ARCANUM
Sur le mariage chrétien
de N. T. S. P. le Pape LÉON
XIII promulguée le 10 février 1880.
Aux Patriarches, Primats, Archevêques,
et Évêques du monde catholique en grâce et communion
avec le Siège apostolique.
Le mystérieux dessein de la
sagesse divine que Jésus-Christ, le sauveur des hommes, devait accomplir
sur terre, était de restaurer divinement par Lui et en Lui le monde,
atteint d'une espèce de sénilité. C'est ce que l'apôtre
saint Paul exprimait en termes magnifiques lorsqu'il écrivait aux
Éphésiens : Le mystère de sa volonté... c'est
de restaurer dans le Christ toutes les choses qui sont au ciel et sur 1a
terre (Eph. I, 9-10.).
Lorsque le Christ, Notre-Seigneur,
entreprit d'exécuter l'ordre que lui avait donné son Père,
il délivra le monde de sa décrépitude en imprimant
aussitôt à toutes choses comme une nouvelle forme et une nouvelle
beauté. Il guérit les blessures que le péché
de notre premier père avait faites à la nature humaine. Il
remit en grâce avec Dieu l'homme qui, par nature, était enfant
de la colère. Il amena à la lumière de la vérité
les esprits fatigués par de longues erreurs. Il fit renaître
à toutes les vertus ceux qui étaient usés par toutes
les impuretés. Ayant rendu aux hommes l'héritage de la béatitude
éternelle, il leur donna, l'espérance certaine que leur corps
mortel et périssable participerait un jour à l'immortalité
et à la gloire céleste.
Pour rendre de si remarquables bienfaits
aussi durables que l'humanité, il constitua enfin l'Église
dépositaire de son pouvoir. Il la chargea, en prévision de
l'avenir, de rétablir l'ordre dans la société humaine
là où il serait troublé, de relever ce qui viendrait
à tomber en ruine.
Cette restauration divine, dont Nous
avons parlé, concerne principalement et directement les hommes établis
dans l'ordre surnaturel de la grâce. Cependant les résultats
précieux et salutaires qui en découlent se sont fait largement
sentir même dans l'ordre naturel. Il en est résulté,
tant pour la société universelle du genre humain que pour
l'individu en particulier, un grand perfectionnement sous tous rapports.
L'ordre chrétien des choses
une fois fondé eut pour l'homme cet heureux résultat que
chacun apprit et s'accoutuma à se reposer sur la providence paternelle
de Dieu, et à espérer les secours célestes avec la
certitude de n'être pas trompé. De là sont nées
la force, la modération, la constance, l'égalité d'âme
provenant de la paix, enfin un grand nombre de vertus éclatantes
et d'œuvres excellentes.
Quant à la société
familiale et à la société civile, il est étonnant
de voir à quel point elles ont gagné en dignité, en
stabilité, en honneur. L'autorité des princes devint plus
équitable et plus sainte, l'obéissance des peuples plus volontaire
et plus facile, l'union des citoyens plus étroite, le droit de propriété
plus garanti. Bref la religion chrétienne veilla et pourvut à
toutes les choses qui sont considérées comme utiles dans
l'État. Ainsi, selon le mot de saint Augustin, elle n'aurait pas,
semble-t-il, pu rendre la vie plus tranquille et plus heureuse, lors même
qu'elle aurait été établie dans le but unique de procurer
et de multiplier les avantages et les bienfaits de la vie présente.
Mais notre intention n'est pas d'énumérer
tout ce qui a été fait en ce genre. Nous voulons seulement
parler de la société familiale, dont le mariage est le principe
et le fondement.
Tout le monde sait, Vénérables
Frères, quelle est la véritable origine du mariage. Les détracteurs
de la foi chrétienne refusent d'admettre en cette matière
la doctrine constante de l'Église. Ils veulent, depuis longtemps
déjà, détruire la tradition de tous les peuples et
de tous les siècles. Malgré leurs efforts, ils n'ont pu,
ni éteindre, ni affaiblir la force et l'éclat de la vérité.
Nous rappelons donc des choses qui sont connues de tous et ne font doute
pour personne.
Après avoir, au sixième
jour de la création, formé l'homme du limon de la terre,
et après avoir envoyé sur sa face le souffle de vie, Dieu
voulut lui adjoindre une compagne, qu'il tira merveilleusement du flanc
de l'homme endormi. En agissant ainsi, Dieu voulut, dans sa très
haute providence, que ce couple fût l'origine naturelle de tous les
hommes et qu'il servît à la propagation du genre humain et
à sa conservation dans tous les temps par une série ininterrompue
de générations.
Afin de répondre plus parfaitement
aux très sages desseins de Dieu, cette union de l'homme et de la
femme se présenta, dès ce temps-là, avec deux propriétés
principales et nobles entre toutes, qui lui furent pour ainsi dire profondément
imprimées et gravées, à savoir l'unité et la
perpétuité. C'est ce que nous voyons déclaré
et ouvertement confirmé dans l'Évangile par la divine autorité
de Jésus-Christ. Selon l'affirmation qu'il fit aux Juifs et aux
apôtres, le mariage, en vertu de son institution même, ne doit
exister qu'entre deux personnes, c'est-à-dire entre l'homme et la
femme : des deux il se forme comme une seule chair, et le lien nuptial
est, de par la volonté de Dieu, si intimement et si fortement noué,
qu'il n'est au pouvoir de personne de le délier ou de le rompre.
L'homme s'attachera à son épouse, et ils seront deux en une
seule chair. C'est pourquoi ils ne sont déjà plus deux, mais
une seule chair. Que l'homme ne sépare donc point ce que Dieu a
uni (Matth. XIX, 5-6).
Cette forme de mariage, si excellente
et si élevée, commença peu à peu à se
corrompre et à disparaître chez les peuples païens.
On la vit même se voiler et
s'obscurcir jusque dans la race des Hébreux. Une coutume en effet
s'était établie parmi eux, qui permettait à chaque
homme d'avoir plus d'une femme. Plus tard Moïse, en raison de la dureté
de leur cœur (Matth. XIX, 8), eut la condescendance de leur laisser la
faculté de la répudiation. La voie fut ainsi ouverte au divorce.
Quant à la société
païenne, on peut à peine croire à quelle corruption,
à quelle déformation le mariage y fut réduit, asservi
qu'il était aux fluctuations des erreurs de chaque peuple et des
plus honteuses passions.
