ORAISON DEDICATOIRE
O doux Jesus, mon Seigneur,
mon Sauveur et mon Dieu, me voyci prosterné devant vostre Majesté,
vouant et consacrant cet escrit
a vostre gloire. Animés les paroles qui y sont de vostre benediction,
a ce
que les ames pour lesquelles
je l'ay fait en puissent recevoir les inspirations sacrees que je leur
desire,
et particulierement celle
d'implorer sur moy vostre immense misericorde, affin que, monstrant aux
autres le chemin de la devotion
en ce monde, je ne sois pas repreuve(1) et confondu eternellement en
l'autre; ains qu'avec eux
je chante a jamais pour cantique de triomphe, le mot que de tout mon coeur
je
prononce en tesmoig nage de fidelité parmi les hazards de cette
vie mortelle: VIVE JESUS, VIVE JESUS ! Ouy, Seigneur Jesus, vives et regnes
en nos coeurs es siecles des siecles.
Ainsy soit-il
__________
AVIS AU LECTEUR
(présent dans la seconde
édition - 1609)
AU LECTEUR
Mon cher Lecteur (2), cette seconde
edition te represente ce livret reveu, corrigé et augmenté
de plusieurs
chapitres et choses notables. Je
ne l'ay point voulu enrichir d'aucunes citations, comme quelques uns
desiroyent, parce que les doctes
n'ont pas besoin de cela, et les autres ne s'en soucient pas. quand j'use
des paroles de 1'Escriture, ce n'est
pas tous-jours pour les expliquer, mais pour m'expliquer par icelles,
comme plus venerables et aggreables
aux bonnes ames. Je te dis le reste en la Preface. Nostre Seigneur
soit avec toy.
AVIS AU LECTEUR
(Troisième édition
- 1610)
AU LECTEUR
Ce livret sortit de mes mains
l'an 1608. En sa seconde edition il fut augmenté de plusieurs chapitres,
mais
trois de ceux qui estoyent
en la premiere furent oubliés par mesgarde (3). Despuis, il a esté
souvent
imprimé sans mon sceu,
et, avec les impressions, les fautes s'y sont multipliees. Or, le voyla
maintenant
de nouveau corrigé,
et avec tous ses chapitres, mais tous-jours sans citations, parce que les
doctes n'en
ont pas besoin, et
les autres ne s'en soucient pas. Ouand j'use des paroles de l'Escriture
ce n'est pas
tous-jours pour les expliquer,
mais pour m'expliquer par icelles, comme plus aymables et venerables. Si
Dieu m'exauce, tu en feras bien ton prouffit, et recevras beaucoup de benedictions.
P R E F A C E
Mon cher Lecteur, je te prie de
lire cette Preface pour ta satisfaction et la mienne.
La bouquetiere Glycera sçavoit
si proprement diversifier la disposition et le meslange des fleurs, qu'avec
les mesmes fleurs elle faisoit une
grande varieté de bouquetz, de sorte que le peintre Pausias demeura
court, voulant contrefaire a l'envi
cette diversité d'ouvrage, car il ne sceut changer (4) sa peinture
en tant
de façons comme Glycera faisoit
ses bouquetz (5) ainsy le Saint Esprit dispose et arrange avec tant de
varieté les enseignemens
de devotion, qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs,
que la
doctrine estant tousiours une mesme,
les discours neanmoins qui s'en font sont bien differens, selon les
diverses façons desquelles
ilz sont composés. Je ne puis, certes, ni veux, ni dois escrire
en cette
Introduction que ce
qui a des-ja esté publié
par nos predecesseurs sur ce sujet; ce sont les mesmes fleurs que je te
presente,
mon Lecteur, mais le bouquet que
j'en ay fait sera different des leurs, a rayson de la diversité
de
l'ageancement dont il est façonné.
Ceux qui ont traitté de la
devotion ont presque tous regardé l'instruction des personnes fort
retirees du
commerce du monde, ou au moins ont
enseigné une sorte de devotion qui conduit a cette entiere retraitte.
Mon intention est d'instruire ceux
qui vivent es villes, es mesnages, en la cour, et qui par leur condition
sont obligés de faire une
vie commune quant a l'exterieur, lesquelz bien souvent, sous le pretexte
d'une
pretendue impossibilité,
ne veulent seulement pas penser a l'entreprise de la vie devote, leur estant
advis
que, comme aucun animal n'ose gouster
de la graine de l'herbe nommee palma Christi, aussi nul homme
ne doit pretendre a la palme de
la pieté chrestienne tandis qu'il vit emmi la presse des affaires
temporelles.
Et je leur monstre que comme les
meres perles vivent emmi la mer sans prendre aucune goutte d'eau
marine (6), et que vers les isles
Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer(7),
et
que les
piraustes volent dedans les flammes
sans brusler leurs aisles (8), ainsy peut une ame vigoureuse et
constante vivre au monde sans recevoir
aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce pieté
au milieu des ondes arneres de ce
siecle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres sans brusler
les aisles des sacrés desirs
de la vie devote. Il est vray que cela est malaysé, et c'est pourquoy
je desirerois
que plusieurs y employassent leur
soin avec plus d'ardeur qu'on n 'a pas fait jusques a present; comme,
tout foible que je suis, je m'essaye
par cet escrit de contribuer quelque secours a ceux qui d'un coeur
genereux feront cette digne entreprise.
Mais ce n' a toutefois pas este par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public :
une ame vrayement pleine d'honneur
et de vertu ayant, il y a quelque tems, receu de Dieu la grace de
vouloir aspirer a la vie devote,
desira ma particuliere assistance pour ce regard(9) et moy qui luy avois
plusieurs sortes de devoirs, et
qui avois long tems auparavant remarqué en elle beaucoup de disposition
pour ce dessein, je me rendis fort
soigneux de la bien instruire , et l'ayant conduitte par tous les exercices
convenables a son desir et sa condition,
je luy en laissay des memoires par escrit, affin qu'elle y eust
recours a son besoin. Elle, despuis,
les communiqua a un grand, docte et devot Religieux (10), lequel
estimant que plusieurs en pourroyent
tirer du prouffit, m'exhorta fort de les faire publier ce qui luy fut
aysé de me persuader, parce
que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma volonté,
et son jugement,
une grande authorité sur
le mien.
Or, affin que le tout fust plus utile
et aggreable, je l'ay reveu et y ay mis quelque sorte d'entresuite,
adjoustant plusieurs advis et enseignemens
propres a mon intention. Mais tout cela je l'ay fait sans nulle
sorte presque de loysir; c'est pourquoy
tu ne verras rien icy d'exacte, ains seulement un amas
d'advertissemens de bonne foy que
j'explique par des paroles claires et intelligibles, au moins ay-je desiré
de le faire. Et quant au reste des
ornemens du langage, je n'y ay pas seulement voulu penser, comme
ayant asses d'autres choses a faire.
J'addresse mes paroles a Philothee,
parce que, voulant reduire a l'utilité commune de plusieurs ames
ce
que j'avois premierement escrit
pour une seule, je l'appelle du nom commun a toutes celles qui veulent
estre devotes ; car Philothee veut
dire amatrice ou amoureuse de Dieu(11).
Regardant donq en tout ceci une ame
qui, par le desir de la devotion, aspire a l'amour de Dieu, j'ay fait
cette Introduction de cinq Parties,
en la premiere desquelles je m'essaye, par quelques remonstrances et
exercices, de convertir le simple
desir de Philothee en une entiere resolution, qu'elle fait a la parfin
apres
sa confession generale par une solide
protestation, suivie de la tressainte Communion, en laquelle, se
donnant a son Sauveur et le recevant,
elle entre heureusement en son saint amour. Cela fait, pour la
conduire plus avant, je luy monstre
deux grans moyens de s'unir de plus en plus a sa divine Majesté
:
l'usage des Sacremens par lesquelz
ce bon Dieu vient a nous, et la sainte oraison par laquelle il nous tire
a
soy; et en ceci j'employe la seconde
Partie. En la troisiesme, je luy fay voir comme elle se doit exercer en
plusieurs vertus plus propres a
son avancement, ne m'amusant pas sinon a certains advis particuliers
qu'elle n'eust pas sceu aysement
prendre ailleurs ni d'elle mesme. En la quatriesme, je luy fay descouvrir
quelques embusches de ses ennemis,
et luy monstre comme elle s'en doit demesler et passer outre Et
finalement, en la cinquiesme Partie,
je la fay un peu retirer a part soy pour se rafraischir, reprendre
haleine et reparer ses forces, affin
qu'elle puisse par apres plus heureusement gaigner pais et s'avancer en
la vie devote.
