1) Encyclique Supremi apostolatus Officio (1er septembre 1883)
2) Bref Pontifical Salutaris Ille Spiritus (24 décembre 1883)
3) Encyclique Superiore Anno (30 août 1884)
4) Décret de la Congrégation des Rites sur la fête
de N.-D. du Rosaire (11 septembre 1887)
5) Encyclique Quamquam Pluries sur le patronage de St Joseph et de
la Sainte Vierge (15 août 1889)
6) Encyclique Octobri Mense (22 septembre 1891)
7) Encyclique Magnae Dei Matris (8 septembre 1892)
8) Encyclique Laetitiae Sanctae (8 septembre 1893)
9) Encyclique Jucunda Semper Expectatione (8 septembre 1894)
10) Encyclique Adiutricem populi christiani (5 septembre 1895)
11) Encyclique Fidentem Piumque Animum (20 septembre 1896)
12) Encyclique Augustissimae Virginis Mariae (12 septembre 1897)
13) Encyclique Diuturni Temporis (5 septembre 1898)
14) Lettre Apostolique Parta Humano Generi (8 septembre 1901) relative
à la consécration de l'église du Rosaire, à
Lourdes
Supremi Apostolatus Officio, Lettre Encyclique de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, sur le Très saint Rosaire.
A tous nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.
Le devoir du suprême apostolat qui Nous a été confié,
et la condition particulièrement difficile des temps actuels, Nous
avertissent chaque jour instamment, et pour ainsi dire Nous pressent impérieusement,
de veiller avec d'autant plus de soin à la garde et à l'intégrité
de l'Eglise que les calamités dont elle souffre sont plus grandes.
C'est pourquoi autant qu'il est en Notre pouvoir, en même temps
que Nous Nous efforçons par tous les moyens de défendre les
droits de l'Eglise comme de prévoir et de repousser les dangers
qui la menacent et qui l'assaillent, Nous mettons aussi Notre plus grande
diligence à implorer l'assistance des secours divins, avec l'aide
seule desquels Nos labeurs et Nos soins peuvent aboutir.
A cette fin, Nous estimons que rien ne saurait être plus efficace
et plus sûr que de Nous rendre favorable, par la pratique religieuse
de son culte, la sublime Mère de Dieu, la Vierge Marie, dépositaire
souveraine de toute paix et dispensatrice de toute grâce, qui a été
placée par son divin Fils au faîte de la gloire et de la puissance,
afin d'aider du secours de sa protection les hommes s'acheminant, au milieu
des fatigues et des dangers, vers la Cité Eternelle.
C'est pourquoi, à l'approche des solennels anniversaires qui
rappellent les bienfaits nombreux et considérables qu'a valus au
peuple chrétien la dévotion du Saint Rosaire, Nous voulons
que cette année, cette dévotion soit l'objet d'une attention
toute particulière dans le monde catholique en l'honneur de la Vierge
Souveraine, afin que, par son intercession, nous obtenions de son divin
Fils un heureux adoucissement et un terme à nos maux. Aussi, avons-Nous
pensé, Vénérables Frères, à Vous adresser
ces lettres, afin que Notre dessein Vous étant connu, Votre autorité
et Votre zèle excitent la piété des peuples à
s'y conformer religieusement.
Ce fut toujours le soin principal et solennel des catholiques de se
réfugier sous l'égide de Marie et de s'en remettre à
sa maternelle bonté dans les temps troublés et dans les circonstances
périlleuses. Cela prouve que l'Eglise catholique a toujours mis,
et avec raison, en la Mère de Dieu, toute sa confiance et toute
son espérance. En effet, la Vierge exempte de la souillure originelle,
choisie pour être la Mère de Dieu, et par cela même
associée à lui dans l'œuvre du salut du genre humain, jouit
auprès de son Fils d'une telle faveur et d'une telle puissance que
jamais la nature humaine et la nature angélique n'ont pu et ne peuvent
les obtenir. Aussi, puisqu'il lui est doux et agréable par-dessus
toute chose d'accorder son secours et son assistance à ceux qui
les lui demandent, il n'est pas douteux qu'elle ne veuille, et pour ainsi
dire qu'elle ne s'empresse d'accueillir les vœux que lui adressera l'Eglise
universelle.
Cette piété, si grande et si confiante envers l'Auguste
Reine des cieux, n'a jamais brillé d'un éclat aussi resplendissant
que quand la violence des erreurs répandues, ou une corruption intolérable
des mœurs, ou les attaques d'adversaires puissants, ont semblé mettre
en péril l'Eglise militante de Dieu.
L'histoire ancienne et moderne et les fastes les plus mémorables
de l'Eglise, rappellent le souvenir des supplications publiques et privées
à la Mère de Dieu, ainsi que les secours accordés
par Elle, et en maintes circonstances la paix et la tranquillité
publiques obtenues par sa divine intervention. De là ces qualifications
d'Auxiliatrice, de Bienfaitrice, et de Consolatrice des chrétiens,
de Reine des armées, de Dispensatrice de la victoire et de la paix,
dont on l'a saluée. Entre tous ces titres, est surtout remarquable
et solennel celui qui lui vient du Rosaire, et par lequel ont été
consacrés à perpétuité les insignes bienfaits
dont lui est redevable le nom de chrétien.
Aucun de Vous n'ignore, Vénérables Frères, quels
tourments et quels deuils ont apportés à la sainte Eglise
de Dieu, vers la fin du XIIe siècle, par les hérétiques
Albigeois qui, enfantés par la secte des derniers Manichéens,
ont couvert le midi de la France et tous les autres pays du monde latin
de leurs pernicieuses erreurs. Portant partout la terreur de leurs armes,
ils étendaient partout leur domination par le meurtre et les ruines.
Contre ce fléau, Dieu a suscité, dans sa miséricorde,
l'insigne père et fondateur de l'Ordre dominicain. Ce héros,
grand par l'intégrité de sa doctrine, par l'exemple de ses
vertus, par ses travaux apostoliques, s'avança contre les ennemis
de l'Eglise catholique, animé de l'Esprit d'en haut; non avec la
violence et avec les armes, mais avec la foi la plus absolue en cette dévotion
du Saint Rosaire que le premier il a divulguée et que ses enfants
ont portée aux quatre coins du monde. Il prévoyait, en effet,
par la grâce divine, que cette dévotion, comme un puissant
engin de guerre, mettrait en fuite les ennemis et confondrait leur audace
et leur folle impiété. Et c'est ce qu'a, en effet, justifié
l'événement.
Grâce à cette nouvelle manière de prier, acceptée
et ensuite mise régulièrement en pratique, par l'institution
de l'Ordre du saint Père Dominique, la piété, la bonne
foi, la concorde commencèrent à reprendre racine, et les
projets des hérétiques, ainsi que leurs artifices, à
tomber en ruines. Grâce à elle encore, beaucoup d'égarés
ont été ramenés à la voie droite; et la fureur
des impies a été réfrénée par les armes
catholiques qui avaient été levées pour repousser
la force par la force.
L'efficacité et la puissance de cette prière ont été
aussi expérimentées au XVIe siècle, alors que les
armées innombrables des Turcs étaient à la veille
d'imposer le joug de la superstition et de la barbarie à presque
toute l'Europe. Dans ce temps, le Souverain Pontife saint Pie V, après
avoir réveillé chez tous les princes chrétiens le
sentiment de la défense commune, s'attacha surtout et par tous les
moyens à rendre propice et secourable au nom chrétien la
toute-puissante Mère de Dieu, en l'implorant par la récitation
du Rosaire. Ce noble exemple, offert en ces jours à la terre et
aux cieux, rallia tous les esprits et persuada tous les cœurs. Aussi les
fidèles du Christ, décidés à verser leur sang
et à sacrifier leur vie pour le salut de la religion et de leur
patrie, marchaient sans souci du nombre aux ennemis massés non loin
du golfe de Corinthe ; pendant que les invalides, pieuse armée de
suppliants, imploraient Marie, saluaient Marie, par la répétition
des formules du Rosaire et demandaient la victoire de ceux qui combattaient.
La Souveraine ainsi suppliée ne resta pas sourde, car l'action
navale s'étant engagée auprès des îles Echinades
(Curzolaires) la flotte des chrétiens, sans éprouver elle-même
de grandes pertes, remporta une insigne victoire et anéantit les
forces ennemies.
C'est pourquoi le même Souverain et saint Pontife, en reconnaissance
d'un bienfait si grand, a voulu qu'une fête en l'honneur de Marie
Victorieuse, consacrât la mémoire de ce combat mémorable.
Grégoire XIII a consacré cette fête en l'appelant fête
du Saint Rosaire.
De même, dans le dernier siècle, d'importants succès
furent remportés sur les forces turques, soit à Temesvar,
en Pannonie, soit à Corcyre, et ils coïncidèrent avec
des jours consacrés à la Sainte Vierge Marie et avec la clôture
des prières publiques célébrées par la récitation
du Rosaire.
Par conséquent, puisqu'il est bien reconnu que cette formule
de prière est particulièrement agréable à la
Sainte Vierge, et qu'elle est surtout propre à la défense
de l'Eglise et du peuple chrétien en même temps qu'à
attirer toutes sortes de bienfaits publics et particuliers, il n'est pas
surprenant que plusieurs autres de nos prédécesseurs se soient
attachés à la développer et à la recommander
par des éloges tout spéciaux. Ainsi Urbain IV a attesté
que, chaque jour, le Rosaire procurait des avantages au peuple chrétien.
Sixte IV a dit que cette manière de prier est avantageuse à
l'honneur de Dieu et de la Sainte Vierge, et particulièrement propre
à détourner les dangers menaçant le monde; Léon
X a déclaré qu'elle a été instituée
contre les hérésiarques et les hérésies pernicieuses;
et Jules III l'a appelée la gloire de l'Église. Saint Pie
V a dit aussi, au sujet du Rosaire, que, dans la divulgation de cette sorte
de prières, les fidèles ont commencé à s'échauffer
dans la méditation, à s'enflammer dans la prière,
puis sont devenus d'autres hommes; les ténèbres de l'hérésie
se sont dissipées, et la lumière de la foi catholique a brillé
de tout son éclat. Enfin, Grégoire XIII a déclaré
à son tour que le Rosaire avait été institué
par Saint Dominique, pour apaiser la colère de Dieu et implorer
l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie.
Guidé par cette pensée et par les exemples de nos prédécesseurs
Nous avons cru tout à fait opportun d'établir pour la même
cause, en ce temps, des prières solennelles, et de tâcher,
au moyen de prières solennelles adressées à la Sainte
Vierge par la récitation du Rosaire, d'obtenir de son Fils Jésus-Christ
un semblable secours contre les dangers qui Nous menacent. Vous voyez,
Vénérables Frères, les graves épreuves auxquelles
l'Eglise est journellement exposée: la piété chrétienne,
la moralité publique, la foi elle-même qui est le bien suprême
et le principe de toutes les autres vertus, tout cela est chaque jour menacé
des plus grands périls.
Non seulement Vous savez combien cette situation est difficile et combien
Nous en souffrons, mais encore Votre charité Vous en a fait éprouver
avec Nous les sympathiques angoisses. Car c'est une chose des plus douloureuses
et des plus lamentables de voir tant d'âmes rachetées par
le Sang de Jésus-Christ arrachées au salut par le tourbillon
d'un siècle égaré, et précipitées dans
l'abîme et dans une mort éternelle. Nous avons, de nos jours,
autant besoin du secours divin qu'à l'époque où le
grand Dominique leva l'étendard du Rosaire de Marie à l'effet
de guérir les maux de son époque.
Ce grand Saint, éclairé par la lumière céleste,
entrevit clairement que, pour guérir son siècle, aucun remède
ne serait plus efficace que celui qui ramènerait les hommes à
Jésus-Christ, qui est la voie la vérité et la vie,
et les pousserait à s'adresser à cette Vierge, à qui
il est donné de détruire toutes les hérésies,
comme à leur patronne auprès de Dieu.
La formule du Saint-Rosaire a été composée de
telle manière par saint Dominique, que les mystères de Notre
salut y sont rappelés dans leur ordre successif, et que cette manière
de méditation est entremêlée et comme entrelacée
par la prière de la Salutation angélique, et par une oraison
jaculatoire à Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Nous qui cherchons un remède à des maux semblables, Nous
avons le droit de croire qu'en Nous servant de la même prière
qui a servi à saint Dominique pour faire tant de bien à tout
le monde catholique, Nous pourrons voir disparaître de même
les calamités dont souffre Notre époque.
Non seulement Nous engageons vivement tous les chrétiens à
s'appliquer soit en public, soit dans leur demeure particulière
et au sein de leur famille, à réciter ce pieux office du
Rosaire et à ne pas cesser ce saint exercice, mais Nous désirons
que spécialement LE MOIS D'OCTOBRE DE CETTE ANNÉE soit consacré
entièrement à la Sainte Reine du Rosaire. Nous décrétons
et Nous ordonnons que, dans tout le monde catholique, pendant cette année,
on célèbre solennellement par des services spéciaux
et splendides, les offices du Rosaire.
Qu'ainsi donc, à partir du premier jour du mois d'octobre prochain
jusqu'au second jour du mois de novembre suivant, dans toutes les paroisses,
et, si l'autorité le juge opportun et utile, dans toutes les autres
églises ou chapelles dédiées à la Sainte Vierge,
on récite cinq dizaines du Rosaire, en y ajoutant les Litanies Laurétanes.
Nous désirons que le peuple accoure à ces exercices de piété
et qu'en même temps l'on dise la messe et l'on expose le Saint Sacrement,
et que l'on donne ensuite avec la Sainte Hostie la bénédiction
à la pieuse assemblée. Nous approuvons beaucoup que les confréries
du Saint Rosaire de la Vierge fassent, conformément aux usages antiques,
des processions solennelles à travers les villes, afin de glorifier
publiquement la Religion. Cependant si, à cause des malheurs des
temps, dans certains lieux, cet exercice public de la religion n'était
pas possible, qu'on le remplace par une visite assidue aux églises,
et qu'on fasse éclater la ferveur de sa piété par
un exercice plus diligent encore des vertus chrétiennes.
En faveur de ceux qui doivent faire ce que Nous avons ordonné
ci-dessus, il Nous plaît d'ouvrir les célestes trésors
de l'Eglise pour qu'ils y puisent à la fois les encouragements et
les récompenses de leur piété. Donc, à. tous
ceux qui, dans l'intervalle de temps désigné, auront assisté
à l'exercice de la récitation publique du Rosaire avec les
Litanies, et auront prié selon Notre intention, Nous concédons
sept années et sept quarantaines d'indulgences applicables à
toutes fins. Nous voulons également faire jouir de cette faveur
ceux qu'une cause légitime aura empêchés de concourir
à ces prières publiques dont Nous venons de parler, pourvu
que, dans leur particulier, ils se soient consacrés à ce
pieux exercice et qu'ils aient prié Dieu selon Notre intention.
Nous absolvons de toute coulpe ceux qui dans le temps que nous venons d'indiquer,
auront au moins deux fois, soit publiquement dans les temples sacrés,
soit dans leurs maisons (par suite d'excuses légitimes) pratiqué
ces pieux exercices et qui, après s'être confessés,
se seront approchés de la Sainte Table. Nous accordons encore la
pleine remise de leurs fautes à ceux qui, soit dans ce jour de la
fête de la Bienheureuse Vierge du Rosaire, soit dans les huit jours
suivants, après avoir également épuré leur
âme par une salutaire confession, se seront approchés de la
Table du Christ, et auront dans quelque temple prié à Notre
intention Dieu et la Sainte Vierge pour les nécessités de
l'Eglise.
Agissez donc, Vénérables Frères ! Plus Vous avez
à cœur l'honneur de Marie et le salut de la société
humaine, plus Vous devez Vous appliquer à nourrir la piété
des peuples envers la grande Vierge, à augmenter leur confiance
en Elle. Nous considérons qu'il est dans les desseins providentiels
que, dans ces temps d'épreuves pour l'Eglise, l'ancien culte envers
l'auguste Vierge fleurisse plus que jamais dans l'immense majorité
du peuple chrétien. Que maintenant, poussées par Nos exhortations,
enflammées par Vos appels, les nations chrétiennes recherchent
avec une ardeur de jour en jour plus grande la protection de Marie; qu'elles
s'attachent de plus en plus à l'habitude du Rosaire, à ce
culte que Nos ancêtres avaient la coutume de pratiquer, non seulement
comme un remède toujours présent à leurs maux, mais
comme un noble ornement de la piété chrétienne. La
Patronne céleste du genre humain exaucera ces prières et
ces supplications, et Elle accordera facilement aux bons la faveur de voir
leurs vertus s'accroître, aux égarés celle de revenir
au bien et de rentrer dans la voie du salut, elle obtiendra que le Dieu
vengeur des crimes, inclinant vers la clémence et la miséricorde,
rende au monde chrétien et à la société, tout
péril étant désormais écarté, cette
tranquillité si désirable.
Encouragé par cet espoir, Nous supplions Dieu, par l'entremise
de Celle dans laquelle il a mis la plénitude de tout bien, Nous
le supplions de toutes Nos forces de répandre sur Vous, Vénérables
Frères, ses faveurs célestes. Et comme gage de Notre bienveillance,
Nous Vous donnons de tout Notre cœur, à Vous, à Votre clergé
et aux peuples commis à Vos soins, la bénédiction
apostolique.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 1er septembre 1883, sixième année de Notre Pontificat.
Bref pontifical Salutaris ille Spiritus precum - Léon XIII
Ce salutaire esprit de prière, don et gage à la fois de
la divine miséricorde, que Dieu promit autrefois de répandre
sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, ne manque
jamais dans l'Eglise catholique. Toutefois, il semble exciter plus vivement
les âmes, alors que les hommes redoutent, comme menaçant ou
déjà arrivé, quelque grand péril pour l'Eglise
ou l'Etat. Car la foi et la piété envers Dieu ont coutume
de grandir dans les dangers, parce que moins on voit de ressources dans
les choses humaines, mieux on comprend la nécessité du secours
céleste.
Nous en avons eu des preuves récentes lorsque, ému par
les longues épreuves de l'Eglise et par la difficulté générale
des temps, Nous avons fait appel, par notre Lettre encyclique, à
la piété des chrétiens, et Nous avons décrété
que la Vierge Marie serait honorée et implorée, pendant tout
le mois d'octobre, par la très sainte pratique du Rosaire. Nous
avons appris en effet, que l'on avait obéi à Notre volonté
avec autant de zèle et d'empressement que la sainteté et
l'importance de la chose le demandaient. Car, non seulement dans notre
Italie, mais dans toutes les contrées de la terre, on a prié
pour la religion catholique et pour le salut public ; l'autorité
des Evêques, l'exemple et le zèle du clergé donnant
l'impulsion, on a honoré à l'envi l'auguste Mère de
Dieu.
Les témoignages multiples par lesquels s'est manifestée
la piété Nous ont merveilleusement réjoui : les églises
ornées avec plus de magnificence, les processions solennelles, partout
l'affluence considérable du peuple aux sermons, aux réunions,
aux prières quotidiennes du Rosaire. Nous ne voulons pas omettre
non plus les nouvelles que nous avons reçues avec une joie profonde
de certains pays plus cruellement battus par la tempête et où
la ferveur de la piété a été si grande, que
les particuliers ont mieux aimé suppléer par leur propre
ministère, dans la mesure où ils le pouvaient, à la
disette des prêtres, que de souffrir que dans leurs églises,
les prières prescrites n'eussent pas lieu.
C'est pourquoi, en même temps que l'espérance en la bonté
et la miséricorde divine Nous console des maux présents,
Nous comprenons la nécessité d'inculquer dans le cœur de
tous les fidèles cette vérité, que les saints Livres
en divers endroits proclament ouvertement, savoir que dans la prière,
comme en toute autre vertu, ce qui importe par dessus tout, c'est la perpétuité
et la constance. Dieu se laisse, en effet, fléchir et apaiser par
la prière ; mais il veut que ce soit le fruit, non pas seulement
de sa bonté, mais aussi de notre persévérance.
Cette persévérance dans la prière est encore bien
plus nécessaire aujourd'hui où nous environnent de toute
part, comme nous l'avons dit bien souvent, tant et de si grands périls
qui ne peuvent être surmontés sans le secours spécial
de Dieu. Un trop grand nombre d'hommes, en effet, haïssent tout ce
qui rappelle le nom et le culte de Dieu : l'Eglise n'est pas seulement
l'objet d'attaques privées, mais elle est très souvent combattue
par les constitutions et les lois civiles ; de monstrueuses nouveautés
d'opinions s'élèvent contre la sagesse chrétienne,
à tel point que chacun doit lutter, et pour son propre salut et
pour le salut public contre des ennemis acharnés, qui ont juré
d'épuiser jusqu'à leurs dernières forces. Considérant
donc par la pensée l'étendue et la fureur de ce combat, Nous
estimons que c'est surtout le moment de se tourner vers Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qui, pour nous apprendre à l'imiter, dans son
agonie priait plus longuement.
Or, parmi les formules et les modes de prières pieux et salutaires,
usités dans l'Eglise catholique, celui qui est désigné
par le nom de Rosaire de Marie est recommandable à beaucoup de titres
; particulièrement comme nous l'avons rappelé dans Notre
Lettre encyclique, à ce titre principal que le Rosaire a été
surtout institué pour implorer l'aide de la Mère de Dieu
contre les ennemis de la religion catholique ; et, à ce point de
vue, personne n'ignore qu'il a été souvent d'un puissant
secours pour écarter les calamités de l'Eglise. Il convient
donc parfaitement, non seulement à la piété des particuliers,
mais à la condition publique des temps, de rétablir cette
forme de prière dans le degré d'honneur qu'elle a longtemps
occupé, alors que chaque famille chrétienne n'eût pas
voulu laisser passer un seul jour sans réciter le Rosaire.
Pour ces mêmes motifs, Nous exhortons tous les fidèles
et Nous les conjurons de prendre et de conserver la pieuse habitude de
la récitation quotidienne du Rosaire : en même temps Nous
déclarons qu'il est dans Notre désir que le Rosaire soit
récité tous les jours dans l'Eglise principale de chaque
diocèse, et chaque jour de fête dans les églises paroissiales.
Pour l'établissement et le maintien de cet exercice de piété,
les Ordres religieux pourront être d'une grande utilité et
principalement, comme par droit personnel, l'Ordre des Dominicains : Nous
sommes certains que nul d'entre eux ne manquera à une si utile et
si noble mission.
Nous donc, pour honorer l'auguste Marie, Mère de Dieu ; pour
consacrer à perpétuité le souvenir du secours imploré
de son Cœur très pur, sur toute la surface de la terre, pendant
le mois d'octobre ; pour conserver le perpétuel témoignage
de l'espérance sans bornes que Nous plaçons en notre très
tendre Mère ; pour solliciter de plus en plus sa faveur et son aide,
Nous voulons et Nous décrétons que, dans les Litanies de
Lorette, après l'invocation Reine conçue sans la tache originelle,
soit ajoutée cette autre invocation : Reine du très saint
Rosaire, priez pour nous.