Toutes les nations oublièrent
plus ou moins la notion et la véritable origine du mariage. On promulguait
partout sur cet objet des lois qui semblaient dictées par des raisons
d'État et n'étaient pas conformes aux prescriptions de la
nature. Des rites solennels, inventés selon le caprice des législateurs,
faisaient attribuer aux femmes, ou bien le nom honorable d'épouse,
ou bien le nom honteux de concubine. On en était même arrivé
à ce point que l'autorité des chefs de l'État décidait
qui pouvait se marier et qui ne le pouvait pas ; car les lois étaient,
en bien des points, contraires à l'équité et favorables
à l'injustice. En outre, la polygamie, la polyandrie, le divorce
furent cause que le lien nuptial se relâcha considérablement.
De plus il y avait une extrême
perturbation dans les droits et les devoirs mutuels des époux.
Le mari acquérait sa femme
comme une propriété et la répudiait souvent sans juste
cause. Adonné à une licence indomptable et effrénée,
il se permettait impunément de fréquenter les mauvais lieux
et les courtisanes esclaves, comme si ce n'était pas la volonté
déréglée, mais la dignité compromise, qui constituait
le péché (S. Jérôme Epist. 77, 3 PL 22, 691).
Au milieu de ce déchaînement
du libertinage de l'homme, rien n'était plus misérable que
la femme. Elle était abaissée à ce point d'humiliation
qu'elle était en quelque sorte considérée comme un
simple instrument destiné à assouvir la passion ou à
produire des enfants. On n'eut même pas honte de vendre et d'acheter
les femmes à marier, ainsi que l'on fait pour les choses matérielles
(Arnobius, Adversus Gentes, 4). En même temps on donnait au père
et au mari la faculté d'infliger à la femme le dernier supplice.
Sortie de tels mariages, la famille
était nécessairement, ou bien dans la main de l'État,
ou bien à la merci du père (Dionysius Halicarnassus, lib.
II, c. 26-27). Les lois donnaient, en outre, à ce dernier le pouvoir
non seulement de conclure et de rompre à son gré les mariages
de ses enfants, mais d'exercer sur eux-mêmes le droit barbare de
vie ou de mort.
Tous ces vices, toutes ces ignominies
qui déshonoraient les mariages furent enfin supprimés et
guéris par Dieu. Jésus-Christ voulant restaurer la dignité
humaine et perfectionner les lois mosaïques, s'occupa du mariage avec
une sollicitude toute particulière.
En effet, il ennoblit par sa présence
les noces de Cana en Galilée, et les rendit mémorables par
le premier de ses miracles (Joan. II). Aussi le mariage semble-t-il avoir
commencé à recevoir ce jour-là, en raison de ces circonstances,
un nouveau caractère de sainteté.
Ensuite il ramena le mariage à
la noblesse de sa première origine. Il réprouva donc les
mœurs des Juifs qui abusaient de la multiplicité des épouses
et de la faculté de les répudier. Il voulut surtout que personne
n'osât séparer ce que Dieu avait joint par un lien d'union
perpétuelle. C'est pourquoi, après avoir écarté
les difficultés que l'on tirait des institutions mosaïques,
il formula, en qualité de législateur suprême, cette
règle sur le mariage : Or, je vous dis que quiconque aura renvoyé
sa femme hors le cas d'adultère, et en aura pris une autre, commet
un adultère, et celui qui aura pris celle qui a été
renvoyée commet aussi un adultère (Matth. XIX, 9).
Ce qui a été décrété
et établi par l'autorité de Dieu au sujet des mariages, fut
transmis oralement ou par écrit, en termes plus explicites et plus
clairs, par les apôtres, messagers des lois divines. Il faut rapporter
à leur enseignement ce que les Saints Pères, les Conciles
et la tradition universelle de l'Église nous ont toujours affirmé
(Conc. Trid., sess. XXIV, in principio) à savoir que Notre-Seigneur
Jésus-Christ a élevé le mariage à la dignité
de sacrement. Grâce à Lui, les époux, revêtus
et munis de la grâce céleste, fruit de ses mérites,
purent se sanctifier dans le mariage même. Dans ce mariage, image
admirable de son union mystique avec l'Église, il a rendu l'amour
naturel plus parfait et resserré plus étroitement, par le
lien de la divine charité, la société familiale, déjà
indivisible de sa nature (Conc. Trid., sess. XXIV, cap. 1, De reformatione
matrimonii.). Époux, dit saint Paul aux Éphésiens,
aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est
livré lui-même pour elle afin de la sanctifier... Les époux
doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps... car jamais personne
n'a haï sa chair, mais il la nourrit et la soigne comme fait le Christ
pour l'Église, parce que nous sommes les membres de son corps, formés
de sa chair et de ses os. C'est pourquoi l'homme quittera son père
et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux
en une seule chair. Ce mystère est grand ; je veux dire, par rapport
au Christ et à l'Église (Eph. V, 25-32).
Nous avons appris également
par l'enseignement des apôtres que Jésus-Christ a déclaré
saintes et décrété à jamais inviolables l'unité
et la stabilité perpétuelle exigées par l'origine
même du mariage. A ceux qui sont unis par le mariage, dit encore
saint Paul, je prescris, ou plutôt ce n'est pas moi, c'est le Seigneur,
que la femme ne se sépare pas de son mari. Si elle s'en sépare,
qu'elle reste sans se marier, ou se réconcilie avec son mari (I
Cor. VII, 10-11). Et il ajoute : La femme est liée à la loi,
tant que vit son mari ; si son mari vient à mourir, elle est libre
(I Cor. VII, 39). Pour ces motifs le mariage est donc un grand sacrement
(Eph. V, 32), honorable en tout (Hebr. XIII, 4), saint, chaste, digne de
respect en raison des choses très hautes dont il est la figure.
Mais ce n'est pas uniquement dans
ce qui vient d'être rappelé que se trouve la chrétienne
et souveraine perfection du mariage. Car en premier lieu, la société
conjugale eut désormais un but plus noble et plus élevé
qu'auparavant. Sa mission ne fut plus seulement de pourvoir à la
propagation du genre humain, mais d'engendrer les enfants de l'Église,
les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu (Eph. II, 19), afin
qu'un peuple fût procréé et élevé pour
le culte et la religion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ
(Catech. Rom., c. XXVII, IV).
