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Saint François de Sales
Lettre ouverte aux Protestants
Les Controverses
 

PREMIERE PARTIE

DEFENSE

DE L’AUTORITE DE L’EGLISE

CHAPITRE PREMIER

RAYSON I : DE LA MISSION

Les Ministres, n’ayant pas la Mission, n’ont pas l’autorité

ARTICLE PREMIER

Les Ministres n’ont Mission ni du peuple ni des princes séculiers

Premierement, Messieurs, vos devanciers et vous aussy aves faict une faute inexcusable, quand vous prestates l’oreille a ceux qui s’estoyent separés de l’Eglise, car ce n’estoyent des personnes qualifiëes comm’il falloit pour praecher. Ilz portoyent parole, a ce qu’ilz disoyent, de la part de Dieu, contre l’Eglise ; ilz se vantoyent de porter le libelle de divorce de la part du Filz de Dieu a l’Eglise son Espouse ancienne, pour se marier a cette jeune assemblee refaitte et reformée. Mays comme pouvies vous croire ces nouvelles si tost, que sans leur faire monstrer leur charge et commission bien authentiquëe, vous commençates de premier abord a ne reconnoistre plus ceste Reyne pour vostre princesse, et a crier par tout que c’estoit un’adultere ? Ilz couroyent ça et la semer ces nouvelles, mays qui les en avoit chargés ? On ne se peut enrooler sous aucun capitaine sans l’adveü du prince chez lequel on demeure : et comment fustes vous si promps a vous enrooler sous ces premiers ministres, sans sçavoir si vos pasteurs qui estoyent en estre l’advoüeroient ? mesme que vous sçavies bien qu’il vous sortoit hors de l’estat dans lequel vous esties nés et nourry. Eux, donques, sont inexcusables de ce que sans l’authorité du magistrat spirituel ilz ont faicte ceste levëe de bouclier, et vous, de les avoir suyvis.

Vous voyes bien ou jvays battre ; c’est sur la faute de mission et de vocation que Luther, Zuingle, Calvin et les autres avoyeny : car c’est une chose certayne que quicomque veut enseigner et tenir rang de pasteur en l’Eglise, il doit estr’envoÿé. Saint Pol : Quomodo praedicabunt, nisi mittanbur ? Comme praecheront ilz, s’ilz ne sont envoyés ? Et Hieremie : Les prophetes prophetisent a faux, je ne les ay pas envoÿé ; et ailleurs : Non mitebam prophetas et ipsi currebant :Je ne les envoyois point, et ils couroyent. La mission est donques necessaire ; vous ne le nieres pas, si vous ne sçaves quelque chose plus que vos maistres.

Mays je vous vois venir en trois esquadrons : car, les uns d’entre vous diront quilz ont eü vocation et mission du peuple et magistrat seculier et temporel ; les autres de l’Eglise ; comment cela ? parce, disent ilz, que Luther, OEcolampade, Bucer, Zuingle et autres estoyent prestres de l’Eglise comme les autres ; les autres, enfin, qui sont les plus habiles, disent quilz ont estés envoyés de Dieu mays extraordinayrement.

Voyons que c’est du premier. Comme croyrons nous que le peuple, et les princes seculiers, aÿe appellés Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n’avoyt ouÿe ? et devant, quand ilz commencerent a prescher et semer ceste doctrine, qui les avoist chargés de ce faire ? Vous dites que le peuple devot vous a appellés, mays quel peuple ? Car, ou il estoit Catholique, ou il ne l’estoit pas : s’il estoit catholique, comme vous eut il appelé et envoÿé praecher ce quil ne croyoit pas ? et ceste vocation de quelque bien petite partie du peuple lhors Catholique, comme pouvoit elle contrevenir a tout le reste qui sy opposa ? et comme vous pouvoit une partie du peuple donner authorité sur l’autre partie, affin que vous pouvies les ames de l’ancienne obeissance ? car un peuple ne peut donner l’authorité que sur soymesme. Il eut donc fallu ne point prescher sinon la ou vous esties appellés du peuple, ce que si vous eussies faict, vous n’eussies pas eu tant de suite. Mays disons voir, quand Luther commença, qui l’appela ? il n’y avoit encor point de peuple qui pensast aux opinions quil a soustenües, comment donques l’eut il appelé pour les prescher ? Sil n’estoit pas Catholique, qu’estoit il donq ? Lutherien ? nompas, car je parle de la premiere fois ; quoy donq ? Qu’on responde donq, si l’on peut. Qui a donné l’authorité aux premiers d’assembler les peuples, dresser des compagnies et bandes a part ? Ce n’est pas le peuple, car ilz n’estoyent pas encor assemblés.

Mays, ne seroit ce pas tout brouiller, de permettr’a chacun de dire ce que bon luy sembleroit ? a ce conte chacun seroit envoÿé ; car il ni a si fol qui ne trouve des compaignons, tesmoins les Tritheites, Anabaptistes, Libertins, Adamites. Il se faut renger a l’Escriture, en laquelle on ne trouvera jamais que les peuples ayent pouvoir de se donner des pasteurs et praedicateurs.

ARTICLE II

Les Ministres n’ont pas reçu Mission des Evêques Catholiques





Plusieurs, donques de nostre aage, voyans leur chemin couppé de costé la, ilz se sont jettés d’autre de l’autre, et disnet que les premiers maistres reformateurs, Luther, bucer, OEcolampade, ont estés envoyés par les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyéspar les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyés las autres suyvans, et vont ainsy enchainant leur mission a celle des Apostres.

Veritablement c’est parler françois et realement, que de confesser que leur mission ne peut estre coulëe des Apostres a leurs ministres, que par la succession de nos Evesques et par l’imposition de leurs mains : la chose est telle sans doute. On ne peut pas faire sauter ceste mission si haut, que des Apostres elle soit tumbëe entre les mains des praedicateurs de ce tems, sans avoir touché par un des Anciens et de nos devanciers : il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l’Eglise, pour avoir appellé Luther et les autres sans que ceux qui estoyent entre deux s’en fussent apperceu, ou bien (comme dict Calvin a un’autre occasion et malapropos), que ceux cy eussent eu les oreilles bien grandes : il failloit bien qu’elle fut conservëe entiere, si ceux cy la devoient trouver. Nous avoüons, donques, que la mission estoit riere nos Evesques, et principalement es mains de leur chef, l’Evesque Romain. Mays nous nions formellement que vos ministres en ayent eu aucune communication, pour praecher ce quilz ont preché, parce que :

  1. Ilz prechent choses contraires a l’Eglise en laquelle ilz ont estés ordonnés prestres : ou, donq, ilz errent, ou l’Eglise qui les a envoyés, et, par consequent, ou leur eglise est fausse ou celle de laquelle ilz ont pris la mission. Car dun’eglise fause ne peut sortir une vraÿe mission : si c’est leur eglise qui est fause, moins ilz ont mission ; car en un’eglise fause ne peut estre vraÿe mission. Comme que ce soit donques, ilz n’ont point eu demission pour precher ce quilz ont preché : puysque si l’Eglise en laquelle ilz ont esté ordonnés estoit vraÿe, ilz sont haeretiques d’en estre sortis et d’avoir praeché contre sacreance ; et si elle n’estoit vraÿe, elle ne leur pouvoit donner mission.
  2. Outre cela, quoy quilz eussent eu mission en l’Eglise Romaine, ilz ne l’ont pas eu pour en sortir et distraire de son obeissance ses enfans : certes, le commissaire ne doit pas exceder les bornes de sa commission, ou c’est pour neant.
  3. Luther, OEcolampade ou Calvin n’estoyent pas evesques ; comme donques pourvoyent ilz communiquer aucune mission a leurs successeurs de la part de l’Eglise Romaine, qui proteste en tout et par tout quil ni a que les Evesques qui puyssent envoyer, et que cela n’appartient aucunement aux simples prestres ? en quoy saint Hierosme mesme a mis la difference qui est entre le simple prestre et l’Evesque, en l’epistre ad Evagrium et saint Augustin et Epiphane mettent Aerius en conte avec les haeretiques par ce quil tenoit le contraire.
ARTICLE III

Les Ministres n’ont pas la Mission extraordinaire

Ces raysons sont si vives, que les plus asseurés des vostres ont pris party ailleurs qu’en la mission ordinayre, et ont dict quilz estyent envoyés extraordinairement de Dieu, par ce que la mission ordinaire avoit esté gastëe et abolie, quand et quand la vraÿe Eglise, sous la tirannie de l’Antichrist. Voicy leur plus assurëe retraitte, laquelle, par ce quell’est commune a toutes sortes d’heretiques, merite d’estre attaquëe a bon escient, et ruynee sans dessus dessous. Mettons donques nostre dire par ordre, pour voir si nous pourrons forcer ceste leur derniere baricade.

Je dis, donques, 1. que personne ne doit alleguer une mission extraordinayre qui ne la prouve par miracles. 1. Car, je vous prie, a quoy en serions nous , si ce praetexte de mission extraordinayre estoit recevable sans preuve ? ne seroit ce pas un voile a toutes sortes de resveries ? Arrius, Marcion , Montanus, Massalius, ne pourroyent ilz pas estre receuz a ce grade de reformateurs en prestant le mesme serment ? 2. Jamais personne ne fut envoyé extraordinairement qui ne prit ceste lettre de creance de la divine Majesté. Moyse fut envoÿé immédiatement de Dieu pour gouverner le peuple d’Israel ; il voulut sçavoir le nom de qui l’envoyoit, et quand il eut appris ce nom admirable de Dieu, il demanda des marques et patentes de sa commission : ce que nostre Dieu trouva si bon, quil luy donna la grace de trois sortes de prodiges et de merveilles, qui furent comme troys attestations, en trois divers langages, de la charge quil luy donnoit, affin que qui n’entendroit l’une entendit l’autre. Si donques ilz alleguent la mission extraordinaire, quilz nous monstrent quelques oeuvres extraordinaires, autrement nous ne sommes pas obligés de les croire. Vrayement Moyse monstre extraordinairement bien la necessité de ceste preuve a qui veut parler extraordinairement ; car, ayant a demander le don d’eloquence a Dieu, il ne le demande qu’apres avoir le pouvoir des miracles, monstrant quil est plus necessaire d’avoir l’authorité de parler que d’en avoir la promptitude. La mission de saint Jan Baptiste, quoiqu’elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut elle pas authentiquëe par sa conception, sa nativité, et mesme par savie tant miraculeuse, a laquelle Nostre Seigneur donna si bon tesmoignage ? Mays quand aux Apostres , qui ne sçait les miracles quilz faysoyent et le grand nombre d’iceux ? leurs mouchoirs, leur ombre servoit a la prompte guerison des malades et a chasser le diable : Par les mains des Apostres estoyent faitz beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple (Act 5,12) et que ce fut en confirmation de leur praedication, saint Marc le dict tout ouvertement, es dernieres paroles de son Evangile, et saint Pol, aux Hebreux. Comment donques se voudront excuser et relever de ceste preuve pour leur mission ceux qui en nostr’aage en veulent avancer un’extraordinaire ? quel privilege ont ilz plus qu’Apostolique et Mosaique ? Que diray je plus ? Si nostre sauverain Maistre, consubstantiel au Pere, duquel la mission est si authentique qu’elle presuppose la communication de mesm’essence, luy mesme, dis je, qui est la source vive de toute mission ecclesiastique, n’a pas voulu s’exempter de ceste preuve de miracles, quelle rayson y a il que ces nouveaux ministres soyent crus a leur seule parole ? Nostre Seigneur allegue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en credit : Comme mon Pere m’a envoyé, je vous envoÿe. (Jean XX, 21) Ma doctrine n’est point mienne, mays de Celuy qui m’a envoÿé (Jean VII, 16) Et vous me connoisses, et sçaves d’ou je suys, et ne suys point venu de par moy mesme. (28) Mays aussy, pour donner authorité a sa mission, il met en avant ses miracles, ains atteste que, s’il n’eust faict des oeuvres que nul autre n’a faict parmi les Juifz, ilz n’eussent point eu de péché de ne croire point en luy ; et ailleurs il leur dict : Ne croyes vous pas que mon Pere est en moy et moy en mon Pere ? au moins croyes le par les oeuvres. (Jean XIV, 11-12) Qui sera donc si osé que de se vanter de lission extraordinayre, sans produire quand et quand des miracles, il merite d’estre tenu pour imposteur : or est il que ni vos premiers ni derniers ministres n’ont faict aucun miracle : ilz n’ont donq point de mission extraordinaire. Passons outre.

Je dis, secondement, que jamais aucune mission extraordinaire ne doit estre receüe, estant desadvouëe de l’authorité ordinaire qui est en l’Eglise de Nostre Seigneur. Car, 1. ,nous sommes obligés d’obeir a nos pasteurs ordinaires sous peyne d’estre publicains et payens (Mat XVIII, 17) ; comment donques nous pourrions nous ranger sous autre discipline que la leur ? les extraordinaires viendroyent pou neant, puysque nous serions obligés de ne les ouïr pas, en cas, comme j’ay dict, quilz fussent desavoüés des ordinaires. 2. Dieu n’est point autheur de division, mais d’union et de concorde (I Cor 14 , 33), principalement entre ses disciples et ministres ecclesiastiques, comme Nostre Seigneur monstre clairementen la sainte priere quil fit a son Pere es derniers jours de sa vie mortelle (Jean XVII,11 et 21) . Comment donques authorizeroit il deux sortes de pasteurs, l’une extraordinaire, l’autre ordinaire ? Quand a l’ordinaire qu’elle soit authorisëe, cela est certain ; quand a l’extraordinaire, nous le praesupposons : ce seroyent donques deux eglises differentes, qui est contre la plus pure parole de Nostre Seigneur, qui n’a qu’une seul’espouse, qu’une seule colombe, qu’une seule parfaitte (Cant VI, 8) . Et comme pourroit estre le trouppeau uny, conduict par deux pasteurs, incogneuz l’un a l’autre, a divers repaires, a divers huchemens et redans, et dont l’un et l’autre voudroit tout avoir ? Ainsy seroit l’Eglise, sous diversité de pasteurs ordinayres et extraordinaires, tirassëe ça et la en diverses sectes. Et quoy ? Nostre Seigneur est il divisé (1 Cor 1, 13) , ou en luy mesme ou en son cors qui est l’Eglise ? Non, pour vray, mays, au contraire, il ni a qu’un Seigneur (Eph IV, 5) lequel a bati son cors mistique (12) avec une belle variété de membres tres bien agencés (11), assemblés et serrés comtement, par toutes les joinctures de la sousministration mutuelle (16) ; de façon que de vouloir mettr’en l’Eglise ceste division de troupes ordinairyres et extraordinaires, c’est la ruyner et perdre. Il faut donques revenir a ce que nous disions, que jamais la vocation extraordinaire n’est legitime quand ell’est desavouëe de l’ordinaire. 3. Et de faict, ou me monstrera on jamais une vocation legitime extraordinaire qui n’aÿe esté receüe par l’authorité ordinayre ? Saint Pol fut appellé extraordinairement (Act IX, 6), mays ne fut il pas approuvé et authorisé par l’ordinaire, une (Act IX, 7) et deux (Act XIII, 3) fois ? et la mission receüe par l’authorité ordinaire est appellëe mission du Saint Esprit (Act XIII, 4). La mission de saint Jan Baptiste ne se peut pas bien dire extraordinaire, parce quil n’enseignoit rien contre l’eglise Mosaique, et par ce quil estoit de la race sacerdotale (Luc 1, 8) : si est ce neanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouëe par l’ordinayre magistrat de l’eglise judaique, en la belle legation qui luy fut faicte par les prestres et les levites (Jean 1, 19 et suiv), la teneur de laquelle praesuppose une grande estime et reputation en laquelle il estoit vers eux ; et les Phariseens mesmes, qui estoyent assis sur la chaire de Moise, ne venoyent ilz pas communiquer a son baptesme (Mat 3, 5-7) tout ouvertement, sans scrupule ? c’estoit bien recevoir sa mission a bon escient. Nostre Seigneur mesme, qui estoit le Maistre, ne voulut il pas estre receu de Simeon(Luc 2, 28 et 34) qui estoit prestre, comm’il appert en ce quil benit Nostre Dame et mesmes pour sa Passion, qui estoit l’execution principale de sa mission, ne voulut il pas avoir le tesmoignage prophetique du grand Prestre qui estoit pour lhors(Jean 11, 51) ? 4. Et c’est ce que saint Pol enseigne , quand il ne veut que personne s’attribue l’honneur pastoral sinon celuy qui est appelé de Dieu, comm’Aaron (Heb 5, 4) : car la vocation d’Aaron fut faite par l’ordinaire, moyse, si que Dieu ne mit sa sainte parole en la bouche de’Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement (Exode 4, 15) : Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche ; et je seray en ta bouche et en la sienne. Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme , 5. que la vocation des pasteurs et magistratz ecclesiastiques doit estre faite visiblement ou perceptiblement, non par maniere d’enthousiasme et motion secrette : car voyla deux exemples qui propose ; d’Aaron, qui fut oint et appelé visiblement (levitique 8, 12 Exode 28, 1), et puys de Nostre Seigneur et Maistre, qui, estant sauverain Pontife et Pasteur de tous les siecles, ne s’est point clarifié soy mesme (Heb 5, 5-6), c’est a dire, ne s’est point attribué l’honneur de sa sainte prestrise, comme avoit dict saint Pol au paravant, mays a esté illustré par Celuy qui luy a dict : Tu es mon Filz, je t’ay engendré au jourdhuy, et, Tu es prestr’eternellement, selon l’ordre de Melchisedech. Je vous prie, pense a ce trait. Jesus Christ est sauverain Pontife selon l’ordre de Melchisedech : s’est il ingéré et poussé de luy mesme a cest honneur ? non, mays y a esté appelé (Heb 5, 10) . Qui l’a appelé ? son Pere eternel (5, 5). Et comment ? immediatement et mediatement tout ensemble : immediatement, en son Baptesme (Mat 3, 17) et en sa Transfiguration (Mat 17, 5) , avec ceste voix : Cestuyci est mon Filz bien aymé auquel j’ay pris mon bon plaisir, escoutes le ; mediatement, par les Prophetes, et sur tout par David es lieux que saint Pol cite a propos des Psalmes : Tu es mon Filz, je l’ay engendré aujourdhuy (Ps 2, 7), Tu es prestr’eternellement, selon l’ordre de Melchisedec (Ps 109, 4). Et par tout la vocation est perceptible : la parole en la nuëe fut ouÿe, et en David ouÿe et leüe ; mais saint Pol, voulant monstrer la vocation de Nostre Seigneur, apporte les passages seulz de david, par lesquelz il dit Nostre Seigneur avoir esté clarifié de son Pere, se contentant ainsy de produyre le tesmoignage perceptible, et faict par l’entremise des Escritures ordinaires et des Prophetes receuz.

Je dis 3., que l’authorité de la mission extraordinaire ne destruict jamais l’ordinaire, et n’est donnee jamais pour la renverser : tesmoins tous les Prophetes, qui jamais ne firent autel contr’autel, jamais ne renverserent la prestrise d’Aaron, jamais n’abolirent les constitutions sinagogiques ; tesmoin Nostre seigneur, qui asseure que tout royaume divisé en soymesme sera desolé, et l’une mayson tombera sur l’autre (Luc 11, 17) ;tesmoin le respect quil portoit a la chaire de Moyse, la doctrine de laquelle il vouloit estre gardëe (Mat 23, 2,3) . Et de vray, si l’extraordinaire devoit abolir l’ordinaire, comment sçaurions nous quand, a qui, et comment, nous nous y devrions ranger ? Non, non, l’ordinaire est immortelle pendant que l’eglise sera ça bas au monde : Les pasteurs et docteurs quil a donnés une fois a l’eglise doivent avoir perpetuelle succession, pour la consummation des Saintz, jusques a ce que nous nous rencontrions tous en l’unité de la foy, et de la connoissance du Filz de Dieu, en homme parfaict, a la mesure de l’aage entiere de Christ ; affin que nous soyons plus enfans, flotans et demenés ça et la a tous vens de doctrin, par la piperie des hommes et par leur rusëe seduction (Ephes 4, 11-14). Voyla le beau discours que faict saint Pol, pour monstrer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n’avoient perpetuelle succession, ains fussent sujetz a l’abrogation des extraordinaires, nous n’aurions aussi qu’une foy et discipline desordonnee et entrerompue a tous coupz, nous serions sujetz a estre seduitz par les hommes qui a tous propos se vanteroyent de l’extraordinaire vocation, ains, comme les Gentilz, nous cheminerions en la vanité de nos entendemens, un chacun se faysant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint esprit : dequoy nostre aage fournit tant d’exemples, que c’est une des plus fortes raysons qu’on puisse praesenter en cett’occasion ; car, si l’extraordinaire peut lever l’ordinair’administration, a qui en laisserons nous la charge ? a calvin, ou a Luther ? a Luther, ou a u Pacimontain ? au Pacimontain, ou a Blandrate, ou a Brence ? a Brence, ou a la Reyne d’Angleterre ? car chacun tirera de son costé ceste couverte de la mission extraordinaire. Or la parole de Nostre Seigneur nous oste de toutes ces difficultés, qui a édifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d’enfer ne praevaudront jamais contre elle (Mat 16, 18). Que si jamais elles n’ont praevalu ni praevaudront, la vocation extraordinaire n y est pas necessaire pour l’abolir : car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq il aboliroit l’Eglis’ordinaire pour en faire d’extraordinaires ? veu que c’est luy qui a edifié l’ordinaire sur soymesme, et l’a cimentee de son sang propre.

ARTICLE IV

Réponse aux arguments des Ministres

Je n’ay encor sceu rencontrer parmy vos maistres que deux objections a ce discours que je viens de faire ; dont l’une est tirëe de l’exemple de nostre seigneur et des Apostres, l’autre, de l’exemple des Prophetes.

Mays, quand a la premiere, dites moy, je vous prie, trouves vous bon qu’on mette en comparaison la vocation de ces nouveuax ministres avec celle de Nostre Seigneur ? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie ? son tems n’avoit il pas esté déterminé par Daniel (9, 24 et 26) ? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches ? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaique, mays ce changement la n’avoit il pas esté praedit (Agg 2, 10) ? Il a changé par consequent le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur ; tout cela n’est ce pas selon les tesmoignages anciens (Heb 5, 6) ? Vos ministres n’ont point esté prophetisés en qualité de praedicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions ; ils ont taict un remuement sur l’Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que nostre Seigneur le fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n’en ont point a cest effect. Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de prodyre des miracles sur une telle mutation, quoyque vous tiries praetexte de l’Escriture ; puysque Nostre seigneur ne s’en exempta pas, comme j’ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures (Luc 1, 70). Mays ou me monstreront ilz que l’Eglise doive jamais plus recevoir un’autre forme, ou semblable reformation, que celle qu’y fit Nostre Seigneur ?

Et quand aux Prophetes, j’envoys abusé plusieurs. 1. On pense que toutes les vocations des Prophetes ayent esté extraordinayres et immediates : chose fause ; car il y avoit des colleges et des congregations de Prophetes reconneuz et advouêes par la Sinagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l’Escriture. Il y en avoyt en Ramatha, en Bethel, en Hiericho ou Elisëe habita, en la montagne d’Ephraim, en Samarie ; Elisëe mesme fut oint par Helie ; la vocation de samuel fut recogneûe et advouëe par le grand Prestre, et en Samuel recommença le Seigneur a s’apparoistre en Silo (voir les livres des Rois ), comme dict l’Escriture, qui faict que les Juifz tiennent samuel comme fondateur des congregations prophetiques. 2. On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la praedication : ce qui n’estoit pas , comm’il appert des sergens de Paul et de Saul mesme(1 Rois 19, 20 et suiv). De façon que la vocation des Prohetes ne sert de rien a celle des haeretiques ou schismatiques, car :

  1. Ou ell’estoit ordinaire, comme nous avons monstré cy devant, ou approuvëe du reste de la Sinagogue, comm’il est aysé a voir en ce qu’on les reconnoissoit incontinent, et en faysoit on conte en tous lieux parmi les Juifz, les appelans hommes de Dieu (3 Rois 17, 18) : et a qui regardera de pres l’histoire de cest’ancienne sinagogue, verra que l’office des Prophetes estoit aussy commun entr’eux qu’entre nous des praedicateurs.
  2. Jamais on ne monstrera prophete qui voulut renverser la puissance ordinaire, ains l’ont tousjours suyvie, et n’ont rien dict contraire a la doctrine de ceux qui estoyent assis sur la chaire Mosaique et Aaronique ; ains il s’en est trouvé qui estoyent de la race sacerdotale, comme Jeremie, filz d’helcias, et Ezechiel, filz de Buzi ; ilz ont tousjours parlé avec honneur des Pontifes et succession sacerdotale, quoy quilz ayent repris leurs vices. Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu’a venir, et zacharie prophete a tesmoins, comme s’il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes ; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche ; car l’ange du seigneur des armëes ? (Ezech 2, 7) tant s’en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l’ordinaire.
  3. Les Prophetes, combien de miracles ont ilz faictz en confirmation de la vocation prophetique ? ce ne seroit jamais faict si j’entrois en ce denombrement. Mays si quelquefois ilz ont faict quelquechose qui eut quelque visage d’extraordinaire pouvoir, incontinent les miracles se sont ensuyvis : tesmoin Elie, qui dressant un autel en Carmel selon l’instinct quil avoit eu du saint Esprit, et sacrifiant, monstrant par miracle quil le faisoit a l’honneur de Dieu et de la religion Juifve (3 Rois 18, 32 et 38).
  4. En fin, vos ministres auroyent bonne grace silz vouloient s’usurper le pouvoir de prophetes, eux qui n’en ont jamais eu le don ni la lumiere : ce seroit plustost a nous, qui pourrions produire infinité des propheties des nostres ; comme de saint Gregoire Taumaturge, au rapport de saint Basile, de saint Anthoine, tesmoin Athanase, de l’abbé Jan, tesmoin saint Augustin, saint benoist, saint Bernard, saint françois et mill’autres ; Si donques il est question entre nous de l’authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l’effect, non pas a vos ministres qui n’en ont jamais faict un brin de preuve : sinon quilz voulussent appeller propheties de la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la praediction quil fit, l’an 25 de ce siecle, que sil praechoit encor deux ans il ne demeureroit ni pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe. Et de vray, il ny a qu’un mal en ceste prophetie, c’est seulement faute de verité ; car il praecha encor pres de vingt deux, et neantmoins encor se trouve il des prestres et des clochers, et en la chaire de saint pierre est assis un Pape legitime.
Vos premiers ministres donques, Messieurs, sont de ces prophetes que Dieu defendooit d’est’ouÿs parler, en Hieremie : ne veuïlles ouyr les paroles des prophetes qui prophetisent et vous deçoivent ; ilz parlent la vision de leur coeur, et non point par la bouche du seigneur. Je n’envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent ; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J’ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j’ay songé, j’ay songé . (hier 22, 16,21 et 25). Vous sembl’il pas que ce soyent luther et AZuingle avec leurs propheties et visions ? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eüe pour sa cene, qui donna occasion a Luther d’escrire son livre, Contra coelestes prophetas ?, C’est bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n’avoir pas esté envoyés ; c’est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict (31) : car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher ? On ne peut s’enrooler sans aucun capitayne sans l’aveû du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, sortir de l’estat auquel vous esties nay et nourry qui est l’Eglise Catholique ? Ilz sont coupables d’avoir faict de leur propr’authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis ; dont vous estes inexcusables. Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant esté apellé par trois fois de Dieu, pensa tousjours que ce fut Heli qui l’eut appellé : 1. par les peuples et magistratz, 2. par nos Evesques, 3. par sa voix extraordinaire. Non, non, qu’ilz... Samuel fut appellé troys fois de Dieu, et selon son humilité il pensoyt que ce fut une vocation d’homme, jusques a tant qu’enseigné par Heli il conneust que c’estoit la vois divine (1 Rois 3, 4-10) . Vos ministres, Messieurs, produysent trois vocations de Dieu : par les magistratz seculiers, par les Evesques, et par la voix extraordinaire ; ilz pensent que ce soyt Dieu qui les aÿe appelé en ces troys façons la. Mays non, ilz reconnoyssent que c’est une vocation de l’homme, et que les oreilles ont corné a leur viel Adam, et s’en remettent a celuy qui, comm’Heli, praeside maintenant a l’Eglise.

Et voyla la premiere rayson qui rend vos ministres et vous aussy, quoy qu’inegalement, inexcusables devant Dieu et les hommes d’avoir laissé l’Eglise.

CHAPITRE II

Erreurs des ministres sur la Nature de l’Eglise

ARTICLE PREMIER

QUE L’EGLISE CHRETIENNE EST VISIBLE





Au contraire, Messieurs, l’Eglise, qui contredisoit et s’opposoit a vos premiers ministres, et s’oppose encores a ceux de ce tems, est si bien marquëe de tous costés, que personne, tant aveuglé soit il, ne peut praetendre cause d’ignorance du devoir que tous les bons Chrestiens luy ont, et que ce ne soit la vraÿe, unique, inseparable et tres chere Espouse du Roy celeste ; qui rend vostre separation d’autant plus inexcusable. Car, sortir de l’Eglise, et contredire a ses decretz, c’est tousjours se rendre ethnique et publicain (mat 18, 17), quand ce seroit a la persuasion d’un ange ou seraphim (Gal 1, 8) ; mays, a la persuasion d’hommes pecheurs a la grande forme, comme les autres, personnes particulieres, sans authorité, sans adveu, sans aucune qualité requise a des precheurs ou profetes que la simple connoissance de quelques sciences, rompre tous les liens et la plus religieuse obligation d’obeissance qu’on eust en ce monde, qui est celle qu’on doit a l’Eglise comm’Espouse de Nostre Seigneur, c’est une faute qui ne se peut couvrir que d’une grande repentance et poenitence, a laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant.

Les adversaires, voyans bien qu’a ceste touche leur doctrine seroit reconneüe de bas or, ont tasché par tous moyens de nous divertir de ceste preuve invincible que nous prenons es marques de la vraÿe Eglise, et partant ont voulu maintenir que l’Eglise est invisible et imperceptible, et par consequent irremarquable. Je crois que cestecy est l’extrem’absurdité, et qu’au pardela immediatement se loge la frenesie et la rage.

Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l’invisibilité de l’eglise ; car les uns disent qu’ell’est invisible par ce qu’elle consiste seulement es personnes esleües et praedestinëes, les autres attribuent cest’invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles : dont les premiers tiennent l’Eglis’estre en tous tems invisible, les autres disent que cest’invisibilité a duré environ mill’ans, ou plus ou moins, c’est a dire, des saint Gregoire jusqu’a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme ; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert. Ceste theologie est tant imaginaire et damnatoire, que les autres ont mieux aymé dire que durant ces mill’ans l’Eglise n’estoit ni visible ni invisible, mays du tout abolie et estoufëe par l’impieté et l’idolatrie.

Permettes moy, je vous prie, que je die librement la verité. Tous ces discours ressentent le mal de chaud ; ce sont des songes qu’on faict en veilllant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant ; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l’interpretation de Daniel (Daniel 2, 34) : car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d’un mont sans oeuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s’accreut tellement que devenue montagne elle remplit toute la terre ; et Daniel l’entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera aeternellement (vers 44). S’il est comm’une montaigne, et si grande qu’elle remplit la terre, comme sera elle invisible ou secrette ? et s’il dure aeternellement, comm’aura il manqué 1000 ans ? Et c’est bien du royaume de l’Eglise que s’entend ce passage : car 1. celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s’eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l’interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle ; joint que d’estre taillé de la montaigne sans oeuvre manuelle appartient a lgenration temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans oeuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit. Ou donques Daniel a mal deviné, ou les adversaires de l’Eglise Catholique, quand ilz disoyent l’Eglis’estre invisible, cachêe et abolie. Ayes patience, au nom de Dieu ; nous irons par ordre et briefvement, monstrant la vanité de ces opinions.

Mays il faut avant tout dire que c’est qu’Eglise. Eglise vient du mot grec qui veut dire, appeler ; Eglise donques signifie un’assemblëe ou compaignie de gens appellés : Sinagogue veut dire un troupeau, a proprement parler. L’assemblëe des juifz s’appellloyt Sinagogue, celle des Chrestiens s’appelle Eglise : par ce que les Juifz estoyent comm’un troupeau de bestail, asemblé et entroupelé par crainte, les Chrestiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appellés ensembleen union de charité par la praedication des Apostres et leurs successeurs ; dont saint Augustin a dict : " L’Eglise est nommee de la convocation, la Sinagogue, du troupeau ; par ce qu’estre convoqué appartient plus aux hommes, estr’entroupelé appartient plus au bétail. " or c’est a bonne rayson que l’on a apelé le peuple Chrestien Eglise ou convocation, par ce que le premier benefice que Dieu faict a l’homme pour le mettr’en grace, c’est de l’appeller a l’eglise ; c’est le premier effect de sa praedestination : Ceux quil a praedestinés il les a appellés,disoit saint Pol aux Romains (Rom 8, 30) ; et aux Collossiens : Et la paix de Christ tressaute en vos coeurs, en laquelle vous estes appellés en un cors. Estr’appellés en un cors c’est estr’appellés en l’Eglise ; et en ces similitudes que faict Nostre Seigneur en saint Mathieu (Chap 20, 1 et 16 ; 22, 2 et 14), de la vigne et du banquet avec l’Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme apellés et convoqués : Plusieurs, dict il, sont apellés, mays peu sont esleuz. Les Atheniens appelloyent eglise la convocation des cytoyens, la convocation des estrangers s’apelloyt autrement ????????? ; dont le mot d’Eglise vient proprement aux Chrestiens, qui ne sont plus advenaires et passans, mais concitoyens des Saintz et domestiques de Dieu (Eph 2, 19).

Voyla d’ou est pris le mot d’eglise, et voicy la definition d’icelle. L’Eglise est une sainte (Eph 5, 27) université ou generale compaignie d’hommes, unis (Jean 11, 52 ; Eph 4, 4 ; saint Cyprien : De unitate Ecclesiae) et recueillis en la profession d’une mesme foi Chrestienne, en la participation de mesmes Sacremens et Sacrifice (1 Cor 10, 16-21 ; Heb 7, 21), et en l’obeissance (jean 10, 16 et 21, 17) d’un mesme vicaire et lieutenant general en terre de Nostre seigneur jesuchrist et successeur de saint Pierre, sous la charge des legitimes Evesques (Eph 4, 11-12). J’ay dict avant tout que c’estoit une sainte compaignie ou asemblëe, par ce que la sainteté interieure.

J’entens parler de l’Eglise militante de laquelle l’Escriture nous a laissé tesmoignage, non de celle que proposent les hommes. Or, en toute l’escriture, il ne se trouvera jamais que l’Eglise soit prise pour un’assemblee invisible. Voicy nos raysons, simplement estalëes :
 
 

  1. Nostre Seigneur et Maistre nous renvo^ye a l’Eglise en nos difficultés et dissensions (Mat 18, 16-17) ; saint Pol enseigne son Timothee comm’il faut converser en icelle (1 Tim 3, 15) ; il fit apeller les Anciens de l’eglise Myletayne (Act 20, 17), illeur remonstre quilz sont constitués du Saint esprit pour regir l’Eglise (vers 28), il est envoÿé par l’Eglise avec saint Barnabas, il fut receu par l’Eglise (Act 15, 3-4 et 22), il confirmoit les Eglises (vers 41), il constitue des prestres par les eglises, il assemble l’Eglise (Act 14, 22 et 26), il salue l’Eglise en Caesaree (Act 18, 22), il a persecuté l’Eglise (Gal 1, 13). Comme se peut entendre tout cecy d’une Eglise invisible ? ou la chercheroit on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir ? Quand ell’envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l’assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit ? Je ne crois pas que chacun ne voÿe clerement que c’estoit effectz visibles et perceptibles de part et d’autre. Et quand il luy escrivoit (gal 1, 2 et 2 Cor 1, 2), s’adressoyt il a quelque chimere invisible ?
  2. Que dira l’on aux propheties, qui nous repraesentent l’Eglise non seulement visible mays toute claire, illustre, manifeste, magnifique ? Ilz la depeignent comm’une reyne parêe de drap d’or recamé, avec une belle varieté d’enrichissemens (Ps 54, 10 et 14),comm’une montaigne, comm’un soleil, comm’une pleyne lune, comme l’arc en ciel, tesmoin fidele (Is 2, 2 et Mich 4, 1-2) et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la posterité de Noë, qui est ce que le Psalme porte en nostre version : Et thronus ejus sicut in sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in aeternum, et testis in caelo fidelis (Ps 88, 37 ; Cant 6, 9 ; Gen 9, 13).
  3. L’Escriture atteste par tout qu’elle se peut voir et connoistre, ains qu’ell’est conneue. Salomon, es Cantiques, parlant de l’Eglise, ne dict il pas : Les filles l’ont veüe et l’ont praechëe pour tresheureuse ? Et puys, introduysant ses filles pleynes d’admiration, il leur faict dire : Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm’une aurore en son lever, belle comme la lune, esleûe comme le soleil, terrible comm’un esquadron de gendarmerie bien ordonné ? (Cant 8 et 9) N’est ce pas la declarer visible ? Et quand il faict qu’on l’apelle ainsy : Reviens, reviens Sullamienne, reviens, reviens, affin qu’on te voÿe, (Cant 7, 12) et qu’elle responde : Qu’est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees ?(7, 1) n’est ce pas encores la declairer visible ? Qu’on regarde ces admirables cantiques repraesentationspastorales des amours du celest’Espoux avec l’Eglise, on verra que par tout ell’est tres visible et remarquable. Esaïe parl’ainsy d’elle : Ce vous sera une voÿe droite, si que les folz ne s’egareront point par icelle ; (Is 35, 8) faut il pas bien qu’elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s’y sçauront conduyre sans se faillir ?
  4. Les pasteurs et docteurs de l’Eglise sont visibles, donques l’Eglise est visible : car, je vous prie, les pasteurs de l’Eglise sont ilz pas une partie de l’Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s’entrereconnoissent les uns et les autres ? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent (Jean 10, 4) ? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et son bercail ? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoitre son troupeau ni le voir. Je ne sçay s’il me faudra prouver que les pasteurs de l’Eglise soyent visibles : on nie bien des choses aussy claires. Saint Pierre estoit pasteur, ce crois je, puysque Nostre Seigneur luy disoit : Repais mes brebis (Jean 10, 17) ; aussy estoyent les Apostres, et neanmoins on les a veu (Marc 1, 16). Je crois que ceux ausquelz saint Pol disoit : Prenes grad’a vous et a tout le troupeau, auquel le Saint Esprit vous a constitués pour regir l’Eglise de Dieu (Act 20, 28), je crois , dis je , quil les voyoit ; et quand ilz se jettoyent comme bons enfans au col de ce bon pere, le baysans et baignans sa face de leurs larmes (vers 37), je crois quil les touchoit, sentoyt et voÿoit : et ce qui me le faict plus croire, c’est quilz regrettoyent principalement son départ par ce quil avoit dict quilz ne verroyent plus sa face (vers 38) ; ils voyoyent donques saint Pol, et saint Pol les voyoit. En fin, Zuingle, OEcolampade, Luther, Calvin, Beze, Muscule, sont visibles, et quand aux derniers il y en a plusieurs qui les ont veu, et neantmoins ilz sont appellés pasteurs par leurs sectateurs. On voyt donq les pasteurs, et par consequent les brebis.
  5. C’est le propre de l’Eglise de faire la vraÿe praedication de la Parole de Dieu, la vraÿe administration des Sacremens ; et tout cela est il pas visible ? comme donques veut on que le sujet soit invisible ?
  6. Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob , furent la source vive de l’Eglise d’Israel ; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir (Gen 40, 1 et 2), on les voyoit, on s’entrevoyoit entr’eux. Que m’amuse je faire en cela ? toute l’histoire sacrëe faict foy que l’ancienne Sinagogue estoit visible, et pourquoy non l’Eglise Catholique ?
  7. Comme les patriarches, peres de la Sinagogue Israelitique, et desquelz Nostre Seigneur est né selon la chair (Rom 9, 5), faysoyent l’Eglise (Judaïque) visible, ainsy les Apostres avec leurs disciples, enfans de la Sinagogue selon la chair, et, selon l’esprit, de Nostre Seigneur, donnerent le commencement a l’Eglise Catholique visiblement selon le Psalmiste : pour tes peres te sont nais des enfans, tu les constitueras princes sur toute la terre (Ps 44, 17) : pour douze Patriarches te sont nais douze Apostres, dit Arnobe. Ces Apostres assemblés en Hierusalem, avec la petite troupe des disciples et la tresglorieuse mere du Sauveur, faysoyent la vraÿe Eglise ; et comment ? visible, sans doute, ains tellement visible que le Sainct Esprit vint arrouser visiblement ces saintes plantes et pepinieres du Christianisme (Act 2, 3).
  8. les anciens Juifz comm’estroyent ilz sur le roole du peuple de Dieu ? par la circoncision, signe visible ; nous autres, par le Baptesme, signe visible. Les anciens par qui gouvernés ? par les prestres Aaroniques, gens visibles ; nous autres, par les Evesques, personnes visibles. Les anciens par qui prechés ? par les Prophetes et docteurs, visiblement ; nous autres, par nos pasteurs et praedicateurs, visiblement encores. Les anciens quelle manducation religieuse et sacrêe avoyent ilz ? de l’aigneau Paschal, de la manne, tout est visible ; nous autres, du tressaint Sacrement de l’Eucharistie, signe visible quoy que de chose invisible. La Sinagogue par qui persecutëe ? par les Egiptiens, babiloniens, Madianites, Philistins, tous peuples visibles ; l’Eglise, par les payens, Turcs, Mores, Sarrasins, haeretiques, tout est visible. Bonté de Dieu, et nous demanderons encores si l’Eglise est visible ? mays qu’est ce que l’Eglise ? une assemblëe d’hommes qui ont la chair et les os ; et nous dirons encores que ce n’est qu’un esprit ou fantosme, qui sembl’estre visible et ne l’est que par illusion ? Non, non, qu’est ce qui vous troubl’en cecy, et d’ou vous peuvent venir ces pensers ? Voyes ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs ; voyes ses pieds, regarde ses praedicateurs comm’ilz la portent en levant, couchant, midy et septentrion : tous sont de chair et d’os. Touches la, venes comm’humbles enfans vous jetter au giron de ceste douce mere ; voyes la, consideres la bien tout’en son cors comm’elle est toute belle, et vous verres qu’ell’est visible, car une chose spirituelle et invisible n’a ni chair ni os comme voyes qu’elle a (Luc )
Voyla nos raysons, qui sont bonnes a tout’espreuve ; mays ilz ont quelques contreraysons, quilz tirent ce leur semble de l’Escriture, bien aysëes a rabbatre a qui considerera ce qui s’ensuit :

Premierement, Nostre Seigneur avoit en son humanité deux parties, le cors et l’ame : ainsy l’Eglise son Espouse a deux parties ; l’une interieure, invisible, qui est comme son ame, la foy, l’esperance, la charité, la grace ; l’autre exterieure et visible comme le cors, la confession de foy, les louanges et cantiques, la praedication, les Sacremens, le Sacrifice : ains tout ce qui se faict en l’Eglise a son interieur et son exterieur ; la priere interieure et exterieure (1Cor 14, 15), la foy remplit le coeur d’asseurance et la bouche de confession (Rom 10, 9), la praedication se faict exterieurement par les hommes, mays la secrette lumiere du Pere caeleste y est requise, car il faut tousjours l’ouyr et apprendre de luy avant que de venir au Fils (Jean 6, 44-45) ; et quand aux Sacremens, le signe y est exterieur mays la grace est interieure, et qui ne le sçait ? Voyla donq l’interieur de l’Eglise et l’exterieur . Son plus beau est dedans, le dehors n’est pas si excellent : comme disoit l’Espoux es Cantiques : Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans (Cant 4, 11); le miel et le laict sont sous ta langue, c’est a dire en ton coeur, voyla le dedans, et l’odeur de tes vestemens comme l’odeur de l’encens, voyla le service exterieur ; et le Psalmiste : Toute la gloire de ceste fille royale est au par dedans, c’est l’interieur, Revestue de belles varietés en franges d’or, voyla l’exterieur. (Ps 44, 14-15)

Deuxiemement, il faut considerer que tant l’interieur que l’exterieur de l’Eglise peut estre dict spirituel, mays diversement ; car l’interieur est spirituel purement et de sa propre nature, l’exterieur de sa propre nature est corporel, mays par ce quil tend et vise a l’interieur spirituel on l’apelle spirituel, comme faict saint Pol les hommes qui rendoyent le cors sujet a l’esprit, quoy quilz fussent corporelz ; et quoy qu’une personne soit particuliere de sa nature, si est ce que servant au public , comme les juges, on l’apelle publique.

Maintenat, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les coeurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie (Chap 31, 33), on doit respondre, qu’en l’interieur de l’Eglise et dans son coeur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l’exterieur qui la faict voir et reconnoistre ; ainsy quand il est dict en l’Evangile, que l’heure est venüe quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité (jean 4, 23), nous sommes enseignés que l’interieur est le principal, et que l’exterieur est vain s’il ne tend et ne se va rendre dans l’interieur pour s’y spiritualizer.

De mesme, quand saint Pierre appelle l’Eglise mayson spirituelle (1 pierre 2, 5), c’est par ce que tout ce qui part de l’Eglise tend a la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est interieure, ou bien par ce que ce n’est pas une mayson faitte de chaux et de sable, mays une mayson mistique de pierres vivantes, ou la charité sert de ciment.

La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation (Luc 17, 30) : le royaume de Dieu c’est l’Eglise ; donq l’Eglise n’est pas visible. Responce : Le royaume de Dieu, en ce lieu la, c’est Nostre Seigneur avec sa grace, ou si vous voules, la compaignie de nostre seigneur pendant quil fut au monde, dont il s’ensuit : Car voicy le royaume de Dieu est parmi vous (vers 21) ; et ce royaume icy ne comparut pas avec l’apparat et le fast d’une magnificence mondayne, comme les Juifz croyoyeny ; et puys, comm’on a dict, le plus beau joyau de ceste fille royale est caché au dedans, et ne peut se voir .

Quand a ce que saint Pol a dict aux Hebrieux (chap 12, 18-22), que nous ne sommes pas venus vers une montaigne maniable, comme celle de Sina, mays vers une Hierusalem caeleste, il ne faict pas apropos pour faire invisible l’Eglise ; car saint Pol monstre en cet endroit que l’Eglise est plus magnifique et enrichie que la Sinagogue, et qu’elle n’est pas une montaigne naturelle comme celle de Sina, mays mystique, dont il ne s’ensuit aucune invisibilité : outre ce qu’on peut dire avec rayson quil parle vrayement de la hierusalem caeleste, c’est a dire de l’Eglise triomphante, dont il y adjouste, la frequence des Anges, comme sil vouloit dire qu’en la vieille loy Dieu fut veu en la montaigne en une façon espouvantable, et que la nouvelle nous conduit a le voir en sa gloire la haut en Paradis.

En fin, voyci l’argument que chacun crie estre le plus fort : je crois la sainte Eglise Catholique ; si je la crois ne la vois pas ; donques ell’est invisible. I a il rien de plus foible au monde que ce fantosme de rayson ? Les Apostres n’ont ilz pas creu Nostre Seigneur estre ressuscité, et l’ont ilz pas veu ? Par ce que tu m’as veu, dict il luymesme a saint Thomas, tu as creu (jean 20, 29) ; et pour le rendre croyant il luy dict : Voys mes mains, et apporte ta main et la metz dans mon costé, et ne soys plus incrédule mays fidele (vers 47) : voyes comme la veüe n’empesche pas la foy, mays la produict. Or, autre chose vit saint thomas et autre chose il creut ; il vit le cors, il creut l’esprit et la divinité, car sa veüe ne luy avoit pas appris de dire, Mon Seigneur et mon Dieu (vers 28), mays la foy . Ainsy croit on un baptesme pour la remission des pechés ; on voit le baptesme, mais non la remission des pechés. Aussy voit on l’Eglise, mays non sa sainteté interieure, on voit ses yeux de colombe, mays on croit ce qui est caché au dedans, on voit sa robbe richement recamëe en belle diversité avec ses houppes d’or, mays la plus claire splendeur de sa gloire est au dedans, que nous croyons ; il y a en ceste royale Espouse de quoy repaistre l’oeil interieur et exterieur, la foy et le sens, et c’est tout pour la plus grande gloire de son Espoux.

ARTICLE II

QU’EN L’EGLISE IL Y A DES BONS ET DES MAUVAIS

DES PRAEDESTINES ET DES REPROUVES

Pour rendre l’invisibilité de l’Eglise probable chacun produyt sa rayson, mays la plus triviale que je voÿe c’est de s’en rapporter a l’eternelle praedestination. De vray, ceste ruse n’est pas petite, de destourner les yeux spirituelz des gens de l’Eglise militante a la praedestination eternelle, affin qu’esblouÿs a l’esclair de ce mistere inscrutable nous ne voyons pas ce qui est devant nous. Ilz disent donques quil y a deux eglises, une visible et imparfaite, l’autr’invisible et parfaitte, et que la visible peut errer et s’esvanouir au vent des erreurs et idolatries, l’invisible, non. Que si on demande quell’est l’eglise visible, ilz respondent, que c’est l’assemblëe des personnes qui font profession de mesme foy et Sacremens, qui contient les bons et les mauvais, et n’est eglise que de nom ; et l’eglise invisible est celle qui contient les esleuz seulement, qui, n’estans en la connoissance des hommes, sont seulement reconneuz et veuz de Dieu.
 

Mays nous monstrerons clairement que la vraÿe Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les esleuz, et voicy dequoy :

  1. N’estoit ce pas la vraÿe Eglise celle que saint Pol apelloit, Colomne et fermeté de la verité, et mayson du Dieu vivant (1 Tim 3, 15) ? sans doute, car estre colomne de verité ne peut appartenir a une eglise errante et vagabonde. Or l’Apostre atteste de ceste vraÿe Eglise, mayson de Dieu, quil y a en icelle des vaisseaux d’honneur, et de contumelie (2 Tim 2, 20), c’est a dire des bons et des mauvais.
  2. N’est ce pas la vraÿe Eglise contre laquelle les portes d’enfer ne praevaudront point ? et neantmoins en icelle il y a des hommes qui ont besoin qu’on deslie leurs pechés, et d’autres ausquelz il les faut retenir, comme Nostre Seigneur faict voir en la promesse et puyssance qu’il en donne a saint Pierre (Mat 16, 18-19). Ceux ausquelz on les retient ne sont ilz pas mauvais et repruvés ? ains cela est propre aux reprouvés que leurs pechés soyent retenus, et l’ordinaire des esleuz quilz leur soyent pardonnés : or, ceux, ausquelz saint Pierre avoit pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l’Eglise, il appert ; car de ceux qui ne sont en l’Eglise il n’appartient qu’a Dieu seul d’en juger (1 Cor 5, 13) ; ceux, donques, desquelz saint Pierre devoit juger n’estoyent pas hors de l’Eglise mays dedans, quoy quil en deut avoir de reprouvés.
  3. Et Nostre Seigneur nous enseigne il pas, qu’estans offensés par quelqu’un de nos freres, apres l’avoir repris et corrigé par deux fois en diverses façons, nous le deferions a l’Eglise ? Dis le a l’Eglise ; que s’il n’entend l’Eglise, quil te soit comme ethnique et publicain (Mat 18, 17). On ne peut icy s’eschapper, l’argument est inevitable ; il s’agit d’un nostre frere qui ne soit ni payen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l’Eglise, et par consequent membre de l’Eglise, et neantmoins n’est pas inconveniens quil soit reprouvé, acariastre et obstiné. Les bons, donques, ne sont pas seulement de la vraÿe Eglise, mays les mauvais encores jusques a tant quilz en soyent chassés : sinon qu’on veuille dire que l’Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous renvoÿe soit l’eglise errante, peccante et antichrestienne ; ce seroit trop blasphemer a la descouverte.
  4. Quand Nostre Seigneur dict : Le serviteur ne demeure pas en la mayson a jamais, le fils u demeure tousjours (jean 8, 35), n’est ce pas autant que s’il disoit qu’en la mayson de l’Eglise y est l’esleu et le reprouvé pour un tems ? car, qui peut estre ce serviteur qui ne demeure pas tousjours en la mayson, que celuy la qui sera jetté une fois es tenebres exterieures ? et de faict, il montre bien que c’est aussy ce quil entend, quand il dict immediatement devant : Qui faict peché est serviteur de peché (34). Or cestuyci, encor quil ni demeure pas a jamais, il y demeure neantmoins pour un tems, pendant quil y est retenu pour quelque service.
  5. Saint Pol escrit a l’Eglise de Dieu qui estoit a Corinthe, 1Cor 1, 2, et neantmoins il veut qu’on en chasse un certain incestueux, 5, 2 : si on l’en chasse il y estoit, et sil y estoit, et que l’Eglise fut la compaignie des esleuz, comme l’en eut on peu lever ? les esleuz ne peuvent estre reprouvés.
  6. mays pourquoy me niera-on que les reprouvés et mauvais soyent de la vraÿe Eglise, puysque mesmes ilz y peuvent estre pasteurs et evesques ? la chose est certayne. Judas est il pas reprouvé ? et toutefois il fut Apostre et Evesque, selon le Psalmiste (Ps 108, 8), et saint Pierre, qui dict qu’il eut part au ministere de l’apostolat (Act 1, 17), et tout l’Evangile, qui le met tousjours en conte au college des Apostres. Nicolas Antiochien fut il pas diacre comme saint Estienne (Act 6, 5) ? et neantmoins plusieurs anciens Peres ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour haeresiarque, comm’entr’autres Epiphane, Philastre, Hierosme ; et de faict, les Nicolaites prirent occasion de luy de mettr’en avant leurs abominations, desquelz saint Jan en l’Apocalypse (2, 6) faict mention comme de vrais haeretiques. Saint Pol atteste aux prestres Ephesiens (Act 20, 28) que le Saint Esprit les avoit faictz evesques pour regir l’Eglise de Dieu, mays il asseur’aussy que quelques uns d’entr’eux s’esleveroyent disans des mechancetés, pour desbaucher et s’attirer des disciples (vers 30) : il parle a tous quand il dict que le Saint esprit les a faict Evesques, et parle de ceux la mesme quand il dict que d’entr’eux s’esleveroyent des schismatiques.
Mays quand auroys je faict, si je voulois entasser icy les noms de tant d’Evesques et praelatz lesquelz, apres avoir estés légitimement collqués en cest office et dignité, sont decheuz de leur premiere grace, et sont mortz haeretiques ? Qui vit jamays rien de si saint pour un simple prestre qu’Origene, de si docte, si chaste, si charitable ? Il ni a celuy qui puysse lire ce qu’en escrit Vincent le Lyrinois, l’un des plus polys et doctes escrivains ecclesiastiques, et fayre consideration de sa damnable viellesse apres une si admirable et sainte vie, qui ne soit tout esmeu de compassion, de voir ce grand et valoureux nocher, apres tant de tempestes passëes, apres tant de si riches traffiques quil avoit faict avec les hebreux, Arabes, Chaldeens, Greczs et Latins, revenat plein d’honneur et de richesses spirituelles, fayre naufrage et se perdre au port de sa propre sepulture. Qui oseroit dire qu’il n’eust esté de la vraÿe Eglise, luy qui avoit tousjours combattu pour l’Eglise, et que toute l’Eglise honnoroit et tenoit pour l’un de ses plus grans docteurs ? et quoy ? le voyla ne fin haeretique, excommunié, hors de l’Arche, perir au deluge de sa propr’opinion. Et tout cecy est semblable a la sainte parole de Nostre Seigneur (Mat 23, 2-3), qui tient les scribes et pharisiens estre vrais pasteurs de la vraÿe Eglise de ce tems la, puys quil commande qu’on leur obeisse, et neantmoins ne les tient pas pour esleuz ains plustost pour reprouvés (vers 12-13). Or quell’absurdité seroit ce, je vous prie, si les esleuz estoyent de l’Eglise ? il s’ensuyvroit ce qu’on dict les Donatistes, que nous ne pourrions pas connoistre nos praelatz, et par consequent ne leur pourrions rendre l’obeissance : car, comme connoistrions nous si ceux qui se diroyent praelatz et pasteurs seroyent de l’Eglise ? puysque nous ne pouvons pas connoistre qui est praedestiné et qui non d’entre les vivans, comm’il se dira ailleurs ; et s’ilz ne sont de l’Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz ? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l’Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz ? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l’Eglise ne fut de l’Eglise. Non seulement, donques, un reprouvé peut estre de l’Eglise, mais encores pasteur en l’Eglise ; l’Eglise donques ne peut estr’appellëe invisible pour estre composëe de seulz praedestinés.

Je conclus tout ce discours par les comparaisons Evangeliques qui monstrent clairement toute ceste verité. Saint jan faict semblable l’Eglise a l’aire d’une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mays encores la paille pour restre bruslëe au feu eternel (Mat 3, 12) ; ne sont ce pas le esleuz et les reprouvés ? Nostre Seigneur l’apparie au filet jetté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons (Mat 13, 47) ; a la compaignie de dix vierges dont il y en a cinq folles et cinq sages (Mat 25, 1-2) ; a trois valetz dont l’un est faineant et partant jetté es tenebres exterieures (26-30) ; et en fin a un festin de noces (mat 22, 2) dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n’ayans la robbe convenante sont jettés es tenebres exterieures. Ne sont ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les esleuz mais encores les reprouvés sont en l’Eglise ? Il faut donq fermer la porte de nostre propre jugement a toutes sortes d’opinions, et a ce propos encores, avec ceste non jamais asses considerëe proposition : Il y en a beaucoup d’apellés, mais peu de choisis (vers 14). Tous ceux qui sont en l’Eglise sont apellés, mays tous ceux qui y sont ne sont pas esleuz ; aussy Eglise ne veut pas dire election mais convocation.

Mays ou trouveront ilz en l’escriture aucun lieu qui leur puysse servir de quelqu’excuse en tant d’absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faict ? il ne manque pas de contreraysons en ce point, jamays l’opiniastreté n’en laisse avoir faute a ses serviteurs.

Apporteront ilz donques ce qui est escrit aux Cantiques (4, 7, 12 et 15), de l’Espouse, que c’est un jardin fermé, une fontayne ou source cachetëe, un puys d’eau vivante, qu’elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dict l’Apostre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculëe (Ephes 5, 27) ? Je les prie de bon coeur quilz regardent ce quilz veulent conclure de cecy, car silz veulent conclure quil ni doive point avoir en l’Eglise que de saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur feray voir avec ces mesmes passages quil ny a en l’Eglise ni esleu ni reprouvé : car, n’est ce pas " la voix humble mais veritable ", comme dit le grand concile de Trente, " de tous les justes " et esleuz, " remettes nous nos debtes comme nous les remettons a nos debiteurs " ? Je tiens saint Jacques pour esleu, et neantmoins il confesse : Nous offençons tous en plusieurs choses (Jac 3, 2) ; saint Jan nous ferme la bouche et a tous les esleuz, affin que personne ne se vante d’estre sans peché, ains au contraire veut que chacun sache et confesse quil peche (1 Ep Jean 1, 8) ; je crois que David en son ravissement et extase sçavoit que c’estoit des esleuz, et neantmoins il tenoit tout homme pour mensonger (Ps 115, 2). Si, donques, ces saintes qualités donnëes a l’espouse Eglise se doivent prendre risq a risq, quil ni ayt aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la verification de ses beaux tiltres, les esleuz de ce monde n’en seont pas capables. Mettons donques la verité au net.

  1. L’Eglise en cors est toute belle, sainte, glorieuse, et quand aux meurs et quand a la doctrine. Les meurs dependent de la volonté, la doctrine, de l’entendement : en l’entendement de l’Eglise jamais ny entra fauseté, ni en la volonté aucune meschanceté : elle peut par la grace de son Espoux dire comme luy : Qui d’entre vous, o conjurés ennemys, me reprendra de peché (jean 8, 46) ? Et ne s’ensuit pour tant pas qu’en l’Eglise il ny ait des meschans ; resouvenes vous de ce que j’ay dict ailleurs(cf art 1). L’Espouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivantes, quoy qu’elle soit vivante ; le senat est sauverain, mais on pas chasque senateur ; l’armëe est victorieuse, mays nompas chasque soldat ; ell’emporte la bataglie, mays plusieurs soldatz y demeurent mors. Ainsy l’Eglise militante est tousjours glorieuse et victorieuse sur les portes et puyssances infernales, quoy que plusieurs des siens, ou s’esgarant et mettant en desordre, comme vous aves faict, dmeurent en pieces et perdus, ou par des autres accidens y sont blessés et meurent. Prenes donques l’un’apres l’autre les belles louanges qui sont semëes es Escritures, et luy en faites une couronne, car elles luy sont bien deües, comme plusieurs maledictions a ceux qui estans en un si beau chemin s’y perdent ; c’est un’armëe bien ordonnëe (Cant 6, 9), quoy que plusieurs s’y disbendent.
  2. Mays qui ne sçait combien de fois on attribue a tout un cors ce qui n’appartient qu’a l’une des parties ? L’Espouse apelle son Espoux blanc et vermeil, mays incontinent elle dict quil a les cheveux noirs (Cant 5, 10-11) ; saint Mathieu dict que les larrons qui estoyent crucifiés avec Nostre Seigneur blasphemerent (Mat 27, 44), et ce ne fut que l’un d’eux au rapport de saint Luc (Luc 23, 39) ; on dict que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du verd. Or, a qui parle en terme d’amour use volontier de ceste façon de langage, et les Cantiques sont des repraesentations chastes et amoureuses. Toutes ces qualités donques sont justement attribuees a l’Eglise, a cause de tant de saintes ames qui y sont qui observent tres etroittement les saintz commandemens de Dieu, et sont parfaictes de la perfection qu’on peut avoir en ce pelerinage, non de cellle que nous esperons en la bienheureuse Patrie.
  3. Et quand au surplus, quoy quil ni eust point d’autre rayson d’ainsy qualifier l’Eglise que pour l’esperance qu’ell’a de monter la haut toute pure, toute belle , en contemplation du seul port auquel ell’aspire et va aucourant, cela suffiroit pour la faire apeller glorieuse et parfaitte, principalement ayant tant de belles arres de ceste saint’esperance.
Il ne seroit jamais faict qui voudroit s’amuser sur tous les pieds de mouches qu’on va considerant icy, et pour lesquelz on baille mille fauses alarmes au pauvre peuple. On produict le passage de saint Jan : je connois mes brebis, et personne ne me les levera de mes mains (jean 10, 28) ; et que ces brebis la sont les praedestinés qui sont seulz du bercail du Seigneur, on produit ce que saint Pol dict a Timothee : Le Seigneur connoit ceux qui sont a luy (2 Tim 2, 19), et ce que saint Jan a dict des apostatz : Ilz sont sortis d’entre nous, mais ilz n’estoyent pas d’entre nous (1 jean 2, 19.

Mays quelle difficulté trouve l’on en tout cela ? nous confessons que les brebis praedestinëes entendent la voix de leur pasteur, et ont otues les proprietés qui sont descrittes en saint Jan (ch 10), ou tost ou tard, mays nous confessons aussy qu’en l’Eglise, qui est la bergerie de Nostre Seigneur, il ni a pas seulement des brebis ains encores des boucz ; autrement, pourqouoy seroit il dict qu’a la fin du monde, au jugement, les brebis seront separëes, sinon par ce que jusques au jugement, pendant que l’Eglise est en ce monde, ell’a en soy des boucz avec les brebis ? certes, si jamais ilz n’avoyent estés ensemble, jamais on ne les separeroit : et puys en fin de conte, si les praedestinés sont apellés brebis aussy le sont bien les reprouvés, tesmoin David : Vostre fureur est courroucëe sur les brebis de vostre parc (Ps 73, 1) ; J’ay erré comme la brebis qui est perdüe (Ps 118) ; et ailleurs quand il dict : O vous qui regentes sur Israel, escoutes, vous qui conduyses Joseph comm’une oüaille (Ps 90, 1) : quand il dict Joseph, il entend les Josephois et le peuple israelitique, parce qu’a Joseph fut donné la primogeniture (1 Par 5, 1), et l’aisné baille nom a la race. Isaie , 53, 6, acompare tous les hommes, tant reprouvés que esleuz a des brebis : Omnes nos quasi oves erravimus, et vers 7 il accompare Nostre Seigneur : Quasi ovis ad occisionem ductus est ; et tout au long du chap 34 d’Ezechiel, ou sans doute tout le peuple d’Israel est apellé brebis, sur lequel David devoit regner. Mays qui ne sçait qu’au peuple d’Israel tout n’estoit pas praedestiné ou esleü ? et neantmoins ilz sont apellés brebis, et sont tous ensemble sous un mesme pasteur. Nous confessons, donques, quil y a des brebis sauvëes et praedestinëes, desquelles il est parlé en saint Jan, il y en a d’autres damnëes, desquelles il est parlé ailleurs, et toutes sont dans un mesme parc.

Semblablement, qui nie que Nostre Seigneur connoisse ceux qui sont a luy ? Il sçeut sans doute ce que Judas ne layssa pas d’estre de ses Apostres ; il sceut ce que devoient devenir les disciples qui s’en retournerent en arriere (Jean 6, 67) pour la doctrine de la realité de manducation de sa chair, et neantmoins il les receut pour ses disciples ; C’est bien autre chose estre a dieu selon l’eternelle praescience, pour l’Eglise triomphante, et d’estre a Dieu selon la praesente Communion des saintz, pour l’Eglise militante. Les premiers sont seulement conneuz a Dieu et aux hommes. " Selon l’eternelle praescience ", dit saint Augustin, " o combien de loupz sont dedans, combien de brebis dehors. " Nostre Seigneur donques connoist ceux qui sont a luy pour l’Eglise triomphante, mays outre ceux la il y en a plusieurs autres en l’Eglise militante desquelz la fin sera en perdition, comme le mesme Apostre montre quand il dict, qu’en une grande mayson (2 Tim 2, 20) il y a toutes sortes de vases, et mesme quelques uns pour l’honneur, autres pour l’ignominie.

De mesme ce que saint Jan dict, Ilz sont sortis d’entre nous, mays ilz n’estoyent pas d’entre nous, ne faict rien a propos, car je diray, comme dict sainct Augustin : ilz estoyent des nostres ou d’entre nous numero, et ne l’estoyent pas merito, c’est a dire, comme le mesme Docteur : " Ilz estoyent entre nous et des nostres par la communion des Sacremens, mays selon la particuliere proprieté de leurs vices ilz ne l’estoyent pas " ; ile estoyent ja heretiques en leur ame et de volonté, quoy que selon l’apparence exterieure ilz ne le fussent pas. Et n’est pas a dire que les bons ne soyent pas avec les mauvais en l’Eglise, ains, au contraire, comme pouvoient ilz sortir de la compaignie de l’Eglise silz ny estoient ? ilz estoyent sans doute de faict, mais de volonté ilz estoyent deja dehors.

En fin, voicy un argument qui sembl’estre assort de forme et de figure : " Celuy n’a Dieu pour pere qui n’a l’Eglise pour mere " (St Cyprien, De Unit Eccl), chose certayne ; de mesme, qui n’a Dieu pour pere n’aura point l’Eglise pour mere, tres certain : or est il que les reprouvés n’ont point Dieu pour pere ; donques ilz n’ont point l’Eglise pour mere, et par consequent les reprouvés ne sont en l’Eglise. Mays la response est belle. On reçoit le premier fondement de ceste rayson, mays le second, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu, a besoin d’estre espluché. Tous les fideles baptizés peuvent estre apellés filz de Dieu pendant quilz sont fideles, sinon qu’on voulut oster au Baptesme le nom de regeneration ou nativité spirituelle que Nostre Seigneur lui a baillé (jean 3, 5) ; que si on l’entend ainsy, il y a plusieurs reprouvés enfans de Dieu, car combien y a il de gens fideles et baptizés qui seront damnés, lesquelz, comme dict la Verité (Luc 8, 13), croyent pour un tems, et au tems de la tentation se retirent en arriere : de façon qu’on niera tout court ceste seconde proposition, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu ; car estans en l’Eglise ilz peuvent estr’appellés enfans de Dieu par la creation, redemption, regeneration, doctrine, profession de foy ( Gal 3,1 et 1, 6) quoy que Nostre Seigneur se lamente d’eux en ceste sorte par Isaie, j’ay nourry et eslevé des enfans et ilz m’ont mesprisé (Is 1, 2). Que si on veut dire que les reprouvés n’ont point Dieu pour pere par ce quilz ne seront point heritiers, selon la parole de l’Apostre, S’il est filz, il est haeritier (Gal 4, 7), nous nierons la consequence ; car non seulement les enfans sont en l’Eglise, mays encores les serviteurs, avec ceste difference, que les enfans y demeureront a jamais comm’heritiers, les serviteurs non, mays seront chassés quand bon semblera au Maistre. Tesmoin le Maistre mesme, en saint Jan (8, 35), et le filz penitent , qui sçavoit bien reconnoistre que plusieurs mercenaires avoient des pains en abondance chez son pere, quoy que luy, vray et legitime filz, mourut de faim avec les pourceaux (luc 15, 17) : qui rend preuve de la foy Catholique pour ce sujet. O combien de serviteurs, puys dire avec l’Ecclesiaste (10, 7), ont estés veuz a cheval, et combien de princes a pied comme valetz ; combien d’animaux immondes et de corbeaux en cest’Arche ecclesiastique ; o combien de pommes belles et odoriferantes sont sur le opmmier vermoulües au par dedans, qui neantmoins sont attachëes a l’arbre et tirent le bon suc de tige. Qui auroyt les yeux asses clair voyans pour voir l’issue de la course des hommes, verroit bien dans l’Eglise de quoy s’escrier : plusieurs sont apellés et peu sont esleuz ; c’est a dire, plusieurs sont en la militante qui ne seront jamais en la triomphante. Combien sont dedans qui seront dehors, comme saint Anthoyne previt d’Arrius, et saint Fulbert de Berengaire. C’est donq chose certayne, que non seulement les esleuz mays les reprouvés encores peuvent estre et sont de l’Eglise, et qui, pour la rendre invisible, ny met que les esleuz, faict comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maistre, s’excuse de n’avoir rien apris de son cors mais de son ame.

ARTICLE III

L’EGLISE NE PEUT PERIR

Je seray d’autant plus brief icy, que ce que je deduyray au chapitre suivant sert d’une forte preuve a ceste creance de l’immortalité de l’Eglise et de la perpetuité d’icelle. On dict donques, pour detraquer le joug de la sainte soumission qu’on doit a l’Eglise, qu’ell’estoit perie il y a quatre vingt et tant d’annëes, morte, ensevelie, et la sainte lumiere de la vraÿe foy estainte : c’est un blaspheme pur que tout cecy contre la Passion de Nostre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa verité.

Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur mesme : Si je suys une fois eslevé de terre j’attireray a moy toutes choses ? (Jean 12, 32) a il pas esté eslevé en la Croix ? a il pas souffert ? et comme donques auroyt il layssé aller l’Eglise quil avoit attirëe, a vau de route ? comm’auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher ? Le prince du monde, le diable, avoit il esté chassé (vers 31) avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans pour revenir maistriser mill’ans ? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix ? estes vous arbitres de si bonne foy que de vouloir si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre desormays un’alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique ? Non, non, quand un fort et puyssant guerrier garde sa forteresse tout y est paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despoüille (Luc 11, 21-22). Ignores vous que Nostre Seigneur se soyt acquis l’Eglis’en son sang (Act 20, 28) ? et qui pourra la luy lever ? penses vous quil soit plus foible que son adversaire ? ah, je vous prie, parlons honorablement de ce cappitaine ; et qui donques ostera d’entre ses mains son Eglise ? peut estre dires vous quil peut la garder mais quil ne veut ; c’est donq sa providence, sa bonté, sa verité que vous attaques.

La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, montant au ciel, des apostres, prophetes, evangelistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saintz, en l’oeuvre du ministere pour l’edification du cors de Jesus Christ (Eph 4, 8 et 11-12). La consommation des saintz estoyt elle ja faicte il y a onze cens ou douze cens ans ? l’edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l’Eglise, avoit elle esté parachevee ? Ou cesses de vous apeller aedificateur, ou dites que non ; et si elle n’avoit esté achevëe, comme de faict elle ne l’est pas mesme maintenant, pour quoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu que de dire quil ayt osté et levé aux hommes ce quil leur avoit donné ? C’est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dict saint Pol, ses dons et ses graces sont sans paenitence (Rom 11, 29), c’est a dire , il ne donne pas pour oster. Sa divne providence, des qu’ell’eust creë l’homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et a la terre, les conserva et conserve perpetuellement, en façon que la generation du moindre oysillion n’est pas encore estainte ; que dirons nous donques de l’Eglise ? Tout ce monde ne luy costa de premier marché qu’une simple parole : Il le dict et tout fut faict (Ps 148, 5), et il le conserve avec une perpetuelle et infallible providence ; comment, je vous prie, eust il abandonné l’Eglise qui luy coste tout son sang, tant de peynes et de travaux ? Il a tiré l’Israel de l’Egipte, des desers, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons quil ayt layssé engolfé le Christianisme en l’incredulité ? Il a tant eu de soin de son vante qui devoit estre chassëe hors de la mayson (Genes 21, 10-12), et n’aura tenu conte l’Espouse legitime ? il aura tant honnoré l’ombre, et il abandonnera le cors ? O que ce seroit bien pour neant que tant et tant de promesses auroyent estees faites de la perpetuité de cest’Eglise.

