aveuglement diabolique, ou bien se fait le ministre et le serviteur du diable, en persévérant dans son égarement présent, faites tout ce que vous pouvez pour la défense de nos frères. Parmi ces ténèbres que répand la fureur du diable, détournez leur esprit de l'erreur afin qu'ils ne participent pas à la folie des autres, qu'ils ne se fassent pas les complices de gens perdus, mais que plutôt sans se laisser corrompre, ils gardent avec une vigueur indéfectible la fidélité conservée jusqu'à cette heure.

Quant aux lapsi, qu'ils ne cessent pas, connaissant la gravité de leur faute, d'implorer de Dieu leur pardon, et n'abandonnent pas l'Église catholique, l'unique, la seule qu'a établie le Seigneur. Qu'ils s'appliquent à satisfaire, implorant la Miséricorde de Dieu, et frappent à la porte de l'Église, afin qu'ils puissent entrer là d'où ils sont sortis, et revenir au Christ dont ils se sont éloignés. Qu'ils n'écoutent pas ceux qui les trompent par des mensonges et ne cèdent pas a une séduction fatale; quand il est écrit : "Que personne ne vous séduise par des paroles vaines. C'est pour cela que la Colère de Dieu vient sur les rebelles. Ne partagez pas leur sort. (Ep 5,6-7). Donc, que personne ne suive des rebelles, qui ne craignent pas Dieu et s'éloignent complètement de l'Église. Si quelqu'un n'a pas la patience de faire ce qu'il faut pour obtenir le pardon du Seigneur, et qu'il ne veuille pas nous obéir, et suive des gens désespérés et perdus, il ne s'en prendra qu'à lui-même au jour du jugement. Comment, en effet, pourrait-il ce jour-là obtenir le pardon du Seigneur, lui qui antérieurement à renié le Christ et maintenant encore renie l'Église du Christ, lui qui refuse d'obéir à des évêques bien vivants et sans blessure pour se faire le compagnon et le complice de ceux qui se sont donné le coup de mort ? Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
 
 

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LETTRE 66

 
 

CYPRIEN, AUTREMENT DIT THASCIUS, A FLORENTIUS, AUTREMENT DIT PUPPIANUS, SALUT.

 

Je croyais, frère, que le repentir vous était enfin venu d'avoir, dans le passé, écouté à la légère et cru à notre sujet des choses si infâmes, si honteuses, si détestables même pour des païens. Or, je remarque maintenant encore, en lisant votre lettre, que vous êtes toujours le même, que vous avez la même idée de nous, et que vous persévérez dans la même opinion; je vois que, par crainte de souiller, en communiquant avec nous, la gloire de votre martyre, vous faites sur nos moeurs une enquête minutieuse et qu'après le Jugement de Dieu, vous entendez juger; je ne dis pas moi, - que suis-je en effet ? - mais le Jugement même de Dieu et du Christ. C'est ne pas croire en Dieu, c'est se dresser en rebelle contre le Christ et son évangile, que d'oser, quand Il dit : "Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas un sou, et cependant il n'en tombe pas un à terre, sans que le Père le veuille"; et quand il prouve, ce Dieu de majesté et de vérité, que même des choses de moindre importance n'arrivent pas sans qu'Il le sache et le permette, que d'oser, dis-je, penser que dans l'Église on ordonne les évêques de Dieu sans qu'Il le sache. Croire en effet que les ordonnés sont indignes et impurs, qu'est-ce autre chose que prétendre que ce n'est pas de Dieu et par Dieu que les évêques sont établis dans l'Église ?

Croyez vous donc que le témoignage que je me rends vaille mieux que celui de Dieu ? Ne savez vous pas que le Seigneur nous instruit Lui-même et déclare que le témoignage n'est pas vrai que l'on porte sur soi-même, chacun étant prévenu en sa propre faveur et ne produisant rien contre soi, tandis que c'est une bonne marque de vérité, quand il est parlé de nous, que ce soit un autre qui parle et qui nous rende témoignage ? "Si Je me rends témoignage à Moi-même, dit-Il, mon témoignage ne vaut pas. Il y en a un autre qui est mon témoin". Que si

notre Seigneur, qui doit juger un jour toute créature, n'a pas voulu qu'on l'en crût sur son propre témoignage, et a préféré être justifié par celui de son Père, à combien plus forte raison ses serviteurs doivent ils avoir des préoccupations semblables, eux que le Jugement et le Témoignage de Dieu ne justifient pas seulement, mais qu'ils glorifient. Vous, cependant, plutôt que de vous en tenir à la Sentence divine, au témoignage de notre conscience, appuyée sur sa foi, vous avez préféré croire les inventions de personnes ennemies et méchantes, comme si des gens qui ont apostasié, qui se sont mis hors de l'Église, et sont devenus des profanes, dont l'Esprit saint a quitté l'âme, pouvaient offrir autre chose qu'un coeur pervers, une langue menteuse, des haines venimeuses, des mensonges sacrilèges. Celui qui croit de telles gens ne peut manquer d'être en leur compagnie quand le jour du Jugement viendra.

Quant à ce que vous dites, que les évêques doivent être humbles parce que le Seigneur et les apôtres furent humbles, mon humilité est connue et aimée et de nos frères et des Gentils eux-mêmes. Vous-même la connaissiez et l'aimiez quand vous étiez encore dans l'Église et en communion avec moi. Mais qui donc de nous deux manque d'humilité, de moi qui chaque jour accueille avec bonté, avec plaisir, avec joie, chacun des frères qui viennent à l'Église, ou de vous qui vous faites l'évêque de l'évêque et le juge du juge que Dieu a établi pour un temps, alors que le Seigneur dit dans le Deutéronome : "L'homme qui aura agi avec orgueil, n'écoutant point le prêtre ou le juge qui sera en fonction ces jours-là, cet homme sera mis à mort, et tout le peuple en l'apprenant sera saisi de crainte et ils n'agiront plus en impies à l'avenir". (Dt 17,12-13). Le Seigneur dit encore à Samuel : "Ce n'est pas vous qu'ils ont méprisé, c'est Moi". (1 Sam 8,7). De même dans l'évangile, comme on Lui disait : "C'est ainsi que vous répondez à un pontife", gardant Lui-même et apprenant aux autres à garder le respect dû au sacerdoce, Il ne dit rien contre le pontife, mais montrant seulement son Innocence, Il répond : "Si j'ai mal parlé, faites moi des reproches sur ce qui est mal; si J'ai bien parlé, pourquoi Me frappez vous ?" De même le bienheureux Apôtre, à qui on disait : "C'est ainsi que vous vous emportez en invectives contre un grand prêtre", ne prononça point de parole outrageuse contre le prêtre, bien qu'il eût pu s'élever avec force contre des gens qui avaient crucifié Dieu et qui avaient perdu le Seigneur, le Christ, le temple et le sacerdoce. Mais bien qu'il eût affaire à des prêtres faux et dépouillés de leur caractère, pensant à l'ombre de sacerdoce qui leur restait, il dit : "Je ne savais pas, mes frères, qu'il fût pontife. Il est écrit en effet : Vous ne proférerez point d'injure contre un prince de votre peuple" (Ac 23,4-5).

Est-ce donc qu'évêque à vos yeux avant la persécution, j'aurais, après la persécution, cessé d'être évêque ? La persécution est venue vous élever aux sublimes hauteurs du martyre, tandis que moi elle m'a accablé du poids de la proscription. On pouvait lire en effet l'affiche suivante : "Si quelqu'un détient et possède des biens de Cécilius Cyprianus, évêque des chrétiens." Ainsi celui qui ne croyait pas Dieu quand Il m'a établi évêque, pouvait du moins croire le diable quand il me proscrivait comme évêque. Je ne dis pas cela par jactance, mais c'est la douleur qui me le fait dire, en vous voyant vous constituer le juge de Dieu et du Christ qui dit à ses apôtres et par là à tous les évêques dont la suite des ordinations fait les successeurs des apôtres : "Celui qui vous écoute, M'écoute et celui qui M'écoute écoute Celui qui M'a envoyé. Et celui qui vous repousse, Me repousse et repousse en même temps Celui qui M'a envoyé".

Ainsi naissent, et ainsi naîtront toujours schismes et hérésies, quand l'orgueilleuse présomption de certaines personnes fait mépriser l'évêque qui est unique et gouverne l'Église, quand un homme que Dieu a daigné honorer paraît indigne à des hommes. Quelle est en effet cette superbe, cette arrogance ? Quel est cet orgueil d'appeler à son tribunal prélats et évêques ? Ainsi donc si nous ne sommes pas justifiés devant vous, et acquittés par votre sentence, depuis six ans les frères seront restés sans évêque, le peuple sans chef, le troupeau sans pasteur, l'Église sans pilote, le Christ sans représentant, Dieu sans prêtre. Que Puppianus vienne à notre secours, qu'il rende une sentence, qu'il ratifie le Jugement de Dieu et du Christ. Autrement tant de fidèles qui ont été rappelés sous notre épiscopat sembleront être sortis de ce monde sans espoir de salut et de paix, les nouvelles recrues de la foi seront considérées comme n'ayant obtenu par notre ministère aucune grâce de baptême et d'Esprit saint, enfin la paix et la communion, qu'après examen de leur cas nous avons données à tant de lapsi pénitents, seront annulées par votre jugement ! Daignez enfin faire un signe d'approbation, vous prononcer sur notre cas, et confirmer notre épiscopat, afin que Dieu et le Christ puissent vous être obligés d'avoir rendu un pontife et un chef à leur autel tout à la fois et à leur peuple !

Les abeilles ont un roi (Nous dirions aujourd'hui une reine. Les anciens croyaient que c'était un roi. Cf. Virg. Georg. IV. 68, 75), les troupeaux un guide, et ils lui sont fidèles; les brigands obéissent humblement à celui qui est leur chef : combien ils sont plus simples et meilleurs que nous, les troupeaux sans raison, les animaux sans voix, et les brigands, bien qu'ils vivent dans le sang et la violence furieuse, parmi les épées et les armes ! Ils reconnaissent un chef et le craignent, et ce chef n'a pas été établi par un Jugement divin, mais par l'accord d'une bande perverse, d'une troupe de malfaiteurs.

Vous dites sans doute qu'il faut vous ôter de l'esprit un scrupule où vous êtes tombé. Oui, vous y êtes tombé, mais par une crédulité impie. Vous y êtes tombé, mais par une disposition de volonté sacrilège. En prêtant facilement l'oreille à des accusations infâmes, impies, exécrables, contre un frère, contre un évêque, en y ajoutant foi volontiers, vous faites vôtres, et vous soutenez comme votre sentiment les mensonges d'autrui. Vous ne vous souvenez pas qu'il est écrit : "Mettez devant vos oreilles une haie d'épines et n'écoutez pas la langue perverse". (Ec 28,24). Et encore : "Le méchant prête l'oreille aux propos des pervers, le juste ne fait pas attention à ce que disent des lèvres menteuses". Pourquoi ne sonnailles pas tombés dans ce scrupule ces martyrs pleins de l'Esprit saint, déjà tout près de venir par la mort en Présence de Dieu et du Christ, qui de leur prison ont écrit "à Cyprien évêque", le reconnaissant comme pontife et lui rendant hommage ? Pourquoi ne sonnailles pas tombés dans ce scrupule tous ces évêques, mes collègues, qui s'étant éloignés ont été proscrits ou arrêtés, ont été jetés en prison et dans les fers, ou envoyés en exil, sont allés à Dieu par cette voie glorieuse, ou encore, ayant été exécutés, comme c'est arrivé en certains endroits, ont recueilli les couronnes célestes en rendant gloire à Dieu ? Pourquoi ne sonnailles pas tombés dans ce scrupule, ceux de notre peuple ici présent, à nous confiés par la Bonté divine, tant de confesseurs mis à la question, à la torture qu'illustre le souvenir de leurs blessures et leurs cicatrices glorieuses, tant de vierges sans tâche, tant de veuves dignes d'éloge, toutes les églises enfin que le lien de l'unité attache à nous dans le monde entier ? Mais sans doute tous ceux-là, qui sont en communion avec moi, ont été, comme vous dites, souillés de notre souillure, et ont perdu tout espoir de vie éternelle par suite de ce commerce avec nous : Puppianus seul, intact, inviolé, saint, pur, vu qu'il ne s'est pas mêlé à nous; habitera seul le paradis et le royaume des cieux !

Vous écrivez encore que l'Église, à cause de moi, voit maintenant une partie de ses membres séparée du reste, alors que tous les fidèles sont ensemble, unis, et attachés les uns aux autres par le lien d'une concorde indissoluble, et que ceux-là seuls sont restés hors de l'Église, qu'il eût fallu en chasser s'ils avaient été dedans. Le Seigneur, Protecteur et Gardien de son peuple, ne permet pas que le bon grain soit emporté loin de son aire, mais seulement que la paille puisse être éloignée de l'Église. L'Apôtre dit en effet : "Mais quoi ? Si quelques uns n'ont pas cru, leur incrédulité a-t-elle anéanti la Fidélité de Dieu ?" (Rm 3,4). Loin de nous une telle pensée ! Dieu est véridique, et tout homme est menteur ". Et le Seigneur Lui-même dans l'évangile, voyant les disciples le quitter au milieu de son discours, se tourna vers les Douze et leur dit : "Est-ce que vous aussi, vous voulez vous en aller ?" Pierre Lui répondit : "Seigneur, à qui irions nous : c'est Toi qui as la parole de la vie éternelle, et nous Te croyons et reconnaissons que Tu es le Fils du Dieu vivant". (Jn 6,67-69). Celui qui parle là, c'est Pierre, sur qui l'Église avait été bâtie, et au nom de l'Église, il fait voir que quand bien même une multitude en révolte et refusant d'obéir s'éloignerait, l'Église cependant ne s'éloigne pas du Christ; il montre que l'Église, c'est pour lui le peuple uni à son pontife, et le troupeau resté près du pasteur. Par là, vous devriez comprendre que l'évêque est dans l'Église et l'Église dans l'évêque, et que si quelqu'un n'est pas avec l'évêque, il n'est pas dans l'Église; que ceux-là se flattent et se font illusion qui, subrepticement et en cachette, veulent communiquer avec certains, puisque l'Église qui, tout entière est une, n'est pas en plusieurs morceaux séparés, mais ne forme qu'un tout dont l'union des évêques est le lien.

C'est pourquoi, frère, si vous voulez songer à la Majesté de Dieu qui ordonne les évêques, si vous tournez vos pensées vers le Christ dont la Volonté souveraine, présente à son Église et à ses chefs, les gouverne les uns et les autres, si pour juger de l'innocence des évêques, vous nous en rapportez, non à la haine des hommes, mais au Jugement de Dieu, si vous commencez, bien que tard, à faire pénitence de votre témérité, de votre orgueil et de votre insolence, si vous donnez satisfaction pleine et entière au Seigneur et à son Christ que je sers, et à qui, dans la persécution comme dans la paix, je ne cesse d'offrir des sacrifices d'une bouche pure et sans tache, nous pourrons tenir compte de votre communion. Nous nous réserverons cependant le droit de consulter avec crainte la divine Justice, et de demander d'abord à celui qui est mon Maître de me faire connaître s'Il permet de vous donner la paix et de vous remettre en communion avec son Église.

Je me souviens en effet de ce qui m'a été indiqué, que dis-je, de ce que l'Autorité du Seigneur et de Dieu a commandé à son humble et docile serviteur. Entre autres choses qu'Il a daigné me faire connaître et me révéler, Il a dit ceci : "Par conséquent, celui qui ne croit pas au Christ lorsqu'il fait un évêque, apprendra par la suite à croire au Christ, lorsqu'il verra un évêque vengé par Lui." Je sais bien que certains trouvent les songes ridicules et les visions absurdes, mais ce sont précisément ceux qui aiment mieux croire contre les évêques que de croire un évêque. D'ailleurs, il n'y a rien d'étonnant à cela, puisque les frères de Joseph ont bien dit de lui : "Voici venir notre songeur; venez, tuons-le"; et le songeur vit plus tard son rêve réalisé, et ses meurtriers, ses vendeurs, confondus, et obligés, après avoir refusé de croire ses paroles, d'en croire les faits eux-mêmes. Quant à ce que vous avez fait, soit dans la persécution, soit dans la paix, ce serait folie à moi de vouloir vous juger là-dessus, puisque c'est plutôt vous qui vous êtes établi mon juge. Aussi bien, je vous ai répondu d'après la conscience que j'ai de mon innocence, et la confiance que j'ai en Notre Seigneur et en Dieu. Vous avez ma lettre et j'ai la vôtre.

Au jour du Jugement, au Tribunal de Dieu, on lira l'une et l'autre.

 
 

LETTRE 67

 

CYPRIANUS, CECILIUS, PRIMUS, POLYCARPUS, NICOMEDES, LUCIANUS, SUCCESSUS, SEDATUS, FORTUNATUS, JANUARIUS, SECUNDINUS, POMPONIUS, HONORATUS, VICTOR, AURELIUS, SATTIUS, PETRUS, UN AUTRE JANUARIUS, SATURNINUS, UN AUTRE AURELIUS, VENANTIUS, QUIETUS, ROGATIANUS, TENAX, FELIX, FAUSTUS, QUINTUS, UN AUTRE SATURNINUS, LUCIUS, VINCENTIUS,LIBOSUS, GEMINIUS, MARCELLUS, JAMBUS, ADELPHIUS, VICTORICUS ET PAULUS, AU PRÊTRE FÉLIX ET AUX PEUPLES FIDÈLES DE LEGIO ET D'ASTURICA (1), AU DIACRE ÆLIUS, ET AU PEUPLE D'EMERITA, NOS FRÈRES, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

Nous étant assemblés (2), nous avons lu, frères très chers, la lettre que vous nous avez envoyée par nos co-évêques Félix et Sabinus, laquelle témoigne de l'intégrité de votre foi et de la crainte de Dieu qui est en vous. Vous nous y faisiez connaître que Basilides et Martialis, qui se sont souillés de billets d'idolâtrie, et qui ont sur la conscience des crimes abominables, ne doivent pas exercer les fonctions épiscopales. Vous exprimiez aussi le désir qu'une réponse à ce sujet vous fût envoyée et que notre avis exprimé vous apportât, dans votre juste et nécessaire inquiétude, un réconfort ou un secours. Mais votre demande a déjà sa réponse, moins dans les résultats de nos délibérations que dans les Préceptes divins. Il y a longtemps que la Parole céleste et la Loi de Dieu déterminent ceux qui doivent prendre part au service de l'autel, et célébrer les divins Sacrifices. Dans l'Exode, en effet, Dieu parle à Moïse et lui dit : "Que les prêtres qui s'approchent du Seigneur se purifient, de peur que le Seigneur ne les abandonne. Et encore : "Quand ils s'approcheront de l'autel du Saint pour le service, ils n'auront point de faute en leur âme, de peur de mourir". De même dans le Lévitique, le Seigneur donne des préceptes et dit : "L'homme, qui aura en lui une souillure ou un vice, ne s'approchera pas pour faire des offrandes au Seigneur".

Ainsi instruits et informés d'avance, nous ne pouvons pas ne pas obéir aux préceptes divins; il ne peut y avoir en ces matières acception de personne, et l'humaine complaisance ne peut rien là où il y a un Ordre écrit de Dieu qui s'y oppose. Nous ne devons pas en effet oublier ce que Dieu dit aux Juifs par le prophète Isaïe. Il se montre indigné de ce qu'ils dédaignaient ses Préceptes divins pour s'attacher à des doctrines humaines. "Ce peuple, dit-il, M'honore du bout des lèvres, son coeur est loin de Moi. Mais c'est en vain qu'ils Me rendent ce culte, puisqu'ils suivent des préceptes et des doctrines qui sont de l'homme". C'est ce reproche que le Seigneur répète dans l'Évangile en disant : "Vous rejetez les Préceptes de Dieu pour établir votre tradition". Les yeux fixés sur cet avertissement, y prêtant une attention sérieuse et religieuse, nous ne devons, quand il s'agit d'ordinations épiscopales, ne choisir que des chefs d'une réputation intacte et sans tache, qui, offrant à Dieu, de dignes et saints sacrifices, puissent être exaucés dans les prières qu'ils font pour le salut du peuple chrétien. Il est en effet écrit : Dieu n'écoute pas le pécheur mais celui qui honore Dieu et fait sa Volonté, Il l'écoute." Voilà pourquoi il faut, par une attention parfaite et un examen loyal, arriver à choisir pour l'épiscopat ceux que nous savons que Dieu exauce.

Que le peuple fidèle ne se flatte pas de pouvoir rester exempt de péché en communiquant avec un évêque pécheur, et en se prêtant à l'exercice illégitime et injuste de l'épiscopat d'un tel chef, quand la Justice divine fait entendre cette menace par la bouche du prophète Osée : "Leurs offrandes sont un pain de deuil : tous ceux qui en mangent seront souillés". Il nous apprend par là et nous fait voir que tous ceux-là sont condamnées au péché, qui se sont souillés au sacrifice d'un évêque profane et illégitime. C'est l'enseignement que nous trouvons encore dans les Nombres, quand Coré, Dathan et Abiron s'arrogèrent le droit de sacrifier. Là aussi le Seigneur par la voix de Moïse prescrit au peuple de se séparer d'eux, de peur qu'en se joignant à des criminels, il ne devienne lui-même coupable de leur crime : "Éloignez vous, dit-il, des tentes de ces hommes injustes et cruels, et ne touchez à rien de ce qui leur appartient, de peur que vous ne périssiez avec eux, partageant leur péché". Voilà pourquoi un peuple fidèle, obéissant aux Préceptes du Seigneur et craignant Dieu, doit se séparer d'un évêque pécheur et éviter de se mêler aux sacrifices d'un prêtre sacrilège, surtout quand il a le pouvoir d'élire de dignes évêques et d'écarter les indignes.

Nous voyons en effet que l'Enseignement divin est la source d'où vient l'usage d'élire l'évêque en présence du peuple fidèle, sous les yeux de tout le monde et de faire approuver par un jugement public un élu digne et apte à ses fonctions, car dans les Nombres le Seigneur donne cet ordre à Moïse : "Prends Aaron ton frère, et Eléazar son fils, et fais-les monter sur la montagne, en présence de tout le peuple; enlève à Aaron son vêtement, et revêts-en Eléazar son fils et qu'Aaron meure là et soit enseveli près de ses ancêtres". Dieu ordonne que le grand-prêtre soit fait devant toute l'assemblée; en d'autres termes, il nous enseigne et nous montre que les ordinations sacerdotales ne doivent avoir lieu qu'au vu et au su du peuple fidèle, afin que le peuple étant présent, les crimes des méchants ou les mérites des bons soient révélés, et qu'on ait une ordination juste et régulière, garantie par le suffrage et le jugement de tous. C'est ce qui est encore observé plus tard, conformément aux enseignements divins dans les Actes des Apôtres, quand Pierre parle au peuple au sujet d'un évêque à nommer à la place de Judas : "Pierre, y est-il dit, se leva au milieu des disciples. Or la foule rassemblée était de (3)... " Et ce n'est pas seulement pour les ordinations des évêques et des prêtres, mais aussi pour les ordinations des diacres, que nous voyons les apôtres observer cette conduite : "Les Douze, y est-il dit, convoquèrent le peuple des disciples, et ils leur dirent." On prenait ce soin et cette précaution de convoquer tout le peuple, afin d'empêcher qu'un intrus ne se glissât dans le service de l'autel ou dans la dignité épiscopale. Que des indignes soient en effet quelquefois ordonnés, non selon la Volonté de Dieu, mais selon la présomption de l'homme, et que Dieu déteste ce qui ne procède pas d'une ordination régulière et juste, c'est ce que Lui-même fait connaître par le prophète Osée : "Ils se sont fait des rois, sans que j'y sois pour rien".

Aussi, faut-il garder soigneusement la Tradition divine, la pratique apostolique, et observer ce qui s'observe chez nous et dans presque toutes les provinces. Il faut que là où l'on doit ordonner un chef pour le peuple fidèle, les évêques de la province se rassemblent et que l'élection de l'évêque se fasse en présence du peuple, qui connaît la vie et a pu apprécier la conduite de chacun en vivant près de lui. Nous voyons que les choses se sont ainsi passées chez vous pour l'ordination de Sabinus, notre collègue. C'est par le suffrage de toute la communauté des frères, et des évêques, qui ou étaient présents, ou avaient écrit, que l'épiscopat lui a été déféré, et que les mains lui ont été imposées, pour siéger à la place de Basilides. Une ordination régulière ne peut être invalidée par ce fait que Basilides, après que ses crimes ont été découverts et avoués par lui-même, est allé à Rome, et a obtenu par surprise d'Étienne notre collègue (qui, étant loin de l'endroit où les faits se sont passés, les connaît mal), d'être injustement rétabli dans la dignité épiscopale dont il a été régulièrement déposé. Par là, en effet, Basilides a tout simplement réussi à mettre le comble à ses fautes au lieu de les effacer, en y ajoutant la fourbe et l'imposture. On doit moins, en effet, blâmer celui qui s'est laissé surprendre par négligence que celui qui a surpris par perfidie. Mais si Basilides a pu surprendre des hommes, il ne peut pas surprendre Dieu, car il est écrit : "On ne se joue pas de Dieu." Martial non plus ne peut profiter d'une surprise, et ne doit pas moins, coupable comme il l'est de fautes graves, être écarté de l'épiscopat; car l'Apôtre nous dit : "Il faut qu'un évêque soit irréprochable comme étant l'économe de Dieu".

