LÉON, ÉVÊQUE Serviteur des Serviteurs de Dieu
AD PERPETUAM REI MEMORIAM
La sollicitude et l’affection apostoliques avec lesquelles Nous Nous
efforçons, sous l’inspira-
tion de la grâce, d’imiter et de faire revivre, conformément
à Notre charge, le Pasteur Suprême
du troupeau, Notre-Seigneur Jésus-Christ1, se portent en grande
partie sur la très noble nation
anglaise.
Cette bienveillance à son égard, Nous l’avons surtout
témoignée dans une lettre spéciale
adressée, l’année dernière, aux Anglais qui cherchent
le règne du Christ dans l’unité de la foi.
Nous avons rappelé l’antique union de ce peuple avec l’Église
sa Mère, et Nous Nous sommes
efforcé de hâter son heureux retour, en réveillant
dans les âmes le zèle de la prière. Récem-
ment encore, lorsque, dans une lettre adressée à tout
l’univers, Nous avons voulu traiter d’une
façon plus complète de l’unité de l’Église,
une de Nos premières pensées a été pour l’Angle-
terre, dans la douce confiance que Nos lettres pourraient à
la fois fortifier les catholiques et
apporter une lumière salutaire aux dissidents. Il est une chose
que Nous Nous plaisons à
reconnaître, elle fait honneur au bon sens de cette nation et
montre la préoccupation d’un grand
nombre de ses membres pour leur salut éternel : c’est l’accueil
bienveillant fait par les Anglais à
Nos instances et à la liberté de Notre parole que n’inspirait
aucun motif humain.
Aujourd’hui, dans le même but et avec les mêmes dispositions,
Nous voulons étudier une
question non moins importante, connexe à la première
et qui Nous tient également à coeur. Les
Anglais, en effet, peu de temps après s’être retirés
du centre de l’unité chrétienne, introduisirent
publiquement, sous le règne d’Edouard VI, dans la collation
des Ordres sacrés, un rite absolu-
ment nouveau ; ils perdirent, par suite, le vrai sacrement de l’Ordre
tel que le Christ l’a institué
et en même temps, la succession hiérarchique : telle était
déjà l’opinion commune, confirmée
plus d’une fois par les actes et la constante discipline de l’Église.
Cependant, dans des temps plus rapprochés et surtout dans ces
dernières années, on vit se
ranimer la controverse sur les ordinations conférées
dans le rite du roi Edouard. Possèdent-
elles la nature et l’effet du sacrement ? Non seulement plusieurs écrivains
anglais, mais encore
quelques catholiques non anglais pour la plupart, exprimaient à
leur sujet une opinion favora-
ble, soit d’une façon catégorique, soit sous forme dubitative.
Les premiers, préoccupés de la dignité du sacerdoce
chrétien, désiraient que leurs prêtres
jouissent du double pouvoir sacerdotal sur le corps du Christ ; les
seconds pensaient faciliter
par là leur retour à l’unité : tous étaient
persuadés que, par suite des progrès réalisés
en ces
derniers temps dans ce genre d’études et de la découverte
de nouveaux documents ensevelis
jusque-là dans l’oubli, Notre autorité pouvait opportunément
soumettre de nouveau cette cause
à l’examen. Pour Nous, ne négligeant en rien ces desseins
et ces voeux, prêtant surtout l’oreille
à la voix de Notre charité apostolique, Nous avons décidé
de tenter tout ce qui pourrait, en
quelque manière, éloigner des âmes tout préjudice
ou procurer leur bien.
C’est donc avec bienveillance que Nous avons consenti à un nouvel
examen de la question,
afin d’écarter à l’avenir, par l’autorité indiscutable
de ce nouveau débat, tout prétexte au
1 Hébr., xiii, 20.
moindre doute. Quelques hommes, d’une science et d’une érudition
éminentes, dont on
connaissait les divergences d’idées en cette matière,
ont, sur Notre ordre, mis par écrit les
motifs de leur opinion ; les ayant ensuite mandés auprès
de Nous, Nous leur avons ordonné de
se communiquer leurs écrits, ainsi que de rechercher et de peser
avec soin tous les autres
éléments d’information utiles à la question. Nous
avons pourvu à ce qu’ils pussent en toute
liberté revoir, dans les archives vaticanes, les pièces
nécessaires déjà connues et mettre à jour
les documents encore ignorés. Nous avons voulu de même
qu’ils eussent à leur disposition
tous les actes de ce genre conservés dans le Conseil sacré
appelé Suprema, et également tout
ce que les hommes les plus compétents ont publié jusqu’ici
dans les deux sens.
