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Saint François de Sales
docteur de l'église catholique
1567 - + 28 décembre 1622

Lettres - tome 2
1599 - 1604
Tome XII de l'édition d'Annecy
 
 

Table des matières p. 260

Index historique et biographique p.248

AVANT-PROPOS

Voici le deuxième volume des Lettres (1599-1604). Il ne trompera pas, nous l'espérons du moins, l'attente du public religieux et lettré, et nous croyons même que l'intéressante originalité de son contenu pourra soutenir la curiosité des premiers jours, si justement éveillée par la correspondance des années précédentes.

Ce qu'il y a d'inédit, de neuf ou même d'inaperçu dans ces pages lumineuses et pleines de suc, nous nous abstiendrons de l'indiquer. Ceux qui les liront trouveraient notre indication importune, et nous reprocheraient, non sans raison, d'avoir défloré d'avance leur plaisir, en les frustrant de la vive jouissance d'y faire eux-mêmes, tout les premiers, des découvertes. Mais les lecteurs nous pardonneront, peut-être même nous sauront-ils gré, de marquer ici en traits rapides la physionomie de saint François de Sales, l'évolution de son âme, la marche de sa pensée, entre 1599 et 1604 - telles du moins qu'on peut les dégager des lettres tombées de sa plume au cours de ces six années.

Parmi les voyages et les négociations, parmi les prédications et les ministères de tous genres qui remplissent cette période, quatre ou cinq faits se détachent, lesquels exercèrent sur les destinées du jeune Prévôt une influence décisive, et les fixèrent pour toujours.

Son deuxième voyage à Rome, où il fut agréé comme coadjuteur de Mgr de Granier (1599), son séjour à Paris (janvier-septembre 1602), sa consécration épiscopale à Thorens-Sales (8 décembre), son Carême à Dijon (1604) : voilà les évènements d'importance diverse, mais tous caractéristiques, qui décidèrent de l'avenir du Saint et dont le récit, les contre-coups variés, les conséquences, graves ou menues, proches ou lointaines, se répercutent dans chacune des lettres du présent volume, et en forment la trame invisible et le lien caché.

Durant son séjour en Italie, les pèlerinages de la ville sainte durent sans doute reposer et rafraîchir l'âme du Missionnaire (cf lettre CXX) lasse et comme écrasée, après les rudes labeurs de l'apostolat du Chablais. Mais François de Sales n'oublie pas le but de son voyage : il est venu défendre les intérêts de son Evêque; aussi se garde-t-il bien de s'absorber dans les suaves consolations d'une piété égoïste. Il se mêle à la société romaine, fréquente les personnages influents, fait visite aux Cardinaux et à de saints Religieux, s'acquiert ici des amis ou se ménage là des protecteurs, Surtout, le mouvement, les allures, les usages, les mœurs de la Cour pontificale l'intéressent vivement ; il regarde, il observe, il converse, il écoute, il s'instruit. Les temporisations savantes, les examens minutieux et patients, les contrôles scrupuleux des Chancelleries font sur lui grande impression : " Jamais, " écrit-il, " je ne fus en lieu ou le poix fut si grand qu'il est en ceste Court. Sa Sainteté ne feroit pas une grace, pour petite qu'elle soit, qu'elle ne soit pesee et contrepesee par conseil de Messieurs les Cardinaux . " (cf lettre CXXIII)

François de Sales avait alors trente-deux ans. A cet âge heureux, les esprits perspicaces s'intéressent surtout aux côtés sérieux de la vie réelle; ils voient juste, apprennent vite et n'oublient plus. La Cour romaine et les monastères comptaient parmi leurs membres, au moment où l'envoyé de Mgr de Granier y parut, beaucoup d'hommes d'un rare mérite, qui ont laissé la plupart un nom dans l'histoire . On devine ce que dut gagner à leur contact une âme d'une sagacité aussi curieuse et aussi subtile, déjà mûrie par un long et varié ministère, riche déjà d'observations morales et de souvenirs. Il ne faut pas en douter, cette fréquentation, quoique rapide, d'une Cour regardée de tout temps comme la plus haute école de diplomatie qu'il y ait dans le monde, dut être pour notre Saint un apprentissage supérieur du maniement des affaires. Il y prit même, sans y songer, une expérience et une formation qui lui servirent plus tard lorsque, devenu évêque, il lui fallut diriger les destinées du diocèse de Genève et remplir plus d'une mission délicate pour en défendre les intérêts.

Trois ans après, un autre évènement marquait cette période déjà si féconde de l'âge mûr. Ce fut le voyage du Coadjuteur à Paris et le séjour qu'il y fit durant le premier semestre de 1602. Les négociations et la prédication se partagèrent le temps de François de Sales.

Quand on écrira avec une précision définitive l'histoire de la Contre-Réformation, d'où sortit la ferveur religieuse de la première moitié du XVIIe siècle, il sera de toute justice de noter la part glorieuse qui revient à l'Evêque de Genève dans cette restauration de la piété française. Et ce serait la faire trop petite de lui donner pour mesure, comme on l'a fait quelquefois, le temps que dura son séjour dans la capitale. Ici les lettres témoignent formellement que l'influence du Saint sur l'essor du sentiment religieux eut une efficacité bien plus durable et lointaine. Sans doute, ses sermons à la cour, dans les grandes églises de Paris, ses entretiens dans les monastères, ses conférences aux âmes pieuses, excitèrent ses auditeurs au désir de la perfection avec autant de suavité que de force, et cette exhortation par la parole s'accompagnait toujours d'une autre prédication - muette celle-ci - et non moins efficacement persuasive : celle qui émanait de toute sa personne illuminée déjà des doux rayons de la sainteté. Mais qu'allait devenir ce pieux enthousiasme, au départ de celui qui l'avait, plus que d'autres, allumé ?

Le promoteur de ce bel élan n'était pas homme à le laisser refroidir. Les âmes d'élite qui l'avaient entendu avaient subi le charme magique de sa parole, et le moyen maintenant de s'en déprendre ? Cette petite troupe choisie est en marche vers la perfection, mais le Saint n'est plus là pour exciter tantôt son ardeur, et tantôt la contenir. Qui saura, même parmi les directeurs les plus éclairés de la grande cité, leur continuer le bienfait de ses apaisantes et impulsives exhortations ? Aussi, toutes ces âmes se tournent-elles avec un sentiment ingénu de sécurité confiante vers la Savoie, la terre privilégiée qui possède le miraculeux Directeur. Et l'Evêque accueille avec débonnaireté les " paquets " qui affluent de Paris ; il se sent " fort importuné de l'affection extreme " qu'il porte à ces âmes généreuses ; " a la presse d'un monde d'affaires " qui l'environnent, il sait dérober des loisirs, et bientôt des bords du lac d'Annecy s'envolent des lettres copieuses et fréquentes qui vont porter le miel parfumé des montagnes aux ruches avides des monastères parisiens.

La première lettre de direction que nous ayons du Saint paraît dans ce volume. C'est la Lettre CLXVIII, elle est datée du 22 novembre 1602. Cette date mérite d'être retenue, car ce jour-là un prosateur de génie faisait entrer dans la littérature française un genre nouveau: la littérature de piété.

Quand il écrivit cette lettre, le Saint était dans sa famille, à Sales. Dans la solitude austère et grandiose où se dressait le château paternel, il se préparait par une longue retraite, sous la direction du célèbre P. Jean Fourier, de la Compagnie de Jésus, à la cérémonie de son sacre. Elle eut lieu le 8 décembre . Il semble qu'en ce jour, avec les effusions mystérieuses du Sacrement, des sentiments nouveaux s'écoulèrent dans l'âme de François de Sales pour lui donner un surcroît de force vaillante et de paternelle tendresse. Le fardeau était dur, il lui arrivera de gémir sous le poids ; mais ce sera la plainte d'une âme humble qui se croit indigne de la charge, jamais le gémissement d'un cœur pusillanime qui fléchit devant les obstacles ou qui voudrait se dérober au travail. Parmi les mille soucis qui viennent l'assaillir, le nouvel Evêque garde toujours sa sérénité et sa bonne humeur, et c'est précisément cette joie, cette douce gaîté intérieure, qui, comme une mousse légère, se répand dans ses lettres et leur donne tant de saveur et d'aimable enjouement. Une passion va dominer maintenant toutes les affections de François de Sales : l'amour de l'Eglise de Genève. Elle a reçu sa foi, il l'aimera d'un si indéfectible amour, que les plus séduisantes promesses, les propositions les plus flatteuses que lui fera un jour la France par la bouche de son roi, le trouveront insensible.

Ce ne sont pas seulement de pieux laïques, des Religieuses et des Abbesses qui le consultent comme un oracle; des Evêques eux-mêmes demandent à cet Evêque à peine consacré, un règlement de vie et des conseils pour prêcher leur peuple. Heureuse importunité qui nous a valu les admirables lettres à Mgr de Dol et à Mgr l'Archevêque de Bourges ( cf lettres CLXXXIV, CCXXVII, CCXXIX.) !

L'année 1603, comme on le verra par sa correspondance, fut pour le Saint une année de voyages incessants, d'affaires accablantes. Un différend est à peine réglé qu'un autre surgit, amenant de nouvelles sollicitudes. Le 22 août, il promet au maire et aux échevins de Dijon d'aller prêcher le Carême dans leur ville. Ce fut autant une question d'intérêt qu'une pensée de zèle qui lui fit accepter cette invitation. Le zèle, les intérêts de son diocèse, la courtoisie se mêlèrent ensemble pour conduire le Prélat en Bourgogne, mais il devint manifeste par la suite que la Providence avait tout concerté pour y ménager la rencontre des deux Saints qu'elle destinait à la fondation d'un nouvel Institut.

Comme à Paris, François de Sales prêche, exhorte, converse, instruit, charme, convertit. Il quitte Dijon pour revenir dans ses chères montagnes, et c'est alors que commence cette merveilleuse correspondance avec la baronne de Chantal, qui, depuis trois siècles, n'a pas encore lassé l'admiration.

C'est dans le présent volume que prennent date les premières lettres à la fille du président Frémyot et à ses amies de Dijon. S'il n'y a rien au monde d'aussi grand qu'une âme humaine, serait-ce une âme d'enfant, si rien ne saurait égaler en valeur et en beauté un document qui nous en apprendrait la sincère histoire, il faut en convenir, les lettres de l'Evêque de Genève à la femme chrétienne qui sera un jour sainte Jeanne-Françoise de Chantal, défient toute louange, car elles racontent, avec une exquise candeur, l'histoire de deux âmes qui eurent toutes les grâces et toutes les noblesses. Les mystères les plus délicats, les problèmes les plus subtils de la vie intérieure y sont traités avec une profondeur de vue étonnante et, tout à la fois, chose rare, peut-être unique, sur le ton délicieux de la plus charmante simplicité.

L'imagination se sent rafraîchie et purifiée en lisant ces pages. Leur beauté morale est d'un ordre à part. Il peut même arriver qu'avec beaucoup de finesse et de culture littéraire on ne la sente pas. L'esprit tout seul de l'homme de goût, la psychologie de l'écrivain, même la plus éveillée, ici ne suffisent pas, il faut quelque chose de plus : la foi ou, à défaut de la foi, cette pureté limpide du regard qui a manqué à plus d'un historien et d'un critique.

Tous ceux qu'intéresse l'histoire de l'ascétisme voudront bien remarquer que ces premières lettres de direction aux groupes de Paris et de Dijon, ont un mérite qui leur est propre ; celui d'offrir le premier épanouissement des idées de saint François de Sales sur la piété. Philothée, les Entretiens, le Traité de l'Amour de Dieu ne feront qu'exposer, il est vrai avec plus de plénitude et une ordonnance plus rigoureuse, les mêmes pensées. Mais ici nous avons le jet initial dans toute sa naïveté et sa fraîcheur. Rien ne serait piquant et instructif comme d'étudier à cet égard le développement continu, au point de vue historique, des doctrines ascétiques de l'Evêque de Genève. Est-il besoin de dire que ce travail, comme tous ceux qu'on voudrait tenter sur des sujets analogues, ne sera possible qu'après la publication intégrale de la Correspondance du Saint ? Ajoutons qu'elle ne se fera pas trop attendre, nous croyons pouvoir le promettre, si Dieu daigne ménager à l'Eglise de France, avec la liberté, un peu de sécurité et de paix.

DOM B. MACKEY, O. S B.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

AVIS AU LECTEUR

Des Lettres publiées dans ce volume, c'est le plus grand nombre qui ont été revues sur les originaux, comme il est indiqué d'ailleurs à la fin de chacune. Les Lettres qui ne sont suivies d'aucune indication sont celles dont, à défaut d'Autographes ou de copies authentiques, on a dû emprunter le texte à des publications antérieures.

Les Editeurs sont seuls responsables de l'adresse et de la date qui précèdent chaque pièce ; l'une et l'autre sont répétées à la fin quand elles figurent sur l'original.

Quand la date attribuée à une lettre n'est pas absolument sûre, cette date est insérée entre [ ]. Ces signes sont également employés pour les mots qu'il a fallu suppléer dans le texte.

Les divergences qui existent entre les minutes et le texte définitif sont données au bas des pages. Le commencement de la variante est indiqué par la répétition en italique des mots qui la précèdent immédiatement au texte, à moins que le point de départ ne corresponde à un alinéa, ou que la corrélation ne soit évidente. La fin est régulièrement marquée par la lettre de renvoi. Les passages biffés dans les Autographes sont enchâssés entre ? ? .

Des points Placés au commencement ou à la fin des lettres indiquent un texte incomplet. Quand les Autographes ont subi quelque mutilation, nous l'indiquons chaque fois.

A la suite de la Table de correspondance se trouve un Index des principales notes historiques et biographiques contenues dans ce volume. Toutes les notes concernant le clergé de l'ancien diocèse de Genève sont tirées des Registres de l'époque, conservés à l'Evêché d'Annecy. Au besoin, elles sont désignées par les deux initiales R. E.

Sauf indication contraire, tous les renseignements relatifs à la noblesse savoisienne sont empruntés au monumental ouvrage du Comte Amédée de Foras : Armorial et Nobiliaire de l'ancien Duché de Savoie.
 
 








LETTRES

DE

SAINT FRANÇOIS DE SALES

ANNÉE 1599
 
 
 
 
 
 
 

CXXI

A MONSEIGNEUR CLAUDE DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENÈVE

Réponses faites par le Saint-Siège à diverses requêtes présentées au nom de l'Evêque de Genève. - Bel ordre de la Cour romaine. - Eloge de plusieurs Cardinaux. - L'Evêque de Modène nommé nonce en France. Accident survenu au P. Chérubin. - Dévouement du prieur de Contamine et du seigneur Bonesio. - Prochain retour en Savoie.

Rome, mi-janvier 1599.
Monseigneur,

Nous allions attendant la commodité de quelques plus asseurees addresses que ne sont les ordinaires en ce tems si troublé, pour envoyer nos lettres de dela, et quelque resolution du chemin que nos affaires prendroyent pour vous en donner quelque advis ; et l'un et l'autre nous est seulement arrivé maintenant. Nous avions proposé dix articles a Sa Sainteté de vostre part , et il nous a prouveu sur quelques uns; sur les autres il nous a renvoyés au Nonce, et les autres il a presque refusés (sic).

Il a accordé la des-union des benefices de Chablaix, Ternier et autres balliages jusques a la somme necessaire pour le restablissement de la sainte religion et des pasteurs. Il a accordé que la provision desditz pasteurs se fit par vous absolument pour ceste premiere fois ; que vous puissies donner portion congrue a tous curés etiam extra visitationem ; absoudre les hœretiques comme ci devant, pour cinq ans a venir, licence laquelle ilz estiment icy perpetuelle par ce qu'il ne couste sinon d'envoyer pour demander la continuation avant qu'elle soit passee.

Quand a vos decimes, il renvoye l'affaire au Nonce affin quil advise comme l'on pourra jetter vostre rate sur les autres benefices moins chargés que l'evesché de Geneve . Il luy renvoye encores de prendre advis touchant l'affranchissement des talliables, sil sera expedient, et comm'il se pourra mieux faire.

Quand a la visite des monasteres, il l'accorde, et la fera faire le tems estant venu. Quand a la dispense pour nos chanoynes, il l'accorde, pourveu que les chanoynes puyssent servir a leurs cures; mais ce point n'est encores pas du tout bien esclairci.

Quand aux theologales, il ne les veut establir sur les monasteres, ne voulant, comme il dit, descouvrir un autel pour en recouvrir un autre. Neanmoins le Cardinal Borghesio , nostre commissaire, nous bailla par advis de faire traitter ce point par Monseigneur le Nonce, et que peut estre reussirait-il ; il faudra donq l'en supplier a nostre retour, et je crois quil s'y employera volontiers.

Quand au remuement de nostre cathedrale, il est encor en suspens, par ce que nostre Cardinal commissaire ne sceut pas dire si Tonon estait plus pres de Geneve qu'Annessy. Neanmoins, ni Sa Sainteté ne les Cardinaux ne le goustent pas trop, estimant que ceux d'Annessi desirent nostre sejour en leur ville, et quilz nous tiennent en tel pris que toutes villes font semblables pieces comm'est la personne de l'Evesque et son Chapitre, et disent qu'on peut suppleer le fruit de ceste mutation autrement. Mays je crois en un mot que tout ce quil ne nous a pas accordé sera renvoyé a Monseigneur le Nonce.

Jamais je ne fus en lieu ou le poix fut si grand qu'il est en ceste Court. Sa Sainteté ne ferait pas une grace, pour petite qu'elle soit, qu'elle ne soit pesee et contrepesee par conseil de Messieurs les Cardinaux, lesquelz, voyans il Santissimo di questo parere, sont aussi eux mesmes d'iceluy. Mays au reste il y reluit presque par tout une courtoisie et maintien angelique, sur tout en nos trois commissaires, les Cardinaux Burghesio, Arigone et Bianchetto , et par excellence au Cardinal Baronius, qui nous a portés de toute sa faveur tant vers Sa Sainteté que vers les Cardinaux.

Je crois que vostre bonté aura aggreable nostre petite negociation, quoy qu'elle n'obtienne pas bonnement du tout l'issue de vos saintes intentions. Le seul Cardinal Mathœi estant malade, nous retient encor sans autre response, sinon quil reçoit vostre visitation et si quid erroris admissum esset in mora, absolvit ad cautelam, et fera droit touchant la prœtention que vous aves d'estre mis au nombre des ultramontains pour les termes de vostre visitation; mais il ni a pas moyen de tirer aucun'escriture de luy, dautant quil ne peut signer.

Quand a la commission que j'avois premiere et principale je l'ay sollicitee et vers Sa Sainteté et vers l'Aldobrandino le plus vivement que j'ay sceu, et pour toute resolution on a escrit a Monseigneur nostre Nonce quil traitte avec Son Altesse, affin qu'il ne prenne aucune resolution touchant le point duquel on le sollicitoit qui pourra servir d'une reelle et legitime rayson de refus a sadite Altesse. Et parce quil ni a point de Nonce en France, il a fallu attendre qu'on en deputast un, qui est Monseigneur de Modene , lequel est arrivé icy et prend ses memoires pour partir, et entre autres il en aura des bonnes pour nos affaires, comme m'a dit encor ce mattin le Cardinal Aldobrandino. Je l'iray treuver pour l'instruire. Voyla, ce crois-je, une partie de ce que nous estions venu faire en chemin, nonobstant la peyne que l'on a eu de les pousser pour les ennuys que le Tybre nous a fait .

Le Cardinal Sainte Severine me dit que Monseigneur le Nonce sollicitoit de me faire depescher pour aller vers vous en l'absence du bon P. Cherubin, lequel, a ce qu'on nous advise de deça, est tumbé en une tres lamentable Infirmité ; et Sa Sainteté et ces messieurs du Saint Office, bref tous les bons, regrettent infiniment cest accident, et pour la valeur de la personne, qu'il rend inutile, et pour le bruit qu'en feront les adversaires, qui, n'ayant aucune rayson pour leur opiniastreté, font bouclier de tous les sinistres evenemens qui nous arrivent, pour naturelz et ordinaires quilz soyent. Or bien, je fais tant plus de courage ; et monsieur le Vicaire et moy et nos amis ne l'oublions point en nos petites oraysons, comme nous sommes obligés.

Je serois ingrat si je ne vous donnois advis que nous avons icy le seigneur chevallier Buccio, prieur de Contamine , qui s'employe pour nous a bon escient, et le seigneur Bartholommeo Bonesio, cameriero secreto di Sa Sainteté.

Or, nous esperons entre cy et Pasques vous bayser les mains et rendre conte en presence du tems et loysir que nous avons fait des nostre despart ; ce ne sera jamais si tost que je le desire. Et priant Dieu pour vostre longue et bonne santé, je demeure ceternellement,

Monseigneur, Vostre tres humble filz et serviteur,

FRANçs DE SALES.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque et Prince

de Geneve.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Périgueux.
 
 
 
 

CXXII

AU CHANOINE LOUIS DE SALES, SON COUSIN

Succès du Prévôt dans l'examen public qu'il vient de subir devant le Pape,

Rome, 26 mars 1599,
Je vous confesse ingenuement que Dieu n'a pas permis que nous ayons esté confus dans l'examen , quoy qu'en ne regardant que moy mesme je n'attendis que cela. Je vous asseure que M. le Grand Vicaire est sorti du Consistoire plus joyeux que moy. Ce fidele amy ne s'empressera que trop pour escrire en Savoye les signes de bonté paternelle dont le Pape m'a honnoré, qui m'obligent d'estre plus que jamais bon enfant et bon serviteur de la sainte Eglise Romaine ; mays quoy que nos amis escrivent, souvenes vous que nos amis exagerent aussi souvent nostre bien que nos ennemis exagerent nos maux, et qu'en fin nous ne sommes que ce que nous sommes devant Dieu.

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.
 
 

CXXIII

AU PÈRE JUVÉNAL ANCINA

DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE

(en italien)

Bienveillant accueil reçu de l'Evêque de Lorette et de l'Archevêque de Bologne sur la recommandation du P. Ancina ; estime que professe pour ce dernier le duc de Savoie. - Oppositions faites par les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare à l'exécution du Bref pontifical concernant les biens ecclésiastiques du Chablais. - Voyage projeté de Charles-Emmanuel en France. - Divers messages.

Turin, 17 mai 1599.
Mon très Révérend Père et très honoré Seigneur,

Bien que je ne sois pas encore au terme de mon voyage de retour, ayant été misérablement cloué en cette cour un mois entier, je dois cependant donner à Votre très Révérende Paternité le détail de toutes les faveurs que j'ai reçues en sa considération. A Lorette j'ai joui de la part de Mgr le Révérendissime Evêque et de M. le Primicier , mais dans une mesure entassée et débordante, (Lc 6,38) de la bienveillance et du bon accueil que vous m'aviez prédits. Ils nous firent célébrer dans la Sainte Maison, toucher la sainte image et voir tous les objets précieux. Mgr l'Evêque, quoiqu'il eût le désir de me gratifier de ses Œuvres, ne put le faire, n'ayant d'autre exemplaire que celui dont il se sert habituellement ; mais il me chargea, l'occasion de quelque porteur se présentant, de le faire ressouvenir de me les envoyer. A Bologne aussi Mgr l'Illustrissime Archevêque m'embrassa avec beaucoup de charité et me combla de faveurs, quoique je n'aie pu le saluer qu'au moment du départ ; car le matin et le soir précédent il se trouva incommodé du catharre de telle sorte qu'on ne pouvait lui demander audience sans une grande indiscrétion. Il suffit de dire que, grâce à vous, j'ai été connu et affectueusement traité par ces deux insignes Prélats, dont le souvenir ne peut qu'exciter en moi le désir de bien vivre.

Ici à Turin je n'ai pas manqué de saluer Mgr l'Archevêque au nom de Votre très Révérende Paternité, pour qui il m'a protesté avoir une grande estime. J'ai aussi présenté mes hommages à Son Altesse, lui faisant un rapport succinct de ma négociation à Rome. Elle en fut contente, sauf de l'examen qui, de prime abord, lui parut hors de propos ; mais après avoir entendu mes raisons, elle en demeura satisfaite. Entre autres discours, Son Altesse vint à me parler de Votre Paternité en des termes aussi honorables qu'on peut l'attendre d'un tel prince, non cependant sans un affectueux ressentiment au sujet de l'évêché refusé,

" Et l'injure faite à sa beauté méprisée... demeure ; " (Virg. Aeneis 1,26)

mais, comme je dis, ce fut un ressentiment affectueux et non point amer ; alors je lui fis connaître ce que j'en avais appris de vous, et l'entretien se termina dans les mêmes termes honorables avec lesquels il avait été commencé.

Cependant MM. les Chevaliers de Saint-Lazare sachant que j'étais porteur du Bref de Sa Sainteté qui confère à Mgr de Genève l'autorité d'appliquer à la subsistance des curés, des pasteurs et des prédicateurs les revenus qu'ils ont sur les paroisses converties, me font citer pour rendre raison de mon administration. (Lc16,2) J'ai donc été contraint de m'arrêter ici jusqu'à ce que Son Altesse me congédie ; néanmoins j'espère partir au plus tôt, soit pour sortir de ces périls, qui vraiment sont à considérer, soit aussi pour retourner à l'œuvre. Je rendrai compte à Votre Paternité de tous les évènements remarquables, et aussi de moi-même, comme d'une chose absolument sienne.

On espère que Son Altesse ira en France, où elle est ardemment désirée par le roi, qui a chargé le prince de Conti et le comte de Soissons d'aller à sa rencontre jusqu'aux frontières, et de le conduire ensuite là où se trouvera Sa Majesté, avec tous les honneurs que l'on a coutume de lui rendre à elle-même ; c'est ce que la princesse de Conti écrivit par un exprès à son chargé d'affaires en cette cour de Savoie. De Turin on peut dire : Comment est-elle devenue déserte ? (Lm 1,1) puisque chacun fuit, si ce n'est le prince qui se dispose néanmoins à sortir lui aussi. La contagion est très grande en Savoie, à Genève et dans les environs de Montmélian ; le reste est tout à fait libre.

C'est tout ce que j'ai à vous communiquer pour le moment, distrait comme je le suis par les poursuites que je fais pour nos affaires ecclésiastiques. En attendant je baise les mains sacrées de Votre Paternité, en la priant de se souvenir de moi dans ses prières, comme pour acquitter ma dette de reconnaissance, je prie continuellement Notre-Seigneur qu'il la conserve pour le bien d'un grand nombre.

De Votre très Révérende Paternité, Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

De Turin, le 17 mai 1599.
Je baise les mains au R. P. Jean-Matthieu, votre frère, aux deux RR. PP. Thomas et au R. P. Antoine , et si l'occasion se présente ce serait pour moi une grande faveur de me rappeler au souvenir de Mgr votre Illustrissime Cardinal .

A mon très Révérend Père et très honoré Seigneur en Jésus-Christ,

Le P. Juvénal Ancina,

Théologien de la Congrégation de l'Oratoire.

Rome.
 
 

Revu sur l'Autographe conservé au Pensionnat de Sainte-Ursule, à Parme.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CXXIV

AU CHEVALIER JOSEPH DE RUFFIA

(en italien)

Invitation à se rendre en Chablais.

Turin, 21 mai 1599.
Très Illustre Seigneur,

M. le président de Rochette est en Savoie, et moi-même j'y serai bientôt, s'il plaît à Dieu. Il reste que Votre très Illustre Seigneurie, de son côté, ne tarde pas à s'y rendre, afin de terminer ce qui concerne le service de Dieu et des âmes dans ces bailliages de Thonon et Ternier, puisque je vois que Votre très Illustre Seigneurie a été nommée pour assister à l'exécution du Bref du Siège Apostolique.

Je supplie donc Votre Seigneurie de daigner considérer que, dans cette conjoncture, le retard de l'œuvre équivaut à sa ruine ; car les ouvriers se trouvant sans provision, ne peuvent demeurer ainsi que fort peu de temps. Il en résulte que Votre Seigneurie est absolument obligée en conscience de venir sans retard, puisque de son arrivée dépend le succès de l'entreprise, et que, sans Elle, on ne peut rien. Veuillez vous rappeler qu'il s'agit ici du service de Dieu, dans lequel toute négligence attire la malédiction, (Jr 48,10) et me pardonnez si avec tant de liberté je vous invite à venir sans délai, car je me sens obligé d'agir ainsi. D'ailleurs, j'estime traiter avec un personnage si judicieux qu'il reconnaitra facilement l'urgence de la nécessité. C'est pourquoi je m'enhardis à répéter que, laissant de côté toute considération, soit d'épidémie contagieuse, soit d'autres empêchements, Votre Seigneurie est absolument obligée de se rendre au plus tôt où je vais l'attendre moi-même, avec la volonté de demeurer à jamais, là et partout où je me trouverai,

De Votre très Illustre Seigneurie,

Le très affectionné et très humble serviteur dans le Seigneur, FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

Turin, d'où je vous souhaite du Seigneur le bonheur éternel.

Le 21 mai 1599.
A mon Illustrissime et très honoré Seigneur,

M. de Ruffia,

Grand Prieur de l'Ordre des Saints Maurice et Lazare en Piémont,

conseiller d'Etat et général de l'artillerie de Son Altesse Sérénissime

Ruffia.

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de la Grande Maîtrise des Saints Maurice et Lazare.

cxxv
 
 

A M. ANTOINE D'AVULLY

Réclamation d'une somme due à M. de Boisy.

Sales, 25 juillet 1599.
Monsieur, Obliges moy, je vous supplie, de tant, outre tant de devoirs que je vous auray toute ma vie, que de me faire sçavoir si mon pere se pourra promettre quelque payement ou du tout ou d'une partie de la somme qu'il a sur l 'hoirie de feu monsieur le baron d'Hermence en ceste necessité qu'il en a maintenant. Ceste sollicitation m'est imposee pour la contribution du soin que je dois aux affaires de mon pere, et ne m'en pourroit arriver de plus ennuyeuse. Elle le seroit toutefois encor plus si je n'estois tout seur que vous voudres bien vous reprœsenter la justice du desir que peut avoir un creancier de se servir du sien en son besoin, et un filz, de servir a la raysonnable volonté de son pere.

Monsieur, je prie Dieu de tout mon cœur pour vostre prosperité, et vous supplie croire que vous ne sçauries donner credit vers vous a l'intercession d'homme du monde qui soit plus entierement et fermement,

Monsieur,

Vostre tres humble [serviteur],

FRANçs DE SALES,

Prœvost de Geneve.

A Sales, ou tous vous saluent humblement, et madame vostre partie avec toute vostre famille ;

le 25 julliet 99.
A Monsieur

Monsieur d'Avully.

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Vuÿ, à Carouge (canton de Genève).
 
 

CXXVI

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(en italien)

Retard que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare apportent à l'exécution du Bref apostolique. - Activité des Genevois pour entraver les conversions. - Persévérance des convertis ; grâces qu'ils reçoivent de Dieu. - Demande de diverses faveurs.

Chambéry, 24 août 1599.
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Parmi les nombreuses raisons pour lesquelles la difficulté des passages nous est préjudiciable, il me semble que la plus importante est que nous sommes privés de la consolation de recevoir des lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime et que, de notre côté, nous ne pouvons lui en expédier aussi facilement que nous le devrions et désirerions.

Me trouvant maintenant à Chambéry, je puis écrire à Votre Seigneurie, et lui dire que si bien les affaires de la conversion du Chablais et des autres bailliages ne reculent pas, de même aussi n'avancent-elles pas beaucoup ; car le progrès dépend des offices et des exercices du culte catholique qui, faute d'argent et d'autres moyens nécessaires, ne peuvent se faire avec la décence et l'éclat qui seraient convenables dans ces commencements. Et même les ecclésiastiques établis de ces côtés n'ont pas les provisions strictement requises à leur entretien ; de sorte que si Mgr notre Révérendissime Evêque ne les avait charmés par des caresses et de belles paroles, il n'en serait pas resté la moitié. La cause de ceci est que Son Altesse Sérénissime ayant député M. le premier Président du Sénat et M. le chevalier de Ruffia pour assister à la répartition que Mgr l'Evêque doit faire, selon l'ordre du Saint-Siège, des parts nécessaires aux curés, prises sur les bénéfices des bailliages, le susdit chevalier, qui, lorsque je partis de Turin, devait venir immédiatement, n'a jamais paru. Et l'on ne peut nier qu'il ne soit coupable en cela, ou d'une extrême négligence, ou d'un retard affecté pour maintenir l'injuste possession des Chevaliers relativement à ces bénéfices ; bien que l'on retire une partie du revenu pour l'exercice du culte catholique, cela se fait cependant avec tant de difficulté que la chose ne peut réussir. D'autre part, les Genevois et d'autres ennemis des environs ne manquent pas de s'opposer au progrès de la sainte négociation en répandant des menaces et des bruits de guerre. Ils répandent aussi des livres et des écrits, et envoient secrètement parmi ces populations des espions et des corrupteurs d'âmes ; et en toute façon, leur diligence pour le mal condamne la négligence des Catholiques pour le bien. Cependant il est très vrai que parmi les convertis aucun n'a jamais fait mine de regarder en arrière; toujours ils se fortifient dans la foi, tandis qu'il s'en convertit d'autres qui étaient des plus obstinés dans l'hérésie . Il est évident que Dieu demande de nous une très grande diligence et un grand zèle à nous employer à cette entreprise, car il accorde dans ces pays certaines grâces que l'on pourrait appeler de petits, ou plutôt de grands miracles, comme j'en donnerai connaissance à Votre Seigneurie Illustrissime lorsque j'en serai plus sûrement informé.

J'attends avec un grand désir l'extension en dehors de la confession sacramentelle de la faculté qui m'est concédée d'absoudre les hérétiques, car cela est nécessaire. J'attends aussi l'annonce de la décision que Sa Sainteté aura prise relativement à la mission des PP. Jésuites, dont Votre Seigneurie me parla quand je lui baisai les mains près de Chieri. Vraiment, si dans la conclusion de la paix on fait un effort pour faire resplendir l'exercice du culte et la doctrine catholique en ce pays, je suis sûr que nous verrons la gloire de Dieu (Jn 11,40)et que peut-être, selon la Loi, les possessions seront, pendant ce Jubilé, restituées à leurs anciens maîtres (Lv 25,10 ; 27,24) ; car on voit clairement que toute la résistance faite par les ministres Genevois provient moins du courage ou de l'ardeur qui leur reste que de rage et de désespoir ; en sorte que si nous les pressons un peu énergiquement, c'en est fait d'eux, et leur peuple, déjà fatigué des sornettes qu'ils débitent, prêtera facilement l'oreille à la vérité. J'apprends que le P. Chérubin sollicite avec zèle Sa Sainteté, et il paraît que Dieu a disposé le cœur de son Vicaire à s'occuper de cette nécessité.

Mgr de Genève est à Thonon, et il n'ose en partir jusqu'à ce que les choses soient établies et solidement affermies ; le P. Bernardin Castorio Jésuite est aussi avec lui. Je suis venu ici pour le procès de la cure du Petit-Bornand , laquelle m'ayant été accordée par la faveur de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, est occupée par d'autres sans titre, et j'espère que dans peu je me verrai délivré de ces compétiteurs.

Je ne veux point perdre le droit que je me suis réservé jusqu'ici de vous faire toujours quelque demande. Il s'agit de pauvres gens qui ont... .échangé des promesses de mariage ; voulant ensuite en venir à l'exécution, on a découvert qu'ils étaient parents au troisième et quatrième degré, ce qu'ils n'avaient pas su jusqu'alors. Et parce qu'il me semble que Votre Seigneurie a le pouvoir d'absoudre et de dispenser pour tels mariages, surtout entre les pauvres, je la supplie de daigner leur faire cette grâce. Leurs noms sont Claude Fenoland, d'une part, et Pernette Mermillod de l'autre ; celui-là de la paroisse de Thorens, et celle-ci de La Roche, tous les deux de ce diocèse.

Que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me pardonne si j'outrepasse les règles de la discrétion en lui écrivant avec tant d'importunité, car je n'ai vraiment personne à qui recourir sinon à sa bonté ; Elle me l'a témoignée tant de fois que je ne puis faire difficulté de la réclamer. Je ne laisserai pas de vous demander encore quelle est l'intention de Sa Sainteté touchant la réforme des monastères de Savoie, œuvre nécessaire autant qu'il se peut dire.

Je prie Dieu de conserver Votre Seigneurie pour la gloire de son saint nom et l'utilité de la sainte Eglise, et lui faisant très humble révérence en baisant ses mains sacrées, je demeure éternellement,

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très obligé serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

A Chambéry, le 24 août 1599.
Les passages de Rome étant fermés, je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de faire expédier le pli ci-joint.

A l'Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Monseigneur l'Archevêque de Bari,

Nonce Apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime. - Vigliano.

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.
 
 

CXXVII

AU MÊME

(en italien)

Réception de deux lettres du Nonce. - Eloge de Mgr de Vienne. - Largesses du duc de Savoie; son projet d'établir un collège de Jésuites à Thonon. Prochaine arrivée de ces Religieux. - Détails matériels.

Thonon, 23 septembre 1599.

 

Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

J'ai reçu deux lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime : l'une du 31 août, par Mgr le Révérendissime de Vienne, et l'autre du 1er septembre, par l'entremise de Mgr de Tarentaise . Quant à la première, je me mettrai avec toute diligence au service de Mgr de Vienne pour tout ce qu'il voudra me commander ; et quant à l'informer de l'état des choses, je l'ai fait jusqu'à présent et je le ferai toujours plus avec une entière fidélité ; mais c'est un Prélat de tant de mérite et de prudence, que, jetant les yeux autour de lui, il découvre par lui-même et pénètre jusqu'aux moëlles de l'affaire.

Dieu soit loué de ce que ces évènements se rencontrent sous le pontificat d'un Pape si zélé, pendant la nonciature de Votre Seigneurie, et que l'information soit confiée à un Prélat doué de tant de sagesse comme est Mgr de Vienne , qui, par la grande expérience qu'il a de nos mœurs ultramontaines, en est singulièrement capable. Il vous envoie donc son rapport , après lequel il ne me reste plus rien à dire, sinon que les choses vont assez bien ici, et que l'on espère de plus grands progrès à l'avenir, surtout en voyant que Sa Sainteté les prend à cœur et veut nous aider, ce dont nous avons un très grand besoin. On ne pourra jamais faire si bien qu'il ne soit mieux de faire davantage encore pour déraciner l'arbre maudit, qui, étendant sur tant de parties du christianisme ses feuilles vénéneuses, est planté et enraciné tout près d'ici. Plaise à Dieu qu'on puisse dire en nos jours : Déjà la cognée est posée à la racine. (Mt 3,10).

M. le chevalier Ruffia ne paraissant pas, le Bref de Sa Sainteté n'a pu être jusqu'ici mis en exécution. Pour cette raison et d'autres affaires très importantes, Mgr notre Révérendissime Evêque prit Dimanche dernier la route d'Annecy, comptant passer de là à Chambéry, afin de traiter avec Son Altesse Sérénissime et terminer une bonne fois la négociation fondamentale de cette œuvre, en sorte que les curés, hommes de mérite qui se fatiguent ici, n'aient plus à souffrir les privations et les nécessités qu'ils ont endurées jusqu'à présent. Mais ayant rencontré en route M. le Gouverneur de cette province avec M. d'Avully, il reçut l'annonce du don de douze mille écus fait par Son Altesse pour racheter le prieuré de Saint-Hippolyte de cette ville, ainsi que plusieurs autres biens ecclésiastiques, afin de renter le collège déjà destiné aux RR. PP. Jésuites. C'est pourquoi il est revenu ici pour faire exécuter cette cession aux propriétaires et terminer la négociation ; l'ayant heureusement achevée, il part demain pour effectuer son premier dessein, et me laisse ici soit afin de prêcher, puisqu'il n'y a pas d'autre prédicateur, soit pour l'informer de ce qui peut survenir, et servir Mgr de Vienne.

J'écris au P. Provincial des Jésuites pour hâter la venue des six Pères que Sa Sainteté veut entretenir à ses frais ; je suis sûr que nous les aurons au commencement du mois prochain, ce qui sera une grande consolation pour les pasteurs et pour le peuple. Il est donc nécessaire que l'on envoie sans retard l'argent à Chambéry, au P. Recteur du collège, appelé P. Etienne Bartoloni , qui l'enverra ensuite ici sans autre délai. Ce sera un singulier avantage pour ouvrir le collège projeté par Son Altesse, jusqu'à ce qu'il soit parfaitement pourvu de bâtiments et autres ressources, sans lesquelles on ne peut si tôt commencer les leçons et les autres exercices ; mais en attendant, la mission établie si à propos y suppléera. Le P. Bernardin Castorio, après avoir longtemps prêché ici, partit la semaine passée ; il est ensuite revenu avec Mgr le Révérendissime et repart encore demain avec Sa Seigneurie. Ce Père m'a dit, il est vrai, que non seulement il faudrait avoir l'argent au moment de l'arrivée des Pères de la mission, mais qu'il serait bon d'en avoir d'avance pour fournir aux frais de voyage depuis le lieu de leur résidence jusqu'ici.

Je n'écrirai pas encore à Votre Seigneurie Illustrissime touchant les particularités nécessaires à connaître pour la supplique que j'ai présentée relativement aux prébendes théologales ; car je n'ai conservé ni dans mes papiers ni dans mes souvenirs le nombre des abbayes et des monastères capables de supporter cette dépense ; mais Mgr le Révérendissime étant à Annecy m'en enverra l'indication exacte, tirée de ses livres de visite, et aussitôt j'en donnerai un compte-rendu détaillé à Votre Seigneurie, que je supplie de vouloir bien me pardonner si, étant distrait par une multitude d'affaires, je lui écris si mal.

C'est en priant Dieu notre Seigneur de vous accorder la plénitude de ses grâces pour la consolation de plusieurs, et en particulier pour celle de cette province, que je baise très humblement vos mains vénérées.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Le très dévoué serviteur, FRANÇOIS DE SALES, Prévôt de Genève.
A Thonon, le 23 septembre 1599.
Je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de me pardonner si j'ose expédier à Rome par son entremise la lettre ci-jointe, n'ayant d'autre moyen à cause de la difficulté des passages.

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes
 
 
 
 
 
 

CXXVIII

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL Ier

Bonne harmonie qui règne entre l'Archevêque de Vienne et l'Evêque de Genève. - Espérances que fait concevoir le collège des Pères Jésuites.

Thonon, 26 septembre 1599.
Monseigneur,

Suyvant le commandement que monsieur d'Avulli m'a porté de la part de Vostre Altesse de maintenir Monseigneur le Rme Evesque de Geneve en bonne intelligence avec Monsieur l'Archevesque Gribaldo, envoyé par nostre Saint Pere, il m'a semblé que je devois l'asseurer qu'il ne s'est jamais rien passé entre eux qu'avec toute sorte de discretion, amitié et fraternité. Et crois que Sa Sainteté n'aura que tres bonne satisfaction du rapport qu'il aura de l'estat de ces affaires ; mesmement apres ce bon commencement donné pour le college des PP. Jesuites, l'une des pieces fondamentales de tout ce saint edifice. Seulement seroit-il expedient de faire paroistre quelque peu d'acheminement pour l'heberge, puysque, comme j'ay apperceu, Sa Sainteté l'affectionne bien outre.

Je prieray a jamais pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je suis et dois estre,

Monseigneur,

Tres humble et tres obeissant serviteur et sujet,

FRANÇOIS DE SALES,

Prœvost de Geneve.

A Thonon, 26 septembre 99.
Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.
 
 
 
 

CXXIX

A M. PHILIPPE DE QUOEX

Lettre reçue de M. de Quoex. - Recommandation en faveur de trois jeunes gentilshommes.

Thonon, 13 octobre 1599.
Monsieur, Si je vous remerciois au long par escrit de la souvenance que vous aves de moy, selon vostre lettre receüe par les mains de monsieur le Prœsident mon frere, je meriterois que vous ne leussies pas ma lettre, car vous seres tant empressé a recevoir et caresser ces jeunes gentilshommes nouveaux venuz , que vous n'aures pas le loisir de parler avec ma lettre. Aussi bien vous diront ilz tout ce que je vous sçaurois escrire. Faites donq seulement selon vostre courtoisie a apprivoiser avec Rome ces patriottes et croyes, sil vous plait, mon frere quand il vous dira que je suis tout entierement,

Monsieur,

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANCs DE SALES

Thonon, Le 13 octobre 99
Al molto Rdo Sige moi osservandissimo, Il Sigre Philippo de Quoex.
Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.

CXXX

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(en italien)

Rupture des communications entre Annecy et Chambéry. - Libéralités du duc de Savoie pour le Chablais. - Arrivée d'un Père Jésuite à Thonon, où cinq autres sont encore attendus. - Les intérêts de la mission activement poursuivis à Rome. - Aumône faite par le duc à une protestante convertie. - Prochain départ de Son Altesse pour la France.

Chambéry, 15 novembre 1599.

 

Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Venant de Thonon à Chambéry dans l'espoir de me rendre utile à Mgr de Genève, j'ai été contraint de m'arrêter quelque temps en chemin afin d'attendre les mémoires nécessaires pour traiter en cette cour différentes choses touchant le service de Dieu ; car Monseigneur ne pouvait s'y rendre, vu qu'à Annecy, où il se trouvait, les communications sont interrompues avec Chambéry et avec tous les autres lieux où ira le prince. Non pas que la contagion soit à Annecy, par la grâce de Dieu ; mais le seul respect dû à la personne du prince exige que nul venant des lieux qui ont été infectés, encore qu'ils soient entièrement purifiés, ne se présente à la cour que longtemps après la quarantaine. Etant enfin arrivé ici, j'ai tardé de jour en jour à expédier les lettres et les pièces ci-incluses, espérant les envoyer par le fils du baron de Chevron qui se croyait toujours sur le point de partir ; mais voyant passer le temps, j'ai résolu de ne plus attendre et de livrer plutôt le pli aux courriers.

J'ai reçu en route une lettre de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime du 14 octobre, et une autre du 2 de ce mois, ainsi que deux autres qui y étaient jointes, pour Mgr l'Archevêque de Vienne auquel je me suis empressé de les faire parvenir sûrement. Je vous en envoie deux autres dudit Monseigneur dont l'une, pour le motif ci-dessus mentionné, est de plus vieille date que je ne l'aurais désiré, et en même temps le plan de Thonon.

Par la première lettre de Votre Seigneurie je vois la consolation qu'Elle a éprouvée du don fait par Son Altesse; une grande partie est déjà effectuée et versée, car Son Altesse a racheté, au prix de sept mille écus, le prieuré de Thonon qui est destiné au collège. L'autre partie doit être employée à recouvrer un doyenné, ce qui ne peut se faire jusqu'à ce que le gentilhomme qui l'avait acheté soit revenu de Paris : ce retour, on l'espère, sera prochain. Et quoique Son Altesse aille en France, j'estime pourtant qu'elle aura assez d'autres affaires sans penser à ce détail ; je crois cependant qu'elle ne repassera pas les monts sans s'en occuper.

Le P. Bartoloni a reçu les cent huit écus expédiés par Votre Seigneurie Illustrissime ; il a aussitôt envoyé à Thonon un Père prédicateur, qui y est arrivé le dernier jour d'octobre. Il en fera venir d'autres de différents lieux jusqu'au nombre de six, lesquels commenceront immédiatement à se mettre à l'œuvre, soit dans la prédication, soit dans l'enseignement. J'avertirai Votre Seigneurie du jour de leur arrivée. Je vous envoie une longue information au sujet de l'érection des prébendes théologales ; vous y trouverez tous les renseignements que vous désiriez de moi. Si j'ai été longtemps avant de l'expédier, la distance des lieux et des abbayes dont je parle est la seule cause de ce retard.

J'ai reçu l'absolution pour ces pauvres âmes qui ont contracté mariage au troisième et quatrième degré , ce dont je remercie l'infinie charité de Votre Seigneurie Illustrissime. Jusqu'ici je n'ai eu aucune lettre du P. Chérubin mais seulement de Révérend Clerici, qui m'a renseigné sur les affaires que l'on traite à Rome avec beaucoup d'ardeur . Je sais que c'est au zèle, à la bonté et prudence de Votre Seigneurie que l'on doit de toute façon en attribuer le succès ; s'il est tel que je l'espère, il sera très glorieux à Sa Sainteté, très honorable à Votre Seigneurie, principal instrument d'une si grande œuvre, très utile à la sainte Eglise, particulièrement à ces populations ; et, ce qui importe davantage, plus agréable au Seigneur notre Dieu que tout ce que l'on a vu par le passé : Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons,(Ps 103,18).

On ne peut dire autre chose de Mgr le Révérendissime de Vienne sinon que, par antipéristase, il prend toujours nouvelle vigueur et s'échauffe d'autant plus dans le combat contre les ministres et les hérétiques qu'il a eu la grande satisfaction de ramener à Jésus-Christ un gentilhomme, son neveu , lequel en conséquence il a retiré chez lui,

J'ai obtenu de Son Altesse une aumône de trente écus d'or pour les frais de voyage d'une femme milanaise qui, étant sortie de Genève avec trois fils et quatre filles en âge de se marier, veut retourner catholique à Milan ; mais je ne crois pas qu'elle puisse passer de si tôt. Avant tout il faudra, s'il est nécessaire, la mettre en sécurité à l'égard de l'Inquisition, et, dans ce cas, je me prévaudrai auprès des inquisiteurs de la charité de Votre Seigneurie Illustrissime.

Bien que nous soyons ici à la cour, nous ne savons aucune nouvelle sinon que Son Altesse partira pour la France le 25 de ce mois ; toutefois, cette date pourra être changée si les circonstances l'exigent. Il est grandement question d'admettre l'exercice du culte catholique dans une église de Genève. Son Altesse m'a promis toutes sortes de provisions pour le Chablais, ayant commandé les lettres d'expédition et autres papiers nécessaires, et ses ministres montrent plus d'empressement qu'à l'ordinaire ; c'est pourquoi j'espère que nous aurons cette année et le Jubilé et une jubilation très grande, mais nous avons besoin d'un secours puissant, efficace et persévérant.

Il ne me reste plus autre chose à communiquer à Votre Seigneurie sinon de la prévenir, avec cette confiance que sa bonté me permet, et la priant de n'en rien dire à personne, que Son Altesse a trouvé un peu étrange de n'avoir pas été mise au courant avant tout autre, d'une manière exacte et très circonstanciée, de la manière dont les affaires de Thonon sont traitées à Rome ; je m'en suis aperçu par quelques mots relatifs à ce sujet ; au reste, le prince se montre très affectionné à l'entreprise. Avant de partir de cette ville j'informerai Votre Seigneurie de ce que j'aurai pu faire.

En attendant je prie Dieu notre Seigneur pour la santé de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime si utile à l'Eglise. Je la remercie bien humblement de tant de faveurs accordées à mes compatriotes et particulièrement à moi. En baisant ses mains vénérées, je lui fais très humble révérence.

De Votre Seigneurie lllustrissime et Révérendissime, Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

A Chambéry, le 15 novembre 1599.
Mgr de Genève m'a ordonné de baiser en toute humilité les mains de Votre Seigneurie en son nom ; c'est ce que je fais.

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.
 
 
 
 
 
 

CXXXI
 
 

AU MÊME
 
 

(MINUTE INÉDITE) (en italien)

Ordres donnés par le duc de Savoie en faveur de la maison de refuge projetée à Thonon. - Il est urgent que les pouvoirs spéciaux concédés aux missionnaires ne soient pas suspendus pendant l'année du Jubilé. - Procès relatif à la cure du Petit-Bornand.

Chambéry, 9 décembre 1599.
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Depuis ma dernière lettre à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime rien de nouveau n'est survenu dans les affaires du Chablais, sinon que Son Altesse a commandé au Sénat et à la Chambre de vérifier tous les ordres que, sur les instances du P. Chérubin, elle a donnés il y a un an pour la maison de refuge de Thonon. Son Altesse a une très ferme intention d'embrasser cette œuvre des deux bras, ayant chargé M. d'Avully d'en prendre soin. J'ai écrit à Votre Seigneurie qu'un Père Jésuite prédicateur s'était rendu à Thonon ; maintenant ils sont deux , car un de ses confrères l'a rejoint le jour de saint André, et bientôt arriveront les autres qui nous sont envoyés d'Avignon.

Le P. Recteur des Jésuites m'a soulevé une difficulté touchant les pouvoirs qui nous ont été concédés pour absoudre les hérétiques ; à savoir, que la veille de Noël de l'année jubilaire Sa Sainteté a coutume de déroger généralement à tous les privilèges précédemment accordés. Je ne crois pas pourtant que Sa Sainteté veuille suspendre les nôtres, qui non seulement ne sont pas moins nécessaires cette année qu'en tout autre temps, mais qui le sont même davantage. Les termes dans lesquels ils nous sont accordés ne souffrent pas de dérogation générale, de sorte que je m'en servirai sans crainte au nom du Seigneur ; mais pour trancher toute difficulté, Votre Seigneurie Illustrissime voudra bien en juger Elle-même.

Il y a deux ans que Sa Sainteté par Bulles sub plumbo me pourvut de la cure du Petit-Bornand , avec dispense de l'incompatibilité de la Prévôté dont les revenus sont nuls. Et cependant, bien que j'aie été nommé et élu au concours, selon les prescriptions du saint Concile de Trente, le frère du curé mon prédécesseur m'a suscité un procès, se basant sur une simple signature [donnée en Cour de Rome] à raison de résignation pour cause de maladie, dont la date est postérieure de trente-six jours à la mort dudit curé, sans aucun consentement indiqué au dos de la pièce et après la tenue dudit concours. En conséquence, notre Sénat m'a condamné ce matin, au possessoire, sous ce seul prétexte, que la résignation, malgré la mort antécédente et le défaut de consentement, était néanmoins valable. Partant j'ai recours au Saint Siège pour en avoir raison au pétitoire, et je dépose sous ce pli ma lettre que je vous supplie d'expédier à Rome. J'ai cru devoir informer de tout cela Votre Seigneurie Illustrissime ; car ayant obtenu par sa bonté cette grâce de notre Saint-Père, de même ai-je besoin de ses faveurs pour la suite du procès que je me propose de poursuivre, afin de ne pas ouvrir la porte aux fraudes qui se font au préjudice du concours ; ce dont notre bon Sénat se soucie fort peu. Mais je vois que je serai obligé d'envoyer à Votre Seigneurie une très ample relation de mes raisons, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'en dire davantage pour le moment.

Son Altesse Sérénissime est partie mardi de Lyon, où elle a été grandement fêtée. Les Genevois croient que Sa Sainteté fait d'extrêmes instances auprès du roi très chrétien pour obtenir le libre exercice du culte catholique dans leur ville. Un grand nombre paraissent le désirer, bien que d'autres fassent semblant de vouloir plutôt se donner la mort. J'espère que, grâce à ce voyage, on résoudra tout ce qui se rattache à ces questions.

Je me rends demain à Annecy, afin d'aller ensuite à Thonon pour les fêtes, si c'est nécessaire, et je m'empresserai de vous renseigner selon les occasions. En attendant je prie Dieu d'accorder toutes sortes de contentements à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, à qui je baise les mains en toute humilité, la suppliant de me pardonner si j'ose lui exposer avec tant de liberté les choses qui me sont personnelles ; mais les témoignages d'extrême bienveillance tant de fois reçus m'encouragent en ces rencontres.

De Chambéry, le 9 décembre 1599.
Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

ANNEE 1600
 
 

CXXXII

AU CARDINAL CÉSAR BARONIUS

(MINUTE INÉDITE) (en italien)

Bienveillance du Saint-Siège pour la mission du Chablais. - Joie de savoir le Cardinal nommé protecteur de cette œuvre.

Thonon, janvier 1600.
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Si l'œuvre difficile et laborieuse de la conversion de ces provinces ne provenait de Dieu, il y a longtemps qu'elle serait ruinée (Ac 5,38) ; car les empêchements et les obstacles n'ont point manqué, et ils ont été en si grand nombre et de telle nature qu'ils n'auraient jamais pu être surmontés par des moyens humains. Mais si la divine Bonté a donné jusqu'à présent des témoignages de protection à cette œuvre, il me semble qu'en voici un très signalé et très certain, à savoir, que le Souverain Pontife en prenne le soin et la sollicitude qu'il a coutume d'avoir pour ce qui touche le service du Sauveur, dont il est le lieutenant sur la terre.

Et, en ce bienfait divin, la bonté de la souveraine Providence se montre aussi d'une manière spéciale en ce que Sa Sainteté a été inspirée de destiner Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime pour protectrice de cette œuvre si importante . On ne pouvait, en effet, désirer un plus ardent et vigoureux défenseur et promoteur parmi ces forts et vaillants qui entourent le lit sacré de Salomon (Ct 3,7) ; de sorte qu'il est désormais évident que le Christ veut, par l'entremise du Saint.Siège, nous être un Dieu protecteur et une maison de refuge. (Ps 30,1)

Voyant donc le projet arrêté et le fondement solide de ce mur pour la maison d'Israël (Ez 13,5) dans ces confins des Philistins, j'en loue d'abord la divine Bonté ; je remercie ensuite en toute humilité Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime des secours si nombreux qu'Elle a accordés et qu'Elle accorde encore à ce saint édifice. Pour moi, non seulement j'ai beaucoup espéré ces faveurs, mais j'en ai reçu même le gage très assuré lorsque, traitant naguère auprès de vous d'autres affaires également saintes, vous daignâtes les embrasser avec tant d'ardeur.

C'est pourquoi je supplie très humblement Votre Seigneurie de vouloir conserver son affection paternelle à ces pauvres populations. Priant de toute mon âme la divine Majesté de continuer et augmenter ses grâces en votre endroit et de vous conserver longuement pour le bien de la sainte Eglise, je baise avec dévotion vos mains vénérées. De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur.

De Thonon.

 
 
 

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 

CXXXIII

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(MINUTE) (en italien)

Réception de plusieurs lettres. - Eloge de quelques ecclésiastiques. - Les bonnes intentions du duc de Savoie en faveur du chanoine Nouvellet restent sans effet.

Annecy, 17 janvier 1600.
Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Deux lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me sont arrivées simultanément les derniers jours de l'année passée : l'une est du 7 décembre, l'autre est le duplicata d'une lettre précédente du 20 octobre, avec la copie de celle que le P. Chérubin vous écrivit de Rome le 2 du même mois d'octobre (les originaux de ce double et de cette copie ne sont jamais tombés entre mes mains), et, dans le même pli, une autre lettre datée du 7 décembre. J'étais alors malade d'une petite fièvre dont j'ai été cependant bientôt débarrassé. Je vois deux choses dans la lettre du P. Chérubin. La première est sa réponse aux questions posées par notre Saint-Père. Or, puisque le rapport envoyé par Mgr l'Archevêque de Vienne est bien plus clair et étendu, il me semble ne pouvoir rien ajouter à cette réponse sinon en ce qui concerne nos ecclésiastiques. Il y en a beaucoup d'autres fort recommandables. Le P. Chérubin a oublié les uns, et il ne connaît pas les autres parce qu'ils sont venus après son départ : tels les chanoines Déage , Grandis , Gottry , Bochut , tous docteurs et très savants. Outre ceux-ci, nous en avons plusieurs qui, sans être docteurs, sont cependant très instruits, et d'autres en assez grand nombre qui prendront leurs grades cette année à Avignon. Il me semble donc que ce point ne présente aucune difficulté.