Ainsi donc, d'après votre lettre, frères très chers, et d'après le témoignage conforme de nos collègues, Félix et Sabinus, et la lettre d'un autre Félix de Caesaraugusta (4), qui est un homme de foi et un défenseur de la vérité, Basilides et Martialis se sont souillés d'un criminel billet d'idolâtrie. De plus Basilides, outre la souillure du billet, a encore, étant malade, blasphémé contre Dieu; il a avoué avoir blasphémé. Déposant de lui-même pour obéir à sa conscience bourrelée de remords l'honneur de l'épiscopat, il s'est mis à faire pénitence, trop heureux de pouvoir communier en laïc. Martialis, de son côté, après avoir longtemps pris part, comme membre d'un collège, aux banquets honteux et impurs des Gentils, et fait enterrer ses fils, étant toujours dans le même collège, à la manière des païens dans des sépulcres profanes et parmi les païens (5), a affirmé, en séance publique tenue devant le procurateur ducénaire (6), qu'il avait obéi aux ordres de l'idolâtrie, et renié le Christ. Enfin il y a nombre de fautes graves dont sont coupables Basilides et Martialis. Pour toutes ces raisons, c'est bien en vain qu'ils prétendent rentrer dans l'exercice des fonctions épiscopales, attendu qu'il est trop évident que de tels hommes ni ne peuvent être à la tête de l'Église du Christ, ni ne doivent offrir des sacrifices à Dieu, et cela d'autant plus que depuis longtemps déjà, d'accord avec nous et avec tous les évêques du monde entier, Corneille notre collègue, évêque pacifique et juste, que Dieu a même daigné honorer du martyre, a décidé que de tels hommes pourraient sans doute être admis à faire pénitence, mais devaient être écartés de la cléricature et de la dignité épiscopale.

Ne vous laissez point troubler, frères très chers, si vous voyez qu'à la fin des temps, chez quelques uns la foi chancelle, incertaine, ou que la crainte de Dieu vacille, faiblissante, ou que l'union des coeurs ne continue pas d'entretenir la paix. Il a été prédit que cela arriverait à la fin du monde, et la Voix du Seigneur et le témoignage des apôtres nous ont appris d'avance qu'au déclin du siècle et aux approches de l'Antichrist tout ce qui est bon déclinera, tout ce qui est mauvais et hostile progressera.

Bien que nous soyons dans les derniers temps, la vigueur évangélique n'est pas à ce point tombée dans l'Église de Dieu, l'énergie du courage et de la foi chrétienne ne s'y est pas à ce point alanguie, qu'il ne reste une portion de l'épiscopat complètement exempte de ces déchéances et de ces naufrages et qui demeure au contraire ferme et forte, soutenant l'honneur de la divine majesté, et la dignité épiscopale, dans les sentiments d'une crainte de Dieu parfaite. Nous avons appris en effet et nous savons qu'alors que tous les autres fléchissaient et cédaient, Mattathias prit courageusement la défense de la Loi de Dieu; qu'Héli, alors que les Juifs manquaient de courage, et s'éloignaient de la Religion divine, demeura ferme et combattit vaillamment; que Daniel, sans se laisser effrayer par la solitude d'un pays étranger, ni par les sévices d'une persécution perpétuelle, rendit fréquemment et courageusement de glorieux témoignages; que de même les trois enfants, sans se laisser vaincre à la faiblesse de l'âge ou aux menaces, élevèrent leur fidélité contre les flammes babyloniennes, et vainquirent, quoique captifs, un roi vainqueur. Il y a, je le veux bien, des prévaricateurs et des traîtres qui ont entrepris de s'élever dans l'Église contre l'Église même et d'ébranler en même temps la foi et la vérité. Il reste, en tout cas, chez un grand nombre une religion sincère et intégrale, un coeur qui n'est qu'à son Seigneur et à son Dieu, une foi chrétienne que l'infidélité d'autrui ne fait pas pencher, mais excite plutôt et exalte pour la gloire, selon l'exhortation du bienheureux Apôtre : "Eh quoi ! Si quelques uns n'ont pas cru, est-ce que leur incrédulité a anéanti la Fidélité divine ? A Dieu ne plaise ! Dieu est véridique et tout homme est menteur."

Mais si tout homme est menteur et Dieu seul véridique, que devons nous faire, nous qui sommes les serviteurs et surtout les évêques de Dieu, sinon laisser là les erreurs et mensonges humains, et garder les Préceptes du Seigneur en nous tenant attachés à la Vérité divine ?

Aussi, bien que quelques uns de nos collègues, frères très chers, croient devoir négliger la Discipline divine, et communiquent témérairement avec Basilides et Martialis, cela ne doit pas troubler notre foi, car l'Esprit Saint dans les Psaumes menace ceux qui agissent ainsi, en disant : "Tu as haï la discipline, et jeté mes Paroles derrière toi. Si tu voyais un voleur, tu te joignais à lui, et tu faisais cause commune avec les adultères." Il montre que ceux-là partagent la culpabilité qui se joignent aux coupables. C'est ce que dit encore le même apôtre Paul, quand il écrit : "Semeurs de faux bruits, calomniateurs, haïs de Dieu, injustes, fanfarons, inventeurs de mal; gens qui, tout en connaissant le Jugement de Dieu, non seulement font le mal, mais encore approuvent ceux qui le font. Ceux qui font ces choses, dit-il, sont dignes de mort." Il montre dignes de mort et appelés au châtiment, non seulement ceux qui font le mal, mais encore ceux qui, en communiquant, contre la règle, avec des méchants et des pécheurs qui ne font pas pénitence, se souillent au contact des coupables, et, s'unissant à eux dans la faute, n'en sont pas séparés dans le châtiment. Voilà pourquoi, frères très chers, nous louons et tout à la fois approuvons les religieux scrupules de votre foi si pure, et, autant que nous le pouvons, nous vous exhortons par cette lettre à ne point avoir un commerce sacrilège avec des évêques profanes et coupables, et à garder fermement dans leur intégrité et leur pureté votre foi et la crainte de Dieu. Nous souhaitons, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

(1) Legio et Asturica : Léon et Astorga, en Espagne, province de Léon; Emerita : Mérida, en Estramadure.

(2) Cette réunion est le concile d'automne de 254.

(3) Saint Cyprien ne cite pas le texte intégralement. Les Actes disent : "La foule rassemblée était de cent vingt hommes environ."

(4) Saragosse

(5) Les chrétiens avaient leurs cimetières à part.

(6) Le procurateur ducénaire est celui qui avait droit a un traitement de deux cent mille sesterces, c'est-à-dire environ cinquante mille francs

 

 
 

LETTRE 68

 
 

CYPRIEN A ÉTIENNE SON FRÈRE, SALUT.

 

Faustinus, notre collègue de Lyon, m'a écrit à plusieurs reprises, frère très cher, pour me faire connaître (et je sais que la nouvelle vous a été aussi annoncée par mes autres collègues dans l'épiscopat de la même province) que Marcianus d'Arles (7) s'est joint à Novatien, et éloigné de la vérité de l'Église catholique et de l'unanimité de notre corps épiscopal, il a adopté les dures maximes d'une hérésie présomptueuse, qui fermant la porte de l'Église à des serviteurs de Dieu qui regrettent et pleurent leur faute, et y viennent frapper avec des gémissements et des larmes, leur refuse les consolations et les secours de la Bonté de Dieu et de sa paternelle Miséricorde, sans se soucier d'admettre des blessés à soigner leurs blessures, préférant les abandonner à la rapacité des loups et à la rage du diable. C'est à cette situation, frère très cher, qu'il nous appartient de porter remède, nous qui avons devant les yeux la Clémence divine, et tenant une juste balance dans le gouvernement de l'Église, déployons une grande vigueur à l'égard des pécheurs, sans cependant refuser à ceux qui sont tombés le remède de la Bonté et de la Miséricorde divine pour les guérir de leurs blessures.

C'est pourquoi vous devez écrire très explicitement à vos collègues dans l'épiscopat qui sont en Gaule, afin qu'ils ne permettent pas plus longtemps à Marcianus, qui est opiniâtre et orgueilleux, ennemi de la piété et du salut de nos frères, d'insulter à notre collège. N'ose-t-il pas dire en effet qu'il ne semble pas encore avoir été excommunié par nous, lui qui depuis longtemps annonce et publie qu'il se sépare de notre communion pour s'attacher à Novatien et suivre cet opiniâtre personnage ? Or Novatien, qu'il suit, a été tenu lui-même depuis longtemps comme excommunié et ennemi de l'Église. Ayant envoyé vers nous en Afrique, pour demander d'être admis à notre communion, il a remporté de notre concile, où nous étions un grand nombre d'évêques, cette sentence : "Qu'il était hors de l'Église, que personne de nous ne pouvait entrer en rapports avec lui, car, alors que Corneille avait été ordonné évêque dans l'Église par le Jugement de Dieu et le suffrage du clergé et du peuple, il tentait d'élever un autel profane, une chaire adultère, et d'offrir de sacrilèges sacrifices en face du vrai évêque; par conséquent, s'il voulait venir à résipiscence, et prendre le bon parti, il n'avait qu'à faire pénitence et revenir en suppliant vers l'Église." Quelle incohérence, frère très cher, que de permettre, alors que Novatianus s'est vu naguère repoussé, confondu, et excommunié par les évêques du monde entier, que ses flatteurs puissent encore venir se jouer de nous, et se faire juges de ce qui convient à la majesté et à la sainteté de l'Église.

Envoyez aussi en Provence, aux fidèles d'Arles, une lettre en vertu de laquelle, Marcianus étant excommunié, un autre soit mis à sa place, afin que le troupeau du Christ qu'il a dispersé, et qui reste blessé et diminué, puisse se rassembler. Beaucoup de nos frères y sont morts ces dernières années sans recevoir la paix : que cela suffise. Que l'on vienne du moins au secours des autres encore vivants, qui passent les jours et les nuits à gémir, et demandent de nous consolation et secours, en même temps qu'ils implorent la paternelle Miséricorde de Dieu. Il y a en effet, frère très cher, une raison à l'existence d'un nombreux corps épiscopal, dont tous les membres soient unis par le lien de mutuels sentiments de concorde : c'est afin que si quelque membre de notre collège tentait de faire bande à part, et de déchirer de dévaster le troupeau du Christ, les autres viennent au secours, et, en pasteurs utiles et miséricordieux, ramènent au troupeau les brebis du Seigneur. Eh quoi ? Si un port de mer a ses défenses rompues et devient mauvais et dangereux pour les navires, est-ce que les navigateurs ne dirigent pas leurs navires vers d'autres ports voisins, dont l'accès soit sûr, et où ils puissent stationner sans danger ? Quand, sur une route, une hôtellerie est occupée et tenue par des brigands, de telle façon que quiconque y arrive soit exposé à y tomber comme dans une embuscade, est-ce que les voyageurs qui en ont recueilli le bruit, ne vont pas vers d'autres hôtelleries sur la route, où ils trouvent une hospitalité sûre, et un abri sans danger ? Il est nécessaire qu'il en soit de même chez nous, frère très cher; et que nos frères qui, évitant les écueils de Marcianus, se dirigent vers les ports de l'Église, soient accueillis par nous avec une bienveillante et avenante charité. Il faut que nous leur offrions dans leur voyage une hôtellerie telle que celle qui est dans l'Évangile, et où ceux qui ont été blessés et meurtris par des brigands puissent être accueillis, soignés et gardés par l'hôtelier.

Des évêques peuvent ils avoir un souci plus noble que de travailler avec une application attentive, en usant des remèdes salutaires, à soigner et à sauver leurs ouailles, quand le Seigneur dit : "A ce qui était débile vous n'avez pas cherché à rendre des forces; ni à rendre la santé à ce qui était malade; à ce qui était meurtri, vous n'avez pas appliqué de pansement; ce qui s'égarait, vous ne l'avez pas rappelé; ce qui s'était perdu, vous ne l'avez pas recherché; et mes brebis sont dispersées parce qu'il n'y a point de pasteurs; elles sont devenue si la proie de toutes les bêtes sauvages, et il n'y avait personne pour se mettre à leur recherche ou pour les rappeler. A cause de cela, le Seigneur fait cette menace : Voici que je viens aux pasteurs, et je leur redemanderai mes brebis et les leur retirerai des mains, de manière qu'ils ne les paissent plus; ils n'en seront plus les pasteurs, mais je les arracherai à leur bouche, pour les paître moi-même avec Justice." Lors donc qu'aux pasteurs par qui les brebis du Seigneur sont négligées et périssent, le Seigneur fait de telles menaces, que devons-nous faire, frère très cher, que de travailler à recueillir, et à soigner avec une application parfaite, les brebis du Christ, et de recourir pour guérir les blessures des lapsi au remède d'une bonté paternelle ? Le Seigneur nous avertit dans son Évangile en disant : "Le médecin n'est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades". Si nous sommes plusieurs pasteurs, le troupeau que nous paissons est unique, et ce sont toutes les brebis que le Christ a acquises au prix de son Sang et de sa passion, que nous devons recueillir et soigner, sans souffrir que nos frères, qui viennent en suppliants et pleins de repentir, soient dédaignés et foulés aux pieds par la présomption de certains orgueilleux. Il est écrit en effet : "Celui qui est rebelle et fanfaron n'arrivera à aucun résultat, lui qui enfle son âme aux proportions de l'enfer." Dans l'Évangile encore le Seigneur blâme et condamne toutes les personnes de cette espèce : "C'est vous qui vous êtes fait passer pour justes aux yeux des hommes. Mais Dieu voit dans vos coeurs, et ce qui est élevé pour les hommes est méprisable aux yeux de Dieu." Il déclare méprisables et abominables ceux qui se complaisent en eux-mêmes, qui, enflés d'orgueil, affichent des prétentions arrogantes. Marcianus s'est mis dans cette catégorie, et en se joignant à Novatien, il s'est posé en adversaire de la Bonté et de la Miséricorde. Il n'a donc point à rendre de sentence, mais à en recevoir, ni à se comporter comme s'il avait jugé le collège des évêques, puisque c'est lui-même qui a été jugé par tous les évêques.

Il faut en effet garder inviolable le respect dû à nos prédécesseurs, les bienheureux martyrs Corneille et Lucius. Nous honorons, nous, leur mémoire; mais c'est bien plus encore vous, frère très cher, qui devez l'honorer et la défendre du poids de votre autorité, vous qui êtes leur successeur et tenez leur place. Ces deux personnages, pleins de l'Esprit du Seigneur, et qui ont subi glorieusement le martyre, ont été d'avis qu'il fallait donner la paix aux lapsi. Ils ont fait connaître par leurs lettres que, quand ils avaient fait pénitence, il n'y avait pas lieu de leur refuser la jouissance de la communion et de la paix.

Telle a toujours été notre manière de voir à tous, en tous lieux. Nous ne pouvions, en effet, être d'avis différents puisque nous n'avions tous qu'un même esprit. Et voilà pourquoi il est manifeste que celui-là n'est pas vraiment animé par l'Esprit saint, qui n'a pas les mêmes sentiments que les autres. Faites-nous connaître qui aura été mis à Arles à la place de Marcianus, afin que nous sachions à qui nous devons adresser nos frères et écrire nous même. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(7) Le nom de Marcianus ne figure pas dans les diptyques de l'église d'Arles. C'est la conséquence de son excommunication. Cf. MABILLON, Annales, t. III, P. 432.

 
 

LETTRE 69

 
 

CYPRIEN A MAGNUS, SON FlLS, SALUT.

 

Votre zèle religieux, fils très cher, vous a fait souhaiter d'avoir l'avis de mon humble personne sur le point de savoir si, parmi les hérétiques, ceux-là aussi qui reviennent du parti de Novatien, après avoir reçu son bain profane, doivent être baptisés et sanctifiés dans l'Église catholique du légitime, vrai et unique baptême de l'Église. Eh bien, suivant le sentiment que nous inspire la foi dont nous sommes capables, autant que la sainteté et la vérité des divines Écritures, nous déclarons que tous les hérétiques et schismatiques sans exception sont sans aucun pouvoir, et sans aucun droit. (8) Novatien ne peut ni ne doit faire exception; il est, lui aussi hors de l'Église; il travaille contre la paix et la charité chrétienne; il doit donc être compté parmi les adversaires et les antichrists. Notre Seigneur Jésus Christ, lorsqu'Il attestait dans l'Évangile que ceux-là étaient ses ennemis qui n'étaient pas avec Lui, n'a visé aucune espèce particulière d'hérésie, mais il a montré que tous ceux-là sans exception qui n'étaient pas avec lui et qui ne rassemblaient pas avec lui, mais dispersaient son troupeau, étaient ses adversaires. Il dit en effet : "Celui qui n'est pas avec Moi est contre Moi et celui qui n'assemble pas avec Moi disperse". Le bienheureux apôtre Jean non plus n'a distingué aucune espèce d'hérésie ou de schisme, ni n'a mis de catégorie à part : il a appelé antichrists tous ceux qui étaient sortis de l'Église ou travaillaient contre elle : "Vous avez entendu dire que l'Antichrist vient. Mais, en vérité il y a maintenant plusieurs antichrists. Par quoi nous reconnaissons que c'est la fin des temps. Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous". D'où il appert que tous ceux-là sont des adversaires du Seigneur, et des antichrists, qui se sont éloignés manifestement de la charité et de l'unité de l'Église. Le Seigneur dans l'Évangile dit encore : "S'il méprise aussi l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain". Si ceux qui méprisent l'Église sont tenus pour païens et publicains, beaucoup plus, à coup sûr, des rebelles et des ennemis qui établissent de faux autels, des épiscopats illégitimes, des sacrifices sacrilèges, des noms adultères (9), doivent ils être nécessairement rangés au nombre des païens et des publicains, puisque de moins coupables, qui ne font que mépriser l'Église, sont déclarés, par la Sentence du Seigneur, païens et publicains.

Que l'Église soit une, l'Esprit saint le déclare dans le Cantique des Cantiques, quand Il dit au nom du Christ : "Une seule est ma colombe, ma perfection; elle est l'unique de sa mère, la préférée de celle qui lui donna le jour". Il dit encore d'elle : "C'est un jardin fermé que ma soeur fiancée; c'est une fontaine scellée, un puits d'eau vive." Mais si l'Épouse du Christ qu'est l'Église est un jardin fermé, une chose fermée ne peut être ouverte à des étrangers et à des profanes; si elle est une fontaine scellée, celui-là n'y peut boire, ni y recevoir la marque du sceau, qui, étant du dehors, n'a point accès à la fontaine. Et si un puits d'eau vive est unique et à l'intérieur, celui qui est dehors ne peut être vivifié et sanctifié par cette eau, dont ceux-là seuls qui sont à l'intérieur peuvent user et boire. De même Pierre, montrant qu'il n'y a qu'une Église, et que ceux-là seuls sont sauvés qui sont dans l'Église, a dit : "Dans l'arche de Noé, un petit nombre de personnes, huit en tout, ont été sauvées à travers l'eau", prouvant et attestant, ainsi que l'arche unique de Noé était la figure d'une Église unique. Si, dans ce grand baptême du monde purifié et nettoyé, celui-là put être sauvé à travers l'eau qui n'était pas dans l'arche de Noé, celui-là peut maintenant encore être vivifié par le baptême qui n'est pas dans l'Église, à laquelle seule a été accordé le baptême. Mais Paul donne encore plus clairement et ouvertement le même enseignement, lorsqu'il écrit aux Éphésiens, "Le Christ a aimé son Église et S'est livré pour elle afin de la sanctifier, en la purifiant par son bain." Que s'il n'y a qu'une Église aimée du Christ, et seule purifiée par son bain, comment celui qui n'est pas dans l'Église, pourrait-il ou être aimé par le Christ, ou lavé et purifié par son bain ?

Aussi, puisque l'Église seule a l'eau vivifiante et le pouvoir de baptiser et de purifier, celui qui dit que l'on peut être baptisé et sanctifié chez Novatien, devrait établir d'abord et montrer que Novatien est dans l'Église, ou la gouverne. L'Église en effet est une et ne peut, étant une, être à la fois dedans et dehors. Si elle est chez Novatien, elle n'était pas chez Corneille; mais si elle était chez Corneille, qui succéda par une ordination légitime à l'évêque Fabianus, et à qui le Seigneur, outre l'honneur épiscopal, a donné aussi la gloire du martyre, Novatien n'est pas dans l'Église, et ne peut pas être considéré comme un évêque, lui qui, au mépris de la tradition évangélique et apostolique, est sorti de lui-même et n'a succédé à personne. En effet, celui-là ne peut gouverner l'Église qui n'a pas été ordonné dans l'Église.

Mais que l'Église ne soit pas au dehors, et qu'elle ne puisse se diviser ou se partager; au contraire qu'elle garde toujours l'unité d'une maison dont on ne peut séparer les parties, c'est ce que rend manifeste le témoignage de l'Écriture divine; on y lit, en effet, à propos du rite de la Pâque et de l'agneau qui figurait le Christ : "Il sera mangé dans une seule maison; et vous ne porterez point de sa chair au dehors". C'est ce que nous voyons marquer encore au sujet de Rahab, qui était elle aussi une image de l'Église, et à qui est faite la recommandation suivante : "Vous rassemblerez auprès de vous, dans votre maison, votre père, votre mère, et vos frères, et toute la maison de votre père; quiconque passera le seuil pour aller dehors, répondra de lui-même". Cette figure montre que ceux qui sont destinés à vivre, et à échapper à la destruction du monde, doivent être rassemblés dans une seule maison, c'est-à-dire dans l'Église; et que celui des rassemblés qui ira dehors, c'est-à-dire qui, après avoir reçu la grâce dans l'Église, s'éloignera et en sortira, aura à répondre de lui-même, c'est-à-dire qu'il ne pourra imputer sa perte qu'à lui-même. C'est ce qu'explique l'apôtre Paul en prescrivant d'éviter l'hérétique "comme pervers, pécheur et condamné par lui-même". C'est lui, en effet, qui aura à répondre de lui-même, n'ayant pas été chassé par l'évêque, mais, ayant spontanément fui de l'Église, étant condamné par lui-même et par son hérétique présomption.

Voilà pourquoi notre Seigneur, pour nous faire sentir que l'unité procède de l'Autorité divine, dit : "Mon Père et moi, nous sommes un". Et sur cette unité réglant son Église, Il dit de nouveau : "Et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur". Mais si le troupeau est un, comment peut-on compter dans le troupeau quelqu'un qui n'en est point ? Comment peut-on, alors qu'il y a un vrai pasteur présidant au gouvernement de l'Église en vertu d'une ordination régulière, tenir pour pasteur celui qui ne succède à personne, qui commençant à lui-même, n'est qu'un étranger et un profane, ennemi de la Paix du Seigneur, de l'Unité de Dieu, et qui n'habite pas dans la Maison de Dieu, c'est-à-dire dans l'Église de Dieu; là, en effet, il n'y a que ceux qui n'ont qu'un coeur et qu'une âme, comme parle l'Esprit saint dans les Psaumes : "Dieu qui fait habiter dans sa maison ceux qui ont un même coeur" ? Enfin, que les âmes chrétiennes soient unies entre elles par le lien ferme et indissoluble de la charité, c'est ce que montrent les sacrifices mêmes du Seigneur. En effet, quand le Seigneur appelle son Corps le pain fait de la réunion d'un grand nombre de grains (10), Il marque l'unité de notre peuple, qu'Il figurait. Et quand Il appelle son Sang le vin exprimé d'un grand nombre de grappes et de grains, et formant une liqueur unique, Il marque que notre troupeau est fait d'une multitude ramenée à l'unité. Si Novatien est uni à ce pain du Seigneur, s'il est mêlé au breuvage du Christ, on pourra croire qu'il lui est possible d'avoir la grâce de l'unique baptême de l'Église, s'il est bien établi qu'il garde l'unité de l'Église.

Enfin tout ce qu'a d'indissoluble le lien sacré de l'unité, et comment se perdent sans espoir, en provoquant la Colère de Dieu, ceux qui font un schisme et quittent l'évêque pour se faire un pseudo-évêque, l'Écriture divine le proclame au livre des Rois, ou les dix tribus se séparent de la tribu de Juda et de Benjamin, et abandonnent leur roi pour s'en faire un autre au dehors : "Le Seigneur s'est irrité, dit-il, contre toute la race d'Israël, et Il les a éloignés; Il les a donnés en proie aux pillards, pour les rejeter enfin de devant sa Face, parce qu'Israël s'est séparé de la maison de David, et qu'ils se sont donné pour roi Jéroboam, fils de Nabat." Il dit que le Seigneur s'était irrité et les avait perdus, parce qu'ils s'étaient séparés de l'unité; et s'étaient fait un autre roi. Et telle fut l'irritation du Seigneur contre ceux qui avaient fait schisme, qu'un homme de Dieu, envoyé pour leur reprocher leurs fautes et leur prédire la vengeance future, avait reçu défense de manger du pain ou de boire de l'eau chez eux. N'ayant pas observé la défense, et ayant mangé contre l'Ordre de Dieu, il fut sur le champ frappé par la rigueur de la Justice divine : au retour, il périt en route sous la dent d'un lion qui se jeta sur lui. Quelqu'un d'entre vous oserait-il dire que l'eau salutaire du baptême et la grâce céleste nous peuvent être communes avec les hérétiques, avec qui ni nourriture terrestre, ni breuvage profane, ne peuvent nous être communs ? Le Seigneur insiste encore dans son Évangile, et met dans une plus grande lumière le fait que ceux qui s'étaient séparés de la tribu de Juda et de Benjamin, et avaient quitté Jérusalem pour se retirer en Samarie, étaient tenus pour des profanes et des Gentils. Lorsqu'Il envoie ses disciples à leur oeuvre de salut, Il leur fait cette recommandation : "N'allez pas sur la route des nations, et n'entrez pas dans la cité des Samaritains". Envoyant d'abord chez les Juifs, Il prescrit de laisser de côté pour le moment les Gentils; et, en ajoutant qu'il fallait laisser de côté la cité des Samaritains, où étaient les schismatiques, il montre que les schismatiques sont sur le même pied que les Gentils.

