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Saint François de Sales
Introduction à la Vie Dévote


CINQUIESME PARTIE
DE
L'INTRODUCTION
CONTENANT DES EXERCICES ET ADVIS POUR RENOUVELLER L'AME ET LA CONFIRMER EN LA DEVOTION
 
 

CHAPITRE PREMIER
 
 
 
 
 
 

QU'IL FAUT CHAQUE ANNEE RENOUVELLER
 
 
 
 

LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANS
 
 
 
 
 

Le premier point de ces exercices consiste a bien reconnoistre leur importance. Nostre nature humaine deschoit aysement de ses bonnes affections, a cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous-jours contrebas si elle ne s'esleve souvent en haut a vive force de resolution, ainsy que les oyseaux retombent soudain en terre s'ilz ne multiplient les eslancemens et traitz d'aisles pour se maintenir au vol. Pour cela, chere Philothee, vous aves besoin de reiterer et repeter fort souvent les bons propos que vous aves fait de servir Dieu, de peur que, ne le faysant pas, vous ne retombiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire(1); car les cheutes spirituelles ont cela de propre, qu'elles nous precipitent tous-jours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut a la devotion.

Il n'y a point d'horloge, pour bon qu'il soit, qu'il ne faille remonter ou bander deux fois le jour, au matin et au soir, et puys, outre cela, il faut qu'au moins une fois l'annee l'on le demonte de toutes pieces, pour oster les rouïlleures qu'il aura contractees, redresser les pieces forcees et reparer celles qui sont usees. Ainsy celuy qui a un vray soin de son cher coeur doit le remonter en Dieu au soir et au matin, par les exercices marqués cy dessus ; et outre cela, il doit plusieurs fois considerer son estat, le redresser et accommoder; et en fin, au moins une fois l'annee, il le doit demonter, et regarder par le menu toutes les pieces, c'est a dire toutes les affections et passions d'iceluy, affin de reparer tous les defautz qui y peuvent estre. Et comme l'horloger oint avec quelque huyle delicate les roues, les ressortz et tous les mouvans de son horloge, affin que les mouvemens se facent plus doucement et qu'il soit moins sujet a la rouïlleure, ainsy la personne devote, apres la prattique de ce demontement de son coeur, pour le bien renouveller, le doit oindre par les Sacremens de Confession et de l'Eucharistie. Cet exercice reparera vos forces abattues par le tems, eschauffera vostre coeur, fera reverdir vos bons propos et refleurir les vertus de vostre esprit. Les anciens Chrestiens le prattiquoient soigneusement au jour anniversaire du Baptesme de Nostre Seigneur, auquel, comme dit saint Gregoire Evesque de Nazianze (2), ilz renouvelloient la profession et les protestations qui se font en ce Sacrement : faisons-en de mesme, ma chere Philothee, nous y disposans tres volontier, et nous y employans fort serieusement.
 
 

Ayant donques choisi le tems convenable, selon l'advis de vostre pere spirituel, et vous estant un peu plus retiree en la solitude, et spirituelle et reelle, que l'ordinaire, vous ferés une ou deux ou trois meditations sur les pointz suivans, selon la methode que je vous ay donnee en la seconde Partie.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE II
 
 
 
 

CONSIDERATION SUR LE BENEFICE QUE DIEU NOUS FAIT
 
 
 
 

NOUS APPELLANT A SON SERVICE
 
 
 
 
 

SELON LA PROTESTATION MISE CI DESSUS
 
 
 
 
 
 

1. Consideres les pointz de vostre protestation (3). Le premier, c'est d'avoir quitté, rejetté, detesté, renoncé pour jamais tout peché mortel ; le second, c'est d'avoir dedié et consacré vostre ame, vostre coeur, vostre cors, avec tout ce qui en depend, a l'amour et service de Dieu ; le troisiesme, c'est que s'il vous arrivoit de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en releveries soudainement, moyennant la grace de Dieu. Mais ne sont-ce pas la des belles, justes et dignes et genereuses resolutions ? Pensés bien en vostre ame combien cette protestation est sainte, raysonnable et desirable.
 

