SUR LES ERREURS MODERNES
À tous Nos Vénérables
Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques
du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
LÉON XIII, PAPE
Vénérables Frères
Salut et Bénédiction Apostolique.
Dès le commencement de notre
Pontificat, Nous n'avons pas négligé, ainsi que l'exigeait
la charge de Notre ministère apostolique, de signaler cette peste
mortelle qui se glisse à travers les membres les plus intimes de
la société humaine et qui la conduit à sa perte ;
en même temps, Nous avons indiqué quels étaient les
remèdes les plus efficaces au moyen desquels la société
pouvait retrouver la voie du salut et échapper aux graves périls
qui la menacent. Mais les maux que Nous déplorions alors se sont
si promptement accrus que, de nouveau, Nous sommes forcé de Vous
adresser la parole, car il semble que Nous entendions retentir à
Notre oreille ces mots du Prophète : " Crie, ne cesse de crier :
élève ta voix, et qu'elle soit pareille à la trompette
" (1).
Vous comprenez sans peine, Vénérables
Frères, que Nous parlons de la secte de ces hommes qui s'appellent
diversement et de noms presque barbares, socialistes, communistes et nihilistes,
et qui, répandus par toute la terre, et liés étroitement
entre eux par un pacte inique, ne demandent plus désormais leur
force aux ténèbres de réunions occultes, mais, se
produisant au jour publiquement, et en toute confiance, s'efforcent de
mener à bout le dessein, qu'ils ont formé depuis longtemps,
de bouleverser les fondements de la société civile. Ce sont
eux, assurément, qui, selon que l'atteste la parole divine, " souillent
toute chair, méprisent toute domination et blasphèment toute
majesté " (2).
En effet, ils ne laissent entier
ou intact rien de ce qui a été sagement décrété
par les lois divines et humaines pour la sécurité et l'honneur
de la vie. Pendant qu'ils blâment l'obéissance rendue aux
puissances supérieures qui tiennent de Dieu le droit de commander
et auxquelles, selon l'enseignement de l'Apôtre, toute âme
doit être soumise, ils prêchent la parfaite égalité
de tous les hommes pour ce qui regarde leurs droits et leurs devoirs. Ils
déshonorent l'union naturelle de l'homme et de la femme, qui était
sacrée aux yeux mêmes des nations barbares ; et le lien de
cette union, qui resserre principalement la société domestique,
ils l'affaiblissent ou bien l'exposent aux caprices de la débauche.
Enfin, séduits par la cupidité
des biens présents, " qui est la source de tous les maux et dont
le désir a fait errer plusieurs dans la foi " (3), ils attaquent
le droit de propriété sanctionné par le droit naturel
et, par un attentat monstrueux, pendant qu'ils affectent de prendre souci
des besoins de tous les hommes et prétendent satisfaire tous leurs
désirs, ils s'efforcent de ravir, pour en faire la propriété
commune, tout ce qui a été acquis à chacun, ou bien
par le titre d'un légitime héritage, ou bien par le travail
intellectuel ou manuel, ou bien par l'économie. De plus, ces opinions
monstrueuses, ils les publient dans leurs réunions, ils les développent
dans des brochures, et, par de nombreux journaux, ils les répandent
dans la foule. Aussi, la majesté respectable et le pouvoir des rois
sont devenus, chez le peuple révolté, l'objet d'une si grande
hostilité que d'abominables traîtres, impatients de tout frein
et animés d'une audace impie, ont tourné plusieurs fois,
en peu de temps, leurs armes contre les chefs des gouvernements eux-mêmes.
Or, cette audace d'hommes perfides
qui menace chaque jour de ruines plus graves la société civile,
et qui excite dans tous les esprits l'inquiétude et le trouble,
tire sa cause et son origine de ces doctrines empoisonnées qui,
répandues en ces derniers temps parmi les peuples comme des semences
de vices, ont donné, en leurs temps, des fruits si pernicieux. En
effet, vous savez très bien, Vénérables Frères,
que la guerre cruelle qui, depuis le XVIe siècle, a été
déclarée contre la foi catholique par des novateurs, visait
à ce but d'écarter toute révélation et de renverser
tout l'ordre surnaturel, afin que l'accès fût ouvert aux inventions
ou plutôt aux délires de la seule raison.