Si quelqu'un objecte que Novatien observe la même loi que l'Église catholique, baptise avec le même symbole que nous, reconnaît le même Dieu le Père, le même Fils le Christ, le même saint Esprit, et par conséquent peut exercer le même pouvoir de baptiser, puisqu'il semble ne pas différer d'avec nous dans l'interrogation à faire pour le baptême : qu'il sache, celui qui fait cette objection, d'abord que nous n'avons pas le même symbole, ni la même interrogation que les schismatiques. Car quand ils disent : "Croyez vous à la rémission des péchés et à la vie éternelle, par la sainte Église", ils mentent en interrogeant de cette façon, puisque l'Église n'est pas avec eux. Puis ils avouent que la rémission des péchés ne peut être donnée que par la sainte Église, et, comme elle n'est pas avec eux, ils montrent que les péchés ne peuvent pas être remis chez eux.

Quant à ce qu'on dit qu'ils reconnaissent le même Dieu le Père que nous, le même Fils le Christ, le même saint Esprit, cette affirmation non plus ne peut profiter à leur cause. Car Coré, Dathan et Abiron reconnaissaient le même Dieu qu'Aaron et Moïse, observaient la même loi et la même pratique religieuse; ils invoquaient l'unique vrai Dieu qu'on dût honorer et invoquer. Pourtant, parce qu'ils étaient sortis de leurs attributions au détriment du grand-prêtre Aaron, qui avait reçu du Choix de Dieu et de l'Ordination du Seigneur le sacerdoce régulier, et qu'ils s'étaient arrogé le droit de sacrifier, Dieu les frappa; ils reçurent immédiatement le châtiment de leurs fautes; leurs sacrifices, offerts illicitement contre l'ordre des dispositions divines, ne furent point agréés et n'eurent aucune valeur. Les encensoirs mêmes, dans lesquels on avait offert un encens illicite, furent par l'Ordre du Seigneur jetés au feu, fondus, mis en lames métalliques que l'on suspendit à l'autel, afin que les prêtres ne pussent plus s'en servir, et qu'ils fussent pour la postérité un monument de la Colère et de la Justice divine, selon la parole de l'Écriture. "Ce sera un avertissement, pour les fils d'Israël, que quiconque n'est pas de la race d'Aaron ne doit pas mettre l'encens devant le Seigneur, afin qu'il ne soit pas traité comme Core". Et pourtant ils n'avaient pas fait schisme, ils ne s'en étaient point allés au dehors pour se dresser impudemment en ennemis contre les évêques de Dieu, tandis que ceux dont nous parlons, divisant l'Église, et se mettant en révolte contre la Paix et l'Unité du Christ, entreprennent de se dresser une chaire, de s'arroger une primauté, et le droit d'offrir le sacrifice et de baptiser. Comment pourraient ils mener à bien ce qu'ils font, ou obtenir quelque chose de Dieu de leurs tentatives illégitimes, eux qui entreprennent contre Dieu en faisant ce qu'il ne leur appartient pas de faire ? Ainsi est-ce bien à tort que les partisans de Novatien, ou les autres schismatiques de même espèce, prétendent que l'on peut chez eux être baptisé et sanctifié par un baptême salutaire, puisqu'il est constant que chez eux celui qui baptise n'a pas le droit de baptiser.

D'ailleurs, pour que l'on puisse mieux comprendre quelle est la rigueur de la Justice divine contre une telle audace, nous voyons que dans une entreprise criminelle de ce genre, ce ne sont pas seulement les chefs et les meneurs, mais aussi les coparticipants, qui sont destinés au châtiment. Voici ce que le Seigneur recommande par la bouche de Moïse : "Éloignez vous des tentes de ces hommes si durs, et ne touchez à rien de ce qui est à eux, de peur que vous ne périssiez dans le châtiment de leur péché". La menace que le Seigneur avait faite par la bouche de Moïse, Il l'a accomplie, et ceux qui ne s'étaient pas séparés de Coré, Dathan et Abiron, ont porté la peine de leur fidélité à cette communion impie. Cet exemple montre et prouve que tous ceux-là sont coupables et passibles d'une peine qui, dans leur impiété téméraire, se mêlent aux schismatiques contre les chefs et les évêques. C'est ce dont témoigne l'Esprit saint par la bouche du prophète Osée : "Leurs sacrifices, dit-il, sont comme un pain de deuil; tous ceux qui en mangeront seront souillés". Par cet enseignement, il fait voir qu'un même châtiment réunira les instigateurs du crime et tous leurs complices.

Quels peuvent donc être au Regard de Dieu les mérites de ceux à qui Dieu inflige des supplices ? Et comment ceux-là peuvent ils justifier et sanctifier les baptisés, qui, étant les ennemis des évêques, tentent d'usurper des fonctions étrangères, qui leur sont interdites, et qu'ils ne possèdent à aucun titre ? Pourtant nous ne nous étonnons pas des effets de leur perversité. Chacun défend nécessairement ce qu'il fait; et ils ne veulent pas, vaincus, se rendre facilement, quoi qu'ils sachent bien que ce qu'ils font ne leur est pas permis. Ce dont il faut s'étonner, ou plutôt s'indigner et pleurer, c'est de voir des chrétiens se ranger du côté des antichrists, de voir des gens infidèles à la foi, traîtres à l'Église, à l'intérieur de l'Église même se dresser contre l'Église ! Bien qu'obstinés par ailleurs et opiniâtres, ils avouent du moins que ni les hérétiques, ni les schismatiques n'ont l'Esprit saint, et que, par suite, ils peuvent baptiser sans doute, mais ne peuvent donner le saint Esprit. Aveu qui nous les livre, et nous permet de montrer contre eux qu'ils ne peuvent pas non plus baptiser le moins du monde, n'ayant pas l'Esprit saint.

Le baptême en effet remet à chacun ses péchés : or le Seigneur déclare dans son Évangile, que les péchés peuvent être remis par ceux-là seuls qui ont le saint Esprit. Après sa Résurrection, envoyant ses disciples, Il leur dit : "Comme mon Père M'a envoyé, ainsi Je vous envoie". Ayant prononcé ces paroles, Il souffla sur eux et leur dit : "Recevez le saint Esprit. Si vous remettez les péchés à quelqu'un", ils lui seront remis; si vous les retenez à quelqu'un, ils seront retenus". Par là il montre que celui-là seul peut baptiser, et remettre les péchés, qui a l'Esprit saint. Enfin notre Seigneur Lui-même devait être baptisé par Jean. Jean reçut auparavant le saint Esprit alors qu'il était encore dans le sein de sa mère, afin qu'il fût constant et manifeste qu'on ne peut baptiser sans avoir l'Esprit saint. Donc que ceux qui favorisent les hérétiques ou les schismatiques nous disent s'ils ont le saint Esprit, ou s'ils ne l'ont pas. S'ils L'ont, pourquoi à ceux qui ont été baptisés chez eux impose-t-on, lorsqu'ils viennent à nous, la main pour qu'ils reçoivent le saint Esprit, puisqu'ils l'ont à coup sûr, reçu là où l'on pouvait le leur donner, si on l'avait ? Si au contraire tous les hérétiques et les schismatiques qui sont dehors ne donnent pas le saint Esprit, et qu'à cause de cela, on impose la main chez nous, afin que les baptisés reçoivent ici ce qui là ni n'existe, ni ne peut être donné, il est manifeste que le pardon des péchés ne peut pas non plus être donné par ceux qui n'ont manifestement pas le saint Esprit. Aussi faut-il, pour qu'ils puissent, selon les Dispositions divines et la vérité de l'Évangile, obtenir la rémission de leurs fautes, être sanctifiés et devenir des temples de Dieu, que tous ceux-là sans exception soient baptisés du baptême de l'Église, qui viennent du camp des adversaires et des antichrists à l'Église du Christ.

Vous demandez aussi, fils très cher, mon sentiment au sujet de ceux qui reçoivent la Grâce divine, étant souffrants et malades, et s'il faut les considérer comme des chrétiens authentiques, eux qui n'ont été qu'arrosés de l'eau du salut, sans y être baignés. Sur ce point personne n'a de jugement tout fait à recevoir de notre modeste et humble autorité, mais chacun peut penser ce qu'il lui semble et faire ce qu'il pense. A notre humble avis, les Bienfaits divins ne peuvent être inutiles ni affaiblis en rien; et, quand il y a foi pleine et entière de la part de celui qui donne et de celui qui reçoit le baptême, il ne saurait y avoir diminution dans l'effusion des Dons divins. Le sacrement du salut n'efface pas les souillures des péchés de la même manière que le bain corporel et profane fait disparaître les souillures de la peau et de la chair : il n'y est point besoin de gâteaux de salpêtre et autres adjuvants, ni de sièges, ni de piscine, qui servent à laver et à purifier le corps. C'est autrement que l'intérieur du croyant est lavé, autrement que l'âme de l'homme est purifiée par le mérite de la foi. Quand il s'agit des sacrements du salut, et qu'il y a nécessité, Dieu Se montre indulgent, et tout est conféré aux croyants dans des Raccourcis divins. Personne ne doit s'émouvoir de ce que les malades ne sont qu'aspergés ou arrosés d'eau, quand ils reçoivent la Grâce divine, puisque l'Écriture sainte dit par la bouche du prophète Ézéchiel : "Je vous aspergerai d'eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos impuretés, et de toutes vos idolâtries; Je vous purifierai, Je vous donnerai un coeur nouveau, et c'est un esprit nouveau que Je répandrai en vous". De même, dans les Nombres : "L'homme qui sera impur jusqu'au soir sera purifié le troisième et le septième jour, et sera pur. Mais, s'il n'est pas purifié le troisième et le septième jour, il restera souillé; il sera retranché du milieu d'Israël, parce que l'eau de l'aspersion n'a pas été répandue sur lui". Et encore : "Le Seigneur parla à Moïse et lui dit : "Prends les fils de Lévi du milieu des fils d'Israël, et tu les purifieras. Voici comment tu opéreras leur purification : tu feras sur eux une aspersion d'eau expiatoire". Et encore : "L'eau d'aspersion purifie". Par où l'on voit que l'aspersion de l'eau vaut à l'instar du bain du salut, et que, quand ces choses se font dans l'Église, celui qui donne le baptême et celui qui le reçoit, ayant une foi entière, tout va bien, et tout peut être achevé et mené à bonne fin par la Puissance de Dieu et la foi véritable.

Certains appellent ceux qui ont ainsi reçu la Grâce de Dieu par l'effet de l'eau salutaire et d'une foi authentique, non pas chrétiens, mais cliniques. Je ne sais où ils prennent ce nom : à moins que ces gens qui font des lectures abondantes et savantes n'aient été les chercher chez Hippocrate ou Soranus (11). Pour moi qui ne connais de clinique que celui de l'Évangile, je sais que ce paralytique, qui avait été pendant de longues années de sa vie étendu sur un grabat, ne trouva point dans son infirmité un obstacle à obtenir du ciel une santé parfaite; je sais qu'il ne se leva pas seulement de son grabat à l'appel de la Bonté divine, mais que de plus il emporta lui-même son grabat, tant étaient grandes les forces qui lui étaient revenues. Par conséquent, autant que la foi me le fait sentir et comprendre, je suis d'avis que quiconque dans l'Église a reçu la grâce en vertu de la foi, doit être considéré comme authentiquement chrétien. Si l'on estime qu'ils n'ont rien reçu du tout, parce qu'ils n'ont été qu'arrosés par l'eau du salut, s'ils sont vides et n'ont point la grâce, qu'on ne les trompe point, mais qu'on les baptise quand ils seront sortis de maladie et guéris. Mais si l'on ne peut baptiser ceux qui ont été sanctifiés par le baptême de l'Église, pourquoi les scandalise-t-on dans leur foi, et leur croyance en la Bonté de Dieu ? Ou bien auraient ils reçu à la vérité la Grâce du Seigneur, mais avec une effusion moindre des Dons divins et de l'Esprit saint, de telle façon, qu'on les doive considérer comme chrétiens, mais ne pas les mettre sur le même pied que les autres ?

Mais au contraire le saint Esprit ne se donne point avec mesure, il vient tout entier en celui qui croit. Car si le jour luit également pour tout le monde, et si le soleil répand sur tous la même lumière, à combien plus forte raison le Christ, qui est le vrai soleil et le vrai jour, répand-il également dans son Église la lumière de la vie éternelle! C'est la figure de cette égalité que nous voyons dans l'Exode, lorsque la manne descendait du ciel et, préfigurant l'avenir, représentait le pain du ciel et la nourriture du Christ qui devait venir : là en effet, sans distinction d'âge ni de sexe, chacun recueillait un gomor. (12) Ce qui montrait que la Bonté du Christ et la Grâce céleste, qui devait venir, serait également partagée entre tous, et que, sans différence de sexe, sans distinction d'âge, sans acception de personnes, le bienfait de la grâce spirituelle se répandrait sur tout le peuple de Dieu. Sans doute la grâce spirituelle, qui est reçue dans la même mesure au baptême par tous ceux qui croient, augmente plus tard ou diminue suivant notre vie et notre conduite, tout comme dans l'Évangile la semence dont parle le Seigneur est semée également, mais suivant la nature du sol, elle est ici enfouie et perdue, là elle porte du fruit en abondance, et rend trente, soixante, cent pour un. Aussi bien, puisque chacun est appelé à recevoir un denier (2), Allusion au denier que les premiers et les derniers appelés au travail dans la Vigne du Seigneur reçoivent également. V. Mt. 20,1-16. pourquoi diminuer par une interprétation humaine ce que Dieu accorde à tous également ?

Que si quelqu'un est touché de ce que certains de ceux que l'on baptisait malades étaient encore en proie aux attaques des esprits immondes, qu'il sache que la malice du diable persévère jusqu'à l'eau du salut, mais qu'au baptême elle perd toute la force de son venin. C'est ce que nous voyons dans l'histoire du roi Pharaon, qui, résistant longtemps et s'obstinant dans sa perfidie, put tenir bon et faire sentir sa puissance jusqu'à l'eau : mais arrivé là, il fut vaincu et noyé. Que cette mer fût une figure du baptême, c'est ce que montre le bienheureux apôtre Paul, quand il dit : "Je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous traversé la mer, et qu'ils ont tous été baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer". Et il ajoute : "Tout cela, c'était des figures pour nous". C'est ce qui se passe aujourd'hui encore. Les exorcistes, avec leur parole humaine aidée de la Puissance divine, flagellent, brûlent, torturent le diable. Il dit et répète qu'il va sortir et quitter les hommes de Dieu, mais il ment et cherche à tromper, et fait ce que faisait Pharaon, en s'obstinant dans le mensonge et la ruse. Mais, quand on en arrive à l'eau du salut et à la sanctification par le baptême, nous devons le savoir et le croire, le diable est accablé, et l'homme consacré à Dieu est délivré par la Bonté divine. Car si les scorpions et les serpents qui ont de la force sur terre, peuvent garder dans l'eau leur force et leur venin, les esprits mauvais, qui sont appelés scorpions et serpents, et que pourtant nous foulons aux pieds en vertu d'un pouvoir reçu de Dieu, peuvent aussi demeurer encore dans le corps de l'homme après le baptême et la sanctification, alors que le saint Esprit y habite.

Enfin, nous en faisons l'expérience. Des personnes, baptisées par nécessité en état de maladie, et mises en possession de la grâce, sont délivrées de l'esprit immonde qui les agitait auparavant; elles mènent dans l'Église une conduite louable et exemplaire, et font croître chaque jour en elles la Grâce divine en même temps que la foi; au contraire, d'autres personnes baptisées en parfaite santé, si elles se mettent ensuite à pécher, sont envahies de nouveau et agitées par l'esprit immonde. Ainsi il est manifeste que le diable, au baptême, est chassé par la foi du croyant, mais que si cette foi vient à manquer, il revient. Mais quelques uns trouvent juste sans doute que ceux qui, hors de l'Église chez les adversaires et les antichrists, ont été souillés d'une eau profane, soient tenus pour baptisés, mais que ceux qui sont baptisés dans l'Église passent pour avoir reçu moins abondamment le bienfait de la Grâce divine; que l'on fasse tant d'honneur à l'hérésie que de ne pas demander à ceux qui en viennent s'ils ont été lavés ou arrosés, s'ils sont cliniques ou péripatéliques (13), tandis que chez nous au contraire on retranche à l'entière vérité de la foi, et on dénie au baptême de l'Église sa grandeur et sa sainteté.

J'ai répondu, fils très cher, à votre lettre dans la mesure de mes faibles moyens, et j'ai fait connaître mon sentiment. Je n'empêche aucun chef d'église de décider selon ce que bon lui semble, sauf à rendre compte au Seigneur de sa conduite, selon la parole du bienheureux apôtre Paul dans son épître aux Romains : "Chacun de nous, dit-il, rendra compte pour soi-même. Ne nous jugeons donc point réciproquement". (Rom 14,12). Je souhaite, fils très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(8) Magnus était un laïc. Dès 251, dans le De Unitate 12, Cyprien nie la valeur du baptême donné par des hérétiques.

(9) Les Novatianistes faisaient des noms un usage adultère en s'appelant kaqaroí, les purs.

(10) Cf. Didache IX. 4. "Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour devenir un seul tout, qu'ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton royaumeŠ"

(11) Noms de deux médecins de l'Antiquité. Hippocrate vivait au Ve s. avant J.-C. Soranus sous Trajan et Adrien.

(12) Mesure de capacité, en usage chez les Hébreux et équivalant à un peu plus de 3 litres. de manne.

(13) C'est à dire des gens qui sont au lit ou gens qui se promènent.

 
 

LETTRE 70
 

 
 

CYPRIEN, LIBÉRALIS, CALDONIUS, JUNIUS, PRIMUS, CÉCILIUS, POLYCARPUS, NICOMEDES, FÉLIX, MARRUTIUS, SUCCESSUS, LUCIANUS, HONORATUS, FORTUNATUS, VICTOR, DONATUS, LUCIUS, HERCULANUS, POMPONIUS, DEMETRIUS, QUINTUS, SATURNINUS, MARCUS, UN AUTRE SATURNINUS, UN AUTRE DONATUS, ROGATIANUS, SEDATUS, TERTULLUS, HORTENSIANUS, ENCORE UN AUTRE SATURNINUS, SATTIUS, A JANUARIUS, SATURNINUS, MAXIMUS, VICTOR, UN AUTRE VICTOR,CASSIUS, PROCULUS, MODIANUS, CITTINUS, GARGILIUS, EUTYCHIANUS, UN AUTRE GARGILIUS, UN AUTRE SATURNINUS, NEMESIANUS, NAMPULUS, ANTONIANUS, ROGATIANUS, HONORATUS, LEURS FRÈRES, SALUT.

 

Dans notre assemblée (14), frères très chers, nous avons lu la lettre que vous nous aviez écrite, au sujet de ceux qui ont reçu un prétendu baptême chez les hérétiques et les schismatiques. Vous nous y demandiez si, lorsqu'ils viennent à l'Église qui est une, ils doivent être baptisés. Sur ce point, vous suivez déjà la ferme et vraie règle catholique; mais puisque, en raison de notre affection réciproque, vous avez cru devoir nous consulter, voici notre décision. Elle n'est pas nouvelle, mais a été prise par nos prédécesseurs (Parmi ces prédécesseurs, saint Cyprien cite dans la lettre suivante Agrippinus et les évêques ses contemporains, qui, vers l'an 220 dans un concile tenu à Carthage, avaient décidé de rebaptiser ceux qui avaient reçu le baptême chez les hérétiques.), et observée par nous comme par vous d'un commun accord. Nous sommes d'avis et tenons pour certain, que personne ne peut être baptisé hors de l'Église, attendu qu'il n'y a qu'un seul baptême établi dans la sainte Église, et que le Seigneur dit dans l'Écriture : "Ils m'ont quitté, Moi, la source des eaux vives, et ils se sont creusé des citernes crevassées, qui ne peuvent retenir l'eau". (Jer 2,13). Et l'Écriture dit encore : "Abstenez vous de l'eau étrangère, et à la source étrangère ne buvez pas". (Pro 9,18). Il faut que l'eau soit purifiée et sanctifiée d'abord par l'évêque, afin qu'elle puisse effacer à son contact les péchés de l'homme qui est baptisé, car le Seigneur dit par le prophète Ézéchiel : "Je vous aspergerai d'eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos impuretés et de toutes vos idolâtries. Je vous purifierai, Je vous donnerai un coeur nouveau, et Je mettrai un esprit nouveau en vous". (Ez 36,25-26). Mais comment celui-là pourrait-il purifier et sanctifier l'eau, qui est lui-même impur et n'a pas le saint Esprit, quand le Seigneur dit dans les Nombres : "Tout ce qui aura touché un homme impur, sera impur ?" (Nom 19,22). Or comment celui qui baptise pourra-t-il donner la rémission des péchés à quelqu'un, lui qui, étant hors de l'Église, ne peut être débarrassé de ses propres péchés ?

Mais l'interrogation même en usage au baptême est un témoin qui fait connaître la vérité. Quand nous disons en effet : "Croyez vous à la vie éternelle, et à la rémission des péchés par la sainte Église ?", nous comprenons que la rémission des péchés n'a lieu que dans l'Église, et que, chez les hérétiques, où l'Église n'est pas, les péchés ne sont pas remis. Donc, que ceux qui défendent les hérétiques, ou bien changent l'interrogation, ou bien adoptent la vérité, à moins qu'ils ne veuillent prétendre que l'Église aussi est chez ceux à qui ils attribuent la possession du baptême ! Il est nécessaire aussi que celui qui a été baptisé soit oint, afin que, recevant le chrême, c'est-à-dire l'onction, il puisse être l'oint de Dieu, et avoir en soi la grâce du Christ. Or, c'est à l'eucharistie que les baptisés doivent de pouvoir être oints d'une huile consacrée à l'autel. Mais on n'a pas pu consacrer la substance de l'huile, si l'on n'avait ni autel ni église. Par conséquent, l'onction spirituelle ne peut pas non plus exister chez les hérétiques, puisqu'il est constant que l'huile ne peut pas du tout être consacrée, ni le sacrifice eucharistique avoir lieu chez eux. Nous devons d'ailleurs savoir et avoir présent à l'esprit qu'il est écrit : "Que l'huile de pécheur n'oigne point ma tête". (Ps 140,5). Cet avertissement nous est donné d'avance dans les psaumes, de peur que quelqu'un sortant de la voie tracée, en s'écartant du vrai chemin, n'aille se faire oindre chez les hérétiques et les adversaires du Christ. Mais de plus, quelle prière peut faire pour le baptisé un évêque sacrilège et pécheur ? Il est écrit :"Dieu n'exauce pas le pécheur. Celui qui honore Dieu et fait sa volonté, voilà celui que Dieu exauce". (Jn 9,31). Mais qui donc pourrait donner ce qu'il n'a pas, ou comment celui-là pourrait-il administrer les biens spirituels, qui a lui-même perdu l'Esprit saint ? Voilà pourquoi il faut baptiser, et transformer celui qui vient à l'Église, tout brut pour ainsi dire, afin qu'une fois à l'intérieur, il soit sanctifié par ceux qui sont saints, car il est écrit : "Soyez saint, puisque Moi je suis saint, dit le Seigneur". Ainsi, ce}lui qui a été entraîné dans l'erreur, et baigné au dehors, pourra dans les eaux du baptême authentique, celui de l'Église, réparer le malheur qu'il a eu, lorsqu'il venait vers Dieu et cherchait pour cela un ministre sacré, de ne rencontrer qu'un ministre sacrilège.

Au surplus, c'est tenir pour vrai le baptême des hérétiques et des schismatiques que d'accorder qu'ils aient baptisé. Il n'est pas possible en effet qu'une part de leurs cérémonies soit sans valeur, et que l'autre soit valide. Si quelqu'un a pu baptiser, il a pu donner aussi l'Esprit saint. Si au contraire, il ne peut donner le saint Esprit parce qu'étant au dehors, il n'est pas avec le saint Esprit, il ne peut non plus baptiser celui qui vient à lui, puisqu'il n'y a qu'un baptême, qu'un Esprit saint, et qu'une Église, établie par le Christ notre Seigneur sur Pierre, en qui se trouve l'origine et le type de l'unité. Ainsi, comme tout est vain chez eux et faux, rien de ce qu'ils ont pu faire, ne saurait être tenu pour valide par nous. Qu'est-ce en effet qui pourrait être ratifié et valoir aux yeux de Dieu ? Tout y vient de ceux-là même que le Seigneur dans son Évangile appelle ses ennemis et ses adversaires, quand Il dit : "Celui qui n'est pas avec Moi est contre Moi; et celui qui n'assemble pas avec Moi disperse". (Lc 4,23). Le bienheureux apôtre Jean, lui aussi, observant les recommandations et préceptes du Seigneur met ceci dans son épître : "Vous avez entendu dire que l'Antichrist vient. Mais en vérité il y a maintenant plusieurs antichrists. Par quoi nous reconnaissons que c'est la fin des temps. lls sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'il avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous." (1 Jn 2,18-19). De ce principe, nous devons tirer la conclusion et juger si ceux qui sont les adversaires du Seigneur et ont été appelés antichrists peuvent donner la grâce du Christ. Par conséquent, nous qui sommes avec le Seigneur, qui gardons son unité, et qu'Il a daigné dans sa Bonté appeler à l'exercice de l'épiscopat dans son Église, nous devons répudier et rejeter tout ce que font ses adversaires et ses antichrists, et le tenir pour profane. Quant à ceux qui, revenant de l'erreur et du mal, reconnaissent la vraie foi de l'unique Église, nous devons leur donner avec les sacrements de la divine Grâce, la vérité de l'unité et de la foi. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

(14) (C'est le concile d'automne de l'année 255)
 
 

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LETTRE 71

CYPRIEN A QUINTUS, SON FRERE, SALUT.