Nous voulons que ces Lettres demeurent dans la postérité
confirmées et ratifiées, comme elles le sont présentement
: Nous déclarons nul et sans effet tout ce qui pourrait être
attenté contre elles : nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l'anneau
du Pécheur, le 24 décembre 1883, sixième de Notre
pontificat.
LEON XIII, PAPE.
Superiore anno, Lettre encyclique de Notre Très
Saint Père le Pape Léon XIII,
A tous les Evêques du monde catholique, concernant
les prières spéciales à faire pendant le mois d'octobre
1884.
Vénérables Frères,
Salut et bénédiction apostolique.
L'an dernier, comme vous le savez tous, Nous avons décrété,
par Notre Lettre Encyclique, de pratiquer dans toutes les parties de l'univers
catholique la dévotion du très Saint Rosaire, en l'honneur
de la Mère de Dieu, pendant tout le mois d'octobre, afin d'obtenir
à l'Eglise le secours du ciel dans ses épreuves. En cela
Nous avons suivi et Notre propre jugement et les exemples de Nos prédécesseurs
qui, dans les grandes épreuves de l'Eglise, avaient coutume de recourir,
avec un accroissement de piété, à l'auguste Vierge
et d'implorer son secours par les prières les plus ardentes. Or,
on a partout répondu à Notre volonté avec un tel empressement
et une telle unanimité, qu'on a vu clairement de quelle ardeur le
peuple chrétien est animé pour la religion et la piété,
et quelle grande confiance ont tous les fidèles dans la protection
céleste de la Vierge Marie. Cette ferveur d'une piété
et d'une foi manifestes, Nous le déclarons, a été
pour Nous une grande consolation dans les persécutions et les maux
qui Nous accablent, et Nous a encouragé à affronter des épreuves
plus graves encore, si telle est la volonté de Dieu. Aussi longtemps,
en effet, que l'esprit de prière sera répandu sur la maison
de David et sur les habitants de Jérusalem, Nous conserverons la
ferme confiance que Dieu nous exaucera un jour, et que, prenant pitié
de la condition de l'Eglise, il entendra les prières de ceux qui
l'implorent par Celle qu'il a lui-même voulu établir la dispensatrice
des grâces célestes.
C'est pourquoi, les mêmes causes qui, comme Nous l'avons dit,
Nous ont déterminé l'an dernier à exciter la piété
des fidèles, existant encore, Nous avons cru de notre devoir, Vénérables
Frères, d'exhorter, cette année aussi, les peuples chrétiens
à mériter la puissante protection de la Mère de Dieu,
en persévérant dans ce mode et cette formule de prière
qu'on appelle le Rosaire de Marie. Comme ceux qui combattent la religion
chrétienne montrent une si grande obstination à poursuivre
leur projet, il faut que les défenseurs ne montrent pas moins de
constance de volonté, surtout parce que le secours du ciel et les
bienfaits que Dieu répand sur nous, ne sont souvent que le fruit
de notre persévérance. - Nous aimons à vous rappeler
l'exemple de l'héroïque Judith, qui, figurant la Sainte Vierge,
réprima la folle impatience des Juifs, qui voulaient fixer à
Dieu, selon leur gré, le jour où il secourrait leur nation
opprimée. Il faut aussi considérer l'exemple des Apôtres,
qui attendaient l'insigne bienfait de l'Esprit consolateur qui leur avait
été promis, en persévérant unanimement dans
la prière avec Marie, Mère de Jésus.- Car maintenant
aussi il s'agit d'une chose bien difficile et d'une grande importance,
il s'agit d'humilier dans l'exaltation de la force de sa puissance l'ennemi
antique et très rusé, de rendre à la liberté
l'Eglise et son Chef, de conserver et de défendre les institutions
sur lesquelles reposent la sécurité et le salut de la société
humaine. Il faut donc avoir soin, dans ces temps lamentables pour l'Eglise,
de conserver avec zèle et piété la très sainte
pratique du Rosaire de Marie, d'autant plus que ces prières, étant
composées de manière à rappeler dans leur ordre les
mystères de notre salut, sont très propres à nourrir
l'esprit de piété.
En ce qui concerne l'Italie, il faut implorer pour elle, par la récitation
du Rosaire, l'aide de la Vierge très puissante, maintenant surtout
qu'une calamité n'en est plus à nous menacer et à
fondre inopinément sur nous, mais nous a déjà atteints.
Car la peste asiatique ayant franchi, par la volonté de Dieu, les
limites que la nature semblait lui avoir posées, a envahi les très
célèbres ports du golfe de Gaule, et de là les contrées
limitrophes de l'Italie. Il faut donc recourir à Marie, à
celle que l'Eglise appelle à juste titre salutaire, auxiliatrice,
protectrice, afin qu'elle daigne nous apporter le secours que nous aurons
imploré par les prières qui lui sont les plus agréables,
et éloigner de nous le fléau contagieux.
C'est pourquoi, à l'approche du mois d'octobre, dans lequel
le monde catholique célèbre les solennités de la Vierge
du Rosaire, Nous avons arrêté de prescrire de nouveau cette
année tout ce que Nous avons prescrit l'année dernière.
Nous décrétons donc et Nous ordonnons, qu'à partir
du premier jour d'octobre jusqu'au deuxième jour de novembre suivant,
dans toutes les églises paroissiales et les sanctuaires publics
dédiés à la Mère de Dieu, et même dans
d'autres que l’Ordinaire voudra déterminer, on récite tous
les jours au moins cinq dizaines du Rosaire, en y ajoutant les Litanies.
Si cet exercice a lieu le matin, la messe doit être célébrée
pendant les prières ; s'il a lieu dans l'après-midi, on exposera
l'auguste Sacrement à l'adoration des fidèles, et l'on donnera
ensuite la bénédiction à l’assistance. Nous désirons
aussi que les Confréries du Très Saint Rosaire fassent partout
où les lois civiles le permettent, des processions solennelles à
travers les villages pour faire profession publique de la religion.
Et afin que les trésors célestes de l’Eglise soient ouverts
à la piété chrétienne, Nous renouvelons toutes
les indulgences que Nous avons accordées l’an dernier. Donc Nous
accordons, pour chaque fois, une indulgence de sept ans et de sept quarantaines
à tous ceux qui auront assisté, les jours indiqués,
à la récitation publique du Rosaire et auront prié
selon Notre intention, et également à ceux qui, empêchés
par une cause légitime, auront fait ces prières en leur particulier.
Nous ouvrons le trésor de l’Eglise et Nous accordons la remise entière
de leurs péchés à ceux qui, pendant le temps indiqué
ci-dessus, auront fait publiquement au moins dix fois ces pieux exercices
dans les temples, ou chez eux par suite d’excuses légitimes, et
qui, après s’être confessés, feront la sainte communion.
Nous accordons ce pardon complet des péchés et cette remise
entière de la peine à tous ceux qui, ou le jour de la fête
de la bienheureuse Vierge du Rosaire, ou l’un des huit jours suivants,
se seront purifiés de leurs péchés, auront fait une
sainte communion, et auront prié Dieu et sa très sainte Mère,
suivant Notre intention, dans un édifice sacré.
Enfin voulant avoir égard à ceux qui vivent à
la campagne et sont occupés, surtout dans le mois d’octobre, aux
travaux des champs, Nous leur accordons d’ajourner au mois de novembre
ou de décembre, selon que l’Ordinaire le jugera opportun, les exercices
prescrits plus haut avec les indulgences à gagner pendant le mois
d’octobre.
Nous ne doutons pas, Vénérables Frères, que des
fruits abondants ne répondant à nos soins, surtout si, à
ce que Nous semons et que votre sollicitude aura arrosé, Dieu accorde
l’accroissement par la diffusion de ses grâces. Nous sommes convaincu
que le peuple chrétien répondra à l’appel de Notre
autorité Apostolique avec la même ferveur de foi et de piété
dont il a donné l’année dernière une si grande preuve.
Que la céleste Patronne invoquée par les prières du
Rosaire nous soit propice, et qu’elle fasse que Nous obtenions de Dieu
la paix tant désirée de l’Eglise, en mettant fin au conflit
des opinions et en rétablissant partout le Christianisme dans ses
droits. Comme gage de ce bienfait, Nous accordons très affectueusement
la Bénédiction Apostolique à Vous, à Votre
clergé, et aux peuples confiés à votre charge.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 30 août
1884, la septième année de Notre Pontificat.
LEON XIII, PAPE.
Décret de la Congrégation des Rites du 11 septembre 1887
Notre très Saint-Père, tout heureux de cet empressement
unanime, renouvelle ses instances auprès de tous les Pasteurs de
l'Eglise et de tous les fidèles du monde, et les exhorte à
redoubler de ferveur et de confiance filiale en persévérant
dans ces saints exercices, et à supplier la très auguste
Reine de la paix, d'user de son crédit auprès de Dieu, pour
détourner l'horrible tempête des temps présents, par
la ruine de l'empire de Satan et la défaite des ennemis de la religion,
et pour rendre le calme si désiré à la barque mystique
de Pierre, ballottée par les flots. C'est pourquoi tout ce qui a
été décrété, accordé et ordonné
les années précédentes, et dernièrement par
le décret de la Sacrée Congrégation des rites, prescrivant
de consacrer le mois d'octobre à la céleste Reine du Rosaire,
de nouveau il le décrète, l'accorde et l'ordonne.
La fête de la solennité du Saint-Rosaire est déjà
en honneur chez les peuples chrétiens, et l'objet d'un culte tout
particulier, qui se rapporte à tous les mystères de la vie,
de la passion, de la gloire de N.-S. Jésus-Christ, notre rédempteur,
et de son Immaculée Mère. Afin donc de favoriser cette dévotion
qui va toujours croissant, afin aussi d'ajouter aux honneurs publics rendus
à Marie, Sa Sainteté Léon XIII, par un privilège
dont jouissent déjà plusieurs églises particulières,
ordonne de célébrer désormais dans toute l'Eglise,
sous le rite de seconde classe, ladite solennité et l'office de
Notre-Dame du Rosaire fixé au premier dimanche d'octobre, en sorte
que cette fête ne puisse être transférée à
un autre jour, si ce n'est en cas d'occurrence d'un office de rite supérieur
; sauf les rubriques et nonobstant toute disposition contraire.
Quamquam pluries, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, à tous les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion avec le Siège Apostolique, relativement au patronage de saint Joseph et de la très sainte Vierge, qu’il convient d’invoquer à cause de la difficulté des temps.
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique.
Bien que plusieurs fois déjà, Nous ayons ordonné
que des prières spéciales fussent faites dans le monde entier
et que des intérêts catholiques fussent avec plus d’instances
recommandés à Dieu, personne néanmoins ne s’étonnera
de ce que Nous jugions opportun d’insister à nouveau sur cette même
obligation dans le temps présent.
Aux époques difficiles, et particulièrement lorsque la
licence de tout oser pour la ruine de la Religion chrétienne semble
laissée à la puissance des ténèbres, l’Eglise
a toujours eu la coutume d’implorer avec plus de ferveur et de persévérance
Dieu, son auteur et son défenseur, en recourant aussi à l’intercession
des saints, - et surtout à celle de l’auguste Vierge, Mère
de Dieu, - dont le patronage lui apparaît devoir être le plus
efficace. Tôt ou tard, ces pieuses supplications et la confiance
mise dans la bonté divine produisent leurs fruits.
Or, Vénérables Frères, vous connaissez le caractère
des temps où nous vivons : ils ne sont guère moins féconds
en calamités pour la Religion chrétienne que ceux qui, dans
le passé, furent les plus malheureux. Dans un grand nombre d’âmes,
nous voyons s’éteindre la foi, principe de toutes les vertus chrétiennes
; la charité se refroidit ; la jeunesse grandit dans la dépravation
des mœurs et des doctrines ; l’Eglise de Jésus-Christ est attaquée
de toutes parts par la violence et par l’astuce ; une guerre acharnée
est dirigée contre le souverain Pontificat ; les fondements mêmes
de la Religion sont ébranlés avec une audace chaque jour
croissante. A quel point on en est venu, en ces derniers temps, et quels
nouveaux desseins on médite encore, cela est trop connu pour qu’il
soit besoin de le dire.
Dans une situation si critique et si malheureuse, les remèdes
humains étant tout à fait disproportionnés au mal,
il ne reste qu’à solliciter la puissance divine afin d’en obtenir
la guérison. C’est pourquoi Nous avons cru nécessaire de
Nous adresser à la piété du peuple chrétien
pour l’exciter à implorer avec plus de zèle et de constance
le secours de Dieu tout-puissant. Aussi, à l’approche du mois d’octobre,
que Nous avons précédemment prescrit de consacrer à
la Vierge Marie sous le titre de Notre–Dame du Rosaire, Nous exhortons
vivement les fidèles à accomplir les exercices de ce mois
avec le plus de religion, de piété et d’assiduité
possible.
Nous savons qu’un refuge nous a été préparé
dans la bonté maternelle de la Vierge et Nous tenons pour absolument
certain que Nous ne plaçons pas vainement Nos espérances
en elle. Si tant de fois elle a manifesté son assistance dans les
grandes épreuves subies par le monde chrétien, pourquoi douter
qu’elle en renouvelle les témoignages de sa puissance et de sa faveur,
lorsque d’humbles et constantes prières lui sont adressées
? Bien plus, Nous croyons que son intervention sera d’autant plus éclatante
qu’elle aura voulu se laisser plus longtemps implorer.
Mais Nous avons un autre dessein que, selon votre coutume, Vénérables
Frères, vous seconderez de tout votre zèle, afin que Dieu
se montre plus favorable à nos prières et que, les intercesseurs
étant plus nombreux, il vienne plus vite et plus complètement
au secours de son Eglise. Nous jugeons très utile que le peuple
chrétien s’habitue à invoquer avec une vive piété
et une grande confiance, en même temps que la Vierge, Mère
de Dieu, son très chaste époux, le bienheureux Joseph. Par
là, Nous avons la certitude de répondre aux vœux de la Sainte
Vierge elle-même et de faire une chose qui lui sera agréable.
Assurément, au sujet de cette dévotion, dont Nous parlons
publiquement aujourd’hui pour la première fois, Nous savons que
non seulement le peuple y est incliné, mais qu’elle est déjà
établie et en progrès.
Nous avons vu, en effet, le culte de saint Joseph, que, dans les siècles
passés, les Pontifes romains s’étaient appliqués à
développer peu à peu et à propager, croître
et se répandre à notre époque, surtout après
que Pie IX, Notre prédécesseur d’heureuse mémoire,
eut proclamé, sur la demande d’un grand nombre d’Evêques,
le très saint Patriarche « Patron de l’Eglise catholique ».
Toutefois, comme il est d’une souveraine importance que la vénération
envers saint Joseph s’enracine dans les mœurs et dans les institutions
catholiques, Nous voulons imprimer à ces sentiments du peuple chrétien
une impulsion nouvelle par Notre parole et par Notre autorité.
Pour quelles raisons spéciales saint Joseph a-t-il été
nominativement déclaré Patron de l’Eglise ? Pour quels motifs,
en retour, l’Eglise espère-t-elle beaucoup de sa protection et de
son patronage ? Les voici : saint Joseph a été l’époux
de Marie et il a été réputé le père
de Jésus-Christ. De là, sa dignité, sa faveur, sa
sainteté, sa gloire. Certes, la dignité de la Mère
de Dieu est si élevée qu’elle ne peut être surpassée
par aucune autre. Toutefois, Joseph ayant été uni à
la bienheureuse Vierge par le lien du mariage, il n’est pas douteux qu’il
n’ait approché plus que personne de la dignité suréminente
au nom de laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les
natures créées. En effet, de tous les genres de société
et d’union, le mariage est le plus intime, et il entraîne essentiellement
la communauté de biens entre les deux conjoints. Aussi, en assignant
Joseph pour époux à la Vierge, Dieu lui donna non seulement
d’être le compagnon de sa vie, le témoin de sa virginité,
le gardien de son honneur, mais encore, en vertu même du pacte conjugal,
d’avoir part à sa sublime dignité. De même, Joseph
brille entre tous par la dignité la plus auguste, parce que, de
par la volonté divine, il a été établi le gardien
du Fils de Dieu et regardé par les hommes comme son père.
D’où il résultait que le Verbe de Dieu était humblement
soumis à Joseph, qu’il lui obéissait et qu’il lui rendait
tous les devoirs que les enfants sont obligés de rendre à
leurs parents.
De cette double dignité découlaient d’elles-mêmes
les charges que la nature impose aux pères de famille ; ainsi, Joseph
était le gardien, l’administrateur et le défenseur légitime
et naturel de la maison divine dont il était le chef. Il exerça
de fait ces charges et ces fonctions pendant tout le cours de sa vie mortelle.
Il s’appliqua à protéger avec un souverain amour et une sollicitude
quotidienne son épouse et le divin Enfant ; il gagna régulièrement
par son travail ce qui était nécessaire à l’un et
à l’autre pour la nourriture et le vêtement ; il préserva
de la mort l’Enfant menacé par la jalousie d’un roi, en lui procurant
un refuge ; dans les incommodités des voyages et les amertumes de
l’exil, il fut constamment le compagnon, l’aide et le soutien de la Vierge
et de Jésus. Or, la sainte famille, que Joseph gouvernait avec un
pouvoir en quelque sorte paternel, contenait en elle-même les prémices
de l’Eglise naissante. De même que la Très Sainte Vierge est
la mère de Jésus-Christ, elle est aussi la mère de
tous les chrétiens qu’elle a enfantés sur la montagne du
Calvaire, au milieu des suprêmes souffrances du Rédempteur
crucifié ; Jésus-Christ est aussi comme le premier-né
des Chrétiens, lesquels, par l’adoption et par la rédemption,
sont ses frères.
Telles sont les raisons pour lesquelles le bienheureux Patriarche regarde
comme lui étant particulièrement confiée la multitude
des Chrétiens dont se compose l’Eglise, à savoir cette immense
famille répandue par toute la terre, sur laquelle, en sa qualité
d’époux de Marie et de père de Jésus-Christ, il possède
une autorité quasi paternelle. Il est donc naturel et très
digne du bienheureux Joseph que, de même qu’il subvenait autrefois
à tous les besoins de la famille de Nazareth et l’entourait de sa
très sainte protection, il couvre maintenant de son céleste
patronage et défende l’Eglise de Jésus-Christ.
Ces considérations, Vénérables Frères,
vous le comprenez facilement, se trouvent confirmées par le sentiment
qu’ont admis un grand nombre de Pères de l’Eglise et auquel s’ajoute
l’autorité de la sainte Liturgie elle-même, à savoir
que le Joseph des temps anciens, fils du patriarche Jacob, fut la figure
du nôtre et que, par sa gloire, il rendit un témoignage anticipé
de la grandeur du futur gardien de la sainte famille. En effet, outre que
le même nom, avec le sens qu’il comporte, fut donné à
l’un et à l’autre, vous connaissez très bien les ressemblances
manifestes qui existent entre eux. La première consiste en ce que
le premier Joseph jouit de la faveur et de la particulière bienveillance
de son maître et que, ayant été préposé
par lui à l’administration de ses biens, la prospérité
et l’abondance affluèrent, grâce à lui, dans la maison
de ce maître. La seconde est encore plus importante : c’est que,
par l’ordre du roi, il fut investi d’une grande puissance sur le royaume
et que, dans un temps où la disette des récoltes et la cherté
des vivres vinrent à se produire, il pourvut avec tant de sagesse
aux besoins des Egyptiens et de leurs voisins que le roi donna l’ordre
de l’appeler « sauveur du monde ». Il est donc permis de reconnaître
dans cet ancien patriarche la figure du nouveau. De même que le premier
fit réussir et prospérer les intérêts domestiques
de son maître et rendit bientôt de merveilleux services à
tout le royaume, le second, destiné à être le gardien
de la Religion chrétienne, doit être regardé comme
le protecteur et le défenseur de l’Eglise, qui est vraiment la maison
du Seigneur et le royaume de Dieu sur la terre.
En outre, il y a des raisons pour que tous les fidèles, à
quelque condition qu’ils appartiennent, se recommandent au crédit
et se confient à la garde du bienheureux Joseph. En lui, les pères
de famille trouvent la plus belle personnification de la vigilance et de
la sollicitude paternelle ; les époux, un parfait exemple d’amour,
d’union des cœurs et de fidélité conjugale ; les vierges,
tout à la fois le modèle et le protecteur de la pureté
virginale. Ceux qui sont de noble naissance apprendront de Joseph à
garder la dignité au sein même de l’infortune ; les riches
comprendront, par ses leçons, quels sont les biens qui méritent
le plus d’être désirés et acquis au prix de tous les
efforts. Quant aux prolétaires, aux ouvriers, aux hommes de condition
médiocre, c’est pour eux comme un droit spécial de recourir
à Joseph et de se proposer son imitation. En effet, Joseph, de race
royale, uni par le mariage à la plus grande et à la plus
sainte des femmes, regardé comme le père du Fils de Dieu,
a néanmoins passé sa vie dans le travail et a demandé
à son labeur d’artisan tout ce qui était nécessaire
à l’entretien de sa famille. Il est donc vrai que la condition des
humbles n’a rien d’abject, et non seulement le travail de l’ouvrier n’a
rien de déshonorant,, mais, si la vertu vient s’y joindre, il peut
être grandement ennobli. Content du peu qu’il possédait, Joseph
supporta les difficultés inhérentes à sa médiocre
fortune avec grandeur d’âme, à l’exemple de son Fils, lequel,
après avoir accepté la condition d’esclave, lui qui était
le Seigneur de toutes choses, embrassa volontairement l’extrême pauvreté
et voulut manquer de tout.
Appuyés sur ces considérations, les pauvres et tous ceux
qui vivent du travail de leurs mains doivent élever leurs cœurs
et se pénétrer de sentiments équitables. S’ils ont
le droit de chercher à sortir de la pauvreté et à
s’établir dans une meilleure situation par des moyens légitimes,
la raison et la justice leur défendent de renverser l’ordre établi
par la providence de Dieu. Bien plus, l’emploi de la force et les tentatives
séditieuses et violentes sont des moyens insensés ; ils aggravent
la plupart du temps les maux pour la suppression desquels on a recours
à eux. Que les pauvres donc, s’ils ont du bon sens, ne mettent pas
leur confiance dans les promesses des hommes de désordre, mais dans
l’exemple et le patronage du bienheureux Joseph, et aussi dans la maternelle
charité de l’Eglise, dont la sollicitude pour leur sort augmente
de jour en jour.
