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Saint François de Sales
Introduction à la Vie Dévote


CHAPITRE XIII
DES CONSOLATIONS SPIRITUELLES ET SENSIBLES
ET COMME IL SE FAUT COMPORTER EN ICELLES

Dieu continue l'estre de ce grand monde en une perpetuelle vicissitude, par laquelle le jour se change tous-jours en nuit, le printems en esté, l'esté en automne, l'automne en hiver et l'hiver en printems, et l'un des jours ne ressemble jamais parfaittement l'autre : on en void de nubileux, de pluvieux, de secs, de venteux, varieté qui donne une grande beauté a cet univers. Il en est de mesme de l'homme, qui est, selon le dire des Anciens (28), un " abregé du monde ; " car jamais il n'est en un mesme estat, et sa vie escoule sur cette terre comme les eaux, flottant et ondoyant en une perpetuelle diversité de mouvemens, qui tantost l'eslevent aux esperances, tantost l'abaissent par la crainte, tantost le plient a droite par la consolation, tantost a gauche par l'affliction, et jamais une seule de ses journees, ni mesme une de ses heures, n'est entierement pareille a l'autre.
 

C'est un grand advertissement que celuy cy : il nous

faut tascher d'avoir une continuelle et inviolable egalité de coeur en une si grande inegalité d'accidens, et quoy que toutes choses se tournent et varient diversement autour de nous, il nous faut demeurer constamment immobiles a tous-jours regarder, tendre et pretendre a nostre Dieu. Que le navire prenne telle route qu'on voudra, qu'il cingle au ponant ou levant, au midi ou septentrion, et quelque vent que ce soit qui le porte, jamais pourtant son eguille marine ne regardera que sa belle estoile et le pole. Que tout se renverse sans dessus dessous, je ne dis pas seulement autour de nous, mais je dis en nous, c'est a dire que nostre ame soit triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en tenebres, en tentations, en repos, en goust, en desgoust, en secheresse, en tendreté, que le soleil la brusle ou que la rosee la rafraischisse, ha ! Si faut-il pourtant qu'a jamais et tous-jours la pointe de nostre coeur, nostre esprit, nostre volonté superieure, qui est nostre bussole, regarde incessamment et tende perpetuellement a l'amour de Dieu son Createur, son Sauveur, son unique et souverain bien. Ou que nous vivions ou que nous mourions, dit l'Apostre (29), si sommes-nous a Dieu. Qui nous separera de l'amour et charité de Dieu ? Non, jamais rien ne nous separera de cet amour ni la tribulation, ni l'angoisse, ni la mort, ni la vie, ni la douleur presente, ni la crainte des accidens futurs, ni les artifices des malins espritz, ni la hauteur des consolations, ni la profondité des afflictions, ni la tendreté, ni la secheresse ne nous doit jamais separer de cette sainte charité qui est fondee en Jesus Christ (30).

Cette resolution si absolue de ne jamais abandonner Dieu ni quitter son doux amour, sert de contrepoids a nos ames pour les tenir en la sainte egalité parmi l'inegalité de divers mouvemens que la condition de cette vie luy apporte. Car, comme les avettes se voyans surprises du vent en la campaigne, embrassent des pierres pour se pouvoir balancer en l'air et n'estre pas si aysement transportees a la merci de l'orage, ainsy nostre ame ayant vivement embrassé par resolution le pretieux amour de son Dieu, demeure constante parmi l'inconstance et vicissitude des consolations et afflictions, tant spirituelles que temporelles, tant exterieures qu interieures. Mays outre cette generale doctrine, nous avons besoin de quelques documens particuliers.
 
 

1. Je dis donq que la devotion ne consiste pas en la douceur, suavité, consolation et tendreté sensible du coeur, qui nous provoque aux larmes et souspirs et nous donne une certaine satisfaction aggreable et savoureuse en quelques exercices spirituelz. Non, chere Philothee, la devotion et cela ne sont pas une mesme chose ; car il y a beaucoup d'ames qui ont de ces tendretés et consolations, qui neanmoins ne laissent pas d'estre fort vicieuses, et par consequent n' ont aucun vray amour de Dieu et, beaucoup moins, aucune vraye devotion. Saul poursuivant a mort le pauvre David (31)

, qui fuyoit devant luy es desers d'Engaddi, entra tout seul en une caverne en laquelle David avec ses gens estoyent cachés ; David, qui en cette occasion l'eut peu mille fois tuer, luy donna la vie et ne voulut seulement pas luy faire peur, ains l'ayant laissé sortir a son ayse l'appella par apres pour luy remonstrer son innocence, et luy faire connoistre qu'il avoit esté a sa merci. Or, sur cela, qu'est ce que ne fit pas Saul pour tesmoigner que son coeur estoit amolly envers David ? il le nomma son enfant, il se mit a pleurer tout haut, a le louer, a confesser sa debonnaireté, a prier Dieu pour luy, a presager sa future grandeur et a luy recommander la posterité qu'il devoit laisser apres soy (32). Quelle plus grande douceur et tendreté de coeur pouvoit il faire paroistre ? et pour tout cela, neanmoins, il n'avoit point changé son ame, ne laissant pas de continuer sa persecution contre David aussi cruellement qu'au paravant.
 