2. Consideres a qui vous aves fait cette protestation, car c'est a Dieu. Si les paroles raysonnables donnees aux hommes nous obligent estroittement, combien plus celles que nous avons donnees a Dieu : Ha, Seigneur, disoit David (4), c'est a vous a qui mon coeur l'a dit ; mon coeur a projetté cette bonne parole ; non, jamais je ne l'oublieray.
 
 

3. Consideres en presence de qui, car ç'a esté a la veuë de toute la cour celeste : helas, la Sainte Vierge, saint Joseph, vostre bon Ange, saint Louys, toute cette benite trouppe vous regardoit et souspiroit sur vos parolles des souspirs de joye et d'approbation, et voyoit des yeux d'un amour indicible vostre coeur prosterné aux pieds du Sauveur, qui se consacroit a son service. On fit une joye particuliere pour cela parmi la Hierusalem celeste, et maintenant on en fera la commemoration, si de bon coeur vous renouvellés vos resolutions.
 
 

4. Consideres par quelz moyens vous fistes vostre protestation. Helas, combien Dieu vous fut doux et gracieux en ce tems-la. Mais dites en verité, fustes-vous pas conviee par des doux attraitz du Saint Esprit ? les cordes avec lesquelles Dieu tira vostre petite barque a ce port salutaire, furent-elles pas d'amour et charité(5)? Comme vous alla-il amorçant avec son sucre divin, par les Sacremens, par la lecture, par l'orayson ? Helas, chere Philothee, vous dormies, et Dieu veilloit sur vous et pensoit sur vostre coeur des pensees de paix (6), il meditoit pour vous des meditations d'amour.
 
 

5. Consideres en quel tems Dieu vous tira a ces grandes resolutions, car ce fut en la fleur de vostre aage. Ha, quel bonheur d'apprendre tost ce que nous ne pouvons sçavoir que trop tard ! Saint Augustin ayant esté tiré a l'aage de trente ans s'escrioit (7) : " O ancienne Beauté, comme t'ay-je si tard conneuë ? " helas, je te voyois et ne te considerois point. Et vous pourres bien dire : O douceur ancienne, pourquoy ne t'ay-je plus tost savouree ! Helas, neanmoins, encores ne le merities-vous pas alhors ; et partant, reconnoissant quelle grace Dieu vous a fait de vous attirer en vostre jeunesse, dites avec David (8)

: O mon Dieu, vous m'aves esclairee et touchee des ma jeunesse, et jusques a jamais j'annonceray vostre misericorde. Que si ç'a esté en vostre viellesse, helas, Philothee, quelle grace qu'apres avoir ainsy abusé des annees precedentes, Dieu vous ait appellee avant la mort, et qu'il ait arresté la course de vostre misere au tems auquel, si elle eust continué, vous esties eternellement miserable.

6. Consideres les effectz de cette vocation : vous treuveres, je pense, en vous de bons changemens, comparant

ce que vous estes avec ce que vous esties. Ne prenes-vous point a bonheur de sçavoir parler a Dieu par l'orayson, d'avoir affection a le vouloir aymer, d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoyent, d'avoir evité plusieurs pechés et embarrassemens de conscience, et en fin, d'avoir si souvent communié de plus que vous n 'eussies pas fait, vous unissant a cette souveraine source de graces eternelles ? Ha, que ces graces sont grandes ! il faut, ma Philothee, les peser au poids du sanctuaire. C'est la main dextre de Dieu qui a fait tout cela. La bonne main de Dieu, dit David (9), a fait vertu, sa dextre m'a relevé. Ha, je ne mourray pas mais je vivray, et raconteray de coeur, de bouche et par oeuvres les merveilles de sa bonté.