Mais ce qui nous arrête c'est que nous n'avons nul moyen de procurer à ces hommes de mérite un logement convenable à leur condition et à leur office. On le voit par expérience pour M. Nouvellet , dont le P. Chérubin parle dans sa lettre. Il a fait venir pour mille écus de livres, avec intention d'employer les années qui lui restent au bien de sa patrie, et cependant, faute de ressources, il n'a pas encore pu ouvrir ces livres ni utiliser son savoir ; car, bien qu'il soit chanoine de l'Eglise de Genève, néanmoins, étant maladif et âgé déjà de cinquante-cinq ans, il endure, à la faim près, une grande pauvreté. Il en serait de même de tous les autres s'ils n'avaient recours à leurs familles. Son Altesse, il est vrai, ayant entendu nommer M. Nouvellet, a voulu le voir et l'entendre, et en ayant été très satisfaite, elle a dit vouloir lui attribuer deux cents écus de pension sur l'abbaye de Pignerol. En attendant elle pensait écrire à l'abbé d'Abondance afin qu'il donne audit docteur, pour cette année, deux des cinq ou six prébendes vacantes de son abbaye, lesquelles sont mises dans le trésor commun par les administrateurs. Mais toutes ces faveurs ne sont que des témoignages de la bonté du prince et, du reste, aliment de caméléon.

J'ai voulu dire ceci à Votre Seigneurie Illustrissime pour lui exposer sommairement les obstacles qui s'opposent au progrès du service de Dieu dans ces contrées. C'est pourquoi on peut dire avec le P. Chérubin que, le moyen étant donné, il y aurait à faire une œuvre bonne et utile dans ce diocèse, en fondant une espèce de séminaire de prêtres qu'on pourrait employer en toute occasion, particulièrement dans les alentours.

Quant à ces bonnes populations, nous avons déjà célébré solennellement la fête de la conception avec toutes les octaves; plaise à Dieu que nous puissions célébrer la fête de l'enfantement et de la naissance, au moins en cette année du Jubilé !………………………………………………………
 
 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 

CXXXIV

A M. AARON POTHON

(INÉDITE)

Demande de pièces nécessaires à la poursuite d'un procès.

Annecy, 15 mai 1600.
Monsieur,

Cependant que j'ay suivi le proces que j'ay eü avec messire Nicolas Balli pour la parrochiale du Petit Bornand * par devant les juges lais pour le possessoire, j'ay laissé en surseance la poursuitte de l'adjournement que j'avoys eu a Vienne des que maistre Coquin se presenta pour moy et vous constitua mon procureur, il y a environ deux ans. Maintenant, desirant reprendre les arremens dudit proces, auquel je m'estois praesenté, je vous supplie de m'envoyer les lettres necessaires a ces fins pour, au moyen d'icelles, poursuivre par apres mon droit ainsy que je seray conseillé. Et je vous tiendray tres bonne et entiere rayson de toute la despense que vous m'accuseres par vostre lettre que j'attens en response de la praesente, par voye de monsieur de Medio, chanoyne a Lion .

A tant je vous salue tres affectionnement, demeurant,

Monsieur,

Vostre affectionné serviteur,

FRANÇs DE SALES,

Praevost de St Pierre de Geneve.

A Annessi, le 15 may 1600.
A Monsieur

Monsieur Aaron Patton, Procureur a Vienne.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Romans.
 
 
 
 

CXXXV

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(en italien)

Dangers que courent les Catholiques du Chablais ; leur constance en face du péril. - Indisposition de Mgr de Genève. - L'Archevêque de Vienne expulsé par les Valaisans,

Annecy, 26 août 1600.
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Au milieu de tant d'afflictions par lesquelles il a plu à Dieu de châtier nos péchés, il ne me reste autre chose à vous écrire sinon qu'en cette infirmité, la vertu divine s'est montrée par la constance de nos convertis de Thonon (2 Co 12,9). Menacés tantôt par les incursions des Genevois, tantôt par celles des Bernois, ils sont cependant demeurés fermes en notre sainte religion . Il est vrai que jusqu'ici ils n'ont eu à souffrir que des menaces, car ces hérétiques ne se sont point mis en campagne. Mais la crainte que le roi ne vînt à employer ces infidèles eût été suffisante pour ébranler considérablement le faible courage des convertis. C'est ce qui inspire la plus grande inquiétude aux pasteurs destinés à la garde de ces brebis ; car le reste n'est pas de leur ressort.

Mgr notre Révérendissime Evêque est encore assez malade, soit par suite des fatigues endurées en Chablais le mois dernier, soit à cause du chagrin qu'il éprouve en voyant nos affaires s'engager en une aussi mauvaise voie. Mgr de Vienne s'était retiré en un lieu de ce diocèse, qui appartient, quant à la juridiction temporelle, partie à la Savoie et partie aux Valaisans ; mais ceux-ci lui ont fait intimer l'ordre de se retirer, sous peine de confiscation des biens qu'il possède sur leur territoire. Les Pères de la mission sont encore en Chablais, quoique dispersés en différents endroits par crainte des Genevois et des Bernois. La plupart des curés restent dans leurs paroisses, bien que quelques-uns des plus timides se soient retirés pour voir comment finiront les choses.

Les passages étant occupés comme ils le sont, il sera très difficile d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime aussi souvent qu'il conviendrait ; néanmoins, j'en chercherai toutes les occasions, car parmi ces calamités je ne tiens pas pour une petite consolation de pouvoir me rappeler fréquemment à son souvenir et à sa bienveillance.

Je prie le Seigneur notre Dieu de vous donner tout vrai contentement, et, vous faisant très humble révérence, je baise vos mains vénérées.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Le très dévoué et très humble serviteur, FRANÇOIS DE SALES, Prévôt de Genève.
A Annecy, le 26 août .600.
Je supplie M. le Secrétaire de Votre Seigneurie Illustrissime de vouloir bien expédier le pli ci-joint.
 
 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Rome, Archives Vaticanes
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

ANNÉE 1601
 
 
 
 
 

CXXXVI
 
 

A MONSEIGNEUR CLAUDE DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENÈVE

Envoi de deux lettres. - Aggravation de la maladie de M. de Boisy,

Sales, 19 janvier 1601,
Monseigneur, Sur la lettre que monsieur de Sanci m'escrivoit pour me rendre solliciteur aupres de vous de son intention, j'ay ouvert celle quil vous escrivoit, appuyé tant sur la creance qu'il vous plait prendre en la fidelité de l'affection que j'ay a vostre service, qu'aussi surla crainte que j'avois que ce ne fut pour chose qui meritast que j'allasse aupres de vous pour en entendre vos commandemens. Mais voyant que le sujet ne portoit point ceste presse, je vous envoye les deux lettres et demeure icy au devoir que j'ay au service de mon pere, lequel de jour a autre avance a grans pas a l'autre vie, s'affaiblissant tellement en cellecy que, si Dieu ne nous preste sa main miraculeuse, je me vois dans peu de jours privé de la consolation que, avec toute ceste mayson, j'ay tous-jours eu en la presence de ce bon pere . Or Dieu, qui est Seigneur de nos vies, soit a jamais loüé de toutes ses volontés.

Je le prieray tous-jours pour vostre prosperité, puysque j'ay cest honneur d'estre advoüé,

Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANçs DE SALES.

A Sales, ou ma mere avec tous les siens et mon pere mesme vous baysent tres humblement les sacrees mains, 19 janvier.

A Monseigneur Monseigneur le Reverendissime Evesque et Prince de Geneve.
Revu sur une copie déclarée authentique conservée à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 
 

CXXXVII

AU PÈRE JUVÉNAL ANCINA, DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE

(INÉDITE) (en italien)

Remerciements pour l'intérêt qu'il porte au Chablais, - Tribulations qui ont fondu sur cette province, - Espoir d'une prochaine paix, - Les poursuites entreprises au sujet de la coadjutorerie de Genève restent stationnaires.

Sales, 3 février 1601.
Très Révérend Père et mon très honoré Seigneur,

J'ai éprouvé une très grande consolation de la lettre que Votre très Révérende Paternité a daigné m'adresser par M. Philippe de Quoex, et cela pour plusieurs raisons ; mais particulièrement parce que j'ai compris par son contenu que non seulement vous me conservez un spécial souvenir, mais aussi que vous avez pour toute cette province une singulière sollicitude. Cette sollicitude ne peut lui être que très avantageuse, ainsi qu'elle l'a été jusqu'à présent, surtout en ces temps si calamiteux, durant lesquels elle est devenue comme une veuve accablée d'amertume, et de tous ceux qui lui étaient chers il n'en est pas un seul qui la console.(Lm 1,1)

On ne saurait dire quelles ont été nos angoisses en voyant le péril que courait cette pauvre nacelle, déjà ruinée, hélas ! par une telle peste de guerre. Toutefois, Dieu soit loué de ce que ni parmi les anciens Catholiques, ni parmi les nouveaux convertis il n'y a eu d'autre mouvement que celui d'une plus grande ardeur et ferveur. Nos ecclésiastiques installés dans les nouvelles églises ont incroyablement souffert, mais avec tant de constance que c'est une grande . consolation de s'en ressouvenir. Les ministres de Genève n'ont pas manqué de vouloir occuper les églises ; mais Mgr notre Révérendissime Evêque s'en étant plaint au roi de France, celui-ci leur ordonna de renoncer à de semblables desseins. Ce n'est pas sans peine, il est vrai, que les choses se sont ainsi maintenues.

L'espoir d'une prochaine paix nous réjouit tous ; mais si à cause de nos péchés elle ne se concluait pas, nous aurions grand besoin de l'appui du Saint-Siège auprès du roi, afin de n'être pas maltraités par les Genevois. Pour mon compte, je suis résolu de demeurer ferme jusqu'à la fin, selon le peu de vigueur que sa divine Majesté m'a donnée, surtout si Votre très Révérende Paternité, ainsi que le P. Jean-Matthieu, son frère, continue à me faire part de ses prières, comme je l'en supplie très humblement.

C'est en baisant vos mains sacrées que je demeure éternellement,

De Votre très Révérende Paternité,

Le très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

De Sales, ma maison paternelle, le 3 février 1601.
Je ne veux pas manquer de vous avertir que l'affaire de la coadjutorerie n'a eu aucun succès ni avancement depuis l'examen ; c'est pourquoi, si vous me favorisez de vos lettres, je vous supplie de ne pas me donner un titre qui ne me convient pas.

Au très Révérend Père et mon très vénéré Seigneur en Jésus-Christ,

Le R. P. Juvénal, Théologien de la Congrégation de l'Oratoire. - Rome.

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio.

CXXXVIII

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

Constance des Catholiques de Thonon et de Ternier opprimés par les Genevois. Prière de solliciter les prébendes d'Abondance promises à M. Nouvellet.

Annecy, 18 mars 1601.
Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur, Mon oncle, M. de Villette, maître d'hôtel de Son Altesse, se rendant auprès de vous, il m'a semblé devoir rompre un silence forcément prolongé, en offrant par ces lignes mes très humbles hommages à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. Je lui donnerai en même temps une consolation : celle de lui apprendre que si bien à Thonon et à Ternier, d'où je revins seulement le Dimanche de la Quinquagésime, on a beaucoup souffert sous le gouvernement de M. de Montglat , huguenot, et par les diverses embûches des Genevois (à Ternier surtout ils ont exercé une tyrannie, et commis à l'égard des choses sacrées des indignités qui ne se peuvent dire), néanmoins, malgré tout cela, parmi un si grand nombre de convertis il ne s'en trouvera pas quatre qui soient retombés, et encore sont-ils de basse condition. Ainsi l'on a reconnu que leur saint changement était l' œuvre de la droite du Très-Haut,(Ps 76,11) puisque, par antipéristase, ils célébrèrent les fêtes de Noël avec un entrain tout à fait inusité. Reste donc à mettre désormais à exécution le Bref de Sa Sainteté relatif à l'application des biens ecclésiastiques à l'usage des pasteurs et des curés, sans intrigues de ces bénis Chevaliers .

M. de Villette suppliera Votre Seigneurie d'user de sa charité accoutumée pour obtenir à M. Nouvellet les prébendes promises par l'Abbé d'Abondance, non pour cette année passée, puisque M. de Sancy a saisi tout le revenu de cette abbaye, mais pour l'année prochaine. Je vous en supplie aussi moi-même, baisant très humblement vos mains sacrées, et priant Dieu de nous faire jouir longues années des fruits de votre protection.

D'Annecy, où je demeure pour les prédications du Carême, le 18 mars 1601.
De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

Mgr notre. Révérendissime Evêque m'a chargé de baiser en son nom les mains de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime.

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.
 
 

CXXXIX

A M. ANTOINE D'AVULLY

Le Saint rend compte de son intervention auprès du duc de Nemours pour le règlement d'une affaire d'intérêt.

Annecy, 9 avril 1601 ,
Monsieur, Vostre homme arriva hier tout a propos pour treuver Monseigneur de Nemours encor en ceste ville. Je viens tout maintenant d'aupres de luy, et luy ay representé ce que vous aves desiré, a quoy il s'est rendu fort aysé ; et ne pouvant employer beaucoup de tems a la consideration de l'affaire pour tant d'affaires que la soudaineté de son despart luy a apportés, il a commandé sur le champ et en ma presence a monsieur le praesident Floccard de le despecher au plus tost que faire se pourra. A quoy ledit sieur Praesident a respondu qu'il le ferait infalliblement ; et despuys je l'ay repris, et le Procureur patrimonial encores, lesquelz conformement m'ont dit que sil vous playsoit d'en venir par termes de justice, la chose ne pouvoit pas se terminer du tout si tost, et qu'en ce cas il sera requis de voir ledit Procureur patrimonial repliquer a vos responces. Mays sil vous plait d'en venir a l'amiable et prendre un des premiers jours apres Pasques, vous series bien tost expedié. Ceste seconde voye me semble plus sortable. Ce pendant, sur cecy je vous prieray de me donner advis du choix que vous feres, et je le feray sçavoir audit sieur Procureur du domeyne. Monsieur le Prœsident m'a dit que si franchement et resolument vous vous contentés de rendre a Monsieur ce quil vous a baillé en eschange et reprendre le Turchet , la chose sera du tout hors de difficulté et de dilation.

Monsieur, excusés moy si je vous escris ainsy a baston rompu, car j'ay la teste tant rompue et d'ennuy et d'affaires que je ne pense guere aux paroles. Je vous salue de tout mon cœur, et madame d'Avully, et vous prie de [croire] que je seray tous-jours fort affectionnement,

Monsieur,

Vostre humble et tres affectionné serviteur, FRANçs DE SALES.
A Neci, le 9 avril [1601].
Je n'ay pas parlé des 150 escus baillés au conte de Tournon par ce que je n'entendois pas bien l'affaire.

A Monsieur

Monsieur d'Avulli.

Revu sur l'Autographe conservé à Dôle, Ecole libre de Notre-Dame du Mont-Roland.

CXL
 
 

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(en italien)

Regret d'apprendre le rappel du Nonce. - Nouvelles conversions en Chablais. - Mauvais vouloir de ceux qui devraient les favoriser. - Succès de la mission entreprise dans le bailliage de Gaillard. - Espoir de ramener à la vraie foi le pays de Gex. - Demande de quelques faveurs. - Travaux apostoliques de l'Archevêque de Vienne et de l'Evêque de Genève.

Sales, 28 juin 1601
Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur, J'ai appris avec un déplaisir incroyable que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime est sur le point de terminer sa fructueuse nonciature. C'est pourquoi je dois vous remercier d'abord, comme je le fais très humblement, des faveurs infinies dont, par votre bonté, vous m'avez comblé pour ma consolation et pour le bien de cette province, de laquelle vous êtes non seulement le bienfaiteur signalé, mais aussi le père très aimant. Je vous supplie ensuite de daigner me continuer vos bonnes grâces partout où vos mérites vous porteront, et de croire que jamais vous n'aurez un serviteur qui soit plus que moi dédié à votre obéissance, quoique je sois inutile.(Lc 17,10)

Toutefois, je ne laisserai pas de donner à Votre Seigneurie des nouvelles de nos affaires aux environs de Genève. J'ai été ce mois-ci à Thonon et dans le bailliage de Chablais pour visiter toutes les églises, savoir en quel état elles se trouvent et par quel moyen on pourrait les doter, comme il m'avait été enjoint par Mgr notre Evêque. Pour ce qui concerne les âmes, j'ai trouvé que, malgré la guerre, le nombre des convertis s'est accru depuis Noël, bien que sous la domination du lieutenant du gouverneur donné par le roi de France, lequel pendant qu'il était là était huguenot au suprême degré, quelques brebis se fussent d'abord égarées ; mais elles sont peu en quantité et nulles en qualité. Aux fêtes de Pentecôte j'ai prêché à Thonon, où les nouveaux Catholiques ont fait en grand nombre la Communion avec beaucoup de fruit.

Mais quant au moyen de doter les églises, la difficulté est très grande pour les mêmes raisons qui ont existé jusqu'ici : c'est-à-dire Tous cherchent leurs intérêts, (Ph 2,21) jusqu'à M. le Prévôt du Grand-Saint-Bernard qui, sous certaines prétentions de nominations qu'il avait avant l'invasion de l'hérésie, traverse cette œuvre partout où il peut, et lui, qui n'a jamais paru au temps du labeur, veut maintenant s'emparer des bénéfices; de sorte que, craintes au dehors, combats au dedans. (2 Co 7,5) Quant à MM. les Chevaliers, l'on n'en peut dire autre chose sinon que leurs agents persistent eux aussi à vouloir contester, si bien qu'on ne voit pas la fin de cette affaire ; et cependant il serait nécessaire de la terminer pour donner commencement à celle que voici.

Deux Pères de la mission et deux autres curés du Chablais, proches du bailliage de Gaillard, apprenant que Son Altesse était maîtresse de ce bailliage et qu'il s'y trouvait un capitaine très catholique , allèrent s'offrir à lui pour commencer la prédication évangélique et l'exercice du culte, lequel n'existait pas en ce lieu parce que les Genevois l'avaient jusqu'alors occupé au nom du roi de France. Le capitaine témoigna beaucoup de zèle et de désir d'un si grand bien, en promettant tout appui aux Pères. Aux fêtes de Pentecôte on donna commencement [à cette œuvre] dans ce bailliage (distant d'une demi-lieue de Genève, c'est à-dire deux milles), et cela avec tant de secours du Saint-Esprit que, m'y étant rendu le mercredi de la même semaine, j'y trouvai, en deux paroisses, plus de cent familles catholiques. Presque toutes les autres sont fort disposées au même bonheur, sans que soient intervenus ni force ni artifice autre que la simple parole. Il est vrai que ce bailliage n'étant pas très éloigné des nouveaux Catholiques du Chablais d'un côté, et des anciens de notre côté du Genevois, les habitants étaient déjà à moitié instruits de la sainte religion. Voilà donc que Mgr notre Evêque aura de nouvelles fatigues pour envoyer des ouvriers en cette vigne, (Mt 20,1) et leur procurer les provisions nécessaires.

A ce que l'on dit, de bien plus grands travaux surviendront dans le bailliage de Gex avec l'intérim que le roi de France doit y introduire. Là aussi il faudra pourvoir de pasteurs, car ce bailliage est maintenant entièrement huguenot et occupé par les Genevois, qui demeureront bien compromis par l'intérim s'ils sont contraints de restituer les biens ecclésiastiques. Je crois qu'ils doivent l'être, malgré cette clause du traité de paix, que chacun doit rentrer dans les domaines qu'il possédait avant la guerre ; car je ne pense pas que le Saint-Siège en faisant la paix ait entendu que les huguenots gardassent les biens de l'Eglise, dont ils sont usurpateurs et non possesseurs.

Tel est l'état de nos affaires, auxquelles je supplierai très instamment Votre Seigneurie Illustrissime de daigner continuer sa sollicitude accoutumée, et surtout de les recommander vivement à son illustrissime successeur. Et parce que j'ai l'habitude de vous présenter toujours quelque requête pour ma consolation particulière, je vous demanderai de vouloir bien vous rappeler des prébendes obtenues pour M. Nouvellet, vétéran de la milice ecclésiastique, dont M. de Villette vous parlera plus amplement.

De plus, nous avons en ce diocèse une demoiselle laquelle, étant fort jeune, fit vœu de chasteté; quoiqu'elle soit très pieuse, elle ne veut pas néanmoins entrer en Religion, et dans le monde elle rencontre de grandes difficultés pour l'observation de ce vœu. C'est pourquoi les Pères Jésuites ont jugé qu'il serait à propos de l'en faire relever afin qu'elle puisse se marier. Je supplie donc Votre Seigneurie de vouloir bien nous donner le pouvoir de lui accorder la dispense requise, et de me pardonner si j'ose recourir à Elle avec tant de liberté, car son infinie bonté seule en est cause.

Je vous demande en dernier lieu de me permettre de vous écrire quelquefois soit à Rome, soit à Bari, et de vous renseigner sur nos affaires, dont je crois que Votre Seigneurie gardera toujours un agréable souvenir, se rappelant les travaux qu'Elle leur a consacrés pour le service de Dieu. Pour moi, je prierai toujours le Seigneur de vous conserver et de vous accorder une très longue vie, telle qu'elle est nécessaire pour le bien de l'Eglise. En baisant vos mains sacrées, je vous fais très humble révérence.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES!

Prévôt de Genève.

A Sales, le 28 juin 1601,
Mgr l'Archevêque de Vienne est à Thonon en très bonne santé ; il opère beaucoup de fruit parmi ces populations, se donnant tout entier à la consolation de la conversion de ces âmes. Mgr de Genève ira la semaine prochaine au pays de Gaillard pour visiter cette nouvelle vigne. A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur Monseigneur l'Archevêque de Bari, Nonce apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime Turin

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.
 
 
 
 
 
 
 

CXLI

A DES AMIS

(MINUTE INÉDITE) (en latin)

Départ précipité pour traiter des intérêts de la religion dans le pays de Gex.

[Fin juillet 1601.]
Je n'ignore pas avec quel empressement cette excellente mère Vous avertira de mon passage, elle qui m'a embrassé avec une âme débordante de joie, et qui n'eût pas consenti à me laisser partir si je ne l'avais contrainte à constater combien est urgente la cause de mon départ. Vous-même, du reste, pouvez juger de cette urgence, puisqu'elle m'oblige à m'éloigner sans vous saluer, vous qui alliez si tôt revenir, vous qu'une si petite distance séparait de moi ! Il s'agit de la religion ; or, cette cause qui est la première pour tous, doit l'être surtout pour moi, qu'elle soulève et entraîne avec tant de force. Le baron de Lux a fixé ce jour pour une conférence sur le rétablissement de la religion catholique dans le pays de Gex. Si ce jour s'écoulait sans que la question fût réglée, je craindrais d'être responsable du retard devant Dieu et devant les hommes. Aussi, confiant dans votre bienveillance à mon égard, je pars en vous assurant de tout mon respect, et je proteste vouloir vivre et mourir votre frère, tout dévoué à ce que votre bon plaisir réclamerait de moi.

Veuillez, je vous prie, saluer le plus affectueusement du monde le tout aimé et tout aimant Rodolphe .

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon.
 
 
 
 

CXLII
 
 

A MONSEIGNEUR JULES-CÉSAR RICCARDI ARCHEVÊQUE DE BARI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(MINUTE INÉDITE) (en italien)

Le pays de Gex soumis à la France; intention du roi d'y rétablir la religion catholique ; opposition des Genevois; démarches faites pour en triompher. - Reprise des poursuites commencées au sujet de la coadjutorerie.

Chambéry, 20 août 1601 .
Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur, Bien que d'après ce qui m'a été dit par M. le président Favre et M. le baron de Chevron je sache que peut-être cette lettre ne parviendra pas entre vos mains pendant votre nonciature, je ne veux pas toutefois laisser de vous donner connaissance de deux choses, au succès desquelles votre autorité et votre bonté pourront beaucoup aider à l'occasion.

L'une concerne l'extension de la sainte foi près de Genève, dans le bailliage de Gex, qui appartient à ce diocèse, et s'étend des confins de la Bourgogne et du pays des Bernois jusqu'à un demi-mille de Genève. Ce bailliage a été occupé jusqu'à présent par les Genevois au nom du roi de France ; mais depuis quinze jours il a été de nouveau soumis à sa couronne et arraché aux mains desdits Genevois. M. le baron de Lux, qui en a pris possession au nom du roi , a déclaré que l'intention du roi lui-même était que l'exercice du culte catholique y fût rétabli au moyen de l'Intérim de la même manière qu'il se pratique en France. Mais parce que l'Intérim français veut que les biens ecclésiastiques et les églises soient rendus aux prêtres, aux évêques et autres, les Genevois, qui détiennent les terres et les revenus de Mgr de Genève, de son Chapitre et d'autres églises, ont protesté que cet Intérim ne devait leur préjudicier en rien. C'est pourquoi M. le baron de Lux, bon Catholique, a mandé au roi pour avoir la solution de cette difficulté, et Mgr l'Evêque a aussi, de son côté, écrit à Sa Majesté et à M. le Nonce de France , afin que ses droits et les nôtres soient sauvegardés.

Mais ceci est peu de chose si le Saint-Siège n'emploie fortement son autorité auprès de Sa Majesté, afin que, sans égard aux Genevois, on exécute cette restitution des biens de l'Eglise ; par ce moyen, ces hérétiques recevront le plus grand affront qu'on leur ait jamais fait jusqu'à présent. Sans cette mesure, la religion ne pourra être rétablie ; car il est impossible de pourvoir ce pays de pasteurs si on ne pourvoit les pasteurs des ressources nécessaires et d'une église. A cet effet, Mgr notre Evêque écrit à l'Illustrissime Cardinal Aldobrandino , et j'ai cru devoir en avertir Votre Seigneurie Illustrissime, afin qu'Elle intervienne aussi dans une occasion si favorable à la gloire de Dieu.

L'autre chose est que, en étant vivement sollicité par Mgr l'Evêque de Genève et aussi, pour le dire franchement, par toutes les personnes les plus notables et les plus distinguées du diocèse, non seulement ecclésiastiques mais encore laïques, cédant enfin à leurs instances j'ai consenti à ce que l'on reprît les négociations commencées pour m'obtenir la coadjutorerie de cet évêché avec future succession. Ce n'est pas certes que je désire cette dignité, dont le poids m'a toujours paru formidable, surtout dans ces temps de confusion et de trouble ; mais c'est pour ne pas résister à l'avis de tant de gens de bien qui ont jugé que je ne devais plus retarder cette affaire. Toutefois, il reste encore une grande difficulté, et telle que peut-être ce sera le moyen dont la divine Providence se servira pour me faire la grâce de me laisser en repos. C'est que, ma famille ayant beaucoup souffert par le malheur des temps passés, et me trouvant privé de mon père depuis trois mois, je ne suis pas en mesure de faire une grande dépense. Si elle est nécessaire, je ne pourrai poursuivre cette affaire, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une chose présente, mais future, ni d'avantages, mais de peines incroyables. Cette église est dépouillée de la plus grande partie de ses revenus, qui sont entre les mains des ennemis de la foi ; de plus, il y a tant de travaux à supporter que son Evêque ne peut manger qu'au prix de beaucoup de sueurs le peu de pain qu'elle lui donne.

Pour cette raison, Mgr notre Evêque écrit à son agent qu'il tâche de découvrir, par le moyen de nos amis, et particulièrement de l'Illustrissime Cardinal Baronius , si l'on peut espérer quelque faveur de Sa Sainteté. J'en supplie moi-même très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, afin que si de telles faveurs ne s'accordent pas, je ne poursuive plus cette affaire ; car si elle n'aboutissait pas, faute de ressources, mes compatriotes pourraient concevoir de mauvais soupçons, et attribuer cet insuccès à quelque autre cause. Si cependant la chose doit réussir, je ne cesserai de me prévaloir de la bienveillance et de la bonté de Votre Seigneurie chaque fois que je le croirai opportun, désirant en ceci comme en tout autre dessein demeurer toujours sous les ailes de sa protection.

Je regrette beaucoup qu'il faille entreprendre cette affaire sur la fin de votre heureuse et fructueuse nonciature, mais ainsi le veut la divine Providence. Je lui remets donc entièrement le succès de ceci et de tous mes autres projets, la suppliant de conserver pour l'utilité de son Eglise Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, à qui je baise très humblement les mains……………………..

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 
 
 

CXLIII

A MONSEIGNEUR CONRAD TARTARINI, ÉVÊQUE DE FORLI

(en italien)

Prière de s'intéresser à la restitution des biens ecclésiastiques du pays de Gex.

Chambéry, 20 août 1601.
Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur, Puisque les divers besoins de ce diocèse me donneront souvent occasion de recourir à l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, il m'a semblé que je pouvais et devais commencer par celui-ci, qui est remarquable et très important.

Le pays de Gex, occupé jusqu'à présent par les Genevois, est tombé, par les articles du traité de paix, entre les mains du roi de France, au nom de qui le baron de Lux en a pris possession depuis peu, en déclarant que l'intention du roi était d'y rétablir l'exercice de la foi catholique au moyen de l'Intérim de la même manière qu'il se pratique en France. Mais parce que ledit Intérim exige que les églises et les biens ecclésiastiques soient rendus aux Catholiques, les Genevois, qui détiennent en ce bailliage un grand nombre de terres, décimes et autres revenus de Mgr l'Evêque de Genève, de son Chapitre et de plusieurs églises, ont protesté que l'Intérim ne devait leur préjudicier en rien. C'est pourquoi, le baron de Lux manda au roi pour avoir la solution de cette difficulté; Monseigneur lui écrivit ensuite de son côté au sujet de cette affaire, ainsi qu'à M. le Nonce de France.

Or, parce que si cette restitution a lieu, ce sera l'un des plus grands coups qu'aient reçus jusqu'ici ces hérétiques, il m'a semblé convenable d'informer de toutes ces choses Votre Seigneurie, afin qu'Elle aussi emploie son saint zèle à favoriser cette entreprise en la recommandant au Saint-Siège. Mgr l'Evêque de Genève écrit à cet effet la lettre ci-jointe à l'Illustrissime Cardinal Aldobrandino, laquelle, pour plus grande sûreté, je lui adresse par votre entremise.

C'est en baisant très humblement les mains vénérées de Votre Seigneurie que je lui souhaite de Dieu notre Seigneur, avec tout vrai contentement, un bon commencement, un meilleur progrès et une excellente fin de son importante nonciature.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

De Chambéry, le 20 août 1601.
A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Mg, le Nonce Apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime. - Turin.

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.

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Fac-similé de la lettre CXLIII en italien à Mgr Tartarini
 
 

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CXLIV

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL Ier

(MINUTE)

Obstination de quelques hérétiques de Thonon. Mesures à prendre pour en triompher.

Thonon, commencement d'octobre 1601.
Monseigneur,

Apres que Monsieur l'Evesque de Geneve a eu establi les eglises en tout ce balliage, horsmis en deux ou trois lieux, et entr'autres en ceste ville , faute de moyens convenables, il m'a layssé icy pour quelques jours pour essayer d'attirer ce peu qui reste d'huguenotz hors du fort de leur obstination. J'y ay employé tout mon cœur, et espere que Dieu en aura touché quelques uns par les motifz quil luy a pleu m'inspirer. Neanmoins je n'ay encor peu tirer d'eux pleyne resolution, et en ay trouvé des autres qui sont si avant en leur opiniastreté que mesme ilz refusent leurs aureilles a la sainte parole, et ne veulent se prester a aucune rayson ; gens ignorans et qui d'ailleurs sont de nulle consideration. Si que, apres avoir fait ce qui a esté de ma capacité et ayant veu que tant de doctes Peres Jesuites et autres praedicateurs y ont employé toute leur industrie, je me suys venu rendre aux officiers que Vostre Altesse a ordinairement en ce lieu et a tous ceux que j'y ay veu et peu rencontrer, entr'autres a monsieur le marquis de Lulin, pour aprendre d'eux si de nostre costé il demeuroit quelque diligence a faire.

Et tous concourent a cest'opinion, quil n 'y a plus aucun moyen de reste pour en chevir, sinon que Vostre Altesse, par un edit paysible, commande que tous ses sujetz ayent a faire profession de la foy catholique, et en prester le serment dans deux moys es mains de ceux qui seront deputés, ou de vuider ses estatz, avec permission de vendre leurs biens. Plusieurs, par ce moyen, eviteront le bannissement du Paradis pour ne point encourir celuy de leur patrie ; les autres, qui seront fort peu en nombre, sont de telle qualité que Vostre Altesse gaignera beaucoup en les perdant, gens desquelz l'affection est des-ja pervertie et qui suyvent le huguenotisme plus tost comm'un parti que comme une religion. Le saint effect de l'edit que je propose rendra tous-jours plus admirable a tous les vrays Catholiques la religion et grandeur de courage de Vostre Altesse, et la douceur d'iceluy forcera tous ses adversaires d'en reconnoistre la clemence, mesme apres tant de soin qu'ell'a eu de faire proposer les instructions a ce peuple, duquel maintenant ell'est maistresse sans dependence d'aucun traitté ni condition, ne le tenant que de Dieu,

Vostre Altesse me permettra de 1uy dire ce mot avec le zele que je dois au service de sa gloire, Chacun sçait qu'elle desire extremement de voir ses païs netz du mal de l'heresie, personne n'ignore l'ardeur de son zele en cest endroit ; si elle ne le fait pas, le pouvant si aysement faire, plusieurs croiront que le desir de ne mescontenter pas les huguenotz qui sont en son voysinage en soit l'occasion. Et toutefois on estime qu'il ny aura aucun mescontentement pour ce regard; et quant il y seroit, quil ne devroit entrer en aucune consideration aupres de Vostre Altesse, qui n'a que faire d'incommoder ses saintes intentions pour gratifier des gens qui, en cas pareil, ne voudroyent en rien s'accommoder au gré de Vostre Altesse,

Monseigneur, je ne puis pas sonder plus avant que cela, et ne sçai sil y a chose au pardela de ceste mienne consideration qui puisse ou empecher ou retarder l'edit que je souhaitte ; en quoy je me sousmetz purement a son meilleur jugement. Mais puisque les grans princes ont soin de toutes les pieces de leurs estatz, il est raysonnab1e que chacune leur contribue les advis qui semblent estre pour leur service ; ce que je fay avec toute franchise a l'endroit de Vostre Altesse, pour la singuliere debonaireté que Dieu luy a donnée, et de laquelle je me prometz le bonheur d'estre tous jours avoué,

Monseigneur,

Son tres humble et tres obeissant serviteur et sujet.
Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.
 
 
 
 
 
 

CXLV

AU BARON DE LUX

Mgr de Granier est prêt à évangéliser le pays de Gex.

[Octobre 1601.]
Monsieur, Puisqu'il vous a pleu me dispenser d'aller en personne aupres de vous pour vous donner l'advis que vous desires avoir de moy avant que de vous acheminer a Gex, je vous diray simplement sur ce papier que Monsieur l'Evesque se tient tout prest avec la petite trouppe pour arborer la Croix et en publier les mysteres par tout ou vous luy en marqueres les lieux et occasions ; il attendra seulement l'assignation du jour que vous luy donneres pour vous rencontrer sur le chemin . Je prendray le plus d'instruction que je pourray des particularités requises pour ce tant signalé commencement d'une œuvre de laquelle la gloire estant toute a Dieu, comme a sa source, doit neanmoins verser beaucoup d'honneur sur vous, qui estes le principal instrument duquel il s'est voulu servir.

Je le prieray toute ma vie pour vostre felicité, et confesseray que je dois estre, comme je vous supplie de croire que je seray tous jours,

Monsieur, Vostre tres humble et tres obeissant serviteur, FRANçs DE SALES, Prœvost de l'Eglise de Geneve.

CXLVI

AU CARDINAL PIERRE ALDOBRANDINO

(MINUTE INÉDITE) (en italien)

Henri IV demande l'évangélisation du pays de Gex. - Son désir de restituer au clergé les biens ecclésiastiques usurpés par les Genevois. - Démarches à faire pour obtenir cette restitution,

Lyon, 10 novembre. 1601.
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Le roi très chrétien a écrit le 17 octobre à Mgr l'Evêque de Genève d'envoyer au bailliage de Gex, récemment soumis à sa couronne, des pasteurs et des curés capables pour y rétablir l'exercice de la sainte foi catholique, selon la teneur du décret de l'Intérim fait pour le reste de la France. Et parce que le roi demandait que, quant au nombre, on s'en tint exactement à celui qui serait marqué par M. le baron de Lux, lieutenant dans le gouvernement de Bourgogne, Bresse et autres pays récemment réunis au royaume, je suis venu ici pour apprendre plus particulièrement comment cette affaire doit se traiter; ce qui n'est pas encore résolu.

Entre autres choses, on a parlé des revenus de l'Evêque et du Chapitre de Genève et de ceux de Saint-Victor , usurpés par les Genevois, ainsi que des moyens à prendre pour les recouvrer. Autant que j'ai pu le découvrir, le roi voudrait de toute façon avoir quelque bon prétexte pour enlever lesdits revenus à cette ville, sans offenser les cantons hérétiques des Suisses et la reine d'Angleterre qui font beaucoup d'instances en faveur des Genevois ; et ce qu'il désire c'est d'en être pressé au nom du Saint-Siège, auquel il n'y aurait pas lieu de refuser une si juste requête,

C'est pourquoi, avant de m'en retourner en Savoie, il m'a semblé utile de donner connaissance de cette particularité à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant très humblement d' exercer en cette occasion le saint zèle que Dieu lui a inspiré pour le bien de la sainte Eglise. Il me semble qu'il serait très bon que Votre Seigneurie écrivît une lettre à Mgr l'Evêque de Genève, encourageant les poursuites qu'il fait à ce sujet, et en même temps une autre à M, le Nonce de France pour lui ordonner d'en traiter énergiquement avec Sa Majesté. De cette manière, la négociation réussirait très bien; et ce ne serait pas un petit préjudice pour les Genevois, qui demeureraient très pauvres, ni peu de lustre à la religion catholique ; ce serait aussi ouvrir peu à peu la voie pour amener à quelque plus grand bien la ville même de Genève.

Pour toutes ces choses nous n'avons, après Dieu, rien à espérer sinon de la Sainteté et bonté de notre Saint-Père et du zèle de Votre Seigneurie, à qui je baise très humblement les mains.

De Lyon en France, le 10 novembre 1601.
Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CXLVII
 
 

A M. CLAUDE DE QUOEX

Bonnes intentions du roi de France en faveur des Catholiques. - Formalités à remplir pour en obtenir la mise à exécution.

Lyon, 10 novembre 1601 .
Monsieur,

Nous voici a Lion pour apprendre de monsieur le baron de Lux, lieutenant au gouvernement de Bourgoigne et de Bresse, Verromey et Gex, ce que nous avons a faire pour le restablissement de la religion catholique au balliage de Gex, suivant la lettre que le Roy de France en a escritte a Monseigneur le Rme Evesque, de laquelle je vous envoye copie. Et au progres des discours que j'ay eu avec luy, j'ay treuvé que le Roy et ses gens sont fort disposts a nous rendre nos biens, c'est a dire les biens de nostre Chapitre qui sont riere Gex, mais il desirerait d'en estre recherché et pressé par Sa Sainteté. L'importance sera d'obtenir de nostre Saint Pere quil y mette de la ferveur et face que son Nonce qui est en France empoigne vivement ceste sollicitation.

Or, pour ce faire, il eut esté requis d'en toucher un mot a Sa Sainteté mesme ; mays parce que cela appartient ou a Monseigneur le Rme ou a nostre Chapitre, je n'ay pas osé le faire, mais escris seulement au Cardinal Aldobrandin sur ce sujet simplement; mesmement par ce qu'iceluy ayant conclud la paix, demeslera mieux l'affaire avec le Roy, avec lequel, a ce que j'entens, il a quelque secrete intelligence pour ces affaires de religion. Mays ce n'est que peu de chose d'une lettre, car elle n'a point de replique. Je vous prieray donq de raccompagner ou monsieur Reydet , J, en la donnant, d'une dec1aration un peu ample de la necessité que nous avons de l'assistence du Saint Siege, du dommage que cela fera a l'heresie et du grand honneur qui en reussira a la sainte Eglise.

Outre cela, il y a un point encor plus important, qui est quil serait expedient que Monseigneur le Cardinal escrivit une lettre a Monseigneur de Geneve, par laquelle il luy donnast courage de demander la restitution de ses biens qui sont a Gex, et un'autre au Nonce, affin quil l'assistast en ceste demande. Vous demanderes pourquoy il faut procurer ces formalités. Je dis que je n'en sçaurois rendre autre cause sinon que j'ay descouvert manifestement quil faut tenir ce chemin. Neanmoins, encor ay je apprins que c'est par ce [ que] les cantons huguenotz et la Reyne d'Angleterre s'entremettent pour ceux de Geneve, qui sont les possesseurs ou usurpateurs desdits biens, et le Roy voudroit avoir un juste praetexte pour les esconduire. Or, plus apparent n'en peut il avoir que d'estre sollicité par le Saint Siege.

Saches au reste que nous sommes fort en affaires pour ce respect, monsieur Rogex et moy, et des fondemens que nous voyons ne pouvons conclure sinon que si nous sommes aydés de ceux qui peuvent et doivent le faire, non seulement cela se fera, mais de plus grandes choses. De vostre part nous nous promettons toute faveur, et de nostre monsieur Reydet.

Au reste, tout se porte bien en nostre pais. Et n'estant ceste pour autre, je la finiray, me disant,

Monsieur,

Vostre humble et plus affectionné serviteur,

FRANçs DE SALES.
 
 

MEMOIRE SUR UN'OBJECTION QUE FONT CEUX DE GENEVE

DE LAQUELLE IL SERA BIEN A PROPOS D'INSTRUIRE LE CARDINAL

ET DE LA RESPONSE A ICELLE

Il y a un article en la paix qui porte que un chacun des deux princes possedera les terres qui luy demeurent a mesmes termes qu'elles estoyent auparavant la guerre. Or, auparavant la guerre, ceux de Geneve possedoyent paysiblement les biens de l'Evesque et du Chapitre : donques, encor les doivent ilz posseder.

La response peut estre : Que l'article remet les scindiques de Geneve en la nue et simple possession de fait, mays il ne la rend pas legitime si elle ne l'estoit pas. Or, auparavant la guerre, ceste possession n'estoit pas legitime ; elle ne l'est donq pas maintenant. Que si elle ne l'est pas, elle ne doit pas estre maintenue Mays on replique : Que veut dire qu'avant la guerre vous ne recherchies pas ces biens ? C'estoit par ce que feu Son Altesse ( Emmanuel-Philibert, duc de Savoie (1553-1580) avait traitté autrement avec ceux de Berne, et despuis le traitté a esté annullé par ceux de Berne mesme. Et d'effait, ce traitté la portoit par expres que la religion ne seroit point restablie es balliages ; neanmoins, despuis on l'a restablie au veu et sceu de Berne, a quoy on n'a jamais rien opposé : signe evident que ceux de Berne tiennent ledit traitté pour nul. Que sil est nul, ceux de Geneve ne s'en peuvent praevaloir.

A Monsieur

Monsieur de Quoex, Docteur es droitz.

A Romme.

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.
 
 
 
 
 
 

CXLVIII

A UN INCONNU

(MINUTE INÉDITE)

Le Saint s'estime heureux d'entrer en relation avec ce personnage et lui promet des documents historiques.

[Novembre 1601 .]
Monsieur, Un mien ami demeurant a Lion m'a demandé quelques memoires sur les particularités de la revolte de Geneve, des conversions qui se font aupres et du tems auquel le P. Justinien en a esté Evesque. En quoy, bien que j'eusse desiré de le servir comm'en toute autre occasion, pour son respect, si est ce que la volonté m'en est beaucoup augmentee quand il m'a dit quil faysoit ceste recherche la pour vous. Car ayant pieça beaucoup honnoré vostre nom, sous lequel tant de beaux ouvrages, marqués d'une rare vertu et doctrine de leur autheur, paroissent aux yeux du monde, j'ay aussi des lhors fort souhaitté lhonneur d'estre en vostre connoissance; non que je cuyde y pouvoir entrer que pour fort peu de chose, mais parce que ça tous-jours esté une honneste ambition a ceux qui ont la vertu en reverence, de rechercher la bienveuillance de ceux qui en ont la possession. C'est pourquoy j'ay voulu vous envoyer immediatement ces advis pour prendr'occasion de vous demander la faveur de vos bonnes graces et vous offrir mon humble service, me promettant aysement d'estre gratiffié par vostre bonté.

Je vous prieray m'excuser si je ne vous envoye pas pour l'heure les memoires que vous desires au premier article, par ce que je suis en voyage et ne puis pas obtenir de ma souvenance tout ce que je luy en demande, avec l'asseurance des particulieres circonstances qui sont requises pour s'en bien servir. M.ays estant de retour au diocaese, qui sera dans peu de jours, j'en iray a la queste par tout ou je cuyderay en pouvoir rencontrer des pieces, et bientost apres je les vous envoyeray.

Mays touchant les conversions qui se font autour de Geneve……………………………

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon.

CXLIX
 
 

A MONSEIGNEUR CONRAD TARTARINI ÉVÊQUE DE FORLI, NONCE APOSTOLIQUE A TURIN

(en italien)

Evangélisation des bailliages de Gex: et de Gaillard. - Prochain voyage du Saint à Paris pour négocier la restitution des biens ecclésiastiques. Avantages qu'apportera l'établissement de la Sainte-Maison; moyens de lui assurer des ressources. - Renseignements sur Jules-César Paschali et sa famille.

Annecy, 21 décembre 1601.
Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur, Bien que l'honorable rapport fait sur mon compte à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime ne fasse pas naître en mon âme peu de confusion, me sentant destitué du mérite qu'on m'attribue, néanmoins il me donne d'un autre côté beaucoup de consolation, puisqu'il m'offre l'occasion de me présenter à Votre Seigneurie comme son très humble et très dévoué serviteur. C'est ce que je fais actuellement, vous suppliant de daigner agréer l'ardente affection avec laquelle le peu que je suis vous est dédié.

Je vais maintenant rendre compte à Votre Seigneurie des progrès [de la religion] dans ce diocèse, en lui disant qu'ils sont très heureux, non seulement à Thonon et Ternier, car cela est désormais ancien ; mais aussi, tout récemment, dans les bailliages de Gex et de Gaillard, qui s'étendent jusqu'aux portes de Genève. Dans le second de ces bailliages, Mgr l'Evêque de Genève réconcilia, la semaine passée, huit églises pour l'usage de plusieurs milliers d'âmes ramenées à la foi depuis Pentecôte, ainsi que j'en donnai connaissance à votre illustrissime prédécesseur.(cf lettre CXL) Au premier, qui est soumis au roi de France, ont été érigées trois paroisses, dans lesquelles on a installé trois de nos chanoines pour la sainte prédication. Ils y opèrent beaucoup de fruit, car il se trouvait en ce pays plusieurs anciens Catholiques dont la foi était cachée et couverte comme un feu sous la cendre du culte huguenot, qui seul s'y pratiquait depuis soixante-six ans ; cette foi étant maintenant mise à découvert par le souffle de la parole divine, (Ez 37,9) ils rendent témoignage à la vérité. D'autres encore se convertissent, et d'autres se disposent à la conversion.

Il reste que non seulement en trois paroisses, mais en toutes, qui sont au nombre de vingt-six, on rétablisse le saint exercice [du culte] et que les revenus ecclésiastiques soient enlevés aux ministres hérétiques et aux Genevois ; car, lorsque le peuple sera obligé d'entretenir les ministres à ses frais, il s'en lassera bientôt, et d'autant plus qu'il verra de bons prêtres lui offrir gratuitement de salutaires pâturages. Mgr de Genève a supplié le Saint-Siège de daigner traiter chaudement cette affaire avec le roi très chrétien. Or, parce que Mgr l'Illustrissime Nonce de France écrit qu'il en a reçu l'ordre du Saint-Père, et qu'il ne lui manque qu'un des nôtres pour lui donner une plus particulière connaissance de nos raisons, j'espère partir pour Paris la troisième fête de Noël, afin d'accomplir cette mission. Je me propose toutefois de revenir au plus tôt pour le saint Jubilé de Thonon, surtout s'il est vrai, comme on nous le dit, que nous jouirons alors du bienfait de la présence de Votre Seigneurie Illustrissime qui sera, de toute façon, très utile et très fructueuse.

Pour répondre aux points touchés par Votre Seigneurie, je dirai au sujet de la Maison de Thonon que, par son moyen, la bienheureuse Vierge, à qui elle est dédiée, foulera et brisera la tête (Gn 3,15) venimeuse du serpent qui s'est réfugié à Genève et à Lausanne ; la religion sera rétablie dans le Valais, pays très corrompu et ravagé en ce qui concerne l'Eglise ; elle illuminera les ténèbres (Is 9,2 ; Lc 1,79) des Bernois et autres Suisses ; en un mot, le bien que ce dessein peut apporter à toutes ces provinces est indicible. Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons (Ps 103,18) ; ce sera un asile assuré et une maison de refuge,(Ps 70,3 ; 30,3) afin que des âmes innombrables soient sauvées. Aujourd'hui elle est dans l'état et a l'apparence d'une maison sortie depuis peu d'entre les mains des soldats et des hérétiques, c'est-à-dire ruinée, et semblable à une cabane destinée à retirer les fruits. (Ps 78,1).

Un si beau dessein peut être entravé par les incursions des Genevois et des Bernois, s'ils voulaient en faire, et par la pauvreté de ces pays. On pourrait y remédier par les moyens suivants : il faudrait que le Saint-Siège prît sous sa très spéciale protection cet établissement de Thonon, et que, dans ce but, il employât le concours des princes catholiques ; que le Sérénissime duc fit ceindre cette ville de murailles, ce qui, de l'avis de personnes expérimentées, peut se faire en peu de temps ; que l'on usât d'une grande charité et libéralité [à l'endroit de cette œuvre] et qu'on y appliquât largement les revenus de bon nombre d'abbayes inutiles et de bénéfices, en observant les réserves de droit. Mais il est surtout requis qu'on mette bientôt la main à l'œuvre, réellement et sérieusement, car les bonnes intentions servent de peu. Si ce bien ne peut s'exécuter tout d'un coup, que du moins on le fasse petit à petit, commençant par les parties les plus nécessaires, telles que le collège, le séminaire, et ainsi successivement.

Au sujet de Jules-César Paschali , je dois dire qu'il a habité de longues années à Genève, où il n'eut jamais ni fonds ni revenu assuré ; au contraire, il était pauvre et vivait de son travail à une imprimerie, où il était correcteur de livres, et de l'argent de la caisse et bourse de la nation italienne, comme les pauvres honteux ont coutume de faire en cette Babylone, où, pour ce regard, ils sont plus prudents dans la conduite de leurs affaires que les enfants de lumière. Paschali a eu trois fils, dont deux sont tenus pour morts, l'un en Piémont, l'autre en un lieu inconnu ; le troisième est chez lui et se nomme Prosper. Il a eu aussi plusieurs filles, dont l'une a été mariée à un gentilhomme genevois appelé Fernex, seigneur de Bessinge ; de là peut provenir l'erreur de la relation qui fait ledit Paschali seigneur de Bessinge. Il a composé des ouvrages, mais peu estimés et non imprimés. On le croit mort, parce qu'ayant échappé à une grande maladie, il sortit de Genève où il n'a plus paru. C'est tout ce que j'ai pu savoir au sujet de cet homme.

N'ayant donc plus rien à dire pour répondre à la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime du 6 novembre, je termine en baisant très humblement ses mains vénérées et en la suppliant de m'accorder ses bonnes grâces. Je prie Dieu de vous conserver de longues années sain et sauf pour le bien des âmes.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

D'Annecy, le 21 décembre 1601.
Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rome
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CL

A M. LOUIS DE SALES, SON FRÈRE

(INÉDITE)

Voies de conciliation à prendre au sujet d'un procès. - Ne pas refuser les avances du procureur Chappaz.

Annecy, 23 décembre 1601.
Monsieur mon Frere, Ce pacquet est fort a propos de ces bonnes festes. Nous avons deux proces, ou mediatement ou immediatement, avec le procureur Chappaz : l'un est en estre, celuy des Miucet ; l'autre n'est qu'au projet dudit Procureur, qui est celuy quil praetendoit mouvoir pour la mayson de monsieur Jan de la Thuille. Or, monsieur Machet ayant ouvert le propos de venir en appointement de l'un et de l'autre, hier ledit Procureur me vint voir fort tard, et de cent mille paroles je tiray quil desiroit fort nostre amitié ; ou il est le plus grand dissimulateur du monde. Et sur ses offres, je me promis et luy donnay esperance que madame ma mere proposerait fort volontiers ses droitz, et de l'un et de l'autre proces, a une assemblee de gens d'honneur, pour en voir la claïrté et valeur.

Je cuyde que ma persuasion est juste et bonne, et que nul ne doit refuser appointement. Au bout de la, n'ayant autre a faire avec luy, il ni aura aucune rayson pour laquelle nous ne puissions le recevoir a la commune amitié que le voysinage requiert. Et ce pendant, au progres de ses deportemens en nostre endroit, nous reconnoistrons si nous devrons avancer en familiarité et confiance, ou si nous devrons nous tenir en posture de defiance. Il dit merveilles, et tant, que la moytié suffirait sil le faysoit ; sur tout il desire d'avoir acces vers vous et de pouvoir aller voir ma mere. Je vous prie de bien prattiquer le saint mot de l'Apostre (Rm 12,21) : Tu autem, vince in bono malum, et de procurer que ma mere en face de mesme ; nostre nature nous y porte et en devons faire gloire, car chi l' aspetta la vince. Ou ce bon homme veut a bon escient nostre amitié, et nous ne la luy devons pas refuser ; ou il la veut seulement apparemment, et telle il la luy faudra donner, et, en peu de tems, au soleil la neige se fondra et l'ordure sera descouverte. Pour moy, je tiens que c'est a bon escient et que si l'inconstance ne le gaste il sera fort nostre. Prudentes, simplices.

Je finis, et dis que je suis d'advis qu'on prenne jour avec des bons arbitres, [ce] qui pourrait attendre le retour de monsieur le President ; il le desire, et il serait le mieux. Mille baysemains a madame ma grande maistresse , a laquelle j'escriray avant mon despart. Las et recreu, je vous salue, estant

Vostre humble frere et serviteur, FRANÇs DE SALES.
23 decembre 1601
A Monsieur mon Frere, Monsieur de la Thuile. A Sales.
Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 
 
 
 
 

ANNNEE 1602
 
 

CLI

A M. CLAUDE DE QUOEX

Départ du Saint pour Dijon et Paris afin de solliciter le rétablissement de la religion dans le pays de Gex. - Nécessité d'obtenir la médiation du Saint-Siège auprès du roi de France. - Influence du Cardinal d'Ossat sur le monarque. - Nouvelles de Mme de Quoex. - Divers messages. - Bon vouloir du baron de Lux; oppositions de Lesdiguières.

Meximieux, .3 janvier 1602.
Monsieur, En peu de motz prou de choses, car je suis pressé. Me voyci a Messemieu avec monsieur nostre Praesident , et chez luy, devans partir tous deux aujourdhuy pour aller a Dijon, luy, a la solicitation d'un proces qui luy est important, moy, pour y trouver monsieur le mareschal de Biron et monsieur le baron de Lux desquelz je praetens obtenir une puissante recommandation aupres du Roy, ou, des Dijon, je m'achemineray pour nos affaires de Gex desquelz voyci l'estat.

Monsieur le baron de Lux, au nom du Roy, conduisit Monseigneur le Rme au balliage de Gex sur le commencement du moys passé, et luy donna trois parroisses pour y exercer la religion catholique : la ville de Gex, Farges et Asserens, et en consequence, bailla mainlevee a mondit Seigneur Rme des revenuz ecc1esiastiques desdites parroisses. Nous ne sommes pas contens de si peu, car nous demandons tout, tant pour l'exercice, qui va premier, que pour les biens ; non seulement par ce que cela nous accommodera, mais encor plus par ce que cela incommodera la religion huguenotte, laquelle devant estre entretenue aux despens du peuple, manquera bien tost et indubitablement. Nostre requeste portoit cela. Sur quoy monsieur de Lux nous renvoye au Roy et a son Conseil ou je vay pour cest effect, appuyé de tant de rayson que, pour peu qu'elle soit aydee, nous serons victorieux.

Or, Dieu merci et vous, le Pape nous veut ayder ; cela y est extremement requis. Il faut instare opportune, importune.(2 Tm 4,2) Monseigneur le Nonce de France escrit a Monsieur le Rme quil a charge de nous ayder, quil a commencé a le faire, quil trouve le Roy disposé, quil ne faut que bien solliciter et instruire. J'y vay pour cela; mays, pour ne rien oublier, je voy que le coup de cest affaire gist en un'estroitte recommandation du Saint Siege, laquelle seroit extremement efficace si Sa Sainteté en parloit a Monseigneur le Cardinal d'Aussat, luy commandant d'en escrire favorablement au Roy ; car on m'a dit qu'il ny a point d'entremise a Romme a laquelle le Roy defere tant comme a celle la . J'espere d'estre a Paris dans 10 ou 12 jours, la ou sil vous plait m'escrire dans les pacquetz de Madame , les lettres ne se perdront point.

A mon despart du pais j'ay laissé tout en santé, les vostres et les nostres, specialement madame vostre partie , laquelle estoit a Polinge quand Monseigneur le Rme estoit a Gaillart a la benediction des eglises, ou je fus ; et, sur mon chemin, visitay les freres et seurs audit Pollinge et Mairens.

Touchant la coadjutorie, je vous bayse les mains de la peyne que vous en aves. Nous verrons que ce fut ; de quel costé qu'aille la barque, le port m'en sera aggreable. Je bayse mille fois les mains a nostre R. P. Juvenal, auquel j'escriray des Paris de statu rerum omnium. Item, je salue nostre monsieur Reydet in toto corde, messieurs Gojon , la patrie . Me voyla au reste pour jamais,

Monsieur, Vostre humble serviteur, FRANÇ" DE SALES.
A Messemieu, le 3. jour de janvier 1602.
Nous avons laissé a Gex messieurs les chanoynes de Sales, Grandis, Bochuti. Nous sommes incroyablement redevables a la pieté et religion de monsieur de Lux, quil a fait paroistre en toute sa negociation. Monsieur Desdiguieres se treuv'a Gex le jour que nous y fusmes ; les ministres recoururent a luy, ausquelz il dit quil ni avoit remede, que le Roy le vouloit, mais quilz gardassent tant quilz pourroyent les biens d'Eglise, car cela maintiendroit leur religion non obstant nostr'exercice.

A Monsieur

Monsieur de Quoex, Docteur es Droitz. A Romme.

Seporvis (?)

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat.
 
 
 
 
 

CLII

A MONSEIGNEUR CLAUDE DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENÈVE

(INÉDITE)

Compte-rendu de sa négociation à la cour de France. - Envoi d'une lettre du Nonce de Paris.

Paris, 8 février 1602.
Monseigneur, Apres que la court a esté de retour en ceste ville, Monseigneur le Nonce a pris la peyne d'aller chez monsieur de Villeroy , auquel Sa M.ajesté nous avoit addressé pour traitter, et la j'ay bien eu a desbattre pour nos pretentions. Neanmoins, a la fin, j'ay donné ma requeste fondamentale, sur laquelle il me dit que le Conseil nous ferait droit et justice, et que nous n'en doutassions point. Ce qu'estant, je ne m'en puis retourner que bien depesché, Dieu aydant ; aussy vay je esventant certaines conjectures qui m'en font concevoir tres bonne esperance. Il y va un petit de la peyne et du tracas et un peu plus de tems que je ne pensois ; je l'abbregeray neanmoins le plus que je pourray, pour avoir l'honneur d'estre bien tost aupres de vous. Je suis marry que la despence soit si grande que des-ja nous soyons en faute d'argent ; toutefois, ce n'est ni faute d'espargne ni faute de soin, mays parce que tout nous a esté fort cher. Pourveu qu'il vaille, je pense qu'encor qu'il coste, tout sera trouvé doux.

