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11 Encycliques Mariales de Léon XIII
édition numérique par JesusMarie.com

1) Encyclique Supremi apostolatus Officio (1er septembre 1883)
2) Bref Pontifical Salutaris Ille Spiritus (24 décembre 1883)
3) Encyclique Superiore Anno (30 août 1884)
4) Décret de la Congrégation des Rites sur la fête de N.-D. du Rosaire (11 septembre 1887)
5) Encyclique Quamquam Pluries sur le patronage de St Joseph et de la Sainte Vierge (15 août 1889)
6) Encyclique Octobri Mense (22 septembre 1891)
7) Encyclique Magnae Dei Matris (8 septembre 1892)
8) Encyclique Laetitiae Sanctae (8 septembre 1893)
9) Encyclique Jucunda Semper Expectatione (8 septembre 1894)
10) Encyclique Adiutricem populi christiani (5 septembre 1895)
11) Encyclique Fidentem Piumque Animum (20 septembre 1896)
12) Encyclique Augustissimae Virginis Mariae (12 septembre 1897)
13) Encyclique Diuturni Temporis (5 septembre 1898)
14) Lettre Apostolique Parta Humano Generi (8 septembre 1901) relative à la consécration de l'église du Rosaire, à Lourdes
 

Supremi Apostolatus Officio, Lettre Encyclique de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, sur le Très saint Rosaire.

A tous nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Le devoir du suprême apostolat qui Nous a été confié, et la condition particulièrement difficile des temps actuels, Nous avertissent chaque jour instamment, et pour ainsi dire Nous pressent impérieusement, de veiller avec d'autant plus de soin à la garde et à l'intégrité de l'Eglise que les calamités dont elle souffre sont plus grandes.
C'est pourquoi autant qu'il est en Notre pouvoir, en même temps que Nous Nous efforçons par tous les moyens de défendre les droits de l'Eglise comme de prévoir et de repousser les dangers qui la menacent et qui l'assaillent, Nous mettons aussi Notre plus grande diligence à implorer l'assistance des secours divins, avec l'aide seule desquels Nos labeurs et Nos soins peuvent aboutir.
A cette fin, Nous estimons que rien ne saurait être plus efficace et plus sûr que de Nous rendre favorable, par la pratique religieuse de son culte, la sublime Mère de Dieu, la Vierge Marie, dépositaire souveraine de toute paix et dispensatrice de toute grâce, qui a été placée par son divin Fils au faîte de la gloire et de la puissance, afin d'aider du secours de sa protection les hommes s'acheminant, au milieu des fatigues et des dangers, vers la Cité Eternelle.
C'est pourquoi, à l'approche des solennels anniversaires qui rappellent les bienfaits nombreux et considérables qu'a valus au peuple chrétien la dévotion du Saint Rosaire, Nous voulons que cette année, cette dévotion soit l'objet d'une attention toute particulière dans le monde catholique en l'honneur de la Vierge Souveraine, afin que, par son intercession, nous obtenions de son divin Fils un heureux adoucissement et un terme à nos maux. Aussi, avons-Nous pensé, Vénérables Frères, à Vous adresser ces lettres, afin que Notre dessein Vous étant connu, Votre autorité et Votre zèle excitent la piété des peuples à s'y conformer religieusement.
Ce fut toujours le soin principal et solennel des catholiques de se réfugier sous l'égide de Marie et de s'en remettre à sa maternelle bonté dans les temps troublés et dans les circonstances périlleuses. Cela prouve que l'Eglise catholique a toujours mis, et avec raison, en la Mère de Dieu, toute sa confiance et toute son espérance. En effet, la Vierge exempte de la souillure originelle, choisie pour être la Mère de Dieu, et par cela même associée à lui dans l'œuvre du salut du genre humain, jouit auprès de son Fils d'une telle faveur et d'une telle puissance que jamais la nature humaine et la nature angélique n'ont pu et ne peuvent les obtenir. Aussi, puisqu'il lui est doux et agréable par-dessus toute chose d'accorder son secours et son assistance à ceux qui les lui demandent, il n'est pas douteux qu'elle ne veuille, et pour ainsi dire qu'elle ne s'empresse d'accueillir les vœux que lui adressera l'Eglise universelle.
Cette piété, si grande et si confiante envers l'Auguste Reine des cieux, n'a jamais brillé d'un éclat aussi resplendissant que quand la violence des erreurs répandues, ou une corruption intolérable des mœurs, ou les attaques d'adversaires puissants, ont semblé mettre en péril l'Eglise militante de Dieu.
L'histoire ancienne et moderne et les fastes les plus mémorables de l'Eglise, rappellent le souvenir des supplications publiques et privées à la Mère de Dieu, ainsi que les secours accordés par Elle, et en maintes circonstances la paix et la tranquillité publiques obtenues par sa divine intervention. De là ces qualifications d'Auxiliatrice, de Bienfaitrice, et de Consolatrice des chrétiens, de Reine des armées, de Dispensatrice de la victoire et de la paix, dont on l'a saluée. Entre tous ces titres, est surtout remarquable et solennel celui qui lui vient du Rosaire, et par lequel ont été consacrés à perpétuité les insignes bienfaits dont lui est redevable le nom de chrétien.
Aucun de Vous n'ignore, Vénérables Frères, quels tourments et quels deuils ont apportés à la sainte Eglise de Dieu, vers la fin du XIIe siècle, par les hérétiques Albigeois qui, enfantés par la secte des derniers Manichéens, ont couvert le midi de la France et tous les autres pays du monde latin de leurs pernicieuses erreurs. Portant partout la terreur de leurs armes, ils étendaient partout leur domination par le meurtre et les ruines.
Contre ce fléau, Dieu a suscité, dans sa miséricorde, l'insigne père et fondateur de l'Ordre dominicain. Ce héros, grand par l'intégrité de sa doctrine, par l'exemple de ses vertus, par ses travaux apostoliques, s'avança contre les ennemis de l'Eglise catholique, animé de l'Esprit d'en haut; non avec la violence et avec les armes, mais avec la foi la plus absolue en cette dévotion du Saint Rosaire que le premier il a divulguée et que ses enfants ont portée aux quatre coins du monde. Il prévoyait, en effet, par la grâce divine, que cette dévotion, comme un puissant engin de guerre, mettrait en fuite les ennemis et confondrait leur audace et leur folle impiété. Et c'est ce qu'a, en effet, justifié l'événement.
Grâce à cette nouvelle manière de prier, acceptée et ensuite mise régulièrement en pratique, par l'institution de l'Ordre du saint Père Dominique, la piété, la bonne foi, la concorde commencèrent à reprendre racine, et les projets des hérétiques, ainsi que leurs artifices, à tomber en ruines. Grâce à elle encore, beaucoup d'égarés ont été ramenés à la voie droite; et la fureur des impies a été réfrénée par les armes catholiques qui avaient été levées pour repousser la force par la force.
L'efficacité et la puissance de cette prière ont été aussi expérimentées au XVIe siècle, alors que les armées innombrables des Turcs étaient à la veille d'imposer le joug de la superstition et de la barbarie à presque toute l'Europe. Dans ce temps, le Souverain Pontife saint Pie V, après avoir réveillé chez tous les princes chrétiens le sentiment de la défense commune, s'attacha surtout et par tous les moyens à rendre propice et secourable au nom chrétien la toute-puissante Mère de Dieu, en l'implorant par la récitation du Rosaire. Ce noble exemple, offert en ces jours à la terre et aux cieux, rallia tous les esprits et persuada tous les cœurs. Aussi les fidèles du Christ, décidés à verser leur sang et à sacrifier leur vie pour le salut de la religion et de leur patrie, marchaient sans souci du nombre aux ennemis massés non loin du golfe de Corinthe ; pendant que les invalides, pieuse armée de suppliants, imploraient Marie, saluaient Marie, par la répétition des formules du Rosaire et demandaient la victoire de ceux qui combattaient.
La Souveraine ainsi suppliée ne resta pas sourde, car l'action navale s'étant engagée auprès des îles Echinades (Curzolaires) la flotte des chrétiens, sans éprouver elle-même de grandes pertes, remporta une insigne victoire et anéantit les forces ennemies.
C'est pourquoi le même Souverain et saint Pontife, en reconnaissance d'un bienfait si grand, a voulu qu'une fête en l'honneur de Marie Victorieuse, consacrât la mémoire de ce combat mémorable. Grégoire XIII a consacré cette fête en l'appelant fête du Saint Rosaire.
De même, dans le dernier siècle, d'importants succès furent remportés sur les forces turques, soit à Temesvar, en Pannonie, soit à Corcyre, et ils coïncidèrent avec des jours consacrés à la Sainte Vierge Marie et avec la clôture des prières publiques célébrées par la récitation du Rosaire.
Par conséquent, puisqu'il est bien reconnu que cette formule de prière est particulièrement agréable à la Sainte Vierge, et qu'elle est surtout propre à la défense de l'Eglise et du peuple chrétien en même temps qu'à attirer toutes sortes de bienfaits publics et particuliers, il n'est pas surprenant que plusieurs autres de nos prédécesseurs se soient attachés à la développer et à la recommander par des éloges tout spéciaux. Ainsi Urbain IV a attesté que, chaque jour, le Rosaire procurait des avantages au peuple chrétien. Sixte IV a dit que cette manière de prier est avantageuse à l'honneur de Dieu et de la Sainte Vierge, et particulièrement propre à détourner les dangers menaçant le monde; Léon X a déclaré qu'elle a été instituée contre les hérésiarques et les hérésies pernicieuses; et Jules III l'a appelée la gloire de l'Église. Saint Pie V a dit aussi, au sujet du Rosaire, que, dans la divulgation de cette sorte de prières, les fidèles ont commencé à s'échauffer dans la méditation, à s'enflammer dans la prière, puis sont devenus d'autres hommes; les ténèbres de l'hérésie se sont dissipées, et la lumière de la foi catholique a brillé de tout son éclat. Enfin, Grégoire XIII a déclaré à son tour que le Rosaire avait été institué par Saint Dominique, pour apaiser la colère de Dieu et implorer l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie.
Guidé par cette pensée et par les exemples de nos prédécesseurs Nous avons cru tout à fait opportun d'établir pour la même cause, en ce temps, des prières solennelles, et de tâcher, au moyen de prières solennelles adressées à la Sainte Vierge par la récitation du Rosaire, d'obtenir de son Fils Jésus-Christ un semblable secours contre les dangers qui Nous menacent. Vous voyez, Vénérables Frères, les graves épreuves auxquelles l'Eglise est journellement exposée: la piété chrétienne, la moralité publique, la foi elle-même qui est le bien suprême et le principe de toutes les autres vertus, tout cela est chaque jour menacé des plus grands périls.
Non seulement Vous savez combien cette situation est difficile et combien Nous en souffrons, mais encore Votre charité Vous en a fait éprouver avec Nous les sympathiques angoisses. Car c'est une chose des plus douloureuses et des plus lamentables de voir tant d'âmes rachetées par le Sang de Jésus-Christ arrachées au salut par le tourbillon d'un siècle égaré, et précipitées dans l'abîme et dans une mort éternelle. Nous avons, de nos jours, autant besoin du secours divin qu'à l'époque où le grand Dominique leva l'étendard du Rosaire de Marie à l'effet de guérir les maux de son époque.
Ce grand Saint, éclairé par la lumière céleste, entrevit clairement que, pour guérir son siècle, aucun remède ne serait plus efficace que celui qui ramènerait les hommes à Jésus-Christ, qui est la voie la vérité et la vie, et les pousserait à s'adresser à cette Vierge, à qui il est donné de détruire toutes les hérésies, comme à leur patronne auprès de Dieu.
La formule du Saint-Rosaire a été composée de telle manière par saint Dominique, que les mystères de Notre salut y sont rappelés dans leur ordre successif, et que cette manière de méditation est entremêlée et comme entrelacée par la prière de la Salutation angélique, et par une oraison jaculatoire à Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous qui cherchons un remède à des maux semblables, Nous avons le droit de croire qu'en Nous servant de la même prière qui a servi à saint Dominique pour faire tant de bien à tout le monde catholique, Nous pourrons voir disparaître de même les calamités dont souffre Notre époque.
Non seulement Nous engageons vivement tous les chrétiens à s'appliquer soit en public, soit dans leur demeure particulière et au sein de leur famille, à réciter ce pieux office du Rosaire et à ne pas cesser ce saint exercice, mais Nous désirons que spécialement LE MOIS D'OCTOBRE DE CETTE ANNÉE soit consacré entièrement à la Sainte Reine du Rosaire. Nous décrétons et Nous ordonnons que, dans tout le monde catholique, pendant cette année, on célèbre solennellement par des services spéciaux et splendides, les offices du Rosaire.
Qu'ainsi donc, à partir du premier jour du mois d'octobre prochain jusqu'au second jour du mois de novembre suivant, dans toutes les paroisses, et, si l'autorité le juge opportun et utile, dans toutes les autres églises ou chapelles dédiées à la Sainte Vierge, on récite cinq dizaines du Rosaire, en y ajoutant les Litanies Laurétanes. Nous désirons que le peuple accoure à ces exercices de piété et qu'en même temps l'on dise la messe et l'on expose le Saint Sacrement, et que l'on donne ensuite avec la Sainte Hostie la bénédiction à la pieuse assemblée. Nous approuvons beaucoup que les confréries du Saint Rosaire de la Vierge fassent, conformément aux usages antiques, des processions solennelles à travers les villes, afin de glorifier publiquement la Religion. Cependant si, à cause des malheurs des temps, dans certains lieux, cet exercice public de la religion n'était pas possible, qu'on le remplace par une visite assidue aux églises, et qu'on fasse éclater la ferveur de sa piété par un exercice plus diligent encore des vertus chrétiennes.
En faveur de ceux qui doivent faire ce que Nous avons ordonné ci-dessus, il Nous plaît d'ouvrir les célestes trésors de l'Eglise pour qu'ils y puisent à la fois les encouragements et les récompenses de leur piété. Donc, à. tous ceux qui, dans l'intervalle de temps désigné, auront assisté à l'exercice de la récitation publique du Rosaire avec les Litanies, et auront prié selon Notre intention, Nous concédons sept années et sept quarantaines d'indulgences applicables à toutes fins. Nous voulons également faire jouir de cette faveur ceux qu'une cause légitime aura empêchés de concourir à ces prières publiques dont Nous venons de parler, pourvu que, dans leur particulier, ils se soient consacrés à ce pieux exercice et qu'ils aient prié Dieu selon Notre intention. Nous absolvons de toute coulpe ceux qui dans le temps que nous venons d'indiquer, auront au moins deux fois, soit publiquement dans les temples sacrés, soit dans leurs maisons (par suite d'excuses légitimes) pratiqué ces pieux exercices et qui, après s'être confessés, se seront approchés de la Sainte Table. Nous accordons encore la pleine remise de leurs fautes à ceux qui, soit dans ce jour de la fête de la Bienheureuse Vierge du Rosaire, soit dans les huit jours suivants, après avoir également épuré leur âme par une salutaire confession, se seront approchés de la Table du Christ, et auront dans quelque temple prié à Notre intention Dieu et la Sainte Vierge pour les nécessités de l'Eglise.
Agissez donc, Vénérables Frères ! Plus Vous avez à cœur l'honneur de Marie et le salut de la société humaine, plus Vous devez Vous appliquer à nourrir la piété des peuples envers la grande Vierge, à augmenter leur confiance en Elle. Nous considérons qu'il est dans les desseins providentiels que, dans ces temps d'épreuves pour l'Eglise, l'ancien culte envers l'auguste Vierge fleurisse plus que jamais dans l'immense majorité du peuple chrétien. Que maintenant, poussées par Nos exhortations, enflammées par Vos appels, les nations chrétiennes recherchent avec une ardeur de jour en jour plus grande la protection de Marie; qu'elles s'attachent de plus en plus à l'habitude du Rosaire, à ce culte que Nos ancêtres avaient la coutume de pratiquer, non seulement comme un remède toujours présent à leurs maux, mais comme un noble ornement de la piété chrétienne. La Patronne céleste du genre humain exaucera ces prières et ces supplications, et Elle accordera facilement aux bons la faveur de voir leurs vertus s'accroître, aux égarés celle de revenir au bien et de rentrer dans la voie du salut, elle obtiendra que le Dieu vengeur des crimes, inclinant vers la clémence et la miséricorde, rende au monde chrétien et à la société, tout péril étant désormais écarté, cette tranquillité si désirable.
Encouragé par cet espoir, Nous supplions Dieu, par l'entremise de Celle dans laquelle il a mis la plénitude de tout bien, Nous le supplions de toutes Nos forces de répandre sur Vous, Vénérables Frères, ses faveurs célestes. Et comme gage de Notre bienveillance, Nous Vous donnons de tout Notre cœur, à Vous, à Votre clergé et aux peuples commis à Vos soins, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 1er septembre 1883, sixième année de Notre Pontificat.

Bref pontifical Salutaris ille Spiritus precum - Léon XIII

Ce salutaire esprit de prière, don et gage à la fois de la divine miséricorde, que Dieu promit autrefois de répandre sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, ne manque jamais dans l'Eglise catholique. Toutefois, il semble exciter plus vivement les âmes, alors que les hommes redoutent, comme menaçant ou déjà arrivé, quelque grand péril pour l'Eglise ou l'Etat. Car la foi et la piété envers Dieu ont coutume de grandir dans les dangers, parce que moins on voit de ressources dans les choses humaines, mieux on comprend la nécessité du secours céleste.
Nous en avons eu des preuves récentes lorsque, ému par les longues épreuves de l'Eglise et par la difficulté générale des temps, Nous avons fait appel, par notre Lettre encyclique, à la piété des chrétiens, et Nous avons décrété que la Vierge Marie serait honorée et implorée, pendant tout le mois d'octobre, par la très sainte pratique du Rosaire. Nous avons appris en effet, que l'on avait obéi à Notre volonté avec autant de zèle et d'empressement que la sainteté et l'importance de la chose le demandaient. Car, non seulement dans notre Italie, mais dans toutes les contrées de la terre, on a prié pour la religion catholique et pour le salut public ; l'autorité des Evêques, l'exemple et le zèle du clergé donnant l'impulsion, on a honoré à l'envi l'auguste Mère de Dieu.
Les témoignages multiples par lesquels s'est manifestée la piété Nous ont merveilleusement réjoui : les églises ornées avec plus de magnificence, les processions solennelles, partout l'affluence considérable du peuple aux sermons, aux réunions, aux prières quotidiennes du Rosaire. Nous ne voulons pas omettre non plus les nouvelles que nous avons reçues avec une joie profonde de certains pays plus cruellement battus par la tempête et où la ferveur de la piété a été si grande, que les particuliers ont mieux aimé suppléer par leur propre ministère, dans la mesure où ils le pouvaient, à la disette des prêtres, que de souffrir que dans leurs églises, les prières prescrites n'eussent pas lieu.
C'est pourquoi, en même temps que l'espérance en la bonté et la miséricorde divine Nous console des maux présents, Nous comprenons la nécessité d'inculquer dans le cœur de tous les fidèles cette vérité, que les saints Livres en divers endroits proclament ouvertement, savoir que dans la prière, comme en toute autre vertu, ce qui importe par dessus tout, c'est la perpétuité et la constance. Dieu se laisse, en effet, fléchir et apaiser par la prière ; mais il veut que ce soit le fruit, non pas seulement de sa bonté, mais aussi de notre persévérance.
Cette persévérance dans la prière est encore bien plus nécessaire aujourd'hui où nous environnent de toute part, comme nous l'avons dit bien souvent, tant et de si grands périls qui ne peuvent être surmontés sans le secours spécial de Dieu. Un trop grand nombre d'hommes, en effet, haïssent tout ce qui rappelle le nom et le culte de Dieu : l'Eglise n'est pas seulement l'objet d'attaques privées, mais elle est très souvent combattue par les constitutions et les lois civiles ; de monstrueuses nouveautés d'opinions s'élèvent contre la sagesse chrétienne, à tel point que chacun doit lutter, et pour son propre salut et pour le salut public contre des ennemis acharnés, qui ont juré d'épuiser jusqu'à leurs dernières forces. Considérant donc par la pensée l'étendue et la fureur de ce combat, Nous estimons que c'est surtout le moment de se tourner vers Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, pour nous apprendre à l'imiter, dans son agonie priait plus longuement.
Or, parmi les formules et les modes de prières pieux et salutaires, usités dans l'Eglise catholique, celui qui est désigné par le nom de Rosaire de Marie est recommandable à beaucoup de titres ; particulièrement comme nous l'avons rappelé dans Notre Lettre encyclique, à ce titre principal que le Rosaire a été surtout institué pour implorer l'aide de la Mère de Dieu contre les ennemis de la religion catholique ; et, à ce point de vue, personne n'ignore qu'il a été souvent d'un puissant secours pour écarter les calamités de l'Eglise. Il convient donc parfaitement, non seulement à la piété des particuliers, mais à la condition publique des temps, de rétablir cette forme de prière dans le degré d'honneur qu'elle a longtemps occupé, alors que chaque famille chrétienne n'eût pas voulu laisser passer un seul jour sans réciter le Rosaire.
Pour ces mêmes motifs, Nous exhortons tous les fidèles et Nous les conjurons de prendre et de conserver la pieuse habitude de la récitation quotidienne du Rosaire : en même temps Nous déclarons qu'il est dans Notre désir que le Rosaire soit récité tous les jours dans l'Eglise principale de chaque diocèse, et chaque jour de fête dans les églises paroissiales. Pour l'établissement et le maintien de cet exercice de piété, les Ordres religieux pourront être d'une grande utilité et principalement, comme par droit personnel, l'Ordre des Dominicains : Nous sommes certains que nul d'entre eux ne manquera à une si utile et si noble mission.
Nous donc, pour honorer l'auguste Marie, Mère de Dieu ; pour consacrer à perpétuité le souvenir du secours imploré de son Cœur très pur, sur toute la surface de la terre, pendant le mois d'octobre ; pour conserver le perpétuel témoignage de l'espérance sans bornes que Nous plaçons en notre très tendre Mère ; pour solliciter de plus en plus sa faveur et son aide, Nous voulons et Nous décrétons que, dans les Litanies de Lorette, après l'invocation Reine conçue sans la tache originelle, soit ajoutée cette autre invocation : Reine du très saint Rosaire, priez pour nous.
Nous voulons que ces Lettres demeurent dans la postérité confirmées et ratifiées, comme elles le sont présentement : Nous déclarons nul et sans effet tout ce qui pourrait être attenté contre elles : nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l'anneau du Pécheur, le 24 décembre 1883, sixième de Notre pontificat.