 

Ainsy se treuve-il des personnes qui considerans la bonté de Dieu et la Passion du Sauveur(33) sentent des grans attendrissemens de coeur, qui leur font jetter des souspirs, des larmes, des prieres et actions de graces fort sensibles, si qu'on diroit qu'elles ont le coeur saysi d'une bien grande devotion. Mais quand ce vient a l'essay, on treuve que comme les pluyes passageres d'un esté bien chaud, qui tombans en grosses gouttes sur la terre ne la penetrent point et ne servent qu'a la production des champignons, ainsy ces larmes et tendretés tombans sur un coeur vicieux et ne le penetrans point, luy sont tout a fait inutiles car pour tout cela, les pauvres gens ne quitteroyent pas un seul liard du bien mal acquis qu'ilz possedent, ne renonceroyent pas une seule de lèurs perverses affections, et ne voudroyent pas avoir pris la moindre incommodité du monde pour le service du Sauveur sur lequel ilz ont pleuré ; en sorte que les bons mouvemens qu'ilz ont eus, ne sont que des certains champignons spirituelz, qui non seulement ne sont pas la vraye devotion, mais bien souvent sont des grandes ruses de l'ennemi, qui, amusant les ames a ces menues consolations, les fait demeurer contentes et satisfaittes en cela, a ce qu'elles ne cherchent plus la vraye et solide devotion, qui consiste en une volonté constante, resolue, prompte et active d'executer ce que l'on sçait estre aggreable a Dieu.
 
 

Un enfant pleurera tendrement (34) s'il voit donner un coup de lancette a sa mere qu'on saigne; mais si a mesme tems sa mere, pour laquelle il pleuroit, luy demande une pomme ou un cornet de dragee qu'il tient en sa main, il ne le voudra nullement lascher. Telles sont la pluspart de nos tendres devotions : voyans donner un coup de lance qui transperce le coeur de Jesus Christ crucifié, nous pleurons tendrement. Helas, Philothee, c'est bien fait de pleurer sur cette Mort et Passion douloureuse de nostre Pere et Redempteur ;

mais pourquoy donq ne luy donnons-nous tout de bon la pomme que nous avons en nos mains et qu'il nous demande si instamment, a sçavoir nostre coeur, unique pomme d'amour que ce cher Sauveur requiert de nous ? Que ne luy resignons-nous tant de menues affections, delectations, complaisances, qu'il nous veut arracher des mains et ne peut, parce que c'est nostre dragee, de laquelle nous sommes plus frians que desireux de sa celeste grace ? Ha! ce sont des amitiés de petitz enfans que cela, tendres, mais foibles, mais fantasques, mais sans effect. La devotion donq ne gist pas en ces tendretés et sensibles affections, qui quelquefois procedent de la nature qui est ainsy molle et susceptible de l'impression qu'on luy veut donner, et quelquefois viennent de l'ennemi qui, pour nous amuser a cela, excite, nostre imagination a l'apprehension propre pour telz effectz.

2. Ces tendretés et affectueuses douceurs sont neanmoins quelquefois tres bonnes et utiles; car elles excitent l'appetit de l'ame, confortent l'esprit, et adjoustent a la promptitude de la devotion une sainte gayeté et allegresse qui rend nos actions belles et aggreables mesmes en l'exterieur. C'est ce goust que l'on a es choses divines pour lequel David s'escrioit (35): O Seigneur, que vos parolles sont douces a mon palais, elles sont plus douces que le miel a ma bouche. Et certes, la moindre petite consolation de la devotion que nous recevons vaut mieux de toute façon que les plus excellentes recreations du monde. Les mammelles

et le laict, c'est a dire les faveurs du divin Espoux, sont meilleures a l'ame que le vin (36) le plus pretieux des playsirs de la terre : qui en a gousté tient tout le reste des autres consolations pour du fiel et de l'absynthe. Et comme ceux qui ont l'herbe scitique en la bouche en reçoivent une si extreme douceur qu'ilz ne sentent ni faim ni soif (37), ainsy ceux a qui Dieu a donné cette manne celeste des suavités et consolations interieures ne peuvent desirer ni recevoir les consolations du monde, pour au moins y prendre goust et y amuser leurs affections. Ce sont des petitz avant-goustz des suavités immortelles que Dieu donne aux ames qui le cherchent; ce sont des grains sucrés qu'il donne a ses petitz enfans pour les amorcer ; ce sont des eaux cordiales qu'il leur presente pour les conforter, et ce sont aussi quelquefois des arres des recompenses eternelles. On dit (38) qu'Alexandre le Grand, singlant en haute mer, descouvrit premierement I 'Arabie heureuse par le sentiment qu'il eut des suaves odeurs que le vent luy donnoit ; et sur cela, se donna du courage et a tous ses compaignons : ainsy nous recevons souvent des douceurs et suavités en cette mer de la vie mortelle, qui sans doute nous font pressentir les delices de cette Patrie celeste a laquelle nous tendons et aspirons.

3. Mais, ce me dires-vous, puisqu'il y a des consolations sensibles qui sont bonnes et viennent de Dieu, et que neanmoins il y en a des inutiles, dangereuses, voyre pernicieuses, qui viennent ou de la nature ou mesme de l'ennemi, comment pourray-je discerner les unes des autres et connoistre les mauvaises ou inutiles entre les bonnes ? C'est une generale doctrine, treschere Philothee, pour les affections et passions de nos ames, que nous les devons connoistre par leurs fruitz (39). Nos coeurs sont des arbres, les affections et passions sont leurs branches, et leurs oeuvres ou actions sont les fruitz. Le coeur est bon qui a de bonnes affections, et les affections et passions sont bonnes qui produisent en nous des bons effectz et saintes actions. Si les douceurs, tendretés et consolations nous rendent plus humbles, patiens, traittables, charitables et compatissans a l'endroit du prochain, plus fervens a mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations, plus constans en nos exercices, plus maniables et souples a ceux que nous devons obeir, plus simples en nostre vie, sans doute, Philothee, qu'elles sont de Dieu ; mais si ces douceurs n'ont de la douceur que pour nous, qu'elles nous rendent curieux, aigres, pointilleux, impatiens, opiniastres, fiers, presomptueux, durs a l'endroit du prochain, et que pensans des-ja estre des petitz saintz nous ne voulons plus estre sujetz a la direction ni a la correction, indubitablement ce sont des consolations fauses et pernicieuses : Un bon arbre ne produit que des bons fruitz (40).
 