Nous avons un Nonce plein de tres bonne volonté et qui s'employe de courage. Je vous envoye la lettre qu'il vous escrit sur le sujet de ma negociation, et, pour sçavoir plus a plein ce qu'il en esperoit, je me suis dispensé de l'ouvrir, avec la confiance accoustumee en vostre bonté et en l'asseurance que vous aves de la loyauté de mon intention a vostre service.

Nous n'avons aucunes nouvelles qui vaillent l'escrire, qui me fera finir par la tres humble reverence que je vous fay, vous baysant les sacrees mains, et priant Dieu qu'il vous donne, Monseigneur, ce que vous doit desirer et souhaitter

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANçs DE SALES.

A Paris, le 8 febvrier 1602.
Monsieur Deage vous bayse tres humblement les mains, comme fait aussy le bon Pere Galesius , qui part pour aller prescher a Calais.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 

CLIII

A M. CLAUDE DE QUOEX

Réponse à deux lettres précédemment reçues. - Affaire d'intérêt. - Lenteur des négociations poursuivies à la cour. - Un mot sur les dépenses à faire au sujet de la coadjutorerie. - Le Saint est invité à prêcher le Carême à .la chapelle de la reine. - Le P. Juvénal Ancina désire se rendre à Thonon. - Différends soulevés au sujet d'un prieuré.

Paris, 9 mars 1602.
Monsieur, J'ay receu deux de vos lettres, l'une du 21 janvier, l'autre du 5 febvrier, ausquelles je devois une plus soudaine response que je n'ay pas fait, si j'eusse peu tirer les resolutions qui devoyent servir de matiere a mes responses si tost que j'eusse desiré. Je desirois infiniment de faire que Madame vous envoyast argent et, quant et quant, congé pour revenir aupres de madame ma seur , laquelle commença des-ja a vous attendre des vostre despart. Mays pour le second, la resolution ne s'en est encor pas peu prendre ; ce sera neantmoins dans peu de jours, si mon credit ne manque en ceste ville, si non pour le tems que nous desirerions, au moins sera ce quelque chose autour. Les affaires se vont acheminant en sorte qu'a mon advis, malheur sera bon a quelque chose,

Pour le premier, Madame se tient pour asseuree, sur lettres de monsieur de Moyron , que vous aures receu 400 escus et vous en envoye d'icy autre (sic) 400. Je ne laysseray passer aucune occasion de vous servir que je ne la prenne soigneusement, comme je dois. Monsieur le President et monsieur de Saint Evroul y employent aussi tous bons offices, et ne doute point que vous ne soyés contenté.

Touchant l'affaire pour lequel je suys icy, je vous diray en deux motz que je ne fus jamais tant empesché, renvoyé que je suis au Conseil, dans lequel je trouve tout le monde reconnoissant que ma demande est extremement juste ; mays au reste, tout y va sur les respectz et retardations mal fondees a mon advis. Dieu me veut exercer. Ce pendant, je vous supplie de tenir main a ce que Monseigneur le Cardinal d'Ossat en escrive, car j'ay extreme besoin de toutes mes pieces. Et notes que si maintenant je ne fay rien, la porte de ceste esperance sera fermëe pour un grand tems ; c'est cela qui me fait opiniastrer et rendre importun.

Au demeurant, j'ay escrit au païs pour faire envoyer les 200 escus requis pour l'accomplissement de l'entreprinse de la coadjutorie, me retreuvant en lieu ou je ne sçaurois y donner aucun ordre. Je croy que ma bonne mere y pensera a bon escient, puisque, apres tant d'advancement et de faveurs receües, la retraitte seroit ignominieuse. Je vous remercie infiniment de la peyne que vous y aves, et vous supplie de tenir tellement l'affaire sur pied que rien ne gaste pour la reputation.

Il s'est icy parlé de guerre, mais vaynement et sans occasion ; je croy que Dieu nous continuera la paix. Monsieur de Quoex vostre oncle m'a escrit des Merly qu'un de ces jours il viendra icy me consoler, et je luy ay escrit que sil ne vient, je l'iray treuver.

Attendant l'issue de mes affaires, j'ay esté forcé, par honnesteté, de precher en la chapelle de la Reyne trois fois la semaine, devant les princesses et courtisans, n'ayant peu refuser aux prieres et commandemens qui m'en ont esté faitz. Mays cela s'entend sans retarder la sollicitation, que je fay lentement pour seconder l'humeur de ceux qui ont le fait en main, ausquelz je suis contraint de m'accommoder.

J'escriray a Monseigneur le Rme mon Evesque touchant le saint desir de nostre bon P. Juvenal, affin que nous puissions avoir tant de consolation que de le voir en nostre dioccese, et pour un si bon sujet ; ce seroit bien le vray accomplissement de mes contentemens. Je vous prie humblement de luy bayser les mains de ma part.

J'ay receu une lettre de monsieur nostre Ambassadeur , outre ce que vous aves escrit pour le seigneur Persiani ; marri de ne l'avoir receu sur les lieux ou j'eusse peu faire ce quil me commande, j'escriray au plus tost pour le faire faire. Ce pendant, voyci l'advis que je luy donne : monsieur le baron de Lux poursuit pour avoir ce prieuré pour un fort honneste ecclesiastique, gentilhomme de Bourgoigne, et, a mon advis, le seul fondement de vacance quil praetende est tel : Nul homme ne peut avoir benefice en France qui ne soit naturalisé français selon le concordat ; or, monsieur Persiani ne l'est pas, donques son benefice est vacquant. Il ni a remede, il faut donner ordre a ce point, autrement on aura mille peynes devant ces Parlemens pour le possessoire. Or, ne sçai je si ledit prieuré est de ça ou dela le Rosne ; car sil estait deça, necessairement on le voudrait reduire a la forme des benefices de France. Je vous prie rendre capable mondit seigneur de cecy, outre ce que je luy en escris.

J'attendray de vous le signe pour faire les remercimens necessaires, et vous salue de toute mon ame, vous suppliant croire que vous obliges l'un des plus humbles et asseurés serviteurs que vous puissies avoir par tant de bons offices que vous me faittes. Je salue aussi monsieur Reydet et tous messieurs de nostre païs, et me redis, comme je feray toute ma vie,

Monsieur,

Vostre plus humble et asseuré serviteur, FRANÇs DE SALES.
A Paris, le 9 mars 1602.

 

A Monsieur

Monsieur de Quoex, Advocat fiscal de Genevois.

A Rome.

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.
 
 
 
 
 
 

CLIV
 
 

A MONSEIGNEUR CLAUDE DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENÈVE

(INÉDITE)

Difficulté et lenteur des poursuites faites à Paris; espérance de les voir aboutir.

Paris, 26 mars 1602.
Monseigneur, L'affaire pour la sollicitation duquel je suis icy est de si delicate conduitte et bigearre poursuitte que je n'ose encor vous en rien promettre , si ce n'est que je continueray d'y mettre tout le soin et affection que vous desires pour le faire resoudre ; ce que j'espere pouvoir bien tost obtenir, sinon avec toutes les bonnes conditions que tous les bons desirent, au moins avec quelque advantage qui nous puisse servir de sujet pour une meilleure esperance. Ce qu'estant fait, je partiray soudain pour me rendre aupres de vous, au bonheur de vostre presence, lequel ne m'arrivera jamais si tost que je le desire.

Ce pendant je prie Dieu, Monseigneur, qu'il comble vos souhaitz de ses graces, et vous bayse tres humblement les mains, comme fait monsieur Deage.

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANçs DE SALES.

De Paris, le 26 mars 1602.
Monseigneur le Nonce vous salue fort affectionnement, et embrasse vivement l'affaire que vous m'aves confié.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.

CLV

AU MÊME

( INÉDITE )

Annonce de la visite de M. de Mallians. - Crainte d'échouer dans sa négociation auprès du roi de France,

Fontainebleau, 10 avril 1602.
Monseigneur, Je suis arrivé icy a Fontainebleau sur le despart de monsieur de Mallians , lequel me donne esperance qu'il ira a Necy bien tost apres son arrivee a Belley. Si cela est, il vous dira mieux qu'homme du monde le succes et la route que mon affaire a prins en ceste court ; aussi bien ne sçaurois-je pas vous l'escrire. Si cela n'est point, j'en escris un eschantillon a monsieur le Vicaire mon frere , affin qu'il vous en face rapport. J'apprehende infiniment de m'en retourner sans autre expedition que d'esperances ; neantmoins ma conscience me tesmoigne que j'ay fait tout ce que je pouvois, et estime que si la moisson ne suit pas de si pres le travail et la semence que j'ay fait en ce voyage, elle s'en recueillira neantmoins une fois et dans quelques moys ; en fin, qu'en faysant nostre devoir et ce qui est en nous, il faut subir les effectz que la providence de Dieu a establis.

Je n'arresteray guere que je ne prenne la resolution finale necessaire pour mon retour, lequel je

desire pour avoir l'honneur d'estre pres de vous et recevoir vos commandemens avec l'obeissance que vous a vouee,

.M.onseigneur,

Vostre tres humble filz et tres obeissant serviteur,

FRANçs DE SALES.

A Fontainebleau, le 4. jour de Pasques 1602.
A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

Revu sur le texte iuséré daus le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLVI
 
 

AU MÊME

(INÉDITE)

Nouvelles espérances. - Le Saint a prêché devant le roi; il est invité à prononcer l'oraison funèbre du duc de Mercœur.

Paris, 18 avril 1602.
Monseigneur,

Je reviens tout maintenant de Fontainebleau, ou si je n'eusse esté a propos, toute ma negociation estoit ruinee. J'ay tant fait neantmoins que j'en ay repris quelque bonne esperance ; dans deux ou trois jours j'auray l'entiere resolution. Ce ne sera pas, a l'adventure, avec tout le contentement que nous desirions : il faut tirer du feu ce que l'on en peut sauver. Ce sera tous-jours beaucoup, a ce que disent les expertz.

Le jour de Quasimodo le Roy me fit prescher devant luy, et monstra d'en avoir eu du contentement . Je m'essayeray a me desvelopper le plus tost que je pourray, mais le train des affaires est si malaysé en ceste court que quand on pense estre delivré, on est le plus embarrassé. Madame de Mercure m'a envoyé pour m'inviter a faire le sermon funebre de monsieur son mary dans cinq ou six jours, ce que je ne puis ni dois refuser.

Monseigneur, je suis si pressé qu'il ne me reste plus de loysir que pour vous bayser tres humblement les mains et supplier de me continuer la faveur de vos graces, comme a celuy qui est a jamais,

Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur, FRANçs Ds SALES.
A Paris, le 18 avril 1602.
Je vous supplie, Monseigneur, de commander a l'un de vos gens d'escrire de mes nouvelles a quelqu'un de mes freres. Monsieur le President vous bayse humblement les mains.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 

CLVII

A LA DUCHESSE DE MERCOEUR

Il condescend à laisser imprimer l'oraison funèbre du duc de Mercoeur, et demande qu'elle soit dédiée à la fille de ce prince.

Paris, mai 1602.
Madame, Vos premiers desirs ayans tenu lieu de commandemens sur ma volonté lhors que vous jettastes les yeux sur ma petitesse pour le discours funebre de feu monsieur le duc de Mercœur, je dois recevoir avec le mesme respect les tesmoignages des seconds, souffrant, Madame, que la piece soit mise au jour et donnee au public, puisque vous l'aggrees.

Vous n'y verres rien de moy, Madame, que les simples tesmoignages de ma bonne volonté et les seules marques de mon obeissance, en un sujet, au reste, ou je n'ay pas eu moins de propension que de devoir. Ce qu'il y a de plus considerable c'est le sommaire tres fidelle des rares et eminentes vertuz dont Dieu avoit orné la belle ame et assorti le riche naturel du prince decedé. De moy, je confesse n'y avoir contribué que ma foible enonciation et ma voix pour servir d'echo, dans l'estendue d'une petite heure, a la reputation de ce grand prince, qui parloit asses d'elle mesme et qui esc1atera a jamais par les beaux exploitz dont non seulement la France et l'Allemaigne, mays toute l'Europe, voire toute la chrestienté, ont esté tesmoins. Et si bien rescrit que j'en donne semble avoir plus de subsistance et de duree que ma voix n'en a eu en les prononçant, ce sera plus par la consideration des vertus de ce prince que par le tissu et l'ordre que j'ay tasché d'y apporter en l'escrivant.

Au reste, si mon affection et bonne volonté n'estoit garante de ma sincerité et obeissance, la plus belle partie, qui en a esté obmise, auroit rayson de se plaindre ; mais ayant entrepris seulement de faire un simple eloge et sommaire de ce qui estoit convenable au tems, au lieu et a l'assemblee, j'ay deu laisser a l'histoire, qui reserve des volumes entiers pour une si belle vie, de suppleer a mon defaut, me contentant du nom et du devoir de panegyriste, dont j'ay tasché de m'acquitter. Que si, apres cela, on veut considerer ce qu'il y a du mien, rien sans doute que la sincerité de mes affections et respectz, qui ne mourront jamais pour la memoire de ce prince, qui ne doit jamais mourir en celle de tous les bons, mais principalement en la vostre, Madame, qui trouves advantageusement dans les vertuz de ce grand prince et cher espoux deffunct, comme aussi dans les vostres qui luy estoyent communes, dequoy vous consoler dans ceste sensible privation ; quoy que la plus solide, la veritable et la plus chrestienne consolation est celle que vous aves puisee dans la source, qui est la volonté de Dieu, qui seul en ceste occasion a donné ce grand calme et ceste absolue resignation qui paroist en vostre esprit.

Ce n'est pas qu'apres cela, s'il est permis, comme il l'est sans doute, de rechercher quelque adoucissement au dehors, vous n'en ayes un tres grand dans le pretieux gage que ce grand prince vous a laissé de vostre mariage; je veux dire en madamoyselle de Mercœur, laquelle estant une image vivante du pere, elle est aussi la legitime heritiere de ses vertuz, dont il a laissé le soin a vostre conduitte, Madame, pour les cultiver par la noble et chrestienne education que vous luy reserves. Si elle avoit besoin hors de soy de quelque memorial de celles du grand prince que le Ciel luy avoit donné pour pere, je la prierois, sous vostre adveu et bon playsir, .M.adame, d'aggreer le sommaire que j'en ay dressé en ceste piece; vous conjurant, puisqu'aussi bien vous desires qu'elle voye le jour, que ce soit sous les auspices et a la faveur du nom de ceste princesse, vostre unique et tres chere fille (cf tome VII).

C'est la tres humble supplication que vous fait,

Madame,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANçs DE SALES.

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CLVIII
 
 

A M. CLAUDE DE QUOEX

Démarches faites auprès de la duchesse de Nemours pour obtenir à M. de Quoex l'autorisation de quitter Rome. - Cause du mécontentement du président Favre. - Affaire de la coadjutorerie. - Faveur dont le Saint jouit à la cour de France. - Divers messages.

Paris, 21 mai 1602.
Monsieur, J'ay receu vostre lettre du 17 avril, et, pour response, je vous diray que nous allons avançant le plus que nous pouvons aupres de .Madame, affin que vous puissies recevoir la consolation de vostre retour que vous desires ; non que j'y puisse guiere, mais j'y contribue et contribueray le soin que je pourray, et voy Madame asses disposee ; mais les executions des desseins sont un petit lentes et tardifves, non seulement en cela, mais en tout le reste. J'espere que vous en aures contentement. Je suis seulement marri que monsieur de Saint Evroul, qui peut plus que tous, s'en va de ceste ville pour plusieurs jours ; neanmoins je le presseray qu'avant son despart nous puissions ensemblement donner une secousse a l'esprit de Madame, pour faire esclorre une bonne et entiere resolution.

Touchant monsieur le Praesident, il n'a esté fasché sinon par ce qu'on luy a exaggeré que vous escrivies a Madame que luy seul estoit cause du proces, et seul d'opinion quil fut soustenable, et que les voix quil se promettoit pour nous n'estoyent que vanité ; et cosi discorrendo (Et ainsi de suite). Dequoy il se treuva a la verité un petit piqué, et moy, extremement marri de l'indiscretion de ceux qui, sur le desplaisir quil avoit de la perte, luy allerent alleguer toutes ces choses. Il m'a dit despuis que pour tout cela il ne laisseroit de vous cherir sincerement, et faire tous les offices que vous sçauries desirer de luy. Je ne suis pas d'advis que vous monstries d'avoir plus aucune defiance de son amitié, puisque il n'en a plus de la vostre. A nostre veüe, vous vous dires tout bellement vos raysons l'un a l'autre, et je vous donneray l'absolution a tous deux. Il ni a point de si parfaitte amitié qui ne se trouble quelquefois par quelque petit nuage, lesquelz estans passés, amoris redintegratio sunt.

Pour le regard de mon affaire, je vous supplie de l'avoir en recommandation. Mes freres m'escrivent que par deux diverses voyes ilz ont donné ordre a vous faire tenir les 200 escus quil faut pour les escritures, propines , etc., et ne doute pas que des-ores vous ne les ayes receuz. J'attens aussi que vous me donnies advis des remerciemens que j'auray a faire. Bref, je vous recommande mon honneur de tous costés. Cependant, icy je suis traitté en Evesque mal gré que j'en aye, et faut que je le souffre en toutes compagnies et actions, mesmement a la negociation que je fay, ou ceste praetendue qualité me sert de beaucoup, si bien il me desplait d'en estre servi avant le tems ; mais manco male (c'est le moindre mal). Au demeurant, je crains beaucoup que ma negociation ne me soit guere utile, non obstant beaucoup de faveur que je reçois de presque tous les grans, et mesme du Roy despuis que j'ay eu presché devant Sa Majesté; car auparavant je ne luy avois pas parlé.

Je desirerois fort de sçavoir quelle resolution le seigneur Persiani aura prinse pour garantir son prieuré en ceste court ; car j'apprens tous les jours qu'il y survient des nouveaux competiteurs, et entr'autres un filz de monsieur Des-Aires, conseil (sic) en la court de Parlement . Or, a mon advis, il faut [que] le seigneur Persiani prenne resolution d'en voir une fin en ceste court, ou par la faveur de Monsieur le Cardinal d'Ossat ou de quelqu'autre; autrement il sera tous-jours inquieté.

Je vous supplie de me faire ceste faveur de bayser les mains a monsieur nostre Ambassadeur en mon nom et m'entretenir en sa grace, que je cheris autant que nul autre de ce monde. Je luy escrirois si cest'occasion m'en donnoit le loysir. Je bayse les mains a monsieur Reydet, a messieurs Gojon et autres de ma connoissance, mays sur tout a nostre R. P. Juvenal, s'il est encor a Rome, dequoy je suis entré en doute par ce que on m'a dit quil venoit et estoit deputé pour Thonon.

Il se parle icy de quelque trouble du costé de Bresse, mais fort peu asseurement. Si cela estoit ma negociation seroit ruinee, et beaucoup de bonnes choses pour la sainte foy, car l'heresie se nourrit de troubles.

Monsieur, je vous salue humblement et suis

Vostre humble serviteur,

FRANçs DE SALES.

A Paris, le 21 may 1602.
Il ni a pas long tems que j'ay veu monsieur de Quoex vostre bon oncle, qui se porte bien.

A Monsieur

Monsieur de Quoex.

Rome.

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLIX

A M. DE SOULFOUR

Remerciements des avances affectueuses qui lui sont faites. - Intérêt pour le monastère des Filles-Dieu. - Eloge de M. Gallemand. - Regret de n'avoir pu se rendre à Pontoise. - Le P. Vicaire de la Chartreuse envoyé à Cahors.

Paris, 15 juin 1602.
Monsieur, Je ne sçaurois respondre a la courtoisie dont la lettre que monsieur vostre filz m'a donnee de vostre part est remplie, car je n'ay pas asses de bonnes et belles reparties d'esprit. Mais je pense bien avoir asses de vraye et franche affection pour correspondre a la faveur que vous me faittes de m'aimer, si ell'est mesuree par l'estendue de son acte et non pas par le merite de l'agissant ; car a ce prix, toute mon ame demeureroit bien bas et hors des prises de la comparaison.

Mais trefves je vous supplie, Monsieur; mon cœur ne peut pas garder les regles de la contenance au sujet de vostre amitié, il en est trop vivement esmeu. J'accepte tout ce que vous me donnes, et vous et madamoiselle vostre partie et la benediction des enfans que Dieu vous a donnés, affin de ne vous envier pas la part que vous aures en la sentence : Beatius est dare quam accipere (Ac 20,35). Je n'ay rien pour contrechanger vostre bienfait, je confesse que je suis vaincu. Tenes moy, je vous prie, pour esclave, ma cadene me sera tres agreable ; aussi sera-elle d'or, et du fin or de charité. J'ay veu en la face de monsieur vostre filz, mais encor en son ame, la vive image de son pere. Ceste double relation quil vous a m'oblige dautant plus a luy desirer et voüer tous mes services, et a me souhaitter beaucoup plus de capacité pour luy en rendre.

Je n'ay eu la commodité des vostre despart de visiter mes dames Filles de Dieu (cf lettre 168) sinon une fois en ces octaves , que je leur presentay un metz du grand festin qui se celebroit en ce tems-la ; mais je me suis obligé de leur en porter un autre sur le mesme sujet. Je vis a part nostre espousee , qui tesmoigne beaucoup de contentement en son esprit et beaucoup de force de courage. Ceste premiere veüe luy aura donné confiance pour desployer plus au long ses pensees a la seconde, si elle pensoit tirer quelque consolation de la consultation ; mais je crois qu'elle n'en a pas besoin.

J'ay eu le loisir de gouverner deux ou trois fois le bon monsieur Galemand , avec autant de proffit que j'en ay jamais recueilly d'autre conversation quelcomque ; il a l'esprit vrayement apostolique. J'ay esventé parmi les bonnes ames le desir qui vous avoit esté proposé de la Congregation de l'Oratoire, mais je ne voy pas encor la sayson bien arrivee : Dieu fera son œuvre.

Je m'attendois avec beaucoup de desir de vous aller voir a Pontoise au jour que nous avions choysi ; mais il faut que je me mortifie et que je perde du tout l'esperance en ce grand contentement, ou que je differe a un autre tems, car mes affaires me tiennent assiegé et a la gorge, en sorte que je ne puis m'eschapper. Croyes que j'en suis infiniment marri ; mais, si je puis, je ne perdray qu'en l'attente, car estant despeché je retarderay plus tost quelques jours pour rencontrer l'occasion de recevoir ce bien, et lhors je vous diray plus de nouvelles du dessein des Religieuses reformees que je ne sauroys faire maintenant, car Sa Majesté en aura receu.la requeste et declairé son bon plaisir. Vous sçaves bien que Paris perd le P. Don Vicaire, qui s'en va Prieur a Cahors, en Querci .

Monsieur, le papier me manque et, en devisant avec vous, l'appetit m'est creu jusques a me porter en ce coin ou je n'ay plus de lieu que pour me recommander humblement a vos bonnes prieres et a vos graces et a celles de madamoiselle vostre femme, et me dire pour toute ma vie,……………..

Monsieur,

Vostre tres humble et tres asseuré serviteur, FRANÇs DE SALES.
A Paris, le 15 juin 1602.
A Monsieur

Monsieur de Soulfour.

A Glatagni.

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel de la rue Denfert-Rochereau.
 
 
 
 

CLX

A UNE DAME INCONNUE

(FRAGMENT)

Recommandation en faveur d'un ecclésiastique pauvre.

Paris, juin-août 1602.
Madame, Ce pauvre homme d'Eglise a estimé quil auroit plus d'accés a vostre charité s'il avoit en main un'attestation de moy de la necessité en laquelle il est; et par ce qu'elle m'a esté asseuree d'asses bon lieu, je n'ay sceu luy refuser ceste assistence, laquelle il m'a fort instamment demandee, me conjurant par toute la compassion qu'un Chrestien doit a un autre. Je vous supplie tres humblement, Madame, de n'en point estre importunee, puis que la renommee. de vostre bonté et charité est cause qu'elle m'a esté si fort demandee ; et l'asseurance et certitude que j'en ay m'a donné le courage de l'oser faire.

Je fusse allé moy mesme vous donner cest'attestation [si] je [n'eusse] estimé que vos occupations recevront.………………………………………………………………………….
 
 

CLXI

A M. DU CHEMIN

(INÉDITE)

Impossibilité de se rendre à Chancenay, - Prière de l'excuser auprès de MM. d'Acy et de Maneuvre. - Témoignages d'affection.

Provins, 24 septembre 1602.
Monsieur, Je passé (sic) et passe plein de desplaisir de me treuver si pres de vous sans avoir le bien de vous revoir, comme j'avois souhaitté faire avec tant de passion. Mais je suis embarqué dans le coche de Chalons qui est inexorable a divertir de son chemin, et d'ailleurs je suis un petit pressé de faire mon retour, qui m'empeche de chercher autre moyen de me rendre a vostre Champcenai. Croyes moy, je vous supplie, que je ne fay pas volontiers ni de mon gré ceste faute ; j'avois trop de desir de vous revoir et representer mon humble service a toute la mayson de messieurs d'Acy et de Manœuvre , a quoy madamoiselle de Sainte Beuve m'avoit encor animé par le tesmoignage qu'elle m'a rendu qu'ilz s'y attendoyent. Mais puisque je ne puis pas, et qu'aussi est ce un foible tesmoignage de l'affection des serviteurs d'aller faire bonne chere a la table de leurs maistres, je vous conjure, par nostre ancienne connoissance et reciproqu'amitié, de faire treuver bonne mon excuse a mesdits sieurs d'Acy et de Manœuvre, et de les asseurer que je prise leur bienveüillance autant qu'autre homme auquel ilz en puissent faire part, et que je suis infiniment obligé a la courtoisie dont ilz m'ont prevenu, et m'en tiens pour redevable serviteur. Je n'ay point de belles parolles, mais oüy bien d'asseurees resolutions en ces occasions.

Quant a vous, je me prometz que vous m'aymeres au travers de toutes les distances du monde, lequel n'est pas asses grand pour borner l'activeté de nostre amitié; car je juge de la vostre par celle que je sens en mon ame, nonobstant la difference que l'object y peut apporter, qui se treuve aussi grand pour mon action quil est petit pour la vostre ; mais l'agent de vostre part ne doit estre vaincu. Pardonnés moy, je vous supplie, si je dis trop de paroles. Je ne veux dire pour tout sinon que je vous supplie de tout mon cœur de m'aymer de tout le vostre, de faire que messieurs d'Acy et de .Manœuvre m'ayment tousjours, de m'escrire quelquefois par l'entremise de monsieur Santeul ; et je vous prometz de ma part de vous aymer, honnorer, servir toute ma vie, d'estre tous-jours humble serviteur de toute la mayson de ces seigneurs, et de vous rendre compte de ma vie le plus souvent que je pourray, glorieux que je seray de me resouvenir souvent que vous m'aymes et que je suis,

Monsieur, Vostre plus humble serviteur,

FRANçs DE SALES,

esleu E. de Geneve.

Je vous demande part a vos prieres, je vous feray part aux miennes. Monsieur Deage vous salue extremement.

A Provins, le 24 septembre 1602.

A Monsieur

Monsieur du Chemin.

A Champcenai.

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis de Pimodan, duc de Rarécourt, à Paris.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXII

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL Ier

Retour de Paris. - Protestations de soumission et de dévouement. Demande de la protection de Son Altesse.

Thorens, 14 octobre 1602.
Monseigneur, Je donnay advis a Vostre Altesse du voyage que je devois faire en France et du sujet qui m'y portoit, pour lequel ayant presque inutilement employé plusieurs moys, me trouvant maintenant de retour, j'estime aussi luy en devoir donner advis, affin qu'elle sache ou ses commandemens me rencontreront quand il luy plaira m'en honnorer. Ce que je me sens tous-jours plus obligé de faire, devant entrer en la charge d'Evesque par le trespas du bon et saint Prœlat duquel Vostre Altesse avoit tant gousté la pieté ; en la succession duquel (puisque ça esté le bon plaisir du Saint Siege et de Vostre Altesse de m'y appeller) j'espere vivre heureusement parmi une infinité de travaux et de peynes qui s'y presentent, sous la faveur et protection de Vostre Altesse, pour la prosperité delaquelle je feray toute ma vie prieres a Nostre Seigneur, et demeureray,

Monseigneur,

Son tres humble et tres obeissant sujet,

serviteur et orateur,

FRANçs DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

De Thorens, le 14 octobre 1602.
A Son Altesse.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.
 
 
 
 

CLXIII

A M. CLAUDE MARIN ( cf tome XI,Lettres1,note 287)

(FRAGMENTS INÉDITS)

Douleur de la mort de Mgr de Granier. - Indifférence relativement à la dignité épiscopale.

Sales, 21 octobre 1602.
……Vous ne sçauries croire le desplaysir que je receu a Lion quand l'on me dit le trespas de feu Monseigneur le Reverendissime, mon bon pere………………………………….

En soit ce que la providence de Dieu voudra. Je suis tous-jours celuy d'autrefois ; je ne desire non plus l'evesché que je l'ay desiree. Si elle me vient, il la faudra porter ; si moins, je me porteray tant mieux moy mesme…………………………………………………………………………………

Vostre tres humble serviteur,

FRANçs DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

A Sales, 21 octobre 1602.
Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 

CLXIV
 
 

A M. CLAUDE DE BLONAY

Achat de la terre de Thorens par la famille de Sales. - Nécessité de contracter un emprunt pour payer ce domaine. - Prière d'intervenir à cet effet auprès de M. de Prangins.

Sales, 21 octobre 1602.
Monsieur, Je ne vous escris point maintenant pour vous donner comte de ce que j'ay fait et que je n'ay pas fait en mon voyage ; ce sera une piece de nostre entretien a nostre premiere veüe. Mais je vous escris pour vous supplier de vouloir favoriser toute ceste maison, et moy particulierement, en un'occasion que nous pensons estre a nostre propos.

Je pense que vous aures sceu que ma mere et mes freres, avec le reste de casa, ont achepté la terre de Thorens de madame la Duchesse de Mercœur, pour le prix de 6000 escus d'or , et pense aussi que vous sçavés que ce n'a peu estre sur la confiance d'aucun tresor que nous eüssions en main. Neanmoins, ma mere et ses confederés ont tant fait que le premier payement de six mille francz est presto Reste quatre mille escus, lesquelz nous ne pouvions assembler que par l'exaction de l'argent qui nous est deu et par des ventes d'autres biens, et des engagemens ; mais tout cela ne se peut bien faire qu'avec du loisir, comme vous pouves penser. C'est ce qui nous a fait penser a un autre remede, qui est d'emprunter sil se peut, quelque bonne somme de deniers, pour, par apres, vendre et mesnager a l'aise nos desseins ; et nous sommes advisés de monsieur de Prangin , lequel on estime en semblables occasions asses bon medecin, pour autant quil a les drogues necessaires, pourveu que son argent soit bien asseuré. Or, en cas quil le voulut, nous nous essayerions de le luy bien asseurer, et, au moins pour mille escus, estimons-nous que monsieur Muneri nous fera le bien de nous cautionner, d'autant que c'est la somme laquelle, ou environ, l'hoire du Baron d'Hermence ( cf lettre 125), de laquelle il est curateur, nous doit encores . Et pour le reste, si on en pouvoit treuver d'avantage, nous nous essayerions de treuver caution bonne et raysonnable, et payerions les interestz comme il seroit traitté, fort bien et sans peyne.

Reste maintenant que quelcun nous face ce bien que de prendre la peyne de sonder si monsieur de Prangin y voudroit entendre, ou bien, a faute de luy, sil se pourroit trouver quelqu'un autre, ou en Valey ou ailleurs de ce costé la qui le voulut faire. Et pour ce regard, la vielle amitié quil vous a pleu de nous porter, et a toute ceste mayson, nous a donné confiance de vous supplier de nous faire ce bon office en quelque façon que ce soit, ou par l'entremise d'amis ou par vous-mesme, comme vous jugerés plus a propos. Nous vous en supplions donques humblement, et de nous en donner les advis le plus tost que vostre commodité le permettra.

Et en cas que monsieur de Prangin vous semble le plus duisant, vous pourriés, sil vous plait, me mettre en consideration, et ma promotion a l'evesché, bien que la verité est que cela ni apporte rien ; mais je le dis seulement par ce quil m'ayme et me connoist, et que telle cause est probable. Je remetz en fin toute ceste conduitte a vostre prudence et a la bonne et entiere amitié que vous nous portes, sans vous en dire plus de paroles, sinon que la somme que nous desirerions seroit de trois mille, deux mille ou au moins mille escus.

J'attens de jour a autre les despeches de Romme necessaires pour la resolution et execution de l'affaire de l'evesché ; les ayant, je vous en feray sçavoir des nouvelles et ne parleray plus que des choses spirituelles, attendant cependant de vous des nouvelles de ces choses temporelles, que je vous supplie d'embrasser pour ceste mayson, qui vous est entierement acquise et servente, et de moyen particulier, qui ay tous-jours esté et seray toute ma vie,
 
 

Monsieur,

Vostre humble et asseuré confrere et serviteur, FRANçs DE SALES, esleu E. de Geneve.
A Sales, le 21 octobre 1602.
A Monsieur

Monsieur de Blonnay.

A Siez.

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.
 
 

CLXIV bis (lettre MMXIII du volume XXI reclassée) (1)

AU CHANOINE JACQUES DE MÉDIO (2)

(INÉDITE)

Une station d'Avent et de Carême à Lyon que le Saint ne peut accepter.- Bulles attendues. - Difficulté pour faire parvenir à Paris deux mille écus ; prière au destinataire de s'employer à cette affaire.

Sales, 26 octobre 1602.
Monsieur,

Je receuz nagueres un billiet de vous par lequel vous m'advertissies de la reception de nostre coffre et du moyen que vous estimies propre pour le nous faire tenir (3); dequoy je vous remercie affectionnement.

Vous m'escrivies aussi que, Messieurs de Sainte Croix persistoyent a me desirer pour l'Advent et Caresme (4) ; mais la necessité de ma praesence de deça persiste tellement a m'obliger, que non obstant l'extreme desir que j'aurais de rendre service a ces seigneurs, je ne puis neanmoins m'en promettre la commodité et ne sçaurois le leur rendre en ceste occasion.

J'attens de jour a autre ce quil me faut de Romme pour prendre la possession de l'Evesché (5), et tout aussi tost que je l'auray receu, vous en aures, Dieu aydant, advis.

Maintenant, voyci un autre affaire auquel je vous supplie de vous employer soigneusement a vostre accoustumee. Nous devons faire tenir a Paris deux mille escus pour une partie du payement de Thorens (6). Icy nous avons si peu de commodité quil nous a fallu partager la somme pour la faire tenir a Lion ; de maniere que pour cest'heure nous faisons tenir cinq cens escus par une commodité, et dans trois jours, Dieu aydant, le reste par un' autre commodité. Je vous supplie donques de prendre la peyne d'aller treuver la femme de monsieur Mermet, contrerolleur de la maison de Monseigneur de Nemours (7), et de l'assister en ce qu'elle fera delivrer cinq cens escus au seigneur Mascarani (8) pour faire tenir a Lumagues dans Paris (9). Faittes moy cest office, sil vous plait, en attendant d'en faire bien tost apres tout autant pour les quinze cens escus qui restent.

Je vous sallue bien humblement, et prie Nostre Seigneur quil vous doint, Monsieur, en santé, heureuse et longue vie.

Vostre bien humble serviteur, FRANçs DE SALES, Esleu Ev. de Geneve.
De Sales, le 26 octobre 1602.
( 10) A Monsieur Monsieur de Media, chanoyne de St Nisier. A Lyon.

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la baronne de Bleul, à Wiesbaden (Allemagne).

(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

( 2) L7, note 257.

(3) On se rappelle que François de Sales avait passé à Paris la plus grande partie de l'année 1602 ; à son retour, il s'arrêta à Lyon où diverses affaires le retinrent plusieurs jours. C'est là qu'il apprit, le 29 septembre, la mort de Mgr de Granier, arrivée le 17 ; vers le 10 octobre il rentrait en Savoie.

(4) Accolée au flanc gauche de la cathédrale de Lyon, se trouvait l'église Saint-Etienne, ou du Chapitre, et, tenant à cette dernière, l'église Sainte-Croix servait de paroisse. Elle était gouvernée par deuxcustodes du Chapitre faisant les fonctions curiales. (Voir Martin, Le Chapitre primatial de Lyon, 1903.)

A deux différentes reprises, en 1612 et 1620, le Saint devait recevoir de pressantes invitations pour les stations de l'Avent et du Carême, mais sans pouvoir répondre aux désirs des Lyonnais. (L5, lettres 778, 792 ; L9, lettres 1647, 1661)

(5) Ce sont ses Bulles que le futur Evêque attendait depuis le commencement de l'année ; elles arrivèrent enfin, datées du 15 juillet 1602, et le sacre eut lieu, comme on le sait, le 8 décembre.

(6) L2, note 149 ; L5, note 698.

(7) Le contrôleur de la maison du duc de Nemours était Mamert Vulliat (L5, note 523) ; c'est lui sans doute qui est appelé ici M. Mermet, car aucun personnage de ce nom ne se trouve parmi les officiers du prince. Le nom de Mme Vulliat nous est inconnu (L6, note 457).

(8) Les Mascranni (Ce nom a été écrit de différentes façons ; il se peut que la graphie primitive soit celle qu'emploie saint François de Sales, et qu'on retrouve dans l'ouvrage de Collin: Vie de la vénérable Servante de Dieu Marie Lumague veuve de M. Pollalion etc., Paris, 1744.), originaires de Chiavernes, au canton des Grisons, s'établirent à Lyon vers 1580, comme marchands de soieries et banquiers ; ils possédaient également une maison à Paris. Paul, sieur de la Verrière, marié en 1597 à Françoise Pollalion, contracta avec Jean-André Lumague (voir la note suivante) " societé et compagnie de negoce de soie et de change " dans les deux premières villes du royaume. Il figure à l'Assemblée réunie à l'Hôtel de Ville le 26 janvier 1623, mais ne fut pourtant naturalisé qu'en 1624 ; il mourut avant juin 1635, date des patentes par lesquelles Louis XIII confirme ses fils dans leur noblesse, et les relève des dérogations résultant de leur trafic. (Archiv. Nat., X, A 8652, fol. 479 VO et 481.) L'un d'eux, Alexandre, eut la gloire de signer le premier, comme prévôt, avec les échevins, le vœu qui relie à la Vierge de Fourvière la chrétienne ville de Lyon. (D'après des Notes de M. Léon Le Grand, archiviste aux Archiv. Nat., et de M. Claudius Roux, bibliothécaire-archiviste de l'Académie des Sciences de Lyon.)

(9) L'épitaphe de ce personnage, inhumé au cimetière de Saint-Merry en 1637, commençait ainsi : " Très illustre personne, messire Jean-André Lumague, seigneur de Villiers-sous-Saint-Leu et autres lieux, né à Pleurs (1564), devint chef d'une noble et ancienne maison du pays des Grisons. Rome, dont ses ancêtres étoient originaires, l'a reconnu pour citoyen et pour patrice. Il passa la plus grande partie de sa vie à Paris, où il fut employé par les Rois très chrétiens dans les plus importantes négociations : il s'en acquitta avec tant de zèle et de fidélité qu'il se rendit également agréable aux François et aux étrangers. " Compatriotes, associés et alliés des Mascranni, les Lumague avaient été anoblis en 1603. De son mariage avec Marguerite de Drouart, qui ne lui cédait en rien ni pour la naissance ni pour la piété, Jean-André eut de nombreux enfants. Une de ses filles, Cornélie, épousa Alexandre Mascranni (voir la note précédente) ; mais la plus célèbre fut Marie, dame de Pollalion, qui, de concert avec saint Vincent de Paul, ami intime de son père, fonda les Filles de la Providence de Dieu. (D'après les Notes de MM. Le Grand et Roux.)

(10) L'adresse est de la main de Georges Rolland, serviteur du Saint ; mais celui-ci a écrit au bas de la première page le nom du destinataire : Monsr de Medio.
 
 

CLXV
 
 

A SA SAINTETÉ CLÉMENT VIII
 
 

( MINUTE) (en latin)

Compte-rendu des négociations faites à la cour de France. - Eloge de Mgr de Granier : son zèle apostolique, sa piété. - Remerciements pour la remise des droits d'annates. - Soumission au Saint-Siège.

Sales, fin octobre 1602.

 
 
 

Très Saint Père,

Au commencement de cette année je m'étais rendu à la cour du toi très chrétien pour traiter au nom de l'Evêque, du Chapitre et du clergé de Genève du rétablissement de la foi catholique dans la ville et le bailliage de Gex. Il ne se pouvait proposer d'entreprise plus sainte ni plus équitable ; aussi Votre Sainteté n'a rien épargné de ses soins et de sa sollicitude apostolique pour la faire réussir. L'Evêque de Camerino, son Nonce, personnage plein de zèle et d'une rare prudence, s'y est aussi activement employé. Ce Prélat eut à ce sujet de fréquentes et sérieuses conférences, tant avec le roi lui-même qu'avec les plus intimes conseillers de Sa Majesté; il semblait donc que rien ne contrariait l'espoir du succès désiré. Mais, ô misère de notre temps ! après avoir fait tant de démarches pour cette sainte négociation, à peine avons-nous gagné l'autorisation de célébrer les saints mystères en trois localités, avec la concession à cet effet, d'un revenu annuel pour nos prêtres . Quant au reste, le roi lui-même nous représenta la dureté des temps : " Je désirerais plus que nul autre, " dit-il, " l'entier rétablissement de la religion catholique, mais mon pouvoir n'égale pas mon bon plaisir; " et semblables propos. C'est ainsi qu'après neuf mois entiers, j'ai été contraint de m'en retourner sans avoir presque rien fait.

J'étais en chemin, quand j'appris une très pénible nouvelle : notre Révérendissime Evêque venait de finir sa vie en même temps qu'expirait le Jubilé de Thonon. Cette province ne pouvait faire une perte plus considérable, ni ses habitants avoir un plus grand sujet de tristesse. De ce Pontife bien connu de vous, ô Pontife suprême si vigilant, je ne dirai qu'un mot : chargé pendant vingt-cinq ans du gouvernement de cette Eglise, il l'a soutenue par l'assiduité de sa résidence. Par son propre travail, aussi bien que par celui de ses coopérateurs, il a ramené vingt-cinq mille brebis errantes au bercail du Seigneur. Homme de foi antique, de mœurs antiques, d'antique piété et d'antique constance, il est digne assurément d'immortalité et sa mémoire mérite d'universelles bénédictions.(Eccli 14,1)

Ce grand homme, Très Saint Père, peu de temps avant sa mort, avait demandé de m'avoir pour coadjuteur et successeur, quoique je ne lui appartinsse aucunement par les liens du sang et de la parenté, et il l'avait obtenu, à sa très grande joie, de l'ineffable bienveillance de Votre Sainteté; j'ai en conséquence reçu les Lettres apostoliques du Saint-Siège qui m'établissent successeur de l'Evêque défunt. Je ne cesse de considérer attentivement la suite de ces évènements.

Il ne me reste plus rien à faire que de me remettre à la Providence divine, lui confiant avec un abandon absolu le soin de ma personne et de toutes choses. Et à vous, Père très saint et très clément, je rends autant qu'il est en moi les plus vives actions de grâces pour les immenses bienfaits dont votre munificence apostolique m'a comblé. Non content de m'élever à l'épiscopat, Elle a voulu, par une libéralité souveraine, bien digne de la suprême grandeur, me remettre les droits qu'à cette occasion j'aurais dû payer, d'après la coutume, au trésor apostolique.

Pour un tel bienfait, je ne puis en rien témoigner ma gratitude si ce n'est par ma bonne volonté reconnaissante et dévouée. Je la soumets tout entière aux ordres et au bon plaisir de Votre Sainteté, et de tout cœur je supplie Dieu, le grand rémunérateur, de vous conserver très longtemps dans une santé heureuse et inaltérable pour le bonheur de son Eglise. Enfin, prosterné humblement à vos pieds sacrés, j'attends votre bénédiction apostolique, afin que la consécration que je vais recevoir m'obtienne à moi et à mon troupeau plus de faveurs et de consolations.
 
 







CLXVI
 
 

AU MÊME

(MINUTE) (en latin)

Combien l'établissement des Carmélites en France contribuerait à la gloire de Dieu. - Trois ecclésiastiques de grande vertu désignés pour Supérieurs. - Approbation apostolique sollicitée pour l'exécution de ce projet.

Thorens, commencement de novembre 1602.

 
 
  Très Saint Père, Pendant mon séjour à Paris, où je traitais l'affaire dont j'ai récemment écrit l'issue à Votre Sainteté, je dus accepter de faire de nombreuses prédications devant le peuple et devant le roi lui-même et les princes. A cette occasion, madame Catherine d'Orléans, princesse de Longueville , très illustre non seulement par la noblesse des princes de sa maison, mais encore, ce qui est le principal, par son amour pour le Christ, ayant projeté de fonder à Paris un monastère de femmes de l'Ordre des Carmélites réformées, jugea bon de m'adjoindre à d'autres théologiens d'une piété éminente et d'un profond savoir pour délibérer ensemble sur ce projet de fondation. Nous nous assemblâmes pour cet effet pendant quelques jours; et ce dessein ayant été mûrement examiné, nous trouvâmes qu'il était inspiré de Dieu et qu'il contribuerait à sa plus grande gloire et au salut d'un grand nombre d'âmes,

Une chose toutefois nous préoccupait : il semblait impossible d'introduire maintenant en France des Frères du même Ordre pour gouverner ce monastère. Mais ayant considéré qu'il s'est établi tout récemment à Rome un monastère de Carmélites, qui est confié aux soins d'un Père de la Congrégation de l'Oratoire , la difficulté s'évanouit aussitôt. On a donc choisi trois hommes fort instruits, de mœurs pures, entendus aux affaires, qui fussent à même de prendre la direction de l'œuvre pour le plus grand bien du monastère (cf note 138), Ils pourraient ainsi au fur et à mesure remédier à chacune des difficultés que les circonstances des lieux et des temps feraient surgir.

Il ne reste maintenant rien à désirer sinon que le Saint-Siège Apostolique approuve cette entreprise, et en confie l'exécution à la volonté du roi, qui a donné aussitôt son consentement contre l'attente de plusieurs. C'est pourquoi ce messager va se jeter aux pieds de Votre Sainteté pour la supplier d'accorder ses Bulles apostoliques, afin d'assurer l'établissement et la consolidation de cette œuvre.

Pour moi, Très Saint Père, qui ai assisté à presque toutes les conférences tenues à ce sujet, je me suis engagé à vous déclarer ce que j'en pense, bien que mon témoignage soit très indigne d'être entendu, et je ne puis m'empêcher d'assurer qu'il sera très utile à la religion que Votre Sainteté favorise de ses bénédictions apostoliques cette céleste inspiration, vu le temps et surtout le lieu où elle s'effectuera. Cette grâce, la vertueuse princesse, un grand nombre d'autres chrétiennes, et moi avec elles, nous la sollicitons par de très humbles instances.

Daigne Dieu très bon et très grand conserver Votre Sainteté de très longues années pour notre consolation personnelle et pour celle de tous les gens de bien.
 
 






CLXVII

AUX SYNDICS D'ANNECY

Réponse à leur lettre de félicitation.

Thorens, 11 novembre 1602.
Messieurs, Je voudrois voir en moy autant de sujet de la joye que vous prenes en ma promotion comme j'en voy en l'amitié que vous me portes ; j'aurois beaucoup moins d'apprehension de la pesanteur du devoir auquel je suys meshuy engagé. Je me confie neanmoins en la bonté de Dieu, qu'elle ?laquelle ne nous defaut jamais es choses necessaires qu'il? me donnera la grace de sa sainte assistance pour vous rendre le service que je desire et auquel ma naissance et mon education m'invite. Sil vous plaist me faire ce bien de l'en supplier avec moy, vous aures tous-jours tant plus de rayson de le vous promettre, et moy de l'esperer comme l'un des plus grans contentemens que j'are jamais souhaitté.

Permettes moy ce pendant que je vous salue des icy, attendant que bien tost j'are le bonheur de me voir en vostre ville, a laquelle je desire toute benediction du Ciel ?la paix et consolation du Saint Esprit?, et de laquelle je suis entierement comme de vous,

Messieurs, Serviteur bien humble en Jesus Christ,

FRANçs DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

A Thorens, le 11 novembre 1602.

 

A Messieurs Messieurs les Scindics d' Annessy.

Revu sur le texte inséré dans le Registre des Délibérations municipales d'Annecy.
 
 

CLXVII bis (lettre MMXIV du volume XXI reclassée) (1)

A L'EMPEREUR D'ALLEMAGNE, RODOLPHE II (2)

(INÉDITE - EN LATIN)

Accusé de réception d'une lettre de l'Empereur. - L'Eglise de Genève dépouillée de toutes ses ressources par les hérétiques. - Un vœu de son Prince-Evéque.

Sales, 21 novembre 1602.

 

Au très invincible et très puissant Rodolphe second, très auguste Empereur des Romains, salut et grâce en Jésus-Christ.

J'ai reçu avec tout le respect que je dois à une si haute dignité, la lettre dont m'a honoré Votre Majesté impériale et sacrée. Certes, si mes forces et mes biens égalaient mes sentiments envers votre Couronne sacrée, j'égalerais aussi par les actions et par les œuvres tous les autres princes et Evêques soumis à l'Empire.

Mais, victime de la tyrannie des hérétiques, notre Eglise se trouve dépouillée de toutes les ressources et les richesses dont les anciens Empereurs, dans leur reconnaissance envers le Christ, l'avaient ornée et comblée. Il ne me reste donc rien, sinon la ferme espérance que Dieu fera lever bientôt le jour heureux où les Empereurs, après avoir autrefois fondé cette Eglise par leurs nombreux bienfaits, sauront de nouveau, par leur autorité et leur puissance, la rendre à son antique splendeur.

En attendant que ce désir se réalise, nous prierons instamment le Christ très bon et très grand, avec le clergé et le peuple à nous confiés, qu'il conserve longtemps saine et sauve Votre Majesté impériale et sacrée, et qu'il confonde l'orgueil de ses ennemis.

De Votre Majesté impériale et sacrée,

Le très obéissant et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Évêque et Prince de Genève.

Thorens-Sales, en Genevois, 2 l novembre 1602.
A la sacrée Majesté impériale.
Revu sur une copie authentique de l'Autographe conservé à Vienne, Archives Impériales.

(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

(2) L3, note 276) - L'Evêque de Genève répond, par cette lettre, à l'invitation qui lui avait été adressée pour la Diète de 1603.
 
 



CLXVIII

AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DES FILLES-DIEU

Témoignages d'estime et d'affection pour leur Communauté. - Pressante exhortation à supprimer les pensions particulières. - Redouter les plus légers abus en matière de pauvreté. - Danger des exemptions et des dispenses.- Confiance que les Religieux doivent avoir en la divine Providence. - Conseils à prendre pour réformer leur monastère.

Sales, 22 novembre 1602.
Mes tres Reverendes Dames et cheres Seurs , J'ay pris une telle confiance en vostre charité qu'il ne me semble plus avoir besoin de preface ou avant propos pour vous parler, soit en absence, comme je suis contraint de faire maintenant, soit en presence, si jamais Dieu dispose de moyen sorte que j'aye le bien de vous revoir. J'ayme en tout la simplicité et la candeur ; je croy que vous l'aymes aussi, ce que je vous supplie de continuer, parce que cela est fort seant a vostre profession. Je pense que les tuniques blanches que vous portes en sont le signe. Je vous diray donq simplement ce qui m'a esmeu a vous escrire ainsy a toutes ensemble.

Croyes-moy, je vous supplie : je suys fort importuné de l'affection extreme que je porte au bien de vostre mayson ; car icy, ou je ne puis vous rendre que fort peu de services, elle ne laisse pas que de me suggerer une infinité de desirs, qui vous sont inutiles et a moy. Je n'ose pas pourtant rejetter ces inclinations, parce qu'elles sont bonnes et sinceres, mays sur tout parce que je croy fermement que c'est Dieu qui me les a donnees. Que si elles me mettent en danger de quelques inquietudes, ce n'est pas par leurs qualités, mais par la foiblesse de mon esprit qui est encor sujet au mouvement des vens et de la maree. Or, c'est un vent qui agite maintenant mon esprit en l'affection qu'il vous porte, et ne sçaurois m'empescher de vous le nommer ; car c'est le seul sujet qui m'a fait desrober ce loysir pour vous escrire, a la presse d'un monde d'affaires qui m'environnent en ce commencement de ma charge.

Je partis de Paris avec ce contentement de vous avoir en quelque sorte tesmoigné l'estime que je faisois de la vertu de vostre mayson, de laquelle l'opinion me donnoit beaucoup de consolation et me prouffitoit interieurement, m'animant au desir de ma perfection. La sainte Parole (Jon 4,6) dit que Jonas se consola a l'ombre du lierre ou de [la courge Vers Septante] ; mais un vent chaud et cuisant dessecha, presque tout en un moment, cest arbrisseau. Un vent fit presque le mesme effect en la consolation que j'avois en vous. Mais [ ne] penses [pas, je vous supplie, que ce fut un vent [de quelque rapport leger, envieux, ou mesdisant ; non, a la verité, ce fut un vent venant] du midy (Ct 4,16) d'une entiere charité ; ce fut un rapport auquel je fus obligé de donner creance par la consideration de toutes les circonstances. Seigneur Dieu, que je fus marry et de ce que l'on me disoit, et de l'avoir sceu seulement en un tems auquel je n'avois pas loysir d'en traitter avec vous ; car je ne sçay si mon affection me trompe, mays je me persuade que vous m'eussies donné une favorable audience, et n'eussies sceu treuver mauvaise aucune remonstrance que je vous eusse faite, puisque vous n'eussies jamais descouvert en mon ame ni en tous ses mouvemens, sinon une entiere et pure affection a vostre advancement spirituel et au bien de vostre mayson.

Mais n'ayant pas deu arrester pour cela, estant appellé icy pour un bien plus grand, je me suis mis a vous escrire sur ce sujet, bien que j'aye quelque tems desbattu en moy mesme si cela seroit a propos ou non ; car il me sembloit presque que cela seroit inutile, d'autant que ma lettre seroit sujette a recevoir des repliques, et m'en feroit donner; qu'elle arriveroit peut estre hors de sayson; qu'elle ne vous representeroit pas naifvement ni mon intention ni mon affection ; que vous estes en lieu ou vous seres conseillees de vive voix par un monde de personnes qui vous doivent estre en plus grand respect que moy, et que si vous ne croyes a Moïse et aux prophetes (Lc 16,31) qui vous parleront, malaysement croires vous a ce pauvre pecheur qui ne peut que vous escrire, et que, outre cela, a ce que l'on m'a dit, quelques autres predicateurs, meilleurs et plus experimentés a la conduitte des ames que je ne suys, vous en ont parlé sans effect. Neanmoins, il a fallu que toutes ces raysons ayent cedé a mon affection et au devoir que l'extreme desir de vostre bien m'impose. Dieu employe bien souvent les plus foibles pour les plus grans effectz (1 Co 1,25) : que puis-je sçavoir s'il veut porter son inspiration dans vos cœurs par les paroles qu'il me donnera pour vous escrire ? J'ay prié ; je diray bien plus et je ne diray que la verité, mais cecy suffira : j'ay arrousé ma bouche du sang de Jesus Christ en la Messe, pour vous pouvoir envoyer des paroles convenables et pregnantes. Je les planteray donq icy sur ce papier; Dieu les veuille conduire et addresser en vos espritz pour y servir a sa gloire.

Mes cheres Seurs, on m'a dit qu'il y a en vostre mayson des pensionnettes particulieres et des proprietés, dont les malades ne sont pas esgalement secourues, et les saines ont des particularités aux viandes et habitz sans necessité, et que les entretiens et recreations n'y sont pas fort devotes, On m'a dit tout cela, et beaucoup d'autres choses qui s'ensuyvent. J'aurois aussi beaucoup de choses a vous dire sur ce sujet ; mais ayes la patience, je vous supplie, faites moy cest honneur de lire attentivement et doucement ce que je vous en represente; gratifies en cela mon zele a vous servir.

Mes bonnes Dames, vous deves corriger vostre mayson de tous ces defautz, qui sont sans doute contraires a la perfection de la vie religieuse. L'aigneau pascal doit estre sans macule (Ex 12,5) : vous estes des aigneaux de la Pasque,. c'est a dire du passage (Ex 12,11), car vous aves passé de l'Egypte du monde au desert de la Religion, pour vous acheminer en la terre de promission. Certes, il faut que vous soyes sans tache ou macule apparente ; mays ne sont ce pas des macules bien noires et manifeste que ces defautz et grans manquemens que j'ay marqués ci devant, et principalement en une telle mayson ? Il les faut donq corriger.

Vous les deves corriger, a mon advis, parce qu'ilz sont petitz, ce semble, et partant il les faut combattre pendant qu'ilz le sont; car si vous attendes qu'ilz croissent, vous ne les pourres pas aysement guerir. Il est aysé de destourner les fleuves en leur origine, ou ilz sont encor foibles; mais plus avant ilz se rendent indomptables. Prenes moy, dit le Cantique (Ct 2,15), ces petitr renardeaux qui ruinent les vignes ; ilz sont petitz n'attendes pas qu'ilz soyent grans, car si vous attendes, non seulement il ne sera pas aysé de les prendre, mais quand vous les voudres prendre ce sera lhors qu'ilz auront des-ja tout gasté. Les enfans d'Israël disent en un Psaume (Ps 136,8) : Filia Babylonis misera ; beatus qui tenebit et allidet parvulos tuos ad petram. La fille de Babylone est miserable ; oh, que bienheureux est celuy qui escrase et brise tes petitz contre la pierre. Le desordre, le desreglement des Religions est vrayement une fille de Babylone et de confusion ; ah, que bienheureux sont les espritz qui n'en souffrent que les commencemens, ou plustost les terrassent ou fracassent a la pierre de la reformation. L'aspic de dissolution et de desreglement n'est pas encor esclos en vostre mayson, mais prenes bien garde a vous : ces defautz en sont les ceufz ; si vous les couves en vostre sein, ilz esclorront un jour (Is 59,5) a vostre ruine et perdition, et vous n'y penseres pas.