LEON XIII, PAPE.

Superiore anno, Lettre encyclique de Notre Très Saint Père le Pape Léon XIII,
A tous les Evêques du monde catholique, concernant les prières spéciales à faire pendant le mois d'octobre 1884.

Vénérables Frères,
Salut et bénédiction apostolique.

L'an dernier, comme vous le savez tous, Nous avons décrété, par Notre Lettre Encyclique, de pratiquer dans toutes les parties de l'univers catholique la dévotion du très Saint Rosaire, en l'honneur de la Mère de Dieu, pendant tout le mois d'octobre, afin d'obtenir à l'Eglise le secours du ciel dans ses épreuves. En cela Nous avons suivi et Notre propre jugement et les exemples de Nos prédécesseurs qui, dans les grandes épreuves de l'Eglise, avaient coutume de recourir, avec un accroissement de piété, à l'auguste Vierge et d'implorer son secours par les prières les plus ardentes. Or, on a partout répondu à Notre volonté avec un tel empressement et une telle unanimité, qu'on a vu clairement de quelle ardeur le peuple chrétien est animé pour la religion et la piété, et quelle grande confiance ont tous les fidèles dans la protection céleste de la Vierge Marie. Cette ferveur d'une piété et d'une foi manifestes, Nous le déclarons, a été pour Nous une grande consolation dans les persécutions et les maux qui Nous accablent, et Nous a encouragé à affronter des épreuves plus graves encore, si telle est la volonté de Dieu. Aussi longtemps, en effet, que l'esprit de prière sera répandu sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, Nous conserverons la ferme confiance que Dieu nous exaucera un jour, et que, prenant pitié de la condition de l'Eglise, il entendra les prières de ceux qui l'implorent par Celle qu'il a lui-même voulu établir la dispensatrice des grâces célestes.
C'est pourquoi, les mêmes causes qui, comme Nous l'avons dit, Nous ont déterminé l'an dernier à exciter la piété des fidèles, existant encore, Nous avons cru de notre devoir, Vénérables Frères, d'exhorter, cette année aussi, les peuples chrétiens à mériter la puissante protection de la Mère de Dieu, en persévérant dans ce mode et cette formule de prière qu'on appelle le Rosaire de Marie. Comme ceux qui combattent la religion chrétienne montrent une si grande obstination à poursuivre leur projet, il faut que les défenseurs ne montrent pas moins de constance de volonté, surtout parce que le secours du ciel et les bienfaits que Dieu répand sur nous, ne sont souvent que le fruit de notre persévérance. - Nous aimons à vous rappeler l'exemple de l'héroïque Judith, qui, figurant la Sainte Vierge, réprima la folle impatience des Juifs, qui voulaient fixer à Dieu, selon leur gré, le jour où il secourrait leur nation opprimée. Il faut aussi considérer l'exemple des Apôtres, qui attendaient l'insigne bienfait de l'Esprit consolateur qui leur avait été promis, en persévérant unanimement dans la prière avec Marie, Mère de Jésus.- Car maintenant aussi il s'agit d'une chose bien difficile et d'une grande importance, il s'agit d'humilier dans l'exaltation de la force de sa puissance l'ennemi antique et très rusé, de rendre à la liberté l'Eglise et son Chef, de conserver et de défendre les institutions sur lesquelles reposent la sécurité et le salut de la société humaine. Il faut donc avoir soin, dans ces temps lamentables pour l'Eglise, de conserver avec zèle et piété la très sainte pratique du Rosaire de Marie, d'autant plus que ces prières, étant composées de manière à rappeler dans leur ordre les mystères de notre salut, sont très propres à nourrir l'esprit de piété.
En ce qui concerne l'Italie, il faut implorer pour elle, par la récitation du Rosaire, l'aide de la Vierge très puissante, maintenant surtout qu'une calamité n'en est plus à nous menacer et à fondre inopinément sur nous, mais nous a déjà atteints. Car la peste asiatique ayant franchi, par la volonté de Dieu, les limites que la nature semblait lui avoir posées, a envahi les très célèbres ports du golfe de Gaule, et de là les contrées limitrophes de l'Italie. Il faut donc recourir à Marie, à celle que l'Eglise appelle à juste titre salutaire, auxiliatrice, protectrice, afin qu'elle daigne nous apporter le secours que nous aurons imploré par les prières qui lui sont les plus agréables, et éloigner de nous le fléau contagieux.
C'est pourquoi, à l'approche du mois d'octobre, dans lequel le monde catholique célèbre les solennités de la Vierge du Rosaire, Nous avons arrêté de prescrire de nouveau cette année tout ce que Nous avons prescrit l'année dernière. Nous décrétons donc et Nous ordonnons, qu'à partir du premier jour d'octobre jusqu'au deuxième jour de novembre suivant, dans toutes les églises paroissiales et les sanctuaires publics dédiés à la Mère de Dieu, et même dans d'autres que l’Ordinaire voudra déterminer, on récite tous les jours au moins cinq dizaines du Rosaire, en y ajoutant les Litanies. Si cet exercice a lieu le matin, la messe doit être célébrée pendant les prières ; s'il a lieu dans l'après-midi, on exposera l'auguste Sacrement à l'adoration des fidèles, et l'on donnera ensuite la bénédiction à l’assistance. Nous désirons aussi que les Confréries du Très Saint Rosaire fassent partout où les lois civiles le permettent, des processions solennelles à travers les villages pour faire profession publique de la religion.
Et afin que les trésors célestes de l’Eglise soient ouverts à la piété chrétienne, Nous renouvelons toutes les indulgences que Nous avons accordées l’an dernier. Donc Nous accordons, pour chaque fois, une indulgence de sept ans et de sept quarantaines à tous ceux qui auront assisté, les jours indiqués, à la récitation publique du Rosaire et auront prié selon Notre intention, et également à ceux qui, empêchés par une cause légitime, auront fait ces prières en leur particulier. Nous ouvrons le trésor de l’Eglise et Nous accordons la remise entière de leurs péchés à ceux qui, pendant le temps indiqué ci-dessus, auront fait publiquement au moins dix fois ces pieux exercices dans les temples, ou chez eux par suite d’excuses légitimes, et qui, après s’être confessés, feront la sainte communion. Nous accordons ce pardon complet des péchés et cette remise entière de la peine à tous ceux qui, ou le jour de la fête de la bienheureuse Vierge du Rosaire, ou l’un des huit jours suivants, se seront purifiés de leurs péchés, auront fait une sainte communion, et auront prié Dieu et sa très sainte Mère, suivant Notre intention, dans un édifice sacré.
Enfin voulant avoir égard à ceux qui vivent à la campagne et sont occupés, surtout dans le mois d’octobre, aux travaux des champs, Nous leur accordons d’ajourner au mois de novembre ou de décembre, selon que l’Ordinaire le jugera opportun, les exercices prescrits plus haut avec les indulgences à gagner pendant le mois d’octobre.
Nous ne doutons pas, Vénérables Frères, que des fruits abondants ne répondant à nos soins, surtout si, à ce que Nous semons et que votre sollicitude aura arrosé, Dieu accorde l’accroissement par la diffusion de ses grâces. Nous sommes convaincu que le peuple chrétien répondra à l’appel de Notre autorité Apostolique avec la même ferveur de foi et de piété dont il a donné l’année dernière une si grande preuve. Que la céleste Patronne invoquée par les prières du Rosaire nous soit propice, et qu’elle fasse que Nous obtenions de Dieu la paix tant désirée de l’Eglise, en mettant fin au conflit des opinions et en rétablissant partout le Christianisme dans ses droits. Comme gage de ce bienfait, Nous accordons très affectueusement la Bénédiction Apostolique à Vous, à Votre clergé, et aux peuples confiés à votre charge.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 30 août 1884, la septième année de Notre Pontificat.
LEON XIII, PAPE.

 Décret de la Congrégation des Rites du 11 septembre 1887

Notre très Saint-Père, tout heureux de cet empressement unanime, renouvelle ses instances auprès de tous les Pasteurs de l'Eglise et de tous les fidèles du monde, et les exhorte à redoubler de ferveur et de confiance filiale en persévérant dans ces saints exercices, et à supplier la très auguste Reine de la paix, d'user de son crédit auprès de Dieu, pour détourner l'horrible tempête des temps présents, par la ruine de l'empire de Satan et la défaite des ennemis de la religion, et pour rendre le calme si désiré à la barque mystique de Pierre, ballottée par les flots. C'est pourquoi tout ce qui a été décrété, accordé et ordonné les années précédentes, et dernièrement par le décret de la Sacrée Congrégation des rites, prescrivant de consacrer le mois d'octobre à la céleste Reine du Rosaire, de nouveau il le décrète, l'accorde et l'ordonne.
La fête de la solennité du Saint-Rosaire est déjà en honneur chez les peuples chrétiens, et l'objet d'un culte tout particulier, qui se rapporte à tous les mystères de la vie, de la passion, de la gloire de N.-S. Jésus-Christ, notre rédempteur, et de son Immaculée Mère. Afin donc de favoriser cette dévotion qui va toujours croissant, afin aussi d'ajouter aux honneurs publics rendus à Marie, Sa Sainteté Léon XIII, par un privilège dont jouissent déjà plusieurs églises particulières, ordonne de célébrer désormais dans toute l'Eglise, sous le rite de seconde classe, ladite solennité et l'office de Notre-Dame du Rosaire fixé au premier dimanche d'octobre, en sorte que cette fête ne puisse être transférée à un autre jour, si ce n'est en cas d'occurrence d'un office de rite supérieur ; sauf les rubriques et nonobstant toute disposition contraire.
 

 Quamquam pluries, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, à tous les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion avec le Siège Apostolique, relativement au patronage de saint Joseph et de la très sainte Vierge, qu’il convient d’invoquer à cause de la difficulté des temps.

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique.

Bien que plusieurs fois déjà, Nous ayons ordonné que des prières spéciales fussent faites dans le monde entier et que des intérêts catholiques fussent avec plus d’instances recommandés à Dieu, personne néanmoins ne s’étonnera de ce que Nous jugions opportun d’insister à nouveau sur cette même obligation dans le temps présent.
Aux époques difficiles, et particulièrement lorsque la licence de tout oser pour la ruine de la Religion chrétienne semble laissée à la puissance des ténèbres, l’Eglise a toujours eu la coutume d’implorer avec plus de ferveur et de persévérance Dieu, son auteur et son défenseur, en recourant aussi à l’intercession des saints, - et surtout à celle de l’auguste Vierge, Mère de Dieu, - dont le patronage lui apparaît devoir être le plus efficace. Tôt ou tard, ces pieuses supplications et la confiance mise dans la bonté divine produisent leurs fruits.
Or, Vénérables Frères, vous connaissez le caractère des temps où nous vivons : ils ne sont guère moins féconds en calamités pour la Religion chrétienne que ceux qui, dans le passé, furent les plus malheureux. Dans un grand nombre d’âmes, nous voyons s’éteindre la foi, principe de toutes les vertus chrétiennes ; la charité se refroidit ; la jeunesse grandit dans la dépravation des mœurs et des doctrines ; l’Eglise de Jésus-Christ est attaquée de toutes parts par la violence et par l’astuce ; une guerre acharnée est dirigée contre le souverain Pontificat ; les fondements mêmes de la Religion sont ébranlés avec une audace chaque jour croissante. A quel point on en est venu, en ces derniers temps, et quels nouveaux desseins on médite encore, cela est trop connu pour qu’il soit besoin de le dire.
Dans une situation si critique et si malheureuse, les remèdes humains étant tout à fait disproportionnés au mal, il ne reste qu’à solliciter la puissance divine afin d’en obtenir la guérison. C’est pourquoi Nous avons cru nécessaire de Nous adresser à la piété du peuple chrétien pour l’exciter à implorer avec plus de zèle et de constance le secours de Dieu tout-puissant. Aussi, à l’approche du mois d’octobre, que Nous avons précédemment prescrit de consacrer à la Vierge Marie sous le titre de Notre–Dame du Rosaire, Nous exhortons vivement les fidèles à accomplir les exercices de ce mois avec le plus de religion, de piété et d’assiduité possible.
Nous savons qu’un refuge nous a été préparé dans la bonté maternelle de la Vierge et Nous tenons pour absolument certain que Nous ne plaçons pas vainement Nos espérances en elle. Si tant de fois elle a manifesté son assistance dans les grandes épreuves subies par le monde chrétien, pourquoi douter qu’elle en renouvelle les témoignages de sa puissance et de sa faveur, lorsque d’humbles et constantes prières lui sont adressées ? Bien plus, Nous croyons que son intervention sera d’autant plus éclatante qu’elle aura voulu se laisser plus longtemps implorer.
Mais Nous avons un autre dessein que, selon votre coutume, Vénérables Frères, vous seconderez de tout votre zèle, afin que Dieu se montre plus favorable à nos prières et que, les intercesseurs étant plus nombreux, il vienne plus vite et plus complètement au secours de son Eglise. Nous jugeons très utile que le peuple chrétien s’habitue à invoquer avec une vive piété et une grande confiance, en même temps que la Vierge, Mère de Dieu, son très chaste époux, le bienheureux Joseph. Par là, Nous avons la certitude de répondre aux vœux de la Sainte Vierge elle-même et de faire une chose qui lui sera agréable.
Assurément, au sujet de cette dévotion, dont Nous parlons publiquement aujourd’hui pour la première fois, Nous savons que non seulement le peuple y est incliné, mais qu’elle est déjà établie et en progrès.
Nous avons vu, en effet, le culte de saint Joseph, que, dans les siècles passés, les Pontifes romains s’étaient appliqués à développer peu à peu et à propager, croître et se répandre à notre époque, surtout après que Pie IX, Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, eut proclamé, sur la demande d’un grand nombre d’Evêques, le très saint Patriarche « Patron de l’Eglise catholique ». Toutefois, comme il est d’une souveraine importance que la vénération envers saint Joseph s’enracine dans les mœurs et dans les institutions catholiques, Nous voulons imprimer à ces sentiments du peuple chrétien une impulsion nouvelle par Notre parole et par Notre autorité.
Pour quelles raisons spéciales saint Joseph a-t-il été nominativement déclaré Patron de l’Eglise ? Pour quels motifs, en retour, l’Eglise espère-t-elle beaucoup de sa protection et de son patronage ? Les voici : saint Joseph a été l’époux de Marie et il a été réputé le père de Jésus-Christ. De là, sa dignité, sa faveur, sa sainteté, sa gloire. Certes, la dignité de la Mère de Dieu est si élevée qu’elle ne peut être surpassée par aucune autre. Toutefois, Joseph ayant été uni à la bienheureuse Vierge par le lien du mariage, il n’est pas douteux qu’il n’ait approché plus que personne de la dignité suréminente au nom de laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les natures créées. En effet, de tous les genres de société et d’union, le mariage est le plus intime, et il entraîne essentiellement la communauté de biens entre les deux conjoints. Aussi, en assignant Joseph pour époux à la Vierge, Dieu lui donna non seulement d’être le compagnon de sa vie, le témoin de sa virginité, le gardien de son honneur, mais encore, en vertu même du pacte conjugal, d’avoir part à sa sublime dignité. De même, Joseph brille entre tous par la dignité la plus auguste, parce que, de par la volonté divine, il a été établi le gardien du Fils de Dieu et regardé par les hommes comme son père. D’où il résultait que le Verbe de Dieu était humblement soumis à Joseph, qu’il lui obéissait et qu’il lui rendait tous les devoirs que les enfants sont obligés de rendre à leurs parents.
De cette double dignité découlaient d’elles-mêmes les charges que la nature impose aux pères de famille ; ainsi, Joseph était le gardien, l’administrateur et le défenseur légitime et naturel de la maison divine dont il était le chef. Il exerça de fait ces charges et ces fonctions pendant tout le cours de sa vie mortelle. Il s’appliqua à protéger avec un souverain amour et une sollicitude quotidienne son épouse et le divin Enfant ; il gagna régulièrement par son travail ce qui était nécessaire à l’un et à l’autre pour la nourriture et le vêtement ; il préserva de la mort l’Enfant menacé par la jalousie d’un roi, en lui procurant un refuge ; dans les incommodités des voyages et les amertumes de l’exil, il fut constamment le compagnon, l’aide et le soutien de la Vierge et de Jésus. Or, la sainte famille, que Joseph gouvernait avec un pouvoir en quelque sorte paternel, contenait en elle-même les prémices de l’Eglise naissante. De même que la Très Sainte Vierge est la mère de Jésus-Christ, elle est aussi la mère de tous les chrétiens qu’elle a enfantés sur la montagne du Calvaire, au milieu des suprêmes souffrances du Rédempteur crucifié ; Jésus-Christ est aussi comme le premier-né des Chrétiens, lesquels, par l’adoption et par la rédemption, sont ses frères.
Telles sont les raisons pour lesquelles le bienheureux Patriarche regarde comme lui étant particulièrement confiée la multitude des Chrétiens dont se compose l’Eglise, à savoir cette immense famille répandue par toute la terre, sur laquelle, en sa qualité d’époux de Marie et de père de Jésus-Christ, il possède une autorité quasi paternelle. Il est donc naturel et très digne du bienheureux Joseph que, de même qu’il subvenait autrefois à tous les besoins de la famille de Nazareth et l’entourait de sa très sainte protection, il couvre maintenant de son céleste patronage et défende l’Eglise de Jésus-Christ.
Ces considérations, Vénérables Frères, vous le comprenez facilement, se trouvent confirmées par le sentiment qu’ont admis un grand nombre de Pères de l’Eglise et auquel s’ajoute l’autorité de la sainte Liturgie elle-même, à savoir que le Joseph des temps anciens, fils du patriarche Jacob, fut la figure du nôtre et que, par sa gloire, il rendit un témoignage anticipé de la grandeur du futur gardien de la sainte famille. En effet, outre que le même nom, avec le sens qu’il comporte, fut donné à l’un et à l’autre, vous connaissez très bien les ressemblances manifestes qui existent entre eux. La première consiste en ce que le premier Joseph jouit de la faveur et de la particulière bienveillance de son maître et que, ayant été préposé par lui à l’administration de ses biens, la prospérité et l’abondance affluèrent, grâce à lui, dans la maison de ce maître. La seconde est encore plus importante : c’est que, par l’ordre du roi, il fut investi d’une grande puissance sur le royaume et que, dans un temps où la disette des récoltes et la cherté des vivres vinrent à se produire, il pourvut avec tant de sagesse aux besoins des Egyptiens et de leurs voisins que le roi donna l’ordre de l’appeler « sauveur du monde ». Il est donc permis de reconnaître dans cet ancien patriarche la figure du nouveau. De même que le premier fit réussir et prospérer les intérêts domestiques de son maître et rendit bientôt de merveilleux services à tout le royaume, le second, destiné à être le gardien de la Religion chrétienne, doit être regardé comme le protecteur et le défenseur de l’Eglise, qui est vraiment la maison du Seigneur et le royaume de Dieu sur la terre.
En outre, il y a des raisons pour que tous les fidèles, à quelque condition qu’ils appartiennent, se recommandent au crédit et se confient à la garde du bienheureux Joseph. En lui, les pères de famille trouvent la plus belle personnification de la vigilance et de la sollicitude paternelle ; les époux, un parfait exemple d’amour, d’union des cœurs et de fidélité conjugale ; les vierges, tout à la fois le modèle et le protecteur de la pureté virginale. Ceux qui sont de noble naissance apprendront de Joseph à garder la dignité au sein même de l’infortune ; les riches comprendront, par ses leçons, quels sont les biens qui méritent le plus d’être désirés et acquis au prix de tous les efforts. Quant aux prolétaires, aux ouvriers, aux hommes de condition médiocre, c’est pour eux comme un droit spécial de recourir à Joseph et de se proposer son imitation. En effet, Joseph, de race royale, uni par le mariage à la plus grande et à la plus sainte des femmes, regardé comme le père du Fils de Dieu, a néanmoins passé sa vie dans le travail et a demandé à son labeur d’artisan tout ce qui était nécessaire à l’entretien de sa famille. Il est donc vrai que la condition des humbles n’a rien d’abject, et non seulement le travail de l’ouvrier n’a rien de déshonorant,, mais, si la vertu vient s’y joindre, il peut être grandement ennobli. Content du peu qu’il possédait, Joseph supporta les difficultés inhérentes à sa médiocre fortune avec grandeur d’âme, à l’exemple de son Fils, lequel, après avoir accepté la condition d’esclave, lui qui était le Seigneur de toutes choses, embrassa volontairement l’extrême pauvreté et voulut manquer de tout.
Appuyés sur ces considérations, les pauvres et tous ceux qui vivent du travail de leurs mains doivent élever leurs cœurs et se pénétrer de sentiments équitables. S’ils ont le droit de chercher à sortir de la pauvreté et à s’établir dans une meilleure situation par des moyens légitimes, la raison et la justice leur défendent de renverser l’ordre établi par la providence de Dieu. Bien plus, l’emploi de la force et les tentatives séditieuses et violentes sont des moyens insensés ; ils aggravent la plupart du temps les maux pour la suppression desquels on a recours à eux. Que les pauvres donc, s’ils ont du bon sens, ne mettent pas leur confiance dans les promesses des hommes de désordre, mais dans l’exemple et le patronage du bienheureux Joseph, et aussi dans la maternelle charité de l’Eglise, dont la sollicitude pour leur sort augmente de jour en jour.
C’est pourquoi, comptant beaucoup, Vénérables Frères, sur votre autorité et sur votre zèle épiscopal et ne doutant pas que les bons et pieux fidèles ne fassent volontairement plus et mieux encore qu’il ne leur est commandé, Nous prescrivons que, pendant tout le mois d’Octobre, après la récitation du Rosaire, au sujet de laquelle il a été précédemment statué, on ajoute une prière à saint Joseph, dont la formule vous sera transmise en même temps que cette Lettre ; il sera ainsi fait chaque année à perpétuité. A ceux qui réciteront dévotement cette prière, Nous accordons pour chaque fois une indulgence de sept ans et sept quarantaines.
C’est une pratique salutaire et des plus louables, qui est déjà en vigueur dans quelques pays, de consacrer le mois de Mars à honorer, par des exercices de piété quotidiens, le saint Patriarche. Là où cet usage ne pourra pas être facilement établi, il est du moins à souhaiter que, avant le jour de sa fête, un Triduum de prières soit célébré dans l’église principale de chaque localité.
Dans les contrées où le dix-neuf Mars, consacré au bienheureux Joseph, n’est pas fête de précepte, Nous exhortons les fidèles à sanctifier autant que possible ce jour par des actes de piété privée en l’honneur du céleste Patron, comme si c’était une fête de précepte.
En attendant, comme présage des dons célestes et en témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons affectueusement dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre clergé et à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 Août 1889. De Notre Pontificat l’an douzième.

