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Théologie Catholique sur la Question de l'Enfer
article Enfer du Dictionnaire de Théologie Catholique
édition numérique par Jean-Marie W. et JesusMarie.com
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l’Enfer :
1° dans l’Écriture
2° d’après les Pères
3° d’après les théologiens
4°d’après les opinions erronées
5° d’après les décisions de l’Église
6° la synthèse de l’enseignement théologique sur l’enfer

 ENFER.

étymologie du mot enfer
Le mot enfer vient du latin infernus, qui, d’après sa racine, désigne des lieux inférieurs, bas, souterrains. De même sens que le latin infernus, sont les mots Hole, caverne, Hell, Hölle, etc., des langues germaniques. C’est encore une idée analogue qu’exprime le grec adès, de a privatif et id (ïdeïn), voir:
lieu invisible, ténébreux. Cf. J. Hontheim, Hell, dans The catholic encyclopedie, New-York, 1910, t. VII, p.207.

 La signification primitive de l’hébreu, se’ôl, est discutée. Autrefois, en effet, on le faisait généralement venir de sâ’al, fodit, excavit, caverne souterraine; ainsi Genesius, Thesaurus; Fürts, Handwörterbuch, etc. Cf. Gen., xxxvii, 35; Num., xvi, 30; Deut.,xxxii,22; Job, x, 21, 22; xvii, 13, 16; xiv, 21, etc. ; Ps. LXXXV, 13 ; cxxxviii, 8; Prov., xv, 24; Am., ix, 2; Is., xiv, 9; LVII, 9; Ezech., xxxi, 15; xxxii, 21 : tous textes qui confirment cette étymologie. D’autres préféraient la racine sa’al,  poposcit, lieu insatiable, dévorant tous les hommes. Prov., xxvii, 20; xxx, 16; Is., v, 14; Ps. vi, 6; LXXXIX, 49. Cf. A. Wabnitz, art. Enfer, dans Encyclopédie des sciences religieuses, de Lichtenberger, Paris, 1878, t. iv, p.425; P. M. Hetzenauer, Theologia biblica, Fribourgen-Brisgau, 1908, t. I, p. 613. Actuellement, plusieurs assyriologues préféreraient l’origine assyrienne, su’âlu, qui renferme une allusion à la divination par les morts; le se’ôl primitivement aurait donc été le lieu des morts ayant pouvoir de divination, puis de tous les morts. Encyclopaedia biblica, art. Sehol, Londres, 1903, t. iv, col. 4453, avec références. La question d’étymologie est importante pour déterminer l’origine des croyances. C’est ainsi que R.H. Charles, Eschatology, dans Encyclopaedia biblica, Londres, 1901, t. II, col. 1335 sq., exploite cette dernière étymologie en faveur de la théorie rationaliste sur l’origine de l’eschatologie juive. C’est à tort, car, dans la Bible, jamais, comme le montrent les textes cités plus haut, on ne rencontre se'ol avec ce sens radical, s’il l’a jamais eu, et la Bible nous reporte aux origines du peuple hébreu. Cependant, lorsque Dieu instruisit son peuple, les esprits n’étaient pas à l’état de table rase, ils avaient les idées de leur pays d’origine et la révélation divine aurait pu s’y greffer, en dissipant progressivement tes ténèbres et en projetant sur la vérité une plus vive lumière. il n’y aurait donc rien d’étonnant que les conceptions primitives des Hebreux sur le séjour d’outre-tombe et les mots qui les exprimaient aient eu des rapprochements et la même signification que les idées et les termes chaldéens, Abrabam étant sorti d’Ur on Chaldée.

 D’autre part, même en adoptant la première signification, se’ôl (Septante :&&&&; Vulgate: infernus) ne signifie pas davantage enfer an sens strict, lieu de damnation, mais demeure des morts en général, justes et impies. Cf. par exemple, Gen., XXXVII, 35; Num., XVI, 30. Et cela avec raison, car, avant l’ascension de Jésus-Christ, aucune âme ne pouvait entrer an ciel; on pouvait donc dire que tous les morts étaient en un même lieu, loin du ciel et de la surface de la terre.
 Dans le Nouveau Testament, la même conception du se'ol est gardée dans tous les textes qui décrivent ]‘au-delà en son état primitif, avant les changements opérés par le Christ. Ainsi dans la parabole de Lazare et du mauvais riche, celui-ci est enseveli dans l’aEnç, celui-là est porté dans le sein d’Abraham, les limbes, Luc., xvi, 22, mais les deux régions semblent faire partie d’un même lieu. Voir t. I, col. 111-115. Act.,  II, 24; Eph., IV, 9; I Pet., III, 19. C’est dans le même sens qu’il est parlé de la descente de Jésus-Christ aux enfers. La rédemption et l’ascension bouleversent l’économie ancienne; dans le se'ôl antique, il ne reste plus que les pécheurs et spécialement les damnés; l’enfer des damnés reçoit alors un nom spécial géhenne, yéevva, gê-hinnôm. L’origine du mot est donc hébraïque. En hébreu, il signifie : vallée de Hinnôm; on disait aussi gé-ben-hinnnôm : vallée du fils d’Hinnom, ou encore gé-benon-hinnôni: vallée des fils d’Hinnom. Hinnom doit être un nom propre, celui de quelque propriétaire ancien pas autrement connu. Cette vallée était un ravin au S.-O. de Jérusalem. Cf. Hagen, Lexicon biblicum, t. II, p. 179; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, art. Géennom et Géhenne, t. II, col. 153-155; Wilke-Grimm; surtout G. Warren, Hinnom, dans Dictionary of the Bible, Édimbourg, 1902, t. II, p. 385-388. Sous les rois impies Achaz et Manassé, IV Reg., XXIII, 10; Jer., XXXII, 35; Il Par., XXXIII. 6, les Juifs y avaient immolé leurs enfants à Moloch dans les brasiers de Tophet. Josias rendit ce lieu impur en y faisant jeter des immondices de tous genres, cadavres, etc., IV Reg., XXIII, 10, et cette pratique ayant continué après lui, ce lieu devint comme la sentine de Jérusalem; des feux y brûlaient en conséquence presque perpétuellement pour consumer ces pourritures. Aussi, dés le temps d’Isaïe, la lugubre vallée devint la figure de l’enfer, Is., LXVI, 24, et fut appelée « géhenne du feu ». Jésus-Christ n’a donc pas créé le mot, ni sa signification infernale; il en a fait seulement. un large usage, parce que le ravin ténébreux et maudit, avec ses cadavres lentement dévorés par les vers, ou brûlés sur des bûchers sans fin, était un emblème expressif du véritable enfer; l’enfer était cela, mais pour toujours: un ver qui ne meurt pas, un feu qui ne s’éteint pas.

 Ce lieu est encore nommé abîme, Luc., VIII, 31; Apoc., IX, il; XX, 1, 3: fournaise de feu, Matth., XIII, 42, 50, etc. : feu éternel. Matth., XVIII, 8; XXV, 41 ; Jude, 7; étang de feu et de soufre, Apoc., XIX, 20; XX, 9, 15; XXI, 8; ténébres extérieures, Matth., VIII, 12; XXII, 13; XXV, 30; cf. IIPet., II, 17; Jude, 13; lieu de tourments. Luc., XVI, 28; perdition et destruction, Matth., VII, 13; Phil., III, 19; I Tim., VI, 9; II Thess., I, 9; cf Gal., VI, 8; mort, seconde mort, Rom., VI, 21; Apoc., II, 11; XX, 6, 14; XXI, 8; tartare, Il Pet., II, 4. Sur le vocabulaire biblique de l’enfer, voir Salmond, art. Hell, dans Dictionary of the Bible, t. II, p. 343-346.

 Nous étudierons successivement l’enfer : 1° dans l’Écriture; 2° d’après les Pères; 3° d’après les théologiens; 4°d’après les opinions erronées; 5° d’après les décisions de l’Église; puis, nous exposerons : 6° la synthèse de l’enseignement théologique sur l’enfer.

 1°/ Enfer dans l'Ecriture Sainte
 I. Dans l’Ancien Testament. II. Dans le Nouveau.

 I. Enfer dans l'Ancien Testament.

1° Pentateuque, Juges, Rois. — Comme chez tous les peuples, la croyance à l’au-delà fait partie essentielle de la religion hébraïque primitive. Cet au-delà est un lieu et un état. Le lieu, comme il a été expliqué plus haut, est appelé se’ôl, caverne souterraine, engloutissant tous les morts. Ce lieu est certainement distinct du tombeau. Pour sa description générale ainsi que celle de l’état commun de ses habitants, voir F.Vigouroux, Le Bible et les découvertes modernes, 6° édit., Paris, 1896, t. IV, p. 576-584; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, art. Enfer, t. II, col. 1792-1795; J. Touzard, dans la Revue biblique. 1898, p. 212-217.

 Nous ne nous occuperons ici que de l’enfer au sens strict, c’est-à-dire du lieu et de l’état des âmes en état de péché mortel après la mort.

 L’état des âmes dans le se'ôl fut d’abord chez les Hébreux très obscur. Que peut, en effet, dire de certain la raison sur cet état? La raison, non éclairée par la révélation divine, est impuissante à le connaître clairement; l’expérience de l’humanité dans toutes les religions anciennes le montre bien. Or, l’exercice de la raison était peut-être moins développé chez les Juifs on général que chez beaucoup d’autres peuples. Race toute positive et toute pratique, race très jalouse et très exclusiviste au point de vue de la nationalité, les Juifs primitifs n’étaient que très peu aptes à réfléchir et à spéculer sur l’au-delà individuel. Ils croyaient à l’autre monde, mais ils pensaient surtout à celui-ci pour y chercher le bonheur personnel et la prospérité nationale. Voir en particulier cette opposition entre l’eschatologie individuelle et l’eschatologie nationale, mise en relief jusqu’à l’excès par P. J. Toner, The catholic Encyclopedia, art. Eschatology, New York, 1909, t. V, p. 531; R. H. Charles, Encyclopaedia biblica de Cheyne, art. Eschatology, Londres, 1901, t. II, p. 1335 sq.

 La révélation primitive hébraïque n’ajouta que très peu de chose aux notions imparfaites fournies par la raison. Par suite, sous le rapport de la sanction morale dans le se'ôl, la conscience juive fut d’abord très imparfaitement éclairée. Elle avait un vif sentiment dosa responsabilité, individuelle et nationale, devant Jahvé. Cf. Gen., III, 3-19; IV, 7, 13, 23; XII sq. : histoire des patriarches, Ahraham, XXIV, 40; lsaac, XXXI, 48-54; Jacob, XLVII, 9, 31; XLIX, 18; Joseph, XXXIX, 9; Exod., IV, 24-26; V, 21; XV, 26; XVI, 6-9; XVIII, 16, etc., toute la constitution théocratique d’Israël au point de vue moral, social, politique, économique même, et toute l’histoire des chutes, des châtiments et des conversions d’Israël s’avouant coupable, digne de châtiment, implorant le pardon de Dieu. Ceci a l’encontre des idées sur l’amoralisme primitif des Hébreux, dans H. H. Charles, loc. cit., col. 1335-1343.

 Cependant. cette responsabilité morale des Hébreux devant Jahvé était surtout à échéance terrestre. La loi, Loi., XXVI, 14-21; Deut., XVIII 15-45, énumère toutes sortes de châtiments pour ceux qui transgressent les préceptes divins, et les châtiments sont tous terrestres, cf. Milton S. Terry, Biblical Dogmatics, in-8°, Londres, 1907, p. 122 Sq., et il en est ainsi dans l’Ancien Testament presque jusqu’à David et aux prophètes Toutefois, pour comprendre sainement cette mentalité, il faut noter que ces sentiments contribuèrent puissamment à développer chez les Juifs un sens religieux de plus en plus profond ainsi qu’à élever peu à peu leur sens moral au-dessus d’un utilitarisme égoïste: les Juifs fidèles cherchaient lc bonheur temporel, fuyaient ici-bas la vengeance divine par un fidèle service religieux, méritant les complaisances de Dieu.

 De sanction morale primitive dans 1’au-delà, on peut trouver quelques premières traces, d’abord dans cette vague conception que le déshonneur de la vie d’ici-bas, comme l’honneur, spécialement au moment de la mort, suivent les hommes dans le se’ôl, III Reg., II, 6, 9; puis en cette autre que l'homme libre, choisissant la vertu ou le péché, choisit aussi en fait la vie ou la mort, Deut., XXX, 15-20, expression confuse, qui, plus tard, sera toute spiritualisée, mais qui, dès maintenant, malgré certaines parties du contexte, peut difficilement être restreinte à un sens uniquement matériel. L’Épître aux Hébreux, XI, nous donne la certitude que les patriarches et tous les Juifs fidèles croyaient en Dieu rémunérateur. Billot, De novissimis, 2e édit., Rorne, 1903, p. 12-13. Il n’en résulte pas toutefois que la masse du peuple vécût beaucoup de cette foi; aussi ne se fait-elle pas souvent jour dans son histoire.

 On cite souvent, en faveur de la rémunération différente après la mort, quelques textes du Pentateuque, à première vue assez clairs, mais dont la signification semble incertaine. Les expressions Ibis ad patres in pace, Gen., XVI, 15; Moriatur anima mea morte justorum; fiant novissima mea horum similia, Num., XXIII, 10, distinguent nettement la mort des justes et celle des impies; mais cette distinction peut n’être encore que temporelle, comme dans le reste du Pentateuque. Ces expressions peuvent équivaloir à ces autres très fréquentes dites de la mort des patriarches à leur très grande louange Mortuus, ou sepultus in senectute bona, plenus dierum, in pace. Gen., XV, 15, etc. Cf. A. Crampon, La Sainte Bible, Tournai, 1894, t. I, p. 535. Les trois b1asphémateurs, Coré, Dathan, Abiron, avec leurs familles, furent engloutis tout à coup dans le se’ol; celui-ci n’est pas spécifiquement l’enfer des damnés, car ces familles comptaient des enfants innocents. Num., XVI, 27-33. Dans le cantique de Moïse, Deut., XXXII, 22, ignis succensus est in furore meo et ardebit usque ad inferni novissima, signifie une dévastation totale, radicale, du pays occupé par les Hébreux infidèles à Dieu comme l’explique la suite, devorabitque terram cum germine et montium fundamenta comburet. D’après le contexte, par conséquent, ce feu est une métaphore exprimant la rigueur des châtiments divins sur Israël coupable et il désigne donc des châtiments temporels.

 Finalement, dans le Pentateuque, et il en est de même dans les livres de Josué, des Juges et des Rois, il n’y a aucune distinction explicite, entre le sort des justes et des impies dans l’au-delà. Deux principes implicites y sont contenus seulement: celui de la responsabilité individuelle devant Jahvé et celui de l’espérance messianique individualisée. Voir t. II, col. 2475. Ces deux principes seront féconds et contribueront à développer une eschatologie de plus en plus parfaite. Cf. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, t. IV, p. 585-592.

 2° Livres moraux anciens: Job, Psaumes, Ecclésiaste, Proverbes. — C’est naturellement le spectacle de la disproportion des misères et des vertus ici-bas qui fixa la réflexion sur les sanctions de l’au-delà. Eux-mêmes justes et malheureux, les auteurs inspirés considérèrent d’abord les malheurs des justes. Guidés par l’inspiration et la droiture de leur conscience, ils s’élevèrent bientôt à la claire vérité: la justice complète pour l’homme vertueux, et ainsi digne de bonheur, n’est pas ici-bas, mais dans L’au-deIà.

 1. C’est la solution de Job qui pose très explicitement le problème et dont tout le livre est occupé à chercher cette solution. Ses trois premiers amis défendent la théorie de la sanction exclusivement terrestre pour le péché comme pour la vertu. Fort de son innocence, Job oppose le fait, son histoire, à leurs théories et peu à peu monte à la vérité-principe: la sanction dans l’au-delà, d’abord en désir, XIV; puis en espoir absolu, XVI, 8-XVII,  9; enfin en certitude, XIX, 23. Job ne traite pas directement des pécheurs ni de leur châtiment après la mort. On cite parfois pourtant à ce sujet deux textes qui ne semblent pas probants, XXIV, 19, la Vulgate dit de l’impie: Ad nimium calorem transeat ab aguis nivium et usque ad inferos peccatum illius. Pères, théologiens, prédicateurs ont entendu ce passage de la damnation éternelle, quelques-uns pour en conclure qu’en enfer il y avait non seulement le supplice du feu, mais aussi celui du froid, Mais le texte hébreu signifie simplement le se'ôl engloutit le pêcheur comme la sécheresse et la chaleur absorbent l’eau des neiges; sanction terrestre d’une mort rapide, que de fait décrit le verset suivant, surtout dans le texte original. De même, XXXI, 12, il est dit de l’adultere, ignis est usque ad perditionem devorans, c’est-à-dire jusqu’à la ruine totale terrestre, la perte de la fortune, de la famille, etc., comme l’explique la seconde partie du verset et omnia eradicans genimina (ses possessions). Il y a cependant, dans Job, deux allusions possibles au Véritable enfer des méchants: XXVI, 6, le se’ôl est distingué de l’abaddôn, ruine, destruction, ici lieu de ruine et de destruction. Cf. Prov., XV, 11; Ps. LIV, 24. S’agit-il dans ces textes d’une distinction locale dans le se’ôl, d’un lieu plus abyssal (cf. Job, XXVIII, 14), plus destructeur pour les morts, ou d’une simple répétition synonymique, appelée par le parallélisme? Cf. XXVIII, 22, où perditio semble designer le se’ôl simplement, XXXI, 12. La signification simplement synonymique est donnée comme certaine dans la Sainte Bible polyglotte de Vigouroux, Paris, 1902, t. III, p. 758, 759, note 13 sur XXVI, 6. Une autre expression a semblé à plusieurs, par exemple, à H. Martin, La vie future, note 13, p. 547, renfermer l’enseignement clair d’un enfer de damnés. Job, XXVI, 5, dit: Ecce gigantes gemunt sub aquis. Ces gigantes, en hébreu rephaîm, ~ dont la Bible parle souvent, sont donnés comme les types des impies, révoltés contre Dieu et précipités dans le se’ôl, évidemment pour leur châtiment. Cf. Baruch, III, 26-28; Prov., IX, 18; XXI, 16; Is., XIV, 9; XXVI, 14, 19; Ps. LXXXVII, 11. Mais on s’accorde maintenant à traduire rephaïm par les défaillis, les ombres (ou les morts), lorsqu’il s’agit du se’ôl. Cf. Sainte Bible polyglotte, note sur Job, XXVI, 5. Ce dernier verset doit donc se traduire: Voici que les morts tremblent (devant Dieu), sous les eaux (dans le se’ôl situé sous la terre et les océans). Quant aux sombres descriptions par lesquelles Job peint si vivement la terram tenebrosam et opertam mortis caligine, terram miseriae et tenebrarum, ubi umbra mortis et nullus ordo, sed sempiternus horror, X, 21, 22, elles s’appliquent évidemment au séjour des morts, malgré leur pessimisme, car Job affirme en même temps qu’il est innocent et qu’il marche vers cet enfer.

 En résumé, Job attire l’attention sur les sanctions de 1’au-delà. Affirmer la récompense des justes, c’est proclamer implicitement la punition des méchants; mais l’implicite peut rester longtemps inaperçu.

 2. Une autre affirmation, implicite encore, mais plus claire, du châtiment infernal se trouve dans la doctrine du jugement divin universel, exposée dans les Psaumes, l’Ecclésiaste et les Proverbes. Ici encore pourtant il faut se rappeler que les Juifs pensaient surtout aux sanctions d’ici-bas et la plupart des textes, parlant on général du jugement divin, sont à interpréter au sens temporel. Par exemple, Ps. I, 5, non resurgent impii in judicio necque peccatores in concilio justuorum..., iter impiorum peribit, sont des maximes générales qui, dans l’esprit du psalmiste, à en juger par le parallélisme du bonheur tout terrestre du juste, devaient être aussi entendues de la ruine terrestre. De même, Ps. IX, 9, 18 Ipse judicabit orbem terrae in aequitate; converrtantur peccatores in invernum, que les pécheurs retournent dans le se'ôl; XXX, 18; LIV, 16, 24; LXXXI, 8; LXI, 13. Les ps. XCV, 10-13; CIX, 1, 6, 7, parlent d’un jugement vraiment eschatologique et universel, mais en perspective messianique, regardant les nations plus directement que les individus, et donc aussi d’ordre temporel, du moins au sens littéral direct. D’autres psaumes parlent clairement du jugement ultraterrestre. Les ps. XV, 10-11; XVI, 15, développent principalement la considération des espérances éternelles des justes. Enfin les Ps. XXXVI, XLVIII, LXXII, XCI, abordent directement le problème de la rétribution du mal. Les ps. XXXVI et XCI renferment une opposition claire entre le sort du juste et de l’impie, quelquefois en formules générales de vie, de ruine, de salut, pour les siècles des siècles, etc..; cependant il ne faudrait pas s’en tenir à l’apparence, car le contexte restreint ces promesses ou ces menaces au sort temporel de l’individu ou de sa postérité. Voir XXXVI, 3, 9, 11, 18, 25-29, 34-38. Le ps. XLVIII signifie, d’après l’original, que le juste est persécuté, que les méchants triomphent, qu’il ne faut pourtant pas craindre ni se scandaliser comme tous les hommes, malgré leurs richesses, les méchants n’échapperont pas à la mort; ils seront, comme un troupeau, poussés dans le se'ôl. Bientôt les justes marcheront sur leurs tombes et leur ombre se consumera au se'ôl sans autre demeure, 15 b. Mais pour moi, Dieu rachètera mon âme de la puissance du se'ôl car (ou quand) il me prendra (m’enlèvera) avec lui, 16. Il y a là une vision assez nette du ciel et de l’enfer; celui-ci, toutefois, est le se'ôl, envisagé comme la demeure éternelle des méchants, après la délivrance des justes. Il faut noter que ce psaume est d’une époque assez récente et qu’il a été composé probablement sous Ézéchias.

 Le ps. LXXII pose, lui aussi, la question angoissante, 1-9; il décrit la prospérité des méchants, 10-16, le scandale de ce spectacle : pourquoi n’en ferais-je pas autant?... 17-28; la solution qu’il donne est celle-ci: il faut tourner sa réflexion vers le sanctuaire du Seigneur et prendre garde au sort final des méchants. Ce sort semble d’abord être uniquement la mort temporelle, 18-20, mais le psalmiste s’élève ensuite à de telles aspirations du bonheur éternel avec Dieu auquel il oppose toujours la porte des impies que cette mort, cette perte temporelle paraît bien inclure dans son esprit une autre mort, une perte éternelle, 24-28, Cf. Pannier, dans le Dictionnaire de la Bible, t. V, col. 822, 823.

 L’Ecclésiaste résume sa sagesse, XI, 1-10, dont la notion n’est pas très élevée, sans être pourtant non plus immorale. Il faut jouir de la vie d’ici-bas, honnêtement, avec mesure, en gardant le souvenir que tout est vanité, que tout bien est un don de Dieu et que Dieu nous jugera. Ce jugement est déjà rappelé, III, 16-17; VIII, 5-6 (d’après l’hébreu) : « Le coeur du sage connaîtra le temps et le jugement; il y a, en effet, pour toute chose un temps et un jugement, car il est grand le mal qui tombera sur l’homme (oppresseur) » VIII, 11, 12, jugement infaillible sur les pécheurs. Mais s’agit-il de l’autre vie? Le contexte fait plutôt penser à cette vie terrestre; VIII, 13, parle du sort de sa postérité. Le fait pourtant des impies continuant à être heureux se dresse toujours en objection, VIII, 14; la réponse est de nouveau d’abord toute terrestre, il faut jouir le plus possible de la vie et des biens que Dieu donne ici-bas. L’Ecclésiaste insiste et répète la difficulté, car elle n’est pas résolue, IX, 1-6; même réponse. Pour le sens de ce texte pas plus matérialiste que Joa., IX, 4, voir P. M. Hetzenauer, Thealogia biblica, t. I, p. 612-613. Mais bientôt il revient encore à l’idée du jugement divin, XI, 9-10. Cette insistance suffirait à montrer que probablement  il s’agit ici d’un jugement pour l’autre vie, que le sentiment de la justice impose à l’Ecclésiaste, nonobstant sa philosophie terre à terre. Cette probabilité devient certitude en présence des textes qui affirment si fortement l’impunité des méchants ici-bas. Cf. VIII, 14. Le c. XII contient finalement une affirmation directe et claire du jugement divin en dehors de ce monde, et des sanctions divines ultra-terrestres, 13, 14, qui impliquent l’enfer. Voir t. IV, col. 2023. Cf. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, t. IV, p. 592-593. Remarquons encore que le texte invoqué si souvent au sujet de l’enfer éternel, Eccle., XI, 3, in quocumque laco ceciderit ibi erit, n’a, au sens littéral, qu’une signification purement matérielle dans la conduite humaine de la vie et des affaires temporelles, il faut se soumettre aux lois physiques, aux événements, réglés par la providence, contre lesquels nous ne pouvons rien; il n’y a là aucune allusion à la mort. Cf. Hetzenauer, op. cit., t. I, p. 613.

 Les Proverbes sont un essai de morale un peu ascétique. Les motifs invoqués pour faire pratiquer la vertu sont presque tous d’ordre temporel. On rencontre pourtant quelques affirmations assez claires des sanctions plus définitives de la vie future, soit pour les justes, soit pour les méchants; XI, 4, il y a un jour de jugement inexorable de Dieu, jugement individuel, car les Proverbes s’adressent aux âmes individuelles; pour l’impie, la mort détruit toutes les espérances. Cf. X, 2, XIV, 32; XXIII, 17, 18; XXIV, 14; IV, 18; VIII, 35-36.

 En résumé, avant les prophètes, les Hébreux connaissaient la vie future, mais une vie future, à conditions peu précises, plutôt tristes d’ailleurs et mélancoliques. L’espérance du libérateur était très éloignée; seules donc, quelques âmes supérieures s’élevèrent assez pour vivre réellement de ces perspectives lointaines de délivrance messianique; ce sont aussi ces âmes qui arrivèrent le plus vite à reconnaître un se'ôl à sanctions morales différentes pour les justes réunis à Dieu, et pour les impies rejetés de Dieu. Cf. Ps. LXXII. Cependant la masse restait peu sensible à la pensée morne de l’au-delà : joie et tristesse, tout était considéré en cette vie pour soi et pour ses descendants; religieusement la joie était tenue pour un bien venu de Dieu et une bénédiction réservée aux justes; la tristesse était donc une malédiction qui allait normalement aux impies. Mais le fait d’expérience contraire à la vue théorique amena, par une autre voie, à la sanction ultra-terrestre, et les solutions opposées de cette sanction pour les bons et pour les méchants, déterminées par un jugement de Dieu, ont déjà été entrevues çà et là dans les livres poétiques et sapientiaux de l’ancienne alliance. Voir J. Touzard, dans la Revue biblique, 1898, p. 219-223.

 3° Prophètes. — Nous ne nous occuperons que de leurs affirmations explicites au sujet du châtiment des impies dans la vie future.
V – 2

 1. Avant la fin de la captivité, VII° et VIII° siècles. — Bien que remplis de menaces contre les Israélites corrompus et contre les païens dégradés, les petits prophètes préexiliens ne font aucune menace pour l’au-delà. il n’y a pas à s’en étonner, car leur point de vue est essentiellement nationaliste, et, lorsqu’il est plus individualiste dans leurs menaces aux Juifs prévaricateurs, ils s’adressent à un peuple si charnel qu’ils ne peuvent recourir pour l’ébranler qu’à des promesses ou à des menaces temporelles. Cependant Joël, III, 1-21, semble annoncer vraiment le jugement dernier « dans la vallée de Josaphat » (de Dieu qui juge), appelée « vallée de la décision », III, 2, 14. Après une grandiose description de ce jour terrible, 9-16, sans préciser autrement le jugement de condamnation, le prophète ouvre les riantes perspectives d’un bonheur qui n’aura plus de fin pour Juda purifié, restauré, le mettant en face d’une désolation et d’un châtiment également sans doute éternels, 17-21. Sophonie parle aussi d’un jour de jugement, I, 14-16, jugement universel des nations, I, 18, III, 8; mais le jugement dernier n’est ici, encore plus que chez Joël, qu’au second plan, tout au plus entrevu dans les lignes du jugement temporel messianique.

 C’est aux grands prophètes que Dieu a commencé de découvrir vraiment avec clarté les perspectives de la vie future.

 Isaïe, le premier, semble-t-il, a vu au fond du se'ôl, l’abîme terrible où sont torturés les damnés. XIV, 9-20, description de la ruine du roi de Babylone; celui-ci est précipité au séjour des morts et dans ses dernières profondeurs, pour y être l’opprobre des autres illustres criminels; première vue vague encore. XXIV décrit le jugement dernier; les versets 21-22 disent que Dieu châtiera les divinités païennes (les démons cachés sous ces divinités) et les rois de la terre, qu’il les réunira dans l’abîme du se'ôl, qu’ils y seront enfermés comme dans une prison et que pendant de longs jours; c’est-à-dire toujours, continuera leur châtiment. Cf. XXVI, 14, opposé à 19.

 Au C. XXXIII, 14, il s’agit des pécheurs de Sion, qui, à la vue des châtiments de Dieu sur Assur,se demandent en tremblant comment ils pourront habiter au milieu de la colère de Jahvé, feu dévorant, brasier qui ne s’éteint pas au milieu de Jérusalem, résidence d’où il juge ai terriblement les nations l’une après l’autre. Cf. Deut., IV, 24; Is., XXXI, 9. Au sens littéral, il n’est donc pas question ici de l’enfer; cependant le sens conséquent de ces affirmations absolues contre les pécheurs peut s’étendre jusqu’à ce «lieu éternel», comme traduisent les LXX.

 Enfin, après avoir, comme en un refrain menaçant, qui termine les diverses sections de sa prophétie, répété aux impies que, pour eux, il n’y a pas de paix, absolument et sans restriction, XLVIII, 22; LVII, 21, Isaïe donne, LXVI, 15-24, la grande vision prophétique de l’au-delà. C’est le jugement dernier, 16, 18. C’est la restauration d’Israël pour l’éternité avec de nouveaux cieux et une nouvelle terre, 22. Et egredientur et videbunt cadavera virorum qui praevaricati sunt in me; vermis eorum non morietur et ignus eorum non exstinguetur, et erunt usque ad satietatem visionis omni carni. Sur ce texte, fameux dans toute la tradition chrétienne, voir Knabenbauer, In isaiam, t. II, p. 522; Condamin, Le livre d’Isaïe, Paris, 1905, p. 390. Les derniers mots, d’après l’original hébreu l’&&&&, signifient : ils seront en abomination à toute chair. Tous les commentateurs s’accordent à y voir une affirmation de l’enfer éternel; les traits sont peut-être pris des faits historiques de Géhinnom, mais ils sont évidemment surélevée en valeur symbolique jusqu’aux réalités invisibles éternelles. Cheyne, The Prophecies of Isaiah, New-York, 1890, le concède. Toutefois ce texte seul ne prouve pas le réalisme des vers et du feu de cet enfer. Cf. Judith, XVI, 20, 21, répétition du texte d’Isaïe, avec insistance sur l’éternité du supplice senti : et sentiant usque in sempiternum.

 Pendant la période des grandes épreuves d’Israël, tout vu insistant sur l’eschatologie nationale, Dieu commence à inculquer de plus vu plus à son peuple le sentiment de la responsabilité individuelle en face des vérités éternelles.

 Jérémie ne dit rien de certain sur l’enfer. Dans le passage, XV, 14, le feu de la colère divine n’est qu’une métaphore; en XVII, 4, le prophète parle de ce même feu de la colère divine; s’il ajoute qu’il brûlera toujours, peut-être ne veut-il signifier qu’une ruine totale, mais peut-être aussi est-ce une perspective subitement élargie jusqu’à l’au-delà dans un éclair passager.

 Ézèchiel, dans ses annonces prophétiques de la ruine de l’Assyrie et de l’Égypte, fait une grandiose description de la descente aux enfers de tous ces puissants peuples que Dieu veut châtier, &&&&&, XXXII, 23; cf. 24, 30. Il y a là certainement l’affirmation d’une sanction morale de châtiment dans l’au-delà et en un lieu spécial du se'ôl. Cf. Is., XIV, 9-20. Ézéchiel d’ailleurs n’en lit pas davantage explicitement. Du reste, il insiste sur le jugement de Dieu à l’égard des individus, qui seront punis ou sauvée; et de même il parle encore du jugement divin au point de vue messisanique de l’avenir d’Israël: seuls, les Israélites fidèles feront partie du royaume de Dieu restauré.

 Daniel, XII, 1-2, en donnant une affirmation précise de l’enfer éternel, ajoute un nouveau point de doctrine la résurrection des damnés eau-mêmes, qui se réveilleront du sommeil de la mort pour l’opprobre et la honte éternelle. Voir, VII, 10 sq., l’annonce générale des jugements divins et de la destruction des impies. Cf. J. Touzard, dans la Revue biblique, 1898, p. 223-230.

 2. Après la captivité, VI° siècle. — La courte prophétie d’Aggée ne contient que des bénédictions et malédictions temporelles.

 Celle de Zacharie, à portée générale, eschatologique, prédit spécialement, V, 1-11, un jugement de toute impiété et une séparation entre elle et le peuple de Dieu qui ne se réalisera pleinement que dans l’autre vie. Les C. XII-XIV, à la manière prophétique, décrivent confondus, les deux jugements divins, temporel et éternel.

 Enfin Malachie clôt la prophétie ancienne par une nouvelle annonce du jugement universel, IV, 1-3, qui réglera différemment le sort des justes et des impies.

 4° Deutérocanoniques, II° siècle avant Jésus-Christ. — 1. La Sagesse, I - V, aborde directement le problème de la destinée humaine, I, 6, 8-10, l’auteur pose comme la thèse du jugement des impies : Dieu sait tout et jugera tout pour châtier tout mal. II, 1-10, par mode d’objection, il expose la solution matérialiste: rien après la mort; personne n’en est revenu; le hasard règle tout. Donc mangeons, buvons, etc.; la force, voilà le droit: détruisons le juste notre ennemi. 21-25, une première brève réponse : insensés, qui ignorent la justice de Dieu et la nature de l’homme faite pour l’immortalité; immortalité heureuse pour les justes, de mort pour les fils du diable, cause de la mort. III, 1-9, bonheur immortel des justes; 10-19, malheur des impies d’abord temporel, puis fin dernière terrible. IV, 1-7, malheurs terrestres des impies, honneurs de la vertu; 8-14 a : le sort privilégié et prédestiné du juste qui meurt jeune; 14b-18a: le monde n’y comprend rien et se moque; 18-19 mais Dieu à son tour le condamnera. IV, 20-v, 24 : le sort éternel des impies dans un tableau grandiose. D’abord, voici les impies pleins d’effroi à la pensée de leurs péchés et accablés sous le témoignage de leurs crimes, IV, 20; en face de leurs anciens persécuteurs, les justes, debout en grande assurance, V, 1. Alors les décisions: les impies, 2-15, stupéfiés et épouvantés horriblement de ce changement de destinées, avouent leur folie et leur culpabilité. Aux justes, au contraire, 16, 17 (Vulg.), la vie éternelle, auprès du Seigneur, dans son magnifique royaume. Enfin l’exécution de ces décisions, déjà faite pour les justes, réalisée avec un grand éclat contre les impies, 18-24. Dieu s’arme de zèle, de justice, de jugement et de colère, et les impies sont châtiés terriblement; tout se tourne à les faire souffrir. La foudre et les traits divins vont droit à leur but, jusqu’à l’entière ruine des méchants. Ce texte est d’une grande précision soit sur l’enfer en général, soit en particulier sur la peine du sens, bien que décrite sous forme symbolique. VI, 6-9, l’auteur fait enfin une application spéciale de ces doctrines aux puissants et affirme l’inégalité des peines infernales. Cf. XIV, 10, 13, 31; XV, 8, un mot sur la responsabilité éternelle du pécheur: quand on lui redemandera son âme qui lui avait été prêtée.

 2. L’Ecclésiastique est un livre de même genre et de même doctrine que les Proverbes, donc à point de vue le plus souvent temporel; cependant la préoccupation de la vie future y est beaucoup plus accentuée. Voici quel est le sort des méchants, VII, 8 : tout péché sera puni: 17-19; le feu et le ver seront le châtiment de l’impie. C’est sans doute une allusion Isaïe, LXVI, 24. Cf. VII, 40; IX, 16-17, ne pas envier le pécheur, sciens quoniam usque ad inferos non placebit impius; XIV, 2-21; XI, 28-29, les rétributions in die obitus; XV, 13-21, la vie et la mort sont devant l’homme libre; XVIII, 24, la mort sera le temps de la colère et de la sanction, lorsque Dieu détournera son visage du pécheur; XLI, 1-18: mort et sanction; le verset 7 ne nie pas le jugement après la mort, mais peut se traduire dans le se’ôl, il n’y a pas de plainte contre la vie; cf. 11-13; enfin XXI 10, stuppa collecta, synagoga peccantium et consommatio illorum flamma ignis, via peccantium conplanato  lapidibus, et in fine illorum inferi et tenebrae et paena, &&&&&&&, l’abîme noir de l’Hadès. Il est difficile d’accorder que dans tous ces textes il ne s’agit que du se’ôl. Voir t. IV, col. 2051. Cf. Crampon, t. IV; Vigouroux, La sainte Bible polyglotte, t. V; Knabenbauer, In Eccli.

 3. Le second livre des Machabées exprime les mêmes idées que Daniel. Le vieillard Éléazar répondait aux tentateurs de sa fidélité: Nam etsi in praesenti tempore, .suppliciis hominum eripiar, sed manum omnipotentis nec vivus, nec defunctus effugiam, VI, 26. Le C. VII raconte le supplice de ces sept héros, frères de sang et de vertu, ainsi que de leur mère. C’est la pensée de la vie future qui les soutient dans les tortures. En outre, ils ne craignent pas de menacer leur persécuteur de la géhenne éternelle pendant qu’eux se réjouiront avec Dieu; 14, à nous la résurrection, pour toi, tu n’auras pas de résurrection pour la Vie; 17, des tourments à toi et à ta race; 19, pas d’impunité devant Dieu; 31, 34-36, menace des vengeances célestes que le plus jeune des sept supplie Dieu de n’exécuter qu’ici-bas pour la conversion de son bourreau, 37. Cf. J. Touzard, dans la Revue biblique, 1898, p. 230-237.

 En terminant, donnons, après Hetzenauer, op. cit., t. I, p. 622, la liste des textes, qui étaient autrefois allégués pour prouver l’existence de l’enfer au sens strict et qui n’ont pas cette signification: Num., XVI, 31 sq.; Deut., IV, 23 sq.; XXXII, 21 sq., 40 sq.; Ps. VI, 6; X, 6; XX, 9 sq.; XLVIII, 14 sq.; LIV, 16; XCI, 8 sq.; XCIII, 17; CXXXIX, 9; CXXXIX, 9 sq.; Prov. I, 26 sq.; VII, 27; IX, 18; XV, 11, 24; XXIII, 14; XXVII, 20; XXX, 15 sq.; Cant., VIII, 6; Eccle., IX, 10, 12; XI, 3; Job, IV,20; X, 20; XI, 8; XX, 18; XXI, 13; XXVI, 5; Amos, IX, 2; Os., XIII, 14; Is., I, 24; V, 14; XIV, 9 sq.; XXIV, 21 sq.; XXVIII, 15, 18; XXX, 33; XXIV, 8 Sq.; LXV, 2 sq., 11 sq.; Hab., II, 5; Jer., XVII, 4; LI, 39; Bar., II, 17; III, 11; Ezech., XXVI, 19 sq.; XXXI 15 sq.; XXXII, 27; Dan., III, 88; Sap., XVI, 13 sq.; Eccli., XVII, 26; XXIV, 45; LI, 5 sq. Dans tous ces textes, plus ou moins fréquemment utilisés par les Pères, les théologiens anciens et modernes, les prédicateurs, etc., il n’est, au sens littéral, question que du se’ôl hébreu, ou du jugement divin en général, ou du jugement exercé par Dieu sur les pécheurs ici-bas.

 5° Origine de la doctrine de l’enfer chiez les Hébreux. — Les rationalistes ont essayé d’expliquer sans surnaturel l’eschatologie individuelle des Hébreux. Les premiers eurent recours à la théorie des emprunts faits aux Grecs à l’époque de la domination grecque ou aux Chaldéens pendant la captivité. Cf. dom Calmet, Dictionnaire de la Bible, 2e édit., in-12, Toulouse, 1783, t. II, art. Enfer, p. 383; Du Clot, La sainte Bible vengée, 2e édit., Lyon, 1841, p. 454 sq. Leurs successeurs reculèrent la date et rapportèrent 1’emprunt aux Égyptiens. Les plus récents, mieux renseignés par les découvertes de Ninive, attribuèrent la doctrine empruntée aux Assyriens, aux Babyloniens ou aux Perses. Plusieurs enfin aujourd’hui préfèrent recourir aux simples lois générales de l’évolution religieuse. Cf. R. H. Charles, Encyclopaedia biblica, art. Eschatology, t. II, col. 1335-1372. D’abord, les Hébreux partagent la conception primitive, commune à la race sémite, du culte des ancêtres lequel ne laisse aucune place aux idées de sanction morale, cf. col. 1343, n. 22. Puis le jahvéisme importe une eschatologie exclusivement nationale, au point que Jahvé n’avait d’abord aucune juridiction dans le se’ôl. Ces deux conceptions de Jahvé et du se’ôl indépendant de lui, bien que contradictoires, ont coexisté dans l’esprit des Israélites jusqu’au VIII° siècle avant .Jésus-Christ. Voir Ps. LXXXVIII (heb.), 5; XXXI, 22-23; Is., XXXVIII, 18. Les anciens Israélites n’étaient scandalisés ni du bonheur des méchants, ni du malheur des justes, Jahvé ne s’occupant pas des individus, mais de la nation seule. Il punissait les méchants ici-bas directement ou dans leur postérité, Exod., XX, 5; Lev., XX, 5; Jos., VIII, 24; I Sam., III, 13; ou dans la nation. Gen., XII, 17; XX, 18; Exod., XII, 29; Jer., XXXI, 29. On considérait comme une miséricorde qu’il fit tomber le châtiment sur les enfants. I (III) Reg., XI, 12; XXI, 29. Contre ces théories de fatalisme et de désespérance et parallèlement au développement du jahvéisme en véritable monothéisme, Jérémie, après avoir adhéré aux vieilles idées, XV, 4, commença une réaction individualiste et spiritualiste, XXXI, 19, 31, 34, développée par Ézéchiel, XIV, 12-20; XVIII, 4-30, popularisée enfin par plusieurs psaumes et par les Proverbes. Et encore il ne s’agissait d’abord que de rétribution terrestre tout juste est ici-bas heureux, tout pécheur malheureux. Ces idées, se heurtant à une expérience contraire, donnent lieu à d’ardentes discussions. Les uns résolvent la difficulté en ajoutant la responsabilité nationale à la responsabilité Individuelle terrestre. Ps. CIX (heb.), 13; Eccli., XXIII, 25; XL., 15; XLI, 6; Dan., IX, 7; Jud., VII, 28; Tob., III, 3; Baruch, I, 18-21; II, 26; III, 8. Ézéchiel maintient que l’expérience de l’individu répond toujours à ses mérites. L’Ecclésiaste nie expressément toutes ces solutions il n’y a pas de sanction, VII, 15; II, 14; IX, 2; VIII, 10; les passages contradictoires, III, 17; XI, 9, 6; XII, 14; VIII, 12, sont probablement interpolés. Job s’en tient aux mêmes affirmations qu’Ézéchiel en principe; en fait, il constate aussi les négations de l’Ecclésiaste. XXI, 1-15. Alors il en appelle, pour ici-bas, du Dieu réel au Dieu de sa foi, car il veut croire à la justice (ici-bas); mais son appel est finalement trompé. Il n’en appelle pas réellement aux sanctions de la vie future; cependant sa foi y aspire implicitement, elle les suggère. Quelques éclairs même çà et là, s’ils sont authentiques, sont très significatifs : XIV, 13-15; XIX, 25-29; cependant ils ne laissent pas de trace profonde et la pensée de la vie future dans Job est plus une pensée qu’une conviction. Après Job, deux courants : le matérialisme à la suite de l’Ecclésiaste qui aboutira au sadducéisme; le postulat de la vie future par la foi, à cause des difficultés de la vie morale (l’immanence chez les Juifs J...). Celui-ci se développe en la théorie de la résurrection qui synthétise l’eschatologie individuelle et l’eschatologie nationaliste:
les justes ressusciteront pour le royaume messianique; les méchants pour la punition. Dan., XII, 2; Is., LXVI, 24.

 Inutile de poursuivre plus loin; la critique exerce ses fantaisies surtout sur les origines, et terminons en ajoutant que tout ce développement, d’après elle, est considéré non comme autonome, ce serait une immense erreur, mais comme influencé profondément par Babylone, la Perse, le Grèce, etc. Cf. R. H. Charles, A critical history of the Doctrine ol a future life, Londres, 1899, p. 24-40, 57, 79, 116, 134-151.