En second lieu, les devoirs de chacun
des deux époux furent nettement définis, leurs droits exactement
fixés. Il faut qu'ils se souviennent toujours qu'ils se doivent
mutuellement le plus grand amour, une fidélité constante,
une aide prompte et assidue.
L'homme est le prince de la famille
et le chef de la femme. Celle-ci cependant est la chair de sa chair et
l'os de ses os. Comme telle, elle doit être soumise à son
mari et lui obéir, non à la manière d'une esclave,
mais d'une compagne. Ainsi l'obéissance qu'elle lui rend ne sera
pas sans dignité ni sans honneur. Dans celui qui commande, ainsi
que dans celle qui obéit, puisque tous deux sont l'image, l'un du
Christ, l'autre de l'Église, il faut que la charité divine
soit la règle perpétuelle du devoir, car le mari est le chef
de la femme comme le Christ est le chef de l'Église. Mais de même
que l'Église est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent être
soumises à leurs maris en toutes choses (Eph. V, 23-24).
Pour ce qui regarde-les enfants,
ils doivent être soumis à leurs parents, leur obéir
et les honorer par devoir de conscience. En retour, les parents doivent
appliquer toutes leurs pensées et tous leurs soins à protéger
leurs enfants et surtout les élever dans la vertu. Pères,
élevez-les (vos fils), en les corrigeant et en les avertissant selon
le Seigneur (Eph. VI, 4). On voit par là que les devoirs des époux
sont nombreux, et graves. Grâce à la vertu que donne le sacrement,
ils deviennent cependant pour les bons époux, non seulement tolérables,
mais pleins de joie.
Lorsque Jésus-Christ eut ainsi
ramené le mariage à une si grande perfection, il en remit
et en confia toute la discipline à l'Église. L'Église,
en effet, exerça ce pouvoir sur les mariages des chrétiens
en tout temps et en tout lieu. Elle le fit de façon à montrer
évidemment que ce pouvoir lui appartenait en propre, qu'il ne lui
venait pas du consentement des hommes, mais qu'elle l'avait acquis par
la volonté divine de son auteur. On sait avec quel soin et quelle
vigilance elle s'occupa de maintenir la sainteté du mariage et de
lui garder son véritable caractère ; il est inutile de le
démontrer.
Ainsi une décision du concile
de Jérusalem a réprouvé les amours dissolues et libres
(Act. XV, 29). Saint Paul a condamné un citoyen de Corinthe, coupable
d'inceste (I Cor. V, 5). L'Église a toujours, avec la même
énergie, repoussé et réprimé les efforts de
ceux qui s'attaquèrent au mariage chrétien, tels que les
gnostiques, les manichéens, les montanistes, dans les premiers temps
du christianisme, et de nos jours, les mormons, les saint-simoniens, les
phalanstériens, les communistes.
Ainsi encore le droit du mariage
fut établi égal entre tous et le même pour tous, par
la suppression de l'ancienne distinction entre esclaves et hommes libres.
Les droits du mari et de la femme devinrent semblables. Comme le disait
saint Jérôme, chez nous ce qui n'est pas permis aux femmes
ne l'est pas non plus aux maris et ils subissent le même joug sous
une même condition (S. Jérôme, Epist. 77 PL 22, 691).
Ces droits trouvèrent dans l'affection mutuelle et les devoirs réciproques
un affermissement solide. La dignité de la femme fut revendiquée
et garantie. Il fut défendu à l'homme de punir de mort la
femme adultère et de violer la foi jurée, pour satisfaire
ses passions et son impudicité. Et, ce qui est aussi de grande importance,
l'Église limita, dans la mesure voulue, le pouvoir du père
de famille, afin que la juste liberté des fils et des filles désireux
de se marier ne fût en rien diminuée. Elle décréta
la nullité des mariages entre parents et alliés à
un certain degré, afin que l'amour surnaturel des époux se
répandît en un champ plus vaste. Elle prit soin, tant qu'elle
le put, d'écarter du mariage l'erreur, la violence et la fraude.
Elle voulut que la sainte pudeur de la couche nuptiale, la sécurité
des personnes, l'honneur des mariages, les droits de la religion, fussent
maintenus et sauvegardés. Enfin, elle entoura cette institution
divine de tant de force, de tant de lois prévoyantes, que, pour
tout juge impartial, l'Église, même en ce qui concerne le
mariage est la meilleure garde, la meilleure défense de la société
humaine. Sa sagesse a triomphé de la course du temps, de l'injustice
des hommes, des vicissitudes innombrables de la politique.
Par suite des efforts de l'ennemi
du genre humain, il y a des hommes qui, répudiant avec ingratitude
les autres bienfaits de la Rédemption, méprisent ou méconnaissent
tout à fait la restauration opérée et la perfection
introduite dans le mariage. Ce fut la honte d'un certain nombre d'anciens
d'avoir combattu le mariage en quelques-unes de ses prérogatives.
Mais combien plus pernicieuse est la faute de ceux qui, à notre
époque, veulent modifier de fond en comble la nature du mariage
qui est parfaite et complète sous tous ses rapports et dans toutes
ses parties !
La raison principale de ces attaques,
c'est qu'imbus des opinions d'une fausse philosophie et livrés à
des habitudes corrompues, de nombreux esprits ont avant tout l'horreur
de la soumission et de l'obéissance. Ils travaillent donc avec acharnement
à amener, non seulement les individus, mais encore les familles
et toute la société humaine, à mépriser orgueilleusement
la souveraineté de Dieu.
Or, la source et l'origine de la
famille et de la société humaine tout entière se trouvent
dans le mariage. Ils ne peuvent donc souffrir en aucune façon qu'il
soit soumis à la juridiction de l'Église. Bien plus, ils
s'efforcent de le dépouiller de toute sainteté et de le faire
entrer dans la petite sphère de ces choses instituées par
l'autorité humaine, régies et administrées par le
droit civil. En conséquence, ils attribuent aux chefs de l'État
et refusent à l'Église tout droit sur les mariages ; ils
affirment qu'elle n'a exercé autrefois un pouvoir de ce genre qua
par concession des princes, ou par usurpation. Ils ajoutent qu'il est temps
désormais que les chefs d'État revendiquent énergiquement
leurs droits et se mettent à régler librement tout ce qui
concerne la matière du mariage. De là est venu ce qu'on appelle
vulgairement le mariage civil.