Le prêtre Lucianus, notre collègue, a porté à ma connaissance, frère très cher, votre désir d'avoir notre sentiments sur ceux qui ont reçu le prétendu baptême des hérétiques ou des schismatiques. Pour vous faire savoir quel a été sur ce sujet l'avis de la nombreuse assemblée d'évêques et de prêtres que nous formions, je vous envoie un exemplaire de la lettre qui l'expose. (1) Je ne sais en effet quelle présomption conduit certains de nos collègues à penser que ceux qui ont été immergés chez les hérétiques, n'ont pas à être baptisés, quand ils viennent à nous, parce que, disent-ils il n'y a qu'un baptême. Mais ce baptême unique est à coup sûr dans l'Église catholique qui est une, et hors de l'Église il ne peut y avoir de baptême. Car, comme il ne peut y avoir deux baptêmes, si les hérétiques baptisent véritablement, c'est eux qui ont le baptême. Et celui qui leur accorde sur ce point le patronage de son autorité, leur cède et accorde qu'un ennemi, un adversaire du Christ, semble posséder le pouvoir de laver et de purifier l'homme. Nous, au contraire, nous disons que ceux qui viennent de là ne sont pas rebaptisés chez nous mais baptisés. Ils ne reçoivent rien, en effet, là où il n'y a rien, mais ils viennent à nous pour recevoir chez nous, où est toute grâce et toute vérité, car il n'y a qu'une grâce et qu'une vérité. Or, certains de nos collègues aiment mieux faire honneur aux hérétiques plutôt que de penser comme nous, et, en refusant, sous couleur de maintenir l'unité du baptême, de baptiser ceux qui viennent à nous, ou bien ils instituent eux-mêmes deux baptêmes, en prétendant qu'il y a aussi un baptême chez les hérétiques, ou bien, ce qu-i est plus grave, ils prétendent égaler la sordide et profane immersion des hérétiques, au vrai, "Celui qui est baptisé par un mort, à quoi servent ses ablutions ?" (Ec 34,30). Or, il est manifeste que ceux qui ne sont pas dans l'Église du Christ sont au nombre des morts, et qu'on ne peut recevoir la vie de celui qui n'est pas lui-même vivant, attendu qu'il n'y a qu'une Église qui, ayant obtenu la grâce de la vie éternelle, tout ensemble vit éternellement, et vivifie le peuple de Dieu.
Ils disent qu'ils suivent en cela l'antique usage. Mais celui-ci avait cours autrefois, quand c'étaient encore les premiers temps de l'hérésie et du schisme et que leurs adeptes sortant de l'Église, y avaient été déjà baptisés. Ceux-là, quand ils revenaient à l'Église et faisaient pénitence, il n'était pas nécessaire de les baptiser. C'est ce que nous observons aujourd'hui encore : ceux dont on sait pertinemment qu'ils ont été baptisés ici et nous ont quittés pour aller aux hérétiques, reviennent-ils ensuite, reconnaissant leur faute et quittant leur erreur, à la vérité et au giron maternel, il suffit de leur imposer la main pour les recevoir comme pénitents. Ainsi la brebis d'autrefois, un moment détournée et errante est reprise par le pasteur et rentre en son bercail, Si, au contraire, celui qui vient de l'hérésie n'a pas été baptisé dans l'Église, il doit être baptisé pour devenir une brebis du troupeau, parce qu'il n'y a qu'une eau dans l'Église catholique qui introduise au troupeau du Christ. Voilà pourquoi, comme il ne peut rien y avoir de commun entre le mensonge et la vérité, les ténèbres et la lumière, la mort et l'immortalité, l'Antichrist et le Christ, nous devons rester en tout fidèles à l'unité de l'Église catholique, et ne faire aucune concession aux ennemis de la foi et de la vérité.
Il ne faut point se retrancher derrière la coutume, mais vaincre par la raison. Pierre, que le Seigneur a choisi tout d'abord, et sur lequel il a bâti son Église, se trouvant par la suite en désaccord avec Paul au sujet de la circoncision, ne montra point d'arrogance ou de prétention insolente; il ne dit point qu'il avait la primauté, et que les nouveau venus et les moins anciens devaient plutôt lui obéir, et il ne méprisa point Paul, sous le prétexte qu'il avait été persécuteur de l'Église, mais il se rendit de bonne grâce à la vérité et aux justes raisons que Paul faisait valoir. Il nous donnait ainsi une leçon d'union et de patience, et nous apprenait à ne point nous attacher avec obstination à notre propre sentiment, mais à faire plutôt nôtres, quand elles sont conformes à la vérité et à la justice, les idées bonnes et salutaires qui peuvent nous être suggérées par nos frères et nos collègues. C'est ce même intérêt que Paul ménageait, quand, travaillant fidèlement au bien de la concorde et de la paix, il disait dans son Épître : "Pour les prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres délibèrent; si quelque autre qui est assis a une révélation. que le premier se taise" (Cor 14,29). Par quoi il nous montre qu'il y a bien des choses sur lesquelles d'autres personnes peuvent être mieux inspirées que nous, et que chacun doit, non pas défendre opiniâtrement ses premières idées, mais, si quelque idée meilleure et plus utile est exprimée, l'adopter de bon coeur. Nous ne sommes pas vaincus, en effet, mais armés, quand on nous offre un avis meilleur, surtout en ce qui concerne l'unité de l'Église et la vérité de notre espérance et de notre foi. Ainsi nous savons, nous les évêques de Dieu, qu'il a daigné mettre à la tête de son église, que la rémission des péchés peut se faire dans l'Église seulement, et que les adversaires du Christ ne se peuvent rien attribuer de ce qui regarde sa grâce.
C'est ce qu'Agrippinus, homme de sainte mémoire, a établi, de concert avec ses collègues dans l'épiscopat, qui en ce temps-là gouvernaient l'Église du Seigneur dans la province d'Afrique et la Numidie; c'est ce qu'il a décidé après en avoir délibéré avec eux. C'est leur décision sainte et légitime, salutaire à la foi, convenable pour l'Église catholique, que nous avons adoptée à notre tour. Et pour vous faire connaître la lettre que nous avons écrite à ce sujet, nous vous envoyons, comme notre affection nous en fait un devoir, un exemplaire destiné à informer et votre personne et nos collègues dans l'épiscopat, qui sont là-bas. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) C'est la lettre synodale précédente (70).

 
 

LETTRE 72

CYPRIEN ET LES AUTRES A ÉTIENNE, LEUR FRERE, SALUT.
 

Pour régler certaines affaires, en les soumettant à l'examen d'une assemblée, nous avons été obligés, frère très cher, de nous réunir à plusieurs évêques et de tenir un concile (2). Beaucoup de questions y ont été apportées et mises au point. Mais nous devions vous écrire et conférer avec votre gravité et votre sagesse de celle-là surtout qui intéresse l'autorité épiscopale, l'unité et la dignité de l'Église catholique, qui sont d'institution divine. Nous avons donc décidé que ceux qui ont été immergés hors de l'Église, et souillés d'une eau profane, quand ils viennent à nous et à l'Église, qui est une, devaient être baptisés, parce que c'est trop peu de leur imposer la main pour qu'ils reçoivent le saint Esprit, s'ils ne reçoivent aussi le baptême de l'Église. En effet ils ne peuvent être pleinement sanctifiés et devenir enfants de Dieu, que
s'ils naissent des deux manières : "Si quelqu'un ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu." (Jn 3,5). Nous voyons en effet dans les Actes des Apôtres que les apôtres, gardant fidèlement la vérité salutaire, observaient cette pratique. Lorsque, dans la maison du centurion Corneille, les païens qui étaient là, pleins d'une foi ardente, croyant en Dieu de tout leur coeur, eurent reçu le saint Esprit qui leur faisait bénir Dieu en diverses langues, l'apôtre Pierre, se souvenant du précepte divin et de l'évangile, prescrivit encore de les baptiser. Ils avaient pourtant été remplis du saint Esprit; mais c'était pour que rien ne parût avoir été omis, et que l'enseignement apostolique restât fidèle à la loi divine et à l'Évangile. Quant à ce que font les hérétiques; nous avons récemment établi avec soin que ce n'est pas un baptême, et qu'on ne peut rien obtenir par la grâce du Christ chez ceux qui s'opposent au Christ. C'est l'objet de la lettre qui a été écrite à Quintus notre collègue, qui est en Mauritanie; et aussi de celle que nos collègues ont précédemment envoyée aux évêques de Numidie. Je joins une copie de l'une et de l'autre.
Nous ajoutons, à la vérité, frère très cher, une autre décision prise d'un commun accord. Si des prêtres ou des diacres, ou bien ont été ordonnés dans l'Église catholique, et ensuite devenant rebelles et infidèles se sont mis contre l'Église, ou bien ont reçu, chez les hérétiques, de pseudo-évêques et d'antichrists, une ordination profane contraire à l'institution du Christ, et entre pris d'offrir au dehors, en face de l'autel unique et divin, des sacrifices faux et sacrilèges, ils ne doivent être reçus lorsqu'ils reviennent, qu'à la condition suivante : ils doivent accepter de ne participer qu'en laïcs à notre communion et se contenter d'être admis à la paix, eux que la paix comptait parmi ses ennemis. Ils ne doivent pas, lorsqu'ils reviennent, garder parmi nous les armes que leur donnait l'honneur de l'ordination, et dont ils se sont servis pour se révolter contre nous. Il faut en effet que les prêtres et les ministres de l'autel et des sacrifices soient sans tare et sans tache, car le Seigneur dit dans le Lévitique : "l'homme, qui aura en lui une souillure ou un vice, ne s'approchera pas pour faire des offrandes au Seigneur". (Lev 21,21). Il fait les mêmes recommandations dans l'Exode et dit : "les prêtres qui s'approchent du Seigneur se purifier, de peur que le Seigneur ne les abandonne" (Ex 19,22) et encore : "Quand ils s'approcheront de l'autel du Saint, ils n'auront point de faute en eux, pour ne pas mourir". (Ex 28,23). Mais quelle faute pourrait être plus grave, quelle tache plus affreuse, que de s'être dressé contre le Christ, que d'avoir divisé son Église, faite et fondée au prix de son Sang, que d'avoir mis en oubli la paix et la charité de l'évangile, pour combattre dans des sentiments d'hostilité et de discorde furieuse le peuple de Dieu, qui n'a qu'un coeur et qu'une âme ? Ceux qui sont dans ce cas, tout en revenant eux-mêmes à l'Église, ne peuvent rappeler et ramener avec eux ceux qui, égarés par eux, et surpris par la mort; hors de l'Église, sont morts sans la communion et sans la paix; ils auront au jour du jugement à répondre des âmes dont ils ont causé la perte. Voilà pourquoi il suffit de leur donner le pardon lorsqu'ils reviennent; l'infidélité ne doit pas être promue à des dignités dans la maison de la foi. Car que réservons-nous aux bons, aux innocents, à ceux qui ne s'écartent pas de l'Église, si nous honorons ceux qui se sont écartés de nous, et tournés contre l'Église ?
Voilà, frère très cher, ce que, en raison du respect et des égards que nous avons réciproquement et de notre sincère amitié, nous avons cru devoir porter à votre connaissance, pensant bien que votre zèle pour la religion et la sincérité de votre foi vous feront agréer des déclarations sincères et qui tendent au bien de la religion. Au surplus, nous n'ignorons pas que certains n'abandonnent jamais l'idée dont ils se sont une fois pénétrés, et ne changent pas facilement d'avis, mais, tout en gardant avec leurs collègues le lien de la paix et de la concorde, retiennent certains usages particuliers, qui ont eu une fois cours chez eux. En cela, nous non plus nous ne prétendons faire violence ni donner de loi à personne, chaque évêque ayant toute liberté dans l'administration de son Église, sauf à rendre compte à Dieu de sa conduite. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(2) C'est sans doute le concile du printemps de 256.

 
 

LETTRE 73

CYPRIEN À JUBIANUS, SON FRERE, SALUT.