Tirant hypocritement son nom de la
raison, cette erreur qui flatte et excite la passion de grandir, naturelle
au cœur de l'homme, et qui lâche les rênes à tous les
genres de passions, a spontanément étendu ses ravages non
pas seulement dans les esprits d'un grand nombre d'hommes, mais dans la
société civile elle-même. Alors, par une impiété
toute nouvelle et que les païens eux-mêmes n'ont pas connue,
on a vu se constituer des gouvernements, sans qu'on tînt nul compte
de Dieu et de l'ordre établi par Lui ; on a proclamé que
l'autorité publique ne prenait pas de Dieu le principe, la majesté,
la force de commander, mais de la multitude du peuple, laquelle, se croyant
dégagée de toute sanction divine, n'a plus souffert d'être
soumise à d'autres lois que celles qu'elle aurait portées
elle-même, conformément à son caprice.
Puis, après qu'on eut combattu
et rejeté comme contraires à la raison les vérités
surnaturelles de la foi, l'Auteur même de la Rédemption du
genre humain est contraint, par degrés et peu à peu, de s'exiler
des études, dans les universités, les lycées et les
collèges ainsi que de toutes les habitudes publiques de la vie humaine.
Enfin, après avoir livré à l'oubli les récompenses
et les peines éternelles de la vie future, le désir ardent
du bonheur a été renfermé dans l'espace du temps présent.
Avec la diffusion, au loin et au large de ces doctrines, avec la grande
licence de penser et d'agir qui a été ainsi enfantée
de toutes parts, faut-il s'étonner que les hommes de condition inférieure,
ceux qui habitent une pauvre demeure ou un pauvre atelier soient envieux
de s'élever jusqu'aux palais et à la fortune de ceux qui
sont plus riches ? Faut-il s'étonner qu'il n'y ait plus nulle tranquillité
pour la vie publique ou privée et que le genre humain soit presque
arrivé à sa perte ?
Or, les pasteurs suprêmes de
l'Église, à qui incombe la charge de protéger le troupeau
du Seigneur contre les embûches de l'ennemi, se sont appliqués
de bonne heure à détourner le péril et à veiller
au salut des fidèles. Car, aussitôt que commençaient
à grossir les sociétés secrètes, dans le sein
desquelles couvaient alors déjà les semences des erreurs
dont nous avons parlé, les Pontifes romains, Clément XII
et Benoît XIV, ne négligèrent pas de démasquer
les desseins impies des sectes et d'avertir les fidèles du monde
entier du mal que l'on préparait ainsi sourdement. Mais après
que, grâce à ceux qui se glorifiaient du nom de philosophes,
une liberté effrénée fût attribuée à
l'homme, après que le droit nouveau, comme ils disent, commença
d'être forgé et sanctionné, contrairement à
la loi naturelle et divine, le pape Pie VI, d'heureuse mémoire,
dévoila tout aussitôt, par des documents publics, le caractère
détestable et la fausseté de ces doctrines ; en même
temps, la prévoyance apostolique a prédit les ruines auxquelles
le peuple trompé allait être entraîné.
Néanmoins, et comme aucun
moyen efficace n'avait pu empêcher que leurs dogmes pervers ne fussent
de jour en jour plus acceptés par les peuples, et ne fissent invasion
jusque dans les décisions publiques des gouvernements, les papes
Pie VII et Léon XII anathématisèrent les sectes occultes,
et, pour autant qu'il dépendait d'eux, avertirent de nouveau la
société du péril qui la menaçait. Enfin, tout
le monde sait parfaitement par quelles paroles très graves, avec
quelle fermeté d'âme et quelle constance Notre glorieux prédécesseur
Pie IX, d'heureuse mémoire, soit dans ses allocutions, soit par
ses lettres encycliques envoyées aux évêques de l'univers
entier, a combattu aussi bien contre les iniques efforts des sectes, que,
nominativement, contre la peste du socialisme, qui, de cette source, a
fait partout irruption.