 

4. Quand nous aurons de ces douceurs et consolations, a. il nous faut beaucoup humilier devant Dieu ; gardons-nous bien de dire pour ces douceurs : o que je suis bon ! Non, Philothee, ce sont des biens qui ne nous rendent pas meilleurs, car, comme j'ay dit, la devotion ne consiste pas en cela ; mais disons : o que Dieu est bon a ceux qui esperent en luy, a l'ame qui le recherche (41)! Qui a le sucre en bouche ne peut pas dire que sa bouche soit douce, mais ouy bien que le sucre est doux :

ainsy, encor que cette douceur spirituelle est fort bonne, et Dieu qui nous la donne est tresbon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon. b.Connoissons que nous sommes encor de petitz enfans qui avons besoin du laict, et que ces grains sucrés nous sont donnés parce que nous avons encor l'esprit tendre et delicat, qui a besoin d'amorces et d'appastz pour estre attiré a l'amour de Dieu. c. Mais apres cela, parlant generalement et pour l'ordinaire, recevons humblement ces graces et faveurs et les estimons extremement grandes, non tant parce qu'elles le sont en elles mesmes, comme parce que c'est la main de Dieu qui nous les met au coeur; comme feroit une mere qui pour amadouer son enfant, luy mettroit elle mesme les grains de dragee en bouche, l'un apres l'autre, car si l'enfant avoit de l'esprit, il priseroit plus la douceur de la mignardise et caresse que sa mere luy fait, que la douceur de la dragee mesme. Et ainsy, c'est beaucoup, Philothee, d'avoir les douceurs ; mais c'est la douceur des douceurs de considerer que Dieu de sa main amoureuse et maternelle les nous met en la bouche, au coeur, en l'ame, en l'espnt. d. Les ayans receués ainsy humblement, employons les soigneusement selon l'intention de Celuy qui les nous donne. Pourquoy pensons-nous que Dieu nous donne ces douceurs ? pour nous rendre doux envers un chacun et amoureux envers luy. La mere donne la dragee a l'enfant affin qu'il la bayse : baysons donc ce Sauveur qui nous donne tant de douceurs. Or, bayser le

Sauveur, c'est luy obeir, garder ses commandemens, faire ses volontés, suivre ses desirs, bref, l'embrasser tendrement avec obeissance et fidelité. Quand donq nous aurons receu quelque consolation spirituelle, il faut ce jour-la se rendre plus diligens a bien faire et a nous humilier. e. Il faut, outre tout cela, renoncer de tems en tems a telles douceurs, tendretés et consolations, separans nostre coeur d'icelles et protestans qu'encor que nous les acceptions humblement et les aymions, parce que Dieu nous les envoye et qu'elles nous provoquent a son amour, ce ne sont neanmoins pas elles que nous cherchons, mais Dieu et son saint amour : non la consolation, mais le Consolateur ; non. la douceur, mais le doux Sauveur ; non la tendreté, mais Celuy qui est la suavité du ciel et de la terre ; et en cette affection nous nous devons disposer a demeurer fermes au saint amour de Dieu, quoy que de nostre vie nous ne deussions jamais avoir aucune consolation, et de vouloir dire egalement sur le mont de Calvaire, comme sur celuy de Thabor O Seigneur, il m'est bon d'estre avec vous (42), ou que vous soyes en croix, ou que vous soyes en gloire. f. Finalement je vous advertis que s'il vous arrivoit quelque notable abondance de telles consolations, tendretés, larmes et douceurs, ou quelque chose d'extraordinaire en icelles, vous en conferiés fidellement avec vostre conducteur affin d'apprendre comme il s'y faut moderer et comporter, car il est escrit (43) : As-tu treuvé le miel ? mange-en ce qui suffit.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE XIV
 
 
 
 
 
 
 
 
 

DES SECHERESSES ET STERILITÈS SPIRITUELLES
 
 
 
 
 
 
 

Vous ferés donq ainsy que je vous viens de dire, treschere Philothee, quand vous aves des consolations ; mais ce beau tems si aggreable ne durera pas tous-jours, ains il adviendra que quelquefois vous seres tellement privee et destituee du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit une terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ait ni sentier ni chemin pour treuver Dieu, ni aucune eau (44) de grace qui la puisse arrouser, a cause des secheresses qui, ce semble, la reduiront totalement en friche. Helas, que l'ame qui est en cet estat est digne de compassion, et sur tout quand ce mal est vehement; car alhors, a l'imitation de David, elle se repaist de larmes jour et nuit,

tandis que par mille suggestions l'ennemi, pour la desesperer, se moque d'elle et luy dit : ah, pauvrette, ou est ton Dieu (45)? par quel chemin le pourras-tu treuver ? qui te pourra jamais rendre la joye de sa sainte grace ?

Que feres-vous donq en ce tems la, Philothee ? Prenes garde d'ou le mal vous arrive: nous

sommes souvent nous mesmes la cause de nos sterilités et secheresses.

I. Comme une mere refuse le sucre a son enfant qui est sujet aux vers, ainsy Dieu nous

oste les consolations quand nous y prenons quelque vayne complaisance et que nous sommes sujetz aux vers de l'outrecuidance : Il m'est bon, o mon Dieu, que vous m'humiliés ; ouy, car,

avant que le fusse humilié je vous avois

offensé (46).

2.Quand nous negligeons de recueillir les suavités et delices de l'amour de Dieu lhors

qu'il en est tems, il les escarte de nous en punition de nostre paresse : l'Israëlite qui n'amassoit la manne de bon matin ne le pouvoit plus faire apres le soleil levé, car elle se treuvoit toute fondue (47).