Vous m'écrivez, frère très cher, que vous désirez connaître notre sentiment sur le baptême des hérétiques, qui, étant hors de l'Église, s'attribuent une chose qui n'est ni de leur droit, ni de leur pouvoir. Cette prétention, nous ne pouvons ni la ratifier, ni la tenir pour légitime, attendu qu'elle constitue chez eux un abus. Comme nous avons marqué dans une lettre (3) notre sentiment à ce sujet, pour abréger, je vous en envoie une copie : vous connaîtrez ainsi ce que, dans une assemblée où nous étions en nombre, nous avons décidé, ce qu'ensuite j'ai écrit à Quintus (4), un de nos collègues, qui me consultait à ce sujet. Maintenant encore, nous venons de nous réunir au nombre de soixante et onze évêques tant d'Afrique que de Numidie, et nous avons confirmé notre manière de voir, décidant qu'il n'y a qu'un baptême, qui est dans l'Église catholique, et que, par conséquent, nous ne rebaptisons pas, mais baptisons ceux qui, venant d'une eau adultère et profane, doivent être lavés de nouveau et sanctifiés par la véritable eau de salut.
Nous ne sommes point touchés, frère très cher, de ce que vous dites dans votre lettre (5), que les Novatianistes rebaptisent ceux qu'ils nous débauchent, car nous pouvons nous désintéresser absolument de ce que font les ennemis de l'Église, pourvu que nous gardions l'honneur de notre pouvoir, et que nous nous attachions fermement à la raison et à la vérité. Novatien en effet, à la manière des singes, qui, sans être des hommes, imitent cependant les actions des hommes, prétend s'attribuer l'autorité de l'Église catholique alors qu'il n'est pas lui-même dans l'Église, que dis-je, alors qu'il s'est levé en rebelle et en ennemi contre l'Église. Sachant en effet qu'il n'y a qu'un baptême, il se l'attribue, disant que l'Église est chez lui, et faisant de nous des hérétiques. Mais nous possédons la source et le fondement de l'Église, laquelle est une; nous savons de science certaine qu'il n'a aucun droit hors de l'Église, et que l'unique baptême est chez nous où il a été baptisé lui-même quand il possédait encore le principe et la vérité de l'unité qui vient de Dieu. Si Novatien estime que ceux qui ont été baptisés dans l'Église doivent être rebaptisés hors de l'Église, il aurait dû commencer par lui-même. Il aurait dû se faire rebaptiser d'un baptême extérieur et hérétique, lui qui pense que, après l'Église, ou pour mieux dire, contre l'Église, on doit être baptisé au dehors ! Mais quelle étrange raison est-ce là, qu'à cause que Novatien ose rebaptiser, nous, nous ne devions pas le faire. Eh quoi ! parce que Novatien usurpe l'honneur du siège épiscopal, devons-nous pour cela renoncer à notre siège ? Et parce que Novatien entreprend de dresser un autel et d'offrir des sacrifices illégitimes, devons-nous abandonner autel et sacrifices, de peur de paraître l'imiter et lui ressembler ? Ce serait une folie assurément et une extravagance que l'Église, parce que Novatien s'attribue hors de l'Église un faux-semblant de vérité, allât abandonner la vérité elle-même.
Chez nous, au contraire, ce n'est pas une opinion récente ou nouvelle, qu'il faille baptiser ceux qui viennent de l'hérésie à l'Église. Il y a de longues années (c'était sous l'épiscopat d'Agrippinus (6), des évêques réunis en grand nombre en ont ainsi décidé; et depuis lors jusqu'à ce jour des milliers d'hérétiques dans nos provinces, revenant à l'Église, n'ont pas dédaigné ni fait difficulté de se conformer à cette discipline, mais plutôt ont compris qu'il était bien, et ont accepté de grand coeur, de recevoir la grâce du bain de vie et du baptême de salut. Il n'est pas en effet difficile à un catéchiste de faire agréer ce qui est vrai et légitime à celui qui, condamnant la perversité de l'hérésie, et embrassant la vérité de l'Église, vient à nous afin de s'instruire, et s'instruit afin de vivre. Ne donnons pas aux hérétiques l'étonnement de notre patronage et de notre accord avec eux : nous les verrons se rendre de bon coeur et allègrement à la vérité.
Aussi bien, comme je trouve dans la lettre dont vous m'avez envoyé une copie qu'il ne faut pas s'inquiéter de savoir qui a baptisé, puisque celui qui a été baptisé a pu recevoir la rémission de ses péchés selon sa foi, je ne crois pas devoir laisser passer cette affirmation, d'autant plus que dans la même lettre, je l'ai remarqué, il est fait mention aussi de Marcion, et qu'on y dit de ses disciples qu'ils ne doivent pas être baptisés lorsqu'ils reviennent à nous, attendu qu'ils paraissent avoir été baptisés au nom de Jésus Christ. Nous devons donc examiner la foi de ceux qui croient au dehors, et nous demander si, avec cette foi, ils peuvent en quelque mesure, acquérir la grâce. Car, s'il n'y a qu'une foi pour nous et pour les hérétiques, il peut n'y avoir aussi qu'une grâce. Si c'est le même Père, le même Fils, le même Esprit saint, la même Église, que reconnaissent avec nous les Patripassiens, les Anthropiens, les Valentiniens, les Appelletiens, les Ophites, les Marcionites, et autres pestes d'hérétiques, qui ruinent la vérité par leurs doctrines meurtrières et empoisonnées, ils peuvent avoir aussi un même baptême avec nous, puisqu'ils ont une même foi.
Pour éviter d'être long, en passant en revue toutes les hérésies, et les absurdités ou les folies de chaque d'elles, (car on n'aime pas à dire ce qu'on a horreur ou ce qu'on rougit de connaître), occupons-nous pour le moment de Marcion seul, dont il est question dans la lettre que vous nous avez envoyée et examinons si son baptême peut se défendre. Le Seigneur, après sa Résurrection, envoyant ses disciples, les instruit de la manière dont ils doivent baptiser, et leur dit : &"Tout; pouvoir M'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit". (Mt 28,18-19). Il marque la Trinité, au nom de laquelle les nations devaient être baptisées. Est-ce que Marcion admet cette Trinité ? Est-ce qu'il confesse le même Dieu le Père Créateur que nous confessons ? Reconnaît-il le même Fils, le Christ, né de la Vierge Marie, le Verbe qui S'est fait chair, qui a porté sur Lui nos fautes, qui a vaincu la mort en mourant, qui a inauguré en Lui-même la résurrection de la chair, et a montré à ses disciples qu'Il était ressuscité dans la même chair où il avait vécu ? Tout autre est la croyance chez Marcion et les autres hérétiques; ou plutôt il n'y a chez eux qu'incroyance, blasphèmes et contentions, choses ennemies de la saine doctrine et de la vérité. Comment pourrait-on donc considérer celui qui est baptisé chez eux comme ayant obtenu la rémission de ses fautes, par le moyen de sa foi, lui qui n'a pas la foi véritable ? Si, en effet, comme certains le pensent, quelqu'un a pu recevoir quelque chose hors de l'Église, d'après sa foi, à coup sûr; il a reçu ce qu'il a cru. Mais celui qui croyait le faux n'a pu recevoir le vrai; mais plutôt il a reçu, d'après sa foi, des choses comme sa foi adultères et profanes.
C'est ce baptême profane et adultère que Jérémie touche en passant, quand il dit : &"Pourquoi; ceux qui m'affligent sont-ils puissants ? Ma plaie est résistante. Comment guérirai-je. En se creusant, elle est devenue pour moi comme une eau trompeuse, et qui déçoit". (Jer 15,18). L'Esprit saint parle par la bouche du prophète d'une eau trompeuse et perfide. Quelle est cette eau trompeuse et perfide ? À coup sûr;, c'est celle qui prend la figure mensongère du baptême, et prive de la grâce de la foi en en donnant une fausse apparence. Que si avec une foi fausse, quelqu'un a pu être baptisé au dehors, et obtenir la rémission de ses fautes, avec la même foi, il a pu recevoir l'Esprit saint, et il n'est pas nécessaire, quand il vient à nous qu'on lui impose la main, pour qu'il reçoive l'Esprit et soit confirmé. Ou bien en effet sa foi lui a permis d'acquérir au dehors l'un et l'autre, ou bien ni l'un ni l'autre n'a pu être acquis par lui au dehors.
Or, on sait ou et par qui peut être donnée la rémission des péchés que donne le baptême. C'est à Pierre d'abord, sur qui il a bâti son Église et en qui il a établi et montré l'origine de l'unité, que le Seigneur a conféré le privilège de voir délier ce qu'il aurait délié sur la terre. Après sa Résurrection aussi, c'est aux apôtres qu'Il s'adresse : &"Recevez; le saint Esprit. Si vous remettez les péchés à quelqu'un, ils lui seront remis; et, si vous les retenez, ils seront retenus". (Jn 21,22-23). Par là nous comprenons que c'est seulement à ceux qui sont les chefs dans l'Église, et dont l'autorité repose sur la loi évangélique et l'institution du Seigneur, qu'il est permis de baptiser et de donner la rémission des péchés, tandis qu'au dehors rien ne peut être ni lié ni délié, puisqu'il n'y a personne qui ait le pouvoir de lier ou de délier.
Nous avons pour nous l'autorité de l'Écriture divine, frère très cher, quand nous avançons que Dieu a réglé les choses de cette manière par une loi précise et des dispositions particulières, et que personne ne peut exercer en face des évêques et des prêtres des fonctions qui ne soient point dans ses attributions. Core, Dathan et Abiron essayèrent d'usurper, contre Moïse et le grand prêtre Aaron, le pouvoir de sacrifier, et leur usurpation ne demeura pas impunie. Les fils d'Aaron, qui avaient mis sur l'autel un feu étranger, périrent sur le champ. Le même châtiment attend ceux qui introduisent une eau étrangère dans un faux baptême : la divine Justice punit les hérétiques de faire contre l'Église une chose qui n'appartient qu'à l'Église.
D'aucuns objectent que ceux qui avaient été baptisés en Samarie (cf. Ac 8,14-17) ne reçurent à l'arrivée de Pierre et de Jean que l'imposition des mains, et par elle le saint Esprit, mais ne furent pas rebaptisés. Ce passage, frère très cher, ne s'applique visiblement pas au cas présent. Ces croyants de Samarie avaient cru de la vraie foi, et c'est à l'intérieur, dans l'Église une, et seule en possession de donner la grâce du baptême et de remettre les péchés, qu'ils avaient été baptisés par le diacre Philippe, envoyé par ces mêmes apôtres. Voilà comment, ayant reçu le baptême légitime de l'Église, ils n'avaient pas a être baptisés autrement. Pierre et Jean suppléèrent seulement ce qui leur manquait, en priant pour eux et en leur imposant la main, afin que l'Esprit saint invoqué se répandît sur eux. C'est ce qui se passe maintenant encore chez nous, où ceux qui sont baptisés dans l'Église sont présentés aux chefs de l'Église, et par notre prière, et l'imposition de notre main, reçoivent le saint Esprit et le sceau du Seigneur qui consomme leur initiation.
Il n'y a donc pas lieu, frère très cher, de penser qu'il faille céder aux hérétiques, et leur livrer le baptême qui n'a été donné qu'à la seule et unique Église. C'est le devoir d'un bon soldat de défendre contre les rebelles et les ennemis le camp de son général. C'est la gloire d'un chef de garder les enseignes qu'on lui a confiées. Il est écrit : &"Le; Seigneur votre Dieu est un Dieu jaloux". (Dt 4,24). Nous qui avons reçu l'Esprit de Dieu, nous devons avoir le soin jaloux de la foi divine. C'est par ce zèle que Phinées (cf Nom 25) plut à Dieu et L'apaisa, lorsque, dans sa Colère, il faisait périr son peuple. Pourquoi tiendrions-nous compte de ce qui est adultère, étranger, ennemi de la divine Unité, nous qui ne connaissons qu'un Christ, et qu'une Église, la sienne ? L'Église, à l'instar du paradis, renferme à l'intérieur de ses murs des arbres fruitiers. Parmi eux, celui qui ne donne pas de fruits est arraché et jeté au feu. Ces arbres, elle les arrose de quatre fleuves, c'est-à-dire des quatre évangiles par lesquels elle répand les flots célestes de la grâce du baptême. Mais celui qui n'est pas à l'intérieur, dans l'Église, peut-il arroser avec les eaux de l'Église ? Et comment pourrait-il donner à boire les eaux salutaires du paradis, celui qui, dévoyé, condamné par lui-même, rejeté loin de ces sources, s'est desséché et languit d'une soif éternelle ?
Notre-Seigneur crie que celui qui a soif vienne à Lui et boive aux fleuves d'eaux vives qui ont coulé de son Sein. Où ira celui qui a soif ? Sera-ce vers les hérétiques où il n'y a ni source ni courant d'eau vivifiante ? ou vers l'Église, qui est une et qui a été établie par la parole du Seigneur, à qui il a remis ses clefs ? Voilà celle qui seule a reçu et possède tout le pouvoir de son époux et de son maître. C'est dans cette Église que nous sommes évêques; c'est pour son honneur et son unité que nous combattons; c'est sa grâce tout ensemble et sa gloire que nous défendons. C'est nous qui, par la permission divine, abreuvons le peuple de Dieu qui est altéré, nous qui gardons les fontaines de vie. Si donc, nous maintenons nos droits de possession, si nous reconnaissons le sacrement de l'unité, pourquoi nous faire prévaricateurs vis à vis de la vérité ? traîtres à l'égard de l'unité ? L'eau de l'Église, fidèle, bienfaisante, sainte, ne peut subir de corruption, ni de souillure adultère, comme l'Église elle-même elle est incorruptible, chaste, pudique. Si les hérétiques sont dévoués à l'Église, sont dans l'Église, ils peuvent user de son baptême et de ses autres avantages spirituels. Mais s'ils ne sont pas dans l'Église, que dis-je ? s'ils sont les adversaires de l'Église, comment pourraient ils baptiser du baptême de l'Église ?
Ce n'est pas en effet une chose sans importance que l'on accorde aux hérétiques, quand on tient compte de leur baptême, car c'est de là que la foi prend son origine, que l'espérance de la vie éternelle entre en nous, que la divine Bonté purifie et vivifie ses serviteurs. Si l'on a pu recevoir le baptême chez les hérétiques, on a pu, à coup sûr, y obtenir la rémission de ses péchés Si quelqu'un a obtenu la rémission de ses péchés, il a été sanctifié. S'il a été sanctifie, il est devenu le temple de Dieu. Mais de quel Dieu ? Du Dieu créateur ? Mais ce lui fut impossible, puisqu'il ne croyait pas en lui. De Dieu le Christ ? Mais il n'a pu, non plus, devenir son temple, puisqu'il ne reconnaît pas Dieu le Christ. De l'Esprit saint ? Mais ils sont trois qui ne font qu'un : comment alors l'Esprit saint pourrait-il avoir pour agréable celui qui est l'ennemi ou du Père ou du Fils ?
Par conséquent, c'est bien en vain que certains qui sont battus par les armes de la raison nous opposent la coutume, comme si la coutume pouvait prévaloir sur la vérité, ou comme si l'on ne devait pas dans les choses spirituelles s'attacher à ce que le Saint Esprit a recommandé. On peut, en effet, pardonner à celui qui erre de bonne foi, comme le dit de lui-même le bienheureux apôtre Paul : &"J;'ai d'abord, dit-il, été un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'avais agi ainsi par ignorance". (Tim 1,13). Mais quand quelqu'un a reçu la révélation et l'inspiration divine, s'il persévère dans son erreur sciemment et volontairement, il pèche sans avoir de titre à être pardonné pour ignorance. Il n'est pas en effet exempt d'une certaine présomption et opiniâtreté, puisqu'il ne se rend pas à la raison qui le condamne. Et qu'on ne dise pas : La tradition, que nous avons reçue des apôtres, voilà ce que nous suivons, puisque les apôtres ne nous ont transmis qu'une Église et qu'un baptême, qui n'est que dans l'Église, puisque nous ne voyons pas que personne, après avoir été baptisé chez les hérétiques, ait été avec ce même baptême admis par les apôtres à la communion des chrétiens, ni par suite que les apôtres paraissent avoir approuvé le baptême des hérétiques.
Quelques-uns citent, comme de nature à favoriser les hérétiques, le mot de l'apôtre Paul : &"Cependant;, de quelque manière que l'on procède, soit avec des arrière-pensées, soit sincèrement, le Christ est annoncé". (Phil 1,18). Mais nous trouvons que ce mot non plus ne saurait être invoqué par ceux qui favorisent les hérétiques, et leur applaudissent. Ce n'est pas des hérétiques et de leur baptême que Paul parlait dans son épître, et ainsi on ne voit pas qu'il y ait rien dit concernant le sujet qui nous occupe. Il parlait des frères qui, ou bien marchaient de travers et contre la discipline ecclésiastique, ou bien au contraire gardaient dans la crainte de Dieu la vérité de l'évangile. Il disait que certains annonçaient avec constance et intrépidité la parole de Dieu, que certains donnaient dans l'envie et la contradiction, que certains lui gardaient une affection sincère, que d'autres avaient pour lui des sentiments malveillants, que lui cependant supportait tout avec patience, pourvu que, &"soit; avec des arrière-pensées, soit sincèrement" (cf Phil 1,1) le Nom du Christ fût porté à la connaissance d'un grand nombre de personnes, et que la prédication de la divine parole, nouvelle encore et à ses débuts, répandît de plus en plus sa semence. Or, c'est une chose que des gens qui sont à l'intérieur, dans l'Église, parlent au Nom du Christ, et une autre chose que ceux qui sont au dehors, contre l'Église, baptisent au nom du Christ. Par conséquent, si quelqu'un entend patronner les hérétiques, qu'il ne vienne pas citer un passage de Paul écrit au sujet de fidèles, qu'il montre, s'il le peut, que l'Apôtre a pensé qu'on dût; jamais concéder quoi que ce soit à un hérétique, qu'il a approuvé leur foi et leur baptême, ou qu'il a réglé que des mécréants et des blasphémateurs pouvaient recevoir la rémission de leurs péchés hors de l'Église.
Si, au contraire, nous considérons quel a été le sentiment des apôtres sur les hérétiques, nous trouverons que dans toutes leurs lettres, ils maudissent et déclarent détestable leur perversité sacrilège. Quand ils disent que leur parole a se répand de proche en proche comme la gangrène, comment la parole pourrait-elle remettre les péchés, qui se répand comme la gangrène aux oreilles des auditeurs ? Et quand ils disent qu'il n'y a rien de commun entre la justice et l'iniquité, aucun rapport entre la lumière et les ténèbres, comment les ténèbres pourraient-elles illuminer, et l’iniquité justifier ? Quand ils disent qu'ils ne sont pas de Dieu, mais de l'esprit de l'antéchrist, comment ceux-là pourraient-ils administrer les choses divines et spirituelles, qui sont les ennemis de Dieu et ont le coeur occupé par l'esprit de l'Antichrist ? Donc, si, laissant là les erreurs des disputes humaines, nous en revenons d'un coeur sincère et pieux à l'autorité de l'Évangile et à la tradition des apôtres, nous nous rendons bien compte que ceux-là n'ont aucun droit de donner la grâce salutaire réservée à l'Église, qui divisant et combattant l'Église du Christ, reçoivent du Christ Lui-même, le nom d'adversaires de ses apôtres, le nom d'antichrists.
Il ne faut point d'ailleurs qu'on essaie de détruire par ruse la vérité chrétienne, en mettant en avant le nom du Christ, et en disant : En quelque lieu et de quelque manière qu'on ait été baptisé au nom de Jésus Christ, on a reçu la grâce du baptême, car le Christ lui-même dit :
&"Tous;ceux qui disent Seigneur, Seigneur, n'entreront pas pour cela dans le royaume des cieux" (Mt 7,21) et Il nous avertit encore, Il nous apprend à ne point nous laisser tromper en son Nom par les pseudo-prophètes et les pseudochrists. &"Beaucoup;, dit-Il, viendront en mon Nom, disant : Je suis le Christ et ils tromperont beaucoup de monde" et ensuite il ajoute : &"Pour; vous, soyez sur vos gardes. Je vous ai tout dit d'avance". (Mc 13,6,23). Par où l'on voit qu'il ne faut pas sur le champ admettre et recevoir ce que d'aucuns prétendent faire au nom du Christ, mais seulement ce qui se fait dans la vérité chrétienne.
Que si, dans les Évangiles et les Épîtres des Apôtres, le nom de Jésus Christ entre dans la formule pour la rémission des péchés, ce n'est pas que le Fils puisse quelque chose pour quelqu'un sans le Père ou contre le Père. C'était pour que les Juifs, qui se vantaient d'avoir le Père, vissent bien que le Père ne leur servirait de rien, s'ils ne croyaient au Fils qu'il avait envoyé "car connaissant Dieu le Père et le créateur, ils devaient aussi connaître son Fils le Christ " et c'était aussi pour qu'ils ne pussent s'applaudir de connaître le Père sans connaître le Fils, lequel disait : &"Personne; ne vient au Père que par moi". (Jn 14,6). Il montre encore que c'est la connaissance des deux qui sauve, quand Il dit : &"La; vie éternelle consiste à Te reconnaître comme le seul et vrai Dieu, avec celui que Tu as envoyé, Jésus Christ". (Jn 17,3). Ainsi donc, d'après la déclaration et le témoignage du Christ Lui-même, on doit d'abord connaître le Père, qui a envoyé, puis le Christ qui a été envoyé. Comment alors, ne connaissant pas ou plutôt blasphémant Dieu le Père, ceux qu'on dit avoir été baptisés au Nom du Christ chez les hérétiques peuvent-ils être considérés comme ayant obtenu la rémission de leurs péchés ? Autre était le cas des Juifs au temps des apôtres, autre celui des Gentils. Les premiers, ayant déjà reçu le très ancien baptême de la loi et de Moïse, devaient être baptisés aussi au nom de Jésus Christ, selon l'invitation que leur fait Pierre dans les Actes des Apôtres : "Repentez-vou; et que chacun de vous soit baptisé au nom de notre Seigneur Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du saint Esprit. La promesse en effet est pour vous et pour vos enfants, et pour tous ceux que successivement appellera le Seigneur notre Dieu." (Ac 2,38-39). Pierre fait mention de Jésus Christ, non qu'il oublie le Père, mais pour qu'au Père le Fils f&ût adjoint.
Enfin, quand, après la résurrection, le Seigneur envoie les apôtres vers les nations, c'est au Nom du Père, du Fils et du saint Esprit qu'il leur ordonne de baptiser les gentils. Comment dès lors certains viennent-ils dire que, hors de l'Église, que dis-je, contre l'Église, le gentil, baptisé n'importe où et de n'importe quelle manière, pourvu que ce soit au nom de Jésus Christ peut recevoir la rémission de ses péchés, quand le Christ Lui-même ordonne de baptiser au nom de toute la Trinité ? À moins que par hasard celui qui renie le Christ soit renié par Lui, et qu'en même temps celui qui renie son Père que le Christ Lui-même a confessé, ne soit point renié, et que le blasphémateur de celui que le Christ a proclamé son Seigneur et son Dieu, récompensé par le Christ, reçoive la rémission de ses péchés et la sanctification que donne le baptême ! Mais par quel pouvoir peut-il recevoir au baptême la rémission de ses fautes, celui qui nie que Dieu soit le Père du Christ, quand le pouvoir même par lequel nous sommes baptisés et sanctifiés, le Christ l'a reçu de ce même Père qu'Il a déclaré plus grand que Lui, à qui Il a demandé d'être glorifié, dont Il a accompli la volonté jusqu'à boire le calice et subir la mort? Que fait-on d'autre, que de blasphémer avec les hérétiques, quand on veut soutenir que celui-là peut recevoir la rémission de ses fautes au Nom du Christ, qui blasphème, et péché gravement contre le Père, le Seigneur, et le Dieu du Christ ? Mais de plus, comment se pourrait-il que celui qui renie le Fils n'ait pas le Père, et que celui qui renie le Père paraisse avoir le Fils, quand le Fils lui-même déclare : "Personne ne peut venir à Moi si le Père ne lui permet ?" (Jn 6,65). Ainsi il est manifeste que l'on ne peut dans le baptême recevoir du Fils aucune rémission des péchés, qui ne soit accordée par le Père, surtout que le même Fils dit encore : &"Toute; plante qui n'aura pas été plantée par mon Père qui est aux cieux sera arrachée". (Mt 15,13).
Que si des disciples du Christ, ne veulent pas que le Christ leur apprenne tout ce qu'on doit de respect et de vénération au nom paternel, qu'ils l'apprennent du moins par les exemples de la terre et du siècle, et qu'ils sachent que ce n'est pas sans leur adresser le plus grave des reproches que le Christ a dit : "Les enfants du siècle sont plus sages que les enfants de la lumière." (Lc 16,8). Dans le siècle, si un père est insulté, si son honneur et sa réputation ont été déchirés par des langues médisantes et injurieuses, son fils s'indigne, s'irrite, et s'applique de toutes ses forces à venger l'injure qui lui a été faite. Et vous croirez que le Christ accordera l'impunité à des impies et à des sacrilèges, à des blasphémateurs de son Père, et qu'Il remettra les péchés dans le baptême, a des gens dont Il sait qu'une fois baptisés ils continueront de répandre l'outrage sur la Personne de son Père, et que leur langue perverse ne se lassera pas de blasphémer. Cela, un chrétien, un serviteur de D;eu peut-il le concevoir, le croire, le dire ? Que deviennent alors les préceptes divins de la loi : 'Honore ton père et ta mère" ? (Ex 20,12). À moins que le Nom de père, que l'on recommande d'honorer en l'homme, puisse être outragé impunément en Dieu ! Que devient l'arrêt que le Christ Lui-même proclame dans l'Évangile : 'Celui qui parlera mal de son père ou de sa mère, qu'il soit puni de mort" ? (Mt 15,4). À moins que celui qui commande de punir et de mettre à mort ceux qui parlent mal de leurs parents selon la chair, ne donne la vie lui-même à ceux qui parlent mal du Père spirituel, et céleste, et se font les ennemis de l'Église, leur mère. C'est une thèse exécrable et détestable que l'on soutient, en prétendant que celui qui menace d'une faute éternelle le blasphémateur du saint Esprit est le même qui sanctifie par le baptême du salut les blasphémateurs de Dieu le Père. Ceux qui estiment, quand de tels pécheurs viennent à l'Église, qu'on les doit admettre à la communion sans les baptiser, ne réfléchissent ils pas qu'ils se font complices"; fautes d'autrui que dis-je, de fautes éternelles, admettant sans le baptême des gens qui ne peuvent se purifier que dans le baptême des fautes contractées par leurs blasphèmes ?
Aussi bien quelle absurdité de notre part et quel désordre, alors que les hérétiques, répudiant et abandonnant leur erreur ou leurs crimes, reconnaissent eux-mêmes la vérité de l'Église, que de mutiler nous-mêmes les droits et les sacrements de la vérité; que de dire à ceux qui viennent à nous pleins de repentir, qu'ils ont déjà obtenu la rémission de leurs péchés, quand ils confessent qu'ils ont péché, et qu'à cause de cela ils viennent demander le pardon de l'Église. Voilà pourquoi, frère très cher, nous devons fermement, et garder et enseigner la foi et la vérité de l'Église catholique, et montrer par tous les préceptes de l'Évangile et des apôtres le caractère de l'unité et l'ordre de la dispensation divine.
Est-ce que l'efficacité du baptême peut être plus grande que celle de la confession du Christ devant les hommes, que celle des souffrances où l'on est baptisé dans son propre sang ? Et pourtant ce baptême-là lui-même ne sert pas à l'hérétique qui, ayant confessé le Christ, a été mis à mort hors de l'Église : à moins que, les patrons et les défenseurs des hérétiques ne les proclament martyrs, quand une fausse confession du Christ les a fait mettre à mort, et que, contre l'affirmation de l'Apôtre déclarant qu'il ne leur sert de rien d'être brûlés ou tués, ils ne leur accordent la gloire et la couronne du martyre. Que si le baptême même de la confession publique et du sang répandu ne peut profiter à l'hérétique au point de vue du salut, attendu qu'il n'y a point de salut hors de l'Église, à combien plus forte raison ne lui servira-t-il de rien d'avoir été lavé d'une eau corrompue dans les ténèbres d'une caverne de voleurs. Non seulement il n'y aura pas laissé ses fautes ancienne, mais il en aura plutôt contracté de nouvelles, d'une gravité plus grande. Aussi le baptême ne peut-il nous être commun avec les hérétiques, avec qui ni Dieu le Père, ni le Christ son Fils, ni le saint Esprit, ni la foi, ni l'Église ne nous sont communs. Et voilà pourquoi il faut baptiser ceux qui viennent de l'hérésie à l'Église, afin qu'étant régénérés divinement et préparés au royaume de Dieu par le vrai, légitime et unique baptême de l'Église, ils reçoivent la vie de l'un et de l'autre sacrement, car il est écrit : 'Nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu." (Jn 3,5).
Mais quelques-uns en cet endroit, comme s'ils pouvaient par des raisonnements humains anéantir la vérité de l'enseignement évangélique, nous opposent les catéchumènes, et nous demandent si, au cas où l'un d'eux, avant d'être baptisé dans l'Église, serait arrêté pour avoir confessé le Nom du Christ, et mis à mort, il devrait renoncer à l'espoir du salut et à la récompense de sa confession, parce qu'il n'aurait pas auparavant puisé dans l'eau une vie nouvelle. Eh bien, qu'ils sachent, ces partisans, ces fauteurs d'hérétiques, que les catéchumènes en question, tout d'abord, ont la foi entière et la vérité de l'Église, et qu'ils partent du camp divin pour combattre le diable, avec une connaissance entière et pure de Dieu le Père, du Christ, et du saint Esprit; ensuite, qu'ils ne sont même pas privés du sacrement de baptême, vu qu'ils sont baptisés de ce baptême très glorieux et très noble, dont le Seigneur disait qu'il avait un autre baptême à recevoir. Or qu'ainsi baptisés dans leur sang, et sanctifiés par leurs souffrances, ils soient parfaits, et reçoivent la grâce promise par Dieu, c'est ce que le même Seigneur déclare, quand Il parle au larron, qui croyait en Lui et le confessait au milieu de ses souffrances, et qu'Il lui promet qu'il sera avec Lui dans le paradis. Voilà pourquoi nous, qui sommes les gardiens de la foi et de la vérité, nous ne devons point tromper et décevoir ceux qui viennent à la vérité et à la foi, et qui demandent que les péchés leur soient remis, mais plutôt nous devons les corriger, les réformer et les instruire pour le royaume des cieux, en leur apprenant les enseignements célestes.
Mais on dira : Quel sera donc le sort de ceux qui, dans le passé, venant de l'hérésie à l'Église, y ont été admis sans baptême ? La Miséricorde du Seigneur est assez puissante pour leur faire grâce, et ne point priver des avantages de son Église ceux qui, admis de bonne foi dans cette Église, sont venus à y mourir. Mais ce n'est pas une raison, parce qu'on a erré une fois, d'errer toujours, et il convient plutôt à des gens qui sont sages et ont la crainte de Dieu dans le coeur, de se rendre volontiers et promptement à la vérité découverte et reconnue, plutôt que de s'opiniâtrer à lutter pour les hérétiques, contre des frères et des évêques.
Que l'on ne s'imagine pas d'ailleurs que le baptême qu'on oppose aux hérétiques les scandalise, comme si l'on parlait d'un second baptême, et les détourne de revenir à l'Église. Au contraire, la nécessité de venir à nous impose davantage à leurs esprits, quand on leur montre la vérité et qu'on les en convainc. Car s'ils voient que nos avis, et nos décisions tiennent pour authentique et légitime le baptême dont on baptise chez eux, ils croiront aussi posséder légitimement et authentiquement les autres biens de l'Église, et il n'y aura plus de raison pour eux de venir à nous, puisqu'ils paraîtront avoir le baptême, et tout le reste. Mais au contraire, en reconnaissant qu'il n'y a point de baptême au dehors, et que la rémission des péchés ne se peut obtenir hors de l'Église, ils ont plus d'ardeur, plus de promptitude à venir vers nous, et à solliciter les privilèges et les avantages de l'Église notre mère, certains de ne pouvoir du tout obtenir la vraie grâce promise par Dieu, s'ils ne viennent d'abord à la vraie Église. Et les hérétiques ne refuseront pas de se laisser baptiser chez nous du vrai et légitime baptême de l'Église, quand ils auront appris de nous, que ceux-là même furent baptisés par Paul, qui avaient reçu le baptême de Jean, d'après ce que nous lisons dans les Actes des apôtres.
Après cela, certains d'entre nous défendent encore le baptême des hérétiques, et, par une sorte d'aversion à l'égard d'un prétendu second baptême, ils estiment criminel de baptiser après les ennemis de Dieu, alors que nous voyons qu'on baptise ceux que Jean avait baptisés, ce Jean, qui fut tenu pour le plus grand des prophètes, rempli de la grâce divine dès le sein de sa mère, animé de l'esprit et de la vertu d'Elie, Jean, qui ne fut pas un adversaire du Seigneur, mais son précurseur et son héraut, qui n'annonça pas seulement le Seigneur par des prédications, mais le montra aux yeux, qui baptisa le Christ Lui-même au nom de qui tous les autres sont baptisés. Que si un hérétique a pu avoir le droit de baptême parce qu'il a baptisé le premier, le baptême ne sera plus désormais à personne, mais au premier occupant; et comme le baptême et l'Église ne peuvent absolument pas être séparés, celui qui a pu occuper le premier le baptême, a de même occupé l'Église, et voilà que vous devenez hérétique, vous qui, vous étant laissé prévenir, n'êtes arrivé que le second, et qui, en cédant, en vous rendant, avez abandonné le droit que vous aviez reçu. Or combien il est périlleux dans les choses spirituelles de céder de son droit et de son pouvoir, l'Écriture sainte le montre, lorsque, dans la Genèse, Esaü perd les avantages de sa primauté, et ne peut recouvrer ensuite ce qu'il a une fois cédé.
Voilà, en bref, frère très cher, ce que selon ses lumières mon humble personne avait à vous répondre. Je ne veux rien prescrire à qui que ce soit, ni empêcher que chaque évêque ne fasse ce qu'il veut : il a toute liberté de décision. Quant à nous, autant qu'il est en notre pouvoir, nous n'avons pas de démêlés au sujet des hérétiques avec nos collègues et nos co-evêques. Nous gardons avec eux la divine concorde et la paix du Seigneur. L'Apôtre dit : "quelqu'un pense devoir contester, telle n'est pas notre coutume, ni celle de l'Église de Dieu." (1 Cor 11,16). Avec patience et douceur, nous gardons l'union des âmes, l'honneur du collège, le lien de la fois, la concorde de l'épiscopat. Voilà pourquoi aussi, avec la permission de Dieu et son inspiration, nous avons composé, comme nos modestes lumières nous l'ont permis, un traité "avantages de la Patience. (7)" que nous vous envoyons, ainsi que notre mutuelle affection nous en faisait un devoir. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(3) la lettre 70.

(4) C'est la lettre 71

(5) La lettre 71

(6) Aux environs de l'année 220 de sainte mémoire.

(7) C'est le XIIe traité de l'édition Hartel. C'est une adaptation du De patientia de Tertullien.
 
 

LETTRE 74

CYPRIEN A POMPÉIUS (8) SON FRERE, SALUT.