Cet aage est fort bigearre, et je
prevois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux et
gens
de devotion de faire des conduittes
si particulieres a la pieté ; qu'elles requierent plus de loysir
que n'en
peut avoir un Evesque chargé
d'un diocese si pesant comme est le mien ; que cela distrait trop
l'entendement qui doit estre employé
a choses importantes. Mais moy,
mon cher Lecteur, je te dis avec
le grand saint Denis (12), qu'il appartient principalement aux Evesques
de
perfectionner les ames , d'autant
que leur ordre est le supreme entre les hommes,
comme celuy des Seraphins entre les
Anges, si que leur loysir ne peut estre mieux destiné qu'a cela.
Les
anciens Evesques et Peres de l'Eglise
estoyent pour le moins autant affectionnés a leurs charges que nous,
et ne laissoyent pourtant pas d'avoir
soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroyent a
leur assistance, comme il appert
par leurs epistres ; imitans en cela les Apostres qui, emmi la moisson
generale de l'univers, recueilloyent
neanmoins certains espis plus remarquables avec une speciale et
particuliere affection. Qui ne sçait
que Timothee, Tite, Philemon, Onesime, sainte Thecle, Appia estoyent
les chers enfans du grand saint
Paul, comme saint Marc et sainte Petronille de saint Pierre ? sainte
Petronille, dis-je, laquelle, comme
preuvent doctement Baronius (13) et Galonius (14), ne fut pas fille
charnelle, mais seulement spirituelle,
de saint Pierre. Et saint Jean n'escrit il pas une de ses Epistres
canoniques (15) a la devote dame
Electa ?
C'est une peyne, je le confesse,
de conduire les ames en particulier, mais une peyne qui soulage, pareille
a
celle des moissonneurs et vendangeurs,
qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesoignés et
chargés ; c'est une travail
qui délasse et avive le coeur par la suavité qui en revient
a ceux qui
l'entreprennent, comme fait le cinamome
ceux qui le portent parmi l'Arabie heureuse. On dit (16) que la
tigresse ayant retreuvé l'un
de ses petitz, que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser tandis
qu'il
emporte le reste de la littee, elle
s'en charge pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante,
ains plus legere a la course qu'elle
fait pour le sauver dans sa tasniere, l'amour naturel l'allegeant par ce
fardeau. Combien plus un coeur paternel
prendra-il volontier en charge une ame qu'il aura rencontree au
desir de la sainte perfection, la
portant en son sein, comme une mere fait son petit enfant, sans se ressentir
de ce faix bien aymé. Mais
il faut sans doute que ce soit un coeur paternel; et c'est pourquoy les
Apostres
et hommes apostoliques appellent
leurs disciples non seulement leurs enfans, mais encor plus tendrement
leurs petitz enfans.
Au demeurant, mon cher Lecteur, il
est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais non pas
certes sans desir de le devenir,
et c'est encor cette affection qui me donne courage a t'en instruire ;
car,
comme disoit un grand homme de lettres
(17), la bonne façon d'apprendre c'est d'estudier, la meilleure
c'est d'escouter, et la tresbonne
c'est d'enseigner. Il advient souvent, dit saint Augustin, escrivant a
sa
devote Florentine(18), que " l'office
de distribuer sert de merite pour recevoir, " et l'office d'enseigner,
de
fondement pour apprendre.
Alexandre fit peindre la belle Campaspé
(19), qui luy estoit si chere, par la main de l'unique Apelles ;
Apelles, forcé de considerer
longuement Campaspé, a mesure qu'il en exprimoit les traitz sur
le tableau en
imprima l'amour en son coeur, et
en devint tellement passionné, qu'Alexandre l'ayant reconneu et
en
ayant pitié la luy donna
en mariage, se privant pour l'amour de luy de la plus chere amie qu'il
eust au
monde
: "En quoy, " dit Pline (20), "il
monstra la grandeur de son coeur, autant qu'il eust fait par une bien grande
victoire. " Or, il m'est advis,
mon Lecteur mon ami qu estant Evesque, Dieu veut que je peigne sur les
coeurs des
personnes non seulement les vertus
communes, mais encores sa treschere et bien aymee devotion et moy
je l'entreprens volontier, tant
pour obeir et faire mon devoir , que pour l'esperance que j 'ay qu'en la
gravant dans l'esprit des autres,
le mien a l'adventure en deviendra saintement amoureux. Or, si jamais sa
divine Majesté m'en void
vivement espris , elle me la donnera en mariage eternel. La belle et chaste
Rebecca , abbreuvant les chameaux
d'Isaac, fut destinee pour estre son espouse, recevant de sa part des
pendans d'oreilles et des brasseletz
d'or (21) ; ainsy je me prometz de l'immense bonté de mon Dieu que,
conduisant ses cheres brebis aux
eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse, mettant
en mes oreilles les paroles dorees
de son saint amour, et en mes bras la force de les
bien executer, en quoy gist l'essence
de la vraye devotion, que je supplie sa Majesté me vouloir octroyer
et a tous les enfans de son Eglise;
Eglise a laquelle je veux a jamais sousmettre mes escritz, mes actions,
mes paroles, mes volontés
et mes pensees.
A Annessy, le jour sainte Magdeleine, 1609 (22).
PREMIERE PARTIE DE L'INTRODUCTION CONTENANT LES ADVIS ET EXERCICES REQUIS POUR CONDUIRE L'AME JUSQUES A UNE ENTIERE RESOLUTION DE L'EMBRASSER
CHAPITRE PREMIER DESCRIPTION DE LA VRAYE DEVOTION
Vous aspires a la devotion,
treschere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçaves que
c'est une
vertu extremement aggreable
a la divine Majesté mais, d'autant que les petites fautes que l'on
commet au
commencement de quelque affaire
s'aggrandissent infiniment au progres et sont presque irreparables a la
fin, il faut avant toutes
choses que vous sçachies que c'est que la vertu de devotion ; car,
d'autant qu'il n'y
en a qu'une vraye, et qu'il y en
a une grande quantité de fauses et vaynes, si vous ne connoissies
quelle
est la vraye, vous pourries vous
tromper et vous amuser a suivre quelque devotion impertinente et
superstitieuse.
Arellus peignoit toutes les faces
des images qu'il faisoit a l'air et ressemblance des femmes qu'il
aymoit(23), et chacun peint la devotion
selon sa passion et fantaisie.
Celuy qui est adonné au jeusne
se tiendra pour bien devot pourveu qu'il jeusne, quoy que son coeur soit
plein de rancune; et n'osant point
tremper sa langue dedans le vin ni mesme dans l'eau, par sobrieté,
ne se
feindra point de la plonger dedans
le sang du prochain par la mesdisance et calomnie. Un autre s'estimera
devot parce qu'il dit une grande
multitude d'oraysons tous les jours, quoy qu'apres cela sa langue se fonde
toute en paroles fascheuses, arrogantes
et injurieuses parmi ses domestiques et voysins. L'autre tire fort
volontier l'aumosne de sa bourse
pour la donner aux pauvres, mays il ne peut tirer la douceur de son
coeur pour pardonner a ses ennemis;
l'autre pardonnera a ses ennemis, mais de tenir rayson a ses
creanciers, jamais qu'a vive force
de justice. Tous ces gens-la sont vulgairement tenus pour devotz, et ne
le sont pourtant nullement. Les
gens de Saül cherchoyent David en sa mayson; Michol ayant mis une
statue dedans un lict et l'ayant
couverte des habillemens de David, leur fit accroire que c'estoit David
mesme qui dormoit malade (24) ainsy
beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions exterieures
appartenantes a la sainte devotion,
et le monde croit que ce soyent gens vrayement devotz et spirituelz;
mais en venté ce ne sont
que des statues et fantosmes de devotion.