Après leur avoir ménagé ces facilités, Nous
avons voulu qu’ils se réunissent en Commission
spéciale ; douze séances ont eu lieu sous la présidence
d’un cardinal de la Sainte Église
romaine désigné par Nous, avec la faculté pour
chacun de soutenir librement son avis. Enfin,
Nous avons ordonné que les décisions de ces réunions,
jointes aux autres documents, fussent
soumises à Nos Vénérables Frères les Cardinaux,
et que ceux-ci, après un sérieux examen,
discutant la question en Notre présence, Nous disent chacun
leur manière de voir.
Cette procédure une fois instituée, il était juste
de ne pas aborder l’étude approfondie de
cette affaire avant d’avoir soigneusement établi l’état
antérieur de la question par suite des
décisions du Siège Apostolique et des traditions adoptées,
traditions dont il était essentiel
d’apprécier l’origine et la valeur. C’est pourquoi Notre attention
s’est portée en premier lieu sur
les documents par lesquels Nos prédécesseurs, à
la demande de la reine Marie, apportèrent
leurs soins dévoués à la réconciliation
de l’Église d’Angleterre. Jules III envoya à cet effet le
cardinal anglais Reginald Polo, homme remarquable et digne de tout
éloge, en qualité de légat
a latere « comme son ange de paix et de dilection » et
lui donna des pouvoirs extraordinaires et
des instructions2 que, dans la suite, Paul IV renouvela et confirma.
Pour bien saisir la valeur intrinsèque des documents mentionnés
plus haut, il faut se baser
sur ce fait que le sujet qu’ils traitent, loin d’être étranger
à la question, la concerne particulière-
ment et en est inséparable. En effet, puisque les pouvoirs accordés
au légat apostolique par les
Souverains Pontifes avaient trait uniquement à l’Angleterre
et à l’état de la religion dans ce
pays, de même, les instructions données par les mêmes
Pontifes à ce même légat qui les
demandait ne pouvaient nullement se rapporter aux conditions essentielles
requises pour la
validité de toute ordination, mais elles devaient viser spécialement
les dispositions à prendre en
vue des ordinations dans ce royaume, suivant les exigences des temps
et des circonstances.
Outre l’évidence qui ressort de la nature et de la forme de ces
documents, il est clair égale-
ment qu’il eût été absolument étrange de
vouloir apprendre ce qui est indispensable pour la
confection du sacrement de l’Ordre à un légat et à
un homme dont la science avait brillé jusque
dans le Concile de Trente.
En tenant bien compte de cette observation, on comprendra facilement
pourquoi Jules III,
dans sa lettre du 8 mars 1554 au légat apostolique, distingue
formellement ceux qui, promus
régulièrement et selon le rite, devaient être maintenus
dans leurs Ordres et ceux qui, non
promus aux Ordres sacrés, pouvaient y être promus s’ils
étaient dignes et aptes. On y voit
clairement et expressément indiquées, comme elles existaient
en réalité, deux catégories : d’un
côté, ceux qui avaient vraiment reçu les Ordres
sacrés, soit avant le schisme d’Henri, soit
postérieurement par des ministres attachés à l’erreur
ou au schisme, mais selon le rite catholi-
que accoutumé ; de l’autre, ceux qui, ordonnés selon
le rite d’Edouard, pouvaient, en consé-
quence, être promus, puisqu’ils avaient reçu une ordination
invalide.
2 Fait au mois d’août 1533, par les lettres sous le sceau : Si
ullo unquam tempore et Post nuntium nobis et par d’autres
encore.