Mais, ce qu'il faut déplorer,
c'est que ceux à qui est confié le soin du bien commun, se
laissant circonvenir par les fraudes des hommes impies et effrayer par
leurs menaces, ont toujours manifesté à l'Église des
dispositions suspectes ou même hostiles. Ils n'ont pas compris que
les efforts des sectes auraient été vains si la doctrine
de l'Église catholique et l'autorité des Pontifes romains
étaient toujours demeurées en honneur, comme il est dû,
aussi bien chez les princes que chez les peuples. Car l'" Église
du Dieu vivant, qui est la colonne et le soutien de la vérité
" (4), enseigne ces doctrines, ces préceptes par lesquels on pourvoit
au salut et au repos de la société, en même temps qu'on
arrête radicalement la funeste propagande du socialisme.
En effet, bien que les socialistes,
abusant de l'Évangile même, pour tromper plus facilement les
gens mal avisés, aient accoutumé de le torturer pour le conformer
à leurs doctrines, la vérité est qu'il y a une telle
différence entre leurs dogmes pervers et la très pure doctrine
de Jésus-Christ, qu'il ne saurait y en avoir de plus grande. Car,
" qu'y a-t-il de commun entre la justice et l'iniquité ? Et quelle
société y a-t-il entre la lumière et les ténèbres
" (5) ? Ceux-là ne cessent, comme nous le savons, de proclamer que
tous les hommes sont, par nature, égaux entre eux, et à cause
de cela ils prétendent qu'on ne doit au pouvoir ni honneur ni respect,
ni obéissance aux lois, sauf à celles qu'ils auraient sanctionnées
d'après leur caprice.
Au contraire, d'après les
documents évangéliques, l'égalité des hommes
est en cela que tous, ayant la même nature, tous sont appelés
à la même très haute dignité de fils de Dieu,
et en même temps que, une seule et même foi étant proposée
à tous, chacun doit être jugé selon la même loi
et obtenir les peines ou la récompense suivant son mérite.
Cependant, il y a une inégalité de droit et de pouvoir qui
émane de l'Auteur même de la nature, " en vertu de qui toute
paternité prend son nom au ciel et sur la terre " (6). Quant aux
princes et aux sujets, leurs âmes, d'après la doctrine et
les préceptes catholiques, sont mutuellement liées par des
devoirs et des droits, de telle sorte que, d'une part, la modération
s'impose à la passion du pouvoir et que, d'autre part, l'obéissance
est rendue facile, ferme et très noble.
Ainsi, l'Église inculque constamment
à la multitude des sujets ce précepte apostolique : " Il
n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu : et celles qui sont, ont
été établies de Dieu. C'est pourquoi, qui résiste
à la puissance résiste à l'ordre de Dieu. Or, ceux
qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. " Ce
précepte ordonne encore d'" être nécessairement soumis,
non seulement par crainte de la colère, mais encore par conscience,
" et de rendre " à tous ce qui leur est dû : à qui
le tribut, le tribut ; à qui l'impôt, l'impôt ; à
qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur, l'honneur "(7).
Car Celui qui a créé
et qui gouverne toutes choses les a disposées, dans sa prévoyante
sagesse, de manière à ce que les inférieures atteignent
leur fin par les moyennes et celles-ci par les supérieures. De même
donc qu'il a voulu que, dans le royaume céleste lui-même,
les chœurs des anges fussent distincts et subordonnés les uns aux
autres, de même encore qu'il a établi dans l'Église
différents degrés d'ordres avec la diversité des fonctions,
en sorte que tous ne fussent pas apôtres, " ni tous docteurs, ni
tous pasteurs "(8), ainsi a-t-il constitué dans la société
civile plusieurs ordres différents en dignité, en droits
et en puissance, afin que l'État, comme l'Église, formât
un seul corps composé d'un grand nombre de membres, les uns plus
nobles que les autres, mais tous nécessaires les uns aux autres
et soucieux du bien commun.
Mais pour que les recteurs des peuples
usent du pouvoir qui leur a été conféré pour
l'édification, et non pour la destruction, l'Église du Christ
avertit à propos les princes eux-mêmes que la sévérité
du juge suprême plane sur eux, et empruntant les paroles de la divine
Sagesse, elle leur crie à tous, au nom de Dieu : " Prêtez
l'oreille, vous qui dirigez les multitudes et vous complaisez dans les
foules des nations, car la puissance vous a été donnée
par Dieu et la force par le Très-Haut, qui examinera vos œuvres
et scrutera vos pensées... car le jugement sera sévère
pour les gouvernants... Dieu, en effet, n'exceptera personne et n'aura
égard à aucune grandeur, car c'est Dieu qui a fait le petit
et le grand, et il a même soin de tous ; mais aux plus forts est
réservé un plus fort châtiment " (9).