La vraye et vivante devotion, o Philothee,
presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre chose qu'un
vray amour de Dieu, mais non pas
toutefois un amour tel quel : car, entant que l'amour divin embellit
nostre ame, il s'appelle grace,
nous rendant aggreables a sa divine Majesté; entant qu'il nous donne
la
force de bien faire, il s'appelle
charité ; mais quand il est parvenu jusques au degré de perfection
auquel il
ne nous fait pas seulement bien
faire, ains nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement,
alhors il s'appelle devotion. Les
austruches ne volent jamais; les poules volent, pesamment toutefois,
bassement et rarement; mais les
aigles, les colombes et les arondelles volent souvent, vistement et
hautement. Ainsy les pecheurs ne
volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre et pour
la
terre; les gens de bien qui n'ont
pas encor atteint la devotion volent en Dieu par leurs bonnes actions,
mais
rarement, lentement et pesamment;
les personnes devotes volent en Dieu frequemment, promptement et
hautement. Bref, la devotion n'est
autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle par le
moyen de laquelle
la charité fait ses actions
en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnement; et comme il
appartient a la charité de
nous faire generalement et universellement prattiquer tous les commandements
de Dieu, il appartient aussi a la
devotion de les nous faire faire promptement et diligemment. C'est
pourquoy celuy qui n'observe tous
les commandemens de Dieu ne peut estre estimé ni bon ni devot,
puisque pour estre bon il faut avoir
la charité, et pour estre devot il faut avoir, outre la charité,
une grande
vivacité et promptitude aux
actions charitables.
Et d'autant que la dévotion
gist en certain degré d'excellente charité, non seulement
elle nous rend
promptz et actifz etdiligens a l'observation
de tous les commandements de Dieu ; mais outre cela, elle
nous provoque a faire promptement
et affectionnement le plus de bonnes oeuvres que nous pouvons,
encores qu'elles ne soyent aucunement
commandees , ains seulement conseillees. ou inspirees. Car tout
ainsy qu'un homme qui est nouvellement
gueri de quelque maladie chemine autant qu'il luy est necessaire,
mais lentement et pesamment, de
mesme le pecheur estant gueri de son iniquité, il chemine autant
que
Dieu luy commande, pesamment neanmoins
et lentement jusques a tant qu'il ayt atteint a la devotion ; car
alhors, comme un homme bien sain,
non seulement il chemine, mais. il court et saute en la voÿe des
commandemens de Dieu(25), et, de
plus, il passe et court dans les sentiers des conseilz et inspirations
celestes. En fin, la charité
et la devotion ne sont non plus differentes l'une de l'autre que la flamme
l'est du
feu, d'autant que la charité
estant un feu spirituel, quand elle est fort enflammee elle s'appelle devotion
: si
que la devotion n'adjouste rien
au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité
prompte, active et
diligente, non seulement a l'observation
des commandemens de Dieu, mais a l'exercice des conseilz et
inspirations celestes.
1. - 1 Co 9,27
2. - AU LECTEUR, SUR CETTE SECONDE EDITION
J'ay beaucoup adjousté de
choses en cette seconde edition pour satisfaire aux prieres qu'on m'en
a faites.
J'ay aussi changé quelques
petites choses, non point au principal...
Mon Lecteur, cette seconde edition
te [represente] fera voir, sil te plait, ce livret corrigé et augmenté
[en
beaucoup d'endroitz] de plusieurs
chapitres.[Je n'ay pas voulu citer les autheurs... ] Je ne l'ay pas voulu
enrichir d'aucunes citations, comme
quelques uns desiroyent, par ce que [si les doctes le lisent, ilz
connoistront asses que ce que je
dis... ] les doctes n'en ont pas besoin, et les autres ne s'en soucient
pas.
En ce sujet, la simplicité
est le plus riche ornement qu'on puisse employer. [Si quelqu'esprit curieux
s en
fasche... ] J'use souvent des motz
de l'Escnture, non pour les expliquer, mais pour m'expliquer par iceux,
comme plus [sains] venerables et
utiles aux ames devotes. Je te dis tout le reste en la Praeface. Nostre
Seigneur soit a jamais avec toy.
3. - Les chapitres , oubliés
par mesgarde dans la seconde édition sont les chap. XXIII,XXXVIII
et
XXXIX de la seconde Partie de l'Edition
Princeps :De la bien-seance des habits; Des desirs; Qu'il faut
avoir l'esprit juste et raisonnable
4. - La bouquetiere Glycera changeoit
en tant de sortes la disposition et le meslange des fleurs qu'elle
mettoit en ses bouquetz, que le
peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire a l'envi cette varieté
d'ouvrage, car il ne sceut diversifier
5. - Pline Hist Nat XXI,2
6. - Les données fantaisistes
des anciens, et notamment dePline ( Historia naturalis , lib. IX, chp.
XXXV) sur les huîtres à
perles, demeurèrent accréditées pendant de longs siècles.
Mattioli les soutenait
encore dans ses Commentaria in VI
Libros Dioscoridis (Venetiis, Valgrisi 1565 ), lib. Il, cap. iv.
7. - Pline Hist Nat II,103
8. - Arist. HistAnim V,19; Pline Hist Nat XI,36
9. - Voir à la Préface
de cette nouvelle Edition, les détails donnés sur Mme de
Charmoisy et l'origine de
l'Ilntroduction a la Vie Devote.
10. - " Ce fut au R. P. Jean Forier,
theologien de la Compagnie de Jesus, lors Recteur du College de
Chambery." (Note marginale de l'édition
de 1609.)
11. - Variante ::et l'ame qui desire d'aymer Dieu commence dès-ja d'en estre amoureuse. (Ms.)
Je regarde par tout mon dessein,
qui est de conduire a la vie devote un ame qui est liee par sa vocation
au
commerce du monde ; et pour cela,
bien que je m'essaye de la retirer du peché, si est ce neanmoins
que
je...
Je regarde par tout une [ bonne] ame qui a des-ja un bon desir de servir Dieu..
Regardant donq par tout un'ame de
cette sorte-la, c'est a dire desireuse d'aymer Dieu, [je la prens comme
par la main, et la conduis le plus
avant que je puis en la vie devote et en cet amour divin, jusques au point
auquel, par les advis et exercices
que je luy propose... ] j'ay fayt mon Introduction de cinq Parties, en
la
premiere desquelles je [ la fay
entierement] m'essaye de convertir son simple desir en une[ parfaitte ]
entiere resolution, a laquelle je
la conduis par plusieurs exercices et advis propres a cela, et la luy fay
faire
en fin par une confession generale
[et] protestation fort authentique et solemnelle, confirmee par la Ste
Communion, en laquelle elle se donne
a Dieu et entr'en son amour. Cela fait, je luy monstre en la seconde
Partie les moyens par lesquelz [elle
peut] (Ms.)
12. - De Eccles. Hier. V,6,7
13. - Ad annum 69.
14. - Galonius Antonio, Oratorien
italien, né vers 1557, mort en 1605. Historia delle sainte Vergini
Romane. Rorna, Donangeli, 1591.
15. - Ep. II
16. - Pline Hist Nat VIII, 18.
17. - Peut-être ce passage
contient-il une allusion au texte de Quintilien: Mox cum robore dicendi
crescet
etiam eruditio : A mesure que s'accroîtra
la puissance de la parole, s'accroîtra l'érudition. ( Inst.
orat., lib.
VIII, proern.)
18. - Ep 266,1
19. - C'est par suite d'une méprise
des imprimeurs qu'on lisait jusqu'ici Compaspé. Toutes les éditions
de
Pline portent Campaspe, orthographe
confirmée par le Pancaste d'Elien (Hist, var., lib. XII, Cap.
XXXIV) et le Pacate de Lucien (Imag.,
§ VII).