 Une réfutation complète de ces théories appartient à la critique biblique, non à la théologie. A notre point de vue, il suffira de noter les réflexions suivantes. La théorie rationaliste est d’abord essentiellement basée sur un remaniement chronologique et une interprétation tend tendancielle des textes qu’on ne peut s’empêcher de trouver très arbitraire; on connaît le procédé : bouleversement des textes, d’où contradictions, évolutions diverses de théories, au gré, ou à peu près, des critiques. Nous n’admettons pas cette base. — En détail, notre exposé positif, toujours éclairé de la lumière des contextes, a montré les faits, dans leur vraie objectivité, croyons-nous, et selon leur vrai développement historique. Ces faits et ce développement ont pour nous une origine surnaturelle. Dès le principe,l’eschatologie infernale juive se montre de beaucoup supérieure à toutes les eschatologies païennes, et son évolution marche avec une telle assurance vers la pleine lumière, contrairement à ce qui se passe chez les païens, que là aussi l’intervention de Dieu est assez évidente. En effet, premièrement dans la doctrine juive, de l’imperfection, mais pas d’erreur, pas de mythes, pas de panthéisme, ni de dualisme, ni de métempsycose, ni de descriptions fabuleuses du royaume infernal, etc., comme en Égypte, en Assyrie, dans les Indes, en Grèce et même dans la Perse. De plus, telle religion, telle eschatologie et la religion juive diffère, on sait combien, de toutes les anciennes religions purement humaines. L’homme est créé par Dieu et pour Dieu (relation de service et même d’amitié intime avec la divinité) et Dieu-providence veille sans cesse ici-bas et dans l’au-delà, sur tout l’ouvrage de ses mains (justice, sanction, etc.). — Quant au culte primitif des ancêtres, qu’on objecte ici, il faut dire que c’est un culte qui n’est pas primitif dans la famille monothéiste d’Abraham et dans sa race, mais ce fut simplement plus tard une grande tentation pour le peuple d’Israël, après son contact trop intime avec les Égyptiens et les Chananéens; tentation à laquelle il succomba sans doute souvent, mais toujours combattue et dès l’origine par l’autorité enseignante et par les prophètes. Cf. prescriptions mosaïques, Lev., XIX, 28; Deut., XIV, 1, etc. Voir H. Lesêtre, Dictionnaire de la Bible, art. Moris (Culte des), Paris, 1908, t. IV, col. 1316. On ne peut changer ici, sans paralogisme un peu trop fort, le fait accidentel en principe essentiel. Mais voici la deuxième objection : le nationalisme exclusiviste du Jahvé primitif sans juridiction sur le se’ôl ! Cela n’est pas du tout prouvé, au contraire; les textes très nombreux exprimant la crainte et la peur de se’ôl dans l’Ancien Testament, non morlu laudabunt te, Domine, etc., etc., signifient simplement qu’avant Jésus-Christ, même les âmes des saints ne pouvaient pas encore jouir des fêtes du ciel, et ne pouvaient plus jouir du culte et des fêtes animées de la liturgie juive. D’ailleurs ces appréhensions s’augmentaient des incertitudes de l’état réel des âmes dans l’au-delà spécialement des âmes encore pécheresses (pour le purgatoire), et qui ne l’était pas? Sur la question du nationalisme et de l’individualisme, voir S. Jérôme, In Ezech., XVIII,  1, P, t. XXV, col. 167-169, pour concilier Ezech., XVIII, et Exod., XXXIV, 5; la responsabilité nationale ne s’oppose pas du tout à la responsabilité individuelle; celle-ci a été reconnue et vécue le long de l’histoire hébraïque, cf. plus haut quelques textes pour les origines, I(III) Reg., XI, 12; XXI, 29, qui signifient que Dieu, par miséricorde, ne punira pas de suite Salomon et Achab et qu’il laissera même encore la royauté à leur fils; mais ensuite leur race déchoira. Et dire qu’on veut voir dans ces textes la négation de la responsabilité individuelle ! Enfin dès l’origine Jahvé fut le Dieu des enfers, comme le montrent positivement les textes suivants : Gen., XLIX, 18; Deut., XXXII, 22; Job, XVI, 5, etc.; plus tard, Ps. CXXXIX, 8; Amos, IX, 2 etc. Cf. Hetzenauer, op. cit., De attributis Dei in V. T., p. 438-464. Pour la question spéciale du silence relatif du Pentatenque sur la vie future (immortalité et sanctions) et les raisons de ce silence qui n’est pas un argument négatif contre l’existence de la doctrine chez les Hébreux, voir Ame dans le Dictionnaire de la Bible, t. I, col. 461-473; aussi un très bon exposé au point de vue doctrinal et historique dans H. Martin, op. cit., C. II, § 3, p. 54 sq. et note VI, p. 527-533. En résumé, la sanction morale, normalement est double: terrestre et ultra-terrestre; la sanction ultra-terrestre est par elle-même obscure à la raison; de plus, la révélation primitive préféra laisser ignorées des vérités que des hommes charnels en particulier, parce qu’ils étaient enclins à l’idolâtrie, ne pouvaient porter; voilà pourquoi les auteurs sacrés commencèrent à parler surtout, sinon exclusivement, de la sanction terrestre : d’autant plus que Dieu lui-même, s’accommodant aux instincts inférieurs des Juifs, les conduisit en fait pendant presque toute leur histoire, surtout par des sanctions temporelles plus immédiates et plus frappantes. Pour tout dire d’un mot, c’était la loi charnelle et de crainte, et non pas encore la loi spirituelle de l’amour. — Après l’origine, l’évolution.

 L’évolution de la doctrine infernale juive est une marche assurée vers la pleine lumière, sans jamais aucune chute dans l’erreur; comme il n’y eut jamais de fantaisie mythologique ou de rêverie chimérique, ainsi il n’y eut jamais, dans l’enseignement des Livres saints, de courant matérialiste, ou de courant négateur des sanctions ultra-terrestres. Peu à peu le problème de ces sanctions définitives se précisa devant la réflexion et la révélation, sort des justes et sort des méchants, jusqu’aux sublimes explications des deutérocanoniques, prélude de l’Évangile.

 Quant aux influences étrangères, tout compté, il semble assuré qu’elles n’ont pas du tout pénétré dans la Bible. Elles ont séduit parfois telle ou telle portion du peuple juif; par exemple, quelques pharisiens et les kabbalistes ont pris à l’Égypte la métempsycose, aux Chaldéens l’astrologie, aux Perses le panthéisme émanatiste et les superstitions de la démonologie; mais ce sont erreurs condamnées ou ignorées par la Bible. Tout au plus, les hagiographes ont pu prendre occasion quelquefois des faussetés païennes pour proclamer plus explicitement la vérité, comme Daniel à la cour de Darius affirme l’inégalité éternelle contre l’éternité unique mazdéenne.

 6°La théologie juive extra-canonique du 11è siècle avant Jésus- Christ jusqu’à la fin du 1er de notre ère. — Pour plus de brièveté nous suivrons un ordre systématique. Les apocryphes juifs distinguent équivalemment pour les méchants après leur mort la peine du dam et la peine du sens, comme les deutérocanoniques, et ils décrivent ces deux peines. Voir DÉMON, t. IV, col. 328-330.

 1. Le nom des damnés est effacé du livre de vie. Hénoch, CVIII, 3; Jubilés, XXXVI, 1O. Pour eux, plus de vie heureuse, Hén., XCIX 1; plus de paix, Hén., V, 4; XII, 5 sq., etc.; pas de souvenir au jour de miséricorde pour les justes, Ps. de Salomon, III, 11; XIV, 9; mais la perdition, s~6~î~z, Ps. de Salomon, XV, 9, 10, etc.; Hén.,V,5;X, 12; XII, 6; Testament des douze patriarches, Lévi, 18; Juda, 25; la mort éternelle et sans fin, Ilén.. XCIX, 11; CVIII, 3; Philon, De posteritate Caini,39, t. I, p. 233; De proenî. et poen., 70, t. II, p. 419. Pour les damnés, il vaudrait mieux n’être jamais nés. Hén., XXXVIII, 2; Secrets d’Hénoch, XLI, 2. Cf. Apocalypse de Baruch, XXX, 5; XXXVI, 11.

 2. Les châtiments positifs de l’enfer sont terribles. Il y en a pour l’âme, honte, terreur, crainte, désespoir, Ps. de Sal., II, 31; Jub., XXXVI, 10; Apoc. de Baruch, 37; Philon, De praem. et poen., 69-71, t. II, p. 419; Quod deter. potiori insid., 140, t. I, p. 218. Les damnés verront la félicité des justes, Hén., CVIII, 15, pour leur plus grand désespoir; ou bien, au contraire, ils disparaîtront de la vue des bons, Hén., XLVIII, 9; LIV, 1; LX, 18; LXII, 12; LXXVII, 3, etc.; esséniens d’après Josèphe, De bello judaico, II, VIII, 11.

 Mais les théologiens juifs se complaisent surtout dans la description des supplices corporels de l’enfer; ils y déploient leur imagination. Hén., LIII, 3 sq.; LVI, 1 sq., etc.; IV Mach., IX, 9; XII, 12; XIII, 14; Testament, Aser, VI, 5. En particulier, ils mettent en enfer le froid et la soif. Secrets d’Hénoch, X, 2; cf. Josèphe, De bell. jud., Il, VIII, 11 (croyance des esséniens); mais surtout le feu, Hén., X, 6; XVIII, 11-16; XXI, 1-6; LIV, 1, 6; XCVIII, 3; C, 9; CIII, 8, etc.; Secrets d’Hénoch, X, 42; LXIII; 4; IV Mach., IX, 9; X, 10, 15; XII, 12; IV Esd., VI, 1-14; VII, 36, 38; et les ténèbres, Hén., XLVI, 6; LXIII, 6; CIII, 8; CVIII, 14; Jubilés, VII, 29; Ps. de Salomon, XIV, 9; XV, 10; Secrets d’Hénoch, X, 2. R. H. Charles, loc. cit., col. 1362, trouve dans Hénoch, XCI-CIV, un enfer purement spirituel, à cause des esprits jetés
dans la fournaise de feu.

 3. Ces supplices sont proportionnés aux péchés et même appliqués spécialement aux divers membres, instruments du mal : feu, langue, yeux, etc., soufre, bitume, suspension, etc. Voir surtout l’Apocalypse d’Élie, Steindorff, Die Apokalypse des Elias, dans Texte und Untersuchungen, Lespzig, 1899, t. XVII, fasc. 3, p. 30. Voir t. I, col. 1491; Revue bénédictine, 1908, p. 149-160.

 4. La durée de l’enfer, c’est l’éternité. Jubilés, XXXVI, 10; Ps. de Salomon, II, 31, 34; III, 11 sq.; XV, 12 sq.; IV Mac., IX, 9; XII, 12; XIII, 15; Hén., XXII, 11; XXVII, 2; LIII, 2, etc.; Secrets d’Hénoch, X, 6. Cf. IV Esd., VII, 42-45, 105; Philon, De cherubim, 1; De execr., 6; Josèphe, loc. cit.; Testam., Zabulon, 10; Aser, 7.

 5. Qui sont les damnés? Des anges déchus et tous les méchants, spécialement les Juifs apostats. Hèn., X, 13-14; XXVII, 1; LIV, 6; XC, 24-26; Assomption de Moïse, X, 10; IV Esd., VII, 35; Testam., Siméon, 6; Zabulon, 9. Les démons torturent les hommes. Hén., LIII, 3, 5; LVI, 1-4; Secrets d’Hénoch, X, 3; Testam., Ruben, IV, 6.

 6. Moment de l’entrée en enfer. D’après Josèphe, De bello judaico, II, VIII, 11, les esséniens croyaient cette entrée réalisée de suite après la mort et c’était aussi l’opinion générale chez les hellénistes. Le judaïsme palestinien, au contraire, distinguait presque unanimement une sanction provisoire et une sanction définitive après la sentence du dernier jugement. Hén., X, 4-6, 12; XVIII, 1-6, 12-16; XXI, 1-7; XXII, 1-9, 11-13; IV Esd., VII, 75-101; Jubilés, XXIII, 31;Apoc. de Baruch, 37.

 7. Le lieu de l’enfer, c’est l’Hadès, Ps. de Salomon, IV, 9; XV, 10; Secrets d’Hénoch, XL, 12; XLII, 1 sq., ou le se’ôl, Hén., LXIII, 10; XCIX, 11; CIII, 7, etc.; Jubilés, VII, 29; XXII, 22. Il se trouve sous terre, Secrets d’Hénoch, XXXI, 4; Jubilés, VII, 29; Orat. Manasse, III, 17; à l’occident, dans les cavités d’une haute montagne, Hén., XXII; dans un désert immense où il n’y a pas de terre, Hén., CVIII, 3; au troisième ciel au nord, en face du paradis, Secrets d’Hénoch, X, 1; cf. IV Esd., VII, 36; Testam., Lévi, 3. Le Géhinnom est l’enfer même ou la porte de l’Abîme, du gouffre, la gueule de l’enfer, Hén., XXVII, 1, 3; LIV, 1 sq.; LVI, 8; XC, 26; IV Esd., VII, 36, 38, 84; Apoc. de Baruch, XLIV, 15; Talmud de Babylone, Erubin, fol. 19, 1 : « là entre deux palmiers, où l’on voit s’élever de la fumée. » Cf. Targum de Jonathan, Gen., III, 24; Hénoch, XXVI, 1; IV Esd., II, 29.

 Dans l’enfer enfin il y a des régions séparées, promptuaria animaram, IV Esd., IV, 41; ordinairement au nombre de deux pour la séparation des bons et des méchants, cf. Luc., XVI, 23; au nombre de quatre, Hén., XXVII, 2; LVI; 4 : deux pour les justes et deux pour les pécheurs dont une temporaire avant le jugement, l’autre définitive, l’abîme de feu éternel après le jugement. Voir les textes cités au sujet de la durée de l’enfer.

 8. Pour les rapports des damnés avec Dieu, tous ces livres en indiquent quelques traits. Le IVe livre d’Esdras, III-XIV, contient eu particulier une des spéculations les plus élevées de la théologie juive, surtout VII-IX, sur la nature, les causes, les raisons de la damnation. Il est vrai que cet écrit a dis être remanié par une main chrétienne.

 9. Bien qu’on l’ait contesté, les Juifs hellénistes sont restés fidèles à la pensée juive sur la doctrine de l’enfer. Le livre de la Sagesse et les textes de Josèphe, De bello jud., II, VIII, 11-14; Ant. Jud., XVIII, I, 3; de Philon, indiqués plus haut, de IV Mach., le prouvent. Cf. Oracles sybillins, fragm. III, 43, 49.

 Une exploration détaillée dans le maquis touffu du Talmud serait peu utile: c’est un mélange d’opinions d’écoles difficile à démêler. Au sujet de l’enfer, il y a de-ci, de-là, comme des poussées vers des idées conditionalistes; mais celles-ci ne sont pas absolues; ainsi l’école de Hillel croyait à un enfer de douze mois pour les païens; mais pour les minim (chrétiens), les épicuriens, etc., l’enfer était éternel. Cf. Salmond, art. Hell, dans Dictionary of the Bible, t. II, p. 346; R. Travers Herford, Christianity in Talmud and Midrash, p. 118, 125, 187, 191, 226. En enfer, il y aurait, d’après le Zohar, du feu et de la glace; ce feu a été créé le second jour; ailleurs, il est une des sept choses créées avant le monde. On a prétendu, d’après Josèphe, que les pharisiens admettaient la métempsycose dès le temps de Notre-Seigneur; la kabbale fut panthéiste; les Juifs actuels, même orthodoxes, sont généralement universalistes. Cf. art. Judaism, dans The catholic Encyclopedia, 1910, t. VIII, p. 402.

 R. H.Charles, art. Eschatology, dans Eneyelopaedia biblica de Cheyne. t. II, col. 1355-1371; E. Stapler, Les idées religieuses en Palesline à l’époque de Jésus-Chrisl. 2è édit., Paris, 1878, p. 144-149; L. Atzberger, Die chrisitiche Eschatologie in den Stadien ihrer Offenbarung im Allen und Neuen Testamente, Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 136-156; J. Touzard, dans la Revue biblique, 1898, p. 227-241; P.Volz, Judische Eschatologie von Daniel bis Akiba, Tubingue, 1903, p. 270-292; J.-B. Frey, La théologie juive (lith.). Rome, 1910, l’eschatologie définitive. I, IV. Cf. W. Bousset, Dis Religion des .Judenthums im neutestamentlichen Zeitalter, Berlin, 1903; Tixeront, Hisloire des dogmes, Paris, 1906, t. I, p. 31-46, 49-52. Voir t. I. col. 1480-1491. P. Martin, Le livre d’Hénoch, Paris, 1906, p. XXXIV-XXXVII; E. Tisserant, Ascension d’Isaï,e, Paris, 1909, p. 30-31; J. Viteau, Les Psaumes de Salomon, Paris, 1911, p. 56-63.

 II. Enfer dans le Nouveau Testament.*
Saint Jean-Baptiste, pour pousser à la pénitence, avait déjà prêché la colère future et le feu où sera précipité l’arbre infructueux, et la fournaise inextinguible qui consumera la paille rejetée par le vanneur; or, celui-ci va venir nettoyer parfaitement son aire. Lut., III, 7, 9, 17; cf. Matth., III, 10, 12; Joa., III, 36.

 1° Jésus-Christ. — En effet, Jésus-Christ vient enfin et c’est le grand révélateur de l’au-delà. Sur son existence, sur sa nature et sur ses relations avec le Dieu vivant et personnel qui est notre Père, c’est lui qui a apporté aux hommes la certitude et la clarté définitives.

 1. Exhortations. — Jésus commence par prêcher la bonne nouvelle du royaume qui approche, qui se réalise enfin dans l’humanité; il y prépare les âmes; il en promulgue la loi et il exhorte sans cesse à la pratique de cette loi. Il propose pour cela à ses auditeurs des motifs divers; l’un des plus souvent invoqués est tiré du salut éternel qui est en jeu. Il y a, en effet, un état de péché qui pour l’éternité n’aura pas de rémission, mais rendra coupable d’un crime éternel. Marc., III, 29. Cf. Matth., XII, 32; Joa., VIII, 20-24, 35. Et le crime irrémissible aura son châtiment éternel, la géhenne de feu. Dans le sermon sur la montagne, en effet, le Maître recommande, sous peine de ce supplice terrible, la charité fraternelle. Matth., V, 22. Il ordonne de même la chasteté à tout prix, fallût-il sacrifier son oeil droit et sa main, objets de scandale, pour que le corps ne soit pas jeté dans la géhenne. Matth., V, 29, 30. Avant de conclure cette promulgation de la loi nouvelle, Notre-Seigneur ouvre enfin la perspective de deux avenirs différents: aux uns, le royaume des cieux, aux autres, l’éloignement de Jésus qui ne les connaît pas. Matth., VII, 21-23.

 A. Capharnaüm où la foi du centurion excite son admiration, il prophétise la vocation des gentils à la béatitude céleste et la destinée de certains juifs aux ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents, Matth., VIII, 11, 12, ibi erit fletus et stridor dentium. Voir DAM, t. IV, col. 22, pour l’explication des ténèbres extérieures; les pleurs expriment la douleur; le grincement des dents, le désespoir et la rage.

 Aux Douze qu’il envoie prêcher, il enseigne à craindre celui qui peut tuer l’âme et le corps pour la géhenne. Matth., X, 28.

 Mais le résumé le plus vigoureux de ces exhortations morales se trouve dans Marc, IX, 42-48. Cf. Matth., XVIII, 8-9. Le Maître veut prémunir de nouveau ses disciples contre le scandale, cette grande cause de la perte des âmes: « Si ta main te scandalise, dit-il, coupe-la; il vaut mieux entrer manchot dans la vie (éternelle) que d’aller avec ses deux mains dans la géhenne, dans le feu inextinguible, où leur ver ne meurt pas et leur feu ne s’éteint pas. » Le même refrain est répété après deux couplets que le parallélisme rend de plus en plus poignants: « Et si ton pied te scandalise, coupe-le; il vaut mieux entrer estropié dans la vie (éternelle) que d’être jeté avec deux pieds dans la géhenne du feu inextinguible (Vulg.), dans la géhenne, dans le feu inextinguible (texte grec), où leur ver ne meurt pas et leur feu ne s’éteint pas. Et il ton oeil te scandalise, arrache-le il vaut mieux entrer borgne dans te royaume de Dieu que d’être jeté dans la géhenne (du feu), où leur ver ne meurt pas et leur feu ne s’éteint pas. Oui, tous seront salés par le feu comme on sale des victimes avec du sel. » En face du royaume de Dieu, où est la vie, il y aura éternellement un enfer de feu inextinguible, et de ver rongeur indestructible, supplice éternel des damnés. La formule : ubi vermis eorum non moriturr et ignis non extinguitur, est une citation littérale d’ Isaïe, LXVI, 24. Cl. Eccli., VII, 19; Judith, 20, 21.

 2. Paraboles. — La seconde forme d’enseignement du Sauveur fut la parabole. Or, fréquemment sous ce voile symbolique, les perspectives éternelles se cachent de façon à se révéler à qui a les yeux pour voir. Plusieurs ont trait à l’enfer. Cf. Fillion, Commentaire sur S. Matthieu, Paris, 1874, p. 257 sq. Dans une première série qui a pour objet le royaume de Dieu, Matth., XIII; Marc., IV; Luc., VIII, deux nous renseignent sur la destinée des méchants rejetés du royaume: celle de l’ivraie et celle du filet rempli de poissons bons et mauvais.

 Parabole de l’ivraie. Matth., XIII, 24-30. Un homme n’avait semé que du bon grain dans son champ; son ennemi y sème de l’ivraie pendant la nuit. Les épis formés, l’ivraie apparaît et les serviteurs veulent aller l’arracher aussitôt; mais le propriétaire du champ préfère attendre la moisson. Alors il dira aux moissonneurs d’arracher d’abord l’ivraie et de la lier en gerbes pour la livrer au feu. Le Sauveur a expliqué lui-même à ses apôtres cette parabole. Matth., XIII, 37-43. L’homme qui n’a semé que du bon grain, c’est le Fils de l’homme (lui, Jésus); le champ, c’est le monde; le bon grain, ce sont les fils du royaume; l’ivraie, ce sont les fils du mauvais. Le mauvais, l’ennemi qui a semé l’ivraie, c’est le diable. La moisson, c’est la consommation du siècle et les moissonneurs seront les anges. Voici maintenant le sort des méchants: « De même qu’on rassemble l’ivraie et qu’on la brûle au feu, ainsi fera-t-on à la consommation du siècle; le Fils de l’homme enverra ses anges; ils ramasseront de son royaume tous les scandales et tous les ouvriers d’iniquité et ils les précipiteront dans la fournaise de feu; là il y aura des pleurs et des grincements de dents. » Cf. S. Thomas, In Matth., Opera, Paris, 1876, t. XIX, p. 433 sq.

 Parabole du filet. Matth., XIII, 47-50. Le filet retiré plein de poissons, le pêcheur trie les bons poissons qu’il recueille et les mauvais qu’il jette dehors. « Ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Les anges viendront et feront la séparation des justes et des impies et ils jetteront ceux-ci in caminum ignis. Ibi erit fletus et stridor dentium.»

 Dans une autre série de paraboles, voici celle du grand festin, Luc., XIV, 16-24, dans laquelle le Maître déclare qu’aucun des invités rebelles ne goûtera à son repas, symbole de la béatitude céleste; et puis celle de I.azare, le pauvre mendiant et du mauvais riche. Luc., XVI, 19-31. Le pauvre, qui avait souffert avec patience, étant mort, fut porté par les anges dans le sein d’Abraham; le riche sans coeur mourut, lui aussi, et fut enseveli (selon la ponctuation du texte grec). Dans l’Hadès, comme il était dans les tourments, il leva les yeux et vit de loin Abraham et avec lui Lazare. « Père Abraham, cria-t-il, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper l’extrémité de son doigt dans l’eau pour m’en rafraîchir la langue, quia crucior in hac flamma. » Abraham répond : « Mon fils, rappelle-toi que tu as eu du bonheur pendant ta vie et que Lazare n’avait alors que des maux; maintenant il goûte ici la consolation, et toi tu es dans les tourments. De plus, entre nous et vous, a été creusé un abîme immense et personne ne peut plus aller d’ici là-bas, ni de chez vous vers nous. » Ce lieu de tourments, où le feu torture le mauvais riche et qui est séparé du sein d’Abraham par un abîme infranchissable, c’est la partie du se'ôl réservée aux méchants, l’enfer éternel, vu et manifesté par le Verbe incarné.

 Parabole des noces royales. Matth., XXII, 1-14. Un convive est entré sans la robe nuptiale. Le roi le condamne à être jeté, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures, où seront les pleurs et les grincements de dents.

 Para bote des vierges sages et des vierges folles. Matth., XXV, 1-13. Quand les vierges folles reviennent avec leurs lampes garnies d’huile, la porte du royaume éternel est fermée. Elles frappent en vain; l’époux leur répond qu’il ne les connaît pas. Elles sont donc exclues du royaume céleste.

 Parabole des talents. Matth., XXV, 14, 30; cf. Luc., XIX, 1-28. Aux bons serviteurs, qui ont fait valoir leurs talents, la joie du Seigneur; aux serviteurs négligents et inutiles, les ténèbres extérieures avec les pleurs et les grincements de dents.

 Il y aura donc des réprouvés. Du nombre seront les pharisiens hypocrites qui font des païens convertis des fils de la géhenne. Matth., XXIII, 15. Serpents, race de vipère, le Christ, ému de la perte des âmes, les anathématise, ils n’échapperont pas à la sentence de la géhenne (condamnation à l’enfer).

 Dans le grand discours eschatologique enfin, Matth., XXIV-XXV, en parlant de la fin du monde, Jésus déclare que le maître séparera le mauvais serviteur des autres serviteurs qu’il maltraitait et lui donnera sa part avec les hypocrites, au lieu où seront les pleurs et les grincements de dents, XXIV, 51. Puis, solennellement et sans voiles il décrit le dernier jugement et la séparation définitive des bons et des méchants. Ceux-ci seront placés à gauche comme des boucs, XXV, 33, et ils entendront leur sentence: « Retirez-vous de moi, maudits, au feu éternel préparé pour le diable et ses anges, 41. Sentence sans appel, sans sursis, sans fin; car aussitôt ils iront au supplice éternel, 46.

 Dans l’Évangile de saint Jean, les destinées de l’homme sont présentées sous l’idée générale de vie éternelle ou de perte éternelle, III, 3, 15, 16, 18, 36; VI, 40, 52, 55, 59; X, 28; XII, 25, 26, 48, 50; XVII, 2, 12; XVIII, 9; XX, 31. Cette perdition est la peine du dam, plus terrible que celle du feu. Voici encore des traces certaines de la pensée de l’enfer éternel dans le quatrième Évangile. Celui qui ne croit pas au Fils, n’aura pas la vie éternelle, mais la colère de Dieu demeurera sur lui, III, 36. Les Juifs qui mourront dans leurs péchés, ne pourront venir où il va, VIII, 21-24. Le péché rend esclave et l’esclave ne demeure pas toujours comme les fils dans la maison, VIII, 34, 35. Les disciples, qui ne demeureront pas attachés au Maître comme des branches au cep, seront jetés dehors comme des branches stériles; ils dessécheront, on les recueillera pour les jeter au feu où ils brûleront, XV, 2, 6; cf. III, 18; V, 22-25, 29; IX, 39; XII, 31, 46, 48, etc. On voit par là ce que vaut le jugement de R. H. Charles, loc. cil., col. 1318, qui a prétendu que l’auteur du quatrième Évangile était en contradiction avec les Synoptiques au point de vue de l’eschatologie. Les Synoptiques auraient gardé la vieille eschatologie judaïque dont le quatrième Évangile ne parlerait pas pour ne rappeler que l’amour divin universel.

 2° Enseignement des apôtres. — Les apôtres continuent à enseigner implicitement ou même souvent très explicitement la perdition éternelle des méchants. Voir JUGEMENT, RÉPROBATION, pour les affirmations implicites.

 1. Saint Pierre. — Les faux prophètes et les maîtres du mensonge seront punis et vont à leur perte, dit saint Pierre. II Pet., II, 1, 3, 12, 14; III, 7, 16. De même que Dieu a puni les anges rebelles et leur a réservé, après le jugement, les supplices de l’enfer, II, 4, ainsi il réserve les méchants pour les tourmenter au jour du jugement, 9. Le participe zoXa~6i±svovç est au présent et signifie que, torturés dès maintenant, les pécheurs sont réservés à la fin du monde pour un jugement qui ne terminera pas leurs supplices, mais les consacrera au contraire et les rendra comme plus définitivement fixés. Voir t. IV, col. 336. Aux faux prophètes, nuages poussés par la tempête, d’épaisses ténèbres sont réservées, II, 7, et quelques manuscrits ajoutent: in aeternum.

 2. Saint Jude. — Sa courte épître, qui est en étroite relation avec la seconde lettre de Pierre, est dirigée tout entière contre les impies qui nient Notre-Seigneur Jésus-Christ. A eux, la perdition éternelle, celle des anges déchus, réservés aux ténèbres éternelles, 6, celle de Sodome et de Gomorrhe, villes condamnées au feu éternel. Ce sont des astres errants, à qui est réservée pour l’éternité la nuée ténébreuse, 13. Voir t. IV, col. 336.

 3. Saint Jacques. — Il menace d’un jugement sans miséricorde celui qui n’a pas fait miséricorde, îII, 13. Parce que l’apôtre ajoute que la miséricorde l’emporte sur le jugement, il y eut autrefois une curieuse controverse sur ce texte; les uns affirmaient qu’en enfer Dieu exerce une justice rigoureuse à cause de la première partie du verset (Sylvius, Estius). D’autres, à cause de la deuxième partie du verset, admettaient avec saint Thomas que Dieu punit en enfer citra condignum. Le vrai sens est celui-ci : Il n’y a pas éternellement de pardon pour les pécheurs sans coeur pour leurs frères : quant aux hommes charitables à leurs semblables, Ils ne craindront pas le jugement. C’est au feu de la géhenne que la mauvaise langue prend ce feu qui enflamme tout le cours de notre vie, III, 6. Enfin les mauvais riches s’amassent des trésors de colère pour les derniers jours, V, 3; cf. I, 15; II, 19; îIV, 4-8, 12.

 4. Saint Paul — Il n’a pas varié dans son enseignement sur l’enfer au cours de se carrière apostolique et il a toujours affirmé cet enfer éternel. Une réfutation détaillée des théories rationalistes nous entraînerait ici trop loin. R. H. Charles, loc. cit., col. 1382-1386, par exemple, distingue quatre stades dans la pensée eschatologique de Paul, pour aboutir à une doctrine de restauration universelle, ou du moins à la négation de l’enfer éternel. Voir une réfutation générale à PRÉDESTINATION ET RÉPROBATION. Les textes positifs que nous donnerons ici suffiront à notre point de vue.

 Pour consoler les chrétiens de Thessalonique persécutés, Paul leur annonce les futures justices: à eux la joie, à leurs persécuteurs l’enfer éternel, I, 5-9. Aux Galates, l’apôtre affirme énergiquement que ceux qui font les oeuvres de la chair n’atteindront pas le royaume de Dieu, V, 19-21. Même affirmation dans la Ire lettre aux Corinthiens, VI, 9, 10. Avant de recevoir l’eucharistie, les chrétiens doivent se juger eux-mêmes afin de ne pas être condamnés avec ce monde, XI, 32. Il y en a qui périssent, II Cor., II, 15, 16; IV, 3; XIII, 5; et il y a deux cités irréconciliables, VI, 14-18. Il y a deux alternatives éternelles. Rom., II, 2-12. Les oeuvres de la chair de nouveau sont exclues de l’héritage céleste. Eph., V, 5. Il y a des réprouvés à jamais. I Tim., V, 6, 11-15; Il Tim., II, 12-20. Il y a un jugement et une réprobation éternels. Heb., VI, 2, 7-9; IX, 27; X, 26-31.

 5. Saint Jean. — Au voyant de Patmos, Dieu a fait voir aussi les deux cités de l’au-delà, la Jérusalem céleste et l’étang ardent des tourments éternels, XIV, 19; XX, 15; XXI, 8. A tous ceux dont les noms ne seront pas écrits sur le livre de la vie, la damnation, III, 5; XX, 12-15; XXI, 27. Cette damnation qui est l’exclusion du livre de vie, est appelée la seconde mort, II, 1l; XX, 4, 14; XXI, 8; l’extermination, XI, 18. Cette mort n’est pas l’anéantissement, mais une privation de la vie divine, XXI, 8, 27; XXII, 15, en un lieu de supplices éternels et horribles, dont le plus sensible est le feu. Ce lien est le puits de l’abîme, IX, 2. Il est préparé pour quiconque portera le caractère de la bête, XIV, 10, 11. Dieu irrité contre les coupables les tourmentera dans le feu et le soufre en présence des saints anges, et la fumée de leurs tourments montera pendant tous les siècles et les damnés n’auront de repos ni jour ni nuit. A la fin des temps, le diable sera jeté dans le goufre de feu et de soufre avec la bête et le faux prophète, où ils y seront tourmentés jour et nuit pendant tous les siècles, XX, 9,10. Après le jugement, l’enfer et la mort seront jetés dans l’étang de feu ainsi que tous ceux dont les noms ne sont pas inscrits au livre de vie, 14, 15; cf., XXI, 8, 27; XXII, 15.

 Pour résumer en quelques mots le développement de la doctrine de l’enfer dans l’Écriture sainte, nous pouvons distinguer trois phases dans l’Ancien Testament et trois dans le Nouveau. — 1°Pour l’Ancien Testament — 1.Des origines aux prophètes, ce sont concepts rationnels vagues sur les sanctions ultra-terrestres, préservés de toute erreur par l’Esprit divin qui inspire de plus aux auteurs sacrés un vif sentiment des jugements inéluctables de Dieu. — 2.Les prophètes ont la vision nette des sanctions elles-mêmes avec leur durée éternelle: existence d’un enfer de damnation et de supplices positifs sans fin. —3.Les deutérocanoniques, avec un exposé plus étendu de ces supplices et de leurs rapports avec les péchés qui les méritent, commencent à étudier l’importance vitale universelle de cette doctrine de l’au-delà et à s’élever ainsi de plus en plus au-dessus de ce monde qui passe. —2°Pour le Nouveau Testament — 1.Dans l’Évangile, Jésus-Christ révèle complètement la substance de la théologie de l’enfer: dam, feu, inégalité, éternité, châtiment de tout péché mortel après la mort. — 2.Saint Paul développe synthétiquement l’eschatologie infernale, dans le cadre général de sa théologie. — 3.Saint Jean retrace la réalité très complète, partiellement très matérielle, du lieu et des supplices de cet abîme de feu où seront dans les siècles des siècles tous les sectateurs de la cité du mal.

 2°/ Enfer d'après les Pères de l'église.*
 

La foi à l’enfer et à l’enfer éternel ayant été dès l’origine un des éléments fondamentaux, enseignés par Jésus-Christ et ses apôtres à l’Église, non pas implicitement, mais très explicitement, le développement de la connaissance de l’enfer n’a pas passé par les trois phases habituelles : stade implicite, discussions, foi explicite. Cependant, l’histoire de la doctrine de l’enfer chez les Pères de l'église peut se diviser en trois étapes: 1ère: Pacifique possession de la foi. 2ème: Lutte contre l’hérésie. 3ème: Dogme défini.

1ère étape: PACIFIQUE POSSESSION DE LA FOI.

1° Pères apostoliques.

Cf. Didaché autre nom: La Doctrine des Douze Apôtres, I, 1, les deux voies, celle de la vie et celle de la mort, Funk, Paires apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 2;

Epist. Barnabae, I, 18, IV, 13; XX, 1, est enim via mortis aeternae cum supplicio, in quasunt quae perdunt animam hominum, Funk, p. 48, 94, et l’auteur énumère ceux qui seront ainsi damnés: tous les pécheurs.

Saint Clément parle des maudits de Dieu et il les oppose aux bénis de Dieu. Ie Cor., XXX, 8, p. 138.

Selon la IIè ad Cor., qui est un vrai sermon sur le salut éternel, si nous ne faisons pas la volonté du Christ et si nous méprisons ses commandements, rien ne nous arrachera à l’éternel supplice, VI, 1, p. 190;

pour ceux qui n’auront pas gardé le sceau du baptême, vermis eorum non morientur et ignis eorum non extinguetur et erunt in visioneus omni carni, VII, 6, p. 192.
Cf. Is., LXVI, 24.
Voir aussi, XVII, 5, p. 206, postquam emundo exivimus non amplias possumus ibi confiteri (ilop.oXoijasoias) eut paenitentiam agere, VIII, 3, p. 192, 193.
 

Saint Ignace d’Antioche,
Ad Magn., V,1, p. 234, dit que deux choses sent proposées en même temps : la vie et la mort et que chacun ira en son propre lieu. Le châtiment futur, c’est l’exclusion du royaume de Dieu et le feu inextinguible.

Ad Eph., XVI, 1, 2, Funk, p. 226. Enfin, Ad Smyrn., II, p. 276, saint Ignace dit des hérétiques qui prétendent que Jésus a souffert en apparence seulement, qu’après la mort ils seront sans corps et pareils aux démons,

 Saint Polycarpe, Ad Phil. ,V, 3, p. 302. recommande la pratique de la chasteté, parce que les impudiques seront exclus du royaume de Dieu, V, 3 (citation de I Cor., VI, 9, 10).
 

Dans le Martyrium S. Polycarpi (155), l’Église de Smyrne parle de ses martyrs qui méprisaient les tourments de ce monde, se rachetant du supplice éternel en l’espace d’une heure; le feu de leurs cruels bourreaux leur paraissait froid, parce qu’ils avaient devant les yeux le feu éternel et inextinguible qu’ils fuyaient, II, 3, p. 316.

A son tour, Polycarpe répond au proconsul, qui le menace de le jeter dans un brasier : «Tu me menaces d’un feu qui ne brûle qu’une heure et qui s’éteint peu après; tu ignores, en effet, que le feu du jugement futur et de la peine éternelle est réservé aux impies, » XI, 2, p. 326.

Le Pasteur d'Hermas

Dans la troisième vision, la plus importante,  l’Église est représentée sous la forme d’une tour que les anges construisent avec des pierres taillées : les pécheurs, qui veulent faire pénitence ne sont pas loin de la tour; s’ils font vraiment pénitence, ils seront utilisés pour la construction, tant que celle-ci durera, Vision, III, v, 5.
Vision, III, v, 6: "tu veux connaître les pierres qu'on brise et qu'on jette bien loin de la tour ? Ce sont les fils d'iniquité; ils n'ont eu qu'une foi hypocrite et ne se sont pas dépouillés de tout mal. C'est pourquoi ils n'obtiennent pas le salut: ils sont inutiles à la construction à cause de leurs vices; ils ont donc été brisés et rejetés au loin par la colère du Seigneur, car ils l'avaient irrité."
Sources Chrétiennes N°53 bis. p.115-117 Cerf 1968, traduction Robert Joly

Hermas distingue ensuite trois catégories de pierres rejetées loin de la tour:
il y a les croyants qui ont douté et ont pensé trouver une meilleure vie; ils errent et ils sont malheureux on marchant dans des lieux sans chemin;
il y a ceux qui tombent dans le feu et y brûlent: ce sont ceux qui à la fin se sont éloignés de Dieu et n’ont pas fait pénitence de leurs fautes;
il y a enfin les catéchumènes que la chasteté de la vérité effraie et éloigne du baptême, VII, 1-3, p.

 Ici-bas, pécheurs et justes se ressemblent comme les arbres en hiver; tous sont dépouillés et ne donnent pas signe certain de vie. Cf. Sirn., III, p. 526. Mais, dans l’autre vie, aura lieu la grande manifestation: les pécheurs, bois sec et mort, brûleront, parce qu’ils n’ont pas fait pénitence, et les païens, parce qu’ils n’ont pas connu leur créateur. Cf. Sim., IV, 4, p. 528. Dans la Sim., II, n, 2-4, p. 546, le troupeau de la volupté est composé de brebis corrompues, les unes jusqu’à la mort, c’est-à-dire séparées de Dieu pour toujours, les autres jusqu’à la perversion, mais qui feront pénitence. Même enseignement, plus général, dans la .Sim., VIII: les rameaux qui, définitivement, après un délai de pénitence, sont restés secs, pourris, rongés, etc., sont morts pour Dieu à jamais, VI, 4, p. 568, mourront de mort, VII, 3, p. 570; ils ont perdu la vie, VIII, 2, 3, 5; IX, 3, 4, p. 570, 572; ils se condamneront à la mort, XI, 3, p. 574 sq. De même encore, certaines pierres seront rejetées pour toujours de la construction de la tour. Sim., IX, XIV, 2, p. 604. Ceux qui n’ont pas connu Dieu et ont mal agi, sont jugés pour la mort; ceux qui ont connu Dieu et ont mal agi, bien qu’ils aient vu ses merveilles; seront punis doublement et mourront pour toujours. Sim., IX, XVIII, 2, p. 612. Il en sera ainsi pour les sept séries de pécheurs, C. XIX-XXIX, p. 612-626. Enfin, dans les derniers avis de l’ange d’Hermas, Sim., X, II. 4, p. 636, ceux qui méprisent le Seigneur et n’observent pas ses commandements, se livrent eux-mêmes à la mort et le Seigneur donnera leurs âmes aux supplices.

 L’auteur de l’Épître à Diognète, pour convertir son correspondant, invoque deux fois les supplices réservés aux pécheurs, la mort de ceux qui seront condamnés au feu éternel, qui tourmentera jusqu’à la fin ceux qui lui ont été livrés. Funk, p. 408-410. Quelques philosophes ont regardé comme Dieu le feu auquel ils iront, VIII, 2, p. 404.

 2° Les Pères apologistes. — 1. Grecs. — a)Saint Justin.—a. Il atteste d’abord, clairement et explicitement, l’existence et l’éternité du feu de l’enfer pour les démons et pour tous les hommes pécheurs. Apol., I, 8, P. G., t. VI, col. 337. Ils sont punis non pas pour mille ans, comme l’a dit Platon, mais d’une peine éternelle. Saint Justin insiste sur le caractère moralisateur de cette doctrine, 12, col. 341; il réitère l’affirmation du feu éternel, 17, 18, col. 353, 356, avec cette raison nouvelle que tous les méchants retireraient du gain, s’il n’y avait pas d’immortalité; mais l’âme survit et il y a des supplices éternels, 21, col. 361. Enfin, 28, col. 372, il dit de Satan : &&&texte grec&&&. De même, 52, col. 405. Ses affirmations sont aussi claires dans l’Apol., II. Les chrétiens sont persuadés que les méchants et les débauchés seront tourmentés dans le feu éternel, 1, col. 441, quoi qu’en pensent les pythagoriciens et les épicuriens, 2, 7, col. 444, 456. L’Écriture l’enseigne ainsi que l’expérience, puisque les chrétiens ont pouvoir sur les démons lorsqu’ils les menacent du feu éternel, 8, col. 457. Cf. encore Dial. cum Tryphone, 45, 81, 120, 131, 133, 140, 141, col: 572, 668, 753, 780, 784, 796, 797 : seront damnés non seulement les infidèles, mais tous les pécheurs. La Cohortatio ad Graecos et le De monarchia du pseudo-Justin affirment aussi les supplices de l’enfer. Coh., 27, 28, 35; De mon., 3, 4, P. G., t. VI, col. 292, 304, 317-319.

 b. Quant aux doctrines personnelles de saint Justin, il a soutenu d’abord certainement que l’enfer serait retardé jusqu’au jugement dernier; pour les démons, Apol., II, 28, col. 372, à cause du genre humain; cf. Apol., I, 8, col. 457; pour les damnés, Dial. cum Tryph., 5, 80, 105, col. 488, 665, 721. En attendant le jugement dernier, les âmes des méchants et des impies sont dans un lieu mauvais, où elles sont punies, tant que Dieu le voudra, 5, col. 488. D’ailleurs, dès après la mort, les pécheurs sont punis. Apol., I, 12, 20; Cohort. ad Graecos, 35, col. 341, 357, 304. C’est le premier témoignage de la dilatio inferni, qui aura une grande diffusion, surtout dans l’Église latine, jusqu’au VIè siècle. Quelques-uns ont pensé que les mots de ce texte : quamdia eas (animas) esse et puniri Deus voluerit, exprimaient une idée conditionaliste et restreignaient la durée de l’enfer à la libre volonté de Dieu. Tout au moins, telle aurait été l’opinion du vieillard, avec qui saint Justin avait conversé. Cf. H. Martin, La vie future, p. 592. Mais cette interprétation ne s’impose pas, et, d’après le contexte, le quamdiu signifie uniquement que, l’immortalité étant admise, ce serait un gain pour les âmes des méchants de périr; aussi ne meurent-elles pas et sont-elles punies, tant qu’elles existent, c’est-à-dire toujours, leur existence étant d’ailleurs un effet de la volonté de Dieu. C’est ainsi que l’a déjà entendu Moehler, Patrologie, t. I, p. 264. Cf. Schwane, Histoire des dogmes, Paris, 1903, t. I, p. 430.

 b) Talion. — Ce disciple de Justin, encore catholique, affirme explicitement les supplices éternels d’ailleurs différés pour les démons, jusqu’au jour du jugement. Orat. adv. Graecos, 14, P. G., t. VI, col. 838. Il on sera de même pour les hommes, 15, col. 840.

 c) Athénagore. — Les chrétiens ne peuvent être les criminels qu’on dit, eux qui attendent le jugement sévère de Dieu et la damnation. Legatoo pro christianis, 12, P. G., t. VI, col. 916. De même, 31, col. 964, ils n’imitent pas les païens qui seront punis par le supplice du feu. Dans le De resurrectione mortuorum, 18-24, P. G., t. VI, col. 1009 sq., le philosophe athénien fait valoir, pour démontrer la résurrection, la nécessité d’une sanction après cette vie, et pour l’homme tout entier , âme et corps. Le pécheur, qui a été vicieux dans son corps, doit être puni dans son corps et il serait inique et indigne du jugement de Dieu que les âmes seules soient châtiées pour les péchés, commis sur terre.

 d) Théophile d’Antioche, dans ses trois livres Ad Autolycum (169-182), parle, lui aussi, des supplices éternels, réservés aux incrédules, t. I, 14, P. G., t. VI, col. 1045. Les écrivains païens ont volé la doctrine des supplices futurs aux impies et des incrédules aux livres inspirés des chrétiens; elle a donc été ainsi promulguée à tous, Théophile en énumère une dizaine; et il confirme cette doctrine par de longues citations dola Sibylle et divers poètes grecs, 36-38, col. 1109 sq. Les chrétiens ont appris que, pour éviter les supplices éternels, il fallait éviter tout péché, 34, col. 1108.

 2. Latins. — a) Minucius Félix. — Le païen Caecilus connaît la foi chrétienne sur l’enfer, qui est la force des martyrs. Octavius, C. VIII, P.L., t. III, col. 269sq. Cf. C. XI, XII, col. 277 sq.