Apres toutes ces considerations, lesquelles, comme vous voyes, fournissent tout plein de bonnes affections, il faut simplement conclure par action de grace et une priere affectionnee d'en bien prouffiter, se retirant avec humilité et grande confiance en Dieu, reservant de faire l'effort des resolutions apres le deuxiesme point de cet exercice.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE III
 
 
 
 
 
 
 
 
 

DE L'EXAMEN DE NOSTRE AME SUR SON AVANCEMENT
 
 
 
 

EN LA VIE DEVOTE
 
 
 
 
 
 

Ce second point de l'exercice est un peu long; et pour le prattiquer je vous diray qu'il n'est pas requis que vous le facies tout d'une traitte, mays a plusieurs fois, comme prenant ce qui regarde vostre deportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous mesme pour l'autre, ce qui concerne le prochain pour l'autre, et la consideration des passions pour le quatriesme. Il n'est pas requis ni expedient que vous facies a genoux, sinon le commencement et la fin qui comprend les affections. Les autres pointz de l'examen vous les pouves faire utilement en vous promenant, et encor plus utilement au lict, si par adventure vous y pouves estre quelque tems sans assoupissement et bien esveillee ; mais pour ce faire il les faut avoir bien leus auparavant. Il est neanmoins requis de faire tout ce second point en trois jours et deux nuitz pour le plus, prenant de chaque jour et de chaque nuit quelque heure, je veux dire quelque tems, selon que vous pourres ; car si cet exercice ne se faisoit qu'en des tems fort distans les uns des autres, il perdroit sa force et donneroit des impressions trop lasches. Apres chaque point de l'examen, vous remarquerés en quoy vous vous treuves avoir manqué et en quoy vous aves du defaut, et quelz principaux detraquemens vous aves ressentis, affin de vous en declarer pour prendre conseil, resolution et confortement d'esprit.
 

Bien qu'es jours que vous feres cet exercice et les autres il ne soit pas requis de faire une absolue retraitte des conversations, si faut-il en faire un peu, sur tout devers le soir, affin que vous puissies gaigner le lict de meilleure heure et prendre le repos de cors et d'esprit, necessaire a la consideration. Et parmi le jour il faut faire des frequentes aspirations en Dieu, a Nostre Dame, aux Anges, a toute la Hierusalem celeste ; il faut encor que le tout se face d'un coeur amoureux de Dieu et de la perfection de vostre ame.
 
 

Pour donq bien commencer cet examen : 1. Mettes-vous en la presence de Dieu. 2. Invoques le Saint Esprit, luy demandant lumiere et clarté affin que vous vous puissies bien connoistre, avec saint Augustin qui s'escrioit devant Dieu en esprit d'humilité : O Seigneur, que je vous connoisse et que je me connoisse (10); et saint François qui interrogeoit Dieu disant : " Qui estes-vous et qui suis-je (11)? " Protestes de ne vouloir remarquer vostre avancement pour vous en res-jouir en vous mes-me, mais pour vous res-jouir en Dieu, ni pour vous en glorifier, mais pour glorifier Dieu et l'en remercier. 3. Protestes que si, comme vous penses, vous descouvres d'avoir peu prouffité, ou bien d'avoir reculé, vous ne voules nullement pour tout cela vous abattre ni refroidir par aucune sorte de descouragement ou relaschement de coeur, ains qu'au contraire vous voules vous encourager et animer davantage, vous humilier et remedier aux defautz, moyennant la grace de Dieu.
 
 

Cela fait, considerés doucement et tranquillement comme jusques a l'heure presente vous vous estes comportee envers Dieu, envers le prochain et a l'endroit de vous mesme.
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE IV
 
 
 
 

EXAMEN DE L'ESTAT DE NOSTRE AME
 
 
 
 

ENVERS DIEU
 
 
 
 
 
 

1. Quel est vostre coeur contre le peché mortel ? Aves-vous une resolution forte a ne le jamais commettre pour quelque chose qui puisse arriver ? et cette resolution a-elle duré des vostre protestation jusques a present ? En cette resolution consiste le fondement de la vie spirituelle.