De là ces lois promulguées
sur les cas d'empêchement de mariage ; de là ces sentences
judiciaires sur les contrats de mariage, décidant s'ils sont valides
ou non. Enfin nous voyons que tout pouvoir de légiférer ou
de juger en cette matière a été si soigneusement enlevé
à l'Église, qu'on ne tient plus aucun compte, ni de son autorité
divine, ni des lois prudentes sous l'empire desquelles ont vécu
pendant si longtemps les peuples qui reçurent avec la sagesse chrétienne
la lumière de la civilisation.
Cependant les rationalistes et tous
ceux qui, professant avant tout le culte de l'État-Dieu, s'efforcent
par ces mauvaises doctrines de jeter le trouble dans tous les peuples,
ne peuvent échapper au reproche de fausser la vérité.
En effet, le mariage a Dieu pour
auteur. Il a été dès le principe comme une figure
de l'incarnation du Verbe de Dieu. Il y a par cela même en lui quelque
chose de sacré et de religieux, qui n'est pas surajouté,
mais inné, qu'il ne doit pas aux hommes, mais qu'il tient de la
nature. C'est pourquoi Innocent III et Honorius III, Nos prédécesseurs
ont pu, avec raison et sans témérité, affirmer que
le sacrement de mariage existe chez les fidèles et chez les infidèles.
Ainsi l'attestent les témoignages mêmes de l'antiquité,
les mœurs et les institutions des peuples qui ont été les
plus civilisés et se sont distingués par une connaissance
plus parfaite du droit et de l'équité. Il est certain que
chez tous ces peuples, par l'effet d'une perception innée et habituelle,
l'idée du mariage éveillait spontanément dans l'esprit
la notion d'une chose associée à la religion et à
la sainteté. Aussi était-il d'usage chez eux de ne point
célébrer de mariage sans les cérémonies du
culte, l'autorité des Pontifes et le ministère des prêtres
; tant avaient de force, même dans les âmes privées
de la doctrine céleste, la nature des choses, le souvenir des origines
et la conscience du genre humain ! Le mariage étant donc, de lui-même,
par essence et par nature, une chose sacrée, doit être réglé
et régi, non par le pouvoir des princes, mais par la divine autorité
de l'Église, seule maîtresse des choses sacrées.
Il faut considérer ensuite
la dignité du sacrement qui, en se surajoutant au mariage chrétien,
l'a rendu beaucoup plus noble. Or, par la volonté de Jésus-Christ,
l'Église seule peut et doit statuer et disposer sur les sacrements.
Il est donc tout à fait absurde de vouloir faire passer aux mains
de l'autorité civile la moindre parcelle de ce pouvoir.
Enfin, le témoignage de l'histoire
est ici très important et très fort. Il montre manifestement
que ce pouvoir législatif et judiciaire, dont Nous parlons, a toujours
été librement exercé par l'Église, même
dans les temps où il serait ridicule et insensé d'imaginer
pour cela l'assentiment ou la connivence des chefs de l'État. En
effet, quoi de plus incroyable et de plus absurde que de prétendre
que le Christ Notre-Seigneur ait reçu délégation du
procureur de la province ou du roi des Juifs, pour condamner l'habitude
invétérée de la polygamie et de la répudiation
! de même, que l'apôtre saint Paul, lorsqu'il interdit les
divorces et les mariages incestueux, ait agi par permission ou par mandat
tacite de Tibère, de Caligula, de Néron ! On ne pourra jamais
non plus persuader à un homme sain d'esprit, que toutes les lois
de l'Église sur la sainteté et l'indissolubilité du
mariage, sur les unions entre esclaves et femmes libres aient été
promulguées après autorisation obtenue des empereurs romains.
Ces ennemis déclarés du nom chrétien n'avaient rien
de plus à cœur que de l'étouffer par la violence et le massacre.
Ceci est d'autant plus évident que le droit établi par l'Église
s'écartait parfois du droit civil, au point qu'Ignace le Martyr
(Epistola ad Polycarpum, cap. 5 PG 5, 723-724), Justin (Apolog. Maj., 15
PG 6. 349A. B), Athenagoras (Legat. pro Christian., 32, 33 PG 6, 963-968)
et Tertullien (De coron. milit., 13 PL 2, 116), dénonçaient
publiquement, comme illicites et adultères, quelques-unes de ces
unions que les lois impériales favorisaient cependant.
Plus tard, lorsque toute la puissance
eut passé aux empereurs chrétiens, les souverains Pontifes
et les évêques réunis en conciles continuèrent
toujours, avec la même liberté et la même conscience
de leur droit, à ordonner et à défendre au sujet du
mariage ce qu'ils jugeaient utile, ce qui leur semblait convenir aux différentes
époques, malgré le désaccord qui pouvait exister entre
leurs décrets et les institutions civiles. Personne n'ignore combien
de décisions, souvent contraires aux ordonnances de la législation
impériale, furent prises par les pasteurs de l'Église dans
les conciles de Grenade, d'Arles, de Chalcédoine, dans le deuxième
de Milève et dans les autres, au sujet des empêchements de
mariages pour motifs de vœu, différence du culte, consanguinité,
crime, honnêteté publique. Bien loin de s'attribuer le pouvoir
sur le mariage chrétien, les princes ont plutôt reconnu et
proclamé qu'il appartenait, dans sa plénitude, à l'Église.
En effet, Honorius, Théodose le Jeune, Justinien, n'hésitèrent
pas à avouer que, dans les matières qui se rapportent au
mariage, ils n'avaient d'autre autorité que celle de gardiens et
de défenseurs des saints canons. Quant aux empêchements de
mariage, s'ils promulguèrent à ce sujet des édits,
ils en exposèrent spontanément le motif en déclarant
qu'ils le faisaient avec la permission et par l'autorité de l'Église.
C'est à son jugement d'ailleurs qu'ils avaient coutume de recourir
ou de déférer avec respect dans les controverses au sujet
de la légitimité des naissances, des divorces, et de toutes
les questions enfin qui avaient quelque rapport essentiel avec le lien
conjugal. Il a donc été défini à bon droit
au concile de Trente qu'il est au pouvoir de l'Église d'établir
des empêchements dirimants (Conc. Trid., sess. XXIV, can. 4) et que
les causes matrimoniales ressortissent aux tribunaux ecclésiastiques
(Ibid., can. 12).