LEON XIII, PAPE.

Prière à Saint Joseph

Nous recourons à vous dans notre tribulation, bienheureux Joseph, et, après avoir imploré le secours de votre très sainte épouse, nous sollicitons aussi avec confiance votre patronage. Au nom de l’affection qui vous a uni à la Vierge immaculée, Mère de Dieu ; par l’amour paternel dont vous avez entouré l’Enfant Jésus, nous vous supplions de regarder d’un œil propice l’héritage que Jésus-Christ a acquis au prix de son sang et de nous assister de votre puissance et de votre secours dans nos besoins.
O très vigilant gardien de la sainte Famille, protégez la race élue de Jésus-Christ ; ô Père très aimant, éloignez de nous toute souillure d’erreur et de corruption ; ô notre très vaillant et tutélaire protecteur, assistez-nous du haut du ciel dan le combat que nos livrerons à la puissance des ténèbres ; et, de même que vous avez arraché autrefois l’Enfant Jésus au péril de la mort, défendez aujourd’hui la sainte Eglise de Dieu des embûches de l’ennemi et de toute adversité. Couvrez-nous tous de votre perpétuel patronage, afin que, soutenus par la puissance de votre exemple et de votre secours, nous puissions vivre saintement, pieusement mourir et obtenir la béatitude éternelle du Ciel. Ainsi soit-il.

 Octobri Mense, Lettre Encyclique de S. S. le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de la Vierge Marie

À nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, et autres Ordinaires des lieux en paix et en communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

À l'approche du mois d'octobre, que l'on regarde comme consacré et dédié à la Bienheureuse Vierge du Rosaire, Nous Nous rappelons, avec une très grande joie, les vives exhortations que Nous Vous avons adressées, Vénérables Frères, les années précédentes, pour que partout les troupeaux de fidèles, stimulés par votre autorité et par votre zèle, redoublent de piété envers l'auguste Mère de Dieu, la puissante auxiliatrice du peuple chrétien, pour qu'ils L'implorent pendant tout ce mois et L'invoquent par le très saint rite du Rosaire, que l'Église, principalement dans les conjonctures et dans les temps difficiles, a coutume d'employer et de célébrer, toujours avec le succès souhaité.
Nous tenons à manifester de nouveau cette année la même volonté et à Vous adresser, à Vous renouveler les mêmes exhortations; Nous y sommes invité et poussé par l'amour pour l'Église, dont les peines, au lieu de s'alléger, croissent chaque jour en nombre et en gravité. Ce sont des maux universellement connus que Nous déplorons : que l'Église garde et transmet les dogmes sacrés attaqués, combattus; l'intégrité de la vertu chrétienne, dont elle a le soin, tournée en dérision; la calomnie organisée; la haine attisée de mille manières contre l'ordre des saints Pontifes, mais surtout contre le Pontife Romain; les attaques dirigées contre le Christ Lui-même par une audace pleine d'impudence et par une scélératesse criminelle, comme si l'on s'efforçait de détruire dans sa base et d'anéantir l'œuvre divine de la Rédemption, que jamais aucune force ne détruira ni n'anéantira.
Ce ne sont pas là des événements nouveaux pour l'Église militante : Jésus en a prévenu les Apôtres : pour qu'elle enseigne aux hommes la vérité et les conduise au salut éternel, il lui faut entrer en lutte tous les jours, et de fait, dans le cours des siècles, elle combat courageusement jusqu'au martyre, ne se réjouissant et ne se glorifiant de rien davantage que de pouvoir sceller sa cause du Sang de son Fondateur, gage très certain pour elle de la victoire qui lui a été promise.
On ne doit pas pourtant dissimuler la profonde tristesse dont cette obligation perpétuelle de lutte afflige tous les gens de bien. C'est, assurément, une cause de grande tristesse qu'il y en ait tant que les erreurs perverses et les outrages à Dieu détournent et entraînent; tant qui soient indifférents à toute forme de religion et paraissent finalement étrangers à la foi divine; qu'il y ait aussi tant de catholiques qui tiennent à la religion de nom seulement et ne lui rendent ni les honneurs ni le culte dus. L'âme s'attriste et se tourmente encore bien plus à songer quelle cause de maux déplorables réside encore dans l'organisation des États qui ne laissent aucune place à l'Église ou qui combattent son zèle pour la très sainte vertu; c'est là une manifestation terrible et juste de la vengeance de Dieu, laquelle laisse l'aveuglement funeste des âmes s'appesantir sur les nations qui s'éloignent de Lui.
Aussi cela crie de soi-même, cela crie chaque jour plus fort : il est absolument nécessaire que les catholiques prient et implorent Dieu avec zèle et persévérance : sine intermissione (I Thess., V, 17); qu'ils le fassent non seulement chez eux, mais encore en public, réunis dans les édifices sacrés, et qu'ils supplient avec instance le Dieu très prévoyant de délivrer l'Église des hommes importuns et méchants (II Thess., III, 2), et de ramener au bon sens et à la raison, par la lumière et l'amour du Christ, les nations profondément troublées.
Car c'est un fait admirable au-delà de toute croyance! Le siècle va son chemin laborieux, fier de ses richesses, de sa force, de ses armes, de son génie; l'Église descend le long des âges d'un pas tranquille et sûr, se confiant en Dieu seul, vers qui, jour et nuit, elle lève ses yeux et ses mains suppliantes. Bien qu'en effet, elle ne néglige pas, dans sa prudence, les secours humains que la Providence et les temps lui procurent, ce n'est pas en eux qu'elle place sa principale espérance, mais dans la prière, dans la supplication, dans l'invocation de Dieu. Voilà comment elle entretient et fortifie son souffle vital, parce que l'assiduité de sa prière lui a permis heureusement, en restant étrangère aux vicissitudes des choses humaines et en s'unissant continuellement à la Volonté divine, de vivre de la vie même de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tranquillement et paisiblement; comme à l'image du Christ Lui-même, auquel l'horreur des tourments qu'Il a endurés pour notre bien commun n'a presque rien enlevé ni ôté de l'heureux éclat et de la joie qui Lui sont propres.
Cette importante doctrine de la sagesse chrétienne a été, de tout temps, crue et religieusement pratiquée par les chrétiens dignes de ce nom : leurs prières montaient vers Dieu plus vives et plus fréquentes quand les ruses et la violence des pervers avaient attiré un malheur sur la Sainte Église ou sur son Pasteur suprême.
Les fidèles de l'Église d'Orient en fournissent un exemple remarquable et qui est digne d'être proposé à l'imitation de la postérité. Pierre, vicaire de Jésus-Christ, premier Pontife de l'Église, avait été jeté en prison, chargé de chaînes par l'ordre du criminel Hérode, et il était réservé à une mort certaine : personne ne pouvait l'arracher au danger, lui porter secours. Mais il y avait là ce secours que la prière fervente obtient de Dieu : l'Église, à ce que rapporte l'Histoire sacrée, élevait pour lui des prières sans nombre : Oratio autem fiebat sine intermissione ab Ecclesia ad Deum pro eo (Act., XII, 5); et plus était vive la crainte d'un grand malheur, plus était grande l'ardeur de tous à implorer Dieu. Après la réalisation de leurs vœux, le miracle se découvrit; le peuple chrétien continue à célébrer avec une reconnaissance joyeuse la merveille de la libération de Pierre.
Le Christ a donné un exemple encore plus remarquable, un exemple divin, pour façonner et former Son Église à la sainteté, non seulement par Ses préceptes, mais aussi à Son modèle : toute Sa vie, Il S'était appliqué à la prière fréquente et fervente, et aux heures suprêmes, lorsqu'au jardin de Gethsémani, Son âme, inondée d'amertume, languissant jusqu'à la mort, Il priait Son Père, et Le priait avec effusion (prolixius orabat) (Luc., XXII, 43), Il n'en a pas agi ainsi pour Lui-même, Lui qui ne craignait rien, qui n'avait besoin de rien, qui était Dieu : Il l'a fait pour nous, pour Son Église, dont Il accueillait déjà avec joie les prières et les larmes futures pour les rendre fécondes en grâce.
Mais, depuis que le salut de notre race a été accompli par le mystère de la Croix et que l'Église, dispensatrice de ce même salut, après le triomphe du Christ, a été fondée sur la terre et définitivement instituée, la Providence a établi et constitué un ordre nouveau pour un peuple nouveau.
La considération des conseils divins s'ajoute ici aux grands sentiments de religion. Le Fils éternel de Dieu, voulant prendre la nature humaine pour racheter et ennoblir l'homme, et devant, par là, consommer une union mystique avec le genre humain tout entier, n'a pas accompli Son dessein avant que ne s'y fût ajouté le libre assentiment de la Mère désignée, qui représentait en quelque sorte le genre humain, suivant l'opinion illustre et très vraie de saint Thomas : Per annuntiationem exspectabatur consensus Virginis, loco totius humanae naturae (III q. XXX, a. 1). D'où on peut, avec non moins de vérité, affirmer que, par la Volonté de Dieu, Marie est l'intermédiaire par laquelle nous est distribué cet immense trésor de grâces accumulé par Dieu, puisque la grâce et la vérité ont été créées par Jésus-Christ (Jean. I, 17); ainsi, de même qu'on ne peut aller au Père suprême que par le Fils, on ne peut arriver au Christ que par Sa Mère.
Qu'elles sont grandes, la sagesse, la miséricorde qui éclatent dans ce dessein de Dieu! Quelle convenance avec la faiblesse et la fragilité de l'homme ! Nous croyons à la bonté infinie du Très-Haut et nous la célébrons; nous croyons aussi à Sa justice infinie et nous la redoutons. Nous adorons le Sauveur très aimé, prodigue de Son Sang et de Sa vie; nous craignons Sa justice inexorable. C'est pourquoi ceux dont les actions troublent la conscience ont un absolu besoin d'un intercesseur et d'un patron puissant en faveur auprès de Dieu de Dieu, et d'une bienveillance assez grande pour ne pas rejeter la cause des plus désespérés et pour relever jusqu'à l'espoir de la clémence divine les affligés et les abattus. Marie est notre glorieux intermédiaire; Elle est puissante, Mère du Dieu tout-puissant; mai ce qui est encore plus doux, Elle est bonne, d'une bienveillance extrême, d'une indulgence sans bornes. C'est ainsi que Dieu nous L'a donnée : L'ayant choisie pour Mère de Son Fils unique, Il Lui a inculqué des sentiments tout maternels, qui ne respirent que l'amour et le pardon; telle, de Son côté, Jésus-Christ L'a voulue, puisqu'Il a consenti à être soumis à Marie et à Lui obéir comme un Fils à Sa Mère; telle aussi Jésus L'a annoncée du haut de la Croix, quand Il a confié à Ses soins et à Son amour la totalité du genre humain dans la personne du disciple Jean; telle enfin Elle S'est donnée Elle-même en recueillant avec courage l'héritage des immenses travaux de Son Fils, et en rapportant aussitôt sur tous le legs de Ses devoirs maternels.
Le dessein d'une si chère miséricorde, réalisé en Marie par Dieu et confirmé par le testament du Christ, a été compris dès le commencement et accueilli avec la plus grande joie par les saints Apôtres et les premiers fidèles; ce fut aussi l'avis et l'enseignement des vénérables Pères de l'Église; tous les peuples de l'âge chrétien s'y rallièrent unanimement, et même, quand la tradition ou la littérature se tait, il est une voix qui éclate de toute poitrine chrétienne et qui parle avec la dernière éloquence. Il n'y a pas à cela d'autre raison qu'une foi divine qui, par une impulsion toute puissante et très agréable, nous pousse et nous entraîne vers Marie; rien de plus naturel, de plus souhaité que de chercher un refuge en la protection et, en la loyauté de Celle à qui nous pouvions confier nos desseins et nos actions, notre innocence et notre repentir, nos tourments et nos joies, nos prières et nos vœux, toutes nos affaires enfin; de plus, tous sont possédés par l'espoir et la confiance que les vœux qui seraient accueillis avec moins de faveur venant de la part de gens indignes soient, grâce à la recommandation de Sa Très Sainte Mère, reçus par Dieu avec la plus grande faveur et exaucés. La vérité et la suavité de ces pensées procurent à l'âme une indicible consolation, mais elles inspirent une compassion d'autant plus vive pour ceux qui, privés de la foi divine, n'honorent pas Marie et ne l'ont pas pour Mère; pour ceux aussi qui, participants aux croyances saintes, osent traiter parfois d'excessif et d'extrême le culte de Marie; par cela, ils blessent grandement la piété filiale.
Cette tempête de maux, au milieu de laquelle l'Église lutte si durement, montre donc à tous ses pieux enfants à quel saint devoir ils sont assujettis de prier Dieu avec plus d'instances, et de quelle façon plus particulière ils doivent s'efforcer de donner à ces supplications la plus grande efficacité. Fidèles aux exemples si religieux de nos pères et de nos ancêtres, recourons à Marie, notre sainte Souveraine; invoquons, supplions d'un seul cœur Marie, la Mère de Jésus-Christ et la nôtre : Montrez que Vous êtes notre Mère; faites accueillir nos prières par Celui qui, né pour nous, a consenti à être Votre Fils. (Ex sacr. Liturg)
Or, entre les diverses formules et manières d'honorer la divine Marie, il en est qu'il faut préférer, puisque nous savons qu'elles sont plus puissantes et plus agréables à notre Mère; et c'est pourquoi Nous Nous plaisons à désigner en particulier et à recommander tout spécialement le Rosaire. Le langage vulgaire a donné le nom de couronne à cette manière de prier, parce qu'elle rappelle, en les réunissant par les plus heureux liens, les grands mystères de Jésus et de Marie, leurs joies, leurs douleurs et leurs triomphes. Le souvenir de la pieuse contemplation de ces augustes mystères, médités dans leur ordre, peut procurer aux fidèles un admirable secours, aussi bien pour alimenter leur foi et la protéger contre la contagion des erreurs que pour relever et entretenir la vigueur de leur âme. En effet, la pensée et la mémoire de celui qui prie de la sorte, éclairées par la foi, sont entraînées vers ces mystères avec l'ardeur la plus suave; elles s'y absorbent et les pénètrent, et ne peuvent assez admirer l'œuvre inénarrable de la Rédemption des hommes, accomplie à un prix si élevé et par une succession de si grands événements.
L'âme alors s'enflamme d'amour et de gratitude, devant ces preuves de la charité divine; elle sent se fortifier et s'accroître son espérance, et devient plus avide de ces récompenses célestes que le Christ a préparées pour ceux qui se seront unis à Lui en imitant Son exemple et en participant à Ses douleurs. Et cette prière s'exhale dans des paroles émanées de Dieu Lui-même, de l'archange Gabriel et de l'Église; pleine de louanges et de vœux salutaires, elle se renouvelle et se continue dans un ordre déterminé et varié, et elle produit sans cesse de nouveaux et de doux fruits de piété.
Or, il y a d'autant plus de raisons de croire que la Reine du Ciel Elle-même a attaché à cette forme de prière une grande efficacité, que c'est sous sa protection et Son inspiration qu'elle a été établie et propagée par l'illustre saint Dominique, à une époque très hostile au nom catholique et assez peu différente de la nôtre, comme une sorte d'instrument de guerre tout-puissant pour combattre les ennemis de la foi. En effet, la secte hérétique des Albigeois avait envahi de nombreuses contrées, tantôt clandestinement, tantôt ouvertement; fille cruelle des Manichéens dont elle répandait les monstrueuses erreurs, elle travestissait les dogmes, excitait au massacre des chrétiens et soulevait contre l'Église une haine profonde et implacable. À peine pouvait-on se fier aux puissances humaines contre cette tourbe si pernicieuse et si arrogante, lorsque le secours vint manifestement de Dieu Lui-même, par le moyen du Rosaire de Marie. Ainsi, grâce à la Sainte Vierge, si glorieusement victorieuse de toutes les hérésies, les forces des impies furent renversées et brisées, la foi fut sauvée et demeura intacte.
On sait de même que, dans de nombreuses circonstances et dans différents pays, des dangers de même nature ont été conjurés, des bienfaits analogues ont été obtenus : l'histoire des temps anciens et de ceux plus rapprochés de nous en fournit des témoignages éclatants. Il faut aussi ajouter cette autre preuve, évidente en quelque sorte, qu'aussitôt que la prière du Rosaire fut instituée, elle fut adoptée de toutes parts par les citoyens de toutes les classes et devint parmi eux d'un usage fréquent. C'est qu'en effet, la religion du peuple chrétien tient à honorer par des titres insignes et de mille façons la divine Mère, élevée si excellemment au-dessus de toutes les créatures par tant et de si grande gloire; or, elle a toujours aimé particulièrement ce titre du Rosaire, cette manière de prier, qui est comme le mot d'ordre de la foi et qui résume le culte dû à Marie; elle l'a pratiquée dans l'intimité et en public, dans l'intérieur des maisons et des familles, en instituant en son honneur des confréries, en Lui consacrant des autels, en L'entourant de toutes les pompes, convaincue qu'elle ne pourrait recourir à de meilleurs moyens pour orner les fêtes sacrées de la Sainte Vierge et pour mériter Son patronage et Ses grâces.
Nous ne devons point passer sous silence ce qui met ici en lumière la particulière protection de notre Souveraine. En effet, lorsque, par l'effet du temps, le goût de la piété a paru s'affaiblir dans quelque pays et la pratique de cette forme de prière se relâcher, on admire comment ensuite, soit à raison de quelque danger redoutable menaçant l'État, soit sous la pression de quelque nécessité, l'institution du Rosaire, bien plus que tous les autres secours religieux, a été rétablie d'après le vœu général, a repris sa place d'honneur et, de nouveau florissante, a exercé grandement son influence salutaire. Il n'est point nécessaire d'aller en chercher dans le passé des exemples, alors que notre époque elle-même nous en fournit d'admirables. Dans ce temps, en effet, qui, comme nous le disions en commençant, est si dur pour l'Église, et qui l'est devenu plus encore depuis que la sagesse divine Nous a placé au gouvernail, on peut constater et admirer avec quelle ardeur et quel zèle dans tous les pays et chez tous les peuples catholiques le Rosaire de Marie est pratiqué et célébré. Or, c'est plutôt à Dieu, qui dirige et mène les hommes, qu'à la sagesse et à la diligence humaine, qu'il faut attribuer ce fait, où notre âme puise une grande consolation et un grand courage, et qui nous remplit de la confiance absolue que, par la protection de Marie, les triomphes de l'Église se renouvelleront et s'étendront.
Il y a des chrétiens qui comprennent très bien tout ce que Nous venons de rappeler; mais, parce que rien de ce qu'on espérait n'a encore été obtenu, et avant tout la paix et la tranquillité de l'Église; bien plus, parce que la situation semble venir plus troublée et plus mauvaise, ils laissent se relâcher leur régularité et leur affection pour la prière, comme s'ils étaient fatigués et défiants. Mais que ces hommes réfléchissent et qu'ils s'appliquent à ce que les prières qu'ils adressent à Dieu soient revêtues des qualités nécessaires, selon le précepte de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si elles les possèdent, qu'ils considèrent qu'il est injuste et qu'il est défendu de vouloir assigner à Dieu le moment et la manière de venir à notre secours; car Dieu ne nous doit rien, si bien que, quand Il exauce nos prières et couronne nos mérites, Il ne fait autre chose que couronner Ses propres dons (S. August. Ép. CXCIV, al. 105 ad Sixtum, c. V, n. 19) et quand Il ne seconde pas notre manière de voir, c'est un bon Père qui agit avec prévoyance à l'égard de Ses fils, qui a pitié de leur fausse sagesse et qui ne prend conseil que de leur utilité. Mais ces prières, par lesquelles nous supplions Dieu de protéger Son Église, en les unissant aux suffrages des Saints du Ciel, Dieu les accueille toujours avec la plus grande bonté et les exauce, aussi bien celle qui concernent les intérêts majeurs et immortels de l'Église que celles qui visent des intérêts moindres, propres à ce temps, mains néanmoins en harmonie avec les premiers. Car, à ces prières s'ajoutent la puissance et l'efficacité assurément infinies des prières et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime l'Église et qui S'est livré pour elle afin de la sanctifier... et de Se la présenter à Lui-même pleine de gloire (Éphés. V, 25, 27), Lui qui en est le Pontife suprême, saint, innocent, toujours vivant pour intercéder pour nous, et dont la foi divine nous enseigne que la prière et les supplications sont incessantes.
Quant aux intérêts extérieurs, à ceux qui ne regardent que cette vie, il est manifeste que l'Église a souvent à compter avec la malveillance et la puissance d'adversaires acharnés. Il lui faut s'affliger de les voir spolier ses biens, restreindre et opprimer sa liberté, attaquer et mépriser son autorité, lui infliger enfin toutes sortes de dommages et d'injures. Et si l'on se demande pourquoi leur méchanceté n'arrive point à ce degré d'injustice qu'elle se propose et qu'elle s'efforce d'atteindre : pourquoi, au contraire, l'Église, à travers tant d'événements divers, conservant sa même grandeur et sa même gloire, quoique sous des formes variées, s'élève toujours et ne cesse de progresser, il est légitime de chercher la cause principale de l'un et de l'autre fait dans la force de la prière de l'Église sur le cœur de Dieu; autrement, en effet, la raison humaine ne peut comprendre que la puissance de l'iniquité soit contenue dans des limites si étroites, tandis que l'Église, réduite à l'extrémité, triomphe néanmoins si magnifiquement. Et cela apparaît mieux encore dans ce genre de biens par lesquels l'Église conduit les hommes à la possession du bien suprême. Puisqu'elle est née pour cette fonction, elle doit pouvoir beaucoup par ses prières, afin que l'ordre de la Providence et de la miséricorde divines ait dans Ses enfants son accomplissement et sa perfection; et ainsi les hommes qui prient avec l'Église et par l'Église demandent et obtiennent, en définitive, ce que, avant tous les siècles, le Dieu tout-puissant a décidé de donner (S. Th. II 11, q. LXXXIII, a. 2, ex S. Greg. M.). Actuellement, l'esprit humain est impuissant à pénétrer la profondeur des desseins de la Providence; mais il viendra un jour où, dans Sa grande bonté, Dieu montrant à découvert les causes et les conséquences des événements, il apparaîtra clairement combien l'office de la prière aura eu de puissance à cet égard et que de choses utiles il aura obtenues. On verra alors que c'est grâce à la prière qu'au milieu de la corruption si grande d'un monde dépravé, beaucoup se sont gardés intacts et se sont préservés de toute souillure de la chair et de l'esprit, accomplissant leur sanctification dans la croyance de Dieu (II Corinth., VII, 1); que d'autres, au moment où ils allaient se laisser entraîner au mal, se sont soudain retenus et ont puisé dans le danger et dans la tentation même d'heureux accroissements de vertu; que d'autres enfin, qui avaient succombé, ont senti dans leur âme une certaine sollicitation à se relever et à se jeter dans le sein du Dieu de miséricorde.
C'est pourquoi Nous supplions avec les plus vives instances tous les chrétiens de peser ces pensées dans leur conscience, de ne pas céder aux supercheries de l'antique ennemi, de ne se laisser détourner sous aucun prétexte du goût de la prière, mais d'y persévérer au contraire et d'y persévérer sans interruption. Que leur premier soin soit de demander le bien suprême, c'est-à-dire le salut éternel de tous, et la conservation de l'Église; puis il est permis de solliciter de Dieu les autres biens, pour l'utilité et la commodité de la vie, pourvu qu'on le fasse en se soumettant à Sa Volonté souverainement juste, et que, soit qu'Il accorde, soit qu'Il refuse ce qu'on désire, on Lui rende grâces comme à un Père infiniment bienfaisant. Enfin, que ces demandes soient adressées à Dieu avec la religion et la haute piété qui conviennent et qui sont nécessaires, à grands cris et avec larmes (Hébr., V, 7), comme les Saints ont eu coutume de le faire et comme en a Lui-même donné l'exemple notre Très Saint Rédempteur et Maître.
Ici, notre devoir et Notre paternelle affection exigent que Nous demandions au Dieu dispensateur de tous les biens, pour tous les enfants de l'Église, non seulement l'esprit de prière, mais encore l'esprit de la sainte pénitence. En le faisant de tout Notre cœur, Nous exhortons avec la même sollicitude tous et chacun en particulier à cette vertu si étroitement unie à l'autre. Car, si la prière a pour effet de nourrir l'âme, de l'armer de courage, de l'élever aux choses divines, la pénitence nous donne la force de nous dominer, et surtout de commander au corps, qui, par suite de la faute originelle, est l'ennemi le plus redoutable de la doctrine et de la loi évangéliques. Il y a entre ces vertus, cela est évident, une cohésion parfaite; elles s'entr'aident et tendent l'une comme l'autre à détacher des choses périssables l'homme né pour le Ciel, et à l'emporter, pour ainsi dire, jusqu'à l'intimité céleste avec Dieu. Au contraire, celui dont l'âme est agitée par les passions et amollie par les plaisirs a le cœur aride et n'éprouve que du dégoût pour la suavité des choses du Ciel; sa prière n'est qu'une voix glacée et languissante, indigne assurément d'être écoutée par Dieu.
Nous avons sous les yeux l'exemple de la pénitence des Saints, et les fastes sacrés nous apprennent qu'à cause d'elle précisément, leurs prières et leurs supplications ont été grandement agréables à Dieu et ont même eu la puissance d'opérer des prodiges. Ils dirigeaient et domptaient continuellement leur esprit, leur cœur et leurs passions; ils se conformaient avec une soumission parfaite aux enseignements et aux préceptes de Jésus-Christ et de Son Église; ils ne déterminaient leur volonté, qu'après avoir reconnu celle de Dieu; dans toutes leurs actions, ils ne recherchaient rien autre que l'accroissement de Sa gloire; ils réprimaient et brisaient énergiquement les mouvements tumultueux de leur âme; ils traitaient leur corps durement et sans pitié; ils poussaient la vertu jusqu'à s'abstenir des choses agréables et même des plaisirs innocents. Aussi pouvaient-ils s'appliquer avec raison ce mot que l'Apôtre saint Paul disait de lui-même : Pour nous, notre vie est dans les cieux (Phillip., III, 20), et c'est pourquoi leurs prières étaient si efficaces pour apaiser et fléchir Dieu.
Il est certain que tous ne peuvent point et ne doivent point faire tout cela; cependant, que chacun corrige sa vie et ses mœurs par une pénitence proportionnée à ses forces, c'est ce qu'exigent les dispositions de la justice divine, qui a le droit de réclamer une réparation sévère pour les fautes commises; or, il est préférable d'avoir accompli pendant la vie, par des peines volontaires, ce qui procure la récompense de la vertu.
En outre, dans le corps mystique du Christ, qui est l'Église, nous jouissons tous comme membre de la communauté de vie et de croissance; d'où il suit, d'après saint Paul, que, de la façon dont les membres participent à chaque joie d'un des leurs, ils doivent aussi partager ses douleurs; c'est-à-dire que les frères doivent aimer à secourir leurs frères chrétiens, en leurs souffrances spirituelles ou corporelles, et leur procurer la guérison dans la mesure du possible. Que les membres aient de la sollicitude l'un pour l'autre. Si un membre souffre, tous souffrent avec lui; si l'un est heureux, tous se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps du Christ et les membres du même corps (Corinth., XII, 25-27).
Or, ce gendre de charité qui, modelé sur l'exemple du Christ donnant, par un immense amour, Sa vie pour le rachat de nos péchés communs, consiste à prendre pour soi l'expiation des fautes d'autrui, cette charité enfin renferme le grand lien de perfection qui unit les fidèles entre eux et avec les habitants du Ciel, et les rapproche le plus étroitement de Dieu.
Enfin, l'action de la sainte pénitence est si diverse, si ingénieuse et si étendue, que toute personne, avec de la piété et du zèle, peut l'exercer très fréquemment et sans efforts.
Puissions-Nous, Vénérables Frères, grâce à Votre amour particulier et éminent pour la Très Sainte Mère de Dieu, grâce aussi à Votre affection à Votre sollicitude remarquables pour le peuple chrétien, Nous promettre avec Votre concours les meilleurs résultats de Nos admonitions et de Nos exhortations! Nous brûlons de recueillir dès maintenant les fruits si agréables et si abondants que la piété des catholiques pour Marie a maintes fois produits dans Ses manifestations éclatantes. Qu'à Votre appel donc, à Vos exhortations et sous Votre conduite, les fidèles, surtout en ce mois qui approche accourent et s'assemblent autour des autels solennellement ornés de l'auguste Reine et de la Mère de bonté; qu'ils Lui tressent et Lui offrent filialement des guirlandes mystiques, suivant le rite si répandu du Rosaire. Nous laissons entières et nous ratifions les prescriptions déjà édictées par Nous-même, ainsi que les indulgences concédées (Cf. Epistola Encyclica Supremi Apostolatus, die 1 septemb. anno MDCCCLXXXIII; Epistola Encyclica Superiore anno, die 30 aug. an. MDCCCLXXXIX; Décret. S. R. C. Inter plurimos, die 20 aug. an. MDCCCLXXXV; Epistola Encyclica Quamquam pluries, die 15 aug. an. MDCCCLXXXIX).
Quel état, quelle utilité dans ce concert de louanges et de prières qui s'élèvera par les villes, par les bourgs, par les villages, sur terre et sur mer, dans toute l'étendue de l'univers catholique, et que feront retentir des centaines de milliers d'âmes pieuses, saluant Marie à toute heure d'un cœur et d'une voix, implorant Marie, espérant tout par Marie ! Que l'universalité des fidèles Lui demande d'intercéder auprès de Son Fils pour que les nations dévoyées reviennent aux institutions et aux principes chrétiens, qui constituent la base du salut public et qui donnent une abondante floraison de la paix si désirée, et du vrai bonheur.
Que les fidèles Lui demandent aussi instamment le bien qui doit être le plus souhaité de tous, la liberté pour l'Église, leur Mère, et la paisible possession de cette liberté dont elle n'use qu'en vue de procurer aux hommes le souverain bien, et dont jamais ni particuliers ni États n'ont souffert dommage, mais dont ils ont toujours recueilli les bienfaits les plus grands et les plus nombreux.
Que Dieu Vous prodigue enfin, Vénérables Frères, par l'intermédiaire de la Reine du Très Saint Rosaire, les faveurs et les grâces célestes qui vous donneront des secours et un accroissement continuel de forces pour le saint accomplissement des devoirs de la charge pastorale. En gage et en témoignage de quoi, recevez la Bénédiction Apostolique que Nous Vous accordons très affectueusement, à Vous, à Votre clergé et aux peuples confiés à vos soins.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 22 septembre de l'année 1891, la quatorzième année de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
 