20. - Hist Nat 35, 10
21. - Gn 24,20
22. - C'est par erreur que la Préface
de la seconde édition, reproduite dans toutes les éditions
postérieures,
est, à partir de 1616, datée
du jour de sainte Magdeleine 1608'. Cette méprise est d'autant plus
saillante
que la Préface de l'Edition
Princeps se trouve datée du " 8 aoust 1608".
23. - Pline, Hist Nat 35,10
24. - 1 R 19,11
25. -Ps 118,32
CHAPITRE II
PROPRIETÉ ET EXCELLENCE DE
LA DEVOTION
Ceux qui descourageoyent les Israélites
d'aller en la terre de promission leur disoyent que c'estoit un pais
qui devoroit les habitans, c'est
a dire, que l'air y estoit si malin qu'on n'y pouvoit vivre longuement,
et
que reciproquement les habitans
estoyent des gens si prodigieux qu'ilz mangeoyent les autres hommes
comme
des locustes (1) : ainsy le monde,
ma chere Philothee, diffame tant qu'il peut la sainte devotion,
depeignant les personnes devotes
avec un visage fascheux, triste et chagrin, et publiant que la devotion
donne des humeurs melancholiques
et insupportables. Mais comme Josué et Caleb protestoyent que non
seulement la terre promise estoit
bonne et belle, ains aussi que la possession en seroit douce et aggreable
(2), de mesme le Saint Esprit, par
la bouche de tous les Saintz, et Nostre Seigneur par la sienne mesme
(3) nous asseure que la vie devote
est une vie douce, heureuse et amiable.
Le monde voit que les devotz jeusnent,
prient et souffrent les injures, servent les malades, donnent aux
pauvres, veillent, contraignent
leur cholere, suffoquent et estouffent leurs passions, se privent des playsirs
sensuelz et font telles et autres
sortes d'actions, lesquelles en elles mesmes et de leur propre substance
et
qualité sont aspres et rigoureuses;
mais le monde ne voit pas la devotion interieure et cordiale laquelle rend
toutes ces actions aggreables, douces
et faciles. Regardés les abeilles sur le thim elles y treuvent un
suc
fort amer, mais en le sucçant
elles le convertissent en miel, parce que telle est leur proprieté.
O mondains,
les ames devotes treuvent beaucoup
d'amertume en leurs exercices de mortification, il est vray, mais en
les faisant elles les convertissent
en douceur et suavité. Les feux, les flammes, les roues et les espees
sembloyent des fleurs et des parfums
aux Martyrs, parce qu'ilz estoyent devotz ; que si la devotion peut
donner de la douceur aux plus cruelz
tourmens et a la mort mesme, qu'est-ce qu'elle fera pour les actions
de la vertu ?
Le sucre adoucit les fruitz mal meurs
et corrige la crudité et nuisance de ceux qui sont bien meurs ;
or, la
devotion est le vray sucre spirituel,
qui oste l'amertume aux mortifications et la nuisance aux consolations
:
elle oste le chagrin aux pauvres
et l'empressement aux riches, la desolation a l'oppressé et l'insolence
au
favorisé, la tristesse aux
solitaires et la dissolution a celuy qui est en compaignie ; elle sert
de feu en hiver
et de rosee en esté, elle
sçait abonder et souffrir pauvreté, elle rend esgalement
utile l'honneur et le
mespris, elle reçoit le playsir
et la douleur avec un coeur presque tous-jours semblable, et nous remplit
d'une suavité merveilleuse.
Contemplés l'eschelle de Jacob
(4) (car c'est le vray pourtrait de la vie devote) : les deux costés
entre
lesquelz on monte, et ausquelz les
eschellons se tiennent, representent l'orayson qui impetre l'amour de
Dieu et les Sacremens qui le conferent;
les eschellons ne sont autre chose que les divers degrés de charité
par lesquelz l'on va de vertu en
vertu, ou descendant par l'action au secours et support du prochain, ou
montant par la contemplation a l'union
amoureuse de Dieu. Or voyes, je vous prie, ceux qui sont sur
l'eschelle ce sont des hommes qui
ont des coeurs angeliques, ou des Anges qui ont des cors humains; ilz
ne sont pas jeunes, mais ilz le
semblent estre, parce qu'ilz sont pleins de vigueur et agilité spirituelle
; ilz
ont des aisles pour voler, et s'eslancent
en Dieu par la sainte orayson, mais ilz ont des pieds aussi pour
cheminer avec les hommes par une
sainte et amiable conversation ; leurs visages sont beaux et gais,
d'autant qu'ilz reçoivent
toutes choses avec douceur et suavité; leurs jambes, leurs bras
et leurs testes sont
tout a descouvert, d'autant que
leurs pensees, leurs affections et leurs actions n'ont aucun dessein ni
motif
que de plaire a Dieu. Le reste de
leurs cors est couvert, mais d'une belle et legere robbe, parce qu'ilz
usent
voyrement de ce monde et des choses
mondaines, mais d'une façon toute pure et sincere, n'en prenans
que legerement ce qui est requis
pour leur condition telles sont les personnes devotes.
Croyés moy, chere Philothee,
la devotion est la douceur des douceurs et la reyne des vertus, car c'est
la
perfection de la charité.
Si la charité est un lait, la devotion en est la cresme ; si elle
est une plante, la
devotion en est la fleur ; si elle
est une pierre pretieuse, la devotion en est l'esclat ; si elle est un
baume
pretieux, la devotion en est l'odeur,
et l'odeur de suavité qui conforte les hommes et resjouit les Anges.
CHAPITRE III
QUE LA DEVOTION EST CONVENABLE
A TOUTES SORTES DE VOCATIONS ET PROFESSIONS
Dieu commanda en la creation aux
plantes de porter leurs fruitz, chacune selon son genre (5) : ainsy
commande-il aux Chrestiens, qui
sont les plantes vivantes de son Eglise, qu'ilz produisent des fruitz de
devotion, un chacun selon sa qualité
et vacation. La devotion doit estre differemment exercee par le
gentilhomme, par l'artisan, par
le valet, par le prince, par la vefve, par la fille, par la mariee; et
non
seulement
cela, mais il faut accommoder la
prattique de la devotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque
particulier. Je vous prie, Philothee,
seroit il a propos que l'Evesque voulust estre solitaire comme les
Chartreux ? Et si les mariés
ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit
tout le
jour a l'eglise comme le religieux
, et le religieux tous-jours (6) exposé a toutes sortes de rencontres
pour le
service du prochain, comme l'Evesque,
cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglee et insupportable
? Cette faute neanmoins arrive bien
souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner,
entre la devotion et l'indiscretion
de ceux qui pensent estre devotz, murmure et blasme la devotion,
laquelle ne peut mais de ces desordres.
Non, Philothee, la devotion ne gaste
rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout, et lhors qu'elle
se rend contraire a la legitime
vacation de quelqu'un, elle est sans doute fausse. "L'abeille," dit Aristote(7),
"tire son miel des fleurs sans les
interesser, " les laissant entieres et fraisches comme elle les a treuvees
;
mais la vraye devotion fait encor
mieux, car non seulement elle ne gaste nulle sorte de vocation ni
d'affaires, ains au contraire elle
les orne et embellit. Toutes sortes de pierreries jettees dedans le miel
en
deviennent plus esclatantes, chacune
selon sa couleur, et chacun devient plus aggreable en sa vocation la
conjoignant a la devotion : le soin
de la famille en est rendu paisible, l'amour du mari et de la femme plus
sincere, le service du prince plus
fidelle, et toutes sortes d'occupations plus suaves et amiables.
C'est un erreur, ains une heresie, de vouloir bannir la vie devote de la compaignie des soldatz, de la
boutique des artisans, de la cour
des princes , du mesnage des gens mariés. Il est vray, Philothee,
que la
devotion purement contemplative,
monastique et religieuse ne peut estre exercee en ces vacations la ; mais
aussi, outre ces trois sortes de
devotion, il y en a plusieurs autres, propres a perfectionner ceux qui
vivent
es estatz seculiers. Abraham, Isaac
et Jacob , David, Job, Tobie, Sara, Rebecca et Judith en font foy pour
l'Ancien Testament; et quant au
Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crespin furent parfaittement devotz
en leurs boutiques ; sainte Anne,
sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscilla, en leurs mesnages ;
Cornelius, saint Sebastien, saint
Maurice, parmi les armes ; Constantin, Helene, saint Louys, le
bienheureux Amé, saint Edouard,
en leurs throsnes (8). Il est mesme arrivé que plusieurs ont perdu
la
perfection en la solitude, qui est
neanmoins si desirable pour la perfection, et l'ont conservee parmi la
multitude, qui semble si peu favorable
a la perfection : Loth, dit saint Gregoire(9), qui fut si chaste en la
ville, se souilla en la solitude.