Que personne non plus ne se laisse
prendre à cette distinction, tant prônée des légistes,
qui sépare le contrat nuptial du sacrement. Son but est de livrer
le contrat au pouvoir et au jugement des princes temporels, en réservant
à l'Église le sacrement.
Cette distinction, ou, pour mieux
dire, cette séparation ne saurait être admise. Il est reconnu
que, dans le mariage chrétien, le contrat ne peut être séparé
du sacrement. Il ne peut donc y avoir contrat véritable et légitime,
sans qu'il y ait, par cela même, sacrement. En effet, Notre-Seigneur
Jésus-Christ a élevé le mariage à la dignité
de sacrement ; or, le mariage c'est le contrat lui-même, s'il est
fait selon le droit.
En outre, le mariage est un sacrement,
parce qu'il est un signe sacré qui produit la grâce et offre
l'image des noces mystiques du Christ avec l'Église. Or, la forme
et la figure de ces noces sont précisément ce lien de parfaite
union qui lie l'homme et la femme l'un à l'autre, et qui n'est autre
que le mariage lui-même. Toute union légitime entre chrétiens
est donc évidemment, en soi et par soi, sacrement. Il n'y a rien
de plus contraire à la vérité que de considérer
le sacrement comme une sorte de cérémonie additionnelle,
ou un caractère extrinsèque qui puisse au gré des
hommes être disjoint et retranché du contrat.
Donc, la raison ne prouve pas, et
l'histoire, ce témoin des temps, ne montre pas davantage que le
pouvoir sur le mariage des chrétiens ait été légitimement
attribué aux chefs de l'État. Si le droit d'autrui a été
violé en cette matière, personne ne dira qu'il l'a été
par l'Église.
Plût à Dieu que les
doctrines rationalistes ne fussent pas aussi fécondes en ruines
et en calamités qu'elles sont pleines de mensonge et d'injustice.
Mais on voit facilement quels maux la profanation des mariages a produits
et produira dans la société tout entière.
D'après une loi divinement
établie dès l'origine, les institutions dont Dieu et la nature
ont été les auteurs, nous sont d'autant plus utiles et salutaires
qu'elles demeurent plus intégralement et plus immuablement dans
leur état primitif. Dieu, le créateur de toutes choses, savait
bien ce qu'exigeaient l'établissement et la conservation de chacune
d'elles. Il les a toutes ordonnées par sa volonté et dans
son esprit, de façon que chacune atteignît convenablement
sa fin. Mais si la témérité ou la malice des hommes
veut changer et troubler l'ordre des choses établi avec la plus
admirable providence, les institutions les plus sagement et les plus utilement
disposées deviennent nuisibles ou cessent d'être utiles, soit
qu'elles aient en se modifiant perdu leur efficacité pour le bien,
soit que Dieu lui-même veuille tirer ce châtiment de l'orgueil
et de l'audace des hommes.
Or ceux qui nient le caractère
sacré du mariage et qui, après l'avoir dépouillé
de toute sainteté, le mettent au rang des choses profanes renversent
les fondements de la nature. Ils s'opposent aux desseins de la divine Providence,
et détruisent, autant qu'il est en eux, ce que Dieu a établi.
Aussi n'est-il pas étonnant que ces efforts insensés et impies
produisent tant de maux si funestes au salut des âmes et au maintien
de la société.
Si l'on considère le but de
l'institution divine du mariage, Dieu a voulu évidemment mettre
en lui les sources les plus fécondes du bien et du salut publics.
En effet, le mariage, qui tend à la propagation du genre humain,
a aussi pour objet de rendre la vie des époux meilleure et plus
heureuse. Il le fait de plusieurs manières : par l'assistance mutuelle
dans le support des nécessités de la vie, par un amour constant
et fidèle, par la mise en commun de tous les biens, par la grâce
céleste qui émane du sacrement.
Le mariage est aussi, pour la famille,
une aide très efficace. Quand il est selon l'ordre de la nature
et conforme aux desseins de Dieu, il contribue puissamment à maintenir
la concorde entre les parents, à assurer la bonne éducation
des enfants, à régler la puissance paternelle sur le modèle
de la puissance divine, à rendre les enfants obéissants à
leurs parents et les serviteurs à leurs maîtres.
Les États peuvent attendre
de tels mariages une race et des générations de citoyens
qui, animés de sentiments honnêtes et élevés
dans le respect et l'amour de Dieu, se considéreront comme obligés
d'obéir à ceux qui commandent justement et légitimement,
d'aimer leur prochain et de ne léser personne.
Ces résultats, si nombreux
et si importants, le mariage les a réellement procurés, aussi
longtemps qu'il a conservé les qualités de sainteté,
d'unité de perpétuité d'où dépend toute
son influence féconde et salutaire. Il aurait certainement continué
à produire les mêmes effets, s'il était resté
toujours et partout sous l'autorité et sous la sauvegarde de l'Église,
fidèle gardienne et restauratrice de ses prérogatives. Mais
on a voulu partout substituer le droit humain au droit naturel et divin.
Dès lors, la haute conception du mariage, imprimée et comme
scellée par la nature dans l'esprit des hommes, a commencé
à s'altérer. De plus dans les mariages des chrétiens
eux-mêmes, la source productrice de ces grands bienfaits s'est beaucoup
affaiblie par la malice des hommes.
Que peut-on attendre de bon de ces
familles, d'où l'on veut bannir la religion chrétienne, qui
est la mère de tous les biens, qui entretient les plus hautes vertus,
qui excite et entraîne vers tout ce qui honore une âme généreuse
et élevée ?
La religion écartée
et rejetée, le mariage tombe nécessairement sous la servitude
de la nature vicieuse de l'homme et des pires passions maîtresses
de son cœur : l'honnêteté naturelle ne peut pas lui fournir
une efficace protection. C'est de là que tant de maux ont découlé
non seulement dans les familles particulières, mais aussi dans les
États. Sans la crainte salutaire de Dieu, sans cet adoucissement
aux épreuves de la vie qu'on ne trouve nulle part autant que dans
la religion chrétienne, il arrive très souvent, comme par
une pente naturelle, que les charges et les devoirs du mariage semblent
presque insupportables.