 L’apologiste chrétien l’expose et la défend, C. XXXIV, XXXV, col. 363. Les méchants préféreraient extingui penitus quam ad supplicia reparari. Et tamen admonentur homines doctissimorum libris et carminibus portarum illius ignei fluminis et de stygia palude saepius ambientis ardoris quae cruciatibus aeternis praeparala... tradiderunt. Et ideo apud eos etium ipse rex Jupiter per torrentes ripas et atram voraginem jurat religiose. Destinatam ripas sibi cum suis cultoribus paenam praescius perhorrescit. Nec tormentis aut modus ullus aut terminus. Illic sapiens ignis membra urit et reficit, carpit et nutnit. Comme les feux de la foudre et des volcans brûlent et ne sont pas consumés, tita paenale illud incendium non damnis ardentium pascitur sed inexesa corporum laceratione nutritur. Eos autem merito torqueri qui Deum nesciunt ut injustos, nisi profanus nemo deliberat. Minucius ne sait pas comment le feu éternel de l’enfer brûlera sans consumer. Il semble dire que le supplice du feu sera différé pour les démons au moins, puisqu’il leur est destiné et qu’ils le prévoient; mais son texte exprime magnifiquement la foi à l’enfer de feu éternel.

 b) Tertullien. — Son eschatologie est dans la note la plus archaïque (ou traditionnelle) et la plus réaliste. Tixeront, op. cit., p. 350. On y trouve d’abord, avec toute la force d’expression du fougueux génie africain, la foi au feu éternel de l’enfer, feu très réel et très corporel, et aussi l’opinion d’une certaine dilatio des peines infernales jusqu’après le jugement, non seulement pour les démons, mais encore pour les damnés. Il esquisse le premier les sentiments et la douleur intime des damnés, et ses controverses avec Marcion lui font éclairer quelques rapports de l’enfer avec les attributs divins.

 a. Enfer éternel et feu corporel. — Apologeticus (de 197), C. XLV, XLVII-XLIX, P. L., t. I, col. 363, 581 sq., l’apologiste répète après tous ses devanciers la réponse radicale aux calomnies des païens:les chrétiens ne peuvent être les affreux criminels que l’on dit, eux qui prévoient aeternam paenam..., magnitudinem cruciatus, non diuturni, verum sempiterni. Puis, il prend l’offensive. Ridemur Deum praedicantes judicaturum,.. et gehennam si comminemur quae est ignis arcani subterranea ad paenam thesaurus; et pourtant les poètes et les philosophes païens admettent, eux aussi, des juges infernaux et le Pyriphlegethon, instruits d’ailleurs par nos Écritures. La métempsycose est absurde. On ne peut non plus pourtant admettre des séries sans fin de résurrections, pour de nouvelles vies terrestres et de nouvelles épreuves, car tout doit avoir un terme et être fixé enfin dans une éternité infinie, ad expungendum, quod is isto aevo boni seu mamo mervit et exin dependendum in immensam aeternitalis perpetuitatem... profani et qui non integre ad Deum in paenam, aeque jugis, ignis. Sur l’action de ce feu, Tertullien répète les remarques rudimentaires de l’Octavius : il ne consume pas, mais il répare ce qu’il brûle, comme celui de la foudre ou des volcans, et les damnés ont ex ipsa natura ejus, divina scilicet, subministrationem incorruptibilitalis; longe alius est qui usui humano, alius  qui judicio Dei apparet, sive de caelo fulmina stringens, sive de terra per vertices montium eructans, non enim. absumit quod exurit, sed dam erogat reparat. Voir, en outre, de nombreuses déclarations, semées çà et là, presque en tous ses ouvrages : De testimonio onimae, 4, col. 686; De paenitentia, 9,11, 12, P. L., t. I, col. 1354 sq.; il faut penser aux supplices éternels, à la géhenne, au trésor du feu éternel pour s’encourager à subir les peines de l’exomologèse, De carne Chrisil, 14, t. II, col. 823; De fuga in persecutione, 12; De resurrectione carnis, 35 : eum potius timendum qui corpus et animam occidat in gehennam, Matth., X, 28 : occidere n’est pas anéantir, car la géhenne a un feu éternel, t. II, col. 858 sq.; Scorpiace, 9; De anima, 7, prouve la corporéité de l’âme par la corporéité du feu infernal, t. II, col. 697, etc.

 b. Dilation de l’enfer jusqu’après le jugement. — Tertullien l’enseigne et cherche à la prouver, De anima, 55-58, P L., t. II, col. 795: il y a un enfer général pour toutes les âmes, excepté pour les martyrs; le démon n’a pas de plus grand souci que de nous empêcher d’y croire. D’ailleurs, et supplicia jam illic et refrigeria, comme le prouve le sort différent de Lazare et du mauvais riche. Dans l’Apologeticum, C. XLVIII, P. L., t. II, col. 591, Tertullien prouve ce délai par cette raison que l’âme sans le corps ne peut souffrir. Cf. C. XXIII, t. I, col. 471 sq.

 c. Douleurs spéciales des damnés. — De spectaculis, 30, P. L., t. X, col. 736 sq., décrit divers damnés et leurs péchés plutôt qu’il n’analyse leurs douleurs intimes. Les persécuteurs saevierunt quam ipsi contra christianos saevierunt flammis insuttantibus liquescentes; les sages coram discipulis suis una confIagrantibus erubescentes; les poètes ad inopinati Christi tribunal Palpitantes; et le feu éternel toujours, pour le tragédien pleurnicheur, pour le comédien dissolu, pour le cocher, in flammea rota totus ruber, pour l’athlète in igne jaculatus.

 d. L’enfer elles attributs divins. — Tertullien, Adv. Marcion., 1. I, c. XXVI, XXVIII, P. L., t. II, col. 277 sq., prouve supérieurement contre Marcion que Dieu devait punir le péché dans l’autre vie. Les marcionites ne niaient pas cependant tout châtiment des pécheurs: le feu du démiurge (distinct de Dieu) devait les saisir au dernier jour. Tertullien leur réplique que le créateur (Dieu) leur préparera alors sulphuratiorem eis gehennam. Plus loin une belle page de théodicée, 1. II, C. XI, XIII, XIV, col. 324-329. La crainte de l’enfer est nécessaire pour nous faire pratiquer la vertu : Horremus terribiles minas creatoris, et vix a malo avellimur; quid si nihil minaretur? delicta gauderent... diabolus illuderet, etc. Si on objecte que Dieu est ainsi l’auteur même dus mal, il faut distinguer mala delicti et mala supplicii, mala culpae et mala poenae. L’auteur du mal du péché, c’est le diable; Dieu est l’auteur du mal de la peine, c’est-à-dire de la justice, car si le supplice est mauvais pour le criminel, il est bon pour Dieu et la justice. Cf. G. Esser, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893; E. F. Schulze, Elemente einer Theodicee bei Tertullian, dans la .Zeitschrift für wissench. Theologie, 1900, t. XLIII; Atzberger, Geschichte, p. 311 sq.

 3° Les Actes des martyrs des IIe et IIIe siècles. — Les bûchers dont ils étaient menacés prêtaient naturellement aux martyrs une belle occasion de prêcher à leurs bourreaux le feu éternel, dont le souvenir faisait d’ailleurs souvent leur force. En dehors des paroles citées de saint Polycarpe, la lettre des Églises de Lyon et de Vienne sur leurs martyrs de 177, n. 7, P. G., t. V, col. 1425, relate que Biblias avait d’abord apostasié, mais qu’elle se repentit au milieu des tourments et qu’elle sortit comme d’un profond sommeil, le supplice qu’elle endurait lui rappelant les tourments de l’enfer éternel. La lettre du clergé d’Achaïe sur la mort de saint André, P.G., t. II, col. 1230, 1235, oppose les tourments qui finissent à ceux qui ne finissent pas. Voir d’autres citations dans Atzberger, Geschichte, p. 612 sq.; Schwane, histoire des dogmes, t. III, p. 286; Perrone, IPraelectiones theolagicae, 32e édit., Rome, 1877, t IV, p. 243 ; Ruinart, Acta sincera, p. 157, 267, etc.

 4° Hérétiques des IIe et IIIe siècles. — Ils ne nient pas qui il y ait dans l’autre vie un sort différent pour les bons et les méchants et une punition de ces derniers par le feu. Mais les gnostiques de toutes nuances ont eu d’étranges opinions sur les damnés, sur la nature et la durée du supplice de l’enfer.

 1. L’ibionisme essénien, qui remonte au IIe siècle, mais dont le principal monument se trouve dans les Homélies et les Recognitions pseudo-clémentines du IIIe siècle, admet l’existence de l’enfer éternel. Tixeront, op. cit., p. 182. Voir Homil., II, 13, 28, 31; XI, 11, 16, 26, P. G., t. II, col. 84, 96, 97, 284, 288, 293; Recognitions, V, 28, P. G., t. II, cal. 1343. Cependant on y trouve aussi affirmé le conditionalisme ou l’anéantissement final des méchants, Homil., III, 6, P. G., t. II, col. 116: per ignis supplicimum finem... accipieni..., ut dixi certo tempore plurinum   igne aeterno vexati exstinguentur. Non enim amplius sempiterni esse possunt, postquam impie se gesserunt: 59, col. 149, in perpetuum post supplicia intereant. Cf. Homil., VII, 7; XVI, 10, col. 221, 373. Bien plus, Homil., XX, 2, 4, 9, col. 449,
452, 456 sq., avec l’éternité des peines pour les hommes damnés, on voit insinuée la restauration future des démons. Cf. Atzberger, op. cit., p. 189 sq., 197, 513.

 2. Les systèmes gnostiques proprement dits bouleversaient tous, de différentes manières, l’eschatologie orthodoxe: sous forme panthéiste avec Valentin, Carpocrate, sous forme dualiste avec Saturnin, Basilde, etc., ils s’accordaient à distinguer dans le genre humain, d’après les parcelles de vie divine tombées directement du Dieu suprême dans l’oeuvre mauvaise du démiurge, les pneumatiques en qui l’élément divin domine et qui seront nécessairement tous sauvés; les psychiques en qui l’élément divin est en lutte avec le principe matériel mauvais et qui, seuls, sont libres de se perdre ou de se sauver (salut particulier), d’après le principe qui triomphera; enfin les hyliques, tous matériels, c’est-à-dire mauvais, tous nécessairement perdus. Le salut étant le retour au Père Suprême de l’élément divin, la damnation est d’abord la privation de ce bonheur et puis, ordinairement, la destruction. Ainsi, d’aprés Valentin, le feu consumera un jour l’univers matériel avec tous les hyliques et les psychiques ayant perdu le salut. Héracléon, son disciple, pensait de même. Cf. Origène, In Joa.,tom. XIII, 19, P. G., t. XIV, col. 429; S. Irénée, Contra haer., I, VII; II, XXIX, 3, P. G., t. VII, col. 512 sq., 814. Marcion avait un système spécial: les hommes, créés mauvais par le démiurge, ont été rachetés par Dieu dans le Christ. Celui-ci, descendu aux enfers pour annoncer ce salut, se voit repoussé par les justes, Abel, Noé, etc., qui croient avoir encore à faire au démiurge trompeur et restent ainsi en enfer, pendant que les méchants, Caïn, les sodomites, croient et sont sauvés. Cf. S. Irénée, Cont. haer., I, XXVII, 3, P.G., t. VII, col. 669; Homil. element., XX, 2, 4, 9, P. G., t. II, col. 448, 452, 457. Il admettait donc une restauration au moins partielle du mal après la mort. Les incrédules, à la fin des temps seront non pas jugés par le Dieu bon, cf. Tertullien, Adv. Marcion., I. 1, C. XXVI-XXCIII; I. Il, C. XI-XIV, mais abandonnés par lui au démiurge qui les châtiera par le feu. Cf. S. Irénée, Cont. haer., I, XXVII, 3, P. G., t. VII, col. 689.

 3. Le manichéisme (IIIe-IVe siècles), dualiste lui aussi,. admit une notion du salut très semblable à celle du gnosticisme: délivrance des éléments de lumière qui sont dans l’homme, le reste étant abandonné aux ténèbres éternelles, d’où il venait. Cependant l’homme est libre de réaliser cette délivrance ou non: les incrédules et les pécheurs erreront, après leur mort, jusqu’à la fin du monde, puis seront jetés dans un enfer éternel. Cf. Tixeront, op. cit., p. 437.

 5° Pères controversistes des IIe et IIIe siècles. — Saint Irénée et saint Hippolyte sont avec Tertullien les principaux dont les ouvrages nous soient parvenus.

 1. Saint Irénée. — Il reproduit l’enseignement traditionnel, énonce plusieurs bons principes de théologie et adopte l’opinion du délai de l’enfer. Il est même probable que celle-ci a passé par lui des millénaristes asiates, à l’occident, à Tertullien et à ceux qui les ont suivis. Cf. Ataberger, op. cit., p. 247 sq.

 a) Enfer éternel et éléments de théodicée. — Les textes très nombreux du Contra haereses ne fournissent que de simples affirmations, parfois avec référence scripturaire, I. II, C. XXVIII, n. 7; C. XXXIII, n. 5; I. III, C. XXIII, n. 3, 4; C. XXV, n. 2-5, P. G., t. VII, col. 809, 833, 962, 968 sq. Dans sa réponse à Marcion, il ébauche la théodicée développée par Tertullien, I. IV, C. XXVII, n. 2-4, col. 1058 sq., et prouve l’enfer par une accumulation des textes des Évangiles et de saint Paul. Dans le C. XXVIII, il applique spécialement aux hérétiques la peine éternelle dont Jésus a menacé les maudits, col. 1061 sq. La damnation de ces impies sert au salut des justes, comme Jésus-Christ est, par sa mort, le salut des uns et la damnation des autres (de ses meurtriers). Dans tous ces passages, saint Irénée se dit le simple écho de l’enseignement des anciens. Cf. encore I. IV, C. XXXIII, n. 1, 11, 13; C. XXXVI, n. 3-5; C. XXXIX, n. 4, col. 1072, 1079 sq., 1092 sq., 1109 sq. Dieu a préparé aux méchants qui ont abusé de la liberté de mal faire: congruentes lumini adversantibus... tenebras,... convenientem paenam. Ils en sont cause responsable; ceux qui fuient la lumiére ici-bas se plongent par le fait dans les ténèbres, sic aeternum Dei qui fugiant lumen, quod continet in se omnia bona, ipsi sibi causa sunt ut aeternas inhabitent tenebras, destituti omnibus bonis, sibimetipsis causa hujusmodi habitationis facti. Cependant, XL, col. 1111 sq., Dieu prépare, de son côté, le feu éternel et les ténèbres, et il punira ceux qui se retirent de lui. Saint Irénée accumule de nouveau ici les textes scripturaires pour montrer contre Marcion que le même Dieu récompense les bons et condamne les méchants au feu éternel. L. V, C. IX-XI, col. 1144 sq., saint Irénée prouve ex professo par les textes de saint Paul que l’homme, esclave des oeuvres de la chair, ne possédera pas le royaume de Dieu. Finalement, les C. XXVI-XXXVI, résument l’eschatologie catholique. Au C. XXVI, 2, cal. 1194, il affirme de nouveau le feu éternel préparé pour le diable et pour tous les apostats qui persévèrent dans leur apostasie; au C. XXVII, n. 2, après plusieurs textes de l’Écriture, il approuve l’argument théologique tiré du péché qui sépare de Dieu, col. 1196, 1197, et il déclare de nouveau que ce n’est pas Dieu qui est responsable du châtiment, mais le pécheur qui separavit semetipsum a Deo voluntaria sententia, comme l’explique Notre-Seigneur, Joa., III, 18 sq., qui male agit, odit lumen. Il développe cette idée et cite l’Apocalypse, C. XXVIII, 1, 2, col. 1197 sq.; enfin C. XXXV, 2, col. 1220 sq., il explique ce qu’est la seconde mort missi sunt in stagnum ignis, secundam mortem. Hoc autem est quod gehenna, quod Dominus dixit ignem aeternum.

 b) Opinion sur le délai des supplices de l’en fer. — Elle est clairement enseignée par saint Irénée, I. V, C. XXVI 2; C XXXI, XXXV, col. 1194 sq., 1208 sq, 1218 sq. Dans le premier texte, saint Justin est loué d’avoir dit que le diable ignorait sa condamnation, jusqu’à la révélation de Jésus-Christ. Depuis qu’il sait que le feu éternel est préparé pour lui et pour tous ses sectateurs, le diable s’est mis à blasphémer Dieu, son juste juge, ce qu’il n’avait pas osé faire auparavant. Voir t. IV, col. 345. Tous les hommes, sauf peut-être les martyrs que l’Eglise praemittit ad Patrem, I. IV, C. XXXIII, 9, col. 1078, doivent d’abord descendre dans l’hadès pour y attendre la résurrection, à l’exemple du Christ qui n’a pas voulu ressusciter de la croix où il est mort, mais après un séjour en enfer. Si saint Irénée affirme que les justes ressuscités régneront sur terre pendant mille ans, il ne spécifie nulle part quel sera l’état des méchants depuis la première jusqu’à la seconde résurrection. Mais au jugement dernier, ils seront jugés et missi in stagnum ignis. Apoc., XX, 12-14. On peut conjecturer qu’avant d’être précipités dans cet enfer de feu, les pécheurs sont, pour saint Irénée, dans les ténèbres et la privation de Dieu (la peine du dam), conformément aux principes exposés plus haut.

 c) Pas plus que chez saint Justin, Dial cum Tryph., 5, il n’y a pas de conditionalisme pour saint Irénée, Cont haer., 1. II, C. XXXIV, 3, col. 836, omnia quae facta sunt... perseverant quoadusque ea Deus et esse et perseverare voluerit... Patre... donante et in saeculum saeculi perseverantiam his qui salvi fiunt, Ps. CXLVIII, 5, 6; C. XX, 4, qui autem... ingratus exstiterit factori... ipse se privat in saeculum saeculi penseverantia. Dieu conserve tant qu’il veut ce qu’il a créé; il conservera les âmes éternellement, comme il l’a révélé; les justess vivront donc éternellement; mais pour les méchants il n’y a pas de vie éternelle. il ne s’agit évidemment que de la vie heureuse éternelle. Cf. 1. IV, C. IV, 5, 6, col. 1035 sq.; I. V, C. IV, 1, col. 1133.

 Enfin, il n’est pas question d’une réconciliation finale dans cette phrase d’un court fragment : Christus... in fine temporum venturus est ad destruendum omne maluns et ad reconcilianda universa, ut omnium impuritatum sit finis, P. G., t. VII, col. 1256. Il ne s’agit que du monde glorifié des élus. Cf. I Cor., XV, 24 sq.; Col., I, 15-20, etc.

 2. Saint Hippolyte (vers 230). Le grand exégète s’est beaucoup occupé d’eschatologie. — a)Éternité et feu de l‘en fer. — Animae peccatorum abripiuntur immaturae a facie Dei, qui eas derelicturus est in tormenti igne. In Prov,., XI, 30, P. G., t. X, col. 620. Sur ces mots Oculi ipsius ut lampades ignis, Dan., X, 6, il dit oportebat... ut praesignificaretur potestas Verbi judicialis exurens, qua impiis ignem juste immittens com buret eos. Fragm. XXV, P. G., t. X, col. 657. yen/t tandem e coelo ludex ludicuns et rom buret omnes aeterno igne puniens; servit autem ejus et prophetis et martyribus et omnibus timentibus eum dabit aeternum regnurn. Comment. in Dan., VII, 22, P. G., t. X, col. 685. Sur Dan., XII, 2 t Alii in opprobrium aeternum, saint Hippolyte explique : qui cum antichristo consentiunt et cum illo in paenis aeternis conjecti, P. G., t. X, col. 688. Cf. In Prov., VI, 27; VII, 26; XXX, 15, 16 Tria insaturabilia... ignis vero nunquam dicit sufficit; nullatenus etiam infernus desinit a recipiendis affligendisque improborum hominum animabus; sicut tartarus in tristi ac tenebroso loco reconditus. P. G., t. X, cal. 621.

 Même doctrine dans les ouvrages dogmatiques. De Christo et antichristo, 5, qui donne le plan de l’ouvrage :quis..., quomodo..., ac quod iniquorum per ignem supplicium; 64, 65 : doctrine des sanctions éternelles après le jugement dernier; une judicieuse et copieuse accumulation des textes classiques, prophétiques, évangéliques, apostoliques, apocalyptiques, sur l’enfer de feu éternel. P. G., t. X, col. 733, 784 sq. Tout cet enseignement se retrouve dans Philosophoumena, X, 9, 34, P. G., t. XVI, col. 3453; Adversus Graecos, 3: ignis inextinguibilis..., vermis igneus non moriens, non corpus corrumpens sed irrequieto doloret ex corpore effervescens et ebulliens; non somnus cessatione et quietem conciliabit; non nox leniet et mulcebit dolores; non mors...; non juvabit exhortatio affinium intercessorum...; donc pas de mitigation, P. G., t. X, vol. 801.

 b) Délai de l’en/fer de feu. — Avant le jugement dernier les âmes des justes et des pécheurs vont toutes dans l’hadès et le controversiste romain s’est demandé quel était là leur état respectif. Adv. Graecos, 1, col. 796 sq. Sa réponse est une théorie singulière, bien qu’elle soit la conclusion logique des deux idées de l’enfer de feu souterrain et de l’hadès souterrain, universel et temporaire. Au plus profond de l’enfer, se trouve le lac terrible de feu; au-dessus, l’hadés receptaculum subterraneum, ténébreuse prison des âmes méchantes; les bons anges y distribuent temporarias paenas, secundum cujusque mores, actiones et facinora; mais personne encore, pense l’auteur, suspicamur, n’a été jeté dans le lac de feu inextinguible et n’y sera jeté avant le jour du jugement. Alors, injusti..., increduli... aeterno supplicio... adjudicabuntur; mais on attendant, pendant que les justes sont à une autre place de l’hadès, place lumineuse, etc., qui est le sein d’Abraham, les pécheurs sont là violemment amenés et maintenus par les anges tortoribus sur les confins de la géhenne. Et qui tam prope sunt audiunt semper agitationem et aestum et non sunt
expertes vaporis et fumi, ab isto calore manantis et assurgentis. Proxima autem visione, videntes terribile et immodicum spectaculum ignis, horrent quasi gelu constricti propter exspectationem futuri judicii, quasi modo jam supplicio affceti. Cf. A. d’Alés, La théologie de S. Hippolyte, Paris, 1906, p. 200-202.

 6° École /hèo/o g/que d’Alexandrie des IIIe et IVe sièclcs.— Des rudiments de théodicée relative à l’enfer se trouvaient déjà dans saint Irénée et dans Tertullien; un autre essai, plus considérable pour la rigueur de la méthode comme pour l’effort et l’extension de la spéculation, a été tenté sur ce point par l’école d’Alexandrie, mais assez malheureusement.

 1. Clément d’Alexandrie. — Tixeront, loc, cit., p. 277, pense que l’illustre alexandrin a été très probablement universaliste, précurseur et maître en cela aussi d’Origène. Voici les textes donnés comme universalistes. Strom., VII, 6, P. G., t. IX, col. 449. Aux holocaustes païens, victimes brûlées on l’honneur des dieux, Clément oppose le feu qui sanctifie (&ym~umv), non les chairs, mais les âmes pécheresses, non pas un feu qu’on tire de la pierre et qui consume tout, mais un feu prudent qui pénètre l’âme, qui la traverse. Cette description s’entend mieux d’un feu réel que d’un feu métaphorique. Quant à la purification opérée par lui, elle n’a pas nécessairement lieu on enfer; Clément opposait aux païens un feu qui consacre, sanctifie des victimes agréables à Dieu; il y en a un tel chez les chrétiens; il ne nie pas qu’il y en ait un autre. Cependant, il semble l’exclure ailleurs. Strom., VII, 2, col. 416. Dieu est sauveur et maître de tous les hommes, des croyants et de ceux qui ne croient pas. L’homme, en effet, est libre de choisir comme il veut et Dieu ne fait que persuader, sans forcer personne à se sauver; et il a été établi que celui qui choisit la vertu, obtiendra la vie éternelle, tandis que celui qui retombe dans le vice restera avec ce qu’il a choisi. D’ailleurs, Dieu a donné à tous la force de choisir le bien, il n’est donc pas cause du mal et de plus il a ordonné les choses pour le salut de tous. Même les châtiments sont cause de salut, soit les châtiments terrestres, soit les châtiments parfaits ultra-terrestres. S’agit-il ici des châtiments de l’enfer ou du purgatoire? Le contexte nous semble imposer la seconde hypothèse, Clément ne faisant dans ce chapitre qu’établir la causalité salvifique universelle de la volonté de Dieu antécédente.

 On cite encore, 12, col. 508, le portrait du vrai gnostique dans ses rapports avec les biens et les maux de ce monde : ceux-ci, il les méprise pour lui-même; cependant, chez les autres, ils l’émeuvent; d’où son esprit de charité; bien plus, il a pitié aussi de ceux qui sont châtiés après la mort et que le supplice force malgré eux à avouer leurs fautes. Cette compassion peut-être excessive s’applique sans doute à ceux qui sont damnés pour toujours, comme l’insinue le »malgré eux».

 Plus loin, 16, col. 541, après de belles pages sur les causes et les remèdes des hérésies et des erreurs, Clément ajoute: Peut-être quelques-uns en m‘écoutant se corrigeront-ils; sinon, ils seront certainement châtiés par Dieu, et devrons subir les admonitions paternelles qui précèdent le jugement jusqu’à ce que la honte les amène au repentir, afin qu’ils ne se jettent pas eux-mêmes par une désobéissance cruelle dans le dernier jugement. Le châtiment divin produit ce retour : Dieu châtie comme un maître ou un père châtie les enfants pour leur utilité; il ne punit pas. Là-dessus observons qu’il s’agit toujours de la conduite de Dieu à l’égard des pécheurs avant le dernier jugement. Par conséquent, il n’est pas question de l’absence de punition dans l’autre vie. D’ailleurs, Strom., IV, 24, P G., t. VIII, col. 1361-1364, où il traite ex professo de la fin des peines, Clément déclare que Dieu punit les péchés; il y distingue de plus les hommes incorrigibles et les guérissables pour ceux-ci, les punitions sont médicinales, mais il s’agit alors certainement des peines de cette vie. La même distinction se retrouve, Strom., VI, 14, t. IX, col. 333; I, 27, t. VIII, col. 920;VII, 2,1. ix, col. 413,416. Voir t. iii, col. 186; W. de Loss Love, Clement of Alexandria not an after death probationist or universalist, dans Biblioth. sacra, octobre 1988. Il est donc probable que Strom., VIII, 16, doit aussi s’entendre des châtiments d’ici-bas. Il pourrait, cependant, se faire que la reddilto mali, définition de la punition, ait vraiment répugné un instant à la bonté idéaliste de l’alexandrin. Il se pourrait aussi que le philosophe d’Alexandrie ait vraiment commencé à platoniser sur ce point. D’après Photius, Bibliotheca, cod. 109, P. G., t. CIII, col. 384, dans les Hypotyposes, Clément aurait enseigné quantité d’erreurs, entre autres sur les migrations des âmes. Cependant Photius ne relate explicitement aucune erreur sur l’éternité de l’enfer. Cf Eusèbe, H. E., I. VI, 14,P. G., C. XIV,t. XX, col. 549; Le Noury, P. G., t. IX, col. 1474 sq.

 D’ailleurs d’autres textes semblent nettement affirmatifs au sujet de l’éternité de l’enfer. Clément parle d’abord fréquemment du salut éternel qu’on peut perdre et à jamais. Strom., I,7; IV, 22; VII, 10, P. G., t. VIII, col. 733, 1345 sq.; t. IX, col. 480; Exhortatio ad Graecos, C. IX, t. VIII, col. 184 sq.; les pécheurs n’entreront pas au royaume des cieux, et ils se réservent le supplice que Dieu a préparé au diable et à ses anges. Il ne reste aux incrédules que le jugement et la condamnation, et sur l’hodie du Ps. XCV, 7-11, à la suite de saint Paul, Clément montre l’éternité immuable après le choix de l’hodie d’ici-bas, col. 196 sq. Dans l’homélie Quis dives salvetur, où Clément parle comme docteur du peuple chrétien, il enseigne clairement la doctrine du salut éternel, C. I, P. G., t. IX, col. 604 sq.; C. XXVI, col. 632; C. XXXIII, col. 640, où il est dit que la négligence du bien est punie par l’éternel supplice du feu. Enfin, dans un fragment, P. G.. t. IX, col. 752, il déclare que les âmes des impies sont immortelles et qu’il leur serait trop avantageux de ne pas être incorruptibles, car Dieu les châtie par le supplice éternel du feu inextinguible. Elles ne mourront pas et n’auront pas de fin à leurs maux.

 En résumé, les textes confus et équivoques qui semblent énoncer le salut de tous, doivent être expliqués d’après les nombreux textes clairs et explicites sur le feu éternel de l’enfer. Cf. Atzberger, op. cit., p. 197 sq., 359 sq. En dehors de l’existence de l’enfer éternel, on trouve très peu de renseignements chez le contemplatif alexandrin sur la nature des peines éternelles: le plus souvent, il parle de la privation et de l’union divine, mais aussi du feu réel et matériel, constituant un supplice positif.

 2. Origène. — Quelle position a-t-il prise dans la question des peines de l’autre vie? Pour l’ensemble, voir ORIGÊNE et ORIGÈNISME.

 Dieu, de toute éternité, a créé nécessairement des esprits, tous ceux qu’il peut gouverner; il les a créés tous égaux. Le bien, cependant, dépend de leur liberté; aussi beaucoup sont tombés, et pour les punir, Dieu a créé la prison du monde matériel. « Ce monde n’est pas autre chose que le lieu de purification des esprits bannis du ciel... A la fin tous les esprits retournent à Dieu; quelques-uns devront encore subir dans l’autre monde une purification par le feu, mais, finalement, tous seront sauvés et glorifiés (âmes humaines ou démons). Alors le mal est vaincu, le monde sensible
aura rempli son rôle, la matière rentrera dans le néant, l’unité primordiale de Dieu et de tous les êtres spirituels sera restaurée. Mais cette restauration de l’état primitif, &&&&&&&&, n’est point la fin proprement dite du monde; elle n’est que le terme d’une époque dans l’évolution sans fin, dans la constante alternance de la chute et du retour à Dieu. Bardenhewer, Les Pères de l’Église, t. I, p. 281. Cf. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., t. I, p. 603-648; Atzberger, Geschichte der christlich. Eschatologie innerhatb der vornicänischen Zeit, p. 402-411; Prat, Origène et l'origénisme, dans les Études, t. CV, p. 592 sq.; Huet, Origeniana, I. II, q. XI, P. G., t XVII, col. 998 sq.; Petau, De angelis, I. III, C. VI, Dogmata theologica, Paris, t. IV, p. 101-105; Tixeront, Histoire des dogmes, t. I, p. 304, 306; Prat, Origène, Paris, 1907, p. 105-109.

 Trois points appartiennent directement à notre sujet.

 a) Restauration universelle, &&&&&&& — Elle est enseignée, De princ., 1. Il, C. III, n. 3, 4, 7, P. G., t. XI, col. 190 sq.; C. X, n. 5, 6, col. 237, 238; 1. III, C. V, n. 4 (trad. de S. Jérôme), col. 328, n. 8; C. VI, n. 3, col. 335 (trad. de S. .Jérôme); n. 6, Col. 338-340; 1. IV, n. 23, col. 391; mais surtout 1. I, C. VI, col. 166 sq., dont voici l’analyse. Le problème est difficile et n’appartient pas aux choses, dont la définition dogmatique soit certaine. Ce n’est donc qu’avec crainte et précaution qu’il faut ici s’avancer. La fin doit ramener à l’unité et tout soumettre au Christ, comme disent l’apôtre et le psalmiste. Quelle est cette soumission? Je pense, dit Origène, que c’est celle dont nous-mêmes désirons être soumis, à laquelle sont soumis les apôtres et tous les saints. La fin, en effet, répond au commencement. Or, dans le principe, tout était parfaitement un; puis la variété vint avec les perfections ou les déchéances diverses. En haut, les anges en ordres différents; puis les hommes qui peuvent se convertir dés ici-bas; puis les démons irrémédiablement déchus, c’est-à-dire pour le monde présent, non absolument, comme on l’a parfois interprété. En effet, ne pourrait-il pas se faire que même les démons dans les siècles futurs redeviennent bons, puisqu’ils sont libres? En attendant, tous sont à leur place, en sorte qu’ils seront rétablis en leur premier état, en divers temps, quelques-uns à la fin des temps seulement. Après avoir souffert de plus grands et de plus graves supplices, par des degrés divers, ils remontent à travers les séries angéliques jusqu’aux choses invisibles et éternelles.

 Cette erreur n’est pas enseignée exclusivement dans le &&&&&, oeuvre de jeunesse. Après les condamnations disciplinaires et dogmatiques de 231 et 232 (synodes d’Alexandrie), Origène ne donna que quelques explications très insuffisantes : un ami aurait indiscrètement publié quelques propositions pas assez réfléchies; les hérétiques auraient altéré ses écrits; voir la citation de sa lettre à ses amis d’Alexandrie, dans saint Jérôme, Apol. adv. Rufin., 1. II, n. 18, P.L., t. XXIII, col. 442, où le salut du diable est nié par Origéne; ibid., n. 17, col. 439 sq., saint Jérôme rejette cette interpolation des hérétiques, comme une fable impossible.

 Les mêmes erreurs sont exposées dans les écrits postérieurs de l’Adamantius. De oratione, n. 27, a un doute en faveur de la conversion du diable lui-même; n. 29, Dieu induit en tentation pour punir et finalement corriger, toutes les âmes sont en effet toujours libres, P . G., t. XI, col. 520, 537-540. Contra Celsum (vers 248), 1. V, n. 15, col. 1201 sq., pour réfuter un blasphème de Celse, prétendant que le feu de l’enfer fait de Dieu un cuisinier, Origène se voit obligé de dévoiler une doctrine, moins adaptée aux simples qui ont besoin de menaces, et pour cela, voilée dans les Écritures, mais claire pour un esprit instruit et attentif: le feu de l’enfer n’a d’autre fin que de purifier les méchants. Au 1. VI, n. 26, col. 1332, l’enfer médicinal encore est confusément indiqué, parce que ce n’est pas une doctrine à enseigner au peuple qui est à peine retenu loin du péché, par la crainte du supplice éternel. Cf. I. VI, n. 72; I. IV, n. 13. L. VIII, n. 51, 52, col. 1592 sq., Celse parle des supplices éternels que les chrétiens font bien de prêcher; Origène ne peut repousser ni le fait, ni le compliment; il dit seulement que Celse amurait dû donner les preuves de cette éternité des supplices et que l’Église fait bien de prêcher cette vérité au peuple; il n’y a pas là l’ombre d’une rétractation, comme on l’a cru parfois. Cf. In Jer., homil. XVI, n. 6; XVIII, 15; In Ezech., homil. X, n. 3, 4, P. G., t. XIII, col. 448, 496 sq., 743 sq.; In Matth., tom. XVII, n. 24, P. G., t. XIII, col. 1548, l’invité sans la robe nuptiale est jeté dehors dans les ténèbres, pour qu’ayant enfin soif de la lumière, il pleure et touche Dieu qui peut le délivrer; In Luc., homil. XXIII; In Joa., tom. XIII, n. 58 : si les hommes se convertissaient à la voix de Jésus-Christ, pourquoi pas les démons? tom. XIX, n. 3, les péchés non rémissibles, in saeculo futuro (Matth., XII, 32), le seront in futuris saeculis, P. G., t. XIV, col. 552; In Epist. ad Rom., I. VIII, n. 11, P. G., t. XIV, col. 1185, de nouveau le mystère des feux universellement purificateurs, quod... perfeccti... silentio tegant nec passim imperfectis et minus capacibus proferant. Cf. Huet, Origeniana, I. III, C. II, q. XI, n. 16, encore d’autres textes, P. G., t. XVII, col. 1023.

 On trouve çà et là, dans l’enseignement homilétique populaire de l'alexandrin, des expressions orthodoxes : In Ps. XXXVI, homil. III, n. 10; homil. V, n. 5, 7; In Jer., homil. XII. 5; homil. XVIII, n. 1, etc.; mais elles semblent n’être que de vagues expressions, comme une citation non convaincue de la foi populaire, mode d’agir trop conforme, d’ailleurs, aux principes d’Origène, sur la façon de parler aux « imparfaits » de sa doctrine mystérieuse.

 Saint Jérôme confirme cette interprétation, Dial. odv. pelag., I, 28, P. L., t. XXIII, col. 522; Epist., CXXIV, ad Avitum, P.L., t. XXII, col. 1061 sq.; Liber contro Joa. Hierosol., P. L., t. XXIII, col. 368 : An Origenis doctrina sit vera qui dixit cunctas rationabiles creturas incorporabiles et invisibiles, si negligentiores fuerint, paulatim ad inferiora labi et juxia qualitates colorum ad quae defluunt, assumere sibi corpora... aetherea, ... aerea... humanis carnibus; ipsoque daemones qui proprio arbitrio cum principie suo diabolo de Dei ministeria recesserunt si paululum resipiscere caeperint, humana carne vestiri, ut acta deinceps paenitentia post resurrectionem eodem circulo quo in carnem venerant revertantur ad vincinium Dei, liberati etiam aereis aethereisque corporibus et tunc omnia genua curvent Deo caelestium terrestrium et infernorum et sit Deus omnia in nobis.

 Il ne faut pas cependant oublier qu’Origène ne parle le plus souvent qu’en formules hypothétiques, en une matière où il croît que rien n’est de foi, que la philosophie est libre de spéculer, et que l’universalité absolue de l’apocatastase n’est pas toujours claire. Origène excepte parfois le diable ou même ne parle que de certains démons. Voir t. IV, col. 350.

 b) Feu de l’enfer. — Origène parle souvent du feu purificateur, feu consumant (les iniquités, non les âmes), etc. Il examine la nature de ce feu. De princ., I. Il, C. X, n. 4, 5, P. G., t. XI, col. 236. Ce n’est pas un feu matériel dans lequel le pécheur est jeté, mais un feu qui naît dans la conscience de chacun. La matière de ce feu, ce sont les pêchés, comme les nourritures malsaines deviennent la matière et la cause de la fièvre corporelle. La conscience donc, sous l’influx divin, se rappelle alors toute la honteuse histoire de ses péchés, et propriis stimulis agitatur atque compugitur. Pour comprendre ce châtiment, il n’y a, d’ailleurs, qu’à considérer les supplices, parfois intolérables, des feux de l’amour, de l’envie, de la haine, ou la torture du déchirement intime du corps et de l’âme: tout cela est purificateur. Cf. S. Jérôme, Epist., CXXIV, ad Avitum, loc. Cit.

 Même doctrine pour les démons. In Num., homil. XXVII, n. 8, P. G., t. XII, col. 789. Cf. Contra Celsum, 1. VI, 71, P. G., t. X, col. 1405; Origerniana, 1. II, C. II, q. XI, n. 5.

 c) Origène n’était pas à proprement parler universaliste; il admettait plutôt des variations indéfinies. En effet, après l’apocatastasis universelle, les esprits heureux et libres, après des siècles, recommenceront à se refroidir pour Dieu, pais à tomber; de là, nouveau monde sensible, nouveaux supplices purificateurs, nouvelle apocatastasis, et ainsi sans fin, pendant toute l’éternité.

 Cette doctrine suit d’abord des principes d’Origène sur la liberté essentielle des esprits et de la nature de la chute qui a occasionné notre monde présent. Puis, elle est affirmée explicitement, De princ., 1. III, C. I, n. 21, P. G., t. XI, col. 302, dont voici la conclusion : Ex quo opinamur quoniam quidem, sicut frequenter diximus, immortalis est anima et aeterna quod in multis et sine fine spatiis per immensa et diversa saecula possibile est ut vel a summo bono ad infima mala descendat, vel ab ultimis malis ad summa bona reparetur. Cf. citation et traduction de S. Jérôme, Epist., CXXXI, ad Avitum, P. L., t. XXII, col. 1061; Huet, Origeniana, 1. II, C. II, q. XI, n. 19, P G., t. XVII, col. 1029.

 Deux textes pourtant enseignent formellement le contraire de cette variabilité indéfinie. De princ., 1.III, C. VI, n. 6, P. G., t. XI, col. 339: In quo statu (apocatastasis universelle) etiam permanere semper et immutabiliter creatoris valuntate est credendum, fidem rei faciente sententia apostoli dicentis :domum habemus non manu factam, aeternam in caelis. II Cor., V, 1. L’autre texte est encore plus catégorique, In Epist. ad Rom., tom.V, n. 10, P. G.,t. XIV, col. 1052 sq., où les propres théories d'Origène, de liberté essentielle, de chute toujours possible sont mises en objection et repoussées par ce principe que la charité peut confirmer une volonté sans détruire sa liberté. Ces deux textes seraient des rétractations. Mais, ils peuvent être aussi des interpolations de Rufin. Les textes postérieurs ne conservent, en effet, pas trace de si formelles rétractations. Voir, par exemple, De princ., 1. III, C. VI, n. 7; In Epist. ad Rom., 1. VIII, n. 11, P. G., t. XI, col. 340; t. XIV, col. 1191. Voir, cependant, encore d’autres textes, In Joa., tom. XX, 19, P. G., t. XIV, col. 617; In Matth., tom. VII, fragm.,P.G., t. XVII, cal. 292. De la variabilité indéfinie, Origène exclut, de plus certainement, l’âme du Christ. De princ., 1. II, C. VI, n. 6, P.G., t. XI, col. 214. Enfin, il serait toujours vrai de dire qu’Origène n’avait aucun scrupule à présenter successivement des hypothèses contradictoires, puisqu’elles n’étaient que des hypothèses.

 Dans la controverse origéniste, la recirculatio indefinita fut une des erreurs les plus anathématisées sous le nom d’Origène. Cf. Epist. pasch., de Théophile d’Alexandrie, P. L., t. XII, col. 777-781; S. Augustin, De civit. Dei, 1. XXI, C. XVII : Maxima propter alternantes sine cessatione beatitudines et miserias et statutis saecularum intervallis ab istis ad illas, atque ab illis ad istas itus ac reditus interminabiles non immerito reprobavit Ecclesia. P. L., t. XLI, col. 731.

 Avec Origène. l’état de pacifique possession est terminé pour l’Orient.

 7° Les Pères latins du IIIe et du IVe siècle. — Ils ne font que répéter les doctrines de Tertullien sur le feu corporel de l’enfer éternel, différé, pour la plupart des auteurs, jusqu’à la fin du monde.

 1. Saint Cyprien.— Il admet le feu éternel de l’enfer, Ad Demetrianum, C. XXIV, XXV, P. L., t. IV, col. 58l sq., édit. Hartel, t. I, p. 368: Cremabit additos ardens semper gehenna et vivacibus flammis vorax paena; nec erit unde habere tormenta vel requiem possint aliquando vel finem; ce texte semble même exclure toute mitigation: Erit tunc sine fructu paenitentiae dolor poenae; inanis ploratio et inefficax deprecatio. In aeternam poenam sero credent qui in vitam aeternam credere noluerunt. Ici-bas, se fait la grande décision : Hic vita aut amittitur aut tenetur. De mortalitate, C. XIV, P. L., t. IV, col. 614; mori timeat, qui... gehennae ignibus mancipatur... Mori timeat qui ad secundam mortem de hac morte transibit. Mori timeat quem... perennibus poenis aeterna flamma torquebit. Cf. Ad Thiberitanos. 7, 10,- P. L., t. IV, Col. 365, 367; Ad Fortunatum, de exhortatione martyrii, n. 3, 5, cal. 683 sq., avec citations bibliques, notamment celle de Apoc., XIV, 10, 11. Voir aussi une affirmation du tartare, aeterna supplicia, perpetaae noctis vastam aeternamque caliginem, dans Epist. cleri rornani ad Cyprianum, n. 7, P. L., t. IV, col. 322.

 Saint Cyprien ne parle pas du délai de l’enfer; ses textes semblent plutôt contraires à cette opinion. M. Turmel, Histoire de la théologie positive, p. 192, la voit dans Ad Demetrianum, 24; mais on peut ne voir là qu’une simple description du jugement dernier et des supplices qui le suivent, comme dans l’Évangile. Cf. Atzberger, op. cit., p. 538-540.

 Le De laude martyrii, longtemps attribué à saint Cyprien, et qui serait, peut-être, de Novatien, renferme de belles considérations sur la vie de l’au-delà, en particulier sur l’enfer, C. VIII, P. L., t. IV, col. 823 Teneat cupiditas ista vivendised quos inexpiabili malo saviens ignis aeterna scelerum ultione torquebit. Teneat cupiditas vivendi, sed quibus et mori poena est et durare tormentum. Cf. C. V, 12 : negatores gehenna complexa aeternus ignis inardescet; C. XX, 21 : une description détaillée de l’enfer, saeviens locus, etc., lieu de pleurs, de flammes, eructantibus flammis per horrendam spissae noctis caliginem saeva semper incendia cumini
fumantis expirat, globus ignium arctatus obstruitar et in varios poenae exitus relaxatur; de supplices multiples décrits d’après Virgile, plus que d’après la sainte Écriture : des poids écrasants, des courses précipitées, des chaînes, des roues, des compagnies insupportables, etc. Ibid., cal. 829 sq.

 Le De Trinitate, qui est certainement de Novatien, C. I, P. L., t. III, col. 888, contient une affirmation de la dilatia inferni et du scheol général où les justes et les méchants attendent, futuri judicii praejadicia sentientes. Même doctrine dans les Tractatus édités par Batiffol, 1900, sous le nom d’Origéne, tr. V, p. 14 sq., 52.

 2. Arnobe. — On sait que son Adversus nationes (Vers 300) est une oeuvre de cathécumène laïc, polémiste sincère, mais médiocre théologien. Il affirme, clairement d’abord, la foi au feu de l’enfer, 1. II, n. 8, 14, P. L., t. V, col. 831, 832. Mais cet enfer semble être pour lui un instrument d’anéantissement des méchants; Arnobe est conditionaliste, audetis ridere nos cum gehennas dicimus et inextinquibiles quosdam ignes, in quos animas dejici ab earum hastibus inimicisque cognovimus. Pourtant, Platon, lui aussi, a cru au Périphlégéthon; et même il croit à l’immortalité de l’âme suppliciée. En cela, il a tort : quod sit immortale quod simplex, nullum posse dolorem admittere; quod autem sentiat dolorem immortalitatem habere non posse. Les âmes jetées dans les flammes sont donc ad nihilum reductae, interitioniss perpetuae frustratione vanescunt. L’âme est, en effet, mediae qualitatis, capable de vie immortelle seulement si elle s’attache à Dieu et au Christ, autrement, haec est hominis mors vera cum animae nescientes Deum per longissimi temporis craciatum consumentur igni fero.

 3. Lactance expose ex professo son eschatologie. Instit. divinae (305-310), 1. VII, C. XIV-XXVI, P. L., t. VI. D'abord dilation  et hadès commun aux justes et aux impies, jusqu’au premier jugement, C. XXI, col. 802, 803. Après la défaite de l’Antéchrist, premier jugement par le feu : tous passent par le feu bien que les justes n’en souffrent pas; les pécheurs et les impies in easdem tenebras recondentur ad certa supplicia destinati. Ibid. Alors, règne millénariste, dernière lutte, résurrection générale; les pécheurs sont condamnés ad craciatus sempiternos. Enfin, le diable avec ses ministres et toute la tourbe des impies, à la face des anges et des justes perpetuo igni cremabitur in aeternam, C. XXVI, col. 814. Dans le C. XXI, col. 802, Lactance essaie un des premiers d’expliquer la nature et l’action de ce feu de l’enfer. Le corps ressuscité ne sera plus comme notre chair terrestre, mais insolubilis ac permanens in aeterriam ut sufficere possit crucialibus et igni sempàiterno cujus natura diversa est ab hoc nostro, lequel a besoin d’aliments. At ille divinus per seipsum semper vivit ac viget sine ullis alimentis, nec admistum habet fumum: sed est purus ac liquidus et in aquae modum fluidus. Non enim vi aliqua sursum versus urgetur, etc. On voit combien cette représentation du feu infernal diffère des tourbillons, des flammes ardentes, impétueuses, fumeuses, etc., de la plupart des autres Pères.

 Ce feu agit aussi sur les damnés: una eademque vi... et cremabit impios et recreabit et quantum de corporibus absumet, tantum reponet ac sibi ipse aeternum pabulum subministrabit. Cette explication n’aura pas de fortune; l’incorruptibilité du corps ressuscité étant généralement admise, il faudra expliquer autrement sa passibilité.

 Cf. 1. VII, C. V : la fin de la création de l’homme est l’éternité de vie heureuse; à ceux qui refusent cette fin, l’éternité des supplices; C. X, XI, l’éternité comme sanction, récompense ou châtiment, col. 768, 769; 1. VI, C. IV, col. 644, 646, les conséquences éternelles de la vie d’ici-bas jouisseuse ou souffrante ; 1. II, C. XIII, mors prima et secunda, cujus non ea vis est ut injustas animas exstinguat omnino, sed ut puniat in aeternum. Cf. Epitome div. instit.. C. LXXII, P. L., t. VII, col. 1091.