Que ce fût bien la pensée du Pontife, c’est ce que prouve
clairement la lettre de ce même
légat, en date du 29 janvier 1555, transmettant ses pouvoirs
à l’évêque de Norwich.
En outre, il faut surtout considérer ce que la lettre même
de Jules III dit des pouvoirs pontifi-
caux qui doivent être exercés librement, même en
faveur de ceux dont l’ordination a été moins
régulière et dénuée de la forme ordinaire
de l’Église : ces mots désignaient évidemment ceux
qui avaient été ordonnés selon le rite d’Edouard,
car ce dernier était, avec le rite catholique, le
seul alors employé en Angleterre.
Cette vérité deviendra encore plus manifeste si l’on se
rappelle l’ambassade envoyée à
Rome au mois de février 1555 par le roi Philippe et la reine
Marie, sur le conseil du cardinal
Polo. Les trois délégués royaux, hommes éminents
et très vertueux, parmi lesquels Thomas
Thixlby, évêque d’Elis, avaient la mission d’instruire
en détail le Souverain Pontife de la
situation religieuse en Angleterre ; ils devaient en premier lieu lui
demander la ratification et la
confirmation de ce qu’avait fait le légat pour la réconciliation
de ce royaume avec l’Église. À
cette fin, on apporta au Souverain Pontife tous les documents écrits
nécessaires et les
passages du nouvel Ordinal concernant surtout cette question. Paul
IV reçut la délégation avec
magnificence ; les témoignages invoqués furent discutés
avec soin par quelques cardinaux et
soumis à une mûre délibération : le 20 juin
de la même année, Paul IV publiait sous le sceau
pontifical la lettre Praeclara carissimi. Dans cette lettre, après
une pleine approbation et
ratification des actes de Polo, on lit les prescriptions suivantes
au sujet des ordinations : Ceux
qui n’ont pas été promus aux Ordres sacrés [...]
par un évêque ordonné régulièrement et
selon
le rite, sont tenus de recevoir à nouveau les mêmes Ordres.
Quels étaient ces évêques non
ordonnés régulièrement et suivant le rite, c’est
ce qu’avaient déjà suffisamment indiqué les
documents ci-dessus et les pouvoirs exercés par le Légat
dans cette matière : c’étaient ceux
qui avaient été promus à l’épiscopat, comme
cela était arrivé pour d’autres dans la réception
des Ordres, sans observer la forme habituelle de l’Église, ou
la forme et l’intention de l’Église,
ainsi que l’écrivait le légat lui-même à
l’évêque de Norwich. Or, ceux-là ne pouvaient être
assurément que les évêques consacrés suivant
la nouvelle forme rituelle que les cardinaux
désignés avaient examinée attentivement.
Il ne faut pas non plus passer sous silence un passage de la même
lettre pontificale qui se
rapporte parfaitement à ce sujet : le Pape y signale parmi ceux
qui ont besoin d’une dispense
ceux qui ont obtenu d’une façon nulle, quoique de fait, tant
les Ordres que les bénéfices
ecclésiastiques. Recevoir les Ordres d’une façon nulle,
c’est les recevoir par un acte vain et
sans effet, c’est-à-dire invalidement, comme nous en avertissent
et l’étymologie du mot et son
acception dans le langage usuel, étant donné surtout
que la même affirmation vise avec les
Ordres les bénéfices ecclésiastiques qui, d’après
les formelles dispositions des Saints Canons,
étaient manifestement nuls, ayant été conférés
avec un vice de forme qui les annulait.