Le nombre n'est que trop grand de
ceux qui, jugeant que le lien contracté dépend de leur volonté
et d'un droit purement humain, éprouvent le désir de le rompre
lorsque l'incompatibilité des caractères, ou la discorde,
ou l'infidélité d'un des époux, ou le consentement
réciproque, ou d'autres raisons les engagent à recouvrer
leur liberté.
Si la loi s'oppose à la réalisation
de leurs intentions déréglées, ils s'écrient
que les lois sont injustes, inhumaines, contraires au droit de citoyens
libres. Ils en concluent qu'il faut mettre tout en œuvre pour les annuler
et les abroger et leur autoriser le divorce par une loi plus commode. Les
législateurs actuels, qui professent un attachement si tenace aux
mêmes principes de droit ne peuvent pas se défendre contre
ces tendances perverses dont nous avons parlé, lors même qu'ils
le voudraient ardemment. C'est pourquoi on en conclut qu'il faut céder
aux exigences de l'époque et que le divorce doit être autorisé.
C'est ce que l'histoire elle-même
nous apprend, par exemple, à la fin du siècle dernier. Pendant
cette révolution ou plutôt cette dissolution de la France,
alors que la société s'était sécularisée
en chassant Dieu de son sein, on en vint finalement à sanctionner
le divorce par les lois. Beaucoup de gens désirent aujourd'hui les
voir remises en vigueur, parce qu'ils veulent bannir Dieu et l'Église
et les chasser de la société humaine. Ils s'imaginent follement
qu'il faut demander à de pareilles lois un remède suprême
à la corruption croissante des mœurs.
Mais il est à peine besoin
de dire tout ce que le divorce renferme de conséquences funestes.
Il rend les contrats de mariage révocables
; il amoindrit l'affection mutuelle ; il fournit de dangereux stimulants
à l'infidélité ; il compromet la conservation et l'éducation
des enfants ; il offre une occasion de dissolution à la société
familiale ; il sème des germes de discorde entre les familles ;
il dégrade et ravale la dignité de la femme, qui court le
danger d'être abandonnée après avoir servi aux passions
de l'homme.
Or il n'y a rien de plus puissant
pour détruire les familles et briser la force des États que
la corruption des mœurs. Il n'y a donc rien de plus contraire à
la prospérité des familles et des États que le divorce.
Né de la perversion morale des peuples, le divorce, l'expérience
l'atteste, ouvre la voie et la porte à une dépravation plus
grande encore des mœurs privées et publiques.
Ces maux paraîtront encore
plus graves si l'on considère qu'une fois la liberté du divorce
accordée, il n'y aura jamais d'obstacle assez puissant pour la contenir
dans les limites déterminées et prévues d'avance.
Grande est la force des exemples,
plus grande encore est celle des passions. Avec de pareils stimulants,
il doit arriver que le désir effréné du divorce, s'insinuant
chaque jour davantage, s'empare d'un plus grand nombre de cœurs. C'est
comme une maladie qui se propage par contagion, ou comme un fleuve qui
déborde après avoir franchi ses digues.
Toutes ces choses sont évidentes
par elles-mêmes. Elles deviennent plus manifestes encore par l'évocation
des souvenirs du passé. Dès que la loi eut facilité
les divorces, on vit croître rapidement les dissentiments, les querelles,
les séparations. Il en est résulté une telle corruption
que ceux mêmes qui avaient été les défenseurs
du divorce en vinrent à se repentir de leur œuvre. S'ils n'avaient
cherché à temps à y remédier par la loi contraire,
il était à craindre que la société ne courût
précipitamment à sa perte.
On rapporte que les anciens Romains
virent avec horreur les premiers cas de divorce. Mais le sentiment de l'honnêteté
s'oblitéra bientôt dans les esprits. La pudeur, modératrice
de la passion, disparut. La foi conjugale fut alors violée avec
une telle licence qu'on peut admettre comme très vraisemblable ce
que nous lisons dans plusieurs écrivains, que les femmes avaient
coutume de compter leurs années, non par le changement des consuls,
mais par celui de leurs maris.
De même chez les protestants,
on avait d'abord promulgué des lois pour permettre le divorce en
certains cas déterminés, vraiment peu nombreux. Mais, on
le reconnut bientôt, en raison du rapprochement de causes semblables,
le nombre s'en accrut en Allemagne, en Amérique et ailleurs, à
tel point que les gens encore sensés estimèrent souverainement
déplorable cette extrême dépravation des mœurs et l'intolérable
imprudence des lois.
Les choses ne se passèrent
pas autrement dans les États catholiques. Lorsqu'on y permit la
rupture des mariages, la multitude des inconvénients qui en résultèrent
dépassa de beaucoup les prévisions des législateurs.
Ce fut un crime très fréquent que d'imaginer toute espèce
d'artifices et de fraudes, et au moyen de sévices, d'injures et
d'adultères, de forger des cas de divorce pour pouvoir dissoudre
impunément les liens trop lourds de l'union conjugale. L'honnêteté
publique en fut si ébranlée, que tous jugèrent qu'il
fallait travailler au plus tôt à corriger les lois.
Comment douter que les lois favorables
au divorce ne dussent avoir des suites également tristes et désastreuses,
si elles étaient remises maintenant en vigueur ? Les inventions
et les décrets des hommes ne sauraient avoir le pouvoir de changer
la nature et le caractère des choses. Aussi ceux-là comprennent
bien mal le bien public, qui croient pouvoir impunément bouleverser
la condition essentielle du mariage, et qui, au mépris de la sainteté
attachée au mariage par la religion et le sacrement, semblent vouloir
l'avilir et l'abaisser au-dessous même du niveau établi par
les lois païennes. S'ils ne changent pas d'avis, les familles et la
société humaine auront donc toujours à craindre d'être
misérablement jetées dans ce conflit et ce bouleversement
universels, projetés depuis longtemps par les sectes criminelles
des socialistes et des communistes. On voit combien il est déraisonnable
et absurde de demander le salut public au divorce, qui doit plutôt
amener la ruine certaine de la société.
Il faut donc le reconnaître,
l'Église catholique a bien mérité de tous les peuples
par le soin qu'elle a pris constamment de protéger la sainteté
et la perpétuité des mariages. On lui doit une grande reconnaissance
pour ses interventions. Elle a hautement réclamé contre les
lois civiles si défectueuses en cette matière qui ont été
promulguées depuis cent ans (Pie VI, Epist. ad episc. Lucion., 20
mai 1793 ; Pie VII, let. encycl. du 17 fév. 1809 et constitution
du 19 juillet 1817 ; Pie VIII, let. encycl. du 29 mai 1829 ; Grégoire
XVI, constitution du 15 août 1832 ; Pie IX, alloc. du 22 sept. 1852.).