 Magnae Dei Matris. Lettre encyclique de N. T. S. P. Léon XIII, Pape par la Divine Providence
Sur le Rosaire en l’honneur de Marie

A nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux en paix et en communion avec le Siège Apostolique.
Léon XIII, Pape

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Toutes les fois que l’occasion Nous est donnée d’exciter et d’accroître dans le peuple chrétien l’amour et le culte de la glorieuse Mère de Dieu, Nous sommes inondé d’une joie et d’une satisfaction merveilleuses, non seulement parce que la chose est par elle-même très importante et très féconde en excellents fruits, mais aussi parce qu’elle s’harmonise de la plus suave façon avec les sentiments intimes de notre cœur. En effet, la piété envers Marie, piété que Nous avons sucée avec le lait, grandit vigoureusement avec l’âge et s’affermit dans Notre âme ; car Nous voyons plus clairement combien était digne d’amour et d’honneur celle que Dieu lui-même aima le premier, et d’une telle dilection que, l’ayant élevée au-dessus de toutes les créatures et ayant ornée des dons les plus magnifiques, il la choisit pour sa mère. De nombreux et éclatants témoignages de sa bonté et de sa bienfaisance envers Nous, que Nous ne pouvons Nous rappeler sans la plus profonde reconnaissance et sans que Nos yeux se mouillent de larmes, augmentèrent en Nous cette même piété et l’enflamment plus vivement. A travers les nombreuses et redoutables vicissitudes qui sont survenues, toujours elle a été Notre refuge, toujours Nous avons élevé vers elle Nos yeux suppliants ; ayant déposé dans son sein toutes Nos tristesses, Notre soin assidu a été de la prier de vouloir bien se montrer en tout temps Notre mère et d’invoquer la précieuse faveur de pouvoir lui témoigner en retour les sentiments du plus tendre des fils.
Lorsque, dans la suite, par un mystérieux dessein de la providence de Dieu, il est arrivé que Nous avons été appelé à cette chaire du bienheureux Pierre, pour représenter la personne même de Jésus-Christ dans son Eglise, ému du poids énorme de cette charge et n’ayant pour Nous soutenir, aucune confiance dans Nos propres forces, Nous avons sollicité avec plus d’instances les secours de l’assistance divine, par la maternelle intercession de la bienheureuse Vierge. Notre espérance, Nous sentons le besoin de le proclamer, n’a jamais été déçue dans le cours de Notre vie, ni surtout dans l’exercice de Notre suprême apostolat. Aussi cette même espérance Nous porte-t-elle maintenant à demander, sous les mêmes auspices et par la même intervention, des biens plus nombreux et plus considérables, qui contribuent également au salut du troupeau du Christ et à l’heureux accroissement de la gloire de l’Eglise.
Il est donc juste et opportun, Vénérables Frères, que Nous incitions tous nos fils et que vous les exhortiez après Nous à célébrer le prochain mois d’octobre, consacré à Notre Dame et Reine auguste du Rosaire, avec le redoublement de piété que réclament les besoins toujours grandissants.
Par combien et par quels moyens de corruption la malice du siècle s’efforce d’affaiblir et d’extirper entièrement la foi chrétienne et l’observance de la loi divine, qui nourrit la foi et lui fait porter des fruits, ce n’est déjà que trop visible ; déjà le champ du Seigneur, comme sous un souffle empesté, est presque couvert d’une végétation d’ignorance religieuse, d’erreurs et de vices. Et ce qui est plus cruel à penser, loin qu’un frein soit imposé ou que de justes peines soient infligées à une perversité si arrogante et si coupable par ceux qui le peuvent et surtout qui le doivent, il arrive le plus souvent que leur inertie ou leur appui semble accroître la force du mal.
De là vient qu’on a à déplorer avec raison que les établissements publics où sont enseignés les sciences et les arts soient systématiquement organisés de façon que le nom de Dieu n’y soit pas prononcé, ou y soit outragé : à déplorer que la licence de publier par des écrits ou de faire entendre par la parole toutes sortes d’outrages contre le Christ-Dieu et l’Eglise devienne de jour en jour plus impudente. Et ce qui n’est pas moins déplorable, c’est cet abandon et cet oubli de la pratique chrétienne qui résultent pour beaucoup et qui, s’ils ne sont pas une apostasie ouverte de la foi, y mènent certainement, la conduite de la vie n’ayant plus aucun rapport avec la foi. Celui qui considérera la confusion et la corruption des choses les plus importantes ne s’étonnera pas si les nations affligées gémissent sous le poids de la colère divine et frémissent dans l’appréhension de calamités plus graves encore.
Or, pour apaiser la justice de Dieu offensé et pour procurer à ceux qui souffrent la guérison dont ils ont besoin, rien ne vaut mieux que la prière pieuse et persévérante, pourvu qu’elle soit unie avec le souci et la pratique de la vie chrétienne, ce que Nous croyons devoir être principalement obtenu par le Rosaire en l’honneur de Marie.
Son origine bien connue, que glorifient d’illustres monuments et que Nous-mêmes avons plus d’une fois rappelée, atteste sa grande puissance. En effet, à l’époque où la secte des Albigeois, qui se donnait l’apparence de défendre l’intégrité de la foi et des mœurs, mais qui, en réalité, les troublait abominablement et les corrompait, était une cause de grandes ruines pour beaucoup de peuples, l’Eglise combattit contre elle et contre les factions conjurées, non pas avec des soldats et des armes, mais principalement en lui opposant la force du très saint Rosaire, dont la Mère de Dieu elle-même donna le rite à propager au patriarche Dominique ; et ainsi, magnifiquement victorieuse de tous les obstacles, elle pourvut, et alors et dans la suite pendant des tempêtes semblables, au salut des siens, avec un succès toujours glorieux. C’est pourquoi, dans cette condition des hommes et des choses que Nous déplorons, qui est affligeante pour la religion, très préjudiciable au bien public, nous devons tous prier en commun avec une égale piété la sainte Mère de Dieu, afin d’éprouver heureusement, selon nos désirs, la même vertu de son Rosaire.
Et, en effet, lorsque nous nous confions à Marie par la prière, nous nous confions à la Mère de la Miséricorde, disposée de telle sorte à notre égard que, quel que soit le besoin qui nous presse, surtout pour l’acquisition de la vie immortelle, aussitôt, de son propre mouvement, même sans être appelée, elle vient toujours à notre aide, et elle nous donne du trésor de cette grâce dont elle reçut de Dieu, dès le principe, la pleine abondance, afin de devenir digne d’être sa mère. Cette surabondance de la grâce, qui est le plus éminent des nombreux privilèges de la Vierge, l’élève de beaucoup au-dessus de tous les hommes et de tous les anges et la rapproche du Christ plus que toutes les autres créatures : C’est beaucoup pour un saint de posséder une quantité de grâce suffisante au salut d’un grand nombre ; mais, s’il en avait une quantité qui suffit au salut de tous les hommes du monde entier, ce serait le comble ; et cela existe dans le Christ et dans la Bienheureuse Vierge.
Lors donc que nous la saluons pleine de grâce par les paroles de l’ange et que nous tressons en couronne cette louange répétée, il est à peine possible de dire combien nous lui sommes agréables et nous lui plaisons : chaque fois, en effet, nous rappelons le souvenir de sa sublime dignité, et de la rédemption du genre humain que Dieu a commencée par elle ; par là aussi se trouve rappelé le lien divin et perpétuel qui l’unit aux joies et aux douleurs, aux opprobres et aux triomphes du Christ pour la direction et l’assistance des hommes en vue de l’éternité. Que s’il a plu au Christ, dans sa tendresse, de prendre si complètement notre ressemblance et de se dire et se montrer à tel point fils de l’homme et notre frère, afin de mieux faire éclater sa miséricorde envers nous, Il a dû devenir semblable en tout à ses frères, afin d’être miséricordieux  ; de même Marie, qui a été choisie pour être la mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est notre frère, a été élevée par ce privilège au-dessus de toutes les mères, pour qu’elle répandît sur nous et nous prodiguât sa miséricorde.
En outre, si nous devons au Christ de nous avoir fait participer au droit qui lui appartenait en propre d’avoir Dieu pour père et de lui en donner le nom, nous lui devons également de nous avoir tendrement communiqué le droit d’avoir Marie pour mère et de lui en donner le nom. Et comme la nature elle-même a fait du nom de mère le plus doux d’entre tous les noms, et de l’amour maternel comme le type de l’amour tendre et dévoué, la langue ne peut pas exprimer, mais les âmes pieuses sentent combien brûle en Marie la flamme d’une affection généreuse et effective, en Marie qui est, non pas humainement, mais par le Christ, notre mère.
Ajoutons qu’elle voit et qu’elle connaît beaucoup mieux que toute autre ce qui nous concerne : les secours dont nous avons besoin dans la vie présente, les périls publics ou privés qui nous menacent, les difficultés et les maux dans lesquels nous nous trouvons, surtout la vivacité de la lutte pour le salut de notre âme contre des ennemis acharnés ; en tout cela et dans les autres épreuves de la vie, bien plus que toute autre elle peut et elle désire apporter à ses fils chéris la consolation, la force, les secours de tout genre. C’est pourquoi adressons-nous à Marie hardiment et avec ardeur, la suppliant par ces liens maternels qui l’unissent si étroitement à Jésus et à nous ; invoquons avec piété son assistance par la prière qu’elle-même a désignée et qui lui est si agréable ; alors nous pourrons nous reposer avec sécurité et allégresse dans la protection de la meilleure des mères.
A ce titre de recommandation pour le Rosaire qui ressort de la prière même qui le compose, il faut ajouter qu’il offre un moyen pratique facile d’inculquer et de faire pénétrer dans les esprits les dogmes principaux de la foi chrétienne ; ce qui est un autre titre très noble de recommandation.
C’est, en effet, par la foi avant tout que l’homme monte directement et sûrement vers Dieu et qu’il apprend à révérer d’esprit et de cœur la majesté immense de ce Dieu unique, son autorité sur toutes choses, sa souveraine puissance, sa sagesse, sa providence : Car il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent . Mais parce que le Fils éternel de Dieu a pris l’humanité, qu’il luit à nos yeux et se présente comme la voie, la vérité, la vie, il est, à cause de cela, nécessaire que notre foi embrasse les profonds mystères de l’auguste Trinité des personnes divines et du Fils unique du Père fait homme : La vie éternelle consiste en ce qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ .
Dieu nous a gratifiés d’un immense bienfait lorsqu’il nous a gratifiés de cette sainte foi ; par ce don, non seulement nous sommes élevés au-dessus de la nature humaine, comme étant devenus contemplateurs et participants de la nature divine, mais nous avons un principe de mérite supérieur pour les célestes récompenses ; et, en conséquence, nous avons la ferme espérance que le jour viendra où il nous sera donné de voir Dieu, non plus par une image tracée dans les choses créées, mais en lui-même, et de jouir éternellement du souverain bien.
Mais le chrétien est tellement préoccupé par les soucis divers de la vie et si facilement distrait par les choses de peu, que, s’il n’est pas souvent averti, il oublie peu à peu les choses  les plus importantes et les plus nécessaires, et il arrive ainsi que sa foi languit et même s’éteint.
Pour préserver ses fils de ce grand péril de l’ignorance, l’Eglise n’omet aucun des moyens suggérés par sa sollicitude et sa vigilance, et le Rosaire en l’honneur de Marie n’est pas le dernier qu’elle emploie dans le but de venir en aide à la foi. Le Rosaire, en effet, avec une très belle et fructueuse prière revenant dans un ordre réglé, amène à contempler et à vénérer successivement les principaux mystères de notre religion : ceux, en premier lieu, par lesquels le Verbe s’est fait chair, et Marie, mère et toujours vierge, accepte avec une sainte joie cette maternité ; ensuite les amertumes, les tourments, le supplice du Christ souffrant, qui ont payé le salut de notre race ; puis ses mystères glorieux, son triomphe sur la mort, son ascension dans le ciel, l’envoi du Saint-Esprit, la splendeur rayonnante de Marie reçue par dessus les astres, enfin la gloire éternelle de tous les saints associés à la gloire de la Mère et du Fils.
La série ordonnée de toutes ces merveilles est fréquemment et assidûment présentée à l’esprit des fidèles et se déroule comme sous leurs yeux ; aussi le Rosaire inonde-t-il l’âme de ceux qui le récitent dévotement d’une douceur de piété toujours nouvelle, leur donnant la même impression et émotion que s’ils entendaient la propre voix de leur très miséricordieuse Mère leur expliquant ses mystères et leur adressant de salutaires exhortations. C’est pourquoi il est permis de dire que chez les personnes, dans les familles et parmi les peuples où la pratique du Rosaire est restée en honneur comme autrefois, il n’y a pas à craindre que l’ignorance et les erreurs empoisonnées détruisent la foi.
Mais il y a une autre utilité non moins grande que l’Eglise attend du Rosaire pour ses fils : c’est qu’ils conforment mieux leur vie et leurs mœurs à la règle et aux préceptes de la sainte foi. Si, en effet, selon la divine parole connue de tous : La foi sans les œuvres est une foi morte , parce que la foi tire sa vie de la charité et que la charité se manifeste en une moisson d’actions saintes, le chrétien ne tirera aucun profit de sa foi pour l’éternité, s’il ne règle sur elle sa vie : Que sert à quelqu’un, mes frères, de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Est-ce que la foi pourra le sauver ?  Cette classe d’homme encourra, au jour du jugement, des reproches bien plus sévères de la part du Christ que ceux qui ont le malheur d’ignorer la foi et la morale chrétiennes ; car ceux-ci ne commettent pas la faute des autres, de croire d’une manière et de vivre d’une autre ; mais, parce qu’ils sont privés de la lumière de l’Evangile, ils ont une certaine excuse, ou du moins certainement leur faute est moins grande.
Pour que la foi que nous professons produise l’heureuse moisson de fruits qui convient, la contemplation des mystères peut admirablement servir, en enflammant les âmes à la poursuite de la vertu. Quel sublime et éclatant exemple ne nous offre pas, sur tous les points, l’œuvre de salut de Notre-Seigneur Jésus-Christ !
Le Dieu tout-puissant, pressé par l’excès de son amour pour nous, se réduit à l’infime condition de l’homme ; il habite et il converse fraternellement, comme l’un de nous, au milieu de nous ; il prêche et il enseigne toute justice aux particuliers et aux foules, maître éminent par la parole, Dieu par l’autorité. Il se donne tout entier au bien de tous ; il guérit ceux qui souffrent de maladies corporelles, et sa paternelle miséricorde apporte le soulagement aux maladies plus graves des âmes ; à ceux-là surtout qu’éprouve la peine ou que fatigue le poids des inquiétudes il adresse le plus touchant appel : Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai .
Lui-même, alors que nous reposons entre ses bras, nous souffle ce feu mystique qu’il a apporté parmi les hommes et pénètre de cette douceur d’âme et de cette humilité par lesquelles il désire que nous devenions participants de la vraie et solide paix dont il est l’auteur : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes . Et néanmoins, pour cette lumière de la sagesse céleste et cette insigne abondance de bienfaits dont il a gratifié les hommes, il a éprouvé de leur part la haine et les plus indignes outrages, et, attaché à la croix, il a versé son sang et sa vie, n’ayant pas de plus vif désir que de les enfanter à la vie par sa mort.
Il n’est pas possible que l’on considère attentivement en soi-même de tels témoignages de l’immense amour de notre Rédempteur pour nous sans que la volonté reconnaissante s’enflamme. La force de la foi éprouvée sera si grande que, l’esprit de l’homme étant éclairé et son cœur vivement touché, elle l’entraînera tout entier sur les pas du Christ, à travers tous les obstacles, jusqu’à pouvoir répéter cette protestation digne de l’apôtre Paul : Qui donc nous séparera de la charité du Christ ? La tribulation, ou la pauvreté, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou la persécution, ou le glaive ? … Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi .
Mais, de peur que devant les exemples si sublimes donnés par le Christ, Dieu et homme tout à la fois, la conscience de notre faiblesse native ne nous décourage, en même temps que ses mystères ceux de sa très sainte Mère sont placés sous nos yeux et offerts à notre méditation.
Elle est sortie, il est vrai, de la race royale de David, mais il ne lui reste rien des richesses ou de la grandeur de ses aïeux ; elle mène une vie obscure, dans une humble ville, dans une maison plus humble encore, d’autant plus contente de son obscurité et de sa pauvreté qu’elle peut plus librement élever son esprit vers Dieu et s’attacher à ce bien suprême et aimé par-dessus tout.
Et le Seigneur est avec elle, et il la comble des consolations de sa grâce ; un message céleste lui est envoyé, la désignant comme celle qui, par la vertu du Saint-Esprit, donnera naissance au Sauveur attendu des nations. Plus elle admire la sublime élévation de sa dignité et en rend grâces à la bonté du Dieu puissant et miséricordieux, plus elle s’enfonce dans son humilité, ne s’attribuant aucune vertu, et elle s’empresse de se proclamer la servante du Seigneur alors qu’elle devient sa mère. Ce qu’elle a saintement promis, elle l’accomplit avec une sainte ardeur, sa vie étant dès lors en intime communion, pour la joie et pour les larmes, avec celle de son fils Jésus.
C’est ainsi qu’elle atteindra une hauteur de gloire où personne, ni homme, ni ange, ne s’élèvera, parce que personne ne pourra lui être comparé, pour le mérite et la vertu ; ainsi la couronne du royaume d’en haut et du royaume d’ici-bas lui est réservée, parce qu’elle deviendra l’invincible reine des martyrs ; ainsi, dans la cité céleste de Dieu elle sera assise éternellement, la couronne sur la tête, à côté de son Fils, parce que constamment pendant toute sa vie, plus constamment encore sur le Calvaire, elle aura bu avec lui le calice d’amertume.
Voici donc que, dans sa sagesse et sa bonté, Dieu nous a donné dans Marie le modèle de toutes les vertus le plus à notre portée. En la considérant et la contemplant, nos esprits ne se sentent pas comme écrasés par l’éclat de la divinité ; mais, au contraire, attirés par la parenté d’une commune nature, nous travaillons avec plus de confiance à l’imiter. Si nous nous donnons tout entiers à cette œuvre, avec son assistance surtout, il nous sera certainement possible de reproduire en nous au moins quelques traits d’une si grande vertu et d’une si parfaite sainteté, et, imitant l’admirable conformité de sa vie à toutes les volontés de Dieu, il nous sera donné de la suivre dans le ciel.
Poursuivons vaillamment et fermement, quelque pénible et quelque embarrassé de difficultés qu’il soit, notre pèlerinage terrestre ; au milieu du labeur et des épreuves, ne cessons pas de tendre vers Marie nos mains suppliantes, en disant avec l’Eglise : Nous soupirons vers vous, gémissant et pleurant, dans cette vallée de larmes… Tournez vers nous vos regards miséricordieux. Donnez-nous une vie pure, ouvrez-nous un chemin sûr, afin que, contemplant Jésus, nous nous réjouissions à jamais avec vous !
Et Marie, qui, sans en avoir jamais subi personnellement l’épreuve, sait combien notre nature est faible et vicieuse, et qui est la meilleure et la plus dévouée des mères, avec quel à-propos et quelle générosité elle viendra à notre aide ! avec quelle tendresse elle nous consolera ! avec quelle force elle nous soutiendra ! Marchant par la route que le sang divin du Christ et les larmes de Marie ont consacrée, nous sommes certains de parvenir sans difficultés à la participation de leur bienheureuse gloire.
Le Rosaire en l’honneur de la Vierge Marie, dans lequel se trouvent si bien et si utilement réunis une excellente formule de prière, un moyen efficace de conserver la foi et un insigne modèle de vertu parfaite, est donc entièrement digne d’être fréquemment aux mains des vrais chrétiens et d’être pieusement récité et médité.
Nous adressons particulièrement ces exhortations à la confrérie de la Sainte-Famille, que Nous avons récemment approuvée et recommandée. Puisque le mystère de la vie longtemps silencieuse et cachée de Notre-Seigneur Jésus-Christ, entre les murs de la maison de Nazareth, est la raison d’être de cette confrérie, qui a pour but d’obtenir que les familles chrétiennes s’appliquent à se modeler sur l’exemple de la très sainte Famille, divinement constituée, les liens particuliers qui la rattachent au Rosaire sont évidents, spécialement en ce qui regarde les mystères joyeux qui se sont accomplis lorsque Jésus, après avoir montré sa sagesse dans le temple, vint avec Marie et Joseph à Nazareth, où il leur était soumis, préparant les autres mystères qui devaient le mieux contribuer à instruire et à racheter les hommes. Que tous les associés s’appliquent donc, chacun dans la mesure de ses moyens, à cultiver et à propager la dévotion du Rosaire.
Pour ce qui Nous regarde, Nous confirmons les concessions d’indulgences que Nous avions faites les années précédentes en faveur de ceux qui accompliront pendant le mois d’octobre ce qui est prescrit à cet effet. Nous comptons beaucoup, vénérables Frères, sur votre autorité et votre zèle pour que le Rosaire soit récité, avec une ardente piété, en l’honneur de la Vierge, secours des chrétiens.
Mais Nous voulons que la présente exhortation finisse, comme elle a commencé, par le témoignage renouvelé avec plus d’insistance de Notre reconnaissance et de Notre confiance envers la glorieuse Mère de Dieu. Nous demandons au peuple chrétien de porter à ses autels ses prières suppliantes et pour l’Eglise, ballottée par tant de contradictions et de tempêtes, et pour Nous-même qui, avancé en âge, fatigué par les labeurs, aux prises avec les difficultés les plus graves, dénué de tout secours humain, tenons le gouvernail de l’Eglise.
En Marie, Notre puissante et tendre Mère, Notre espoir va tous les jours grandissant et Nous est de plus en plus doux. Si Nous attribuons à son intercession de nombreux et signalés bienfaits reçus de Dieu, Nous lui attribuons avec une particulière reconnaissance la faveur d’atteindre bientôt le cinquantième anniversaire de Notre ordination épiscopale.
C’est assurément une grande chose pour qui considère une si longue durée du ministère pastoral, surtout ayant encore à l’exercer avec une sollicitude de tous les jours, dans la conduite du peuple chrétien tout entier. Pendant cet espace de temps, en Notre vie, comme en celle de tout homme, comme dans les mystères du Christ et de sa mère, ni les motifs de joie n’ont manqué, ni de nombreuses et graves causes de douleur n’ont été absentes ; des sujets de Nous glorifier en Jésus-Christ Nous ont été donnés aussi. Toutes ces choses, avec soumission et reconnaissance envers Dieu, Nous Nous sommes appliqué à les faire servir au bien et à l’honneur de l’Eglise.
Dans la suite, car le reste de Notre vie ne sera pas dissemblable, si de nouvelles joies ou de nouvelles douleurs surviennent, si quelques rayons de gloire brillent, persévérant dans les mêmes sentiments et ne demandant à Dieu que la gloire céleste, Nous dirons avec David : Que le nom du Seigneur soit béni : que la gloire ne soit point pour nous, Seigneur, qu’elle ne soit point pour nous, mais pour votre nom !
Nous attendons de Nos fils, que Nous voyons animés pour Nous de tant de pieuse affection, moins des félicitations et des louanges que des actions de grâces, des prières et des vœux offerts au Dieu très bon ; pleinement heureux s’ils obtiennent pour Nous que ce qui Nous reste de vie et de force, ce que Nous possédons d’autorité et de grâce, serve uniquement au plus grand bien de l’Eglise et avant tout à ramener et à réconcilier les ennemis et les égarés que Notre voix appelle depuis longtemps.
Que de la fête prochaine qui, si Dieu le permet, Nous réjouira, découle pour Nos fils bien-aimés la justice, la paix, la prospérité, la sainteté et l’abondance de tous les biens ; voilà ce que Notre cœur paternel sollicite de Dieu, voilà ce que nous exprimons par les paroles divines : « Entendez-moi… et fructifiez comme la rose plantée sur le bord des eaux ; soyez parfumés d’un doux parfum comme le Liban. Fleurissez comme le lis, et donnez votre parfum, et couvrez-vous d’un gracieux feuillage, et chantez le cantique de la louange, et bénissez le Seigneur dans ses œuvres. Glorifiez son nom, confessez-le de bouche et dans vos cantiques et sur vos cithares… Louez de cœur et de bouche et bénissez le nom du Seigneur.  »
Si ces résolutions et ces vœux rencontrent l’opposition des méchants qui blasphèment tout ce qu’ils ignorent, que Dieu daigne leur pardonner ; que par l’intercession de la Reine du très saint Rosaire, il nous soit propice ; comme augure de cette faveur et comme gage de Notre bienveillance, recevez, Vénérables Frères, la bénédiction apostolique que Nous vous accordons affectueusement dans le Seigneur, à vous, à votre clergé et à votre peuple.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 septembre 1892, la quinzième année de Notre Pontificat.
LEON XIII, PAPE.
 

 Letitiae sanctae, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de Marie,
à Ses Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion avec le Saint-Siège,
Léon XIII, Pape.

Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.