Ou que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer a la vie parfaitte.
CHAPITRE IV
DE LA NECESSITÉ D'UN CONDUCTEUR
POUR ENTRER
ET FAIRE PROGRES EN LA DEVOTION
Le jeune Tobie commandé
d'aller en Rages : Je ne sçay nullement le chemin, dit-il. Va donq,
repliqua le
pere, et cherche
quelque homme qui te conduise (10). Je vous en dis de mesme, ma Philothee
voules-vous a bon escient
vous acheminer a la devotion ? cherchés quelque homme de bien qui
vous
guide et conduise ; c'est
ici l'advertissement des advertissemens. Quoy que vous cherchies, dit le
devot
Avila (11), " vous
ne treuveres jamais si asseurement la volonté de Dieu que par le
chemin de cette
humble obeissance, tant recommandee et prattiquee par tous les anciens
devotz."
La bienheureuse Mere Therese voyant
que madame Catherine de Cardone (12) faisoit des grandes
penitences, desira fort de l'imiter
en cela, contre l'advis de son confesseur qui le luy defendoit , auquel
elle
estoit tentee de ne point obeir pour
ce regard ; et Dieu luy dit ; " Ma fille, tu tiens un bon et asseure
chemin. Vois-tu la penitence qu'elle
fait ? mais moy, je fais plus de cas de ton obeissance (13). " Aussi
elle aymoit tant cette vertu, qu'outre
l'obeissance qu'elle devoit a ses superieurs, elle en voùa une toute
particuliere a un excellent homme
(14), s'obligeant de suivre sa direction et conduite , dont elle fut
infiniment consolee ; comme, apres
et devant elle, plusieurs bonnes ames, qui pour se mieux assujettir a
Dieu, ont sousmis leur volonté
a celle de ses serviteurs, ce que sainte Catherine de Sienne loüe
infiniment
en ses Dialogues (15). La devote
Princesse sainte Elisabeth se sousmit avec une extreme obeissance au
docteur Maistre Conrad ; et voyci
l'un des advis que le grand saint Louys fit a son filz avant que mourir
(16) : " Confesse-toy souvent, eslis
un confesseur " idoine, qui soit " preud'homme et qui te puisse
seurement enseigner " a faire les
choses qui te sont necessaires.
L'ami fidelle , dit l'Escriture Sainte
(17), est une forte protection ; celuy qui l'a treuvé a treuvé
un tresor.
L'ami fidelle est un medicament
de vie et d'immortalité; ceux qui craignent Dieu le treuvent. Ces
divines paroles regardent principalement
l'immortalité, comme vous voyes, pour laquelle il faut sur toutes
choses avoir cet ami fidelle qui
guide nos actions par ses advis et conseilz, et par ce moyen nous garantit
des embusches et tromperies du malin
; il nous sera comme un tresor de sapience en nos afflictions,
tristesses et cheutes ; il nous
servira de medicament pour alleger et consoler nos coeurs es maladies
spintuelles ; il nous gardera du
mal, et rendra nostre bien meilleur ; et quand il nous arrivera quelque
infrmité, il empeschera qu'elle
ne soit pas a la mort, car il nous en relevera.
Mais qui treuvera cet ami ? Le Sage
respond (18): Ceux qui craignent Dieu ; c'est a dire, les humbles qui
desirent fort leur avancement spirituel.
Puisqu'il vous importe tant, Philothee, d'aller avec une bonne guide
en ce saint voyage de devotion,
pries Dieu avec une grande instance qu'il vous en fournisse d'une qui soit
selon son coeur, et ne doutes point;
car, quand il devroit envoyer un Ange du ciel, comme il fit au jeune
Tobie, il vous en donnera une bonne
et fidelle.
Or, ce doit tous-jours estre un Ange
pour vous c'est a dire, quand vous l'aures treuvee, ne la considerés
pas comme un simple homme, et ne
vous confies point en iceluy ni en son sçavoir humain, mais en Dieu,
lequel vous favorisera et parlera
par l'entremise de cet homme, mettant dedans le coeur et dedans la
bouche d'iceluy ce qui sera requis
pour vostre bonheur ; si que vous le deves escouter comme un Ange
qui descend du ciel pour vous y
mener. Traittes avec luy a coeur ouvert, en toute sincerité et fidelité,
luy
manifestant clairement vostre bien
et vostre mal, sans feintise ni dissimulation : et par ce moyen , vostre
bien sera examiné et plus
asseuré, et vostre mal sera corrigé et remedié ; vous
en seres allegee et fortifiee
en vos afflictions, moderee et reglee
en vos consolations. Ayes en luy une extreme confiance meslee d'une
sacree reverence, en sorte que la
reverence ne diminue point la
confiance, et que la confiance n'empesche
point la reverence ; confies-vous en luy avec le respect d'une
fille envers son pere, respectes-le
avec la confiance d'un filz avec sa mere bref, cette amitié doit
estre
forte et douce, toute sainte, toute
sacree, toute divine et toute spirituelle.
Et pour cela, choisisses en un entre
mille, dit Avila(19); et moy je dis entre dix mille, car il s'en treuve
moins que l'on ne sçauroit
dire qui soyent capables de cet office. Il le faut plein de charité,
de science et
de prudence Si l'une de ces trois
parties luy manque, il y a du danger. Mais je vous dis derechef,
demandes-le a Dieu, et l'ayant obtenu
benisses sa divine Majesté, demeurés ferme et n'en cherches
point
d'autres, ains alles simplement,
humblement et confidemment, car vous feres un tres heureux voyage.
CHAPITRE V
QU'IL FAUT COMMENCER PAR LA PURGATION
DE L'AME
Les fleurs, dit l'Espoux sacré
(20), apparaissent en nostre terre, le tems d'esmonder et tailler est venu.
Qui sont les fleurs de nos
coeurs, o Philothee, sinon les bons desirs ? Or, aussi tost qu'ilz paroissent,
il
faut mettre la
main a la serpe, pour retrancher de nostre conscience toutes les oeuvres
mortes et
superflues. La fille estrangere, pour espouser l'Israélite, devoit
oster
la robbe de sa captivité,
rogner ses ongles et raser ses cheveux (21): et l'ame qui aspire a l'honneur
d'estre
espouse du Filz de Dieu, se doit
despouiller du viel homme et se revestir du nouveau(22), quittant le
peché ; puis, rogner et raser
toutes sortes d'empeschemens qui destournent de l'amour de Dieu. C'est
le
commencement de nostre santé
que d'estre purgé de nos humeurs peccantes.
Saint Paul tout en un moment fut purgé d'une purgation parfaitte, comme fut aussi sainte
Catherine de Gennes, sainte Magdeleine,
sainte Pelagie et quelques autres ; mais cette sorte de purgation
est toute miraculeuse et extraordinaire
en la grace, comme la resurrection des mortz en la nature, si que
nous ne devons pas y pretendre.
La purgation et guerison ordinaire, soit des cors soit des espritz, ne
se
fait que petit a petit, par progres,
d'avancement en avancement, avec peyne et loysir. Les Anges ont des
aisles sur l'eschelle de Jacob,
mais ilz ne volent pas, ains montent et descendent par ordre, d'eschellon
en
eschellon. L'ame qui monte du peché
a la devotion est comparee a l'aube (23), laquelle s'eslevant ne
chasse pas les tenebres en un instant,
mais petit a petit. La guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout
bellement, est tous-jours plus asseuree
; les maladies du coeur, aussi bien que celles du cors, viennent a
cheval et en poste, mais elles s'en
revont a pied et au petit pas.