Elle a frappé d'anathème l'abominable hérésie
des protestants sur le divorce et la répudiation (Conc. Trid., sess.
XXIV, can. 5 et 7). Elle a condamné à plusieurs reprises
certains cas de dissolution de mariage adoptés par les Grecs (Concile
de Florence et instructions d'Eugène IV aux Arméniens, Benoît
XIV, constitution Etsi Pastoralis, 6 mai 1742). Elle a prononcé
la nullité des mariages conclus à cette condition qu'ils
pourraient être un jour dissous. Elle a enfin rejeté, dès
le commencement, les lois impériales qui favorisaient malheureusement
le divorce et la répudiation (S. Jérôme, Epist. 69,
ad Oceanum PL 22, 657 ; S. Ambroise, Lib. 8 in cap. 16 Lucae, n. 5 PL 15,
1857 ; S. Augustin, De nuptiis, 1, 10, 11 PL 44, 420).
Chaque fois que les Pontifes suprêmes
ont résisté aux princes les plus puissants, qui demandaient
avec menaces à l'Église, de ratifier le fait de leur divorce,
ils ont certainement lutté, non seulement pour l'intégrité
de la religion, mais aussi pour la civilisation de l'humanité. Tous
les âges admireront l'invincible fermeté dont témoignent
les décrets de Nicolas Ier contre Lothaire ; ceux d'Urbain II et
de Paschal II contre Philippe Ier, roi de France ; ceux de Célestin
III et d'Innocent III contre Alphonse de Léon et Philippe II, roi
de France ; ceux de Clément VII et de Paul III contre Henri VIII,
ceux enfin du très saint et intrépide Pie VII contre Napoléon
Ier, enorgueilli de ses succès et de la grandeur de son empire.
Si tous ceux qui gouvernent et administrent
les affaires publiques avaient voulu se conformer à la raison, à
la sagesse, et agir pour le bien des peuples, ils auraient dû maintenir
intactes les saintes lois du mariage, et profiter du concours offert par
l'Église, pour la protection des bonnes mœurs et la prospérité
des familles, au lieu de faire soupçonner l'Église d'hostilité
et de l'accuser faussement et injustement d'avoir violé le droit
civil.
C'étaient d'autant plus leur
devoir que l'Église catholique, qui ne peut manquer à aucune
de ses obligations, ni renoncer à défendre son droit, a également
pour habitude de se montrer toujours disposée à la bonté
et à l'indulgence, lorsque l'intégrité de ses droits
et la sainteté de ses devoirs ne sont pas menacées. Elle
n'a donc jamais rien décrété sur le mariage sans avoir
égard à l'état de la société et à
la situation des peuples. Elle a plus d'une fois adouci, dans la mesure
du possible, les rigueurs de ses lois, lorsqu'il y avait des causes graves
et justes.
Elle n'ignore pas, et elle reconnaît,
que le sacrement du mariage, ayant pour objet la conservation et l'accroissement
de la société humaine, a des relations nécessaires
et des points de contact avec les choses humaines. Celles-ci sont bien
des conséquences du mariage, mais elles rentrent dans l'ordre civil
et sont de la compétence et du ressort des chefs de l'État.
Jésus-Christ, le fondateur
de l'Église, a voulu sans aucun doute que le pouvoir religieux fût
distinct du pouvoir civil. Chacun d'eux peut, dans sa sphère propre,
agir librement et sans contrainte.
Il y a toutefois une condition. Comme
le requièrent leur avantage à tous deux et l'intérêt
des hommes, l'union et la concorde doivent régner entre eux. De
plus, dans les questions qui appartiennent pour des motifs différents
à la juridiction et au jugement de l'un et de l'autre, celui à
qui les choses humaines ont été confiées doit dépendre,
comme il convient, de celui qui a la garde des choses célestes.
Cet arrangement et cette espèce
d'harmonie sont ce qu'il y a de mieux pour les deux pouvoirs. C'est encore
le moyen le plus opportun et le plus efficace de venir en aide aux hommes,
en ce qui concerne la conduite de la vie et l'espérance du salut
éternel. Ainsi que Nous l'avons démontré dans Nos
précédentes Encycliques, de même que l'intelligence
de l'homme, en s'accordant avec la foi chrétienne, s'ennoblit grandement
et devient beaucoup plus forte pour éviter et repousser les erreurs,
tandis que de son côté la foi reçoit de l'intelligence
un précieux appui (Aeterni Patris, 4 août 1879) ; de même,
le bon accord de l'autorité civile avec le pouvoir sacré
de l'Église assure à tous deux de grands avantages. La première
y gagne en dignité et son autorité, ayant la religion pour
guide, ne sera jamais injuste ; l'autre y trouve des moyens de protection
et de défense pour le bien public des fidèles.
D'après ces considérations,
Nous exhortons de nouveau fortement, comme déjà Nous l'avons
fait en d'autres circonstances tous les chefs d'État à la
concorde et à l'amitié avec l'Église. Nous leur tendons,
en quelque sorte, la main les premiers, avec une bienveillance paternelle.
Nous leur offrons le secours de notre puissance suprême, dont l'appui
leur est à cette époque d'autant plus nécessaire que
le droit de commander, comme s'il avait reçu quelque blessure, se
trouve tout ébranlé dans l'opinion publique. En ce moment,
les esprits sont avides d'une liberté sans frein et secouent avec
une abominable audace le joug de toute autorité, même la plus
légitime. Le salut public demande donc que les deux pouvoirs associent
leurs forces pour prévenir les catastrophes qui menacent non seulement
l'Église, mais encore la société civile.
Tout en recommandant hautement cet
accord amical des volontés, et en priant Dieu, prince de la paix,
d'inspirer à tous les hommes l'amour de la concorde, Nous ne pouvons
Nous empêcher, Vénérables Frères, d'encourager
de plus en plus, par Nos exhortations, votre activité, Votre zèle
et votre vigilance, que Nous savons être si grands. Employez tous
vos efforts, toute votre autorité, afin que, parmi les populations
confiées à vos soins, rien ne vienne altérer ou corrompre
la doctrine que Notre-Seigneur Jésus-Christ et les apôtres,
interprètes de la volonté céleste, nous ont transmise,
que l'Église catholique a conservée religieusement et qu'elle
veut voir pratiquée par tous les chrétiens et dans tous les
temps.
