www.JesusMarie.com
Saint François de Sales
Sermon pour le dimanche de la Sexagésime
13 février 1594


 

(Extrait des Œuvres de Saint François de Sales, Édition complète par les soins des religieuses de la Visitation du 1er Monastère d'Annecy, Tome VII, Sermons 1er Volume, Annecy, 1896, p. 130 à 138.

Mis en forme et transcrit par les soins de M. l'abbé Paul-Antoine Lefèvre, prêtre de l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre)

 

                                                                Qui habet aures audiendi, audiat.

 

La prise de la ville de Jéricho par le vaillant capitaine général des Israélites Josué, est bien l'une des remarquables qui furent jamais faites, pour le stratagème avec lequel les murailles d'icelle furent du tout renversées, et Jéricho demeura toute nue et démantelée devant l'armée des Israélites.

Or le stratagème fut tel, au rapport qu'en fait Josué même es sacrés mémoires qu'il écrivit des choses advenues sous sa conduite, au sixième chapitre. Etant l'armée en la campagne de Jéricho, Josué levant les yeux en haut, vit un homme vis a vis qui tenait son épée nue en main, duquel s'approchant Josué, il lui dit : Es tu de nos gens ou de nos ennemis ? Ce gendarme répond : Non, ni l'un ni l'autre ; je suis prince de l'armée du Seigneur ; me voici venu tout maintenant. Josué se jette a terre, l'adore et lui demande ses commandements. Or, le Seigneur lui dit par son Ange : je vous veux livrer Jéricho. Environnes la une fois le jour durant six jours ; le septième, environnes la sept fois ; et en ces environnements, mettes ordre que l'on porte l'Arche, et devant icelle, aillent sept prêtres avec des trompettes sonnant. Et au dernier environnement, lors que les prêtres auront sonné plus longuement et puissamment, que tout le peuple crie tant qu'il pourra, et les murailles tomberont, et chacun entrera par l'endroit ou il se trouvera, par-dessus les murailles Qui ouït jamais raconter un tel siège ? Qui connut jamais un ingénieur si subtil, qui, au son des trompettes, fit renverser des murailles entières ? Qui vit jamais semblable batterie ? Josué lève les yeux en haut ; d'en haut vient l'Ange, il l'adore ; l'Ange lui enseigne de la part de Dieu le stratagème, Josué croit et se fie en Dieu, il fait ce qui lui est commandé ; parmi son armée l'Arche de Dieu y est, les prêtres sonnent, les murailles tombent.

O les belles instructions pour nos capitaines, de lever leurs courages en haut vers Dieu, invoquer les Saints et s'appuyer en Dieu, le croire, obéir a ses commandements. Ha, si l'intention était au Ciel, si la confiance était en Dieu, si l'honneur du aux serviteurs de Dieu était rendu, si on croyait et obéissait a Dieu, il n'y aurait rien d'imprenable, tout renverserait devant les Chrétiens. Mais je ne suis pas ici pour apprendre la manière comme il faut entrer et prendre a force les villes terrestres ; je voudrais plutôt vous dire comme il faut prendre et subjuguer les villes et forteresses spirituelles, ennemies de Dieu et des Saints, pour le service de la divine Majesté. Ave Maria.

L'âme de l'homme, mes Frères, est une belle ville, par nature sujette à Dieu ; mais bien souvent, par révolte et rébellion, et par les factions des affections et parties supérieure et inférieure, elle est rendue sous l'obéissance du péché ; car qui facit peccatum, servus est Peccati.

Qui trouvera mauvais que j'appelle l'âme de l'homme une ville, puisque les philosophes l'ont bien appelée un petit monde, puisqu'elle est " l'abrégé " de toutes les perfections " du monde ", recueillant en soi tous les grades plus parfaits d'iceluy, comme tout le plus beau d'une province se retrouve en la ville principale d'icelle ? En cette âme encore, vous semble-t-il pas qu'il y ait un magasin qui vaut plus que tous ceux d'Anvers ou de Venise, puisque la mémoire retire toutes les idées de tant de variétés de choses ? Vous semble-t-il pas qu'il y ait un brave ouvrier, puisqu'en l'entendement possible, toutes choses s'y font en des espèces incomparables ? Vous semble il pas qu'il y ait un ouvrier, lequel avec cent millions d'yeux et de mains, comme un autre Argus, fait plus d'ouvrage que tous les ouvriers du monde, puisqu'il n'y a rien au monde qu'il ne représente ? Qui est l'occasion qui a fait dire aux philosophes que l'âme était tout en puissance ? C'est cette ville laquelle, plus que toute autre, se peut vanter que le savoir de son bâtisseur a été rendu admirable en son édification, selon le dire du Psalmiste : Mirabilis facta est scientia tua ex me ; c'est d'elle qu'on peut dire : Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei.