3. Nous sommes quelquefois couchés dans un lict des contentemens sensuelz et

consolations perissables, comme estoit l'Espouse sacree es Cantiques (48): l'Espoux de nos ames buque a la porte de nostre coeur, il nous inspire de nous remettre a nos exercices spirituelz, mais nous marchandons avec luy, d'autant qu'il nous fasche de quitter ces vains amusemens et de nous separer de ces faux contenternens ; c'est pourquoy il passe outre et nous laisse croupir, puys, quand nous le voulons chercher, nous avons beaucoup de peyne a le treuver : aussi l'avons-nous bien merité, puysque nous avons esté si infideles et desloyaux a son amour, que d'en avoir refusé l'exercice pour suivre celuy des choses du monde. Ah, vous aves donq de la farine d'Egypte, vous n'aures donq point de la manne du ciel. Les abeilles haïssent toutes les odeurs artificielles; et les suavités du Saint Esprit sont incompatibles avec les delices artificieuses du monde.

4. La duplicité et finesse d'esprit exercee es confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les secheresses et sterilités : car puisque vous mentés au Saint Esprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation ; vous ne voules pas estre simple et naif comme un petit enfant, vous n' aures donq pas la dragee des petitz enfans.
 
 

5. Vous vous estes bien saoulee des contentemens mondains, ce n'est pas merveille si les delices spirituelles vous sont a desgoust : les colombes ja saoules, dit l'ancien proverbe, treuvent ameres les cerises. Il a rempli de biens, dit Nostre Dame (49), les affamés, et les riches il les a laissé vuides : ceux qui sont riches des playsirs mondains ne sont pas capables des spirituelz.
 
 

6. Aves-vous bien conservé les fruitz des consolations receuës ? vous en aures donq des nouvelles, car a celuy qui a, on luy en donnera davantage ; et a celuy qui n'a pas ce qu'on luy a donné, mais qui l'a perdu par sa faute, on luy ostera mesme ce qu il n'a pas (50); c'est a dire on le privera des graces qui luy estoient preparees.

Il est vray, la pluye vivifie les plantes qui ont de la verdeur ; mais a celles qui ne l'ont point elle leur oste encor la vie qu'elles n'ont point, car elles en pourrissent tout a fait.

Pour plusieurs telles causes nous perdons les consolations devotieuses et tombons en secheresse et sterilité d'esprit : examinons donq nostre conscience si nous remarquerons en nous quelques semblables defautz. Mais notés, Pbilothee, qu'il ne faut pas faire cet examen avec inquietude et trop de curiosité ; ains apres avoir fidelement consideré nos deportemens pour ce regard, si nous treuvons la cause du mal en nous, il en faut remercier Dieu, car le mal est a moitié gueri quand on a

descouvert sa cause. Si, au contraire, vous ne voyes rien en particulier qui vous semble avoir causé cette secheresse, ne vous amuses point a une plus curieuse recherche, mais avec toute simplicité, sans plus examiner aucune particularité, faites ce que je vous diray.

1.Humilies-vous grandement devant Dieu en la connoissance de vostre neant et misere:

Helas, qu'est-ce que de moy quand je suis a moy mesme ? non autre chose, o Seigneur, sinon une terre seche, laquelle crevassee de toutes pars, tesmoigne la soif qu'elle a de la pluye du ciel, et ce pendant le vent la dissipe et reduit en poussiere.

2. Invoques Dieu et luy demandes son allegresse : Rendes-moy, o Seigneur, l'allegresse

de vostre salut (51). Mon Pere, s'il est possible, transportes ce calice de moy (52). Oste-toy d'ici,

o bize infructueuse qui desseche

mon ame, et venés, o gracieux vent des consolations, et soufflés dans mon jardin (53), et ses bonnes affections respandront l'odeur de suavité.

3. AIles a vostre confesseur, ouvres-luy bien vostre coeur, faites-luy bien voir tous les

replis de vostre ame, prenes les advis qu'il vous donnera, avec grande simplicité et humilité car Dieu qui ayme infiniment l'obeissance, rend souvent utiles les conseilz que l'on prend d'autruy, et sur tout des conducteurs des ames, encor que d'ailleurs il n'y eust pas grande apparence; comme il rendit prouffitables a Naaman les eaux du Jourdain, desquelles Helisee, sans aucune apparence de rayson humaine, luy avoit ordonné l'usage (54).

4. Mais apres tout cela, rien n'est si utile, rien si fructueux en telles secheresses et sterilités

que de ne point s'affectionner et attacher au desir d'en estre delivré. Je ne dis pas qu'on ne doive faire des simples souhaitz de la delivrance ; mais je dis qu'on ne s'y doit pas affectionner, ains se remettre a la pure merci de la speciale providence de Dieu, affin que tant qu'il luy plaira il se serve de nous entre ces espines et parmi ces desers. Disons donq a Dieu en ce tems la : O Pere, s'il est possible, transportes de moy ce calice, mais adjoustons de grand courage : toutefois, non ma volonté, mais la vostre soit faitte, et arrestons-nous a cela avec le plus de repos que nous pourrons ; car Dieu nous voyant en cette sainte indifference nous consolera de plusieurs graces et faveurs, comme quand Il vit Abraham resolu de se priver de son enfant Isaac, il se contenta de le voir indifferent en cette pure resignation, le consolant d'une vision tres aggreable et par des tres douces benedictions (55). Nous devons donq en toutes sortes d'afflictions, tant corporelles que spirituelles, et es distractions ou soustractions de la devotion sensible qui nous arrivent, dire de tout nostre coeur et avec une profonde sousmission : Le Seigneur m'a donné des consolations, le Seigneur me les a ostees, son saint Nom soit beni (56); car perseverans en cette humilité, il nous rendra ses delicieuses faveurs, comme il fit a Job qui usa constamment de pareilles paroles en toutes ses desolations.