C’est de l’Eglise que le Psalmiste chante : Dieu l’a fondëe en eternité(Ps 43, 8) ; Son trosne (il parle de l’Eglise, trone du Messie filz de David, en la personne du Pere eternel) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel (Ps 88,37) ; Je mettray sa race es siecles des siecles et son trosne comme les jours du ciel, c’est a dire, autant que le ciel durera, c’est a dire, autant que le ciel durera (Ps 88, 30) ; Daniel l’apelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement (Dan 2, 44), l’Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n’auroit point de fin (Luc 1, 33), et parle de l’Eglise comme nous le prouvons ailleurs (de la visibilité de l’Eglise art 1) ; Isaïe avoit il pas predict (53, 10) en ceste façon de Nostre Seigneur : S’il met et expose sa vie pour le peché il verra une longue race, c’est a dire, de longue durëe ? et ailleurs (61, 8) : Je feray un’alliance perpetuelle avec eux ; apres (vers 9) : Tous ceux qui les verront (il parle de l’Eglise visible) les connoistront ? Mays, je vous prie, qui a baillé charge a Luther et Calvin de revoquer tant de saintes et solennelles promesses que Nostre Seigneur a faites a son Eglise, de perpetuité ? n’est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l’Eglise, dict que les portes d’enfer ne praevaudront point contr’elle (Mat 16, 18) ? et comme verifiera-on ceste promesse si l’Eglise a esté abolie mill’ans ou plus ? et ce doux adieu que Nostre Seigneur dict a ses Apostres, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, comme l’entendrons nous si nous voulons dire que l’Eglise puisse perir ?

Mays voudrions nous bien casser la belle regle de Gamaliel qui, parlant de l’Eglise naissante, usa de ce discours : Si ce conseil ou cest’oeuvre est des hommes elle se dissipera, mays si ell’est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre ? L’Eglise est ce pas l’oeuvre de Dieu ? et comment donques dirons nous qu’elle soit dissipëe ? Si ce bel arbre ecclesiastique avoit esté planté de main d’homme, j’avoueroys aysement quil pourroit estre arraché, mays ayant esté planté de si bonne main qu’est celle de Nostre Seigneur, je ne sçauroisconseiller a ceux qui entendent crier a tous propos que l’Eglise estoit perie sinon ce que dict Nostre Seigneur : Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n’a pas plantëe sera arrachëe (Mat 15, 13-14), mays celle que Dieu a plantëe ne sera point arrachëe.

Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun en son ordre ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin ; entre Christ et les siens, c’est a sçavoir, l’Eglise, il ni a rien d’entredeux, car montant au cile il les a layssés en terre, entre l’Eglise et la fin il ni a point d’entredeux, d’autant qu’elle devoit durer jusques a la fin. Quoy ? ne falloit il pas que Nostre Seigneur regnat au milieu de ses ennemis jusqu’a ce qu’il eut mis sous ses pieds et assujetty tous ses adversaires (Ps 109, 1, 2 et 3 ; 1 Cor 15, 25) ? et comme s’accompliront ces authorités si l’Eglise, royaume de Nostre Seigneur, avoit esté perdu et destruict ? comme regneroit il sans royaume, et comme regneroit il parmi ses ennemys sil ne regnoit ça bas au monde ?

Mays, je vous prie, si cest’Espouse fut morte apres que du costé de son Espoux endormy sur la Croix ell’eust premierement la vie, si elle fut morte, dis je, qui l’eust resuscitëe ? Ne sçait on pas que la resurrection des mors n’est pas moindre miracle que la creation, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation ? Ne sçait on pas que la reformation de l’homme est un bien plus profond mistere que la formation, et qu’en la formation Dieudict, et il fut fait (Ps 148, 5) ? il inspira l’ame vivante (Gen 2, 7), et il ne l’eust pas si tost inspirëe que ce celest’homme commença a respirer ; mays en la reformation Dieu employa trente trois ans, sua le sang et l’eau, mourut mesme sur ceste reformation. Et qui donques sera si osé de dire que cest’Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le sçavoir de ce grand reformateur, et qui se croit estre le reformateur ou resuscitateur d’icelle, il s’attribue l’honneur deu a un seul Jesuchrist, et se faict plus qu’Apostre. Les Apostres n’ont pas remis l’Eglise a vie, mays la luy ont conservëe par leur ministere apres que Nostre Seigneur l’eust establie ; qui donques dict que l’ayant trouvé morte il l’a resuscitëe, a vostr’avis merite il pas d’estr’assis au trosne de temerité ? Nostre Seigneur avoit mis le saint feu de sa charité au monde (Luc 12, 49), les Apostres avec le souffle de leur praedication l’avoyent accreu et faict courir par tout le monde : on dict quil estoit estaint par mi les eaux d’ignorance et d’iniquité ; qui le pourra rallumer ? le souffler ni sert de rien, et quoy donques ? il faudroit peut estre rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesuchrist, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou sil suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer ? Ce seroit bien de vray estre des troysiesmes Helies, car ni Helie ni saint Jan Baptiste n’en firent onques tant ; ce seroit bien laysser tous les Apostres en arriere, qui porterent bien ce feu par le monde, mayz ilz ne l’allumerent pas. " O voix impudente ", dit saint Augustin contre les Donatistes, " l’Eglise ne sera pas par ce que tu ni es point ? ". Non, non, dict saint Bernard, " les torrens sont venus, les vens ont soufflé (Mat 7, 25) et l’ont combattue, elle n’est point tumbëe par ce qu’ell’estoit fondëe sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ (1 Cor 10, 4).

Et qu’est ce autre chose dire que l’Eglis’a manqué sinon dire que tous nos devanciers sont damnés ? ouy, pour vray, car hors la vraÿe Eglise il ni a point de salut, hors de cest’Arche tout le monde se perd. O quel contrechange on faict a ces bons peres qui ont tant souffert pour nous praeserver l’heritage de l’Evangile, et maintenant, outrecuydés que sont les enfans, on se moque d’eux, on les tient pour folz et insensés.

Je veux conclure ceste preuve avec saint Augustin, et parler a vos ministres : " Que nous apportes vous de nouveau ? faudra il encor une foys semer la bonne semence, puysque des qu’ell’est semëe elle croit jusqu’a la moysson (Mat 13, 30) ? Si vous dites estre par tout perdue celle que les Apostres avoyent semëe, nous vous respondons : lises nous cecy es Saintes Escritures, ce que pour vray vous ne lires jamais que premierement vous ne nous monstries estre faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semëe au commencement croistroit jusqu’au tems de moyssons. La bonne semence ce sont les enfans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moysson c’est la fin du monde (vers 38 et seq). Ne dites pas donques que la bonne semence est abolie ou estouffëe, car elle croit jusques a la consommation du siecle.

ARTICLE IV

LES CONTRERAYSONS DES ADVERSIARES ET LEURS RESPONCES


  1. L’Eglise fut elle pas tout’abolie quand Adam et Eve pecherent ? Responce : Adam et Eve n’estoyent pas Eglise, ains le commencement d’Eglise ; et n’est pas vray que fut perdue alhors encor qu’ell’eust esté, car ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.
  2. Aaron, sauverain Prestre, n’adora il pas le veau d’or avec tout son peuple ? Responce : Aaron n’estoit encores pas sauverain Prestre ni chef du peuple (Ex 4, 16), ains le fut par apres (Ex 40, 12-13, Ex 31, Ex 32) ; et n’est pas vray que tout le peuple idolatrast, car les enfans de Levi n’estoyent ilz pas gens de Dieu ? et se joignirent ilz pas a Moyse (Ex 32, 26) ?
  3. Helie se plaint d’estre seul en Israel. Responce : Helie n’estoit pas seul en Israel homme de bien, puysquil y en avoit 7000 hommes qui ne s’estoient pas abandonné a l’idolatrie (3 Rois, 19, 18), et ce qu’en dict le prophete n’est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte ; et n’est pas vray qu’encor que tout Israel eut manqué l’Eglise pourtant eut esté abolie, car Israel n’estoit pas toute l’Eglise, ains en estoit desja separé par le schisme de Hieroboam, (ch 12, 31 et 28), et le royaume de Juda en estoit la meilleure et la principale partie ; c’est d’Israel non de Juda, aussy, de quoy Azarie praedit (2 Par 15, 3) quil seroit sans prestre et sacrifice .
  4. Isaie dict (ch 1, 6) que de pied en cap il ni avoit aucune santé en Israel. Responce : Ce sont des façons de parler, et de detester le vice d’un peuple avec vehemence ; et encores que les prophetes, pasteurs et praedicateurs usent de ces generales façons de parler, il ne les faut pas verifier sur chaque particulier, mays seulement sur une grande partie, comm’il appert par l’exemple d’Helie, qui se plaignoit d’estre seul, et neantmoins il y avoit encores 7000 fideles. Saint Pol se plaint aux Philippiens (Phil 2, 21) que chacun recherchoit son propre interest et commodité, neantmoins, a la fin de l’Epistre, il confesse quil y en avoit plusieurs gens de bien de part et d’autre. Qui ne sçait la plainte de David (Ps 13, 4) : Il ni a celuy, mesm’un tout seul, qui face bien ? et qui ne sçait de l’autre costé quil y eut plusieurs gens de bien de son tems ? Ces façons de parler sont frequentes, mays il n’en faut faire conclusion particuliere sur un chacun ; davantage, on ne prouve pas par la que la foy eut manqué en l’Eglise, ni que l’Eglise fut morte, car il ne s’ensuit pas, si un cors est par tout malade donques il est mort. Ainsy sans doute s’entend (St Aug. De unit Eccles c.x) tout ce qui se trouve de semblable es meances et reprehensions des Prophetes.
  5. Hieremie defend (ch 7, 4) qu’on ne se confie point au mensonge, disant, le Temple de Dieu, le Temple de Dieu. Responce : Qui vous dict que sous praetexte de l’Eglise il faïlle se confier au mensonge ? ains, au contraire, qui s’appuÿe au jugement de l’Eglise s’appuÿe sur la colonne et fermeté de verité (1 Tim 3, 15), qui se fie a l’infallibilité de l’Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n’est mensonge ce qui est escrit : Les portes d’enfer ne praevaudront point contre elle (Mat 16, 18). Nous nous fions donques en la sainte parole qui promet perpetuité a l’Eglise.
  6. Est il pas escrit quil faut que la discession et la separation vienne (2 Thes 2, 3), et que le sacrifice cessera (Dan 12, 11), et qu’a grand peyne le filz de l’homme trouvera la foy en terre a son second retour visible, quand il viendra juger (Luc 18, 8) ? Responce : Tous ces passages s’entendent de l’affliction que fera l’Antichrist en l’Eglise les trois ans et demy quil y regnera puyssament (Dan 7, 25 et ch 12 ; Apoc 11, 2 et 12, 14) ; non obstant cela, l’Eglise durant ces troys ans mesme ne manquera pas, ains sera nourrie et conservëe parmi les desers et solitudes ou elle se retirera, comme dict l’Escriture (Apoc 12, 14).
ARTICLE V

QUE L’EGLISE N’A JAMAIS ESTE DISSIPEE NI CACHEE

La passion humayne peut tant sur les hommes, qu’elle les pousse a dire ce qu’ilz desirent devant qu’en avoir aucune rayson, et quand ilz ont dict quelque chose, elle leur fait trouver des raysons ou il ni en a point. I a il homme de jugement au monde qui ne connoisse clairement, quand il lira l’Apocalipse de saint Jan, que ce n’est pas pour ce tems quil est dict (c’est a dire, l’Eglise) s’en fuit la solitude ?

Les Anciens avoyent sagement dict que bien sçavoir reconnoistre la difference des tems es Escritures estoyt une bonne regle pour bien les entendre, a faute dequoy les Juifz a tous coupz s’aequivoquent, attribuantz au premier advenement du Messie ce qui est proprement dict du second, et les adversaires de l’Eglise encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l’Eglise telle des saint Gregoire jusqu’a cest aage qu’elle doit estre du tems de l’Antichrist. Ilz tournent a ce biays ce qui est escrit en l’Apocalipse (Ch 12, 6 et 14), que la femme s’en fuit en la solitude, et prennent consequence que l’Eglise a esté cachëe et secrette, espouvantë de la tirannie du Pape, il y a mill’ans, jusqu’a ce qu’elle s’est produicte en Luther et ses adhaerens. Mays qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persecution de l’Antichrist ? le tems y estant determiné expressément de trois ans et demy (6 et 14), et en Daniel aussy (Dan 12, 7) ; et qui voudroit par quelque glosse estemdre ce tems que l’Escriture a determiné, contrediroit tout ouvertement a Nostre Seigneur, qui dict quil sera plus tost accourcy, pour l’amour des esleuz (Mat 24, 22). Comment donques osent ilz transporter cest escrire a une intelligence si esloignëe de l’intention de l’autheur, et si contrayre a ses propres circonstances ? sans vouloir regarder a tant d’autres paroles saintes qui monstrent et asseurent haut et clair que l’Eglise ne doit jamays estre si cachëe es solitudes jusqu’a cest’extremité la, et pour si peu de tems, ou on la verra fuir, d’ou on la verra sortir. Je ne veux plus ramener tant de passages ja cottés cy dessus (Art 1), ou l’Eglis’est dicte semblable au soleil, lune, arc en ciel (Ps 88, 37), a une reyne (Ps 44, 10 et 14), a une montaigne aussy grande que le monde (Dan 2, 35), et un monde d’autres ; je me contenteray de vous mettr’en teste deux grans colonnelz de l’ancienne Eglise, des plus vallians qui furent onques, saint Augustin et saint Hierosme.

David avoit dict : Le Seigneur est grand et trop plus loüable, en la cité de nostre Dieu, en la sainte montaigne d’iceluy. " C’est la cité ", dict saint Augustin, " mise sur la montaigne ", qui ne se peut cacher, c’est la lampe qui ne peut estre celee sous un tonneau, conneüe de tous, a tous fameuse, car il s’ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joÿe de l’univers. Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n’allume la lampe pour la couvrir sous un muy (Mat 5, 15), comm’eust il mis tant de lumieres en l’Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconneuz ? Il poursuit : " Voicy le mont qui remplit l’universelle face de la terre, voyci la cité delaquelle il est dict : La cité ne se peut cacher qui est situëe sur le mont (mat 5, 14). Les Donatistes (les Calvinistes)rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n’est pas une montaigne, ce disent ilz, et plus tost y donnent et l’heurtent de front que d’y chercher une demeure. Esaïe, qu’on lisoit hier, cria : Il y aura es derniers jours un mont praeparé, mayson du Seigneur, sur le couppeau des montaignes, et toutes s’y couleront a la file (Chap 2, 2). Qu’ y a il de si apparent qu’une montaigne ? mays il se faict des montz inconneuz par ce quilz sont assis en un coin de la terre. Qui d’entre vous connoit l’Olimpe ? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d’iceluy ne sçavent que c’est de nostre mont Chidabbe ; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d’Isaïe n’est pas de mesme, car il a remply toute la face de la terre. La pierre taillëe du mont sans oeuvre manuelle (Dan 2, 34-35), n’est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des juifz sans oeuvre de mariage ? et ceste pierre ne la fracassa elle tous les royaumes de la terre, c’est a dire, toutes les dominations des idoles et daemons ? ne s’accreut elle pas jusqu’a remplir tout l’univers ? C’est donq de ce mont quil est dict, praeparé sur la cime des mons ; c’est un mont eslevé sur le sommet de tous les mons, et toutes gens se rendront vers en iceluy. Qui se perd et s’esgare de cest mont ? qui choque et se casse la teste en iceluy ? qui ignore la cité mise sur le mont ? mays non, ne vous esmerveilles pas quil soit inconneu a ceux cy qui haissent les freres, qui haissent l’Eglise, car, par ce, vont ilz en tenbres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l’univers, ilz sont aveugles de mal talent. Ce sont les paoles de saint Augustin contre les Donatistes, mays l’Eglise presente resemble si parfaittement a l’Eglise premiere, et les heretiques de nostr’aage aux anciens, que, san changer autre que les noms, les raysons anciennes combattent autant collet a collet les Calvinistes, comm’elles faysoient ces anciens Donatistes.

Saint Hierosme (Adver Lucifer §§ 14, 15) entre en cest’escarmouche d’un autre costé, qui vous est bien aussy dangereux que l’autre, car il faict voir clairement que ceste dissipation praetendue, ceste retraitte et cachette, abolist la gloire de la Croix de Nostre Seigneur ; car, parlant a un schismatique reuni a l’Eglise, il dict ainsy : " Je me rejouys avec toy, et rends grace a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t’es reduit de bon courage de l’ardeur de fauceté au goust et saveur de tout le monde ; et ne dis pas comme quelquesuns : O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué (Ps 11, 1 ), desquelz la voix impie evacue la Croix de Jesus Christ, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proferé des pecheurs (Ps 29, 10), il l’entend estre dict de tous les hommes. Mays ja n’advienne que Dieu soit mort pour neant ; le puysant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie : Demande moy, et je te donneray les gens pour haeritage, et pour ta possession les bornes de la terre (Ps 2, 8). Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plutost trop prophanes, qui font plus de sinagogues que d’eglises ? comme seront destruittes les cités du diable, et en fin, a sçavoir en la consommation des siecles, les idoles comme seront ilz abattus ? Si Nostre Seigneur n’a point eu de l’Eglise, ou s’il l’a eu en la seule Sardigne, certes il est trop appauvry. Hé, si Satan possede une fois l’Angleterre, la France, le Levant, les Indes, les nations barbares et tout le monde, comment auront esté ainsy accueilly et contraints les trophëes de la Croix en un coin de tout le monde ?

Et que diroit ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu’ell’aÿe esté generale et universelle, mays dient qu’elle n’estoit qu’en certaines personnes inconneües, sans vouloir determiner un seul petit vilage ou elle fut il y a quattre vingtz ans ? n’est ce pas bien avilir les glorieux trophëes de Nostre Seigneur ? Le Pere celeste, pour la grand’humiliation et aneantissement que Nostre Seigneur avoit subi en l’arbre de la Croix (Phil 2, 8-9), avoit rendu son nom si glorieux que tout genou se devoit plier en sa reverence, mays ceux cy ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ostant de ce conte toutes les generations de mill’ans. Le Pere luy avoit donné en heritage beaucoup de gens, par ce quil avoit livré sa vie a la mort, et avoyt esté mis au rang des meschans hommes (Is 53, 12) et voleurs, mays ceux cy luy amaigrissent bien son lot, et roignent si fort sa portion qu’a grand peyne durant mill’ans aura il eu certains serviteurs secretz, ains n’en aura du tout point eu ; car je m’addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestien, et qui aves estés en la vraÿe Eglise : ou vous avies la vraÿe foy, ou vous ne l’avies pas ; si vous ne l’avies pas, o miserables, vous estes damnés (Marc 16, 16), et si vous l’avies, pourquoy la celies vous aux autres ? qui n’en laissies vous des memoyres ? que ne vous opposies vous a l’impieté, a l’idolatrie ? ou si vous ne sçavies pas que Dieu a recommandé a un chacun son prochain (Ecclesiaste 17, 12) ? certes, On croit de coeur pour la justice, mays qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foy (Ro 10, 10 ; Luc 12, 8), et comme pouvies vous dire, J’ay creu, et par ce j’ai parlé (Ps 115, 1) ? O miserables encores, qui ayant un si beau talent l’aves caché en terre : si ainsy est, vous estes es tenbres exterieures (Mat 25, 25-30). Mays si au contrayre, o Luther, o Calvin, la vraÿe foy a tousjours esté publiëe et continuellement praechëe par tous nos devanciers, vous estes miserables vous mesmes, qui en aves une toute contraire, et qui pour trouver quelque excuse a vos volontés et fantasies, accuses tous les Peres ou d’impieté s’ilz ont mal creu, ou de lascheté s’ilz se sont teuz.

ARTICLE VI

L’EGLISE NE PEUT ERRER

Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon pere David, il s’assit pres de la porte au chemin, et disoit a tous ceux qui passoÿent : Il ni a personne constitué du Roy pour vous ouÿr, hé, qui ne constituera juge sur terre, affin que tous ceux qui auront quelque negotiation viennent a moy et que je juge justement (2 Rois 15, 2-6) ? ainsy solicitoit il les courages des Israelites. O combien d’Absalons se sont trouvés en nostr’aage, qui, pour seduyre et destruyre les peuples de l’obeissance de l’Eglise et des pasteurs, et solliciter les courages chrestiens a rebellion et revolte, ont crié par toutes les advenues d’Allemaigne et de Frnace : il n’y a personne constitué de Dieu pour ouyr les doutes sur la foy et les resouvre ; l’Eglise mesme, les magistratz ecclesiastiques, n’ont point de pouvoir de determiner ce quil faut tenir en la foy et ce que non ; il faut chercher autres juges que les praelatz, l’Eglise peut errer en ses decrets et regles.

Mays quelle plus dommageable et temrayre persuasion pouvoyent ilz faire au Christianisme que cellela ? Si donques l’Eglise peut errer, o Calvin, o Luther, a qui auray je recours en mes difficultés ? a l’Escriture, disent ilz : mays que feray je, pauvr’homme ? car c’est sur l’Escriture mesme ou j’ay difficulté ; je ne suys pas en doute s’il faut adjouster foy a l’Escriture ou non, car qui ne sçait que c’est la parole de verité ? ce qui me tient en peyne c’est l’intelligence de cest’Escriture, ce sont les consequences d’icelle, lesquelles estans sans nombre, diverses et contraires sur un mesme sujet, ou qu’un chacun prend parti qui en l’une qui en l’autre, et que de toutes il n’y en a qu’une salutaire, ah, qui me fera connoistre la bonne d’entre tant de mauvaises ? qui me fera voir la vraye verité au travers de tant d’apparentes et masquëes vanités ? Chacun se voudroit embarquer sur le navire du Saint Esprit, il ny en a qu’un, et celuy la seul prendra port, tout le reste court au naufrage ; ah, quel danger de mesprendre : l’egale ventance et asseurance des patrons en deçoit la plus part, car tous se ventent d’en estre les maistres. Quicomque dict que nostre Maistre ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaysé chemin, il dict quil veut nous perdre ; quicomque dict quil nous a embarqués a la mercy des vents et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la bussole et la charte marine, il dict que ce Seigneur a faute de provoyance ; quicomque dict que ce bon Pere nous a envoyés en cest’ecole Ecclesiastique, sachant que l’erreur y estoit enseignëe, il dict quil a voulu nourrir nostre vice et nostre ignorance. Qui ouyt jamais deviser d’une academie ou chacun enseignat, personne ne fut auditeur ? Telle seroit la republique chrestienne si les particuliers... Car si l’Eglise mesme erre, qui n’errera ? et si chacun y erre, ou peut errer, a qui m’adresseray je pour estre instruit ? A Calvin ? mays pourquoy plus tost qu’a Luther, ou a Brence, ou au Pacimontain ? Nous ne sçaurions donques ou recourir en nos difficultés si l’Eglis’erroit.

Mays qui considerera le tesmoignage que Dieu a donné pour l’Eglise, si authentique, il verra que dire, l’Eglise erre, n’est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaict et veut qu’on erre, qui seroit un grand blaspheme : car, n’est ce pas Nostre Seigneur qui dict : Si ton frere a peché contre toy, dis le a l’Eglise ; que si quelqu’un n’entend l’Eglise, quil te soit comme ethnique et peager(Mat 18, 17) ? Voyes vous comme Nostre Seigneur nous renvoÿe a l’Eglise en nos differens, et quelz qu’ilz soyent ? mays combien plus es injures et differens plus importans ? certes, si je suys obligé, apres l’ordre de la correction fraternelle, d’aller a l’Eglise pour fayre amander un vicieux qui m’aura offencé, combien plus seray je obligé d’y deferer celuy qui apelle toute l’Eglise Babilone, adultere, idolatre, mensongere, parjure ? d’autant plus principalement qu’avec ceste sienne malveillance il pourra desbaucher et infecter tout’une province, le vice d’heresie estant si contagieux que comme chancre il se va tousjours traynant plus avant (2 Tim 2, 17) pour un tems. Quand donques j’en verray quelqu’un qui dira que tous nos peres, ayeulz et bisayeulz ont idolatré, corrompu l’Evangile et prattiqué toutes les meschancetés qui s’ensuyvent de la cheute de Religion, je m’adresseray a l’Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir. Que si elle peut errer, ce ne sera plus moy, ou l’homme, qui nourrira cest erreur au monde, ce sera nostre Dieu mesme qui l’authorisera et mettra en credit, puysqu’il nous commande d’aller a ce tribunal pour y ouyr et recevoir justice : ou il ne sçait pas ce que s’y faict, ou il veut nous decevoir, ou c’est a bon escient que la vraÿe justice s’y administre, et les sentences sont irrevocables. L’Eglise a condamné Berengaire ; quicomque veut en debattre plus avant je le tiens comm’un payen et peager, affin d’obeir a mon Seigneur, qui ne me laysse pas en liberté en cest endroit, mays me commande : Tiens le comm’un payen et peager.

C’est le mesme que saint Pol enseigne, quand il appelle l’Eglise colomne et fermeté de verité (1 Tim 3, 15). N’est ce pas a dire que la verité est soustenue fermement en l’Eglise ? ailleurs la verité n’est soustenue que par inervalles, ell’en tumbe souvent, mays en l’Eglise ell’y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler ; bref, stable et perpetuelle. Respondre que saint Pol veut dire que l’Escriture a esté remise en garde a l’Eglise, et rien plus, c’est trop ravaler la similitude quil propose, car c’est bien autre chose, soustenir la verité, que, garder l’Escriture. Les Juifz gardent une partie des Escritures, et beaucoup d’heretiques encores, mays pour cela ilz ne sont pas colomnes et fermetés de la verité. L’escorce de la lettre n’est ni verité ni faulseté, mays selon le sens qu’on luy baille ell’est veritable ou faulse. La verité donques consiste au sens, qui est comme la mouelle, et partant, si l’Eglis’estoit gardienne de la verité, le sens de l’Escriture luy auroit esté remis en garde, il le faudroit chercher chez elle, et non en la cervelle de Luther, ou Calvin, ou de quelque particulier ; dont elle ne pourroit errer, ayant tousjours le sens des Escritures. Et de faict, mettr’en ce sacré depositoire la lettre sans le sens, ce seroit y mettre la bourse sans l’argent, la coquille sans le noyau, la gayne sans l’espëe, la boete sans l’unguent, les feuiles sans le fruict, l’ombre sans le cors. Mays dites moy, si l’Eglise a en garde les Escritures, pourquoy est ce que Luther les prit et les porta hors d’icelle ? et pourquoy est ce que vous ne prenes de ses mains aussy bien les Maccabëes, l’Ecclesiastique et tout le reste comme l’Epistr’aux Hebrieux ? car elle proteste d’avoir aussy cherement en garde les uns que les autres. Bref, les paroles de saint Pol ne peuvent souffrir ce sens qu’on veut leur bailler. Il parle de l’Eglise visible, car ou adresseroit il son Timothëe pour converser ? il l’apelle mayson de Dieu ; ell’est donq bien fondëe, bien ordonnee, bien couverte contre tous orages et tempestes d’erreur ; elle est colomne et fermeté de la verité ; la verité donques est en icelle, ell’y loge, ell’y demeure, qui la chech’ailleurs la pert. Ell’est bien tellement asseurëe et ferme que toutes les portes d’enfer, c’est a dire toutes les forces ennemies, ne sçauroient s’en rendre maistresses (Mat 16, 18) ; et ne seroit ce pas place gaignëe pour l’ennemy si l’erreur y entroit, es choses qui sont pour l’honneur et le service du Maistre ? Notre Seigneur est le chef de l’Eglise (Ephes 1, 22) ; a on point d’honte d’oser dire que le cors d’un chef si saint soit adultere, prophane, corrompu ? et qu’on ne die pas que ce soit l’Eglise invisible,car s’il y a point : d’Eglise visible (comme je l’ay montré cy dessus) Nostre Seigneur en est le chef ; oyes saint Pol (Eph 1, 22) : Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur un’eglise de deux que vous imagines, mais sur tout’Eglise. La ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Nostre Seigneur, il se trouve au milieu d’eux (Mat 18, 20) : ah, qui dira que l’assemblëe de l’universelle Eglise de tous tems ayt esté abandonnee a la merci de l’erreur et de l’impieté ?

Je conclus, donques, que quand nous voyons que l’Eglise universelle a esté et est en creance de quelqu’article, soyt que nous le voyons expres en l’Escriture, soyt quil en soit tiré par quelque deduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement conteroller ni disputer ou douter sur iceluy, ains prester l’obeissance et l’hommage a ceste celeste Reyne que Nostre Seigneur commande, et regler nostre foy a ce niveau. Que si c’eust esté impieté aux Apostres de contester avec leur Maystre, aussy le sera ce a qui contestera contre l’Eglise ; car si le Pere a dict du Filz, Ipsum audite (Mat 17, 5), le filz a dict de l’Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus (Mat 18, 17).

ARTICLE VII

LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE DE L’EGLISE

Je ne suys pas maintenant en grand peyne de monstrer combien vos ministres ont avily la sainteté et majesté de l’Eglise. Ilz crient haut et clair qu’ell’a demeuré 800 ans en adultere et antichrestienne, des saint gregoire jusqu’a Wiclef que Beze tient pour le premier restaurateur du Christianisme. Calvin se voudroit bien couvrir par une distinction, disant que l’Eglise peut errer en choses non necessaires au salut, non es autres, mays Beze confesse librement qu’ell’a tant erré qu’elle n’est plus Eglise ; et cela n’est ce pas errer en choses necessaires au salut ? mesme quil avoüe qu’hors l’Eglise il ni a point de salvation. Il s’ensuit donques de son dire, quoy quil se tourne et contourne de tous costés, que l’Eglis’a erré es choses necessaires au salut : car, si hors l’Eglise on ne trouve point de salut, et l’Eglise a tant erré qu’elle n’est plus Eglise, certes en elle ni a point de salut ; or est il qu’elle ne peut perdre le salut que se destournant des choses necessaires a salut, ell’a donq failly en choses necessaires a salut : autrement, ayant ce qui est necessaire a salut elle seroit la vraÿe Eglise, qui ne se peut. Et dict de Beze quil a apris ceste façon de parler de ceux qui l’ont instruit en sa religion praetendue, c’est a dire, de Calvin ; et de vray, si Calvin pensoit que l’Eglise Romayne n’eust pas erré es choses necessaires a salut il eust eu tort de s’en separer, car y pouvant faire son salut, et y estant le vray Christianisme, il eust esté obligé d’y demeurer pour son salut, lequel ne pouvoit estr’en deux lieux differentz.

On me dira peut estre que de Beze dict bien que l’Eglise Romayne qui est aujourd’huy erre en choses necessaires, et que partant il s’en est separé, mays quil ne dict pas que la vraÿe Eglise ait jamais erré. Mays on ne se peut eschapper de ce costé la : car, quell’Eglise i avoit il au monde il y a deux cens, trois cens, quatre cens et cinq cens ans, sinon l’Eglise Catholique Romayne, toute qu’ell’est a praesent ? il ni avoit point d’autre sans doute ; donques, c’estoit la vraÿe eglise et neantmoins erroit, ou il ni avoit point de vraye Eglise au monde : et en ce cas la encores est il contraint d’avoüer que cest aneantissement estoit venu par erreur intolerable et en choses necessaires a salut, car, quand a ceste dissipation de fideles et secrett’Eglise qui cuyde produire, j’en ay desja asses faict voir la vanité cy devant ; outrece que quand ilz confessent que l’Eglise visible peut errer, ilz violent l’Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous adresse en nos difficultés, et que saint Pol apelle colomne et pilier de verité (1 tim 3, 15), car ce n’est que de la visible delaquelle s’entendent ces tesmoignages, sinon qu’on voulut dire que Nostre Seigneur nous eust renvoyé a parler a une chose invisible, imperceptible et du tout inconneüe, ou que saint Pol enseignat son Timothëe a converser en un ‘assemblëe delaquelle il n’eut aucune connoissance.

Mays ce n’est pas violer tout le respect et la reverance deüe a ceste Reyne espouse du Roy celeste, d’avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cy devant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, ell’avoyt par solemnelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemyes de sa coronne, j’entens, d’avoir remis sur pied tant d’heresies et fauses opinions que l’Eglise avoit condamnees comme entreprenans la sauverrayneté sur l’Eglise, absoulvans ceux qu’ell’a condamnés, condamnés ceux qu’ell’avoit absoutz ? Voyci des exemples.

Simon Magus disoit que Dieu estoit cause de peché, dict Lyrinensis ; mays Calvin et Beze n’en disent rien moins, le premier au traitté De l’eternelle praedestination, le second en la Responce a Sebastien Castalio. Quoy quilz nient le mot ilz suyvent la chose et le cors de cest’haeresie, si haeresie se doit appeler, non atheisme ; de quoy tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m’y amuseray pas.

Judas, dict saint hierosme, pensoit que les miracles quil voyoit partir de la main de nostre Seigneur fussent operations et illusions diaboliques ; je ne sçay si vos ministres pensent ce quilz dient, mays que disent quand on produict les miracles sinon que ce sont sorceleries ? les glorieux miracles que Nostre Seigneur faict au Mondevis, au lieu de vous ouvrir les yeux, qu’en dites vous ?

Les Pepuziens, dict saint Augustin, ou Montanistes et Phriges comme les apelle le Code (De Haeret l I Tit V, § 5) admettoyent a la dignité de prestrise les femmes ; qui ne sçait que les freres Anglois tiennent Elisabeth leur Reyne pour chef de leur eglise ?

Les Manicheens, dict saint hierosme, nioient le liberal arbitre : luther a faict un livre contre le liberal arbitre, quil apelle De servo arbitrio ; de Calvin je m’en rapporte a vous. Amb., Ep 83 , Manichaeos ob Dominicae diei jejunia jure damnamus.

Les Donatistes croyoient que l’Eglise s’estoit perdue en tout le monde, et qu’elle leur estoit demeurëe seulement a eux ; vos ministres parlent ainsy. Encores croyoyent ilz qu’un mauvais homme ne peut baptiser ; Wiclef en disoit tout autant, que j’apport’en jeu par ce que de Beze le tient pour un glorieux reformateur. Quand a leurs vies, voicy leurs vertus : ilz donnoient le trespraetieux Sacrement aux chiens, ils jettoyent le saint Chresme a terre, ilz renversoyent les autelz, rompyent les calices et les vendoyent, ilz rasoyent la teste aux prestres pour lever la sacrëe onction, ilz levoyent et arrachoyent le voyle aux nonains pour les prophaner.

Jovinien, au tesmoignage de saint Augustin (I De haerisibus, ad quodvult Deus, c 82), vouloit qu’on mangeast en tout tems et contre toute prohibition toutes sortes de viandes, disoit que les jeusnes n’estoyent pas meritoires devant Dieu, que les sauvés estoyent esgaux en gloire, que la virginité n’estoit rien plus que le mariage, et que tous les pechés estoyent esgaux : chez vos maistres on enseigne le mesme.

Vigilance (comm’escrit saint Hierosme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eunem) nia qu’on deut avoir en honneur les reliques des Saints, que les prieres des Saints fussent profitables, que les prestres deussent vivr’en caelibat, la pauvreté volontaire : que ne nies vous pas de tout cecy ?

Eustathius mesprisa les jeusnes ordinaires de l’Eglise, les Traditions ecclesiastiques, les lieux des saints Martirs et les basiliques de devotion. Le recit en est faict par le Concile Gangrense, in praefatione, ou pour ces raysons il fut anathemisé et condamné. Voyes vous combien il y a qu’on a condamné vos reformateurs ?

Eunomius ne vouloit point ceder a la pluralité, dignité, antiquité, comme tesmoigne saint basile contre Eunomius. Il disoit que la seule foy suffisoit a salut et justifioit, Aug, haer 54. Quand au premier trait, voyes de Beze en son traitté Des marques de l’Eglise ; quand au second, n’est il pas d’accord avec ceste tant celebre sentence de Luther, que de Beze tient pour tresglorieux reformateur : Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere ?

Aerius, au recit de saint Augustin, nioit la priere pour les mors, les jeunes ordinaires, et la superiorité de l’Evesque par dessus le simple prestre ; vos ministres nient tout cela.

Lucifer apelloit son eglise seulement la vraÿe eglise, et disoit que l’Eglise ancienne, d’Eglise estoit devenue un bordeau, Hier., Contra Lucif ; et que crient vos ministres tout le jour ?

Les Pelagiens se tenoyent asseurés et certains de leur justice (Hieron., adver Pel 1 III § 17-18)), promettoyent le salut aux enfans des fideles qui mouroyent sans Baptesme (Aug 1. VI contra Julianum, c II et III), ilz tenoyent tous pechés pour mortelz (Hier 1. II). Quand au premier, c’est vostr’ordinaire langage, et celuy de Calvin in Antidoto, sess 6 ; le second et troysiesme est trop trivial parmi vous pour en dir’autre chose.

Les Manicheens rejettoyent les sacrifices de l’Eglise et les images ; et qu’ont faict vos gens ?

Les Messaliens mesprisoyent les ordres sacrés, les eglises et les autelz, comme dict saint Damascene, Haer 80 ; Ignatius (apud Theodoretum, Dialogo 3 qui dicitur Impatibilis) : Eucharistias et oblationes non admittunt, quod non confiteantur Eucharistiam esse carnem Servatoris nostri Jesu Christi, quae pro peccatis nostris passa est, quam Pater benignitate suscitavit ; contre lesquelz a escrit saint Martial, Epistola ad Burdegalenses. Berengaire volut dire le mesme long tems apres, et fut condemné par trois Conciles, aux deux derniers desquelz il abjura son haeresie.

Julien l’Apostat mesprisoit le signe de la Croix, Soc. 1. 3 c. 2 ; aussi faysoit Xenaïas, l. 16 c 27 ; les Mahumetains n’en font rien moins, Damascene, Haeresi centesima. Mays qui voudra voir cecy bien au long, quil voye Sander, l 8 c 57, De visib Monarch Eccl et Belarmin, in notis Ecclesiae. Voyes vous les moules sur lesquelz vos ministres ont jetté et formé leur reformation ?

Or sus, ceste seul’alliance d’opinions, ou pour mieux dire, cest estroit parantage et consanguinité, que vos premiers maistres avoyent avec les plus cruelz, enviellis et conjurés ennemis de l’Eglise, vous devoyt elle pas destourner de les suyvre et vous renger sous leurs enseignes ? Je n’ay cotté pas un’haeresie qui n’ait esté tenue pour telle en l’Eglise que Calvin et Beze confessent avoir esté vraÿe Eglise, a sçavoir, es premiers cinq cens du Christianisme. Ah, je vous prie, n’est ce pas fouler aux pieds la majesté de l’Eglise, que de produyre comme reformations et reparations necessaires et saintes, ce qu’ell’a tant abominé lhors qu’elle estoit en ses plus pures annëes, et qu’ell’avoyt terrassé comm’impieté, ruyne et degast de la vraÿe doctrine ? L’estomac delicat de ceste celeste Espouse n’avoit pieça peu soustenir la violence de ces venins, et l’avoit rejetté avec tel effort que plusieurs veynes de ses Martirs en estoyent esclattëes, et maintenant vous le luy repraesentes comm’une praecieusemedecine. Les Peres que j’ay cité ne les eussent jamais mis au roole des haeretiques q’ilz n’eussent veu le cors de l’Elise les tenir pour telz ; c’estoyent des plus orthodoxes, et qui estoyent confederés a tous les autres Evesques et Docteurs catholiques de leur tems, qui monstre que ce quilz tenoyent pour haeretique l’estoyt a bon escient. Imagines vous donques ceste venrabl’antiquité, au ciel au tour du maistre, qui regardebt vos reformatoyres ; iz y sont allés combattans les opinions que les ministres adorent, ilz ont tenuz pour haeretiques ceux dont vous suyves les pas ; penses vous que ce quilz ont jugé erreur, haeresie, blaspheme es Arriens, manicheens, en Judas, ilz le trouvent maintenat sainteté, reformation, restauration ? Qui ne voit que c’est icy le plus grand mespris qu’on peut fair’a la majesté de l’Eglise ? Si vous voules venir a la succession de la vraÿe et sainte Eglise de ces premiers siecles, ne contrevenes donq pas a ce qu’ell’a si sollemnellement establi et constitué . Personne ne peut estre heritier en partie, et en partie non ; acceptes l’heritage resolument : les charges ne sont pas si grandes qu’un peu d’humilité n’en face la rayson, dir’adieu a ses passions et opinions, et passer conte du different que vous aves avec l’Eglise ; les honneurs sont infinis, d’estr’heritiers de Dieu, cohaeritiers de Jesuchrist (Rom 8, 17),en l’heureuse compaignie de tous les Bienheureux.
 
 

CHAPITRE III

Les Marques de l’Eglise

ARTICLE PREMIER

1.

Combien de fois et en combien de lieux, l’Eglise, tant militante que triomphante, et au Viel et au Nouveau Testament, soit appelëe mayson et famille, il me sembleroit tems perdu d’en vouloir faire recherche, puisque cela est tant commun es Escritures que ceux qui les ont leües n’en douteront jamais, et qui ne les a leües, incontinent quil les lira, il trouvera quasi par tout ceste façon de parler. C’est de l’Eglise que saint Pol dict a son cher Thimotee (1 Tim 3, 15) : Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quae est Ecclesia, columna et firmamentum veritatis ; c’est d’icelle que David dict : (Ps 88, 5) Beati qui habitant in domo tua Domine ; c’est d’elle que l’Ange dict : Reganbit in domo jacob in aeternum ; c’est d’elle que Nostre Seigneur : In domo patris mei mansiones multae sunt (Jean 14, 2), Simile est regnum caelorum homini patrifamilias, Mat 20 ; et en cent mill’autres lieux.

Ores, l’Eglise estant une mayson et une famille, le maistre d’icelle il ne faut pas douter quil ni en a qu’un seul, Jesu christ, ainsy est elle appellëe mayson de Dieu. Mays ce Maistre et Pere de famille, s’en allant a la dextre de Dieu son Pere, ayant laissé plusieurs serviteurs en sa mayson, il voulut en laisser un qui fust serviteur en chef, et auquel les autres se raportassent ; ainsy dict Nostre Seigneur : Quis putas est servus fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ? Et de vray, sil ni avoit un maistre valet en une boutique, penses comme le trafiq iroit, sil ni avoit un roy en un roiaume, un paron en un navire, et un pere de famille en une famille, et de vray ce ne seroit plus une famille ; mays escoutes Nostre Seigneur : Omnis civitas vel domus divisa contra se non stabit (Mat 12, 25). Jamais une provinve ne peut estre bien gouvernëe d’elle mesme, principalement si ell’est grande. Je vous demande, Messieurs les clair voians, qui ne voules pas qu’en l’Eglise il y ait un chef, me sçauries vous donner exemple de quelque gouvernement d’apparence auquel tous les gouvernemens particuliers ne se soyent rapportés a un ? Il faut laisser a part les Macedoniens, Babiloniens, Juifz, Medes, Perses, Arabes, Siriens, François, Espagnols, Anglois, et un’infinité des plus remarquables, esquelles la chose est claire. Mays venons aux republiques : dites moy, ou aves vous veu quelque grande province qui se soit gouvernëe d’elle mesme ? jamais. La plus belle partie du monde fut une fois de la republique des Romains, mais une seule Romme gouvernoit, une seule Athenes, Cartage, et aisny des autres anciennes, une seule Venise, une seule Gennes, une seule Lucerne, Fribourg et autres. Jamais vous ne trouveres que toutes les parties de quelque notable et grande province se soient employëes a se gouverner soy mesme, mays falloit, faut et faudra que ou un homme seul, ou un seul cors d’hommes residens en quelque lieu, ou une seule ville, ou quelque petite portion d’une province, aye gouverné le reste de la province, si la province estoit grande. Messieurs qui vous playses es histoires, je suys asseuré de vostre voix, vous ne permettres pas qu’on m’en demente. Mays supposé, ce qui est tres faux, que quelque province particuliere se fust gouvernee d’elle mesme, comment est ce qu’on le pourroit dire de l’Eglise Chrestienne, laquelle est si universelle qu’elle comprend tout le monde ? autrement, il faudroit tousjours avoir un concile debout de toutes les eveschés, et qui l’advoera ? il faudroit que tous les Evesques fussent tousjours absens, et comme se pourroit faire cela ? Et si tous les Evesques estoient pareilz, qui les assembleroit ? Mays quelle peyne seroit ce, quand on auroit quelque doute en la foy, de fayre assembler un concile ? Il ne se peut nullement donques fayre, que toute l’Eglise, et chasque partie d’icelle, se gouverne elle mesme sans se rapporter l’une a l’autre.

Or, puysque j’ay suffisamment prouvé quil faut qu’une partie se rapporte a l’autre, je vous demande la partie a laquelle on se doit rapporter. Ou c’est une province : si c’est une province, ou est elle ? ce n’est pas l’Angleterre, car quand ell’estoit catholique, ou lui trouvez-vous ce droit ? si vous proposez une autre province, ou sera elle ? et pourquoy plustost celle la qu’un’autre ? outre ce que pas une province n’a jamais demandé ce privilege. Si c’est une ville, il faut que ce soit l’une des patriarchales : ores, des patriarchales il ni en a que cinq, Rome, Antioche, Alexandrie, Costantinople et Hierusalem ; laquelle des cinq ? toutes sont payennes fors Romme. Si donques ce doit estre une ville, c’est Romme, si un’assemblëe, c’est celle de Romme. Mais non ; ce n’est ni une province, ni une ville, ni une simple et perpetuelle assemblee, c’est un seul homme chef, constitué sur toute l’Eglise : Fidelis servus et prudens, quem constituit Dominus.

Concluons donques que Nostre Seigneur, partant de ce monde, affin de laisser unie toute son Eglise, il laissa un seul gouverneur et lieutenant general, auquel on doit avoir recours en toutes necessités.

2.

Ce qu’estant ainsy, je vous dis que ce serviteur general, ce dispensateur et gouverneur, ce maistre valet de la maison de Nostre Seigneur, c’est saint Pierre, lequel a rayson de cela peut bien dire : O Domine, quia ego servus (Ps 115, 6) ; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene praesunt duplici honore digni sunt (1 Tim 5, 17) ; et non seulement servus tuus, mais encores filius ancillae tuae. Quand on a quelque serviteur de race, a celluyla on se fie davantage, et luy baille on volontier les clefz de la mayson ; donques non sans cause j’introduis saint Pierre, disant O domine, etc., car il est serviteur bon et fidelle (Mat 25, 21-23) auquel, comme a serviteur de race, le Maistre a baillé les clefz : Tibi dabo claves regni caelorum (Mat 16, 19). Saint luc nous monstre bien que saint pierre est ce serviteur, car, apres avoir raconté (ch 12, 37) que Nostre Seigneur avoit dict par advertissement a ses disciples : Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes ; amen, dico vobis, quod praecinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Nostre Seigneur (vers 41) : Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? Nostre Seigneur, respondant a saint Pierre, ne dict pas : Qui putas erunt fideles, comm’il avoit dit beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram ? Et de faict, Theophylacte dict que saint Pierre fit ceste demande comme ayant la supresme charge de l’Eglise, et saint Ambroise, l. 7 § 131 sur saint Luc, dict que les premieres paroles, beati, s’entendent de tous, mais les secondes, quis putas, s’entendent des Evesques, et beaucoup plus proprement du sauverain. Nostre Seigneur, donques, respond a saint Pierre comme voulant dire : ce que j’ay dict en general appartient a tous, mais a toi particulierement, car, qui penses tu estre le serviteur prudent et fidele ?

Et de vray, si nous voulons un peu espelucher ceste parabole, qui peut estre le serviteur qui doit donner le froment sinon saint Pierre, auquel la charge de nourrir les autres a estëe donnëe : Pasce oves meas (Jean 21, 17) ? Quand le maistre de la mayson va dehors, il donne les clefz au maistre valet et oeconome, et n’est ce pas a saint Pierre auquel Nostre Seigneur a dict : Tibi dabo claves regni caelorum ? (Mat 16, 19) Tout se rapporte au gouverneur, et le reste des officiers s’appuyent sur iceluy, quand a l’authorité, comme tout l’edifice sur le fondement. Ainsy saint Pierre est appelé pierre sur laquelle l’Eglise est fondëe : Tu es Cephas, et super hanc petram (vers 18) : or est il que Cephas veut dire en siriac une pierre, aussi bien que sela en hebreu, mais l’interprete latin a dict Petrus, pour ce qu’en grec il y a Petros, qui veut aussi bien dire pierre comme petra ; et Nostre Seigneur, en saint mathieu, 7, dict que l’homme sage faict sa mayson et la fonde sur le rocher, supra petram : en quoy le diable, pere de mensonge, singe de Nostre Seigneur, a voulu faire certaine imitation, fondant sa malheureuse heresie principalement en un diocese de saint pierre, et en une Rochelle. De plus, Nostre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidele, et saint Pierre a bien ces deux conditions : car, la prudence comme luy peut elle manquer, puysque ni la chair ni le sang ne le gouverne poinct, mais le Pere celeste (vers 17) ? et la fidelité comme luy pourroit elle fallir, puysque Nostre Seigneur dit : Rogavi pro te ut non deficeret fides tua (Luc 22, 33) ? lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia (Heb 5, 7), de quoy il donne bien bon tesmoignage quand il adjouste (Luc ubi supra), Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s’il vouloit dire : j’ay prié pour toy, et partant sois confirmateur des autres, car pour les autres je n’ay pas prié sinon quilz eussent un refuge asseuré en toy.

3.

Concluons quil falloit donques, que Nostre Seigneur abandonnant son Eglise quand a son estre corporel et visible, il laissast un lieutenat et vicaire general visible, et cestuy ci c’est saint Pierre, dont il pouvoit bien dire : O Domine, quia ego servus tuus. Vous me dires, ouy, mais Nostre Seigneur n’est pas mort, et d’abondant il est tousjours avec son Eglise, pourquoy donques luy bailles vous un vicaire ? Je vous respons que n’estant pas mort il n’a poinct de successeur, mais seulement un vicaire, et d’abondant, quil assite vrayement a son eglise en tout et par tout de sa faveur invisible, mais, affin de ne faire pas un cors visible sans un chef visible, il luy a encores voulu assister en la personne d’un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpetuellement son Eglise en maniere et forme convenable a la suavité de sa disposition.

Vous me dires encores, quil ni a poinct d’autre fondement que Nostre Seigneur en l’Eglise : Fundamentum aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1 Cor 3, 11). Je vous accorde que tant la militante que la triomphante Eglise sont fondëes sur nostre Seigneur comme sur le fondement principal, mays Isaïe nous praedict qu’en l’Eglise on devoit avoir deux fondements, au chap 28, 16 : Ecce ego ponam in fundamentis Sion lapidem, lapidem probatum, angularem, praetiosum, in fundamento fundatum. Je sçay bien comm’un grand personnage l’explique, mays il me semble que ce passage la d’Isaïe se doit du tout interpreter sans sortir du chap 16 de saint Mathieu, Evangile du jourdhuy (28, 13). La donques Isaïe, se plaignant des Juifz et de leurs prestres en la personne de Nostre Seigneur, de ce que ils ne voudroyent pas croyre, Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s’ensuit, il adjouste : Idcirco haec dict Dominus, et partant le Seigneur a dict, Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem.

Il dict in fund amentis, a cause qu’encores les autres Apostres estoyent fondements de l’Eglise : Et murus civitatis, dict l’Apocalipse (21, 14), habens fundamenta duodecim, et in ipsis duodecim, nomina duodecim Apostolorum Agni, et ailleurs (Ephes 2, 30), Fundati super fundamenta Prophetarum et Apostolorum, ipso summo lapide angulari Christo Jesu, et le Psalmiste (ps 86, 1)Fundamenta ejus in montibus sanctis ; mais entre tous il y en a un lequel par excellence et superiorité est apellé pierre et fondement, et c’est celuy auquel Nostre Seigneur a dict : Tu es Cephas, id est, Lapis.

Lapidem probatum. Escoutes saint mathieu (16, 13 seq) ; il dict que Nostre Seigneur y jettera une pierre esprouvëe : quelle preuve voules vous autre que cellela, Quem dicunt homines esse Filium hominis ? question difficile, a laquelle saint Pierre, expliquant le secret et ardu mistere de la communication des idiomes, respond si pertinement que rien plus, et faict preuve quil est vrayement pierre, disant, Tu es Christus, Filius Dei vivi.

Isaïe poursuit et dict : lapidem praetiosum. Escoutes l’estime que Nostre Seigneur faict de saint Pierre : Beatus es, Simon Bar Jona.

Angularem. Nostre Seigneur ne dict pas quil fondera une seule muraille de l’Eglise, mais toute, Ecclesiam meam. Il est donq angulaire in fundamento fundatum, fondé sur le fondement ; il sera fondement mais non pas premier, car il i aura ja un autre fondement, Ipso summo lapide angulari Christo (Ephes supra). Voila comme Esaïe explique saint Mathieu, et saint Mathieu, Isaïe. Je n’auroys jamais faict si je voulois dire tout ce qui me vient au devant de ce sujet.
 
 

ARTICLE II

L'EGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN UN CHEF VISIBLE
CELLE DES PROTESTANTS NE L'EST POINT ET CE QUI S'ENSUIT

Je ne m'amuseray pas beaucoup en ce point. Vous saves que tous, tant que nous sommes catholiques, reconnoissons le Pape comme Vicaire de Notre Seigneur : l'Eglise universelle le reconneut dernierement a Trente, quand elle s'adressa a luy pour confirmation de ce qu'elle avoit resolu, et quand elle receut ses deputés comme presidens ordinaires et legitimes du Concile.

Je perdrois tems aussi de vous prouver que vous n'aves poinct de chef visible ; vous ne le nies pas. Vous aves un supresme Consistoire, comme ceux de Berne, Genève, Zurich et les autres, qui ne depend d’aucun autre. Vous estes si esloignés de vouloir reconnoistre un chef universel, que mesme vous n'aves poinct de chef provincial ; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prerogative au Consistoire, ains sont inferieurs, et en science et en voix, au président qui n'est pas ministre. Quant à vos evesques ou surveillans, vous ne vous estes pas contentés de les ravaler jusqu'aux rangs de ministres, mais les aves rendus inferieurs, afin de ne rien laisser en sa place. Les Anglois tiennent leur Reyne pour chef de leur Eglise, contre la pure parole de Dieu : si ne sont ilz pas desesperés, que je sçache, qu'ilz veuillent qu'elle soit chef de l'Eglise Catholique, mais seulement de ces miserables pays.
 

Bref, il n'y a aucun chef parmi vous autres es choses spirituelles, ni parmi tout le reste de ceux qui font profession de contredire au Pape.
Voicy maintenant la suite de tout cecy : la vraye Eglise doit avoir un chef visible en son gouvernement et son administration ; la vostre n'en a point, donques la vostre n'est pas la vraye Eglise. Au contraire, il y a une Eglise au monde, vraye et legitime, qui a un chef visible, il n’yen a point qui en aye un que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise. Passons outre

ARTICLE III

DE L'UNITE DE L'EGLISE EN LA FOI ET CREANCE

LA VRAIE EGLISE DOIT ETRE UNIE EN SA DOCTRINE

Jesus Christ est-il divisé ? (1 Cor 1, 13) Non, en vrai, car Il est Dieu de paix non de dissention , comme Saint Pol enseignoit par toutes les Eglises(1 Cor 14, 33). Il ne se peut donques faire que la vraye Eglise soit en dissention ou division de creance et de doctrine, car Dieu n'en seroit plus autheur ni espoux, et , comme royaume divisé en soy mesme (Mat 12, 25), elle periroit. Tout aussi tost que Dieu prend un peuple a soy, comme il a faict l'Eglise, il luy donne l'unité de cœur et de chemin. L'Eglise n'est qu'un cors, duquel tous les fidelles sont membres, jointz et liés ensemble par toutes les jointures (Ep 4, 16) ; il n'y a qu'une foy et un esprit qui anime ce cors . Dieu est en son saint lieu, il rend sa maison peuplée de personnes de même sorte et intelligence (Ps 67, 6,7) ; donc la vraie Eglise de Dieu doit estre unie, liee, jointe et serree ensemble dans une mesme doctrine et creance.

ARTICLE IV

L'EGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN CREANCE

LA PRETENDUE REFORMEE NE L'EST POINT

" Il faut " , ce dict Saint Irenee (Contra Haeresiae, 1. III, c.iii), " que tous les fidelles s'assemblent et viennent se joindre a l'Eglise Romaine, pour sa plus puissante principauté ". " C'est la mere de la dignité sacerdotale " ce disoit Jules 1er. C'est " le commencement de l'unité de prestrise " (Epistolae I ad Orient., Vide Concil, an. 336), " c'est le lien d'unité ", se dit Saint Cyprien ; " Nous n'ignorons pas qu'il y a un Dieu, qu’un Christ et Seigneur, lequel nous avons confessé, un Saint-Esprit, un Evesque dans l'Eglise catholique ". Le bon Optatus disoit ainsy aux Donatistes : " Tu ne peux nier que tu ne sçaches qu'en la ville de Rome la principale chaire a esté premièrement conferee a saint Pierre, en laquelle a esté assis le chef de tous les Apostres, saint Pierre, dont il fut appellé Céphas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardee, affin que les autres Apostres ne voulussent pas se pretendre et defendre chacun la sienne, et que des ores celuy la fut schismatique et pecheur, qui voudroit se bastir une autre chaire contre ceste unique chaire. Donques en ceste unique chaire, qui est la premiere des prerogatives, fut assis premierement saint Pierre " (De Scism Donat , 1. II). Ce sont presque les paroles de cet ancien et saint Docteur.
Tous tant qu’il y a de Catholiques en cest aage sont en mesme resolution ; nous tenons l'Eglise Romaine pour nostre rendes vous en toutes nos difficultés, nous sommes tous ses humbles enfants et prenons nourriture du lait de ses mammelles, nous sommes branches de ceste tige si féconde et ne tirons aucun suc de doctrine que de ceste racine. C'est ce qui nous tient tous parés d'une mesme livrée de creance, car, sçachant qu'il y a un chef et lieutenant general en l'Eglise, ce qu'i l resoult et determine avec l'advis des autres Prelatz, lhors qu'il est assis sur la chaire de saint Pierre pour enseigner le christianisme, sert de loy et de niveau a nostre creance. Qu'on coure tout le monde et par tout on verra la mesme foy es Catholiques ; que s'il y a quelque diversité d'opinion, ou ce ne seroit pas en chose appartenant a la foy, ou ou tout incontinent que le Concile general ou le Siege Romain en aura determiné, vous verres chacun se ranger a leur definition. Nos entendemens ne s'esgarent point les uns des autres en leurs creances, ains se maintiennent tres estroittement unis et serrés ensemble par le lien de l'authorité superieure de l'Eglise, a laquelle chacun se rapporte en toute humilité, et y appuie sa foy comme sur la colomne et fermeté de la vérité (1 Timothée 3, 15) ; notre Eglise Catholique n'a qu'un langage et un mesme parler sur toute la terre.
 

Au contraire, Messieurs, vos premiers maistres n'eurent pas plus tost esté sur pied, ils n'eurent pas plus tost pensé de se bastir une tour de doctrine et de science qui allast toucher a descouvert dans le ciel, et leur acquist la grande et magnifique reputation de reformateurs, que Dieu, voulant empescher cest ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de créance, qu'ilz commencerent a se cantonner qui ça qui là, que toute leur besoigne ne fut qu'une miserable Babel et confusion. Quelles contrarietés a produit la reformation de Luther : je n’aurois jamais faict si je les voulois tous mettre sur ce papier ; qui les voudra voir lira le petit livre de Frederic Staphyl, De Concordia Discordi, Sander, livre 7, de sa Visible monarchie, et Gabriel de Préau, en la Vie des hérétiques.Je diray seulement ce que vous ne pouves pas ignorer et que je vois maintenant de mes yeux.
 

Vous n'avez pas un mesme canon des Ecritures ; Luther n'y veut pas l'épître de Saint Jacques, que vous receves. Calvin tient estre contraire a l'Escriture qu'il y aye un chef en l'Eglise ; les Anglois tiennent le contraire. Les huguenotz françois tiennent que selon la Parole de Dieu les prestres ne sont pas moindres que les Esvesques ; les Anglois ont des Esvesques qui commandent aux prestres , et entre eux, deux Archevesques, dont l'un est appellé Primat , nom auquel Calvin veut si grand mal. Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foy qu'il n'est pas loysible de precher, baptizer, prier es eglises qui ont esté autrefois aux Catholiques, mais on n’est pas si despiteux de deça : mais notes que j'ay dict qu'ilz le tiennent pour article de foy, car ilz souffrent et les bannissements et les prisons plustost que de s’en desdire. Ne sçaves pas qu'a Geneve l’on tient pour superstition de celebrer aucune feste des Saintz ? et en Suisse on les fait, et vous en faistes une de Nostre Dame. Il ne s'agit pas icy que les uns le fassent , les autres non, car ce ne seroit pas contrarieté de religion, mays ce que vous et quelques Suisses observes, les autres le condamnent comme contraire a la pureté de la religion. Ne sçaves pas que l'un de vos plus grans ministres dict a Poissy que le " Cors de Nostre Seigneur estoit aussi loin de la cene que la terre du ciel " (Théodore de Bèze) ? et ne sçaves pas encores que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres ? L'un de vos maistres n'a il pas confessé dernierement la realité du Cors de Notre Seigneur en la cene, et les autres la nient ilz pas ? Me pourres vous nier, qu’au fait de la justification vous soyes autant divisés entre vous que vous l'estes d'avec nous ? tesmoin l'Anonyme disputateur. Bref, chacun parle son langage a part , et de tant d’huguenotz auxquelz j'ay parlé, je n'en ay jamais trouvé deux de la mesme creance.
 

Mais le pire est que vous ne vous sçauries accorder ; car ou prendres vous un arbitre asseuré? Vous n'aves point de chef en terre pour vous addresser a luy en vos difficultés ; vous croyes que l'Eglise mesme peut s'abuser et abuser les autres ; vous ne voudries mettre votre ame en main si peu asseurée, ou vous n'en tenes pas grand conte.
 

L'Escriture ne peust estre vostre arbitre, car c'est de l'Escriture mesme dequoy vous estes en proces, voulans les uns l'entendre d'une façon, les autres de l'autre. Vos discordes et disputes sont immortelles si vous ne vous ranges a l'authorité de l’Eglise: tesmoin les colloques de Lunebourg, de Mulbrun, de Montbeliard et celui de Berne recemment, tesmoin aussi Tilmann Heshusius et Eraste, tesmoin Brence et Bulinger. Certes, la division qui est entre vous au nombre des Sacremens est ramarquable: maintenant, communement, parmi vous on ne met que deux sacremens ; Calvin en a mis trois, adjoustant au baptesme et cene, l'ordre ; Luther y met la penitence pour troisiesme puys dit qu 'il n'y en a qu'un. ; en fin les protestans au colloque de Ratisbonne, auquel se trouva Calvin, tesmoin Beze en sa Vie, confesserent qu'il y avoyt sept sacrements. En l'article de la toute puissance de Dieu, comment est ce que vous y estes divisé ? pendant que les uns nient qu'un cors puisse estre, voire par la vertu divine, en deux lieux, les autres nient toute puissance absolue, les autres ne nient rien de tout cela. Que si je voulois vous monstrer les grandes contrarietés qui sont en la doctrine de ceux que de Beze reconnoit tous pour glorieux reformateurs de l'Eglise, a savoir Hierosme de Prague, Jean Hus, Wiclef, Luther, Bucer,Oecolampade, Zuingle, Pomeran et les autres, je n'aurois jamais faict : Luther seul vous instruira asses de la bonne concorde qui est entre eux, en la lamentation qu'il faict contre les Zuingliens et Sacramentaires, qu'il appelle Absalons, Judas et espritz svermeriques (fanatiques), l'an 1527. Feu son Altesse de tres heureuse memoire, Emmanuel Philibert, raconta au docte Anthoyne Possevin qu'au colloque de Wormace, quand on demanda aux protestans leur confession de foy, tous, les uns apres les autres, sortirent hors de l'assemblee, poue ne se pouvoir accorder ensemble. Ce grand prince est digne de foy et il raconte cecy pour y avoir esté present. Toute ceste division a son fondement au mespris que vous faites d’un chef visible en terre, car, n'estans point lié pour l'interpretation de la Parole de Dieu a aucune superieure authorité, chacun prend le parti que bon luy semble : c'est ce que dit le Sage, les superbes sont toujours en dissension (Prov 13, 10) , qui est une marque de vraye heresie. Ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne peuvent estre appellés du nom d'Eglise, parce que, comme dict saint Jean Chrysostome, " le nom d'Eglise est un nom de consentement et de concorde ".

Mays quant a nous autres, nous avons tous un mesme canon des Escritures, et un mesme chef, et pareille regle pour les entendre ; vous aves diversité de canon, et en l’intelligence vous aves autant de testes et de regles que vous estes de personnes. Nous sonnons tous au ton de la trompette d’un seul Gedeon, et avons tous un mesme esprit de foy au Seigneur et a son lieutenant, l’espee des decisions (Jud 7, 20) de Dieu et de l’Eglise, selon la parole des Apostres (Act 15, 28), Visum est Spiritui Sancto et nobis. Ceste unité de langage est en nous un vray signe que nous sommes l’armee du Seigneur, et vous ne pouves estes reconneus que pour Madianites, qui ne faites en vos opinions que criailler et hurler chacun a sa mode, chamailler les uns sur les autres, vous entr’esgorgeans et massacrans vous mesmes par vos dissentions, ainsy que dict Dieu par Isaïe : Les Egyptiens choqueront contre les Egyptiens, et l’esprit d’Egypte se rompra (ch 19,2-3) : et saint Augustin dict que " comme Donatus avoit tasché de diviser Christ, ainsy luy mesme par une journelle separation des siens estoit divisé en luy mesme. Ceste seule marque vous doit faire quitter vostre pretendue eglise, car, qui n’est avec Dieu est contre Dieu (Mat 12, 30) ; Dieu n’est point en vostre eglise, car il n’habite point qu’en lieu de paix, et en vostre eglise il n’y a ni paix ni concorde.
 
 

ARTICLE V

DE LA SAINTETE DE L’EGLISE : MARQUE SECONDE

L’Eglise de Nostre Seigneur est sainte : c’est un article de foy. Nostre Seigneur s’est donné pour elle, affin de la sanctifier (Ephes 5, 26) ; c’est un peuple saint, dict saint Pierre ( 1 Pierre 2, 9) ; l’Espoux est saint, et l’Espouse sainte ; elle est sainte estant dediee a Dieu, ainsy que les aisnés en l’ancienne sinagogue furent appellés saintz, pour ce seul respect (Exod 13, 2 ; Luc 2, 23). Elle est sainte encores parce que l’Esprit qui la vivifie est saint (Jean 6, 64 ; Rom 8, 11), et parce qu’elle est le cors mistique d’un chef qui est tres saint (Ephes 1, 22-23). Elle l’est encores parce que toutes ses actions interieures et exterieures sont saintes ; elle ne croit, ni espere, ni ayme que saintement ; en ses prieres, praedications, Sacremens, Sacrifice, elle est sainte. Mais ceste Eglise a sa sainteté interieure, selon la parole de David (Ps 44, 14-15) , Toute la gloire de ceste fille royale est au dedans ; elle a encores sa sainteté exterieure, en franges d’or environnee de belles varietés. La sainteté interieure ne peut se voir ; l’exterieure ne peut servir de Marque, parce que toutes les sectes s’en vantent, et qu’il est mal aysé de reconnoistre la vraye priere, predication et administration des Sacremens. Mais, outre tout cela, il y a des signes avec lesquelz Dieu faict connoistre son Eglise, qui sont comme parfums et odeurs, comme dict l’Espoux es Cantiques (ch 4, 11) : L’odeur de tes vestemens comme l’odeur de l’encens ; ainsy pouvons nous, a la piste de ses odeurs et parfums (1, 3), quester et trouver la vraye Eglise, et le giste du filz de la licorne (Ps 28, 6).

ARTICLE VI

LA VRAYE EGLISE DOIT RELUIRE EN MIRACLES

L’Eglise, donques, a le lait et le miel sous sa langue (Cant 4, 11), en son coeur, qui est la sainteté interieure laquelle nous ne pouvons voir ; elle est richement paree d’une belle robbe bien recamee et brodee a varietés (Ps 44, 10), qui est la sainteté exterieure laquelle peut se voir. Mays, parce que les sectes et heresies desguisent leurs vestemens en mesme façon sous une fause estoffe, outre cela elle a des parfums et odeurs qui luy sont propres, et ce sont certains signes et lustres de sa sainteté, qui luy sont tellement propres qu’aucune autre assemblee ne s’en peut vanter, particulierement en nostre aage : car, premierement, elle reluit en miracles, qui sont tres souëfves odeurs et parfums, signes expres de la presence de Dieu immortel ; ainsy les appelle saint Augustin (Confes, 1 9, 7)

Et de faict, quand Nostre Seigneur partit de ce monde, il promit que l’Eglise seroit suivie de miracles : Ces marques, dict il, suivront les croyans : en mon nom ilz chasseront les diables, ilz parleront nouveaux langages, ilz osteront les serpens, le venin ne leur nuira point, et par l’imposition des mains ilz gueriront les malades (Marc 17, 18). Considerons, je vous prie, de pres ses paroles. 1. Il ne dict pas que les seulz Apostres feroient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront. 2. Il ne dict pas que tous les croyans en particulier feroient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes. 3. Il ne dict pas que ce fust seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyans. Nostre Seigneur donques parle aux Apostres seulement, mais non pour les Apostres seulement ; il parle des croyans en cors et en general, a sçavoir de l’Eglise ; il parle absolument, san distinction de tems . Laissons ces saintes paroles en l’estendue que Nostre Seigneur leur a donnee : les croyans sont en l’Eglise, les croyans sont suivis de miracles, donques en tous tems il y a des miracles.

Mais voyons un peu pourquoy le pouvoir des miracles fut laissé en l’Eglise : ce fut sans doute pour confirmer la predication evangelique ; car saint Marc le tesmoigne, et saint Pol, qui dict (Heb 2, 4) que Dieu donnoit tesmoignage a la foy qu’il annonçoit , par miracles. Dieu mit en mains de Moyes ces instrumens affin qu’il fust creu (Exod 4), dont Nostre Seigneur dict que s’il n’eust faict des miracles les Juifz n’eussent pas esté obligés de le croire (Jean 15, 24). Or sus, l’Eglise doit elle pas tousjours combattre l’infidelité ? et pourquoy donques luy voudries vous oster ce bon baston que Dieu luy a mis en main ? Je sçay bien qu’elle n’en a pas tant de necessité qu’au commencement ; apres que la sainte plante de la foy a prins bonne racine on ne la doit pas si souvent arrouser ; mais aussi, vouloir lever en tout l’effect, la necessité et cause demeurant en bonne partie, c’est tres mal philosopher.

Outre cela, je vous prie, monstres moy quelque saison en laquelle l’Eglise visible aye esté sans miracles, des qu’elle commença jusqu’a present. Au tems des Apostres se firent infinis miracles, vous le sçaves bien ; apres ce tems la, qui ne sçait le miralce recité par Marc Aurele Anthonin, faict par les prieres de la legion des soldatz Chrestiens qui estoyent en son armee, laquelle pour cela fut appellee Fulminante ? Qui ne sçait les miracles de saint Gregoire Thaumaturge, saint Martin, saint Anthoyne, saint Nicolas, saint Hilarion, et les merveilles qui arrivèrent aux theodose et Constantin ? dequoy les autheurs sont irreprochables, Eusebe, Rufin, saint Hierosme, Basile, Sulpice, Athanase. Qui ne sçait encores ce qui advint en l’invention de la sainte Croix, et au tems de julien l’Apostat ? Au tems de saint Chrysostome, Ambroise, Augustin, on a veu plusieurs miracles qu’eux mesmes recitent. Pourquoy voules vous , donques, que la mesme Eglise cesse maintenant d’avoir des miracles ? quelle rayson y auroit il ? Pour vray, ce que nous avons tousjours veu, en toutes sortes de saisons, accompagner l’Eglise, nous ne pouvons que nous ne l’appellions proprieté de l’Eglise : la vraye Eglise donques faict paroistre sa sainteté par miracles. Que si Dieu rendoit si admirable et le Propitiatoire, et son Sinaï, et son buisson ardent, parce qu’il y vouloit parler avec les hommes, pourqouoy n’a il rendu miraculeuse son Eglise, en laquelle il veut a jamais demeurer ?

ARTICLE VII

L’EGLISE CATHOLIQUE EST ACCOMPAGNEE DE MIRACLES ET LA PRETENDUE NE L’EST POINT

Icy maintenant je desire que vous vous monstries raysonnables, sans chicaneries et opiniastreté. Informations prinses deüement et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siecle, saint François de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des mortz ; on en trouve tout autant de saint Diegue d’Alcala : ce ne sont pas bruits incertains, mais preuves assignees, informations prinses.

Oseries vous nier l’apparition de la Croix faicte au vaillant et catholique capitaine Albuquerque et a toutes siennes gens en Camarane, que tant d’historiens escrivent (Vide Maffaeum, Hist Ind l 5), et a laquelle tant de gens avoyent eu part ?

Le devot Gaspard Berzee, es Indes, guerissoit les malades priant seulement Dieu pour eux a la Messe, et si soudainement qu’autre que la main de Dieu ne l’eust peu faire. Le bienheureux François Xavier a gueri des paralitiques, sourds, muetz, aveugles, a ressuscité un mort, son cors n’a peu estre consumé quoy qu’il eust esté enterré avec de la chaux, comme ont tesmoigné ceux qui l’ont veu entier quinze mois apres sa mort (Maff l 15) ; et ces deux derniers sont mortz des 45 ans en ça.

En Meliapor on a trouvé une croix, incise sur une pierre, laquelle on estime avoir esté enterree par les Chrestiens du tems de saint Thomas : chose admirable neantmoins veritable, presque toutes les annes, environ la feste de ce glorieux Apostre, ceste croix-la sue abondance de sang, ou liqueur semblable au sang, et change de couleur, se rendant blanche pasle, puys noire, et tantost de couleur bleue resplendissante et tres aggreable, en fin elle revient a sa couleur naturelle ; ce que tout le peuple voit, et l’Evesque de Cocine en a envoyé une publique attestation, avec l’image de la croix, au saint Concile de Trente (Maff l 2). Ainsy se font les miracles es Indes ou la foy n’est encores du tout affermie ; desquelz je laisse un monde, pour me tenir en la briefveté que je dois.

Le bon pere Louys de Grenade, en son Introduction sur le Symbole, recite plusieurs miracles recens et irreprochables. Entre autres, il produit la guerison que les Roys de Frnace catholiques ont faict, de nostre ange mesme, de l’incurable maladie des escrouelles, ne disant autre que ces paroles : " Dieu te guerit, le Roy te touche ", n’y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour la.