Or, cette forteresse a été vendue au diable lors que le péché l'a environnée ; dont le diable a été appelé le prince de ce monde. Et Notre Seigneur, parlant de lui comme d'un capitaine, a dit : Cum fortis armatus custodit atrium suum, etc Les murailles d'icelle qui tiennent en la puissance du diable cette âme, sont ses iniquités, desquelles parlant le Psalmiste : Die ac nocte circumdabit super muros ejus iniquitas. C'est le péché qui empêche que Dieu ne se rende maître de nos âmes, et ne peut entrer en nous, ainsi demeure à la porte : Ego sto ad ostium et pulso. Isaïe 59 : Peccata vestra diviserunt inter vos et Deum.

Or, ces murailles ici doivent tomber devant notre Jésus, non plus fils de Navé mais Fils de Marie, à celle fin qu'il entre dans notre âme et s'en rende possesseur. Que si celles de Jéricho tombèrent au son des trompettes des prêtres, celles-ci doivent tomber encore au son de la trompette évangélique et la prédication de la parole de Dieu, suivant ce que sa Majesté dit à Jérémie : Ecce dedi verbum meum in ore tuo ; constitui te super gentes, ut evellas, et destruas, et disperdas, et dissipes, et ædifices, et Plantes. Ainsi David se fit maître de Sion, suivant ce qu'il dit : Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion montem sanctum ejus, proedicans proeceptum ejus. C'est de ces murailles que nous pouvons dire : Ascendite muros ejus, et dissipate, comme dit Notre Seigneur de Jérusalem.

Mais a cet effet, je trouve trois conditions requises : la première, c'est la bonne intention ; la seconde, l'attention ; la troisième, l'humilité. La bonne intention était bien aux Israélites, puisqu'ils faisaient cela pour la terre de promission ; l'attention, car Josué leur avait dit qu'ils ne fissent point de bruit ; l'humilité, en leur obéissance. Et avec ces trois conditions, au son de la trompette des prêtres, ils se rendirent maîtres de Jéricho.

Quant à l'intention, mes Frères, je voudrais qu'elle fut à l'avenant de celle de Notre Seigneur, lequel ne nous a pas voulu parler pour autre fin que pour nous sauver : Ut fides sit ex auditu et omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam. Je voudrais qu'elle fut comme celle des bons prédicateurs, qui est, comme dit saint Paul : Prædicamus autem Jesum Christum crucifixum ;Judæis quidem scandalum, etc. ; et aussi que l'intention fut de recevoir en son cœur Jésus Christ. Où sont ceux qui ne vont à la prédication par curiosité de voir les façons et les paroles ? Que diriez vous de ce malade lequel sachant qu'en un jardin il y a l'herbe qui le peut guérir, n'y va que pour voir quelques fleurettes ? Semblables à Hérode, qui ne désirait de voir Notre Seigneur que par curiosité, et le méprisa ; aussi méprisent-ils les prédicateurs quand ils en ont passé leur fantaisie, comme les femmes grosses, qui non par faim, mais par fantaisie, désirent des viandes. Ah non ; mais comme il faut désirer la viande pour [se] nourrir, ainsi faut il user de la parole de Dieu, qui est l'aliment de nos âmes : Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei. Euntes, dit Notre Seigneur, prædicate Evangelium omni creaturæ ; qui crediderit, salvus erit. Voila la fin : Ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum. Qui, donc, habet aures audiendi, audiat.

Quand l'homme entend la parole de Dieu sans cette intention, elle est en lui comme cette semence qui tombe dans le chemin : Aliud cecidit secus viam ; la vaine gloire et la curiosité la perdent. C'est écouter la prédication comme un motet de musique ; Ezéchiel 33 : Es eis quasi carmen musicum ; et audiunt verba tua, et non faciunt ea. Comme le malade qui regarderait la boîte contenant la médecine de sa guérison !

La seconde disposition qu'il faut avoir pour bien ouïr la parole de Dieu, c'est l'attention ; car il y en a plusieurs qui viennent au sermon pour faire leur profit, mais y étant, ou en dormant ou en causant ou en pensant ailleurs, ils ne sont pas attentifs ; auxquels, quand ils sont de retour, si l'on demande que c'est qu'ils ont rapporté du sermon, ils peuvent bien répondre qu'ils en sont revenus gens de bien, pour en avoir rapporté les oreilles ou leur chapeau. Et ceux-ci sont encore de ceux qui se doivent sentir piqués de cette parole de Notre Seigneur : Qui habet aures audiendi, audiat ; car, aures habent et non audiunt.