Mays si ces defautz sont petitz, comme il peut sembler a quelques unes, n'estes vous pas beaucoup moins excusables de ne les pas corriger ? Quelle misere, disoit aujourd'huy saint Chrisostome en l'homelie de l'Evangile de sainte Cecile (Hom in Mt 78), de laquelle nous faisons la feste ; quelle misere, disoit il, de voir une trouppe de filles avoir combattu, battu et vaincu le plus fort ennemy de tous, qui est le feu de la chair, et neanmoins se laisser vaincre a ce chetif ennemy, mammon, dieu des richesses. Et certes, toutes proprietés et particularités de moyens en Religion se reduisent a mammon de l'iniquité (Lc 16,9) ! " C'est pourquoy, " disoit il, " ces pauvres vierges sont appellees folles (Mt 25,2), par ce qu'apres avoir dompté le plus fort elles se rendent au plus foible. " Vostre mayson excelle en beaucoup d'autres perfections et est incomparable en icelles a toute autre : ne sera-ce pas un grand reproche d'en laisser ternir la gloire par ces chetifves imperfections ? On vous appelle par une ancienne estime et prerogative de vostre mayson, Filles de Dieu : voules vous perdre cest honneur par le defaut d'une reformation en ces petites defectuosités ? pour un potage de lentilles, perdre la primogeniture (Gn 25,29) que vostre nom semble vous avoir donnee par le consentement de toute la France ? C'est, a la verité, une marque de tres grande imperfection au lion et a l'elephant, qu'apres avoir vaincu les tigres, les bœufs, les rhinoceros, ilz s'effrayent, s'espouvantent et tremoussent, le premier devant un petit poulet (S.Amb Plin. -Cf tome VII) et l'autre devant un rat (S.Basil. Hexaem.9 ; Plin.Hist nat 8), dont la seule veuë leur fait perdre courage : cela est un grand deschet de leur generosité. C'est aussi une grande tare a la bonté de vostre mayson d'y avoir des pensions particulieres et semblables defautz, apres que l'on y a veu tant d'autres qualités louables ; soyés donq fideles en la reformation de ces menues imperfections, affin que vostre Espoux vous constitue sur beaucoup de perfections et qu'il vous appelle un jour a sa gloire (Mt 25,21).

Mais apres tout cela, permettes moy, je vous supplie, de vous dire mon opinion touchant ces defautz. Ilz sont, a la verité, petitz si on les met en comparaison des plus grans, car ce ne sont que commencemens, et tout commencement, soit en mal soit en bien, est tous-jours petit ; mais si vous les consideres en comparaison de la vraye et entiere perfection religieuse a laquelle vous deves aspirer, ilz sont sans doute tres grans et tres dangereux. Est ce, je vous supplie, un petit mal que celuy qui attaque et gaste une partie noble de vostre cors, a sçavoir le vœu de pauvrete ? On peut estre bonne Religieuse sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans telle ou telle abstinence ; mais sans la pauvrete et communaute, nulle ne le peut estre. Le vermisseau qui rongea la courge de Jonas sembloit estre petit, mays sa malice estoit si grande que l'arbrisseau en perit. Ces defautz de vostre mayson ?ces petites affections a la particularité et proprieté?semblent bien minces; mais leur malice est si grande qu'elle gaste vostre vœu de pauvrete.

Ismaël estoit petit garçon; mais incontinent qu'il commença a piquer et agacer Isaac, la sage Sara le fit chasser, avec Agar sa mere, hors la mayson d'Abraham (Gn 21,9). [Vostre mayson est une vraye mayson d'Abraham,] c'est a dire du grand Pere celeste ; il y a une Sara et une Agar. [L'une est] ceste partie superieure et en certaine façon surhumaine, l'esprit et l'interieur ; et l'autre, plus basse et humaine, est le cors avec son exterieur. L'esprit a engendre le bon Isaac: c'est le vœu que vous aves fait comme un sacrifice volontaire sur la montagne de la Religion, ainsy qu'Isaac sur la montagne de Vision s'offrit de volonte en sacrifice (Gn22,9). La chair et partie corporelle n'engendre qu'Ismaël: c'est le soin et desir des choses exterieures et temporelles. Pendant que cet Ismaël, ce soin et desir n'attaque point vostre Isaac, c'est a dire vostre vœu et profession, bien qu'il demeure chez vous et en vostre mayson, j'en suis content, et, ce qui est le principal, Dieu n'en est point offensé. Mays quand il agace vostre vœu, vostre pauvrete, vostre profession, ?heurte Isaac, vostre vœu, vostre profession, vostre pauvreté, non seulement? je vous supplie, mais je vous conjure, chasses le et le bannissés. Qu'il soit tant petit qu'il voudra, qu'il soit tant enfant qu'il vous plaira, qu'il ne soit pas plus grand qu'une fourmy; mais il est mauvais, il ne vaut rien, il vous ruinera, et gastera vostre mayson.

Encor treuvé je ce mal en vostre mayson bien grand parce qu'il y est maintenu, parce qu'il y est en repos et qu'il y sejourne comme habitant ordinaire; c'est le grand mal que j'y voy, que ces particularités sont meshuy bourgeoises. Les mouches mourantes perdent la suavité du bausme et unguent (Eccles 10,1). Si elles ne faisoyent que passer sur l'unguent et le succer en passant, elles ne le gasteroyent pas ; mais y demeurant mortes et comme ensevelies, elles le corrompent. Je veux que les manquemens et defautz de vostre mayson ne soyent que mouches, mais le mal est qu'elles s'arrestent sur vostre unguent, elles y arrestent et y sont ensevelies avec faveur. Pour petit que soit le mal, il croist aysement quand on le flatte et qu'on le maintient : nul ennemy, disent les soldatz, n'est petit quand il est mesprisé. Ce sont les raysons que Dieu m'a donnees pour vous prier de vouloir reformer vostre mayson touchant ces petites ou grandes fautes que l'on m'a dit y estre; mays je ne puis assouvir le desir que j'en ay. ? [On conserve à Casorzo (diocèse de Casale en Piémont) un fragment de la minute autographe que nous reproduisons ici intégralement.] .

vostre ne fut pas commencé avec ces pensions, ains avec une tres exacte pauvreté et resignation de toutes particularités. Mes Seurs, il faut remonter jusques a la source de vostre Religion et boire en icelle l'eau de vostre reformation ; vous y treuveres un' eau qui vous fera oublier l'affection que vous aves a ces petites particularités. Regardes a la pierre de laquelle vous aves estés tirees, vous n'y verres aucune paille de proprieté. Mais quand tout ceci ne se... pour Dieu... Vous deves donques, ce me semble, vous reformer. Je sçai bien que vous aves de tres grans empeschemens de ce faire ; [c'est] cela qui me fait pitié et pourquoy je me suis mis a vous escrire, car j'ay certaines considerations sur les empechemens que je m'imagine estre en vous pour ceste bonne et sainte action... qui vous peuvent [arrêter] en ce bien, lesquelles a mon advis vous ayderont……… ?.

J'ay encor voulu considerer quelz empeschemens vous pourroyent rendre ce saint œuvre malaysé, et vous en dire mon advis. Je me doute que vous n'estimes pas qu'en ces pensions et autres particularités il y ayt aucune proprieté contraire a vostre vœu, parce qu'a l'adventure tout s'y fait sous la permission et licence de la Superieure. C'est des-ja un mauvais mot que celuy de permission et licence parmi l'esprit de perfection : il seroit mieux de vivre sous les lois et ordonnances que d'avoir des exemptions, licences et permissions. Vous voyes des-ja un sujet de reformation. Moïse (Dt 24,1) avoit donné une permission et licence touchant l'integrité du mariage; Nostre Seigneur reformant ce saint Sacrement et le remettant en sa pureté, protesta (Mt 19,7) que Moïse ne l'avoit permis qu'a force et contrainte, pourla dureté de leurs cœurs. Bien souvent les Superieures plient ce qu'elles ne peuvent rompre, et permettent ce qu'elles ne peuvent empescher ; et la permission, par apres, a ceste ruse et malice, qu'ayant duré quelque tems elle s'en fait accroire et, au contraire des choses qui viellissent, elle se renforce et semble perdre petit a petit sa laideur et difformité. Les permissions n'entrent jamais que par grace dans les monasteres ; mais y ayant pris pied, elles y veulent demeurer par force, et n'en sortent jamais que par rigueur.

Mays, outre cela, je dis qu'il n'est rien de si semblables que deux gouttes d'eau: neanmoins, l'une peut estre de roses, et l'autre de ciguë ; l'une guerit, et l'autre tue. Il y a des permissions qui peuvent estre aucunement bonnes, mais celle cy ne l'est pas, car c'est en fin une proprieté, quoy que voilee et cachee; c'est l'idole que Rachel tenoit cachee sous sa robe (Gn 31,34). On dit que la Superieure le permet et que c'est sous son bon playsir : voyla Rachel qui parle. Mays ce sont les pensions d'une telle Seur et non pas d'une autre : voyla l'idole de la proprieté. Si ce n'est pas proprieté, [que veut dire] que l'une a plus de commodité sans necessité, et l'autre plus de necessité sans commodité ? Que veut dire qu'estant toutes seurs, vos pensions ne sont pas seurs ? L'une souffre et l'autre ne souffre point; l'une a faim, diray je presque comme saint Pol (1 Co11,21 ; Ph 4,12), l'autre abonde: ce n'est pas la une Communauté de Nostre Seigneur. Appellés cela comme vous voudres, mais c'est une pure proprieté ; car la ou il n'y a point de proprieté " il n'y a point de mien et de tien, qui sont les deux motz qui ont produit le malheur du monde (S.Chrysost Orat in S.Philog 1). " Le Religieux qui a un liard ne vaut pas un liard, disoyent les Anciens.

L'amour et tendre affection que vous portes a vostre mayson peut aussi estre un grand empeschement a la reformation d'icelle, par ce que ceste passion ne peut permettre que vous pensies mal d'elle, ni que vous oÿes de bon cœur les reprehensions qu'on vous en fait. Mais prenes garde, je vous supplie ; car l'amour propre est rusé, il se fourre et glisse par tout, et nous fait accroire que ce n'est pas luy. Le vray amour de nos maysons nous rend jaloux de leur perfection reelle, et non de leur reputation seulement. La femme du bon Tobie prit a point d'honneur un advertissement de son mary par ce qu'il sembloit revoquer en doute l'estime de sa famille (Tb 2,19). Elle estoit trop pointilleuse : si ce mal n'y estoit pas elle en devoit loüer Dieu, s'il y estoit elle le devoit corriger. Il nous faut manger le beurre et le miel avec Nostre Seigneur, adoucir nos espritz et nous humilier, choisissant le bien et rejettant le mal (Is 7,15). Les abeilles ayment leurs ruches, qui sont comme leurs maysons (je vous dis un jour que c'estoit comme des religieuses naturelles entre les animaux) ; mays elles ne laissent pas d'esplucher par le menu ce qui y est et de les purger a certains tems. Rien n'est si constant sous le ciel qui ne flechisse (Eccles 2,11) ; rien de si pur qui ne recueille quelque poussiere.

C'est bien fait de ne point dire inutilement les defautz que l'on voit dans les maysons et de ne les point manifester ; mays de ne les vouloir pas reconnoistre ni confesser a ceux qui peuvent estre utiles pour y donner remede, c'est un amour des-ordonné. L'Espouse au Cantique confesse son imperfection (Ct 1,5) : Je suis noire, dit elle, encor que belle ; ne prenes pas garde a ce que je suis brune, c'est le soleil qui m'a haslee. Je pense que vous en pouves bien dire autant de vostre mayson : elle est belle et vertueuse, c'est la verité ; mais la longueur du tems et des annees a un petit alteré son teint. Pourquoy ne luy redonneres vous pas ses couleurs par une sainte reformation ? Quand il y a quelque defaut passager dans une mayson, on le peut dissimuler ; mais quand il est permanent et par maniere de coustume, il le faut chasser [a cor et a cry s'il en est besoin. Mais ici il n'en est pas besoin] ; il suffit d'y appeller ceux qui y peuvent servir. Ce fut un amour desmesuré en David de ne vouloir pas qu'on desfit Absalom, tout mauvais et rebelle qu'il estoit (2 R 18,5). Quicomque ayme sa mayson, en procure la santé, la pureté et reformation.

Je pense qu'il y a un autre empeschement a la reformation de vostre mayson : c'est que, a l'adventure, vous estimes qu'elle ne pourroit se maintenir sans ces pensions par ce qu'elle est pauvre. Au contraire, je pense que le monastere est pauvre par ce que ces pensions y sont. Il y a en Italie deux nobles republiques, Venise et Gennes ; a Venise les particuliers ne sont pas si riches qu'a Gennes, [mais la republique est bien plus riche que celle de Gennes.] La richesse des particuliers empesche celle du public. Si une fois vous esties a bon escient pauvres en particulier, vous series par apres riches en commun.

Dieu veut que l'on se fie en luy chacun selon sa vocation. Il n'est pas requis en un homme laïc et mondain de s'appuyer en la providence de Dieu en la sorte que nous autres ecclesiastiques devons faire ; car il nous est defendu de thesaurizer et faire marchandises, mais il n'est pas defendu aux mondains ; ni les ecclesiastiques seculiers ne sont pas obligés d'esperer en ceste mesme Providence comme les Religieux ; car les Religieux y doivent esperer si fort qu'ilz n'ayent aucun soin de leur particulier pour avoir des moyens. Or, entre les Religieux, ceux de saint François excellent en cest endroit, qui est la confiance et resignation qu'ilz ont en la Providence divine, n'ayant nul moyen ni en particulier ni en general, prattiquant pleinement la parole du Psalmiste (Ps 54,23) : Jacta cogitatum tuum in Domino, et ipse te enutriet ; Jette tout ton soin en nostre Seigneur, et II te nourrira. Chacun doit jetter tout son soin en Dieu, et aussi il nourrit tout le monde ; mays chacun ne le jette pas en mesme degré de resignation. Les uns l'y jettent sous le travail et industrie que Dieu leur a donnee et par laquelle Dieu les nourrit ; les autres, plus purement, sans l'entremise d'aucune industrie, tendent a cela. Ilz ne sement ni ne recueillent, et le Pere celeste les nourrit (Mt 6,26). Or, vostre condition religieuse vous oblige a vous resigner en la Providence de Dieu sans l'ayde ni faveur d'aucune pension ni proprieté particuliere ; c'est pourquoy vous les deves rejetter.

David (Ps 146,9) admire comme Dieu nourrit les petitz poussins des corbeaux ; aussi est ce chose admirable. Mais ne nourrit il pas aussi les autres animaux ? Si fait, mais non pas de la [mesme] sorte ni si immediatement, d'autant que les autres sont aydés de leurs peres et meres [et de leur travail; mais par ce que la condition naturelle de ces petitz poussins porte qu'ilz sont abandonnés de leurs peres et meres,] et n'ont d'ailleurs moyen de travailler, nostre Seigneur les nourrit presque miraculeusement. Aussi nourrit-il tous-jours ses devotes servantes et creatures, lesquelles, par la condition de leur estat et profession, se sont devouees a la communauté et pauvreté particuliere, sans l'entremise d'aucun moyen contraire a leur condition. Les Cordeliers ont estimé qu'ilz ne pourroyent vivre en ceste estroitte pauvreté que leur Regle primitive requeroit ; les Capucins leur ont fait voir clairement que si. Pendant que saint Pierre se fia en Celuy qui l'appelloit il fut asseuré; quand il commença a douter et perdre la confiance il enfonça dans les eaux (Mt 14,27). Faysons ce que nous devons, chacun selon sa condition et profession, et Dieu ne nous manquera point. Pendant que les enfans d'Israël estoyent en Egypte il les nourrissoit de la viande que les Egyptiens donnoyent ; lhors qu'ilz furent au desert, ou il n'y en avoit aucune, il leur donna la manne (Ex 16), viande commune a tous et particuliere a nul, et laquelle, si je ne me trompe, represente une certaine communauté. Vous estes sorties de l'Egypte mondaine, vous estes au desert de la Religion : ne recherchés plus les moyens mondains, esperés fermement en Dieu ; il vous nourrira sans doute, quand il devroit faire pleuvoir la manne.

Je me doute encor qu'il y ayt un autre empeschement a vostre reformation : c'est qu'a l'adventure, ceux qui vous l'ont proposee ont manié la playe un peu asprement. Mays voudries vous bien pour cela rejetter vostre guerison ? Les chirurgiens sont quelquefois contrains d'aggrandir la playe pour amoindrir le mal, lhors que sous une petite playe il y a beaucoup de meurtrisseures et concasseures ; ç'a esté peut estre cela qui leur a fait porter le rasoir un petit bien avant dans le vif. Je loüe leur methode, bien que ce ne soit pas la mienne, sur tout a l'endroit des espritz nobles et bien nourris comme sont les vostres; je croy qu'il est mieux de leur monstrer simplement le mal, et leur mettre le fer en main affin qu'ilz fassent eux mesmes l'incision. Neanmoins, ne laissés pas pour cela de vous reformer. J'ay accoustumé de dire que nous devons recevoir le pain de correction avec beaucoup d'estime, encor que celuy qui le porte soit desaggreable et fascheux, puisque Helie mangeoit le pain porté par les corbeaux (3 R 17,6), Ainsy celuy nous doit aggreer qui procure nostre bien, quoy qu'il soit de tout point desaggreable et fascheux. Job racloit l'ordure et suppuration de ses ulceres avec une piece de pot cassé (Jb 2,8) ; c'estoit une dure abjection, mays elle estoit utile. Le bon conseil doit estre receu, soit qu'il soit trempé au fiel ou qu'il soit confit au miel.

Que tous ces empeschemens ne soyent point asses fortz, je vous prie, pour vous retarder de faire le voyage de ceste sainte et necessaire reformation. Je prie Dieu qu'il envoye ses Anges pour vous porter entre leurs mains, affin que vous ne heurties point aux pierres d'achoppement (Ps 90,11 ; Mt 4,6).

Il me reste a vous dire mon advis touchant l'ordre que vous deves tenir. Pries Dieu par des oraisons communes et distinctes a cest effect, qu'il vous fasse voir les defautz de vostre mayson et les moyens pour y remedier et pour recevoir la grace. Puisqu'il est le Dieu de paix (1 Co 14,33), apaises vos espritz, mettes les en repos ; ne permettes pas que la [coustume, la difficulté, je diray clair et net, ne permettes pas que la] contention que vos espritz auront peut estre faite contre ceux qui vous auront cy devant voulu corriger, fasse aucun prejugé contre la lumiere celeste. Ne tenes plus vostre parti ni celuy de vostre mayson, [mays simplement celuy de vostre bien et du bien de vostre mayson.] Faites tout ainsy que si vous voulies instituer une nouvelle Congregation selon vostre Ordre et vostre Regle ; traittes en les unes avec les autres en esprit de douceur et de charité. Lhors vostre Espoux vous regardera avec ses Anges, comme nous faysons les abeilles quand elles sont doucement empressees a la confection de leur miel, et je ne doute point que ce saint Espoux ne parle a vostre cœur pour vous dire ce qu'il dit a son serviteur Abraham : Cheminés devant moy et soyes parfait (Gn 17,1) ; entrés plus avant au desert de la perfection. Vous aves des-ja fait la premiere journee par l'exacte chasteté, et la seconde par l'obeissance, et une partie de la troisiesme par quelque sorte de pauvreté et communauté (Ex 15,22) : mais pourquoy vous arrestes vous en si beau chemin, et pour si peu de chose comme sont ces pensions particulieres ? Marchés plus avant, achevés la journee : mettés tout en commun, renoncés a la particularité, affin que, selon la sainte Parole (Rm 12,1), vous fassies une sainte immolation et entier sacrifice [a nostre Dieu], en esprit, [en cors] et en biens.

Apres que vous aures traitté de vostre affaire avec vostre Espoux et par ensemble, appellés a vostre secours et pour vostre conduitte quelques uns des plus spirituelz qui sont a l'entour de vous ; ilz ne vous manqueront pas. J'en nommerois quelques uns, mais vous les nommeres mieux que moy, et ceux la mesme, a l'adventure, que je voudrois nommer. Ce sont gens extremement bons a cela, des espritz doux et gracieux, condescendans quand ce vient a l'effect, bien que leurs reprehensions semblent un petit aspres et mordicantes. A ceux la vous deves confier vostre affaire, affin qu'ilz jugent de ce qui sera plus convenable ; car vostre sexe est sujet des la creation a la condition de l'obeissance (Gn 3,16), et ne reussit jamais devant Dieu qu'en se sousmettant a la conduitte et instruction. Voyes toutes les excellentes Dames de la Mere de misericorde jusques a present, et vous treuveres que je dis vray ; mays en tout je presuppose que l'authorité de Madame de Fontevrault tienne son rang.

C'est peut estre trop parler et trop escrire d'un sujet duquel vous aves, a l'adventure, les oreilles des-ja trop battues ; mais Dieu, devant lequel je vous escris, sçait que j'ay beaucoup plus d'affection que de paroles en cest endroit. Je suis indigne d'estre escouté, mais j'estime vostre charité si grande que vous ne mespriseres point mon advis, et croy que le bon Jesus ne m'a pas donné tant d'amour et de confiance en vostre endroit qu'il ne vous aye donné une affection reciproque de prendre en bonne part ce que je vous propose pour le service de vostre mayson, laquelle je prise et honnore a l'esgal de toute autre, et l'estime une des bonnes que j'aye veües. C'est cela qui m'a fait desirer qu'elle soit meilleure et parfaite. Il me fasche de voir de si grandes qualités, comme sont celles de vostre mayson, esclaves sous ces menues imperfections, et, comme parle l'Escriture (Ps 77,61), de voir vostre vertu reduite en captivité, et vostre beauté spirituelle entre les mains des ennemis. C'est pitié de voir une pretieuse liqueur perdre son prix par le meslange d'une petite souilleure, et un vin exquis, par le meslange de l'eau. Ton vin, dit un Prophete (Is 1,22),est meslé d'eau. Je vous diray comme vostre saint Patron saint Jan qui reçut commandement d'escrire aux prelatz d'Orient (Ap 1,11 ; 2,2 ; 4,14) : Je sçay vos œuvres qui sont presque toutes bonnes, vous estes presque tres bonnes Religieuses ; mais j'ay quelque petite chose a dire contre vous, il vous manque quelque chose. Je vous loüe en toutes choses, dit saint Pol a ses Corinthiens (1 Co 11,22), mais en cela je ne vous loüe pas. Je vous supplie et conjure, par la charité qui est entre vous, ostes de vostre mayson ce qui est de trop et adjoustes ce qui y defaut.

Donnes moy, je vous prie tres humblement, ceste consolation de lire ceste lettre en repos et tranquillité d'esprit, et de la peser non au poids vulgaire, mais au poids du sanctuaire et de la charité. Et je prie Dieu qu'il vous donne les resolutions necessaires a vostre bien, pour la plus grande sanctification de son saint nom en vous, affin que vous soyes de nom et d'effect ses vrayes filles. Je me prometz l'assistance de vos oraisons pour toute ma vie, et plus particulierement pour ceste entree que je fay en la laborieuse et dangereuse charge d'Evesque, affin que, preschant le salut aux autres, je ne sois reprouvé a damnation (1 Co 9,15).

Dieu soit nostre paix et consolation. Je suis et seray toute ma vie,

Mes Reverendes Dames et tres cheres Seurs

en Jesus Christ,

Vostre serviteur tres humble et affectionné

en Nostre Seigneur,

FRANÇ" DE SALES,

Evesque [élu] de Geneve.

De Sales, le 22 novembre 1602.

 
 
 

CLXVIII bis (lettre CLXVIII du volume XXI reclassée) (1)

AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DES FILLES-DIEU

(MINUTE – EN ITALIEN) (2)

L'amour pour leur Ordre ne doit pas empêcher les Religieux de reconnaître les défauts qui s'y trouvent. - Dieu n'abandonnera pas ses servantes, si elles observent la pauvreté qu'elles ont vouée. - Le centuple promis.- Une bonne méthode, mais qui n'est pas celle de François de Sales. - Remonter à la source pour revenir à la ferveur primitive. - L'ennemi doit être combattu pendant qu'il est petit. - Isaac et Ismaël. - Sans la pauvreté, pas de vrai Religieux. - C'est " un grand mal " d'entretenir des imperfections dans une Maison religieuse.

Sales, 22 novembre 1602.
………………………………………………..

Ce n'est pas bien d'être tellement affectionné à son Ordre que l'on en perde les yeux pour voir les choses évidentes. L'amour mondain est aveugle, et s'il ne l'était pas, il n'aimerait pas le monde qui n'a rien de beau ou de bon ; mais l'amour céleste n'est pas aveugle, car il a des lampes et des flammes brillantes, comme dit le Cantique (Ct ult 6), parmi lesquelles il donne l'esprit de discernement pour séparer le bien du mal. Il faut manger le beurre et le miel pour savoir choisir le bien et rejeter le mal (Is 7,15). Les abeilles aiment leurs ruches, mais elles ne laissent pas pour cela de remarquer par le menu ce qui s'y trouve, et de les nettoyer et purger. Rien n'est si constant sous le ciel qui ne fléchisse (Eccl 2,11), ni rien de si pur à quoi la poussière ne s'attache, Est-il quelqu'un qui puisse justement se fâcher contre celui qui lui dit de se laver après avoir été quelque temps sans le faire ? Pourquoi ne pourra-t-on pas dire : réformez-vous, à une Maison qui a passé bien des années depuis sa dernière réforme ? On se garde bien de laisser longtemps une maison sans l'approprier extérieurement ; pourquoi n'en fera-t-on pas de même à l'intérieur ?

Certes, l'on ne doit pas, sans quelque utilité, dire les manquements qui se voient dans les Maisons (3), ni les publier ; mais, de ne pas vouloir les reconnaître ni confesser à qui peut y appliquer les remèdes, c'est une passion et un amour désordonné. L'Epouse au Cantique confesse sans crainte ses imperfections en disant : Je suis noire, encore que belle; et ailleurs: Ne prenez pas garde à ce que je suis brune, car c'est le soleil qui m'a hâlée (Ct 1,4). Or je pense que vous pouvez bien en dire autant de votre Maison : elle est belle, c'est vrai: ; mais le soleil, c'est-à-dire le temps, la longueur des jours a altéré son teint. Pourquoi donc ne tâcherez-vous pas de lui rendre son ancien lustre, afin que son Epoux puisse dire : Vous êtes toute belle (Ct 4,7) ? Quand les défauts sont momentanés et passagers dans une Maison, c'est bien fait de les dissimuler ; mais quand ils sont à demeure et permanents, il faut les chasser, et même à cor et à cri s'il en est besoin. Ce fut un amour excessif en David de ne pas vouloir qu'on tuât Absalon, quoiqu'impie et rebelle (2 R 18,5). Si vous aimez votre Maison, témoignez le en procurant sa pureté, sa santé, sa réforme, (4)

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David (Ps 146, 9) admirait comme Dieu donne la nourriture aux poussins des corbeaux ; aussi est-ce chose digne d'admiration. Mais pourquoi les nourrit-il, sinon parce que, par la condition de leur nature, ils ne reçoivent pas leur pâture de leurs père et mère qui ne prennent aucun soin de leurs fruits ? Ainsi pourvoira-t-il bien plus ses servantes qui, par la condition de leur profession, se sont vouées à la pauvreté et communauté, sans l'entremise de ces moyens contraires à la pauvreté et à la parfaite communauté. Les Cordeliers de saint François ont cru ne pouvoir vivre en cette étroite pauvreté que leur Règle primitive prescrit ; les Capucins leur ont fait voir le contraire, et de même en doit-on dire de plusieurs autres. Faisons ce que nous devons, et Dieu ne nous manquera pas. Si nous sommes en Egypte, il nous nourrira de la viande que les Egyptiens nous donneront, et si dans le désert, il nous donnera lui-même la manne (Ex 16). C'est l'amour-propre qui, sans raison, nous fait paraître intolérables nos incommodités. Voyez Esaü: pour avoir pris un peu d'appétit en courant après les bêtes fauves, il lui sembla qu'il allait mourir de faim et, sous ce prétexte, vendit son droit d'aînesse (Gn 25,29). Ne croyez pas à moi, croyez à Notre-Seigneur : si vous abandonnez ces petites pensions particulières et les rendez communes, vous ne mourrez point ; il vous semblera mourir, mais cela ne sera pas; en échange d'une pension, Dieu vous en donnera cent en ce monde, dit la divine Parole (Mt 19,29 ; Mc 10,29), et la vie éternelle en l'autre. Ou Jésus nous trompe, ou c'est vous qui vous trompez.

Peut-être est-ce aussi un empêchement à votre réforme qu'elle ait été entreprise trop âprement par ceux qui, jusqu'à présent, vous l'ont proposée, et qui n'ont pas manié doucement la plaie. Mais quoi ? voudriez-vous pour cela rejeter les médicaments ? L'âpreté passe et disparaît avec le commencement de votre guérison. Certes, les chirurgiens sont quelquefois contraints d'agrandir la plaie pour amoindrir le mal, lorsque sous une petite plaie il y a beaucoup d'humeur purulente ou de sang corrompu ; c'est peut-être ce qui les a obligés à toucher sur le vif. Je loue leur méthode parce qu'elle est bonne, bien que ce ne soit pas la mienne, surtout à l'endroit des esprits nobles et bien élevés comme sont les vôtres. Je pense qu'il est mieux de vous montrer que toutes les raisons demandent que vous vous soumettiez à la réforme.

(5) Rappelez-vous que votre Monastère ne fut pas commencé avec ces pensions, ains avec une très exacte pauvreté. Mes Sœurs, il faut remonter jusqu'à la source de votre Religion et boire en icelle l'eau de votre réformation ; vous y trouverez une eau qui vous fera oublier l'affection que vous avez à ces petites particularités. Regarder à la pierre de laquelle vous avez été tirées (Is 51,1), vous n'y verrez aucune paille de propriété. Et cela me fait sembler nécessaire la réforme.

Je sais bien que vous avez de très grands empêchements ; c'est ce qui me fait pitié et m'oblige à vous écrire, car j'ai certaines considérations lesquelles, à mon avis, pourront vous aider à surmonter les obstacles qui retardent un si grand bien. Je pense que le plus grand empêchement à votre réforme, c'est de vous imaginer que le mal et le défaut soit petit et léger, ne pouvant guère me persuader que si vous le jugiez grand vous voulussiez y persévérer et le permettre. Mais pardonnez-moi, je vous prie, vous vous faites un grand tort. Vous ne pouvez nier que ce ne soit un manquement et déchet en la pauvreté et communauté religieuse; et pour petit qu'il soit, faudra-t-il en négliger l'amendement ? Tout au contraire, il faut le corriger pendant qu'il est petit, car il pourrait arriver que, croissant, il ne soit plus possible de le guérir. L'ennemi doit être combattu pendant qu'il est petit, sans attendre qu'il grandisse. Prenez-moi les petits renardeaux, car ils ruinent les vignes, est-il écrit dans le Cantique des Cantiques (Ct 2,15). Bienheureux ceux qui jetteront et écraseront contre la pierre la tête des petits de Babylone, disent les enfants d'Israël en un Psaume (Ps 136,8). Il est aisé de détourner les petits fleuves où nous voulons, mais les grands ne se laissent pas dompter.

Sara fut sage quand elle jugea qu'il ne fallait pas laisser grandir Ismaël avant de le chasser ; aussitôt qu'elle le vit combattre contre Isaac, elle le chassa de la maison d'Abraham (Gn 21,9). Je tiens votre Maison pour une maison d'Abraham, de ce grand Père qui est dans les Cieux ; il y a une Sara et une Agar, la partie supérieure et l'inférieure. La supérieure engendre le bon Isaac, qui est le vœu volontaire et libre que vous avez fait, comme un sacrifice de vous-mêmes, sur la montagne de la vie religieuse (Gn 22,9). L'inférieure engendre Ismaël, c'est-à-dire le désir et la sollicitude pour les choses extérieures. Or, pendant qu'Ismaël, c'est-à-dire le désir et la sollicitude, n'attaque pas votre vœu, bien qu'il demeure en votre Maison, j'en suis content, et Dieu ne se tiendra pas pour offensé. Mais s'il heurte votre vœu en quelques-unes de ses parties principales, telle que la pauvreté, je vous en supplie et conjure, par l'amour que vous portez à votre Isaac, au vœu et à votre Maison, chassez-le, bannissez-le. Qu'il soit petit tant que vous voudrez, il ruinera votre Isaac et gâtera votre Maison. Prenez garde à ces œufs d'aspics ; si vous les couvez en votre sein, ils vous causeront la mort et la perdition (Is 59,5). Il ne vous semblera pas qu'il en soit ainsi ; c'est cependant la vérité, Vous serez moins dignes d'excuse si vous n'êtes pas fidèles dans les petites choses : soyez fidèles dans la réforme de ces petits défauts, et vous serez établies sur beaucoup de choses (Mt 25,21).

Considérez néanmoins soigneusement ce qui se passe en votre Maison, et vous ne trouverez pas le mal aussi petit que vous le pensez. Appelez-vous petit un mal qui gâte une partie noble de votre corps, savoir la sainte pauvreté ? On peut être Religieux sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans s'abstenir de tel ou tel aliment ; mais sans la pauvreté, nul ne peut être Religieux. Le vermisseau qui endommagea le lierre de Jonas paraissait petit, et cependant, grande était sa malice (Jon ult 6). L'affection que vous avez à la propriété vous semble aussi petite ; néanmoins, sa malice peut être si . grande qu'elle dessèche le bel arbre de votre Monastère et vous prive du titre de Filles de Dieu. Pour moi, je ne sais aucun ennemi, tant petit soit-il, qui doive être nourri, caressé, et qu'un homme de bon sens ne juge être encore bien grand.

Les mouches mourantes corrompent la suavité du baume (Eccl 10,1). Si elles ne font que passer sur le baume, bien qu'elles le sucent, elles ne le gâtent pas, mais oui bien si elles y meurent. On dit que les imperfections de votre Maison ne sont que des mouches parce qu'elles sont petites. Je le vois aussi, mais je vois en même temps un grand mal, car elles ne passent pas ; au contraire, elles s'y arrêtent comme mortes, elles y sont entretenues et conservées. Or, qui ne voit que, pour petit que soit le péché, il croît aisément quand on veut le maintenir ? Pour moi je vous exhorte à le juger bien grand, puisqu'il vous prive d'un grand bien, et à le croire une très grande imperfection, puisqu'il vous empêche d'atteindre à une plus haute perfection. Ce proverbe est connu : " Le moine ne vaut pas une obole s'il possède une obole. " Un peu de levain suffit à altérer toute la pâte, dit le Sauveur (1 Co 5,6 ; Ga 5,9) (6), Il ne restait aux Apôtres qu'à se laver les pieds, et pourtant le Seigneur prononça qu'il fallait ou les laver, ou n'avoir point de part avec lui (Jn 13,10). (7) .

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(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

(2) Les pages qui suivent représentent la moitie environ d'une minute de la longue lettre adressée par saint François de Sales aux Religieuses du Monastère des Filles-Dieu, le 22 novembre 1602 (lettre ci-desss). A défaut du texte original, nous devons nous contenter de donner une traduction de la version italienne, assez littérale semble-t-il, insérée par le chanoine Hyacinthe Gallitia, dans La Vita di S. Francesco di Sales, Vescovo e Prencipe di Geneva, e Fondatore dell' Ordine della Visitazione di Santa Maria (Venezia, MDCCXJI), lib. III, cap. XVI, p. 231. " Il m'est tombé entre les mains, " dit l'auteur, " un écrit du Saint, par lequel il exhorte un Monastère à vivre en commun... Bien que le commencement, le milieu et la fin manquent, on voit par ce qui a échappé aux injures du temps, qu'il s'agissait d'une réforme. " Le chanoine Gallitia n'avait donc pas eu connaissance de la leçon définitive qui, d'ailleurs, ne fut imprimée qu'en 1758. Nous reproduisons au bas des pages celle qui figure dans la Vie italienne, deuxième édition (1720), lib. III, cap. XVI, p. 208. En la comparant avec le texte de L2, on y remarque des variantes considérables ; de plus, l'ordre des idées est plus d'une fois interverti.

(3) C'est sans doute par erreur que le texte italien a : " nelle mani ", dans les mains

(4) D'après l'historien italien, il y a ici une lacune d'une demi page.

(5) Cet alinéa reproduit textuellement la variante (c) de L2 ; ce qui permet de supposer que le fragment autographe conservé à Casorzo (Piémont) faisait partie de la minute que Gallitia eut entre les mains lorsqu'il préparait la Vie du saint Evêque. Nous croyons devoir maintenir dans ces lignes dont on a retrouvé l'original, les mots vieillis employés par le Saint, tout en substituant à la sienne l'orthographe moderne.

(6) Le texte cité est de saint Paul; son attribution au " Sauveur " peut être une distraction de saint François de Sales, ou de l'historien qui a traduit son manuscrit.

(7) Gallitia ajoute cette remarque à la longue citation qu'il vient de faire: " On voit par cette feuille, comment" le Saint, " tout en exhortant les autres il observer la pauvreté, la pratiquait lui-même ; car il a écrit ce qui se lit ci-dessus, au revers d'une lettre qui lui avait été adressée de Paris. "

CLXIX
 
 

A M. JANUS DE LA FAVERGE






Espoir de le voir à Sales le samedi suivant. - Remerciements pour l'hospitalité offerte à Mgr Gribaldi.

Sales, commencement de décembre 1602.
Monsieur mon Oncle,

Ma mere et tous les siens vous baysent humblement les mains, et a madame ma tante, du soin que vous aves de nostre bonheur. Monsieur Vulliod vous dira meilleures nouvelles que vous n'avies pas conceües de son accident.

Vous verres, Dieu aydant, le reste dans peu de jours que nous nous promettons l'honneur de vostre presence et de celle de madame ma tante, ma seur, ma commere, a laquelle, pour son arrivee, je garde le baiser solemnel, si elle m'en juge encor digne. Ce sera, sil vous plait, samedi, puisque j'ay accepté de vous l'offre qu'il vous a pleu me faire de loger monsieur l'Archevesque de Vienne a son passage. Aussi n'ay je pas estimé de le devoir refuser, car encor que sera avec vostre incommodité, neanmoins il en sera mieux et plus chaudement receu, et vous estes des-ja tant accoustumé a recevoir de nos importunités que ce ne vous est plus guere de peyne.

En contrechange, je prieray toute ma vie Dieu pour vostre longue vie, santé et prosperité, et demeureray,.

Monsieur,

Vostre plus humble et asseuré neveu et serviteur et compere,

FRANçs DE SALES,

E.. esleu de Geneve,

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (canton de Genève).
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXX
 
 

A M. PIERRE FAVIER

Prière de lui continuer son amitié et d'appuyer une requête présentée au Sénat.

Annecy, 16 décembre 1602.
Monsieur, Vous aymies feu Monsieur l'Evesque mon praedecesseur; vous m'aves aussi favorisé il y a long tems de lhonneur de vostre bienveuillance, et j'ay tous-jours eu beaucoup de desir a vostre service. C'est pourquoi je vous supplie, sur l'occasion de ma promotion et reception a cest evesché, de m'accorder encor vostre faveur en deux demandes que je vous fais fort humblement : l'une, de m'aymer tous-jours et vous asseurer bien fort de mon service que je vous offre ; l'autre, d'avoir aggreable la requeste que je fai presenter a messieurs du Senat, puis qu'ell'est droitte, juste et sainte, et pour un qui, priant Dieu pour vous, sera toute sa vie,

Monsieur,

Vostre humble serviteur en Jesuschrist, FRANçs DE SALES,

Evesque de Geneve.

A Neci, le 16 decembre 1602.
A Monsieur Favier,

Advocat general a Chambery.

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Bibliothèque publique.
 
 

CLXXI

A M. PIERRE DE BÉRULLE

Combien il se réjouirait de le voir venir en Savoie. - Le Saint consacré évêque ; retraite préparatoire faite sous la direction du P. Fourier. - La perfection absolue impossible en ce monde. - Divers messages.

Annecy, 18 décembre 1602.
Monsieur, La vostre que monsieur Santeul m'apporta m'a extremement consolé par le tesmoignage qu'elle me rend de la continuation de vostre bienveuillance en mon endroit, bien que je n'en eusse aucun doute, asseuré de vostre bonté et constance. J'ay veu que vous panches encor a l'opinion que vous me communiquastes de venir quelque tems a la recollection et retraitte en ces quartiers. Dieu vous veüille dire luy mesme en vostre cœur ce quil en desire ; mais si ce bonheur m'arrivoit, je le mettrois au premier rang de ceux que j'ay eu ci devant, tout aupres de celluy que j'ay receu en vostre connoissance, car aussi en seroit ce l'accroissement et perfection. Les deux conditions que vous mettes pour l'execution de ce dessein ne me semblent revenir qu'a une seule, d'autant que si vous avés la liberté, je ne doute point que Nostre Seigneur ne vous face connoistre quil se veut servir de vous pour l'administration de son saint Evangile.

Je suis Evesque consacré des le jour Nostre Dame, 8 de ce mois, qui me fait vous conjurer de m'ayder tousjours plus chaudement par vos prieres, comme de ma part je ne vous oublie pas, sur tout en la recommandation de la Messe. J'ay eu le bien de faire un peu de recollection et exercice en l'assistence du P. Forier, l'un des excellens Jesuites que j'aye rencontré , avant mon sacre. Ce que je vous dis par ce que je vous veux rendre conte de mon esprit comme vous me faittes du vostre, disant que vous continués en une grande varieté d'occupations et multitude d'imperfections. Il ni a remede : nous aurons tous-jours besoin du lavement des piedz (Jn 13,10), puisque nous cheminons sur la poussiere. Nostre bon Dieu nous face la grace de vivre et mourir en son service.

Je vous supplie, Monsieur, de croire entierement quil ni a homme au monde qui vous soit plus dedié et affectionné que je suis et seray toute ma vie, pour demeurer,

Monsieur,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANçs DE SALES,

Evesque de Geneve.

Avec vostre congé, je vous supplie de me ramentevoir aux prieres de madamoyselle vostre mere et de madame la lieutenante vostre tante . Je suis consolé que Emond soit aupres de vostre personne, asseuré quil y rendra le bon et fidelle service que je vous souhaitte.

A Neci, le 18 decembre 1602.
Monsieur de Berulle.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Paray-le-Monial.
 
 
 
 
 
 

ANNEE 1603
 
 

CLXXII

A M. CLAUDE D'ORLIÉ

(INÉDITE)

Remerciements pour l'affection qu'il lui porte. - Assurance de dévouement.

Annecy, 3 janvier 1603
Monsieur, Je dois beaucoup a la constance de l'amitié quil vous plait me porter, qui me maintient si vivement en vostre souvenance ou je desirerois bien avoir pris place par quelque bon service que je vous eusse fait. Ce sera tousjours, Monsieur, quand il plaira a Nostre Seigneur de m'en donner les occasions, que je m'y porteray avec beaucoup d'affection et de fidelité. Je vous supplie de le croire et d'en tirer les preuves par les effectz ou vous me jugerés sortable.

Cependant, Monsieur, puisque vous me faittes cest honneur de vous res-jouir de ma promotion a cest evesché, faittes moy encor ceste faveur de m'assister de vos advis et prieres pour m'en bien acquitter, comme en contre change je prieray toute ma vie Dieu pour vostre santé, et me diray,

Monsieur, Vostre humble serviteur en N. Sgr

FRANçs DE SALES,

Ev. de Geneve.

A Neci, le 3 de l'an 1603.
A Monsieur.

Monsieur d'Orlié, Conseillier de S. A. et Senateur

au souverain Senat de Savoye.

A Chambery.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 

CLXXIII
 
 

A MONSEIGNEUR JUVÉNAL ANCINA, ÉVÊQUE DE SALUCES

(INÉDITB) (en italien)

Consécration du Saint; son entrée dans sa ville épiscopale. - Il réclame les conseils de Mgr Ancina et la continuation de son affection.- Remerciements. - Projet de pèlerinage à Notre-Dame de Mondovi; espérance de le revoir à cette occasion.

Annecy, 10 janvier 1603
Mon très Illustre, Révérendissime et très honoré Seigneur,

A mon retour de Paris en ce pays, je trouvai Mgr mon Révérendissime Evêque, dont la mémoire est en bénédiction,( Eccli 45,1) retourné à son Créateur par un très heureux passage de cette vie à une vie meilleure. C'est pourquoi, les Bulles et le mandatum qui m'appellent à lui succéder étant arrivés, j'ai reçu la consécration épiscopale le jour de la Conception de la Vierge Marie, Notre Dame, entre les mains de laquelle j'ai remis mon sort,(Ps 30,16) et le samedi suivant je me suis rendu ici, lieu de ma résidence. Je désirais informer Votre Seigneurie Révérendissime de toutes ces choses, et la supplier, puisque le Seigneur notre Dieu nous a unis par une même vocation (car, à ce qu'on me dit, nous avons été préconisés le même jour), de daigner aussi, bien que j'en sois indigne, me tenir étroitement uni à Elle dans son cœur. Veuillez, en conséquence, me donner souvent les conseils et les instructions que le Saint-Esprit vous inspirera, vous ressouvenant que vous avez été l'instrument de ma promotion et que celui "qui donne l'être doit donner ce qui s'ensuit. " (Sententiae ex Aristot. D (inter spuria V.Bedae)-cf Physica 8)

J'ai appris seulement ces jours passés que Votre Seigneurie Révérendissime m'avait envoyé la Vie du Bienheureux Philippe et qu'elle s'était égarée en route ; cette perte m'est bien désagréable et dommageable, soit à cause du donateur soit à cause du don. M. d'Eloise, chanoine de cette église , m'a dit avec quelle charité Votre Seigneurie l'a favorisé ; il m'a prié de l'en remercier, ce que je fais. Que Votre Seigneurie m'accorde la faveur de me recommander en quatre mots à Mgr le Nonce actuel , car il importe beaucoup, dans une foule de circonstances, qu'il m'ait en affection; ce qui ne peut se faire que par l'entremise de votre charité.

J'espère cette année faire un voyage en Piémont pour visiter l'église de Notre-Dame de Mondovi ; à cette occasion je ne manquerai pas de me rendre là où se trouvera Votre Révérendissime Seigneurie, afin que, la main dans la main et bouche à bouche,(2 Jn 12 ; 3 Jn 14) nous renouvelions cette amitié qui ne peut vieillir, mais dont le sentiment toutefois s'accroit par la présence. En attendant je baise humblement les mains de Votre Révérendissime Seigneurie, et je prie Dieu de nous guider dans ces voies difficiles du gouvernement des églises, et que son bon Esprit nous conduise dans la terre droite, (Ps 142,10) moi surtout qui suis maintenant dans ce pays montueux et tortueux, appartenant à des provinces diverses, et où règne l'abomination de la désolation. (Mt 24,15) Que le Seigneur soit votre salut. (Ps 3,9).

De Votre Seigneurie Révérendissime, Le très humble et perpétuel serviteur en Jésus-Christ,

FRANÇOIS DE SALES,

Evêque de Genève.

Annecy, le 10 janvier 1603
Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.
 
 
 
 

CLXXIV

A LA SOEUR DE SOULFOUR,

NOVICE AU MONASTÈRE DES FILLES-DIEU

Caractères auxquels ou peut reconnaître les consolations célestes. - Ne pas subtiliser dans le service de Dieu et supporter ses propres imperfections. - La confiance et la simplicité sont particulièrement nécessaires.- Combien le Saint apprécie la nouvelle traduction de l'Institution spirituelle de Louis de Blois. - Messages pour Sœur Anne Séguier.

Annecy, 16 janvier 1603.
Ma tres chere et tres aymee Seur et Fille en Jesus Christ,

Dieu seul soit vostre repos et consolation. J'ay receu vos deux lettres par monsieur le president Favre un peu plus tard que vous ne pensies et que je n'eusse desiré, mais asses tost pour me donner de la consolation, y voyant quelque tesmoignage de l'amendement de vostre esprit, Dieu en soit loüé eternellement,

Pour responce, je vous diray premierement, que je ne veux pas que vous usies d'aucune parole de ceremonie ni d'excuse en mon endroit, puisque, par la volonté de Dieu, je vous porte toute l'affection que vous sçauries desirer et ne m'en sçaurois empescher. J'ayme vostre esprit fermement parce que je pense que Dieu le veut, et tendrement parce que je le voy encores foible et jeune. Apportés donq toute confiance et liberté a m'escrire, et demandés ce que vous penseres estre propre pour vostre bien. Cela soit dit une fois pour toutes.

Je voy en vostre lettre une contradiction, laquelle vous y aves mise sans y penser ; car vous me dites que vous estes delivree de vostre inquietude, et neanmoins je vous voy encor toute inquietee a la recherche d'une precipitee perfection. Ayés patience, je vous diray tantost que c'est. Vous me demandes si vous deves recevoir et prendre des sentimens ; que sans eux vostre esprit languit, et neanmoins vous ne pouves les recevoir qu'avec soupçon et vous semble que vous les deves rejetter. Une autre fois, si vous m'escrives sur quelque semblable sujet, donnés moy exemple de l'action de laquelle vous me demandes l'advis ; comme seroit a dire de quelqu'un de ces sentimens qui vous aura donné le plus de soupçon pour n'estre pas receu, car j'apprendray bien mieux vostre intention. Cependant, voicy mon advis sur vostre demande.

Les sentimens et douceurs peuvent estre de l'ami ou de l'ennemi, c'est a dire du malin ou du tres bon. Or, on peut connoistre d'ou ilz viennent par certains signes que je ne sçaurois pas bien dire tous : en voicy seulement quelques uns qui suffiront. Quand nous ne nous arrestons pas en iceux, mays que nous nous en servons comme de recreation, pour par apres faire plus constamment nostre besoigne et l'œuvre que Dieu nous a donné en charge, c'est bon signe ; car Dieu nous en donne quelquefois pour cest effect. Il condescend a nostre infirmité : il voit nostre goust spirituel affadi, il nous donne un petit de saulce, non affin que nous ne mangions que la saulce, mais affin qu'elle nous provoque a manger la viande solide. C'est donques une bonne marque quand on ne s'arreste pas aux sentimens ; car le malin, donnant les sentimens, veut qu'on s'y arreste, et, qu'en ne mangeant que la saulce, nostre estomach spirituel en soit affoibli et gasté petit a petit.

Secondement, les bons sentimens ne nous suggerent point de pensee d'orgueil, mays au contraire, si le malin prend occasion d'iceux de nous en donner, ilz nous fortifient a les rejetter ; si que la partie superieure demeure toute humble et sousmise, reconnoissant que Caleb et Josué n'eussent jamais rapporté le raysin de la terre de promission pour amorcer les Israëlites a la conqueste d'icelle (Nb 13,21), s'ilz n'eussent pensé que leurs courages estoyent foib1es et avoyent besoin d'estre piqués. Si qu'en lieu de s'estimer quelque chose par le sentiment, la partie superieure juge et reconnoist sa foib1esse, et s'humilie amoureusement devant son Espoux, qui respand son bausme et son parfum affin que les jeunes fillettes et tendres ames comme elle, le reconnoissent, l'ayment et le suivent (Ct 1,2) ; la ou le mauvais sentiment nous arrestant, en lieu de nous faire penser a nostre foib1esse, nous fait penser qu'il nous est donné pour recompense et guerdon.

Le bon sentiment passé ne nous laisse pas affoiblis, mais fortifiés, ni affligés, ains consolés ; le mauvais, au contraire, arrivant nous donne quelque allegresse, et partant, nous laisse pleins d'angoisses. Le bon sentiment, a son despart, nous recommande qu'en son absence nous caressions, servions et suivions la vertu pour l'advancement de laquelle il nous avoit esté donné ; le mauvais nous fait croire qu'avec 1uy la vertu s'en va et que nous ne la sçaurions bien servir. Bref, le bon ne desire point d'estre aymé, mais seulement que l'on ayme Ce1uy qui le donne, non qu'il ne nous donne sujet de l'aymer, mais ce n'est pas cela qu'il cherche ; la ou le mauvais veut que l'on l'ayme sur tout. Et partant, le bon ne nous empresse pas a le rechercher ni a le caresser, mais la vertu [qu'il] nous procure ; le mauvais nous empresse et inquiete a le rechercher incessamment.

Par ces quattre ou cinq marques vous pourres connoistre d'ou viennent vos sentimens ; et, venans de Dieu, il ne faut pas les rejetter, mais reconnoissant que vous estes encores un pauvre petit enfant, prenes le lait des mammelles de vostre Pere, qui, par la compassion qu'il vous porte, vous fait encor office de mere. Tes mammelles, dit l'Espoux a sa Bienaymee (Ct 1), sont meilleures que le vin, fragrantes et odoriferantes de tres bons unguens et bausmes. Elles sont comparees au vin parce qu'elles resjouissent, animent et font faire bonne digestion a l'estomach spirituel, lequel, sans ces petites consolations, ne pourroit pas quelquefois digerer les travaux qu'il luy faut recevoir. Receves les donq au nom de Dieu, avec ceste seule condition, que vous soyes preste a ne les recevoir pas, et a ne les aymer pas et les rejetter quand vous connoistres, par l'advis de vos superieurs, qu'ilz ne sont pas bons ni a la gloire de Dieu, et que soyés preste de vivre sans cela, quand Dieu vous en jugera digne et capable. Recevés les donq, dis je, ma tres chere Seur, vous estimant foible de l'estomach spirituel, puisque le Medecin vous donne du vin, nonobstant les fievres des imperfections qui sont en vous. Que si saint Pol conseilla du vin a son disciple pour la foiblesse corporelle (1 Tm 5,23), je vous en puis conseiller du spirituel pour la spirituelle.

Voyla ma responce asses clairement, ce me semble, a laquelle j'adjouste que vous ne facies jamais de difficulté de recevoir que Dieu vous envoye a dextre ou a gauche, avec la preparation et resignation que je vous ay dite ; et quand vous series la plus parfaite du monde, vous ne devries pas refuser ce que Dieu vous donne, a condition d'estre preste a le refuser si tel estoit son playsir. Neanmoins vous deves croire que, quand Dieu vous envoyera ces sentimens, c'est pour vostre imperfection, laquelle il faut combattre, non pas les sentimens qui servent contre elle. Et pour vous, j'ay seulement un scrupule en ce que vous me dites que ces sentimens sont de la creature ; mays je pense que vous aves voulu dire qu'ilz viennent a vous par la creature, et neanmoins de Dieu, car il me semble que, par le reste de vostre lettre, vous m'en donnes des argumens. Mais quand ilz seroyent de la creature, encor ne seroyent ilz pas a rejetter, puisqu'ilz conduisent a Dieu, ou au moins qu'on les y conduit ; il faudroit seulement prendre garde a ne se point laisser surprendre, selon les regles generales de l'usage des creatures.

Je vous diray maintenant ce que je vous avois promis. Il me semble que je vous voy empressee avec grande inquietude a la queste de la perfection ; car c'est cela qui vous a fait craindre ces petites consolations et ces sentimens. Or, je vous dis en verité, comme il est escrit au Livre des Rois (3 R 19,11): Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en ceste douce et tranquille portee d'un vent presque imperceptible. Laissés vous gouverner a Dieu, ne pensés pas tant a vous mesme. Si vous desires que je vous commande, puisque vostre Mere Maistresse le veut, je le feray volontier, et vous commanderay premierement, qu'ayant une generale et universelle resolution de servir Dieu en la meilleure façon que vous pourres, vous ne vous amusies pas a examiner et esplucher subtilement quelle est la meilleure façon. C'est une impertinence propre a la condition de vostre esprit deslié et pointu, qui veut tyranniser vostre volonté et la contreroller avec supercherie et subtilité.

Vous sçaves que Dieu veut en general qu'on le serve, en l'aymant sur tout, et nostre prochain comme nous mesmes (Mt 22,37) ; en particulier, il veut que vous gardies une Regle : cela suffit, il le faut faire a la bonne foy, sans finesse et subtilité, le tout a la façon de ce monde, ou la perfection ne reside pas ; a l'humaine et selon le tems, en attendant un jour de le faire a la divine et angelique et selon l'eternité. L'empressement, l'agitation du dessein n'y sert de rien ; le desir y est bon, mays qu'il soit sans agitation. C'est cest empressement que je vous defens expressement, comme la mere imperfection de toutes les imperfections.

N'examinés donq pas si soigneusement si vous estes en la perfection ou non. En voyci deux raysons : l'une, que pour neant examinons-nous cela, puisque, quand nous serions les plus parfaitz du monde, nous ne le devons jamais sçavoir ni connoistre, mais nous estimer tousjours imparfaitz. Nostre examen ne doit jamais tendre a connoistre si nous sommes imparfaitz, car nous n'en devons jamais douter. De la s'ensuit que nous ne devons pas nous estonner de nous voir imparfaitz, puisque nous ne nous devons jamais voir autrement en ceste vie ; ni nous en contrister, car il n'y a remede ; ouy bien nous en humilier, car par la nous reparerons nos defautz, et nous amender doucement ; car c'est l'exercice pour lequel nos imperfections nous sont laissees, n'estans pas excusables de n'en rechercher pas l'amendement, ni inexcusables de ne le faire pas entierement, car il n'en prend pas des imperfections comme des pechés.

L'autre rayson est que cest examen, quand il est fait avec anxieté et perplexité, n'est qu'une perte de tems ; et ceux qui le font ressemblent aux soldatz qui, pour se preparer a la bataille, feroyent tant de tournois et d'exces entr'eux que, quand ce viendroit a bon escient, ilz se . treuveroyent las et recreuz (Ps 77,9) ; ou comme les musiciens qui s'enrouëroyent a force de s'essayer pour chanter un motet ; car l'esprit se lasse a cest examen si grand et continuel, et, quand le point de l'execution arrive, il n'en peut plus, Voyla mon premier commandement.

L'autre, en suite du premier : Si vostre œil est simple, tout vostre cors le sera, dit le Sauveur (Mt 6,22). Simplifiés vostre jugement, ne faites point tant de reflexions ni de repliques, mais allés simplement et avec confiance. Il n'y a pour vous que Dieu et vous en ce monde ; tout le reste ne vous doit point toucher, sinon a mesure que Dieu le vous commande et comme il le vous commande. Je vous prie, ne regardés pas tant ça et la, tenes vostre veuë ramassee en Dieu et en vous. Vous ne verrés jamais Dieu sans bonté, ni vous sans misere, et verrés sa bonté propice a vostre misere et vostre misere objet de sa bonté et misericorde. Ne regardés donq rien que cela, j'entens d'une veuë fixe, arrestee et expresse, et tout le reste en passant. Partant, n'espluchés gueres ce que font les autres ni ce qu'ilz deviendront, mais regardés les d'un œil simple, bon, doux et affectionné. Ne requerés pas en eux plus de perfection qu'en vous et ne vous estonnes point de la diversité des imperfections, car l'imperfection n'est pas plus imperfection pour estre extravagante et estrange. Faites comme les abeilles, succés le miel de toutes les fleurs et herbes.

Mon troysiesme commandement est que vous facies comme les petitz enfans : pendant qu'ilz sentent leur mere qui les tient par les manchettes, ilz vont hardiment et courent tout autour, et ne s'estonnent point des petites bricoles que la foiblesse de leurs jambes leur fait faire : ainsy, tandis que vous appercevres que Dieu vous tient par la bonne volonté et resolution qu'il vous a donné de le servir, allés hardiment, et ne vous estonnes point de ces petites secousses et choppemens que vous feres ; et ne s'en faut fascher, pourveu qu'a certains intervalles vous vous jetties entre ses bras et le baysies du bayser de charité (Ct 1,1). Allés joyeusement et a cœur ouvert le plus que vous pourres ; et si vous n'alles pas tous-jours joyeusement, allés tous-jours courageusement et confidemment. Ne fuyés pas la compaignie des Seurs, encor qu'elle ne soit pas selon vostre goust ; fuyés plustost vostre goust, quand il ne sera pas selon la conversation des Seurs. Aymés la sainte vertu de support et de sainte souplesse, car ainsy, dit saint Pol (Ga 6,2), vous accomplires la loy de Jesus Christ.