A la joie sainte que Nous a causée l’heureux accomplissement de la cinquantième année qui s’est écoulée depuis Notre consécration épiscopale, s’est ajoutée une source de bonheur très vif : c’est que Nous avons vu les catholiques de toutes les nations, comme des fils envers leur père, s’unir dans une imposante manifestation de leur foi et de leur amour envers Nous.
Nous reconnaissons en ce fait, et Nous le proclamons avec une reconnaissance toujours nouvelle, un dessein de la Providence de Dieu, une marque de sa suprême bienveillance envers Nous-même, un grand avantage pour son Eglise. Notre cœur ne désire pas moins combler de louanges pour ce bienfait Notre très douce Auxiliatrice auprès de Dieu, son auguste mère. L’amour tout particulier de Marie, que Nous avons vu se manifester de mainte façon dans le cours de Notre carrière si longue et si variée, luit chaque jour plus clairement devant nos yeux, et, touchant Notre cœur avec une suavité très vive, Nous confirme dans une confiance qui n’est pas de la terre.
Il Nous semble entendre la voix même de la Reine du Ciel tantôt Nous encourageant avec bonté au milieu des épreuves cruelles que traverse l’Eglise, tantôt Nous aidant de ses conseils dans les mesures que Nous devons prendre pour le salut commun, tantôt enfin Nous avertissant de ranimer la piété et le culte de toutes les vertus parmi le peuple chrétien. Plusieurs fois, déjà, ce Nous a été une douce obligation de répondre à de tels souhaits.
Au nombre des fruits bénis qui, grâce à son secours, ont suivi Nos exhortations, il est juste de rappeler quel profit la religion a tiré de la propagation du très saint Rosaire. Des confréries de pieux fidèles ont été ici accrues, là fondées, de savants écrits ont été répandus à propos parmi le peuple, les beaux-arts eux-mêmes Nous ont fourni des objets précieux.
Mais maintenant, de même que si Nous entendions la voix pressante de cette Mère très attentive Nous répéter : « Clama, ne cesses », Nous voulons vous entretenir de nouveau, vénérables Frères, du Rosaire de Marie, au moment où commence ce mois d’octobre, que Nous avons voulu consacrer à la Reine du Ciel et à cette dévotion du Rosaire qui lui est si agréable, accordant à cette occasion aux fidèles la faveur des saintes indulgences.
Le but prochain de Notre Lettre ne sera cependant ni d’écrire un nouvel éloge d’une prière si belle par elle-même, ni d’exciter les fidèles à en faire un plus saint usage. Nous parlerons de quelques avantages très précieux que l’on peut en tirer et qui sont tout à fait appropriés aux hommes et aux circonstances.
Nous sommes pleinement persuadé, en effet, que la dévotion du Rosaire, si elle est pratiquée de telle sorte qu’elle procure aux fidèles toute la force et toute la vertu qui sont en elle, sera une source de biens nombreux, non seulement pour les particuliers, mais encore pour tous les Etats.
Personne n’ignore combien, conformément au devoir de Notre suprême apostolat, Nous sommes désireux de procurer le bien des nations, et prêts à le faire, avec le secours de Dieu. En effet, Nous avons souvent averti les hommes qui sont investis du pouvoir de ne promulguer et de n’appliquer des lois que suivant la règle de la justice divine ; Nous avons souvent exhorté ceux des citoyens qui surpassent les autres soit par leur talent, soit par leurs mérites, soit par leur noblesse et leur fortune, à mettre en commun leurs projets, à unir leurs forces, pour sauvegarder les intérêts de l’Etat et promouvoir les entreprises qui pourront lui être avantageuses.
Mais il existe un trop grand nombre de causes qui, dans une société civile, relâchent les liens de la discipline publique, et détournent le peuple de rechercher comme il le devrait, l’honnêteté des mœurs. Trois maux surtout Nous semblent les plus funestes à l’avantage commun ; les voici : le dégoût d’une vie modeste et active, l’horreur de la souffrance, l’oubli des biens éternels que nous espérons.
Nous déplorons – et ceux même qui ramènent tout à la science et au profit de la nature reconnaissent le fait et s’en affligent – Nous déplorons que la société humaine souffre d’une terrible plaie : c’est qu’on néglige les devoirs et les vertus qui doivent orner une vie obscure et commune. De là vient qu’au foyer domestique les enfants se relâchent de l’obéissance qu’ils doivent à leurs parents, ne supportant plus aucune discipline, à moins qu’elle ne soit molle et ne se prête à leurs plaisirs. De là vient aussi que les ouvriers renoncent à leur métier, fuient le travail et, mécontents de leur sort, aspirent plus haut, désirant une chimérique égalité des fortunes ; mus par de semblables aspirations, les habitants des campagnes quittent en foule leur pays natal pour venir chercher le tumulte et les plaisirs faciles des cités.
C’est à cette cause aussi qu’il faut attribuer l’absence d’équilibre entre les diverses classes de la société ; tout est ébranlé, les âmes sont en proie à la haine et à l’envie, on viole ouvertement tout droit ; trompés par un faux espoir, beaucoup troublent la paix publique en occasionnant des séditions, et résistent à ceux qui ont pour mission d’assurer l’ordre.
Contre ce mal, il faut demander un remède au Rosaire de Marie, qui comprend à la fois un ordre fixe de prières et la pieuse méditation des mystères de la vie du Sauveur et de sa Mère. Que les mystères joyeux soient indiqués à la foule et placés devant les yeux des hommes, tels que des tableaux et des modèles de vertus : chacun comprend combien sont abondants, combien sont faciles à imiter, et propres à inspirer une vie honnête, les exemples qu’on en peut tirer, et qui séduisent les cœurs par une suavité admirable.
Qu’on se représente la Maison de Nazareth, cet asile à la fois terrestre et divin de la sainteté. Quel beau modèle on y trouvera pour la vie quotidienne ! Quel spectacle en tous points parfait de l’union au foyer ! Là règnent la simplicité et la pureté des mœurs, un accord perpétuel des esprits, un ordre que rien ne vient troubler, le support mutuel, l’amour enfin, non un amour fugitif et menteur, mais un amour consistant dans l’accomplissement assidu des devoirs réciproques et de nature à captiver tous les yeux.
Là, sans doute, on s’occupe de préparer ce qui est nécessaire pour la nourriture et le vêtement ; mais c’est à la sueur du front, in sudore vultus, et comme ceux qui, contents de peu, agissent plutôt de façon à moins souffrir de la disette, qu’à se procurer du superflu. Par-dessus tout, on y trouve une souveraine tranquillité d’esprit, une joie de l’âme égale chez chacun, deux biens qui accompagnent toujours la conscience des bonnes actions accomplies.
Les exemples de ces vertus, de la modestie et de la soumission, de la résignation au travail et de la bienveillance envers le prochain, du zèle à accomplir les petits devoirs de la vie quotidienne, tous ces enseignements, enfin, à mesure que l’homme les comprend mieux, qu’ils pénétreront plus profondément dans son âme, amèneront un changement sensible de ses idées et de sa conduite. Alors chacun, loin de trouver méprisables et pénibles ses devoirs particuliers, les estimeront plutôt agréables et pleins de charme, et, grâce à cette sorte de plaisir qu’il y rencontrera, la conscience du devoir à accomplir lui donnera plus de force pour bien agir.
Ainsi les mœurs s’adouciront sur tous les points ; la vie domestique s’écoulera au milieu de l’affection et du bonheur ; les rapports mutuels seront empreints d’une sincère bienveillance et de charité. Et si toutes ces qualités dont sera doué l’homme pris isolément, se répandent dans les familles, dans les villes, parmi tout un peuple, dont la vie se conformera à ces prescriptions, il est facile de concevoir quels profits l’Etat pourra en retirer.
Un autre mal très funeste et que Nous ne saurions trop déplorer, parce que chaque jour il pénètre les esprits plus profondément et d’une façon plus nuisible, c’est qu’on se refuse à souffrir, qu’on repousse avec violence tout ce qui semble pénible et contraire à nos goûts.
La plupart des hommes, en effet, au lieu de considérer, ainsi qu’il le faudrait, la tranquillité et la liberté des âmes comme la récompense préparée à ceux qui se sont acquittés du grand devoir de la vie sans se laisser vaincre par les dangers ou par les travaux, se forgent l’idée chimérique d’un Etat d’où serait écarté tout objet désagréable, où l’on jouirait en abondance de tous les biens que cette vie peut procurer. Un désir si violent et si effréné d’une existence heureuse est une source d’affaiblissement pour les âmes ; si elles ne tombent pas tout à fait, elles sont néanmoins énervées, de sorte qu’elles fuient lâchement les maux de la vie et se laissent misérablement abattre.
Dans ce danger aussi, on peut attendre du Rosaire de Marie un très grand secours pour affermir les âmes, tant est grande l’autorité de l’exemple ; si les mystères qu’on appelle douloureux font l’objet d’une méditation tranquille et suave dès la plus tendre enfance, et si on continue à les considérer ensuite assidûment, ils nous montrent le Christ auteur et consommateur de notre foi, commençant à agir et à enseigner, afin que nous trouvions en Lui-même des exemples appropriés aux enseignements qu’Il nous a donnés sur la manière dont il faut supporter les fatigues et les souffrances. Les maux les plus pénibles, Il a voulu les subir Lui-même avec une grande résignation.
Nous le voyons accablé de tristesse au point que le sang coule de tous ses membres, comme une sueur. Nous le voyons chargé de chaînes, tel qu’un voleur, soumis au jugement d’hommes pervers, en proie à d’odieux outrages, à de fausses accusations. Nous le voyons flagellé, couronné d’épines, attaché sur la croix, regardé comme indigne de vivre longtemps, comme ayant mérité de mourir au milieu des acclamations de la foule.
Nous pensons quelle dut être à ce spectacle la souffrance de sa très sainte Mère, dont le cœur fut, non seulement frappé mais traversé d’un glaive, de telle sorte qu’on l’a appelée et qu’elle est bien réellement la Mère de douleur.
Combien celui qui méditera souvent, ne se contentant pas de les contempler des yeux, de tels exemples de vertus, sentira naître en lui de force afin de les imiter ! Que la terre soit pour lui maudite, qu’elle ne produise que des épines et des ronces, que son esprit soit en proie à toutes les amertumes, que la maladie accable son corps, il n’y aura aucun mal provenant, soit de la haine des hommes, soit de la colère des démons, aucun genre de calamité publique ou privée qu’il ne surmonte par sa résignation.
De lui on pourra dire avec raison : Accomplir et souffrir beaucoup, c’est le propre du chrétien ; le chrétien, en effet, celui qui est regardé à bon droit comme digne de ce nom, ne peut suivre en vain le Christ souffrant. Nous parlons ici de la patience, non pas de cette vaine ostentation de l’âme s’endurcissant contre la douleur que manifestèrent certains des anciens philosophes, mais de celle qui (s’appliquant l’exemple du Christ qui a voulu souffrir la croix alors qu’il pouvait choisir la joie, et qui a méprisé la confusion) et lui demandant les secours de sa grâce, ne recule devant aucune peine, les porte toutes avec joie et les regarde comme des grâces.
La foi catholique a possédé et possède encore des disciples pénétrés de cette doctrine, hommes et femmes de tout pays et de toute condition, prêts à souffrir, suivant l’exemple du Christ, toutes les injustices et tous les maux pour la vertu et la religion, s’appropriant l’exemple plus encore que la parole de Didyme : «  Allons, nous aussi, et mourons avec lui. » Que les exemples de cette remarquable constance et la gloire de l’Eglise s’en accroissent sans esse !
Le troisième genre de maux auquel il faut chercher un remède, est surtout apparent chez les hommes de notre époque. Ceux des âges antérieurs, s’ils étaient attachés, même d’une façon criminelle, aux biens de la terre, ne dédaignaient cependant pas presque entièrement ceux du ciel ; les plus sages des païens eux-mêmes ont enseigné que cette vie était pour nous une hôtellerie, non une demeure, que nous devions y séjourner quelque temps, non pas y habiter.
Les hommes aujourd’hui, bien qu’instruits de la loi chrétienne, s’attachent pour la plupart aux biens fugitifs de la vie présente non seulement comme si l’idée d’une patrie meilleure, d’une béatitude éternelle était effacée de leur esprit, mais encore comme s’ils voulaient la détruire entièrement à force de déshonneur. En vain saint Paul leur a donné cet avis : « Nous n’avons pas ici-bas de demeure stable, mais nous en cherchons une que nous posséderons un jour. »
Lorsqu’on se demande quelles sont les causes de ce fléau, on trouve tout d’abord que beaucoup ont la crainte de voir la pensée de la vie future détruire l’amour de la patrie terrestre et nuire à la prospérité des Etats : rien n’est plus odieux et plus insensé que cette conviction. Les espérances éternelles n’ont pas pour caractère d’occuper tellement les hommes qu’elles les détachent complètement du souci des biens présents ; quand le Christ a ordonné de chercher le royaume de Dieu il a dit de le chercher d’abord, non de laisser de côté tout le reste.
L’usage des objets terrestres, et les jouissances permises qu’on en peut tirer, n’ont rien d’illicite, s’ils doivent contribuer à l’accroissement ou à la récompense de nos vertus, si la prospérité et la civilisation avancée de la patrie terrestre, en indiquant, d’une façon magnifique, l’accord des mortels figurent la beauté et l’éclat de la cité céleste ; il n’y a là rien qui ne convienne à des êtres doués de raison, rien qui soit opposé aux desseins de la Providence, car Dieu est à la fois l’auteur de la nature et de la grâce ; Il ne veut pas que l’une soit opposée à l’autre et qu’un conflit s’élève entre elles, mais qu’elles concluent en quelque sorte un pacte d’alliance que, sous leur conduite, nous parvenions un jour, par un chemin plus facile, à cette béatitude éternelle, pour laquelle nous sommes nés.
Mais les hommes adonnés aux plaisirs et égoïstes, qui laissent errer toutes leurs pensées sur les objets terrestres, et ne peuvent s’élever plus haut au lieu d’être menés par les biens dont ils jouissent à désirer plus vivement ceux du ciel, perdent complètement l’idée même de l’éternité et tombent dans une condition indigne de l’homme. En effet, la puissance divine ne peut nous frapper d’une peine plus terrible que de nous laisser jouir de tous les plaisirs d’ici-bas, mais oublier en même temps les biens éternels.
Il évitera complètement ce danger, celui qui s’adonnera à la dévotion du Rosaire et méditera attentivement et souvent les mystères glorieux qui nous y sont proposés. Dans ces mystères, en effet, notre esprit puise la lumière nécessaire pour connaître des biens qui échappent à nos yeux, mais que Dieu, Nous le croyons d’une ferme foi, prépare à ceux qui l’aiment. Nous apprenons ainsi que la mort n’est pas un anéantissement qui nous enlève et qui détruit tout, mais une migration, et pour ainsi dire, un changement de vie. Nous percevons clairement qu’une route vers le ciel est ouverte pour nous tous, et lorsque nous voyons le Christ ressusciter, nous nous souvenons de sa douce promesse : « Je vais vous préparer une place. » Nous sommes certains qu’il viendra un temps « où Dieu séchera toutes les larmes de nos yeux, où il n’y aura plus ni deuil, ni gémissement, ni douleur, mais où nous serons toujours avec Dieu, semblables à Dieu, puisque nous le verrons tel qu’Il est, jouissant du torrent de ses délices, concitoyens des saints, » en communion bienheureuse avec Marie, sa Mère et notre puissante Reine.
L’esprit qui considérera ces mystères ne pourra manquer de s’enflammer et de répéter cette parole d’un homme très saint : « Que la terre me pèse, lorsque je regarde le ciel ! » Il jouira de la consolation de penser « qu’une tribulation momentanée et légère, nous vaut une somme éternelle de gloire. » C’est là, en effet, le seul lien qui unit le temps présent avec la vie éternelle, la cité terrestre avec le ciel, c’est la seule considération qui fortifie et élève les âmes.
Si de telles âmes sont en grand nombre, l’Etat sera riche et florissant, on y verra régner le vrai, le bien, le beau, suivant ce modèle qui est le principe et la source éternelle de toute vérité, de tout bien et de toute beauté. Déjà tous les chrétiens peuvent voir, comme Nous l’avons établi au commencement, quels sont les fruits et quelle est la vertu féconde du Rosaire de Marie, sa puissance pour guérir les maux de notre époque et faire disparaître les fléaux dont souffrent les Etats ; mais il est facile de le comprendre, ceux-là ressentiront plus abondamment ces avantages qui, inscrits dans la sainte confrérie du Rosaire, se distinguent par une union particulière et toute fraternelle et par leur dévotion à la très sainte Vierge ; en effet, ces confréries approuvées par l’autorité des Pontifes romains, comblées par eux de privilèges et enrichies d’indulgences, sont soumises à leur juridiction, elles ont des assemblées à date fixe et jouissent de puissants appuis qui en assurent la prospérité et les rendent aptes à procurer l’avantage de la société humaine.
Ce sont comme les armées qui combattent les combats du Christ par ses mystères sacrés, sous les auspices et la conduite de la Reine du Ciel. On a pu constater en maintes circonstances, et surtout à Lépante, combien Celle-ci s’est montrée favorable à leurs supplications et aux cérémonies qu’ils ont organisées. Il est donc avantageux de montrer un grand zèle pour fonder, accroître, gouverner de telles confréries. Nous ne parlons pas ici aux seuls disciples de saint Dominique, quoique ceux-ci soient surtout chargés de cette mission d’après leur règle, mais à tous ceux auxquels est confié le soin des âmes et surtout le ministère des églises où ces confréries sont instituées.
Nous souhaitons aussi ardemment que les prêtres qui entreprennent des voyages pour propager la doctrine du Christ parmi les nations barbares ou pour l’affermir là où elle est établie, répandent de même la dévotion du Rosaire.
D’après les exhortations de tous ces prêtres, Nous ne doutons pas qu’il y ait un grand nombre de chrétiens soucieux de leurs intérêts spirituels qui se fassent inscrire dans cette même confrérie et s’appliquent à acquérir les biens que Nous avons indiqués, ceux surtout qui constituent la raison d’être et, en quelque sorte, l’essence du Rosaire.
L’exemple des membres de la Confrérie inspirera aux autres fidèles un respect et une piété plus grande envers le Rosaire.
Ceux-ci, animés par de semblables modèles mettront tout leur zèle à prendre leur part de ces biens si salutaires.
Tel est Notre ardent désir.
C’est là aussi l’espoir qui Nous guide et Nous encourage au milieu des grands maux dont souffre la société. Puisse, grâce à tant de prières, Marie la Mère de Dieu et des hommes, celle qui nous a donné le Rosaire et qui en est la Reine, faire en sorte que cet espoir se réalise pleinement.
Nous avons confiance, vénérables Frères, qu’avec votre concours Nos enseignements et Nos souhaits contribueront à la prospérité de familles, à la paix des peuples et au bien de la terre.
Comme gage des bénédictions divines et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons de grand cœur, à vous, à votre clergé et à votre peuple la bénédiction apostolique.
Donné à Rome près Saint-Pierre, le 8e jour de septembre 1893, de Notre pontificat le seizième.

LEON XIII, PAPE.

 Jucunda semper expectatione, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, sur le Rosaire de Marie.
A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux en paix et en communion avec le Siège apostolique,
Léon XIII, Pape.

Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.

Nous saluons désormais avec joie et avec un sentiment d’espérances plus grandes, le retour du mois d’octobre depuis que, conformément à Nos conseils, ce mois est partout dédié à la très Sainte Vierge.