J’ay leu l’histoire de la miraculeuse guerison de Jaques, filz de Claude André, de Belmont, au balliage de Baulme, en Bourgogne : il avoit esté huit annees durant muet et impotent ; apres avoir faict sa devotion en l’eglise de saint Claude le jour mesme de la feste, huitiesme Juin 1588, il se trouva tout soudainement sain et gueri. Cela l’appelles vous pas miracle ? Je parle de chose voisine, j’ay leu l’acte public, j’ay parlé au notaire qui l’a receu et expedié, bien et deüement signé, Vion ; il n’y manqua pas de tesmoins, car il y avoit du peuple a milliades. Mays que m’arreste je faire a vous produire les miracles de nostre aage ? saint Malachie, saint Bernard et saint François estoyent ilz pas de nostre Eglise ? Vous ne le sçauries nier ; ceux qui ont escrit leurs vies sont tres saintz et doctes, car mesme saint Bernard a escrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquelz ni la suffisance ni la conscience ne manquoyent point, et neantmoins ilz y racontent plusieurs grans miracles : mays sur tout les merveilles qui se font maintenant, a nos portes, a la veüe de nos Princes et de toute nostre Savoye, pres de Mondevis, devroyent fermer la porte a toutes opiniastretés.

Or sus, que dires vous a cecy ? dires vous que l’Antichrist fera des miracles ? Saint Pol atteste qu’ilz seront faux (2 Thess 2, 9), et pour le plus grand que saint Jan produit (Apoc 13, 13), c’est qu’il fera descendre le feu du ciel. Satan peut faire telz miracles, ains en a faict sans doute ; mais Dieu laissera un prompt remede a son Eglise, car a ces miracles la les serviteurs de Dieu, Helie, Enoch, comme tesmoignent l’Apocalipse (11, 5-6) et les interpretes, opposeront des autres miracles de bien autre estoffe, car, non seulement ilz se serviront du feu pour chastier miraculeusement leurs ennemis, mais auront pouvoir de fermer le ciel a fin qu’il ne pleuve point, de changer et convertir les eaux en sang, et de frapper la terre du chastiment que bon leur semblera ; trois jours et demy apres leur mort ilz ressusciteront et monteront au ciel, la terre tremblera a leur montee. Alhors donq, par l’opposition de vrays miracles, les illusions de l’Antichrist seront descouvertes, et comme Moïse fit en fin confesser aux magiciens de Pharaon, Digitus Dei est hic (Exod 8, 19), ainsy Helie et Enoch feront en fin que leurs ennemis dent gloriam Deo caeli (Apoc 11, 13). Helie fera en ce tems la de ses saintz tours de prophete, qu’il faisoit jadis pour dompter l’impieté des Baalites et autres religionnaires (3 Rois 18).

Je veux donq dire, 1. que les miracles de l’Antichrist ne sont pas telz que ceux que nous produisons pour l’Eglise, et partant ne s’ensuit pas que, si ceux la ne sont pas Marque d’Eglise ceux cy ne le soyent aussi, ; ceux la seront monstrés faux et combattus par des plus grans et solides, ceux cy sont solides, et personne n’en peut plus opposer de plus asseurés. 2. Les merveilles de l’Antichrist ne seront qu’une bouttade de trois ans et demy, mais les miracles de l’Eglise luy sont tellement propres que des qu’elle est fondee elle a tousjours esté reluisante en miracles ; en l’Antichrist les miracles seront forcement, et ne dureront pas, mais en l’Eglise ilz y seront naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ilz sont tousjours, et tousjours l’accompagnent, pour verifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront (Marc, ult 17).

Vous diries volontiers que les Donatistes ont faict miracles, au rapport de saint Augustin (De Unit Eccles c 19) ; mais ce n’estoyent que certaines visions et revelations, desquelles ilz se vantoyent sans aucun tesmoignage : certes, l’Eglise ne peut estre prouvee vraye par ces visions particulieres ; au contraire, ces visions ne peuvent estre prouvees ou tenues pour vrayes sinon par le tesmoignage de l’Eglise, dict le mesme saint Augustin. Que si Vespasien a gueri un aveugle et un boiteux, les medecins mesmes, au recit de Tacitus (Hist l 4 §81), trouverent que c’estoit un aveuglement et une perclusion qui n’estoyent pas incurables ; ce n’est donques pas merveille si le diable les sceut guerir. Un juif estant baptizé se vint presenter a Paulus, evesque novatien, pour estre rebaptizé, dict Socrates (Lib 7 c 17) ; l’eau des fons tout incontinent s’esvanouit : ceste merveille ne se fit pas pour la confirmation du Novatianisme, mays du saint Baptesme, qui ne devoit pas estre reiteré. Ainsy " quelques merveilles se sont faictes ", dict saint Augustin (De civ Dei l 10, c 15), " chez les payens " : non pas pour preuve du paganisme, mays de l’innocence, de la virginité et fidelité, laquelle, ou qu’elle soit, est aymee et prisee de son autheur ; Or ces merveilles ne se sont faites que rarement ; donques on n’en peut rien conclure : les nuees jettent quelques fois des esclairs, mays ce n’est que le soleil qui a pour marque et proprieté d’esclairer.

Fermons donques ce propos. L’Eglise a tousjours esté accompagnee de miracles solides et bien asseurés, comme ceux de son Espoux, donques c’est la vraye Eglise ; car, me servant en cas pareil de la rayson du bon Nicodeme (Jean 3, 2), je diray : Nulla societas potest haec signa facere quae haec facit, tam illustria aut tam constanter, nisi Dominus fuerit cum illa  (Jean 3, 2) ; et comme disoit Nostre Seigneur aux disciples de saint Jan, Dicite, caeci vident, claudi ambulant, surdi audiunt (Matt 11, 4-5 ; Luc 7, 22), pour monstrer qu’il estoit le Messie, ainsy, oyant qu’en l’Eglise se font de si solemnelz miracles, il faut conclure que vere Dominus est in loco isto (Gen 28, 16).

Mais quant a vostre pretendue Eglise, je ne luy sçaurois dire autre sinon, Si potest credere, omnia possibilia sunt credenti (Marc 9, 22) ; si elle estoit la vraye Eglise elle seroit suivie de miracles. Vous me confesseres que ce n’est pas de vostre mestier de faire des miracles, ni de chasser les diables ; une fois il reussit mal a l’un de vos grans maistres qui s’en vouloit mesler, ce dict Bolsec (In vita Calvini, c 13) : Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dict Tertullien (De Praes c 30), istis de vivis mortuos faciunt. On faict courir un bruit que l’un des vostres a gueri une fois un demoniaque ; on ne ndict toutefois poinct, ou, quand, comment, la personne guerie, ni quelque certain tesmoin. Il est aysé aux apprentifz d’un mestier de s’equivoquer en leur premier essay ; on faict souvent courir certains bruitz parmi vous pour entretenir le simple peuple en haleyne, mays n’ayans point d’autheur ne doivent avoir point d’authorité : outre ce que, au chassement du diable, il ne faut tant regarder ce qui se faict, comme il faut considerer la façon et la forme comme on le faict ; si c’est par oraisons legitimes et invocations du nom de Jesus Christ. Puys, une hirondelle ne faict pas le printems ; c’est la suite perpetuelle et ordinaire des miracles qui est Marque de la vraye Eglise, non accident : mais ce seroit se battre avec l’ombre et le vent, de refuter ce bruit, si lasche et si debile que personne n’ose dire de quel costé il est venu.

Toute la responce que j’ay veüe chez vous, en ceste extreme necessité, c’est qu’on vous faict tort de vous demander des miracles : aussi faict on, je vous promets ; c’est se mocquer de vous, comme qui demanderoit a un mareschal qu’il mist en oeuvre une emeraude ou diamant. Aussi ne vous en demande je point ; seulement je vous prie que vous confessies franchement que vous n’aves pas faict vostre apprentissage avec les Apostres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont esté maistres du mestier.

Mays quand vous dites que vous n’aves besoin de miracles parce que vous ne voules establir une foy nouvelle, dites moy donq encores si saint Augustin, saint Hierosme, saint Gregoire, saint Ambroise et les autres preschoyent une nouvelle doctrine, et pourquoy donq se faisoit il tant de miracles et si signalés comme ilz produisent ? Certes, l’Evangile estoit mieux receu au monde qu’il n’est maintenant, il y avoit de plus excellens pasteurs, plusieurs martyres et miracles avoyent precedé, mays l’Eglise ne laissoit pas d’avoir encores ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la tres sainte Religion. Que si les miracles doivent cesser en l’Eglise, c’eust esté au tems de Constantin le Grand, apres que l’Empire fut faict Chrestien, que les persecutions cesserent, et que le Christianisme estoit bien asseuré, mais tant s’en faut qu’ilz cessassent alhors, qu’ilz multiplierent de tous costés. Au bout de la, la doctrine que vous presches n’a jamais esté annoncee, en gros, en detail ; vos predecesseurs heretiques l’ont preschee, auxquelz vous vous accordes avec chacun en quelque point et avec nul en tous, ce que je feray voit cy apres. Vostre eglise ou estoit elle, l y a 80 ans ? elle ne faict que d’esclore, et vous l’appelles vielle.

Ha, ce dites vous, nous n’avons point faict nouvelle eglise, nous avons frotté et espuré cette vielle monnoye, laquelle, ayant long tems demeuré couverte es masures, s’estoit toute noircie, et souïlle de crasse et moisi. Ne dites plus cela, je vous prie, que vous aves le metail et calibre ; la foy, les Sacremens, sont ce pas des ingrediens necessaires pour la composition de l’Eglise ? et vous aves tout changé, et de l’un et de l’autre ; vous estes donques faux monnoyeurs, si vous ne monstres le pouvoir que vous pretendes de battre sur le coin du Roy telz calibres. Mais ne nous arrestons pas icy : aves vous espuré ceste Eglise ? aves vous nettoyé ceste monnoye ? monstres nous, donques, les caracteres qu’elle avoit quand vous dites qu’elle cheut en terrre, et qu’elle commença a se rouiller. Elle tomba, ce dites vous, au tems de saint Gregoire ou peu apres. Dites ce que bon vous semblera, mais en ce tems la elle avoit le caractere des miracles ; monstres le nous maintenant, car, si vous ne vous monstres bien particulierement l’inscription et l’image du Roy en vostre monnoye, et nous la vous monstrons en la nostre, la nostre passera comme loyale et franche, la vostre, comme courte et rognee, sera revoyee au billon. Si vous nous voules representer l’Eglise en la forme qu’elle avoit au tems de saint Augustin, monstres la nous non seulement bien disnate mais bien faisante en miracles et saintes operations, comme elle estoit alhors. Que si vous voulies dire qu’alhors elle estoit plus nouvelle que maintenant, je vous respondrois, qu’une si notable interruption comme est celle que vous pretendes, de 900 ou mille ans, rend ceste monnoye si estrange que si on n’y voit en grosses lettres les caracteres ordianires, l’inscription et l’image, nous ne la recevrons jamais. Non, non, l’Eglise ancienne estoit puissante en toute saison, en adversité et prosperité, en oeuvres et en paroles, comme son Espoux, la vostre n’a que le babil, soit en prosperité ou adversité ; au moins qu’elle monstre maintenant quelques vestiges de l’ancienne marque, autrement jamais elle ne sera receue comme vraye Eglise, ni fille de ceste ancienne Mere. Que si elle s’en veut vanter davantage, on luy imposera silence avec ces saintes paroles : Si filii Abrahae estis, opera Abrahae facite (Jean 8, 39) : la vraye Eglise des croyans doit tousjours estre suivie de miracles, il n’y a point d’Eglise en nostre aage qui en soit suivie que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise.

ARTICLE VIII

L’ESPRIT DE PROPHETIE DOIT ESTRE EN LA VRAYE EGLISE

La prophetie est un tres grand miracle, qui consiste en la certaine connoissance que l’entendement humain a des choses sans experience ni aucun discours naturel, par l’inspiration surnaturelle ; et partant, tout ce que j’ay dit des miracles en general doit estre employé en cecy : mays, outre cela, le prophete Joël predict (ch 2, 28-29) qu’au dernier tems, c’est a dire, au tems de l’Eglise evangelique, comme interprete saint Pierre, Nostre Seigneur respandroit sur ses serviteurs et servantes de son Saint Esprit, et qu’ilz prophetiseroient (Act 2, 17) ; comme Nostre Seigneur avoit dict : Ces signes suivront ceux qui croiront (Marc, ult 17). Donques, la prophetie doit tousjours estre en l’Eglise, ou sont les serviteurs et servantes de Dieu, et ou il respand tousjours son Saint Esprit.

L’Ange dict, en l’Apocalipse, que le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie (ch 19, 10) : or, ce tesmoignage de l’assistance de Nostre Seigneur n’est pas seulement donné pour les infidelles, mais principalement pour les infidelles, ce dict saint Pol (1 Cor 14, 22) ; comme donques diries vous que Nostre Seigneur l’ayant donné une fois a son Eglise il le luy leva par apres ? le principal sujet pour lequel il luy a esté concedé y est encores, donques la concession dure tousjours. Adjoustes, comme je disois des miracles, qu’en toutes les saisons l’Eglise a eu des prophetes ; nous ne pouvons donques dire que ce ne soit une de ses proprietés et une bonne piece de son douaire. Jesus Christ, montant aux cieux, il a mené la captivité captive, il a donné des dons aux hommes ; car il a donné les uns pour apostres, les autres pour prophetes, les autres pour evangelistes, les autres pour pasteurs et docteurs (Ephes 4, 8-11) : l’esprit apostolique, evangelique, pastoral et doctoral est tousjours en l’Eglise, et pourquoy luy levera on encores l’esprit prophetique ? c’est un parfum de la robbe de ceste Espouse (Cant 4, 11).

ARTICLE IX

L’EGLISE CATHOLIQUE A L’ESPRIT DE PROPHETIE

LA PRETENDUE NE L’A POINT

Il n’y a presque point eu de Saintz en l’Eglise qui n’ayent prophetisé. Je nommeray seulement ceux cy plus recens : saint Bernard, saint François, saint Dominique, saint Anthoyne de Padoue, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, qui furent tres asseurés Catholiques ; les Saintz desquelz j’ay parlé cy dessus sont du nombre, et en nostre aage, Gaspard Berzee et François Xavier. Il n’y a celuy de nos ayeux qui ne racontast tres asseurement quelque prophetie de Jehan Bourgeois, plusieurs desquelz l’avoyent veu et ouÿ. Le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie (Apoc, ut supra).

Produises nous maintenant quelqu’un des vostres qui ait prophetisé pour vostre eglise. Nous sçavons que les Sybilles furent comme les prophetesses des Gentilz, desquelles parlent presque tous les Anciens ; Balaam aussi prophetisa (Num, 22-24), mais c’estoit pour la vraye Eglise ; et partant leur prophetie n’authorisoit pas l’eglise ; en laquelle elle se faisoit, mais celle pour laquelle elle se faisoit : quoy que je ne nie pas qu’entre les Gentilz il n’y eust une vraye Eglise de peu de gens, ayans la foy d’un vray Dieu et l’observation des commandemens naturelz en recommandation, par la grace divine ; tesmoin Job en l’ancienne Escriture, et le bon Cornelius, avec ces autres soldatz craignant Dieu (Act 10, 2, 7), en la nouvelle. Ores, ou sont vos prophetes ? et si vous n’en aves point, croyes que vous n’estes pas du cors pour l’edification duquel Nostre Seigneur les a laissés, au dire de saint Pol (Ephes 4, 11-12) ; aussi, Le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie. Calvin a voulu, ce semble, prophetiser, en la preface sur son Catechisme de Geneve, mais sa prediction est tellement favorable pour l’Eglise Catholique, que quand nous en aurons l’effect nous sommes contens de le tenir pour tel quel prophete.

ARTICLE X

LA VRAYE EGLISE DOIT PRATTIQUER LA PERFECTION DE LA VIE CHRESTIENNE

Voici des rares enseignemens de Nostre Seigneur et de ses Apostres. Un jeune homme riche protestoit d’avoir observé les commandemens de Dieu de sa tendre jeunesse ; Nostre Seigneur, qui voit tout, le regardant l’ayma, signe qu’il estoit tel qu’il avoit dict, et neanmoins il luy donne cest avis : Si tu veux estre parfaict, va, vens tout ce que tu as, et tu aurasun tresor au ciel, et me suis (Marc 10, 17-21 ; Matt 19, 16-21) . Saint Pierre nous invite avec son exemple et de ses compaignons : Voici, nous avons tout laissé et t’avons suivi ; Nostre Seigneur recharge avec ceste solemnelle promesse : Vous qui m’aves suivi seres assis sur douze chaires, jugeans les douze tribus d’Israël, et quiconque laissera sa mayson ,ou ses freres, ou ses soeurs, ou son pere, ou sa mere, ou sa femme, ou ses enfans, ou ses champs, pour mon nom, il en recevra le centuple, et possedera la vie eternelle (Matt 19, 27-29) . Voyla les paroles, voicy l’exemple. Le filz de l’homme n’a pas lieu ou il puisse reposer sa teste (Ibid, 8, 20) ; il a esté tout pauvre pour nous enrichir (2 Cor 8, 9) ; il vivoit d’aumosnes, dict saint Luc (8, 3) : Mulieres aliquae ministrabant ei de facultatibus suis ; en deux Psalmes (Pss 108, 22 ; 39, 18) qui touchent proprement sa personne, comme interpretent saint Pierre (Act 1, 20) et saint Pol (Heb 10, 7), il est appelé mendiant ; quand il envoye prescher ses Apostres, il les enseigne, Nequid tollerent in via nisi virgam tantum, et qu’ilz ne portassent ni pochette, ni pain, ni argent a la ceinture, mays chaussés de sandales, et qu’ilz ne fussent affeublésde deux robbes (Marc 6, 8-9). Je sçay que ces enseignemens ne sont pas commandemens absolus, quoy que le dernier fust commandement pour un tems ; aussi n’en veux je rien dire autre sinon que ce sont tres salutaires conseilz et exemples.

En voicy encores d’autres semblables, sur un autre sujet. Il y a des eunuques qui sont aisny nés du ventre de leur mere, il y a aussi des eunuques qui ont esté faitz par les hommes, et il ya des eunuques qui se sont chastrés eux mesmes pour le royaume des cieux ; qui potest capere, capiat (Mat 19, 12). C’est cela mesme qui avoit esté predict par Isaïe : Que l’eunuque ne dise point, voicy je suis un arbre sec, parce que le Seigneur dict ainsy aux eunuques : qui garderont mes Sabaatz, et choisiront ce que je veux, et tiendront mon alliance, je leur bailleray, en ma mayson et en mes murailles, une place et un nom meilleur que les enfans et les filles, je leur bailleray un nom sempiternel qui ne perira point. Qui ne voit icy que l’Evangile va justement joindre a la prophetie ? Et en l’Apocalipse (14, 3,4), ceux qui chantoyent un cantique nouveau, qu’autre qu’eux ne pouvoit dire, c’estoyent ceux qui ne s’estoyent point souillés avec les femmes, parce qu’ilz estoyent vierges ; ceux la suivent l’Aigneau ou qu’il aille. C’est icy ou se rapportent les exhortations de saint Pol : Il est bon a l’homme de ne point toucher la femme (1 Cor 7, 1). Or je dis a qui n’est pas marié, et aux vefves, qu’il leur sera bon de demeurer ainsy, comme moy (vers 8). Quant aux vierges, je n’en ay point de commandement, mais j’en donne conseil, comme ayant receu misericorde de Dieu d’estre fidele (vers 25). Voicy la rayson : Qui est sans femme, il est soigneux des choses du Seigneur, comme il plaira a Dieu, mais qui est avec sa femme, il a soin des choses du monde, comme il agreera a sa femme, et est divisé ; et la femme non mariee et la vierge pensent aux choses du Seigneur, pour estre saintes de cors et d’esprit, mais celle qui est mariee pense aux choses mondaines, comme elle plaira a son mary. Au reste, je dis cecy pour vostre prouffit ; non pour vous mettre des laqs, mais pour ce qui est honneste, et qui vous facilite le moyen de servir Dieu sans empeschemens (vers 32-35). Apres : Donq qui joint en mariage sa pucelle il faict bien, et qui ne la joinct point faict mieux (vers 38). Puys, parlant de la vefve : Qu’elle se marie a qui elle voudra, pourveu que ce soit en Nostre Seigneur, mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsy, selon mon conseil ; or pense que j’ay l’esprit de Dieu (vers ult). Voyla les instructions de Nostre Seigneur et des Apostres, et voicy l’exemple de Nostre Seigneur, de Nostre Dame, de saint Jan Baptiste, de saint Pol, saint Jan et saint Jaques, qui ont otus vescu en virginité, et, en l’Ancien Testament, Helie, Helisee, comme ont remarqué les Anciens.

En fin, la tres humble obeissance de Nostre Seigneur, qui est si particulierement notee es Evangiles, non seulement a son Pere (Jean 6, 38), a laquelle il estoit obligé, mays a saint Joseph (Luc 2, 51), a sa Mere, a Cesar auquel il paya le tribut (Matt 17, ult), et a toutes creatures, en sa Passion, pour l’amour de nous : Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis (Philip 2, 8). Et l’humilité qu’il monstre d’estre venu enseigner, quand il dict : Le filz de l’homme n’est pas venu pour estre servi, mays pour servir (Matt 20, 28). Je suis entre vous comme celuy qui sert (Luc 22, 27). Ne sont ce pas des perpetuelles repliques et expositions de ceste tant douce leçon, Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de courage (Matt 11, 29) ? et de ceste autre, Si quelqu’un veut venir apres moy, qu’il renonce a soy mesme, qu’il prenne sa croix tous les jours, et qu’il me suive (Luc 9, 23) ? Qui garde les commandemens il renonce asses a soy mesme pour estre sauvé, c’est bien asses s’humilier pour estre exalté (Mat 23, 12), mais d’ailleurs il reste une autre obeissance, humilité et renoncement de soy mesme, auquel l’exemple et les enseignemens de Nostre Seigneur nous invitent. Il veut que nous apprenions de luy l’humilité, et il s’humilioit, non seulement a qui il estoit inferieur entant qu’il portoit evidemment, car, sur le modelle de la perfection de vie qu’ont tenue et conseillee les Apostres, une infinité de Chrestiens ont si bien formé la leur que les histoires en sont pleines. Qui ne sçait combien sont admirables les rapportz que faict Philon le Juif de la vie des premiers Chrestiens en Alexandrie, au livre intitulé De vita supplicum, ou Traitté de saint Marc et ses disciples ? comme tesmoignent Eusebe, Nicephore, saint Hierosme et, entre autres, Epiphane qui dict que Philon escrivant des Jesseens il parloit des Chrestiens, qui pour quelque tems apres l’Ascencion de Nostre Seigneur, pendant que saint Marc preschoit en Egypte, furent ainsy appellés, ou a cause de Jessé, de la race duquel fut Nostre Seigneur, ou a cause du nom de Jesus, nom de leur Maistre et qu’ilz avoient tousjours en bouche : or, qui verra les livres de Philon, connoistra en ces Jesseens et therapeutes, guerisseurs ou serviteurs, une tres parfaicte renonciation de soy mesme, de sa chair et de ses biens. Saint Martial, disciple de Nostre Seigneur, en une epistre qu’il escrit aux Tholosains, raconte qu’a sa predication la bienheureuse Valeria, espouse d’un roy terrestre, avoit voüé la virginité de cors et d’esprit au Roy celeste. Saint Denis, en son Ecclesiastique Hierarchie (ch 6 §1,3), raconte que les Apostres ses maistres appelloient les religieux de sont tems therapeutes, c’est a dire, serviteurs ou adorateurs, pour le special service et culte qu’ilz faisoyent a Dieu, ou moynes, a cause de l’union a Dieu en laquelle ilz s’avançoyent. Voyla la perfection de la vie evangelique bien pratiquee en ce premier tems des Apostres et leurs disciples, lesquelz ayant frayé ce chemin du ciel si droit et montant, y ont esté suivis a la file de plusieurs excellens Chrestiens.

Saint Cyprien garda la continence et donna tout son bien aux pauvres, au recit de Pontius diacre ; autant en firent saint Pol premier hermite, saint Anthoyne et saint Hilarion, tesmoin saint Athanase et saint Hierosme, saint Paulin Evesque de Nole, tesmoin saint Ambroise, issu d’illustre famille en Guyenne, donna tout son bien aux pauvres, et, comme deschargé d’un pesant fardeau, dit adieu a son pays et a son parentage, pour servir plus attentivement son Dieu ; de l’exemple duquel se servit saint Martin, pour quitter tout et pour inciter les autres a mesme perfection. Georges, Patriarche Alexandrin, recite que saint Chrysostome abandonna tout et se rendit moyne. Potitianus, gentilhomme africain, revenant de la cour de l’Empereur, raconta a saint Augustin qu’en Egypte il y avoit un grand nombre de monasteres et religieux, qui representoyent une grande douceur et simplicité en leurs moeurs, et comme il y avoit un monastere a Milan, hors ville, garni d’un bon nombre de religieux, vivans en grande union et fraternité, desquelz saint Ambroise, Evesque du lieu, estoit comme abbé ; il leur raconta aussi, qu’aupres de la ville de Treves il y avoit un monastere de bons religieux, ou deux courtisans de l’Empereur s’estoyent rendus moynes, et que deux jeunes damoiselles, qui estoyent fiancees a ces deux courtisans, ayans ouÿ la resolution de leurs espoux, voüerent pareillement a Dieu leur virginité, et se retirerent du monde pour vivre en religion, pauvreté et chasteté : c’est saint Augustin qui faict ce recit (Conf l 8 c6). Possidius en raconte tout autant de luy, et qu’il institua un monastere, ce que saint Augustin luy mesme recite en une sienne epistre (211). Ces grans Peres ont esté suivis de saint Gregoire, Damascene, Bruno, Romuald, Bernard, Dominique, François, Louis, Anthoyne, Vincent, Thomas, Bonaventure, qui tous, ayans renoncé et dict un eternel adieu au monde et a ses pompes, se sont presentés en un holocauste parfaict a Dieu vivant.

Maintenant, concluons : ces consequences me semblent inevitables. Nostre Seigneur a faict coucher en ses Escritures ces advertissemens et conseilz de chasteté, pauvreté et obeissance, il les a prattiqués et faict prattiquer en son Eglise naissante ; toute l’Escriture et toute la vie de Nostre Seigneur n’estoit qu’une instruction pour l’Eglise, l’Eglise donques devoit en faire son prouffit, ce devoit donques estre un des exercices de l’Eglise que ceste chasteté, pauvreté et obeissance ou renoncement de soy mesme ; item, l’Eglise a tousjours faict cest exercice en tous tems et en toutes saisons, c’est donques une de ses proprietés : mays a quel propos tant d’exhortations si elles n’eussent deu estre prattiquees ? La vraye Eglise donques doit reluire en la perfection de la vie Chrestienne ; non ja que chacun en l’Eglise soit obligé de la suivre, il suffit qu’elle se trouve en quelques membres et parties signalees, affin que rien ne soit escrit ni conseillé en vain, et que l’Eglise se serve de toutes les pieces de la Sainte Escriture.

ARTICLE XI

LA PERFECTION DE LA VIE EVANGELIQUE EST PRATTIQUEE EN NOSTRE EGLISE, EN LA PRETENDUE ELLE Y EST MESPRISEE ET ABOLIE

L’Eglise qui est present, suivant la voix de son Pasteur et Sauveur, et le chemin battu des devanciers, loüe, approuve et prise beaucoup la resolution de ceux qui se rangent a la prattique des conseilz evangeliques, desquelz elle a un tres grad nombre. Je ne doute point que si vous avies hanté les congregations de Chartreux, Camaldulenses, Celestins, Minimes, Capucins, Jesuites, Theatins, et autres en grand nombre esquelles fleurit la discipline religieuse, vous ne fussies en doute si vous les devries appeller anges terrestres ou hommes celestes, et ne sçauries quoy plus admirer, ou en une si grande jeunesse une si parfaicte chasteté, ou parmi tant de doctrine une si profonde humilité, ou entre tant de diversité une si grande fraternité ; et tous, comme celestes abeilles, menagent en l’Eglise et y brassent le miel de l’Evnagile avec le reste du Christianisme, qui par predications, qui par compositions, qui par leçons et disputes, qui par le soin des malades, qui par l’administration des Sacremens sous l’authorité des pasteurs.

Qui obscurcira jamais la gloire de tant de religieux de tous Ordres et de tant de prestres seculiers qui, laissans volontairement leur patrie, ou pour mieux dire leur propre monde, se sont exposés au vent et a la maree pour accoster les gens du Nouveau Monde, a fin de les conduire a la vraye foy et les esclairer de la lumiere evangelique ? qui, sans autre appointement que d’une vive confiance en la providence de Dieu, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autres pretentions que de l’honneur de Dieu et du salut des ames, ont couru parmi les cannibales, Cnariens, negres, Bresiliens, Moluchiens, Japonnois et autres estrangeres nations, et s’y sont confinés, se banissans eux mesmes de leurs propres pays terrestres, affin que ces pauvres peuples ne fussent bannis du Paradis celeste. Je sçay, quelques ministres y ont esté, mais ilz sont allés avec appointement humain, lequel quand il leur a failli, ilz s’en sont revenus sans faire autre, parce qu’un singe est tousjours singe ; mais les nostres y sont demeurés en perpetuelle continence, pour feconder l’Eglise de ces nouvelles plantes, en extreme pauvreté, pour enrichir ces peuples du traffiq evangelique, et y sont mortz en esclavage, pour mettre ce monde la en liberté chrestienne.

Que si, au lieu de faire vostre prouffit de ces exmples et conforter vos cerveaux a la suavité d’un si saint parfum, vous tournes les yeux devers certains lieux ou la discipline monastique est du tout abolie, et n’y a plus rien d’entier que l’habit, vous me contraindres de dire que vous cherches les cloaques et voiries, non les jardins et vergers. Tous les bons Catholiques regrettent le malheur de ces gens, et detestent la negligence des pasteurs et l’ambition des aises de laides ames, qui, voulans tout manier, disposer et gouverner, empeschent l’election legitime et l’ordre de la discipline pour s’attribuer le bien temporel de l’Eglise. Que voules vous ? le Maistre y avoit semé la bonne semence, mais l’ennemy y a sursemé la zizanie (Matt 13, 24-25) ; cependant l’Eglise, au Concile de Trente, y avoit mis bon ordre, mais il est mesprisé par ceux qui le devoient mettre en execution, et tant s’en faut que les docteurs Catholiques consentent a ce malheur, quilz tiennent estre grand peché d’entrer en ces monasteres ainsy desbordés. Judas n’empescha point l’honneur de l’ordre apostolique, ni Lucifer de l’angelique, ni Nicolas du diaconat ; ainsy ces abominables ne doivent empescher le lustre de tant de devotz monasteres que l’Eglise Catholique a conservés, parmi toute la dissolution de nostre siecle de fer, affin que pas une parole de son Espoux ne demeurast en vain, sans estre prattiquee.

Au contraire, Messieurs, vostre eglise pretendue mesprise et deteste tant qu’elle peut tout cecy ; Cavin au livre 4 de ses Institutions, ne vise qu’a l’abolissement de l’observation des conseilz evangeliques. Au moins, ne m’en sçauries vous monstrer aucun essay ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusques aux ministres chacun se marie, chacun traffique pour assembler des richesses, personne ne reconnoist autre superieur que celuy que la force luy faict advoüer ; signe evident que ceste pretendue eglise n’est pas celle pour laquelle Nostre Seigneur a presché, et tracé le tableau de tant de beuax exemples : car, si chacun se marie, que deviendra l’advis de saint Pol, Bonum est homini mulierem non tangere (1 Cor 7,1) ? si chacun court a l’argent et aux possessions, a qui s’adressera la parole de Nostre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra (Matt 6, 19), et l’autre, Vade, vende omnia, da pauperibus (19, 21) ? si chacun veut gouverner a son tour, ou se trouvera la prattique de ceste si solemnelle sentence, Qui vult venire post me abneget semetipsum (Luc 9, 23) ? Si donq vostre eglise se met en comparaison avec la nostre, la nostre sera la vraye Espouse, qui prattique toutes les paroles de son Espoux, et ne laisse pas un talent de l’Escriture inutile ; la vostre sera fause, qui n’escoute pas la voix de l’Espoux, ains la mesprise : car il n’est pas raisonnable que, pour tenir la vostre en credit, on rende vaine la moindre syllabe de l’Escriture, laquelle, ne s’adressant qu’a la vraye Eglise, seroit vaine et inutile si en la vraye Eglise on n’employoit toutes ses pieces.
 
 

ARTICLE XII

DE L’UNIVERSALITE OU CATHOLICISME DE L’EGLISE

MARQUE TROISIEME

Ce grand pere Vincent le Lirinois, en son tres utile Memorial, dict que sur tout on doit avoir sion de croire " ce qui a esté creu par tout (toujours, de tous) (.....manque une partie de l’article dans le manuscrit d’origine) comme les fourbeurs et chaudronniers, car le reste du monde nous appelle Catholiques ; que si on y adjouste Romaine, ce n’est sinon pour instruire les peuples du siege de l’Evesque qui est Pasteur general et visible de l’Eglise, et ja du tems de saint Ambroise (Vide lib De excessu Sat., § 47), ce n’estoit autre chose estre Romains de communion qu’estre Catholiques.

Mays quant a vostre eglise, on l’appelle par tout huguenote, calvinique, zuinglienne, heretique, pretendue, protestante, nouvelle ou sacramentaire ; vostre eglise n’estoit point devant ces noms, ni ces noms devant vostre eglise, parce qu’ilz luy sont propres : personne ne vous appelle Catholiques, vous ne l’oses pas quasi faire vous mesmes. Je sçai bien que parmi vous vos eglises s’appellent reformees, mais autant ont de droit sur ce nom les lutheriens, ubiquitistes, anabaptistes, trinitaires et autres engences de Luther, et ne le vous quitteront jamaid. Le nom de Religion est commun a l’eglise des Juifz et des Chrestiens, a l’ancienne Loy et a la nouvelle ; le nom de Catholique c’est le propre de l’Eglise de Nostre Seigneur ; le nom de reformee est un blaspheme contre Nostre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Eglise en son sang, qu’elle ne devoit jamais subir autre forme que d’espouse toute belle (Cant 4, 7), de colomne de fermeté et de verité (1 Tim 3, 15). On peut reformer les peuples et particuliers, mais, non ,l’Eglise ni la Religion, car, si elle estoit Eglise et Religion elle estoit bien formee, la difformation s’appelle heresie et irreligion ; la teinture du sang de Nostre Seigneur est trop vive et fine pour avoir besoin de nouvelles couleurs : vostre eglise donques, s’appelant reformee, quitte sa part a la formation que le Sauveur y avoit faitte. Mais je ne puis que je ne vous die ce que de Beze, Luther et Pierre Martyr en entendent : Pierre Martyr appelle les lutheriens, lutheriens, et dict que vous estes freres avec eux, vous estes donques lutheriens ; Luther vous appelle svermeriques et sacramentaires ; de Beze vous appelle lutheriens, consubstantiateurs et chimiques, et neantmoins les met au nombre des eglises reformees. Voyla donques les nouveuax noms que ces reformateurs advoüent les uns pour les autres ; vostre eglise, donques, n’ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouves dire en bonne conscience le Symbole des Apostres, ou vous vous juges vous mesme, qui, confessans l’Eglise Catholique et universelle, persistes en la vostre qui ne l’est pas. Pour vray, si saint Augustin vivoit maintenant, il se tiendroit en nostre Eglise laquelle, de tems immemorable, est en possession du nom de Catholique.

ARTICLE XIII

LA VRAYE EGLISE DOIT ESTRE ANCIENNE

L’Eglise pour estre catholique doit estre universelle en tems, et pour estre universelle en tems il faut qu’elle soit ancienne ; l’ancienneté donques est une proprieté de l’Eglise, et en comparaison des heresies elle doit estre plus ancienne et precedente, parce que, comme dict tres bien Tertullien (Apologet c 43 ; Adv Marc, l 4, c 5), la fauseté est une corruption de verité, la verité doit donques preceder. La bonne semence est semee devant l’ennemy, qui a sursemé la zizanie bien apres (Matt 13, 24-25) ; Moyse devant Abiron, Datan et Coré ; les anges devant les diables ; Lucifer fut debout au jour avant qu’il cheut es tenebres eternelles ; la privation doit suivre la forme. Saint Jan dict des heretiques : Ilz sont sortis de nous ( 1 Jean 2, 19), ilz estoyent donques dedans avant que de sortir ; la sortie, c’est l’heresie, l’estre dedans, la fidelité. L’Eglise donques precede l’heresie : ainsy la robbe de Nostre Seigneur fut entiere avant qu’on la divisast (Jean 19, 23-24), et bien qu’Ismaël fust devant Isaac, cela ne veut dire que la fauseté soit devant la verité, mays l’ombre veritable du Judaïsme devant le cors du Christianisme, comme dict saint Pol (Heb 10, 1).

ARTICLE XIV

L’EGLISE CATHOLIQUE EST TRES ANCIENNE

LA PRETENDUE TOUTE NOUVELLE

Dites nous maintenant, je vous prie, cottes le tems et le lieu ou premierement nostre Eglise comparut des l’Evangile, l’autheur et le docteur qui la convoqua : j’useray des mesmes paroles d’un Docteur et Martyr de nostre aage, dignes d’estre bien pesees (Bx Edm. Campion, Decem Rationes, § 7, Historia). " Vous nous confesses, et n’oseries faire autrement, que pour un tems l’Eglise Romaine fut Sainte, Catholique, Apostolique : lhors qu’elle merita ces saintes louanges de l’Apostre : Vostre foy est annoncee par tout le monde (Rom 1, 8). Je fais sans cesse memoire de vous (vers 9). Je sçay que, venant a vous, j’y viendray en abondance de la benediction de Jesus Christ (15, 29). Toutes les eglises en Jesus Christ vous saluent (16, 16). Car vostre obeissance a esté divulguee par tout le monde ; lhors que saint Pol, en une prison libre, y semoit l’Evangile (Act, ult, 30, 31 ; 2 Tim 2, 9) ; lhors qu’en icelle saint Pierre gouvernoit l’Eglise ramassee en Babylone (1 Pierre 5, 13) ; lhors que Clement, si fort loüé par l’Apostre (Philip 4, 3), y estoit assis au timon ; lhors que les Cesars prophanes, comme Neron, Domitien, Trajan, Anthonin, massacroyent les Evesques romains, et lhors mesme que Damasus, Siricius, Anastasius, Innocentius y tenoyent le gouvernail apostolique : mesme au tesmoignage de Calvin, car il confesse librement qu’en ce tems la ilz ne s’estoient encore point esgarés de la doctrine evangelique. Or sus donques, quand fut ce que Rome perdit ceste foy tant celebree ? quand cessa elle d’estre ce qu’elle estoit ? en quelle saison, sous quel Evesque, par quel moyen, par quelle force, par quel progres, la religion estrangere s’empara elle de la cité et de tout le monde ? quelles voix, quelz troubles, quelles lamentations engendra elle ? hé, chacun dormoit il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis je , forgeoit de nouveaux Sacremens, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines ? ne se trouve il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni estranger, qui ayt mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et memoires d’une chose si grande ?

Et certes, ce seroit grand cas si les historiens, qui ont esté si curieux de remarquer jusque aux moindres mutations des villes et peuples, eussent oublié la plus notable de toutes celles qui se peuvent faire, qui est de la religion, en la ville et province la plus signalee du monde, qui est Rome et l’Italie. Je vous prie, Messieurs, si vous sçaves quand nostre Eglise commença l’erreur pretendu, dites le nous franchement, car c’est chose certaine que, comme dict saint Hierosme (Adv Lucif § 28), Haereses ad originem revocasse, refutasse est. Remontons le cours des histoires jusqu’au pied de la Croix, regardons deça et dela, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que ceste Eglise Catholique ait changé de face, c’est tousjours elle mesme en doctrine et en Sacremens.

Nous n’avons pas besoin contre vous, en ce point, d’autres tesmoins que des yeux de nos peres et ayeux, pour dire quand vostre Eglise commença. L’an 1517 Luther commença sa tragedie, Zuingle et Calvin furent les deux principaux personnages. Voules vous que je cotte par le menu comment, par quelz succes et actions, par quelles forces et violences, cette reformation s’empara de Berne, Geneve, Lausanne et autres villes ? quelz troubles et lamentations elle a engendrés ? vous ne prendries pas playsir a ce recit, nous le voyons, nous le sentons : en un mot , vostre eglise n’a pas 80 ans, son autheur est Calvin, ses effectz, le malheur de nostre aage. Que si vous la voules faire plus ancienne, dites ou elle estoit avant ce tems la : ne dites pas qu’elle estoit mais invisible, car, si on ne la voyoit point qui peut savoir qu’elle ait esté ? puys Luther vous contredit qui confesse qu’au commencement il estoit tout seul.

Or, si Tertullien, ja de son tems, atteste que les Catholiques debouttoyent les heretiques par leur posteriorité et nouveuaté, quand l’Eglise mesme n’estoit qu’en son adolescence (Solemus, haeriticos, compendi gratia, de posterioritate praescribere)(Adv Hermog, c 1), combien plus d’occasion avons nous maintenant ? Que si l’une de nos deux eglises doit estre la vraye, ce tiltre demeurera a la nostre qui est tres ancienne, et a vostre nouveauté, l’infame nom d’heresie.

Ques a la consommation du siecle (Mat 28, 20) ? Si ce conseil, dict Gamaliel, ou ceste oeuvre est des hommes elle se disssipera, mays si elle est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre (Act 5, 38-39) : l’Eglise est oeuvre de Dieu, qui donques la dissipera ? laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n’a pas plantee sera arrachee (Mat 15, 13-14), mays l’Eglise a esté plantee de Dieu et ne peut estre arrachee.

Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun a son tour ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin(1 Cor 15, 23-24) : il n’y a point d’entre deux entre ceux qui sont de Christ et la fin, d’autant que l’Eglise doit durer jusques a la fin. Il falloit que Nostre Seigneur regnast au milieu de ses ennemis jusqu’a ce qu’il eust mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires (Ps 109, 1-2 ; 1 Cor 15, 25), et quand les assujettira il tous sinon au jour du jugement ? mays ce pendant il faut qu’il regne parmi ses ennemis sinon ça bas ? et ou regne il sinon en son Eglise ?

Si ceste espouse fust morte apres qu’ elle eut receu la vie du costé de son Espoux endormi sur la Croix, si elle fust morte, dis-je, qui l’eust resuscitee ? La resurrection d’un mort n’est pas moindre miracle que la creation : en la creation Dieu dict, et il fut faict (Ps 148, 5), il inspira l’ame vivante (Gen 2, 7), et si tost qu’il l’eut inspiree l’homme commença a respirer ; mays Dieu voulant reformer l’homme il employa trente trois ans, sua le sang et l’eau, et mourut sur l’oeuvre. Qui donques dict que l’Eglise estoit morte et perdue, il accsue la providence du Sauveur ; qui s’en appelle reformateur ou restaurateur, comme Beze appelle Calvin, Luther et les autres, il s’attribue l’honneur deu a Jesus Christ, et se faict plus qu’apostre. Nostre Seigneur avoit mis le feu de sa charité au monde (Luc 12, 49), les Apostres avec le souffle de leurs predications l’avoyent estendu et faict courir par l’univers : on dict qu’il estoit esteint par l’eau de l’ignorance et superstition ; qui le pourra rallumer. Le souffle n’y sert de rien ; il faudroit donques peut estre rebattre denouveau avec les clouz et la lance sur Jesus Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu ? sinon que l’on veuille mettre Luther et Calvin pour pierre angulaire du bastiment ecclesiastique. " O voix impudente ", dict saint Augustin contre les Donatistes (In Ps 101, Sermo 2, § 7), " que l’Eglise ne soit point parce que tu n’y es pas ". " Non, non " dict saint bernard (Sermo 79 in Cant), " les torrens sont venus, les vens ont soufflé (Matt 7, 25) et l’ont combattue, elle n’est point tombee, parce qu’elle estoit fondee sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ (1 Cor 10, 4).

Quoy donques ? tous nos devanciers sont ilz damnés ? ouy pour vray, si l’Eglise estoit perie, car hors l’Eglise il n’y a point de salut. O quel contrechange ; nos Anciens ont tant souffert pour nous conserver l’heritage de l’Evangile, et maintenant on se mocque d’eux et les tient on pour folz et insensés.

" " Que nous dites vous de nouveau ? " dict saint Augustin (De unit eccl, "  faudra il encores une fois semer la bonne semence, puysque des qu’elle est semee elle croist juqu’a la moisson (Mat 13, 30) ? Que si vous dites que celle que les Apostres avoyent semee est par tout perdue, nous vous respondrons, lises nous cecy es Saintes Escritures, et vous ne le lires jamais que vous ne rendies faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semee au commencement croistroit jusqu’au tems de moissonner. La bonne semence ce sont les enfans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c’est la fin du monde (vers 38, 39). Ne dites pas donques que la bonne semence soit abolie ou estouffee, car elle croist jusques a la fin du monde.

L’Eglise donques ne fut pas abolie quand Adam et Eve pecherent ; car, ce n’estoit Eglise ains commencement d’Eglise : outre ce qu’ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.

Ni quand Aaron dressa le veau d’or ; car, Aaron n’estoit pas encores sauverain Prestre ni chef du peuple, c’estoit Moyse, lequel n’idolatra pas, ni la race de Levi qui se joignirent a Moyse. Ni quand Helie se lamentoit d’estre seul (3 Rois 19, 14) ; car, il ne parle que d’Israël, et Juda estoit la meilleure et principale partie de l’Eglise : et ce qu’il dict n’est qu’une façon de parler pour mieux exprimer la justice de sa plainte, car au reste il y avoit encores sept mille hommes qui ne s’estoyent encores point abandonnés a l’idolatrie (vers 18). Ce sont donques certaines expressions vehementes, accoustumees es propheties, qui ne doivent se verifier en general pour un grand desbordement, comme quand David disoit (Ps 13, 4) : Non est qui faciat bonum, et saint Pol : Omnes quaerunt quae sua sunt. (Philip 2, 21)

Ni ce qu’il faut que la separation et devoyement vienne (2 Thess 2, 3), lhors que les sacrifice cessera (Dan 12, 11), et qu’a grand peyne le Filz de l’homme trouvera foy en terre (Luc 18, 8) ; car, tout cecy se verifiera es trois ans et demi que l’Antichrist regnera, durant lesquelz toutefois l’Eglise ne perira point, mays sera nourrie es solitudes et desers, comme dict l’Escriture.

ARTICLE XVI

NOSTRE EGLISE EST PERPETUELLE ; LA PRETENDUE NE L’EST PAS

Je vous diray, comme j’ay dict cy dessus (art 14), montres moy une dizaine d’annees, des que Nostre Seigneur est monté au ciel, en laquelle nostre Eglise n’ayt esté : ce qui vous garde de sçavoir dire quand nostre Eglise a commencé, c’est parce qu’elle a tousjours duré. Que s’il vous plaisoit vous esclaircir a la bonne foy de cecy, Sanderus, en sa Visible Monarchie, et Gilbert Genbrard, en sa Chronologie, vous fourniroient asses de lumiere, et sur tous le docte Cesar Baron, en ses Annales. Que si vous ne voules pas de premier abord abandonner les livres de vos maistres, et n’aves point les yeux sillés d’une trop excessive passion, si vous regardes de pres les Centuries de Magdebourg, vous n’y verres autre par tout que les actions des Catholiques ; car, dict tres bien un docte de nostre aage (Bx Edm Campion, ubi supra, art 14, p 124), " s’ilz ne les y eussent recueillies ilz eussent laissé mille et cinq cens ans sans histoire. " Je diray quelque chose de cecy cy apres (Art 18, 20).

Or, quant a vostre eglise, supposons ce gros mensonge pour verité, qu’elle ayt esté du tems des Apostres, si ne sera elle pas pourtant l’Eglise Catholique : car, la Catholique doit estre universelle en tems, elle doit donques tousjours durer ; mais dites moy ou estoit vostre eglise il y a cens, deux cens, trois cens ans, et vous ne le sçauries faire, car elle n’estoit point ; elle n’est donques pas la vraye Eglise. Elle estoit, ce me dira peut estre quelqu’un, mais inconneüe : bonté de Dieu, qui ne dira le mesme ? Adamites, Anabaptistes, chacun entrera en ce discourw ; j’ay ja monstré (ch 2 art 1) que l’Eglise militante n’est pas invisible, j’ay monstré qu’elle est universelle en tems, je vais monstrer qu’elle ne peut estre inconneüe.

ARTICLE XVII

LA VRAYE EGLISE DOIT ESTRE UNIVERSELLEE EN LIEUX ET EN PERSONNES

Les Anciens disoyent sagement que sçavoir bien la difference des tems estoit un bon myen d’entendre bien les Escritures, a faute dequoy les Juifz errent, entendant du premier avenement du Messie ce qui est bien souvent dict du second, et les ministres encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l’Eglise telle des saint Gregoire en ça qu’elle doit estre tems de l’Antichrist. Ilz tournent a ce biais ce qui est escrit en l’Apocalipse (12, 6, 14), que la femme s’enfuit en la solitude, dont ilz prennent l’occasion de dire que l’Eglise a esté cachee et secrette jusqu’a ce qu’elle s’est produite en Luther et ses adherens. Mays qui ne voit ce passage ne respire autre que la fin du monde et la persecution de l’Antichrist ? le tems y estant expressement determiné de trois ans et demy, et en Daniel aussi (12, 7). Or, qui voudroit par quelque glosse estendre ce tems que l’Escriture a determiné, contrediroit au Seigneur qui dict qu’il seraplutost accourci, pour l’amour des esleuz (Mat 24, 22). Comme donques osent ilz transporter ceste Escriture a une intelligence si contraire a ses propres circonstances ? Au contraire, l’Eglise est dicte semblable au soleil, a la lune , a l’arc en ciel (Ps 88, 37), a une reyne (Ps 44, 10,14), a une montaigne aussi grande que le monde (Dan 2, 35) : elle ne peut donques estre secrette ni cachee, mays doit estre universelle en son estendue.

Je me contenteray de vous mettre en teste deux des plus grans Docteurs qui furent onques. David avoit dict : Le Seigneur est grand et trop louable, en la cité de nostre Dieu, en la sainte montagne d’iceluy . C’est la cité, dict saint Augustin, assise sur la montaigne, qui ne peut se cacher, c’est la lampe qui ne peut estre couverte sous un tonneau, conneüe et celebre a tous, car il s’ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joye de l’univers. Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n’allume la lampe pour la couvrir sous un muy, comme eust il mis tant de lumieres qui sont en l’Eglise pour les couvrir et cacher en certains coins ? Voicy le mont qui remplit l’univers, voicy la cité qui ne peut se cacher. Les Donatistes rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n’est pas une montaigne, ce disent ilz, et plutost y choquent du front que d’y chercher une demeure. Isaïe, qu’on lisoit hier, cria : Il y aura es derniers jours un mont preparé sur le couppeau des montaignes, mayson du Seigneur, et toutes gens s’y couleront a la file. Qu’y a il de si apparent qu’une montaigne ? mays il se faict des montz inconneuz parce qu’ilz sont assis en un coin de la terre. Qui d’entre vous connoit l’Olimpe ? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d’iceluy ne sçavent que c’est de nostre mont Chidabbe ; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d’Isaïe n’est pas de mesme, car il a rempli toute la face de la terre. La pierre taillee du mont sans oeuvre manuelle, n’est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des Juifz sans oeuvre de mariage ? et ceste pierre la ne fracassa elle pas tous les royaumes de la terre, c’est a dire, toutes les dominations des idoles et demons ? ne s’accreut elle pas jusqu’a remplir le monde ? C’est donq de ce mont qu’il est dit, preparé sur la cime des mons ; c’est un mont eslevé sur le sommet des mons, et toutes gens se rendront vers iceluy. Qui se perd et s’esgare de ce mont ? qui choque et se casse la teste en iceluy ? qui ignore la cité mise sur le mont ? mays non, ne vous esmerveilles pas qu’il soit inconneu a ceux cy qui haïssent les freres, qui haïssent l’Eglise, car, par ce, vont ilz tenebres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l’univers, ilz sont aveugles de mal talent : c’est saint Augustin qui a parlé.

Maintenant oyes saint Hierosme, parlant au nschismatique converti : " Je me resjouis avec toy " , ce dict il, " et rends grace a Jeus Christ mon Dieu, de ce que tu t’es reduit de bon coeur de l’ardeur de fausseté au goust de tout le monde ; ne disnat plus comme quelques uns : O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie vide et avilit la gloire de la Croix, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret qui a esté proferé des pecheurs, il l’entend estre dict de tous les hommes. Mays ja n’advienne que Dieu soit mort pour neant, le puissant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie : Demande moy, et je te donneray les gens pour heritage, et les bornes de la terre pour ta possession. Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plutost trop prophanes, quifont plus de sinagogues que d’eglises ? comme seront destruittes les cités du diable, et les idoles comme seront ilz abattus ? Si Nostre Seigneur n’a point eu d’Eglise, ou s’il l’a eue en la seule Sardigne, certes il est trop appauvri. Ha, si Satan possede une fois le monde, comment auront esté les trophees de la Croix ainsy accueillis et contraints en un coin de tout le monde ?

Et que diroit ce grand personnage s’il vivoit maintenant ? N’est ce pas bien avilir le trophee de Nostre Seigneur ? le Pere celeste, pour la grande humiliation et aneantissement que son Filz subit en l’arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tous genoux se devoient plier en la reverence d’iceluy (Philip 2, 8-10), et parce qu’il avoit livré sa vie a la mort, estant mis au rang des meschans (Is 53, 12) et voleurs, il avoit en heritage beaucoup de gens ; mays ceux cy ne prisent pas tant les passions du Crucifix, levans de sa portion les generations de mille annees, si que a peyne durant ce tems il ait eu quelques serviteurs secretz, qui en fin ne seront qu’hypocrites et meschans ; car je m’adresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestiens, et qui aves esté en la vraye Eglise : ou vous avies la foy, ou vous ne l’avies pas ; si vous ne l’avies pas, o miserables, vous estes damnés (Marc 16, 16), et si vous l’avies, que n’en laissies vous des memoires, que ne vous opposies vous a l’impieté ? Ne sçavies vous que Dieu a recommandé le prochain a un chacun (Eccles 17, 12) ? et qu’on croit de coeur pour la justice, mays qui veut obtenir salut il faut faire la confession de foy (Rom 10, 10 ; Luc 12, 8) ? et comme pouvies vous dire, J’ay creu, et partant j’ay parlé (Ps 115, 1) ? Vous estes encore miserables, qui ayant un si beau talent l’aves caché en terre. Mays si, au contraire, o Calvin et Luther, la vraye foy a tousjours esté publiee par l’antiquité, vous estes miserables vous mesmes qui, pour trouver quelque excuse a vos fantasies, accuses tous les Anciens ou d’impieté s’ilz ont mal creu, ou de lascheté s’ilz se sont teuz.

ARTICLE XVIII

L’EGLISE CATHOLIQUE EST UNIVERSELLE EN LIEUX ET EN PERSONNES

LA PRETENDUE NE L’EST POINT

L’universalité de l’Eglise ne requiert pas que toutes les provinces ou nations reçoivent tout a coup l’Evangile, il suffit que cela se fasse l’une apres l’autre ; en telle sorte que neantmoins l’on voye tousjours l’Eglise, et qu’on connoisse que c’est celle la mesme qui a esté par tout le monde ou la plus grande partie, affin qu’on puisse dire : Venite ascendamus ad montem Domini (Is 2, 3). Car l’Eglise au tems des Apostres jetta par tout ses branches, chargees du fruict de l’Evangile, tesmoin saint Pol (Coloss 1, 6) ; autant en dict saint Irenee en son tems, qui parle de l’Eglise Romaine ou Papale a laquelle il veut que tout le reste de l’Eglise se reduise " pour sa plus puissante principauté " . Prosper parle de nostre Eglise, non de la vostre, quand il dict (Carmen de Ingratis, Pars Ia, lin 40-42) :

" Par l’honneur pastoral, Rome, siege de Pierre,

Est chef de l’univers ; ce qu’elle n’a par guerre

Ou par armes reduict a sa sujettion,

Ores lui est acquis par la religion ; "

Car vous voyes bien qu’il parle de l’Eglise qui reconnoissoit le Pape de Rome pour chef. Du tems de saint Gregoire il y avoit par tout des Catholiques, ainsy qu’on peut voir par les epistres qu’il escrit aux Evesques presque de toutes nations. Au tems de Gratien, Valentinien et Justinien, il y avoit par tout des Catholiques Romains, comme on peut voir par leurs lois. Saint Bernard en dict autant de son tems ; et vous sçaves bien ce qui en estoit au tems de Godefroy de Bouillon. Despuys, la mesme Eglise est venue a nostre aage, et tousjours Romaine et Papale, de façon qu’encores que nostre Eglise maintenant seroit beaucoup moindre qu’elle n’est, elle ne lairroit pas d’estre tres Catholique, parce que c’est la mesme Romaine qui a esté , et qui a possedé presque en toutes les provinces des nations et peuples innombrables. Mais elle est encores maintenant estendue sur toute la terre, en Transylvanie, Pologne, Hongrie, Bohesme et par toute l’Allemagne, en France, en Italie, en Sclavonie, en Candie, en Espagne, Portugal, Sicile, Malte, Corsique, en Grece, en Armenie, en Syrie, et tout par tout : mettray jeicy en conte les Indes orientales et occidentales ? Dequoy qui voudroit voir un abregé, il faudroit qu’il se trouvast en un Chapitre ou assemblee generale des religieux de saint François appellés Observantins : il veroit venir de tous les coins du monde, viel et nouveau, des religieux a l’obeissance d’un simple, vil et abject ; si que ceux la seulz luy sembleroyent suffire pour verifier ceste partie de la prophetie de Malachie (1, 2) : In omni loco sacrificatur nomini meo.

Au contraire, Messieurs, les pretendus ne passent point les Alpes de nostre costé ni les Pyrenees du costé d’Espagne, la Grece ne vous connoist point, les autres trois parties du monde ne sçavent qui vous estes, et n’ont jamais ouÿ parler de Chrestiens sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans chef, san Croix, comme vous estes ; en Allemagne, vos compaignons lutheriens, brensiens, anbaptistes, trinitaires, rognent vostre portion, en Angleterre, les puritains, en france, les libertins : comme donques oses vous plus vous opiniastrer de demeurer ainsy a part du reste de tout le monde a guise des Luciferiens et Donatistes ? Je vous diray, comme disoit saint Augustin a l’un de vos semblables (De unit Eccl, c 17), daignes, je vous prie, nous instruire sur ce point, comme il se peut faire que Nostre Seigneur ayt perdu son Eglise par tout le monde, et qu’il ayt commencé de n’en avoir qu’en vous seulement. Certes, vous appauvrisses trop Nostre Seigneur, dict saint Hierosme (Supra, art 17 p134, cf p 71). Que si vous dites que vostre eglise a desja esté catholique au tems des Apostres, monstres donques qu’elle estoit en ce tems la, car toutes les sectes en diront de mesme ; comme enteres vous ce petit bourgeon de religion pretendue sur ce saint et ancien tige ? faites que vostre eglise touche par une continuation perpetuelle l’Eglise primitive, car si elles ne se touchent, comment tireront elles le suc l’une de l’autre ? ce que vous ne feres jamais. Aussi ne seres vous jamais, si vous ne ranges a l’obeissance de la Catholique, vous ne seres jamais, dis je, avec ceux qui chanteront : Redemisti nos in sanguine tuo, ex omni tribu, et lingua, et populo, et natione, et fecisti nos Deo nostro regnum (Apoc 5, 9-10).

ARTICLE XIX

LA VRAYE EGLISE DOIT ESTRE FECONDE

Peut estre dires vous, a la fin, que cy apres vostre Eglise estendra ses ailes, et se fera catholique par la succession du tems. Mays ce seroit parler a l’adventure ; car, si les Augustin, Chrysostome, Ambroise, Cyprien, Gregoire, et ceste grande trouppe d’excellens pasteurs, n’ont sceu si bien faire que l’Eglise n’ayt donné du nez en terre bien tost apres, comme disent Calvin, Luther et les autres, quelle apparence y a il qu’elle se fortifie maintenat sous la charge de vos ministres, lesquelz ni en sainteté ni en doctrine ne sont comparables avec ceux la ? Si l’Eglise en son printems, esté et automne n’a point fructifié, comme voules vous qu’en son hiver l’on recueille des fruitz ? si en son adolescence elle n’a cheminé, ou voules vous qu’elle coure maintenant en sa viellesse ?

Mais, je dis plus. Vostre Eglise non seulement n’est pas catholique, mais encores ne le peut estre, n’ayant la force ni vertu de produire des enfans, mais seulement de desrobber les poussins d’autruy, comme faict la perdrix ; et neantmoins c’est bien l’une des proprietés de l’Eglise d’estre feconde, c’est pour cela entre autres qu’elle est appellee colombe (Cant 6, 8) ; et si son Espouxquand il veut benir un homme rend sa femme feconde, sicut vitis abundans in lateribus domus suae (Ps 127, 3), et faict habiter la sterile en une famille, mere joyeuse en plusieurs enfans (Ps 112, 9), ne devoit il pas avoir luy mesme une Espouse qui fut feconde ? Mesme que selon la sainte Parole, ceste deserte devoit avoir plusieurs enfans (Is 54, 1 ; Galat 4, 27), ceste nouvelle Hierusalem devoit estre tres peuplee et avoir une grande generation : Ambulabunt gentes in lumine tuo, dict le prophete (Is 54, 3, 4), et reges in splendore ortus tui. Leva in circuitu oculos tuos et vide ; omnes isti congregati sunt, venerunt itbi ; filii tui de longe venient, et filiae tuae de latere surgent (c 53, 11-12) ; et : Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos. Or ceste fecondité de belles nations de l’Eglise se faict principalement par la predication, comme dict saint Pol (1 Cor 4, 15) : per Evangelium ego vos genui : la predication donques de l’Eglise doit estre neflammee : Ignitum eloquium tuum Domine (Ps 118, 40) ; et qu’y a il de plus actif, vif, penetrant et prompt a convertir et bailler forme aux autres matieres que le feu ?

ARTICLE XX

L’EGLISE CATHOLIQUE EST FECONDE

Telle fut la predication de saint Augustin en Angleterre, de saint Boniface en Allemagne, de saint Patrice en Hibernie, de Willibrord en frize, de Cyrille en Bohesme, d’Adalbert en Pologne, d’Astric en Hongrie, de saint Vincent Ferrier, de Jean Capistran ; telle la predication des Freres fervens, Henry, Anthoyne, Louis, de François Xavier et mille autres, qui ont renversé l’idolatrie par la sainte predication, et tous estoyent Catholiques Romains.

Au contraire, vos ministres n’ont encores converti aucune province du paganisme, ni aucune contree : diviser le Christianisme , y faire des factions, mettre en pieces la robbe de Nostre Seigneur, ce sont les effectz de leurs predications. La Doctrine Chrestienne Catholique est une douce pluie, qui fait germer la terre infructueuse ; la leur ressmeble plutost a une gresle qui rompt et terrasse les moissons, et met en friche les plsu fructueuses campaignes. Prenes garde a ce que dict saint Jude : Malheur, ce dict, a ceux qui perissenten la contradiction de Coré ; Coré estoit schismatique : ce sont des souilleures a un festin, banquetans sans crainte, se repaissans eux mesmes, nuees sans eaux qui sont transportees ça et la aux vens ; ilz ont l’exterieur de l’Escriture, mays ilz n’ont pas la liqueur interieure de l’esprit : arbres infructueuses de l’automne ; ilz n’ont que la feuille de la lettre, et n’ont point le fruit de l’intelligence : doublement mortz ; mortz quant a la charité par la division, et quant a la foy par l’heresie : desracinés, qui ne peuvent plus porter fruict ; flotz de mer agitee, escumans sesconfusions de debatz, disputes et remuemens ; plantes errantes, qui ne peuvent servir de guide a personne, et n’ont point de fermeté de foy mays changent a tous propos. Quelle merveille donques si vostre predication est sterile ? vous n’aves que l’escorce sans le suc, comme voules vous qu’elle germe ? vous n’aves que le fourreausans espee, la lettre sans l’intelligence, ce n’est pas merveille si vous ne pouves dompter l’idolatrie : ainsy saint Pol (2 Tim 3, 9), parlant de ceux qui se separent de l’Eglise, il proteste sed ultra non proficient. Si donques vostre eglise ne se peut en aucune façon dire catholique jusques a present, moins deves vous esperer qu’elle le soit cy apres ; puysque sa predication est si flaque, et que ses prescheurs n’ont jamais entrepris, comme dict Tertullien (De Praescr, c 42), la charge ou commission ethnicos convertendi, mays seulement nostros evertendi. O quelle eglise, donques, qui n’est ni unie, ni sainte, ni catholique, et qui pis est, ne peut avoir aucune raysonnable esperance de jamais l’estre.

ARTICLE XXI

DU TITRE D’APOSTOLIQUE : MARQUE QUATRIESME

Le manuscrit ne contient pas cet exposé.

SECONDE PARTIE

LES REGLES DE LA FOI

AVANT-PROPOS

Si l’advis que saint Jan donne (1Jean 4, 1), de ne pas croire a toutes sortes d’espritz, fut onques necessaire, il l’est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un’esgale asseurance, demandent creance parmi la Chrestienté en vertu de la Parole de Dieu ; apres lesquelz on a veu tant de peuples s’escarter, qui ça qui la, chacun a son humeur. Comme le vulgaire admire les cometes et feuz erratiques, et croit que ce soyent des vrays astres et vives planettes, tandis que les plus entenduz connoissent bien que ce ne sont que flammes qui se coulent en l’air le long de quelques vapeurs qui leur servent de pasture, et n’ont rien de commun avec les astres incorruptibles que ceste grossiere clarté qui les rend visibles ; ainsy le miserable peuple de nostre aage , voyant certaines chaudes cervelles s’enflammer a la suite de quelques subtilités humaines, esclairees de l’escorce de la Saint’Escriture, il a creu que c’estoyent des verités celestes et s’y est amusé, quoy que les gens de bien et judicieux tesmoignoient que ce n’estoyent que des inventions terrestres qui, se consumants peu a peu, ne laisseroyent autre memoyre d’elles que le ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit ordinairement ces apparences.

O combien estoit il necessaire de ne s’abbandonner pas a ces espritz, et premier que de les suivre, esprouver s’ilz estoyent de Dieu ou non (1 Jean, ubi sup). Helas, il ne manquoit pas de pierres de touche pour descouvrir le bas or de leurs happelourdes, car Celuy qui nous fait dire que nous epprouvions les espritz, ne l’eut pas fait s’il n’eut sçeu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d’avec le faint esprit. Nous en avons donques, et personne ne le nie, mays les seducteurs en produisent de telles quilz les puyssent faulser et plier a leurs intentions, affin qu’ayans les regles en main ilz se rendent recommandables, comme par un signe infallible de leur maistrise, sous pretexte duquel ilz puysent former une foy et religion telle qu’ilz l’ont imaginee. Il importe donques infiniment de sçavoir quelles sont les vraÿes Regles de nostre creance, car on pourra aysement connoistre par la l’heresie d’avec la vraÿe Religion, et c’est ce que je pretens faire voir en ceste seconde Partie.

Voicy mon projet. La foy Chrestienne est fondëe sur la parole de Dieu ; c’est cela qui la met au sauverain degré d’asseurance, comm’ayant a garend cest’eternelle et infallible verité ; la foy qui s’appuÿe ailleurs n’est pas Chrestienne : donques la Parole de Dieu est la vraÿe Regle de bien croire, puysqu’estre Fondement et Regle en cest endroit n’est qu’une mesme chose. Mays parce que ceste Regle ne regle point nostre croyance sinon quand ell’est appliquee, proposee et declairee, et que cecy se peut bien et mal faire, il ne suffit pas de sçavoir que la Parole de Dieu est la vraÿe et infallible Regle de bien croire, si je ne sçai quelle parole est de Dieu, ou ell’est, qui la doit proposer, appliquer et declairer. J’ay beau sçavoir que la Parole de Dieu est infallible, que pour tout cela je ne croiray pas que Jesus est le Christ Filz de Dieu vivant, si je ne suys asseuré que ce soit une parole revelee par le Pere celeste, et quand je sçauray cecy , encor ne seray je pas hors d’affaire, si je ne sçai comm’il le faut entendre, ou d’une filiation adoptive, a l’Arienne, ou d’une filiation naturelle, a la Catholique.

Il faut donques, outre ceste premiere et fondamentale Regle de la Parole de Dieu , un’autre seconde Regle par laquelle la premiere nous soit bien et deuement proposëe, appliquëe et declairee ; et affin que nous ne soyons sujetz a l’esbranslement et a l’incertitude, il faut que non seulement la premiere Regle, a sçavoir, la Parole de Dieu, mays encor la seconde, qui propose et applique ceste Parole, soit du tout infallible, autrement nous dmeurons tousjours en branle et en doute d’estre mal reglés et appuyés en nostre foy et croyance ; non ja par aucune defaute de la premiere Regle, mays par l’erreur et faute de la proposition et application d’icelle. Certes, le danger est egal, ou d’estre desreglé a faute d’une juste Regle, ou d’estre mal reglé a faute d’un’application bien reglëe et juste de la Regle mesme. Mays cest’infallibilité, requise tant en la Regle qu’en son application, ne peut avoir sa source que de Dieu mesme, vive et premiere fontaine de toute verité. Passons outre.

Or, comme Dieu revela sa Parole et parla pieça par la bouche des Peres et Prophetes, et finalement en son Filz (Heb 1, 1-2), puys par les Apostres et Evangelistes, desquelz les langues ne furent que comme plumes de secretaires escrivans tres promptement (Ps 44, 2), employant en ceste sorte les hommes pour parler aux hommes, ainsy, pour proposer, appliquer et declairer ceste sienne Parole, il emploÿe son Espouse visible comme son truchement et l’interprete de ses intentions. C’est donq Dieu seul qui regle nostre croyance Chrestienne, mais avec deux instrumens, en diverse façon : 1. par sa Parole, com’avec une regle formelle ; 2. par son Eglise, comme par la main du compasseur et regleur. Disons ainsy : Dieu est le peintre, nostre foy la peinture, les couleurs sont la parole de Dieu, le pinceau c’est l’Eglise. Voyla donques deux Regles ordinaires et infallibles de nostre croyance : la Parole de Dieu qui est la Regle fondamentale et formelle, l’Eglise de Dieu qui est la Regle d’application et d’explication . Je consider’en ceste seconde Partie et l’un’et l’autre ; mays, pour en rendre le traitté plus clair et maniable, j’ay divisé ces deux Regles en plusieurs, en ceste sorte :

La Parolle de Dieu, Regle formelle de nostre foy, ou ell’est en l’Escriture ou en la Tradition : je traitte premierement de l’Escriture, puys de la Tradition.

L’Eglise, qui est la Regle d’application, ou elle se declaire en tout son cors universel, par une croyance generale de tous les Chrestiens, ou en ses principales et nobles parties, par un consentement de ses pasteurs et docteurs ; et en ceste derniere façon, ou c’est en ses pasteurs assemblés en un lieu et en un tems, comm’en un Concile general, ou c’est en ses pasteurs divisés de lieux et d’aage mays assemblés en union et correspondance de foy, ou bien, en fin ,ceste mesm’Eglise se declaire et parle par son chef ministerial : et ce sont quattre Regles explicantes et applicantes pour nostre foy, l’Eglise ne cors, le Concile general, le consentement des Peres et le Pape ; outre lesquelles nous ne devons pas en rechercher d’autres, celles ci suffisent pour affermir les plus inconstans.

Mays Dieu, qui se plait en la surabondance de ses faveurs, voulant ayder la foiblesse des hommes, ne laisse pas d’adjouster par fois a ces Regles ordinaires (je parle de l’etablissement et fondation de l’Eglise), une Regle extraordinaire, trescertaine et de grand’importance ; c’est le Miracle, tesmoignage extraordinaire de la vraye application de la Parole divine.

En fin , la Rayson naturelle peut encor estre ditte une Regle de bien croire, mays negativement, et non pas affirmativement ; car qui diroit ainsy, telle proposition est article de foy donques ell’est selon la rayson naturelle, ceste consequence affirmative seroit mal tiree , puysque presque toute nostre foy est hors et par dessus nostre rayson ; mays qui diroit, cela est un article de foy donques il ne doit pas estre contre la rayson naturelle, la consequence est bonne, car la rayson naturelle et la foy estant puysees de mesme source et sorties d’un mesm’autheur, elles ne peuvent estre contraires.

Voyla donques 8 regles de la foy : l’Escriture, la Ttradition, l’Eglise, le Concile, les Peres, le Pape, les Miracles, la Rayson naturelle. Les deux premieres ne sont qu’une Regle formelle, les quattre suivantes ne sont qu’une Regle d’application, la septieme est extraordinaire, et la huittieme, negative. Au reste, qui voudroit reduire toutes ces regles en une seule, diroit que l’unique et vraye Regle de bien croire c’est la Parolle de Dieu, preschëe par l’Eglise de Dieu.

Or, j’entreprens icy de monstrer, clair comme le beau jour, que vos reformateurs ont violé et forcé toutes ces Regles (et il suffiroit de monstrer quilz en ont violé l’une, puysqu’elles s’entretiennent tellement que qui en viole l’une viole toutes les autres) ; affin que, comme vous aves veu en la premiere Partie qu’ilz vous ont levés du giron de la vraye Eglise par schisme, vous connoissies en ceste seconde partie quilz vous ont osté la lumiere de la vraye foy par l’heresie, pour vous tirer a la suitte de leurs illusions. Et me tiens tousjours sur une mesme posture, car je prouve premierement que les Regles que je produitz sont tres certaines et infallibles, puys je fais toucher au doigt que vos docteurs les ont violees. C’est icy ou je vous apelle au nom de Dieu tout puyssant, et vous somme de sa part de juger justement.