Il faut donques estre courageuse
et patiente o Philothee, en cette entreprinse. Helas, quelle pitié
est-ce de
voir des ames lesquelles, se voyans
sujettes a plusieurs imperfections apres s'estre exercees quelques fois
en la devotion, commencent a s'inquieter,
se troubler et descourager, laissans presque emporter leur coeur
a la tentation de tout quitter et
retourner en arriere. Mais aussi, de l'autre costé, n'est-ce pas
un extreme
danger aux ames lesquelles, par
une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs
imperfections le premier jour de
leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre faittes,
en
se mettant au vol sans aisles ?
O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop
tost
ostees d'entre les mains du medecin
! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit arrivee, dit le
Prophete (24); levés vous
apres que vous aurés esté assis et luy mesme prattiquant
cette leçon et ayant
des-ja et nettoyé, demande
de l'estre derechef (25).
L'exercice de la purgation de l'ame
ne se peut ni doit finir qu'avec nostre vie : ne nous troublons donq
point de nos imperfections, car
nostre perfection consiste a les combattre,
et nous ne sçaurions les combattre
sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer. Nostre victoire ne gist
pas a ne les sentir point, mais
a ne point leur consentir ; mais ce n'est pas leur consentir que d'en estre
incommodé (26). Il faut bien
que pour l'exercice de nostre humilité, nous soyons quelquefois
blessés en
cette bataille spirituelle ; neanmoins
nous ne sommes jamais vaincus sinon lhors que nous avons perdu ou
la vie ou le courage. Or, les imperfections
et pechés venielz ne nous sçauroyent oster la vie spirituelle,
car
elle ne se perd que par le peché
mortel ; il reste donques seulement qu'elles ne nous facent point perdre
le
courage : Delivre-moy, Seigneur,
disoit David (27), de la couardise et descouragement. C'est une
heureuse condition pour nous en
cette guerre, que nous soyons tous-jours vainqueurs, pourvu que nous
voulions combattre.
CHAPITRE VI
DE LA PREMIERE PURGATION, QUI EST
CELLE
DES PECHÉS MORTELZ
La premiere purgation qu'il
faut faire c'est celle du peché ; le moyen de la faire c'est le
saint Sacrement de
Penitence. Cherches le plus
digne confesseur que vous pourres ; prenes en main quelqu'un des petitz
livres qui ont esté
faitz pour ayder les consciences a se bien confesser, comme Grenade (28),
Bruno (29),
Arias (30), Auger (31); lises les
bien, et remarques de point en point en quoy vous aves offencé,
a prendre
despuis que vous eustes l'usage
de rayson jusques a l'heure presente ; et si vous vous defies de vostre
memoire, mettes en escrit
ce que vous aurés remarqué. Et ayant ainsy preparé
et ramassé les humeurs
peccantes de vostre conscience,
detestes-les et les rejettes par une contrition et desplaysir aussi grand
que
vostre coeur pourra souffrir, considerant ces quatre choses: que par le
peché vous aves perdu la grace
de Dieu, quitté vostre part de Paradis, accepté les peynes
eternelles de
l'enfer et renoncé a l'amour
eternel de Dieu.
Vous voyes bien, Philothee, que je
parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes, je
confesse bien n'estre pas tous-jours
absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle vous sera
extremement utile en ce commencement
: c'est pourquoy je vous la conseille grandement Il arrive souvent
que les confessions ordinaires de
ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire sont pleines de grans
defautz : car souvent on ne se prepare
point ou fort peu, on n'a point la contrition requise, ains il advient
maintes fois que l'on se va confesser
avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on
ne
veut pas eviter l'occasion du peché,
ni prendre les expediens necessaires a l'amendement de la vie ; et en
tous ces cas ici la confession generale
est requise pour asseurer l'ame. Mais outre cela, la confession
generale nous appelle a la connoissance
de nous mesmes, nous provoque a une salutaire confusion pour
nostre vie passee, nous fait admirer
la misericorde de Dieu qui nous a attendus en patience ; elle apaise
nos coeurs, delasse nos espritz,
excite en nous des bons propos, donne sujet a nostre pere spirituel de
nous faire des advis plus convenables
a nostre condition, et nous ouvre le coeur pour avec confiance nous
bien declarer aux confessions suivantes.
Parlant donq d'un renouvellement
general de nostre coeur et d'une conversion universelle de nostre ame a
Dieu, par l'entreprise de la vie
devote, j'ay bien rayson, ce me semble, Philothee, de vous conseiller cette
confession generale.
CHAPITRE VII
DE LA SECONDE PURGATION, QUI EST
CELLE
DES AFFECTIONS DU PECHÉ
Tous les Israélites
sortirent en effect de la terre d'Egypte, mays ilz n'en sortirent pas tous
d'affection; c'est
pourquoy emmi le desert
plusieurs d'entre eux regrettoyent de n'avoir pas les oignons et les chairs
d'Egypte (32). Ainsy
il y a des penitens qui sortent en effect du peché et n'en quittent
pourtant pas
l'affection : c'est a dire,
ilz proposent de ne plus pecher, mais c'est avec un certain contrecoeur
qu' ilz ont
de se priver et abstenir
des malheureuses delectations du peché ; leur coeur renonce au peché
et s'en
esloigne, mais il ne laisse
pas pour cela de se retourner souventefois de ce costé la, comme
fit la femme
de Loth du costé
de Sodome (33). Ilz s'abstiennent du peché comme les malades font
des melons,
lesquelz ilz
ne mangent pas parce que le medecin les menace de mort s'ilz en mangent
; mais ilz
s'inquietent de s'en abstenir,
ilz en parlent et marchandent s'il se pourroit faire, ilz les veulent au
moins
sentir, et estiment bien
heureux ceux qui en peuvent manger. Car ainsy ces foibles et Iasches penitens
s'abstiennent pour quelque
tems du peché, mais c'est a regret ; ilz voudroient bien pouvoir
pecher sans
estre damnés, ilz
parlent avec ressentiment et goust du peché et estiment contens
ceux qui les font. Un
homme resolu de se venger
changera de volonté en la confession, mais tost apres on le treuvera
parmi ses
amis qui prend playsir a
parler de sa querelle, disant que si ce n' eust esté la crainte
de Dieu, il eust fait
ceci et cela, et que la loy divine
en cet article de pardonner est difficile ; que pleust a Dieu qu'il fust
permis
de se venger ! Ha, qui ne
voit qu'encor que ce pauvre homme soit hors du peché, il est neanmoins
tout
embarrassé de l'affection
du peché, et qu'estant hors d'Egypte en effect, il y est encor en
appetit, desirant
les aulx et les oignons qu'il
y souloit manger ! comme fait cette femme qui, ayant detesté ses
mauvaises
amours, se plaist neanmoins
d'estre muguettee et environnee. Helas, que telles gens sont en grand peril
!
O Philothee, puisque vous voulés
entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le
peché, mais il faut tout
a fait esmonder vostre coeur de toutes les affections qui dependent du
peché ; car,
outre le danger qu'il y auroit de
faire recheute, ces miserables affections allanguiroyent perpetuellement
vostre esprit, et l'appesentiroyent
en telle sorte qu'il ne pourroit pas faire les bonnes oeuvres
promptement, diligemment et frequemment,
en quoy gist neanmoins la vraÿe essence de la devotion. Les
ames lesquelles sorties de l'estat
du peché ont encor ces affections et allanguissemens, ressemblent
a mon
advis aux filles qui ont les pasles
couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont
malades : elles mangent sans goust,
dorment sans repos, rient sans joye, et se traisnent plustost que de
cheminer ; car de mesme, ces ames
font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes qu'elles ostent
toute la grace a leurs bons exercices,
qui sont peu en nombre et petitz en effect.