Depuis plusieurs années déjà, elle est vraiment belle et vivante la floraison d’œuvres de piété dont s’orne, dans toutes les nations catholiques, la dévotion du rosaire. Nous avons indiqué plusieurs fois les raisons pour lesquelles Nous avons consacré ce mois à la dévotion du saint Rosaire : le malheur des circonstances où se trouvent l’Eglise et la société, réclamait un secours divin tout particulier et de chaque instant ; c’est par l’intercession de sa divine Mère que Nous avons cru qu’il fallait le demander à Dieu, l’obtenir par la mise en honneur d’une prière, d’une dévotion dont le peuple chrétien a toujours éprouvé la souveraine vertu. Il l’a éprouvée dès l’origine même du Rosaire, soit qu’il défendît l’honneur de sa foi contre les furieuses attaques des hérétiques, soit qu’il voulût relever autour de cette foi elle-même, son cortège de vertus ébranlées, affaiblies par la corruption du siècle. Et depuis, le peuple chrétien n’a cessé un instant de faire cette heureuse expérience, par une série jamais interrompue pour lui de bienfaits soit publics, soit particuliers, dont des instituts et des monuments consacrent à jamais le souvenir. Et de nos jours, à cette époque qui souffre de tant de maux, Nous avons la joie de contempler la moisson, bien belle aussi, des fruits de salut, de cette dévotion.
Cependant, en regardant tout autour de vous, Vénérables Frères, vous jugez par vous-mêmes que les causes de nos maux sont encore là, quelques-unes mêmes sont devenues plus redoutables. C’est pourquoi il faut cette année encore, de toute l’ardeur de Nos exhortations, exciter les troupeaux qui vous sont confiés, à prier avec ferveur la Reine du Ciel.
Dans Nos méditations sur sa nature intime, plus l’excellence du Rosaire et ses bienfaits se dévoilent et s’éclairent à Nos yeux et plus aussi se fortifie avec Notre désir de voir le Rosaire refleurir partout, l’espoir que Nos exhortations auront ce précieux résultat : cette dévotion mieux comprise, plus connue et davantage pratiquée prendra de salutaires développements.
Sans rappeler ici ce que Nous avons enseigné les années précédentes et sous différentes formes, sur un sujet qui nous est cher, Nous voulons considérer et faire sentir la providence de Dieu dans la nature de cette dévotion, qui, exaltant la confiance dans les âmes qui prient, dispose par le fait même le cœur maternel de la Sainte Vierge à répondre par une bonté et un secours dignes d’une Mère, aux prières qu’elle entend.
La confiance du secours que nous avons en Marie est basée sur la grandeur de l’office de Médiatrice de la grâce, qu’elle exerce continuellement en notre faveur, devant le trône de Dieu, Elle, la créature la plus agréable à Dieu et par sa dignité et par ses mérites, et, par conséquent, éminemment supérieure en puissance à tous les anges et à tous les saints. Or, cet office ne rencontre peut-être son expression dans aucune prière aussi bien que dans le Rosaire, où la part que la Vierge a prise au salut des hommes est rendue comme présente, et où la piété trouve une si grande satisfaction, soit par la contemplation successive des mystères sacrés, soit par la récitation répétée des prières.
Et d’abord se présentent les mystères joyeux. Le Fils Eternel de Dieu s’incline vers les hommes, fait Homme lui-même, avec le consentement de Marie concevant de l’Esprit-Saint, concipiente de Spiritu Sancto, Jean alors est sanctifié, sanctificatur, dans le sien maternel, d’un privilège insigne, et il est orné de grâces de choix pour préparer les voies du Seigneur : Ad vias Domini parandas ; c’est à la salutation de Marie visitant sa parente, sous l’impulsion de l’Esprit divin, que sont dus ces merveilleux bienfaits. Enfin, vient en ce monde le Christ, l’attente des nations : expectatio gentium ; autour de son pauvre berceau accourent les bergers et les mages, prémices de la foi, dans un saint empressement. Ils trouvent l’Enfant avec Marie sa mère : Infantem inveniunt cum Maria Matre ejus. Et bientôt, Lui, voulant par une cérémonie publique s’offrir comme Hostie à Dieu son Père, se fait porter dans le temple ; et là, par le ministère de sa Mère, il est offert au Seigneur, Sistitur Domino. Et Marie, dans le mystère de Jésus un instant égaré, apparaît anxieuse, elle cherche partout son enfant et le retrouve avec quelle joie !
Le langage des mystères douloureux est également sublime. Dans le jardin de Gethsémani où Jésus a peur, où il est triste jusqu’à la mort, et dans ce prétoire où il est flagellé, couronné de sanglantes épines, condamné au dernier supplice, on ne voit pas Marie, mais depuis longtemps déjà elle connaît et souffre ces douleurs. Lorsque devant Dieu elle s’inclina sa servante pour se relever Mère de son Fils ou lorsqu’Elle se consacra toute entière avec Jésus dans le temple, dans l’une et l’autre de ces solennelles circonstances elle s’est, dès lors, associée à la douloureuse expiation des crimes du genre humain : il est donc impossible de ne point la voir, partageant de toute la force de son âme, les angoisses infinies de son Fils et toute ses douleurs ! D’ailleurs, c’était en sa présence, sous son regard que devait s’accomplir ce divin sacrifice dont elle avait nourri la victime de sa pure substance. C’est le spectacle le plus émouvant de ces mystères : Stabat juxta Crucem Jesu Maria Mater ejus, debout, contre la Croix de Jésus était Marie, sa Mère ; pénétrée envers nous d’un amour infini qui la rendait Notre Mère à nous, offrant d’elle-même son propre Fils à la justice de Dieu, et agonisant sa mort en son âme percée d’un glaive de douleur.
Enfin, dans les mystères glorieux qui suivent, la fonction émouvante de la sublime Vierge est confirmée avec une éloquence plus grande encore. La gloire de son Fils, vainqueur de la mort, Marie en jouit silencieuse de bonheur ; ses regards accompagnent de l’expression de son amour de Mère, Jésus qui retourne dans les cieux. Elle, digne du ciel, reste sur la terre : elle veut soutenir et guider de sa sagesse l’Eglise, qui vient de naître , elle qui a pénétré au delà de tout ce qu’on pourrait croire, l’abîme insondable de la divine sagesse . Cependant, le mystère de la rédemption des hommes ne sera parfaitement accompli que lorsque sera venu le Saint-Esprit que le Christ a promis ; aussi voici Marie, présentée à notre admiration, au milieu du Cénacle. Elle est là, entourée des apôtres, priant pour eux, avec l’inénarrable gémissement de son âme, hâtant l’avènement parfait du Paraclet, don suprême du Christ, trésor, source précieuse, qui jamais ne tarira. Elle s’en va maintenant, se dirigeant vers le siècle éternel plaider notre cause, remplir un ministère qui ne cessera jamais. Nous la voyons, en effet, monter de cette vallée de larmes vers la Jérusalem Sainte, escortée, portée par les chœurs angéliques ; Nous la saluons sublime de splendeur dans la gloire des Saints ; le front éclatant d’un diadème d’étoiles, qu’y a déposé son Divin Fils, elle rayonne à ses côtés Reine de tout l’univers.
Vénérables Frères, ces mystères où se dévoile la pensée de Dieu, pensée de sagesse, pensée de miséricorde, consilium Dei, consilium sapientiae, consilium pietatis , où éclatent les mérites immenses de la Vierge-Mère, ne peuvent laisser une âme insensible, tant est certaine l’espérance qu’ils donnent d’obtenir, par le ministère de Marie, le bienfait de la clémence et de la miséricorde divines.
Aux mêmes précieux résultats, conduit la prière vocale si merveilleusement adaptée aux mystères. Vient d’abord, comme il est juste, l’oraison dominicale, la prière à Notre Père des cieux. A peine l’avons-nous évoqué en sublimes accents que de son trône Notre prière descend et se tourne suppliante vers Marie tout naturellement en vertu de cette loi de conciliation et de supplication, si bien formulée par saint Bernardin de Sienne : Omnis gratia quae huic saeculo communicatur, triplicem habet processum. Nam a Deo in Christum, a Christo in Virginem, Virgine in anos ordinatissime dispensatur . Toute grâce accordée aux hommes, arrive par trois degrés parfaitement ordonnés : Dieu la communique au Christ, du Christ elle passe à la Sainte Vierge, et des mains de Marie elle descend jusqu’à nous. Or, par la récitation du Rosaire, nous nous arrêtons plus volontiers, en quelque sorte avec plus de bonheur, sur le troisième de ces degrés, qui ont chacun leur caractère ; par la salutation angélique répétée par dizaines, nous prenons force et confiance pour gravir les deux autres degrés pour arriver, par Jésus-Christ, à Dieu son Père. Cette même salutation, nous la répétons si souvent à Marie, pour que notre pauvre et faible prière se pénètre, se fortifie de la confiance nécessaire, lorsque nous la supplions de prier Dieu pour nous, comme en notre nom à nous. A nos accents quel charme et quelle puissance ajoute aux regards de Dieu, la recommandation de la Sainte Vierge, de celle que Lui-même invite à parler en des termes si doux et si tendres : Sonet vox tua in auribus meis, vox enim tuo dulcis. « Que ta voix résonne à mes oreilles car ta voix m’est si douce ! »  Aussi lui répétons-nous souvent ses titres les plus glorieux à tout obtenir. Nous saluons en elle, celle qui plut aux yeux de Dieu, gratium apud Deum invenit, particulièrement remplie par lui de grâce, plenam gratia, d’une grâce dont l’abondance devait s’épandre sur tous les hommes ; nous la saluons celle que le Seigneur s’est attachée par les liens les plus forts, celle bénie entre les femmes, in mulieribus benedictam, et qui seule a enlevé l’anathème et porté la bénédiction, le fruit béni de ses entrailles, en qui seront bénies toutes les nations. Nous l’invoquons enfin Mère de Dieu. En vertu de cette dignité que n’est-elle certaine d’obtenir pour nous pauvres pécheurs, et qu’y a-t-il que nous ne puissions attendre dans toutes les circonstances de notre vie et dans la lutte suprême de l’agonie ?
Le chrétien qui de toute l’attention et de la foi de son âme se pénétrera de ces prières et de ces mystères, ne saurait échapper à l’étreinte d’un sentiment puissant d’admiration envers les desseins de Dieu à l’égard de Marie, pour le salut de toute l’humanité. Il tressaillira d’une joyeuse confiance de se sentir sous la protection, dans les bras d’une telle Mère et dira comme saint Bernard : Souvenez-vous, ô pieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais ouï dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance ou réclamé votre intercession, ait été abandonné de vous !
Le Rosaire si puissant pour exciter la confiance chez ceux qui prient, jouit d’une vertu égale pour émouvoir en notre faveur le cœur de la Sainte Vierge. Combien en effet, il lui doit être agréable de nous entendre et de nous voir lui tresser une harmonieuse couronne d’incomparables louanges et de prières ! Le spectacle que nous présentons lorsque nous rendons et souhaitons à Dieu la gloire qui lui est due, lorsque nous exaltons sa puissance et sa bonté, l’appelant Notre Père et lui demandons tout indignes que nous sommes, des bienfaits infinis, ce spectacle réjouit certainement les regards de Marie et à cause de notre piété, elle glorifie le Seigneur : Magnificat Dominum. Et de fait ne prions-nous pas Dieu en termes dignes de Lui, par l’Oraison Dominicale ! De plus, à ces prières si belles par leur objet et dans leur expression où nous demandons des bienfaits si conformes à la foi, à l’espérance et à la charité, s’ajoute pour la sainte Vierge un charme particulièrement délicieux à son cœur. Dans notre voix, elle distingue comme l’accent de Jésus son Fils, cette formule de prières est son œuvre, et c’est sur son ordre que nous nous en servons : Sic ergo vos orabitis : vous, vous prierez ainsi. En nous voyant fidèles à cet ordre de son Fils, par la récitation du Rosaire, ne doutons pas que Marie ne remplisse avec plus de tendresse encore, son ministère de bonté, soyons sûrs de l’accueil souriant, maternel qu’elle fera à nos couronnes et des grâces abondantes dont elle paiera chacune des roses mystiques de notre Rosaire.
Le caractère particulier de cette dévotion, caractère éminemment propre à nous aider à bien prier, est à lui seul un puissant motif de croire que nous serons exaucés. La fragilité de l’esprit humain est telle qu’un rien suffit au cours de la prière, pour distraire de Dieu et de l’objet de ses demandes, la pensée de celui qui prie. Or, quiconque pénétrera la nature du Rosaire, appréciera aussitôt combien ce mode de prière est efficace pour fixer l’esprit, pour préserver l’âme de la torpeur et en même temps pour exciter en elle une douleur salutaire de ses péchés et la dresser ,l’élever vers le ciel. En effet, le Rosaire se compose, on le sait, de deux parties parfaitement distinctes et parfaitement unies : la méditation des mystères et la prière vocale. Ce genre de prière exige une attention d’un caractère particulier, elle consiste non seulement dans une direction générale de l’âme vers Dieu mais dans une méditation contemplative et active qui fait absorber par l’âme la substance même de la piété et les considérations les plus propres à faire changer de vie. Elle y trouve, en effet, tout ce que la religion chrétienne a de plus substantiel et de plus admirable : les vérités, à la lumière et la puissance desquelles le genre humain doit d’avoir vu, pour son plus grand bonheur, la vérité, la justice et la paix commencer à régner sur le monde.
Et la manière dont ces mystères sont présentés, au cours de la récitation du Rosaire, est bien digne aussi de notre admiration : si nous considérons que ces vérités si hautes sont mises à la portée des plus simples et des plus ignorants. Ce ne sont pas des dogmes de foi, des principes de sagesse qu’on présente dans le Rosaire, mais plutôt des faits que les yeux peuvent voir et qui se gravent dans la mémoire. Et ces faits s’impriment d’autant mieux dans l’âme et l’émeuvent, que le fidèle les voit tels qu’ils se sont passés en réalité dans toutes leurs circonstances de temps, de lieu et de personnes. Lorsque dès la jeunesse, l’âme s’est imprégnée de la considération de ces faits, il suffit ensuite d’énoncer ces mystères pour que, quiconque aime un peu la prière, se rappelle toutes les circonstances, sans aucune contention, par une sorte de mouvement, devenu naturel, de l’esprit et du cœur ; et l’un et l’autre reçoivent abondamment la rosée que Marie fait alors pleuvoir sur l’âme en prière.
Une autre raison rend ces couronnes plus agréables à Marie et dignes à ses yeux de particulière récompense. Lorsque nous déroulons la triple série des mystères, nous exprimons plus vivement nos sentiments d’amour et de reconnaissance envers la Sainte-Vierge ; nous protestons être impuissants à rappeler ses bienfaits comme l’exigerait l’amour sans mesure qu’elle a montré, dans la part prise par elle, à notre salut. Ces grands souvenirs à chaque instant rappelés en sa présence, doivent verser dans son âme bienheureuse des torrents de joie inexprimable pour le langage humain, éveiller en elle des sentiments de sollicitude et de charité maternelles. Et, de notre côté, nous sentons l’évocation de si grands mystères, donner à notre âme émue une force, une énergie de prière qu’elle n’avait pas d’abord : chaque mystère qui se présente devient pour elle une nouvelle armée d’arguments  à laquelle elle sent que la Sainte Vierge ne pourra résister : c’est, en effet, auprès de vous, ô Sainte Mère de Dieu, que nous nous réfugions, nous malheureux fils d’Eve que vous ne mépriserez pas ! Nous Vous implorons, ô Vous la conciliatrice de notre salut, aussi puissante que bonne ! par la douceur des joies que Jésus Votre Fils Vous a données, par Votre mystérieuse communion à ses douleurs, par la splendeur de sa gloire qui Vous enveloppe, nous vous implorons de toutes nos forces ! Oh ! malgré notre indignité, écoutez-nous, exaucez-nous !
Vénérables frères, cette excellence du Rosaire que Nous avons fait ressortir sous ses deux aspects, vous proclame assez la raison de Notre insistance à recommander la pratique et le progrès universel de cette dévotion. Le secours du ciel, Nous l’avons dit en commençant, devient de jour en jour plus indispensable au siècle où nous vivons. Elles sont nombreuses, les causes de douleur pour l’Eglise qui voit attaquer ses droits et sa liberté, nombreuses aussi les causes d’effroi pour la société chrétienne menacée dans sa paix et dans sa prospérité. Notre espérance d’obtenir du ciel les secours nécessaires, est toute entière, Nous le répétons et proclamons de nouveau, dans le Rosaire. Plaise à Dieu que cette dévotion de nos pères soit remise en honneur comme c’est Notre volonté ! Que dans les villes et les villages, que dans les familles, que dans les ateliers, que chez les grands et chez les humbles cette dévotion soit aimée et pratiquée, que le Rosaire soit partout le drapeau de la foi chrétienne et le gage puissant de la protection et de la miséricorde divines !
Il est de jour en jour plus urgent que tous les chrétiens travaillent à obtenir ce résultat, à une époque où l’impiété en délire ne néglige aucune intrigue, ne recule devant aucune audace pour pousser à bout la colère de Dieu et faire tomber sur la patrie le poids de sa juste colère. Parmi les autres causes de tant de maux, tous les gens de bien déplorent avec Nous, qu’au sein des nations catholiques elles-mêmes, se trouvent un trop grand nombre de chrétiens qui s’amusent des affronts de tous genres faits à l’Eglise. On en voit même profiter de la licence de tout publier, pour s’attacher à tourner en ridicule devant la multitude, les choses les plus saintes et jusqu’à la confiance mille et mille fois justifiée par l’expérience, qu’ont les peuples dans l’intercession de la Sainte Vierge. En ces derniers mois, la personne elle-même de Notre Sauveur Jésus n’a pas échappé à l’outrage. On n’a point eu honte de la traîner sur un théâtre parfois souillé de bien des hontes, de l’y représenter dépouillée de la majesté de sa nature divine et de nier par là même la rédemption du genre humain. On n’a pas rougi davantage, de tenter la réhabilitation d’un homme couvert d’une éternelle infamie, odieux par la monstruosité d’une trahison qui proclamera infâme au-delà des siècles le traître qui livra Jésus-Christ.
Ajoutons que, dans toutes villes d’Italie où ce crime fut commis ou sur le point de se commettre, l’indignation a été universelle et qu’on a déploré amèrement la violation des droits les plus sacrés de la religion, droits méconnus, foulés aux pieds dans une nation qui se glorifie une des premières entre toutes et à juste titre, du nom de catholique. La sollicitude vigilante des évêques s’est émue comme c’était son devoir ; les bons pasteurs ont fait parvenir de justes protestations à ceux qui doivent avoir souci de la dignité de la patrie et de la religion. Non contents de prévenir leurs troupeaux de la gravité du péril, ils les ont exhortés à réparer par des solennités religieuses l’offense sacrilège faite à l’Auteur bien-aimé de notre Rédemption. Il Nous a été, certes, bien agréable de constater l’émotion et aussi l’activité déployée de mille manières par des gens de bien, en cette circonstance ; ce spectacle a contribué à adoucir l’amertume profonde de la douleur que Nous a causée une telle entreprise. En cette solennelle occasion que Nous avons de parler, Nous ne pouvons retenir captive Notre voix et Nous unissons Nos plus hautes protestations à celles des évêques et des fidèles. Par ce même sentiment qui Nous inspire de Nous plaindre d’un attentat sacrilège et Nous le fait flétrir, Nous exhortons vivement les nations chrétiennes et en particulier la nation italienne, à garder avec une fidélité jalouse la foi de leurs ancêtres, leur plus précieux héritage, à la défendre de toute leur énergie et à l’accroître encore par l’honnêteté de leur vie et par leur piété.
A cet effet, Nous désirons vivement que, pendant tout le mois d’octobre, la piété des fidèles et des confréries s’ingénie à honorer, le plus dignement possible, l’auguste Mère de Dieu, puissante Protectrice de la société chrétienne et glorieuse Reine du Ciel, Nous renouvelons et confirmons de tout cœur, les privilèges et les sacrées indulgences qu’à cet effet Nous avons accordés les années précédentes.
O Vénérables Frères, que le Dieu qui nous avait réservé dans sa toute miséricordieuse providence une telle Médiatrice et qui a voulu que nous recevions tout par Marie , daigne par cette puissante intercession exaucer Nos vœux, combler Nos espérances ; pour aider à leur réalisation, Nous vous accordons de tout cœur la Bénédiction apostolique, à vous-mêmes, au clergé et au troupeau confié à chacun d’entre vous.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 septembre 1894, de Notre Pontificat l’an XVII.