5. Finalement, Philothee, entre toutes nos secheresses et sterilités ne perdons point courage, mais attendans en patience le retour des consolations, suivons tousjours nostre train ; n e laissons point pour cela aucun exercice de devotion, ains, s'il est possible, multiplions nos bonnes oeuvres, et ne pouvans presenter a nostre cher Espoux des confitures liquides, presentons-luy en des seches, car ce luy est tout un, pourveu que le coeur qui les luy offre soit parfaittement resolu de le vouloir aymer. Quand le printems est beau les abeilles font plus de miel et moins de mouchons, parce qu'a la faveur du beau tems elles s'amusent tant a faire leur cueillette sur les fleurs qu'elles en oublient la production de leurs nymphes; mays quand le printems est aspre et nubileux elles font plus de nymphes et moins de miel, car ne pouvans pas sortir pour faire la cueillette du miel, elles s'employent a se peupler et multiplier leur race. Il arrive maintesfois, ma Philothee, que l'ame se voyant au beau printems des consolations spirituelles s'amuse tant a les amasser et succer, qu'en l'abondance de ces douces delices elle fait beaucoup moins de bonnes oeuvres, et qu'au contraire, parmi les aspretés et sterilités spirituelles, a mesure qu'elle se void privee des sentimens aggreables de devotion, elle en multiplie d'autant plus les oeuvres solides, et abonde en la generation interieure des vrayes vertus, de patience, humilité, abjection de soy mesme, resignation, et abnegation de son amour propre.
 
 

C'est donq un grand abus de plusieurs, et notamment des femmes, de croire que le service que nous faisons a Dieu, sans goust, sans tendreté de coeur et sans sentiment soit moins aggreable a sa divine Majesté (57), puisqu'au contraire nos actions sont comme les roses, lesquelles bien qu'estans fraisches elles ont plus de grace, estans neanmoins seches elles ont plus d'odeur et de force : car tout de mesme, bien que nos oeuvres faittes avec tendreté de coeur nous soyent plus aggreables, a nous, dis-je, qui ne regardons qu'a nostre propre delectation, si est-ce qu'estans faittes en secheresse et sterilité, elles ont plus d'odeur et de valeur devant Dieu. Ouy, chere Philothee, en tems de secheresse nostre volonté nous porte au service de Dieu comme par vive force, et par consequent il faut qu'elle soit plus vigoureuse et constante qu'en tems de tendreté. Ce n'est pas si grand cas de servir un prince en la douceur d'un tems paisible et parmi les delices de la cour, mais de le servir en l'aspreté de la guerre, parmi les troubles et persecutions, c'est une vraye marque de constance et fidelité.
 
 

La bienheureuse Angele de Foligny dit (58) que "l'orayson la plus aggreable a Dieu est celle qui se fait par force et contrainte, " c'est a dire celle a laquelle nous nous rangeons, non point

pour aucun goust que nous y ayons, ni par inclination, mais purement pour plaire a Dieu, a quoy nostre volonté nous porte comme a contrecoeur, forçant et violentant les secheresses et repugnances qui s'opposent a cela. J'en dis de mesme de toutes sortes de bonnes oeuvres, car plus nous avons des contradictions, soit exterieures soit interieures,

a les faire, plus elles sont estimees et prisees devant Dieu. Moins il y a de nostre interest particulier en la poursuitte des vertus, plus la pureté de l'amour divin y reluit : l'enfant bayse aysement sa mere qui luy donne du sucre, mais c'est signe qu'il l'ayme grandement s'il la bayse apres qu'elle luy aura donné de l'absynthe ou du chicotin.

CHAPITRE XV
 
 
 
 

CONFIRMATION ET ESCLAIRCISSEMENT
 
 
 
 

DE CE QUI A ESTÉ DIT
 
 
 
 
 

PAR UN EXEMPLE NOTABLE
 
 
 
 
 
 

Mais pour rendre toute cette instruction plus evidente, je veux mettre icy une excellente piece de l'histoire de saint Bernard, telle que je l'ay treuvee en un docte et judicieux escrivain (59). Il dit donq ainsy
:

C'est chose ordinaire a presque tous ceux qui commencent a servir Dieu et qui ne sont encor point experimentés es soustractions de la grace ni es vicissitudes spirituelles, que leur venant a manquer ce goust de la devotion sensible, et cette aggreaNe lumiere qui les invite a se haster au chemin de Dieu, ilz perdent tout a coup l'haleyne et tombent en pusillanimité et tristesse de coeur. Les gens bien entendus en rendent cette rayson, que la nature raysonnable ne peut longuement durer affamee et sans quelque delectation, ou celeste ou terrestre. Or, comme les ames relevees au dessus d'elles mesmes par l'essay des playsirs superieurs, renoncent facilement aux objetz visibles, ainsy quand par la disposition divine la joye spirituelle leur est ostee, se treuvans aussi d'ailleurs privees des consolations corporelles, et n'estans point encor accoustumees d'attendre en patience les retours du vray soleil, il leur semble qu' elles ne sont ni au ciel ni en la terre, et qu'elles demeureront ensevelies en une nuit perpetuelle : si que,

comme petitz enfançons qu'on sevre, ayans perdu leurs mammelles, elles languissent et gemissent, et deviennent ennuyeuses et importunes, principalement a elles mesmes.