CHAPITRE VIII
DU MOYEN DE FAIRE CETTE SECONDE PURGATION
Or, le premier motif pour parvenir
a (34) cette seconde purgation, c'est la vive et forte apprehension du
grand mal que le peché nous
apporte, par le moyen de laquelle nous entrons en une profonde et
vehemente contrition ; car tout
ainsy que la contrition, pourveu qu'elle soit vraye, pour petite qu'elle
soit,
et sur tout estant jointe a la vertu
des Sacremens, nous purge suffisamment du peché, de mesme quand
elle est grande et vehemente, elle
nous purge de toutes les affections qui dependent du peché. Une
haine
ou rancune foible et debile nous
fait avoir a contrecoeur celuy que nous haïssons et nous fait fuir
sa
compaignie ; mais si c'est une haine
mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons celuy a
qui nous la portons, ains nous avons
a degoust et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliés,
parens
et amis, non pas mesme son image,
ni chose qui luy appartienne. Ainsy, quand le penitent ne hait le peché
que par une legere, quoy que vraye
contrition, il se resoult voyrement bien de ne plus pecher, mais quand
il le hait d'une contrition puissante
et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains encor toutes
les
affections , dependances et acheminemens
du peché.
Il faut donques, Philothee, aggrandir
tant qu'il nous sera possible nostre contrition et repentance, affin
qu'elle s' estende jusques aux moindres
appartenances du peché. Ainsy Magdeleine en sa conversion
perdit tellement le goust des pechés
et des playsirs qu'elle y avoit prins, que jamais plus elle n'y pensa;
et
David protestoit de non seulement
haïr le peché, mais aussi toutes les voyes et sentiers d'iceluy
(35) : en
ce point consiste le rajeunissement
de l'ame, que ce mesme Prophete (36) compare au renouvellement de
l'aigle.
Or, pour parvenir a cette apprehension et contrition,
il faut que vous vous exercies soigneusement
aux meditations suivantes, lesquelles estans bien prattiquees
desracineront de
vostre coeur, moyennant la grace
de Dieu, le peché et les principales affections du peché
; aussi les ay-je
dressees tout a fait pour cet usage.
Vous les feres l'une apres l'autre selon que je les ay marquees, n'en
prenant qu'une pour chaque jour,
laquelle vous feres le matin, s'il est possible, qui est le tems le plus
propre pour toutes les actions de
l'esprit (37), et la ruminerés (38) le reste de la journee. Que
si vous
n'estes encor pas duite a faire
la meditation, voyes ce qui en sera dit en la seconde Partie.
CHAPITRE IX
Meditation 1
DE LA CREATION
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il vous inspire.
Considerations
1.Considerés qu'il n'y a que
tant d'ans que vous n'esties point au monde, et que vostre estre estoit
un vray
rien. Ou estions-nous, o mon ame,
en ce tems la? Le monde avoit des-ja tant duré, et de nous, il n'en
estoit nulle nouvelle.
2. Dieu vous a fait esclore de ce rien, pour vous rendre ce que vous estes, sans qu'il eust
besoin de vous, ains par sa seule bonté.
3. Considerés l'estre que Dieu vous a donné ; car c'est le premier estre du monde visible,
capable de vivre eternellement et
de s'unir parfaittement a sa divine Majesté.
Affections et resolutions
1. Humilies-vous profondement devant
Dieu, disant de coeur avec le Psalmiste : O Seigneur, je suis
devant vous comme un vray rien (39).
Et comment eustes-vous memoire de moy (40) pour me creer?
Helas, mon ame, tu estois abimee
dans cet ancien neant, et y serois encores de present si Dieu ne t'en
eust retiree ; et que ferois-tu
dedans ce rien ?
2. Rendes graces a Dieu. O mon grand
et bon Createur, combien vous suis-je redevable, puisque vous
m'estes allé prendre dans
mon rien, pour me rendre par vostre misericorde ce que je suis. Qu'est
ce que je
feray jamais pour dignement benir
vostre saint Nom et remercier vostre immense bonté ?
3. Confondés-vous. Mays helas,
mon Createur, au lieu de m'unir a vous par amour et service, je me suis
rendue toute rebelle par mes desreglees
affections, me separant et esloignant de vous pour me joindre au
peché, n'honnorant non plus
vostre bonté que si vous n'eussies pas esté mon Createur.
4. Abaisses-vous devant Dieu. O mon
ame, sçache que le Seigneur est ton Dieu ; c'est luy qui t'a fait,
et
tu ne t'es pas faitte toy mesme
(41). O Dieu, je suis l'ouvrage de vos mains (42).
5. Je ne veux donq plus des-ormais
me complaire en moy mesme, qui de ma part ne suis rien. Dequoy te
glorifies-tu, o poudre et cendre
(43), mais plustost, o vray neant ? dequoy t'exaltes-tu ? Et pour
m'humilier, je veux faire telle
et telle chose, supporter telz et telz mespris. Je veux changer de vie
et
suivre des-ormais mon Createur,
et m'honnorer de la condition de l'estre qu'il m'a donné, l'employant
tout entierement a l'obeissance
de sa volonté par les moyens qui me seront enseignés, et
desquelz je
m'enquerray vers mon pere spirituel
Conclusion
1. Remercies Dieu. Benis, o mon ame,
ton Dieu et que toutes mes entrailles loüent son saint Nom(44) ;
car sa bonté m'a tiree de
rien, et sa misericorde m'a creée.
2.Offres. O mon Dieu, je vous offre
l'estre que vous m' aves donné, avec tout mon coeur; je le vous
dedie et consacre.
3. Pries. O Dieu, fortifies moy en
ces affections et resolutions ; o Sainte Vierge, recommandes les a la
misericorde de vostre Filz, avec
tous ceux pour qui je dois prier, etc.
Pater noster, Ave.
Au sortir de l'orayson, en vous pourmenant
un peu, recueilles un petit bouquet de devotion, des
considerations que vous aves faites,
pour l'odorer le long de la journee.
CHAPITRE X
Meditation 2
DE LA FIN POUR LAQUELLE NOUS SOMMES CREES
Preparation
1. Mettes-vous devant Dieu.
2. Pries-le qu'il vous inspire.
Considerations
1.Dieu ne vous a pas mise en ce monde
pour aucun besoin qu'il eust de vous, qui luy estes du tout inutile,
mais seulement affin d'exercer en
vous sa bonté, vous donnant sa grace et sa gloire. Et pour cela
il vous a
donné l'entendement pour
le connoistre, la memoire pour vous souvenir de luy, la volonté
pour l'aymer,
l'imagination pour vous representer
ses bienfaitz, les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la
langue pour le loüer, et ainsy
des autres facultés.
2.Estant creée et mise en
ce monde a cette intention, toutes actions contraires a icelle doivent
estre
rejettees et evitees, et celles
qui ne servent de rien a cette fin doivent estre mesprisees, comme vaines
et
superflues.
3.Considerés le malheur du
monde qui ne pense point a cela, mais vit comme s' il croyoit de n'estre
creé
que pour bastir des maysons, planter
des arbres, assembler des richesses et faire des badineries.
Affections et resolutions
1.Confondes-vous, reprochant a vostre
ame sa misere, qui a esté si grande ci devant qu'elle n'a que peu
ou point pensé a tout ceci.
Helas, ce dires-vous, que pensois-je, o mon Dieu, quand je ne pensois point
en
vous ? dequoy me resouvenois-je
quand je vous oubliois ? qu'aymois-je quand je ne vous aymois pas ?
Helas, je me devois repaistre de
la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois
le monde qui n'est
fait que pour me servir.
2.Detestes la vie passee. Je vous
renonce, pensees vaines et cogitations inutiles; je vous abjure, o
souvenirs detestables et frivoles;
je vous renonce, amitiés infidelles et desloyales, services perdus
et
miserables, gratifications ingrates,
complaisances fascheuses.
3. Convertisses-vous a Dieu. Et vous,
o mon Dieu, mon Sauveur, vous seres doresnavant le seul objet de
mes pensees ; non, jamais je n'appliqueray
mon esprit a des cogitations qui vous soient desaggreables : ma
memoire se remplira tous les jours
de ma vie, de la grandeur de vostre debonnaireté, si doucement
exercee en mon endroit; vous seres
les delices de mon coeur et la suavité de mes affections. Ha donq,
telz
et telz fatras et amusemens ausquelz
je m'appliquois, telz et telz vains exercices ausquelz j'employois mes
journees, telles et telles affections
qui engageoient mon coeur, me seront des-ormais en horreur; et a cette
intention j'useray de telz et telz
remedes.