LEON XIII, PAPE.
 

 Augustissimae Virginis Mariae, Lettre Encyclique de Notre Très Saint Père Léon XIII, sur le Rosaire de Marie.

A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion avec le Siège Apostolique.
LEON XIII, PAPE

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.

Si l’on considère à quel degré éminent de dignité et de gloire Dieu a placé la très auguste Vierge Marie, on comprendra facilement combien il importe aux intérêts provés et publics d’entretenir assidûment son culte et de le répandre avec un zèle chaque jour plus ardent.
Dieu l’a choisie de toute éternité pour devenir la Mère du Verbe qui devait revêtir la nature humaine ; aussi, l’a-t-il tellement élevée au-dessus de tout ce qu’il devait y avoir de plus beau dans les trois ordres de la nature, de la grâce et de la gloire, que l’Eglise lui attribue avec raison ces paroles : Je suis sortie de la bouche du Très-Haut la première avant toute créature. (Eccli., xxiv, 5)
Puis, dès que les siècles eurent commencé leurs cours, lorsque les auteurs du genre humain furent tombés dans le péché, souillant toute leur postérité de la même tache, Marie fut constituée le gage du rétablissement de la paix et du salut.
Le Fils unique de Dieu a prodigué à sa Très Sainte Mère des témoignages non équivoques de respect.
Durant sa vie cachée, il l’a prise pour auxiliaire dans les deux premiers miracles qu’il accomplit alors : l’un, miracle de la grâce, qui, à la salutation de Marie, fit tressaillir en son sein l’enfant d’Elisabeth ; l’autre, miracle de la nature, qui changea l’eau en vin aux noces de Cana. Et, à la fin de sa vie publique, au moment d’établir le Nouveau Testament qu’il devait sceller de son sang divin, il confia Marie à l’apôtre bien-aimé par ces douces paroles : Voici votre Mère. (S. Jean, xix, 27)
Nous donc qui, quoique indigne, sommes ici-bas le Vicaire et le Représentant de Jésus-Christ Fils de Dieu, Nous ne cesserons jamais de poursuivre la glorification d’une telle Mère, tant que la lumière brillera pour nous. Cette période ne devant pas être longue, - le poids grandissant des années nous en avertit, - Nous ne pouvons Nous empêcher de redire à tous Nos fils en Jésus-Christ les dernières paroles que le divin Crucifié nous a laissées comme par testament : Voici votre Mère !
Et nous estimerons que Nos efforts ont pleinement abouti si, grâce à Nos exhortations, tous les fidèles n’ont désormais rien de plus à cœur, rien de plus cher que le culte de Marie, et si on peut appliquer à chaque chrétien ce que saint Jean a écrit de lui-même : Le disciple La reçut dans sa maison. (S. Jean, xix, 27.)
Aussi, vénérables Frères, à l’approche du mois d’octobre, Nous ne pouvons omettre de vous adresser une nouvelle exhortation aussi ardente que possible,, afin que tous s’appliquent, par la récitation du Rosaire, à acquérir des mérites pour eux-mêmes et pour l’Eglise militante.
D’ailleurs, la divine Providence semble avoir permis, pour ranimer la piété languissante des fidèles, que ce genre de prière prît, à la fin de ce siècle, une extension merveilleuse : témoins les temples magnifiques et les célèbres sanctuaires voués au culte de la Mère de Dieu.
Cette divine Mère a reçu nos fleurs au mois de mai. Nous voudrions qu’un généreux élan de la piété universelle lui dédiât également octobre, le mois des fruits. Il convient, en effet, de consacrer ces deux saisons à Celle qui a dit d’elle-même : « Mes fleurs sont des fruits d’honneur et de vertu. » (Eccli., xxix, 23)
Les hommes sont naturellement portés à s’unir, à s’associer ; mais jamais peut-être ces liens de société n’ont été plus étroits ni recherchés avec une ardeur aussi vive et aussi générale qu’à notre époque. Personne n’aurait lieu de s’en plaindre, si ce penchant naturel, très noble en lui-même, n’était souvent détourné de son but et dirigé vers le mal. On voit en effet se réunir en groupes de genres divers des hommes impies qui joignent leurs efforts « contre le Seigneur et contre son Christ. » (Ps. II, 2) Toutefois, on peut constater – et cela Nous est très agréable – que, parmi les catholiques, on apprécie plus qu’autrefois les associations pieuses, qu’elles sont plus nombreuses dans l’Eglise, que les liens de la charité unissent, comme dans une demeure commune, et fusionnent pour ainsi dire tous les fidèles à tel point qu’ils peuvent être appelés et qu’ils semblent être vraiment des frères.
Au contraire, si l’on supprime la charité du Christ, personne ne peut se glorifier de ce nom, ni de cette union fraternelle. C’est ce que jadis Tertullien exposait vigoureusement en ces termes : « Nous sommes vos frères par droit de nature, parce que nous n’avons qu’une mère, quoique vous soyez à peine des hommes, parce que vous êtes de mauvais frères. Mais à combien plus juste titre ils sont appelés frères et regardés comme tels, ceux qui reconnaissent Dieu pour leur père commun, qui sont pénétrés du même esprit de sainteté, qui du sein de la même ignorance ont passé avec ravissement à la lumière de la même vérité. »
C’est sous des formes multiples que les catholiques ont coutume de constituer les sociétés très salutaires dont Nous parlons. Il y a les cercles, les caisses rurales, les réunions organisées les jours de fête pour reposer les esprits, les patronages pour la jeunesse, le confréries, et beaucoup d’autres associations formées dans des buts excellents. Assurément, toutes ces institutions – bien que, par leur titre, leur forme et leur fin particulière et prochaine, elles semblent de création récente – sont en réalité très anciennes. Il est certain, en effet, que l’on retrouve, à l’origine même du christianisme, des traces de pareilles associations. Mais, dans la suite, elles furent confirmées par des lois, distinguées par des insignes, gratifiés de privilèges, employées aux cérémonies du culte dans les temples, consacrées aux soins des âmes ou des corps ; elles reçurent des noms divers, suivant les époques. Leur nombre s’accrut tellement, dans le cours des siècles, qu’en Italie surtout il n’y a aucune région, aucune ville et presque aucune paroisse qui ne compte une ou plusieurs de ces sociétés.
Nous n’hésitons pas à attribuer, parmi ces associations, la place d’honneur à la confrérie dite du Très Saint Rosaire. En effet, si l’on considère son origine, elle brille entre toutes les institutions du même genre par son ancienneté, puisqu’elle a eu pour fondateur S. Dominique lui-même. Si l’on tient compte des privilèges, elle en a obtenu d’aussi nombreux qu’il est possible, grâce à la munificence de Nos prédécesseurs.
La forme et pour ainsi dire l’âme de cette institution, c’est le Rosaire de Marie, dont Nous avons longuement exposé ailleurs la vertu. Mais la puissance et l’efficacité du Rosaire, en tant qu’il constitue l’office propre de la confrérie à laquelle il a donné son nom, sont surtout considérables.
Nul n’ignore, en effet, combien il est nécessaire pour tous les hommes de prier, non que les décisions divines puissent être modifiées, mais parce que, comme l’a dit S. Grégoire, « les hommes, en demandant, méritent de recevoir ce qu’avant les siècles le Dieu tout-puissant a résolu de leur donner ». (Dialog. I, 8)
S. Augustin, d’autre part, a dit : « Celui qui sait bien prier sait bien vivre. » (In Ps. CXVIII.) Mais les prières sont surtout puissantes pour obtenir le secours céleste lorsqu’elles sont faites publiquement, avec persévérance et union, par un grand nombre de fidèles, qui ne forment pour ainsi dire qu’un seul chœur de suppliants. C’est ce que montrent très clairement ces paroles des Actes des Apôtres, où il est dit que les disciples du Christ, attendant l’Esprit-Saint promis, « persévéraient unanimement dans la prière ». (Act. I, 14) Ceux qui emploieront cette manière de prier ne manqueront jamais d’en retirer de fruits. Or, c’est ce qui se produit pour les associés du Saint-Rosaire. En effet, de même que les prêtres, par la récitation de l’Office divin, supplient Dieu d’une façon publique, constante et, à cause de cela, très efficace ; ainsi, elle est publique d’une certaine manière, et incessante, et commune, la prière que font les associés en récitant le Rosaire, ou, comme l’ont appelé plusieurs Pontifes romains, le Psautier de la Vierge.
De ce que les prières publiques, comme Nous l’avons dit, sont préférables aux prières privées et ont une puissance d’impétration  plus grande, il est résulté que la confrérie du Saint-Rosaire a été nommée par les écrivains ecclésiastiques « la milice suppliante rassemblée par le Père Dominique sous les étendards de la divine Mère" » de cette Mère que les saintes Lettres et l’histoire de l’Eglise saluent comme Celle qui a vaincu le démon et triomphé de toutes les erreurs. En effet, le Rosaire de Marie unit les fidèles qui pratiquent cette dévotion par un lien commun, semblable à celui qui existe entre des frères ou entre des soldats logés sous la même tente. Ainsi se trouve constituée une armée bien organisée et très puissante pour résister aux ennemis de l’intérieur ou du dehors.
Les membres de cette pieuse association peuvent donc à juste titre s’appliquer ces paroles de saint Cyprien : « Nous avons une prière publique et commune ; et quand nous prions, ce n’est pas pour un seul, mais pour tout le peuple, parce que tous nous ne faisons qu’un. » (De orat. Domin.)
D’ailleurs, les annales de l’Eglise prouvent l’efficacité de semblables prières, en nous rappelant la défaite des troupes turques près des îles Echinades, ainsi que les victoires éclatantes remportées au siècle dernier sur le même peuple, à Temesvar en Hongrie et à Corfou. Grégoire XIII voulut perpétuer le souvenir du premier de ces triomphes, et il institua une fête en l’honneur de Marie victorieuse. Dans la suite, Notre Prédécesseur Clément XI donna à cette solennité le titre du Rosaire et décréta qu’elle serait célébrée chaque année dans l’Eglise universelle.
Mais parce que cette armée suppliante est « enrôlée sous l’étendard de la divine Marie », un nouveau mérite et un nouvel honneur rejaillissent sur elle. C’est pour cela surtout que, dans la récitation du Rosaire, on répète si souvent la Salutation angélique après l’Oraison dominicale. On pourrait croire, au premier abord, que cette répétition est incompatible en quelque sorte avec l’honneur dû à la divinité, et qu’elle nous porte à mettre dans le patronage de Marie une confiance plus grande qu’en la divine puissance. Mais tout au contraire : rien ne peut plus facilement toucher Dieu et nous le rendre plus propice.
En effet, la foi catholique nous enseigne que nous devons adresser nos prières, non seulement à Dieu, mais encore aux bienheureux habitants du ciel (Conc. Trid. sess XXV) ; bien que le mode de supplication doive différer, puisque nos prières s’adressent à Dieu comme au principe de tous les biens, et aux Saints comme à des intercesseurs auprès de Dieu. On peut, dit saint Thomas, adresser une prière à quelqu’un de deux façons : ou bien pour qu’il l’accomplisse par lui-même, ou bien pour qu’il en obtienne l’accomplissement. C’est de la première manière que nous prions Dieu, parce que toutes nos prières doivent avoir pour but d’obtenir la grâce et la gloire, que Dieu seul donne, selon qu’il est dit au psaume LXXXIII, verset 12e : « Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. » Mais nous prions les anges et les Saints de la seconde manière, non point pour que Dieu connaisse par eux nos demandes, mais afin que, par leurs supplications et leurs mérites, nos prières puissent être exaucées. C’est pourquoi il est dit dans l’Apocalypse, chapitre VIII, verset 4e, que « la fumée des parfums composés des prières des saints s’éleva de la main de l’ange devant Dieu. » (S. Th. 2a 2ae, q. 83, a. 4)
Or, parmi tous les heureux habitants du ciel, qui donc oserait rivaliser avec l’auguste Mère de Dieu pour une grâce à obtenir ? Qui donc voit plus clairement, dans le Verbe éternel, les angoisses qui nous pressent, les besoins dont nous sommes assiégés ? Qui, plus qu’Elle, a reçu e pouvoir de toucher la Divinité ? Qui pourrait égaler les effusions de sa tendresse maternelle ? C’est précisément la raison pour laquelle, si nous ne prions pas les bienheureux comme nous prions Dieu, - « car nous demandons à la sainte Trinité d’avoir pitié de nous, et à tous les Saints, quels qu’ils soient, de prier pour nous (Ib.), - toutefois notre manière d’implorer la Vierge a quelque chose de commun avec le culte de Dieu, au point que l’Eglise supplie la Vierge par les mots mêmes dont elle se sert pour supplier Dieu : « Ayez pitié des pécheurs. » Les membres de la confrérie du saint Rosaire font donc une œuvre excellente en tressant de leurs salutations répétées et de leurs prières à Marie comme des guirlandes de roses. Si haute, en effet, est la grandeur de Marie, si puissante la faveur dont Elle jouit auprès de Dieu, que ne pas recourir à Elle dans ses besoins, c’est vouloir, sans ailes, s’élever dans les airs.
L’association dont Nous parlons a un autre mérite, que Nous ne devons point passer sous silence. Toutes les fois que, par la récitation du Rosaire de Marie, nous méditons les mystères de notre salut, nous imitons aussi parfaitement que possible l’office très saint confié jadis à la céleste milice des anges. Ce sont eux, qui ont révélé ces mystères successivement et en leur temps, qui y ont joué un grand rôle, qui ont rempli cette charge avec grand soin, dans une attitude tantôt joyeuse, tantôt affligée, tantôt triomphante. C’est Gabriel qui est envoyé vers la Vierge pour annoncer l’incarnation du Verbe éternel. Ce sont des anges, qui, dans la grotte de Bethléem, célèbrent la naissance du Sauveur. C’est un ange qui avertit Joseph de prendre la fuite et de se retirer en Egypte avec l’Enfant. Au jardin des oliviers, lorsque Jésus, accablé de douleur, répand une sueur de sang, c’est un ange qui, respectueusement, Le console. Lorsque, triomphant de la mort, Il est sorti du sépulcre, ce sont des anges qui l’annoncent aux saintes femmes. Des anges révèlent que Jésus est monté au ciel et proclament qu’Il en reviendra, environné des milices angéliques, auxquelles Il joindra les âmes des élus pour les emmener vers les chœurs célestes, au-dessus desquels a été exaltée la sainte Mère de Dieu.
C’est donc aux associés du Rosaire récitant cette pieuse prière que conviennent parfaitement ces paroles que l’apôtre saint Paul adressait aux nouveaux disciples du Christ : « Vous êtes montés sur la montagne de Sion ; vous êtes entrés dans la cité du Dieu vivant, dans la Jérusalem céleste, et beaucoup de milliers d’anges sont autour de vous. » (Héb., XII, 22) Quoi en effet de plus divin, quoi de plus suave que de contempler, que de prier en compagnie des anges ? Quelle espérance, quelle confiance on peut concevoir de jouir dans le ciel de la bienheureuse société des anges, lorsque, sur la terre, on les a déjà aidés, pour ainsi dire, à accomplir leur ministère !
C’est pour toutes ces raisons que les Pontifes romains ont toujours comblé des plus magnifiques éloges une association ainsi dévouée à Marie. Innocent VIII l’appelle « la très dévote confrérie » (Splendor paternae gloriae, 26 févr. 1491) ; Pie V célèbre ainsi ses bienfaits : « Les fidèles du Christ se trouvent soudain changés en d’autres hommes, les ténèbres de l’hérésie se dissipent, et la lumière de la foi catholique se révèle » (Consueverunt RR. PP., 17 sept. 1569) ; Sixte-Quint, observant combien cette institution a été salutaire à la religion, proclame qu’il lui est très dévoué. Beaucoup d’autres Pontifes, enfin, ou bien ont enrichi cette dévotion des plus abondantes et des plus magnifiques indulgences, ou bien l’ont prise sous leur protection particulière, soit en s’y associant, soit en lui accordant divers témoignages de leur bienveillance.
Excité par l’exemple de Nos prédécesseurs, Nous aussi, Vénérables Frères, Nous vous exhortons et vous encourageons avec ardeur, comme Nous l’avons déjà fait souvent, à entourer de votre meilleur dévouement cette milice sacrée, de telle sorte que, grâce à vos efforts, elle voie de jour en jour accourir sous ses drapeaux des effectifs plus nombreux. Que, par votre concours et par le concours des membres de votre clergé qui ont charge d’âmes, le peuple connaisse et apprécie comme il convient les avantages de cette confrérie et son utilité pour le salut éternel des hommes. Nous le demandons avec d’autant plus d’insistance que, tout dernièrement encore, on a vu refleurir une des formes les plus belles de la piété envers la très sainte Mère de Dieu au moyen du Rosaire, qu’on appelle le « Rosaire perpétuel ». Nous bénissons de grand cœur cette institution, et Nous souhaitons grandement que vous consacriez à la répandre votre zèle et votre activité.
Nous concevons l’espoir très vif que les louanges et les prières du Rosaire seront très puissantes si, sortant des lèvres et du cœur d’une grande multitude, elles ne se taisent jamais, et si jour et nuit, dans les diverses régions du globe, successivement, le concert continu de voix qui prient s’harmonise avec la méditation des choses divines. Cette continuité de supplications et de louanges a été annoncée, il y a bien des siècles, par ces paroles divines adressées à Judith, dans le cantique d’Ozias : « Tu es bénie par le Dieu Très-Haut par-dessus toutes les femmes qui sont sur la terre,… car Il a aujourd’hui tellement glorifié ton nom, que ta louange ne s’arrêtera plus sue les lèvres des hommes. » Et tout le peuple d’Israël acclamait ces paroles en s’écriant : « Qu’il en soit ainsi ! qu’il en soit ainsi ! »
En attendant, comme gage des bienfaits célestes, et comme témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous accordons affectueusement dans le Seigneur, Vénérables Frères, à vous, à votre clergé, à tout le peuple confié à votre foi et à votre vigilance, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 12 septembre 1897, la vingtième année de Notre pontificat.