Prenez grand soin à ce que
les peuples reçoivent abondamment les préceptes de la sagesse
chrétienne. Qu'ils n'oublient jamais que le mariage a été
établi originairement, non par la volonté des hommes, mais
par l'autorité et la volonté de Dieu, avec cette loi absolue
qu'il ne peut exister qu'entre un seul homme et une seule femme ; que le
Christ, auteur de la nouvelle alliance, a transformé en sacrement
cette institution qui était seulement réglée par la
loi naturelle, et qu'il a transmis à son Église le pouvoir
législatif et judiciaire sur ce qui concerne le lien conjugal. Il
faut veiller attentivement à ce que les esprits ne soient pas induits
en erreur sur ce point par les trompeuses théories des adversaires
qui voudraient enlever ce pouvoir à l'Église.
Tout le monde doit savoir aussi que
chez les chrétiens l'union de l'homme et de la femme, contractée
en dehors du sacrement, n'a ni la validité, ni la nature d'un vrai
mariage. Fût-elle conforme aux lois civiles, elle n'a cependant d'autre
valeur que celle d'une formalité ou d'un usage introduit par le
droit civil. Mais le droit civil ne peut régler et administrer que
les choses qui, dans l'ordre civil, sont des conséquences du mariage.
Or ces conséquences ne peuvent évidemment pas se produire
si leur cause vraie et légitime, c'est-à-dire le lien nuptial,
n'existe pas.
Il est d'un très grand intérêt
pour les époux de bien connaître toutes ces choses, de s'en
pénétrer et de se les graver dans l'esprit. Ils pourront
ainsi, en sûreté de conscience, se conformer aux lois civiles
sur ce point. L'Église même ne s'y oppose pas, parce qu'elle
veut et désire que les effets du mariage soient sauvegardées
dans toutes leurs parties, et que les enfants ne soient aucunement lésés
dans leurs intérêts.
Au milieu de la grande confusion
des opinions qui s'insinuent chaque jour davantage, il faut également
savoir qu'il n'est au pouvoir de personne de rompre le lien d'un mariage
conclu et consommé entre chrétiens. Les époux qui
veulent s'engager dans les liens d'un nouveau mariage avant que la mort
n'ait rompu le premier sont donc gravement coupables, quel que soit le
motif invoqué.
Si les choses en arrivent à
ce point que la vie commune ne paraisse pas pouvoir être supportée
plus longtemps, l'Église permet la séparation des deux époux.
Mais elle s'efforce d'en adoucir les inconvénients en prenant tous
les moyens et en employant tous les remèdes en rapport avec la situation
des époux, et elle ne néglige pas de travailler à
leur réconciliation dont jamais elle ne désespère.
Les époux pourraient facilement
échapper à ces extrémités, si, au lieu de se
laisser emporter par la passion, ils s'approchaient du mariage avec les
dispositions requises après avoir mûrement pesé les
devoirs des époux et les motifs très nobles du mariage et
s'ils n'excitaient pas la colère de Dieu, en anticipant sur le mariage
par une série continuelle de fautes. Pour résumer tout en
peu de mots, la stabilité heureuse et paisible des familles sera
assurée lorsque les époux puiseront l'esprit et la vie dans
la vertu de religion. La religion rend l'âme forte et invincible.
Grâce à elle, les défauts, qui peuvent exister dans
les personnes, la différence des habitudes et des caractères,
le poids des soucis maternels, l'instante sollicitude de l'éducation
des enfants, les peines inséparables de la vie, les malheurs, sont
supportés avec patience, et même avec générosité.
Il faut aussi veiller à ce
qu'on ne se décide pas facilement à contracter mariage avec
des non-catholiques. Lorsque les âmes sont en désaccord sur
la religion, il est bien difficile qu'elles soient longtemps d'accord sur
les autres points. De semblables unions fournissent l'occasion de participer
à des pratiques religieuses défendues. Elles créent
un péril pour la foi de l'époux catholique. Elles sont un
empêchement à la bonne éducation des enfants, et très
souvent elles accoutument les esprits à tenir pour équivalentes
toutes les religions, en leur faisant perdre le discernement du vrai et
du faux. Ce sont autant de raisons de les éviter.
En dernier lieu, comprenant que personne
ne doit être étranger à Notre charité, Nous
recommandons, Vénérables Frères, à votre autorité,
à votre foi et à votre piété les malheureux
qui, dévorés par le feu des passions et complètement
oublieux de leur salut, vivent dans le désordre, unis par des liens
illégitimes. Appliquez donc les ressources de votre zèle
à rappeler ces hommes à leur devoir. Efforcez-vous de toute
manière, soit par vous-mêmes, soit par l'entremise des œuvres
constituées par les gens de bien, de leur faire comprendre leur
tort, de les porter au repentir de leur faute et de les disposer à
contracter un mariage légitime selon le rite catholique.
Il vous est facile de voir, Vénérables
Frères, que les enseignements et les préceptes que Nous avons
jugé à propos de vous donner par cette lettre, ne sont pas
moins utiles à la conservation de la société civile
qu'au salut éternel des hommes. Plaise à Dieu qu'ils soient
acceptés par tous les esprits avec d'autant plus d'empressement
et de docilité qu'ils sont plus graves et plus importants.
A cet effet, implorons tous ensemble,
par une humble et suppliante prière le secours de la bienheureuse
Vierge Marie Immaculée. Qu'elle se montre la mère et l'auxiliaire
de tous les hommes, en inclinant les esprits à se soumettre à
la foi. Prions avec la même ardeur Pierre et Paul, princes des apôtres,
vainqueurs de la superstition, semeurs de la vérité. Que,
par leur puissante protection, ils préservent le genre humain du
déluge des erreurs renaissantes.
En attendant, comme présage
des faveurs célestes, et en témoignage de Notre particulière
bienveillance, Nous accordons de tout cœur, à vous tous, Vénérables
Frères, et aux peuples confiés à Votre vigilance,
la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, le 10 février 1880, la deuxième année
de notre pontificat.
LÉON XIII, PAPE.