Bien que nous ayons traité pleinement toute la question du baptême des hérétiques dans les lettres dont nous vous envoyons des copies, pourtant, frère très cher, comme vous désirez connaître ce qu'a répondu Étienne, notre frère, à notre lettre, je vous envoie une copie de sa réponse. En la lisant, vous verrez de plus en plus l'erreur où il est, lui qui entreprend de soutenir la cause des hérétiques contre les chrétiens et contre l'Église de Dieu. Car, entre autres choses, ou hautaines, ou étrangères au sujet, ou contradictoires, qu'il a écrites, maladroitement et imprudemment, il a encore ajouté ceci : "Si donc des hérétiques viennent à nous, de quelque secte que ce soit, que l'on n'innove point, mais qu'on suive seulement la tradition, en leur imposant les mains pour les recevoir à pénitence, d'autant que les hérétiques eux-mêmes, d'une secte à l'autre, ne baptisent point suivant leur rite particulier ceux qui viennent à eux, mais les admettent simplement à leur communion.
Il défend de baptiser dans l'Église "ceux qui viennent de quelque hérésie que ce soit", c'est-à-dire qu'il tient les baptêmes de tous les hérétiques pour légitimes et authentiques. Et comme chaque secte a son baptême et ses péchés, en admettant le baptême de tous les hérétiques, ce sont les péchés de tous qu'il assemble et accumule sur sa tête. Il prescrit "de n'innover en rien, mais de suivre seulement la tradition", comme si celui-là innovait, qui, restant fidèle à l'unité, réclame pour l'Église unique un unique baptême, et non pas plutôt celui qui, oubliant l'unité, use du mensonge d'une ablution profane. "Qu'on n'innove en rien, dit-il, mais qu'on suive seulement la tradition." Mais, d'où vient cette tradition ? A-t-elle pour elle l'autorité du Seigneur et de l'Évangile ? Vient-elle des apôtres et de leurs Épîtres ? C'est en effet ce qui est écrit que l'on doit faire. Dieu l'atteste, et nous en avertit, lorsqu'Il dit à Josué, fils de Navé : "Le livre de cette loi ne s'éloignera point de votre bouche, mais vous le méditerez jour et nuit, afin d'être attentif à faire ce qui y est écrit". De même le Seigneur, envoyant ses apôtres, leur prescrit de baptiser les nations et de les instruire à garder tous ses préceptes. Si donc il est prescrit dans l'Évangile, ou dans les Épîtres des apôtres, ou dans les Actes, de ne point baptiser a ceux qui viennent de quelque hérésie que ce soit, mais de leur imposer seulement les mains pour les admettre à la pénitence, que l'on observe cette tradition divine et sainte. Mais si les hérétiques n'y ont jamais que le nom "d'adversaires", et &"d;'antichrists", s'ils y sont déclarés "gens à éviter, pervers, condamnés par eux-mêmes", comment peut-on trouver que ceux-là ne doivent pas être condamnés par nous, que le témoignage apostolique nous montre condamnés par eux-mêmes ? De sorte que personne ne doit faire tort aux apôtres, en laissant croire qu'ils aient approuvé les baptêmes des hérétiques, ou les aient admis à leur communion sans le baptême de l'Église, alors que les apôtres ont parlé de la sorte contre les hérétiques; et cela, à une époque où les plus dangereuses hérésies ne s'étaient pas encore déchaînées, ou Marcion le Pontique n'était pas encore sorti du Pont, lui dont le maître Cerdon ne vint à Rome que sous l'épiscopat d'Hygin, le neuvième évêque de cette ville. Marcion, suivit son maître, en ajoutant à ses crimes. Il blasphéma contre Dieu le Père, le Créateur, avec plus d'impudence et de violence que les autres, et mit une plus grande scélératesse à munir d'armes sacrilèges la fureur hérétique en révolte contre l'Église.
Ainsi, il est établi que depuis les apôtres, il s'est élevé des hérésies plus nombreuses et plus graves; nulle part d'ailleurs, dans le passé, il n'est prescrit ni écrit "que l'on doive imposer seulement la main à l'hérétique pour la pénitence", et l'admettre ainsi à la communion. D'autre part, il n'y a qu'un baptême qui est chez nous, à l'intérieur, confié par Dieu à l'Église seule. Quel est donc, après tout cela, cet entêtement, cette présomption, de préférer une tradition humaine à une disposition divine, et ne pas vouloir remarquer que Dieu s'irrite toutes les fois qu'une tradition humaine néglige et ruine les préceptes divins. C'est ce que Dieu Lui-même proclame par la bouche du prophète Isaïe, quand Il dit : "Ce peuple m'honore du bout des lèvres, mais son coeur est loin de Moi. C'est en vain qu'ils Me rendent un culte, puiqu'ils suivent des préceptes et des doctrines, qui sont de l'homme". (Is 29,13). C'est le même reproche que Dieu fait dans l'Évangile : "Vous rejetez les préceptes de Dieu, pour établir notre tradition". (Mc 7,13). Se souvenant de ces paroles, l'Apôtre donne des avertissements à son tour, et dit : "Si quelqu'un, par un aveuglement d'orgueil et par ignorance, vous enseigne autre chose, et ne se conforme pas aux salutaires instructions et à la doctrine de notre Seigneur Jésus Christ, éloignez-vous de lui." (1 Tim 6,3-5).
Elle est belle, ah oui, et légitime, la tradition que notre frère Étienne propose, pour nous fournir une autorité convenable ! N'ajoute-t-il pas au même endroit de sa lettre : "D'autant que les hérétiques eux-mêmes d'une secte à l'autre ne baptisent pas ceux qui viennent à eux, mais les admettent simplement à leur communion". L'Église de Dieu, l'épouse du Christ est, en effet, devenue bien malheureuse; voilà qu'elle doit se mettre à la remorque des hérétiques, que, pour l'administration des sacrements divins, ce sera la lumière qui empruntera aux ténèbres, et les chrétiens qui feront ce que font les hérétiques ! Mais quel est donc cet aveuglement, quelle est cette aberration, de ne point vouloir reconnaître l'unité de la foi, qui vient de Dieu le Père et de la tradition de Jésus Christ, notre Seigneur et notre Dieu ? En effet, si l'Église n'est pas chez les hérétiques, parce qu'elle est une et ne peut se diviser, et si le saint Esprit n'est pas chez eux, parce qu'Il est un et ne peut être chez des profanes et des gens du dehors, à coup sûr le baptême, qui a la même unité, ne peut être chez les hérétiques, puisqu'il ne peut être séparé ni de l'Église, ni du saint Esprit.
Ou bien, s'ils attribuent l'efficacité du baptême à la majesté du Nom du Christ, de telle façon que, pour eux, celui qui est baptisé en ce nom, de n'importe quelle manière et n'importe où, soit renouvelé et sanctifié, chez les hérétiques on impose aussi les mains à celui qui a été baptisé pour qu'il reçoive le saint Esprit : alors pourquoi la majesté du nom n'a t-elle pas, dans l'imposition des mains, la même efficacité qu'ils lui attribuent dans la sanctification pour le baptême ? Car si celui qui est né hors de l'Église peut devenir le temple de Dieu, pourquoi le saint Esprit ne pourrait-Il pas descendre dans ce temple ? Celui qui, déposant dans le baptême la souillure de ses péchés, a été sanctifié et est devenu spirituellement un homme nouveau, a été rendu apte à recevoir le saint Esprit, car l'apôtre dit : "Vous tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ".
Celui qui peut, en recevant le baptême des hérétiques, revêtir le Christ, peut, à bien plus forte raison, recevoir le saint Esprit que le Christ a envoyé. Aussi bien, pour que celui qui a été baptisé en dehors ait pu revêtir le Christ sans recevoir le saint Esprit, il faudra que celui qui est envoyé soit plus grand que celui qui l'envoie, sans compter d'ailleurs que le Christ ne saurait être revêtu sans l'Esprit, ni l'Esprit séparé du Christ. C'est un autre illogisme de dire, alors que la naissance est spirituelle dont nous naissons dans le Christ par le bain de la régénération, que quelqu'un peut naître spirituellement chez les hérétiques, où ils n'admettent pas la Présence de l'Esprit. L'eau seule, sans le saint Esprit, ne peut effacer les péchés et sanctifier l'homme. Il est donc nécessaire, ou bien qu'ils nous accordent que le saint Esprit aussi est là ou ils disent qu'est le baptême, ou bien que le baptême n'est pas là où l'Esprit n'est pas, puisque le baptême ne peut être sans l'Esprit.
Quelle est d'autre part cette prétention de soutenir que l'on puisse être fils de Dieu sans être né dans l'Église ? C'est dans le baptême que meurt le vieil homme et que naît l'homme nouveau, comme le montre le bienheureux Apôtre : "Il nous a sauvés, dit-il, par le bain de la régénération". (Tit 3,5). Si donc c'est par le bain, c'est-à-dire par le baptême, que se fait cette régénération, comment l'hérésie pourrait-elle enfanter des fils à Dieu par le Christ, elle qui n'est pas l'épouse du Christ ? C'est l'Église seule en effet qui, unie au Christ, enfante spirituellement, comme le dit encore le même Apôtre : "Le Christ a aimé son Église, et S'est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par son bain". (Ep 5,25-26). Si donc elle est la bien-aimée et l'épouse, qui seule est sanctifiée par le Christ, et seule purifiée par son bain, il est manifeste que l'hérésie, qui, n'étant pas l'épouse du Christ, ne peut être purifiée ni sanctifiée par son bain, ne peut enfanter des fils à Dieu
De plus, ce n'est pas quand on reçoit le saint Esprit par l'imposition des mains, que l'on naît, c'est dans le baptême; mais l'on reçoit le saint homme. Dieu le forma d'abord, puis il souffla sur sa face un souffle de vie. Le saint Esprit, en effet, ne peut être reçu si celui qui le doit recevoir n'existe d'abord. Mais alors, comme la naissance des chrétiens a lieu au baptême, que la génération et la sanctification ne se trouvent que chez l'épouse du Christ, qui seule peut enfanter spirituellement et donner des enfants à Dieu, où donc, de qui, à qui est né celui qui n'est pas le fils de l'Église ? Pour pouvoir avoir Dieu pour père, qu'il ait d'abord l'Église pour mère ! Et, alors que, hors de l'Église, aucune hérésie, ni même aucun schisme ne peut posséder la sanctification du baptême salutaire, l'inflexible entêtement de notre frère Étienne va jusqu'à prétendre que même le baptême de Marcion, et aussi celui de Valentin, d'Apelle et des autres, qui blasphèment contre Dieu le Père, donne naissance à des enfants de Dieu, jusqu'à dire que la rémission des péchés est accordée au Nom de Jésus Christ là même ou l'on blasphème contre le Père et contre le Christ notre Seigneur !
Et ici, frère très cher, nous devons nous demander, en tenant compte des devoirs de notre charge, si au jour du jugement, un évêque de Dieu pourra être en règle avec son maître, s'il défend, approuve, et reçoit comme authentiques les blasphèmes des blasphémateurs, alors que le Seigneur fait cette menace : "Et maintenant voici mon décret pour vous, ô prêtres. Si vous n'écoutez pas, et si vous ne prenez pas à coeur d'honorer mon Nom, dit le Seigneur Tout-Puissant Je lancerai contre vous ma malédiction, et Je maudirai vos bénédictions". (Mt 2,1-2). Honore-t-il Dieu, celui qui est en communion avec le baptême de Marcion ? Honore-t-il Dieu, celui qui estime que la rémission des péchés se donne chez ceux qui blasphèment contre Dieu ? Honore-t-il Dieu, celui qui prétend que, hors de l'Église naissent, d'une adultère et d'une pros tituée, des enfants de Dieu ? Honore-t-il Dieu, celui qui, infidèle à l'unité et à la vérité établie par l'institution divine, défend les hérésies contre l'Église ? Honore-t-il Dieu celui qui, se faisant l'ami des hérétiques et l'ennemi des chrétiens, croit que les évêques, qui restent fidèles à la vérité du Christ, et à l'unité de l'Église, doivent être excommuniés ? Si c'est ainsi que Dieu est honoré, si c'est ainsi que la crainte de Dieu et la discipline sont observées par ses adorateurs et ses évêques, mettons bas les armes, rendons-nous pour être esclaves, livrons au diable les règles de l'Évangile, la loi du Christ, la Majesté de Dieu. Rompons les serments de la milice divine, livrons les étendards du camp spirituel, que l'Église cède à l'hérésie, la lumière aux ténèbres, la foi à l'infidélité, l'espérance au désespoir, la raison à l'erreur, l'immortalité à la mort, la charité à la haine, la vérité au mensonge, le Christ à l'Antichrist. Quoi d'étonnant alors, que chaque jour s'élèvent des schismes et des hérésies, qu'ils croissent et grandissent, que les serpents de leurs têtes prennent plus de force pour lancer leur venin contre l'Église de Dieu, quand certains les soutiennent et leur prêtent l'appui de leur patronage, quand on défend leur baptême, quand on trahit la foi, la vérité; quand ce qui se fait au dehors contre l'Église est ratifié à l'intérieur, dans l'Église même ?
Que si nous avons en nous, frère très cher, la crainte de Dieu, si nous observons les préceptes du Christ, si nous gardons incorruptible et inviolable la sainteté de son épouse, si nos sens et nos coeurs ont présente la parole du Seigneur : "Croyez-vous; que quand le Fils de l'homme viendra, il trouvera de la foi sur la terre ?", (Lc 18,8) en tant que fidèles soldats de Dieu, faisant notre service avec une foi et une piété sincère, gardons courageusement et fidèlement le camp qui nous a été divinement confié. La coutume, qui s'est peu à peu établie chez quelques-uns, ne doit pas empêcher la vérité de prévaloir et de triompher. Car la coutume sans la vérité n'est qu'une erreur qui est vieille. Donc laissons-là l'erreur et attachons nous à la vérité, sachant bien que la vérité triomphe, comme il est écrit en Esdras. "La vérité demeure et reste forte éternellement, elle subsiste dans les siècles des siècles. Il n'y a pas chez elle d'acception de personnes, ni de différence; elle fait ce qui est juste. L'iniquité n'est point dans son jugement. Elle est la force, l'autorité, la majesté et la puissance pour tous les siècles. Béni soit le Dieu de vérité". (1 Esr 4,38-40). C'est cette vérité que le Christ nous montre, quand Il dit dans son Évangile : "Je suis la Vérité". (Jn 14,6). Par conséquent si nous sommes dans le Christ et que le Christ soit en nous, si nous demeurons dans la vérité, et que la vérité demeure en nous, attachons nous à ce qui est vrai.
Il arrive malheureusement que par présomption et entêtement on défende son opinion, fausse et mauvaise, plutôt que de se rallier à celle d'autrui, même juste et vraie. C'est à quoi pense le bienheureux apôtre Paul, quand, écrivant à Timothée, il l'avertit qu'un évêque ne doit pas être querelleur ni opiniâtre, mais doux et docile. Or, celui-là est docile, qui est assez doux et facile pour avoir la patience de s'instruire. Il faut, en effet, que les évêques non seulement enseignent, mais encore s'instruisent, car justement on enseigne mieux quand on gagne tous les jours et qu'on fait des progrès en s'instruisant. C'est précisément ce que nous enseigne le même apôtre Paul, en prescrivant que si, pendant que l'un parle, "l'autre qui est assis a une meilleure révélation, le premier se taise". (cf 1 Cor 14,30). Or, il est facile aux âmes religieuses et droites de se défaire de l'erreur, de découvrir la vérité et de l'amener au jour. Si l'on remonte à la source et à l'origine de la tradition divine, l'erreur humaine cesse, et, quand on a pénétré l'économie des sacrements célestes, tout ce qui restait obscur sous le voile de la nuit et des ténèbres vient à la lumière de la vérité et s'éclaire. Quand l'eau d'un aqueduc, qui coulait en abondance, vient à manquer, est-ce qu'on ne remonte pas à la source pour reconnaître la cause de l'arrêt ? On recherche si les veines se sont taries au point de départ, ou bien si l'eau s'est arrêtée au milieu de sa course, afin que, si ce qui empêche l'eau de couler sans cesse, c'est que l'aqueduc a une solution de continuité, ou n'est plus étanche, on le répare, et qu'ainsi la même quantité qui sort de la source soit transportée de nouveau et soit à la disposition de la cité. C'est ce que doivent faire ces évêques de Dieu, qui sont fidèles à ses préceptes, afin que, si la vérité a fléchi en quelque point, nous revenions à l'usage originel établi par notre Seigneur, à la tradition évangélique et apostolique, et que notre conduite tire ses règles de là même d'où notre dignité tire son origine.
Cette tradition porte qu'il y a un seul Dieu, un seul Christ, une seule espérance et une seule foi, une seule Église et un seul baptême qui n'est que dans l'Église, de laquelle on ne peut se séparer sans se trouver avec les hérétiques et sans attaquer l'enseignement sacré de la tradition divine, en les soutenant contre l'Église. C'est le mystère de cette unité que nous voyons exprimé au Cantique des Cantiques ou, parlant au nom du Christ, quelqu'un dit : "Ma soeur est un jardin fermé, mon épouse une fontaine scellée, un puits d'eau vive, un jardin avec le fruit de ses arbres" (Can 4,12). Mais si son Église est un jardin fermé, une fontaine scellée, comment pourrait-il entrer dans ce jardin, ou boire à cette fontaine, celui qui n'est pas dans l'Église ? De même, Pierre, signifiant lui aussi et défendant l'unité, nous fait remarquer que nous ne pouvons être sauvé que par le baptême unique d'une unique Église : "Dans l'arche de Noé, dit-il, peu de monde c'est-à-dire huit personnes, furent sauvés à travers l'eau. C'est de la même manière que le baptême vous sauvera."(1 Pi 3,20-21). Dans ce résumé bref et symbolique, il a exprimé le mystère de l'unité. De même, en effet, que dans ce baptême du monde, qui le purifia de la perversité d'autrefois, celui qui n'était pas dans l'arche, ne put être sauvé à travers l'eau, de même maintenant on ne peut être tenu pour sauvé par le baptême, si l'on n'a été baptisé dans l'Église, qui selon le symbole de l'arche unique a été fondée sur l'unité.
Donc, frère très cher, après avoir cherché et reconnu la vérité, nous observons de baptiser de l'unique baptême légitime tous ceux qui, de l'hérésie quelle qu'elle soit, viennent à l'Église, à l'exception de ceux qui sont passés à l'hérésie après avoir été baptisés dans l'Église. Pour ceux-ci, quand ils reviennent et ont fait pénitence, ils doivent être reçus par la seule imposition des mains du pasteur et réadmis dans le bercail dont ils s'étaient écartés. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(8) Probablement, l'évêque de Sabrata, en Tripolitaine.

LETTRE 75

 

FIRMILIEN (1) A CYPRIEN, SON FRERE, SALUT DANS LE SEIGNEUR

 

Rogatianus, notre très cher diacre, que vous nous avez dépêche, nous a remis votre lettre, frère très cher, et nous avons rendu à Dieu de grandes actions de grâces de ce que, étant séparés de corps, nous soyons aussi unis d'esprit que si nous habitions, je ne dis pas un même pays, mais une seule et même maison. C'est d'ailleurs ce que nous pouvons dire, puisque la demeure spirituelle de Dieu est une : "Dans les derniers jours, dit-il, la montagne du Seigneur sera en vue, et la maison de Dieu au sommet des montagnes". (Is 2,2). Ceux qui viennent dans cette maison sont heureux de s'y réunir, selon la prière qui est faite au Seigneur dans le psaume d'habiter dans la maison de Dieu tous les jours de sa vie. Aussi, voit-on en un autre endroit que les saints aiment beaucoup à se réunir : "Qu'il est bon, dit-il, et agréable à des frères d'habiter ensemble". (Ps 122,1).

Ce n'est pas en effet seulement aux hommes qui croient et connaissent la vérité, que l'union, la paix et la concorde font le plus grand plaisir, mais aux anges du ciel eux-mêmes, pour qui la divine parole proclame qu'il y a de la joie quand un pécheur se repent et revient l'unité. Ce qui à coup sûr ne serait pas dit des anges qui habitent le ciel, si eux aussi ne nous étaient unis, et ne se réjouissaient de notre unité. Inversement ils sont contristés quand ils voient les divergences de sentiments les oppositions de volontés de certaines personnes, pour qui c'est comme s'ils n'invoquaient pas un seul et même Dieu, mais étaient séparés et divisés au point de ne pouvoir plus causer et converser ensemble. Peut-être cependant pouvons-nous rendre grâce à Étienne de ce que son incivilité nous a donné l'occasion de connaître votre foi et votre sagesse. Mais si, à cause d'Étienne, nous avons eu l'avantage d'un si grand bien, il n'en ressort pas qu'Étienne ait bien agi ni mérité des actions de grâces : pas plus que la perfidie de Judas et sa trahison scélérate ne peuvent le faire considérer comme la cause de ce grand bienfait de la rédemption du monde et des nations par la passion du Seigneur.

Mais laissons là, pour le moment, les procédés d'Étienne, de peur qu'en rappelant le souvenir de son audace et de son insolence, ses méfaits ne nous causent une tristesse trop durable. Pour ce qui vous concerne, nous avons éprouvé une grande joie, en apprenant ce que, conformément aux vrais principes et à la sagesse du Christ, vous aviez décidé au sujet de la question présente, et nous avons rendu grâces à Dieu, d'avoir trouvé chez des frères si éloignés de nous une telle communauté de foi et d'attachement à la vérité. La grâce de Dieu sait rapprocher et nouer du lien de la charité et de l'unité ceux que semblent séparer de trop grandes distances : c'est ainsi qu'autrefois, malgré l'intervalle de temps qui les séparait, Job et Noé, qui avaient vécu les premiers, et Ézéchiel et Daniel qui vinrent plus tard, furent si bien rapprochés par la divine Puissance, et amenés si bien à l'unité des pensées, que malgré la différence des temps ils n'avaient plus qu'une même inspiration. C'est ce que nous voyons chez vous. Séparés de nous par les plus grandes distances, vous montrez que vous nous êtes attachés d'esprit et de sentiment. Tout cela est un effet de la divine Unité, car Dieu, qui habite en nous, étant un et indivisible, unit partout les siens et, les assemble par le lien de l'unité. Voilà comment s'est répandue par toute la terre la voix de ceux qui ont été envoyés par Dieu, et courent animés par l'esprit d'unité. En revanche il ne sert à rien à quelques-uns d'être voisins et proches de corps, s'ils sont distants d'esprit et d'âme, car les âmes ne peuvent être unies qui se sont séparées de l'Unité divine : "Voici, dit le psalmiste, que ceux qui s'éloignent de Toi périront." Mais ceux-là seront jugés par le Seigneur selon leur mérite, car ils s'éloignent des sentiments de Celui qui parle à son Père en faveur de la paix et le prie, en disant : "Mon Père, fais que, comme Toi et Moi nous sommes un, de même ils soient un en Nous".

Pour nous, nous avons accueilli ce que vous nous avez écrit comme si nous l'avions écrit nous-mêmes, et nous ne l'avons pas lu en courant, mais nous en avons répété la lecture afin de le retenir ! Il n'y a point de mal d'ailleurs à redire les mêmes choses pour confirmer la vérité, ou à en ajouter d'autres pour un surcroît de démonstration. Si nous ajoutons quelque chose, ce n'est pas que vous n'en ayez dit assez, mais la parole divine dépasse la nature humaine, et un seul esprit ne peut tout embrasser dans la perfection. C'est pourquoi, il y a un si grand nombre de prophètes, afin que la Sagesse divine, qui est multiple, ait de multiples canaux pour se distribuer. De là vient qu'il est recommandé au premier prophète qui parle, de se taire s'il y en a un autre ayant reçu une révélation. Par la même raison, il est nécessaire que chaque année nous ayons une assemblée de prêtres et d'évêques pour aviser aux affaires commises à nos soins, afin que les questions importantes soient réglées d'un commun accord, que ceux de nos frères, qui sont tombés, et qui, après le bain du salut, ont été blessés par le diable, trouvent dans la pénitence un moyen de guérison, non pas comme s'ils recevaient de nous la rémission de leurs fautes, mais pour que par nous ils en viennent à comprendre leur culpabilité et soient amenés à donner au Seigneur une satisfaction plénière.

Or, comme votre envoyé avait hâte de retourner, et que l'hiver approchait, nous avons répondu à votre lettre comme nous avons pu. Et d'abord, en ce qui concerne l'affirmation d'Étienne, d'après laquelle les Apôtres auraient interdit de baptiser ceux qui viennent de l'hérésie, et auraient ainsi inauguré une pratique qui s'imposerait à ceux qui viendraient après eux, vous avez parfaitement répondu que personne ne serait assez insensé pour croire qu'une telle tradition nous ait été laissÉe par les Apôtres, puisqu'il est constant que les hérésies les plus exécrables n'ont existé que plus tard. On trouve en effet que c'est longtemps après les Apôtres et les temps apostoliques, que Marcion (2), disciple de Cerdon, a introduit sa tradition sacrilège, et qu'Apelle a adhéré à son impiété, en y ajoutant beaucoup de graves nouveautés, contraires à la vérité et à la foi. On connaît aussi le temps où ont paru Valentin et Basilides, (3) et qu'ils n'ont élevé leurs mensonges criminels contre l'Église de Dieu, que depuis les apôtres et longtemps après. Il est manifeste encore que les autres sectes hérétiques n'ont paru et répandu leurs inventions perverses que plus tard, au hasard des erreurs qui les ont successivement séduits. Il est clair que tous ceux-là sont condamnés de par eux-mêmes, et que, sans attendre le jour du jugement, ils ont prononcé contre eux-mêmes une sentence inévitable. Dés lors, approuver leur baptême, qu'est-ce autre chose, que de se faire juger avec eux, et de prononcer soi-même, en se faisant leur complice, sa propre condamnation ?

Que les gens de Rome n'observent pas en tout la tradition originelle, et allèguent en vain l'autorité des apôtres, c'est ce que l'on peut constater. On aperçoit chez eux des divergences au sujet des jours de la Pâque (4), et en maint autre point de religion, et on n'observe pas chez eux exactement ce qu'on observe à Jérusalem, tout comme dans la masse des autres provinces beaucoup de choses varient avec la diversité des lieux et des personnes, sans que pour cela on se soit jamais éloigné de la paix et de l'unité de l'Église catholique. C'est pourtant ce qu'Étienne vient d'oser faire, rompant vis-à-vis de nous la paix que ses prédécesseurs ont toujours gardée avec nous dans de mutuels sentiments d'amitié et des égards réciproques, et de plus faisant tort aux bienheureux apôtres Pierre et Paul, en leur attribuant cette tradition, alors que dans leurs Épîtres ils ont maudit les hérétiques, et nous ont recommandé de les éviter. Par où l'on voit que cette tradition est humaine, qui soutient les hérétiques et leur attribue un baptême qui n'appartient qu'à l'Église.

Vous avez aussi fort bien répondu à ce passage de la lettre où il dit "que les hérétiques eux-mêmes s'accordent pour le baptême" et que "d'une secte à l'autre ils ne baptisent point ceux qui viennent à eux mais les admettent simplement à leur communion" : comme si nous devions faire de même. Sur ce point, bien que vous ayez déjà montré qu'il est passablement ridicule de suivvre ceux qui se sont égarés, nous ajouterons par surcroît qu'il n'est point étonnant que les hérétiques agissent de cette manière. Divisés sur certaines questions secondaires, ils s'accordent cependant sur le point principal : ils blasphèment le Créateur, ils se forgent je ne sais quels songes, quel fantôme de Dieu inconnu. Dès lors il est naturel qu'ils s'accordent pour admettre un faux baptême comme ils s'accordent pour rejeter le Dieu véritable. Il serait long de répondre en détail à leurs scélératesses ou à leurs puérilités. Il suffira de remarquer d'un mot que ceux qui n'ont pas la vérité sur Dieu le Père ne peuvent l'avoir sur Dieu le Fils ni sur le saint Esprit, tout comme ceux que l'on appelle Cataphrygiens, et qui essaient d'introduire des prophéties nouvelles, ne peuvent avoir ni le Père ni le Fils, ou le saint Esprit. En effet, si on leur demande quel Christ ils annoncent, ils répondront qu'ils annoncent celui qui a envoyé l'Esprit, qui a parlé par la bouche de Montan et de Prisca, et comme nous voyons qu'il n'y avait en ceux-ci qu'un esprit d'erreur et non de vérité, nous en concluons que ceux qui se réclament de leur fausse prophétie contre la foi du Christ, ne peuvent avoir le Christ. Mais de plus les autres hérétiques, du moment qu'ils ont rompu avec l'Église de Dieu, ne peuvent avoir ni pouvoir ni grâce puisque tout pouvoir et toute grâce est dans l'Église, où président les anciens, qui ont pouvoir de baptiser et d'imposer la main et d'ordonner. L'hérétique au contraire, de même qu'il ne peut ordonner, ni imposer la main, ne peut non plus baptiser, ni exercer aucune action sanctifiante et spirituelle, puisqu'il est étranger à la sainteté spirituelle et sanctifiante. C'est ce que, il y a longtemps, dans une assemblée tenue à Iconium (5), en Phrygie, et où se trouvaient des évêques venus de Galatie et de Cilicie, et des autres provinces voisines, nous avons résolu de soutenir énergiquement et de faire prévaloir contre les hérétiques, levant ainsi le doute où étaient quelques-uns à ce sujet.