2. Quel est vostre coeur a l'endroit des commandemens de Dieu ? Les treuves-vous bons, doux, aggreables ? Ha, ma fille, qui a le goust en bon estat et l'estomach sain, il ayme les bonnes viandes et rejette les mauvaises

3. Quel est vostre coeur a l'endroit des pechés venielz ? On ne sçauroit se garder d'en faire quelqu'un par cy par la ; mais y en a-il point auquel vous ayes une speciale inclination ? et, ce qui seroit le pis, y en a-il point auquel vous ayes affection et amour ?
 
 

4. Quel est vostre coeur a l'endroit des exercices spirituelz ? Les aymes-vous ? les estimes-vous ? vous faschent-ilz point ? en estes-vous point desgoustee ? auquel vous sentes-vous moins ou plus inclinee ? Ouïr la parolle de Dieu, la lire, en deviser, mediter, aspirer en Dieu, se confesser, prendre les advis spirituelz, s'appres-er a la Communion, se communier, restreindre ses affections: qu'y a-il en cela qui repugne a vostre coeur ? Et si vous treuves quelque chose a quoy ce coeur aye moins d'inclination, examines d'ou vient ce desgoust, qu'est-ce qui en est la cause.
 
 

5.Quel est vostre coeur a l'endroit de Dieu mesme ? Vostre coeur se plaist-il a se resouvenir de Dieu ? en ressent-il point de douceur aggreable ? Ha, dit David (12), je me suis resouvenu de Dieu et m'en suis delecté. Sentes-vous en vostre coeur une certaine facilité a l'aymer et un goust particulier a savourer cet amour ? Vostre coeur se recree-il point a penser a l'immensité de Dieu, a sa bonté, a sa suavité ? Si le souvenir de Dieu vous arrive emmi les occupations du monde et les vanités, se fait-il point faire place, saisit-il point vostre coeur ? vous semble-il point que vostre coeur se tourne de son costé et en certaine façon luy va au devant ? Il y a certes des ames comme cela. Si le mari d'une femme revient de loin, tout aussi tost que cette femme s'apperçoit de son retour et qu'elle sent sa voix, quoy qu'elle soit embarrassee d'affaires et retenue par quelque violente consideration emmi la presse, si est-ce que son coeur n'est pas retenu, mais abandonne les autres pensees pour penser a ce mari venu. Il en prend de mesme des ames qui ayment bien Dieu ; quoy qu'elles soyent empressees, quand le souvenir de Dieu s'approche d'elles, elles perdent presque contenance a tout le reste, pour l'ayse qu'elles ont de voir ce cher souvenir revenu, et c'est un extremement bon signe.
 
 

6. Quel est vostre coeur a l'endroit de Jesus Christ Dieu et homme ? Vous plaises-vous autour de luy ? Les mouches a miel se plaisent autour de leur miel, et les guespes autour des puanteurs : ainsy les bonnes ames prennent leur contentement autour de Jesus Christ et ont une extreme tendreté d'amour en son endroit ; mais les mauvais se plaisent autour des vanités.
 
 

7. Quel est vostre coeur a l'endroit de Nostre Dame, des Saintz, de vostre bon Ange ? Les aymes-vous fort ? aves-vous une speciale confiance en leur bienveillance ? leurs images, leurs vies, leurs loüanges vous plaisent-elles ?
 
 

8. Quant a vostre langue, comme parles-vous de Dieu ? Vous plaises-vous d'en dire du bien selon vostre condition et suffisance ? aymes-vous a chanter les cantiques ?
 
 

9. Quant aux oeuvres, penses si vous aves a coeur la gloire exterieure de Dieu et de faire quelque chose a son honneur; car ceux qui ayment Dieu ayment, avec Dieu, l'ornement de sa mayson (13).
 