 Dans le De ira Dei, il faut noter, C, XXI, P. L., t. VII, col.740, cette pensée: Dieu éternel peut avoir une colère éternelle; donc ira divina in aeternum manet adversus eos qui peccant in aeternum.

 4. Commodien, le premier poète chrétien (chronologiquement, entre 250 et 310), dans ses deux poèmes, aime les descriptions eschatologiques; elles sont semblables à celles de Lactance, dilation, millénarisme, feu éternel de l’enfer. Voir surtout Instr., 11, 4; 39, V. 8 sq.; I,29, V. 16 sq., P. L., t. V, col. 223; Carmen apologeticum, V. 999 sq., 741. sq., 669 sq., édit. Dombart, Corpus de Vienne, t. XV.

 5. Saint Victorin de Pettau, le premier commentateur de l’Apocalypse (vers 300), sur le C. I, 14, P. L., t. V, col. 318, nous dit: flamma ignis... praecepta Dei quae ministrant justis..., incredulis incendium; col. 343: igneum ingredientur stagnum; C. VII, 2, cal. 331, d’après la parabole de l’ivraie, le Seigneur viendra cremare igni aeterno les impies donc, feu éternel de l’enfer. Au C. VI, 9, col. 330, l’exégète semble admettre un hadès commun jusqu’au jugement; l’altare, sous lequel sont les âmes des martyrs est, en effet, non le ciel, mais la terre, sub qua est infernus, région, d’ailleurs, remota a poenis et ignibus, lieu de repos; les impies les y verront; mais, entre eux, se trouve l’infranchissable séparation. Enfin, in novissimo tempore, sanctorum remuneratia perpetua, et impiorum... ventura damnatio. En attendant, dictum est eis exspectare.

 6. Firmicus Maternus, De errore profanar. religionum (vers 347), C. XIX, affirme l’existence du feu éternel de l’enfer. P. L., t. XII, col. 1023 sq.; C. XXVIII, col. 1041; C. XXIX, col. 1043 Sq.

 7. Sans nous attarder à glaner les affirmations toujours identiques d’un dogme alors incontesté dans les traités, lettres, commentaires de Marius Victorinus Afer, de Lucifer de Cagliari, Pro sancto Athanasio, 1. I, Moriendum esse pro Dei Filio, n. 7, 15-18, dc saint Zénon de Vérone, Tract., I, XII 1-3, P. L., t. XI, col. 339 sq.; Tract., II, XXI, 3, col. 458 sq., de saint Pacien de Barcelone, Exhortat. libellus, n. 1l et 12, P. L., t. XIII, col. 1088, et des autres adversaires de l’arianisme, au IVè siècle; sans nous arrêter non plus aux descriptions des poètes latins chrétiens de la même époque, Aquillus Juvencus, Historia evangelica, 1. I, V. 745 sq., 797 sq., P. L., t. XIX, col. 142, 146; 1. III, V. 1-15, col. 215, 216; 1. IV, V. 257-268, 284-305, col. 302-304, etc., nous terminerons et résumerons cette époque de pacifique possession du dogme en Occident, par saint Hilaire de Poitiers et Nicétas de Remesiana ou de Dacie.

 a) Saint Hilaire (+ 366), In Matth., C. V, n. 12, P.L., t. IX, col. 949: Igitur requies nulla gentibus (aux païens morts) neque mortis, ut volunt, campendio quies dabitur: sed corporalis et ipsis aeternitas destinabitur ut ignis aeterni in ipsis sit aeterna materies et in universis sempiternis exerceatur ultio sempiterna. Si igitur gentibus idcirco tantnm indulgetur aeternitas corporalis ut mox igni judicii destinentur, quam profanum est sanctos de gloria aeternitatis ambigere, cum iniquis aeternitatis opus praestetur ad poenam. Cf. C. XXVII, n. 2, col. 1059; In ps. LIV, 14, 19, P. L., t. IX, col. 354, 355; In ps. CXXII, n. 11, col. 673; De Trinotate, I. X, n. 34, P. L., t. X, col. 370-371. Saint Hilaire insiste spécialement sur l’immédiate condamnation des pécheurs à l’enfer, après la mort. In ps. II, n. 48, P. L., t. IX, col. 290 In brevi... exardescit ira. Excipit enim nos statim ultor infernus, et decedentes de corpore, si ita vixerimus, confestum de via perimus. Testes nobis evangelicus dives et pauper: quorum unum..., alium statim poenae regio suscepit. Adeo autem statim poena mortuum excepit, ut etiam fratres ejus odhue la supernis manerent. Nihil illic dilationis aut morae est. Ln ps. LVII, n. 4, 5, col. 371, 372: Neque enim suspenso odhuc judicii tempore quiescere peccatores sine poena erat dignum; viventes itaque eos, cum poenae scilicet sensu, absorbet ignis etiam antequam resurgant. La doctrine catholique, sur ce point, est donc clairement et explicitement énoncée en Occident comme en Orient, où se forma saint Hilaire. Cependant, la théorie de la dilatio inferni y subsistera quelque temps encore, après lui.

 Un troisième point de la doctrine de l’évêque de Poitiers, c’est l’obstination des damnés fixés dans le mal par l’état de terme, In ps. LI, n. 23, P. L., t. IX, col. 323, la conversion des pécheurs n’est possible qu’ici-bas, decedentes namque de vita simul et de jure decedimus voluntatis. Tunc enim ex merito praeteritae voluntatis lex jam constituta aut quietis aut poenae, excedentium ex corpore suscipit voluntatem... Cessante enim voluntatis libertate, etiam voluntatis si qua erit cessabit effectus... Interclusa est ergo libertas voluntatis.

 Enfin, on trouve chez saint Hilaire plusieurs données sur l’état du corps des damnés. In ps. I, n. 14, 15, col. 258-259, ils seront comme pulvis et lutum, sans consistance ni solidité, protriti ut ludibrosa poenae mobilitate jactentur, d’après Ps. I, 4; XVII, 43: non pas anéantis, ce serait un gain pour eux, subsistent autem quia erunt pulvis. In ps. LXIX, 3, col. 491, les pécheurs ressuscités rursum ad poenae... judicium in infima terrae unde emerserant revertentur (enfer souterrain). In ps. CXXXI, 28 : confusione induentur, terreni scilicet et in dedecoris corpore resurgentes. Cf. In Ps. LII, 17, col. 334.

 Saint Hilaire connaissait, certainement, les ouvrages d’Origène qu’il a imités dans ses commentaires, dit saint Jérôme, De viris, 100, P.L., t. XXIII, col. 738; cependant on a vu l’insistance et la netteté de ses affirmations sur l’enfer éternel et l’immutabilité de la volonté après la mort. On pourrait donc dire que saint Hilaire est le premier antiorigéniste de l’occident; toutefois, il ne nomme pas Origène, car, jusque vers 380, comme en témoignent les écrits de saint Zénon, de saint Pacien, de Nicétas, etc., et le silence même de saint Hilaire, les erreurs d’Origéne étaient sans influence en Occident, si même elles n’y étaient pas inconnues.

 b) Nicétas de Reimesiana en Dacie , fin du IVè siècle, rappelle que pour se fortifier contre les tentations, il faut penser à Jésus-Christ, juge sévère qui aeterni ignis praeparator est. De diversis appellationibus D. N, J. G. convenient bus, P. L., t . III col. 866. Explanatio symboli, n. 6, col. 870, Dieu fera le jugement universel, ut reddat singulis secundum opera eorum, hoc est justos ad vitam aeternam constituat, impios autem aeternae poenae subjiciat; n. 11, col. 872, sur l’article vitam aeternam, le catéchète dit: impii vero et tiniqui in tenebras linferi ubi fletus oculorum et stridor dentium. De Spiritus Sancit potentia, n. 17, col. 861, à propos du péché contre le Saint-Esprit: Terribilis sententia! irremissibile dicit esse peccatum..., in perpetuas poenas trudetur.

 II. ÉPOQUE DE LUTTE ET DE CONTROVERSE. — Nous sommes parvenus au deuxième stade de l’histoire du dogme de l’enfer. Ce stade n’aurait pas dû, semble-t-il, exister au sujet d’une vérité de foi explicite et fondamentale, si claire d’ailleurs dans la révélation inspirée. La discussion se produisit sous l’influence d’ailleurs très limitée du puissant génie d’Origène qui troubla un instant quelques esprits, aux IVè et Vè siècles, en Orient, aux Vè et VIè, en Occident. Cf. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909, t. II, p. 195 sq., 333 sq., 429 sq.; Prat, Origène et l’origénisme, dans les Études, janvier 1906, t. CVI, p. 13 sq.; Schwane, Histoire des dogmes, t. III, p. 278-302; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. II, p. 137 sq., 1182 Sq.; Diekamp. Die orgenistichen Streitigkeiten im VI Jahrhundert, in-8°, Munster, 1899; Bonwetsch, Origenisitiche Streitigkeiten, dans Realencyclopädie, 1904, t. XIV, p. 489-493.

 I. ÉTAT DE LUTTE EN ORIENT, IIIe-IVe SIÈCLE. —1° Première phase, 255-374. — Elle va jusqu’aux dernières décades du IVè siècle. A part quelques discussions sans grand retentissement, Origène règne comme le docteur universel, près de qui tous vont s’instruire, en qui tout le monde puise, en Occident, d’ailleurs, comme en Orient. Non pas qu’on admette ses erreurs, même lorsqu’on défend sa gloire spécialement vénérée. Ainsi saint Pamphile dans son Apoologia pro Origene et l’anonyme analysé par Photius, Biblioth.,117, P. G., t. CIII, col. 393 sq., essaient bien de défendre les spéculations eschatologiques du maître, le premier, P. G., t. XVII, col. 608 sq., mais sans rien préciser. Saint Grégoire le Thaumaturge, disciple enthousiaste, dans sa Metaphras. in Ecclesiast., P. G., t. X, parle plusieurs fois, mais en général, des peines de l’au-delà, C. III, 17, col. 996 : Porro in inferis partibus supplicii barathrum vidi impios excipiens; C. IX, 12, col. 1012: ceux qui ne croient pas à l’enfer sont comme des endormis tout à coup saisis, qui tombent subitement dans les supplices. Noter le subito antidilationniste, ce qui est bien d’Origène. Cf. XI, 10; XII, 6, 14, col. 1016, 1017.

 Parmi les origénistes d’Alexandrie, Théognoste laissa sept livres d’Hypotyposes : deux fragments conservés par saint Athanase, P. G., t. X, col. 240, parlent du péché irrémissible contre le Saint-Esprit: Inexpiabilis et citra veniam est, comme il est dit Heb., VI, 4.

 On ne trouve de même rien de bien saillant chez les antiorigénistes. Saint Méthode (+ 311), évêque d’Olympe, dans son Convivium decem virginuns, orat. IX, C. II, P. G., t. XVIII, col 181, expose la doctrine catholique : l’homme a été créé pour un état immobile de gloire éternelle; mais le péché l’a fait tomber en sorte que  in sempiternum maledicto obnoxius foret, si la grâce et la vie chaste ne faisaient rentrer le pécheur dans la terre promise. De même, orat. X, C. IV, non enim aliam postea futuram legem aut doctrinam, sed judicium et ignem. Son traité De resurrectione combat les principes origénistes sur l’évolution, l’origine et la destinée du péché, bien que les fragments conservés n’aient rien de spécial sur la sanction éternelle. Photius, Biblioth., cod. 234, P. G., t. XVIII, col. 296, en fait une analyse succincte; à signaler, n. 10 Porro eradicatum ait malae cogitationis vitium, adveniente naturali morte: nam et ideo mors peccatori inflicta est ut ne malum aeternum foret. Ces expressions n’ont certainement pas un sens conditionaliste comme le remarque Photius: caeterum qua ratione id intelligendum? sciendum hoc etiam ab aliis nostris Patribus fuisse traditum: mors certe per illud tempus quo quis illa defungitur, neque accessio peccatorum (plus de nouveau péché libre et déméritoire) neque subiractio fuerit. Plus loin, n. 19, col. 324 sq., l’évêque de Lycie soutient la nécessité pour l’âme, même avant la résurrection, d’avoir un certain corps pour être passible et souffrir du feu : et il interprète la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, Luc., XVI, au sens réaliste.

 Saint Pierre d’Alexandrie (+ 311) rappelle les supplices éternels, De paenitentia, can. 4, P. G., t. XVIII, col. 473, avec citation d’Isaïe, LXVI, 24. Les traités directement antiorigénistes de l’évêque alexandrin sont malheureusement presque totalement perdus.

 Saint Alexandre d’Alexandrie (+ 328), dans un sermon De anima et corpore deque passione Domini, P. G., t. XVIII, col. 585 sq., enseigne l’enfer éternel sous cette forme générale: l’homme était immortel; le péché précipite l’âme en enfer, lieu ténébreux, où elle est enchaînée par le diable, n. 3, col. 590, et pour toujours. Mais le Christ est venu pour nous rendre la vie éternelle, n. 5, col. 595.

 Saint Eustathe, évêque d’Antioche (+360), écrivit un long traité sur la pythonisse d’Endor et l’évocation de Samuel, pour attaquer Origène et son réalisme sur ce point particulier en même temps que son allègorisme général. P. G.,t. XVIII, cal. 707 sq. Entre autres arguments contre la réalité de l’apparition de Samuel, il fait ressortir le mensonge de cette parole : Gras eris tu mecum. I Reg., XXVIII, 19. Samuel, en effet, était juste, Saul impie; au premier donc le sein d’Abraham, à l’autre le feu de l’enfer que l’évêque décrit languement d’après Luc, XVI, 19 sq. Au n. 20, col. 653, il cite Origéne parlant des anges (déchus), venant trouver Samuel dans un but de salut et il semble ne pas comprendre la pensée générale d’Origène sur la restitution des démons; il lui reproche, en effet, de mettre les anges (du ciel) en enfer.

 Eusèbe de Césarée (+ vers 340) était, au contraire, origéniste, mais on ne lui a jamais rien reproché en eschatologie. Il affirme l’enfer éternel, par exemple, Praepar. evangel, 1. Xl, C. XXXVIII, P. G., t. XXI, col. 944 sq., avec Platon et les textes scripturaires classiques; de même, 1. XII, C. VI, col. 957 sq.; C. LII, col. 1048 sq.; cf. I. VII, C. XVI, cal. 556; Demonstr. evangel., I. III, C. III, P. G., t. XXII, col. 123; 1. IV, C. XIV, col. 289; In. Is., LXVI, 24, P. G., t. XXIV, cal. 524. Saint Athanase (+ 373) fut plutôt favorable à Origène qu’il tâcha d’excuser et de défendre; ici, pourtant comme en tout le reste, il a affirmé l’enseignement de la foi sur le feu éternel de l’enfer. Voir In  Ps. XLIX, 2, 22, P. G., t. XXVII, col. 229, 236; cf. Oratio contra gentes, n. 47, P. G., t. XXV, col. 96; Vita S. Antonii, n. 5, 42, P. G., t. XXVI, col. 848, 905.

 Saint Cyrille de Jérusalem est un autre témoin de notre foi dans ses belles Catéchèses. Cat., XIII, n. 38, P. G., t. XXXIII, col. 817; Cat., XV, n. 26, col. 908, après la fin du monde et la résurrection, le jugement terrible, qui fixe dans le royaume des cieux ou dans le feu éternel; Cat., XVIII, n. 14 : inconvertibilité des damnés; n. 19, col. 1040, la résurrection est éternelle, le pécheur reprendra donc son corps pour l’éternité, corpus accipiet aeternum, mais un corps capable de subir la peine de ses péchés, pour que, brûlé éternellement dans le feu, il ne se consume jamais. Cf. Cat., IV, n. 31; II, n. 15, 16. Enfin Cat., IV, n. 1, col. 453, l’obstination immuable du démon est très bien exprimée.

 Terminons par quelques voix du désert. Saint Antoine le Grand (+ 356) d’abord nous parle éloquemment de l’éternité, de l’impénitence, des supplices et du feu de l’enfer dans les divers écrits qui lui sont attribués. De vanitate mundi et  de resurr. mortuorum, P. G., t. XL, col. 961 sq.; Serm., sect. II, col. 965; Epist., XX, col. 1055 sq., etc. La pensée du salut et du feu éternel à éviter semble enfin avoir été une des fréquentes méditations des pénitents du désert. Cf. S. Athanase,Vita S. Antonii, n. 5, 42; S.Orsiesius, abbé de Tabenne, Doctrina de Institut monachorum, n. 2, 3, P. G., t. XL, col. 871; De sex cogitat. sanctorum, n. 5, col. 896; S. Isaïe, abbé, Orat, I, n. 1, P. G., t. XL, col. 1105; Orat., V, n. 6, col. 1125; Orat., VII, n. 2, etc.; S. Macaire d’Alexandrie, abbé en Nitrie, Homil., IV, n. 23, P. G., t. XXXIV, col. 489 sq.; Homil., V, n. 6; XI, n. 12; XIV, 6, 7, col. 505 sq., 553, 573. On voit par là que la querelle origéniste, si ardente, dans quelques monastères égyptiens, ne devait pas avoir pour objet principal l’eschatologie.

 En résumé donc, l’influence d’Origène fut d’abord à peu prés nulle, au point de vue de l’éternité de l’enfer, sur l’enseignement catholique, même en Orient et à Alexandrie, au XXXe et au IVe siècle.

 2° Deuxième phase, 374-450. — 1. Lutte via/ente. —Saint Épiphane. Dans sa lutte contre l’origénisme (374 - 403), la doctrine de la damnation éternelle occupe une place très restreinte. L’Ancoratus n’y fait que de simples allusions; par exemple, n. 22, P. G., t. XLIII, col. 57; n. 97, col. 193. Dans le Panarion ou adversus haereses on trouve, haer. LIX, n. 10, P. G., t. XLI, col. 1033, l’exposé explicite de l’immutabilité définitive de l’au-delà. Le chapitre qui concerne directement Origène, haer. LXIV, col. 1068, n’a rien sur la restitution, la récirculation, etc. L’Anacephalaiosis, 1.II, I, n. 18, P. G., t. XLII, col. 868, ajoute, il est vrai, que les origénistes osent soutenir que le règne du Christ aura une fin; de même, 1. III, t. XLII, col. 885, que, selon l’enseignement de la sainte mère l’Église, chacun après la mort recevra selon ses mérites, que la damnation sera éternelle, que les morts ressusciteront pour la vie éternelle ou pour le jugement éternel. Cf. encore l’Expositio fidei qui termine le Panarion, n. 18, P. G., t. XLII, col. 817, 820. Mais l’authenticité de ces textes n’est pas absolument certaine. Cf. Petau, De angelis, 1. III, C. VI, n. 6; Bardenhewer, op. cit., t. II, p. 133. En tous cas, saint Épiphane, dans son Epist. ad Joan. Hierosol., n. 5, P.L., t. XXII. col. 522; P. G., t. XLIII, col. 385, traite très explicitement de l’erreur origéniste sur la vie éternelle : audet dicere diabolum id rursum futurum esse quod fuerat... Proh! nefas! quis tam ve cors et stolidus ut hoc recipiat quod... et reliqui prophetae cohaeredes fiant diaboli regno caelorum.

 Didyme l’Aveugle (+ 395), pendant ce temps à Alexandrie, se faisait l’apologiste de son maître et prédécesseur au Didascalée. Sur l’enfer sa pensée n’est pas très claire. Tixeront, op. cit., p. 198, trouve la doctrine de Didyme « correcte » après Mingarelli, Coramenlarius de Didymo, 1. Il, C. XXII, 14, P. G., t. XXXIX, col. 201 Sq. Bardy, Didyme l’Aveugle, in-8°, Paris, 1909, p. 142-143, le croit universaliste; de même P. Batiflol, Apocalastasis, dans Catholic encyclopedia, t. X, p. 599-600; Lucke, Comm. proevia à I’Enarrat. in Epist. cath., t. XXXIX, col. 1738 sq. Voici les principaux textes donnés comme orthodoxes De Trinitate, 1. IX, C. III, P. G., t. XXIX, col. 480; C. vVII, n. 7, col. 580; C. XII, col. 669; I. III, C. XLII, col. 989; De Spiritu Sancto, trad. de S. Jérôme, n. 47, P. L., t. XXIII, col 1074 tradidisse eos sempiterno cruciatui... Ipse igitur... subjecit mulliplicibus longisque cruciatibus, ut nec praesenti tempore, nec in futuro consequantur veniam peccatorum; n. 59, col. 1082: lapsus ad prava ad aoeternam poenarn ducit et tartarum. Cf. Contra manichaeos, C. XV, col. 1105.

 En faveur de 1’apocatastasis origéniste, on cite Enarr. in 1 Pet., I, n. 12, P. G., t. XXXIX, col. 1759: ce que les anges désirent voir, c’est le salut de la fin du monde ou bien c’est la béatitude, indépendante de la fin du monde, alors dicendum est et concupiscere in eum prospicere angelos qui intransgressione quadam inventi sunt. Nom licet eorum quidam pravi sint, attamen delenti supplicio respicientes unde ceciderunt (quod etiam studiosis hominibus compromittitur), habebunt desiderium vel per fenestras ea respicere. Ce texte peut s’entendre, comme le note Lucke lui-même, loc. cit., d’un désir inefficace sans conversion ni effet; à la place de respicientes, c’est à tort, en effet, que les anciennes éditions portaient resipiscentes; ou du moins on pourrait supposer que pravi signifie ici les anges qui avaient commis des fautes légères (opinion de Didyme), non les damnés proprement dits. Cf. Mingarelli, col. 204.

 Mais voici un autre texte plus clairement origéniste,In I Pet, III, 22, col. 1770: Subjectis sibi angelis et potestatibus et virtutibus: sicut enim homines abstinentes a peccatis subjecti sunt, ita et superiora rationalia correcta spontaneis culpis quae forsitan habuerunt ei subjecta sunt, completa dispensatione habita, pro salute cunctorum. D’ailleurs, ajoute le commentateur, même si on comprend dans le texte de saint Pierre les anges qui n’ont pas péché du tout, il restera vrai que tous les genoux fléchiront devant le Christ au ciel, sur la terre et dans les enfers. Est-ce là de 1’universalisme absolu? S’agit-il des démons? du salut de tous absolument ou de tous les anges convertis? D’autre part, il faut avouer que les textes orthodoxes ne sont pas d’une parfaite clarté, quand on sait que les mots éternel, sempiternel chez Origène ne signifient pas nécessairement l’éternité stricte. Cf. In. Epist. Judae, 12, 13. Enfin, Didyme insiste souvent sur le caractère médicinal des châtiments divins.

 A Alexandrie, encore à la même époque et jusqu’en 399, le patriarche Théophile était origéniste. Tout à coup, pour des motifs qui ne semblent pas avoir été tous dignes d’un évêque, il devint violent antiorigéniste. De ses luttes et de ses violences, nous n’avons qu’à citer la condamnation de l’eschatologie origéniste dans ses Epist. paschales, de 401 et 402, aux évêques d’Égypte. Dans celle de 401, n. 8, P. L., t. XXII, col. 779, il déclare la restitutio diaboli, vox impia, et les circuits de chutes et d’ascensions des âmes, deliramenta, fabulae, impiissimum dogma, emprunté aux philosophes, n. 9, col. 780. Au n. 10, c’est un impietatis barathrus de dire que la restitution des démons se fera par la passion du Christ devenu démon, comme il s’est incarné pour les hommes. Cf. n. 15, col. 785; Epist, de 402, n. 9-12, col. 799-8O0. A l’instigation de Théophile, en 399 ou 401, se tinrent trois synodes contre 1’origénisme à Alexandrie, à Jérusalern, en Chypre. L’Epist. synodica d'Alexandrie ad episcopos palaestinos et Cypriae, P.L.,t. XXII col. 762, 767, rappelle l’horrible restitution des démons. Chez nous, répondit le synode de Jérusalem, il n’y a pas d’origénistes, ni de défenseurs de ces pestifera dogmata, tels que la fin du royaume du Christ et la restitution définitive du diable, soumis avec le Christ à l’empire du Père; ceux qui croient de pareilles choses iront en enfer avec le diable et ses anges, etc. P. L., t. XXII col. 77O. En somme, de nouveau 1’origénisme semble avoir été alors plus une sympathie exagérée pour Origène et une discussion de personnes qu’une erreur eschatologique. Ainsi l’évêque Jean de Jérusalem, ami d’Origène, et qui écrivit pour se disculper et aussi pour disculper 1’origénisme, n’a très probablement jamais défendu aucune erreur relative à l’enfer; saint Jerôme ne lui reproche guère que des imprécisions. Voir plus haut, col. 59.

 2. Hésitations et éclaircissements. — A peu près à l’époque de ces luttes violentes en Égypte et en Syrie, ou un peu avant, 1’origénisme se glissait pourtant, et sous forme d’erreur eschato1ogique, plus au nord au sein de la Cappadoce et y déterminait des fluctuations moins violentes, mais plus significatives. Des trois lumières de la Cappadoce, saint Basile sut garder son éclat dans toute sa pureté; quelques-uns doutent de saint Gregoire de Nazianze; saint Grégoire de Nysse fut certainement terni par l’erreur universaliste.

 Saint Basile le Grand (+ 379) expose avec force notre dogme, tout en y joignant ces descriptions imaginatives de la prédication populaire qui ne prétendent pas à la vérité des détails, mais à celle de l’impression générale. Voici d’abord la peine du dam De Spiritu Sancto, C. XVI, n. 40, P. G., t. XXXII, col. 141:
les damnés seront éloignés tout a fait du Saint-Esprit cette séparation est le principe radical de la damnation. Puis une description de la peine du sens, In. Ps. XXXIII, n. 4, P.G., t. XXIX, col. 360 Sq.: les méchants ressusciteront pour l'opprobre et la confusion, lorsqu’ils verront la turpitude et les formes honteuses de leurs péchés imprimées en eux. Et cette confusion éternelle est peut-être plus horrible que les ténèbres et que le feu inextinguible lui-même. Au n. 8, une exhortation morale: Si tu te sens porté au péché, pense au tribunal du Christ, au gouffre profond, aux ténèbres impénétrables, au feu sans éclat qui brûle dans les ténèbres sans éclairs, aux vers venimeux qui dévorent les chairs, insatiables et infligeant par leurs morsures des douleurs intolérables, enfin au supplice le plus grave de tous, la honte et le déshonneur éternels. Cf. In Ps. XXVIII, 2, 7; Homil. tempore famis, n. 9, P. G., t. XXXI, col. 328; Epist, XXIII, P. G., t. XXXII, col. 293 sq.; XLVI, n. 5, col. 377 sq.; Ascetica, De judicio Dei, t. XXXI, col. 653 sq. Saint Basile s’élève directement contre 1’apocatastasis dans les Regulae breviter tractatae, q. CCLXVII, ibid., col. 1264; à la question: Si alius multis vapulabit, alius vero paucis, quomodo dicunt quidam nullum esse poenarum finem? il répond que les textes affirmant l’éternité de l’enfer sont clairs, certains, nombreux et il en cite quatre qui sont classiques. Puis, il indique la raison cachée de la négation de l’enfer: la plupart des hommes prétendent que leur supplice aura une fin, afin de pécher avec plus d’audace. Ensuite, il expose l’argument scripturaire et théologique fondamental: Si le supplice éternel devait avoir une fin. la vie éternelle aurait aussi une fin. Et si on ne peut admettre ceci, on ne peut non plus parler de la fin du supplice éternel, car l’un et l’autre sont également éternels. Cf. Mattb., XXV, 46. Enfin l’enfer saisit le pécheur tout de suite après la mort. Homil., XIII, Exhort. ad sanct. baptisma, n. 8, P. G., t. XXXI, col. 441 sq.

 Saint Grégofre de Nazianze (+ 389 ou 390) a-t-il été du nombre de la plupart des hommes, trompés par les artifices du démon et dont parle son intime ami saint Basile, en niant l’éternité de l’enfer, au moins dans certains passages de ses oeuvres? Tixeront, op. cit., p. 199; P. Batiffol, loc. cit.; Schwane, loc. cit., p. 283, 278, l’admettent après Petau, op. cit., C. VII, n. 14, p. 112. Ch. Pesch, dans Theologische Zeitfragen, 2e série, p. 103 sq.; L. Billot, De novissimis, Rome, 1903, p. 58, le nient.

 Voici d’abord les textes où le saint docteur enseigne nettement l’éternité des peines. Orat., XVI, in Patrem tacentem, n. 7, P. G., t. XXXV, col. 944. Les châtiments terrestres nous sont infligés pour nous faire éviter les supplices sans remède de l’enfer; n. 9, col. 946 : après le jugement dernier, plus de recours, plus de temps pour améliorer sa vie, mais seul le jugement terrible et juste, et puis la séparation, le supplice de l’éternelle ignominie. Cf. Carmen. XIX &&&&&&&; Orat, XL, in sanctum baptisma, n.36, t. XXXVI col 411 :le baptême est une illumination; il faut chercher la lumière, feu purificateur de cette terre. Mais il y a un autre feu, qui ne purifie pas, qui punit les crimes commis, soit celui qui a dévoré les Sodomites, soit celui qui est préparé nu diable et à ses anges, soit aussi celui qui sort de devant la face de Dieu et qui brûle ses ennemis, soit enfin celui le plus terrible de tous, qui est joint au ver sans sommeil, qui est inextinguible, et qui punit éternellement les hommes scélérats. Ce texte, en apparence orthodoxe, est cependant le texte le plus incriminé de saint Grégoire. Celui-ci ajoute en effet: à moins toutefois que quelqu’un n’aime mieux entendre en ce lieu aussi, &&&&&&&&&&, ce feu plus doux et plus digne du Dieu vengeur; d’autres traduisent: entendre tout ceci de façon plus humaine et plus digne de Dieu. Mais reconnaître dans ces derniers mots la négation de ce qui vient d’être affirmé avec tant de force, semble d’abord introduire dans la pensée du saint docteur une singulière contradiction, disent les défenseurs de son orthodoxie. De plus, cette interprétation est loin de s’imposer. Pour Ch. Pesch, Praelect. theolog., t. IX, p. 310, dans ce passage, il s’agit d’un doute, non sur la réalité du feu éternel de l’enfer, mais sur le sens des textes cités, dont saint Grégaire permettrait la discussion, en sauvegardant le dogme. Une autre explication a été donnée en note par les éditeurs bénédictins, P. G., C. XXXVI, col. 412, et elle a été développée par Billot loc. cit.; grammaticalement le mitior ignis ne peut être identifié avec tous ces feux &&&&&&&&; mais, après avoir distingué deux espèces de feux, le feu purificateur du Christ et les divers feux vengeurs (celui de Sodome, celui de l’enfer éternel, etc.), saint Grégoire permettrait de ranger, parmi ces feux vengeurs, le feu qui punit pour guérir, le feu des châtiments terrestres ou du purgatoire en l’autre vie; ce feu est distinct des feux purement vengeurs tels que le feu éternel, quoiqu’il puisse être rangé dans leur catégorie. Cette explication nous semble très probable en soi, et en définitive l’orthodoxie du grand docteur de Nazianze nous paraît certaine. Orat., XXX, 6: la phrase Deus omnia in oninibus, illo restitutionis tempore, ne signifie pas une restitution universelle, mais totale des élus, comme il ressort du contexte. XXXIX, 19, les novatiens refusent la pénitence aux tombés. C’est cruauté, et s’ils ne veulent pas se convertir, ils seront peut-être baptisés dans l’autre monde par le feu: ce dernier baptême n’est pas seulement plus cruel, il est aussi plus durable. Saint Grégoire ne veut pas mettre ses adversaires en enfer; mais, d’après le ton de la discussion, il les suppose de bonne foi, donc capables de faire l’expérience qu’après le péché, on peut être purifié par le feu du purgatoire, qui dévore les scories de la matière comme du foin et consume les légers dérèglements de la nature viciée.

 Saint Grégoire de Nysse (+ après 394). — Saint Germain de Constantinople, au VIIIè siècle dans Photius, Biblioth., cod. 233, P. G., t. CIII, col. 1105, 1106; Nicéphore Callixte au xxv’, H. B., xx,19,P. G., t. cxLvî, cal. 627; récemment, A. Vincenzi, In sancti Gregorii Nysseni et Origenis scripta et doctrinam nova recensio, 5 in-8°, Rome, 1864-1869, t. I, C. I-IX. ont soutenu l’orthodoxie de Grégoire de Nysse en attribuant ses textes erronés à des interpolations, ou même, le dernier, en torturant ces textes pour leur donner un sens catholique. Généralement et unanimement à l’heure actuelle on admet un véritable fléchissement dans la pensée du métaphysicien de Cappadoce. Cf. Bardenhewer, Les Pères de l’Église, t. II, p. 117-121; Tixeront, op. cit., p. 199-200; Schwane, op. cit., p. 279-282, avec réponses à Vincenzi.

 Chez l’évêque de Nysse, il y a d’abord, il est vrai, des textes orthodoxes affirmant l’éternité des peines. Il insiste avec énergie sur l’inextinguibilité du feu, sur l’immortalité du ver rongeur, sur l’éternité de la récompense, Orat. catech., C. XL, P. G., t. XLV, col. 105; dans son sermon Contra usurarios, il menace l’usurier d’éternelle douleur, des châtiments éternels, t. XLVI, col. 436, 452; Dc castigatione, ibid., col. 312, nous apporte l’écho d’un gémissement continuel et inconsolable durant l’éternité. Cf. encore Orat. advenus eos qui difjerunt baptismum, P. G., t. XLVI, col. 417 sq., en notant, col. 428, que le subtil penseur admet, même pour les adultes, une troisième catégorie entre les bienheureux et les damnés. Orat. de pauperibus amandis, ibid., col. 461: pour les méchants le supplice du feu et un supplice éternel: « tu tomberas dans le gouffre très profond et très obscur duquel ne sortira jamais celui qui y est une fois tombé. » Orat, V, De beatitudinibus; De anima et resurrectione, ibid., col. 81, il y a deux parts dans la vie humaine: la première courte, l’autre &&&&&&, pour l’éternité; et le choix est laissé à la liberté pour le bien et le mal, soit pour cette vie, soit pour les siècles sans fin &&&&&&&&&&&&&&.

 Pour diminuer la valeur de ces textes, suffit-il de dire que pour l’origéniste cappadocien le mot « éternel » ne signifie qu’une longue suite des siècles, comme parlent d’autres textes dans les mêmes livres et traités, &&&&&, Orat. catech., C. XXVI, P.G., t. XLV, cal. 49; &&&&&&&&&, De anima et resurect., t. XLVI, col. 72, 152, 157? Mais &&&&&& signifient l’éternité stricte en plusieurs passages de saint Grégoire, par exemple, vie éternelle du Fils, des bienheureux. Et puis resteraient les textes qui nient toute fin de supplices infernaux, et peut-être n’est-il pas nécessaire de mettre l’unité dans l’enseignement de saint Grégoire, qui hésitait, lui-même, sans doute entre la simple expression de la foi catholique et ses spéculations origénistes.

 Ailleurs, il nie donc assez clairement l’éternité de l’enfer pour affirmer l’apocatastase. Orat. catech., C. XXXV, P. G., t. XLV, col. 92. Tout ce que la résurrection ramène à l’existence, ne revient pas à la même vie. Il y a une grande différence entre ceux qui sont purifiés et ceux qui ont besoin de l’être. Ceux qui auront été purifiés, en cette vie, retourneront à l’impassible béatitude; mais à ceux qui ne se seront pas du tout purifiés, comme à l’or souillé, il est clair qu’il leur faut la fournaise dans laquelle, après liquéfaction, le vice mélangé sera séparé, Dieu se conservant leur nature purifiée pour les siècles futurs. Cf. C. VIII col. 36, curatio in praesenti vita, vel in futura vita, et il parle de la chute générale de l’humanité; C. XXVI, col. 68, le Christ est venu sauver, non seulement l’homme qui avait péri, mais encore celui qui nous avait apporté la mort; la vie, la pureté, en effet, revivifie, repurifie tout ce qu’elle approche de mort et de souillé; comme le feu restitue l’or dans sa splendeur avec de la peine et du temps; ainsi la vertu divine; et le démon même ne pourra douter que tout cela (l’enfer) est juste et salutaire, s’il vient à en comprendre le bienfait; mais le travail est long et pénible; à la fin tout étant purifié, et ceux qui gisent maintenant dans le mal ayant été rétablis dans leur premier état, toute créature rendra grâce à Dieu d’une seule voix. Ainsi le Christ a accompli son oeuvre, en délivrant l’homme du péché et en guérissant le vice dans son inventeur. On trouve des textes aussi expressifs, De anima et resurr., P. G., t. XLVI, col. 100, 101, 104, 105, 152, 157-160, la différence d’une vie vertueuse et d’une vie coupable consiste en ce que la première atteint plus vite, la seconde plus tard à la béatitude promise à tous; Orat. de mortuis, ibid., col. 524, 525, 536; Contra Arium et Sabellium, P. G., t. XLV, col. 1292, 1293; De hom. opif., C. XXI, P. G., t. XLIV, col. 201; Orat. quando sibi subjecerit omnia, P. G., t. XLIV, col. 1313 Aliquando ad nihilum transibit mali natura, plene et perfecte deleta ex rerum essentia, divinaque et ab onmi interitu aliena banitas in se continebit omnem naturam ratione praeditam, nullo ex iis qui a Deo facti sunt excidente a regno Dei, quando omni vitio quod rebus fuerat immistum, tanquam aliqua materia, per ignis purgatorii consumpto fusionem, omne quod a Deo ortum habuit tale factum fuerit, quale erat ab initio; le Christ est le premier; tous suivent, de plus ou moins près, donec ad extremum finem mali, boni progressus vitium abolendo pervenerit, etc.

 Sur la nature du feu de l’enfer, saint Grégoire de Nysse repousse-t-il le réalisme, De anima et resurr., P. G., t. XLVI, col. 67 sq.; Orat. catech., C. XL, P. G., t. XLV, col. 106; Orat., III, De resurr. Domini, P. G., t. XLVI, col. 679? Voir FEU.

 Saint Sean Chrysostome, de 375 à 404 (dernier exil), ne cesse de prêcher et la vérité de l’enfer éternel, jamais peut-être, en Orient du moins, n’a été inculquée avec tant de force et de fréquence que par lui. Il développe une théologie spéculative très riche à certains points de vue, et c’est évidemment une mine incomparable de théologie pastorale; il fait des descriptions sobres de détails imaginaires et fidèles à la méthode exégétique littérale. Enfin, il mène une campagne sans trêve contre l’incrédulité et les opinions erronées et scandaleuses qui circulaient çà et là et qui étaient contraires à l’éternité de l’enfer. Avec saint Basile, il dissipe pour l’Orient les dernières ombres de l’origénisme universaliste et met définitivement en plein jour le dogme de l’enfer.

 Ces idées sont simultanément traitées, il faut donc parcourir les textes. Ad Theodor. lapsum, I, 9, 10; II, 3, P. G., t. XLVII, col. 277 sq., 313, conciliation de la violence extrême du supplice de l’enfer avec sa durée sans fin pour le corps et pour l’âme; In Epist. I ad Thess., homil. VIII, P. G., t. LXII, col. 441 sq., il résout cette objection: les textes scripturaires ne sont que des menaces, en répondant que c’est un raisonnement satanique, qu’il réfute ensuite avec clarté, en multipliant les preuves positives: nécessité morale, consentement universel et l’histoire montre
que Dieu, de fait, réalise ses menaces les plus terribles; In Matth., homil. XI, 7; homil. XIII, 5, 6, P.G., t. LVII, col. 200, 214 sq., après les preuves, il répond à l’objection : personne n’est revenu de l’enfer, en disant que Jésus-Christ est descendu du ciel pour nous le révéler; puis en montrant l’insuffisance des sanctions d’ici-bas; homil. XVI, 7, 8, ibid., col. 248 sq., il dit qui seront les damnés, tous les pécheurs; homil. XXVI, 3, 4, ibid., col. 416 sq., existence, éternité, justice de l’enfer pour un seul péché; le péché est un mal, plus grand que l’enfer; homil. XLIII, 4, 5, ibid., col. 461 sq., la fournaise de feu, l’horrible éternité; un discours sur l’enfer est attristant, mais nécessaire; homil. XLIII, 7-10, ibid., col. 317 sq., peines du dam et du sens: la première plus terrible que mille géhennes, éternité. In Joa., homil. XII, 3, P. G., t. LIX, col. 86, résumé de la théologie de l’enfer. De même, In Epist. ad Rom., homil. XXV, 4-6, P. G., t. LX, col. 632 sq., il résout l’objection tirée de la bonté divine et de la justice contre l’éternité châtiant la faute d’un instant; sa réponse propose l’exemple de la justice humaine, et prouve la nécessité morale de cette sanction, autrement Paul, Néron et le diable seraient heureux ensemble; il démontre l’existence de l’enfer, puis fait une charge à fond contre l’apocatastasis il n’y a pas d’insensé qui la puisse soutenir; ceux qui l’affirment en porteront le châtiment terrible, car ils perdent les âmes, de même ceux qui les écoutent; mais non, revenez à la vérité et craignez la géhenne qui est nécessaire pour vous convertir. De même, homil. XXXI, 4, 5, col. 673 sq., sortie contre les universalistes et démonstration de l’éternité et de l’inégalité des peines; la racine de l’incrédulité ici, c’est la corruption du coeur; il réfute les objections des incrédules qui se plaignent de ce que Dieu ne punit pas (ici-bas) et de ce qu’il punit (en enfer); le lieu de l’enfer importe peu à connaître; il doit être, simple opinion, totalement on dehors du monde; il faudrait parler de l’enfer, partout; toutes les peines d’ici-bas sont des plaisirs en comparaison de l’enfer; il résout l’objection des miséricordieux: les incrédules seuls seront on enfer, car les chrétiens auront cru au Seigneur; la foi sans les oeuvres méritera une damnation encore plus terrible : dangers des pensées légères et fausses sur ce sujet, résumé de preuves. In Iam ad Cor., homil. IX, 1-3, P. G., t. LXI, col. 75 sq., il veut traiter ex professo l’importante question que tous désirent savoir : si le feu de la géhenne aura une fin. Son éternité est affirmée par le Christ et par Paul; l’objection tirée de la justice est résolue: il y a justice, car le pécheur persiste incorrigible dans sa révolte après tant de bienfaits; ce discours est terrible, mais nécessaire; l’orateur tremble le premier; de multiples raisons enlèvent toute excuse aux pécheurs; la justice humaine agit ainsi. Si on objecte l’amour de Dieu, il répond que Dieu impose des préceptes faciles, toujours possibles et que sa bonté offensée exige l’enfer; si on objecte le texte de Paul : Salvabitur quasi per ignem, il répond que ce texte signifie que les actions mauvaises périront et le pécheur avec elles, puis il observe que le texte dit: salvabitur, c’est-à-dire que le pêcheur subsistera, qu’il ne sera donc pas anéanti et qu’il sera dans le feu; In IIam ad Cor., homil. IX, ibid., col. 463 sq., nouveau sermon avec considérations habituelles; de même plus ou moins complètement In Epist. ad Phil., homil. III, 4; XIII, 2, P.G., t. LXII, col. 203 sq., 279, le dam, plus terrible que le feu. In Epist. IIam ad Thess.,homil. II, 3, 4; III, 1, col. 475 sq., 479, illusion chez beaucoup sur la terrible éternité. In Iam ad Tim., homil. XV, 3, ibid., col. 583 sq., enfer, effet de l’amour de Dieu qui par la crainte conduit au salut; sans les menaces de la géhenne, nous y tomberions tous: nouvelles preuves, In Epist. ad Philem., homil. III, 2, ibid., col. 717. Enfer et amour de Dieu : discours pour vider la question. Dieu donne par pur amour tout ce qu’il donne et il nous a donné le surabondant; mais le plus grand don de sa bonté, c’est la liberté responsable; la perspective de la sanction est nécessaire à la vie humaine; maintenir la responsabilité morale, c’est donc l’essence même de la bonté. Donc Dieu, parce qu’il est bon, a créé la géhenne. Objection : il n’a fait que des menaces; mais elles seraient un vain fantôme inefficace. In Epist. ad Heb., homil. I, n. 4, col. 18 sq., feu éternel, société des démons, ténèbres qui font isolement complet au milieu de cette foule; plus de pitié de la part de personne; homil. XX, 1; XXVIII, 4, ibid., col. 143 sq., 196 sq. : terrible éternité. In ps. VII, 11-12, P. G., t. LV, col. 97 sq., enfer et conduite de Dieu sur ce point, preuves de son amour miséricordieux infini; de même, Ad Slogyrium, I, 3, 4, P. G., t. XLVII, col. 430 sq., Dieu a permis qu’il y ait des damnés pour les élus qui méritent la gloire par la liberté victorieuse du démon, etc. Les homélies De paenitentia, celles In Lazarum et divitem, le De sacerdotio, etc., sont aussi explicites, inculquant la foi, expliquant le dogme et développant magistralement l’apologie.

 A Antioche et à Constantinople, saint Jean Chrysostome prêche donc comme continuellement l’enfer aux chrétiens de cette civilisation grecque raffinée, jouisseuse et souvent corrompue.

 On a cru voir l’opinion de la mitigation, In Epist. ad Philip., homil., III, 4; In Act. Apost., homil. XXI, 4. Voir MITIGATION.

 Saint Cyrille d’Alexandrie, neveu et successeur du farouche antiorigéniste Théophile, va nous faire constater le triomphe du dogme de l’enfer à Alexandrie même, dans la première moitié du Ve siècle (+  44-1). Il affirme l’éternité du feu et des supplices de l’enfer. In ps. X, 6, P. G., t. LXIX, col. 793, il déclare que les méchants qui sont tombés en enfer n’en sortiront plus. In ps. XXV, 13, col. 921; In ps. LXII, 10, col. 1125; In Is., LV, 11, 1..&V, tom. VI, P. G., t. LXX, col. 1413: ce supplice éternel est la punition de leurs fautes, et la raison de son éternité est que leur malice ne peut cesser. Cyrille applique le texte d’Isaïe, LXVL, 24, littéralement à la prise de Jérusalem; il ajoute que d’autres l’entendent de la fin du monde et de l’époque à laquelle les méchants seront jetés dans les flammes éternelles où leur ver vivra toujours, où le feu est inextinguible. Ibid., col. 1449. Dans l’homil. XIV, De exitu animi et de secundo odventu, P. G., t. LXXVII, col. 1072 sq., il trace une vive image de l’éternité du feu et de la justice de l’enfer, de la domination des démons, des peines diverses, dam, remords, désespoir, ténèbres, dans un lieu souterrain, etc., de la continuité de l’éternité de toutes ces peines. Sur un point, saint Cyrille d’Alexandrie semble revenir en arrière, lorsque, Advers. anthropomorphitas, C. XVI, P. G., t. LXXVI, col. 1104, il affirme le délai de l’enfer: avant la résurrection, il est absurde de croire à une rétribution des justes et des méchants. Cf. In Luc., XVI, 19, P. G., t. LXII, col. 821 sq., mais ceci peut s’entendre d’une rétribution corporelle. Voir S. CYRILLE, t. III, col. 2522.