Ceci donq arriva au voyage duquel il est question a l'un de la trouppe, nommé Geoffroy de Peronne, nouvellement dedié au service de Dieu. Celuy ci, rendu soudainement aride, destitué de consolation et occupé des tenebres interieures, commença a se ramentevoir de ses amis mondains, de ses parens, des facultés qu'il venoit de laisser, au moyen dequoy il fut assailli d'une si rude tentation que, ne pouvant la celer en son maintien, un de ses plus confidens s'en apperceut, et l'ayant dextrement accosté avec douces parolles luy dit en secret : " Que veut dire ceci Geoffroy ? comment est ce que contre l'ordinaire, tu te rends si pensif et affligé ? " Alhors Geoffroy, avec un profond souspir,

"Ah mon frere, " respondit il, "jamais de ma vie je ne seray joyeux. " Cet autre, esmeu de pitié par telles parolles, avec un zele fraternel alla soudain reciter tout ceci au commun Pere saint Bernard, lequel, voyant le danger, entra en une eglise prochaine afin de prier Dieu pour luy ; et Geoffroy ce pendant, accablé de la tristesse, reposant sa teste sur une pierre, s'endormit. Mais apres un peu de tems, tous deux se leverent, l'un de l'orayson avec la grace impetree, et l'autre du sommeil, avec un visage si riant et serein que son cher ami, s' esmerveillant d'un si grand et soudain changement, ne se peut contenir de luy reprocher amiablement ce que peu auparavant il luy avoit respondu ; alhors Geoffroy lu y repliqua : " Si auparavant je te dis que jamais je ne serois joyeux, maintenant je t'asseure que je ne seray jamais triste. "

Tel fut le succes de la tentation de ce devot personnage, mais remarqués en ce recit, chere Philothee

: 1.Que Dieu donne ordinairement quelque avant~goust des delices celestes a ceux qui entrent a son service, pour les retirer des voluptés terrestres et les encourager a la poursuite du divin amour, comme une mere qui pour amorcer et attirer son petit enfant a la mammelle met du miel sur le bout de son tetin. 2. Que c'est neanmoins aussi ce bon Dieu qui quelquefois, selon sa sage disposition, nous oste le laict et le miel des consolations, affin que, nous sevrant ainsy, nous apprenions a manger le pain sec et plus solide d'une devotion vigoureuse, exercee a l'espreuve des desgoustz et tentations. 3. Que quelquefois des bien grans orages s'eslevent parmi les secheresses et sterilités, et lhors il faut constamment combattre les tentations, car elles ne sont pas de Dieu ; mais il faut souffrir patiemment les secheresses, puisque Dieu les a ordonnees pour nostre exercice. 4. Que nous ne devons jamais perdre courage entre les ennuis interieurs, ni dire comme le bon Geoffroy, " Jamais je ne seray joyeux, " car emmi la nuit nous devons attendre la lumiere ; et reciproquement, au plus beau tems spirituel que nous puissions avoir, il ne faut pas dire, je ne seray jamais ennuyé : non, car, comme dit le Sage(60), es jours heureux, il se faut resouvenir du malheur. Il faut esperer entre les travaux et craindre entre les prosperités,

et tant en l'une des occasions qu'en l'autre il se faut tousjours humilier. 5. Que c'est un souverain remede de descouvrir son mal a quelque ami spirituel qui nous puisse soulager.
 
 

En fin, pour conclusion de cet advertissement qui est si necessaire, je remarque que, comme en toutes choses de mesme en celles cy, nostre bon Dieu et nostre ennemi ont aussi des contraires pretentions : car Dieu nous veut conduire par icelles a une grande pureté de coeur, a un entier renoncement de nostre propre interest en ce qui est de son service, et un parfait despouillement de nous mesmes ; mais le malin tasche d'employer

ces travaux pour nous faire perdre courage, pour nous faire retourner du costé des playsirs sensuelz, et en fin nous rendre ennuyeux a nous mesmes et aux autres, affin de decrier et diffamer la sainte devotion. Mais si vous observés les enseignemens que je vous ay donnés, vous accroistres grandement vostre perfection en l'exercice que vous feres entre ces afflictions interieures, desquelles je ne veux pas finir le propos que je ne vous die encor ce mot.

Quelquefois les desgoustz, les sterilités et secheresses proviennent de l'indisposition du cors, comme quand par l'exces des veilles, des travaux et des jeusnes on se treuve accablé de lassitudes, d'assoupissemens, de pesanteurs et d'autres telles infirmités, lesquelles bien qu'elles dependent du cors ne laissent pas d'incommoder l'esprit, pour l'estroitte liaison qui est entre eux. Or, en telles occasions, il faut tous-jours se resouvenir de faire plusieurs actes de vertu avec la pointe de nostre esprit et volonté superieure; car encor que toute nostre ame semble dormir et estre accablee d'assoupissement et lassitude, si est-ce que les actions de nostre esprit ne laissent pas d'estre fort aggreables a Dieu, et pouvons dire en ce tems la, comme l'Espouse sacree (61): Je dors, mais mon coeur veille ; et comme j'ay dit ci dessus, s'il y a moins de goust a travailler de la sorte, il y a pourtant plus de merite et de vertu. Mais le remede en cette occurrence, c'est de revigorer le cors par quelque sorte de legitime allegement et recreation ; ainsy saint François ordonnoit a ses religieux (62) qu'ilz fussent tellement moderés en leurs travaux, qu'ilz n'accablassent pas la ferveur de l'esprit.
 
 

Et a propos de ce glorieux Pere, il fut une fois attaqué et agité d'une si profonde melancholie d'esprit qu'il ne pouvoit s'empescher de le tesmoigner en ses deportemens ; car s'il vouloit converser avec ses religieux il ne pouvoit, s'il s'en separoit, il estoit pis ; l'abstinence et maceration de la chair l'accabloyent, et l'orayson ne l'allegeoit nrnlement. Il fut deux ans en cette sorte, tellement qu'il sembloit estre du tout abandonné de Dieu ; mays en fin, apres avoir humblement souffert cette rude tempeste, le Sauveur luy redonna en un moment une heureuse tranquillité (63). C'est pour dire que les plus grans serviteurs de Dieu sont sujetz a ces secousses, et que les moindres ne doivent s'estonner s'il leur en arrive quelques unes. (64)