En fin, Dieu vous a donné un pere temporel sur lequel vous pouves prendre beaucoup de consolation spirituelle ; retenes ses advis comme de Dieu, car Dieu vous donnera beaucoup de benedictions par son entremise. Il m'a envoyé sa traduction de l'Institution de Blosius : je l'ay fait lire a la table et l'ay goustee incroyablement ; je vous prie, lises la et la savourés, car elle le vaut. Au demeurant, quand il vous viendra des doutes en ceste vie que vous aves entrepris de suivre, je vous advertis de ne vous pas attendre a moy, car je suis trop loin de vous pour vous assister, cela vous feroit trop languir ; il ne manque pas de peres spirituelz pour vous ayder : employés les avec confiance. Ce n'est pour desir que j'aye de ne recevoir pas de vos lettres, car au contraire elles me donnent de la consolation, et je les desire, voire avec toutes les particularités des mouvemens de vostre esprit (et la longueur de la presente vous tesmoignera asses que je ne me lasse pas de vous escrire) ; mais affin que vous ne perdies pas tems, et, qu'attendant le secours de si loin, vous ne soyes battue et endommagee de l'ennemi.

Quant a mes sacrifices, ne doutés que vous n'y ayes part perpetuellement. Tous les jours je vous presente sur l'autel avec le Filz de Dieu ; j'espere que Dieu l'aura aggreable. Asseurés de mesme nostre Seur Anne Seguier , ma fille tres chere en Jesus Christ, et madame vostre Maistresse, de laquelle j'ay presenté les salutations au bon monsieur Nouvelet, qui en a fait grand feste. Si vous sçavies la grande multiplicité des affaires que j'ay et l'embarrassement ou je suis en ceste charge, vous auries pitié de moy et prieries quelquefois Dieu pour moy, et il l'auroit bien aggreable.

Je vous en supplie, et la Seur Anne Seguier, dites souvent a Dieu, comme le Psalmiste (Ps 118,94) : Je suis vostre, sauvés moy, et comme la Magdeleine estant a ses piedz : Rabboni (Jn 20,16), Ah, mon Maistre; et puys, laissés le faire. Il fera de vous, en vous, sans vous, et neanmoins par vous et pour vous, la sanctification de son nom, auquel soit honneur et gloire.

Vostre affectionné et humble serviteur en Jesus Christ, FRANçs DE SALES,

E. de Geneve tres indigne.

A Neci, le 16 janvier 1603

 

CLXXV

A MADAME DE BEAUVILLIERS, ABBESSE DE MONTMARTRE

Souhaits pour la prospérité de l'abbaye. - Prudence et charité qu'il faut apporter à l'œuvre de la réforme. - Recourir aux conseils de quelques personnes de piété.

Annecy, [janvier] 1603
Madame, J'ay receu double consolation de la lettre que vous m'escrivistes il y a quelques moys, car elle me tesmoigne vostre bienveuillance, que je desire beaucoup, et me donne advis des graces que Dieu fait a vostre monastere, qui me sont des nouvelles les plus cheres que je sceusse recevoir, d'autant que j'honnore et prise extremement ceste mayson par une certaine inclination que Dieu m'en a donné.

J'espere qu'en nos jours on verra vostre mont sacré parsemé de fleurs dignes du sang dont il a esté arrousé, et que leur odeur rendra tant de tesmoignage a la bonté de Dieu que ce sera un vray mont de martyres . La faveur que le Roy vous fit dans l'octave de vostre grand Apostre, quittant la nomination, en est un bon praesage, mesmement estant accompagné de la bonne volonté de ces vertueux espritz qui concourent avec le vostre au desir d'un'entiere reformation. Je represente souvent a l'autel ce saint dessein a Celuy qui l'a dressé et qui vous a donné l'affection de l'embrasser, affin qu'il vous face la grace de le parfaire (Ph 1,6 ; 2,13). Il m'est advis que j'en voy la porte ouverte. Je vous supplie seulement, Madame (et pardonnés a la simplicité et confiance dont j'use), que, parce que ceste porte est estroitte (Mt 7,13) et mal-aysee a passer, vous prenies la peyne et la patience de conduire par icelle toutes vos Seurs l'une apres l'autre ; car de les y vouloir faire passer a la foule et en presse, je ne pense pas qu'il se puisse bien faire. Les unes ne vont pas si viste que les autres. Il faut avoir esgard aux vielles elles ne peuvent s'accommoder si aysement; elles ne sont pas souples, car les nerfz de leurs espritz, comme ceux de leurs cors, ont des-ja fait contraction.

Le soin que vous deves apporter a ce saint ouvrage doit estre un soin doux, gracieux, compatissant, simple et debonnaire.Vostre aage et, ce me semble, vostre propre complexion le requiert ; car la rigueur n'est pas seante aux jeunes. Et croyés moy, Madame, le soin le plus parfait c'est celuy qui approche du plus pres au soin que Dieu a de nous, qui est un soin plein de tranquillité et de quietude, et qui, en sa plus grande activité, n'a pourtant nulle esmotion et, n'estant qu'un seul, condescend neanmoins et se fait tout a toutes choses (1 Co 9,21). .

Sur tout, je vous supplie, prevales vous de l'assistence de quelques personnes spirituelles, desquelles le choix vous sera bien aysé a Paris, la ville estant fort grande ; car je vous diray, avec la liberté d'esprit que je dois employer par tout, mays particulierement en vostre endroit : vostre sexe veut estre conduit, et jamais, en aucune entreprise, il ne reuscit que par la sousmission ; non que bien souvent il n'ayt autant de lumiere que l'autre, mais parce que Dieu l'a ainsy establi (Gn 3,16). J'en dis trop, Madame, . puisque je ne doute point de vostre charité et humilité ; mais je n'en dis pas asses selon l'extreme desir que j'ay a vostre bonheur, auquel seul vous attribueres, s'il vous plait, ceste façon d'escrire, car je n'ay sceu retenir mon esprit de vous presenter naïfvement ce que ceste affection luy suggere.

Au demeurant, Madame, ne doutés point que je ne vous communique et applique beaucoup des sacrifices que Nostre Seigneur me permet de luy presenter. Je vous supplie de les contrechanger de vos prieres et plus ferventes devotions. Vous n'en donneres jamais part a personne qui soit de meilleur cœur, ni plus que moy,
 
 

Madame,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur en Jesus Christ, FRANçs, E. de Geneve.
 
CLXXVI
 
 

AU PÈRE GUILLAUME BOULLIETTE, CORDELIER
 
 

(INÉDIT)

Billet d'affaires.

Annecy, 18 janvier 1603
Monsieur, Je vous remercie de l'advis que vous me donnés touchant la resolution de messieurs de Saint Claude et du soin quil vous plait avoir de cet affaire pour la gloire de Dieu et le bien des brebis quil m'a commises. Je m'en sens fort obligé et redevable a vostre charité, a laquelle j'offre de tres bon cœur mon service en contreschange, et demeure, Monsieur, Vostre confrere et serviteur bien humble,

FRANçs, Evesque de Geneve.

A Neci, XVIII, 1603.

 

A Monsieur

Monsieur le P. Boulliette, Gardien du Convent St Françs de Moyrens.

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Moirans (Isère).
 
 
 
 
 
 
 

CLXXVI bis (lettre MMXV du volume XXI reclassée) (1)

A M. AMÉDÉE DE CHEVRON-VILLETTE (2)

(BILLET INÉDIT)

Invitation à se rendre à Sales pour l'arrangement d'une affaire.

Annecy, 18 janvier 1603.
Monsieur,

Sur vostre derniere lettre, ma mere (3) attend lhonneur de vous voir, avec monsieur le Baron de Cusi (4), demain au soir a Sales, affin d'arrester le lendemain l'affaire dont il s'agit (5). Dieu y mette sa bonne main et vous veuille donner longue et heureuse vie,

Je suis, Monsieur,

Vostre plus humble neveu et serviteur,

FRANçs DE SALES, Ev. de Gencve.

A Neci, le 18 janvier 1603.
(6)……..salue.

Revu sur une copie de l'Autographe conservé au Carmel de Florence.

(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

(2) Le destinataire est sans nul doute Amédée de Chevron-Villette (L1,note 314) qui, quelques jours auparavant, le 6 janvier 1603, avait déjà pris part à une assemblée faite au château de Sales, et où il " furent concertez et conclus les articles du mariage " de Louis de Sales et de Claudine-Philiberte de Pingon-Cusy. (Cf. de Hauteville, La Maison naturelIe de S. Fr. de Sales, Paris, 1669, Partie II, p. 271.) L2, note 104 ; L3, note 2)

(3) Françoise de Sionnaz (L2,note 267).

(4) Jean-Bérold de Pingon, baron de Cusy (L4, note 335), beau-frère d'Amédée de Chevron-Villette et futur beau-père de Louis de Sales.

(5) Le mariage de Louis de Sales. Le contrat dotal fut signé le 2 avril, au château du Crest, près Montmélian, que la baronne de Cusy donna à sa fille, s'en réservant toutefois la possession sa vie durant. (Archives de 'l'horens-Sales.)

(6) La copie que nous reproduisons porte qu'un seul mot manque ici ; il n'a pu être déchiffré.
 
 



CLXXVII
 
 

AU CHEVALIER JOSEPH DE RUFFIA
 
 

(INÉDITE)

Réponse à une lettre de félicitation.

Annecy, 22 janvier 1603
Monsieur, Je receu nagueres une des lettres quil vous a pleu m'escrire, si pleyne de tesmoignages de vostre bienveuillance que je n'en pourray jamais tant meriter. Je voudrois que la res-jouissance que vous prenés de ma promotion a ceste charge eüt autant de sujet en ma capacité et suffisance comm'ell'en a en l'amitié delaquelle il vous plait m'honnorer ; Dieu, par sa bonté, m'aydera et suppleera a ce qui me manque. Cependant, Monsieur, je vous supplie, croyes que tout tel que je suis, je ne cederay jamais a pas un de ceux qui vous sont acquis en affection et fidelité ; dequoy quand il vous plaira de tirer les preuves en m'employant, je le prendray en singuliere faveur, comme j'eusse fait a vous rendre service sur le particulier sujet pour lequel vous m'escrivies que vostre agent s'addresseroit a moy, ce quil n'a pas fait jusques a l'heure.

Je demeureray donques attendant les occasions, et priant Dieu quil vous conserve et donne le comble de ses graces, comme doit celuy qui est

Vostre humble et tres affectionné serviteur en Jesus Christ,

FRANÇs DE SALES,

Evesque de Geneve.
 
 

A Neci, le 22 janvier 1603.

 

A Monsieur

Monsieur de Rufia, General de l'artillerie pour S. A.

Revu sur l'Autographe conservé au château de Ruffia, près de Turin.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXXVIII

A M. ANTOINE DE REVOL, ÉVÊQUE NOMMÉ DE DOL

(FRAGMENT INÉDIT)

Annecy, 31 janvier 1603
Je vous envoyeray l'advis que vous desires de moy touchant la preparation requise pour subir le faix qui pend meshuy sur vos espaules. Dieu, pour le service et gloire duquel je vous le desire, vous veuille disposer luy mesme de sa main, affin que vous soyes son bon serviteur et fidelle (Mt 25,21)……….

.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 

CLXXIX

A UNE TANTE

Condoléances sur la mort de son mari.

Annecy, 13 mars 1603
Madame ma Tante, Si je ne sçavois que vostre vertu vous peut donner les consolations et resolutions necessaires a supporter avec un courage chrestien la perte que vous aves faitte, je m'essayerois a vous en presenter quelques raysons par ceste lettre ; et, s'il estoit requis, je vous les porterois moy mesme. Mais j'estime que vous aves tant de charité et de crainte de Dieu, que, voyant son bon playsir et sainte volonté, vous vous y accommoderes, et adoucirés vostre desplaysir par la consideration du mal de ce monde, qui est si miserable que, si ce n'estoit nostre fragilité, nous devrions plustost loüer Dieu quand il en oste nos amis que non pas nous en fascher. Aussi bien, faut il que tous, les uns apres les autres, nous en sortions selon l'ordre qui est establi ; et les premiers ne s'en treuvent que mieux, quand ilz ont vescu avec soin de leur salut et de leur ame, comme a fait monsieur mon oncle et mon aisné, duquel la conversation a esté si douce et si utile a tous ses amis, que nous, qui avons esté de ses plus familiers et intimes, ne sçaurions nous empescher d'avoir beaucoup de regret de la separation qui s'en est faitte. Et ce desplaysir ne nous est pas defendu, pourveu que nous le moderions par l'esperance que nous avons de ne demeurer gueres separés, mays que dans peu de tems nous le suivrons au Ciel, lieu de nostre repos, Dieu nous en faysant la grace. Ce sera la ou nous accomplirons et parfairons sans fin les bonnes et chrestiennes amitiés que nous n'avons fait que commencer en ce monde. C'est la principale pensee que nos amis decedés requierent de nous, en laquelle je vous supplie de vous entretenir, laissant les desmesurees tristesses pour les espritz qui n'ont point de telles esperances.

Cependant, Madame ma Tante, j'ay tant d'affection a la memoire de nostre deffunct et a vostre service, que vous accroistres infiniment l'obligation que j'y ay si vous me faites l'honneur de me commander avec toute liberté et de m'employer en grand'asseurance. Faites le, je vous supplie de tout mon cœur, et je prie Nostre Seigneur qu'il accroisse en vous ses saintes consolations et vous comble des graces que vous souhaitte,

Madame ma Tante,

Vostre tres humble neveu et tres affectionné serviteur, FRANÇs E. de Geneve.
De Neci, ce 13 mars 1603.

 
 
 
 
 

CLXXX

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Prochain départ pour le Piémont. - Désir d'obtenir une lettre de recommandation auprès du duc.- Il implore sa protection pour un curé fait prisonnier par les Genevois.

Annecy, 29 mars 1603.
Monsieur, Je m'attendois, sur l'esperance que vous m'en avies donnee, d'avoir l'honneur de vous voir en cette ville quelques jours de cette Semaine Sainte. C'est pourquoi je ne me suis point resolu d'en partir pour vous aller saluer et demander vos commandemens avant mon despart pour Piemont ; ce que j'eusse fait, sans doute, si je ne me fusse promis le premier bonheur. Maintenant, pour rendre a point nommé obeissance aux intentions de Son Altesse, je me resouz de partir lundi prochain ; encor ne sçai-je si sera asses tost pour treuver Leurs Altesses en Piemont . Je vous supplie, Monsieur, de me conserver tous-jours lhonneur de vostre bienveuillance, et de me favoriser d'une recommandation qui me face bien tost despecher ; car outre ce, qu'ayant fait la fidelité que je dois je seray fort inutile de dela, je laisse un grand amas d'affaires spirituelles de deça qui, de leur nature, requierent la presence de l'Evesque. Je me prometz aysement cette faveur de vostre bonté, en laquelle seule je puis prendre la confiance que je prens de la vous demander si franchement.

Outre cela, Monsieur, je vous fay encor une supplication pour un pauvre curé de Ternier, qui s'appelle Burgiat, curé de Beaumont, qui a esté fait prisonnier de guerre par ceux de Geneve , affin que si il se fait quelque traitté dans lequel il puisse rencontrer sa delivrance par quelque eschange ou autrement, il vous plaise, Monsieur, luy faire cette charité ; et je puis vous asseurer qu'elle sera fleurie devant nostre bon Dieu, puisque il a esté pris sans sa coulpe et quil rendoit fort bien son devoir.

Ce pendant, je prie tous-jours sa divine Majesté quil accroisse de jour en jours ses graces et benedictions sur vous, de qui je seray toute ma vie,

Monsieur,

Plus humble et plus affectionné serviteur,

FRANÇ', Evesque de Geneve.

A Neci, le Samedi Saint 1603.
A Monsieur

Monsieur d'Albigni,

Lieutenant general de S. A. deça les montz, Chevallier de son Ordre, etc.

Revu sur l'Autographe conservé à Sienne, Archives de l'Etat.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXXXI

A MADEMOISELLE DE SOULFOUR (cf note 176)

Ne pas chercher au loin des directeurs à consulter. - La trop grande multiplicité de désirs est contraire à la perfection ; il faut exécuter ceux qui sont le plus à notre portée et restreindre les autres. - Promesse de prières. - Souvenir conservé à Sœur Anne Séguier.

Annecy, [avril-mai] 1603
Madamoyselle ma tres chere Fille en Jesus Christ,

J'ay receu vostre lettre en laquelle vous vous essayes de me descouvrir l'estat de vostre esprit. Je ne puis nier que je ne sois beaucoup consolé de voir la confiance que vous aves en mon affection en vostre endroit, laquelle aussi est autant grande et constante que vous la sçauries desirer. Dieu donq soit loüé en tout et par tout. Mays je m'en vay vous dire deux ou trois petitz motz sur le sujet de vostre lettre.

Premierement, croyés fermement, je vous supplie, que l'opinion que vous aves de ne devoir recevoir allegement de Dieu que par moy est une pure tentation de celuy qui a accoustumé de nous mettre des objetz esloignés en consideration, pour nous oster l'usage de ceux qui nous sont presens. C'est une maladie d'esprit a ceux qui sont malades au cors de desirer les medecins esloignés et les preferer a ceux qui sont presens. Il ne faut desirer les choses impossibles, ni bastir sur les difficiles et incertaines. Il ne suffit pas de croire que Dieu nous peut secourir par toutes sortes d'instrumens ; mais il faut croire qu'il ne veut pas y employer ceux qu'il esloigne de nous, et qu'il veut employer ceux qui sont pres de nous. Pendant que j'estois la je n'eusse pas rejetté ceste persuasion ; mais maintenant elle est du tout hors de sayson.

Apres cela il me semble que vous aves rencontré le vray sujet de vostre mal, quand vous me dites qu'il vous est advis que c'est une multitude de desirs qui ne pourront jamais estre accomplis. C'est sans doute une tentation pareille a la precedente ; ains celle ci est la piece entiere de laquelle l'autre n'est qu'un eschantillon. La varieté des viandes, si elles sont en grande quantité, charge tous-jours l'estomach ; mais s'il est foible, elle le ruine. Quand l'ame a quitté les concupiscences et qu'elle s'est purgee des affections mauvaises et mondaines, rencontrant les objetz spirituelz et saintz, comme toute affamee elle se remplit de tant de desirs et avec tant d'avidité qu'elle en est accablee. Demandés les remedes a Nostre Seigneur et aux peres spirituelz que vous aves aupres de vous ; car iceux, touchant vostre mal avec la main, connoistront bien quelz remedes il y faut appliquer. Neanmoins je vous diray nuement ce qui m'en semble.

C'est que si vous ne commences a mettre en execution quelques uns de ces desirs, ilz se multiplieront tousjours et s'embarrasseront avec vostre esprit en sorte que vous ne sçaures comme vous en demesler. Il faut donq venir aux effectz. Mays par quel ordre ? Il faut commencer par les effectz palpables et exterieurs, qui sont le plus en nostre pouvoir : par exemple, il n'est pas [requis] que vous n'ayes desir de servir aux malades pour l'amour de Nostre Seigneur, de faire quelques vilz et abjectz services en la mayson par humilité ; car ce sont desirs fondamentaux, et sans lesquelz tous les autres sont et doivent estre suspectz et mesprisés. Or, exercés vous fort a la production des effectz de ces desirs la, car l'occasion ni le sujet ne vous en manqueront pas. Cela est entierement en vostre pouvoir, et partant vous deves les executer ; car en vain feres vous dessein d'executer les choses dont le sujet n'est pas en vostre puissance ou est bien esloigné, si vous. n'executes celles que vous aves a vostre commandement. Partant, executés fidellement les desirs bas et grossiers de la charité, humilité et autres vertuz, et vous verrés que vous vous en treuveres bien. Il faut que Magdeleine lave premierement les piedz de Nostre Seigneur, les bayse, les torche (Lc 7,37), avant que de l'entretenir cœur a cœur au secret de la meditation (Lc 10,39), et qu'elle respande l'unguent sur son cors avant que de verser le bausme de ses contemplations sur sa Divinité.

Il est bon de desirer beaucoup ; mais il faut mettre ordre aux desirs, et les faire sortir en effect, chacun selon sa sayson et vostre pouvoir. On empesche les vignes et les arbres de porter des feuilles affin que leur humidité et suc soit par apres suffisant pour rendre du fruict, et que toute leur force naturelle ne s'en aille en la production trop abondante des feuilles. Il est bon d'empescher cette multiplication de desirs, de peur que nostre ame ne s'y amuse, laissant ce pendant le soin des effectz, desquelz, pour l'ordinaire, la moindre execution est plus utile que les grans desirs des choses esloignees de nostre pouvoir, Dieu desirant plus de nous la fidelité aux petites choses qu'il met en nostre pouvoir que l'ardeur aux grandes qui ne dependent pas de nous.

Nostre Seigneur compare l'ame desireuse de la perfection a la femme grosse qui enfante (Jn 16,21) ; mais a la verité, si la femme enceinte vouloit produire deux ou plusieurs enfans a la fois, et tous deux ensemble, elle ne le sçauroit faire sans mourir ; il faut qu'ilz sortent l'un apres l'autre. Faites sortir les enfans de vostre ame, c'est a dire les desirs du service de Dieu, les uns apres les autres, et vous sentires un grand allegement.

Mais en fin, si vous ne treuves point de repos en ces remedes, ayés patience; attendés que le soleil soit levé, il dissipera ces broüillars. Ayés bon courage: Cette maladie ne sera pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié par icelle (Jn 11,4). Faittes comme ceux qui sentent les ennuis et desvoyemens d'estomach sur la mer ; car apres qu'ilz ont roulé et leur esprit et leur cors par tout le navire pour treuver allegement, ilz viennent en fin embrasser l'arbre et le mat d'iceluy, et le serrent estroittement pour s'asseurer contre le tournoyement de teste qu'ilz souffrent. Il est vray que l'allegement leur est court et incertain ; mays si vous venes avec humilité embrasser le pied de la Croix, si vous n'y treuves autre remede, au moins y treuveres-vous la patience plus douce qu'ailleurs, et le trouble plus aggreable.

Je vous ay voulu dire quelque chose, plus pour vous tesmoigner le desir que j'ay de vostre bien que pour penser que je sois capable de vous y servir. Ne doutés point, au reste, que je ne vous recommande a ce Pere de lumiere (Jc 1,17),. je le fay avec une tres grande volonté et inclination, croyant, pour ma consolation, que vous me rendrés fidellement le reciproque, dont j'ay a la verité bon besoin, pour estre embarqué en l'endroit le plus tempestueux et tourmenté de toute cette mer de l'Eglise.

Je n'oublie point non plus la bonne Seur Anne Seguier, que je cheris tendrement en Jesus Christ. Dieu veuille estre son protecteur en sa sortie. Je la vous recommande quand elle sera chez son pere , car elle ne sera pas dehors. Elle ne treuvera pas, peut estre, un autre monastere chez son pere comme vous aves treuvé chez le vostre ; neanmoins j'espere que Dieu la fera cheminer devant luy et estre parfaitte (Gn 17,1), car j'ay confiance en la misericorde de Dieu qu'elle en fera quelque chose de mieux.

Je finis, vous priant de continuer en la reso1ution que vous faittes au milieu de vostre lettre quand vous dites : Je proteste devant Dieu et devant vous que je ne veux que luy et ne veux servir qu'a 1uy. Amen. " Cela est digne et juste " puisqu'aussi 1uy ne veut de vous que vous mesme. Je suis inviolablement et de tres bon cœur,

Madamoyselle ma tres chere Fille en Jesus Christ, Vostre tres affectionné serviteur

en ce mesme Seigneur,

FRANÇ', E. de Geneve.
 
 










CLXXXII
 
 

A LA. DUCHESSE DE NEMOURS, ANNE D'ESTE
 
 

(MINUTE)

But du voyage à Turin, dont le Saint est revenu depuis trois jours. - Le duc de Savoie parti pour Nice. - Les ecclésiastiques persécutés par les Genevois.

Annecy, vers le 18 mai 1603
Madame, Ce m'est un extrem'honneur d'estre si avant en vostre souvenance que non seulement vous ayes daigné m'escrire le 16 avril, mais aussi il vous aye pleu de tesmoigner que vous auries aggreable de recevoir de mes lettres. Mais la favorable plainte que vous me faites a moymesme de n'en point recevoir me couvriroit de honte si j'eusse autant eu de commodité de vous en envoyer comme j'en ay eu de desir ; car, en l'asseurance de vostre bonté, Madame, je n'eusse pas failly de vous faire plus souvent la reverence par lettres, si je n'eusse esté empesché par le voyage et sejour que j'ay esté contraint de faire en Piemont, pour obtenir la mainlevee des revenuz de mon evesché que Son Altesse m'avoit fait saysir un peu apres que je fus fait Evesque. D'ou je ne suis de retour que des trois jours en ça, ayant esté despeché seulement au dernier jour que Son Altesse fut en Piemont, apres lequel il partit pour aller a Nice conduire Messeigneurs les Princes sur la mer pour le voyage d'Espagne, lequel, autre chose ne survenant, je tiens desormais pour fait : et ce sont toutes les nouvelles de Piemont.

Et quant a celles de ce pais, elles sont si desagreables que je ne pense pas vous en devoir entretenir, puis qu'elles ne consistent qu'en volleries et pilleries que font ceux de Geneve sur nous, et particulierement sur les gens d'Eglise qui seulz ne sont receuz a aucune contribution ni composition, dont s'en est ensuivi l'abandonnement d'une grande quantité d'eglises . Nostre Seigneur y veuille mettre sa bonne main pour nous donner sa sainte paix.

Ce pendant je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de mon frere et la supplie de me continuer lhonneur de cette bienveuillance quil luy plait me porter, bien que j'en sois indigne. Et je prieray tous-jours Dieu quil luy playse de vous donner, (sic) me croyant tous-jours fidelle et affectionné au service de Vostre Excellence et de Monseigneur son filz .

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 

CLXXXIII

A M. FRANÇOIS DE MENTHON DE LORNAY DOYEN DE NOTRE-DAME D'ANNECY

Ordonnance relative au choix des dignitaires qui doivent assister l'Evêque aux offices de la Fête-Dieu.

Annecy, 27 mai 1603.
Monsieur le Doyen, Je veux absolument et sans replique que vos chantres, le sousdiacre que vous me donneres et l'encenseur soyent des chanoynes, nonobstant toutes vos coustumes, puisque ceux de mon eglise sont de cette qualité la. Je le commande a vostre Chapitre et a vous, en vertu de la sainte obedience et sub pœna excommunicationis latœ sententiœ.

En foy dequoy j'ay signé la presente.

FRANçs DE SALES,

Evesque de Geneve.

A Neci, 27 may 1603
A Monsieur le Doyen de Nostre Dame.

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 
 
 

CLXXXIV

A M. ANTOINE DE REVOL, ÉVÊQUE NOMMÉ DE DOL

Envoi d'une pièce sollicitée pour lui à Rome. - Obligation pour un évêque de transformer sa vie. - Il lui serait utile de se lier avec quelques grands serviteurs de Dieu; éloge de plusieurs d'entre eux. - Livres à consulter surtout pendant cette première année. - Avoir une grande dévotion aux saints Anges. - L'Evêque est tenu de prêcher son peuple.

Annecy, 3 juin 1603
Monsieur, J'ay receu deux de vos lettres, ausquelles je n'ay pas encor fait response parce que, quand elles arriverent icy, je n'y estois pas, mais en Piemont, ou j'ay esté contraint de faire un voyage pour les biens temporelz de cet evesché. Maintenant, Monsieur, je vous envoye la provision de Rome que vous desiries, laquelle j'ay ouverte pour sçavoir si tout ce dont vous avies besoin y estoit ; et je voy que tout y est, et quelque chose davantage, dont vous n'aves que faire, ne prejudiciant en rien a la provision pour le reste qui vous est requis. Voyla donques ma promesse accomplie pour ce particulier. Que s'il vous reste quelque difficulté, prenés en la mesme confiance avec moy ; je vous asseure, Monsieur, que jamais je ne me lasseray de rendre du service a vostre consolation et a vostre esprit, lequel j'espere que Dieu addressera pour le service de plusieurs autres.

L'autre partie de ma promesse m'est plus malaysee a mettre en effect pour les infinies occupations qui m'accablent ; car je pense estre a la plus fascheuse charge qu'aucun autre de cette qualité. Neanmoins, voyci un abbregé de ce que j'ay a vous proposer.

Vous entrés en l'estat ecc1esiastique et, tout ensemble, en la cime de cet estat. Je vous diray ce qui fut dit a un berger choisi pour estre Roy sur Israël : Mutaberis in virum alterum (1 R 10,6) : il faut que vous soyes tout autre en vostre interieur et en vostre exterieur. Et pour faire cette grande et solemnelle mutation, il faut renverser vostre esprit et le remuer par tout ; et pleust a Dieu que nos charges, plus tempestueuses que la mer, eussent aussi la proprieté de la mer, de faire jetter et vomir toutes les mauvaises humeurs a ceux qui s'y embarquent. Mais il n'en est pas ainsy ; car bien souvent nous nous embarquons et mettons la voile au vent estans tres cacochymes, et plus nous voguons et avançons en la haute mer, plus nous acquerons de mauvaises humeurs. Helas, Dieu soit loüé, qui vous a donné le desir de n'en faire pas de mesme ; j'espere qu'il vous en donnera encor le pouvoir affin que son œuvre soit parfaitte en vous (Ph 1,6 ; 2,13).

Pour vous ayder a ce changement il faut que vous employes les vivans et les mortz : les vivans, car il vous faut treuver un ou deux hommes bien spirituelz, de la conversation desquelz vous puissies vous prevaloir. C'est un extreme soulagement que d'avoir des confidens pour l'esprit. Je laisse a part M. du Val , qui est bon a tout et universellement propre pour semblables offices. Je vous en nomme un autre, M. Galemand, curé d'Aumale ; si par fortune il estoit a Paris, je sçay qu'il vous ayderoit beaucoup. Je vous en nomme un troisiesme, homme a qui Dieu a beaucoup donné et qu'il est impossible d'approcher sans beaucoup proffiter, c'est M. de Berulle ; il est tout tel que je sçaurois desirer d'estre moy mesme. Je n'ay gueres veu d'esprit qui me revienne comme celuy la, ains je n'en ay point veu ni rencontré ; mais il y a ce mal, c'est qu'il est extremement occupé. Il faut s'en prevaloir avec autant de confiance que de nul autre, mais avec quelque respect a ses affaires. J'ay un tres grand amy, que M. Raubon connoist : c'est M. de Soulfour ; il peut beaucoup en ces occasions. Je desirerois que vous le conneussies, estimant que vous en auries beaucoup de consolation.

Quant aux mortz, il faut que vous ayes une petite bibliotheque de livres spirituelz de deux sortes : les uns pour vous entant que vous seres ecclesiastique, les autres pour vous entant que vous seres Evesque. De la premiere sorte vous en deves avoir avant que d'entrer en charge, et les lire et mettre en usage ; car il faut commencer par la vie monastique avant que de venir a l'œconomique et politique. Ayés, je vous prie, Grenade tout entier , et que ce soit vostre second breviaire ; le Cardinal Borromee n'avoit point d'autre theologie pour prescher que celle la, et neanmoins il preschoit tres bien. Mays ce n'est pas la son principal usage : c'est qu'il dressera vostre esprit a l'amour de la vraye devotion et a tous les exercices spirituelz qui vous sont necessaires. Mon opinion seroit que vous commençassies a le lire par la grande Guide des Pecheurs , puis que vous passassies au Memorial , et en fin que vous le leussies tout. Mais pour le lire fructueusement il ne le faut pas gourmander, ains le faut peser et priser, et chapitre apres chapitre le ruminer et appliquer a l'ame avec beaucoup de consideration et de prieres a Dieu. Il faut le lire avec reverence et devotion, comme un livre qui contient les plus utiles inspirations que l'ame peut recevoir d'en haut ; et par la, reformer toutes les puissances de l'ame, les purgeant par detestation de toutes leurs mauvaises inclinations, et les addressant a leur vraye fin par des fermes et grandes resolutions.

Apres Grenade, je vous conseille fort les Œuvres de Stella, notamment Dela vanité du monde , et toutes les Œuvres de François Arias, Jesuite . Les Confessions de saint Augustin vous seront extremement utiles, et, si vous m'en croyes, vous les prendres en françois de la traduction de Monsieur Hennequin, Evesque de Rennes . Bellintani, Capucin , est encores propre pour y voir distinctement plusieurs belles considerations sur tous les mysteres de nostre foy, et les Œuvres de Costerus, Jesuite . Mais apres tous, il me souvient de vous recommander les Epistres spirituelles de Jan Avila , esquelles je suis asseuré que vous verrés plusieurs belles considerations et leçons pour vous et pour les autres ; et, tout d'un train, je vous recommande les Epistres de saint Hierosme, en son excellent latin.

Entant qu'Evesque, pour vous ayder a la conduitte de vos affaires, ayés le livre des Cas de conscience du Cardinal Tolet , et le voyés fort : il est court, aysé et asseuré, il vous suffira pour le commencement. Lises les Morales de saint Gregoire et son Pastoral ; saint Bernard en ses Epistres et es livres de la Consideration. Que s'il vous plait d'avoir un abbregé de l'un et de l'autre, ayés le livre intitulé Stimulus Pastorum, de l'Archevesque Braccarense, en latin, imprimé chez Keruer . Le Decreta Ecclesiœ Mediolanensis vous est necessaire, mays je ne sçai s'il est imprimé a Paris. Item, je desire que vous ayes la Vie du bienheureux Cardinal Borromee, escritte au long par Charles a Basilica Petri en latin, car vous y verrés le modelle d'un vray pasteur ; mais sur tout ayés tous-jours es mains le Concile de

Trente et son Catechisme.

Je ne pense pas que cela ne vous suffise pour la premiere annee, pour laquelle seule je parle ; car pour le reste, vous seres mieux conduit que cela, et par cela mesme que vous aures avancé en la premiere annee, si vous vous enfermes dans la simplicité que je vous propose. Mais excusés moy, je vous supplie, si je traitte avec cette confiance ; car je ne sçaurois faire en autre façon pour la grande opinion que j'ay de vostre bonté et amitié.

J'adjousteray encor ces deux motz. L'un est qu'il vous importe infiniment de recevoir le sacre avec une grande reverence et disposition, et avec l'apprehension entiere de la grandeur du mistere. S'il vous estoit possible d'avoir l'orayson qu'en a faitte Stanislaüs Socolorius, intitulee : De sacra Episcoporum consecratione et inauguratione, au moins selon mon exemplaire , cela vous serviroit beaucoup, car, a la verité, c'est une belle piece. Vous sçaves que le commencement en toutes choses est fort considerable, et peut on bien dire que (La première chose en chaque genre sert de mesure à tout le reste.) " primum , in unoquoque genere est mensura cceterorum. " (Aristot.Physica 4,14)

L'autre point est que je vous desire beaucoup de confiance et une particuliere devotion a l'endroit du saint Ange gardiateur et protecteur de vostre diocese, car c'est une grande consolation d'y recourir en toutes les difficultés de la charge. Tous les Peres et theologiens sont d'accord que les Evesques, outre leur Ange particulier qui leur est donné pour leur personne, ont l'assistence d'un autre commis pour leur office et charge. Vous deves avoir beaucoup de confiance en l'un et en l'autre, et, par la frequente invocation d'iceux, contracter une certaine familiarité avec eux, et specialement pour les affaires avec celuy du diocese, comme aussi avec le saint Patron de vostre cathedrale . Pour le surplus, Monsieur, vous m'obligeres beaucoup de m'aymer estroittement et de me donner la consolation de m'escrire familierement, et croyés que vous aves en moy un serviteur et frere de vocation autant fidelle que nul autre.

J'oubliois de vous dire que vous deves en toute façon prendre resolution de prescher vostre peuple. Le tres saint Concile de Trente (Sess 5,2), apres tous les Anciens, a determiné que " le premier et principal office de l'Evesque est de prescher ; " et ne vous laisses emporter a pas une consideration qui vous puisse destourner de cette resolution. Ne le faittes pas pour devenir grand predicateur, mays simplement parce que vous le deves et que Dieu le veut. Le sermon paternel d'un Evesque vaut mieux que tout l'artifice des sermons elabourés des predicateurs d'autre sorte. Il faut peu de chose pour bien prescher, a un Evesque, car ses sermons doivent estre des choses necessaires et utiles, non curieuses ni recherchees ; ses paroles simples, non affectees; son action paternelle et naturelle, sans art ni soin, et, pour court qu'il soit et peu qu'il die, c'est tous-jours beaucoup. Tout cecy soit dit pour le commencement, car le commencement vous enseignera par apres le reste. Je voy que vous escrives si bien vos lettres, et fluidement, qu'a mon advis, pour peu que vous ayes de resolution, vous feres bien les sermons ; et neanmoins je vous dis, Monsieur, qu'il n'en faut pas avoir peu de resolution, mais beaucoup, et de la bonne et invincible.

Je vous supplie de me recommander a Dieu ; je vous rendray le contrechange et seray toute ma vie,

Monsieur,

Vostre tres humble et affectionné serviteur,

FRANçs, E. de Geneve.

A Neci, le 3 juin 1603

 

CLXXXV

A M. ANTOINE DE LA PORTE

( INÉDITE )

Dispositions bienveillantes du duc de Savoie envers Mme de Mercœur. Jugement d'un procès entre cette princesse et don Amédée de Savoie. - Le Saint s'excuse de n'avoir pu achever le payement de la terre de Thorens.

Annecy, 6 juin 1603.
Monsieur, Je reviens naguere de Piemont, ou je vis Son Altesse et l'entretins quelque tems sur les affaires que Madame a de deça, et le treuvay fort disposé a luy donner toute assistence et faveur pour en chevir. Je luy proposay que, venant un agent de Madame, il seroit expedient de commander a quelques uns des officiers de la justice de terminer en une journee amiable toutes les difficultés qu'elle avoit, soit avec le seigneur Dom Amedeo , soit avec autres ; ce que Son Altesse accorda fort volontier, et monstra de priser extremement tout ce qui appartenoit au contentement de Madame, comme sa parente proche et vefve d'un prince son parent, et des louanges duquel il me dit merveilles.

Mais ce pendant que je traittoys ces choses en Piemont, la Chambre des Comptes acheminoyt le proces que Madame a avec le seigneur Dom Amedeo pour Conflens, si que, a mon arrivee, je le treuvay prest a juger ; et, selon l'advis du juge, j'escrivis tout aussi tost a Son Altesse pour avoir surseance et ordre que tout fut retardé, suivant l'accord qu'il m'avoit fait de terminer les differens sans proces. Mais tout cela pour neant, car ma lettre ne fut pas en chemin que l'arrest sortit tel que le juge vous escrira , ainsy quil m'a dit. J'en fus extremement marri pour m'estre treuvé court au service que j'avois desiré rendre a Madame.

Je treuvay en Piemont monsieur le referendaire Millet , et passay en Maurienne pour parler a Monsieur l'Evesque touchant Faverges ; ilz persistent, et s'offrent de solliciter, ayant procure de Madame, pour faire rendre les deniers sans que Madame en face la despence, suivant les memoires que je vous en laissay. Le marquis de Lulin escrivit a Madame pour acheter Doin, et j'envoyay la lettre ; je ne sçai si elle l'aura receüe : il attend response.

Reste que je parle de moy, qui suis tres marri de ne pouvoir si tost chevir du payement de Thorens (cf note 149 ) ; mais j'espere que Madame aura quelque consideration au malheur qui nous accable de deça et auquel Thorens mesme a une grande part. Je m'essayeray de la contenter au plus tost, n'ayant aucun affaire mondain en mon esprit que celluy-la, et de luy rendre tous les services quil me sera possible en toutes occurrences, comme tres-obligé que j'y suis. Faittes moy cet honneur, Monsieur, que de l'en asseurer et luy presenter une tres humble reverence en mon nom, ce pendant que je prieray Dieu quil vous comble de ses graces et que je suis,

Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇs DE SALES,

Evesque de Geneve.

A Neci, 6 juin 1603.
A Monsieur

Monsieur de la Porte,

Surintendant de la mayson de Madame la Duchesse de Mercœur.

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Paris.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXXXVI

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Réclamations au sujet d'une mesure contraire aux immunités ecclésiastiques.

Annecy, 14 juin 1603
Monsieur, J'ay consideré l'expedient que le sieur cappitaine de Moyron propose pour descharger les ecc1esiastiques du logement de guerre et y ay veu plusieurs inconveniens, et, entre les autres, celuy que je crains le plus, qui est que la liberté et immunité ecclesiastique en seroit, ce me semble, directement violee. C'est pourquoy j'envoye le porteur aupres de vous, Monsieur, pour vous les représenter, estimant de ne treuver pas moins de faveur pour nostre droit que nous y en avons tous-jours treuvé, et que je me prometz d'en treuver ci apres.

Cependant, et moy et tous les ecclesiastiques qui sont icy, nous prierons Dieu pour vostre santé, et je demeureray,

Monsieur,
A Neci, le XIIII juin 1603
Vostre serviteur tres humble, FRANçs DE SALES,

Evesque de Geneve.

CLXXXVII

A M. DE SOULFOUR

(INÉDITE)

Abandon et désolation de cent églises aux environs de Genève. - Union de prières. - Projet d'écrire à M. Asseline. - Divers messages.

Annecy, 15 juin 1603
Monsieur, Il me semble quil y a cent ans que je ne vous ay escrit, et deux cens que je n'ay receu de vos nouvelles. Mon voyage de Piemont a esté cause de l'un ; je ne sçai qui l'a esté de l'autre. Nos nouvelles ne sont que des vielles miseres, entre lesquelles les plus grandes sont celles qui concernent l'abandonnement de cent eglises autour de Geneve, presque desolees . Dieu neanmoins nous fait des consolations en ce que jamais nos ennemis ne sont rencontrés quilz ne soyent battus. J'ay de peyne, par la grace de Dieu, autant que j'en puis porter ; je desire que vous m'aydies fort par vos prieres et par celles de vos amis. Jamais je ne vous oublie aux miennes que je fay a l'autel, ni le filz ni nostre fille, de laquelle mon esprit ne peut abandonner le soin, quoy qu'inutile (cf note 176).

Je doy une lettre a monsieur Asseline et un'autre encores, que je luy addresseray, a un de ses amis qu'il a voulu rendre le mien par la regle de communication (cf note 229) ; je n'ay le loysir de payer maintenant, ce sera a la premiere commodité. Cependant continues, je vous prie, a m'aymer, et me donnes advis de vostre santé et des vostres. Je desire encor de sçavoir de celle de la Mere Anne, vostre seur , et de l'estat de Seur Anne Seguier.

J'ay un certain cœur tenant qui jamais ne lasche sa prise. Vous m'aves salué au nom de madamoiselle de Fontaine , de madame Fillard ; je vous prie qu'elles le soyent de ma part par vostre entremise. Je vous embrasse de tout mon cœur et suis,

Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇ', Ev. de Geneve.

Le xv juin 1603. J'escris a madame de Montmartre en response de celle qu'elle m'escrivit et que vous m'envoyastes. Voyes la, et la fermes, sil vous plait.

A Monsieur

Monsieur de Soulfour.

A Glatagni.

Revu sur l'Autographe appartenant à la Vicomtesse de Saint-Seine, château de Saint-Seine (Côte-d'Or).
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CLXXXVIII

AUX CHANOINES DE LA COLLÉGIALE DE SAINT-JACQUES DE SALLANCHES

Il les engage à accepter une fondation qui leur est offerte pour l'entretien de quatre enfants de chœur.

Annecy, 24 juin 1603
Messieurs, J'ay veu les propositions que monsieur Loquet fait pour fonder a ses despens l'entretenement de quattre enfans de chœur en vostre eglise et, quant et quant, j'ay aussi veu les responses que vous y aves faittes . Et ayant consideré l'un et l'autre, j'ay jugé que vous estiés de bon accord en effect, encor quil semble qu'il y ait quelque difference en paroles car ayant demandé a monsieur Loquet sil vouloit vous obliger par sa fondation a fournir plus quil ne vous reviendroit du revenu d'icelle, il m'a dit que nanni : aussi ne seroit-il pas bien raysonnable. J'ay encor voulu sçavoir sil desiroit plus de soin et d'obligation de vostre Chapitre a la conservation du fondz et des revenuz de sa fondation que vous n'en aves au demeurant des biens de vostre eglise ; il m'a semblablement dit que non, et que son intention n'estoit que de vous obliger d'avoir un pareil soin de la maintenance et conservation de sa fondation que celuy que vous estes obligés d'avoir du reste de vos revenuz et autres fondations. Or, cela est fort raysonnable ; car quand il ni auroit aucune clausule obligatoire, si est ce que vous ne laysseries d'estre redevables de maintenir soigneusement et en bons peres de famille telz biens et fondz ; mais pour tout cela vous ne seriés pas tenuz ni a l'impossible ni a la charge, si les moyens se perdoyent sans vostre faute et coulpe. C'est mon advis, lequel je pense estre digne d'estre suivi ; autrement je ne le vous proposerois pas.

C'est pour cela que je vous ay voulu escrire ces deux motz, me doutant que, faute de vous entr'entendre, cette œuvre ne se perdit, comme il arrive bien souvent des bons desseins. Neanmoins, si vous estimes pour quelque autre rayson de devoir apporter de la difficulté en cet affaire, je vous prieray de m'en advertir, affin que j'apporte le plus que je pourray de diligence et industrie pour accommoder le tout a la gloire de Dieu, ornement de son service et vostre contentement.

Cependant, je me recommande a vos oraysons, et prie reciproquement Nostre Seigneur quil vous accompagne de ses graces et nous donne a tous l'esprit et zele de son service, qui est ce que doit desirer,

Messieurs,

Vostre humble confrere et serviteur en Jesuschrist,

FRANÇ', Evesque de Geneve.

A Neci, XXIIII juin, jour de St Jan 1603.
Revu sur 1'Autographe appartenant à M. Vulliet, à Annecy.
 
 
 
 
 
 

CLXXXIX

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Il sollicite une place pour le neveu de l'Evêque défunt.

Annecy, fin juin 1603
Monsieur, Je vous suppliay, a mon despart de Chamberi, de vouloir donner une place en la cavallerie au sieur de Grenier, d'Hiene , que je dois affectionner pour estre neveu de feu Monsieur l'Evesque, mon bon prcedecesseur ; vous me fistes.la grace, Monsieur, de me l'accorder. Il me reste a vous en ramentevoir aux occasions, qui m'a fait maintenant vous en rafraischir la premiere supplication que je vous en ay faite, laquelle vous gratifieres, je m'en asseure, non seulement pour l'humble et entiere affection de laquelle je vous honnore, mais aussi en contemplation de ce bon Praelat decedé, duquel les merites vivent devant Dieu et en vostre souvenance.

Je supplie sa divine Majesté qu'elle vous benisse de ses plus cheres faveurs, et suis,

Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇs, E. de Geneve.

A Monsieur

Monsieur d'Albigni.

Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general.

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.
 
 
 
 
 
 

CXC

A MADEMOISELLE DE SOULFOUR

Suites que laissent certaines infirmités spirituelles : leur utilité. - La perfection absolue impossible en ce monde.- Avoir de grandes prétentions au service de Dieu, mais ne pas s'étonner si elles ne peuvent être entièrement réalisées. - Ne pas se préoccuper des dangers à venir. - Assurance de dévouement.

Annecy, 22 juillet 1603
Madamoyselle, Je receu par mon frere une de vos lettres qui me fait louer Dieu dequoy il a donné quelque lumiere a vostre esprit. Que s'il n'est encor pas du tout desengagé, il ne s'en faut pas estonner. Les fievres spirituelles, aussi bien que les corporelles, sont ordinairement suivies de plusieurs ressentimens, qui sont utiles a celuy qui guerit pour plusieurs raysons, mais particulierement parce qu'ilz consument les restes des humeurs peccantes qui avoyent causé la maladie, affin qu'il n'en demeure pas un brin; et parce que cela nous remet en memoire le mal passé, pour faire craindre de la recheute, a laquelle bien souvent nous nous porterions par trop de licence et de liberté, si les ressentimens, comme menaces, ne nous retenoyent en bride pour nous faire prendre garde a nous jusques a ce que nostre santé soit bien confirmee.

Mais, ma bonne Fille, puisque vous voyla a moitié eschappee de ces terribles passages par ou vous aves esté conduitte, il me semble que vous deves maintenant prendre un peu de repos, et vous arrester a considerer la vanité de l'esprit humain, comme il est sujet a s'embrouiller et embarrasser en soy mesme. Car je suis asseuré que vous remarqueres aysement que les travaux interieurs que vous aves souffertz ont esté causés par une multitude de considerations et de desirs, produitz avec un grand empressement pour atteindre a quelque perfection imaginaire. Je veux dire que vostre imagination vous avoit formé une idee de perfection absolue, a laquelle vostre volonté se vouloit porter ; mays, espouvantee de la grande difficulté, ou plustost impossibilité, elle demeuroit grosse au mal de l'enfant, sans pouvoir enfanter (4 R 19,3). A cette occasion, elle multiplioit des desirs inutiles, qui, comme des bourdons et freslons, devoroyent le miel de la ruche, et les vrays et bons desirs demeuroyent affamés de toutes consolations. Maintenant donq prenés un petit haleyne, respirés quelque peu, et, par la consideration des dangers eschappés, divertissés ceux qui pourroyent advenir ci apres. Tenés pour suspectz tous ces desirs qui, selon le commun sentiment des gens de bien, ne peuvent pas estre suyvis de leurs effectz : telz sont les desirs de certaine perfection chrestienne qui peut estre imaginee mais non pas prattiquee, et de laquelle plusieurs font des leçons, mais nul n'en fait les actions.

Sçachés que la vertu de patience est celle qui nous asseure le plus de la perfection (Jc 1,4), et s'il la faut avoir avec les autres, il faut aussi l'avoir avec soy mesme. Ceux qui aspirent au pur amour de Dieu n'ont pas tant besoin de patience avec les autres comme avec eux mesmes. Il faut souffrir nostre propre imperfection pour avoir la perfection ; je dis souffrir avec patience, et non pas aymer ou caresser : l'humilité se nourrit en cette souffrance.

Il faut confesser la verité, nous sommes des pauvres gens qui ne pouvons gueres bien faire ; mais Dieu, qui est infiniment bon, se contente de nos petites besoignes, et a aggreable la preparation de nostre cœur (Ps 9). Et qu'est ce a dire, la preparation de nostre cœur ? Selon la sainte Parole (1 Jn 3,20), Dieu est plus grand que nostre cœur et nostre cœur est plus grand que tout le monde. Quand nostre cœur, a part soy, en sa meditation, prepare le service qu'il doit rendre a Dieu, c'est a dire quand il fait ses desseins de servir Dieu, de l'honnorer, de servir le prochain, de faire la mortification des sens exterieurs et interieurs et semblables bons propos, en ce tems la il fait des merveilles ; il fait des preparations et dispose ses actions a un degré si eminent de perfection admirable. Toute cette preparation neanmoins n'est nullement proportionnee a la grandeur de Dieu, qui est infiniment plus grand que nostre cœur ; mais aussi cette preparation est ordinairement plus grande que le monde, que nos forces, que nos actions exterieures.

Un esprit qui, d'un costé, considere la grandeur de Dieu, son immense bonté et dignité, ne se peut saouler de luy faire des grandes et merveilleuses preparations. Il luy prepare une chair mortifiee sans rebellion, une attention a la priere sans distraction, une douceur de conversation sans amertume, une humilité sans aucun eslancement de vanité. Tout cela est fort bon, voyla des bonnes preparations ; encor en faudroit il davantage pour servir Dieu selon nostre devoir. Mays au bout de la, il faut chercher qui le face ; car quand ce vient a la prattique, nous demeurons courtz, et voyons que ces perfections ne peuvent estre si grandes en nous ni si absolues. On peut mortifier la chair, mais non pas si parfaittement qu'il n'y ayt quelque rebellion ; nostre attention sera souvent interrompue de distractions, et ainsy des autres.

Et faut il pour cela s'inquieter, troubler, empresser, affliger ? Non pas, certes. Faut il appliquer un monde de desirs pour s'exciter a parvenir a ce signe de perfection ? Non, a la verité. On peut bien faire des simples souhaitz qui tesmoignent nostre reconnoissance ; je puis bien dire : Hé, que ne suis je aussi fervent que les Seraphins pour mieux servir et loüer mon Dieu ! Mais je ne doy pas m'amuser a faire des desirs comme si en ce monde je devois atteindre a cette exquise perfection, disant : Je le desire, je m'en veux essayer, et si je ne puis y atteindre je me fascheray. Je ne veux pas dire qu'il ne faille se mettre en chemin de ce costé la ; mais il ne faut pas desirer d'y arriver en un jour, c'est a dire en un jour de cette mortalité, car ce desir nous tourmenteroit, et pour neant. Il faut, pour bien cheminer, nous appliquer a bien faire le chemin que nous avons plus pres de nous, et la premiere journee, et non pas s'amuser a desirer de faire la derniere pendant qu'il faut faire et devuider la premiere.

Je vous diray ce mot, mais retenes le bien: nous nous amusons quelquefois tant a estre bons Anges, que nous en layssons d'estre bons hommes et bonnes femmes. Nostre imperfection nous doit accompaigner jusques au cercueil. Nous ne pouvons aller sans toucher terre ; il ne faut pas s'y coucher ni vautrer, mais aussi ne faut il pas penser voler ; car nous sommes des petitz poussins qui n'avons pas encores nos aisles. Nous mourons petit a petit ; il faut aussi faire mourir nos imperfections avec nous de jour en jour. Cheres imperfections, qui nous font reconnoistre nostre misere, nous exercent en l'humilité, mespris de nous mesmes, en la patience et diligence, et nonobstant lesquelles Dieu considere la preparation de nostre cœur, qui est parfaitte.

Je ne sçai si je vous escris a propos ; mais il m'est venu au cœur de vous dire cecy, estimant qu'une partie de vostre mal passé vous est arrivee de ce que vous aves fait des grandes preparations ; et voyant que les effectz estoyent tres petitz et les forces insuffisantes pour prattiquer ces desirs, ces desseins et ces idees, vous aves eu des certains creve cœur, des impatiences, inquietudes et troubles; puis ont suivi des desfiances, allanguissemens, abbaissemens ou defaillances de cœur. Or, si cela est, soyés bien sage par ci apres.

Allons terre a terre, puisque la haute mer nous fait tourner la teste et nous donne des convulsions. Tenons nous aux piedz de Nostre Seigneur avec la sainte Magdeleine (Lc 10,39) de laquelle nous celebrons la feste ; prattiquons certaines petites vertuz propres pour nostre petitesse. A petit mercier, petit panier. Ce sont les vertuz qui s'exercent plus en descendant qu'en montant, et partant elles sont sortables a nos jambes : la patience, le support des prochains, le service, l'humilité, la douceur de courage, l'affabilité, la tolerance de nostre imperfection, et ainsy ces petites vertuz. Je ne dis pas qu'il ne faille monter par l'orayson, mays pas a pas.

Je vous recommande la sainte simplicité. Regardés devant vous, et ne regardés pas a ces dangers que vous voyes de loin, ainsy que vous m'aves escrit. Il vous semble que ce soyent des armees ; ce ne sont que des saules esbranchés, et ce pendant que vous regardés la, vous pourries faire quelque mauvais pas. Ayons un ferme et general propos de vouloir servir Dieu de tout nostre cœur et toute nostre vie ; au bout de la, n'ayons soin du lendemain (Mt 6,34). Pensons seulement a bien faire aujourd'huy ; et quand le jour de demain sera arrivé il s'appellera aussy aujourd'huy, et lhors nous y penserons. Il faut encores en cest endroit avoir une grande confiance et resignation en la providence de Dieu. Il faut faire provision de manne pour chasque jour, et non plus (Ex 16,16) ; et ne doutons point, Dieu en pleuvra demain d'autre, et passé demain, et tous les jours de nostre pelerinage.

J'appreuve infiniment l'advis du Pere N., que vous ayes un directeur, entre les bras duquel vous puissies doucement deposer vostre esprit. Ce sera vostre bonheur si vous n'aves nul autre que le doux Jesus, lequel, comme il ne veut pas que l'on mesprise la conduitte de ses serviteurs quand on la peut avoir, aussi quand elle nous defaut, il supplee pour tout ; mais ce n'est qu'a cette extremité, a laquelle si vous estes reduitte, vous l'experimenteres.

Ce que je vous escrivis (lettre 181) n'estoit pas pour vous garder de communiquer avec moy par lettres, et de conferer de vostre ame qui m'est tendrement chere et bienaymee, mais pour esteindre l'ardeur de la confiance que vous avies en moy, qui, pour mon insuffisance et pour vostre esloignement, ne puis vous estre que fort peu utile, bien que tres affectionné et tres dedié en Jesus Christ. Escrivés moy donq en confiance, et ne doutés nullement que je ne responde fidellement. J'ay mis au fons de la lettre ce que vous desiries, affin qu'elle soit pour vous seulement.

Priés fort pour moy, je vous supplie ; il n'est pas croyable combien je suis pressé et oppressé sous cette grande et difficile charge. Vous me deves cette charité par les loix de nostre alliance, et puisque je vous contrechange par la continuelle souvenance que je porte de vous a l'autel et en mes foibles prieres. Beni soit Nostre Seigneur. Je le supplie qu'il soit vostre cœur, vostre ame, vostre vie, et je suis

Vostre serviteur, FRANçs, E. de Geneve.
 
 
 
 
 
 
 
  CXCI
A UN INCONNU

(MINUTE)

Remerciements pour une lettre reçue. - Assurances de dévouement.

Annecy, [fin juillet 1603 .]
Monsieur, Je garde tous-jours et regarde souvent la lettre que monsieur le praesident Favre, mon frere, m'apporta de vostre part. Je la garde, par ce que c'est le seul tiltre par lequel je vous puis demander l'estroitte bienveüi1lance qu'elle me promet ; je la regarde, pour y voir cette mesme bienveuillance si courtoysement depeinte que je ne la sçaurois voir ailleurs avec plus de douceur et playsir.

Rencontrant donques cette commodité d'envoyer des lettres a Paris au jour anniversaire de celuy auquel vous me fites lhonneur de m'escrire la vostre, j'ay voulu vous en rafraichir la memoire et vous supplier de me continuer tous-jours cette affection quil vous pleut me tesmoigner. Je regrette tous-jours de n'avoir eü autant de bonheur pour la connoistre pendant que je fus a Paris comme j'ay de devoir maintenant a la reconnoistre ; ce que je fay avec toute la sincerité que vous sçauries desirer d'un homme duquel vous aves entierement acquis le service et volonté, comme je vous supplie de croire, et de nourrir cett'amitié que vostre seule bonté a fait naistre pour m'en favoriser, tandis que de mon costé je prieray Dieu quil vous comble de ses graces, et demeureray inviolablement………..

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 

CXCII

AU BARON DE LUX

(MINUTE INÉDITE)

Prière de s'opposer aux prétentions injustes d'un gentilhomme.

[Annecy, 1603 avant août.]
……………………………………………………………………………………………………………..

[Monsieur] de la Bastie de Dombes me fait une recharge de toute autre façon ; car il vient (sic) a Farges et Assèrens, ou il monstra un'extreme affection et resolution pour empescher la jouissance des biens qui estoyent clairement donnes et ouctroyes pour l'entretenement du pasteur de ces lieux en l'ordonnance que vous, Monsieur, en avies faitte par les patentes de l'establissement . Pour moy, a cette derniere allarme, a peu que je ne perdis courage, comm'ayant des-ja este longuement debout et en faction pour les praecedentes difficultes ; outre ce, quil me sembloit que meshuy la chose devoit estr'asseuree, puisque la court de Parlement avoit interpose son arrest. .