Puisque Étienne, et ceux qui partagent son sentiment, prétendent que la rémission des péchés et la seconde naissance peuvent avoir lieu dans les sectes, où ils avouent eux-mêmes que l'Esprit saint n'est pas, qu'ils veuillent bien réfléchir, et comprendre qu'il ne peut y avoir de naissance spirituelle sans l'Esprit. Le bienheureux apôtre Paul baptisa de nouveau, du baptême de l'Esprit, ceux qui avaient été baptisés par Jean, avant que le Seigneur eut envoyé l'Esprit saint, et leur imposa les mains pour leur faire recevoir le saint Esprit. Étrange aberration, quand nous voyons que Paul, après le baptême de Jean, a de nouveau baptisé ses disciples, que d'hésiter à baptiser ceux qui viennent à l'église du milieu des hérétiques, après leur ablution illégitime et profane ! Mais sans doute que nos évêques d'aujourd'hui sont plus grands que Paul ! Ils peuvent donner le saint Esprit aux hérétiques, qui viennent à eux, par la seule imposition des mains. Paul, lui, n'était pas capable de donner par la seule imposition de la main le saint Esprit à ceux qui avaient été baptisés par Jean, s'il ne les avait auparavant baptisés du baptême de l'Église !

Il est absurde aussi de penser, comme ils font, qu'il n'y a pas à savoir quel est celui qui a baptisé, parce que celui qui a été baptisé a pu recevoir la grâce par l'invocation de la Trinité des Noms du Père, du Fils et du saint Esprit. Ainsi, la sagesse que Paul attribue à ceux qui sont parfaits, ce serait que celui qui est parfait et sage dans l'Église soutienne, ou croie, que cette seule invocation des noms suffit pour la rémission des péchés et la sanctification baptismale. En réalité, ces effets se produisent uniquement quand celui qui baptise a l'Esprit saint, et le baptême lui-même n'existe pas sans l'Esprit. Mais ils disent que celui qui est baptisé de quelque manière que ce soit hors de l'Église, peut obtenir par ses dispositions intérieures et par sa foi la grâce que donne le baptême, ce qui est encore simplement ridicule. Comme si des dispositions perverses pouvaient attirer la grâce qui sanctifie les justes, ou une foi fausse, la vérité qui fait les fidèles ! Il n'est pas vrai que tous ceux qui invoquent le Nom du Christ soient exaucés, et que leur invocation puisse toujours obtenir quelque grâce. Le Seigneur le fait connaître Lui-même quand il dit : "Beaucoup viendront en mon Nom disant : Je suis le Christ, et ils en séduiront un grand nombre". (Mc 13,6). Enfin il n'y a aucune différence entre -un pseudo-prophète et un hérétique. L'un trompe par le Nom de Dieu et du Christ, l'autre par le sacrement du baptême. L'un comme l'autre s'appuie sur le mensonge pour surprendre les hommes.

Je veux vous conter une histoire, qui s'est passée parmi nous, et qui se rapporte à notre sujet. Il y a environ vingt-deux ans, dans le temps qui suivit le règne de l'empereur Alexandre (6), beaucoup d'épreuves et de fléaux affligèrent tout le monde, et les chrétiens en particulier. Des tremblements de terre en grand nombre et à de courts intervalles, renversèrent bien des édifices dans la Cappadoce et le Pont; des villes même s'abîmèrent englouties dans des crevasses du sol. De là contre nous une persécution violente, qui s'élevant tout à coup après une longue période de paix, surprit nos fidèles déshabitués de telles épreuves, et fut d'autant plus terrible et plus troublante pour eux. Serenianus était alors gouverneur de notre province - un persécuteur acharné et cruel. Nos fidèles étaient donc au milieu de cette agitation; ils fuyaient la persécution, s'en allaient çà et là et abandonnaient leur patrie pour passer dans d'autres régions, (on pouvait le faire parce que la persécution ne sévissait pas dans le monde entier, mais n'était que locale). Tout à coup une femme parut, qui avait des extases et se donnait comme prophétesse, agissant comme sous l'inspiration du saint Esprit. Si puissante sur elle était l'action des principaux démons que longtemps elle troubla et dupa nos frères, faisant des choses étonnantes et merveilleuses; elle promettait même de faire trembler la terre. Non que le démon ait le pouvoir de faire trembler la terre, ou de bouleverser les éléments, mais ce malin esprit, prévoyant qu'un tremblement de terre allait avoir lieu, feignait qu'il allait faire ce qu'il prévoyait devoir arriver. Par ces mensonges, et ces vanteries, il s'était rendu maître des esprits de certaines personnes, qui lui obéissaient et le suivaient où qu'il les voulût conduire. Grâce à lui, au milieu des rigueurs d'un rude hiver, cette femme s'en allait nu-pieds dans la neige sans en souffrir ni se ressentir de ces courses. Il disait aussi qu'il allait retourner en Judée et à Jérusalem, et feignait d'en être venu. Il réussit à séduire un prêtre du pays, et un diacre, et à les pousser à avoir de coupables relations avec la prophétesse. C'est ce que l'on découvrit peu après. Car soudain se dressa devant lui un exorciste, homme de vertu éprouvée, et d'une vie sans défaillance au point de vue de la discipline religieuse. Encouragé par les exhortations de plusieurs frères vaillants eux-mêmes et d'une foi digne d'éloges, il se leva contre cet esprit malin, pour le confondre. Celui-ci d'ailleurs, par un artifice fort adroit, avait prédit l'événement un peu auparavant, et dit que quelqu'un viendrait qui lui serait contraire et l'éprouverait, un infidèle. Malgré cela l'exorciste, aidé de la grâce de Dieu, lutta courageusement, et montra que l'esprit qui passait pour saint était un esprit très mauvais. Or, cette femme, entre autres choses qu'elle faisait grâce aux prestiges et aux artifices du démon pour séduire les fidèles, osa fréquemment (et par là elle en séduisit plusieurs) feindre de sanctifier le pain avec l'invocation redoutable, de faire l'eucharistie et d'offrir à Dieu le sacrifice, non sans employer la formule ordinaire des paroles rituelles. Elle baptisa aussi plusieurs personnes, avec la formule usitée et authentique de l'interrogation, de telle façon qu'elle ne semblait s'écarter en rien de la règle de l'Église.

Que dirons nous donc de ce baptême où le plus perfide des démons baptisait par l'intermédiaire d'une femme ? Est-ce qu'Étienne et ses adhérents l'approuvent aussi ? Car il n'y manquait ni symbole trinitaire, ni interrogation régulière et conforme à la pratique de l'Église ? Peut-on croire que la rémission des fautes ait été conférée, la régénération du bain salutaire régulièrement produite, lorsque tout s'est fait à la ressemblance du vrai baptême, mais par le démon ? A moins que ceux qui défendent les hérétiques ne soutiennent que le démon lui-même a donné la grâce du baptême au Nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Chez les hérétiques, il est vrai, on trouve les mêmes apparences trompeuses, la même duperie diabolique, car le saint Esprit n'y est nullement.

Quelle étrange prétention encore de la part d'Étienne de vouloir que le Christ soit présent avec sa Sainteté en ceux qui sont baptisés chez les hérétiques. Si en effet l'Apôtre ne ment pas quand il dit : "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ", (Gal 3,27) à coup sûr celui qui a été baptisé dans le Christ chez eux a revêtu le Christ. Mais s'il a revêtu le Christ, il a pu recevoir aussi le saint Esprit, que le Christ a envoyé, et c'est inutilement que quand il vient à nous on lui impose la main pour qu'il reçoive le saint Esprit : à moins qu'ils ne séparent l'Esprit d'avec le Christ, de telle façon que le Christ soit chez les hérétiques, sans que le saint Esprit y soit !

Passons brièvement en revue les autres points dont vous avez traité copieusement et pleinement, d'autant plus que Rogatianus, notre cher diacre, a hâte de retourner vers vous. Il reste à demander à ceux qui défendent les hérétiques, si leur baptême est charnel ou spirituel. En effet s'il est charnel, il ne diffère en rien du baptême des Juifs. Or, ceux-ci n'en usent que comme d'un bain banal et profane pour se purifier et se nettoyer. S'il est spirituel, comment le baptême peut-il être spirituel chez des gens chez qui l'Esprit n'est pas ? Ainsi l'eau où ils se lavent n'est qu'un bain seulement, non un sacrement de baptême.

Que si le baptême des hérétiques peut donner une seconde naissance, ceux qui sont baptisés chez eux ne doivent pas être regardés comme des hérétiques, mais comme des enfants de Dieu. En effet la seconde naissance, qui est l'effet du baptême, fait naître des enfants de Dieu. Or si l'épouse du Christ, qui est l'Église catholique est une, c'est elle qui donne des enfants à Dieu. Il n'y a pas en effet plusieurs épouses du Christ, car l'Apôtre dit : "Je vous ai fiancés à un époux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure." (2 Cor 11,2). Et : "Écoute, ma fille, regarde et prête l'oreille, et oublie ton peuple, car le roi est épris de ta beauté", (Ps 44,11) et : "Viens, ô mon épouse, du Liban, tu viendras et tu passeras, venant du sommet de la Fidélité", (Can 4,8) et : "Je suis entré dans mon jardin, ô ma soeur, ma fiancée". (Can 5,2). Nous voyons qu'il n'est jamais question que d'une personne, parce qu'il n'y a non plus qu'une épouse. Or la synagogue des hérétiques n'est pas une avec nous parce que l'adultère, la prostituée, n'est pas une épouse. Par conséquent, elle ne peut pas donner des enfants à Dieu. Mais peut-être que selon le jugement d'Étienne, l'hérésie enfante et expose ses enfants, l'Église les recueille, les nourrit comme siens sans les avoir enfantés. Mais une mère ne peut pas être la mère des enfants d'une autrui et le Christ notre Seigneur, montrant que son épouse est une, proclame le mystère de son unité, et dit : "Celui qui n'est pas avec Moi est contre Moi, et celui qui n'assemble pas avec Moi, dissipe." (Lc 11,23). Si donc il est vrai que le Christ est avec nous, et que les hérétiques ne sont pas avec nous, ils sont certainement contre le Christ, et si nous assemblons avec le Christ, et que les hérétiques n'assemblent pas avec nous, sans aucun doute, ils dissipent.

Nous ne devons pas non plus omettre ce que vous avez justement dit : que l'Église selon le Cantique des Cantiques est un jardin fermé et une fontaine scellée, un paradis avec des arbres fruitiers. Dés lors ceux qui ne sont jamais entrés dans ce jardin, et n'ont pas vu le paradis (8) planté par Dieu, comment pourront ils puiser à la fontaine qui est scellée et marquée du sceau divin, et donner à qui que ce soit l'eau vive du bain salutaire ? L'arche de Noé n'était non plus qu'une figure de l'Église, elle qui sauva ceux qu'elle portait, tandis que tout le monde périssait au dehors, nous montrant ainsi clairement l'unité de l'Église. Pierre l'explique en disant : "Ainsi nous serons sauvés par le baptême." (1 Pi 3,21). Il montre par ces paroles que, comme ceux qui n'étaient pas avec Noé dans l'arche non seulement ne furent pas purifiés et sauvés par l'eau, mais périrent aussitôt dans le déluge, de même maintenant ceux qui ne sont pas dans l'Église avec le Christ périront, à moins qu'ils ne recourent, en faisant pénitence d'abord, au bain unique et salutaire qui est dans l'Église.

Quel n'est pas d'autre part l'aveuglement de celui qui dit que la rémission des péchés peut être donnée dans les synagogues des hérétiques, et qui ne s'attache pas au fondement de l'unique Église, établie par le Christ ? On peut s'en rendre compte, en remarquant que c'est à Pierre seul que le Christ a dit : "Ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel et ce que tu auras délié sur la terre, sera délié dans le ciel". (Mt 16,19). Et encore dans l'Évangile c'est sur les apôtres seuls que le Christ souffle en disant : "Recevez le saint Esprit. Si vous remettez les péchés à quelqu'un, ils lui seront remis, et si vous les retenez, ils seront retenus". (Jn 20,22-23). Donc le pouvoir de remettre les péchés a été donne aux apôtres, aux Églises qu'ont établies ces envoyés du Christ, et aux évêques qui ont été ordonnés pour être leurs successeurs. Après cela, les ennemis de l'Église catholique une, dans laquelle nous somMes, les adversaires des successeurs des Apôtres que nous sommes, que font-ils autre chose, en soutenant contre nous des sacerdoces illégitimes et des autels profanes que d'imiter Coré, Dathan et Abiron, sacrilèges au même titre, destinés à subir la même peine, avec leurs adhérents, tout comme les partisans et les fauteurs de leurs patrons périrent de la même mort ?

Et ici une juste indignation s'empare de moi devant l'évidente et manifeste folie d'Étienne. Ne le voit-on pas, lui, si fier du rang de son siège épiscopal, lui qui revendique l'honneur d'être le successeur de Pierre, sur qui ont été établis les fondements de l'Église, introduire beaucoup d'autres pierres, et beaucoup de nouvelles Églises, en prêtant au baptême qui se donne chez les hérétiques l'appui de son autorité ? Ce sont les baptisés, incontestablement qui remplissent les cadres de l'Église. Celui donc qui approuve leur baptême, admet aussi qu'il y a la une Église composée de ces baptisés. Et il ne s'aperçoit pas qu'on obscurcit, qu'on anéantit en quelque sorte la vérité de la pierre chrétienne, en trahissant ainsi et en abandonnant l'unité. Les Juifs, bien qu'aveuglés, et charges du plus grand des forfaits, ont cependant, au témoignage de l'apôtre, le zèle de la gloire de Dieu. Étienne, qui se vante de succéder à Pierre et d'occuper sa chaire, n'est animé d'aucun zèle contre les hérétiques, puisqu'il leur accorde au point de vue de la grâce, non un petit, mais un grand pouvoir. Il dit en effet, il soutient que, par le sacrement de baptême, ils effacent les souillures du vieil homme, relèvent des anciens péchés et de la mort, donnent par une nouvelle et divine régénération des enfants à Dieu, et par la sanctification du bain céleste rendent apte à la vie éternelle. En accordant ainsi aux hérétiques ces grands, ces divins privilèges de l'Église, que fait-il autre chose que d'être en communion avec ceux pour qui il réclame de telles grâces ? C'est bien en vain qu'il hésite à être aussi leur partisan et leur adhérent pour le reste, à prendre part à leurs assemblées, à mêler ses prières aux leurs, à n'avoir qu'un même autel avec eux et un même sacrifice.

Mais, dit-il, il y a grand avantage pour la foi et la sanctification au Nom du Christ, à ce que quiconque est baptisé, où que ce soit, au Nom du Christ, reçoive aussitôt la grâce du Christ. Comme s'il n'était pas aisé de répondre à ce point de sa lettre, et de dire que si le baptême au Nom du Christ a été efficace hors de l'Église pour purifier un homme, l'imposition des mains au Nom du même Christ a pu l'être de même pour donner le saint Esprit. Et alors les autres pratiques des hérétiques paraîtront justes et légitimes, puisqu'elles se font au Nom du Christ : au lieu que, comme vous l'avez montré dans votre lettre, le Nom du Christ n'a d'efficacité que dans l'unique Église, à qui seule le Christ a accordé le pouvoir de dispenser la grâce divine.

Pour répondre à ce qu'ils disent de la coutume, qu'ils semblent opposer à la vérité, qui donc serait assez dépourvu de sens pour faire passer la vérité après la coutume, qui donc, ayant aperçu la lumière, n'abandonnerait pas les ténèbres ? A moins que ce ne soit pour les Juifs un bien d'être restés attachés à leur ancienne coutume, lorsque le Christ, c'est-à-dire la vérité, est venu, et d'avoir laissé là le chemin nouveau de la vérité pour s'en tenir à l'antique tradition ! Sur ce point, vous autres, Africains, vous pouvez dire contre Étienne, qu'après avoir connu la vérité vous avez abandonné l'erreur de la coutume. Quant à nous, tout à la fois et nous joignons la vérité à la coutume, et à la coutume des Romains nous opposons une coutume, mais la coutume de la vérité, observant fidèlement depuis l'origine la tradition que nous ont laissée le Christ et les apôtres. Nous n'avons pas d'ailleurs souvenance que cela ait commencé un jour chez nous, car, ici, nous avons toujours eu pour maxime de ne reconnaître qu'une Église de Dieu, et de n'admettre comme saint que le baptême de la sainte Église. Seulement, comme quelques-uns avaient des doutes au sujet du baptême de ceux qui, tout en recevant de nouveaux prophètes, semblent cependant reconnaître le même Père et le même Fils que nous, nous nous sommes assemblés en grand nombre à Iconium, nous y avons étudié attentivement la question, et maintenu la répudiation de tout baptême qui se ferait hors de l'Église.

Ce qu'ils allèguent en faveur des hérétiques, que a de quelque manière que l'on procède, soit avec des arrière-pensées, soit sincèrement, le Christ est annoncé, est sans à propos, car il est manifeste que l'Apôtre dans la lettre où il s'exprime ainsi, ne parle ni des hérétiques, ni de leur baptême. Il visait seulement des fidèles, qui annonçaient l'évangile, soit d'une façon perfide à son égard, soit en persévérant vis-à-vis de lui dans la sincérité des sentiments. Il n'est d'ailleurs pas besoin d'en discuter longuement; il suffit de lire la lettre même, et de vérifier ce que l'Apôtre a dit, dans le texte même de l'Apôtre.

Mais, disent-ils, quel sera le sort de ceux qui, venant de l'hérésie à l'Église, y ont été admis sans recevoir le baptême ? S'ils sont sortis de ce monde, ils sont au nombre des catéchumènes morts avant d'avoir été baptisés. Délivrés de l'erreur, ils ont reçu, avec la vérité et la foi où ils se sont instruits un avantage modeste, mais non à dédaigner, encore que la mort, venant trop tôt, les ait empêchés d'avoir la consommation de la grâce. Quant à ceux qui sont encore en ce monde, qu'ils soient baptisés du baptême de l'Église, afin de pouvoir recevoir la rémission de leurs fautes, sans que la présomption d'autres personnes les fasse demeurer dans leur erreur, et mourir sans la consommation de la grâce. Aussi bien, quelle n'est pas la faute de ceux qui sont admis, et de ceux qui les admettent, quand, sans avoir déposé leurs souillures, ni quitté leurs péchés dans le bain de l'Église, ils usent témérairement de la communion et touchent le Corps et le Sang du Seigneur, alors qu'il est écrit : "Celui qui mangera le pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur." (1 Cor 11,27).

Quant à ceux qui avaient été baptisés par des évêques venant de l'Église catholique, mais s'arrogeant encore après en être sortis le droit d'ordination, nous avons jugé qu'il convenait de les tenir aussi pour non baptisés. Et cette pratique a cours chez nous, que ceux qui nous viennent après avoir reçu leur bain sont traités comme des étrangers et comme des gens qui n'ont rien reçu; pour cette raison, ils reçoivent chez nous l'unique et vrai baptême de l'Église catholique, afin de recevoir la régénération du bain de vie. Pourtant, il y a une grande différence entre celui qui, par faiblesse, a succombé à la persécution, et celui qui, par une volonté sacrilège, se met audacieusement en révolte contre l'Église, ou prononce des blasphèmes contre le Père et le Dieu du Christ, et le Créateur de l'univers. Et Étienne n'a pas honte d'aller jusqu'à dire que la rémission de péchés peut être donnée par des gens qui sont eux-mêmes coupables de tous les péchés, comme si l'on pouvait trouver le bain du salut dans la maison de la mort !

Que deviendra alors la parole de l'Écriture :

"Abstenez-vous d'une eau étrangère; à une fontaine étrangère ne buvez pas", (Pro 9,18), si, laissant là la fontaine scellée de l'Église. vous prenez une eau étrangère au lieu de celle qui est votre et souillez l'Église de fontaines profanes ? Car, lorsque vous admettez le baptême des hérétiques, que faites-vous autre chose que de boire à leur cloaque, à leur bourbier, et de vous souiller au contact d'impuretés étrangères, après avoir été purifié des vôtres par la vertu sanctifiante que possède l'Église ? Et vous ne craignez pas le jugement de Dieu en rendant témoignage aux hérétiques contre l'Église ? Il est écrit en effet : "Le faux témoin ne demeurera pas impuni". (Pro 19,5). Que dis-je ? Vous êtes pire que tous les hérétiques, Car, alors que parmi eux plusieurs, reconnaissant leur erreur, viennent vers vous pour recevoir la lumière de l'Église, vous, vous favorisez leurs erreurs, et, en obscurcissant la vérité que possède l'Église, vous augmentez les ténèbres de la nuit hérétique. Alors qu'ils reconnaissent être dans le péché et n'avoir point la grâce, et que c'est pour cela qu'ils viennent à l'Église, vous, vous leur ôtez la rémission des péchés, en disant qu'ils sont baptisés et ont obtenu la grâce hors de l'Église. Vous ne voyez pas qu'au jour du jugement, on vous demandera compte de leurs âmes, vous qui, lorsqu'ils avaient soif, leur avez refusé ce que l'Église donne à boire, et qui, lorsqu'ils demandaient à vivre, avez causé leur mort. Et après cela vous vous mettez en colère.

Voyez quelle est votre maladresse d'oser reprendre ceux qui luttent contre le mensonge pour la vérité. Quel est en effet celui qui aurait le plus raison de se mettre en colère ? Celui qui défend les ennemis de Dieu ou celui qui, contre les ennemis de Dieu, se fait le champion de la vérité et de l'Église ? Mais il est connu que les maladroits sont en même temps colères et emportés, parce que, étant incapables de réfléchir et de répondre, ils s'irritent facilement, de sorte qu'il n'y a personne plus que vous à qui s'applique le mot de l'Écriture  : "L'homme emporte provoque des querelles, et l'homme irascible commet de grandes fautes". (Pro 29,22). Quelles querelles et quelles dissensions vous avez provoquées dans les Églises du monde entier ! quelle grave faute vous avez commise quand vous vous êtes retranché de tant de troupeaux du Christ ! car vous vous êtes retranché vous-même, ne vous y trompez pas, s'il est vrai que le schismatique véritable est celui qui se met hors de la communion et de l'unité de l'Église. Vous avez pensé pouvoir excommunier tout le monde, et c'est vous seul que vous avez excommunié. Et vous n'avez pas su vous conformer à la règle de l'unité et de la paix que prescrivent les recommandations de l'Apôtre, quand il dit : "Je vous supplie donc, moi qui suis le prisonnier du Seigneur, de vous comporter d'une façon digne de votre vocation, en toute humilité et douceur, vous supportant patiemment les uns les autres par charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit avec le lien de la paix. Un seul corps et un seul esprit, comme il n'y aqu'une même espérance, à laquelle vous êtes appelés de par votre vocation, un Dieu, une foi, un baptême, un seul Dieu Père de tous, qui est au-dessus de tous, au milieu de tous, en tous." (Ep 4,1-6).

Ces recommandations, ces avis de l'Apôtre. avec quel zèle, Étienne les a suivis, pratiquant avant tout l'humilité et la douceur. La belle marque en effet de douceur et d'humilité que d'être entré en dissentiment avec tant d'évêques dans le monde entier, d'avoir rompu le lien de la paix avec chacun pour des griefs divers, tantôt avec les Orientaux comme nous (vous le savez aussi sans doute), tantôt avec les Méridionaux comme vous. Il a reçu les évêques qu'on lui avait envoyés, avec tant de patience et de douceur qu'il ne leur a pas seulement accordé un entretien, mais, de plus, fidèle au devoir de l'affection et de la charité, il a défendu a tous les frères de les recevoir chez eux ! De sorte qu'à leur arrivée on leur a refusé non seulement la paix et la communion, mais même le vivre et le couvert ! C'est garder fidèlement l'union de l'esprit avec le lien de la paix que de se retrancher de l'union par la charité de se faire étranger en tout par rapport à ses frères et de s'élever par une fureur de discorde contre l'engagement sacré et le lien de la paix : Peut-il s'attacher à l'unité de corps et d'esprit, celui en qui il n'y a peut-être pas unité d'âme, tant il est fuyant, mobile et instable. Mais laissons sa personne. Examinons plutôt la chose qui est en question. Ceux qui soutiennent que l'on doit admettre tels quels, comme ayant reçu la grâce du baptême, ceux qui ont été baptisés par les hérétiques ! disent que le baptême est unique entre nous et eux, et qu'il n'y a aucune différence. Mais que dit au contraire l'apôtre Paul ? "Un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu". (Ep 4,5). Si le baptême des hérétiques ne fait qu'un avec le notre leur foi aussi est une avec la nôtre. S'il n'y a entre eux et nous qu'une foi, il n'y a qu'un Seigneur. S'il n'y a qu'un Seigneur, il faut dire en conséquence qu'il n'y a qu'un Dieu. Mais si cette unité, qui ne peut se diviser, est aussi chez les hérétiques, pourquoi discuter davantage ? Pourquoi les appeler hérétiques, et non pas plutôt chrétiens ? Mais en réalité comme nous n'avons avec les hérétiques ni un même Dieu, ni un même Seigneur, ni une même Église, ni une même foi, ni un même Esprit et un même corps, il est évident que nous ne pouvons avoir avec les hérétiques un commun baptême, puisque nous n'avons avec eux rien de commun. Étienne cependant n'a pas honte de patronner ces gens-là, de diviser les frères pour prendre le parti des hérétiques, et même d'appeler Cyprien un faux Christ, un faux apôtre, et un ouvrier perfide. Ayant conscience d'être tout cela lui-même il a pris les devants et fait à un autre, mensongèrement, les reproches qu'il aurait dû lui même entendre.