1. - Jn 15,19

2. - Mt 11,18

3. - 1 Co 13,4

4. - 1 Jn 5,19

5. - Ex 1,15

6. - Ga 6,14

7. - Ps 83,11

8. - Ps 54,7

9. - 2 Co 12,7

10. - Arnaldus, Vita B.Angelae deFulginio 19

11. - Ga 5,17

12. - Rm 7,23

13. - Vitz S.Pauli Erem. 3

14. - B. Raym. De Capua (cf Intr.V.D. Part 2, ch. 12)

15. - Mt 26,41

16. - Mt 4,10

17. - Ps 118,109

18. - Joinville l.c. part.2

19. - 2 Co 7,10

20. - Qo 30,25

21. - Jc 5,13

22. - 1 R 16, fin

23. - Ct 2,16

24. - Ct 1,12

25. - Ps 118,82

26. - Rm 8,35

27. - Ps 103,16

28. - Lection 4 Comment. S.Thomae in Arist. Physica 8,2

29. - Rm 14,8

30. - Rm 8,35 à 39

31. -Variante :[Outre la leçon correspondant au texte, le Ms. contient encore le fragment solvant.

Saul poursuivant a mort le pauvre David, qui fuyoit devant luy parmi les desers d'Engaddi, entra tout seul en une caverne en laquelle David avec ses gens estoyent cachés [ou estant surpris seul... ]; David, qui l'eut peu mille fois tuer, luy donna la vie et ne voulut seulement pas [le toucher] luy faire peur. Quand donques Saul [s'apperceut ] conneut quil avoit esté entre les mains et a la merci de David, qu'est ce quil ne fit pas pour tesmoigner combien son coeur estoit [ attendri sur David] amolly envers

luy ? car il l'appella son enfant, il pleura, il le loua et confessa sa bonté, il pria Dieu pour luy, il luy presagea sa future grandeur et luy recommanda sa posterité. O mon Dieu, quelle plus grande douceur de coeur, quelle plus grande tendreté d'affection pouvoit il monstrer que celle la? et neanmoins, pour tout cela, il n'avoit point changé de courage, et ne laissa pas de continuer sa persecution contre David.

32. - 1 R 24

33. - Variante : Ainsy se treuve-il plusieurs personnes ausquelles quand on remonstre les graces que Dieu leur a faites et la Passion et Mort douloureuse du Sauveur, elles sentent leur coeur [amolly] attendri; elles jettent des souspirs et des larmes, louent la bonté Divine, [pleurent] prient avec grand [tendreté] sentiment, et font plusieurs telz actes [sensibles] pour lesquelz on diroit qu'elles ont le coeur saysi d'une vraye devotion. Mais quand ce vient [au fait et au prendre, tout cela... ] a i'essay et a l'espreuve, on treuve que [tout cela n'est] ce n'a esté qu'une [legere et] petite pluye passagere de l'esté, qui n'a point penetré la terre du coeur, ains l'a laissée plus seche et sterile qu'su paravant, et ne luy a fait produire que des grenouilles et champignons car pour tout cela, ces [personnes] pauvres gens ne quitteroyent pas un denier de leurs biens malacquis, ne pardonneroyent pas un'injure ne s'incommoderoyent pas d'un' affection, ne voudroyent avouer un'imperfection, ni employer une mattinee de plus pour le service de Dieu. [Non seulement donq... ] Telles tendretés donques, telz sentimens de douceur ne sont pas la vraye devotion, ains sont bien souvent des grandes ruses de l'ennemi, qui, amusant les ames a ces menues consolations, les fait demeurer contentes et satisfaittes en cela, si que elles ne cherchent plus la vraye et vivante devotion, qui consiste en une volonté prompte, constante, resolue et active d'executer ce que nous sçavons estr' aggreable a Dieu.

34. - Variante : Si un enfant voyt que l'on saigne sa mere, il pleurera amerement et voudroit volontier battre le cyrurgien ; mais si sa mere mesme luy demande sur ce point une pomme ou un cornet de drages quil tient en sa main, il ne la luy voudra pas donner, et pleurera encor plus fort si on la luy oste, quil n'avoit fait d'avoir veu donner le coup de lancette a sa mere. Telles sont la pluspart de nos tendres devotions on pleure oyant la Passion, voyant quelqu'action devote ou lisant quelque belI'orayson ; on jette des larmes de voir que sur la Croix on donne un coup non de lancette mais de lance au travers du coeur de Jesuschrist [ nostre Pere]. Helas, cheres ames, c'est bien fait de pleurer sur cette mort douloureuse de nostre Pere; mais oyés qu'en mourant et pleurant luy mesme, il vous veut arracher la dureté du coeur qui vous empesche de pardonner [au prochain ], l'avarice qui vous fait traitter si durement [le frere chrestien] , les folles amours qui vous consument. Ah pauvres gens, et vous serres cela si fermement en vos affections ! vous ne le voules pas quitter, vous disputes quand on vous en parle. Helas, ce sont des devotions et amitiés de petitz enfans, tendres, mais foibles, mais fantasques, mais inutiles, mais de nul effect.

35. - Ps 118,103

36. - Ct 1,1

37. - Pline Hist nat. 25,8 et 43

38. - Pline Hist nat. 12,19 et 42

39. - Mt 7,16

40. - Mt 7,17

41. - Lm 3,25

42. -Mt 17,4

43. - Pr 25,16

44. - Ps 62,3

45. - Ps 41,3

46. - Ps 118, 67 et 71

47. - Ex 16,21

48. - Ct 5,2

49. - Lc 1,53

50. - Mt 25,29

51. -Ps 1,14

52. - Mt 26,39 ; Lc 22,42

53. - Ct 4,16

54. - 4 R 5,14

55. - Gn 22,15

56. - Jb 1,21

57. - Variante : Outre le texte définitif, le Ms. donne une seconde leçon, reproduite intégralement ici, bien que le premier alinéa se rapporte au chapitre XIII et ne soit vraisemblablement que l'ébauche du commencement de la variante.