Ajoutez à cela que, en réponse aux hésitations
de plusieurs se demandant quels évêques
pouvaient être regardés comme ordonnés régulièrement
et selon le rite dans l’intention du
Pontife, celui-ci, peu après, le 30 octobre, publia une seconde
Lettre en forme de Bref, où il
disait : Pour mettre un terme à ces hésitations et rassurer
la conscience de ceux qui ont été
promus aux Ordres durant le schisme, en exposant plus nettement la
pensée et l’intention de
Notre première Lettre, Nous déclarons que, seuls, les
évêques et archevêques non ordonnés et
consacrés suivant la forme de l’Église ne peuvent être
regardés comme ordonnés régulière-
ment et selon le rite. Si cette déclaration n’avait pas dû
s’appliquer proprement à la situation de
l’Angleterre à cette époque, c’est-à-dire à
l’Ordinal d’Edouard, le Souverain Pontife n’aurait pas
eu à publier une nouvelle lettre pour mettre un terme aux hésitations
et rassurer les conscien-
ces. Le légat, d’ailleurs, ne comprit pas autrement les lettres
et instructions du Siège Apostoli-
que et s’y soumit avec une religieuse ponctualité : telle fut
également la conduite de la reine
Marie et de ceux qui, avec elle, travaillèrent à rétablir
la religion et les institutions catholiques
dans leur première splendeur.
L’autorité de Jules III et de Paul IV, que Nous avons invoquée,
fait clairement ressortir
l’origine de cette discipline observée sans interruption déjà
depuis plus de trois siècles, qui tient
pour invalides et nulles les ordinations célébrées
dans le rite d’Edouard ; cette discipline se
trouve explicitement corroborée par le fait des nombreuses ordinations
qui, à Rome même, ont
été renouvelées absolument et selon le rite catholique.
L’observation de cette discipline est un argument en faveur de Notre
thèse. S’il reste encore
un doute sur le sens à donner à ces documents pontificaux,
on peut appliquer l’adage : la
coutume est la meilleure interprète des lois.
L’Église ayant toujours admis comme un principe constant et inviolable
qu’il est absolument
interdit de réitérer le sacrement de l’Ordre, il était
impossible que le Siège Apostolique souffrît
et tolérât en silence une coutume de ce genre. Or, non
content de la tolérer, il l’a même
approuvée et sanctionnée toutes les fois qu’il s’est
agi de juger sur ce point quelque cas
particulier. Nous ne citerons que deux faits de ce genre entre beaucoup
d’autres déférés dans
la suite à la Suprema : l’un, de 1684, concerne un calviniste
français ; l’autre, de 1704, est celui
de Jean-Clément Gordon ; tous deux avaient reçu les Ordres
selon le rite d’Edouard. Dans le
premier cas, après une minutieuse enquête, la majorité
des consulteurs mirent par écrit leurs
voeux (c’est le nom qu’on donne à leurs réponses) ; les
autres, s’unissant à eux, se prononcè-
rent pour l’invalidité de l’ordination ; toutefois, eu égard
à certains motifs d’opportunité, les
cardinaux crurent devoir répondre : différé. Dans
le second cas, les mêmes faits furent exami-
nés à nouveau ; on demanda en outre de nouveaux voeux
aux consulteurs, on interrogea
d’éminents docteurs de la Sorbonne et de Douai ; on ne négligea,
pour connaître l’affaire à
fond, aucun des moyens que suggérait une prudence clairvoyante.
Une remarque s’impose : Gordon lui-même, il est vrai, alors en
cause, et quelques consul-
teurs, invoquèrent entre autres motifs de nullité l’ordination
de Parker avec le caractère qu’on
lui attribuait à cette époque ; mais quand il s’agit
de prononcer la sentence, on écarta absolu-
ment cette raison, comme le prouvent des documents dignes de toute
confiance, et l’on ne
retint comme motif qu’un défaut de forme et d’intention. Pour
porter sur cette forme un juge-
ment plus complet et plus sûr, on avait eu la précaution
d’avoir en main un exemplaire de
l’Ordinal anglican, que l’on compara aux formes d’ordination usitées
dans les divers rites
orientaux et occidentaux. Alors, Clément XI, après avis
conforme des cardinaux dont l’affaire
ressortissait, porta lui-même, le jeudi 17 avril 1704, le décret
suivant : « Que Jean-Clément
Gordon reçoive ex integro et absolute tous les Ordres, même
les Ordres sacrés et surtout le
sacerdoce, et s’il n’a pas été confirmé, qu’il
reçoive d’abord le sacrement de Confirmation ».
Cette décision, remarquons-le bien, n’a tenu aucun compte du
défaut de tradition des instru-
ments, auquel cas l’usage prescrivait de renouveler l’ordination sous
condition. Il importe
encore davantage d’observer que cette même sentence du Pape concerne
d’une façon
générale les ordinations anglicanes.