 Théodoret de Cyr, vers le même temps enseigne le dogme intégral de l’enfer aux Grecs de Syrie. Aux païens d’abord. Graecar. affection. curatio, C. XI, De fine et judicio, P. G., t. LXXXIII, col. 1093 sq. Après avoir exposé les opinions des philosophes, de Platon surtout dont il cite longuement les textes sur l’enfer éternel pour les « incurables », il arrive aux dogmes sacrés de l’Évangile: le jugement, surtout d’après Matth., XXV, les sentences de condamnation au feu et aux supplices éternels pour les incrédules et de récompense éterneleaux justes. La même doctrine est donnée aux catholiques dans le Haeretic, fabular. compendium, 1. V, C. XX, De judicio, P. G., t. LXXXIII, col. 517; il y aura résurrection des corps et l’âme ne subira pas seule les châtiments des péchés, et ce sera, non pas pour quelque temps, mais pour les siècles infinis, puisque l’Écriture affirme la vie éternelle et le supplice éternel; C. VIII, col. 473 sq., il montre la justice de l’enfer, spécialement pour les démons: le péché est un acte libre; In Mich., V. P. G., t. LXXXI, col. 1764, les démons, restant inguérissables, seront à jamais séparés du troupeau élu; In Is., LXVI, 20, col. 485, dans l’autre vie les justes et les pécheurs vivront les uns autant que les autres, car ils sont immortels et la punition des pécheurs est éternelle comme le bonheur des justes est éternel. Il semble inutile de disculper Théodoret de «miséricordisme»; les increduli du premier texte cité sont les païens incrédules, auxquels parle l’évêque de Cyr, mais sans exclure évidemment les pécheurs chrétiens. Cf. Garnier, Dissert. de fide Theodoreti, C. VI, P. G., t. LXXXIV, col. 443 sq.

 L’Église syriaque finalement enseigne elle aussi, au IVe siècle, le dogme catholique de l’enfer éternel.

 Aphraate affirme l’éternité de l’enfer, Demonst., XXII, 18; VIII, 19, 20; VI, 18, Patrologia syriaca de Mgr Graffin, Paris, 1894, t. I, col. 1028, 396, 400, 309. Le premier texte dit : neque impii resipiscent regnumque ingredientur; neque justi peccabunt amplius ut ad cruciatur abeant. Il admet l’inégalité des peines, les ténèbres, le feu, le ver, XXII, 22, 23. Ibid., col. 1032, 1033.

 Saint Éphrem enseigne aussi ces deux points de dogme: le second, Opera, Rome, t. III, p. 243, 637, 638; Hymni et sermones, t. II, p. 423; le premier, Opera, t. III, p. 243; Hymni et sermones, ibid. Les deux textes, Opera, t. III, p. 205; Carmina nisib., LIX, 8, ne nient pas l’éternité de l’enfer, mais font simplement une hypothèse impossible. Cf. Tixeront, op. cit., p. 209, 220, 221.

 II. CONTROVERSE ORIGÈNISTE SUR L’ENFER EN OCCIDENT. — 1°Origénisme. — A partir de 380, l’influence d’Origéne pénètre en Occident par saint Ambroise qui « remanie » ses commentaires, dit saint Jérôme, Epist., XLVII, 7, P. L., t. XXII, col. 749; par saint Jérôme lui-même, qui traduit les homélies du grand exégète alexandrin. Mais c’est surtout Rufin, par la traduction du De principiis, en 397, qui fait connaître aux Latins quelques principes erronés de l’origénisme. Le traducteur infidèle supprima, en effet, les erreurs concernant la sainte Trinité, mais laissa entières celles qui concernaient l’eschatologie. L’effet fut considérable et les esprits furent bientôt bouleversés. Cf. Tixeront, op. cit., p. 334-336. L’origine du péché, la résurrection, la conversion du démon et la restitutio omnium in aequalem statum, le feu métaphorique de l’enfer, voilà ce qui séduisit de très nombreux prêtres, moines, surtout hommes du monde. Cf. S. Jérôme, Apal. adv. libr. Rufini, I, 6, 7, P. L., t. XXIII, col. 419sq.; Episl.,LXII, 2; LXXXV, 3; CXXVII, 9, P. L., t. XXII, col. 606, 753, 1092; In Jonam, III, 6, etc.; S. Augustin, De civilate Dei, 1. XX, C. XXII; 1. XXI, C. IX, 2; X, 2; XVII-XXII, P. L.. t. XLI, col. 694, 723,725, 731 sq. Enchiridion, CXII, P. L., t. XL, col. 284.

 Outre cette influence générale sur une foule anonyme qui vraisemblablement ne put être qu’une petite minorité relativement à la masse catholique, il faut rechercher si l’origénisme s’est introduit dans l’enseignement des docteurs et des Pères de ce temps, saint Ambroise, l’Ambrosiaster, Rufin, saint Jérôme. Pour saint Ambroise, on trouvera un résumé suffisant des divers points de sa doctrine, t. I, col. 950, 951. Cf. de plus Tixeront, op. cit., p. 347,348; D. J. E. Niederhuber, Die Eschatologie des heiligen Ambrosius, Paderborn, 1907; Billot, De navissimis, p. 58, note 1. Une étude détaillée des textes permet d’affirmer que l’évêque de Milan prêche sur l’enfer presque aussi souvent et avec autant de force, sinon de talent et de vérité intégrale, que son modèle saint Basile ou son contemporain saint Jean Chrysostome.

 L’Ambrosiaster enseigne clairement l’éternité de l’enfer. In Episit. ad Rom., II, 4, 5, P. L., t. XVII, col. 65; In Epist. IIam ad Thess., I, 6-9, col. 455. Il semble parler d’une restauration des anges déchus, In Epist. ad Eph., III, 10, col. 382, 383; ou du moins d’une restauration universelle des chrétiens, In Epist. ad Rom., V, 14; In Epist. Iam ad Cor., XV, 53; III, 10-15; In Epist. IIam ad Tim., II, 20; In Epist. ad Eph., I, 10, 22, 23, col. 374, 376; mais les textes sont obscurs. Cf. Tixeront, op. cit., p. 340; Turmel, Histoire de la théologie positive, t. I, p. 187.

 Rufin et saint Jérôme ont été mêlés aux controverses origénistes nées en Orient. Enfin resta attaché à la mémoire d’Origène, mais il ne défendit pas les erreurs origénistes pour cela. Saint .Jérôme l’ayant suspecté sur l’apocatastasis, il s’en défend vigoureusement dans l’Invectiva adv. Hier., 1. I, n. 10 sq., P. L., t. XXI, col. 547 sq.; de même dans l’Apolog. ad Anastasium, n. 5, ibid., col. 625, 626 : Si quis ergo neyat diabolum aeternis ignibas mancipandum partem cum ipso aeterni ignis accipat ut sentiat quod negavit. Cf. Comm. in symbol., n. 47, 48, ibid., col. 385, 386 la restauration du diable est une hérésie; les pécheurs obsque interitione sua debitas luant poenas; résurrection pour l’immortalité dans la peine comme dans le bonheur. Il n’y a pas de raison pour subtiliser avec saint Jérôme sur l’insuffisance prétendue de pareilles déclarations. Cf. Apol. adv. Ruf., II, 6, P. L., t. XXIII col. 428; Petau, loc. cit., C. VIII, n. 11, p. 117.

 Le cas de saint Jérôme est plus compliqué. Cf. Tixeront, op. cit., p. 341-343; L. Sanders, Études sur S. Jérôme, in 8°, Bruxelles, 1903, p. 345-382; Schwane, op. cit., p. 290-295; Petau, op. cit., C. VII, 9 11; C. VIII, 9, 10; Ch. Pesch. Theologische Zeitfragen, 2e série, p. 190 sq.; Batiffol, loc, cit.; Turmel, op. cit., p. 187.

 En 394, on s’accorde à constater un changement d’attitude chez l’exégète déjà célèbre, à l’égard d’Origène et de ses erreurs. Auparavant qu’était-il? Simple admirateur du génie d’Alexandrie qu’il mettait copieusement à contribution, citant même ses commentaires eschatologiques erronés, ou de plus partisan des idées mêmes, contenues dans ces citations? Les principaux textes incriminés sont In Epist. ad Eph., II, 7; IV, 16, P. L., t. XXVI, col. 463, 503; In Eccl., I, 15, P. L., t. XXIII, col. 1017, 1024; In Habac., III, 2, P. L., t. XXV, col. 1310; In Epist. ad Gal., V, 22, P. L., t. XXVI, col. 367 sq. Saint Jérôme lui-même répondit à Rufin qui les lui jetait à la face: ce ne sont que des citations, conformément à ma méthode exégétique, Apol. adv. Ruf., t, 24, 26, P. L., t. XXIII, col. 418; et on peut, semble-t-il, s’en tenir là, car dans les commentaires de la même époque, il a des passages très orthodoxes. Cf. In Eccl., VII, 16, P. L., t. XXIII, col. 1066; II, 16; IV, 9-12; IX, 4-6; XI, 3, col. 1031. 1047, 1081, 1082, 1102, qui renferment des affirmations explicites de l’éternité de l’enfer. Cf. In Epist. ad Gal., I, 8, P. L., t. XXVI, col. 319, 320. On peut admettre une complaisance exagérée pour le maître génial que fut Origéne et des citations sans correction suffisante.

 En tout cas, après l’intervention de saint Épiphane à Jérusalem, saint Jérôme se pose en antiorigéniste ardent; il poursuit les idées et les personnes, spécialement Jean de Jérusalem et Enfin pour celles-ci, et l’apocatastase universelle pour celles-là. Cf. Liber adv. Joan. Hierosol., n. 7, 17 sq., P. L., t. XXIII, col. 360,368 sq. ; Adv. Vigilant., P. L.,t. XXII, col. 603; Ad Theophil. Adv. errores Joan. Hieros., Epist., LXXXII, P. L., t. XXII, col 740; Ad Pammach. et Ocean. de error. Origen., Epist., LXXXIV, col. 744 sq.; Epist., CXXIV, ad Avitum, col. 1064; .Apol. adv. Ruf., II, 12, P. L., t, XXIII, col. 435 ;Dial. adv. Pelag., I, 28, ibid., col. 522. Dans ses oeuvres exégétiques, mêmes affirmations insistantes, in Matth., X, 28; XII, 32; XXII, 11, 12; XXV, 10; XXV, 46, P. L., t. XXVI, col. 66, 81, 161, 185, 190; In Is., V, 14-15; VI, 7, 20; XXXI, 30; IX, 2-4; XVII, 12, P. L., t. XXIV, col. 84, 218, 224, 354, 126, 246; surtout In Jonam, III, 6, P. L., t. XXV, col. 1141, 1142 : l’éternité de l’enfer pour le démon est prouvée par la sainte Écriture, par la nécessité de la sanction morale efficace, et par la nature du péché et de la vertu. Quae differentia erit inter Matrem Dei et... victimas libidinum publicarum..; si finis omnium similis est praeteritam omne pro nihilo est quia non quaerimas quid aliquando faerimus sed quid semper futuri sumus... dogma perversum &&&&&&& diobolicum. In Dan., III, 96; IV, 23, 33, P. L., t. XXV, col. 512, 516, 518; In Ezech., XIV, 12, 13 sq.; XXVI, 19; XV, ibid., col. 120-121, 124, 245-246. Tous ces textes ne renferment guère que l’affirmation du dogme et pas de théologie. Bien plus, ils ne concernent presque tous que l’enfer des démons et des impies, par opposition aux chrétiens pécheurs. Saint Jérôme, en effet, aurait gardé toute sa vie cette tache d’origénisme qui fut le miséricordisme ou le salut universel des chrétiens. Les textes sont ceux-ci : In Is., LXVI, 24, P. L., t. XXIV, col. 678; Apol. adv. Ruf., II, 7; Adv. Jovin., II, 30; Epist., CXIX, 7; Diat. adv. Pelag., I, 28, P.L., t. XXIII, col. 522;  In Ezech., XXVI, P. L., t. XXV, col. 245, 246. Saint Jérôme applique à ce sujet une distinction sur laquelle il insiste fréquemment, celle des impii, incrédules ou apostats, et des peccatores, chrétiens fidèles bien que pécheurs (coupables de péchés mortels). Cf. Dial. adv. Pelag., I, 28, P. L., t. XXIII, col. 544 sq. Aux premiers,l’enfer éternel avec les démons; pour les seconds, la question est bien diversement traitée. En effet, le premier texte s’en remet d’abord à la science divine qui seule sait quem, quomodo aut quamdiu debeat judicare ; puis, maintenant l’éternité pour les démons et les impies, hoc est fide  alienos, il déclare que les pécheurs restés chrétiens, quorum opera in igne probanda sunt atque purganda, moderatam orbitramur et mistam clementiae sentitiam judicis. L’annotateur de Migne, loc, cit., et Ch. Pesch, Prael. theol., t. IX, p. 310, 311, veulent sous-entendre « pécheurs chrétiens, supposés convertis » ; mais, comme le remarque Petau, loc, cit., il s’agit dans le contexte des supplices éternels niés par les origénistes; et c’est de leur application que discute saint Jérôme. Le dialogue antipélagien semble imposer le même sens et rejeter le même sous-entendu : Origéne voulait le salut de toutes les créatures raisonnables; mais nous diabolum et satellites ejus omnsesque impios et praevaricatores dicimus perire perpetuo et christianos, si in peccato praeventi fuerint, salvandos esse post poenas. Ailleurs, il est vrai, l’illustre exégète envoie en enfer avec l’Écriture tous ceux en qui n’habite pas le Christ, In Eccl., IV, 9, 12, P. L., t. XXIII, col. 1047; qui, sous le nom chrétien, ne portent pas la robe nuptiale, In Matth., XXII, 11, 12, P. L., t. XXVI, col. 161; In Is ,V, 14, 15, P. L., t. XXIV, col. 84. Sur In Is., LXVI, 21 sq., voir MITIGATION; pour In Is., LXVI, 24; In Eph., V. 6; Epist. ad Avit., n. 7, voir FEU. Quelques-uns voient une certaine dilation pour les damnés dans In Dan., VII, 9 ;Epist., XXXIX, 3; In Luc., XVI.

 La lutte violente terminée, tous les nuages ne furent pas dissipés. L’orthodoxie complète domine par sentiment traditionnel dans les auteurs secondaires, saint Pacien de Barcesone, Paraen. ad paen., 11, 12, saint Paulin de Nôle, Carmen, I, ad Deum, V. 133; Epist., XL, ad Sonct. et Amand.; Poem., XXXV, De 0bitus Celsi, V. 460 sq., etc.: Prudence, Hamartigenia, V. 890-904, etc. Cependant on trouve clairement exprimée une idée de mitigation dans Prudence, Cathemerinon, hymn. V, ad incens. cer. pasch., V. 128-139, et puis surtout et toujours des idées d’universalisme restreint. Cf. Orose, De arbitr. libert., 16; Commonitorium, 3; saint Jérôme et la foule anonyme dont parle plusieurs fois saint Augustin.

 2° Éclaircissements. — Saint Augustin fit enfin en Occident la lumière à pou près complète sur le dogme, résuma l’apologétique et commença. en la poussant plus loin qu’aucun autre Père, la théologie de l’enfer. Tout cela a déjà été exposé en un bon résumé, t. I, col. 2443-2445,  2450-2452. Saint Augustin prouve l’existence de l’enfer par l’Écriture surtout et aussi par quelques arguments de raison; il en donne les fins providentielles en mettant en rapport avec les attributs divins; il dissipe le dernier reste d'universalisme origéniste, le miséricordisme restreint; il étudie la nature des peines de l’enfer: dam, alienatio a vita Dei, et peine du sens, ver métaphorique, feu réel torturant les corps et les esprits, comment? miris lamen veris modis; graduation depuis l’enfer des enfants morts sans baptême jusqu’à celui de Satan. Quelques points restent indécis et obscurs chez saint Augustin: l’état des âmes jusqu’au jugement dernier; toute mitigation certis temporum intervallis, pas assez franchement repoussée, bien que non admise; quels péchés pourront être remis dans l'autre vie, difficillimum est invenire, periculosissimum est definire, enfer des enfants morts sans baptême, etc.

 III. LE DOGME DÉFINI DE L’ENFER ÉTERNEL

 1° La définition.— Le trouble plus ou moins général causé par l’Origénisnse, était bien calmé définitivement vers le milieu du Ve siècle. On a cru trouver, il est vrai, dans le pseudo-Denys l’Aréopagite, des tendances universalistes, avec sa théorie mystique du retour de toutes choses à l’unité, &&&&& mais pour la foi des Églises, ce vague néoplatonisme ne tirait pas à conséquence et pouvait être compris en un sens orthodoxe. Un autre petit groupe d’origénistes universalistes fit plus de bruit et occasionna ainsi une définition solennelle du dogme de l’enfer éternel. Cf. l’ouvrage classique sur la matière de Diekamp, Die origenistichen Streitigkeiten im VI Jahrhundert, in 8°, Muanter, 1899; Prat, Origène et l’origénisme, dans les Études, janvier 1906, t. CVI, p. 13 sq.; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. II, avec les notes érudites du traducteur, p. 1174-1196; Schwane, Histoire des dogmes, Paris, 1903, t. III, p. 298-302.

 Le conflit commença, vers 520, parmi quelques moines de Palestine. Il y eut des violences répétées entre origénistes et antiorigénistes dans certaines laures. Deux origénistes ayant été élus évêques, au milieu des intrigues de cour, Domitien à Ancyre et Théodore Askidas à Césarée de Cappadoce, puis le moine édessénien Étienne Bar Sûdaili étant venu dans les couvents palestiniens prêcher une sorte d’apocatastase panthéiste et d’absorption dans le Logos de Dieu (secte des isochristes), les antiorigénistes effrayés recoururent à l’empereur Justinien; Pélage, représentant du pape, et Ménas, patriarche de Constantinople, appuyèrent la requête et préparèrent pour l’empereur une liste des erreurs origénistes. Là-dessus, Justinien donna son fameux édit contre Origène, entre. 538-543, qui rejette en particulier la théorie de l’apocatastase et la réfute, spécialement par la tradition.

 L'édit se terminait par 10 anathèmes, Denzinger-Bannwart, n. 203 sq.; le neuvième dit quiconque dit ou pense que la peine des démons et des impies ne sera pas éternelle, qu’elle aura une fin et qu’il se produira alors une &&&&&&  des démons et des impies, qu’il soit anathème. L’édit fut signé par le synode de Constantinople de 543, par tout l’Orient, par le pape Vigile, enfin on peut dire, grâce aux soins de Justinien, par tout le monde chrétien. C’est bien une condamnation officielle et infaillible. Le même synode de 543 fut probablement l’auteur des 15 anathèmes contre Origène, qu’on a attribués parfois au Ve concile oecuméniqne de Constantinople (553); le 1er, condamne la monstrueuse apocatastase, &&&&&&; le 5e, la circulation des âmes aux divers degrés du bien et du mal: le 12e, l’unification finale universelle dans le Logos de Dieu et de même le dernier. Denzinger, n. 187, sq., supprimés dans la 10e édit. Le Ve concile oecuménique condamna certainement Origène in globo, can. 11, Denzinger-Bannwart, n. 223; s’occupa-t-il aussi des 15 anathèmes susdits? C’est très douteux; ils furent pourtant publiés avec les actes du concile; et les trois conciles oecuméniques suivants, VIe de Constantinople, 680, VIIe de Nicée, 787, VIIIe de Constantinople, 869, renouvelèrent la condamnation d’Origéne en se référant au Ve concile de 553. Pour plus de détails, voir ORIGÈNE et ORIGÉNISME . Mais il faut remarquer que la controverse origéniste était alors devenue surtout eschatologique.

 Il est bon d’observer enfin que l’éternité de l’enfer a toujours été de foi catholique explicite dans l’Église, bien que non de foi définie avant la controverse onigéniste; l’apocatastase d’Origène était donc hérétique, bien qu’Origène lui-même n’ait été sans doute que matériellement hérétique.

 2° Époque de transition. — 1. En Orient — Au milieu du dernier conflit origéniste, vers 534, Énée de Gaza publia son Theophrastus ou de l’immortalité de l’âme, si célèbre au moyen âge. On y trouve de beaux développements sur les sanctions morales et la justice de Dieu, la réfutation de la métempsycose, spécialement comme châtiment de vies antérieures; la liberté, le péché et la providence; enfin et conséquemment l’existence et la raison des supplices éternels de l’enfer, P. G., t. LXXXV, col. 9-l4; l’âme des méchants doit être immortelle pour la sanction de ses péchés, quand elle est tombée au fond de l’enfer, elle n’en sortira jamais. Cf. col. 984 sq. Vers 553, Théodore, évêque de Scythopolis, écrit une lettre touchante aux patriarches de l’Orient pour rétracter publiquement ses opinions origénistes : préexistence et restitution; il les condense en 12 propositions qu’il anathématise. Voir spécialement, P G., t. LXXXVI, col. 233, 236. Aussi vigoureuse condamnation des mêmes erreurs dans le traité intitulé : Sancti Barsanuphii doctrina circa opiniones Origenis, Evagrii et Didymi, et qui a dû sortir vers le même temps de quelque monastère palestinien, P. G., t. LXXXVI, col. 892 sq.; la condamnation est à la fois dogmatique et ascétique; le « frère inquisiteur » qui pose des difficultés objecte entre autres l’autorité de saint Grégoire de Nysse. Encore au milieu du VIe siècle, Léonce de Byzance, le premier théologien de son temps (Mai), réfuta aussi l’apocatastase origéniste dans ses Scholia ou De sectis, act. X, n. 6, P. G., t. LXXXVI, col. 1265 sq. A la fin de ce siècle, saint Jean Climaque prêche la méditation du feu éternel. Scala paradisi, grad. III, P. G., t. LXXXVIII, col. 664; grad. V, col. 764, avec malédiction de l’impie doctrine d’Origène;et au commencement du VIIe siècle, Dorothée, abbé on Palestine Dactrina, XII, 1-5, et De timore et poenis inferni, P. G., t. LXXXVIII, col. 1748 sq., fait de même et donne un bon résumé du dogme de l’enfer et de ses supplices, avec une discussion pour savoir si les damnés se rappellent tous leurs péchés, un specie ou in individuo. Parmi les quaestiones, pas toutes authentiques, du zélé polémiste, Anastase le Sinaïte, fin du VIIe siècle, la XCe expose sommairement l’état des âmes actuellement dans l’au-delà et déclare que le paradis ou l’enfer sont éternels. P. G., t. LXXXIX, col. 721. La question suivante expose la théorie de la dilation; contre l’apocatastase,il rappelle les décisions conciliaires, Viae dux, c. V, col. 101, et fait quelques bonnes remarques de critique traditionnelle contre les origénistes qui invoquaient peur leur restitution les deux saints Grégoire de Nazianze et de Nysse, C. XXII, col. 289 sq.; la q. XXII, col. 536 sq., prouve par la raison, l’Écriture et la tradition (textes de Denys l’Aréopagite, des Constitutions apostoliques, de saint Épiphane, de saint Chrysostome), que la prière pour les morts n’est pas pour les impies et les pécheurs damnés. Saint Maxime le Confesseur, le plus grand théologien sans doute de l’Église grecque au VIIe siècle, a été accusé d’origénisme universaliste, comme son maître préféré le pseudo-Denys. Voici quelques-uns de ses principaux textes sur la question. Quaest. ad Thalassium, q. XI, P. G., t. XC, col. 292, ex professo sur l’enfer des démons : aeterna vincula: eorum voluntatis est atque animi omni ex parte jugisque circa bonum motus absentia ac inertia; ex qua est ut divina nunquarn jucundilatis fiant compotes; culigo, c’est l’absence de tout bien divin en eux; judicio reservati, ce sont les supplices que la sentence divine in saecula nullum unquam finem habitura, prononcera contre eux. Cf. q. LIX, LXI. Dans Quaest. et respons., q. X, le feu purificateur est dit réservé aux seuls possesseurs de virtutes peccatis commistas, col. 792. Des Loci communes, le sermon LIII, P. G., t. XCI, col. 956, donne une citation de Clément très explicite sur l’enfer éternel et sans fin; cf. Serm., XLV, de futuro judicio; mais surtout les Epist., I, IV, V, XXIV, XLIII, P. G., t. XCI col. 364, etc., on ne peut plus explicites sur l’éternité de diverses peines de l’enfer, puissamment décrites, avec profondeur et compréhension, et toujours avec le terrible in sempiternum, juges, semper, nunquam finis, nulla spes evadendi, exspectent nihil, interminabilibus in perpetuum suppliciis; l’Epist., I, en particulier (sermo epistolaris), est un des plus beaux sermons de l’antiquité sur l’enfer. A côté de cela, on signale quelques passages ambigus, Qaest. et resp., q. LXXIII, sur ICor. III 13-15, et principalement q. XIII, qui traite directement de l’apocatastase de saint Grégoire de Nysse. L’Église, dit ce passage, P. G., t. XC. col. 845 sq., connaît (reconnaît) une triple apocatastase la première individuelle par la pratique accomplie de la vertu; la deuxième, naturae universalis, par la résurrection qui immortalisera et rendra tout incorruptible; la troisième, enfin, et c’est celle de Grégoire de Nysse, est la restitution, qua animi vires quae peccato succubuerant, in pristinum illum restituantur in quo conditae erant. La résurrection, en effet, restaurera la nature; de même les puissances de l’âme viciées devront, pendant la longue durée des siècles, perdre cette vitiositas, cunctisque separatis saeculis nec requiem aliquam nactum, ad Deum qui fine caret venire; ainsi il sera clair que le créateur n’était pas l’auteur du péché. Le texte est obscur. Est-ce, jusqu’au bout, simple citation de l’opinion de l’évêque de Nysse, ou doctrine absolue? et, dans ce dernier cas, s’agit-il de la restitution universelle de tous les hommes ou de la restitution totale de chaque homme sauvé dans le sens du Deus omnia in omnibus de saint Paul ? Vu les autres textes cités plus haut, en plus des raisons intrinsèques, le sens hérétique nous semble devoir être certainement écarté.

 Le théologien compilateur, saint Jean Damascène, au VIIIè siècle, résume le développement du dogme pour l’Orient. Son résumé est suffisamment complet, De fide orthodoxa, 1. II, C. IV, P. G., t. XCIV, col. 877; il indique d’abord l’immutabilité de l’ordre ultra-terrestre pour les méchants; I. IV, C. XIX, XXI, il donne les principes généraux de la permission du mal éternel; enfin le C. XXVII et dernier, col. 1228, condense le dogme de la vie future : existence pour le corps et pour l’âme, pour les justes et pour les pécheurs, et en quelques lignes, le jugement, le feu éternel. Cela est abondamment développé ailleurs. Voici d’abord une très copieuse théologie positive de l’enfer : Écriture sainte et tradition grecque, dans les Sacra parallela, litt. A, tit. XII, De impiis... et eorum suppliciis, P. G., t. XCV, col. 1141; tit. XV, De resurrectione, judicio et poena aeterna, col. 1176 sq.; litt. M, tit. IV; litt. A(lpha), tit. VI, De infernorum statu P. G., t. XCVI col. 28; 1. O(mega), De loco et descriptione infeni, P. G., t. XCVI, col. 436 sq. Parall. Rupefucald., litt. A, tit. LXXI, col. 484, des sanctions futures éternelles, récompenses et supplices; tit. LXXIII, De terribili resurrectione, col. 485 sq.; citation surtout d’Antipater de Bostra qui à la fin du Vè siècle avait écrit une longue réfutation de l’Apologie d’Origène de Pamphile-Eusèbe. Le compilateur de Damas condense sa théologie spéculative sur l’enfer dans le Dialogue contra manich., P. G., t. XCIV; les n. 33-50, col. 1540, 1549, étudient avec profondeur les rapports de l’enfer avec les attributs divins, prescience, justice, bonté; de même, n. 68-75, col. 1564-1573; la théodicée chrétienne a peu ajouté depuis à ces vigoureux développements; remarquons seulement que le théologien Chrysorrhoas, n. 75, donna, comme dernière explication de l’enfer, l’obstination des damnés, ex conditione naturae. Deus in omnes bona profundit... Post mortem vero nec conversionis, nec paenitentiae locus est. Non quod Deus paenitentiam non suscipiat (neque enim seipsum negare potest), nec miserationem suam abjicit, sed conditio animae est quae converti nequeat... Sicut enim daemones post lapsum non resipiscunt neque etiam angeli nunc peccant, sed utrique hoc habent ut nulle in ipsos mutatio cadat, sic homines post obitum. Saint Jean Damascène n’a pas admis la réalité matérielle du feu de l’enfer. Voir FEU. C’est enfin son autorité, qui,par l’homélie De iis qui in fide dormierunt, à lui faussement attribuée, a fourvoyé tout le moyen âge dans la discussion de la délivrance miraculeuse des damnés: histoire de la délivrance de Trajan par saint Grégoire le Grand, etc., si bien que plus tard Benoît XII ne définira l’enfer éternel pour tous les hommes morts en péché mortel que secondum Dei ordinationem communem. Voir plus loin.

 2. Époque de transition en Occident.— Dans la décadence des études qui va du milieu du Ve siècle au XIe siècle, se poursuivent d’abord quelque temps, bien que sur un terrain diminué, les grandes controverses de l’âge précédent, an particulier celle de l’origénisme, sous forme de miséricordisme, camme l’a appelé saint Augustin. Les « miséricordieux » ne sont plus qu’une foule plus ou moins vague et anonyme. Contre eux, est écrite, vers 430. l’année de la mort de saint Augustin, l’Epist. De malis doctoribus et operibus fidei et de judicio futuro, tout entière, dans Caspari, Briefe, Abhandlungen und Predigten, in-8°, Christiania, 1890, p. 67 sq.; vigoureuse réfutation de la théorie du salut sans les oeuvres chrétiennes, au nom de la raison, XV-XVI, p. 70-74; de l’Écriture sainte, VII-XI, p. 75-85; XV-XVI, p. 94-100, solution des difficultés classiques.

 Saint Césaire d’Arles appelle encore, fin du Ve siècle, les miséricordieux multi. Serm., CIV, dans les Opera S. Augustini, P. L., t. XXXIX, col. 1946. Sa réfutation tend à expliquer le texte principal de la controverse, I Cor.,III, 11-15 : si quis superaedificat...salvus erit quasi per ignem; le prédicateur populaire distingue nettement les capitalia peccata et les minuta, seuls purifiés par le feu de l’au-delà; et même, ce que n’avait su faire saint Angustin, il détaille assez longuement ces deux espèces de péchés. Le 1. I du Praedestinatus (milieu du Ve siècle, peut-être d’Arnobe le Jeune), dans sa liste de 90 hérésies, inclut, au n. 13, l'apocatastase interpolée dans les livres d’Origène, P. L., t. LIII, col. 600. Gennade de Marseille, De eccl. dogmatibus, C. IX, P. L., t. LVIII, col. 983, rappelle, lui aussi, la restituo quam delirat Origenes. Enfin l’abbé Eugippius, au commencement du VIe siècle, popularise les enseignements de saint Augustin sur l’enfer avec ses textes, dans ses Excerpta ex operibus S. Augustini, qui eurent tant de vogue au moyen âge, C. XXXII, XCIX, CXLII-CLII, CCXXVIII, P. L., t. LXII, col. 625 sq., 710, 783-801, 889.

 Pendant ce temps, les autres maîtres de la vie chrétienne continuaient à exposer le dogme, y ajoutant çà et là quelques réflexions personnelles, en général de peu d'importance. Salvien, dans un but apologétique et pour appeler le monde romain à la pénitence, De gubernatione Dei, 1. IV. n. 8, 1. VIII, n. 1, P. L., t. LIII, col. 78. 79,153; Claudien Mamert en philosophie, Dcestatu animae. 1. III, t. VIII, XI, P. L., t. LIII, col. 768, 773. Fulgence de Ruspe, le plus grand théologien latin du VIe siècle (+ 533), résume le dogme de main de maître. De fide ad Petrum, en particulier celui de l’enfer; n. 31, P. L., t. LXV, col. 687 sq., péché et supplice des anges in eodem instanti, feu éternel dans lequel nec mala voluntate possint unquam carere, nec poena, sed permanente in eis injustae aversionis malo, permaneat etiam justae retributionis aeterna damnatio; n. 33-36, enfer des hommes damnés: sont damnés tous ceux qui meurent an état de péché mortel, car cette vie est l’unique épreuve morale; obstination naturelle de la volonté dans le mal dans l’autre vie, in supplicio ignis aeterni... nullam ulterius habebunt requiem... bonam nullatenus habere poterunt voluntatem; cf. n. 39, 40, et parmi les Ragulas fidei, n. 69, 70. sur le jugement de la vie éternelle, n. 79, 81, sur les damnandi, spécialement tous les fidèles de l’Église catholique, s’ils sont pécheurs à la mort.

 En Italie, Boéce ne s’occupe guère que de philosophie et n’aurait parlé de l’enfer que dans le traité Brevis fidei complexio, s’il est authentique, P. L., t. LXIV, col. 337, 338; rien Dans le De consolatione philosophiae, dont le 1. IV fait pourtant la théodicée du bien et du mal. Un peu plus tard, Cassiodore retourne dans son De anima, C. XII, P. L., t. LXX, col. 1302, à la considération philosophique de l’enfer Dolor sine fine, poena sine requie, afflictio sine spe, malum incommutabile. Cf. son Expositio in Psalterium, In ps. IX, 16, col. 84, 85; en enfer, il n’y a pas que la peine intérieure, mais encore extrinsecsus poenale malum; In Ps. LXXXVI, 13, lieu de l’enfer sous terre, col. 615.

 Mais le grand effort des maîtres des Ve et VIe siècles est tout tourné à la vie pratique, tout appliqué à faire vivre la doctrine chrétienne soit par les ascètes que la ruine du monde ancien précipite nombreux dans la via religieuse, soit par le nouveau monde en formation pendant et après les invasions des barbares. Le dogme de l’enfer tient évidemment une large place dans cette prédication. Parmi les ascètes, citons Jean Cassien, Coll., I, C. XIV, P. L., t. XLIX, col. 499 sq. et passim; , Julien Pomère, De vita contemplativa, 1. III, C. XII, de futuro judicio vel aeternitate supplicii ac de qualitate gehennae, P. L., t. LIX, col. 491 sq., continuus gemitus, cruciatus aeternus, dolor summus, poenatis sensus torquent animam, non extorquent, puniunt corpora, non finiunt; saint Eucher de Lyon, Homil., I, ad monachos, sur l’enfer, P. L., t. L, col. 833 sq.; de même l’homil. I, de Valérien de Cemelum, P. L., t. LII, col. 691 Sq. Parmi les prédicateurs, saint Léon le Grand, Serm., VIII, P. L., t. LIV, col. 160 sq.; Serm., XXXV, col. 252; Fauste de Riez, Serm., IV, P. L., t. LVIII, col. 876 sq.; saint Pierre Chrysologue, Serm., LXVI, CXXI-CXXIV, De divite et Lazaro, P. L., t. LII, col. 386, 529 sq.; Serm. XCVI, De zizaniis, col. 469; le fameux Serm., CV, sur les fêtes du jour de l’an: qui focari voluerit cum diabolo, non poterit gaudere cum Christo; saint Césaire d’Arles, le grand orateur populaire de l'ancienne Église latine, Serm., LXVIII, LXIX, LXXVII, LXXVIII, CIV, etc., P. L., t. XXXIX, col. 1875 sq.; t. LXVII, col. 1080.

 Tous cas noms sont éclipsés par saint Grégoire le Grand. Il dit, en effet, le dernier mot sur les controverses qui viennent de mourir; il donne la grande impulsion chrétienne au moyen âge; il condense la doctrine morale des Pères pour l’usage des nouvelles générations; tout cela an particulier pour l’eschatologie infernale. Il réfute d’abord vigoureusement un dernier reste d’origénisme: délivrance par le Christ des âmes qui voulurent croire en lui lors de sa descente aux enfers; son argument est tiré de l’absurdité du miséricordisme, Episit., 1. VII, epist. XV, P. L., t. LXXVII, col. 869; ailleurs la vraie théorie des conditions du salut est fréquemment répétée, par exemple, Dial., 1. IV, C. XXXIX, P. L., t. LXXVII, col. 396. Sur un autre point, la doctrine de l’enfer doit beaucoup à saint Grégoire; en Occident jusqu’à saint Augustin et au-delà, jusqu’aux derniers auteurs ici énumérés, l’état des damnés immédiatement après la mort est très obscurément exprimé lorsque des doctrines de délai ne sont pas explicitement affirmées; saint Grégoire met fin à ces fluctuations par ses enseignements très nets sur l’entrée immédiate des damnés en enfer après la mort, Dial., I. IV, C. XXVIII, P. L., t. LXXVII, col. 365 : sicut electos beatitudo laetificat, ita credi necesse est quod a die exitus sui, ignis reprobos exurat.

 C’est lui aussi qui a le plus contribué à imposer à l’Occident le réalisme du feu de l’enfer. Dial., I. IV, C. XXIX; Moral., I. XV, C. XXIX. Pour le reste, saint Grégoire ne fait qu’exposer, et il le fait excellemment, le dogme catholique; surtout Dial., LIV, C. XLII-XLV, P. L., t. LXXVII, col. 400-405: lieu de l’enfer, pas de certitude, le plus probable, c’est qu’il est sub terra; inégalité des peines dans un même feu; éternité, les paroles de Jésus-Christ ne sont pas de simples et vaines menaces; justice &de&cette éternité, car le pécheur s’attache au péché pour l’éternité; Dieu bon ne se plaît pas au châtiment, mais à la justice des supplices des impies; utilité de l’enfer pour les hommes ici-bas, et pour les élus au ciel; immutabilité dans le mal, d’où plus de pitié pour les damnés: ce sont tous textes exploités par la scolastique. Cf. C. XXXIII et XXXV, de la connaissance mutuelle des damnés; C. XXXVI: apparitions des damnés, col. 381-385; Moral., 1. IX, C. LXIII-LXVI, longue description détaillée des peines positives de l’enfer, P.L., t. LXXV, col. 911-916: sobre, assez complète, etc. Voir les index de Migne. Comme idée générale, il est clair que, pour la grand pape de la fin du VIe siècle, il n’y a pas de consolation ni de biais en enfer, mais le mal et la souffrance tout seuls et à un degré incompréhensible. Voir plus loin.

 Après saint Grégoire, commence l’époque des compilateurs encyclopédistes, simples transmetteurs. Sur l’enfer, on répète saint Augustin et saint Grégoire. Inutile de relever ces travaux, qui eurent leur influence comme canaux, mais pas plus; la prédication continue aussi évidemment à secouer les consciences par la crainte de l’enfer. Les écrivains s’occupent surtout de quelques points de détail avec insistance: mitigation et suffrages, voir MITIGATION; et même, après Jean le Diacre (IXe siècle), délivrance de l’enfer. voir plus loin; feu et ténèbres : est-ce que le feu de l’enfer éclaire, en sorte que les damnés paissent se voir? Est-ce qu’ils voient la gloire des bienheureux? Est-ce qu’ils conservent la mémoire et la science, la raison (folie)? société des démons et (les damnés, horrible guerre perpétuelle, état des corps damnés, maladies, infirmités, laideurs, douleurs intérieures, confusion, ennui, désespoir; cornment l'enfer est une mort perpétuelle; réalisme ou symbolisme du vern(a)is, du fletus et stridor dentium; modes de distribuer les peines inégales d’après les espèces de péchés; enfin les raisons de l’enfer éternel: raisons de finalité; raison psychologique ex aeternitate culpae, le plus souvent. Cf. index, t. CXXX de Migne, col. 244-247 nombreuses citations pour cette époque. Signalons seulement quelques traités consacrés plus spécialement à la théologie de l’enfer, S. Isidore de Séville, Sent, 1. I, C. XXVIII-xXXIX, De gehenna et de poenis impiorum; 1. III, C. LXII, De exitu, P. L., t. LXXXIII, col. 597-599, 736-738; S. Julien de Toléde (au VIIIe siècle), Prognosticon futuri saeculi, le premier traité spécial De novissimis, assez bien ordonné et assez complet pour l’enfer, mais peu profond; solutions surtout avec des textes de saint Augustin et de saint Grégoire, P. L., t. XCVI, col. 461-524; Taion de Saragosse, dans sa Somme, Sent., I. V, C. SS, XXIX-XXXIII, P. L., t. LXXX, col. 974-990.
 

 III. ENFER D’APRÈS LES THÉOLOGIENS.

 On trouve de la théologie de l’enfer, dans les Pères, spécialement chez saint Augustin et saint Grégoire le Grand; mais elle est fragmentaire et rudimentaire ou superficielle. En Occident, au XIIe siècle, on commnence à examiner plus profondément et plus méthodiquement les questions De novissimis. Cf. Schwane, op. cit., t. V, p. 221-228; Turmel, op. cit., p. 356 sq.

 Hugues de Saint-Victor, le premier, introduit systématiquement dans su synthèse théologique le De inferno. De sacram. fidei, 1. II, part. XVI, De fine hominis, C. III-V, De poenis animarum; De locis poenarom; De qualitate tormentorum gehennatium, P. L., t. CLXXVI, col. 584 sq. D’ailleurs, à peu près rien de personnel et d’ajouté à la tradition; à signaler quelques opinions, restes de vieilles obscurités: les damnati minus mali ne sont peut-être pas encore en enfer; les démons peuvent avoir des corps éthérés pour souffrir du feu;le théologien de Saint-Victor fait en général son possible pour retenir l’élan de l’investigation rationnelle sur les peines de l’enfer et pour ramener d’autres docteurs (ceux de Sainte-Geneviève sans doute, disciples d’Abélard) à la simplicitas credendi. Cf. part. XVIII, de statu futuri saeculi, C. II, III, V, VI, VIII, XV, nouvelles questions sur l’enfer.

 Pierre Lombard reste encore, lui aussi, dans la ligne simplement traditionnelle et compilatrice de textes Sent., 1. IV, dist. XL IV-XLV Il, XL IX-L, P.L., t; CXCII, col. 945 sq.; il est incomplet et indécis sur plusieurs questions déclarées insolubles, sur les corps des âmes séparées, sur la mitigation, etc., comme saint Augustin.

 Alexandre de Halès, Summa theol., part. IV, q. XV, m. IV, a. 4, § 4, rejette nettement toute dilation : les sentences, portées par Dieu au jugement dernier, concernent les corps ressuscités. De même, saint Bonaventure, In IV Sent., I. IV, dist. XLIV, p.II. a. 1, q. I. Mais c’est Albert le Grand, In IV Sent., 1.1V, dist. XLIV, qui a eu surtout le mérite de briser les vieux cadres imparfaits du De inferno et de dessiner le premier la synthèse complète de ce traité en y introduisant sa méthode rationnelle, loc. cit., a. 33-42, Opera, Lyon, 1651, 20 in-fol., t. XVI, p. 855 sq. Si, sur ce point, Albert est l’initiateur, suint Thomas conduit le traité à son achèvement; dans la synthèse théologique, nous citerons assez souvent le docteur angélique. Au point de vue de la systématisation, saint Thomas traite séparément de l’enfer des anges, Sum. theol. Ia. , q. LXIV, et de l’enfer des hommes, IIIae Supplem., q. LXIV sq., tiré comme l’on sait de l'In lV Sent,1. IV, dist. XLIV sq. C’est pourquoi tant de théologiens postérieurs, commentant saint Thomas, traitent surtout de l’enfer dans le De angelis, par exemple, Suarez, les Salmanticenses, Billuart, etc., de même Petau; au XIXè siècle, Perrone, Mazzella ajoutent le De linferno au De Deo creante, de homine. Mais, on général, les théologiens récents ont enfin détaché en traité spécial tout le De novissimis, avec son De inferno, pour en faire le dernier traité de la théologie.

 Après saint Thomas, les opinions ne diffèrent guère que sur trois points nu sujet de l’enfer : le mode de l’action du feu de l’enfer, la raison de l’éternité du supplice et de l’obstination des damnés dans le mal, la mitigation, dont il sera question dans trois articles spéciaux. Voir FEU, MITIGATION, OBSTINATION.

 Sur le reste de la doctrine, il n’y a rien de spécial à signaler, et, pour éviter d’inutiles répétitions, on trouvera dans la synthèse théologique les principales opinions elles principaux auteurs qui ont contribué à développer la théologie intégrale de l’enfer.
 

 IV. ENFER D’APRÈS LES OPINIONS ERRONÉES.

 Il ne s’agit ici que des erreurs répandues dans le monde chrétien. Pour plus de simplicité, nous les rangerons suivant l’ordre logique.

 1° Contre l’existence de l’enfer éternel. — 1.Bien que la négation de l’enfer ait été souvent, et soit maintenant de plus en plus répandue sous l’une ou l’autre du ses formes générales, nous n’avons pas à exposer ici l’évolution du pessimisme absolu, ni du monisme matérialiste, ou panthéiste, ni du scepticisme subjectiviste, phénoméniste, etc. (théories générales et destinées). Voir MAL, Heuri Martin, op. cit., p. 234-287, a fait une étude développée et très suggestive de ces erreurs modernes an point de vue eschatologique. Notons seulement ce que Kant croyait tirer de sa raison pratique au sujet de l’enfer. Cette raison postule l’immortalité pour que l’âme (autre postulat de la raison pratique) reçoive de Dieu récompense ou punition. Mais la question de la nature de cette sanction est puérile, car qui peut penser les conditions de la liberté dans l’autre vie? D’ailleurs, la morale ne postule pas ici-bas cette éternité; la crainte de persévérer dans le même état de perversité durant la vie future doit suffire pour détourner du mal. La religion dans les limites de la raison, trad. Trullard, p. 101-104, 104-108, note.

 Depuis Kant, ce qu’on veut, surtout, c’est l'autonomie absolue de l’homme en face d’un Dieu indifférent ou trop bon, ou plutôt l’autonomie de l’homme divinisé, sans Être au-dessus de lui, pour qu’il soit sans responsabilité future, sans enfer à redouter. On en arrive là par le panthéisme ou l’idéalisme ou le matérialisme évolutionniste, ou par les trois à la fois : c’est toute la philosophie moderne incrédule dans son fonds, et c’est la mentalité qu’on tend maintenant à propager dans le peuple. « Le peuple français (les autres suivront), proclame-t-on partout, ne prie plus, ne croit plus, ne craint nul châtiment, ne désire ni même n’accepte aucune récompense après la mort, et s’attribue le droit d’user de la vie en toute indépendance. » Cf. L’Univers, 9 juin 1910. L’école philosophique spiritualiste a pris, en face de ces négations, différentes positions: croyance de l’école écossaise et doute du déisme français qui n’arriva pas à une conviction ferme contre l’enfer (Voltaire, Diderot, etc.), au XVIIIe siècle; hésitations de l’école éclectique au XIXe siècle. Finalement, le spiritualisme indépendant sombra, lui aussi, dans le rationalisme et la négation de l’enfer. Cf. J. Simon, La religion naturelle, p. 333.