CHAPITRE PREMIER

QUE LES REFORMATEURS PRAETENDUS ONT VIOLE

LA SAINTE ESCRITURE, PREMIERE REGLE DE NOSTRE FOI

ARTICLE PREMIER

LA SAINTE ESCRITURE EST UNE VRAYE REGLE

DE LA FOI CHRESTIENNE

J sçay bien ,Dieu merci, que la Tradition a esté devant tout’Escriture, puysque mesm’une bonne partie de l’Escriture n’est que Tradition reduitte en escrit avec un’infallible assistence du Saint Esprit ; mays parce que l’authorité de l’Escriture est plus aysement receüe par les reformateurs que celle de la Tradition, je commence par cest endroit, pour faire un’entree plus aysee a mon discours.

La Sainte Escriture est tellement Regle a nostre creance Chrestienne, que qui ne croit tout ce qu’elle contient, ou croit quelque chose qui luy soit tant soit peu contraire, il est infidele. Nostre Seigneur y a renvoyé les Juifz pour redresser leur foy (Jean 5, 39) ; les Sadduceens erroyent pour ignorer les Escritures (Marc 12, 24) ; c’est donq un niveau tres asseuré, c’est un flambeau luysant es obscurités, comme parle saint Pierre (2 Pierre 1, 19), lequel ayant ouÿ luy mesme la voix du Pere en la Transfiguration du Filz, se tient neantmoins pour plus asseuré au tesmoignage des Prophetes qu’en ceste sienne experience (vers 17, 18). Mays je pers tems ; nous sommes d’accord en ce point, et ceux qui sont si desesperés que d’y contredire, ne sçavent pas appuyer leur contradiction que sur l’Escriture mesme, se contredisans a eux mesmes avant que de contredire a l’Escriture, se servans d’elle en la protestation quilz font de ne s’en vouloir servir.

ARTICLE II

COMBIEN ON DOIT ESTRE JALOUX DE SON INTEGRITE

Je ne m’arresteray pas nomplus gueres en cest endroit. On appelle la Sainte Escriture, Livre du Viel et du Nouveau Testament. Certes, quand un notaire a expedié un contract ou autr’escriture, personne n’y peut remuer, oster, adjouster un seul mot sans estre tenu pour faulsaire : voicy l’Escriture des testamentz de Dieu, expediee par les notaires a ce deputés ; comme la peut on altérer tant soit peu sans impieté ?

Les promesses ont esté dittes a Abraham, dict saint Pol (Gal 3, 16), et a sa semence ; il n’est pas dict, et ses semences, comme en plusieurs, mais comm’en une, et a ta semence, qui est Christ : voyes, je vous prie, combien la variation du singulier au plurier eust gasté le sens misterieux de ceste parole. Nostre Seigneur met en conte les iota, voire les seulz petitz pointz et accens de ces saintes paroles (Mat 5, 18) ; combien donques est il jaloux de leur integrité ? Les Ephrateens disoyent sibolleth, sans oublier pas une seule lettre, mais par ce quilz ne prononçoyent pas asses grassement, les Galaadites les esgorgeoyent sur le quay du Jordain (Jud 12, 6). La seule difference de prononciation en parlant, et en escrit la seule transposition d’un point sur la lettre scin, faisoyt tout l’equivocque, et, changeant le jamin en semol, au lieu d’un espi de blé signifioit une charge oufardeau. Qui change tant soit peu la sainte Parole merite la mort, qui ose mesler le prophane au sacré (Levit 10, 9-10). Les Arriens corrompoyent ceste sentence de l’Evangile (Jean 1, 1-2), In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Deum, en remuant un seul point ; car ilz lisoyent ainsy (Aug, l 3 De Doct Christiana, c 2) : Et Verbum erat apud Deum, et Deus erat. (Ici ilz mettoyent le point, puys recommençoyent la periode) Verbum hoc erat in principio apud Deum. Ilz mettoyent le point apres l’erat, au lieu de le mettr’apres le Verbum ; ce qu’ilz faisoyent de peur d’estre convaincuz par ce texte que le Verbe est Dieu : tant il faut peu pour alterer ceste sacree Parole.

Quand le vin est meilleur il se ressent plustost du gout estranger, et la cimetrie d’un excellent tableau ne peut souffrir le meslange de nouvelles couleurs. Le sacré depost des Saintes Escritures doit estre gardé bien conscientieusement.

ARTICLE III

QUELZ SONT LES LIVRES SACRES DE LA PAROLE DE DIEU

Tous les livres sacrés sont premierement divisés en deux, en ceux du Viel Testament et ceux du Nouveau : puys, autant les uns que les autres sont partagés en deux rangs ; car il y a des Livres, tant du Viel que du Nouveau Testament, desquelz on n’a jamais douté quilz ne fussent sacrés et canoniques, il y en a desquelz l’on a douté pour un tems, mais en fin ont estés receuz avec ceux du premier rang.

Ceux du premier rang, de l’Ancien Testament, sont les cinq de Moyse, Josué, les Juges, Ruth, 4 des Rois, 2 de Paralipomenon, 2 d’Esdras et de Nehemie, Job, 150 Psaumes, les Proverbes, l’Ecclesiaste, les Cantiques, les 4 Prophetes plus grans, les douze moindres. Ceux ci furent canonisés par le grand Sinode ou se trouva Esdras et y fut scribe, et jamais personne ne douta de leur authorité qui ne fut tenu peremptoirment heretique, comme nostre docte Genebrard va deduysant en sa Chronologie. Le second rang contient ceuxci : Hester, Baruch, une partie de Daniel, Tobie, Judith, la Sapience, l’Ecclesiastique, les Macchabees, premier et second. Et quand a ceux ci il y a grand’apparence, au dire du mesme docteur Genebrard, qu’en l’assemblëe qui se fit en Hierusalem pour envoyer les 72 interpretes en Aegipte, ces Livres, qui n’estoyent encores en estre quand Esras fit le premier canon, furent alhors canonisés, au moins tacitement, puysqu’ilz furent envoyés avec les autres pour estre traduitz ; hormis les Macchabbes, qui furent receuz en un’autr’assemblee par apres, en laquelle les praecedens furent drechef approuvés : mays comme que ce soit, par ce que ce second canon ne fut pas faict si authentiquement que le premier, ceste canonisation ne leur peut acquerir un’entiere et indubitabl’authorité parmi les Juifz, ni les esgaler aux Livres du premier rang.

Ainsy dirai je des Livres du Nouveau Testament, qu’il y en a du premier rang, qui ont tousjours esté reconneuz pour sacrés et canoniques entre les Catholiques : telz sont les 4 evangiles, selon saint Mathieu, saint Marc, saint Luc, saint Jan, les Actes des Apôtres, toutes les Epistres de saint Pol hormis celle aux Hebrieux, une de saint Pierre, une de saint Jan. Ceuxdu second rang sont l’Epistre aux Hebrieux, celle de saint Jaques, la seconde de saint Pierre, la second’et troisiesme de saint Jan, celle de saint Jude, l’Apocalipse, et certaines parties de saint Marc, de saint Luc et de l’Evangile et Epistre premiere de saint Jan : et ceuxci ne furent pas d’indubitabl’authorité en l’Eglise au commencement, mais, avec le tems, en fin furent reconneuz comme ouvrage sacré du Saint Esprit, et non pas tout a coup, mais a diverses fois. Et premierment, outre ceux du premier rang tant du Viel que du Nouveau Testament, environ l’an 364 on receut au Concile de Laodicee (Can 59) (qui depuis fut approuve au Concile general sixieme (1)), le livre d’Hester, l’Epistre de saint Jaques, la 2. de saint Pierre, la 2. et 3. de saint Jan, celle de saint Jude, et l’Epistre aux Hebreux comme la quatorsiesme de saint Pol. Puys, quelque tems apres, au Concile 3. de Cartage (Can 6-7), auquel se trouva saint Augustin, et a esté confirmé au

General, de Trulles, outre les Livres precedens du second rang, furent receuz au canon comme indubitables, Thobie, Judith, deux des Macchabëes, la Sapience, l’Ecclesiastique et l’Apocalipse ; mais avant tous ceux du second rang, le Livre de Judith fut receu et reconneu pour divin au premier general Concile de Nicee, ainsy que saint Hierosme en est tesmoin, en sa praeface sur iceluy. Voyla comm’on assembla les deux rangs en un, et furent renduz d’esgale authorité en l’Eglise de Dieu ; mays avec progres et succession, comm’une bell’aube levante qui peu a peu esclaire nostr’hemisphere. Ainsy fut dessé au Concile de Cartage la mesme liste des Livres canoniques qui a despuys tousjours esté en l’Eglise Catholique, et fut confirmee au sixiesme general (Can 2), au grand Concile de Florence en l’Union des Armeniens, et en nostr’aage au Concile de Trente, et fut suivie par saint Augustin (l 2 De Doct Christiana c 8)

A peu que je n’ay oublié de dire, vous ne deves point entrer en scrupule sur ce que je viens de deduyre, encor que Baruch ne soyt pas nommément cotté au Concile de Carthage, mais seulement en celuy de Florence et de Trente ; car, d’autant que Baruch estoit secretaire de Jeremie (36, 4), on mettoit en conte parmi les Anciens le Livre de Baruch comm’un accessoire ou appendice de Jeremie, le comprenant sous iceluy, ainsy que cest excellent theologien Belarmin le prouve en ses Controverses. Mays il me suffit d’avoir dict cecy ; mon Memorial n’est pas obligé de s’arrester sur chasque particularité. Somme, tous les Livres, tant du premier que du second rang, sont egalement certains, sacrés et canoniques.

ARTICLE IV

PREMIERE VIOLATION DES SAINTES ESCRITURES

FAITTE PAR LES REFORMATEURS, RETRANCHANS PLUSIEURS

PIECES D’ICELLES

Voyla les Livres sacrés et canoniques, que l’Eglise a receu et reconneu unanimement des douze centz ans en ça : et avec quell’authorité ont osé ces nouveuax reformateurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de la Bible ? Ilz ont raclé une partie d’Hester, Baruch, Thobie, Judith, la Sapience, l’Ecclesiastique, les Maccabees ; qui leur a dict que ces Livres ne sont pas legitimes et recevables ? pourquoy desmembrent ilz ainsy ce sacré cors des Escritures ?

Voicy leurs principales raysons, ainsy que j’ay peu recueillir de la vielle praeface, faicte devant les Livres praetenduz apocriphes imprimés a Neuf chastel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et amy de Calvin, et encores de la plus nouvelle, faitte sur les mesmes Livres par les professeurs et pasteurs pretenduz de l’eglise de Geneve, l’an 1588. 1. " Ilz ne se trouvent ni en Ebreu ni en Caldee, esquelles langues jadis ont estés escritz (fors a l’adventure le Livre de Sapience), dont grande difficulté seroit de les restituer. " 2. " Ilz ne sont point receuz comme legitimes des Ebreux " ; 3. " ni de toute l’Eglise. " 4. Saint Hierosme dict quilz ne sont point estimés " idoines " pour " corroborer l’authorité des doctrines ecclesiastiques. " (Praefat in lib Salom, Ad Chromat et Heliodor) 5. Le Droit Canon "en profere son jugement (Can Sta Romana Dist XV decreti Ia pars) 6. et la Glose (Can Canones Dist XVI), " qui dict qu’on les lit mais non point en general, comme si elle vouloit dire que genralement par tout ne soyent point approuvés. " 7. " Ilz ont estés corrompuz et falsifiés ", comme dict Eusebe (L 4, c 22) ; 8. " notamment les Macchabees ", 9. et specialement le second, que saint Hierosme dict " n’avoir trouvé en Ebreu " (In Prologo galeato, ad libros Sam et Mal). Voyla les raysons d’Olivetanus. 10. Il y a en iceux " plusieurs choses fauses ", dict la nouvelle praeface. Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches.

1. Et quand a la premiere : estes vous d’avis den e recevoir pas ces Livres par ce quilz ne se trouvent pas en Hebreu ou Caldee ? receves donques Tobie, car saint Hierosme atteste quil l’a traduit de Caldee en latin, en l’epistre que vous cités vous mesmes (Epistola ad Chromatium et Heliodorum (Praefat in Tobium)) , qui me fait croire que vous n’estes guere gens a la bonne foy ; et Judith, pourquoy non ? qui a aussi bien esté escrit en Caldee, comme dict le mesme saint Hierosme, au Prologue ; et si saint Hierosme dict quil n’a peu trouver le 2. des Macchabees en Hebreu, qu’en peut mais le premier ? receves-le tousjours a bon conte, nous traitterons par apres du second. Ainsy vous diray je de l’Ecclesiastique, que saint hiérosme a eu et trouvé en Hebreu, comme il dict en sa praeface sur les Livres de Salomon. Puys donques que vous rejettes esgalement ces Livres escritz en Hebreu et Caldee avec les autres qui ne sont pas escritz en mesme langage, il vous faut chercher un autre praetexte que celuy que vous aves allegué, pour racler ces Livres du canon : quand vous dittes que vous les rejettes par ce quilz ne sont escritz ni en Hebreu ni en Caldee, ce n’est pas cela, car vous ne rejetteries pas, a ce conte, Tobie, Judith, le premier des Macchabees, l’Ecclesiastique, qui sont escritz ou en Hebreu ou en Caldee. Mays parlons maintenant pour les autres livres, qui sont escritz en autre langage que celuy que vous voules. Ou trouves vous que la regle de bien recevoir les Saintes Escritures soyt, qu’elles soyent escrittes en ces langages la plustost qu’en Grec ou Latin ? vous dittes quil ne faut rien recevoir en matiere de religion que ce qui est escrit, et apportes en vostre belle preface le dire des jurisconsultes : Eribescimus sine lege loqui ; vous semble il pas que la dispute qui se faict sur la validité ou invalidité des escritures soyt une des plus importantes en matiere de religion ? sus donques, ou dmeurés honteux, ou produises la Sainte Escriture pour la negative que vous soustenés : certes, le Saint Esprit se declaire aussi bien en Grec qu’en Caldee. On auroit, dittes vous, " grande difficulté de les restituer ", puys qu’on ne les a pas en leur langue originaire. Est ce cela qui vous fasche ? Mais pour Dieu, dittes moy, qui vous a dict quilz sont perduz, corrompuz ou alterés, pour avoir besoin de restitution ? Vous praesupposes peut estre que ceux qui les auront traduitz sur l’originaire auront mal traduit, et vous voudries avoir l’original pour les collationner et les juger. Laissés vous donq entendre, et dittes quilz sont apocriphes par ce que vous n’en pouves pas estre vous mesme le traducteur sur l’original, et que vous ne vosu pouves fier au jugement du traducteur : il ni aura donq rien d’asseuré que ce que vous aures conterollé ? monstres moy ceste regle d’asseurance en l’Escriture. Plus, estes vous bien asseuré d’avoir les textes hebreux des Livres du premier rang ainsy purs et netz comm’ilz estoyent au tems des Apostres et des 70 ? Gardes de mesprendre ; certes, vous ne les suives pas tousjours, et ne sçauries en bonne conscience : monstres moy encor cecy en la Saint’Escriture. Voyla donques vostre premiere rayson bien desraysonnable.

2. Quand a ce que vous dittes que ces Livres que vous appelles apocriphes ne sont point receuz par les Hebreux, vous ne dittes rien de nouveau ni d’important ; saint Augustin proteste bien haut : " Libros Machabeorum non Judaei sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet : Non les Juifz, mais l’Eglise Catholique tient les Livres des Macchabees pour canoniques. " (l 18 c 36 Cité) Dieu merci, nous ne sommes pas des Juifz, nous sommes Catholiques : monstres moy par l’Escriture que l’Eglise Chrestienne n’aye pas autant de pouvoir pour authoriser les Livres sacrés qu’en avoit la Mosaique : il ni a en cela ni Escriture ni raison qui le monstre.

3. Oüy, mais toute l’Eglise mesme ne les reçoit pas, dites vous. Et de quell’eglise entendes vous ? certes, l’Eglise Catholique, qui est la seule vraye, les reçoit, comme saint Augustin vient de vous attester maintenant, et le repete encores ailleurs : le Concile de Carthage, celuy de Trulles, 6. general, celuy de Florence, et cent autheurs anciens, en sont tesmoins irreprochables et saint Hierosme nommement, qui atteste du livre de Judith qui fut receu au Concile premier de Nicee. Peut estre voules vous dire qu’anciennement quelques Catholiques douteront de leur authorité ; c’est selon la division que j’ay faitte ci-dessus : mais quoy pour cela ? le doute de ceux la a il peu empecher la resolution de leurs successeurs ? est ce a dire que si on n’est pas tout au premier coup resolu, il faille tousjours demeurer en bransle, incertain et irresolu ? A l’on pas esté pour un tems incertain de l’Apocalipse et d’Ester ? Vous ne l’oseries nier, j’ay de trop bons tesmoins ; d’Ester, saint Athanase et saint Gregoire Nazianzene, de l’Apocalipse, le Concile de Laodicee : et neanmoins vous les receves ; ou receves-les tous, puysqu’ilz sont d’esgale condition , ou n’en receves point, par mesme rayson. Mays, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d’alleguer icy l’Eglise, l’authorité delaquelle vous tenes cent fois plus incertaine que ces Livres mesme, et que vous dittes avoir esté fautifve, inconstante, voire apocriphe, si apocriphe veut dire caché ; vous ne la prises que pour la mespriser et la faire paroistre inconstante, ores advouant ores desavouant ces Livres. Mais il y a bien a dire entre douter d’une chose si ell’est recevable, et la rejetter : le doute n’empeche pas la resolution suivante, ains en est un praellable ; rejetter praesuppose resolution. Estre inconstant ce n’est pas changer un doute en resolution, mais ouy bien changer de resolution en doute ; ce n’est pas instabilité de s’affermir apres l’esbranlement, mays ouy bien de s’esbranler apres l’affermissement. L’Eglise donques, ayant pour un tems laissés ces Livres en doute, en fin les a receu en resolution authentique ; et vous voules que de ceste resolution elle retourne au doute. C’est le propre de l’heresie et non de l’Eglise de proufiter ainsy de mal en pis (2 Tim 3, 13) ; mays de ceci ailleurs.

4. Quand a saint Hiérosme que vous allegués, ce n’est rien a propos, puysque de son tems l’Eglise n’avoit encor pas pris la resolution qu’ell’a prise despuys, touchant la canonisation de ces Livres, hormis pour celuy de Judith.

5. Et le canon Sancta Romana, qui est de Gelaise premier, je crois que vous l’aves rencontré a tastons, car il est tout contre vous ; puysque, censurant les Livres apocriphes, il n’en nomme pas un de ceux que nous recevons, ains au contraire atteste que Tobie et les Maccabees estoyent receuz publiquement en l’Eglise.

6. Et la pauvre Glosse ne merite pas que vous la glossies ainsy, puysqu’elle dict clairement (Can Canones dist 16 decreti Ia Pars)) que " ces Livres sont leuz, mais non peut estre generalement ". Ce " peut estre " la garde de mentir, et vous l’aves oublié ; et si elle met en conte ces Livres icy dont est question, comm’apocriphes, c’est parce qu’elle croyoit que apocriphe, volut dire, n’avoir point de certain autheur, et partant y enroolle comm’apocriphe le Livre des Juges : et sa sentence n’est pas si authentique qu’elle passe en chose jugee ; en fin, ce n’est qu’une glosse.

7. Et ces falsifications que vous allegues ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l’authorité de ces Livres, par ce qu’ilz ont esté justifiés et espurés de toute corruption avant que l’Eglise les receut. Certes, tous les Livres de la Saint’Escriture ont esté corrompuz par les anciens ennemis de l’Eglise, mais, par la providence de Dieu, ilz sont demeurés francz et netz en la main de l’Eglise comm’un sacré depost, et jamais on n’a peu gaster tant d’exemplaires quil n’en soit asses demeuré pour restaurer les autres.

8. Mays vous voules sur tout que les Maccabees nous tumbe des mains, quand vous dittes qu’ilz ont estés corrompuz ; or, puysque vous n’avances qu’une simple affirmation, je n’y pareray que par une simple negation.

9. Saint Hiérosme dict qu’il n’a sceu trouver le 2. en Hebreu ; et bien, que le premier y soit ; le second n’est que comme une epistre que les Anciens d’Israel envoyerent aux freres Juifz qui estoyent hors la Judee, et si ell’est escrite au langage le plus conneu et commun de ce tems-la, s’ensuit-il qu’elle ne soit pas recevable ? Les Aegyptiens avoyent en usage le langage grec beaucoup plus que l’hebreu, comme monstra bien Ptolemee quand il procura la version des 72 ; voyla pourquoy ce 2. Livre des Maccabees, qui estoit comme une epistre ou commentaire envoyé pour la consolation des Juifz qui habitoyent en Egipte, a esté escrit en Grec plus tost qu’en Hebreu.

10. Reste que les nouveaux praefaceurs monstrent ces fausetés desquelles ilz accusent ces Livres, ce qu’a la verité ilz ne feront jamais ; mays je les voys venir : ilz produiront l’intercession des Saintz, la priere pour les trepassés, le franc arbitre, l’honneur des reliques et semblables pointz, qui sont expressement confirmés es Livres des Maccabees, en l’Ecclesiastique et autres Livres quilz praetendent apocriphes. Prenes garde, pour Dieu, que vostre jugement ne vous trompe ; pourquoy, je vous prie, apelles vous faucetés ce que totue l’antiquité a tenu pour articles de foy ? que ne censures vous doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, receuz de si long tems, par ce quilz ne secondent pas a vos humeurs ? parce que vous ne voules pas croire ce que les Livres enseignent, vous les condamnes ; et que ne condamnes vous plustost vostre temerité, qui se rend incredule a leurs enseignemens ?

Voyla, ce me semble, toutes vos raysons esvanouÿes, et n’ensçauries produire d’autres ; mays nous sçaurons bien dire, que sil est ainsy loysible indifferemment de rejetter ou revoquer en doute l’authorité des Escritures desquelles on a douté pieça, quoy que l’Eglise en aÿe determiné, il faudra rejetter ou douter d’une grande partie du Viel et du Nouveau Testament. Ce n’est donq pas un petit gain a l’ennemy du Christianisme, d’avoir de plein sault raclé en la Sainte Escriture tant de nobles parties. Passons outre.

ARTICLE V

SECONDE VIOLATION DES ESCRITURES

PAR LA REGLE QUE LES REFORMEURS PRODUISENT POUR DISCERNER

LES LIVRES SACRES D’AVEC LES AUTRES

ET DE QUELQUES MENUS RETRANCHEMENS D’ICEUX

QUI S’EN ENSUIVENT

Le marchand rusé tient en monstre les moindres pieces de sa boutique, et les offre les premieres aux acheteurs, pour essayer s’il les pourra deduire et vendre a quelque niais. Les raysons que les reformeurs ont avancees au chapitre precedent ne sont que biffes, comme nous avons veu, desquelles on se sert comme d’amusement, pour voir si quelque simple et foible cervelle s’en voudroit contenter : et de faict, quand on vient au joindre, ilz confessent que ni l’authorité de l’Eglise, ni de saint Hierosme, ni de la Glosse, ni du Caldee, ni de l’Hebreu, n’est pas cause suffisante pour recevoir ou rejetter quelque escriture. Voicy leur protestation en la Confession de foy presentee au Roy de France par les François pretendus reformés : apres qu’ilz ont mis en liste, en l’Article troisiesme, les Livres qu’ilz veulent recevoir, ilz escrivent ainsy en l’Article quatriesme : " Nous connoissons ces Livres estre canoniques et regle tres certaine de nostre foy, non tant par le comun accord et consentement de l’Eglise, que par le tesmoignange et persuasion interieure du Saint Esprit, qui nous les faict discerner d’avec les autres livres ecclesiastiques. Quittans donques le champ des raysons precedentes pour se mettre a couvert, ilz se jettent dans l’interieure, secrette et invisible persuasion qu’ilz estiment estre faicte en eux par le Saint Esprit.

Or, a la verité, c’est bien procedé a eux de ne vouloir s’appuyer en cest article sur le commun accord et consentement de l’Eglise ; puysque ce commun accord a canonisé l’Ecclesiastique, les Livres des Macchabees, tout autant et aussitost que l’Apocalipse, et neantmoins ilz veulent recevoir celuy ci et rejetter ceux la : Judith, authorisé par le grand premier et irreprochable Concile de Nicee, est biffé par les reformeurs ; ilz ont donques rayson de confesser qu’en la reception des Livres canoniques, ilz ne reçoivent point l’accord et consentement de l’Eglise, qui ne fut onques plus grand ni solemnel qu’en ce premier Concile. Mais pour Dieu, voyes la ruse. " Nous connoissons ", disent ilz, "  ces Livres estre canoniques, non tant par le commun accord de l’Eglise " : a les ouÿr parler, ne diries vous pas qu’au moins en quelque façon ilz se laissent guider a l’Eglise ? Leur parler n’est pas franc : il semble qu’ilz ne refusent pas du tout credit au commun accord des Chrestiens, mais que seulement ilz ne le reçoivent pas a mesme degré que leur persuasion interieure, et neantmoins ilz n’en tiennent aucun conte ; mais ilz vont ainsy retenus en leur langage pour ne paroistre pas du tout incivilz et desraysonnables. Car, je vous prie, s’ilz deferoient tant soit peu a l’authorité ecclesiastique, pourquoy recevroient ilz plustost l’Apocalipse que Judith ou les Macchabees, desquelz saint Augustin et saint Hierosme nous sont fideles tesmoins qu’ilz ont esté receuz unanimement de toute l’Eglise Catholique ? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en asseurent. Pourquoy disent ilz donques, qu’ilz ne reçoivent pas les Livres sacrés " tant par le commun accord de l’Eglise que par l’interieure persuasion " ? puysque le commun accord de l’Eglise n’y a ni rang ni lieu. C’est leur coustume, quand ilz veulent produire quelque opinion estrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser a penser aux lecteurs quelque chose de mieux.

Maintenant, voyons quelle regle ilz ont pour discerner les Livres canoniques d’avec les autres ecclesiastiques : " le tesmoignage ", disent ilz, " et persuasion interieure du Saint Esprit ". O Dieu, quelle cachette, quel brouillart, quelle nuict ; ne nous voyla pas bien esclaircis en un si important et grave different ? On demande comme l’on peut connoistre les Livres canoniques, on voudroit bien avoir quelque regle pour les discerner, et l’on nous produit ce qui se passe en l’interieur de l’ame, que personne ne voit, personne ne connoit, sinon l’ame mesme et son Createur.

  1. monstres moy clairement que ces inspirations et persuasions que vous pretendes sont du saint et non du faint esprit ; qui ne sçait que l’esprit de tenebres comparoit bien souvent en habit de lumiere ?
  2. Monstres moy clayrement que, lhors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en vostre conscience, vous ne mentes point, vous ne me trompes point. Vous dites que vous sentes ceste persuasion en vous, mais pourquoy suis je obligé de vous croire ? vostre parole est elle si puissante, que je sois forcé sous son authorité de croire que vous penses et sentes ce que vous dites ? je veux vous tenir pour gens de bien, mais quand il s’agit des fondemens de ma foy, comme est de recevoir ou rejetter les Escrotures ecclesiastiques, je ne trouve ni vos pensees ni vos paroles asses fermes pour me servir de base.
  3. Cest esprit faict il ses persuasions indifferemment a chacun, ou seulement a quelques uns en particulier ? si a chacun, et que veut dire que tant de milliades de Catholiques ne s’en sont jamais aperceuz, ni tant de femmes, de laboureurs et autres parmi vous ? si c’est a quelques uns en particulier, monstres les moy, je vosu prie, et pourquoy a ceux la plus tost qu’aux autres ? quelle marque me les fera connoistre et trier de la presse du rste des hommes ? Me faudra il croire au prmier qui dira d’en estre ? ce seroit trop nous mettre a l’abandon et a la mercy des seducteurs : monstres moy donques quelque regle infaillible pour connoistre ces inspirés et persuadés, ou me permettes que je n’en croye pas un.
  4. Mays en conscience, vous semble il que l’interieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Escritures, et mettre les peuples hors de doute ? Que veut donq dire que Luther racle l’Epistre de saint Jaques, laquelle Calvin reçoit ? accordes un peu , je vous prie, cest esprit et sa persuasion, qui persuade a l’un de rejetter ce qu’il persuade a l’autre de recevoir. Vous dires peut estre que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous ; a qui croire ? Luther se moque de l’Ecclesiaste, il tient Job pour fable ; luy opposeres vous vostre persuasion ? il vous opposera la sienne : ainsy cest esprit, se combattant soy mesme, ne vous laissera autre resolution que de vous bien opiniastrer de part et d’autre.
  5. Puys, quelle rayson y a il que le Saint Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire a des je ne sçay qui, a Luther, a Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l’Eglise toute entiere ? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connoissance des vrays Livres sacrés ne soit un don du Saint Esprit, mays nous disons que le Saint Esprit la donne aux particuliers par l’entremise de l’Eglise. Certes, quand Dieu auroit revelé mille fois une chose a quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquast tellement que nous ne puissions plus revoquer en doute sa fidelité ; mays nous ne voyons rien de tel en vos reformeurs. En un mot, c’est a l’Eglise generale que le Saint Esprit addresse immediatement ses inspirations et persuasions, puys, par la praedication de l’Eglise, il les communique aux particuliers ; c’est l’Espouse en laquelle le laict est engendré, puys les enfans le succent de ses mammelles : mays vous voules, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen a l’Eglise, que les enfans reçoivent le laict, et que la mere soit nourrie a leurs tetins ; chose absurde.
Or, si l’Escriture n’est violeee et sa majesté lezee par l’establissement de ces interieures et particulieres inspirations, jamais elle ne fut ni ne sera violëe ; car ainsy la porte est ouverte a chacun de recevoir ou rejetter des Escritures ce que bon luy semblera. Hé de grace, pourquoy permettra on plus tost a Calvin de racler la Sapience ou les Maccabees, qu’a Luther de lever l’Epistre de saint Jaques ou l’Apocalipse, ou a Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l’Evangile de saint Marc, ou a un autre, la Genese et l’Exode ? si tous protestent de l’interieure revelation, pourquoy croira l’on plustost l’un que l’autre ? Ainsy ceste Regle sacree, sous praetexte du Saint Esprit demeurera desreglee, par la temerité de chaque seducteur.Connoises, je vous prie, le stratageme. On a levé tout’authorité a la Tradition, a l’Eglise, aux Conciles ; que demeure il plus ? l’Escriture. L’ennemy est fin ; s’il la vouloit arracher tout a coup il donneroit l’alarme ; il establit un moyen certain et infallible pour la lever piece a piece tout bellement, c’est ceste opinion de l’interieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejetter ce que bon luy semble : et de faict, voyes un peu le progres de ce dessein. Calvin oste et racle du canon, Baruch, Tobie, Judith, la Sapience, l’Ecclesiastique, les Maccabees : Luther leve l’Epistre de saint Jaques, de saint Jude, la 2. de saint Pierre, la 2. et 3. de saint Jan, l’Epistr’aux Hebreux ; il se mocque de l’Ecclesiaste, et tient Job pour fable. En Daniel, Calvin a biffé le cantique des trois enfans, l’histoire de Susane et celle du dragon de Bel ; item, une grande partie d’Hester. En l’Exode on a levé, a Geneve et ailleurs parmi ces reformeurs, le 22. verset du 2d chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l’auroyent jamais escrit sil n’eut esté es originaux. De Beze met en doute l’histoire de l’adultere, en l’Evangile de saint Jan (saint Augustin advise que pieça les ennemis du Christianisme l’avoyent raÿé de leurs livres, mais non pas de tous, comme dict saint Hierosme). Es misterieuses parolles de l’Eucharistie, ne veut on pas esbranler l’authorité de ces motz, Qui pro vobis funditur (Luc 22, 20), par ce que le texte grec monstre clairement que ce qui estoit au calice n’estoit pas vin, mais le sang du Sauveur ? comme qui diroit en françois, Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera respandue pour vous ; car en ceste façon de parler, ce qui est en la coupe doit estre le vray sang, non le vin, puysque le vin n’a pas esté respandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut estre versee qu’a rayson de ce qu’elle contient. Qui est le couteau avec lequel on a faict tant de retranchemens ? l’opinion de ces inspirations particulieres ; qu’est ce qui faict si hardis vos reformeurs a racler, l’un ceste piece, l’autre celle la, et l’autre un’autre ? le pretexte de ces interieures persuasions de l’esprit, qui les rend sauverains, chacun chez soy, au jugement de la validité ou invalidité des Escritures.Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste : " Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicae Ecclesiae commoveret authoritas : Je ne croirois pas a l’Evangile si l’authorité de l’Eglise Catholique ne m’esmouvoit " ; et ailleurs : " Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctae Ecclesiae Catholicae tradit authoritas : Nous recevons le Viel et le Nouveau Testament au nombre de Livres que l’authorité de la saint’Eglise Catholique propose. " Le Saint Esprit peut inspirer que bon luy semble, mays quand a l’establissement de la foy publique et generale des fideles, il ne nous addresse qu’a l’Eglise ; c’est a elle de proposer quelles sont les vrayes Escritures, et quelles non : non qu’elle puysse donner verité ou certitude a l’Escriture, mays elle peut bien nous faire certains et asseurés de la certitude d’icelle. L’Eglise ne sçauroit rendre un livre canonique sil ne l’est, mais elle peut bien le faire reconnoistre pour tel, non pas changeant la substance du livre, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tout’asseuree de ce dont ell’estoit douteuse. Que si jamais nostre Redempteur defend son Eglise contre les portes d’enfer, si jamais le Saint Esprit l’inspire et conduit, c’est en ceste occasion ; car ce seroit bien la laisser du tout et au besoin, sil la laissoit en ce cas duquel depend le gros de nostre religion. Pour vray, nous serions tres mal asseurés si nous appyions nostre foy sur ces particulieres inspirations interieures, que nous ne sçavons si elles sont ou furent jamais que par le tesmoigange de certains particuliers ; et supposé qu’elles soyent ou ayent esté, nous ne sçavons si elles sont du vray ou faux esprit ; et supposé qu’elles soyent du vray esprit, nous ne sçavons si ceux qui les recitent les recitent fidellement ou non, puys qu’ilz n’ont aucune marque d’infallibilité. Nous meriterions d’estre abismés, si nous nous jettions hors le navire de la publique sentence de l’Eglise, pour voguer dans le miserabl’esquif de ces persuasions particulieres, nouvelles, discordantes ; nostre foy ne seroit plus Catholique, ains particuliere.Mais avant que je parte d’icy, je vous prie, reformeurs, dittesm oy ou vous aves pris le canon des Escritures que vous suives. Vous ne l’aves pas pris des Juifz, car les Livres Evangeliques n’y seroyent pas, ni du Concile de Laodicee, car l’Apocalipse n’y seroit pas, ni du Concile de Cartage ou de Florence, car l’Ecclesiastique et les Maccabees y seroyent ; ou l’aves vous donq pris ? Pour vray, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous ; l’Eglise ne vit onques canon des Escritures ou il n’y eut ou plus ou moins qu’au vostre : quelle apparence i a il que le Saint Esprit se soit recelé a toute l’antiquité, et qu’appres 1500 il ait descouvert a certains particuliers le roolle des vrayes Escritures ? Pour nous, nous suyvons exactement la liste du Concile Laodicean, avec l’addition faitte au Concile de Cartage et de Florence ; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles, pour suivre les persuasions des particuliers.Voyla donq la fontaine et la source de toute la violation qu’on a faict de ceste sainte Regle ; c’est quand on s’est imaginé de ne la recevoir qu’a la mesure et regle des inspirations que chacun croit et pense sentir.ARTICLE VICOMBIEN LA MAJESTE DES SAINTES ESCRITURES A ESTE VIOLEE ES INTERPRETATIONS ET VERSIONS DES HAERETIQUESAffin que les religionnaires de ce tems desreglassent du tout ceste premiere et tressainte Regle de nostre foy, ilz ne sont pas contentés de l’accourcir et defaire de tant de belles pieces, mays l’ont contournee et detournee chacun a sa poste, et au lieu d’adjuster leur sçavoir a ceste regle, ilz l’ont reglëe elle mesme a l’esquerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande. L’Eglise avoit genralement receu, il y a plus de mill’ans, la version latine que l’Eglise Catholique produit, saint Hierosme, tant sçavant homme, en estoit l’autheur ou le correcteur ; quand voicy en nostr’aage s’eslever un espais brouillart de l’esprit de tournoyement (Is 19, 14), lequel a tellement esblouy ces regrateurs de vielles opinions qui ont couru cy devant, que chacun a voulu tourner, qui d’un costé qui d’autre, et chacun au biais de son jugement, ceste sainte sacrëe Escriture de Dieu : en quoy, qui ne voit la prophanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservoit le precieux basme de la doctrine Evangelique ? Car, n’eust ce pas esté prophaner l’Arche de l’alliance, si quelqu’un eust voulu maintenir qu’un chacun la pouvoit prendre, la porter chez soy et la demonter toute et depecer, puys lui bailler telle forme qu’il eust voulu, pourveu quil y eust quelque apparence d’Arche ? et qu’est ce autre chose soustenir que l’on peut prendre les Escritures, les tourner et accomoder chacun selon sa suffisance ? Et neanmoins, des lors qu’on asseure que l’edition ordinaire de l’Eglise est si difforme quil la faut rebastir tout a neuf, et qu’un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte a la temerité : car si Luther l’ose faire, et pourquoy non Erasme ? et si Erasme, pourquoy non Calvin ou Melancthon ? pourquoy non Henricus Mercerus, Sebastien Castalio, Beze, et le reste du monde ? pourveu qu’on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq motz d’Hebreu, au pres de quelques bons Tresors de l’une et l’autre langue. Et comme se peuvent faire tant de versions, par si differentes cervelles, sans la totale eversion de la sincerité de l’Escriture ?Que dites vous ? que l’edition ordinaire est corrompue ? Nous avoüons que les transcriveurs et les imprimeurs y ont layssé couler certains aequivoques, de fort peu d’importance (si toutefois il y a rien en l’Escriture qui puysse estre dict de peu d’importance), lesquelz le Concile de trente (sess IV) commande estre levés, et que d’ores en avant on prene garde a la faire imprimer le plus correctement quil sera possible ; au reste, il n’y a rien qui ny soit tres sortable au sens du Saint Esprit qui en est l’autheur : comme ont monstré ci devant tant de doctes gens des nostres (Genbrard, in praef Psalt et in Psalt ; Titelman in Prol Apologetico ; Toletan, in I pag Apol. ; Belarminus (Controv De Verbo Dei, l 2, c 9-14), et alii) , qui se sont opposés a la temerité de ces nouveuax formateurs de religion, que ce seroit perdre tems d’en vouloir parler davantage ; outre ce que ce seroit folie a moy de vouloir parler de la naifveté des traductions, qui ne sceuz jamais bonnement lire avec les pointz en l’une des langues necessaires a ceste connoisance, et ne suys guere plus sçavant en l’autre. Mays quoy ? qu’aves vous faict de mieux ? chacun a prisé la sienne, chacun a mesprisé celle d’autruy ; on a tournaïllé tant qu’on a voulu, mays personne ne se conte de la version de son compaignon : qu’est ce autre chose que renverser la majesté de l’Escriture, et la mettre en mespris vers les peuples, qui pensent que ceste diversité d’editions vienne plutost de l’incertitude de l’Escriture que de la bigarrure des traducteurs ? bigarrure laquelle seule nous doit mettre en asseurance de l’ancienne traduction, laquelle, comme dict le Concile, l’Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvëe.ARTICLE VIIDE LA PROPHANATION ES VERSIONS VULGAIRESQue sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s’est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues : et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l’ennemi du Christianisme et d’unité ait employé en nostr’aage pour attirer les peuples a ses cordelles ; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d’entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.Mays qui ne voit le stratageme ? il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s’altere et perde son premier lustre . Le vin qu’on a beaucoup versé et reversé s’esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres ; croyes aussy que l’Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu’elle ne s’altere. Que si aux versions latines il y a tant de varieté d’opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et materneeles d’un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller. C’est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés que par ceux de leur province mesme ; chaque province n’a pas tant d’yeux clairvoyans comme la France et l’Allemaigne. " Sçavons nous bien ", dict un docte prophane, " qu’en Baisque et en Bretaigne il y ait des juges asses pour establir cette traduction faicte en leur langue ? l’Eglise universelle n’a point de plus ardu jugement a faire " (Montaigne, l 1 c 56). C’est l’intention de Satan de croompre l’integrité de cest testament ; il sçait ce quil importe de troubler la fontaine et de l’empoysonner, c’est gaster toute la troupe aegalement.Mays disons candidement ; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes les langues (Act 2, 9-11) ? et que veut dire quilz n’escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu’en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l’Evangile de saint Matthieu(praefat. In Math), en Latin, et en Grec, comm’on tient des autres Evangiles ; qui furent les trois langues choysies (Ex pontificali Damasi, in vita Petri (Concilia an 43) ; Hilar, Praef in Psalmos § 15), des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la praedication du Crucifix ? Ne proterent ilz pas l’Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d’autre langage que ces trois la ? si avoit la verité (Act 2, 11), et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz : qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l’imitation des Apostres ? Dequoy nous avons une notable trace et piste en l’Evangile : car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David ; bendictus qui venit in nomine Domini ; osanna in excelsis (Mat 21, 9) ; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe que c’estoit la mesme parole du peuple : or est il que Osanna, ou bien Osianna (l’un vaut l’autre, disent les doctes en la langue (Genbrard, in Psal. 117, 24), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117. Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l’Hebreu n’estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu’on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l’Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n’estre pas hebraiques pures mais siriaques, quoy qu’elles soient appellees hebraiques par ce que c’estoit le langage vulgaire des Hebreux de la captivité de Babiloyne . Laquelle, outre le grand poids qu’elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je teins pour tres bonne ; c’est que ces autres langues ne sont point reglëes, mays dville en ville se changent en accens, en frases et en paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle. Qu’on prenne en main les Memoyres du sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines ; on verra que nous avons du tout changé leur langage : qui neantmoins devoient être des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court.
 
 








ARTICLE VII

DE LA PROPHANATION ES VERSIONS VULGAIRES

Que sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s’est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues : et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l’ennemi du christianisme et d’unité ait employé en nostr’aage pour attirer les peuples a ses cordelles ; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d’entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.

Mays qui ne voit le stratageme ? il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s’altere, et perde son premier lustre. Le vin qu’on a beaucoup versé et reversé s’esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres ;croyes aussy que l’Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu’elle ne s’altere. Que si aux versions latines il y a tant de varieté d’opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et maternelles d’un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller. C’est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés par ceux de leur province mesme ; chaque province n’a pas tant d’yeux clairvoyans comme la France et l’Allemaigne. " Sçavons nous bien ", dict un docte prophane (Montaigne, l I c LVI ), " qu’en pistres qu’en Basque et en Bretaigne il y ait des juges asses pour establir ceste traduction faicte en leur langue ? l’Eglise universelle n’a point de plus ardu jugement a faire ". C’est l’intention de Satan de corrompre l’integrité de cest testament ; il sçait ce quil importe de troubler la fontaine et de l’empoysonner, c’est gaster toute la troupe aegalement.

Mays disons candidement ; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes langues (Act 2, 9-11) ? et que veut dire quilz n’escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu’en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l’Evangile de saint Matthieu (Praefat in Math) , en Latin, comme quelques uns pensent de celuy de saint Marc, et en Grec, comm’on tient des autres Evangiles ; qui furent les trois langues choysies (Ex Pontificali Damasi, in vita Petri Concilia an. 43 ; Hilar, Praef in Psalmos §15), des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la praedication du Crucifix ? Ne porterent ilz pas l’Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d’autre langage que ces trois la ? si avoit a la verité (Act 2, 11), et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz : qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l’imitation des Apostres ? Dequoy nous avons une notable trace et piste en l’Evangile : car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David ; bendictus qui venit in nomine Domini ; osanna in excelsis (Mat 21, 9) ; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe que c’estoit la mesme parole du peuple : or est il que Osanna, ou bien Osianna (et l’un vaut l’autre, disent les doctes en la langue (Genebrard in Psal CXVII, 24), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117 (v 24). Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l’Hebreu n’estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu’on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l’Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha, et autres, que les doctes tiennent n’estre pas hebraiques pures mais siriacques, quoy qu’elles soient appellees hebraiques par ce que c’estoit le langage vulgaire des Hebreux des la captivité de Babiloyne. Laquelle, outre le grand poids qu’elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je tiens pour tres bonne ; c’est que les autres langues ne sont point reglëes, mays de ville en ville se changent en accens, en frases et paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle. Qu’on prenne en main les Memoyres du Sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines ; on verra que nous avons du tout changé leur langage : qui neantmoins devoient être des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court. Si donques il nous failloit avoir (sur tout pour les services publiqs) des bibles chacun en son langage, de cinquant’ans en cinquante il faudroit remuer mesnage, et tousjours en adjoustant, levant ou changeant une bonne partie de la naifveté sainte de l’Escriture, qui ne se peut faire sans grande perte. Bref, c’est chose plus que raysonnable qu’une si sainte Regle comm’est la sainte Parole, soit conservëe es langues reglëes, car elle ne pourroit se maintenir en ceste parfaitte integrité es langues bastardes et desreglees.

Mays je vous advise que le saint Concile de Trente (Reg IV lib prohibit) ne rejette pas les traductions vulgaires imprimëes par l’authorité des ordinaires, seulement il commande qu’on n’entreprene pas de les lire sans congé des superieurs ; ce qui est tres raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau, tant affilé et tranchant a deux costés (Heb 4, 12), en la main de qui s’en pourroit esgorger soymesme, dequoy nous parlerons cy apres (Art X) ; et partant il ne trouve pas bon que chacun qui sçait lire, sans autr’asseurance de sa capacité que celle qui prend de sa temerité, manie ce sacré memorial. " Ni n’est certes rayson ", me souviens je avoir leu un essay du Sr de Montaigne (ubi sup p180), " de voir tracasser ", entre les mains de toutes personnes, " par une salle et par une cuysine, le saint Livre des sacrés misteres de nostre creance ; ce n’est pas en passant et tumultuairement quil faut manier un estude si serieux et venerable ; ce doit estre un’action destinee et rassise, alaquelle on doit tousjours adjouster ceste praeface de nostr’office, Sursum corda, et y apporter le cors mesme, disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence. Et " crois davantage ", dict il, " que la liberté a chacun de " le traduire, et " dissiper une parole si religieuse et importante a tant de sortes d’idiomes, a beaucoup plus de danger que d’utilité ".

ARTICLE VIII

DE LA PROPHANATION QUI SE FAICT

EN EMPLOYANT LA LANGUE VULGAIRE AUX OFFICES PUBLICS

Le Concile defend (Sess XXII cap 8 et cap 9, can. 9) aussy que les services publiqs de l’Eglise ne se facent pas en vulgaire, mays en langue reglëe, chacun selon les anciens formulaires approuvés par l’Eglise. Ce desvit prend en partie ses raysons de ce que j’ay ja dict ; car, s’il n’est pas expedient de traduire ainsy a tous propos de province en province le texte sacré de l’Escriture, la plus grande partie, et quasi tout ce qui est es offices, estant pris de la Sainte Escriture, il n’est pas convenable de le mettre nomplus en françois : sinon quil y a d’autant plus de danger de reciter es services publiqs la Saint’Escriture en vulgaire, que non seulement les vieux mays les jeunes enfans, non seulement les sages mais les folz, non seulement les hommes mais les femmes, et, en somme, qui sçait et ne sçait lire, pourroyent tous y prendre occasion d’errer, chacun a son goust. Lises les passages de David ou il semble quil murmure contre Dieu de la prosperité des mauvais ; vous verres l’indiscret vulgaire s’en flatter en ses impatiences : lises la ou il semble demander vengeance sur ses ennemis ; et l’esprit de vengeance s’en affeublera : lises voir ces celestes et tresdivines amours es Cantiques des Cantiques ; qui ne sçaura les bien spiritualizer n’en prouffitera qu’en mal (2 Tim 3, 13) et ce mot d’Osëe, Vade et fac tibi filios fornicationum (Osee 1, 2), et ces actes des anciens Patriarches, ne donneroyent ilz pas licence aux idiotz ?

Mays sachons un peu, de grace, pourquoy on veut avoir les Escritures et services divins en vulgaire. Pour y apprendre la doctrine ? mays certes, la doctrine ne s’en peut tirer si quelqu’un n’a ouvert l’escorce de la lettre, dans laquelle est contenue l’intelligence ; ce que je deduyray tantost en son lieu (Art X) : la predication sert a ce point, non la recitation du service ; en laquelle la Parole de Dieu est non seulement recitëe, mays exposëe par le pasteur. Mays qui est celuy, tant houppé soit il et ferré, qui entende sans estude les Propheties d’Ezechiel et autres, et les Psalmes ? et que servira donques aux peuples de les ouir, sinon pour les prophaner et mettre en doute ? et quand au reste, nous autres Catholiques ne devons en aucune façon reduire nos offices sacrés aux langages particuliers, ains plus tost, comme nostr’Eglise est universelle en tems et en lieux, elle doit aussi faire ses services publiqs en un langage qui soit de mesme universel en tems et en lieux, tel qu’est le Latin en Occident, le Grec en Orient ; autrement nos praestres ne sçauroyent dire Messe, ni les autres l’entendre, hors de leurs contrëes. L’unité et la grand’estendue de nos freres requiert que nous disions nos publiques prieres en un langage qui soit un a toutes nations ; en ceste façon nos prieres sont universelles, par le moyen de tant de gens qui en chaque province peuvent entendre le Latin ; et me semble en conscience que ceste seule rayson doit suffire, car, si nous contons bien, nos prieres ne sont pas moins entendues en Latin qu’en François. Car, divisons le cors d’une republique en trois parties, selon l’ancienne division françoise, ou, selon la nouvelle, en quatre. Il y a 4 sortes de personnes : les ecclesiastiques, les nobles, ceux de roubbe longue et le opulas ou 3e estat ; les trois premiers entendent le latin ou le doivent entendre, silz ne le font, leur damp. Reste le 3e estat, duquel encores une partie l’entend ; le reste, pour vray, si on ne parle le propre barragouin de leur contrëe, a grand peyne pourroit il entendre le simple recit des Escritures. Ce tresexcellent theologien Robert Belarmin (In hac quaestione Controv . de Verbo Dei, l 2 , c 15) raconte, pour l’avoir appris de lieu tres asseuré, qu’une bonne femme, ayant ouy en Angleterre un ministre lire le chap 25 de l’Ecclesiastique (quoy quilz ne le tiennent si non pour ancien, non pour canonique), parce quil est, la, discouru de la mauvaistie des femmes, elle se leva, en disant : " Et quoy ? c’est la parole de Dieu ? mays du diable. " Il recite encores (ibidem), le prenant de Theodoret (l 4 Hist 17 al. 16), un bon et juste mot de saint Basile le Grand : l’escuyer de cuysine de l’Empereur voulut faire l’entendu a produire certains passages de l’Escriture ; Tuum est de pulmento cogitare, non dogmata divian decoquere (Vide locum Theodoreti) ; comme sil eust dict : mesles vous de gouster vos sauces, non pas de gourmander la divine Parole.

ARTICLE IX

De la prophanation des Psaumes en suivant la version de Marot

Et en les chantant partout indifféremment

Mays entre toutes les prophanations, il me semble que cellecy se faict voir a travers des autres, qu’es temples, publiquement et tout par tout, aux champs, aux boutiques, on chante la rimaillerie de Marot comme Psalmes de David. La seule insuffisance de l’autheur, qui n’estoit qu’un ignorant, la lasciveté de laquelle il tesmoigne par ses escritz, sa vie tres prophane et qui n’avoit rien moins que du Chrestien, meritoit qu’on luy refusast la frequentation de l’eglise ; et neanmoins son nom et ses psalmes sont comme sacrés en vos eglises, et les chante l’on parmi vous autres comme s’ils estoyent de David : la ou, qui ne voit combien est violëe la sacrëe Parole ? car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu’on suyve la proprieté des motz de l’Escriture, mays y mesle l’on du sien pour rendre le sens parfaict et comble, et a esté necessaire a cest ignorant rimeur de choisir un sens la ou il y en pouvoyt avoir plusieurs. Et quoy ? n’est ce pas une prophanation et violation extreme d’avoir laissé a ceste cervelle esventëe un jugement de si grande consequence, et puys suivre aussy estroittement le triage d’un basteleur, es prieres publiques, comm’on fit jamais jadis l’interpretation des 70, qui furent si particulierement assistés du Saint Esprit ? combien de motz, combien de sentences couche il la dedans, qui ne furent jamais en l’Escriture ; c’est bien autre que de prononcer mal scibolleth. Toutefois, on sçait bien quil ni a rien qui ayt tant chatouïllé ces curieux, et surtout les femmes, que ceste authorité de chanter en l’eglise et assemblëe. Certes, nous ne refusons a personne de chanter avec le chœur, modestement et decemmment ; mays il semble plus convenables que les ecclesiastiques et deputés chantent pour l’ordinaire, comm’il fut faict a la dedicace du Temple de Salomon, 2 Paral 7, 6. O que l’on se plaict a faire voir sa voix es eglises : mays vous trahit on pas en ces chantemens qu’on vous faict faire ? Je n’ay ni la commodité ni le loysir de poursuivre le reste ; quand vous cries ces vers du Psalme 8, ut sup.

Et quand a ceste façon de faire chanter indifferemment , en tous lieux et en toutes occupations, les Psalmes, qui ne voit que c’est un mespris de religion ? N’est ce pas offencer la Majesté divine, de luy parler avec des paroles tant exquises comme celles des Psalmes sans aucune reverence ni attention ? dire des prieres par voye d’entretien, n’est ce pas se mocquer de Celuy a qui on parle ? Quand on voit, ou a Geneve ou ailleurs, un garçon de boutique se jouer au chant de ces Psalmes, et rompre le fil d’une tres belle priere pour dire, Monsieur, que vous plaict il ? ne connoist on pas bien qu’il faict un accessoire du principal, et que ce n’est sinon pour passetems quil chante ceste divine chanson, quil croit neantmoins estre du Saint Esprit ? Ne faict il pas bon voir ces cuysiniers chanter les Psalmes de la Poenitence de David, et demander chasque verset le lart, le chapon, la perdrix ? Ceste voix, dict des Montaignes, "  est trop divine pour n’avoir autre usage que d’exercer les poulmons et plaire aux oreilles ". Je confesse qu’en particulier tous lieux sont bons a prier et toute contenance qui n’est pas peché, pourveu qu’on prie d’esprit, par ce que Dieu voit l’interieur, auquel gist la principale substance de l’orayson ; mays je crois que qui prie en publiq doit faire demonstration exterieure de la reverence que les paroles quil profere demandent ; autrement il scandalize le prochain, qui n’est pas tenu de penser quil ayt de la religion en l’interieur, voyant le mespris en l’exterieur.

Je tiens, donques, que tant pour chanter comme Psalmes divins ce qui est bien souvent fantasie de Marot, que pour le chanter irreveremment et sans respect, on peche tressouvent, en vostre tant reformëe eglise, contre ceste parole, Spiritus est Deus, et eos qui adorant eum in spiritu et veritate oportet adorare (Jean 4, 24) : car, outre ce qu’en ces psalmes vous attribues au Saint Esprit bien souvent les conceptions de Marot, contre la verité, la bouche aussy crie, par mi les rues et les cuysines, o Seigneur, o Seigneur, que le cœur ni l’esprit n’y sont point , mays au traffiq et au gain ; et, comme dict Isaïe (29, 13) , vous vous eslances de bouche vers Dieu, et le glorifies de vos levres, mays vostre cœur est bien loin de luy, et vous le craignes selon les commandemens et doctrines des hommes. Pour vray, cest inconvenient de prier sans devotion arrive bien souvent aux Catholiques, mais ce n’est pas par l’adveu de l’Eglise, et je ne reprens pas maintenant les particuliers de vostre parti, mais le cors de vostre eglise, laquelle par ses traductions et libertés met en usage prophane ce qui devroit estre en tres grande reverence.

Au chapitre 14 de la I. aux Corinthiens, Mulieres in ecclesia taceant (v 34) semble s’entre aussi bien des cantiques que du reste : nos religieuses sunt in oratorio, non in ecclesia.

ARTICLE X

DE LA PROPHANATION DES ESCRITURES PAR LA FACILITE

QU’ILZ PRAETENDENT ESTRE EN L’INTELLIGENCE DE L’ESCRITURE

L’imagination doit avoir grande force sur les entendemens huguenotz, puys qu’elle vous persuade si fermement ceste grande absurdité, que les Escritures sont aysëes a chacun, et que chacun les peut entendre : et de vray, affin de produire les traductions vulgaires avec honneur, il falloit bien parler ainsy. Mays dites la verité ; penses vous que la chose aille ainsy ? les trouves vous si aysëes ? les entendes vous bien ? si vous le penses, j’admire vostre creance, qui est non seulement sur l’experience, mays contre ce que vous voyes et sentes . Sil est ainsy,

Que l’Escriture soit si aysëe a entendre, a quoy faire tant de commentaires des Anciens et tant de commenteries de vos ministres ? a quel propos tant d’harmonies, et a quoy faire ces escoles de theologie ? Il ne faut, ce vous dit on, que la doctrine de la pure Parolle de Dieu en l’Eglise. Mays ou est ceste Parole de Dieu ? en l’Escriture ; et l’Escriture est ce quelque chose de secret ? non pas, ce dit on, aux fideles : a quoy faire donq ces interpreteurs, ces praedicans ? si vous estes fideles, vous y entendres autant qu’eux ; renvoyes les aux infideles, et gardes seulement quelques diacres pour vous donner le morceau de pain et le vin de vostre souper ; si vous pouves vous repaistre vous mesmes au champ de l’Escriture, qu’aves vous a faire de pasteurs ? quelque jeun’innocent et pur enfant qui sçaura lire en fera bien la rayson. Mays d’ou vient ceste discorde, si frequente et irreconciliable, qui est entre vous autres freres en Luther, sur ces seules paroles, Cecy est mon cors, et sur le point de la justification ? Certes, saint Pierre n’est pas de vostre advis, qui admoneste, en sa 2. Epistre (3, 16), que ès Epistres de saint Pol il y a certains traitz difficiles, que les ignorans et remuans depravent, comme le reste de l’Escriture, a leur propre malheur. L’eunuche tresorier general d’Ethiopie estoyt bien fidele, puysqu’il estoit venu adorer au Temple de Hierusalem ; il lisoyt Isaïe (Act 8, 27-28), il entendoit bien les paroles, puys qu’il demandoit de quel Prophete s’entendoit (v 34) ce quil avoit leu ; neantmoins il n’en avoit pas l’intelligence ni l’esprit, comme luy mesme confessoit : Et quomodo possum si non aliquis ostenderit mihi ? (v 31) Non seulement il n’entend pas, mays confesse de ne le pouvoir sil n’est enseigné ; et nous verrons une lavandiere se vanter d’entendre aussy bien l’Escriture que saint Bernard. Ne connoisses vous pas l’esprit de division ? il faut s’asseurer que l’Escriture est aysëe, affin que chacun la tirasse, qui ça qui la, que chacun en face le maistre, et qu’elle serve aux opinions et fantasies d’un chacun. Certes, David la tenoyt pour malaysëe, quand il disoit : Da mihi intellectum ut discam mandata tua (Ps 108, 73). Si on vous a laissé l’epistre de saint Hierosme, ad Paulinum (Epist 53), devant vos bibles, lises la ; car il empoigne ceste cause tout expres. Saint Augustin en parle en mille lieux, mais sur tout en ces Confessions (l 12 c 14) ; en l’epistre 119 (c 21) il confesse d’ignorer beaucoup plus en l’Escriture quil n’y sçait. Origene et saint Hierosme, celluyla en sa praeface sur les Cantiques (Opera, tom III, col 64), celluyci en la sienne sur Ezechiel (Opera, tom V col 15) , recitent quil n’estoit pas permis aux Juifz devant l’aage de 30 ans, lire les 3 premiers chapitres de Genese, le commencmeent et la fin d’Ezechiel ni les Cantiques des Cantiques, pour la profondité de leur difficulté, en laquelle peu de gens peuvent nager sans s’y perdre ; et maintenant chacun en parle, chacun en juge, chacun s’en faict accroire.

Or, combien soit grande la prophanation de ce costé personne ne le pourroit suffisamment penser qui ne l'’uroit veu : pour moy je diray ce que je sçay, et ne mens point. J’ay veu un personnage en bonne compagnie, auquel estant objectëe a un sien devis la sentence de Nostre Seigneur, Qui percutit te in maxillam, praebe ei et alteram (Luc 6, 29), l’entendit incontinent en ce sens, que comme pour flatter un enfant qui estudie bien, on luy met legerement a petitz coups la main a la joue pour l’inciter a mieux, ainsy vouloit dire Nostre Seigneur, a qui te trouvera bien faisant et t’y consolera, davantage et te flatter ou amadoüer des deux costés. Ne voyla pas un beau sens et rare ? mays la raison estoit encores plus belle, par ce qu’a l’entendre autrement ce seroit contre nature, et qu’il faut interpreter l’Escriture par l’Escriture, ou nous trouvons que Nostre Seigneur n’en fit pas de mesme quand le serviteur le frappa : c’est le fruit de vostre triviale theologie. Homme de bien, et qui a mon advis ne voudroit pas mentir, m’a raconté quil a ouy un ministre en ce pais, traittant de la Nativité de Nostre Seigneur, asseurer quil n’estoit pas né en une creche, et exposer le texte, qui est expres au contraire, paraboliquement, disant : Nostre Seigneur dict bien quil est la vigne, et il ne l’est pas pour cela, de mesme, encor quil soit dict quil est né en une creche, il ny est pas né pour cela, mais en quelque lieu honnorable, qui en comparaison de sa grandeur se pouvoit appeler creche. La couleur de cest’interpretation me faict encor plus croire l’homme qui me l’a dict, car estant simple et sans sçavoir lire, a grand peyne quil l’eut controuvëe. C’est chose tres étrange de voir comme ceste suffisance praetendue faict prophaner l’Escriture.

Hic adscribenda sunt ea verba c. 35 (Aliter c 25, Commonit I.) Vincentii Lirinensis : Nam videas eos, etc . Cecy n’est ce pas faire ce que dict Dieu en Ezechiel, 34 v 18 : Nonne satis vobis erat pascua bona depasci ? insuper et reliquias pascuarum vestrarum conculcatis pedibus.

Ad hoc signum addendum est caput de prophanatione per Psalmos Davidis versibus redditos.

ARTICLE XI

RESPONCE AUX OBJECTIONS, ET CONCLUSION

DE CE PREMIER ARTICLE

S’ensuyt ce que vous allegues pour vostre defence. Saint Pol semble vouloir qu’on face le service en langue intelligible, aux Corinthiens (1 Cor 14). Vous verres que pour cela il ne veut pas qu’on diversifie le service en toutes sortes de langages, mais seulement que les exhortations et cantiques qui se faysoyent par le don des langues soyent interpretés, affin que l’eglise ou on se trouve sache ce que l’on dict : Et ideo, qui loquitur lingua, oret ut interpretur (v 13). Il veut donques que les louanges qui se faysoyent en Corinthe se fissent en Grec, car, puys quilz se faysoyent non ja comme services ordinaires, mays comme cantiques extraordinaires de ceux qui avoyent ce don, pour consoler le peuple, il estoyt raysonnable quilz se fissent en langue intelligible, ou que on les eust interpreté sur le champ ; ce quil semble monstrer quand plus bas il dict : Si ergo conveniat universa ecclesia in unum, et omnes linguis loquantur, intrent autem idiotae aut infideles, nonne dicent quod insanitis ?(v 23) et plus bas (v 27, 28) : Sive lingua quis loquitur, secundum duos aut ut multum tres, et per partes, et unus interpretur ; si autem non fuerit interpres, taceat in ecclesia, sibi autem loquatur et Deo. Qui ne voit quil ne parle pas des offices solemnelz en l’eglise, qui ne se faysoyent que par le pasteur, mays des cantiques qui se faysoyent par le don des langues, quil vouloyt estre entenduz ; car, de vray, ne l’estans pas, cela detournoyt l’assemblëe et ne servoit de rien. Or de ces cantiques parlent plusieurs Peres, mays entr’autres Tertulien, lequel deduysant la sainteté des agapes ou charités des Anciens dict (In Apol c 39) : Post manualem aquam et lumina, ut quisque de Scripturis Sanctis vel de proprio ingenio potest, provocatur in medium Deo canere.

Obj. Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum (Is 29, 13) : cela s’entend de ceux qui chantent et prient, en quel langage que ce soit, et parlent de Dieu par maniere d’acquit, sans reverence et devotion ; non de ceux qui parlent un langage a eux inconneu mays conneu a l’Eglise, et neantmoins ont le cœur ravi en Dieu.

Obj. Es Actes des Apostres (c 2, 11) on louoit Dieu en toutes langues : aussy faut il, mays es offices universelz et catholiques il y faut une langue universelle et catholique ; hors de la, que toute langue confesse que le Seigneur Jesus est a la dextre de Dieu le Pere (Philip 2, 11).

Au Deuteronome (30, 11-14) est-il pas dict que les commandemens de Dieu ne sont pas secretz ni celés ? et le Psalmiste dict il pas : Praeceptum Domini lucidum (Ps 18, 9) ; Lucerna pedibus meis verbum tuum (Ps 118, 105) ? Tout cela va bien, mays il s’entend estant prechëe et expliquëe et bien entendue, car, Quomodo credent sine praedicante (Rom 10, 14) ? et tout ce que David grand prophete a dict, ne doit estre tiré en consequence sur un chacun.

Mays on m’objecte a tous propos : ne dois je pas chercher la viande de mon ame et de mon salut ? pauvre homme, qui le nie ? mays si chacun va aux pasturages comme les vielles oÿes, a quoy faire les bergers ? cherche les pastiz, mays avec ton pasteur. Se mocqueroit on pas du malade qui voudroit chercher sa santé en Hipocrate sans l’aide du medecin ? ou de celuy qui voudroit chercher son droit en Justinien sans s’adresser au juge ? Cherchez, luy diroit on, vostre santé, mais par le moyen des medecins ; et vous, cherchez vostre droit et le procurez, mais par les mains du magistrat. Quis mediocriter sanus non intelligat Scriptarum expositionem ab iis esse petendam qui earum sunt doctores ? dict saint Augustin (Lib I de morib. Ecclesiae. c I). Quoy ? si personne ne trouve son salut que qui sçait lire les Escritures, que deviendront tant de pauvres idiotz ? certes, ilz trouvent et cherchent leur salut asses suffisamment, quand ilz apprennent de la bouche du pasteur le sommaire de ce qu’il faut croire, esperer, aymer, faire et demander a Dieu. Croyes qu’encores selon l’esprit il est veritable ce que disoit le Sage : Melior est pauper ambulans in simplicitate sua quam dives in pravis itineribus (Prover. 28, 6) ; et ailleurs : Simplicitas justorum diriget eos (11, 3) ; et : Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter (10, 9). Ou je ne voudrois pas dire quil ne faille prendre peyne d'’ntendre, mays seulement qu'’n ne se doit pas penser de trouver de soymesme son salut ni son pasturage, sans la conduite de qui Dieu a constitué pour cest effect, selon le mesme Sage (ibid 3, 5) : Ne innitaris prudentiae tuae, et, Ne sis sapiens apud temetipsum (vers 7) : ce que ne font pas ceux qui pensent en leur suffisance connoistre toute sorte de miseres, sans observer l’ordre que Dieu a establi, qui en a faict entre nous les uns docteurs et pasteurs (Eph 4, 11), non tous, et un chacun pour soymesme. Certes, saint Augustin (L 8 Conf c 8) trouva que saint Anthoyne, homme indocte, ne layssoit pas de sçavoir le chemin de Paradis, et luy avec sa doctrine en estoit bien loin alhors, parmi les erreurs des Manicheens.

Mays j’ay quelques tesmoignages de l’antiquité et quelques exemples signalés, que je veux laysser a la fin de cest article pour sa conclusion.

Saint Augustin : Admonenda fuit charitas vstra confessionnem non esse semper vocem peccatoris ; quia mox ut hoc verbum sonuit (in ore) lectoris, secutus est etiam sonus tunsionis pectoris vestri. Audito, scilicet, quod Dominus ait, Confiteor tibi, Pater (Matt 21, 25 ; Luc 10, 21), in hoc ipso quod sonuit Confiteor, pectora vestra tutudistis : tundere autem pectus quid est, nisi arguere quod latet in pectore, et evidenti pulsu occultum castigare peccatum ? quare hoc fecistis, nisi quia audistis, Confiteor tibi, Pater ? Confiteor audistis, quis est qui confitetur non attendistis ; nunc ergo advertite. Voyes vous comme le peuple oyoyt la leçon publique de l’Evangile, et ne l’entendoit pas, sinon ce mot, Confiteor tibi, Pater ? qu’il entendoit par coustume, par ce qu’on le disoit tous au commencement de la Messe, comme nous faysons maintenant : c’est sans doute que la leçon s’en faysoit en Latin, qui n’estoit pas leur langage vulgaire.

Mays qui veut voir le conte que les Catholiques font de la Sainte Escriture et le respect quilz luy portent, quilz admirent le grand cardinal Borromëe, lequel n’estudioit jamais les Saintes Escritures sinon a genoux, luy semblant quil oyoyt parler Dieu en icelles, et que telle reverence estoit deüe a une si divine audience. Jamais peuple ne fut mieux instruict, selon la malice du tems, que le peuple de Milan sous le cardinal Borromëe ; mays l’instruction du peuple ne vient pas a force de tracasser les saintes Bibles, et forme de fantasies les Psalmes, ains de les manier, lire, ouyr, chanter et prier avec apprehension vive de la majesté de Dieu a qui on parle, de qui on lit ou escoute on la Parole, tousjours avec ceste praeface de l’ancienn’Eglise, Sursum corda.

Ce grand amy de Dieu, saint François, a la glorieuse et tressainte memoyre duquel on celebroit hier par tout le monde feste, nous monstroit un bel exemple de l’attention et reverence avec laquelle on doit prier Dieu. Voyci ce qu’en raconte le saint et fervent docteur de l’Eglise, saint Bonaventure (In vita S. Franc c 10) : Solitus erat vir sanctus horas canonicas non minus timorate persolvere quam devote ; nam licet oculorum, stomachi splenis et hepatis aegritudine laboraret, nolebat muro vel parieti inhaerere dum psalleret, sed horas semper erectus et sine caputio, non gyrovagis oculis nec cum aliq ua syncopa persolvebat ; si quando esset in itinere constitutus figebat tunc temporis gressum, hujusmodi consuetudinem reverentem et sacram propter pluviarum inundantiam non omittens ; dicebat enim : si quiete comedit corpus cibum suum, futurum cum ipso vermium escam, cum quanta pace et tranquillitate accipere debet anima cibum vitae ?

CHAPITRE II

QUE L’EGLISE DES PRAETENDUZ

A VIOLE LES TRADITIONS APOSTOLIQUES, 2E REGLE

DE LA FOY CHRESTIENNE

ARTICLE PREMIER

QUE C’EST QUE NOUS ENTENDONS PAR TRADITION APOSTOLIQUE

Voicy les paroles du saint Concile de Trente (Sess IV), parlant de la verité et discipline Chrestienne Evangelique : Perspiciens (sancta Sinodus) hanc veritatem et disciplinam contineri in Libris scriptis et sine scripto Traditionibus, quae ab ipsius Christi ore ab Apostolis acceptae, aut ab ipsis Apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditae, ad nos usque pervenerunt ; orthodoxorum Patrum exempla secuta, omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, cum utriusque unus Deus sit auctor, nec non Traditiones ipsas, tum ad fidem tum ad mores pertinentes, tanquam vel oretenus a Christo vel a Spiritu Sancto dictatas, et continua successione in Ecclesia Catholica servatas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur. Voyla, a la verité, un decret digne d’une assemblëe qui puysse dire, Visum est Spiritui Sancto et nobis (Act 15, 28) ; car il ny a presque mot qui ne porte coup sur les adversaires et ne leur leve tous armes du poingt.

Car, dequoy leur proufitera meshuy de crier : In vanum colunt me, docentes mandata et docrtinas hominum (Is 29, 13 Marc 7, 7). Irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram (Mat 15, 6). Ne intendas fabulis Judaicis (Tit 1, 14). Aemulator existenspaternarum mearum traditionum (1 Tim 1, 4 ; 1 Tim 1, 4) . Videte ne quis vos decipiat per philosophiam et inanem fallaciam, secundum traditionem hominum (Col 2, 8). Redempti estis de vana vestra conversatione paternae traditionis (1 Pet 1, 18) ? Tout cecy n’est point a propos ; puysque le Concile proteste clairement que les Traditions quil reçoit ne sont ni traditions ni doctrines des hommes, ains, quae ab ipsius Christi Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditiae, ad nos usque pervenerunt : ce sont donques Parole de Dieu, doctrine du Saint Esprit, non des hommes. En quoy vous verres arrester quasi tous vos ministres, faysans des grandes harangues pour monstrer quil ne faut mettre en comparayson la tradition humaine avec l’Escriture ; mays a quel propos tout cela, sinon pour enjoler les pauvres auditeurs ? car jamais nous ne dismes cela.

En cas pareil ilz produysent contre nous ce que saint Pol disoit a son bon Timothëe (2 Tim 3, 16-17) : Omnis scriptura divinitus inspirata utilis est ad docendum, ad corripiendum, ad erudiendum in justitia, ut perfectus sit homo Dei, ad omne bonum opus instructus. A qui en veulent ilz ? c’est une querelle d’Allemand. Qui nie la tres excellente utilité de l’Escriture, sinon les huguenotz qui en levent des plus belles pieces comme vaynes ? Elles sont tres utiles, certes ; ce n’est pas une petite faveur que Dieu nous a faict de les nous conserver parmi tant de persecutions : mays l’utilité de l’Escriture ne rend pas les saintes Traditions inutiles, nom plus que l’usage d’un œil, d’une jambe, d’une oreille, d’une main, ne rend pas l’autre inutile ; dont le Concile dict : Omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, nec non Traditiones ipsas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et venerantur. Belle façon de raysonner : la foy proufite, donques les œuvres ne proufitent de rien.