[Un jour David exerça envers Saul qui le poursuivoit a mort, un acte dextreme douceur et debonhaireté; car l'ayant treuvé dans une caverne avec toute commodité de le tuer, il l'espargna et ne voulut seulement pas le toucher. Saul ayant veu cette si extreme bonté de David, commença a pleurer tendrement, confessa que David estoit plus juste que luy et l'appella son enfant aussi doucement quil eut fait a l'un des siens; mais neaumoins il ne l'aymoit aucunement pour tout cela, ne laissant pas par apres de le poursuivre a mort. Ainsy plusieurs pleurent, souspirent et s'attendrissent grandement oyans parler de Dieu, qui pour tout cela ne sont nullement resolus d'observer ses commandemens. La devotion donq ne consiste pas en ces choses la, ains en une promptitude et vivacité de volonté, par laquelle nous nous portons a l'execution de ce que nous sçavons estre aggreable a sa divine Majesté. Or, il n'importe pas que cette volonté soit tendre ou dure, seche ou arrousse de consolations, amere ou douce, obscure ou claire, sensible ou cachee, pourveu qu'elle soit vigoureuse, prompte et resolue; ains la devotion...]
 
 

Tant s'en faut donques que la devotion [soit moindre quand nous servons Dieu parmi les repugnances et secheresses] depende des consolations, qu'au contraire elle est bien plus grande et plus solide quand nostre volonté [toute] seule [sans estre aydee ni secourue d'aucun allechement... attiree ni allechee d'aucun sentiment de douceur et suavité] se porte au service de Dieu [que quand elle y est attiree par l'amorce des consolations sensibles... ] sans estr'aydee ni attiree par le sentiment des douceurs et suavités. La B. Angele de Foligny dit que " nulle sorte d'orayson n'est tant aggreable a Dieu comme l'orayson forcee et contrainte, " c'est a dire [qui se fait sans goust, sans inclination, sans sentiment et en... ] celle a laquelle nostre volonté [toute pure, comme par force, violence et a contrecoeur, nous range et conduit; car en cette sorte, la volonté contraint par vive force... ] nous range comme par vive force et a contrecoeur, faysant une sainte violence a toute la nature pour la reduire a l'obeissance de Dieu, malgré [la resistence des inclinations, habitudes et passions de l'ame] tous les desgoustz et toutes les contrarietés qui s'opposent a nous pour ce regard. Mais qui ne void, Philothee, que la volonté laquelle fait ses oeuvres et execute ses resolutions entre tant de repugnances et de contradictions est plus vaillante, courageuse et genereuse que si elle les executoit tout a souhait, parmi les douceurs et sentimens d'une parfaitte consolation ?

L'armee des Philistins estoit au pres de Bethleem, David [avec ses gens estoit aussi la proche] estoit avec la sienne tout vis a vis : or il luy vint envie de boire de l'eau d'une cisterne qui estoit a la porte de Bethleem, et ne peut se contenir de tesmoigner son desir par paroles O ! dit il, si que lqu'un me donnoit a boire de l'eau qui est a la porte de Bethleem ? Il n'eut pas plus tost lasché le mot, que voyla trois chevaliers des plus vaillans de la trouppe, qui la teste baissee, passerent au travers de toute l'armee ennemie et allerent puiser de cett'eau [que David avoit desiree] et [retournans] repassans entre les ennemis avec la mesme asseurance, la [luy apporterent] vindrent presenter a David. Mais luy, voyant qu'avec tant de hasard et de prouesse, ces braves gens avoyent voulu assovir sa soif; il ne voulut onques boire de cette eau la, ains l'offrit a la divine Majesté, disant : A Dieu ne plaise que je boive le sang de ces hommes icy, car ils m'ont apporté cette eau aupferil de leur vie. [Imaginons nons, Philothee, lhors que nous avons tant [de] repugnances et contradictions a bien faire, que nostre Sauveur neanmoins desire que nous executions nos bons propos et nos bonnes resolutions. C'est pourquoy nostre volonté nous doit porter au travers de tous nos ennemis, c'est a dire de nos inclinations, repugnances, froideurs, secheresses et sterilités, pour nous faire puiser l'eau que Dieu desire, c'est a dire l'accomplissement de son bon playsir.] Ce n'est pas grande chose, Philothee, de faire la volonté de Dieu quand il ni a point de repugnance; mais Ihors que les Philistins, c'est a dire nos mauvaises inclinations, les desgoustz, les secheresses, bref toutes les passions de nos ames font resistence, c'est le vray tems de tesmoigner que nostre volonté est vaillante et fidelle [a son Dieu] . Car soudain qu'elle connoit que Dieu desire quelque chose, elle doit avec une constante resolution fendre la presse des contradictions, pour aller prier, servir les pauvres, visiter les malades et faire les bonnes oeuvres selon le tems [la sayson] , l'occasion et nostre vocation; et quand avec ce travail nous ne presenterions a Dieu sinon un peu d'eau, il l'aggreeroit infiniment, et la recevroit en lieu d'un grand sacrifice.

(Cet épisode de la Sainte Ecriture (Il Reg., XXIII) est cité et commenté, avec des applications différentes, dans le Traité de l'Amour de Dieu,

liv. VIII, ch. VII)

58. - Arnaldus Vita B. Angelae ch. 62

59. - Vitam primam S.Bern. 6,3 (voir Intr.V.D. part.3, ch.2)

60. - Qo 11,27

61. - Ct 5,2

62. - Regula S.Franc. 5

63. - Barthol. dePisis, De conform. Vitae B.Franc. Ad vitam D.J.C.Redempt. Lib 1 Confer.7

64. - Ici se termine tout ce qui a pu être retrouvé du Ms. de la seconde édition.

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