S'il arrive cependant aux princes
d'excéder témérairement dans l'exercice de leur pouvoir,
la doctrine catholique ne permet pas de s'insurger de soi-même contre
eux, de peur que la tranquillité de l'ordre ne soit de plus en plus
troublée et que la société n'en reçoive un
plus grand dommage. Et, lorsque l'excès en est venu au point qu'il
ne paraisse plus aucune autre espérance de salut, la patience chrétienne
apprend à chercher le remède dans le mérite et dans
d'instantes prières auprès de Dieu. Que si les ordonnances
des législateurs et des princes sanctionnent ou commandent quelque
chose de contraire à la loi divine ou naturelle, la dignité
du nom chrétien, le devoir et le précepte apostolique proclament
qu'il faut obéir " à Dieu plutôt qu'aux hommes " (10).
Mais cette vertu salutaire de l'Église
qui rejaillit sur la société civile pour le maintien de l'ordre
en elle et pour sa conservation, la société domestique elle-même,
qui est le principe de toute cité et de tout État, la ressent
et l'éprouve nécessairement aussi. Vous savez, en effet,
Vénérables Frères, que la règle de cette société
a, d'après le droit naturel, son fondement dans l'union indissoluble
de l'homme et de la femme, et son complément dans les devoirs et
les droits des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs
les uns envers les autres.
Vous savez aussi que les théories
du socialisme la dissolvent presque entièrement, puisque, ayant
perdu la force qui lui vient du mariage religieux, elle voit nécessairement
se relâcher la puissance paternelle sur les enfants et les devoirs
des enfants envers leurs parents.
Au contraire, le " mariage honorable
en tout "(11) que Dieu lui-même a institué au commencement
du monde pour la propagation et la perpétuité de l'espèce
et qu'il a fait indissoluble, l'Église enseigne qu'il est devenu
encore plus solide et plus saint par Jésus-Christ, qui lui a conféré
la dignité de sacrement, et a voulu en faire l'image de son union
avec l'Église. C'est pourquoi, selon l'avertissement de l'Apôtre,
" le mari est le chef de la femme, comme Jésus-Christ est le Chef
de l'Église " (12) et, de même que l'Église est soumise
à Jésus-Christ, qui l'embrasse d'un très chaste et
perpétuel amour, ainsi les femmes doivent être soumises à
leurs maris, et ceux-ci doivent, en échange, les aimer d'une affection
fidèle et constante.
L'Église règle également
la puissance du père et du maître, de manière à
contenir les fils et les serviteurs dans le devoir et sans qu'elle excède
la mesure. Car, selon les enseignements catholiques, l'autorité
des parents et des maîtres n'est qu'un écoulement de l'autorité
du Père et du Maître céleste, et ainsi, non seulement
elle tire de celle-ci son origine et sa force, mais elle lui emprunte nécessairement
aussi sa nature et son caractère.
C'est pourquoi l'Apôtre exhorte
les enfants à obéir en Dieu à leurs parents, et à
honorer leur père et leur mère, ce qui est le premier commandement
fait avec une promesse (13). Et aux parents il dit : " Et vous, pères,
ne provoquez pas vos fils au ressentiment, mais élevez-les dans
la discipline et la rectitude du Seigneur "(14). Le précepte que
le même apôtre donne aux serviteurs et aux maîtres, est
que les uns " obéissent à leurs maîtres selon la chair,
les servant en toute bonne volonté comme Dieu lui-même, et
que les autres n'usent pas de mauvais traitements envers leurs serviteurs,
se souvenant que Dieu est le Maître de tous dans les cieux et qu'il
n'y a point d'acceptation de personne pour lui "(15).
Si toutes ces choses étaient
observées par chacun de ceux qu'elles concernent, selon la disposition
de la divine volonté, chaque famille offrirait l'image de la demeure
céleste et les insignes bienfaits qui en résulteraient ne
se renfermeraient pas seulement au sein de la famille, mais se répandraient
sur les États eux-mêmes.