Bien qu’elle se rapportât, en effet, à un cas spécial,
elle ne s’appuyait pas néanmoins sur un
motif particulier, mais sur un vice de forme dont sont affectées
toutes ces ordinations, tellement
que, dans la suite, toutes les fois qu’il fallut décider d’un
cas analogue, on répondit par ce
même décret de Clément XI.
Cela étant, il est clair pour tous que la question soulevée
à nouveau de nos jours avait été
bien auparavant tranchée par un jugement du Siège Apostolique
; la connaissance insuffisante
de ces documents explique peut-être comment certains écrivains
catholiques n’ont pas hésité à
discuter librement sur ce point. Mais, Nous l’avons dit au début,
depuis très longtemps Nous
n’avons rien plus à coeur que d’entourer le plus possible d’indulgence
et d’affection les hommes
animés d’intentions droites. Aussi, avons-Nous prescrit d’examiner
encore très attentivement
l’Ordinal anglican, point de départ de tout le débat.
Dans le rite qui concerne la confection et l’administration de tout
sacrement, on distingue
avec raison entre la partie cérémoniale et la partie
essentielle, qu’on appelle la matière et la
forme. Chacun sait que les sacrements de la nouvelle loi, signes sensibles
et efficaces d’une
grâce invisible, doivent signifier la grâce qu’ils produisent
et produire la grâce qu’ils signifient.
Cette signification doit se trouver, il est vrai, dans tout le rite
essentiel, c’est-à-dire dans la
matière et la forme ; mais elle appartient particulièrement
à la forme, car la matière est une
partie indéterminée par elle-même, et c’est la
forme qui la détermine. Cette distinction devient
plus évidente encore dans la collation du sacrement de l’Ordre,
ou la matière, telle du moins
que Nous la considérons ici, est l’imposition des mains ; celle-ci,
assurément, n’a par elle-
même aucune signification précise, et on l’emploie aussi
bien pour certains Ordres que pour la
Confirmation.
Or, jusqu’à nos jours, la plupart des anglicans ont regardé
comme forme propre de
l’ordination sacerdotale la formule : Reçois le Saint-Esprit
; mais ces paroles sont loin de
signifier, d’une façon précise, le sacerdoce en temps
qu’Ordre, la grâce qu’il confère on son
pouvoir, qui est surtout le pouvoir de consacrer et d’offrir le vrai
corps et le vrai sang du
Seigneur3, dans le sacrifice, qui n’est pas la simple commémoration
du sacrifice accompli sur la
Croix4. Sans doute, on a ajouté plus tard à cette forme
les mots Pour l’office et la charge de
prêtre ; mais c’est là une preuve de plus que les anglicans
eux-mêmes considéraient cette
forme comme défectueuse et impropre. Cette même addition,
supposé qu’elle eût pu donner à
la forme la signification requise, a été introduite trop
tard ; car, un siècle s’était déjà écoulé
depuis l’adoption de l’Ordinal d’Edouard et, par suite, la hiérarchie
étant éteinte, le pouvoir
d’ordonner n’existait plus.
C’est en vain que, pour les besoins de la cause, de nouvelles additions
furent faites récem-
ment aux prières de ce même Ordinal. Nous ne citerons
qu’un seul des nombreux arguments
qui montrent combien ces formules du rite anglican sont insuffisantes
pour le but à atteindre : il
tiendra lieu de tous les autres. Dans ces formules, on a retranché
de propos délibéré tout ce
qui, dans le rite catholique, fait nettement ressortir la dignité
et les devoirs du sacerdoce, elle ne
peut donc être la forme convenable et suffisante d’un sacrement,
celle qui passe sous silence
ce qui devrait y être spécifié expressément.
Il en est de même de la consécration épiscopale.