Je fus estonne de ce que monsieur de la Bastie y estoit venu luy mesme, qui tesmoignoit un'ardeur d'esprit et une volonte tout'entiere ; mais je le fus encor plus quand je sceu que ce n'estoit point pour luy ni pour aucun de ses enfans, mais pour un tiers. Je ne doutay point aussi qu'estant ce quil est, il ne deut recevoir beaucoup de faveurs en tous ses desirs. C'est cela qui me mit fort en peyne, en laquelle je serois encor si je ne me fusse resouvenu que vous l'aymies et avies beaucoup d'authorite sur luy ; car j'ay pense qu'encor quil eut fait tant de demonstration de roydeur, si est ce que vostre entremise le plieroit tous-jours asses a la rayson quand il vous plairoit de l'y employer. Ce que je vous supplie humblement de faire, non seulement pour lhonneur et service de Dieu, qui vous est le plus cher, mais encor pour lhonneur de la premiere action que vous aves faitte en ce sujet et qui a servi de fondement a toute cette suitte. Dieu vous a choysi pour commencer un si saint œuvre et, par la, vous a asses oblige d'en desirer et solliciter le progres et l'accomplissement. Je vous supplie, Monsieur, de le faire et de moderer l'affection [qu'a monsieur de la Bastie a ce tiers pour lequel il debat contre le bien publiq et l'establissement des ames...] que mesme le sieur lieutenant civil et criminel de Gex nous a renvoyé tous deux devers vous pour estre reglés sur l'intelligence de vostre ordonnance, laquelle, bien qu'elle soit tres claire, on veut neanmoins obscurcir.

J'ay deduit ce fait un peu bien au long affin que, par ce moyen, vous sceussies les accidens survenuz en une besoigne que je vous ay veu embrasser avec tant de ferveur, au milieu de la rigueur du plus grand froid de l'annee, avec tant de consolation de tous ceux qui furent presens, et specialement de feu Monsieur l'Evesque mon predecesseur, qui, pendant quil a vescu despuis, ne sceut onques s'empescher d'en faire feste. [Et en outre, m'a laissé son successeur de l'extreme honneur quil portoit a vos merites, lequel, joint a celuy que je vous avois...]

Au demeurant, Monsieur, j'ay tous-jours esté extremement curieux de sçavoir des nouvelles de vostre santé, et les dernieres que j'en ay eües ont esté que vous avies esté prendre congé de Monsieur et Madame de Nemours pour venir de deça pour le service du Roy ; qui m'a fait mettre en doute si ceste lettre vous rencontreroit encor a Paris ou si vous series des-ja en chemin : c'est pourquoy j'en ay fait un duplicat, affin que l'un fut envoyé d'un costé et l'autre de l'autre. Et cependant que j'attends l'asseurance de la reception, je prieray Dieu quil vous comble de ses benedictions, et demeureray de toute mon affection,

Monsieur, Vostre serviteur plus humble.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 
 
 

CXCIII

AU DUC DE NEMOURS, HENRI DE SAVOIE

(MINUTE INÉDITE)

Exposé des différends qui existent entre le Chapitre de la cathédrale et celui de Notre-Dame de Liesse pour une question de préséance.- Les usages des Chapitres de Paris ne peuvent faire loi pour ceux d'Annecy.

Annecy, [juillet-septembre] 1603.
Monseigneur, Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy avois faitte,. pour avoir congé de terminer par le droit et justice le different que le Chapitre de l'eglise cathedrale de ce dioccese a avec celuy de Nostre Dame de cette ville . En quoy la verité est que je n'ay pas liberté de faire election d'aucun expedient, comme j'aurois si j'en estois le juge souverain, puisque le Saint Siege Apostolique et le siege de Vienne, qui est metropolitain de ce diocœse, m'ont entierement lié les mains, et particulierement pour le regard de la façon de proceder que monsieur le Prœsident de Genevoys m'a proposee, qui fut celle que feu Monsieur l'Evesque Justinien fit prattiquer une fois. Dequoy, sur la plainte faitte par le Chapitre de la cathedrale, il fut reprins par le Saint Siege, et condemné par sentence du Metropolitain a maintenir la preseance et prœcedence de la cathedrale absolument. Dont je n'ay plus le choix, sinon pour aller ou n'aller pas a la procession, mais non pas pour y aller autrement qu'avec l'entiere prœcedence de la cathedrale.

Aussi, a la verité, les exemples de la Sainte Chapelle et Sainte Geneviefve ne reviennent nullement a ce sujet, dautant que ni la Sainte Chapelle ni Sainte Geneviefve ne sont point eglises sujettes a l'Evesque, mais exemptes, et partant n'ont autre devoir que de reverence a l'eglise cathedrale du diocœse ou elles se treuvent, mais non pas d'aucune subordination ni dependence. C'est pourquoy l'Abbé de Sainte Genevieve, suivant le cors de la Sainte, donne la benediction avec l'Evesque. Ou au contraire,. le Chapitre de Nostre Dame est purement et simplement sujet a l'Evesque de Geneve, et, le siege vacant, du Chapitre cathedral et de son Vicaire. Et bien que la Sainte Chapelle et Sainte Genevieve soyent des eglises exemptes, si est ce qu'elles n'iroyent pas a costé de la cathedrale si elles n'avoyent des privileges speciaux du Saint Siege a cest effect ; ce que tesmoigne le docteur Chassanee en son Cathalogue (Pars 4, considerat.47) , disant que les Rois de France ont obtenu cela par privilege special, que leur chapelle estant prés de leur personne, sont esgalees (sic) avec toutes cathedrales. Mais le Chapitre de Nostre Dame n'a jamais eu aucun privilege de cette sorte.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 

AUTRE MINUTE DE LA MÊME LETTRE

(INÉDlTB)

Monseigneur, Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy fis, pour avoir son congé de terminer par le droit et les constitutions de l'Eglise le different de precedence qui est entre le Chapitre de Saint Pierre et ce1uy de Nostre Dame en cette ville. Je 1uy represente maintenant la mesme supplication, et qu'il luy playse de se faire dire les raysons qui m'ostent le pouvoir d'employer l'expedient que monsieur le président Favre m'a proposé. J'en ay fait un memoyre que j'ay addressé a monsieur de la Bretonniere .

Vostre Excellence me face la grace de prendre la peyne de les considerer, et je suis asseuré qu'elle me commandera de passer outre a l'execution de l'intention de l'Eglise, et a Messieurs de Nostre Dame de n'y apporter plus aucune difficulté. Mais sur tout je supplie tres humblement Vostre Excellence de leur defendre l'usage de son nom pour se defendre en si mauvaise cause, et contre moy, Monseigneur, qui [suis] si jaloux du respect que je dois a tout ce qui luy appartient, quil ne sera jamais besoin de m'en resouvenir. Mais je me resouviens aussi, Monseigneur, que vous estes si entier en la pieté, que vous ne voudres jamais en rien authoriser ceux qui voudront rompre les ordonnances de l'Eglise, sous le voyle et pretexte d'estre advoüés vos chapelains. J'espere au contraire ………………………………….

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 
 
 
 
 

CXCIV

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Prière de s'intéresser à un créancier de la Sainte-Maison de Thonon.

Annecy, 2 août 1603
Monsieur, Je me suis fort peu meslé des affaires de la Mayson de Thonon jusques a prœsent ; neanmoins, ayant icy un creancier d'icelle, homme de merite et qui est en extreme necessité, je me suis, des-ja essayé de le faire payer par autre voye, selon les moyens que le Pere Cherubin m'avoit proposés. Mais n'estans reussis et voyant la necessité de ce creancier croistre tous les jours, je me suis enquis sil y auroit aucun autre moyen pour faire ce payement; et on m'a dit que Son Altesse avoit ordonné certaine pension annüelle a ladite Mayson, de1aquelle on pourroit bien prendre la somme requise, qui n'est que de 80 escus, et particulierement sil vous playsoit d'en dire un mot de faveur. C'est pourquoy, Monsieur, je vous en supplie humblement, et de me pardonner si je suis si prompt a vous importuner, puisque c'est pour un œuvre charitable et le soulagement des affligés, comm'est ce creancier.

Je prie Dieu cependant pour vostre santé, que je souhaitte longue et heureuse, comme doit,

Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANçs, Evesque de Geneve.

A Monsieur

Monsieur d'Albigni,

Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general

deça les montz.

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis Bonaventure Chigi-Zondadari, à Sienne.
 
 

CXCV

A M. CLAUDE DE CHARMOISY

Mme de Beaulieu demandée en mariage par M. de Sainte-Claire; avantages que présenterait cette alliance.- Elle désire à ce sujet l'avis de M. de Charmoisy.

Annecy, 6 août 1603.
Monsieur mon Cosin, Despuis vostre despart, madame de Beaulieu a este demandee en mariage par monsieur de Sainte Clere , qui est gentilhomme, fort homme de bien et d'honneur, grand Catholique et craignant Dieu, qui sont des qualités pour lesquelles ell'a fort gousté l'offre de ses affections. Mais se resouvenant que feu monsieur de la Barge , son frere, l'avoit 1aissee en ce pais principalement en la confiance quil avoit de vostre amitié et que vous en auries soin, de quoi aussi ell'a ressenti beaucoup d'effectz, elle n'a pas voulu passer outre a prendre la derniere resolution en ce sujet sans vous en donner advis et prendre vostre congé.

C'est pourquoi ell'envoye monsieur Sapientis , auquel j'ay donné ce mot pour vous tesmoigner qu'apres avoir sceu ce dessein, et l'avoir consideré et recommandé a Dieu avec le soin que j'eusse fait pour une propre fille de ma mere, j'ay estimé qu'il estoit fort bon et sortable, et ne m'est demeuré aucune difficulté pour retenir mon jugement, que le devoir qu'ell'a d'attendre le vostre, lequel je pense ne pouvoir pas estre beaucoup dissemblable au mien.

Au demeurant, hier vostre brave Henri me fit lhonneur de me venir faire mille caresses ceans et me donner les signes de l'hereditaire bienveüillance quil me portera a l'advenir, comme estant filz de pere et mere a qui je suis inviolablement,

Monsieur mon Cosin, . Cosin et serviteur plus humble,

FRANçs, Evesque de Geneve.

Monsieur Le Grand est a Belley et me tient en suspens, par l'incertitude de son arrivee en ce diocœse, si j'auray la commodité d'aller a Thonon pour la mi aoust.

A Neci, VI aoust 1603
A Monsieur

Monsieur de Charmoysi.

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (canton de Genève).
 
 
 
 

CXCVI

A M. CHARLES D'ALBIGNY

(INÉDITE)

Il implore la continuation de sa protection pour la Sainte-Maison de Thonon.

Annecy, 22 août 1603
Monsieur, Le R. Pere Cherubin, praesent porteur, m'a dit et fait entendre combien de zele Dieu vous a donné a l'advancement des affaires de la Sainte Maison de Thonon et le bon commencement que vous y aves fait donner. C'est cela, Monsieur, qui me fait esperer d'en voir bien tost tout d'une main un heureux accomplissement, pour lequel ledit P.Cherubin allant a Chamberi, je vous supplie, Monsieur, de continuer vostre faveur a ce saint œuvre affin que la conclusion s'en puisse prendre au plus tost, a faute delaquelle je voy l'establissement de l'eglise de Thonon demeurer en suspens. . .

Je ne crains nullement de vous estre importun pour des semblables occasions qui tendent a la gloire de Dieu, delaquelle il vous a donné tant de jalousie et de sainte ambition. Je le prie quil vous comble de ses graces et suis,

Monsieur, Vostre serviteur tres humble,

FRANÇ., Evesque de Geneve,

A Neci, 22 aoust 1603
A Monsieur

Monsieur d'Albigni,

Chevallier de l'Ordre de S, A. et son Lieutenant general deça les montz.

A Chamberi.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bologne.
 
 
 
 

CXCVII

A M. ANTOINE DE LA PORTE

(INÉDITE)

Recommandation en faveur d'un homme qui désirait affermer la terre de Duingt. - Plusieurs affaires d'intérêt seraient à terminer. - Encore un mot sur le payement de Thorens.

Annecy, 22 août 1603
Monsieur, Cet honneste homme est bourgeois de cette ville, et reconneu de tous pour fort homme de bien. Il desire de prendre a ferme de Madame la terre de Duin, et je suis obligé de vous tesmoigner que ne pense pas que Madame puisse mieux remettre la susdite ferme qu'es mains d'un homme de ceste sorte. C'est pourquoy, si je suis creu, vous ne le laisseres pas revenir sans traitter avec luy, et mesme pour les prises des annees passees, desquelles il desire avoir honneste prix en payant argent content. Si Madame eut fait response a la lettre de monsieur le marquis de Lulin par laquelle il luy demandoit la susdite terre a achepter, je penserois qu'elle la voulut vendre (cf lettre 185) ; mais ne l'ayant pas fait, j'estime qu'elle la veut. garder, et en ce cas elle ne sçauroit mieux faire pour ce particulier que d'employer ce porteur.

Vous aures sceu comme le seigneur Dom Amedeo de Savoye a remporté gain de cause contre Son Excellence pour Conflens, non obstant tout l'essay que je fis en mon voyage de Piemont de faire retarder l'issue du proces, dont ledit seigneur Dom Amé m'a sceu fort mauvais gré. Il seroit bon de donner ordre une fois pour toutes a tous ces affaires de deça, et mesme a celuy que Madame a avec les enfans de feu monsieur le chancelier Millet , dequoy ayant escrit plus d'une fois, je m'estonne de n'en avoir nulle response.

Madame pourra treuver estrange le retardement de son payement de Thorens ; mais il n'est pas croyable combien nous avons eu de difficultés jusques a present pour ces troubles des guerres, qui ne font que de finir. Croyés, je vous supplie, que je n'ay nul souci du monde que pour ce particulier, et que je ne laisse passer aucune occasion sans m'en empresser. J'attens response, et priant Dieu qu'il vous comble de ses graces, je suis toute ma vie, Monsieur,

Vostre serviteur tres affectionné,

FRANçs, Evesque de Geneve.

22 aoust.
A Monsieur

Monsieur de la Porte,

Surintendant de la mayson de Madame la Duchessse de Mercœur.

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.
 
 

CXCVIII

AU MAIRE ET AUX ÉCHEVINS DE DIJON

Réponse à l'invitation qui lui est faite d'aller prêcher le Carême à Dijon.

Annecy, 22 août 1603
Messieurs, Ce m'est un'extreme faveur que vous ayes de si ré de m'avoir en vostre ville pour le service de vos ames, et ne puis penser comme ce bon heur m'est arrivé que vous sachies mon nom et que je suis au monde. Cela m'estonne d'autant plus que je me voy esloigné de le meriter, n'ayant rien en moy qui puisse respondre a l'opinion que vous aves de moy qu'une fort entiere affection a l'accroissement de la gloire de Dieu et a ceux qui la desirent, entre lesquelz sachant que vous tenes des premiers rangs, je vous supplie de croire que vous ne me sçauries faire voir aucun'occasion de vous rendre service que je ne m'y porte de tout mon cœur. En cette volonté, je m'essayeray de vaincre toutes les difficultés qui me pourroyent destourner de me rendre aupres de vous au tems que vous m'aves marqué en vostre lettre.

Mais vous me permettres, s'il vous plait, de vous dire que si vous aviés aggreable que ce fut seulement pour le Caresme, je n'aurois a vaincre nulle difficulté, car je n'en rencontrerois pas une. Ce sera pour l'Advent que j'auray beaucoup a debattre pour m'eschapper des grandes incommodités qui se presentent contre l'extreme desir que j'ay de vous contenter ; et neanmoins, plus tost que de vous donner aucun sujet de croire que je veüille user d'aucune exception a vos volontés, je vous asseure des maintenant que si vous mesme ne me donnés le pouvoir de demeurer icy l'Advent, je n'y demeureray non plus que le Caresme, mays forceray tous les empeschemens pour me treuver en tous deux les tems en vostre ville. J'attendray donques de vous, par ce porteur, la declaration de vostre volonté, a laquelle, toutes considerations laissees, je me rangeray entierement.

Dieu vous veuille donner, Messieurs, le comble de ses graces, et a moy autant de pouvoir quil m'a donné d'affection de me faire connoistre

Vostre serviteur plus humble en Jesus Christ,

FRANÇOIS, Evesque de Geneve.

A Neci, 22 aoust 1603
A Messieurs

Messieurs les Viconte majeur et Eschevins

de la ville de Dijon.

Revu sur l'Autographe conservé aux Archives municipales de Dijon.
 
 

CXCIX

A M. JACQUES EXCOFFIER, CURÉ DE CHEVÊNOZ

( INÉDITE )

Ordre de biner. - Encouragement à se rendre plus capable de ses fonctions.

Thonon, 21 septembre 1603
Monsieur le Curé,

Jay entendu que vous ne voulies continuer de dire deux Messes suyvant la permission que je vous en avoys donné, qui me fait vous dire que jusques a ce que je vous enleve le pouvoir vous ne cessies de servir Vincie comme vous aves de coustume. Je vous advertis aussy que prenies peyne a vous rendre plus cappable pour exercer telle charge, a quoy vous estes tenu. M'assurant donques que vous ne manqueres a bien rendre vostre devoir, je demeure, Monsieur le Curé,

Vostre plus affectionné en Jesuschrist, FRANçs, E. de Geneve.
A Thonon, le 21 septembre1603.
A Monsieur

Mons. le Curé de Chevenoz.

Revu sur l'original appartenant à M.l'avocat Coppier, à Chambéry.
 
 
 
 
 
 
 
 

CC

A M. LOUIS BONIER

Prière de lui envoyer le bilan des comptes de la Sainte-Maison.

Annecy, 23 octobre 1603
Monsieur, Voicy une lettre qui m'arrive de Monseigneur le Nonce de Turin, qui me conjure de luy envoyer " un picolo bilan cio delli conti che sonno stati veduti in Tonone circa le cose della Santa Casa, perchè gioverà molto appresso Sua Santità per ottenere molte gratie (un petit bilan des comptes qui ont été révisés à Thonon touchant les affaires de la Sainte-Maison, parce qu'il sera très utile auprès de Sa Sainteté pour en obtenir beaucoup de faveurs.) " Sil ne tient qu'a cela, il me semble, Monsieur, que je les doy envoyer; mais je ne puis si je ne l'ay, ni l'avoir que par vostre moyen, que j'implore a cet effect, et vous supplie de m'aymer tous-jours et croire que, priant Dieu pour vostre santé, je demeure toute ma vie, Monsieur, Vostre serviteur plus humble,

FRANçs, E. de Geneve.

A Neci, XXIII octobre 1603
A Monsieur

Monsieur Bonier,

Conseiller de S. A. et son Advocat Patrimonial en Savoye.

A Chamberi.

Revu sur l'Autographe appartenant à M. J. Pearson, à Londres.
 
 
 
 
 
 

CCI

A MONSEIGNEUR CHARLES BROGLIA, ARCHEVÊQUE DE TURIN

Affaires d'intérêt concernant la Sainte-Maison. (en italien)

Annecy, 7 novembre 1603
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Je ne doute point que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'ait appris par le P. Chérubin avec quel soin ont été faits les comptes de la Sainte-Maison de Thonon pour ce qui a été trouvé au deçà des monts. Reste à dresser ceux qui concernent les affaires d'au delà des monts. C'est pourquoi le Conseil de ladite Maison m'a demandé de supplier en son nom Votre Seigneurie de vouloir bien, en qualité de premier supérieur et de Primicier de cette institution, faire rendre compte à M. Gabaleone et lui donner ordre de payer d'abord à M. de Prissy douze ducatons qui lui sont justement dus par cette Maison, ainsi que pourra l'attester le P. Chérubin. Le Conseil m'a surtout chargé de remercier très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime de la grande charité et de la paternelle sollicitude qu'Elle a témoignées jusqu'ici pour les affaires de cette Maison, la priant de vouloir bien continuer. C'est tout ce que j'ai à vous écrire dans la circonstance présente.

En finissant, je vous souhaite du Seigneur notre Dieu tout vrai contentement.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

Annecy, le 7 novembre 1603

 
 
 
 
 
 
 
 
 

CCII

AU PRIEUR ET AUX RELIGIEUX DU MONASTÈRE DE SIXT

( INÉDITE)

Désir de connaître les résultats obtenus par la visite épiscopale. Assurance de dévouement.

Annecy, 14 novembre 1603
Messieurs mes Freres en Jesus Christ, Je desire fort de sçavoir quelz effectz auront suivi les ordonnances faittes en nostre visite, tant de vostre costé que de celuy de monsieur l'Abbé. C'est pourquoy je vous prie de me faire ce bien de m'en donner advis entre cy et Noël, poinct par poinct, affin que si je doy contribuer quelque diligence a l'entiere execution d'icelles, je n'y manque par ignorance de la necessité.

Monsieur de Saint Paul me dit que monsieur l'Abbé avoit laissé d'accenser l'abbaye, selon qu'il m'avoit donné parolle, pour quelques parolles laschees de vostre part, qui estonnerent les fermiers qui s'offroyent. Si cela est, vous aures occasion d'en tenir quitte ledit sieur Abbé, puisque quant a moy, cela ne m'importe point, pourveu que vous soyes payés comme il faut, qui est mon seul regard pour ce particulier. Ce que vous manquant, si vous m'en donnes advertissement, je ne fera y aucune faute de m'essayer d'y remedier, honteux que je serois de faire des ordonnances aux visites des autres monasteres, ainsy que nostre Saint Pere et Son Altesse le veulent, si a la premiere j'avois esté du tout inutile.

Je me recommande a vos prieres desquelles, a la verité, j'ay bon besoin, et suis,

Messieurs,

Vostre tres humble confrere et serviteur en Jesus Christ,

FRANçs, E. de Geneve.

Annessi, ce quatorziesme novembre mil six centz et trois.
A Messieurs les Prieur et Religieux de Sixt.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CCIII
 
 

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL Ier

Envoi d'une attestation relative à la conversion des bailliages de Chablais, Gaillard et Ternier.

Annecy, 15 novembre 1603
Monseigneur, J'envoye a Vostre Altesse l'attestation qu'elle desiroit de moy sur la conversion des peuples de Chablaix, Gaillart et Ternier. Je ne sçai si je l'auray dressee au gré de Vostre Altesse ; mais je sçai bien que je n'ay pas peu esgaler le merite du sujet par aucune sorte de narration, ni le desir que j'aurois de rendre tres humble obeissance aux commandemens et intentions de Vostre Altesse. Elle me fera cette faveur, je l'en supplie tres humblement, de me donner le bonheur de sa grace, et je prie Nostre Seigneur pour la santé et prosperité de Vostre Altesse, de laquelle je suis, Monseigneur, Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur, FRANçs, Evesque de Geneve.
A Annessi, 15 novembre 1603

 
 
 
 
 
 
 
 

CCIV

A SA SAINTETÉ CLÉMENT VIII

(MINUTE) (en latin)

Exposé des causes qui ont provoqué l'apostasie du Chablais: pression exercée par les Genevois. - Envoi de missionnaires. - Zèle déployé par le duc de Savoie; éloge de ce prince. - Conversion de toute la province.

Annecy, 15 novembre 1603
Très Saint Père, Après Dieu, c'est le Saint-Siège Apostolique, c'est sa vigilance qui assure la stabilité de la république chrétienne. Aussi importe-t-il beaucoup de lui faire un rapport consciencieux et fidèle des évènements qui intéressent l'Eglise en chaque pays ; sinon, quand on soumettra un exposé de faits à la sollicitude souveraine du Pontife, on pourra faire passer pour vrai ce qui est faux ou pour faux ce qui est vrai. Or, le diocèse dont, par la volonté du Siège Apostolique, j'ai la garde, a vu de nos jours ses affaires s'améliorer très heureusement. Cette situation nouvelle, je dois l'exposer au Siège Apostolique; je le ferai avec autant de clarté et de précision que possible, mais en tout cas, avec un souci absolu de la vérité. Pour être complet, il sera nécessaire de reprendre les choses d'un peu plus haut.

Pendant que la Savoie presque tout entière était au pouvoir du roi de France François 1er, les Suisses Bernois, infectés depuis peu du venin de l'hérésie luthérienne et zwinglienne, se jetèrent sur ces quartiers de Savoie qui confinent à leur pays. Cédant à leurs persuasions, les habitants de Genève secouèrent le joug très suave du Christ et, du même coup, l'autorité de leur propre souverain. Ils en vinrent, par le plus malheureux des changements, à tomber jusqu'au fond de cette démocratie dont l'esprit séditieux agite à cette heure le pays, et en fait en quelque sorte une caverne de voleurs et de bannis.(Mt 21,13 ; 1 R 22,1) Or, comme les armes des Français avaient occasionné cette irruption des Bernois et leur domination si funeste à nos Savoisiens, par contre, quand la paix se fit entre Henri, fils de François 1er, et EmmanuelPhilibert, duc de Savoie, ce fut avec la condition de rétablir l'ancien état de choses. C'est ce qui donna l'idée aux Bernois de songer sérieusement à restituer les provinces dont ils s'étaient rendus maîtres. Toutefois on ne put les amener à faire une entière restitution, et même les restitutions auxquelles ils se résignèrent étaient accompagnées d'une condition injuste. D'autre part, on n'était pas en mesure de se faire justice par la force des armes ; voici donc ce qui fut conclu et ce qui fut fait : le duc reprendrait ce qu'on appelle les quatre bailliages de Thonon, Ternier, Gaillard et Gay ou Gex, qui confinent à Genève de quatre côtés et s'étendent tout autour de cette ville, à la condition expresse toutefois qu'il ne s'y ferait aucun exercice de la religion catholique. Certes, la clause était tout à fait inique, mais on s'y résigna dans l'espérance de jours meilleurs ; d'ailleurs les circonstances des temps et des lieux n'en comportaient pas d'autre.

Cependant le duc Emmanuel-Philibert, en bon et sincère Catholique qu'il était, pensait constamment, mais en vain, au moyen d'annuler cet article vexatoire du traité. Ce n'est pas à lui, mais à son fils Charles-Emmanuel, que la divine Providence réservait cette gloire insigne. En effet, il y avait quelques années que les Bernois et les Genevois avaient allié leurs troupes à celles de la France. Brisant alors avec la parole donnée précédemment, ils envahirent de nouveau les quatre bailliages susdits. De leur part, c'était une pure perfidie, mais, le croirait-on ? elle nous fut propice et singulièrement profitable, car le duc s'autorisant de leur foi violée, rendit ces peuples à la foi chrétienne, celle-là inviolable. Comme si l'entreprise ne pouvait être exécutée sans le méritoire concours d'un grand nombre de personnes, elle coûta bien des labeurs, de longues guerres, sanglantes à la fois pour les deux partis, car les succès furent partagés selon la vicissitude des armes.

Enfin la trêve fut résolue, quand déjà le duc occupait les deux bailliages de Thonon et de Ternier. Dès ce moment, encore que les choses fussent à peine assurées, Charles-Emnanuel se sentit délivré de la clause inique imposée par les hérétiques. Aussitôt, dans te temps même où se concluait la trêve, il pria l'Evêque mon prédécesseur, dont ln mémoire est en bénédiction,(Eccli 45,1) d'envoyer à ces populations des prédicateurs catholiques pour les convertir, en affirmant sa volonté formelle de rétablir chez elles la religion catholique. Cette résolution causa au Prélat une joie inexprimable ; il envoya au bailliage de Ternier deux prédicateurs, l'un de la famille Dominicaine, l'autre de la Compagnie de Jésus ; et au bailliage de Thonon, deux autres de son église cathédrale : Louis de Sales, qui en est maintenant le prévôt, et moi, qui en suis aujourd'hui l'évêque, quoique indigne, et qui, pour lors, en étais le prévôt.

Je parle donc de ce que j'ai vu, et pour ainsi dire, de ce que mes mains ont touché (Jn 8,38 ; 1 Jn 1,1) ; le dernier des hommes si je dis le contraire de la vérité, le plus inconsidéré, si je ne la connais pas. A peine entrés dans ces bailliages, un spectacle attristant s'offrit partout à nos yeux. Nous avions devant nous soixante-quatre paroisses ; or, si l'on excepte les officiers catholiques du duc, qui n'en voulut jamais avoir que de tels, on n'eût pas trouvé une centaine de fidèles sur une population de plusieurs milliers d'âmes. Des temples la plupart détruits ou dépouillés ; plus, absolument plus de croix, plus d'autels, mais partout les vestiges de l'ancienne et vraie foi anéantis. Partout des ministres, comme on les appelle, c'est-à-dire des maîtres d'hérésie, pervertissant les familles, insinuant leur doctrine, envahissant les chaires, en vue d'un gain honteux (Tt 1,11). Les Bernois, les Genevois, et autres semblables enfants de perdition (Jn 17,12 ; 2 Tm 2,3) terrorisaient le peuple, par le moyen de leurs émissaires, pour les détourner de nos prédications. " La trêve, " disaient-ils, " n'est qu'une trêve, la paix n'est point conclue ; bientôt nous chasserons par les armes duc et prêtres, et notre parti, défiant toute insulte, restera seul triomphant. "

Sans s'émouvoir, nos missionnaires poussèrent hardiment l'entreprise. Quelques-uns des principaux seigneurs furent par eux retirés du gouffre de l'hérésie, et ramenés au port de la communion catholique. Six paroisses furent érigées en divers lieux : trois dans le bailliage de Thonon et autant dans celui de Ternier (on ne put en établir davantage, faute d'ouvriers évangéliques, faute de fonds suffisants pour leur subsistance, et aussi parce que la paix n'ayant rien de stable, les choses flottaient dans l'incertitude), et l'Ordre des Capucins envoya de nouveaux aides, moissonneurs intrépides dont chacun, par son zèle infatigable, réalisait le travail de plusieurs.

Deux années se passèrent donc de la sorte quand enfin le duc, dans une affaire qu'il avait si vivement prise à cœur, ne s'accommoda plus des retardements. Aussi se décida-t-il à venir lui-même à Thonon pour réunir les principaux de la ville et traiter en personne avec eux. Le voyage eut lieu en 1598 ; il fut couronné d un tel succès que l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal de Florence, Légat a latere du Saint-Siège Apostolique, arrivant quelques jours après, y fut témoin de la conversion de plusieurs milliers de personnes. Une partie abjura entre ses mains ; il adressa les autres à l'Evêque mon prédécesseur ou à moi. Avec une telle multitude de pénitents, il fallait en effet qu'à toute heure un prêtre fût prêt pour accueillir ces brebis qui revenaient au bercail du Christ.

Sans doute, " il est digne et juste " de rapporter au suprême, à l'immuable Moteur de toutes choses le mouvement si remarquable et si profond qui s'est fait dans les âmes ; mais, avouons-le sincèrement, Dieu a daigné se servir surtout du duc de Savoie et de son zèle, comme du principal instrument. Pendant les quelques mois que le prince s'occupa d'amener la conversion du pays; durant son séjour à Thonon, son cœur, par une grâce singulière, semblait être dans les mains de Dieu, (Pr 21,1) tant il en suivait docilement les impressions. Tantôt il faisait publiquement des exhortations au peuple ; tantôt il entamait des conférences privées avec ceux qui passaient pour les plus fortes (Ga 2,9) colonnes de l'hérésie. L'exemple des bonnes œuvres, ses grandes qualités d'âme, ses meilleures ressources, il mettait tout en jeu dans ce corps à corps avec le peuple qu'il voulait ramener tout entier à l'Eglise Catholique. Il apparaissait vraiment comme le prince établi par Dieu sur son peuple, pour annoncer ses préceptes, (Ps 2,6) et il ne se donna du repos que le jour où les affaires changèrent de face. Alors l'hiver ayant fui, le printemps souriait ; partout on voyait se dresser " l'arbre précieux et resplendissant " de la Croix vivifiante ; de toutes parts l'Eglise faisait entendre ses chants comme la voix de la tourterelle, et renouvelées, fleurissant de nouveau, les vignes exhalaient leur parfum (Ct 2,11). Je puis le dire avec assurance, nulle part, en ces temps-ci, le retour d'un aussi grand nombre d'hérétiques à la vraie foi ne fut marqué d'un tel caractère de douceur et de sincérité.

Toutefois, pendant que la majeure partie de ces populations était rentrée dans l'Eglise, au milieu d'elles restèrent quelques hérétiques de l'un et de l'autre sexe, qui, plus obstinés que les autres, s'entêtaient dans leurs erreurs. Le duc redouta le danger de perversion pour le reste des habitants. Afin de le prévenir (n'ayant pas la possibilité de recourir à un autre moyen), il enjoignit aux obstinés; par un édit public, de quitter le pays. Terrifiés par cet ordre sévère, quelques-uns se convertirent ; car les piquants des épines (Ps 31,4) et de l'affliction donnent l'intelligence à l'ouïe (Is 28,19).On le voit, il n'est pas de pierre que ce très zélé prince n'ait voulu, pour ainsi dire, remuer de ses propres mains : caresses, menaces, il n'a rien épargné de ce qui était en son pouvoir pour ramener ces peuples ; et, ce qui est encore plus digne d'éloges, il agissait ainsi à l'encontre des avis et des sentiments d'un grand nombre de ses conseillers. J'ai gardé le souvenir très précis d'une réunion à laquelle le prince m'avait spécialement convoqué. Plusieurs conseillers soutinrent obstinément que le moment n'était pas venu de rien entreprendre, que les évènements s'y opposaient. Certes, ils ne manquaient pas d'apporter de spécieuses raisons, de celles qu'on appelle raisons d'Etat ; mais toutes ces raisons cédèrent, et, devant la haute piété du prince, elles firent place à une seule raison : la raison de religion. La scène eut lieu sous les yeux des députés Bernois indignés ; car ils étaient venus précisément avec la mission officielle de parer ce coup. Pourtant le bailliage de Gaillard restait toujours aux mains des Genevois, d'après les articles de la trêve ; il était donc fermé à la foi catholique, Mais dès que la paix, peu de temps après, l'eut remis au pouvoir du duc, celui-ci y envoya à ses frais des missionnaires de la Compagnie de Jésus et du clergé séculier. A eux tous, en peu de temps, avec de grands labeurs et avec la très grande grâce de Dieu, ils achevèrent presque la sainte entreprise.

Pour résumer l'historique de cette grande œuvre en quelques mots, il y a douze ans, dans soixante-quatre paroisses voisines de Genève et, pour ainsi dire, sous ses murs, l'hérésie occupait des chaires publiques ; elle avait tout envahi; à la religion catholique il ne restait plus un pouce de terrain. Aujourd'hui, dans les mêmes quartiers, l'Eglise Catholique étend de part et d'autre ses branches, avec des poussées si vigoureuses que l'hérésie n'y a plus de place. Jadis on avait peine à compter cent Catholiques entre toutes les paroisses réunies ; aujourd'hui on n'y verrait pas cent hérétiques. Partout l'on célèbre et l'on fréquente les mystères de la foi catholique; chaque paroisse est pourvue de son curé ; enfin ces trois bailliages, que les clauses du traité ont remis au duc, sont tout à fait restitués à l'Eglise, et, ce qui importe le plus, c'est qu'après avoir recouvré la foi et la religion, leurs habitants ont persévéré sans que ni les persécutions des dernières guerres, ni les menaces des hérétiques aient jamais pu les ébranler. Voilà bien, certes, le seul et unique avantage que les guerres passées ont valu à ce diocèse.

Et maintenant, Très Saint Père, cette restauration catholique, importante à coup sûr et digne de considération,(1 Tm 1,15) ce prince qui en a été l'heureux instrument, ce diocèse tout entier qui mérite la sympathie à tant de titres, attendent du Siège Apostolique, des marques sérieuses de sollicitude, des témoignages de tendresse et votre bienveillante protection. C'est avec de très humbles et très vives instances que je les sollicite de la clémence de Votre Sainteté, et, dans l'espoir de les obtenir, je prie le Christ de vous être toujours propice.

Pour ne laisser planer aucun doute sur la vérité et la sincérité parfaites de ma relation, je l'ai signée moi-même au bas, et j'y ai fait apposer le sceau de l'évêché de Genève. En outre, plusieurs chanoines de mon Eglise cathédrale, et d'autres personnes d'une probité et d'une doctrine éprouvées ont vu et en quelque sorte touché les choses dont je vous fais le récit, (1 Jn 1,1) car ils ont collaboré dans le Seigneur à l'instruction de ces peuples et ils ont été pour " une grande part " (Virgil.Aen.2,6)dans tout ce qui s'est fait. C'est pourquoi j'ai cru que leurs signatures ne seraient pas sans utilité, car les faits attestés par un grand nombre de témoins obtiennent du même coup une grande et solide créance .

Annecy, le 15 novembre 1603
Au Très Saint Père et Seigneur dans le Christ,

Clément VIII, Souverain Pontife.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.






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CCIV bis (lettre MMXVI du volume XXI reclassée) (1)

A DOM NICOLAS MAISTRE VICAIRE DE LA CHARTREUSE DE MÉLAN (2)

( INEDITE)

Intercession en faveur d'une postulante Chartreuse.

Sales, 18 novembre 1603.
Mon Reverend Pere, Monsieur Saultier, praesent porteur, a une seur nourrie des son jeun'aage en vostre monastere, laquelle, a ce qu'il m'a dit, desire extremement l'honneur d'y estre receüe Religieuse (3), Et parce quil a besoin de vostre faveur pour obtenir ce bien pour sa seur et quil a desiré ma recommandation au pres de vous, estimant qu'elle vous sera aggreable et utile a son dessein, je me suis treuvé redevable, et pour la qualité de la chose qui est bonn' en soy, et pour plusieurs autres devoirs, de vous en supplier comme je fay par ces quatre lignes, m'offrant entierement a vostre service et vous demandant l'assistance de vos saintes oraisons. Vostre serviteur bien humble en Jesuschrist, FRANçs, Evesque de Geneve.
De Sales, XVIII novembre 1603.
Au Reverend Pere en Dieu, Le P. Dom Vicaire du Monastere de Melan.
Revu sur l'Autographe appartenant à Mmes Camille et Augusta Weller-Marcelin, à Châtillon-sous-Bagneux (Seine).

(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

(2) L6, note 486)

(3) Gasparde, fille d'Antoine Sautier de la Balme et de Jeanne de Lucinge, entra fort jeune à la Chartreuse de Melan (L3, note 60) dont elle devint prieure en 1660, charge qu'elle exerça jusqu'à sa mort (1673). Mais en novembre 1603 elle avait tout au plus sept ans ; il est assez invraisemblable que le Saint ait demande l'admission au monastère pour une enfant de cet âge. Une autre raison péremptoire pour l'exclure de nos conjectures, c'est la date du mariage de ses parents (13 août 1595) qui ne nous permet pas d'identifier le " monsieur Saultier, " porteur de la présente lettre, avec l'un des deux frères de la future Chartreusine. Nombreux sont les Sautier qui figurent dans les Registres paroissiaux de La Roche entre 1580 et 1595 : est-ce parmi eux qu'il faudrait chercher le messager de saint François de Sales ? Il est impossible de le dire, comme il est également impossible de designer, entre les trois moniales de la famille Sautier, mortes à Mélan avant la Mère Gasparde, celle qui plus probablement pourrait être l'aspirante de 1603. Nous devons donc nous borner à donner leurs noms avec la date de leur décès, d'après les Chartes des Chapitres généraux de l'Ordre (Archives de la Chartreuse de Farneta, Lucques): sœur Jacqueline, 1618 ; sœur Charlotte , 1636; sœur Madeleine, 1659.
 
 


CCV

A MONSEIGNEUR PAUL TOLOSA, ÉVÊQUE DE BOVINO NONCE APOSTOLIQUE A TURIN
 
 

(MINUTE INÉDITE) (en italien)

Tous les monastères de Savoie, ceux des Chartreux exceptés, ont besoin de réforme; autorité requise à celui qui entreprendrait cette œuvre. - Utilité de l'intervention du Sénat. - Différentes mesures proposées. - Monastères à supprimer. - Situation anormale de ceux de Sixt et de Peillonnex.

Annecy, [fin 1603]
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Je réponds à la lettre que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime m'a écrite il y a quelque temps relativement à la réforme des monastères de ce diocèse. Voici ma pensée en toute sincérité et liberté, puisque l'obéissance que je dois à Votre Seigneurie m'oblige de la proposer . Il est certain que le relâchement de tous les monastères de Savoie, excepté toutefois ceux des Chartreux , est tellement invétéré qu'un remède ordinaire ne suffirait pas à les assainir. Pour réussir, il faudrait un réformateur de grande autorité et prudence, muni de très amples pouvoirs dont il userait selon les occasions ; je dis non seulement très amples, mais absolus et sans appel, car les moines sont très expérimentés et habiles dans la chicane. Et pour leur enlever tout moyen de se soustraire à la réforme, il faudrait que Son Altesse Sérénissime fit intervenir dans cette affaire son Sénat de Savoie, car sans cette intervention on n'obtiendra rien. Ceci pourrait se faire sans préjudice des juridictions ecclésiastiques, puisque le bras séculier n'interviendrait que pour faire exécuter au besoin les mesures jugées nécessaires.

Il serait expédient, me semble-t-il, qu'en certains monastères on introduisît des Religieux d'une Congrégation différente, tels que des Feuillants ou des Chartreux, et qu'en d'autres on remplaçât les moines par des prêtres séculiers ou des chanoines. Voici la raison qui me porte à désirer cette mesure : une partie des monastères étant soumis à des supérieurs non réformés, la réforme, quand bien même leurs inférieurs l'accepteraient, ne pourrait être durable. Par exemple, nous avons près d'ici le prieuré de Talloires, maison de fondation très illustre , et, près de Genève, le prieuré de Contamine et l'abbaye d'Entremont ; le premier dépend de l'Abbé de Savigny en France, le second de l'Abbé de Cluny, la troisième de l'Abbé de Saint-Ruph de Valence. Or, comment tous ces supérieurs et leurs monastères pourront-ils maintenir la discipline et la réforme chez leurs inférieurs, puisqu'ils ne l'observent pas eux-mêmes et qu'ils ignorent même ce qu'est la réforme ?

C'est pourquoi, à mon avis, l'une de ces deux mesures serait nécessaire pour en éloigner le scandale : ou bien y placer d'autres moines réformés, ou en faire des collégiales séculières ; ou encore, comme troisième expédient, les soumettre à une Congrégation réformée de l'Ordre auquel ils appartiennent ; enfin, un quatrième moyen serait de les soumettre à l'Ordinaire, ainsi que l'étaient jadis plusieurs excellents monastères avant que les exemptions fussent en usage. Quant aux autres, tels que les monastères de Sixt , de Peillonnex , du Sépulcre en cette ville , et semblables, il est nécessaire de les séculariser, vu que les moines sont Chanoines réguliers de Saint Augustin, mais d'une certaine Congrégation qui n'a ni général, ni provincial, ni Chapitre, ni visite, ni forme expresse de vœu, ni Règle, ni Constitutions. Il est vrai que ceux de Sixt et de Peillonnex sont visités par l'Evêque ; c'est ainsi que je les ai visités moi-même, mais je n'ai pu les astreindre à l'observance de la Règle puisqu'ils n'en ont pas ; seulement je leur ai fait observer les Constitutions ordinaires, comme s'ils eussent été chanoines séculiers, en attendant que leur situation puisse être régularisée.

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation
 
 

CCVI

A MADAME DE BOISY, SA MÈRE

Allusion aux tribulations endurées durant la mission du Chablais. Témoignages d'affection.

[1603 ]
Je vous escris cecy, ma tres chere et bonne Mere, en montant a cheval pour Chamberi. Ce billet n'est point cacheté, et je n'en ay aucune inquietude ; car, par la grace de nostre Dieu, nous ne sommes plus en ce fascheux tems ou il nous failloit cacher necessairement pour nous escrire en termes d'amitié, et pour nous dire quelque parole de consolation. 0 vive Dieu, ma bonne Mere ! Il est vray que le souvenir de ce tems la produit tous-jours quelque sainte douceur a ma pensee.

Tenés vous joyeuse en Nostre Seigneur, ma bonne Mere, et sçachés s'il vous plaist que vostre pauvre filz se porte bien, par la divine misericorde, et se prepare de vous aller voir le plus tost et le plus longuement qu'il luy sera possible, car je suis tout a vous. Je le doy, et vous le sçaves que je suis

Vostre filz, FRANÇOIS, Evesque
 
 


CCVII

A UN PRÉLAT

(FRAGMENT INEDIT) (en italien)

Difficultés que suscite une mesure récemment imposée.

[Annecy, 1603-1604 ]
Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Je suis chaque jour tellement fatigué des difficultés et contre-temps que provoque la mesure imposée depuis peu, de ne pas laisser passer les simples signatures sans expédier les Bulles pour les petits bénéfices, que je me vois contraint de recourir de nouveau à la charité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant de daigner………………………………………

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 

CCVIII

A MONSEIGNEUR GlSBERT MASIUS, ÉVÊQUE DE BOIS-LE-DUC

(MINUTE) (en latin)

Union créée entre les deux Prélats par les persécutions qu'ils endurent de la part des hérétiques. - Recommandation eu faveur de Rodolphe van Dunghen; éloge de ce personnage.

1603-1604.
A l'Illustrissime et Révérendissime Père et Seigneur en Jésus-Christ,

Monseigneur Gisbert, Evêque de Bois-le-Duc,

François, indigne Evêque et Prince de Genève,

présente mille salutations dans le Christ.

C'était l'usage parmi les anciens prélats de l'Eglise de s'écrire des lettres : tout le monde le sait, et vous, Révérendissime Père, vous l'ignorez moins que personne. Ces relations épistolaires s'inspiraient d'un seul motif : la charité mutuelle, ce lien sacré de la perfection,(Col 3,14)qu'aucune distance ne saurait détruire.

Ce sentiment, le mobile à peu près unique de nos Pères, a suffi pour me décider à vous écrire, surtout quand une dignité ecclésiastique toute semblable, et un sujet d'affliction tout pareil, quoique en sens inverse, établissent entre nous un singulier rapprochement. Les hérétiques, à ce qu'on dit, Révérendissime Seigneur, vous tiennent bloqué dans votre ville assiégée, et vous n'avez que votre seule cité épiscopale en votre possession. Quant à moi, c'est tout le contraire ; en me chassant, les hérétiques m'ont presque tout laissé, à l'exception de ma ville épiscopale. Pour être différents, l'exil et la prison sont deux maux qui s'équivalent. Aussi, en strict droit chrétien, si j'ai le devoir de vous rendre visite, vous avez celui de me faire un accueil hospitalier. Je pense donc que si je vous salue par lettres (et le puis-je faire autrement ?), vous me recevrez d'un air souriant et vous m'embrasserez selon les effusions de votre charité.

J'ai d'ailleurs une autre raison de vous écrire: je veux vous recommander M. Rodolphe, fils de Jean van Dunghen , votre diocésain. C'est lui qui le premier m'a donné l'idée de rendre mes devoirs à Votre Révérendissime Paternité. Il se plaît souvent à dire que vous méritez de grandes louanges, principalement pour ceci : ses concitoyens, si attachés qu'ils soient à leurs princes, doivent surtout à votre vigilance de n'avoir pas vu leur ville tomber au pouvoir des ennemis, malgré les stratagèmes inouïs tant de fois employés pour la séduire. En vérité, votre parole et votre éloquence ont un singulier effet : jadis, au bruit strident des trompettes, les murs de Jéricho tombèrent ; mais au son de votre voix, pareille à un clairon évangélique, Bois-le-Duc a vu ses murailles et ses défenses se tenir debout et demeurer jusqu'ici hors de toute atteinte.

Cet homme, qui rend un tel hommage à vos mérites, me fit savoir, étant sur son départ, que s'il pouvait vous présenter une attestation de la vie honorable qu'il a menée parmi nous, cela lui serait, en toutes circonstances, d'une précieuse utilité. Je lui ai témoigné trop d'amitié pendant qu'il était ici pour lui refuser, maintenant qu'il nous quitte, cette marque d'affection. Aussi je vous le recommande volontiers et avec toutes. les instances possibles. Pendant près de trois années il a vécu sous le toit et dans l'intimité de l'illustre et si fameux Antoine Favre, président du duché de Genevois : il a été son commensal, il a joui de ses entretiens et de ses leçons. Il n'est pas besoin de dire avec quel zèle il s'est appliqué, pendant tout ce temps, au droit et aux belles-lettres ; mais ce qui importe davantage à mes yeux, il a embrassé avec une exactitude scrupuleuse et qui ne s'est jamais démentie, les devoirs de la piété et de la religion. Il me semble donc le voir retourner maintenant vers vous pourvu d'une rare provision de vertus et de piété, semblable au navire d'un marchand (Pr 31,14) qui revient avec une riche cargaison. Tout ceci, Révérendissime Père, vous fera sans doute un très grand plaisir, et je suis sûr aussi que vous accorderez volontiers vos sympathies à un homme si digne d'être aimé. Si mon suffrage peut être de quelque valeur après tout ce que je viens de dire, je le lui donne de grand cœur. Et quant à moi, Révérendissime Père, je me déclare entièrement dévoué à votre personne, à tous vos intérêts, ainsi qu'à votre bon plaisir.

Jouissez d'une santé parfaite, et que le Christ vous soit propice ; puissé-je, à la faveur de vos charitables prières, obtenir sa miséricorde !
 
 


CCIX

A M. ANTOINE DUNANT, CURÉ D'ABONDANCE

Ordre de transférer à d'autres jours des aumônes générales.

1603-1604 .
Monsieur, J'entens que l'on fait certaines aumosnes generales en Abondance et La Chapelle le jour mesme de Pentecoste, au moyen dequoy plusieurs circonvoysins abandonnent les offices de leurs parroisses, et ceux du lieu sont fort distraitz de leurs devoirs et devotions au prejudice de lhonneur qui est deu a un jour de si grande solemnité. C'est pourquoy je vous prie de faire transferer ladite aumosne en un autre jour moins celebre, affin que l'un des biens n'empesche point l'autre. Mais il faut que cela se face sans replique, et partant je desire que vous vous y employes vivement.

Et me recommandant a vos prieres, je demeure…………..

A Monsieur le Curé d'Abondance.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 

ANNEE 1604
 
 

CCX

A M. ANTOINE DES HAYES

Félicitations pour le pardon accordé à uu contradicteur. - Remerciements. - Désir de terminer sans procès un différend avec l'Ar,chevêque de Bourges. - le Saint n'abandonn,e jamais l'étude de la théologie. - Affaire d'intérêt. - Estime pour les Pères Jésuites : joie de les savoir rentrés en France.



 
 
 

Annecy, 16 janvier 1604.
Monsieur, J'ay despuis peu receu deux de vos lettres. La premiere m'advertit de l'ennuy que vous a fait un secretaire au traitté des offices de Montargis. Je participeray tous-jours a tous les evenemens aggreables et desaggreables qui vous toucheront ; mais je me res-jouis de cettuy-ci qui vous a donné sujet de prattiquer la charité chrestienne au pardon que vous aves fait a celuy qui, sans sujet, avoit prattiqué la desloyauté mondaine en vostre endroit. C'est en cette action en laquelle gist le plus grand effort de la force et constance d'un genereux esprit, et qui attire le plus la faveur du Ciel. Vivés tous-jours comme cela, Monsieur, et parmi l'orage de la mer ou vous estes, regardés perpetuellement vostre port. Il m'a fallu dire ce mot pour vous tesmoigner l'ayse que je reçois de vostre vray bien parmi les phantosmes de vostre mal apparent ; mais le bon est qu'a pres tout cela la victoire vous demeure, comme indubitablement elle fera tous-jours, et cela me donne encor du contentement selon le monde et selon Dieu.

Vostre seconde lettre me donne advis de quelques bons offices qu'avés pris la peyne de faire pour les affaires de Gex en mon nom, lesquelz ont esté faitz si a propos que non plus, sur les difficultés que Monsieur Fremyot, Archevesque de Bourges, me fait au relaschement des biens ecc1esiastiques qu'il avoit obtenuz du Roy par surprise, au prejudice de la concession que Sa Majesté en avoit faitte precedemment a l'Eglise et aux curés . Car si je ne puis par autre voye chevir de ce saint dessein, sur le souvenir que Sa Majesté a de cette affaire et de sa promesse par vostre moyen, je recourray a elle pour faire faire un commandement absolu audit Archevesque, plustost que de plaider a Dijon, comme j'ay fait ci devant, considerant bien que les proces entre gens de la qualité de laquelle luy et moy sommes ne peuvent estre que scandaleux. Je ne puis encor rien dire pertinemment de la volonté dudit seigneur Archevesque que je ne me sois abouché avec luy, comme j'espere faire restant a Dijon ce Caresme, ou j'ay accordé d'aller plus pour cette seule affaire que pour nulle autre ; estimant que j'y seray d'ailleurs asses inutile, principalement maintenant que la presence des Peres Jesuites ne laisse cette ville la en aucune necessité d'assistence spirituelle. Neanmoins, la parole ayant esté donnee avant leur retour, et les necessités de mon diocese le requerant, je m'essayeray de cooperer avec eux a l'œuvre de Nostre Seigneur (1 Co 16,10), estudiant tous-jours en theologie, comme il a pleu au Roy de me faire resouvenir, comme n'ayant nul autre desir que celuy la, ni aucune autre occupation qui me soit aggreable. J'espere que Sa Majesté n'aura jamais sujet de penser autrement de moy ni de mes deportemens.

M. de la Porte est en ces quartiers, qui prendra quelque argent de nous, ainsy qu'il m'escrit, et que Madame de Mercœur m'a commandé de luy donner en deduction de nostre dette envers elle. Je ne laisseray pas de presser le plus que je pourray pour en envoyer de dela, mays il faut que je vous confesse la verité : c'est icy un pauvre païs et auquel il est malaysé de treuver des sommes apres tant de remuemens et troubles.

J'ay appris que M. de Berulle m'a fait l'honneur de m'envoyer le livre que je desirois ; mais je ne doute point qu'il l'aura confié a mon frere (Bernard de Sales ?), qui n'en aura pas eu le soin proportionné au prix que je fay de tout ce qui part dudit seigneur de Berulle, de la bienveuillance duquel je suis autant jaloux que nul autre. J'escris sur ce sujet a mon frere, affin que, s'il ne l'a perdu, je le puisse avoir par la premiere commodité.

Je me suis extremement res-joui du bon succes des affaires des Peres Jesuites en France , a laquelle, comme vous sçaves, je desire et souhaitte toute bonne et sainte prosperité, qui ne luy peut jamais arriver que par la renaissance de son ancienne vertu et pieté, a laquelle cette excellente Compaignie peut infiniment contribuer, estant favorisee du zele de Sa Majesté comme elle va estre, a ce qu'on me dit.

Je ne sçay comme je doy vous remercier de tant de faveurs que vous me faites ; l'amas des obligations en est si grand que j'en ay l'esprit et le cœur tout saysis. Je prie continuellement Nostre Seigneur pour vostre santé et contentement, et suis inviolablement,

Monsieur,

Vostre tres humble et fidelle serviteur, FRANçs, E. de Geneve.
16 janvier 1604.

 

L'argent de bon qui doit estre a Gex, les pensions des ministres payees, est entre les mains des ministres mesmes qui opiniastrent autant pour ne le rendre pas que pour aucun article de leur foy ; mais je verray si a Dijon je pourray y mettre du remede.

A Monsieur des Hayes,

Gentilhomme de la Mayson du Roy, Escuyer de Monsieur le Duc de Genevois et de Nemours.
 
 


CCXI
 
 

A UN INCONNU

(MINUTB INÉDITB)

Réponse aux reproches adressés au Saint, relativement au séjour qu'i! projetait de faire hors de la Savoie.

Annecy, février 1604
Monsieur, Je vous remercie tres humblement du soin qu'il vous plait tesmoigner a mon bien par l'advis que le bon Pere Recteur m'a donné de vostre part. Et ne vy jamais mon esprit party au choix de deux inconveniens, comme je l'ay eu en ceste occasion; mais ayant tout consideré, j'ay fait election de celluy qui pouvoit recepvoir plus de remede et qui ne tumboit pas si droittement sur le service des ames, aymant mieux m'exposer a la mercy de l'opinion des bons qu'a la cruauté de la calomnie des mauvais. Pleut a Dieu que l'advis me fust arrivé en un tems auquel j'eusse peu regaigner ma liberté sans la perte de tant d'affaires ecclesiastiques ; j'eusse bien tost treuvé la resoulution. J'accuse fort vollontier la pauvreté de mon esprit, qui, regardant touttes choses en leur face naturelle, n'a sceu penetrer jusques a ce sucees.

Si Dieu m'accompagne, Monsieur, je reviendray bien tost appres Pasques, avec un dessein inviollable de ne jamais sortir du diocese, je ne dis plus sans le congé, mais bien sans le commandement de Son Altesse, et espere que les jours suyvans jugeront les precedens de ma vie et que le dernier les jugera tous (1 Co 3,13). Le Pere Recteur me fera ce bien de vous dire plus de particularités sur ce suject, et je prieray Dieu pour vostre prosperité, demeurant sans fin,

Monsieur,

Vostre tres humble serviteur.
 
 






CCXII
 
 

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL Ier

(MINUTE)

Annonce de son prochain départ pour Dijon. - Protestation de fidélité.

Annecy, février 1604.
Monseigneur, Il y a quelque tems que monsieur de Villette m'asseura de la part de Vostre Altesse qu'elle auroit aggreable que j'allasse a Dijon ce Caresme et que j'y preschasse, pour y avoir plus de faveur aux affaires ecc1esiastiques de Gex que je dois traitter avec la court de Parlement de ce pays la. Sur ceste asseurance je m'y en vay, Monseigneur, toujours esgal a moy mesme au desir extreme que j'ay de rendre tres humble service et obeissance a Vostre Altesse, avec touttes les preuves d'un'inviollable fidellité. Je n'y seray que le moins que je pourray, comme y estant hors de l'air de ma tranquilité.

Que pleut a Dieu, Monseigneur, que les nouvelles qui courent il y a quelques moys de deça de la restitution de Gex a Vostre Altesse ne soyent autant certaines qu'elles sont desirables ; j'en auroy ce particulier contentement de voir la sainte religion asseuree en tout mon diocese, sans employer ny tant de peine ni tant de soing comme je suis obligé de faire maintenant.

Je fay en toutte humilité la reverence a Vostre Altesse et prie Dieu pour sa prosperité, desirant l'honneur d'estre toutte ma vie advoüé,

Monseigneur, Son tres humble et tres obeissant serviteur et orateur.
 
 
 
CCXIII

A SA SAINTETÉ CLÉMENT VIII

(MINUTE) (en italien)

Difficultés que présente l'administration de la partie française du diocèse de Genève.- Le Saint contraint de se rendre à Dijon y prêchera le Carême.

Annecy, fin février 1604
Très Saint Père, Parmi les nombreuses difficultés que présente l'administration de ce diocèse, l'une des plus considérables vient de ce qu'il est soumis à deux juridictions temporelles différentes ; bien qu'il soit en grande partie sous la domination du Sérénissime duc de Savoie, néanmoins une partie très considérable est soumise à la couronne de France. Cette diversité de souverains m'oblige nécessairement à traiter et à demeurer en bonne intelligence avec tous deux, ainsi qu'avec leurs représentants et leurs Parlements ou Sénats ; ce qui ne me cause pas peu d'embarras, surtout à l'égard de la France, où l'on sait que je suis savoyard et feudataire de la Savoie. Or, parce que la partie de ce diocèse qui appartient à la France relève du Parlement de Dijon, je dois traiter avec lui pour cinq chefs différents.