Quant à la tranquillité
publique et domestique, la sagesse catholique, appuyée sur les préceptes
de la loi divine et naturelle, y pourvoit très prudemment par les
idées qu'elle adopte et qu'elle enseigne sur le droit de propriété
et sur le partage des biens qui sont acquis pour la nécessité
et l'utilité de la vie. Car, tandis que les socialistes présentent
le droit de propriété comme étant une invention humaine,
répugnant à l'égalité naturelle entre les hommes,
tandis que, prêchant la communauté des biens, ils proclament
qu'on ne saurait supporter patiemment la pauvreté et qu'on peut
impunément violer les possessions et les droits des riches, l'Église
reconnaît beaucoup plus utilement et sagement que l'inégalité
existe entre les hommes naturellement dissemblables par les forces du corps
et de l'esprit, et que cette inégalité existe même
dans la possession des biens ; elle ordonne, en outre, que le droit de
propriété et de domaine, provenant de la nature même,
soit maintenu intact et inviolable dans les mains de qui le possède
; car elle sait que le vol et la rapine ont été condamnés
par Dieu, l'auteur et le gardien de tout droit, au point qu'il n'est même
pas permis de convoiter le bien d'autrui, et que les voleurs et les larrons
sont exclus, comme les adultères et les idolâtres, du royaume
des cieux.
Elle ne néglige pas pour cela,
en bonne Mère, le soin des pauvres, et n'omet point de pourvoir
à leurs nécessités, parce que, les embrassant dans
son sein maternel et sachant qu'ils représentent Jésus-Christ
lui-même, qui considère comme fait à lui-même
le bien fait au plus petit des pauvres, elle les a en grand honneur ; elle
les assiste de tout son pouvoir, elle a soin de faire élever partout
des maisons et des hospices où ils sont recueillis, nourris et soignés,
et elle les prend sous sa tutelle. De plus, elle fait un strict devoir
aux riches de donner leur superflu aux pauvres, et elle les effraye par
la pensée du divin jugement, qui les condamnera aux supplices éternels
s'ils ne subviennent aux nécessités des indigents. Enfin,
elle relève et console l'esprit des pauvres, soit en leur proposant
l'exemple de Jésus-Christ (16), qui, " étant riche, a voulu
se faire pauvre pour nous ", soit en leur rappelant les paroles par lesquelles
il a déclaré bienheureux les pauvres, et leur a fait espérer
les récompenses de l'éternelle félicité. Qui
ne voit que c'est là le meilleur moyen d'apaiser l'antique conflit
soulevé entre les pauvres et les riches ? Car, ainsi que le démontre
l'évidence même des choses et des faits, si ce moyen est rejeté
ou méconnu, il arrive nécessairement, ou que la grande partie
du genre humain est réduite à la vile condition d'esclave,
comme on l'a vu longtemps chez les nations païennes, ou que la société
humaine est agitée de troubles continuels et dévastée
par les rapines et les brigandages, ainsi que nous avons eu la douleur
de le constater dans ces derniers temps encore.
Puisqu'il en est ainsi, Vénérables
Frères, Nous à qui incombe le gouvernement de toute l'Église,
de même qu'au commencement de Notre pontificat Nous avons déjà
montré aux peuples et aux princes ballottés par une dure
tempête, le port du salut, ainsi, en ce moment du suprême péril,
Nous élevons de nouveau avec émotion Notre voix apostolique
pour les prier, au nom de leur propre intérêt et du salut
des États, et les conjurer de prendre pour éducatrice l'Église
qui a eu une si grande part à la prospérité publique
des nations, et de reconnaître que les rapports du gouvernement et
de la religion sont si connexes que tout ce qu'on enlève à
celle-ci, diminue d'autant la soumission des sujets et la majesté
du pouvoir. Et lorsqu'ils auront reconnu que l'Église de Jésus-Christ
possède, pour détourner le fléau du socialisme, une
vertu qui ne se trouve ni dans les lois humaines, ni dans les répressions
des magistrats, ni dans les armes des soldats, qu'ils rétablissent
enfin cette Église dans la condition et la liberté qu'il
lui faut pour exercer, dans l'intérêt de toute la société,
sa très salutaire influence.