C’est pourquoi, comptant beaucoup, Vénérables Frères,
sur votre autorité et sur votre zèle épiscopal et
ne doutant pas que les bons et pieux fidèles ne fassent volontairement
plus et mieux encore qu’il ne leur est commandé, Nous prescrivons
que, pendant tout le mois d’Octobre, après la récitation
du Rosaire, au sujet de laquelle il a été précédemment
statué, on ajoute une prière à saint Joseph, dont
la formule vous sera transmise en même temps que cette Lettre ; il
sera ainsi fait chaque année à perpétuité.
A ceux qui réciteront dévotement cette prière, Nous
accordons pour chaque fois une indulgence de sept ans et sept quarantaines.
C’est une pratique salutaire et des plus louables, qui est déjà
en vigueur dans quelques pays, de consacrer le mois de Mars à honorer,
par des exercices de piété quotidiens, le saint Patriarche.
Là où cet usage ne pourra pas être facilement établi,
il est du moins à souhaiter que, avant le jour de sa fête,
un Triduum de prières soit célébré dans l’église
principale de chaque localité.
Dans les contrées où le dix-neuf Mars, consacré
au bienheureux Joseph, n’est pas fête de précepte, Nous exhortons
les fidèles à sanctifier autant que possible ce jour par
des actes de piété privée en l’honneur du céleste
Patron, comme si c’était une fête de précepte.
En attendant, comme présage des dons célestes et en témoignage
de Notre bienveillance, Nous accordons affectueusement dans le Seigneur,
à vous, Vénérables Frères, à votre clergé
et à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 Août
1889. De Notre Pontificat l’an douzième.
LEON XIII, PAPE.
Prière à Saint Joseph
Nous recourons à vous dans notre tribulation, bienheureux Joseph,
et, après avoir imploré le secours de votre très sainte
épouse, nous sollicitons aussi avec confiance votre patronage. Au
nom de l’affection qui vous a uni à la Vierge immaculée,
Mère de Dieu ; par l’amour paternel dont vous avez entouré
l’Enfant Jésus, nous vous supplions de regarder d’un œil propice
l’héritage que Jésus-Christ a acquis au prix de son sang
et de nous assister de votre puissance et de votre secours dans nos besoins.
O très vigilant gardien de la sainte Famille, protégez
la race élue de Jésus-Christ ; ô Père très
aimant, éloignez de nous toute souillure d’erreur et de corruption
; ô notre très vaillant et tutélaire protecteur, assistez-nous
du haut du ciel dan le combat que nos livrerons à la puissance des
ténèbres ; et, de même que vous avez arraché
autrefois l’Enfant Jésus au péril de la mort, défendez
aujourd’hui la sainte Eglise de Dieu des embûches de l’ennemi et
de toute adversité. Couvrez-nous tous de votre perpétuel
patronage, afin que, soutenus par la puissance de votre exemple et de votre
secours, nous puissions vivre saintement, pieusement mourir et obtenir
la béatitude éternelle du Ciel. Ainsi soit-il.
Octobri Mense, Lettre Encyclique de S. S. le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de la Vierge Marie
À nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, et autres Ordinaires des lieux en paix et en communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
À l'approche du mois d'octobre, que l'on regarde comme consacré
et dédié à la Bienheureuse Vierge du Rosaire, Nous
Nous rappelons, avec une très grande joie, les vives exhortations
que Nous Vous avons adressées, Vénérables Frères,
les années précédentes, pour que partout les troupeaux
de fidèles, stimulés par votre autorité et par votre
zèle, redoublent de piété envers l'auguste Mère
de Dieu, la puissante auxiliatrice du peuple chrétien, pour qu'ils
L'implorent pendant tout ce mois et L'invoquent par le très saint
rite du Rosaire, que l'Église, principalement dans les conjonctures
et dans les temps difficiles, a coutume d'employer et de célébrer,
toujours avec le succès souhaité.
Nous tenons à manifester de nouveau cette année la même
volonté et à Vous adresser, à Vous renouveler les
mêmes exhortations; Nous y sommes invité et poussé
par l'amour pour l'Église, dont les peines, au lieu de s'alléger,
croissent chaque jour en nombre et en gravité. Ce sont des maux
universellement connus que Nous déplorons : que l'Église
garde et transmet les dogmes sacrés attaqués, combattus;
l'intégrité de la vertu chrétienne, dont elle a le
soin, tournée en dérision; la calomnie organisée;
la haine attisée de mille manières contre l'ordre des saints
Pontifes, mais surtout contre le Pontife Romain; les attaques dirigées
contre le Christ Lui-même par une audace pleine d'impudence et par
une scélératesse criminelle, comme si l'on s'efforçait
de détruire dans sa base et d'anéantir l'œuvre divine de
la Rédemption, que jamais aucune force ne détruira ni n'anéantira.
Ce ne sont pas là des événements nouveaux pour
l'Église militante : Jésus en a prévenu les Apôtres
: pour qu'elle enseigne aux hommes la vérité et les conduise
au salut éternel, il lui faut entrer en lutte tous les jours, et
de fait, dans le cours des siècles, elle combat courageusement jusqu'au
martyre, ne se réjouissant et ne se glorifiant de rien davantage
que de pouvoir sceller sa cause du Sang de son Fondateur, gage très
certain pour elle de la victoire qui lui a été promise.
On ne doit pas pourtant dissimuler la profonde tristesse dont cette
obligation perpétuelle de lutte afflige tous les gens de bien. C'est,
assurément, une cause de grande tristesse qu'il y en ait tant que
les erreurs perverses et les outrages à Dieu détournent et
entraînent; tant qui soient indifférents à toute forme
de religion et paraissent finalement étrangers à la foi divine;
qu'il y ait aussi tant de catholiques qui tiennent à la religion
de nom seulement et ne lui rendent ni les honneurs ni le culte dus. L'âme
s'attriste et se tourmente encore bien plus à songer quelle cause
de maux déplorables réside encore dans l'organisation des
États qui ne laissent aucune place à l'Église ou qui
combattent son zèle pour la très sainte vertu; c'est là
une manifestation terrible et juste de la vengeance de Dieu, laquelle laisse
l'aveuglement funeste des âmes s'appesantir sur les nations qui s'éloignent
de Lui.
Aussi cela crie de soi-même, cela crie chaque jour plus fort
: il est absolument nécessaire que les catholiques prient et implorent
Dieu avec zèle et persévérance : sine intermissione
(I Thess., V, 17); qu'ils le fassent non seulement chez eux, mais encore
en public, réunis dans les édifices sacrés, et qu'ils
supplient avec instance le Dieu très prévoyant de délivrer
l'Église des hommes importuns et méchants (II Thess., III,
2), et de ramener au bon sens et à la raison, par la lumière
et l'amour du Christ, les nations profondément troublées.
Car c'est un fait admirable au-delà de toute croyance! Le siècle
va son chemin laborieux, fier de ses richesses, de sa force, de ses armes,
de son génie; l'Église descend le long des âges d'un
pas tranquille et sûr, se confiant en Dieu seul, vers qui, jour et
nuit, elle lève ses yeux et ses mains suppliantes. Bien qu'en effet,
elle ne néglige pas, dans sa prudence, les secours humains que la
Providence et les temps lui procurent, ce n'est pas en eux qu'elle place
sa principale espérance, mais dans la prière, dans la supplication,
dans l'invocation de Dieu. Voilà comment elle entretient et fortifie
son souffle vital, parce que l'assiduité de sa prière lui
a permis heureusement, en restant étrangère aux vicissitudes
des choses humaines et en s'unissant continuellement à la Volonté
divine, de vivre de la vie même de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
tranquillement et paisiblement; comme à l'image du Christ Lui-même,
auquel l'horreur des tourments qu'Il a endurés pour notre bien commun
n'a presque rien enlevé ni ôté de l'heureux éclat
et de la joie qui Lui sont propres.
Cette importante doctrine de la sagesse chrétienne a été,
de tout temps, crue et religieusement pratiquée par les chrétiens
dignes de ce nom : leurs prières montaient vers Dieu plus vives
et plus fréquentes quand les ruses et la violence des pervers avaient
attiré un malheur sur la Sainte Église ou sur son Pasteur
suprême.
Les fidèles de l'Église d'Orient en fournissent un exemple
remarquable et qui est digne d'être proposé à l'imitation
de la postérité. Pierre, vicaire de Jésus-Christ,
premier Pontife de l'Église, avait été jeté
en prison, chargé de chaînes par l'ordre du criminel Hérode,
et il était réservé à une mort certaine : personne
ne pouvait l'arracher au danger, lui porter secours. Mais il y avait là
ce secours que la prière fervente obtient de Dieu : l'Église,
à ce que rapporte l'Histoire sacrée, élevait pour
lui des prières sans nombre : Oratio autem fiebat sine intermissione
ab Ecclesia ad Deum pro eo (Act., XII, 5); et plus était vive la
crainte d'un grand malheur, plus était grande l'ardeur de tous à
implorer Dieu. Après la réalisation de leurs vœux, le miracle
se découvrit; le peuple chrétien continue à célébrer
avec une reconnaissance joyeuse la merveille de la libération de
Pierre.
Le Christ a donné un exemple encore plus remarquable, un exemple
divin, pour façonner et former Son Église à la sainteté,
non seulement par Ses préceptes, mais aussi à Son modèle
: toute Sa vie, Il S'était appliqué à la prière
fréquente et fervente, et aux heures suprêmes, lorsqu'au jardin
de Gethsémani, Son âme, inondée d'amertume, languissant
jusqu'à la mort, Il priait Son Père, et Le priait avec effusion
(prolixius orabat) (Luc., XXII, 43), Il n'en a pas agi ainsi pour Lui-même,
Lui qui ne craignait rien, qui n'avait besoin de rien, qui était
Dieu : Il l'a fait pour nous, pour Son Église, dont Il accueillait
déjà avec joie les prières et les larmes futures pour
les rendre fécondes en grâce.
Mais, depuis que le salut de notre race a été accompli
par le mystère de la Croix et que l'Église, dispensatrice
de ce même salut, après le triomphe du Christ, a été
fondée sur la terre et définitivement instituée, la
Providence a établi et constitué un ordre nouveau pour un
peuple nouveau.
La considération des conseils divins s'ajoute ici aux grands
sentiments de religion. Le Fils éternel de Dieu, voulant prendre
la nature humaine pour racheter et ennoblir l'homme, et devant, par là,
consommer une union mystique avec le genre humain tout entier, n'a pas
accompli Son dessein avant que ne s'y fût ajouté le libre
assentiment de la Mère désignée, qui représentait
en quelque sorte le genre humain, suivant l'opinion illustre et très
vraie de saint Thomas : Per annuntiationem exspectabatur consensus Virginis,
loco totius humanae naturae (III q. XXX, a. 1). D'où on peut, avec
non moins de vérité, affirmer que, par la Volonté
de Dieu, Marie est l'intermédiaire par laquelle nous est distribué
cet immense trésor de grâces accumulé par Dieu, puisque
la grâce et la vérité ont été créées
par Jésus-Christ (Jean. I, 17); ainsi, de même qu'on ne peut
aller au Père suprême que par le Fils, on ne peut arriver
au Christ que par Sa Mère.
Qu'elles sont grandes, la sagesse, la miséricorde qui éclatent
dans ce dessein de Dieu! Quelle convenance avec la faiblesse et la fragilité
de l'homme ! Nous croyons à la bonté infinie du Très-Haut
et nous la célébrons; nous croyons aussi à Sa justice
infinie et nous la redoutons. Nous adorons le Sauveur très aimé,
prodigue de Son Sang et de Sa vie; nous craignons Sa justice inexorable.
C'est pourquoi ceux dont les actions troublent la conscience ont un absolu
besoin d'un intercesseur et d'un patron puissant en faveur auprès
de Dieu de Dieu, et d'une bienveillance assez grande pour ne pas rejeter
la cause des plus désespérés et pour relever jusqu'à
l'espoir de la clémence divine les affligés et les abattus.
Marie est notre glorieux intermédiaire; Elle est puissante, Mère
du Dieu tout-puissant; mai ce qui est encore plus doux, Elle est bonne,
d'une bienveillance extrême, d'une indulgence sans bornes. C'est
ainsi que Dieu nous L'a donnée : L'ayant choisie pour Mère
de Son Fils unique, Il Lui a inculqué des sentiments tout maternels,
qui ne respirent que l'amour et le pardon; telle, de Son côté,
Jésus-Christ L'a voulue, puisqu'Il a consenti à être
soumis à Marie et à Lui obéir comme un Fils à
Sa Mère; telle aussi Jésus L'a annoncée du haut de
la Croix, quand Il a confié à Ses soins et à Son amour
la totalité du genre humain dans la personne du disciple Jean; telle
enfin Elle S'est donnée Elle-même en recueillant avec courage
l'héritage des immenses travaux de Son Fils, et en rapportant aussitôt
sur tous le legs de Ses devoirs maternels.
Le dessein d'une si chère miséricorde, réalisé
en Marie par Dieu et confirmé par le testament du Christ, a été
compris dès le commencement et accueilli avec la plus grande joie
par les saints Apôtres et les premiers fidèles; ce fut aussi
l'avis et l'enseignement des vénérables Pères de l'Église;
tous les peuples de l'âge chrétien s'y rallièrent unanimement,
et même, quand la tradition ou la littérature se tait, il
est une voix qui éclate de toute poitrine chrétienne et qui
parle avec la dernière éloquence. Il n'y a pas à cela
d'autre raison qu'une foi divine qui, par une impulsion toute puissante
et très agréable, nous pousse et nous entraîne vers
Marie; rien de plus naturel, de plus souhaité que de chercher un
refuge en la protection et, en la loyauté de Celle à qui
nous pouvions confier nos desseins et nos actions, notre innocence et notre
repentir, nos tourments et nos joies, nos prières et nos vœux, toutes
nos affaires enfin; de plus, tous sont possédés par l'espoir
et la confiance que les vœux qui seraient accueillis avec moins de faveur
venant de la part de gens indignes soient, grâce à la recommandation
de Sa Très Sainte Mère, reçus par Dieu avec la plus
grande faveur et exaucés. La vérité et la suavité
de ces pensées procurent à l'âme une indicible consolation,
mais elles inspirent une compassion d'autant plus vive pour ceux qui, privés
de la foi divine, n'honorent pas Marie et ne l'ont pas pour Mère;
pour ceux aussi qui, participants aux croyances saintes, osent traiter
parfois d'excessif et d'extrême le culte de Marie; par cela, ils
blessent grandement la piété filiale.
Cette tempête de maux, au milieu de laquelle l'Église
lutte si durement, montre donc à tous ses pieux enfants à
quel saint devoir ils sont assujettis de prier Dieu avec plus d'instances,
et de quelle façon plus particulière ils doivent s'efforcer
de donner à ces supplications la plus grande efficacité.
Fidèles aux exemples si religieux de nos pères et de nos
ancêtres, recourons à Marie, notre sainte Souveraine; invoquons,
supplions d'un seul cœur Marie, la Mère de Jésus-Christ et
la nôtre : Montrez que Vous êtes notre Mère; faites
accueillir nos prières par Celui qui, né pour nous, a consenti
à être Votre Fils. (Ex sacr. Liturg)
Or, entre les diverses formules et manières d'honorer la divine
Marie, il en est qu'il faut préférer, puisque nous savons
qu'elles sont plus puissantes et plus agréables à notre Mère;
et c'est pourquoi Nous Nous plaisons à désigner en particulier
et à recommander tout spécialement le Rosaire. Le langage
vulgaire a donné le nom de couronne à cette manière
de prier, parce qu'elle rappelle, en les réunissant par les plus
heureux liens, les grands mystères de Jésus et de Marie,
leurs joies, leurs douleurs et leurs triomphes. Le souvenir de la pieuse
contemplation de ces augustes mystères, médités dans
leur ordre, peut procurer aux fidèles un admirable secours, aussi
bien pour alimenter leur foi et la protéger contre la contagion
des erreurs que pour relever et entretenir la vigueur de leur âme.
En effet, la pensée et la mémoire de celui qui prie de la
sorte, éclairées par la foi, sont entraînées
vers ces mystères avec l'ardeur la plus suave; elles s'y absorbent
et les pénètrent, et ne peuvent assez admirer l'œuvre inénarrable
de la Rédemption des hommes, accomplie à un prix si élevé
et par une succession de si grands événements.
L'âme alors s'enflamme d'amour et de gratitude, devant ces preuves
de la charité divine; elle sent se fortifier et s'accroître
son espérance, et devient plus avide de ces récompenses célestes
que le Christ a préparées pour ceux qui se seront unis à
Lui en imitant Son exemple et en participant à Ses douleurs. Et
cette prière s'exhale dans des paroles émanées de
Dieu Lui-même, de l'archange Gabriel et de l'Église; pleine
de louanges et de vœux salutaires, elle se renouvelle et se continue dans
un ordre déterminé et varié, et elle produit sans
cesse de nouveaux et de doux fruits de piété.
Or, il y a d'autant plus de raisons de croire que la Reine du Ciel
Elle-même a attaché à cette forme de prière
une grande efficacité, que c'est sous sa protection et Son inspiration
qu'elle a été établie et propagée par l'illustre
saint Dominique, à une époque très hostile au nom
catholique et assez peu différente de la nôtre, comme une
sorte d'instrument de guerre tout-puissant pour combattre les ennemis de
la foi. En effet, la secte hérétique des Albigeois avait
envahi de nombreuses contrées, tantôt clandestinement, tantôt
ouvertement; fille cruelle des Manichéens dont elle répandait
les monstrueuses erreurs, elle travestissait les dogmes, excitait au massacre
des chrétiens et soulevait contre l'Église une haine profonde
et implacable. À peine pouvait-on se fier aux puissances humaines
contre cette tourbe si pernicieuse et si arrogante, lorsque le secours
vint manifestement de Dieu Lui-même, par le moyen du Rosaire de Marie.
Ainsi, grâce à la Sainte Vierge, si glorieusement victorieuse
de toutes les hérésies, les forces des impies furent renversées
et brisées, la foi fut sauvée et demeura intacte.
On sait de même que, dans de nombreuses circonstances et dans
différents pays, des dangers de même nature ont été
conjurés, des bienfaits analogues ont été obtenus
: l'histoire des temps anciens et de ceux plus rapprochés de nous
en fournit des témoignages éclatants. Il faut aussi ajouter
cette autre preuve, évidente en quelque sorte, qu'aussitôt
que la prière du Rosaire fut instituée, elle fut adoptée
de toutes parts par les citoyens de toutes les classes et devint parmi
eux d'un usage fréquent. C'est qu'en effet, la religion du peuple
chrétien tient à honorer par des titres insignes et de mille
façons la divine Mère, élevée si excellemment
au-dessus de toutes les créatures par tant et de si grande gloire;
or, elle a toujours aimé particulièrement ce titre du Rosaire,
cette manière de prier, qui est comme le mot d'ordre de la foi et
qui résume le culte dû à Marie; elle l'a pratiquée
dans l'intimité et en public, dans l'intérieur des maisons
et des familles, en instituant en son honneur des confréries, en
Lui consacrant des autels, en L'entourant de toutes les pompes, convaincue
qu'elle ne pourrait recourir à de meilleurs moyens pour orner les
fêtes sacrées de la Sainte Vierge et pour mériter Son
patronage et Ses grâces.
Nous ne devons point passer sous silence ce qui met ici en lumière
la particulière protection de notre Souveraine. En effet, lorsque,
par l'effet du temps, le goût de la piété a paru s'affaiblir
dans quelque pays et la pratique de cette forme de prière se relâcher,
on admire comment ensuite, soit à raison de quelque danger redoutable
menaçant l'État, soit sous la pression de quelque nécessité,
l'institution du Rosaire, bien plus que tous les autres secours religieux,
a été rétablie d'après le vœu général,
a repris sa place d'honneur et, de nouveau florissante, a exercé
grandement son influence salutaire. Il n'est point nécessaire d'aller
en chercher dans le passé des exemples, alors que notre époque
elle-même nous en fournit d'admirables. Dans ce temps, en effet,
qui, comme nous le disions en commençant, est si dur pour l'Église,
et qui l'est devenu plus encore depuis que la sagesse divine Nous a placé
au gouvernail, on peut constater et admirer avec quelle ardeur et quel
zèle dans tous les pays et chez tous les peuples catholiques le
Rosaire de Marie est pratiqué et célébré. Or,
c'est plutôt à Dieu, qui dirige et mène les hommes,
qu'à la sagesse et à la diligence humaine, qu'il faut attribuer
ce fait, où notre âme puise une grande consolation et un grand
courage, et qui nous remplit de la confiance absolue que, par la protection
de Marie, les triomphes de l'Église se renouvelleront et s'étendront.
Il y a des chrétiens qui comprennent très bien tout ce
que Nous venons de rappeler; mais, parce que rien de ce qu'on espérait
n'a encore été obtenu, et avant tout la paix et la tranquillité
de l'Église; bien plus, parce que la situation semble venir plus
troublée et plus mauvaise, ils laissent se relâcher leur régularité
et leur affection pour la prière, comme s'ils étaient fatigués
et défiants. Mais que ces hommes réfléchissent et
qu'ils s'appliquent à ce que les prières qu'ils adressent
à Dieu soient revêtues des qualités nécessaires,
selon le précepte de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si elles
les possèdent, qu'ils considèrent qu'il est injuste et qu'il
est défendu de vouloir assigner à Dieu le moment et la manière
de venir à notre secours; car Dieu ne nous doit rien, si bien que,
quand Il exauce nos prières et couronne nos mérites, Il ne
fait autre chose que couronner Ses propres dons (S. August. Ép.
CXCIV, al. 105 ad Sixtum, c. V, n. 19) et quand Il ne seconde pas notre
manière de voir, c'est un bon Père qui agit avec prévoyance
à l'égard de Ses fils, qui a pitié de leur fausse
sagesse et qui ne prend conseil que de leur utilité. Mais ces prières,
par lesquelles nous supplions Dieu de protéger Son Église,
en les unissant aux suffrages des Saints du Ciel, Dieu les accueille toujours
avec la plus grande bonté et les exauce, aussi bien celle qui concernent
les intérêts majeurs et immortels de l'Église que celles
qui visent des intérêts moindres, propres à ce temps,
mains néanmoins en harmonie avec les premiers. Car, à ces
prières s'ajoutent la puissance et l'efficacité assurément
infinies des prières et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qui aime l'Église et qui S'est livré pour elle afin de la
sanctifier... et de Se la présenter à Lui-même pleine
de gloire (Éphés. V, 25, 27), Lui qui en est le Pontife suprême,
saint, innocent, toujours vivant pour intercéder pour nous, et dont
la foi divine nous enseigne que la prière et les supplications sont
incessantes.