La première question est relative au bailliage de Gex ; quoique les biens ecclésiastiques soient peu considérables dans ce bailliage (l'exercice du culte catholique n'ayant été rétabli que dans trois lieux seulement), il faut néanmoins plaider contre un conseiller dudit Parlement. La seconde concerne la manière de visiter cette partie du diocèse, car il est défendu d'exiger aucun argent du peuple, soit pour la bâtisse des églises, soit pour autre chose. La troisième difficulté vient de ce que ces populations, récemment détachées de la Savoie, demandent un vicaire forain. La quatrième est celle-ci : grâce à la diligente intervention de Mgr l'Illustrissime Nonce de France, il n'est plus question d'établir le culte hérétique à Seyssel ; toutefois, à moins que je ne donne un mémoire particulier des circonstances qui doivent en empêcher l'établissement, ce projet ne sera point abandonné, mais seulement ajourné. Et en cinquième lieu, bon nombre de Catholiques de Gex qui, moyennant l'édit appelé de liberté, pourraient obtenir l'exercice de la religion dans leurs paroisses, n'ont personne pour présenter leurs requêtes ni pour en solliciter l'entérinement.

C'est pourquoi, Très Saint Père, après m'être muni de l'autorisation de Son Altesse de Savoie, je suis contraint d'aller à Dijon, ville située hors de mon diocèse, mais dont relève cette partie du diocèse appartenant à la France. Là je travaillerai, selon que Dieu m'en donnera le moyen, à l'arrangement des affaires indiquées ci-dessus, et je rendrai compte de tout aux deux Nonces de Votre Sainteté en France et en Savoie Jamais je ne pourrai croire que Votre Béatitude doive désapprouver cette courte absence que je suis contraint de faire pour les besoins du diocèse. Je le laisse fort bien pourvu de secours spirituels, et j'espère le revoir dans deux mois. Surtout les notables de Dijon, sachant que je devais me rendre dans leur ville, m'ont prié d'y prêcher le Carême. J'y ai volontiers consenti, pensant que cet apostolat contribuerait à terminer plus promptement et plus heureusement les affaires que j'ai avec eux. Néanmoins je n'ai pas voulu manquer de rendre compte à Votre Sainteté de cette détermination, comme je désire faire de toutes mes actions, qui doivent en tout et partout être réglées par le bon plaisir apostolique.

Je sollicite donc la sainte bénédiction de Votre Béatitude et je baise très humblement ses pieds sacrés.

F. E. de G.

 
 
 

CCXIV

A M. JACQUES DE VALLON

Condoléances sur la mort de son père.

Annecy, fin février 1604.
Monsieur mon Cosin, Je puis dire que ce fut sans ma faute que nous laissasmes retourner vostre laquais sans response a la lettre que vous aves pris la peyne de m'escrire. M. Deage fut celuy qui me trompa, ayant luy mesme le premier esté trompé par sa surdité ; car il me dit que vostre laquais estoit sorti de la ville le soir pour faire son partement plus matin, qui me garda d'escrire comme je devois.

Je suis trop long a faire cette excuse, mays pardonnés moy. Ce que je crains [est] le deschet de l'opinion que vous m'asseures vous aves de mon affection, laquelle, si elle pouvoit croistre, s'augmenteroit tous les jours comme vous en faites naistre en tout tems de nouveaux sujetz, comme est la patience qu'il vous a pleu avoir a ma priere a l'endroit de M. de Bellecombe ; de laquelle ne voulant plus abuser, Monsieur, on ne vous priera point de la continuer plus avant, [craignant] de la voir employer avec vostre incommodité et sans leur prouffit, puisqu'ilz ne s'en sont servis a faire l'appointement que vous desires.

J'ay sceu le trespas de monsieur vostre pere, mon Oncle , bien tost apres qu'il fut advenu, et en ressentis les afflictions que je devois a l'amitié de laquelle il avoit tous-jours honnoré nostre mayson et a la perte que vous aves faitte, laquelle je sçeus bien [apprehender] par la memoire de celle que peu d'annees auparavant j'avois fait moy mesme sur un pareil sujet. Je n'attendis pas, croyés le bien je vous supplie, de recommander son ame a Nostre Seigneur que vous m'en eussies adverti, mais luy rendis ce devoir sur le champ a la premiere nouvelle ; et n'eusse pas retardé non plus a vous escrire pour vous faire la ceremonieuse offrande du service de nostre mayson et du mien en particulier, si je n'eusse sceu que vous nous croyes tout vostres pour une bonne fois, sans qu'il soit necessaire d'en renouveller si souvent les reconnoissances. Et quant aux consolations, je sçai qui vous estes, et ma cousine aussi, et laisse au bon Jesus, lequel vous aves en vostre esprit, a vous faire cet office. J'en dis de mesme de M. du Villars mon cousin ……………………………………………………………
 
 

CCXV

A LA BARONNE DE CHANTAL

26 avril 1604 .
Dieu, ce me semble, m'a donné a vous ; je m'en asseure toutes les heures plus fort. C'est tout ce que je vous puis dire ; recommandés moy a vostre bon Ange .

CCXVI

A LA MÊME

Le désir de la sainteté et l'amour de la viduité sont pour une veuve les deux supports de l'édifice spirituel: comment les affermir. - Amour de Dieu et de la sainte Eglise. - Devoir de prier pour les pasteurs et prédicateurs. Envoi d'un écrit de dévotion.

Annecy, 3 mai 1604.
Madame, C'est tous-jours pour vous asseurer davantage que j'observeray soigneusement la promesse que je vous ay faitte de vous escrire le plus souvent que je pourray. Plus je me suis esloigné de vous selon l'exterieur, plus me sens-je joint et lié selon l'interieur. Je ne cesseray jamais de prier nostre bon Dieu qu'il luy plaise de parfaire en vous son saint ouvrage (Ph 1,6), c'est a dire le bon desir et dessein de parvenir a la perfection de la vie chrestienne; desir lequel vous deves cherir et nourrir tendrement en vostre cœur, comme une besoigne du Saint Esprit et une estincelle de son feu divin.

J'ay veu un arbre planté par le bienheureux saint Dominique a Romme : chacun le va voir et cherit pour l'amour du plantateur ; c'est pourquoy, ayant veu en vous l'arbre du desir de sainteté que Nostre Seigneur a planté en vostre ame, je le cheris tendrement, et prens playsir a le considerer plus maintenant qu'en presence, et je vous exhorte d'en faire de mesme et de dire avec moy : Dieu vous croisse, 0 bel arbre planté; divine semence celeste, Dieu vous veuille faire produire vostre fruit a maturité (Ps 1,3), et lhors que vous l'aures produit, Dieu vous veuille garder du vent qui fait tomber les fruitz en terre, ou les bestes vilaines les vont manger. Madame, ce desir doit estre en vous comme les orangers de la coste marine de Gennes, qui sont presque toute l'annee chargés de fruitz, de fleurs et de feuilles tout ensemble ; car vostre desir doit tousjours fructifier par les occasions qui se presentent d'en effectuer quelque partie tous les jours, et neanmoins il doit ne jamais cesser de souhaitter des nouveaux objetz et sujetz de passer plus avant, et ces souhaitz sont les fleurs de l'arbre de vostre dessein ; les feuilles seront les frequentes reconnoissances de vostre imbecillité, qui conservent et les bonnes œuvres et les bons desirs : c'est la l'une des colomnes de vostre tabernacle.

L'autre est l'amour de vostre viduité, amour saint et desirable pour autant de raysons qu'il y a d'estoilles au ciel, et sans lequel la viduité est mesprisable et fause. Saint Paul (1 Tm 5,3) nous commande d'honnorer les vefves qui sont vrayement vefves ; mays celles qui n'ayment pas leur viduité ne sont vefves qu'en apparence, leur cœur est marié. Ce ne sont pas celles desquelles il est dit (Ps 131,15) : Benissant je beniray la vefve ; et ailleurs (Ps 67,6 ; 145,9), que Dieu est le juge, protecteur et defenseur des vefves. Loüé soit Dieu, qui vous a donné ce cher et saint amour ; faites le croistre tous les jours de plus en plus, et la consolation vous en accroistra tout de mesme, puisque tout l'edifice de vostre bonheur est appuyé sur ces deux colomnes. Regardés au moins une fois le moys si l'une ou l'autre est point esbranlee, par quelque devote meditation et consideration pareille a celle de laquelle je vous envoye une copie, et que j'ay communiquee avec quelque fruit a des autres ames que j'ay en charge. Ne vous lies pas toutefois a cette mesme meditation, car je ne la vous envoye pas a cet effect, mais seulement pour vous faire voir a quoy doit tendre l'examen et espreuve de soy mesme que vous deves faire tous les moys, affin que vous sachies vous en prevaloir plus aysement. Que si vous aymes mieux repeter cette mesme meditation, elle ne vous sera pas inutile. Mais je dis, si vous l'aymes mieux, car en tout et par tout je desire que vous ayés une sainte liberté d'esprit touchant les moyens de vous perfectionner ; pourveu que les deux colomnes en soyent conservees et affermies, il n'importe pas beaucoup comment.

Gardés vous des scrupules et vous reposes entierement sur ce que je vous ay dit de bouche, car je l'ay dit en Nostre Seigneur. Tenes vous fort en la presence de Dieu par les moyens que vous sçaves. Gardés vous des empressemens et inquietudes, car il n'y a rien qui nous empesche plus de cheminer en la perfection. Jettés doucement vostre cœur es playes de Nostre Seigneur, et non pas a force de bras ; ayés une extreme confiance en sa misericorde et bonté qu'il ne vous abandonnera point, mays ne laissés pas pour cela de vous bien prendre a sa sainte Croix.

Apres l'amour de Nostre Seigneur je vous recommande celuy de son espouse l'Eglise, de cette chere et douce colombe laquelle seule peut pondre et faire esclorre les colombeaux et colombelles a l'Espoux. Loüés Dieu cent fois le jour d'estre " fille de l'Eglise, " a l'exemple de la Mere Therese qui repetoit souvent ce mot a l'heure de sa mort avec une extreme consolation (Ribera, Vita M.Teresiae 3,15). Jettés vos yeux sur l'Espoux et sur l'Espouse, et dites a l'Espoux : 0 que vous estes Espoux d'une belle Espouse ! et a l'Espouse : Hé, que vous estes Espouse d'un divin Espoux ! Ayés grande compassion a tous les pasteurs et predicateurs de l'Eglise, et voyés comme ilz sont espars sur toute la face de la terre, car il n'y a province au monde ou il n'yen ayt plusieurs. Priés Dieu pour eux affin qu'en se sauvant ilz procurent fructueusement le salut des ames ; et en cet endroit, je vous supplie de ne jamais m'oublier, puisque Dieu me donne tant de volonté de ne jamais vous oublier aussi.

Je vous envoye un escrit touchant la perfection de la vie de tous les Chrestiens . Je l'ay dressé non pour vous, mays pour plusieurs autres ; neanmoins vous verrés en quoy vous le pourrés faire valoir pour vous. Escrives-moy, je vous supplie, le plus souvent que vous pourres, avec toute la confiance que vous sçaures ; car l'extreme desir que j'ay de vostre bien et advancement me donnera de l'affliction si je ne sçay souvent a quoy vous en estes. Recommandés moy a Nostre Seigneur, car j'en ay plus de besoin que nul homme du monde. Je le supplie qu'il vous donne abondamment son saint amour, et a tout ce qui vous appartient.

Je suis sans fin et vous supplie me tenir pour

Vostre serviteur tout asseuré

et dedié en Jesus Christ,

FRANÇ', E. de Geneve.

A Neci, le jour Sainte Croix 1604

 

CCXVII

A LA PRÉSIDENTE BRULART

En quoi consiste la perfection propre aux femmes du monde : s'unir à Dieu par la méditation, l'usage des Sacrements, les pieuses lectures et les fréquentes oraisons jaculatoires.- S'unir au prochain par l'affabilité, les œuvres de miséricorde, la condescendance envers ses proches. - Rendre la piété aimable en la rendant utile et agréable à tous.

Annecy, 3 mai 1604.
Madame, Je ne vous puis pas donner tout a coup ce que je vous ay promis, car je n'ay pas asses d'heures franches pour mettre tout ensemble ce que j'ay a vous dire sur le sujet que vous avés desiré vous estre expliqué par moy. Je vous le diray a plusieurs fois, et outre la commodité que j'en auray, vous aurés aussi celle1a, que vous aures du tems pour bien remascher mes advis.

Vous avés un grand desir de la perfection chrestienne : c'est le desir le plus genereux que vous puissies avoir, nourisses-le et le faittes croistre tous les jours. Les moyens de parvenir a la perfection sont divers selon la diversité des vocations ; car les Religieux, les vefves et mariés doivent tous rechercher cette perfection, mais non pas par mesme moyen. A vous, Madame, qui estes mariee, les moyens sont de vous bien unir a Dieu et a vostre prochain et a ce qui despend d'eux.

Le moyen pour s'unir a Dieu ce doit estre principalement l'usage des Sacremens et l'orayson. Quant a l'usage des Sacremens, vous ne devés nullement laisser escouler aucun moys que vous ne communiyes, et mesme dans quelque tems, selon le progres que vous aurés fait au service de Dieu et selon le conseil de vos peres spirituelz, vous pourres vous communier plus souvent. Mais quant a la Confession, je vous conseilleray bien de la frequenter encor plus, principalement sil vous arrivoit quelque imperfection de laquelle vostre conscience fut affiigee, comm'il en arrive bien souvent au commencement de la vie spirituelle. Neanmoins, si vous n'avies pas les commodités requises pour se confesser, la contrition et repentance suppleeroit.

Quant a l'orayson, vous la devés fort frequenter, specialement la meditation, a laquelle vous estes assés propre, ce me semble. Faittes en donques tous les jours une petite heure le matin avant que de sortir, ou bien avant le souper, et gardés vous bien de la faire ni apres le disner ni apres le souper, car cela gasteroit vostre santé. Et pour vous ayder a la bien faire, il faut qu'avant icelle vous sachies le point sur lequel vous devés mediter, affin que, commençant l'orayson, vous ayes vostre matiere preste. Et a cet effect, il faut que vous ayés les autheurs qui ont couché les pointz des meditations sur la vie et mort de Nostre Seigneur, comme Grenade , Bellintani (cf note 206), Capillia , Bruno , dans lesquelz vous choysirés la meditation que vous voudrés faire, et la lirés attentivement pour vous en resouvenir au tems de l'orayson, et n'avoir autre chose a faire que de les remascher, suyvant tous-jours la methode que je vous mis par escrit en la meditation que je vous donnay le Jeudy Saint (cf XXVI,185 et SFS/Oeuvresword/Salesianword/Perfection.)

Outre cela, faittes souvent des oraysons jaculatoires a Nostre Seigneur, et ce a tous (sic) les heures que vous pourres et en toutes compaignies, regardant tous-jours Dieu dans vostre cœur et vostre cœur en Dieu. Prenes playsir a lire les livres que Grenade a fait de l'orayson et meditation , car il ni en a point qui vous instruise mieux ni avec plus de mouvemens. Je voudroy quil ne se passast aucun jour sans que vous donnassies une demi heure ou un'heure a la lecture de quelque livre spirituel, car cela vous servirait de predication. Voyla les principaux moyens de se bien unir avec Dieu.

Quant a ceux qui servent pour se bien unir avec le prochain, ilz sont en grand nombre, mais je n'en diray que quelques-uns. Il faut considerer le prochain en Dieu, qui veut que nous l'aymions et caressions. C'est l'advis de saint Paul (Ep 6,5) qui ordonne aux serviteurs de servir Dieu en leurs maistres et leurs maistres en Dieu. Il faut s'exercer en cet amour du prochain, le caressant extérieurement ; et, bien qu'il semble au commencement que c'est a contre cœur, il ne faut point laisser pour cela, car ceste repugnance de la partie inferieure en fin sera vaincüe de l'habitude et bonn'inclination qui sera produitte par la repetition des actions. Il faut rapporter a ce point les oraysons et meditations, car apres avoir demandé l'amour de Dieu il faut tous-jours demander celuy des prochains, et particulierement de ceux ausquelz nostre volonté n'a null'inc1ination.

Je vous conseille de prendre quelquefois la peyne de visiter les hospitaux, consoler les malades, considerer leurs infirmités, attendrir vostre cœur sur icelles et prier pour eux en leur faysant quelqu'assistence. Mais en tout ceci prenes garde soigneusement que monsieur vostre mari, vos domestiques et messieurs vos parens ne soyent point offencés par des trop longs sejours aux eglises, des trop grans retiremens et abandonnement. du soin de vostre mesnage, ou, comm'il arrive quelquefois, vous rendant contrerolleuse des actions d'autruy ou trop desdaigneuse des conversations ou les regles de devotion ne sont pas si exactement observees ; car en tout cela il faut que la charité domine et nous esclaire, pour nous faire condescendre aux volontés du prochain en ce qui ne sera point contraire aux commandemens de Dieu.

Vous ne devés pas seulement estre devote et aymer la devotion, mais vous la deves rendre aymable a un chacun. Or, vous la rendres aymable si vous la rendes utile et aggreable. Les malades aymeront vostre devotion silz en sont charitablement consolés ; vostre famille, si elle vous reconnoist plus soigneuse de son bien, plus douce aux occurrences des affaires, plus amiable a reprendre, et ainsy du reste ; monsieur vostre mari, sil void que a mesure que vostre devotion croist vous estes plus cordiale en son endroit et plus soüefve en l'affection que vous luy portés ; messieurs vos parens et amis, silz reconnoissent en vous plus de franchise, de support, de condescendence a leurs volontés qui ne seront pas contraires a celle de Dieu. Bref, il faut, tant qu'il est possible, rendre nostre devotion attrayante.

J'ay fait un petit advertissement sur le sujet de la perfection de la vie chrestienne (cf XXVI,185 ; SFS/oeuvresword/Salesianword/Perfection), dont je vous envoye une copie que je desire estre communiquee a Madame du Puis d'Orbe. Prenes-la en bonne part, comm'aussi cette lettre, qui sort d'un'ame qui est entierement affectionnee a vostre bien spirituel, et qui ne desire rien plus que de voir l'œuvre de Dieu parfait en vostr'esprit.

Je vous supplie de me donner quelque part en vos prieres et Communions, comm'aussi je vous asseure que je vous feray toute ma vie part aux miennes et seray sans fin,

Madame,

Vostre serviteur plus affectionné en Jesus Christ, FRANçs, E. de Geneve.
3 mai 1604.
A Madame Madame la Praesidente Brulart. A Dijon.

Revu sur l'Autographe conservé à la Maison-Mère des Religieux des 5S. Cœurs, dits de Picpus, à Paris.
 
 
 
 
 
 
 
 

CCXVIII

A MADAME BOURGEOIS, ABBESSE DU PUITS-D'ORBE

Moyens à employer pour la réforme de son monastère: bons exemples, douceur, fidélité aux exercices spirituels.

Annecy, 3 mai 1604.
Madame,

J'ay envoyé a madame la presidente Brulart, vostre seur un escrit que je desire vous estre communiqué non pas que celuy que je vous ay donné (cf note 291) ne suffise pour vous et pour ce tems, mais affin que vous ayés tous-jours plus d'esclaircissement en vostre esprit, a l'advancement duquel je me sens tant obligé que je ne suis de rien plus desireux en ce monde, non seulement pour cette grande confiance que Dieu vous a donnee en mon endroit, mays aussi pour celle qu'il me donne que vous servires beaucoup a sa gloire. N'en doutés point, Madame, et ayés bon courage. .

Je suis infiniment consolé du playsir que vous prenes a lire les Œuvres et la Vie de la Mere Therese, car vous verrés le grand courage qu'elle eut a reformer son Ordre, et cela vous animera sans doute a reformer vostre Monastere, ce qui vous sera bien plus aysé qu'il ne fut pas a elle, puisque vous estes Superieure perpetuelle. Mais tenes la methode que je vous ay dite, de commencer par l'exemple ; et bien qu'il vous semblera prouffiter peu au commencement, ayés neanmoins de la patience, et vous verrés ce que Dieu fera. Je vous recommande sur tout l'esprit de douceur, qui est celuy qui ravit les cœurs et gaigne les ames. Tenes bon et ferme en ce commencement a bien faire tous vos exercices, et prepares vous aux tentations et contradictions (Eccles 2,1) ; car le malin esprit vous en suscitera infiniment pour empescher le bien qu'il prevoit devoir sortir de vostre resolution ; mais Dieu sera vostre protecteur. Je l'en supplie de tout mon cœur et l'en supplieray tous les jours de ma vie.

Je vous prie de me recommander a sa misericorde, et croire que je suis, autant que vous le sçauries desirer et que je puis,

Madame,

Vostre serviteur tres affectionné en Jesus Christ,

FRANÇ., E. de Geneve. A Neci, le jour Sainte Croix, 3 mai 1604.

Mon compagnon m'a dit en chemin que vous desiries venir a Saint Claude et qu'a cette occasion j'auray le bien de vous voir. Je vous prie qu'en ce cas la je le sçache avant le tems, affin que je me puisse treuver en lieu et loysir propre a vostre consolation.
 
 

A Madame l'Abbesse du Puis d'Orbe.

En son Monastere.
 
 




CCXIX

A UN CALVINISTE

(MINUTB)

Sans certaines conditions les conférences sont infructueuses. - Les hérétiques doivent prouver leurs négations. - Prières pour les morts. - Canonicité des Livres des Machabées et de l'Apocalypse. - Promesse de ne pas refuser une conférence avec les Genevois s'ils la demandent.

[Annecy, mai 1604.]
Monsieur, Mon dessein ne fut pas d'entrer en aucune conference avec vous ; la prochaine necessité de mon despart m'en ostoit entierement l'occasion. Si les conferences ne se font bien conditionnees et accompagnees de loysir et de commodités de les parachever, elles sont infructueuses. Je ne regarde qu'a la gloire de Dieu et le salut du prochain ; ou cela ne peut estre procuré, je ne fay point de conference.

Vous sçavés bien ce que je veux dire quand je parle du Livre des Maccabees Il y en a deux, et deux font un cors de livre. Je ne prendray pas la peyne de vous en dire d'avantage, car je ne piquotte point. Il est vray que nous disons et affermons, et que vous niés et rejettés. L'Eglise a tous-jours esté combattue par cette mesme façon; mais vos negatives doivent estre preuvees par une mesme sorte de preuve qu'est celle que vous exigés de nous, car c'est a celuy qui nie de preuver, quand il nie contre la possession et que sa negative sert de fondement a son intention. Les jurisconsultes vous le tesmoigneront, puisque c'est d'eux que la maxime est tiree (cf Lettres1, lettre 61) : vous n'en refuseres pas l'explication.

La priere pour les trespassés a esté faitte par toute l'ancienne Eglise, Calvin mesme le reconnoist (Instit 3,5,10) ; les Peres l'ont preuvee par l'authorité du Livre des Maccabees et l'usage general de leurs predecesseurs. Voyés la fin et le commencement du livre de saint Augustin, qu'il a fait sur ce sujet (De Cura pro Mortuis genrenda). Nous marchons sur leurs pas et suivons leurs traces. Ni les Livres des Maccabees, ni l'Apocalipse n'ont pas esté si tost reconneus que les autres ; l'un et l'autre neanmoins le fut esgalement au Concile de Carthage, ou saint Augustin assista. On a douté loysiblement de quelques Livres canoniques pour un tems, desquelz il n'est pas loysible de douter maintenant ; les passages que j'ay cités sont si expres qu'ilz ne peuvent estre divertis a autre sens.

Je vous conjure, par les entrailles de Jesus Christ, de vouloir meshuy lire et l'Escriture et les anciens Peres avec un esprit deschargé de preoccupations : vous verrés que les parties principales et essentielles de la face de l'Eglise ancienne sont entierement conservees en celle qui est maintenant. On me dit que Dieu a mis en vous beaucoup de dons de nature ; n'en abusés pas pour forclorre ceux de la grace, et consideres attentivement les qualités de la part en laquelle vous desires conferer.

Il ne seroit pas possible de faire avec proffit des conferences par escrit entre nous, nous sommes trop esloignés de sejour ; et que pourrions nous escrire qui n'ait esté repeté cent fois ? Si la commodité le permettoit, croyes que je ne la refuserois pas, non plus que je ne la refuseray pas aux sieurs ministres de Geneve, mes voysins, quand il la desireront en bons termes.

Conferes a vostre salut l'attentive meditation sur nos raysons et sur les anciens Peres, et j'y confereray mes pauvres et chetives prieres, que je presenteray a la misericorde de nostre Sauveur, auquel et pour l'amour duquel je vous offre mon service et suis

Vostre serviteur bien humble, FRANÇ., E. de Geneve.

Revu en partie sur l'Autographe conservé à la Visitation de Soleure.
 
 
 
 
 
 
 

CCXX
 
 

AU DUC DE SAVOIE, CHARLES-EMMANUEL 1er
 
 

Pauvreté du prieuré de Bellevaux.

Le Prieur est digne des libéralités de Son Altesse.

Annecy, 29 mai 1604.
Monseigneur, J'ay receu commandement de Vostre Altesse de lui donner advis certain de l'estat du prieuré et monastere de Bellevaux , par ce que sil est si miserable que l'on luy a fait entendre, elle veut relascher les decimes au Prieur . J'obeis donques a la voulonté de Vostre Altesse, et sur une particuliere connoissance que j'ay de la verité, je la puis asseurer que ce monastere, qui fust jadis asses celebre, est presque ruiné quant aux bastimens, et tellement appauvri quant au revenu qu'il ne sçauroit de long tems rendre cent ducatons annuels a son Prieur ; et pour la presente annee, ayant receu un grand degast par la tempeste, il n'y a pas, a beaucoup pres, dequoy supporter les charges. A quoy adjoustant l'indigence du nouveau Prieur et le desir quil a de resider et bien faire son devoir, la conclusion ne peut estre sinon que Vostre Altesse fera une sainte aulmosne d'exercer sa liberalité en ce sujet.

Je fay tres humblement la reverence a Vostre Altesse, priant Nostre Seigneur quil multiplie ses faveurs et sur elle et sur ses desirs, et demeurant, comme je dois,

Monseigneur,

Tres humble et tres-obeissant serviteur et orateur de Vostre Altesse,

FRANçs; E. de Geneve.

A Neci, le 29 may 1604.
A Son Altesse.

Revu sur l'original appartenant au comte Olivieri, à Turin.
 
 
 
 
 
 
 
 

CCXXI

A LA BARONNE DE CHANTAL

Il rassure Mme de Chantal sur l'inquiétude qu'elle éprouve de l'avoir consulté à l'insu de son directeur.- L'unité de direction ne doit pas nuire à la liberté d'esprit. - Lettre reçue de l'Archevêque de Bourges.

Annecy, 14 juin 1604
Madame, Ce m'a esté une tres grande consolation d'avoir eü la lettre que vous m'escrivites le 30 de may. Toutes ses parties sont aggreables : la souvenance que vous avés de moy en vos prieres, car cela tesmoigne vostre charité ; la memoire que vous avés des sermons que j'ay fait ce Caresme, car encor que de mon costé il ni aye eu autre chose qu'imperfection, si est ce que ç'a tous-jours esté parole de Dieu, delaquelle le souvenir ne peut que vous estre fort utile; le desir que vous aves de la. perfection, car c'est un bon fondement pour l'obtenir. Tout cela donques me console, comm'aussi ce que vous m'escrivés que le Reverend Pere que le Seigneur vous a baillé pour directeur avait treuvé fort bon que pendant mon sejour a Dijon vous m'aves communiqué vostr'ame, et que mesme il ne treuveroit pas mauvais que vous me donnassies quelquefois de vos lettres.

Madame, si vous vous en resouvenés, je vous dis bien cela mesme, quand vous me dites que vous craignés de l'avoir offencé ayant receu les petitz advis que je vous donnay verbalement sur le sujet de vostre affliction interieure qui vous troubloit en la sainte orayson. Car je vous dis qu'en cela vous ne sçauries avoir fait faute, puisque le mal vous pressoit et vostre medecin spirituel estoit absent ; que cela n'estoit pas changer de directeur, ce que vous ne pouviés faire sans perte bien grande, mais que c'estoit seulement se soulager pour l'attendre ; que mes advis ne s'estendoyent que sur le mal present, qui requeroit un remede present, et partant ne pouvoyent nullement prejudicier a la conduitte generale de vostre premier directeur. Et quant au scrupule que vous aviés de m'avoir demandé mon advis pour l'addresse de toute vostre vie, je vous dis que vous n'aviés non plus contrevenu aux loix de la submission que les ames devotes doivent a leur pere spirituel, par ce que mes conseilz ne seroyent rien plus qu'un escrit spirituel duquel la prattique seroit tous-jours mesuree par le discernement de vostre directeur ordinaire, selon que la presence de son œil et la plus grande lumiere spirituelle, avec la plus entiere connoissance qu'il a de vostre capacité, luy donnent le moyen de le mieux faire que je ne puis, estant ce que je suis; joint que les advis que je pensois vous donner seroyent telz quilz ne pouvoyent estre que bien accordans avec ceux du Pere directeur. Mays quand vous m'eustes nommé le personnage, resouvenés vous, je vous supplie, que je vous dis avec pleyne confiance qu'il me connoissoit et m'avoit fait le bien de me promettre un jour son amitié, et que je m'asseurois quil ne treuveroit point mauvaise la communication que vous avies eüe avec moy, tant je le tenois de mes amis. Vous voyes donq, Madame, que je jugeay fort bien de tout cela, et n'employay guere de tems ni de consideration pour me resoudre a ce jugement. Je me res-jouis donques que vous ayes reconneu combien il est veritable que ceux qui sont bien accordans en l'intention du service de Dieu ne sont jamais guere esloignés d'affections et conceptions.

Je loüe infiniment le respect religieux que vous portes a vostre directeur et vous exhorte de soigneusement y perseverer; mais si faut il que je vous die encor ce mot. Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite a laquelle vous vous estes si heureusement rangee, mais il ne vous doit pas gehenner, ni estouffer la juste liberté que l'Esprit de Dieu donne a ceux quil possede (2 Co 3,17). Pour certain, ni recevoir les advis et enseignemens des autres, ni recourir a eux en l'absence du directeur, n'est nullement contraire a ce respect, pourveu que le directeur et son authorité soit tous-jours praeferé. Beni soit Dieu.

Je vous ay voulu resouvenir de tout ce que je vous ay dit en presence, et y adjouster ce que j'ay pensé en escrivant pour vous representer pour un bon coup mon opinion sur ce scrupule ; et si, j'ose bien me promettre que si vous la proposes a vostre directeur la premiere fois que vous le verres, il se treuvera autant conforme avec moyen cet endroit comm'ill'a esté en l'autre. Mais je laisse cela a vostre discretion, de luy proposer ou non ; bien vous supplieray-je de le saluer a mon nom et l'asseurer de mon service. Je l'ay longuement honnoré avant que de l'avoir veu ; l'ayant veu, mon affection s'en est accreüe, et m'estant apperceu du fruit quil a fait a Dijon (car vous n'estes pas seule), je luy ay donné et voüé autant de cœur et de service quil en sçauroit desirer de moy. Je vous cheris en luy et luy en vous, et l'un et l'autre en Jesus Christ.

Monsieur l'Archevesque m'a escrit une lettre si excessive en faveurs que ma misere en est accablee; il le faut pardonner a sa courtoisie et naturelle bonté, mais je m'en plains a vous par ce que cela me met en danger de vanité. Vous ne m'escrives pas de la santé de monsieur vostre pere, et toutefois j'en suis extrement desireux ; ni de monsieur vostre oncle que je vous avois supplié de saluer de ma part.

Au demeurant, puisque le Pere directeur vous permet de m'escrire quelquefois, faites le, je vous prie, de bon cœur, encor que cela vous donnera de la distraction, car ce sera charité. Je suis en un lieu et en une occupation qui me rend digne de quelque compassion, et ce m'est consolation de recevoir, parmi la presse de tant de fascheuses et difficiles affaires, des nouvelles de vos semblables ; ce m'est une rosee. Je vous tesmoigne par cette longueur combien mon esprit aggree la conversation du vostre Dieu nous face la grace de vivre et mourir en son amour et sil luy plait, pour son amour. Je l'en supplie, et vous salue bien humblement, donnant la sainte benediction a vos petitz enfans, si vous estes a Chantal ; car si vous estes a Dijon je ne le voudrois entreprendre en la presence de monsieur leur oncle, bien que leur petit agenouillement et vostre demande me fit faire une pareille faute a mon despart.

Dieu soit vostre cœur et vostre ame, Madame, et je suis

Vostre plus humble et affectionné serviteur,

FRANÇs, E. de Geneve.

14 juin 1604.
A Madame Madame la Baronne de Chantal.
Revu sur l'Autographe conservé dans la salle Capitulaire de Notre-Dame, à Paris.

CCXXII

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Opportunité de quelques modifications dans les lois relatives à l'immunité des églises.

Annecy, 20 juin 1604
Monsieur, Le desir que vous avés que les soldatz puissent estre tirés des lieux sacrés pour estre chastiés selon leurs demerites est fort juste et propre a la conservation du bien publiq. J'ay eü tant de distractions pour ne l'avoir pas voulu permettre , que j'ay bien occasion aussi de mon costé de souhaitter que les loix de l'immunité des eglises soyent moderëes a cet effect. Ce n'est neanmoins pas a moy de le faire, qui suis sujet ; c'est pourquoy j'ay supplié Monsieur le Nonce de m'en faire venir un petit mot de declaration qui me descharge de leur rigueur, laquelle, ce me semble, n'est pas sortable en ce tems, en ce lieu, en ces occasions.

Je vous supplie, Monsieur, d'avoir aggreable que j'attende puisque ma condition le requiert, en laquelle je prie Dieu tous les jours pour vous, et suis,

Monsieur, Vostre serviteur plus humble,

FRANÇs, E. de Geneve.

20 juin 1604
A Monsieur

Monsieur d'Albigni,

Chevallier de l'Ordre de S. A. et son lieutenant general

deça les mons.

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, dans l'oratoire privé de Mgr Donat Velluti-Zati, duc San Clemente, évêque de Pescia (Toscane).
 
 
 
 
 
 

CCXXIII

A LA BARONNE DE CHANTAL

Encore l'unité de direction et la liberté qu'elle comporte; comment l'entendait sainte Thérèse, et comment il faut la pratiquer à son imitation. - Protestation d'entier dévouement. - Combien sont indissolubles les liens formés par la charité. - Secret que doit garder le pénitent sur ce qui est dit en confession. - Chercher un remède à la tristesse et à l'ennui dans les plaies de Notre-Seigneur.- Mystérieuse formation du Christ dans l'âme chrétienne.

Annecy, 24 juin 1604
Madame, L'autre lettre vous servira pour contenter le bon Pere a qui vous desires la pouvoir monstrer (cf lettre 221). J'y ay fourré beaucoup de choses pour empescher le soupçon qu'il eut peu prendre qu'elle fut escritte a dessein, et l'ay neanmoins escritte avec toute verité et sincerité, ainsy que je doy tous-jours faire ; mais non pas avec tant de liberté comme cellecy, en laquelle je desire vous parler cœur a cœur.

Je suis bien d'accord avec ceux qui vous ont voulu donner du scrupule, quil est expedient de n'avoir qu'un pere spirituel, l'authorité duquel doit estre en tout et par tout praeferee a la volonté propre, et mesme aux advis de tout autre particuliere personne ; mais cela n'empesche nullement le commerce et communication d'un esprit avec un autre, ni d'employer les advis et conseilz que l'on reçoit d'ailleurs. Peu auparavant que je receusse vos lettres, un soir je prins en main un livre qui parle de la bonne Mere Therese, pour delasser mon ame des travaux de la journée, et je treuvay qu'ell'avoit fait vœu d'obeissance particuliere au P. Gracian, de son Ordre , pour faire toute sa vie ce quil luy ordonneroit qui ne seroit contraire a Dieu ni a l'obeissance des superieurs ordinaires de l'Eglise et de son Ordre. Outre cela, elle ne laissoit pas d'avoir tous-jours quelque particulier et grand confident auquel elle se communiquoit, et duquel elle recevoit les advis et conseilz pour les prattiquer soigneusement, et s'en praevaloir en tout ce qui ne seroit contraire a l'obedience voüée ; dont elle se treuva fort bien, comm'elle mesme a tesmoigné en plusieurs endroitz de ses escritz . C'est pour vous dire que l'unité de pere spirituel ne forclost point la confiance et communication avec un autre, pourveu que l'obeissance promise demeure ferme en son rang et soit praeferee.

Arrestés vous-la, je vous supplie, et ne vous mettes nullement en peyne en quel degré vous me devés tenir, car tout cela n'est que tentation et vaine subtilité. Que vous importe-il de sçavoir si vous me pouves tenir pour vostre pere spirituel ou non, pourveu que vous sachies quell'est mon ame en vostre endroit et que je sache quell'est la vostre au mien ? Je sçai que vous aves une entiere et parfaitte confiance en mon affection ; de cela je n'en doute nullement, et en reçoi de la consolation. Sachés aussi, je vous supplie, et croyes-Ie bien, que j'ay une vive et extraordinaire volonté de servir vostre esprit de toute l'estendue de mes forces. Je ne vous sçaurois pas expliquer ni la qualité ni la grandeur de cett'affection que j'ay a vostre service spirituel ; mais je vous diray bien que je pense qu'ell'est de Dieu et que pour cela je la nourriray cherement, et que tous les jours je la voy croistre et s'augmenter notablement. Sil m'estoit bien seant je vous en dirois davantage, et avec verité, mais il faut que je m'arreste la. Maintenant, ma chere Dame, vous voyes asses clairement la mesure avec laquelle vous me pouves employer, et combien vous pouves avoir de confiance en moy. Faites valoir mon affection, usés de tout ce que Dieu m'a donné pour le service de vostre esprit : me voyla tout vostre, et ne penses plus sous quelle qualité ni en quel degré je le suis. Dieu m'a donné a vous ; tenes moy pour vostre en luy et m'appelles ce quil vous plaira, il n'en importe.

Encor faut il que je vous die, pour coupper chemin a toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre cœur, que je n'ay jamais entendu quil y eut nulle liayson entre nous qui portast aucune obligation, sinon celle de la charité et vraye amitié chrestienne, delaquelle le lien est appellé par saint Paul le lien de perfection (Co 3,14), et vrayement il l'est aussi, car il est indissoluble et ne reçoit jamais aucun relaschement. Tous les autres liens sont temporelz, mesme celuy des vœuz d'obeissance, qui se rompt par la mort et beaucoup d'autres occurrences; mais celuy de la charité croit avec le tems et prend nouvelles forces par la duree. Il est exempt du tranchant de la mort, de laquelle la faux fauche tout sinon la charité : La dilection est aussi forte que la mort et plus dure que l'enfer, dit Salomon (Ct 8,6 ; 1 Co 13,8). Voyla, ma bonne Seur (et permettes moy que je vous appelle ce nom, qui est celuy par lequel les Apostres et premiers Chrestiens exprimoyent l'intim'amour qu'ilz s'entreportoyent), voyla nostre lien, voyla nos chaysnes, lesquelles plus elles nous serreront et presseront, plus elles nous donneront de l'ayse et de la liberté. Leur force n'est que suavité, leur violence n'est que douceur ; rien de si pliable que cela, rien de si ferme que cela. Tenes moy donques pour bien estroittement lié avec vous, et ne vous souciés pas d'en sçavoir d'avantage, sinon que ce lien n'est contraire a aucun autre lien, soit de vœu soit de mariage. Demeurés donques entierement en repos de ce costé-la. Obeisses a vostre premier conducteur filialement et librement, et servés vous de moy charitablement et franchement.

Je respons a un autr'artic1e de vostre lettre. Vous aves eü crainte de tumber en quelque duplicité quand vous aves dit que vous m'avies communiqué vostre esprit et que vous m'avies demandé quelques advis. Je suis consolé que vous aves en horreur la finesse et duplicité, car il ni a guere de vice qui soit plus contraire a l'embonpoint et grace de l'esprit. Mais si est ce que ce n'eut pas esté duplicité, puisque si en cela vous avies fait quelque faute a cause du scrupule que vous avies en me communicant vostre cœur et me demandant des instructions, vous l'avies suffisamment effacee par apres pour n'estre plus obligee de le dire a personne. Neanmoins je loüe vostre candeur et me res-jouïs que vous l'ayés dit, comm'aussi tout le reste, bien que vous devés estre ferme en la resolution que je vous donnay, que ce qui se dit au secret de la Pœnitence est tellement sacré quil ne se doit pas dire hors d'icelle. Et quicomque vous demande si vous aves dit ce que vous aves dit avec le seau (sic) tressaint de la Confession, vous luy pouves hardiment et sans peril de duplicité dire que nanni : il ni a nulle difficulté en cela. Mais bien, beni soit Dieu ; j'aime mieux que vous excedies en naïfveté que si vous en manquiés. Toutefois, un autre coup, demeurés ferme, et tenes pour non dit et totalement tëu ce qui est couvert du voyle sacramental. Et ce pendant ne vous mettes nullement en scrupule, car vous n'aves point offencé le disant, bien qu'a l'adventure vous eussies mieux fait le celant, a cause de la reverence du Sacrement, qui doit estre si grande qu'hors iceluy il ne soit rien mentionné de ce qui s'y dit. Je me resouviens bien ou vous me parlastes sur ce sujet la premiere fois.

Vous me dites que peutestre auray-je le bien de vous voir environ la septembre. Ce me sera un'extreme consolation, comm 'aussi de voir madame Brulart et madamoyselle de Vilars Le sachant, je m'essayeray de vous donner autant de loysir quil me sera possible, et prieray Dieu particulierement affin que je vous puisse estre autant utile a toutes comme je suis affectionné. J'ay reprins la plume plus de douze fois pour vous escrire ces deux feüilles, et sembloit que l'ennemi me procuroit des distractions et affaires pour m'empescher de ce faire. Interpretés a bien cette longueur, car j'en ay usé pour eschapper, sil m'est possible, les repliques et scrupules qui naissent asses volontiers es espritz de vostre sexe. Gardes vous en, je vous supplie, et ayes bon courage.

Quand il vous surviendra quelqu'ennuy, ou interieur ou exterieur, prenes entre vos bras vos deux resolutions et colomnes de l'edifice, et, comme une mere sauve ses enfans d'un danger, portés-les es playes de Nostre Seigneur et le pries quil les vous garde et vous avec elles, et attendés la dedans ces sainte cavernes (Ct 2,14 ; 3 R 19,9) jusques a ce que la tempeste soit passee. Vous aures des contradictions et amertumes ; les tranchees et convulsions de l'enfantement spirituel ne sont pas moindres que celles du corporel : vous aves essayé les unes et les autres, Je me suis souventesfois animé parmi mes petites difficultés par les paroles de nostre doux Sauveur qui dit (Jn 16,21) : La femme, quand elle enfante, a une grande detresse ; mais apres l'enfantement elle oublie le mal passé parce qu'un enfant luy est né. Je pense qu'elles vous consoleront aussi, si vous les consideres et repetes souvent, Nos ames doivent enfanter non pas hors d'elles mesmes mais en elles mesmes, un enfant masle, le plus doux, gracieux et beau qui se peut desirer. C'est le bon Jesus qu'il nous faut enfanter et produire en nous mesmes (Ga 4,19) ; vous en estes grosse, ma chere Seur, et beni soit Dieu qui en est le Pere. Je parle comme cela, car je sçay vos bons desirs ; mais courage, car il faut bien souffrir pour l'enfanter. L'Enfant aussi merite bien qu'on endure pour l'avoir et pour estre sa mere.

C'est trop vous entretenir ; je m'arreste, priant ce celeste Enfant qu'il vous rende digne de ses graces et faveurs, et nous face mourir pour luy, ou au moins en luy. Madame, pries-le pour moy, qui suis fort miserable et accablé de moy mesme et des autres, qui est une charge intolerable si Celuy qui m'a des-ja porté avec tous mes . pechés sur la Croix (1 P 2,24) ne me porte encores au Ciel. Au demeurant, je ne dis jamais la sainte Messe sans vous et ce qui vous touche de plus pres; je ne communie point sans vous, je suis en fin autant vostre que vous sçauries souhaitter. Gardes vous des empressemens, des melancholies, des scrupules. Vous ne voudries pour rien du monde offencer Dieu, c'est bien asses pour vivre joyeuse.

Ma bonne mere est vostre servante, et tous ses enfans vos serviteurs; elle vous remercie tres humblement de vostre bienveüillance. Mon frere se sent infiniment obligé a la souvenance que vous aves de luy et la contre-change par la continuelle memoire qu'il a de vous a l'autel ; il est absent, maintenant que j'escris. Je desire sçavoir le nom et l'aage de vos enfans, parce que je les tiens pour miens selon Dieu.

Je n'ose pas presser les dames que vous me nommes du voyage parce qu'il ne me seroit pas seant ; je le desire neanmoins, et me console en l'esperance que j'en ay.

Madame,

Vostre serviteur plus humble et entierement dedié en Nostre Seigneur,

FRANÇs, E. de Geneve. Amen.

Le jour saint Jan, 1604
Revu en grande partie sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.
 
 
 
 

CCXXIII bis (lettre MMXVII du volume XXI reclassée) (1)

A M. SIMON RUPTIER, CURÉ DE CRANVES (2)

(FRAGMENT INÉDIT)

[Mai ou juin] 1604 (3).
……………………………………………………………….

l'emolument de l'union de vos cures, je n'y apporte nulle difficulté, et vous le laisse en recompense des peynes que vous aures. Je suis

Vostre confrere affectionné,

FRANçs, E. de Geneve.

A Monsieur le Curé de Cranves.
Revu sur l'Autographe appartenant à M. Fernand Dumont, à Boëge (Haute-Savoie).

(1) Lettre découverte tardivement et reclassée à la date voulue

(2) Simon Ruptier, curé de Sales depuis 1587, devient en 1594, curé de Nangy. Le 20 août 1595, il est appelé comme témoin par l'avocat Poncet, lorsque celui-ci abjure l'hérésie entre les mains de l'Apôtre du Chablais. L'année suivante, Ruptier permute la cure de Nangy contre celle de Cranves ; il fut aussi aumônier de la forteresse des Allinges. Henri Lancot, curé de Sales, s'étant plaint de l'exiguïté de son revenu, l'Evêque de Genève et François de Lucinge, patron de ce bénéfice, l'autorisèrent à l'échanger contre une chapelle possédée à Bonne par Simon Ruptier qui devint curé des deux paroisses réunies de Cranves et de Sales (1er avril 1604). Il les régit jusqu'à sa mort arrivée le 17 février 1618 ; alors, sur les réclamations de Gaspard de Lucinge et des paroissiens, elles furent de nouveau séparées. (R. E.)

(3) La date de l'union des deux cures de Cranves et de Sales indique approximativement celle de ces lignes, écrites peu après cette union. Nous les plaçons entre mai et juin, parce que le Saint passa presque tout le mois d'avril à Dijon et une partie du mois suivant à Gex, où, peut-être, la lettre du curé ne lui fut pas envoyée.
 
 

CCXXIV

A SA SAINTETÉ CLÉMENT Vlll

(en italien)
 
 

Recommandation en faveur d'André de Sauzéa proposé pour l'évêché de Belley.

Annecy, 15 juillet 1604.

 
 
  Très Saint Père, Le diocèse de Belley, limitrophe de celui de Genève, est sans titulaire depuis quelque temps , Plusieurs candidats ont été proposés au roi très chrétien afin d'être par lui recommandés au Saint-Siège. On distingue entre autres, un prêtre français, André de Sauzéa : c'est un homme plein de qualités, bon théologien, prédicateur zélé et de mœurs irréprochables . Or, quoique cette Eglise vacante soit très pauvre, elle est néanmoins importante, car elle se trouve dans le voisinage des hérétiques et sur les frontières ; le bien de ce diocèse peut contribuer beaucoup à celui du diocèse de Genève. C'est pourquoi, Très Saint Père, sachant que Votre Béatitude pourvoit avec une très diligente sollicitude les églises cathédrales et qu'Elle veut user d'une bienveillance apostolique toute spéciale à l'égard de l'Eglise de Belley, j'ose, quelque chétif et indigne que je sois, la supplier de favoriser le théologien susnommé, pour l'honneur du Seigneur notre Dieu et le bien des âmes. Ce n'est pas un intérêt personnel qui me sollicite, puisque je ne connais ce personnage que depuis un an; il a fait plusieurs prédications dans ce diocèse de Genève, au grand avantage et à la satisfaction des auditeurs.

Que Votre Béatitude reçoive ma requête avec cette très suave clémence qui m'a donné confiance de lui écrire sur cette affaire. C'est en baisant vos pieds sacrés et apostoliques que je demande votre sainte bénédiction.

De Votre Béatitude, Le très humble et indigne serviteur,

FRANCOIS, Evêque de Genève.

A Annecy, le 15 juillet 1604.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.
 
 
 
 

CCXXV

A M. CHARLES D'ALBIGNY

Règlement d'une affaire d'intérêt concernant la Sainte-Maison.

Sales, 11 août 1604.
Monsieur, Le seigneur chevalier Lobet m'a treuvé chez ma mere, ou je n'ay sceu luy donner autre satisfaction que de vous supplier bien humblement, comme je fay, qu'il vous playse, Monsieur, de faire examiner ses pretentions autant comme il se peut sommairement, en la presence des seigneurs officiers de Son Altesse qui ont charge de la conservation des biens de la Sainte Mayson; et je donne des a present mon consentement a tout ce qui sera advisé et treuvé raysonnable pour terminer cette affaire. Je diray bien neanmoins que je pense plus a propos que la Mayson retienne le tiltre en donnant une pension sortable a la valeur du prieuré, comme seroit de la moytié ou autrement, ainsy qu'il sera jugé; et cela fait, a cette prochaine feste de Nostre Dame de septembre, tout le Conseil de la Mayson se treuvant a Thonon il pourra ratifier le traitté.

Je ne voy point d'autre moyen de servir en cette affaire le seigneur Lobet, eu esgard a la haste qu'il a de s'en retourner en Piemont, et puisque les affaires de cette Sainte Mayson ne sont pas au pouvoir de moy seul, qui, en cette occasion et en tout'autre, feray tous-jours joindre ma volonté a vos desirs, comme doit celuy qui, priant Dieu pour vostre prosperité, sera toute sa vie………………….

A Sales, le 11 aoust 1604.
Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Biblioteca Civica.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CCXXVI

A M. CLAUDE DE BLONAY

Difficulté que présente la nomination à un bénéfice

Sales, 11 août 1604.
Monsieur, J'estois icy quand ce porteur a esté a Neci. Je voy seulement une difficulté : c'est quil me dit que Nové est de la presentation de Montjou ; ce qu'estant, sans doute monsieur le Praevost remuera quelque chose sur cette nouvelle provision, sinon que la pauvreté du benefice le face desfier de treuver homme capable . Il sera bon, ce me semble, de tenir la chose secrette pour quelque tems, cependant que je feray chercher dans les visites quia juris et que je penseray aux remedes propres. Si j'ay le bien de voir monsieur d'Abondance je traitteray fort et ferme de Saint Gingoulf, et m'essayeray de faire qu'il soit accomodé de quelque revenu .

Je m'attens d'aller pour la septembre a Thonon, et la, selon vostre advis, je m'essayeray d'obtenir la courtoysie de monsieur Muneri, delaquelle vous m'escrivés. Je suis,

Monsieur, Vostre confrere plus humble,

FRANçs, E. de Geneve.

XI aoust 1604.
A Monsieur Monsieur de Blonnay.
Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CCXXVII

A MONSEIGNEUR ANTOINE DE REVOL, ÉVÊQUE DE DOL

Témoignages d'affection. - Carême prêché à Dijon. - Eloge des Dijonnais : fruits de salut opérés parmi eux. - Conversions dans le pays de Gex. Replique Chrestienne du ministre La Faye. - Le Saint hésite à la réfuter.

Annecy, 14 août 1604.
Monsieur, La derniere lettre que je receus de vous fut celle par laquelle vous me fistes l'honneur de m'advertir que vous avies receu la sainte consecration, et que vous vous retiries aupres de vostre troupeau. Ce me fut une bien grande consolation, laquelle je vous tesmoignay par la response que je vous fis ; car je n'eusse pas peu m'en empescher, j'en estois touché tres vivement. Mais, a ce que M. Favier m'a fait sçavoir, vous n'aures pas receu ma lettre. Ne croyés jamais, je vous supplie, Monsieur, que ni la memoire ni la reconnoissance du devoir que j'ay a la bienveuillance quil vous a pleu de me promettre me puisse defaillir : non, sans doute. Je suis par tout le reste de mon ame fort imbecille et foible ; mais j'ay l'affection fort tenante et presque immuable a l'endroit de ceux qui me donnent le bonheur de leur amitié, comme je croy fermement que vous aves fait. Que si vous n'aves pas receu de mes lettres si souvent que j'eusse souhaitté, attribués-le a toute autre sorte de manquement plustost qu'a celuy de l'affection. Mais non plus sur ce sujet ; nostre communication doit estre franche, entiere et familiere.

Je vous diray donq, Monsieur, que, despuis les dernieres nouvelles que vous aves euës de moy, j'ay esté perpetuellement parmi les travaux et traverses que le monde fait naistre en ma charge, et me semble que cette annee m'a esté encor plus aspre que celle du noviciat ; mays je puis dire aussi que nostre bon Maistre m'a beaucoup assisté de ses saintes consolations, qui m'ont fortifié en sorte que je puis dire d'avoir nagé parmi les eaux d'amertume sans en avoir avalé une seule goutte. Que Dieu est bon ! Il connoist bien mon infirmité et ma delicatesse ; c'est pourquoy il ne me permet point de seulement gouster les eaux de Mara que premierement il ne les ayt adoucies par le bois sacré de son assistence et consolation (Ex 15,23).

Voyla, Monsieur, en general ce que j'ay fait. Ce Caresme j'ay presché a Dijon, ou j'avois de bonnes et importantes affaires pour cest evesché, lesquelles j'ay, par ce moyen, terminees avec tout l'heur que je pouvois desirer. Je ne rencontray jamais un si bon et gratieux peuple, ni si doux a recevoir les saintes impressions. Il s'y est fait quelque fruit, nonobstant mon indignité, non seulement pour ceux qui m'ont attentivement escouté, mais aussi pour moy, qui ay reconneu en plusieurs personnes tant de vraye pieté que j'en ay esté esmeu. Quelques huguenotz se sont convertis ; quelques gens douteux et chancelans se sont affermis ; plusieurs ont fait des confessions generales, mesme a moy, tant ilz avoyent de confiance en mon affection ; plusieurs ont pris nouvelle forme de vivre, tant ce peuple est bon. Encor vous diray-je cecy : j'y ay reconneu plusieurs centaines de personnes laïques et seculieres qui font une vie fort parfaitte, et, parmi le tracas des affaires du monde, font tous les jours leur meditation et saintz exercices de l'orayson mentale.

A mon retour, en suitte de ce que j'y avois traitté et qui avoit esté le sujet qui m'avoit fait sortir de mon diocese, je vins a Gex, ou M. le baron de Lux et quelques uns de cette court de Parlement estoyent arrivés pour, de la part du Roy, affermir l'establissement de l'exercice catholique que les huguenotz avoyent totalement esbranlé, et resoudre de plusieurs difficultés que l'esprit chicaneur de l'heretique y avoit fait naistre . Plusieurs parroisses, a cette occasion, vinrent demander l'exercice de la sainte Eglise, qui jusques a l'heure n'avoyent pas osé ; et le Roy du despuis le leur a accordé, bien que l'execution en soit un petit retardee pour des considerations que la malice du tems donne.

Le ministre La Faye, de Geneve, a fait un livre expres contre moy ; il n'espargne pas la calomnie. Il laisse a part la grande multitude de mes imperfections, qui sont sans doute blasmables, et ne me censure que de celles que je n'ay point, par la grace de Dieu : d'ambition, d'oysiveté exterieure, luxe en chiens de chasse et escuries, et semblables folies, qui sont non seulement esloignees de mon affection, mays incompatibles avec la necessité de mes affaires et la forme de vie que ma charge m'impose. Or, beni soit Dieu qu'il ne sçait pas mes maladies, puisqu'il ne les voudroit guerir que par la mesdisance. Je bransle a sçavoir si je doy respondre, et n'estoit l'opinion de mes amis qui me combat, je serois resolu a la negative ; mesme que j'ay en main quelque petite besoigne qui sera sans doute plus utile que celle la, et je suis si tourmenté de la multiplicité des sollicitudes que je n'ay nul loysir d'estudier.

Monsieur, je pense que vous connoistres par cette lettre combien est grande l'asseurance que je prens en vostre amitié, puisque je suis si long et si libre a vous dire ces menusailles de mon particulier, lesquelles ne vous peuvent estre presentees que sous une extreme confiance de vostre bonté. Mais les anciens Evesques n'en faysoyent pas moins, et la communication que vous me permettes d'avoir avec vous m'est d'autant plus douce que nous sommes plus esloignés l'un de l'autre ; car je pense que c'est de la largeur ou longueur du royaume de France. Permettes moy, je vous supplie, que je desire de sçavoir presque aussi particulierement de vos nouvelles comme je vous en dis des miennes, mais sur tout si vous ne montes pas en chaire, ou au moins si vous ne faites pas de sermons a l'autel; et pardonnés moy, Monsieur, si c'est trop.

Je me res-jouis que M. Soulfour soit nostre commun respondant ; cette entremise, a mon advis, est fort aggreable. Dieu, par sa bonté, nous rende dignes de l'office auquel il nous appelle. Je ne suis jamais a l'autel que je ne l'en supplie, et nommement pour vous, Monsieur, de qui je me prometz un riche contreschange, a qui je bayse tres humblement les mains, et suis inviolablement,

Monsieur,

Vostre indigne et moindre frere

et tres asseuré serviteur,

FRANÇs, Evesque de Geneve.

A Neci, la veille de l'Assomption, 14 aoust 1604.

 
 
 

CCXXVIII

A M. JEAN-FRANÇOIS DE BLONAY

Prochain pèlerinage à Saint-Claude. Invitation à transmettre à l'Abbé d'Abondance.

Annecy, 18 août 1604.
Monsieur, Je me res-jouis fort des bonnes nouvelles de monsieur d'Abondance et de l'establissement des Feüillans . Il me treuvera en toutes occasions son fort affectionné serviteur ; mais voicy un inconvenient. Je partiray irremissiblement le 23 de ce mois pour aller a Saint Claude rendre un viel vœu que j'y ay et que ma mere a fait pour moy en une de mes maladies ; le 24 j'y seray, le 25 j'y arresteray, et ne pense pas estre icy que le 27 au soir. Je deliberois de revenir a Sales, mais je change fort volontier d'advis et me treuveray icy le 27, pour y donner une chambre a monsieur d'Abondance selon nostre petitesse. Je vous prie de l'y semondre en mon nom, mais bien vivement; et sil arrive devant moy, monsieur Deage le recevra et vous aussi.

Je suis, Monsieur,

Vostre confrere plus affectionné et bien humble, FRANÇs, E. de Geneve.
XVIII aoust 1604.
Monsieur le Vicaire respond au reste. Je differerois bien mon voyage, mais j'ay des autres assignations qui ne me laissent libre que ce tems-la pour le faire.