 

10. Sçauries-vous remarquer d'avoir quitté quelque affection et renoncé a quelque chose pour Dieu ? car c'est un bon signe d'amour de se priver de quelque chose en faveur de celuy qu'on ayme. Qu'aves-vous donq cy devant quitté pour l'amour de Dieu ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE V
 
 
 
 
 
 

EXAMEN DE NOSTRE ESTAT ENVERS NOUS MESMES
 
 
 
 
 
 
 

1. Comme vous aymes-vous vous mesme ? vous aymesvous point trop pour ce monde ? Si cela est, vous desireres de demeurer tousjours ici, et aures un extreme soin de vous establir en cette terre ; mais si vous vous aymes pour le Ciel, vous desireres, au moins acquiesceres aysement de sortir d'ici bas a l'heure qu'il plaira a Nostre Seigneur.
 

2. Tenes-vous bon ordre en l'amour de vous mesme ? car il n'y a que l'amour desordonné de nous mesmes qui nous ruine. Or, l'amour ordonné veut que nous aymions plus l'ame que le cors, que nous ayons plus de soin d'acquerir les vertus que toute autre chose, que nous tenions plus de conte de l'honneur celeste que de l'honneur bas et caduque. Le coeur bien ordonné dit plus souvent en soy mesme : que diront les Anges si je pense a telle chose ? que non pas que diront les hommes ?
 
 

3. Quel amour aves-vous a vostre coeur ? vous faschés-vous point de le servir en ses maladies? Helas, vous luy deves ce soin de le secourir et faire secourir quand ses passions le tourmentent, et laisser toutes choses pour cela.
 
 

4. Que vous estimes-vous devant Dieu ? rien sans doute. Or, il n'y a pas grande humilité en une mouche de ne s'estimer rien au prix d'une montaigne, ni en une goutte d'eau de se tenir pour rien en comparayson de la mer, ni a une bluette ou estincelle de feu de se tenir pour rien au prix du soleil; mais l'humilité gist a ne

point nous surestimer aux autres et a ne vouloir pas estre surestimé par les autres : a quoy en estes-vous pour ce regard ?

5.Quant a la langue, vous vantes-vous point ou d'un biais ou d'un autre ? vous flattes-vous point en parlant de vous ?
 
 

6. Quant aux oeuvres, prenes-vous point de playsir contraire a vostre santé ? je veux dire, de playsir vain, inutile, trop de veillees sans sujet, et semblables.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE VI
 
 
 
 
 
 
 
 
 

EXAMEN DE L'ESTAT DE NOSTRE AME
 
 
 
 
 
 

ENVERS LE PROCHAIN
 
 
 
 
 
 
 
 

Il faut bien aymer le mari et la femme d'un amour doux et tranquille, ferme et continuel, et que ce soit en premier lieu parce que Dieu l'ordonne et le veut. J'en dis de mesme des enfans et proches parens, et encor des amis, chacun selon son rang.
 

Mais, pour parler en general, quel est vostre coeur a l'endroit du prochain ? l'aymes-vous bien cordialement et pour l'amour de Dieu ? Pour bien discerner cela, il vous faut bien representer certaines gens ennuyeux et maussades, car c'est la ou on exerce l'amour de Dieu envers le prochain, et beaucoup plus envers ceux qui nous font du mal, ou par effect ou par paroles. Examines bien si vostre coeur est franc en leur endroit, et si vous aves grande contradiction a les aymer.
 
 

Estes-vous point prompte a parler du prochain én mauvaise part, sur tout de ceux qui ne vous ayment pas ? faites-vous point de mal au prochain ou directement ou indirectement ? Pour peu que vous soyes raysonnable, vous vous en appercevres aysement.
 