Quant aux intérêts extérieurs, à ceux qui
ne regardent que cette vie, il est manifeste que l'Église a souvent
à compter avec la malveillance et la puissance d'adversaires acharnés.
Il lui faut s'affliger de les voir spolier ses biens, restreindre et opprimer
sa liberté, attaquer et mépriser son autorité, lui
infliger enfin toutes sortes de dommages et d'injures. Et si l'on se demande
pourquoi leur méchanceté n'arrive point à ce degré
d'injustice qu'elle se propose et qu'elle s'efforce d'atteindre : pourquoi,
au contraire, l'Église, à travers tant d'événements
divers, conservant sa même grandeur et sa même gloire, quoique
sous des formes variées, s'élève toujours et ne cesse
de progresser, il est légitime de chercher la cause principale de
l'un et de l'autre fait dans la force de la prière de l'Église
sur le cœur de Dieu; autrement, en effet, la raison humaine ne peut comprendre
que la puissance de l'iniquité soit contenue dans des limites si
étroites, tandis que l'Église, réduite à l'extrémité,
triomphe néanmoins si magnifiquement. Et cela apparaît mieux
encore dans ce genre de biens par lesquels l'Église conduit les
hommes à la possession du bien suprême. Puisqu'elle est née
pour cette fonction, elle doit pouvoir beaucoup par ses prières,
afin que l'ordre de la Providence et de la miséricorde divines ait
dans Ses enfants son accomplissement et sa perfection; et ainsi les hommes
qui prient avec l'Église et par l'Église demandent et obtiennent,
en définitive, ce que, avant tous les siècles, le Dieu tout-puissant
a décidé de donner (S. Th. II 11, q. LXXXIII, a. 2, ex S.
Greg. M.). Actuellement, l'esprit humain est impuissant à pénétrer
la profondeur des desseins de la Providence; mais il viendra un jour où,
dans Sa grande bonté, Dieu montrant à découvert les
causes et les conséquences des événements, il apparaîtra
clairement combien l'office de la prière aura eu de puissance à
cet égard et que de choses utiles il aura obtenues. On verra alors
que c'est grâce à la prière qu'au milieu de la corruption
si grande d'un monde dépravé, beaucoup se sont gardés
intacts et se sont préservés de toute souillure de la chair
et de l'esprit, accomplissant leur sanctification dans la croyance de Dieu
(II Corinth., VII, 1); que d'autres, au moment où ils allaient se
laisser entraîner au mal, se sont soudain retenus et ont puisé
dans le danger et dans la tentation même d'heureux accroissements
de vertu; que d'autres enfin, qui avaient succombé, ont senti dans
leur âme une certaine sollicitation à se relever et à
se jeter dans le sein du Dieu de miséricorde.
C'est pourquoi Nous supplions avec les plus vives instances tous les
chrétiens de peser ces pensées dans leur conscience, de ne
pas céder aux supercheries de l'antique ennemi, de ne se laisser
détourner sous aucun prétexte du goût de la prière,
mais d'y persévérer au contraire et d'y persévérer
sans interruption. Que leur premier soin soit de demander le bien suprême,
c'est-à-dire le salut éternel de tous, et la conservation
de l'Église; puis il est permis de solliciter de Dieu les autres
biens, pour l'utilité et la commodité de la vie, pourvu qu'on
le fasse en se soumettant à Sa Volonté souverainement juste,
et que, soit qu'Il accorde, soit qu'Il refuse ce qu'on désire, on
Lui rende grâces comme à un Père infiniment bienfaisant.
Enfin, que ces demandes soient adressées à Dieu avec la religion
et la haute piété qui conviennent et qui sont nécessaires,
à grands cris et avec larmes (Hébr., V, 7), comme les Saints
ont eu coutume de le faire et comme en a Lui-même donné l'exemple
notre Très Saint Rédempteur et Maître.
Ici, notre devoir et Notre paternelle affection exigent que Nous demandions
au Dieu dispensateur de tous les biens, pour tous les enfants de l'Église,
non seulement l'esprit de prière, mais encore l'esprit de la sainte
pénitence. En le faisant de tout Notre cœur, Nous exhortons avec
la même sollicitude tous et chacun en particulier à cette
vertu si étroitement unie à l'autre. Car, si la prière
a pour effet de nourrir l'âme, de l'armer de courage, de l'élever
aux choses divines, la pénitence nous donne la force de nous dominer,
et surtout de commander au corps, qui, par suite de la faute originelle,
est l'ennemi le plus redoutable de la doctrine et de la loi évangéliques.
Il y a entre ces vertus, cela est évident, une cohésion parfaite;
elles s'entr'aident et tendent l'une comme l'autre à détacher
des choses périssables l'homme né pour le Ciel, et à
l'emporter, pour ainsi dire, jusqu'à l'intimité céleste
avec Dieu. Au contraire, celui dont l'âme est agitée par les
passions et amollie par les plaisirs a le cœur aride et n'éprouve
que du dégoût pour la suavité des choses du Ciel; sa
prière n'est qu'une voix glacée et languissante, indigne
assurément d'être écoutée par Dieu.
Nous avons sous les yeux l'exemple de la pénitence des Saints,
et les fastes sacrés nous apprennent qu'à cause d'elle précisément,
leurs prières et leurs supplications ont été grandement
agréables à Dieu et ont même eu la puissance d'opérer
des prodiges. Ils dirigeaient et domptaient continuellement leur esprit,
leur cœur et leurs passions; ils se conformaient avec une soumission parfaite
aux enseignements et aux préceptes de Jésus-Christ et de
Son Église; ils ne déterminaient leur volonté, qu'après
avoir reconnu celle de Dieu; dans toutes leurs actions, ils ne recherchaient
rien autre que l'accroissement de Sa gloire; ils réprimaient et
brisaient énergiquement les mouvements tumultueux de leur âme;
ils traitaient leur corps durement et sans pitié; ils poussaient
la vertu jusqu'à s'abstenir des choses agréables et même
des plaisirs innocents. Aussi pouvaient-ils s'appliquer avec raison ce
mot que l'Apôtre saint Paul disait de lui-même : Pour nous,
notre vie est dans les cieux (Phillip., III, 20), et c'est pourquoi leurs
prières étaient si efficaces pour apaiser et fléchir
Dieu.
Il est certain que tous ne peuvent point et ne doivent point faire
tout cela; cependant, que chacun corrige sa vie et ses mœurs par une pénitence
proportionnée à ses forces, c'est ce qu'exigent les dispositions
de la justice divine, qui a le droit de réclamer une réparation
sévère pour les fautes commises; or, il est préférable
d'avoir accompli pendant la vie, par des peines volontaires, ce qui procure
la récompense de la vertu.
En outre, dans le corps mystique du Christ, qui est l'Église,
nous jouissons tous comme membre de la communauté de vie et de croissance;
d'où il suit, d'après saint Paul, que, de la façon
dont les membres participent à chaque joie d'un des leurs, ils doivent
aussi partager ses douleurs; c'est-à-dire que les frères
doivent aimer à secourir leurs frères chrétiens, en
leurs souffrances spirituelles ou corporelles, et leur procurer la guérison
dans la mesure du possible. Que les membres aient de la sollicitude l'un
pour l'autre. Si un membre souffre, tous souffrent avec lui; si l'un est
heureux, tous se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps
du Christ et les membres du même corps (Corinth., XII, 25-27).
Or, ce gendre de charité qui, modelé sur l'exemple du
Christ donnant, par un immense amour, Sa vie pour le rachat de nos péchés
communs, consiste à prendre pour soi l'expiation des fautes d'autrui,
cette charité enfin renferme le grand lien de perfection qui unit
les fidèles entre eux et avec les habitants du Ciel, et les rapproche
le plus étroitement de Dieu.
Enfin, l'action de la sainte pénitence est si diverse, si ingénieuse
et si étendue, que toute personne, avec de la piété
et du zèle, peut l'exercer très fréquemment et sans
efforts.
Puissions-Nous, Vénérables Frères, grâce
à Votre amour particulier et éminent pour la Très
Sainte Mère de Dieu, grâce aussi à Votre affection
à Votre sollicitude remarquables pour le peuple chrétien,
Nous promettre avec Votre concours les meilleurs résultats de Nos
admonitions et de Nos exhortations! Nous brûlons de recueillir dès
maintenant les fruits si agréables et si abondants que la piété
des catholiques pour Marie a maintes fois produits dans Ses manifestations
éclatantes. Qu'à Votre appel donc, à Vos exhortations
et sous Votre conduite, les fidèles, surtout en ce mois qui approche
accourent et s'assemblent autour des autels solennellement ornés
de l'auguste Reine et de la Mère de bonté; qu'ils Lui tressent
et Lui offrent filialement des guirlandes mystiques, suivant le rite si
répandu du Rosaire. Nous laissons entières et nous ratifions
les prescriptions déjà édictées par Nous-même,
ainsi que les indulgences concédées (Cf. Epistola Encyclica
Supremi Apostolatus, die 1 septemb. anno MDCCCLXXXIII; Epistola Encyclica
Superiore anno, die 30 aug. an. MDCCCLXXXIX; Décret. S. R. C. Inter
plurimos, die 20 aug. an. MDCCCLXXXV; Epistola Encyclica Quamquam pluries,
die 15 aug. an. MDCCCLXXXIX).
Quel état, quelle utilité dans ce concert de louanges
et de prières qui s'élèvera par les villes, par les
bourgs, par les villages, sur terre et sur mer, dans toute l'étendue
de l'univers catholique, et que feront retentir des centaines de milliers
d'âmes pieuses, saluant Marie à toute heure d'un cœur et d'une
voix, implorant Marie, espérant tout par Marie ! Que l'universalité
des fidèles Lui demande d'intercéder auprès de Son
Fils pour que les nations dévoyées reviennent aux institutions
et aux principes chrétiens, qui constituent la base du salut public
et qui donnent une abondante floraison de la paix si désirée,
et du vrai bonheur.
Que les fidèles Lui demandent aussi instamment le bien qui doit
être le plus souhaité de tous, la liberté pour l'Église,
leur Mère, et la paisible possession de cette liberté dont
elle n'use qu'en vue de procurer aux hommes le souverain bien, et dont
jamais ni particuliers ni États n'ont souffert dommage, mais dont
ils ont toujours recueilli les bienfaits les plus grands et les plus nombreux.
Que Dieu Vous prodigue enfin, Vénérables Frères,
par l'intermédiaire de la Reine du Très Saint Rosaire, les
faveurs et les grâces célestes qui vous donneront des secours
et un accroissement continuel de forces pour le saint accomplissement des
devoirs de la charge pastorale. En gage et en témoignage de quoi,
recevez la Bénédiction Apostolique que Nous Vous accordons
très affectueusement, à Vous, à Votre clergé
et aux peuples confiés à vos soins.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 22 septembre
de l'année 1891, la quatorzième année de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
Magnae Dei Matris. Lettre encyclique de N. T.
S. P. Léon XIII, Pape par la Divine Providence
Sur le Rosaire en l’honneur de Marie
A nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats,
Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux en paix
et en communion avec le Siège Apostolique.
Léon XIII, Pape
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.
Toutes les fois que l’occasion Nous est donnée d’exciter et d’accroître
dans le peuple chrétien l’amour et le culte de la glorieuse Mère
de Dieu, Nous sommes inondé d’une joie et d’une satisfaction merveilleuses,
non seulement parce que la chose est par elle-même très importante
et très féconde en excellents fruits, mais aussi parce qu’elle
s’harmonise de la plus suave façon avec les sentiments intimes de
notre cœur. En effet, la piété envers Marie, piété
que Nous avons sucée avec le lait, grandit vigoureusement avec l’âge
et s’affermit dans Notre âme ; car Nous voyons plus clairement combien
était digne d’amour et d’honneur celle que Dieu lui-même aima
le premier, et d’une telle dilection que, l’ayant élevée
au-dessus de toutes les créatures et ayant ornée des dons
les plus magnifiques, il la choisit pour sa mère. De nombreux et
éclatants témoignages de sa bonté et de sa bienfaisance
envers Nous, que Nous ne pouvons Nous rappeler sans la plus profonde reconnaissance
et sans que Nos yeux se mouillent de larmes, augmentèrent en Nous
cette même piété et l’enflamment plus vivement. A travers
les nombreuses et redoutables vicissitudes qui sont survenues, toujours
elle a été Notre refuge, toujours Nous avons élevé
vers elle Nos yeux suppliants ; ayant déposé dans son sein
toutes Nos tristesses, Notre soin assidu a été de la prier
de vouloir bien se montrer en tout temps Notre mère et d’invoquer
la précieuse faveur de pouvoir lui témoigner en retour les
sentiments du plus tendre des fils.
Lorsque, dans la suite, par un mystérieux dessein de la providence
de Dieu, il est arrivé que Nous avons été appelé
à cette chaire du bienheureux Pierre, pour représenter la
personne même de Jésus-Christ dans son Eglise, ému
du poids énorme de cette charge et n’ayant pour Nous soutenir, aucune
confiance dans Nos propres forces, Nous avons sollicité avec plus
d’instances les secours de l’assistance divine, par la maternelle intercession
de la bienheureuse Vierge. Notre espérance, Nous sentons le besoin
de le proclamer, n’a jamais été déçue dans
le cours de Notre vie, ni surtout dans l’exercice de Notre suprême
apostolat. Aussi cette même espérance Nous porte-t-elle maintenant
à demander, sous les mêmes auspices et par la même intervention,
des biens plus nombreux et plus considérables, qui contribuent également
au salut du troupeau du Christ et à l’heureux accroissement de la
gloire de l’Eglise.
Il est donc juste et opportun, Vénérables Frères,
que Nous incitions tous nos fils et que vous les exhortiez après
Nous à célébrer le prochain mois d’octobre, consacré
à Notre Dame et Reine auguste du Rosaire, avec le redoublement de
piété que réclament les besoins toujours grandissants.
Par combien et par quels moyens de corruption la malice du siècle
s’efforce d’affaiblir et d’extirper entièrement la foi chrétienne
et l’observance de la loi divine, qui nourrit la foi et lui fait porter
des fruits, ce n’est déjà que trop visible ; déjà
le champ du Seigneur, comme sous un souffle empesté, est presque
couvert d’une végétation d’ignorance religieuse, d’erreurs
et de vices. Et ce qui est plus cruel à penser, loin qu’un frein
soit imposé ou que de justes peines soient infligées à
une perversité si arrogante et si coupable par ceux qui le peuvent
et surtout qui le doivent, il arrive le plus souvent que leur inertie ou
leur appui semble accroître la force du mal.
De là vient qu’on a à déplorer avec raison que
les établissements publics où sont enseignés les sciences
et les arts soient systématiquement organisés de façon
que le nom de Dieu n’y soit pas prononcé, ou y soit outragé
: à déplorer que la licence de publier par des écrits
ou de faire entendre par la parole toutes sortes d’outrages contre le Christ-Dieu
et l’Eglise devienne de jour en jour plus impudente. Et ce qui n’est pas
moins déplorable, c’est cet abandon et cet oubli de la pratique
chrétienne qui résultent pour beaucoup et qui, s’ils ne sont
pas une apostasie ouverte de la foi, y mènent certainement, la conduite
de la vie n’ayant plus aucun rapport avec la foi. Celui qui considérera
la confusion et la corruption des choses les plus importantes ne s’étonnera
pas si les nations affligées gémissent sous le poids de la
colère divine et frémissent dans l’appréhension de
calamités plus graves encore.
Or, pour apaiser la justice de Dieu offensé et pour procurer
à ceux qui souffrent la guérison dont ils ont besoin, rien
ne vaut mieux que la prière pieuse et persévérante,
pourvu qu’elle soit unie avec le souci et la pratique de la vie chrétienne,
ce que Nous croyons devoir être principalement obtenu par le Rosaire
en l’honneur de Marie.
Son origine bien connue, que glorifient d’illustres monuments et que
Nous-mêmes avons plus d’une fois rappelée, atteste sa grande
puissance. En effet, à l’époque où la secte des Albigeois,
qui se donnait l’apparence de défendre l’intégrité
de la foi et des mœurs, mais qui, en réalité, les troublait
abominablement et les corrompait, était une cause de grandes ruines
pour beaucoup de peuples, l’Eglise combattit contre elle et contre les
factions conjurées, non pas avec des soldats et des armes, mais
principalement en lui opposant la force du très saint Rosaire, dont
la Mère de Dieu elle-même donna le rite à propager
au patriarche Dominique ; et ainsi, magnifiquement victorieuse de tous
les obstacles, elle pourvut, et alors et dans la suite pendant des tempêtes
semblables, au salut des siens, avec un succès toujours glorieux.
C’est pourquoi, dans cette condition des hommes et des choses que Nous
déplorons, qui est affligeante pour la religion, très préjudiciable
au bien public, nous devons tous prier en commun avec une égale
piété la sainte Mère de Dieu, afin d’éprouver
heureusement, selon nos désirs, la même vertu de son Rosaire.
Et, en effet, lorsque nous nous confions à Marie par la prière,
nous nous confions à la Mère de la Miséricorde, disposée
de telle sorte à notre égard que, quel que soit le besoin
qui nous presse, surtout pour l’acquisition de la vie immortelle, aussitôt,
de son propre mouvement, même sans être appelée, elle
vient toujours à notre aide, et elle nous donne du trésor
de cette grâce dont elle reçut de Dieu, dès le principe,
la pleine abondance, afin de devenir digne d’être sa mère.
Cette surabondance de la grâce, qui est le plus éminent des
nombreux privilèges de la Vierge, l’élève de beaucoup
au-dessus de tous les hommes et de tous les anges et la rapproche du Christ
plus que toutes les autres créatures : C’est beaucoup pour un saint
de posséder une quantité de grâce suffisante au salut
d’un grand nombre ; mais, s’il en avait une quantité qui suffit
au salut de tous les hommes du monde entier, ce serait le comble ; et cela
existe dans le Christ et dans la Bienheureuse Vierge.
Lors donc que nous la saluons pleine de grâce par les paroles
de l’ange et que nous tressons en couronne cette louange répétée,
il est à peine possible de dire combien nous lui sommes agréables
et nous lui plaisons : chaque fois, en effet, nous rappelons le souvenir
de sa sublime dignité, et de la rédemption du genre humain
que Dieu a commencée par elle ; par là aussi se trouve rappelé
le lien divin et perpétuel qui l’unit aux joies et aux douleurs,
aux opprobres et aux triomphes du Christ pour la direction et l’assistance
des hommes en vue de l’éternité. Que s’il a plu au Christ,
dans sa tendresse, de prendre si complètement notre ressemblance
et de se dire et se montrer à tel point fils de l’homme et notre
frère, afin de mieux faire éclater sa miséricorde
envers nous, Il a dû devenir semblable en tout à ses frères,
afin d’être miséricordieux ; de même Marie, qui
a été choisie pour être la mère de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qui est notre frère, a été élevée
par ce privilège au-dessus de toutes les mères, pour qu’elle
répandît sur nous et nous prodiguât sa miséricorde.
En outre, si nous devons au Christ de nous avoir fait participer au
droit qui lui appartenait en propre d’avoir Dieu pour père et de
lui en donner le nom, nous lui devons également de nous avoir tendrement
communiqué le droit d’avoir Marie pour mère et de lui en
donner le nom. Et comme la nature elle-même a fait du nom de mère
le plus doux d’entre tous les noms, et de l’amour maternel comme le type
de l’amour tendre et dévoué, la langue ne peut pas exprimer,
mais les âmes pieuses sentent combien brûle en Marie la flamme
d’une affection généreuse et effective, en Marie qui est,
non pas humainement, mais par le Christ, notre mère.
Ajoutons qu’elle voit et qu’elle connaît beaucoup mieux que toute
autre ce qui nous concerne : les secours dont nous avons besoin dans la
vie présente, les périls publics ou privés qui nous
menacent, les difficultés et les maux dans lesquels nous nous trouvons,
surtout la vivacité de la lutte pour le salut de notre âme
contre des ennemis acharnés ; en tout cela et dans les autres épreuves
de la vie, bien plus que toute autre elle peut et elle désire apporter
à ses fils chéris la consolation, la force, les secours de
tout genre. C’est pourquoi adressons-nous à Marie hardiment et avec
ardeur, la suppliant par ces liens maternels qui l’unissent si étroitement
à Jésus et à nous ; invoquons avec piété
son assistance par la prière qu’elle-même a désignée
et qui lui est si agréable ; alors nous pourrons nous reposer avec
sécurité et allégresse dans la protection de la meilleure
des mères.
A ce titre de recommandation pour le Rosaire qui ressort de la prière
même qui le compose, il faut ajouter qu’il offre un moyen pratique
facile d’inculquer et de faire pénétrer dans les esprits
les dogmes principaux de la foi chrétienne ; ce qui est un autre
titre très noble de recommandation.
C’est, en effet, par la foi avant tout que l’homme monte directement
et sûrement vers Dieu et qu’il apprend à révérer
d’esprit et de cœur la majesté immense de ce Dieu unique, son autorité
sur toutes choses, sa souveraine puissance, sa sagesse, sa providence :
Car il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe et qu’il
récompense ceux qui le cherchent . Mais parce que le Fils éternel
de Dieu a pris l’humanité, qu’il luit à nos yeux et se présente
comme la voie, la vérité, la vie, il est, à cause
de cela, nécessaire que notre foi embrasse les profonds mystères
de l’auguste Trinité des personnes divines et du Fils unique du
Père fait homme : La vie éternelle consiste en ce qu’ils
vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé,
Jésus-Christ .
Dieu nous a gratifiés d’un immense bienfait lorsqu’il nous a
gratifiés de cette sainte foi ; par ce don, non seulement nous sommes
élevés au-dessus de la nature humaine, comme étant
devenus contemplateurs et participants de la nature divine, mais nous avons
un principe de mérite supérieur pour les célestes
récompenses ; et, en conséquence, nous avons la ferme espérance
que le jour viendra où il nous sera donné de voir Dieu, non
plus par une image tracée dans les choses créées,
mais en lui-même, et de jouir éternellement du souverain bien.
Mais le chrétien est tellement préoccupé par les
soucis divers de la vie et si facilement distrait par les choses de peu,
que, s’il n’est pas souvent averti, il oublie peu à peu les choses
les plus importantes et les plus nécessaires, et il arrive ainsi
que sa foi languit et même s’éteint.