En effet, non seulement les mots Pour
l’office et la charge de l’évêque ont été
ajoutés trop tard à la formule Reçois le Saint-Esprit,
mais encore, comme Nous le dirons bientôt, ces paroles doivent
être interprétées autrement
que dans le rite catholique. Il ne sert de rien d’invoquer sur ce point
la prière qui sert de
préambule : Dieu tout-puissant, puisqu’on y a également
retranché les mots qui désignent le
sacerdoce suprême. En vérité, il serait étranger
à la question d’examiner ici si l’épiscopat est le
complément du sacerdoce ou un Ordre distinct ; rechercher si
l’épiscopat conféré per saltum,
c’est-à-dire à un homme qui n’est pas prêtre, produit
ou non son effet, serait également inutile.
Il est hors de doute et il ressort de l’institution même du Christ
que l’épiscopat fait véritablement
partie du sacrement de l’Ordre et qu’il est un sacerdoce d’un degré
supérieur ; c’est d’ailleurs
ce qu’insinue le langage habituel des saints Pères et les termes
usités dans notre rituel où il est
appelé le sacerdoce suprême, le sommet du ministère
sacré. D’où il résulte que le sacrement
de l’Ordre et le vrai sacerdoce du Christ ayant été entièrement
bannis du rite anglican, et la
consécration épiscopale du même rite ne conférant
aucunement le sacerdoce, l’épiscopat ne
peut non plus être vraiment et légitimement conféré,
d’autant plus que, parmi les principales
fonctions de l’épiscopat, se trouve celle d’ordonner les ministres
pour la Sainte Eucharistie et le
Saint Sacrifice.
3 Conc. de Trente, Sess. xxiii, Du Sacr. de l’Ordre, can. l.
4 Conc. de Trente, Sess. xxii, Du Sacrif. de la Messe, can. 3.
Pour apprécier d’une façon exacte et complète
l’Ordinal anglican, en dehors des points mis
en lumière par certains passages, rien assurément ne
vaut l’examen scrupuleux des circons-
tances dans lesquelles il a été composé et publié.
Les passer toutes en revue serait long et
inutile ; l’histoire de cette époque montre assez éloquemment
quel esprit animait les auteurs de
l’Ordinal à l’égard de l’Église catholique, quels
appuis ils ont demandés aux sectes hétéro-
doxes, et quel but ils poursuivaient. Ne sachant que trop la relation
nécessaire qui existe entre
la foi et le culte, entre la loi de croyance et la loi de prière,
ils ont grandement défiguré
l’ensemble de la liturgie conformément aux doctrines erronées
des novateurs, sous prétexte de
la ramener à sa forme primitive. Aussi, dans tout l’Ordinal,
non seulement il n’est fait aucune
mention expresse du sacrifice, de la consécration, du sacerdoce,
du pouvoir de consacrer et
d’offrir le sacrifice, mais encore les moindres traces de ces institutions,
qui subsistaient encore
dans les prières du rite catholique en partie conservées,
ont été supprimées et effacées avec le
soin signalé plus haut.
Ainsi apparaissent d’eux-mêmes le caractère et l’esprit
original de l’Ordinal. Si, vicié dès le
début, celui-ci ne pouvait être suivi pour les ordinations,
il ne pouvait de même être employé
validement dans la suite des temps, puisqu’il demeurait tel quel. C’est
donc en vain que, dès
l’époque de Charles Ier, plusieurs s’efforcèrent d’admettre
quelque chose du sacrifice et du
sacerdoce, aucune addition n’ayant été faite depuis à
l’Ordinal ; c’est en vain également qu’un
petit nombre d’anglicans récemment réunis pensent pouvoir
donner à cet Ordinal une interpré-
tation satisfaisante et régulière.
Ces efforts, disons-Nous, ont été et sont stériles,
et cela pour cet autre motif que si l’Ordinal
anglican actuel présente quelques expressions ambiguës,
elles ne peuvent revêtir le même
sens que dans le rite catholique. En effet, l’adoption d’un nouveau
rite qui nie ou dénature le
sacrement de l’Ordre et qui répudie toute notion de consécration
et de sacrifice enlève à la
formule Reçois le Saint-Esprit toute sa valeur ; car cet Esprit
ne pénètre dans l’âme qu’avec la
grâce du sacrement. Perdent aussi leur valeur les paroles Pour
l’office et la charge de prêtre ou
d’évêque et autres semblables ; ce ne sont plus alors
que de vains mots, sans la réalité de la
chose instituée par le Christ.