De mesme (Jean 20, 30-31) : Multa quidem et alia signa fecit Jesus quae non sunt scripta in libro hoc ; haec autem scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius (Dei), et ut credentes vitam haebatis in nomine ejus : donques il ny a rien autre a croire que cela ; belle consequence ! Nous sçavons bien que Quaecumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt (Rom 15, 4) ; mays cela empechera il que les Apostres praechent ? Haec scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius Dei ; mays cela ne suffit pas, car, quomodo credent sine praedicante (ibid 10, 14) ? Les Escritures sont donnees pour nostre salut, mays nompas les Escritures seules, les Traditions y ont encor place : les oyseaux ont l’aisle droite pour voler ; donques l’aysle gauche ny sert de rien ? ains l’une ne va pas sans l’autre. Je laysse a part les responces particulieres, car saint Jan ne parle que des miracles quil avoyt a escrire, quil tient suffire pour prouver la divinité du Filz de Dieu.

Quand ilz produysent ces paroles, Non addetis ad verbum quod ego praecipio vobis, nec auferetis ab eo (Deut 4, 2) ; Sed licet nos aut angelus de caelo evangelizet vobis praeterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit (Gal 1, 8), ilz ne disent rien contre le Concile, qui dict expressement que la doctrine Evangelique ne consiste pas seulement es Escritures, mays encore es Traditions. L’Escriture donques est Evangile, mais nom pas tout l’Evangile, car les Traditions sont l’autre partie : qui enseignera donques outre ce qu’ont enseigné les Apostres, maudict soit il ; mays les Apostres ont enseigné par escrit et par Tradition, et tout est Evangile. Que si vous consideres de pres comme le Concile apparie les Traditions aux Escritures, vous verres quil ne reçoit point de Tradition contraire a l’Escriture ; car il reçoit la Tradition et l’Escriture avec pareil honneur, parce que l’une et l’autre sont ruysseauz tres doux et purs, qui sont partis d’une mesme bouche de Nostre Seigneur, comme d’une vive fontayne de sapience, et partant ne peuvent estre contraires, ains sont de mesme goust et qualité, et se joignans ensemble arrousent gayement cest arbre du Christianisme, quod fructum suum dabit in tempore suo (Ps 1, 3).

Nous appelons donques Tradition Apostolique la doctrine, soit de la foy soit des mœurs, que Nostre Seigneur a enseignëe de sa propre bouche ou par la bouche des Apostres ; laquelle n’estant point escritte es Livres canoniques, a esté ci devant conservëe jusqu'à nous comme passant de main en main, par continuelle succession de l’Eglise : en un mot, c’est la Parole de Dieu vivant, imprimëe non sur le papier (2 Jean 12) mais dans le cœur de l’Eglise (2 Cor 3, 2-3) seulement. Et ny a pas seulement Tradition des ceremonies, et de certain ordre exterieur arbitraire et de bienseance, mays, comme le dict le saint Concile, en doctrine qui appartient a la foy mesme t aux mœurs ; quoy que, quand aux Traditions des mœurs, il y en a qui nous obligent tres étroittement, et d’autres qui ne nous sont proposëes que par conseil et bienseance, et cellescy n’estans observëes ne nous rendent pas coulpables, pour veu qu’elles soyent approuvëes et prisëes comme saintes, et ne soyent mesprisëes

ARTICLE II

QU’IL Y A DES TRADITIONS APOSTOLIQUES EN L’EGLISE

Nous confessons que la tressainte Escriture est tres excellente et tres utile ; rien ne luy peut estre contraire que le mensonge et l’impieté : mays pour establir ces verités il ne faut pas rejetter cellecy, a sçavoir, que les Traditions sont tres utiles ; donnees affin que nous croyons ; rien ne leur est contraire que l’impieté et le mensonge ; car pour establir une verité il ne faut jamais destruire l’autre. L’Escriture est utile pour enseigner ; apprenes donques de l’Escriture mesme quil faut recevoir avec honneur et creance les saintes Traditions. S’il ne faut rien adjouster a ce que Nostre Seigneur a commandé, ou est ce quil a commandé qu’on comdamnast les Traditions Apostoliques ? pourquoy adjoustes vous cecy a ses paroles ? ou est ce que Nostre Seigneur l’a jamais enseigné ? que tant s’en faut quil ait jamais commandé le mespris des Traditions Apostoliques, que jamais il ne mesprisa aucune tradition du moindre prophete du monde : coures tout l’Evangile, et vous n’y verres censurëes que les traditions humaines et contraires a l’Escriture. Voyes la Nouvelle 146 (In Corp Juris Civilis ; aliter Authenticae, Coll IX, tit. 29). Que si Nostre Seigneur ni ses Apostres ne l’ont jamais escrit, pourquoy nous evangelises vous ces choses cy ? au contraire, il est defendu de lever rien de l’Escriture, pourquoy voules vous lever les Traditions, qui y sont si expressement authentiquëes ?

N’est ce pas la Saint’Escriture de saint Pol qui dict, Itaque, fratres, tenete traditiones quas accepistis, sive per sermonem sive per epistolam ? Hinc patet quod non omnia per epistolam tradiderunt Apostoli, sed multa etiam sine literis (2 Thess 2, 14); eadem vero fide digna sunt tam ista quam illa , dict saint Chrysostome, en son commentaire sur ce lieu (Homil IV in Thess 2, § 2). Ce que saint Jan mesme confirme (2, 12 & 3, 13-14 Epistola) : Multa habens scribere vobis, nolui per chartam et atramentum ; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui ; c’estoyent choses dignes d’estre escrites, neanmoins il ne l’a pas faict, mays les a dites, et au lieu d’Escriture en a faict Tradition.

Formam habe sanorum verborum, quae a me audisti : bonum depositum custodi (2 Tim 1, 13-14), disoit saint Pol a sont Timothee ; n’estoit ce pas luy recommander la Parole Apostolique non escritte ? et cela s’appelle Tradition. Et plus bas : Quae audisti a me per multos testes, haec commenda fidelibus hominibus, qui idonei erunt et alios docere. Qu’y a il de plus clair pour la Tradition ? Voyla la forme : l’Apostre parle, les tesmoins le rapportent, saint Timothëe le doit enseigner a d’autres, et ceux la aux autres ; voyla pas une sainte substitution et fidecommis spirituel ?

Me mesm’Apostre loüe il pas les Corinthiens de l’observation des Traditions ? Quod per omnia, dict, mei memores estis, et sicut tradidi vobis praecepta mea servatis (2 Cor 11, 2). Si c’estoit en la seconde des Corinthiens, on pourroit dire que par es commandemens il entend ceux de la premiere, quoy que le sens y seroit forcé (mays a qui ne veut marcher tout ombre sert), mays cecy est escrit en la premiere ; il ne parle pas d’aucun Evangile, car il ne l’appelleroit pas praecepta mea : qu’estoit ce donques sinon une doctrine Apostolique non escritte ? cela nous l’appellerons Tradition. Et quand a la fin il leur dict, Caetera cum venero disponam (11, 34), il nous laysse a penser quil leur avoyt enseigné plusieurs choses bien remarquables, et neanmoins nous n’en avons aucun escrit ailleurs : sera il donq perdu pour l’Eglise ? non certes, mais est venu par Tradition, autrement l’Apostre ne l’eust pas envié a la posterité et l’eust escrit.

Et Nostre Seigneur dict : Multa habeo vobis dicere quae non potestis portare modo (Jean 16, 12). Je vous demande, quand leur dict il ces choses quil avoit a leur dire ? pour vray, ou ce fut apres sa resurrection les 40 jours quil fut avec eux, ou par la venue du Saint esprit ; mais que sçavons nous que c’est quil comprenoit sous ceste parole, Multa habeo, et si tout est escrit ? il est bien dict (Act 1, 3) quil fut 40 jours avec eux, les enseignant du royaume des cieux, mays nous n’avons ni toutes ses apparitions ni ce quil leur disoit en icelles.

CHAPITRE III

QUE LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE

DE L’EGLISE, 3ème REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

QUE NOUS AVONS BESOIN DE QUELQU’AUTRE REGLE

OUTRE LA PAROLE DE DIEU

Quand Absalon voulut faire une fois faction contre son bon pere, il s’assit pres de la porte au chemin, et disoit aux passans : Il ny a personne constitué du Roy pour vous ouir, hé, qui me constituera juge sur terre, afin que qui aura quelque negotiation vienne a moy et que je juge justement ? ainsy sollicitoit il le courage des Israelites (2 Rois 15, 2-6). Mays combien d’Absalons se sont trouvez en nostre aage, qui, pour seduyre et distraire les peuples de l’obeissance de l’Eglise, et solliciter les Chrestiens a revolte, ont crié sur les advenues d’Allemaigne et de France : il ny a personne qui soit establi du Seigneur pour ouyr et resouvre des differens sur la foy et religion ; l’Eglise n’y a point de pouvoir. Quicomque tient ce langage, Chrestiens, si vous le consideres bien vous verres quil veut estre juge luy mesme, quoy quil ne le die pas a descouvert, plus rusé qu’absalon.

J’ay veu un des plus recens livres de Theodore de Beze, intitulé, Des vrayes, essentielles et visibles marques de la vraÿe Eglise Catholique : il me semble quil vise la dedans a se rendre juge, avec ses collateraux, de tout le different ou nous sommes. Il dict (p 49) que la conclusion de tout son discours est "que le vray Christ est la seule, vraye et perpetuelle marque de l’Eglise Catholique, entendant du vray Christ tel, " dict il , "  quil s’est tres parfaittement declaré dès le commencement, tant es escrits prophetiques qu’apostoliques, en ce qui appartient a nostre salut ; " plus bas il dict : " Voyla ce que j’avois a dire sur la vraye, unique et essentielle marque de la vraÿe Eglise, qui est la Parole escritte prophetique et apostolique, bien et deuement administrëe ; " (p 78) et plus haut il avoit confessé quil y avoit des grandes difficultés es Escrittures Saintes, mays " nom pas es pieces qui touchent a nostre creance " (p 41) . A la marge il met cest advertissement, quil a mis quasi par tout le texte : " L’interpretation de l’Escriture ne se doit puyser d’ailleurs que de l’Escritture mesme, en conferant les passages les uns avec les autres, et les rapportant a l’analogie de la foy ; " et en l’Epistre au Roy de France : " Nous demandons qu’on s’en rapporte aux Saintes Escrittures canoniques, et que, sil y a doute sur l’interpretation d’icelles, la convenance et le rapport qui doit estre tant entre les passages de l’Escritture qu’entre les articles de la foy en soyent juges. " Il y reçoit " les peres, avec tout autant d’authorité quilz se trouveront de fondement es Escrittures ; " il poursuit : " Quand au point de la doctrine, nous ne sçaurions appeler a aucun juge non reprochable qu’au Seigneur mesme, qui a declaré tout son conseil touchant nostre salut par les Apostres et Prophetes. " Il dict encores quilz sont "  ceux qui n’ont desavoüé ni voudroyent desavoüer un seul Concile digne de ce nom, ni general ni particulier, ancien ni plus recent, " (notés) " pourveu , " dict il, " que la pierre de touche, qui est la Parole de Dieu, en face l’espreuve. "

Voyla, en un mot, ce que veulent tous tant quil y a de reformayres, qu’on prenne l’Escritture pour juge. Mays a cela nous repliquons, Amen : mays nous disons que nostre different n’est pas la ; c’est qu’es differens que nous aurons sur l’interpretation, et qui s’y trouveront de deux motz en deux motz, nous avons besoin d’un juge. Ilz respondent, quil faut juger des interpretations de l'E’critture conferant passage avec passage et le tout au Simbole de la foy. Amen, Amen, disons nous ; mais nous ne demandons pas comment on doit interpreter l’Escriture, mays qui sera le juge : car, apres avoir conferé les passages aux passages et le tout au Simbole de la foy, nous trouvons que par ce passage, Tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt ; et tibi dabo claves regni caelorum (Matt 16, 18-19), saint Pierre a esté chef ministerial et supreme oeconome en l’Eglise de Dieu ; vous dites, de vostre costé, que ce passage, Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic (Luc 22, 25-26), ou cest autre (car ilz sont tous si foibles que ne sçay pas lequel vous peut estre fondamental), Nemo potest aliud fundamentum ponere (1 Cor 3, 11), etc., conferé avec les autres passages et a l’analogie de la foy, vous faict detester un chef ministerial : nous suyvons tous deux un mesme chemin en la recherche de la verité de ceste question, a sçavoir, sil y a en l’Eglise un vicaire general de Nostre Seigneur, et neantmoins je suys arrivé en l’affirmative, et vous, vous estes logés en la negative ; qui jugera plus de nostre different ? Certes, qui s’addressera a Theodore de Beze, il dira que vous aves mieux discouru que moy, mays ou se fondera il en ce jugement, sinon sur ce quil luy semble ainsy, selon le praejugé quil en a faict il y a si long tems ? et quil dise ce quil voudra, car qui l’a establi juge entre vous et moy ?

C’est icy le gros de nostre affaire, Chrestiens ; connoisses, je vous prie, l’esprit de division. On vous renvoÿe a l’Escriture ; nous y sommes devant que vous fussies au monde, et y trouvons ce que nous croyons, clair et net. Mays il la faut bien entendre, adjustant les passages aux passages, le tout au Simbole ; nous sommes en ce train il y a quinze centz ans et passent. Vous vous y trompes, respond Luther. Qui vous l’a dict ? l’Escriture. Quelle Escriture ? telle et telle, ainsy conferëe et appariëe au Simbole. Au contrayre, dis je, c’est vous, Luther, qui vous trompes ; l’Escriture me le dict en tel et tel passage, bien joint et adjusté a telle et telle piece de l’Escriture et aux articles de la foy. Je ne suys pas en doute sil faut adjouster foy a la sainte Parole ; qui ne sçait qu’elle est au supreme grade de certitude ? ce qui me tient en peyne c’est l’intelligence de ceste Escriture, ce sont les consequences et conclusions qu’on y attache, lesquelles estans diverses, sans nombre et contraire bien souvent sur un mesme sujet, ou chacun prend parti, qui d’un costé qui d’autre, qui me fera voir la verité au travers de tant de vanités ? qui me fera voir ceste Escriture en sa naifve couleur ? car le col de ceste colombe change autant d’apparences que ceux qui le regardent changent de postures et distances. L’Escriture est une tres sainte et tres infallible pierre de touche ; toute proposition qui soutient cest essay je la tiens pour tres loÿale et franche. Mays quoy, quand j’ay en main ceste proposition, le cors naturel de Nostre Seigneur est realement, substantiellement et actuellement au Saint Sacrement de l’autel ? Je la fays toucher, a tous biays et de tous costés, a l’expresse et tres pure Parolle de Dieu et au Simbole des Apostres ; il ny a point d’endroit ou je ne la frotte cent fois si vous voules, et quand plus je regarde, tousjours je la reconnoys de plus fin or et de plus franc metail. Vous dites qu’en ayant faict de mesme vous y trouves du faux ; que voules vous que je fasse ? tant de maistres l’ont maniëe cy devant, et tous ont faict mesme jugement que moy, et avec tant d’asseurance quilz ont forclos, es asemblëes generales du mestier, quicomque y a voulu contredire : mon Dieu, qui nous mettra hors de doute ? Il ne faut plus dire la pierre de touche, autrement on dira, In circuitu impii ambulant (Ps 9, 9) : il faut que ce soit quelqu’un qui la manie, et face la preuve luymesme de la piece, puys, qu’il en face jugement, et que nous le subissions, et l’un et l’autre, sans plus contester ; autrement chacun en croira ce quil luy plaira. Prenes garde ; avec ces parades nous tirons l’Escriture apres nos fantasies, nous ne la suyvons pas. Si sal evanuerit, in quo salietur ? (Matt 5, 13) si l’Escriture est le sujet de nostre different, qui la reglera ?

Ah, quicomque dict que Nostre Seigneur nous a embarqués en son Eglise, a la mercy des ventz etde la marëe, sans nous donner un expert pilote qui s’entende parfaittement en l’art nautique sur la charte et la bussole, il dict quil veut nous perdre. Quil y ayt mis la plus excellente bussole et la charte la plus juste du monde, mays dequoy sert cela si personne n’a le sçavoir d’en tirer quelque regle infallible pour conduire le navire ? dequoy servira il quil y ait un tres bon timon, sil ny a un patron pour le mouvoir a la mesure qu’enseignera la charte ? mays sil est permis a chacun de le tourner au fil que bon luy semblera, qui ne void que nous sommes perdus ? Ce n’est pas l’Escriture qui a besoin de regle ni de lumiere estrangere, comme Beze pense que nous croyons ; ce sont nos gloses, nos consequences, intelligences, interpretations, conjectures, additions, qui ne pouvant demeurer coy s’embesoigne tousjours a nouvelles inventions : ni moins voulons nous un juge entre Dieu et nous, comm’il semble quil veuille interferer en son Epistre (p 203) ; c’est entr’un homme tel que Calvin, Beze, Luther, et entr’un autre tel que Echius, Fischer, Morus ; car nous ne nous demandons pas si Dieu entend mieux l’Escriture que nous, mays si Calvin l’entend mieux que saint Augustin ou saint Cyprien. Saint Hilaire dit tresbien : De intelligentia haeresis est, non de Scriptura, et sensus, non sermo, fit crimen (L II de Trinit § 3) ; et saint Augustin : Non aliunde natae sunt haereses nisi dum Scripturae bonae intelligentur non bene, et quod in eis non bene intelligentur etiam temere et audacter asseritur. C’est le vray jeu de Michol ( 1 Rois 19, 13), de couvrir une statue faitte a poste dans le lict, des habitz de David ; qui regarde cela pense avoir veu David, mays il s’abuse, David ny est pas : l’heresie couvre au lict de son cerveua la statue de sa propre opinion des habitz de la Sainte Escritture ; qui voit ceste doctrine pense avoir veu la sainte Parole de Dieu, mays il se trompe, elle ny est point, les motz y sont mays non l’intelligence. Scripturae, dict saint Hierosme (Contra Lucif § 28), non in legendo sed in intelligendo consistunt, sçavoir la loy n’est pas sçavoir les paroles, mays le sens.

Et c’est icy ou je crois d’avoir fermement prouvé que nous avons besoin d’une autre Regle pour nostre foy outre la regle de l’Escritture Sainte : Si diutius steterit mundus (dict une bonne fois Luther, Contra Zuing et Oecol), iterum fore necessarium, propter diversas Scripturae interpretationes quae nunc sunt, ut ad conservandam fidei unitatem Conciliorum decreta recipiamus, atque ad ea confugiamus ; il confesse qu’auparavant on la recevoit, et confesse que ci apres il le faudra faire. J’ay esté long, mays cecy une fois bien entendu, n’est pas un petit moyen de se resouvre a une tressainte deliberation.

Autant en dis je des Traditions ; car si chacun veut produyre des Traditions, et que nous n’ayons poinct de juge en terre, pour mettre en dernier ressort difference entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, a quoy, je vous prie, en serons nous ? L’exemple est clair : Calvin trouve recevable l’Apocalipse, Luther le nie, autant en est il de l’Epistre de saint Jaques ; qui reformera ces opinions des reformateurs ? l’une ou l’autre est mal formëe, squi y mettra la main ? Voyla une seconde necessité que nous avons d’une autre 3e regle outre la Parole de Dieu.

Il y a neanmoins tresgrande difference entre les premieres regles et celles cy ; car la premiere Regle, qui est la Parole de Dieu, est Regle infallible de soy mesme, et tres suffisante pour regler tous les entendemens du monde, la seconde n’est pas proprement Regle de soymesme, mays seulement entant qu’elle applique la premiere, et qu’elle nous propose la droitture contenüe en la Parole sainte : ainsy qu’on dict les loyx estre une regle des causes civiles ; le juge ne l’est pas de soy mesme, puysque son jugement est obligé au reglement de la loy, neantmoins il est, et peut tresbien estre appellé, regle, par ce que l’application des loix estant sujette a varieté, quand il l’a une fois faicte il faut s’y arrester. La Sainte Parole, donques, est la loy premiere de nostre foy ; reste l’aplication de ceste Regle, laquelle pouvant recevoir autant de formes quil y a de cerveaux au monde, nonobstant toutes analogies de la foy, encores faut il avoir une seconde Regle pour le reglement de cest’application : il faut la doctrine, et quelqu’un qui la propose ; la doctrine est en la sainte Parole, mays qui la proposera ? Voyci comm’on deduit un article de foy : la Parole de Dieu est infallible, la Parole de Dieu porte que le Baptesme est necessaire a salut (Marc 16, 16), donques le Baptesme est necessaire a salut. La premiere proposition est inevitable : nous sommes en difficulté de la 2e avec Calvin ; qui nous appointera ? qui determinera de ce doute ? si chacun a l’authorité de proposer le sens de la sainte Parole, la difficulté est immortelle ; si celuy qui a l’authorité de proposer peut errer en sa proposition, tout est a refaire. Il faut donques qu’il y ait quelqu’infallible authorité, a la proposition de laquelle nous soyons obligé d’acquiescer : la Parole de Dieu ne peut errer, qui la propose ne peut errer, tout sera donques tres asseuré.

ARTICLE II

QUE L’EGLISE EST UNE REGLE INFALLIBLE

POUR NOSTRE FOY

Or, n’est il pas raysonnable qu’aucun particulier s’attribue cest infallible jugement sur l’interpretation ou explication de la sainte Parole ; car, a quoy en serions nous ? Qui voudroit subir le joug du jugement d’un particulier ? pourquoy plus tost de l’un que de l’autre ? quil parle tant quil voudra de l’analogie, de l’entousiasme, du Seigneur, de l’esprit, tout cela ne pourra jamais brider tellement mon cerveau que, sil faut s’embarquer a l’adventure, je ne me jette plus tost dans le vaysseau de mon jugement que dans celuy d’un autre, quand il parleroit grec, Hebrieu, Latin, Tartarin, Moresque et tout ce que vous voudres. S’il faut courir fortune d’errer, qui n’aymera mieux la courir a la suite de sa propre fantasie, que de s’esclaver a celle de Calvin ou de Luther ? chacun donnera liberté a sa cervelle de courir a l’abandon ça et la, par les opinions tant diverses soyent elles, et de vray, peut estre rencontrera il aussy tost la veritévqu’un autre. Mays c’est impieté de croire que Nostre Seigneur ne nous ayt layssé quelque supreme juge en terre, auquel nous puyssions nous addresser en nos difficultés, et qui fust tellement infallible en ses jugemens que suyvant ses decretz nous ne puysions errer. Je soutiens que cejuge n’est autre que l’Eglise Catholique, laquelle ne peut aucunement errer es interpretations et consequences qu’elle tire de la Sainte Escriture, ni es jugemens qu’elle faict sur les diifcultés qui s’y presentent. Car, qui ouyt jamais deviser, etc.

CHAPITRE IV

QUE LES MINISTRES

ONT VIOLE L’AUTHORITE DES CONCILES

4E REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

ET PREMIEREMENT DES QUALITES D’UN VRAY CONCILE

On ne sçauroit mieux projetter un vray et saint Concile que sur le patron de celuy que les Apostres firent en Hierusalem. Or, voyons 1. Qui l’assembla : et nous trouverons quil fut assemblé par l’authorité mesme des pasteurs : Conveneruntque Apostoli et seniores videre de verbo hoc (Act 15, 6). Et de vray, ce sont les pasteurs qui ont charge d’instruire le peuple, et de prouvoir a son salut par les resolutions des doutes qui surviennent touchant la doctrine Chrestienne ; les empereurs et les princes doivent y avoir zele, mais selon leur ministere, qui est par voÿe de justice, de police et de l’espëe, quilz ne portent pas sans cause (Rom 13, 4). Ceux donques qui voudroyent que l’Empereur eust ceste authorité, n’ont point de fondement en l’Escriture ni en la rayson ; car, quelles sont les causes principales pour lesquelles on assemble les Conciles generaux, sinon pour reprimer et repouser l’heretique, le schismatique, le scandaleux, comme loups de la bergerie ? ainsy fut faicte ceste premiere assemblëe en Hierusalem pour resister a certains de l’haeresie des Pharisaeens : et qui a charge de repouser le loup sinon le berger ? et qui est berger que celuy a qui Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas (Jean 21, 17) ? Qui a l’authorité de repaistre le troupeau a l’authorité d’assembler les bergers, pour cognoistre quelle pasture et quelles eaux sont saines aux ouaïlles ; cela est proprement assembler les pasteurs in nomine Christi (Matt 18 , 20), c’est a dire, par l’authorité de Nostre Seigneur, car qu’est ce autre chose assembler les estatz au nom du prince que les convoquer par authorité du prince ? et qui a cest authorité que celuy qui commme lieutenant a receu les clefz du royaume des cieux (Matt 16, 19) ? Qui fit dire au bon pere Lucentius, evesque vicaire du Saint Siege apostolique, que Dioscorus avoit eu tresgrand tort d’avoir assemblé un Concile sans l’authorité Apostolique : Sinodum, dict il , ausus est facere sine authoritate Sedis Apostolicae, quod nunquam rite factum est, nec fieri licuit ; et dict ces paroles en la pleyne assemblëe du grand Concile de Caceldoyne. Il est neanmoins necessaire que si la ville ou l’assemblëe se faict est sujette a l’Empereur, ou a quelque prince, et qu’on veuïlle faire quelque cueillette publique pour les frais d’un Concile, que le prince chez lequel on s’assemble ayt donné licence et authorisé l’assemblëe, et les cueillettes doivent estre avouëes par les princes riere les estatz desquelz elles se font : et quand l’Empereur voudroit assembler un Concile, pourveu que le Saint Siege y consentit pour rendre la convocation legitime… Telles ont esté les assemblëes de quelques Conciles tres authentiques, et celle qu’Herode commanda en Hierusalem (Matt 2, 4) , pour sçavoir ubi Christus nasceretur, a laquelle les prestres et les scribes consentirent ; mays qui la voudroit tirer en consequence, pour attribuer l'’uthorité aux princes de commander les convocations, auroit autant de rayson que de tirer en consequence sa cruauté sur saint Jan Baptiste et le meurtre sur les petitz enfans.

2. Il succede que nous remarquions, en ce premier Concile chrestien qui fut faict par les Apostres, qui y fut apellé : Convenerunt, dict le texte, Apostoli et presbiteri videre de verbo hoc ; les Apostres et les prestres (Act 15, 6), en un mot, les gens d’Eglise : la rayson le vouloit, car le vieux proverbe est par tout bon, Ne sutor ultra crepidam, et le bon mot du pere Hosius, rapporté par saint Athanase (Epist ad solitariam vitam agentes § 44), quil escrivit a l’empreur Constantius, Tibi Deus imperium commisit, nobis quae sunt Ecclesiae concredidit. C’est donques aux Ecclesiastiques d’y estre convoqués, quoy que les princes, l’Empereur, les roys et autres y ayent lieu comme protecteurs de l’Eglise.

Troysiesmement, qui y doit estre juge : et nous ne voyons pas que personne y portast sentence que 4 des Apostres, saint Pierre, saint Pol, saint Barnabas et saint Jaques, au jugement desquelz chacun acquiesça. Pendant qu’on deliberoit, les senieurs ou prestres parlerent, comm’il est probable selon ces paroles (Act 15, 7), cum autem magna conquisitio fieret, qui monstrent qu’on debatit bien fort ceste question ; mays quand il vint a resoudre et porter sentence, il ne se trouve personne qui ne soit Apostre : aussy ne trouve l’on pas es anciens Conciles et canoniques qu’autre que les Evesques ayt signé et defini ; qui fut la cause que les Peres du Concile de Calcedoyne (Actione prima), y voyans entrer les religieux et laicz, crierent plusieurs foys : Mitte foras superfluos, Concilium episcoporum est. Attendite, dict saint Pol (act 20, 28), vobis et universo gregi ; mays qui doit fayre cecy, de penser a soy et pour le cors general ? in quo vos posuit Spiritus Sanctus Episcopos regere Ecclesiam Dei : il appartient aux pasteurs de prouvoir de saine doctrine aux brebis.

4. Si nous considerons qui y praesida, nous trouverons que ce fut saint Pierre qui y porte le premier de la sentence, qui fut apres suyvie du reste, comme dict saint Hierosme (Ep. Ad Augustinum II (al. Ep. 112)) ; aussy avoit il la principale charge de pasteur, Pasce oves meas (Jean 21, 17), et estoit le grand oeconome sur le reste, Tibi dabo claves regni caelorum (Matt 16, 19), il estoit confirmateur des freres (Luc 22, 32), office qui appartient proprement au praesident et surintendant. Ainsy despuys, le successeur de saint Pierre, Evesque de Rome, a tousjours praesidé aux Conciles par ses legatz. Au Concile de Nicëe, les prmiers qui souscrivent ce sont Hosius, evesque, Vitus et Modestus, prestres, envoyës par le Saint Siege : et de vray, quelle occasion pouvoit faire que deux prestres souscrivissent devant les Patriarches, si ce n’eust esté quilz estoyent en lieutenance du supresme Patriarche ? Que quand a saint Athanase, tant s’enfaut quil y praesidat, quil ny fut pas assis ni ne souscrivit point, comme n’estant que diacre pour l’heure ; et le grand Constantin non seulement ny praesida pas, ains s’assit au bas des Evesques (Theod l I hist c 7 al 6), et ny voult point estre comme pasteur (Ruff l 1 c 2) mays comme brebis. Au Concile de Constantinople, quoy quil ny fut pas aucun legat pour luy, par ce quil traittoit la mesme cause avec les Evesques occidentaux a Rome qui estoit traittëe a Constantinople par les orientaux, qui ne s’estoyent peu joindre en esprit et deliberation, si est ce que par les lettres que les Peres de part et d’autre s’envoyerent, Damase, Evesque de Rome, est reconneu pour legitime chef et praesident (vide Theod l 5 c 10 al 9 et c 8). Au Concile d’Ephese, saint Cyrille y praesida comme legat et lieutenant de Caelestin, Pape : voyci les paroles de saint Prosper d’Aquitayne (Contra Collatorem c 21 , § 2) : Per hunc virum (il parle du Pape Caelestin) etiam orientales Ecclesiae gemina peste purgatae sunt, quando Cyrillo, Alexandrinae urbis Antistiti, gloriossimo fidei Catholicae defensori, ad exsecandam nestirianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio ; ce que le mesme Prosper dict encores in Chronico : Nestorianae impietati praecipua Cyrilli Alexandrini Episcopi industria et Papae Caelestini repugnat authoritas. Au Concile de Calcedoyne, il ny a rien qui ne crie tout par tout que les legatz du Saint Siege Romain ny aient praesidé, Pascasinus et Lucentius ; il ny en a que d’en lire les actes.

Voyla donques l’Escriture, la rayson, la prattique des 4 plus purs Conciles qui furent onques, ou saint Pierre praeside et ses successeurs quand ilz s’y sont trouvés ; j’en pourrois tout autant monstrer de tous les autres qui ont esté receuz en l’Eglise universelle comme legitimes, mays ceci suffira bien.

Reste le consentement, reception et execution des decretz du Concile, qui fut faicte, comm’elle se doit encores faire a present, par tous ceux qui y assistent, dont il fut dict (Act 15, 22) : Tunc placuit Apostolis et senioribus, cum omni Ecclesia, eligere viros ex eis, etc. ; m ays quand a l’authorité en vertu delaquelle la promulgation du decret de ce Concile-la fut faicte, elle ne fut sinon des gens ecclesiastiques : Apostoli et seniores fratres, iis qui sunt Antiochiae, Syriae et Ciliciae (Vers 23) ; l’authorité des brebis ny est point cottëe, mais celle la seulement des pasteurs. Il peut bien y avoir des laicz au Concile sil est expedient, mays non pas pour y tenir lieu de juges.

ARTICLE II

COMBIEN EST SAINTE ET SACREE L’AUTHORITE

DES CONCILES UNIVERSELZ

Nous parlons donq icy d’un Concile tel que celuy la, ou se trouve l’authorité de saint Pierre, tant au commencement qu’a la conclusion, et des autres Apostres et pasteurs qui s’y voudront trouver, sinon de tous au moins d’une notable partie ; ou la discussion soit libre, c’est a sçavoir, que qui voudra y propose ses raysons sur la difficulté qui y est proposëe ; ou les pasteurs ayent voix judiciaire ; telz en fin qu’ont esté ces quatre premiers, desquelz saint Gregoire faisoit tant de conte, quil en fit ceste protestation : Sicut sancti Evangelii 4 libros, sic 4 Concilia suscipere et venerari me factor (L I Epist ep 24 al 23, in fine).

Or sus, voyons un peu combien grande doit estre leur authorité sur l’entendement des Chrestiens ; et voicy comme les Apostres en parlent : Visum est Spiritui Sancto et nobis (Act 15, 28). L’authorité donques des Conciles doit estre reverëe comme appuyëe sur la conduite du Saint Esprit ; car, si contre ceste heresie pharisaique, le Saint Esprit, docteur et conducteur de son Eglise, assista l’assemblëe, il faut croire encores qu’en toutes semblables occasions il assistera encores les assemblees des pasteurs, pour, par leur bouche, regler et nos actions et nos creances. C’est la mesm’Eglise, aussy chere au celest’Espoux qu’elle fut alhors, en plus de necessité qu’elle n’estoit alhors ; quelle rayson y a il quil ne luy fist la mesme assistence quil luy fist alhors en pareille occasion ? Consideres, je vous prie, l’importance de ces motz Evangleiques (Matt 18, 17), Si quis Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus ; et quand peut on jamais ouyr plus distinctement l’Eglise que par la voix d’un Concile general, ou les chefz de l’Eglise se trouvent tous ensemble pour dire et deduyre les difficultés ? le cors ne parle pas par ses jambes ni par ses mains, mays seulement par son chef ; ainsy, comme peut l’Eglise mieux prononcer sa sentence que par eses chefz ? Mays Nostre Seigneur s’explique : Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram de moni re quamcumque petierint, fiet illis a patre meo qui in caelis est ; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum (vers 19 et 20). Si deux ou troys, quand besoin en est, estans assemblés au nom de Nostre Seigneur, ont son assistence si particuliere quil est au milieu d’eux comm’un general emmy l’armee, comm’un docteur et regent au milieu de ses disciples, si le Pere les exauce infalliblement en ce quilz luy demandent, comme refuseroit il son Saint Esprit a la generale assemblëe des pasteurs de l’Eglise ?

Puys, si l’assemblëe legitime des pasteurs et chefz de l’Eglise pouvoit estre une fois saisie d’erreur, comme se verifieroit la sentence du Maistre, Portae inferi non praevalebunt adversus eam (Matt 16, 18) ? comme pourroit l’erreur et la force infernale s’emparer de l’Eglise a meilleures enseignes que d’avoir asservi les docteurs, pasteurs et cappitaines avec leur general ? Et ceste parole, Ecce ego vobiscum sum usque ad consumationem seculi (Matt ult v ult), que deviendroit elle ? Et l’Eglise comme sera elle colomne et pilier de verité (1 Tim 3, 15), si ses bases et fondementz soustiennent l’erreur et fauseté ? les docteurs et pasteurs sont les visibles fondementz de l’Eglise, sur l’administration desquelz le reste s’appuÿe.

En fin, quel plus estroit commandement avons nous que de prendre la pasture de la main de nos pasteurs (Luc 10, 16 ; Heb 13, 17) ? saint Pol ne dict il pas que le Saint Esprit les a colloqués au bercail pour nous regir (Act 20, 28), et que Nostre Seigneur les nous a donnés affin que nous soyons point flottans et emportés a tout vent de doctrine (Eph 4, 11 et 14) ? quel respect donques devons nous porter aux ordonances et canons qui partent de leur assemblëe generale ? Certes, pris a part l’un de l’autre, leurs doctrines sont encore sujettes a l’espreuve, mays quand ilz sont ensemble, et que toute l’authorité ecclesiastique est ramassëe en un, qui peut conteroller l’arrest qui en sort ? Si le sel s’esvanouÿt, en quoy le conservera-on (Matt 5, 13) ? si les chefz sont aveugles, qui conduira le reste ? si les colomnes tumbent, qui les soutiendra ?

En un mot, l’Eglise de Dieu qu’a elle de plus grand, de plus asseuré et solide pour renverser l’haeresie que les arrestz des Conciles generaux ? L’Escriture, dira de Bezez. Mays j’ay ja monstré cy devant (ch 3 art 1), que de intelligentia haeresis est, non de Scriptura ; sensus, non sermo, fit crimen. Qui ne sçait combien de passages l’Arrien produict ? que luy peut on opposer sinon qu’il les entend mal ? mays il a pleyne liberté de croire que c’est vous qui interpretes mal, non luy, que vous vous trompes, non luy, que son rapport a l’analogie de la foy est mieux cousu que le vostre, pendant quil ni a que les particuliers qui s’opposent a ses nouveautés. Que si l’on leve la souveraineté aux Conciles des decisions et declarations necessaires sur l’intelligence de la sainte Parole, la sainte Parole sera autant prophanëe que les textes d’Aristote, et nos articles de Religion seront sujetz a revision immortelle, et de Chrestiens resoulz et asseurés deviendrons miserables academiques. Athanase dit que Verbum Domini per oecumenicam Niceae Sinodum manet in aeternum (Ep ad Episcop. Africanos § 2) ; saint Gregoire Nazianzene, parlant des Apollinaristes, qui se ventoyent d’avoyr esté avoüés par un Concile Catholique, Quod si vel nunc, dict il, vel ante suscepti sunt, hoc ostendant et nos acquiescemus ; perspicuum enim erit eos rectae doctrinae assentiri, nec enim aliter se res habere potest (Ep ad Cledonium Ia) ; saint Augustin dict (L I de Bap. Contra Donat c 7) que la celbre question du Baptesme, meüe par les Donatistes, fit douter plusieurs Evesques, donec, plenario totius orbis Concilio, quod saluberrime sentiebatur etiam remotis dubitationibus firmaretur ; Defertur, dict Ruffin (L I Hist. C 5), ad Constantinum sacerdotalis Concilii (Nicaeni) sententia ; ille tanquam a Deo prolatam veneratur, cui si quis tentasset obniti , velut contra divina statuta venientem in exilium se protestatur acturum. Que si quelqu’un pensoit, pour produire des analogies, des sentences de l’Escriture, des mots grecz et hebreux, quil luy fust permis de remettre en doute ce qui a desja esté determiné par les Conciles genraux, il faut quil produise des patentes du ciel bien signëes et scelees, ou quil die que chacun en peut autant faire que luy, et que tout est a la merci de nos subtiles temerités, que tout est incertain et sujet a la diversité des jugemens et considerations des hommes. Le Sage nous baille un autre advis (Ecclesiastes 12, 11-12) : Verba sapientium sunt sicut stimuli, et sicut clavi in altum defixi, quae per magistrorum consilium data sunt a pastore uno ; his amplius, fili mi, ne requiras.

ARTICLE III

COMBIEN LES MINISTRES ONT MESPRISE ET VIOLE

L’AUTHORITE DES CONCILES

Maintenant, demeureres vous endormis a ceste secousse que vos maistres ont donné a l’Eglise ? penses a vous, je vous prie. Luther, au livre quil a faict Des Conciles (Pars Ia, sub finem), ne se contente pas d’esbranler les pierres descouvertes, mays va mettre la sappe jusques aux pierres fondamentales de l’Eglise. Qui croiroit cecy de Luther, tant grand et glorieux reformateur ? au dire de Beze (In lib., Icones, etc.). comme traitte il le grand Concile de Nicee ? par ce que le Concile (Act 15) defend estre receuz au ministere clerical ceux qui se sont taillés eux mesmes, et defend quand et quand aux Ecclesiastiques de tenir en leurs maysons autres femmes que leurs meres et leurs sœurs, hic prorsus, dict Luther, non intelligo Spiritum Sanctum in hoc Concilio. Et pourquoy ? An debebit episcopus aut concionator illum intolerabilem ardorem et aestum amoris illiciti sustinere, et neque conjugio neque castratione se ab his periculis liberare ? An vero nihil aliud est negotii Spiritui Sancto in Conciliis, quam ut impossibilibus, periculosis, non necessariis legibus suos ministros obstringat et oneret ? Il n’excepte point de Concile, ains tient asseurement qu’un curé seul peut autant qu’un Concile : voyla l’opinion de ce grand reformateur.

Mays qu’ay je besoin de courir loin ? de Beze dict, en l’Epistre au Roy de France (vide supra, c 3 art 1), que vostre reformëe ne refusera l’authorité d’aucun Concile ; voyla qui est bon, mauys ce qui s’ensuit gaste tout : " pourveü ", dict il, " que la Parole de Dieu en face l’espreuve ". Mays, mon Dieu,quand cessera on de brouiller ? les Conciles, pares toute consultation, espreuve faite a la sainte pierre de touche de la Parole de Dieu, jugent et determinent d’un article ; si apres tout cela il faut un’autre espreuve avant qu’on reçoive ceste determination, n’en faudra il encores une autre ? qui ne voudra espreuver ? et quand finira on jamais ? apres l’espreuve faite par le Concile, de Beze et ses disciples veulent encores espreuver ; et qui gardera a un autre d’en demander autant ? pour sçavoir si l’espreuve du Concile a esté bien faite, pourquoy n’en faudra il une troysiesme pour sçavoir si la seconde est fidelle ? et puys une quatriesme pour la troysiesme ? tout sera refaire, et la posterité ne se fiera jamais a l’antiquité, mays ira roulant et mettant ores dessus ores dessous les plus saintz articles de la foy en la roüe de l’entendement. Nous ne sommes pas en doute sil faut recevoir une doctrine a la volëe, ou sil en fait faire l’espreuve a la touche de la Parole de Dieu ; mays nous disons que quand un Concile general en a faict l’espreuve, nos cerveaux n’y ont plus rien a revoir, mays seulement a croire : que si une fois on remet les canons des Conciles a l’espreuve des particuliers, autant de particuliers autant d’espreuves, autant d’espreuves que d’opinions. L’article de la realité du Cors de nostre Seigneur au tressaint sacrement avoit esté receu avec l’espreuve de plusieurs Conciles ; Luther a voulu faire un’autre espreuve, Zuingle un’autre sur celles cy, Calvin un’autre, autant d’espreuves ; autant d’espreuves autant d’opinions.

Mays, je vous prie, si l’espreuve faite par un Concile general n’est asses authentique pour arrester le cerveau des hommes, comme l’authorité d’un quidam le pourra faire ? Voyci une grand’ambition. Des plus doctes ministres de Losanne, ces annëes passëes, l’Escriture et l’analogie de la foy en main, s’opposent a la doctrine de Calvin touchant la justification ; de soustenir l’effort de leurs raysons point de nouvelles, quoy qu’on face trotter certains petitz livretz morfonduz, sans goust ni pointe de doctrine : comme les traitte l’on ? on les persecute, on les faict absenter, on les faict menasser ; a quel propos cela ? par ce quilz enseignent une doctrine contrayre a la profession de foy de nostr’eglise. Bonté de Dieu ; on sousmet a l’epreuve de Luther, Calvin et Beze la doctrine du Concile de Nicee, pares treze cens ans d’approbation, et on ne veut pas qu’on face l’espreuve de la doctrine calvinesque, toute nouvelle, toute douteuse, rappetassee et bigarrëe. Que ne laissoit on a chacun faire son espreuve ? si celle de Nicee n’a pas peu arrester vos cerveaux, pourquoy voules vous par vos discours mettre un arrest aux cerveaux de vos compaignons, aussi gens de bien que vous, aussi doctes et pertinentz ? Connoisses l’iniquité de ces juges : pour donner liberté a leurs opinions ilz avilissent les anciens Conciles, et veulent par les leurs brider celles des autres ; ilz cherchent leur gloire, connoisses-le bien, et tout autant quilz en levent aux Anciens, ilz s’en attribuent.

Mays revenons au mespris quilz font aux Conciles, et combien ilz violent ceste sainte Regle de bien croire. De Beze , en l’Epistre au Roy de France et au Traitté mesme, dict que " le Concile de Nicëe a esté un vray et legitime Concile sil y en eut onques " ; il dict vray, jamays bon Chrestien n’en douta, ni des autres troys premiers : mays sil est tel, pourquoy est ce que Calvin apelle dure la sentence du Concile en son Simbole, Deum de Deo, lumen de lumine (In lib advers Gentilem) ? et que veut dire que ceste parole, ?????????, deplaict tant a Luther (in lib Confutat. Rationis latom.), Anima mea odit hoc verbum, homoousion? Parole laquelle est si recommandable en ce grand Concile. Que veut dire que vous ne tenes conte de la realité du Cors de Nostre Seigneur au Saint Sacrement, que vous appelles superstition le tres saint Sacrifice qui se faict par les prestres, du mesme precieux Cors du Sauveur, et que vous ne voules point mettre difference entre l’Evesque et le prestre ? puysqu’en ce grand Concile (can 14 al 18) tout y est si expressement non ja defini mays praesupposé comme chose toute notoire en l’Eglise. Jamais Luther ni Pierre Martir ou Ochin n’eussent estés de vos ministres silz eussent eu en memoyre les actions du grand Concile de Calcedoyne (Can 4, 7, 14, 15, 17) ; car il y est defendu tres expres que les religieux et religieuses ne se marient point. O quil feroit bon voir le tour de ce vostre lac si on eust eu en reverence ce Concile de Calcedoyne (Can 17, 20, 21, 22, 23), o que vos ministres se fussent bien souvent teuz, et bien a propos, car il y a expres comandement aux laicz de ne toucher aucunement aux biens ecclesiastiques, a un chacun de ne faire aucune conjuration contre les Evesques, et de ne calomnier en faitz ni en paroles les gens d’Eglise. Le Concile Constantinopolitain defere la primauté au Pape de Rome, et la presuppose comme notoire (Can 5 al 3) ; aussy faict bien celuy de Calcedoine (Act 4 et 16). Mais i a il article auquel nous ayons different avec vous qui n’ait esté plusieurs fois condamné es saintz Conciles generaux ou particuliers generalement receus ? et neantmoins vos ministres les ont reveillés sans honte, sans scrupule, nom plus que si c’eussent estés quelques saintz depostz et tresors cachés a l’antiquité, ou que l’antiquité eust serrés bien curieusement affin que nous en eussions la jouissance en cest aage.

Je sçai qu’es Conciles il y a des articles pour l’ordre et police ecclesiastique, qui peuvent estre changés et ne sont que temporelz, mays ce n’est pas aux particuliers d’y mettre la main : la mesm’authorité qui les a dressés les doit abroger, si quelqu’autre s’en mesle c’est pour neant ; et ce n’est pas la mesm’authorité si ce n’est un Concile, ou le chef general, ou la coustume de toute l’Eglise. Quant aux decretz de la doctrine de la foi, ilz sont invariables ; ce qui est une fois vray, l’est en eternité ; aussi les Conciles appellent Canons ce quilz en determinent, par ce que sont Regles inviolables a nostre creance. Mays tout cecy s’entend des vrays Conciles, ou generaux, ou provinciaux advoüés par les generaux ou par le Siege Apostolique : tel que ce ne fut pas le cas des 400 prophetes assemblés par Achab (3 Rois 22, 6) ; car il ne fut ni general, car ceux de Judas n’y furent point apellés, ni bien congregé, car il n’y eut point d’authorité sacerdotale, et ces prophetes n’estoyent pas legitimes et pour telz reconneuz par le roy de Juda, Josaphat, quand il dict : Non est hic propheta Domini, ut interogemus per eum (vers 7) ? comme sil eust voulu dire que les autres ne s’estoyent pas prophetes du Seigneur. Tel ne fut pas nomplus l’assemblëe des prestres contre Nostre Seigneur (Jean 11, 47), qui ne tint aucune forme de Concile, mays fut une conspiration tumultuaire et sans aucune procedure requise, et laquelle tant s’en faut qu’elle eust asseurance en l’Escriture de l’assistence du Saint Esprit, qu’au contrayre elle en avoit esté declairëe privëe par les Prophetes ; et de vray, la rayson vouloit que le Roy estant praesent les lieutenans perdissent l’authorité, et le grand Prestre praesent, la majesté du vicayre fut ravalëe a la condition des autres. Sans authorité du supresme chef de l’Eglise, qui estoit Notre Seigneur , lhors present d’une praesence visible, et lequel ilz estoyent obligés de reconnoistre : a la verité, quand le grand Sacrificateur est praesent visiblement, le vicayre ne se peut appeler chef, quand le gouverneur d’une forteressse est praesent, c’est a luy de donner le mot, non a son lieutenant. Outre tout cela, la Sinagogue devoit estre changëe et transferëe en ce tems la, et ceste sienne faute avoit esté predicte (Jean 12, 31.37.38 ;15, 25), mays l’Eglise Catholique ne doit jamays estre transferëe pendant que le monde sera monde, nous n’attendons point de troysiesme legislateur ni aucun autre sacerdoce, mays doit estre aeternelle. Et neantmoins, Nostre Seigneur fit cest honneur a la sacrificature d’Aaaron, que non obstant toute la mauvaise intention de ceux qui la posssdoyent, le grand Prestre prophetisa et prononça une sentence tres certayne, Quia expedit ut unus moriatur homo pro populo, ut non tota gens pereat (Jean 11, 50-51) ; ce quil ne dict pas de luy mesme et a cas, mays prophetiquement, dict l’Evangile, par ce quil estoit Pontife de ceste annëe la. Ainsy voulut Nostre Seigneur conduire ceste Sinagogue et l’authorité sacerdotale avec un remarquable honneur a la sepulture, pour luy faire succeder l’Eglise Catholique et le sacerdoce Evangelique ; et la, ou la Sinagogue prit fin , qui fut en la resolution de faire mourir Nostre Seigneur, l’Eglise fut fondëe par ceste mort mesme : Opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam (Jean 17, 4), dict Nostre Seigneur apres la cene, et en la cene nostre Seigneur avoit institué le nouveau testament, si que le viel, avec ses ceremonies et son sacerdoce, perdit ses forces et ses privileges, quoy que la confirmation du nouveau ne se fit que par la mort du testateur, comme parle saint Pol (Heb 9, 15). Il ne faut donq plus mettre en conte les privileges de la Sinagogue, qui estoient fondés sur un testament viel, et abrogé quand ilz disoyent ces cruelles paroles, Crucifige (Marc 15, 13-14), ou ces autres, Blsphemavit, quid adhuc egemus testibus? car ce n’estoyt autre qu’heurter a la pierre de choppement, selon les anciennes praedictions (Is 8, 14).

J’ay voulu lever ocasion a ces deux objections qu’on faict contre l’infallible authorité des Conciles et de l’Eglise ; les autres s’iront resoulvant cy apres, es essays particuliers que nous ferons de la doctrine Catholique : il n’y a chose si certayne qui n’ait des oppositions, mays la verité demeure ferme et glorieuse par les assautz de ses contraires.

CHAPITRE V

LES MINISTRES ONT VIOLE

L’AUTHORITE DES ANCIENS PERES DE L’EGLISE

5E REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

ET 1. COMBIEN L’AUTHORITE DES ANCIENS PERES EST VENERABLE

Theodose le Viel ne trouva poinct de meilleur moyen de reprimer les contentions survenües de son tems au faict de la religion que, suyvant le conseil de Sisinnius, de faire venir les chefz des sectes, et leur demander silz tenoyent les anciens Peres, qui avoyent eu charge en l’Eglise avant toutes ces disputes, pour gens de bien, saintz, bons Catholiques et apostoliques ; a quoy les sectaires respondans qu’ouy, il leur repliqua : examinons donques vostre doctrine a la leur, et si elle se trouve conforme, retenons la , si moins, qu’on l’abolisse (Sozom l 7 Hist c 12). Il ny a point de meilleur expedient au monde : ja que Calvin et Beze confessent que l’Eglise demeura pure les six premieres centeynes d’annees, que nous regardions si vostre eglise est en mesme foy et doctrine que cellela ; et qui nous pourra mieux tesmoigner la foy que l’Eglise suyvoit en ces anciens tems, que ceux qui vivoyent alhors avec elle et en sa table ? qui pourra mieux desduire le deportemens de ceste celest’Epouse, en la fleur de son aage, que ceux qui ont eu cest honneur d’avoir les principaux offices chez elle ? Et de ce costé, les Peres meritent qu’on leur adjouste foy non pour l’exquise doctrine dont ilz estoyent pourveuz, mays pour la realité de leurs consciences, et la fidelité avec laquelle ilz ont marché en besoigne.

On ne requiert pas tant au tesmoin le sçavoir, que la preudhommie et bonne foy. Nous ne les voulons pas icy pour autheurs de nostre foy, mays seulement pour tesmoins de la creance en laquelle vivoyt l’Eglise de ce tems la ; personne n’en peut deposer plus pertinemment qu’eux qui y commandoyent, ilz sont irreprochables de tous costés ; qui veut sçavoir le chemin que l’Eglise a tenu en ce tems la, qui le demande a ceux qui l’ont tres fidelement accompagnee : Sapientiam omnium antiquorum exquiret sapiens, et in prophetis vacabit ; narrationem virorum nominatorum conservabit (Eccles 39, 1-2). Oyes ce que dict Hieremie : Haec dicit Dominus : state super vias, et videte et interrogate de semitis antiquis quae sit via bona, et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris (Jer 6, 16) ; et le Sage : Non te praeterat narratio seniorum, ipsi enim didicerunt a patribus suis (Eccles 8, 11). Mays nous ne devons pas seulement honorer leurs tesmoignages comme tres asseurés et irreprochables, ains encores bailler grand credit a leur doctrine sur toutes nos inventions et curiosités. Nous ne sommes pas en doute si les Peres anciens doivent estre tenuz pour autheurs de nostre foy, nous sçavons mieux que tous vos ministres que non ; ni ne sommes pas en dispute s’il faut recevoir pour certain ce qu’un ou deux Peres auront eu en opinion. Voicy nostre different : vous dites que vous aves reformé vostre eglise sur le patron de l’Eglise ancienne ; nous le nions, et prenons a tesmoins ceux qui l’ont veüe, qui l’ont conservëe, qui l’ont gouvernëe ; n’est ce pas une preuve franche et nette de toute supercherie ? icy nous ne produysons que la preudhommie et bonne foy des tesmoins. Outre cela, vous dites que vostre eglise a estëe taillëe a la regle et compas de l’Escriture ; nous le nions, et disons que vous aves accourcy, estressy et plié ceste regle, comme faysoyent ceux de Lesbos, pour l’accomoder a vostre cerveau, et … et reformëe selon la vraye inteligence de l’Escriture ; nous le nions, et disons que les anciens Peres ont eu plus de suffisance et d’erudition que vous , et neantmoins ont jugé que l’inteligence des Escritures n’estoit pas telle que vous dittes ; n’est ce pas une preuve tres certaine ? Vous dites que selon les Escrittures il faut abolir la Messe ; tous les anciens Peres le nient : a qui croirons nous, ou a ceste troupe d’Evesques et martirs anciens, ou a ceste bande de nouveaux venuz ? voyla ou nous en sommes. Or, qui ne voit qu’au premier cas c’est une impudence intolerable de refuser creance a ceste milliade de Martirs, Confeseurs, Docteurs qui nous ont praecedé ? et si la foy de ceste ancienne Eglise nous doit servir de Regle pour bien croire, nous ne sçaurions mieux trouver ceste Regle qu’es escritz et depositions de ces tressaintz et signalés ayeulz.

CHAPITRE VI

Que les Ministres ont violé l’Autorité du Pape

6e Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

PREMIERE PROMESSE (FAITE A SAINT PIERRE)

Quand Nostre Seigneur impose un nom aux hommes, il leur faict tousjours quelque grace particuliere selon le nom quil leur baille : sil change le nom de ce grnad pere des croyans, et d’Abram le faict Abraham, aussi de Pere eslevé il le faict Pere de multitude, apportant la rayson tout incontinent : Appellaberis Abraham, quia patrem multarum gentium constitui te (Gen 17, 5) ; et changeant celuy de Sarai en Sara, de Madame particuliere qu’elle estoit chez Abraham, il la rend Dame generale des nations et peuples qui devoyent naistre d’elle (vers 15-16). Sil change Jacob en Israel, la rayson est en realité sur le champ: Par ce que si tu as esté puyssant contre Dieu, combien plus surmonteras tu les hommes ? (Gen 32, 28) Si que Dieu, par les noms quil impose, ne marque pas seulement les choses nommëes, mays nous instruit de leurs qualités et conditions : tesmoins les Anges, qui ne portent point de noms que selon leurs charges, et saint Jan Baptiste, qui porte la grace en son nom qui annonça en sa praedication ; ce qui est ordinaire a ceste sainte langue des israelites. Ainsy l’imposition de nom en saint Pierre (Jean 1, 42) n’est pas un petit argument de l’excellence particuliere de sa charge, selon la rayson mesme que Nostre Seigneur y attacha, Tu es Petrus, etc.

Mays quel nom luy donne il ? nom plein de majesté, non vulgaire ni trivial, mays qui ressent sa superiorité et authorité, semblable a celuy d’Abraham mesme : car, si Abraham fut ainsy appelé par ce quil devoit estre pere de plusieurs peuples, saint Pierre a receu ce nom par ce que sur luy, comme sur une pierre ferme, devoit estre fondëe la multitude des Chrestiens ; et c’est a ceste ressemblance que saint Bernard appelle la dignité de saint Pierre, "  Patriarchat d’Abraham " (l 2 de Cons c 8). Quand Isaïe veult exhorter les juifz par l’exemple d’Abraham leur tige, il apelle Abraham, pierre : Attendite ad petram unde excisi estis, attendite ad Abraham patrem vestrum (51, 1-2) ; ou il faict voir que ce nom de Pierre rapporte fort bien a l’authorité paternelle.

Ce nom est l’un de ceux de Nostre Seigneur ; car, quel autre nom trouvons nous attribué plus frquemment au Messie que celuy de pierre (Eph 2, 20 ; Ps 117, 21 ; 1 Cor 10, 4) ? ce changement donques, et ceste imposition de nom, est tres considerable, car les noms que Dieu donne sont moelleux et massifz : il communique son nom a saint Pierre, il luy a donques communisqué quelque qualité sortable au nom. Nostre Seigneur est apellé principalement pierre, parce quil est fondement de l’ Eglise (1 Cor 3, 10) et pierre angulaire (Eph 2, 20 ; 1 Pierre 2, 6-7), l’appuy et la fermeté de cest edifice spirituel ; ainsy a il declairé que sur saint Pierre seroit edifiëe son Eglise (Matt 16, 18), et quil l’affermiroit en la foy : Confirma fratres tuos (Luc 22, 32). Je sçai bien quil imposa nom aux deux freres Jan et Jaques, Boanerges, enfans de tonnerres (Marc 3, 17), mays ni ce nom n’est point nom de superieurité ou commandement, ains d’obeissance, ni propre ou particulier, mays commun a deux ; ni ne semble pas quil leur fut permanent, puysque jamais ilz n’en sont appellés despuys, mays que ce fut plus tost un tiltre de louange, a cause de l’excellence de leur praedication. Mays en saint Pierre il donne un nom permanent, plein d’authorité, et qui luy est si particulier que nous pouvons bien dire auquel des autres a il dict, tu es pierre (heb 1, 5) ? pour monstrer que saint Pierre a esté superieur aux autres.

Mays je vous adviseray que nostre Seigneur n’a pas changé le nom de saint Pierre, mays a seulement joint un nouveau nom a l’ancien quil avoit ; peut estre affin quil se resouvint en son authorité de ce quil estoit de son estoc, et que la majesté du second nom fust attrempëe par l’humilité du premier, et que si le nom de Pierre le nous faisoit reconnoistre pour chef, le nom de Simon nous avisast qu’il n’estoit pas chef absolu, mays chef obeissant, subalterne et maistre valet. Il me semble que saint basile donne atteinte a ce que je dis, quand il dict : Petrus ter abnegavit, et colocatus est in fundamento. Petrus jam antea dixerat, et beatus pronunciatus fuerat ; dixerat, Tu es Filius Dei excelsi, et vicissim audierat se esse Petram, ita laudatus a Domino. Licet enim petra esset, non tamen Petra erat ut Christus ; ut Petrus, Petra erat. Nam Chrisuts vere est immobilis Petra, petrus vero propter Petram ; axiomata namque sua Chrsitus largitur autem ea non evacuatus, sed nihilo minus habens : petra est et Petram fecit, quae sua sunt largitur servis suis ; argumentum hoc est opulenti, habere videlicet et aliis dare. (Homil de Poenit § 4 )

Ainsy parle saint Basile.

Qu’est ce qu’il (Nostre Seigneur) dict ? Trois choses ; mays il les faut considerer l’une apres l’autre : Tu es Petrus, et super hanc petram adificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt adversus eam ; Et tibi dabo claves regni caelorum ; quodcumque, etc. (Matt 16, 18-19) que il estoit pierre ou rocher, et sur ce rocher ou ceste pierre il edifieroit son Eglise. Mays nous voicy en difficulté : car on accorde bien que Nostre Seigneur ait parlé a saint Pierre et de saint Pierre jusques icy, et super hanc petram, mays que par ces paroles il ne parle plus de saint Pierre. Or, je vous prie, quelle apparence y a il que Nostre Seigneur eust faict ceste grande praeface, Beatus es Simon Bar Jona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in caelis est ; et ego dico tibi (vers 17), pour ne dire autre sinon, quia tu es Petrus, puys, changeant tout a coup de propos, il allast parler d’autre chose ? Et puys, quand il dict, et sur ceste pierre j’edifieray mon Eglise, ne voyes vous pas quil parle notoirement de la pierre delaquelle il avoit parlé praecedemment ? et de quell’autre pierre avoit il parlé que de Simon, auquel il avoit dict, Tu es Pierre ? Mays voicy tout l’equivoque qui peut faire scrupule a vos imaginations ; c’es que peut estre penses vous que comme Pierre est maintenant un nom propre d’homme, il le fut aussy alhors, et que Petrus ne soit pas la mesme chose que petra, et que, partant, nous passions la signification de Pierre a la pierre, par equivocque du masculin au feminin. Mays nous n’equivoquons point icy ; car ce n’est qu’un mesme mot, et pris sous la mesme signification , quand Nostre Seigneur a dict a Simon, Tu es Pierre, et quand il a dict, et sur ceste pierre j’edifieray mon Eglise : et ce mot de pierre n’estoit pas un nom propre d’homme, mays seulement il fut approprié a Simon Bar Jona ; ce que vous entendes bien mieux si on le prend au langage auquel Nostre Seigneur le dict. Il ne parloit pas Latin, mays Syriac ; il l’appela donques, nompas Pierre mays Cepha, en ceste façon, Tu es Cepha, et super hoc cepha aedificabo ; comme qui diroit en Latin, Tu es Saxum, et super hoc saxum, ou en François, Tu es Roche, et sur ceste roche j’edifieray mon Eglise. Maintenant, quel doute reste il que ce n’est qu’un mesme duquel il a dict, Tu es Roche, et duquel il dict, et sur ceste roche ? certes, il ne s’estoit point parlé d’autre Cepha en tout ce chapitre la que de Simon ; a quel propos donques allons nous rapporter ce relatif, hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement praecedent ?

Vous me dires : ouy, mais le Latin dict, Tu es Petrus, et non Tu es Petra ; or, ce relatif hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement praecedent ?

Vous me dires : ouy, mais le Latin dict, Tu es Petrus, et non Tu es Petra ; or, ce relatif hanc, qui est feminin, ne se sçauroit rapporter a Petrus, qui est masculin. Certes, la version latine a asses d’autres argumentz pour faire connoistre que ceste pierre n’est autre que saint Pierre, et partant, pour accomoder le mot a la personne a qui on le bailloit pour nom, qui estoit masculine, il luy a baillé une terminayson de mesme, a l’imitation du grec qui avoit mis, Tu es ?????? , et super hanc ?????? ; mays il ne reussit pas si heureusement en Latin qu’en grec, par ce qu’en Latin, Petrus ne veut pas dire petra, mays en Grec ?????? et petra n’est qu’un mesme chose ; comme en François rocher et roche (est le mesme) toutefois, s’il me failloit approprier ou l’un ou l’autre a un homme, je luy appliqueroys plus tost le nom de rocher que de roche, pour la correspondance du mot masculin a la personne masculine. Il reste que je vous die sur ceste interpretation quil ni a personne qui doute que Nostre Seigneur n’ait appellé saint Pierre Cepha, car saint Jan le monstre tres expressement (c 1, 42), et saint Pol, aux Galates (2, 9 et alibi), ni que Cepha veuille dire une pierre ou un roch, ainsy que dict saint Hierosme (c 2 ad Gal).

En fin, pour vous monstrer que c’est bien de saint Pierre duquel il dict, et super hanc petram, je produis les paroles suivantes ; car c’est tout un de luy promettre les clefz du royaume des cieux, et de luy dire, super hanc petram ; et neantmoins nous ne pouvons pas douter que ce ne soit saint Pierre auquel il promet les clefz du royaume des cieux, puys quil dict clairement, et tibi dabo claves regni caelorum : si donques nous ne voulons descoudre ceste piece de l’Evangile d’avec les paroles praecedentes et les suivantes, pour la joindre ailleurs a nostre poste, nous ne pouvons croire que tout cecy ne soit dict a saint Pierre et de saint Pierre, Tu es Petrus, et super hancpetram aedificabo Ecclesiam meam ; ce que la vrÿe et pure Eglise Catholique, mesme selon la confession des ministres, a avoüé haut et cler en l’assemblëe de 630 Evesques au Concile de Calcedoyne (Act 3).

Voyons maintenant combien valent ces paroles et ce qu’elles importent. 1nt On sçait que ce que le chef est au cors d’un vivant, la racine en un arbre, le fondement l’est en un bastiment. Nostre Seigneur, donques, qui compare son Eglise a un aedifice, quand il dict quil l’edifiera sur saint Pierre il monstre que saint Pierre en sera la pierre fondamentale, la racine de ce precieux arbre, le chef de ce beau cors. La pierre sur laquelle on releve l’edifice c’est la premiere, les autres s’affermissent sur elle, celles qu’elle ne soustient ne sont pas de l’edifice ; on peut bien remuer les autres pierres sans que bastiment tumbe, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson. Les François appellent, mayson, l’edifice et la famille encores ; par ceste proportion que, comme une mayson n’est autre qu’un assemblage de pierres et autres materieux faict avec ordre, dependance et mesure, ainsy une famille n’est autre qu’un assemblage de gens, avec ordre et dependance les uns des autres. C’est a ceste similitude que Nostre Seigneur appelle son Eglise aedifice, duquel faysant saint Pierre le fondement, il le faict chef et superieur de ceste famille.

2nt Par ces paroles, Nostre Seigneur monstre la perpetuité et immobilité de ce fondement. La pierre sur laquelle on releve l’edifice c’est la premiere, les autres s’affermissent sur elle ; on peut bien remuer les autres pierres sans ruyner l’edifice, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson : si donques les portes d’enfer ne peuvent rien contre l’Eglise, elles ne peuvent rien contre son fondement et chef, lequel elles ne sçauroyent lever et renverser qu’elles ne mettent sans dessus dessous tout le bastiment. Il monstre une des differences quil y a entre saint Pierre et luy : car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement et aedificateur de l’Eglise, mays saint Pierre n’en est que fondement ; Nostre Seigneur en est le Maistre et Seigneur(Jean 13, 13) en proprieté, saint Pierre en a seulement l’oeconomie ; dequoy nous dirons cy apres.

3nt Par ces parolles, Nostre Seigneur monstre que les pierres qui ne sont posëes et arrestëes sur ce fondement ne sont point de l’Eglise, ni (n’appartiennent) a cest edifice.

ARTICLE II

RESOLUTION SUR UNE DIFFICULTE

Mays une grande preuve au contraire, ce semble aux adversaires, c’est que selon saint Pol, Fundamentum aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1 Cor 3, 11) ; et selon le mesme, nous sommes domestiques de Dieu, superaedificati supra fundamentum Apostolorum et Prophetarum, ipso summo angulari lapide, Christo Jesu (Ephes 2, 19-20) ; et en l’Apocalipse, la muraille de la sainte cité avoit douze fondemens, et en ces douze fondemens le nom des douze Apostres (21, 14). Si dnques, disent ilz, tous les douze Apostres sont fondemens de l’Eglise, comment attribues vous ce tiltre a saint Pierre en particulier ? et si saint Pol dict que personne ne peut mettre autre fondement que Nostre Seigneur, comme oses vous dire que par ces paroles, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j’aedifieray mon Eglise, saint Pierre ayt esté estably pour fondement de l’Eglise ? que ne dites vous plutost, dict Calvin (l 4 Inst. 6 § 6), que ceste pierre sur laquelle l’Eglise est fondëe n’est autre que Nostre Seigneur ? que ne dites vous plustost, dict Luther (L de Potest Papae), que c’est la confession de foy que saint Pierre avoit faict ? Mays a la verité, cen ‘est pas une bonne façon d’interpreter l’Escriture, que de renverser l’un des passages par l’autre, ou l’etirer par une intelligence forcëe a un sens estrange et mal advenant ; il faut y laisser tant qu’on peut la naifveté et suavité du sens qui s’y presente. En ce cas donques, puysque nous voyons que l’Escriture nous enseigne qu’il ni a point d’autre fondement que Nostre Seigneur, et que la mesme nous enseigne clairement que saint Pierre l’est encores, et plus outre encores que tous les Apostres le sont, il ne faut pas refuser le premier enseignement pour le second, ni le second pour le troysiesme, ains les laysser tous troys en leur entier ; ce qui se fera aysement si nous considerons ces passages a la bonne foy et franchement.

Et pour vray, Nostre Seigneur est l’unique fondement de l’Eglise : c’est le fondement de nostre foy, de nostr’esperance et charité ; c’est le fondement de la valeur des Sacremens et de nostre foelicité ; et c’est encores le fondement de toute l’authorité et l’ordre ecclésiastique, et de toute la doctrine et administration qui s’y faict ; qui douta jamays de cela ? Mays, me dict on, sil est unique fondement, comment est ce que vous mettes encores saint Pierre pour fondement ? 1. Vous nous faictes tort ; nous ne le mettons pas pour fondement, Celuy la outre lequel on n’en peut point mettre d’autre, l’a mis luy mesme ; si que, si Nostre Seigneur est vray fondement de l’Eglise, comm’il l’est, il faut croire que saint Pierre l’est encores, puysque Nostre Seigneur l’a mis en ce rang : que si quelqu’autre que Nostre Seigneur mesme luy eust donné ce grade, nous crierions tous avec vous : Nemo potest aliud fundamentum ponere praeter id quod positum. 2. Et puys, aves vous bien consideré les paroles de saint Pol ? Il ne veut pas qu’on reconnoisse aucun fondement outre Nostre Seigneur, mays ni saint Pierre ni les autres Apostres ne sont pas fondemens outre Nostre Seigneur, ains sous Nostre Seigneur ; leur doctrine n’est pas outre celle de leur Maistre, mays celle la mesme de leur Maistre. Ainsy la supremse charge qu’eut saint Pierre en l’Eglise militante, a raison de laquelle il est apellé fondement de l’Eglise, comme chef et gouverneur, n’est pas outre l’authorité de son Miastre, ains n’est qu’une participation d’icelle ; si que luy mesme n’est pas fondement de ceste hierarchie outre Nostre Seigneur, mays plus tost en Nostre Seigneur, comme nous l’apellons tressaint Pere en Nostre Seigneur, hors duquel il ne seroit rien. Certes, nous ne reconnoissons point d’authorité seculiere outre celle de son Altesse ; mays nous en reconnoisssons bien plusieurs sous icelle, lesquelles ne sont pas proprement autres que celle de son Altesse, puysqu’elles en sont seulement certaynes portions et participations. 3. En fin, interpretons passage par passage. Saint Pol vous semble il pas se fayre asses entendre quand il dict : Vous estes suredifiés sur les fondemens des prophetes et Apostres ? mays affin qu’on sceut que ces fondemens n’estoient pas outre celuy qu’il praechoit, il adjouste : Ipso summo angulari lapide, Christo Jesu.

Nostre Seigneur donques est fondement, et saint Pierre aussi, mays avec une si notable difference, qu’au pris de l’un , l’autre peut estre dict ne l’estre point. Car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement sans autre fondement, fondement de l’Eglise Naturelle, Mosaique et Evangelique, fondement perpetuel et immortel, fondement de la militante et triomphante, fondement de soymesme, fondement de nostre foy, esperance et charité, et de la valeur des Sacremens. Saint Pierre est fondement non fondateur de toute l’Eglise, fondement, mays fondé sur un autre fondement qui est Nostre Seigneur, fondement de la seule Eglise Evangelique, fondement sujet a succession, fondement de la militante non de la triomphante, fondement par participation, fondement ministerial, non absolu, enfin administrateur et non seigneur, et nullement fondement de nostre foy, esperance et charité, ni de la valeur des Sacremens. Ceste si grande difference faict qu’en comparayson, l’un ne soit pas apellé fondement au pris de l’autre, qui neanmoins pris a part peut estre appellé fondement, affin de laisser lieu a la proprieté des Parolles saintes : ainsy qu’encores quil soit le bon Pasteur (Eph 4, 11) il ne laysse de nous en donner sous luy, entre lesquelz et sa majesté il y a si grnade difference, que luy mesme monstre (Jean 10, 11-16 ; Ez 34, 23) quil est le seul Pasteur.

Tout de mesme, ce n’est pas bien philosopher de dire, tous les Apostres en general sont appellés fondemens de l’Eglise, donques saint Pierre ne l’est que comme les autres. Au contraire, puys que Nostre Seigneur a dict en particulier et en termes particuliers a saint Pierre ce qui est dict par apres en general des autres, il faut conclure qu’il y a en saint Pierre quelque particuliere proprité de fondement, et quil a esté luy en particulier ce que tout le college a esté ensemble. Toute l’Eglise a esté fondëe sur tous les Apostres, et toute sur saint Pierre en particulier ; c’est donq saint Pierre qui en est le fondement, pris a part, ce que les autres ne sont pas, car a qui a il jamays esté dict en particulier, Tu es Pierre, etc. ? Ce seroit violer l’Escriture, qui diroit que tous les Apostres en general n’ont pas esté fondement de l’Eglise ; ce seroit aussy la violer , qui nieroit que saint Pierre ne l’eust esté particulierment : il faut que la parole generale sortisse son efect general, et la particuliere, le particulier, affin que rien ne demeure inutile et sans mistere en des si misterieuses Escritures.