LEON XIII, PAPE.

 Diuturni temporis, Lettre encyclique de Notre Saint Père le Pape Léon XIII, à l’occasion du mois du Rosaire.

A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires en paix et en communion avec le Saint-Siège apostolique,
Léon XIII, Pape.

Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.

En considérant le long espace de temps, durant lequel, par la volonté de Dieu, Nous avons exercé le souverain Pontificat, Nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître, que, malgré Notre indignité, Nous y avons ressenti le secours ininterrompu de la divine Providence. Nous pensons qu’il faut l’attribuer principalement aux prières dites en commun, et partant si efficaces, qui n’ont cessé un seul instant d’être répandues pour Nous, comme autrefois pour Pierre, par l’Eglise universelle.
C’est pourquoi, tout d’abord, Nous rendons les plus vives actions de grâces à Dieu, le dispensateur de tout bien. Toute Notre vie, Nous garderons dans Notre esprit et Notre cœur, le souvenir de chacun de ses bienfaits.
En outre, il Nous est bien doux de Nous rappeler le maternel patronage de l’auguste Reine du Ciel. Nous conserverons pieusement et inviolablement la mémoire de ses faveurs ; Nous ne cesserons de les exalter et de l’en remercier.
D’Elle, en effet, découlent, comme d’un canal très abondant, les flots des grâces célestes. « Dans ses mains sont les trésors des miséricordes divines » . « Dieu veut qu’Elle soit le principe de tous les biens » . Dans l’amour de cette tendre Mère, que Nous Nous sommes efforcé d’entretenir et d’accroître, Nous avons la ferme espérance de mourir.
Depuis longtemps déjà, désirant faire reposer le salut de la société humaine sur l’extension du culte de la divine Vierge, comme sur une forteresse inexpugnable, Nous n’avons pas cessé de propager, parmi les fidèles du Christ, la dévotion fréquente au Rosaire de Marie. A partir de Notre Lettre Encyclique des calendes de septembre de l’année 1883, publiée sur ce sujet, Nous avons édicté maints décrets, dans ce même but et pour le même objet.
Et comme, par un dessein de la miséricorde divine, il Nous est donné de voir encore cette année l’approche du mois d’octobre, que Nous avons précédemment dédié et consacré à la Vierge du Rosaire, Nous ne voulons pas manquer de vous exhorter encore à la piété envers Marie.
En vous rappelant ainsi rapidement ce que Nous avons fait jusqu’ici pour promouvoir cette forme de prière, Nous couronnerons notre œuvre par une dernière Lettre, qui sera le suprême témoignage de Notre zèle et de Notre sollicitude pour cette excellente manière d’honorer la bienheureuse Vierge, et qui excitera plus encore l’ardeur des fidèles à embrasser pieusement, et à conserver d’une façon inviolable cette sainte pratique.
Mu par le désir constant de fixer, dans les convictions du peuple chrétien, la grandeur et l’efficacité du Rosaire de Marie, Nous avons rappelé l’origine, plutôt divine qu’humaine, de cette prière. Nous avons montré comment elle est une guirlande, admirablement formée, de la Salutation angélique et de l'Oraison dominicale, unies à la méditation. Ainsi composé, le Rosaire forme la plus puissante méthode de prière, bien efficace pour nous faire acquérir la vie éternelle. Outre l’excellence même des éléments, dont elle est composée, ne fournit-elle pas à notre foi un utile aliment ; et ne nous offre-t-elle pas d’insignes modèles de vertu, grâce aux mystères qu’elle présente successivement à notre méditation ?
Nous avons rappelé, en outre, que le Rosaire est d’une pratique facile, et à la portée du peuple, à qui les exemples de la famille de Nazareth offrent une image parfaite de ce devrait être la vie domestique. C’est pourquoi le peuple chrétien n’a jamais manqué d’éprouver sa très salutaire efficacité.
Pour ces motifs principalement, et parce que, d’ailleurs, Nous n’avons pas cessé, par Nos appels réitérés, de recommander la forme même du Rosaire, Nous Nous sommes appliqué, en outre, suivant la pieuse tradition de Nos prédécesseurs, à en répandre la pratique, et à en accroître la solennité.
Sixte-Quint, d’heureuse mémoire, approuva l’antique usage de réciter le Rosaire ; Grégoire XIII institua une fête, sous ce vocable ; Clément VIII l’inscrivit dans le Martyrologe ; Clément XI en étendit la célébration à l’Eglise entière ; Benoît XIII l’inséra dans le Bréviaire Romain. A leur suite, et en témoignage perpétuel de Notre dévotion pour cet exercice de piété, Nous avons décrété que cette solennité, avec son office, serait célébré dans toute l’Eglise, comme fête double de seconde classe ; Nous avons prescrit que le mois d’octobre tout entier serait consacré à cette dévotion ; Nous avons ordonné d’ajouter aux Litanies de Lorette l’invocation : « Reine du Très Saint Rosaire », comme augure de la victoire à remporter dans les combats actuels contre l’impiété.
Il Nous restait à montrer tout le prix et tout le profit qui est attaché à la récitation du Rosaire de Marie, soit à cause des privilèges et des faveurs, dont il est enrichi, soit surtout à cause du trésor si grand des indulgences, qui y sont attachées. Combien il importe à tous ceux qui ont souci de leur salut de mettre à profit de pareils avantages, c’est ce que l’on peut comprendre sans peine.
Il s’agit, en effet, d’obtenir, en tout ou en partie, en usant du trésor des Indulgences, la rémission de la peine temporelle qu’il reste, même après le pardon du péché, à subir dans ce monde ou dans l’autre. Riche trésor, certes, que celui des mérites du Christ, auxquels sont joints ceux de la Vierge et des Saints ! Notre prédécesseur Clément VI lui appliquait ces paroles de la Sagesse : « Il est pour les hommes un trésor infini ; ceux qui s’en servent participent à l’amitié de Dieu » .
Déjà les Pontifes romains, usant du suprême pouvoir qu’ils tiennent de Dieu, ont ouvert en faveur des associés du saint Rosaire et pour ceux qui le récitent pieusement, les sources les plus abondantes de ces grâces.
C’est pourquoi, Nous aussi, dans la pensée que ces grâces et ces indulgences augmentent l’éclat de la couronne de la Vierge Marie, et contribuent à l’orner, pour ainsi dire, des perles les plus précieuses, Nous avons résolu, après de mûres réflexions, de publier une Constitution, relative aux droits, aux privilèges, aux indulgences, dont jouissent les associations du Très Saint Rosaire. Puisse cette Constitution être un témoignage de Notre amour envers la très auguste Mère de Dieu ; puisse-t-elle offrir à tous les fidèles du Christ des stimulants et des récompenses pour leur piété, afin que, à leur heure suprême, ils puissent être soulagés par le secours de Marie et s’endormir doucement sur son sein.
C’est ce que Nous demandons de tout cœur au Dieu très bon et très grand, par l’intercession de la Reine du Très Saint Rosaire.
Comme gage et augure des biens célestes, Nous vous accordons affectueusement, à vous, Vénérables Frères, au clergé et au peuple confiés aux soins de chacun de vous, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 5 septembre de l’année 1898, la vingt et unième de Notre Pontificat.

LEON XIII, PAPE.
 

 Lettre apostolique Parta Humano Generi, sur la consécration d'un nouveau sanctuaire en l'honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du très saint Rosaire, à Lourdes, en France, au mois d'octobre 1901.

Leon XIII, pape

A tous les fidèles qui liront cette lettre, salut et bénédiction apostolique.

Les immortels bienfaits procurés au genre humain par le Christ-Rédempteur demeurent gravés au fond de toutes nos âmes et sont honorés dans l'Eglise par un éternel souvenir qui s'unit, chaque jour, à un doux témoignage d'amour envers la Vierge, Mère de Dieu.
Pour Nous, lorsque Nous jetons les yeux sur la durée de Notre souverain Pontificat et que Nous repassons la série de Nos actes, Nous Nous sentons doucement pénétrés de consolation et de reconnaissance à la vue des œuvres que, sous l'impulsion et avec l'aide de Dieu, auteur des bons conseils, Nous avons soit entreprises Nous-même, pour rehausser les honneurs rendus à la Vierge Marie, soit pris soin de faire entreprendre ou promouvoir par des enfants de l'Eglise catholique.
Ce qui Nous est une joie particulière, c'est que la sainte institution du Rosaire de Marie, grâce à Nos exhortations et à Notre sollicitude, est plus connue et est entrée davantage dans la pratique du peuple chrétien ; c'est que les confréries du Rosaire se sont multipliées et deviennent de jour en jour plus florissantes, et par le nombre et par la piété de leurs associés ; c'est que de nombreux et importants ouvrages, dus aux patients travaux d'hommes savants, ont été publiés et répandus au loin ; c'est, enfin, que le mois d'octobre, que nous avons ordonné de consacrer tout entier au Rosaire, est célébré avec un éclat extraordinaire dans le monde entier.
Mais Nous croirions presque manquer à Notre devoir si, en cette année, avec laquelle le XXe siècle a pris naissance, Nous négligions l'occasion favorable que Nous ont spontanément offerte Notre Vénérable Frère l'évêque de Tarbes, le clergé et le peuple de la ville de Lourdes, qui, dans un temple auguste, dédié à Dieu en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire, ont érigé quinze autels à consacrer aux quinze mystères du Rosaire.
Nous profitons d'autant plus volontiers de cette occasion qu'il s'agit de cette contrée de la France que rendent illustres de si nombreuses et de si grandes faveurs de la Bienheureuse Vierge ; de cette contrée, enfin, qui se glorifie d'avoir, autrefois, possédé saint Dominique, père et législateur de son Ordre, et où se trouve le berceau du Saint Rosaire. En effet, nul parmi les chrétiens ne peut ignorer comment saint Dominique, venu d'Espagne en France, a combattu l'hérésie des Albigeois qui, semblable à une peste pernicieuse, envahissait, en ce temps-là, aux pieds des Pyrénées, l'Aquitaine presque entière ; comment, enfin, par l'exposition et la prédication des admirables et saints mystères de notre divine religion, il a, en ces lieux remplis des ténèbres de l'erreur, rallumé le flambeau de la vérité.
En effet, le but vers lequel convergent, en se prêtant un mutuel appui, les diverses séries de mystères que Nous admirons dans cette dévotion, c'est que, dans leur méditation et dans leur souvenir fréquent, l'esprit du chrétien puise insensiblement la vertu qu'ils renferment et s'en pénètre ; c'est que, peu à peu, il est amené à ordonner et à régler sa vie dans une activité exempte de trouble, à supporter l'adversité avec calme et courage, à nourrir l'espérance de biens immortels dont il jouira dans la vraie patrie, enfin, à entretenir et à augmenter en lui la foi, sans laquelle on cherche en vain à guérir et à soulager les maux qui nous accablent ou à repousser les dangers qui nous menacent de toute part.
Les prières que saint Dominique, guidé et secouru par Dieu, a, le premier, composées en l'honneur de Marie ont été, à juste titre, appelées Rosaire. Car, autant de fois, en nous unissant à la louange angélique, nous saluons Marie pleine de grâce, autant de fois, par cet éloge répété, nous offrons, pour ainsi dire, à cette Vierge bénie des roses qui répandent la suavité du plus agréable parfum, autant de fois se présente à notre esprit et l'éminente dignité de Marie et la grâce infinie qui lui vient de Dieu par Jésus-Christ, le fruit de ses entrailles ; autant de fois nous rappelons les autres mérites extraordinaires par lesquels Elle a participé avec son Fils Jésus à la Rédemption du genre humain. Oh ! combien donc est douce à la Vierge Marie, combien Lui est agréable la salutation angélique, puisque, au moment où Gabriel la lui adressait, Elle comprit que, par la vertu de l'Esprit-Saint, Elle avait conçu le Verbe de Dieu !
Mais, de nos jours aussi, la vieille hérésie albigeoise, sous un nom différent et sous le patronage d'autres sectes, renaît d'une manière étonnante, avec les formes et les séductions nouvelles d'erreurs et de doctrines impies ; elles s'insinue à nouveau dans ces contrées, infecte et contamine de sa honteuse contagion les peuples chrétiens qu'elle entraîne lamentablement à leur perte et à leur ruine. Nous voyons, en effet, et Nous déplorons grandement la tempête soulevée, dans le moment présent, en France surtout, contre les familles religieuses qui, par leurs œuvres de piété et de charité, ont si bien mérité de l'Eglise et des peuples.
Or, pendant que Nous gémissons sur ces maux et que les graves afflictions de l'Eglise remplissent Notre cœur d'une amère douleur, Nous voyons avec joie, à côté du mal, apparaître les indices non douteux d'un meilleur avenir. En effet, ce Nous est un favorable et heureux présage — daigne l'auguste Reine du Ciel le ratifier — que l'on doive, au mois d'octobre prochain, comme Nous l'avons dit plus haut, consacrer dans les sanctuaires de Lourdes autant d'autels qu'il y a de Mystères du Très Saint Rosaire.
Certes, rien ne peut être plus efficace pour nous concilier la faveur de la Vierge Marie et nous mériter les grâces les plus salutaires, que d'entourer des plus grands honneurs possibles les mystères de Rédemption auxquels nous voyons qu'Elle n'a pas seulement assisté mais participé, et de dérouler devant tous les yeux la série de ces divines vérités proposées à notre méditation. Et c'est pourquoi Nous sommes assuré que la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère très tendre des hommes, sera propice aux vœux et aux prières que les foules innombrables de chrétiens, accourus de toutes parts, multiplieront dans ses sanctuaires, et qu'Elle joindra et associera son intercession à la leur, afin que la conjuration de la prière fasse, pour ainsi dire, violence au ciel et touche le Dieu des miséricordes infinies. Puisse, de la sorte, la très puissante Vierge-Mère qui, autrefois, a coopéré par sa charité à la naissance des fidèles dans l'Eglise, être, maintenant encore, l'intermédiaire et la patronne de notre salut ! Qu'elle frappe et écrase les innombrables têtes de l'hydre impie qui étend de plus en plus ses ravages par toute l'Europe ; qu'Elle ramène la tranquillité de la paix dans les esprits inquiets ; et qu'ainsi, enfin, soit hâté le retour des individus et des sociétés à Jésus-Christ qui peut sauver à tout jamais ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise.
C'est pourquoi, rempli de bienveillance pour Notre Vénérable frère l'évêque de Tarbes et Nos fils bien-aimés du clergé et du peuple de Lourdes, Nous avons résolu de répondre favorablement, par la présente Lettre apostolique, à toutes les demandes qu'ils Nous ont récemment présentées. Et Nous avons ordonné qu'un exemplaire authentique de cette Lettre soit adressé à tous Nos Vénérables frères dans le ministère pastoral, patriarches, archevêques, évêques et tous autres prélats de l'univers catholique, afin qu'ils soient remplis de la même joie et de la même allégresse sainte que Nous-même.
C'est pour cela que, — pour le bien, le bonheur et la félicité de tous, pour l'accroissement de la gloire de Dieu et pour le plus grand avantage de toute l'Eglise catholique, — en vertu de Notre autorité apostolique et par la teneur de la présente Lettre, Nous chargeons Notre cher fils Benoît-Marie Langénieux, cardinal de la sainte Eglise romaine, de consacrer régulièrement, en Notre Nom et avec Notre autorité, le nouveau sanctuaire, érigé dans la ville de Lourdes et dédié à Dieu, en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire.
Nous accordons, en outre, à ce très cher fils le privilège de porter le pallium pendant cette solennelle cérémonie, comme s'il se trouvait dans son archidiocèse ; et enfin, à l'issue de cette solennité, de bénir, avec les indulgences accoutumées, en vertu encore de Notre autorité et en Notre nom, l'assemblée des fidèles. Nous accordons ces faveurs, nonobstant toute disposition ou règlement contraires.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 8 sept 1901, de Notre pontificat l'an vingt-quatrième.
LEON XIII, PAPE.
 
 
 

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