La force de cet argument apparaît à la plupart des anglicans
eux-mêmes qui interprètent
rigoureusement l’Ordinal ; ils l’opposent franchement à ceux
qui, à l’aide d’une interprétation
nouvelle et poussés par un vain espoir, attribuent aux Ordres
ainsi conférés une valeur et une
vertu qu’ils n’ont pas. Cet argument détruit à lui seul
l’opinion qui regarde comme forme légitime
suffisante du sacrement de l’Ordre la prière Omnipotens Deus,
bonorum omnium largitor, qui se
trouve au commencement de l’ordination ; et cela même si cette
prière pouvait être regardée
comme suffisante dans quelque rite catholique que l’Église aurait
approuvé.
À ce vice de forme intrinsèque, se lie le défaut
d’intention : or, la forme et l’intention sont
également nécessaires à l’existence du sacrement.
La pensée ou l’intention, en tant qu’elle est
une chose intérieure, ne tombe pas sous le jugement de l’Église
; mais celle-ci doit en juger la
manifestation extérieure. Ainsi, quelqu’un qui, dans la confection
et la collation d’un sacrement,
emploie sérieusement et suivant le rite la matière et
la forme requises, est censé, par le fait
même, avoir eu l’intention de faire ce que fait l’Église.
C’est sur ce principe que s’appuie la doctrine d’après laquelle
est valide tout sacrement
conféré par un hérétique ou un homme non
baptisé, pourvu qu’il soit conféré selon le rite
catholique. Au contraire, si le rite est modifié dans le dessein
manifeste d’en introduire un autre
non admis par l’Église et de rejeter celui dont elle se sert
et qui, par l’institution du Christ, est
attaché à la nature même du sacrement, alors, évidemment,
non seulement l’intention néces-
saire au sacrement fait défaut, mais il y a là une intention
contraire et opposée au sacrement.
Tout ce qui précède, Nous l’avons longtemps et mûrement
médité Nous-même d’abord, puis
avec Nos Vénérables Frères juges de la Suprema.
Nous avons même spécialement convoqué
cette assemblée en Notre présence, le jeudi 16 juillet
dernier, en la fête de Notre-Dame du
Mont-Carmel. Ils furent unanimes à reconnaître que la
cause proposée avait été déjà depuis
longtemps pleinement instruite et jugée par le Siège
Apostolique ; que l’enquête nouvelle
ouverte à ce sujet n’avait fait que démontrer d’une façon
plus lumineuse avec quelle justice et
quelle sagesse la question avait été tranchée.
Toutefois, Nous avons jugé bon de surseoir à
Notre sentence, afin de mieux apprécier l’opportunité
et l’utilité qu’il pouvait y avoir à prononcer
de nouveau la même décision par Notre autorité
et afin d’appeler sur Nous, du ciel, par Nos
supplications, une plus grande abondance de lumière.
Considérant alors que ce même point de discipline, quoique
déjà canoniquement défini, est
remis en discussion par quelques-uns — quel que soit le motif de la
controverse — et qu’il en
pourrait résulter une erreur funeste pour un grand nombre qui
pensent trouver le sacrement de
l’Ordre et ses fruits là où ils ne sont nullement, il
Nous a paru bon, dans le Seigneur, de publier
Notre sentence.
C’est pourquoi, Nous conformant à tous les décrets de
Nos prédécesseurs relatifs à la même
cause, les confirmant pleinement et les renouvelant par Notre autorité,
de Notre propre
mouvement et de science certaine, Nous prononçons et déclarons
que les ordinations confé-
rées selon le rite anglican ont été et sont absolument
vaines et entièrement nulles.