Pour préserver ses fils de ce grand péril de l’ignorance,
l’Eglise n’omet aucun des moyens suggérés par sa sollicitude
et sa vigilance, et le Rosaire en l’honneur de Marie n’est pas le dernier
qu’elle emploie dans le but de venir en aide à la foi. Le Rosaire,
en effet, avec une très belle et fructueuse prière revenant
dans un ordre réglé, amène à contempler et
à vénérer successivement les principaux mystères
de notre religion : ceux, en premier lieu, par lesquels le Verbe s’est
fait chair, et Marie, mère et toujours vierge, accepte avec une
sainte joie cette maternité ; ensuite les amertumes, les tourments,
le supplice du Christ souffrant, qui ont payé le salut de notre
race ; puis ses mystères glorieux, son triomphe sur la mort, son
ascension dans le ciel, l’envoi du Saint-Esprit, la splendeur rayonnante
de Marie reçue par dessus les astres, enfin la gloire éternelle
de tous les saints associés à la gloire de la Mère
et du Fils.
La série ordonnée de toutes ces merveilles est fréquemment
et assidûment présentée à l’esprit des fidèles
et se déroule comme sous leurs yeux ; aussi le Rosaire inonde-t-il
l’âme de ceux qui le récitent dévotement d’une douceur
de piété toujours nouvelle, leur donnant la même impression
et émotion que s’ils entendaient la propre voix de leur très
miséricordieuse Mère leur expliquant ses mystères
et leur adressant de salutaires exhortations. C’est pourquoi il est permis
de dire que chez les personnes, dans les familles et parmi les peuples
où la pratique du Rosaire est restée en honneur comme autrefois,
il n’y a pas à craindre que l’ignorance et les erreurs empoisonnées
détruisent la foi.
Mais il y a une autre utilité non moins grande que l’Eglise
attend du Rosaire pour ses fils : c’est qu’ils conforment mieux leur vie
et leurs mœurs à la règle et aux préceptes de la sainte
foi. Si, en effet, selon la divine parole connue de tous : La foi sans
les œuvres est une foi morte , parce que la foi tire sa vie de la charité
et que la charité se manifeste en une moisson d’actions saintes,
le chrétien ne tirera aucun profit de sa foi pour l’éternité,
s’il ne règle sur elle sa vie : Que sert à quelqu’un, mes
frères, de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Est-ce
que la foi pourra le sauver ? Cette classe d’homme encourra, au jour
du jugement, des reproches bien plus sévères de la part du
Christ que ceux qui ont le malheur d’ignorer la foi et la morale chrétiennes
; car ceux-ci ne commettent pas la faute des autres, de croire d’une manière
et de vivre d’une autre ; mais, parce qu’ils sont privés de la lumière
de l’Evangile, ils ont une certaine excuse, ou du moins certainement leur
faute est moins grande.
Pour que la foi que nous professons produise l’heureuse moisson de
fruits qui convient, la contemplation des mystères peut admirablement
servir, en enflammant les âmes à la poursuite de la vertu.
Quel sublime et éclatant exemple ne nous offre pas, sur tous les
points, l’œuvre de salut de Notre-Seigneur Jésus-Christ !
Le Dieu tout-puissant, pressé par l’excès de son amour
pour nous, se réduit à l’infime condition de l’homme ; il
habite et il converse fraternellement, comme l’un de nous, au milieu de
nous ; il prêche et il enseigne toute justice aux particuliers et
aux foules, maître éminent par la parole, Dieu par l’autorité.
Il se donne tout entier au bien de tous ; il guérit ceux qui souffrent
de maladies corporelles, et sa paternelle miséricorde apporte le
soulagement aux maladies plus graves des âmes ; à ceux-là
surtout qu’éprouve la peine ou que fatigue le poids des inquiétudes
il adresse le plus touchant appel : Venez à moi vous tous qui travaillez
et qui êtes chargés, et je vous soulagerai .
Lui-même, alors que nous reposons entre ses bras, nous souffle
ce feu mystique qu’il a apporté parmi les hommes et pénètre
de cette douceur d’âme et de cette humilité par lesquelles
il désire que nous devenions participants de la vraie et solide
paix dont il est l’auteur : Apprenez de moi que je suis doux et humble
de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes . Et néanmoins,
pour cette lumière de la sagesse céleste et cette insigne
abondance de bienfaits dont il a gratifié les hommes, il a éprouvé
de leur part la haine et les plus indignes outrages, et, attaché
à la croix, il a versé son sang et sa vie, n’ayant pas de
plus vif désir que de les enfanter à la vie par sa mort.
Il n’est pas possible que l’on considère attentivement en soi-même
de tels témoignages de l’immense amour de notre Rédempteur
pour nous sans que la volonté reconnaissante s’enflamme. La force
de la foi éprouvée sera si grande que, l’esprit de l’homme
étant éclairé et son cœur vivement touché,
elle l’entraînera tout entier sur les pas du Christ, à travers
tous les obstacles, jusqu’à pouvoir répéter cette
protestation digne de l’apôtre Paul : Qui donc nous séparera
de la charité du Christ ? La tribulation, ou la pauvreté,
ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou la persécution,
ou le glaive ? … Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui
vit en moi .
Mais, de peur que devant les exemples si sublimes donnés par
le Christ, Dieu et homme tout à la fois, la conscience de notre
faiblesse native ne nous décourage, en même temps que ses
mystères ceux de sa très sainte Mère sont placés
sous nos yeux et offerts à notre méditation.
Elle est sortie, il est vrai, de la race royale de David, mais il ne
lui reste rien des richesses ou de la grandeur de ses aïeux ; elle
mène une vie obscure, dans une humble ville, dans une maison plus
humble encore, d’autant plus contente de son obscurité et de sa
pauvreté qu’elle peut plus librement élever son esprit vers
Dieu et s’attacher à ce bien suprême et aimé par-dessus
tout.
Et le Seigneur est avec elle, et il la comble des consolations de sa
grâce ; un message céleste lui est envoyé, la désignant
comme celle qui, par la vertu du Saint-Esprit, donnera naissance au Sauveur
attendu des nations. Plus elle admire la sublime élévation
de sa dignité et en rend grâces à la bonté du
Dieu puissant et miséricordieux, plus elle s’enfonce dans son humilité,
ne s’attribuant aucune vertu, et elle s’empresse de se proclamer la servante
du Seigneur alors qu’elle devient sa mère. Ce qu’elle a saintement
promis, elle l’accomplit avec une sainte ardeur, sa vie étant dès
lors en intime communion, pour la joie et pour les larmes, avec celle de
son fils Jésus.
C’est ainsi qu’elle atteindra une hauteur de gloire où personne,
ni homme, ni ange, ne s’élèvera, parce que personne ne pourra
lui être comparé, pour le mérite et la vertu ; ainsi
la couronne du royaume d’en haut et du royaume d’ici-bas lui est réservée,
parce qu’elle deviendra l’invincible reine des martyrs ; ainsi, dans la
cité céleste de Dieu elle sera assise éternellement,
la couronne sur la tête, à côté de son Fils,
parce que constamment pendant toute sa vie, plus constamment encore sur
le Calvaire, elle aura bu avec lui le calice d’amertume.
Voici donc que, dans sa sagesse et sa bonté, Dieu nous a donné
dans Marie le modèle de toutes les vertus le plus à notre
portée. En la considérant et la contemplant, nos esprits
ne se sentent pas comme écrasés par l’éclat de la
divinité ; mais, au contraire, attirés par la parenté
d’une commune nature, nous travaillons avec plus de confiance à
l’imiter. Si nous nous donnons tout entiers à cette œuvre, avec
son assistance surtout, il nous sera certainement possible de reproduire
en nous au moins quelques traits d’une si grande vertu et d’une si parfaite
sainteté, et, imitant l’admirable conformité de sa vie à
toutes les volontés de Dieu, il nous sera donné de la suivre
dans le ciel.
Poursuivons vaillamment et fermement, quelque pénible et quelque
embarrassé de difficultés qu’il soit, notre pèlerinage
terrestre ; au milieu du labeur et des épreuves, ne cessons pas
de tendre vers Marie nos mains suppliantes, en disant avec l’Eglise : Nous
soupirons vers vous, gémissant et pleurant, dans cette vallée
de larmes… Tournez vers nous vos regards miséricordieux. Donnez-nous
une vie pure, ouvrez-nous un chemin sûr, afin que, contemplant Jésus,
nous nous réjouissions à jamais avec vous !
Et Marie, qui, sans en avoir jamais subi personnellement l’épreuve,
sait combien notre nature est faible et vicieuse, et qui est la meilleure
et la plus dévouée des mères, avec quel à-propos
et quelle générosité elle viendra à notre aide
! avec quelle tendresse elle nous consolera ! avec quelle force elle nous
soutiendra ! Marchant par la route que le sang divin du Christ et les larmes
de Marie ont consacrée, nous sommes certains de parvenir sans difficultés
à la participation de leur bienheureuse gloire.
Le Rosaire en l’honneur de la Vierge Marie, dans lequel se trouvent
si bien et si utilement réunis une excellente formule de prière,
un moyen efficace de conserver la foi et un insigne modèle de vertu
parfaite, est donc entièrement digne d’être fréquemment
aux mains des vrais chrétiens et d’être pieusement récité
et médité.
Nous adressons particulièrement ces exhortations à la
confrérie de la Sainte-Famille, que Nous avons récemment
approuvée et recommandée. Puisque le mystère de la
vie longtemps silencieuse et cachée de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
entre les murs de la maison de Nazareth, est la raison d’être de
cette confrérie, qui a pour but d’obtenir que les familles chrétiennes
s’appliquent à se modeler sur l’exemple de la très sainte
Famille, divinement constituée, les liens particuliers qui la rattachent
au Rosaire sont évidents, spécialement en ce qui regarde
les mystères joyeux qui se sont accomplis lorsque Jésus,
après avoir montré sa sagesse dans le temple, vint avec Marie
et Joseph à Nazareth, où il leur était soumis, préparant
les autres mystères qui devaient le mieux contribuer à instruire
et à racheter les hommes. Que tous les associés s’appliquent
donc, chacun dans la mesure de ses moyens, à cultiver et à
propager la dévotion du Rosaire.
Pour ce qui Nous regarde, Nous confirmons les concessions d’indulgences
que Nous avions faites les années précédentes en faveur
de ceux qui accompliront pendant le mois d’octobre ce qui est prescrit
à cet effet. Nous comptons beaucoup, vénérables Frères,
sur votre autorité et votre zèle pour que le Rosaire soit
récité, avec une ardente piété, en l’honneur
de la Vierge, secours des chrétiens.
Mais Nous voulons que la présente exhortation finisse, comme
elle a commencé, par le témoignage renouvelé avec
plus d’insistance de Notre reconnaissance et de Notre confiance envers
la glorieuse Mère de Dieu. Nous demandons au peuple chrétien
de porter à ses autels ses prières suppliantes et pour l’Eglise,
ballottée par tant de contradictions et de tempêtes, et pour
Nous-même qui, avancé en âge, fatigué par les
labeurs, aux prises avec les difficultés les plus graves, dénué
de tout secours humain, tenons le gouvernail de l’Eglise.
En Marie, Notre puissante et tendre Mère, Notre espoir va tous
les jours grandissant et Nous est de plus en plus doux. Si Nous attribuons
à son intercession de nombreux et signalés bienfaits reçus
de Dieu, Nous lui attribuons avec une particulière reconnaissance
la faveur d’atteindre bientôt le cinquantième anniversaire
de Notre ordination épiscopale.
C’est assurément une grande chose pour qui considère
une si longue durée du ministère pastoral, surtout ayant
encore à l’exercer avec une sollicitude de tous les jours, dans
la conduite du peuple chrétien tout entier. Pendant cet espace de
temps, en Notre vie, comme en celle de tout homme, comme dans les mystères
du Christ et de sa mère, ni les motifs de joie n’ont manqué,
ni de nombreuses et graves causes de douleur n’ont été absentes
; des sujets de Nous glorifier en Jésus-Christ Nous ont été
donnés aussi. Toutes ces choses, avec soumission et reconnaissance
envers Dieu, Nous Nous sommes appliqué à les faire servir
au bien et à l’honneur de l’Eglise.
Dans la suite, car le reste de Notre vie ne sera pas dissemblable,
si de nouvelles joies ou de nouvelles douleurs surviennent, si quelques
rayons de gloire brillent, persévérant dans les mêmes
sentiments et ne demandant à Dieu que la gloire céleste,
Nous dirons avec David : Que le nom du Seigneur soit béni : que
la gloire ne soit point pour nous, Seigneur, qu’elle ne soit point pour
nous, mais pour votre nom !
Nous attendons de Nos fils, que Nous voyons animés pour Nous
de tant de pieuse affection, moins des félicitations et des louanges
que des actions de grâces, des prières et des vœux offerts
au Dieu très bon ; pleinement heureux s’ils obtiennent pour Nous
que ce qui Nous reste de vie et de force, ce que Nous possédons
d’autorité et de grâce, serve uniquement au plus grand bien
de l’Eglise et avant tout à ramener et à réconcilier
les ennemis et les égarés que Notre voix appelle depuis longtemps.
Que de la fête prochaine qui, si Dieu le permet, Nous réjouira,
découle pour Nos fils bien-aimés la justice, la paix, la
prospérité, la sainteté et l’abondance de tous les
biens ; voilà ce que Notre cœur paternel sollicite de Dieu, voilà
ce que nous exprimons par les paroles divines : « Entendez-moi… et
fructifiez comme la rose plantée sur le bord des eaux ; soyez parfumés
d’un doux parfum comme le Liban. Fleurissez comme le lis, et donnez votre
parfum, et couvrez-vous d’un gracieux feuillage, et chantez le cantique
de la louange, et bénissez le Seigneur dans ses œuvres. Glorifiez
son nom, confessez-le de bouche et dans vos cantiques et sur vos cithares…
Louez de cœur et de bouche et bénissez le nom du Seigneur.
»
Si ces résolutions et ces vœux rencontrent l’opposition des
méchants qui blasphèment tout ce qu’ils ignorent, que Dieu
daigne leur pardonner ; que par l’intercession de la Reine du très
saint Rosaire, il nous soit propice ; comme augure de cette faveur et comme
gage de Notre bienveillance, recevez, Vénérables Frères,
la bénédiction apostolique que Nous vous accordons affectueusement
dans le Seigneur, à vous, à votre clergé et à
votre peuple.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 septembre
1892, la quinzième année de Notre Pontificat.
LEON XIII, PAPE.
Letitiae sanctae, Lettre encyclique de Notre
Saint Père le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de Marie,
à Ses Vénérables Frères les Patriarches,
Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix
et en communion avec le Saint-Siège,
Léon XIII, Pape.
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
A la joie sainte que Nous a causée l’heureux accomplissement
de la cinquantième année qui s’est écoulée
depuis Notre consécration épiscopale, s’est ajoutée
une source de bonheur très vif : c’est que Nous avons vu les catholiques
de toutes les nations, comme des fils envers leur père, s’unir dans
une imposante manifestation de leur foi et de leur amour envers Nous.
Nous reconnaissons en ce fait, et Nous le proclamons avec une reconnaissance
toujours nouvelle, un dessein de la Providence de Dieu, une marque de sa
suprême bienveillance envers Nous-même, un grand avantage pour
son Eglise. Notre cœur ne désire pas moins combler de louanges pour
ce bienfait Notre très douce Auxiliatrice auprès de Dieu,
son auguste mère. L’amour tout particulier de Marie, que Nous avons
vu se manifester de mainte façon dans le cours de Notre carrière
si longue et si variée, luit chaque jour plus clairement devant
nos yeux, et, touchant Notre cœur avec une suavité très vive,
Nous confirme dans une confiance qui n’est pas de la terre.
Il Nous semble entendre la voix même de la Reine du Ciel tantôt
Nous encourageant avec bonté au milieu des épreuves cruelles
que traverse l’Eglise, tantôt Nous aidant de ses conseils dans les
mesures que Nous devons prendre pour le salut commun, tantôt enfin
Nous avertissant de ranimer la piété et le culte de toutes
les vertus parmi le peuple chrétien. Plusieurs fois, déjà,
ce Nous a été une douce obligation de répondre à
de tels souhaits.
Au nombre des fruits bénis qui, grâce à son secours,
ont suivi Nos exhortations, il est juste de rappeler quel profit la religion
a tiré de la propagation du très saint Rosaire. Des confréries
de pieux fidèles ont été ici accrues, là fondées,
de savants écrits ont été répandus à
propos parmi le peuple, les beaux-arts eux-mêmes Nous ont fourni
des objets précieux.
Mais maintenant, de même que si Nous entendions la voix pressante
de cette Mère très attentive Nous répéter :
« Clama, ne cesses », Nous voulons vous entretenir de nouveau,
vénérables Frères, du Rosaire de Marie, au moment
où commence ce mois d’octobre, que Nous avons voulu consacrer à
la Reine du Ciel et à cette dévotion du Rosaire qui lui est
si agréable, accordant à cette occasion aux fidèles
la faveur des saintes indulgences.
Le but prochain de Notre Lettre ne sera cependant ni d’écrire
un nouvel éloge d’une prière si belle par elle-même,
ni d’exciter les fidèles à en faire un plus saint usage.
Nous parlerons de quelques avantages très précieux que l’on
peut en tirer et qui sont tout à fait appropriés aux hommes
et aux circonstances.
Nous sommes pleinement persuadé, en effet, que la dévotion
du Rosaire, si elle est pratiquée de telle sorte qu’elle procure
aux fidèles toute la force et toute la vertu qui sont en elle, sera
une source de biens nombreux, non seulement pour les particuliers, mais
encore pour tous les Etats.
Personne n’ignore combien, conformément au devoir de Notre suprême
apostolat, Nous sommes désireux de procurer le bien des nations,
et prêts à le faire, avec le secours de Dieu. En effet, Nous
avons souvent averti les hommes qui sont investis du pouvoir de ne promulguer
et de n’appliquer des lois que suivant la règle de la justice divine
; Nous avons souvent exhorté ceux des citoyens qui surpassent les
autres soit par leur talent, soit par leurs mérites, soit par leur
noblesse et leur fortune, à mettre en commun leurs projets, à
unir leurs forces, pour sauvegarder les intérêts de l’Etat
et promouvoir les entreprises qui pourront lui être avantageuses.
Mais il existe un trop grand nombre de causes qui, dans une société
civile, relâchent les liens de la discipline publique, et détournent
le peuple de rechercher comme il le devrait, l’honnêteté des
mœurs. Trois maux surtout Nous semblent les plus funestes à l’avantage
commun ; les voici : le dégoût d’une vie modeste et active,
l’horreur de la souffrance, l’oubli des biens éternels que nous
espérons.
Nous déplorons – et ceux même qui ramènent tout
à la science et au profit de la nature reconnaissent le fait et
s’en affligent – Nous déplorons que la société humaine
souffre d’une terrible plaie : c’est qu’on néglige les devoirs et
les vertus qui doivent orner une vie obscure et commune. De là vient
qu’au foyer domestique les enfants se relâchent de l’obéissance
qu’ils doivent à leurs parents, ne supportant plus aucune discipline,
à moins qu’elle ne soit molle et ne se prête à leurs
plaisirs. De là vient aussi que les ouvriers renoncent à
leur métier, fuient le travail et, mécontents de leur sort,
aspirent plus haut, désirant une chimérique égalité
des fortunes ; mus par de semblables aspirations, les habitants des campagnes
quittent en foule leur pays natal pour venir chercher le tumulte et les
plaisirs faciles des cités.
C’est à cette cause aussi qu’il faut attribuer l’absence d’équilibre
entre les diverses classes de la société ; tout est ébranlé,
les âmes sont en proie à la haine et à l’envie, on
viole ouvertement tout droit ; trompés par un faux espoir, beaucoup
troublent la paix publique en occasionnant des séditions, et résistent
à ceux qui ont pour mission d’assurer l’ordre.
Contre ce mal, il faut demander un remède au Rosaire de Marie,
qui comprend à la fois un ordre fixe de prières et la pieuse
méditation des mystères de la vie du Sauveur et de sa Mère.
Que les mystères joyeux soient indiqués à la foule
et placés devant les yeux des hommes, tels que des tableaux et des
modèles de vertus : chacun comprend combien sont abondants, combien
sont faciles à imiter, et propres à inspirer une vie honnête,
les exemples qu’on en peut tirer, et qui séduisent les cœurs par
une suavité admirable.
Qu’on se représente la Maison de Nazareth, cet asile à
la fois terrestre et divin de la sainteté. Quel beau modèle
on y trouvera pour la vie quotidienne ! Quel spectacle en tous points parfait
de l’union au foyer ! Là règnent la simplicité et
la pureté des mœurs, un accord perpétuel des esprits, un
ordre que rien ne vient troubler, le support mutuel, l’amour enfin, non
un amour fugitif et menteur, mais un amour consistant dans l’accomplissement
assidu des devoirs réciproques et de nature à captiver tous
les yeux.
Là, sans doute, on s’occupe de préparer ce qui est nécessaire
pour la nourriture et le vêtement ; mais c’est à la sueur
du front, in sudore vultus, et comme ceux qui, contents de peu, agissent
plutôt de façon à moins souffrir de la disette, qu’à
se procurer du superflu. Par-dessus tout, on y trouve une souveraine tranquillité
d’esprit, une joie de l’âme égale chez chacun, deux biens
qui accompagnent toujours la conscience des bonnes actions accomplies.
Les exemples de ces vertus, de la modestie et de la soumission, de
la résignation au travail et de la bienveillance envers le prochain,
du zèle à accomplir les petits devoirs de la vie quotidienne,
tous ces enseignements, enfin, à mesure que l’homme les comprend
mieux, qu’ils pénétreront plus profondément dans son
âme, amèneront un changement sensible de ses idées
et de sa conduite. Alors chacun, loin de trouver méprisables et
pénibles ses devoirs particuliers, les estimeront plutôt agréables
et pleins de charme, et, grâce à cette sorte de plaisir qu’il
y rencontrera, la conscience du devoir à accomplir lui donnera plus
de force pour bien agir.
Ainsi les mœurs s’adouciront sur tous les points ; la vie domestique
s’écoulera au milieu de l’affection et du bonheur ; les rapports
mutuels seront empreints d’une sincère bienveillance et de charité.
Et si toutes ces qualités dont sera doué l’homme pris isolément,
se répandent dans les familles, dans les villes, parmi tout un peuple,
dont la vie se conformera à ces prescriptions, il est facile de
concevoir quels profits l’Etat pourra en retirer.
Un autre mal très funeste et que Nous ne saurions trop déplorer,
parce que chaque jour il pénètre les esprits plus profondément
et d’une façon plus nuisible, c’est qu’on se refuse à souffrir,
qu’on repousse avec violence tout ce qui semble pénible et contraire
à nos goûts.
La plupart des hommes, en effet, au lieu de considérer, ainsi
qu’il le faudrait, la tranquillité et la liberté des âmes
comme la récompense préparée à ceux qui se
sont acquittés du grand devoir de la vie sans se laisser vaincre
par les dangers ou par les travaux, se forgent l’idée chimérique
d’un Etat d’où serait écarté tout objet désagréable,
où l’on jouirait en abondance de tous les biens que cette vie peut
procurer. Un désir si violent et si effréné d’une
existence heureuse est une source d’affaiblissement pour les âmes
; si elles ne tombent pas tout à fait, elles sont néanmoins
énervées, de sorte qu’elles fuient lâchement les maux
de la vie et se laissent misérablement abattre.