 2. Quant à ceux qui croient à un certain enfer ou mieux à une certaine sanction dont ils nient l’éternité, ils rentrent dans trots catégories, selon qu’ils admettent le conditionalisme, la variabilité indéfinie en l’universalisme.

 a) Conditionalisme. — Selon cette conception, les hommes qui, finalement, ne peuvent arriver à l’heureuse immortalité sont anéantis. La vie est un don; un don ne s’impose pas. Un don que personne ne vous a demandé, vous le retirez lorsqu’il est mal employé; mais vous ne faites pas exprès de le maintenir, pour faire souffrir celui qui n’en veut pas. L’homme est donc libre de se préparer une immortalité de bonheur, en employant bien, vertueusement, le don divin de la vie, ou d’y renoncer en renonçant à la vertu. Ainsi, qu’il lasse ce qu’il voudra ici-bas de crimes, d’impiétés, d’infamies, son châtiment sera simplement l’anéantissement, le retrait du don de la vie. La vie éternelle est conditionnelle et facultative. — Cela est d’ailleurs nécessaire, afin que l’homme n’ait pas à reprocher, finalement, à Dieu de lui avoir donné la vie — et surtout afin qu’un mal relatif ne se change pas en un mal absolu; l’enfer ne ferait, an effet, que prolonger le mal en face de la sainteté de Dieu, pour toujours insultée. Cela est impossible : le mal doit finir, non par la restauration universelle, théorie immorale, donc par l’anéantissement. — C’est enfin la seule conception qui s’accorda avec les théories scientifiques modernes de l’âme et de l’évolution de la vie.

 Cette conception, sous une forme très vague, semble avoir été assez répandue chez les peuples primitifs. On en trouve comme des velléités dans quelques passages des midraschim juifs. C’est la croyance théorique, très restreinte quant à son objet, du zoroastrisme et plus tard, en partie, du dualisme gnostique et manichéen. On en a cherché à tort, nous l’avons constaté, des traces douteuses dans quelques écrivains ecclésiastiques de l’antiquité. S. Justin, Dial. cum Tryphone, 5; S. Irénée, Cont. haer., II, XXXIV, 3; IV, XX, 5, 6; V, IV, 1; Tatien, Adv. Graecos, 13. Seul, Arnobe, Adv. gentes, II, 8, 9, 14, 19, a été un vrai conditionaliste il faut entendre aussi dans le même sens divers passages des pseudo-clémenlines. Homil., III, 6, 59; VII, 7; XVI, 10. Contre ce conditionalisme, d’origine juive au païenne gnostique, combattirent Tertullien, Adv. valentin., C. XXIX, XXXII; Clément d’Alexandrie, Strom., II; Origène, De princip., III, IV, 5; S. Épiphane, Haer., haer. XXXI, n. 7. Cf. F. Tournebize, dans les Études, 1893, t. LX, p. 621 sq..

 On ne trouve plus de trace du canditionalisme jusqu’au milieu du XIXe siècle. La plus grande partie des théologiens protestants, ayant alors admis l’universalisme, une minorité refusa de reconnaître la réconciliation finale de Satan et de Dieu; d’autre part, n’osant plus défendre l’éternité de l’enfer, elle se lança dans le conditionalisme. En Allemagne, Rothe, Nietzsche. Plitt, Doctrine évanqéliqae, 1864, t. II, p. 416, où il concéda que ce n’est pas une doctrine à enseigner au peuple. Cf. Lange, Dogmatique chrétienne, t. II, p. 1291. En Angleterre, Drummond, professeur d’histoire naturelle à Glasgow, Les lois de la nature dans le monde spirituel, un des plus puissants propagateurs du canditionalisme, dans le monde protestant. En France, Ch. Byse, Revue chrétienne, novembre 1892; avant lui Petavel-Ollif, Le problème de l’immortalité, 2 in-8°, 1891-1892 (point de vue théologique); Renouvier, La critique philosophique, 31 octobre 1878, 19 janvier 1884 (sur le terrain philosophique et avec conclusion finale sceptique); Charles Lambert, L’immortalité facultative, thèse absolue. Le conditionalisme s’est surtout développé an Amérique; la Rév. Edw. White, Life in Christ, New Vork, 1846, an fut le principal initiateur. La secte des adventistes, presque tout entière avec ses cinq au six fractions, est conditionaliste; cependant, la fraction : Life and advent Union, ne croit qu’à un sommeil sans fin pour les méchants; et la fraction : Evangelical Adventists, admet l’enfer éternel. Cf. F. P. Havey, Catholic encyclopedia, art. Adventists, New York, 1907, t. I, p. 166, 167, avec bibliographie spéciale, notamment Long, The end of the Ungodly, 1886; Pile, The doctrine of conditional Immortality, Springfield, etc.

 Le conditionalisme n’a jamais été bien répandu nulle part; il est plutôt traité avec mépris par ses adversaires de tous les autres systèmes. Il ne touche pas la vraie difficulté, dit, par exemple, Salmond, The christian doctrine of immortality, Édimbourg, 1895, p. 627, et il proclame que le péché remporte parfois sur l’homme et sur Dieu une telle victoire, qu’il ne reste à celui-ci qu’à se débarrasser de lui par un coup de main. Il a été caractérisé comme la plus malheureuse (wret ched) et la plus poltronne de toutes les théories; théorie qui livre à la panique, devant une objection, tout sentiment de noblesse humaine; et, comme toutes les poltronneries, fait tomber précisément sur l’objet qu’on fuyait.

 Ajoutons ici une brève réfutation directe de la théorie et des arguments conditionalistes. En soi, d’abord, Dieu n’est pas tenu évidemment d’anéantir une liberté rebelle parce qu’elle est rebelle. Mais la conserver sans fin, dit-on, ce serait le mal prolongé et devenu absolu. Absolu, c’est-à-dire interminable, oui; c’est-à-dire sans correction, sans réparation et adéquate et parfaite, nous le nions. L’enfer est la prolongation du péché par la liberté elle-même et non par Dieu qui ne fait que prolonger sa sanction tant que dure le désordre moral à réparer. Et ainsi, il n’y a pas de mal absolu en enfer, mais l’ordre absolu jusque dans le mal permis. Mais la vie, objecte-t-on, est un don gratuit, qu’on peut, par conséquent, refuser à volonté. Ici se trouve l’erreur radicale du conditonalisme; nous sommes des créatures, faites uniquement pour le service et la gloire de Dieu voilà la vérité; la liberté n’a là rien à accepter ou à refuser: c’est l’obligation absolue fondamentale de tout notre être. Obéir, c’est notre bonheur dans la gloire de Dieu; désobéir, c’est notre malheur, toujours dans la gloire de Dieu, fin inéluctable de la créature. Et si on objecte les attributs divins de sainteté, justice, amour, etc., voir plus loin la synthèse théologique. Noter enfin que la théorie de l’autonomie immanente absolue n’a rien à répondre à la dernière objection. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IIIae, Supplem., q. XCIX, a. 1, ad 6um; De potentia, q. V, a. 4, ad 6um (la sanction doit être positive).

 b) Variabilité indéfinie et métempsycosisme. — Ni anéantissement, ni glorification définitive universelle. La liberté est un attribut essentiel de l’homme, soit pour monter soit pour descendre, pécher ou se convertir, faire le bien an ascensions et descensions indéfinies. L’éternité sera donc une suite indéfinie de mondes, heureux ou malheureux, pour les hommes indéfiniment libres de mener des vies bonnes ou mauvaises.

 Bien que non primitive, la conception des renaissances ultra-terrestres a été très répandue dans le monde païen, indien, égyptien, gréco-romain, sans doute parce que, tout en accordant suffisamment en apparence à la sanction morale, elle écartait de la vie d’ici-bas ces responsabilités et décisions définitives si redoutables. Mais la série métempsycosiste aboutissait à l’universalisme ou au conditionalisme, ou peu-être même à l’éternalisme en général; elle ne fut affirmée indéfinie que dans le palingénésisme absolu gréco-romain, d’origine stoïcienne.

 Dans l’antiquité chrétienne, nous ne trouvons qu’Origène qui ait défendu, non pas précisément l’universalime, comme on le répète souvent, mais la variabilité indéfinie de toutes les intelligences créées. Voir plus haut, col. 60.

 On est revenu ais XIXe siècle à 1’origénisme eschatologique, dans le monde des métaphysiciens transcendentalistes d’abord, Schelling, Krause, Goethe, Herm. Fichte, etc.; cf. Henri Martin, op. cit., p. 248 sq.; puis, dans le monde des utopistes, des rêveurs pseudo-scientifiques et des spirites. Citons quelques ouvrages: Fourier, L’harmonie universelle, 2 ,n-12, Lyon, 1849 (rêveries de métempsycose sidérale, corps terrestre, corps aromal, corps cométaire par dépersonalisation successive, etc.); J. Revnaud, Terre et ciel. in—8°, Paris, 1854 (discussion spéciale dans H. Martin, op. cit., note XV, p. 562-573; l’auteur veut nous ramener au druidisme, puis à la métempsycose indéfinie dans le monde infini); L. Figuier, Le lendemain de la mort ou la vie future d’après la science, in-12, Paris, 1874; Les bonheurs d’outre-tombe (métempsycose solaire seulement et circulation indéfinie de la Terre au Dieu-Soleil par des corps éthérés, redescente sur Terre, etc.); C. Flammarion, dans ses nombreux ouvrages: Lumen ou Récits de l’infini, in-8°, Paris, 1872; Uranie, Paris, 1891; Dieu dans la nature, in-8°, 1866, etc.

 On trouve des idées semblables, quoique sous des formes différentes, chacun ayant ses rêves, dans Pelletan, La profession de foi du XIXe siècle, Paris, 1852; Laurent, Études sur l’histoire de l’humanité, in-8°, Bruxelles, 1860-1569, tit. I-IVI; Rouzier-Joly, Les horizons du ciel; Buret, L’esprit de vérité ou métaphysique des esprits, Paris, 1856; Pezzani, La pluralité des existences de l’âme, in-8°, Paris, 1864; cf. H. Martin, op. cit., p. 272 sq.; Th. Ortolan, Astronomie et théologie, Paris, 1894, p. 327-343 (étude de J. Reynaud, L. Figuier, C. Flammarion).

 Contre le fond de ces rêves et de cette conception métempsycosiste indéfinie, il suffira d’observer que la liberté n’est un attribut essentiel de l’homme qu’en tant que faculté. La relation de cette faculté à ses divers objets n’est pas nécessairement toujours identique; Dieu est libre et ne peut pécher; la liberté humaine peut donc être constituée en un état de fixité par rapport à certains objets sans qu’elle soit détruite. Dans l’autre vie, elle sera ainsi fixée dans le choix de sa fin dernière concrète, Dieu ou soi; dés lors fixité morale absolue; donc, possession ou privation de Dieu, ciel ou enfer. Nous prouverons cela plus bas. Contre les réincarnations spécialement, voir MÉTEMPSYCHOSE.
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 c) Universalisme. — Toute peine est médicinale et temporaire; le mal doit donc finir. Cela est exigé par tous les attributs divins: sagesse, justice, bonté. D'autre part, Dieu ne peut créer pour anéantir: ce serait absurde. Enfin, il est de la nature de l’être libre de pouvoir toujours se repentir. Tous les êtres libres le feront donc un jour ou l’autre, après les expiations nécessaires, aussi longues qu’on voudra, et sous l’impulsion des grâces triomphantes de Dieu. Un jour, tous les êtres libres seront saints et heureux, et Dieu ne saura plus distinguer, Père ébloui de joie, Bèlial de Jésus. V. Hugo, Contemplations.

 Parmi ceux qui croient à l’immortalité et ne veulent pas de l’éternité de l’enfer, voilà l’opinion la plus répandue. Dans l’antiquité païenne, ce fut l’affirmation explicite du zoroastrisme. D’après les gnostiques, quoi que que fissent ici-bas les pneumatiques, ils étaient nécessairement sauvés. Origène admettait une réconciliation universelle à la fin de notre monde, l’apocatastasis, quitte à faire répéter ensuite de nouvelles chutes et de nouveaux mondes. Les origénistes des IVe, Ve et VIe siècles insistèrent plus sur l’universalisme de leur maître que sur son palingénésisme indéfini. Voir plus haut, col. 58, 67. La secte des miséricordieux, en particulier, aux Ve et VIe siècles, affirma simplement l’universalisme pour tous les chrétiens ou pour les catholiques, ou pour les catholiques charitables, etc. Dans le haut moyen âge, nous trouvons le panthéisme évolutionniste de J. Scot Érigène, De divisione naturae, P. L., t. CXXII, par exemple, 1. V, col 1020, qui aboutit finalement à une franche négation de l’enfer éternel, dans De praedestinatione, C. XVII, 7, ibid., col. 428 Sq.; le rationaliste irlandais avait déjà commencé à n’interpréter le supplice éternel que d’une simple privation, état négatif, dit éternel par tradition, mais en contradiction avec l’esprit panthéiste du traité. Même universalisme panthéiste dans les sectes des amauriciens (Amaury de Bène + 1204, avec son disciple David de Dinan) et des albigeois pour qui l’unique enfer était la prison du corps terrestre, punition des âmes ou anges déchus. La Renaissance commença, XVe et XVIe siècles, le mouvement général d’incrédulité systématique de l’époque moderne. Les protestants affirmèrent d’abord l’enfer et nièrent le purgatoire, prétendant défendre la pure doctrine contre l’Église catholique, cf. Confession d’Augsbourg, 1, C. XVII, ; dès l’origine, pourtant, les anabaptistes furent universalistes; un peu plus tard. les sociniens nièrent en Dieu toute justice vindicative, n’admettant de lui que des peines médicinales. Actuellement, presque toute la dogmatique protestante orthodoxe ou rationaliste a fait volte-face et ne veut plus que du purgatoire. On trouvera de nombreuses références détaillées pour l’Allemagne dans J. Köstlin, Apokatastasis, dans Realencyklopädie, t. I, p. 616-661; Hettinger, Apologie du christianisme, les dogmes, t. II, p. 387, 388. Citons Bengel, Schleiermacher, Reinhardt, Martensen, Strauss et surtout Ritschl qui a comme imposé le sentiment universaliste, malgré le scepticisme de la thèse, à tout le protestantisme libéral. En Angleterre, le porte-drapeau de l’universalisme fut le chanoine anglican F. Farrar, Eternal hope: five sermons preached in Westminster Abbey nov-dec. 1877, livre qui fut très discuté et très lu. Cf. dans Contemporary review, l’article: The future punischment, avril, mai, juin 1878, décembre 1880. Comme document sur l’état actuel des esprits dans le protestantisme plus ou moins orthodoxe, on peut voir Köstlin, loc, cit., et Milton S. Terry, Biblical Dogmatics, in- 8°, Londres, 1907, p. 128-136; on principe, dit celui-ci, il faut savoir discerner la pure doctrine de la rétribution morale et de l’enfer de toutes les imaginations qu’y avait surajoutées un esprit barbare et grossier. Avec notre sens moral plus développé, plus fin, plus humain, notre vue plus profonde sur la nature intime des choses, il faut, dans l’Écriture, dans l’Évangile même, dégager l’idée pure de la destinée humaine? Quelle est-elle? Le conditionalisme? Non, certainement. Alors, l’universalisme? C’est une hypothèse possible; qui sait ce que Dieu fera en l’autre vie? Quelques textes lui sont favorables : I Cor., XV, 21-28, mais d’autres affirment assez clairement la fixité éternelle dans le mal; en tout cas, mieux vaut la liberté avec péché possible, même éternel, qu’un monde sans liberté et sans péché. Le dernier mot est: Dieu peut faire cela, mais le fera-t-il? Ignorabimus; la plus parfaite eschatologie qui ait jamais été écrite, c’est Job. Voir les mêmes indécisions, p. 482, 483. C’est de nouveau en Amérique que 1’universalisme s’est, non pas le plus développé, mais le mieux organisé. Aux États-Unis, sur la fin du XVIIIe siècle, un groupe d’universalistes s’était déjà formé en secte indépendante, dont les principaux organisateurs furent John Murray et le Rév. James Relly. Elle s’appela d’abord Independant christian church; vers 1790, après réorganisation et entente sur un credo en cinq articles, elle prend le titre: Universalist general convention. En 1803, nouveau credo plus large en trois articles; le deuxième dit: Nous croyons en un seul Dieu, dont la nature est amour, révélé en un Seigneur Jésus-Christ par un Esprit-Saint de grâce, qui finalement rétablira 1’entière famille du genre humain dans la sainteté et le bonheur. Malgré les credo, il y eut bientôt des divisions, à la suite d’un traité sur l’expiation de Hosca Ballou: A Treatise on atonement, Winchester, 1805 (réédité, ibid., 1903). Vers 1831, une fraction s’appela les restorationists. Les uni versalists ont encore remanié leur organisation et leur credo en 1870 et en 1899, « conformément au développement du savoir humain.., et de 1’esprit libéral de notre temps. » Pour être « fidèle », il suffit. d’admettre, quatrième principe, « la certitude d’une juste sanction pour les péchés, » et, cinquième principe, « l’harmonie finale de tantes les âmes avec Dieu. » En 1904, la secte comprenait 982 paroisses avec 54619 familles; elle compte, parmi ses membres, 750 clergymen; elle possède des collèges qui sont de vraies universités. Cf. Elmer Hewit Capen, ex-recteur de l’un de ces collèges, Tufts coll, mass., Universalism, dans l’encyclopédie The Americana, New-York, 1904, t. XVI; Grétillat, Exposé de théologie systématique, Paris, 1890, t. IV, p. 603.

 Bornons-nous à quelques observations directement anti-universalistes. Nous avons déjà remarqué que la liberté humaine peut être fixée dans le mal et donc devenir incapable de se convertir; et nous allons bientôt en démontrer le fait pour l’au-delà. Ainsi Bélial restera en toute nécessité éternellement dans la haine de Jésus. Ad hominem nous ajoutons que, si la liberté peut toujours se convertir, elle doit pouvoir toujours aussi se pervertir; et c’est le palingénésisme indéfini, ou c’est encore le mal gardé sans fin par une liberté qui le veut ainsi. Alors que ferait Dieu? Embrasser, malgré tout, ce Bélial qui le hait, pour réaliser, malgré tout, le salut universel? C’est absurde et Bélial même n’en voudrait pas. Forcer cette liberté à se convertir? C’est détruire et la liberté et la notion de l’amour repentant. Surtout, Dieu est-il tenu de donner ces grâces triomphantes à toutes les libertés finalement, quoi qu’elles fassent? Nous revenons ici à la question de l’enfer et des attributs divins. Voir plus loin. Quant à ce principe que toute peine est médicinale, il est parfaitement absurde, comme le prouvent l’expérience humaine sociale quotidienne et la notion même de sanction punitive. il faut punir et ceux qui veulent se corriger, et ceux qui ne le veulent pas, et ceux même qui sont déjà corrigés, car la peine est avant tout la réparation de l’ordre violé, et la punition du péché s’impose avec la même nécessité absolue que la réparation de l’ordre absolu ou divin.

 2° Sur le mode de durer de l'enfer, il y a eu des systènes erronés de mitigations. Voir MITIGATION.

 Sur le moment où commence l’enfer, il faut signaler l’erreur, qui serait actuellement une hérésie, de la dilation des peines infernales jusqu’à la fin du monde. Dans l’antiquité, nous avons trouvé cette erreur dans saint Justin, Tatien, Minucius Félix,Tertullien, saint Irénée, saint Hippolyte, saint Cyprien, saint
Ambroise; Hugues de Saint-Victor la croyait encore possible, bien que moins probable. Enfin, l’ensemble des théologiens se rangea du côté de la tradition anti-dilationniste, et le concile de Florence put définir le mox in infernum descendere, en 1439. Denzinger-Bannwart, n. 693.

 3° Sur les damnés. — Contre la vérité que tous les hommes morts en état de péché mortel sont damnés, il faut mentionner l’erreur des miséricordieux en faveur des chrétiens, etc.; l’erreur contraire, qui a survécu jusqu’à nos jours, d’une miséricorde pour les païens adultes ni sauvés, ni damnés, c’est-à-dire n’ayant pas pu parvenir à la fin surnaturelle, tout en faisant leur possible au point de vue moral et devant ainsi parvenir à leur prétendue fin naturelle, voir plus loin; l’erreur d’une conversion possible dans l’au-delà, au moins pour certains pécheurs (Hirscher, + 1865), opinion qui était qualifiée d’hérétique dans un schéma du concile du Vatican, Collectio lacencis, t. VII, p. 750; enfin l’erreur, hérétique aussi, d’un enfer restreint aux seuls péchés de malice, de révolte formelle contre Dieu. Schell, Katholische Dogmatik, t. III, p. 721.

 4° Sur le lieu de l’enfer, on ne peut appeler erronée que l’opinion des ubiquistes ou ubiquitariens, secte protestante, qui mettait l’enfer partout. Son principal représentant fut Jean Brentz, un des compagnons de Luther et rédacteur de la Confessio wurtembergica.

 5° Sur la nature des peines. — Il n’y a pas d’erreur directe à propos du dam. Quant à la peine du sens, supplice positif infligé directement par Dieu, elle fut niée par J. Scot Érigène, qui n’admettait que des peines néqatives, ne pas jouir, et, en particulier, faisait du feu de l’enfer un simple remords intérieur. Elle fut aussi niée par quelques inconnus du XIe ou XIIe siècle signalés par les docteurs d’alors, comme transportant toute la peine du sens dans l’ordre intentionnel: rêve ou pensée de souffrir. Sur le feu de l’enfer, voir FEU.

 6° Sur la graduation des peines. — Les stoïciens, Jovinien au IVe siècle et puis Luther affirmèrent l’égalité de tous les péchés, et, conséquemment, de tous les châtiments dans l'autre vie.

 7° Puisque Dieu est cause efficiente de l’enfer, formellement par justice vindicative, c’est donc une erreur de nier en Dieu cette justice pure vindication avec Vasquez. Voir JUSTICE. Il est donc faux, aussi, de dire que Dieu ne peut infliger que des peines médicinales. Il serait non moins faux et dangereux de conclure de l’existence de l’enfer à l’idée d’un Dieu sans amour et sans miséricorde infinie; 1’enfer n'est, en effet, qu’un aspect de la providence, et il n’en est pas le plus fondamental ni le plus essentiel.
 

 V. ENFER D’APRÈS LES DÉCISIONS DE L’ÉGLISE.

 Dans les symboles primitifs de la foi, l’enfer était implicitement enfermé dans l’article du jugement universel, dont on précisait seulement la sentence de vie éternelle. Cf. Denzinger-Bannwart, 1908, n. 2, 6, 9, 13.

 La double sentence est précisée dans la formule dite Fides Damasi, de la fin du IVe siècle, probablement: aut poenam pro peccatis aeterni supplicii. Ibid., n. 16.

 Le symbole dit de saint Athanase, probablement du Ve siècle, fait un article de foi de l’enfer éternel: qui vero mala in ignem aeternum (ibunt). Haec est fides catholica, quam nisi quis que fideliter firmiterque crediderit, salvus esse non poterit. Ibid., n. 40.

 Une lettre du pape saint Simpliclus (476) dit des hérétiques détachés de l’Église, qu’ils sont destinés au feu éternel de l’enfer. Ibid., n. 160.

 Nous avons vu que dans la lutte contre l’origénisme, le synode de Constantinople de 534 dont les canons ont été approuvés par le pape Vigile et, grâce à la vigilance de l’empereur Justinien, ont été souscrits par un très grand nombre d’évêques, a, peut-on dire, défini l’éternité des peines de l’enfer: Si quis dicit aut sentit, ad tempus esse daemonum et impiorum hominum supplicium ejusque finem aliquando futuram, sive restitutionem et redintegrationem fore daemoum aut impiorum hominum, anathema sit., can. 9, n. 211. Le Ve concile oecuménique, IIe de Constantinople, renouvela ces condamnations contre Origène et ses erreurs, en particulier la monstruosa restitutio. Can 1, 12, 13, 14; Denzinger, n. 187 sq. Il en fut de même dans les trois conciles oecuméniques suivants.

 Dans les documents concernant la prédestination, on trouve la doctrine de la non-réprobabtion antécédente et l’affirmation par concornitance des supplices éternels. Denzinger-Bannwart, n. 321-328.

 Toutes ces décisions ne portent que sur l’existence et l’éternité de l’enfer.

 Au commencement du XIIIe siècle (1201). Innocent III, dans une lettre insérée ensuite dans les Décrétales, 1. III, tit. XLII, c. 3, Majores, Denainger-Bannwart, n 410, distingue deux peines, l’une, purement privative, l’autre, positive: poena originalis peecati est carentia visionis Dei, actualis vero poena peccati est gehennae perpetuae cruciatus.

 Le XIIe concile oecuménique, IVe de Latran (1215), c. I, exposant la foi catholique contre les albigeois, dit des réprouvés qu’après la résurrection générale, en raison de leurs mauvaises actions, ils reçoivent cum diabolo poenam perpetuam. Denzinger-Bannwart, n. 429.

 Au XIVe concile oecuménique, IIe de Lyon (1274), on approuva cette profession de foi de Michel Paléologue, qui affirmait la disparité des peines des damnés et l’entrée en enfer aussitôt après la mort. Illorum animas qui in mortali peccato vel cum soto originali decedunt, mox in infernum descendere, poenis tamen disparibus puniendas. ibid., n 464.

 Ce dernier enseignement est donné par Benoît XII, dans sa constitution Benedictus Deus (1336), sous forme de définition: Definimus quod secundum Dei ordinationem communem animae decedentium in actuali peccato mortali mox post mortem suam ad inferna descendunt ubi poenis infernalibus eraciantur. Ibid., n. 531. Voir du même pape, dans le catalogue des erreurs des Arméniens (1341), les art. 4 et 18, sur l’enfer, considéré comme la peine du seul péché originel. Ibid., n. 532, 536. Voir aussi t. II, col. 699.

 Le concile de Florence, XVIIe oecuménique, définit, en 1439, dans les mêmes termes que le Ile concile de Lyon, l’entrée des pécheurs en enfer, de suite après la mort, et la disparité des peines.

 Le concile de Trente ne donna aucune décision spéciale sur l’enfer, que les protestants du XVIe siècle ne niaient point. Il eut cependant l’occasion de rappeler la doctrine catholique sur la damnation. Cf. sess. VI, can. 25, 30, ibid., n. 835, 840.

 A signaler encore la proposition condamnée par Alexandre VIII Ibid., n. 1290.

 Le 28 août 1794, Pie VI a condamné la doctrine du synode janséniste de Pistoie au sujet de la peine éternelle du dam pour les enfants morts sans baptême. Ibid, n. 1526.

 Enfin, le 30 avril 1890, la S. C. de la Pénitencerie a déclaré que les pénitents qui ne croient pas au feu de l’enfer diligenter instruendos esse et perlinaces non esse absolvendos. Cette décision disciplinaire atteste que la croyance au feu de l’enfer est au moins une opinion catholique qu’on ne peut rejeter sans péché grave de témérité.
 

 VI. SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOGiQUE SUR L’ENFER.

 I. Existence. II. Origine et commencement. III. Éternité rie l’enfer. IV. Damnés. V. Lieu de l’enfer. VI. Nature des peines de l’enfer. VII. Leur graduation. VIII. Cause efficiente. IX. Cause finale de l’enfer. X. Applications pratiques

 I. EXISTENCE DE L’ENFER. — Elle est de foi définie, ainsi qu’il résulte des décisions du magistère ecclésiastique que nous venons de citer. Elle est affirmée par l’Écriture sainte, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, et par toute la tradition catholique; les origénistes eux-mêmes croyaient à l’enfer et ne se trompaient que sur sa durée.

 La raison naturelle spéculative et le consentement universel des peuples fournissent aussi sur ce point des arguments certains. Voir SANCTION (nécessité de la sanction, laquelle n’est évidemment pas complète en ce monde). P. Bernard, art .Enfer dans Dictionnaire d'apologétique, Paris, 1910, t. I, col. 1377 sq.; Monsabré, Carême 1888, XCIIIe conférence. Enfin l’existence de l’enfer est en connexion logique avec d’autres dogmes. Cette connexion est profonde et universelle: tout dans le christianisme évidemment tend à procurer aux hommes le salut éternel, que tous n’atteignent pas. Il y a donc ici des damnés. Contre l’existence d’une punition des pécheurs après la vie, il n’y a, d’ailleurs, guère d’opposition ni aucune difficulté.

 Il. ORIGINE ET COMMENCEMENT DE L'ENFER.

 1° Le feu éternel a été préparé pour le diable et ses anges. Matth., XXV, 41. L’enfer, séjour définitif des damnés, a donc été créé d’abord pour les anges déchus avant la création des hommes.

 2° Quand commence l’enfer pour chaque damné? — Pour les anges déchus, le châtiment a commencé tout de suite après leur chute, au moins quant à la peine substantielle du dam; pour la peine du feu, il peut se faire que beaucoup de démons ne la sauffrent pas, directement du moins, pendant qu’ils sont sur terre à tenter les hommes, c’est-à-dire jusqu’au jugement dernier. Voir t. IV, col. 404-405.

 Pour les hommes qui meurent en état de péché, ils vont en enfer tout de suite après leur mort et le jugement particulier. C’est une vérité de foi définie. Voir col. 91. Celle-ci a été incluse dans les professions de foi imposées par Urbain VIII et Benoît XIV aux Orientaux, parce qu’il y avait encore, au moyen âge, quelques sectes orientales qui renvoyaient, après la fin du monde, l’entrée au ciel et en enfer. Ct. S. Thomas, Contra gentes, I. IV, c. XCI. Dès le moment de leur mort, les damnés souffrent donc, non seulement du dam, mais de tous les supplices de l’enfer.

 Cette doctrine est prouvée:
 a) Par l’Écriture sainte. — Le mauvais riche est en enfer aussitôt après sa mort. Luc., XVI, 25. Il est dit aussi de Judas: praevaricatus est ut abiret in locum suum. Act., I, 25. Cf. encore les textes qui affirment le jugement de rétribution pour le moment de la mort, par exemple, Eccli., XI, 28. Voir JUGEMENT PARTICULIER.

 b) Par la tradition. — Elle est, on peut le dire, unanime, au moins à partir du Ve siècle. Voir col. 80 sq. Saint Grégoire le Grand, Dial., I. IV, c. XXVIII, P. L., t. LXXVII, col.365, résume ainsi la tradition patristique: Sicut electos beatitudo laetificat, ita credi necesse est quod a die exitus sui, ignis reprobos exurat.

 c) C’est aussi l’enseignement commun des théologiens. Saint Thomas, Sum. theol., IIIae Supplem., q. LXIX, a. 2: Cont. gentes, 1. IV, c. XCI, le résume ainsi ex pro fesso. Toute chose qui tend à une fin est comme un poids qui y tombe dès qu’elle n’est pas empêchée. Dans les âmes, le mérite et le démérite ont ainsi une tendance essentielle à la récompense ou au châtiment. En cette vie, ils sont comme suspendus, l’âme étant en état de voie; mais la mort brise leurs liens et aussitôt l’âme vel in infernum immergitur vel ad caelos evolat; la révélation est là-dessus manifeste : unde contrarium pro haeresi est habenduun. Le sentiment universel des fidèles a suivi cette doctrine des théologiens, ou plutôt du magistère de l’Église.

 d) Par la raison théologique. — Il n’y a d’abord aucune apparence de raison pour retarder le châtiment des pécheurs. Une fois sortis de l’état de voie, ils sont dans leur éternité, fixés dans le mal et la haine de Dieu, avec une vie psychique toute nouvelle; il ne s’agit plus pour eux de compter des années ou des siècles, avant d’être châtiés éternellement de leurs fautes; ils sont destinés à l’enfer éternel et ils y vont tout de suite. De plus, il n’y a pas de milieu dans l’autre vie : ou la charité parfaite ou l’aversio a Deo, immuable; donc, la peine du dam; et c’est la substance de l’enfer; le reste ne peut que suivre naturellement. Enfin, le bonheur du ciel n’est certainement pas différé pour les âmes pures, donc, a pari, les peines pour les âmes mauvaises ne sont pas non plus différées; cette parité est un principe général très important de la doctrine chrétienne des fins dernières: le ciel et l’enfer sont en opposition parfaite, bien que dans le même ordre.

 Prévenant une objection dialectique, saint Thomas ajoute cette raison de convenance. Le péché dérive de l’âme au corps; il est donc juste que le châtiment suive l’ordre du péché, c’est-à-dire qu’il commence par l’âme séparée et ainsi parvienne au corps, et non pas qu’il attende la résurrection des corps pour atteindre l’âme.

 e) Difficultés. — Le délai de la damnation n’est appuyé ni sur l’Écriture, ni sur la tradition, ni sur la raison théologique. Nous avons expliqué déjà le sens de ces affirmations apostoliques: in diem judicii reservare cruciandos (cruciatos), II Pet., II, 9; Jud., 5: le jour du jugement sera pour les damnés un jour de confusion et de peine spéciale, de confirmation plus immuable encore dans les mêmes supplices, d’augmentation enfin en quelques châtiments secondaires, corps ressuscités (hommes damnés), prison absolue de feu (démons). Voir col. 46. Ce qui a amené plusieurs anciens à admettre la remise de la damnation jusqu’après le jugement dernier, c’est l’habitude de l’Écriture d’associer, presque toujours, l’entrée en enfer avec celui-ci : ite... in ignem aeternum. Mais, comme en matière prophétique et eschatologique, en général, ce n’est là qu’un procédé descriptif, condensant en une seule perspective autour d’un point central et définitif, tous les éléments qui lui sont ordonnés de quelque manière; on démêle ceux-ci à l’aide d’autres textes.

 Des témoignages des anciens qui étaient partisans d’une dilatio inferni, saint Justin, Tatien, saint Irénée, Tertullien. saint Hippolyte, saint Cyprien. saint Ambroise, plus tard, comme possibilité, Hugues de Saint-Victor, on ne peut tirer aucune conclusion théologique. Ils n’énoncent qu’une opinion, qui n’est pas reçue de tous, et ses tenants témoignent, eux-mêmes, de l’existence de l’opinion contraire. D’ailleurs, même à leur sentiment, ce délai n’était que partiel et ne concernait que la réclusion dans l’étang de feu : dès après leur mort, les pécheurs subissaient des supplices et la peine du dam avec le désespoir, etc.

 Enfin, l’argument suivant de raison théologique n’a pas plus de valeur. Si les justes, non entièrement purifiés, vont au purgatoire, malgré le droit qu’ils ont d’aller au ciel, les âmes damnées pourraient bien, au moins les moins mauvaises, souffrir quelques peines en dehors de l’enfer proprement dit, jusqu’à la fin du monde. Hugnes de Saint-Victor, De sacram. fidei, I. II, part. XVI, c. IV. La parité ainsi établie n’est qu’apparente; l’âme juste est faite pour le ciel, mais ne peut y entrer sans être parfaitement pure, tandis que l’âme coupable est destinée à l’enfer et rien n’empêche qu’elle y soit précipitée tout de suite après la mort. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IIIae, Suppl., q. LXIX, a. 7, ad 9um.

 Les âmes séparées sont-elles, jusqu’à la résurrection, unies à quelque corps subtil, éthéré, soit en vertu de leur nature de substances non purement spirituelles, soit afin de pouvoir subir le supplice du feu de l’enfer? Origène, Tertullien, saint Augustin l’ont pensé, ainsi que, au moyen âge, Pierre Lombard et Dante; mais cette opinion est certainement fausse, fondée qu’elle était sur une notion imparfaite de la substance spirituelle. Voir col. 51.
 

 III. ÉTERNITÉ DE L’ENFER.

 Elle est de foi définie. Voir les définitions citées col. 90-91, en particulier celles concernant l’origénisme, explicitement dirigées contre la négation de l’éternité de l’enfer.

 Comme les anciennes erreurs à ce sujet ont éTé renouvelées par plusieurs écrivains au XIXe siècle, le concile du Vatican avait préparé de nouvelles définitions et de nouveaux anathèmes contre elles. Collectio lacensis, t. VII, col. 517, 567. Sicut vero Ecclesia catholica docet, nulla esse peccata..; quorum remissionem homines in hac vita... obtinere non possint; ita sacrarum Scriptuarum et sanctorum Patrum doctrinae et ipsius Ecclesiae catholicae consensui inhaerentes docemus et definimus post viam hujus vitae, quando homines jam ad terminum retributionis pervenerunt, ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit sive bonum sive malum (II Cor., v, 10) pro nulla lethali culpa relictum esse locum salutaris paenitentiae et expiationis, sed cuivis peccato mortali, quo maculata anima mox post obitum coram sancto et justo judice Deo comparverit, poenam constituam esse perpetuam, sicut ipse aeternus judex testatur: Vermis eorum non moritur et ignis non extinguitur. Unde tanquam haereticam damnamus doctrinam tum eorum qui negaverint poenas damnatorum in gehenna fore perpetuas; tum eorum qui dixerint quaedam esse peccata mortalia quorum expiatio et remissio post mortem sperari possit atque ita eos qui cum hujusmodi culpae reatu ex hac vita decesserint, non in aeternum damnari, c. XVII; et le canon 5, De gratia redemptionis, aurait défini: Si quis dixerit, etiam post mortem hominem justificari posse aut poenas damnatorum in gehenna perpetuas futuras esse negaverit, anathema sit.

 L’éternité de l’enfer est, en effet, prouvée par des arguments sans réplique pour un chrétien.

 1. Écriture sainte. — La plupart des textes, qui prouvent l’existence de l’enfer, sont explicites sur l’éternité de cette damnation, opposée sans cesse à la vie éternelle. Is., LXVI, 24; Dan., XII, 1, 2; Judith, XVI, 20, 21 : le feu qui brûle les damnés est inextinguible, le ver qui les ronge ne meurt pas. Mattb., III, 12; Marc., IX, 42-48; Luc., XVI, 26; Apoc., XIV, 11; XX, 9-11 : l’enfer n’aura pas de fin, il durera pendant les siècles des siècles.

 Dans une autre série de textes, l’éternité des peines de l’enfer est positivement affirmée. II Thess., I, 8; Matth., XXV, 41. Le mot &&&&&  y désigne l’éternité proprement dite. Voir DAM, t. IV, col. 13; P. Bernard, art. Enfer, dans le Dictionnaire d’apologétique de d’Alés, t. I, col. 1390; Billot, De novissimis, 2e édit., Rome, 1905, p. 50 sq. En résumé la signification précise d’un mot, qui peut en avoir plusieurs, se détermine par le contexte ou, pour l’Écriture, par l’explication authentique de l’Église. Or, celle-ci, dans le-cas présent, est donnée par l’interprétation traditionnelle. Le contexte, d’ailleurs, n’a rien qui s’oppose à prendre le mot dans son sens naturel et il ne laisse aucune ambiguïté. Éternel, dans les textes cités, désigne certainement l’éternité proprement dite, pour la vie des bienheureux; donc aussi pour le supplice des réprouvés, et non pas simplement une très longue durée. Le contexte général évangélique est aussi lumineux : dans le Nouveau Testement, &&&&&, appliqué au siècle futur, signifie toujours une durée sans fin. Cf. Billot, loc. cit.

 Une objection centre la preuve scripturaire de l’éternité de l’enfer a été faite par les miséricordieux du Ve siècle. Cf. S. Augustin, De civitate Dei, 1. XXI, c. XXIV, 4, P. L., t. XLI, col. 739, puis par Le Clerc, Bibliothèque choisie, t. IX, Tilotzonus, etc., cf. V. Patuzzi, De futuro impiorum statu, Vérone, 1748, 1. III, c. IX, X : la sainte Écriture prouve que Dieu a menacé les pécheurs de l’enfer éternel, mais non pas qu’il mettra ses menaces à exécution. A cela il faut répondre que des menaces en paroles seulement sont indignes de Dieu et de l’homme et que des menaces à exécution incertaine seraient inefficaces et inutiles. La plupart des textes, de plus ne contiennent, pas une simple menace, un décret purement comminatoire, mais un décret absolu, Matth., XXV, ou des affirmations narratives absolues : le décret a reçu son exécution, l’enfer est un fait. Les passages qui ne contiennent qu’un décret comminatoire doivent être entendus en ce sens qu’en cette vie le pécheur peut échapper à la menace de l’enfer par la conversion (il en est ainsi de la menace contre Ninive), mais que si la mort le surprend dans le péché, le comminatoire devient décret absolu, puisque Dieu veut que ses menaces se réalisent, lorsque la volonté libre des hommes donne lieu à leur exécution. Cf. S. Augustin, De fide et operibus, c. XV, n. 25, P. t, t. XL, col. 213. Résoudre cette objection par l’immutabilité de Dieu, comme le fait Mazzella, De Deo creante, 2e édit., Rome, 1880, disp. VI, p. 896, ne suffit pas, car Dieu pouvait ab aeterno décréter la remise des peines dont il avait menacé les pécheurs, et, dans l’hypothèse, sa volonté demeurait immuable.

 2. Tradition. —- Tous les Pères sont unanimes, sauf peut-être saint Grégoire de Nysse, à admettra l’éternité de l’enfer; tous les écrivains et tous les fidèles ont accepté constamment cette doctrine, sauf Origène et les origénistes du commencement du Ve siècle, et la discussion qu’ils ont soulevée n’a fait que mettre davantage en lumière la clarté et la force de la lai universelle.

 On trouvera plus haut, col. 47-83, les témoignages des Pères et, en première ligne, ceux qui ont été rendus avant Origène. L’enseignement est alors universel et explicite. Ébloui par la philosophie grecque, Origène se laisse aller à des rêves d’un optimisme idéaliste de restauration universelle. L’Église condamne ses partisans, après que les Pères de l’Orient et de l’Occident ont réfuté Origène et les origénistes. Voir col. 77-78.

 Les Pères parlaient avec insistance de l’enfer éternel, peut-être plus que les prédicateurs modernes. Ils prouvent de façons diverses l’éternité de l’enfer. Tous font appel à l’Écriture sainte; ils en expliquent directement les textes et ils rejettent les fausses interprétations qui en étaient données. Cf. Index spécial de Migne, P. L., t. CCXX, col. 246. Quelques-uns invoquent la tradition (S. Méthode, S. Épiphane, Justinien); la plupart recourent aussi à la raison soit naturelle, soit théologique. Cf. un très court et très incomplet résumé, parfois discutable, dans J.Turmel, Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, t. I, p. 187-194, 250, 251.

 3. La raison. — a)Au point de vue purement rationnel, on peut dire que l’enfer doit être éternel.
 Ce point très important a été étudié par toute la science chrétienne dés l’origine. Résumer ce travail serait une oeuvre utile et nécessaire, et surtout en faire un examen critique complet. Voir une esquisse dans l’art. Enfer (le P. Bernard, loc. cit. L’explication rationnelle étant partie essentielle de la théologie spéculative, et parfois la partie la plus profonde, nous ne pouvons nous dispenser de résumer ici la substance de cette affirmation rationnelle de l’enfer Éternel.

 L’enfer est, du côté de Dieu, sanction du mal moral; du côté de l’homme, perversion continuée de sa liberté.

 Comme sanction, l’enfer doit être éternel. La sanction intimée, en effet, doit d’abord être efficace; or, elle ne peut être efficace si elle n’est pas éternelle: c’est un fait reconnu par tous, croyants et incrédules. Cf. Lucrèce, De natuera rerum, I, 108; S. Jérôme, In Jonarn, III, 6. Le motif de crainte n’est pas le plus noble, mais il est bon et nécessaire toujours, Mgr Gay, Vie et vertus chrétiennes, t. I, tr. IV, p. 191 sq., et les seules craintes proportionnées à la psychologie humaine, ce sont les craintes éternelles. Cf. Monsabré, Carême de 1889, XCVIIIe conf.; A. Nicolas, Études philos. sur le christianisme, I. II, c. I. La sanction appliquée, de plus, doit être proportionnée au mal commis; or, le péché mérite un châtiment éternel. Ceci peut se démontrer de deux façons générales. Le péché, disent tous les théologiens, est un mal, offense de Dieu, en quelque manière vraiment infini; son châtiment proportionné doit donc être, lui aussi, en quelque manière infini; il ne peut l’être en intensité; il le sera, par conséquent, en durée, c’est-à-dire, il sera éternel. Pour l’antécédent, voir PÉCHÉ; la conséquence est claire. Le péché, à un autre point de vue, c’est le mal, le désordre. Or, jamais le mal ne peut devenir le bien, le désordre l'ordre; éternellement donc, ces deux contradictoires seront séparés, en eux-mêmes et dans leurs conséquences, bonheur et malheur. Cf. Fonsegrive, dans la Quinzaine, 1897, p. 278; Bougaud, Le christianisme et les temps présents, t. V,p. 337; Hettinger, Apologie, p. 392. D’autre part, la séparation du conditionalisme est insuffisante, car ce serait finalement la victoire du mal sur le bien. CI. Laxenaire, L’au-delà ou la vie future d’après la science et d’après la foi, Paris, 1969, p. 51-55. Voir col. 86. Enfin, la séparation de l’enfer temporaire, de l’universalisme, en face de l’éternité identiquement heureuse pour le bien et pour le mal, ne serait qu’une différence infinitésimale, alors qu’elle doit être absolue. Cf. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame, 1851, LXXII conf., De la sanction.

 Il faut pourtant observer que tous ces arguments prouvent le droit, non le fait, car tous les péchés mortels, par la grâce de Dieu, n’iront pas en enfer comme ils le méritent. L’enfer de fait n’existera que s’il y a des péchés non expiés dans l’autre monde et s’ils sont alors inexpiables. Le premier point est évident d’expérience; toute la preuve rationnelle de l’enfer éternel se réduit donc au second problème indiqué plus haut : celui de la perversion immuable de la liberté en enfer.

 On peut prouver cette fixité de perversion de trois manières. Premièrement, en prouvant que notre vie ici-bas est notre unique épreuve. Cf. FIN DERNIÈRE, MÉTEMPSYCHOSE, MORT. Le péché, deuxièmement, est, de soi, irréparable, et la grâce de la conversion n’existe plus dans l’au-delà, cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. LXXXVII, a. 3; mais cet argument complexe ne vaut rien ici, car il est certain que le pécheur, tant qu’il vit, peut aimer Dieu super omnia et ainsi mériter, de congruo infallibili, la rémission de son péché. L’âme séparée enfin et radicalement, de par sa psychologie intuitive, est à jamais fixée dans l’immobile par rapport à sa fin dernière; la mobilité morale supposant essentiellement une psychologie abstractive. Et là se trouve, en effet, pour saint Thomas, l’explication dernière de l’enfer: l’enfer est éternel, non parce que Dieu punit éternellement, mais Dieu punit éternellement parce que le péché est éternel. Sum. theol, 1ae, q. LXIV, a. 2; Contra genres, 1. IV, C. XCIII. Voir OBSTINATION.

 Le fond du problème de l’enfer se trouve donc dans la nature du péché non expié et non expiable en l’autre vie. « L’enfer, si nous l’entendons, disait Bossuet, c’est le péché », le péché dans l’état de terme.

 b) Pour la raison théologique, la connexion de l’éternité de l’enfer avec le dogme révélé est profonde et universelle; et l’existence de l’enfer éternel est une conclusion logique de tout l’ordre surnaturel. La conduite de Dieu à l’égard de l’humanité, les interventions répétées de révélation, de miracles, de grâces sans nombre, de sacrements, d’institutions religieuses spéciales, la loi judaïque, l’Église avec tous ses constitutifs surnaturels divins, enfin la direction particulière de toute l’histoire, selon les fins d’une providence spéciale, supposent pour l’homme l’obligation morale du salut éternel et la sanction éternelle pour les hommes qui, par leur faute, n’ont pas fait leur salut. Pourquoi, de la part de Dieu, tant de menaces contre les pécheurs impénitents, tant de difficiles à pratiquer, tant de sacrifices,
héroïques, imposés à l’homme pour le salut, si quelques années de souffrances dans l’autre vie suffisent à expier les plus grands crimes? Pourquoi l’incarnation, la rédemption par la mort du Fils de Dieu incarné, s'il ne s’agit que d’arracher l’homme coupable à une peine finie et passagère, si longue qu’on la suppose? Ces mystères d’amour infini ne s’expliquent que si l’humanité pécheresse avait besoin d’être rachetée d’une peine, elle aussi infinie, c’est-à-dire éternelle. Cf. Hottinger, op. cit., p. 396; A. Nicolas, op. cit., p. 472.
 