A Monsieur

Monsieur de Blonnay, Prieur de St Paul.

Revu sur l'Autographe conservé an château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.
 
 

CCXXIX

A MONSEIGNEUR ANDRÉ FRÉMYOT, ARCHEVÊQUE DE BOURGES

Obligation pour un Evêque de prêcher son peuple. - Des trois conditions nécessaires au prédicateur. - Fin qu'il doit se proposer: instruire et émouvoir. - Objet de la prédication: l'Ecriture Sainte expliquée selon les quatre sens dont elle est susceptible; la doctrine des Pères et des Docteurs, les exemples des Saints; interpréter le " grand livre " de la création. - Eviter les citations mythologiques. - Des comparaisons et des allégories. Disposition des matières; différentes méthodes à adopter selon la diversité des genres: sermons sur les mystères et les vertus, homélies, panégyriques. - La forme: du style et de l'action. - Pressante exhortation à prêcher; rien n'est impossible à l'amour.

Sales, 5 octobre 1604.
Monseigneur, Il n'est rien d'impossible a l'amour ; je ne suis qu'un chetif et malotru predicateur, et il me fait entreprendre de vous dire mon advis de la vraye façon de prescher. Je ne sçai si c'est l'amour que vous me portes qui tire cette eau de la pierre (Nb 20,8 ; Ps 77,16) ou si c'est celuy que je vous porte qui fait sortir des roses de l'espine. Permettes-moy ce mot d'amour, car je parle a la chrestienne, et ne treuvés pas estrange que je vous promette des eaux et des roses ; car ce sont des epithetes qui conviennent a toute doctrine catholique, pour mal ageancee qu'elle soit. Je vay commencer : Dieu y veuille mettre sa bonne main.

[Advis sur la vraye maniere de prescher]

Pour parler avec ordre, je considere la predication en ses quattre causes : l'efficiente, la finale, la materielle et la formelle ; c'est a dire, qui doit prescher, pour quelle fin l'on doit prescher, que c'est que l'on doit prescher et la façon avec laquelle on doit prescher.

[Qui doit prescher]

Nul ne doit prescher qu'il n'aye trois conditions : une bonne vie, une bonne doctrine, une legitime mission.

Je ne dis rien de la mission ou vocation ; seulement je remarque que les Evesques ont non seulement la mission, mais ilz en ont les sources ministerielles, et les autres predicateurs n'en ont que les ruysseaux. C'est leur premiere et grande charge ; on le leur dit en les consacrant. Ilz reçoivent a cet effect une grace speciale en la consecration, laquelle ilz doivent rendre fructueuse. Saint Paul (1 Co 9,16) en cette qualité s'escrie : Malheur a moy si jen'evangelize. Le Concile de Trente : " C'est" dit il, " le principal devoir de l'Evesque que de prescher." Cette consideration nous doit donner courage, car Dieu en cet exercice nous assiste specialement ; et c'est merveille combien la predication des Evesques a un grand pouvoir au prix de celle des autres predicateurs. Pour abondans que soyent les ruysseaux, on se plaist de boire a la source.

Quant a la doctrine, il faut qu'elle soit suffisante, et n'est pas requis qu'elle soit excellente. Saint François n'estoit pas docte, et neanmoins grand et bon predicateur, et en nostre aage, le bienheureux Cardinal Borromee n'avoit de science que bien fort mediocrement : toutefois il faisoit merveilles. J'en sçai cent exemples. Un grand homme de lettres (et c'est Erasme) a dit que le meilleur moyen d'apprendre et de devenir sçavant c'est d'enseigner ; en preschant on devient prescheur. Je veux seulement dire ce mot : le predicateur sçait tous-jours asses quand il ne veut pas paroistre de sçavoir plus que ce qu'il sçait. Ne sçaurions-nous bien parler du mystere de la Trinité ? n'en disons rien. Ne sommes nous pas asses versés pour expliquer l' ln principio de saint Jan ? laissons-le la ; il ne manque pas d'autres matieres plus utiles. Il n'est pas question qu'on fasse tout.

Quant a la bonne vie, elle est requise en la façon que dit saint Paul de l'Evesque, et non plus ; de façon qu'il n'est pas besoin que nous soyons meilleurs pour estre predicateurs que pour estre Evesques. C'est donq des-ja autant de fait : oportet, dit saint Paul (1 Tm 3,2), Episcopum . esse irreprehensibilem.

Mays je remarque que non seulement il faut que l'Evesque et predicateur ne soit pas vicieux de peché mortel, mays de plus qu'il esvite certains pechés venielz, voire mesme certaines actions qui ne sont pas peché. , Saint Bernard, nostre Docteur, dit ce mot (De Consid 2,13) : " Nugœ secularium sunt blasphemiœ clericorum. " Un seculier peut joüer, aller a la chasse, sortir de nuict pour aller aux conversations, et tout cela n'est point reprehensible, et, fait par recreation, n'est nullement peché. Mais en un Evesque, en un predicateur, si ces actions ne sont assaysonnees de cent mille circonstances qui malaysement se peuvent rencontrer, ce sont scandales et grans scandales. On dit : Ilz ont bon tems, ilz s'en donnent a cœur joye. Allés apres cela prescher la mortification ; on se mocquera du prescheur. Je ne dis pas qu'on ne puisse joüer a quelque jeu bien honneste une fois ou deux le moys par recreation ; mais que ce soit avec une grande circonspection.

La chasse, elle est interdite du tout. J'en dis de mesme des despenses superflues en festins, en habitz, en livres ; es seculiers ce sont superfluités, es Evesques ce sont des grans pechés. Saint Bernard (De Moribus et Offic Episc 2,7) nous instruit disant : Clamant pauperes post nos : " Nostrum est quod " expenditis, " nobis crudeliter eripitur quidquid inaniter expenditur " (Les pauvres crient après nous : " Ce que vous prodiguez nous appartient; toutes vos dépenses inutiles sont un vol cruel que vous nous faites. " Comme reprendrons nous les superfluités du monde si nous faysons paroistre les nostres ?

Saint Paul dit (1 Tm 3,2 ; Tt 1,7,8) : Oportet Episcopum esse hospitalem. L'hospitalité ne consiste pas a faire des festins, mais a recevoir volontier les personnes a table, telle que les Evesques la doivent avoir et que le Concile de Trente determine (Sess 25, de Ref 1) : Oportet mensam Episcoporum esse frugalem. J'excepte certaines occasions que la prudence et charité sçavent bien discerner.

Au demeurant, on ne doit jamais prescher sans avoir celebré la Messe ou la vouloir celebrer. Il n'est pas croyable, dit saint Chrysostome (Homil 46 in Jn 3), combien la bouche qui a receu le Saint Sacrement est horrible aux demons. Et il est vray ; il semble qu'on puisse dire apres saint Paul (2 Co 13,3): An experimentum quœritis eius qui loquitur in me Christus (Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi ?) On a beaucoup plus d'asseurance, d'ardeur et de lumiere. Quamdiu sum in mundo dit le Sauveur (Jn 9,5), lux sum mundi. Chose certaine, que Nostre Seigneur estant en nous reellement, il nous donne clairté, car il est la lumiere (Jn 1,9 ;12 46). Aussi, les disciples d'Emmaüs ayans communié, eurent les yeux ouvertz (Lc 24,31). .

Mais au fin moins faut il estre confessé, suyvant ce que Dieu dit, au rapport de David (Ps 49,16) : Peccatori autem dixit Deus : Quare tu enarras iustitias meas et assumis testamentum meum per os tuum (Mais Dieu a dit au pécheur : Pourquoi oses-tu annoncer mes préceptes et parler au nom de ma loi ?) Et saint Paul (1 Co 9,27) Castigo corpus meum et in servitutem redigo, ne cum aliis prœdicaverim ipse reprobus efficiar (Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé.) Mays c'est trop sur ce point.

[De la fin du Predicateur]

La fin est la maistresse cause de toutes choses ; c'est elle qui esmeut l'agent a l'action, car tout agent agit et pour la fin et selon la fin. C'est elle qui donne mesure a la matiere et a la forme : selon le dessein qu'on a de bastir une grande ou une petite mayson, on prepare la matiere, on dispose l'ouvrage.

Quelle donques est la fin du predicateur en l'action de prescher ? Sa fin et son intention doit estre de faire ce que Nostre Seigneur est venu pour faire en ce monde ; et voicy ce qu'il en dit luy mesme (Jn 10,10) : Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant (Je suis venu afin qu' ils aient la vie et qu' ils l'aient plus abondamment). La fin donques du predicateur est que les pecheurs mortz en l'iniquité vivent a la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle l'ayent encores plus abondamment, se perfectionnans de plus en plus, et, comme il fut dit a Hieremie (Jr 1,10), ut evellas et destruas les vices et, les pechés, et œdifices et plantes (Afin que tu arraches et que tu détruises... et que tu édifies et que tu plantes.) les vertuz et perfections. Quand donques le predicateur est en chaire, il doit dire en son cœur : Ego veni ut isti vitam habeant, et abundantius habeant.

Or, pour chevir de cette pretention et dessein, il faut qu'il face deux choses : c'est enseigner et esmouvoir. Enseigner les vertuz et les vices : les vertuz pour les faire aymer, affectionner et prattiquer ; les vices pour les faire detester, combattre et fuir. C'est, tout en somme, donner de la lumiere a l'entendement et de la chaleur a la volonté. C'est pourquoy Dieu envoya aux Apostres, le jour de la Pentecoste, qui fut le jour de leur consecration episcopale, ayans des-ja eu la sacerdotale le jour de la Cene (Lc 22,19), des langues de feu (Ac 2,3) ; affin qu'ilz sceussent que la langue de l'Evesque doit esclaircir l'entendement des auditeurs et eschauffer leurs volontés (S.Bern serm 2 in Pent 7,8).

Je sçai que plusieurs disent que, pour le troisiesme, le predicateur doit delecter ; mays quant a moy, je distingue, et dis qu'il y a une delectation qui suit la doctrine et le mouvement. Car qui est cette ame tant insensible qui ne reçoive un extreme playsir d'apprendre bien et saintement le chemin du Ciel, qui ne ressente une consolation extreme de l'amour de Dieu ? Et pour cette delectation, elle doit estre procuree ; mais elle n'est pas distincte de l'enseigner et esmouvoir, c'en est une dependance. Il y a une autre sorte de delectation qui ne depend pas de l'enseigner et esmouvoir, mays qui fait son cas a part et bien souvent empesche l'enseigner et l'esmouvoir. C'est un certain chatouillement d'oreilles, qui provient d'une certaine elegance seculiere, mondaine et prophane, de certaines curiosités, ageancemens de traitz, de parolles, de motz, bref, qui depend entierement de l'artifice : et quant a celle cy, je nie fort et ferme qu'un predicateur y doive penser ; il la faut laisser aux orateurs du monde, aux charlatans et courtisans qui s'y amusent. Ilz ne preschent pas Jesus Christ crucifié (1 Co 1,23 ; 2,2), mais ilz se preschent eux mesmes. Non sectamur lenocinia rhetorum, sed veritates piscatorum (Nous ne cherchons pas les charmes des rhéteurs, mais les vérités des pêcheurs. – Com.in 1 Co Op. S.Ambr 1,17 ; S.Aug serm 97,10).

Saint Paul (2 Tm 4,3) deteste les auditeurs prurientes auribus (Qui veulent qu'on leur chatouille les oreilles.), et par consequent les predicateurs qui leur veulent; complaire. Cela est un pedantisme. Au sortir du sermon je ne voudrois point qu'on dist : 0 qu'il est grand orateur ! 0 qu'il a une belle memoire ! 0 qu'il est sçavant ! 0 qu'il dit bien ! Mais je voudrois que l'on dist : 0 que la penitence est belle ! 0 qu'elle est necessaire ! Mon Dieu, que vous estes bon, juste ! et semblable chose ; ou que l'auditeur, ayant le cœur saysi, ne peust tesmoigner de la suffisance du predicateur que par l'amendement de sa vie. Ut vitam habeant, et abundantius habeant.

[Ce que le Predicateur doit prescher]

Saint Paul dit en un mot a son Timothee (2 Tm 4,2) : Prœdica verbum. Il faut prescher la parole de Dieu. Prœdicate Evangelium, dit le Maistre (Mt 28,15). Saint François, duquel aujourd'huy nous faysons la feste, explique cela, commandant a ses Freres de prescher les vertuz et les vices, l'enfer et le Paradis (Regula 2a,9). Il y a suffisamment dequoy en l'Escriture Sainte pour tout cela, il n'en faut pas davantage.

Se faut-il donq point servir des Docteurs chrestiens et des livres des Saintz ? Si faut, a la verité. Mais qu'est-ce autre chose la doctrine des Peres de l'Eglise que l'Evangile expliqué, que l'Escriture Sainte exposee ? Il y a a dire entre l'Escriture Sainte et la doctrine des Peres comme entre une amande entiere et une amande cassee, de laquelle le noyau peut estre mangé d'un chacun, ou comme d'un pain entier et d'un pain mis en pieces et distribué. Au contraire donq il faut s'en servir, car ilz ont esté les instrumens par lesquelz Dieu nous a communiqué le vray sens de sa Parole.

Mais des histoires des Saintz s'en peut on pas servir ? Mais, mon Dieu, y a il rien de si utile, rien de si beau ? Mais aussi, qu'est autre chose la vie des Saintz que l'Evangile mis en œuvre ? Il n'y a non plus de difference entre l'Evangile escrit et la vie des Saintz qu'entre une musique notee et une musique chantee.

Et des histoires prophanes, quoy ? Elles sont bonnes, mais il s'en faut servir comme l'on fait des champignons, fort peu, pour seulement resveiller l'appetit ; et lhors encor faut il qu'elles soyent bien apprestees, et, comme dit saint Hierosme (Epist 66 ad Pammach 8), il leur faut faire comme faisoyent les Israëlites aux femmes captives quand ilz les vouloyent espouser : il leur faut rogner les ongles et couper les cheveux (Dt 21,11), c'est a dire les faire entierement servir a l'Evangile et a la vraye vertu chrestienne, leur ostant ce qui se treuve de reprehensible es actions payennes et prophanes, et faut, comme dit la sainte Parolle (Jr 15,19), separare pretiosum a vili (Séparer le précieux du vi). En la valeur de Cesar l'ambition doit estre separee et remarquee ; en celle d'Alexandre, la vanité, la fierté et superbe ; en la chasteté de Lucrece, sa desesperee mort.

Et des fables des poëtes ? 0 de celles la point du tout, si ce n'est si peu et si a propos, et avec tant de circonstances, comme contrepoisons, que chacun voye qu'on n'en veut pas faire profession ; et tout cela si briefvement que ce soit asses. Leurs vers sont utiles : les Anciens les ont parfois employés, pour devotz qu'ilz fussent, mesmes jusques a saint Bernard, lequel je ne sçay pas ou il les avoit appris. Saint Paul fut le premier a citer Aratus (Ac 17,28) et Menander (Tt 1,11). Mays quant aux fables, je n'en ay jamais rencontré en pas un sermon des Anciens, sauf une seule d'Ulysses et des syrenes employee par saint Ambroyse en un de ses sermons (Enarr in Ps 43,73). C'est pourquoy je dis, ou du tout point, ou si peu que rien. Il ne faut pas mettre l'idole de Dagon avec l'Arche d'alliance (1 R 5,2).

Et des histoires naturelles ? Tres bien, car le monde, fait par la parole de Dieu, ressent de toutes pars cette parole; toutes ses parties chantent la louange de l'Ouvrier. C'est un livre qui contient la parole de Dieu, mais en un langage que chacun n'entend pas. Ceux qui l'entendent par la meditation font fort bien de s'en servir, comme faisoit saint Anthoine (S.Athanin vita ejus), qui n'avoit nulle autre bibliotheque. Et saint Paul dit (Rm 1,19) : Invisibilia Dei perea quœ facta sunt intellecta conspiciuntur (Les perfections invisibles de Dieu sont rendues compréhensibles par les choses qui ont été faites) ; et David (Ps 18,1) : Cœli enarrant gloriam Dei (Les cieux racontent la gloire de Dieu.). Ce livre est bon pour les similitudes, pour les comparaysons a minori ad majus et pour mille autres choses. Les anciens Peres en sont pleins, et l'Escriture Sainte en mille endroitz : Vade ad formicam (Pr 6,6) ; Sicut gallina congregat pullos suos (Mt 23,37); Quemadmodum desiderat cervus (Ps 41,1); : Quasi struthio in deserto (Lm 4 ,3) ; Videte lilia agri (Mt 6,28) (Va à la fourmi. Comme la poule rassemble ses poussins. Comme le cerf soupire. Comme l'autruche dans le désert. Voyez les lis des champs) ; et cent mille semblables.

Mais sur tout, que le predicateur se garde bien de raconter des faux miracles, des histoires ridicules, comme certaines visions tirees de certains autheurs de basse ligne, choses indecentes et qui puissent rendre nostre ministere vituperable et mesprisable.

Voyla ce qu'il me semble touchant la matiere en gros ; reste neanmoins a dire en particulier des parties de la matiere du sermon.

La premiere partie de cette matiere ce sont les passages de l'Escriture, lesquelz a la verité tiennent le premier rang et font le fondement de l'edifice ; car en fin nous preschons la parole, et nostre doctrine gist en l'authorité. Ipse dixit, Haec dicit Dominus (Lui-même l'a dit. Voici ce que dit le Seigneur), disoyent tous les Prophetes. Et Nostre Seigneur mesme (Jn 7,16) : Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me. Mais il faut, tant qu'il est possible, que les passages soyent naïfvement et clairement bien interpretés. Or, on peut bien user des passages de l'Escriture, les expliquant en l'une des quattre manieres que les Anciens ont remarquees :

Littera facta docet ; quid credas, allegoria ;

Quid speres, anagoge ; quid agas, tropologia

(La lettre enseigne les faits ; l'allégorie, ce que tu dois croire ;

l'anagogie ce que tu dois espérer ; la tropologie, ce que tu dois faire.)

Il n'y a pas trop bonne quantité, mais il y a de la rime, et encor plus de rayson.

Pour le regard du sens litteral, il se doit puiser dans les commentaires des Docteurs, c'est tout ce qu'on en peut dire ; mays c'est au predicateur de le faire valoir, de peser les motz, leur proprieté, leur emphase. Comme, par exemple, hier j'expliquois en ce village le commandement: Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde, , ex tota anima, ex tota mente (Dt 6,5 ; Mt 22,37). Je pensois avec nostre saint Bernard (serm 20 in Ct) : ex toto corde, c'est a dire courageusement, vaillamment, fervemment, par ce qu'au cœur appartient le courage ; ex tota anima, c'est a dire affectueusement, par ce que l'ame entant qu'ame est la source des passions et affections ; ex tota mente, c'est a dire spirituellement, discretement, par ce que mens, c'est l'esprit et partie superieure de l'ame, a laquelle appartient le discernement et jugement pour avoir le zele secundum scientiam et discretionem (Rm 10,2)(Selon la science et la discrétion.). Ainsy ce mot. diligere doit estre pesé, par ce qu'il vient de eligo (S.Th Ia IIae 26,3) et represente naïfvement le sens litteral, qui est qu'il faut que nostre cœur, nostre ame et nostre esprit choisissent et preferent Dieu entre toutes choses, qui est le vray amour appreciatif duquel les theologiens interpretent ces paroles.

Quand il y a diversité d'opinions entre les Peres et Docteurs il se faut abstenir d'apporter les opinions qui doivent estre refutees, car on ne monte pas en chaire pour disputer contre les Peres et Docteurs catholiques ; il ne faut pas reveler les infirmités de nos maistres et ce qui leur est eschappé comme hommes (Rm 6,19),ut sciant gentes. quoniam homines sunt (Ps 9). Mais on peut bien apporter. plusieurs interpretations, les loüant et faysant valoir toutes l'une apres.1'autre, comme je fis, le Caresme passé, de six opinions et interpretations des Peres sur ces paroles : Dicite quia servi inutiles sumus (Lc 17,10), et dessus ces autres paroles : Non est meum dare vobis (Mt 20,23) (Ce n'est pas à moi de vous l'accorder) ; car, si vous vous en resouvenes, je tiray de chacune de tres bonnes consequences, mais je teus celle de saint Hilaire, ce me semble cf tome 8, p.9) ; ou si je ne le fis, je fis faute, et le devois faire, parce qu'elle n'estoit pas probable.

Pour le sens allegorique, il faut que le predicateur observe quatre ou cinq pointz. Le premier est de tirer un sens allegorique qui ne soit point trop forcé, comme font ceux qui allegorisent toutes choses; mais faut qu'il soit naïfvement tiré, sortant de la lettre, comme saint Paul fait, allegorisant d'Esaü et Jacob au peuple Juif et Gentil (Rm 9,11), de Sion ou Jerusalem a l'Eglise (Ga 4,25 ; He 12,22).

Secondement, ou il n'y a pas une tres grande apparence que l'une des choses ayt esté la figure de l'autre, il ne faut pas traitter les passages l'un comme figure de l'autre, mais simplement par maniere de comparayson ; comme, par exemple, le genevrier sous lequel Helie s'endormit de detresse (3 R 19,4) est interpreté allegoriquement par plusieurs de la Croix; mais moy j'aymerois mieux dire ainsy : Comme Helie s'endormit sous le genevrier, ainsy nous devons reposer sous la Croix de Nostre Seigneur par le sommeil de la sainte meditation ; et non pas : Ainsy qu'Helie signifie le Chrestien, le genevrier signifie la Croix. Je ne voudrois pas asseurer que l'un signifie l'autre, mays je voudrois bien comparer l'un a l'autre, car ainsy le discours est plus ferme et moins reprehensible.

Tiercement, il faut que l'allegorie soit bienseante ; en quoy sont reprehensibles plusieurs qui allegorisent la defense faitte en l'Escriture a la femme de ne point prendre l'homme par ses parties deshonnestes, au Deuteronome, chapitre xxv : Si habuerint inter se jurgium viri duo, et unus contra alterum rixari cœperit, volensque uxor alterius eruere virum suum de manu fortioris, miseritque manum et apprehenderit verenda ejus, abscides manum illius, nec flecteris super eam ulla misericordia ; et disent qu'elle represente le mal que fait la Synagogue de reprocher aux Gentilz leur origine, et qu'ilz n'estoyent pas enfans d'Abraham. Cela peut avoir de l'apparence ; mais il n'a pas de la bienseance a cause que cette defense porte une imagination dangereuse en l'esprit de l'auditeur.

Quartement, il ne faut point faire d'allegories trop grandes, car elles perdent leur grace par la longueur et semblent [tendre] a l'affectation.

Cinquiesmement, il faut que l'application se face clairement et avec grand jugement, pour rapporter dextrement les parties aux parties.

Il faut presque observer les mesmes regles au sens anagogique et tropologique ; dont l'anagogique rapporte les histoires de l'Escriture a ce qui se passera en l'autre vie, et le tropologique les rapporte a ce qui se passe en l'ame et conscience. J'en mettray un exemple qui servira pour tous les quatre sens.

Ces paroles de Dieu parlant d'Esaü et Jacob : Duœ gentes sunt in utero tua, et duo populi ex utero tua dividentur, populusque populum superabit, et major serviet minori (Deux nations sont dans tes entrailles et deux peuples qui s'élèveront l'un contre l'autre sortiront de ton sein ; l'un de ces peuples surmontera l'autre, et l'aîné servira le plus jeune), en Genese, xxv,23, litteralement s'entendent des deux peuples sortis, selon la chair, d'Esaü et de Jacob, c'est a sçavoir les Idumeens et les Israëlites, dont le moindre, qui fut celuy des Israëlites, surmonta le plus grand et l'aisné, qui fut le peuple d'Idumee, au tems de David.

Allegoriquement, Esaü represente le peuple Juif, qui fut l'aisné en la connoissance de salut ; car les Juifz furent les premiers preschés. Jacob represente les Gentilz, qui furent les puisnés ; et neanmoins les Gentilz ont en fin surmonté les Juifz.

Anagogiquement, Esaü represente le cors, qui est l'aisné; car avant que l'ame fust creée, le cors fut fait et en Adam et en nous (Gn 2,7 ; 1 Co 15,45). Jacob signifie l'esprit, qui est puisné. En l'autre vie l'esprit surmontera et dominera sur le cors, lequel servira pleinement a l'ame et sans contradiction.

Tropologiquement, Esaü c'est l'amour propre de nous mesmes ; Jacob, l'amour de Dieu en nostre ame. L'amour propre est l'aisné, car il est né avec nous ; l'amour de Dieu est puisné, car il s'acquiert par les Sacremens et penitence ; et neanmoins il faut que l'amour de Dieu soit le maistre, et quand il est en une ame, l'amour propre sert et est inferieur.

Or, ces quattre sens donnent une grande, noble et bonne matiere a la predication, et font merveilleusement bien entendre la doctrine : c'est pourquoy il s'en faut servir , mays avec les mesmes conditions que j'ay dit estre requises a l'usage du sens allegorique.

Apres les sentences de l'Escriture, les sentences des Peres et Conciles tiennent le second rang ; et pour le regard d'icelles, je dis seulement que, si ce n'est bien rarement, il faut les choisir courtes, aiguës et fortes. Les predicateurs qui en alleguent de longues allanguissent leur ferveur et l'attention de la pluspart des auditeurs, outre le danger auquel ilz s'exposent de manquer de memoire. Les courtes sentences et fortes sont comme celle de saint Augustin (serm 169,11) : " Qui fecit te sine te, non salvabit te sine te " ; et l'autre (Enarr in Ps 101, serm 1,10) : " Qui paenitentibus veniam promisit, tempus paenitendi non promisit" (Celui qui a promis le pardon aux pénitents, n'a pas promis le temps de faire pénitence.) ; et semblables. En vostre saint Bernard il y en a une infinité ; mais il faut, les ayant citees en latin, les dire en françois avec efficace, et les faire valoir, les paraphrasant et deduisant vivement.

S'ensuyvent les raysons qu'une belle nature et un bon esprit peut fort bien employer ; et pour celles ci, elles se treuvent chez les Docteurs, et particulierement chez saint Thomas plus aysement qu'ailleurs. Estans bien deduites, elles font une fort bonne matiere. Si vous voules parler de quelque vertu, allés a la Table de saint Thomas, voyés ou il en parle, regardés ce qu'il dit ; vous treuveres plusieurs raysons qui vous serviront de matiere : mays au bout de la, il ne faut pas employer cette matiere sinon qu'on puisse fort clairement se faire entendre, au moins aux mediocres auditeurs.

Les exemples ont une force merveilleuse et donnent un grand goust au sermon; il faut seulement qu'ilz soyent propres, bien proposés et mieux appliqués. Il faut choisir des histoires belles et esclattantes, les proposer clairement et distinctement, et les appliquer vivement, comme font les Peres proposans l'exemple d'Abraham qui immole son filz (Gn 22), pour monstrer que nous ne devons rien espargner pour faire la volonté de Dieu ; car ilz remarquent tout ce qui peut rendre recommandable l'obeissance d'Abraham. Abraham, disent-ilz, viel ; Abraham, qui n'avoit que ce filz si beau, si sage et vertueux et si aymable ; et neanmoins, sans replique, sans murmurer et hesiter, il le mene sur le mont, et veut bien luy mesme de ses propres mains l'immoler. Et certes, ilz font l'application encores plus vive. Et toy, Chrestien, tu es si tenant, si froid, si peu resolu a immoler, je ne dis pas ton filz ni ta fille, ni tous tes biens, ni une grande partie, mais un seul escu pour l'amour de Dieu a secourir les pauvres, une seule heure de tes passetems pour servir Dieu, une seule petite affection, etc.

Mais il faut prendre garde a ne faire pas des descriptions vaines et flacques, comme font plusieurs escoliers qui, en lieu de proposer l'histoire naïfvement et pour les mœurs, se mettront a descrire les beautés d'Isaac, l'espee tranchante d'Abraham, l'enceinte du lieu du sacrifice et semblables choses impertinentes. Il ne faut estre aussi ni si court que l'exemple ne penetre pas, ni si long qu'il ennuye.

Il faut aussi se garder de faire des introductions de colloques entre les personnes de l'histoire, sinon qu'elles soyent tirees des parolles de l'Escriture, ou tres probables. Comme en cette histoire: qui introduit Isaac se lamentant sur l'autel, implorant la compassion paternelle pour s'eschapper de la mort, ou bien Abraham disputant en soy mesme et se plaignant, il fait mal et tort a la valeur et resolution de l'un et de l'autre. Ainsy ceux qui par la meditation ont rencontré des colloques, doivent observer deux regles en la predication: l'une, de voir s'ilz sont solidement fondés sur une apparente probabilité; l'autre, de ne point les proposer fort longs, car cela refroidit et le predicateur et l'auditeur.

Les exemples des Saintz sont admirables, et sur tout de ceux de la province ou on presche, comme de saint Bernard a Dijon.

Il reste un mot a dire des similitudes: elles ont une efficace incroyable a bien esclairer l'entendement et a esmouvoir la volonté. On les tire des actions humaines, passant de l'une a l'autre; comme de ce que font les bergers a ce que doivent faire les Evesques et pasteurs, comme fit Nostre Seigneur en la parabole de la brebis perdue (Lc 15,4) ; des histoires naturelles, des herbes, plantes, animaux, et de la philosophie, et en fin de tout. Les similitudes des choses triviales, estans subtilement appliquees, sont excellentes ; comme Nostre Seigneur fait en la parabole de la semence (Mt 13,3). Celles qui sont tirees des histoires naturelles, si l'histoire est belle et l'application belle, c'est un double lustre ; comme celle de l'Escriture de la renovation ou rajeunissement de l'aigle (Ps 102,5), par nostre penitence.

Or, il y a un secret en ceci qui est extremement proufitable au predicateur : c'est de faire des similitudes tirees de l'Escriture, de certains lieux ou peu de gens les sçavent remarquer ; et ceci se fait par la meditation des paroles.

Exemple : David parlant du mondain, dit (Ps 9,7) : Periit memoria eorum cum sonitu (Leur mémoire a péri avec le son). Je tire deux similitudes de deux choses qui se perdent avec le son. Quand on casse un verre, en se cassant il perit en sonnant ; ainsy les mauvais perissent avec un peu de bruit; on parle d'eux a leur mort. Mais comme le verre cassé demeure du tout inutile, ainsy ces miserables, sans espoir de salut, demeurent a jamais perduz. L'autre : quand un grand riche meurt, on sonne toutes les cloches, on luy fait des grandes funerailles ; mais, passé le son des cloches, qui le benit ? qui parle de luy ? Personne. Saint Paul parlant de celuy qui n'a point de charité et fait quelques œuvres, il dit (1 Co 13,1) que factus est sicut aes sonans, aut cymbalum tinniens (Il est semblable à un airain sonnant ou à une cymbale retentissante). On tire une similitude de la cloche, qui appelle les autres a l'eglise et n'y entre point ; car ainsy un homme qui fait des œuvres sans charité, il edifie les autres et les incite au Paradis, et il n'y va point luy mesme.

Or, pour rencontrer ces similitudes, il faut considerer les motz, s'ilz sont point metaphoriques ; car quand ilz le sont, tout aussi tost il y a une similitude a qui les sçait bien descouvrir. Par exemple : Viam mandatorum tuorum cucurri cum dilatasti cor meum (Ps 118,32) (j'ai couru dans la voie de vos commandements lorsque vous avez dilaté mon cœur.) ; il faut considerer ce mot dilatasti et celuy de cucurri, car il se prend par metaphore. Or maintenant, il faut voir les choses qui vont plus viste par dilatation, et vous en treuveres quelques unes, comme les navires quand le vent estend leurs voiles. Les navires donques qui chomment au port, si tost que le vent propice les saysit aux voiles et qu'il les emplit et fait enfler, elles singlent. Et certes, ainsy le peuple. Lhors que le vent favorable du Saint Esprit entre dans nostre cœur, nostre ame court et single dans la mer des commandemens. Et certes, qui observera cecy fera fructueusement beaucoup de belles similitudes, esquelles similitudes il faut observer la decence a ne dire rien de vil, abject et sale.

Apres tout cela, je vous advise qu'on se peut servir de l'Escriture par application avec beaucoup d'heur, encores que bien souvent ce qu'on en tire ne soit pas le vray sens; comme saint François disoit (S.Bonav 7) que les aumosnes estoyent " panis Angelorum, " parce que les Anges les procuroyent par leurs inspirations, et applique le passage (Ps 77,25) : Panem Angelorum manducavit homo. Mays en cecy il faut estre discret et sobre.

[De la disposition de la matiere ]

Il faut tenir methode sur toutes choses ; il n'y a rien qui ayde plus le predicateur, qui rende sa predication plus utile et qui aggree tant a l'auditeur. J'appreuve que la methode soit claire et manifeste, et nullement cachee, comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand coup de maistre de faire que nul ne connoisse leur methode. Dequoy, je vous prie, sert la methode si on ne la voit et que l'auditeur ne la connoisse ?

Pour vous ayder en cecy, je vous diray que, ou vous voules prescher quelque histoire, comme de la Nativité, Resurrection, Assomption, ou quelque sentence de l'Escriture, comme : Omnis qui se exaltat humiliabitur (Lc 14,11), ou tout un Evangile ou il y a plusieurs sentences, ou la vie de quelque Saint avec quelque sentence.

Quand on presche une histoire, on se peut servir de l'une de ces methodes : 1. Considerer combien de personnages il y a en l'histoire que vous voules prescher ; puys, de chacun tirer quelque consideration. Exemple : En la Resurrection je voy les Maries, les Anges, les gardes du sepulchre et nostre doux Sauveur. Es Maries j'y voy la ferveur et diligence ; es Anges, la joye et jubilation en leurs habitz blancz et en leur lumiere ; es gardes je voy la foiblesse des hommes qui entreprennent contre Dieu ; en Jesus je voy la gloire, le triomphe de la mort, l'esperance de nostre resurrection. .

2. On peut prendre en un mystere le point principal, comme en l'exemple precedent, la resurrection ; puys considerer ce qui a precedé ce point la et ce qui s'en est ensuyvi. La resurrection est precedee de la mort, de la descente aux enfers, de la delivrance des Peres qui estoyent au sein d'Abraham, de la crainte des Juifz qu'on ne desrobbe le cors ; la resurrection, en cors bienheureux et glorieux. Ce qui s'ensuit, c'est le tremble-terre, la venue et apparition des Anges, la recherche des dames, la response des Anges ; et en toutes ces parties il y a merveilles a dire, et par bon ordre.

3. On peut en tous mysteres considerer ces pointz : qui ? pourquoy ? comment ? Qui resuscite ? Nostre Seigneur. Pourquoy ? pour sa gloire, pour nostre bien. Comment ? glorieux, immortel, etc. Qui est nay ? le Sauveur. Pourquoy ? pour nous sauver. Comment ? pauvrement, nud, froid, en un estable, petit enfant.

4. Apres avoir proposé par une petite paraphrase l'histoire, on peut quelquefois en tirer trois ou quattre considerations. La premiere, qu'est ce qu'il en faut apprendre pour edifier nostre foy ; la seconde, pour accroistre nostre esperance ; la troisiesme, pour enflammer nostre charité ; la quatriesme, pour imiter et executer (cf serm VII). En l'exemple de la Resurrection : Pour la foy, nous voyons la toute puissance de Dieu, un cors passer au travers de la pierre, estre devenu immortel, impassible et tout spiritualisé. Combien est ce que nous devons estre fermes a croire qu'au Saint Sacrement ce mesme cors n'occupe point de place, ne peut estre offencé par la fraction des especes, et qu'il y est en une façon spirituelle, quoy que reelle. Pour l'esperance : Si Jesus Christ est resuscité, nous resusciterons, dit saint Paul (1 Co 6,14 ; 2 Co 4,14) ; il nous a frayé le chemin. Pour la charité : Tout resuscité qu'il est, il converse neanmoins encor en terre pour instruire l'Eglise, et retarde de prendre possession du Ciel, lieu propre des cors resuscités, pour nostre bien (Ac 1,3). 0 quel amour ! Pour l'imitation: Il est resuscité le troisiesme jour ; 0 Dieu, que ne resuscitons-nous par la contrition, confession et satisfaction ? Il force la pierre; vainquons toutes difficultés.

Quand vous voules prescher une sentence, il faut considerer a quelle vertu elle se rapporte, comme par exemple : Qui se humiliat exaltabitur ; voyla le sujet.de l'humilité bien clair. Mais il y a d'autres sentences ou le sujet n'est pas si descouvert, comme : Quomodo huc intrasti non habens vestem nuptialem ? Voyla la charité ; mays vous la voyes couverte d'une robbe, car la robbe nuptiale c'est la charité. Ainsy donques, ayant descouvert en la sentence que vous voules manier la vertu a laquelle elle vise, vous pourres reduire vostre sermon a methode, considerant en quoy gist la vertu, les vrayes marques d'icelle, ses effectz et le moyen de l'acquerir ou exercer; qui a tous-jours esté ma methode, et j'ay esté consolé d'avoir rencontré le livre du Pere Rossignol, Jesuite, conforme a cette methode. Le livre est intitulé : De Actionibus Virtutum, imprimé a Venise ; il vous sera fort utile.

Il y a une autre methode, monstrant combien cette vertu dont il s'agit est honnorable, utile et delectable ou playsante, qui sont les trois biens qui se peuvent desirer. Encores peut-on traitter autrement : c'est a sçavoir, des biens que cette vertu donne et des maux que le vice opposé apporte ; mais la premiere est la plus utile.

Quand on traitte un Evangile ou il y a plusieurs sentences, il faut regarder celles sur lesquelles on se veut arrester, voir de quelles vertuz elles traittent, et en dire succinctement selon ce que j'ay dit d'une seule sentence, et les autres les parcourir et paraphraser. Mais cette façon de passer sur tout un Evangile sentencieux est moins fructueuse, d'autant que le predicateur ne pouvant s'arrester que fort peu sur chacune sentence, ne peut les bien demesler, ni inculquer a l'auditeur ce qu'il desire.

Quand on traitte de la vie d'un Saint la methode est diverse. Celle que j'ay tenue en l'orayson funebre de Monsieur de Mercure est bonne (VII, 414) parce qu'elle est de saint Paul (Tt 2,12) : Ut Pie erga Deum, sobrie erga seipsum, juste erga proximum vixerit (Comme il vécut pieusement à l'égard de Dieu, sobrement à l'égard de lui-même, justement à l'égard du prochain.) ; et rapporter les pieces de la vie du Saint chacune a son rang. Ou bien de considerer ce qu'il fit agenda, qui sont ses vertuz ; patiendo, ses souffrances, soit de martyre ou de mortification ; orando, ses miracles. Ou bien de considerer comme il a combattu le diable, le monde, la chair: la superbe, l'avarice, la concupiscence, qui est la division de saint Jan : Omne, dit il (1 Jn 2,16), quod est in mundo, aut est concupiscentia carnis, etc. Ou bien, comme je fis a Fonteynes , sur saint Bernard : comme il faut honnorer Dieu en son Saint et le Saint en Dieu ; comme il faut servir Dieu a l'imitation de son Saint ; comme il faut prier Dieu par l'intercession de son Saint ; et ainsy effleurer la vie du Saint dont on parle, et mettre chaque chose en son lieu.

Voyla bien asses de methodes pour commencer ; car apres un peu d'exercice vous en feres d'autres qui vous seront propres et meilleures. Il me reste a dire pour la methode, que je mettrois volontier les passages de l'Escriture les premiers, les raysons secondement, les similitudes troisiesmement, et quatriesmement les exemples, s'ilz sont sacrés ; car s'ilz sont prophanes, ilz ne sont pas propres a fermer un discours : il faut que le discours sacré soit terminé par une chose sacree. Item, la methode veut que le commencement du sermon jusques au milieu enseigne l'auditeur, et que despuis le milieu jusques a la fin il l'esmeuve. C'est pourquoy les discours affectifz doivent estre logés a la fin.

Mais apres tout ceci, il faut que je vous die comme il faut remplir les pointz de vostre sermon, et voir comment. Par exemple, vous voules traitter de la vertu d'humilité, et vous aves disposé vos pointz en cette sorte : 1. En quoy gist cette vertu ; 2. ses marques ; 3. ses effectz ; 4. moyen de l'acquerir. Voyla vostre disposition. Pour remplir de conceptions, vous chercheres en la table des autheurs les motz humilitas, humilis, superbia, superbus, et verrés ce qu'ilz en disent ; et treuvant des descriptions ou definitions, vous les mettres sous le tiltre : " En quoy gist cette vertu, " et tascheres de bien esclaircir ce point, monstrant en quoy gist le vice contraire.

Pour remplir le second point, vous verrés humilitas ficta en la table, humilitas indiscreta, et semblables ; et par la vous monstreres la difference entre la fause et vraye humilité. S'il y a des exemples de l'une et de l'autre, vous les apporteres ; et ainsy des autres deux pointz. Intelligenti pauca (Pour l'intelligent, peu de mots suffisent.).

Les autheurs ou ces matieres se treuvent sont saint Thomas , saint Antonin , Guillelmus Episcopus Lugdunensis, in Summa de virtutibus et vitiis , Summa prœdicantium Philippi Diez et tous ses Sermons , Osorius , Grenade en ses Œuvres spirituelles (cf note 199), Hylaret en ses Sermons, Stella in Lucam , Salmeron et Barradas , Jesuites, sur les Evangiles. Saint Gregoire entre les Anciens excelle, et saint Chrysostome avec saint Bernard.

Mais il faut que je die mon opinion. Entre tous ceux qui ont escrit des sermons, Diez m'aggree infiniment : il va a la bonne foy, il a l'esprit de predication, il inculque bien, explique bien les passages, fait de belles allegories et similitudes, des hypotyposes nerveuses, prend l'occasion de dire admirablement, et est fort devot et clair. Il luy manque ce qui est en Osorius, qui est l'ordre et la methode, car il n'en tient point ; mays il me semble qu'il se le faut rendre familier au commencement. Ce que je dis, non pour m'en estre fort servi, car je ne l'ay veu qu'apres beaucoup de tems, mays parce que je le connois tel, et me semble que je ne me trompe pas. Il y a un Espagnol qui a fait un gros livre qui s'appelle Sylva Allegoriarum , lequel est tres utile a qui le sçait bien manier, comme aussi les Concordances de Benedicti . Voyla, ce me semble, le principal de ce qui me vient maintenant en memoire pour la matiere.

[De la forme, c'est a dire comme il faut prescher ]

Monsieur, c'est icy ou je desire plus de creance qu'ailleurs, parce que je ne suis pas de l'opinion commune, et que neanmoins ce que je dis c'est la verité mesme.

La forme, dit le Philosophe (Sententias ex Aristot, F, spuria V.Bedae, Physica 2), donne l'estre et l'ame a la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n'est rien; dites peu et dites bien, c'est beaucoup. Comme donq faut il dire en la predication ? Il se faut garder des quanquam et longues periodes des pedans, de leurs gestes, de leurs mines, de leurs mouvemens : tout cela est la peste de la predication. Il faut une action libre, noble, genereuse, naïfve, forte, sainte, grave et un peu lente. Mais pour l'avoir que faut-il faire ? En un mot, parler affectionnement et devotement, simplement et candidement et avec confiance ; estre bien espris de la doctrine qu'on enseigne et de ce qu'on persuade. Le souverain artifice c'est de n'avoir point d'artifice. Il faut que nos paroles soyent enflammees, non pas par des cris et actions desmesurees, mais par l'affection interieure ; il faut qu'elles sortent du cœur plus que de la bouche. On a beau dire, mais le cœur parle au cœur, et la langue ne parle qu'aux oreilles.

J'ay dit qu'il faut une action libre, contre une certaine action contrainte et estudiee des pedans. J'ay dit noble, contre l'action rustique de quelques uns qui font profession de battre des poings, des piedz, de l'estomach contre la chaire, crient et font des hurlemens estranges, et souvent hors de propos. J'ay dit genereuse, contre ceux qui ont une action craintifve, comme s'ilz parloyent a leurs peres, et non pas a leurs disciples et enfans. J'ay dit naïfve, contre tout artifice et affectation. J'ay dit forte, contre certaine action morte, molle et sans efficace. J'ay dit sainte, pour forclorre les muguettes courtisanes et mondaines. J'ay dit grave, contre certains qui font tant de bonnetades a l'auditoire, tant de reverences et puys tant de petites charlateries, monstrans leurs mains, leur surplis, et faysans telz autres mouvemens indecens. J'ay dit un peu lente, pour forclorre une certaine action courte et retroussee, qui amuse plus les yeux qu'elle ne bat au cœur. Je dis de mesme du langage, qui doit estre clair, net et naïf, sans ostentation de motz grecz, hebreux, nouveaux, courtisans. La tisseure doit estre naturelle, sans preface, sans ageancemens. J'appreuve que l'on die premierement, au premier point, et secondement, au second, affin que le peuple voye l'ordre.

Il me semble que nul, mais sur tout les Evesques, ne doivent user de flatterie envers les assistans, fussent ilz rois, princes et Papes. Il y a bien certains traitz propres a s'acquerir la bienveüillance, dont on peut user parlant la premiere fois a son peuple. Je suis bien d'advis qu'on tesmoigne le desir qu'on a de son bien, qu'on commence par des salutations et benedictions, par des souhaitz de le pouvoir bien ayder au salut ; de mesme a sa patrie : mais cela briefvement, cordialement et sans paroles attiffees. Nos anciens Peres et tous ceux qui ont fait du fruit se sont abstenuz de tous fatras et jolivetés mondaines. Ilz parlent cœur a cœur, esprit a esprit, comme bons peres aux enfans. Les ordinaires appellations doivent estre, mes freres, mon peuple (si c'est le vostre), mon cher peuple, Chrestiens auditeurs.

L'Evesque doit donner a la fin la benediction, le bonnet en teste, et icelle achevee, saluer le peuple. On doit finir par des parolles courtes, plus animees et vigoureuses. J'appreuve le plus souvent la recollection ou recapitulation, apres laquelle on dit quatre ou cinq motz de ferveur, ou par maniere d'orayson, ou par maniere d'imprecation. Il est bon d'avoir certaines exclamations familieres et judicieusement prononcees et employees, comme : 0 Dieu, bonté de Dieu, 0 bon Dieu, Seigneur Dieu, vray Dieu, eh, helas, ah, mon Dieu !

Pour la preparation au sermon, j'appreuve qu'elle se fasse des le soir, et que le matin on medite pour soy ce que l'on veut dire aux autres. La preparation faitte aupres du Saint Sacrement a grande force, dit Grenade (Orator Christian 6,13), et je le croy.

J'ayme la predication qui ressent plus a l'amour du prochain qu'a l'indignation, voire mesme des huguenotz, qu'il faut traitter avec grande compassion, non pas les flattant, mais les deplorant.

Il est tous-jours mieux que la predication soit courte que longue, en quoy j'ay failli jusques a present : que je m'amende. Pourveu qu'elle dure demi heure, elle ne peut estre trop courte.

Il ne faut point tesmoigner de mescontentement, s'il est possible; mais au moins point de cholere, comme je fis le jour de Nostre Dame quand on sonna avant que j'eusse achevé. Ce fut une faute, sans doute avec plusieurs autres. Je n'ayme point les plaisanteries et sobriquetz ; ce n'en est pas le lieu !

Je finis disant que la predication c'est la publication et declaration de la volonté de Dieu faitte aux hommes par celuy qui est la, legitimement envoyé, affin de les instruire et esmouvoir a servir sa divine Majesté en ce monde, pour estre sauvés en l'autre.

Monsieur, que dires vous de cela ? Pardonnés moy, je vous supplie ; j'ay escrit a course de plume, sans aucun soin ni de paroles ni d'artifice, porté du seul desir de vous tesmoigner combien je vous suis obeissant. Je n'ay point cité les autheurs que j'ay allegués en certains endroitz ; c'est que je suis aux chams, ou je ne les ay pas. Je me suis allegué moy mesme ; mais c'est, Monsieur, parce que vous voules mon opinion et non celle des autres. Et quand je la prattique moy mesme, pourquoy ne le diray-je pas ?

Il faut, avant que je ferme cette lettre, que je vous conjure, Monsieur, de ne la point faire voir a personne duquel les yeux me soyent moins favorables que les vostres, et que j'adjouste ma tres humble supplication que vous ne vous laissies emporter a nulle sorte de consideration qui vous puisse empescher ou retarder de prescher : plus tost vous commenceres, plus tost vous reuscires. Et prescher souvent ; il n'y a que cela pour devenir maistre. Vous le pouves, Monsieur, et vous le deves. Vostre voix est propre, vostre doctrine suffisante, vostre maintien sortable, vostre rang tres illustre en l'Eglise. Dieu le veut, les hommes s'y attendent ; c'est la gloire de Dieu, c'est vostre salut : hardiment, Monsieur, et courage, pour l'amour de Dieu. .

Le Cardinal Borromee , sans avoir la dixiesme partie des talens que vous aves, presche, edifie, se fait saint. Nous ne devons pas chercher nostre honneur, mais celuy de Dieu; et laissés faire, Dieu cherchera le nostre. Commencés, Monsieur, une fois aux Ordres, une autre fois a quelque Communion : dites quattre motz, et puys huit, et puys douze, jusques a demi heure; puys montés en chaire. Il n'est rien d'impossible a l'amour. Nostre Seigneur ne demanda pas a saint Pierre : Es-tu sçavant ou eloquent ? pour luy dire : Pasce oves meas ; mais : . Amas me (Jn 21,15) ? Il suffit de bien aymer pour bien dire. Saint Jan mourant ne sçavoit que repeter cent fois en un quart d'heure : " Mes enfans, aymés vous les uns les autres (Hieron Comm in Ga 6,10), " et avec cette provision il montoit en chaire : et nous faysons scrupule d'y monter si nous n'avons des myrobolans d'eloquence ! Laissés dire a qui alleguera la suffisance de Monsieur vostre predecesseur : il commença une fois comme vous.

Mais mon Dieu, Monsieur, que dires vous de moy qui vay si simplement avec vous ? L'amour ne se peut taire ou il y va de l'interest de celuy qu'on ayme. Monsieur, je vous ay juré fidelité, et l'on souffre beaucoup d'un serviteur fidelle et passionné. Vous alles, Monsieur, a vostre troupeau : hé, que ne m'est il loysible de courir jusques la pour vous assister, comme j'eus l'honneur de faire a vostre premiere Messe ! Je vous y accompagneray par mes vœux et desirs. Vostre peuple vous attend pour vous voir et estre veu et reveu de vous ; de vostre commencement ilz jugeront du reste : commencés de bonne heure a faire ce qu'il faut faire tous-jours. 0 qu'ilz seront edifiés quand ilz vous verront souvent a l'autel sacrifier pour leur salut ; avec vos curés traitter de leur edification, et en chaire parler de la parolle de reconciliation (2 Co 5,19) et prescher !

Monsieur, je ne fus jamais a l'autel sans vous recommander a Nostre Seigneur; trop heureux si je suis digne que quelquefois vous m'y porties en vostre memoire. Je suis et seray toute ma vie, de cœur, d'ame, d'esprit,

Monsieur,

Vostre tres humble serviteur

et tres petit et obeyssant frere,

FRANÇ', E. de Geneve.

Du 5 octobre 1604.

J'ayeu honte relisant cette lettre, et si elle estoit plus courte je la referois ; mais j'ay tant de confiance en la solidité de vostre bienveüillance, que la voyla, Monsieur, telle qu'elle est. Pour l'amour de Dieu, aymés moy tousjours, et me tenes pour autant vostre serviteur qu'homme qui vive, car je le suis.

CCXXX

AU PRÉSIDENT BÉNIGNE FRÉMYOT

Intimité avec l'Archevêque de Bourges. - Affection pour toute la famille du Président. - Comment il faut se préparer à la mort: se détacher peu à peu des choses de la terre. - Considérations à faire chaque jour. - Ce qu'est la sagesse pour les jeunes gens et ce qu'elle doit être pour les vieillards. - Choix de lectures. - Triple baiser à donner au Crucifix.

Sales, 7 octobre 1604.
Monsieur, La charité est esgalement facile a donner et a recevoir les bonnes impressions du prochain; mais si a sa generale inclination on adjouste celle de quelque particuliere amitié, elle se rend excessive en cette facilité. Monsieur de Bourges et madame de Chantal, vos chers et dignes enfans, m'ont sans doute esté trop favorables en la persuasion qu'ilz vous ont faitte de me vouloir du bien ; car je voy bien, Monsieur, par la lettre qu'il vous a pleu de m'escrire, qu'ilz y ont employé des couleurs desquelles ma chetifve ame ne fut onques teinte. Et vous, Monsieur, n'aves pas esté moins aysé ni, comme je connois, moins ayse de leur donner une ample et liberale creance. La charité, dit l'Apostre (1 Co 13,6), croit tout et se res-jouit du bien. En cela seul ilz n'auront pas sceu passer la mesure a dire, ni vous, Monsieur, a croire que je leur ay voüé toutes mes affections, qui vous sont par ce moyen acquises, puisqu'ilz sont vostres avec tout ce qu'ilz ont.

Permettes moy, Monsieur, que je laisse courir ma plume a la suitte de mes pensees pour respondre a vostre lettre. C'est bien la verité que j'ay reconneu en Monsieur de Bourges une si naïfve bonté et d'esprit et de cœur que je me suis relasché a conferer avec luy des offices de nostre commune vocation, avec tant de liberté que, revenant a moy, je n'ay sceu qui avoit usé de plus de simplicité, ou luy a m'escouter, ou.moy a luy parler. Or, Monsieur, les amitiés fondees sur Jesus Christ ne laissent pas d'estre respectueuses pour estre un peu fort simples et a la bonne foy. Nous nous sommes bien couppé de la besoigne l'un a l'autre ; nos desirs de servir Dieu et son Eglise (car je confesse que j'en ay, et luy ne sçauroit dissimuler qu'il n'en soit plein) se sont, ce me semble, aiguisés et animés par le rencontre.

Mais, Monsieur, vous voules que je continue de mon costé cette conversation, et sur ce sujet, par lettres. Je vous asseure que si je voulois je ne m'en sçaurois empescher ; et de fait, je luy envoye une lettre de quattre feuilles, et toute de cette estoffe. Non, Monsieur, je n'apporte plus nulle consideration a ce que je suis moins que luy, ni a ce qu'il est plus que moy et en tant de façons : " Amor aequat amantes" (L'amour égale les amants) (Pythagore ?). Je luy parle fidellement et avec toute la confiance que mon ame peut avoir en celle que j'estime des plus franches, rondes et vigoureuses en amitié. Et quant a madame de Chantal, j'ayme mieux ne rien dire du desir que j'ay de son bien eternel que d'en dire trop peu. Mais M. le President des Comptes, vostre bon frere , ne vous a-il point dit qu'il m'aymoit aussi bien fort ? Je vous diray bien au moins que je m'en tiens pour tout asseuré. Il n'est pas jusques au petit Celse Benigne et a vostre Aymee qui ne me connoissent et qui ne m'ayent caressé en vostre mayson. Voyés, Monsieur, si je suis vostre, et par combien de liens. J'abuse de vostre bonté a vous desployer si grossierement mes affections ; mais, Monsieur, quicomque me provoque en la contention d'amitié, il faut qu'il soit bien ferme, car je ne l'espargne point.

Si faut-il que je vous obeisse encores en ce que vous me commandes de vous escrire les principaux pointz de vostre devoir. J'ayme mieux obeir au peril de la discretion, que d'estre discret au peril de l'obeissance. Ce m'est, a la verité, une obeissance un petit aspre ; mays vous jugeres bien qu'elle en vaut mieux. Vous excedes bien en humilité a me faire cette demande : pourquoy ne me sera-il loysible d'exceder en simplicité a vous obeir ?

Monsieur, je sçai que vous aves fait une longue et tres honnorable vie, et tous-jours tres constante en la sainte Eglise Catholique ; mais au bout de la, ç'a esté au monde et au maniement de ses affaires. Chose estrange, mais que l'experience et les autheurs tesmoignent : un cheval, pour brave et fort qu'il soit, cheminant sur les passees et alleures du loup s'engourdit et perd le pas (Pline Hist Nat 28,44). Il n'est pas possible que vivans au monde, quoy que nous ne le touchions que des piedz, nous ne soyons embroüillés de sa poussiere (S.Leon serm 42,1). Nos anciens peres, Abraham et les autres, presentoyent ordinairement a leurs hostes le lavement des piedz (Gn 18,4) ; je pense, Monsieur, que la premiere chose qu'il faut faire c'est de laver les affections de nostre ame pour recevoir l'hospitalité de nostre bon Dieu en son Paradis.

Il me semble que c'est tous-jours beaucoup de reproche aux mortelz de mourir sans y avoir pensé ; mais il est double a ceux que Nostre Seigneur a favorisés du " Bien de la viellesse " Ceux qui s'arment avant que l'alarme se donne le sont tous-jours mieux que les autres qui, sur l'effroy, courent ça et la au plastron, aux cuissars et au casquet. Il faut tout a l'ayse dire ses adieux au monde, et retirer petit a petit ses affections des creatures.

Les arbres que le vent arrache ne sont pas propres pour estre transplantés parce qu'ilz laissent leurs racines en terre ; mays qui les veut porter en une autre terre, il faut que dextrement il desengage petit a petit toutes les racines l'une apres l'autre. Et puisque de cette terre miserable nous devons estre transplantés en celle des vivans (Ps 26,13), il faut retirer et desengager nos affections l'une apres l'autre de ce monde. Je ne dis pas qu'il faille rudement rompre toutes les alliances que nous y avons contractees (il faudroit a l'adventure des effortz pour cela) ; mais il les faut descoudre et desnouer. Ceux qui partent a l'improuveuë sont excusables de n'avoir pas pris congé des amis et de partir en mauvais equipage, mais non pas ceux qui ont sceu l'environ du tems de leur voyage. Il se faut tenir prestz (Mt 24,44),. ce n'est pas pour partir devant l'heure, mays pour l'attendre avec plus de tranquillité.

A cet effect, je croy, Monsieur, que vous aures une incroyable consolation de choisir de chasque jour une heure pour penser, devant Dieu et vostre bon Ange, a ce qui vous est necessaire pour faire une bienheureuse retraitte. Quel ordre a vos affaires s'il failloit que ce fust bien tost ? Je sçai que ces pensees ne vous seront pas nouvelles ; mais il faut que la façon de les faire soit nouvelle en la presence de Dieu, avec une tranquille attention, et plus pour esmouvoir l'affective que pour esclairer l'intellective.

Saint Hierosme a plus d'une fois (Ep 52 ad Nepotian 1,3) rapporté a la sapience des vielles gens l'histoire d'Abisag, Sunamite, dormant sur l'estomach de David, non pour aucune volupté mais seulement pour l'eschauffer (3 R 1,1). La sagesse et consideration de la philosophie accompagne souvent les jeunes gens : c'est plus pour recreer leur esprit que pour creer en leurs affections aucun bon mouvement ; mais entre les bras des anciens, elle n'y doit estre que pour leur donner de la vraye chaleur de devotion. J'ay veu et joui de vostre belle bibliotheque : je vous presente, pour vostre leçon spirituelle sur ce propos, saint Ambroyse, De bono mortis, saint Bernard, De interiori domo (?), et plusieurs homelies esparses de saint Chrysostome.

Vostre saint Bernard dit (serm 87 de Diversis) que l'ame qui veut aller a Dieu doit premierement bayser les piedz du Crucifix, purger ses affections et se resoudre a bon escient de se retirer petit a petit du monde et de ses vanités ; puys