Dans ce danger aussi, on peut attendre du Rosaire de Marie un très
grand secours pour affermir les âmes, tant est grande l’autorité
de l’exemple ; si les mystères qu’on appelle douloureux font l’objet
d’une méditation tranquille et suave dès la plus tendre enfance,
et si on continue à les considérer ensuite assidûment,
ils nous montrent le Christ auteur et consommateur de notre foi, commençant
à agir et à enseigner, afin que nous trouvions en Lui-même
des exemples appropriés aux enseignements qu’Il nous a donnés
sur la manière dont il faut supporter les fatigues et les souffrances.
Les maux les plus pénibles, Il a voulu les subir Lui-même
avec une grande résignation.
Nous le voyons accablé de tristesse au point que le sang coule
de tous ses membres, comme une sueur. Nous le voyons chargé de chaînes,
tel qu’un voleur, soumis au jugement d’hommes pervers, en proie à
d’odieux outrages, à de fausses accusations. Nous le voyons flagellé,
couronné d’épines, attaché sur la croix, regardé
comme indigne de vivre longtemps, comme ayant mérité de mourir
au milieu des acclamations de la foule.
Nous pensons quelle dut être à ce spectacle la souffrance
de sa très sainte Mère, dont le cœur fut, non seulement frappé
mais traversé d’un glaive, de telle sorte qu’on l’a appelée
et qu’elle est bien réellement la Mère de douleur.
Combien celui qui méditera souvent, ne se contentant pas de
les contempler des yeux, de tels exemples de vertus, sentira naître
en lui de force afin de les imiter ! Que la terre soit pour lui maudite,
qu’elle ne produise que des épines et des ronces, que son esprit
soit en proie à toutes les amertumes, que la maladie accable son
corps, il n’y aura aucun mal provenant, soit de la haine des hommes, soit
de la colère des démons, aucun genre de calamité publique
ou privée qu’il ne surmonte par sa résignation.
De lui on pourra dire avec raison : Accomplir et souffrir beaucoup,
c’est le propre du chrétien ; le chrétien, en effet, celui
qui est regardé à bon droit comme digne de ce nom, ne peut
suivre en vain le Christ souffrant. Nous parlons ici de la patience, non
pas de cette vaine ostentation de l’âme s’endurcissant contre la
douleur que manifestèrent certains des anciens philosophes, mais
de celle qui (s’appliquant l’exemple du Christ qui a voulu souffrir la
croix alors qu’il pouvait choisir la joie, et qui a méprisé
la confusion) et lui demandant les secours de sa grâce, ne recule
devant aucune peine, les porte toutes avec joie et les regarde comme des
grâces.
La foi catholique a possédé et possède encore
des disciples pénétrés de cette doctrine, hommes et
femmes de tout pays et de toute condition, prêts à souffrir,
suivant l’exemple du Christ, toutes les injustices et tous les maux pour
la vertu et la religion, s’appropriant l’exemple plus encore que la parole
de Didyme : « Allons, nous aussi, et mourons avec lui. »
Que les exemples de cette remarquable constance et la gloire de l’Eglise
s’en accroissent sans esse !
Le troisième genre de maux auquel il faut chercher un remède,
est surtout apparent chez les hommes de notre époque. Ceux des âges
antérieurs, s’ils étaient attachés, même d’une
façon criminelle, aux biens de la terre, ne dédaignaient
cependant pas presque entièrement ceux du ciel ; les plus sages
des païens eux-mêmes ont enseigné que cette vie était
pour nous une hôtellerie, non une demeure, que nous devions y séjourner
quelque temps, non pas y habiter.
Les hommes aujourd’hui, bien qu’instruits de la loi chrétienne,
s’attachent pour la plupart aux biens fugitifs de la vie présente
non seulement comme si l’idée d’une patrie meilleure, d’une béatitude
éternelle était effacée de leur esprit, mais encore
comme s’ils voulaient la détruire entièrement à force
de déshonneur. En vain saint Paul leur a donné cet avis :
« Nous n’avons pas ici-bas de demeure stable, mais nous en cherchons
une que nous posséderons un jour. »
Lorsqu’on se demande quelles sont les causes de ce fléau, on
trouve tout d’abord que beaucoup ont la crainte de voir la pensée
de la vie future détruire l’amour de la patrie terrestre et nuire
à la prospérité des Etats : rien n’est plus odieux
et plus insensé que cette conviction. Les espérances éternelles
n’ont pas pour caractère d’occuper tellement les hommes qu’elles
les détachent complètement du souci des biens présents
; quand le Christ a ordonné de chercher le royaume de Dieu il a
dit de le chercher d’abord, non de laisser de côté tout le
reste.
L’usage des objets terrestres, et les jouissances permises qu’on en
peut tirer, n’ont rien d’illicite, s’ils doivent contribuer à l’accroissement
ou à la récompense de nos vertus, si la prospérité
et la civilisation avancée de la patrie terrestre, en indiquant,
d’une façon magnifique, l’accord des mortels figurent la beauté
et l’éclat de la cité céleste ; il n’y a là
rien qui ne convienne à des êtres doués de raison,
rien qui soit opposé aux desseins de la Providence, car Dieu est
à la fois l’auteur de la nature et de la grâce ; Il ne veut
pas que l’une soit opposée à l’autre et qu’un conflit s’élève
entre elles, mais qu’elles concluent en quelque sorte un pacte d’alliance
que, sous leur conduite, nous parvenions un jour, par un chemin plus facile,
à cette béatitude éternelle, pour laquelle nous sommes
nés.
Mais les hommes adonnés aux plaisirs et égoïstes,
qui laissent errer toutes leurs pensées sur les objets terrestres,
et ne peuvent s’élever plus haut au lieu d’être menés
par les biens dont ils jouissent à désirer plus vivement
ceux du ciel, perdent complètement l’idée même de l’éternité
et tombent dans une condition indigne de l’homme. En effet, la puissance
divine ne peut nous frapper d’une peine plus terrible que de nous laisser
jouir de tous les plaisirs d’ici-bas, mais oublier en même temps
les biens éternels.
Il évitera complètement ce danger, celui qui s’adonnera
à la dévotion du Rosaire et méditera attentivement
et souvent les mystères glorieux qui nous y sont proposés.
Dans ces mystères, en effet, notre esprit puise la lumière
nécessaire pour connaître des biens qui échappent à
nos yeux, mais que Dieu, Nous le croyons d’une ferme foi, prépare
à ceux qui l’aiment. Nous apprenons ainsi que la mort n’est pas
un anéantissement qui nous enlève et qui détruit tout,
mais une migration, et pour ainsi dire, un changement de vie. Nous percevons
clairement qu’une route vers le ciel est ouverte pour nous tous, et lorsque
nous voyons le Christ ressusciter, nous nous souvenons de sa douce promesse
: « Je vais vous préparer une place. » Nous sommes certains
qu’il viendra un temps « où Dieu séchera toutes les
larmes de nos yeux, où il n’y aura plus ni deuil, ni gémissement,
ni douleur, mais où nous serons toujours avec Dieu, semblables à
Dieu, puisque nous le verrons tel qu’Il est, jouissant du torrent de ses
délices, concitoyens des saints, » en communion bienheureuse
avec Marie, sa Mère et notre puissante Reine.
L’esprit qui considérera ces mystères ne pourra manquer
de s’enflammer et de répéter cette parole d’un homme très
saint : « Que la terre me pèse, lorsque je regarde le ciel
! » Il jouira de la consolation de penser « qu’une tribulation
momentanée et légère, nous vaut une somme éternelle
de gloire. » C’est là, en effet, le seul lien qui unit le
temps présent avec la vie éternelle, la cité terrestre
avec le ciel, c’est la seule considération qui fortifie et élève
les âmes.
Si de telles âmes sont en grand nombre, l’Etat sera riche et
florissant, on y verra régner le vrai, le bien, le beau, suivant
ce modèle qui est le principe et la source éternelle de toute
vérité, de tout bien et de toute beauté. Déjà
tous les chrétiens peuvent voir, comme Nous l’avons établi
au commencement, quels sont les fruits et quelle est la vertu féconde
du Rosaire de Marie, sa puissance pour guérir les maux de notre
époque et faire disparaître les fléaux dont souffrent
les Etats ; mais il est facile de le comprendre, ceux-là ressentiront
plus abondamment ces avantages qui, inscrits dans la sainte confrérie
du Rosaire, se distinguent par une union particulière et toute fraternelle
et par leur dévotion à la très sainte Vierge ; en
effet, ces confréries approuvées par l’autorité des
Pontifes romains, comblées par eux de privilèges et enrichies
d’indulgences, sont soumises à leur juridiction, elles ont des assemblées
à date fixe et jouissent de puissants appuis qui en assurent la
prospérité et les rendent aptes à procurer l’avantage
de la société humaine.
Ce sont comme les armées qui combattent les combats du Christ
par ses mystères sacrés, sous les auspices et la conduite
de la Reine du Ciel. On a pu constater en maintes circonstances, et surtout
à Lépante, combien Celle-ci s’est montrée favorable
à leurs supplications et aux cérémonies qu’ils ont
organisées. Il est donc avantageux de montrer un grand zèle
pour fonder, accroître, gouverner de telles confréries. Nous
ne parlons pas ici aux seuls disciples de saint Dominique, quoique ceux-ci
soient surtout chargés de cette mission d’après leur règle,
mais à tous ceux auxquels est confié le soin des âmes
et surtout le ministère des églises où ces confréries
sont instituées.
Nous souhaitons aussi ardemment que les prêtres qui entreprennent
des voyages pour propager la doctrine du Christ parmi les nations barbares
ou pour l’affermir là où elle est établie, répandent
de même la dévotion du Rosaire.
D’après les exhortations de tous ces prêtres, Nous ne
doutons pas qu’il y ait un grand nombre de chrétiens soucieux de
leurs intérêts spirituels qui se fassent inscrire dans cette
même confrérie et s’appliquent à acquérir les
biens que Nous avons indiqués, ceux surtout qui constituent la raison
d’être et, en quelque sorte, l’essence du Rosaire.
L’exemple des membres de la Confrérie inspirera aux autres fidèles
un respect et une piété plus grande envers le Rosaire.
Ceux-ci, animés par de semblables modèles mettront tout
leur zèle à prendre leur part de ces biens si salutaires.
Tel est Notre ardent désir.
C’est là aussi l’espoir qui Nous guide et Nous encourage au
milieu des grands maux dont souffre la société. Puisse, grâce
à tant de prières, Marie la Mère de Dieu et des hommes,
celle qui nous a donné le Rosaire et qui en est la Reine, faire
en sorte que cet espoir se réalise pleinement.
Nous avons confiance, vénérables Frères, qu’avec
votre concours Nos enseignements et Nos souhaits contribueront à
la prospérité de familles, à la paix des peuples et
au bien de la terre.
Comme gage des bénédictions divines et comme témoignage
de Notre bienveillance, Nous vous accordons de grand cœur, à vous,
à votre clergé et à votre peuple la bénédiction
apostolique.
Donné à Rome près Saint-Pierre, le 8e jour de
septembre 1893, de Notre pontificat le seizième.
LEON XIII, PAPE.
Jucunda semper expectatione, Lettre encyclique
de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de
Marie.
A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats,
Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux en paix
et en communion avec le Siège apostolique,
Léon XIII, Pape.
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
Nous saluons désormais avec joie et avec un sentiment d’espérances
plus grandes, le retour du mois d’octobre depuis que, conformément
à Nos conseils, ce mois est partout dédié à
la très Sainte Vierge.
Depuis plusieurs années déjà, elle est vraiment
belle et vivante la floraison d’œuvres de piété dont s’orne,
dans toutes les nations catholiques, la dévotion du rosaire. Nous
avons indiqué plusieurs fois les raisons pour lesquelles Nous avons
consacré ce mois à la dévotion du saint Rosaire :
le malheur des circonstances où se trouvent l’Eglise et la société,
réclamait un secours divin tout particulier et de chaque instant
; c’est par l’intercession de sa divine Mère que Nous avons cru
qu’il fallait le demander à Dieu, l’obtenir par la mise en honneur
d’une prière, d’une dévotion dont le peuple chrétien
a toujours éprouvé la souveraine vertu. Il l’a éprouvée
dès l’origine même du Rosaire, soit qu’il défendît
l’honneur de sa foi contre les furieuses attaques des hérétiques,
soit qu’il voulût relever autour de cette foi elle-même, son
cortège de vertus ébranlées, affaiblies par la corruption
du siècle. Et depuis, le peuple chrétien n’a cessé
un instant de faire cette heureuse expérience, par une série
jamais interrompue pour lui de bienfaits soit publics, soit particuliers,
dont des instituts et des monuments consacrent à jamais le souvenir.
Et de nos jours, à cette époque qui souffre de tant de maux,
Nous avons la joie de contempler la moisson, bien belle aussi, des fruits
de salut, de cette dévotion.
Cependant, en regardant tout autour de vous, Vénérables
Frères, vous jugez par vous-mêmes que les causes de nos maux
sont encore là, quelques-unes mêmes sont devenues plus redoutables.
C’est pourquoi il faut cette année encore, de toute l’ardeur de
Nos exhortations, exciter les troupeaux qui vous sont confiés, à
prier avec ferveur la Reine du Ciel.
Dans Nos méditations sur sa nature intime, plus l’excellence
du Rosaire et ses bienfaits se dévoilent et s’éclairent à
Nos yeux et plus aussi se fortifie avec Notre désir de voir le Rosaire
refleurir partout, l’espoir que Nos exhortations auront ce précieux
résultat : cette dévotion mieux comprise, plus connue et
davantage pratiquée prendra de salutaires développements.
Sans rappeler ici ce que Nous avons enseigné les années
précédentes et sous différentes formes, sur un sujet
qui nous est cher, Nous voulons considérer et faire sentir la providence
de Dieu dans la nature de cette dévotion, qui, exaltant la confiance
dans les âmes qui prient, dispose par le fait même le cœur
maternel de la Sainte Vierge à répondre par une bonté
et un secours dignes d’une Mère, aux prières qu’elle entend.
La confiance du secours que nous avons en Marie est basée sur
la grandeur de l’office de Médiatrice de la grâce, qu’elle
exerce continuellement en notre faveur, devant le trône de Dieu,
Elle, la créature la plus agréable à Dieu et par sa
dignité et par ses mérites, et, par conséquent, éminemment
supérieure en puissance à tous les anges et à tous
les saints. Or, cet office ne rencontre peut-être son expression
dans aucune prière aussi bien que dans le Rosaire, où la
part que la Vierge a prise au salut des hommes est rendue comme présente,
et où la piété trouve une si grande satisfaction,
soit par la contemplation successive des mystères sacrés,
soit par la récitation répétée des prières.
Et d’abord se présentent les mystères joyeux. Le Fils
Eternel de Dieu s’incline vers les hommes, fait Homme lui-même, avec
le consentement de Marie concevant de l’Esprit-Saint, concipiente de Spiritu
Sancto, Jean alors est sanctifié, sanctificatur, dans le sien maternel,
d’un privilège insigne, et il est orné de grâces de
choix pour préparer les voies du Seigneur : Ad vias Domini parandas
; c’est à la salutation de Marie visitant sa parente, sous l’impulsion
de l’Esprit divin, que sont dus ces merveilleux bienfaits. Enfin, vient
en ce monde le Christ, l’attente des nations : expectatio gentium ; autour
de son pauvre berceau accourent les bergers et les mages, prémices
de la foi, dans un saint empressement. Ils trouvent l’Enfant avec Marie
sa mère : Infantem inveniunt cum Maria Matre ejus. Et bientôt,
Lui, voulant par une cérémonie publique s’offrir comme Hostie
à Dieu son Père, se fait porter dans le temple ; et là,
par le ministère de sa Mère, il est offert au Seigneur, Sistitur
Domino. Et Marie, dans le mystère de Jésus un instant égaré,
apparaît anxieuse, elle cherche partout son enfant et le retrouve
avec quelle joie !
Le langage des mystères douloureux est également sublime.
Dans le jardin de Gethsémani où Jésus a peur, où
il est triste jusqu’à la mort, et dans ce prétoire où
il est flagellé, couronné de sanglantes épines, condamné
au dernier supplice, on ne voit pas Marie, mais depuis longtemps déjà
elle connaît et souffre ces douleurs. Lorsque devant Dieu elle s’inclina
sa servante pour se relever Mère de son Fils ou lorsqu’Elle se consacra
toute entière avec Jésus dans le temple, dans l’une et l’autre
de ces solennelles circonstances elle s’est, dès lors, associée
à la douloureuse expiation des crimes du genre humain : il est donc
impossible de ne point la voir, partageant de toute la force de son âme,
les angoisses infinies de son Fils et toute ses douleurs ! D’ailleurs,
c’était en sa présence, sous son regard que devait s’accomplir
ce divin sacrifice dont elle avait nourri la victime de sa pure substance.
C’est le spectacle le plus émouvant de ces mystères : Stabat
juxta Crucem Jesu Maria Mater ejus, debout, contre la Croix de Jésus
était Marie, sa Mère ; pénétrée envers
nous d’un amour infini qui la rendait Notre Mère à nous,
offrant d’elle-même son propre Fils à la justice de Dieu,
et agonisant sa mort en son âme percée d’un glaive de douleur.
Enfin, dans les mystères glorieux qui suivent, la fonction émouvante
de la sublime Vierge est confirmée avec une éloquence plus
grande encore. La gloire de son Fils, vainqueur de la mort, Marie en jouit
silencieuse de bonheur ; ses regards accompagnent de l’expression de son
amour de Mère, Jésus qui retourne dans les cieux. Elle, digne
du ciel, reste sur la terre : elle veut soutenir et guider de sa sagesse
l’Eglise, qui vient de naître , elle qui a pénétré
au delà de tout ce qu’on pourrait croire, l’abîme insondable
de la divine sagesse . Cependant, le mystère de la rédemption
des hommes ne sera parfaitement accompli que lorsque sera venu le Saint-Esprit
que le Christ a promis ; aussi voici Marie, présentée à
notre admiration, au milieu du Cénacle. Elle est là, entourée
des apôtres, priant pour eux, avec l’inénarrable gémissement
de son âme, hâtant l’avènement parfait du Paraclet,
don suprême du Christ, trésor, source précieuse, qui
jamais ne tarira. Elle s’en va maintenant, se dirigeant vers le siècle
éternel plaider notre cause, remplir un ministère qui ne
cessera jamais. Nous la voyons, en effet, monter de cette vallée
de larmes vers la Jérusalem Sainte, escortée, portée
par les chœurs angéliques ; Nous la saluons sublime de splendeur
dans la gloire des Saints ; le front éclatant d’un diadème
d’étoiles, qu’y a déposé son Divin Fils, elle rayonne
à ses côtés Reine de tout l’univers.
Vénérables Frères, ces mystères où
se dévoile la pensée de Dieu, pensée de sagesse, pensée
de miséricorde, consilium Dei, consilium sapientiae, consilium pietatis
, où éclatent les mérites immenses de la Vierge-Mère,
ne peuvent laisser une âme insensible, tant est certaine l’espérance
qu’ils donnent d’obtenir, par le ministère de Marie, le bienfait
de la clémence et de la miséricorde divines.
Aux mêmes précieux résultats, conduit la prière
vocale si merveilleusement adaptée aux mystères. Vient d’abord,
comme il est juste, l’oraison dominicale, la prière à Notre
Père des cieux. A peine l’avons-nous évoqué en sublimes
accents que de son trône Notre prière descend et se tourne
suppliante vers Marie tout naturellement en vertu de cette loi de conciliation
et de supplication, si bien formulée par saint Bernardin de Sienne
: Omnis gratia quae huic saeculo communicatur, triplicem habet processum.
Nam a Deo in Christum, a Christo in Virginem, Virgine in anos ordinatissime
dispensatur . Toute grâce accordée aux hommes, arrive par
trois degrés parfaitement ordonnés : Dieu la communique au
Christ, du Christ elle passe à la Sainte Vierge, et des mains de
Marie elle descend jusqu’à nous. Or, par la récitation du
Rosaire, nous nous arrêtons plus volontiers, en quelque sorte avec
plus de bonheur, sur le troisième de ces degrés, qui ont
chacun leur caractère ; par la salutation angélique répétée
par dizaines, nous prenons force et confiance pour gravir les deux autres
degrés pour arriver, par Jésus-Christ, à Dieu son
Père. Cette même salutation, nous la répétons
si souvent à Marie, pour que notre pauvre et faible prière
se pénètre, se fortifie de la confiance nécessaire,
lorsque nous la supplions de prier Dieu pour nous, comme en notre nom à
nous. A nos accents quel charme et quelle puissance ajoute aux regards
de Dieu, la recommandation de la Sainte Vierge, de celle que Lui-même
invite à parler en des termes si doux et si tendres : Sonet vox
tua in auribus meis, vox enim tuo dulcis. « Que ta voix résonne
à mes oreilles car ta voix m’est si douce ! » Aussi
lui répétons-nous souvent ses titres les plus glorieux à
tout obtenir. Nous saluons en elle, celle qui plut aux yeux de Dieu, gratium
apud Deum invenit, particulièrement remplie par lui de grâce,
plenam gratia, d’une grâce dont l’abondance devait s’épandre
sur tous les hommes ; nous la saluons celle que le Seigneur s’est attachée
par les liens les plus forts, celle bénie entre les femmes, in mulieribus
benedictam, et qui seule a enlevé l’anathème et porté
la bénédiction, le fruit béni de ses entrailles, en
qui seront bénies toutes les nations. Nous l’invoquons enfin Mère
de Dieu. En vertu de cette dignité que n’est-elle certaine d’obtenir
pour nous pauvres pécheurs, et qu’y a-t-il que nous ne puissions
attendre dans toutes les circonstances de notre vie et dans la lutte suprême
de l’agonie ?
Le chrétien qui de toute l’attention et de la foi de son âme
se pénétrera de ces prières et de ces mystères,
ne saurait échapper à l’étreinte d’un sentiment puissant
d’admiration envers les desseins de Dieu à l’égard de Marie,
pour le salut de toute l’humanité. Il tressaillira d’une joyeuse
confiance de se sentir sous la protection, dans les bras d’une telle Mère
et dira comme saint Bernard : Souvenez-vous, ô pieuse Vierge Marie,
qu’on n’a jamais ouï dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à
votre protection, imploré votre assistance ou réclamé
votre intercession, ait été abandonné de vous !