Puisque c’est en qualité et avec les sentiments de Pasteur suprême
que Nous avons entre-
pris de montrer la très certaine vérité d’une
affaire aussi grave, il Nous reste à exhorter dans le
même esprit ceux qui souhaitent et recherchent sincèrement
le bienfait des Ordres et de la
hiérarchie. Jusqu’à ce jour peut-être, excitant
leur ardeur pour la vertu, relisant avec plus de
piété les Saintes Écritures, redoublant leurs
ferventes prières, ils ne répondaient néanmoins
qu’avec incertitude et anxiété à la voix du Christ
qui les pressait déjà d’appels intérieurs. Ils
voient aujourd’hui clairement où ce bon Pasteur les appelle
et les veut. Qu’ils rentrent au
bercail, ils obtiendront alors les bienfaits désirés
et les secours qui en résultent pour le salut,
secours dont lui-même a confié l’administration à
l’Église, gardienne perpétuelle de sa Ré-
demption et chargée d’en distribuer les fruits aux nations.
Alors ils puiseront avec joie l’eau des
fontaines du Sauveur qui sont ses sacrements merveilleux, lesquels
rendent l’amitié de Dieu
aux fidèles vraiment purifiés de leurs péchés,
les nourrissent et les fortifient du pain céleste et
leur donnent en abondance de précieux secours pour conquérir
la vie éternelle.
S’ils ont véritablement soif de ces biens, que le Dieu de paix,
le Dieu de toute consolation,
dans sa bonté infinie, les en fasse jouir sans limite.
Nous voulons que Notre exhortation et Nos voeux s’adressent plus spécialement
à ceux qui
sont considérés par leurs communautés comme des
ministres de la religion. Que ces hommes
placés au-dessus des autres par leurs fonctions, leur science
et leur autorité, qui ont certaine-
ment à coeur la gloire de Dieu et le salut des âmes, s’empressent
de répondre et d’obéir au
Dieu qui les appelle ; ils donneront ainsi un noble exemple. C’est
avec une joie singulière que
leur Mère l’Église les recevra, les entourera de sa bonté
et de ses attentions, comme cela
convient pour des hommes qu’une vertu plus généreuse
aura fait rentrer dans son sein à
travers des difficultés plus particulièrement ardues.
On peut à peine dire quel enthousiasme
suscitera cette courageuse résolution dans les assemblées
de leurs frères, à travers le monde
catholique, quel espoir et quelle confiance elle leur permettra un
jour, devant le Christ leur juge,
et quelle récompense ce Christ leur réserve dans le royaume
des cieux. Pour Nous, autant que
Nous l’avons pu, Nous ne cessons de favoriser leur réconciliation
avec l’Église, dans laquelle,
soit isolément, soit en masse — ce que Nous souhaitons très
vivement, — ils peuvent choisir
beaucoup d’exemples à imiter.
En attendant, prions tous et demandons, par les entrailles de la miséricorde
divine, qu’ils
s’efforcent de seconder fidèlement l’action évidente
de la vérité et de la grâce divine.
Nous décrétons que cette Lettre et tout ce qu’elle renferme
ne pourra jamais être taxé ou
accusé d’addition, de suppression, de défaut d’intention
de Notre part ou de tout autre défaut ;
mais qu’elle est et sera toujours valide et dans toute sa force, qu’elle
devra être inviolablement
observée par tous, de quelque grade ou prééminence
qu’on soit revêtu, soit en jugement soit
hors jugement ; déclarant vain et nul tout ce qui pourrait y
être ajouté de différent par n’importe
qui, quelle que soit son autorité et sous n’importe quel prétexte,
sciemment ou par ignorance, et
rien de contraire ne devra y faire obstacle.
Nous voulons, eu outre, que les exemplaires de cette Lettre même
imprimés, portant toute-
fois le visa d’un notaire et munis du sceau par un homme constitué
en dignité ecclésiastique,
fassent foi comme le ferait la signification de Notre volonté
si on la lisait dans la présente Lettre.
Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, l’an de l’Incarnation
du Seigneur mil huit cent quatre-
vingt-seize, aux ides de septembre, en l’année de Notre Pontificat
la dix-neuvième,
C. card. DE RUGGIERO.
A. card. BIANCHI,
Pro-Datarius.
VISA
DE CURIA I. DE AQUILA E
VICECOMITIBUS.
Loco + Plumbi
Reg. in Secret. Brevium.
I. CUGNONI.