Conclusion
I. Remercies Dieu qui vous a faite
pour une fin si excellente. Vous m'aves faite, o Seigneur, pour vous,
affin que je jouisse eternellement
de l'immensité de vostre gloire quand sera-ce que j'en seray digne,
et
quand vous beniray-je selon mon
devoir ?
2. Offrés. Je vous offre,
o mon cher Createur, toutes ces mesmes affections et resolutions, avec
toute
mon ame et mon coeur.
3. Pries. Je vous supplie, o Dieu,
d'avoir aggreables mes souhaitz et mes voeux, et de donner vostre sainte
benediction a mon ame, a celle fin
qu'elle les puisse accomplir par le merite du sang de vostre Filz
respandu sur la Croix, etc.
Faites le petit bouquet de devotion.
CHAPITRE XI
Meditation 3
DES BENEFICES DE DIEU
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Pries-le qu'il vous inspire.
Considerations
1. 1.Consideres les graces corporelles
que Dieu vous a donnees : quel cors, quelles commodités de
l'entretenir, quelle santé,
quelles consolations loysibles
pour iceluy, quelz amis, quelles
assistances. Mais cela consideres-le avec une comparayson de tant
d'autres personnes qui valent mieux
que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices : les uns gastés
de cors, de santé, de membres
; les autres abandonnés a la merci des opprobres, et du mespris
et
des-honneur ; les autres accablés
de pauvreté ; et Dieu n'a pas voulu que vous fussies si miserable.
2. Consideres les dons de l'esprit
: combien y a-il au monde de gens hebetés, enragés, insensé;
et
pourquoy n'estes-vous pas du nombre
? Dieu vous a favorisee. Combien y en a-il qui ont esté nourris
rustiquement et en une extreme ignorance
; et la Providence divine vous a fait eslever civilement et
honnorablement.
3. Consideres les graces spirituelles
o Phîlothee, vous estes des enfans de l'Eglise ; Dieu vous a enseignee
sa connoissance des vostre jeunesse.
Combien de fois vous a-il donné ses Sacremens? combien de fois,
des inspirations, des lumieres interieures,
des reprehensions pour vostre amendement ? combien de fois
vous a-il pardonné vos fautes
? combien de fois, delivree des occasions de vous perdre ou vous esties
exposee ? Et ces annees passees,
n'estoyent ce pas un loysir et commodité de vous avancer au bien
de
vostre ame ? Voyes un peu par le
menu combien Dieu vous a esté doux et gracieux.
Affections et resolutions
1. Admires la bonté de Dieu.
O que mon Dieu est bon en mon endroit ! O qu'il est bon ! Que vostre
coeur, Seigneur, est riche en misericorde
et liberal en debonnaireté (45)! O mon ame, racontons a jamais
combien de graces il nous a faites.
2. Admires vostre ingratitude. Mais
que suis-je, Seigneur, que vous ayes eu memoîre de moy (46)? O que
mon indignité est grande
! Helas, j'ay foulé au pied vos benefices; j'ay deshonnoré
vos graces, les
convertissant en abus et mespris
de vostre souveraine bonté; j 'ay opposé l'abisme de mon
ingratitude a
l'abisme de vostre grace et faveur.
3. Excites-vous a reconnoissance.
Sus donq, o mon coeur, ne veuille plus estre infidelle, ingrat et desloyal
a ce grand Bienfaiteur. Et comment
mon ame ne sera-elle pas meshuy sujette a Dieu (47), qui a fait tant
de merveilles et de graces en moy
et pour moy ?
4. Ha donq, Philothee, retires vostre
cors de telles et telles voluptés, rendes-le sujet au service de
Dieu qui
a tant fait pour luy; appliques
vostre ame a le connoistre et reconnoistre, par telz et telz exercices
qui sont
requis pour cela; employés
soigneusement les moyens qui sont en l'Eglise pour vous sauver et aymer
Dieu. Ouy, je frequenteray l'orayson,
les Sacremens, j'escouteray la sainte parole, je prattiqueray les
inspirations et conseilz.
Conclusion
. 1.Remercies Dieu de la connoissance
qu'il vous a donnee maintenant de vostre devoir, et de tous les
bienfaitz cy devant receus.
. 2.Offres-luy vostre coeur avec toutes vos resolutions.
3. Pries-le qu'il vous fortifie,
pour les prattiquer fidellement par le merite de la mort de son Fil; implorés
l'intercession de la Vierge et des
Saintz,
Pater noster, etc.
Faites le petit bouquet spirituel.
CHAPITRE XII
Meditation 4
DES PECHES
Preparation
1.Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il vous inspire.
Considerations
1. Penses combien il y a que vous
commencés a pecher, et voyes combien des ce premier
commencement les pechés se
sont multipliés en vostre coeur ; comme tous les jours vous les
aves accreus
contre Dieu, contre vous mesme,
contre le prochain, par oeuvre, par parole, par desir et pensee.
Consideres vos mauvaises inclinations,
et combien vous les avés suivies. Et par ces deux pointz vous
verrés que vos coulpes sont
en plus grand nombre que les cheveux de vostre teste (48), voyre que le
sable de la mer.
3. Consideres a part le peché
d'ingratitude envers Dieu, qui est un peché general lequel s'espanche
par
tous les autres, et les rend infiniment
plus enormes :
voyes donq combien de benefices Dieu
vous a fait, et que de tous, vous aves abusé contre le Donateur;
singulierement, combien d'inspirations
mesprisees, combien de bons mouvemens rendus inutiles. Et encor
plus que tout, combien de fois aves-vous
receu les Sacremens, et ou en sont les fruitz ? que sont devenus
ces pretieux joyaux dont vostre
cher Espoux vous avoit ornee ? tout cela a esté couvert sous vos
iniquités.
Avec quelle preparation les aves-vous
receus ? Pensés a cette ingratitude, que Dieu vous ayant tant couru
apres pour vous sauver, vous aves
tous-jours fui devant luy pour vous perdre.
Affections et resolutions
1. 1. Confondes-vous en vostre misere.
O mon Dieu, comment ose-je comparoistre devant vos yeux ?
Helas, je ne suis qu'un apostheme
du monde et un esgoust d'ingratitude et d'iniquité. Est il possible
que
j'aye esté si desloyale,
que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances
de mon ame,
que je n'aye gasté, violé
et souïllé, et que pas un jour de ma vie ne soit escoulé
auquel je n'aye produit de
si mauvais effectz ? Est-ce ainsy
que je devois contrechanger les benefices de mon Createur et le sang de
mon Redempteur ?
2. Demandes pardon, et vous jettés
aux pieds du Seigneur comme un enfant prodigue, comme une
Magdeleine, comme une femme qui
auroit souïllé le lit de son mariage de toutes sortes d'adulteres.
O
Seigneur, misericorde sur cette
pecheresse ; helas, o source vive de compassion, ayes pitié de cette
miserable.
3. Proposes de vivre mieux. O Seigneur,
non, jamais plus, moyennant vostre grace, non, jamais plus je ne
m'abandonneray au peché.
Helas, je ne l'ay que trop aymé ; je le deteste, et vous embrasse,
o Pere de
misericorde ; je veux vivre et mourir
en vous.
4. Pour effacer les pechés
passés, je m'en accuseray courageusement, et n 'en laisseray pas
un que je ne
pousse dehors.
5. Je feray tout ce que je pourray
pour en deraciner entierement les plantes de mon coeur,
particulierement de telz et de telz
qui me sont plus ennuyeux.
6. Et pour ce faire, j'embrasseray
constamment les moyens qui me seront conseillés, ne me semblant
d'avoir jamais asses fait pour reparer
de si grandes fautes.
Conclusion
1. Remerciés Dieu qui vous a attendue jusques a cette heure, et vous a donné ces bonnes affections.
2. Faites-luy offrande de vostre coeur pour les effectuer.
3. Pries-le qu'il vous fortifie, etc.