Le Rosaire si puissant pour exciter la confiance chez ceux qui prient,
jouit d’une vertu égale pour émouvoir en notre faveur le
cœur de la Sainte Vierge. Combien en effet, il lui doit être agréable
de nous entendre et de nous voir lui tresser une harmonieuse couronne d’incomparables
louanges et de prières ! Le spectacle que nous présentons
lorsque nous rendons et souhaitons à Dieu la gloire qui lui est
due, lorsque nous exaltons sa puissance et sa bonté, l’appelant
Notre Père et lui demandons tout indignes que nous sommes, des bienfaits
infinis, ce spectacle réjouit certainement les regards de Marie
et à cause de notre piété, elle glorifie le Seigneur
: Magnificat Dominum. Et de fait ne prions-nous pas Dieu en termes dignes
de Lui, par l’Oraison Dominicale ! De plus, à ces prières
si belles par leur objet et dans leur expression où nous demandons
des bienfaits si conformes à la foi, à l’espérance
et à la charité, s’ajoute pour la sainte Vierge un charme
particulièrement délicieux à son cœur. Dans notre
voix, elle distingue comme l’accent de Jésus son Fils, cette formule
de prières est son œuvre, et c’est sur son ordre que nous nous en
servons : Sic ergo vos orabitis : vous, vous prierez ainsi. En nous voyant
fidèles à cet ordre de son Fils, par la récitation
du Rosaire, ne doutons pas que Marie ne remplisse avec plus de tendresse
encore, son ministère de bonté, soyons sûrs de l’accueil
souriant, maternel qu’elle fera à nos couronnes et des grâces
abondantes dont elle paiera chacune des roses mystiques de notre Rosaire.
Le caractère particulier de cette dévotion, caractère
éminemment propre à nous aider à bien prier, est à
lui seul un puissant motif de croire que nous serons exaucés. La
fragilité de l’esprit humain est telle qu’un rien suffit au cours
de la prière, pour distraire de Dieu et de l’objet de ses demandes,
la pensée de celui qui prie. Or, quiconque pénétrera
la nature du Rosaire, appréciera aussitôt combien ce mode
de prière est efficace pour fixer l’esprit, pour préserver
l’âme de la torpeur et en même temps pour exciter en elle une
douleur salutaire de ses péchés et la dresser ,l’élever
vers le ciel. En effet, le Rosaire se compose, on le sait, de deux parties
parfaitement distinctes et parfaitement unies : la méditation des
mystères et la prière vocale. Ce genre de prière exige
une attention d’un caractère particulier, elle consiste non seulement
dans une direction générale de l’âme vers Dieu mais
dans une méditation contemplative et active qui fait absorber par
l’âme la substance même de la piété et les considérations
les plus propres à faire changer de vie. Elle y trouve, en effet,
tout ce que la religion chrétienne a de plus substantiel et de plus
admirable : les vérités, à la lumière et la
puissance desquelles le genre humain doit d’avoir vu, pour son plus grand
bonheur, la vérité, la justice et la paix commencer à
régner sur le monde.
Et la manière dont ces mystères sont présentés,
au cours de la récitation du Rosaire, est bien digne aussi de notre
admiration : si nous considérons que ces vérités si
hautes sont mises à la portée des plus simples et des plus
ignorants. Ce ne sont pas des dogmes de foi, des principes de sagesse qu’on
présente dans le Rosaire, mais plutôt des faits que les yeux
peuvent voir et qui se gravent dans la mémoire. Et ces faits s’impriment
d’autant mieux dans l’âme et l’émeuvent, que le fidèle
les voit tels qu’ils se sont passés en réalité dans
toutes leurs circonstances de temps, de lieu et de personnes. Lorsque dès
la jeunesse, l’âme s’est imprégnée de la considération
de ces faits, il suffit ensuite d’énoncer ces mystères pour
que, quiconque aime un peu la prière, se rappelle toutes les circonstances,
sans aucune contention, par une sorte de mouvement, devenu naturel, de
l’esprit et du cœur ; et l’un et l’autre reçoivent abondamment la
rosée que Marie fait alors pleuvoir sur l’âme en prière.
Une autre raison rend ces couronnes plus agréables à
Marie et dignes à ses yeux de particulière récompense.
Lorsque nous déroulons la triple série des mystères,
nous exprimons plus vivement nos sentiments d’amour et de reconnaissance
envers la Sainte-Vierge ; nous protestons être impuissants à
rappeler ses bienfaits comme l’exigerait l’amour sans mesure qu’elle a
montré, dans la part prise par elle, à notre salut. Ces grands
souvenirs à chaque instant rappelés en sa présence,
doivent verser dans son âme bienheureuse des torrents de joie inexprimable
pour le langage humain, éveiller en elle des sentiments de sollicitude
et de charité maternelles. Et, de notre côté, nous
sentons l’évocation de si grands mystères, donner à
notre âme émue une force, une énergie de prière
qu’elle n’avait pas d’abord : chaque mystère qui se présente
devient pour elle une nouvelle armée d’arguments à
laquelle elle sent que la Sainte Vierge ne pourra résister : c’est,
en effet, auprès de vous, ô Sainte Mère de Dieu, que
nous nous réfugions, nous malheureux fils d’Eve que vous ne mépriserez
pas ! Nous Vous implorons, ô Vous la conciliatrice de notre salut,
aussi puissante que bonne ! par la douceur des joies que Jésus Votre
Fils Vous a données, par Votre mystérieuse communion à
ses douleurs, par la splendeur de sa gloire qui Vous enveloppe, nous vous
implorons de toutes nos forces ! Oh ! malgré notre indignité,
écoutez-nous, exaucez-nous !
Vénérables frères, cette excellence du Rosaire
que Nous avons fait ressortir sous ses deux aspects, vous proclame assez
la raison de Notre insistance à recommander la pratique et le progrès
universel de cette dévotion. Le secours du ciel, Nous l’avons dit
en commençant, devient de jour en jour plus indispensable au siècle
où nous vivons. Elles sont nombreuses, les causes de douleur pour
l’Eglise qui voit attaquer ses droits et sa liberté, nombreuses
aussi les causes d’effroi pour la société chrétienne
menacée dans sa paix et dans sa prospérité. Notre
espérance d’obtenir du ciel les secours nécessaires, est
toute entière, Nous le répétons et proclamons de nouveau,
dans le Rosaire. Plaise à Dieu que cette dévotion de nos
pères soit remise en honneur comme c’est Notre volonté !
Que dans les villes et les villages, que dans les familles, que dans les
ateliers, que chez les grands et chez les humbles cette dévotion
soit aimée et pratiquée, que le Rosaire soit partout le drapeau
de la foi chrétienne et le gage puissant de la protection et de
la miséricorde divines !
Il est de jour en jour plus urgent que tous les chrétiens travaillent
à obtenir ce résultat, à une époque où
l’impiété en délire ne néglige aucune intrigue,
ne recule devant aucune audace pour pousser à bout la colère
de Dieu et faire tomber sur la patrie le poids de sa juste colère.
Parmi les autres causes de tant de maux, tous les gens de bien déplorent
avec Nous, qu’au sein des nations catholiques elles-mêmes, se trouvent
un trop grand nombre de chrétiens qui s’amusent des affronts de
tous genres faits à l’Eglise. On en voit même profiter de
la licence de tout publier, pour s’attacher à tourner en ridicule
devant la multitude, les choses les plus saintes et jusqu’à la confiance
mille et mille fois justifiée par l’expérience, qu’ont les
peuples dans l’intercession de la Sainte Vierge. En ces derniers mois,
la personne elle-même de Notre Sauveur Jésus n’a pas échappé
à l’outrage. On n’a point eu honte de la traîner sur un théâtre
parfois souillé de bien des hontes, de l’y représenter dépouillée
de la majesté de sa nature divine et de nier par là même
la rédemption du genre humain. On n’a pas rougi davantage, de tenter
la réhabilitation d’un homme couvert d’une éternelle infamie,
odieux par la monstruosité d’une trahison qui proclamera infâme
au-delà des siècles le traître qui livra Jésus-Christ.
Ajoutons que, dans toutes villes d’Italie où ce crime fut commis
ou sur le point de se commettre, l’indignation a été universelle
et qu’on a déploré amèrement la violation des droits
les plus sacrés de la religion, droits méconnus, foulés
aux pieds dans une nation qui se glorifie une des premières entre
toutes et à juste titre, du nom de catholique. La sollicitude vigilante
des évêques s’est émue comme c’était son devoir
; les bons pasteurs ont fait parvenir de justes protestations à
ceux qui doivent avoir souci de la dignité de la patrie et de la
religion. Non contents de prévenir leurs troupeaux de la gravité
du péril, ils les ont exhortés à réparer par
des solennités religieuses l’offense sacrilège faite à
l’Auteur bien-aimé de notre Rédemption. Il Nous a été,
certes, bien agréable de constater l’émotion et aussi l’activité
déployée de mille manières par des gens de bien, en
cette circonstance ; ce spectacle a contribué à adoucir l’amertume
profonde de la douleur que Nous a causée une telle entreprise. En
cette solennelle occasion que Nous avons de parler, Nous ne pouvons retenir
captive Notre voix et Nous unissons Nos plus hautes protestations à
celles des évêques et des fidèles. Par ce même
sentiment qui Nous inspire de Nous plaindre d’un attentat sacrilège
et Nous le fait flétrir, Nous exhortons vivement les nations chrétiennes
et en particulier la nation italienne, à garder avec une fidélité
jalouse la foi de leurs ancêtres, leur plus précieux héritage,
à la défendre de toute leur énergie et à l’accroître
encore par l’honnêteté de leur vie et par leur piété.
A cet effet, Nous désirons vivement que, pendant tout le mois
d’octobre, la piété des fidèles et des confréries
s’ingénie à honorer, le plus dignement possible, l’auguste
Mère de Dieu, puissante Protectrice de la société
chrétienne et glorieuse Reine du Ciel, Nous renouvelons et confirmons
de tout cœur, les privilèges et les sacrées indulgences qu’à
cet effet Nous avons accordés les années précédentes.
O Vénérables Frères, que le Dieu qui nous avait
réservé dans sa toute miséricordieuse providence une
telle Médiatrice et qui a voulu que nous recevions tout par Marie
, daigne par cette puissante intercession exaucer Nos vœux, combler Nos
espérances ; pour aider à leur réalisation, Nous vous
accordons de tout cœur la Bénédiction apostolique, à
vous-mêmes, au clergé et au troupeau confié à
chacun d’entre vous.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 septembre 1894, de Notre Pontificat l’an XVII.
LEON XIII, PAPE.
Augustissimae Virginis Mariae, Lettre Encyclique de Notre Très Saint Père Léon XIII, sur le Rosaire de Marie.
A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats,
Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion
avec le Siège Apostolique.
LEON XIII, PAPE
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.
Si l’on considère à quel degré éminent de
dignité et de gloire Dieu a placé la très auguste
Vierge Marie, on comprendra facilement combien il importe aux intérêts
provés et publics d’entretenir assidûment son culte et de
le répandre avec un zèle chaque jour plus ardent.
Dieu l’a choisie de toute éternité pour devenir la Mère
du Verbe qui devait revêtir la nature humaine ; aussi, l’a-t-il tellement
élevée au-dessus de tout ce qu’il devait y avoir de plus
beau dans les trois ordres de la nature, de la grâce et de la gloire,
que l’Eglise lui attribue avec raison ces paroles : Je suis sortie de la
bouche du Très-Haut la première avant toute créature.
(Eccli., xxiv, 5)
Puis, dès que les siècles eurent commencé leurs
cours, lorsque les auteurs du genre humain furent tombés dans le
péché, souillant toute leur postérité de la
même tache, Marie fut constituée le gage du rétablissement
de la paix et du salut.
Le Fils unique de Dieu a prodigué à sa Très Sainte
Mère des témoignages non équivoques de respect.
Durant sa vie cachée, il l’a prise pour auxiliaire dans les
deux premiers miracles qu’il accomplit alors : l’un, miracle de la grâce,
qui, à la salutation de Marie, fit tressaillir en son sein l’enfant
d’Elisabeth ; l’autre, miracle de la nature, qui changea l’eau en vin aux
noces de Cana. Et, à la fin de sa vie publique, au moment d’établir
le Nouveau Testament qu’il devait sceller de son sang divin, il confia
Marie à l’apôtre bien-aimé par ces douces paroles :
Voici votre Mère. (S. Jean, xix, 27)
Nous donc qui, quoique indigne, sommes ici-bas le Vicaire et le Représentant
de Jésus-Christ Fils de Dieu, Nous ne cesserons jamais de poursuivre
la glorification d’une telle Mère, tant que la lumière brillera
pour nous. Cette période ne devant pas être longue, - le poids
grandissant des années nous en avertit, - Nous ne pouvons Nous empêcher
de redire à tous Nos fils en Jésus-Christ les dernières
paroles que le divin Crucifié nous a laissées comme par testament
: Voici votre Mère !
Et nous estimerons que Nos efforts ont pleinement abouti si, grâce
à Nos exhortations, tous les fidèles n’ont désormais
rien de plus à cœur, rien de plus cher que le culte de Marie, et
si on peut appliquer à chaque chrétien ce que saint Jean
a écrit de lui-même : Le disciple La reçut dans sa
maison. (S. Jean, xix, 27.)
Aussi, vénérables Frères, à l’approche
du mois d’octobre, Nous ne pouvons omettre de vous adresser une nouvelle
exhortation aussi ardente que possible,, afin que tous s’appliquent, par
la récitation du Rosaire, à acquérir des mérites
pour eux-mêmes et pour l’Eglise militante.
D’ailleurs, la divine Providence semble avoir permis, pour ranimer
la piété languissante des fidèles, que ce genre de
prière prît, à la fin de ce siècle, une extension
merveilleuse : témoins les temples magnifiques et les célèbres
sanctuaires voués au culte de la Mère de Dieu.
Cette divine Mère a reçu nos fleurs au mois de mai. Nous
voudrions qu’un généreux élan de la piété
universelle lui dédiât également octobre, le mois des
fruits. Il convient, en effet, de consacrer ces deux saisons à Celle
qui a dit d’elle-même : « Mes fleurs sont des fruits d’honneur
et de vertu. » (Eccli., xxix, 23)
Les hommes sont naturellement portés à s’unir, à
s’associer ; mais jamais peut-être ces liens de société
n’ont été plus étroits ni recherchés avec une
ardeur aussi vive et aussi générale qu’à notre époque.
Personne n’aurait lieu de s’en plaindre, si ce penchant naturel, très
noble en lui-même, n’était souvent détourné
de son but et dirigé vers le mal. On voit en effet se réunir
en groupes de genres divers des hommes impies qui joignent leurs efforts
« contre le Seigneur et contre son Christ. » (Ps. II, 2) Toutefois,
on peut constater – et cela Nous est très agréable – que,
parmi les catholiques, on apprécie plus qu’autrefois les associations
pieuses, qu’elles sont plus nombreuses dans l’Eglise, que les liens de
la charité unissent, comme dans une demeure commune, et fusionnent
pour ainsi dire tous les fidèles à tel point qu’ils peuvent
être appelés et qu’ils semblent être vraiment des frères.
Au contraire, si l’on supprime la charité du Christ, personne
ne peut se glorifier de ce nom, ni de cette union fraternelle. C’est ce
que jadis Tertullien exposait vigoureusement en ces termes : « Nous
sommes vos frères par droit de nature, parce que nous n’avons qu’une
mère, quoique vous soyez à peine des hommes, parce que vous
êtes de mauvais frères. Mais à combien plus juste titre
ils sont appelés frères et regardés comme tels, ceux
qui reconnaissent Dieu pour leur père commun, qui sont pénétrés
du même esprit de sainteté, qui du sein de la même ignorance
ont passé avec ravissement à la lumière de la même
vérité. »
C’est sous des formes multiples que les catholiques ont coutume de
constituer les sociétés très salutaires dont Nous
parlons. Il y a les cercles, les caisses rurales, les réunions organisées
les jours de fête pour reposer les esprits, les patronages pour la
jeunesse, le confréries, et beaucoup d’autres associations formées
dans des buts excellents. Assurément, toutes ces institutions –
bien que, par leur titre, leur forme et leur fin particulière et
prochaine, elles semblent de création récente – sont en réalité
très anciennes. Il est certain, en effet, que l’on retrouve, à
l’origine même du christianisme, des traces de pareilles associations.
Mais, dans la suite, elles furent confirmées par des lois, distinguées
par des insignes, gratifiés de privilèges, employées
aux cérémonies du culte dans les temples, consacrées
aux soins des âmes ou des corps ; elles reçurent des noms
divers, suivant les époques. Leur nombre s’accrut tellement, dans
le cours des siècles, qu’en Italie surtout il n’y a aucune région,
aucune ville et presque aucune paroisse qui ne compte une ou plusieurs
de ces sociétés.
Nous n’hésitons pas à attribuer, parmi ces associations,
la place d’honneur à la confrérie dite du Très Saint
Rosaire. En effet, si l’on considère son origine, elle brille entre
toutes les institutions du même genre par son ancienneté,
puisqu’elle a eu pour fondateur S. Dominique lui-même. Si l’on tient
compte des privilèges, elle en a obtenu d’aussi nombreux qu’il est
possible, grâce à la munificence de Nos prédécesseurs.
La forme et pour ainsi dire l’âme de cette institution, c’est
le Rosaire de Marie, dont Nous avons longuement exposé ailleurs
la vertu. Mais la puissance et l’efficacité du Rosaire, en tant
qu’il constitue l’office propre de la confrérie à laquelle
il a donné son nom, sont surtout considérables.
Nul n’ignore, en effet, combien il est nécessaire pour tous
les hommes de prier, non que les décisions divines puissent être
modifiées, mais parce que, comme l’a dit S. Grégoire, «
les hommes, en demandant, méritent de recevoir ce qu’avant les siècles
le Dieu tout-puissant a résolu de leur donner ». (Dialog.
I, 8)
S. Augustin, d’autre part, a dit : « Celui qui sait bien prier
sait bien vivre. » (In Ps. CXVIII.) Mais les prières sont
surtout puissantes pour obtenir le secours céleste lorsqu’elles
sont faites publiquement, avec persévérance et union, par
un grand nombre de fidèles, qui ne forment pour ainsi dire qu’un
seul chœur de suppliants. C’est ce que montrent très clairement
ces paroles des Actes des Apôtres, où il est dit que les disciples
du Christ, attendant l’Esprit-Saint promis, « persévéraient
unanimement dans la prière ». (Act. I, 14) Ceux qui emploieront
cette manière de prier ne manqueront jamais d’en retirer de fruits.
Or, c’est ce qui se produit pour les associés du Saint-Rosaire.
En effet, de même que les prêtres, par la récitation
de l’Office divin, supplient Dieu d’une façon publique, constante
et, à cause de cela, très efficace ; ainsi, elle est publique
d’une certaine manière, et incessante, et commune, la prière
que font les associés en récitant le Rosaire, ou, comme l’ont
appelé plusieurs Pontifes romains, le Psautier de la Vierge.
De ce que les prières publiques, comme Nous l’avons dit, sont
préférables aux prières privées et ont une
puissance d’impétration plus grande, il est résulté
que la confrérie du Saint-Rosaire a été nommée
par les écrivains ecclésiastiques « la milice suppliante
rassemblée par le Père Dominique sous les étendards
de la divine Mère" » de cette Mère que les saintes
Lettres et l’histoire de l’Eglise saluent comme Celle qui a vaincu le démon
et triomphé de toutes les erreurs. En effet, le Rosaire de Marie
unit les fidèles qui pratiquent cette dévotion par un lien
commun, semblable à celui qui existe entre des frères ou
entre des soldats logés sous la même tente. Ainsi se trouve
constituée une armée bien organisée et très
puissante pour résister aux ennemis de l’intérieur ou du
dehors.
Les membres de cette pieuse association peuvent donc à juste
titre s’appliquer ces paroles de saint Cyprien : « Nous avons une
prière publique et commune ; et quand nous prions, ce n’est pas
pour un seul, mais pour tout le peuple, parce que tous nous ne faisons
qu’un. » (De orat. Domin.)
D’ailleurs, les annales de l’Eglise prouvent l’efficacité de
semblables prières, en nous rappelant la défaite des troupes
turques près des îles Echinades, ainsi que les victoires éclatantes
remportées au siècle dernier sur le même peuple, à
Temesvar en Hongrie et à Corfou. Grégoire XIII voulut perpétuer
le souvenir du premier de ces triomphes, et il institua une fête
en l’honneur de Marie victorieuse. Dans la suite, Notre Prédécesseur
Clément XI donna à cette solennité le titre du Rosaire
et décréta qu’elle serait célébrée chaque
année dans l’Eglise universelle.
Mais parce que cette armée suppliante est « enrôlée
sous l’étendard de la divine Marie », un nouveau mérite
et un nouvel honneur rejaillissent sur elle. C’est pour cela surtout que,
dans la récitation du Rosaire, on répète si souvent
la Salutation angélique après l’Oraison dominicale. On pourrait
croire, au premier abord, que cette répétition est incompatible
en quelque sorte avec l’honneur dû à la divinité, et
qu’elle nous porte à mettre dans le patronage de Marie une confiance
plus grande qu’en la divine puissance. Mais tout au contraire : rien ne
peut plus facilement toucher Dieu et nous le rendre plus propice.
En effet, la foi catholique nous enseigne que nous devons adresser
nos prières, non seulement à Dieu, mais encore aux bienheureux
habitants du ciel (Conc. Trid. sess XXV) ; bien que le mode de supplication
doive différer, puisque nos prières s’adressent à
Dieu comme au principe de tous les biens, et aux Saints comme à
des intercesseurs auprès de Dieu. On peut, dit saint Thomas, adresser
une prière à quelqu’un de deux façons : ou bien pour
qu’il l’accomplisse par lui-même, ou bien pour qu’il en obtienne
l’accomplissement. C’est de la première manière que nous
prions Dieu, parce que toutes nos prières doivent avoir pour but
d’obtenir la grâce et la gloire, que Dieu seul donne, selon qu’il
est dit au psaume LXXXIII, verset 12e : « Le Seigneur donnera la
grâce et la gloire. » Mais nous prions les anges et les Saints
de la seconde manière, non point pour que Dieu connaisse par eux
nos demandes, mais afin que, par leurs supplications et leurs mérites,
nos prières puissent être exaucées. C’est pourquoi
il est dit dans l’Apocalypse, chapitre VIII, verset 4e, que « la
fumée des parfums composés des prières des saints
s’éleva de la main de l’ange devant Dieu. » (S. Th. 2a 2ae,
q. 83, a. 4)
Or, parmi tous les heureux habitants du ciel, qui donc oserait rivaliser
avec l’auguste Mère de Dieu pour une grâce à obtenir
? Qui donc voit plus clairement, dans le Verbe éternel, les angoisses
qui nous pressent, les besoins dont nous sommes assiégés
? Qui, plus qu’Elle, a reçu e pouvoir de toucher la Divinité
? Qui pourrait égaler les effusions de sa tendresse maternelle ?