Voyons seulement a quelle rayson generale tous les Apostres sont apellés fondemens de l’Eglise : et c’est par ce que ce sont eux qui par leur praedication ont planté la foy et doctrine Chrestienne ; en quoy sil faut donner praerogative a quelqu’un des Apostres, ce sera a celuy la qui disoit : Abundantius illis omnibus laboravi ( 1Cor 15, 10). Et c’est ainsy que s’entend le lieu de l’Apocalipse ; car les douze Apostres sont apellés fondemens de la celeste Hierusalem, par ce que ce ont esté les premiers qui ont converty le monde a la religion Chrestienne, qui a esté comme jetter les fondemens de la gloire des hommes et la semence de leur bienheureuse immortalité. Mays le lieu de saint Pol semble ne s’entendre pas tant de la personne des Apostres que de leur doctrine ; car il n’est pas dict que nous soyons suredifiés sur les Apostres, mays, sur le fondement des Apostres, c’est-a-dire, sur la doctrine quilz ont annoncëe : ce qui est aysé a reconnoistre, puysqu’il ne dict pas seulement que nous sommes sur le fondement des Apostres, mays encores des Prophetes, et nous sçavons bien que les Prophetes n’ont pas autrement esté fondemens de l’Eglise Evangelique que par leur doctrine. Et en cest endroit, tous les Apostres semblent aller a pair, si saint jan et saint Pol ne precedent pour l’excellence de leur theologie ; c’est donq de ce costé que tous les Apostres sont fondemens de l’Eglise. Mays en l’authorité et gouvernement saint Pierre a devancé tous les autres, d’autant que le chef surpasse les membres ; car il a esté constitué Pasteur ordinaire et supreme Chef de l’Eglise, les autres ont esté pasteurs delegués et commis, avec autant pleyn pouvoir et authorité sur tout le reste de l’Eglise que saint Pierre, sauf que saint Pierre estoit leur chef de tous, et leur pasteur comme de tout le Christianisme. Ainsy furent ilz fondemens de l’Eglise avec luy egalement, quand a la conversion des ames et par doctrine, mays quand a l’authorité et gouvernement ilz le furent inegalement, puysque saint Pierre estoit le chef ordinaire non seulement du reste de toute l’Eglise mays des Apostres encores ; car Nostre Seigneur avoit edifié sur luy toute son Eglise, de laquelle ilz estoyent non seulement parties, mays les principales et nobles parties. Licet super omnes Apostolos ex æquo Ecclesiae fortitudo solidetur, dict saint Hierosme (L I in Jov § 26), tamen inter duodecim unus eligitur, ut capite constituto schismatis tolatur occasio. Sunt quidem, dict saint Bernard parlant a son Eugene (De Consid l II c 8), et nous en pouvons autant dire de saint Pierre par mesme rayson, sunt alii caeli janitores et gregum pastores, sed tu tanto gloriosus quanto differentius nomen haereditasti.

ARTICLE III

DE LA SECONDE PROMESSE FAICTE A SAINT PIERRE

ET JE TE DONNERAY LES CLEFZ DU ROYAUME DES CIEUX

Il fache tant aux adversaires qu’on leur propose le siege de saint Pierre comme une pierre de touche, a laquelle il faille faire l’espreuve des intelligneces, imaginations et fantasies quilz font es Escrittures, quilz renversent le ciel et la terre pour nous oster des mains les expresses parolles de Nostre Seigneur par les…

Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre quil aedifieroit sur luy son Eglise, affin que nous sceussions plus particulierement ce quil vouloit dire, poursuit en ces termes : Et tibi dabo claves regni caelorum. On ne sçauroit parler plus clairement : il avoit dict, Beatus es Simon Barjona, quia caro, etc. Et ego dico tibi quia tu es Petrus, et tibi dabo, etc. ; ce tibi dabo se rapporte a celuy la mesme auquel il avoit dict, et ego dico tibi, c’est donq a saint Pierre. Mays les ministres tachent tant quilz peuvent de troubler si bien la clere fontayne de l’Evangile, que saint Pierre n’y puisse plus trouver ses clefz, et a nous degouster d’y boire l’eau de la sainte obeissance qu’on doit au Vicaire de Nostre Seigneur ; et partant ilz se sont avisés de dire que saint Pierre avoit receu ceste promesse de Nostre Seigneur au nom de toute l’Eglise, sans quil y ait receu aucun privilege particulier en sa personne. Mays si cecy n’est violer l’Escriture, jamays homme ne la viola ; car n’estoit ce pas a saint Pierre a qui il parloit ? et comme pouvoit il mieux exprimer son intention que de dire, Et ego dico tibi ; Dabo tibi ? et puysque immediatement il venoit de parler de l’Eglise, ayant dict, portae inferi non praevalebunt adversus eam, qui l’eust gardé de dire, et dabo illi claves regni, sil les eust voulu donner a toute l’Eglise immediatement ? or il ne dict pas illi, mays, dabo tibi. Que sil est permis d’aller ainsy devinant sur des paroles si claires, il ny aura rien en l’Escriture qui ne se puysse plier a tout sens : quoy que je ne nie pas que saint Pierre en cest endroit ne parlast en son nom et de toute l’Eglise, quand il fit ceste noble confession ; non ja comme commis par l’Eglise ou par les disciples (car nous n’avons pas un brin de marque de ceste commission en l’Escriture, et la revelation sur laquelle il fonde sa confession avoit esté faite a luy seul, sinon que tout le college des Apostres eut nom Simon Barjona), mays comme bouche, prince et chef des autres, selon saint Chrysostome (In hunc locum) et saint Cyrille (Lib 12 in Joan c 54 Al in cap 21, 15-17), et " pour la primauté de son apostolat ", comme dict saint Augustin (Tract ult in Joannem § 5). Si que toute l’Eglise parla en la personne de saint Pierre comme en la personne de son chef, et saint Pierre ne parla pas en la personne de l’Eglise ; car le cors ne parle qu’en son chef, et le chef parle en luy mesme, non en son cors. Et bien que saint Pierre ne fut pas encor chef et prince de l’Eglise, ce qui luy fut seulement conferé apres la resurrection du Maistre, il suffit quil estoit deja choisi pour tel et quil en avoit les erres ; comme aussi les Apostres n’avoyent pas encores le pouvoir Apostolique, cheminans toute ceste benite compaignie plus comme disciples avec leur regent, pour apprendre les profondes leçons quilz ont par apres enseignëes aux autres, que comme Apostres ou envoyés, ce quilz firent depuys, lorsque le son de leur voix retentit par tout le monde (Ps 18, 5). Et ne nie pas nom plus que le reste des praelatz de l’Eglise n’ayent eu part a l’usage des clefz ; et quand aux Apostres, je confesse quilz y ont eu tout’authorité : je dis seulement que la collation des clefz est icy promise principalement a la personne de saint Pierre, et a l’utilité de toute l’Eglise ; car encor que ce soit luy qui les ayt receües, si est ce que ce n’est pas pour son prouffit particuier, mays pour celuy de l’Eglise. Le maniement des clefz est promis a saint Pierre en particulier et principalement, puys, en apres, a l’Eglise ; mays principalement pour le bien general de l’Eglise, puys, en apres, pour celuy de saint Pierre : comm’il advient en toutes charges publiques.

Mays on me demandera quelle difference il y a entre la promesse que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre de luy donner les clefz, et celle quil fit aux Apostres par apres ; car, a la verité, il semble que Nostre Seigneur explicant ce quil entendoit par les clefz, il dict : Et quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in caelis, et quodcumque solveris, qui n’est autre que ce quil dict aux Apostres en general, quaecumque alligaveritis. Si donques il promet en general ce quil promet a saint Pierre en particulier, il ni aura point de rayson de dire que saint Pierre soit plus qu’un des autres par ceste promesse.

Je respons qu’en la promesse, et en l’execution de la promesse, Nostre Seigneur a tousjours préféré saint Pierre, par des termes qui nous obligent a croire quil a esté chef de l’Eglise.

Et quand a la promesse, je confesse que par ces parolles, et quod cumque solveris, Nostre Seigneur n’a rien plus promis a saint Pierre quil fit aux autres par apres, quacumque aligaveritis super terram (Mat 18, 18), etc. ; car les paroles sont de mesme substance et signification en tous deux les passages. Je confesse ausy que par ces paroles, et quacumque solveris, dites a saint Pierre, il explique les praecedentes, tibi dabo claves ; mays je nie que ce soit tout un de promettre les clefz et de dire quodcumque solveris.

Voyons voir donques que c’est que de promettre les clefz du royaume des cieux. Et qui ne sçait qu’un maistre partant de sa mayson, sil laisse les clefz a quelqu’un, que ce n’est sinon luy en laisser la charge et le gouvernement ? Quand les princes font leurs entrëeses villes, on leur presente les clefz, comme leur deferans la sauveraine authorité ; c’est donq la supreme authorité que Nostre Seigneur promet icy a saint Pierre. A la verité, quand l’Escriture veut ailleurs declairer une sauveraine authorité, elle a usé de semblables termes : en l’Apocalipse (1, 18), quand Nostre Seigneur se veut faire connoistre a son serviteur, il luy dict : Ego sum primus et novissimus, et vivus et fui mortuus, et ecce sum vivens in secula seculorum ; et habeo claves mortis et inferni ; qu’entend il par les clefz de la mort et de l’enfer, sinon la supreme puyssance et sur l’un et sur l’autre ? et la mesme (3, 7) quand il est dict de Nostre Seigneur, Haec dicit sanctus et verus, qui habet clavem David, qui aperit et nemo claudit et nemo aperit, que pouvons nous entendre que la supreme authorité en l’Eglise ? et ce que l’Ange dict a Nostre Dame (Luc 1, 32), Dabit illi Dominus sedem David patris ejus et regnabit in domo Jacob in aeternum ? le Saint Esprit nous faysant connoistre la royauté de Nostre Seigneur ores par le siege ou trosne, ores par les clefz.

Mays sur tout, le commandement qui est faict en Isaïe (ch 22) pour Eliakim, s’apparie de toutes pieces a celuy que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre. La, donques, est descritte la deposition d’un sauverain Prestre et gouverneur du Temple : Haec dicit Dominus Deus exercituum : vade, ingredere ad eum qui habitat in tabernaculo, ab Sobnam, praepositum Templi, et dices ad eum : quid tu hic (vers 15, 16) ? et plus bas : deponam te (vers 19). Voilà la deposition de l’un, voici maintenant l’institution de l’autre : Ecce in die illa vocabo servum meum Eliakim, filium Helciae, et induam ilum tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam (dabo) in manus ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda ; et dabo clavem domus David super humerum ejus, et aperiet et non erit qui claudat, et claudet et non erit qui aperiat (vers 22). I a il rien de plus coignant que ces deux Escrittures ? Car, Beatus es, Simon Barjona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in caelis est, ne vaut il pas bien pour le moins, Vocabo servum meum Eliakim filium Helciae ? et, Ego dico tibi quia tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi, etc., ne vaut il pas tout autant, Induam illum tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam dabo in manus ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda ? et qu’est ce autre chose estre le fondement ou pierre fondamentale d’une famille, que d’y estre comme pere, y avoir la surintendence, y estre gouverneur ? Que si l’un a eu ceste asseurance, Dabo clavem David super humerum ejus, l’autre n’en a pas eu moins, qui a ceste promesse, Et tibi dabo claves regni caelorum ; que si quand l’un aura ouvert, personne ne fermera, quand il aura fermé personne n’ouvrira, aussi quand l’autre aura deslié personne ne liera, quand il aura lié personne ne desliera. L’un est Eliakim, filz d’Helcias, l’autre Simon, filz de Jonas ; l’un est revestu de la robbe pontificale, l’autre, de la revelation caeleste ; l’un a la puyssance en sa main, l’autre est un fort rocher ; l’un est comme pere en Hierusalem, l’autre est comme fondement en l’Eglise ; l’un a les clefz du Temple de David, l’autre, celles de l’Eglise Evangelique ; quand l’un ferme personne n’ouvre, quand l’un lie personne ne deslie ; quand l’un ouvre personne ne ferme, quand l’un deslie personne ne lie. Que reste il plus a dire, sinon que jamays Eliakim filz d’Helcias a esté chef au Temple Mosaique, Simon filz de Jonas l’a esté en l’Eglise Evangelique ? Eliakim repraesentoit Nostre Seigneur comme figure, saint Pierre le repraesente comme lieutenant ; Eliakim le repraesentoit a l’Eglise Mosaique, et saint Pierre, a l’Eglise Chrestienne.

Voyla que c’est qu’importe ceste promesse qui ne fut onques faitte aux Apostres : mays je dis que ce n’est pas tout un de promettre les clefz du Royaume, et de dire, quodcumque solveris, quoy que l’un soit explication de l’autre. Et quelle difference y a il ? certes, toute telle quil y a entre la proprieté d’une authorité et l’usage : il se peut bien faire qu’un roy vivant, il ait ou la reyne ou son filz qui ait tout autant de pouvoir que le roy mesme a chastier, absoudre, donner, faire grace ; il n’aura pourtant pas le sceptre, mays l’usage seulement ; il aura bien la mesm’authorité, mays nom pas quand a la proprieté, ains seulement quand a l’usage et l’exercice ; tout ce quil aura faict sera faict, mays il ne sera pas chef ni roy, ainbs faudra quil reconnoisse que son pouvoir est extraordinaire et par proprieté. Ainsy Nostre Seigneur promettant les clefz a saint Pierre, luy remet l’authorité ordinaire, et luy donne cest office en proprieté duquel il declaire l’usage quand il dict, Quodcumque, etc. ;or, par apres, quand il faict la promesse aux Apostres, il ne leur donne pas les clefz ou l’authorité ordinaire, mays seulement les authorise en l’usage quilz feront, et en l’exercice des clefz. Ceste difference est prise des termes propres de l’Escriture, car solvere et ligare ne signifie que l’action et exercice, habere claves, l’habitude. Voyla combien est differente la promesse que Nostre Seigneur fit a saint Pierre, de celle quil fit aux autres Apostres ; les Apostres ont otus mesme pouvoir avec saint Pierre, mays nom pas en mesme grade, d’autant quilz l’ont comme deleguez et commis, et saint Pierre, comme chef ordinaire et officier permanent. Et a la verité, il fut convenable que les Apostres, qui devoyent par tout planter l’Eglise, eussent tous plein pouvoir et entiere authorité d’user des clefz et pour l’exercice d’icelles ; et fut tres necessaire encores que l’un d’entr’eux en eust la garde par office et dignité, ut Eclesai quae una est, comme dict saint Cyprien, super unum, qui claves ejus accepit, voce Domini fundaretur. (Ep. Ad Jubianum 73 § 11)
 
 

ARTICLE IV

DE LA TROYSIESME PROMESSE FAICTE A SAINT PIERRE

Auquel des autres fut il jamais dict : Ego rogavi pro te, Petre, ut non deficiat fides tua ; et tu aliquando conversus confirma fratres (Luc 22, 32) ? certes, ce sont deux privileges de grnade consequence que ceux ci. Nostre Seigneur, qui devoit maintenir la foy en son Eglise, n’a point prié pour la foy d’aucun des autres en particulier, mays seulement de saint Pierre comme chef : car, quelle rayson penserions nous en ceste praerogative, Expetivit vos (vers 31), tous tant que vous estes, ego autem rogavi pro te ? n’est ce pas le mettre luy tout seul en conte pour tous comme chef et conducteur de toute la troupe ? Mays qui ne voit combien ce lieu est pregnant a ceste intention ? Regardons ce qui precede, et nous y trouverons que Nostre Seigneur avoit declaré a ses Apostres quil y en avoit un entr’eux plus grand que les autres, qui major est inter vos, et qui praecessor (vers 26) ; et tout d’un train Nostre Seigneur luy va dire que l’adversaire cherchoyt de les cribler, tous tant quilz estoyeny, et neantmoins quil avoit prié pour luy en particulier, affin que sa foy ne manquast. Je vous prie, ceste grace si particuliere et qui ne fut pas commune aux autres, tesmoin saint Thomas (Jean 20 ; 25, 27), ne monstre elle pas que saint Pierre estoyt celluy la qui major erat inter eos ? tous sont tentés, et on ne prie que pour l’un. Mays les paroles suivantes rendent tout cecy tres evident ; car quelque Protestant pourroit dire quil a prié pour saint Pierre en particulier pour quelque autre respect que l’on peut imaginer (car l’imagination fournit tousjours asses d’appuy a l’opiniastreté), non par ce quil fut chef des autres, et que la foy des autres fut maintenüe en leur pasteur : au contraire, Messieurs, c’est affin que, aliquando conversus confirmet fratres suos ; il prie pour saint Pierre comme pour le confirmateur et l’appuy des autres, et cecy qu’est ce, que le declairer chef des autres ? On ne sçauroit, a la verité, donner commandement a saint Pierre de confirmer les Apostres, qu’on ne le chargeast d’avoir soin d’eux ; car, comme pourroit mettre ce commandement en faict, sans prendre garde a la foiblesse ou fermeté des autres pour les affermir et rasseurer ? N’est ce pas le redire encor une fois fondement de l’Eglise ? sil appuÿe, rasseure, affermit ou confirme les pierres mesme fondamentales, comme n’affermira il tout le reste ? sil a charge de soustenir les colomnes de l’Eglise, comme ne soustiendra il tout le reste du bastiment ? sil a la charge de repaistre les pasteurs, ne sera il pas sauverain pasteur luy mesme ? Le jardinier qui voit les ardeurs du soleil continuelles sur une jeune plante, pour la praeserver de l’assechement qui la menace, ne porte de l’eau sur chasque branche, mais ayant bien trempé la racine croit que tout le reste est en asseurance, par ce que la racine va dispersant l’humeur a tout le reste de la plante : ainsy Nostre Seigneur ayant planté ceste saint’assemblëe de Disciples, pria pour le chef et la racine, affin que l’eau de la foy ne manquast point a celuy qui devoit en assaisonner tout le reste, et que par l’entremise du chef, la foi fust tousjours conservëe en l’Eglise ; il prie donques pour saint Pierre en particulier, mays au prouffit et utilité generale de toute l’Eglise.

Mays il faut avant que fermer ce propos, que je vous die que saint Pierre ne perdit pas la foy quand il nia Nostre Seigneur, mays la crainte luy fit desavouer ce quil croyoit ; c’est a dire, il ne s’oublia pas en la foy, mays en la confession de la foy ; il croyoiy bien, mais il parloit mal, et ne confessoit pas ce quil croyoit.

ARTICLE V

DE L’EXHIBITION DE CES PROMESSES

Nous sçavons bien que Nostre Seigneur fit tres ample procure et commission, de son salut, quand il leur dict (Jean 20 ; 21-22) : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos ; accipite Spiritum Sanctum, quorum remiseritis, etc. ; ce fut l’execution de sa promesse quil leur avoit faict en general (Mat 18, 18), quaecumque alligaveritis. Mays au quel des autres dict il jamais en particulier, Pasce oves meas ? ce fut le seul saint Pierre qui eut ceste charge ; ilz furent egaux en l’apostolat, mays quand a la dignité pastorale saint Pierre seul en a eü ceste institution, Pasce oves meas (Jean 21, 17). Il y a des autres pasteurs en l’Eglise ; chacun doit pascere gregem qui in se est, comme dict saint Pierre ( 1 Pierre 5, 2) ou celuy in quo eum posuit Spiritus Sanctus Episcopum, selon saint Pol (Act 20, 28) ; mays, Cui unquam aliorum sic absolute, sic indiscrete, dict saint Bernard (L 2 de Cons c 8), (totae) commissae sunt oves, Pasce oves meas ?

Et que ce soit bien a saint Pierre a qui ces paroles s’addressent, je m’en rapporte a la sainte Parole. Ce n’est que saint Pierre qui s’appelle Simon Joannis, ou Jonae (que l’un vault l’autre, et Jona n’est que l’abregé de Joannah), et affin qu’on sache que ce Simon Joannis est bien saint Pierre, saint Jan atteste (21, 15) que c’estoit Simon Petrus : Dicit Jesus imoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus his ? c’est donq saint Pierre en particulier auquel Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas. Mesme, que Nostre Seigneur en ceste parole met saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson : diligis me, voyla saint Pierre d’un costé, plus his ? voyla les Apostres de l’autre ; et quoy que tous les Apostres n’y fussent pas, si est ce que les principaux y estoyent, saint Jaques, saint Jan, saint Thomas et autres (Jean 21, 2). Ce n’est que saint Pierre qui fut fasché, ce n’est que saint Pierre auquel la mort est praeditte (vers 17-18) ; quelle occasion donques y peut il avoir de douter si ceste parolle, Pasce oves meas, qui est jointe a toutes ces autres, s’addresse a luy seul ?

Or, que repaistre les brebis soit avoir la charge d’icelles, il appert clairement ; car qu’est ce avoir la charge de paistre les brebis que d’en estre pasteur et berger ? et les bergers ont pleyne charge des brebis, non seulement ilz les conduysent aux pasturages, mays les rameynent, les establent, les conduisent, les gouvernent, les tiennent en crainte, chastient et defendent. En l’Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comm’il est aysé a voir en Ezechiel (34, 23), au second des Rois (5, 2 ; 7, 7) ; et es Psalmes en plusieurs endroitz, la ou, selon l’original, il y a pascere, nous avons regere, comme au Psalme second (vers 9), Reges eos in virga ferrea, et de faict, entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer il ny a pas difference ; au Psalme 22 (vers 1), Dominus regit me, c’est a sçavoir, me gouverne comme pasteur ; et quand il est dict (Ps 77, 78-79) que David avoit esté esleu pascere Jacob servum suum, et Israel haereditatem suam ; et pavit eos in innocentia cordis sui, c’est tout de mesme que sil disoit, regere, gubernare, praeesse ; et c’est avec la mesme façon de parler que les peuples sont appellés brebis de la pasture de Nostre Seigneur (Ps 73, 1 ; 94, 8), si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n’est autre que d’en estre le regent et pasteur.

Maintenant, il est aysé a voir quelle authorité Nostre Seigneur baille a saint Pierre par ceste parole, Pasce oves meas ; car, a la verité, 1. le commandement y est si particulier quil ne s’addresse qu’a saint Pierre ; 2. la charge, si generale qu’elle comprent tous les fideles, de quelle condition quilz soyent. Qui veut avoir cest honneur d’estre brebis de Nostre Seigneur, il faut quil reconnoisse saint Pierre, ou celuy qui tient sa place pour berger : Si me amas, dict saint Bernard (L 2 de Cons c 8), pasce oves meas. Quas ? illius vel illius populos civitatis, aut regionis, aut certe regni ? oves meas, inquit. Cui non planum est non designasse aliquas, sed assignasse omnes ? nihil excipitur ubi distinguitur nihil : et forte praesentes caeteri condiscipuli erant cum, commitens uni, unitatem omnibus commendaret in uno grege et uno pastore, secundum illud : una est columba mea, formosa mea, perfecta mea (Cant 6, 8) ; ubi unitas, ibi perfectio. Quand Nostre Seigneur disoit, Cognosco oves meas, il entendoit de toutes : et qu’est ce autre chose dire, Pasce oves meas, que, aÿe soin de mon bercail, de ma bergerie, ou de mon par cet troupeau ? or, Nostre Seigneur n’a qu’un troupeau (Jean 10, 11 seq), il est donq totalement sous la charge de saint Pierre. Mays sil luy a dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes, ou quelques unes seulement : si il n’en recommandoit que quelques unes, et quelles ? je vous prie ; n’eust ce pas esté ne luy en recommander point, de luy en recommander seulement quelques unes sans luy dire lesquelles, et luy donner en charge des brebis meconneües ? si toutes, comme la parole le porte, donques il a esté le general pasteur de toute l’Eglise ; et la chose va bien ainsy sans doute, c’est l’interpretation ordinayre des Anciens, c’est l’execution de ses promesses. Mays il y a du mistere en ceste institution, que nostre saint bernard ne permet pas ce que j’oublie, ja que je l’ay pris pour guide en ce point. C’est que par trois fois Nostre Seigneur luy recharge de faire office de pasteur, luy disant, pnt, Pasce agnos meos, 2nt, oviculas, 3nt, oves ; non seulement affin de rendre ceste institution plus solemnelle, mays pour monstrer quil luy donnoit en charge non seulement les peuples, mays les pasteurs et Apostres mesme, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres.

Et ne faict rien contre ceste verité que saint Pol et les autres Apostres ayent repeu beaucoup de peuples de la doctrine Evangelique ; car estans tous sous la charge de saint Pierre, ce quilz ont faict luy revient encores, comme la victoire en general, quoy que les cappitaines ayent combatu.

Ni ce que saint Pol receut la main d’association de saint Pierre (Gal 2, 9) ; car ilz estoyent compaignons en la predication, mays saint Pierre estoit plus grand en l’office pastoral, et les chefz appellent les soldatz et cappitaines compaignons.

Ni ce que saint Pol est apellé l’Apostre des Gentilz, et saint Pierre, des Juifz (Ad Gal 2, 7) ; par ce que ce n’estoit pas pour diviser le gouvernement de l’Eglise, ni pour empecher l’un ou l’autre de convertir et les Gentilz et les Juifz indifferemment (Vide Act 9, 15 et Act 15, 7), mays pour leur assigner les quartiers ou ilz devoyent principalement travailler a la predication, affin que chacun attaquant de son costé l’impieté, le monde fust plus tost rempli du son de l’Evangile.

Ni ce quil semble quil ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de Nostre Seigneur, qui luy estoit commise ; car ce quil dict au bon Cornelius (Act 10, 34-35), In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n’est pas autre chose que ce quil avoit dict long temps au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit (Act 2, 21), et la praedication quil avoit expliquëe, In semine tuo benedicentur omnes familiae terrae (3, 25) ; mays il n’estoit pas asseuré du tems auquel il failloit commencer la reduction des Gentilz, suyvant la sainte parole du Maistre (Act 1, 8), Eritis mihi testes in Hierusalem, et in omni Judaea, et Samaria, et usque ad ultimum terrae, et celle de saint Pol (Act 13, 46), Vobis quidem oportebat primum loqui verbum Dei, sed quoniam repellitis, ecce convertimur ad Gentes : mesme que Nostre Seigneur avoit desja ouvert le sens des Apostres a l’intelligence de l’Escriture, quand il leur dict que oportebat praedicari in nomine ejus poenitentiam et remissionem peccatorum in omnes gentes, incipientibus a Hierosolima (Luc 29, 47).

Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le comandement de saint Pierre, es Actes des Apostres (Act 6, 6) ; car saint Pierre y estant authorisoit asses cest acte : outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n’eussent pleyne administration en l’Eglise, sous l’authorité pastorale de saint Pierre.

Ni ce que les Apostres envoyerent Pierre et Jan en Samarie (Act 8, 14) ; car le peuple envoya bien Phinëes, grand Praestre et superieur, aux enfans de Ruben et Gad (Jos 22, 13), et le Centurion envoya les senieurs et principaux des Juifz quil estimoit plus que luy mesme (Luc 7, 3 et 7) ; et saint Pierre se trouvant au conseil luy mesme, il y consentit et authorisa sa mission propre.

Ni, en fin, ce qu’on faict sonner si haut, que saint Pol a repris en face saint Pierre (Ad Gal 2, 11) ; car chacun sçait quil est permis au moindre de reprendre le plus grand et de l’admonester quand la charité le requiert : tesmoin nostre saint Bernard en ses livres De consideratione ; et sur ce propos le grand saint Gregoire dict ces paroles toutes dorëes : Factus est sequens minoris sui, ut in hoc etiam praeiret ; quatenus qui primus erat in apostolatus culmine, esset primus et in humilitate (In Ezech Hom 18).
 
 

ARTICLE VI

PAR L’ORDRE AVEC LEQUEL LES EVANGELISTES

NOMMENT LES APOTRES

C’est chsoe bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment les Apostres ensemble avec saint Pierre, quilz ne le mettent tousjours au haut bout, tousjours en teste de la troupe : ce qui ne peut estre faict a cas et fortune ; tant par ce que c’est une observation perpetuelle es Evangiles, et que ce ne sont pas quatre ou cinq fois quilz sont nommés ensemble, mays tres souvent ou tous ou une partie, qu’aussi qu’es autres Apostres, les Evangelistes n’observent point d’ordre : Duodecim Apostolorum nomina sunt haec (Matt 10, 2), dict saint Matthieu : primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedoei et Joannes frater ejus, Philippus et Bartholomaeus, Thomas et Mathaeus publicanus, Judas Iscariotes qui tradidit eum. Saint Marc met saint Jaques second (Marc 3), saint Luc le met troysiesme (Luc 6 ; Act 1) ; saint Matthieu met…

C’est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d’iceux ensemble, quilz ne mettent tousjours saint Pierre au haut bout, tousjours en teste de la trouppe : ce qu’on ne sçauroit penser estre faict a cas fortuit, car c’est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont nommés ainsy ensemble, mays tressouvent, et d’ailleurs, es autres Apostres, ilz n’observent point d’ordre : Duodecim Apostolrum nomina haec sunt, dict saint Matthieu (10, 2) : primus Simon, qui dicitur Petrus, et Anjdreas frater ejus, Jacobus Zebedoei et Joannes frater ejus, Philippus et bartholomaeus, Thomas et Mathaeus, Jacobus Alphaei et Thaddaeus, Simon Cananaeus et Judas Iscariotes. Il nomme saint André le second, saint Marc le nomme le 4. (Marc 3, 18), et, pour mieux monstrer quil n’importe, saint Luc qui l’a mis en un lieu (Luc 6, 14) le 2., le met en l’autre (Act 1, 13) le 4. ; saint Mathieu met saint Jan le 4., saint Marc le met le 3., saint Luc en un lieu le 4., en un autre le 2. ; saint mathieu met saint jaques 3., saint Marc le met 2nd : bref, il ni a que saint Philippe, saint Jaques Alphaei et Judas qui ne soient tantost plus haut tantost plus bas. Quand les Evangelistes nomment tous les Apostres ensemble, ailleurs, il ni a du tout point d’observation, sinon en saint Pierre qui va devant par tout. Or sus, imaginons que nous voyons, ces champs, es rues, es assemblëes, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray est il encor plus certain que si nous l’avions veu ; quand nous verrions par tout saint Pierre le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et saint Pierre, le chef et cappitaine ?

Mays, outre cela, bien souvent quand les Evangelistes parlent de la compaignie Apostolique, ilz ne nomment que Pierre, et mettent les autres en conte par accessoire et suite : Prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant ( Marc 1, 36). Dixit Petrus, et qui cum illo erant (Luc 8, 45). Petrus vero, et qui cum illo erant, gravati erant somno (Luc 9, 32). Vous sçaves bien que nommer une personne et mettre les autres en un bloc avec luy, c’est le rendre le plus apparent, et les autres, ses inferieurs.

Bien souvent encores on le nomme a part des autres ; comme l’Ange : Dicite discipulis ejus, et Petro (Marc 16, 7). Stans autem Petrus, cum undecim (Act 2, 14). Dixerunt ad petrum, et ad reliquos Apostolos (vers 37). Respondens autem Petrus et Apostoli, dixerunt (Act 5, 29). Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut caeteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas (1 Cor 9, 5) ? Qu’est ceci a dire, Dicite discipulis ejus, et Petro ? Pierre estoit il pas Apostre ? Ou il estoit moins ou plus que les autres, ou il estoit esgal : jamais homme, sil n’est du tout desesperé, ne dira quil fut moins ; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part ? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis, et Andreae, ou, Joanni ? Certes, il faut que ce soit quelque particuliere qualité qui soit en luy plus qu’es autres, et quil ne fut pas simple Apostre ; de maniere qu’ayant dict, Dicite discipulis, ou, Sicut caeteri discipuli, on peut encor demeurer en doute de saint Pierre, comme plus qu’Apostre et disciple.

Seulement une fois en l’Escriture saint Pierre est nommé apres saint Jaques : Jacobus, Cephas et Joannes dextras dederunt societatis (ad Gal 2, 9). Mays a la verité, il y a trop d’occasion de douter si en l’original et anciennement Pierre estoit nommé le premier ou le second, pour vouloir tirer aucune conclusion valable de ce seul lieu : car saint Augustin, saint Ambroise, saint Hierosme, tant au Commentaire (in Epist ad Gal) qu’au texte, ont escrit Pierre, Jaques, Jan, ce quilz n’eussent jamais faict silz n’eussent trouvé en leurs exemplaires ce mesm’ordre, autant en a faict saint Chrysostome, au Commentaire ; ce qui monstre la diversité des exemplaires, qui rend la conclusion de part et d’autre douteuse. Mays quand bien ceux que nous aurons maintenant seroyent originaires, on ne sçauroit que deduye de ce seul passage contre l’ordre de tant d’autres ; car il se peut faire que saint Pol tient l’ordre du tems auquel il a receu la main d’association, ou que, sans s’amuser a l’ordre, il ait escrit le premier qui luy revint. Mays saint Mathieu nous monstre clairement quel ordre il y avoit entre les Apostres, c’est a sçavoir, quil y en avoit un premier, tout le reste egal, sans second ni troysiesme : Primus, dict il, Simon, qui dicitur Petrus (Matt 10, 2) ; il ne dict poinct, secundus Andreas, tertius Jacobus, mays les va nommant simplement, pour nous faire connoistre que pourveu que saint Pierre fut premier, tout le reste estoient a mesme, et qu’entr’eux il ni avoit point de praeseance. Primus, dit il, Petrus, et Andreas : d’icy est tiré le nom de primauté ; car sil estoit primus, sa place estoit primiere, son rang, primier, et ceste sienne qualité, primauté.

On respond a cecy que si les Evangelistes ont nommé saint Pierre le premier, ç’a esté par ce quil estoit le plus avancé en aage entre les Apostres, ou pour quelques privileges qui estoyent en luy. Mays qu’est cecy, je vous prie ? dire que saint Pierre fut le plus viel de la troupe, c’est chercher a credit une excuse a l’opiniastreté : on voit les raysons toutes cleres en l’Escriture, mays par ce qu’on est resolu de maintenir le contrayre, on en va chercher avec l’imagination ça et la. Pourquoy dict on que saint Pierre fut le plus viel, puysque c’est une pure fantasie, qui n’a point de fondement en l’Escriture et est contraire aux Anciens (Epiphan Haer L I § 17) ? que ne dict on plus tost quil estoit celuy sur lequel Nostre Seigneur fondoit son Eglise, auquel il avoyt baillé les clefz du royaume des cieux, qui estoit le confirmateur des freres ? car tout cecy est de l’Escriture : ce qu’on veut soustenir est soustenu, sil a fondement en l’Escriture ou non, il n’importe. Et quand aux autres privileges, qu’on me les cotte par ordre, on n’en trouvera point de particuliers en saint Pierre que ceux qui le rendent chef de l’Eglise.

ARTICLE VII

DE QUELQUES AUTRES MARQUES QUI SONT SEMEES ES ESCRITURES

DE LA PRIMAUTE DE SAINT PIERRE

Si je voulois apporter icy tout ce qui s’en trouve, je ferois aussi ceste grande preuve que je veux faire toute ceste Partie ; et ne me cousteroit guere, car cest excellent theologien Robert Belarmin me mettroit beaucoup de choses en main, mays sur tout le docteur Nicolas Sander a traité ce sujet si solidement et amplement, qu’il est malaysé d’en dire rien quil n’ayt dict et escrit en ses Livres De la Visible Monarchie (Lib 6, c2) : j’en praesenteray quelques pieces.

Si l’Eglise est comparee a un bastiment (Matt 16, 18), comm’elle l’est, son rocher et son fondement ministerial en est sainct Pierre.

Si vous la dites semblable a une famille (1 ad Tim 3, 15), il ny a que Nostre Seigneur qui paie tribut, comme chef de mayson, et apres luy saint Pierre, comme son Lieutenant (Mat 17, 26).

Si a une nasselle, saint Pierre en est le patron, et en celle la Nostre Seigneur enseigne (Luc 5, 3).

Si a une pesche, saint Pierrey est le premier, les vrays disciples de Nostre Seigneur ne peschent qu’avec luy (Luc 5, 10 ; Jo 21, 11).

Si aux retz et aux filetz (Mat 13, 47), c’est saint Pierre qui les jette en mer, c’est saint Pierre qui les tire (Luc 5, 5-7), les autres disciples y sont coadjuteurs ; c’est saint Pierre qui les met a port, et presente les poissons a Nostre Seigneur (Jo 21, 11).

Dites-vous qu’ell’est semblable a une legation ? saint Pierre y est le premier (Matt 10, 2. 5).

Dites vous que c’est une fraternité ? saint Pierre y est le premier, le gouverneur et le confirmateur des autres (Luc 22, 32). Aimes vous mieux que ce soit un royaume ? saint Pierre en porte les clefz (Matt 16, 19).

Voules vous que ce soit un parc ou un bercail de brebis et d’aigneaux ? et saint Pierre en est le pasteur et berger general (Jo 21, 17).

Dites maintenant, en conscience, comme pouvoit Nostre Seigneur tesmoigner plus vivement son intention ? l’opiniastreté ne voit goutte parmi tant de lumieres ? Saint André vint le premier a la suite de Nostre Seigneur, ce fut luy qui y amena son frere saint Pierre (Jo 1, 41), et saint Pierre praecede par tout ; que veut dire cela, sinon que l’avantage que l’un avoit en tems, l’autre l’avoit en dignité ?

Mays passons outre. Nostre Seigneur est il monté au ciel, toute la sainte brigade Apostolique se retire chez saint Pierre, comme chez le commun pere de famille (Act 1, 15) ; saint Pierre se leve entr’eux et parle le premier (vers 16), enseigne l’interpretation d’une grave prophetie, a le premier soin de la restauration et creüe du nombre Apostolique, comme chef et colomnel (vers 21). C’est luy qui le premier proposa de faire un Apostre ; qui n’estoit pas un trait de petite authorité, car les Apostres n’ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n’ont pas perdu leur dignité, mays saint Pierre, enseignant l’Eglise, monstre, et que Judas avoit perdu son apostolat et quil en failloit un autre en sa place, contre l’ordinaire de cest’authorité, qui continue es autres apres la mort, et delaquelle ilz feront encor exercice au jour du jugment, lhors quilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d’Israel (Mat 19, 28).

Les Apostres et Disciples n’ont pas plus tost receu le Saint Esprit, que saint Pierre, comme chef de l’embassade Evangelique, estant avec ses onse compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salut aux Juifz en Hierusalem (Act 2 , 14) : c’est le premier catechiste de l’Eglise, et qui preche la poenitence (vers 38) ; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays saint Pierre seul respond pour tous, comme chef de tous.

Sil faut mettre la main au tresor des miracles concedé a l’Eglise, quoy que saint Jan y soit et soit invoqué, saint Pierre seul y met la main (Act 3, 6).

Faut il donner commencement a l’usage du glaive spirituel de l’Eglise, pour chastier le mensonge ? c’est saint Pierre qui assigne le premier coup, sur Ananie et Saphire (Act 5, 3) : de la vient la haine que tous les menteurs portent a son Saint Siege, par ce que, comme dict saint Gregoire (L II in Ezech. Hom. XVIII al 6, § 9), Petrus mentientes verbo occidit.

C’est le premier qui reconnoit l’erreur et refute l’heresie, en Simon Magus (Act 8, 20) ; de la vient la hayne irreconciliable de tous heretiques a son Siege.

C’est le premier qui resuscita les morts, quand il prie pour la devote Tabite (Act 9, 40).

Est il tems de mettre la main a la moyson du paganisme ? c’est saint Pierre a qui s’en addresse la revelation, comm’au chef de tous les ouvriers et l’oeconome de la metairie (Act 10, 9). Le bon cappitaine italien Cornelius est il prest a recevoir la grace de l’Evangile ? on le revoÿe a saint Pierre, affin que par ses mains fust dedié et beny le Gentilisme (vers. 5). C’est le premier qui commande qu’on baptise les payens (vers. 48).

Se trouve l’on en un Concile general ? saint Pierre, comme praesident, y ouvre la porte au jugement et a la definition, et sa sentence est suyvie des autres, sa particuliere revelation y sert de loy (Act 15, 7).

Saint Paul confesse quil est venu expres en Hierusalem voir saint Pierre, et demeura quinze jours pres de luy (ad Gal 1, 18) ; il y vit saint Jaques, mays il n’estoit pas venu pour le voir, ains seulement saint Pierre. Qu’est ce a dire cecy ? que n’alloit il aussi bien pour voir le grand apostre et si signalé saint Jaques, que saint Pierre ? par ce qu’on regarde les gens en teste et en face, et saint Pierre estoit le chef de tous les Apostres.

Estant en prison, toute l’Eglise faict prieres continuelles pour luy (Act 12, 5).

Si cecy n’est pas estre le premier et chef des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, les pasteurs, pasteurs, ni les docteurs, docteurs ; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre un pasteur, un docteur, un Apostre, que celles que le Saint Esprit a mis es Escritures pour faire reconnoistre saint Pierre pour chef de l’Eglise ?

ARTICLE VIII

LE TESMOIGNAGE DE L’EGLISE SUR CE FAICT

Pour vray, l’Escriture suffit, mays considerons qui la force et viole. Si nous commencions a la tirer en consequence pour la primauté de saint Pierre, on pourroit croire que nous la forçons ; mays quoy ? ell’est tres claire en ce faict, et a esté entendue de toute l’Eglise premiere en ce sens. Ceux la donques la forcent, qui y apportent un sens nouveau, qui la tirent contre la nature de ses paroles et contre le sens de l’antiquité ; ce que sil est loysible a chacun, l’Escriture ne servira plus que de jouët aux cerveaux fantasques et opiniastres. Que veut dire que l’Eglise ancienne n’a jamais tenu pour sieges patriarchaux sinon ceux de Rome, d’Alexandrie et d’Anticohe ? on peut faire mille fantasies, mays il ni a point d’autre rayson que celle que produit saint Leon (Ep LIII (hodie CVI) ad Anatolium cap II), par ce que saint Pierre a fondé ces trois sieges ilz ont estés appelllés et tenus pour patriarchaux ; comme tesmoignent le Concile de Nicëe (can 6) et celuy de Calcedoyne (Act 16), ou on faict grande difference entre ces trois sieges et les autres. Que quand a celuy de Constantinople et de Hierusalem, qui lira ces Conciles verra la difference en laquelle on les tient d’avec ces trois autres, fondés par saint Pierre ; non que le Concile de Nicëe parle du siege de Constantinople, car Constantinople n’estoit encores rien en ce tems la, n’ayant esté eslevëe que par le grand Constantin, qui la dedia et nomma l’an 25 de son Empire, mays le Concile de Nicëe traitte du siege de Hierusalem, et celuy de Calcedoine, de celuy de Constantinople. Par la preseance et la preeminence de ces trois sieges, l’Eglise ancienne a asses tesmoigné qu’elle tenoit saint Pierre pour son chef, qui les avoit fondés ; autrement, quen e mettoit elle encor en semblable rang le siege d’Ephese, fondé par saint Pol, confirmé et affermi par saint Jan, ou le siege de Hierusalem, auquel saint Jaques avoit conversé et praesidé ?

Que tesmoignoit elle autre, quand, es lettres publiques et patentes quilz appelloyent anciennement formëes, apres la premiere lettre du Pere, Filz, et Saint Esprit, on y mettoit la premiere lettre de Petrus (Atticus In fine Concilii Calced.), sinon qu’apres Dieu tout puyssant, qui est le Roy absolu, l’authorité du lieutenant est en grand pris vers ceux qui sont bons Chrestiens ?

Quand au consentement des peres sur ce faict, Sanderus a levé tout’occasion a la posterité d’en douter ; je produiray seulement les noms avec lesquelz les Peres l’ont appellé, qui monstrent asses leur creance.

Ilz l’ont appellé Chef de l’Eglise, comme saint Hierosme (l I ad adversus Jovin § 26), et saint Chrysostome, Hom. 56 (al 55), in Matheum.

Optatus Milevitanus appellat Caput , l. 2 contra Parmen.

Foelix Ecclesiae fundamentum, comme Saint Hilaire (in c 16 Math § 7), et Caeli janitorem.

Primum Apostolorum, comme saint Augustin (tract LVI in Joannem § 1 et Tract 124 § 7) apres saint mathieu ( c 10, 2).

Apostolorum os et verticem, comme Origene (in divers Hom II) et saint Chrysostome (Homil 54 al 54 in math § 1).

Os et principem Apostolrum, comme le mesme saint Chrysostome, Hom 88 in Joann.

Curatorem fratrum et orbis terrarum, Idem ibid. Ecclesiae pastorem et caput adamante firmius, Id, Hom. 55 in Math.

Basis Ecclesiae, Chrysost Hom 4. in c 6 Isaiae.

Petram indelebilem, crepidinem immobilem, Apostolum magnum, primum discipulorum, primum vocatum et primum obedientem, idem, Hom 9 de Poenitentia (Hodie Hom 3, §4).

Ecclesiaefirmamentum, Christianorum ducem et magistrum, spiritalis Israelis columnam, fluctuantium gubernatorem, caelorum magistrum, Christi os, summum Apostolorum verticem, Idem, Sermone in adoratione venerabilium catenarum et gladii sancti et Apostolorum principis Petri.

Ecclesiae principem, Idem, Homil, in Sstos Pet. Et Paul et Heliam, portum fidei, orbis terrarum magistrum.

Primum in Apostolatus culmine, Greg, Hom 18, in Ezech.

Christianorum primum Pontificem, Euseb, in Chronico anni 44..

Magister militiae Dei, Idem, l 2. Hist c. 14.

Caeteris praelatum discipulis, Bas., Serm de judicio Dei (Hodie inter Ascetica.)

Orbis terrarum praepositus, Hom 56 (al 55) in Math, Chrysost.

Dominum domus Domini et principem omnis possessionis ejus, Bernard, ep. 237 (al 238), ad Eugenium.

Qui osera s’opposer a ceste societé ? ilz parlent ainsy, ilz entendent ainsy l’Escriture.

ARTICLE IX

QUE SAINT PIERRE A EU DES SUCCESSEURS AU VICARIAT GENERAL

DE NOSTRE SEIGNEUR

J’ay fermement prouvé cy dessus (pars Ia, c 3, a 1) que l’Eglise Catholique estoit une monarchie, en laquelle un chef ministerial gouvernoit tout le reste : ce n’a donq pas esté saint Pierre seulement qui en a esté le chef, mais faut que comme l’Eglise n’a pas manqué par la mort de saint Pierre, ainsy l’authorité d’un chef n’y ait pas manqué ; autrement elle ne seroit pas une, ni au train auquel son fondateur l’avoit mise.

Et de vray, toutes les raysons pour lesquelles Nostre Seigneur mit un chef en ce cors, ne demandent pas tant quil y fust en ce commencement, ou les Apostres qui gouvernoyent l’Eglise estoyent saints, humbles, charitables, amateurs d’unité  et de concorde, qu’au progres et suite d’icelle, quand la charité rafredie chacun s’ayme soymesme, personne ne veut se tenir au dire d’autruy ni subir la discipline. Je vous prie, si les Apostres, a l’entendement desquelz le Saint Esprit esclairoit de si pres, si fermes et puyssans, avoient besoin de confirmateur et de pasteur pour la forme de leur union, combien plus maintenant l’eglise en a necessité, quand il y a tant d’infirmités et foiblesses es membres de l’Eglise ? la rayson de saint Hierosme (Vide supra art 2) a bien autrement lieu maintenant qu’au tems des Apostres, Inter omnes unus ilegitur, ut capite constituto schismatis tollatur occasio. La bergerie de Nostre Seigneur doit durer jusqu'à la consummation du monde (Matt 28, 20) en unité, l’unité donques d’un pasteur y doit encores durer, tout cecy a esté bien preuvé cy dessus : dont il s’ensuit manifestement que saint Pierre a eu des successeurs, en a encores, et aura jusqu'à la consummation du siecle.

ARTICLE X

DES CONDITIONS REQUISES POUR SUCCEDER

Je ne fais pas ici profession de traitter les difficultés a fons de cuve, il me suffit d’avancer quelques principales raysons, et mettre au net nostre creance ; que si je voulois m’amuser aux objections qu’on faict sur ce point, j’aurois plus d’ennuy que de peyne, et la pluspart sont si legeres qu’elles ne meritent pas qu’on y perde le tems. Voyons quelles conditions sont requises pour succeder a une charge.

On ne succede qu’a celuy qui cede et quitte sa place, soit par deposition ou par la mort ; qui faict que Nostre Seigneur est tousjours Chef et sauverain Pontife de l’Eglise, et auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n’a cedé ou quitté  ce sacerdoce ou pontificat, quoy quil l’exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l’Eglise militante : mays ces minsitres et lieutenantz, tout tant quil y a de pasteurs, peuvent ceder et cedent, soit par deposition ou par la mort, leurs offices et dignités.

Or nous avons monstré (art 3) que saint Pierre a esté supreme chef ministeriel de l’Eglise, et que cest office ou dignité ne luy a pas esté baillé pour luy seulement, mays pour le bien et prouffit de toute l’Eglise, si que ce doit estre un office perpetuel en l’Eglise militante, ni mesme homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l’Eglise visible. Reste a sçavoir comm’il a facit ceste cession, comm’il a quitté ce sien pontificat, si c’est ou par deposition faicte entre vivantz, ou par la mort naturelle ; puys on verra qui luy a succedé et par quel droit.

Et d’un costé, personne ne doute que saint Pierre n’ait continué en sa charge toute sa vie ; car ceste parole de Nostre Seigneur, Pasce oves meas (Joan 21, 17), luy fut non seulement une institution en ceste supreme charge pastorale, mais un commandement absolu, qui n’avoit point d’autre limitation que par le terme de sa vie, non plus que cest autre, Praedicate Evangelium omni creaturae (Marc 16, 15), a quoy les Apostres vacquerent jusques a la mort. Pendant donques que saint Pierre vesquit ceste vie mortelle, il n’eut point de successeur, et ne deposa point sa charge, ni n’en fut point deposé ; car il ne le pouvoit estre sinon par l’heresie, qui n’eut jamais acces chez les Apostres beaucoup moins chez leur chef, sinon que le Maistre de la bergerie l’en eust levé, ce que non.

Ce fut donques la mort qui le leva de ceste sentinelle et de ce guet general quil faisoit, comme pasteur ordinaire, sur toute la bergerie de son Maistre : mays qui succeda en sa place ? Et quand a ce point, toute l’antiquité est d’accord que c’est l’Evesque de Rome, avec ceste rayson : saint Pierre mourut Evesque de Rome, donques l’evesché de Rome fut le dernier siege du chef de l’Eglise, donques l’Evesque de Rome, qui fut apres la mort de saint Pierre, succeda au chef de l’Eglise, et, par consequent, fut chef de l’Eglise. Quel qu’un pourroit dire quil succeda au chef de l’Eglise quand a l’evesché de Rome, mays non quand a la monarchie du monde ; mays celuy la devroit monstrer que saint Pierre eut deux sieges, dont l’un fut pour Rome, l’autre pour l’univers, ce qui n’est point. Il eut bien, a la verité, en Antioche, mays celuy qui l’eut apres luy n’eut pas le vicariat general, par ce que saint Pierre vesquit long tems apres, et n’avoit pas deposé ceste charge ; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement, et s’assit en son siege qui estoit siege general de tout le monde et de l’evesché de Rome en particulier, si que l’Evesque de Rome demeura general lieutenant en l’Eglise et successeur de saint Pierre : ce que je vais prouver maintenant si solidement qu’autre que les opiniastres n’en pourra douter.

ARTICLE XI

QUE L’EVESQUE DE ROME EST VRAY SUCCESSEUR DE SAINT PIERRE

ET CHEF DE L’EGLISE MILITANTE

J’ay praesupposé que saint Pierre ayt esté Evesque de Rome et soit mort tel ; ce que tous les adversaires nient, mesme que plusieurs d’entr’eux nient quil ayt jamais esté a Rome, les autres, que sil y a esté, quil y soit mort. Mays je n’ay que faire de combattre toutes ces negatives par le menu, puysque, quand j’auray bien preuvé que saint Pierre a esté et est mort Evesque de Rome, j’auray suffisamment prouvé que l’Evesque de Rome est successeur de saint pierre ; outre ce que tous mes raysons et mes tesmoins portent en termes expres que l’Evesque de Rome a succedé a saint Pierre, qui est mon intention, delaquele neantmoins reussira une claire certitude que saint Pierre a esté a Rome et y est mort.

Et voici mon premier tesmoin : saint Clement, disciple de saint Pierre, en l’epistre premiere quil a escrit ad Jacobum fratrem Domini (Concilia, anno 91), laquelle est si authentique que Ruffin en a esté traducteur il y a environ douze cens ans ; or il dict ces paroles : Simon Petrus, Apostolus primus, Regem seculorum usque ad Romanoe urbis notitiam, ut etiam ipsa salvaretur, invexit ; hic pro petate pati volens, apprehensa manu mea in conventu fratrum, dixit : Clementem hunc Episcopum vobis ordino, cui soli meae praedicationis et doctrinae Cathedram trado ;(et peu apres) Ipsi trado a Domino mihi traditam potestatem ligandi et solvendi. Et quand a l’authorité de cest’epistre, Damasus, in Pontificali, en la vie de Clement (Concilia, anno 91), en parle ainsy : In epistola quae ad Jacobum scripta est, qualiter Clementi commissa est a beato Petro Ecclesia reperies ;et Rufin, en la praeface sur les Livres Des Reconnoissances de saint Clement, en parle fort honorablement, et dict quil l’avoit mise en latin, et que saint Clement y tesmoignoit de son institution, et quod eum reliquerit successorem Cathedrae. Ce tesmoignage faict voir, et que saint Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque ; car sil n’y eust esté Evesque, comme eust il baillé la chaire a saint Clement quil n’y eust pas eüe ?

Le 2. saint Irenëe (Contra Haeres.), l 3 c 3 : Maximae et antiquissimae et omnibus cognitae, a duobus gloriosissimis Apostolis Petro et Paulo Romae fundatae Ecclesiae, etc. ; et peu apres : Fundantes igitur et instruentes beati Apostoli Ecclesiam, ejus administrandae episcopatum Lino tradiderunt ; succedit et Anacletus, post eum, tertio ab Apostolis loco episcopatum sortitur clemens.

Le 3. Tertullien, de Praescript (c 32) : Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat ; et au mesme livre ( c 36) : foelix Ecclesia, cui totam doctrinam Apostoli cum sanguine suo profuderunt, et parle de l’Eglise Romayne, ubi Passioni Dominicae Petrus adaequatur : ou vous voÿes que saint Pierre est mort a Rome, et y a constitué saint Clement, si que, joignant ce tesmoignage aux autres, on voit quil y a esté Evesque et y est mort enseignant.

Le 4. saint Cyprien, ep 55 § 14, ad Cornelium : Navigare audent ad Petri Cathedram, atque ad Ecclesiam principalem, unde unitas sacerdotalis exorta est, et parle de l’Eglise Romaine.

Eusebe, in Chronico anni 44 : Petrus,natione Galilaeus, Christianorum Pontifex primus, cum primum Antiochenam Ecclesiam fundasset, Romam profiscitur; ubi Evangelium praedicans 25 annis, ejusdem urbis Episcopus perseverat.

Epiphanius, Haer. 27 § 6 : Episcoporum in Roma successio hanc habuit consequentiam: Petrus et paulus, Linus, Cletus, Clemens, etc.

Dorotheus, in Sinopsi § 39: Linus, post choripheum Petrum, Romae Episcopus fuit.

Optatus Milevitanus : Negare non potes scire te, in urbe Roma Petro primo Cathedram episcopalem esse collatam, in qua sederit omnium Apostolorum caput Petrus ; et peu apres : Sedit prior petrus, cui succedit Linus, Lino successit Clemens.

Hieronymus, ad Damasum (Epist 15, § 2): Cum successore piscatoris et discipuli Crucis loquor; ego Beatitudini tuae, id est, Cathedrae Petri, communione consocior.

Sanctus Augustinus, ep. 165 (al Ep. 53, §2), ad Generosum: Petro successit Linus, Lino, Clemens.

Au 4. Concile general de Calcedoine, Act 3., quand les legatz du Saint Siege veulent porter sentence contre Dioscorus, ilz disent en ceste façon : Unde sanctissimus et beatissimus magnae et senioris Romae Leo, per nos et praesentem sanctam Sinodum, una cum ter beatissimo et omni laude digno beato Petro Apostolo, qui est petra et crepido Ecclesiae Catholicae, nudavit eum tam episcopatus dignitate quam etiam a b sacerdotali alienavit ministerio. Notes un peu ces traitz : que le seul Evesque de Rome le prive par ses legatz et par le Concile, que ilz joignent l’Evesque de Rome avec saint Pierre ; car ilz monstrent que l’Evesque de Rome tient le lieu de saint Pierre.

Le Sinode d’Alexandrie, ou estoit Athanase, en sa lettre a Foelix 2d (Concil an 366 ; Corpus juris can., Decr Ia Pars, Dist. 16, c 12), dict merveilles a ce propos, et entr’autres choses raconte, qu’au Concile de Nicëe on avoit determiné quil n’estoit loisible de celebrer aucun Concile sans l’authorité du Saint Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent estés faictz a ce propos avoyent estés bruslés par les haeretiques arriens. Et de faict, Jules I., in Rescripto contra Orientales pro Athanasio, c 2 et c 3, recite deux canons du Concile de Nicëe qui tirent sur ce propos ; lequel escrit de Jules I. a esté cité par Gratien il y a 400 ans, et par Isidore il y en a 900 (Corp. Juris Can.Decr. Ia pars Dist 17, c 2) et le grand pere Vincent Lirinois en faict mention il y a environ mill’ans (Commonit II § 30) : ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicëe ne sont pas en estre, n’en estant demeuré que vingt ; mays tant de graves autheurs en citent tant d’autres outre les vingt que nous avons, que nous avons a croire ce que disnet ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart.

Pour Dieu, jettons l’œil sur ceste tresancienne et trespure Eglise des six premieres centeynes, et la regardons de toutes pars ; que si nous la voyons croire fermement que le Pape fut successeur de saint Pierre, quelle temerité sera ce de le nier ? Voicy, ce me semble, une rayson qui ne demande plus auncun credit, mays consiste en beau content : saint Pierre a eu des successeurs en son vicariat ; et qui a jamais esté en reputation en l’Eglise ancienne, d’estre successeur de saint Pierre et chef de l’Eglise, que l’evesque de Rome ? Certes, tout tant quil y a d’autheurs anciens donnent tous ce tiltre au Pape, et jamais aux autres, et comme donques dirons nous quil ne le soit pas ? certes, c’est nier la verité conneüe. Ou quilz nous dient quel autre Evesque est chef de l’Eglise et successeur de saint Pierre : au Concile de Nicëe, en celuy de Constantinople et de Calcedoyne, on ne voit pas qu’aucun Evesque s’usurpe la primauté ; ell’est deferëe selon l’ancienne coustume au Pape, autre quelconque ny est nommé en pareil grade. Bref, jamays il ne fut dict ni douté d’aucun Evesque, es premiers cinq cens ans, quil fut chef ou superieur aux autres, que de celuy de Rome, duquel on ne douta voirement jamais, mays a on tenu pour tout resolu quil estoit tel : a quel propos donques, apres quinze cens ans passés, veut on mettre cest’ancienne tradition en compromis ? je n’aurois jamais faict si je voulois apporter sur table toutes les asseurances et recharges que nous avons de ceste verité es escritz des Anciens ; cecy cependant suffira, de ce costé, pour prouver que l’Evesque de Rome est successeur de saint Pierre, et que saint Pierre a esté et est mort Evesque a Rome.

ARTICLE XII

BRIEFVE DESCRIPTION DE LA VIE DE SAINT PIERRE ET DE L’INSTITUTION

DE SES PREMIERS SUCCESSSEURS

Il ny a point de question ou les ministres s’exercent si fort pour combattre l’antiquité qu’en cellecy, car ilz taschent, a force de conjectures, praesomptions, dilemmes, explications et par tous moyens, de monstrer que saint Pierre ne fut onques a Rome ; sauf Calvin (inst. L 4 c 6 § 15), qui voyant que c’estoit dementir toute l’antiquité, et que cela n’estoit pas requis pour son opinion, se contente de dire qu’au moins saint Pierre ne fut pas longtems Evesque a Rome : Propter scriptorum consensum, non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, praesertim longo tempore, persuaderi nequeo. Mays a la verité, quoy quil n’eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa successsion : de façon que quand a Calvin, nous n’aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que saint Pierre est mort a Rome, et quil y estoit Evesque quand il mourut ; et quand aux autres, nous avons asses prouvé cy dessus que saint Pierre est mort Evesque a Rome.

Les discours que l’on faict au contraire sont plus ennuyeux que difficiles, et par ce que qui aura le vray discours de la vie de saint Pierre devant les yeux, aura asses dequoy respondre a toutes ces objections, j’en diray briefvement ce que j’en crois estre plus probable ; en quoy je suyvray l’opinion de ces excellents theologiens, Gilbert Genebrard, Archevesque d’Aix, en sa Chronologie (Lib III, ann 32-70), et Robert Belarmin, Jesuite, en ses Controverses (De Rom. Pont., l 2), qui suivent de pres saint Hierosme et Eusebe, in Chronico (S. Hieronymi interpret. Chronici Eusebii, anno 70).

Nostre Seigneur donques monta au ciel l’annëe 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem douze ans, selon l’ancienne tradition de Thraseas martir (Euseb. L 5 c 18), nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe (65, 1) et comme semble vouloir inferer saint Pol, et saint Barnabas (Act 13, 46-47), car saint Pierre fut en Lydde et Joppé avant que les douze ans fussent escoulés (Act 9, 32 et 10, 5), si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz. Saint Pierre dionques demeura en Judëe environ cinq ans apres l’Ascension, praechant et annonçant l’Evangile, et sur la fin de la premiere annëe, ou bien tost apres, saint Pol fut converti (Act 9), lequel , trois ans apres, vint en Hierusalem voir saint Pierre, avec lequel il demeura quinze jours (ad Gal 1, 18), saint Pierre donques, ayant preché cinq ans environ en Judee, sur la fin de la cinquieme annëe il vint en Antioche, ou il demeura Evesque environ sept ans, c’est a dire, jusqu'à l’annëe 2de de Claudius, ne laissant pour cela de faire des courses evangeliques en Galatie, en Asie, en Cappadoce et ailleurs pour la conversion des peuples ; de la, l’annëe 7e de son pontificat en Antioche, ayant remis sa charge episcopale au bon Evodius, il revint en Hierusalem, ou estant arrivé, il fut emprisonné de la part d’Herodes en faveur des Juifz, environ le jour de Pasque (Act 12, 4). Mays sortant de prison bien tost apres par la conduitte de l’Ange, il vint ceste mesme annëe la, qui estoit la 2de de Claudius, a Rome, ou il posa son siege quil tint environ 25 ans, pendant lesquelz il ne layssa de visiter plusieurs provinces selon le besoin de la chose publicque Chrestienne, mays entr’autres, environ l’an 18 de la Passion et Ascension du Sauveur, qui fut le 9. de Claudius (Orosius, l 7 Hist. C 6 ; Suetonius in Claudio § 25), il fut chassé, avec le reste des hebreux, de Rome (Act 18, 2), et s’en vint en Hierusalem, ou le Concile Hieroslimitain fut celebré (Act 15), auquel saint Pierre praesida. Puys, Claudius estant mort, saint Pierre s’en revint a Rome, recommençant son premier train d’enseigner et visiter par fois diverses provinces, la ou , en fin, Neron le poursuivant am ort avec son compaignon saint Pol (Amb, contra Auxent ), pour s’eschapper, selon les saintes importunations des fideles, il voulut sortir de nuict de la ville, et rencontrant pres la porte Nostre Seigneur, il luy dict : Domine, quo vadis ? Seigneur, ou alles vous ? Jesus Christ respondit : Je viens a Rome, pour y estre derechef crucifié ; responce laquelle saint Pierre conneut bien viser a sa croix (orig, l 3 in Genesim ; Athan, pro fuga sua § 18) : de façon qu’apres avoir esté cinq ans environ en Judëe,  7 ans en Antioche, 25 ans a Rome, l’annëe 14 de l’empire de Neron il fut crucifié les pieds contremont (Hieron. De Vir Illus c 1, Euseb., in Chronico anno 70, Ado in martyrol. Libel. De fest. Apostol., in capite Martyrologii; Tertul. De praescript. C 36), et au mesme jour saint Pol eut la teste tranchee.

Mays avant que mourir, empoignant par la main son disciple saint Clement, il le constitua son successeur ; charge a laquelle saint Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu’apres la mort de linus et de Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de saint Pierre en l’administration de l’evesché Romaine ; si que, qui voudra sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent le premier au rang, apres saint Pierre, saint Clement, et quelques autres, saint Linus, je luy feray respondre par saint Epiphane, autheur digne de foy, et voicy ses paroles (Haer 27 § 6) : Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum assumpserunt, cum sub Apostolis hic fuerit contemporaneus Petro et Paulo, nam et illi contemporanei Apostolorum fuerunt ; sive igitur adhuc ipsis superstitibus a Petro accepit impositionem manuum episcopatus, et eo recusato remoratus est, sive post Apostolrum successionem a Cleto Episcopo hic constituitur, non ita clare scimus. Parce donques que saint Clement avoit esté choisy par saint Pierre, comme luy mesme tesmoigne, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et de Cletus, les uns, en consideration de l’election faite par saint Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l’exercice quil en laissa a Linus et a Cletus, le mettent le 4e. Au reste, saint Epiphane peut avoir eu occasion de douter de l’election de saint Clement faite par saint Pierre, faute d’en avoir eu des preuves suffisantes, et se peut faire encores que Tertullien, plus ancien, que, Romanorum Ecclesia Clementem a petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat. Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent : par ce que douter de ce qu’un homme de bien et d’entendement asseure resolument, c’est dementir le diseur ; au contrayre, asseurer ce dont un autre doute, n’’est que confesser que le douteux ne sçait pas tout, ce quil a confessé premierement luy mesme doutant, car douter n’est autre que ne sçavoir pas fermement la verité d’une chose.

Maintenant, ja que par ce petit discours de la vie de saint Pierre, qui est tres probable, vous aves veu que saint Pierre n’a pas tousjours esté pied coy a Rome, mays y ayant son siege n’a pas layssé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l’office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu’on deduict de l’authorité negative des Epistres de saint Pol n’auront plus acces en vos jugemens ; car, si on dict que saint Pol ait escrit a Rome et dés Rome, et quil n’ait point faict de mention de saint Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu’a l’adventure saint Pierre ny estoit pas alhors. Ainsy est il tout certain que la premiere Epistre de saint Pierre a esté escritte a Rome, comme atteste saint Hierosme (In Marco de Vir Illust c 8) : Petrus, dict il, in prima Epistola , sub nomine Babilonis figuraliter Romam significans, Salutat vos, inquit, Ecclesia quae est in Babilone coelecta (I Petri 5, 13) ; ce qu’au paravant avoit declaré le tres ancien Papias, disciple des Apostres, au recit d’Eusebe (l 2 c 15). Mays la consequence seroit elle bonne : saint Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que saint Pol fut avec luy, donques il n’a jamais esté a Rome ? Ceste Epistre ne dict pas du tout, et si elle ne dict pas quil y fut, aussi ne dict elle pas quil n’y fut pas ; il est probable quil n’y estoit pas lhors, ou que sil y estoit, quil ne fut pas expedient de l’y nommer pour quelque rayson : autant en dis je de celles de saint Pol.

En fin ,pour adjuster le tems de la vie de saint Pierre aux empires de Tiberius, Caius Caligula, Claudius et Nero, on pourra les desduire a peu pres de ce qui en est, en ceste façon : au dixhuictiesme de Tibere, Nostre Seigneur monta au ciel ; cinq ans apres, qui fut en la derniere annëe de l’empire de Tibere, saint Pierre vint en Antioche, ou ayant demeuré environ sept ans, c’est a sçavoir, ce qui resta du tems de Tibere, 4 ans de Caius Caligula et 2 de Claudius, auquel les Juifz furent chassés de Rome, qui fit retirer saint pierre en Judëe ; environ cinq ans apres, Claudius estant mort, l’an 14 de son empire, Neron luy estant succedé, saint Pierre revint a Rome, ou il demeura jusqu’au martire, lequel il subit l’an 14 et dernier de Neron. Sont environ 37 ans que saint pierre vesquit apres la mort de son Maistre, desquelz il demeura environ douze, qu’en judëe qu’en Antioche, et 25 quil demeura Evesque de Rome.

ARTICLE XIII

CONFIRMATION DE TOUT CE QUE DESSUS PAR LES NOMS

QUE L’ANCIENNETE A DONNES AU PAPE

Oyes en peu de paroles ce que les Anciens pensoyent sur ce faict, et en quel rang ilz tenoyent l’Evesque de Rome. Voicy comm’ilz apellent, ores le Siege de Rome et son Eglise, ores le pape, car tout revient en un.
 
Petri Cathedram Cyp., l I ep 3 aliter 
Ecclesiam principalem Ep. 55 ad Cornelium
Exordium unitatis sacerdotalis  
Unitatis vinculum L 3 ep 13 (Al ep. 67 § 3)
Sacerdotii sublime fastigium L 4 ep 2 (Al ep. 52 § 8)
Ecclesia in qua est potentior principalitas Ir. , l 3 c 3
Ecclesiae radix et matrix Cyp l 4 ep 8 (al ep 45 § 3)
Sedes super quam Dominus universam construxit Ecclesiam Anacletus, ep I ad omnes episcopos et cunctos fideles (Concilia anno 104)
Cardo et caput omnium ecclesiarum Idem, ep I Ad omnes episcopos et sacerdotos (ibidem)
Episcoporum refugium Marcellus, ep I, Ad episcopos Antiochenae provinciae (Ibid, an 304)
Summa sedes Apostolica Sinodus Alexandrina, ep . ad Foelicem (Conc, an 366; cf art. 11); ubi Athanasius
Caput pastoralis honoris Prosper, De ingratis Pars Ia lin. 40)
Apostolicae Cathedrae principatus Aug., ep . 162 (al ep 43 § 7)
Principatus Apostolici sacerdotii Prosp, De vocat gent. L 2 c 16 In praefatione Concilii Calcedonensis (Epistolae 25), Valentinianus Imperator
Caput omnium ecclesiarum Victor Uticensis (Al Vitensis), De persec. Vand. L 2 (al vitensis). Imperator Justinianus, c. De Summa Trinitate.
Caput orbis et mundi religione Leo, in nat Srum PP (Serm 82, c 1); et prosp, De Ingratis (pars Ia, linn. 41, 42)
Caeteris praelata ecclesiis Sinod Rom sub Gelas (Conc an 494)
Ecclesia praesidens Ignatius ep. Ad Romanos, in inscriptione
Prima sedes, a nemine judicanda Sinodus Sinuessana, 300 episcop., tom. I Concil (anno 303)
Prima sedes omnium Leo, ep 63 (Al ep. 120 § 1)
Tutissimus comunionis Catholicae portus Hier. Ep 16 (Al ep. 127 § 5)
Fons Apostolicus Innocent, ad Patres Concil Milevit, inter epistolas Aug 93 (al ep. 182 § 2)
Sanctissiame Catholicae Ecclesiae Episcopum Cyp l 3 ep 11 (al ep 46 § 2)
Sanctissimus et beatissimus Patriarcha Conc. Calced., act 3.
Universalis patriarcha  
Caput Concilii Calcedonensis Ibidem, in relatione (ad leonem Papam)
Caput universalis ecclesiae In conc. Calced. , act 16
Beatissimus Dominus Stephanus archiepisc. Carthagiensis, in epistola ad
Apostolico culmine sublimatus Damasum (In inscriptione), nomine Concilii 
Pater patrum Carthaginensis
Summus omnium praesulum Pontifex  
Summus sacerdos Hier., praefatione Evangeliorum, ad Damasum.
Princeps sacerdotum Id testatur tota antiquitas apud Valentinianum, ep. Ad Theodosium, initio Conc. Calcedon.
Rector domus Domini Amb., in 1 Timot. 3 vers 15
Custos vineae Dominicae Concil Calced, ep ad Leonem
Christi vicarius Cyp. L 1 ep 3 (al ep. 55 § 5)
Fratrum confirmator Bernard ep 190 (al Tract. De errore Abaelardi, in praefat.)
Sacerdos magnus  
Summus Pontifex  
Princeps episcoporum  
Haeres Apostolorum  
Primatu Abel  
Gubernatu Noe  
Patriarchatu Abraham  
Ordine Melchisedech Bernard, l. 2 De Consid. Ad Eug. C 8.
Dignitate Aaron  
Authoritate Moises  
Judicatu Samuel  
Potestate Petrus  
Unctione Christus  
Ovilis Dominici Pastor  
Claviger Domus Domini  
Pastorum omnium Pastor  
In plenitudinem potestatis vocatus  

Je n’aurois jamais faict, si je voulois entasser les tiltres que les Anciens ont donné au Saint Siege de Rome et a son Evesque. Cecy doit suffire aux cerveaux mesme les plus bigearres, pour faire voit le magnifique mensonge que de Beze continue a dire, apres son maistre Calvin (instit l 4, c 7 § 17), en son traitté Des Marques de l’Eglise (p 19), ou il dict que phocas a esté le premier qui a donné authorité a l’Evesque de Rome sur les autres et l’a mis en primauté. Mays a quoy faire, dire un si gros mensonge ? Phocas vivoyt au tems de saint Gregoire le Grand, et tout tant que j’ay allegué d’autheurs sont plus anciens que saint gregoire, hormis saint bernard, lequel j’ay allegué aux Livres De Consideratione, par ce que Calvin les a pour si veritables quil luy semble que la verité mesme y ait parlé.

On objecte que saint gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel (l 4 ep 32 ou l 5 ep 20) : mays Evesque universel se peut entendre, ou d’un qui soit tellement Evesque de l’univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n’est point, car les Eversques sont vrayement princes spirituelz, chefz et Evesques, non lieutenantz du Pape mais de Nostre Seigneur, dont il les apelle freres ; ou on peut entendre d’un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans en particulier, sont inferieurs voirement mays non pas vicaires ni substitués, et c’est ainsy que les Anciens l’ont appellé Evesque universel.