 IV. LES DAMNES.

 Qui sont ceux qui sont en enfer? — 1° Les démons ou anges déchus. Voir t. IV, col. 104-105. — 2° Tous les hommes morts en état de péché mortel actuel. C’est de foi définie, au moins secundum Dei ordinationem communem. Voir col. 91, et la proposition condamnée par Alexandre VIII. Denzinger-Bannwart, n. 1290.

 1. L’Écriture sainte est explicite à ce sujet. Notre-Seigneur a déclaré qu’il fallait supprimer tout scandale et toute cause de péché pour ne pas s'exposer à la géhenne du feu inextinguible. Marc., IX, 42-48. Le mauvais riche est en enfer, parce qu’il n’a pas fait un bon usage de ses richesses. Lue., XVI, 19, 25. Saint Paul a donné à trois reprises un catalogue des péchés qui méritent l’enfer. I Cor., VI, 9, 10: neque molles,... neque fures, neque avari, neque ebriosi, neque maledici, neque rapaces regnum Dei possidebunt; Gal., v, 19-21 fornicato, immunditia, impudicitia, luxuria, idolorum sevitus, veneficia, inimicitiae, contentiones, aemulationes, irae, dissensiones, sectae, invidiae, homicidia, ebrietates, comessationes, et his similia... regnum Dei non consequentur; Eph., V, 5: omnis fornicator aut immundus, aut avarus, quod est idolorum servitus, non habet heredilatatem in regno Christi et Dei.

 A la thèse que tout péché mortel non expié à la mort mérite l’enfer, on a opposé le jugement dernier uniquement basé sur les oeuvres de miséricorde tant du côté des élus que du côté des réprouvés, Matth., XXV, 34-46; mais cette description n’est pas exclusive; les oeuvres de miséricorde accomplies ou omises ne sont qu'un exemple, et un exemple bien choisi d’ailleurs, de la matière du jugement général, puisque la loi et les prophètes se résument dans le précepte de la charité et que la charité effective, celle qui sauve, c’est celle qui s’exerce dans les oeuvres à l’égard du prochain, faites surnaturellement pour Dieu. Voir t.II, cal. 2256.

 2. La tradition ecclésiastique, dès le principe et sans discontinuité, répéta les menaces évangéliques et apostoliques de l’enfer contre tout péché, non seulement contre tout péché d’impiété, d’incrédulité ou d’apostasie, mais contre tous les péchés mortels des chrétiens eux-mêmes. Les Pères apostoliques ne s'adressent qu’aux fidèles et leur pensée est claire dans l’enseignement des deux voies, via vitae, via mortis. Voir col. 48. Les Pères apologistes disent que l’enfer est préparé pour tous les pécheurs païens et chrétiens. Voir col. 49-52. La controverse avec l’origénisme et la discussion de saint Augustin contre les miséricordieux confirment l’enseignement catholique. Voir col. 64-77. Après saint Augustin, il n’y eut plus dans l’Église le moindre dissentiment. Les théologiens qui pensèrent que les damnés sont soulagés par les prières qu’on fait pour eux, ne prétendirent jamais qu’ils sont ainsi délivrés de leur peine.

 3. La raison reconnaît clairement qu’il en doit être ainsi. La vie éternelle, c’est l’amour de Dieu, la sainteté béatifiée; l’enfer, c’est le rejet de Dieu, la fixation dans la fin dernière désordonnée, ou le désordre moral radical, désordre qui résulte du choix décisif de la fin dernière elle-même. Or, tout péché mortel non pardonné établit définitivement le pécheur dans cet état tout de suite après la mort. Au point de vue surnaturel, la vie éternelle, c’est la grâce sanctifiante; le péché mortel, quel qu’il soit, détruit cette grâce et avec elle la vie éternelle et le droit à l’héritage céleste. Tout homme qui meurt en état de péché mortel, y restant à jamais, ne peut obtenir la vie éternelle ni l’héritage céleste. Il est donc nécessairement destiné à l’enfer. Mais y aura-t-il au moins un milieu après la mort entre le ciel et l’enfer? Pour les enfants, voir LIMBES.

 3° Tout homme mort à l’âge de discrétion qui ne sera pas au ciel, sera en enfer. On s’est donc demandé si, après avoir atteint l’âge de raison, un homme pourrait mourir sans avoir ni commis de péché mortel, ni fait d’acte de charité justifiante, ni reçu le baptême, ne méritant ainsi ni le ciel ni l’enfer. Quelques-uns l’ont soutenu, pensant sans doute que le cas se vérifierait pour beaucoup de païens en particulier. Ainsi Dante, Inferno, canto IV, met dans les limbes, avec les enfants morts sans baptême, les meilleurs païens de l’antiquité, Aristote, Homère, etc. L. Picard, La transcendance de Jésus-Christ, Paris, 1905, t. II, p. 102, 103 : « Là aussi (dans les limbes) sans doute, se trouvera la masse innombrable des infidèles, morts dans l’infidélité; cette cohue d’êtres humains qui ont traversé l’existence, comme des flocons de neige..., ces innombrables adultes morts après avoir suivi autant que possible les dictées de leur conscience ne seront pas damnés. » Saint Thomas tient pour absolument impossible que des hommes capables de faire des actes libres, moraux, ne soient ni justifiés, ni personnellement pécheurs. Sum. theol., IIIae Suppl., q. LXIX, a. 7, ad 6um; surtout Ia IIae, q. LXXXIX, a. 6. La raison qu’il en donne est celle-ci: Cum usum rationis... habere inceperit... primum quod tunc homini cogitandum occurrit est deliberare de seipso et si quidem seipsum ordinaverit ad debitum finem per gratiam consequitur remissionem originalis peccati; si vero non ordinet seipsum ad debitum finem secundum quod in illa aetate est capax discretionis, peccabit mortaliter, non faciens quod in se est. C’est là une observation très psychologique : un des premiers actes libres, moralement accompli par l’homme, est naturellement de choisir son bonheur. Prenant conscience de soi, il veut son bonheur et il choisit parmi les biens qu’il connaît: il doit y avoir là et il y a de fait une fin dernière, voulue plus ou moins confusément: le bien, l’ordre moral et ainsi Dieu, ou soi-même, recherché définitivement, malgré tout, même malgré l'ordre moral à violer. Cf. S. Thomas, ibid., ad 3um. Dès que l’homme en est capable, il doit donc absolument accomplir le premier précepte essentiel de la loi naturelle, aimer Dieu comme sa fin dernière. Toutefois, cet argument, ex ratione precepti charitatis in primo instanti libertatis (opinion thomiste), est rejeté par plusieurs théologiens, Vasquez, Suarez, etc.,voie CHARITÉ, t. II, col. 2253 sq.; et cependant à peu près tous admettent que Dieu par sa providence pourvoit à ce que les enfants ne meurent pas, après l’usage de la liberté morale, avant un péché mortel ou un acte de charité justifiante. Très rares ont été ceux qui supposaient un lieu spécial, inconnu de la tradition, pour les adultes, qui seraient coupables du péché originel et de péchés véniels seulement. Surtout le dogme de la nécessité de la grâce, pour éviter le péché, écarte sans conteste ces vies d’adultes sans grâces ni péché. Actuellement on qualifierait donc cette opinion d’au moins téméraire. Voir t. iIV, col. 22, 23. Cf. Pie VI, bulle il auctorem fidei, Denzinger-Bannwart, n. 1526.

 Les propositions précédentes sont comme des principes abstraits. Concrètement, quels sont les damnés? Sauf de Judas, Act., I, 25; Joa., XVII, 12; Matth., XXVI, 24, on ne peut dire d’aucune personne individuelle, qu’elle est damnée. Au moins, les damnés sont-ils plus nombreux, ou moins nombreux que les élus? Voir ÉLUS (Nombre des).

 4° Mais on fait à la doctrine de l’universalité de l’enfer pour tous les pécheurs l’objection que des âmes damnées ont été délivrées de l’enfer.

 1. Les faits et les autorités. — Un écrit admis longtemps comme l’oeuvre de saint Jean Damascène, De iis qui ici fide dormierunt, P. G., t. XCIV, col. 247-278, rapporte que Notre-Seigneur, lorsqu’il descendit aux enfers, délivra beaucoup d’honnêtes païens qui étaient morts sans la foi et qui crurent alors à sa parole, que saint Grégoire le Grand, par ses prières, délivra de l’enfer l’âme de Trajan et que sainte Thècle enfin délivra par le même moyen l’âme d’une païenne nommée Falconilla. Jean Diacre, au IXe siècle, recueillit pour l’Occident cette histoire qu’il dit avoir apprise des Églises anglaises ou saxonnes. Vita Gregorii, 1. II, n. 44, P. L., t. LXXV, col. 104, 105.

 Une autre série de miracles fut colligée de la vie de divers saints : miracles de résurrection d’âmes mortes en état de péché mortel, mais par grâce de Dieu, avant d’être condamnées à l’enfer, revenant à la vie, pour se purifier par le baptême ou la confession. Saint Grégoire le Grand raconte un fait de ce genre, de saint Silvère, Dial., 1. 11, C. XII, P. L., t. LXXVII, col. 212-213; Sulpice Sévère, un autre de saint Martin, P. L., t. XX, col. 164; Évodius (?), un autre de saint Étienne, De miraculis S. Stephani, 1. I, C. XV, P. L., t. XLI, col. 842, pour un enfant mort sans baptême. Le pseudo-Ambroise, Serm., XLVIII, P. L., t. XVIII, col. 727, en réalité, saint Maxime, Serm., LVI, De S. Agnete, P. L., t. LVII, col. 646, rapporte encore un autre exemple, de sainte Agnès, en faveur du fils du préfet, mort subitement au lupanar. Enfin, plus tard, on rapportera des miracles semblables de saint Patrice, Vie, par l’abbé Riguet, 1911, de saint Philippe de Néri pour Paul Fabricius de la famille princière Massimo (résurrection, confession, mort définitive), Vie, dans Guérin, Petits bollandistes, 26 mai, t. VI, p. 219, etc. Spécialement sur la délivrance de damnés par le Christ descendu aux enfers, voir t. IV, col. 597-602.

 2. Critique théologique des faits. — Les théologiens hésitèrent d’abord à admettre toutes ces histoires, surtout les premières. Cf. Robert Pullus, Sent., 1. VII, c. XXVII, P. L., t. CLXXXVI, col. 945, cf. col. 1128, note de dom Mathoud. Saint Thomas semble admettre les faits, à cause des autorités qu’il ne savait récuser, mais veut aussi les faire tous rentrer dans la seconde catégorie. Sum. theol., IIIae  Supplem., q. LXXI, a. 5, ad 4um : Non erant finaliter in inferno deputati, sed secundum praesentem propriorum meritorum justitiam; secundum autem superiores causas quibus praevidebantur ad vitam revocandi, erat aliter de eis disponendum. D’autres, ajoute saint Thomas, n’admettent, pour les damnés proprement dits (faits de la première catégorie), qu’une suspension de l’enfer jusqu’au jugement dernier. Jean le Diacre avait admis une libération complète des supplices infernaux, mais sans faire aller Trajan aux ciel, ni le faire sortir de l’enfer. En tous cas, pour saint Thomas, ces pécheurs qui étaient en enfer, sans être damnés, ont dû, pour être sauvés, revenir à la vie, à l’état de voie; on ne peut admettre qu’ils aient été justifiés en enfer, comme semble le dire pourtant le texte du pseudo Jean Damascène. De plus, c’est un miracle qui ne dépend que de Dieu seul et qui est tellement contre la loi commune, qu'on ne peut prier peur le demander. Saint Thomas sauvegarde ainsi les deux vérités catholiques : l’enfer est éternel; il ne faut pas prier pour les damnés. Jean Diacre avait distingué entre prier et pleurer pour les damnés; saint Grégoire avait pleuré sur Trajan, mais non prié peur lui. Enfin, le récit lui-même de ce miracle confirmait ces deux vérités, car Dieu aurait dit à saint Grégoire : Trajan sera sauvé, tu autera posthac caveto ne mihi pro impiis supplex sis. En admettant les explications de saint Thomas, tous les théologiens postérieurs ont reconnu qu’il ne répugne pas absolument que Dieu suspende la fixation en l’état de terme de certaines âmes mortes en état de péché mortel (comme de celles qui, mortes en état de grâce, furent ressuscitées), pour leur laisser encore durant quelque temps la liberté morale nécessaire à leur conversion. Ces âmes ne seraient pas damnées bien que peut-être souffrant en enfer, et ainsi il reste vrai que pour tous les damnés l’enfer est éternel. C’est cette possibilité qui a fait poser par Benoît XII, dans sa constitution: Benedictus Deus, Denzinger-Bannwart, n. 1336, la restriction : secundum Dei ordinationem communem. Voir col. 91. Cf. Bellarmin, De purgatorio, 1. II, C. VIII, Opera, Naples, 1872, t. II, p. 397 sq.; Sylvius, In SuppL, q. LXXI, n. 5; Suarez,  In IIam, De mysteriis vitae Christi, disp. XLIII, sect. III, n. 10, Opera, t. XIX, p. 737, Mazzella, loc. cit., a. 5, n. 1261, p. 889, 890. Voir t, IV, col. 613, 614.

 3. Critique historique des faits. — Les Orientaux nièrent, dès le XIe siècle, l’authenticité de l’écrit attribué au Damascène. Cf. Le Quien, Dissert. Damasc., diss. V. P. G., t. XCIV, col. 197. Ce ne fut que plus tard que les latins la rejetèrent avec les histoires qu’elle garantissait. On pensa d’abord que saint Jean de Damas avait vécu 200 ans avant saint Grégoire. Medina, In IIIam q. LII a. 6; Joseph du Saint-Esprit, au XVIIIe siècle encore, Cursus theologiae mystico-scholasticae, 5 in-fol., Séville, 1721, t. II, dist. VI, q. III, p. 154, etc. Puis après Melchior Cano, De locis theol., 1. Xl, c. II, Bellarmin, loc, cit., abandonna cette attribution pour de justes arguments de critique interne (contradictions avec la doctrine certaine des deux saints, cf. De fide orthodoxa, II, 4; Morat., 1. XXXIV, C. XIII), et surtout de critique externe, silence absolu des Occidentaux, Paul Diacre, Anastase le Bibliothécaire, Adon, le V. Bède, etc., des traditions et des archives de Rome, jusqu’à Jean Diacre. La dernière tentative en faveur de l’authenticité du salut de Trajan, par Ciaconio, fut magistralement réfutée par Bellarinin, loc, cit. Aujourd’hui, aucun doute n’est possible. Cf. Bardenhewer, Les Pères de l’Église, Paris, 1905, t. III, p. 90.

 Quant à la seconde série de faits résurrections d’enfants ou de pécheurs, il est impossible d’en faire ici la critique détaillée; il semble que plusieurs sont certainement authentiques : théologiquement, aucune raison ne s’y oppose. La thèse de l’universalité de l’enfer pour tous les hommes morts en état de péché est la loi générale que n’infirmeraient pas des exceptions très rares et souverainement miraculeuses.
 

 V. LE LIEU UE L’ENFE.

 Être dans le lieu n’appartient directement qu’à la quantité corporelle. Les substances spirituelles cependant peuvent avoir un certain contact avec cette quantité, et ainsi par elle se trouver en quelque manière dans le lieu. Les démons et les damnés, avant la résurrection, peuvent donc être dans l’enfer comme dans un lieu.

 1° L’enfer est un lieu déterminé. — C’est certissima Ecclesiae doctrine, dit Mazzella, De Deo creante, p. 886; de loi catholique, dit Suarez, De angelis, 1. VIII,
c. XVI, n. 2, p. 1054.
ci.
 1. Le fondement de cette affirmation se trouve dans l’Écriture. Il n’y a pas de doute que pour celle-ci le Se’ôl en général était un lieu spécial. Cf. Num., XVI, 31; Job, X, 21, 22, et souvent ailleurs; Ps. XLVIII, 18-20; liv, 16; LXII, 10, etc. Or si le Se’ôl est un lieu, a fortiori la géhenne, celle-ci étant d’ailleurs comme localisée au fond du Se’ôl. Ezech., XXVI, 26; Is., v, 14; XIV, 15; XXIV, 21, 22; Ps. XLVIII, 15. Dans le Nouveau Testament, il suffit de mentionner Matth., XIII, 42, 50; Luc, VIII, 31; XVI, 19, 31; Act., I, 25; Phil., II, 10; II Pet., II, 4; Apoc., IX, 11; XX, 1; v, 3, etc. On peut citer aussi tous les textes qui envoient au feu matériel, donc, occupant un lieu.

 2. La tradition catholique est unanime. Il suffit de citer saint Augustin, Retract., II. 24; saint Jean Chrysostome, Homil., XLIX, L, ad papul.; saint Cyrille d’Alexandrie, In Is., 1. I, c. v ; saint Grégaire le Grand, Dial., 1. IV, c. XLIII. Le consentement des théologiens, la croyance ferme des fidèles et de toute l’Église sont manifestes. Cf. Bellarmin, De Christo, 1. IV, c. VIII sq. ;De purgatorio, 1. II, c. VI.

 3. La raison naturelle n’a rien à dire ici, car, comme le remarque Suarez, loc, cit., n. 10, p. 1057, cette localisation des supplices des damnés ne dépend que de la libre volonté de Dieu. Il y a cependant des raisons de convenance. Celles de saint Thomas, Sum. theol., IIIae Suppl., q. LXIX, a. 1, sont influencées par la physique ancienne des lieux naturels, au proportionnellement convenables. Celles de Suarez, loc, cit., sont basées sur sa théorie de la création des anges intra mundum, c’est-à-dire sur sa théorie de la présence essentielle des anges en quelque lieu. Une raison plus solide sera tirée de la convenance de la punition par le feu corporel qui évidemment est localisé quelque part.

 Et c’est ici un point où la révélation complète la raison. Celle-ci admet des supplices pour les méchants, celle-là ajoute qu’ils seront infligés en un lieu spécial avec du feu horrible : cela frappe davantage les hommes : raison de convenance pour nous.

 Ce lieu est unique et identique pour tous les damnés: cela semble tout naturel; c’est la pensée traditionnelle fondée sur la façon de parler de la révélation écrite : une géhenne de feu où les impies sont précipités comme liés en gerbe, l’enfer, la géhenne, le lac de feu, l’abîme, la prison éternelle, etc.

 Voir plus haut, col. 90, les opinions contraires à cette doctrine du lieu spécial et déterminé de l’enfer.

 2° Où est l’enfer?— Ici,il n’y a plus rien de certain, mais une succession d’hypothèses plus ou moins fondées. Voir une liste dans Suarez, loc. cit., n. 14, p. 1058, et elle n’est pas complète.

 L’enfer a été mis de l’autre côté de la terre par quelques anciens; dans la vallée de Josaphat ou la gehinnom; en dehors de notre monde (S. Chrysostome, In Epist. ad Rom., homil. XXXI, P. G., t. LX, col. 674); dans l’air ténébreux (S. Grégoire de Nysse, De anima et resurrectione, P. G., t. XLVI col. 67); au troisième ciel, en face du paradis (Secrets d’Hénoch, voir col. 42); dans le soleil (Swinden, théologien anglais, + 1740); pour d’autres, il est dans la lune, dans Mars, à l’extrême limite inférieure de l’univers (Wiest, Inst. theol, 1789, t. VI, p. 869). Cf. V. Patuzzi, De sede inferni in terris quaerenda, Venise, 1763 (çontre Swinden); J. Gretser, De subterraneis animarum receptaculis, Ingolstadt, 1595.

 Mais en définitive ce sont opinions particulières, bien que non condamnées. Saint Augustin disait en effet, De civitate Dei, l. XX, c. XVI, P.L., t. XLI, col. 682:
in quae mundi vel rerum parte futurus sit, hominum scire arbitror neminem, nisi forte cui spiritus ostendit. Salut Chrysostome dit aussi : Ne igitur quaeramus ubi sit sed quomodo eam effugiamus. In Epist ad Rom., homil. XXXI, n. 5, P. G., t. LX, col. 674. Enfin saint Grégoire le Grand : Hac de re temere definire non audeo. Dial., 1. IV, c. XLII. On voit si Wiggers avait raison de dire que l’enfer au centre de la terre est de foi. Cf. Dens, De novissimis, dans Migne, Theol. cursus, t. VII, col. 1594. Petau lui-même semble exagérer quand il dit : communis, et ut apparet certissima, loc, cit., c. v, n. 7; de même Suerez, loc. cit., n. 17.

 L’opinion à peu près commune a toujours été cependant que l’enfer est à l’intérieur de la terre. La façon de parler des saintes Écritures lui est clairement favorable. Pour la tradition nous citerons seulement Tertullien, De anima, c. v, saint Irénée, Cont, haer., V, XXXI; saint Hippolyte, Adv. Graecos, 1; saint Augustin, après avoir fait des difficultés, In Gen., I. XII, c. XXXIII, XXXIV, se rétracte ainsi, Retract., 1. II, c. XXIV, n. 2 : magis mihi videor docere debuisse quod sub terris sint (inferi) quam rationem reddere cur sub terris esse credantur sive dicantur quasi non ita sint. Saint Jérôme à plusieurs reprises l’affirme sans hésitation, par exemple, In Epist. ad Eph., IV, 9. Saint Grégoire le Grand traite la question ex professo, Dial., 1. IV, c. XLII, XLIX; cf. 1. XV, c. XVII, etc., et conclut à la plus grande probabilité de l’opinion commune. De même, S. Isidore de Séville, Orig., l. XV, c. IX; Hugues de Saint-Victor, Le sacram. fidei, 1. II, part. XVI, c. IV; S. Thomas, IIIae Supplem., q. XCVII, a. 7; Suarez, loc. cit., n. 17 sq., p. 1059; De purgatorio, disp. XLV, Opera, t. XXII, p. 879-902. Les raisons de convenance indiquées par ces auteurs sont les suivantes. D’abord, rien ne s’y oppose : l’espace, le feu, etc., peuvent se trouver à l’intérieur de la terre. Le mot enfer et la croyance universelle qu’il inclut indiquent un lieu souterrain. Analogie avec les désirs charnels, terrestres des pécheurs. Analogie de la prison ténébreuse avec l’état de désespoir et de méchanceté des damnés, etc.

 3° Comment les damnés sont-ils enfermés dans l’enfer? — Pour les corps des hommes damnés, après la résurrection, il n’y a pas de difficulté.

 Pour les âmes et les démons, ils sont en enfer de la façon dont les substances spirituelles sont en un lieu; et là-dessus les théologiens ne s’accordent pas. Voir ANGÉLOLOGIE, t. I, col. 1231 sq.; FEU DE L’ENFER.

 Les damnés peuvent-ils quitter ce lieu infernal? Les démons, oui. Voir DÉMONS, t. IV, col. 404. Pour les hommes et la question des revenants d’enfer, voir dans APPARITIONS, t. I, col. 1688-1692, les principes théoriques généraux. Par la permission divine et pour l’utilité des vivants, il ne répugne pas. que quelque damné apparaisse sur la terre, pour un instant, S. Thomas, Sum. theol., IIIae ,Supplem., q. LXIX, a. 3, soit dans une apparition purement représentative (causée par Dieu ou les anges; nous ne parlons pas des tromperies du démon), soit même par une apparition substantielle avec un corps apparent, ou dans son cadavre, ou dans le feu, etc.

 Les faits d’ailleurs, dit J. Ribet, La mystique divine, t. II, p. 221, sont tellement multipliés, qu’il serait déraisonnable de les révoquer tous en doute; par exemple, l’apparition de ce docteur à l’université de Paris, en des circonstances si dramatiques, et qui aurait déterminé la conversion de saint Bruno, voir t. II, col. 2275, et Acta sunctorum, t. II, p. 538-595; l’apparition d’un prélat indigne et damné à Denys le Cbartreux, Acta sanctorum, t. VIII, p. 248. Cf. Lopez Ezquerra, Lucerna myst., tr. IV, c. XIII, n. 116, pour d’autres faits; J. Ribet. op. cit., c. XII, p. 225-229.

 La situation (situs) locale des damnés en enfer est en dehors de nos connaissances et ce que les poètes, les ascètes, les orateurs anciens développent à ce sujet est oeuvre d’imagination plus ou moins droite. Par exemple, Bail, Théologie affective, Paris, 1845, t. v, p. 379 sq., examine s’il vaut mieux se représenter l’enfer comme un ensemble de lieux divers à différents tourments ou comme un étang unique où les damnés sont entassés l’un sur l’autre comme des poissons frits ensemble; on trouve de semblables préoccupations en beaucoup d’auteurs de méditations. Quant aux localisations des grands poètes chrétiens, Dante, Divine Comédie, part. 1, l’enfer; Le Tasse, Jérusalm délivrée, c. IV; Milton, Paradis perdu, I. II; Klopstock, La Messiade, c. IX, dans leurs rapports avec la théologie, voir Th. Ortolan, Astronomie et théologie, Paris, 1894, p. 155-159, 171, 173 sq., 191.

 Après cet exposé on gardera peut-être l’impression que c’est trop peu de regarder comme plus probable l’opinion de l’enfer intra-terrestre, et que Suarez avait raison de la donner comme certitude catholique. Mais il faut observer que la façon de parler au sujet des dogmes qui touchent à la cosmologie et à l’astronomie est fondée sur les apparences vulgaires et sur le système astronomique admis à chaque époque. Dans la physique géocentrique, avec haut et bas cosmiques proprement dits, l’enfer était naturellement conçu comme placé en bas sous la terre, de même que le ciel en haut dans l’empyrée. Indépendamment d’ailleurs de cette conception scientifique regardée aujourd’hui comme fausse, le langage populaire, de même qu’il fait habiter à Dieu spécialement en haut, dans les cieux où se manifestent, de la façon la plus sublime, sa gloire et sa puissance, placera naturellement les êtres mauvais à l’opposé dans les ténèbres de la terre. On ne pourrait guère se représenter Satan ayant sa demeure propre dans les splendeurs du firmament. Mais ces façons métaphoriques de parler n’ont aucune prétention scientifique et leur seule vérité absolue est une vérité morale; saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Grégoire en avaient déjà conscience. Cf. Th. Ortolan, op. cit., p. 62 sq., 122 sq., 149 sq. ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910, p. 104-106. Voir DESCENTE AUX ENFERS, t. IV, col. 566, 583. Comme le sens métaphorique pourtant ne s’impose pas, il reste plus probable que le sens naturel doit être conservé.
 

 VI. NATUEE DES PEINES DE L’ENFER.

 1° Généralités. — L’enfer, c’est le péché, non pas le reatus culpae, mais le reatus poenae, ou plutôt les peines dues à ce reatus et appliquées enfin dans l’état de terme. Comme le reatus poenae dépend essentiellement du
reatus culpae, la théologie de ces peines est, par toute sa rature intime, absolument commandée par la théologie du reatus culpae et du reatus poenae. Voir PÉCHÉ, PEINE.

 Dans tout péché, il y a un double désordre responsable (reatus culpae): le rejet de Dieu comme fin dernière, reatus aversionis a Deo; le choix d’une créature à sa place, reatus coaversionis ad creaturam, le tout est une offense de Dieu. Tout péché mérite un châtiment, reatus poenae, car tout désordre moral doit être réparé, compensé; cette compensation réparatrice est une privation proportionnelle du bien contre lequel un a péché. Au double reatus culpae correspond donc proportionnellement un double reatus poenae; pour le rejet de Dieu (péché mortel), la privation de Dieu, le dam; pour l’usage désordonné de la créature, quelque peine spéciale dans cet usage même, la peine du sens.

 Quant aux façons dont ces peines sont appliquées, il faut distinguer la peine concomitante: tout désordre moral entraîne, en effet, de par sa nature, une peine:
la privation de la beauté morale d’abord et puis un trouble dans les facultés violentées, qui, devenu conscient, constitue le remords, la honte, l’angoisse, etc., enfer intérieur parfois si terrible, inexorable comme un ver rongeur; et puis la peine infligée du dehors, la seule que regarde directement le reatus poenae, celle que le gardien de l’ordre inflige au coupable. Cette peine, considérée avant la faute, est la sanction à l’état de menace; les peines de l’enfer ne sont évidemment pas de cette espèce; considérées après la faute, elles sont châtiment appliqué. Celui-ci enfin est ici-bas vengeur de l’ordre moral et médicinal en même temps, mais dans l’autre vie, il ne pourra plus être que purement vindicatif: tel est le supplice de l’enfer.

 Dans les éléments de ce supplice, la division en peine du dam et peine du sens est faite d’après certaines formalités des châtiments infligés. Concrètement on a donné d’autres divisions. Par exemple, peines dans l’intelligence: caecitas mentis; peines dans la volonté : obstinatio in malo ; souffrances intérieures, douleur, désespoir, remords: exclusio a gloria seu a beatitudine; souffrances venant de l’extérieur : feu, lieu, société, etc. C’est l’ordre de saint Thomas, Sum. theol., Ia, q. LXIV, a. 1-4, développé d’une façon oratoire par le P. Monsabré, Carême de 1889. Une autre division comprend les peines subjectives: dépravation des facultés, intelligence et volonté; les peines objectives : privations de Dieu et de tous les autres biens, objets des diverses facultés, supplices positifs infligés par le feu, etc. Cf. encore Contra gentes, 1. III, c. CXLII, privation de la béatitude, des vertus, de l’ordre des facultés, des biens du corps et des biens de la société.

 Il est de fait que toutes ces peines concourent à constituer le châtiment de l’enfer. Les théologiens ont raisonné parfois longuement, pour faire entrer ces divisions réelles dans la division formelle : dam et sens; ainsi ils se sont demandé si la tristesse de la perte de Dieu, l’obstination dans le mal appartiennent au dam ou au sens. Cf. Suarez, De angelis, 1. VIII, c. IV-VI, p. 972-983; Salmanticenses, De vitiis et peccatis, disp. XVIII, dub. I, n. 4 sq., t. VIII, p. 398 Sq. Comme il a été expliqué, DAM, t. IV, col. 6, les mots, peine du dam et peine du sens, peuvent prendre des sens différents, lorsque ces peines sont mises on relation avec Dieu, avec le pécheur ou avec le péché. Ajoutons toutefois que l’essence de la peine étant précisément dans la privation d’un bien, comme la récompense est dans sa possession ou sa donation, la douleur conséquente n’est pas la peine elle-même, ni une peine spéciale, mais un effet, comme une propriété qui doit se référer, reductive, à la privation qui la cause, comme la joie paradisiaque, à la possession de Dieu dans la constitution de la béatitude céleste.

 Pour étudier les peines de l’enfer, nous pouvons recourir à deux principes : un principe de position, les peines sont conformes à la nature du péché dans l’homme, et un principe d’opposition, l’enfer, c’est la fin dernière manquée, une privation qui doit se mesurer à l’objet dont on est privé, le ciel. S. Thomas, Compendium theologie, c. CLXXII-CLXXVI.

 2° Peine du dam, comme peine du reatus aversionis a Deo. — 1.Privation de Dieu et douleurs conséquentes. — a)La privation de Dieu, c’est le dam proprement dit. Voir DAM.

 Cette privation de Dieu entraîne celle de tout don surnaturel: grâce, vertus, etc., dans une âme toute aménagée pour ainsi dire pour le surnaturel. Cependant il faut faire une exception pour le caractère sacramentel du baptême, de la confirmation et de l’ordre, qui demeure dans le damné comme signe éternel des hauteurs dont l’âme est déchue par sa faute, comme marque d’ignominie et comme preuve d’une plus grande scélératesse. Cette exception est théologiquement certaine, à cause de  l’enseignement de l’Église sur la nature indélébile du caractère. Voir CARACTÈRE.

 b) Douleurs conséquentes. —Voir DAM, pour la douleur en général. Pour en venir aux détails, on peut résumer ces souffrances, comme l’a fait le P. Monsabré, loc. cit. Le pécheur a rejeté le souverain bien; il perd tout bien; c’est la douleur suprême, ou la conscience du mal total, de la perte de tout bien on perdant Dieu. Le péché est le rejet éternel du souverain bien et la perte éternelle de tout bien; c’est le désespoir suprême, douleur sans ombre d’espérance et de soulagement, douleur ainsi élevée à un autre degré souverain par la certitude de cet à-jamais insondable. Toujours vouloir ce qui ne sera jamais: la fin de ses maux; toujours être privé de tout bien qu’on désire; repousser sans cesse la main de justice qui tourmente toujours, vouloir ne plus être et continuer sa vie de souffrance intense pour l’éternité en cet abîme de désespoir absolu dans la douleur absolue. Le pêché est enfin le rejet volontaire du souverain bien, d’où le remords suprême, lorsque trop tard le damné est saisi du regret d’une telle conduite; il voit sa faute sous la lumière inexorable de la science infuse; il voit ses conséquences: il voit la facilité de l’éviter. Il voit le bonheur perdu ainsi; et c’est pour lui le remords suprême dans le désespoir et la douleur suprêmes. Cf. Sauvé. L’homme intime, 4e édit.. Paris, t. IV, p. 143-155, 167-175.

 2. Aveuglement de l’esprit. — Voir DÉMONS, t. IV, col. 403. Cet aveuglement comprend la privation de toute lumière surnaturelle venant de Dieu: mais non de toute connaissance surnaturelle venant de l’objet révélé, Jésus-Christ, l’Église, etc. Les damnés croient et craignent. Ils ne sont pas non plus privés de leur intelligence ni de leurs habitus et connaissances naturelles de science acquise ou de science infuse: leur maintien découle de la nature des choses que Dieu ne violente pas. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. LXIV, a. 1; q. LXXXIV; IIIae Suppl., q. XCVIII, a. 7. Les damnés ont donc les connaissances qu’ils doivent avoir pour leur état d’êtres moraux châtiés; vue ineffablement vive et continuelle de Dieu, bien suprême, unique fin dernière, pureté infinie, là présente, mais de présence sans union: vue immensément profonde de l’horreur et du désordre du péché, de leur histoire de péchés et de grâces, etc. Ils confessent ainsi que Dieu est saint, juste, infiniment bon et miséricordieux, qu’ils sont le péché justement puni et que le Christ ainsi triomphe par sa justice. Cette science doit croître avec le degré du châtiment à subir, celui-ci supposant une conscience plus grande du bien perdu et de l’abîme du péché choisi. Mais ce ne sont que connaissances spéculatives, tournées toutes pratiquement non pas en amour et en joie, mais en haine et en souffrances Cette Lumière, en effet, fait que la peine du dam est immensément plus grande que la peine du sens. Elle est la source de cette tempête éternelle de remords, de tristesses mortelles, de colères, de terreurs, de désespoirs, qui sans cesse désole l’abîme creusé au coeur des damnés par le départ de Dieu. Cf. Sauvé, op. cit., p. 166-167.

 Pour les connaissances pratiques, jugements sur les choses, les événements, les personnes, il faut remarquer que, bien que gardant la puissance de leur faculté, la passion et le vice doivent, chez les grands dévoyés, la faire mal employer continuellement, au moins pour ce qui regarde l’ordre moral et la sagesse non pas mondaine, mais céleste. Cf. S. Thomas, De malo, q. XVI, a. 6, ad l3um, 15um; Suarez, loc, cit., c. VI. Les damnés verront-ils jamais Dieu? Non, jamais autrement que dans ses oeuvres. Verront-ils une fois au moins Jésus-Christ? Voir JUGEMENT. Verront-ils les saints bienheureux au ciel, avant le jugement? après le jugement? Cette question, souvent discutée dans le haut moyen âge, était un reste de l’opinion du Se’ôl universel (dilatio inferni). Saint Thomas, Sum. theol., IIIae Supplem., q. XCVIII, a. 9, spiritualise cette vision précédant le jugement : solum cognoscent eos esse in gloria quadam inaestimabili: après le jugement, ils n’auront que la seule mémoire de cette gloire vue maintenant ou au jugement. Pour les textes depuis saint Ambroise jusqu’au XII° siècle, cf. Migne, Index, P. L., t. CCXX, col. 245.

 3. Perversité obstinée de la volonté. a)Obstination dans le mal. — Le fait est de foi catholique; la nature de cette obstination est discutée dans les écoles. Vu l’étendue et l’importance de la controverse, effleurée, t. IV, col. 403, il y aura un article spécial OBSTINATION DES DAMNÉS.

 b) Dépravation totale de la volonté. — Est-ce que les damnés ne peuvent en tout acte délibéré que vouloir le mal, n’agir que pour une fin mauvaise? Est-ce que ces actes de volonté pervertie sont des péchés sans être pourtant déméritoires? Est-ce que les damnés sont continuellement en acte de péché, n’ayant plus jamais de sommeil ni de temps d’inconscience? Est-ce que le damné veut à ce point le mal qu’il haïsse Dieu et que de même que tout dans le ciel est amour, tout dans l’enfer soit haine, haine de Dieu, haine des compagnons de supplice, haine de tout, haine chez tous, haine blasphématoire? A toutes ces questions, il faut certainement répondre affirmativement avec l’ensemble des théologiens, malgré l’opposition d’un petit nombre. Voir DEMONS, t. IV, col. 403; OBSTINATION; Ch. Sauvé, loc, cit., p. 155-167.

 En résumé, les damnés ont une science suréminente de Dieux et du péché; ils souffrent épouvantablement de leur péché qui les prive de Dieu et ils s’y obstinent éternellement; s’obstiner dans la volonté d’un objet malgré tout ce qu’il fait souffrir, c’est le propre de tous les passionnés à idée fixe; en enfer, c’est l’intuition fixe, la volonté fixe, la douleur suprême fixe.

 3° Peines du sens ou peines du reatus conversionis. —1. Définition. — Ce nom, peine du sens, a été donné à la seconde espèce de peine des damnés, parce que la principale souffrance de cette nature vient d’objets matériels sensibles. Cette peine atteint premièrement les démons et les âmes séparées, et secondairement le corps des hommes damnés. La peine du sens ne signifie donc pas une peine sensitive.

 Quant à la chose désignée, sont peines du sens tous les supplices venant d’un objet extérieur par opposition aux douleurs intérieures analysées plus haut. C’est Dieu qui inflige toujours ces supplices, car il est le juge qui châtie; mais ce n’est plus seulement en se retirant et en emportant avec lui tout bien de perfection et de bonheur, c’est en faisant pâtir les damnés par l’action positive de diverses créatures, ses instruments. L’existence d’une certaine peine du sens ainsi comprise est d’une certitude théologique absolue. il suffit de mentionner l’opinion singulière de Durand qui n’admettait, cependant en hésitant, que la peine du dam et la douleur qui s’ensuit; celle-ci serait le feu de la révélation. Il ne suffit pas non plus de dire avec « quelques-uns » que saint Thomas réfute, De veritate, q. XXVI, n. 1; De anima, a. 21, que la peine ex rebus sensibilibus sera comme la peine d’une âme qui a des rêves pénibles sur des choses corporelles, ou même la pensée seulement. La croyance que telle chose lui fait du mal, car le rêve n’est pénible qu’à l'imagination et les âmes séparées n’ont plus l’exercice de leur imagination; quant à la pensée de n’importe quel objet, elle n’est pas, par elle-même, une peine, mais une perfection; d’ailleurs, la croyance fausse qu’on pâtit d’une chose qui réellement ne fait pas pâtir, n’est pas admissible chez les démons ou les damnés. Cf. Suarez, loc. cit., c. XIII, p. 1022 sq.; Salmanticenses, loc. cit., disp. XVIII, dub. II, p. 408 sq. D’une manière générale, il faut donc admettre que les âmes et les démons en enfer sont torturés réellement et physiquement d’une certaine manière par des créatures instruments de Dieu; et en cela consiste la peine du sens. Peur plus de détails, voir FEU DE L’ENFER.

 Pourquoi ce châtiment spécial? Saint Thomas en développe la raison fondamentale Sicut recte agentibus debentur bona, ita perverse agentibus debentur mala; sed illi qui recte agunt, in fine ab eis intento percipiunt perfectionem et gaudium;  e contrario ergo debetur haec poena peccantibus ut ex his in quibus sibi finem constituunt, afflictionem accipiant et nocumentum. Hinc est quod divina Scriptura peccatoribus comminatur non solum exclusionem a gloria, sed etiam afflictionem ex aliis rebus. Cont. Gentes, 1. III, c. CXLVI; Compendium theologiae, c. CLXXIX. Nous avons là l’explication par la cause méritoire; voici quelle serait la cause formelle des peines du sens. Chez les bien-heureux, les joies et les gloires secondaires venant de l’usage des créatures, on particulier dans leur corps, découlent par surabondance, pour ainsi dire, de la béatification essentielle de leur âme; l’âme divinisée voit cette divinisation se répandre en toutes ses puissances jusque dans son corps, lui assurant par là la possession de tous les biens secondaires dus aux enfants de Dieu. Ainsi, chez les damnés, l’âme privée de Dieu voit toute participation aux biens divins se retirer de ses puissances et de son corps: Dieu s’est retiré totalement du damné; de là des privations de multiples satisfactions secondaires; bien plus, de là des révoltes de toutes les créatures contre cette âme révoltée contre Dieu. Et pugnabit... orbis terrarum contra insensatos. Sap., v, 21.

 2. Quelles sont ces peines et comment sont-elles appliquées? — On en distingue trois espèces: les peines venant de l’action des créatures matérielles, dont la principale est le feu; la peine de la société des autres damnés, créatures spirituelles; enfin les peines diverses, privations de multiples satisfactions secondaires.

 a) La peine du feu. — Voir FEU DE L’ENFER.
 b) Peines provenant d’autres créatures matérielles. —Y en a-t-il? Faut-il admettre avec divers auteurs, Pères et théologiens (nous ne parlons pas des poètes), outre le feu, de la glace, des vers réels, des océans d’immondices, etc.?

 a. Glace et eau.—Interprétant de l’enfer le texte de Job, XXIV, 19: Ad nimium calorem transeat ab aquis nivium et usque ad inferos peccatum – i(h?)ius, plusieurs Pères ont cru au supplice de l’eau glacée au moins pour les corps des damnés après la résurrection, ou bien pour diverses catégories de damnés, ou le plus souvent par mode de successions de supplices, du feu à la glace, etc. Ainsi saint Jérôme, In Matth., X, 28, P. L., t. XXVI, col. 68; In Job, XXIV, ibid., col. 725, où il insinue la possibilité de ce sens dans Matth., XXII, 13; pseudo-Augustin. De triplici habita ulo, c. II, P. L., t. XL, col. 993 (ce traité a probablement été écrit dans la Grande-Bretagne, cf. dom Gougaud, Les chrétientés celtiques,Paris, 1911, p. 282; cf. p. 285); Bède, Haymon d’Halberstadt, Hugues de Saint-Victor, Innocent III, S. Pierre Damien, etc. Saint Thomas se fait l’écho de ces pensées, In IV Sent., I. IV, dist. L, q. II, a. 3, q. I, ad 3um; cf. Sum. theol., IIIae Suppl. q. XCVII, a. 1,ad 3um; Quodt., VIII, a. 18; Sum. theol., 1a, q. X, a. 3, ad 2um; cf. Suarez, loc, cit., I. IV, c. XII, n. 22-30, p. 1016-l0l9. Cette exégèse du texte de Job est inexacte. Il s’agit, en réalité, de la mort de l’impie rapide comme l’absorption de l’eau par une terre brûlée. L’opinion des glaces de l’enfer n’a pas d’autre fondement; aucun autre texte n’en parle; jamais Jésus-Christ, qui rappelle souvent le feu de l’enfer, ne fait allusion au froid de l’enfer; le stridor dentium, Matth., XXII, 13, qui a aussi été interprété d’un effet du froid, ne signifie que la rage désespérée des damnés. Enfin aucune raison théologique n’impose cette opinion et l’ensemble de la tradition patristique et théologique la rejette.

 b. Vers. —L’opinion, qui a été toujours la plus commune et qui est aujourd’hui unanime, n’admet pas non plus le réalisme du « ver qui ne meurt pas », défendu par Tirin, Comment. in. S. Script., sur Judith, XVI, Turin, 1882, t. II, p. 597; Serarius, sur Judith, XVI, dans Migne, Cursus S. Script., t. XII, col. 1239-1248; Corneille de la Pierre, In Is., LXVI, Paris, 1863, p. 767 sq. Ces commentateurs citent diverses autorités: S. Basile, S. Chrysostome, S. Jérôme, S. Augustin. Théophylacte, Maldonat, etc. Suarez, loc, cit., n. 34-35, croit cette opinion satis probabilis. Mais les autorités invoquées et l’exégèse réaliste adoptée n’ont pas de valeur; les textes patristiques ne signifient pas généralement ce qu’on leur fait dire; ainsi, par exemple, saint Augustin, De civitate Dei, 1. XXI, c. IX, P. L., t. XLI, col. 23. Il rapporte trois opinions: réalisme du feu et du ver de l’enfer; symbolisme de tous deux; réalisme du feu, symbolisme du ver. La première est possible nu moyen d’un miracle et quelques textes lui sont favorables, niai s on peut adopter aussi la troisième opinion : Eligat quisque quod placet, aut  ignem tribuere corpori, anima vermem, hoc proprie illud tropice, aut utrumque proprie corpori; en tous cas, la seconde cet à rejeter. Toutefois, on ajoutant : Ego tamen facilius est (sic) ut ad corpus dicam utrumque pertinere quam neutrum, le saint docteur semble préférer la troisième opinion. Il avait déjà dit, en effet, 1. XX, c. XXII, col. 694: Alii proprie ad corpus ignene, tropice ad animam vermem, quod credibilius esse videtur. Maldonat, de son côté, affirme, Comment. In IV Evangelia, Lyon, 1598, sur Marc., IX, col. 819 sq.:
verment hoc loco metaphorice intelligendum esse pro damnatorum cruciatu nemini dubium est, etsi memini Chrysostomum et Theophylactum verum esse in damnatis vermem qui eorum arrodat corpora alicubi sentire, quo magis miror Theophylactum hoc loco utrumque et vermem et ignene metaphorice accipiendum putare. Pour Maldonat, le feu et le ver ne sont que le même supplice de l’âme et du corps à la fois, exprimés de deux façons. Ibid., col. 820.