Or, ceci n'est pas une petite incivilité, que Dieu parlant à nous, nous ne voulions l'écouter, ni plus ni moins que si nous parlions à Dieu sans y penser ; de manière que de ceux la Notre Seigneur dit : Populus huic auribus me honorat, cor autem eorum longe est a me.  Ah, que le Psalmiste n'était pas de cette façon : Audiam quid loquatur in me Dominus Deus.  Dans le premier livre des rois, chapitre 3, verset 9, Elie enseigne à Samuel la façon d'ouïr Dieu. Dices : Loquere, Domine, quia audit servus tuus. Au livre de Jonas, Dieu fait un grand vent sur mer, si que chacun s'adresse à Dieu, et Jonas dort. Ainsi Dieu envoie le vent de sa Parole et épouvante toute la barque, et l'auditeur dort. L'attention est si requise, que souvent l'intention défaillant, l'attention profite. Saint Augustin, au livre 5, des Confessions, dernier chapitre : " Veniebant in animum rneum simul cum verbis quæ diligebam, res etiam quas negligebam ; et dum cor aperiretur ad excipiendum quam diserte diceret, pariter intrabat et quam vere diceret."

La troisième condition est l'humble obéissance à la parole ouïe ; car ceux qui ouïssent, et pour cela ne s'amendent pas, non habent aures audiendi : Ego tanquam surdus non audiebam, et sicut mutus non aperiens os suum. Ce qui procède de plusieurs causes : l'une, qu'ils ne reçoivent pas la parole de Dieu comme telle, ainsi comme la parole des prédicateurs ; et toutefois Notre Seigneur a dit une fois pour toutes : Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit ; Et ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi  ; et ailleurs : Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri etc. De quoi se plaignant Notre Seigneur, il dit à Ezéchiel : Nolunt audire te, quia nolunt audire me. Et saint Paul s'en vante : An experimentum quoeritis ejus qui in me loquitur Christus ? De là vient qu'ils se moquent du pauvre prêcheur, et prennent garde s'il crache, s'il lui échappe une parole impropre.

L'autre cause, c'est qu'ils rejettent toujours sur autrui ce qui est dit par le prédicateur : O on a bien parlé contre celui-ci, etc. Quand on est invité au banquet on prend pour soi ; mais ici on est extrêmement courtois, car on ne cesse de donner aux autres. Vistes vous jamais un plus prompt jugement que celui que fit David, lorsque Nathan lui parla de sa faute en la personne d'un tiers Peut-être n'eut-il pas été si facile s'il eut parlé directement à lui-même. La troisième [cause] d'ou il vient, c'est que la parole de Dieu chasse le péché de l'âme, et l'homme qui se plait au péché la trouve amère lorsqu'elle le sollicite : Ad tempus credunt, et in tempore tentationis recedunt. Ils la trouvent bonne du premier abord, mais par après, quand il faut venir à l'œuvre, ils la trouvent amère. Ezéchiel, 3 : Aperui os meum, et cibavit me volumine illo, et factum est sicut mel in ore meo ; in ore, mais non in stomacho, quand il est question de faire opération. La parole de Dieu est une médecine, une manne : Beati qui audiunt verbum Dei, en mangeant, et custodiunt illud, en digérant, etc. C'est pourquoi on voit si peu de fruit des prédications, et on rebat tant de fois une chose : Manda, remanda, etc.

Les uns ouïssent par mauvaise intention de coutume, de curiosité : Et volucres cæli comedunt illud ; après qu'ils ont dit leur opinion du prêcheur, c'est tout. Les autres, avec si peu d'attention, que la parole de Dieu ne va pas jusques au cœur : Et natum aruit, quia non habebat humorem. Les autres, avec tant de vices et mauvaises inclinations, si peu d'humilité et tant de superbe : Et simul exortiv spinoe suffocaverunt illud, si qu'elle n'est pas venue à son effet. O que Notre Seigneur pourrait bien faire les lamentations de Job : Quis mihi tribuat auditorem ? Qui me donnera un auditeur de ceux que je désire, qui in corde bono et optimo audiens verbum retineat, et fructum afferat in patientia ? Qui habet aures audiendi, audiat.

Ceux qui ne font profit de la parole, sont semblables à Urie, portant lettres à Joab sans savoir ce qu'elles contiennent. Fallentes vosmetipsos. Estote factores ; qui enim verbi auditor est, et non factor, hic comparabitur viro consideranti vultum nativitatis suoe in speculo : consideravit enim se et abiit, et statim oblitus est qualis fuerit. Mes Frères, soyez fervents à ouïr la parole, car Evangelium Dei virtus est in salutem omni credenti. Ecoutes-la avec humilité : Statue servo tuo eloquium tuum in timore tuo.  Les murailles de votre Jéricho tomberont devant la parole : Emittet verbum suum, et liquefaciet ea. Notre Josué entrera dedans avec tous ses dons, et y tuera toutes nos mauvaises habitudes, mortifiant toute notre âme. Il n'y aura que Raab de sauvée : Raab, notre foi, laquelle ne faisait point d'œuvres que bâtardes. Ainsi règnera Notre Seigneur en nous. Amen.
 
 

www.JesusMarie.com