Pour Vous, Vénérables
Frères, qui connaissez l'origine et la nature des maux accumulés
sur le monde, appliquez-Vous de toute l'ardeur et de toute la force de
Votre esprit à faire pénétrer et à inculquer
profondément dans toutes les âmes la doctrine catholique.
Faites en sorte que, dès leurs plus tendres années, tous
s'accoutument à avoir pour Dieu un amour de fils et à vénérer
son autorité, à se montrer déférents pour la
majesté des princes et des lois, à s'abstenir de toutes convoitises,
et à garder fidèlement l'ordre que Dieu a établi,
soit dans la société civile, soit dans la société
domestique. Il faut encore que Vous ayez soin que les enfants de l'Église
catholique ne s'enrôlent point dans la secte exécrable et
ne la servent en aucune manière, mais, au contraire, qu'ils montrent,
par leurs belles actions et leur manière honnête de se comporter
en toutes choses, combien stable et heureuse serait la société
humaine, si tous ses membres se distinguaient par la régularité
de leur conduite et par leurs vertus. Enfin, comme les sectateurs du socialisme
se recrutent surtout parmi les hommes qui exercent les diverses industries
ou qui louent leur travail et qui, impatients de leur condition ouvrière,
sont plus facilement entraînés par l'appât des richesses
et la promesse des biens, il Nous paraît opportun d'encourager les
sociétés d'ouvriers et d'artisans qui, instituées
sous le patronage de la religion, savent rendre tous leurs membres contents
de leur sort et résignés au travail, et les portent à
mener une vie paisible et tranquille.
Qu'il favorise Nos entreprises et
les Vôtres, Vénérables Frères, Celui à
qui nous sommes obligés de rapporter le principe et le succès
de tout bien.
D'ailleurs, Nous puisons un motif
d'espérer un prompt secours dans ces jours mêmes où
l'on célèbre l'anniversaire de la naissance du Seigneur,
car ce salut nouveau, que le Christ naissant apportait au monde déjà
vieux et presque dissous par ses maux extrêmes, il ordonne que nous
l'espérions, nous aussi ; cette paix qu'il annonçait alors
aux hommes par le ministère des anges, il a promis qu'il nous la
donnerait, à nous aussi. Car la main de Dieu n'a point été
raccourcie, pour qu'il ne puisse nous sauver, et son oreille n'a pas été
fermée pour qu'il " ne puisse entendre " (17).
En ces jours donc de très
heureux auspices, Nous prions ardemment le Dispensateur de tous biens,
Vous souhaitant à Vous, Vénérables Frères,
et aux fidèles de Vos Églises, toute joie et toute prospérité
afin que de nouveau " apparaissent au regard des hommes la bonté
et l'humanité de Dieu notre Sauveur "(18) qui, après nous
avoir arrachés de la puissance d'un ennemi cruel, nous a élevés
à la très noble dignité d'enfants de Dieu. Et afin
que Nos vœux soient plus promptement et pleinement remplis, joignez-Vous
à Nous, Vénérables Frères, pour adresser à
Dieu de ferventes prières ; invoquez aussi le patronage de la bienheureuse
Vierge Marie, immaculée dès son origine, de Joseph son époux,
et des saints apôtres Pierre et Paul, aux suffrages desquels Nous
avons la plus grande confiance.
Cependant, et comme gage des faveurs
célestes, Nous Vous donnons dans le Seigneur, et du fond de Notre
cœur, la bénédiction apostolique, à Vous, Vénérables
Frères, à Votre clergé et à tous les peuples
fidèles.
Donné à Rome, à
Saint-Pierre, le 28 décembre 1878, la première année
de notre pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
(1) Is., LVIII, 1.
(2) Jud. Epist., V, 8.
(3) Tim., 1. VI, 10.
(4) I, Tim., III, 15.
(5) II, Cor., VI, 14.
(6) Ephes., III, 15.
(7) Rom. XIII, 1-7.
(8) I, Cor., X.
(9) Sap., VI, 3 et ssq.
(10) Act., V, 29.
(11) Hebr. XIII, 4.
(12) Eph. V, 23.
(13) Eph. VI, 1-2.
(14) Ibid. VI, 4.
(15) Ibid. VI, 5, 6, 9.
(16) II Cor., VIII, 9.
(17) Is. LIX, 1.
(18) Tit. III, 4.