On produict le Concile de Carthage (l 2, c 26), qui defend que pas un ne s’appelle Princeps sacerdotum, ; mays c’est faute d’avoir autre entretien qu’on allegue cecy, car qui ne sçait que c’estoit un Concile provincial qui touche les Evesques de ceste province la, de laquelle l’Evesque de Rome n’estoit pas, la mer Mediterranëe est entredeux.

Restoit le nom de Pape, lequel j’ay reservé pour fermer ce discours, et qui est l’ordinaire duquel nous appellons l’Evesque de Rome. Ce nom estoit commun aux Evesquesques, tesmoin saint Hierosme, qui appelle ainsy saint Augustin, en une epistre (Ep 103), au bout : Incolumem te tueatur Omnipotens, domine vere sancte et suscipiende papa ; mays il a esté rendu particulier au Pape, par excellence, a cause de l’universalité de sa charge, dont il est appellé au Concile de Calcedoine (Act 16), " Pape universel ", et " pape ", tout court, sans addition ni limitation ; et ne veut dire autre ce mot que ayeul ou grand pere :

Pappos aviasque trementes

Anteferunt patribus seri nova cura nepotes (Auson ad Nepot. Suum (idyllium IV)

Et affin que vous sachies combien est ancien ce nom parmi les gens de bien, saint ignace, disciple des Apostres, Epistola ad Mariam Zarbensem, Cum esses,dict il, Romae, apud Papam Linum ; ja de ce tems la il y avoit des papistes, et de quelle sorte ? Nous l’appellons Sa Sainteté ; et nous trouvons que saint Hierosme l’appelloit desja en ceste façon : Obtestor Beatitudinem tuam per Crucem (Ad Damasum Ep 16 subfinem), etc ., Ego nullum primum nisi Christum sequens, Beatitudini tuae,id est, Cathedrae Petri, communione consocior. Nous l’appellons Saint Pere ; mais vous aves veu que saint Hierosme appelle ainsy saint Augustin. Au reste, ceux qui, expliquans le second chapitre de la 2e aux Thessaloniciens, pour vous faire croire que le Pape est Antichrist vous auroyent dict quil se faict appeler Dieu en terre, ou Filz de Dieu, sont les plus grans menteurs du monde ; car tant s’en faut que les Papes prenent aucun tiltre ambitieux, que des le tems de saint gregoire se sont pour le plus appellés Serviteurs des serviteurs de Dieu (Jo. Diaconus, l 2 vitae Greg. C 1). Certes, ilz ne sont jamais appellés de la façon sinon au pris ordinaire, comme chacun le peut estre sil grade les commandemens de Dieu, selon le pouvoir concedé iis qui credunt in nomine ejus (Jean 1, 12) ; bien s’appellent, autant vaut il, enfans du diable (Jean 8, 44), ceux qui mentent si puamment comme font vos ministres.

ARTICLE XIV

COMBIEN D’ESTAT ON DOIT FAIRE DE L’AUTHORITE DU PAPE

Ce n’est pour vray pas sans mistere, que souvent en l’Evangile ou il est question que le general des Apostres parle, saint Pierre parle seul pour tous. En saint Jan (6, 69), ce fut luy qui dict pour tous : Domine, ad quem ibimus ? verba vitae aeternae habes, et nos credimus et cognovimus quia tu es Christus, Filius Dei. Ce fut luy, en saint Mathieu (Mat 16, 16), qui, au nom de tous, fit comme chef ceste noble confession : Tu es Christus, Filius Dei vivi. Il demanda pour tous, Ecce nos reliquimus omnia (Matt 19, 27), etc. En saint Luc (12, 41) : Domine, ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? C’est l’ordinaire que le chef parle pour tout le cors, et ce que le chef dict, on le tient dict par tout le reste. Ne voyes vous pas qu’en l’election de saint Matthias c’est luy seul qui parle et determine (Act 1, 15 seqq) ? Les Juifz demanderent a tous les Apostres : Quid faciemus viri fratres ? saint Pierre respond seul pour tous Poenitentiam agite (Act 2, 38), etc. Et c’est a ceste rayson que saint Chrysostome (hom 55 al 54 in Math §1) et Origene (Hom 2 In divers) l’ont appellé Os et verticem Apostolorum, comme nous avons veu cy dessus (art 8), par ce quil souloit parler pour tous les Apostres ; et le mesme saint Chrysostome l’appelle Os Christi (Serm in adne venerab caten), par ce quil dict pour toute l’Eglise et a toute l’Eglise, comme chef et pasteur, ce n’est pas tant parole humaine de Nostre Seigneur : Amen, dico vobis, qui accipit si quem misero, me accipit (Jean 13, 20) ; dont ce quil disoit et determinoit ne pouvoit estre faux. Et de vray, si le confirmateur (Luc 22, 32) fut tumbé, tout le reste fut il pas tumbé ? si le confirmateur tumbe ou chancele, qui le confirmera ? si le confirmateur n’est pas ferme et stable quand les autres s’affoybliront, qui les affermira ? car il est escrit : Si l’aveugle conduict l’aveugle, ilz tumberont tous deux dans la fosse (Matt 15, 14) ; si l’instable et le foible veut soustenir et rasseurer le foible, ilz donneront tous deux en terre. Si que Nostre Seigneur donnant l’authorité et commandant a saint Pierre de confirmer les autres, il luy a quand et quand donné le pouvoir et les moyens de ce faire, autrement pour neant luy eut il commandé chose impossible. Or, les moyens necessaires pour confirmer les autres, de rasseurer les foibles, c’est de n’estre point sujet a la foiblesse soymesme, mays d’estre solide et ferme, comme une vraye pierre et un roch : tel estoit saint Pierre, entant que pasteur general et gouverneur de l’Eglise.

Ainsy quand saint Pierre fut mis au fondement de l’Eglise, et que l’Eglise fut asseurëe que les portes d’enfer ne prevaudroyent point contre elle (Matt 16, 18), ce ne fut pas asses dire que saint Pierre, comme pierre fondamentale du gouvernement et administration ecclesiastique, ne pouvoit se froisser et rompre par l’infidelité ou erreur, qui est la principale porte d’enfer ? car, qui ne sçait que si le fondement renverse, si l’on y peut porter la sappe, que tout l’edifice renversera ? Et quoy ? si le pasteur mettoit ses brebis es pasturages venimeux, le parc se perdroit il pas incontinent ? Les brebis vont suyvant le pasteur ; s’il erre, tout se perd. Et n’est pas raysonnable que les brebis… De mesme, si le pasteur supreme ministerial peut conduire ses brebis es pasturages veneneux, on voit clairement que le parc est pour estre bien tost perdu ; car, si le supreme pasteur ministerial (Jean 20, 21) conduit a mal, qui le redressera ? s’il s’egare, qui le ramenera ? a la verité, il faut que nous ayons a le suivre simplement, non a le guider, autrement les brebis seroyent pasteurs. Et de faict, l’Eglise ne peut pas tousjours estre ramassëe en un Concile general, et les trois premieres centeynes d’annëes il ne s’en fit point ; es difficultés donques qui surviennent journellement, a qui se pourroit on mieux adresser, de qui pourroit on prendre loy plus asseurëe, regle plus certaine que du chef general et du Vicaire de Nostre seigneur ?

Or tout cecy n’a pas eu lieu seulement en saint Pierre, mais en ses successeurs, car la cause demeurant l’effect demeure encore ; l’Eglise a tousjours besoin d’un confirmateur infallible auquel on puisse s’adreser, d’un fondement que les portes d’enfer, et principalement l’erreur, ne puysse renverser, et qye son pasteur ne puysse conduire a l’erreur ses enfans : les successeurs donques de saint Pierre ont tous ces mesmes privileges, qui ne suivent pas la personne, mays la dignité et la charge publique.

Saint Bernard (De Cons l 2 c 8) apelle le Pape un autre " Moise en authorité " : or, combien grande fut l’authorité de Moise il ni a personne qui l’ignore, car il s’assit et jugea de tous les differens qui estoyent parmi le peuple, et de toutes les difficultés qui survenoyent au service de Dieu ; il constitua des juges pour les affaires de peu d’importance, mays les grans doutes estoyent reservés a sa connoissance (Exodi 18, 13 19 26) ; si Dieu veut parler au peuple, c’est par sa bouche et par son entremise (Ex 31, 18 ; 32, 15 ; 33, 11 ; 34, 5). Ainsy donques le pasteur supreme de l’Eglise nous est juge competent et suffisant en toutes nos plus grandes difficultés, autrement nous serions de pire condition que cest ancien peuple, qui avoyt un tribunal auquel il pouvoit s’addresser pour la resolution de ses doutes, specialement en matiere de religion. Que si quelqu’un veut respondre que Moise n’estoit pas praestre ni pasteur ecclesiastique, je le renvoyeray a ce que j’en ay dict ci dessus (pars Ia c 1 art 3), car ce seroit estre enuyeux de faire ces repetitions.

Au Deuteronome (17, 10-12) : Facies quodcumque dixerint qui praesunt loco quem elegerit Dominus, et docuerint te juxta legem ejus ; sequerisque sententiam eorum, nec declinabis ad dextram nec ad sinistram : qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. Que dira on icy ? Il falloit subir le jugement du sauverain Pontife ; qu’on estoit obligé de suivre le jugement qui estoit jouxte la loy, non l’autre ? ouy, mays en cela il failloit suivre la sentence du praestre, autrement si on ne l’eust pas suivie, ains examinee, c’eust esté pour neant qu’on fut allé a luy, et la difficulté et ambiguité n’eust jamais esté resolue parmi les opiniastres ; dont il est dict simplement, qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur; et en Malachie (2, 7) : Labia sacerdotis custodiunt scientam, et legem requirent ex ore ejus ; dont il s’ensuit que chacun ne pouvoit pas se resouvre es poins de la religion, ni produire la loy a sa fantasie, mais selon la proposition du Pontife. Que si Dieu a eu une si grande prouvoyance a la religion et tranquillité de conscience des Juifz, que de leur establir un juge sauverain a la sentence duquel ilz devoyent acquiescer, il ne faut pas douter quil ne nous aÿe prouveu, au Christianisme, d’un pasteur qui ayt ceste mesm’authorité, pour nous lever les doutes et scrupules qui pourroyent survenir sur les declarations des Escritures.

Que si le grand Praestre portoit le Rational du jugement en la poitrine (Ex 28, 30), ou estoyt le urim et Thummim, doctrine et verité comme interpretent les uns, ou les illuminations et perfections comme disent les autres, qui n’est presque qu’une mesme chose, puysque la perfection consiste en verité et la doctrine n’est qu’illumination, penserons nous que le grand Praestre de la Loy nouvelle n’en ayt pas encores les effectz ? a la verité, tout ce qui fut concedé de bon a l’ancienne Eglise et a la chambriere Agar, aura esté donné en beaucoup meilleure façon a Sara et a l’Espouse : nostre grand Praestre donques a encores le Urim et Thummim en sa poitrine. Or, soit que ceste doctrine et verité ne fust autre que ces deux motz escritz au Rational, comme semble croire saint Augustin (Q 118 in Exodum), et Hugues de Saint Victor l’asseure (Annot. In Exodum) , ou que ce fut le nom de Dieu, comme veut Rabbi Salomon, au recit de Vatable et Augustin evesque d’Eugubbium( Recognitio Vet Test. In hunc locum) ou que ce fussent les seules pierres du Rational par lesquelles Dieu tout puyssant reveloit ses volontés au Prestre, comme veut ce docte homme François Ribera (l 3 de Templo, c 12), la rayson pour laquelle le grand Praestre avoyt au Rational sur sa poitrine la doctrine et la verité, estoit sans doute par ce que judicabat judicii veritatem (Deut 17, 9) ; mesme que par le Urim et Thummim les prestres estoyent instruitz du bon plaisir de Dieu, et leurs entendemens esclairés et perfectionnés par la revelation divine, comme le bon de Lyra l’a entendu, et Ribera l’a asses suffisamment prouvé, a mon advis : dont quand David voulut sçavoir sil devoit poursuivre les Amalecites, il dict au Praestre Abiathar, Applica ad me ephod, ou, le superhumeraire (1 Rois 30, 7) ; ce quil fit sans doute pour reconnoistre la volonté de Dieu au Rational qui y estoit joint, comme va deduysant doctement ce docteur Ribera. Je vous prie, si en l’ombre il y avoit des illuminations de doctrine et des perfections de verité en la poitrine du Praestre, pour en repaitre et raffermir le peuple, qu’est ce que nostre grand prestre n’aura pas ? de nous, dis je, qui sommes au jour et au soleil levé ? Le grand Prestre ancien n’estoit que vicaire et lieutenant de Nostre Seigneur, nomplus que le nostre, mays il semble quil praesidoit a la nuict, par ses illuminations, et le nostre praeside au jour, par ses intructions ; ministeriellement tous deux, et par la lumiere du Soleil de Justice, lequel, bien quil soit levé, est neanmoins voilé a nos yeux par nostre propre mortalité, car le voir face a face ordinairement n’appartient qu’a ceux qui sont delivrés du cors qui se corrmpt (Exod 33, 20 ; Sap 9, 15).

Ainsy a creu toute l’Eglise ancienne, laquelle en ses difficultés a tousjours eu recours au Rational du Siege de Rome, pour y voir la doctrine et verité. C’est sur ce sujet que saint Bernard a appellé le Pape, Dignitate Aaron et " Haeritier des Apostres ", et saint Hierosme, le Saint Siege, Tutissimum communionis Catholicae portum ; car il porte le Rational pour en esclairer tout le Christianisme, comme les Apostres et Aaron, de doctrine et verité. C’est a ce propos que saint Hierosme dict au Pape Damase (Ep ad Dam 15 § 2) : Qui tecum non colligit, spargit ; hoc est, qui Christi non est, Antichristi est ; et saint Bernard dict (ep 190) quil faut rapporter les scandales qui se font, " principalement en la foy ", au Siege de Rome : Dignum namque arbitror ibi potissimum resarciri damna fidei, ubi non possit fides sentire defectum : cui enim alteri sedi dictum est aliquando, Ego pro te rogavi, ut non deficiat fides tua (Luc 22, 32) ? Saint Cyprien (ubi supra art 11) : Navigare audent ad Cathedram Petri, atque ad Ecclesiam principalem ; nec cogitare eos esse Romanos, ad quos perfidia habere non possit accessum. Ne voyes vous pas quil parle des Romains a cause de la Chaire de saint Pierre, et dict que l’erreur n’y peut rien ?

Les Peres du Concile Milevitain, avec le bienheureux saint Augustin (Ep 92 al 176 §§ 1,2), demandent secours et implorent l’authorité du Siege Romain contre l’haeresie pelagienne, escrivans au Pape Innocent en ceste sorte : Magnis periculis infirmorum membrorum Christi, pastoralem diligentiam, quasumus, adhibere digneris ; nova quippe haeresis, et nimium perniciosa tempestas, surgere inimicorum gratiae Christi coepit. Que si vous voules sçavoir pourquoy ilz s’addressent a luy, Quia, disent ilz, te Dominus, gratiae suae praecipuo munere , in Sede Apostolica collocavit. Voyla ce que croyoit ce saint Concile avec son grand saint Augustin ; auquel Innocent respondant, en une epistre qui suit la praecedente parmi celles de saint Augsutin (Hodie ep 182 § 2) : Diligenter et congrue, dict il, Apostolico consulitis honori ; honori, inquam, illius quem, praeter illa quae sunt extrinsecus, solicitudo manet omnium ecclesiarum super anxiis rebus quae sit tenenda sententia : antiquae scilicet regulae formam secuti, quam toto semper ab orbe mecum nostis esse servatam. Verum haec missa facio, neque enim hoc vestram credo latere prudentiam. Quid etiam actione firmastis, nisi scientes quod per omnes provincias de Apostolico fonte petentibus responsa semper emanent ? Praesertim quoties fidei ratio ventilatur, arbitror omnes fratres et coepiscopos nostros non nisi ad Petrum, id est, sui nominis et honoris authorem, referre debere, velut nunc relutit vestra dilectio, quod per totum mundum possit omnibus ecclesiis in commune prodesse. Voyes vous l’honneur et le credit auquel estoit le Siege Apostolique vers les Anciens les plus doctes et saints, voire mesme vers les Conciles entiers ? on y alloit comme au vray Ephod et Rational de la nouvelle Loy : ainsy y alla saint Hierosme, du tems de Damasus, auquel, pares avoir dict que l’Orient rompoit et mettoit en pieces la roubbe, entiere et tissue par dessus, de Nostre Seigneur (Jean 19, 23), et que les renardeaux gastoyent la vigne du Maistre (Cant 2, 15), Ut inter lacus contritos, dict il (Ep 15, § 1), qui aquam non habent, difficile ubi fons signatus et hortus ille conclusus sit possit intelligi, ideo mihi Cathedram Petri et fidem Apostolico ore laudatam censui consulendam, etc.

Je n’aurois jamais faict si je voulois produire les belles sentences que les Anciens ont dictes sur ce faict ; qui voudra, les lise fidellement cottëes au grand Catechisme de Pierre Canisius (cap 3 quaes 9 de Praeceptis Eccl.), ou elles ont estëes estendues au long par Busaeus. Saint Cyprien rapporte toutes les haeresies et schismes au mespris qu’on faict de ce chef ministerial (Ep 65 et 69), aussi faict bien saint Hierosme (Advers Luciferianos). Saint Ambroise tient pour une mesme chose, communicare et convenire cum Episcopis Catholicis et convenire cum Ecclesia Romana (Oratione de obitu fratris Satiri l 1 § 47) ; il proteste de suivre en tout et par tout la forme de l’Eglise Romaine (De Sacram l 3 c 1 § 5). Saint Irenëe veut que chacun vienne joindre a ce Saint Siege, propter potentiorem principalitem (ubi supra art 13). Les Eusebiens y portent les accusations contre saint Athanase ; saint Athanase qui estoit en Alexandrie, siege principal et patriarchal, vint respondre a Rome, y estant appellé et cité ; les adversaires n’y voulurent pas comparoistre, sachans, dict Theodoret (l 2 Eccl Hist c 4 al 3), mendacia sua manifesto fore detecta : les Eusebiens confessent l’authorité du Siege de Rome quand ilz y appellent saint Athanase, et saint Athanase quand il s’y praesente ; mays sur tout les Eusebiens, haeretiques arriens, confessent asses combien son jugement est infallible, quand ilz n’y osent comparoistre de peur d’y estre condamnés. Mays qui ne sçait que tous les anciens haeretiques taschoyent a se faire avouer par le Pape ; tesmoins les Montanistes ou Cataphryges, qui deceurent tellement le Pape Zephyrin (sil faut croire a Tertullien (L contra Praxeam), nomplus celuy d’autrefois mays devenu haeretique en son faict propre) quil lascha des lettres de reunion en leur faveur, lesquelles neantmoins il revoca promptement par l’advis de Praxeas. En fin, qui mesprisera l’authorité du Pape, remettra sus les Pelagiens, Priscilliens et autres, qui n’ont estés condamnés que par les Conciles provnciaux avec l’authorité du Saint Siege de Rome.

Que si je voulois m’amuser a vous monstrer combien Luther en faysoit estat au commencement de son haeresie, je vous ferois esbahy d’une si grande mutation de ce vostre grand pere. Voyes le chez Cocleus : Prostratum me pedibus tuae Beatitudinis offero, cum omnibus quae sum et habeo ; vivifica, occide, voca, revoca, approba, reproba, vocem Christi in te praesidentis et loquentis agnoscam : ce sont ses paroles, en l’Epistre dedicatoire quil escrit au Pape Leon 10, sur certaines siennes Resolutions, l’an 1518. Mays je ne puys laisser en arriere ce que ce grand archiministre escrivit l’an 1519, en certaines autres Resolutions d’autres propositions ; car, en la 13ème, non seulement il reconnoit l’authorité du Saint Siege Romain, mays la prouve pour 6 raysons qui tient pour demonstrations : je le mettray en sommaire. La 1re, le Pape ne pourroit estre venu a ce grade et a ceste monarchie sans le vouloir de Dieu ; mays le vouloir de Dieu est tousjours venerable, donques il ne faut pas contredire a la primauté du Pape. La 2e, il faut plus tost ceder a son adversiare que de rompre l’union de charité ; donques il vaut mieux obeir au Pape que de se separer de l’Eglise. La 3e, par ce quil ne faut pas resister a Dieu qui nous veut presser et charger de plusieurs princes, selon le dire de Salomon en ses Proverbes (28, 2). La 4e, Il ny a point de puissance qui ne soit de Dieu (Rom 13, 1) ; donques celle du Pape, qui est tant establie, est de Dieu. La 5e n’est que la mesme. La 6e, par ce que tous les fidelles le croyent ainsy, entre lesquelz il est impossible que Nostre Seigneur ne soit : or il faut arrester avec Nostre Seigneur et les Chrestiens en tout et par tout. Il dict par apres que ces raysons sont insolubles, et que toute l’Escriture y vient battre. Que vous semble de Luther ? est il pas Catholique ? et neanmoins c’estoit au commencement de sa reformation.

Calvin vient a ce point, quoy quil aille embrouillant la matiere tant quil peut ; car, parlant du Siege de Rome, il confesse (L 4 c 6 n 16) que les Anciens l’ont tous honnorëe et reverëe, qu’elle a esté le refuge des Evesques, et plus constante en la foy que les autres sieges ; ce quil attribue a faute de vivacité d’entendement.

ARTICLE XV

COMBIEN LES MINISTRES ONT VIOLE CESTE AUTHORITE

En l’ancienne Loy le grnad Prestre ne portoit pas le Rational sinon quand il estoit revestu des habitz pontificaux, et quil entroit devant le Seigneur (Exod 28, 29-30) : ainsy ne disons nous pas que le Pape en ses opinions particulieres ne puysse errer, comme fit Jean 22, ou estre du tout heretique, comme peut estre fut Honorius. Or, quand il est heretique expres, ipso facto, il tumbe de son grade hors de l’Eglise, et l’Eglise le doit ou priver, comme dient quelques uns, ou le declairer privé, de son Siege Apostolique, et dire, comme fit saint Pierre (Act 1, 20), Episcopatum ejus accipiat alter. Quand il erre en sa particuliere opinion, il le faut enseigner, adviser, convaincre, comm’on fit a Jean 22, lequel tant s’en vaut quil mourust opiniastre, ou que pendant sa vie il determinast aucune chose touchant son opinion, que pendant quil faysoit l’inquisition requise pour determiner en matiere de foy, il mourut, au recit de son successeur en l’Extravagante qui se commence, Benedictus Deus (Concilia anno 1334). Mays quand il est revestu des habitz pontificaux, je veux dire, quand il enseigne toute l’Eglise comme pasteur es choses de la foy et des mœurs generales, alhors il ny a que doctrine et verité. Et de vray, tout ce que dict un roy n’est pas loy ni edict, mays seulement ce que le roy dict comme roy, et determinant juridiquement ; ainsy tout ce que dict le Pape n’est pas Droit canon ni loy, il faut quil veuille determiner et donner loy aux brebis, et quil y garde l’ordre et forme requise. Ainsy disons nous quil faut avoir recours a luy non comme a un docte homme, car en cela il est ordinairement devancé par plusieurs autres, mays comme au chef et Pasteur general de l’Eglise, et, comme tel, honnorer, suivre et embrasser fermement sa doctrine, car alhors il porte en sa poitrine le Urim et Thummim, la doctrine et verité.

Et ne faut pas nomplus penser qu’en tout et par tout son jugement soit infallible, mays lhors seulement quil porte sentence en matiere de foy ou des actions necessaires a toute l’Eglise ; car es cas particuliers, qui dependent du faict humain, il y peut errer sans doute, quoy que nous autres devions le contreroller en cest endroit qu’avec toute reverence, submission et discretion. Les theologiens ont out dict en un mot, quil peut errer in quaestionibus facti, non juris, quil peut errer extra Cathedram, hors la Chaire de saint Pierre, c’est a dire, comme homme particulier, par escritz et mauvais exemples, mays non pas quand il est in Cathedra, c’est a dire, quand il veut faire une instruction et decret pour enseigner toute l’Eglise, quand il veut confirmer les freres comme supreme pasteur, et les veut conduyre es pasturages de la foy : car alhors ce n’est pas tant l’homme qui determine, resoult et definit, que c’est le benit Saint Esprit par l’homme, lequel, selon la promesse faicte par Nostre Seigneur a ses Apostres (Jean 16, 13), enseigne toute verité a l’Eglise, ou, comme dict le Grec et semble que l’Eglise l’entende en une collecte de Pentecoste, conduict et meyne son Eglise en toute verité : Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem, ou, deducet vos in omnem veritatem. Et comment est ce que le Saint Esprit conduict l’Eglise, sinon par le ministere et office de praedicateurs et pasteurs ? mays si les pasteurs ont des pasteurs encores, ilz les doivent suivre ; ainsy tous doivent suivre celuy qui est le supreme pasteur, par le ministere duquel nostre Dieu veut conduire, non les aigneuax seulement et brebiettes, mays les brebis et meres des aigneaux, c’est a dire, non les peuples seulement, mays les autres pasteurs encores, celuy qui succede a saint Pierre qui eut ceste charge, Pasce oves meas (Jean 21, 17). C’est ainsy que Dieu conduit son Eglise es pasturages de sa saint Parole, et ne l’exposition d’icelle ; qui cherche la verité sous autre conduite, la pert. Le Saint Esprit est conducteur de l’Eglise, il la conduict par son pasteur ; qui donques ne suit le pasteur, ne suit pas le Saint Esprit.

Mays le grand Cardinal Toletus remarque tresbien a propos sur ce lieu (Comment in Joannis Evangelium, in cap 16, 13), quil n’est pas dict, portabit Ecclesiam in omnem veritatem, mays, deducet, pour monstrer que quoy que le Saint Esprit esclaire a l’Eglise, si veut il qu’elle use de la diligence requise a tenir le bon chemin ; comme firent les Apostres, qui ayans a respondre sur une question d’importance, debattirent de part et d’autre, conferant les Escritures ensemble, ce qu’ayans faict diligemment, ilz conclurent par le Visum est Spiritui Sancto et nobis (Act 15, 28),c’est a dire, le Saint Esprit nous a esclairé, et nous avons marché, il nus a guidé, nous l’avons suivi jusques a ceste verité ; il faut employer les moyens ordinaires pour la recherche de la verité, et neanmoins reconnoistre la treuve et l’abord en icelle de l’assistence du Saint Esprit. Ainsy est conduit le troupeau Chrestien par le Saint Esprit, mays sous la charge et conduite de son pasteur ; lequel, neanmoins, ne court pas a la volëe, mays selon la necessité convoque les autres pasteurs, ou en partie ou generalement, regarde soigneusement la piste des devanciers, considere le Urim et Thummim de la Parole de Dieu, entre devant son Dieu par ses prieres et invocations, et s’estant ainsy diligemment enquesté du vray chemin, se met en campaigne hardiment et faict voile de bon cœur : heureux qui le suit et se range a la discipline de sa houlette, heureux qui s’embarque en son navire ; car il repaistra de sa verité, il surgira au port de la sainte doctrine.

Ainsy ne faict il jamais commandement general a toute l’Eglise es choses necessaires, qu’avec l’assistence du Saint esprit, lequel ne manquant mesme pas aux especes des animaux es choses necessaires, par ce quil les a establies, ne manquera pas aussi au Christianisme en ce qui luy est necessaire pour sa vie spirituelle. Et comment seroit l’Eglise une et sainte, telle que les Escritures et simboles la descrivent ? car, si elle suivoit un pasteur et que le pasteur errast, comme seroit elle sainte ? si elle ne le suivoit pas, comme seroit elle une ? et quelle desbauche verroit on parmi le Christianisme, pendant que les uns trouveroient et jugeroient une loy mauvayse, les autres, bonne, et que les brebis, au lieu de paistre et de s’engraisser es pasturages de l’Escriture et sainte Parole, s’amuseroyent a conteroller les jugemens du superieur ? Reste donq que selon la divine providence nous tenions pour fermé ce que saint Pierre fermera avec ses clefz, et pour ouvert ce quil ouvrira, estant assis en la chaire instruisant toute l’Eglise.

Que si les ministres eussent tansé les vices, remonstré l’inutilité de quelques censures et decretz, emprunté quelques saints advis des livres moraux de saint Gregoire, et de ceux de saint Bernard, De Consideratione, produit quelque bon moyen de lever les abuz qui ne sont survenuz en la prattique benficiaire pour la malice du tems et des hommes, et se fussent adressés a Sa Sainteté avec humilité et reconnoissance, tous les bons les eussent honnorés, et caressé leurs desseins : les bons Cardinaux Conterano, Theatino, Sadolet, et Polus, avec ces autres grans personnages qui praesenterent le Conseil de reformer les abus en ceste sorte (Cocleus in actis anni 39), en ont merité une immortelle recommandation de la posterité. Mays remplir l’air et la terre d’injures, invectives, outrages, calomnier le Pape, et non seulement en sa personne, ce qui ne se doit jamais faire, mays en sa dignité, attauqer le Siege que toute l’antiquité a honnoré, le vouloir juger contre le conseil de toute l’Eglise, apeller la dignité mesme antichristianisme, qui sera celuyt qui le pourra trouver bon ? Le grand Concile de Calcedoine trouva si estrange que Dioscorus, Patriarche, excommuniast le Pape Leon (Act 3 Epist ad Valent. Et Marcianum) ; et qui pourra souffrir l’insolence de Luther, qui fit une bulle ou il excommunie et le Pape, et les Evesques, et toute l’Eglise (Anno 22 apud Cocleum) ? Toute l’Eglise luy donne des tiltres honnorables, luy parle avec reverence : que dirons nous de ce beau commencement de livre que Luther adressa au Saint Siege ? Martinus Lutherus, Sanctissimae Sedi Apostolicae et toti ejus parlamento, meam gratiam et salutem. Imprimis, Sanctissima Sedes, creda et non frangere ob novam istam salutationem, in qua nomen meum primo et in supremo loco pono. Et apres avoir recité la bulle contre laquelle il escrivoit, il commence par ces ciniques et vilaines paroles : Ego autem dico, ad Papae et bullae hujus minas istud : qui prae minis moritur, ad ejus sepulturam compulsari debet crepitibus ventris. Et quand, escrivant contre le Roy d’Angleterre, Vivens, dict il, papatus hostis ero, exustus tuus hostis ero. Que dites vous de ce grand pere ? sont ce pas des paroles dignes d’un tel reformateur ? j’ay honte de lire, et ma main se fache de praesenter ces vilaynies ; mays qui les vous cachera vous ne croires jamais quil soit tel quil est . Et quand il dict : Nostrum est non judicari ab ipso, sed ipsum judicare.

Mays je vous entretiens trop sur un sujet qui ne demande pas grande inquisition. Vous lises les escritz de Calvin, de Zuingle, Luther ; je vous supplie, tries en les injures, calomnies, opprobres, medisances, risëes, bouffonneries qui y sont contre le Pape et le Saint Siege de Rome, et vous verres quil ny demeurera rien : vous oÿes vos ministres ; imposes leur silence quand aux injures, mocqueries, mesdisances, calomnies contre le Saint Siege, et vous aures vos preches la moitié plus cours. On dict mille folies sur cecy, c’est le rendes vous de tous vos ministres ; silz composent des livres, a tous propos, comme las et recreuz du travail, ilz s’arrestent sur les vices des Papes, disans bien souvent ce quilz sçavent bien n’estre point. De Beze, qui dict (De Veris Eccl notis, p 13) que des long tems il ny a eu aucun Pape qui se soit soucié de la religion ni qui ayt esté théologien, veut il pas tromper quelqu’un ? car il sçait bien qu’Adrien, Marcel et ces cinq derniers ont estés tres grans theologiens : a quo faire, mentir ? Mays disons quil y ait du vice et de l’ignorance : Cathedra tibi, vous dict saint Augustin (L 2 contra litt. Petil c 51), quid fecit Ecclesiae Romanae, in qua Petrus sedit et in qua hodie Anastasius sedet ? quare appellas cathedram pestilentiae Cathedram Apostolicam ? Si propter homines, quos putas legem loqui et non facere, numquid Dominus, Noster Jesus Christus propter Phariseos, de quibus ait (Matth 23, 3), Dicunt et non faciunt, cathedrae in qua sedebant ullam fecit injuriam ? nonne illam cathedram Moisi commendavit, et illos servato cathedrae honore redarguit ? ait enim : Super cathedram, etc. (vers 2). Haec si cogitaretis, non propter homines quos infamatis blasphemaretis Cathedram Apostolicam cui non communicatis ; sed quid est aliud quam nescire quid dicere, et tamen non posse nisi maledicere ?

CHAPITRE VII

Que les Ministres ont violé l’authorité des Miracles

7e Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

COMBIEN LES MIRACLES SONT PREGNANS POUR ASSEURER DE LA FOI

Affin que Moyse fust creu (Ex 4, 1), Dieu luy donna le pouvoir des miracles ; Nostre Seigneur, dict saint Marc, confirmoit ainsy la praedication Apostolique ; si Nostre Seigneur n’eust faict tant de miracles, on n’eust pas peché de ne le croire pas, dict le mesme Seigneur (Jean 15, 24) ; saint Pol tesmoigne que Dieu confirmoit la foy par miracles (Heb 2, 4) : donques le miracle est une juste rayson de croire, une juste preuve de la foy, et un argument pregnant pour persuader les hommes a creance ; car si ainsy n’estoit, nostre Dieu ne s’en fut pas servi. Et ne sert de rien de respondre que les miracles ne sont pas necessaires apres la foy semëe, car, outre ce que j’ay monstré le contraire cy devant (Pars Ia c 3 art 7), je ne dis pas maintenant quilz soyent necessaires, mays seulement que la ou il plaict a la bonté de Dieu d’en fayre pour confirmation de quelqu’article, nous sommes obligés de le croire. Car, ou le miracle est une juste persuasion et confirmation, ou non : si non, donques Nostre Seigneur ne confirmoit pas justement sa doctrine ; si c’est une juste persuasion, donques, en quel tems quilz se facent ilz nous obligent a les prendre pour une tres ferme rayson, aussy le sont ilz. Tu es Deus qui facis mirabilia, dict David (Ps 76, 14) au Dieu tout puyssant, donques ce qui est confirmé par miracles est confirmé de la part de Dieu ; or Dieu ne peut estre autheur ni confirmateur du mensonge, ce donques qui est confirmé par miracles ne peut estre mensonge, ains pure verité.

Et affin de couper chemin a toutes fantasies, je confesse quil y a des faux miracles et des vrais miracles, et qu’entre les vrays miracles il y en a qui font argument evident que la puyssance de Dieu y est, les autres, non, sinon par leurs circonstances. Les miracles que l’Antichrist fera seront tous faux, tant par ce que son intention sera de decevoir, que par ce que une partie ne seront qu’illusions et vaynes apparences magiques, l’autre partie ne seront pas miracles en nature mays seulement devant les hommes, c’est a dire, ne surpasseront pas les forces de nature, mays pour estre extraordianires sembleront miracles aux simples. Telz seront la descente quil fera faire du feu qui descendra in conspectu hominum (Apoc 13, 13), et ce quil fera parler l’image de la beste (vers 15), et guerira une plaïe mortelle (vers 3) ; desquelz la descente du feu en terre et le parler de l’image semble que ce seront des illusions, dont il adjouste, in conspectu hominum ; ce seront magies. La guerison de la plaÿe mortelle sera un miracle populaire, non philosophique ; car ce que le peuple croit estre impossible, il le tient pour miracle quand il le voit, mays il tient plusieurs choses impossibles en nature qui le sont, telles sont plusieurs guerisons. Or plusieurs playes sont mortelles en presence de quelques medecins, et incurables, qui ne le seront pas en praesence des autres qui sont plus suffisans et ont quelque remede plus exquis ; ainsy la plaïe sera mortelle selon le cours ordinaire de la medecine, mays le diable, qui a plus de suffisance en la connoissance des vertus des herbes, odeurs, minerales et autres drogues, que les hommes, fera ceste cure la par l’application secrette des medicamens inconneuz aux hommes : et semblera miracle a qui ne sçaura discerner entre la science humayne et diabolique, entre la diabolique et divine, en ce que la diabolique devance l’humayne de grande traitte, et la divine surpasse la diabolique d’une infinité ; l’humayne ne sçait qu’une petite partie de la vertu qui est en nature, la diabolique sçait beaucoup davantage mays dans les confins de nature, la divine n’a point d’autre limite que son infinité.

Je disoys qu’entre les vrays miracles il y en a qui font une certaine science et rayson que le bras de Dieu y opere, les autres non, sans la consideration et secours des circonstances. Cela apert par ce que j’ay dict ; et par exemple, les merveilles que firent les magiciens d’Egipte (Ex 7, 11-12) estoyent, quand a l’apparence exterieure, toutes semblables aux miracles que faysoit Moise (Ex 4, 3-8), mays qui considerera les circonstances, connoistra bien ayseement que les uns estoyent vrays magiciens, les autres faux, comme le confesserent les magiciens quand ilz dirent : Digitus Dei est hic (Ex 8, 19). Ainsy pourrois je dire, si Nostre Seigneur n’eust jamays faict autre miracle que de dire a la Samaritayne que l’homme qui habitoit avec elle n’estoit pas son mari (Jean 4, 18), et que de convertir l’eau en vin (ibid 2, 9), on eust peu penser quil y avoit de l’illusion et magie ; mays ces merveilles partant de la mesme main qui faysoit voir les aveugles, parler les muetz, ouir les sourds, vivre les mortz, il ny eschoit plus aucun scrupule. Car, ramener la privation en son habitude, le non estre a l’estre, et donner les operations vitales aux hommes, sont choses impossibles a toutes les puyssances humaynes, ce sont des coups du sauverain Maistre ; lequel quand puys apres il luy plaict faire des cures par sa toute puyssance, ou des mutations es choses, ne laysse pas de les faire reconnoistre pour miraculeuses, quoy que la nature secrette en peut faire pour autant, parce qu’ayant faict ce qui surpasse nature, il nous a ja rendus asseurés de sa qualité et de la valeur de la merveille : ainsy que quand un homme a faict un chef d’œuvre, quo quil face puys apres plusieurs ouvrages communs, on ne laisse pas pour maistre.

En somme, le miracle est une tres asseurëe preuve et confirmation en la creance quand c’est un vray miracle, et en quel tems quil soit faict ; autrement il faudroit renverser toute la praedication Apostolique. Il estoit raisonnable qu’estant la foy de choses qui surmontent nature, elle fust averëe par œuvres qui surpassent nature, et qui montrent que la praedication ou parole annoncëe part de la bouche et authorité du Maistre de nature, le pouvoir duquel n’est point limité, lequel se rend par le miracle comme tesmoin de la verité, soussigne et met son sceau a la parole portëe par le praedicateur. Or, semble il que les miracles soyent tesmoignanges generaux pour les simples et plus rudes : car chacun ne peut pas sonder l’admirable convenance quil y a entre les propheties et l’Evangile, la grande sapience de l’Escriture, et semblables marques illustres qui sont en la Religion Chrestienne, c’est un examen a faire aux doctes ; mays il ny a celuy qui n’apprehende le tesmoignage d’un vray miracle, chacun entend ce langage entre les Chrestiens. Il semble que les miracles ne soyent pas necessaires, mays ilz le sont a la verité ; et n’est pas en cause que la suavité de la divine providence en fournit a son Eglise en toutes les saysons , car entoutes saysons il y a des heresies, lesquelles bien qu’elles soyent suffisamment rabattues, voire a la capacité des moindres, par l’antiquité, majesté, unité, catholicisme, sainteté de l’Eglise, si est ce que chacun ne sçait pas priser ces " doüaires ", comme parle Optatus, a leur vraye valeur, chacun n’entend pas et ne penetre pas ce langage : mays quand Dieu parle par œuvres, chacun l’entend, c’est une parole commune a toutes nations ; comme l’escriture d’une sauvegarde n’est conneüe d’un chacun, mays si on y voit la croix blanche, les armes du Prince, chacun connoit que le tesmoignage et l’authorité sauveraine y court.

ARTICLE II

COMBIEN LES MINISTRES ONT VIOLE LA FOY DEUE AU TESMOIGNAGE DES MIRACLES

Il ni a presqu’article de nostre Religion qui n’ait esté approuvé de Dieu par miracle. Les miracles qui se font en l’Eglise, monstrans ou est la vraye Eglise, font suffisante preuve de toute la creance de l’Eglise ; car Dieu ne porteroit jamays tesmoignage a une eglise qui n’eust la vraÿe foy et fust errante, idolatre, trompeuse : mays ceste bonté supreme ne s’arreste pas la ; elle a confirmé presque tous les pointz de la foy Catholique par tres illustres miracles, et, par une speciale providence de Dieu, nous trouvons que quasi sur tous les articles esquelz nous sommes en different avec les ministres, Nostre Seigneur a rendu tres illustre tesmoignage de la verité que nous prechons, par miracles irreprochables. Je mettray, sil vous plaict, quelques exemples.

Dum Agapitus, sanctae Romanae Ecclesiae pontifex, dict saint gregoire (Lib. III Dial. c 3), ad Justinianum principem proficisceretur in Graeciarum partibus, propinqui cujusdam muti et claudi obtulerunt eum Agapito curandum, dicentes se, in virtute Dei, ex auctoritate Petri, fixam salutis illius spem habere. Voilà la creance de ces bonnes gens ; ilz tenoyent le Pape pour successeur en l’authorité de saint Pierre, et partant quil avoyt quelque eminente authorité : un de vos ministres les eust tenuz pour superstitieux, l’Eglise Catholique eust tousjours dict, comm’elle faict maintenant, que leur creance estoit juste. Voyes ce qu’en tesmoigna Nostre Seigneur : Protinus venerandus vir, poursuit saint Gregoire, orationi incubuit, et Missarum solemnia exorsus, sacrificium in conspectu Dei omnipotentis immolavit ; quo peracto, ab altari exiens claudi manum tenuit, atque assistente et aspiciente populo eum mox a terra in propiis gressibus errexit ; cumque ei Dominicum Corpus in os mitteret , illa diu muta ad loquendum lingua soluta est. Mirati omnes, flere prae gaudio coeperunt, eorumque gentes illico metus et reverentia invasit, cum voidelicet cernerent quid Agapitus facere in virtue Domini ex adjutorio Petri potuisset : ce sont les paroles de saint gregoire. Que dites vous ? si vous me demandes qui a faict ce miracle, je vous repondray par les propres paroles de nostre Seigneur (matt 11, 5) : Caeci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizatur. Quelle foy l’a demandé ? la foy que le Pape est successeur de saint Pierre, et en a l’eminente authorité. Par quelles actions a il esté obtenu ? par le tressaint Sacrifice de la Messe, et par la realité de l’exhibition du Cors de nostre Seigneur en la bouche du patient. En quoy s’est faict le miracle ? en ce que ce patient a esté remis de la privation a l’habitude, et une operation vitale luy a esté rendue, qui est l’ouÿe , car encor quil n’est pas dit quil fut sourd, si l’estoit il neanmoins, car le muet naturel est tousjours sourd. Que peut donques conclure sinon que, Digitus Dei est (Exod 8, 19), que Dieu a signé et scellé la creance en laquelle nous sommes pour l’article de la succession du Pape en l’authorité de saint Pierre, et pour l’article de la tressainte Messe ? qu’opposera on ? En quel tems s’est faict ce miralce ? en la plus pure et sainte Eglise, car, et Calvin et les Lutheriens confessent que la pureté de l’Eglise a duré jusqu’apres saint Gregoire. Qui raconte ceste histoire ? un tressaint et docte personnage, par l’aveu mesme des adversaires qui le font le dernier bon Pape. Ou a esté faict le miracle ? en praesence de tout un peuple, Grec et non passionné pour le Saint Siege.

Ainsy nous preschons la realité du Cors de Nostre Seigneur et de son Sang au Sacrement de l’autel ; Nostre Seigneur l’a authorisé par la miraculeuse experience quil en fit voir a un Juif et une Juifve qui assistoyent a la messe de saint basile, tesmoin saint Amphilochius (In vita Basilii) qui vivoit en l’an 380. Une femme aussy qui avoit petri le pain qu’on devoit consacrer, venant a la sainte Communion, comm’elle vit saint Gregoire, tenant non plus le pain mais le tressaint Sacrement, venir a elle pour la communier, et dire, Corpus Domini Nostri Jesu Christi custodiat animam etc. , elle se prit a rire ; saint gregoire l’interroge pourquoy elle rioyt, elle respond que c’estoit parce qu’elle avoit petri le pain duquel saint Gregoire avoit dict que c’estoit le Cors de Nostre Seigneur ; saint Gregoire impetra par prieres que la sainte Eucharistie apparut au dehors ce qu’elle estoit au dedans, dont ceste pauvre femme fut reduite a la foy, et tout le peuple confirmé : c’est une histoire racontëe par le bon paulus Diaconus (In vita S. Greg. § 23).

Nous prechons quil faut adorer Nostre Seigneur qui est realement au tressaint Sacrement : Gorgonia, seur de saint Gregoire Nazianzene, le fit, et incontinent elle guerit d’une maladie incurable, au rapport de son frere mesme (oratione in Gorgoniam § 8) . Saint Chrysostome en raconte deux belles apparitions, ou une multitude d’Anges furent veus au tour du saint Sacrifice de l’autel, sic capite inclinatorum ut si quis milites, praesente rege, stantes videat ; id quod facile mihi ipse persuadeo, dict ceste bouche d’or (L 6 de Sacerdotio § 4).

Nous prechons que c’est non seulement Sacrement, mais Sacrifice : et saint Augustin, parlant d’un lieu inhabitable par la violence des espritz malins, qui estoit a Hesperius, au territoire Fussalense, Perrexit unus, dict il , ex presbiteris, obtulit ibi Sacrificium Corporis Christi, orans quantum potuit ut cessaret illa vexatio, Deoque protinus miserante cessavit. Ce que j’ay rapporté de Agapitus vient joindre icy.

Nous prechons la sainte communion des Saintz, en la priere quilz font pour nous et en l’honneur que nous leur deferons : mays quand aurois je faict a vous produire les miracles qui se sont faict sur ceste creance ? Theodoret, De curandis Graec. Aff. (L 8), en raconte un tres certain miracle, en la conversion de saint Cyprien par l’intercession de Nostre Dame.

Nous honnorons leurs reliques : voyes comme saint Augustin (l 22 de Civ Dei, c 8 § 10 seq ) faict un long discours de tres certains miracles faictz aux reliques de saint Estienne ; et la mesme (§2) encores en raconte il un, faict aux reliques de saint Gervais a Milan, d’un aveugle gueri, dequoy luy mesme faict le recit encores en ses Confessions (L 9 c 7), et sainct Ambroise (Amb. Serm 91 de inventione corporum Srum Gervasii et Protasii hodie ep 22).

Nous produisons le signe de la Croix contre le diable : et saint Gregoire Nazianzene (Or I Contra Jul. §§ 55, 56) tesmoigne que Julien l’Apostat, en un sacrifice faict aux idoles, voyant le diable, s’y signa de ce signe ; le diable s’en fuit, le sorcier et magicien dict a l’apostat que le diable s’en fuyoit non par crainte mais par abomination Abominationi, dict il, illis fuimus, non terrori. Vincit quod pejus est. Eusebe (In vita Constant. L 2 cc 6-15) faict foy des merveilles que Dieu a faict par ce saint signe au tems de Constantin le Grand.

En nos eglises nous avons des vases sacrés : et saint Chrysostome (l de Sto Babila, contra Gentiles § 17) raconte que Julien, oncle de Julien empereur, avec un certain tresorier, les desroba et prophana, mays julien mourut incontinent, rongé par les vers, le tresorier creva sur place.

Nous faysons contre du saint Chresme dont on oint les baptisés pour la sainte Confirmation : et saint Optatus Milevitain (l 2 contra Donat. § 19) raconte que la phiole ou ampoule du saint Chresme estant jettëe par les Donatistes sur des pierres, non defuit manus angelica quae ampullam spiritali subventione deduceret ; projecta casum sentire non potuit.

Nous confessons humblement nos pechés aux superieurs ecclesiastiques : et saint Jan Climacus raconte (L Scalae grad. 4 liber etiam dicitur Climax) que comme une personne tres vicieuse confessoit ses fautes, on vit un grand et terrible, qui rayoit d’un livre de contes les pechés, a mesure que cestuy ci les confessoit ; par ce, dict le mesme Climacus, que la confession bien delivre de l’eternelle confusion.

Nous avons des images en nos eglises : mays qui ne sçait les grans miracles qui furent faitz au crucifiement d’une image de Nostre Seigneur, que les juifz firent en Syrie en la ville de Berite ? non seulement le sang en sortit, mays ce sang guerit quicomque en fut touché, de toutes sortes de maladies ; c’est le grand saint Athanase qui le raconte (libello de Passione imaginis D. N. c 4).

Nous y avons de l’eau beniste et du pain benit : mays saint Hierosme raconte (in vita Hilar. § 30) que plusieurs pour guerir les malades prenoyent du pain benit par saint Hilarion ; et saint Gregoire dict (L 1 Dial. c 10) que saint Fortunat guerit un homme qui en une cheute de cheval s’estoit rompu la jambe, par la seule aspersion de l’eau benite. C’est asses.

Or quel mespris est ce de tant de miracles, de se mocquer et de se gauser de toute ceste doctrine, et de l’Eglise qui la praeche ? Si vous ne voules priser le tesmoignage de l’antiquité, Testimonium Dei majus est (1 Jean 5, 9). Qu’est ce que vous respondres ? Quand a moy, j’ay escrit icy les premiers miracles qui me sont venus en main ; que j’ay pris neanmoins des autheurs qui ont estés en la pure Eglise, car si je vous eusse apporté les miracles faictz au tems de saint bernard, de saint Malachie, de Bede, de saint François, vos ministres eussent incontinent crié que c’estoit des prodiges de l’Antichrist, mays puysque tous tant quilz sont confessent que l’Antichrist n’a point comparu sinon quelque tems apres saint Gregoire, et que ce je produis a tout esté faict auparavant, ou au tems de saint Gregoire, il n’y estoit point de difficulté. Les Aryens niyoent le miracle sur l’aveugle qui fut gueri par l’atouchement du bord du drap des reliques de saint Gervais et Protais, et disoyent quil n’avoyt pas esté gueri ; saint Ambroise respond (Ep 22, § 17) : Negant caecum illuminatum, sed ille non negat se sanatum. Sed quaero, dict il peu apres (§§ 19, 20), quid non credant ? utrum a Martiribus possint aliqui visitari ? hoc est Christo non credere, ipse enim dixit : Et majora horum facietis (Jo 14, 12) . Et plus bas (§ 22) il dict : Neque aliter Martirum operibus inviderent, nisi fidem in iis fuisse eam quam isti non habent judicarent, fidem illam majorum traditione firmatam, quam daemones ipsi negare non possunt, sed Arriani negant : non accipio a diabolo testimonium sed confessionem. Quelles circonstances ne rendent ces miracles irreprochables ? une partie sont restitutions des operations vitales, qui ne se peut faire par autre puyssance que la divine ; le tems auquel ilz se sont faitz estoit tout voysin a celuy de Nostre Seigneur, l’Eglise toute pure et sainte ; il ni avoit point d’Antichrist au monde, comme dient les ministres ; les personnes par la priere desquelles ilz se faysoyent, tres saintes ; la foy qui en estoit confirmëe estoit general e et tres Catholique ; les autheurs qui les recitent, tres asseurés.

Je veux icy mettre une piece empruntëe (Montaigne, Essais l 1 c 26) : "  Quand nous lisons dans Bouchet (In opusc Miracula S. Hilarii) les miracles des reliques de saint Hilaire, passe ; son credit n’est pas asses grand pour nous oster la licence d’y contredire : mais de condamner d’un train toutes pareilles histoires semble singuliere impudence. Ce grand saint Augustin tesmoigne avoir veu, sur les reliques saint gervais et Protais a Milan, un homme aveugle recouvrer la veüe ; une femme a Carthage avoir esté guerie d’un cancer par le signe de la Croix qu’une femme nouvellement baptizëe luy fit ; Hesperius, un sien familier, avoir chassé les espritz qui infestoyent sa mayson, avec un peu de terre du Sepulchre de Nostre Seigneur, et ceste terre despuys transportëe a l’eglise, un paralitique y estant apporté avoir esté soudain gueri ; une femme en une procession ayant touché a la chasse saint Estienne d’un bouquet, et de ce bouquet s’estant frottëe les yeux , avoir recouvrëe la veüe qu’elle avoit pieça perdue ; et plusieurs autres miracles ou il dict luy mesme avoir assisté. De quoy accuserons nous et luy et deux Evesques, Aurelius et Maximinus, quil apelle pour ses recors ? sera ce d’ignorance, simplesse, facilité ? ou de malice et imposture ? est il homme, en nostre siecle, si impudent qui pense leur estre comparable, soit en vertu, soit en sçavoir, jugement et suffisance ? "

Autant en diray je des deux saints Gregoire que j’ay produit , de saint Amphiloche, de saint Hierosme, saint Chrysostome, Athanase, Climacus, Optatus, Ambroise, Eusebe. Dites, pour Dieu, ce quilz racontent est il pas tres possible a Dieu ? et sil est possible, come oserons nous nier quil n’ait esté faict, puysque tant de grans personnages en tesmoignent ? On m’a dict plus d’une fois, est ce article de foy de croire ces contes ? Ce n’est voirment pas article de foy, mays article de sagesse et de discretion ; car c’est une bestise trop notoire et une tres sotte arrogance de donner des dementies a ces anciens et graves personnages, sans autre fondement que parce que ce quilz disent n’est pas sortable a nos conceptions : sera il donq dict que notre petite cervelle bornera la verité et mensonge, et fera loy a l’estre et au non estre ?
 
 

CHAPITRE VIII

Que les ministres ont violé la Raison naturelle

8ème Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

EN QUELLE FAÇON LA RAYSON NATURELLE EST UNE REGLE

DE BIEN CROIRE, ET L’EXPERIENCE

Dieu est autheur en nous de la rayson naturelle, et ne hait rien de ce quil a faict (Sap 11, 25), si que, ayant marqué nostre entendement de ceste sienne lumiere (Ps 4, 7), il ne faut pas penser que l’autre lumiere surnaturelle quil depart aux fidelles, combatte et soit contraire a la naturelle ; elles sont filles d’un mesme Pere, l’une par l’entremise de la nature, l’autre par l’entremise de moyens plus hautz et eslevés, elles donques peuvent et doivent demeurer ensemble comme seurs tres affectionnëes. Soit en nature soit sur nature, la rayson est tousjours rayson, et la verité, verité ; aussy n’est ce que le mesme oeïl qui voit es obscurités d’une nuict bien sombre a deux pas devant luy, et celuy qui voit au beau jour de mydi tout le cercle de son horison, mays ce sont diverses lumieres qui luy esclairent : ainsy est il certain que la verité, et sur nature et en nature est tousjours la mesme, ce sont seulement diverses lumieres qui la montrent a nos entendemens ; la foy nous la monstre sur nature, et l’entendement en nature, mays la verité n’est jamais contraire a soymesme.

Item, Dieu, qui a donné a nos sens leurs propres sentimens et connoissances, pour seconder nature ne permet que jamais ilz soyent trompés quand ilz sont en une droitte application, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne bronche point. Item, nos sens ne se trompent pas sur leur propre object quand l’application est bien faitte, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne peut estre deceüe : ce sont propositions de la philosophie, qui ont ceste rayson bien asseurëe, c’est que Dieu est autheur de nos sens, et les dresse, comme saint ouvrier et infallible, a leur propre fin et but ; ce sont certes premiers principes, que ceux qui les leveroyent nous leveroyent tout discours et rayson. L’exemple nous fera bien entendre ces propositions. Mon œil se peut tromper, jugeant une chose plus grande qu’elle n’est ; mays la grandeur n’est pas le propre object de mon œil, car il est commun au toucher et a la main : et se peut tromper, estimant le mouvement estre ou il n’est point, comme ceux qui navigent le long de la rive voient, ce leur semble, les arbres et tours se remuer ; mays le mouvement n’est pas propre object de la veüe, le toucher y a part encores : il se peut encores tromper si l’application n’est pas pure ; car, sil y a du verre vert ou rouge en l’entredeux, il pensera vert ou rouge ce qui ne le sera pas.

Au reste, si au jugement du sens et a l’experience vous y adjoustes le discours et de la consequence, si vous vous y trompes ne vous en prenes plus au sentiment ni a l’experience, car elle n’est plus pure ni simple, qui est une des conditions que j’ay mises en mes propositions ; c’est le discours et la consequence que vous y aves attachëe qui vous a trompé. Ainsy les yeux ni l’experience ne trompoyent pas ceux qui voyoient et experimentoyent en Nostre Seigneur la forme et maniere humayne, car tout cela y estoit, mays quand ilz tiroient de la, consequence qu’il n’estoit pas Dieu, ilz se trompoyent. Le sens qui juge qu’a l’autel il y a la rondeur, la blancheur, le goust et saveur du pain, juge bien, mays le discours qui deduit de la que la substance du pain y est encores, tire une tres mauvaise et fause conclusion ; delaquelle le sens ne peut mais, qui ne prend point de connoissance sur la substance des choses, mais sur les accidens. De mesme, l’experience qui nous monstre que nous ne sçavons pas comme ces acidens sont sans leur substance naturelle, est tres veritable, mays si nostre jugement tire conclusion de la quil n’en soit rien, il se trompe et nous trompe encores ; et nostre experience n’en peut mais, qui n’a point touché a ceste consequence.

L’experience donques et la connoissance des sens est tres veritable, mays les discours que nous en tirons nous trahissent : hors de la, qui combat la connoissance des sens et la propre experience, combat la rayson et la renverse, car le fondement de tout discours depend de la connoissance des sens et de l’experience. Or, combien vos ministres ayent combattu l’experience, la connoisance des sens et la rayson naturelle, je vous le feray paroistre tout maintenant, pourveu que vous mesmes ne veuilles combattre vostre propre jugement.
 
 

ARTICLE II

COMBIEN LES MINISTRES ONT COMBATTU LA RAYSON ET L’EXPERIENCE

Quand Luther, en la preface de l’Assertion des articles condamnés par Leon, dict que " l’Escriture est tres aysëe, intelligible et claire a chacun ", et que chacun y peut connoistre la verité, et discerner entre les sectes et opinions quelle est la vraye, quelle est la fausse, dites, je vous prie, combat il pas la propre experience de tout le monde ? et quand vous aves creu ceste sottise, connoisses vous pas tout ouvertement le contraire ? Je ne sache homme si versé qui osast jurer, sil a point de conscience, quil sçait le vray sens, je ne dis pas de toute l’Escriture, mays de quelque partie d’icelle ; et si, n’ay je jamais veu homme entre vous qui entende le sens d’un chapitre tout entier.

Quand Calvin et Bucer nient que nous ayons aucune liberté en nostre volonté, non seulement pour les actions surnaturelles, mays encores pour les naturelles et es commerces purement humains, n’attaque il pas la rayson naturelle et toute la philosophie, comme luy mesme confesse, et tout d’un train l’experience, et de vous, si vous parles franchement, et de tout le reste des hommes ?

Et quand Luther dict que le croire, esperer, aymer ne sont pas operations et actions de nostre volonté, ne perd il pas tout en un coup le croire, l’esperer, l’aymer, et les change en estre creu, esperé et aymé, et combat le cœur de l’homme, qui connoist bien que c’est luy qui croit, ayme, espere, par la grace de Dieu ?

Item, quand Luther dict (L. contra Coclaeum an. 1523.) que les enfans au Baptesme ont l’usage de l’entendement et rayson, et quand le sinode de Wittenberg (Anno 36.) dict (Apud Coclaeum, l. III Misce. Tract. Tr VIII § 2) que les enfans au Baptesme ont des mouvemens et inclinations sembalbles aux mouvemens de la foy et de la charité, et ce sans entendre, n’est ce pas se moquer de Dieu, de nature, et de l’experience ?

Et quand on dict que nous pechons " incités, pousés, necessités, par la volonté, ordonance, decret et praedestination de Dieu ", n’est ce pas blasphemer contre toute rayson et contre la majesté de la supreme bonté ? Ah, voyla la belle theologie de Zuingle (Serm. De providentia, c V et VI), Calvin (l . I Inst c XVII et XVIII ; L. De aeter. Dei praedest. In Instruct. contra Libertinos) et Beze (Contra Castalionem, De aeterna Dei praed, in refut° 2. calumniae) : At enim, dict Beze, dices, non potuerunt resistere Dei voluntati, id est, decreto : fateor ; sed sicut non potuerunt, ita etiam noluerunt. Verum non poterant aliter velle : fateor quoad eventum et energiam, sed voluntas tamen Adami coacta non fuit. Bonté de Dieu, je vous appelle a garant : vous m’aves poussé a mal faire, vous l’aves ainsy decreté, ordonné, voulu, je ne pouvois faire autrement, je ne pouvois vouloir autrement, qu’y a il de ma faute ? O Dieu de mon cœur, chastiés mon vouloir sil peut ne pas vouloir le mal et quil le veüille, mays sil luy est impossible de ne le vouloir pas, et vous luy soÿes cause de ceste impossibilité, qu’y peut il avoir de sa faute ? Si cecy n’est contre rayson, je confesse quil ny a point de rayson au monde.

" la loi de Dieu est impossible ", selon Calvin et les autres (Ant. Sess. VI Conc Trident.(ad cap XII) ; Luth. Lib. De Libertate Christiana) : que s’ensuit il de la, que Nostre Seigneur soit tiran, qui commande chose impossible ? si ell’est impossible, pourquoy la commande on ?

" A considerer exactement, les œuvres pour bonnes qu’elles soyent meritent plus l’enfer que le Paradis (ibidem) " : la justice donques de Dieu, qui donnera a chacun selon ses œuvres (Rom 2, 6), donnera a chacun l’enfer ?

C’est asses. Mays l’absurdité des absurdités, et la plus horrible deraison de toutes, c’est celle la, que, tenans que l’Eglise tout’entiere aÿe erré mill’ans durant en l’intelligence de la parole de Dieu, Luther, Zuingle, Calvin puyssent s’asseurer de la bien entendre ; bien plus, qu’un simple ministrot, prechant comme parole de Dieu que toute l’Eglise visible a erré, que Calvin et tous les hommes peuvent errer, ose trier et choysir entre les interpretations de l’Escriture celle qui luy plaict, et l’asseurer et maintenir comme parole de Dieu ; encores plus, que vous autres qui oyans dire que chacun peut errer au faict de la religion, et toute l’Eglise mesme, sans vouloir vous en chercher d’autre parmi mille sectes qui toutes se vantent de bien entendre la Parole de Dieu et la bien precher, croÿes si opiniastrément a un ministre qui vous preche, que vous ne voules rien ouir autre. Si chacun peut errer en l’intelligence de l’Escriture, pourquoy non vous et vostre ministre ? j’admire que vous n’alles tousjours tremblantz et branslantz ; j’admire comme vous pouves vivre avec autant d’asseurance en la doctrine que vous suives, comme si vous ne pouvies tous errer, et que neanmoins vous tenes pour asseuré que chacun a erré et peut errer.

L’Evangile vole bien haut sur toutes les plus eslevees raysons de nature ; jamais il ne les combat, jamais ne les gaste ni défaict : mays ces fantasies de vos evangelistes ruynent et obscurcissent la lumiere naturelle.

ARTICLE III

QUE L’ANALOGIE DE LA FOY NE PEUT SERVIR DE REGLE

AUX MINISTRES POUR ESTABLIR LEUR DOCTRINE





C’est une voix pleyne de fast et d’ambition entre vos ministres, et qui leur est ordianire, quil faut interpreter l’Escriture et esprouver les expositions par l’analogie de la foy. Le simple peuple, quand il entend parler de l’analogie de la foy, pense que ce soit certain mot de secrette vigueur et force, et cabalistique, et admire tout’interpretation qui se faict, pourveu qu’on mette ce mot icy en campaigne . Ilz ont rayson, pour vray, quand ilz disent quil faut interpreter l’Escriture et esprouver les expositions d’icelle par l’analogie de la foy, mays ilz ont tort quand ilz ne font point ce quilz disent. Le pauvre peuple n’entend autre ventance que de ceste analogie de la foi, et les ministres n’ont faict autre que la corrompre, violer, forcer et mettre en pieces. Disons, je vous prie : vous dites que l’Escriture est aysëe d’entendre, pourveu qu’on l’adjuste a la regle et proportion ou analogie de la foy ; mays quelle regle de la foy peuvent avoir ceux qui n’ont point d’Escriture que toute glossee, toute estirëe et contournee d’interpretations, metaphores, metonimies ? si la regle est sujette au desreglement, qui la reglera ? et quelle analogie ou proportion de foy y peut il avoir, si on proportionne les articles de foy aux conceptions les plus esloignëes de leur naïfveté ? Voules vous que la proportion des articles de foy en leur naturelle taille, ne leur bailles point d’autre forme que celle quilz ont receüe des Apostres. Je vous laysse penser a quoy me servira le Simbole des Apostres pour interpreter l’Escriture, puysque vous le glosses en telle façon, que vous me mettes en autant de difficulté de son sens que je fus jamais de l’Escriture mesme. Si on demande comm’il se peut faire que le mesme cors de Nostre Seigneur soit en deux lieux, je diray que cela est aysé a Dieu, suyvant le dire de l’Ange (Luc 1, 37), Non est impossibile apud Deum omne verbum, et le confirmeray par la rayson de la foy, Credo in Deum Patrem omnipotentem ; mays si vous glosses, et l’Escriture et l’article de foy mesme, comme confirmeres vous vostre glosse ? a ce conte la il ny aura point de premier principe sinon vostre cervelle. Si l’analogie de la foy est sujette a vos glosses et opinions, il le faut dire franchement, affin qu’on sache vostre intention ; ainsy ce sera interpreter Escriture par l’Escriture et par l’analogie, le tout adjusté a vos interpretations et conceptions.

J’applique le tout a l’analogie de la foy. Ceste explication joint fort bien a la premiere praole du Simbole, la ou Credo nous oste toute la difficulté du discours humain. L’Omnipotentem me confirme, la creation m’y recrëe ; car, qui ex nihilo fecit omnia, quare ex pane non faciet Corpus Christi ? Le nom de Jesus m’y conforte, car sa misericorde et magnifique volonté y est exprimëe ; ce quilz est Filz consubstantiel au Pere monstre son pouvoir illimité. Sa conception d’une Vierge hors le cours naturel, ce quil n’a point dedaigné de s’y loger pour nous , ce quil est né avec penetration de dimension, action qui surmonte et outrepasse la nature d’un cors, m’asseure et de la volnté et du pouvoir. Sa mort m’affermit, car, qui est mort pour nous, que ne fera il pas pour nous ? Son sepulchre me console, et sa descente aux enfers, car je ne douteray point quil ne descente en l’obscurité de mon cors, etc. Sa ressurection me ravive, car la nouvele pentration de la pierre, l’agilité, subtilité, clarté, impassibilité de son cors n’est plus sujette aux loix trop grossieres de nos cervelles. Son ascension me faict monter a ceste foy ; car si son cors penetre, s’esleve par sa seule volonté, et sa place sans place a la dextre du pere, pourquoy ne sera il encor ça bas ou bon luy semble, sans y occuper autre place qu’a sa volonté ? Ce qu’il sied a la dextre du Pere, me monstre que tout luy est soumis, le ciel, la terre, les distances, leslieux et les dimensions : ce que de la il viendra juger les vivans et les morts, me pousse a la creance de l’ilimitation de sa gloire, et que partant sa gloire n’est pas attachëe au lieu, mays ou quil soit il la porte avec soy ; dont au Tressaint Sacrement il y est sans laysser sa gloire ni ses perfections. Le Saint Esprit, par l’operation duquel il a esté conceu et est né d’une Vierge, pourra bien encores avec son operation fayre ceste admirable besoigne de la Transsubstantiation. L’Eglise, qui estant sainte ne peut induire a l’erreur,estant catholique n’est pas astreinte a ce miserable siecle, mays doit avoir son estendue en long des les Apostres, en large par tout le monde, en profondité jusqu’au Purgatoire, en hauteur jusqu’au ciel, a sçavoir, toutes nations, tous les siecles passés, les Saintz canonisés et nos ayeulz desquelz nous avons esperance, les prelatz, les Conciles recens et anciens, tout par tout chantent Amen, amen, a ceste sainte creance. C’est icy la parfaite Communion des Saintz, car c’est de la viande commune des Anges et saintes ames du Paradis et de nous autres, c’est le vray pain duquel tous les Chrestiens participent. La Remission des pechés, l’autheur de la remission y estant, est confirmëe, la semence de nostre Resurrection jettëe, la Vie aeternelle conferëe.

Ou trouves vous de la contrarieté a ceste sainte analogie de la foy ? tant s’en faut, que vrayement ceste creance du tressaint Sacrement, qui contient en verité, réalité et substance le vray et naturel Cors de Nostre Seigneur, est vrayement l’abbregé de nostre foy, suyvant le dire du Psalmiste (Ps 110, 4), Memoraim fecit. O saint et parfaict memorial de l’Evangile, o admirable recueil de nostre foy : qui croit o Seigneur, vostre praesence en ce tressaint Sacrement, comme preche vostre sainte Eglise, a recueilly et suce le doux miel de toutes les fleurs de vostre sainte Religion, a grand peyne quil puysse jamais mescroire.

Mays je reviens a vous, messieurs, et demande que c’est qu’on m’opposera plus a ces passages si clairs (Matt 26, 26 ; Marc 14, 22 ; Luc 22, 19 ; 1 Cor 11, 24), Cecy est mon cors. Que la chair ne prouffite de rien (Jean 6, 64) ? non pas la vostre ou lamienne qui ne sont que charoignes, ni nos sentimens charnelz ; nom pas une chair simple, morte, sans esprit ni vie : mays celle du Sauveur, qui est tousjours garnie de l’Esprit vivifiant (ibidem) et de son Verbe (Jean 1, 14), je dis qu’elle prouffite a tous ceux qui la reçoivent dignement pour la vie aeternelle. Que dires vous ? que les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie, donques elles ne se doivent pas entendre de son cors ? Et quand il dict, Filius hominis tradetur ad illudendum et flagellandum, etc. (car je metz pour exemple les premieres venues) (Matt 20, 18-19) , ses paroles n’estoyent ce pas esprit et vie ? dites donques qu’il a esté crucifié en figure. Quand il dict, Si ergo videritis Filium hominis ascendetem ubi erat prius (Jean 6, 63), s’ensuit il quil ny soit monté qu’en figure ? et toutes elles sont comprises avec les autres, dont il dict, spiritus et vita sunt. En fin, au Saint Sacrement, aussi bien qu’es saintes paroles de Nostre Seigneur, l’esprit y est, qui vivifie la chair, autrement elle ne proufitteroit de rien, mays la chair ne laisse pas d’y estre avec sa vie et son esprit. Que dires vous plus ? que ce Sacrement est appellé pain ? aussy est il, mays comme Nostre Seigneur l’explique : Ego sum panisvivus (vers. 51). C’est bien asses pour cest exemple.

Quand a vous, que produires vous de semblable ? je vous monstre un est, monstres moy le non est que vous pretendes, ou le significat ; je vous ay monstré le corpus, monstres moy le signe effectueux. Cherches, vires, revires, mettes vous sur vostre esprit de tournoyement (Is 19, 14) a grand randon, et vous ne le trouveres jamais. A tout rompre vous monstreres que qui voudroit un peu estirer ces paroles, il trouveroit quelques semblables phrases en l’Escriture que celle que vous pretendes estre icu, mays ad esse a posse c’est une lourde consequence ; je nie que vous le puyssies faire joindre, je dis que si chacun les manie a sa main, la pluspart les prendront a gauche. Mays bien, layssons voir un peu faire. Vous produises pour vostre creance : Verba quae ego loquor spiritus et vita sunt (Jean 6, 64), et y joignes, Quotiescumque manducabitis panem hunc (1 Cor 11, 26) ; vous y adjoustes, Hoc facite in meam comemorationem (Ibid 24, 26) ; vous y apportes, Mortem Domini annunciabitis donec veniat (Ibid 26) ; Me autem semper non habebitis (Jean 13, 6) ; mays consideres un peu quel rapport ont ces paroles les unes aux autres. Vous adjustes tout cecy a l’anormalogie de vostre foy, et comment ? Nostre Seigneur est assis a la dextre, donq il n’est pas icy. Monstres moy le fil avec lequel vous couses ceste negative avec ceste affirmative : par ce qu’un cors ne peut estre en deux lieux. Ah, vous disies que vous joindries ceste negative avec l’analogie par le fil de l’Escriture ; ou est cest’Escriture, qu’un cors ne puysse estre en deux lieux ? voyes un peu comme vous mesles la prophane apprehension d’une rayson purement humaine avec la sacree Parole. Ah, ce dites vous, Nostre Seigneur viendra juger les vivans et les morts des la dextre. Quoy pour cela ? sil estoit besoin quil vint pour se trouver present au Saint Sacrement, vostre analogie auroit de l’apparence ; mays non encores de la relaité, car alhors quil viendra juger, personne ne dict quil soit en terre, le feu precedera (Ps 96, 3).

Voyla vostre analogie ; a sçavoir mon, qui a mieux travaillé, ou vous ou moy ? Si on vous laisse interpreter la descente de Nostre Seigneur aux enfers, du sepulcre, ou de l’apprehension de l’enfer et peyne des damnés, la sainteté de l’Eglise, d’une Eglise invisible et inconneüe, son universalité, d’une Eglise secrette et cachëe, la communion des Saintz, d’une seule bienveuilance generale, la remission des pechés, d’une seulle non imputation, quand vous aures ainsy proportionné le Simbole a vostre jugement, il sera quand et quand bien proportionné au reste de vostre doctrine ; mays qui ne voit l’absurdité ? le Simbole, qui est l’instruction des plus simples, seroit la plus obscure doctrine du monde, et devant estre regle a la foy, il auroit besoin d’estre reglé par une autre regle ; In circuitu impii ambulant (Ps 11, 9). Voicy une regle infallible de nostre foy : Dieu est tout puyssant ; qui dict tout n’exclud rien, et vous voules regler ceste regle, et la limiter a ce qu’elle ne s’estende pas a la puyssance absolüe, ou a la puyssance de placer un cors en deux lieux, ou le placer en un lieu sans quil y occupe l’espace exterieur. Dites moy donques, si la regle a besoin de reglement, qui la reglera ? Ainsy le Simbole dict que Nostre Seigneur est descendu en enfer, et Calvin le veut regler a ce quil s’entende d’une descente imaginaire (inst. L II c 16 § 10-12), l’autre le rapporte au sepulcre (Beza) : n’est ce pas traitter ceste regle a la Lesbienne, et plier le niveau sur la pierre au lieu de tailler la pierre au niveau ? Pour vray, comme saint Clement (ad Frat Domini) et saint Augustin (Serm 38) l’appelle clef, mays sil faut une autre clef pour ouvrir ceste clef, ou la trouverons nous ? monstres la nous ; sera ce le cerveau des ministres, ou quoy ? sera ce le Saint Esprit ? mays chacun se ventera d’en avoir sa part. Bon Dieu, en quelz laberinthes tumbent ceux qui s’escartent de la trace des Anciens.