 Quatre textes de l’Écriture parlent de vers dans l’enfer. Is., LXVI, 24; Judith., XVI, 21; Eccli., VII, 19; Marc., IV, 45 sq. Le texte évangélique est évidemment une citation littérale de l’Ancien Testament. Or, dans Judith et dansIsaïe, il ne s’agit que d’une comparaison: les ennemis de Dieu seront comme une armée de vaincus, de tués, pourrissant ou brûlés sur le champ de bataille et pour toujours; on ne peut établir par ces textes la réalité des vers qui tourmenteraient les damnés en enfer, pas plus que par eux seuls le réalisme du feu de l’enfer. Dans Eccli., VII, 19: vindicta carnis impii, le mot carnis est une addition de la Vulgate et saint Thomas expose d’ailleurs les différents sens symboliques qu’il peut avoir. Sum. theol., IIae Suppl., q. XCVII, a. 2, ad 1um; Quodl,VII, a. 13. Pour repousser l’existence réelle des vers en enfer, le même docteur invoque cette raison théologique générale: Post diem judicii in mundo innovato non remanebit aliquod animal,vel aliquod corpus mixtum nisi corpus hominis tantum..., nec post illud tempus sit futura generatio et corruptio. Au moins, au ciel et en enfer, il n’y aura plus de décomposition ou d’altération organique, car si les corps immortels des ressuscités pouvaient être altérés, il faudrait, pour les restaurer, ou la nutrition ou la création qui sont toutes deux en dehors de l’ordre définitif des choses. Lessius ajoute, De perfectionibus divinis, 1. XIII, c. XXIV, n. 159 : Ratio.., est quia cum omnis morsus bestiarum ad dolores ac morsus ignis sit lusus vel parvi momenti, non videtur operae pretium vilissimas bestiolas novo miraculo facere immontales in acerrimo igne, ut hominem crucient, praesertim cum morsus vermium sit exiguus et molestiam potius afferat quam acrem cruciatum. Cf. Knabenbauer, Comment. in Marc., p. 255. Il n’y a donc pas, en enfer, de ver corporel: le vermis qui non moritur, c’est le remords de la conscience qui appartient à la peine du dam, comme regret d’avoir perdu Dieu par sa faute, et à la peine du sens comme dégoût du plaisir passager créé, si vain et si déréglé, qui mérita l’enfer.

 c. Immondices, etc. — Conformément à la théorie physique ancienne, saint Thomas maintient dans le monde supérieur purifié après la fin du monde, tout ce qu’il y a de beau et de noble dans les éléments matériels : quidquid vero est ignobile et faeculentum in inferno projicietur ad poenam damnatorum; ut sicut omnis creatura erit beatis materia gaudii, ita damnatis ex omnibus creaturis tormentum accrescat, secundum illud Sap., v: Pugnabit, etc. Hoc etiam divinae fustitiae competit, ut sicut ab uno recedente per peccatum in rebus materialibus quae sunt muliae et variae finem suum constituerunt, ita etiam multipliciter et ex multis affligantur. Sum thelol., IIIae Suppl., q. XCVII, a. 1, extrait de In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. II, a. 3, q. I. Il nous cite à ce propos saint Basile, In ps. XXVIII, P. G., t. XXIX, col. 298, qui interprète vox Domini intercidentis flammam ignis, dans ce sens que Dieu sépare dans la flamme la propriété lumineuse pour le feu réservé au ciel et la propriété qui le rend brûlant pour le feu enfermé en enfer. Ribet, La mystique divine, Paris. 1895, t. II, p. 219 Sq., rapporte des visions de saints, sur ce sujet, mais évidemment elles n'ont pas de valeur théologique. Les prédicateurs anciens parlaient souvent du foetor infernalis. S. Chrysostome, In Epist. ad Heb., homil. I, n. 4, P. G., t. LXIII, col. 18; Innocent III, De contemptu mundi, I. III, c. IV, P. L., t. CCXVII, col. 738, etc. Ils mentionnaient aussi des supplices de marteaux et de chaînes, etc. Cf. Innocent III, ibid.; S. Pierre Damien, Serm., LIX, P. L., t. CXLIV, col. 838. etc. Il faut laisser de côté tout cela qui n’est pas dans la révélation.

 c) La société des outres condamnés de l’enfer, démons et damnés.—En raison de la dépravation indicible,de l’état haineux, des supplices horribles des habitants de l’enfer, leur société continuelle, éternelle, ne pourra être elle-même qu’une torture terrible. Ainsi sera contrarié, dans les damnés, ce besoin de la nature créée, la sociabilité, ici-bas source de tant de biens et de joies dans une société de bons et d’amis, et de tant d’ennui et de dégoût dans une société odieuse, dépravée. Cf. Sauvé, loc. cit., p. 192-201. On ne peut guère raisonnablement douter du fait que les damnés souffriront dans la société les uns des autres. L’enfer n’est pas une prison à régime cellulaire individuel, quoi que prétendent quelques visions de saintes (cf. Sauvé, loc. cit., p. 202); il est un large abîme de feu, commun aux démons et aux damnés, et cette communauté les torture. Les ténèbres de l’enfer ne seront donc pas si épaisses que les damnés ne puissent se voir, même corporellement, comme le remarquent fréquemment les Pères et les théologiens, S. Grégoire le Grand, DiaI., 1: IV. c. XXXIII, P. L., t. LXXVIIi, col. 373; S. Julien de Toléde, Prognosticon, 1. II, c. XXIV, P.L. t. XCVI, col. 486; S.Thomss, Sum.theol., IIIae Suppl., q. XCVII, a. 3. La prédication chrétienne, spécialement dans la bouche des Pères, a développé souvent cette considération de l’horreur, du désordre épouvantable, de la tyrannie haineuse de la société de l’enfer, cité de la haine éternelle et universelle, où pas un bon sentiment ne s’élèvera jamais pour un damné quelconque, où tous seront toujours dans le milieux le plus abject et le plus antipathique qu’on puisse imaginer. On peut concevoir des souffrances spéciales résultant de la société des complices, des corrupteurs, des corrompus, etc.

 Nous examinerons plus loin si la société des démons sera, en outre, une tyrannie et une domination de bourreaux sur les hommes damnés.

 D’ailleurs, nous ne pouvons concevoir comment s’exercent toutes ces relations entre substances spirituelles, et dans quel degré mitigé ou exacerbé en nuances infinies; sur ce sujet, nihil nobis revelatum aut alias certum. Suarez, loc, cit., c. XX, p. 1084. Ct. Juvencus, Ev. hist., 1. IV, v. 257-268, 284-305. P. L., t. XIX, col. 302-304; S. Pierre Damien, loc, cit. S. Anselme, Homil., v, in Matth., XVIII, P. L., t. CLVIII, col. 620, etc.; Migne, Index, P. L., t. CCXX. Col. 244, 215.

 d) Privations diverses. — En dehors de l’action positive des créatures matérielles et intellectuelles, les damnés souffrent encore, relativement à l’usage de ces créatures, de privations diverses. Ils ne reçoivent d’abord d’aucune d’elles ces innombrables satisfactions, si douces et si intenses, qui procurent ici-bas la joie secondaire de vivre. Lumières, fraîcheurs, harmonies, air embaumé, repos et suaves sensations: plus rien de cela chez les damnés, plus rien de tout ce qu’ils avaient tant aimé ici-bas. Cf. les fables païennes d’Ixion, Sisyphe, Tantale, etc. Par conséquent, toutes leurs facultés, sans objet et pourtant sans sommeil, surexcitées plutôt, sont dans un état de malaise et de privation plus ou moins aigu, qui, devant être éternel, est terrible.

 Voici les principales de ces privations : privation du besoin de liberté corporelle, d’immensité, de variété, par la réclusion dans le feu de l’enfer, cf. Sauvé, loc. cit., p. 205 sq.; sens internes liés à des imaginations et à des souvenirs qui tous sont plus ou moins torturants; sens externes blessés; suppliciés chacun dans son objet. Cf. Ch. Pesch, Praelect. theol., t. IX, n. 646-652.

 e) Quel sera donc l’état général du corps des damnés? D’abord, comme celui de tous les ressuscités, il aura l’intégrité complète, sans aucune des mutilations ou difformités introduites par l’action imparfaite de la nature (par génération, par maladie, par mort prématurée, etc.), cf. S. Thomas, Cont. gentes, 1. IV, c. LXXXIX; Quodl., VII, a. 12; Sum. theot., IIIae Suppl., q. LXXXVI, a. 1; In 1V Sent., 1. IV, dist. XLIV, q. III, a. 1; il cite des opinions divergente; qui étaient soutenues de son temps par saint Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV. Saint Augustin avait cependant affirmé déjà l’intégrité de tous les corps ressuscités, Epist., CCV, ad Consentium, n. 15, P. L., t. XXXIII, col. 947, tout en restant hésitant sur les difformités et maladies des corps des damnés. Enchiridion, C. LXXXVII, XCII, P. L., t. XL, col. 272, 274.
L’opinion de saint Thomas devint commune parmi les théologiens; les poètes ont continué de parler des monstruosités corporelles des damnés, cf. Suarez, De resurrect. gener. mort., sect. V, n. 8 sq., t. XIX, p. 936; les raisons de saint Thomas sont, en effet, très bonnes. Ce qui sort directement des mains de Dieu, c’est-à-dire la nature, créée ou ressuscitée, est parfait, complet; et il n’y a pas lieu à exception dans le cas présent: les difformités, maladies, mutilations de cette vie ne répondent nullement, en effet, aux péchés des hommes et Dieu n’en créera pas de spéciales en enfer où le grand supplice corporel est le feu; bien plus, le châtiment suppose plutôt des organes intègres et en général une vie complète. Cependant le texte invoqué autrefois, I Cor., XV, 52 : et mortui resurgent incorrupti, ne prouve rien ici, car l’apôtre y traite de la résurrection des justes et non des damnés. Voir dans Ch. Sauvé. loc. cit., p. 184 sq., une conception un peu semblable à celle de saint Bonaventure et des anciens.

 Le corps intègre et complet du damné sera affecté cependant de nombreux défauts: défauts provenant non de la nature, mais de la volonté vicieuse : reflet total de l’âme mauvaise sur le corps par la laideur de traits et d’expression repoussante; défauts radicaux et connaturels de la pesanteur et de la passibilité, non corrigées par les qualités des corps glorieux: pas de lumineuse splendeur; pas de cette spiritualisation qui, chez les justes ressuscités, fait de la matière l’instrument agile et prompt de tous les désirs de l’âme. Cf. S.Thomas, Compendium theologiae, c. CLXXVI, et loc, supra cit.

 Le corps immortel des damnés sera donc à la lois passible et incorruptible. La passibilité semble devoir l’altérer, mais l’incorruptibilité repousse toute altération. Pour expliquer la coexistence de ces deux qualités en apparence incompatibles, on ne peut recourir à l’hypothèse gratuite, sinon même impossible, de Lactance. Div. inst., 1. VII, c. XXI, P. L., t. VI, col. 801 sq., qui faisait détruire et refaire sans cesse par le feu le corps des damnés; faudra-t-il donc avec saint Thomas n’admettre, même pour ce corps, que des passions intentionnelles, passione  animae... suscipiendo similitudinem (intentionatem) qualitatis sensibilis, cf. loc. cit., et Compendium theologiae, C. CLXXVII; ou bien peut-on trouver une passion physique corporelle qui ne soit ni altérable ni corruptrice? Ce problème de physiologie ultra-terrestre sera étudié à l’art. FEU DE L'ENFER. La théorie de saint Thomas, fondée sur la physique ancienne: quiescente motu caele, nulla actio vel passio poterit esse in corporibus,  défendue par Capréolus, In IV Sent., loc. cit.; Ferrariensis, In Cont. gentes, loc. cit., avait déjà été rejetée par Suarez, loc, cit. Les changements, actions et passions organiques, dans des corps incorruptibles, ne peuvent donc être que de simples mouvements physico-mécaniques, sans altération chimique. Voir Feu DE L'ENFER, RÉSURRECTION.

 Notons en terminant qu’il n’y aura pas de larmes réelles en enfer; le fletus dont parle l’Évangile est métaphorique ou ne désigne tout au plus, chez les damnés, après la résurrection. que les mouvements physiologiques généraux oui produisent chez les vivants des larmes, dolor cordis et conturbatio capitis et oculorum, dit saint Thomas, Cont. gentes, I. IV, c. XC. Cf. Ferrariensis, in loc.

 Conclusion. — On trouve, un résumé, chez les théologiens, deux conceptions différentes de l’enfer.

 La première, presque unanime, résume l’enfer dans la privation de Dieu et par conséquent de tout bien, bien moral, bien physique, bien de jouissance, bien de perfection; non pas que les damnés soient dans le mal absolu, ce serait le néant; ils ont l’être, l’intelligence avec plusieurs connaissances véritables, le corps intègre et complet; mais ces biens physiques ne sont en eux que pour servir de base nécessaire à leurs maux épouvantables; ils ont le simpliciter esse (subsistentiae, intellagere, vivere corporale); mais aucun bene esse, donc privation et mal total en eux, pas un acte moralement bon, même d’honnêteté naturelle, plus un seul bon mouvement de coeur, de volonté, ni affection, ni reconnaissance, ni justice, ni droiture, ni respect, ni obéissance, etc., rien d’ordonné dans les actes libres, le péché pur. Avec cela, la souffrance pure, c’est-à-dire, non pas toute souffrance possible, mais rien que de la souffrance, sans jamais le moindre soulagement ou jouissance, et la souffrance dans tout l’être. Et pour tous il en est ainsi toujours, bien qu’à des degrés divers.

 On est arrivé à se demander si le damné est à ce point plongé dans la souffrance totale que physiquement il soit incapable d’aucun acte de délectation? Ockam, Gabriel, Bannez, Molina, Vasquez, Billuart ont répondu affimativement : Dieu refusant son concours aux mouvements naturels de joie qui naîtraient dans un damné, par exemple, à la vue d’un ennemi lui aussi dans les supplices; ou le damné n’étant d’ailleurs pas capable, vu sa douleur immense, de faire attention à ces choses accidentelles. Saint Thomas ne semble pas avoir refusé la possibilité de toute joie aux damnés. Sum. theol., 1a, q. LXIV, a. 3. ad 1um; In IV Sent., 1. IV, dist. XLV, q. II, a.1, ad 4um Quodt., IlI, a. 24. Selon lui, les damnés peuvent avoir des mouvements de joie secondaire, lorsque certaines de leurs volontés s’accomplissent. Suarez, loc, cit., c. XV, a pensé de même. Mais ces mouvements de joie ne soulagent pas le damné; il n’est pas vraiment réjoui ni consolé, si peu que ce soit, dans ses affreux supplices. parce que damnati in inferno gaudent de poenis inimicorum suorum et tamen de ipso gaudio magis dolent, Quodl., loc. cit., comme leur intelligence voit le vrai, mais en souffre plutôt que d’en jouir. Suarez ajoute même qu’après le jugement dernier, cette capacité de complaisance, minima, vana, vilissima (de plus changée de suite en souffrance), nullam omnio occasionem habebit, tout étant alors constitué dans l’immobilité. L’enfer ne procurera donc éternellement aux damnés que la souffrance, sans aucune consolation. C’est le sentiment du plus grand nombre des Pères et des théologiens. Cf. S. .Jérôme, In Joel., II, P. L., t. XXV, col. 965; S. Augustin, Serm., XXII. 3, P. L., t. XXXVII, col. 150; De civitate Dei, 1. XIII, P. L., t. XLI, col. 385; S. Cyrille d’Alexandrie, De exitu animae, P. G., t. LXXVII, col. 1075; S. Chrysostome, Ad Theod. laps., P. G., t. XLVII, col. 289.

 Une autre conception s’est fait jour çà et là d’un enfer moins totalement mauvais. D’abord, pas de perversion morale absolue; les damnés sont en enfer avec les sentiments qu’ils avaient ici-bas, au moment de leur mort : sentiments de vertus naturelles, ou autres: on tous cas, en eux pas nécessairement de blasphème et de haine de Dieu et de tous, de rage désespérée, violente, épouvantable, etc. Et puis. pas de souffrance si totale : le dam, le feu à des degrés divers, mais pour beaucoup très légers sans doute; feu qui n’est peut-être pas matériel; pas de mitigation aux degrés essentiels fixés, mais aussi pas de cet absolutisme qui ne met partout que douleur: société, sens externes, souvenirs, etc.; il reste enfin chez les damnés une vraie capacité de consolations secondaires, accidentelles, réelles; « un ordre admirable règne et régnera en enfer. » On trouve généralement ces idées chez les partisans de la mitigation; de plus, chez L. Picard, La transcendance de Jésus-Christ, Paris, 1905, t. II, p. 101-102.

 Le point fondamental est ici celui du désordre moral complet des damnés, voir col. 166; le reste suit logiquement. Les auteurs, que scandalise l’enfer traditionnel, n’ont pas réfléchi sur la nature de l’état de terme, sur la nature de la privation totale de Dieu et donc de tous ces biens créés qui n’étaient ici-bas que des moyens pour aller à Dieu; sur la nature du péché et de l’ordre de la justice divine; sur tous ces points il faut s’en tenir à la pensée chrétienne traditionnelle, qui, seule, projette des lumières sûres en ces matières mystérieuses.

 VII. GRADUATION DES PEINES DE L’ENFER.

 1° Le principe de l’inégalité des supplices infernaux a été suffisamment établi à l’art. DAM, t. IV, col. 16. Les textes principaux de l’Écriture qui le prouvent sont ceux de Sap., v, 6 : patentes patenter tormenta patientur; Matth., X, 15; XI, 21-24: terrae Sodomorum... remissius erit; XXV, 14-30: Luc., XII, 47, 48 : vapulabit multis..., vapulabit paucis, etc. D’ailleurs, d’après l’Écriture, le jugement et la rétribution se feront secundum opera. Matth., XVI, 27; Rom., II, 6, etc. La raison fondamentale est évidente : l’enfer suit le péché comme l’ordre à rétablir suit le désordre et se mesure évidemment sur lui. Donc tel péché, tel enfer; et cela tant pour la peine du dam que pour les peines du sens.

 2° Comment se fait cette graduation? Nous ne pouvons en avoir, ici-bas, d’idée propre. Pour l’explication analogique, accessible à notre intelligence, sur la peine du dam, voir DAM, t. IV, col. 16 sq. Quant aux inégalités des peines du sens, il est nécessaire d’abord de préciser les affirmations absolues, précédemment exposées, par cette règle que ces peines existeront à des degrés divers; ce qui diminuera ou augmentera, suivant les cas, l'horreur et le supplice de la perversion totale, de la rage désespérée, de la haine blasphématoire, du feu perpétuel, de la société affreuse, etc., de la souffrance pure enfin. Dieu ensuite doit directement et principalement intervenir en tout cela, car lui seul sait et peut proportionner exactement chaque supplice à chaque faute; l’action instrumentale des créatures est réglée par la justice divine, sans que nous puissions savoir si c’est suivant des lois générales ou suivant des interventions individuelles. Ainsi, il est vrai qu’au point de vue de Dieu, en enfer « règne et régnera un ordre admirable. »

 3° Pour parler d’une façon plus concrète, la graduation de châtiments en enfer ne sera-t-elle que générique d’après la gravité du péché en tant que péché, ou sera-t-elle encore spécifique, des supplices spéciaux étant réservés aux diverses espèces de péchés?

 C’est la pensée traditionnelle qu’un voluptueux, par exemple, plus coupable qu’un avare, non seulement souffrira plus du feu que lui, mais en souffrira en son âme et en son corps, d’une façon réservée aux voluptueux. La Sagesse, XI, 17, dit: Per quae peccat quis per haec et torquetur; le mauvais riche de l’Évangile, Luc., XVI. 24. demandait une goutte d’eau pour sa langue, mine âme séparée n’a pas de langue: mais ce trait n’était-il pas approprié par Notre-Seigneur aux péchés de gourmandise de celui qui epulabatur quotidie splendide? Cf. S. Cvprien, Epist., XII, ad Cornel., n. 3. 4, P. L., t. III, col. 825, 826; S. Grégoire, Moral., 1. IX, C. LXV, P. L., t. LXXV, col. 913; DiaL, 1. IV, c. XXXV, P. L., t. LXXVII, col. 380, 381; Innocent III, De contemptu mundi, 1. III, c. IV, VI, P. L., t. CCXVII, col. 738, 739; Robert Pullus, Sent., 1. VIII, c. XV, P. L., t. CLXXXVI, col. 933; S. Thomas, Contra gentes, 1. III, c. CXLVI. Voir aussi le beau passage de l’imitation de Jésus-Christ, 1. I, c. XXIV, n. 3, 4. La raison de convenance est claire. La peine du sens, c’est l’ordre rétabli dans l’abus des créatures; il faut donc que la peine, instrument de cet ordre, aille chercher l’abus, le péché (comme reatus conversionis), le désordre partout où il est pour le corriger parfaitement.

 Il y a différentes espèces de châtiments en enfer. Il est inutile de chercher si elles se feront sentir dans les âmes et dans les divers organes par l’influence de créatures spéciales en des lieux divers ou plutôt par l’influence « divinement intelligente » du même feu, instrument de la justice divine, suivant une pensée habituelle des Pères. Cf. S. Grégoire, Moral., I. IV, c. XLIII. Cependant, il y a un fondement de vérité dans les descriptions, par un certain côté théologiques, de l’Enfer de Dante Alighieri. Le poète, dans la peinture de ses cercles de supplices de plus en plus profonds vers le centre de la terre, n’a fait que développer ce principe de saint Thomas : Secundum diversitatem culpae diversam sortiuntur et poenam, et ideo secundum quod graviorius peccatis irretiuntur damnati, secundum hoc obscuriorem locum et profundiorem obtienent in inferno, Sum. Theol., IIIae Suppl., q. LXIX, a. 5, et il l’a fait d’après une division très théologique des péchés, exposée systématiquement, Inferno, chant XI. Cf. Berthier, La divina Comedia  di Dante con commenti secondo lu scolastica, Fribourg, t. I, L’inferno, 1909; A. M. Viel, La divine Comédie, sa structure théologique, dans la Revue thomiste, 1910, p. 321 sq.

 4° Gravité des peines de l’enfer. — La mesure absolue de cette gravité nouas est encore inconnue. Qui peut apprécier ce que la justice et la miséricorde réclament et décident pour le parfait châtiment d’un péché? Relativement aux peines que nous connaissons directement, c’est-à-dire aux peines d’ici-bas. que dire de celles de l’enfer? La peine dam dans, même la plus petite, dépasse immensément toutes les souffrances de ce monde, voir DAM, t. IV, col. 9 sq.; en est-il de même de toute peine du sens? Toute peine de l’enfer dépasse-t-elle, d’une façon incompréhensible sans doute, toute peine terrestre, réelle et même imaginable?

 Les théologiens qui, à la suite de saint Thomas. In IV Sent., 1. IV, dist. IX. q. I, a. 2, et semble-t-il de saint Augustin, In ps. XXXVII, 3, P. L., t. XXXVI, col. 397; de saint Grégoire le Grand, In ps. ut paenit.. n. 1, P. L., t. LXXIX, col. 568; de saint Anselme, de saint Bernard, etc., font à cette question une réponse affirmative même pour le purgatoire, la font a fortiori pour l’enfer. Les autres, à la suite de Bellarmin, Le purgatorio, 1. Il, c. XIV, Opera, Napler., 1872, t. II, p. 402 Sq., ne se sont guère posé explicitement la question. Le fait même qu’ils ne discutent ce point que pour le purgatoire permet de conclure qu’ils regardent la chose comme certaine pour l’enfer. Si ce n’est pas en elle-même et prise a part, au moins dans ses circonstances d’éternité, de souffrance pure sans réel soulagement, de support par un sujet déjà exaspéré et tourmenté de tous côtés, toute souffrance de l’enfer peut donc être considérée comme appartenant à un ordre qui dépasse toutes les souffrances d’ici-bas. Il s’agit de tout genre de souffrance, propre aux damnés, et non de chaque acte passager, par exemple, de vexation de la puant des démons. On peut noter, en outre, avec saint Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. LXXXVII, a. 4, que si la peine du dam est d’une certaine façon infinie, en tant qu’elle est la privation d'un Bien infini, imposée en punition du péché lui aussi de quelque manière infini, la peine du sens est essentiellement finie comme le reatus conversionis.

 En tous cas, l’ensemble de ces peines de l’enfer constitue un état de douleur si épouvantable que la pensée en est écrasée et que le coeur en défaille.
 

 VIII. CAUSE EFFICIENTE DE L’ENFER.

 La cause efficiente, au sens large, qui a produit l’état de choses qui exige l’enfer, c’est le pécheur par son péché et lui seul. Cf. S. Thomas,. Sum. theol, la lIae, q. LXXXVII, a. 1, ad 2um.

 La vraie cause efficiente directe de la peine est diverse suivant les peines. De la peine concomitante, dépravation de la volonté, désordre des facultés, remords, etc., la cause efficiente est encore le pécheur lui-même par son péché et la conscience de son péché, Dieu n’en est que ha cause efficiente indirecte, comme auteur de la nature avec ses lois essentielles.

 Mais l’enfer consiste proprement dans les peines du dam et du sens. Dieu en est la cause efficiente en tant qu’il les inflige aux pêcheurs; il inflige la peine du dam par mode de privation et celles du sens par action positive, non toutefois immédiatement, mais médiatement par l’intermédiaire de créatures, ses instruments. Sur la nature et l’efficacité de cette action, voir FEU DE L’ENFER.

 Les démons et les damnés sont encore entre eux des causes instrumentales au sens large pour le supplice que leur procure leur société. Les Pères ajoutaient, en outre, unanimement, que les démons exercent en enfer un véritable empire de bourreaux sur les damnés; et cette affirmation répondait à leur conception du péché esclavage du démon. Cf. J. Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 375 sq. Après la critique et la destruction de la théorie des droits du démon sur les hommes par saint Anselme et par Abélard, on ne cessa pas pourtant d’admettre une véritable sujétion de l’homme damné au démon, sujétion existant par la permission de Dieu et pareille à celle qui met le criminel au pouvoir du bourreau. Gf. S. Anselme, Homil., v. in Matth., XVIII, P. L., t. CLVIII, col. 620; S. Thomas, Sum. theol., IIIa, q. XLVIII, a. 4, ad 2um. Cependant le Maître des Sentences, I. IV, dist. XLVII, n. 5, P. L., t. CXCII, col. 955, rapporte une opinion qui refusait au démon, non seulement tout droit, mais tout pouvoir sur l’homme, au moins après le jugement. Saint Thomas la rappelle aussi avec l’opinion contraire du pouvoir diabolique éternel sur les damnés, Sum. theol., IIIae Suppl., q. LXXXIX, a. 4; et il déclare qu’il est impossible de se prononcer avec certitude en faveur de l’une ou de l’autre. Verius tamen existimo quod sicut ordo servabitur in salvatis... eo quod omnes caelestis hierarchiae ordines perpetui erunt, ita servabitur ordo in poenis, ut homines per daemones puniantur, ne totaliter divinus ordo quo angelos medios inter naturam humanam et divinam constituit, annulletur; nec ob hoc minuitur aliquid de daemonum poena, qui in hoc etiam quod torquent ipsi torquebuntur; ibidem enim miserorum societas miseriam non minuet sed augebit.
 

 IX. CAUSE FINALE DE L’ENFER.

 Nous voici au coeur de la théologie de l’enfer, c’est-à-dire de la science de l’enfer au point de vue de Dieu. Si Dieu n’est pas mû par un bien quelconque à vouloir ce qu’il veut, il ordonne cependant toutes ses oeuvres à une fin dernière. A quelle fin, d’abord, a-t-il ordonné l’enfer? Et puis, dernier pourquoi des oeuvres divines, quelle a été la raison formelle pour laquelle il a voulu l’enfer?

 1° La fin de l’enfer. — 1. Ordre de la justice ou de la nature essentielle des choses voulues par la bonté créatrice. Chaque chose, d’après sa nature, a une fin directe et immédiate répondant totalement à cette nature. L’enfer est un châtiment; sa fin immédiate est donc de réparer l’ordre moral détruit par le péché. La peine du dam répare le reatus aversionis du péché; les peines du sens, le reatus conversionis, et les diverses peines ou degrés de peines du sens, les diverses espèces des conversiones indebitae ad creaturam. Dieu est donc juste en créant l’enfer pour les pécheurs car, comme nous l’avons vu, le péché exige l’enfer par mérite de sanction, en droit, dès qu’il est commis, en fait, après la mort lorsque ce droit ne peut plus être périmé par la conversion.

 La sainteté de Dieu resplendit non moins en enfer, car la sainteté, c’est l’ordre moral maintenu parfait, ou la nécessité pour tout être libre de ne glorifier que le Bien. Par l’enfer, Dieu ne permet pas que le pécheur se glorifie et jouisse de son désordre, du mal; ainsi est maintenu inviolable le principe que seul le Bien est béatifiant, est bon.

 Cet ordre de la justice est un ordre absolument essentiel et c’est une exagération de dire que l’enfer est exclusivement une oeuvre d’amour, de l’amour qui voulait forcer les hommes au salut par la crainte. Si Dieu permettait le péché irréparable dans l’éternité, il devait vouloir l’enfer. Cela rentre dans la nature métaphysique des choses actuelles. Pourquoi Dieu a-t-il voulu l’ordre actuel avec le péché et l’enfer, c’est une question que nous résoudrons un peu plus loin. La justice de Dieu en enfer n’est pourtant pas une vengeance personnelle au sens strict, cette vengeance que défend l’Évangile. Dieu pardonne toujours de ce pardon qui continue à vouloir du bien, mais il ne donne que le bien possible; les damnés ne veulent plus à jamais et ne peuvent ainsi jamais plus recevoir la grâce; Dieu ne peut la leur donner et ainsi il ne peut leur pardonner de pardon justifiant. Cf. S. Grégoire, Dial., 1. IV,c. XLIV, P. L., t. LXXVII, col. 404.

 Il est encore de l’ordre essentiel des choses que toute créature soit une manifestation de Dieu, une participation ad extra de quelque perfection divine qu’elle manifeste ainsi ou fait connaître et aimer par les intelligences créées, procurant de la sorte la gloire de Dieu. L’enfer procure, lui aussi, cette gloire de Dieu, car il manifeste d’une manière spéciale tous les attributs divins : justice, sainteté, bonté, sagesse, libre indépendance, etc.

 2. Ordre de l’amour ou de la surabondance de la bonté créatrice. Dieu aurait pu ne vouloir l’enfer que comme châtiment et le vouloir pour tout péché mortel, commis par les hommes, sans s’y opposer par aucun moyen extraordinaire. En fait, Dieu a voulu déverser sur l’humanité une surabondance d’amour, tellement incompréhensible qu’il a fallu parler des folies de l’amour divin. Dans notre création, Dieu est amour; le crucifix, l’eucharistie, le Sacré-Coeur: voilà ce qu’il faut considérer pour comprendre l’enfer, car, malgré cet amour, Dieu a voulu l’enfer. Par suite, il est souverainement probable, comme le pensent plusieurs théologiens, que Dieu ne précipite pas le pécheur en enfer pour un péché mortel isolé, surtout pour un péché de fragilité, mais qu’il n’y envoie que des pécheurs invétérés. En outre, on peut assurer qu’il distribue à tous les hommes des secours extraordinaires pour les aider à éviter le péché mortel sans que nous puissions expliquer quels sont ces secours. Il est donc vrai de dire que l’enfer n’est que la punition d’un mépris obstiné de l’amour divin. Cf. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame, 1851, LXXIIe conf., De la sanction du gouvernement divin. Par amour, Dieu patiente avec le pécheur et lui pardonne sans cesse ses crimes; par amour, il cherche à le sauver et à s’en faire aimer, et si enfin il damne ce pécheur obstiné, c‘est encore par amour. Lorsque Dieu, un effet, a choisi, parmi les mondes possibles, le nôtre, il a voulu, en lui, le bien, et il en a permis le mal, les péchés et l’enfer; mais il n’a permis le mal que parce qu’il était utile au bien, au salut des élus. Cette utilité est double: l’enfer devait être un puissant stimulant, le seul efficace pour beaucoup, de salut et de sainteté et finalement pour les élus une raison plus grande de joie reconnaissante et d’amour. S. Thomas, Sum./ theol, IIIae Suppl., q. XCIX, a. 1, ad3am, 4am. Iniqui omnes aeterna supplicio deputati sua quidem iniquitate paniuntur et tamen ad aliquid ardebunt, scilicet ut justi omnes et in Deo videant gaudia quae perceperunt et in illis perspeciant supplicia quae evaserunt; quaternus tanto magis in aeternum divinae gratiae de debitores se esse cognoscant quanto in aeternum mala puniri conspiciunt, quae ejus adjutorio vicerunt. S. Grégoire le Grand, Dial., I. IV, c. XLIV, P. L., t LXXVII, col. 404.

 Nous avons ainsi, par offensive, résolu la grande objection faite à l’éternité de l’enfer : un enfer éternel ne peut s’accorder avec la bonté et la miséricorde de Dieu. Comme réponse directe il faut ajouter ceci: la bonté de Dieu, c’est son amour faisant du bien gratuitement : cette bonté est miséricorde à l’égard d’êtres misérables. Aux damnés Dieu a-t-il voulu le bien, la perfection, le bonheur et rien que cela? Oui, de volonté antécédente, c’est-à-dire de volonté réelle, sincère, efficace. Dieu crée tous les hommes pour le ciel et personne pour l’enfer; il bien qu’il donne à tous les moyens nécessaires, et même, de fait, surabondants, pour arriver au ciel : voilà l’amour et la bonté de Dieu universels. Mais les hommes sont libres; s’ils refusent d’aller au ciel et s’ils se plongent dans le mal, qu’y peut la bonté de Dieu? Par miséricorde les sauver malgré tout? Mais la miséricorde est un attribut tout transitoire: le mal disparaît ou devient irrémédiable. Alors Dieu ne devait pas créer ces maux irrémédiables? Il aurait pu ne pas les créer; mais il n’y était pas tenu, n’étant pas tenu de fermer son coeur sur tous, parce que quelques misérables devaient abuser de ses bienfaits. Bien plus, nous allons le dire, c’est par amour plus grand que Dieu a sans doute conservé le mal dans notre ordre, alors qu’il aurait pu le supprimer.

 2° La raison formelle et dernière de l’enfer. — La raison formelle, objective et dernière des volitions divines, c’est l’amour de son bien infini, en tant que manifesté librement dans la participation finie du bleu infini aux créatures. Voir t. II col. 838-840. Du degré dont Dieu veut par son amour subsistant aimer les biens limités il n’y a d’autre raison que le libre amour de Dieu. Il y a, en effet, un ordre essentiel que Dieu se doit de mettre partout. Mais au-dessus de cet ordre essentiel, il y a le surabondant que Dieu ne doit plus et qui ne dépend que de sa liberté, c’est-à-dire de la part d’amour infini qu’il veut bien accorder aux créatures. Dire que Dieu doit le salut final à tous, c’est mettre en lui une nécessité dans le domaine même du surabondant et c'est faire imposer des limites à son amour créateur par la créature même et par le péché de la créature. Avec plus d’amour pour telles créatures, Dieu n’aurait pas fait l’enfer; mais c’était un degré d’amour libre et indépendant et il ne l’a pas voulu. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. LXXXVII, a. 3; q CLVII, a. 2, ad 1um. Telle est la dernière raison formelle de l’enfer, comme de toutes choses.

 Connaissant l’immense amour de Dieu, on peut cependant se demander encore pour quelle perfection spéciale supérieure ce Dieu si aimant a voulu l’enfer, ou cet ordre de choses, comprenant le pêché et l’enfer? Est-ce parce que c’est un ordre d’amour excellent, plus excellent que les autres ordres où n’entrerait pas le péché, sinon tous absolument, ceux du moins qui sont de potentia ordinata? Et cette excellence provient-elle de ce que l’ordre de choses actuel est un ordre d’amour blessé par le péché, mais réparé par le Verbe incarné et rédempteur et puis par notre amour pénitent? C’est là une réponse traditionnelle : o felix culpa. Mais, définitivement, la question est insoluble. Dieu a choisi cet ordre où il y a le péché et l’enfer pour manifester librement son amour infini dans le degré que réalise le monde créé.

 X. APPLICATIONS PRATIQUES.

 1° En théologie spéculative, une méditation sérieuse de l’enfer est nécessaire pour apprécier moins incomplètement toute la conduite de Dieu sur le monde, pour comprendre spécialement la nature si mystérieuse du péché, enfin pour mieux estimer ces attributs divins de sainteté et de pureté, de justice, de souveraine indépendance.

 2° En théologie ascétique, l’intelligence individuelle de la doctrine de l’enfer s’acquerra par le travail de la raison éclairée de la foi ou par l’illumination supérieure des dons infus d’intelligence, de sagesse et de science.

 La crainte de l’enfer étant évidemment inférieure à l’amour, cette étude appartient de soi plutôt à la voie purgative, au commencement de la vie morale et ascétique. Eccli., I, 16; I Joa., IV, 18. Voir CRAINTE DE DIEU. Toutefois, il faut, à ce propos, éviter deux excès : a) de dire que les parfaits ne craignent plus l’enfer, parce qu’ils sont établis dans l’amour, Rom., VIII, 35-39, et qu’ils ne désirent plus le ciel étant prêts, comme disposition habituelle, à aller on enfer, voir QUIÉTISME; b) de dire que les parfaits n’ont plus à penser aux motifs de crainte et à l’enfer. Si parfait qu’on soit, on a toujours à craindre le péché mortel et l’enfer, qui en est le châtiment. Mr Ch. Gay, Vie et vertus chrétiennes, Ire partie, t. I, p. 189-198. Bien plus, une connaissance supérieure de l’enfer par voie de contemplation infuse, ou même de vision imaginaire ou intellectuelle, a été très souvent dans l’histoire de la sainteté un facteur capital de grande sanctification. Il suffit de rappeler les visions de sainte Thérèse et de sainte Françoise Romaine. Cf. J. Ribet, La mystique divine, Paris, 1895, t. II, c. XII, p. 219 sq.

 3° Quant aux sentiments à avoir à l’égard des damnés, il serait d’abord irraisonnable autant qu’inutile de demander à Dieu leur délivrance ou leur soulagement, puisque leur sort est fixé à jamais. Voir MITIGATION. En outre, il ne faudrait pas avoir pour eux de fausse pitié; ils ne sont pas exclusivement des malheureux, ce sont des misérables. Il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur leur sort qu’ils n’ont que trop mérité par leur dépravation finale et irrémissible. Cf. S. Grégoire le Grand, Dial., I. IV, c. XLIV, P. L., t. LXXVII, col. 404; S. Thomas, Sum. theol., IIIae Supplem., q. XCIV, a. 2, 3. Les bienheureux n’ont pour les damnés aucune compassion, soit antécédente ou indélibérée, soit délibérée, car la vraie compassion suppose un mal guérissable. Dieu lui-même n’a plus de miséricorde pour les damnés, parce qu’ils n’en veulent plus. Nous comprendrons cela dans la lumière infinie.

 4° Au point de vue pastoral, on s’est demandé parfois s’il était utile de prêcher l’enfer à notre époque, et la sagesse charnelle tend à répondre négativement. La vraie sagesse traditionnelle a pensé autrement. Si les Pères et les prédicateurs du moyen âge, en effet, ne multipliaient pas les instructions spéciales sur l’enfer, la pensée de la géhenne avec toutes ses horreurs hantait leur esprit et s’exprimait fréquemment dans leurs discours. Dira-t-on qu’à ces époques barbares, il fallait des chocs violents pour ébranler l’esprit des fidèles, mais que les chrétiens modernes très adoucis, très conscients de l’indépendance et de la dignité personnelles, ne veulent céder qu’à l’amour et n’aiment pas les menaces. On s’évanouit maintenant d’effroi en entendant prêcher sur l’enfer ou bien la sensibilité affolée par la peur tombe dans le désespoir. Il est certain qu’il vaut mieux aller à Jésus par l’amour, mais la crainte peut conduire à l’amour, même la crainte de l’enfer. Il faut tempérer la crainte par l’amour, mais aussi exciter l’amour de Dieu par la crainte de ses châtiments et éloigner du péché par la pensée de la sanction divine de l’enfer. Or, cette crainte est aujourd’hui nécessaire comme au temps de saint Chrysostome, de saint Césaire, de saint Pierre Damien, de Bourdaloue, parce que la nature humaine est au fond toujours identique. Les prédicateurs doivent donc omettre seulement les descriptions de pure imagination. Les données de la révélation suffisent à faire impression sur les âmes croyantes. Mais écarter systématiquement de la chaire chrétienne la préoccupation, qui doit être constante, des fins dernières et de l’enfer éternel, c’est ignorer radicalement l’esprit du christianisme ou même la notion de la créature, de l’état de voie et de l’état de terme, puisque la vie chrétienne doit aboutir inévitablement au ciel ou à l’enfer.

 Il est impossible de dresser un catalogue complet sur un sujet qui a été la préoccupation constante de l’esprit humain.
Voici, avec les travaux signalés au cours de l’article, les principaux écrits à consulter.

 I. TRAITÉS GÉNÉRAUX.

Pour les anciens théologiens, saint Thomas, puis les commentateurs des Sentences ou de la Somme, Suarez, Salmanticenses,etc. spécialement
Petau, De angelis, 1. III. c. III-VIII, dans Dogmata theologica, Paris, 1866, t. IV. p. 74-120;
J. V. Patuzzi, De futuro impiorurn statu, 1. III, Vérone, 1748;
Jer. Drexelius, Aeternitus infelix sive supplicia aeterna damnatorum, Anvers, 1643 (descriptions imaginaires épouvantables);
Boettcher, De inferis rebusque post mortem futuris, 1846 (riche bibliographie);
Passaglia. De aeternitate poenarum deque igne inferno, Rome, 1854.

Les cours récents de théologie traitent de l’enfer dans le De novissimis. habituellement le dernier de leurs traités;
cependant Perrone, Mazzella, Einig l’adjoignent encore au De Deo creante, de homine;

on pourra consulter ces divers auteurs, par exemple,
Hurter, Pesch, Jungmann, Paquet, Tanquerey Fei, Lottini, etc.;

comme monographies détachées.
Billot, De novissimis, Rome, 1905;
D. Palmieri, De novissimis, Rome, 1908;
en langue vulgaire, Souben, Les fins dernières
L. Labauche, L’homme, Paris, 1933, IVe partie;
H. Martin, La vie future d’après la foi et suivant la raison, 3e édit.. Paris, 1870;
Carl, Du dogme catholique sur l’enfer, Paris. 1842;
I. Bautz, Die Hölle. 2e édit., Mayence, 1905;
W. Schneider, Das andere Leben, 8e édit., Paderborn, 1905;
I. H. Oswald, eschalotogie, d. i. die letzten Dinge, 5e édit., Paderborn, 1893
Salmond,Christian doctrine of Immortality, 5e édit., Édimbourg, 1933, très complet;
Oesterly, The doctrine of  ast things, Londres, 1908.
Voir aussi Bautz, Hölle, dans Kirchenlexikon, t. VI, col. 112-124;
J. Hontheim, Hell, dans The Catholic encyclopedia, New-York, 1910, p. 207-211;
P. J. Toner, Eschatolagy, ibid., 1909. t. v. p. 528-534.
 

 II. TRAVAUX SPÉCIAUX.

1° Sur l’enfer et la raison.

Trois études magistrales:
Enfer de Dr J. D.:
surtout Éternité de l’enfer, de A. Dupont, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de Jaugcy. Paris. 1890, t. I, col. 1062-1068. 1076-1118;
Enfer de Paul Bernard, dans le même Dictionnaire, 4e édit., 1910, t. I, col. 1377-1399, avec bihliographie.
Voir encore F. Hettinger, Apologie du christianisme, 2e édit., Paris, les dogmes, t. II, c. XV. p. 387-414;
A. Nicolas. Études philosophiques sur le christianisme. 7e édit.,Paris, 1851 t. II. c. VII. p. 458 sq.,
et les études générales d’apologie de Genoude. Exposition du dogme catholique, Paris. 1840. e. XII. p. 251 274: de Du Clot.  La sainte Bible vengée. 2e édit., Lyon. 1841, t. III, p. 454-463:
Bougaud, Le christianisme et les temps présents. Paris, 1889. t. V, p. 336-361;
dom Smsart. Défense du dogme catholique sur l’éternité des peines, Paris, 1748;
Clarke, Eternal punishment and infinitive Love, dans The Month, 1882, t. XLIV,  p. 1 sq., 195 sq., 305 sq.;
Rieth, Der moderne Unglaube und die ewigen Strafen, dans Stimmen aus Maria-Laach, 1886, t. XXXI, p. 25 sq., 136 sq.;
Gibbons, Our christian heritaqe, Baltimore, 1889, c. XIV, p. 216 sq.;
de Bonniot, le problème du mal;
H. Brémond, La conception catholique de l’enfer. 9e édit., Paris, 1907;
Th. Ortolan. La fausse science contemporaine et les mystères d’outre- tombe, 8e édit., Paris, 1900.
 

 2° Sur l’enfer dans l’Écriture sainte.

Atzberger, Die christliche Eschatologie in den Stadien ihrer Offenbarunq im Alten und Neuen Testamente, Fribourg-en-brisgau, 1890, p. 36 sq., 61 sq., 84aq., 97sq., pour l’AncienTestament,
p. 136-156, pour la théologie juive; p. 282-298, pour le Nouveau Testament; abondante bibliographie;

S. D. F. Solmond, Hetl, dans Dictionary of the Bible, Edimbourg, 1902, t. II, p. 343-346;
Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. IV, p. 517-528, 585-595;
A. Vacant, Enfer, dans le Dictionnaire de la Bible, t. II, col. 1792-1796;
Vacant, Ame, IV, destinée d’après la Bible. ibid., t. I, col. 461-473;
Heizenaner, Theologia biblica. Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 612 sq.;

au point de vue protestant orthodoxe,
A. Wabnitz, Enfer, dans  L'encyclopédie de Lichtenberger, Paris, 1878, t. IV, p. 425-433, courte bibliographie protestante orthodoxe;

au point de vue libéral,
Milton S. Terry, Bitlical dogmatics. Londres, 1907, p. 122-136; longue bibliographie, p 583-593;

au point de vue rationaliste,
Charles, Eschatology. dans Encyclopaedia biblica, Londres, 1901, t. II, col. 1335-1390,
et les nombreuses théologies bibliques récentes ou les histoires de la religion juive.
 

 3° Sur l’enfer dans le tradition.

Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb dat vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896;
Alger, The destiny of the soul, a critical history of the doctrine of a future life, 14° édit.. New York, 1889, très riche bibliographie pour les ouvrages anciens, exposition inexacte de la doctrine catholique;
Charles, Critical history of the doctrine of a future life in lsrael, in Judatsm aud  Christianity. Londres, 1899;
F. Tournebize, trois articles sur la tralition et l’enfer. feu, universalisme, conditionalisme, dans les Études. 15 décembre 1893, t. LX, p. 621 sq.; mai, juillet 1904; Id., Opinions du Jour sur les peines d’outre-tombe, 7e édit.. Paris;
Turmel, Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, t. I, p. 187-194, 250-251, 356.
 

 4°
Sur l’éternité de l'enfer:
G. Cordemoy, L’éternité des peines de l’enfer contre les sociniens, Paris, 1697;
Sachs, Die ewige Dauer der Höllenstrafen, Paderborn. 1900;

sur le lieu de l’enfer:
J. V. Patuzzi, De sede inferni in terris quaerenda dissertatio, Venise, 1763;
S. Gretser, De subterraneis animarum receptaculis, Ingolstadt, 1595;

sur les peines du sens:
Gutberlet, Die poena sensus, dans Der Katholik, 1901, t. II, p. 305 sq., 385 sq.
 

           M.RICHARD.
 
 
 

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