Nous souhaitons tous, de tout notre coeur, que vous, vous portiez bien, ainsi que tous les évêques, tous les clercs et tous les frères, qui sont en Afrique : afin que toujours nous vous ayons avec nous, dans l'unité de sentiments communs, malgré les distances qui nous séparent.

(1) Firmilien, évêque de Césarée en Cappadoce.

(2) Marcion était né en effet vers le commencement du IIe siècle. Ses erreurs ont été combattues par Tertullien dans l'Adversus Marcionem. Cerdon est peu connu.

(3) Valentin vivait à Rome au temps du pape Hygin, vers 140; Basilides paraît être mort vers 130.

(4) A Rome et en Occident, on célébrait la Pâque le dimanche qui suit le 14 jour de la lune de mars; en Orient, on la célébrait le 14e jour même.

(5) Ce concile avait eu lieu comme celui de Carthage, pour le même objet, vers 220. On a va plus haut que la tradition s'était établie en Orient comme en Afrique de tenir des conciles ou synodes annuels.

(6) Il s'agit d'Alexandre Sévère, après la mort duquel (235) s'éleva la persécution de Maximin. (Cf. Eusèbe. H. E. VI, 28).

(8) On sait que le mot paradis vient d'un mot persan signifiant jardin.

 

 
 

LETTRE 76

 

CYPRIEN A NEMESIANUS, FÉLIX, LUCIUS, UN AUTRE FÉLIX, LITTEUS, POLIANUS, VICTOR, JADER, DATIVUS, SES COLLEGUES DANS L'ÉPISCOPAT, ET DE MÊME A SES COLLEGUES DANS LE SACERDOCE, ET AUX DIACRES, ET AUX AUTRES FRERES QUI SONT DANS LA MINE, MARTYRS DE DIEU LE PERE TOUT-PUISSANT, ET DE JÉSUS CHRIST NOTRE SEIGNEUR ET DIEU SAUVEUR, ÉTERNEL SALUT !

 

La gloire que vous avez acquise, très heureux et très chers frères, m'aurait fait un devoir d'aller en personne vous voir et vous embrasser, si la confession du Nom du Christ ne m'avait fait reléguer moi-même dans une retraite d'exil (9) (96) Saint Cyprien est alors en exil à Curubis., d'où je ne puis sortir. Mais je suis avec vous autant qu'il est en mon pouvoir et s'il ne m'est pas possible de me rendre près de vous corporellement, du moins, d'esprit et de coeur, je me rends au milieu de vous. Cette lettre vous montrera que j'ai le coeur plein de joie à cause de votre courage et de votre gloire, et que, si mon corps ne souffre pas avec vous, je partage votre sort et ne fais qu'un avec vous par l'affection qui nous unit. Pourrais-je donc me taire et retenir mes paroles, lorsque j'apprends à votre sujet tant et de si glorieux exploits, dont Dieu a daigné vous honorer ? Parmi vous, les uns ont déjà consommé leur martyre; ils sont partis les premiers recevoir du Seigneur la couronne due à leurs mérites; les autres, encore entre les murs des prisons, ou dans les mines et les fers, fournissent aux frères, pour les encourager et les armer, de plus grands exemples. A mesure que leur supplice est différé davantage, ils voient augmenter leurs titres à la rémunération avec le délai apporté à leur martyre, car ils recevront, à la distribution des célestes récompenses, autant de parts que leurs épreuves auront duré de jours ? Que les choses se passent ainsi, frères très vaillants et très heureux, et que le Seigneur ait daigné vous honorer et vous élever au faîte de la gloire, je n'en suis pas surpris, en considérant votre piété et votre foi. Vous avez toujours dans son Église fait paraître une foi vigoureuse et ferme, fidèles à observer les préceptes du Seigneur, l'innocence dans la simplicité, la paix dans la charité, dans l'humilité la modestie, le zèle dans le service. Vous vous êtes montrés vigilants à aider ceux qui sont dans une situation critique, miséricordieux à secourir les pauvres, fermes à défendre la vérité, stricts à observer l'austérité de la discipline. De plus, pour que rien ne manque à la beauté de vos exemples, maintenant même que votre bouche confesse le Christ et que votre corps souffre pour lui, vous excitez les âmes de nos frères aux divins martyres, en leur montrant le chemin du courage : ainsi, tandis que le troupeau suit ses pasteurs, et imite ce qu'il voit faire par ses chefs, il se prépare par des mérites semblables à recevoir de Dieu la même couronne.

Avant d'être dans la mine, vous avez été cruellement bâtonnés, et c'est par là que vous avez inauguré votre confession : ce n'est pas là pour nous chose que nous devions déplorer. Le bâton n'a pas fait peur au chrétien, dont tout l'espoir est dans le bois. Le serviteur du Christ y a reconnu le mystérieux instrument de son salut; racheté par le bois pour la vie éternelle, c'est par le bois qu'il s'est avancé sur le chemin de la couronne. Qu'y a-t-il d'étonnant, d'autre part à ce qu'étant des vases d'or et d'argent, vous ayez été mis dans la mine, c'est-à-dire dans le lieu de l'or et de l'argent, si ce n'est que par là les mines ont changé de nature, que les lieux qui d'ordinaire fournissaient de l'or et de l'argent se sont trouvés en recevoir ? Ils ont mis aussi des entraves à vos pieds, et enchaîné de liens infâmes vos membres heureux, demeure divine : comme si avec le corps on enchaînait l'esprit, comme si le contact du fer pouvait souiller l'éclat de l'or ! Pour des hommes consacrés à Dieu, et qui affirment leur foi avec un religieux courage, ces liens, ces entraves, ne sont plus des liens, mais des ornements; ils ne déshonorent point les pieds qu'ils attachent, mais les glorifient et les parent. O bienheureuses entraves, qui ne sont pas brisées par le forgerons, mais par le Seigneur ! O bienheureuses entraves, qui laissent aller tout droit par le bon chemin vers le paradis ! O liens chéris, qui n'attachent un moment dans monde que pour rendre éternellement libre dans l'autre, près de Dieu ! O liens, traverses bénies, puisque les pieds dont vous rendez pour un moment la démarche incertaine vont bientôt courir vers le Christ par un chemin de gloire. Qu'une cruauté envieuse ou maligne vous enfermaient qu'elle voudra dans ses noeuds et dans ses liens : bientôt délivrés de ces souffrances de la terre, vous arriverez au royaume des cieux. Le corps dans les mines n'a point pour se reposer la douceur d'un lit garni, mais le Christ Lui est un délassement et un repos. C'est sur la dure que s'étendent les membres fatigués, mais cela n'est plus que peine, quand on s'y étend avec le Christ. Les bains y manquent et la propreté du corps, mais si la chair y garde ses souillures au dehors, l'esprit est purifié intérieurement. Le pain n'y est donné qu'en petite quantité, mais l'homme ne vit pas seulement de pain, il vit aussi de al parole de Dieu. On y a froid, on y manque de vêtements, mais celui qui a revêtu le Christ est abondamment vêtu et paré. Sur les têtes tondues à demi les cheveux se hérissent en désordre, mais, puisque le Christ est la tête de l'homme, tout sied bien à une tête que la confession du Christ a rendue illustre. Toute cette laideur, qui paraît détestable et affreuse aux gentils, de quelle splendeur ne sera-t-elle point suivie et récompensée ! En échange de cette peine temporelle et brève, quel éclat éternel de gloire, quand le Seigneur, selon la parole du bienheureux Apôtre, aura reformé notre misérable corps sur le modèle de son Corps glorieux !

Ne croyez point non plus, frères très chers, souffrir dans votre foi ou dans votre piété, parce que les prêtres de Dieu n'ont pas la possibilité d'y célébrer et d'y offrir les divins mystères. Vous célébrez et vous offrez à Dieu un sacrifice à la fois précieux et glorieux, et qui vous servira beaucoup pour obtenir les récompenses célestes, car l'Écriture divine dit : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme affligée; un coeur brisé et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). C'est ce sacrifice que vous offrez à Dieu, c'est ce sacrifice que vous célébrez jour et nuit sans interruption, devenus des hosties pour Dieu, et vous offrant vous-mêmes, comme des victimes saintes et sans tache selon l'exhortation de l'Apôtre : "Je vous exhorte, mes frères, au Nom de la Miséricorde de Dieu, à faire de vos corps une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu; à ne point vous conformer au siècle, mais à vous transformer par un esprit nouveau, afin que vous éprouviez quelle est la Volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait." (Rom 12,1).

Voilà en effet, ce qui est surtout capable de plaire à Dieu, voilà ce qui est de nature à conférer à nos oeuvres une efficacité plus grande pour obtenir la Bienveillance divine, voilà ce qui seul permet à notre foi et à notre religion d'offrir à Dieu, pour de si grands et si précieux bienfaits, le digne tribut de notre reconnaissance. C'est ce que déclare et proclame l'Esprit saint dans les psaumes : "Que rendrai-je, dit-il, au Seigneur pour tous les biens dont il m'a comblé ? Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le Nom du Seigneur. La mort des justes est précieuse devant Dieu." (ps 115,12-13). Qui donc ne prendrait de bon coeur et allègrement le calice du salut ?, qui ne saisirait avec joie et bonheur une occasion de rendre à son Maître un peu de ce qu'Il a fait pour nous ? qui ne recevrait avec courage et vaillance une mort précieuse devant Dieu dans laquelle on plaira aux yeux de Celui qui, au moment où on lutte pour son Nom, regarde d'en haut, applaudit à ceux qui acceptent la lutte, les aide dans le combat, les couronne après la victoire, récompensant en nous avec une bonté et une tendresse de père ce qu'Il nous a donné de faire, et honorant ce qu'il a Lui-même accompli en nous ?

Que ce soit à Lui que nous devons de vaincre, et de remporter sur l'adversaire vaincu la palme des plus grands combats, le Seigneur le proclame dans son Évangile : "Quand ils vous livreront, ne vous mettez pas en peine de la manière dont vous répondrez, ou des choses que vous direz. Ce que vous aurez à répondre vous sera donné sur l'heure. Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Et encore : "Mettez-vous dans l'esprit de ne pas penser d'avance à ce que vous direz pour vous dé fendre. Je vous donnerai un langage et une sagesse auxquels vos adversaires ne sauront résister." (Lc 21,14-15). Paroles qui doivent inspirer grande confiance aux croyants, et qui montrent en même temps l'extrême gravité de la faute que commettent ceux qui sont infidèles, en ne croyant pas Celui qui promet son secours à ceux qui le confessent, en ne craignant pas Celui qui menace d'une peine éternelle ceux qui le renient.

Ces sentiments, ô très vaillants et très fidèles soldats du Christ, vous les avez fait pénétrer dans les âmes de nos frères, en mettant en actes ce que vous enseigniez auparavant en paroles, Vous serez très grands dans le royaume des cieux, car le Seigneur fait cette promesse : "Celui qui aura agi, et enseigné ensuite, sera le plus grand dans le royaume des cieux." ((Mt 5,19). Enfin une portion considérable des fidèles, suivant votre exemple, a confessé comme vous et comme vous a été couronnée, unie à vous par le lien de la plus tendre charité, unie inséparablement à ses chefs malgré la prison et les mines. De ce nombre sont même des vierges. Elles ont rendu cent pour un, après soixante pour un, et conquis à deux titres la céleste couronne. Des enfants même ont montré un courage au-dessus de leur âge, et n'ont pas attendu pour une confession glorieuse d'avoir le nombre des années : ainsi votre bienheureuse troupe de martyrs a la parure de tous les sexes et de tous les âges.

Quelle n'est pas maintenant, mes très chers frères, dans la conscience que vous avez d'être victorieux, la vigueur, l'élévation de votre âme, votre joie, votre triomphante allégresse, de n'avoir plus qu'à attendre la récompense promise par Dieu, d'être tranquilles pour le jour du jugement de porter par les mines, dans un corps enchaîné, une âme royale, de savoir que vous avez le Christ présent avec vous et heureux du courage de ses serviteurs, qu'il voit marcher sur ses pas et par ses voies au royaume éternel ? Vous attendez chaque jour dans la joie le moment béni de votre départ, et, sur le point de quitter ce monde, vous vous hâtez en pensée vers les divines récompenses et le séjour céleste. Après les ténèbres de cette vie, vous allez contempler la plus éclatante lumière, et recevoir une gloire plus grande que toutes les souffrances et que toutes les luttes, selon la promesse de l'Apôtre : "Les souffrances de cette vie ne sont pas en proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous." (Rom 8,18). Aussi, puisque vos prières en ce moment ont plus d'efficacité, et que l'on obtient plus facilement ce qu'on demande au milieu des persécutions, demandez avec instance à la divine Bonté de daigner nous permettre d'achever la confession de son Nom et de sortir, nous aussi, indemnes et glorieux, des ténèbres et des pièges de ce monde : afin qu'unis ici à vous par le lien de la charité et de la paix, avec vous debout; en face des injures des hérétiques et des persécutions des païens, nous nous réjouissons encore avec vous dans le royaume céleste. Je souhaite, frères bienheureux et très vaillants, que vous vous portiez toujours bien en notre Seigneur et que, toujours et partout, vous vous souveniez de nous. Adieu.

 
 

LETTRE 77

 

A CYPRIEN LEUR FRERE, NEMESIANUS, DATIVUS, FÉLIX ET VICTOR, SALUT ÉTERNEL DANS LE SEIGNEUR.

Vos lettres, très cher Cyprien, nous ont toujours parlé, en l'adaptant aux circonstances, un langage plein de nobles sentiments. En les lisant assidûment, ceux qui sont dans l'erreur se corrigent, les hommes de vraie foi se sentent affermis. En expliquant sans cesse dans vos écrits les mystères cachés, vous augmentez la foi en nous, et vous amenez les profanes à croire. Aussi bien, en mettant dans un si grand nombre d'écrits que vous publiez tout le bien qu'on y voit, c'est votre portrait à vous que vous avez tracé. Personne n'a autant que vous de doctrine dans l'enseignement, d'éloquence dans le langage, de sagesse dans le conseil, de droiture dans la sagesse, de générosité dans la charité, d'austérité dans la vie, d'humilité dans les rapports, de sainteté dans la conduite. Vous le savez, ô très cher, c'est notre souhait ardent de vous voir, vous qui nous instruisez et nous aimez, parvenir vous-même à la couronne de la grande confession.

Avant nous, en effet, comme un vrai et bon maître, vous avez dit devant le gouverneur ce que nous devions répondre; vous l'avez proclamé dans les actes proconsulaires (10); vous avez sonné de la trompette pour animer au combat les soldats de Dieu, armés des armes divines et, combattant au premier rang, vous avez percé le diable du glaive spirituel. Votre parole a disposé de ça et de là des pelotons de frères, de manière à tendre partout des embuscades à l'adversaire, à réduire à l'impuissance l'ennemi de tous et à le fouler aux pieds. Croyez-nous très cher, votre âme sainte ne rendra pas moins que cent pour un; vous n'avez pas craint d'affronter les premiers assauts du siècle, ni d'aller en exil : vous n'avez pas hésité à quitter la ville, ni redouté de rester dans un endroit désert. En amenant beaucoup de frères à confesser le Christ, vous lui avez vous-même rendu le premier témoignage. En incitant par votre exemple à lui rendre le témoignage de la souffrance endurée pour lui, vous n'avez pas seulement commencé à partager le sort de tant de martyrs qui sortaient dès maintenant de ce monde : vous avez contracté avec ceux qui auront le même sort une amitié céleste.

C'est pourquoi, ceux qui sont condamnés avec nous vous adressent devant Dieu les plus grandes actions de grâces, très cher Cyprien, de ce que votre lettre a rendu vigueur aux coeurs ébranlés, guéri les membres blessés par les coups de bâton, délivré les pieds chargés d'entraves, paré à nouveau de leur chevelure les têtes tondues à demi. Elle a illuminé les ténèbres de la prison, aplani nos montagnes métalliques, elle nous a fait respirer un parfum de fleurs et dissipé une fumée désagréable. De plus, avec notre très cher Quirinus, vous nous avez envoyé par le sous-diacre Hérennius, et par les acolytes Lucanus, Maximus, Amantius, des secours a distribuer, et pourvu ainsi a nos besoins.

Aidons-nous donc réciproquement en priant les uns pour les autres, et, comme vous le dites, demandons à Dieu, au Christ à ses anges, de nous favoriser en tout. Nous souhaitons, Seigneur frère, que vous vous portiez toujours bien et vous souveniez de nous. Saluez tous ceux qui sont avec vous. Tous ceux qui sont avec nous vous aiment vous saluent et désirent vous voir.

(10) C'est-à-dire les actes proconsulaires ont enregistré vos paroles. Le gouverneur dont il est question ici était Aspasius Paternus, qui envoya saint Cyprien à Curubis.

 
 

LETTRE 78

 

A CYPRIEN, LEUR FRERE ET LEUR COLLEGUE,

LUCIUS ET TOUS LES FRERES QUI SONT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

Nous étions dans l'allégresse et nous nous réjouissions en Dieu de ce qu'il avait daigné nous armer nous aussi pour la lutte, et nous faire remporter la victoire, lorsque nous arriva, frère très cher, la lettre que vous nous avez envoyée par le sous-diacre Herennianus, et les acolytes Lucanus, Maximus et Almantius. Elle a été pour nous un allégement au poids de nos chaînes, une consolation dans notre tribulation, un secours dans nos besoins, et, en la lisant, nous nous sommes sentis relevés et remplis d'une vigueur nouvelle pour supporter, s'il le fallait, de nouvelles souffrances. Car, avant de souffrir pour le Christ, nous avons été excités par vous à la lutte glorieuse, quand vous nous avez précédés dans la confession du Nom du Christ. Ayant suivi vos pas, nous espérons la même gloire. Celui qui est le premier à la course est aussi le premier au prix, et vous nous avez, en partant le premier, fait participer à ce que vous assez commencé à conquérir, en souhaitant (preuve dc l'indissoluble affection que vous nous avez toujours portée) que ceux qui n'ont eu qu'un esprit dans l'union de la paix, voient leur confession, grâce à nos prières, couronnée semblablement.

Pour vous, frère très cher, s'ajoute à la couronne de la confession la récompense des bonnes oeuvres, dont Dieu vous donnera l'abondante mesure au jour de la rétribution. Vous vous êtes, en effet, rendu présent à nos yeux par votre lettre, nous montrant ce coeur pur et généreux que nous avons toujours connu, et, selon ses inspirations généreuses, nous louant de son abondance, non comme nous le méritons, mais comme vous le savez faire. Votre parole, en effet, a achevé ce qui manquait à notre préparation, et nous a donné une nouvelle force pour supporter les souffrances que nous supportons, sûrs désormais de la récompense céleste, de la couronne du martyre et du royaume de Dieu, d'après la prophétie que, plein de l'esprit de Dieu, vous avez faite dans votre lettre. Tout cela arrivera, très cher, si vous pensez à nous dans vos prières, et nous sommes sûrs que vous le faites, comme nous le faisons nous-mêmes.

Nous avons donc reçu, frère bien aimé, ce que vous nous avez envoyé de la part de Quirinus et de votre part, votre offrande toute pure et sainte. De même que Noé offrit un sacrifice à Dieu, et que Dieu en trouva l'odeur agréable et le regarda favorablement, de même il regarde favorablement le vôtre et se plaît à vous donner la récompense de cette bonne action. Je vous prie de vouloir bien faire transmettre à Quirinus la lettre que nous lui écrivons. Je souhaite, frère très cher et très aimé, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez tous ceux qui sont avec vous. Adieu.

 
 

LETTRE 79

 

AU TRES CHER ET TRES AIMÉ CYPRIEN, FÉLIX, JADER, POLIANUS, EN MÊME TEMPS QUE LES PRETRES ET CEUX QUI SONT AVEC NOUS A LA MINE DE SIGUS, SALUT ÉTERNEL DANS LE SEIGNEUR.

 

A notre tour nous vous saluons, frère très cher, par l'intermédiaire du sous-diacre Herennianus, de Lucanus et de Maximus, nos frères. Nous sommes vaillants et en bonne santé, grâce à vos prières. Ils nous ont remis l'offrande pécuniaire que vous nous avez envoyée avec votre lettre, où vous daignez nous encourager comme vos fils, de vos paroles vraiment célestes. Nous avons rendu et nous rendons grâces à Dieu, le Père Tout-Puissant, par son Christ, de ce que votre parole nous a ainsi encouragés et fortifiés, demandant à votre bon coeur de penser à nous dans de constantes prières, afin que Dieu complète la confession, dont Il a daigné nous honorer, vous et nous. Saluez tous ceux qui demeurent avec vous. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez bien dans le Seigneur. Moi, Félix, j'ai écrit. Moi, Jader, j'ai signé. Moi Polianus, j'ai lu. Je salue mon Seigneur Euychianus.

 
 

LETTRE 80

 

CYPRIEN A SUCCESSUS, SON FRERE, SALUT.

 

Je ne vous ai pas écrit plus tôt, frère très cher, parce que tous les clercs, sous le coup de la lutte à soutenir, étaient absolument obligés de rester ici et se tenaient tous prêts dans la générosité de leur coeur à conquérir la couronne céleste. Voici revenus maintenant ceux que j'avais envoyés à Rome, pour tâcher de savoir au juste la teneur, quelle qu'elle fût, du rescrit nous concernant et nous rapporter la vérité. Il circule en effet beaucoup de bruits incertains et contradictoires. Or, voici ce qui en est au juste. Valérien, dans un rescrit au Sénat, a donne ordre que les évêques, les prêtres et les diacres soient exécutés sur le champ, que les sénateurs, les personnages de qualité, et les chevaliers Romains, soient privés de leur dignité et de leurs biens, et s'ils continuent malgré cela à se dire chrétiens, soient mis à mort, que les matrones soient dépouillées de leurs biens et envoyées en exil, que les Cesariens, qui ont confessé le Christ auparavant, ou le confesseront maintenant, aient leurs biens confisques, et soient eux-mêmes mis aux fers et envoyés dans les domaines de la couronne, et qu'on en dresse un état. A son rescrit l'empereur a ajouté une copie de la lettre qu'il a adressée à notre sujet aux gouverneurs des provinces. Cette lettre, nous espérons chaque jour la voir arriver, debout dans la fermeté de notre foi, et prêts à souffrir, attendant de la Bonté secourable du Seigneur la couronne de la vie éternelle. Sachez que Sixte a été exécuté dans un cimetière le 6 août, et quatre diacres avec lui . Les préfets à Rome poussent chaque jour plus activement cette persécution, exécutant ceux qui leur sont déférés et confisquant leurs biens.

Je vous prie de vouloir bien porter ces nouvelles à la connaissance de nos autres collègues, afin que partout leurs exhortations puissent soutenir nos frères, et les préparer à la lutte spirituelle : de telle façon que chacun des nôtres pense moins à la mort qu'à l'immortalité, et que, consacrés à Dieu de toutes les énergies de leur foi et de leur courage, ils aient plus de joie que de crainte, à l'heure d'une confession où ils savent que les soldats de Dieu et du Christ ne sont pas tués, mais couronnés. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur.

 

 
 

LETTRE 81

 

CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES ET A TOUT LE PEUPLE, SALUT.

 

J'ai appris, mes très chers frères, que des "frumentaires" (12) avaient été envoyés pour me conduire à Utique; et des amis très chers m'ont donné le conseil de m'éloigner pour un temps de mes jardins : j'y ai consenti; il y avait à cela un motif légitime. Il convient en effet que ce soit dans la ville où il est à la tête de l'Église du Seigneur, qu'un évêque confesse le Seigneur, et qu'ainsi l'éclat de la confession du chef rejaillisse sur tout le peuple. Ce qu'au moment de sa confession un évêque dit sous l'inspiration de Dieu, il le dit au nom de tous. D'ailleurs quelque chose serait enlevé à l'honneur de notre Église si glorieuse, si c'était à Utique, que moi, évêque d'une autre Église, je recevais la sentence du martyre, et que je partisse de là vers le Seigneur. C'est chez vous, que je dois confesser le Seigneur, et subir le martyre, c'est de chez vous que je dois partir pour aller à lui. Je le dois, et je ne cesse de le lui demander pour moi et pour vous dans mes prières; je le souhaite de tout mon coeur. Nous attendons donc ici dans une retraite sûre le retour du proconsul de Carthage; nous entendrons de lui ce que les empereurs lui ont mandé au sujet des chrétiens, laïcs et évêques, et nous dirons ce que le Seigneur voudra qui soit dit à ce moment. Quant à vous, frères très chers, conformément à la discipline évangélique, que je vous ai toujours rappelée, et aux enseignements que je vous ai tant de fois donnés, restez calmes et tranquilles. Que personne de vous ne mette d'émoi parmi les frères, ni ne se présente de lui-même aux païen. C'est quand on est arrêté et livré aux magistrats qu'il faut parler, car alors le Seigneur Lui-même parle en nous, qui nous demande moins une profession qu'une confession de notre foi. Quant à ce qu'il conviendrait de faire encore avant que le proconsul ne rende à mon sujet sa sentence sur la confession du Nom de Dieu, nous le déciderons sur place, suivant l'inspiration du Seigneur. Que le Seigneur Jésus, frères très chers, permette que vous restiez sains et saufs dans son Église, et qu'il daigne vous conserver.

(12) Ces agents appelés frumentaires étaient des espèces de détectives appartenant à la police de sûreté; le nom de frumentarii donne à penser qu'ils avaient quelque rapport avec les officiers chargés des approvisionnements dans l'armée.

fin des lettres de saint Cyprien de Carthage.

sources : http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/cyprien/index.htm

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