Je ne voudrois pas que vous pensassies que j’ignorasse que le seul Simbole n’est pas la totale regle et mesure de la foy ; car, et saint Augustin (contra Jul. Pelag, l I § 22) et le grand Lirinensis (Cap II Commonit I) appellent encores regle de nostre foy le sentiment ecclesiastique. Le Simbole seul ne dict rien a descouvert de la Consubstantialité, des Sacremens, et autres articles de la foy, mays comprend toute la foy radicalement et fondamentalement ; principalement quand il nous enseigne de croire l’Eglise estre sainte et cathoique, car par la il nous renvoÿe a ce qu’elle proposera. Mays comme vous mesprisés toute la doctrine ecclesiastique, aussi mesprises vous ceste noble partie et si signalëe qui est le Simbole, luy refusant creance sinon apres que vous l’aures reduit au petit pied de vos conceptions. Ainsy violes vous ceste sainte mesure et proportion, que saint Pol propose (Rom 12, 6) pour estre suivie, voyre aux Prophetes mesme.

ARTICLE IV
 
 

CONCLUSION DE TOUTE CESTE 2E PARTIE

PAR UN BRIEF RECUEIL DE PLUSIEURS EXCELLENCES

QUI SONT EN LA DOCTRINE CATHOLIQUE, AU PRIS DE L’OPINION

DES HAERETIQUES DE NOSTRE AAGE

Vous vogues ainsy donques, sans aiguille, bussole et timon, en l’ocean des opinions humaynes ; vous ne pouves attendre autre qu’un miserable naufrage. Ah de grace, pendant que ce jourdhuy dure, pendant que Dieu vous praesente l’occasion, jettes vous en l’esquif d’une serieuse poenitence, et venes vous rendre en l’heureuse navire, laquelle a plein voyle va surgir au port de gloire. Quand il ny auroit autre, ne connoisses vous pas quelz advantages et combien d’excellences la doctrine Catholique a sur vos opinions ?

La doctrine Catholique se fonde immediatement sur la parole de Deiu, ou escritte ou layssëe de main en main ; vos opinions ne sont fondëes que dessus vos interpretations.

La doctrine Catholique rend plus glorieuse et magnifie la bonté et misericorde de Dieu ; vos opinions la ravalent. Par exemple, ny a il plus de misericorde d’exhiber la relaité de son Cors pour nostre viande, que de n’en donner que la figure, commemoration et manducation fiduciaire ? n’est ce pas plus de justifier l’homme embellissant son ame par la grace, que sans l’embellir le justifier par une simple connivence ou non imputation ? n’est ce pas une plus grande faveur de rendre l’homme et ses œuvres aggreables et bonnes, que de tenir seulement l’homme pour bon sans quil le soit en relaité ? n’est ce pas plus d’avoir layssé sept Sacremens pour la justification et sanctification du pecheur, que de n’en avoir laissé que deux, dont l’un ne serve de rien et l’autre de peu ? n’est ce pas plus d’avoir laissé la puyssance d’absouvre en l’Eglise, que de n’en avoir point laissé ? n’est ce pas plus d’avoir laissé une Eglise visible, universelle, signalëe, remarquable et perpetuelle, que de l’avoir layssé petite, secrette, dissipëe, sujette a corruption ? n’est ce pas plus priser les travaux de Nostre Seigneur, de dire qu’une seule goutte de son sang suffisoit a racheter le monde, que de dire que s’il n’eut enduré les peynes des damnés il ni avoit rien de faict ? la misericorde de Dieu n’est elle pas plus magnifiëe, de donner a ses Saintz la connoissance de ce qui se faict dy bas, le credit de prier pour nous, se rendre exorable a leurs intercessions, les avoir rendu glorieux dans leur mort, que de les faire attendre et tenir " en suspens ", comme parle Calvin (instit l III c 25 §6), jusqu’au jugement, les rendre sourds a nos prieres et se rendre inexorable aux leurs ? Cecy se verra plus clair en nos essais (in tertia Parte).

Nostre doctrine rend plus admirable le pouvoir de Dieu, au Sacrement de l’Eucharistie, en la justification et justice inhaerente, es miracles, en la conservation infallible de l’Eglise, en la gloire des Saintz.

La doctrine Catholique ne peut partir d’aucune passion, puysque personne ne s’y range sinon avec ceste condition, de captiver son intelligence sous l’authorité des pasteurs (1 Cor 10, 5) ; elle n’est point superbe, puysqu’elle apprend a ne se croire pas soymesme mays l’Eglise.

Que diray je plus ? connoisses la voix de la colombe au pres de celle du corbeau. Voyes vous pas ceste Espouse qui n’a autre que miel et laict sous sa langue (Cant 4, 11), qui ne respire que la plus grande gloire de son Espoux, son honneur et son obeissance ? Sus donques, Messieurs, voules vous estre mis come pierres vivantes es murailles de la celeste Hierusalem ? leves vous des mains de ces bastisseurs desreglés, qui n’adjustent pas leurs conceptions a la foy, mais la foy a leurs conceptions : venes et vous presentes a l’Eglise, qui vous posera, si a vous ne tient, en ce celeste bastiment, a la vraye regle et proportion de la foy : car, jamais personne n’aura place la haut, qui n’aura esté poli et mis en œuvre sous la regle et l’esquierre cy bas.

TROISIEME PARTIE
 
 

AVANT-PROPOS





Ces deux fautes fondamentales auxquelles vos ministres vous ont conduit d’avoir abandonné l’Église et d’avoir violé toutes les vrayes Regles de la Religion Chrétienne, ne vous rendent pas excusables le moins du monde Messieurs; car elles sont si enormes que vous ne pouviez les meconnoistre, et sont si importantes que l’une des deux suffit pour vous faire perdre le vray Christianisme. Puisque la foy hors de l’Église, ni l’Église sans la Foi, ne sçauroit

vous sauver, nomplus que l’oeil hors la teste, ni la teste sans l’oeil, ne sçauroit voir la lumiere. Quiconque vous vouloit separer de l’Église vous devoit estre suspect, et qui mesprisoit si fort les saintes Regles de la foy devoit estre fuy et mesprisé, quelle contenance qu’il tint, quoy quil allegast. Mays, ce me dires vous, ilz protestoyent de ne rien dire qui ne fut expres en la pure, simple et naifve Parole de Dieu. Ah mon Dieu, comme creutes vous si legerement ? Il ny eut donques heresie qui alleguast plus hors de propos la Parole de Dieu que celle cy, et qui en tirast des conclusions moins sortables, particulierement es principales disputes. Vous l’aures desja peu remarquer cy devant es deux premieres Parties de ce Memorial, mays je desire que vous le touchies au doigt, affin quil ne vous demeure aucune excuse de reste. Vous ne devies pas croire si legerement ; si vous eussies bien advisé a vos affaires, vous eussies veu que ce n’estoit pas la Parole de Dieu quilz avançoyent, mais leurs propres conceptions voylëes des motz de l’Escritture, et eussies bien connu que jamais un si riche habit ne fut faict pour couvrir un si vilain cors comme est ceste heresie.

Car, par supposition, faysons que jamais il ny eust Eglise, ni Concile, ni Pasteurs, ni Docteurs, des les Apostres, et que l’Escriture Sainte ne contient que les Livres quil plaict a Calvin, Beze et Martyr d’avouer, quil ny a point de Regle infallible pour la bien entendre, mays qu’elle est a la merci des conceptions de quicomque voudra maintenir quil interprete l’Escriture par l’Escriture et par l’analogie de la foy, comme on veut entendre Aristote par l’Aristote et par l’analogie de la philosophie ; confessons seulement que ceste Escriture est divine, et je maintiens devant tous juges equitables que, si non tous, au moins ceux d’entre vous qui avoyent quelque connoissance et suffisance sont inexcusables, et ne sçauroyent garentir leur religion de legereté et temerité. Et voicy ou je me reduis. Les ministres ne veulent combattre qu’avec l’Escriture, je le veux ; ilz ne veulent de l’Escriture que les parties qu’il leur plaict, je m’y accorde : au bout de tout cela, je dis que la creance de l’Eglise Catholique l’emporte de tous pris, qu’elle a plus de passages pour soy que l’opinion contraire, et ceux qu’elle a, plus clairs, purs et simples, plus raysonnablement interpretés, mieux concluans et sortables. Ce que je crois estre si certain, que chacun le peut sçavoir et connoistre, mays de monstrer cecy par le menu, ce ne seroit jamais faict ; il suffira bien, ce me semble, de le monstrer en quelques principaux articles.

C’est donques ce que je pretens faire en ceste troysiesme Partie, ou j’attaqueray vos ministres sur les Sacremens en general, et en particulier sur celuy de l’Eucharistie, de la Confession et Mariage, sur l’honneur et invocation des Saintz, sur la convenance des ceremonies en general, puys en particulier, sur la puyssance de l’Eglise, sur le merite de bonnes œuvres et la justification, et sur les indulgences ; ou je n’employeray que la pure et simple Parole de Dieu, avec laquelle seule je vous feray voir, comme par essay, vostre faute si a descouvert, que vous aures occasion de vous en repentir. Et toutefois, je vous supplie que si vous me voyes combattre, abattre et en fin surmonter l’ennemy avec la seule Escriture, vous vous representies alhors ceste grande et honorable suite de Martyrs, Pasteurs et Docteurs, qui ont tesmoigné par leur doctrine et au prix de leur sang que la doctrine pour laquelle nous combattons maintenant estoit la sainte, la pure, l’Apostolique, qui sera comme une surcharge de victoire : car, quand nous nous trouverions en pareille fortune avec nos ennemis, par la seule Escriture, l’ancienneté, le consentement, la sainteté de nos autheurs nous feroit tousjours triompher. Et a ceste occasion j’adjusteray tousjours le sens et la consequence que je produiray des Escritures, aux Regles que j’ay produites en la seconde Partie ; quoy que mon dessein principal ne soit que de vous faire essayer la vanité de vos ministres, qui ne faysans que crier, la Sainte Escriture, ne font rien plus que d’en violer les plus asseurëes sentences. En l’assemblëe des princes que se fit Spire l’an 1526, les ministres protestans portoyent ces lettres en la manche droitte de leurs vestements :V.D.M.I.AE; par lesquelles ilz vouloyent protester :Verbum Domini Manet in Aeternum(I Petri 1, 25). Ne diries vous pas que c’est bien eux qui seulz et sans compaignon, manient l’Escriture Sainte ? Ilz en citent a la verité des morceaux et a tous propos " en public, en privé ", en leurs discours, en leurs livres, es rues, es banquetz. Lises les opuscules de Paulus Samosatenus, de Priscillien, d’Eunomius, Jovinien et de ces autres pestes ; vous verres un grand amas d’exemples, et presque pas une pagëe qui ne soit fardëe et colorëe de quelques sentences du Viel et Nouveau Testament. Ilz font comme ceux qui veulent faire prendre quelque breuvage amer aux petitz enfans : ilz frottent et couvrent de miel le bord du gobelet , affin que ce simple aage, sentant premierement le doux, n’apprehende point l’amer. Mays qui sondera au fons de leur doctrine, verra clair comme le jour que ce n’est  qu’une happelourde saffranëe, telle que celle le Diable produisoit quand il tentoit Nostre Seigneur, car il avançoit l’Escriture pour son intention. " o Dieu ", dit le mesme Lirinensis (Eodem Commonit. , cap 26), que fera il a l’endroit des miserables hommes, puisqu’il ose attaquer avec l’Escriture le Seigneur mesme de majesté ? Pensons de pres a la doctrine de ce passage, car comm’alors le chef d’un parti parla au chef de l’autre, ainsy maintenant les membres parlent aux membres, a sçavoir les membres du diable aux membres de Jesus-Christ, les perfides aux fideles, les sacrileges aux religieux, enfin les haeretiques aux catholiques. Mays comme le chef respondit au chef, ainsi pouvons nous faire, nous autres membres, aux membres : notre chef repoussa avec les passages mesme de l’Escriture repousons-les en mesme façon, et par des consequences solides et naifves, deduites de la Sainte Ecriture, monstrons la vanité et piperie avec laquelle ilz veulent couvrir leurs conceptions des paroles de l’Escriture.

C’est ce que je pretens ici, mays briefvement; et proteste que je produyray tres fidelement tout ce que je cuyderay estre de plus apparent de leur costé, puys par l’Escriture mesme les convaincray, affin que vous voyes que quoyque et eux et nous manions et nous armons de l’Escriture, nous en avons neanmoins la realité et droit usage, eux n’en ayant qu’une vaine apparence par maniere d’illusion; ainsy que non seulement Moise et Aaron, mays encores les magiciens animerent

leurs verges et les convertirent en coloeuvres, mays la verge d’Aaron devora les verges des autres.
 
 








CHAPITRE PREMIER
 
 

DES SACREMENTS
 
 
 
 
 

ARTICLE PREMIER

DU NOM DE SACREMENT





Ce mot de sacrement est bien expres en l’Escriture en la signification qu’il a en l’Église Catholique, puysque Saint Pol, parlant du Mariage, l’apelle clair et net, sacrement (Ephes 5, 32). Mays nous allons voir cecy cy apres; il suffit maintenant contre l’insolence de Zuingle (Anno 25, L. De vera et falsa Rel.) et des autres qui ont voulu rejetter ce nom, que toute l’Église ancienne en aÿe usé : car ce n’est pas avec une plus grand’authorité que le mot de Trinité, Consubstantiel, Personne, et cent autres sont demeurés en l’Église comme saints

et legitimes; et c’est une tres inutile et sotte temerité de vouloir changer les motz

ecclesiastiques que l’antiquité nous a laissés, outre le danger quil y auroit, qu’apres le changement des motz, on n’alla au change de l’intelligence et creance, comme on voit ordinayrement que c’est l’intention de ces novateurs de paroles. Or, puysque les praetendus reformateurs, pour la plus part, quoy que ce ne soit sans gronder, layssent ce mot en usage par mi leurs livres, amusons nous aux difficultés que nous avons avec eux sur les causes et les effets des Sacremens, et voyons comm’ilz mesprisent l’Escriture et les autre Regles de la foy.
 
 

ARTICLE II
 
 

DE LA FORME DES SACREMENS







Commençons par Ici : l’Eglise Catholique tient pour forme des sacremens, des paroles consecratoires; les ministres pretendus ont voulu reformer ceste forme, disant que les paroles consecratoires sont charmes et que la vraie forme des sacremens est la predication. Qu’apportent les ministres de la Sainte Ecriture pour l’établissement de cette reforme ? Deux passages seulement, que je sache ,

l’un de saint Pol, l’autre de saint Mathieu. Saint Pol parlant de l’Eglise, dit que Nostre Seigneur l’a sanctifiée, mundas lavacro aquae in verbe (Ephes 5, 26); et Nostre Seigneur mesme, en saint Mathieu,  fit ce commandement a ses disciples : docete hommes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti(Mat ult 19). Voyla donc des passages bien clairs pour monstrer que la praedication est la vraÿe forme des sacremens ? May s qui leur a dict quil ni a point d’autre verbum vitae que la praedication? Je soustiens, au contraire, que ceste sainte invocation, Je te baptise au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, est encores un verbum vitae comme l’ont dict saint Chrysostome et Theodoret; aussi sont bien les autres saintes  prieres et invocations du nom de Dieu, qui ne sont pourtant pas praedications. Que si saint Hieros me, suyvant le sens mistique, veut que la praedication soit une sorte d’eau purifiante, il ne s’oppose pourtant pas aux autres Peres, qui ont s’oppose pourtant pas aux autres Peres, qui ont entendu le lavage d’eau estre le Baptesme précisément, et la parole de vie, l’invocation de la Tressainte Trinité, affin d’interpreter le passage de saint Pol par l’autre de saint Mathieu : enseignes les gens les baptisans au nom du Pere, du Filz et du Saint Esprit. Et quand a ce dernier, personne ne nia jamays que l’instruction ne doive praeceder le Baptesme, a l’endroit de ceux qui en sont capables, suivant la parole de Nostre Seigneur qui place l’instruction avant le Baptesme. Mays nous arrestans a la mesme parole, nous mettons l’instruction devant, a part, comme disposition requise en celuy qui a l’usage de rayson, et le Baptesme a part encores; dont l’un ne peut estre la forme de l’autre, ni le Baptesme de la praedication, ni la praedication, du Baptesme. Que si neanmoins, l’un devaÿe estre la forme de l’autre, le Baptesme seraÿe plutost  forme de la praedication que l’inverse; puysque la forme ne peut praeceder, ains doit survenir a la matiere et que la praedication praecede le Baptesme, et le Baptesme survient par apres la praedication : saint Augustin n’auroit pas bien dict quand il disoit : accedict verbum ad elementum (Tract LXXX in Joan § 3), et fit sacramentum. Il eut plutost deu dire : accedict elementum ad verbum. Ces deux passages ne sont donques pas advenans ni a propos pour votre reforme.

Or toutefoys vos pretensions seroient en certaine façon plus tolerables, si nous n’avions en l’Escriture des raysons contraires, plus expresses que les vostres ne sont, hors de toute comparayson. Les voyci : qui crediderit et baptizatus fuerit (Marc c ult v 16); voyes vous la croyance qui naÿe en nous par la praedication, separëe du Baptesme ? Ce sont donques deux choses bien distinctes, la praedication et le Baptesme. Qui doute que saint Pol n’aÿe catechisé et instruict de la foy plusieurs Corinthiens qui ont estés baptisés ? Que si l’instruction et la praedication estoit la forme du Baptesme, saint Pol n’avoit pas de rayson de dire, gratias ego Deo quod neminem baptizavi nisi Crispum et Caium, etc. (1 Co 1, 14) car  donner forme a une chose, n’est ce pas la faire ? Bien plus, que saint Pol met a part l’acte de  baptizer du prescher : non me misit Chrsitus baptizare sed evangelizare (vers 17). Et pour monstrer que le Baptesme est de Notre Seigneur et non de celuy qui l’administre, il ne dict pas nunquid in predicationae Poli baptizati estis ? (vers 13) montrant que quoyque la praedication praecede, si elle n’est pas de l’essence du Baptesme, pour attribuer au praedicateur et catechiste le Baptesme comme il est attribué au nom de celuy qui est invoqué. Pour vray, a qui regardera de plus pres le premier Baptesme faict apres la Pentecoste, verra clair comme le jour que la praedication est une chose et le Baptesme une autre. His audictis, voyla la praedication d’un costé, compuncti sunt corde, et dixerunt ad Petrum et ade reliquos  Apostolos: quid faciemus viri fratres ? Petrus vero ad illos  : paenitentiam, inquit, agite et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum (Act 2, 37-38).  Voyla le Baptesme d’un autre costé mis a part. Autant on peut remarquer au Baptesme de ce devost eunuque d’Ethiopie (Act 8, 35-38), en celuy de saint Pol, quil n’y eut point de praedication, et en celuy du bon et religieux Cornélius. Et quant a la Tressainte Eucharistie, qui est l’autre sacrement que les ministres font semblant de recevoir, ou trouveront ilz jamays que Nostre Seigneur y aÿe usé de praedication ? Saint Pol enseigne aux Corinthiens comment il faut celebrer la Cene, mays on n’y trouve point quil y soit commandé de precher. Et affin que personne ne doutast que le rite quil proposoit fut legitime, il dict quil l’avoit appris ainsi de Nostre Seigneur: ego enim accepi a Domino, quod et tradibi vobis (1 Co 11, 23). Nostre Seigneur fit bien un admirable sermon apres la Cene, recité par saint Jan, mays ce ne fut pas pour le mistere de la Cene qui estoit ja complet. On ne dict pas quil ne soitvconvenable d’instruire le peuple des Sacremens qu’on lui confere, mays seulement que ceste instruction n’est pas la forme des Sacremens. Que si en l’institution de ces divins misteres, et en la prattique mesme des Apostres, nous trouvons de la distinction entre la praedication et les Sacremens, a quelles enseignements les confondrons nous ? Ce que Dieu a separé, pourquoy le conjoindrons nous ? En ce point donques, selon l’Escriture, nous l’emportons, et les ministres sont convaincus de violation de l’Escriture, qui veulent changer l’essence des Sacremens contre leur institution.

Ilz violent encores la Tradiction, l’authorité de l’Eglise, des conciles, des Papes et des Peres, qui tous ont cru et croient que le Baptesme des petitz enfans est vray et legitime: mays comment veut on que la praedication y soit employée ? Les enfans n’entendent pas ce que l’on dict, ilz ne sont pas capables de l’usage de rayson, a quoy bon les instruire ? On peut bien prescher devant eux mays ce sera pour rien, car leur entendement n’est pas encor ouvert pour recevoir l’instruction, comme instruction ; elle ne les touche point, ni ne peut leur estre appliquëe, quel effet donq peut elle faire en eux ? Leur Baptesme donq seroit vain puysqu’il seroit sans forme et signification ; la forme donq du Baptesme n’est pas la praedication. Luther repond que les enfans ressentent des mouvemens actuelz de la foy par la praedication : c’est violer et dementir l’expérience et le sentiment mesme. Item, la pluspart des Baptesmes catholiques se font sans praedication. Ilz ne sont donq pas vrays baptesmes puysque la forme y manque. Que ne rebaptises vous donques ceux qui vont de nostre Eglise

a la vostre ? Ce seroit un anabaptisme.

Or sus, voyla, selon les Regles de la Foy, et principalement selon l’Escriture Sainte, comment vos ministres errent quand ilz vous enseignent que la praedication est forme des Sacremens; mays voyons si ce que nous en croyons est plus conforme a la sainte Parole. Nous disons que la forme des Sacremens est une parole consecratoire, et de benediction ou invocation. y a il rien si clair en l’Escriture : docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti(Matt 28, 19); ceste forme, au nom du Pere, etc. est elle pas invocatoire ? Certes le mesme saint Pierre qui dict aux juifs, poenitentiam agite et baptizetur unusquique vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vespetro (Act 2, 38), dict peu apres au boiteux devant la belle porte, in nomine Jesu Christi Nazareni, surge et ambula(Act 3, 6)". Qui ne voit que ceste derniere parole est invocatoire ? Et pourquoy pas la premiere, qui est de mesme substance ? Ainsi saint Pol ne dict pas  calix praedicationis de quo praedicamus, nonne communicatio Sanguinis  Christi est ?(1 Co 10, 16)"; mays au contraire calix benedictionis cui benedimus . On le consacroit donques et on le benissoit : ainsy au Concile de Laodicëe, c. 25, Non oportet Diaconum calicem benedicere.. Saint Denis, disciple de saint Pol les appelle " consecratoires " (De Eccl Hier c ult § 3, 10) , et en sa description de la liturgie ou Messe, il ny met point la praedication, tant s’en faut quil la tint pour forme de l’Eucharistie. Au concile de Laodicée, où il est parlé de l’ordre de la messe, il ne se dict rien de la praedication, comme estant chose de decence mais non de l’essence de ce mistere. Justin le martyr decrivant l’office ancien que les Chretiens faysoyent le Dimanche, entr’autres choses, il dict ( Apol II al I § 67) qu’apres les prieres generales, on offroit pain, vin et eaüe, et alors le prelat faisoit de tout son effort prieres et actions de graces a Dieu, le peuple benissoit, disant Amen. His cum Eucharistia consecratis, unusquisque participat, eademque absentibus dantur diaconis perferrenda . Plusieurs choses sont icy remarquables, l’eau se mesloit au vin, on offroit, on consacroit, on en portoit aux malades : mays si nos reformateurs eussent esté la, il eust fallu lever l’eau, l’offrande, la consecration, et il eust fallu porter la praedication aux malades, ou alors c’eust esté pour neant; car comme dict Calvin misterii explicatio ad populum sola facit ut mortuum elementum incipiat esse  sacramentum.. Saint Gregoire Nyssene dict : Recte nunc etiam Dei verbo sanctificatum panem  in Verbi Corpus credimus immutari (Serm Catechetico c 37 De Sacramentis)et apres dict que ce changement se faict virtute benedictionis. Quo modo  dict le grand saint Ambroise (De Sacram l 4 , c 4 §§ 14, 16), potest qui panis est Corpus esse Christi ? Consecratione ; et plus bas non erat Corpus Christi ante consecrationem, sed post consecrationem dico tibi quod jam est Corpus Christi, et voyes le bien au long, mays je me reserve sur ce sujet quand nous traitterons de la sainte Messe.

Mays je veux finir par ceste sentence de saint Augustin (L 3 de S. Trinit c 4) potuit  Polussignificando praedicare Dominum Jesum Christum, aliter per sacramentum Corporis et Sanguinis ejus; nec linguam quippe ejus, nec membranas, nec atramentum, nec significantes , sonos linguas edictos, nec signa litterarum conscripta pelliculis, Corpus Christi et Sanguinem dicimus, sed illum tantum quod ex fructibus terrae acceptum, et prece mistica consecratum, rite sumimus.. Que si saint Augustin dict unde tanta vis aquae ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbe? Non quia dicitur, sed quia credictur, nous ne disons rien au contraire : car a la verité, les paroles de benediction et de sanctification avec lesquelles on forme et parfaict les Sacremens, n’ont poinct de vertu, sinon proferées sous la generale intention et creance de l’Eglise; car si quelqu’un les disoit sans ceste intention, elles seroient dictes visiblement pour rien, parce que non quia dicitur sed quia credictur.
 
 




ARTICLE III
 
 

DE L’INTENTION REQUISE EN L’ADMINISTRATION

DES SACREMENS





Je n’ay jamais trouvé aucune preuve puysëe en l’Escriture, de l’opinion que vos predicans ont en cest endroit. Ilz disent que quoyque le ministre n’aÿe aucune intention de faire la Cene ou baptizer, ains seulement de se moquer et badiner, neanmoins, pourvu quil face l’exterieure action du sacrement, le sacrement y est complet. Tout ceci se dict a crédict, sans produire autre que certaines conséquences sans Parole de Dieu, par forme de chicanerie. Au contraire, le concile de Florence et celuy de Trente déclarent que si quelqu’un dict que l’intention au moins de faire ce que faict l’Eglise n’est pas requise pour les ministres quand ilz confèrent les Sacremens, il est anathème. "; ce sont les termes du Concile. Le Concile ne dict pas quil soit requis d’avoir l’intention particulière de l’Eglise, car autrement les Calvinistes, qui n’ont pas l’intention de laver le péché originel, ne baptizeroient pas bien, puysque l’Eglise a ceste intention la, mays seulement de faire en général ce que l’Eglise faict quand elle baptise, sans particulariser ni déterminer quoy ni comment. Item, le concile ne dict pas quil soit nécessaire de vouloir faire ce que l’Eglise romaine faict, mays seulement en général ce que l’Eglise faict sans particulariser qu’elle est la vraye Église : ainsi qui, pensant que l’église prétendue de Genève fut la véritable, limiteraÿe son intention a l’église de Genève, se tromperaÿe si jamays homme se trompa en la connaissance de la vraye Eglise, mays son intention suffiraÿe en cet endroit, puysque encore qu’elle se terminât a l’intention d’une église faussaire, si tant est qu’elle ne s’y termineraÿe que sous la forme et conception de la vraye Eglise, et l’erreur ne seraÿe que matérielle, non formelle, comme disent nos docteurs. Item, n’est pas requis que nous ayons ceste intention actuellement quand nous conférons le sacrement, mays il suffit qu’on puisse dire avec vérité que nous faisons telle et telle cérémonie, et disons telle et telle parole, comme verser l’eau disant " je te baptise au nom du Pere, etc. " en l’intention de faire ce que les vrays chrétiens font et que Nostre Seigneur a commandé, quoyque pour l’heure, nous ne soyons pas attentifs, et n’y pensions pas précisément. Comme il suffit pour dire que je prêche pour servir Dieu et pour le salut des âmes, si lorsque je veux me préparer, j’ai ceste intention, bien que quand je suis en chaire je pense a ce que j’ai a dire et a m’en tenir en mémoire, et ne pense plus en ceste première intention: ou comme celuy qui a résolu de donner cent écus pour l’amour de Dieu, puis, sortant de sa mayson pour ce faire, pense a d’autres choses, et neanmoins distribue la somme; car encore quil n’aÿe pas la pensée dressée actuellement en Dieu, si ne peut-on pas dire quil aÿe son intention en Dieu en vertu de sa première délibération, et quil ne fasse ceste œuvre de charité délibérément et a son escient. Telle intention est du moins requise et suffit aussi pour la collation des Sacremens.

Or, que la proposition du concile soit éclairée, voyons voir si elle est comme celle des adversaires, sans fondement de l’écriture. On ne peut raysonnablement douter que pour faire la Cene de Nostre Seigneur, ou le Baptesme, il ne faille faire ce que Nostre Seigneur a commandé pour cet effet, et non seulement quil faille le faire, mays quil le faut en vertu de ce commandement et institution; car on peut bien faire ces actions en vertu d’autre que commandement du Seigneur, comme feraÿe un homme, qui dormant, songeraÿe et baptizeraÿe, ou bien étant ivre; pour vray, les paroles y seroient et l’élément, mays elles n’auraient point de force, ne procédant pas du commandement de qui peut les rendre vigoureuses et efficaces; ainsi que tout ce qu’un juge dict et écrit ne sont pas sentences judiciaires, mays seulement ce quil dict en qualité de juge. Or, comment pourraÿe-on mettre une différence entre les actions sacramentelles étant faictes en vertu du commandement qui les rend prenantes, et des mesmes cations faictes a d’autres fins ? Certes, le différence n’y peut estre que par l’intention avec laquelle, on les emploie; il faut donques que non seulement les paroles soient proférées, mays proférées avec intention de faire le commandement de Nostre Seigneur en la Cene " hoc facite, (au Baptesme), baptizantes eos in nomine Patris, etc. "

Mays a le dire franchement, ce commandement " hoc facite ", ne s’adresse-t-il pas au ministre de ce sacrement ? Sans doute! Or, n’est-il pas dict simplement, " hoc facite ", mays " facite in meam commemorationem "; et comment peut-on faire ceste action sacrée en commémoration de Nostre Seigneur, sans avoir l’intention d’y faire ce que celuy-ci nous a commandés, ou du moins ce que les Chrétiens, disciples de Nostre Seigneur font ? Affin que, sinon immédiatement, au moins par l’entremise de l’intention des Chrétiens ou de l’Eglise, on fasse ceste action en commémoration de Nostre Seigneur. Je crois quil est impossible d’imaginer un homme face a la Cene en commémoration de Nostre Seigneur, s’il n’a l’intention de faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou au moins de

faire ce que font ceux qui le font en commémoration de Nostre Seigneur. Il ne suffit donques pas de faire ce que Nostre Seigneur a commandé quand il dict " hoc facite ", encoresfaut-il le faire avec l’intention que Nostre Seigneur l’a commandé, c’est a dire " in sui commemorationem "; sinon avec ceste intention

particulière, au moins générale, sinon immédiatement, au moins médiatement, voulant faire ce que l’Eglise faict, laquelle a l’intention de faire ce que Nostre Seigneur a faict et commandé, si on s’en rapporte a l’intention de l’Epouse qui est ajustée au commandement de l’Epoux.

Pareillement, Nostre Seigneur ne dict pas qu’on dise ces paroles " ego te baptizo ", simplement, mays commanda que toute l’action du Baptesme se fit in nomine Patris, et que ceste authorité anime et revigore non seulement la Parole, mays toute l’action du sacrement, laquelle de soi n’auroit point de surnaturelle vertu. Or, comment peut-estre faicte une action au nom de Dieu, qui se faict pour se moquer de Dieu ? Pour vray, l’action du Baptesme ne dépend pas tellement des paroles, qu’elle ne se puisse faire en vertu et en authorité toute contraire aux paroles, si le cœur, qui est le moteur, des paroles et de l’action, les dresse a une fin contraire et intention. Bien plus, car ces paroles, au nom du Pere., peuvent estre dictes au nom de l’ennemi du Pere, comme ces paroles en vérité, peuvent et sont parfoys dictes en mensonge. Si donques Nostre Seigneur ne commande pas que l’on fasse l’action du Baptesme ni qu’on dise les paroles, mays que l’action se fasse et que les paroles se disent au nom du Pere, etc. Il  faut avoir au moins l’intention générale de faire le Baptesme en vertu du commandement deNostre Seigneur, en son nom et de sa part; et quant a l’absolution, que l’intention y soit requise, il est plus qu’expresse : quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, il laisse cela a leur délibération. Et c’est a ce

propos que saint-Augustin : " unde tanta vis aquae, ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbe ? Non quia dicitur, sed quia credictur! " C’est a dire, les paroles de soi, étant proférées sans aucune intention ou créance, n’ont point de vertu, mays étant dictes en créance et vertu, et selon l’intention générale de l’Eglise, elles ont cet effet salutaire. Que s’il se trouve des histoires que certains Baptesmes faicts par jeu ont été approuvés, il ne le faut trouver étrange, parce qu’on peut faire en jeu plusieurs choses et neanmoins avoir l’intention de faire véritablement ce que l’on a voulu faire; mays on appelle jeu tout ce qui se faict hors de saison et de discrétion, quand il ne se faict pas par malice ou sans volonté.
 
 

CHAPITRE II
 
 

DU  PURGATOIRE
 
 
 
 

AVANT-PROPOS







L’Eglise Catholique a été accusée en notre temps de superstition en la prière qu’elle faict pour les fidèles trépassés, d’autant qu’en cela, elle suppose deux vérités que l’on prétend ne pas estre, a savoir, que les trépassés soient en peine et indigence, et qu’on les puisse secourir. Or les trépassés, ou ilz sont damnés ou

ilz sont sauvés; les damnés sont en peine, mays irrémédiable, et les sauvés sont comblés de tout plaisir; de sorte qu ‘aux uns manque l’indigence, et aux autres le moyen de recevoir secours, et par ce n’y a lieu de prier Dieu pour les trépassés.

Voyla le sommaire de l’accusation. Mays certes, il doit suffire a tout le monde pour faire juste jugement sur ceste accusation, que les accusateurs étaient des personnes particulières et l’accusé estoit le corde l’Eglise universelle: et neanmoins, parce que l’humeur de notre siècle a porté de soumettre au contrôle et censure de chacun toute chose, tant sacrées, religieuses et authentiques puissent-elles estre, plusieurs personnes d’honneur et de marque ont pris le droit de l’Eglise en main pour la défendre; estimant ne pouvoir mieux employer leur piété et savoir, qu’a la défense de celle-la par les mains de laquelle ilz avaient reçu leur bien spirituel, le Baptesme, la doctrine chrétienne et les Escritures mesmes. Leurs raysons sont si prenantes que si elles étaient bien balancées et contrepesées a celle des accusateurs, on connaîtraÿe incontinent leur bon calibre, mays quoy ? On a porté sentence sans ouïr partie. N’avons-nous pas rayson , tous tant que nous sommes de domestiques et bons enfans de l’Eglise, de nous porter pour appelants et nous  plaindre de la partialité des juges, laissant de costé

pour le moment, leur incompétence ? Donques nous appelons des juges non instruits a eux-mesmes instruits, et des jugements faicts partie non ouïe, a des jugements partie ouïe, suppliant tous ceux qui voudront juger sur ce différent, de considérer nos allégations et probations d’autant plus attentivement, quil s’agit non de la condamnation de la partie accusée, qui ne peut estre condamnée par ses inférieurs, mays de la damnation ou du salut de ceux mesmes qui en jugeront.
 
 

ARTICLE PREMIER

DU NOM DE PURGATOIRE

Nous soutenons donques que l’on peut prier pour les fidèles trépassés, et que les prières et bonnes actions des vivants les soulagent beaucoup, et leur sont profitables; parce que tous ceux qui meurent en la grâce de Dieu, et par conséquent du nombre des élus, ne vont pas tous du premier abord en Paradis, mays plusieurs vont au Purgatoire où ilz souffrent une peine temporelle, a la délivrance de laquelle nos prières et bonnes actions peuvent aider et servir. Et voyci le gros de notre difficulté. Nous sommes d’accord que le Sang de notre Rédempteur est le vray purgatoire des âmes, car en celuy-ci sont  nettoyées toutes les âmes du monde; dont saint Pol parle aux hébreux " purgationem peccatorum facientem : les tribulations aussi sont certains purgatoires, par lesquelles nos âmes sont rendues pures, comme l’or est affiné en la fournaise. La pénitence et contrition est encoresun certain purgatoire, dont David dict au psaume 50 " asperges me Domine, hyssopo et  mundabor : on saÿe bien aussi que le Baptesme par lequel nos péchés sont lavés, peut estre appelé purgatoire, et tout ce qui sert a la purgation de nos offenses. Mays ici, nous appelons Purgatoire, un lieu dans lequel, apres ceste vie, les âmes qui partent de ce monde avant d’estre complètement purifiées des souillures qu’elles ont contractées, ne pouvant rien entrer en Paradis qui ne soit pur et net, sont arrêtées pour y estre nettoyées et purifiées. Que si l’on veut savoir pourquoy ce lieu est plutost simplement appelé Purgatoire que les autres moyens de purgation rappelés ci-dessus, on répondra que c’est parce qu’en ce lieu-la, on n’y faict autre que la purgation des tâches qui sont restées au partir de ce monde, et qu’au Baptesme, pénitence, tribulations et autres, non seulement l’âme s’épure de ses imperfections, mays s’enrichit encoresde plusieurs grâces et perfections; qui a faict laisser le nom de Purgatoire a ce lieu de l’autre siècle, lequel, a proprement parler, n’est autre que pour la purification des âmes. Et quant au Sang de Nostre Seigneur, nous reconnaissons tellement la vertu de celuy-ci, que nous protestons par toutes nos prières que la purgation des âmes, soit en ce monde, soit en l’autre, ne se faict que par son application; plus jaloux de l’honneur dû a ceste précieuse médecine que ceux qui, pour la priser en méprisent le saint usage. Donques par le Purgatoire, nous entendons un lieu où les âmes, pour un temps, sont purgées des tâches et imperfections qu’elles emportent de ceste vie mortelle.
 
 

ARTICLE II

DE CEUX QUI ONT NIE LE PURGATOIRE, ET DES MOYENS DE LE

PROUVER





Ce n’est pas une opinion reçue a la volée que l’article du Purgatoire : il y a longtemps que l’Eglise a soutenu ceste créance envers tous et contre tous. Et il semble que le premier a l’avoir combattu semble l’hérétique Arius, ainsi qu’en témoignent saint Augustin, saint Epiphane et Socrates. Apres vinrent certaines gens qui s’appelaient Apostoliques du temps de saint Bernard, puis les Pétrobusiens, il y a environ 500 ans qui niaient encore ce mesme article, comme écrit saint Bernard, et Pierre de Cluny. Ceste mesme opinion des Pétrobusiens fut suivie par les Vaudois, en l’année 1170, et quelques grecs furent soupçonnés en cet endroit, de quoy ilz se justifièrent au Concile de Florence, et en leur apologie présentée au Concile de Bâle.

Enfin, Luther, Zwingli, Calvin et ceux de leur parti ont tout nié du Purgatoire, car bien que Luther, in Disputatione Lipsica, dict quil croyaÿe fermement quil y avoit un Purgatoire, si ce n’est qu ‘apres il s’en dédict dans le livre De abroganda missa privata. Enfin, c’est l’ordinaire de toutes les factions de notre âge de se moquer du Purgatoire, et mépriser les prières pour les trépassés, mays l’Eglise Catholique s’est opposée vivement a ces derniers, avec l’Escriture Sainte en main, de laquelle nos prédécesseurs ont tiré plusieurs belles raysons.

Car elle a prouvé que les aumônes, prières, et autres saintes actions pouvaient soulager les trépassés; donques, il s’ensuit quil y a un Purgatoire, car ceux de l’Enfer ne peuvent avoir aucun secours en leurs peines; en Paradis, tout bien y étant, nous ne pouvons rien apporter pour ceux qui y sont déja. C’est donques pour ceux qui sont dans un troisième lieu que nous appelons Purgatoire. Elle a prouvé qu’en l’autre monde, quelques défunts étaient délivrés de leurs peines et péchés; ce qui ne pouvaÿe se faire ni en Enfer, ni en Paradis, il s’ensuit quil y a un Purgatoire. Elle a prouvé que plusieurs âmes avant d’arriver en Paradis passaient par un lieu de peine, qui ne peut estre que le Purgatoire. Prouvant que des âmes sous terre rendaient honneur et révérence a Nostre Seigneur, elle a prouvé l’existence du Purgatoire, puysque cela ne se peu penser des pauvres misérables qui sont en Enfer. Par plusieurs autres passages, avec diversité de conséquences toutes neanmoins bien a propos, en quoy l’on doit d’autant plus déférer a nos Docteurs, que les passages quilz allèguent maintenant on été apportés a ce propos par ces grands anciens Peres, sans que pour défendre cet article, nous soyons allés forger de nouvelles interprétations, ce qui montre assez la candeur avec laquelle nous cheminons en besogne, la où nos accusateurs tirent des conséquences de l’Escriture qui n’ont jamays été pensées auparavant, ainsi sont mises tant de frais en œuvre pour combattre l’Eglise.

Or, nos raysons seront en cet ordre : 1. Nous cotterons les passages de l’Escriture, puis des Conciles en 2., en 3. Des Peres anciens; en 4. De toutes sortes d’auteurs, apres quoy nous amènerons les arguments de partie contraire, lesquels nous monstrerons ne pas estre de mise; ainsi nous conclurons pour la créance de l’Eglise.

Restera que le lecteur laisse a part sa propre passion, pense attentivement au mérite de nos probations, et se jette aux pieds de la Divine Bonté, criant en toute

humilité avec David " da mihi intellectum et scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo ", et alors, je ne doute point quil ne revienne dans le giron de sa grande Mère, l’Eglise Catholique.
 
 

ARTICLE III

DE QUELQUES PASSAGES DE L’ESCRITURE DANS LESQUELS IL

AŸE PARLE DE

PURGATION APRES CESTE VIE





Ce premier argument est invincible : il y a un temps et un lieu de purgation pour les âmes apres ceste vie mortelle; donques il y a un Purgatoire, puysque l’Enfer ne peut apporter aucune purgation, et le Paradis ne peut recevoir aucune chose qui aÿe besoin de purgation. Or quil y aÿe un lieu et un temps de purgation apres

ceste vie, voyci de quoy: Au psaume 65. Ce lieu est apporté en preuve du Purgatoire par Origène, humilia 25 in numéros, et par saint Ambroise sur le psaume 36, et au sermon 3 sur le psaume 118, où il expose par l’eau, le Baptesme, et par le feu, le Purgatoire. En Isaïe au chap 4: "  purgavit Dominus etc. ". ceste purgation faicte en esprit de jugement et de brûlement est entendue de Purgatoire par saint Augustin in " la cité de Dieu, Chap. 25 ". Et de faict, les paroles précédentes favorisent ceste interprétation, dans lesquelles il aÿe parlé du salut des hommes, et puis a la fin du chapitre, où il est parlé du repos des heureux, dont ce qui est dict : " purgavit Dominus sordes ", se doit entendre de la purgation nécessaire pour ce salut. Et parce que ceste purgation est dicte se devoir faire en esprit et de brûlement, elle ne peut s’interpréter bonnement que du Purgatoire et du feu de celuy-ci.

En Michee, au chap. 7 " ne laetaris, inimica mea, super me quia cecidi. Consurgam cum sedero in tenebris, etc. ". ce lieu estoit déja en train de prouver l’existence du Purgatoire parmi les catholiques du temps de Saint Jérôme, ainsi que le mesme saint Jérôme témoigne sur le dernier chapitre d’Isaïe. En Zacharie 9 : " tu autem in sanguine testamenti tui, eduxisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua ".  Le lac duquel sont tirés ces prisonniers n’est que le Purgatoire, duquel Nostre Seigneur les délivre.

ARTICLE IV

D’UN AUTRE PASSAGE DU NOUVEAU TESTAMENT SUR CE

SUJET

En la première des Corinthiens: "  Dies Domini declarabit quia in igne revelabitur, etc. ". on a toujours tenu ce passage-ci pour l’un des plus illustres et difficiles de toute l’Escriture. Or, en celuy-ci, comme il est aisé de voir a qui regarde de pres tout le chapitre, l’Apôtre use de deux similitudes : la première est d’un architecte qui fonde une mayson précieuse et de matiere solide sur un roc, la seconde est de celuy qui sur un mesme fondement dresse une mayson d’ais, de cannes et de chaume. Imaginons maintenant que le feu se déclare en l’une d’elles;celle qui est en matiere solide sera hors de danger, mays l’autre sera réduite en cendres; que si l’architecte est dans la première, il sera sain et sauf;  s’il est dans la seconde, s’il veut s’échapper, il lui faudra passer a travers le feu et la flamme, et se sauvera tellement, quil portera les marques d’avoir été au feu.

Le fondement en ceste similitude est Nostre Seigneur Jésus-Christ, dont saint Pol dict " ego plantavi ", et " ego ut sapiens architectures fundamentum posui , et puis apres " fundamentum enim aliud nemo ponere etc. ". les architectes sont les docteurs et praedicateurs de l’Evangile; comme l’on peut connaître considérant attentivement les paroles de tout ce chapitre, et comme l’interprètent saint Ambroise et Sédule sue ce lieu. Le jour du seigneur dont il est parlé s’entend comme le jour du jugement, lequel en l’Escriture Sainte a coutume d’estre appelé jour du Seigneur. Car c’est a ceste journée-la que se déclareront toutes les actions du Monde; enfin quand l’Apôtre dict " quia in igne revelatur ", il montre assez quil s’agit du jour du Jugement. Le feu par lequel l’architecte se

sauve ne peut s’entendre que du feu du Purgatoire, car quand l’Apôtre dict quil se sauvera par le feu, et quil parle seulement de celuy qui a édifié sur du bois, la canne, le chaume, il montre ne parler que du feu qui praecedera le jour du jugement, puysque par celuy-ci, passeront non seulement ceux qui auront bâti sur des matieres légères, ou encoressur de l’or, l’argent, etc.

Toute ceste interprétation, outre qu’elle s’apparente très bien avec le texte, est encorestrès authentique pour avoir été suivie par les anciens Peres, saint Cyprien, saint Jérôme ou encore saint Ambroise. On dira qu’en ceste interprétation, il y a de l’équivoque et du malsain, en ce que le feu dont il est parlé est pris pour le feu du Purgatoire, pour celuy qui praecedera le jour du Jugement.

On répond que c’est une élégante façon de parler par la confrontation des deux feux, car voyci le sens de la sentence : le jour du Seigneur sera éclairé par le feu qui le praecedera, et comme ce jour-la sera éclairé par le feu, ainsi ce mesme jour par le Jugement éclaircira le mérite et le défaut de chaque œuvre; et comme chaque œuvre sera éclaircie, ainsi les ouvriers qui auront œuvré avec imperfections seront sauvés par le feu du Purgatoire. Mays outre cela, quand nous dirons que saint Pol use diversement d’un mesme mot en un mesme passage et ce ne seraÿe pas chose nouvelle, car il en use de pareille manière en d’autres lieux, mays quil en use si proprement que cela sert d’ornements a son langage, comme en l’épître 2 aux Corinthiens, la où qui ne voit que " peccatum " pour la première foys se prend a proprement parler pour l’iniquité, et la seconde foys au figuré, pour celuy qui porte la peine du péché ?

On dira encoresquil n’est pas dict quil sera sauvé par le feu, mays comme par le feu, et que partant, on ne peut pas conclure le feu du Purgatoire en vérité. Je réponds quil y a de la similitude en ce passage, car l’Apôtre veut dire que celuy dont les œuvres ne sont pas du tout solides, sera sauvé comme l’architecte qui s’échappe du feu ne laissant pas pour cela de passer par le feu, mays un feu d’autre calibre que n’est le feu qui brûle en ce monde.

Il suffit que de ce passage, on conclut ouvertement, que plusieurs qui prendront ossession du Royaume du Paradis passeront par le feu : or, ce ne sera pas le feu d’Enfer, ni le feu qui praecedera le jugement; ce sera donques le feu du Purgatoire. Le passage est difficile et malaisé, mays bien considéré, il nous faict une conclusion manifeste pour notre prétention.

Et voyla quant aux lieux par lesquels on peut remarquer qu’apres ceste vie, il y a un temps et un lieu de purgation.

ARTICLE V

DE QUELQUES AUTRES LIEUX PAR LESQUELS LA PRIERE,

L’AUMÔNE, ET LES

SAINTES ACTIONS POUR LES TREPASSES SONT AUTORISEES

Le 2ème argument que nous tirons de la sainte parole pour le Purgatoire est tiré du chap. 12 des Macchabées, la où la Sainte Escriture rapporte que Judas Macchabée envoya a Jérusalem 12.000 drachmes d’argent pour faire des sacrifices pour les morts et apres elle ajoute " sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, etc. "; car voyci notre discours : c’est chose sainte et profitable de prier pour les morts affin quilz soient délivrés de leurs péchés, donques apres la mort, il y a encoresun temps et un lieu pour la rémission des péchés; or, ce lieu ne peut estre ni le Paradis, ni l’Enfer; donques, il s’agit bien du Purgatoire.

Cet argument est si bien faict, que pour y répondre nos adversaires nient l’authorité du Livre des Macchabées et le tiennent pour apocryphe.

Mays a la vérité, ce n’est que faute d’autre réponse; car ce Livre a été tenu pour authentique et sacré par le Concile de Carthage au canon 47, et par Innocent, et par Saint Augustin, ainsi que plusieurs autres Peres. De sorte que vouloir nier l’authorité du Livre, c’est nier l’authorité de l’antiquité. On saÿe bien tout ce qu’on apporte pour le prétexte de ceste négation, qui ne faict pour la pluspart que monstrer la difficulté qui réside dans les Escritures, mays non leur fausseté. Seulement, il me semble nécessaire de répondre a une ou deux objections quilz font. La première, c’est quilz disent la prière avoir été faicte pour monstrer la bonne affection quilz aviaent a l’égard des défunts, non pas quilz pensent que les défunts en aient besoin; ce que l’Escriture contredict par les paroles " ut a peccatis solvantur ". Ilz objectent que c’est une erreur manifeste de prier pour la

résurrection des morts avant le jugement, car c’est présupposer ou que les âmes ressuscitent et par conséquent meurent, ou que les corps ne ressuscitent pas si ce n’est par l’entremise des prières et bonnes actions des vivants, qui seraÿe contre l’article du Credo " credo resurrectionem mortuorum ". Or, que ces erreurs soient présupposées en ce lieu des Macchabées, il apparaît par ces paroles "nisi enim eos qui ceciderant resurrecturos speraret , etc. "; on répond que c’est en cet endroit quilz ne prient pas pour la résurrection ni de l’âme, ni du corps, mays seulement pour la délivrance des âmes; en quoy, ilz présupposent l’immortalité de l’âme, car s’ilz eussent cru que l’âme fut morte avec le corps, ilz n’eussent point pris de soin de leur délivrance; et parce que parmi les juifs, la croyance de l’immortalité de l’âme et de la résurrection des corps étaient tellement jointes ensembles que qui niaÿe l’une, niaÿe l’autre. Pour monstrer que Judas Macchabée croyaÿe en l’immortalité de l’âme, il dict quil croyaÿe a la résurrection des corps: voyci comment l’Apôtre prouve l’immortalité de l’âme par la résurrection des corps; il y a au chap.1 des Corinthiens " quid mihi prodest si mortui non resurgunt ? Etc. " or, il ne s’ensuivrayt aucunement quil fallut s’abandonner ainsi, encoresquil n’y eut point de résurrection, car l’âme qui demeureraÿe en ceste souffrance, souffriraÿe la peine due aux péchés, et recevrayt des vertus; saint Pol donques en cet endroit nous montre la résurrection des morts pour l’immortalité de l’âme, parce que de ce temps-la, qui croyaÿe l’un, croyaÿe l’autre.

Il n’y a donques point lieu de refuser le témoignage des Macchabées en preuve d’une juste croyance; que si a tout rompre, nous le voulonsprendre comme témoignage d’un simple mays grave historiographe, ce qu’on ne peut nous refuser au moins faudra t-il confesser que l’ancienne synagogue croyaÿe au Purgatoire, puysque toute ceste armée-la fut si prompte a prier pour les défunts.

Et a la vérité, nous avons les marques de ceste devostion en d’autres passages de l’Escriture, qui nous doit faciliter la réception de celuy que nous venons d’alléguer; en Tobie au chap.4 " panem tuum et vinum tuum super sepulturam justi constitui et noli ex eo manducare et bibere cum peccatoribus "; certes ce vin et ce pain ne se mettaient pour autre sur la sépulture sinon pour les pauvres, affin que l’âme du défunt en fut aidée, comme disent communément les interprètes sur ce passage. Peut-estre quilz diront que ce Livre est apocryphe, mays toute l’Antiquité l’a toujours tenu en crédict; et pour vray, la coutume de mettre la viande pour les pauvres en sépultures est très ancienne, mesme en l’Eglise catholique car saint Chrysostome qui vivaÿe il y a plus de 1.200 ans en l’homélie 32 sur le chap.9 de saint Mathieu, en parle de ceste façon : " cur post mortem tuorum pauperes convocas ? Etc. " Mays que penserions-nous des jeûnes et austérités que pratiquaient lesanciens apres la mort de leurs amis ? Ceux de Jabes Galaad, apres la mort de Saül jeûnèrent 7 jours, autant en firent David, Jonathan et ceux de sa suite. On ne pourraÿe penser que ce ne fut pour secourir les âmes des défunts, car a quel autre propos peut -on rapporter le jeûne de 7 jours ? Aussi David jeûna et pria pour son Filz malade, lequel étant mort, parce quil mourraÿe enfant et innocent n’avoit besoin d’aide, et partant il cessa de jeûner. Bède, il y a plus de 700 ans, interpréta ainsi la fin du 1er Livre des Rois. De sorte qu’en l’ancienne Eglise, la coutume estoit déja entre les saintes personnes d’aider par les prières et saintes actions les âmes des trépassés, qui suppose clairement la foy d’un Purgatoire.

Et c’est de ceste coutume que parle tout ouvertement saint Pol dans le chap.1 des Corinthiens, l’allèguant comme louable et bonne. Ce lieu montre bien entendu très clairement la coutume de la primitive Eglise de jeûner, prier, veiller pour les âmes des trépassés: car, premièrement, dans ces Escritures, estre baptisé se prend fort souvent pour les afflictions et pénitences, comme en saint Luc au chap.12, ou Nostre Seigneur appelle Baptesme ses peines et afflictions. Voyci donques le sens de ceste écriture : si les morts ne ressuscitent point pourquoy se met-on en peine en priant et jeûnant pour les morts ? Et aussi ceste sentence de saint Pol ressemble a celle des Macchabées : "superflum est et vanum orare pro mortuis , si mortui non resurgunt ". Qu’on me tourne ce texte dans tous les sens , en autant d’interprétations que l’on voudra, quil n’y en aura pas une qui joigne bien a la Sainte Lettre que celle-ci. Ni ne faudraÿe dire que le Baptesme dont parle saint Pol seraÿe seulement un Baptesme de tristesses et de larmes, non de jeûnes prières et autres actions, car avec ceste intelligence sa conclusion seraÿe très mauvaise : il veut conclure que si les morts ne ressuscitent point, et si l’âme est mortelle, qu’en vain l’on s’afflige pour les morts; mays, je vous prie, n’auroit-on pas plus de tristesse pour la mort des amis s’ilz ne ressuscitent point, perdant toute espérance de jamays les revoir, que s’ilz ressuscitent ?  Il entend donques des afflictions volontaires que l’on faisaÿe pour

impétrer le repos des morts, lesquels on prattiqueraÿe sans doute en vain si les âmes étaient mortelles, ou que les morts ne ressuscitaient pas; en quoy, il faut se

souvenir de ce qui a été dict plus haut, que l’article de la résurrection des morts et celuy de l’immortalité de l’âme étaient connexes, que celuy qui confessaÿe l’un, confessaÿe l’autre. Il apparaît donques par ces paroles de saint Pol que la prière, jeûne et autres saintes afflictions, se faisaient louablement pour les défunts; or, ce n’étaient pas pour ceux du Paradis qui n’en avaient besoin, ni pour ceux de l’Enfer qui n’en pouvaient recevoir le fruit; c’estoit donques pour ceux du Purgatoire; ainsi l’a exposé saint Ephrem et les Peres qui ont débattu avec les Pétrobusiens. Autant on peut en déduire de ce que disoit le bon Larron a Nostre Seigneur " mémento mei dum veneris in regnum tu "; car pourquoy se seraÿe-il recommandé, lui qui allaÿe mourir, s’il n’avoit cru que les âmes apres la mort pouvaient estre secourues et aidées ? Saint Augustin tire de ce passage que quelques péchés sont pardonnés en l’autre monde.
 
 


ARTICLE VI

DE QUELQUES LIEUX DE L’ESCRITURE PAR LESQUELS IL EST

PROUVE QUE

QUELQUES PECHES PEUVENT ETRE PARDONNES EN L’AUTRE

MONDE





Il y a quelques péchés qui peuvent estre pardonnés en l’autre monde; ce n’est ni en Enfer, ni au Ciel, c’est donques au Purgatoire. Or, quil y aÿe des péchés qui se pardonnent en l’autre monde, nous le prouvons premièrement, par le passage de saint Matthieu au chap.12, ou Nostre Seigneur dict quil y a un péché qui ne peut estre pardonné ni en ce siècle ni en l’autre; donques, il y a des péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, car s’il n’y avoit point de péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, il n’estoit pas nécessaire d’attribuer ceste propriété a une sorte de péché de ne pouvoir estre remis en l’autre  siècle, ainsi suffisaÿe-il de dire quil ne pouvaÿe estre remis en ce monde. Certes, quand Nostre Seigneur eut dict a Pilate, " regnum meum non est de hoc mundo ", Pilate fit ceste conclusion " es-tu Roi  ? " , laquelle fut trouvée bonne par Nostre Seigneur qui y consentit; ainsi quand il dict quil y a un péché qui ne peut estre pardonné en l’autre siècle, il s’ensuit très bien donques quil y en a d’autres qui peuvent estre pardonnés. Ilz voudront dire que ces paroles ne veulent dire autre chose, sinon in aeternam, ou nunquam. Cela va bien mays notre rayson ne perd rien de sa fermeté pour cela: car ou saint Mathieu a bien exprimé l’intention de Nostre Seigneur, ou non. On n’oseraÿe dire que non, et s’il l’a bien exprimée, il s’ensuit toujours quil y a des péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, puysque Nostre Seigneur a dict quil y en a un qui ne pouvaÿe l’estre. Mays de grâce si saint Pierre avoit dict " non lavabis mihi pedes in hoc saeculo ne que in alio ", n’auroit-il pas parlé faussement, puisqu’en l’autre monde, ilz ne peuvent estre lavés ? Aussi, dict-il in aeternam. Il ne faut donques pas croire que saint Mathieu eut exprimé l’intention de Nostre Seigneur par les paroles précitées, si en l’autre monde, il ne peut y avoir de rémission. On se moqueraÿe de celuy qui diraÿe, je ne me marierai ni en ce monde, ni en l’autre, comme s’il entendaÿe qu’en l’autre monde l’on peut se marier. Qui dict donques d’un péché ne peut se

remettre ni en ce siècle, ni en l’autre, présuppose qu’on puisse avoir rémission de quelques péchés en ce monde, et en l’autre également. Je sais bien que nos adversaires essaient par diverses interprétations de parer a cecoup-la, mays il est si bien porté quilz ne peuvent s’échapper. Et de vray, il vaut bien mieux avec les Peres entendre correctement, et avec toute la révérence que l’on peut, les paroles de Nostre Seigneur Jésus Christ, que pour fonder une nouvelle doctrine les rendre grossières et mal agencées. Tous les saints qui ont écrit contre les Pétrobusiens, se sont servis de ce passage avec notre intention, avec tant d’assurance que saint Bernard pour déclarer ceste vérité n’en apporte point d’autre, tant il faict état de celuy-ci.

  En saint Mathieu et en saint Luc, " esto consentiens adversario tuo cito, dum es eum eo in via, etc. ". Origène, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Jérôme disent que le chemin dont il est parlé, n’est autre que le passage de ceste vie. L’adversaire sera notre propre conscience, qui combat toujours contre nous et pour nous, c’est a dire quil résiste toujours a nos mauvaises inclinations et a notre vieil Adam pour notre Salut comme l’exposent les saints que j’ai évoqués. Le juge est sans doute Nostre Seigneur. La prison pareillement, l’Enfer ou le lieu des peines de l’autre monde auquel comme en une grande geôle, il y a plusieurs demeures, l’une pour ceux qui sont damnés, qui est comme pour les criminels, l’autre qui est pour ceux qui sont en Purgatoire. Le quatrain dont il est dict " non exies inde donec reddas  novissimum quadrantem, sont les petitz péchés et d’infirmité, comme le quatrain est la moindre monnaie que l’on peut devoir. Maintenant, considérons un peu où se doit faire ceste reddiction dont parle Nostre Seigneur. Et 1èrement, nous trouvons des très anciens Peres qui ont

dict que c’estoit en Purgatoire. Quand il est dict " donec solvas ultimum quadrantem ", n’est-il pas présupposé que l’on puisse payer, et qu’on puisse tellement diminuer la dette quil n’en reste plus que le dernier liard ? Que si, comme il est dict au psaume " sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos, etc. ", il s’ensuit très bien " ergo aliquante ponet inimicos scabellum pedum ", ainsi disant " non exies inde donec radas ", il montre que " aliquando reddet vel reddere potest "; qui ne voit qu’en saint Luc, la comparayson est tirée non d’un homicide, ou de quelque criminel qui ne peut avoir espérance de son salut, mays d’un débiteur qui est mis en prison jusqu’au paiement, lequel étant faict, incontinent, il est mis dehors ? Voyci donques l’intention de Nostre Seigneur : que pendant que nous sommes en ce monde, nous tâchions par la pénitence et ses fruits de payer selon la puissance que nous en avons par le Sang du Rédempteur, la peine a laquelle nos péchés nous ont obligés; puysque si nous attendons la mort, nous n’en aurons pas si bon compte au Purgatoire, où nous serons traÿeé a la rigueur; Tout ceci semble avoir été dict par Nostre Seigneur, mesme en saint Mathieu au chap.5. Dans celuy-ci, il s’agit de la peine que l’on doit recevoir par le jugement de Dieu, comme il apparaît dans ces paroles " reus

erit gehennae ignis "; et neanmoins, il n’y a que la troisième sorte d’offense qui soit punie par l’Enfer; donques au jugement de Dieu, apres ceste vie, il y a des autres peines qui ne sont pas éternelles, ni infernales; ce sont les peines du Purgatoire. On peut dire que ces peines se souffriront en ce monde, mays saint Augustin et les autres Peres l’entendent pour l’autre monde. Et puis ne peut-il pas se faire qu’un homme meurt sur la première ou seconde offense de laquelle, il est parlé ici et la, ou paiera-t-il les peines dues a son offense ? Ou si vous voulez quil ne les paie point, quel lieu lui donnerez-vous pour sa retraÿee apres ce monde ? Vous ne lui donnerez pas l’Enfer, a moins de vouloir ajouter a la sentence de Nostre Seigneur, qui ne donnent l’Enfer qu’a ceux qui auront commis la troisième offense; le loger en Paradis, vous ne le devez faire, parce que la nature de ce lieu céleste rejette toute sorte d’imperfection; n’alléguez pas ici la miséricorde du juge car il déclare en cet endroit vouloir user encoresde justice : faictes donques comme les anciens Peres, et dictes quil y a un lieu où elles seront purgées , puis s’en iront en Paradis. En saint Luc au chap.16, il est écrit " facite vobis amicos  de mammona iniquitatis, ut cum defeceritis recipiant vos in aeternam tabernacula defaillir ", qu’est-ce autre que mourir ? Et les amis, que sont-ilz d’autre que les saints ? Les exégètes l’entendent tous ainsi. Il s’ensuit deux choses : que les saints peuvent aider les trépassés et que les trépassés peuvent estre aidés des saints; car a quel autre propos, peut-on entendre ces paroles " facite amis qui recipiant ? "; il ne peut s’entendre de l’aumône, car souvent l’aumône est bonne et sainte, et toutefoys ne nous acquiert pas des amis qui puissent nous recevoir en " d’éternels tabernacles ", comme quand elle est faicte a des personnes mauvaises avec droite et sainte intention. Ainsi, est exposé ce passage par saint Ambroise, et par saint Augustin, au chap.27 de la Cité de Dieu, mays la parabole dont use Nostre Seigneur est trop claire pour nous laisser douter de ceste interprétation, car la similitude est prise d’un économe, qui étant démis de ses fonctions et demandant secours a ses amis, Nostre Seigneur le compare a la mort, et le secours demandé aux amis, a l’aide que l’on reçoit apres la mort, de ceux auxquels on a faict l’aumône; ceste aide ne se peut recevoir en Paradis ou en Enfer; c’est donques par ceux qui sont

en Purgatoire.

ARTICLE VII

DE QUELQUES AUTRES LIEUX DESQUELS PAR DIVERSITE DE

CONSEQUENCES, ON CONCLUT

LA VERITE DU PURGATOIRE

Saint Pol aux philippiens dict de telles paroles " ut in nomine Jesu omne genu flegmatique, coelestium, terrestrium et infernorum ". Aux cieux, on trouve assez de genoux qui fléchissent au nom du Rédempteur, sut terre, l’on en trouve beaucoup dans l’Eglise militante; mays en Enfer, où en trouvera-t-on ? David se défie d’y en trouver aucun quand il dict " in inferno autem quis confitebitur tibi ? " et encoresce que chante David ailleurs " peccatori autem dixit Deus etc. ", car si Dieu ne veut recevoir de louanges du pécheur obstiné, comment permettraÿe-il a ces misérables damnés d’entreprendre ce saint office ? Saint Augustin faict grand cas de ce lieu par ce propos rapporté au chap.33 de la Genèse. Il y a un semblable passage en l’Apocalypse "  quis dignus apperire liberum et solvere septem signacula ejus ? Et nemo inventus est , neque in cœlo, neque in terrae, neque subtus terram ". Ne constitue-t-il pas ici une Eglise en laquelle Dieu soit loué sous terre ? Et que peut-elle estre sinon le Purgatoire ?
 
 


ARTICLE VIII

DES CONCILES QUI ONT RECU LE PURGATOIRE COMME ARTICLE DE

FOY

Arius comme je l’ai dict auparavant commença a prescher contre les catholiques, disant les prières quilz faisaient pour les morts estre superstitieuses; il y a encoresdes sectaires a notre époque sur ce point. Nostre Seigneur nous donne la règle en son évangile comme l’on doit se comporter en pareilles occasions. " si peccaverit in te frater tuus, etc. ". Ecoutons donques ce que l’Eglise nous enseigne a cet endroit : en Afrique, au concile de Carthage, en Espagne au concile Bracarense, en France au concile de Chalon, etc., et en tous ces conciles, vous verrez que l’Eglise tient pour authentique la prière pour les trépassés, et par conséquent le Purgatoire. Et apres, ce qu’elle avoit défini par parties, elle l’a défini en son corps général au concile de Latran sous Innocent III, au concile de Florence, et finalement au concile de Trente.

Mays quelle plus sainte résolution de l’Eglise voudraÿe-on avoir que celle qui est couchée en toutes ses messes ? Regardez les liturgies de Saint Jacques, Saint Basile, Saint Chrysostome, de Saint Ambroise, desquelles se servent encorestous les chrétiens orientaux, vous y verrez la commémoration pour les morts comme elle se voit, a peu de choses pres, en la nôtre. Quoy ? Si Pierre Martyr, l’un des habiles qui a suivi le parti adverse, sur le chap. 3 de la 1ère lettre aux Corinthiens, confesse que toute l’Eglise a suivi ceste opinion, je n’ai plus a faire de m’amuser sur ceste preuve. Il dict qu’elle a erré et faillit; ah, qui croiraÿe cela ? " quis es tu qui judicas Ecclesiam Dei ? etc. ". et si l’Eglise peut errer, et vous , Pierre Martyr, pourriez-vous ne pas errer ? Sans doute, et c’est pourquoy je croirai que vous avez erré et non l’Eglise.
 
 


ARTICLE IX

DES PERES ANCIENS





C’est une belle chose et pleine de consolation, de voir le beau rapport que l’Eglise présente a avec l’ancienne, particulièrement en la croyance : disons ce qui faict notre propos sur le Purgatoire. Tous les anciens Peres l’ont cru et attesté que c’estoit la foy apostolique. Voyci les auteurs que nous en avons: entre les disciples des Apostres, saint Clément et saint Denis, apres saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire Nyssene, Tertullien, Cyprien, Jérôme, Augustin  etc.c’est a dire toute l’antiquité, mesme devant 1200 ans que tous ces Peres ont vécu; desquels, il m’eût été très aisé d’apporter quelques témoignages qui sont recueillis dans les livres de nos catholiques, comme dans le Catéchisme de Canisius. Mays sur tous qui voudra voir au long et fidèlement cités le passages des Peres anciens, quil prenne en main l’œuvre de Canisius.

Mays certes, Calvin nous délivre de ceste peine, car il écrit " ante 1300 annos usu receptum fuit ut precationes fierent pro defunctis " ,  et ajoute ensuite " se omnes, fateor, in errorem abrepti fuerunt ".

Nous n’avons donques que faire de chercher le nom et le lieu des anciens Peres pour prouver le Purgatoire, puysque pour se mettre en compte, Calvin les tient pour zéro. Quelle apparence y-a-t-il qu’un seul Calvin soit infaillible et que l’Antiquité tout entière aÿe failli ? On dict que les anciens Peres ont cru au Purgatoire pour s’accommoder au vulgaire : belle excuse; n’estoit-ce pas aux Peres d’ôter toute erreur du Peuple, s’ilz l’y voyaient adhérer, et non l’y entretenir et y condescendre ? Ceste excuse ne faict donques qu’accuser les anciens. Mays comment est-ce que les Peres n’ont pas cru a bon escient le Purgatoire, puysque Arius, comme je l’ai dict auparavant, a été tenu pour hérétique parce quil le niaÿe ? C’est pitié de voir l’audace avec laquelle Calvin traÿee saint Augustin parce quil fit prier et pria pour sa mère sainte Monique, et pour tout prétexte, apporte que saint Augustin semble douter du feu du Purgatoire.

Mays ceci ne change rien a notre propos, car il est vray que saint Augustin dict qu’on peut douter du feu et de la qualité de celuy-ci, mays non du Purgatoire : or, soit que la purgation se fasse par le feu ou autrement, soit que le feu aÿe mesme qualité que celuy de l’Enfer ou non, il est avéré quil y a un Purgatoire et une purgation. Il ne met donques pas en doute le Purgatoire, mays la qualité de celuy-ci. Ce que ne nieront jamays ceux qui ont lu le Livre de la Cité et celuy " de cura pro mortuis agenda ", et en mille autres lieux. Voyla donques comme nous sommes au chemin des saints et des anciens Peres quand a cet article du Purgatoire.
 
 








ARTICLE X

DE DEUX RAYSONS PRINCIPALES ET DU TEMOIGNAGE DES

ETRANGERS POUR LE

PURGATOIRE





Voyci deux invincibles raysons du Purgatoire : d’abord, il y a des péchés légers et qui ne rendent pas l’homme coupable de l’Enfer; si donques l’homme meurt en cet état, que deviendra-t-il ? Le Paradis ne reçoit rien de souillé, l’Enfer est une peine trop criminelle, il n’est pas dû a rayson de son péché; il faut donques avouer quil restera en un Purgatoire, ou étant bien purifié, il ira par la suite au Ciel. Or quil y aÿe des péchés qui ne rendent pas l’homme coupable de l’Enfer, Nostre Seigneur le dict en saint Mathieu : " qui irascitur fratri suo, reus erit judicieux ; qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio; qui dixerit fatue, reus irit gehennae ignis. ". Qu’est-ce je vous prie, d’estre coupable de la géhenne du feu, sinon estre coupable de l’Enfer ? Or, ceste peine n’est due qu’a ceux qui appellent " fatue " : ceux qui montent en colère, ceux qui expriment leur colère par parole non injurieuse et diffamatoire, ne sont pas au mesme rang. Ainsi, l’un mérite le jugement, c’est a dire que sa colère soit mise en jugement, comme la parole oiseuse, de laquelle Nostre Seigneur dict quil faut rendre compte; l’autre mérite le Conseil, a savoir qu’on délibère s’il sera condamné ou non. Le 3ème  seul est celuy-la qui sans doute infailliblement sera damné : donques, le 1er et le 2ème sont péchés qui ne rendent pas l’homme coupable de la mort éternelle, mays d’une correction temporelle; et partant, si l’homme meurt avec ces péchés, par accident ou autrement, il faut quil subisse le jugement d’une peine temporelle, moyennant laquelle son âme étant purgée il ira au Ciel avec les Bienheureux. De ces péchés parle le sage : car, le juste ne peut pécher, tant quil est juste, de péchés qui méritent la damnation. Il s’entend donques quil commet des péchés pour lesquels la damnation n’est pas due, que les catholiques appellent véniels, lesquels peuvent se purger en l’autre monde, au Purgatoire.

Ensuite, la rayson est qu’apres le pardon, demeure en partie, la peine due a celuy-ci, comme par exemple, le péché est pardonné au roi David, le Prophète lui disant "  Deus quoque transtulit peccatum tuum, sed quia blasphemare fecisti inimicos nomen Domini, filius tuus morte morietur.
 

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