 
 
 
 
 
 
 

CHAPITRE VII
 
 
 
 
 
 

EXAMEN SUR LES AFFECTIONS DE NOSTRE AME
 
 
 
 
 
 
 
 

J'ay estendu ainsy au long ces pointz, en l'examen desquelz gist la connoissance de l'avancement spirituel qu'on a fait ; car quant a l'examen des pechés, cela est pour les confessions de ceux qui ne pensent point a s'avancer. Or il ne faut neanmoins pas se travailler sur un chacun de ces articles sinon tout doucement, considerant en quel estat nostre coeur a esté touchant iceux des nostre resolution, et quelles fautes notables nous y avons commises.
 
 

Mais pour abreger le tout, il faut reduire l'examen a la recherche de nos passions ; et s'il nous fasche de considerer si fort par le menu comme il a esté dit, nous pouvons ainsy nous examiner, quelz nous avons esté et comme nous nous sommes comportés

:

En nostre amour envers Dieu, envers le prochain, envers nous mesmes.
 
 

En nostre haine envers le peché qui se treuve en nous, envers le peché qui se treuve es autres ; car nous devons desirer l'exterminement de l'un et de l'autre.
 
 

En nos desirs, touchant les biens, touchant les playsirs, touchant les honneurs.

En la crainte des dangers de pecher et des pertes des biens de ce monde : on craint trop l'un, et trop peu l'autre.
 
 

En l'esperance, trop mise peut estre au monde et en la creature, et trop peu mise en Dieu et es choses eternelles.
 
 

En la tristesse, si elle est trop excessive pour choses vaines.
 
 

En la joye, si elle est excessive et pour choses indignes. Quelles affections en fin tiennent nostre coeur empesché ? quelles passions le possedent ? en quoy s'est-il principalement detraqué ? Car par les passions de l'ame, on reconnoist son estat en les tastant l'une apres l'autre : d'autant que, comme un joueur de luth pinçant toutes les cordes, celles qu'il treuve dissonnantes il les accorde, ou les tirant ou les laschant, ainsy, apres avoir tasté l'amour, la haine, le desir, la crainte, l'esperance, la tristesse et la joye de nostre ame, si nous les treuvons mal accordantes a l'air que nous voulons sonner, qui est la gloire de Dieu, nous pourrons les accorder, moyennant sa grace et le conseil de nostre pere spirituel.

CHAPITRE VIII
AFFECTIONS QU'IL FAUT FAIRE APRES L'EXAMEN

Apres avoir doucement consideré chaque point de l'examen, et veu a quoy vous en estes, vous viendrés aux affections en cette sorte.

Remercies Dieu de ce peu d'amendement que vous aures treuvé en vostre vie des vostre resolution, et reconnoisses que ç'a esté sa misericorde seule qui l'a fait en vous et pour vous.
 
 

Humiliés--vous fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'aves pas beaucoup avancé, ç'a esté par vostre manquement, parce que vous n'aves pas fidellement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvemens qu'il vous a donnés en l'orayson et ailleurs.
 
 

Promettes-luy de le louer a jamais des graces exercees en vostre endroit, pour vous retirer de vos inclinations a ce petit amendement.
 
 

Demandes-luy pardon de l'infidelité et desloyauté avec laquelle vous aves correspondu.

Offres-luy vostre coeur affin qu'il s'en rende du tout maistre.
 
 

Supplies-le qu'il vous rende toute fidelle.
 
 

Invoques les Saintz, la Sainte Vierge, vostre Ange, vostre Patron, saint Joseph, et ainsy des autres.

CHAPITRE IX
DES CONSIDERATIONS PROPRES POUR RENOUVELLER
NOS BONS PROPOS

Apres avoir fait l'examen, et avoir bien conferé avec quelque digne conducteur sur les defautz et sur les remedes d'iceux, vous prendres les considerations suivantes, en faisant une chaque jour par maniere de meditation, y employant le tems de vostre orayson, et ce tous-jours avec la mesme methode, pour la preparation et les affections, de laquelle vous aves usé es meditations de la premiere Partie, vous mettant avant toutes choses en la presence de Dieu, implorant sa grace pour vous bien establir en son saint amour et service.

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