C’est précisément la raison pour laquelle, si nous ne prions
pas les bienheureux comme nous prions Dieu, - « car nous demandons
à la sainte Trinité d’avoir pitié de nous, et à
tous les Saints, quels qu’ils soient, de prier pour nous (Ib.), - toutefois
notre manière d’implorer la Vierge a quelque chose de commun avec
le culte de Dieu, au point que l’Eglise supplie la Vierge par les mots
mêmes dont elle se sert pour supplier Dieu : « Ayez pitié
des pécheurs. » Les membres de la confrérie du saint
Rosaire font donc une œuvre excellente en tressant de leurs salutations
répétées et de leurs prières à Marie
comme des guirlandes de roses. Si haute, en effet, est la grandeur de Marie,
si puissante la faveur dont Elle jouit auprès de Dieu, que ne pas
recourir à Elle dans ses besoins, c’est vouloir, sans ailes, s’élever
dans les airs.
L’association dont Nous parlons a un autre mérite, que Nous
ne devons point passer sous silence. Toutes les fois que, par la récitation
du Rosaire de Marie, nous méditons les mystères de notre
salut, nous imitons aussi parfaitement que possible l’office très
saint confié jadis à la céleste milice des anges.
Ce sont eux, qui ont révélé ces mystères successivement
et en leur temps, qui y ont joué un grand rôle, qui ont rempli
cette charge avec grand soin, dans une attitude tantôt joyeuse, tantôt
affligée, tantôt triomphante. C’est Gabriel qui est envoyé
vers la Vierge pour annoncer l’incarnation du Verbe éternel. Ce
sont des anges, qui, dans la grotte de Bethléem, célèbrent
la naissance du Sauveur. C’est un ange qui avertit Joseph de prendre la
fuite et de se retirer en Egypte avec l’Enfant. Au jardin des oliviers,
lorsque Jésus, accablé de douleur, répand une sueur
de sang, c’est un ange qui, respectueusement, Le console. Lorsque, triomphant
de la mort, Il est sorti du sépulcre, ce sont des anges qui l’annoncent
aux saintes femmes. Des anges révèlent que Jésus est
monté au ciel et proclament qu’Il en reviendra, environné
des milices angéliques, auxquelles Il joindra les âmes des
élus pour les emmener vers les chœurs célestes, au-dessus
desquels a été exaltée la sainte Mère de Dieu.
C’est donc aux associés du Rosaire récitant cette pieuse
prière que conviennent parfaitement ces paroles que l’apôtre
saint Paul adressait aux nouveaux disciples du Christ : « Vous êtes
montés sur la montagne de Sion ; vous êtes entrés dans
la cité du Dieu vivant, dans la Jérusalem céleste,
et beaucoup de milliers d’anges sont autour de vous. » (Héb.,
XII, 22) Quoi en effet de plus divin, quoi de plus suave que de contempler,
que de prier en compagnie des anges ? Quelle espérance, quelle confiance
on peut concevoir de jouir dans le ciel de la bienheureuse société
des anges, lorsque, sur la terre, on les a déjà aidés,
pour ainsi dire, à accomplir leur ministère !
C’est pour toutes ces raisons que les Pontifes romains ont toujours
comblé des plus magnifiques éloges une association ainsi
dévouée à Marie. Innocent VIII l’appelle « la
très dévote confrérie » (Splendor paternae gloriae,
26 févr. 1491) ; Pie V célèbre ainsi ses bienfaits
: « Les fidèles du Christ se trouvent soudain changés
en d’autres hommes, les ténèbres de l’hérésie
se dissipent, et la lumière de la foi catholique se révèle
» (Consueverunt RR. PP., 17 sept. 1569) ; Sixte-Quint, observant
combien cette institution a été salutaire à la religion,
proclame qu’il lui est très dévoué. Beaucoup d’autres
Pontifes, enfin, ou bien ont enrichi cette dévotion des plus abondantes
et des plus magnifiques indulgences, ou bien l’ont prise sous leur protection
particulière, soit en s’y associant, soit en lui accordant divers
témoignages de leur bienveillance.
Excité par l’exemple de Nos prédécesseurs, Nous
aussi, Vénérables Frères, Nous vous exhortons et vous
encourageons avec ardeur, comme Nous l’avons déjà fait souvent,
à entourer de votre meilleur dévouement cette milice sacrée,
de telle sorte que, grâce à vos efforts, elle voie de jour
en jour accourir sous ses drapeaux des effectifs plus nombreux. Que, par
votre concours et par le concours des membres de votre clergé qui
ont charge d’âmes, le peuple connaisse et apprécie comme il
convient les avantages de cette confrérie et son utilité
pour le salut éternel des hommes. Nous le demandons avec d’autant
plus d’insistance que, tout dernièrement encore, on a vu refleurir
une des formes les plus belles de la piété envers la très
sainte Mère de Dieu au moyen du Rosaire, qu’on appelle le «
Rosaire perpétuel ». Nous bénissons de grand cœur cette
institution, et Nous souhaitons grandement que vous consacriez à
la répandre votre zèle et votre activité.
Nous concevons l’espoir très vif que les louanges et les prières
du Rosaire seront très puissantes si, sortant des lèvres
et du cœur d’une grande multitude, elles ne se taisent jamais, et si jour
et nuit, dans les diverses régions du globe, successivement, le
concert continu de voix qui prient s’harmonise avec la méditation
des choses divines. Cette continuité de supplications et de louanges
a été annoncée, il y a bien des siècles, par
ces paroles divines adressées à Judith, dans le cantique
d’Ozias : « Tu es bénie par le Dieu Très-Haut par-dessus
toutes les femmes qui sont sur la terre,… car Il a aujourd’hui tellement
glorifié ton nom, que ta louange ne s’arrêtera plus sue les
lèvres des hommes. » Et tout le peuple d’Israël acclamait
ces paroles en s’écriant : « Qu’il en soit ainsi ! qu’il en
soit ainsi ! »
En attendant, comme gage des bienfaits célestes, et comme témoignage
de Notre paternelle bienveillance, Nous accordons affectueusement dans
le Seigneur, Vénérables Frères, à vous, à
votre clergé, à tout le peuple confié à votre
foi et à votre vigilance, la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 12 septembre 1897, la vingtième année de Notre pontificat.
LEON XIII, PAPE.
Diuturni temporis, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, à l’occasion du mois du Rosaire.
A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats,
Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion
avec le Saint-Siège apostolique,
Léon XIII, Pape.
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
En considérant le long espace de temps, durant lequel, par la
volonté de Dieu, Nous avons exercé le souverain Pontificat,
Nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître, que, malgré
Notre indignité, Nous y avons ressenti le secours ininterrompu de
la divine Providence. Nous pensons qu’il faut l’attribuer principalement
aux prières dites en commun, et partant si efficaces, qui n’ont
cessé un seul instant d’être répandues pour Nous, comme
autrefois pour Pierre, par l’Eglise universelle.
C’est pourquoi, tout d’abord, Nous rendons les plus vives actions de
grâces à Dieu, le dispensateur de tout bien. Toute Notre vie,
Nous garderons dans Notre esprit et Notre cœur, le souvenir de chacun de
ses bienfaits.
En outre, il Nous est bien doux de Nous rappeler le maternel patronage
de l’auguste Reine du Ciel. Nous conserverons pieusement et inviolablement
la mémoire de ses faveurs ; Nous ne cesserons de les exalter et
de l’en remercier.
D’Elle, en effet, découlent, comme d’un canal très abondant,
les flots des grâces célestes. « Dans ses mains sont
les trésors des miséricordes divines » . « Dieu
veut qu’Elle soit le principe de tous les biens » . Dans l’amour
de cette tendre Mère, que Nous Nous sommes efforcé d’entretenir
et d’accroître, Nous avons la ferme espérance de mourir.
Depuis longtemps déjà, désirant faire reposer
le salut de la société humaine sur l’extension du culte de
la divine Vierge, comme sur une forteresse inexpugnable, Nous n’avons pas
cessé de propager, parmi les fidèles du Christ, la dévotion
fréquente au Rosaire de Marie. A partir de Notre Lettre Encyclique
des calendes de septembre de l’année 1883, publiée sur ce
sujet, Nous avons édicté maints décrets, dans ce même
but et pour le même objet.
Et comme, par un dessein de la miséricorde divine, il Nous est
donné de voir encore cette année l’approche du mois d’octobre,
que Nous avons précédemment dédié et consacré
à la Vierge du Rosaire, Nous ne voulons pas manquer de vous exhorter
encore à la piété envers Marie.
En vous rappelant ainsi rapidement ce que Nous avons fait jusqu’ici
pour promouvoir cette forme de prière, Nous couronnerons notre œuvre
par une dernière Lettre, qui sera le suprême témoignage
de Notre zèle et de Notre sollicitude pour cette excellente manière
d’honorer la bienheureuse Vierge, et qui excitera plus encore l’ardeur
des fidèles à embrasser pieusement, et à conserver
d’une façon inviolable cette sainte pratique.
Mu par le désir constant de fixer, dans les convictions du peuple
chrétien, la grandeur et l’efficacité du Rosaire de Marie,
Nous avons rappelé l’origine, plutôt divine qu’humaine, de
cette prière. Nous avons montré comment elle est une guirlande,
admirablement formée, de la Salutation angélique et de l'Oraison
dominicale, unies à la méditation. Ainsi composé,
le Rosaire forme la plus puissante méthode de prière, bien
efficace pour nous faire acquérir la vie éternelle. Outre
l’excellence même des éléments, dont elle est composée,
ne fournit-elle pas à notre foi un utile aliment ; et ne nous offre-t-elle
pas d’insignes modèles de vertu, grâce aux mystères
qu’elle présente successivement à notre méditation
?
Nous avons rappelé, en outre, que le Rosaire est d’une pratique
facile, et à la portée du peuple, à qui les exemples
de la famille de Nazareth offrent une image parfaite de ce devrait être
la vie domestique. C’est pourquoi le peuple chrétien n’a jamais
manqué d’éprouver sa très salutaire efficacité.
Pour ces motifs principalement, et parce que, d’ailleurs, Nous n’avons
pas cessé, par Nos appels réitérés, de recommander
la forme même du Rosaire, Nous Nous sommes appliqué, en outre,
suivant la pieuse tradition de Nos prédécesseurs, à
en répandre la pratique, et à en accroître la solennité.
Sixte-Quint, d’heureuse mémoire, approuva l’antique usage de
réciter le Rosaire ; Grégoire XIII institua une fête,
sous ce vocable ; Clément VIII l’inscrivit dans le Martyrologe ;
Clément XI en étendit la célébration à
l’Eglise entière ; Benoît XIII l’inséra dans le Bréviaire
Romain. A leur suite, et en témoignage perpétuel de Notre
dévotion pour cet exercice de piété, Nous avons décrété
que cette solennité, avec son office, serait célébré
dans toute l’Eglise, comme fête double de seconde classe ; Nous avons
prescrit que le mois d’octobre tout entier serait consacré à
cette dévotion ; Nous avons ordonné d’ajouter aux Litanies
de Lorette l’invocation : « Reine du Très Saint Rosaire »,
comme augure de la victoire à remporter dans les combats actuels
contre l’impiété.
Il Nous restait à montrer tout le prix et tout le profit qui
est attaché à la récitation du Rosaire de Marie, soit
à cause des privilèges et des faveurs, dont il est enrichi,
soit surtout à cause du trésor si grand des indulgences,
qui y sont attachées. Combien il importe à tous ceux qui
ont souci de leur salut de mettre à profit de pareils avantages,
c’est ce que l’on peut comprendre sans peine.
Il s’agit, en effet, d’obtenir, en tout ou en partie, en usant du trésor
des Indulgences, la rémission de la peine temporelle qu’il reste,
même après le pardon du péché, à subir
dans ce monde ou dans l’autre. Riche trésor, certes, que celui des
mérites du Christ, auxquels sont joints ceux de la Vierge et des
Saints ! Notre prédécesseur Clément VI lui appliquait
ces paroles de la Sagesse : « Il est pour les hommes un trésor
infini ; ceux qui s’en servent participent à l’amitié de
Dieu » .
Déjà les Pontifes romains, usant du suprême pouvoir
qu’ils tiennent de Dieu, ont ouvert en faveur des associés du saint
Rosaire et pour ceux qui le récitent pieusement, les sources les
plus abondantes de ces grâces.
C’est pourquoi, Nous aussi, dans la pensée que ces grâces
et ces indulgences augmentent l’éclat de la couronne de la Vierge
Marie, et contribuent à l’orner, pour ainsi dire, des perles les
plus précieuses, Nous avons résolu, après de mûres
réflexions, de publier une Constitution, relative aux droits, aux
privilèges, aux indulgences, dont jouissent les associations du
Très Saint Rosaire. Puisse cette Constitution être un témoignage
de Notre amour envers la très auguste Mère de Dieu ; puisse-t-elle
offrir à tous les fidèles du Christ des stimulants et des
récompenses pour leur piété, afin que, à leur
heure suprême, ils puissent être soulagés par le secours
de Marie et s’endormir doucement sur son sein.
C’est ce que Nous demandons de tout cœur au Dieu très bon et
très grand, par l’intercession de la Reine du Très Saint
Rosaire.
Comme gage et augure des biens célestes, Nous vous accordons
affectueusement, à vous, Vénérables Frères,
au clergé et au peuple confiés aux soins de chacun de vous,
la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 5 septembre de l’année 1898, la vingt et unième de Notre Pontificat.
LEON XIII, PAPE.
Lettre apostolique Parta Humano Generi, sur la consécration d'un nouveau sanctuaire en l'honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du très saint Rosaire, à Lourdes, en France, au mois d'octobre 1901.
Leon XIII, pape
A tous les fidèles qui liront cette lettre, salut et bénédiction apostolique.
Les immortels bienfaits procurés au genre humain par le Christ-Rédempteur
demeurent gravés au fond de toutes nos âmes et sont honorés
dans l'Eglise par un éternel souvenir qui s'unit, chaque jour, à
un doux témoignage d'amour envers la Vierge, Mère de Dieu.
Pour Nous, lorsque Nous jetons les yeux sur la durée de Notre
souverain Pontificat et que Nous repassons la série de Nos actes,
Nous Nous sentons doucement pénétrés de consolation
et de reconnaissance à la vue des œuvres que, sous l'impulsion et
avec l'aide de Dieu, auteur des bons conseils, Nous avons soit entreprises
Nous-même, pour rehausser les honneurs rendus à la Vierge
Marie, soit pris soin de faire entreprendre ou promouvoir par des enfants
de l'Eglise catholique.
Ce qui Nous est une joie particulière, c'est que la sainte institution
du Rosaire de Marie, grâce à Nos exhortations et à
Notre sollicitude, est plus connue et est entrée davantage dans
la pratique du peuple chrétien ; c'est que les confréries
du Rosaire se sont multipliées et deviennent de jour en jour plus
florissantes, et par le nombre et par la piété de leurs associés
; c'est que de nombreux et importants ouvrages, dus aux patients travaux
d'hommes savants, ont été publiés et répandus
au loin ; c'est, enfin, que le mois d'octobre, que nous avons ordonné
de consacrer tout entier au Rosaire, est célébré avec
un éclat extraordinaire dans le monde entier.
Mais Nous croirions presque manquer à Notre devoir si, en cette
année, avec laquelle le XXe siècle a pris naissance, Nous
négligions l'occasion favorable que Nous ont spontanément
offerte Notre Vénérable Frère l'évêque
de Tarbes, le clergé et le peuple de la ville de Lourdes, qui, dans
un temple auguste, dédié à Dieu en l'honneur de la
bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire,
ont érigé quinze autels à consacrer aux quinze mystères
du Rosaire.
Nous profitons d'autant plus volontiers de cette occasion qu'il s'agit
de cette contrée de la France que rendent illustres de si nombreuses
et de si grandes faveurs de la Bienheureuse Vierge ; de cette contrée,
enfin, qui se glorifie d'avoir, autrefois, possédé saint
Dominique, père et législateur de son Ordre, et où
se trouve le berceau du Saint Rosaire. En effet, nul parmi les chrétiens
ne peut ignorer comment saint Dominique, venu d'Espagne en France, a combattu
l'hérésie des Albigeois qui, semblable à une peste
pernicieuse, envahissait, en ce temps-là, aux pieds des Pyrénées,
l'Aquitaine presque entière ; comment, enfin, par l'exposition et
la prédication des admirables et saints mystères de notre
divine religion, il a, en ces lieux remplis des ténèbres
de l'erreur, rallumé le flambeau de la vérité.
En effet, le but vers lequel convergent, en se prêtant un mutuel
appui, les diverses séries de mystères que Nous admirons
dans cette dévotion, c'est que, dans leur méditation et dans
leur souvenir fréquent, l'esprit du chrétien puise insensiblement
la vertu qu'ils renferment et s'en pénètre ; c'est que, peu
à peu, il est amené à ordonner et à régler
sa vie dans une activité exempte de trouble, à supporter
l'adversité avec calme et courage, à nourrir l'espérance
de biens immortels dont il jouira dans la vraie patrie, enfin, à
entretenir et à augmenter en lui la foi, sans laquelle on cherche
en vain à guérir et à soulager les maux qui nous accablent
ou à repousser les dangers qui nous menacent de toute part.
Les prières que saint Dominique, guidé et secouru par
Dieu, a, le premier, composées en l'honneur de Marie ont été,
à juste titre, appelées Rosaire. Car, autant de fois, en
nous unissant à la louange angélique, nous saluons Marie
pleine de grâce, autant de fois, par cet éloge répété,
nous offrons, pour ainsi dire, à cette Vierge bénie des roses
qui répandent la suavité du plus agréable parfum,
autant de fois se présente à notre esprit et l'éminente
dignité de Marie et la grâce infinie qui lui vient de Dieu
par Jésus-Christ, le fruit de ses entrailles ; autant de fois nous
rappelons les autres mérites extraordinaires par lesquels Elle a
participé avec son Fils Jésus à la Rédemption
du genre humain. Oh ! combien donc est douce à la Vierge Marie,
combien Lui est agréable la salutation angélique, puisque,
au moment où Gabriel la lui adressait, Elle comprit que, par la
vertu de l'Esprit-Saint, Elle avait conçu le Verbe de Dieu !
Mais, de nos jours aussi, la vieille hérésie albigeoise,
sous un nom différent et sous le patronage d'autres sectes, renaît
d'une manière étonnante, avec les formes et les séductions
nouvelles d'erreurs et de doctrines impies ; elles s'insinue à nouveau
dans ces contrées, infecte et contamine de sa honteuse contagion
les peuples chrétiens qu'elle entraîne lamentablement à
leur perte et à leur ruine. Nous voyons, en effet, et Nous déplorons
grandement la tempête soulevée, dans le moment présent,
en France surtout, contre les familles religieuses qui, par leurs œuvres
de piété et de charité, ont si bien mérité
de l'Eglise et des peuples.
Or, pendant que Nous gémissons sur ces maux et que les graves
afflictions de l'Eglise remplissent Notre cœur d'une amère douleur,
Nous voyons avec joie, à côté du mal, apparaître
les indices non douteux d'un meilleur avenir. En effet, ce Nous est un
favorable et heureux présage — daigne l'auguste Reine du Ciel le
ratifier — que l'on doive, au mois d'octobre prochain, comme Nous l'avons
dit plus haut, consacrer dans les sanctuaires de Lourdes autant d'autels
qu'il y a de Mystères du Très Saint Rosaire.
Certes, rien ne peut être plus efficace pour nous concilier la
faveur de la Vierge Marie et nous mériter les grâces les plus
salutaires, que d'entourer des plus grands honneurs possibles les mystères
de Rédemption auxquels nous voyons qu'Elle n'a pas seulement assisté
mais participé, et de dérouler devant tous les yeux la série
de ces divines vérités proposées à notre méditation.
Et c'est pourquoi Nous sommes assuré que la Vierge Marie, Mère
de Dieu et Mère très tendre des hommes, sera propice aux
vœux et aux prières que les foules innombrables de chrétiens,
accourus de toutes parts, multiplieront dans ses sanctuaires, et qu'Elle
joindra et associera son intercession à la leur, afin que la conjuration
de la prière fasse, pour ainsi dire, violence au ciel et touche
le Dieu des miséricordes infinies. Puisse, de la sorte, la très
puissante Vierge-Mère qui, autrefois, a coopéré par
sa charité à la naissance des fidèles dans l'Eglise,
être, maintenant encore, l'intermédiaire et la patronne de
notre salut ! Qu'elle frappe et écrase les innombrables têtes
de l'hydre impie qui étend de plus en plus ses ravages par toute
l'Europe ; qu'Elle ramène la tranquillité de la paix dans
les esprits inquiets ; et qu'ainsi, enfin, soit hâté le retour
des individus et des sociétés à Jésus-Christ
qui peut sauver à tout jamais ceux qui s'approchent de Dieu par
son entremise.
C'est pourquoi, rempli de bienveillance pour Notre Vénérable
frère l'évêque de Tarbes et Nos fils bien-aimés
du clergé et du peuple de Lourdes, Nous avons résolu de répondre
favorablement, par la présente Lettre apostolique, à toutes
les demandes qu'ils Nous ont récemment présentées.
Et Nous avons ordonné qu'un exemplaire authentique de cette Lettre
soit adressé à tous Nos Vénérables frères
dans le ministère pastoral, patriarches, archevêques, évêques
et tous autres prélats de l'univers catholique, afin qu'ils soient
remplis de la même joie et de la même allégresse sainte
que Nous-même.
C'est pour cela que, — pour le bien, le bonheur et la félicité
de tous, pour l'accroissement de la gloire de Dieu et pour le plus grand
avantage de toute l'Eglise catholique, — en vertu de Notre autorité
apostolique et par la teneur de la présente Lettre, Nous chargeons
Notre cher fils Benoît-Marie Langénieux, cardinal de la sainte
Eglise romaine, de consacrer régulièrement, en Notre Nom
et avec Notre autorité, le nouveau sanctuaire, érigé
dans la ville de Lourdes et dédié à Dieu, en l'honneur
de la bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire.
Nous accordons, en outre, à ce très cher fils le privilège
de porter le pallium pendant cette solennelle cérémonie,
comme s'il se trouvait dans son archidiocèse ; et enfin, à
l'issue de cette solennité, de bénir, avec les indulgences
accoutumées, en vertu encore de Notre autorité et en Notre
nom, l'assemblée des fidèles. Nous accordons ces faveurs,
nonobstant toute disposition ou règlement contraires.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l'anneau
du Pêcheur, le 8 sept 1901, de Notre pontificat l'an vingt-quatrième.
LEON XIII, PAPE.